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Tu melodía 1945-05-25 – Orquesta Rodolfo Biagi con Jorge Ortiz / Tu melodía 1944-12-27 – Orquesta Domingo Federico con Carlos Vidal

Alberto Suárez Villanueva Letra: Oscar Rubens (Oscar Rubistein)

Tu melodía est un superbe titre que deux orchestres ont enregistré à 5 mois d’intervalle. Je vous invite donc à écouter non pas une, mais deux versions. Je pense que certains auront une surprise en comparant les deux titres… Puis nous nous lancerons dans un sujet polémique, la SACEM à propos des paroles en français de ce tango.

Extraits musicaux

Si c’est aujourd’hui l’anniversaire de la version de Biagi qui fête ses 79 ans, je vous propose de commencer par sa grande sœur enregistrée par Domingo Federico, le 27 décembre 1944.

Tu melodía 1944-12-27 — Orquesta Domingo Federico con Carlos Vidal.

Le tango par des bandonéons incisifs puis les violons s’ajoutent, beaucoup plus suaves, et très rapidement la voix de Carlos Vidal (dès 20 secondes, ce qui est très tôt et exceptionnel pour un tango de danse). Ensuite, c’est une alternance du chanteur et des instruments qui reprennent l’air en solo. C’est donc un tango de danse avec une présence particulièrement importante du chanteur, ce qui n’était pas fréquent avant que Troilo s’en mêle.

Tu melodía 1945-05-25 — Orquesta Rodolfo Biagi con Jorge Ortiz.

Je pense que dès les premières secondes vous aurez remarqué qu’il s’agissait d’une valse. En effet, Biagi interprète ainsi la composition de Suárez Villanueva. Là on est moins en présence d’une alternance, les violons chantent en harmonie avec Ortiz. Le piano, Biagi n’a pas de raison de s’en priver, car c’est lui le chef, a son solo en plus de ses habituelles ponctuations de 2:03 2:33. Vous remarquerez les notes doublées dans la seconde partie de son solo. Comme avec Federico et Vidal, le chanteur va jusqu’aux dernières notes.

Paroles

Tu melodía siempre la escucho,
Y donde vaya, me persigue noche y día…

Buscándote, amor, amor
Ansiosa está el alma mía,
Y dónde voy oyendo estoy,
Tu dulce voz, tu melodía.

Cada lugar que recorrí
Me habló de ti, de tu emoción,
Por eso siempre te está buscando
Confiando hallarte mi corazón.

Tu melodía,
Siempre la escucho
Y donde vaya
Me persigue noche y día.

Tu melodía
Vive en mi alma,

Y al evocarla
Me devuelve tu visión.

Alberto Suárez Villanueva Letra: Oscar Rubens (Oscar Rubistein)

Vidal commence par ce qui est en couleur (bleu, rouge). Puis il repart du début et chante tout jusqu’à la fin et reprend même les deux vers en rouge et gras…
Dans le cas de Ortiz on est dans une structure plus classique. La mélodie est présentée une fois par les violons avant d’être confiée au chant. Ortiz chante tout ce qui est en gras. Il omet donc les deux premiers vers.

Traduction libre

Ta mélodie, je l’entends toujours, et partout où je vais, elle me hante nuit et jour…
En te cherchant, amour, amour anxieux jusqu’à l’âme, et où que j’aille, j’entends, ta douce voix, ta mélodie.
Chaque endroit que j’ai visité m’a parlé de toi, de ton émotion, c’est pourquoi, toujours, je te cherche, en espérant te trouver, mon cœur.
Ta mélodie, je l’entends toujours et partout où je vais, elle me hante nuit et jour…
Ta mélodie vit dans mon âme, et quand je l’évoque, elle me rend ta vision.

Histoire de droits d’auteurs

Tout d’abord, une autre version des paroles. Par Framique (Eugénie Micsunesco) (1896-1991). Elle était l’épouse de Francis Salabert, éditeur et auteur-compositeur de nombreux titres que l’on peut voir sur le site de la BNF (Bibliothèque Nationale de France) et on la trouve donc aussi sur le site de la BNF avec la liste de ses œuvres. Tu melodía n’est pas dans cette liste, mais on la trouve dans celle de son pseudonyme, Framique sur le site de la BNF.
Cette version a été éditée par son mari, à Paris, en 1948, comme on peut le voir sur la fiche de l’œuvre sur le site de la BNF. Sur la même fiche, on peut trouver l’incipit que voilà :

1.1.1 C’est le plus beau des chants d’amour
2.1.1. Bus-candote amor amor

Dans le Catalog of copyright entries Third Series, on trouve dans le volume 3, Part 5 A, Number 1 de janvier à juin 1949 de la Library of Congress, la précision de la date, le 10 septembre 1948. Dans ce registre est également consigné le nom de Suarez Villanueva en référence à la version originale. On remarque le copyright des éditions Salabert, celles du mari de Framique.

Dans cet extrait du registre des copyrights, on trouve la précision du 10 septembre 1948

Il y a donc des paroles françaises de ce tango ou valse, écrites par Framique et éditées par son mari. On touche ici du doigt le monde de l’édition musicale. Imprimer une partition, peut-être une source de revenus non négligeable, cela donnera des idées au cours du temps, comme nous allons l’évoquer maintenant à propos de la société des Auteurs, Compositeurs et Éditeurs de musique, la SACEM.

La SACEM et les droits d’auteur

Les organisateurs de manifestation tango râlent souvent en France à cause des coûts énormes de la SACEM qui grèvent les budgets de leurs événements. La SACEM est une société de collecte des droits d’auteurs et « avoisinants ». Société des Auteurs, Compositeurs et Éditeurs de Musique.
Ce serait un moindre mal si l’argent collecté servait réellement aux ayants droit, mais on va voir que c’est un peu moins rose que cela…


Prenons l’exemple de la Cumparsita.
Gerardo Matos Rodriguez en est considéré comme l’auteur. Il est mort en 1948. Donc, depuis 2018 (la protection court jusqu’à 70 ans après la mort de l’auteur pour la France), la Cumparsita est tombée dans le domaine public. Elle ne devrait donc plus faire l’objet de prélèvements. Pour éviter cela, la SACEM et les sociétés affiliées ont inventé de nouveaux droits permettant aux éditeurs de continuer à toucher des sommes conséquentes même pour les œuvres tombées dans le domaine public.

Les « revenus » de la SACEM :

La SACEM ne connecte pas seulement les sommes qui vont permettre aux pauvres compositeurs de manger. Cette activité est même marginale et plus qu’insignifiante en volume. Voici le panorama de ce que gère la SACEM…

  • La SACEM récupère les droits d’auteurs des compositeurs et auteurs de musique, mais aussi des éditeurs de musique (le E de SACEM).
  • Elle collecte la rémunération pour copie privée (taxe prélevée sur tous les supports d’enregistrements vierges, même s’ils ne servent pas à la musique (Loi du 3 juillet 1985, dite Loi Lang).
  • Elle collecte pour SESAM, sur les œuvres multimédias (Société du droit d’auteur dans l’univers multimédia et internet)
  • Elle collecte pour SDRM, les droits de reproduction mécaniques des auteurs, compositeurs, éditeurs, réalisateurs et doubleurs, sous-titreurs.
  • La SPRÉ, la rémunération équitable au profit des musiciens interprètes et des producteurs phonographiques.

J’ai mis en gras ceux qui recevaient la plus grosse part du gâteau, après bien sûr le « prélèvement » de la SACEM. Il s’agit, vous vous en seriez douté, des éditeurs et producteurs. Rien que pour les droits d’auteur, la clef de répartition est en théorie de 25 % pour l(es) auteur(s) 25 % pour le(s) compositeur(s) 50 % pour l(es) éditeur(s).
Donc, quand vous écoutez la Cumparsita dans une milonga, vous pouvez penser que c’est une musique « libre de droits ».
En fait, non. Les éditeurs de musique existent toujours, les producteurs de disques, également et phénomène intéressant de nouveaux ayants droit se greffent sur les œuvres à succès. J’ai compilé ci-dessous la liste des ayants droit pour la Cumparsita que l’on trouve dans les registres de la SACEM.
Vous allez y découvrir bien plus que les trois auteurs communément cités dans le domaine du tango, mais surtout, vous allez voir une liste d’éditeurs et de sous-éditeurs, qui sont donc des ayants droit, juste, car ils ont imprimé, au moins une fois La Cumparsita et qu’ils l’ont déclaré à la SACEM ou à une société affiliée.
La SPRÉ étant destinée aux interprètes, la liste de ces derniers devient très longue. Donc, même si vous jouez une Cumparsita dans une version où tous les membres de l’orchestre sont morts avant 1954, il y a des droits à payer. N’oublions pas que la SPRÉ n’est pas essentiellement destinée aux musiciens, mais aux éditeurs…
Je vous laisse méditer sur les ayants droit de la SACEM à partir de son registre, mais avant, je tiens à vous communiquer une information.
La SADAIC, l’équivalent argentin de la SACEM, reçoit des sommes forfaitaires de la France, mais rien de particulier en matière de tango. En effet, cette musique est considérée comme marginale en termes de droits d’auteurs par la SADAIC et il n’y a pas de revendication particulière.
Je pense que vous comprenez que quand vous déclarez à la SACEM la musique d’un événement, même si le DJ dresse une liste avec le nom des compositeurs et que vous la transmettez, cela n’a aucune incidence sur les flux entre la France et l’Argentine. Ce n’est pas géré.
L’argent qui reste après que ce soit servi la SACEM, les éditeurs et les producteurs, va aux musiciens et aux auteurs, mais vous allez le voir, d’une façon assez étrange.
Si vous êtes une grosse vedette du top 50, vous allez recevoir votre dû et même bien plus, car les sommes qui ne sont pas distribuées sont réparties à l’ensemble des auteurs inscrits (à noter que l’inscription d’un auteur à la SACEM n’est pas obligatoire) La SACEM est une société, pas un organisme public, officiel.
Ainsi, Tartempion Glinglin, qui s’est inscrit à la SACEM, recevra un petit quelque chose, proportionnellement à son statut. Les gros reçoivent beaucoup, les petits, très peu. Pour la France, le plus gros, c’est Jean-Jacques Goldman. Quand vous organisez une milonga, vous enrichissez Jean-Jacques Goldman et des éditeurs et producteurs, mais pas Rodriguez ou ses petits-enfants éventuels.
Mais ce n’est pas la seule surprise. Je vous propose de regarder maintenant le répertoire de la SACEM pour La Cumparsita. Cette œuvre étant très connue et beaucoup jouée, elle attire la convoitise de ceux qui vivent des subsides de la SACEM.

LE RÉPERTOIRE DE LA SACEM

LA CUMPARSITA

Compositeur : ARCH DAVID GWYN, BERNARD DEWAGTERE, Cyprien KATSARIS, GARANCE MICHELE, GERARDO MATOS RODRIGUEZ, Giulio Gd D’AGOSTINO, JEFE E L, PUBLIC DOMAIN, TRAD.

Compositeur-Auteur : Augustin CASTELLON CAMPOS, CALANDRELLI JORGE M, DP, GERARDO MATOS RODRIGUEZ, GONZALO FI, Igor OUTKINE, INCONNU COMPOSITEUR AUTEUR, KALETH JAMES PATRICK, MAX BRONCO, Public DOMAINE, ROGERS MILTON (US 1), Roland Martin ROBERTS, ROSE DAVID D, Sammy WETSTEIN, TERRANO ANDREA.

Auteur : BEYTELMANN GUSTAVO, CONNER DAVID A, David John HOWELL, Fabien PACKO, LLOYD JACK, LOVE GEOFFREY, Marie-Stéphane VAUGIEN, MARONI ENRIQUE PEDRO, Pascual CONTURSI, PASERO STEVAN, RUNSWICK DARYL BERNARD, STAZO LUIS ANTONIO.

Arrangeur : ARCH DAVID GWYN, Robert DUGUET.

Interprète : Alain MUSICHINI, Andre BROCOLETTI, Armand PAOLI, Arnaud THORETTE, Astor PIAZZOLLA, BARIMAR, BASSO JOSE HIPOLITO, Bernard MARLY, BERTRAND DE KERMADEC, BONAZ FERNAND, BRUNELLI FELICIANO, CAHAN JACQUES, CANARO FRANCISCO, CARLOS RODRIGUEZ LUNA, CARRIL HUGO (DEL), CHABLOZ MARTIN, Charly OLEG, Christopher FRONTIER, CLEMENT DOUCET, CO FRANCO ERNESTO FRANCIS, CORENZO ALFREDO, Corinne ROUSSELET, CUGAT XAVIER, D ARIENZO JUAN, Daniel COLIN, DELERUE GEORGES, DELPHINE LEMOINE, DI SARLI CARLOS, Eduardo BIANCO, Eduardo Oscar ROVIRA, Eric BOUVELLE, Eric CERBELLAUD, Etienne LORIN, EVEN JO, Fabien PACKO, FABRICE PELUSO, FARRART VINCENT, FEDERICO DOMINGO S, FERNANDEZ JOSE ESTEBAN, FIESCHI JOSE, Franck POURCEL, GARANCE MICHELE, GARCIA DIGNO, GARDEL CARLOS, Georges RABOL, Gilbert DIAS, Hervé DESARBRE, HIRSCHFELDER DAVID, HORNER YVETTE, James GRANGEREAU, Jean HARDUIN, JEAN VILLETORTE, JEROME RICHARD, Joseph PERON, Juan CARRASCO, JULIO IGLESIAS, KAASE CHRISTOPHER, KALLISTE EDITIONS MUSICALES, LANDER MONICA, LAZZARI CARLOS ANGEL, LO MANTOVANI ANNUNZIO PAO, LOMUTO FRANCISCO J, Louis CAMBLOR, Louis CORCHIA, Luis (louis) TUEBOLS, MAGALI PERRIER, MAHJUN JEAN LOUIS, MALANDO DANNY, Marcel AZZOLA, MARCEL DUVAL, MARCELLO JOSE, Mario CAVALLERO, Martial COHEN-SOLAL, Maurice LARCANCHE, Michel FUGAIN, MICHEL PRUVOST, Michel PRUVOT, MORINO JACQUES, NEUMAN ALBERTO, Olivier MANOURY, Olivier MARTEL, OMAR KHORCHID, Pascal TERRIBLE, Patrick BELLAIZE, PIERRE BOUIX, Pierre PARACHINI, PIZARRO MANUEL, PONSERME JACQUES, Primo CORCHIA, Ramon Alberto GONZALES, Raymond BOISSERIE, RENAUD LINE, RIVERO EDMUNDO, Robert TRABUCCO, Roberto ALAGNA, ROMERO PEPE, ROSSI TINO, S FRESEDO OSVALDO NICOLA, SCALA TANI, SCHIFRIN LALO, SEMINO ROSSI, SEVILLA LUIS MIGUEL, SONY JO, STEPHANE REBEYROL, Tapio KARI, Thierry BONNEFOUS, Thierry CAENS, TIRAO CACHO, TONY MURENA PRODUCTIONS, TROILO ANIBAL CARMELO, TROVESI GIANLUIGI, VERCHUREN ANDRE, VINCENT INCHINGOLO, WUNDERLICH KLAUS, Yvan CASSAR.

Réalisateur : Julien BLOCH.

Éditeur : AUSTRALIAN MUSIC EXAMINATIONS BOARD LTD, BMG RICORDI EX RICORDI G C SPA, CALA TUENT MUSIC, CALANDRELLI MUSIC, CD BABY BETA, D A MUSIC LTD, DAVAL MUSIC COMPANY, GD SEVENTY-EIGHT MUSIC, LA PALMERA EDICIONES INH MATTHIAS MOEBIUS, MORRO MUSIC, NEN MUSIC, PATTERDALE MUSIC LTD, PRIMARY WAVE ROSE, RUECKBANK MUSIKVERLAG MARK CHUNG EK, SCHOTT MUSIC GMBH CO KG, SESAME STREET INC, SHUTTERSTOCK MUSIC CANADA ULC, SONY ATV MILENE MUSIC, SWEET CITY SONGS LTD, TUNECORE DIGITAL MUSIC, ZONE MUSIC PUBLISHING LLP.

Sous Éditeur : BECAUSE EDITIONS, BMG RIGHTS MANAGEMENT (FRANCE), BUDDE MUSIC FRANCE, DAVID PLATZ MUSIC EDITIONS, EDITIONS DURAND, KOBALT MUSIC PUBLISHING FRANCE, MUSICJAG, PARIGO, PEERMUSIC FRANCE, PREMIERE MUSIC GROUP, RDB CONSEIL RIGHTS MANAGEMENT, SCHOTT MUSIC, SENTRIC MUSIC LIMITED, SONY MUSIC PUBLISHING (FRANCE), ST MUSIC INTERNATIONAL INC, UNIVERSAL MUSIC PUBLISHING, WARNER CHAPPELL MUSIC FRANCE.

Cela fait beaucoup de personnes que nous n’aurions pas soupçonnées d’être liées à la Cumparsita.

Extrait de l’entrée Cumparsita dans les registres de la SACEM. En gras ceux qui sont légitimes, plus domaine public ou inconnu.

La Cumparsita tombera réellement dans le domaine public quand le dernier des petits malins qui a fait inscrire son nom sera mort depuis plus de 70 ans. Mais rassurez-vous, les maisons d’édition et producteurs trouveront une astuce et cela n’arrivera donc jamais.
De toute façon, la SPRÉ court toujours, car il y a toujours des musiciens qui jouent la Cumparsita. C’est une tactique bien ficelée et la SACEM a encore de beaux jours pour continuer de prospérer, car si même des musiciens décident de ne pas adhérer, de publier de la musique libre de droits, la SACEM vous réclamera une somme forfaitaire, à moins que vous puissiez prouver que vous ne passez que de la musique libre de droits (on a vu que c’était impossible avec le répertoire argentin).

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Tu melodía, tango ou valse ? J’hésite…

Llueve otra vez — ¡Vamos! 1944-05-24 – Orquesta Carlos Di Sarli con Alberto Podestá

Juan José Guichandut (Paroles et musique)Feliciano Brunelli Letra : Rodolfo Sciammarella

Hier, dans Desde el alma, on s’adressait à l’âme, aujourd’hui c’est au cœur que l’on adresse sa supplique. C’est un intéressant parallèle entre des titres qui content une histoire proche, celle de la nécessité d’oublier et d’aller de l’avant. Les deux thèmes du jour sont Llueve otra vez et ¡VAMOS !

Convergence de thèmes

J’ai regroupé deux tangos, non seulement, car ils ont été enregistrés le même jour par les mêmes artistes, mais aussi, car ils avaient le même thème, thème qu’ils partagent avec la valse d’hier, Desde el alma. Ayons à cœur d’explorer de toute notre âme, ce thème.
Dans Desde el alma, le conseil, dans la version d’Homero Manzi, est donné à l’âme. Je vous le remémore : Avec la douleur qui ouvre une plaie vient la vie apportant un autre amour.
Les deux tangos du jour ne s’adressent donc pas à l’âme, mais au cœur.
Dans Lluve otra vez, le conseil est N’espère pas, cœur ! Ne te peine pas pour son amour ! Demain, lorsque le soleil radieux percera à la chaleur d’autres amours, tu oublieras.
Le conseil dans Vamos est très proche : Abandonne-la et en avant, en avant, cœur !

Extraits musicaux

Llueve otra vez 1944-05-24 — Orquesta Carlos Di Sarli
Vamos 1944-05-24 – Orquesta Carlos Di Sarli

Paroles de Lluve otra vez

Escucha corazón
el eco de su voz…
Escucha, corazón, está lloviendo
y la lluvia va tejiendo
los recuerdos de su amor.
¡Qué pena, corazón!
No es ella, ni es su voz.
Tan sólo es la obsesión que me domina,
el recuerdo que castiga
desde su adiós.

Llueve…
y un látigo de luz me azota,
relámpago de fiebre loca.
La lluvia, sin cesar,
golpeando en el cristal,
renueva la emoción perdida.
Y entre la bruma creo ver su imagen,
igual que entonces, diciendo adiós.
Llueve…
y el cielo se llenó de sombras,
lo mismo que mi corazón.

Tristeza que dejó
el eco de su voz.
Tristeza de esperar inútilmente
y creer que nuevamente
con la lluvia volverá.
¡No esperes, corazón!
¡ No penes por su amor!
Mañana cuando el sol radiante asome
al calor de otros amores,
olvidarás.

Juan José Guichandut (Paroles et musique)

Traduction libre de Lluve otra vez

Écoute cœur, l’écho de sa voix…
Écoute, cœur, il pleut et la pluie tisse les souvenirs de son amour.
Quelle tristesse, cœur !
Ce n’est pas elle ni c’est sa voix.
C’est juste l’obsession qui me domine, le souvenir qui punit depuis son adieu.

Il pleut…
Et un fouet de lumière me fouette, un éclair de fièvre folle.
La pluie, sans cesse, battant sur la vitre, renouvelle l’émotion perdue.
Et dans la brume, je crois voir son image, pareille qu’à l’époque, disant au revoir.
Il pleut…
Et le ciel était rempli d’ombres, tout comme mon cœur.

Tristesse qui a laissé l’écho de sa voix.
Tristesse d’attendre en vain et de croire qu’à nouveau avec la pluie elle reviendra.
N’espère pas, cœur !
Ne te peine pas pour son amour !
Demain, lorsque le soleil radieux percera à la chaleur d’autres amours, tu oublieras.

Paroles de Vamos

Del fondo de mis lágrimas
y penas, pido a Dios,
que escuche mi implorar
y mi lamentación.
Que alivie este sufrir
que hay en mi vivir.
Y pueda darme la resignación
de amor.

Con este sentimiento,
que se ha hecho una pasión,
no quiere comprender
mi pobre corazón,
que de seguir así,
tendremos que vivir
con la vergüenza
de una humillación.
Ayer te dije,
igual que hoy igual que siempre,
¡Vamos, vamos corazón!
Y no quisiste hacerme caso
y fue el fracaso
de estar llorando
para siempre tu ilusión.

Hoy no estarías corazón abandonado,
hoy no estarías corazón arrinconado
ayer te dije, igual que hoy,
igual que siempre,
¡Dejala y vamos, vamos corazón!

Feliciano Brunelli Letra: Rodolfo Sciammarella

Traduction libre de Vamos

Du fond de mes larmes et de mes douleurs, je demande à Dieu d’écouter mes supplications et mes lamentations.
Qu’il allège cette souffrance qu’il y a dans ma vie.
Et qu’il puisse me donner la résignation de l’amour.
Avec ce sentiment, qui se mua en passion, mon pauvre cœur ne veut pas comprendre que si cela continue ainsi, nous devrons vivre avec la honte d’une humiliation.
Hier, je te l’ai dit, pareil qu’aujourd’hui, pareil que toujours, en avant, en avant, cœur ! (Cœur ne s’adresse pas à sa chérie, mais à son cœur, siège de ses émotions).
Et tu ne voulus pas me prêter attention et ce fus l’échec de pleurer pour toujours, ton illusion.
Aujourd’hui tu ne serais pas abandonné, aujourd’hui tu ne serais pas acculé, cœur, hier je te l’ai dit, pareil qu’aujourd’hui, pareil que toujours,
abandonne-la et en avant, en avant, cœur !

Bon, les amis, en avant, bonne journée et à demain !

¡Vamos!

Desde el alma 1940-05-23 — Orquesta Francisco Canaro

Rosita Melo Letra : Víctor Piuma Vélez (V1) et Homero Manzi (V2)

Que celui ou celle qui ne s’est pas inquiété, aux premières notes de Desde el alma, de trouver un ou une partenaire pour se ruer sur la piste me jette la première pierre. Cette valse de Rosita Melo, quasiment sa seule composition, est sans doute la plus connue des valses. Une belle réussite pour cette petite Uruguayenne de 14 ans qui est passée à la postérité pour cette seule œuvre, mais quelle œuvre!

Pour être complet, il faudrait indiquer que la valse composée par Rosita est une valse Boston, comme l’indique la couverture de la partition. C’est Roberto Firpo qui l’a adapté en valse argentine et avec quel succès…
La mention de son mari, Víctor Piuma Vélez correspond à la première version des paroles. Lorsque Homero Manzi adapte l’œuvre pour son film Pobre mi madre querida qui sortir en 1948, il créa de nouvelles paroles. Rosita Melo a demandé que le nom de son mari soit associé à cette nouvelle version des paroles.

Extrait musical

Desde el alma 1940-05-23 — Orquesta Francisco Canaro.
Partition de Desde el alma.

Paroles de Víctor Piuma Vélez

Yo también desde el alma
te entregué mi cariño
humilde y pobre
pero santo y bueno
como el de una madre
cómo se ama a Dios.

Porque tú eres mi vida
porque tú eres mi sueño
porque las penas
que en el alma tuve
tú las disipaste
con tu amor.

Después de tanto dolor
tu santo amor
me hizo olvidar
de la amargura
que hasta ayer guardé
dentro del alma y corazón.

Perdona madre mía
sí me olvidé un instante
de tus caricias
de tus tiernos besos
de todos tus ruegos
¡Ay, perdóname!

Pero si supieras
la buena virgencita
que hoy me consuela
que me da alegrías
en las horas tristes
cuando pienso en ti.

Perdona madre
sí un instante te olvidé
perdóname, perdona madre
que tu recuerdo
nunca borraré.

Rosita Melo Letra : Víctor Piuma Vélez

Traduction libre des paroles de Víctor Piuma Vélez

Moi aussi, de toute mon âme, je vous ai donné mon affection, humble et pauvre, mais sainte et bonne, comme celle d’une mère, comme on aime Dieu.
Parce que tu es ma vie, parce que tu es mon rêve, parce que les chagrins que j’avais dans mon âme ont été dissipés par ton amour.
Après tant de douleur, ton saint amour m’a fait oublier l’amertume que je gardais jusqu’à hier dans mon cœur et mon âme.
Pardonne-moi, ma mère, si j’ai oublié un instant tes caresses, tes tendres baisers, toutes tes prières.
Mais si vous saviez la bonne petite vierge qui me console aujourd’hui, qui me donne de la joie dans les heures tristes où je pense à vous.
Pardonne-moi, mère, si un instant, je t’ai oubliée, pardonne-moi, pardonne-moi, mère, je n’effacerai jamais ton souvenir.

Paroles de Homero Manzi

Alma, si tanto te han herido,
¿por qué te niegas al olvido?
¿Por qué prefieres
llorar lo que has perdido,
buscar lo que has querido,
llamar lo que murió?

Vives inútilmente triste
y sé que nunca mereciste
pagar con penas
la culpa de ser buena,
tan buena como fuiste
por amor.

Fue lo que empezó una vez,
lo que después dejó de ser.
Lo que al final
por culpa de un error
fue noche amarga del corazón.

¡Deja esas cartas!
¡Vuelve a tu antigua ilusión!
Junto al dolor
que abre una herida
llega la vida
trayendo otro amor.

Alma, no entornes tu ventana
al sol feliz de la mañana.
No desesperes,
que el sueño más querido
es el que más nos hiere,
es el que duele más.

Vives inútilmente triste
y sé que nunca mereciste
pagar con penas
la culpa de ser buena,
tan buena como fuiste
por amor.

Rosita Melo Letra: Homero Manzi (le nom de Víctor Piuma Vélez est ajouté à la demande de sa femme, Rosita Melo, mais il n’a pas écrit cette version).

Traduction libre des paroles de Homero Manzi

Âme, si tu as été si blessée, pourquoi tu refuses d’oublier ?
Pourquoi préfères-tu pleurer ce que tu as perdu, chercher ce que tu as aimé, appeler ce qui est mort ?
Tu vis inutilement triste et je sais que tu n’as jamais mérité de payer de chagrin la culpabilité d’être bonne, aussi bonne que tu l’étais par amour.
Ce fut ce qui avait commencé une fois, ce qui avait ensuite cessé d’être.
Ce qui, à la fin, à cause d’une erreur, a été une nuit amère du cœur.
Laisse ces cartes !
Retourne à ton antique illusion !
Avec la douleur qui ouvre une plaie, vient la vie apportant un autre amour.
Âme, ne ferme pas ta fenêtre au soleil heureux du matin.
Ne désespère pas, car le rêve le plus cher est celui qui nous blesse le plus, c’est celui qui fait le plus mal.
Tu vis inutilement triste et je sais que tu n’as jamais mérité de payer de chagrin la culpabilité d’être bonne, aussi bonne que tu l’étais par amour.

Autres versions

Non, vous n’aurez pas une liste intégrale des versions de Desde el alma. Ce serait une tâche impossible pour vous que de les écouter. Je vous propose donc un petit florilège, des éclairages différents. Entrons dans la valse avec la plus ancienne version enregistrée, celle de Roberto Firpo.

Desde el alma 1920 — Orquesta Roberto Firpo.

Un enregistrement acoustique. Bien sûr, la qualité lui ferme la porte de la milonga, mais 7 ans plus tard, Firpo a récidivé avec une version superbe.

Desde el alma 1927-10-20 — Orquesta Roberto Firpo.

Firpo nous livre cette version instrumentale. Tout en douceur. Elle correspond parfaitement au thème. On peut éventuellement lui reprocher d’avoir peu de variations, mais c’est moins gênant dans une valse que dans un tango. Elle est sans doute trop rare dans les milongas, je suis donc content de vous la faire écouter. Firpo enregistrera une dernière version en 1947. Vous la trouverez ici, à sa place chronologique.

Desde el alma 1935-07-02 — Orquesta Juan D’Arienzo.

Un rythme soutenu qui vous entraîne de façon irrésistible. C’est enregistré quelques mois avant l’arrivée de Biagi de l’orchestre. Cela nous permet d’écouter le beau piano de Lidio Fasoli. Beaucoup plus léger et discret que celui de Biagi. Il nous propose de jolies cascades. Notez aussi les beaux accents de Alfredo Mazzeo au violon et la fin typique de D’Arienzo qui donne une impression d’accélération et vous aurez les ingrédients du succès de cette version. D’Arienzo n’en enregistrera pas d’autre version, mais ce n’est pas grave, on se contente très bien de celle-ci. Après sa mort, ses solistes l’ont enregistrée, mais disons que leur version n’apporte rien de bien nouveau.

Desde el alma 1940-05-23 — Orquesta Francisco Canaro.

C’est notre valse du jour. Canaro démarre sans introduction. Le rythme est bien marqué avec un magnifique dialogue entre les instruments qui parlent chacun à leur tour, puis se lancent dans de longues phrases. À 1 h 32, la trompette bouchée rappelle que Canaro avait aussi un orchestre Jazz.

Desde el alma 1944-08-28 — Orquesta Ricardo Tanturi.

Une belle version instrumentale par Tanturi, sans doute éclipsée par ses valses chantées, comme Recuerdo, Tu olvido, Mi romance, La serenata (mi amor), Con los amigos (A mi madre) ou Al pasar.

Desde el alma 1947-05-21 — Roberto Firpo y su Nuevo Cuarteto.

On retrouve Firpo avec une troisième version. C’est sans doute la plus connue des trois. Elle est dansante et elle ne pas être confondue avec aucune version d’un autre orchestre, tant elle respire le pur Firpo.  On notera l’ajout d’une introduction de 20 secondes.

Desde el alma 1947-10-22 — Orquesta Francisco Canaro con Nelly Omar.

Cette version dévoile la version qui sortira l’année suivante dans le film d’Homero Manzi et Ralph Pappier Pobre mi madre querida (1948).

Homero Manzi a écrit le scénario et a réécrit de nouvelles paroles pour la valse. Si le nom du mari de Rosita apparaît toujours, c’est à la suite d’une demande de sa part. Dans cet extrait du film, on voit Aída Luz et Hugo Del Carril danser la valse. L’orchestre est celui de Alejandro Gutiérrez del Barrio et le chanteur, Hugo Del Carril

Desde el alma de la película Pobre mi madre querida (1948)
Desde el alma 1948-08-10 — Juan Cambareri y su Gran Cuarteto Típico « Ayer y hoy ».

Une fois de plus Cambareri, le magicien du bandonéon prouve sa virtuosité et celle de tous ses musiciens. Son tempo infernal a plus à voir avec le musette, la valse Boston des origines est bien loin. Mais avec des danseurs déchaînés, je me sens capable de leur proposer cela un jour, ou à défaut sa version de 1953, un peu plus calme…

Desde el alma 1950-10-10 — Carlos De María y su Orquesta Típica con Roberto Cortés.

Desde el alma 1950-10-10 — Carlos De María y su Orquesta Típica con Roberto Cortés. Carlos De María (Juan Esteban Fernández) est sans doute un peu oublié. Il a beaucoup travaillé comme bandonéoniste, notamment avec Pedro Maffia et il n’a commencé à enregistrer qu’en 1950. Il nous offre ici, avec son frère Roberto Cortés, une belle version de notre valse du jour.

Desde el alma 1952-07-15 — Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.

Avec son quinteto Pirincho, Canaro nous offre une version légère et entraînante, que vous avez certainement entendu à de très nombreuses reprises.

Desde el alma 1953 — Orquesta Horacio Salgán.

Horacio Salgán nous propose une version déstructurée, avec les parties qui se mélangent. Le résultat est assez étonnant, probablement pas ce qui se fait de mieux pour danser, mais vaut au moins une écoute.

Desde el alma 1979-12-27 — Orquesta Osvaldo Pugliese.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que Pugliese a pris son temps pour enregistrer cette valse, mais quelle version. Je pense que pour beaucoup de danseurs, c’est devenu la version de référence. Il l’enregistrera encore en 1989 et Color Tango reprendra le flambeau avec la même orchestration.

Desde el alma 1988 — Nelly Omar.

On retrouve Nelly Omar, pour une version toute simple, à la guitare. Elle chante également les paroles de Homero Manzi. La valse démarre en même temps que le chant après une intro relativement longue (14 secondes) et originale.

Desde el alma 2011-05-10 — Octeto Erica Di Salvo.

Une version clairement à écouter, mais pas vilaine du tout.

Voilà, il resterait des dizaines de versions à vous proposer, mais comme il faut une fin, je vous dis, à demain les amis !

Desde el alma, inspiration Gustav Klimt. C’était également mon idée pour la photo de couverture.

Esquinas porteñas 1942-05-22 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Sebastián Piana Letra: Homero Manzi

Manzi est le chantre de Buenos Aires. Il nous parle de son vécu, dans sa ville et des personnages de la vie quotidienne à travers ses textes de tango comme : Barrio de tango, El ultimo organito, El pescante, Manoblanca et bien sûr, Sur. Notre valse du jour, Esquinas porteñas, est de cette veine. Ses esquinas (angles de rues) et ses ruelles sont chargées de l’émotion si finement exprimée par Vargas.

 On ne présente plus l’association des deux anges, Ángel D’Agostino et Ángel Vargas. C’est une de ces combinaisons magiques qui de 1940 à 1946 nous a proposé près d’une centaine de merveilles enregistrées.
Cette association fonctionne si bien, qu’il est très rare que l’on propose un D’Agostino avec un autre chanteur ou instrumental. La seule exception, bien sûr, Café Domínguez qui est un casse-tête pour les DJ. Soit on reste cohérent sur le style avec des tangos de la même époque et le résultat est moyen, soit on fait un bond en changeant de style pour continuer la tanda avec un des merveilleux titres enregistrés avec Vargas. La plupart des DJ font ce choix.

Extrait musical

Esquinas porteñas 1942-05-22 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas.
Esquinas porteñas, Sebastián Piana Letra: Homero Manzi

Paroles

Esquina de barrio porteño
te pintan los muros la luna y el sol.
Te lloran las lluvias de invierno
en las acuarelas de mi evocación.
Treinta lunas conocen mi herida
y cien callecitas nos vieron pasar.
Se cruzaron tu vida y mi vida,
tomaste la senda que no vuelve más.

Calles, donde la vida mansa
perdió las esperanzas,
la pasión y la fe.
Calles, sí sé que ya está muerta,
golpeando en cada puerta
por qué la buscaré.
Callecitas, sombreadas de poesía,
nos vieron ir un día
felices los dos.
Compañera del sol y las estrellas,
se fue la tarde aquella
camino de Dios.

Los vientos murmuran mi pena.
Las sombras me dicen que ya se marchó.
Y escrito en las noches serenas
encuentro su nombre como una obsesión.
Esquinita de barrio porteño,
con muros pintados de luna y de sol,
que al llorar con tus lluvias de invierno
manchás el paisaje de mi evocación.

Sebastián Piana Letra : Homero Manzi

Fernando Díaz chante ce qui est en gras et bleu
Ernesto Famá chante tout ce qui est en gras (bleu et noir).
Ignacio Corsini et Mercedes Simone chante tout et reprend ce qui est en gras et bleu.
Ángel Vargas chante ce qui est en gras et reprend ce qui est en gras et bleu.
Rubén Cané chante tout ce qui est en gras, continue avec la première partie du dernier couplet (ce qui est souligné) et reprend la fin du premier couplet, ce qui est en gras et souligné.

Traduction libre et indications

Angle de rues (esquina, c’est le coin de rue. Je garde esquina pour la suite, car c’est plus joli) d’un quartier de Buenos Aires (porteño, du port. Une des rares villes portuaires, dont les habitants s’appellent selon cette caractéristique, plus que d’après le nom de la ville), la lune et le soleil peignent tes murs.
Les pluies d’hiver te pleurent dans les aquarelles de mon évocation.
Trente lunes connaissent ma blessure et cent petites rues nous virent passer.
Ta vie et ma vie se sont croisées, tu as pris le chemin qui ne revient jamais.

Rues, où la vie douce perdait les espérances, la passion et la foi.
Rues, si je sais qu’elle est déjà morte, pourquoi je la chercherais en frappant à toutes les portes ?
Les ruelles, ombragées de poésie, nous ont vus un jour, heureux tous les deux.
Compagne du soleil et des étoiles, elle est partie cette après-midi-là, sur le chemin de Dieu.

Les vents murmurent ma peine.
Les ombres me disent qu’elle est déjà fanée.
Et j’ai écrit dans les nuits sereines, trouvant son nom comme une obsession.
Esquina de barrio porteño, aux murs peints par la lune et le soleil, qui, lorsque tu pleures avec tes pluies hivernales, tu taches le paysage avec mon évocation.

Autres versions

Esquinas porteñas 1934-03-23 – Orquesta Francisco Lomuto con Fernando Díaz.

La plus ancienne version enregistrée, relativement lente.

Esquinas porteñas 1934-03-27 – Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá.

Dans le rythme très lent que Canaro semble affectionner. On peut remarquer une belle introduction que l’on ne retrouve pas dans la version enregistrée par son « jumeau » quatre jours plus tôt. L’interprétation a un caractère un peu ranchera. Cela tourne vraiment très tranquillement, un peu pesamment.

Esquinas porteñas 1934-04-05 — Ignacio Corsini con guitarras de Pagés-Pesoa-Maciel.

Une version un peu plaintive où Corsini chante l’intégralité des paroles.

Esquinas porteñas 1934-04-25 — Mercedes Simone con orquesta.

Même si c’est une version a priori à écouter, cette superbe version mérite à mon avis d’être dansée. Le rythme est beaucoup plus rapide. L’orchestre est en retrait pour laisser la place à Mercedes, mais la structure de la valse est toujours perceptible, ce qui facilitera la danse. On pourra en outre la comparer à l’enregistrement de 1966 que je vous propose également ci-dessous…

Esquinas porteñas 1942-05-22 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas. C’est notre valse du jour.

Il fallait au moins les deux anges pour rester au niveau de la version de Mercedes Simone. Défi relevé. Là encore le rythme est rapide. On retrouve la belle sonorité de D’Arienzo qui recherche en plus a être toujours efficace pour les danseurs, tout du moins dans les années 40.

Esquinas porteñas 1953-02-02 — Orquesta Ángel D’Agostino con Rubén Cané.

En 1953, D’Agostino essaye de relancer son titre avec le chanteur qui a remplacé Vargas, Rubén Cané. Je vous laisse juger du résultat. Je trouve l’orchestre un peu sirupeux, moins incisif. Cela reste dansant, mais c’est sans doute moins efficace pour faire se lancer les danseurs sur la piste.

Esquinas porteñas 1966 — Mercedes Simone con acomp. de Emilio Brameri.

La voix de Mercedes Simone est plus mûre, mais elle transmet toujours de l’émotion. J’aime bien l’introduction et les transitions de l’orchestre entre les phrases chantées par Mercedes, sont assez originales. De la très belle ouvrage de la part de l’orchestre Brameri, encore un orchestre qui n’a pas tout à fait passer la porte de la postérité. Brameri était pianiste, violoniste, accordéoniste, compositeur et directeur d’orchestre…

Il y a bien sûr d’autres enregistrements postérieurs de cette magnifique valse, mais je trouve bien de terminer avec elle, d’autant plus que la fin un peu spectaculaire laisse clairement apparaître « FIN », comme au cinéma. Et toc…

Esquinas porteñas.

Mi cantar 1943-05-21 – Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz

Héctor Stamponi (Luciano Héctor Stamponi) Letra: Homero Expósito (Homero Aldo Expósito)

On associe souvent Raúl Berón à Miguel Caló et on n’a pas tort. Berón commence vraiment sa carrière avec Caló et la termine avec lui. Cependant, il y a eu quelques séparations, notamment en 1943, date de notre tango du jour. Dans cet intervalle s’est glissé le talentueux Jorge Ortiz, un ténor alors que Caló privilégiait des voix plus graves de barytons. Je vous propose d’écouter Mi cantar par l’intérimaire de talent, Jorge Ortiz.

Extrait musical

Mi cantar 1943-05-21 — Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz [Héctor Stamponi (Luciano Héctor Stamponi) Letra: Homero Expósito (Homero Aldo Expósito)].

Paroles

Mi cantar
es un canto de esperanza,
flor de yuyo, rabia mansa,
soledad.

Mi cantar
lo robé de las estrellas
en las horas de tristeza
que tu adiós me dejó.
Callejón
de caricias y sonidos
que, llegando del olvido
dan motivo a mi canción.

Mi cantar
es un canto de esperanza,
es un grito de dolor.
Un ayer de perfumes
y de flor,
y un adiós sin motivo,
y el rencor de esperar
y de esperar
escribió con olvido.

Mi cantar
gracia plena del fracaso,
con mi angustia, con tu acaso,
con tu adiós.

Mi cantar
cofre azul de lo imposible,
noche siempre, noche horrible,
noche así, como yo.
Corazón,
tú qué sabes de la angustia
de mi voz cansada y mustia,
no pretendas despertar.

Mi cantar
es la gracia del fracaso,
es el no saber llorar.

Héctor Stamponi (Luciano Héctor Stamponi) Letra: Homero Expósito (Homero Aldo Expósito)

Traduction libre

Ma chanson est une chanson d’espoir, une fleur sauvage (fleur de mauvaise herbe, voir Yuyo verde), une douce rage, une solitude.
J’ai volé mon chant aux étoiles dans les heures de tristesse que ton adieu m’a laissées.
Une ruelle de caresses et de sons qui, venus de l’oubli,
donnent raison à ma chanson.
Ma chanson est une chanson d’espoir, c’est un cri de douleur.
Un hier de parfums et de fleurs, et un adieu sans raison, et la rancœur de l’attente et de l’attente écrites dans l’oubli.
Mon chant de toute la grâce de l’échec, avec mon angoisse, avec tes hésitations, avec tes adieux.
Ma chanson, coffre bleu de l’impossible, nuit de toujours, nuit horrible, nuit ainsi, comme moi.
Mon cœur, toi qui connais l’angoisse de ma voix fatiguée et fanée (se dit aussi d’une fleur), n’essaye pas de te réveiller.
Mon chant est la grâce de l’échec, celui de ne savoir pas pleurer.

L’orchestre de Miguel Caló en 1943

Ce n’est pas pour rien que l’orchestre de Miguel Caló était appelé les Étoiles (Las Estrellas). Il avait monté un orchestre exceptionnel. Presque chaque exécutant pourrait faire l’objet d’une notice.
Bandonéons : Domingo Federico, Armando Pontier, José Cambareri, Felipe Ricciardi
Piano : Osmar Maderna
Violons : Enrique Francini, Aquiles Aguilar, Ariol Ghesaghi, Angel Bodas
Contrebasse : Ariel Pedernera
Chanteurs : Jorge Ortiz (ténor, celui de ce titre), Raúl Iriarte et Alberto Podestá (barytons). Signalons aussi pour mémoire Raúl Berón, un autre baryton qui est indissociable de l’orchestre de Miguel Caló. C’est qu’en 1943, Raúl Berón était avec l’orchestre de Lucio Demare. Il est retourné avec Caló seulement en 1944. Il y a donc un trou dans l’association avec Berón qui a duré de 1942 à 1963 (avec quelques trous, dont un grand en ce qui concerne les enregistrements entre 1950 et 1963…

Jorge Ortiz avec Miguel Caló

Curieusement, ce titre est encore un orphelin. Personne n’a, semble-t-il, eu l’idée de l’enregistrer à la suite de Caló et Ortiz.
Pour terminer en musique, je vous propose donc quelques exemples de tangos chantés par Jorge Ortiz avec l’orchestre de Calo :
La première session d’enregistrement, sur deux jours a donné trois titres parfaits :

Barrio de tango 1943-01-19 — Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz (Aníbal Troilo Letra: Homero Manzi).
Pa’ qué seguir 1943-01-19 – Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz (Francisco Fiorentino Letra: Pedro Lloret).
A las siete en el café 1943-01-20 — Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz (Armando Baliotti Letra: Santiago Luis D. Adamini).

C’est une version bien plus intéressante que celle de Ángel D’agostino et Raúl Aldao, de la même année.
Cela commençait bien, non ?
Un mois plus tard, ils enregistrent :

Ya sale el tren 1943-02-25 — Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz (Luis Rubistein, Musique et paroles).

Une des plus impressionnantes introductions liées au monde ferroviaire. Je vous laisse découvrir si vous ne connaissez pas.

De barro 1943-05-21 — Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz (Sebastián Piana Letra: Homero Manzi).

Pour moi, c’est un ovni, une soucoupe volante que l’on aura bien du mal à caser dans une tanda de Caló.

Mi cantar 1943-05-21 — Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz [Héctor Stamponi (Luciano Héctor Stamponi) Letra: Homero Expósito (Homero Aldo Expósito)].

C’est notre tango du jour. Il me rassure sur l’association de Caló et Ortiz.
Le dernier titre enregistré par ces deux-là, c’est une milonga candombe :

Pobre negra 1943-06-10 — Enrique Mario Francini; Héctor Stamponi [Héctor Luciano Stamponi) Letra: Homero Expósito (Homero Aldo Expósito)]

Le DJ qui veut faire une tanda Calo Ortiz a 6 titres au choix (la milonga est orpheline). Si on considère que De barro est à terre, il reste 5 titres… Pour une tanda de quatre, il faut en éliminer un et pour une tanda de trois, deux. C’est une des raisons où je trouve que les tandas de quatre sont plus intéressantes, car elles permettent de faire des parcours plus subtils que des tandas de trois. Mais c’est un autre débat. Voir mon article Tanda 5-4-3-2-1.

Mi cantar

El once (A divertirse) 1953-05-20 – Orquesta Osvaldo Fresedo

Osvaldo Fresedo (Osvaldo Nicolás Fresedo) Letra : Emilio Fresedo (Emilio Augusto Oscar Fresedo)

Vous savez tous que « El once », en espagnol, signifie le 11. Mais peut-être ne connaissez-vous pas la raison de ce nom. Ceux qui connaissent Buenos Aires, pourront penser à la place Once de Septiembre 1852 que l’on appelle simplement Once. On lit parfois que c’est le numéro 11 dans une course de chevaux, voire le 11 au football. Je pense que vous avez compris que j’allais vous proposer une autre explication…

El once

S’il existe des tangos sur le quartier de Once (Barrio Once), ses habitants (Muñeca del Once), le train de onze heures (El tren de las once), la messe de onze heures (Misa de once), une adresse (Callao 11), ou une équipe de football (El once glorioso) qui célèbre l’équipe d’Uruguay qui a gagné la première coupe du Monde en 1930.

À gauche, les capitaines d’Argentine et Uruguay se saluent avant la finale. À droite, après la victoire de l’Uruguay, les journaux argentins se déchaînent, accusant les Uruguayens d’avoir été brutaux…

Carlos Enrique (musique) et Luis César Amadori (paroles), écrivent El once glorioso en l’honneur de l’équipe gagnante. Les paroles sont dignes des chants des inchas (supporters) d’aujourd’hui :

Ra ! Ra ! Ra !
Le football uruguayen !
Ra ! Ra ! Ra !
Le Championnat du monde !

Une autre piste peut se trouver dans les courses. Leguisamo avait un cheval nommé Once, je vous invite à consulter l’excellent blog de José María Otero pour en savoir plus
Mais, ce n’est toujours pas la bonne explication.
Une première indication est le sous-titre « a divertirse » (pour s’amuser). Cela correspond peu aux différents thèmes évoqués ci-dessus. Cela incite à creuser dans une autre direction.
Nous allons donc interroger la musique du jour, puis les paroles pour voir si nous pouvons en savoir plus.

Extrait musical

El once (A divertirse) 1953-05-20 – Orquesta Osvaldo Fresedo.

On a l’impression d’une balade. Tout est tranquille. Difficile d’avoir une indication utile pour résoudre notre énigme. Heureusement, si notre version est instrumentale, Emilio Fresedo, le frère de Osvaldo a écrit des paroles.

Paroles

No deje que sus penas
se vayan al viento
porque serán ajenas
al que oye lo cierto.
No espere que una mano
le afloje el dolor,
sólo le dirán pobre
y después se acabó.
Por eso me divierto,
no quiero sentirlas,
no quiero oír lamentos
que amarguen la vida;
prefiero que se pierdan
y llegue el olvido
que todo remedia,
que es lo mejor.

Si busca consuelo no vaya a llorar,
aprenda a ser fuerte y mate el pesar.
Sonría llevando a su boca el licor,
que baile su almita esperando un amor.
El humo de un puro, la luz del lugar,
las notas que vagan le harán olvidar.
Quién sabe a su lado los que irán así
con los corazones para divertir.

A divertirse todos
rompiendo el silencio
para cantar en coro
siquiera un momento.
Recuerden que en la vida
si algo hay de valor
es de aquel que lleva
pasándola mejor.
Alegre su mirada
no piense en lo malo,
no deje que su cara
se arrugue temprano.
Deje que todo corra,
no apure sus años
que a nadie le importa
lo que sintió.

Osvaldo Fresedo (Osvaldo Nicolás Fresedo) Letra : Emilio Fresedo (Emilio Augusto Oscar Fresedo)

En gras le refrain que chantent Teófilo Ibáñez et Roberto Ray.

