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Yo soy de Parque Patricios 1944-12-05 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Victor Felice Letra: Carlos Lucero

La nos­tal­gie et l’orgueil pour la pau­vreté de da jeunesse est un thème fréquent dans le tan­go. « Yo soy de Par­que Patri­cios » est de cette veine…
Je vous invite à faire quelques pas dans la boue, les sou­venirs et un passé à la fois loin­tain et tant proche, que les deux anges, D’Agostino et Var­gas nous évo­quent de si belle façon.
Nous décou­vrirons l’origine du nom et ver­rons quelques images de ce quarti­er qui a tou­jours un charme cer­tain et que je peux voir de mon bal­con.

Extrait musical

Yo soy de Par­que Patri­cios 1944-12-05 — Orques­ta Ángel D’Agosti­no con Ángel Var­gas.
Par­ti­tion de Yo soy de Par­que Patri­cios de Vic­tor Felice et Car­los Lucero.

Quelques notes de piano, égrenées, comme jetées au hasard, démar­rent le titre. L’orchestre reprend d’un rythme bien mar­qué avec des alter­nances de piano, des pas­sages puis­sants et d’autres plus rêveurs chan­tés par les vio­lons.
Un peu avant la moitié du titre, Ángel Var­gas com­mence à chanter, presque a capela. Il annonce qu’il est de ce quarti­er et qu’il y est né.
La séance de nos­tal­gie démarre, ponc­tuée de vari­a­tions mar­quées par l’orchestre, tan­tôt marchant et ryth­mique, tan­tôt glis­sant et suave.
Comme tou­jours chez ce « cou­ple » des anges, une par­faite réal­i­sa­tion, à la fois dansante, prenante et d’une grande sim­plic­ité dans l’expression des sen­ti­ments.
En l’écoutant, on pense aux autres titres comme Tres esquinas qui, si le début est con­sti­tué de longs glis­san­dos des vio­lons, procè­dent de la même con­struc­tion par oppo­si­tion.
On remar­quera dans les deux titres, comme dans de nom­breux autres, de cette asso­ci­a­tion qui enreg­is­tra près d’une cen­taine de titres (93 ?), ces petites échap­pées musi­cales qui libèrent la pres­sion de la voix de Var­gas, ces petites notes qui s’échappent au piano, vio­lon ou ban­donéon et qui mon­tent légère­ment dans un par­cours sin­ueux et rapi­de.

Paroles

Yo soy de Par­que Patri­cios
he naci­do en ese bar­rio,
con sus chatas, con su bar­ro…
En la humil­dad de sus calles
con cer­cos de madre­sel­vas
aprendí a enfrentar la vida…
En aque­l­los lin­dos tiem­pos
del per­cal y agua flori­da,
con gui­tar­ras en sus noches
y organ­i­tos en sus tardes.
Yo soy de Par­que Patri­cios
vie­ja bar­ri­a­da de ayer…

Bar­rio mío… tiem­po viejo…
Farol, cha­ta, luna llena,
vie­jas rejas, tren­zas negras
y un sus­piro en un bal­cón…
May­orales… cuar­teadores…
muchachadas de mis horas,
hoy retor­nan al recuer­do
que me que­ma el corazón.

Hoy todo, todo ha cam­bi­a­do
en el bar­rio, caras nuevas
y yo estoy ave­jen­ta­do…

(Mil nos­tal­gias en el alma)
Mis cabel­los flor de nieve
y en el alma mil nos­tal­gias
soy una som­bra que vive…
Recor­dan­do aque­l­los tiem­pos
que su ausen­cia me revive,
de mi cita en cin­co esquinas…
y de aque­l­los ojos claros.
Yo soy de Par­que Patri­cios
evo­cación de mi ayer…

Vic­tor Felice Letra: Car­los Lucero

Var­gas change ce qui est en gras. La phrase en rouge rem­place la plus grande par­tie du dernier cou­plet. Elle n’est pas dans le texte orig­i­nal de Car­los Lucero.

Traduction libre

Je suis de Par­que Patri­cios, je suis né dans ce quarti­er, avec ses char­i­ots, avec sa boue…
Dans l’hu­mil­ité de ses rues aux haies de chèvrefeuille, j’ai appris à affron­ter la vie…
En ces beaux temps de per­cale et d’eau de Cologne (agua flori­da), avec des gui­tares dans leurs nuits et des organ­i­tos (orgues ambu­lants) dans leurs après-midis.
Je viens de Par­que Patri­cios, vieux quarti­er d’hi­er…
Mon quarti­er… le bon vieux temps…
Réver­bère, char­i­ots, pleine lune, vieux bars, tress­es noires et un soupir sur un bal­con…
Les may­orales (pré­posé aux bil­lets du tramway)… cuar­teadores (cav­a­liers aidant à sor­tir de la boue les char­i­ots embour­bés)… Les ban­des de mes heures, aujour­d’hui, elles revi­en­nent à la mémoire qui me brûle le cœur.
Aujour­d’hui, tout, tout a changé dans le quarti­er, de nou­veaux vis­ages et je suis vieux…
Mes cheveux, fleur de neige et dans mon âme mille nos­tal­gies, je suis une ombre qui vit…
Me sou­venir de ces moments que son absence ravive, de mon ren­dez-vous aux cinq angles (de rues)… et de ces yeux clairs.
(Ce pas­sage n’est pas chan­té par Var­gas qui fait donc l’im­passe sur l’his­toire d’amour per­due).
Je suis de Par­que Patri­cios évo­ca­tion de mon passé…

Autres versions

La ver­sion de Var­gas et D’Agostino n’a pas d’enregistrement par d’autres orchestres, mais le quarti­er de Par­que Patri­cios a sus­cité des nos­tal­gies et plusieurs titres en témoignent.

Yo soy de Par­que Patri­cios 1944-12-05 — Orques­ta Ángel D’Agosti­no con Ángel Var­gas. C’est notre tan­go du jour.

Voici quelques titres qui par­lent du quarti­er :

Parque Patricios de Antonio Oscar Arona

Par­que Patri­cios 1928-09-12 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Char­lo (Anto­nio Oscar Arona (Músi­ca y letra)

Paroles de la version de Oscar Arona

Cada esquina de este bar­rio es un recuer­do
de lo mág­i­ca y risueña ado­les­cen­cia;
cada calle que des­cubre mi pres­en­cia,
me está hablan­do de las cosas del ayer…
¡Viejo bar­rio! … Yo que ven­go del asfal­to
te pre­fiero con tus calles empe­dradas
y el hechizo de tus noches estrel­ladas
que en el cen­tro no se sabe com­pren­der.

¡Par­que Patri­cios!…
Calles queri­das
hon­das heri­das
ven­go a curar…

Son­reís de mañani­ta
por los labios de las mozas
que en ban­dadas rumor­osas
van camino al taller;
sos román­ti­co en las puer­tas
y en las ven­tanas con rejas
en el dulce atarde­cer;
que se ador­nan de pare­jas
te ponés triste y som­brío
cuan­do algún mucha­cho bueno
tra­ga en silen­cio el veneno
que des­ti­la la traición
y llorás amarga­mente
cuan­do en una musiq­ui­ta
el alma de Milon­gui­ta
cruzó el bar­rio en que nació.

