Quand on s’appelle DJ Bernardo, on est forcément ami d’un collègue qui s’appelle DJ Don Diego. Cet ami, Emmanuel Vega, vient de me dédicacer son livre, Dessine-moi… ¡Dibújame… un tango!
Vous qui êtes lecteurs de mes anecdotes, pourriez bien apprécier son œuvre, qui, tout comme je le fais, traite de points de tango. Emmanuel est l’auteur des textes et des illustrations, un travail qui pourrait vous laisser, comme, moi, muet d’admiration.
Don Diego présentant son livre à BernardoLe livre a changé de main, merci, Emmanuel !Une des doubles pages du livre. Texte en espagnol et français, les belles illustrations et pour certains thèmes, la possibilité d’écouter la musique correspondante.
Le courriel pour communiquer avec l’auteur : dondiegodela (AT) orange.fr.
Et pour terminer, la gentille dédicace…
La dédicace signée à la fin de ma prestation de 12 heures lors du festival Énimie Tango.
Voilà, chers amis, vous avez une autre source d’information sur notre cher tango. Une petite suggestion pour l’auteur, peut-être un petit texte sur Zorro gris…
Zorro gris 1927-07-16 — Orquesta Francisco Lomuto. Un enregistrement agréable, avec les appuis du canyengue atténués par une orchestration plus douce et des fioritures. Il y a également des nuances et les réponses entre instruments sont contrastées.
Si vous voulez en savoir plus sur Zorro, vous pouvez consulter mes anecdotes :
Georges Bizet. Florindo Sassone, Othmar Klose et Rudi Luksch (adaptation en tango)
Beaucoup de tangos sont inspirés de musiques européennes. Les valses, notamment, mais pas seulement. Ces titres sont adaptés et deviennent de « vrais tangos », mais ce n’est pas toujours le cas. En France, certains danseurs de tango apprécient des titres un peu étranges, des titres qui n’ont jamais été écrits pour cette danse. On appelle généralement cela le « tango alternatif ». Un des titres les plus connus dans le genre est la reprise d’un opéra du XIXe siècle effectuée par Florindo Sassone. Le fait qu’un chef d’orchestre de tango reprenne un titre n’en fait pas un tango de danse. Cela reste donc de l’alternatif. Je vous laisse en juger avec los pescadores de perlas, les pêcheurs de perles, de Bizet et Sassone…
Écoutes
Tout d’abord, voyons l’original composé par Bizet. Je vous propose une version par un orchestre et un chanteur français, celle du ténor Roberto Alagna avec l’orchestre de Paris, qui est dirigé par Michel Plasson. Cette interprétation a été enregistrée le 9 juillet 2009 au Bassin de Neptune du château de Versailles. Ce soir-là, il chantera trois œuvres de Bizet, dont un extrait de Carmen, même si ce n’est pas la célèbre habanera qui a tant à voir avec un des rythmes de base du tango et de la milonga. Vous pouvez voir le concert en entier avec cette vidéo… https://youtu.be/Jx5CNgsw3S0. Ne vous fiez pas à la prise de son un peu médiocre du début, par la suite, cela devient excellent. Pour aller directement au but, je vous propose ici l’extrait, sublime où Alagna va à la pêche aux perles d’émotion en interprétant notre titre du jour.
Roberto Alagna et l’orchestre de Paris dirigé par Michel Plasson dans Les Pêcheurs de Perles de Georges Bizet. L’air de Nadir « Je crois entendre encore ».
Deux mots de l’opéra de Bizet
Les pêcheurs de perles est le premier opéra composé par Bizet, âgé de 25 ans, en 1863). L’intrigue est simpliste. L’opéra se passe sur l’île de Ceylan, où deux amis d’enfance, Zurga et Nadir, évoquent leur passion de jeunesse pour une prêtresse de Candi nommé Leïla. Pour ne pas nuire à leur amitié, ils avaient renoncé à leur amour, surtout Zurga, car Nadir avait secrètement revu Leïla. Zurga était mécontent, mais, finalement, il décide de sauver les deux amants en mettant le feu au village. L’air célèbre qui a été repris par Sassone est celui de Nadir, au moment où il reconnaît la voix de Leïla. En voici les paroles :
Je crois entendre encore, Caché sous les palmiers, Sa voix tendre et sonore Comme un chant de ramier ! Ô nuit enchanteresse ! Divin ravissement ! Ô souvenir charmant ! Folle ivresse ! Doux rêve ! Aux clartés des étoiles, Je crois encore la voir, Entrouvrir ses longs voiles Aux vents tièdes du soir ! Ô nuit enchanteresse ! Divin ravissement ! Ô souvenir charmant ! Folle ivresse ! Doux rêve !
Avant de passer aux versions de Florindo Sassone, une version par Alfredo Kraus, un ténor espagnol qui chante en Italien… La scène provient du film “Gayarre” de 1959 réalisé par Domingo Viladomat Pancorbo. Ce film est un hommage à un autre ténor espagnol, mais du XIXe siècle, Julián Gayarre (1844–1890). La vie, ou plutôt la mort de ce chanteur, est liée à notre titre du jour, puisqu’en décembre 1889, Gayarre chanta Los pescadores de perlas malgré une bronchopneumonie (provoquée par l’épidémie de grippe russe qui fit 500 000 morts). Lors de l’exécution, qui fut aussi la sienne, sa voix se cassa sur une note aigüe et il s’évanouit. Les effets conjugués de la maladie et de la dépression causée par son échec artistique l’emportèrent peu après, le 2 janvier 1890 ; il avait seulement 45 ans. Cette histoire était suffisante pour en faire un mythe. D’ailleurs trois films furent consacrés à sa vie, dont voici un extrait du second, “Gayarre” où Alfredo Kraus interprète le rôle de Gayarre chantant la chanson « je crois entendre encore » tiré des pêcheurs de perles.
Alfredo Kraus interprète le rôle de Gayarre chantant la chanson « je crois entendre encore » tiré des pêcheurs de perles dans le film Gayarre.
Sassone pouvait donc connaître cette œuvre, par les deux premiers films, “El Canto del Ruiseñor” de 1932 et “Gayarre” de 1959 (le troisième, Romanza final est de 1986) ou tout simplement, car bizet fut un compositeur influent et que Les pêcheurs de Perles est son deuxième plus gros succès derrière Carmen.
J’en viens enfin aux versions de Sassone
La canción de los pescadores de perlas 1968-08-30 — Orquesta Florindo Sassone.
C’est une version “adaptée” en tango. Je vous laisse juger de la dansabilité. Certains adorent. Dès le début la harpe apporte une ambiance particulière, peut-être l’ondoiement des vagues, que ponctue le vibraphone. L’orchestre majestueux accompagné par des basses profondes qui marquent la marche alterne les expressions suaves et d’autres plus autoritaires. On est dans du Sasonne typique de cette période, comme on l’a vu dans d’autres anecdotes, comme dans Félicia du même Sassone. https://dj-byc.com/felicia-1966–03-11-orquesta-florindo-sassone/ La présence d’un rythme relativement régulier, souligné par les bandonéons, peut inspirer certains danseurs de tango. Pour d’autres, cela pourrait trop rappeler le rythme régulier du tango musette et au contraire les gêner.
Cet aspect musette est sans doute le fait d’Othmar Klose et Rudi Luksch qui sont intervenus dans l’orchestration. Luksch était accordéoniste et Klose était un des compositeurs d’Adalbert Lutter (tango allemand).
C’est cependant un titre qui peut intéresser certains danseurs de spectacle par sa variation d’expressivité.
La canción de los pescadores de perlas 1971 — Orquesta Florindo Sassone.
Trois ans plus tard, Sassone enregistre une version assez différente et sans doute encore plus éloignée de la danse. Là encore, elle pourrait trouver des amateurs… Cette version démarre plus suavement. La harpe est moins expressive et les violons ont pris plus de présence. La contrebasse et le violoncelle sont bien présents et donnent le rythme. Cependant, cette version est peut-être plus lisse et moins expressive. Quitte à proposer une musique originale, je jouerai, plutôt le jeu de la première version, même si elle risque d’inciter certains danseurs à dépasser les limites généralement admises en tango social.
Cette version est souvent datée de 1974, mais l’enregistrement est bien de 1971 et a été réalisé à Buenos Aires, dans les studios ION. Los Estudios ION qui existent toujours ont été des pionniers pour les nouveaux talents et notamment ceux du Rock nacional à partir des années 60. Le fait que Sassone enregistre chez eux pourrait être interprété comme une indication que ce titre et l’évolution de Sassone s’étaient un peu éloigné du tango “traditionnel”, mais tout autant que les maisons d’éditions traditionnelles s’étaient éloignées du tango. Balle au centre.
Comparaison des versions de 1968 et 1971. On voit rapidement que la version de 1968, à gauche est marquée par des nuances bien plus fortes. Elle a plus de contraste. L’autre est plus plate. Elle relève plus du genre « musique d’ascenseur » que son aînée.
Le DJ de tango est-il un chercheur de perles ?
