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Escalas en azul 1950-05-17 — Orquesta Osmar Maderna

Osmar Maderna

Vous n’avez sans doute jamais dan­sé sur des musiques de Mader­na et c’est sans doute ras­sur­ant quant aux choix des DJ. Cepen­dant, la cul­ture tan­go va au-delà de la danse et il me sem­ble intéres­sant de s’intéresser à cet OVNI du tan­go qu’est Osmar Mader­na. Je vous invite à gravir les degrés d’une gamme bleue pour décou­vrir ce com­pos­i­teur et chef d’orchestre à part.

 Extrait musical

Par­ti­tion de Escalas en azul de Osmar Mader­na.
Escalas en azul 1950-05-17 — Orques­ta Osmar Mader­na

Il n’est pas très dif­fi­cile de devin­er d’où vient le titre. Le terme de escalas en musique peut être traduit par gammes. On notera que le piano joue tout au long de l’œuvre des gammes, c’est-à-dire des suc­ces­sions de notes ascen­dantes ou descen­dantes. Ce style orne­men­tal est typ­ique de Mader­na.
Le reste de l’orchestre sem­ble dédié à l’accompagnement du piano qui voltige au-dessus des autres instru­ments.
Le tem­po est bien mar­qué, souligné par les ban­donéons et les cordes qui effectuent des paus­es précédées d’élans, un peu comme dans une ranchera.
La musique est inter­prétée de façon vir­tu­ose qui donne une impres­sion de très grande vitesse.
Des danseurs piégés par un DJ facétieux qui se retrou­veraient sur la piste pour­raient s’appuyer sur cette présence du rythme pour garder une cadence raisonnable et ne pas se lancer dans des pas fébriles et ridicule­ment rapi­des.
Même si on n’est pas dans un rythme ter­naire de valse, une éventuelle inter­pré­ta­tion dan­sée de ce titre pour­rait s’apparenter à celui d’une valse. Des temps bien mar­qués et des mou­ve­ments tour­nants, toniques, mais pas ver­tig­ineux.
On notera les nom­breux change­ments de tonal­ité et la richesse des vari­a­tions et des par­ties. On est plus en face d’une com­po­si­tion de musique clas­sique que d’un tan­go tra­di­tion­nel.
Je ne vous encour­agerai pas à danser ce titre, mais à l’écouter atten­tive­ment, assuré­ment.
Osmar Mader­na

Mader­na a rel­a­tive­ment peu enreg­istré. Avec un peu plus d’une soix­an­taine d’enregistrements, c’est presque éton­nant que son nom nous soit par­venu.

Des orchestres plus pro­lifiques sont passés aux oubli­ettes.

Les musiciens de Maderna

Il a com­mencé à enreg­istr­er en 1946, en Uruguay, puis, la même année pour la Vic­tor, et cela jusqu’en 1951. Les musi­ciens des derniers enreg­istrements sont un peu dif­férents, mais je vous pro­pose ici, ceux qui ont par­ticipé à l’enregistrement de Escalas en azul, enreg­istré le 17 mai 1947.
Osmar Mader­na (Direc­tion et piano)
Felipe Ric­cia­r­di, Eduar­do Rovi­ra, José Cam­bareri et Leopol­do Fed­eri­co (ban­donéon). Comme on peut le remar­quer, des musi­ciens de pre­mier plan et plutôt vir­tu­os­es.
Aquiles Rog­gero, Harol­do Ghe­sagui et Angel Bodas (vio­lon)
Ariel Ped­ern­era (con­tre­basse)

Une par­tie de ces musi­ciens vient, tout comme Mader­na (qui avait rem­placé Stam­poni au piano en 1939), de l’orchestre de Miguel Caló (1941–1945), ce sont donc des estrel­las (étoiles). Ces transfuges sont :
Felipe Ric­cia­r­di et José Cam­bareri (le mage du ban­donéon, con­nu pour ses tem­pos de folie). Atten­tion, au pupitre des ban­donéons de Caló, on trou­ve aus­si un Fed­eri­co, Domin­go de son prénom, mais il n’est pas appar­en­té à Leopol­do.
À la con­tre­basse, c’est le même Ariel Ped­er­na qui œuvre.

Pour l’anecdote, on notera qu’il y avait un vio­loniste prénom­mé Aquiles dans les deux orchestres. Aguilar pour Caló et Rog­gero pour Mader­na. Ce dernier, Aguilar Rog­gero, dirig­era un orchestre en l’honneur de Mader­na qui était décédé dans un acci­dent d’avion (28/04/1951), l’orchestre Sím­bo­lo “Osmar Mader­na”.

La Orquesta Símbolo “Osmar Maderna”

L’année suiv­ant la mort de Mader­na, l’orchestre Sím­bo­lo “Osmar Mader­na” reprend une par­tie du réper­toire et des com­po­si­tions de Mader­na.
Orlan­do Tripo­di rem­place Osmar Mader­na au piano.
Aquiles Rog­gero, con­tin­ue à tenir le vio­lon, tout en dirigeant et étab­lis­sant les arrange­ments de l’orchestre. Le pupitre des vio­lons est com­plété par Car­los Tav­er­na, Edmun­do Baya, et Este­ban Cañete.
Au ban­donéon, on retrou­ve Felipe Ric­cia­r­di, son frère Jorge, Héc­tor Let­tera et Toto Pan­ti pour com­pléter le pupitre des ban­donéons.
Víc­tor Mon­teleone tient la con­tre­basse.

L’orchestre sem­ble avoir cessé les enreg­istrements après la mort de Aquiles Rog­gero, ce dernier étant juste­ment mort d’une crise car­diaque lors d’une séance, en 1977. Ces enreg­istrements ne sem­blent pas avoir été pub­liés.

Autres versions

Escalas en azul 1950-05-17 — Orques­ta Osmar Mader­na. C’est notre tan­go du jour.
Escalas en azul 1959-06-17 — Orques­ta Sím­bo­lo “Osmar Mader­na” dir. Aquiles Rog­gero.

Un immense mer­ci au col­lègue et col­lec­tion­neur Michael Sat­tler qui m’a procuré ce titre en bonne qual­ité.

Cette ver­sion est proche de celle enreg­istrée en 1950, comme on peut l’entendre et même voir dans l’illustration ci-dessous. Le tem­po est le même, les paus­es sont syn­chro­nisées et les deux ver­sions peu­vent être jouées ensem­ble durant les 40 pre­mières sec­on­des sans prob­lèmes nota­bles.

En haut, en vert la ver­sion de 1950 par Osmar Mader­na. En bas, en vio­let, la ver­sion de 1959 par la Orques­ta Sím­bo­lo.

Cette simil­i­tude vrai­ment frap­pante est la preuve que l’hommage à Osmar Mader­na, trag­ique­ment dis­paru n’est pas seule­ment dans le nom de l’orchestre, mais aus­si dans le respect de son style.

Ce respect est peut-être une autre expli­ca­tion, avec sa mort gardeli­enne, du fait que Mader­na n’est pas tombé dans l’oubli. Les ver­sions bril­lantes étaient bien adap­tées aux années 60–70, années où la danse était passé au sec­ond plan.

Selec­ción de Osmar Mader­na 1968 (Pot­pour­ri) — Orques­ta Sím­bo­lo “Osmar Mader­na” dir. Aquiles Rog­gero.

Encore dix ans plus tard, une autre ver­sion de Escalas en azul. Ce pot­pour­ri com­porte trois titres com­posés par Mader­na ; Escalas en azul, Llu­via de estrel­las et Concier­to en la luna. Un DJ facétieux pour­rait en faire une tan­da…
Dans ces trois titres, on recon­naît la prépondérance du piano, comme dans les enreg­istrements de Mader­na. La tâche de Orlan­do Tripo­di a été de con­tin­uer à faire vivre le style de jeu si par­ti­c­uli­er de Mader­na.

Ce titre, comme la plu­part des enreg­istrements de Mader­na, n’est pas des­tiné à la danse, tout comme son célèbre vol du bour­don (El vue­lo del moscardón) qu’il a adap­té de l’œuvre de Niko­lai Rim­sky-Kor­sakov et que je vous pro­pose d’écouter pour ter­min­er ce petit hom­mage à Osmar Mader­na.