Traduction libre

Ne laisse pas tes chagrins s’envoler au vent, car ils seront étrangers à celui qui entend la vérité.
N’attends pas qu’une main soulage la douleur ; ils te diront seulement, le pauvre, et puis c’est tout.
C’est pour cela que je m’amuse, je ne veux pas les sentir, je ne veux pas entendre des lamentations qui aigrissent la vie ; je préfère qu’ils se perdent
et qu’arrive l’oubli qui remédie à tout, c’est le mieux.
Si tu cherches du réconfort, ne pleures pas, apprends à être fort et tuer le chagrin.
Sourire en portant la liqueur à ta bouche, laisse ton âme danser en attendant l’amour.
La fumée d’un joint (puro est sans doute mis pour porro, cigarette de marijuana, à moins que ce soit un cigare), la lumière du lieu, les notes vagabondes te feront oublier.
Qui sait, à ton côté, ceux qui iront ainsi avec à cœur de s’amuser.
Amusons-nous tous, en rompant le silence pour chanter en chœur, ne serait-ce qu’un instant.
N’oublie pas que dans la vie, si quelque chose a de la valeur, c’est d’avoir passé le meilleur moment.
Rends joyeux ton regard, ne pense pas au mal, ne laisse pas ton visage se froisser prématurément.
Laisse tout couler, ne précipite pas tes années parce que personne ne se soucie de ce que tu ressens.

C’est donc une invitation à oublier ses problèmes en faisant la fête. C’est assez proche du Amusez-vous immortalisé par Henri Garat (1933) et Albert Préjean (1934)
Je vous le proposerai en fin d’article. Ça n’a rien à voir avec notre propos, mais c’est euphorisant 😉

Autres versions par Fresedo

Bien sûr, pour un titre aussi célèbre, il y a forcément énormément d’autres versions.
Je vous propose dans un premier temps d’écouter les versions de l’auteur, Fresedo. Ce dernier devait être fier de lui, car il a enregistré à de nombreuses reprises.

El once 1924 – Sexteto Osvaldo Fresedo

Merci à mes collègues Camilo Gatica et Gabbo Fresedo (quand Gabbo vient au secours d’Osvaldo et Emilio…) qui m’ont fourni cet enregistrement qui me manquait).
Remarquez les superbes solos de violon notamment à 1:05,1:52, 2:24 et 2:56. Cette version est assez allègre. Notez bien ce point, il nous servira à déterminer l’usage de ce titre et donc son nom.

El once (A divertirse) 1927 – Sexteto Osvaldo Fresedo.

Je trouve intéressant de comparer cette version avec celle de 1924. Pour moi représente un recul. Le rythme est beaucoup plus lent, pesant. C’est un exemple du « retour à l’ordre » des années 20, dont Canaro est un des moteurs. Vous pourrez le constater dans sa version de 1925 ci-dessous.

El once (A divertirse) 1931-11-14 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Teófilo Ibáñez.

Osvaldo a fini par enregistrer les paroles de son frère, Emilio (Gardel l’avait fait en 1925). On reste dans le tempo anémique de 1927. On a du mal à voir comment cette version, comme la précédente, d’ailleurs peut appeler à se divertir… Il est vrai qu’il ne chante que le refrain qui n’est pas la partie la plus allègre du titre.

El once (A divertirse) 1935-04-05 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray.

Cette fois, Fresedo retrouve une version un peu plus dynamique qui peut mieux correspondre à l’idée du divertissement. On pourrait presque voir des personnes gambader.
C’est un des premiers enregistrements où l’on remarque la propension de Fresedo à rajouter des bruits bizarres qui deviendront sa marque de fabrique dans ses dernières années, même si Sassone fait la même chose.

El once 1945-11-13 – Osvaldo Fresedo.

Fresedo va encore plus loin que dans la version de 1935 dans l’ajout de bruits. C’est dansable, mais pas totalement satisfaisant à mon goût.

El once (A divertirse) 1953-05-20 – Orquesta Osvaldo Fresedo.

C’est notre tango du jour. Comme déjà évoqué, on pense à une promenade. Les bruits sont un peu plus fondus dans la musique. Mais on ne peut pas dire que c’est un tango de danse fabuleux. Je trouve que ça manque un peu de fête. On retrouve quelques grosses chutes qui ont fait la notoriété de Fresedo dans les années 1930. Fresedo se souvient peut-être un peu trop de ses origines de la haute société pour une musique de danse qui se veut souvent plus populaire.

El Once (A divertirse) 1979-10-30 – Orquesta Osvaldo Fresedo.

En 1979, Fresedo enregistre pour la septième fois son titre fétiche. On y retrouve presque tous ses éléments, comme les bruits bizarres, de jolis passages de violon, une élégance aristocratique, manquent seulement les grosses chutes. Cela reste tranquille, dansable une après-midi chaude juste avant de prendre le thé, avec la pointe d’ennui « chic » qui convient.

Pourquoi « El once »

Il est impossible de deviner la raison du titre à partir des versions de Fresedo, sauf peut-être avec celle de 1924. Je vais donc vous donner l’explication.
Les internes en médecine de Buenos Aires ont décidé en 1914 de faire un bal destiné à se divertir. Musique, alcool, femmes compréhensives, le cocktail parfait pour ces jeunes gens qui devaient beaucoup étudier et devaient donc avoir besoin de relâcher la pression.
Si on regarde les paroles sous ce jour, on comprend mieux.
Reste à expliquer pourquoi El once (le 11). L’explication est simple. Le premier événement a eu lieu en 1914 et ensuite, chaque année, un autre a été mis en place. Celui de 1924 est donc le… onzième (je vois que vous êtes forts en calcul). Les frères Fresedo ont donc nommé ce tango, le 11 ; El once.
De 1914 à 1923 inclus, c’était Canaro qui officiait à cette occasion. Les frères Fresedo fêtaient donc aussi leur entrée dans cette manifestation dont la première a eu lieu au « Palais de glace » un lieu qu’un tango de ce nom des années 40 évoque avec des paroles et une musique d’Enrique Domingo Cadícamo.
Vous trouverez quelques précisions sur cette histoire dans un article d’Isaac Otero.

Autres versions

El Once (A divertirse) 1925 – Orquesta Francisco Canaro.

L’année précédente, Fresedo a grillé la place à Canaro qui animait ce bal depuis 10 ans. Canaro enregistre tout ce qu’il peut, alors, malgré sans doute une petite déception, il enregistre aussi El once, lui qui a fait de uno a diez (1 à 10)

El once (A divertirse) 1925 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitares).

Le petit Français 😉 donne sa version avec toutes les paroles de Emilio, contrairement à Ibáñez et Ray qui ne chantaient que le refrain.

El once (A divertirse) 1943-01-13 – José García y su Orquesta Los Zorros Grises.

Et les Zorros sont arrivés ! C’est une version entraînante, avec plusieurs passages originaux. Un petit florilège des « trucs » qu’on peut faire pour jouer un tango. Le résultat n’a rien de monotone et est suffisamment festif pour convaincre des internes décidés à faire la fête. C’est sans doute une version qui mériterait de passer plus souvent en milonga, même si quelques ronchons pourraient trouver que ce n’est pas un tango convenable. J’ai envie de leur dire d’écouter les conseils de ce tango et de se divertir. Le tango est après tout une pensée allègre qui peut se danser.

El once (A divertirse) 1946-10-21 – Roberto Firpo y su Nuevo Cuarteto.

Cette version particulièrement gaie est sans doute une de celles qui conviendraient le mieux à une fête d’internes. On retrouve les sautillements chers à Firpo. Elle trouvera sans doute encore plus de ronchons que la précédente, mais je réagirai de la même façon.

El once (A divertirse) 1946-12-05 – Orquesta Carlos Di Sarli.

Avec cette version, on retrouve la maîtrise de Di Sarli qui nous propose une version élégante, parfaite pour la danse. C’est sûr que là, il n’y aura pas de ronchons. Alors, pourquoi s’en priver ?

El once (A divertirse) 1951-10-23 – Orquesta Carlos Di Sarli.

Je préfère la version de 1946, mais cette interprétation est également parfaite pour la danse. Elle aura toute sa place dans une tanda de cette époque.

El once (A divertirse) 1951 – Oswaldo Bercas et son orchestre.

De son vrai nom, Boris Saarbecoof a travaillé en France et a produit quelques titres intéressants. On a des enregistrements de sa part de 1938 à 1956. C’est un des 200 orchestres de l’âge d’or dont on ne parle plus beaucoup aujourd’hui. Il a également produit de la musique classique.

El once (A divertirse) 1952-11-14 – orquesta Alfredo De Angelis.

C’est sans doute une des versions que l’on entend le plus. Son entrain et sa fin tonique permettent de bien terminer une tanda instrumentale de De Angelis.

El once (A divertirse) 1954-11-16 – Orquesta Carlos Di Sarli.

On retrouve Di Sarli avec des violons sublimes, notamment à 1:42. Je préfère cette version à celle de 1951. Je la passerai donc assez volontiers, comme celle de 1946 qui est ma chouchoute.

El once (A divertirse) 1955-10-25 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.

Francisco Canaro qui n’est pas rancunier (???) enregistre de nouveau le titre des Fresedo avec son quinteto Pirincho. C’est une version bien rythmée avec de beaux passages, comme le solo de bandonéon à 1:02. Une version guillerette qui pourra servir dans une milonga un peu informelle où les danseurs ont envie de se divertir (celles où il n’y a pas de ronchons).

El once (A divertirse) 1956-10-30 – Orquesta Enrique Rodríguez.

Un Rodríguez tardif qui reste léger et qui sera apprécié par les fans de cet orchestre.

El once (A divertirse) 1958 – Argentino Galván.

Je cite cette version ultracourte, car je l’ai évoquée dans Historia de la orquesta típica — Face 1. Pas question de la placer dans une tanda, bien sûr à cause de sa durée réduite à 33 secondes…

El once (A divertirse) 1960c – Juan Cambareri y su Cuarteto de Ayer.

Juan Cambareri, le mage du bandonéon (El Mago del Bandoneón) fournit la plupart des temps des versions virtuoses, souvent trop rapides pour être géniales à danser, mais dans le cas présent, je trouve le résultat très réussi. On notera également que d’autres instrumentistes sont virtuoses dans son orchestre. C’est une version à faire péter de rage les ronchons…
Un grand merci à Michael Sattler qui m’a fourni une meilleure version que celle que j’avais (disque 33 tours en mauvais état).

El once (A divertirse) 1965-07-28 – Orquesta Enrique Mora.

Une version intéressante, mais qui ne bouleverse pas le paysage de tout ce que nous avons déjà évoqué.

El once (A divertirse) 1966-08-03 – Orquesta Juan D’Arienzo.

Finalement D’Arienzo se décide à enregistrer ce titre qui manquait à son répertoire. J’adore le jeu de la contrebasse de Victorio Virgilito.

Amusez-vous ! 1934 — W. Heymans — Sacha Guitry — Albert Willemetz

Ce titre faisait partie de l’opérette de Sacha Guitry, Florestan Ier prince de Monaco.
Le titre a été créé par Henri Garat.

Amusez-vous 1933 — Henri Garat

L’année suivante, Albert Préjean l’enregistre à son tour. C’est la version la plus connue.

Amusez-vous 1934 — Albert Préjean.

Et c’est sur cette musique entraînante que se termine l’anecdote du jour. À mes amis ronchons qui ont envie de dire que ce n’est pas du tango, je répondrai que c’est une cortina et qu’il faut prendre la vie par le bon bout.

Les paroles de Amusez-vous

Amusez-vous, foutez-vous d’tout
La vie entre nous est si brève
Amusez-vous, comme des fous
La vie est si courte, après tout.
Car l’on n’est pas ici
Pour se faire du souci
On n’est pas ici-bas
Pour se faire du tracas.
Amusez-vous, foutez-vous d’tout
La vie passera comme un rêve
Faites les cent coups, dépensez tout
Prenez la vie par le bon bout.
Et zou

Amusez-vous, foutez-vous d’tout
La vie entre nous est si brève
Amusez-vous, comme des fous
La vie est si courte, après tout.
Car l’on n’est pas ici
Pour se faire du souci
On n’est pas ici-bas
Pour se faire du tracas.
Amusez-vous, foutez-vous d’tout
La vie passera comme un rêve
Faites les cent coups, dépensez tout
Prenez la vie par le bon bout.
Et zou

Pour que la vie soit toujours belle
Ha, que j’aimerais un quotidien
Qui n’annoncerait qu’de bonnes nouvelles
Et vous dirait que tout va bien
Pour ne montrer qu’les avantages
Au lieu d’apprendre les décès
On apprendrait les héritages
C’est la même chose et c’est plus gai
Pour remplacer les journaux tristes
Que ça serait consolateur
De lancer un journal optimiste
Qui dirait à tous ses lecteurs :

Amusez-vous, foutez-vous d’tout
La vie entre nous est si brève
Amusez-vous, comme des fous
La vie est si courte, après tout.
Car l’on n’est pas ici
Pour se faire du souci
On n’est pas ici-bas
Pour se faire du tracas.
Amusez-vous, foutez-vous d’tout
La vie passera comme un rêve
Faites les cent coups, dépensez tout
Prenez la vie par le bon bout.
Et zou

Amusez-vous, foutez-vous d’tout
La vie passera comme un rêve
Faites les cent coups, dépensez tout
Prenez la vie par le bon bout.
Et zou

W. Heymans — Sacha Guitry — Albert Willemetz
Amusez-vous, comme des fous.

Historia de la orquesta típica — Face 2

Argentino Galván et Astor Piazzolla

Je vous avais présenté les titres de la face 1 du disque d’Argentino Galván avec un petit jeu de reconnaissance de titres. Comme vous semblez avoir apprécié, je vais procéder de même pour la face 2. Préparez vos oreilles pour identifier les 11 titres de la face 2.

Présentation du disque

Je ne recommence pas la présentation du disque que vous pourrez trouver à partir de la présentation de la face 1. Je rappelle juste que c’est un disque réalisé par Argentino Galván qui présente l’histoire de la orquesta típica en 34 extraits sonores enregistrés pour l’occasion par Galván. Un seul titre fait exception, il est enregistré par Astor Piazzolla, lui-même.

La musique de la face 2, le jeu !

Je vous propose le même jeu que pour la face 1. Cliquez sur une musique et essayez d’en découvrir le titre. Vous pouvez vérifier en cliquant sur la flèche située en dessous.

Les 11 musiques de la face 2 et les réponses.

Face 2 – 01 (Orquesta Argentino Galván)
Avez-vous trouvé le titre de cette musique jouée par Argentino Galvan…?

Il s’agissait de Milonguero viejo (Di Sarli — Carreta Sotelo)


Face 2 – 02 (Orquesta Argentino Galván)
Avez-vous trouvé le titre de cette musique jouée par Argentino Galvan…?

Il s’agissait de Pregonera (De Angelis — Rotulo)


Face 2 – 03 (Orquesta Argentino Galván)
Avez-vous trouvé le titre de cette musique jouée par Argentino Galvan…?

Il s’agissait de Tal vez será mi alcohol (Demare — Manzi)


Attention pour le titre suivant, il y a trois tangos enchaînés

Face 2 – 04 (Orquesta Argentino Galván)
Avez-vous trouvé le titre de cette musique jouée par Argentino Galvan…?

Il s’agissait de Recuerdo (Pugiese – Moreno) — adiós Bardi (Pugliese) — La yumba (Pugliese). Trois compositions de Pugliese.


Attention pour le titre suivant, il y a deux tangos enchaînés

Face 2 – 05 (Orquesta Argentino Galván)
Avez-vous trouvé le titre de cette musique jouée par Argentino Galvan…?

Il s’agissait de A los amigos (Pontier) — La vi llegar (Francini — Centeya).

La logique de cet assemblage de deux titres est qu’ils sont écrits par les deux directeurs de l’orchestre qui porte leurs noms associés, Francini-Pontier. On notera que sur le disque il est indiqué Franchini au lieu de Francini. On ne compte plus les erreurs de ce type sur les disques, mais on est tout de même loin des approximations de YouTube et Spotify qui souvent disent n’importe quoi. Mauvais titre, mauvais auteur, mention du chanteur et pas de l’orchestre alors que c’est un tango de danse. Quand je pense que certains DJ utilisent ces outils pour leur musique, j’en tremble.


Face 2 – 06 (Orquesta Argentino Galván)
Avez-vous trouvé le titre de cette musique jouée par Argentino Galvan…?

Il s’agissait de Orlando Goñi (Gobbi)


Face 2 – 07 (Orquesta Argentino Galván)
Avez-vous trouvé le titre de cette musique jouée par Argentino Galvan…?

Il s’agissait de Tres y dos (Troilo)


Face 2 – 08 (Orquesta Argentino Galván)
Avez-vous trouvé le titre de cette musique jouée par Argentino Galvan…?

Il s’agissait de Rosicler (Basso – García Jiménez)


Face 2 – 09 (Orquesta Argentino Galván)
Avez-vous trouvé le titre de cette musique jouée par Argentino Galvan…?

Il s’agissait de A fuego lento (Salgán)


Face 2 – 10 (Astor Piazzolla)
Avez-vous trouvé le titre de cette musique jouée par Astor Piazzolla…?

Il s’agissait de Tango del ángel (Piazzolla). Contrairement aux autres enregistrements des deux faces de ce disque, il s’agit ici d’un Piazzolla par Piazzolla.


Face 2 – 11 (Orquesta Argentino Galván)
Avez-vous trouvé le titre de cette musique jouée par Argentino Galvan…?

Il s’agissait de El día de tu ausencia (Galván, Vidalta).

Pour ce dernier titre et clore le disque, Galvan a décidé de présenter une de ses compositions. Ainsi, il clôt le parcours initié avec Don Juan, sur la première plage de la face 1.

Voilà, le second jeu est terminé

Je sais que vous avez été aussi brillants que pour la première face, alors Bravo !
 Voici la photo de l’arrière de la pochette avec les titres des deux faces et le texte de présentation.

L’arrière de la pochette du disque.
Les deux faces du disque LP (33 tours).

À demain pour une autre anecdote, je pense que vous serez surpris…

Nous retrouverons ce disque prochainement, mais seulement pour présenter les sites et notions qui sont évoqués dans l’illustration de la pochette réalisée par Generoni.

Historia de la orquesta típica. Illustration de Generoni. Montage entre la couverture du disque et la couverture du livret.

Fueron tres años 1956-05-18 — Orquesta Héctor Varela con Argentino Ledesma

Juan Pablo Marín (musique et paroles)

Lorsque Varela lance les quatre notes initiales, tous les danseurs réagissent. Elles raisonnent comme le pom pom pom pom de la 5e symphonie de Beethoven. Le destin des danseurs est fixé, ils doivent danser ce titre. Cette fascination date des premiers temps de ce titre qui a été enregistré, il n’y a pas trois ans, mais 68 ans et il nous parle toujours.

Le pom pom pom pom de Varela dans la version avec Ledesma.

Même si la partition ne comporte que les notes en rouge pour les trois premières notes, Varela fait jouer une double croche à la place de la croche du début de la seconde mesure à ses violons. C’est relativement discret. Je l’ai indiqué en plaçant deux points rouges avec un petit point bleu au centre. Varela fait jouer les deux petits points à la place de la croche qu’ils encadrent. Cela correspond aux paroles (me/ha), Ledesma chantant deux syllabes sur une seule note ; Varela demande à ses violons de faire pareil, par un très léger accent. On se retrouve donc avec environ trois double croches (No-me-ha), puis la croche pointée (las). On notera que les violons, comme Ledesma, chantent le (las) sur la note supérieure de l’accord (dernière note en rouge).
Cela atténue la syncope initiale que devrait provoquer l’anacrouse avec la double croche initiale suivie d’une croche. L’interprétation est plus proche de trois doubles croches, ce qui est semblable aux coups du destin dans la cinquième symphonie de Beethoven. Trois coups brefs suivi d’un plus long. Varela utilise une montée à la quinte, alors que Beethoven utilise une descente à la tierce. Ce démarrage est différent suivant les orchestres et si Varela l’utilise pour la version de 1973, il ne le fait pas pour la version chantée par Mauré enregistrée la même année (1956).
À la fin de la croche pointée rouge, on trouve (te-so-ro-mi) sur trois double croches et une croche qui fait durer le double de temps le (mi), puis le (o) qui dispose de toute une noire et qui dure donc quatre fois plus longtemps que les trois premières notes bleues.

Juan Pablo Marín

Juan Pablo Marín était guitariste et a écrit trois titres un peu connus. Fueron tres años, notre tango du jour en 1956, et l’année suivante, Reflexionemos qui a été enregistré trois fois en 1957, par Mauré, Gobbi et Nina Miranda et Serenata mía enregistré par Carlos Di Sarli avec le duo de Roberto Florio et Jorge Durán. Ces deux titres de 1957 ne sont pas comparables avec Fueron tres años ce qui explique un peu leur oubli. Je les laisse donc tranquillement dormir pour vous offrir notre tango du jour.

Extrait musical

Fueron tres años 1956-05-18 — Orquesta Héctor Varela con Argentino Ledesma.
Partition de Fueron tres años

Paroles

No me hablas, tesoro mío,
no me hablas ni me has mirado.
Fueron tres años, mi vida,
tres años muy lejos de tu corazón.
¡Háblame, rompe el silencio!
¿No ves que me estoy muriendo?
Y quítame este tormento,
porque tu silencio ya me dice adiós.

¡Qué cosas que tiene la vida!
¡Qué cosas tener que llorar!
¡Qué cosas que tiene el destino!
Será mi camino sufrir y penar.
Pero deja que bese tus labios,
un solo momento, y después me voy;
y quítame este tormento,
porque tu silencio ya me dice adiós.

Aún tengo fuego en los labios,
del beso de despedida.
¿Cómo pensar que mentías,
sí tus negros ojos lloraban por mí?
¡Háblame, rompe el silencio!
¿No ves que me estoy muriendo?
Y quítame este tormento,
porque tu silencio ya me dice adiós.

Juan Pablo Marín (musique et paroles)

Traduction libre

Tu ne me parles pas, mon trésor,
Tu ne me parles pas ni ne m’as regardé.
Ce furent trois ans, ma vie,
trois ans très loin de ton cœur.
Parle-moi, rompt le silence !
Ne vois-tu pas que je suis en train de mourir ?
Et ôte-moi ce tourment,
car ton silence, déjà, me dit adieu.

Que de choses tient la vie !
Que de choses à tenir pour pleurer !
Que de choses tient le destin !
Ce sera mon chemin, souffrir et être peiné.
Mais laisse-moi baiser tes lèvres,
un seul instant, et ensuite je m’en vais ;
Et enlève-moi ce tourment,
car ton silence, déjà, me dit adieu.

J’ai encore du feu sur les lèvres,
du baiser d’adieu.
Comment penser que tu mentais,
quand tes yeux noirs pleuraient pour moi ?
Parle-moi, rompt le silence !
Ne vois-tu pas que je suis en train de mourir ?
Et ôte-moi ce tourment,
car ton silence, déjà, me dit adieu.

Autres versions

Seules les deux versions de Varela avec Ledesma et Falcón sont courantes, pourtant d’autres méritent d’être écoutées, voire dansées.

Fueron tres años 1956 — Héctor Mauré con acomp. de Orquesta Héctor Varela.

Cette version n’est pas précisément datée. Elle est peut-être postérieure à celle avec Ledesma, mais j’ai souhaité la mettre en premier pour la mettre en valeur. Même si ce n’est pas une version de danse, elle est magnifique et je pense que vous aurez plaisir à l’écouter. On notera que le début est différent. On peut l’attribuer au fait que Ledesma chante durant tout le titre et que par conséquent, faire un premier passage instrumental aurait été trop long. Varela l’a donc raccourci et il n’y a pas le pom pom pom pom initial.

Fueron tres años 1956-05-18 — Orquesta Héctor Varela con Argentino Ledesma. C’est notre tango du jour.
Fueron tres años 1956-06-18 – Orquesta Graciano Gómez con Nina Miranda.

Le pom pom pom pom est remplacée une montée des cordes et bandonéons. Cela donne un départ assez spectaculaire et très différent. On connait Nina Miranda, une des grandes chanteuses uruguayennes. C’est vif et enlevé, mais ça manque sans doute de l’émotion que l’on trouve dans les versions de Varela.

Fueron tres años 1956-06-25 – Jorge Vidal con guitarras.

Un mois après la version enregistrée par Varela avec Ledesma, Jorge Vidal propose une version en chanson accompagnée par des guitares. On est dans un tout autre registre. Je trouve que l’on perd, là aussi un peu d’émotion.

Fueron tres años 1956-07-18 – Orquesta Símbolo ‘Osmar Maderna’ dir. Aquiles Roggero con Jorge Hidalgo.

Roggero choisit la même option que Gómez, un debut lié, mais plus doux.

Fueron tres años 1956-07-27 – Orquesta Enrique Mario Francini con Alberto Podestá.

Des nuances sans doute un peu exagérées démarrent le thème, avec des violons énervés. Podestá qui fait un peu de même ne me semble pas totalement convaincant. C’est de toute façon une version d’écoute et j’ai donc une excuse pour ne pas la passer en milonga…

Fueron tres años 1956-08-06 — Orquesta Donato Racciatti con Olga Delgrossi

On trouve pour la même année, 1956, une version de Rodriguez avec Moreno, mais j’ai un gros doute, car je n’y reconnais ni l’un ni l’autre dans cette interprétation qui de toute façon n’a rien de génial. Je préfère m’abstenir… Il y a donc au moins huit versions et peut-être plus enregistrées sur la seule année 1956.
Il faudra attendre 1973, pour que Varela relance la machine à tubes (pour les non-francophones, machine à succès). Cette fois avec Jorge Falcón.

Fueron tres años 1973 — Orquesta Héctor Varela con Jorge Falcón.

C’est une autre sublime version, bravo, Monsieur Varela, trois versions merveilleuses du même thème, chapeau bas !

Fueron tres años 1974 — Orquesta Jorge Dragone Con Diego Solis.

Ce n’est pas inintéressant. Nous n’aurions pas les versions de Varela, on s’en contenterait peut-être. Ces artistes méritent cependant une écoute et comme ils ont enregistré dans un répertoire proche, on peut même faire une tanda pour accompagner ce titre.

Fueron tres años 2014 — Sexteto Milonguero con Javier Di Ciriaco.

C’est dommage que cet orchestre ne soit plus. Il avait une sympathique dynamique impulsée par son chanteur et directeur. On en a peut-être abusé, mais c’était un des orchestres qui avait un style qui n’était pas qu’une copie de ceux du passé. Je les avais fait venir au festival Tangopostale de Toulouse lorsque j’étais en charge des orchestres de bals et ils furent époustouflants et en plus, ils faisaient du tropical génial qu’il est dommage de ne pas plus avoir dans leurs disques, tournés sur le tango.

Fueron tres años 2016-12 — Orquesta Romántica Milonguera con Roberto Minondi.

Un autre orchestre qui a cherché un style propre et qui l’a trouvé. La très belle voix de Roberto Minondi et la sonorité particulière de l’orchestre donne une autre teinte au titre.

Fueron tres años 2018 — Cuarteto Mulenga con Maximiliano Agüero.

L’orchestre marque son originalité en déplaçant la syncope initiale du désormais fameux pom pom pom pom…

Fueron tres años 2023 — Conjuncto Berretin con Megan Yvonne.

La version la plus récente en ma possession de ce titre. Si vous aimez, vous pouvez acquérir une version en haute qualité sur BandCamp https://tangoberretin.bandcamp.com/album/tangos-del-berretin.

Même si j’ai un faible pour les versions de Varela, je pense que vous avez écouté des choses qui vous plaisent dans ce tango tardif, puisque né après l’âge d’or du tango de danse. Si vous n’aimez rien de tous ces titres, je vous propose quelque chose de très différent qui prouve le succès majeur de ce thème écrit il y a 68 ans…

Fueron tres años — Los Rangers De Venezuela.

Aïe, ne me tapez pas sur la tête ! Vous avez la preuve que ce n’est pas nécessaire… C’est la cortina…
Je vous propose de retrouver tout de suite votre titre préféré dans la liste qui précède.

À demain les amis !

Hablame, rompe silencio.

Ana María y Lilián 1944-05-17 – Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré

Fulvio Salamanca – Nolo López y Héctor Varela – Luis Rafael Caruso

Certains ont dû faire des bonds en voyant le titre de l’anecdote du jour. Quoi, un tango que je ne connais pas ? J’espère qu’ils ne se sont pas cognés au plafond. En effet, aujourd’hui, je vais vous parler de deux titres enregistrés le même jour et par les mêmes artistes. J’ai donc créé cette amitié entre Ana María, la noire et Lilián la blonde qui dure depuis 80 ans.
Le 17 mai 1944, Juan D’Arienzo enregistre quatre thèmes très différents, dont trois avec Héctor Mauré. J’ai choisi deux d’entre eux, car ce sont des portraits de femmes, des femmes très différentes, mais aux destins parallèles.
Vous aurez tout de même droit aux deux autres titres, dont l’un qui va vous faire dresser les cheveux sur la tête.

Extraits musicaux

Lilián 1944-05-17 – Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré (Musique Héctor Varela, paroles de Luis Rafael Caruso).

Lilián est un titre souvent passé. C’est un D’Arienzo plutôt calme, mais très expressif. On notera l’utilisation de Lilián en leitmotiv, en évocation et son remplacement finalement par amor. Comme on le verra avec les paroles, il s’agit ici, espoir de reprise d’une relation d’une nuit.

Ana María 1944-05-17 – Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré (Musique de Fulvio Salamanca, paroles de Nolo López [Manuel Norberto López]).

Il s’agit, ici, d’une milonga candombé. Comme nous le verrons, les paroles vont également dans ce sens. C’est presque un poncif, lorsque l’on parle de personnes noires, c’est souvent à travers une milonga candombé. C’est une des raisons pour lesquels certains revendiquent une origine noire pour le tango, par exemple Juan Carlos Caceres qui fait des milongas candombe, même s’il les nomme « tango », comme Tango negro, Tocá Tangó, Tango retango, ou Cumtango

Paroles de Ana María

Ana María, la rosa mulata
Bajo su bata esconde un dolor,
Nació con luna de plata
Por los Cuarteles del sol.

Novia querida de aquel tamborero
Un entrerriano de corazón,
Los dos colmaron sus sueños
Con un romance de amor.

Cuántos pardos se sintieron
Prisioneros por su amor,
Dos mulatos la quisieron
Pero ella dijo: No.
A sus ojos, un poeta
Le cantó su madrigal,
Florecía la morena
Entre rosas de un rosal.

Fulvio Salamanca –  Nolo López (Manuel Norberto López)

Traduction libre de Ana María

Ana Maria, la rose noire (mulata désigne des femmes d’origine noire, ou métisse de noirs, contrairement à Negra, qui signifie simplement à la peau plus sombre et qui peut témoigner d’origines des peuples premiers d’Argentine), cache une douleur sous son peignoir.
Elle est née avec une lune d’argent près de la caserne du Soleil.

Petite amie bien-aimée de ce tamborero (joueur de tambour. On connaît l’affection des Uruguayens pour les percussions), un entrerriano (de la province d’Entre Rios) de cœur.
Les deux ont réalisé leurs rêves avec une romance amoureuse.

Combien de noirs se sentaient, prisonniers de son amour.
Deux mulâtres l’aimaient, mais elle a dit : « Non ».
Dans ses yeux, un poète lui chantait son madrigal.
La noire fleurissait parmi les roses d’un rosier.

Paroles de Lilián

Lilián,
rubia y dulce, Lilián.
Pasión,
de un romance casual…
Esa noche yo estaba tan solo
y tú llenaste mi soledad.
Lilián,
rubia y dulce, Lilián.
No estás.
Esta noche no estás.
Y me siento más solo que nunca
sin el azul de tus ojos, Lilián.

Que tristeza hay en mi cuarto.
Que amargura en mi interior.
He llegado a amarte tanto,
que no vivo sin tu amor.
Con el beso siempre joven,
mi querer te esperará
y a la luz de tus canciones,
mis ilusiones revivirán.
Porque hay algo que me dice,
que no olvidaste, mi amor, Lilián…

Lilián,
rubia y dulce, Lilián.
Amor.
Que hizo triste un adiós,
cuando todo era un canto a la vida,
la misma vida nos separó.

Lilián,
rubia y dulce, Lilián.
Mi amor,
esperándote está,
y esperando me ven las auroras,
sin el azul de tus ojos, Lilián.

Héctor Varela – Luis Rafael Caruso

Mauré ne chante pas ce qui est en orange.

Traduction libre de Lilián

Lilián, blonde et douce, Lilián.
Passion, d’une romance occasionnelle…
Cette nuit-là, j’étais si seul et tu as comblé ma solitude.
Lilián, blonde et douce, Lilián.
Tu n’es pas là.
Ce soir, tu n’es pas ici.
Et je me sens plus seul que jamais sans le bleu de tes yeux, Lilián.

Quelle tristesse il y a dans ma chambre !
Quelle amertume en moi !
J’en suis venu à t’aimer tellement que je ne peux pas vivre sans ton amour.
Avec le baiser toujours jeune, mon amour t’attendra et à la lumière de tes chants, mes illusions seront ravivées.
Parce qu’il y a quelque chose qui me dit que tu n’as pas oublié mon amour, Lilián…

Lilián, blonde et douce, Lilián.
Amour.
Comme fut triste un adieu, alors que tout était un hymne à la vie, la même vie nous sépara.
Lilián, blonde et douce, Lilián.
Mon amour t’attend, et les aurores me voient attendre, sans le bleu de tes yeux, Lilián.

Les enregistrements de D’Arienzo du 17 mai 1944

El apache argentino 1944-05-17 – Orquesta Juan D’Arienzo (Musique Manuel Gregorio Aróztegui).

C’est un tango instrumental. Les Apaches, sont, en Argentine, aussi, des déliquants, membres de bandes souvent violentes. Ils n’ont rien de commun avec les Indiens des USA. D’Arienzo avait étrenné ce tango en 1930, lors du carnaval. On reparlera un jour des carnavals, car ce sont des événements très importants pour les orchestres de tango…

Las doce 1944-05-17 – Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré (Musique Juan D’Arienzo, paroles de Nolo López [Manuel Norberto López]).

Cette musique commence par une citation du célèbre chant de Noël Jingle bells. On imagine quelques flocons de neige, un hiver qui débute. Bien sûr, Buenos Aires étant dans l’hémisphère sud, les Noëls sont chauds. Je pense que c’est surtout pour apporter une note « enfantine » au thème qui commence donc très légèrement. Nous allons avoir avec les paroles que cela se gâte rapidement :

Paroles de Las doce

Llueve y hace frío
Crudo es el invierno
Crujen los portales
Silba el vendaval

Pasa pregonando
El viejo diarero
Carreras y fobal
La guerra mundial

Tiemblan los cristales
De un café nocturno
Suena la pianola
Un bonito vals

Mientras en mí cuarto
Mi lecho sin mantas
Me acosa el invierno
Aumenta mi mal

Las doce, medianoche
Don Mateo con su coche
Va camino al corralón
Las doce
Y la lluvia
Arrimándose a su paso
El perfume del malvón
Las doce se agiganta
Y va extendiendo su manto
En los vidrios de un farol

Juan D’Arienzo Letra : Nolo López (Manuel Norberto López)

Traduction libre de Las doce (âmes sensibles s’abstenir)

Minuit (12 heures)

Il pleut et il fait froid. L’hiver est rude. Les portails grincent. La bise siffle. (Rien d’étonnant jusque-là, on s’imagine avec Jingle bells que l’on est en hiver de l’hémisphère nord).

Passe en annonçant, le vieux vendeur de journaux, courses et football (fobal est la forme de Fútbol en lunfardo), la guerre mondiale (Là, l’évocation du conflit mondial jette un autre froid, la fable du tango de Noël commence à se fendiller. On pense parfois que l’Argentine était loin de la guerre, en fait, même si elle est restée neutre, le sort des familles qui n’avaient pas émigré faisait que les Argentins se sentaient concernés).

Les fenêtres d’un café de nuit tremblent, le pianola joue une belle valse (le pianola est un piano qui peut jouer seul des airs à l’aide d’un mécanisme lisant des cartes perforées. Nous l’avons déjà évoqué à propos de Lorenzo. Là, si l’histoire de la guerre nous a échappé, on se rassure, on s’imagine danser la valse dans le bistroquet).

Dans ma chambre, ma litière sans couvertures, l’hiver m’assaille, il augmente mon mal. (Là, nouveau coup de froid, le tango n’a plus l’air d’un conte de Noël, tout au plus on pourrait penser à la petite marchande d’allumettes d’Andersen).

12 heures, minuit. (12 heures, en fait, 24 h ou 0 h, minuit, l’heure du crime selon le dicton).

Don Mateo (Il existe au moins deux tangos nommés Don Mateo, dont un avec des paroles de José Ponzio, dénonçant un criminel ayant tué 6 personnes de sa famille et 2 employés de ferme. Il s’agit en fait d’un notable, propriétaire terrien, Mateo Banks. C’était un fils d’émigrés irlandais, qui ayant perdu aux jeux, arnaque sa famille et les tue pour obtenir leur argent. La scène décrite dans ce tango doit donc se dérouler le 18 avril 1822, date des faits) avec sa voiture va au corralón (ce terme est polysémique, ici, cela peut être un endroit où on entrepose des matériaux de construction, un des lieux de ses crimes).

Minuit et la pluie. S’accroche à ses pas, le parfum de l’homme mauvais. (Non seulement il tue huit personnes et devient donc le premier serial killer argentin, mais il essaye de faire accuser un de ses péones, employés de ferme. Il est condamné à perpétuité, mais sort finalement de prison. L’ironie de cette histoire est qu’il se tue en glissant sur une savonnette en se cognant la tête sur sa baignoire. Je vous avais prévenu, l’histoire est terrible).
Minuit s’agrandit et étend son manteau sur les vitres d’un lampadaire. (On a fait mieux en matière de conte de Noël).


Avec Ironie, D’Arienzo qui a fait chanter l’intégralité de l’histoire à Mauré reprend avec le motif de Jingle bells, comme s’il ne s’était rien passé qu’une petite chanson de Noël.
Je crois que ce tango est assez rare, sans doute à cause de l’évocation de Mateo Banks. Cependant, si les danseurs n’écoutent pas avec attention les paroles, il doit être utilisable. C’est un titre qui peut faire un milieu de tanda satisfaisant.
Si vous voulez en savoir plus sur cette histoire, je vous propose deux sites :
La macabra historia del estanciero argentino que mató a sangre fría a toda su familia para quedarse con su fortuna – Infobae qui vous donnera des détails sur les faits.
https://web.archive.org/web/20200813025004/https://ana-turon.blogspot.com/2016/05/el-tango-en-la-provincia-de-buenos-aires.html Je vous propose la version archivée en 2020, car le site a depuis été corrompu. Vous y trouverez notamment des textes de tango ou chansons parlant du crime.

Et nos deux titres du jour

Pour revenir à des sujets plus sympathiques, je vous propose de terminer par nos deux titres du jour. D’abord Lilián, puis Ana María pour finir dans un rythme plus joueur et nous laver la tête de l’horreur des crimes de Don Mateo.

Lilián 1944-05-17 – Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré (Musique Héctor Varela, paroles de Luis Rafael Caruso). Un de nos titres du jour.
Ana María 1944-05-17 – Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré (Musique de Fulvio Salamanca, paroles de Nolo López [Manuel Norberto López]). Un de nos titres du jour.

Ces quatre œuvres, fort différentes montrer la diversité dont peuvent être capables les grands orchestres de l’âge d’or.

À demain les amis !

Ana María y Lilián. Deux destins de femmes.

Historia de la orquesta típica – Face 1

Argentino Galván

Il y a quelques jours, je vous avais parlé de ce disque dont la pochette, réalisée par Generoni présentait différents sites se référant à l’histoire du tango. Aujourd’hui, je vais vous présenter les 23 enregistrements de la face 1. Je vous propose un jeu. Les titres sont masqués et vous devrez les identifier. Bien sûr, il y a les réponses…

Il y a 23 titres, ou plutôt extraits de titres, car le projet de Argentino Galván était de présenter dans l’espace limité d’un disque 33 tours, autant de facette de l’orchestre típica (instrumental) que possible.
Nous reviendrons sur la face 2 plus tard et sur les lieux de tango évoqués par l’illustration dans un troisième temps.

Présentation du disque

Il s’agit d’un disque LP, 33 tours. LP signifie Long Play, longue durée, mais cette mention est un peu mensongère, car il n’y a guère qu’une vingtaine de minutes par face, ce qui est loin des possibilités maximales de cette technologie. Le disque, bien que réalisé en 1960 est mono.
La pochette comporte en couverture une superbe illustration de Generoni.

À gauche la pochette et à droite, le livret de 16 pages à la couverture pelliculée (brillante). Le cadrage entre les deux images est légèrement différent.

À l’intérieur, il y a bien sûr le disque, mais aussi un beau livret de 16 pages écrit par Luis Adolfo Sierra que vous connaissez peut-être, car il est l’auteur de l’ouvrage… Historia de la Orquesta Tipica – Evolucion Instrumental del Tango.

La seconde édition du livre date de 1966. La seconde édition du disque est de septembre 1966.
Une des pages du livret (introduction et premier texte).

Le principe du disque est de retracer l’histoire des orchestres de tango à partir d’extraits de titres joués à la manière de…
Le directeur d’orchestre est Argentino Galván (sauf pour un titre de la face 2 qui est par Piazzolla). Les solistes de l’orchestre sont Julio Ahumada (bandonéon) et Jaime Gossis (piano).
Les enregistrements ne sont pas datés. Certains registres indiquent 1958 pour la sortie du disque, mais la signature de Generoni date de 1966. Le livre de Sierra étant de 1966 pour la première et la seconde édition. Il se peut que le premier disque soit de 1958 et que par la suite, il se décide d’écrire un ouvrage plus important et que le disque que je présente ici soit réédité à cette occasion. Je pense également que les enregistrements sont des années 50 à cause du mono. EN 1966, le disque aurait été stéréo et probablement aussi en 1958.

La musique de la face 1, le jeu !

Il vous faudra patienter pour la face 2, il y a 23 titres sur la face 1 et ça me semble suffisant pour une anecdote du jour 😉
Vous remarquerez que l’orchestre ne joue les titres que quelques secondes. Cela va de 17 secondes à un peu plus de 3 minutes.
Je vous propose un jeu. Cliquez sur la musique et essayez de découvrir le titre. Vous pouvez vérifier en cliquant sur la flèche située en dessous.

Face 1 – 01 (Orquesta Argentino Galván)
Avez-vous trouvé le titre de cette musique jouée par Argentino Galvan…?

Il s’agissait de Don Juan (Ponzio et Podesta)


Face 1 – 02 (Orquesta Argentino Galván)
Avez-vous trouvé le titre de cette musique jouée par Argentino Galvan…?

Il s’agissait de El Porteñito (Villodo – Pesce – Polito)


Face 1 – 03 (Orquesta Argentino Galván)
Avez-vous trouvé le titre de cette musique jouée par Argentino Galvan…?

Il s’agissait de La cachiporra (Roncallo)


Face 1 – 04 (Orquesta Argentino Galván)
Avez-vous trouvé le titre de cette musique jouée par Argentino Galvan…?

Il s’agissait de El entrerriano (Mendizábal)


Face 1 – 05 (Orquesta Argentino Galván)
Avez-vous trouvé le titre de cette musique jouée par Argentino Galvan…?

Il s’agissait de Unión cívica (Santa Cruz)


Face 1 – 06 (Orquesta Argentino Galván)
Avez-vous trouvé le titre de cette musique jouée par Argentino Galvan…?

Il s’agissait de El morochito (Greco)


Face 1 – 07 (Orquesta Argentino Galván)
Avez-vous trouvé le titre de cette musique jouée par Argentino Galvan…?

Il s’agissait de Un copetin (Maglio « Pacho » – Fernández Perrusini)


Face 1 – 08 (Orquesta Argentino Galván)
Avez-vous trouvé le titre de cette musique jouée par Argentino Galvan…?

Il s’agissait de Alma de bohemio (Firpo – Caruso)


Face 1 – 09 (Orquesta Argentino Galván)
Avez-vous trouvé le titre de cette musique jouée par Argentino Galvan…?

Il s’agissait de El chamuyo (F. Canaro)


Face 1 – 10 (Orquesta Argentino Galván)
Avez-vous trouvé le titre de cette musique jouée par Argentino Galvan…?

Il s’agissait de Retintin (Arolas)


Face 1 – 11 (Orquesta Argentino Galván)
Avez-vous trouvé le titre de cette musique jouée par Argentino Galvan…?

Il s’agissait de El once (O. Fresedo – E. Fresedo). Qui porte le n°11…


Attention pour le titre suivant, il y a trois tangos enchaînés.

Face 1 – 12 (Orquesta Argentino Galván)

Avez-vous trouvé le titre de cette musique jouée par Argentino Galvan…?

Il s’agissait de Guardia vieja (De Caro – Grandis) – Sueño azul (De Caro – Gomila) – Orgullo criollo (De Caro – Díaz)


Face 1 – 13 (Orquesta Argentino Galván)
Avez-vous trouvé le titre de cette musique jouée par Argentino Galvan…?

Il s’agissait de Piba boba (Maffia – Staffolani)


Face 1 – 14 (Orquesta Argentino Galván)
Avez-vous trouvé le titre de cette musique jouée par Argentino Galvan…?

Il s’agissait de Bendición (Scorticcati)


Face 1 – 15 (Orquesta Argentino Galván)
Avez-vous trouvé le titre de cette musique jouée par Argentino Galvan…?

Il s’agissait de Nunca más (F. Lomuto – O. Lomuto)


Face 1 – 16 (Orquesta Argentino Galván)
Avez-vous trouvé le titre de cette musique jouée par Argentino Galvan…?

Il s’agissait de Desengaños (Ortiz – Meaños)


Face 1 – 17 (Orquesta Argentino Galván)
Avez-vous trouvé le titre de cette musique jouée par Argentino Galvan…?

Il s’agissait de Tigre viejo (Grupillo)


Face 1 – 18 (Orquesta Argentino Galván)
Avez-vous trouvé le titre de cette musique jouée par Argentino Galvan…?

Il s’agissait de Mal de amores (Laurenz – Bayardo)


Face 1 – 19 (Orquesta Argentino Galván)
Avez-vous trouvé le titre de cette musique jouée par Argentino Galvan…?

Il s’agissait de Vida mía (O. y E. Fresedo)


Face 1 – 20 (Orquesta Argentino Galván)
Avez-vous trouvé le titre de cette musique jouée par Argentino Galvan…?

Il s’agissait de La cumparsita (Rodriguez – Maroni – Contursi)


Face 1 – 21 (Orquesta Argentino Galván)
Avez-vous trouvé le titre de cette musique jouée par Argentino Galvan…?

Il s’agissait de Criolla linda (Gorresse – Germino – Rubistein)


Face 1 – 22 (Orquesta Argentino Galván)
Avez-vous trouvé le titre de cette musique jouée par Argentino Galvan…?

Il s’agissait de “C. T. V.” (Bardi)


Face 1 – 23 (Orquesta Argentino Galván)
Avez-vous trouvé le titre de cette musique jouée par Argentino Galvan…?

Il s’agissait de  Se llamaba Eduardo Arolas (D’Agostino – Cadicamo)

Voilà, le petit jeu d’aujourd’hui est terminé

Je suis sûr que vous avez été brillants et ce que vous n’avez pas trouvé était introuvable…
Voici la photo de l’arrière de la pochette avec tous les titres de la face 1. La face 2 est cachée pour notre prochain jeu…

L’arrière de la pochette du disque. J’ai masqué les titres de la face 2. Afin de vous garder la surprise pour la prochaine fois…

Demain, pas de jeu, une anecdote sur une ou deux musiques. Je n’ai pas encore décidé…

Historia de la orquesta típica. Illustration de Generoni. Montage entre la couverture du disque et la couverture du livret.

Pensez à rechercher les lieux et thèmes représentés sur cette image. Nous en reparlerons prochainement.

Sondage

El cisne 1950-05-15 (Vals) – Orquesta Juan D’Arienzo

Antonio Anselmi (Musique et paroles)

Un cygne peut en cacher un autre. Celui que nous allons évoquer aujourd’hui, s’est fait faire une toilette par D’Arienzo, le 15 mai 1950, il y a 74 ans. Mais il avait déjà adopté un autre cygne, 12 ans plus tôt, presque jour pour jour. Allons faire un tour avec les vilains petits canards, canards que l’orchestre ne fait pas.

Une petite précision pour les lecteurs qui sont en version traduite, en français, un canard est une fausse note. Juan D’Arienzo fait donc tout pour éviter que ses musiciens en fassent.

Extrait musical

La partition de El cisne, dans la version d’Antonio Anselmi. La dédicace semble étonnante. En effet elle est adressée à José Gomez, qui était justement un ami de Jose Maria Rizzuti, l’auteur d’un autre « El cisne », mais en tango. Il peut toutefois s’agir d’un homonyme, mais la coïncidence est amusante…
El cisne 1950-05-15 — Orquesta Juan D’Arienzo.

Une valse entraînante, mais D’Arienzo sait-il en faire d’un autre type ? Au piano, Fulvio Salamanca, intervient toujours selon le principe négocié avec Biagi quinze ans. Comme c’est de coutume, la fin paraît s’accélérer, mais c’est toujours la même méthode. Le tempo reste stable, mais les notes sont doublées, ce qui entraîne les danseurs dans un galop final effréné.
Il est presque impossible, voire complètement impossible de deviner les paroles en entendant la musique de cette valse. Mais il est temps d’en parler.

Paroles

La version de D’Arienzo est instrumentale. Cependant Antonio Anselmi a également écrit les paroles que voici :

En un lago cristalino
hacia la orilla costando
un blanco cisne nadando
del lago dueño y señor,
llega hacia el bosque vecino
a saturarse de arome
porque espera a su paloma
para una cita de amor.

Como hace rato que espera
ya la impaciencia lo inquieta
por la paloma coqueta
que a la cita no llegó
y abriendo sus blancas alas
medita el cisne arrogante
¿será verdad que otro amante
su cariño me robó?

Pero después de un momento
desde la vecina loma
se ve llegar la paloma
en un vuelo señorial;
y como el cisne pregunta:
¿dónde te has entretenido?,
contesta: Con mi querido
a la sombra de un sauzal.

Que es lo que has dicho, paloma,
que bien no lo he comprendido,
has hablado de un querido
y te olvidas quién soy yo.
De pronto el cisne celoso,
muy enceguecido acaso
de un terrible picotazo
a su paloma mató.

Cargo a su presa en el pico
y allá en el lugar más hondo
fue a sumergirse hasta el fondo
del lago, dueño y señor.
Desde entonces en la noche
cuando todo está dormido
se oye del cisne un gemido
porque llora de amor.

Antonio Anselmi (Musique et paroles)

Traduction libre

Dans un lac cristallin, vers la rive voisine, un cygne blanc nage, du lac maître et seigneur. Il arrive à la forêt voisine pour se saturer d’arome, car il attend sa colombe pour un rendez-vous amoureux.
Comme ça fait un moment qu’il attend, l’impatience l’inquiète pour la colombe coquette qui n’est pas arrivée au rendez-vous et ouvrant ses ailes blanches, le cygne arrogant médite. Serait-il vrai qu’un autre amant m’aurait volé son affection ?
Mais au bout d’un moment, de la colline voisine, on voit la colombe venir d’un vol majestueux ; et comme le cygne demande : « Où vous êtes-vous amusée ? » elle répond : « Avec mon chéri à l’ombre de saules pleureurs. »

Qu’as-tu dit, colombe, que je n’ai pas bien compris ? Tu as parlé d’un être cher et tu oublies qui je suis. Aussitôt, le cygne jaloux, peut-être très aveuglé, d’un terrible coup de bec sur sa colombe, la tua. Il chargea sa proie sur le bec et là, dans l’endroit le plus profond, il alla plonger jusqu’au fond du lac, maître et seigneur. Depuis cela, la nuit, quand tout dort, on entend le cygne gémir parce qu’il pleure d’amour.