¡Viejo Par­que!… Yo no sé qué aira­da racha
me ale­jó de aque­l­la novia dulce y bue­na
que ahuyenta­ba de mi lado toda pena
con lo magia incom­pa­ra­ble de su amor…
Otros bar­rios mar­chi­taron sus ensueños…
¡Otros ojos y otras bocas me engañaron
el tesoro de ilu­siones me robaron
hoy mi vida, enca­de­na­do está al dolor!…

Oscar Arona

Traduction libre de la version de Oscar Arona

Chaque recoin de ce quarti­er est un rap­pel de l’ado­les­cence mag­ique et souri­ante ;
Chaque rue que décou­vre ma présence me par­le des choses d’hi­er…
Vieux quarti­er… Moi, qui viens de l’as­phalte, je vous préfère avec vos rues pavées et le charme de vos nuits étoilées qu’au cen­tre-ville, ils ne peu­vent pas com­pren­dre.
Par­que Patri­cios…
Chères rues, blessures pro­fondes, je viens guérir…
Tu souris dès l’aube sur les lèvres des filles qui, en trou­peaux bruyants, se ren­dent à l’ate­lier ;
Tu es roman­tique dans les portes et dans les fenêtres avec des bar­reaux dans le doux couch­er de soleil ; qui se par­ent de cou­ples. Tu deviens triste et som­bre quand un bon garçon avale en silence le poi­son que la trahi­son dis­tille et tu pleures amère­ment quand, dans une petite musique, l’âme de Milon­gui­ta a tra­ver­sé le quarti­er où elle est née.
Vieux parc (Par­que Patri­cios)… Je ne sais pas quelle trainée de colère m’a éloigné de cette douce et bonne petite amie qui avait chas­sé tout cha­grin de mon côté avec la magie incom­pa­ra­ble de son amour…
D’autres quartiers ont flétri ses rêves…
D’autres yeux et d’autres bouch­es m’ont trompé, ils m’ont volé le tré­sor des illu­sions, ma vie, enchaîné, c’est la douleur…

Barrio Patricio de Juan Pecci

Bar­rio Patri­cio 1934 — Orchestre Argentin Eduar­do Bian­co (Juan Pec­ci).

Hon­nête­ment, je ne suis pas cer­tain que ce tan­go ait pour thème le même quarti­er, en l’absence de paroles. Cepen­dant, Juan Pec­ci est né dans le Sud du quarti­er San Cristo­bal à deux cuadras du quarti­er de Par­que Patri­cios, l’attribution est donc prob­a­ble. Pec­ci était vio­loniste de Bian­co avec qui il avait fait une tournée en Europe.

Barrio porteño (Parque Patricios) de Ernesto Natividad de la Cruz et Héctor Romualdo Demattei)

Bar­rio porteño (Par­que Patri­cios) 1942-08-07 — Osval­do Frese­do Y Oscar Ser­pa
(Ernesto Nativi­dad de la Cruz Letra: Héc­tor Romual­do Demat­tei).

Frese­do est plutôt de la Pater­nal, un quarti­er situé bien plus au Nord, mais il enreg­istre égale­ment ce tan­go sur Par­que Patri­cios.
Après le départ de Ricar­do Ruiz, l’orchestre de Frese­do sem­ble avoir cher­ché sa voie et sa voix. Je ne suis pas sûr qu’Oscar Ser­pa soit le meilleur choix pour le tan­go de danse, mais l’assemblage n’est pas mau­vais si on tient en compte que l’orchestration de Frese­do est égale­ment renou­velée et sans doute bien moins prop­ice à la danse que ses presta­tions de la décen­nie précé­dente. Il a voulu innover, mais cela lui a sans doute fait per­dre un peu de son âme et la décen­nie suiv­ante et accélèr­era cet éloigne­ment du tan­go de danse. Frese­do avait la répu­ta­tion d’être un peu éli­tiste, dis­ons qu’il s’est adap­té à un pub­lic plus « raf­finé », mais moins ver­sé sur le col­lé-ser­ré des milongueros.

Paroles de la version de Ernesto Natividad de la Cruz et Héctor Romualdo Demattei

Per­doná bar­rio porteño
Que al cor­rer tu vista tan­to,
Voy ven­ci­do por la vida
Y en angus­tias sé soñar.
Vuel­vo atrás y tú en mis sienes
Mar­carás las asechan­zas,
De esta noche tor­men­tosa
De mi loco cam­i­nar.

Han pasa­do muchos años
Y es amar­gu­ra infini­ta,
La que trai­go den­tro del pecho
Desan­gra­do el corazón.
Apa­ga­da para siem­pre
De su cielo, mi estrel­li­ta,
El regre­so es un sol­lo­zo
Y una pro­fun­da emo­ción.

Mi acen­to ya no tiene
Tus tauras expre­siones,
Con que canta­ba al bar­rio
En horas del ayer.
Por eso mi gui­tar­ra
Silen­cia su armonía,
En esta noche ingra­ta
De mi triste volver.

Ernesto Nativi­dad de la Cruz Letra: Héc­tor Romual­do Demat­te

Traduction libre de la version de Ernesto Natividad de la Cruz et Héctor Romualdo Demattei

Par­donne-moi quarti­er portègne (de Buenos Aires) de courir autant à ta vue, je vais vain­cu par la vie et dans l’an­goisse je sais rêver.
Je reviens et toi, dans mes tem­pes, tu mar­queras les pièges, de cette nuit d’or­age, de ma folle marche.
De nom­breuses années ont passé et c’est une amer­tume infinie, celle que je porte dans ma poitrine saig­nant mon cœur.
Éteinte à jamais de son ciel, ma petite étoile, le retour est un san­glot et une émo­tion pro­fonde.
Mon accent n’a plus tes expres­sions bravach­es, avec lesquelles je chan­tais au quarti­er aux heures d’hi­er.
C’est pourquoi ma gui­tare fait taire son har­monie, en cette nuit ingrate de mon triste retour.

Parque Patricios de Antonio Radicci et Francisco Laino (Milonga)

Cette géniale milon­ga est une star des bals. Deux ver­sions se parta­gent la vedette, celle de Canaro avec Famá et celle, con­tem­po­raine de l’autre Fran­cis­co, Lomu­to avec Díaz. Pour ma part, je n’arrive pas à les départager, les deux por­tent par­faite­ment l’improvisation en milon­ga, com­por­tent des cuiv­res pour une sonorité orig­i­nale et si on n’est sans doute un peu plus accou­tumés à la voix de Famá, celle de Díaz ne démérite pas.