Le DJ est au service des danseurs et doit donc leur proposer des musiques qui leur donnent envie de danser. Cependant, il a également la responsabilité de conserver et faire vivre un patrimoine. Je prendrai la comparaison avec un conservateur de musée d’art pour me faire mieux comprendre. Le conservateur de musée comme son nom l’indique (au moins en français ou italien et un peu moins en espagnol ou en anglais où il se nomme respectivement curador et curator) est censé conserver les œuvres dont il a la responsabilité. Il les étudie, il les fait restaurer quand elles ont des soucis, il fait des publications et des expositions pour les mettre en valeur. Il enrichit également les collections de son institution par des acquisitions ou la réception de dons. Son travail consiste principalement à faire connaître le patrimoine et à le faire vivre sans lui porter préjudice en le préservant pour les générations futures. Le DJ fait de même. Il recherche des œuvres, les restaure (pas toujours avec talent) et les mets en valeur en les faisant écouter dans les milongas. Parfois, certains décident de jouer avec le patrimoine en passant des disques d’époque. Cela n’a aucun intérêt d’un point de vue de la qualité du son et c’est très risqué pour les disques, notamment les 78 tours qui deviennent rares et qui sont très fragiles. Si on veut vraiment faire du show, il est préférable de faire presser des disques noirs et de les passer à la place des originaux. Bon, à force d’enfiler les idées comme des perles, j’ai perdu le fil de ma canne à pêcher les nouveautés. Le DJ de tango, comme le conservateur de musée avec ses visiteurs, a le devoir de renouveler l’intérêt des danseurs en leur proposant des choses nouvelles, ou pour le moins méconnues et intéressantes. Évidemment, cela n’est pas très facile dans la mesure où trouver des titres originaux demande un peu de travail et notamment un goût assez sûr pour définir si une œuvre est bonne pour la danse, et dans quelles conditions. Enfin, ce n’est pas si difficile si on fait sauter la limite qui est de rester dans le genre tango. C’est la brèche dans laquelle se sont engouffré un très fort pourcentage de DJ, encouragés par des danseurs insuffisamment formés pour se rendre compte de la supercherie. C’est comme si un conservateur de musée d’art se mettait à afficher uniquement des œuvres sans intention artistique au détriment des œuvres ayant une valeur artistique probante. Je pense par exemple à ces productions en série que l’on trouve dans les magasins de souvenir du monde entier, ces chromos dégoulinants de couleurs ou ces « statues » en plastique ou résine. Sous prétexte que c’est facile d’abord, on pourrait espérer voir des visiteurs aussi nombreux que sur les stands des bords de plage des stations balnéaires populaires. Revenons au DJ de tango. Le parallèle est de passer des musiques de variété, des musiques appréciées par le plus grand monde, des produits marketing matraqués par les radios et les télévisions, ou des musiques de film et qui, à force d’êtres omniprésentes, sont donc devenues familières, voire constitutive des goûts des auditeurs. Je n’écris pas qu’il faut rejeter toutes les musiques, mais qu’avant de les faire entrer dans le répertoire du tango, il faut sérieusement les étudier. C’est assez facile pour les valses, car le Poum Tchi Tchi du rythme à trois temps avec le premier temps marqué est suffisamment porteur pour ne pas déstabiliser les danseurs. Bien sûr, les puristes seront outrés, mais c’est plus une (op)position de principe qu’une véritable indignation. Pour les autres rythmes, c’est moins évident. Les zambas ou les boléros dansés en tango, c’est malheureusement trop courant. Pareil pour les chamames, foxtrots et autres rythmes qui sont bougés en forme de milonga. Avec ces exemples, je suis resté dans ce qu’on peut entendre dans certaines milongas habituelles, mais, bien sûr, d’autres vont beaucoup plus loin avec des musiques n’ayant absolument aucun rapport avec l’Amérique du Sud et les rythmes qui y étaient pratiqués. Pour ma part, je cherche des perles, mais je les cherche dans des enregistrements perdus, oubliés, masqués par des versions plus connues et devenues uniques, car peu de collègues font l’effort de puiser dans des versions moins faciles d’accès. Vous aurez sans doute remarqué, si vous êtes un fidèle de mes anecdotes de tango, que je propose de nombreuses versions. Souvent avec un petit commentaire qui explique pourquoi je ne passerais pas en milonga cette version, ou au contraire, pourquoi je trouve que c’est injustement laissé de côté. Le DJ est donc, à sa façon un pêcheur de perles, mais son travail ne vaut que s’il est partagé et respectueux des particularités du tango, cette culture, riche en perles. Bon, je rentre dans ma coquille pour me protéger des réactions que cette anecdote risque de provoquer…
Ces réactions n’ont pas manqué, quelques réponses ici…
Tango ou pas tango ?
Une réaction de Jean-Philippe Kbcoo m’incite à développer un peu ce point.
“Les pêcheurs de perles” classés en alternatif !!!! Wouhaaa ! Quelle brillantissime audace ! Sur la dansabilité, je le trouve nettement plus interprétable qu’un bon Gardel, pourtant classé dans les tangos purs et durs, non ? En tout cas, merci de cet article à la phylogénétique très inattendue 🙂
Il est souvent assez difficile de faire comprendre ce qui fait la dansabilité d’une musique de tango. J’ai fait un petit article sur le sujet il y a quelques années : https://dj-byc.com/les-styles-du-tango/ Il est fort possible qu’aujourd’hui, je n’écrirai pas la même chose. Cependant, Gardel n’a jamais été considéré comme étant destiné à la danse. Le tango a divers aspects et là encore, pour simplifier, il y a le tango à écouter et le tango à danser. Les deux relèvent de la culture Tango, mais si les frontières semblent floues aujourd’hui, elles étaient parfaitement claires à l’époque. C’était inscrit sur les disques… Gardel, pour y revenir, avait sur ses disques la mention : “Carlos Gardel con acomp. de guitarras” ou “con la orquesta Canaro”, par exemple. Les tangos de danse étaient indiqués : “Orquesta Juan Canaro con Ernesto Famá” Dans le cas de Gardel, qui ne faisait pas de tangos de danse, on n’a, bien sûr, pas cette mention. Cependant, pour reprendre Famá et Canaro, il y a eu aussi des enregistrements destinés à l’écoute et, dans ce cas, ils étaient notés : “Ernesto Famá con acomp. de Francisco Canaro”. Dans le cas des enregistrements de Sassone, ils sont tardifs et ces distinctions n’étaient plus de rigueur. Toutefois, le fait qu’ils aient été arrangés par des compositeurs de musette ou de tango allemand, Othmar Klose et Rudi Luksch, ce qui est très net dans la version de 1968, fait que ce n’est pas du tango argentin au sens strict, même si le tango musette est l’héritier des bébés tangos laissés par les Argentins comme les Gobi ou les Canaro en France. Je confirme donc qu’au sens strict, ces enregistrements de Sassone ne relèvent pas du répertoire traditionnel du tango et qu’ils peuvent donc être considérés comme alternatifs, car pas acceptés par les danseurs traditionnels. Bien sûr, en Europe, où la culture tango a évolué de façon différente, on pourrait placer la limite à un autre endroit. La version de 1968 n’est pas du pur musette et peut donc être plus facilement assimilée. Celle de 1971 cependant, est dans une tout autre dimension et ne présente aucun intérêt pour la danse de tango. On notera d’ailleurs que, sur le disque de 1971 réédité en CD en 1998, il y a la mention « Tango international » et que les titres sont classés en deux catégories : « Tangos europeos et norteamericanos » et « Melodias japonesas ».
Le CD de 1998 reprenant les enregistrements de 1971 est très clair sur le fait que ce n’est pas du tango argentin.
Cette mention de « Tango international » est à mettre en parallèle avec d’autres disques destinés à un public étranger et étiquetés « Tango for export ». C’est à mon avis un élément qui classe vraiment ce titre hors du champ du tango classique. Cela ne signifie pas que c’est de la mauvaise musique ou que l’on ne peut pas la danser. Certains sont capables de danser sur n’importe quoi, mais cette musique ne porte pas cette danse si particulière qu’est le tango argentin.
Cela n’empêche pas de la passer en milonga, en connaissance de cause et, car cela fait plaisir à certains danseurs. Il ne faut jamais dire jamais…
Une suggestion d’une collègue, Roselyne Deberdt
Merci à Roselyne pour cette proposition qui permet de mettre en avant une autre version française.
Les pêcheurs de perles 1936 — Tino Rossi Accompagné par l’Orchestre de Marcel Cariven. Disque Columbia France (label rouge) BF-31. Numéro de matrice CL5975‑1.
Sur la face B du disque, La berceuse de Jocelyn. Jocelyn est un opéra du compositeur français Benjamin Godard, créé en 1888 avec un livret d’Armand Sylvestre et Victor Capoul. Il est inspiré du roman en vers éponyme de Lamartine. Cependant, même si la voix de Tino est merveilleuse, ce thème n’a pas sa place en milonga, malgré ses airs de de “Petit Papa Noël”… N’oublions pas que Tino Rossi a chanté plusieurs tangos, dont le plus beau tango du monde, mais aussi :
C’est à Capri
C’était un musicien
Écris-Moi
Le tango bleu
Le tango des jours heureux
Tango de Marilou
Et le merveilleux, Vous, qu’avez-vous fait de mon amour ?, que je rajoute pour le plaisir ici :
Vous, qu’avez-vous fait de mon amour ? 1933-11-09 — Tino Rossi Accomp. Miguel Orlando et son Orchestre du Bagdad.
Le Bagdad était à Paris au 168, rue du Faubourg Saint-Honoré. Miguel Orlando était un bandonéoniste argentin, importé par Francisco Canaro à Paris et grand-oncle de notre ami DJ de Buenos Aires, Mario Orlando… Le monde est petit, non ?
Comme annoncé dans l’article sur la musique trichée, voici quelques éléments d’explication pour aider ceux qui ne sont pas au fait de la musique sous forme numérique. Nous aborderons la chaîne musicale analogique et comment on la convertit en musique numérique. Des éléments sur les formats de compression et les capacités réelles des formats numériques seront également donnés. C’est un peu technique, mais il y a quelques idées reçues qu’il me semblait utile de revoir.
La musique est un phénomène analogique
La musique est une forme particulière de sons qui se distingue du bruit par une certaine forme d’organisation. J’en parle dans mes cours de musicalité et je ne souhaite pas radoter. Ces sons sont donc des vibrations, plus ou moins harmonieuses, qui parviennent à nos oreilles, voire au corps, en entier, notamment pour les basses fréquences.
Fréquence d’un son
On représente l’onde sonore par une courbe sinusoïde pour un son régulier (une fréquence pure). Si la courbe s’alterne 2000 fois par seconde, on parle de fréquence de 2000 Hz.
Le Hertz est l’unité de mesure de la fréquence.
À gauche, les infrasons et à droite, les ultrasons sont les fréquences que ne capte pas l’oreille humaine.
Une bonne oreille humaine est réputée pouvoir entendre des fréquences comprises entre 20 Hz (20 vibrations par seconde) et 20 kHz (20 000 vibrations par seconde). Pour les fréquences plus graves, les infrasons, le corps peut les ressentir (tremblements de terre, par exemple). Pour les plus aigus, les ultrasons, pas de chance, c’est le domaine des chauves-souris et des chiens. On notera qu’au fur et à mesure que les cils de la cochlée disparaissent, la sensibilité de l’oreille baisse, notamment pour les plus hautes fréquences.
Volume d’un son
L’autre élément important pour décrire un son, c’est son volume. C’est-à-dire l’amplitude des ondes qui parviennent à nos sens.
L’onde sonore parvient à l’oreille comme une succession de vibrations. Plus elles sont amples et plus le son est fort.
Si les amplitudes sont trop faibles, l’oreille n’est pas capable de les détecter. Si elles sont trop fortes, des dommages irréversibles aux oreilles peuvent advenir. Le décibel (dB) est l’unité de mesure du volume sonore. On parle de pression acoustique. Pour évoquer le niveau sonore pour la diffusion de la musique, il y a plusieurs paramètres à prendre en compte et notamment la durée du son fort. J’y consacrerai un autre article… Pour l’instant, il importe de se souvenir qu’un son supérieur à 120 dB (seuil de la douleur) provoque des dommages irréversibles et qu’au-dessus de 85 dB, il convient de limiter le temps d’exposition. Un dernier point, la pression sonore double tous les 3 dB. Ainsi, un son de 85 dB est deux fois plus fort qu’un son de 82 dB.
Principe d’une chaîne musicale analogique
Je ne partirai pas de l’enregistrement que nous avons déjà évoqué, seulement de la reproduction. Les supports principaux de l’enregistrement analogique pour la musique sont le disque et la bande magnétique. Pour le disque, ce sont les ondulations du sillon qui sont transformées en onde sonore.
