Archives par étiquette : Pagés-Pesoa-Maciel (Armando Pagés - Rosendo Pesoa - Enrique El Negro Maciel)

Amurado 1940-07-29 — Orquesta Pedro Laurenz con Juan Carlos Casas

Pedro Maffia ; Pedro Laurenz Letra : José Pedro De Grandis

Encore un tan­go qui ne laisse pas les tangueros se repos­er, notam­ment dans cette ver­sion. Les deux Pedro, Lau­renz puis Maf­fia ont créé un mon­stre qui aspire toute l’énergie vitale des danseurs de la pre­mière à la dernière note. Le charme sem­ble aus­si avoir opéré égale­ment sur les directeurs d’orchestre, car de très nom­breuses ver­sions en ont été enreg­istrées. La ver­sion du jour est par l’un des deux com­pos­i­teurs, Lau­renz avec Juan Car­los Casas.

Un démarrage sur les chapeaux de roues

Le point de départ de ce tan­go a été don­né par De Gran­dis qui avait écrit un texte, sur la mis­ère de l’abandon. En 1925–1926, il était vio­loniste dans le sex­te­to du ban­donéon­iste Enrique Pol­let, celui qu’on retrou­vera par la suite dans l’orchestre de Pugliese et qui est à l’origine de la superbe vari­a­tion finale de Recuer­do.

Un jour que ce sex­te­to jouait dans son lieu habituel, Le Café El Par­que (près de Tri­bunales et assez près du théâtre Colón), Pedro Lau­renz qui était ami de Pol­let prit con­nais­sance du texte et sur l’instant sur son ban­donéon, imag­i­na un air pour la pre­mière par­tie, puis il alla le mon­tr­er à Pedro Maf­fia qui était alors au ciné­ma Select Lavalle, à prox­im­ité, dans l’orchestre de Julio De Caro. Maf­fia fut telle­ment ent­hou­si­as­mé qu’il deman­da à Lau­renz de pou­voir le ter­min­er.
Et ain­si, le tan­go inté­gra le réper­toire de Julio De Caro qui l’enregistrera deux ans plus tard, la même année que Gardel et beau­coup d’autres.
Après cette pre­mière vague, le tan­go fut moins enreg­istré, juste ressus­cité à divers­es repris­es par Lau­renz. La sec­onde vague n’arrivera que dans les années 50 avec une nou­velle folie autour du thème, folie qui dure jusqu’à nos jours où beau­coup d’orchestres ont ce tan­go à leur réper­toire.
Pedro Lau­renz l’a enreg­istré au moins cinq fois, vous pour­rez com­par­er les ver­sions dans la par­tie « autres ver­sions ».

Extrait musical

Amu­ra­do. Pedro Maf­fia ; Pedro Lau­renz Letra: José Pedro de Gran­dis La dédi­cace est au Doc­teur Pros­pero Deco, qui devien­dra le Directeur del Hos­pi­tal Gen­er­al de Agu­dos José María Pen­na de 1945 à 1955. À droite, son buste dans l’hôpital.
Amu­ra­do 1940-07-29 — Orques­ta Pedro Lau­renz con Juan Car­los Casas.

Tout com­mence par un puis­sant appel du ban­donéon qui résonne comme un cla­iron, puis la machine se met en marche. Le rythme est puis­sam­ment martelé, par les ban­donéons, la con­tre­basse, le piano, en con­tre­point, des plages de douceur sont don­nées par les vio­lons et en son temps par Juan Car­los Casas, mais à aucun moment le rythme et la ten­sion ne bais­sent, jusqu’à la fin presque abrupte. On notera aus­si un mag­nifique solo de ban­donéon, indis­pens­able pour un titre com­posé par deux ban­donéon­istes… L’intervention, courte de Casas, n’exprime pas toute la douleur du texte et les danseurs peu­vent pren­dre du plaisir sans remord. Cette incroy­able com­po­si­tion emporte les danseurs et hérisse les poils de bon­heur de bout en bout. Cette ver­sion est une mer­veille absolue qui fait regret­ter que Lau­renz et Casas n’ait pas plus enreg­istré.

Paroles

Cam­pa­neo a mi catr­era y la encuen­tro des­o­la­da.
Sólo ten­go de recuer­do el cuadri­to que está ahí,
pilchas vie­jas, unas flo­res y mi alma ator­men­ta­da…
Eso es todo lo que que­da des­de que se fue de aquí.

Una tarde más tris­tona que la pena que me aque­ja
arregló su bagay­i­to y amu­ra­do me dejó.
No le dije una pal­abra, ni un reproche, ni una que­ja…
La miré que se ale­ja­ba y pen­sé :
¡Todo acabó!

¡Si me viera ! ¡Estoy tan viejo!
¡Ten­go blan­ca la cabeza!
¿Será aca­so la tris­teza
de mi negra soledad ?
Debe ser, porque me cruzan
tan fuleros berretines
que voy por los cafetines
a bus­car feli­ci­dad.

Bulinci­to que cono­ces mis amar­gas desven­turas,
no te extrañe que hable solo. ¡Que es tan grande mi dolor !
Si me fal­tan sus cari­cias, sus con­sue­los, sus ter­nuras,
¿qué me quedará a mis años, si mi vida está en su amor?

¡Cuán­tas noches voy vagan­do angus­ti­a­do, silen­cioso
recor­dan­do mi pasa­do, con mi ami­ga la ilusión !…
Voy en cur­da… No lo niego que será muy ver­gonzoso,
¡pero lle­vo más en cur­da a mi pobre corazón!

Pedro Maf­fia ; Pedro Lau­renz Letra: José Pedro de Gran­dis

Juan Car­los Casas ne chante que ce qui est en gras.

Traduction libre et indications

Je con­tem­ple mon lit et le trou­ve désolé.
Je n’ai comme sou­venir que le petit tableau qui est ici, de vieilles cou­ver­tures, quelques fleurs et mon âme tour­men­tée…
C’est tout ce qui reste depuis qu’elle est par­tie d’i­ci.
Un après-midi plus triste que le cha­grin qui m’af­flige, elle a pré­paré son petit bagage et m’a lais­sé emmuré.
Je n’ai pas dit un mot, pas un reproche, pas une plainte…
Je l’ai regardée s’éloign­er et j’ai pen­sé :
Tout à une fin !
Si elle me voy­ait ! Je suis si vieux !
J’ai la tête blanche !
Est-ce peut-être la tristesse de ma noire soli­tude ?
Ça doit l’être, parce que j’ai des idées tant débiles que je vais dans les cafés pour chercher le bon­heur.
Petit logis, qui con­naît mes mésaven­tures amères, ne t’é­tonne pas que je par­le tout seul. Que ma douleur est grande !
Si me man­quent ses caress­es, ses con­so­la­tions, sa ten­dresse, que me restera-t-il dans mes années, si ma vie est dans son amour ?
Com­bi­en de nuits je vais vagabon­dant, angois­sé, silen­cieux, me sou­venant de mon passé, avec mon ami l’il­lu­sion…
Je vais me saouler… Je ne nie pas que ce soit hon­teux, mais je sup­porte mieux mon pau­vre cœur quand je suis bour­ré (saoul) !

Autres versions

J’ai mis en rouge les ver­sions par les auteurs (Maf­fia, 1 ver­sion et Lau­rens, 5 ver­sions).

Amu­ra­do 1927-02-11 — Orques­ta Rober­to Fir­po.

Une ver­sion calme, sans doute trop calme si on la com­pare à notre tan­go du jour…

Amu­ra­do 1927-04-08 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to.

Une autre ver­sion tran­quille, exé­cutée avec con­science, mais sans doute pas de quoi sus­citer la folie.

Amu­ra­do 1927-06-08 — Igna­cio Corsi­ni con gui­tar­ras de Pagés-Pesoa-Maciel.

Une jolie inter­pré­ta­tion de Corsi­ni, à écouter, bien sûr.

Amu­ra­do 1927-07-20 — Pedro Maf­fia y Alfre­do De Fran­co (Duo de ban­do­neones).

Pedro Maf­fia l’auteur de la sec­onde par­tie nous pro­pose ici sa ver­sion en duo avec Alfre­do De Fran­co. Une ver­sion sim­ple, mais plus rapi­de que les autres de l’époque. Il nous manque cer­tains instru­ments aux­quels nous sommes désor­mais habitués pour totale­ment appréci­er cette ver­sion qui peut paraître un peu monot­o­ne et répéti­tive.

Amu­ra­do 1927-07-22 — Car­los Gardel con acomp. de Guiller­mo Bar­bi­eri, José Ricar­do (gui­tar­ras).