Par­que Patri­cios 1940-10-03 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Ernesto Famá (Anto­nio Radic­ci y Fran­cis­co Laino, Músi­ca y letra).
Par­que Patri­cios 1941-06-27 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to con Fer­nan­do Díaz (Anto­nio Radic­ci y Fran­cis­co Laino, Músi­ca y letra)

Paroles de la version en milonga de Antonio Radicci et Francisco Laino

Mi viejo Par­que Patri­cios
queri­do rincón porteño,
bar­ri­a­da de mis ensueños
refu­gio de mi niñez.
El pro­gre­so te ha cam­bi­a­do
con su rara arqui­tec­tura,
lleván­dose la her­mo­sura
de tu bon­dad y sen­cillez.
Cuán­tas noches de ale­gría
al son de una ser­e­na­ta,
en tus casitas de lata
se vio encen­der el farol.
Y al sonar de las vigüe­las
el tai­ta de ron­co acen­to,
hil­van­a­ba su lamen­to
sin­tién­dose payador (trovador en la ver­sión de Famá).

Anto­nio Radic­ci Letra: Fran­cis­co Laino

Traduction libre de la version de Antonio Radicci et Francisco Laino

Mon vieux Par­que Patri­cios, cher recoin de Buenos Aires, quarti­er de mes rêves, refuge de mon enfance.
Le pro­grès t’a changé avec son archi­tec­ture étrange, t’enlevant la beauté de la bon­té et de ta sim­plic­ité.
Com­bi­en de nuits de joie au son d’une séré­nade, dans tes petites maisons de tôle se voy­ait allumer la lanterne.
Et au son des vigüe­las [sortes de gui­tares] le tai­ta [caïd] avec un accent rauque, tis­sait sa com­plainte en se sen­tant payador.

Viejo Parque Patricios de Santos Bazilotti et Antonio Macchia

Viejo Par­que Patri­cios 1952 — Orques­ta Puglia-Pedroza (San­tos Bazilot­ti Letra: Anto­nio Mac­chia).

Une ver­sion plutôt jolie, mais qui ne devrait pas sat­is­faire les danseurs. Con­tentons-nous de l’écouter. On pour­ra s’intéresser à la jolie presta­tion au ban­doneón de Edgar­do Pedroza.

Viejo Par­que Patri­cios 1955-04-15 — Gerón­i­mo Bon­gioni y su Autén­ti­co Cuar­te­to “Los Ases” (San­tos Bazilot­ti Letra: Anto­nio Mac­chia)

La ver­sion pro­posée par Bon­gioni est bien dif­férente de celle de Pugli et Pedroza. On y retrou­vera une inspi­ra­tion de Fir­po et des Uruguayens comme Rac­ciat­ti et Vil­las­boas). Même si c’est très joueur, à la lim­ite de la milon­ga, le résul­tat est sans doute assez dif­fi­cile à danser par la plu­part des danseurs.

Paroles de la version de Santos Bazilotti et Antonio Macchia

Bien que les deux enreg­istrements soient instru­men­taux, il y a des paroles qui ne sem­blent cepen­dant pas avoir été gravées. Les voici tout de même.

Por los cor­rales de ayer
Mis años yo pasé,
Bar­rio flori­do
Yo fui el primero
Que te can­té.
En Alcor­ta y Labardén,
Caseros y Are­na,
Bor­dé mi nido de amor.
Y en una cuadr­era
Supe ser buen ganador,
El Pibe, El Chue­co y El Inglés
Por una mujer,
Se tren­zaron en más de una vez
Con este can­tor.

Porteño soy
De las tres esquinas,
Pin­ta can­to­ra
Para un quer­er.
Nací en el Par­que Patri­cios
Sobre los viejos cor­rales de ayer.
Porteño soy
De las tres esquinas,
Y en mi juven­tud flori­da
El lecher­i­to del arra­bal,
Y como tam­bién
Un bailarín sin rival.
San­tos Bazilot­ti Letra: Anto­nio Mac­chia

Traduction libre de la version de Santos Bazilotti et Antonio Macchia

À tra­vers les cor­rales d’hi­er. Mes années j’ai passé. Quarti­er fleuri, j’ai été le pre­mier qui t’a chan­té.
À Alcor­ta et Labardén, Caseros et Are­na, j’ai brodé mon nid d’amour.
Et dans une course de chevaux (peut-être aus­si écurie), j’ai su être un bon gag­nant. El Pibe, El Chue­co et El Inglés, pour une femme, ils se sont crêpés plus d’une fois avec ce chanteur (l’auteur du texte).
Je suis Porteño, des Tres Esquinas, L’allure chan­tante pour un amour.
Je suis né à Par­que Patri­cios sur les anciens cor­rales d’hi­er.
Porteño je suis, des Tres esquinas, et, dans ma jeunesse fleurie, le petit laiti­er des faubourgs, et aus­si bien, un danseur sans rival.

Parque Patricios de Mateo Villalba et Maura Sebastián

Et pour ter­min­er avec les ver­sions, Par­que Patri­cio 2008 (Valse) par le Cuar­te­to de MateoVil­lal­ba avec la voix de Mau­ra Sebastián. C’est une com­po­si­tion de Mar­ti­na Iñíguez et de Mateo Vil­lal­ba. C’est une ver­sion légère, douce­ment val­sée et chan­tée avec des paroles dif­férentes.

Par­que Patri­cio 2008 (Valse) par le Cuar­te­to de MateoVil­lal­ba avec la voix de Mau­ra Sebastián


El Par­que de los Patri­cios

Ce quarti­er porte le nom d’un parc créé en 1902 par un paysag­iste français, Charles Thays.
Né à Paris en 1849, cet archi­tecte, nat­u­ral­iste, paysag­iste, urban­iste, écrivain et jour­nal­iste français a déroulé l’essentiel de sa car­rière en Argen­tine, notam­ment en dessi­nant et amé­nageant la plu­part des espaces verts de Buenos Aires, mais aus­si d’autres lieux d’Amérique du Sud. Il fut à l’origine du sec­ond parc naturel argentin, celui d’Iguazú, et il par­tic­i­pa égale­ment à l’amélioration de la cul­ture indus­trielle de yer­ba mate (ger­mi­na­tion), cet arbuste qui fait que l’Uruguay et l’Argentine ne seraient pas pareils sans lui.

Le Par­que Patri­cios tel qu’il a été créé à l’o­rig­ine. Dessin de 1902.

Mais avant le parc, cette zone avait une tout autre des­ti­na­tion. Nous en avons par­lé à divers­es repris­es. C’étaient les abat­toirs et la décharge d’ordures.
Beau­coup y voient le berceau du tan­go, voire de Buenos Aires. En fait, tout le ter­ri­toire actuel de la « Comu­na 4 » con­stitue le Sud (Sur), zone par­ti­c­ulière­ment prop­ice à la nos­tal­gie et notam­ment chez D’Agostino et Var­gas, qui ont pro­duit plusieurs titres évo­quant les quartiers de cette com­mune.
Le nom de Par­que Patri­cios ou Par­que de los Patri­cios a été don­né au parc par l’Intendant Bul­rich en l’honneur des Patri­cios, ce pres­tigieux batail­lon de l’armée argen­tine.