Pointe de lecture (en saphir ou diamant industriel) dans un sillon de microsillon. À droite, l’image représente environ 0,3 mm de large. Les aspérités du bord du disque sont les bords du chemin. Les différences de profondeur servent à coder un second canal (stéréo).
Contrairement à une croyance très répandue, la stéréo n’est pas obtenue par une différence entre le côté droit et le côté gauche du sillon, mais par une différence de profondeur de celui-ci. En effet, les deux bords du sillon sont parallèles et une pointe de lecture unique ne pourrait pas suivre les deux côtés en même temps si ce n’était pas le cas. Donc, les mouvements horizontaux du sillon sont absolument identiques sur un disque mono et un disque stéréo. Ce qui est différent sur un disque stéréo, c’est que le sillon est plus ou moins creusé. Ce creusement n’est pas le codage d’un canal, mais la différence d’un canal par rapport à l’autre. La gravure verticale est égale au signal de Gauche moins celui de Droite. Si les canaux sont identiques (mono ou tout simplement, car il n’y a pas de différence entre les deux canaux), la profondeur du sillon est constante. Si on a un son qui passe d’un côté à l’autre (effet ping-pong), on aura des changements de profondeur du sillon. On notera que, contrairement à l’enregistrement numérique ou à l’enregistrement magnétique (sur un excellent magnétophone), le taux de diaphonie n’est pas extraordinaire. Il est impossible de mettre 100 % d’un côté ou de l’autre, ce qui réduit l’effet stéréo, mais ce n’est pas gênant, car, dans un concert, on entend toujours la musique provenant de l’autre côté.
Dans les premiers systèmes, un grand pavillon tentait de diffuser le bruit de l’aiguille dans les sillons du disque. Les systèmes électriques, en amplifiant ce signal, ont permis de sonoriser plus confortablement n’importe quel espace. La pointe de lecture, une aiguille pour les disques 78 tours, puis un diamant pour les microsillons subit les ondulations du sillon et les transmet à un dispositif électromagnétique qui détecte les vibrations pour moduler un courant électrique.
Un schéma simplifié du principe de fonctionnement d’une cellule platine disque vinyle (stéréo). La pointe de lecture (diamant) fait se déplacer le cantilever relié à un pivot. Ce pivot porte deux aimants dont les déplacements sont détectés par 4 entrefers reliés chacun à une bobine. Le courant circulant dans les bobines est modulé en fonction des mouvements des aimants. Ce signal électrique est transmis par 4 fils au système de décodage et préamplification afin de restituer le signal sonore stéréo.
Ce qui est important à tenir en compte, c’est que le signal dans les systèmes analogiques est toujours sous forme de variation d’onde. C’est un phénomène continu. La pointe de lecture de la platine tourne-disques se déplace par vibrations. Ces vibrations sont transmises sous forme de variation de potentiel électrique par la cellule. Ces variations sont amplifiées par l’amplificateur analogique, qui envoie un signal électrique plus fort aux enceintes dont les bobines des haut-parleurs vont se déplacer en fonction de ce qu’elles reçoivent. Par exemple, quand l’onde est à son maximum, la bobine va pousser la membrane du haut-parleur vers l’avant et quand l’onde est à son maximum, la bobine va vers l’arrière. Le mouvement de la membrane du haut-parleur, solidaire de la bobine, va pousser l’air pour le mettre en mouvement, ce qui va produire dans notre oreille une sensation de son.
Schéma d’un haut-parleur (découpé). Lorsque la bobine se déplace, elle entraîne avec elle la membrane (cône et dôme anti-poussière). Le mouvement est transmis à l’air ambiant et le son peut se propager jusqu’aux oreilles des auditeurs.
Une petite mise en garde. Si on utilise deux haut-parleurs, il faut veiller à les brancher dans le même sens pour éviter qu’un aille vers l’avant pendant que l’autre va vers l’arrière. Les ondes produites par les haut-parleurs tendraient à s’annuler, le maximum de l’un correspondant au minimum de l’autre. Voir un court topo sur la question. On utilise d’ailleurs ce phénomène pour les casques à réduction dynamique de bruit, mais c’est une autre histoire…
Le cas du magnétique
En plus des procédés purement mécaniques ou électromécaniques, des procédés de stockage magnétiques ont été inventés. Dans les bandes magnétiques analogiques, la magnétisation de la bande est plus ou moins forte. Ces variations, comme celle de la pointe de lecture, peuvent être amplifiées et envoyées dans le système de diffusion sonore. Nous verrons, toutefois, que la bande magnétique a survécu à l’ère analogique pour rejoindre l’ère numérique que nous allons évoquer maintenant.
L’arrivée du numérique
Le signal analogique est très simple à gérer. Il suffit de respecter les caractéristiques du signal électrique, le plus fidèlement possible, de la pointe de lecture de la platine, jusqu’à la bobine du haut-parleur. Le numérique exploite un autre principe. On mesure les caractéristiques d’un son à un moment donné. On mesure notamment son amplitude et ses fréquences (j’écris « ses » fréquences, car les sons musicaux sont des mélanges variés de fréquences et pas une onde sinusoïdale pure).
La courbe de fréquence est ici le résultat de la superposition de toutes les fréquences de la musique.
Cette mesure s’effectue à un moment donné. Les informations peuvent être retranscrites sous forme numérique, puisqu’on les a mesurées. On recommence une fraction de seconde plus tard et ainsi de suite pour toute la durée de la musique. Cette opération qui consiste à diviser la musique en tranches s’appelle la quantification.
En gris, la courbe de la musique. La ligne brisée en escaliers représente le signal numérique.
Pour bien comprendre, regardez l’espace entre les deux lignes rouges verticales. C’est un instant de la musique. La ligne verte horizontale dans la colonne rose indique la fréquence identifiée par la numérisation. On se rend compte, toutefois, que la courbe analogique (en gris) est ascendante durant le temps de cette quantification. Il y aura donc une moyenne et pas une valeur exacte. Lors de la restitution, on effectue l’opération inverse. On reproduit la fréquence enregistrée et on extrapole l’évolution jusqu’à la valeur suivante (ici, le palier vert à droite de la zone rose).
L’aspect d’une “courbe” numérisée à différents niveaux d’échelle. On se rend compte que, dans la capture d’écran du bas, on voit les « points », les valeurs mesurées.
On pourrait penser que ces escaliers dénatureront la musique. Cela peut être le cas, mais pour éviter cela, on multiplie les mesures. Pour les CD, c’est 44 100 fois par seconde. Pour les DVD 48 000 fois par seconde. C’est la fréquence d’échantillonnage. Ces échantillons rapprochés permettent de reproduire des sons jusqu’à une fréquence sensiblement égale à la moitié de cette fréquence d’échantillonnage, soit 22 kHz et 24 kHz, des valeurs supérieures aux capacités des oreilles humaines.
Le stockage de l’information de volume
La quantification, ce qui n’apparaît pas dans mon graphique précédent, mesure aussi le volume de la musique. C’est essentiel, car les nuances sont un élément majeur de la musique, enfin, de la plupart des musiques…
Le volume de l’information à stocker
On a donc dans chaque case, pour chaque mesure, de nombreuses informations. Pour les stocker, il fallait de nouveaux types de supports. Le CD est le support qui a permis la généralisation de la musique numérique. Les studios d’enregistrement numériques utilisaient eux des magnétophones multipistes à bande, mais c’est un autre domaine. Ce support reçoit de la musique échantillonnée à 44,1 kHz et sur 16 bits. C’est-à-dire que chaque mesure peut être codée avec 65,536 valeurs différentes. Cela permet de stocker des fréquences de 20 à 20 kHz et des écarts de dynamique de 90 dB. Ces valeurs sont suffisantes pour atteindre les performances des meilleures oreilles humaines, tout en offrant un rapport signal/bruit incroyable pour l’époque (même si dans le domaine de l’enregistrement numérique, le Dolby faisait des miracles en étant dans la même gamme de rapport signal/bruit…). Il y avait tout de même un point noir pour les utilisateurs lambdas. Il n’y avait pas de système d’enregistrement grand public permettant de manipuler facilement ces énormes quantités d’informations. Des enregistreurs de CD sont bien apparus, mais ils étaient lents et moyennement fiables. Les enregistreurs DAT étaient vraiment chers. Ils utilisaient des bandes magnétiques, ce qui permettait de faciliter les opérations d’enregistrements, mais en lecture et avec un accès séquentiel (il faut faire défiler la bande jusqu’au point qui nous intéresse, comme avec les cassettes Philips). Peu de temps après, le MiniDisc résolvait ces deux problèmes. Il avait la facilité d’usage pour l’enregistrement d’un magnétophone à cassettes, mais son accès aléatoire permettait un accès instantané et indexé à la musique présente sur le MiniDisc. Dans mon cas, cela a été mon support favori pour numériser les disques Shellac. Augusto, un DJ parisien originaire de Bariloche, l’utilisait également en milonga.
L’informatique musicale
Aujourd’hui, la quasi-totalité des DJ utilisent un ordinateur. J’ai, je pense, été un des premiers à le faire, tout d’abord avec un ordinateur tour qu’il fallait triballer avec son écran, écran qui, même en 15 pouces, était lourd et encombrant. Je rêvais donc d’un ordinateur portable, mais dans les années 90, c’était coûteux et les disques durs étaient très petits. Un disque dur de 40 Mo permettait de stocker un seul tango au format WAV… J’avais un disque dur SCSI de 160 Mo (un monstre pour l’époque), mais cela était bien sûr trop limité. C’est alors que je suis passé au MP3 à 128 ou 192 kbit/s, ce qui permettait de stocker 10 fois plus de musique. J’ai alors investi dans un lecteur Syquest et une flopée de disques de 88 Mo et dans mon premier ordinateur portable. Un truc avec un écran monochrome, mais offert avec une souris « Colani » et une calculatrice du même designer…
Mon premier ordinateur portable et un lecteur Syquest avec des cartouches de 88 Mo. L’ordinateur avait un processeur 486DX2 à 66 MHz, 8 Mo de RAM et 540 Mo de disque dur. Je ne sais pas où est passé cet ordinateur, mais il me reste encore des Syquests avec des cartouches de 88 Mo et de 200 Mo. En recherchant une photo de l’ordinateur sur Internet, j’ai même retrouvé ses caractéristiques.