Avec seule­ment deux gui­tares, Gardel donne la réponse à Corsi­ni qui le mois précé­dent avait enreg­istré le titre avec trois gui­tares. C’est égale­ment joli et tout autant pour l’écoute et pas pour la danse.

Amu­ra­do 1927-08-16 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Agustín Irus­ta.

Canaro enreg­istre à son tour, sur un rythme calme, qui est de toute façon une de ses car­ac­téris­tiques de l’époque. De jolis traits de vio­lon et ban­donéon allè­gent un peu le mar­quage puis­sant du rythme. La voix de Irus­ta, un peu nasale, apporte une petite vari­a­tion dans cette inter­pré­ta­tion qui ne sera sans doute pas à la hau­teur des danseurs d’aujourd’hui.

Amu­ra­do 1927-09-07 — Agustín Mag­a­l­di con gui­tar­ras.

Il ne man­quait que lui, après Corsi­ni et Gardel, voici Mag­a­l­di. Moi, j’aime bien. Bien sûr, ce n’est pas plus pour la danse que les ver­sions des deux con­cur­rents, mais ça se laisse écouter.

Amu­ra­do 1927-09-12 — Orques­ta Julio De Caro.

Je pense que dès les pre­mières mesures vous aurez remar­qué la dif­férence d’ambiance par rap­port à toutes les ver­sions précé­dentes. Le ruba­to mar­qué, par­fois exagéré et la vari­a­tion du solo de ban­donéon sont déjà très proches de ce que pro­posera Lau­renz 13 ans plus tard. On notera les sonorités étranges qui appa­rais­sent vers la fin du morceau, De Caro aime ajouter des instru­ments atyp­iques.

Amu­ra­do 1927-12-06 — Orques­ta Juan Maglio “Pacho” con José Galarza.

On revient sans doute un cran en arrière dans la moder­nité, mais la par­tie d’orchestre est assez sym­pa­thique. La voix de Galarza sera en revanche un peu plus dif­fi­cile à accepter par les danseurs d’aujourd’hui.

Amu­ra­do 1928 — Trío Argenti­no (Irus­ta, Fuga­zot, Demare) y su Orques­ta Típi­ca Argenti­na con Rober­to Fuga­zot.

Le piano de Demare démarre puis laisse la place à la voix de Fuga­zot qui gardera ensuite la vedette en masquant un peu le beau jeu de Demare au piano qui ne pour­ra que plac­er un mag­nifique accord final.

Amu­ra­do 1940-07-29 — Orques­ta Pedro Lau­renz con Juan Car­los Casas.

C’est notre tan­go du Jour. Si on note la fil­i­a­tion avec l’interprétation de De Caro, la ver­sion don­née par Lau­renz est éblouis­sante en tous points. Il a fait le ménage dans les propo­si­tions par­fois un peu con­fus­es de De Caro et le résul­tat est par­fait pour la danse.

Amu­ra­do 1944-11-24 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Tout en restant fidèle à l’écriture de Lau­renz, Pugliese pro­pose sa ver­sion avec une pointe de Yum­ba et son alter­nance de moments ten­dus et d’autres, relâchés, et des nuances très mar­quées. Le résul­tat est comme tou­jours superbe, mais beau­coup plus dif­fi­cile à danser pour les danseurs qui ne con­nais­sent pas cette ver­sion. En milon­ga, c’est donc à réserv­er à des danseurs expéri­men­tés ou motivés. L’accélération de la vari­a­tion en solo du ban­donéon qui nous mène au final est tout aus­si belle que celle de Lau­renz, les danseurs pour­ront s’y don­ner ren­dez-vous pour oubli­er les petits pièges des par­ties précé­dentes.

Amu­ra­do 1946 (trans­misión radi­al) — Orques­ta Pedro Lau­renz.

Six ans plus tard, Lau­renz pro­pose une ver­sion instru­men­tale. Il s’agit d’un enreg­istrement radio­phonique, d’une qual­ité impos­si­ble pour la danse, mais nous avons une ver­sion enreg­istrée l’année suiv­ante.

Amu­ra­do 1947-01-16 — Orques­ta Pedro Lau­renz.

Cette ver­sion est très proche et je ne la pro­poserai sans doute pas, car je suis sûr que le petit estri­bil­lo chan­té par Casas va man­quer aux danseurs.

Amu­ra­do 1952-09-25 — Orques­ta Pedro Lau­renz.

Après un peu de temps de réflex­ion, Lau­renz pro­pose une nou­velle ver­sion, très dif­férente. On sent qu’il a voulu dans la pre­mière par­tie tir­er par­ti des idées de Pugliese, mais la réal­i­sa­tion est un peu plus sèche, moins coulée et la sec­onde par­tie s’enfonce un peu dans la guimauve. Mon petit Pedro, désolé, mais on reste avec ta pre­mière ver­sion, même si on garde de cette ver­sion le final qui est tout aus­si beau que dans l’autre.

Amu­ra­do 1955-09-16 — Orques­ta José Bas­so.

Bas­so reprend l’appel ini­tial du ban­donéon, en l’accentuant encore plus que Lau­renz dans sa ver­sion de 1940. Un vio­lon vir­tu­ose nous trans­porte, puis le ban­donéon tout aus­si agile reprend le flam­beau. Par moment on retrou­ve l’esprit de la ver­sion de la ver­sion de Lau­renz en 1940, mais entre­coupée de pas­sages totale­ment dif­férents. Je ne sais pas ce qu’en penseraient les danseurs. D’un côté les rap­pels proches de Lau­renz peu­vent leur faire regret­ter l’original, mais les idées dif­férentes peu­vent aus­si éveiller leur curiosité et les intéress­er. Peut-être à ten­ter dans un lieu rem­pli de danseurs un peu curieux.

Amu­ra­do 1956 — Edmun­do Rivero con acomp. de Car­los Figari y su Orques­ta.

Une ver­sion à écouter, avec la puis­sance d’un grand orchestre.

Amu­ra­do 1956c — Trio Hugo Diaz.

Le trio d’Hugo Diaz, har­moni­ciste que l’on retrou­vera 12 ans plus tard avec une ver­sion encore plus intéres­sante.

Amu­ra­do 1959-01-08 — Orques­ta José Bas­so.

Encore Bas­so, qui s’essaye à l’amélioration de son inter­pré­ta­tion et je trou­ve que c’est une réus­site qui devrait intéress­er encore plus de danseurs que la ver­sion de 1955.

Amu­ra­do 1961-09-08 — Jorge Vidal con acomp. de gui­tar­ras, cel­lo y con­tra­ba­jo.

Amu­ra­do 1961-09-08 — Jorge Vidal con acomp. de gui­tar­ras, cel­lo y con­tra­ba­jo. Vidal avec ce con­jun­to de cordes nous pro­pose une ver­sion très orig­i­nale. Sa superbe voix est par­faite­ment mise en valeur par les cordes qui l’accompagnent. Dom­mage que ce ne soit pas pour la danse.

Amu­ra­do 1962-04-19 Orques­ta Leopol­do Fed­eri­co con Julio Sosa.

Dans la pre­mière époque du titre, on avait enten­du Corsi­ni, Gardel et Mag­a­l­di. Dans cette nou­velle péri­ode, après Rivero, voici Julio Sosa, El varón del tan­go. Une ver­sion qui fait se dress­er les poils de plaisir. Quelle ver­sion !

Amu­ra­do 1962-12-19 — Aníbal Troi­lo y Rober­to Grela en vivo.

Un enreg­istrement avec un pub­lic ent­hou­si­aste, qui masque par­fois la mer­veille du ban­donéon exprimé par Troi­lo, extra­or­di­naire.

Amu­ra­do 1968 Pedro Lau­renz con su Quin­te­to.

La dernière ver­sion enreg­istrée par Pedro Lau­renz, avec la gui­tare élec­trique en prime. Une ver­sion à écouter, mais pas inin­téres­sante.

Amu­ra­do 1972 — Hugo Díaz.

Le meilleur har­moni­ciste nous pro­pose une ver­sion plus aboutie.

Amu­ra­do 1975 — Sex­te­to May­or.
Amu­ra­do 1981 — Orques­ta Leopol­do Fed­eri­co.

Bien au-delà de la ver­sion avec Sosa, l’orchestre s’exprime mag­nifique­ment. On est bien sûr totale­ment hors du domaine de la danse, mais c’est une mer­veille.

Amu­ra­do 1990 Rober­to Goyeneche con arreg­los y direc­ción de Raúl Garel­lo.

