Archives de catégorie : Artistes

Ils ont détruit la maison de Pichuco !

Même si Pichu­co con­sid­érait que sa véri­ta­ble mai­son était celle de la rue Sol­er au 3280, c’est bien au 2937 de la rue José Anto­nio Cabr­era qu’il est né, le 11 juil­let 1914. La mère d’Aníbal n’est retournée rue Sol­er qu’à la mort du père de Troi­lo, en 1922.
Cette mai­son a con­nu divers usages au cours du temps, comme en témoignent quelques pho­tos his­toriques.
Si j’ai décidé d’en par­ler aujourd’hui, c’est qu’elle vient d’être détru­ite pour un pro­jet immo­bili­er.

La maison natale de Aníbal Troilo

La mai­son natale de Pichu­co, rue José Anto­nio Cabr­era 2937

Aníbal Carme­lo Troi­lo, le père, et Felisa Bag­no­lo, la mère, louèrent cette mai­son, par suite du drame de la mort de Con­cep­ción, celle qui aurait dû être la grande sœur du ban­doneón may­or de Buenos Aires.

Les par­ents et Mar­cos, l’aîné, démé­nagèrent donc dans la mai­son de la rue Cabr­era où naquit le petit Pichu­co.

Ils y restèrent peu de temps, car, en 1922, le père mourait à son tour. La mère retour­na alors dans la mai­son famil­iale de la rue Sol­er, celle qu’a donc le mieux con­nue Aníbal et qui en dis­ait :

“Yo nací en una casa de Cabr­era 2937, pero mi casa fue la de Sol­er 3280”.

Je suis né dans une mai­son de Cabr­era 2937, mais ma mai­son fut celle de Sol­er 3280.

Mai­son natale de Troi­lo à dif­férentes épo­ques. Avant 1998, à gauche, vers 2011 (présence d’une milon­ga), 2024, une des dernières pho­tos avec le bâti­ment debout. Celui à sa gauche a déjà été rem­placé. 2025, pen­dant la destruc­tion de la semaine du 21 au 25 avril.
La plaque posée en 2008 déclarant la mai­son comme site d’in­térêt cul­turel. Cela n’a pas empêché sa destruc­tion…

La maison de Soler 3280

C’est la mai­son famil­iale jusqu’en 1914 et après 1922. Celle que Pichu­co con­sid­ère comme la sienne.

La mai­son de la rue Sol­er au 3280. À droite, la plaque posée le 11 juil­let 1976 pour l’an­niver­saire de la nais­sance, l’année suiv­ant la mort de Pichu­co.

La fausse maison de Aníbal Troilo

Au 2540 rue Car­los Cal­vo, il y a eu “La Casa de Aníbal Troi­lo”. Cet étab­lisse­ment de spec­ta­cle n’a pas de rap­port direct avec notre gros, favori. Plus tard, le bâti­ment a été réu­til­isé par Cacho Cas­taña, l’auteur de Café la Humedad, chan­son qui a don­né le nom à son étab­lisse­ment.

Atten­tion, le Café de la Humedad de la rue Car­los Cal­vo n’est pas le café orig­i­nal. En effet, celui-ci était, comme le dit la chan­son, à l’angle de Gaona y Boy­a­ca.

L’emplacement orig­i­nal du Café la Humedad, à l’an­gle de Gaona y Boy­a­ca.

Les paroles de la chanson de Cacho Castaña

Humedad, lloviz­na y frío
Mi alien­to empaña el vidrio azul del viejo bar
No me pre­gun­ten si hace mucho que la espero
Un café que ya está frío y hace var­ios ceniceros

Aunque sé que nun­ca lle­ga
Siem­pre que llueve voy cor­rien­do has­ta el café
Y solo cuen­to con la com­pañía de un gato
Que al cordón de mi zap­a­to lo destroza con plac­er

Café La Humedad, bil­lar y reunión
Sába­do con tram­pas, qué lin­da fun­ción
Yo sola­mente nece­si­to agrade­certe
La enseñan­za de tus noches
Que me ale­jan de la muerte

Café La Humedad, bil­lar y reunión
Sába­do con tram­pas, qué lin­da fun­ción
Eter­na­mente te agradez­co las poesías
Que la escuela de tus noches
Le enseñaron a mis días

Soledad, soledad de soltería
Son trein­ta abriles ya cansa­dos de soñar
Por eso vuel­vo has­ta la esquina del boliche
A bus­car la bar­ra eter­na de Gaona y Boy­a­ca

Ya son pocos los ami­gos que me quedan
Vamos, mucha­chos, esta noche a recor­dar
Una por una las haz­a­ñas de otros tiem­pos
Y el recuer­do del boliche que lla­mamos La Humedad

Café La Humedad, bil­lar y reunión
Sába­do con tram­pas, qué lin­da fun­ción
Yo sola­mente nece­si­to agrade­certe
La enseñan­za de tus noches
Que me ale­jan de la muerte

Café La Humedad, bil­lar y reunión
Sába­do con tram­pas, qué lin­da fun­ción
Eter­na­mente te agradez­co las poesías
Que la escuela de tus noches
Le enseñaron a mis días

Cacho Cas­taña

Traduction libre

L’hu­mid­ité, la bru­ine et le froid
Mon haleine embue les vit­res bleues du vieux bar
Ne me deman­dez pas si je l’at­tends depuis longtemps
Un café déjà froid et ça fait plusieurs cen­dri­ers.
Bien que je sache qu’elle ne vient jamais.
Quand il pleut, je cours au café.
Et je n’ai que la com­pag­nie d’un chat.
Qui détru­it le lacet de ma chaus­sure avec plaisir
Café La Humedad, bil­lard et ren­con­tre
Same­di avec des tromperies, quel beau pro­gramme
J’ai juste besoin de te remerci­er
L’en­seigne­ment de tes nuits
Qui me tien­nent à l’é­cart de la mort
Café La Humedad, bil­lard et ren­con­tre
same­di avec des pièges, quel beau spec­ta­cle
Éter­nelle­ment, je te remer­cie pour les poèmes
Que l’é­cole de tes nuits
A enseigné à mes jours
Soli­tude, soli­tude du céli­bataire
C’est trente avrils, déjà fatigué de rêver
C’est pourquoi je retourne à l’angle du danc­ing
Pour chercher l’éter­nelle bande de Gaona et Boy­a­ca
Il ne me reste que peu d’amis
Allons‑y, les gars, ce soir, pour nous remé­mor­er
Un à un les exploits d’autre­fois
Et le sou­venir du danc­ing que nous appelons La Humedad.
Café La Humedad, bil­lard et ren­con­tre
Same­di avec des tromperies, quel beau pro­gramme
J’ai juste besoin de te remerci­er
L’en­seigne­ment de tes nuits
Qui me tien­nent à l’é­cart de la mort
Café La Humedad, bil­lard et ren­con­tre
same­di avec des pièges, quel beau spec­ta­cle
Éter­nelle­ment, je te remer­cie pour les poèmes
Que l’é­cole de tes nuits
A enseigné à mes jours.

Cacho Cas­taña

Je vous pro­pose de ter­min­er sur la chan­son nos­tal­gique de Cacho Cas­taña, chan­té par lui-même dans son étab­lisse­ment, Café la Humedad.

Café la Humedad, chan­té dans le théâtre Café la Humedad par son pro­prié­taire et auteur, Cacho Cas­taña.

Les femmes et le tango

8 mars, journée internationale (des droits) des femmes

Le 8 mars est la journée inter­na­tionale (des droits) des femmes. Il me sem­ble d’actualité, d’aborder la ques­tion des femmes dans le tan­go. Il faudrait plus qu’un arti­cle, qu’un livre et sans doute une véri­ta­ble ency­clopédie pour traiter ce sujet, aus­si, je vous pro­pose unique­ment quelques petites indi­ca­tions qui rap­pel­lent que le tan­go est aus­si une his­toire de femmes.

“We can do it” (on peut le faire). Affiche de pro­pa­gande de la société West­ing­house Elec­tric pour motiv­er les femmes dans l’effort de guerre en 1943. Elle a été créée par J. Howard Miller en 1943.

Cette affiche rap­pelle, mal­gré elle, que la journée du 8 mars était au début la journée des femmes tra­vailleuses, journée créée en mémoire des 129 ouvrières tuées dans l’incendie de leur man­u­fac­ture le 8 mars 1908. Ce sont les pro­pres pro­prié­taires de cette usine, la Cot­ton Tex­tile Fac­to­ry, qui ont mis le feu pour régler le prob­lème avec leurs employées qui récla­maient de meilleurs salaires et con­di­tions de vie avec le slo­gan « du pain et des ros­es »…

Du pain et des ros­es, un slo­gan qui coûtera la vie de 129 ouvrières du tex­tile le 8 mars 1908 à New York.

On se sou­vient en Argen­tine de faits sem­blables, lors de la semaine trag­ique de jan­vi­er 1919 où des cen­taines d’ouvriers furent assas­s­inés, faits qui se renou­vèleront deux ans plus tard en Patag­o­nie où plus de 1000 ouvri­ers grévistes ont été tués.
Aujourd’hui, la journée des femmes cherche plutôt à établir l’égalité de traite­ment entre les sex­es, ce qui est un autre type de lutte, mais qui ren­con­tre, notam­ment dans l’Argentine d’aujourd’hui, une oppo­si­tion farouche du gou­verne­ment.

Une petite musique de fond pour la lecture de cette anecdote…

Las mujeres y el amor (Ranchera) 1934-08-16 – Orques­ta Osval­do Frese­do con Rober­to Ray.

Il s’agit d’une ranchera écrite par Eduar­do Vet­ere avec des paroles de Manuel R. López. Le thème (les femmes et l’amour) me sem­blait bien se prêter à notre thème du jour).

Les origines du tango et les femmes

Je passerai sous silence les affir­ma­tions dis­ant que le tan­go se dan­sait ini­tiale­ment entre hommes, car, si, on a quelques pho­tos mon­trant des hommes dansant de façon plus ou moins grotesque, cela relève plus de la charge, de la moquerie, que du désir de pra­ti­quer l’art de la danse.
Le tan­go a divers­es orig­ines. Par­mi celles-ci, le monde du spec­ta­cle, de la scène, du moins pour ses par­tic­u­lar­ités musi­cales. Dans les spec­ta­cles qui étaient joués dans la sec­onde moitié du dix-neu­vième siè­cle, il y avait des femmes sur scène. Elles chan­taient, dan­saient. Elles étaient actri­ces. Les thèmes de ces spec­ta­cles étaient les mêmes qu’en Europe et sou­vent inspirés par les pro­duc­tions du Vieux Con­ti­nent. Elles étaient des­tinées à ceux qui pou­vaient pay­er, et donc à une cer­taine élite. Je ferai le par­al­lèle avec Car­men de Jorge Bizet, pas à cause de la habanera, mais pour mon­tr­er à quoi pou­vait ressem­bler une des pro­duc­tions de l’époque. Des his­toires, sou­vent sen­ti­men­tales, des fig­u­rants et dif­férents tableaux qui se suc­cé­daient. La plu­part du temps, ces spec­ta­cles relèvent du genre « vaude­ville ». Les femmes, comme Car­men, étaient sou­vent les héroïnes et a min­i­ma, elles étaient indis­pens­ables et présentes. Au vingtième siè­cle, lorsque le tan­go a mûri, on retrou­ve le même principe dans le théâtre (Buenos Aires est la ville du Monde qui compte le plus de théâtres), mais aus­si dans le ciné­ma. Je pense que vous aurez remar­qué à la lec­ture de mes anec­dotes qu’une part impor­tante des tan­gos provient de films et de pièces de théâtre.
Une autre orig­ine tourne autour des faubourgs de Buenos Aires, du mal-être d’hommes en manque de com­pag­nie fémi­nine. Dans ce monde dur, où les couteaux sor­taient facile­ment, où on tra­vail­lait dans des usines, aux abat­toirs ou aux travaux agri­coles et notam­ment l’élevage, les femmes étaient rares et con­voitées. Cela don­nait lieu à des bagar­res et on se sou­vient que le tan­go canyengue évo­quait par ses pass­es des fig­ures de com­bat au couteau. Les hommes qui avaient la pos­si­bil­ité de danser avec une femme d’accès facile jouaient une sorte de comédie pour les com­pagnons qui regar­daient, cher­chant à se met­tre en valeur, se lançant, comme en témoignent les paroles des tan­gos, dans des fig­ures auda­cieuses et com­bat­ives, comme les fentes. La pénurie de femmes, mal­gré les impor­ta­tions à grande échelle de grisettes français­es et de pau­vres hères d’autres par­ties de l’Europe, fait que c’est dans les bor­dels qu’il était le plus facile de les abor­der. Dans ces maisons, clos­es, il y avait une par­tie de spec­ta­cle, de déco­rum et la danse pou­vait être un moyen de con­tact. Il suff­i­sait de pay­er une petite somme, comme on l’a vu, par exem­ple pour Lo de Lau­ra. Dans cet univers, le tan­go tour­nait autour des femmes, comme en témoigne la très grande majorité des paroles, et ce sont des femmes, dans les meilleurs quartiers qui tenaient les « maisons ». Dans les faubourgs, c’était plutôt le cabareti­er qui favori­sait les activ­ités pour que les clients de sa pulpe­ria passe du temps et con­somme.
Une dernière orig­ine du tan­go, notam­ment en Uruguay est l’immigration (for­cée) d’Afrique noire. Ces esclaves, puis affran­chis, tout comme ce fut le cas dans le Sud des USA, ont dévelop­pé un art musi­cal et choré­graphique pour exprimer leur peine et enjo­liv­er leur vie pénible. Là encore, les femmes sont omniprésentes. Elles dan­saient et chan­taient. Elles étaient cepen­dant absentes comme instru­men­tiste, les tam­bours du can­dombe étaient plutôt frap­pés par des hommes, mais ce n’est pas une par­tic­u­lar­ité de la branche noire du tan­go.

Les femmes comme source d’inspiration

Si on décidait de se priv­er des tan­gos par­lant des femmes, il n’en resterait sans doute pas beau­coup. Que ces dernières soient une étoile inac­ces­si­ble, une traitresse infidèle, une com­pagne aimante, une femme de pas­sage entre­vue et per­due ou une mère. En effet, le thème de la mère est forte­ment présent dans le tan­go. Même les mau­vais gar­ne­ments, comme Gardel, n’ont qu’une seule mère.

Madre hay una sola 1930-12-10 — Ada Fal­cón con acomp. de Fran­cis­co Canaro (Agustín Bar­di Letra : José de la Vega).

Je vous pro­pose une ver­sion chan­tée par une femme, la maîtresse mal­heureuse de Fran­cis­co Canaro, Ada Fal­cón.

Je ne ferai pas le tour du thème des femmes inspi­ra­tri­ces, car vous le retrou­verez dans la plu­part de mes anec­dotes de tan­go.