Le système devenait viable et, vers 2000, j’ai inauguré ce portable et les Syquests avec Winamp, un logiciel qui permettait également de changer la vitesse de la musique. Royal, non ? Un disque de 1 Go en interne quelques années plus tard m’a permis d’avoir plus de musique avec moi. Aujourd’hui, je suis passé à 4 To… Tout cela pour dire que le MP3, qui est un retrait par rapport aux capacités du CD a été salvateur pour utiliser l’informatique en milonga. Le MP3 devait également se développer à cause des faibles performances d’Internet de l’époque, même si j’avais Numéris, un système qui permettait d’atteindre 64, voire 128 kbit/s en agrégeant deux canaux, mais en doublant aussi le prix de la communication… Aujourd’hui, avec l’ADSL ou la fibre, on a oublié ce temps où il fallait des heures pour les transferts et qu’ils étaient facturés à la minute…
Comment le MP3 a permis de réduire la taille des fichiers
Un tango au format WAV, qualité CD, occupe environ 30 Mo. Un fichier MP3 à 128 kbit/s occupe environ 3 Mo, soit 10 fois moins que le fichier sans compression.
Ce tableau présente la quantité d’information à stocker en fonction de ses caractéristiques (Fréquence d’échantillonnage et résolution). Encadré en rouge, le CD (piste mono). Il faut multiplier par deux pour un fichier stéréo (1411 kbit/s).
Un fichier MP3 stéréo en qualité « CD », 44,1 kHz et 16 bits devrait faire également 30 Mo s’il n’avait pas de compression. Un fichier audio stéréo au format CD demande un débit de 1411 kbit/s. Le meilleur MP3 est limité à 320 kbit/s. Il faut donc comprimer environ 4 fois le fichier pour le faire entrer dans son format. Cela se fait en supprimant des données estimées inutiles ou pas utiles. Sur une musique relativement simple, c’est réalisable, mais plus complexe pour de la musique plus riche. Si on choisit un débit plus faible, par exemple 128 kbit/s, et que l’on a conservé les valeurs initiales de 44,1 kHz et 16 bits, il faut donc augmenter très sensiblement la compression et là, les pertes commencent à s’entendre, comme vous avez pu l’écouter dans mon article « Détecter la musique trichée ». https://dj-byc.com/detecter-la-musique-trichee/
Taille relative des boîtes à musique
Les “boîtes” bleues montre les capacités d’enregistrement, sans compression. À gauche, trois formats. le 78 tours, le 33 tours et le MP3 à 320 kbit/s.
En haut à droite, le format CD (44,1 kHz/16 bits). En dessous, le format DVD et les formats Haute résolution. Ces deux derniers formats permettent d’enregistrer des gammes de fréquences bien au-delà du nécessaire et des différences de niveaux sonores supérieures à ceux qui pourraient se rencontrer sur terre. Ce sont donc des formats destinés à l’enregistrement professionnel. Par exemple, si le volume d’enregistrement a été trop faible, on pourra l’augmenter sans rajouter de bruit de fond, ce qui serait impossible avec un format CD ou DVD. On restera donc probablement à des valeurs raisonnables pour ce qui est de la diffusion de la musique en conservant les valeurs du CD ou du DVD. Pour vous enlever toute hésitation, je vous présente ce qu’occupent les formats traditionnels (LP 33 tours et shellac 78 tours) en comparaison de la boîte du CD.
Les trois contenants au format 44,1 kHz et 16 bits) et comment s’y logent trois formats. Le 78 tours, le 33 tours et le MP3 à sa plus haute qualité.
Je commencerai par le cas du MP3. La partie centrale est la taille du fichier. La partie qui l’entoure, en rose, c’est l’espace que va retrouver la musique après la décompression. En théorie, on retrouve dans la musique décompressée, la même gamme de fréquences et la même dynamique que le CD. La différence que l’on peut éventuellement noter dans de bonnes conditions vient des artefacts de compression qui ont restitué des détails un peu différents de ceux d’origine. Dans les deux boîtes supérieures, j’ai placé le 78 tours et le 33 tours. On voit qu’il y a beaucoup de marge de manœuvre. Les capacités du CD sont nettement supérieures à celles de ces deux supports. Certains pourraient affirmer que le rendu analogique est plus doux, meilleur ou je ne sais quoi, mais il s’agit plus d’un fantasme, notamment pour la musique historique du tango, qui n’a pas bénéficié des tout derniers progrès du disque noir. Le test est facile à faire. Placez un « mélomane » en écoute aveugle et demandez-lui s’il écoute la version CD ou la version shellac. Bien sûr, vous lui aurez offert le meilleur casque, ou une chaîne hi-fi haut de gamme pour être beau joueur. S’il trouve à chaque fois sans se tromper, renouvelez le test dans une milonga avec une bonne sono. Si ce phénomène continue de toujours différencier le disque noir de sa copie numérique en qualité CD, c’est assurément que votre transfert est de très mauvaise qualité. Dans ce cas j’ai un article pour vous aider, et éventuellement un autre sur le nettoyage des disques…
Vous aurez sans doute reconnu dans la photo de couverture, une évocation du merveilleux film de Fritz Lang, Metropolis. Mais peut-être ne savez-vous pas que, si on peut voir aujourd’hui ce film en entier, c’est grâce à l’Argentine qui avait conservé une version complète (au format 16 mm) contenant les 25 minutes que l’on croyait perdues. Aujourd’hui, on peut voir ce chef-d’œuvre absolu du cinéma en entier.
Très peu de danseurs de tango lisent la musique, mais les compositions de tango comportent des éléments qui influent sur la danse. J’ai recensé quelques éléments courants dans les partitions et mis en face l’effet que cela pourrait produire pour la danse. Cet élément est un extrait du chapitre 4 du cours de musicalité pour danseurs de tango.
Quelques motifs musicaux à repérer
La musique n’est pas une succession de notes de valeur égale. Nous avons vu que le mode pouvait être majeur, mineur, que les rythmes pouvaient être très différents, qu’il y avait des moments de pause, de ralentissement, des moments plus intenses, plus forts et d’autres plus calmes, plus doux. Les compositeurs écrivent des indications pour les interprètes afin qu’ils respectent l’esprit de la musique en sortant d’une notation musicale qui est d’ordre mathématique plus qu’artistique.
Vitesse
La première indication est celle du tempo, la vitesse. Cela concerne totalement les musiciens mais pas vraiment les danseurs qui doivent suivre le tempo imposé par la musique. Cependant, comme nous l’avons vu, les danseurs peuvent évoluer en interprétant le rythme, sur les temps, deux fois plus vite, deux fois plus lentement, en faisant des pauses. C’est en général la richesse de la composition musicale des tangos qui permet la variété. Les danseurs peuvent passer d’un instrument à l’autre, par exemple. Sur la partition, on peut trouver : largo (« large »), lento (« lent »), adagio (« tranquille »), moderato (« modéré »), allegro (« allègre »), presto (« pressé »). Si la musique est lente, il serait assez mal venu quel les danseurs dansent à toute vitesse et tout autant peu compréhensible s’ils se mettaient à faire les tortues sur une milonga déchaînée. Sur la partition, on trouve parfois la mention rall pour rallentendo (« en ralentissant »), voire plus rarement ritard pour ritardando (« en retardant »). Pour ces dernières indications, le couple de danseurs ne le sait pas, mais il doit être attentif à la musique et accompagner le ralentissement en adaptant ses mouvements. Le cas extrême est le break où la musique s’arrête totalement.
Nuances
Lorsque deux personnes parlent, elles adaptent différents niveaux sonores. Elles peuvent exprimer des sentiments en variant la voix, par exemple pour marquer la surprise, la colère, l’interrogation… Imaginez comme il serait ennuyeux de voir une pièce de théâtre avec les acteurs qui parleraient avec une voix monocorde sans expression. En musique, c’est pareil. Pour éviter la monotonie, les musiciens mettent des nuances. Ils augmentent ou baissent le volume sur des parties plus ou moins grandes, voire sur des notes isolées. pp pianissimo (« tout doux, presque silencieux »), p piano (« avec un volume modéré »), mp mezzo piano (« moyennement doux ») ; mf mezzo forte (« moyennement fort »), f forte (« fort »), ff voir fff fortissimo (« très fort voire très fort ». Les danseurs ne font pas beaucoup de bruit, mais si la musique est piano ou pianissimo, il serait mal venu de faire de bruyants claquement de talon. La danse sera plus souple et moins percutante. À l’inverse, une musique plus forte peut laisser libre court à des fantaisies plus bruyantes de la part des danseurs, comme des frappés de pieds. Notez qu’il existe aussi le crescendo et le decrescendo qui sont respectivement une montée du volume et une baisse de volume. Ces indications peuvent aussi donner lieu à interprétation. ATTENTION, un decrescendo, éventuellement accompagné d’un ralentissement, sert souvent pour annoncer une nouvelle partie, ou le début de la partie chantée. C’est donc une aide pour l’improvisation. Parfois, le crescendo est suivi immédiatement d’un decrescendo. On appelle cela un soufflet, mais si c’est relativement court, cela peut être facilement interprété, la partie la plus forte étant le point culminant de la figure. Ces nuances s’appliquent parfois à une seule note. On parle alors d’accent. La note en question est surmontée du signe « > ». Parfois, le fait de rajouter une altération (dièse ou bémol) à une note lui donne une couleur particulière. Les danseurs qui l’auront remarqué pourront la mettre en valeur.
Malena chante le tango comme personne et cela se sait depuis au moins 1941, date à laquelle Lucio Demare a composé ce tango qui sera inséré dans le film de son frère, Lucas, El Viejo Hucha. Ce magnifique tango qui a bénéficié du talent de Lucio Demare pour la musique et de Homero Manzi pour les paroles a eu, a et sans doute aura longtemps un gros succès.
Lucio Demare, à gauche, Homero Manzi, à droite. Manzi a écrit le texte, l’a donné à Demare qui a composé hyper rapidement la musique. C’est l’effet Malena.
Extrait musical
Malena, Lucio Demare et Homero Manzi. Partition de Jules Korn. Au centre, une partition que j’ai créée pour expliquer dans mes cours le fonctionnement des parties au tango et comme c’est justement à propos de Malena…Malena 1942-01-08 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino
Paroles
Malena canta el tango como ninguna y en cada verso pone su corazón. A yuyo del suburbio su voz perfuma, Malena tiene pena de bandoneón. Tal vez allá en la infancia su voz de alondra tomó ese tono oscuro de callejón, o acaso aquel romance que sólo nombra cuando se pone triste con el alcohol. Malena canta el tango con voz de sombra, Malena tiene pena de bandoneón.
Tu canción tiene el frío del último encuentro. Tu canción se hace amarga en la sal del recuerdo. Yo no sé si tu voz es la flor de una pena, só1o sé que al rumor de tus tangos, Malena, te siento más buena, más buena que yo.
Tus ojos son oscuros como el olvido, tus labios apretados como el rencor, tus manos dos palomas que sienten frío, tus venas tienen sangre de bandoneón. Tus tangos son criaturas abandonadas que cruzan sobre el barro del callejón, cuando todas las puertas están cerradas y ladran los fantasmas de la canción. Malena canta el tango con voz quebrada, Malena tiene pena de bandoneón.