Goyeneche man­quait à la liste des chanteurs ayant mis ce titre à son réper­toire. Cet enreg­istrement comble cette lacune.

Amu­ra­do 1995-08-23 — Sex­te­to Tan­go.

Une ver­sion par les anciens musi­ciens de Pugliese.

Voilà, avec une trentaine de ver­sions, vous avez encore une fois un échan­til­lon de la richesse du tan­go. En général, seules une ou deux ver­sions passent en milon­ga, mais quelque­fois les modes changent et des titres oubliés rede­vi­en­nent à la mode. Ain­si, le tan­go reste vivant et quand des orchestres con­tem­po­rains se char­gent de rénover la chose, c’est par­fois une sec­onde chance pour les titres.

Sur ces entre­faites, je vous dis, à demain, les amis.

Esquinas porteñas 1942-05-22 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Sebastián Piana Letra: Homero Manzi

Manzi est le chantre de Buenos Aires. Il nous par­le de son vécu, dans sa ville et des per­son­nages de la vie quo­ti­di­enne à tra­vers ses textes de tan­go comme : Bar­rio de tan­go, El ulti­mo organ­i­to, El pes­cante, Manoblan­ca et bien sûr, Sur. Notre valse du jour, Esquinas porteñas, est de cette veine. Ses esquinas (angles de rues) et ses ruelles sont chargées de l’émotion si fine­ment exprimée par Var­gas.

 On ne présente plus l’association des deux anges, Ángel D’Agostino et Ángel Var­gas. C’est une de ces com­bi­naisons mag­iques qui de 1940 à 1946 nous a pro­posé près d’une cen­taine de mer­veilles enreg­istrées.
Cette asso­ci­a­tion fonc­tionne si bien, qu’il est très rare que l’on pro­pose un D’Agostino avec un autre chanteur ou instru­men­tal. La seule excep­tion, bien sûr, Café Domínguez qui est un casse-tête pour les DJ. Soit on reste cohérent sur le style avec des tan­gos de la même époque et le résul­tat est moyen, soit on fait un bond en changeant de style pour con­tin­uer la tan­da avec un des mer­veilleux titres enreg­istrés avec Var­gas. La plu­part des DJ font ce choix.

Extrait musical

Esquinas porteñas 1942-05-22 — Orques­ta Ángel D’Agostino con Ángel Var­gas.
Esquinas porteñas, Sebastián Piana Letra: Home­ro Manzi

Paroles

Esquina de bar­rio porteño
te pin­tan los muros la luna y el sol.
Te llo­ran las llu­vias de invier­no
en las acuare­las de mi evo­cación.
Trein­ta lunas cono­cen mi heri­da
y cien cal­lecitas nos vieron pasar.
Se cruzaron tu vida y mi vida,
tomaste la sen­da que no vuelve más.

Calles, donde la vida mansa
perdió las esper­an­zas,
la pasión y la fe.
Calles, sí sé que ya está muer­ta,
gol­pe­an­do en cada puer­ta
por qué la bus­caré.
Cal­lecitas, som­breadas de poesía,
nos vieron ir un día
felices los dos.
Com­pañera del sol y las estrel­las,
se fue la tarde aque­l­la
camino de Dios.

Los vien­tos mur­mu­ran mi pena.
Las som­bras me dicen que ya se marchó.
Y escrito en las noches ser­e­nas
encuen­tro su nom­bre como una obsesión.
Esquini­ta de bar­rio porteño,
con muros pin­ta­dos de luna y de sol,
que al llo­rar con tus llu­vias de invier­no
manchás el paisaje de mi evo­cación.

Sebastián Piana Letra : Home­ro Manzi

Fer­nan­do Díaz chante ce qui est en gras et bleu
Ernesto Famá chante tout ce qui est en gras (bleu et noir).
Igna­cio Corsi­ni et Mer­cedes Simone chante tout et reprend ce qui est en gras et bleu.
Ángel Var­gas chante ce qui est en gras et reprend ce qui est en gras et bleu.
Rubén Cané chante tout ce qui est en gras, con­tin­ue avec la pre­mière par­tie du dernier cou­plet (ce qui est souligné) et reprend la fin du pre­mier cou­plet, ce qui est en gras et souligné.

Traduction libre et indications

Angle de rues (esquina, c’est le coin de rue. Je garde esquina pour la suite, car c’est plus joli) d’un quarti­er de Buenos Aires (porteño, du port. Une des rares villes por­tu­aires, dont les habi­tants s’appellent selon cette car­ac­téris­tique, plus que d’après le nom de la ville), la lune et le soleil peignent tes murs.
Les pluies d’hiver te pleurent dans les aquarelles de mon évo­ca­tion.
Trente lunes con­nais­sent ma blessure et cent petites rues nous virent pass­er.
Ta vie et ma vie se sont croisées, tu as pris le chemin qui ne revient jamais.

Rues, où la vie douce per­dait les espérances, la pas­sion et la foi.
Rues, si je sais qu’elle est déjà morte, pourquoi je la chercherais en frap­pant à toutes les portes ?
Les ruelles, ombragées de poésie, nous ont vus un jour, heureux tous les deux.
Com­pagne du soleil et des étoiles, elle est par­tie cette après-midi-là, sur le chemin de Dieu.

Les vents mur­murent ma peine.
Les ombres me dis­ent qu’elle est déjà fanée.
Et j’ai écrit dans les nuits sere­ines, trou­vant son nom comme une obses­sion.
Esquina de bar­rio porteño, aux murs peints par la lune et le soleil, qui, lorsque tu pleures avec tes pluies hiver­nales, tu tach­es le paysage avec mon évo­ca­tion.

Autres versions

Esquinas porteñas 1934-03-23 – Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to con Fer­nan­do Díaz.

La plus anci­enne ver­sion enreg­istrée, rel­a­tive­ment lente.

Esquinas porteñas 1934-03-27 – Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Ernesto Famá.

Dans le rythme très lent que Canaro sem­ble affec­tion­ner. On peut remar­quer une belle intro­duc­tion que l’on ne retrou­ve pas dans la ver­sion enreg­istrée par son « jumeau » qua­tre jours plus tôt. L’interprétation a un car­ac­tère un peu ranchera. Cela tourne vrai­ment très tran­quille­ment, un peu pesam­ment.

Esquinas porteñas 1934-04-05 — Igna­cio Corsi­ni con gui­tar­ras de Pagés-Pesoa-Maciel.

Une ver­sion un peu plain­tive où Corsi­ni chante l’intégralité des paroles.

Esquinas porteñas 1934-04-25 — Mer­cedes Simone con orques­ta.

Même si c’est une ver­sion a pri­ori à écouter, cette superbe ver­sion mérite à mon avis d’être dan­sée. Le rythme est beau­coup plus rapi­de. L’orchestre est en retrait pour laiss­er la place à Mer­cedes, mais la struc­ture de la valse est tou­jours per­cep­ti­ble, ce qui facilit­era la danse. On pour­ra en out­re la com­par­er à l’enregistrement de 1966 que je vous pro­pose égale­ment ci-dessous…

Esquinas porteñas 1942-05-22 — Orques­ta Ángel D’Agostino con Ángel Var­gas. C’est notre valse du jour.

Il fal­lait au moins les deux anges pour rester au niveau de la ver­sion de Mer­cedes Simone. Défi relevé. Là encore le rythme est rapi­de. On retrou­ve la belle sonorité de D’Arienzo qui recherche en plus a être tou­jours effi­cace pour les danseurs, tout du moins dans les années 40.

Esquinas porteñas 1953-02-02 — Orques­ta Ángel D’Agostino con Rubén Cané.

En 1953, D’Agostino essaye de relancer son titre avec le chanteur qui a rem­placé Var­gas, Rubén Cané. Je vous laisse juger du résul­tat. Je trou­ve l’orchestre un peu siru­peux, moins incisif. Cela reste dansant, mais c’est sans doute moins effi­cace pour faire se lancer les danseurs sur la piste.

Esquinas porteñas 1966 — Mer­cedes Simone con acomp. de Emilio Brameri.

La voix de Mer­cedes Simone est plus mûre, mais elle trans­met tou­jours de l’émotion. J’aime bien l’introduction et les tran­si­tions de l’orchestre entre les phras­es chan­tées par Mer­cedes, sont assez orig­i­nales. De la très belle ouvrage de la part de l’orchestre Brameri, encore un orchestre qui n’a pas tout à fait pass­er la porte de la postérité. Brameri était pianiste, vio­loniste, accordéon­iste, com­pos­i­teur et directeur d’orchestre…

Il y a bien sûr d’autres enreg­istrements postérieurs de cette mag­nifique valse, mais je trou­ve bien de ter­min­er avec elle, d’autant plus que la fin un peu spec­tac­u­laire laisse claire­ment appa­raître « FIN », comme au ciné­ma. Et toc…

Esquinas porteñas.