Les femmes danseuses

Je n’aborderai pas non plus le thème des femmes danseuses, mais il me sem­ble impor­tant de les men­tion­ner, car, comme je l’indiquais au début de cet arti­cle, c’est aus­si pour approcher les femmes que les hommes se con­ver­tis­sent en danseurs…

Car­menci­ta Calderón et Ben­i­to Bian­quet (El Cachafaz) dansent El Entr­erri­ano de Ansel­mo Rosendo Men­dizábal, dans le film « Tan­go » (1933) de Luis Moglia Barth.

Les femmes et la musique

La musique en Europe était surtout une affaire d’hommes si on se réfère à la com­po­si­tion ou à la direc­tion d’orchestre. Les femmes tenaient des rôles plus dis­crets, comme vio­lonistes dans un orchestre, ou, plus sûre­ment, elles jouaient du piano famil­ial. Le manque de femmes dans la com­po­si­tion et la direc­tion d’orchestre n’est donc pas un phénomène pro­pre au tan­go. C’est plutôt un tra­vers de la société patri­ar­cale ou la femme reste à la mai­son et développe une cul­ture artis­tique des­tinée à l’agrément de sa famille et des invités du « maître » de mai­son.
Cepen­dant, quelques femmes ont su domin­er le tabou et se faire un nom dans ce domaine.

Les femmes musiciennes

Aujourd’hui, on trou­ve des orchestres de femmes, mais il faut recon­naître que les femmes ont tenu peu de pupitres à l’âge d’or du tan­go.
Fran­cis­ca Bernar­do, plus con­nue sous son pseu­do­nyme de Paqui­ta Bernar­do, est la pio­nnière des ban­donéon­istes femmes.

Paqui­ta Bernar­do (1900–1925) , pre­mière femme con­nue pour jouer du ban­donéon, un instru­ment réservé aux hommes aupar­a­vant.

Morte à 25 ans, elle n’a pas eu le temps de laiss­er une mar­que pro­fonde dans l’histoire du tan­go, car elle n’a pas enreg­istré de disque. Cepen­dant on con­naît ses tal­ents de com­positrice à tra­vers quelques œuvres qui nous sont par­v­enues comme Flo­re­al, un titre enreg­istré en 1923 par Juan Car­los Cobián.

Flo­re­al 1923-08-14 — Orques­ta Juan Car­los Cobián.

L’enregistrement acous­tique ne rend pas vrai­ment jus­tice à la com­positrice. C’est un autre incon­vénient que d’être décédé avant l’apparition de l’enregistrement élec­trique…

Je vous pro­pose égale­ment deux autres de ses com­po­si­tions enreg­istrées par Car­los Gardel, mal­heureuse­ment encore, tou­jours à l’ère de l’enregistrement acous­tique.

La enmas­cara­da 1924 — Car­los Gardel con acomp. de Guiller­mo Bar­bi­eri, José Ricar­do (gui­tar­ras), avec des paroles de Fran­cis­co Gar­cía Jiménez.
Soñan­do 1925 — Car­los Gardel con acomp. de Guiller­mo Bar­bi­eri, José Ricar­do (gui­tar­ras), avec des paroles de Euge­nio Cár­de­nas.

Mais d’autres femmes furent com­positri­ces.

Les femmes compositrices

L’exemple de musique com­posée par une femme le plus célèbre est sans doute la mer­veilleuse valse, « Des­de el alma » com­posée par Rosa Clotilde Mele Luciano, con­nue comme Rosi­ta Melo. Cette pianiste uruguayenne a une page offi­cielle où vous pour­rez trou­ver de nom­breux élé­ments.

Rosi­ta Melo, com­positrice de Des­de el Alma.
Des­de el alma (Valse) 1947-10-22 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Nel­ly Omar.

Je vous pro­pose une des plus belles ver­sions, chan­tée par l’incroyable Nel­ly Omar (qui vécut 102 ans).

Là encore, c’est une courte cita­tion et une femme un peu par­ti­c­ulière va me per­me­t­tre de faire la tran­si­tion avec les auteures de paroles de tan­go. Il s’agit de María Luisa Gar­nel­li.

Les femmes auteures

María Luisa Gar­nel­li est à la fois com­positrice et auteure. J’ai par­lé d’elle au sujet d’une de ses com­po­si­tions, La naran­ja nacio verde.

María Luisa Gar­nel­li, alias Luis Mario et Mario Cas­tro.

Retenons qu’elle a pris divers pseu­do­nymes mas­culins, comme Luis Mario ou Mario Cas­tro, ce qui lui per­mit d’écrire des paroles de tan­go en lun­far­do, sans que sa famille bour­geoise le sache… Elle fut égale­ment jour­nal­iste et cor­re­spon­dante de guerre…
Je vous pro­pose d’écouter un autre des titres dont elle a écrit les paroles, El male­vo, sur une musique de Julio de Caro. Ici, une ver­sion chan­tée par une femme, Rosi­ta Quiroga.

El male­vo 1928 — Rosi­ta Quiroga con gui­tar­ras.

Si vous souhaitez en con­naître plus sur sa tra­jec­toire par­ti­c­ulière, vous pou­vez con­sul­ter une biogra­phie écrite par Nél­i­da Beat­riz Cirigliano dans Buenos Aires His­to­ria.

Les femmes chanteuses

Je ne me lancerai pas dans la liste des chanteuses de tan­go, mais je vous pro­pose une petite galerie de pho­tos. Elle est très loin d’être exhaus­tive, mais je vous encour­age à décou­vrir celles que vous pour­riez ne pas con­naître.
Je vous pro­pose d’écouter une ver­sion de la cumpar­si­ta par Mer­cedes Simone pour nous quit­ter en musique en regar­dant quelques por­traits de chanteuses de tan­go.

La cumpar­si­ta (Si supieras) 1966 — Mer­cedes Simone accom­pa­g­née par l’orchestre d’Emilio Brameri.

Sinsabor 1939-06-05 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Lita Morales

Ascanio Ernesto Donato Letra : Adolfo Antonio Vedani

Il y a quelques semaines, je suis tombé sur un arti­cle qui dis­ait que Tita Merel­lo avec «Yo soy así», avait don­né une place aux femmes dans le tan­go. Il me sem­ble que c’est aller un peu vite en besogne, car les femmes en sont des inter­prètes de la pre­mière heure, Flo­ra Gob­bi, Rosi­ta Quirogan, Ada Fal­cón, Ani­ta Palmero, Azu­ce­na Maizani, Nel­ly Omar, Mer­cedes Simone, Lita Morales, Lib­er­tad Lamar­que, Tania, María Graña, Susana Rinal­di, Vir­ginia Luque, Ela­dia Blázquez, Nina Miran­da, Impreio Argenti­na, Olga Del­grossi et bien sûr et pas des moin­dres, Tita Merel­lo. Aujourd’hui, c’est Lita qui nous par­le de tan­go.

Pourquoi cette impression que les femmes ne sont pas dans l’univers du tango ?

Je pense que cette vision a trois caus­es. La pre­mière est que les femmes ont eu une place impor­tante comme chanteuses, mais pas réelle­ment comme chefs d’orchestre ou musi­ci­ennes. Aujourd’hui, beau­coup de danseurs con­nais­sent et recon­nais­sent les orchestres, mais très peu, les chanteurs et quand ils le font, c’est sou­vent, car ce sont des « cou­ples » que l’on est habitué à associ­er à un orchestre, comme D’Agostino-Vargas, Troi­lo-Fiorenti­no ou Rodriguez-Moreno. S’ils enten­dent Fiorenti­no avec un autre orchestre, pas sûr qu’ils le recon­nais­sent.

Les femmes ont plus sou­vent chan­té des ver­sions à écouter que des ver­sions à danser. Je n’ai pas d’explication sur cette rai­son, d’autant plus que la voix de femme dans un reg­istre plus aiguë laisse de la place aux instru­ments plus graves qui mar­quent générale­ment la pul­sa­tion, Main gauche au piano, con­tre­basse, ban­donéon… La preuve est que des ver­sions chan­tées de bout en bout par des femmes sont par­faite­ment dans­ables alors que par le même orchestre et à la même époque, une ver­sion chan­tée par un homme n’est qu’à écouter. Voir par exem­ple les enreg­istrements de Canaro qui a de nom­breux exem­ples de titres enreg­istrées deux ou trois fois, pour l’écoute et pour la danse, par un homme ou une femme.

Une autre cause vient sans doute d’un excès de machisme dans le domaine. Les hommes ont occupé la place, lais­sant peu de places aux femmes en dehors des thèmes des tan­gos. Là, elles n’ont pas tou­jours le beau rôle, comme en témoigne notre tan­go du jour.

Dans l’idée de lever un coin du voile et vous mon­tr­er qu’il y a de nom­breuses femmes dans l’univers de tan­go, je vous pro­pose aujourd’hui quelques chanteuses, mais pour l’instant, con­cen­trons-nous sur le phénomène Lita Morales.
Avant d’écouter notre tan­go du jour, sachez qu’il existe un autre tan­go du même titre, Sin sabor joué par Tito Fran­cia qui en est le com­pos­i­teur avec des paroles de Pedro Tusoli. Je ne pour­rai pas vous le faire écouter, n’ayant pas le disque…

Extrait musical

Sins­a­bor 1939-06-05 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos y Lita Morales.

Je pense que nous sommes nom­breux à aimer ce duo mag­nifique, cette musique entraî­nante. La tristesse des paroles passe très bien et n’entame pas la bonne humeur des danseurs. Une valeur sûre pour les milon­gas. La musique est en mode majeur. L’orchestre expose le thème, puis Hora­cio Lagos prend la parole. Lita Morales le rejoint ensuite pour for­mer un duo et finale­ment, l’orchestre ter­mine le tan­go. La struc­ture est très sim­ple, comme l’orchestration. C’est une belle ver­sion qui brille par sa sim­plic­ité et sa légèreté.

Paroles

Lle­van­do mi pesar
Como una maldición
Sin rum­bo fui
Bus­can­do de olvi­dar
El fuego de ese amor
Que te imploré
Y allá en la soledad
Del desam­paro cru­el
Tratan­do de olvi­darte recordé
Con la ansiedad febril
Del día que te di
Todo mi ser
Y al ver la real­i­dad
De toda tu cru­el­dad
Yo maldecí
La luz de tu mirar
En que me encan­dilé
Lle­va­do en mi ansiedad de amar
Besos impreg­na­dos de amar­gu­ra
Tuve de tu boca en su fri­al­dad
Tu alma no sin­tió mi fiel ter­nu­ra
Y me brindó con su rig­or, mal­dad
Quiero disi­par toda mi pena
Bus­co de cal­mar mi sins­a­bor
Sien­to inaguantable esta cade­na
Que me ceñí al implo­rar tu amor

Ascanio Ernesto Dona­to Letra : Adol­fo Anto­nio Vedani

Hora­cio Lagos chante le début, seul, puis Lita Morales se rajoute pour chanter en duo ce qui est en gras.

Traduction libre et indications

Por­tant mon cha­grin comme une malé­dic­tion, sans but, j’ai cher­ché à oubli­er.
Le feu de cet amour que j’implorais de toi et là, dans la soli­tude d’un cru­el aban­don.
Essayant de t’oublier, je me suis sou­venu de l’anxiété fébrile du jour où je t’ai don­né tout mon être et voy­ant la réal­ité de toute ta cru­auté, j’ai mau­dit.
La lumière de ton regard, qui m’a aveuglé (dans laque­lle j’étais ébloui), emporté par mon anx­iété d’aimer.
Des bais­ers imprégnés d’amertume, je les ai obtenus de ta bouche dans sa froideur.
Ton âme n’a pas sen­ti ma ten­dresse fidèle, et m’a offert, avec sa rigueur, la méchanceté.
Je veux dis­siper toute ma douleur, je cherche à apais­er ma détresse (sins­a­bor, de sin sabor [sans saveur] sig­ni­fie regret, malaise moral, tristesse).
Je sens insup­port­able cette chaîne, que je me suis attachée quand j’ai imploré ton amour.

De gauche à droite, Lita Morales, Edgar­do Dona­to et Hora­cio Lagos, l’équipe qui nous offre le tan­go du jour.

Sur cette pho­to, Lita Morales et Hora­cio Lagos ne sem­blent pas être le cou­ple ayant don­né le sujet de ce tan­go… Il se dit qu’ils se seraient mar­iés, mais rien ne le prou­ve. Ce cou­ple, si c’était un cou­ple, était très dis­cret et mys­térieux. Un indice, les deux ont com­mencé par enreg­istr­er du folk­lore, lui un peu avant et ils ont tous les deux arrêté rapi­de­ment la car­rière (1935–1942 pour Hora­cio, 1937–1941 pour Lita, avec un petit retour en 1955–1956). Peut-être l’arrêt en 1941 était pour cause de nais­sance, Lita aurait été enceinte. Ceci pour­rait expli­quer son retour tardif, lorsque son enfant est devenu plus autonome.

Autres versions

Le tan­go du jour est a pri­ori, la plus anci­enne ver­sion enreg­istrée et la seule avant une date assez récente.

Sins­a­bor 1939-06-05 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos y Lita Morales. C’est notre tan­go du jour.

Le Cuar­te­to Mulen­ga l’a enreg­istré vers 2008, avec le chanteur Max­imil­liano Agüero.

Sins­a­bor 2008c — Carte­to Mulen­ga Con Max­imil­liano Agüero.

Je vous laisse penser ce que vous voulez de cette ver­sion, mais elle a du mal à faire oubli­er celle de Dona­to, à mon avis.
C’est toute­fois un bel effort pour faire revivre ce titre, mais l’essai n’est pas totale­ment trans­for­mé. En revanche, la Roman­ti­ca Milonguera nous en a don­né plusieurs ver­sions intéres­santes.

Sins­a­bor 2017-10 — Orques­ta Román­ti­ca Milonguera con Marisol Martínez y Rober­to Minon­di (Sur l’album Roman­ti­ca Milonguera de 2017).
Sins­a­bor 2018 — Orques­ta Román­ti­ca Milonguera con Marisol Martínez y Rober­to Minon­di (sur l’album Duo de 2018). Cette, nou­velle ver­sion est plus tonique.
Sins­a­bor 2019 — Orques­ta Román­ti­ca Milonguera con Marisol Martínez y Rober­to Minon­di (sur le sin­gle Sin sabor — Quizas, quizas, quizás, Nuevas ver­siones de 2019).

Rober­to Minon­di est un mag­nifique chanteur, mais Marisol Martínez, sur scène, lui vole la vedette par son jeu d’actrice remar­quable.

Elle me per­met d’introduire la dernière par­tie de l’anecdote du jour, une petite liste de chanteuses de tan­go. Com­bi­en en con­nais­sez-vous ?

Quelques chanteuses de tango

Je vous pro­pose une petite galerie de por­traits. Elle est très incom­plète, mais j’aurai l’occasion de revenir sur le sujet.

Com­bi­en de chanteuses recon­nais­sez-vous ? Passez la souris sur l’image pour faire appa­raitre le nom de la chanteuse.