Les Patri­cios con­tin­u­ent aujour­d’hui à ani­mer la vie argen­tine, même si leur dernier engage­ment a été pour les Mal­ouines. À droite, l’u­ni­forme au début du rég­i­ment (1806–1807). À l’ex­trême droite, un offici­er.
La com­mune 4 de Buenos Aires, cor­re­spond sen­si­ble­ment au Sur « mythique » avec les quartiers très pop­u­laires de Par­que Patri­cios, Nue­va Pom­peya, Bar­ra­cas et La Boca. On pour­rait rajouter la zone inférieure de Boe­do qui appar­tient à la com­mune 5, cette zone chère à Home­ro Manzi.

Cette zone a été chan­tée dans de nom­breux tan­gos dont nous avons déjà par­lé comme :
Del bar­rio de las latas
Mano blan­ca
Tres Esquinas
El cuar­teador de Bar­ra­cas
En lo de Lau­ra
Sur
La tabla­da

Voici à quoi ressem­blait le quarti­er de Par­que Patri­cios au début du 20e siè­cle. On com­prend son surnom de bar­rio de las latas évo­qué dans le tan­go dont nous avons déjà par­lé.

Mais out­re cet habi­tat par­ti­c­ulière­ment pau­vre, la zone était égale­ment une immense décharge à ciel ouvert, où, toute la journée, on brûlait les détri­tus de Buenos Aires.
Les ordures étaient trans­portées avec un petit train à voie métrique « El tren de la basura », le train des ordures.

Un mur­al repro­duisant le par­cours du train des ordures rue Oruro 1400.
El tren de la basura.

L’autre spé­cial­ité de la zone était les abat­toirs, Los Cor­rales, qui à la suite de la con­struc­tion de nou­veaux abat­toirs à Abas­to, sont devenus Los Cor­rales Viejos…

Cor­rales viejos matadero. Voir l’anecdote sur La tabla­da pour en savoir plus.

À bien­tôt les amis !

Deux détails du mur­al du train des ordures de la rue Oruro. On remar­quera que de véri­ta­bles « détri­tus » ont été util­isés, mais avec une inten­tion artis­tique évi­dente.

La tablada 1942-07-23 — Orquesta Aníbal Troilo

Francisco Canaro

Quand on pense à l’Argen­tine, on pense à sa viande et ce n’est pas un cliché sans rai­son. Les Argentins sont de très grands ama­teurs et con­som­ma­teurs de viande. Chaque mai­son a sa par­il­la (bar­be­cue) et en ville, cer­tains vont jusqu’à impro­vis­er leurs par­il­las dans la rue avec un demi-bidon d’huile. Dans les espaces verts, il y a égale­ment des par­il­las amé­nagées et si vous préférez aller au restau­rant, vous n’aurez pas beau­coup à marcher pour obtenir un bon asa­do. Le tan­go du jour, la tabla­da a à voir avec cette tra­di­tion. En effet, la tabla­da est le lieu où est regroupé le bétail avant d’aller au matadero

Cor­rales viejos, matadero, la tabla­da…

Extrait musical

La tabla­da 1942-07-23 — Orques­ta Aníbal Troi­lo
La tabla­da. La cou­ver­ture de gauche est plus proche du sujet de ce tan­go que celle de droite…
La par­ti­tion est dédi­cacée par Canaro à des amis d’U­ruguay (auteurs, musi­ciens…).

Autres versions

La tabla­da 1927-06-09 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Une ver­sion presque gaie. Les vach­es « gam­badent », du pas lourd du canyengue.

La tabla­da 1929-08-02 — Orques­ta Cayetano Puglisi.

Une ver­sion pesante comme les coups coups don­nés par les mataderos pour sac­ri­fi­er les ani­maux.

La tabla­da 1929-12-23 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Cette ver­sion est assez orig­i­nale, on dirait par moment, une musique de dessin ani­mé. Cette ver­sion s’est dégagée de la lour­deur des ver­sions précé­dentes et c’est suff­isam­ment joueur pour amuser les danseurs les plus créat­ifs.

La tabla­da 1936-08-06 — Orques­ta Edgar­do Dona­to.

Une des ver­sions le plus con­nues de cette œuvre.

La tabla­da 1938-07-11 — Orques­ta Típi­ca Bernar­do Ale­many.

Cette ver­sion française fait preuve d’une belle imag­i­na­tion musi­cale. Ale­many est prob­a­ble­ment Argentin de nais­sance avec des par­ents Polon­ais. Son nom était-il vrai­ment Ale­many, ou est-ce un pseu­do­nyme, car il a tra­vail­lé en Alle­magne avant la sec­onde guerre mon­di­ale avant d’aller en France où il a fait quelques enreg­istrements comme cette belle ver­sion de la tabla­da avant d’émigrer aux USA. Ses musi­ciens étaient majori­taire­ment argentins, car il avait fait le voy­age en Argen­tine en 1936 pour les recruter. Cette ver­sion est donc fran­co-argen­tine pour être pré­cis…

La tabla­da 1942-07-23 — Orques­ta Aníbal Troi­lo. C’est notre tan­go du jour.
La tabla­da 1946-09-10 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

L’introduction en appels sif­flés se répon­dant est par­ti­c­ulière­ment longue dans cette ver­sion. Il s’agit de la référence au train qui trans­portait la viande depuis La Tabla­da jusqu’à Buenos Aires. Les employés devaient sif­fler pour sig­naler le départ, comme cela se fait encore dans quelques gares de cam­pagne.

La tabla­da 1950-11-03 — Enrique Mora y su Cuar­te­to Típi­co.

Encore une ver­sion bien guillerette et plutôt sym­pa­thique, non ?

La tabla­da 1951 — Orques­ta Rober­to Caló.

C’est le frère qui était aus­si chanteur, mais aus­si pianiste (comme on peut l’entendre dans cet enreg­istrement), de Miguel Caló.

La tabla­da 1951-12-07 — Hora­cio Sal­gán y su Orques­ta Típi­ca.

Une ver­sion qui se veut résol­u­ment mod­erne, et qui explore plein de direc­tions. À écouter atten­tive­ment.

La tabla­da 1955-04-19 — Orques­ta José Bas­so.

Dans cette ver­sion, très intéres­sante et éton­nante, Bas­so s’éclate au piano, mais les autres instru­ments ne sont pas en reste et si les danseurs peu­vent être éton­nés, je suis sûr que cer­tains apprécieront et que d’autres me maudiront.

La tabla­da 1957 — Mar­i­ano Mores y su Gran Orques­ta Pop­u­lar.

L’humour de Mar­i­ano Mores explose tout au long de cette ver­sion. Là encore, c’est encore un coup à se faire maudire par les danseurs, mais si vous avez envie de rigol­er, c’est à pré­conis­er.

La tabla­da 1957-03-29 — Orques­ta Héc­tor Varela. Varela est plus sérieux, mais sa ver­sion est égale­ment assez foi­son­nante. Décidé­ment, la tabla­da a don­né lieu à beau­coup de créa­tiv­ité.
La tabla­da 1962 — Orques­ta Rodol­fo Bia­gi.

On revient à des choses plus clas­siques avec Rodol­fo Bia­gi qui n’oublie pas de fleurir le tout de ses orne­ments au piano. À not­er le jeu des ban­donéons avec le piano et les vio­lons qui domi­nent le tout, insen­si­bles au stac­ca­to des col­lègues.