La pulpera de Santa Lucía 1945-04-24 — Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Enrique Alessio

Enrique Maciel Letra: Héctor Pedro Blomberg

Cette valse si agréable à danser, notam­ment dans la ver­sion qu’en donne Castil­lo avec son orchestre a fail­li ne pas voir de suc­cès. Lançons-nous à la ren­con­tre de la pulpera de la pulpería.

La pulpera de Santa Lucía

Tout d’abord, un peu de vocab­u­laire. Une pulpera, est une employée, ou une pro­prié­taire de pulpería. Le « í » est donc impor­tant. La chan­son par­le d’une femme, pas de son étab­lisse­ment.

Mais alors qui est cette femme et où était cet établissement?

Héc­tor Pedro Blomberg décrit une blonde aux yeux bleus. Elle pour­rait être inven­tée à l’image de son pays d’origine (son grand-père pater­nel était un marin norvégien).
En fait, même s’il y a plusieurs hypothès­es, la plus prob­a­ble est que cette femme était la fille d’un mon­sieur Miran­da qui tenait un lieu de ce type. À sa mort pour une his­toire poli­tique, on ver­ra dans les paroles que De Rosas n’est pas loin, sa femme et sa fille ont repris l’établissement qui était fameux. Il est décrit comme étant à l’angle de Caseros et Mar­tin Gar­cia. Mal­heureuse­ment, ce sont deux avenues, donc par­al­lèles. Je pro­pose donc plutôt l’angle de Mar­tin Gar­cia et Montes de Oca, juste­ment le bâti­ment qui touche l’église de San­ta Lucía…
La blonde aux yeux bleus s’appelait peut-être Dion­isia Miran­da si ces hypothès­es ne sont pas trop fauss­es…

Évidem­ment, l’histoire se passe au milieu du XIXe siè­cle et donc, ce bâti­ment n’existait pas. À l’époque, l’église devait être isolée dans un envi­ron­nement rur­al et les gau­chos devaient pass­er une bonne par­tie de leurs journées à la pulpería.

Extrait musical

La pulpera de San­ta Lucía 1945-04-24 — Alber­to Castil­lo y su Orques­ta Típi­ca dir. por Enrique Alessio.

Pour une ver­sion de chanteur, c’est tout à fait dans­able. C’est même une superbe valse. Je pense que vous éprou­verez beau­coup de plaisir à la danser, mal­gré les regrets exprimés dans les paroles.

Paroles

Era rubia y sus ojos celestes
refle­ja­ban la glo­ria del día
y canta­ba como una calan­dria
la pulpera de San­ta Lucía.

Era flor de la vie­ja par­ro­quia.
¿Quién fue el gau­cho que no la quería?
Los sol­da­dos de cua­tro cuar­te­les
sus­pira­ban en la pulpería.

Le can­tó el payador mazor­quero
con un dulce gemir de vihue­las
en la reja que olía a jazmines,
en el patio que olía a diame­las.

« Con el alma te quiero, pulpera,
y algún día ten­drás que ser mía,
mien­tras llenan las noches del bar­rio
las gui­tar­ras de San­ta Lucía ».

La llevó un payador de Lavalle
cuan­do el año cuarenta moría;
ya no alum­bran sus ojos celestes
la par­ro­quia de San­ta Lucía.

No volvieron los trompas de Rosas
a can­tar­le vidalas y cie­los.
En la reja de la pulpería
los jazmines llora­ban de celos.

Y volvió el payador mazor­quero
a can­tar en el patio vacío
la doliente y postr­er ser­e­na­ta
que llevábase el vien­to del río:

¿Dónde estás con tus ojos celestes,
oh pulpera que no fuiste mía?”
¡Cómo llo­ran por ti las gui­tar­ras,
las gui­tar­ras de San­ta Lucía!

Enrique Maciel Letra: Héc­tor Pedro Blomberg

Traduction libre et indications

Elle était blonde et ses yeux bleu clair (célestes, couleur du dra­peau argentin) reflé­taient la gloire du jour et elle chan­tait comme une calan­dre (oiseau chanteur) la pulpera (la femme) de San­ta Lucia.
Elle était la fleur de l’ancienne paroisse. Quel gau­cho ne voudrait pas d’elle ? Les sol­dats de qua­tre casernes soupi­raient dans la pulpería (l’établissement).
Le payador mazor­quero (chanteur par­ti­san de Rosas, mil­i­taire, gou­verneur et putschiste) lui chan­tait avec un doux gémisse­ment de vihue­las (instru­ment de musique appar­en­té à la gui­tare) sur la clô­ture qui sen­tait le jas­min, dans la cour qui sen­tait le diame­las (sorte de jas­min).
« Pulpera, je t’aime de toute mon âme, et un jour tu devras être mienne, quand les nuits du quarti­er sont rem­plies des gui­tares de San­ta Lucia. »
Un payador de Lavalle (c’est aus­si le titre d’une ranchera de Brig­no­lo) l’a enlevée à la mort de l’année quar­ante ; déjà, ses yeux bleus n’éclairent plus la paroisse de San­ta Lucia.
Les trompettes de Rosas ne revin­rent pas lui chanter des vidalas et des cie­los (dans­es). Sur la clô­ture de l’épicerie, les jas­mins pleu­raient de jalousie.
Et le payador de Rosas revint chanter dans la cour vide
la séré­nade plain­tive et tar­dive qu’apportait le vent de la riv­ière :
Où es-tu avec tes yeux célestes, ô pulpera qui ne fut pas mienne ? Com­ment, pour toi pleurent les gui­tares, les gui­tares de San­ta Lucía !

Cette valse nous par­le donc d’un temps ou le quarti­er était rur­al et où De Rosas gérait d’une main de fer la Province de Buenos Aires, l’époque Rosis­tas.

Autres versions

La pulpera de San­ta Lucía 1929-06-19 — Igna­cio Corsi­ni con gui­tar­ras de Pagés-Pesoa-Maciel.

Cette ver­sion est impor­tante, car Corsi­ni est celui qui a lancé cette valse écrite par un de ces gui­taristes, Enrique Maciel… C’était à la radio, en 1928 et le suc­cès a été tel que les audi­teurs ont demandé un bis par télé­phone. Ceux qui avaient refusé le titre ont dû s’en mor­dre les doigts.

Une fois lancée, Canaro, comme à son habi­tude, l’a enreg­istrée…

La pulpera de San­ta Lucía 1929-07-03 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

C’est une ver­sion lente avec l’originalité de la présence d’une gui­tare hawaïenne. Canaro utilis­era cet instru­ment dans d’autres œuvres, dont juste­ment une valse com­posée par William H. Heag­ney, tout aus­si lente que celle-ci et qui se nomme… Bells of Hawaii (enreg­istrée le 9 novem­bre de la même année).

Bells of Hawaii 1929-11-09 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro (William H. Heag­ney)

(Ce n’est bien sûr pas une ver­sion de la pulpera, c’est juste pour vous faire enten­dre une valse sim­i­laire avec de la gui­tare hawaïenne).

La pulpera de San­ta Lucía 1930 — Orques­ta Rafael Canaro con Car­los Dante.

Le frère de Fran­cis­co s’y colle ensuite avec Car­los Dante. Une ver­sion très rapi­de, plutôt chan­son avec une forte présence de la gui­tare qui fait penser à Corsi­ni.

La pulpera de San­ta Lucía 1945-04-24 — Alber­to Castil­lo y su Orques­ta Típi­ca dir. por Enrique Alessio. La pulpera de San­ta Lucía 1945-04-24 — Alber­to Castil­lo y su Orques­ta Típi­ca dir. por Enrique Alessio. C’est notre mer­veille de valse du jour.
La pulpera de San­ta Lucía 1974 — Hugo Díaz.

Une ver­sion très éton­nante avec ses dis­so­nances plaquées sur l’introduction. L’harmonica par­ti­c­ulière­ment expres­sif d’Hugo Díaz se promène par-dessus la gui­tare qui donne le rythme et per­met de ren­dre dans­able cette ver­sion assez par­ti­c­ulière. Même si vous ne la dansez pas, il faut la con­naître pour l’harmonica qui lui imprime son car­ac­tère si puis­sant.