De floreo 1950-03-29 — Orquesta Osvaldo Pugliese

Julio Carrasco

De flo­reo de Julio Car­ras­co est l’élément cen­tral d’une trilo­gie de trois tan­gos. Flor de tan­go (1945), De flo­reo (1950) et Mi lamen­to (1954). De flo­reo peut avoir dif­férentes sig­ni­fi­ca­tions allant d’un bavardage inutile ou léger, par exem­ple, un piropo (com­pli­ment à une femme que l’on cherche à con­quérir) à une danse par­faite­ment maîtrisée. Pour ma part, j’ai choisi une autre accep­tion, celle du musi­cien épanoui qui domine son instru­ment. Il n’est qu’à écouter le solo de vio­lon de Enrique Cam­er­a­no pour se con­forter dans cette idée.

Extrait musical

De flo­reo. Par­ti­tion, Disque Odeon 30610B (matrice 17601), pochette et disque vinyle 4334 de EMI. De flo­reo est le six­ième et dernier titre de la face A, mais aus­si le nom de l’album, ce qui témoigne de son suc­cès.
De flo­reo 1950-03-29 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Les ban­donéons lan­cent un rythme très mar­qué, lié par quelques glis­san­dos des vio­lons. Puis à 0:35 les vio­lons pren­nent le dessus dans le stac­ca­to avec de légers motifs de piano de Pugliese.
Comme il est habituel à cette époque pour Pugliese, l’œuvre est con­stru­ite par des touch­es suc­ces­sives en lega­to et stac­ca­to. Cette organ­i­sa­tion sem­ble indi­quer aux danseurs quoi faire. Encore faut-il que les danseurs soient atten­tifs aux change­ments d’expression, car une écoute trop légère ferait man­quer les tran­si­tions et danser à con­tre­courant. C’est ce qui peut ren­dre cer­tains titres de Pugliese si pas­sion­nants, mais par­fois dif­fi­ciles à danser. Con­traire­ment à ce qui est générale­ment exprimé, je ne pense pas que Pugliese soit à réserv­er aux excel­lents danseurs.
Cer­tains y voient une musique roman­tique et tran­quille, à danser avec une per­son­ne de cœur. D’autres se déchaî­nent dans des envolées incom­préhen­si­bles, pen­sant révo­lu­tion­ner l’art de la danse et laiss­er un pub­lic ébloui à la lim­ite de l’évanouissement devant tant de génie.
Entre ces deux extrêmes, il y a les danseurs qui écoutent la musique et qui savent adapter leur danse aux évo­lu­tions de la musique, tout en respec­tant les autres danseurs.
Il n’y a donc pas besoin d’être un excel­lent danseur, seule­ment un excel­lent audi­teur.
Bien sûr, ceux qui peu­vent être les deux exis­tent, mais dans un beau bal, avec des danseurs qui dansent en musique, il y a une vibra­tion par­ti­c­ulière sur la piste durant les tan­das de Pugliese.
À 1:40 com­mence le pas­sage que l’on ne peut pas louper et danser mal, le sub­lime solo de vio­lon de Enrique Cam­er­a­no qui se dilue ensuite dans les accords nerveux des ban­donéons, puis des autres instru­ments.
Le thème du solo de vio­lon ressur­git ensuite jusqu’au final et l’interprétation se ter­mine par les deux accords tra­di­tion­nels chez beau­coup d’orchestres, dont celui de Pugliese.

Détail du revers de la pochette du disque 33 tours De flo­reo édité par EMI sous le numéro 4334.

Autres versions

De flo­reo 1950-03-29 — Orques­ta Osval­do Pugliese. C’est notre tan­go du jour.
De flo­reo 2004 — Col­or Tan­go de Rober­to Álvarez.

On retrou­vera bien sûr des accents de Pugliese dans cette ver­sion de Col­or Tan­go. Son créa­teur, Rober­to Álvarez, était l’un des arrangeurs de Pugliese (même si dans son orchestre, la plu­part des musi­ciens étaient aus­si arrangeurs). J’en prof­ite pour rap­pel­er qu’il y a eu deux et même trois orchestres Col­or Tan­go, tous héri­tiers de Pugliese. L’orchestre orig­inel “Col­or Tan­go” créé par Rober­to Álvarez (ban­donéon­iste de Pugliese), Amíl­car Tolosa (vio­loniste de Pugliese) et Fer­nan­do Rodríguez (con­tre­bassiste de Pugliese).
À la suite d’un désac­cord, l’orchestre se scin­da en deux par­ties égales et Rober­to Álvarez et Amíl­car Tolosa dirigèrent cha­cun un orchestre “Col­or Tan­go”. Comme les deux orchestres avaient les mêmes droits à porter ce nom, ce fut un peu com­pliqué, mais un accord a été trou­vé et les deux orchestres ont coex­isté avec le nom de leur directeur accolé. Col­or Tan­go de Rober­to Álvarez et Col­or Tan­go de Amíl­car Tolosa.
À ce sujet, une petite remar­que. Les orchestres ne restent pas tous immuables et au fil du temps, des musi­ciens sont rem­placés. Aujourd’hui, la sit­u­a­tion est encore plus mar­quée. Les orchestres voy­ageant à tra­vers le monde, ils ont sou­vent recours à des musi­ciens dif­férents suiv­ant les lieux de la tournée ou suiv­ant les engage­ments déjà pris avec un autre orchestre par un instru­men­tiste. La sépa­ra­tion de l’orchestre avec le même nom n’est donc pas si sur­prenante, mais c’est bien que le nom les dif­féren­cie, même si la plu­part des édi­tions restent vagues sur le sujet. Un Col­or Tan­go peut en cacher un autre.

Voici une ver­sion en vidéo par Mar­tin Klett & Ensem­ble.

De flo­reo 2019c — Mar­tin Klett & Ensem­ble

La trilogie de Julio Carrasco

Comme indiqué ci-dessus, De flo­reo fait par­tie d’une trilo­gie com­posée par Julio Car­ras­co.
Voici les trois titres à l’écoute. Je pense qu’il est intéres­sant de not­er l’évolution et les simil­i­tudes sur la décen­nie de cette trilo­gie.

Flor de tan­go 1945-08-28 — Orques­ta Osval­do Pugliese

La musique est sans doute un peu trop déstruc­turée pour les danseurs d’aujourd’hui. L’alternance des légatos et stac­catos, par exem­ple, peut sur­pren­dre. On est dans l’héritage de De Caro, cet orchestre qu’admirait Pugliese. Cela rend donc l’œuvre plus dif­fi­cile à danser pour les danseurs con­tem­po­rains qui sont moins habitués à l’improvisation, car dansant sur des enreg­istrements con­nus par cœur.
À l’âge d’or, les danseurs décou­vraient « en direct » les nou­veautés et ils devaient donc être plus atten­tifs à la musique.
En résumé, je ne passerai ce titre en milon­ga qu’avec des danseurs bien famil­iarisés avec cette façon de danser, d’autant plus que le mode mineur adop­té peut don­ner une pincée de tristesse qui pour­rait s’ajouter aux hési­ta­tions provo­quées par les sur­pris­es (richess­es) de la musique et faire que le moment ne soit pas aus­si agréable que pos­si­ble.
On notera toute­fois la beauté de la musique avec le beau solo de vio­lon à 1:30 et la vari­a­tion vir­tu­ose des ban­donéons en final.

Vous trou­verez dans l’ar­ti­cle sur Flor de tan­go, quelques élé­ments sur l’au­teur de la trilo­gie, Julio Car­ras­co.

De flo­reo 1950-03-29 — Orques­ta Osval­do Pugliese. C’est notre tan­go du jour.

Pour rester dans la dans­abil­ité. On remar­quera que la présence d’un rythme bien mar­qué au début inspire la con­fi­ance des danseurs. Les phras­es musi­cales sont plus claires et les tran­si­tions de danse plus faciles à prévoir. Cer­tains motifs peu­vent sus­citer de belles impro­vi­sa­tions ou a min­i­ma des fior­i­t­ures élé­gantes, per­me­t­tant ain­si de danser de flo­reo…
Et le solo de vio­lon devrait faire fon­dre les danseurs à coup sûr et donc par­ticiper au suc­cès de la danse.

Mi lamen­to 1954-03-17 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Mi lamen­to démarre avec une ryth­mique appuyée qui sécurise les danseurs, mais, par la suite, on retrou­ve des élé­ments d’insécurité, comme avec Flor de tan­go dont il partage la tonal­ité de Fa # mineur. Cer­tains pas­sages comme à 1:35, sans doute un peu trop calmes, peu­vent enlever un peu d’énergie aux danseurs. Cela n’empêche pas de le pass­er, mais il con­vient de bien juger de l’atmosphère du bal pour le pass­er à bon escient en étant prêt à relancer la machine si l’on sent que les danseurs ne suiv­ent pas cette propo­si­tion.

Comme dans les deux œuvres précé­dentes, on retrou­ve le solo de vio­lon à 1:50. Après tout Julio Car­ras­co est vio­loniste et il est donc logique qu’il mette en valeur son instru­ment. Là encore, c’est Enrique Cam­er­a­no qui inter­prète en sa qual­ité de pre­mier vio­lon le solo qui sera évo­qué jusqu’à la fin, comme pour De flo­reo et con­traire­ment à Flor de tan­go, où il est effacé par les ban­donéons à la fin.
La répu­ta­tion de Julio Car­ras­co aurait pu lui ouvrir la car­rière de pre­mier vio­lon dans l’orchestre de Pugliese, mais celui-ci a décliné l’invitation lors du départ de l’orchestre de Enrique Cam­er­a­no.
Cette évo­lu­tion va donc d’une musique très decaréenne (de De Caro) a une musique au rythme plus appuyé, plus facile à danser. Les solos de vio­lons sont tous les trois intéres­sants, mais celui de De flo­reo a sans doute ma préférence et comme il est sur le titre le plus dans­able des trois, je passerai De flo­reo en pri­or­ité.

Et s’il fallait faire une tanda avec De floreo

Je pro­pose cet exer­ci­ce qui con­siste à faire une tan­da de Pugliese un peu moins con­sen­suelle. Dans une milon­ga courte, je ne m’y ris­querai sans doute pas et je resterai avec la ving­taine de titres validés par les danseurs. Mais admet­tons que je sois en présence de danseurs curieux, n’ayant pas peur de se met­tre en « dan­ger ».
Dans cette tan­da, je ne passerai prob­a­ble­ment pas deux des titres de la trilo­gie, sauf si je vois que l’accueil est très bon et seule­ment pour des tan­das de qua­tre titres et pas de trois comme cela se fait de plus en plus (dif­fi­cile de pass­er un de ces titres en pre­mier et en dernier, il en faut donc a min­i­ma un avant et un après).
Pour don­ner un peu de var­iété à la tan­da en gar­dant un esprit un peu decaréen, je pour­rais pro­pos­er.

1) Boe­do 1948-07-14 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Une com­po­si­tion de De Caro, assez con­nue et qui peut donc ras­sur­er en pre­mier thème.

2) De flo­reo en deux­ième, car pas suff­isam­ment con­nu pour bien faire lever les danseurs. Ce titre servi­ra d’aiguillage. Si je vois qu’il est par­faite­ment adop­té, je pour­rai envis­ager de pass­er Mi lamen­to en 3e titre. Si je sens que c’est pass­able, sans plus, je reviendrais à un peu plus facile avec, par exem­ple :

3) Bien milon­ga 1951-07-31 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Pas trop dif­fi­cile à danser et avec un beau solo de vio­lon pour rester dans l’esprit de De flo­reo.

4) La cachi­la 1952-11-24 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Avec des pas­sages très “yum­ba”. Ce titre très con­nu, plus facile à danser, pour­rait ter­min­er la tan­da.

Si je vois qu’il faut rac­crocher les wag­ons, je pour­rais pass­er à Canaro à Paris en troisième titre de la tan­da, qui est plus ras­sur­ant pour les danseurs et qui com­porte de mag­nifiques solos de ban­donéon et de vio­lon­celle.

3) alter­na­tive selon la récep­tion de De flo­reo. Canaro en París 1949-11-28 — Orques­ta Osval­do Pugliese

Le 4e titre pour­ra être un titre « phare de Pugliese », même si cela nuit un peu à l’harmonie de la tan­da. Sinon, La Cachi­la pour­ra faire l’affaire.

Si je vois que Boe­do ne passe pas très bien (tous les danseurs ne sont pas sur la piste), j’activerai l’aiguillage plus tôt et je bas­culerai vers les grands stan­dards, en ne pas­sant donc pas De flo­reo et autres.
Pass­er une tan­da de Pugliese avec des titres peu con­nus donne des sueurs froides au DJ. Pour cette rai­son, il est indis­pens­able, lorsque l’on ne con­naît pas le pub­lic, d’être prêt à tout chang­er à la volée et c’est un bon exem­ple de l’impossibilité de faire des playlists à l’avance, sauf si on est DJ rési­dent et que l’on passe la musique toutes les semaines dans le même lieu, car, dans ce cas, on apprivoise les danseurs en for­mant leur goût. C’est d’ailleurs une respon­s­abil­ité du DJ rési­dent, car à rou­tin­er les danseurs sur un style de musique, on risque de les éloign­er de la com­mu­nauté tanguera. Par exem­ple, dans cer­taines milon­gas, le DJ rési­dent met beau­coup de tan­go alter­natif ou des titres peu typ­iques. Les danseurs s’y habituent et ont ensuite du mal à aller dans des milon­gas « nor­males ». Ouvrir les oreilles et les hori­zons, c’est bien, mais il ne faut pas oubli­er le cœur du tan­go.
À bien­tôt les amis !

De flo­reo 1950-03-29 — Orques­ta Osval­do Pugliese – L’écoute des tour­bil­lons de musique qui entrent dans les oreilles.

Ventarrón 1933-03-13 Orquesta Típica Victor con Alberto Gómez (y Elvino Vardaro)

Pedro Maffia Letra : José Horacio Staffolan

Le tan­go du jour a été enreg­istré il y a exacte­ment 91 ans par Adol­fo Cara­bel­li à la tête de l’Orquesta Típi­ca Vic­tor. Le chanteur d’estribillo est Alber­to Gómez, mais un autre soliste fait de ce titre une mer­veille, le vio­loniste Elvi­no Var­daro.

Nous avons large­ment par­lé de la Vic­tor et de ses orchestres. Cara­bel­li est son pre­mier chef d’orchestre. Alber­to Gómez a enreg­istré deux fois ce titre en mars 1933. Le 6, comme chanteur de la ver­sion « chan­son » et le 13, pour une ver­sion de danse. Il est intéres­sant de com­par­er les deux ver­sions pour encore plus se famil­iaris­er entre les deux types de tan­gos que cer­tains danseurs, voire DJ n’assimilent pas tou­jours.

Elvino Vardaro (Buenos Aires le 18 juin 1905 — Argüello 5 août 1971)

Elvi­no Var­daro. Enfant, dans les années 40 et dans les années 60. Sur la dernière image, on remar­que que son pouce droit a per­du une pha­lange, à la suite d’un acci­dent quand il avait cinq ans.