Autres versions

Si vous entendez cette valse, il est fort probable qu’elle soit interprétée par Juan D’Arienzo, car il n’en existe pas d’autres enregistrements historiques, pas même une petite chanson pour entendre comment les paroles s’harmonisent avec la musique.
En revanche, vous pouvez entendre el Cisne sous forme de tango. Par D’Arienzo et par Fresedo.
Attention, ce cygne n’est pas composé par Antonio Anselmi, mais par Jose Maria Rizzuti. C’est donc une œuvre qui n’a de commun que le titre.

La partition avec sa couverture de El cisne, mais cette fois par Jose Maria Rizzuti. Un tango sans paroles.

Avant de retrouver D’Arienzo, une petite pépite. Un enregistrement de 1922. Il y a donc plus d’un siècle que Fresedo l’a enregistré.

El cisne 1922-08-25 — Orquesta Osvaldo Fresedo.

Malgré un enregistrement acoustique, ancien, la musique est plutôt magnifique. Un très beau Fresedo, que l’on serait presque tenté de passer en milonga.
Pour terminer, on retrouve D’Arienzo, avec le cygne en tango sur une musique de Rizzuti.

El cisne 1938-05-06 — Orquesta Juan D’Arienzo.

C’est un des derniers enregistrements de Biagi dans l’orchestre de D’Arienzo. Sa place est bien établie. Il a toutes les petites pauses pour ajouter ses petites fioritures. Il surnage par moment sur l’orchestre et s’il n’a pas de partie en soliste, contrairement aux violons, il est toujours présent et ponctue le compas. Je trouve amusant de constater que 15 ans plus tard, la façon de faire de Biagi a continué d’être utilisée par D’Arienzo et ses pianistes, comme nous l’avons constatée pour notre valse du jour, que du coup, je vous replace ici. Quand on aime, on ne compte pas.

El cisne 1950-05-15 — Orquesta Juan D’Arienzo. C’est notre valse du jour.

À demain, les amis !

El cisne. Mon histoire est pliée pour aujourd’hui.

Les succès de la radio en 1937

Ediciones musicales Julio Korn

Lorsque nous avons parlé de la partition de No quiero verte llorar, nous avions remarqué que la quatrième de couverture présentait les plus grands succès radiophoniques du moment. J’ai trouvé amusant de vous faire écouter ce que les Argentins aimaient en 1937…

Sur cette publicité, les 12 succès des éditions Julio Korn. Évidemment, ils ne parlent pas des succès édités par d’autres maisons d’édition…

Les éditions Julio Korn

Julio Korn (1906​-07-19 – 1983-04-18) était à la tête d’un empire de la presse. Il publiait en 1937, six hebdomadaires, Radiolandia, Antena, Goles, Vosotras, TV Guía et Anteojito. Son seul concurrent sérieux était Héctor García qui publiait Así. Il était donc en situation de quasi-monopole.

« Mi intención fue siempre llegar a la gran masa del pueblo, sin pretender instruirla sino entretenerla »

«Mon intention a toujours été d’atteindre la grande masse du peuple, sans prétendre l’instruire, mais pour la divertir». Devise que les Citizen Kane d’aujourd’hui perpétuent.

Julio Korn est le prototype du self-made man. Orphelin à 9 ans, il travaille dans une imprimerie ce qui lui permet de sauver de l’asile son jeune frère. À 15 ans (1921), il se rend à Montevideo pour proposer à Edgardo Donato de devenir son éditeur musical. Il devait être du genre convaincant, car il remporta l’affaire et obtint un prêt pour s’acheter la presse destinée à imprimer les partitions. Huit ans plus tard, il avait imprimé 35 000 partitions.
En 1924, il avait créé une revue musicale, La Canción Moderna, dont il était également le rédacteur en chef.

À gauche, le numéro du 30 juin 1936 de Radiolanda (La Canción Moderna) où est annoncée la saga Gardel. La couverture du 6 juin 1936 avec Gardel et le premier des articles sur les confidences de Berta sur la vie de son fils.

En juin 1936, La Canción Moderna qui est devenu Radiolandia publie la vie de Carlos Gardel qui était mort l’année précédente en exploitant le côté sentimental du témoignage de Berta Gardes, la mère de Gardel qui a d’ailleurs cédé gratuitement les droits de reproduction. Et pan dans les dents de la thèse uruguayenne de l’origine de Carlos Gardel qui prétend que Berta se serait déclaré sa mère pour toucher l’héritage en établissant de faux papiers… Gardel enfant de France.
Cet article est un bon exemple de la littérature populaire des revues de Julio Korn.
Mais revenons à la partition de No quiero verte llorar et à sa quatrième de couverture.

Partition de No Quiero Verte Llorar des Éditions Julio Korn.

Lorsque nous avons parlé de la partition de No quiero verte llorar, nous avions remarqué que la quatrième de couverture présentait les plus grands succès radiophoniques du moment. J’ai trouvé amusant de vous faire écouter ce que les Argentins aimaient en 1937…

Les succès de la radio en 1937

Les succès de la radio 01

Milonga triste (Sebastián Piana Letra: Homero Manzi)

Milonga triste 1937-02-19 — Mercedes Simone con acomp. de su Trío Típico
Milonga triste 1937-08-10 — Orquesta Francisco Canaro

Amor (Carlos Gardel Letra Luis Rubistein)

Amor 1936-07-14 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida. Avec des airs de Silencio, du même Gardel.

Milagro (Luis Rubistein, paroles et musique)

Milagro 1936-11-27 — Mercedes Simone con acomp. de su Trío Típico
Milagro 1937-02-19 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida

Arrepentido (Rodolfo Sciammarella, paroles et musique)

Arrepentido 1937-05-26 — Libertad Lamarque con orquesta. Comme il est précisé « Tango chanson », il s’agit probablement de cette version qui avait du succès à la radio.

Comme il est précisé « Tango chanson », il s’agit probablement de cette version qui avait du succès à la radio. Cependant, l’année précédente, il y a eu deux enregistrements qui peuvent très bien passer à la radio et participer au succès de la composition de Sciammarella :

Arrepentido 1936-09- 18 – Orquesta Roberto Firpo con Carlos Varela.

Carlos Varela que nous avions entendu avec Firpo dans No quiero verte llorar.

Arrepentido 1936-09-04 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar
Les succès de la radio 02
Las perlas de tu boca 1935-10-08 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar.

Il est indiqué Boléro sur la partition, mais il s’agit ici d’un enregistrement en rumba. Ce titre a été beaucoup enregistré, bien sûr en boléro, mais aussi en Danzón (par Rey Cabrera). Difficile de savoir quel enregistrement était la référence. Il peut aussi tout simplement s’agir d’une erreur, en effet le terme boléro comme le terme Jazz est générique et peut éventuellement ne pas différencier deux types de danse.
Je vous propose tout de même un exemple, par le chanteur d’opéra, mexicain, Alfonso Ortiz Tirado.

Las perlas de tu boca 1934 — Alfonso Ortiz Tirado. C’est un enregistrement RCA Victor réalisé à Buenos Aires.

Por el camino adelante (Lucio Demare ; Roberto Fugazot ; Agustín Irusta Letra: Joaquín Dicenta (Joaquín Dicenta Alonso)

Por el camino adelante 1930 – Agustín Irusta y Roberto Fugazot con acomp. de piano por Lucio Demare.

Por el camino adelante 1930 – Agustín Irusta y Roberto Fugazot con acomp. de piano por Lucio Demare. Avec cette chanson on est plutôt dans le domaine du folklore, mais après tout, le tango n’est pas la seule musique qui passe à la radio. Je n’ai pas trouvé d’enregistrement de 1936 ou 1937. Il se peut donc que ce soit une autre version qui avait du succès en 1937.

Rosa de otoño [Guillermo Desiderio Barbieri Letra: José Rial, hijo]

Rosa de otoño 1930-12-05 — Carlos Gardel con acomp. de la orquesta de Francisco Canaro.

Rosa de otoño 1930-12-05 — Carlos Gardel con acomp. de la orquesta de Francisco Canaro. Encore un enregistrement un peu ancien, mais la mort de Gardel deux ans plus tôt a sans doute relancé ses interprétations. On est là encore à la limite du tant avec un vals criollo. C’est Di Sarli en 1942 qui fera sortir cette valse du domaine folklorique, mais c’est une autre histoire…

Les succès de la radio 03

En blanco y negro [Néstor Feria Letra: Fernán Silva Valdéz]

En blanco y negro 1936-05-06 — Alberto Gómez con acomp. de su Cuarteto de Guitarras

Une milonga, mais une milonga criolla. Décidément le folklore avait la côte…

Falsedad [Héctor María Artola Letra: Alfredo Navarrine]

Falsedad 1936-10-25 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida.

On revient dans le domaine du tango avec ce très beau titre, sans doute un peu oublié dans les milongas d’aujourd’hui, même dans celles qui abusent de la vieille garde ; -)

Monotonía (Hugo Gutiérrez Letra : Andrés Carlos Bahr)

Monotonía 1936-12-03 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar.

Encore Lomuto et Omar en vedette avec ce tango de Hugo Gutiérrez et Andrés Carlos Bahr. Le titre ne donne pas très envie de danser, la musique non plus. Cela devait être plus agréable de vaquer dans son appartement avec cette musique de fond à la radio.

Pienso en ti (Julio De Caro Letra : Jesús Fernández Blanco)

Pienso en ti 1936-08-10 — Orquesta Julio De Caro con Violeta y Lidia Desmond (Las hermanas Desmond).

Las hermanas Desmond (les sœurs Desmond) nous offrent une fin enjouée. Une valse pas trop tango. Elle est indiquée comme valse chanson et son auteur pourrait vous surprendre, car il s’agit de Julio de Caro, comme quoi il ne faut pas trop vite mettre les compositeurs et musiciens dans des tiroirs.

En guise de conclusion

Comme nous l’avons vu, les éditions de Julio Korn ne sont pas le seul éditeur de musique. On peut légitimement penser qu’ils mettent en avant leurs poulains et passent sous silence les artistes qui font éditer leurs partitions chez des concurrents.
Un autre biais est que les orchestres ne jouent pas forcément des tangos qui viennent d’être écrits. S’ils jouent un titre qui a dix ou vingt ans, voire plus, il ne sera pas nécessairement réédité.
Le dernier biais et qu’il s’agit des titres qui passent à la radio. La qualité sonore de la radio à l’époque était assez médiocre, la FM n’était pas encore de mise et les danseurs pouvaient rencontrer leurs orchestres favoris toutes les semaines. Les programmes étaient donc plutôt destinés à la vie de famille et une diffusion régulière et sans trop de relief était sans doute mieux adaptée à cet usage.
En résumé, il ne faut pas tirer la conclusion que les succès mentionnés ici sont des succès absolus, notamment du point de vue des danseurs. On peut juste affirmer qu’à côté d’autres styles, le tango avait sa place dans le quotidien des Argentins, comme c’est toujours le cas où des airs de tango ayant près d’un siècle continuent de s’élever dans le bon air de Buenos Aires. On n’imagine pas dans tous les pays la population écouter des disques aussi anciens, sauf peut-être dans le domaine de la musique classique.
Pour estimer le succès des titres du point de vue des danseurs, je pense que la présence de nombreux enregistrements du même titre à quelques semaines d’intervalle est un bon indice. Certains tangos ont 20, 30 ou beaucoup plus d’enregistrements pour des monstres comme la Cumparsita, et d’autres sont fils uniques. Ces fils uniques qui ont raté leur lancement à l’époque sont parfois rattrapés, comme c’est le cas de la milonga Mi vieja linda (Ernesto Céspedes Polanco, musique et paroles), qui avant qu’elle soit reprise par le Sexteto Cristal était inconnue de la majorité des danseurs, bien qu’il en existe une belle version par la Orquesta Emilio Pellejero con Enalmar De María

Mi vieja linda 1941 — Orquesta Emilio Pellejero con Enalmar De María
Mi vieja linda 2018-05-01 — Sexteto Cristal con Guillermo Rozenthuler

Mon travail de DJ est aussi de réveiller, révéler, des merveilles qui dorment dans quelque pochette de disque de pâte.

À propos de l’illustration de couverture

Voici la photo originale qui m’a servi pour réaliser l’illustration de couverture. Vous pouvez vous livrer au jeu des sept erreurs, mais il y a bien plus que sept différences entre les deux images 😉

Une radio portable (on voit la poignée près de la main droite de Gardel). Il s’agit d’un modèle « Mendez », copie du Mc Michael anglais.

Dans la partie droite, les deux boutons rotatifs permettant la syntonisation (choix de la station de radio). Le haut-parleur (dans la partie gauche est protégé pendant le transport, par la partie de droite qui se replie dessus. On voit les verrous qui maintiennent la mallette fermée de part et d’autre de l’appareil.
Vous aurez reconnu les personnages dès la photo de couverture, qui est un montage de ma part avec une fausse radio, je trouvais celle d’origine manquant un peu de classe.
Au cas où vous auriez un doute, je vous présente la fine équipe qui entoure le poste de radio, de gauche à droite :
José Maria Aguilar, Guillermo Barbieri, José Ricardo, les trois guitaristes de Gardel, et Carlos Gardel. La photo date de 1928, soit 8 ans avant la mort de Gardel et 9 ans avant la partition de No quiero verte llorar faisant la publicité pour les succès de l’année 1937. Cette image et la couverture ne sont donc pas tout à fait d’actualité, mais comme 1937 est l’année où l’éditeur Julio Korn fait son gros coup sur Gardel, je pense que cela peut se justifier.
De plus, on notera que dans les succès de 1937, il y a un tango écrit par Gardel, Amor et un vals criollo, Rosa de otoño, chanté par lui.

À demain les amis !

Voici la couverture pour ceux qui veulent jouer au jeu des sept erreurs…

Pata ancha 1957-05-13 — Orquesta Osvaldo Pugliese

Mario Demarco

Pata ancha en lunfardo signifie courage, mais en espagnol courant, cela peut aussi signifier gros pied. Pugliese fut un lutteur. Il lutta avec acharnement pour défendre ses idées politiques et paya le prix en effectuant de nombreux séjours en prison. Pata ancha a été enregistré par Odéon, lors d’une de ses «absences». Sur le piano, un œillet ou une rose rouge évoquaient le maître absent.

Extrait musical et histoire de prisons

Pata ancha 1957-05-13 — Orquesta Osvaldo Pugliese.

San pugliese étant emprisonné dans le cadre de la « operación cardenal ».
Les détenus après un séjour à la Penitenciaria Nacional ont été transférés dans un bateau nommé « Paris ». C’est la raison pour laquelle Agosti a appelé son article dans les Cuadernos de Cultura (Cahiers de la Culture) Meditaciones desde el “París” Méditations depuis le Paris.
C’est le pianiste Osvaldo Manzi qui le remplaça, comme ce fut le cas pour d’autres enregistrements comme La novia del suburbio enregistré le même jour que Pata ancha (1957-05-13), Yunta de oro et No me hablen de ella (1957-10-25), Corazoneando et Gente amiga (1958-01-02), La bordona et Qué pinturita (1958-08-06). Il y a certainement eu d’autres enregistrements dans ce cas, Pugliese ayant fait l’objet de nombreux emprisonnements ou interdictions de jouer.

Dans le journal communiste « La Hora » du 18 décembre 1948, l’annonce de l’interdiction de trois artistes, Osvaldo Pugliese, Atahulpa Yupanqui et Ken Hamilton. C’est neuf ans avant l’enregistrement de Pata ancha, sous Peron, qui fera également emprisonner Pugliese à Devoto en 1955. Cela explique les apparitions en pointillé de Pugliese.

Il reste un petit mot à dire sur le compositeur. Il s’agit de Mario Demarco, celui qui a remplacé Jorge Caldara au bandonéon quand Caldara, sur la pression de sa femme, a quitté l’orchestre pour faire une virée au Japon. On peut comprendre les inquiétudes de sa femme vu les multiples emprisonnements du leader de l’orchestre…

Pata ancha

Hacer pata ancha (faire le gros pied), c’est résister bravement. Ce terme était utilisé en escrime créole, le combat au couteau des gauchos argentins.

Combat au facón et à la dague de gauchos. On remarque le poncho qui servait à se protéger. Le poncho est l’accessoire primordial de tout gaucho. Photo mise en scène par Frank G. Carpenter (1855-1924). Public domain (Library of Congress).

Sarmiento a fustigé cette coutume des gauchos dans son Facundo Quiroga, pour marquer l’absence de « civilisation » de cette population fière, mais plutôt marginale, une critique à peine déguisée à De Rosas.
On l’appelle parfois, la esgrima criolla (escrime créole). Elle s’est développée durant la guerre d’indépendance argentine (1810).
Si vous voulez en savoir plus sur cette lutte qui est encore pratiquée, notamment dans les bandes de délinquants d’aujourd’hui, vous pouvez consulter ce site…

Les facones, ces couteaux redoutables qui peuplent les paroles de tango, mais qui étaient plutôt les attributs des gauchos.

Les facones sont des couteaux redoutables. S’ils sont évoqués dans les tangos à propos de personnages un peu fanfarons, ils étaient utilisés par les gauchos dans des combats au sang, voire parfois à mort.
Les facones du tango étaient plus souvent des couteaux courts, plus faciles à dissimuler et un adage argentin dit, « ne sors pas le couteau si tu ne comptes pas l’utiliser ».
Pugliese à sa façon a fait preuve d’un grand courage pour défendre ses idées. Il est resté ferme et a fait la pata ancha et que ce soit Osvaldo Manzi qui effectue le solo de piano à 1 : 20 n’est pas très important dans un orchestre où chaque musicien était un membre à parts égales. Contrairement à d’autres orchestres dont le chef était un tyran, dans l’orchestre de Pugliese, il s’agissait d’une gestion collective, d’une communauté, ce qui explique la fidélité de plupart de ses musiciens qui étaient d’ailleurs payés en fonction de leurs interventions, sur les mêmes bases que Pugliese lui-même, ce qui aurait été impensable pour Canaro…
Si Demarco et Caldara ont quitté l’orchestre, c’était dans les deux cas en raison de leurs femmes ; craintive pour l’avenir de son mari à cause des idées de Pugliese pour Caldara et pour raison de maladie dans le cas de Demarco, sa femme était malade et il a donc décidé de ne pas faire la tournée en Russie avec l’orchestre.

Autres versions

Pata ancha 1957-05-13 — Orquesta Osvaldo Pugliese.

C’est notre tango du jour. La yumba est particulièrement forte dans cette interprétation. Peut-être que les musiciens souhaitaient évoquer leur leader absent. On sait par ailleurs que quand Pugliese était « empêché » au dernier moment, en plus de la rose ou de l’œillet sur le piano, les musiciens marquaient fortement le rythme au pied pour que la yumba habite la représentation.
Je me force un peu pour vous proposer d’autres versions, faute d’une version avec Pugliese au piano.

Pata ancha 1997 — Color tango de Roberto Álvarez.

Cet enregistrement a été effectué au « Estudio 24 » de Buenos Aires. Roberto Álvarez à la mort de Pugliese a repris la suite du maître. D’aucuns lui reprochent d’avoir utilisé les arrangements de Pugliese pour son orchestre, Color tango. En fait, de nombreux orchestres ont fait de même à la disparition de leur leader, comme los Solistas de D’Arienzo, le Quinteto Pirincho (Canaro) ou le Conjuncto Don Rodolfo. Écoutons donc le résultat, sans arrière-pensée.

Pata ancha 2000 — Orquesta Escuela de Tango Dir. Emilio Balcarce.

Une version aux accents de Pugliese.

Et pour terminer, Pata ancha par Tango Bardo a écouter, voire à acheter sur BandCamp
https://tangobardo.bandcamp.com/track/pata-ancha
Une version moins proche de Pugliese.

La rose sur le clavier du piano quand San Osvaldo ne pouvait pas venir (interdiction ou prison).

No quiero verte llorar 1937-05-12 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray

Agustín Magaldi Letra : Rodolfo Sciammarella

Osvaldo Fresedo, un vieux de la vieille, mais qui a eu une carrière très longue (60 ans) avec une évolution remarquable de son style, a produit dans les années 30, notamment avec Roberto Ray des chefs d’œuvres dont notre tango du jour est un parfait exemple. Avec Fresedo, on est dans un tango élégant, loin des faubourgs bagarreurs et interlopes (idée reçue?).

Osvaldo Fresedo et Roberto Ray

Osvaldo Fresedo a fait ses premiers enregistrements en 1920 et les derniers en 1980. 60 ans de disque, c’est un des records des orchestres de tango.
Pendant près de 10 ans, Fresedo et Ray ont collaboré (1931-1939). Mais Ray n’est pas le premier chanteur de Fresedo. Rien que par le disque, on peut prouver qu’il a enregistré avec Ernesto Famá, Luis Diaz, Teófilo Ibáñez, Juan Carlos Thorry, Antonio Buglione, Agustín Magaldi, Carlos Viván (pour le jazz) et même Ada Falcón.
Cependant, l’arrivée de Ray en 1931 va marquer une transition pour les tangos chantés de Fresedo, lui qui avait essentiellement enregistré de l’instrumenta auparavant.
Pour bien comprendre la transition entre la première vague de chanteurs et l’arrivée de Roberto Ray, il suffit de s’intéresser au 23 février 1932. Ce jour, Fresedo réalise un enregistrement avec son « ancien » chanteur Teófilo Ibáñez et un autre avec le nouveau, Roberto Ray.
Voici les deux enregistrements :

Desengaños 1932-02-23 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Teófilo Ibáñez (Ramón Gutiérrez Del Barrio Letra: Gustavo Durval Gogiose)

La voix de Ibáñez sans être vulgaire a une pointe d’accent populaire, est plus agressive et les effets de voix sont marqués.

El rebelde 1932-02-23 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray (Juan José Riverol Letra : Francisco Antonio Loiácono)

Il faut patienter, comme de coutume avec les tangos de danse, chantés pour entendre la voix de Ray. Elle n’arrive qu’à 1 : 40… Mais la différence explose immédiatement. Pourtant, les paroles n’ont rien de la joliesse apparente que semble exprimer Ray. Il en effet curieux d’avoir choisi un texte en lunfardo pour lancer son nouveau chanteur raffiné.

Se murió el vago Amargura,
está en cana Langalay
y a tu rante arquitectura
la están tirando a matar.
Te dio la biaba el progreso
un rasccielo bacán
dejó como cinco ‘e queso
a una casita terrán

En gras les mots argotiques, mais l’organisation du texte en entier est pour le moins populaire. Rien n’est raffiné dans ce texte qui regrette le temps passé, ou le paresseux est désormais remplacé par le tireur de charrette de Langalay (entreprise de transport) et où les masures des clochards ont été détruites.
Ray dit, chante le texte, comme si c’était un poème de la pléiade.
Ce qui es sûr est que ceux qui pense que Fresedo est tout lisse, un orchestre pour marquises dans leur salon vont être un peu décoiffés s’ils comprennent les paroles.
Remarquez aussi le magnifique violon (probablement Adolfo Muzzi), qui comme la voix de Ray est raffiné.
Puisque l’on est entre amis, une petite digression, le même titre chanté par une femme qui balance toutes les paroles de lunfardo. C’est Mercedes Carné accompagnée par Di Sarli…

Rebelde 1931- Mercedes Carné acomp. de Sexteto Carlos Di Sarli.

Roberto Ray se lance ensuite comme soliste et il ne reviendra que très brièvement en 1948-1950 avec Fresedo, mais à cette époque, le style de Fresedo a complètement changé et la magie n’est plus là.
D’ailleurs, les puristes ne voient de Fresedo que la période « Roberto Ray ». Son second chanteur le plus emblématique, Ricardo Ruiz avec qui il collaborait à la même époque pour le jazz et qui a pris la relève en 1939 avec des résultats divers, a donné de très belles choses comme Viejo farolito, Mi gitana, Si no me engaña el corazón, Inquietud, Cuartito azul, Vida querida, Alas ou Buscándote.

Extrait musical

Ne pleurez plus, voici enfin le tango du jour.

No quiero verte llorar 1937-05-12 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray

Ray commence à chanter à 1 :39 et nous sommes là en présence du plus beau « NO » de l’histoire du tango. La façon dont Ray lance son « NO » et comment il poursuit piano est osée et géniale. On retrouve un peu cela dans d’autres versions, mais à mon avis avec une intensité bien moindre. Je dois avouer que je suis fan et que pour moi c’est très difficile de ne pas chanter en même temps que Ray.

No quiero verte llorar. Partition pour piano.

En photo, sur la couverture, Agustin Magaldi. Remarquez les pubs en 4e de couverture pour les grands succès de la radio. Nous y reviendrons…

Paroles

Antes era yo el que torturaba tu existencia
con mis celos y no te dejaba en paz.
Yo escuchaba tus protestas
sin poderlo remediar.
Antes era yo el que te seguía y no tenia
la alegría de un minuto en mi vivir.
Hoy que logré felicidad al tenerte fe,
dudas de mí.

No,
no quiero verte sufrir.
No,
no quiero verte llorar.
No quiero que haya dudas,
no quiero que haya sombras
que empañen los encantos
de nuestro dulce hogar.
No,
no quiero verte llorar.
No,
no quiero verte sufrir.
Amor mío,
debes tener confianza,
vos sos toda mi esperanza,
mi alegría de vivir.

Quiero repetirte las palabras que vos antes
me decías cuando me encontraba así.
Por nuestro amor te lo pido.
No debes dudar de mí.
Yo que sé las noches de tortura que es vivir
obsesionado por los celos del amor,
quiero evitarte de una vez tanto pesar,
tanto dolor.

Agustín Magaldi Letra: Rodolfo Sciammarella

En gras, le refrain chanté par Roberto Ray

Traduction libre

Avant, j’étais celui qui torturait ton existence avec ma jalousie et ne te laissais pas tranquille.
J’ai écouté tes protestations sans pouvoir m’en empêcher.
Avant, j’étais celui qui te suivait et je n’avais pas une minute de joie dans ma vie.
Maintenant que j’ai atteint le bonheur en ayant foi en toi, tu doutes de moi.

Non, je ne veux pas te voir souffrir.
Non, je ne veux pas te voir pleurer.
Je ne veux pas qu’il y ait de doutes, je ne veux pas qu’il y ait des ombres qui ternissent les charmes de notre doux foyer.
Non, je ne veux pas te voir pleurer.
Non, je ne veux pas te voir souffrir.
Mon amour, tu dois avoir confiance, tu es toute mon espérance, ma joie de vivre
.

Je peux te répéter les mots que tu me disais quand j’étais comme ainsi.
Pour notre amour, je te le demande.
Tu ne dois pas douter de moi.
Je sais les nuits de torture que c’est de vivre obsédé par la jalousie de l’amour, je veux t’épargner d’un coup, tant de chagrin, tant de douleur.

Autres versions

No quiero verte llorar 1937-05-12 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray

C’est notre tango du jour. J’en pense le plus grand bien…

No quiero verte llorar 1937-06-03 – Agustín Magaldi con orquesta.

C’est la version par l’auteur de la musique, enregistrée moins d’un mois après celle de Fresedo et Ray. On ne peut pas dire que ce soit vilain. La mandoline donne un air original à ce tango, la voix de Magaldi, n’est pas désagréable, mais elle ne sort pas victorieuse de la confrontation avec celle de Roberto Ray. Comme le résultat n’est pas fameux pour la danse non plus, il y a de fortes chances que cette version retourne dans l’ombre d’où je l’ai extirpée. Remercions tout de même Magaldi d’avoir écrit ce titre…

No quiero verte llorar 1937-06-11 Orquesta Roberto Firpo con Carlos Varela.

Sans le « modèle » de Fresedo et Ray, cette version pourrait bien faire le bonheur des danseurs. Carlos Varela a fait l’essentiel de sa carrière de chanteur avec Firpo et il ne semble pas avoir enregistré avec les autres orchestres, comme celui de José García avec qui il travaillait à la fin des années 40.

No quiero verte llorar 1937-06-17 – Mercedes Simone con acomp. de su Trío Típico.

Mercedes Simone effectue une magnifique prestation. Difficile de ne pas être très ému par son interprétation. Bien sûr, c’est une chanson, pas un tango de danse, mais votre discothèque sera honorée d’accueillir cette magnifique chanson.

Il faut savoir arrêter

Vous l’aurez compris, ma version préférée est notre tango du jour enregistré par Fresedo et Ray en 1937, comme tous les autres titres.

Je vous ai prévenu, n’écoutez pas les titres qui suivent…

Passé l’année 1937, on n’entend plus parler du titre, du moins pour l’enregistrement. C’est souvent le cas quand un orchestre fait une version de référence. Les autres n’osent pas s’y coller. Dans notre cas, Magaldi et Simone ont donné les versions chanson avec un résultat tout à fait satisfaisant dans ce but. Pour la danse, Firpo n’a pas démérité, mais Fresedo lui dame le pion.
Il faut attendre plus de 40 ans pour trouver une nouvelle version enregistrée. C’est celle d’Osvaldo Ribó accompagné par les guitares d’Hugo Rivas et Roberto Grela.

No quiero verte llorar 1978 – Osvaldo Ribó con Hugo Rivas y Roberto Grela (guitares).

Cette version est intéressante, même si elle n’apporte pas grand-chose de plus autres versions en chanson, par Magaldi et Simone.

No quiero verte llorar 1997 – Orquesta Alberto Di Paulo con Osvaldo Rivas.

Là, j’ai vraiment un doute. Est-ce que l’on va dans le sens du progrès ? Le moins que l’on puisse dire est que je n’aime pas cette version. Je suis peut-être un peu trop délicat et d’autres se toqueront pour elle.
Quoi qu’il en soit, je vous propose de vous laver les oreilles et réécoutant la version du jour…

No quiero verte llorar 1937-05-12 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray

À demain, les amis!

No quiero verte llorar

Princesa del fango 1951-05-11 – Orquesta Francini-Pontier con Julio Sosa

Enrique Mario Francini Letra : Horacio Sanguinetti (Horacio Basterra)

Nous avons découvert, à l’occasion de Porteña linda Rosita, l’amour malheureux d’Horacio Sanguinetti. Dans ce tango interprété par Julio Sosa, Sanguinetti nous parle d’elle et de son amour. Sortez vos mouchoirs.

Rosita

Rosita, telle que la décrit Beba Pugliese était grande, blonde. Elle avait les cheveux coiffés en arrière et elle fumait. C’était le grand amour de Sanguineti. Malheureusement, celle-ci est partie avec un autre, mais on peut trouver son portrait en filigrane dans différentes compositions de Sanguinetti et notamment dans Princesa del fango.
En effet, Rosita était une travailleuse de la nuit et elle était donc de la fange, la fange morale qui ternit les âmes.

Rosita, alias : Princesa del fango. Rosita, que j’imagine un peu à la Evita était une femme de la nuit, une princesse de la fange, une femme « moderne ».

Extrait musical

Partition pour piano de Princesa del fango avec en couverture, Francini et Pontier.
Princesa del fango 1951-05-11 – Orquesta Francini-Pontier con Julio Sosa

L’orchestre et Julio Sosa sont au service de la nostalgie triste de Sanguinetti. Cette version qui est la seule enregistrée ne sera pas destinée à la danse, mais c’est une belle chanson, émotionnante.

Paroles

(recitado)
Se alargan las graves cadencias de un tango,
un místico soplo recorre el salón…
Y rezan las tristes princesas del fango
plegarias que se alzan desde un bandoneón.


Mi copa es tu copa, bebamos, amiga,
el bello topacio del mágico alcohol.
La sed que yo tengo me quema la vida,
bebiendo descansa mi enorme dolor.
Tu rubio cabello, tu piel de azucena,
tu largo vestido de seda y de tul,
me alegran los ojos, me borran las penas,
me envuelven el alma en un sueño azul.

Princesa del fango,
bailemos un tango…
¿No ves que estoy triste,
que llora mi voz?
Princesa del fango,
hermosa y coqueta…
yo soy un poeta
que muere de amor.

Me siento esta noche más triste que nunca
me ronda un oscuro fantasma de amor
por eso es que quiero matar su recuerdo
ahogando mi angustia, con tangos y alcohol.
Yo sé que si miente tu boca pintada,
esconde un amargo cansancio fatal.
Tu alma y mi alma están amarradas
lloramos el mismo dolor de arrabal.

Enrique Mario Francini Letra: Horacio Sanguinetti (Horacio Basterra)

Princesa del fango (traduction libre)

(Récitatif)
Les cadences graves d’un tango s’allongent, un souffle mystique parcourt la pièce…
Et les tristes princesses de la boue récitent des prières qui s’élèvent d’un bandonéon.
Mon verre est ton verre, buvons, mon amie, la belle topaze de l’alcool magique.

La soif que j’ai brûle ma vie, boire repose mon énorme douleur.
Tes cheveux blonds, ta peau de lys, ta longue robe de soie et de tulle réjouissent mes yeux, effacent mes peines, enveloppent mon âme dans un rêve bleu.
Princesse de la boue, dansons un tango…

Ne vois-tu pas que je suis triste, que ma voix pleure ? Princesse de la boue, belle et coquette… Je suis un poète qui se meurt d’amour.
Je me sens plus triste que jamais ce soir, un sombre fantôme d’amour me hante, c’est pourquoi je veux tuer son souvenir en noyant mon angoisse avec des tangos et de l’alcool.

Je sais que si ta bouche peinte ment, elle cache une fatigue amère et fatale.
Ton âme et la mienne sont liées. Nous pleurons la même douleur des faubourgs.

Autres versions

Ce titre n’a pas de frères, mais des cousins. La fange, el fango a inspiré plusieurs compositeurs, paroliers et orchestre. Voici donc un petit bain de boue…

Cuna de tango (Francisco Canaro Musique et paroles)

Cuna de fango 1952-08-11 – Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas y Coro.

Un titre contemporain de notre tango du jour. Le thème de la fange était à la mode. Ici, c’est le berceau qui fait l’objet de cette chanson à caractère de milonga.
Au début, Alberto Arenas, dans son récitatif initial, dit :

A este tango, flor de tango
Quieren cambiarlo de rango,
Pobre tango, flor de tango
Mecido en cuna de fango.

De ce tango, fleur du tango
Ils veulent changer le rang,
Pauvre tango, fleur du tango
Bercé dans le berceau de la fange.

Rango, Fango et Tango sont des rimes riches. Canaro, l’auteur, joue donc avec les mots. Avec cette déclaration liminaire, il affirme une position semblable à celle de Borges qui considère que le tango est affaire de bordel et qu’il aurait dû se cantonner à cet univers « viril »

Flor de tango (Augusto A. Gentile Letra: Pascual Contursi)

Peut-être le Flor de tango évoqué par Cuna de tango…

Flor de fango 1918 — Carlos Gardel con acomp. de José Ricardo (guitare).

On est à l’opposé de la milonga précédente. Carlos Gardel est dans le charme, ce qui avait l’effet d’énerver Borges. Ce sont deux visions opposées du tango qui s’affirment. Gardel et Borges, ennemis à vie. Rien de tango brutal et rugueux dans cette chanson du charmeur Gardel.

Flor de fango 1926-10-25 — Orquesta Típica Victor dir. Carabelli.

Une version vieille garde. Suffisamment marchante et énergique pour ne pas déplaire à Canaro (dont Carabelli n’est pas si loin dans cette version) et à Borges.

Flor de fango 1940-04-25 — Roberto Firpo y su Cuarteto Típico.

Roberto Firpo dans son style sautillant. Sûr que ça va éclabousser. Je ne sais pas comment a réagit Borges à cette version sympathique mais manquant tout de même un peu de charpente.

Flor de fango 1960-02-12 — Miguel Villasboas y su Quinteto Bravo del 900.

Et on continue à éclabousser avec Villasboas qui reprend le style sautillant de Firpo.

Hijo de fango (Francisco Pracánico ; C. Franzino Letra : Carlos Pesce)

Dans la famille Fango, après la fleur, je voudrais le fils.

Hijo del fango 1931-07-08 — Orquesta Típica Los Provincianos con Carlos Lafuente.

Le fils de la fange que chante Lafuente est empreint de tristesse et nostalgie. On est loin de la fleur sautillante de Firpo et Villasboas.

Flor de fango y flor de tango

Revenons pour terminer avec notre orchestre du jour. Francini-Pontier. Voici un titre qui a une lettre près aurait été de la même famille… Fango Tango, Triste flor de tango. La musique est du même Enrique Francini, mais cette fois les paroles sont de Carlos Bahr.
Le chanteur n’est plus le Varon del Tango, Julio Sosa, mais le moins connu Pablo Moreno. Ce chanteur né en Italie et établi à Montevideo (Uruguay) était ami de Julio Sosa, ce qui est une autre raison pour que j’associe cet enregistrement à notre tango du jour.

Pablo Moreno, le baryton italo-uruguayen
Triste flor de tango 1953-09-22 — Orquesta Francini-Pontier con Pablo Moreno.

Lorsque Francini et Pontier quittèrent l’orchestre de Miguel Caló, ils formèrent cet orchestre pour exploiter leur style et leurs talents de violoniste (Francini) et bandonéoniste (Pontier). Leur style, comme on peut l’entendre ici, est nettement moins dansant que celui de Caló… Reste que la voix de baryton de Moreno est chaude et pleine et qu’il aurait peut-être fait des merveilles s’il avait eu une carrière plus soutenue et plus portègne. Pour moi sa version de Manos adoradas surpasse les versions de Roberto Rufino et celles de Caló et si la version de Pugliese avec Alberto Morán est peut-être supérieure, elle le doit aussi au génie de San Pugliese et à son rythme plus soutenu et enivrant pour la valse.
Nous restons avec Francini, Montier et Moreno pour la valse Manos adoradas, histoire d’utiliser la force centrifuge pour éjecter toute la boue accumulée…

Manos adoradas 1952-12-10 — Orquesta Francini-Pontier con Pablo Moreno
Princesa del fango.

Temo 1940-05-10 – Orquesta Típica Victor con Mario Pomar (Mario Celestino Corrales)

Aguariguay (Mario Luis Rafaelli) Letra: Atilio Gálvez (Atilio Manuel Perasso)

Temo (j’ai peur), est une valse merveilleuse qui depuis une quinzaine d’années fait partie des valses les plus passées en milonga. Lorsque les premières notes retentissent, les danseurs se ruent sur la piste.

Une équipe de choc

Certains danseurs pensent que l’orchestre Típica Victor est un orchestre comme un autre. Il s’agit en fait d’un orchestre destiné aux enregistrements. Il ne se produisait pas sur scène.
Son autre particularité est qu’il a changé de chef au cours du temps. Le premier Carabelli n’est plus dans l’orchestre au moment de l’enregistrement de Temo. C’est le bandonéoniste Federico Scorticati qui dirige l’orchestre à ce moment. Cet excellent bandonéoniste, encore un enfant prodige a joué pour les plus grands orchestres et malgré sa discrétion, la compagnie Victor lui confia la direction de l’orchestre, de 1935 à 1941. Il était modeste, mais excellent.
La Victor savait choisir ses musiciens, voici la liste de ceux qui travaillaient pour l’orchestre au moment de l’enregistrement de notre valse du jour :
Federico Scorticati (direction et bandonéon) Eduardo Del Piano (bandonéon), Horacio Gollino (bandonéon), Domingo Triguero (bandonéon), Héctor Stamponi (piano), Elvino Vardaro (violon), Víctor Felice (violon), Víctor Braña (violon), Abraham Gosis (violon), Emilio González (violon), Humberto Di Tata (contrebasse) et au chant, Mario Pomar. Que l’on semble plus désormais appeler par son nom réel, Corrales, je ne connais pas la raison de cette mode.

Extrait musical

Temo 1940-05-10 — Orquesta Típica Victor con Mario Pomar. Je vous laisse écouter cette merveille. On en reparlera plus bas…

Paroles

Porque tus ojos me huyen
Acaso no me amas ya…
Dime que lo haces tan sólo
Por ver si te quiero más…
Dilo, no ves que mi alma
Espera escuchar tu voz…
Entre canciones de besos
Me dices: “Te quiero, mi vida…”

Temo que ya no me quieras
Que ya no me quieras más…
Y es cruel tortura el pensar
Que no me amas, que a otro amás…
Dime que es fiel tu cariño
Dime que es mío, muy mío,
Que sólo me huyen tus ojos
Por verme sufrir.

Aguariguay (Mario Luis Rafaelli) Letra: Atilio Gálvez (Atilio Manuel Perasso)

Traduction libre

Pourquoi tes yeux me fuient-ils ? Peut-être que tu ne m’aimes plus ?
Dis-moi que tu le fais juste pour voir si je t’aime encore plus…
Dis-le, ne vois-tu pas que mon âme attend d’entendre ta voix, entre deux chansons de baisers me dire : « Je t’aime, ma vie… »
 J’ai peur que tu ne m’aimes pas, que désormais tu ne m’aimes plus et c’est une cruelle torture de penser que tu ne m’aimes pas, que tu aimes un autre…
Dites-moi que ton affection est fidèle, dis-moi que tu es mienne, bien mienne, que tes yeux se détournent seulement, car ils me voient souffrir.

Autres versions

Le succès de cette valse est lié uniquement à la version de la Típica Victor. Donc, pas vraiment d’autres versions à vous proposer. Signalons toutefois que l’orchestre Hypérion l’a à son répertoire et la joue régulièrement. Malheureusement les versions disques ne sont pas géniales et il vaut mieux écouter l’orchestre en direct.
Je vous propose donc un autre exercice, une tanda de valse de la Típica Victor

Une tanda de valses

Faire une tanda de la Típica Victor n’est pas si facile. Il y a pourtant près de 50 valses par cet orchestre, mais comme nous l’avons vu, cet orchestre a des styles très différents selon les époques et les directeurs qui se sont succédé.
Le but de la Victor était d’enregistrer les gros succès de l’époque, pas de faire des tandas homogènes. N’oublions pas qu’il ne s’agit pas d’un orchestre de bal, seulement d’un orchestre de disques.

Construction d’une tanda avec Mario Pomar au chant

En général, on s’arrange pour placer dans une tanda des titres du même orchestre. S’il y a un chanteur, on reste souvent avec le même chanteur, dans la même période et le même style.
Avec la Victor, autour de la valse Temo, si on suit ce principe, on n’a que trois autres valses à proposer. Les voici par ordre chronologique avec Temo pour terminer :

Vuelve otra vez 1939-05-08 — Orquesta Típica Victor con Mario Pomar.

Ce titre démarre d’une façon assez rapide. Il a contre lui de ne pas être beaucoup joué. Pour un premier titre, il y a donc le risque que ça ne se lève pas assez vite. Il a un autre point faible, lorsque Pomar commence à chanter, le rythme a un peu ralenti. L’ingénieur du son a de plus nettement baissé le volume de l’orchestre pour favoriser la voix, ce qui peut faire perdre le pas aux danseurs. N’oublions pas le conseil de Adolfo Pugliese, à son fils, Osvaldo : « regarde les pieds des danseurs. S’ils perdent la musique, c’est de ta faute ». Sur une tanda de trois, je ne mettrais pas ce titre.

Noche de estrellas 1939-10-04 — Orquesta Típica Victor con Mario Pomar.

En revanche Noche de estrellas est suffisamment connu pour faire un premier titre et même s’il n’est pas plus rapide que la précédente, ses jeux de violons et bandonéons la rende moins monotone. Pomar chante également de façon plus tonique. Sur une tanda de trois, c’est un excellent premier titre.

Anita 1939-12-12 — Orquesta Típica Victor con Mario Pomar.

Anita a un rythme plus rapide. Elle est entraînante. Le style est cependant différent des deux premières valses. Pour ma part, cela me gêne. En revanche, la fin est entraînante. Le changement de tonalité vers un son plus aigu donne l’impression d’accélération. La fin est donc très satisfaisante pour les danseurs.

Temo 1940-05-10 — Orquesta Típica Victor con Mario Pomar.

On arrive à notre valse du jour, la vedette des enregistrements avec Pomar. Aucun problème pour terminer la tanda, avec cette valse, car le titre est consensuel. Cependant, si on a passé avant Anita, on peut trouver que la fin manque d’élan
Dans ce cas on pourrait imaginer de passer Anita en dernier. Mais c’est un peu comme terminer un repas en reprenant du fromage après le dessert. C’est là que l’observation des danseurs est très importante. En effet, selon le moment de la milonga, selon ce qu’on va mettre ensuite, on ne fera pas le même choix. Il est sûr que les deux premiers titres iront au début d’une tanda de quatre et que les deux derniers iront à la fin d’une tanda de quatre. Si on fait une tanda de trois, ce qui commence à devenir courant, notamment pour les valses, même à Buenos Aires. On pourrait donc avoir :

Noche de Estrellas — Anita — Temo ou Noche de Estrellas — Temo — Anita.

Je pencherai plutôt pour la seconde solution, car la petite déception d’avoir Anita après Temo sera absorbée par la fin plus tonique, mais c’est le type de cas où je prends la décision dans les 20 secondes qui précèdent l’avant-dernier titre…

Exploration d’autres tandas à partir de Temo

Il y a d’autres possibilités que de se cantonner aux quatre valses de Pomar.

Prendre une ou des valses de la Típica Victor, instrumentales ou par un autre chanteur.

C’est souvent ce qu’on fait quand on veut faire une tanda des grands hits. Dans ce cas, on va placer les valses les plus fameuses de cet orchestre, comme Sin rumbo fijo (chantée par Ángel Vargas).

Sin rumbo fijo 1938-04-18 — Orquesta Típica Victor con Ángel Vargas.

La voix est moyennement compatible, mais la musique, si, et après tout, le chanteur ne chante qu’une toute petite partie, ce qui fait que les danseurs auront oublié la différence de voix.
Attention, certains chanteurs ne vont pas du tout ensemble. Par exemple, Carlos Lafuente qui chante un mois avant Pomar la valse Íntima risque d’être très gênant.

Íntima 1940-04-11 — Orquesta Típica Victor con Carlos Lafuente.

Toutefois, on peut faire pire en prenant une valse d’un caractère totalement différent, ici, toujours par Lafuente, Lamentos de mujer :

Lamentos de mujer 1933-05-24 — Orquesta Típica Victor con Carlos Lafuente.

Dans ce cas extrême, les deux valses par Lafuente ne vont même pas ensemble. On notera que l’introduction très longue (40 secondes) devra être coupée pour un passage en cours de tanda afin d’éviter que les danseurs, même les plus bavards, s’ennuient.
Si on ne veut pas prendre de risque de mélanger des voix incompatibles, on peut mixer avec de l’instrumental, par exemple en choisissant la valse Novia mía :

Novia mía 1938-01-07 — Orquesta Típica Victor.

Prendre des titres célèbres pour faire une super tanda est une excellente solution. Son seul inconvénient pour des milongas de très longue durée (8 heures ou plus comme j’en fais souvent), c’est que l’on grille toutes ses cartouches dans une tanda. Si on veut faire une autre tanda semblable quelques heures plus tard, on a moins de choix de morceaux phares. C’est aussi le même problème dans les événements où se succèdent plusieurs DJ qui ne s’écoutent pas (ou qui travaillent avec des playlists immuables), on peut avoir deux fois de suite les mêmes morceaux. À Buenos Aires où les milongas durent souvent longtemps, il arrive qu’il y ait deux DJ. Lors de la passation de « pouvoir », on indique au collègue ce qu’on a passé pour qu’il évite les répétitions. Cela lui permet aussi de boucher les éventuels trous, les orchestres qui ne sont pas passés, par exemple. Pour ma part quand je passe après d’autres DJ, j’évite les répétitions et si j’anime tout un week-end (5 ou 6 milongas), je garde des tangazos (tangos très appréciés) pour chaque orchestre afin de pouvoir proposer une variété, sans épuiser les titres incontournables trop rapidement.

Prendre un titre par un autre orchestre

Pour les enregistrements anciens de la Típica Victor, avec Carabelli, il est assez logique de marier les tandas avec des titres de Carabelli dirigeant son orchestre personnel. Dans le cas de Scorticati, c’est impossible, il n’a pas enregistré avec ses propres orchestres qui étaient par ailleurs temporaires et plus de circonstance que la volonté de ce bandonéoniste d’avoir son orchestre. Cela se fait très peu en tango. En revanche, cela se pratique assez souvent en milonga et en valse. Cela peut être une bonne solution. Encore faut-il que le DJ le fasse avec goût. Rien de plus frustrant pour un danseur de s’élancer sur la piste avec un thème qui lui plaît et de se retrouver ensuite avec un titre qui ne l’inspire pas.
Voici une suggestion, un peu limite, mais qui peut passer avec Temo, du moins à mon avis.

Con tus besos 1938-04-02 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos.

Con tus besos pourrait faire un bon début de tanda.

Pourquoi tu as peur, mon gars ?

Champagne tango 1938-05-09 – Quinteto Don Pancho dir. Francisco Canaro

Manuel Gregorio Aróztegui Letra : Pascual Contursi

S’il fallait prouver un lien entre la France et le tango, il suffirait de mentionner le champagne, breuvage typiquement français qui fut inventé par le moine bénédictin, DOM Pierre Pérignon et imité par tous les viticulteurs du Monde et notamment d’Argentine qui produisent le « champagne » des milongas portègnes.

Le succès du champagne vient du fait que les musiciens argentins, dès 1906, sont venus à Paris pour enregistrer leurs disques. À partir de 1910, cela devient une véritable ruée, renforcée par la folie des Parisiens pour cette musique et la danse associée.
Même si le syndicat des musiciens français imposait aux Argentins de jouer en costume traditionnel de leur pays, les musiciens argentins ont fait recette. Canaro qui a enregistré en 1938 notre tango du jour ne nous contredira pas, lui qui ainsi que ses frères fut un habitué des cabarets parisiens.
Ces cabarets se sont exportés à Buenos Aires, y compris dans les noms. Les paroles de Contursi mentionnent le Pigall, l’un des plus réputés. Cabaret et champagne, Chapô au lieu de sombrero. Le ton est donné, les Portègnes s’amusent à être à Paris.
Je vous invite à consommer sans modération, Champagne tango.

Extrait musical

Champagne tango 1938-05-09 — Quinteto Don Pancho dir. Francisco Canaro

Fidèle à son style « marchant » Canaro à la tête de son Quinteto Don Pancho nous propose une version qui se déroule sans encombre. Ceux qui sont habitués aux versions de Di Sarli seront sans doute très dépaysés, mais cette version avec ses petites fioritures au violon est bien sympathique. Une version assez légère qui s’envole comme les bulles du champagne.

Paroles

Il faut se lever de bonne heure pour trouver une version chantée de Champagne tango… Vraiment de très bonne heure, car je n’en ai pas trouvé.

Esas minas veteranas
que siempre se conformaban,
que nunca la protestaban
aunque picara el buyón,
viviendo así en su cotorro
pasando vida pibera
en una pobre catrera
que le faltaba el colchón.