La pulpera de San­ta Lucía 1977 Nel­ly Omar con gui­tar­ras — Jose Canet.

Une ver­sion sym­pa­thique, chan­tée par une femme et quelle chanteuse. Je pense que vous apprécierez son écoute.

La pulpera de San­ta Lucía 1983 — Miguel Vil­las­boas y su Orques­ta Típi­ca.

Pour ter­min­er, une ver­sion de l’autre rive. Bien dansante et amu­sante comme c’est le faire Vil­las­boas avec son piano bien ryth­mé et ses vio­lons qui flot­tent avec une sonorité si par­ti­c­ulière. On notera égale­ment le mag­nifique solo du ban­donéon. Tous n’aiment pas, mais moi, j’aime bien et c’est assez fes­tif pour ter­min­er ce tour des ver­sions de la Pulpera de San­ta Lucía.

Un « couple » étonnant

Dans la milon­ga d’hier, j’abordai les orig­ines noires du tan­go. Enrique Maciel, El Negro Maciel est effec­tive­ment d’origine noire et plus pré­cisé­ment noire améri­caine. Il est descen­dant d’esclaves du Sud des États-Unis. C’est son grand-père pater­nel, dont le nom de famille était Mar­shall qui a immi­gré en Argen­tine. Maciel fait plus Argentin que Mar­shall, j’imagine la scène à l’immigration « c’est quoi ton nom ? Mar­shall, Maciel ?

Son parte­naire dans la com­po­si­tion de ce tan­go est Héc­tor Pedro Blomberg qui comme son nom le sug­gère était Norvégien d’origine. Là encore, c’est son grand-père pater­nel qui s’est fixé après avoir épousé une Paraguayenne, elle-même auteure. En 1911, il embar­que sur un navire pour… la Norvège où il reste deux ans. Durant son voy­age il écriv­it des arti­cles pour les revues de l’époque. Par chance, on peut les lire sans retrou­ver toutes les revues, car ils ont été pub­liés en 1920 dans un ouvrage Las Puer­tas de Babel. Le pré­faci­er, Manuel Gálvez, nous en explique le titre. Je repro­duis cet extrait ici, car il est très évo­ca­teur du Buenos Aires des orig­ines du tan­go : 

«Los puer­tos de Buenos Aires, y los bar­rios que los rodean: La Boca, El Dock Sur, El Paseo de Julio, son las puer­tas de Babel. Por ellos se entra en la ciu­dad mon­stru­osa e inqui­etante donde todos los idiomas del mun­do y todas las razas se con­fun­den y mez­clan. Arri­ba está la ciu­dad rica y poderosa. Aba­jo, es decir en las puer­tas de Babel, se aglom­era la car­a­vana de los parias, la tur­ba sucia y doliente que arras­tra por los puer­tos y los mares su des­o­lación et su mis­e­ria.

Mul­ti­tud de lam­en­ta­bles fig­uril­las humanas des­fi­lan. Marineros ingle­ses, bor­ra­chos y bru­tales, pasan jun­tos a suaves y con­tem­pla­tivos chi­nos. Holan­deses et ital­ianos codéense en los antros del Paseo de Julio con árabes melancóli­cos que invo­can a Alá, y año­ran las amadas de Argel. Mujeres de todas las razas — las cig­a­r­ras del ham­bre — can­tan y dan­zan en los cabarets sinie­stros: andaluzas de Cádiz y de Mála­ga, grie­gas de Salóni­ca, mulatas mar­tiniqueñas, ingle­sas de Liv­er­pool u de Swansea. Todos los bar­rios trági­cos de tier­ra son evo­ca­dos en las puer­tas de Babel: el Bund, de Changai; el Sol­brero Rojo, de Marsel­la; las calle­jue­las sucias de los bar­rios que cir­cun­dan los grandes puer­tos. Y todas las can­ciones de la tier­ra dilúyense en los ámbitos de Babel: coplas de Sor­ren­to, que hacen soñar con el mar azul, fados por­tugue­ses, sen­suales y lán­gui­dos; can­rates des­o­la­dos de los archip­iéla­gos, oídos en las radas de Oceanía; bal­adas cán­di­das, y fra­gantes que evo­can las már­genes del Yang-Tse-Kiang; vie­jas gua­ji­ras de Cuba ; lúgubres coplas andaluzas.Y todas aque­l­las gentes van pasan­do bajo las arcadas del Paseo de Julio, o por las calles de la Boca o del Dock Sur, o se amon­to­nan en los antros, en los cabarets, en las hamadas, en los fumaderos de opio. Y la trage­dia estal­la a cada paso, allí en las puer­tas de Babel. Hom­bres tat­u­a­dos se apuñalean por algu­na de aque­l­las cig­a­r­ras del ham­bre, “gavio­tas de todos los puer­tos”, como tam­bién las lla­ma Blomberg. »

Pré­face de Las Puer­tas de Babel par Manuel Gálvez.

Traduction libre

« Les ports de Buenos Aires, et les quartiers qui les entourent : La Boca, El Dock Sur, El Paseo de Julio, sont les portes de Babel. C’est par eux que vous entrez dans la ville mon­strueuse et inquié­tante où toutes les langues du monde et toutes les races sont con­fon­dues et mélangées. Au-dessus se trou­ve la ville riche et puis­sante. En bas, c’est-à-dire aux portes de Babel, se rassem­ble la car­a­vane des pro­scrits, la foule immonde et triste qui traîne sa déso­la­tion et sa mis­ère à tra­vers les ports et les mers.
Une mul­ti­tude de pitoy­ables fig­urines humaines défi­lent. Les marins anglais, ivres et bru­taux, passent avec des Chi­nois doux et con­tem­plat­ifs. Néer­landais et Ital­iens se côtoient dans les clubs du Paseo de Julio avec des Arabes mélan­col­iques qui invo­quent Allah et se lan­guis­sent des bien-aimés d’Alger. Des femmes de toutes les races, les cigales de la faim, chantent et dansent dans les sin­istres cabarets : Andalous­es de Cadix et de Mala­ga, Grec­ques de Thes­sa­lonique, mulâtres mar­tini­quais­es, Anglais­es de Liv­er­pool ou de Swansea. Tous les quartiers trag­iques de la terre sont évo­qués aux portes de Babel : le Bund, à Changai ; le cha­peau rouge de Mar­seille (le nom vient du cha­peau que por­taient les cochers des mes­sageries Royales et qui a don­né le nom à nom­bre de relais de poste, auberges…) ; les ruelles sales des quartiers qui entourent les grands ports. Et tous les chants de la terre se dilu­ent dans les lam­beaux de Babel : les cou­plets de Sor­rente, qui font rêver la mer bleue, le fado por­tu­gais, sen­suel et lan­goureux ; les can­rates désolés des archipels (prob­a­ble­ment Canaries), enten­dus dans les rades de l’Océanie ; des bal­lades can­dides et par­fumées qui évo­quent les rives du Yang-Tsé-Kiang ; vieilles gua­ji­ras de Cuba ; Lugubres cou­plets andalous.
Et tous ces gens-là passent sous les arcades du Paseo de Julio, ou dans les rues de La Boca ou du Dock Sur, ou s’entassent dans les clubs, dans les cabarets, dans les hamadas, dans les fumeries d’opium (on en par­lait à pro­pos de El opio de Canaro). Et la tragédie éclate à chaque tour­nant, là-bas, aux portes de Babel. Des hommes tatoués sont poignardés pour l’une de ces cigales de la faim, « mou­ettes de tous les ports », comme les appelle aus­si Blomberg. »

Un petit documentaire pour terminer

Un doc­u­men­taire réal­isé par El Veci­nalRéseau social de Misiones. C’est en espag­nol, mais des infor­ma­tions com­plé­men­taires sont pro­posés, notam­ment sur De Rosas.

Un doc­u­men­taire réal­isé par El Veci­nalRéseau social de Misiones

Ventanita florida 1932-04-21 — Orquesta Francisco Canaro con Agustín Irusta

Enrique Pedro Delfino (Delfy) Letra: Luis César Amadori

Après le sujet lourd et triste d’hier, un sujet plus léger. La petite fenêtre fleurie. Léger, au moins pour nous, mais pour le mal­heureux ou la mal­heureuse qui dit sa peine, c’est sans doute moins agréable. Aujourd’hui, ce mal­heureux est Agustín Irus­ta qui marche sous la baguette de Fran­cis­co Canaro. C’était il y a 92 années.

Extrait musical

Ven­tani­ta flori­da 1932-04-21 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Agustín Irus­ta.