Le 10 de julio 1919, il donne son pre­mier con­cert. Au pro­gramme de la musique clas­sique. Pour sub­venir aux besoins de sa famille, il com­mence alors à jouer au ciné­ma pour accom­pa­g­n­er les films muets. Rodol­fo Bia­gi puis Luis Vis­ca l’y remar­quent et finale­ment, Juan Maglio (Pacho) en 1922 vient le chercher au ciné­ma pour l’intégrer dans on orchestre. Il a alors 17 ans.
Son pro­fesseur de vio­lon, Doro Gor­gat­ti lui aurait dit : « Quel dom­mage que vous jouiez des tan­gos, vous pour­riez jouer très bien du vio­lon ! ».
Une chance pour nous qu’il ait pour­suivi dans sa voie.
Il tra­vaille en effet avec dif­férents orchestres et intè­gr­era les pres­tigieux orchestres de la Vic­tor où il fera mer­veille, comme vous pour­rez l’entendre dans le tan­go du jour.
Il mon­tera à divers­es repris­es des orchestres de tailles dif­férentes quin­tette, sex­tette, sep­tuor et même típi­ca, mais sans réel suc­cès et peu d’enregistrements. En revanche, il a par­ticipé qua­si­ment à tous les orchestres, Canaro, Di Sali, do Reyes, Fir­po, Frese­do, Maf­fia, Piaz­zol­la, Pugliese et a ter­miné sa car­rière dans l’orchestre sym­phonique de l’orchestre de Cor­do­ba.
Sa vir­tu­osité a inspiré à Argenti­no Galván une com­po­si­tion musi­cale « Vio­li­no­manía », qu’il a heureuse­ment enreg­istrée avec le Brighton Jazz Orques­ta, un orchestre qu’il dirigeait dans les années 1940. Ce n’est pas du tan­go, mais je le plac­erai en fin de cet arti­cle pour que vous puissiez juger de sa vir­tu­osité.
Je ne vous donne pas d’autre indi­ca­tion pour l’écoute du tan­go du jour. Si vous ne détectez pas immé­di­ate­ment le vio­lon de Var­daro, arrêtez le tan­go, met­tez-vous au reg­gae­ton.

Extraits musicaux

En pre­mier, je vous pro­pose la ver­sion de danse. Elle a été enreg­istrée une semaine après la ver­sion en chan­son.

Ven­tar­rón 1933-03-13 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor con Alber­to Gómez

Dans cette ver­sion, le deux­ième soliste, c’est le vio­loniste Elvi­no Var­daro. Je vous laisse l’écouter et avoir la chair de poule en l’entendant. Fab­uleux.

Ven­tar­rón 1933-03-06 Alber­to Gómez accom­pa­g­né par un orchestre

Il n’est pas cer­tain que l’orchestre soit la Típi­ca Vic­tor. C’est une ver­sion chan­tée et donc, l’important, c’est le chanteur, l’orchestre est au sec­ond plan.
Cette ver­sion n’est pas pour le bal et est à mon avis musi­cale­ment moins intéres­sante. Je reste donc avec ma ver­sion chérie, celle du 13 mars que je pro­pose de temps à autre en milon­ga, notam­ment en Europe où la Típi­ca Vic­tor a plutôt la cote.

Les paroles

Por tu fama, por tu estam­pa,
sos el male­vo men­ta­do del ham­pa;
sos el más tau­ra entre todos los tauras,
sos el mis­mo Ven­tar­rón.

¿Quién te iguala por tu ran­go
en las canyengues que­bradas del tan­go,
en la con­quista de los cora­zones,
si se da la ocasión?

Entre el mal­e­va­je,
Ven­tar­rón a vos te lla­man…
Ven­tar­rón, por tu cora­je,
por tus haz­a­ñas todos te acla­man…

A pesar de todo,
Ven­tar­rón dejó Pom­peya
y se fue tras de la estrel­la
que su des­ti­no le señaló.

Muchos años han pasa­do
y sus guapezas y sus berretines
los fue dejan­do por los cafetines
como un cas­ti­go de Dios.

Solo y triste, casi enfer­mo,
con sus der­ro­tas mordién­dole el alma,
volvió el male­vo bus­can­do su fama
que otro ya con­quistó.

Ya no sos el mis­mo,
Ven­tar­rón, de aque­l­los tiem­pos.
Sos cartón para el ami­go
y para el maula un pobre cristo.

Y al sen­tir un tan­go
com­padrón y reto­ba­do,
recordás aquel pasa­do,
las glo­rias gua­pas de Ven­tar­rón.

Pedro Maf­fia Letra : José Hora­cio Staffolan

Dans la ver­sion de danse du 13 mars, Gomez ne chante que deux cou­plets (en gras dans le texte). En revanche le vio­lon chante tout le reste, c’est lui la vedette de ce tan­go.  
Dans la ver­sion chan­son, Gomez chante la total­ité des cou­plets, dans l’ordre indiqué, sans reprise. De brefs moments instru­men­taux don­nent une petite res­pi­ra­tion, mais la voix est qua­si­ment tou­jours présente et on peut avoir une impres­sion de monot­o­nie qui fait que ce tan­go ne pour­rait pas porter de façon sat­is­faisante à l’improvisation.
Il con­vient donc dans cette ver­sion de porter atten­tion aux paroles. Heureuse­ment, elles ne posent pas de prob­lème par­ti­c­uli­er.
En voici une tra­duc­tion libre :
Par ta renom­mée, par ton image, tu es le méchant attitré du gang ; tu es le plus caïd par­mi tous les caïds, tu es le Ven­tar­rón même (vent furieux).
Qui t’égale pour ton rang dans les brisées du tan­go canyengue (façon de danser du canyengue, inspirée de la pos­ture du com­bat à l’arme blanche), dans la con­quête des cœurs, si l’occasion s’en présente ?
Dans l’assemblée des voy­ous, ils t’appellent Ven­tar­rón… Ven­tar­rón, pour ton courage. Pour tes exploits tout le monde t’acclame…
Mal­gré tout, Ven­tar­rón a délais­sé Pom­peya (quarti­er de Buenos Aires) et a suivi l’étoile que son des­tin lui a indiquée.
De nom­breuses années ont passé et ses témérités et ses faus­setés, il les a aban­don­nées pour les cafés, comme un châ­ti­ment de Dieu.
Seul et triste, presque malade, avec ses défaites mor­dant son âme, le bagar­reur est revenu cher­chant sa renom­mée qu’un autre a déjà con­quise.
Tu n’es plus le même, Ven­tar­rón, de cette époque. Tu es un cave pour l’ami (le foot­balleur Mes­si dirait bobo plutôt que cave) et pour le lâche un pau­vre hère.
Et quand tu sens un tan­go ami­cal et passé de mode, tu te sou­viens de ce passé, des gloires téméraires de Ven­tar­rón.

Là où on revient à mon violoniste adoré

Je vous l’avais promis, on ter­mine avec d’Elvino Vararo, le meilleur vio­loniste de tan­go du 20e siè­cle.
Argenti­no Galván a écrit Vio­li­no­manía en l’honneur de la vir­tu­osité d’Elvino Vararo. Celui-ci l’a enreg­istré à la tête du Brighton Jazz Orques­ta en 1941 à Buenos Aires. Elvi­no dirigeait cet orchestre à la radio « El Mun­do » et pour des con­certs dans dif­férents lieux, cabarets,confiterias, bals…

Vio­li­no­manía 1941 — Brighton Jazz Orques­ta, direc­tion et vio­lon, Elvi­no Vararo (Argenti­no Galván)

Pour être com­plet, je devrais sans doute citer qu’il a enreg­istré le même jour Fre­n­e­si, un morceau de « Rum­ba fox-trot », tou­jours avec le Brighton Jazz et les chanteurs Nito et Roland. C’est moins vir­tu­ose, mais représen­tatif d’un orchestre de Jazz à l’âge d’or du tan­go.

Fre­n­e­si 1941, Brighton Jazz Orques­ta, direc­tion et vio­lon, Elvi­no Vararo, con Nito y Roland (Alber­to Domingez)

Pour clore le chapitre en revenant au tan­go, même si c’est du tan­go à écouter et pas à danser, voici Pico de oro qu’Elvino a enreg­istré avec son orchestre en 1953.

Pico de oro 1953 — Elvi­no Var­daro y su Orques­ta Típi­ca (Juan Car­los Cobián Letra: Enrique Cadí­camo).
De nom­breuses années ont passé et ses témérités et ses faus­setés, il les a aban­don­nées pour les cafés, comme un châ­ti­ment de Dieu.

Quelles sont les dates de l’âge d’or en tango de danse ?

What are the dates of the golden age of dance tango?

Pour un DJ, l’âge d’or, c’est prin­ci­pale­ment l’époque ou le tan­go de danse était à la mode. Mais pour qu’un âge d’or arrive, il faut dif­férents élé­ments précurseurs et pour qu’il se ter­mine, il faut que l’élan s’épuise. Nous allons voir l’évolution de ce phénomène.

For a DJ, the gold­en age is main­ly the time when dance tan­go was in fash­ion. But for a gold­en age to come, there must be dif­fer­ent pre­cur­sors, and for it to end, the momen­tum must be exhaust­ed. We will see how this phe­nom­e­non evolves.

L’âge d’or du tan­go

Le prototango, le tango d’avant le tango

Dans l’article sur les styles du tan­go, vous trou­verez des traces de l’histoire musi­cale, mais la musique n’est qu’un des aspects. Pour que l’âge d’or se man­i­feste, il faut égale­ment que la pra­tique de cette cul­ture sorte des cer­cles restreints où elle est née.
L’Europe et par­ti­c­ulière­ment la France ont joué un rôle cer­tain dans cette nais­sance. L’exposition uni­verselle de 1900 a été l’occasion pour de nom­breux Argentins argen­tés, de faire de Paris, leur point de chute, ou de plaisir.
Un cer­tain nom­bre d’entre eux qui avaient goûté aux charmes du tan­go à la fin du 19e siè­cle l’ont encour­agé à Paris. Un des exem­ples les plus con­nus est celui de Beni­no Macias, auquel on attribue le lance­ment de la furie du tan­go à Paris. Que ce soit cette his­toire ou d’autres, il est cer­tain que dès 1911, le tan­go était entré dans les mœurs à Paris. On pou­vait le danser tous les jours dans plusieurs lieux, ce qui a attiré les orchestres argentins, même s’ils devaient se pro­duire déguisés en gau­chos, car les orchestres étrangers n’étaient autorisés qu’à la con­di­tion d’être «folk­loriques». Le cos­tume était réservé aux orchestres européens.

Prototango, the tango before the tango

In the arti­cle on tan­go styles, you will find traces of musi­cal his­to­ry, but music is only one aspect. In order for the gold­en age to man­i­fest itself, the prac­tice of this cul­ture must also come out of the restrict­ed cir­cles in which it was born.

Europe and par­tic­u­lar­ly France played a cer­tain role in this birth. The Uni­ver­sal Exhi­bi­tion of 1900 was an oppor­tu­ni­ty for many sil­ver-lov­ing Argen­tini­ans to make Paris their place of stay, or of plea­sure. A num­ber of them who had tast­ed the charms of tan­go at the end of the 19th cen­tu­ry encour­aged him in Paris. One of the best-known exam­ples is that of Beni­no Macias, who is cred­it­ed with launch­ing the Tan­go Fury in Paris. Whether it is this sto­ry or oth­ers, it is cer­tain that by 1911, tan­go had become part of the cus­toms in Paris. It could be danced every day in sev­er­al venues, which attract­ed Argen­tine orches­tras, even if they had to per­form dis­guised as gau­chos, as for­eign orches­tras were only allowed on the con­di­tion that they were “folk­loric”. The cos­tume was reserved for Euro­pean bands.

Pourquoi Pas, revue wal­lonne de Louis Dumont-Wilden, George Gar­nir et Léon Souguenet (les « trois mous­ti­quaires ») du 4 octo­bre 1929.

La nais­sance du tan­go

Le chan­son­nier Fursv affirme, dans ses mémoires, avoir assisté, vers 1900, à la nais­sance du tan­go, l’Abbaye Albert », à Mont­martre.
— Par­mi les Argentins qui venaient là, con­te-t-i1, il y avait un cer­tain Beni­no Macias, for­mi­da­ble­ment riche, très nos­tal­gique.
» Un soir, ayant payé l’orchestre pour le sec­on­der dans son pro­jet, il se mit à danser, pour la galerie, une sorte de pas lent, et traîné, coupé de repos ryth­més, et accom­pa­g­né par une mélodie en mineur, d’une infinie mélan­col­ie.
~ Ce fut, sur le moment, de l’étonnement, mieux, de la stu­peur.
» Mais on applau­dit Beni­no Macias, qui dan­sait avec une cer­taine Loulou Christy, fort jolie.
» Huit jours après, il y avait vingt cou­ples qui fai­saient comme eux.» C’est ain­si que le tan­go a fait sa toute pre­mière appari­tion à Paris. »

Pourquoi Pas, revue wal­lonne de Louis Dumont-Wilden, George Gar­nir et Léon Souguenet (les « trois mous­ti­quaires ») du 4 octo­bre 1929.

The birth of tan­go

In his mem­oirs, the chan­son­nier Fursv claims to have wit­nessed, around 1900, the birth of the tan­go, the “Abbaye Albert” in Mont­martre.
“Among the Argen­tini­ans who came there,” he said, “was a cer­tain Beni­no Macias, tremen­dous­ly rich, very nos­tal­gic.
One evening, hav­ing paid the orches­tra to assist him in his project, he began to dance, for the gallery, a sort of slow, drawn-out step, inter­rupt­ed by rhyth­mic rests, and accom­pa­nied by a melody in minor, of infi­nite melan­choly.
~ It was, at the time, aston­ish­ment, or rather, amaze­ment.
But we applaud Beni­no Macias, who danced with a cer­tain Loulou Christy, who was very pret­ty.
Eight days lat­er, there were twen­ty cou­ples doing the same.This is how tan­go made its very first appear­ance in Paris. »

Pourquoi Pas, Wal­loon mag­a­zine by Louis Dumont-Wilden, George Gar­nir and Léon Souguenet (the “three mos­qui­to nets”) of 4 Octo­ber 1929.

Lorsque ces orchestres sont retournés en Argen­tine, auréolés de leurs suc­cès européens, cela a aidé à sor­tir le tan­go de ses lieux mal famés en Argen­tine.
Dans l’article « Une enquête sur le tan­go », vous trou­verez des élé­ments intéres­sants si vous vous intéressez à la ques­tion des débuts du tan­go en France. Vous pou­vez aus­si con­sul­ter le site milon­gaophe­lia, riche en doc­u­ments icono­graphiques.
Donc, pour la France, l’âge d’or se situe dans les années 1910–1935. Cepen­dant, ce tan­go s’y est figé dans le temps et s’est abâ­tar­di pour devenir le tan­go musette qui est une loin­taine réminis­cence du tan­go de style canyengue. Il con­vient donc de retra­vers­er l’Atlantique pour décou­vrir le véri­ta­ble âge d’or.