¡Cuántas veces a mate amargo
el estómago engrupía
y pasaban muchos días
sin tener para morfar!
La catrera era el consuelo
de esos ratos de amargura
que, culpa « e la mishiadura
no tenía pa » morfar.

Se acabaron esas minas
que siempre se conformaban
con lo que el bacán les daba
sí era bacán de verdad.
Hoy sólo quieren vestidos
y riquísimas alhajas,
coches de capota baja
pa’ pasear por la ciudad.

Nadie quiere conventillo
ni ser pobre costurera,
ni tampoco andar fulera…
Sólo quieren aparentar
ser amigo de fulano
y que tenga mucho vento
que alquile departamento
y que la lleve al Pigall.

Tener un coche,
tener mucama
y gran « chapó »
y pa’ las farras
un gigoló;
pieza alfombrada
de gran parada,
tener sirvienta
y… ¡qué se yo !
Y así…
de esta manera
en donde quiera
« champán tangó ».

Manuel Gregorio Aróztegui Letra : Pascual Contursi

Traduction libre et indications

Ces filles vétéranes qui s’adaptaient toujours, qui ne protestaient jamais même si elles tiraient le diable par la queue, vivant ainsi dans son gourbi (cotorro, garçonnière, chambre de solitaire, chambre de prostituée) une vie de pauvre fille dans un pauvre lit auquel il manquait le matelas.
Combien de fois l’estomac s’est-il contenté de mate amargo (Mate, la boisson d’Uruguay, Paraguay et Argentine qui se boit sans sucre, amère) et beaucoup de jours se sont écoulés sans rien avoir à manger !
Le lit était la consolation de ces moments d’amertumes où, par la faute de la misère, il n’y avait rien à manger.
C’est fini, les filles qui se contentaient toujours de ce que le mec leur donnait s’il était un vrai bacán (qui entretient une fille).
Aujourd’hui, elles ne veulent que des robes et des bijoux somptueux, des voitures décapotables pour se promener dans la ville.
Personne n’a envie de conventillo (habitation collective des pauvres de Buenos Aires) ou d’être une pauvre couturière, ni d’aller inconnue (fulera est une personne quelconque, sans prestige. La Fulera est aussi la mort, mais pas dans ce contexte)
Elles veulent juste paraître être amis avec untel ayant beaucoup d’argent, qu’il loue un appartement et qu’il l’emmène au Pigall (le cabaret/Casino Pigall appartient à ce phénomène de mode où se copient les mœurs parisiennes, Pigalle étant un quartier animé de Paris).
Avoir une voiture, avoir une femme de ménage et un grand « chapó » (chapeau, autre mode, parler avec des mots de français, voire en français) et d’avoir un gigolo pour les fêtes, une pièce recouverte de tapis luxueux (gran parada est à prendre dans le sens français de parade), d’avoir une servante et… que sais-je !
Et ainsi… de cette façon, elle veut « Champagne et Tango ».

Autres versions

Champagne tango 1914 Orquesta Roberto Firpo.

Cette version acoustique, desservie par la technique d’enregistrement, permet tout de même de prendre connaissance de l’interprétation de Firpo qui nous proposera 32 ans plus tard, un autre enregistrement que nous pourrons comparer. La flûte (jouée par Alejandro Michetti) qui vit ses dernières années dans les orchestres de tango est ici bien présente.

Champagne tango 1929 – Orquesta Victor Popular.

Une version un peu vieillotte. La clarinette joue avec les violons. Ce n’est pas vilain, mais un peu monotone et ce disque est en mauvais état.

Champagne tango 1938-05-09 — Quinteto Don Pancho dir. Francisco Canaro. C’est notre tango du jour.
Champagne tango 1938-06-22 — Orquesta Juan D’Arienzo.

C’est le tout dernier enregistrement avec Biagi au piano, avant qu’il se fasse virer pour avoir pris la vedette à D’Arienzo. L’orchestre est dans un intense dialogue avec le piano qui est effectivement la vedette, le soliste.
Quand on voit l’évolution du piano pendant les trois années où Biagi a officié dans l’orchestre de D’Arienzo, on peut se demander ce qu’aurait donné l’évolution de l’orchestre de D’Arienzo avec Biagi si el Rey del Compás avait été un peu moins susceptible…

Champagne tango 1944-07-28 — Orquesta Carlos Di Sarli.

Qui n’a jamais entendu Champagne tango par Di Sarli n’a jamais pris de cours de tango. Même si Di Sarli en propose trois enregistrements, cette version bien rythmée est la préférée des professeurs qui pensent que leurs élèves doivent avoir un tempo bien marqué et suffisamment lent pour que leurs élèves puissent mettre en pratique les figures compliquées qu’ils viennent de leur apprendre.
Relativement peu de surprise dans cette version. Les danseurs peuvent être en confiance.

Champagne Tango 1946-09-25 — Roberto Firpo y su Nuevo Cuarteto.

32 ans plus tard, Firpo qui essaye de se refaire une santé financière s’est remis au tango. Son interprétation est très originale et inspirera des orchestres uruguayens, comme nous le verrons ci-dessous.
L’attaque des cordes des violons par des coups d’archet brefs ou des pizzicati donne une version pétillante comme des bulles de champagne.

Champagne tango 1952-09-19 — Orquesta Héctor Varela.

Je sais que certains essayeront de ne pas écouter cette version à cause du nom de Varela. Cependant cette version est plutôt sympathique. Elle est énergique et sensible. Elle convient à la danse et est dépourvue des poncifs fatigants de Varela. Alors, allez-y en confiance et laissez-vous enivrer par Varela.

Champagne tango 1952-10-27 — Orquesta Carlos Di Sarli.

Encore Di Sarli. La musique est beaucoup plus glissée. Les violons ondoyants alternent avec des passages plus martelés. Cette version est plus contrastée que celle de 1944. C’est un Di Sarli typique, un incontournable des milongas.

Champagne tango 1958-11 — Orquesta Carlos Di Sarli.

Encore, encore Di Sarli qui a enregistré de nombreux titres à deux reprises durant la décennie des années 50. C’est un développement de la version précédente. Elle est bien fluide. On sent le disque qui tourne, imperturbable. On peut préférer les autres versions, mais celle-ci a aussi ses fanatiques. Sur l’île déserte, il faut emporter tout le champagne de Di Sarli

Champagne Tango 1959-03-23 — Donato Racciatti y sus Tangueros del 900.

Le retour de la flûte (et pas seulement de champagne) et d’un style de jeu qui plaît à Borges qui n’a jamais digéré que le tango sorte des bordels et de sa fange pour se « dénaturer » avec la guimauve sentimentale. Racciatti nous propose une version légère et qui pourrait être une réminiscence des années 1910, époque où la guitare et la flûte le disputaient encore au piano et au bandonéon.

Champagne tango 1959-12-07 — Miguel Villasboas y Su Quinteto Bravo del 900.

On reste sur la rive uruguayenne. Le style entraînant de Villasboas et sa sonorité particulière sont en général bien appréciés. On retrouvera des similarités avec Firpo. Une version joueuse. Villasboas n’a pas le champagne triste.

Champagne tango 1970 — Quinteto Añoranzas.

Le Quinteto Añoranzas nous propose une autre version avec un ensemble réduit. Il semblerait que le champagne se prête bien aux petites formations. Là encore _une flûte présente, mais qui partage la vedette avec le bandonéon et le violon. Cette version est cependant un peu terne. On désirerait un peu plus de mouvement (Añoramos a más movimiento 😉

Champagne tango 1979-09 — Miguel Villasboas y su Sexteto.

Vingt ans après, Villasboas nous livre une autre version. Pour ma part, je trouve la réverbération exagérée. Cela rend confuse l’écoute et perturbe la sérénité des danseurs. J’éviterais donc de vous passer cette version.Miguel Villasboas y su Sexteto. Vingt ans après, Villasboas nous livre une autre version.
Notons que trois versions par des orchestres uruguayens, c’est peut-être un signe de chauvinisme, Aróztegui étant lui aussi Uruguayen…

Champagne tango 1996 — Quinteto Francisco Canaro dir. Antonio D’Alessandro.

Peut-être que les musiciens ont un peu abusé de la divine boisson. La pièce est un peu assoupie. C’est peut-être pour exprimer la nostalgie des paroles, mais en tous cas, cela ne donne pas envie de la danser.

Le coup de l’étrier (La copa de la despedida)

Je ne pouvais pas vous laisser sur la version du Quinteto Canaro. Je vous propose donc un autre titre, venu d’un autre univers, mais qui parle aussi de champagne. Il s’agit de Champagne bubbles par Jose-M.Lucchesi. Ce musicien passionné de tango argentin n’a pas toujours été reconnu à sa juste valeur, notamment à cause d’une certaine jalousie des musiciens argentins qui voyaient en lui un talentueux concurrent. D’origine corse (France), mais né au Brésil, il fait l’essentiel de sa carrière en France, comme compositeur et chef d’orchestre. Il se fera d’ailleurs naturaliser Français.

Champagne-bubbles 1935 Jose-Maria Lucchesi.
Champagne Bubbles (composé par Jose-Maria Lucchesi, un titre en anglais et des indications en allemand pour cette production réalisée par Electrola à Berlin (Allemagne). Ceci montre la diffusion du tango… et du champagne. 1935, on est dans la période où les nazis encourageaient le tango plutôt que le jazz, musiques de noirs qu’ils méprisaient.

Pour en savoir plus sur Lucchesi, vous pouvez reporter à l’excellent site Milonga Ophelia.

Tu olvido 1936-05-08 — Orquesta Juan D’Arienzo con Walter Cabral

Vicente Spina (Paroles et musique)

Encore une histoire qui sent la rose. Il faut dire que quand on s’appelle Spina (épine en italien), la rose est une source d’inspiration naturelle. La version enregistrée par D’Arienzo et Cabral est une des fleurs qui ont éclos aux sons de cette magnifique valse, il y a exactement 88 ans.

Extrait musical

Tu olvido 1936-05-08 — Orquesta Juan D’Arienzo con Walter Cabral.

La valse démarre au quart de tour, comme sur un coup de manivelle. On est bien au début de la période Biagi dans l’orchestre de D’Arienzo, mais le piano est bien discret. Tout juste quelques ponctuations comme à 1 : 17 entre deux phrases chantées par Cabral. Le violon, l’instrument de D’Arienzo est plus mis en vedette, en compagnie de la voix un peu aigre de Cabral. La valse qui avait démarré semble se lancer à toute vitesse sur la fin. C’est une illusion donnée notamment par les notes doublées du piano. Cette façon de terminer dans l’euphorie est typique des valses de D’Arienzo. On en viendrait à oublier totalement que les paroles sont un peu tristes. Cependant, Cabral n’en chante qu’un tout petit bout, alors on ne s’en rend pas compte, emporté par la frénésie tourbillonnante de cette valse.

La partition de la valse nous révèle que c’est un vals criollo. Ce détail a son importance comme nous le verrons avec les autres versions.

Paroles

Han brotado otra vez los rosales
junto al muro en el viejo jardín,
donde tu alma selló un juramento,
amor de un momento
que hoy lloro su fin.
Tierno llanto de amor fuera el tuyo
que en tus ojos divinos bebí.
Ojos falsos que así me engañaron
al ver que lloraron los míos por ti.

Mas los años al pasar me hicieron
comprender la triste realidad.
Que tan solo es ilusión,
lo que amamos de verdad.
Sin embargo cuando en los rosales
renacen las flores
los viejos amores
con sus madrigales
tornan como entonces a mi corazón.

Cuando vuelvan las noches de invierno
y se cubra de nieve el jardín,
si estás triste sabrás acordarte
de aquel que al amarte
no supo mentir.
No es mi canto un reproche a tu olvido,
ni un consuelo te vengo a pedir,
sólo al ver el rosal florecido:
el sueño perdido lo vuelvo a vivir.

Vicente Spina (Paroles et musique)

Walter Cabral ne chante que la partie en gras

Traduction libre

Les rosiers ont repoussé le long du mur du vieux jardin, où ton âme a scellé un serment, l’amour d’un moment qui aujourd’hui a pleuré sa fin.
De tendres larmes d’amour étaient tiennes que j’ai bues dans tes yeux divins.
Des yeux faux qui m’ont trompé quand ils ont vu que les miens pleuraient pour toi.

Mais les années qui ont passé m’ont fait comprendre la triste réalité.
Que ce n’est qu’une illusion, ce que nous aimons vraiment.
Cependant, lorsque sur les rosiers renaissent les fleurs,
les vieux amours avec leurs madrigaux reviennent, comme ils le faisaient alors, dans mon cœur.

Quand les nuits d’hiver reviendront et que le jardin sera couvert de neige, si tu es triste tu sauras te souvenir de celui qui n’a pas su mentir quand il t’aimait.
Mon chant n’est pas un reproche à ton oubli ni une consolation que je viens te demander, seulement quand je vois le rosier fleurir : le rêve perd, je le revis.

Autres versions

Tu olvido 1932-06-02 — Alberto Gómez y Augusto « Tito » Vila con acomp. de guitares.

Cette version est la plus ancienne. Le duo Gómez et « Tito » Vila chante à la tierce la totalité des paroles en reprenant le second couplet. On retrouve dans cette version les sonorités du vals criollo.

Tu olvido 1936-05-08 — Orquesta Juan D’Arienzo con Walter Cabral. C’est notre valse du jour.
Tu olvido 1946-12-19 — Orquesta Ricardo Tanturi con Osvaldo Ribó y Roberto Videla.

Tanturi abandonne le principe d’introduction de D’Arienzo et Gómez avec « Tito » Vila. La valse tourne avec énergie. Contrairement à Gómez et « Tito » Vila, le duo est aussi en dialogue en plus d’être en phase, à la tierce. La fin est une lente éclosion. En résumé, une belle version, très différente de celle de D’Arienzo, mais tout aussi géniale à danser.

Tu olvido 1951c — Andres Falgas Con Orquesta Roberto Pansera.

La sonorité de Pansera est un peu légère. Le Duo chante de nouveau à la tierce. Les voix sont les vedettes de cette version où l’orchestre est très discret.

Tu olvido 1952-04-25 — Orquesta Eduardo Del Piano con Mario Bustos y Héctor De Rosas.

Encore un duo servi par un orchestre, cette fois plus expressif, avec un bien piano présent. Des ponctuations de l’orchestre marquent les moments de pause des chanteurs. Cette version sans doute plus rare reste dansable et peut aider à renouveler le plaisir des oreilles des danseurs. La fin est aussi en ralentissement, l’opposé de D’Arienzo, mais moins ralentie que la version de Tanturi. Chaque orchestre imprime sa marque au titre.

Tu olvido 1960 c — Orquesta Eliseo Marchese con Agustín y Marión Copelli.

L’orchestre Eliseo Marchese sert l’accompagnement au couple des Copelli. Ici, femme et homme chantent à la dixième (octave plus tierce). Cela se laisse écouter, mais je ne le proposerai sans doute pas en milonga, malgré l’étonnante fin en cascade.

Tu olvido 1969 — Trio Ciriaco Ortiz. Le folklore s’inspire et inspire.

Ici, cette version par le trio de Ciriaco Ortiz est clairement destinée à la danse, mais plutôt dans un mouvement folklorique, voire musette. La version est sans doute un peu monotone et rapide pour en faire une valse de tango argentin.

Tu olvido 1981 — Orquesta Leopoldo Federico con Carlos Gari.

Avec cette valse signée par Federico, on est l’opposé du folklore. Une recherche d’élégance change totalement le caractère de cette valse, qui n’est probablement plus du tout à proposer pour la danse. Écoutons-là donc.

Tu olvido 1999-04-05 — Los Visconti. Encore une version folklorique.

Avec un caractère évoquant la ranchera. Les danseurs de folklore ont une autre version à choisir. Le rythme est plus lent que la version de Ciriaco Ortiz. On n’est plus dans le musette.

Tu olvido 2002 — Armenonville. Armenonville renoue avec la tradition de la flûte et de la guitare.

Le bandonéon et le violon sont également exploités de façon légère, ce que confirme le chant. Une version qui se laisse écouter, mais qui ne devrait pas provoquer de réactions passionnées chez les danseurs…

Pour terminer une version en vidéo avec les deux Albertos, Alberto Podestá et Alberto Marino. Cette prestation a été enregistrée en 2011 dans l’émission El Tangazo. Les chaînes argentines entretiennent fidèlement la nostalgie en mettant en valeur notre musique de tango.

Alberto Podesta y Alberto Marino en duo, dans l’émission El Tangazo, 2011 sur Cronica TV. Un grand moment.

Tu olvido. Quand l’amour ne fait pas son boulot…

Caricias 1937-05-07 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar

Juan Martí Letra : Alfredo Bigeschi

Caricias (caresses). Le titre de ce tango est plein de promesses, mais vous vous en doutez, il s’agit plus de souvenirs que d’avenir. Découvrons ce titre dont la version du jour fête aujourd’hui son 87e anniversaire. La musique est de Juan Martí, les paroles d’Alfredo Bigeshi et l’enregistrement a été effectué par Francisco Lumuto et Jorge Omar.

Alfredo Bigeschi (Portoferraio, Île d’Elbe, Italie 1908-12-18 — Buenos Aires 1980-03-25), violoniste, auteur et compositeur

Alfredo Bigeschi (Portoferraio, Île d’Elbe, Italie 1908-12-18 — Buenos Aires 1980-03-25), violoniste, auteur et compositeur

Alfredo a débarqué d’Italie avec ses parents à l’âge de 12 ans. À 15 ans, il écrivait pour le carnaval de La Boca où la famille vivait et l’année suivante, en 1924, il publiait son premier tango, « Tenorios de mi barrio » œuvre probablement perdue et sans enregistrement et dont le titre est un peu étonnant pour un jeune de 16 ans (coureurs de jupons/favoris de jeunes prostituées). Mais il en composera et/ou écrira les paroles d’environ 300 autres, dont notre tango du jour, Caricias.

Juan Martí (Jacobo Montecof) 1911-01-15 – 1967-06-25) compositeur.

Juan Martí est pour sa part moins prolifique. On pourrait citer en plus de Caricias qui est son plus grand et seul succès, Mis lágrimas (attention à ne pas confondre avec le tango du même nom de Ángel Maffia et Enrique Cadícamo), Nunca nunca, Si tú te vas ou Todo está demás. Ces œuvres n’ont pas été enregistrées ou les enregistrements sont restés confidentiels.

Extrait musical

Caricias 1937-05-07 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar

C’est la plus ancienne version qui nous soit parvenue.
D’autres tangos plus anciens portent ce nom, comme celui chanté en 1925 par Gardel, mais ils ont d’autres auteurs et n’ont de commun avec notre tango du jour, que le titre.
Dans ce titre, on remarquera, une fois de plus que Francisco Lomuto n’a pas que le prénom en commun avec Francisco Canaro. Le style est relativement proche. Lomuto ne peut pas être considéré comme un novateur pour continuer ce style « Vieille garde » en 1937.

Paroles

La soledad
que me envuelve el corazón,
va encendiendo en mi alma
el fuego de tu amor lejano.
En las brumas de tu olvido
viaja mi ilusión,
gritando tu nombre en vano.

Pero no estás
y en mi cruel desolación
es un fantasma el recuerdo
de lo que se fue.
Percibo tu sombra y mi amor te nombra
pidiéndote aquellas caricias de ayer.

No vendrás
y sin embargo te espera mi amor.
Quiero olvidarte y no puedo olvidar
porque sos toda mi ilusión.
No vendrás
y yo esperándote estoy, mi bien,
con la fe del que ama como yo.
Y añora de ti, caricias de ayer
anhelante mi buen corazón.

En la ansiedad
de tenerte junto a mí
mis manos en el vacío
te andan buscando,
y en medio de este silencio
atroz mi alma febril,
para sí, te está llamando.

Juan Martí Letra: Alfredo Bigeschi

Traduction libre

La solitude qui enveloppe mon cœur allume dans mon âme le feu de ton amour lointain.
Dans les brumes de ton oubli voyage mon illusion, criant ton nom en vain.
Mais tu n’y es pas et dans ma cruelle désolation, le souvenir de ce qui s’en est allé n’est plus qu’un fantôme.
Je perçois ton ombre et mon amour te nomme, te demandant ces caresses d’hier.
Tu ne viendras pas, et pourtant mon amour t’attend.
Je veux t’oublier et je ne peux pas oublier parce que tu es toute mon illusion.
Tu ne viendras pas, et je t’attends, ma bonne, avec la foi de celui qui aime comme moi.
Je suis en manque de toi, de caresses d’hier désirées par mon bon cœur.
Dans l’anxiété de t’avoir près de moi, mes mains dans le vide te cherchent, et au milieu de cet atroce silence, mon âme fiévreuse, pour elle-même, t’appelle.

Autres versions

Caricias 1937-05-07 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar
C’est notre tango du jour.
Caricias 1938-03-28 — Mercedes Simone con acomp. de su Trío Típico.

Une superbe version en chanson. Le tempo est très lent. Mercedes met toute son émotion dans son interprétation, ce qui en fait une version à considérer, pas pour la milonga, bien sûr, mais pour une écoute, un jour gris.

Caricias 1945-08-07 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas.

Première version bien dansante de notre sélection, même si la version de Lomuto charmera les fanatiques de la vieille garde. On connaît la merveilleuse association des deux anges. Vargas et D’Agostino signent, ici, un de leurs innombrables chefs-d’œuvre.

Caricias 1951-07-30 — Orquesta Rodolfo Biagi con Carlos Heredia.

Biagi commence dans une sonorité étouffée qui ne lui est pas si courante. L’orchestre continuera ainsi avec discrétion, juste en appui de la voix de Carlos Heredia.
On regrette un peu que cette version ne soit pas un Biagi plus typique. Mais une surprise nous attend avec la version suivante…

Caricias — Conjunto Don Rodolfo con Hugo Duval.

Cet orchestre joue à la manière de Biagi. On le trouve sous trois noms. Conjunto Don Rodolfo (nom du trio Yumba quand Duval chante), comme ici, mais aussi Trio Yumba et Rodolfo Biaggi (avec deux « G »). En revanche, Hugo Duval est le même que celui qui chantait pour Biagi avec un seul G. D’ailleurs sur ses disques, il joue de l’ambigüité et je suis sûr que de nombreux acheteurs de ses disques ont pensé acheter des « vrais » Biagi. En fait, je connais même des DJ qui se trompent… Mais est-ce si important ?

Hugo Duval est cité, mais c’est la photo de Rodolfo Biagi qui est présente, que les disques soient du Trio Yumba, Rodolfo BiaGGi, ou de Don Rodolfo (Trio Yumba avec Duval). Disons que c’est un hommage et pas une tentative d’escroquerie, Biagi est en mort en 1969, tous les enregistrement postérieurs qui portent les mentions Trio Yumba, Rodolfo Biaggi ou Don Rodolfo sont posthumes.

Et pour terminer une version chantée à la guitare par Juan Villarreal.

Voilà, c’est la fin de ce petit parcours.
À demain, les amis !

La bordona 1958-05-06 — Orquesta Aníbal Troilo

Emilio Balcarce

Le bourdon est une corde ou une hanche qui donne toujours la même note. C’est très courant sur les instruments traditionnels comme la vielle à roue ou les cornemuses. Emilio Balcarce a voulu donner un air «champêtre à cette composition et a donc proposé un bourdon, bien sûr, beaucoup plus sophistiqué, mais qui a donné sa couleur à la musique. Le violoncelle démarre la musique sur sa corde basse, qui se nomme bordona. Le titre du tango nous l’annonçait.

Signalons que bordona a d’autres acceptions. C’est la corde grave, voire les trois cordes les plus graves de la guitare. C’est aussi la fille cadette d’une famille…

Extrait musical

La bordona 1958-05-06 — Orquesta Aníbal Troilo.

Le violoncelle lance la mélodie sur ses cordes graves. Ce ronronnement caractéristique se retrouvera à plusieurs reprises dans l’œuvre. C’est cette phrase mélodique dans les graves qui a inspiré son nom.

Une partition avec tous les pupitres.

La première page de la partition (au centre) montre que seuls le violoncelle et le piano entrent en scène. La page de droite montre un passage ultérieur où tous les instruments sont mobilisés, puis le début du solo de bandonéon. Partition proposée par le site https://tangosinfin.org.ar/.

Autres versions

La bordona 1958-05-06 — Orquesta Aníbal Troilo. C’est notre tango du jour.
La bordona 1958-08-06 — Orquesta Osvaldo Pugliese.

Pugliese commence avec un piano, son piano plus présent. Le ronronnement grave est moins présent. L’atmosphère est différente, moins chaude.

La bordona 1962-01-09 — Orquesta Aníbal Troilo.

Moins de 4 ans plus tard, Troilo propose une version très différente. La nouvelle entrée en matière est percutante avec un arpège au piano. Comme chez Pugliese, le ronronnement est un peu masqué et le piano a pris de l’ampleur. L’ensemble reste cohérent avec une bonne distribution des variations. Ce n’est pas à mettre entre les pattes de tous les danseurs, mais il y a des éléments de supports à l’improvisation qui peuvent intéresser certains. Ce me semble cependant la limite maximale pour une proposition de danse et je ne m’y aventurerai qu’avec un public particulièrement gourmand de ce type d’interprétations.

La bordona 1963-04-25 — Orquesta Aníbal Troilo.

Un an plus tard, cette nouvelle version met en avant les capacités de l’enregistrement stéréo (vous ne pouvez pas l’entendre dans les anecdotes à cause de la taille admissible des fichiers sur le site, ces derniers sont en basse définition et en mono… Cherchez donc le titre dans votre discothèque pour en apprécier les effets spatiaux. Cette version est plus mélodique, probablement moins dansante, même si ce titre n’est pas un titre totalement destiné à la danse, quelle que soit la version. On notera que l’introduction en arpège de la version de 1962 ajoute les accords de l’orchestre aux arpèges du piano.

La bordona 1993 — Sexteto Tango.

Ce sexteto issu de l’orchestre de Pugliese propose une version intéressante avec de jolis pizzicati au début e tune intro inspirée de celles de Troilo 62/63, mais différente. On s’éloigne encore un peu plus du tango de danse. Elle manque peut-être un peu d’allant et elle me semble un peu décousue, les parties ne s’enchaînent pas de façon aussi harmonieuse que dans d’autres versions.

La bordona 1996 — Orquesta Color Tango.

Cette version démarre avec une introduction très sombre, presque inquiétante. J’aime beaucoup. La suite est peut-être un peu moins réussie. Elle ne démérite pas, mais elle n’est pas à la hauteur de l’introduction. Le parti pris de tempo assez lent et les surprises éloignent pour moi totalement cette version du champ de la danse. Sa fin plus tonique avec sa courte citation de habanera est intéressante.

La bordona 2000-09 — Orquesta El Arranque.

El Arranque introduit la guitare, instrument légitime dans la mesure où ses cordes graves sont des bordonas… Cette version est plus légère que les précédentes et doit pouvoir susciter l’intérêt, même si pour la danse, je pense qu’il est plus raisonnable de rester chez Troilo.
Et pour terminer, une version à la guitare.
Anibal Arias — La Bordona. On voit dans la vidéo les trois cordes graves (celles du dessus) que l’on appelle bordonas sur une guitare. Une version pour guitare est donc tout à fait légitime, même si elle n’a pas l’ampleur de celles avec les grands orchestres.  

Ríe, payaso 1952-05-05 – Ángel Vargas con su orquesta dirigida por Armando Lacava

Virgilio Carmona Letra: Emilio Luis Ramón Falero

Certains aiment les clowns, d’autres en ont peur. On appelle cela la coulrophobie (rien que le nom donne des angoisses). Ángel Vargas dans cette superbe version de Ríe, payaso (Ris, clown) transmets l’émotion. Cette version est sans doute moins connue que celle de Casares et D’Arienzo, mais c’est le tango du jour et je pense que vous allez l’aimer.

Extrait musical

Ríe, payaso. Un essai d’animation du visage.
Ríe, payaso 1952-05-05 — Ángel Vargas con su orquesta dirigida por Armando Lacava.

J’aime beaucoup cette version, car la voix de Vargas donne sans doute la plus belle interprétation de ce thème. Pour la danse, on est sans doute en retrait par rapport à celle de 1940 de D’Arienzo. Vous pourrez en juger avec les nombreuses versions que je vous propose.

Paroles

El payaso con sus muecas
y su risa exagerada,
nos invita, camaradas,
a gozar del carnaval;
no notáis en esa risa
una pena disfrazada,
que su cara almidonada,
nos oculta una verdad.

Ven payaso, yo te invito,
compañero de tristezas,
ven y siéntate a mi mesa
si te quieres embriagar ;
que si tú tienes tus penas
yo también tengo las mías
y el champagne hace olvidar.

Ríe, tu risa me contagia
con la divina magia
de tu gracia sin par.
Bebamos mucho, bebamos porque quiero,
con todo este dinero
hacer mi carnaval.

Lloras, payaso buen amigo.
No llores que hay testigos
que ignoran tu pesar;
seca tu llanto y ríe con alborozo,
a ver, pronto, ¡che mozo,
tráigame más champagne !

Yo, también, como el payaso
de la triste carcajada,
tengo el alma destrozada
y también quiero olvidar;
embriagarme de placeres
en orgías desenfrenadas
con mujeres alquiladas
entre música y champagne.

Hace uno año, justamente,
era muy de madrugada,
regresaba a mi morada
con deseos de descansar;
al llegar vi luz prendida
en el cuarto de mi amada…
es mejor no recordar.

Virgilio Carmona Letra: Emilio Luis Ramón Falero

Traduction libre

Le clown avec ses grimaces et ses rires exagérés nous invite, camarades, à profiter du carnaval.
Tu ne remarqueras pas dans ce rire, une tristesse déguisée que sa face amidonnée, nous cache une vérité.

Viens, clown, je t’invite, compagnon de tristesse.
Viens à ma table si tu veux te saouler.
Que si tu as tes peines, j’ai aussi les miennes et le champagne fait oublier.

Ris, ton rire est contagieux avec la magie divine de ta grâce hors pair, buvons beaucoup, buvons parce que je veux faire de tout cet argent, mon carnaval.

Pleure, bon ami clown.
Ne pleure pas, car il y a des témoins qui ignorent ta peine.
Sèche tes larmes et ris avec joie.
Que rapidement, ce serveur m’apporte plus de champagne.

Moi aussi comme le clown au rire triste, j’ai l’âme brisée et je veux aussi oublier.
M’enivrer de plaisirs dans des orgies effrénées entre musique et champagne

Il y a tout juste un an, je rentrais dans chez moi avec l’idée de me reposer.
Quand je suis arrivé, j’ai vu une lumière allumée dans la chambre de ma bien-aimée, il vaut mieux ne pas se souvenir.

Pleure, bon ami clown.
Ne pleure pas, car il y a des témoins qui ignorent ta peine.
Sèche tes larmes et ris avec joie.
Que rapidement, ce serveur m’apporte plus de champagne.

Ríe, payaso. Marcelino Orbés, essai d’animation.

Autres versions

Ríe, payaso 1929-02-06 — Orquesta Roberto Firpo.

Une version instrumentale tout à fait dansable pour ceux qui aiment la vieille garde.

Ríe, payaso 1929-08-26 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José María Aguilar (guitarras).

On ne parle pas de danse, mais c’est Gardel et c’est une référence à toujours avoir en tête.

Ríe, payaso 1940-08-22 — Orquesta Juan D’Arienzo con Carlos Casares.

Une version tonique. Il ne reste rien de la tristesse du clown, mais quel bonheur de danser cette version explosive. Ma voix de Casares s’intègre bien sans gêner la danse. Une version pour les DJ qui aiment faire plaisir à leurs danseurs.

Ríe, payaso 1945 — Roberto Quiroga con guitarras.

Une chanson accompagnée à la guitare, à comparer avec celle de Gardel.

Ríe, payaso 1949-12-21 — Orquesta Florindo Sassone con Roberto Chanel.

Une version emphatique et sans doute un peu trop appuyée pour être agréable à écouter. Trop de pathos nuit au pathos.

Ríe, payaso 1950-05-17 — Orquesta Enrique Alessio con Hugo Soler.

Une autre version un peu trop appuyée. Alessio et Soler n’ont pas fait beaucoup d’enregistrements, c’était l’occasion de vous en faire écouter un…

Ríe, payaso 1952-05-05 — Ángel Vargas con su orquesta dirigida por Armando Lacava.C’est notre tango du jour.
Ríe, payaso 1957 — Héctor Mauré y su Conjunto dir. Carlos Demaría.

Une version à écouter, mais une très jolie version, nostalgique et émouvante à souhait.

Ríe, payaso 1959-11-12 — Orquesta Juan D’Arienzo con Mario Bustos.

Toujours de l’énergie. On est chez D’Arienzo. Le rendu est pourtant très différent de la version de 1940. Pour moi, c’est moins intéressant à danser, mais ça reste proposable à des danseurs tolérants.

Ríe, payaso 1964 — Tipica Tokyo con Ikuo Abo.

Une curiosité destinée à l’écoute. La diction de Ikuo Abo a un peu de mal à suivre la métrique de la musique.

Ríe, payaso 1976 — Orquesta Típica Florida con Mauricio Pitich.

Pour mémoire, car la prise de son est vraiment très mauvaise.

Ríe, payaso 2009 — Tango Madame.

Une version toute légère par cet orchestre français.

Ríe, payaso 2010 — Orquesta Típica El Afronte.

Une version originale, mais trop décousue pour la danse.

Ríe, payaso 2017-11 — Hyperion Ensemble con Rubén Peloni.

Une version assez tonique et légère.

Ríe, payaso 2018 — Orquesta Silbando Con Sebastian Rossi.

Des bruits étonnants au début. Sans doute trop de réverbération, mauvaise prise de son ou choix artistique discutable. Cela nuit à la clarté et donc à la dansabilité, d’autant que le tempo est très rapide.

Ríe, payaso 2019 — Sexteto Cristal Con Guillermo Rozenthuler.

Une des plus récentes versions qui prouve qu’un siècle après, les clowns sont toujours sujets de tango.

Sortez les clowns !

Attention, tous les payasos ne sont pas de ce titre. Il y a une dizaine de thèmes qui parlent de payaso. Il en est un dont le titre est très proche comme « Ríe payaso, ríe », mais qui est une valse de Ted Fiorito et Mercedes Simone avec des paroles de Mercedes Simone et Jacinto Font.
En voici deux exemples, dont le premier avec l’auteure, Mercedes Simone et l’autre par l’incontournable Canaro…

Ríe payaso, ríe 1929-09-27 (Vals) — Mercedes Simone
Ríe payaso, ríe 1929-11-13 (Vals) — Orquesta Francisco Canaro con Charlo

Marcelino

Un DJ est parfois un clown qui doit faire s’amuser les danseurs, même s’il est triste, déprimé ou tout simplement fatigué.
C’est un métier de spectacle, mais les plus méritants, ce sont bien sûr les clowns, qui, quand ils ne sont pas de dangereux psychopathes, doivent faire rire à tout prix leur public.
Même si, une fois de plus, je sors complètement du sujet, je vous présente ce livre de Víctor Casanova Abós qui traite de la mort et de la vie du clown Marcelino, Marcelino Orbés. Ce gamin vendu par ses parents à un cirque, qui trouva la gloire comme payaso (clown) à Londres et New York et la mort dans son suicide.

Couverture du livre de Víctor Casanova Abós qui traite de la mort et de la vie du clown Marcelino, Marcelino Orbés

Décidément, ces clowns me donnent des pensées tristes qui peuvent se danser…

Ríe, payaso.

Para ti madre 1932-05-04 – Orquesta Francisco Canaro con Agustín Irusta

José Mocciola Letra : Venancio Clauso

¡Madre hay una sola! chantait Gardel dans le tango du même nom. La valse du jour est une valse pour les mères que l’on fête en Argentine le 3dimanche d’octobre. Ce n’est donc pas tout de suite que les Argentins vont passer cette valse à leur maman, en revanche, dans beaucoup d’autres pays, cela se fête en mai. Certains vont donc pouvoir l’utiliser bientôt…

Extrait musical

Partition de Para ti, Madre.
Para ti madre 1932-05-04 — Orquesta Francisco Canaro con Agustín Irusta. Près de 30 secondes d’introduction, le temps d’aller chercher sa mère pour la faire danser.

Paroles

Este mundo, donde todo es leve humo,
mentira, hojarasca,
por sobre toda pequeñez humana,
por sobre toda grandeza vacua,
como un beso de dios, hecho materia,
un simbolo, la madre se levanta

Dichoso tiempo aquel de la niñez maravillosa,
infancia de oro y miel, bendita edad de ingenuidad,
el mundo era un edén en donde el bien reinaba
y lleno de ilusión era feliz el corazón.
Caricia maternal, mano leal y generosa,
ternura sin igual, mundo ideal, color de rosa.
Del venturoso ayer sólo quedó el recuerdo,
la vida dura y cruel ya me enseñó lo que es dolor.

Mi corazón sangrante tengo
en el pesar más cruel sumido,
extraña el buen calor del nido
y en la canción
se derrama su emoción.
Evocación del bien perdido
es para ti la canción
y a acariciar tus oídos
irán los latidos
de mi corazón.

Ahora que no estás, te siento más hondo en el alma
y nadie ha de poder borrar, jamás, tu imagen fiel.
Ahora que no estás es tan tenaz la angustia
de haber sido, quizás, alguna vez un poco cruel.
El eco de tu voz, que es voz de Dios, vibra en mi oído
y es soplo alentador que da valor al abatido.
Tu beso inmaterial pasa mi sien rozando
y aunque no estás aquí, muy maternal, velas por mí.

José Mocciola Letra : Venancio Clauso

Agustín Irusta ne chante que ce qui est en gras, c’est-à-dire que le plus triste de la chanson n’est pas évoqué. C’est mieux pour le chanter à sa mère si vous avez la chance de l’avoir encore en vie…
En bleu, ce qui est dit ou chanté selon les versions par Echagüe et seulement par lui, dans les années 70.
Carlos Dante et Ada Falcón chantent toutes les paroles (sauf ce qui est bleu, qui n’appartient qu’à Echagüe).

Traduction libre

Temps bienheureux de l’enfance merveilleuse, une enfance d’or et de miel, une époque bénie de naïveté. Le monde était un Éden où le bien régnait et où le cœur était heureux et plein d’illusions.
Caresse maternelle, main loyale et généreuse, tendresse sans pareille, monde idéal, couleur de rose. Du passé heureux, il ne reste que le souvenir, la vie dure et cruelle m’a déjà appris ce que c’est que la douleur.
Mon cœur saignant est submergé par les regrets les plus cruels, il manque de la bonne chaleur du nid et dans le chant se déverse son émotion.
Une évocation du bien perdu, la chanson est pour toi, et en caressant tes oreilles, viendront les battements de mon cœur.
Maintenant que tu n’es plus, je te sens au plus profond de mon âme et personne ne pourra jamais effacer ton image fidèle.
Maintenant que tu es partie, l’angoisse d’avoir été, peut-être, parfois un peu cruel est si tenace.
L’écho de ta voix, qui est la voix de Dieu, vibre à mon oreille et est un souffle encourageant qui donne du courage à celui qui est abattu.
Ton baiser immatériel effleure ma tempe et même si tu n’es pas là, tu veilles sur moi d’une manière si maternelle.

Autres versions

Quelques-uns des disques présentés, de gauche à droite : Canaro Irusta, Canaro Falcon, De Angelis Dante, Maderna Datila, Corrales et à droite, la pochette d’un 33 tours de Canaro reprenant la version de 1932.
Para ti madre 1932-05-04 — Orquesta Francisco Canaro con Agustín Irusta. C’est notre valse du jour.
Para ti madre 1932-07-18 — Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro.

Fidèle à ses habitudes, Canaro réalise dans la foulée une version en chanson. Celle-ci, respectueuse des paroles, est donc plus triste. Cependant la jolie voix d’Ada fait que ce titre, bien accompagné par Canaro est agréable à écouter.

Para ti madre 1948-07-23 — Orquesta Alfredo De Angelis con Carlos Dante.

Si votre mère est cardiaque ou un peu bancale, évitez de la faire valser sur cette version très rapide proposée par De Angelis et Dante.

Para ti madre 1949-01-26 — Orquesta Osmar Maderna con Pedro Dátila y Mario Corrales (Pomar).

Une version qui pourrait être sympa si elle n’avait pas été massacrée par un ingénieur du son, fou. Les grands coups de potentiomètres pour augmenter les nuances sont ridicules. Avec un peu de boulot, on peut rétablir un semblant de normalité dans cette valse, mais quel gâchis.

Para ti madre 1972 — Alberto Echagüe con orquesta de Jorge Dragone.

Mais qu’est-ce qui a pris à Echagüe de s’associer avec Dragone pour enregistrer cette version sinistre ? Même si on arrive à supporter l’orgue électronique, la tristesse de l’introduction et l’ambiance de cette valse rendent définitivement impassable à une mère un tant soit peu aimée… Peut-être que j’ai une petite dent contre l’orgue électronique, car quand j’étais adolescent et que je jouais sur l’un d’entre eux, celui-ci a décidé de prendre feu, chose qui n’arrive pas avec les bons vieux Steinway Bossendörfer ou Yamaha…
Echagüe dit la première strophe, cela donne un air un peu sinistre.
Pour le reste, il chante les paroles avec de légères variantes.

Para ti madre (1972 ? Le disque est sorti le 14 janvier 1974) — Los Solistas de D’Arienzo con Alberto Echagüe.

Echagüe se rachète avec cette version enregistrée avec les anciens musiciens de D’Arienzo. Carlos Lázzari (Bandonéon, arrangements et directeur), Normando Lázara (Piano), Milo Dojman (Violín), Enrique Amadeo Guerra (Contrabajo) et Alberto Echagüe au chant.
Echagüe change ce qu’il disait dans la version de Dragone, ce qui enlève un peu de sinistre. Le rythme plus rapide fait que la valse passe mieux.

Si rien ne vous convient, vous trouverez des dizaines de titres en cherchant avec Mamá, Madre et Madrecita. Beaucoup sont des valses, forme qui se prête particulièrement aux anniversaires et fêtes en tout genre.
Et si tout cela ne vous suffit pas, pour terminer avec un genre différent, je vous propose, Para ti madrecita par le chanteur équatorien Julio Jaramillo sur une musique et des paroles de Sergio Bedoya.

Para ti madrecita — Julio Jaramillo, El Ruiseñor de América.
Para ti madre.

Para qué te quiero tanto 1946-05-03 – Orquesta Carlos Di Sarli con Jorge Durán

Juan Larenza Letra : Cátulo Castillo

Para qué te quiero tanto. Ce joli thème a été enregistré quatre fois en moins d’un an. Les quatre versions sont différentes, émouvantes et dansantes. Quatre belles réussites dont la quatrième fête ses 78 ans aujourd’hui.

Cátulo Castillo (Ovidio Cátulo González Castillo) et Juan Larenza

On doit à Catulo Castillo des centaines de tangos (paroles, musiques ou les deux). Citons simplement :

  • Organito de la tarde (musique)
  • Silbando (musique avec Sebastián Piana)
  • El último café (paroles)
  • Caserón de tejas (paroles)
  • Una vez (paroles)

On doit aussi la musique de quelques titres à Juan Larenza, dont Guapeando, Flores del alma et Milonga querida. On pourrait aussi citer la zamba Mamá vieja que De Angelis a adapté en valse…
Le moins que l’on puisse dire est que cette combinaison est particulièrement réussie, comme en témoigne la qualité des quatre enregistrements réalisés.
Cette association a donné lieu à d’autres œuvres, comme :
Están sonando las ocho, mais qui n’a été enregistré que par Lucio Demare avec Horacio Quintana.
Más allá todavía, enregistré par Orquesta Osmar Maderna avec Orlando Verri.
No vuelvas María, une valse géniale et entraînante enregistrée par Alfredo De Angelis avec Carlos Dante y Julio Martel. C’est la seule composition commune qui sort du lot en dehors, bien sûr de Para qué te quiero tanto.
Patrona, une milonga un peu bavarde, enregistrée par Alfredo De Angelis avec Carlos Dante.
Somos los dos, une bluette enregistrée par Alfredo De Angelis avec Julián Rosales.

Extrait musical

Para qué te quiero tanto 1946-05-03 — Orquesta Carlos Di Sarli con Jorge Durán.

Paroles

Fue tu sombra oscura…
Fue el castigo de tu adiós…
Fue esta ausencia de ternura
que me amarra a la tortura
de tu voz…
Qué fatal encanto
me encadena a tu desdén,
cuando grito hasta el quebranto…
¿Para qué te quiero tanto,
para qué?

Para qué te quiero tanto
si no puedo ser feliz,
si vivir es un espanto…
si al morir te llevo en mí.
¡Tu amor !… ¡Tu amor !…
traidor que una vez
dejó entre mis cenizas
sus brasas y se fue…
¡Tu amor !… ¡Tu amor !…
Que clamo desde aquí,
cuando oigo que tus risas
se burlan de mí…

¡Cuánto mal me hiciste !…
Llueve siempre en el ayer,
con la lluvia mansa y triste
de la tarde en que te fuiste
sin volver…
Fue tu sombra oscura…
Fue el castigo de tu adiós…
Y es la hiel de esta amargura
que me amarra a la tortura
de tu voz.

Juan Larenza Letra: Cátulo Castillo

Traduction libre

C’est ton ombre noire…
C’est la punition de ton adieu…
C’est cette absence de tendresse qui me lie à la torture de ta voix…
Quel charme fatal m’enchaîne à ton dédain, quand je crie jusqu’à la rupture (des cordes vocales)…
Pourquoi je t’aime tant, pourquoi ?

Pourquoi est-ce que je t’aime tant si je ne peux pas être heureux, si vivre est terrifiant…
si jusqu’à la mort, je te porte en moi.
Ton amour !… Ton amour !… Ce traître qui a laissé ses braises dans mes cendres et s’est enfui…
Ton amour !… Ton amour !…
Que je crie d’ici, quand j’entends tes rires se moquer de moi…

Que de mal tu m’as fait !…
Il pleut toujours sur le passé, avec la pluie douce et triste de l’après-midi où tu es partie sans retour…
C’est ton ombre noire…
C’est la punition de ton adieu…
Et c’est le fiel de cette amertume qui me lie à la torture de ta voix.

Autres versions

En moins d’un an, quatre versions ont été enregistrées et les quatre sont superbes et différentes.

Sonogrammes des quatre versions de Por qué te quiero tanto.
Para qué te quiero tanto 1945-07-19 — Orquesta Domingo Federico con Carlos Vidal.

On voit nettement des alternances de fortes et de pianos. Le compas est bien marqué avec des alternances plus lisses et des nuances assez fortes. Cela rend la musique très expressive.

Para qué te quiero tanto 1945-11-13 — Orquesta Alfredo De Angelis con Carlos Dante.

Dans la première partie, on retrouve les variations de nuances de Federico, puis la partie chantée par Dante est plus régulière. Le style est assez différent, mais le résultat est très agréable, même si l’expression est moins accentuée.

Para qué te quiero tanto 1946 — Orquesta Gabriel « Chula » Clausi con Raúl Garces.

Les transitions de nuances sont plus estompées. Mais contrairement à De Angelis, on les retrouve dans la partie chantée. Cet orchestre moins connu réalise une version tout à fait satisfaisante pour l’écoute et la danse. Reste au DJ de trouver trois autres titres pour en faire une tanda.

Para qué te quiero tanto 1946-05-03 — Orquesta Carlos Di Sarli con Jorge Durán. C’est notre tango du jour.

Les nuances sont surtout marquées par les moments de pauses. La sonorité typique de l’orchestre permet de le distinguer des autres. Le piano de Di Sarli est plus présent que dans les autres versions. L’orchestre pousse derrière le chanteur. Il lui laisse moins de place, l’orchestre et Durán sont entrelacés. Le résultat est très différent des autres.

Para qué te quiero tanto. Disque 45 tours – Federico – 78 tours De Angelis et Di Sarli.

Une valse du même nom

Augusto Rojas Llerena a composé une valse du même nom.
Elle a été interprétée par l’orquesta Coltrinari y Rullo avec Roberto Tello (1951) et plus récemment par Lucha Reyes, la Morena de Oro del Perú, dans un rythme un peu différent. Je vous propose cette version pour nous quitter. À demain les amis !

Para Qué Te Quiero Tanto 1997 – Lucha Reyes

Horas de pasión 1956-05-02 — Roberto Firpo y su Cuarteto Típico

Roberto Firpo Letra : José A. Bugliot ; Rafael José De Rosa

Le tango est une passion, mais la passion est aussi objet de tango. Cette jolie valse a été écrite par Firpo qui l’a enregistrée à deux reprises. Je vous invite donc à entrer dans la valse horas de pasión (Heures de passion). Un sujet léger, à la limite du mystique.

Cette valse a été écrite par Roberto Firpo pour la comédie lyrique Hoy te llaman milonguita qui a été interprétée au Teatro Apolo de Buenos Aires durant l’année 1932.
Les protagonistes, acteurs et chanteurs, membres de la compagnie Olinda Bozán, étaient les suivants :
Olinda Bozán (qui assurait aussi la mise en scène), Eloy Alvarez, Rosita Arrieta, Francisco Charmiello, Pedro Fiorito, Tita Galatro, Miguel Ligero, Carlos Morales, Chola Osés, Leonor Rinaldi, Aída Sportelli, Susana Vargas. Principe Azul (Herberto Emiliano Costa) qui a enregistré le titre sur disque semble aussi avoir fait partie du spectacle.
Roberto Firpo a écrit et dirige la musique.

À gauche, le théâtre Apolo en 1949, 17 ans après la représentation de « Hoy te llaman Milonguita ». On remarquera que Olindan Bozan est toujours à l’affiche… En haut à droite, le théâtre dans les années 30 et en bas à droite, la représentation de « Hoy te llaman Milonguita » en 1932.

Extrait musical

Horas de pasión 1956-05-02 — Roberto Firpo y su Cuarteto Típico.

Paroles

Fiebre del amor que ignoraba mi corazón
nubes de ilusión de un ensueño arrobador,
yo seré la fuente de tu noble inspiración
donde volcarse tus alegrías y tu dolor.
Si mi lirismo es tu fe
tu poesía es mi religión.

(recitado)
Noches de ilusión de un ensueño arrobador.

Del inmortal Dios amor
tal es el gran poder,
que nos conduce al placer
en brazos del dolor.

(recitado)
Sueños, placeres, dolor,
sigue cantando mi bien,
que la canción es también
caricia para el amor

En la noche larga de mi honda desolación
me llegó una vez que a la esperanza me despertó
de tan celestial como campana de nuevo son
la divina voz de Jesucristo me pareció,
Me descubriste al amor…
¡Y yo bendigo tu aparición!

(recitado)
Me llegó una voz que a la esperanza me despertó.