Lucio Demare Letra: Homero Manzi
Traduction libre
Les paroles sublimes de Manzi se suffisent à elles-mêmes. Je vous en laisse savourer la poésie à travers ma traduction (ou celle de Google, pour ceux qui lisent dans une autre langue que l’espagnol ou le français).
Malena chante le tango comme personne et dans chaque couplet, met son cœur. À l’herbe des banlieues, sa voix parfume, Malena a une peine de bandonéon. Peut-être que dans son enfance, sa voix d’alouette a pris ce ton obscur de ruelle, ou peut-être cette romance qu’elle ne nomme que lorsqu’elle est triste avec l’alcool. Malena chante le tango d’une voix d’ombre, Malena a une peine de bandonéon. Ta chanson a le froid de la dernière rencontre. Ta chanson devient amère dans le sel de la mémoire. Je ne sais pas si ta voix est la fleur d’un chagrin, je sais seulement qu’à la rumeur de tes tangos, Malena, je te sens meilleure, meilleure que moi. Tes yeux sont sombres comme l’oubli, tes lèvres sont serrées comme le ressentiment, tes mains sont deux colombes qui ont froid, tes veines ont du sang de bandonéon. Tes tangos sont des créatures abandonnées qui traversent la boue de la ruelle, lorsque toutes les portes sont fermées et que les fantômes de la chanson aboient. Malena chante le tango d’une voix cassée, Malena a une peine de bandonéon.
Autres versions
On considère généralement que c’est Troilo qui a lancé le titre. Ce n’est pas faux, mais en fait Demare l’interprétait avec Juan Carlos Miranda, dès 1941 au Cabaret Novelty.
Le cabaret Novelty où jouait Lucio Demare et où il inaugura Malena avec Juan Carlos Miranda. Photo de 1938 (3 ans plus tôt).
D’accord, il le jouait, mais il ne l’a pas enregistré alors c’est bien Troilo le premier. Que non, mon ami. Lucio Demare l’a enregistré avec Juan Carlos Miranda à la fin de 1941, mais cette version est restée « secrète » jusqu’au 29 avril 1942. Il s’agit de la version enregistrée pour le film El Viejo Hucha, réalisé par Lucas Demare, son frère et avec Osvaldo Miranda faisant le phonomimétisme (play-back) sur la voix enregistrée de Juan Carlos Miranda. Et voici donc la première version enregistrée qui est bien de Lucio Demare avec Juan Carlos Miranda. Juan Carlos Miranda qui chante dans l’enregistrement est remplacé dans le film par Osvaldo… Miranda, mais rien à voir avec l’autre Miranda, car Juan Carlos s’appelait en fait Rafael Miguel Sciorra… Osvaldo a également chanté, mais pas dans ce film, à ses débuts avant de devenir acteur. Il était ami avec Manzi (que le monde est petit…).
Osvaldo Miranda faisant le phonomimétisme (play-back) sur la voix enregistrée de Juan Carlos Miranda qui chante Malena dans le film El Viejo Hucha.Malena 1942-01-08 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino. C’est notre tango du jour.
C’est le vrai faux premier enregistrement et le premier sorti en disque.
Malena 1942-01-23 — Orquesta Lucio Demare con Juan Carlos Miranda.
Une autre version de Demare et Miranda (le vrai), en disque, 15 jours après Troilo.
Malena 1950-12-12 — Quintin Verdu et son Orchestre con Lucio Lamberto.
Cet attachant orchestre français propose sa version de Malena.
Malena 1951-09-20 — Orquesta Lucio Demare con Héctor Alvarado.
Le compositeur enregistre sa troisième version du titre. Le chanteur, Alvarado âgé alors de 25 ans, est le seul chanteur de l’orchestre à l’époque. Demare l’a engagé l’année précédente. Sa voix correspond bien au style de l’orchestre, on comprend donc le choix de Lucio.
Malena 1951 – Orquesta José Puglia – Edgardo Pedroza con Francisco Fiorentino.
L’orchestre Puglia-Pedroza est assez rare, mais ils ont recruté un bon chanteur pour cet enregistrement. La partie orchestrale de l’introduction est un peu trop appuyée, avec des nuances exagérées. Si la voix de Fiorentino crée rapidement son cocon, la transition avec l’introduction est un peu rude. Par la suite, l’orchestre sera plus raisonnable et plus en accompagnement. Une version qui aurait pu être meilleure, mais qui vaut d’être écouté tout de même.
Malena 1952 — Orquesta Aníbal Troilo con Raúl Berón arr. de Héctor Artola.
Aníbal remet sur disque le titre, cette fois avec des arrangements de Artola, un arrangeur très réputé, qui après avoir été pianiste et bandonéoniste s’est concentré sur la direction d’orchestre et les arrangements. Il composa aussi quelques titres.
Malena 1955-08-02 — Orquesta Francisco Canaro con Juan Carlos Rolón.
Cela faisait un petit moment que Canaro n’avait pas pointé son nez. Le voici, avec une version assez différente, avec un rythme bien marqué. Disons que c’est une tentative de replacer le titre du côté de la danse. L’interprétation de Rolón, s’accommode toutefois de la rigueur de l’orchestre, mais je trouve qu’il reste quelques aspérités qui font que l’œuvre ne coule pas de façon parfaitement fluide.
Malena 1961 — Edmundo Rivero con orquesta.
Une version puissante par Rivero.
Malena 1963c — Astor Piazzolla con Héctor de Rosas.
Un Piazzolla, à écouter, mais il vous réserve une autre version 4 ans plus tard qui décoiffe plus.
Malena 1965 — Orquesta Miguel Caló con Roberto Luque.
J’ai un peu de mal à accrocher avec cette version. Je ne la proposerai pas en milonga.
Malena 1965 — Orquesta Miguel Caló con Raúl del Mar y glosas de Héctor Gagliardi.
Le fait que Gagliardi parle assez longtemps rend le titre peu propice à la danse. Mais de toute façon, Caló ne sera vraiment pas mon choix pour faire danser avec Malena.
Malena 1967 — Astor Piazzolla y su Orquesta con voz de mujer.
Une autre interprétation, plus innovante. Avec Astor, on est à peu près sûr de ne pas être dans le champ de la danse, alors, on écoute, tranquillement ou anxieusement cette version foisonnante ou de temps à autre le thème de Malena vient distiller sa sérénité relative. La voix de femme « céleste » qui termine comme une sirène mourante et les claquements terminent le titre de façon inquiétante.
Malena 1974-12-11 — Orquesta Osvaldo Pugliese.
Pour beaucoup, c’est la Malena de l’île déserte, la version qu’il faut emporter. Il faut dire que Pugliese nous livre ici un tangazo exceptionnel. Malgré sa grande puissance expressive, il pourra être considéré comme dansable par les danseurs les moins farouches. Si on a entendu ci-dessus, des versions décousues, manquant d’harmonie ou de cohérence, ici, c’est une surprise, chaque mesure suscite l’étonnement, tout en laissant suffisamment de repères pour que ce soit relativement dansable. Ceux qui trouvent que c’est difficile, vu que c’est le tango de l’île déserte, ils auront tout le temps de s’approprier la musique pour la danser parfaitement.
Qui est Malena ?
Il y a six prétendantes sérieuses au titre et sans doute bien d’autres.
6 des Malena potentielles. Si vous lisez les articles ci-dessous, vous pourrez savoir qui elles sont et élire celle qui vous parait la plus vraisemblable…
José “Natalín” Felipetti ; Rosario Mazzeo Letra: Arturo Juan Rodríguez
Le tango du jour est instrumental, et en écoutant la musique sensuelle de Di Sarli, je suis sûr que la plupart de ceux qui ne sont pas uruguayens ont pensé que j’étais tombé sur la tête, une fois de plus, en proposant cette image de couverture. J’ai imaginé cette illustration en me référant à Géricault, un peintre qui a donné à la fois dans le militaire et l’orientalisme. Mais qui sont ces 33 orientales que Di Sarli célébrera trois fois par le disque ?
De l’importance de l’article
Il peut échapper aux personnes qui ne parlent pas bien espagnol, la différence entre las (déterminant pluriel, féminin) et los (déterminant pluriel, masculin). Las 33 orientales, ça pourrait-être ceci,
Los ou las ?
mais los 33 orientales, c’est plutôt cela :
El juramento de los 33 orientales Juan Manuel Blanes (1878).
Je vous raconterai l’histoire de ces 33 mecs en fin d’article, passons tout de suite à l’écoute.
Extrait musical
Les compositeurs sont José Felipetti (bandonéoniste et éditeur musical) et Alfredo Rosario Mazzeo, violoniste, notamment dans l’orchestre de Juan D’Arienzo, puis de Polito (qui fut pianiste également de D’Arienzo). Rosario Mazzeo avait la particularité d’utiliser un archet de violon alto, plus grand pour avoir un son plus lourd.
Los 33 orientales 1955-07-28 — Orquesta Carlos Di Sarli.
Je n’ai pas grand-chose à dire sur cette version que vous puissiez ne pas connaître. Je suis sûr que dans les cinq secondes vous aviez repéré que c’était Di Sarli, avec ses puissants accords sur son 88 touches (le piano) et les légatos des violons. Comme il est d’usage chez lui, les nuances sont bien exprimées. Les successions de fortissimos mourant dans des passages pianos (moins forts) et les accords finaux où dominent le piano font que c’est du 100% Di Sarli.
Il s’agit du troisième enregistrement de Los 33 orientales par Di Sarli. Comme d’habitude, vous aurez droit aux autres dans le chapitre dédié, Autres versions…
Les trois disques de Los 33 orientales par Carlos Di Sarli.
On notera que la version de 1952 est un 33 tours Long Play, c’est-à-dire qu’il y a deux tangos par face, ici La Cachila et Los 33 orientales. Sur la face A, il y a Cuatro vidas et Sueño de juventud. Le passage de 78 à 33 tours permettait de plus que doubler la durée enregistrable. Mais ce n’est que la généralisation du microsillon qui permet d’atteindre des durées plus longues de plus de 20 minutes par face. Ce disque est donc un disque de « transition » entre deux technologies.
Paroles
Bien qu’il soit instrumental dans les versions connues, il y a eu des paroles écrites par Arturo Juan Rodriguez. Au cas où elles seraient perdues, je vous propose un extrait de celles d’un autre tango appelé également los 33 orientales, à l’origine et rebaptisé par la suite La uruguyaita Lucia. Il a été écrit en 1933 par Eduardo Pereyra avec des paroles de Daniel López Barreto. Je vous le propose à l’écoute, dans la version de Ricardo Tanturi avec Enrique Campos (1945).