El vue­lo del moscardón 1946-05-13 — Orques­ta Osmar Mader­na.

Dans ce thème, le piano est le bour­don qui volette et la sen­sa­tion de rapid­ité est encore plus vive que dans notre tan­go du jour. L’orchestre est moins présent pour don­ner tout son envol au bour­don à dents blanch­es et noires.

El vue­lo del moscardón

À bien­tôt, les amis !

El día que me quieras 1930-02-07 — Orquesta Cayetano Puglisi con Roberto Díaz

Raúl Brujis Letra: Ramón C. Acevedo

J’espère que vous me par­don­nerez cette petite facétie. “El día que me quieras” (Le jour où tu m’aimeras) ; vous con­nais­sez tous ce titre pour l’avoir enten­du par Gardel, que ce soit sur disque, ou dans le film du même nom. La ver­sion que je vous pro­pose est bien plus rare et antérieure de cinq ans à celle de Gardel. En fait, j’ai saisi l’occasion de l’anniversaire de l’enregistrement de ce titre, il y a exacte­ment 95 ans, pour évo­quer cet orchestre un peu moins con­nu. Mais ras­surez-vous, vous aurez droit au titre de Gardel et Le Pera, égale­ment, ain­si qu’à d’autres tan­gos du même titre…

Extrait musical

El día que me quieras 1930-02-07 — Orques­ta Cayetano Puglisi con Rober­to Díaz.

L’introduction est plutôt jolie et élé­gante. Le vio­lon de Cayetano Puglisi domine en chan­tant les autres instru­ments plus per­cus­sifs et qui mar­quent le rythme, puis il cède la place à Rober­to Díaz qui chante à son tour un court pas­sage. Comme nous le ver­rons, ce titre est assez dif­férent de celui de Gardel qui est bien plus con­nu. Le thème est cepen­dant le même.
On notera quelques pas­sages agités des ban­donéons de Fed­eri­co Scor­ti­cati et Pas­cual Stor­ti en dou­ble-croche qui font le con­tre­point avec les vio­lons de Cayetano Puglisi et Mauri­cio Mise plus suaves. Pour une musique de 1930, c’est assez bien orchestré. Cayetano Puglisi, cet excel­lent vio­loniste qui a inté­gré les plus fameux orchestres, comme ceux de Fir­po, Canaro D’Arienzo et Maf­fia a égale­ment eu son pro­pre sex­te­to avec lequel il a enreg­istré une quin­zaine de titres en 1929 et 1930. Je n’ai pas cité son frère José, à la con­tre­basse, ni Arman­do Fed­eri­co au piano.
J’aime bien et dans une milon­ga où les danseurs seraient ama­teurs de thèmes un peu vieil­lots, cet enreg­istrement pour­rait inté­gr­er une tan­da.

Paroles de Ramón C. Acevedo

Yo quisiera ten­erte entre mis bra­zos
Y besarte en tu boca sin igual,
Yo quisiera prodi­garte mil abra­zos
Mujer esqui­va de ros­tro angel­i­cal.

Tu son­risa altan­e­ra y orgul­losa
Tu mira­da quisiera doble­gar,
Y que aun, negán­dome besara
Con un beso, sub­lime y sin final.
Raúl Bru­jis L : Ramón C. Aceve­do

Traduction des paroles de Ramón C. Acevedo

J’aimerais te tenir dans mes bras et t’embrasser sur ta bouche sans pareille,
Je voudrais te prodiguer mille abra­zos, femme insai­siss­able au vis­age angélique.

Ton regard souhait­erait faire céder ton sourire hau­tain et fier, et aus­si, même si tu me le niais, m’embrasser, avec un bais­er sub­lime et sans fin.

Autres versions

Il n’y a pas d’autre enreg­istrement de ce titre, alors je vous pro­pose d’écouter quelques enreg­istrements du tan­go de même titre, mais écrit 4 ans plus tard par Car­los Gardel et Alfre­do le Pera pour le film de la Para­mount… El día que me quieras. Nous écouterons aus­si d’autres thèmes ayant le même titre.
Tout d’abord, réé­cou­tons le tan­go du jour, qui est le plus ancien titre…

El día que me quieras 1930-02-07 — Orques­ta Cayetano Puglisi con Rober­to Díaz.

C’est notre tan­go du jour et le seul enreg­istrement de la com­po­si­tion de Raúl Bru­jis.

Version 2, de Víctor Pedro Donato et Miguel Gómez Bao

El día que me quieras 1930-11-05 Orques­ta Ricar­do Luis Brig­no­lo con Luis Díaz.

Quelques mois après, Brig­no­lo enreg­istre un tan­go com­posé par Víc­tor Pedro Dona­to avec des paroles de Miguel Gómez Bao. Ce titre est bien moins mod­erne que notre tan­go du jour. Il ressort encore d’un style canyengue très mar­qué.

Paroles de la version de Víctor Pedro Donato et Miguel Gómez Bao

El boliche del Tur­co no ten­drá ni un cohete,
el piberío del hue­co los hará estal­lar,
la can­ti­na del “Bep­po” abrirá los espich­es
y todo el “Gre­vana­je” en cur­da dormirá.
La far­ra, el capuchi­no tomará el choco­late,
ese día yo ban­co con mi feli­ci­dad
y la orques­ta de Chi­cho, pelandruna y mis­ton­ga
hará un tan­go canyengue con la mar­cha nup­cial.

A tu her­mano el taras­ca com­praremos botines,
al zam­bul­lo una faja de esas pa’ adel­gazar,
y al menor, al checa­to, dos doce­nas de anteo­jos
y una jaula con tram­pa pa’ que vaya a cazar,
a tu vie­ja diez cajas de pastil­las de men­ta,
a tu viejo toscanos para reven­tar,
y el globo lumi­noso que tiene la bot­i­ca
a tu her­mana la tuer­ta como ojo de cristal.

El bañao de la esquina será un lago encan­ta­do
y las ranas can­tantes en la noche un jazz-band,
el buzón de la esquina el Pasaje Baro­lo,
la cancel‘e tu casa, la escala celes­tial.
El día que me quieras, pebe­ta de mi bar­rio,
todi­tas mis ter­nuras pa’vos sólo serán,
aunque llore a escon­di­das mi viejecita san­ta
que al extrañar mis besos ten­drá unas canas más.
Víc­tor Pedro Dona­to et Miguel Gómez Bao

Traduction de la version de Víctor Pedro Donato et Miguel Gómez Bao

Le bazar (les pulpe­rias fai­saient office de bar, vendaient de tout et pour­voy­aient des dis­trac­tions, comme les jeux de boules, ou la danse) du Turc n’au­ra plus de fusées (feux d’artificee, les Argentins sont des fana­tiques des activ­ités pyrotech­niques), les gamins du ter­rain vague les auront fait explos­er,
la can­tine du« Bep­po » (Bep­po est un prénom d’origine ital­i­enne dérivé de Joseph) ouvri­ra les robi­nets (des ton­neaux de vin, bien sûr) et tous les « Gre­vana­je » (je pense qu’il faut rap­procher cela de Gre­bano qui sig­ni­fie idiot, rus­tre), ivres, dormiront.
La fête, le cap­puc­ci­no boira le choco­lat, ce jour-là, je reste avec mon bon­heur et l’orchestre de Chi­cho (je ne l’ai pas iden­ti­fié), paresseux et triste jouera un tan­go canyengue avec la marche nup­tiale.

Pour ton frère, El Taras­ca , nous achèterons les bottes, au gros (zam­bu­lo, à la panse proémi­nente) une de ces cein­tures pour per­dre du poids (la faja est la cein­ture qu’utilisent les gau­chos. Elles sont sou­vent décorées de pièces de mon­naie. Dans le cas présent, il peut s’agir de cein­tures de toiles, égale­ment util­isées par les gau­chos), et au plus jeune, le vérifi­ca­teur, deux douzaines de paires de lunettes et une cage avec un piège pour qu’il puisse aller à la chas­se. À ta vieille (mère), dix boîtes de bon­bons à la men­the, à ton vieux (père) des cig­a­res à éclater (faut-il y voir des cig­a­res de farces et attrapes qui explosent quand on les fume ?), et le globe lumineux qu’a l’apoth­icaire pour ta sœur borgne, comme œil de verre.