When these orches­tras returned to Argenti­na, bask­ing in the glo­ry of their Euro­pean suc­cess­es, it helped to bring tan­go out of its dis­rep­utable places in Argenti­na.
In the arti­cle “A sur­vey on tan­go “, you will find inter­est­ing ele­ments if you are inter­est­ed in the ques­tion of the begin­nings of tan­go in France. You can also con­sult the milon­gaophe­lia web­site, rich in icono­graph­ic doc­u­ments.
So, for France, the gold­en age is in the years 1910–1935. How­ev­er, this tan­go has been frozen in time and has bas­tardized to become the tan­go musette which is a dis­tant rem­i­nis­cence of the tan­go of the Canyengue style. It is there­fore appro­pri­ate to cross the Atlantic again to dis­cov­er the true gold­en age.

Les premiers orchestres dorés

Pas de musique sans orchestre.
Le phénomène tan­go se développe donc à Buenos Aires et dans sa jumelle rio­platense.
De nom­breux orchestres se créent, se ren­for­cent et pour accom­pa­g­n­er cette vague, les enreg­istrements se mul­ti­plient. Mal­heureuse­ment, les tech­niques rudi­men­taires de l’époque oblig­ent à jouer d’une façon mar­tiale, de crier plus que de chanter et la musique qui en résulte a du mal à sor­tir du bruit du disque pour don­ner de l’émotion.
On peut con­sid­ér­er que ces pre­miers enreg­istrements ne ren­dent pas jus­tice à ce que jouaient réelle­ment les orchestres devant le pub­lic. On se reportera à l’article sur les pro­grès de l’enregistrement pour en savoir plus.
Ce n’est qu’en 1926 que la qual­ité des enreg­istrements rend enfin jus­tice aux presta­tions des orchestres. Ce biais fait que l’on peut nég­liger le phénomène tan­go antérieur et que par con­séquent, on peut « louper » la détec­tion d’un âge d’or, faute d’enregistrements de qual­ité.
Cepen­dant, lorsque la qual­ité devient sat­is­faisante, la musique est pour sa part assez dif­férente de celle qui sera déployée dans les décen­nies suiv­antes. Des orchestres anciens, comme ceux de Cara­bel­li, Frese­do, Canaro font de fort belles choses, mais l’arrivée d’une nou­velle vague va révo­lu­tion­ner la musique.
Les orchestres devi­en­nent plus vir­tu­os­es à force de pra­ti­quer tous les jours et de se con­cur­rencer dans une vive ému­la­tion.

The First Golden Orchestras

There is no music with­out an orches­tra. The tan­go phe­nom­e­non is there­fore devel­op­ing in Buenos Aires and its Rio­platen­sian twin.
Many orches­tras were cre­at­ed, strength­ened, and to accom­pa­ny this wave, record­ings mul­ti­plied. Unfor­tu­nate­ly, the rudi­men­ta­ry tech­niques of the time forced you to play in a mar­tial way, to shout more than to sing and the result­ing music had dif­fi­cul­ty get­ting out of the noise of the record to give emo­tion.
It can be argued that these ear­ly record­ings do not do jus­tice to what the orches­tras actu­al­ly played in front of the audi­ence. Refer to the arti­cle on the progress of reg­is­tra­tion for more infor­ma­tion.
It was not until 1926 that the qual­i­ty of the record­ings final­ly did jus­tice to the orches­tras’ per­for­mances. This bias means that the pre­vi­ous tan­go phe­nom­e­non can be neglect­ed and that con­se­quent­ly, the detec­tion of a gold­en age can be “missed” due to a lack of qual­i­ty record­ings.
How­ev­er, when the qual­i­ty becomes sat­is­fac­to­ry, the music is quite dif­fer­ent from the one that will be deployed in the fol­low­ing decades. Old orches­tras, such as those of Cara­bel­li, Frese­do, Canaro did very beau­ti­ful things, but the arrival of a new wave rev­o­lu­tion­ized music. Orches­tras become more vir­tu­oso by dint of prac­tic­ing every day and com­pet­ing with each oth­er in live­ly emu­la­tion.

El Mun­do du dimanche 1er octo­bre de 1944.

Les quatre piliers

Le pre­mier orchestre à décoller est sans con­teste celui de Juan D’Arienzo, grâce à l’apport prov­i­den­tiel de Rodol­fo Bia­gi (arrangeur et pianiste) à par­tir de décem­bre 1935. Le départ rapi­de de Bia­gi de l’orchestre en 1938 ne rompt pas le nou­veau style de l’orchestre de D’Arienzo qui évoluera dans cette direc­tion jusqu’à la mort de son directeur en 1976.

The Four Pillars

The first orches­tra to take off was undoubt­ed­ly that of Juan D’Arien­zo, thanks to the prov­i­den­tial con­tri­bu­tion of Rodol­fo Bia­gi (arranger and pianist) from Decem­ber 1935. Biag­i’s rapid depar­ture from the orches­tra in 1938 did not break the new style of D’Arien­zo’s orches­tra, which would evolve in this direc­tion until the death of its con­duc­tor in 1976.

Juan d’Arien­zo — Gran Hotel Vic­to­ria (Hotel Vic­to­ria) 1935-07-02, avant Bia­gi.
Juan d’Arien­zo — El flete 1936-04-03, après Bia­gi. On entend les ding ding du piano de Bia­gi.

Peu après, Car­los Di Sar­li qui était à la tête d’un sex­te­to jusqu’au début des années 30 se lance avec un orchestre qui prend sa dimen­sion dans les décades des années 40 et 50.

Short­ly after­wards, Car­los Di Sar­li, who was at the head of a sex­tet until the ear­ly 1930s, launched him­self with an orches­tra that took on its dimen­sion in the 1940s and 1950s.

Car­los Di Sar­li (Sex­te­to) — T.B.C. 1928-11-26
Car­los Di Sar­li — El amanecer 1942-06-23
Car­los Di Sar­li — El amanecer 1951-09-26 — La ver­sion de 1954-08-31 aurait égale­ment pu être prise comme exam­ple.

Troi­lo arrive au début des années 40, suivi de près par Pugliese.

L’âge d’or peut être défi­ni comme la péri­ode d’activité max­i­male de ces qua­tre orchestres. Celle où l’on pou­vait danser chaque semaine avec des orchestres épous­tou­flants.

Troi­lo arrived in the ear­ly 1940s, close­ly fol­lowed by Pugliese.

The Gold­en Age can be defined as the peri­od of max­i­mum activ­i­ty of these four orches­tras. The one where you could dance every week with breath­tak­ing orches­tras.

La fin de l’âge d’or

The End of the Golden Age

Le rock et d’autres musiques vont chang­er les habi­tudes des danseurs et amorcer le déclin du tan­go.

Les années 40 voient les qua­tre piliers dans leur péri­ode de gloire. Dans les années 50, ils con­tin­u­ent leur évo­lu­tion, mais en par­al­lèle, l’arrivée de nou­veaux goûts chez les danseurs, notam­ment le rock, fait que la pra­tique com­mence à baiss­er est que les orchestres se tour­nent vers des formes plus con­cer­tantes.
Troi­lo et Pugliese pro­duisent dans leurs dernières années des titres nova­teurs et nos­tal­giques, à la recherche d’un sec­ond souf­fle, plus ori­en­té vers le con­cert que la danse.
Car­los Di Sar­li, peut-être plus dans l’air du temps qui demandait une musique plus roman­tique a con­tin­ué dans son style jusqu’à la fin des années 50, sans sac­ri­fi­er à la danse.
Quant à d’Arienzo, son style énergique en a fait une bête de scène qui lui per­me­t­tait d’animer des con­certs eupho­risants jusqu’à sa mort en 1976. Ses musi­ciens (sous la direc­tion de Car­los Laz­zari, ban­donéiste et arrangeur de D’Arienzo) puis de nom­breux orchestres con­tem­po­rains per­pétuent ce style fes­tif et énergique jusqu’à nos jours qui con­tin­u­ent d’enchanter les danseurs, comme les audi­teurs.
Cepen­dant, il est cer­tain que le rock et d’autres modes ayant éloigné les danseurs du tan­go, il est dif­fi­cile de faire con­tin­uer l’âge d’or après les années 50.

The 1940s saw the four pil­lars in their hey­day. In the 1950s, they con­tin­ued to evolve, but at the same time, the arrival of new tastes among dancers, espe­cial­ly rock, meant that the prac­tice began to decline and that orches­tras turned to more con­cer­tante forms.
In their last years, Troi­lo and Pugliese pro­duced inno­v­a­tive and nos­tal­gic tracks that were more ori­ent­ed towards con­cert than dance in search of a sec­ond wind.
Car­los Di Sar­li, per­haps more in tune with the times who demand­ed more roman­tic music, con­tin­ued in his style until the end of the 50s, with­out sac­ri­fic­ing dance.
As for d’Arien­zo, his ener­getic style made him a beast of the stage, allow­ing him to host euphor­ic con­certs until his death in 1976. Its musi­cians (under the direc­tion of Car­los Laz­zari, D’Arien­zo’s ban­doneist and arranger) and many con­tem­po­rary orches­tras per­pet­u­ate this fes­tive and ener­getic style to this day, which con­tin­ues to enchant dancers and lis­ten­ers alike. How­ev­er, rock and oth­er fash­ions have cer­tain­ly kept dancers away from tan­go, mak­ing it dif­fi­cult to con­tin­ue the gold­en age after the 1950s.

Le lancement du disque, ou la seconde mort du tango de danse

The launch of the LP, or the second death of dance tango

Le disque LP et la stéréo­phonie ont changé la musique de tan­go.

Un autre phénomène se développe dans les années 50, le microsil­lon et en 1958, le son stéréo. Cette inven­tion avec l’augmentation de la qual­ité de la musique, la plus grande durée de musique par disque (env­i­ron 8 fois plus par disque), fait que l’on peut pos­séder beau­coup plus de musique sans que cela devi­enne trop envahissant, d’autant plus que les dis­ques microsil­lons sont plus légers et fins que les anciens 78 tours en shel­lac.
Le son stéréo a rapi­de­ment for­mé les oreilles des audi­teurs, reléguant les anciens enreg­istrements au ray­on des antiq­ui­tés. Pour essay­er de con­tr­er ce mou­ve­ment et « mod­erniser » leur fond ancien, les édi­teurs de musique ont réédité les tan­gos des années 30 et 40 en vinyle (microsil­lon) en rajoutant de la réver­béra­tion. Cela donne une impres­sion d’espace et per­met de faire du « stéréo like » à peu de frais. Aujourd’hui ces vinyles sont très mal vus, car la réver­béra­tion nuit au mes­sage sonore.

Anoth­er phe­nom­e­non devel­oped in the 1950s, the LP, and in 1958, stereo sound. This inven­tion with the increase in the qual­i­ty of music, and the longer dura­tion of music per record (about 8 times more per record), means that one can own much more music with­out it becom­ing too intru­sive, espe­cial­ly since LP records are lighter and thin­ner than the old shel­lac 78s.
The stereo sound quick­ly trained lis­ten­ers’ ears, rel­e­gat­ing old record­ings to the antique shelf. To try to counter this move­ment and “mod­ern­ize” their old back­ground, music pub­lish­ers have reis­sued tan­gos from the 30s and 40s on vinyl (LP) by adding reverb. This gives the impres­sion of space and allows you to “stereo like” at lit­tle cost. Today, these vinyls are very frowned upon, because the reverb detracts from the sound mes­sage.

La valse de Juan D’Arien­zo — No llores madre de 1936-07-03 a été dif­fusée dans un pre­mier temps sur disque shel­lac. Lors de la réédi­tion en microsil­lon (LP), pour lui don­ner un air de “stéréo”, les ingénieurs du son ont rajouté de la réver­béra­tion, ce qui a pol­lué la musique orig­i­nale.

Ces deux don­nées expliquent aus­si le déclin des orchestres de bal. En effet, il deve­nait pos­si­ble de jouer de la musique de tan­go pen­dant une demi-heure, sans aucune manip­u­la­tion et sans avoir à pay­er un orchestre.

These two fac­tors also explain the decline of ball­room bands. Indeed, it became pos­si­ble to play tan­go music for half an hour, with­out any manip­u­la­tion and with­out hav­ing to pay for an orches­tra.

Le petit âge d’or, le moyen âge d’or et le grand âge d’or

The Little Golden Age, the Golden Age and the Great Golden Age

L’âge d’or du tan­go. Illus­tra­tion libre, ne pas y chercher une vérité his­torique… / The gold­en age of tan­go. Free illus­tra­tion, do not look for his­tor­i­cal truth…

Une déf­i­ni­tion très stricte de l’âge d’or est par­fois don­née et qui est bornée par la péri­ode où les 4 piliers jouaient, donc de 1943 (arrivée sur le marché du disque de Pugliese), jusqu’à l’arrivée du microsil­lon, aux alen­tours de 1955.
Comme on aime bien arrondir, on définit cette péri­ode comme courant de 1940 à 1955.
Cepen­dant, cela enlève les mer­veilleux enreg­istrements de D’Arienzo de la sec­onde moitié des années 30. Il est donc plus courant de définir un « moyen âge d’or » de 1935 à 1955. Les comptes sont ronds, vingt ans tout juste. En Europe, la nos­tal­gie et la famil­iar­ité avec le tan­go musette et ital­ien, font que la vieille garde est égale­ment appré­ciée. Cela per­met d’inclure des orchestres qui ont beau­coup de suc­cès dans les « encuen­tros milongueros », comme Canaro, Dona­to, Cara­bel­li ou Frese­do. Tou­jours pour favoris­er les comptes justes, on étend par­fois l’âge d’or de 1930 à 1955.

A very strict def­i­n­i­tion of the gold­en age is some­times giv­en which is lim­it­ed by the peri­od when the 4 pil­lars were play­ing, i.e. from 1943 (arrival on the mar­ket of the Pugliese record), until the arrival of the LP, around 1955.
Since we like to round up, we define this peri­od as cur­rent from 1940 to 1955.
How­ev­er, this takes away from the won­der­ful D’Arien­zo record­ings from the sec­ond half of the 1930s. It is there­fore more com­mon to define a “gold­en mid­dle” from 1935 to 1955. The accounts are round, just twen­ty years. In Europe, nos­tal­gia and famil­iar­i­ty with musette and Ital­ian tan­go mean that the old guard is also appre­ci­at­ed. This makes it pos­si­ble to include orches­tras that are very suc­cess­ful in the “encuen­tros milongueros”, such as Canaro, Dona­to, Cara­bel­li, or Frese­do. Also in order to pro­mote fair accounts, the gold­en age is some­times extend­ed from 1930 to 1955.