Irus­ta ne chante que le refrain, comme il est de cou­tume pour les tan­gos de danse. Mais nous allons voir qu’il y a une autre rai­son à cela après avoir étudié les paroles… On est dans du Canaro typ­ique de cette péri­ode, un tan­go qui se dégage douce­ment du canyengue. Un tan­go bien marché avec de petites cachot­ter­ies musi­cales qui évi­tent la monot­o­nie.

Les paroles

Fue una noche clara
que alum­bra­ba tan sólo el lucero.
Jun­to a mi humilde ven­tana
‘te juro’ – decía – ‘mi amor es eter­no’
Yo le di mi vida
y entre dul­ces prome­sas se fue.
Sola y con­movi­da
a la reja mi amor le con­fié.

Ven­tani­ta flori­da
de mi vie­ja tapera,
en tu reja pren­di­da está
mi tími­da ilusión.
Al abrirte con­tem­p­lo
un jardín de esper­an­za,
ven­tani­ta, y te cier­ro al fin
can­tan­do por mi amor.

Pero fue men­ti­ra
su prome­sa de amor duradero.
Des­de que vino el invier­no
una noche tras otra yo en vano lo espero.
Ya ni la esper­an­za
va quedan­do de ver­lo volver.
¡Tan­to que lo quise!
¿Para qué me engañó, para qué?

Ven­tani­ta flori­da
de mi vie­ja tapera,
en tu reja mar­chi­ta está
la flor de su traición.
Al abrirte, la noche
has­ta el alma me hiela,
ven­tani­ta, y te cier­ro al fin
llo­ran­do por mi amor.

Enrique Pedro Delfi­no (Delfy) Letra: Luis César Amadori

Traduction libre et indications

C’était une nuit claire qu’illuminait seule­ment la lucarne (plusieurs pos­si­bil­ités pour « lucero ». Vénus, lucarne, par­tie du volet par laque­lle peut entr­er la lumière. Bref, ce n’est pas très clair, au pro­pre, comme au fig­uré).
Ensem­ble à mon hum­ble fenêtre : « Je te jure, dis­ait-il, mon amour est éter­nel. »
Et je lui ai don­né ma vie et au milieu des douces promess­es, il est par­ti.
Seule et inquiète à la grille (prob­a­ble­ment les bar­reaux de la fenêtre, ou une grille de pro­tec­tion qui peut s’ouvrir) je lui ai con­fié mon amour.

Petite fenêtre fleurie de ma vieille bicoque, en ta grille est accrochée ma timide illu­sion.
Quand je t’ouvre, je con­tem­ple un jardin d’espérance, petite fenêtre, et je te ferme enfin en chan­tant pour mon amour.

Mais ce fut un men­songe sa promesse d’amour durable.
Depuis que l’hiver est venu nuit après nuit, je l’ai atten­due en vain.
Là, il n’y a plus d’espoir de le voir revenir.
Je l’ai tant désiré !
Pourquoi m’a‑t-il trompé, pour quoi ?

Petite fenêtre fleurie de ma vieille bicoque, dans ta grille flétrie est la fleur de sa trahi­son.
Quand je t’ouvre, la nuit me gèle jusqu’à l’âme, petite fenêtre, et je te ferme enfin pleu­rant pour mon amour.

Autres versions

Je devrais plac­er en pre­mier une ver­sion avec Lib­er­tad Lamar­que qui a lancé le titre au théâtre Maipo, mais mal­heureuse­ment, il ne sem­ble pas y avoir d’enregistrement. Elle devait chanter toutes les paroles et en tant que femme, c’était bien adap­té. À ce sujet, il me sem­ble oppor­tun de nar­rer une anec­dote. La musique de Enrique Delfi­no reçut un accueil plutôt froid des musi­ciens de l’orchestre chargés de la jouer. Les paroliers du théâtre ne voulurent pas se charg­er des paroles. C’est alors que Luis César Amadori s’est pro­posé de les écrire. Lib­er­tad Lamar­que les chan­ta, prob­a­ble­ment, comme à son habi­tude, de façon remar­quable et le titre devint un grand suc­cès.

La cou­ver­ture de la par­ti­tion de Ven­tani­ta flori­da rap­pel­lant que c’est un suc­cès de Lib­er­tad Lamar­que. Un sec­ond titre dAmadori, Se viene la Maro­ma (instru­men­tal) est égale­ment inclus. Canaro l’enregistra 8 jours après Ven­tani­ta Flori­da avec Irus­ta.

Ven­tani­ta flori­da 1932-04-21 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Agustín Irus­ta. C’est le tan­go du jour.

Ce dia­ble de Canaro, tou­jours à l’affût d’un bon titre l’a enreg­istré dans la foulée, mais avec un homme. C’est notre tan­go du jour. Il con­ve­nait donc, soit de chang­er les paroles, soit, ce qui fut l’option choisie, de ne chanter qu’une par­tie asex­uée, le refrain. Nous ver­rons plus loin cepen­dant que cette « néces­sité » n’est pas une loi.

Ven­tani­ta flori­da 1932-05-04 — Ada Fal­cón con acomp. de Fran­cis­co Canaro.

Une superbe et émou­vante ver­sion, chan­tée avec âme. La musique et le chant sont comme relancés à chaque phrase, un peu comme dans une ranchera dans un rythme presque ter­naire, bien loin de la ver­sion marchée d’Irusta. C’est bien sûr une ver­sion chan­son, mais un, jour de folie, avec des danseurs par­ti­c­ulière­ment tolérants, je pour­rai la pro­pos­er à la danse. Cette ver­sion en tous, car mérite les oreilles et même si les danseurs s’arrêtent de danser pour l’écouter, ce sera un bon moment.

Trois autres à écouter, chan­tées par des hommes qui curieuse­ment chantent les paroles au féminin.

Ven­tani­ta flori­da 1932-07-20 — Igna­cio Corsi­ni con gui­tar­ras de Pagés-Pesoa-Maciel.

Deux mois plus tard, Corsi­ni enreg­istre sa ver­sion. Là, pas ques­tion de danser.

Ven­tani­ta flori­da 1955-11-24 — Ángel Var­gas y su Orques­ta dirigi­da por Edelmiro “Toto” D’A­mario.

Un tan­go chan­son, mais avec assez de tonic­ité. Var­gas n’a pas trop viré dans le sen­ti­men­tal­isme. Cela n’en fait pas une ver­sion de danse. Pour cela, je reste avec les ver­sions de Canaro.

Ven­tani­ta flori­da 1989 — Rober­to Goyeneche con acomp. de Nés­tor Mar­coni y su con­jun­to. Une ver­sion assez douce, peut-être trop. Un fond sonore pour une soirée au restau­rant ?

Le tango, est-il un truc de pleurnichards et de cocus ?