Le marécage du coin sera un lac enchan­té et les grenouilles chanteuses de la nuit, un groupe de jazz. La boîte aux let­tres de l’angle sera le pas­sage Baro­lo (plus que pas­sage, on dirait aujourd’hui le Palais, un des hauts bâti­ments lux­ueux du cen­tre-ville de Buenos Aires), la porte d’entrée de ta mai­son (porte intérieure séparant l’entrée de la mai­son, sorte de sas), l’échelle céleste.
Le jour où tu m’aimeras, petite (terme affectueux) de mon quarti­er, toutes mes ten­dress­es seront pour toi seule, même si, de façon cachée, je verserai quelques larmes pour ma sainte petite mère qui, man­quant de mes bais­ers, aura encore quelques cheveux blancs de plus.

Version 3, la plus célèbre, celle de Carlos Gardel et Alfredo Le Pera

El día que me quieras 1935-03-19 — Car­los Gardel con acomp. de la orques­ta dir. por Terig Tuc­ci.

Paroles de la version de Carlos Gardel et Alfredo Le Pera

Acari­cia mi ensueño
el suave mur­mul­lo de tu sus­pi­rar,
¡como ríe la vida
si tus ojos negros me quieren mirar!
Y si es mío el amparo
de tu risa leve que es como un can­tar,
ella aqui­eta mi heri­da,
¡todo, todo se olvi­da!

El día que me quieras
la rosa que engalana
se vestirá de fies­ta
con su mejor col­or.
Al vien­to las cam­panas
dirán que ya eres mía
y locas las fontanas
me con­tarán tu amor.
La noche que me quieras
des­de el azul del cielo,
las estrel­las celosas
nos mirarán pasar
y un rayo mis­te­rioso
hará nido en tu pelo,
luciér­na­ga curiosa
que verá…¡que eres mi con­sue­lo!

Recita­do:
El día que me quieras
no habrá más que armonías,
será clara la auro­ra
y ale­gre el man­an­tial.
Traerá qui­eta la brisa
rumor de melodías
y nos darán las fuentes
su can­to de cristal.
El día que me quieras
endulzará sus cuer­das
el pájaro can­tor,
flo­re­cerá la vida,
no exi­s­tirá el dolor…

La noche que me quieras
des­de el azul del cielo,
las estrel­las celosas
nos mirarán pasar
y un rayo mis­te­rioso
hará nido en tu pelo,
luciér­na­ga curiosa
que verá… ¡que eres mi con­sue­lo!

Car­los Gardel Letra: Alfre­do Le Pera

Traduction de la version de Carlos Gardel et Alfredo Le Pera

Ma rêver­ie caresse le doux mur­mure de ton soupir,
Comme la vie rirait si tes yeux noirs voulaient me regarder !
Comme si était mien l’abri de ton rire léger qui est comme une chan­son,
Elle calme ma blessure, tout, tout est oublié !

Le jour où tu m’aimeras, la rose qui orne s’ha­billera de fête, avec sa plus belle couleur.
Au vent, les cloches diront que tu es déjà à moi, et folles, les fontaines me con­teront ton amour.
La nuit où tu m’aimeras depuis le bleu du ciel,
Les étoiles jalous­es nous regarderont pass­er et un mys­térieux éclair se nichera dans tes cheveux,
curieuse luci­ole qui ver­ra… que tu es ma con­so­la­tion !

Réc­ité :
Le jour où tu m’aimeras, il n’y aura plus que des har­monies,
L’aube sera claire et la source joyeuse.
La brise apportera le calme, le mur­mure des mélodies, et les fontaines nous don­neront leur chant de cristal.
Le jour où tu m’aimeras, l’oiseau chanteur adouci­ra ses cordes,
La vie fleuri­ra, la douleur n’existera pas…

La nuit où tu m’aimeras depuis le bleu du ciel,
Les étoiles jalous­es nous regarderont pass­er et un mys­térieux éclair se nichera dans tes cheveux,
curieuse luci­ole qui ver­ra… que tu es ma con­so­la­tion !

Extrait du film El día que me quieras de John Reinhardt (1934)

“El día que me quieras”, dúo final Car­los Gardel y Rosi­ta Moreno du film du même nom de 1934 dirigé par John Rein­hardt. Dans ce film, Car­los Gardel chante égale­ment Sol trop­i­cal, Sus ojos se cer­raron, Gui­tar­ra, gui­tar­ra mía, Volver et Suerte negra avec Lusiar­do et Peluffo.

Autres versions du thème composé par Gardel

Il existe des dizaines d’enregistrements, y com­pris en musique clas­sique ou de var­iété. Je vous pro­pose donc une courte sélec­tion, prin­ci­pale­ment pour l’écoute.

El día que me quieras 1948-05-11 — Orques­ta Florindo Sas­sone con Jorge Casal.

Une ver­sion chan­tée par Jorge Casal qui ne démérite pas face aux inter­pré­ta­tions de Gardel.

El día que me quieras 1955-06-30 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Juan Car­los Rolón.

Une ver­sion pour faire pleur­er les ménagères nées après 1905…

El día que me quieras 1968 — Orques­ta Típi­ca Atilio Stam­pone.

Stam­pone, bien qu’il s’agisse d’une ver­sion instru­men­tale, n’a pas des­tiné cet enreg­istrement aux danseurs.

El día que me quieras 1972 – Trio Hugo Díaz.

Encore une ver­sion instru­men­tale, mais fort intéres­sant à défaut d’être pour la danse par le trio Hugo Diaz… Si vous n’entendez pas l’harmonica, c’est que ce trio est celui du ban­donéon­iste uruguayen, Hugo Díaz, à ne pas con­fon­dre avec Vic­tor Hugo Díaz qui est le magi­cien de l’harmonica, qui lui est argentin (San­ti­a­go del Estero) et sans doute bien plus con­nu…

El día que me quieras 1977-06-14 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Une ver­sion sans doute sur­prenante, essen­tielle­ment con­stru­ite autour de solos de vio­lon et piano.

El día que me quieras 1978 — María Amelia Bal­tar.

Une ver­sion expres­sive par la com­pagne de Piaz­zol­la.

El día que me quieras 1979 — Alber­to Di Paulo y su Orques­ta Espe­cial para Baile.

Bien que l’orchestre affirme être de danse, je ne suis pas con­va­in­cu que cela plaira aux danseurs de tan­go, mais peut-être aux ama­teurs de slow et boléros (dans le sens argentin qui qual­i­fie des musiques roman­tiques au rythme flou et pas néces­saire­ment de vrais boléros).

El día que me quieras 1997 — Enrique Chia con Lib­er­tad Lamar­que.

Une intro­duc­tion à la Mozart (Flûte enchan­tée) et s’élève la mag­nifique voix de Lib­er­tad Lamar­que. C’est bien sûr une chan­son et pas un tan­go de danse, mais c’est joli, n’est-ce pas ?

Avec cette belle ver­sion, je pro­pose d’arrêter là, et je vous dis, à bien­tôt, les amis !

Armenonville 1929-12-06 Orquesta Juan Maglio Pacho

Juan Félix Maglio “Pacho” Letra: José Fernández

Les cabarets sont les pre­miers lieux « présenta­bles » du tan­go nais­sant. L’Armenonville est l’un de ces cabarets, celui dont s’échappe Zor­ro Gris. Juan Félix Maglio crée ce tan­go pour ses amis, les créa­teurs de ce salon. Le tan­go du jour est son sec­ond enreg­istrement du titre. Allons vis­iter ce haut lieu du tan­go nais­sant.

Extrait musical

Armenonville1929-12–06 Orques­ta Juan Maglio Pacho.