Le support de l’âge d’or

The support of the Golden Age

Un disque 78 tours en shel­lac. Ici, une valse de D’Arien­zo, En tu corazón. / A 78 rpm shel­lac record. Here, a waltz from D’Arien­zo, En tu corazón.

C’est le réper­toire qu’utilisent les DJ les plus « tra­di­tion­nels ».
Sig­nalons que dans ce mou­ve­ment « tra­di­tion­nel » cer­tains DJ revendiquent la dif­fu­sion en milon­ga à par­tir de dis­ques vinyle, un sup­port anachronique. Mais les modes ont-elles à se jus­ti­fi­er ? Quelques DJ utilisent des dis­ques shel­lac par souci de vérité his­torique. Mais là, c’est jouer avec le pat­ri­moine et cette pra­tique me sem­ble non recom­mand­able, car nuis­i­ble avec notre héritage, sans aucune valeur ajoutée en ter­mes de musique. Les véri­ta­bles col­lec­tion­neurs respectent ces tré­sors et ne les exposent pas à la ruine.

This is the reper­toire used by the most “tra­di­tion­al” DJs.
It should be not­ed that in this “tra­di­tion­al” move­ment, some DJs claim to broad­cast in milon­ga from vinyl records, an anachro­nis­tic medi­um. But do fash­ions have to be jus­ti­fied? Some DJs use shel­lac records for the sake of his­tor­i­cal truth. But in this case, it’s play­ing with her­itage and this prac­tice seems to me to be rec­om­mend­able, because it is harm­ful to our her­itage, with­out any added val­ue in terms of music. True col­lec­tors respect these trea­sures and do not expose them to ruin.

Vers un nouvel âge d’or ?

Towards a new golden age?

Vers un nou­v­el âge d’or du tan­go ? / Towards a new gold­en age?

Le tan­go est né et est ressus­cité à dif­férentes repris­es, sous des aspects légère­ment dif­férents à chaque fois.
Peut-être sommes-nous à l’aube d’un nou­v­el âge d’or du tan­go de danse ? Les avions n’ont jamais trans­porté autant de tangueros à Buenos Aires. En Europe, il n’y a pas une ville de quelque impor­tance sans une com­mu­nauté tanguera.
Cette com­mu­nauté est inter­na­tionale. Il est pos­si­ble de danser avec des parte­naires venus du monde entier et de s’entendre dès la pre­mière tan­da com­mune. C’est un des mir­a­cles du tan­go. Cepen­dant, ce pat­ri­moine est frag­ile, comme les dis­ques shel­lac. Il con­vient de le préserv­er et de ne pas le déna­tur­er en s’éloignant de ce qui fait la par­tic­u­lar­ité de la danse.

Tan­go was born and res­ur­rect­ed on dif­fer­ent occa­sions, in slight­ly dif­fer­ent aspects each time.
Maybe we are at the dawn of a new gold­en age of dance tan­go? Planes have nev­er car­ried so many tangueros to Buenos Aires. In Europe, there is not a city of any impor­tance with­out a tanguera com­mu­ni­ty.
This com­mu­ni­ty is inter­na­tion­al. It is pos­si­ble to dance with part­ners from all over the world and to hear each oth­er from the first tan­da togeth­er. This is one of the mir­a­cles of tan­go. How­ev­er, this her­itage is frag­ile, like shel­lac records. It should be pre­served and not dis­tort­ed by dis­tanc­ing one­self from what makes dance so spe­cial.

Épilogue

Epilogue

Dif­fi­cile d’imag­in­er ce que sera le tan­go dans un siè­cle. Espérons qu’il sera dans un nou­v­el âge d’or. / It’s hard to imag­ine what tan­go will be like in a cen­tu­ry. Hope­ful­ly it will be in a new gold­en age.

Un DJ actuel a le choix de qua­si­ment un siè­cle de musique pour ani­mer ses milon­gas. Il con­vient cepen­dant qu’il ne sépare pas les danseurs de ce qui est le plus pré­cieux, le tan­go de l’âge d’or. Il devra donc veiller à tou­jours don­ner à écouter et danser cette référence, les grands tan­gos de bals des années 35–55, ou 30–55, ou 40–55.
Charge aux danseurs et à leurs pro­fesseurs, de com­pren­dre ce qui fait du tan­go une danse si par­ti­c­ulière et pourquoi il est impor­tant de la reli­er à une musique par­faite pour lui. Pour ter­min­er, je souhaite rap­pel­er que le tan­go de danse n’est qu’une par­tie de la cul­ture tan­go et que je n’ai par­lé d’âge d’or que pour le DJ. Des ama­teurs de tan­go à écouter pour­raient plac­er leur âge d’or dans les années Piaz­zol­la. En effet, celui-ci crée son octe­to en 1955 et ses propo­si­tions musi­cales débuteront le cli­vage entre tra­di­tion et moder­nité. On pour­rait donc par­ler d’un âge d’or du tan­go d’écoute de 1955 à 1990…

A today DJ has the choice of almost a cen­tu­ry of music to liv­en up his milon­gas. How­ev­er, he should not sep­a­rate the dancers from what is most pre­cious, the tan­go of the gold­en age. He will there­fore have to make sure that he always gives to lis­ten to and dance to this ref­er­ence, the great balls of the years 35–55, or 30–55, or 40–55.
It is up to the dancers and their teach­ers to under­stand what makes tan­go such a spe­cial dance and why it is impor­tant to con­nect it to music that is per­fect for them. To con­clude, I would like to remind you that dance tan­go is only one part of the tan­go cul­ture and that I have only spo­ken of a gold­en age for the DJ. Tan­go lovers to lis­ten to could place their gold­en age in the Piaz­zol­la years. Indeed, he cre­at­ed his octe­to in 1955 and his musi­cal pro­pos­als began the divide between tra­di­tion and moder­ni­ty. We could there­fore speak of a gold­en age of lis­ten­ing tan­go from 1955 to 1990…

Les styles du tango

El Mun­do du dimanche 1er octo­bre de 1944.

Il sem­ble que tout a été dit sur les styles de tan­go. Je vous pro­pose cepen­dant un petit point, vu essen­tielle­ment sur l’aspect du tan­go de danse.

Ce qu’il con­vient de pren­dre en compte, c’est que les péri­odes générale­ment admis­es sont en fait toutes rel­a­tives.

Les orchestres ont, selon les cas, con­tin­ué un style qui leur réus­sis­sait au-delà d’autres orchestres et a con­trario, d’autres ont innové bien avant les autres, voire, sont revenus en arrière, remet­tant en avant des élé­ments dis­parus depuis plusieurs décen­nies.

On peut donc avoir deux enreg­istrements con­tem­po­rains appar­tenant à des courants forts dif­férents. C’est par­ti­c­ulière­ment sen­si­ble à par­tir des années 50, où la baisse de la pra­tique de danse a incité les orchestres à dévelop­per de nou­veaux hori­zons, sou­vent en réchauf­fant des plats plus anciens.

Les origines (avant le tango)

Il ne s’agit pas ici de tranch­er dans un des nom­breux débats entre spé­cial­istes des orig­ines. Du strict point de vue de la danse, les pre­miers tan­gos sont proche du style habanero et par con­séquent, c’est plus du côté des habaneras qu’il con­vient de trou­ver la forme de danse.

La habanera

Vous con­nais­sez ce rythme. DaaaTa­daTaDaaa

Pour ceux qui ne sont pas lecteurs de la musique, les bar­res rouges (croches pointées) cor­re­spon­dent à 3 unités tem­porelles rel­a­tives (dou­ble croche), les bar­res bleues à une unité tem­porelle (dou­ble croche) et les bar­res vertes à deux unités tem­porelles (croche). Les bar­res sont donc pro­por­tion­nelles à la durée des notes. Au début de la portée, il y a l’indication 2/4. Cela sig­ni­fie qu’il y a deux noires par mesure (espace entre deux bar­res ver­ti­cales). Les croches valent la moitié d’une noire en durée et les dou­bles croches la moitié d’une croche. Voilà, vous con­nais­sez la lec­ture du rythme en musique (ou pas…).
Rythme de la habanera au piano. retrou­vez le DaaaTa­daTaDaaa…

La habanera porte ce nom, car c’est une resti­tu­tion d’un rythme cubain. L’inventeur du genre est Sebastián de Iradier qui a com­posé El arregli­to (le petit arrange­ment) où il joue avec ce rythme. En voici un extrait et je suis sûr que cela va vous rap­pel­er quelque chose.

Axiv­il Criol­lo — El Arregli­to — Com­pos­i­teur Sebastián de Iradier vers 1840.

Avez-vous trou­vé ?

Oui, vous avez trou­vé. Ce cher Georges Bizet a piqué la musique de Sebastián de Iradier.

Tere­sa Bergan­za chante la Habanera de Car­men de Bizet (le copieur 😉

Ce rythme, très présent dans les pre­miers tan­gos, est devenu plus dis­cret, sauf pour les milon­gas qui l’ont large­ment exploité.

Dans la milon­ga criol­la (ici par l’orchestre de Fran­cis­co Canaro 1936-10-06), on recon­nait par­faite­ment le rythme de la habanera qui a été accélérée et est dev­enue une des pier­res de con­struc­tion des milon­gas.

Lorsque le tan­go de danse a per­du de son élan, les orchestres sont revenus à ces formes tra­di­tion­nelles, au point que les com­pos­i­teurs l’on réin­tro­duit très large­ment.

Autres apports

En par­al­lèle, des formes chan­tées, notam­ment par les payadors et des dans­es, tra­di­tion­nelles, voire trib­ales, ont influ­encé ces prémices, don­nant une grande richesse à ce qui devien­dra le tan­go, notam­ment à tra­vers ses trois formes dan­sées, le tan­go, la milon­ga et la valse.

Les payadors

On lit par­fois que Gardel était un payador. Cepen­dant, même s’il était ami de José Bet­tinot­ti, il n’a pas été directe­ment l’un de ces chanteurs qui s’ac­com­pa­g­naient à la gui­tare en impro­visant. Cepen­dant, l’influence des payadors est indé­ni­able pour le tan­go, comme vous pou­vez en juger. Par cet extrait, qui avec ses relents d’ha­banera pour­rait s’ap­procher d’une milon­ga lente ou d’un canyengue.

José Bet­tinot­ti, El cabrero cir­ca 1913

Exemple d’influence africaine

Par­mi les sources, on met en avant des orig­ines africaines. Même si l’Ar­gen­tine n’a pas été une terre d’esclavage très mar­quée, con­traire­ment à beau­coup d’autres payés du con­ti­nent améri­cain, il y a eu une com­mu­nauté d’o­rig­ine africaine rel­a­tive­ment impor­tante au XIXe siè­cle. Celle-ci s’est atténuée par l’émi­gra­tion, les mariages avec des pop­u­la­tions d’autre orig­ines et quelques faits guer­ri­ers où ils ont servi de chair à canon.

Même si l’Ar­gen­tine a absorbé des élé­ments, c’est plutôt la province de l’Est, l’U­ruguay qui a le plus été influ­encé par ces musiques, notam­ment les per­cus­sions.

Can­dombe solo para Uruguayos — Hugo Fat­toru­so — “Cam­i­nan­do” , Toma de Sonido Dario Ribeiro

Le can­dombe et la milon­ga can­dombe se retrou­vent à la mode dans les années 50, bien avant que Juan Car­los Cacéres relance la mode.

Siga el baile 1953-10-28 — Alber­to Castil­lo y su Orques­ta Típi­ca dirigé par Ángel Con­der­curi.

La dénom­i­na­tion “tan­go” est sou­vent asso­ciée à la défor­ma­tion de “tam­bo” et désig­nait des lieux ou la com­mu­nauté noire dan­sait. Il faut voir un juge­ment négatif par la bonne société blanche. Le terme est devenu syn­onyme de bam­boche, de débauche, ou pour le moins de moeurs légères. La musique des faubourgs, même si elle n’é­tait pas issue des Africains a hérité de ce voca­ble péjo­ratif, lorsque le tan­go s’est dévelop­pé dans les bor­dels et autres lieux choquants pour la bonne société.

Les origines européennes

L’im­mi­gra­tion européenne a apporté sa musique. Pour el vals, même criol­lo, on est très proche de la valse et des artistes comme Canaro ont même adop­té des valses vien­nois­es.

Pour la milon­ga, c”est un peu moins évi­dent de retrou­ver des sources européennes, si ce n’est que la mode de la habanera en Europe et les échanges dans le monde lati­noaméri­cain ont favorisé sa dif­fu­sion. La habanera sym­bol­i­sait le marin pour l’Eu­rope. La milon­ga, on devrait même écrire les milon­gas sont une sal­sa, un mélange d’in­flu­ences.

Les débuts du tan­go dans les faubourgs et les milieux inter­lopes ont con­duit celui-ci à des formes assez pop­u­laires, voire out­rées que le canyengue d’aujourd’hui a du mal à retraduire en total­ité.

La naissance européenne

Dis­ons-le, tout bon­nement, ce tan­go d’avant le tan­go n’est pas au sens strict du tan­go. À cela se rajoute que les rares enreg­istrements de l’époque ont été réal­isés par voie acous­tique et qu’ils ne sont donc pas du tout adap­tés à nos oreilles con­tem­po­raines.

Voir les pro­grès de l’en­reg­istrement pour plus d’in­for­ma­tions sur l’en­reg­istrement acous­tique.

Vu les lieux où le tan­go était joué et mal­gré la fréquen­ta­tion par des ninos bien (jeunes hommes de bonne famille), le tan­go ne s’est pas fait une place impor­tante en Argen­tine avant d’ac­quérir ses let­tres de noblesse en Europe et notam­ment en France.
Il y a une théorie dif­férente qui se base sur un film réal­isé en 1900 à Buenos Aires par Eugene Py. Le prob­lème est que si Py a bien réalise un film, on ne l’a pas retrou­vé. Un film est con­sid­éré par cer­tains comme le film de Py qui aurait été retrou­vé.

Dans ce film, on voit deux danseurs dans un décor pra­ti­quer une forme de tan­go. Ce film est par­fois qual­i­fié de pre­mier film de tan­go qui cor­re­spondrait à un film enreg­istré en 1900 par Eugène Py. La qual­ité de l’im­age, le vête­ment de la femme, le style de danse font plutôt dater ce film des années 1920. Les par­ti­sans de l’at­tri­bu­tion à Eugène Py indique que le film orig­i­nal a été réal­isé en extérieur, sur la ter­rasse de l’en­tre­prise Casa Lep­age À Buenos Aires. On peut voir qu’i­ci, il s’ag­it d’un décor qui peut avoir été placé en extérieur pour faire croire a un intérieur. Cela sem­ble un peu exagéré pour ce type de film. En admet­tant que ce soit le cas, les danseurs seraient des gens de la haute société. Aus­si, pourquoi servi­raient-ils de fig­u­rants ? Il est plus sim­ple d’imag­in­er que ce sont des danseurs qui jouent un rôle. Donc, si ce film est de 1900 (ce dont je doute), il peut s’a­gir de danseurs fig­u­rants. Si le film est de 1920, il peut s’a­gir de per­son­nes plus for­tunées qui présen­tent leurs per­for­mances de danse. Je pro­pose donc de rester sur les témoignages écrits et nom­breux et de ne pas suiv­re l’hy­pothèse qui ferait de ce film la preuve que le tan­go était dan­sé dans la haute société dès 1900.