Roberto Firpo Letra: José A. Bugliot ; Rafael José De Rosa

Principe Azul ne chante et dit que ce qui est en gras. Il est probable que dans le spectacle, la partie chantée était plus longue. Faute d’enregistrement, on ne le saura pas…

Traduction libre

Fièvre de l’amour que mon cœur a ignorée, nuages d’illusion d’un rêve enchanteur, je serai la source de ta noble inspiration où déverser tes joies et ta douleur.
Si mon lyrisme est ta foi, ta poésie est ma religion.
(récitatif)
Nuits d’illusion d’un rêve enchanteur.
De l’immortel Dieu Amour, tant est grand le pouvoir, qu’il nous mène au plaisir dans les bras de la douleur.
(récitatif)
Rêves, plaisirs, douleurs, continue à chanter ma bonne, car la chanson est aussi, caresse pour l’amour.
Dans la longue nuit de ma profonde désolation, une fois que la voix divine de Jésus-Christ m’a semblé m’éveiller à l’espérance, aussi céleste que le son de la cloche, tu m’as ouvert à l’amour…
Et je bénis ton apparition!
(récitatif)
Une voix m’est parvenue qui m’a éveillé à l’espoir.

Autres versions et pièces complémentaires

Horas de pasión 1932-09-27 – Orquesta Roberto Firpo con Príncipe Azul.

C’est la version de la comédie lyrique « Hoy te llaman Milonguita”. Principe Azul ne chante que l’estribillo et dit un récitatif (en gras dans les paroles). Cette forme est un intermédiaire entre la version théâtrale et la version de danse.

On notera, comme pour beaucoup d’œuvres de l’époque, une introduction assez longue. Comme DJ, on les coupe ou on les raccourcit souvent, sauf parfois en début de tanda ou de longues introductions permettent aux danseurs d’aller tranquillement sur la piste.
Vous vous êtes peut-être demandé quelle mouche piquait les compositeurs pour faire des introductions qui duraient parfois une minute. Si oui, vous avez peut-être déjà la réponse. Sinon, voici la mienne. Ces compositions étant destinées à la scène ou au cinéma, elles s’inscrivent dans la continuité de l’action et il convient donc « d’amener » la partie musicale de façon harmonieuse. Les acteurs/chanteurs se mettent en place, on change l’ambiance par rapport à la scène précédente. Ceux qui pratiquent l’opéra connaissent ce principe.
Lorsque l’on souhaite adapter ce type de composition à une milonga, il nous faut couper l’introduction. Les logiciels spécialisés pour les DJ le permettent facilement en permettant de repérer le début souhaité (c’est une des raisons des écoutes au casque, pour caler les musiques). On place des « Points CUE » qui permettent d’accéder directement à la partie souhaitée. Si le titre a été préparé à l’avance, on peut avoir supprimé directement l’introduction. C’est ce que font les « DJ » qui utilisent des playlists, car ils ne peuvent pas intervenir sur les points d’entrée à partir des logiciels pour playlist (type iTunes).

Hoy te llaman milonguita 1932-09-27 — Orquesta Roberto Firpo con Príncipe Azul.

Le nom de ce tango, qui est celui de la comédie lyrique où elle a été créée, vient bien sûr des paroles de « Milonguita » (paroles de Samuel Linning, sur une musique d’Enrique Pedro Delfino). Cette œuvre contient des motifs de « Cabaret de Cristal », comme vous pourrez en juger vous-même.

Cabaret de cristal 1932-09-15 — Orquesta Roberto Firpo.

Il s’agit d’un tango sinfónico, donc a priori, pas destiné à la danse, mais il est tout de même sympa et je pense que certains danseurs apprécieront.  Bien sûr, la très longue introduction de 45 secondes devra être amputée pour éviter que les danseurs s’endorment sur la piste.

Horas de pasión 1956-05-02 — Roberto Firpo y su Cuarteto Típico.

La reprise du titre par le Cuarteto de Firpo, 24 ans plus tard. C’est notre valse du jour. L’introduction qui faisait 22 secondes est ici réduite à une dizaine de secondes, ce qui la rend compatible avec les milongas actuelles.
Voici maintenant, Milonguita, qui a inspiré les paroliers de la comédie lyrique. Ici en version instrumentale, par Firpo en 1920. La première à avoir chanté le titre était María Esther Podesta, de la famille qui possédait le théâtre Apolo… C’était le 12 mai 1920 avec le guitariste José Ricardo, le disque de Firpo doit donc être un peu postérieur, comme les autres de la même année, qui prouvent que ce tango (surnommé également Esthercita) a eu beaucoup de succès.

Une petite fantaisie

Pour terminer cette histoire d’amour, deux autres titres totalement différents et qui ne sont liés à notre valse du jour que par le titre. Il s’agit du pasillo ecuatoriano, Horas de pasión composé par Francisco Paredes Herrera (Équateur) avec des paroles de Juan de Dioz Peza (Mexique).
Il a été enregistré par le Dúo Benítez-Valencia.

Horas de pasión – Dúo Benítez-Valencia.

Mais surtout, je vous propose la magnifique version de Julio Jaramillo (Équateur) avec en prime les paroles en karaoké.

Horas de pasión – Julio Jaramillo

Fin du cours accéléré d’espagnol…
À demain, les amis !

Primero de mayo (premier mai)

En Argentine, le premier mai est férié. Tous les magasins sont fermés et seuls quelques services jugés essentiels fonctionnent. Tout au plus quelques bars ouvrent dans la soirée. Les maisons de disques fermant aussi, il ne semble pas y avoir de tangos enregistrés pour le jour des travailleurs et travailleuses (Día Internacional del trabajador y la trabajadora comme on dit en Argentine). Mais il y a des choses à dire sur le sujet…

Haragán

Enrique Pedro Delfino Letra: Manuel Romero, Luis Bayón Herrera

Extrait musical

Haragán, partition pour piano. Superbe illustration de couverture par Sandro

Il y a de très nombreuses versions de Haragán et bien sûr, aucune n’est du premier mai. J’en ai donc choisi une, mais vous avez beacoup d’autres à écouter après la présentation des paroles. J’ai choisi celle de Rafael Canaro car elle est sympa et qu’on l’entend moins que son frangin, Francisco qui a aussi donné sa version du thème, une version que j’aime bien car elle est amusante. Mais le thème de Haragán est amusant, comme en témoigne l’illustration de la partition…

Haragán 1929 – Orquesta Rafael Canaro con Carlos Dante

Paroles de Haragán

Sofia Bozán a été la première à chanter Haragán. C’était en 1928, au théâtre Sarmiento. Malheureusement, il ne semble pas y avoir d’enregistrements de cette prestation.

¡La pucha que sos reo y enemigo de yugarla!
La esquena se te frunce si tenés que laburarla…
Del orre batallón vos sos el capitán;
vos creés que naciste pa’ ser un sultán.
Te gusta meditarla panza arriba, en la catrera
y oír las campanadas del reló de Balvanera.
¡Salí de tu letargo! ¡Ganate tu pan!
Si no, yo te largo… ¡Sos muy haragán!

Haragán,
sí encontrás al inventor
del laburo, lo fajás…
Haragán, si seguís en ese tren
yo te amuro, Cachafaz
Grandulón,
prototipo de atorrante
robusto, gran bacán;
despertá, si dormido estás,
pedazo de haragán.

El día del casorio dijo el tipo ‘e la sotana:
«El coso debe siempre mantener a su fulana».
Y vos interpretás las cosas al revés:
¡que yo te mantenga es lo que querés!
Al campo a cachar giles que el amor no da pa’ tanto.
A ver si te entreveras porque yo ya no te aguanto…
Si en tren de cara rota pensás continuar,
« Primero de Mayo » te van a llamar.

Enrique Pedro Delfino Letra: Manuel Romero, Luis Bayón Herrera

Traduction libre de Haragán

Putain ! (c’est en fait une exclamation de surprise, de dégoût, pas la désignation d’une pute au sens strict) tu es condamné et ennemi du travail ! (yugar ou yugarla – travail)
Ton dos se tord s’il te faut travailler…
Du bataillon des condamnés (orre est reo en verlan), tu es le capitaine ;
Tu crois être né pour être un sultan.
Tu aimes méditer le ventre à l’air, sur le lit (catrera = lit en lunfardo)
et entendre les cloches de l’horloge de Balvanera.
Sors de ta léthargie ! Gagne ton pain !
Sinon, je te jette dehors… Tu es trop paresseux !

Paresseux,
Si tu croises l’inventeur du travail, tu le roue de coups…
Paresseux, si tu continues ainsi (dans ce train), je t’abandonne (amuro en lunfardo a différentes significations, dont celle de quitter pour un autre), Cachafaz (il ne s’agit pas bien sûr de El Cachafaz, mais du terme lunfardo qui signifie paresseux, coquin, voyou, sans vergogne et autres choses peu aimables).
Grand gaillard,
Prototype de l’oisif (attorante) robuste, grand profiteur (un bacan, est un individu qui jouit de la vie. En général un bacan a de l’argent, il entretient une courtisane, mais là, il n’en a que les façons, pas le portefeuille) ;
Réveille-toi, si tu es endormi gros tas (pedazo est un amoncellement) fainéant.

Le jour du mariage, le type en soutane a dit :
« Le mec doit toujours entretenir sa moitié. »
Et tu interprètes les choses à l’envers :
Que je t’entretienne, c’est ce que tu veux !
À la campagne pour attraper des idiots pour l’amour ne donne pas pour si cher.
Voyons si tu vas t’emmêler les pinceaux (là, ce serait plutôt se remuer qu’emmêler) parce que là, je ne te supporte plus…
Si tu prévois de continuer sur un train en panne
« Primero de Mayo », ils vont te nommer (en lunfardo, un primero de mayo est un fainéant qui fait de chaque jour un 1er mai, jour férié).

Autres versions

Haragán 1928-08-31 — Orquesta Francisco Canaro con Charlo.

Cette version fait un peu musique de dessin animé. Charlo chante un paresseux qui semble content de l’être.

Haragán 1928-08-31 — Orquesta Francisco Lomuto.

Le même jour que Canaro, Lomuto produit une version instrumentale. Comme souvent, cette version peut faire penser à Canaro, mais elle est un peu moins imaginative. La concordance de date fait qu’il est amusant de comparer les deux versions.

Haragán 1928 – Enrique Delfino (piano y canto) y Manuel Parada (guitarra).

Une version par l’auteur de la musique au piano, je vous en présenterai deux autres…

Haragán 1928-09-11 — Azucena Maizani con acomp. de Dúo Enrique Delfino (piano) y Manuel Parada (guitare).

Les mêmes musiciens, avec le renfort d’Azucena…

Haragán 1928-09-25 — Orquesta Osvaldo Fresedo.

C’est une version instrumentale, mais on entend bien la « fatigue » du paresseux.

1928-09-28 – Orquesta Juan Maglio Pacho (version instrumentale).
Haragán 1928-09-28 – Orquesta Juan Maglio Pacho – Disco-Nacional-Odeon-No.7591-A-Matriz-e-3264
Haragán 1929-06-21 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José María Aguilar (guitarras)
Haragán 1929 – Ignacio Corsini acomp. de guitares. L’autre Gardel…
Haragán 1929 – Orquesta Rafael Canaro con Carlos Dante
Haragán 1929 — Enrique Delfino (piano) y Antonio Rodio (violin).

Une version instrumentale très sympa. Dommage que le son ne soit pas de bonne qualité…

Haragán 1929 — Alina de Silva (acomp. accordéon et piano). Un enregistrement français de chez Pathé)
Haragán 1929 — Alina de Silva (acomp. accordéon et piano). Un enregistrement français de chez Pathé).

Pas d’enregistrement notable du titre dans les années 30, il faut attendre 1947 et… Astor Piazzolla, pour le retrouver sur un disque.

Haragán 1947-04-15 – Astor Piazzolla y su Orquesta Típica con Aldo Campoamor
Haragán 1955-12-14 — Enrique Mora y su Cuarteto Típico con Elsa Moreno.

Une version tonique, une chanson mais quasiment dansable. Un résultat dans la lignée de cambalache ou des enregistrements de Tita Merello (qui a d’ailleurs enregistré aussi cambalache…).

Haragán 1958-07-29 — Diana Durán con acomp. de Oscar Savino.

Une version chantée par une femme énergique. Notre Haragán n’a qu’à bien se tenir.

Haragán 2013 — Stella Milano.

Une des plus récentes versions de ce thème qui est toujours d’actualité…

Autres musiques

D’autres musiques pourraient convenir pour un premier mai, par exemple :

Al pie de la Santa Cruz 1933-09-18 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, Domingo Riverol, Domingo Julio Vivas, Horacio Pettorossi.

Ce tango a été interdit, car il parle de grève…

Trabajar, nunca 1930-06-11 — Tita Merello con orquesta (Juan Carlos Bazán Letra : Enrique Carrera Sotelo).

Un tango humoristique qui pourrait être la réponse du Haragán a sa femme, sous forme de bonnes résolutions pour l’année nouvelle et qui se termine par, « j’accepte tout en ton nom, mais le travail, ça, non ! » L’argot utilisé dans ce tango est similaire à celui de Haragán.

Seguí mi consejo 1929-06-21 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José María Aguilar (Salvador Merico Letra: Eduardo Salvador Trongé).

Encore un tango qui donne de bons conseils pour ne rien faire… Un véritable manuel du haragán.

Seguí mi consejo 1947-01-29 — Orquesta Enrique Rodríguez con Ricardo Herrera.

Une version dansable de ce titre. Sans doute à passer un premier mai, ou pour se moquer d’un danseur un peu paresseux…

1° de mayo — Osvaldo Jiménez y Luis García Montero (Tango).

Oui, oui, j’ai bien trouvé un tango qui portait la date du jour. Osvaldo Jiménez à la guitare et au chant a mis en musique le poème 1° de mayo de Luis García Montero… Bon, ce n’est pas le tango du siècle, mais ça montre que le tango est toujours en phase de création et que l’association entre les poètes et les musiciens fonctionne toujours.

1° de mayo — Osvaldo Jiménez y Luis García Montero (Tango).
La photo de couverture est un mural intérieur, peint à l’huile, de 4,5x6m de Ricardo Carpani appelé 1ero de Mayo. Il se trouve au Sindicato de Obreros del Vestido, rue Tucumán au 737. Il a été réalisé en 1963 et pas en 1964 comme le disent presque toutes les sources. J’ai rajouté la signature (Carpani).

Si vous souhaitez en savoir plus sur cet artiste : http://www.relats.org/documentos/TAC.Muralismo.Soneira.60y70.pdf

Haragán – Primero de mayo (premier mai)

Enrique Pedro Delfino Letra: Manuel Romero, Luis Bayón Herrera

En Argentine, le premier mai est férié. Tous les magasins sont fermés et seuls quelques services jugés essentiels fonctionnent. Tout au plus quelques bars ouvrent dans la soirée. Les maisons de disques fermant aussi, il ne semble pas y avoir de tangos enregistrés pour le jour des travailleurs et travailleuses (Día Internacional del trabajador y la trabajadora comme on dit en Argentine). Mais il y a des choses à dire sur le sujet…

Faute d’enregistrement un premier mai, j’ai cherché des tangos qui parlent du premier mai et de ces questions.
Le plus connu est bien sûr Haragán. C’est donc lui qui va faire office de tango du jour… Ce tango ne parle pas précisément du premier mai, mais le type fainéant qui se fait disputer par sa femme est ce qu’on appelle en Argentine un Primero de Mayo (un premier mai), à cause de son allergie au travail.

Extrait musical

Haragán, partition pour piano. Superbe illustration de couverture par Sandro

Il y a de très nombreuses versions de Haragán et bien sûr, aucune n’est du premier mai. J’en ai donc choisi une, mais vous avez beaucoup d’autres à écouter après la présentation des paroles. J’ai choisi celle de Rafael Canaro car elle est sympa et qu’on l’entend moins que son frangin, Francisco qui a aussi donné sa version du thème, une version que j’aime bien car elle est amusante. Mais le thème de Haragán est amusant, comme en témoigne l’illustration de la partition…

Haragán 1929 – Orquesta Rafael Canaro con Carlos Dante

Paroles de Haragán

Sofia Bozán a été la première à chanter Haragán. C’était en 1928, au théâtre Sarmiento. Malheureusement, il ne semble pas y avoir d’enregistrements de cette prestation.

¡La pucha que sos reo y enemigo de yugarla!
La esquena se te frunce si tenés que laburarla…
Del orre batallón vos sos el capitán;
vos creés que naciste pa’ ser un sultán.
Te gusta meditarla panza arriba, en la catrera
y oír las campanadas del reló de Balvanera.
¡Salí de tu letargo! ¡Ganate tu pan!
Si no, yo te largo… ¡Sos muy haragán!

Haragán,
sí encontrás al inventor
del laburo, lo fajás…
Haragán, si seguís en ese tren
yo te amuro, Cachafaz
Grandulón,
prototipo de atorrante
robusto, gran bacán;
despertá, si dormido estás,
pedazo de haragán.

El día del casorio dijo el tipo ‘e la sotana:
«El coso debe siempre mantener a su fulana».
Y vos interpretás las cosas al revés:
¡que yo te mantenga es lo que querés!
Al campo a cachar giles que el amor no da pa’ tanto.
A ver si te entreveras porque yo ya no te aguanto…
Si en tren de cara rota pensás continuar,
« Primero de Mayo » te van a llamar.

Enrique Pedro Delfino Letra: Manuel Romero, Luis Bayón Herrera

Traduction libre de Haragán

Putain ! (c’est en fait une exclamation de surprise, de dégoût, pas la désignation d’une pute au sens strict) tu es condamné et ennemi du travail ! (yugar ou yugarla – travail)
Ton dos se tord s’il te faut travailler…
Du bataillon des condamnés (orre est reo en verlan), tu es le capitaine ;
Tu crois être né pour être un sultan.
Tu aimes méditer le ventre à l’air, sur le lit (catrera = lit en lunfardo)
et entendre les cloches de l’horloge de Balvanera.
Sors de ta léthargie ! Gagne ton pain !
Sinon, je te jette dehors… Tu es trop paresseux !

Paresseux,
Si tu croises l’inventeur du travail, tu le roues de coups…
Paresseux, si tu continues ainsi (dans ce train), je t’abandonne (amuro en lunfardo a différentes significations, dont celle de quitter pour un autre), Cachafaz (il ne s’agit pas bien sûr de El Cachafaz, mais du terme lunfardo qui signifie paresseux, coquin, voyou, sans vergogne et autres choses peu aimables).
Grand gaillard,
Prototype de l’oisif (attorante) robuste, grand profiteur (un bacan, est un individu qui jouit de la vie. En général un bacan a de l’argent, il entretient une courtisane, mais là, il n’en a que les façons, pas le portefeuille) ;
Réveille-toi, si tu es endormi gros tas (pedazo est un amoncellement) fainéant.

Le jour du mariage, le type en soutane a dit :
« Le mec doit toujours entretenir sa moitié. »
Et tu interprètes les choses à l’envers :
Que je t’entretienne, c’est ce que tu veux !
À la campagne pour attraper des idiots pour l’amour ne donne pas pour si cher.
Voyons si tu vas t’emmêler les pinceaux (là, ce serait plutôt se remuer qu’emmêler) parce que là, je ne te supporte plus…
Si tu prévois de continuer sur un train en panne
« Primero de Mayo », ils vont te nommer (en lunfardo, un primero de mayo est un fainéant qui fait de chaque jour un 1er mai, jour férié).

Autres versions

Haragán 1928-08-31 — Orquesta Francisco Canaro con Charlo.

Cette version fait un peu musique de dessin animé. Charlo chante un paresseux qui semble content de l’être.

Haragán 1928-08-31 — Orquesta Francisco Lomuto.

Le même jour que Canaro, Lomuto produit une version instrumentale. Comme souvent, cette version peut faire penser à Canaro, mais elle est un peu moins imaginative. La concordance de date fait qu’il est amusant de comparer les deux versions.

Haragán 1928 – Enrique Delfino (piano y canto) y Manuel Parada (guitarra).

Une version par l’auteur de la musique au piano, je vous en présenterai deux autres…

Haragán 1928-09-11 — Azucena Maizani con acomp. de Dúo Enrique Delfino (piano) y Manuel Parada (guitare).

Les mêmes musiciens, avec le renfort d’Azucena…

Haragán 1928-09-25 — Orquesta Osvaldo Fresedo.

C’est une version instrumentale, mais on entend bien la « fatigue » du paresseux.

1928-09-28 – Orquesta Juan Maglio Pacho (version instrumentale).
Haragán 1928-09-28 – Orquesta Juan Maglio Pacho – Disco-Nacional-Odeon-No.7591-A-Matriz-e-3264
Haragán 1929-06-21 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José María Aguilar (guitarras)
Haragán 1929 – Ignacio Corsini acomp. de guitares. L’autre Gardel…
Haragán 1929 – Orquesta Rafael Canaro con Carlos Dante
Haragán 1929 — Enrique Delfino (piano) y Antonio Rodio (violin).

Une version instrumentale très sympa. Dommage que le son ne soit pas de bonne qualité…

Haragán 1929 — Alina de Silva (acomp. accordéon et piano). Un enregistrement français de chez Pathé)
Haragán 1929 — Alina de Silva (acomp. accordéon et piano). Un enregistrement français de chez Pathé).

Pas d’enregistrement notable du titre dans les années 30, il faut attendre 1947 et… Astor Piazzolla, pour le retrouver sur un disque.

Haragán 1947-04-15 – Astor Piazzolla y su Orquesta Típica con Aldo Campoamor
Haragán 1955-12-14 — Enrique Mora y su Cuarteto Típico con Elsa Moreno.

Une version tonique, une chanson mais quasiment dansable. Un résultat dans la lignée de cambalache ou des enregistrements de Tita Merello (qui a d’ailleurs enregistré aussi cambalache…).

Haragán 1958-07-29 — Diana Durán con acomp. de Oscar Savino.

Une version chantée par une femme énergique. Notre Haragán n’a qu’à bien se tenir.

Haragán 2013 — Stella Milano.

Une des plus récentes versions de ce thème qui est toujours d’actualité…

Autres musiques

D’autres musiques pourraient convenir pour un premier mai, par exemple :

Al pie de la Santa Cruz 1933-09-18 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, Domingo Riverol, Domingo Julio Vivas, Horacio Pettorossi.

Ce tango a été interdit, car il parle de grève…

Trabajar, nunca 1930-06-11 — Tita Merello con orquesta (Juan Carlos Bazán Letra : Enrique Carrera Sotelo).

Un tango humoristique qui pourrait être la réponse du Haragán a sa femme, sous forme de bonnes résolutions pour l’année nouvelle et qui se termine par, « j’accepte tout en ton nom, mais le travail, ça, non ! » L’argot utilisé dans ce tango est similaire à celui de Haragán.

Seguí mi consejo 1929-06-21 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José María Aguilar (Salvador Merico Letra: Eduardo Salvador Trongé).

Encore un tango qui donne de bons conseils pour ne rien faire… Un véritable manuel du haragán.

Seguí mi consejo 1947-01-29 — Orquesta Enrique Rodríguez con Ricardo Herrera.

Une version dansable de ce titre. Sans doute à passer un premier mai, ou pour se moquer d’un danseur un peu paresseux…

1° de mayo — Osvaldo Jiménez y Luis García Montero (Tango).

Oui, oui, j’ai bien trouvé un tango qui portait la date du jour. Osvaldo Jiménez à la guitare et au chant a mis en musique le poème 1° de mayo de Luis García Montero… Bon, ce n’est pas le tango du siècle, mais ça montre que le tango est toujours en phase de création et que l’association entre les poètes et les musiciens fonctionne toujours.

1° de mayo — Osvaldo Jiménez y Luis García Montero (Tango).
La photo de couverture est un mural intérieur, peint à l’huile, de 4,5x6m de Ricardo Carpani appelé 1ero de Mayo. Il se trouve au Sindicato de Obreros del Vestido, rue Tucumán au 737. Il a été réalisé en 1963 et pas en 1964 comme le disent presque toutes les sources. J’ai rajouté la signature (Carpani).

Si vous souhaitez en savoir plus sur cet artiste : http://www.relats.org/documentos/TAC.Muralismo.Soneira.60y70.pdf

Porteña linda 1940-04-30 – Orquesta Edgardo Donato y sus muchachos con Horacio Lagos (Milonga)

Edgardo Donato (Edgardo Felipe Valerio Donato) Letra: Horacio Sanguinetti (Horacio Basterra)

Les tangos parlent souvent des jolies femmes. Celles-ci sont de Buenos Aires, mais d’autres villes ont droit à la mise en valeur de leurs femmes. Aujourd’hui, nous ferons un jeu et découvrirons une femme qui est sans doute une des inspiratrices de cette milonga pour Horacio Sanguinetti, l’auteur des paroles.

Jeu des sept erreurs

Un petit jeu pour commencer. Voici une image avec une couverture de partition de Porteña linda et un disque de la firme Victor, également avec Porteña linda. Cherchez, non pas nécessairement les erreurs, mais ce qui est différent (il y a moins de sept différences à trouver). Réponse après les paroles et avant la découverte de Rosita…

Extrait musical

À gauche, couverture de la partition pour piano et voix de Porteña linda et à droite, disque de Porteña linda.
Porteña linda 1940-04-30 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos (Milonga)

Hier, je vous avais proposé une vingtaine de versions. Pour ce titre, seul Donato a enregistré sa composition, mais de si belle manière que cela compense…

Les paroles

Buenos Aires tiene
De noche y de día,
Mujeres tan lindas
Que no las cambiaría.

Sin hablar de más
Ni despreciar a las inglesas,
Y sin humillar
Por las francesas.

Buenos Aires tiene
Mujeres tan lindas,
Que uno ya pierde la razón
Y da el corazón.

Soy el canyengue
De esta milonga,
Porteña linda
No hay quién te pise el poncho,
Ayer creí que por Maipú y Tucumán
Iba a morir de amor.

Edgardo Donato (Edgardo Felipe Valerio Donato) Letra: Horacio Sanguinetti (Horacio Basterra)

Traduction libre et indications

Buenos Aires a, nuit et jour, des femmes si belles que je ne les changerais pas. 
Sans en dire plus, ni déprécier les Anglaises, et sans humilier les Françaises. Buenos Aires a de si belles femmes que vous perdez la tête et donnez votre cœur. 
Je suis le compadre de cette milonga, Porteña linda (belle habitante de Buenos Aires) il n’y a personne pour te provoquer (Pisar el poncho en lunfardo signifie chercher des noises. Les gauchos posaient leur poncho au sol et l’adversaire, s’il acceptait le combat le piétinait), hier j’ai cru qu’à l’angle de Maipú et Tucumán j’allais mourir d’amour. (Maipú et Tucumán est l’intersection de ces deux rues de Buenos Aires. Il y avait là un bar célèbre, car c’est ici que Carlos Di Sarli a commandé les paroles du tango « Corazón ». à Héctor Marcó).

Réponse au jeu des sept erreurs

Voici la réponse à notre petit jeu.

À gauche, couverture de la partition pour piano et voix de Porteña linda et à droite, disque de Porteña linda.

Si le titre est le même, ce n’est pas la même œuvre. La partition est une production espagnole avec un compositeur et un parolier différent de la version de notre milonga du jour qui est une œuvre argentino-uruguayenne.

Couverture de partitionDisque
TitrePorteña lindaPorteña linda
TypeTango canciónMilonga tangueada
CompositeurJoaquina Marti MiraEdgardo Donato
ParolierHilario Omedes (y Hernández)Horacio Sanguinetti
Date1934Avant avril 1940
Lieu de productionMadrid – EspagneBuenos Aires – Argentine

Joaquina Marti Mira, Hilario Omedes et Hernández

Dans la Gaceta de Madrid n°126 du 6 mai 1935, on peut lire :
“70.657.— Porteña linda, tango canción; por Hilario Omedes y Hernández, de la letra, y Joaquina Martí Mira, de la música, Madrid. Lit. Sucs. de Durán, 1934.— Folio con dos hojas. (44.872.)”.
On notera donc que cette œuvre a été publiée en 1934 et qu’un auteur supplémentaire est indiqué, Hernández.
En ce qui concerne Hilario Omedes, cet auteur ne semble pas avoir été prolifique. On connait de lui cette pièce de théâtre ¡Histérica! Plutôt du niveau du comique troupier. En voici un court extrait que je vous ai traduit de l’espagnol :

« – Marie : Que dîtes-vous ? Fernando s’en va ? Il part de Madrid ? (Elle pleure) […] Laissez-moi seule !
Doncella : (Bouleversée) Mais ne pleurez pas mademoiselle… Oui… Je m’en vais ; mais ne pleurez pas… Comme si un homme méritait autant !
(En aparte) Perdre un fiancé officiel, passe encore, mais tout un bataillon… Ji… i… Ji… i ; (Elle sort en pleurant, essuyant ses larmes avec son tablier). »

Hernández, l’autre auteur cité par la Gaceta de Madrid est peut-être Guillermo Hernández Mir. Celui-ci est un peu plus prolifique. Il a écrit, des livres, nouvelles, mais aussi pour le théâtre. Si vous voulez un exemple, La Feria (1915) : disponible en téléchargement gratuit…

Quant à la compositrice, Joaquina Martí Mira, elle a aussi composé au moins un paso doble, également cité dans la Gaceta de Madrid,
57.152.—De los Ardales, pasodoble, por “Martimira” y “Mignon”, seudónimos de doña Joaquina Martí Mira y D. Antonio Grau ; Dauset.  » Ejemplar manuscrito.-—4.® apaisado con dos hojas. (36.562.)

N’ayant pas trouvé un enregistrement de son tango Portena linda, je vous propose Perdónalo qu’elle a signé de son pseudonyme Martimira y Mignon. Antonio Grau Dauset a écrit les paroles. L’orchestre n’est pas identifié. La chanteuse est Paquita Alfonso. L’enregistrement est au catalogue de Juillet 1930 de « La Voz de Su Amo » (éditeur musical de Barcelone), il est donc antérieur.

Perdónalo 1930c – Martimira y Mignon (Joaquina Martí Mira) Letra: Antonio Grau Dauset.
Heraldo de Barcelona, vers 1930 (rubrique théâtrale en page 9. Paquita Alfonso qui chante le titre de Joaquina Marti Mira est connue. Faut-il en déduire une certaine notoriété pour la compositrice de porteña Linda made in spain ?

Rosita

J’ai déjà parlé du destin tragique de Sanguinetti, ou plutôt d’Horacio Basterra qui est retourné dans son pays après avoir tué le militaire qui maltraitait sa sœur. Sa fuite rocambolesque en Uruguay depuis Tigre avec l’aide d’Osvaldo Pugliese et de Cátulo Castillo pourrait faire l’objet d’un roman.
Mais sa vie, courte et tragique lui a permis d’écrire au moins 155 titres (enregistrés à la SADAIC). Nous le retrouverons donc à d’autres reprise dans les anecdotes de tango.
Aujourd’hui, je vais juste évoquer Rosita, son grand amour.
Rosita, telle que la décrit Beba Pugliese était grande, blonde. Elle avait les cheveux coiffés en arrière et elle fumait.
On peut trouver son portrait en filigrane dans différentes compositions de Sanguinetti. Dans notre milonga du jour, par exemple, mais peut-être encore plus dans Princesa del fango.

Princesa del fango 1951-05-11 – Orquesta Francini-Pontier con Julio Sosa.
Enrique Mario Francini Letra: Horacio Sanguinetti (Horacio Basterra)

Je reviendrai sur ce titre le 11 mai, jour anniversaire de son enregistrement par Julio Sosa.

Rosita, que j’imagine un peu à la Evita était une femme de la nuit, une princesse de la fange.

La última copa 1943-04-29 – Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo

Francisco Canaro Letra : Juan Andrés Caruso

Ceux qui fréquentent les milongas portègnes ont sans doute été étonnés de voir la quantité de bouteilles de champagne qui peuplent les tables. Ce breuvage a même des tangos à son nom. Toutes les boissons ne peuvent pas en dire autant. La última copa, le dernier verre, n’est donc pas le dernier pour tout le monde. Voyons ce que nous conte ce tango.

Il y a champagne et champagne

L’Argentine est un grand pays de viticulture et de vin. Elle propose des vins somptueux, curieusement presque tous nommés du nom du raisin qui les composent. On va prendre un Merlot, un Cabernet, une Syrah, un Chardonnay…
Le champagne que l’on trouve sur les tables des milongas n’a de champagne que le nom, tout comme le Roquefort. Il est produit sur place, notamment à Mendoza et en Patagonie.
Progressivement, sous la pression des viticulteurs français, le nom change pour laisser apparaître « méthode champenoise » ou autre indication laissant penser que c’est du Champagne, sans le dire vraiment. J’imagine que les viticulteurs français de Champagne ne tiennent pas en grande estime ces vins, bien que certains se vendent en Argentine bien plus cher que les « vrais » champagnes de supermarché français. Cependant, dans les milongas, c’est bien un mousseux standard qui vous sera servi comme champagne.
Revenons à notre última copa. Je vous propose de l’écouter… dans une vingtaine de versions…

Extrait musical

La última copa 1943-04-29 — Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo.

C’est une version bien rythmée, avec une accentuation forte des temps. Tanturi est considéré comme un orchestre facile à danser. Pour cette raison, on le rencontre souvent dans les encuentros. Ici, c’est la voix de Castillo qui déclame les paroles, tout au moins les deux premiers couplets et deux fois le refrain. Le chant commence à 1 minute, après la présentation par les bandonéons et les violons du thème, le violon travaillant surtout en ponctuation. À 2 : 05 Castillo laisse la place à l’orchestre, puis reprend le refrain pour terminer, juste avant les deux traditionnels accords de Tanturi (accord sur dominante, temps de silence, accord sur tonique, tardif).

Les paroles

Eche, amigo, nomás, écheme y llene
Hasta el borde la copa de champagne
Que esta noche de farra y de alegría
El dolor que hay en mi alma quiero ahogar

Es la última farra de mi vida
De mi vida, muchachos, que se va
Mejor dicho, se ha ido tras de aquella
Que no supo mi amor nunca apreciar

Yo la quise, muchachos y la quiero
Y jamás yo la podré olvidar
Yo me emborracho por ella
¿Y ella, quién sabe qué hará?

Eche, mozo, más champagne
Que todo mi dolor bebiendo lo he de ahogar
Y si la ven, amigos, díganle
Que ha sido por su amor que mi vida ya se fue

Y brindemos, nomás, la última copa
Que, tal vez, también ella ahora estará
Ofreciendo en algún brindis su boca
Y otra boca, feliz, la besará

Eche amigo, nomás, écheme y llene
Hasta el borde la copa de champagne
Que mi vida se ha ido tras de aquella
Que no supo mi amor nunca apreciar

Yo la quise, muchachos, y la quiero
Y jamás yo la podré olvidar
Yo me emborracho por ella
¿Y ella, quién sabe qué hará?

Eche, mozo, más champagne
Que todo mi dolor bebiendo lo he de ahogar
Y si la ven, amigos, díganle
Que ha sido por su amor que mi vida ya se fue

Francisco Canaro Letra: Juan Andrés Caruso

Castillo chante ce qui est en gras.

Traduction libre

Verse, mon ami, sans façon, verse et remplis à ras bord la coupe de champagne, car en cette nuit de réjouissances et de joie, je veux noyer la douleur qui est dans mon âme.
C’est la dernière fête de ma vie, de ma vie, les gars, qui s’en va… Ou plutôt, elle est partie avec celle que mon amour n’a jamais su apprécier.

Je l’ai aimée, les gars, et je l’aime, et jamais je ne pourrai l’oublier, je vais m’enivrer pour elle et qui sait ce qu’elle fera.
Verse, mozo (garçon, serveur) plus de champagne, que toute ma peine, en le buvant, je la noierai ; et si vous la voyez, les gars, dites-lui que c’est pour son amour que ma vie s’en est allée.

Et trinquons sans façon, le dernier verre, que peut-être, elle aussi, en ce moment, lors d’un toast, elle offrira sa bouche et une autre bouche heureuse l’embrassera.
Verse, mon ami, sans façon, verse et remplis à ras bord la coupe de champagne, car ma vie s’en est allée après celle que mon amour n’a jamais su apprécier.

Pour ceux qui disent que le tango raconte des histoires de cocus, ce texte, triste, il est vrai, parle plutôt d’un repentir, repentir de ne pas avoir porté d’intérêt à une femme qui l’aimait, jusqu’à ce qu’il soit trop tard. En parallèle de la détresse « théâtrale » du conteur, il y a eu auparavant la tristesse de la femme négligée.
Le champagne est le témoin de l’amitié, de la fête, mais aussi de la tristesse. C’est un compagnon supplémentaire qui a arrosé les tangueros depuis plus d’un siècle, depuis, pour le moins, que le tango s’est énivré du breuvage français dans les établissements parisiens au début du vingtième siècle.
Canaro est le compositeur de la musique. Caruso et Canaro furent amis, lorsque Caruso fut de retour d’exil, vers 1910. Caruso a eu une vie plutôt triste et courte (mort à 40 ans). Il a écrit ce joli texte, plein d’émotion, tout comme Mi noche triste et plus de 80 autres thèmes dont beaucoup ont été joués par Canaro.

Les versions

Canaro a été le premier à avoir enregistré le titre et il l’a fait à de nombreuses reprises. C’est lui qui commence la liste des versions.

La última copa 1926 — Orquesta Francisco Canaro.

La plus ancienne version enregistrée, par Canaro, sans les paroles de son ami Caruso. Le son est médiocre, aussi vous n’entendrez pas ce titre en milonga. Mais rassurez-vous, Canaro a mis le paquet et vous avez d’autres versions de son cru… Je pense que l’enregistrement est plutôt de 1925, voire antérieur.

La última copa 1927-03-23 — Orquesta Francisco Canaro con Agustín Irusta.

Irusta, l’année suivante chante les paroles de Caruso. C’est la première version chantée et l’enregistrement électrique rend le titre plus agréable à écouter.

La última copa 1927-06-14 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras).

Une version en chanson. On la comparera avec celle d’Héctor Mauré de 1954.

La última copa 1931-04-22 — Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro.

Canaro nous offre avec sa chérie, une version chanson du thème.

La última copa 1931-05-13 — Orquesta Francisco Canaro con Charlo.

Une version de danse, chantée par Charlo, chanteur de estribillo.

La última copa 1943-04-29 — Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo. C’est le tango du jour.
La última copa 1948-01-15 — Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas.

Une très belle version, mais pas forcément parfaite pour la danse. Les danseurs pourraient toutefois pardonner cela au DJ, car elle est superbe.

La última copa 1948 — Orquesta Luis Rafael Caruso con Julio Sosa. Valse.

Une version originale en valse. Sosa avait gagné un prix en Uruguay qui consistait à enregistrer des disques. Le son n’est pas parfait, mais cette version originale mérite l’écoute, voire la danse.

La última copa 1953-10-06 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán.

Comme souvent, la rencontre Pugliese et Morán, donne un tango un peu délicat à danser. Certains apprécient la voix, il en faut pour tous les goûts.

La última copa 1954 — Héctor Mauré con acomp. de guitarras.

Mauré reprend la tradition gardélienne. Le résultat est à comparer avec celui de son modèle.

La última copa 1956-09-25 — Orquesta Francisco Canaro con Guillermo Rico (Coral).

Une version dansable avec en prime la voix de Coral, sans doute assez rare dans les milongas.

La última copa 1957-05-20 — Dalva de Oliveira con acomp. de Francisco Canaro.

Avec ce septième enregistrement, Canaro a fait le tour. Ici une version à écouter par Dalva de Oliveira, à comparer avec celle d’Ada Falcón enregistrée 26 ans plus tôt.

La última copa 1958-04-17 — Orquesta Alfredo De Angelis con Juan Carlos Godoy.

Un De Angelis et Godoy classique. Bien dansable, enregistré par l’orchestre des calesitas.

La última copa 1965 — Orquesta Miguel Caló con Raúl del Mar y glosas de Héctor Gagliardi.

Une version sans doute plus pour l’écoute que pour la danse, mais intéressante

La última copa 1966-03-11 — Orquesta Florindo Sassone con Mario Bustos.

L’orchestre sert bien la voix de Bustos. Je ne proposerai pas pour la danse, mais c’est intéressant.

La última copa 1968-10-18 — Sexteto Tango con Jorge Maciel.

Le Sexteto Tango héritier de Pugliese donne sa version sans renier son modèle. Voir N… N…. Une version pour l’écoute avec une belle intro, une caractéristique de cet orchestre.

La última copa 1974 — Orquesta Florindo Sassone con Oscar Macri.

Une voix de ténor bien différente de celle de Mario Bustos. Je pense cette version moins intéressante que la précédente de Sassone.

La última copa 1987 — Los Solistas de D’Arienzo dir. par Carlos Lazzari con Walter Gutiérrez.

Souvent présenté comme étant un enregistrement de D’Arienzo, c’est en fait un enregistrement réalisé par ses solistes dirigés par Lazzari, qui était un de ses bandonéonistes et arrangeur, 11 après la mort du chef historique. Une version tonique, mais plus dans le style chanson que tango chanté. Cependant, elle est dansable, même si ce titre ne porte vraiment l’improvisation.

La última copa 2003 — Orquesta Mancifesta con Miguel Ángel Herrera.

Cet orchestre a commencé sa carrière à la fin de la vague Tango (1953). On lui doit cependant des enregistrements intéressants, comme celui-ci. Le disque est de 2003, l’enregistrement peut être antérieur. Cet orchestre, rarement passé en milonga, mériterait d’être plus entendu, même s’il n’est pas à la hauteur des plus grands orchestres. N’oublions pas que certains danseurs aiment être surpris par des versions inconnues.

N… N… 1947-04-28 — Orquesta Osvaldo Pugliese

Osvaldo Ruggiero.

La de los dos Osvaldos est un des surnoms de l’orchestre d’Osvaldo Pugliese. En effet, Osvaldo Ruggiero, l’auteur du tango du jour «N… N…» entra avant ses 17 ans dans l’orchestre de Pugliese et y resta 20 ans. Cette symbiose des deux Osvaldo a donné différents tangos comme «A mis compañeros», «Catuzo», «Rezongo tanguero», «Yunta de oro» et donc N… N…, notre tango du jour. Connaissez-vous la signification du titre de ce tango? Vous la découvrirez en fin d’article.

Osvaldo Lino Ruggiero (23 septembre 1922 – 31 mai 1994)

Fils d’émigrés italiens (de la région de Naples), el Tano Ruggiero est un bandonéoniste et compositeur. Comme beaucoup de ceux qui ont fait l’histoire du tango, ce dernier a commencé jeune, car à 17 ans, il intégrait déjà l’orchestre d’un autre Osvaldo, Osvaldo Pugliese.
Son père, Sabatino Ruggiero, lui a donné le goût de la musique et notamment celui du bandonéon dont il jouait également. Ce fut d’ailleurs lui qui fut son seul professeur, un professeur motivé, car il apprit le solfège uniquement pour pouvoir assurer une bonne éducation musicale à son fils.
Cette formation à base autodidactique lui a permis d’avoir un style un peu particulier qu’il a affiné aux côtés de Pugliese qui lui disait, « S’il faut travailler, alors, travaille ».
Il restera donc fidèle à l’orchestre de Pugliese, jusqu’à la création du Sexteto Tango, qu’il a accompagné et animé lors d’une tournée au Japon, Osvaldo Pugliese étant retenu en Argentine pour des questions de santé. Vous pourrez entendre sa version de N… N… enregistrée lors de cette tournée dans la partie « les versions ».
Ce musicien discret est un peu méconnu, car il n’a jamais souhaité se mettre en avant et avoir un orchestre à son nom, mais ses compositions et les disques de Pugliese et du Sexteto Tango parlent pour lui.
Si vous voulez en savoir plus sur cet artiste attachant, je vous invite à consulter ses « confidences » sur l’excellent site Todo Tango.
Ou son interview réalisée par Daniel Pedercini le 11 juillet 1993.

Interview d’Osvaldo Ruggiero réalisée par Daniel Pedercini le 11 juillet 1993.

Extrait musical

N… N… 1947-04-28 — Orquesta Osvaldo Pugliese. C’est le tango du jour.

Les versions

Osvaldo Pugliese a enregistré deux fois ce titre. En 1947, le tango du jour et en 1952. Je vous laisse comparer les deux versions, très proches. Je vous propose d’écouter ces deux versions, car les titres partagés sur les plateformes comme Spotify ou Apple Music sont truffées d’erreurs sur les versions. YouTube n’est pas mieux et un DJ qui a publié de très nombreux tango a plus de 50% d’erreurs dans ses attributions de dates. La seule solution, partir du disque original et vérifier dans le catalogue la date avec le numéro de matrice…
La version de l’auteur, Osvaldo Ruggiero avec son Sexteto Tango est très différente de celles de Pugliese. Bien sûr, elle a été réalisée 16 ans plus tard que la dernière de Pugliese, mais elle est très intéressante.

N… N… 1947-04-28 — Orquesta Osvaldo Pugliese. C’est le tango du jour.
N… N… 1952-11-13 — Orquesta Osvaldo Pugliese.

Une version très proche de la première, au point que plusieurs CD proposent celle de 1947 au lieu de celle de 1952. Plus graves, certains DJ qui partagent des musiques sur YouTube font cette erreur.

N… N… 1968-10 — Sexteto Tango.

Une version proposée par l’orchestre du compositeur. Ruggiero étant l’un des arrangeurs et le leader discret de la formation.

D’où vient le nom du tango N… N… ?

Je n’ai pas trouvé la source du nom, alors je vous propose plusieurs hypothèses.
Tout d’abord, N. N. est une abréviation courante pour « Ningún Nombre », pas de nom.
Cette formulation est utilisée depuis l’époque romaine. Il y a plus de 2000 ans, elle était destinée aux vagabonds, les sans nom, les innommables… Cette dénomination est toujours utilisée par exemple dans le cas de victimes non identifiées.
On peut donc penser que Ruggiero n’avait pas d’idée pour donner un titre à son tango, mais ce serait sans doute un peu léger. Beaucoup de tangos portent des noms qui n’ont rien à voir avec la musique, que ce soit à cause des besoins d’une dédicace, de la fantaisie d’un parolier, ou tout simplement, car la musique de tango n’est pas toujours descriptive, notamment dans ses versions modernes. La nécessité de mettre un nom sur une musique n’est pas absolue. En musique classique, la majorité des œuvres ne portent pas de nom descriptif. Elles portent l’indication de leur forme (symphonie, sonate…) et un numéro, le nom étant secondaire et très souvent absent. Il aurait été donc possible, surtout au sein d’un orchestre comme celui de Pugliese, tant collaboratif, un nom à apposer à ce tango.
Je vais donc avancer une autre hypothèse. Ce tango est daté de 1947. On trouve parfois l’indication de 1942 sur certains disques de création récente, mais je pense qu’il s’agit d’erreurs, ces versions étant absolument identiques à celles référencées en 1947. À cette époque (1947), on connaissait les horreurs commises par les nazis et les millions de « no name » qu’ils avaient faits. Floris B. Bakels, dans « Nacht und Nebel » (nuit et brouillard) décrit le sort des déportés qui étaient signés des lettres N N par les nazis. En effet, le décret N N « Nacht und Nebel » (permettait de déporter des personnes sous couvert d’anonymat. Ainsi, elles ne gonflaient pas les statistiques et les prisonniers qui portaient ces lettres sur leurs vêtements n’étaient pas considérés comme des humains ayant droit à un nom.

Je pense que mon hypothèse est probable, dans la mesure où quelques années plus tard, la dictature argentine a repris la même formulation pour pouvoir mettre du flou sur les disparitions. On connaît bien cette partie de l’histoire argentine et le trafic des enfants de ces N N., car le gouvernement argentin a mis en place une structure pour identifier ces exactions et on connaît également l’immense courage des mères de la Place de Mayo.

La puñalada 1937-04-27 — Orquesta Juan D’Arienzo

Pintín Castellanos (Horacio Antonio Castellanos Alves) Letra: Celedonio Esteban Flores.

Pintín Castellanos a écrit plusieurs milongas comme ; A puño limpio, El potro, El temblor, La endiablada ou Meta fierro et quelques milongas candombe, comme Bronce, Candombe oriental ou Candombe rioplatense. Vous aurez reconnu de nombreux succès. Notre milonga du jour, La puñalada est sans doute la plus célèbre. Laissez-moi planter le décor.

Gardez le rythme…

Le cas de la puñalada est un peu différent, sans être une exception. En effet, la puñalada a été écrite comme un tango milonga par Pintín Castellanos en 1933. Le tango milonga, mention que l’on trouve sur les partitions de l’époque, indique un tango de danse, éventuellement un peu joueur, type canyengue.
Dans la version du jour, on est plutôt sur un rythme de milonga lente. Les partitions de l’époque parlent de Milonga tangueada.
Ce type de transformation est assez courant. De nombreux titres anciens ont été rejoués de façon plus rapide et syncopée.
Sur cette transformation, il y a deux versions.
Selon la première, Firpo aurait apporté la partition à Feliciano Brunelli en 1933 et celui-ci l’aurait adaptée en milonga.
Selon l’autre version, lors d’une prestation à Montevidéo, D’Arienzo a promis à Pintín Castellanos de jouer le tango qu’il lui a confié, mais Rodolfo Biagi, le pianiste et Domingo Moro, un des bandonéonistes de D’Arienzo, chargés de faire les arrangements pour l’orchestre suggérèrent de moderniser le tango en le transformant dans un rythme plus soutenu et surtout en ajoutant les syncopes qui lui ont donné un caractère de milonga. La descente de gamme au piano et la montée, auraient été rajoutées par D’Arienzo, ce qui aurait fait dire à celui-ci que la Puñalada était un peu de lui.
Difficile de choisir entre ces deux versions. Je vous propose d’y revenir lors de l’écoute des différentes versions.

Extrait musical

La partition est dédicacée ainsi :
«Dedico esta milonga tangueada a la querida muchachada amiga que forma el Juventus del Club Banco de la República O. (orientale, l’Urugay est la “Province de l’Est”) del Uruguay y La Pelusa del Club Banco de la República Argentina, como también a su gran creador é interprete Juan D’Arienzo. – Pintin

La puñalada 1937-04-27 — Orquesta Juan D’Arienzo. En milonga lente (milonga tangueada).

Remarquez la grande descente au début de la portée, puis la remontée et en bout de première ligne, le gros accord (Ploum!) avec un point d’orgue qui indique qu’on peut le faire durer le temps souhaité… Le ploum serait de D’Arienzo, la descente et la montée de Biagi et Moro, mais rien n’est moins sûr.
On notera la dédicace qui prouve en tous cas que Pitin n’était pas fâché avec D’Arienzo pour avoir changé le caractère de sa composition. Il lui reconnaît même le caractère de créateur, alors que c’est lui, Pitin, qui a inauguré le morceau en 1933…

Les paroles

Mentían los que saben
que un malevo
muy de agallas
y de fama
bien sentada
por el barrio
de Palermo
cayó un día
taconeando
prepotente
a un bailongo
donde había
puntos bravos
pa’l facón.

Lo empezaron a mirar
con un aire sobrador
pero el mozo, sin chistar,
a una puerta se arrimó.

Los dejó sobrar.
Los dejó decir.
Y pa’ no pelear
tuvo que sufrir.

Pero la pebeta
más bonita,
la que estaba
más metida
en el alma
de los tauras,
esa noche
con la vista
lo incitaba
a que saliera
a darles dique
y a jugarse
en un tango
su cartel.