L’œuvre com­mence par trois accords mineurs descen­dants. Je suis sûr que ces trois accords plain­tifs vous évo­quent un autre tan­go, écrit par Juan Car­los Rodríguez. Je vous dirai lequel en fin d’article… Vous pour­rez, en atten­dant, écouter les vari­a­tions sur ce motif dans les dif­férentes ver­sions pro­posées où il appa­raît à plusieurs repris­es.

Autres versions

Armenonville 1912 — Cuar­te­to Juan Maglio “Pacho”.

Dans l’année suiv­ant l’inauguration du cabaret, Maglio enreg­istre l’œuvre, le troisième tan­go qu’il a com­posé. Ici, c’est la petite for­ma­tion, en cuar­te­to. La com­po­si­tion est jolie et élé­gante, mais la façon d’interpréter de l’époque rend un résul­tat un peu monot­o­ne, car les instru­ments jouent à l’unisson et chaque par­tie est rejouée de façon très sim­i­laire.

Armenonville1929-12–06 Orques­ta Juan Maglio Pacho. C’est notre tan­go du jour.

Dix-sept ans plus tard, Maglio procède à un nou­v­el enreg­istrement. On mesur­era entre les deux ver­sions les pro­grès de l’enregistrement, qui est désor­mais élec­trique et plus acous­tique. Main­tenant, Maglio est à la tête d’un orchestre typ­ique, plus com­plet. Ces deux avancées per­me­t­tent une musique plus riche, des orches­tra­tions plus com­plex­es. Les instru­ments s’individualisent et jouent quelques traits en soliste, ce qui ne se trou­vait pas à l’époque précé­dente.

Armenonville 1942-09-09 — Cuar­te­to Típi­co Los Ases dir. Juan Car­los Cam­bón.

Cet enreg­istrement au rythme plus soutenu est sans doute un peu con­fus pour le pro­pos­er en bal, mais il est joli. On sent que la ten­ta­tion d’en faire une milon­ga n’est pas loin. Le piano de Juan Car­los Cam­bón est très présent et ani­me joli­ment ce titre qui se ter­mine de façon allè­gre avec de jolis traits des dif­férents instru­ments.

Armenonville 1958 Los Mucha­chos De Antes y Pan­chi­to Cao.

La clar­inette de Pan­chi­to Cao est la vedette de cette ver­sion. Elle domine tout le titre. Le rythme de milon­ga est mieux mar­qué et l’on peut donc pro­pos­er cette ver­sion aux danseurs de milon­ga. La sonorité sim­ple avec notam­ment la gui­tare en instru­ment ryth­mique évoque d’origine de ce tan­go.

Armenonville 1970–08-21- Orques­ta Juan D’Arien­zo.

D’Arienzo est le seul directeur de grand orchestre à avoir enreg­istré cette œuvre. On est en face d’un D’Arienzo tardif typ­ique. L’énergie est présente, mais est-ce suff­isant pour en faire un titre phare pour les bals. Assuré­ment non. On notera que D’Arienzo a fait le choix de revenir au rythme du tan­go. En résumé, un résul­tat très intéres­sant, mais pas for­cé­ment adap­té au bal.

Armenonville 1974-02-15 — Miguel Vil­las­boas y su Orques­ta Típi­ca.

Les orchestres uruguayens ont été friands de rythmes hési­tant entre tan­go et milon­ga. On pour­rait class­er cette inter­pré­ta­tion comme un canyengue rapi­de ou une milon­ga lente. En dehors de la dif­fi­culté de class­er ce tan­go, on pour­ra toute­fois appréci­er son côté joueur et il pour­rait con­va­in­cre les danseurs de se lancer sur la piste. On notera que, si Vil­las­boas inclut les trois accords descen­dants, il les fait précéder par une anacrouse.

Armenonville 2004 — Cuar­te­to Armenonville.

Ce cuar­te­to a pris le nom de ce tan­go, ou du cabaret, il était donc logique qu’il l’enregistre.

Les Armenonvilles

Le ban­donéon­iste Juan Maglio a créé son tan­go « Armenonville » pour évo­quer le cabaret de ses amis, les anciens serveurs de l’hôtel Vig­nolles, Car­los Boni­fa­cio Diego Lan­za­vechia et Manuel Loureiro. Ces derniers ont donc ouvert ce pres­tigieux étab­lisse­ment en 1911.
Cepen­dant, il n’existe pas un Armenonville, mais trois que je vais numérot­er de 0 à 2.

Armenonville « 0 »

Armenonville « 0 », c’est le pavil­lon d’Armenonville qui existe tou­jours est situé dans le Bois de Boulogne à Paris.

Le pavil­lon d’Ar­menonville “0” est situé dans le Bois de Boulogne. Cette pho­to réal­isée vers 1859 est attribuée à Charles-François Bossu dit Charles Mar­ville. On remar­quera l’ar­chi­tec­ture par­ti­c­ulière du bâti­ment avec ses orne­men­ta­tions en bois.

Il ne faut cepen­dant pas se tromper en voy­ant cette archi­tec­ture « cham­pêtre », l’intérieur est lux­ueux, comme en témoigne cette huile sur toile d’Henri Gervex, exé­cutée en 1905, soit 6 ans avant l’ouverture de l’Armenonville de Buenos Aires.

Armenonville le soir du Grand ‑Prix — Hen­ri Gervex 1905.

On notera que cette illus­tra­tion qui représente l’Armenonville parisien est sou­vent repro­duite pour témoign­er de l’Armenonville de Buenos Aires… Mais ce n’est pas la seule erreur faite dans l’iconographie des Armenonvilles, comme nous allons le voir.

Arnemonville 1

Mon pro­pos étant portègne, j’ai numéroté 0, l’Armenonville de Paris, pour ne pas chang­er la numéro­ta­tion habituelle des édi­fices de Buenos Aires.

Sur la cou­ver­ture de la par­ti­tion, on peut voir l’an­cien Armenonville, celui que Maglio a glo­ri­fié.

Comme on peut le voir sur la cou­ver­ture de la par­ti­tion, le pavil­lon Armenonville est dans un parc. On ne voit pas bien son archi­tec­ture sur cette illus­tra­tion, en revanche, on dis­pose de quelques pho­tos.

Armenonville 1. On con­sid­ère que le mod­èle est l’Ar­menonville de Paris. On remar­quera toute­fois que la ressem­blance est assez loin­taine, mais l’in­spi­ra­tion et le nom témoignent de la volon­té de met­tre en avant le côté “chic” français.

L’architecture a quelques simil­i­tudes avec le « mod­èle » parisien et il est donc con­venu de con­sid­ér­er que c’est une inspi­ra­tion directe. Il ne faut pas oubli­er qu’à l’époque, tout ce qui est français est « chic », le tan­go béné­ficiera de cette éti­quette peu après.

Sur cette image, on peut voir qu’il devait être sym­pa­thique de pren­dre un rafraîchisse­ment dans ce cadre.
Comme on le voit sur la cou­ver­ture de la par­ti­tion, les bâti­ments sont entourés d’un parc, parc prop­ice à divers­es activ­ités que la morale par­fois réprou­ve. Mais, dans la journée, c’est un lieu de prom­e­nade tout à fait agréable.

Si Armenonville 0, le mod­èle parisien a désor­mais trois siè­cles (300 ans), l’Armenonville 1 n’a duré que 14 ans. Édi­fié en 1911, il a été rasé en 1925.

Emplace­ment de l’Ar­menonville 1. C’est main­tenant la Plaza Repub­li­ca de Chile. Image Google maps.

Cepen­dant, on voit sou­vent des représen­ta­tions de l’Armenonville avec une salle immense et un aspect bien plus imposant que ce pavil­lon de chas­se. L’erreur vient de ce qu’un autre Armenonville a été con­stru­it…

Armenonville 2

Cette illus­tra­tion mon­tre la mag­nif­i­cence du site dont il ne reste rien…

L’illustration de cou­ver­ture de l’article représente l’intérieur de la salle de l’Armenonville 2. J’ai donc un peu triché pour cette anec­dote en ne mon­trant pas l’Armenonville qui a servi d’inspiration à Maglio.
L’Armenonville 2, comme vous pou­vez en juger est d’une toute autre ampleur que ses aînés. On recon­naît son archi­tec­ture Arts déco et il ne faut pas beau­coup d’imagination pour se représen­ter la splen­deur du lieu, même si lui aus­si n’a pas survécu bien longtemps.
Cet édi­fice a été conçu par l’architecte Valen­tín M. Brod­sky en 1927.