Le style du tango, avant le tango… (Prototango)

Avant 1926, date des pre­miers enreg­istrements élec­triques, pas d’enregistrements util­is­ables en danse.

Argañaraz — Orques­ta Típi­ca Criol­la Alfre­do Gob­bi (1913)

Comme vous pou­vez vous en ren­dre compte, le style som­maire et monot­o­ne de la musique est ren­for­cé par l’obligation de jouer de façon assez forte et peu nuancée pour que le pavil­lon puisse graver le sup­port d’enregistrement. On retrou­ve cepen­dant cer­tains élé­ments « Canyengue » que l’on con­naît par les enreg­istrements élec­triques.

Je vous pro­pose à titre d’exemple, Zor­ro gris un enreg­istrement élec­trique de 1927 par Fran­cis­co Canaro.

Zor­ro gris 1927-08-22, Fran­cis­co Canaro (enreg­istrement élec­trique).

La vieille garde (Guardia vieja)

Gob­bi et Canaro, dans la pre­mière par­tie de leur car­rière, sont des représen­tants de ce que l’on a nom­mé la vieille garde. On ne peut pas réduire cela au canyengue, car dès les années 20 des rythmes dif­férents avaient vu le jour. Se détachant pro­gres­sive­ment du style clau­di­cant du canyengue, les orchestres aban­don­nent la habanera, accélèrent le rythme. Des titres en canyengue devi­en­nent des milon­gas, comme par exem­ple : Milon­ga de mis amores, ici dans la ver­sion de Canaro en 1937 et qui a encore des accents de canyengue :

Extrait de Milon­ga de mis amores 1937-05-26, Fran­cis­co Canaro

con­traire­ment à la ver­sion de la même année par Pedro Lau­renz :

Extrait de Milon­ga de mis amores 1937-07-14, Pedro Lau­renz can­ta Héc­tor Far­rel

Ou celle du même de 1944 :

Extrait de Milon­ga de mis amores 1944-01-14, Pedro Lau­renz

Des orchestres anciens évolu­ent, comme Di Sar­li ou d’Arien­zo, notam­ment à l’ar­rivée de Bia­gi dans l’orchestre et on arrive à la grande péri­ode du tan­go, l’âge d’or.

L’âge d’or (Edad de oro)

C’est la péri­ode con­sid­érée comme la plus adap­tée au tan­go de danse. C’est logique, car à l’époque, le tan­go était une danse à la mode et chaque semaine, plusieurs orchestres se pro­dui­saient.

El Mun­do du dimanche 1er octo­bre de 1944. En rouge, les 4 piliers se pro­duisent le même jour (Hoy). En bleu des orchestres de sec­ond plan, tout à fait dans­ables et en vert, des orchestres un peu moins per­ti­nents pour la danse.

On voit l’énorme choix qui s’adressait aux danseurs. Les musi­ciens jouaient ensem­ble plusieurs fois par semaine et il y avait un cli­mat d’émulation pour ne pas dire de com­péti­tion entre les orchestres.

On remar­quera qu’en face de cha­cun des orchestres de tan­go, il y a un orchestre de « Jazz ». En effet, les bals de l’époque jouaient des gen­res var­iés et les orchestres se spé­cial­i­saient.

Cer­tains comme Canaro avaient deux orchestres, ce qui lui per­me­t­tait d’assurer les deux aspects de la soirée. D’ailleurs, Canaro utilise des cuiv­res dans son orchestre de tan­go, il jouait donc de la lim­ite entre les deux for­ma­tions. Vous avez pu écouter cela dans l’ex­trait de Milon­ga de mis amores, ci-dessus.

Chaque orchestre se dis­tin­guait par un style pro­pre. Cer­tains étaient plus intel­lectuels, comme Pugliese ou De Caro, d’autres plus joueurs, comme Rodriguez ou D’Arienzo, d’autres plus roman­tiques, comme Di Sar­li ou Frese­do et d’autres plus urbains, comme Troi­lo.

Aujourd’hui, dans les milon­gas, le DJ s’arrange pour pro­pos­er ces qua­tre ori­en­ta­tions pour éviter la monot­o­nie et con­tenter les dif­férentes sen­si­bil­ités des danseurs.

Même si la pro­duc­tion de l’époque est essen­tielle­ment tournée vers la danse, il y a égale­ment une pro­duc­tion pour l’écoute.

Sur les dis­ques de l’époque, il est facile de faire la dif­férence, notam­ment pour les tan­gos avec chanteur. En effet, un tan­go à danser est indiqué : Nom de l’orchestre can­ta ou estri­bil­lo can­ta­do por Nom du chanteur. Un tan­go à écouter est indiqué Nom du chanteur y su orques­ta dirigi­do por ou con (avec) Nom de l’orchestre.

Nous n’entrerons pas dans les détails en ce qui con­cerne les styles des orchestres de l’âge d’or, cela fait l’objet d’un de mes cycles de cours/conférence (mini 3 h, voire 6 h). Il con­vient seule­ment de savoir recon­naître le tan­go de danse et de savoir appréci­er les dif­férences de style entre les orchestres.

Pour les DJ, il est impor­tant de tenir compte de l’évolution des styles du même orchestre. Il est sou­vent moins grave de mélanger deux orchestres enreg­istrés à la même époque que de mélanger deux enreg­istrements d’époques styl­is­tique­ment dif­férentes du même orchestre.

Tango Nuevo

C’est celui ini­tié par De Caro, repris ensuite par Troi­lo, Pugliese et Piaz­zol­la, par exem­ple. Il est encore très vivant, notam­ment chez les orchestres de con­cert.

À not­er que Pugliese et Troi­lo sont bien sûr des piliers du tan­go de bal et que leurs incur­sions nuevos, pas tou­jours pour la danse, ne doivent pas mas­quer leur impor­tance dans le bal tra­di­tion­nel.

N’oublions pas que Pugliese a aus­si bien enreg­istré du canyengue, que du tan­go clas­sique avant de faire du Nue­vo… Curieuse­ment, le tan­go dit nue­vo reprend sou­vent des motifs les plus anciens, notam­ment la habanera des tout pre­miers titres du XIXe siè­cle.

Tango Electronico

Style Gotan Project. Il se car­ac­térise prin­ci­pale­ment par une bat­terie et l’utilisation d’instruments élec­tron­iques. Curieuse­ment, il est par­fois assez proche, d’un point de vue ryth­mique, du tan­go musette qui est l’évolution européenne et notam­ment fran­co-ital­i­enne, du tan­go du début du XXe siè­cle.

Comme DJ, j’évite et en tout cas je n’en abuse pas, car cette musique est très répéti­tive et ne con­vient pas aux danseurs avancés. Cepen­dant, il faut recon­naître que cette musique a fait venir de nou­veaux adeptes au tan­go.

Tango alternatif (neotango)

Le tan­go alter­natif con­siste à danser avec des repères « tan­go » sur des musiques qui ne sont absol­u­ment pas conçues comme telles.

Par exem­ple, la Cole­giala de Ramirez est un tan­go alter­natif, puisqu’on le danse en “milon­ga” alors que c’est un fox-trot.

Cer­tains DJ européens pla­cent des zam­bas que les danseurs dansent en tan­go. Quel dom­mage quand on sait la beauté de la danse.

N’oublions pas la dynamique « néotan­go » qui con­siste à danser sur toute musique, chan­son, de tout style et de toute époque. Cela ouvre des hori­zons immenses, car la très grande majorité de la musique actuelle est à 4 temps et per­met donc de marcher sur les temps.

Ce qui manque sou­vent à cette musique, c’est le sup­port à l’improvisation. On peut lui recon­naître une forme de créa­tiv­ité dans la mesure où elle per­met / oblige de sor­tir des repères et donc d’in­nover. Mais est-t-il vrai­ment pos­si­ble d’in­nover en tan­go ? C’est un autre débat.

Pourquoi l’âge d’or est bien adapté à la danse

Si on étudie un tan­go de l’âge d’or, on y décou­vri­ra plusieurs qual­ités favorisant la danse :

  • La musique a plusieurs plans sonores. On peut choisir de danser sur un instru­ment (dont le chanteur), puis pass­er à un autre. On peut aus­si choisir de danser unique­ment la mar­ca­tion (tem­po). Les instru­ments se répon­dent. On peut ain­si se répar­tir les rôles avec les parte­naires en recon­sti­tu­ant le dia­logue en le dansant.
  • La musique se répète plusieurs fois, mais avec des vari­a­tions. Cela per­met de décou­vrir le tan­go au cas où il ne serait pas con­nu et la sec­onde fois, l’oreille est plus famil­ière et l’improvisation est plus con­fort­able. Cette reprise est en général dif­férente de la pre­mière expo­si­tion, mais reste tout à fait com­pa­ra­ble. Par exem­ple, la pre­mière fois le thème est joué au vio­lon ou au ban­donéon et la sec­onde fois, c’est le rôle du chanteur ou d’un autre instru­ment. Si c’est le même instru­ment, il y aura de légères dif­férences dans l’orchestration qui ren­dra l’écoute moins monot­o­ne.
  • Les change­ments de rythme, phras­es, par­ties, sont annon­cés. Un danseur musi­cien ou exer­cé sait recon­naître les par­ties et peut « devin­er » ce qui va suiv­re, ce qui lui per­met d’improviser plus facile­ment sans dérouter sa parte­naire. Je devrais plutôt met­tre cela au pluriel, car les deux mem­bres du cou­ple par­ticipent à l’improvisation. Si la per­son­ne guidée a envie d’appuyer, de mar­quer un élé­ment qui va arriv­er, elle a le temps d’alerter le guideur pour qu’il lui laisse un espace. Les musiques alter­na­tives ou des musiques d’inspiration pus clas­siques, comme cer­taines com­po­si­tions de Piaz­zol­la » pro­posent sou­vent des sur­pris­es qui font qu’elles ne per­me­t­tent pas de devin­er la suite, ou au con­traire, sont telle­ment répéti­tives, que quand revient le même thème de façon iden­tique et mécanique, les danseurs n’ont pas de nou­velles idées et finis­sent par tomber dans une rou­tine. Évidem­ment, les danseurs qui n’écoutent pas la musique et qui se con­tentent de dérouler des choré­gra­phies ne ver­ront pas de dif­férences entre les dif­férents types de tan­go. Ceci explique le suc­cès des pra­tiques neotan­go auprès des débu­tants, même si ces bals ont aus­si du suc­cès auprès de danseurs plus affir­més. En revanche, on ne fera jamais danser, même sous la men­ace, un Portègne sur ce type de musique, en tout cas, en tan­go…

Ne faut-il danser que sur des tangos de l’âge d’or ?

Non, bien sûr que non. Les canyengues et la vieille garde com­por­tent des titres sub­limes et très amu­sants ou intéres­sants à danser. Cer­tains danseurs sont prêts à danser plusieurs heures d’af­filée sur ces rythmes. Cepen­dant, un DJ qui passerait ce genre de musique de façon un peu soutenue à Buenos Aires se ferait écharp­er…

Quelques musiques mod­ernes don­nent des idées agréables à danser. Pour ma part, je pro­pose sou­vent une tan­da de valses « orig­i­nales ». Le rythme à trois temps de la valse reste le même que pour les tan­gos tra­di­tion­nels et le besoin d’improvisation est moins impor­tant, car il s’agit surtout de… tourn­er.

Même si les danseurs avancés aiment moins danser sur les d’Arienzo des années 50 ou postérieures, ils n’y rechig­nent pas tou­jours et l’énergie de ces musiques plaît à de très nom­breux danseurs. C’est donc un domaine à pro­pos­er aux danseurs. D’ailleurs, les orchestres qui font à la manière de du d’Arienzo sont par­ti­c­ulière­ment nom­breux. C’est bien le signe que c’est tou­jours dans l’air du temps.

Pour ter­min­er, je pré­cise que je suis DJ et que par con­séquent, mon tra­vail est de ren­dre les danseurs heureux. J’adapte donc la musique à leur sen­si­bil­ité.

Pour un DJ rési­dent, en revanche, il est impor­tant d’ouvrir les oreilles des habitués. Dans cer­tains endroits, le DJ met tou­jours le même type de musique, pas for­cé­ment de la meilleure qual­ité pour la danse. Le prob­lème est qu’il habitue les danseurs à ce type de musique et que quand ces derniers vont aller dans un autre endroit, ils vont être déroutés par la musique.

L’innovation, c’est bien, mais il me sem­ble qu’il faut tou­jours garder un fond de cul­ture « authen­tique » pour que le tan­go reste du tan­go.

Carlos Gardel, enfant de France

Car­los Gardel à Albi en 1934

Même si la polémique sem­ble éteinte, il reste quelques foy­ers de résis­tance refu­sant encore d’attribuer la nais­sance de Car­los Gardel à Toulouse.

Arti­cle pub­lié le 14 NOVEMBRE 2016 sur l’an­cien site
Depuis, un excel­lent site a vu le jour sur le sujet (Musée virtuel Gardel). Vous y trou­verez des com­plé­ments.

Dans cette mise à jour, j’y fais quelques liens et références. 

La dispute sur la nationalité de Gardel

Plusieurs doc­u­ments irréfuta­bles exis­tent pour prou­ver la nation­al­ité d’o­rig­ine de Car­los Gardel. Ils sont plus solides que les doc­u­ments Uruguayens qui sont des déc­la­ra­tions très large­ment postérieures à la nais­sance de Gardel et qui avaient prob­a­ble­ment des buts du genre, se faire oubli­er pen­dant la pre­mière guerre mon­di­ale où il aurait été con­sid­éré comme déser­teur, car né français et pour éviter (en 1920) cer­taines pour­suites en se ren­dant blanc comme… plâtre (escay­ola) en s’inventant une fil­i­a­tion comme  » Car­los Escay­ola » fils de Car­los Escay­ola et María Gardel, ce Car­los Escay­ola étant rap­proché d’un fils d’un sec­ond mariage d’un Colonel Car­los Escay­ola né en 1876 (soir 14 ans plus vieux que l’âge français de Gardel). À not­er que les deux « par­ents » sont morts à la date de l’établissement de ces doc­u­ments, ce qui sem­ble pra­tique et peut con­va­in­cre qu’ils n’avaient pas con­nais­sance de ce reje­ton encom­brant…

Con­sul­tez les docu­ments du Musée virtuel Gardel sur la posi­tion mil­i­taire de Garde.