La tabla­da 1962-08-21 — Cuar­te­to Troi­lo-Grela.

Le duo Grela, Troi­lo est un plaisir raf­finé pour les oreilles. À écouter bien au chaud pour se laiss­er emporter par le dia­logue savoureux entre ces deux génies.

La tabla­da 1965-08-11 — Orques­ta Juan D’Arienzo.

La spa­tial­i­sa­tion stéréo­phonique est sans doute un peu exagérée, avec le ban­donéon à droite et les vio­lons à gauche. Beau­coup de DJ passent les titres en mono. C’est logique, car tout l’âge d’or et ce qui le précède est mono. Cepen­dant, pour les corti­nas et les enreg­istrements plus récents, le pas­sage en mono peut être une lim­i­ta­tion. Vous ne pour­rez pas vous en ren­dre compte ici, car pour pou­voir met­tre en ligne les extraits sonores, je dois les pass­er en mono (deux fois moins gros) en plus de les com­press­er au max­i­mum afin qu’ils ren­trent dans la lim­ite autorisée de taille. Mes morceaux orig­in­aux font autour de 50 Mo cha­cun. Pour revenir à la dif­fu­sion en stéréo, le DJ doit penser que les danseurs tour­nent autour de la piste et qu’un titre comme celui leur don­nera à enten­dre le ban­donéon dans une zone de la salle et les vio­lons dans une autre. Dans ce cas, il fau­dra lim­iter le panoramique en rap­prochant du cen­tre les deux canaux. Encore un truc que ne peu­vent pas faire les DJ qui se branchent sur l’entrée ligne où les deux canaux sont déjà regroupés et ne peu­vent donc pas être placés spa­tiale­ment de façon indi­vidu­elle (sans par­ler du fait que l’entrée ligne com­porte générale­ment moins de réglage de tonal­ité que les entrées prin­ci­pales).

La tabla­da 1966-03-10 — Orques­ta Florindo Sas­sone.

Une meilleure util­i­sa­tion de la spa­tial­i­sa­tion stéréo­phonique, mais ça reste du Sas­sone qui n’est donc pas très pas­sion­nant à écouter et encore moins à danser.

La tabla­da 1968 — Orques­ta Típi­ca Atilio Stam­pone.

Stam­pone a explosé la fron­tière entre la musique clas­sique et le tan­go avec cette ver­sion très, très orig­i­nale. J’adore et je la passe par­fois avant la milon­ga en musique d’ambiance, ça intrigue les pre­miers danseurs en attente du début de la milon­ga.

La tabla­da 1968-06-05 — Cuar­te­to Aníbal Troi­lo.

On ter­mine, car il faut bien une fin, avec Pichu­co et son cuar­te­to afin d’avoir une autre ver­sion de notre musi­cien du jour qui nous pro­pose la tabla­da.

Après ce menu musi­cal assez riche, je vous pro­pose un petit asa­do

L’asado

Je suis resté dis­cret sur le thème matadero évo­qué dans l’introduction. Matar en espag­nol est tuer (à ne pas con­fon­dre avec mate) qui est la bois­son nationale. Si vous écrivez « maté », vous voulez dire « tué ». Il ne faut donc surtout pas met­tre d’accent, même si ça prononce maté, ça s’écrit mate. L’accent tonique est sur le ma et pas sur le te. J’arrête de tourn­er autour du pot, le matadero, c’est l’abattoir.

À la fin du 16e siè­cle, Jean de Garay appor­ta 500 vach­es d’Europe (et bien sûr quelques tau­reaux). Ces ani­maux se plurent, l’herbe de la pam­pa était abon­dante et nour­ris­sante aus­si les bovins prospérèrent au point que deux siè­cles plus tard, Félix de Azara, un nat­u­ral­iste espag­nol con­statait que les criol­los ne con­som­maient que de la viande, sans pain.
Plus éton­nant, ils pou­vaient tuer une vache pour ne manger que la langue ou la par­tie qui les intéres­sait.
Puis, la coloni­sa­tion s’intensifiant, la viande est dev­enue la nour­ri­t­ure de tous, y com­pris des nou­veaux arrivants. Cer­taines par­ties délais­sées par la « cui­sine » tra­di­tion­nelle furent l’aubaine des plus pau­vres, mais cer­taines par­ties qui étaient très appré­ciées par les per­son­nes raf­finées et nég­ligées par les con­som­ma­teurs tra­di­tion­nels con­tin­u­ent à faire le bon­heur des com­merçants avisés qui répar­tis­sent les par­ties de l’animal selon les quartiers.
Le tra­vail du cuir est aus­si une ressource impor­tante de l’Argentine, mais dans cer­taines provinces, l’asado (la gril­lade) se fait avec la peau et dans ce cas, le cuir est per­du. C’est un reste de l’habitude de tuer une vache pour n’utiliser que la por­tion néces­saire à un moment don­né.
Les Argentins con­som­ment un kilo de viande et par per­son­ne chaque semaine. Je devrais écrire qui con­som­maient, car depuis l’arrivée du nou­veau gou­verne­ment en Argen­tine, le prix de la viande a triplé et la con­som­ma­tion a forte­ment bais­sée en quan­tité (de l’ordre de 700 grammes par semaine et surtout en qual­ité, les vian­des les moins nobles étant désor­mais plus recher­chées, car moins chères).

Asa­do a la esta­ca (sur des pieux) — Asa­do con cuero (avec la peau de l’animal) Asa­do dans un restau­rant, les chaînes per­me­t­tent de régler la hau­teur des dif­férentes grilles — asa­do famil­iar.

Tira de asa­do
La viande est attachée à l’os. C’est assez spec­tac­u­laire et plein d’os que cer­tains enlèvent avec leur couteau ou en cro­quant entre les restes de côtes.

Vacio (Vide)
Un morceau de choix, sans os, ten­dre et à odeur forte. IL se cuit lente­ment à feu indi­rect.

Matam­bre
Entre la peau et les os, le matam­bre est recher­ché. Il est égale­ment util­isé roulé, avec un rem­plis­sage entre chaque couche. Une fois découpé en ron­delle, comme une bûche de Noël, c’est très joli. Le rem­plis­sage peut être des œufs durs, des légumes ou autres.

Col­i­ta de cuadril
Par­tie de l’aloyau (croupe) proche de la queue, d’où le nom.

Entraña
Par­tie intérieure des côtes de veaux.

Bife de chori­zo
Bifteck de chori­zo, un steack à ne pas con­fon­dre avec la saucisse espag­nole de ce nom.

Bife Ancho
Un steack large, épais avec graisse.

Bife angos­to
Le con­traire du précé­dent, plus fin.

Lomo
La longe, une pièce de viande peu grasse.

Palomi­ta
Une coupe par­mi tant d’autres. J’imagine que cer­tains y voient une colombe, mais c’est bien du bœuf.

Picaña
Arrière de la longe de bœuf de forme tri­an­gu­laire.