Valen­tín M. Brod­sky en 1919, médaille d’or de son école d’ar­chi­tec­ture. Sa sig­na­ture sur un immeu­ble situé à l’angle de Scal­abri­ni Ortiz (la rue qui s’appelait à l’époque Can­ning et où se trou­vait l’Armenonville 2) et Cór­do­ba.

Même s’il n’a pas grand-chose à voir avec le tan­go, je vous présente la pho­to de Valen­tín M. Brod­sky, car il fut un élève très appré­cié de son école d’architecture où il a obtenu divers prix, dont la médaille d’or, mais surtout l’appréciation de ses col­lègues et pro­fesseurs, comme élève bril­lant et aimable. Peu de temps après son diplôme, il se voit con­fi­er la réal­i­sa­tion de l’Armenonville 2, cet immense pro­jet qui fera la démon­stra­tion de son tal­ent.

Sur cette icono­gra­phie, on peut lire que le Danc­ing “Armenonville” a été con­stru­it en 70 jours ouvrables. Cela ren­force notre estime pour son jeune archi­tecte.

Comme on peut le lire sur ce doc­u­ment, l’Armenonville 2 était situé rue Can­ning au 3533 (en fait, les pro­prié­taires de l’ancien Armenonville avaient acheté une demie man­zana (bloc) et donc le bâti­ment avait de l’espace. Il a été con­stru­it en 70 jours ouvrables.

Armenonville 2
Armenonville 2
Armenonville 2 (intérieur)
Entrée de “Les Ambas­sadeurs”, le nou­veau nom de l’Ar­menonville 2.
Un prospec­tus de “Les Ambas­sadeurs”. On peut y voir qu’il est indiqué 3000 cou­verts…
Une affiche de l’Ar­menonville 2

En 1960, le bâti­ment fut acheté et util­isé pour la chaine de télévi­sion Canal 9 qui l’utilisa un an, car le bâti­ment brûla en 1961.

Le repère rouge de cette carte Google indique l’emplacement de l’Ar­menonville 2 dont il ne reste plus rien.

Voilà, les trois Armenonvilles bien dif­féren­ciés et vous pour­rez, comme-moi, bondir quand vous ver­rez ces arti­cles ou vidéos mélangeant tout.
Un dernier point à pré­cis­er, les emplace­ments relat­ifs de Armenonville 1 et Armenonville 2. En fait, les deux étaient proches, mais pas situés exacte­ment au même endroit comme on le lit par­fois (sou­vent).
Lorsque la ville a fait fer­mer l’Armenonville 1, les pro­prié­taires ont acheté le ter­rain d’Armenonville 2 situé un peu plus à l’Ouest et fait con­stru­ire rapi­de­ment le nou­veau bâti­ment.

Emplace­ments relat­ifs sur une carte Google maps qui per­met de voir que les deux Armenonvilles n’é­taient pas sur le même ter­rain.

Les trois accords du début

Voici la réponse à la petite devinette du début de l’article. Les trois accords mineurs se retrou­vent dans un autre titre, postérieur. La com­po­si­tion de Maglio a donc été « copiée », à moins qu’il s’agisse d’une inspi­ra­tion com­mune.

Les trois pre­miers accords, en rouge, vert puis bleu, sont sem­blables dans ces deux titres.

Le tan­go qui reprend cet arti­fice, c’est Que­ja indi­ana (plainte indi­enne) de Juan Rodriguez. On retrou­ve le mode mineur, les deux accords con­sti­tués de noires (en rouge et vert dans mon illus­tra­tion) et le troisième de blanch­es (en bleu).
Que­ja indi­ana per­mit à Juan Rodriguez d’obtenir un prix offert par Dis­co Nacional del Palace The­atre (qui était au 757, rue Cor­ri­entes).
Il se peut que Juan Rodriguez se soit inspiré de la com­po­si­tion de Juan Maglio, Maglio ayant com­posé ce titre cinq ans avant la pre­mière com­po­si­tion de Rodriguez.
Pour ter­min­er, voici la com­po­si­tion de Juan Rodriguez inter­prétée par Rober­to Fir­po.

Que­ja indi­ana 1927-10-13 — Orques­ta Rober­to Fir­po (Juan Car­los Rodríguez).

Juan Miguel Velich écrira des paroles que l’on peut enten­dre, par exem­ple dans la ver­sion de Bia­gi avec Andrés Fal­gás, la plus con­nue.

À bien­tôt les amis !

Los 33 orientales 1955-07-28 — Orquesta Carlos Di Sarli

José “Natalín” Felipetti ; Rosario Mazzeo Letra: Arturo Juan Rodríguez

Le tan­go du jour est instru­men­tal, et en écoutant la musique sen­suelle de Di Sar­li, je suis sûr que la plu­part de ceux qui ne sont pas uruguayens ont pen­sé que j’étais tombé sur la tête, une fois de plus, en pro­posant cette image de cou­ver­ture. J’ai imag­iné cette illus­tra­tion en me référant à Géri­cault, un pein­tre qui a don­né à la fois dans le mil­i­taire et l’orientalisme. Mais qui sont ces 33 ori­en­tales que Di Sar­li célébr­era trois fois par le disque ?

De l’importance de l’article

Il peut échap­per aux per­son­nes qui ne par­lent pas bien espag­nol, la dif­férence entre las (déter­mi­nant pluriel, féminin) et los (déter­mi­nant pluriel, mas­culin). Las 33 ori­en­tales, ça pour­rait-être ceci,

Los ou las ?

mais los 33 ori­en­tales, c’est plutôt cela :

El jura­men­to de los 33 ori­en­tales Juan Manuel Blanes (1878).

Je vous racon­terai l’histoire de ces 33 mecs en fin d’article, pas­sons tout de suite à l’écoute.

Extrait musical

Les com­pos­i­teurs sont José Felipet­ti (ban­donéon­iste et édi­teur musi­cal) et Alfre­do Rosario Mazzeo, vio­loniste, notam­ment dans l’orchestre de Juan D’Arienzo, puis de Poli­to (qui fut pianiste égale­ment de D’Arienzo). Rosario Mazzeo avait la par­tic­u­lar­ité d’utiliser un archet de vio­lon alto, plus grand pour avoir un son plus lourd.

Los 33 ori­en­tales 1955-07-28 — Orques­ta Car­los Di Sar­li.

Je n’ai pas grand-chose à dire sur cette ver­sion que vous puissiez ne pas con­naître. Je suis sûr que dans les cinq sec­on­des vous aviez repéré que c’était Di Sar­li, avec ses puis­sants accords sur son 88 touch­es (le piano) et les légatos des vio­lons. Comme il est d’usage chez lui, les nuances sont bien exprimées. Les suc­ces­sions de for­tis­si­mos mourant dans des pas­sages pianos (moins forts) et les accords fin­aux où domi­nent le piano font que c’est du 100% Di Sar­li.

Il s’agit du troisième enreg­istrement de Los 33 ori­en­tales par Di Sar­li. Comme d’habitude, vous aurez droit aux autres dans le chapitre dédié, Autres ver­sions

Les trois dis­ques de Los 33 ori­en­tales par Car­los Di Sar­li.

On notera que la ver­sion de 1952 est un 33 tours Long Play, c’est-à-dire qu’il y a deux tan­gos par face, ici La Cachi­la et Los 33 ori­en­tales. Sur la face A, il y a Cua­tro vidas et Sueño de juven­tud. Le pas­sage de 78 à 33 tours per­me­t­tait de plus que dou­bler la durée enreg­is­tra­ble. Mais ce n’est que la général­i­sa­tion du microsil­lon qui per­met d’atteindre des durées plus longues de plus de 20 min­utes par face. Ce disque est donc un disque de « tran­si­tion » entre deux tech­nolo­gies.