Le tan­go du jour est claire­ment sen­ti­men­tal. Un peu pleureur, mais pas vrai­ment de cocu dans la mesure où c’est une femme qui a été aban­don­née par un homme qui l’a abusée par des promess­es.
Ce n’est peut-être pas la bonne occa­sion de par­ler du sujet, mais je vais tout de même don­ner quelques indi­ca­tions.
Si Dis­cépo­lo a dit que le tan­go est une pen­sée triste qui se danse, c’est qu’il avait une vision un peu pes­simiste de la vie, comme il l’a exprimé dans cam­bal­ache. Ses préoc­cu­pa­tions étaient exis­ten­tial­istes et il se devait de par­ler de vécu et de ressen­ti.
Mais n’est-ce pas le cas de tant d’autres domaines ? L’art, la poésie, la lit­téra­ture, quand ils ne sont pas à la gloire d’un com­man­di­taire, par­lent d’amour, de hauts faits (celui des com­padri­tos dans le cas du tan­go et sou­vent avec beau­coup de moquerie et de déri­sion), de reli­gion (comme Ple­garia).
Même la chan­son pop­u­laire dans le monde entier par­le de tout et de rien et notam­ment des déboires et des joies de la vie. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour le tan­go ?
Nous avons vu hier, Ple­garia, nous voyons aujourd’hui, par notre petite fenêtre, une his­toire d’abandon, voire de trahi­son, d’autres, comme Ten­go mil novias de Cadicamo, des fan­faron­nades empreintes d’humour.
Le peu­ple argentin n’a pas eu la vie facile et cela l’a sans doute incité à trou­ver un refuge dans l’art. Il y a une quan­tité de lecteurs incroy­able, tout autant de musi­ciens et de pein­tres. L’art est partout dans la rue. Buenos Aires est la ville du Monde qui compte le plus de théâtre.
Cet art est aus­si pop­u­laire, c’est celui des gens de la rue et pas seule­ment un grand art sub­ven­tion­né et intel­lectuel. Les gens dansent, chantent et il est donc nor­mal qu’ils con­fient à la musique et à la chan­son l’expression de leurs peines comme de leurs joies.
Le tan­go n’est que le reflet de la vie et il faut être par­ti­c­ulière­ment aveu­gle et sourd pour ne voir dans le tan­go que des his­toires lar­moy­antes de cocus. Je pense que cette approche est causée par une approche pure­ment lit­téraire des textes et à une focal­i­sa­tion sur des tan­gos chan­son des­tinés à l’écoute.
En effet, même avec des paroles tristes, un tan­go peut être plaisant, agréable, voire joyeux à danser. J’ai déjà pris l’exemple de la valse « A Mag­a­l­di », qui peut rem­plir de bon­heur le danseur qui se plonge dans la musique avec sa parte­naire (ou la danseuse avec son parte­naire, bien sûr). Même s’ils com­pren­nent les paroles, la valse est comme une cathar­sis à une éventuelle tristesse, aux petits et grands mal­heurs de la vie.
Les Portègnes ne vont pas danser pour se couper les veines. Ils ont le sourire, parta­gent. Il y a des musiques tristes, mais ce n’est pas une général­ité dans l’univers du tan­go. Si on s’attache à la musique, on se rend compte que la grande majorité est plutôt allè­gre.
Si on essaye de faire la bal­ance entre les deux, je pense que l’on con­stat­era que le tan­go de danse est à dom­i­nante gaie et que le tan­go chan­son, qui a pris le dessus dans les années 50 est peut-être à dom­i­nante triste.
Les chanteurs de refrain de l’âge d’or ne chan­taient qu’une petite par­tie des paroles, ce qui don­nait l’occasion à la musique de dis­penser sa joie, mal­gré une éventuelle tristesse des paroles. A con­trario, les ver­sions entières pour l’écoute sont sou­vent lar­moy­antes, comme en témoigne l’exemple de cette anec­dote.
Il est donc impor­tant pour le DJ de pro­pos­er les tan­gos de danse et pas ces tan­gos lugubres qui plombent l’ambiance. Les danseurs vien­nent pass­er un bon moment et si quelques-uns pensent que le tan­go doit être triste, qu’ils gar­dent le bal­ai là où ils se le sont enfon­cé.
Le tan­go est une pen­sée joyeuse qui peut se danser !

El adiós 1938-04-02 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos

Maruja Pacheco Huergo (María Esther Pacheco Huergo) Letra: Virgilio San Clemente

Plus de 200 tan­gos ont dans leur titre le mot «Adios». C’est donc un thème fort du tan­go, mais la com­po­si­tion écrite par Maru­ja Pacheco Huer­go est de loin la plus célèbre. Je vous pro­pose, la ver­sion qui est con­sid­érée comme la plus belle, celle de Dona­to avec Lagos qui fête aujourd’hui ses 86 ans.

Il y a adiós et adiós

Il y a env­i­ron 200 tan­gos avec adiós dans le titre dont on a au moins un enreg­istrement et il faut rajouter une dizaine de valses et même une milon­ga.
Cepen­dant, tous les adiós ne sont pas sim­i­laires.
Con­traire­ment au français, adiós n’a pas la con­no­ta­tion défini­tive de l’adieu. En français, on dit surtout Adieu quand on ne compte plus se revoir, ou seule­ment en présence de Dieu (À Dieu), après la résur­rec­tion.
Pour les Argentins, ce n’est pas le cas. C’est un syn­onyme com­plet d’au revoir et il s’emploie donc de la même façon. Un Argentin qui vous dit adieu a l’intention de vous revoir, il vous recom­mande juste « à Dieu », c’est-à-dire qu’il vous souhaite d’aller bien pen­dant le temps de la sépa­ra­tion.
Cepen­dant, en Argen­tine égale­ment, le terme adiós a une sig­ni­fi­ca­tion défini­tive. On l’utilise égale­ment pour quit­ter un défunt, tout comme en France.
Dans le petit monde du tan­go, il est fréquent que l’on hon­ore un défunt en lui faisant un adieu musi­cal. Par­mi les titres célèbres dans ce sens, on a A Mag­a­l­di, cette valse d’adieu à Agustín Mag­a­l­di, com­posée par Car­los Dante et Pedro Noda et dont les paroles sont de Juan Bernar­do Tig­gi. On con­naît les mer­veilleuses ver­sions chan­tées juste­ment par Car­los Dante, notam­ment celle de 1947, 9 ans après la mort d’Agustín qui lui-même avait chan­té pour la mort de Gardel peu d’années aupar­a­vant. Nous en repar­lerons le 21 octo­bre…

Note : El adiós, porte un S à la fin, car c’est « À Dieu » (adieu), Dieu se dit « Diós » en espag­nol, ce n’est pas un S du pluriel. Comme DJ, com­bi­en de fois ai-je enten­du nom­mer ce titre « El adio »…

Maruja Pacheco Huergo

Maru­ja (María Esther) Pacheco Huer­go (3 avril 1916 — 2 sep­tem­bre 1983) était pianiste, com­positrice et parolière, mais égale­ment auteure (notam­ment de poèmes et scé­nar­ios), actrice et pro­fesseur de musique et de chant.
Elle a com­posé plus de 600 thèmes, pas tous des tan­gos, mais par­mi ses créa­tions dont nous avons une trace enreg­istrée dans notre domaine qu’est le tan­go, on pour­rait citer les titres suiv­ants :

Comme auteure et compositrice :

Sin­fonía de arra­bal, (paroles et musique) célèbre par le même chef d’orchestre que El Adios, notre tan­go du jour avec le trio enchanteur de Hora­cio Lagos, Lita Morales et Romeo Gavi­o­li.
Cuan­do sil­ba el vien­to une habanera dont elle a égale­ment écrit, paroles et musique.
Lejanía (une chan­son qu’a chan­tée Corsi­ni), Oro y Azul, El Silen­cio, Con sabor a tier­ra, Nenucha et env­i­ron 500 autres titres que vous me par­don­nerez de ne pas lis­ter ici, mais ce ne sont pas non plus des tan­gos.

Comme compositrice

Can­to de ausen­cia mise en musique d’un texte d’Homero Manzi
Don Naides avec des paroles de Venan­cio Clau­so
Gar­de­nias avec des paroles de Manuel Enrique Fer­radás Cam­pos (son mari)
Milon­ga del aguatero et Can­cionero porteño del siglo XIX avec des paroles d’Eros Nico­la Siri

Comme parolière

Sur des musiques de Dona­to, elle a écrit les paroles d’Alas rotas, Para qué, Lágri­mas et Triqui tra.
Ses 600 com­po­si­tions lui valent d’être inhumée au pan­théon SADAIC (société des auteurs et com­pos­i­teurs argentins) du cimetière de la Chacari­ta (Buenos Aires).

Virgilio San Clemente

Vir­gilio San Clemente est surtout un poète. On lui doit cepen­dant les paroles de El adios, et de quelques autres titres, comme la jolie valse Viejo jardín et sans doute Dulce amar­gu­ra (mais il y a un doute, car il est men­tion­né tan­tôt comme com­pos­i­teur ou comme paroli­er). Comme il m’est impos­si­ble de départager les deux pos­si­bil­ités, voici où j’en suis de l’investigation…

Sur le disque de gauche, Frese­do (1938), Vir­gilio San Clemente est indiqué comme com­pos­i­teur. Sur celui du milieu, Nano Rodri­go (1940), ce sont Tor­res et Alperi et sur celui de droite qui est une réédi­tion en vinyle de l’enregistrement de 1938 de Corsi­ni, il y a bien les trois noms, mais sans dis­tinc­tion de fonc­tion.
En résumé, si Vir­gilio était poète, il a peut-être com­posé un tan­go et à assuré­ment écrit les paroles d’autres.
Tor­res et Alperi ne sont pas des com­pos­i­teurs con­nus, on ne peut pas lever le doute sur la com­po­si­tion de ce titre tant que l’on n’a pas la par­ti­tion orig­i­nale que je n’ai pas encore trou­vée.
En atten­dant, je penche plutôt du côté où San Clemente s’est can­ton­né aux paroles pour Dulce Amar­gu­ra. Les deux œuvres sont écrites de façon com­pa­ra­ble, en trois par­ties et avec des rimes approx­i­ma­tives, mais dev­in­ables. Viejo jardín est dif­férent, il y a plus de cou­plets, mais les rimes sont égale­ment très approx­i­ma­tives. Ces indices, très légers n’invalident pas la pos­si­bil­ité qu’il soit l’auteur des trois textes.