Se cruzó
un gran rencor y otro rencor
a la luz
de un farolito a querosén
y un puñal
que parte en dos un corazón
porque así
lo quiso aquella cruel mujer.

Cuentan los que vieron
que los guapos
culebrearon
con sus cuerpos
y buscaron
afanosos
el descuido
del contrario
y en un claro
de la guardia
hundió el mozo
de Palermo
hasta el mango
su facón.

Pintín Castellanos (Horacio Antonio Castellanos Alves) Letra: Celedonio Esteban Flores.

Traduction libre

Ils mentirent, ceux qui savent qu’un homme mauvais avec beaucoup de courage et d’une renommée bien établie dans le quartier de Palermo est tombé un jour, talonnant avec arrogance à un bal où il y avait des Puntos Bravos (des gauchos bagarreurs. Voir le tango Punto Bravo de Canaro, sans paroles et le Punto Bravo d’Alberto Benito Cima dont les paroles d’Enrique Cillan Paredes décrivent le personnage. Il ne semble pas avoir été enregistré).
Ils commencèrent à le regarder avec un air supérieur, mais le serveur, sans un mot, s’agrippa à une porte.
Ils commencèrent à le regarder avec un air supérieur, mais le serveur, sans un mot, s’agrippa à une porte.
Il les a laissé fanfaronner. Il les laissa dire.
Et pour ne pas se battre, il a dû souffrir.
Mais la plus jolie pépète, celle qui était la plus aimée dans l’âme des tauras (caïds), cette nuit-là, l’incita du regard à sortir et à leur rabattre le caquet et à mettre en jeu leur (sa) réputation dans un tango.
Une grande rancune et une autre rancune se croisèrent à la lumière d’un réverbère à pétrole et un poignard qui partage un cœur en deux parce que cette femme cruelle l’a voulu ainsi.
Ceux qui l’ont vu racontent que les guapos (hommes beaux) frémissaient avec leurs corps et cherchaient sournoisement l’inattention de l’adversaire, et dans une baisse de la garde, le serveur de Palermo plongea jusqu’à la garde, son couteau.

Les versions

La puñalada 1937-04-27 — Orquesta Juan D’Arienzo. En milonga lente (milonga tangueada). C’est le tango du jour.
La puñalada 1937-06-12 — Orquesta Francisco Canaro. En tango milonga.

Canaro reste dans la tradition de l’ancien tango (qui par ailleurs bénéficiait d’un regain de popularité). Cette version est beaucoup plus lente et n’a rien d’une milonga. Elle est considérée comme étant fidèle à la version d’origine. Cela peut permettre de douter, à mon avis, de l’hypothèse d’une transformation en milonga par Firpo et Brunelli. Si la transformation était un grand succès, pourquoi Canaro aurait-il pris le risque d’enregistrer une version désuète ? Même en tenant compte de sa tendance à être souvent plus conservateur et de sa volonté de surfer sur la vague de regain pour les tangos anciens, il me semble qu’il aurait a minima fait une milonga tangueada, du type de Milonga de mis amores, qui tout en conservant un rythme très lent fait usage de la syncope. Il reste l’hypothèse que Canaro souhaitait offrir à son compatriote une version témoin de l’écriture originale.

La puñalada 1937-12-02 — Alberto Gómez con acomp. de orquesta, en chanson.

Impensable de danser cette version en milonga, voire de la danser tout court. Il y a des doutes sur l’orchestre, car sur le disque il est juste indiqué avec orchestre. Deux orchestres sont proposés, celui de la Victor (il a chanté pour l’orchestre de 1930 à 1935 et celui de Firpo. Je pourrai rajouter celui de Carabelli, Gomez a beaucoup enregistré avec lui, que ce soit en tango ou avec son Jazz-Band et je pense donc que cet orchestre est plus probable que celui de Firpo pour lequel on ne connaît pas d’autres enregistrements avec lui (à moins qu’ils soient tous anonymes, ce qui n’est pas dans l’habitude de Firpo qui était un orchestre renommé). Gomez aura son propre orchestre plus tard (enregistrements de 1947).

La puñalada 1943-11-23 — Orquesta Juan D’Arienzo. En milonga rapide. Le pli était pris.

Cet enregistrement a été diffusé en disque 78 tours avec la Cumparsita de 1943, 17 millions de ce disque airaient été vendus. C’est encore un record aujourd’hui pour le tango. Le couplage avec la Cumparsita a sans doute fait beaucoup pour le succès de cette milonga.

La puñalada 1946-10-08 — Orquesta Francisco Canaro.

Si Canaro a pu ignorer le succès en milonga du titre, il ne le fait pas après l’immense succès de D’Arienzo et donne sa version en milonga du titre.

La puñalada 1950-12-19 — Orquesta Osvaldo Fresedo.

Une belle version joueuse par Fresedo, sans doute trop méconnue.

La puñalada 1951-09-12 — Orquesta Juan D’Arienzo.

Du D’Arienzo 50, sans surprise, qui pourrait éventuellement être remplacée par celles, contemporaines, de Fresedo ou Canaro…

La puñalada 1951-11-29 — Orquesta Francisco Canaro.

À couteaux tirés avec D’Arienzo, Canaro, relance quelques semaines après D’Arienzo… Une version tonique et euphorique, qui sera agréablement dansée par tous les danseurs.

Il existe énormément d’autres versions de La puñalada. J’espère que ce petit texte vous aura donné envie de vous y plonger au cœur… (Humour noir).

El entrerriano 1944-04-26 — Orquesta Osvaldo Fresedo

Anselmo Rosendo Mendizábal Letra : Ernesto Temes (Julián Porteño), Homero Expósito, H. Semino, S. Retondaro, Vicente Planells del Campo y Oscar Amor, Ángel Villoldo.

Voici une chose bien curieuse que ce tango qui ne dispose pas d’enregistrement de version chantée intéressante dispose de tant de paroles. Pas moins de cinq versions… Quoi qu’il en soit, ce tango écrit en 1897 par Rosendo Mendizábal est fameux, et il fut le premier à avoir une partition…

Un tango célèbre

Ce tango est fameux. C’est pour cela, probablement qu’il dispose de plusieurs paroles, ces dernières étant utilisées pour flatter un commanditaire potentiel.
J’ai raconté dans Sacale punta comment Rosendo l’a dédicacé à Ricardo Segovia et a gagné ainsi 100 pesos… Il venait de le jouer à de multiples reprises à la demande du public en Lo de María la Vasca, dont il était le pianiste attitré.
Comme preuve de notoriété, outre l’abondance de paroliers, je pourrais mentionner qu’il est chanté par Gardel dans Tango argentino 1929-12-11.

«De tus buenos tiempos aún hay palpitan
El choclo, Pelele’, El taita, El cabure
La morocha, El catre y La cumparsita
Aquel Entrerriano y el Sabado ingles»

La dernière preuve est le nombre incroyable de versions de ce titre. Les 100 pesos de Ricardo Segovia furent un bon investissement.

Extrait musical

El entrerriano 1944-04-26 — Orquesta Osvaldo Fresedo.

On comprend l’enthousiasme des premiers auditeurs de El entrerriano qui ne s’appelait pas ainsi quand il fut joué pour la première fois en Lo de María la Vasca. À l’époque Rosendo l’avait joué au piano et sans doute émulé par la bonne réception par les participants s’était peut-être lancé dans quelque chose un peu plus jouer et spontané que les versions de l’époque. Ce qui est sûr, c’est que Fresedo a su sortir de sa zone de confort pour nous éblouir avec cette version joyeuse.

Les paroles

J’ai mentionné cinq versions. Je n’en ai retrouvé que quatre, celle de Ángel Villoldo semble perdue.
Les quatre restantes sont du même type, elle raconte la gloire, la gloriole d’un type. Rien de bien intéressant et original. Je vous les cite donc par ordre chronologique et ne traduirai que la plus récente, celle de Homero Expósito.

Letra de Ángel Villoldo

Ángel Villoldo a dédié une version à Pepita Avellaneda. Pour cela il a écrit des paroles qui semblent perdues pour le moment.
Attention à ne pas confondre la chanteuse Pepita Avellaneda et Pepito Avellaneda, pseudonyme du danseur José Domingo Monteleone. Ce dernier a pris ce surnom, car il était né à Avellaneda. Pepito, je ne sais pas pourquoi il l’a choisi quand il fut obligé de prendre un pseudonyme pour atténuer son origine italienne afin de faciliter ses tournées européennes et le fait qu’il était d’une famille de pizzaiolos de province (Avellaneda).
D’ailleurs Pepita Avellaneda était également un pseudonyme, la chanteuse, qui était aussi danseuse s’appelait en fait Josefa Calatti… C’est elle qui avait étrenné El esquinazo de Villoldo, avec des paroles également disparues…
Villoldo a cependant écrit les paroles d’un autre tango qu’il a également composé : Desafío de un entrerriano (défi d’un entrerriano).
Il se peut qu’une partie des paroles soit proche de celles de la version perdue, à la différence qu’il s’agissait d’une femme, probablement uruguayenne dans le premier cas, mais à l’époque, l’Uruguay et Entre Rios sont très proche et la frontière de la Province de l’Est perméable.
On remarquera qu’elles sont de la même eau que celles destinées à El enterriano, ce qui confirme la destination de ces paroles, la flatterie, voire la flagornerie…
On ne connaît pas la datation précise de l’écriture de ce tango, mais comme il a été publié en 1907 dans Caras y Careteras, il est au plus tard de cette époque, soit tout au plus, cinq ans après la version perdue. Il ne semble pas exister d’enregistrement de ce tango. Voici donc les paroles de Desafío de un entrerriano :

Ángel VilloldoDesafío de un entrerriano 
Aquí viene el entrerriano
El criollo más respetado,
Por una milonga, un estilo,
O un tanguito requebrado.
En cuanto yo me presento
No hay quién se atreva a roncar,
Al cohete son los candiales…
Me tienen que respetar.

¿Vamos a ver quién se atreve?
¿No hay ninguno que ya ladré?
¿Dónde está ese mozo pierna
que la echaba de compadre?
Vayan saliendo al momento
Ya que llega la ocasión,
Que eso es lo que a mí me gusta
Pa´ darles un revolcón.

¿Quién le ronca al entrerriano?
¿No hay quién cope la parada?,
Vamos a ver, pues, los taitas
Aprovechen la bolada.
Miren que ocasión como esta
No se les va a presentar…
¿De ande yerba?… Tienen miedo
Que los vaya a abatatar.

Ya veo que no hay ninguno
Que resuelle por la herida,
Y me gano la carrera
Mucho antes de la partida.
Aquí concluyo y saludo
Con cariño fraternal,
A todos los concurrentes
Y al pabellón nacional…


Letra de A. Semino y S. Retondaro
Tú el entrerriano un criollazo
De nobleza e hidalguía
Que captó la simpatía
De todo el que lo trató.
Porque siempre demostró
Ser hombre sincero y fiel
Y como macho de Ley
La muchachada lo apreció.

Como varón se comportó
Su pecho noble supo exponer
Para el débil defender
Y así librarlo del mal
Pero una noche sombría.
Que fue, ¡ay !, su desventura
En su alma la amargura
Echó su manto fatal
Por haber sido tan leal
Halló su cruel perdición …!
El entrerriano lloró
Su triste desilusión.

Una noche en un callejón
Al amigo más fiel vio caer,
Bajo el puñal de un matón
Que de traición lo hirió cruel
Y vibrando de indignación
El criollazo atropelló
Y en la faz del matón
Un barbijo marcó.

Y al correr de los años
Libertao ’e las cadenas
Con el peso de su pena,
Pa’l viejo barrio volvió
Y amargado lagrimeó
Al hallarse sin abrigo
Y hasta aquél… el más amigo,
El amparo le negó.


Letra de Vicente Planells del Campo y Oscar Amor
Mi apodo es
El Entrerriano y soy
de aquellos tiempos heroicos de ayer,
el de los patios del farol y el parral,
con perfume a madreselva y clavel.
Soy aquel tango que no tuvo rival
en las broncas y entreveros.
Pero fui sentimental
junto al calor
del vestido de percal.

Soy aquel que no aflojó jamás,
el que luchó con su valor
por mantener este compás
y con él
me sentí muy feliz
al poder triunfar con mi valor
lejos de aquí, allá en París.
Y después
de recorrer triunfal,
la vuelta pegué para volver
junto al calor de mi arrabal
y hoy al ver
que soy retruco y flor
quiero agradecer este favor
al bailarín como al cantor.

Entrerriano soy
de pura cepa y no hay
a pesar de ser tan viejo, varón
ni quien me pise los talones pues soy
el compás de meta y ponga y fui
de la quebrada y el corte el rey
en lo de Hansen y el Tambito.
Y en las trenzadas de amor
primero yo
por bohemio y picaflor.


Letra de Julián Porteño
En el barrio de San Telmo
yo soy
picaflor afortunao en amor
un punto bravo pa’l chamuyo floreao
buen amigo en cualquier ocasión
caudillo firme de jugado valor
pa’ copar una parada
y afirmar mi bien probada
lealtad con el doctor.

Calá este varón
cuando con un gesto
mando en el resto
pa’ ganar una elección.
Calá este varón
en bailongos bien mistongos
conquistando un fiel corazón.
Calá este varón
en salones distinguidos
todo presumido
de “doctor”.
Calá este varón
mozo atrevido
siempre canto flor, envido
en el amor.

Naipe y mujeres
son mi única pasión,
sí señor,
éstas me dicen que sí
aquél me dice que no.
Pero no le hace
mella a mi condición
de varón,
soy entrerriano, señor
y tengo firme el corazón.


Letra de Homero Expósito
Sabrán que soy el Entrerriano,
que soy
milonguero y provinciano,
que soy también
un poquito compadrito
y aguanto el tren
de los guapos con tajitos.
Y en el vaivén
de algún tango de fandango,
como el querer
voy metiéndome hasta el mango,
que pa’l baile y pa’l amor
sabrán que soy
siempre el mejor.

¿Ven, no ven lo que es bailar así,
llevándola juntito a mí
como apretando el corazón?…
¿Ven, no ven lo que es llevarse bien
en las cortadas del querer
y en la milonga del amor?…

Todo corazón para el amor
me dio la vida
y alguna herida
de vez en vez,
para saber lo peor.
Todo corazón para bailar
haciendo cortes
y al Sur y al Norte
sulen gritar
que el Entrerriano es el gotán.

Traduction libre de la version de Homero Expósito

Ils sauront que je suis l’Entrerriano, (celui de la Povince d’Entre Rios) que je suis un milonguero et un provincial, que je suis aussi un peu compadrito et je tiens la dégaine du guapo (beau) avec des cicatrices (tajito, petites entailles).
Et dans le balancement d’un tango fandango, (Un siècle avant le tango, le fandango a fait scandale, car jugé lascif. Avec le tango, l’histoire se répète… N’oublions pas que ce tango s’est inauguré dans une maison de plaisir…)

avec volonté je me lance à fond, afin qu’ils sachent que pour la danse et pour l’amour je suis toujours le meilleur.
Vois-tu, ne vois-tu pas ce que c’est que de danser comme cela, de l’amener à moi comme pour écraser le cœur ?…
Voyez, ne voyez pas ce qu’est de s’entendre bien dans les cortadas du désir et dans la milonga de l’amour ?…
Tout cœur pour l’amour m’a donné la vie et une blessure de temps en temps, pour connaître le pire.
Tout le cœur pour danser en faisant des cortes (figure de tango) et au Sud et au Nord, ils vont crier que l’Entrerriano est le gotan (tango en verlan, mais vous le saviez…).

Les versions

El entrerriano 1910-03-05 Estudiantina Centenario dir. Vicente Abad
El entrerriano 1913 — Eduardo Arolas y su Orquesta Típica.

Une version par le tigre du bandonéon. Il existe peu d’enregistrements de Arolas, sans doute, moins de 20 et tous de la période de l’enregistrement acoustique. Ils ne rendent sans doute pas justice aux prestations réelles de cet artiste du bandonéon et de son orchestre.

El entrerriano 1914 — Quinteto Criollo Tano Genaro.
El entrerriano 1917 Orquesta Roberto Firpo. Avec les moyens et le style de l’époque.
El entrerriano 1927-02-24 — Orquesta Francisco Canaro.

Une version calme et tranquille à la Canaro des années 20, mais avec de beaux passages guidés par le piano comme après 50 s.

El entrerriano 1927-03-20 — Orquesta Osvaldo Fresedo.

Une version avec des bruits étranges, on entend les animaux de la ferme (notamment à partir de 30 s). Le dédicataire est en effet un riche propriétaire terrien et j’imagine que Fresedo s’est amusé à ce petit jeu de recréer une basse-cour avec son orchestre.

El entrerriano 1937-03-29 ou 1940-08-29 — Roberto Firpo y su Cuarteto Típico.

Une version à toute vitesse. Avec mandoline. Je ne sais pas si elle était destinée à la danse. J’ai plutôt l’impression que c’était une démonstration de virtuosité.

El entrerriano 1940-11-06 — Orquesta Radio Victor Argentina.

On dirait que Firpo a passé le virus à Scorticati qui dirigeait la Victor à cette époque. On peut imaginer sa joie de faire raisonner le « Pin-Pon-Pin » du bandonéon comme une ponctuation tout au long de l’interprétation. On sent que l’orchestre, y compris la trompette, s’amuse et nous, DJ ou danseurs, avec.

El entrerriano 1944-04-26 — Orquesta Osvaldo Fresedo. C’est notre tango du jour.

On dirait que Firpo et Scorticati ont passé le virus à Fresedo qui produit à son tour une version très rapide. Il fallait sans doute ces deux contaminations pour l’inciter à produire cette version tonique et rapide. Le bandonéon fait encore un « Pin-Pon-Pin » encore plus convaincant. Cependant, adieu veaux, vaches, couvées par rapport à la version précédente de 1927. Chaque instrument a son tour de gloire et le résultat est prenant, jusqu’au classique double accord final de Fresedo. C’est notre tango du jour.

J’ai passé sous silence les versions de 1941 de Troilo (c’était l’époque où il avait des enregistrements pourris, car les maisons de disques ne voulaient pas concurrencer leurs poulains) et celle de Biagi, qui est du Biagi comme il y en a tant. Du bon Biagi, mais que du Biagi, sans valeur ajoutée au titre lui-même.

El entrerriano 1944-06-27 — Orquesta Aníbal Troilo.

Pas la version de 1941 qui était une version plutôt rapide, mais celle de 1944, bien mieux enregistrée. On voit que l’ambiance est bien différente de tout ce qui s’est fait avant, plus grave, calme, musicale, moins dans la surprise. On remarquera les pleurs du bandonéon à 2 : 46, le merveilleux jeu de Troilo. Une version pour une danse bien différente, Troilo commence à montrer le bout de son nez novateur.

El entrerriano 1954-04-29 — Orquesta Juan D’Arienzo.

Du bon D’Arienzo qui cogne, tout en restant joueur. De quoi réveiller l’ambiance d’une milonga qui somnole (il paraît que ça existe), mais certains des titres précédents sont également efficaces pour cet usage…

El entrerriano 1979-10-31 — Orquesta Osvaldo Fresedo.

Fresedo a encore enregistré le titre en 1979. Honnêtement, cet enregistrement n’a rien d’exceptionnel et je vous propose de bouleverser la chronologie pour terminer cette anecdote avec une version étonnante, par Varela…

El entrerriano 1957-03-29 — Orquesta Héctor Varela.

C’est le dernier titre que je vous propose aujourd’hui. Il débute avec le « Pin-Pon-Pin », mais très solennel, suivi d’une citation des paroles de Tiempos viejos (Francisco Canaro Letra: Manuel Romero) « ¿Te acordás, hermano, qué tiempos aquellos? » puis « Oí si » et une phrase de Mi noche triste (Samuel Castriota Letra: Pascual Contursi) « me dan ganas de llorar ».

Voilà, je termine avec cela. Quel parcours effectué depuis 1897 par ce tango exceptionnel !

À demain les amis !

Danzarín 1963-04-25 – Orquesta Aníbal Troilo arr. de Julián Plaza

Julián Plaza

On me demande parfois ce tango en disant, ce tango de Piazzolla, ou de Pugliese. Ben, il est en fait de Plaza et c’est De Angelis qui l’a interprété pour la première fois et c’est Troilo qui l’a rendu célèbre. Analysons ce chef d’œuvre qui annonce un tournant important dans le microcosme tango à la fin des années 50.

On date souvent l’apparition du tango nuevo de Piazzolla et des années 60. Mais comme toujours, c’est bien plus compliqué que cela.
Dans les années 30, Francisco Canaro était déjà à la recherche de nouveaux styles de tango, mais en fait, les principaux orchestres ont cherché à innover en ajoutant des instruments et en en enlevant d’autres. La flûte a été remplacée par le bandonéon, le piano a fait son apparition, la harpe a été remplacée par la guitare, puis est revenue et repartie, puis des instruments plus ou moins étranges comme la scie musicale (serrucho) parfois remplacée par le theremine qui donne un son très proche bien que purement électronique. Parmi les joueurs de scie musicale, on pourrait citer Rafael Canaro ou Juan Caldarella.

On entend la scie musicale dans la Cumparsita de Roberto Firpo en 1916 et dans de nombreuses compositions. Les sons un peu étranges et planants ne datent pas d’aujourd’hui…
 Pour le theremine, voici un exemple de jeu sur une pièce classique, le cygne de Saint-Saëns.

Dans les années 40, Canaro, toujours lui, fut un des premiers à utiliser l’Orgue Hammond. Un instrument électromécanique, produisant des sons à l’aide de roues phoniques. Le principe en est simple. Une roue portant des aimants tourne. Elle déclenche un microphone électromagnétique lors de sa rotation (du même type que ceux des guitares électriques). Si un aimant passe devant le microphone 100 fois par seconde, un son de 100 Hz est émis. Il y a plusieurs roues dont le nombre d’aimants est différent. Avec le double d’aiment, à vitesse de rotation égale, le son est deux fois plus aigu.
En faisant varier la vitesse de rotation, on change la hauteur du son de façon continue.
On peut entendre l’orgue Hammond dans Cristal (1944-06-03) de Francisco Canaro (à partir de 1 minute, ou dans Garras (1945-03-15) à partir de 32 secondes. Si vous écoutez ces titres, écoutez-les en entier pour profiter de la jolie interprétation du chanteur, Carlos Roldán.

Garras 1945-03-15 – Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán. Finalement, je vous propose garras, peut-être moins connu que Cristal que je vous invite à écouter de votre côté pour repérer les cloches, autre instrument original…

Piazzolla introduit la guitare électrique qui utilise donc les mêmes microphones que l’orgue Hammond, une décennie plus tard. C’est un nouvel instrument, mais il est loin d’être le premier à l’avoir fait.
J’arrête là la liste des innovations, il y en a trop. C’était juste pour vous démontrer que les nouveautés en tango, c’est vieux. Sinon, on serait toujours au tango des Gobbi et autres joyeusetés.

Extrait musical

Voici enfin le titre que vous souhaitez écouter… C’est également une innovation, dans l’orchestration et le rendu de la musique. C’est également un tango nouveau, une marche dans l’évolution du tango.
Plaza l’a écrit pour la danse, disons pour la danse de scène. Il souhaitait inclure dans sa composition des motifs permettant de pratiquer toutes les figures possibles pour un danzarín, un excellent danseur.

Danzarín 1963-04-25 — Orquesta Aníbal Troilo arr. de Julián Plaza.

Vous aurez noté qu’il y a ajouté arr. de Julián Plaza pour arrangement de Julián Plaza. Même s’il est l’auteur du titre, il l’a retravaillé pour Troilo. Nous verrons cependant la limite de cette intervention un peu plus loin dans cette anecdote…
N’oublions pas que c’est De Angelis qui l’a joué en premier, en 1956, mais sans l’enregistrer. Cela peut sembler étonnant. Il est certain que le résultat devait être très différent de celui du premier enregistrement par Troilo en 1958. Sans doute pour aller plus loin, Troilo a demandé à Plaza de revoir sa partition pour l’adapter encore plus à son orchestre.

Autres versions

Il y a des centaines d’enregistrements de Danzarin. Faute de pouvoir produire la version de De Angelis, je vais me contenter des deux enregistrements de Troilo. En effet, la très grande majorité des enregistrements postérieurs ont pris la version de Troilo comme modèle et elles n’apportent donc pas grand-chose à l’histoire. La grande époque du tango est terminée, les orchestres cherchent à perdurer, en proposant de nouvelles pistes pour l’écoute et les nouveaux orchestres restent dans les pas des aînés.

Danzarín 1958-12-15 — Orquesta Aníbal Troilo.
Danzarín 1963-04-25 — Orquesta Aníbal Troilo arr. de Julián Plaza. C’est notre tango du jour.

La sonorité est très différente entre les deux enregistrements.
Pour comprendre ce qui se passe, regardons l’analyse du spectre :

La stéréo de la version de 1963 donne une impression d’espace. Les instruments sont aussi séparés spatialement. Cela ne change pas grand-chose pour la danse, car dans une milonga on est obligé de limiter la stéréo pour que la répartition soit correcte dans toute la salle. En revanche, pour l’écoute, c’est plus agréable.
La première utilisation de la stéréophonie date de 1881 et c’est une invention du papa de l’avion, Clément Ader qui a eu l’idée de diffuser le son de l’opéra Garnier de Paris à l’aide d’un réseau de câbles électriques reliés d’un côté à deux microphones et de l’autre à deux écouteurs (un par oreille, donc en stéréo). Il a appelé cela le théâtrophone.
En 1931, Alan Blumlein, va plus loin en proposant un procédé d’enregistrement et de relecture sur piste unique qui sera quasiment identique à celui qui sera mis en œuvre à la fin des années 50.
Pour la musique, Disney en 1940 a fait du multipiste pour son film musical Fantasia. Malheureusement, les salles ne se sont pas équipées et le son du cinéma est resté globalement monophonique jusque dans les années 60.
Pour revenir au disque, c’est à partir de 1958 que la stéréophonie est apparue.
Cela implique que tout le tango de l’âge d’or est purement monophonique.
Troilo qui a un peu souffert d’éditeurs médiocres au début de sa carrière cherche à refaire son enregistrement avec le nouveau procédé et c’est le résultat que l’on peut entendre dans la version de 1963. Malheureusement, pour des questions de taille de fichier, il m’est impossible de vous le faire écouter ici en entier [mon fichier original fait 71 Mo]. Voici donc un court extrait, de plus réduit en MP3 (ce que certains DJ considèrent comme un format acceptable en milonga…).

Danzarín 1963-04-25 — Orquesta Aníbal Troilo

Dans ce court extrait, on entend tout de même l’effet stéréo qui est bien marqué :
0 s : les violons débutent à gauche,
3 s : le piano attaque plutôt au centre et les bandonéons se rajoutent à droite comme un écho du piano.
15 s : le piano monte des arpèges, les aigus sont plus à droite. Il est donc enregistré avec deux microphones en stéréo.
19 s : tous les pupitres jouent en même temps, emplissant tout l’espace sonore de gauche à droite.
34 s : les bandonéons et les violons sont des deux côtés. Le piano est plus au centre.
49 s : les instruments retrouvent leur latéralité, les violons plus à gauche et les bandonéons plus à droite. Si vous avez le disque, essayez de l’écouter dans de bonnes conditions, la qualité sonore en vaut la peine.

Différences entre les deux versions

L’histoire de la stéréo est réglée. Voyons s’il y a d’autres éléments que l’on peut déduire des audiogrammes.

Globalement le spectre est bien rempli dans les deux cas (partie inférieure en rouge). Il y a des fréquences jusqu’à environ 20 kHz, on est en présence de deux enregistrements de qualité. En 1958, comme on est en mono, les deux canaux sont absolument identiques. À droite, on remarque que le canal de droite (situé en bas) présente des « trous » alors que le gauche est plein. C’est ce qu’on a entendu dans le court extrait en stéréo, les violons commencent à gauche (donc en haut), puis le piano au centre et enfin les bandonéons à droite (donc en bas). À la moitié du morceau, cet effet est encore plus marqué.

On constate que si la version de 1963 est globalement plus lente, ce n’est pas vrai partout. La version de 1958, allongée devrait coïncider avec celles de 1963 pour la « pause » centrale. Ce n’est pas le cas, elle arrive plus tard.
Le début est plus rapide dans la version de 1958, mais quand on cale les deux morceaux à la même durée, tout est fort semblable jusqu’à 40 secondes, puis la version de 63 est plus rapide. Elle prend de l’avance. À 1 : 15, la version de 1958 3 secondes de retard.
La « pause » centrale arrive à 1 : 42 dans la version de 1963 et à 1 : 50, les deux sont de nouveau synchronisés pour le solo de violoncelle. La version de 1963 avait accéléré, puis avant la pause, beaucoup ralenti, ce qui a permis à la fin de la pause de resynchroniser le violoncelle. Je rappelle que c’est en temps relatif, car j’ai augmenté le temps de la version de 1958 afin qu’elle représente 100 % de la durée de celle de 1963.
À 2 : 28, la version de 1963 accélère de nouveau, devançant celle de 1958, exactement comme elle l’avait fait lors de la première fois. Ainsi, le solo de violoncelle est de nouveau synchronisé à 1 : 54 et ainsi de suite.

Attention, expérience sensorielle perturbante

Quand je musicalise, j’écoute toujours la musique qui passe sur la piste, mais je prépare aussi la tanda suivante et je cherche une cortina convenable. Ceci fait que j’ai souvent deux, voire trois musiques en même temps à l’écoute dans le casque et en direct.
Je vais vous proposer une version simplifiée de cela en vous présentant un morceau constitué à gauche de la version de 1958 et à droite, de la version de 1963. Ce sera plus simple si vous pouvez l’écouter au casque, ou a minima avec un équipement stéréo bien équilibré.
Cela va vous permettre de constater tout ce que j’indiquais ci-dessus avec vos oreilles, à vous…

Danzarin Gauche 1958 Droite 1963 Troilo.

Si vous n’avez pas la tête à l’envers à la fin de l’écoute, vous pourriez être DJ ; -)

Vous aurez remarqué, sans doute, qu’il n’y a pas de différence notable dans l’orchestration. Je ne comprends donc pas pourquoi on rajoute sur ce titre qu’il a bénéficié des arrangements de Plaza. Peut-être que c’était le cas aussi de la version de 1958. Comme on n’a pas d’enregistrement de De Angelis, il est impossible de faire la différence.

NB : Cette dernière archive sonore n’est pas un essai de tango nuevo…

La pulpera de Santa Lucía 1945-04-24 — Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Enrique Alessio

Enrique Maciel Letra: Héctor Pedro Blomberg

Cette valse si agréable à danser, notamment dans la version qu’en donne Castillo avec son orchestre a failli ne pas voir de succès. Lançons-nous à la rencontre de la pulpera de la pulpería.

La pulpera de Santa Lucía

Tout d’abord, un peu de vocabulaire. Une pulpera, est une employée, ou une propriétaire de pulpería. Le « í » est donc important. La chanson parle d’une femme, pas de son établissement.

Mais alors qui est cette femme et où était cet établissement?

Héctor Pedro Blomberg décrit une blonde aux yeux bleus. Elle pourrait être inventée à l’image de son pays d’origine (son grand-père paternel était un marin norvégien).
En fait, même s’il y a plusieurs hypothèses, la plus probable est que cette femme était la fille d’un monsieur Miranda qui tenait un lieu de ce type. À sa mort pour une histoire politique, on verra dans les paroles que De Rosas n’est pas loin, sa femme et sa fille ont repris l’établissement qui était fameux. Il est décrit comme étant à l’angle de Caseros et Martin Garcia. Malheureusement, ce sont deux avenues, donc parallèles. Je propose donc plutôt l’angle de Martin Garcia et Montes de Oca, justement le bâtiment qui touche l’église de Santa Lucía…
La blonde aux yeux bleus s’appelait peut-être Dionisia Miranda si ces hypothèses ne sont pas trop fausses…

Évidemment, l’histoire se passe au milieu du XIXe siècle et donc, ce bâtiment n’existait pas. À l’époque, l’église devait être isolée dans un environnement rural et les gauchos devaient passer une bonne partie de leurs journées à la pulpería.

Extrait musical

La pulpera de Santa Lucía 1945-04-24 — Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Enrique Alessio.

Pour une version de chanteur, c’est tout à fait dansable. C’est même une superbe valse. Je pense que vous éprouverez beaucoup de plaisir à la danser, malgré les regrets exprimés dans les paroles.

Paroles

Era rubia y sus ojos celestes
reflejaban la gloria del día
y cantaba como una calandria
la pulpera de Santa Lucía.

Era flor de la vieja parroquia.
¿Quién fue el gaucho que no la quería?
Los soldados de cuatro cuarteles
suspiraban en la pulpería.

Le cantó el payador mazorquero
con un dulce gemir de vihuelas
en la reja que olía a jazmines,
en el patio que olía a diamelas.

« Con el alma te quiero, pulpera,
y algún día tendrás que ser mía,
mientras llenan las noches del barrio
las guitarras de Santa Lucía ».

La llevó un payador de Lavalle
cuando el año cuarenta moría;
ya no alumbran sus ojos celestes
la parroquia de Santa Lucía.

No volvieron los trompas de Rosas
a cantarle vidalas y cielos.
En la reja de la pulpería
los jazmines lloraban de celos.

Y volvió el payador mazorquero
a cantar en el patio vacío
la doliente y postrer serenata
que llevábase el viento del río:

¿Dónde estás con tus ojos celestes,
oh pulpera que no fuiste mía? »
¡Cómo lloran por ti las guitarras,
las guitarras de Santa Lucía!

Enrique Maciel Letra: Héctor Pedro Blomberg

Traduction libre et indications

Elle était blonde et ses yeux bleu clair (célestes, couleur du drapeau argentin) reflétaient la gloire du jour et elle chantait comme une calandre (oiseau chanteur) la pulpera (la femme) de Santa Lucia.
Elle était la fleur de l’ancienne paroisse. Quel gaucho ne voudrait pas d’elle ? Les soldats de quatre casernes soupiraient dans la pulpería (l’établissement).
Le payador mazorquero (chanteur partisan de Rosas, militaire, gouverneur et putschiste) lui chantait avec un doux gémissement de vihuelas (instrument de musique apparenté à la guitare) sur la clôture qui sentait le jasmin, dans la cour qui sentait le diamelas (sorte de jasmin).
« Pulpera, je t’aime de toute mon âme, et un jour tu devras être mienne, quand les nuits du quartier sont remplies des guitares de Santa Lucia. »
Un payador de Lavalle (c’est aussi le titre d’une ranchera de Brignolo) l’a enlevée à la mort de l’année quarante ; déjà, ses yeux bleus n’éclairent plus la paroisse de Santa Lucia.
Les trompettes de Rosas ne revinrent pas lui chanter des vidalas et des cielos (danses). Sur la clôture de l’épicerie, les jasmins pleuraient de jalousie.
Et le payador de Rosas revint chanter dans la cour vide
la sérénade plaintive et tardive qu’apportait le vent de la rivière :
Où es-tu avec tes yeux célestes, ô pulpera qui ne fut pas mienne ? Comment, pour toi pleurent les guitares, les guitares de Santa Lucía !

Cette valse nous parle donc d’un temps ou le quartier était rural et où De Rosas gérait d’une main de fer la Province de Buenos Aires, l’époque Rosistas.

Autres versions

La pulpera de Santa Lucía 1929-06-19 — Ignacio Corsini con guitarras de Pagés-Pesoa-Maciel.

Cette version est importante, car Corsini est celui qui a lancé cette valse écrite par un de ces guitaristes, Enrique Maciel… C’était à la radio, en 1928 et le succès a été tel que les auditeurs ont demandé un bis par téléphone. Ceux qui avaient refusé le titre ont dû s’en mordre les doigts.

Une fois lancée, Canaro, comme à son habitude, l’a enregistrée…

La pulpera de Santa Lucía 1929-07-03 — Orquesta Francisco Canaro.

C’est une version lente avec l’originalité de la présence d’une guitare hawaïenne. Canaro utilisera cet instrument dans d’autres œuvres, dont justement une valse composée par William H. Heagney, tout aussi lente que celle-ci et qui se nomme… Bells of Hawaii (enregistrée le 9 novembre de la même année).

Bells of Hawaii 1929-11-09 – Orquesta Francisco Canaro (William H. Heagney)

(Ce n’est bien sûr pas une version de la pulpera, c’est juste pour vous faire entendre une valse similaire avec de la guitare hawaïenne).

La pulpera de Santa Lucía 1930 — Orquesta Rafael Canaro con Carlos Dante.

Le frère de Francisco s’y colle ensuite avec Carlos Dante. Une version très rapide, plutôt chanson avec une forte présence de la guitare qui fait penser à Corsini.

La pulpera de Santa Lucía 1945-04-24 — Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Enrique Alessio. La pulpera de Santa Lucía 1945-04-24 — Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Enrique Alessio. C’est notre merveille de valse du jour.
La pulpera de Santa Lucía 1974 — Hugo Díaz.

Une version très étonnante avec ses dissonances plaquées sur l’introduction. L’harmonica particulièrement expressif d’Hugo Díaz se promène par-dessus la guitare qui donne le rythme et permet de rendre dansable cette version assez particulière. Même si vous ne la dansez pas, il faut la connaître pour l’harmonica qui lui imprime son caractère si puissant.

La pulpera de Santa Lucía 1977 Nelly Omar con guitarras — Jose Canet.

Une version sympathique, chantée par une femme et quelle chanteuse. Je pense que vous apprécierez son écoute.

La pulpera de Santa Lucía 1983 — Miguel Villasboas y su Orquesta Típica.

Pour terminer, une version de l’autre rive. Bien dansante et amusante comme c’est le faire Villasboas avec son piano bien rythmé et ses violons qui flottent avec une sonorité si particulière. On notera également le magnifique solo du bandonéon. Tous n’aiment pas, mais moi, j’aime bien et c’est assez festif pour terminer ce tour des versions de la Pulpera de Santa Lucía.

Un « couple » étonnant

Dans la milonga d’hier, j’abordai les origines noires du tango. Enrique Maciel, El Negro Maciel est effectivement d’origine noire et plus précisément noire américaine. Il est descendant d’esclaves du Sud des États-Unis. C’est son grand-père paternel, dont le nom de famille était Marshall qui a immigré en Argentine. Maciel fait plus Argentin que Marshall, j’imagine la scène à l’immigration « c’est quoi ton nom ? Marshall, Maciel ?

Son partenaire dans la composition de ce tango est Héctor Pedro Blomberg qui comme son nom le suggère était Norvégien d’origine. Là encore, c’est son grand-père paternel qui s’est fixé après avoir épousé une Paraguayenne, elle-même auteure. En 1911, il embarque sur un navire pour… la Norvège où il reste deux ans. Durant son voyage il écrivit des articles pour les revues de l’époque. Par chance, on peut les lire sans retrouver toutes les revues, car ils ont été publiés en 1920 dans un ouvrage Las Puertas de Babel. Le préfacier, Manuel Gálvez, nous en explique le titre. Je reproduis cet extrait ici, car il est très évocateur du Buenos Aires des origines du tango : 

«Los puertos de Buenos Aires, y los barrios que los rodean: La Boca, El Dock Sur, El Paseo de Julio, son las puertas de Babel. Por ellos se entra en la ciudad monstruosa e inquietante donde todos los idiomas del mundo y todas las razas se confunden y mezclan. Arriba está la ciudad rica y poderosa. Abajo, es decir en las puertas de Babel, se aglomera la caravana de los parias, la turba sucia y doliente que arrastra por los puertos y los mares su desolación et su miseria.

Multitud de lamentables figurillas humanas desfilan. Marineros ingleses, borrachos y brutales, pasan juntos a suaves y contemplativos chinos. Holandeses et italianos codéense en los antros del Paseo de Julio con árabes melancólicos que invocan a Alá, y añoran las amadas de Argel. Mujeres de todas las razas — las cigarras del hambre — cantan y danzan en los cabarets siniestros: andaluzas de Cádiz y de Málaga, griegas de Salónica, mulatas martiniqueñas, inglesas de Liverpool u de Swansea. Todos los barrios trágicos de tierra son evocados en las puertas de Babel: el Bund, de Changai; el Solbrero Rojo, de Marsella; las callejuelas sucias de los barrios que circundan los grandes puertos. Y todas las canciones de la tierra dilúyense en los ámbitos de Babel: coplas de Sorrento, que hacen soñar con el mar azul, fados portugueses, sensuales y lánguidos; canrates desolados de los archipiélagos, oídos en las radas de Oceanía; baladas cándidas, y fragantes que evocan las márgenes del Yang-Tse-Kiang; viejas guajiras de Cuba ; lúgubres coplas andaluzas.Y todas aquellas gentes van pasando bajo las arcadas del Paseo de Julio, o por las calles de la Boca o del Dock Sur, o se amontonan en los antros, en los cabarets, en las hamadas, en los fumaderos de opio. Y la tragedia estalla a cada paso, allí en las puertas de Babel. Hombres tatuados se apuñalean por alguna de aquellas cigarras del hambre, “gaviotas de todos los puertos”, como también las llama Blomberg. »

Préface de Las Puertas de Babel par Manuel Gálvez.

Traduction libre

« Les ports de Buenos Aires, et les quartiers qui les entourent : La Boca, El Dock Sur, El Paseo de Julio, sont les portes de Babel. C’est par eux que vous entrez dans la ville monstrueuse et inquiétante où toutes les langues du monde et toutes les races sont confondues et mélangées. Au-dessus se trouve la ville riche et puissante. En bas, c’est-à-dire aux portes de Babel, se rassemble la caravane des proscrits, la foule immonde et triste qui traîne sa désolation et sa misère à travers les ports et les mers.
Une multitude de pitoyables figurines humaines défilent. Les marins anglais, ivres et brutaux, passent avec des Chinois doux et contemplatifs. Néerlandais et Italiens se côtoient dans les clubs du Paseo de Julio avec des Arabes mélancoliques qui invoquent Allah et se languissent des bien-aimés d’Alger. Des femmes de toutes les races, les cigales de la faim, chantent et dansent dans les sinistres cabarets : Andalouses de Cadix et de Malaga, Grecques de Thessalonique, mulâtres martiniquaises, Anglaises de Liverpool ou de Swansea. Tous les quartiers tragiques de la terre sont évoqués aux portes de Babel : le Bund, à Changai ; le chapeau rouge de Marseille (le nom vient du chapeau que portaient les cochers des messageries Royales et qui a donné le nom à nombre de relais de poste, auberges…) ; les ruelles sales des quartiers qui entourent les grands ports. Et tous les chants de la terre se diluent dans les lambeaux de Babel : les couplets de Sorrente, qui font rêver la mer bleue, le fado portugais, sensuel et langoureux ; les canrates désolés des archipels (probablement Canaries), entendus dans les rades de l’Océanie ; des ballades candides et parfumées qui évoquent les rives du Yang-Tsé-Kiang ; vieilles guajiras de Cuba ; Lugubres couplets andalous.
Et tous ces gens-là passent sous les arcades du Paseo de Julio, ou dans les rues de La Boca ou du Dock Sur, ou s’entassent dans les clubs, dans les cabarets, dans les hamadas, dans les fumeries d’opium (on en parlait à propos de El opio de Canaro). Et la tragédie éclate à chaque tournant, là-bas, aux portes de Babel. Des hommes tatoués sont poignardés pour l’une de ces cigales de la faim, « mouettes de tous les ports », comme les appelle aussi Blomberg. »

Un petit documentaire pour terminer

Un documentaire réalisé par El VecinalRéseau social de Misiones. C’est en espagnol, mais des informations complémentaires sont proposés, notamment sur De Rosas.

Un documentaire réalisé par El VecinalRéseau social de Misiones

Entre copa y copa 1942-04-23 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Ángel D’Agostino et Alfredo Attadía Letra Héctor Marcó

Les deux anges, Ángel D’Agostino et Ángel Vargas nous offrent cette milonga qui chante la vie d’un milonguero. C’était le 23 avril 1942, il y a exactement 82 années que le compositeur de la musique nous fait danser cette milonga avec la voix magique de son complice, Vargas.

Extrait musical

Couverture de la partition de Entre copa y copa.

Les bandonéons et les violons en pizzicati entament l’ouverture en motifs descendants. La syncope de la milonga s’installe, en alternance avec de courtes pauses. Certaines sont très marquées comme à 0 h 29 ou 0 h 43. C’est un devoir pour le danseur que de les prévoir pour immobiliser la danse et ainsi être en harmonie avec le jeu proposé par l’orchestre. Notre chance est que l’enregistrement a figé ces pièges et que les danseurs connaissant la musique peuvent mieux se préparer aux blagues des musiciens.
À 50 secondes Vargas commence à chanter. Il chante le premier couplet et le refrain. À 1 h 29, l’orchestre reprend de façon plus lisse et ensuite avec l’alternance de passages syncopés et de courtes pauses. À 1 : 58 il reprend le refrain. Il ne chante pas le dernier couplet. L’orchestre termine les 10 dernières secondes par un double accord percussif.
Amis danseurs, écoutez bien cette milonga. Elle n’est peut-être pas la plus facile à danser, mais elle vous fait plein de propositions pour jouer. C’est le moment de se lâcher sans perdre le fil de la musique.
Pour une fois, ce sera le seul enregistrement, car personne d’autre n’a enregistré cette milonga.

Paroles

Yo soy milonguero viejo
de los del tiempo del jopo,
bailarín de taco regio
dulzón para los piropos…
Yo soy milonguero viejo
entrador como cuchillo,
de aquellos que sacan brillo
al pisar en un salón…

Enredado entre las notas
de una milonga querida
así me paso la vida
bailando entre copa y copa.
Y hasta el fuego de tu boca
china, ¡color de carbón!…
Más me quema si te siento
corazón a corazón…


Yo soy milonguero viejo
de los del tiempo del jopo,
entrador pa’ dar consejos
pero que me den… muy pocos…
Nací pa’ gastar charoles
y entre cortes y figuras,
voy tejiendo mis amores,
al compás de un bandoneón.

Ángel D’Agostino et Alfredo Attadía Letra Héctor Marcó

Traduction libre et indications

 Je suis un vieux milonguero de l’époque du jopo (sorte de port de cheveux à la mode au début du 20e siècle et remis au goût du jour à diverses époques, dont les années 50 avec le rock’n’roll…), un danseur avec un verbiage doux et somptueux pour complimenter (piropos, compliments appuyés pour séduire les femmes)…
Je suis un vieux milonguero tranchant comme un couteau, un de ceux qui brillent en marchant dans un salon…

Je m’enroule dans les notes d’une milonga bien-aimée, c’est ainsi que je passe ma vie à danser entre deux verres.
Et même le feu de ta bouche, ma chérie, couleur du charbon !… Ça me brûle encore plus si je te sens cœur à cœur…

Je suis un vieux milonguero de l’époque du jopo, sympathique pour prodiguer des conseils, mais pour qu’on m’en donne… très peu…
Je suis né pour porter des souliers vernis et entre cortes et figures (coupés, nom d’une figure de tango), je vais, tissant mes amours, au rythme d’un bandonéon.

À propos de l’illustration

J’ai exploré plusieurs pistes. Les coupes de champagne avec des danseurs en fond, des danseurs sans champagne et finalement, j’ai mélangé les deux en prenant comme inspiration le dernier couplet. Celui qui n’est pas chanté par Vargas. Dans celui-ci, il indique « De verre en verre, je vais, tissant la toile de mes amours, au rythme d’un bandonéon ».

J’ai pensé aussi à représenter un danseur billant avec les spectateurs impressionnés. Le danseur est noir, ce qui n’est pas si souvent représenté dans le domaine du tango, malgré ce que proclament certains que le tango est d’origine noire. De montrerai un jour que c’est en très grande partie faux, mais aujourd’hui, je me contente de planter la graine et je vous laisse danser cette belle milonga en espérant que vous gagnerez une coupe. Pas une coupe de cheveux avec jopo, mais une coupe de champagne argentin, coutume que les milongas portègnes ont importées de Paris. Ils ont importé la coutume et le nom, mais pas le vrai champagne…

Loca 1942-04-22 – Orquesta Juan D’Arienzo

Manuel Jovés Letra : Antonio Martínez Viérgol

On est tous fous de loca, les locos locaux et les locaux d’ailleurs. D’Arienzo l’a enregistré 3 ou 4 fois pour le disque et au moins une fois pour la télévision. La version du jour est celle de 1942, son premier enregistrement de ce titre et qui a aujourd’hui exactement 82 ans.

Extrait musical

Loca 1942-04-22 – Orquesta Juan D’Arienzo

Les paroles

Le tango du jour est instrumental, mais il y a des paroles que voici :

Loca me llaman mis amigos
que solo son testigos
de mi liviano amor.
Loca…
Que saben lo que siento
ni que remordimiento
se oculta en mi interior?

Yo tengo con alegrías
que disfrazar mi tristeza
y que hacer de mi cabeza
las pesadillas huir.
Yo tengo que ahogar en vino
la pena que me devora…
Cuando mi corazón llora
mis labios deben reír.

Yo, si a un hombre lo desprecio,
tengo que fingirle amores,
y admiración, cuando es necio
y si es cobarde, temores…
Yo, que no he pertenecido
al ambiente en que ahora estoy
he de olvidar lo que he sido
y he de olvidar lo que soy.

Loca me llaman mis amigos
que solo son testigos
de mi liviano amor.
Loca…
Que saben lo que siento
ni que remordimiento
se oculta en mi interior?

Alla, muy lejos, muy lejos,
donde el sol cae cada día,
un tranquilo hogar tenía
y en el hogar unos viejos.
La vida y su encanto era
una muchacha que huyo
sin decirle donde fuera…
y esa muchacha era yo.

Hoy no existe ya la casa,
hoy no existen ya los viejos,
hoy la muchacha, muy lejos,
sufriendo la vida pasa.
Y al caer todos los días
en aquella tierra el sol,
cae con el mi alegría
y muere mi corazón.

Manuel Jovés Letra: Antonio Martínez Viérgol

Traduction libre

Folle, m’appellent mes amis qui ne sont que les témoins de mon amour léger.
Folle…
Qui sait ce que je ressens ou quels remords sont cachés en moi ?
Je dois avec des joies déguiser ma tristesse et faire fuir mes cauchemars de ma tête.
Il faut que je noie dans le vin le chagrin qui me dévore…
Quand mon cœur pleure, mes lèvres doivent rire.
Moi, si je méprise un homme, je dois feindre l’amour et l’admiration pour lui, alors qu’il est un imbécile et que s’il est lâche, qu’il a peur…
Moi qui n’ai pas appartenu au milieu dans lequel je suis maintenant, je dois oublier ce que j’ai été et je dois oublier ce que je suis.
Mes amis qui ne sont que les témoins de mon amour de lumière me traitent de folle.
Folle…
Qui sait ce que je ressens ou quels remords sont cachés en moi ?
Là-bas, très loin, là où le soleil tombe chaque jour, il y avait un foyer tranquille, et dans ce foyer quelques vieux.
La vie et son charme, c’était une fille qui s’enfuyait sans lui dire où elle allait…
Et cette fille, c’était moi.
Aujourd’hui, la maison n’existe plus, aujourd’hui il n’y a plus de vieux, aujourd’hui la fille, très loin, la vie passe en souffrant.
Et quand tombe chaque jour sur cette terre le soleil, ma joie tombe avec lui, et mon cœur meurt.