La uruguyaita Lucia 1945-04-12 — Ricardo Tanturi C Enrique Campos
Y mientras en el cerro; de los bravos 33 el clarín se oía y al mundo una patria nueva anunciaba un tierno sollozo de mujer, a la gloria reclamaba el amor de su gaucho, que más fiel a la patria su vida le entregó. Cabellos negros, los ojos azules, muy rojos los labios tenía. La Uruguayita Lucía, la flor del pago ‘e Florida. Hasta los gauchos más fieros, eternos matreros, más mansos se hacían. Sus ojazos parecían azul del cielo al mirar.
Ningún gaucho jamás pudo alcanzar el corazón de Lucía. Hasta que al pago llegó un día un gaucho que nadie conocía. Buen payador y buen mozo cantó con voz lastimera. El gaucho le pidió el corazón, ella le dio su alma entera.
Fueron felices sus amores jamás los sinsabores interrumpió el idilio. Juntas soñaron sus almitas cual tiernas palomitas en un rincón del nido. Cuando se quema el horizonte se escucha tras el monte como un suave murmullo. Canta la tierna y fiel pareja, de amores son sus quejas, suspiros de pasión.
Pero la patria lo llama, su hijo reclama y lo ofrece a la gloria. Junto al clarín de Victoria también se escucha una queja. Es que tronchó Lavalleja a la dulce pareja el idilio de un día. Hoy ya no canta Lucía, su payador no volvió.
Eduardo Pereyra Letra: Daniel López Barreto
Traduction libre et indications
Et pendant que tu étais sur la colline ; des braves du 33 le clairon a été entendu et au monde il annonça une nouvelle patrie, un tendre sanglot d’une femme, à la gloire il a revendiqué l’amour de son gaucho, qui le plus fidèle à la patrie lui a donné sa vie. Cheveux noirs, yeux bleus, lèvres très rouges, elle avait. La Uruguayita Lucía, la fleur du bled (pago, coin de campagne et la population qui l’habite) Florida. Même les gauchos les plus féroces, éternels matreros (bourrus, sauvages, qui fuient la justice), se faisaient apprivoiser. Ses grands yeux semblaient bleus de ciel quand elle regardait. Aucun gaucho ne put jamais atteindre le cœur de Lucia. Jusqu’au jour où un gaucho arriva dans le coin et que personne ne connaissait. Bon payador et bien beau, il chantait d’une voix pitoyable. Le gaucho lui demanda le cœur, elle lui donna son âme en entier. Leurs amours étaient heureuses, jamais les ennuis n’interrompirent l’idylle. Ensemble, leurs petites âmes rêvaient comme de tendres colombes dans un coin du nid. Lorsque l’horizon brûla, s’entendit derrière la montagne comme un doux murmure. Le couple tendre et fidèle chante, leurs plaintes sont d’amour, leurs soupirs de passion. Mais la patrie l’appelle, elle réclame son fils et lui offre la gloire. Jointe au clairon de victoire, une plainte s’entend également. C’est Lavalleja (voir en fin d’article) qui a coupé court à l’idylle du couple en une journée.
La version de José « Natalín » Felipetti ; Rosario Mazzeo et Arturo Juan Rodríguez n’a peut-être ou sans doute rien à voir, mais cela permet tout de même d’évoquer un autre titre faisant référence aux 33 orientales et même à Lavalleja, que je vous présenterai dans la dernière partie de l’article.
Autres versions
Je vous propose 5 versions. Trois par Di Sarli plus deux dans le style de Di Sarli…
Los 33 orientales 1948-06-22 — Carlos Di Sarli.
La musique avance à petits pas fermes auxquels succèdes des envolées de violons, le tout appuyé par les accords de Di Sarli sur son piano. C’est joli dansant, du Di Sarli efficace pour le bal.
Los 33 orientales 1952-06-10 — Carlos Di Sarli.
Cette version est assez proche de celles de 1948. Le piano est un tout petit plus dissonant, dans certains accords, accentuant, le contraste en les aspects doux des violons et les sons plus martiaux du piano.
Los 33 orientales 1955-07-28 — Orquesta Carlos Di Sarli.
Los 33 orientales 1955-07-28 — Orquesta Carlos Di Sarli. C’est notre tango du jour. La musique est plus liée, les violons plus expressifs. Le contraste piano un peu dissonant par moment et les violons, plus lyriques est toujours présent. C’est peut-être ma version préférée, mais les trois conviennent parfaitement au bal.
Los 33 orientales 1960 — Los Señores Del Tango.
En septembre 1955, des chanteurs et musiciens quittèrent, l’orchestre de Di Sarli et fondèrent un nouvel orchestre, Los Señores Del Tango, en gros, le pluriel du surnom de Di Sarli, El Señor del tango… Comme on s’en doute, ils ne se sont pas détachés du style de leur ancien directeur. Vous pouvez l’entendre avec cet enregistrement de 1960 (deux ans après le dernier enregistrement de Di Sarli).
Los 33 orientales 2003 — Gente De Tango (estilo Di Sarli).
Gente De Tango annonce jouer ce titre dans le style de Di Sarli. Mais on notera quand même des différences, qui ne vont pas forcément toute dans le sens de l’orchestre contemporain ? L’impression de fusion et d’organisation de la musique est bien moins réussie. Le bandonéon semble parfois un intrus. Le systématisme de certains procédés fait que le résultat est un peu monotone. N’est pas Di Sarli qui veut.
Qui sont les 33 orientales ?
Rassurés-vous, je ne vais pas vous donner leur nom et numéro de téléphone, seulement vous parler des grandes lignes.
J’ai évoqué à propos du 9 juillet, jour de l’indépendance de l’Argentine, que les Espagnols avaient été mis à la porte. Ces derniers se sont rabattus sur Montevideo et ont été délogés par les Portugais, qui souhaitaient interpréter en leur faveur le traité de Tordesillas.
Un peu d’histoire
On revient au quinzième siècle, époque des grandes découvertes, Christophe Colomb avait débarqué en 1492, en… Colombie, enfin, non, pas tout à fait. Il se croyait en Asie et a plutôt atteint Saint-Domingue et Cuba pour employer les noms actuels.
Colomb était parti en mission pour le compte de la Castille (Espagne), mais selon le traité d’Alcaçovas, signé en 1479 entre la Castille et le Portugal, la découverte serait plutôt à inclure dans le domaine de domination portugais, puisqu’au sud du parallèle des îles Canaries, ce que le roi du Portugal (Jean II) s’est empressé de remarquer et de mentionner à Colomb. Le pape est intervenu et après différents échanges, le Portugal et la Castille sont arrivés à un accord, celui de Tordesillas qui donnait à la Castille les terres situées à plus de 370 lieues à l’ouest des îles du Cap-Vert. Une lieue espagnole de l’époque valait 4180 m, ce qui fait que tout ce qui est à plus à l’ouest du méridien passant à 1546 km du Cap Vert est Espagnol, mais cela implique également, que ce qui moins loin est Portugais. La découverte de ce qui deviendra le Brésil sera donc une aubaine pour le Portugal.
À gauche, les délimitations des traités d’Alcaçovas et de Tordessillas. À droite, la même chose avec une orientation plus moderne, avec le Nord, au nord…
Je pense que vous avez suivi cette révision de vos cours d’histoire, je passe donc à l’étape suivante… Les Brésiliens Portugais et les Espagnols, tout autour, cherchaient à étendre leur domination sur la plus grande partie de la Terre nouvelle. Les Portugais ont défoncé la limite du traité de Tortessillas en creusant dans la partie amazonienne du continent, mais ils convoitaient également les terres plus au Sud et qui étaient sous dominance espagnole, là où est l’Uruguay actuel. Les Espagnols, qui avaient un peu négligé cette zone, établirent Montevidéo pour mettre un frein aux prétentions portugaises. La situation est restée ainsi jusqu’à la fin du 18e siècle, à l’intérieur de ces possessions espagnoles et portugaises, de grands propriétaires commençaient à bien prendre leurs aises. Aussi voyaient-ils d’un mauvais œil les impôts espagnols et portugais et ont donc poussé vers l’indépendance de leur zone géographique. Les Argentins ont obtenu cela en 1816 (9 juillet), mais les Espagnols se sont retranchés dans la partie est du Pays, l’actuel Uruguay qui n’a donc pas bénéficié de cette indépendance pourtant signée pour toutes les Provinces-Unies du Rio de la Plata. Le 12 octobre 1822, le Brésil (7 septembre) proclame son indépendance vis-à-vis du Portugal par la voix du prince Pedro de Alcântara qui se serait écrié ce jour-là, l’indépendance ou la mort ! Il est finalement mort, mais en 1934 et le brésil était « libre » depuis au moins 1825. Dans son Histoire du Brésil, Armelle Enders, remet en cause cette déclaration du prince héritier de la couronne portugaise qui s’il déclare l’indépendance, il instaure une monarchie constitutionnelle et Pedro de Alcântara devient le premier empereur du Brésil sous le nom de Pierre Ier. Révolutionnaire, oui, mais empereur… Donc, en Uruguay, ça ne s’est pas bien passé. Artigas qui avait fait partie des instigateurs de l’indépendance de l’Argentine a été contraint de s’exiler au Paraguay à la suite de trahisons, ainsi que des dizaines de milliers d’Uruguayens. Parmi eux, Juan Antonio Lavalleja et Manuel Oribe.
Juan Antonio Lavalleja (photos de gauche) et Manuel Oribe, les meneurs des 33 orientales. Ils seront tous les deux présidents de le la république uruguayenne.
Où on en vient, enfin, aux 33 orientales
Après de terribles péripéties, notamment de Lavalleja contre les Portugais-Brésiliens qui avaient finalement délogé les Espagnols de Montevideo en 1816, il fut fait prisonnier et exilé jusqu’en 1821. L’année suivante, le Brésil obtenait son indépendance, tout au moins son début d’indépendance. Lavalleja se rallia du côté de Pierre 1er, voyant en lui une meilleure option pour obtenir l’indépendance de son pays. En 1824, il est déclaré déserteur pour être allé à Buenos Aires. Son but était de reprendre le projet d’Artigas et d’unifier les Provinces du Rio de la Plata. Une équipe de 33 hommes a donc fait la traversée du Rio Uruguay. Une fois sur l’autre rive, ils ont prêté serment sur la Playa de la Agraciada (ou ailleurs, il y a deux points de débarquement potentiel, mais cela ne change rien à l’affaire).
El juramento de los 33 orientales sur la plage selon le peintre Juan Manuel Blanes et l’emplacement du débarquement (dans le cercle rouge). La pyramide commémore cet événement.