Extrait musical

El adiós 1938-04-02 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos.

Les cordes sont très présentes dans cette ver­sion, en legati des vio­lons et en pizzi­cati. Quelques accents des ban­donéons. Le piano chante égale­ment sa par­tie à tour de rôle jusqu’à à 1 :42 entre en scène Lagos qui ne chante que très briève­ment, seule­ment le pre­mier cou­plet. Il explique le thème et laisse la parole aux instru­ments pour les 55 dernières sec­on­des.

Les paroles

En la tarde que en som­bras se moría,
bue­na­mente nos dimos el adiós ;
mi tris­teza pro­fun­da no veías
y al mar­charte son­reíamos los dos.
Y la des­o­lación, mirán­dote
al par­tir,
que­bra­ba de emo­ción mi pobre voz…
El sueño más feliz, moría en el adiós
y el cielo para mí se obscure­ció.

En vano el alma
con voz vela­da
vol­có en la noche la pena…
Sólo un silen­cio
pro­fun­do y grave
llora­ba en mi corazón.

Sobre el tiem­po tran­scur­ri­do
vives siem­pre en mí,
y estos cam­pos que nos vieron
jun­tos son­reír
me pre­gun­tan si el olvi­do
me curó de ti.
Y entre los vien­tos
se van mis que­jas
murien­do en ecos,
buscán­dote…
mien­tras que lejos
otros bra­zos y otros besos
te apri­sio­n­an y me dicen
que ya nun­ca has de volver.

Cuan­do vuel­va a lucir la pri­mav­era,
y los cam­pos se pin­ten de col­or,
otra vez el dolor y los recuer­dos
de nos­tal­gias llenarán mi corazón.
Las aves poblarán de tri­nos el lugar
y el cielo vol­cará su clar­i­dad…
Pero mi corazón en som­bras vivirá
y el ala del dolor te lla­mará.
En vano el alma
dirá a la luna
con voz vela­da la pena…
Y habrá un silen­cio
pro­fun­do y grave
llo­ran­do en mi corazón.

Maru­ja Pacheco Huer­go (María Esther Pacheco Huer­go) Letra: Vir­gilio San Clemente

Traduction libre et indications

Dans la soirée qui se meurt en ombres,
Nous nous sommes tout bon­nement dit adieu ; (un adieu comme si c’était un au revoir pour elle).
Tu ne voy­ais pas ma pro­fonde tristesse
Et quand tu es par­tie, nous sou­ri­ons tous les deux.
Et la déso­la­tion, de te regarder par­tir,
brisa d’émotion, ma pau­vre voix…
Le rêve le plus heureux est mort dans l’adieu
Et le ciel pour moi s’est obscur­ci.
En vain l’âme
d’une voix voilée
déver­sa le cha­grin dans la nuit…
Juste un silence
pro­fond et grave
pleu­rait dans mon cœur.

À pro­pos du temps écoulé,
tu vis tou­jours en moi,
et ces champs qui nous ont vus
sourire ensem­ble
me deman­dent si l’oubli
m’a guéri de toi.
Et par­mi les vents
mes plaintes s’en vont
mourant en échos
te cher­chant…
pen­dant qu’au loin
d’autres bras et d’autres bais­ers
t’emprisonnent et me dis­ent
que jamais, tu ne revien­dras.

Quand le print­emps brillera à nou­veau,
et que les champs se pein­dront de couleurs,
encore une fois, la douleur et les sou­venirs
rem­pliront mon cœur de nos­tal­gie.
Les oiseaux peu­pleront de trilles l’espace
et le ciel répan­dra sa clarté…
Mais mon cœur vivra dans l’ombre
et l’aile de la douleur t’appellera.
En vain l’âme
dira à la lune
d’une voix voilée, la douleur…
et il y aura un silence
pro­fond et grave
Pleu­rant dans mon cœur.

Autres versions

El adiós 1938-03-03 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Rober­to Mai­da.

Cette ver­sion fait jeu égal avec celle de Dona­to. Je sais que cer­tains danseurs préfèrent celle de Dona­to, mais pour moi, il est dif­fi­cile de les départager. Dans un bal, je peux pass­er indif­férem­ment l’une ou l’autre, selon l’ambiance que je veux don­ner. La ver­sion de Canaro marche de façon obstinée, avec de jolis pas­sages de vio­lons ondu­lants et des moments de piano qui ponctuent. Rien de monot­o­ne dans cette ver­sion, tou­jours entraî­nante.

El adiós 1938-03-15 — Igna­cio Corsi­ni con gui­tar­ras de Pagés-Pesoa-Maciel.

Avec un accom­pa­g­ne­ment de gui­tares, Corsi­ni chante l’intégralité des paroles. Corsi­ni a enreg­istré 12 jours après après Canaro, mais il a été le pre­mier à jouer le titre, comme en témoigne la par­ti­tion.

El adiós 1938 Hugo Del Car­ril con orques­ta.

C’est une ver­sion à écouter. La voix d’Hugo Del Car­ril exprime avec émo­tion les sen­ti­ments du nar­ra­teur. C’est à com­par­er avec l’enregistrement d’Ignacio Corsi­ni de la même époque. La voix de Del Car­ril pour­rait tenir la com­para­i­son avec les ver­sions de Mai­da et Lagos. L’orchestre est égale­ment agréable, on se prend à regret­ter qu’une ver­sion de danse ne soit pas venue com­pléter cet enreg­istrement.

El adiós 1938-04-02 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos. C’est le tan­go du jour.
El adiós 1954-01-28 – Ángel Var­gas con su orgues­ta dirigi­da por Arman­do Laca­va.

Pour une ver­sion de chanteur, cette inter­pré­ta­tion de Var­gas. Donne la part belle à l’orchestre de Laca­va. Le thème est chan­té par les instru­ments avec des vari­a­tions d’intensités qui don­nent de la struc­ture à la musique. Après une minute Var­gas com­mence et chante, une minute env­i­ron, lais­sant les 45 dernières à l’orchestre, sauf une courte reprise de la sec­onde par­tie du refrain en final. Cette ver­sion de chanteur est presque un tan­go de danse.

El adiós 1963 – Orques­ta Osval­do Pugliese con Jorge Maciel.

Hier, je par­lai de Recuer­do. La ver­sion de El adiós n’est assuré­ment pas un tan­go conçu pour la danse. C’est musi­cale­ment sub­lime, même si la voix de Maciel peut par­fois être mod­éré­ment appré­ciée. Je sais que beau­coup de danseurs se bat­tront pour le danser sur la piste. Alors, je pour­rai le pass­er, mais il y a tant de belles choses de Pugliese par­faites pour la danse que Maciel ne sera pas une de mes pri­or­ités, même si les danseurs applaud­is­sent sou­vent (ce qui ne se fait pas à Buenos Aires).

El adiós 1973 — Hugo Díaz.

C’est la seule ver­sion instru­men­tale de ma sélec­tion, mais l’harmonica d’Hugo Díaz est comme une voix. Il com­mence par un cri déchi­rant et ensuite sem­ble pleur­er. La gui­tare le rejoint mais avec un tam­pon impa­ra­ble, qui s’ajuste par­fois aux accents les plus tristes de l’harmonica. Du très grand Hugo Díaz. À pri­ori, ce n’est pas pour la danse, mais cette ver­sion est telle­ment émou­vante qu’elle pour­rait par­ticiper à une belle tan­da par­ti­c­ulière. Il y a une ving­taine d’année, une danseuse ado­rait et lorsque j’animais la milon­ga, je pas­sais sou­vent cet artiste quand elle était là.
Pour ter­min­er, une ver­sion de 2010 par le Dúo Angelozzi-Cavaci­ni auquel s’est jointe Ivana For­tu­nati. Cet enreg­istrement est en hom­mage à Remo Angelozzi récem­ment décédé. Vous le con­nais­sez sans doute mieux sous son nom d’artiste, Raúl Angeló quand il était, notam­ment le chanteur de l’orchestre d’Edgardo Dona­to (en 1953).

El adiós 2010 — Dúo Angelozzi-Cavaci­ni jun­to a Ivana For­tu­nati. Ana­lia Angelozzi et Ivana For­tu­nati sont accom­pa­g­nées par Pablo Cavaci­ni et Jose Morán à la gui­tare et par Bocha Luca au ban­donéon.

Adiós queri­dos ami­gos, has­ta mañana.