Paroles

Bien qu’il soit instru­men­tal dans les ver­sions con­nues, il y a eu des paroles écrites par Arturo Juan Rodriguez.
Au cas où elles seraient per­dues, je vous pro­pose un extrait de celles d’un autre tan­go appelé égale­ment los 33 ori­en­tales, à l’origine et rebap­tisé par la suite La uruguyai­ta Lucia.
Il a été écrit en 1933 par Eduar­do Pereyra avec des paroles de Daniel López Bar­reto.
Je vous le pro­pose à l’é­coute, dans la ver­sion de Ricar­do Tan­turi avec Enrique Cam­pos (1945).

La uruguyai­ta Lucia 1945-04-12 — Ricar­do Tan­turi C Enrique Cam­pos

Y mien­tras en el cer­ro; de los bravos 33 el clarín se oía
y al mun­do una patria nue­va anun­cia­ba
un tier­no sol­lo­zo de mujer, a la glo­ria reclam­a­ba
el amor de su gau­cho, que más fiel a la patria su vida le entregó.
Cabel­los negros, los ojos
azules, muy rojos
los labios tenía.
La Uruguayi­ta Lucía,
la flor del pago ‘e Flori­da.
Has­ta los gau­chos más fieros,
eter­nos matreros,
más man­sos se hacían.
Sus oja­zos parecían
azul del cielo al mirar.

Ningún gau­cho jamás
pudo alcan­zar
el corazón de Lucía.
Has­ta que al pago llegó un día
un gau­cho que nadie conocía.
Buen payador y buen mozo
can­tó con voz las­timera.
El gau­cho le pidió el corazón,
ella le dio su alma entera.

Fueron felices sus amores
jamás los sins­a­bores
inter­rumpió el idilio.
Jun­tas soñaron sus almi­tas
cual tier­nas palomi­tas
en un rincón del nido.
Cuan­do se que­ma el hor­i­zonte
se escucha tras el monte
como un suave mur­mul­lo.
Can­ta la tier­na y fiel pare­ja,
de amores son sus que­jas,
sus­piros de pasión.

Pero la patria lo lla­ma,
su hijo recla­ma
y lo ofrece a la glo­ria.
Jun­to al clarín de Vic­to­ria
tam­bién se escucha una que­ja.
Es que tronchó Lavalle­ja
a la dulce pare­ja
el idilio de un día.
Hoy ya no can­ta Lucía,
su payador no volvió.

Eduar­do Pereyra Letra: Daniel López Bar­reto

Traduction libre et indications

Et pen­dant que tu étais sur la colline ; des braves du 33 le cla­iron a été enten­du et au monde il annonça une nou­velle patrie, un ten­dre san­glot d’une femme, à la gloire il a revendiqué l’amour de son gau­cho, qui le plus fidèle à la patrie lui a don­né sa vie.
Cheveux noirs, yeux bleus, lèvres très rouges, elle avait.
La Uruguayi­ta Lucía, la fleur du bled (pago, coin de cam­pagne et la pop­u­la­tion qui l’habite) Flori­da.
Même les gau­chos les plus féro­ces, éter­nels matreros (bour­rus, sauvages, qui fuient la jus­tice), se fai­saient apprivois­er.
Ses grands yeux sem­blaient bleus de ciel quand elle regar­dait.
Aucun gau­cho ne put jamais attein­dre le cœur de Lucia.
Jusqu’au jour où un gau­cho arri­va dans le coin et que per­son­ne ne con­nais­sait.
Bon payador et bien beau, il chan­tait d’une voix pitoy­able.
Le gau­cho lui deman­da le cœur, elle lui don­na son âme en entier.
Leurs amours étaient heureuses, jamais les ennuis n’in­ter­rom­pirent l’idylle.
Ensem­ble, leurs petites âmes rêvaient comme de ten­dres colombes dans un coin du nid.
Lorsque l’hori­zon brûla, s’entendit der­rière la mon­tagne comme un doux mur­mure.
Le cou­ple ten­dre et fidèle chante, leurs plaintes sont d’amour, leurs soupirs de pas­sion.
Mais la patrie l’ap­pelle, elle réclame son fils et lui offre la gloire.
Jointe au cla­iron de vic­toire, une plainte s’entend égale­ment.
C’est Lavalle­ja (voir en fin d’article) qui a coupé court à l’idylle du cou­ple en une journée.

La ver­sion de José « Natalín » Felipet­ti ; Rosario Mazzeo et Arturo Juan Rodríguez n’a peut-être ou sans doute rien à voir, mais cela per­met tout de même d’évoquer un autre titre faisant référence aux 33 ori­en­tales et même à Lavalle­ja, que je vous présen­terai dans la dernière par­tie de l’article.

Autres versions

Je vous pro­pose 5 ver­sions. Trois par Di Sar­li plus deux dans le style de Di Sar­li

Los 33 ori­en­tales 1948-06-22 — Car­los Di Sar­li.

La musique avance à petits pas fer­mes aux­quels suc­cèdes des envolées de vio­lons, le tout appuyé par les accords de Di Sar­li sur son piano. C’est joli dansant, du Di Sar­li effi­cace pour le bal.

Los 33 ori­en­tales 1952-06-10 — Car­los Di Sar­li.

Cette ver­sion est assez proche de celles de 1948. Le piano est un tout petit plus dis­so­nant, dans cer­tains accords, accen­tu­ant, le con­traste en les aspects doux des vio­lons et les sons plus mar­ti­aux du piano.

Los 33 ori­en­tales 1955-07-28 — Orques­ta Car­los Di Sar­li.

Los 33 ori­en­tales 1955-07-28 — Orques­ta Car­los Di Sar­li. C’est notre tan­go du jour. La musique est plus liée, les vio­lons plus expres­sifs. Le con­traste piano un peu dis­so­nant par moment et les vio­lons, plus lyriques est tou­jours présent. C’est peut-être ma ver­sion préférée, mais les trois con­vi­en­nent par­faite­ment au bal.

Los 33 ori­en­tales 1960 — Los Señores Del Tan­go.

En sep­tem­bre 1955, des chanteurs et musi­ciens quit­tèrent, l’orchestre de Di Sar­li et fondèrent un nou­v­el orchestre, Los Señores Del Tan­go, en gros, le pluriel du surnom de Di Sar­li, El Señor del tan­go… Comme on s’en doute, ils ne se sont pas détachés du style de leur ancien directeur. Vous pou­vez l’entendre avec cet enreg­istrement de 1960 (deux ans après le dernier enreg­istrement de Di Sar­li).

Los 33 ori­en­tales 2003 — Gente De Tan­go (esti­lo Di Sar­li).

Gente De Tan­go annonce jouer ce titre dans le style de Di Sar­li. Mais on notera quand même des dif­férences, qui ne vont pas for­cé­ment toute dans le sens de l’orchestre con­tem­po­rain ? L’impression de fusion et d’organisation de la musique est bien moins réussie. Le ban­donéon sem­ble par­fois un intrus. Le sys­té­ma­tisme de cer­tains procédés fait que le résul­tat est un peu monot­o­ne. N’est pas Di Sar­li qui veut.

Qui sont les 33 orientales ?

Ras­surés-vous, je ne vais pas vous don­ner leur nom et numéro de télé­phone, seule­ment vous par­ler des grandes lignes.

J’ai évo­qué à pro­pos du 9 juil­let, jour de l’indépendance de l’Argentine, que les Espag­nols avaient été mis à la porte. Ces derniers se sont rabat­tus sur Mon­te­v­ideo et ont été délogés par les Por­tu­gais, qui souhaitaient inter­préter en leur faveur le traité de Torde­sil­las.

Un peu d’histoire

On revient au quinz­ième siè­cle, époque des grandes décou­vertes, Christophe Colomb avait débar­qué en 1492, en… Colom­bie, enfin, non, pas tout à fait. Il se croy­ait en Asie et a plutôt atteint Saint-Domingue et Cuba pour employ­er les noms actuels.