Ce débarquement et ce serment, le juramento de los 33 orientales marquent le début de la guerre d’indépendance qui se prolongera dans d’autres guerres surnommées Grande et Petite. Les Britanniques furent mis dans l’affaire, mais ils pensèrent plus aux leurs, d’affaires, que d’essayer d’aider, n’est-ce pas Monsieur Canning (qui a depuis perdu la rue qui portait son nom et qui s’appelle désormais Scalabrini Ortiz) ? Le salon Canning connu de tous les danseurs de tango est justement situé dans la rue Scalabrini Ortiz (anciennement Canning). Les Argentins, dont le président Rivadavia espérait unifier l’ancienne province orientale à l’Argentine, ils se sont donc embarqués dans la guerre, mais le coût dépassait sensiblement les ressources disponibles. Le Brésil recevait l’aide directe des Anglais, l’affaire était donc assez mal engagée pour les indépendantistes uruguayens. Un projet de traité en 1827 fut rejeté, jugé humiliant par les Argentins et futurs Uruguayens indépendants. La Province de Buenos Aires, dirigée par Dorrego, le Sénat et l’empereur du Brésil se mirent finalement d’accord en 1928. Juan Manuel de Rosas était également favorable au traité rendant l’Uruguay indépendant bien que Dorrego et Rosas ne faisaient pas bon ménage. L’exécution de Dorrego coïncide avec l’ascension au pouvoir de De Rosas et ce n’est pas un hasard… L’histoire ne se termine pas là. Nos deux héros, Juan Antonio Lavalleja et Manuel Oribe qui avaient fait la traversée des 33 sont tous les deux devenus présidents de l’Uruguay et de grande guerre à petite guerre, ce sont plusieurs décennies de pagaille qui s’en suivirent. L’indépendance et la mise en place de l’Uruguay n’ont pas été simples à mettre en œuvre. Les paroles du tango de Pereyra et Barreto nous rappellent que ces années firent des victimes. Les 33 orientales restent dans le souvenir des deux peuples voisins du Rio de la Plata. À Buenos Aires, une rue porte ce nom, elle va de l’avenue Rivadavia à l’avenue Caseros et semble se continuer par une des rues les plus courtes de Buenos Aires, puisqu’elle mesure 50 m, la rue Trole… Au nord, de l’autre côté de Rivadavia, elle prend le nom de Rawson, mais, si c’est aussi un tango, c’est aussi une autre histoire.
Alors, à demain, les amis !
Los 33 orientales. La traversée par les 33. Ne soyez pas étonné par le drapeau bleu-blanc-rouge, c’est effectivement celui des 33. Vous pouvez le voir sur le tableau de Juan Manuel Blanes.
Lorsque Varela lance les quatre notes initiales, tous les danseurs réagissent. Elles raisonnent comme le pom pom pom pom de la 5e symphonie de Beethoven. Le destin des danseurs est fixé, ils doivent danser ce titre. Cette fascination date des premiers temps de ce titre qui a été enregistré, il n’y a pas trois ans, mais 68 ans et il nous parle toujours.
Le pom pom pom pom de Varela dans la version avec Ledesma.
Même si la partition ne comporte que les notes en rouge pour les trois premières notes, Varela fait jouer une double croche à la place de la croche du début de la seconde mesure à ses violons. C’est relativement discret. Je l’ai indiqué en plaçant deux points rouges avec un petit point bleu au centre. Varela fait jouer les deux petits points à la place de la croche qu’ils encadrent. Cela correspond aux paroles (me/ha), Ledesma chantant deux syllabes sur une seule note ; Varela demande à ses violons de faire pareil, par un très léger accent. On se retrouve donc avec environ trois double croches (No-me-ha), puis la croche pointée (las). On notera que les violons, comme Ledesma, chantent le (las) sur la note supérieure de l’accord (dernière note en rouge). Cela atténue la syncope initiale que devrait provoquer l’anacrouse avec la double croche initiale suivie d’une croche. L’interprétation est plus proche de trois doubles croches, ce qui est semblable aux coups du destin dans la cinquième symphonie de Beethoven. Trois coups brefs suivi d’un plus long. Varela utilise une montée à la quinte, alors que Beethoven utilise une descente à la tierce. Ce démarrage est différent suivant les orchestres et si Varela l’utilise pour la version de 1973, il ne le fait pas pour la version chantée par Mauré enregistrée la même année (1956). À la fin de la croche pointée rouge, on trouve (te-so-ro-mi) sur trois double croches et une croche qui fait durer le double de temps le (mi), puis le (o) qui dispose de toute une noire et qui dure donc quatre fois plus longtemps que les trois premières notes bleues.
Juan Pablo Marín
Juan Pablo Marín était guitariste et a écrit trois titres un peu connus. Fueron tres años, notre tango du jour en 1956, et l’année suivante, Reflexionemos qui a été enregistré trois fois en 1957, par Mauré, Gobbi et Nina Miranda et Serenata mía enregistré par Carlos Di Sarli avec le duo de Roberto Florio et Jorge Durán. Ces deux titres de 1957 ne sont pas comparables avec Fueron tres años ce qui explique un peu leur oubli. Je les laisse donc tranquillement dormir pour vous offrir notre tango du jour.
Extrait musical
Fueron tres años 1956-05-18 — Orquesta Héctor Varela con Argentino Ledesma.Partition de Fueron tres años
Paroles
No me hablas, tesoro mío, no me hablas ni me has mirado. Fueron tres años, mi vida, tres años muy lejos de tu corazón. ¡Háblame, rompe el silencio! ¿No ves que me estoy muriendo? Y quítame este tormento, porque tu silencio ya me dice adiós.
¡Qué cosas que tiene la vida! ¡Qué cosas tener que llorar! ¡Qué cosas que tiene el destino! Será mi camino sufrir y penar. Pero deja que bese tus labios, un solo momento, y después me voy; y quítame este tormento, porque tu silencio ya me dice adiós.
Aún tengo fuego en los labios, del beso de despedida. ¿Cómo pensar que mentías, sí tus negros ojos lloraban por mí? ¡Háblame, rompe el silencio! ¿No ves que me estoy muriendo? Y quítame este tormento, porque tu silencio ya me dice adiós.
Juan Pablo Marín (musique et paroles)
Traduction libre
Tu ne me parles pas, mon trésor, Tu ne me parles pas ni ne m’as regardé. Ce furent trois ans, ma vie, trois ans très loin de ton cœur. Parle-moi, rompt le silence ! Ne vois-tu pas que je suis en train de mourir ? Et ôte-moi ce tourment, car ton silence, déjà, me dit adieu.
Que de choses tient la vie ! Que de choses à tenir pour pleurer ! Que de choses tient le destin ! Ce sera mon chemin, souffrir et être peiné. Mais laisse-moi baiser tes lèvres, un seul instant, et ensuite je m’en vais ; Et enlève-moi ce tourment, car ton silence, déjà, me dit adieu.
J’ai encore du feu sur les lèvres, du baiser d’adieu. Comment penser que tu mentais, quand tes yeux noirs pleuraient pour moi ? Parle-moi, rompt le silence ! Ne vois-tu pas que je suis en train de mourir ? Et ôte-moi ce tourment, car ton silence, déjà, me dit adieu.
Autres versions
Seules les deux versions de Varela avec Ledesma et Falcón sont courantes, pourtant d’autres méritent d’être écoutées, voire dansées.
Fueron tres años 1956 — Héctor Mauré con acomp. de Orquesta Héctor Varela.
Cette version n’est pas précisément datée. Elle est peut-être postérieure à celle avec Ledesma, mais j’ai souhaité la mettre en premier pour la mettre en valeur. Même si ce n’est pas une version de danse, elle est magnifique et je pense que vous aurez plaisir à l’écouter. On notera que le début est différent. On peut l’attribuer au fait que Ledesma chante durant tout le titre et que par conséquent, faire un premier passage instrumental aurait été trop long. Varela l’a donc raccourci et il n’y a pas le pom pom pom pom initial.
Fueron tres años 1956-05-18 — Orquesta Héctor Varela con Argentino Ledesma. C’est notre tango du jour.Fueron tres años 1956-06-18 — Orquesta Graciano Gómez con Nina Miranda.
Le pom pom pom pom est remplacée une montée des cordes et bandonéons. Cela donne un départ assez spectaculaire et très différent. On connait Nina Miranda, une des grandes chanteuses uruguayennes. C’est vif et enlevé, mais ça manque sans doute de l’émotion que l’on trouve dans les versions de Varela.
Fueron tres años 1956-06-25 — Jorge Vidal con guitarras.
Un mois après la version enregistrée par Varela avec Ledesma, Jorge Vidal propose une version en chanson accompagnée par des guitares. On est dans un tout autre registre. Je trouve que l’on perd, là aussi un peu d’émotion.
Fueron tres años 1956-07-18 — Orquesta Símbolo ‘Osmar Maderna’ dir. Aquiles Roggero con Jorge Hidalgo.
Roggero choisit la même option que Gómez, un debut lié, mais plus doux.
Fueron tres años 1956-07-27 — Orquesta Enrique Mario Francini con Alberto Podestá.
Des nuances sans doute un peu exagérées démarrent le thème, avec des violons énervés. Podestá qui fait un peu de même ne me semble pas totalement convaincant. C’est de toute façon une version d’écoute et j’ai donc une excuse pour ne pas la passer en milonga…
Fueron tres años 1956-08-06 — Orquesta Donato Racciatti con Olga Delgrossi
On trouve pour la même année, 1956, une version de Rodriguez avec Moreno, mais j’ai un gros doute, car je n’y reconnais ni l’un ni l’autre dans cette interprétation qui de toute façon n’a rien de génial. Je préfère m’abstenir… Il y a donc au moins huit versions et peut-être plus enregistrées sur la seule année 1956. Il faudra attendre 1973, pour que Varela relance la machine à tubes (pour les non-francophones, machine à succès). Cette fois avec Jorge Falcón.
Fueron tres años 1973 — Orquesta Héctor Varela con Jorge Falcón.
C’est une autre sublime version, bravo, Monsieur Varela, trois versions merveilleuses du même thème, chapeau bas !
Fueron tres años 1974 — Orquesta Jorge Dragone Con Diego Solis.
Ce n’est pas inintéressant. Nous n’aurions pas les versions de Varela, on s’en contenterait peut-être. Ces artistes méritent cependant une écoute et comme ils ont enregistré dans un répertoire proche, on peut même faire une tanda pour accompagner ce titre.
Fueron tres años 2014 — Sexteto Milonguero con Javier Di Ciriaco.
C’est dommage que cet orchestre ne soit plus. Il avait une sympathique dynamique impulsée par son chanteur et directeur. On en a peut-être abusé, mais c’était un des orchestres qui avait un style qui n’était pas qu’une copie de ceux du passé. Je les avais fait venir au festival Tangopostale de Toulouse lorsque j’étais en charge des orchestres de bals et ils furent époustouflants et en plus, ils faisaient du tropical génial qu’il est dommage de ne pas plus avoir dans leurs disques, tournés sur le tango.
Fueron tres años 2016-12 — Orquesta Romántica Milonguera con Roberto Minondi.
Un autre orchestre qui a cherché un style propre et qui l’a trouvé. La très belle voix de Roberto Minondi et la sonorité particulière de l’orchestre donne une autre teinte au titre.