Autres versions par D’Arienzo

Loca 1942-04-22 – Orquesta Juan . Notre tango du jour est le plus ancien enregistrement par D’Arienzo.
Loca 1946-10-18 – Orquesta Juan D’Arienzo
Loca 1955-12-22 – Orquesta Juan D’Arienzo

Loca 1971

Vous avez tous déjà vu cette vidéo et la façon particulièrement animée de diriger de D’Arienzo. Plusieurs orchestres contemporains imitent cette mise en scène, pour le plus grand plaisir des danseurs.

Loca 1975 – Los Solistas de D’Arienzo. Quelques mois avant la mort de D’Arienzo. Je ne suis pas sûr qu’il ait dirigé cet enregistrement. C’était peut-être Carlos Lazarri, bandonéoniste et arrangeur de l’orchestre.

Autres versions par d’autres orchestres

Loca est un titre à très grand succès et il existe des centaines de versions. Je vous en propose donc une sélection très réduite, mais représentative.

Loca 1922 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras)
Loca 1923 – Orchestre Mondain Jose Sentis. Attention, enregistrement perturbé (disque endommagé). Cependant, cela permet de voir que la France était en pointe, ce titre ayant été écrit l’année d’avant.
Loca 1938-06-20 – Quinteto Don Pancho dir. Francisco Canaro
Loca 1941-07-08 – Orquesta Típica Victor Dir. Freddy Scorticati
Loca 1950-11-06 – Enrique Mora y su Cuarteto Típico con Amanda Vidal
Loca 1951 Astor Piazzolla, María de la Fuente.
Loca 1954-10-04 – Orquesta Juan Canaro con María de la Fuente (en vivo en Japón). La même chanteuse que Piazzola.
Loca 1959-01-30 – Orquesta Donato Racciatti con Olga Delgrossi
Loca 1964-04 – Orquesta Alfredo De Angelis con Juan Carlos Godoy
Loca 2006 – Orquesta Típica Fervor de Buenos Aires.

Peut-être la version la plus originale. Fervor de Buenos Aires, est un orchestre créé en 2003 et qui a eu sa personnalité en donnant de nouvelles sonorités à des interprétations inspirées de Di Sarli. À partir de 2008, il a continué son chemin avec un style proche sous le nom Típica Misteriosa Buenos Aires. Ce dernier orchestre s’annonce comme un orchestre de danse, mais cela reste tout de même à prouver…

Alors, avez-vous vu ? C’est fou, vraiment fou, tout cela.

Ventanita florida 1932-04-21 – Orquesta Francisco Canaro con Agustín Irusta

Enrique Pedro Delfino (Delfy) Letra: Luis César Amadori

Après le sujet lourd et triste d’hier, un sujet plus léger. La petite fenêtre fleurie. Léger, au moins pour nous, mais pour le malheureux ou la malheureuse qui dit sa peine, c’est sans doute moins agréable. Aujourd’hui, ce malheureux est Agustín Irusta qui marche sous la baguette de Francisco Canaro. C’était il y a 92 années.

Extrait musical

Ventanita florida 1932-04-21 — Orquesta Francisco Canaro con Agustín Irusta.

Irusta ne chante que le refrain, comme il est de coutume pour les tangos de danse. Mais nous allons voir qu’il y a une autre raison à cela après avoir étudié les paroles… On est dans du Canaro typique de cette période, un tango qui se dégage doucement du canyengue. Un tango bien marché avec de petites cachotteries musicales qui évitent la monotonie.

Les paroles

Fue una noche clara
que alumbraba tan sólo el lucero.
Junto a mi humilde ventana
‘te juro’ – decía – ‘mi amor es eterno’
Yo le di mi vida
y entre dulces promesas se fue.
Sola y conmovida
a la reja mi amor le confié.

Ventanita florida
de mi vieja tapera,
en tu reja prendida está
mi tímida ilusión.
Al abrirte contemplo
un jardín de esperanza,
ventanita, y te cierro al fin
cantando por mi amor.

Pero fue mentira
su promesa de amor duradero.
Desde que vino el invierno
una noche tras otra yo en vano lo espero.
Ya ni la esperanza
va quedando de verlo volver.
¡Tanto que lo quise!
¿Para qué me engañó, para qué?

Ventanita florida
de mi vieja tapera,
en tu reja marchita está
la flor de su traición.
Al abrirte, la noche
hasta el alma me hiela,
ventanita, y te cierro al fin
llorando por mi amor.

Enrique Pedro Delfino (Delfy) Letra: Luis César Amadori

Traduction libre et indications

C’était une nuit claire qu’illuminait seulement la lucarne (plusieurs possibilités pour « lucero ». Vénus, lucarne, partie du volet par laquelle peut entrer la lumière. Bref, ce n’est pas très clair, au propre, comme au figuré).
Ensemble à mon humble fenêtre : « Je te jure, disait-il, mon amour est éternel. »
Et je lui ai donné ma vie et au milieu des douces promesses, il est parti.
Seule et inquiète à la grille (probablement les barreaux de la fenêtre, ou une grille de protection qui peut s’ouvrir) je lui ai confié mon amour.

Petite fenêtre fleurie de ma vieille bicoque, en ta grille est accrochée ma timide illusion.
Quand je t’ouvre, je contemple un jardin d’espérance, petite fenêtre, et je te ferme enfin en chantant pour mon amour.

Mais ce fut un mensonge sa promesse d’amour durable.
Depuis que l’hiver est venu nuit après nuit, je l’ai attendue en vain.
Là, il n’y a plus d’espoir de le voir revenir.
Je l’ai tant désiré !
Pourquoi m’a-t-il trompé, pour quoi ?

Petite fenêtre fleurie de ma vieille bicoque, dans ta grille flétrie est la fleur de sa trahison.
Quand je t’ouvre, la nuit me gèle jusqu’à l’âme, petite fenêtre, et je te ferme enfin pleurant pour mon amour.

Autres versions

Je devrais placer en premier une version avec Libertad Lamarque qui a lancé le titre au théâtre Maipo, mais malheureusement, il ne semble pas y avoir d’enregistrement. Elle devait chanter toutes les paroles et en tant que femme, c’était bien adapté. À ce sujet, il me semble opportun de narrer une anecdote. La musique de Enrique Delfino reçut un accueil plutôt froid des musiciens de l’orchestre chargés de la jouer. Les paroliers du théâtre ne voulurent pas se charger des paroles. C’est alors que Luis César Amadori s’est proposé de les écrire. Libertad Lamarque les chanta, probablement, comme à son habitude, de façon remarquable et le titre devint un grand succès.

La couverture de la partition de Ventanita florida rappellant que c’est un succès de Libertad Lamarque. Un second titre dAmadori, Se viene la Maroma (instrumental) est également inclus. Canaro l’enregistra 8 jours après Ventanita Florida avec Irusta.

Ventanita florida 1932-04-21 — Orquesta Francisco Canaro con Agustín Irusta. C’est le tango du jour.

Ce diable de Canaro, toujours à l’affût d’un bon titre l’a enregistré dans la foulée, mais avec un homme. C’est notre tango du jour. Il convenait donc, soit de changer les paroles, soit, ce qui fut l’option choisie, de ne chanter qu’une partie asexuée, le refrain. Nous verrons plus loin cependant que cette « nécessité » n’est pas une loi.

Ventanita florida 1932-05-04 — Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro.

Une superbe et émouvante version, chantée avec âme. La musique et le chant sont comme relancés à chaque phrase, un peu comme dans une ranchera dans un rythme presque ternaire, bien loin de la version marchée d’Irusta. C’est bien sûr une version chanson, mais un, jour de folie, avec des danseurs particulièrement tolérants, je pourrai la proposer à la danse. Cette version en tous, car mérite les oreilles et même si les danseurs s’arrêtent de danser pour l’écouter, ce sera un bon moment.

Trois autres à écouter, chantées par des hommes qui curieusement chantent les paroles au féminin.

Ventanita florida 1932-07-20 — Ignacio Corsini con guitarras de Pagés-Pesoa-Maciel.

Deux mois plus tard, Corsini enregistre sa version. Là, pas question de danser.

Ventanita florida 1955-11-24 – Ángel Vargas y su Orquesta dirigida por Edelmiro « Toto » D’Amario.

Un tango chanson, mais avec assez de tonicité. Vargas n’a pas trop viré dans le sentimentalisme. Cela n’en fait pas une version de danse. Pour cela, je reste avec les versions de Canaro.

Ventanita florida 1989 – Roberto Goyeneche con acomp. de Néstor Marconi y su conjunto. Une version assez douce, peut-être trop. Un fond sonore pour une soirée au restaurant ?

Le tango, est-il un truc de pleurnichards et de cocus ?

Le tango du jour est clairement sentimental. Un peu pleureur, mais pas vraiment de cocu dans la mesure où c’est une femme qui a été abandonnée par un homme qui l’a abusée par des promesses.
Ce n’est peut-être pas la bonne occasion de parler du sujet, mais je vais tout de même donner quelques indications.
Si Discépolo a dit que le tango est une pensée triste qui se danse, c’est qu’il avait une vision un peu pessimiste de la vie, comme il l’a exprimé dans cambalache. Ses préoccupations étaient existentialistes et il se devait de parler de vécu et de ressenti.
Mais n’est-ce pas le cas de tant d’autres domaines ? L’art, la poésie, la littérature, quand ils ne sont pas à la gloire d’un commanditaire, parlent d’amour, de hauts faits (celui des compadritos dans le cas du tango et souvent avec beaucoup de moquerie et de dérision), de religion (comme Plegaria).
Même la chanson populaire dans le monde entier parle de tout et de rien et notamment des déboires et des joies de la vie. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour le tango ?
Nous avons vu hier, Plegaria, nous voyons aujourd’hui, par notre petite fenêtre, une histoire d’abandon, voire de trahison, d’autres, comme Tengo mil novias de Cadicamo, des fanfaronnades empreintes d’humour.
Le peuple argentin n’a pas eu la vie facile et cela l’a sans doute incité à trouver un refuge dans l’art. Il y a une quantité de lecteurs incroyable, tout autant de musiciens et de peintres. L’art est partout dans la rue. Buenos Aires est la ville du Monde qui compte le plus de théâtre.
Cet art est aussi populaire, c’est celui des gens de la rue et pas seulement un grand art subventionné et intellectuel. Les gens dansent, chantent et il est donc normal qu’ils confient à la musique et à la chanson l’expression de leurs peines comme de leurs joies.
Le tango n’est que le reflet de la vie et il faut être particulièrement aveugle et sourd pour ne voir dans le tango que des histoires larmoyantes de cocus. Je pense que cette approche est causée par une approche purement littéraire des textes et à une focalisation sur des tangos chanson destinés à l’écoute.
En effet, même avec des paroles tristes, un tango peut être plaisant, agréable, voire joyeux à danser. J’ai déjà pris l’exemple de la valse « A Magaldi », qui peut remplir de bonheur le danseur qui se plonge dans la musique avec sa partenaire (ou la danseuse avec son partenaire, bien sûr). Même s’ils comprennent les paroles, la valse est comme une catharsis à une éventuelle tristesse, aux petits et grands malheurs de la vie.
Les Portègnes ne vont pas danser pour se couper les veines. Ils ont le sourire, partagent. Il y a des musiques tristes, mais ce n’est pas une généralité dans l’univers du tango. Si on s’attache à la musique, on se rend compte que la grande majorité est plutôt allègre.
Si on essaye de faire la balance entre les deux, je pense que l’on constatera que le tango de danse est à dominante gaie et que le tango chanson, qui a pris le dessus dans les années 50 est peut-être à dominante triste.
Les chanteurs de refrain de l’âge d’or ne chantaient qu’une petite partie des paroles, ce qui donnait l’occasion à la musique de dispenser sa joie, malgré une éventuelle tristesse des paroles. A contrario, les versions entières pour l’écoute sont souvent larmoyantes, comme en témoigne l’exemple de cette anecdote.
Il est donc important pour le DJ de proposer les tangos de danse et pas ces tangos lugubres qui plombent l’ambiance. Les danseurs viennent passer un bon moment et si quelques-uns pensent que le tango doit être triste, qu’ils gardent le balai là où ils se le sont enfoncé.
Le tango est une pensée joyeuse qui peut se danser !

Plegaria 1940-04-20 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz

Eduardo Bianco

Certains tangos sont « interdits » dans les milongas. On ne passe pas Gardel et surtout pas Volver, mais il y a une liste plus longue, le tango du jour en ferait partie même s’il n’a jamais fait partie des tangos interdits par la loi argentine. Attention, cet article aura du mal à suivre ma devise selon laquelle le tango est une pensée heureuse qui se danse.

Extrait musical

Avant de rentrer sur les causes de l’interdiction, je vous le propose à écouter. Il est interdit dans les milongas, pas à l’écoute. Si vous jugez en lisant l’article que l’interdiction est justifiée, ou pas, vous pourrez voter à la fin de l’article.

Plegaria 1940-04-20 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz

On ne peut pas dire que ce soit vilain, non ?

Interdiction officielle du tango

Plusieurs causes ont provoqué des interdictions du ou des tangos.

Interdiction du tango pour des raisons de bienséance

Les débuts interlopes du tango ont provoqué sont interdiction, surtout à cause des paroles, des lieux et des débordements qu’il pouvait susciter.
La bonne société voyait d’un mauvais œil cette danse de voyous qui naissait dans les faubourgs, mais ses fils s’y acoquinèrent. Le pouvoir religieux poussait des cris d’orfraie, jusqu’à ce que le danseur Casimiro Ain fasse une démonstration au pape. 
Le pape ayant donné sa bénédiction et le tango s’étant acheté une conduite en Europe, les interdictions sont levées et la bonne société se lance à son tour sans réserve dans la pratique de cette danse.

Tangos interdits par les dictatures militaires

Cependant, la dictature militaire a repris la question en main et publié une liste de tangos interdits, non pas à cause de la musique, bien sûr, mais à cause des paroles. Les extrêmes droites, sont rarement favorables à la culture et n’aiment pas trop les critiques.
A mi país de Roberto Diaz et Reynaldo Martín
Acquaforte de C. Marambio Catán et H. Alfredo Perroti
Al mundo le falta un tornillo de Enrique Cadicamo
Al pie de la Santa Cruz de M. Battistella et E. Delfino
Bronca de Mario Battistella et Edmundo Rivero
Caballo Criollo de J. Dalevuelta et F. Ramirez de Aguilar
Cambalache de Enrique Santos Discépolo
Ciruja de T.A. Marino et E.N. de la Cruz
Gorriones de Celedonio Flores et Eduardo Pereyra
Jornalero de Atilio Carbone
Matufias de Ángel G. Villoldo
Mentiras criollas de Oscar Arona
Pajarito de Dante A. Linyera
Pan de Celedonio Flores et Eduardo Pereyra
Quevachaché de Enrique Santos Discépolo
Sol a sol de Daniel L. Barreto
Solo de Fernando Solanas
Bien sûr, cette liste n’est plus d’actualité, du moins tant qu’un gouvernement ne juge pas de nouveau que ces paroles peuvent nuire à son prestige. Ceux qui suivent la situation en Argentine voient certainement ce qui avive mes craintes.

Tangos « interdits » sans « interdit ».

Les tangos de Gardel sont réputés comme ne devant pas se danser. L’interdit est le plus fort sur Volver et sur Adios amigos, à cause de la fin tragique du chanteur. Le DJ n’ira pas en prison, mais certains danseurs seront surpris.
D’un autre côté, Gardel n’a pas performé pour la piste de danse, c’est donc un moindre mal. Cependant, on trouve plusieurs tangos réalisés par la suite avec la voix de Gardel sur des instrumentations modernes. Ces « prouesses » ont été rendu possibles par les progrès techniques qui permettaient de couper des bandes de fréquences. Le système est assez simple, ce sont des ensembles de résistances et condensateurs qui filtrent certaines fréquences. Des potentiomètres permettent d’ajuster les paramètres. Ainsi on peut renforcer la voix et baisser les fréquences où jouent les instruments. L’orchestre joue ensuite le morceau en appuyant suffisamment pour masquer les restes de guitare des enregistrements originaux…

Par exemple par Canaro, dans les années 50 (1955 à 1959),

Bandoneón arrabalero, Chora, Madame Ivonne, Madre hay una sola, Mi noche triste, Siga el corso, Yira Yira.

Yira… Yira… 1955-11-13 1930-10-16 – Carlos Gardel con acomp. de la orquesta de Francisco Canaro.

Par exemple De Angelis en 1973 et 1974

Alma en pena, Almagro, Ausencia, Cualquier cosa, Duelo criollo, Esta noche me emborracho, Giusepe el zapatero, Íntimas, La cumparsita (Si supieras), Malevaje, Me enamoré una vez (ranchera), Melodía de arrabal, adiós muchachos, Muñeca brava, Nelly (valse), Palermo, Rosas de abril (valse), Si soy así, Tomo y obligo, Viejo jardín (valse), Viejo smoking, Yira Yira.

Yira… Yira… 1973-10-25 1930-10-16 – Orquesta Alfredo De Angelis con Carlos Gardel. La version de Angelis à partir de Yira Yira…

Par exemple Otros Aires en 2004

Aquel muchacho bueno (extraits de Aquel Muchacho Triste par Carlos Gardel en 1929), En dirección a mi casa (extraits de El Carretero par Carlos Gardel en 1922), La Pampa Seca (extraits de El Carretero par Carlos Gardel en 1922), Milonga Sentimental (extraits de Milonga Sentimental par Carlos Gardel en 1929), Percanta (extraits de Mi Noche Triste par Carlos Gardel).
Les résultats sont plutôt moyens et si on peut considérer que certains sont dansables, ce n’est pas une urgence de les passer.
Pour ma part je n’ai passé des titres de cette liste qu’à une seule reprise en plus de 20 ans de carrière et c’était pour une milonga « spéciale Gardel » dans le cadre du festival Tango postal (Toulouse, France). Heureusement, le thème autorisait de passer des titres composés par Gardel, mais joués par d’autres orchestres…

Interdits par devoir de mémoire

Le tango du jour fait partie de cette catégorie. Il a été composé par Eduardo Bianco qui a également écrit les paroles.
Ce tango, dans sa version de 1927 que vous pourrez entendre ci-dessous est triste et ne donne pas du tout envie de danser. On imagine facilement sa diffusion lors d’un enterrement.
En 1939, l’auteur qui était associé à Bachicha pour la version de 1927, récidive. Cette version d’une grande émotion et tristesse ne se prête pas non plus à la danse.
Il en est autrement de la version de Fresedo qui pourrait s’intégrer dans une tanda.
Donc, les versions avec Bianco ne sont pas passables car elles ne se prêtent pas à la milonga, mais celle de Fresedo le pourrait. Alors pourquoi l’interdire ?
Eduardo Bianco a dédicacé ce tango au Roi Alfonso XIII d’Espagne (et auparavant dédié Evocación à Benito Mussolini), mais le plus grave est à venir…
Ce musicien etait considéré comme ayant des idées antisémites et comme étant sensible aux thèses fascistes. Il fréquentait les milieux pronazis.
Pour les nazis allemand, le tango constituait une réponse aux Jazz des Noirs américains qui avait le vent en poupe. Ils ont donc encouragé le tango en Allemagne, comme en témoignent les nombreux tangos allemands de l’époque.
Lors d’un concert à l’ambassade d’Argentine à Berlin, Adolf Hitler aurait entendu la musique jouée par Bianco et aurait demandé que cette musique soit jouée par les déportés juifs aux portes des chambres à gaz (Jens-Ingo a attiré mon attention sur le fait que ce point serait de la propagande russe, je mets donc en question ce point, d’autant plus que l’ambassadeur d’Argentine qui est cité dans ces sources, Eduardo Labougle Carranza, a quitté ses fonctions à Berlin an 1939 et donc avant la liste en place de la « solution finale ».

Toutefois, le poète roumain Paul Celan détenu en camp de concentration a évoqué cette horreur dans son poème Todesfuge. Selon Enzo Traverso, ce ne serait pas un témoignage direct, cette pratique n’étant pas forcément généralisée dans tous les camps et Celan n’aurait pas été dans le camp de Lublin – Majdanek, où selon l’Armée rouge ce « rituel » aurait été pratiqué.
Si dans les camps la version n’était pas chantée, Aleksander Kulisiewicz a ajouté des paroles et a même enregistré un disque (Songs from the Depths of Hell). Je ne vous le propose pas ici, mais vous pouvez l’écouter sur le site de la Smithsonian et même l’acheter.
S’il existe des « tangos de la muerte » (tango de la mort) qui portent réellement ce titre, on a également baptisé ainsi, pour son usage macabre, plegaria. Les SS l’avaient surnommé, « Muerte en fuga » « Todesfuge » (mort en fugue)…
Pour cette raison, même s’il y a des doutes sur certains éléments de cette histoire, on ne passe généralement pas plegaria en milonga, même la belle version de Fresedo. Cependant, si un DJ la passe, soyez indulgents, pas comme cet individu qui attrapé une pauvre DJ débutante en la traitant de nazi tout en la secouant, car elle avait passé ce titre.

Addendum : Jens-Ingo a attiré mon attention sur un livre qui remettrait en question ces éléments.
https://www.tangodanza.de/Books_Dirk-E-Dietz-Der-Todestango–1726.html?language=en « It still circles over the dancers, the ghost of the ‘death tango’ that the nefarious Eduardo Bianco once brought into the world to give the Nazis a fitting soundtrack for their atrocities.
One of the dancers, historian and journalist Dirk E. Dietz, has now studied the phenomenon extensively. In his investigation, he concludes that the fairy tale of the ‘death tango’ is based on an act of deliberate communist propaganda toward the end of World War II.

As interest in the tango grew, so did the spread of this legend. It is therefore far from being true, as Dietz proves in detail in his book.
A strong book – and an important book for the tango. ».

Pour nous, DJ, même si cette histoire est fausse, il nous faut savoir que l’on peut heurter la sensibilité de certaines personnes et donc prendre les mesures nécessaires avant de passer un titre de ce type. (Fin de l’addendum).

Extrait musical (bis)

Plegaria 1940-04-20 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz

. Le rythme est tonique et la voix de Ricardo Ruiz est comme toujours magnifique. Si on ne prête pas attention aux paroles, on peut passer à côté de la tristesse du thème. Ce titre sans l’histoire fumeuse de Bianco pourrait passer en milonga, dans un moment d’émotion, par exemple en souvenir d’un disparu, lors d’un hommage.

Les paroles

Plegaria que llega a mi alma
al son de lentas campanadas,
plegaria que es consuelo y calma
para las almas desamparadas.
El órgano de la capilla
embarga a todos de emoción
mientras que un alma de rodillas
¡pide consuelo, pide perdón!

¡Ay de mí!… ¡Ay señor!…
¡Cuánta amargura y dolor!
Cuando el sol se va ocultando
una plegaria
y se muere lentamente
brota de mi alma
cruza un alma doliente
y elevo un rezo
en el atardecer.

Murió la bella penitente,
murió, y su alma arrepentida
voló muy lejos de esta vida, 
se fue sin quejas, tímidamente,
y di en que noche callada
se oye un canto de dolor
y su alma triste, perdónala,
toda de blanco canta al amor!

Eduardo Bianco

Les paroles sont tristes et peuvent plomber l’ambiance de la milonga, mais rien de répréhensible dans leur contenu.

Prière qui vient à mon âme au son de lentes sonneries de cloches, prière qui est consolation et calme pour les âmes désemparées.
L’orgue de la chapelle embarque tout le monde dans l’émotion tandis qu’une âme à genoux demande du réconfort, demande pardon !

Pauvre de moi ! … Oh Seigneur ! …
Combien d’amertume et de douleur !
Lorsque le soleil va s’occulter
Une prière
et se meurt lentement
Jaillit de mon âme
croise une âme souffrante
Et adresse une prière
dans le soir.

Elle est morte la belle pénitente, elle est morte, et son âme repentante a volé très loin de cette vie. Elle est partie sans se plaindre, timidement, et fit que dans cette nuit silencieuse s’entend un chant de douleur. Et son âme triste, pardonnez-la, toute de blanc chante l’Amour !

Les parties en gras et italique sont chantées par le choeur.
Le couplet en bleu n’est pas chanté par Ricardo Ruiz.

Autres versions

Plegaria 1927-04-22 — Orquesta Bianco-Bachicha con Juan Raggi y coro.

Pas question de passer cette version en milonga, à cause du personnage, mais aussi, car il est loin d’être agréable à écouter et à danser. Le bannir n’est pas du tout un problème. Je vous épargne leurs autres versions de 1928 et 1929.

Plegaria 1939-03-15 — Orquesta Eduardo Bianco con Mario Visconti.

Cette version commence par une cloche lugubre et un chœur chantant comme pour un requiem. Puis Mario Visconti, chante avec beaucoup d’émotion sa prière, en réponse avec le chœur et les instruments. Pour moi, c’est assez joli, mais suffisamment triste pour bannir cette version de toute milonga.

Plegaria 1940-04-20 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz. C’est le tango du jour.

Les prières (plegarias)

D’autres tangos portent ce titre. En voici quelques-uns. Il y en a d’autres, comme quoi l’initiative de Bianco n’est pas étonnante. C’est un thème qui se retrouve au moins jusqu’aux années 50.

La plegaria 1926-09-07 — Orquesta Julio De Caro. Ce tango (instrumental) a été composé par Emilio De Caro.
Plegaria 1931-08-21 — Orquesta Juan Maglio « Pacho » (Eduardo Antonio De Maio avec des paroles d’Alfredo Allegretto).

Il y a même une prière en valse par Antonio Sureda avec des paroles de son frère Gerónimo Sureda. Je vous en propose deux versions. Les paroles sont une prière à la Vierge de Luján,

Plegaria 1933-07-19 — Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá.

L’introduction est vraiment sinistre. On peut la passer si on n’est pas sous Prozac.

Plegaria 1933-07-22 — Orquesta Francisco Lomuto con Fernando Díaz.

Cette version assez proche (et enregistrée seulement trois jours plus tard) de celle de Canaro, sans l’introduction déprimante.

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Pensez-vous que cette version par Fresedo (pas celles de Bianco ou Bianco et Bachicha) pourrait être diffusée en milonga ?

La vi llegar 1944-04-19 — Orquesta Miguel Caló con Raúl Iriarte

Enrique Mario Francini Letra Julián Centeya

«La vi llegar», je l’ai vue venir, ne raconte pas l’arrivée espérée d’une femme, même si j’ai choisi dans mes illustrations de prendre le texte au pied de la lettre, je vais ici donner le véritable sens aux paroles de ce magnifique tango dont les paroles de Julián Centeya sont ici toute en finesse, je dirai même que tout le thème est un jeu de mots.

Extrait musical

La vi llegar 1944-04-19 — Orquesta Miguel Caló con Raúl Iriarte.

Paroles

La vi llegar…
¡Caricia de su mano breve!
La vi llegar…
¡Alondra que azotó la nieve
 !
Tu amor -pude decirle- se funde en el misterio
de un tango acariciante que gime por los dos.

Y el bandoneón
-¡rezongo amargo en el olvido!-
lloró su voz,
que se quebró en la densa bruma.
Y en la desesperanza,
tan cruel como ninguna,
la vi partir sin la palabra del adiós.

Era mi mundo de ilusión…
Lo supo el corazón,
que aún recuerda siempre su extravío?.
Era mi mundo de ilusión
y se perdió de mí,
sumándome en la sombra del dolor.
Hay un fantasma en la noche interminable.
Hay un fantasma que ronda en mi silencio.
Es el recuerdo de su voz,
latir de su canción,
la noche de su olvido y su rencor.

La vi llegar…
¡Murmullo de su paso leve
 !
La vi llegar…
¡Aurora que borró la nieve!
Perdido en la tiniebla, mi paso vacilante
la busca en mi terrible carnino de dolor.

Y el bandoneón
dice su nombre en su gemido,
con esa voz
que la llamó desde el olvido.
Y en este desencanto brutal que me condena
la vi partir, sin la palabra del adiós…

Enrique Mario Francini Letra: Julián Centeya

Traduction libre et indications

Je l’ai vue venir… (À prendre comme « je t’ai vu venir avec tes gros sabots ». Il a deviné que quelque chose clochait)
Caresse de sa main furtive ! (Elle l’effleure avec sa main, mais elle n’ose pas le toucher franchement).
Je l’ai vue venir…
Alouette qui fouettait la neige ! (La traduction est difficile. Disons qu’il compare la main à une alouette qui jetterait de la neige, du froid sur le cœur de l’homme).
Ton amour, pourrais-je lui dire, se fond dans le mystère d’un tango caressant qui gémit pour nous deux. (La femme cherche ses mots pour annoncer la mauvaise nouvelle).

Et le bandonéon
— grognait amèrement dans le désamour ! — (Olvido est à prendre ici dans son sens second, plus rare, comme la fin de l’affection et pas comme l’oubli).
Sa voix pleurait, en se brisant dans la brume épaisse.
Et dans un désespoir, plus cruel qu’aucun autre, ce fut sans un mot d’adieu…

C’était mon monde d’illusions…
Le cœur le savait, lui qui se souvient toujours de sa perte.
C’était mon monde d’illusion qui fut perdu pour moi, me plongeant dans l’ombre de la douleur.
Il y a un fantôme dans la nuit interminable.
Il y a un fantôme qui rôde dans mon silence.
C’est le souvenir de sa voix, le battement de sa chanson, la nuit de son désamour et de son ressentiment.

Je l’ai vue venir…
Le murmure de son pas léger !
Je l’ai vue venir…
Aurore qui a envoyé la neige !
Perdu dans les ténèbres, mon pas vacillant la cherche sur mon terrible chemin de douleur.

Et le bandonéon prononce son nom dans son gémissement, de cette voix qui l’appelait depuis le désamour.
Et dans ce désenchantement brutal qui me condamne, je l’ai vue partir, sans un mot d’adieu…
Et le bandonéon prononce son nom dans son gémissement, de cette voix qui invoquait le désamour.
Et dans ce désenchantement brutal qui me condamne, je l’ai vue partir, sans un mot d’adieu…

Je l’ai vue venir

On emploie souvent cette expression quand dire que la personne qui nous parle ne va pas directement au but, mais que l’on a deviné bien avant qu’il le dise où il voulait aller.
Les paroles de ce tango alternent donc avec « je l’ai vue venir » en prenant la métaphore de l’arrivée avec la neige pour montrer qu’elle lance un froid et « je l’ai vue partir », sans un mot d’adieu. Là, on n’est pas dans le figuré, elle est vraiment partie.

Autres versions

La vi llegar 1944-04-19 — Orquesta Miguel Caló con Raúl Iriarte. C’est notre tango du jour
La vi llegar 1944-06-27 — Orquesta Aníbal Troilo con Alberto Marino.

Contrairement à Caló, Troilo ne donne pas la vedette aux violons et dès le début, les bandonéons les accompagnent et les différents solos sont courts et avec un accompagnement très présent. Francini est violoniste, mais Troilo est bandonéoniste…

Une version au cinéma extraite du film Los Pérez García (1950). Orquesta Francini-Pontier con Alberto Podestá.

La vi llegar 1949-50 — Orquesta Enrique Mario Francini y Armando Pontier Con Alberto Podestá. Extrait du film Los Pérez García sorti le premier février 1950.

Extrait du film Los Pérez García sorti le premier février 1950. Comme il n’y a pas de véritable enregistrement de ce titre par son compositeur, on est content de l’avoir dans ce film. Petit gag, Armando Pontier semble avoir un problème avec son bandonéon au début de l’interprétation. On peut aussi voir Enrique Mario Francini au violon, jouant sa composition. On peut juste regretter de ne pas avoir un disque de cette prestation. Peut-être qu’un jour on retrouvera les enregistrements de studio qui ont été exploités pour le film. Tout est possible en Argentine. C’est même là que l’on a retrouvé les parties perdues du chef d’œuvre de Fritz Lang, Metropolis.
Metteur en scène ; Fernando Bolín y Don Napy, scénario Oscar Luis Massa, Antonio Corma y Don Napy. Le film est tiré du feuilleton radiophonique du même nom et met en scène plus ou moins les mêmes acteurs.

A los amigos, La vi llegar 1958 – Francini-Pontier, Orquesta Típica – Dirección Argentino Galván.

C’est le 28e morceau du disque. Bien qu’il y ait deux titres enchaînés, la pièce est courte (1:50). La vi llegar qui est le thème le plus intéressant notamment grâce au violon solo de Francini commence à 45 s. Julio Ahumada (bandonéon et Jaime Gosis (piano) complètent l’orchestre. Ci-dessous, la couverture du disque.

C’est un 33 tours (long play) qui comporte 34 titres qui ont la particularité (sauf un), d’être joués par différents orchestres, mais tous dirigés par le même chef, Argentino Galván. J’ai proposé sur Facebook un jeu sur cette couverture, de découvrir tous les lieux, et clins d’œil au tango qu’elle mentionne.

La vi llegar 1961 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel.

Pour ceux qui aiment la voix pleurante de Maciel dans les années 60, ça devrait plaire. J’imagine même que certains le danseraient.

La vi llegar 1966 — Octeto Tibidabo dir. Atilio Stampone.

Seule version instrumentale de ma sélection. Le piano de Stampone en fait une version intéressante. J’ai aussi mis cette version, car Tibidado est présent sur la couverture du disque de 1960 dirigé par Argentino Galván. Le Tibidabo était un cabaret situé sur Corrientes au 1244. Il a fonctionné de 1942 à 1955. Aníbal Troilo en était un des piliers.

La vi llegar 1970-05-07 — Roberto Goyeneche Orquesta Típica Porteña dir. y arreglos Raúl Garello y Osvaldo Berlingieri.

Une version émouvante et impressionnante. Bien sûr, pas pour la danse, mais elle vaut l’écoute, assurément.

À propos des illustrations

On aura bien compris que la neige que j’ai représenté dans les deux images était « virtuelle ». C’est le froid qu’a laissé le désamour.
La première image est « Je l’ai vue venir ». Ici, au sens propre alors que c’est plutôt figuré dans la chanson.

Elle arrive pour rompre, elle est triste.

Puis, elle est partie. Sans parole d’adieu. Là, elle n’a pas de valise. Je trouvais que cela aurait alourdi cette image que je voulais toute légère. Elle part vers la lumière et lui reste dans l’ombre et le froid. J’avais fait au départ une ombre plus marquée en bas qui partait de celle de la femme qui part, mais je n’arrivai pas à cadrer ça dans un format 16/9e. Alors, il n’y a plus d’ombre.
À demain les amis, pour un thème, beaucoup plus glaçant. En effet, la neige d’aujourd’hui était virtuelle, mais demain, je vais jeter un froid.

Maipo 1939-04-18 — Orquesta Juan D’Arienzo

Eduardo Arolas Letra Gabriel Clausi

Le théâtre Maipo est un célèbre théâtre de Buenos Aires. En plus de sa grande salle, il dispose de plusieurs étages où il est possible d’assister à des spectacles en prenant une petite merienda (goûter) pendant le spectacle. Plusieurs orchestres y ont joué, dont celui de Firpo qui fut un des premiers à enregistrer ce titre, en 1918. Mais êtes-vous sûr que ce tango parle bien de ce théâtre ?

Brève histoire du théâtre Maipo de Buenos Aires

Si on en croit l’historique développé sur le site du théâtre, voici quelques dates :

  • 1908-05-07, il a été inauguré sous le nom de Scala.
  • 1915-09-30, il est renommé en Esmeralda (il est d’ailleurs rue Esmeralda au 443).
  • 1922-08-15, il prend le nom actuel de Maipo.

Ce tango ne devrait donc pas être antérieur à 1922. Cependant, Roberto Firpo y a joué en 1920 et il a enregistré le tango Maipo en 1918, ce qui est logique. Je vous donnerai l’explication plus loin…
Pour changer, je vous propose de voir un documentaire sur son histoire.
Il est en espagnol, mais il y a des sous-titres multilingues…

Extrait musical

Maipo 1939-04-18 — Orquesta Juan D’Arienzo. C’est notre tango du jour.

Paroles

Les paroles ne sont pas contemporaines de la musique. Elles témoignent en fait d’un changement de dédicace du tango.
En effet, le tango écrit par Arolas fêtait le centenaire de la bataille de Maipo ou Maipú, une bataille gagnée contre les Espagnols dans les guerres d’indépendance.
1918, c’est aussi l’année de la création de la bandera, le drapeau argentin avec le soleil de Mai.
Cette gravure de Géricault existe aussi en couleur avec une bandera argentina… Je ne me suis donc pas fait prier pour en mettre dans mon illustration de couverture. J’ai voulu jouer sur les deux tableaux, le théâtre Maipo et le théâtre des opérations militaires, mais ce n’est pas très réussi…

Vuelve a mí, recuerdo del ayer
con el brillar de luces en escena;
siempre el mismo fulgor,
las viejas candilejas
son como estrellas…
Otra vez, vibra en la noche aquel
sueño de amor y canto del pasado;
sombras que corretean
por este viejo tablado de ayer.

Marquesinas de mis sueños,
mil destellos de colores,
figuras esculturales,
nombres que están olvidados…
corre el tiempo y el recuerdo
se entrelaza con la pena…
el sabor de cosas de antes
guardadas con tanto amor…

El viejo Maipo nos vio bajo sus luces
aquellos días tan llenos de ternuras
soñar amores que fueron embeleso…
con toda el alma, con toda la ilusión,
con estas notas, con este tango triste,
quiero contarte teatro de mi pueblo
aquello que guardé en mi corazón,
tal como lo viví… tan lleno de emoción.

Eduardo Arolas (Avant 1918 Letra de Gabriel Clausi plus tardive 1953 ?)

Traduction libre et indications

Cela me revient, un souvenir d’hier avec le scintillement des lumières sur la scène ; toujours la même luminosité, les vieilles lampes sont comme des étoiles…
De nouveau, le rêve d’amour et le chant du passé vibrent dans la nuit ; des ombres qui courent autour de cette vieille scène d’hier.

Des verrières de mes rêves, mille éclats de couleurs, des figures sculpturales, des noms oubliés… Le temps passe et le souvenir se mêle au chagrin… le goût des choses du passé gardées avec tant d’amour…


Le vieux Maipo nous voyait sous ses lumières, ces jours si pleins de tendresse, rêvant d’amours ravies… De toute mon âme, de toute mon illusion, avec ces notes, avec ce triste tango, j’ai envie de te dire, théâtre de mon village, ce que j’ai gardé dans mon cœur, comme je l’ai vécu… tellement plein d’émotion.

Autres versions

Maipo 1918 — Orquesta Roberto Firpo.

Une version commémorative de la bataille de Maipo ou Maipú ou Maïpu. Firpo jouera justement cette œuvre dans ce théâtre en 1920, alors qu’il s’appelle encore Esperalda, du nom de la rue où il est. Il ne prendra le nom de Maipo, qu’en 1922. J’imagine que Maipo qui est équivalent à Maipú peut venir du nom de la rue de la même manzana (bloc urbain de 100mx100m encadré par 4 rues). Le théâtre appartient au bloc délimité par l’avenue Corrientes et les rues Esmeralda (où il a sa porte principale), Maipù et Lavalle.

Maipo 1928-03-28 — Orquesta Julio De Caro.

Une version un peu nostalgique, qui pourrait coller aux paroles, mais en 1928, le théâtre n’était pas un « vieux théâtre ». Il a subi un incendie en 1928, mais c’était en novembre, en mars, les paroles ne pouvaient pas le regretter.

Maipo 1936-07-24 — Orquesta Pedro Maffia.

Huit ans plus tard, un thème très nostalgique. Une version douce et jolie, avec des vents et un piano agile. Une belle version qui entraîne bien.

Maipo 1939-04-18 — Orquesta Juan D’Arienzo. C’est notre tango du jour.
Maipo 1941-09-02 — Orquesta Julio De Caro.

Jolis violons, survolant le piano et l’orchestre plus percussif. Cette version, plus tonique que celle de 1928, s’accommode plus d’un thème militaire ou festif (évocation des spectacles du théâtre) que nostalgique.

Maipo 1953-04-10 — Orquesta Julio De Caro.

Une version un peu étrange. Compatible avec le thème du théâtre. Gabriel Clausi dont on ne connaît pas la date d’écriture des paroles pourrait aussi l’avoir écrit en 1953, à son retour de dix ans au Chili. Il retrouve le théâtre et la nostalgie fait le reste.

Maipo 1962-09-13 — Cuarteto Troilo-Grela.

Avec Aníbal Troilo (bandonéon), Roberto Grela (guitarra), Ernesto Báez (guitarrón), Eugenio Pro (contrabajo). Une très belle version, à écouter.

Maipo 1964 — Orquesta Fulvio Salamanca
Maipo 2024-01-12 — Orquesta Romantica Milonguera.

La toute dernière version, une version originale comme sait en faire cet orchestre.

Finalement, peu de versions collent aux paroles. La musique est plutôt tonique et pas nostalgique dans la plupart des versions.
Elle peut être tonique pour évoquer la bataille de Maipo, mais aussi pour présenter les spectacles qui se déroulaient dans la salle.
Je vous laisse donc en plan. Si vous trouvez la réponse et notamment la date d’écriture des paroles par Gabriel Clausi, je suis preneur.

À demain, les amis !

El opio 1940-04-17 — Orquesta Carlos Di Sarli

Francisco Canaro

El opio, c’est cette substance extraite de la fleur du pavot, mais c’est aussi l’ennui. Par exemple, quand un Portègne s’ennuie, il peut partir en lâchant : « Me voy, esta fiesta es un opio ». Je vais essayer de ne pas vous ennuyer, ni vous faire sombrer dans de fumeuses théories.

Extrait musical

El opio 1940-04-17 — Orquesta Carlos Di Sarli.

Souvent on privilégie le Di Sarli des années 50 dans les milongas, c’est sans doute dommage, car les versions des années 1940 se prêtent fabuleusement à la danse, avec un bon marquage du tempo et une excellente lisibilité des phrases musicales et suffisamment de surprises pour relever l’intérêt du danseur improvisateur. Pas de trace de dépression ou d’ennui dans cette version. À mon avis, c’est dommage de ne pas le passer en plus en milonga. Je crois ne l’avoir jamais dansé ailleurs que chez moi. Parfois on regrette de ne pas pouvoir danser quand on est DJ.

Autres versions

El opio 1931-10-23 — Orquesta Francisco Canaro.

C’est probablement la plus ancienne version dont on conserve l’enregistrement. Elle a été enregistrée par le compositeur, Francisco Canaro.

El opio 1940-04-17 — Orquesta Carlos Di Sarli. C’est notre tango du jour.
El opio 1951-05-09 – Orquesta Carlos Di Sarli.

Di Sarli, onze ans plus tard, revisite complètement son interprétation. Désormais, le jeu de bascule entre le piano et l’orchestre est beaucoup plus assumé et les grands ziiiimmms des cordes sont plus généreux. On a nettement changé de période, tout en gardant les mêmes ingrédients. Cependant, il me semble que la danse a perdu au change.

El opio 1952-05-29 – Orquesta Francisco Canaro.

C’est au tour de Canaro de récidiver, mais là avec 21 ans de délai. La musique a la même durée que la version de 1931, mais le rythme est beaucoup plus soutenu. On n’est plus dans l’opium pesant, mais dans quelque chose de plus léger et entraînant. La clarinette domine l’orchestre en effectuant la plupart des solos. Les autres instruments ne sont cependant pas éteints. Ils sont brillants, énergiques. Une version qui donne la pêche.

El opio 1962-09-21 — Orquesta Florindo Sassone.

Je ne sais pas si ça vous fait cette impression, avec Sassone, on a un peu l’impression d’entendre toujours le même morceau. C’est sans doute pour cela qu’il est rare en milonga et si un DJ s’y aventure, c’est à petite dose.

El opio 1967-11-14 — Orquesta Juan D’Arienzo.

On est dans la force brute du D’Arienzo des années 60 tempérée par des essais de dissonances et quelques jeux originaux pour cet artiste. Peut-être une inspiration venue de je ne sais quelle plante dont on tire un suc. C’est à écouter, voire à danser, mais je garde sous el coude les versions de Di Sarli et celle de Canaro de 1952 pour droguer mes danseurs avec de la musique qui va les faire planer.

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À propos de l’illustration de couverture

J’ai voulu m’assurer que le tango parlait bien de l’opium. C’est fort probable dans la mesure où ce tango ne respire par l’ennui et que par conséquent, c’est plus le sens courant que lunfardo qu’il faut mettre en œuvre pour ce titre.
J’ai essayé d’imaginer comment représenter l’opium, sans tomber sous les coups de la censure.
Il y a très, très longtemps, j’avais fait une carte de vœux avec une fleur de pavot. C’était une carte en noir et blanc faite avec une carte à gratter. Le dessin apparaissait donc en blanc sur fond noir. J’avais pris le modèle de la fleur sur des planches Letraset (il s’agissait d’alphabets et de cliparts qui se reportaient par décalcomanie sur le papier, il n’y avait pas d’ordinateur pour le grand public, ni même pour les graphistes à l’époque).
Innocemment, j’avais choisi ce motif que je trouvais élégant et se prêtant bien à la stylisation pour un dessin au trait.
L’affaire en serait restée là si un de mes correspondants ne m’avait fait remarquer que c’était une fleur de pavot et que ça servait à faire de la drogue et que donc, je souhaitais une nouvelle année droguée à mes contacts.
J’ai donc essayé d’éviter la fleur pour l’illustration. Je suis parti vers des délires tourbillonnants et que j’imaginais psychédéliques jusqu’à arriver à cela.

N’étant pas convaincu, je me suis dirigé vers l’utilisation de l’opium, notamment en Argentine. Je n’ai pas trouvé de grandes révélations, ni d’image. En fait, j’ai tout de même découvert que contrairement à ce que je pensais, l’utilisation de l’opium était très répandue, ailleurs qu’en Chine (je ne connaissais le concept que par le Lotus Bleu de Tintin…).
Je vous propose quelques images collectées et qui se situent en France, Londres, New-York et San Francisco.

Ne me voyant pas dessiner un truc avec une personne à demi-morte, je suis parti sur l’option « ennui » et c’est la personne qui a la tête sur les bras sur l’image de couverture. Le fond était noir, comme ses idées, mais j’ai pensé que c’était un peu trop sobre. J’ai pensé l’associer avec une de mes recherches psychédéliques, puis, finalement, je me suis décidé à ressortir le pavot, de façon suffisamment discrète pour le pas m’attirer les foudres des censeurs.
Ma seule drogue, c’est le tango. Si elle provoque une accoutumance, l’écoute prolongée ne provoque pas de trouble connu. Alors, droguons-nous aux sons de la 2×4 qui n’est pas de la 2×4 (c’est encore un truc à débunker, nous en reparlerons).
Si vous êtes arrivés jusque-là, sans être juste, las, ce n’est pas si mal.

À demain les amis !

Te aconsejo que me olvides 1941-04-16 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino

Pedro Mario Maffia Letra : Jorge Curi

Il est des courriers qu’on n’aime pas recevoir. C’est ce qui est arrivé à Francisco Fiorentino qui a reçu un courrier définitif, mais qui réagit en homme. L’interprétation qu’il en fait avec le merveilleux orchestre d’Aníbal Troilo est tellement prodigieuse, que ce titre est désormais hors de portée de tous les autres orchestres et chanteurs, même de Fiorentino lui-même et j’en apporte la preuve.

Extrait musical

Te aconsejo que me olvides 1941-04-16 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.

Dès le début, la montée piquée au bandonéon donne le rythme. Puis les violons annoncent le thème, puis on inverse et enfin explose la voix de Fiorentino. Sa diction est parfaite, un léger rubato anime sa partition. Il exploite complètement, le contraste des nuances. L’orchestre l’accompagne, le relaye. Tout se fond merveilleusement. La montée piquée revient régulièrement pour relancer le mouvement. Aucun risque de monotonie. Du très grand art, jusqu’à la dernière note. Fiorentino termine et l’orchestre ponctue par un accord de dominante suivi par un accord de tonique, atténué.

Les paroles

Recibí tu última carta,
en la cual tú me decías:
« Te aconsejo que me olvides,
todo ha muerto entre los dos.
Sólo pido mi retrato
y todas las cartas mías,
ya lo sabes que no es justo
que aún eso conserves vos ».
Hoy reconoces la falta,
tienes miedo que yo diga…
que le cuente
al que tú sabes (a tu marido)
nuestra íntima amistad;
¡Soy muy hombre, no te vendo,
no soy capaz de una intriga!
Lo comprendo que, si hablara,
quiebro tu felicidad.

Pero no vas a negar
que cuando vos fuiste mía,
dijiste que me querías,
que no me ibas a olvidar;
y que ciega de cariño
me besabas en la boca,
como si estuvieras loca…
Sedienta, nena, de amar.

Yo no tengo inconveniente
en enviarte todo eso,
sin embargo, aunque no quieras,
algo tuyo ha de quedar.
El vacío que dejaste
y el calor de aquellos besos
bien lo sabes que no puedo
devolvértelos jamás.
Yo lo hago en bien tuyo
evitando un compromiso,
sacrifico mi cariño
por tu apellido y tu honor ;
me conformo con mi suerte,
ya que así el destino quiso
pero acuérdate bien mío,
¡que esto lo hago por tu amor!

Pedro Mario Maffia Letra : Jorge Curi

On notera que tous, sauf Gardel chantent « a tu marido » au lieu de « al que tú sabes».

Traduction libre

J’ai reçu ta dernière lettre, dans laquelle tu me disais : « Je te conseille de m’oublier, tout est mort entre nous deux. Je ne demande que mon portrait et toutes mes lettres, tu sais qu’il n’est pas juste que tu gardes même cela. Aujourd’hui tu reconnais la faute, tu as peur que je dise… que je raconte à qui tu sais, notre amitié intime ; je suis bien un homme, je ne te vends pas, je ne suis pas capable d’intriguer ! Je comprends que, si je parlais, je briserais ton bonheur.
Mais tu ne vas pas nier que quand tu étais à moi, tu m’as dit que tu m’aimais, que tu n’allais pas m’oublier ; et qu’aveugle de tendresse, tu m’as embrassée sur la bouche, comme si tu étais folle… assoiffée, petite, d’aimer.
Je n’ai pas d’objection à t’envoyer tout ça, cependant, même si tu ne le veux pas, quelque chose de toi doit rester. Le vide que tu as laissé et la chaleur de ces baisers, tu sais que je ne pourrai jamais te les rendre. Je le fais pour ton bien, en évitant un engagement, je sacrifie mon affection à ton nom et à ton honneur ; je me contente de mon sort, car c’est ce que le destin a voulu, mais souviens-toi bien du mien, que je fais cela pour ton amour !