« En 1920 la com­pañía de Rosas lo con­vocó para via­jar a España por una tem­po­ra­da teatral. Él esta­ba indoc­u­men­ta­do, porque el hecho de no con­cur­rir a la emba­ja­da para reg­is­trarse como ciu­dadano francés le impidió recibir la car­tilla mil­i­tar y el reg­istro en gen­darmería. Entonces, él decidió en 1920 inscribirse en el con­sula­do uruguayo amparán­dose en una leg­is­lación muy par­tic­u­lar para súb­di­tos uruguayos res­i­dentes en otros país­es. Se reg­istró como uruguayo naci­do en Tacuarem­bó tres años antes de su ver­dadero nacimien­to: se anotó como naci­do el 11 de diciem­bre pero de 1887. En vez de pon­er Gardes, se inscribió como Gardel, su nom­bre artís­ti­co.«  En 1920, la com­pag­nie de Rosas l’invite à voy­ager en Espagne pour une tournée théâ­trale. Il était sans papi­er car il n’était pas allé se faire enreg­istr­er à l’ambassade comme citoyen français et n’a donc pas reçu ses papiers (sinon, il aurait du par­tir faire la guerre en 1918 et aurait été arrêté comme déser­teur s’il l’avait fait par la suite). Ain­si, déci­da-t-il de s’inscrire au con­sulat uruguayen en ver­tu d’une lég­is­la­tion spé­ciale pour les sujets uruguayens rési­dant dans d’autres pays. Il a été inscrit comme étant né à Tacuarem­bó, trois ans avant sa date de nais­sance réelle, le 11 décem­bre de 1887. Au lieu de choisir Gardes, il pris son nom d’artiste, Gardel.

On attribue sou­vent à ce man­que­ment à ses oblig­a­tions mil­i­taires en France, la com­po­si­tion de silen­cio
« Dice la « leyen­da », que Car­los Gardel y Alfre­do Le Pera vis­i­taron en Fran­cia la tum­ba de 5 her­manos y su madre, que habrían muer­to durante la Gran Guer­ra de 1914–18. Y que quedaron tan impre­sion­a­dos por lo vis­to, que esa mis­ma noche com­pusieron la can­ción.«  La légende pré­tend que Car­los Gardel et Alfre­do La Pera vis­itèrent en France la tombe de cinq frères et leur mère, tués pen­dant la grande guerre 14–18 et qu’ils ont été telle­ment impres­sion­nés par cette vis­ite qu’ils écrivirent la chan­son la nuit même.

Vous trou­verez en bas de page, des liens vers divers doc­u­ments, comme des cartes postales écrites à sa famille française, cartes dif­fi­ciles à expli­quer s’il était effec­tive­ment uruguayen…

Revenons donc aux doc­u­ments orig­in­aux, étab­lis au noms de Charles Gardes :

Les preuves de la naissance à Toulouse d’un Charles Gardes

Acte de nais­sance de Charles Romuald Gardes à l’hôpital de la Grave à Toulouse

Acte de nais­sance de Charles Romuald Gardes à l’hôpital de la Grave à Toulouse Cet acte indique que le 11 décem­bre 1890, Charles Romuald est né à deux heures du matin à l’hôpital de la Grave.
Copie lit­térale de l’acte de nais­sance de Charles Romuald Gardes à l’hôpital de la Grave à Toulouse Cet acte indique que le 11 décem­bre 1890, Charles Romuald est né à deux heures du matin à l’hôpital de la Grave.
Reg­istre de l’hos­pice de la Grave avec le nom de la mère de Charles Gardes.

Acte de Bap­tême de Car­los Gardel

Acte de bap­tême de Car­los Gardel, le 11 décem­bre, lende­main de sa nais­sance.

Ces qua­tre doc­u­ments incon­testa­bles prou­vent qu’un enfant de sexe male est né à Toulouse et qu’il s’ap­pelait Charles Romuald Gardes. Reste à prou­ver que ce bam­bin est bien allé en Argen­tine.

Le document témoignant de son entrée en Argentine

Ce titre est émis par la Direc­tion Générale de l’immigration de la République Argen­tine sous le numéro 122 (sa mère est sous le numéro 121).

Récipis­sé d’inscription dans les reg­istres de l’immigration argen­tine en date du 11 mars 1893 établi au nom de Charles Gardes, âgé de 2 ans, en prove­nance de Bor­deaux sur le vapeur Don Pedro.

Récipis­sé d’inscription dans les reg­istres de l’immigration argen­tine en date du 11 mars 1893 établi au nom de Charles Gardes, âgé de 2 ans, en prove­nance de Bor­deaux sur le vapeur Don Pedro.

Dans ce doc­u­ment Gardel, s’appelle encore Gardes et son prénom est Charles.
Le 11 mars 1893, Gardel est men­tion­né dans ce doc­u­ment comme ayant 2 ans, ce qui cor­re­spond, à trois mois près à son âge exact.
La bateau est le Don Pedro, un vapeur qui devait par­tir du Havre le 8 févri­er 1893 (à des­ti­na­tion de La Pla­ta).
On trou­ve trace de ce voy­age, le 10 févri­er, départ effec­tif du Havre avec comme cap­i­taine Vin­cent Marie Crec­quer.
Le 14, ce bateau par­tait de Pauil­lac (où auraient embar­qué Berthe et Charles) à des­ti­na­tion de San­ta Cruz de Tener­ife où il arrive et repart le 20 févri­er pour se lancer dans la tra­ver­sée de l’Atlantique jusqu’en Uruguay.
Il arrive le 9 mars à Mon­te­v­ideo et en repart le 10 pour Buenos Aires où il arrive prob­a­ble­ment le 11 mars si on tient compte de la durée de la tra­ver­sée du Rio de la Pla­ta et des dates des cer­ti­fi­cats d’immigration de Berthe et Charles.
Il y a un petit doute sur la date d’arrivée, les doc­u­ments mar­itimes évo­quant le 12 mars pour le débar­que­ment. On peut très bien imag­in­er que les autorités d’immigration sont mon­tés à bord le 11, à l’arrivée, mais que le désem­bar­que­ment ne s’est effec­tué que le lende­main pour tenir compte des délais de quar­an­taine de 48 heures.
Le bateau est ensuite repar­ti pour le Havre, chargé de viande con­gelée…
Reste que cer­tains doc­u­ments man­quent, comme les reg­istres de l’immigration con­fiés au CEMLA et éva­porés pour les années 1882–1925… Pour cette rai­son, on ne peut pas retrou­ver l’écriture cor­re­spon­dant au cer­ti­fi­cat 122 de l’immigration. Cer­tains en prof­i­tent pour dimin­uer la force de l’origine française, s’appuyant aus­si sur l’absence du reg­istre de créa­tion des passe­ports français pour les années entourant le départ sup­posés des Gardes.

Courriers et interactions avec sa famille française

Carte postale envoyé à ses grands parents, en France

Carte postale de Car­los Gardel à ses grands-par­ents en France

Mes chers grands par­ents / Bonne et heureuse Année
Je vous envoie cette petite carte postale pour vous dire que tou­jours je pense à vous avec affec­tion, ain­si qu’ à ma bonne tante Char­lotte et à mon bon oncle Jean.
Ici, nous sommes trés con­tents que vous soyez en bonne san­té. Nous allons bien, et bien­tôt, Si Dieu le veut, je reviendrai pass­er quelques moments avec vous.
Sans autre chose à ajouter, votre petit fils qui vous aime et n’ou­blie pas.

Car­los

Cité par Chris­tiane Bricheteau dans son livre : Tra­duc­tion Monique Ruf­fié pour le Musée Virtuel Gardel.

La famille française de Carlos Gardel

Car­los ren­dra égale­ment vis­ite à sa famille en France, notam­ment à Toulouse et Albi. Là encore, ces doc­u­ments sont pré­cieux pour prou­ver ses orig­ines. Quel serait l’in­térêt d’un artiste célèbre comme Car­los Gardel de s’in­ven­ter une famille “bidon” en France.

Une des pho­tos pris­es à Albi en 1934 avec à la gauche de Gardel (à droite sur la pho­to), son oncle Jean Marie Gardes et sa tante Char­lotte Lau­rence, sec­onde femme de Jean et belle-sœur de Berthe.

Sur le Musée viru­tel Gardel, vous trou­verez de nom­breux autres élé­ments au sujet de sa famille albi­geoise et toulou­saine.

Arbre généalogique de Car­los Gardel réal­isé par Georges Galopa en 2013 d’après celui d’Henri Brune. Ici dans sa ver­sion actu­al­isée en 2020. Vous pou­vez le con­sul­ter sur le site du musée virtuel Gardel.

Arbre généalogique de Car­los Gardel réal­isé par Georges Galopa en 2013 d’après celui d’Henri Brune.

Pourquoi Gardel changea d’identités à plusieurs reprises…

Raúl Torre et Juan José Fenoglio  réal­isèrent une enquête judi­ci­aire, rel­e­vant notam­ment les empreintes de Car­los Gardel dans les doc­u­ments judi­ci­aires de l’époque, ce qui per­met de con­firmer que le Car­los Gardel chanteur du tan­go et le Car­los Gardez(s) né en France en 1890, sont bien le même.

Dif­férentes empreintes de Car­los Gardel per­me­t­tant de con­firmer que l’on par­le tou­jours du même.

Dans un arti­cle paru dans Pag­i­na 12 en 2012, on retrou­ve les prin­ci­pales raisons qui ont fait que Gardel, escroc, se devait de chang­er régulière­ment d’identité, y com­pris avec l’aide d’un prési­dent argentin (Marce­lo T. de Alvear)…

L’article paru dans Pag­i­na 12 se trou­ve ici : 
https://www.pagina12.com.ar/diario/elpais/1–207654-2012–11-12.html 
Copie de cet arti­cle au cas où ce lien se ver­rait à dis­paraître…
Un arti­cle de 2010 de la Dépêche évoque aus­si cette étude.
Copie de cet arti­cle au cas où le lien se ver­rait à dis­paraître.

Empreintes de Car­los Gardel âgé de 13 ans et 6 mois, lors de sa fugue.

Le père naturel de Carlos Gardel

Si on retient l’o­rig­ine française, le père le plus prob­a­ble est Paul Lasserre. Ce jeune homme, alors âgé de 24 ans est par­ti pour Paris deux mois avant la nais­sance de Car­los Gardel.

Paul Lasserre, la véri­ta­ble pho­to selon Todo Tan­go. En effet, la pho­to habituelle, serait celle de l’on­cle et pas du père.

À Paris, il a inté­gré la bande des Ternes et finale­ment a écopé de trois ans de prison. De retour à Toulouse, il fonde une famille et meurt jeune. Sa fille, âgée de 2 ans à sa mort, dit qu’il est par­ti en Argen­tine pour aider à élever le jeune Gardel. Cepen­dant, il n’é­tait pas sur le bateau et ses exploits parisiens sont con­tem­po­rains de cette aven­ture argen­tine.
Il me sem­ble donc plus prob­a­ble que devant deux faits gênants, la famille Lasserre a choisi le moins dérangeant. Par­tir trois ans en Argen­tine pour aider à élever son fils, même obtenu hors mariage (il était céli­bataire à l’époque), c’est moins déshon­o­rant que de pass­er trois ans en prison.

Documents et références

Les élé­ments précé­dents sont en principe suff­isants pour prou­ver que Car­los Gardel est le Charles Romuald Gardes né à Toulouse le 11 décem­bre 1890. Cepen­dant, ce serait sans compter sur l’ingéniosité des Uru­gayens qui n’a d’é­gale que leur gen­til­lesse.

La thèse urugayenne

En prenant les doc­u­ments qui ont servi à établir une fausse iden­tité à Car­los Gardel, comme nous l’avons évo­qué ci-dessus, ils avaient mon­té une orig­ine plau­si­ble.

Cepen­dant, il deve­nait beau­coup plus dif­fi­cile de remet­tre en doute les doc­u­ments comme le cer­ti­fi­cat de nais­sance, le voy­age en bateau et les vis­ites à la famille.

D’autres doc­u­ments que nous n’avons pas présen­tés sont d’autres témoignages de l’o­rig­ine française, comme les cer­ti­fi­cats du con­sulat de France, son tes­ta­ment et autre. Ces doc­u­ments sont remis en cause par cer­tains Uru­gayens. Admet­tons, comme eux, que le tes­ta­ment est un faux établi pour s’ac­ca­parer la for­tune de Gardel. Cela n’en­lève rien à la force des pre­meirs doc­u­ments. Voici donc en résumé la nou­velle thèse :

Il y a bien un Charles Gardes né en France, mais le Car­los Gardel, chanteur fameux est en fait une autre per­son­ne, le fameux Uru­gayen né à Valle Edén, Tacuarem­bó, aux alen­tours de 1882–1884, et qui serait le fils du Coro­nel Car­los Escay­ola y de María Lelia Oli­va, sa belle soeur… Deux per­son­nes qui rap­pel­lons-le étaient mortes au moment où Gardel avait fait établir cette iden­tité pour pou­voir voy­ager en Europe.

Je vous passe d’autres ver­sions selon laque­lle Berte Gardes serait en fait sa maîtresse et pas sa mère et qu’avec le fac­to­tum, de Gardel, Arman­do Defi­no, elle aurait mon­té une entour­loupe pour béné­fici­er de l’héritage.

En appui de la thèse française :

Documents divers

En guise de conclusion

Je laisse la con­clu­sion au Doc­teur Mar­ti, cet Uru­gayen pein de sagesse :

Hoy ya el mito está bien con­sol­i­da­do en sus lin­eamien­tos y no cam­bia por el detalle de que Gardel haya naci­do en Toulouse y no haya sido el padre de Leguisamo ni el abue­lo de Julio Sosa. Este hijo nat­ur­al de una lavan­dera y de un padre descono­ci­do no fue uruguayo ni argenti­no, pero pertenece de un modo más pro­fun­do y rai­gal que el acci­dente de un par­to a las dos oril­las del Pla­ta, donde todo el mun­do ‑sin dis­tin­ción de clases sociales- lo escucha con una asiduidad y una devo­ción que ningún pueblo puede haber tenido nun­ca en may­or gra­do por ningún can­tante que haya naci­do en su sue­lo. Lo escucha y com­prue­ba que, ému­lo líri­co del Cid, cada día can­ta mejor.

Dr. Car­los Martínez Moreno

Tra­duc­tion :
Aujour­d’hui, le mythe est bien con­solidé dans ses con­tours et ne change pas car Gardel est né à Toulouse et n’é­tait pas le père de Leguisamo ni le grand-père de Julio Sosa.
Ce fils naturel d’une lavandière et d’un père incon­nu n’é­tait ni uruguayen ni argentin, mais il appar­tient d’une manière plus pro­fonde et plus fon­da­men­tale que l’ac­ci­dent de l’ac­couche­ment sur les deux rives de la Pla­ta, où tout le monde — sans dis­tinc­tion de classe sociale — l’é­coute avec une assiduité et un dévoue­ment qu’au­cun peu­ple n’a jamais pu avoir à un plus haut degré pour un chanteur né sur son sol.
Il l’é­coute et con­state qu’en émule lyrique du Cid, il chante chaque jour un peu mieux.

Dr. Car­los Martínez Moreno