Fueron tres años 2018 — Cuarteto Mulenga con Maximiliano Agüero.
L’orchestre marque son originalité en déplaçant la syncope initiale du désormais fameux pom pom pom pom…
Fueron tres años 2023 — Conjuncto Berretin con Megan Yvonne.
Même si j’ai un faible pour les versions de Varela, je pense que vous avez écouté des choses qui vous plaisent dans ce tango tardif, puisque né après l’âge d’or du tango de danse. Si vous n’aimez rien de tous ces titres, je vous propose quelque chose de très différent qui prouve le succès majeur de ce thème écrit il y a 68 ans…
Fueron tres años — Los Rangers De Venezuela.
Aïe, ne me tapez pas sur la tête ! Vous avez la preuve que ce n’est pas nécessaire… C’est la cortina… Je vous propose de retrouver tout de suite votre titre préféré dans la liste qui précède.
Aujourd’hui, une valse pour déclarer son amour à une jolie femme. Pour cela, quatre hommes se sont attelés à la tâche, Vicente Romeo, Juan Andrés Caruso, Juan d’Arienzo et Walter Cabral. Nous appellerons également à la rescousse, d’autres grands du tango pour vous donner les arguments nécessaires pour séduire une femme papillon.
Avec D’Arienzo à la baguette et Biagi, on a l’assurance d’avoir une valse dansable. En, ce qui concerne le chanteur, Walter Obdulio Cabral (27/10/1917 – 1993), celui collaborera un peu plus d’un an avec D’Arienzo, le temps d’enregistrer trois valses : Un Placer, Tu Olvido et Irene et une milonga orpheline Silueta Porteña.
Extrait musical
Un placer 1936-04-03 — Orquesta Juan D’Arienzo con Walter Cabral. Musique de Vicente Romeo.Un placer 1936-04-03 — Orquesta Juan D’Arienzo con Walter Cabral.
Je vous laisse l’écouter. On en reparlera en comparaison avec les autres versions de ce titre.
Les paroles
Linda mariposa tú eres mi alegría y tus colores de rosa te hacen tan hermosa que en el alma mía tu imagen quedó.
Por eso a tu reja hoy vengo a cantarte, para decirte, mi diosa, que eres muy hermosa y no puedo olvidarte que antes de dejarte prefiero la muerte que sólo con verte es para mí un placer.
Sin tu amor ya no puedo vivir. ¡Oh! ven pronto no me hagas penar. De tus labios yo quiero sentir el placer que se siente al besar. Y por eso en mi canto te ruego que apagues el fuego que hay dentro de mí.
Oye amada mía tuyo es mi querer, que tuya es el alma mía toda mi poesía mis alegres días, hermosa mujer.
Sale a tu ventana que quiero admirarte. Sale mi rosa temprana, hermosa galana, que yo quiero hablarte y quiero robarte tu querer que es santo porque te amo tanto que no puedo más.
Y si el destino de ti me separa nunca podre ser feliz y antes prefiero morir. Porque tu cariño es mi vida entera. Tú has de ser la postrera, la dulce compañera que ayer soñé.
Vicente Romeo Letra : Juan Andrés Caruso
Traduction libre
Joli papillon, tu es ma joie et tes couleurs de rose te rendent si belle que dans mon âme ton image est restée.
C’est pourquoi à ta grille, aujourd’hui je viens chanter, pour te dire, ma déesse, que tu es très belle, que je ne peux pas t’oublier et que plutôt que de te quitter je préfère la mort. Que rien que te voir est un plaisir pour moi.
Sans ton amour, je ne peux pas vivre. Oh ! Viens vite, ne me fais pas de peine. De tes lèvres, je veux sentir le plaisir que l’on ressent en embrassant et c’est pourquoi dans ma chanson je te supplie que tu éteignes le feu qu’il y a en moi.
Entend ma bien-aimée, que tu es mon désir, mon âme est tienne, toute ma poésie, mes jours heureux ; merveilleuse femme.
Sort à ta fenêtre que je veux t’admirer. Sors ma rose précoce, belle galante, car je veux te parler et te voler ton amour qui est saint parce que je t’aime tant que je n’en peux plus.
Et si le destin me séparait de toi, je ne pourrais jamais être heureux et préférerais mourir. Parce que ta tendresse est toute ma vie. Tu seras la dernière, la douce compagne dont j’ai rêvé hier.
Un joli papillon, pour le plaisir…
Autres versions
Un placer 1931-04-23 — Orquesta Juan Maglio Pacho.
Un tempo très lent, qui peut déstabiliser certains danseurs. C’est une version instrumentale, avec sans doute un peu de monotonie malgré des variations de rythme. Pour ma part, j’éviterai de la proposer à mes danseurs.
Un placer 1933-04-11 — Orquesta Típica Los Provincianos (dir. Ciriaco Ortiz) con Carlos Lafuente.
Avec la voix un peu aigre de Carlos Lafuente, mais un joli orchestre pour une valse entraînante. La fin donne l’impression d’accélération, ce qui ravit en général les danseurs, surtout en fin de tanda. On est clairement monté d’un cran dans le plaisir de la danse avec cette version. L’orchestre est Los provincianos, mais il s’agit d’un orchestre Victor dirigé par Ciriaco Ortiz. Ce qui fait que vous pouvez trouver le même enregistrement sous les trois formes : Los Provincianos, Típica Victor ou Ciriaco Ortiz, voire un mixage des trois, mais tout cela se réfère à cet enregistrement du 11 avril 1933.
Un placer 1936-04-03 — Orquesta Juan D’Arienzo con Walter Cabral. C’est le tango du jour.
La voix de Walter Cabral rappelle celle de Carlos Lafuente, une voix de ténor un peu nasillarde, mais comme dans le cas de Lafuente, ce n’est pas si gênant, car ce n’est que pour une petite partie de la valse. L’impression d’accélération ressentie avec la version de Ciriaco Ortiz est présente, mais c’est une constante chez d’Arienzo. BIagi qui a intégré l’orchestre il y a cinq mois est relativement discret. Il se détache sur quelques ponctuations lâchées sur les temps de respiration de l’orchestre. Il n’a pas encore complètement trouvé sa place, place qui lui coûtera la sienne deux ans plus tard…
Un placer 1942-06-12 — Orquesta Aníbal Troilo.
Ici pas de voix aigre ou nasillarde, les parties sont chantées par les violons, ou par le chœur des instruments, avec bien sûr le dernier mot au bandonéon de Troilo qui termine divinement cette version élégante et dansante.
Un placer 1949-02 — Francisco Lauro con su Sexteto Los Mendocinos y Argentino Olivier.
Une version un peu faible à mon goût. Le sexteto manque de présence et Argentino Olivier, déroule les paroles, sans provoquer une émotion irrépressible. Une version que je ne recommanderai pas, mais qui a son intérêt historique et qui après tout peut avoir ses fanatiques.
Un placer 1949-08-04 — Orquesta José Basso con Francisco Fiorentino y Ricardo Ruiz.
Une version très jolie, avec piano, violons et bandonéons expressifs. L’originalité est la prestation en Duo, de deux magnifiques chanteurs, Francisco Fiorentino y Ricardo Ruiz. On peut ressentir un léger étonnement en écoutant les paroles, les deux semblent se répondre. C’est une jolie version, mais peut-être pas la première à proposer en milonga.
Un placer 1954 — Cuarteto Troilo-Grela.
Une magnifique version dans le dialogue entre le bandonéon et la guitare. La musique est riche en nuances. Le bandonéon démarre tristement, puis la guitare donne le rythme de la valse et le bandonéon alternent des moments où les notes sont piquées à la main droite, et d’autres où le plein jeu de la main gauche donne du corps à sa musique. À 1 : 30 et 1 : 50, à 2 : 02, le bandonéon s’estompe, comme s’il s’éloignait. À 2 : 10, la réverbération du bandonéon peut être causée par un éloignement physique important du bandonéon par rapport au microphone, ou bien à un ajout ponctuel de réverbération sur ce passage. Je ne suis pas sûr que cet artifice provoqué par l’enregistrement apporte beaucoup au jeu de Troilo. Il faut toutefois pardonner à l’ingénieur du son de l’époque. C’est le début d’une nouvelle ère technique et il a sans doute eu envie de jouer avec les boutons…
Un placer 1958-10-07 — Orquesta José Basso con Alfredo Belusi y Floreal Ruiz.
José Basso refait le coup du duo, mais cette fois avec Alfredo Belusi et Ricardo Ruiz. À mon avis, cela fonctionne moins bien que la version de 1949.
Un placer 1979 — Sexteto Mayor.
Pour terminer, une version assez originale, dès l’introduction. Je vous laisse la découvrir. Étant limité à 1 Mo par morceau sur le site, vous ne pouvez pas entendre la stéréo vraiment exagérée de ce morceau, car tous les titres sont passés en basse qualité et en mono pour tenir dans la limite de 1 Mo. C’est une peine pour moi, car la musique que j’utilise en milonga demande entre 30 et 60 Mo par morceau… Sur la stéréo en milonga, c’est à limiter, surtout avec des titres comme celui-ci, car les danseurs auraient d’un côté de la salle un instrument et de l’autre un autre. Donc, si j’ai un titre de ce type à passer (c’est fréquent dans les démos), je limite l’effet stéréo en réglant le panoramique proche du centre. Une salle de bal n’est pas un auditorium…
Mini tanda en cadeau
Walter Cabral
Cabral n’a enregistré que trois valses avec D’Arienzo. Je vous propose d’écouter et surtout danser cette mini tanda de seulement trois titres. Peut-être apprécierez-vous à la fin de la tanda la voix un peu surprenante de Cabral.
Cerise sur la tanda. Pardon, le gâteau, les trois titres forment une histoire. Il découvre son amour, elle s’appelle Irene et… Ça se termine mal…
Un placer 1936-04-03 — Orquesta Juan D’Arienzo con Walter Cabral. C’est le tango du jour.Irene 1936-06-09 – Orquesta Juan D’Arienzo con Walter CabralTu olvido 1936-05-08 — Orquesta Juan D’Arienzo con Walter Cabral
Linda mariposa, tú eres mi alegría y tus colores de rosa te hacen tan hermosa qué en el alma mía tu imagen quedó.
Beau papillon, tu es ma joie et tes couleurs de rose te rendent si belle que dans mon âme ton image est restée.
Cookie Consent
Les cookies sont uniquement destinés à améliorer votre expérience sur le site. En utilisant notre site, vous acceptez l'utilisation des cookies.
Ce site utilise des cookies
Ce site utilise des cookies temporaires pour améliorer les fonctionnalités et personnaliser votre expérience.
Les cookies essentiels permettent les fonctions de base et sont nécessaires au bon fonctionnement du site Web.
Name
Description
Duration
Cookies Preferences
Ce cookie est utilisé pour stocker les préférences de consentement aux cookies de l'utilisateur.