Colomb était par­ti en mis­sion pour le compte de la Castille (Espagne), mais selon le traité d’Al­caço­vas, signé en 1479 entre la Castille et le Por­tu­gal, la décou­verte serait plutôt à inclure dans le domaine de dom­i­na­tion por­tu­gais, puisqu’au sud du par­al­lèle des îles Canaries, ce que le roi du Por­tu­gal (Jean II) s’est empressé de remar­quer et de men­tion­ner à Colomb. Le pape est inter­venu et après dif­férents échanges, le Por­tu­gal et la Castille sont arrivés à un accord, celui de Torde­sil­las qui don­nait à la Castille les ter­res situées à plus de 370 lieues à l’ouest des îles du Cap-Vert. Une lieue espag­nole de l’époque valait 4180 m, ce qui fait que tout ce qui est à plus à l’ouest du méri­di­en pas­sant à 1546 km du Cap Vert est Espag­nol, mais cela implique égale­ment, que ce qui moins loin est Por­tu­gais. La décou­verte de ce qui devien­dra le Brésil sera donc une aubaine pour le Por­tu­gal.

À gauche, les délim­i­ta­tions des traités d’Al­caço­vas et de Tordessil­las. À droite, la même chose avec une ori­en­ta­tion plus mod­erne, avec le Nord, au nord…

Je pense que vous avez suivi cette révi­sion de vos cours d’histoire, je passe donc à l’étape suiv­ante…
Les Brésiliens Por­tu­gais et les Espag­nols, tout autour, cher­chaient à éten­dre leur dom­i­na­tion sur la plus grande par­tie de la Terre nou­velle. Les Por­tu­gais ont défon­cé la lim­ite du traité de Tortes­sil­las en creu­sant dans la par­tie ama­zoni­enne du con­ti­nent, mais ils con­voitaient égale­ment les ter­res plus au Sud et qui étaient sous dom­i­nance espag­nole, là où est l’Uruguay actuel. Les Espag­nols, qui avaient un peu nég­ligé cette zone, établirent Mon­te­v­idéo pour met­tre un frein aux pré­ten­tions por­tu­gais­es.
La sit­u­a­tion est restée ain­si jusqu’à la fin du 18e siè­cle, à l’intérieur de ces pos­ses­sions espag­noles et por­tu­gais­es, de grands pro­prié­taires com­mençaient à bien pren­dre leurs ais­es. Aus­si voy­aient-ils d’un mau­vais œil les impôts espag­nols et por­tu­gais et ont donc poussé vers l’indépendance de leur zone géo­graphique.
Les Argentins ont obtenu cela en 1816 (9 juil­let), mais les Espag­nols se sont retranchés dans la par­tie est du Pays, l’actuel Uruguay qui n’a donc pas béné­fi­cié de cette indépen­dance pour­tant signée pour toutes les Provinces-Unies du Rio de la Pla­ta.
Le 12 octo­bre 1822, le Brésil (7 sep­tem­bre) proclame son indépen­dance vis-à-vis du Por­tu­gal par la voix du prince Pedro de Alcân­tara qui se serait écrié ce jour-là, l’indépen­dance ou la mort ! Il est finale­ment mort, mais en 1934 et le brésil était « libre » depuis au moins 1825.
Dans son His­toire du Brésil, Armelle Enders, remet en cause cette déc­la­ra­tion du prince héri­ti­er de la couronne por­tu­gaise qui s’il déclare l’indépendance, il instau­re une monar­chie con­sti­tu­tion­nelle et Pedro de Alcân­tara devient le pre­mier empereur du Brésil sous le nom de Pierre Ier. Révo­lu­tion­naire, oui, mais empereur…
Donc, en Uruguay, ça ne s’est pas bien passé. Arti­gas qui avait fait par­tie des insti­ga­teurs de l’indépendance de l’Argentine a été con­traint de s’exiler au Paraguay à la suite de trahisons, ain­si que des dizaines de mil­liers d’Uruguayens. Par­mi eux, Juan Anto­nio Lavalle­ja et Manuel Oribe.

Juan Anto­nio Lavalle­ja (pho­tos de gauche) et Manuel Oribe, les meneurs des 33 ori­en­tales. Ils seront tous les deux prési­dents de le la république uruguayenne.

Où on en vient, enfin, aux 33 orientales

Après de ter­ri­bles péripéties, notam­ment de Lavalle­ja con­tre les Por­tu­gais-Brésiliens qui avaient finale­ment délogé les Espag­nols de Mon­te­v­ideo en 1816, il fut fait pris­on­nier et exilé jusqu’en 1821. L’année suiv­ante, le Brésil obte­nait son indépen­dance, tout au moins son début d’indépendance. Lavalle­ja se ral­lia du côté de Pierre 1er, voy­ant en lui une meilleure option pour obtenir l’indépendance de son pays.
En 1824, il est déclaré déser­teur pour être allé à Buenos Aires. Son but était de repren­dre le pro­jet d’Artigas et d’unifier les Provinces du Rio de la Pla­ta.
Une équipe de 33 hommes a donc fait la tra­ver­sée du Rio Uruguay. Une fois sur l’autre rive, ils ont prêté ser­ment sur la Playa de la Agra­ci­a­da (ou ailleurs, il y a deux points de débar­que­ment poten­tiel, mais cela ne change rien à l’affaire).

El jura­men­to de los 33 ori­en­tales sur la plage selon le pein­tre Juan Manuel Blanes et l’emplacement du débar­que­ment (dans le cer­cle rouge). La pyra­mide com­mé­more cet événe­ment.

Ce débar­que­ment et ce ser­ment, le jura­men­to de los 33 ori­en­tales mar­quent le début de la guerre d’indépendance qui se pro­longera dans d’autres guer­res surnom­mées Grande et Petite. Les Bri­tan­niques furent mis dans l’affaire, mais ils pen­sèrent plus aux leurs, d’affaires, que d’essayer d’aider, n’est-ce pas Mon­sieur Can­ning (qui a depuis per­du la rue qui por­tait son nom et qui s’appelle désor­mais Scal­abri­ni Ortiz) ? Le salon Can­ning con­nu de tous les danseurs de tan­go est juste­ment situé dans la rue Scal­abri­ni Ortiz (anci­en­nement Can­ning).
Les Argentins, dont le prési­dent Riva­davia espérait uni­fi­er l’ancienne province ori­en­tale à l’Argentine, ils se sont donc embar­qués dans la guerre, mais le coût dépas­sait sen­si­ble­ment les ressources disponibles. Le Brésil rece­vait l’aide directe des Anglais, l’affaire était donc assez mal engagée pour les indépen­dan­tistes uruguayens.
Un pro­jet de traité en 1827 fut rejeté, jugé humiliant par les Argentins et futurs Uruguayens indépen­dants.
La Province de Buenos Aires, dirigée par Dor­rego, le Sénat et l’empereur du Brésil se mirent finale­ment d’accord en 1928. Juan Manuel de Rosas était égale­ment favor­able au traité ren­dant l’Uruguay indépen­dant bien que Dor­rego et Rosas ne fai­saient pas bon ménage. L’exécution de Dor­rego coïn­cide avec l’ascension au pou­voir de De Rosas et ce n’est pas un hasard…
L’histoire ne se ter­mine pas là. Nos deux héros, Juan Anto­nio Lavalle­ja et Manuel Oribe qui avaient fait la tra­ver­sée des 33 sont tous les deux devenus prési­dents de l’Uruguay et de grande guerre à petite guerre, ce sont plusieurs décen­nies de pagaille qui s’en suivirent. L’indépendance et la mise en place de l’Uruguay n’ont pas été sim­ples à met­tre en œuvre. Les paroles du tan­go de Pereyra et Bar­reto nous rap­pel­lent que ces années firent des vic­times.
Les 33 ori­en­tales restent dans le sou­venir des deux peu­ples voisins du Rio de la Pla­ta. À Buenos Aires, une rue porte ce nom, elle va de l’avenue Riva­davia à l’avenue Caseros et sem­ble se con­tin­uer par une des rues les plus cour­tes de Buenos Aires, puisqu’elle mesure 50 m, la rue Trole… Au nord, de l’autre côté de Riva­davia, elle prend le nom de Raw­son, mais, si c’est aus­si un tan­go, c’est aus­si une autre his­toire.