Achuras
Ce sont les abats.
Ils sont présen­tés en tripes, chori­zos, boudins, ris de veau, rognons et autres.
Ils ne font pas l’unanimité chez les Argentins, mais un asa­do sans achuras, ce n’est pas un asa­do pour beau­coup.

Bon­di­o­la
Le porc passe aus­si un sale moment sur la par­il­la.
Beau­coup la man­gent en sand­wich dans du pain français (rien à voir avec le pain de France). Le pain peut être chauf­fé sur la par­il­la.

Pechi­to de cer­do
La poitrine de porc fait aus­si par­tie des morceaux de choix de l’asado. Elle est con­sid­érée ici comme une viande plus saine (comme quoi tout est relatif).

Des légumes, poivrons, aubergines peu­vent rejoin­dre l’asado, mais ce ne sera pas le met préféré des Argentins, même si on y fait cuire un œuf afin de ne pas man­quer de pro­téines…

Le tra­vail de l’asador

C’est la per­son­ne qui pré­pare l’asado. Son tra­vail peut paraître sim­ple, mais ce n’est pas le cas.
Il faut pré­par­er les morceaux, par­fois les condi­menter (mod­éré­ment) et la cuis­son est tout un art. Une fois que le bois ou le char­bon de bois sont prêts, il faut régler la hau­teur de la grille afin que la viande cuise douce­ment et longue­ment et de façon adap­tée selon les pièces qui se trou­vent aux dif­férents endroits de la grille.
Beau­coup d’Argentins aiment la viande bien cuite, les steaks tartares sont une idée qui n’est pas dans le vent ici. D’autres l’aiment à point et la bonne viande se coupe à la cuil­lère, voire avec le manche de la cuil­lère.
Hors de l’Argentine, il est assez dif­fi­cile de con­va­in­cre un bouch­er de découper la viande à l’Argentine, à moins de bien lui expli­quer et d’acheter 40 kilos d’un coup. Il vous fau­dra donc aller en Argen­tine ou dans un restau­rant argentin qui s’approvisionne bien sou­vent en bœuf de l’Aubrac (France).
La cou­tume veut qu’on applaud­isse l’asador qui a passé des heures à faire cuire amoureuse­ment les ani­maux.
L’Argentine n’est pas le par­adis des végé­tariens, d’autant plus que les légumes sont sou­vent plus chers que la viande (même si en ce moment, c’est moins le cas). Il faut compter entre 4 et 10 $ le kilo, voire moins si vous achetez de gross­es quan­tités, si vous payez en liq­uide, si vous avez la carte de telle ou telle banque… L’Argentine four­mille d’astuces pour pay­er un peu moins cher.
Ne sortez pas l’American Express ici son slo­gan est plutôt « ne sortez pas avec elle » si vous ne voulez pas pay­er plus cher.
En ce qui con­cerne les autres pro­duits d’origine ani­male, le lait et les pro­duits laitiers ne sont pas les grands favoris et le pois­son coûte le même prix qu’en Europe et par con­séquent est hors de prix pour la majorité des Argentins, sauf peut-être le mer­lu que l’on peut trou­ver à moins de 10 $ con­tre 30 ou 40 $ le saumon (d’élevage, con­gelé et à la chair très pâle et grasse).
Bon, je me suis un peu échap­pé du domaine du tan­go, mais n’étant pas ama­teur de viande, il me fal­lait faire une forme de cathar­sis…

À demain, les amis !

Patético 1948-04-06 — Orquesta Osvaldo Pugliese

Jorge Caldara

Pour bien com­pren­dre pourquoi cette ver­sion de Patéti­co inter­prétée par Osval­do Pugliese est géniale, il faut la com­par­er aux deux autres enreg­istrements con­tem­po­rains, par Ani­bal Troi­lo et Juan Deam­brog­gio « Bachicha »… Mais surtout, il faut nous intéress­er à son com­pos­i­teur, Jorge Cal­dara, un génie mort trop jeune. Pugliese a enreg­istré Patéti­co il y a jour pour jour 76 ans.

Extrait musical

Patéti­co 1948-04-06 — Orques­ta Osval­do Pugliese

Je vous laisse écouter cette mer­veilleuse ver­sion, sans com­men­taire. Vous les trou­verez cepen­dant ci-dessous, en com­para­i­son avec deux autres ver­sions con­tem­po­raines.

Autres versions

Il me sem­ble intéres­sant de com­par­er les trois ver­sions enreg­istrées à quelques mois d’intervalle. Je com­mence par le tan­go du jour, celle de Pugliese, puis une ver­sion de Bachicha mal datée, mais prob­a­ble­ment légère­ment postérieure à celle de Pugliese dans la mesure où Jorge Cal­adara était ban­donéon­iste dans l’orchestre d’Osvaldo à ce moment.
La troisième ver­sion est celle de Troi­lo, enreg­istrée presque un an après celle de Pugliese.

Je vous invite à remar­quer comme la ver­sion de Pugliese est dif­férente dès les pre­mières sec­on­des.

Patéti­co 1948-04-06 — Orques­ta Osval­do Pugliese
Patéti­co 1948 — Orques­ta Juan Deam­brog­gio « Bachicha »
Patéti­co 1949-03-30 — Orques­ta Aníbal Troi­lo

Intéres­sons-nous main­tenant à la vision d’ensemble des trois inter­pré­ta­tions.

La par­tie verte représente le vol­ume de la musique.
La par­tie à dom­i­nante rouge représente la hau­teur du son. En bas (en jaune), ce sont les bass­es et en haut, les aigus.
On se rend compte à l’oreille et à l’œil que la ver­sion de Pugliese est un peu plus sourde (moins d’aigus que celle de Troi­lo. Celle de Bachicha a des aigus, mais ce sont prin­ci­pale­ment les bruits du disque…
Cela étant dit, il con­vient de remar­quer la struc­ture très dif­férente des trois morceaux. Celui de Pugliese présente des par­ties for­tis­si­mo et des par­ties piano. Vous remar­querez par exem­ple la par­tie où est le curseur (ligne rouge ver­ti­cale et fine) qui cor­re­spond à une par­tie pianis­si­mo (bas niveau sonore).
Dans la ver­sion de Troi­lo, les alter­nances de for­tis­si­mi et piani sont plus fréquentes et moins mar­quées.
La ver­sion de Bachicha est plus homogène. On peut imag­in­er que la musique sera un peu moins expres­sive que dans les deux autres ver­sions.
Sur les bass­es (par­tie inférieure en jaune), Pugliese les mar­que notam­ment avec ses cordes (con­tre­basse, par exem­ple).
Troi­lo les réalise avec les cordes, mais aus­si avec le piano. Les instru­ments per­cu­tant en même temps.
1 : 05 Pugliese ne met pas le long trait de vio­lon qui était si orig­i­nal au début. Au con­traire, c’est presque silen­cieux, ce qui crée un manque, un appel, une inter­ro­ga­tion chez l’auditeur. Pour le danseur qui n’avait pas pu danser le pre­mier, car tout au début, c’est une frus­tra­tion pos­si­ble. Il s’attendait à faire un truc « super » sur ce motif…Puisqu’on par­le de cette par­tie, Bachicha, que ce soit au début ou au milieu (1 : 08) rem­plit le vide par un motif ascen­dant au piano. Ce n’est pas une inven­tion de sa part, il est écrit ans la par­ti­tion de Cal­dara. Pugliese a pour sa part, décidé de le sup­primer totale­ment (lui qui est pour­tant pianiste).Quant à Troi­lo, il pro­pose au con­traire un motif de piano descen­dant et une petite fior­i­t­ure au piano pour com­penser, mais seule­ment dans la par­tie du milieu, vers 1 : 15.
Je vous laisse écouter les dif­férences.
Pour véri­fi­er que vous suiv­ez bien le moment sur l’audiogramme, voici un petit jeu. Écoutez le morceau en suiv­ant de gauche à droite la zone verte. Si vous arrivez à vous repér­er pour être en phase avec les vari­a­tions de vol­ume, c’est très bien. A min­i­ma, essayez de ter­min­er votre lec­ture visuelle en même temps que la musique.