Alors, à demain, les amis !

Los 33 ori­en­tales. La tra­ver­sée par les 33. Ne soyez pas éton­né par le dra­peau bleu-blanc-rouge, c’est effec­tive­ment celui des 33. Vous pou­vez le voir sur le tableau de Juan Manuel Blanes.

Maipo 1939-04-18 — Orquesta Juan D’Arienzo

Eduardo Arolas Letra Gabriel Clausi

Le théâtre Maipo est un célèbre théâtre de Buenos Aires. En plus de sa grande salle, il dis­pose de plusieurs étages où il est pos­si­ble d’assister à des spec­ta­cles en prenant une petite merien­da (goûter) pen­dant le spec­ta­cle. Plusieurs orchestres y ont joué, dont celui de Fir­po qui fut un des pre­miers à enreg­istr­er ce titre, en 1918. Mais êtes-vous sûr que ce tan­go par­le bien de ce théâtre ?

Brève histoire du théâtre Maipo de Buenos Aires

Si on en croit l’historique dévelop­pé sur le site du théâtre, voici quelques dates :

  • 1908-05-07, il a été inau­guré sous le nom de Scala.
  • 1915-09-30, il est renom­mé en Esmer­al­da (il est d’ailleurs rue Esmer­al­da au 443).
  • 1922-08-15, il prend le nom actuel de Maipo.

Ce tan­go ne devrait donc pas être antérieur à 1922. Cepen­dant, Rober­to Fir­po y a joué en 1920 et il a enreg­istré le tan­go Maipo en 1918, ce qui est logique. Je vous don­nerai l’explication plus loin…
Pour chang­er, je vous pro­pose de voir un doc­u­men­taire sur son his­toire.
Il est en espag­nol, mais il y a des sous-titres mul­ti­lingues…

Extrait musical

Maipo 1939-04-18 — Orques­ta Juan D’Arienzo. C’est notre tan­go du jour.

Paroles

Les paroles ne sont pas con­tem­po­raines de la musique. Elles témoignent en fait d’un change­ment de dédi­cace du tan­go.
En effet, le tan­go écrit par Aro­las fêtait le cen­te­naire de la bataille de Maipo ou Maipú, une bataille gag­née con­tre les Espag­nols dans les guer­res d’indépendance.
1918, c’est aus­si l’année de la créa­tion de la ban­dera, le dra­peau argentin avec le soleil de Mai.
Cette gravure de Géri­cault existe aus­si en couleur avec une ban­dera argenti­na… Je ne me suis donc pas fait prier pour en met­tre dans mon illus­tra­tion de cou­ver­ture. J’ai voulu jouer sur les deux tableaux, le théâtre Maipo et le théâtre des opéra­tions mil­i­taires, mais ce n’est pas très réus­si…

Vuelve a mí, recuer­do del ayer
con el bril­lar de luces en esce­na;
siem­pre el mis­mo ful­gor,
las vie­jas can­dile­jas
son como estrel­las…
Otra vez, vibra en la noche aquel
sueño de amor y can­to del pasa­do;
som­bras que cor­retean
por este viejo tabla­do de ayer.

Mar­quesinas de mis sueños,
mil destel­los de col­ores,
fig­uras escul­tur­ales,
nom­bres que están olvi­da­dos…
corre el tiem­po y el recuer­do
se entre­laza con la pena…
el sabor de cosas de antes
guardadas con tan­to amor…

El viejo Maipo nos vio bajo sus luces
aque­l­los días tan llenos de ter­nuras
soñar amores que fueron embe­le­so…
con toda el alma, con toda la ilusión,
con estas notas, con este tan­go triste,
quiero con­tarte teatro de mi pueblo
aque­l­lo que guardé en mi corazón,
tal como lo viví… tan lleno de emo­ción.

Eduar­do Aro­las (Avant 1918 Letra de Gabriel Clausi plus tar­dive 1953 ?)

Traduction libre et indications

Cela me revient, un sou­venir d’hier avec le scin­tille­ment des lumières sur la scène ; tou­jours la même lumi­nosité, les vieilles lam­pes sont comme des étoiles…
De nou­veau, le rêve d’amour et le chant du passé vibrent dans la nuit ; des ombres qui courent autour de cette vieille scène d’hier.

Des ver­rières de mes rêves, mille éclats de couleurs, des fig­ures sculp­turales, des noms oubliés… Le temps passe et le sou­venir se mêle au cha­grin… le goût des choses du passé gardées avec tant d’amour…


Le vieux Maipo nous voy­ait sous ses lumières, ces jours si pleins de ten­dresse, rêvant d’amours ravies… De toute mon âme, de toute mon illu­sion, avec ces notes, avec ce triste tan­go, j’ai envie de te dire, théâtre de mon vil­lage, ce que j’ai gardé dans mon cœur, comme je l’ai vécu… telle­ment plein d’émotion.

Autres versions

Maipo 1918 — Orques­ta Rober­to Fir­po.

Une ver­sion com­mé­mora­tive de la bataille de Maipo ou Maipú ou Maïpu. Fir­po jouera juste­ment cette œuvre dans ce théâtre en 1920, alors qu’il s’appelle encore Esper­al­da, du nom de la rue où il est. Il ne pren­dra le nom de Maipo, qu’en 1922. J’imagine que Maipo qui est équiv­a­lent à Maipú peut venir du nom de la rue de la même man­zana (bloc urbain de 100mx100m encadré par 4 rues). Le théâtre appar­tient au bloc délim­ité par l’avenue Cor­ri­entes et les rues Esmer­al­da (où il a sa porte prin­ci­pale), Maipù et Lavalle.

Maipo 1928-03-28 — Orques­ta Julio De Caro.

Une ver­sion un peu nos­tal­gique, qui pour­rait coller aux paroles, mais en 1928, le théâtre n’était pas un « vieux théâtre ». Il a subi un incendie en 1928, mais c’était en novem­bre, en mars, les paroles ne pou­vaient pas le regret­ter.

Maipo 1936-07-24 — Orques­ta Pedro Maf­fia.

Huit ans plus tard, un thème très nos­tal­gique. Une ver­sion douce et jolie, avec des vents et un piano agile. Une belle ver­sion qui entraîne bien.

Maipo 1939-04-18 — Orques­ta Juan D’Arienzo. C’est notre tan­go du jour.
Maipo 1941-09-02 — Orques­ta Julio De Caro.

Jolis vio­lons, sur­volant le piano et l’orchestre plus per­cus­sif. Cette ver­sion, plus tonique que celle de 1928, s’accommode plus d’un thème mil­i­taire ou fes­tif (évo­ca­tion des spec­ta­cles du théâtre) que nos­tal­gique.

Maipo 1953-04-10 — Orques­ta Julio De Caro.

Une ver­sion un peu étrange. Com­pat­i­ble avec le thème du théâtre. Gabriel Clausi dont on ne con­naît pas la date d’écriture des paroles pour­rait aus­si l’avoir écrit en 1953, à son retour de dix ans au Chili. Il retrou­ve le théâtre et la nos­tal­gie fait le reste.

Maipo 1962-09-13 — Cuar­te­to Troi­lo-Grela.

Avec Aníbal Troi­lo (ban­donéon), Rober­to Grela (gui­tar­ra), Ernesto Báez (gui­tar­rón), Euge­nio Pro (con­tra­ba­jo). Une très belle ver­sion, à écouter.

Maipo 1964 — Orques­ta Ful­vio Sala­man­ca
Maipo 2024-01-12 — Orques­ta Roman­ti­ca Milonguera.

La toute dernière ver­sion, une ver­sion orig­i­nale comme sait en faire cet orchestre.

Finale­ment, peu de ver­sions col­lent aux paroles. La musique est plutôt tonique et pas nos­tal­gique dans la plu­part des ver­sions.
Elle peut être tonique pour évo­quer la bataille de Maipo, mais aus­si pour présen­ter les spec­ta­cles qui se déroulaient dans la salle.
Je vous laisse donc en plan. Si vous trou­vez la réponse et notam­ment la date d’écriture des paroles par Gabriel Clausi, je suis pre­neur.

À demain, les amis !