Pour ter­min­er cette courte étude des inter­pré­ta­tions, allons à la fin du morceau. Écoutez la fin de Bachicha. Il déroule tran­quille­ment la par­ti­tion, sans créer d’effet de sur­prise. Les deux accords fin­aux (dom­i­nante et tonique) sont joués avec qua­si­ment le même vol­ume. Un véri­ta­ble « tsoin tsoin » final. J’ai une anec­dote à ce sujet, mais je vous la con­terai une autre fois. Main­tenant, bon, OK. J’étais habitué à dire « tsoin tsoin » à la fin des morceaux. Ce tsoin-tsoin était cou­vert par les applaud­isse­ments. Cepen­dant, un jour, nous avons inter­prété un choral de Bach durant une messe. Le prob­lème est que dans ce type d’endroit, les gens n’applaudissent pas et que mon tsoin-tsoin a réson­né dans toute l’église. Vais-je dire que j’ai encore honte, tant d’années après. Peut-être, mais en tous cas, cela a exac­er­bé ma sen­si­bil­ité sur les fins de morceaux et les orchestres de tan­go sont un régal pour cela, cha­cun cher­chant à don­ner sa sig­na­ture.
Revenons à nos mou­tons, ou plutôt à Troi­lo et Pugliese afin d’écouter leurs sig­na­tures.
Troi­lo reprend le motif du départ (qui n’est pas dans la par­ti­tion orig­i­nale) et ter­mine avec un glis­san­do énorme du piano pour lancer finale­ment les deux accords fin­aux, dom­i­nante for­tis­si­mo et le dernier plus faible. C’est une fin superbe, il faut en con­venir.
La fin pro­posée par Pugliese. Le rap­pel du motif ini­tial est presque absent, si ce n’est quelques « coups » de vol­ume de tous les instru­ments avec une fin qui s’estompe, comme un rêve qui se ter­mine. Le pathé­tique devenu insignifi­ant après s’être tant gon­flé dis­paraît d’une pich­enette et retombe sur l’accord final comme une bau­druche dégon­flée.

Jorge Caldara (17 septembre 1924 — 24 août 1967)

Le com­pos­i­teur du tan­go du jour est un jeune prodi­ge. Tout gosse, il voulait devenir pianiste, mais son père un tanguero un peu pin­gre rabat­tit ses ambi­tions au ban­donéon.
Cela ne découragea pas Jorge qui com­mença à jouer dans des orchestres à l’âge de 14 ans et à 15 ans, il créa son pro­pre orchestre, la Orques­ta Juve­nil Buenos Aires. (l’orchestre de jeunes de Buenos Aires) qui joua en alter­nance avec l’orchestre d’Ani­bal Troi­lo les mardis au Café Ger­mi­nal (Aveni­da Cor­ri­entes au 942, au côté du Café Nacional, aujourd’hui théâtre Nacional San­cor Seguros). C’était un lieu pres­tigieux, voisin du café Nacional avec qui il tra­vail­lait en dou­blette et en face des 36 Bil­lares. De toute façon, chaque mètre de l’avenue Cor­ri­entes dans ces envi­rons a des sou­venirs de tan­go. Donc, avoir son orchestre à 15 ans et jouer dans la cour des grands, cela prou­ve le tal­ent du bon­homme.
Évidem­ment, il a été remar­qué et Alber­to Pugliese l’a fait entr­er dans son orchestre comme bandéon­iste, jusqu’en 1944, date où il a dû effectuer son ser­vice mil­i­taire.
À la fin de son ser­vice, il intè­gre l’orchestre du petit frère d’Alberto, Osval­do Pugliese.
Cal­dara pren­dra une place impor­tante dans l’orchestre de Pugliese, toutes pro­por­tions gardées, comme Bia­gi avec D’Arienzo, grâce à son ban­donéon énergique qui mar­quait la cadence tout en dévelop­pant la mélodie. Cal­dara était sen­si­ble à un tan­go mod­erne, notam­ment à celui d’Eduar­do Rovi­ra et je pense que cela l’a influ­encé pour ses créa­tions à l’époque de Pugliese, celui-ci pour­tant nova­teur, n’a pris la dimen­sion de Rovi­ra que bien plus tard, notam­ment avec sa mag­nifique ver­sion de A Evaris­to Car­riego qu’il n’a enreg­istré qu’en 1969… Je pense même que Troi­lo auquel Cal­dara était égale­ment sen­si­ble avait de l’avance dans ce domaine par rap­port à Pugliese, notam­ment sur l’utilisation des chanteurs.
J’ai une théorie per­son­nelle sur la ques­tion, mais je pense que la Yum­ba doit un peu à la façon de jouer de Cal­dara, même si Pugliese affirme qu’il l’a choisi, car il pou­vait s’intégrer par­mi sa ligne de ban­donéon­istes déjà en place.

Osval­do recon­nut égale­ment ses tal­ents de com­pos­i­teurs, car il lui doit plusieurs de ses suc­cès comme Patéti­co 1948, notre tan­go du jour, Pas­toral 1950, Pasion­al 1951 (avec Alber­to Morán) et Por pecado­ra 1952 (avec Alber­to Morán).
Le jeune Jorge Cal­adra vouait une dévo­tion à son nou­veau chef d’orchestre et lui dédi­cac­era un tan­go Pugliese­an­do, qui est une mer­veille et que je vous pro­pose d’écouter tout de suite :

Puglieseando

Pugliese­an­do 1958-08-13 — Jorge Cal­dara

Le début rap­pelle Ríe, paya­so de Vir­gilio Car­mona, notam­ment la ver­sion de D’Arienzo avec Bus­tos de 1959 qui pos­sède un tem­po proche, a con­trario de celle de 1940 (avec Car­los Casares) qui a un tem­po beau­coup plus rapi­de. Jorge con­nais­sait ce titre, car il l’a enreg­istré.
0 : 17 La Yum­ba chère à Pugliese appa­raît.
0 : 50 remar­quez son ban­donéon sen­si­ble et expres­sif qui lui per­met de mar­quer le con­traste avec les pas­sages plus énergiques. Cal­dara était ban­donéon­iste.
Comme chez l’objet de son hom­mage, les par­ties avec un tem­po mar­qué alter­nent avec les par­ties glis­sées et suaves, notam­ment dess­inées par les vio­lons, le piano et les ban­donéons plus stac­catos con­trastent, jusqu’à ce que à…
2 : 30 les répons­es se fassent de plus en plus rap­prochés, les change­ments de tonal­ité, font grimper la ten­sion qui s’apaise dans une coda plus lente et un gros accord sur la dom­i­nante, suivi par un léger rebond sur la tonique, dans un style com­plète­ment pugliesien.

Pasional

Si je vous dis que c’est aus­si Jorge Cal­dara qui a com­posé Pasion­al, un des plus gros suc­cès de Pugliese, vous avez pris la dimen­sion de ce musi­cien. Voici sa ver­sion enreg­istrée avec l’immense chanteur Rodol­fo Lesi­ca sur des paroles de Mario Soto.

Pasion­al 1964 — Jorge Cal­dara — Rodol­fo Lesi­ca, sa com­po­si­tion qu’a ren­du célèbre Osval­do Pugliese, mais ici par son com­pos­i­teur et chan­tée par le grand Lesi­ca.

Il a donc com­mencé très jeune, mais il est mort après moins de 30 ans de car­rière et surtout, ses pre­miers enreg­istrements comme chef d’orchestre ne datent que de la fin des années 50, péri­ode où le rock’n’roll et autres fan­taisies avaient pris le pas sur le tan­go.

Principales compositions de Jorge Caldara

Ses tangos instrumentaux

  • Bam­ba, dédi­cacé à sa fille,
  • Con T de Troi­lo,
  • Cuan­do habla el ban­doneón, en col­lab­o­ra­tion avec Luis Sta­zo,
  • Mi ban­doneón y yo (Crec­i­mos jun­tos),
  • Papili­no, dédi­cacé à son fils,
  • Pas­toral,
  • Patéti­co,
  • Patri­ar­ca,
  • Pugliese­an­do,
  • Sen­ti­do en col­lab­o­ra­tion avec Daniel Lomu­to,
  • Tan­go 05, dédi­cacé à la Fuerza Aérea Argenti­na (armée de l’air argen­tine)

Ses tangos chantés

  • Pasion­al, avec des paroles de Mario Soto
  • Por pecado­ra, avec des paroles de Mario Soto
  • Mucha­chi­ta de bar­rio, avec des paroles de Mario Soto
  • Pro­fun­da­mente, avec des paroles de Mario Soto
  • Pater­nal, avec des paroles de Nor­ber­to Samon­ta
  • No ves que nos quer­e­mos, avec des paroles de Abel Aznar
  • Estés donde estés, avec des paroles de Martínez
  • Gor­rión de bar­rio, son pre­mier tan­go (il était lui-même très jeune et donc comme un petit moineau de quarti­er).
  • Solo Dios vos y yo, dédi­cacé à son épouse, avec des paroles de Rodol­fo Aiel­lo

Jorge Caldara et ses orchestres

On a vu qu’il a fondé son pre­mier orchestre à quinze ans avant d’intégrer dif­férents grands orchestres dont pour finir celui d’Osvaldo Pugliese, mais son par­cours ne s’arrête pas là, il reprend à plusieurs mil­liers de kilo­mètres de Buenos Aires, au
Jorge Cal­dara a en effet passé un an au Japon. La fameuse chanteuse Ranko Fuji­sawa l’ayant enten­du jouer dans l’orchestre d’Osval­do Pugliese à Buenos Aires, l’a invité à venir créer son pro­pre orchestre au Japon.
Fidèle à son directeur, il n’a pas relevé l’invitation, mais un peu plus tard, Ranko est rev­enue à la charge et Jorge déci­da de quit­ter l’orchestre d’Osvaldo à la fin de 1954 et a démé­nagé avec sa famille.
Il y est resté un an et y a gravé ses pre­miers dis­ques avec un orchestre com­posé avec des musi­ciens japon­ais qu’il avait recrutés, mais aus­si avec ceux de la Típi­ca Tokio dirigée par le mari de Ranko…
Il fut donc l’un des tout pre­miers, après Juan Canaro, à faire le saut vers le Japon. J’y vois encore une preuve de la qual­ité de cet artiste.
Par­mi les titres gravés au Japon, je vous pro­pose Recuer­do de Buenos Aires enreg­istré en 1955 et chan­té par… vous aurez dev­iné, Ranko Fuji­sawa.

Recuer­do de Buenos Aires 1955 — orques­ta de Jorge Cal­dara con Ranko Fuji­sawa

De retour à Buenos Aires, il monte un orchestre.

Par­mi les titres enreg­istrés avec cet orchestre, je vous pro­pose main­tenant deux curiosités, mais le plus intéres­sant sera pour la fin de cet arti­cle…

La Pena de James Dean 1958-11-13 — Jorge Cal­dara Con Miguel Mar­ti­no. Une chan­son com­posée par Enrique Juan Munné avec des paroles de Lina Fer­ro de Bahr) par­lant de James Dean, cet acteur mort en 1955 à l’âge de 24 ans dans un acci­dent de voiture.
La fulana (milon­ga) 1957-07-29 — Jorge Cal­dara Con Car­los Mon­tal­vo avec des paroles et la musique de Alber­to Mas­tra et Luis Rafael Caru­so.

En par­al­lèle, Jorge joue dans un cuar­te­to. Cette dimen­sion d’orchestre s’adapte mieux à cette époque où le tan­go est en perte de vitesse.

La tabla­da 1960-01-29 Estrel­las de Buenos Aires

Un exem­ple de ce que donne ce cuar­te­to nom­mé Las estrel­las de Buenos Aires (les Étoiles de Buenos Aires). Dans ce titre, on entend bien séparé­ment les qua­tre instru­ments. Vous pou­vez donc repér­er par ordre d’apparition : le ban­donéon de Jorge, le piano d’Armando Cupo et le vio­lon d’Hugo Bar­alis puis la con­tre­basse de Kicho Díaz. Vous remar­querez que la ver­sion pro­posée par ce cuar­te­to est bien orig­i­nale et qu’elle valait le coup de lire jusqu’ici.

Et une dernière surprise, un de ses derniers enregistrements

Mais ce n’est pas fini, je reviens à l’orchestre avec qui il a con­tin­ué d’enregistrer dans les années 60 avec un titre incroy­able. C’est une des com­po­si­tions les plus célèbres d’Osvaldo Pugliese, ici dans une ver­sion fort éton­nante que nous pro­pose Jorge Cal­dara et son orchestre.

La Yum­ba 1964 — Jorge Cal­dara — La Yum­ba 1964 — Jorge Cal­dara.

On voit bien que c’est Cal­dara qui pous­sait Pugliese, plutôt que l’inverse, non ?

On ne peut que regret­ter que ce tal­entueux musi­cien soit mort jeune, sa car­rière com­mencée à 14 ans n’a pas duré 30 ans (26 ans). Les trois/quatre dernières années de sa vie furent per­dues à cause du can­cer qui l’emporta. Ses enreg­istrements de 1964 sont les derniers.