Autres versions

Pour moi, il n’y a pas d’autre version que celle de Troilo et Fiorentino…
On peut essayer Fiorentino sans Troilo, par exemple avec Alberto Mancione, ça ne va pas.
On peut essayer des noms prestigieux, comme Gardel, Pugliese, voire Canaro et Lomuto. Rien n’arrive à la cheville de la version époustouflante de Troilo et Fiorentino.
Voici tout de même une petite sélection. Vous avez le droit d’y trouver des perles qui m’auraient échappé, mais je serai étonné que vous y trouviez mieux que Troilo et Fiorentino…

Te aconsejo que me olvides 1928-09-17 — Charlo con acomp. de Francisco Canaro.

Une chanson, rien pour la danse, mais l’histoire, c’est l’histoire. On peut regretter le début différent de notre version de référence par Troilo et Fiorentino.

Te aconsejo que me olvides 1928-09-25 — Orquesta Francisco Canaro.

Une semaine plus tard, Canaro remet le couvert, mais sans Charlo. Cette fois, il n’omet pas le début si spectaculaire dans la version de Troilo.

Te aconsejo que me olvides 1928-10-11 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José María Aguilar, José Ricardo (guitarras).

Quelques jours après Canaro, Gardel donne sa version avec ses guitaristes. Comme pour la version avec Charlo, on regrette aussi le début. Mais on n’est pas là pour danser.

Te aconsejo que me olvides 1928-10-15 — Orquesta Francisco Lomuto.

Si vous trouviez la version de Canaro un peu planplan et soporifique, n’écoutez pas celle-ci. L’autre Francisco a réussi à faire… pire. Après tout, vous avez le droit d’aimer.

Te aconsejo que me olvides 1941-04-16 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.

C’est notre tango du jour. Pour ma part, j’ai envie de l’écouter après chaque version différente…

Te aconsejo que me olvides 1950-12-29 — Orquesta Alberto Mancione con Francisco Fiorentino.

Neuf ans plus tard, Francisco Fiorentino enregistre de nouveau le thème, mais cette fois avec Alberto Mancione. Je ne sais pas s’il faut pleurer, crier ou tout simplement se tasser dans un coin avec des bouchons dans les oreilles, mais cette version ne me semble pas du tout une réussite. Mais là encore, vous avez le droit d’aimer.

Te aconsejo que me olvides 1951-10-30 — Juan Cambareri y su Cuarteto Típico con Alberto Casares.

Toujours très original, Cambareri. Le bandonéon énervé n’arrive pas à faire changer le rythme de Casares, on échappe ainsi à une des versions express de Cambareri. Le résultat est mignon, sans plus.

Te aconsejo que me olvides 1954-05-13 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Juan Carlos Cobos.

El Negro Cobos qui a remplacé Vidal dans l’orchestre de Pugliese dispose d’un imposant organe vocal. Il met bien en valeur le thème. Le résultat est très Pugliese. Dès les premières mesures San Pugliese a marqué son empreinte. Pas un tango de danse, même si je sais que certains le passeront tout de même. C’est un très bel enregistrement que l’on écoutera avec grand plaisir, mais comme je l’annonçais au début, rien n’égale pour la danse la merveille de Troilo et Fiorentino. En tous cas, c’est mon avis.

Te aconsejo que no le olvidas

(Je te conseille de ne pas l’oublier)

Un petit mot sur l’illustration de couverture. Le tango des années 20, on parle de lettre, l’homme qui pleure au centre me paraissait logique. Seulement, le sujet de ce tango est de tous les temps. J’ai pensé aux signaux de fumée, mais c’était compliqué à dessiner et à faire comprendre. Je suis donc resté à un moyen de communication moins ancien, le télégraphe Chappe. Celui-ci était dans une tour placée sur une église de Montmartre. Les postrévolutionnaires ne s’embarrassaient pas de considération de ce qui en d’autres temps aurait pu paraître un sacrilège. À droite, un téléphone portable, pas de la toute dernière génération, mais qui annonce le même fatidique message. Je connais une église qui a une antenne de téléphonie accolée à son clocher. Ce n’est moins respectueux que le coup du télégraphe Chappe à la fin de la Révolution française.

Taquito militar 1957-04-15 – Orquesta Mariano Mores (Milonga candombe)

Mariano Mores Letra : Dante Gilardoni

Mariano Mores vous invite à danser la milonga Candombe avec Taquito militar, notre anecdote du jour. Les paroles de Gilardoni et le film de Demicheli vous donnent même les conseils pour bien la danser. Alors, pourquoi s’en priver?

Histoire de Taquito militar

Inauguré au théâtre Colon en 1952, ce titre a été utilisé dans le film La voz de mi ciudad, un film de Tulio Demicheli en 1953. Cependant, Mariano Mores a une histoire à raconter sur la création de ce titre. Voici ce que cite l’excellent site : Tangos al bardo :

« Discépolo, Tania y yo, con mi Orquesta de Cámara del Tango, habíamos sido invitados a un acto en el Ministerio (de Guerra), con la presencia del General Perón. Al terminar mi actuación se acercó un señor a quien no conocía, para pedirme que tocáramos algo más. Como solo quedábamos en el salón dos de los músicos, Pepe Corriale y Ubaldo De Lío, improvisamos los tres un tema. Al final el mismo señor me solicitó una pieza más. Entonces me puse a improvisar sobre un motivo de milonga que tenía en mente : en esa improvisación se fue desarrollando « Taquito militar ». Fue tal el entusiasmo de este señor -de quien después supe que era el General Franklin Lucero, ministro de Guerra-, que tuvimos que repetirla tres veces esa misma noche. Después, plasmé la forma definitiva y pasó el tiempo. »

Tangos al bardo

Traduction :

Discépolo, Tania et moi, avec mon Orchestre de Chambre de Tango, avions été invités à un événement au Ministère (de la Guerre), en présence du général Perón. À la fin de ma prestation, un homme que je ne connaissais pas s’est approché de moi pour me demander de jouer autre chose. Comme il ne restait que deux musiciens dans la salle, Pepe Corriale et Ubaldo De Lío, nous avons improvisé un air tous les trois. Finalement, le même homme m’a demandé un morceau supplémentaire. Alors j’ai commencé à improviser sur un motif de milonga que j’avais en tête : dans cette improvisation s’est développé « Taquito militar ». L’enthousiasme de cet homme — dont j’ai appris plus tard qu’il s’agissait du général Franklin Lucero, ministre de la Guerre — était tel que nous avons dû le répéter trois fois dans la même nuit. Ensuite, j’ai fixé la forme finale et le temps a passé.

Extrait musical

Taquito militar 1957-04-15 — Orquesta Mariano Mores. Cette milonga candombe encourage à frapper du pied.

Les paroles

Le tango du jour est instrumental, mais il y a des paroles ajoutées postérieurement par Gilardoni et qui décrivent la danse, telle qu’elle est présentée dans le film « La voz de Buenos Aires ». Les voici :

Para bailar esta milonga,
hay que tener primeramente
una buena compañera
que sienta en el alma
el ritmo de fuego así…

Hay que juntar las cabezas mirando hacia el suelo
pendientes de su compás,
dejar libres los zapatos que vayan y vengan
en repiqueteo sin fin,
y que mueva la mujer las caderas
al ritmo caliente que da el tambor,
olvidarse de la vida y del amor
para bailar…

Porque en este baile insinuante
hay que tener,
desde el corazón palpitante
hasta los pies,
el repiquetear del taquito
se hace obsesión,
hasta que se funde en el ritmo
del corazón…

Al compás de esta milonga
vuelvo a ver igual que ayer
un baile de meta y ponga
y un vivir para querer…
Un pasito atrás por aquí,
otro avance más por allá,
la sentada limpia y después
viene el taconeo final…
El candombe está en lo mejor
y la moza vibra al compás,
y siempre que esta milonga
vuelvo a bailar, me gusta más…

Para bailar,
se necesita más que nada amar la vida,
porque es vida todo aquello
que se agita en los compases
de un candombe de mi flor y
de mi amor

Mariano Mores Letra : Dante Gilardoni

Traduction libre

Pour danser cette milonga, il faut d’abord avoir une bonne partenaire qui ressent dans l’âme le rythme du feu, comme ça…

Il faut joindre les têtes en regardant le sol, suspendu à son rythme, laisser ses chaussures libres d’aller et venir dans des claquements sans fin, et que la femme bouge ses hanches au rythme torride que marque le tambour, oublier de la vie et de l’amour pour danser…

Parce que dans cette danse insinuante, il faut avoir, du cœur palpitant jusqu’aux pieds, les claquements du talon qui deviennent une obsession, jusqu’à ce qu’ils se fondent dans le rythme du cœur…

Au rythme de cette milonga je revois, comme hier, une danse sans fin (meta y ponga, c’est de forme continue, sans perdre le rythme de la marche, refaire…) et vivre pour aimer…

Un petit pas en arrière par-ci, un autre pas en avant par-là, la sentada (figure de tango où l’homme fait asseoir la danseuse sur sa cuisse) et puis vient le frapper de talon final.

Le candombe est à son meilleur et la fille (serveuse) vibre en rythme, et chaque fois que je danse cette milonga, elle me plaît plus…

Pour danser, il faut plus que tout aimer la vie, car tout ce qui s’agite dans les battements d’un candombe de ma fleur (référence probable au candombe « Milonga de mi flor » de Feliciano Brunelli avec des paroles de Carlos Bahr de 1940. Gilardoni arrive au moins 13 ans plus tard, il peut donc y faire parfaitement référence) et de mon amour, c’est la vie.

Autres versions

La plus ancienne version dont nous avons une trace est l’enthousiasmante version de Mariano Mores lui-même dans le film de Tulio Demicheli ; La voz de mi ciudad, sorti le 15 janvier 1953.

La voz de mi ciudad 1953-01-15 (film argentin dirigé par Tulio Demicheli). Extrait présentant le Taquito militar.
Taquito militar 1953-12-07 — Orquesta Francini-Pontier.

En fin d’année, Francini-Pontier donnent une belle version, la plus ancienne en qualité « disque » et qui commence par les tambours du candombe.

Taquito militar 1954 Orquesta Roberto Caló. Oui, vous avez bien lu Calo.

C’est un des petits frères de Miguel. Ils étaient six frères : Miguel [1907-1972], Juan [1910-1984], Roberto [1913-1985], Salvador, surnommé Fredy [1916— ????], Antonio [1918— ????] y Armando surnommé Keyla [1922— ????] et tous étaient musiciens…

Taquito militar 1957-04-15 — Orquesta Mariano Mores.

Taquito militar 1957-04-15 — Orquesta Mariano Mores, c’est le tango du jour. Plus de quatre ans après la version du film, enfin disponible en disque.

Taquito militar 1954-09-06 — Orquesta Aníbal Troilo arr. de Ismaël Spitalnik.
Taquito militar 1954-05-28 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.

À chaque fois, Canaro s’enregistre une version des succès du moment. Pas étonnant qu’il soit le chef d’orchestre avec le plus d’enregistrements au compteur…

Taquito militar 1955-01-10 — Héctor Lomuto.

Une version en jazz argentino (rumba). Surprenant, non ? J’ai bien écrit Héctor Lomuto [1914-1968]. C’est le petit frère de Francisco. Les autres frères étaient Hector, Oscar, Enrique et Victor).

Taquito militar 1959 Los Violines De Oro Del Tango. Une version assez originale. Je ne vous épargne rien aujourd’hui…
Taquito militar 1972 — Orquesta Donato Racciatti.
Taquito militar 1976 — Horacio Salgán y Ubaldo De Lio.

Ubaldo de Lio était, si vous vous en souvenez, présent lors de « l’invention » de ce titre au ministère de la Guerre. Les deux en feront d’autres enregistrements, comme celui de 1981. Cette version est un peu folle, non ?

Taquito militar 1997 – Mariano Mores. Cette version est particulière à cause de l’utilisation de l’orgue Hammond.

J’ai commencé par un film, je termine donc par un film. Le premier film avait pour vedette Mariano Mores. Le dernier a pour vedette… Mariano Mores.

Il s’agit de la séquence finale du documentaire « Café de los maestros » réalisé en 2008 par Miguel Kohan. Petite nostalgie, dans cette séquence finale, on voit plein de visages qui ne sont plus aujourd’hui. Une page du tango a été définitivement tournée.

El huracán 1950-04-14 – Orquesta Edgardo Donato instrumental y con Carlos Almada

Osvaldo Donato; Edgardo Donato Letra: Nolo López (Manuel López)

Ce 14 avril est un jour faste, je vous propose deux tangos du jour. Ils portent le même nom, El huracán, ils sont composés par les mêmes frères Donato et ils ont été enregistrés le même jour. La seule différence est que l’un des deux est chanté par Carlos Almada.

Extrait musical

Voici les deux tangos enregistrés par Donato, le compositeur, le 14 avril 1950, il y a 74 ans.

El huracán 1950-04-14 — Orquesta Edgardo Donato instrumental
El huracán 1950-04-14 — Orquesta Edgardo Donato con Carlos Almada

Ces deux versions sont incroyablement différentes. Les instruments s’amusent énormément dans la première version, instrumentale. Les nuances sont plus marquées.

La version chantée par Carlos Almada a un rythme plus soutenu. La voix de Carlos Almada dit presque plus que chante les paroles. Cette version tonique décoiffe plus que la précédente, mais perd sans doute un peu de son intensité musicale. Il faudra écouter les deux.

Les paroles

El huracán desarraigó con crueldad
el rosal que planté en el jardín
de mi amor que cuidé con afán
y, al nacer una flor, la traición
le cortó sin piedad su raíz
y el rosal nunca más floreció.
Como al rosal mi ilusión la mató
un amor de mujer que mintió.
Cristo soy con mi cruz al andar,
compasión solo doy al pasar.
Vendaval que arrasó mi querer,
huracán transformado en mujer.

Fueron sus caricias
llenas de mal y traición,
labios que mintieron despiadados
y al besar su falsa boca
se me helaba el corazón.
Ilusión que se fue,
amor que mató.
Una mala mujer que lleva
el veneno escondido
en su negro corazón.

Te perdoné porque odiar yo no sé,
ni rencor para ti guardaré
sólo sé que su mal derrumbó
el Edén que hilvané con fervor,
luz de amor que jamás volverá
a alumbrar a mi fiel corazón.
Vago sin fe con mi cruz de dolor,
hoy vivir para mí es crueldad
juventud que le di sin dudar
y jugó sin piedad con mi amor.
Vendaval que arrasó mi querer,
huracán transformado en mujer.

Osvaldo Donato; Edgardo Donato Letra: Nolo López (Manuel López)

Traduction libre

L’ouragan a cruellement déraciné le rosier que j’avais planté dans le jardin de mon amour que j’ai entretenu avec empressement, et quand une fleur est née, la trahison a impitoyablement coupé sa racine et le rosier n’a plus jamais fleuri.
Comme le rosier, mon illusion a été tuée par l’amour d’une femme qui a menti.
Christ je suis avec ma croix quand je marche, la compassion je ne donne qu’en passant.
Un coup de vent qui a arasé mon amour, un ouragan transformé en femme.


Ses caresses étaient pleines de mal et de trahison, ses lèvres qui mentaient impitoyablement, et embrasser sa bouche, fausse me glaçait le cœur. L’illusion qui s’en est allée, l’amour qui tua.

Une mauvaise femme qui porte le poison caché dans son cœur noir.

Je t’ai pardonné parce que je ne sais pas haïr, je ne garderai pas de rancœur envers toi, ce que je sais c’est que ta mauvaiseté a fait s’effondrer l’Eden que j’avais arrosé avec ferveur, une lumière d’amour qui n’illuminera plus jamais mon cœur fidèle.

J’erre sans foi avec ma croix de douleur, aujourd’hui vivre pour moi, est une cruelle jeunesse que je lui ai donnée sans hésitation et que j’ai jouée sans pitié avec mon amour.
Un coup de vent qui a arasé mon amour, un ouragan transformé en femme.

Autres versions par Donato

Donato a enregistré deux versions en 1950, mais il nous a laissé également deux versions en 1932. Voici cette doublette :

El huracán 1932-12-09 — Orquesta Edgardo Donato con Félix Gutiérrez — Prise 1.
El huracán 1932-12-09 — Orquesta Edgardo Donato con Félix Gutiérrez — Prise 2.

Pour information, c’est la version inaugurale qui a été jouée avant cet enregistrement au Salón San Martín (en 1928), plus connu sous le nom de Salón Rodríguez Peña et aujourd’hui, Teatro El Vitral.
Pour mémoire, voici nos deux tangos du jour :

El huracán 1950-04-14 — Orquesta Edgardo Donato instrumental
El huracán 1950-04-14 — Orquesta Edgardo Donato con Carlos Almada

Donato l’enregistrera une dernière fois en 1961 avec la voix d’Andrés Galarce.

El huracán 1961-11-01 — Orquesta Edgardo Donato con Andrés Galarce

Autres versions par d’autres orchestres

El huracán 1943 — Tres Guitarras Argentinas Dir. Guillermo Neira.

Une version incroyable, comment les guitares virtuoses arrivent à produire le son de la tempête. Maintenant, un orchestre dont on pourrait qu’il soit à la mesure du défi de la tempête, celui de Juan D’Arienzo.

El huracán 1944-07-07 — Orquesta Juan D’Arienzo. D’Arienzo produit une belle prestation, notamment grâce au piano de Fulvio Salamanca.
El huracán 1948-09-21 — Orquesta Alfredo De Angelis.

De Angelis, avec son piano encore plus présent que dans la version de D’Arienzo de 1944 donne une belle version. Le rendu de la tempête avec les cordes rendant l’effet de vent en compagnie du piano est assez différent. Une version qui défile, emportée par le vent, jusqu’à la dernière note.

El huracán 1952 — Orquesta Tito Martín.

Pour représenter les années 50, j’ai choisi l’orchestre de Tito Martín, rarement diffusé en milonga. Il faut dire qu’il s’inscrit dans la lignée de ces orchestres à la manière de D’Arienzo et que donc on peut (doit ?) préférer passer l’original. Cependant, il ne démérite pas et je pense que beaucoup de danseurs ne remarqueront pas qu’il ne s’agit pas de D’Arienzo… Ah ! vous pensez que l’on ne peut pas tromper les danseurs ? Lisez cette anecdote jusqu’au bout et vous serez surpris…

El huracán 1967 — Orquesta Fulvio Salamanca.

L’ancien pianiste de D’Arienzo fait sa version personnelle, assez originale. Il récidivera avec une version semblable 8 ans plus tard.

El huracán 1973 — Orquesta Florindo Sassone.

Sassone, toujours à la recherche du temps perdu. Sa recherche de joliesse nuit sans doute à la force du message. Pour moi, ce n’est pas une version convaincante. Le vent manque de conviction, difficile de se faire emporter comme le rosier par son souffle.

El huracán 1987 — Los Solistas de D’Arienzo dir. by Carlos Lazzari.

La majorité des DJ passent ce titre en annonçant qu’il est de D’Arienzo. C’est bien sûr faux, D’Arienzo étant mort en 1976, soit plus de 11 ans avant cet enregistrement… Cependant, le chef d’orchestre est Carlos Lazzari, bandonéoniste et arrangeur de D’Arienzo dans ses dernières années. Les musiciens sont également en grande partie ceux de l’orchestre. C’est donc un héritage et le mensonge n’est pas trop fort. Cela permet de proposer une version plus énergique que celle de 1944, qui est un peu décevante sur ce point, bien que tout à fait convenable pour la danse.

Je vous laisse donc tourbillonner aux sons du terrifiant ouragan qui déracine les rosiers.

Vous pouvez continuer avec la plupart des orchestres contemporains qui continuent d’enregistrer de nouvelles versions de ce titre, la plupart dans l’esprit de D’Arienzo, mais le mieux, c’est de les danser en présence des orchestres, ce qui est possible très souvent à Buenos Aires.

Nada 1944-04-13 — Orquesta Carlos Di Sarli con Alberto Podestá

José Dames Letra: Horacio Sanguinetti (Horacio Basterra)

On se damnerait pour ce tango de José Dames. Sa musique subtile et élégante remue l’âme et on ne peut cacher son émotion en le dansant. Les paroles d’Horacio Sanguinetti expliquent la puissance de la musique en révélant la bien triste histoire de celui qui étant parti ne retrouve pas son amour en revenant.

Extrait musical

Nada 1944-04-13 — Orquesta Carlos Di Sarli con Alberto Podestá. C’est le tango du jour.

Le piano de Di Sarli lance les deux premières notes, deux accords puis la mélodie démarre ascendante, alternant les parties percutées et les parties glissées. Comme si deux émotions se partageaient la musique. Les vagues se relancent les unes après les autres, que ce soit au violon ou à la voix. La musique reste tout le temps, dansante, même lors des passages plus glissés. La fin se fait dans un ralentissement et se termine avec la voix de Podestá qui chante « amor ». En fait, il reste un petit paquet de notes au piano qui ponctuent la fin, un peu à la manière de Caló, Caló que vous pourrez entendre dans le chapitre « autres versions ».
Mais pour l’instant, intéressons-nous aux belles et poignantes paroles d’Horacio Sanguinetti.

Les paroles

He llegado hasta tu casa…
¡Yo no sé cómo he podido!
Si me han dicho que no estás,
que ya nunca volverás…
¡Si me han dicho que te has ido!
¡ Cuánta nieve hay en mi alma!
¡Qué silencio hay en tu puerta!
Al llegar hasta el umbral,
un candado de dolor
me detuvo el corazón.

Nada, nada queda en tu casa natal…
Sólo telarañas que teje el yuyal.
El rosal tampoco existe
y es seguro que se ha muerto al irte tú…
¡Todo es una cruz!
Nada, nada más que tristeza y quietud.
Nadie que me diga si vives aún…
¿ Dónde estás, para decirte
que hoy he vuelto arrepentido a buscar tu amor?


Ya me alejo de tu casa
y me voy ya ni sé dónde…
Sin querer te digo adiós
y hasta el eco de tu voz
de la nada me responde.
En la cruz de tu candado
por tu pena yo he rezado
y ha rodado en tu portón
una lágrima hecha flor
de mi pobre corazón.

José Dames Letra: Horacio Sanguinetti (Horacio Basterra)

Raúl Iriarte ne chante que ce qui est en gras et pas le dernier couplet. Alberto Amor et Alberto Podesta font de même, mais reprennent la fin du refrain (en bleu) pour terminer.

Traduction libre

Je suis arrivé à ta maison…
Je ne sais pas comment j’ai pu le faire !
S’ils m’ont dit que tu n’y es pas, que tu ne reviendras jamais…
S’ils m’ont dit que tu es partie !
Que de neige il y a dans mon âme !
Quel silence il y a à ta porte.
Alors que j’atteignais le seuil, un verrou de douleur a arrêté mon cœur.

Rien, rien ne reste dans ta maison natale… Seulement les toiles d’araignées que la végétation tisse.
Le rosier n’existe pas non plus, et il est certain qu’il est mort par ton départ.
Tout est une croix !
Rien, rien que de la tristesse et du calme.
Personne pour me dire si tu vis encore…
Où tu es, pour te dire qu’aujourd’hui je suis revenu repentant pour chercher ton amour ?

Je m’éloigne de ta maison et je m’en vais, je ne sais où…
Sans le vouloir, je te dis adieu et jusqu’à l’écho de ta voix, sortie du néant, me répond.
Sur la croix de ton verrou pour ta douleur, j’ai prié et une larme a roulé sur ta porte et fait fleurir mon pauvre cœur.

Autres versions

Nada est le titre de l’année 1944. Ses trois meilleures versions sont de cette année et je n’ai pas envie de vous proposer celles qui ne sont pas au même niveau ou pas dansables, notamment celles des années 60, comme Julio Sosa (1963), Fulvio Salmanca avec Luis Roca (1964), Juan D’Arienzo avec Jorge Valdez (1964), ou celles que Calo fera en 1965 avec Raúl del Mar ou en 1966 avec Ledesma (en vivo). Voici donc, par ordre chronologique, les trois versions enregistrées en deux mois, en 1944.

Nada 1944-03-09 — Orquesta Miguel Caló con Raúl Iriarte.

Comme Di Sarli, Caló commence par un « Ploum plum », puis expose avec notamment les cordes et quelques accents du piano le thème. Le bandonéon pleure à 0 h 47, puis à 1 h 5 commence Raúl Iriarte. Le rythme est bien marqué, notamment par des cordes percutées, cette marcation s’altère pour laisser la place aux passages émouvants. Le thème se termine par un joli trait de bandonéon et la fin classique de Caló égrenée au piano.

Nada 1944-04-13 — Orquesta Carlos Di Sarli con Alberto Podestá. C’est le tango du jour.
Nada 1944-05-09 — Orquesta Rodolfo Biagi con Alberto Amor.

Le début est également un « ploum ploum, ou plutôt un « tchac tchac » incisif. Le tempo est beaucoup plus soutenu que dans les deux autres versions. Malgré la jolie voix et l’interprétation de Alberto Amor, on perd un peu d’émotion, mais l’énergie de Biagi rend le titre très dansant.

Pour ma part, c’est la version de Di Sarli que je préfère, suivie de celle de Caló et enfin celle de Biagi. Je peux passer les trois en milonga, selon l’énergie et les circonstances du moment. Les DJ ont à leur disposition ces trois merveilleux enregistrements pour renouveler le bonheur des danseurs.

Sondage. Quelle est votre version préférée ?

L’histoire à laquelle vous avez failli échapper

Je n’ai pas envie de détruire la magie de ce tango magnifique en vous contant des histoires sur l’auteur des paroles, Horacio Basterra, alias Horacio Sanguinetti. Je laisse ceux que ça intéresse s’en charger. Sachez seulement qu’on a perdu sa trace et que différentes hypothèses essayent d’expliquer sa disparition, notamment qu’il aurait tué son beau-frère militaire et qu’il se serait enfui du pays.
Je ne retiens que la fin de cette histoire. S’il a quitté l’Argentine, c’est pour retourner au pays (l’Uruguay) pour essayer de retrouver celle qui lui a inspiré Nada. Et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants.
FIN.

Les images auxquelles vous avez failli échapper

Entre dos fuegos 1940-04-12 — Orquesta Juan D’Arienzo

Alberto López Buchardo

Entre deux feux, Entre dos fuegos est un tango instrumental. Pour l’illustration de l’anecdote du jour, j’avais plusieurs pistes possibles. J’ai choisi celle de la souris entre deux chats aux yeux de feu, mais d’autres possibilités étaient ouvertes. Découvrons ce tango qui met le feu dans les milongas…

Pourquoi entre deux feux ?

On connaît bien sûr l’expression, qui depuis l’antiquité grecque, impose aux humains d’affronter en même temps deux menaces, comme les tourbillons et les récifs du détroit de Messine qui ont donné naissance aux êtres légendaires, Charybde et Scylla.

C’est aussi une expression militaire, où les combattants essuient les tirs de deux côtés à la fois.
Mais puisqu’on est dans le domaine du tango, on se doute que l’entre deux feux concerne plutôt une jeune femme aux prises avec deux séducteurs.
Cela nous est confirmé par une des couvertures de partition.

L’Argentine pendant la Première Guerre mondiale

En 1914, l’Argentine avait son activité économique tournée vers l’Europe. L’Angleterre, l’Allemagne et dans de plus faibles proportions, la France.
En termes de population, les pays « fournisseurs » étaient l’Italie, l’Espagne et la France au point qu’à la veille de la guerre, à Buenos Aires, 80 % des hommes étaient nés en Europe et dans tout le pays, près de 30 % de la population était d’origine européenne.
Ceci explique que même si l’Argentine est restée indépendante pendant tout le conflit, elle n’a pas été indifférente à celui-ci, ne serait-ce qu’à cause des répercussions économiques, les importations et exportations avec l’Europe étant quasiment paralysées.
Pour assouvir la soif de nouvelles des Argentins, les journaux et revues de l’époque parlent abondamment de la Guerre.

La couverture de gauche comporte un « jeu ». En effet, le soldat allemand dit qu’il aura la victoire, car il a x canons, obus et ainsi de suite. On remarquera que les chiffres sont peu compréhensibles.
Il faut lire la réponse du soldat français pour comprendre l’astuce : « el soldado frances replica: Vuelva la hoja y lea al trasluz ». Le soldat français répond : tourne la page et lis-la à contre-jour.

On remarque que sur la couverture de la partition et sur la couverture de gauche de Caras y Caretas, le soldat français porte un élégant pantalon rouge, rouge garance pour être précis. Après la défaite de 1870 contre la Prusse, les autorités françaises ont tiré plusieurs conclusions.

  1. Il faut enseigner la géographie aux Français, car les grossières erreurs de stratégies de l’état-major français venaient de lacunes dans ce domaine. Jules Ferry et sur tout Ferdinand Buisson travailleront à améliorer le système scolaire.
  2. Le pantalon rouge garance est trop voyant et avec l’augmentation de portée des armes, les soldats français deviennent des cibles trop voyantes.

On remarquera que sur les illustrations de 1914 et 1915, presque un demi-siècle plus tard, la couleur rouge est toujours utilisée… Je vous épargne les campagnes pour ou contre et les interminables débats sur la question, jusqu’au fantassin qui déclare qu’il ne souhaite pas que l’on change la couleur, car elle fait de l’effet aux femmes.
Ce n’est qu’en 1915 et progressivement, que la couleur « bleu horizon » est adoptée. Ce qui a hâté le mouvement, c’est que la culture de la garance avait périclité en France et que la teinture chimique pour faire la couleur rouge était fabriquée… en Allemagne.

Extrait musical

Cela étant écrit, il est temps de passer à l’écoute du tango du jour, par l’énergique d’Arienzo.

Entre dos fuegos 1940-04-12 — Orquesta Juan D’Arienzo.

Avec la façon d’interpréter qu’à D’Arienzo, on peut penser plutôt à quelqu’un essuyant des coups de feu de deux partis. Le début peut paraître une marche martiale, la fleur au fusil. Il est à noter que cet enregistrement a été fait après un an de guerre. On a l’impression que les instruments s’affrontent. La musique est très dynamique avec de brusques sautes d’humeur, donnant du suspens à la musique, ce qui en fait un titre amusant à danser, au moins pour les danseurs qui pourront en percevoir les fantaisies. Les autres pourront continuer à marcher au pas cadencé du roi du rythme (Rey del compás).

Autres versions

Cette version de 1916 a été enregistrée par Canaro qui est, de très loin, le chef d’orchestre ayant enregistré le plus, 3799 enregistrements selon la discographie de Christoph Lanner. Ce titre porte la référence 25 dans son catalogue.

Entre dos fuegos 1915 (o 1916) — Orquesta Típica Canaro Sello: Atlanta Disco: 3025 Matriz: 47 Fecha Grabación: 1916.

Cette version est tout de même un peu répétitive et lancinante. Le disque usé et l’enregistrement acoustique ne donnent pas envie de la passer dans une milonga…

Entre dos fuegos 1940-04-12 — Orquesta Juan D’Arienzo. C’est le tango du jour. Comme celui de Canaro, enregistré en temps de guerre mondiale, ce qui peut laisser penser que la version un peu militaire n’est pas étrangère à son interprétation.
Entre dos fuegos 1966-07-25 (enregistrement) et 1966-12-04 (date de sortie) — Orquesta Juan D’Arienzo. D’Arienzo a réenregistré le titre, 26 ans plus tard.

Le même jour, il a enregistré au moins 6 titres :
La payanca 1966-07-25, Vea, vea 1966-07-25, Entre dos fuegos 1966-07-25, Rodriguez Peña 1966-07-25, La viruta 1966-07-25 et El amanecer 1966-07-25.
Cela explique peut-être la qualité moyenne de cette interprétation. On est plus dans la quantité que la qualité. Les six titres ont la même contrebasse, marquant bien le tempo. Cela reste du tango de danse, mais avec sans doute moins de subtilités pour les danseurs avancés que dans les années 30 et 40.

Pourquoi des chats et une souris ?

Une des couvertures de la partition de Entre dos fuegos avait des chats et une souris qui semblait avoir des difficultés à trouver un moyen de rejoindre son trou que l’on voit au pied du mur, car elle est prise entre deux feux.

J’ai aussi imaginé une variation de l’illustration où les chats sont de feu, la souris est alors littéralement entre deux feux…

Lisón 1944-04-11 — Orquesta Rodolfo Biagi con Alberto Amor

José Ranieri Letra : Julián Centeya

Lison est un prénom à la mode depuis la fin du vingtième siècle. Il y a donc à parier que dans la nouvelle génération de danseuses de tango, nous allons avoir prochainement des Lison. Ce tango sera donc utile pour mettre en valeur une de ces danseuses. Les Lisón des années 40 étaient ces grisettes qui avaient quitté la France pour venir participer au «rêve» argentin.

Les auteurs

José Ranieri

José Ranieri (José Ranieri Magarotti) est également connu sous les pseudonymes de Pirula et Rudy Grant. Ne pas le confondre avec José Ranieri Virdo, flûtiste et trompettiste de Canaro.
Le José Ranieri du jour est né à Buenos Aires le 20 décembre 1911 et décédé le 9 novembre 1972 (je ne sais pas où).
Il était bandonéoniste, trompettiste et compositeur.

José Ranieri compositeur de tango et de jazz

Parmi ses compositions (tangos et jazz), citons :
A los muchachos (Pa’ los muchachos), Cantares de oriente, Dibujos, La negra quiere bailar, La novia del mar, Lisón, Muñequita de París, Noches blancas, Oh ! Ma chérie, Pa’ los muchachos, Que no sepan las estrellas, Que te cuente mi violín, Sólo una novia, Te quiero todavía.

José Ranieri trompettiste

Comme trompettiste, c’est un scoop, car je n’ai trouvé nulle part la mention qu’il était trompettiste. Je répare donc cette lacune…

Me vuelves loco (You’re driving me crazy) 1931-11-02 – Orquesta Adolfo Carabelli con Alberto Gómez (Nico).

Vous avez certainement déjà entendu ce Fox-trot, car certains DJ de tango le passent comme milonga… Il y a deux trompettes, celle d’Ignacio Verrotti et celle de José Ranieri.

Cantares de oriente 1931-03-26 — Adolfo Carabelli Jazz Band con Francisco Donaldson. Un autre fox-trot où il intervient à la trompette avec Verrotti. Il en est également le compositeur.
Oh ! Ma chérie 1932-03 — Orquesta Adolfo Carabelli, dont il est aussi le compositeur.

Noches Blancas — Elio Rietti y su Jazz Band.

Là, il y a trois trompettes, celle de Gaetano Ochipinti s’est rajoutée aux deux autres. Ranieri a également composé ce titre. Je vous le donne à écouter. Mais difficile de dire laquelle des trompettes est la sienne.

José Ranieri bandonéoniste

Curieusement, si aucun site ne parle de Ranieri comme flûtiste ou trompettiste, tous disent qu’il était bandonéoniste, mais impossible de le trouver mentionné.
J’en suis donc réduit à des hypothèses.
Le 26 mars 1931, Carabelli enregistre deux titres. Cantares de oriente et Por qué?, un tango d’Osvaldo Fresedo et Emilio Augusto Oscar Fresedo pour les paroles. Le chanteur est le même que pour Cantares de oriente et ce titre n’utilise pas la trompette. Est-il exagéré de suggérer que Ranieri pourrait avoir joué du bandonéon, puisque ce serait son instrument principal dans cet orchestre ? Je n’ai aucune preuve de cela, mais je garde l’idée sous le coude, d’autant plus que durant cette période Carabelli a enregistré divers Paso Dobles ou Fox-trots conjointement à des tangos.
Dernière hypothèse, existe-t-il un lien de parenté entre les deux José Ranieri ? Magarotti pourrait être le nom de la femme de son père et Virdo, celui de la femme de son grand-père paternel. Pas facile d’avoir des informations sur des instrumentistes discrets, plus d’un siècle après les faits (pas trouvé dans les sites de généalogie).

Julián Centeya (Amleto Enrico Vergiati)

Julián Centeya est un poète et auteur de paroles de tango. Vous l’avez tous entendu au début de Café Dominguez de Ángel D’Agostino. C’est lui qui dit le récitatif « Café Dominguez de la vieja calle Corrientes que ya no queda… ».
Il a mis les paroles sur le tango du jour, Lisón, notre tango du jour, mais aussi sur Pa’ los muchachos (que l’on connaît chanté par Roberto Rufino avec l’orchestre de Carlos Di Sarli ou par Ángel Vargas et son orchestre dirigé par Eduardo Del Piano).
On lui doit aussi les paroles de :
Claudinette, avec la musique de Enrique Pedro Delfino.
Este cuore, avec la musique de Daniel Melingo.
Felicita, avec la musique de Hugo del Carril.
Julián Centeya, avec la musique de José Canet (on n’est jamais si bien servi que par soi-même).
La vi llegar, avec la musique de Enrique Francini.
Lisón, avec la musique de Ranieri (notre tango du jour).
Lluvia de abril, avec la musique de Enrique Francini.
Más allá de mi rencor, avec la musique de Lucio Demare.

Extrait musical

Avec tous ces propos liminaires, vous pensiez que nous n’y arriverons pas. Mais voici le tango du jour…

Lisón 1944-04-11 – Orquesta Rodolfo Biagi con Alberto Amor.

Ce tango est assez rarement passé en milonga. Je pense que c’est en partie à cause de ses faux départs et de ses arrêts intempestifs. En effet, le rythme de la musique est cassé à de nombreuses reprises. Ce n’est pas forcément très agréable pour la danse.

Les paroles

Lisón
Tu amor quedó en mi corazón.
Lisón, dulce Lisón.
Y fue
La melodía de tu voz
Sentí triste canción.
Lisón
Eran tus manos blancas
Y yo soñaba con la luna
Vida mía.
En un
Romance azul de juventud
Lisón, dulce Lisón.

Muchachita de ojos negros
La canción
Del buen amor.
En la sombra de los muelles
Es invierno cruel y llueve,
Pasa el viento que te nombra,
Y yo sueño entre las sombras
Que te llama, corazón
Con este amor.

José Ranieri Letra: Julián Centeya

Traduction libre et indications

Lison
Ton amour est resté dans mon cœur.
Lison, douce Lison.
Et c’était la mélodie de ta voix, que je sentais être une triste chanson.
Lison
C’étaient tes mains blanches, et j’ai rêvé de la lune, ma vie.
Dans une romance bleue de jeunesse Lison, douce Lison.

Fille aux yeux noirs, la chanson du bon amour.
Dans l’ombre des quais c’est l’hiver cruel et il pleut, le vent qui te nomme passe, et je rêve dans l’ombre, qu’il t’appelle, cœur, avec cet amour.

Autres versions

Ce titre n’a pas eu un énorme succès, il n’a été enregistré que deux fois, en 1944.

Lisón 1944-04-11 – Orquesta Rodolfo Biagi con Alberto Amor. C’est notre tango du jour
Lisón 1944-10-04 — Orquesta Francisco Lomuto con Alberto Rivera.

Cette version est beaucoup plus liée. Les pauses sont mieux annoncées et si la version est plutôt moins énergique, elle peut convenir à une tanda de retour au calme, après une tanda de milonga par exemple. La voix plus rare d’Alberto Rivera n’est pas désagréable et la musique est sympathique, elle reste dansable, même si ce n’est pas un des 50 titres indispensables sur l’île déserte.

Qui était Lisón ?

Lison était un prénom courant en France au début du vingtième siècle, voire un surnom courant. La jeune femme aux yeux noirs de la chanson est donc probablement une de ces grisettes qui effectuaient des travaux domestiques ou peuplaient les maisons closes de l’époque, comme tant d’autres qui ont inspiré les compositeurs et auteurs de l’époque.
Vous pouvez vous reporter à mes autres anecdotes de tango sur le sujet, notamment En Lo de Laura, El Porteñito, Madame Ivone, Bajo el cono azul ou Mañanitas de Montmartre (avant l’exportation…).
En France, un autre tango porte le prénom Lison dans son titre : Tango pour Lison 1943 de Louis Moisello avec des paroles d’Achem.
En France, toujours, le film musical Ils sont dans les vignes réalisé par Robert Vernay et sorti en 1952 contient une chanson (valse) Le jupon de Lison chantée par Line Renaud. C’est un titre de Louis Gasté (Loulou) et avec des paroles de Bernard Michel et Philippe Gérard.
Pour revenir à la Lisón du tango du jour. Impossible à savoir vu le peu d’informations sur la vie privée des auteurs et le nombre conséquent de Lisón qui ont hanté les pensées des hommes de Buenos Aires.

Saludos 1944-04-10 — Orquesta Domingo Federico

Domingo Federico (Domingo Serafín Federico) ; Francisco Federico

Je pense qu’en voyant l’illustration, vous avez pensé que cette fois, j’étais définitivement parti me balader avec les fous. En fait, pas tout à fait. Ces petits bonjours (saludos) des Federico, père (Francisco) et fils (Domingo), les deux sains d’esprits, ont vraiment quelque chose à voir avec le grand Walt!

En fait, le grand Walt a vexé nos amis et ce tango est leur réponse musicale et élégante.
Voyons cela en image, animée…

Extrait du film mélangeant des passages filmés et des dessins animés tirés du film sorti en 1942, Saludos Amigos de Walt Disney

Il s’agit d’un court extrait du film mélangeant des passages filmés et des dessins animés tirés du film sorti en 1942, Saludos Amigos de Walt Disney. Il était destiné à inciter les pays d’Amérique latine à adhérer à la Good Neighbor Policy face au nazisme qui déchirait l’Europe.
Federico était énervé, car Disney a rejeté le tango et il a donc décidé d’écrire un tango.

La phrase qui tue…

Dans le film en entier, on commence par quelques vues de Buenos Aires, puis on va rapidement à la campagne. On présente le travail des gauchos, leur vêtement, puis de la danse. Le commentateur lance alors « No con el tango moderno de Buenos Aires, sino con los bailes típicos del campo ». Pas avec le tango moderne de Buenos Aires, mais avec les danses typiques de la campagne…

La réponse de Fédérico

Comme on le sait, les orchestres de tango de l’époque étaient aussi des orchestres de Jazz, ou pour le moins suffisamment connaisseurs pour s’emparer de cette musique qui partageait les salles de bal avec le tango.
Federico a donc décidé d’écrire un tango intégrant un rythme de Boogie et de le présenter à Disney pour qu’il revoie sa copie.

Boogie. Repérer les syncopes du boogie. Un peu comme quelqu’un qui boiterait.

Federico s’est inspiré du rythme du boogie et a appelé sont tango Saludos pour répondre au titre du film de Disney « Saludos amigos ». Désolé, pas de lunfardo ou de détails croustillants, mais ce n’est pas fini, restez jusqu’au bout…

Extrait musical

Il est temps d’écouter le titre par l’auteur, tout chaud sorti de sa plume (en fait, cet enregistrement a été fait environ un an après l’écriture).

Saludos 1944-04-10 — Orquesta Domingo Federico.

Retrouvez-vous la syncope du boogie ? Probablement que les danseurs nord-américains n’y trouveraient pas leur compte, mais les danseurs de tango ont beaucoup aimé ce nouveau rythme dans leur musique et le titre a été rapidement un succès.

Autres versions

Il y en a beaucoup, alors, je vous ai fait une petite sélection :

Saludos 1944-04-10 — Orquesta Domingo Federico. C’est le tango du jour et le point de départ de la collection de saluts.
Saludos 1944-08-23 — Orquesta Miguel Caló. Cette version est très connue, peut être encore plus que l’original. Elle a quatre mois de moins et est vraiment très différente. Les motifs magnifiques du violon estompent l’attention sur le rythme de boogie.
Saludos 1950-09-28 — Juan Cambareri y su Cuarteto Típico. Une version plutôt nerveuse. Cambareri est coutumier de ces versions rapides. Je ne sais pas si les danseurs de boogie peuvent y trouver leur compte, mais c’est une curiosité à connaître, probablement hors des pistes de milonga toutefois. Le brillant piano et le bandonéon virtuose de Cambareri méritent notre estime, je suis content de vous l’avoir proposé…
Saludos 1999 — Jorge Arduh y su Gran Orquesta Típica Argentina. Une version plus calme, mais pas pour la danse non plus. La syncope du boogie est encore ramollie, on est plus dans l’esprit de Calo que de Federico. La fin propose un beau trait de bandonéon.
Saludos 1990-12 — Orquesta Juvenil de Tango de la U.N.R. Dir. Domingo Federico. Une petite entorse à la chronologie, pour terminer avec l’auteur qui dirige l’orchestre de jeunes de Rosario, ville où il a terminé sa vie, une dizaine après.

Et Disney ?

Rappelez-vous, Federico était animé du dessein (ce jeu de mots n’est que pour les Français, désolé) de proposer son tango à Disney pour qu’il revoie sa copie en y intégrant le tango.
Finalement, son tango a eu beaucoup de succès et Federico a oublié son projet.
Le plus amusant est que Disney a revu sa copie en réalisant une suite à « Saludos amigos », « Los très caballeros » (les trois cavaliers). Dans ce nouveau film, il revient en Argentine et met en valeur… de nouveau la Pampa, avec un personnage qui rappelle, Patoruzú… Le tango n’aura pas son film par Disney, même si quelques films ont des musiques qui peuvent l’évoquer de façon relativement lointaine, comme dans Ratatouille, Colette Shows Him Le Ropes, ou The Dysfunctional TangoGermaine Franco du film de Disney Encanto.

La viruta 1970-04-09 — Orquesta Florindo Sassone

Vicente Greco Letra : Ernesto Temes (Julián Porteño)

On reste avec Vicente Greco comme compositeur et Julián Porteño pour les paroles. Ce sont eux qui nous avaient donné Rodríguez Peña hier. La Viruta avec une majuscule c’est une célèbre milonga de Buenos Aires. Mais le terme de viruta est délicieusement polysémique. Nous allons voir cela à partir de cette version fort surprenante délivrée par Sassone, il y a seulement 54 ans et 58 ans après l’écriture du titre.

Viruta, tu es qui, tu es quoi ?

En bon espagnol, une viruta, c’est un copeau de bois ou de métal. Faire un tango sur ce sujet, cela semble un peu léger.
On se souvient cependant que dans Arrabalera 1950-10-03 par le Quinteto Pirincho, Canaro intervient à deux reprises. La première fois, il lance : « Sácale viruta al piso, hasta romper los zapatos ». Enlève le copeau au plancher, jusqu’à briser les chaussures. Il est à noter que les paroles sont normalement « hasta romper los tamangos », tamangos est un synonyme de zapatos (avec parfois une acception de vieilles chaussures, mais pas forcément et certainement pas dans ce cas). Enlever le copeau du bois, c’est danser avec énergie, éventuellement bien. C’était particulièrement adapté au style canyengue.
D’autres textes font référence à la viruta dans ce sens, comme un texte de Cadicamo, Villa Urquiza, chanté par Adriana Varela accompagnée par Néstor Marconi « Se va por un compromiso, Don Benito Avellaneda, pero “Finito” se queda pa’ sacar viruta al piso… » (dernier couplet).
Mais revenons à Arrabalera de Canaro (attention, pas la version de Tita Merello qui a été composée par Sebastián Piana et Cátulo Castillo, dont le seul point commun est d’avoir été joué par Canaro qui accompagne Tita Merello. Vous suivez toujours ? Bravo ! On parle beaucoup moins de cette seconde phrase dite par Canaro dans cette milonga.

Détail de la partition de Arrabalera de Francisco Canaro et Rosendo Mendizába. Le passage « chanté » par Canaro. La première ligne est dite vers le milieu de la milonga et la seconde, lors de la reprise, vers la fin de la milonga.

Cette fin est un peu coquine, ou pas : « Sácale, el hilo a esa chaucha, si es que tienes buenas uñas ». En effet, si les paroles peuvent paraître bénignes, puisqu’il s’agirait de retirer le fil des haricots à condition d’avoir de bons ongles. Mais ce serait oublier les doubles sens chers au lunfardo. La chaucha est aussi le pénis et Canaro prononce hilo (le fil) un peu comme virú, sans doute pour rappeler viruta.

Arrabalera 1950-10-03 — Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro con refrán por Francisco Canaro

Une viruta, cela peut aussi être un petit truc sans importance, un homme insignifiant, voire un rouleau de billets que l’on peut sortir de sa chaucha (haricot, mais ici le portefeuille). Je vous avais annoncé plein de sens possible. Le compte est bon.
Alors, voici la musique annoncée :

Extrait musical

La viruta 1970-04-09 — Orquesta Florindo Sassone

Le moins que l’on puisse dire que la musique est un peu grandiloquente, ou plutôt, qu’elle est un mélange de passages épiques et d’autres, plus anecdotiques.

Cela pourrait donner de la variété et donc être intéressant pour la danse, mais il y a de petits problèmes. Le premier est que les changements d’ambiance sont un peu difficiles à deviner si on ne connaît pas déjà le titre et l’autre est que malgré cette variété, on a une impression de monotonie.

Les paroles

Même s’il n’existe a priori pas de version avec les paroles chantées, il y a bien des paroles écrites en 1912 par Julian Porteño.

Con la punta del zapato,
bailando así,
tu nombre, prenda,
quiero escribir
sobre el encerado
de este salón,
al compás del tango.
Ni el tiempo lo va a borrar,
pues ha de quedar grabado
fiel en mi corazón,
porque la pasión
que se anida en el
es noble como tu varón.

Seguime en el vaivén
del tango embriagador,
viruta de placer,
canción de nuestro amor.
Seguime en el tanguear,
vibrando de ilusión,
tu cuerpo unido al mío,
corazón a corazón.

Vicente Greco Letra: Julian Porteño

Traduction libre et indications

Avec la pointe de ma chaussure, dansant ainsi, ton nom, femme (prenda, c’est le vêtement, mais en lunfardo, c’est aussi la femme), j’ai envie d’écrire sur l’enfermement de ce salon, au rythme du tango.
Même le temps ne l’effacera pas, car il faut qu’il reste fidèlement gravé dans mon cœur, parce que la passion, celle qui se niche en lui est noble, comme ton homme.
Suis-moi dans le balancement du tango enivrant,
Un éclat de plaisir, chanson de notre amour.
Suis-moi dans le tango, vibrant d’illusion.
Ton corps uni au mien, cœur à cœur.

Grâce à ce texte « oublié », on a la signification du nom du tango. Il s’agit d’un éclat de plaisir, mais rien n’interdisait aux auditeurs de l’époque de penser à la viruta à enlever du plancher en dansant comme un Dieu… ou à la viruta (rouleau de billets) qu’il faudra sortir de la chaucha pour payer ses petits plaisirs.

La milonga, la Viruta

Il y a à Buenos Aires, une milonga assez différente, La Viruta. Elle a plusieurs particularités par rapport aux autres milongas de Buenos Aires.

  • On y danse dans la pénombre. Cela ne dépaysera pas certains européens qui pensent que le tango se danse dans l’obscurité, ce qui est tout le contraire pour la majorité des portègnes qui souhaitent voir les danseurs et surtout pouvoir faire la mirada dans de bonnes conditions, la mirada est presque impossible à faire à la Viruta.
  • Elle est gratuite après deux heures du matin, ce qui permet à de nombreux jeunes de venir occuper la piste sans se ruiner. Il est toutefois à noter que ces jeunes dansent sur la même musique que leurs grands-parents et que s’ils dansent de façon virtuose, ils respectent les lignes de danse et l’espace des voisins, notamment en effectuant leurs figures dans un cylindre qui se déplace autour de la piste avec régularité et pas dans des mouvements browniens.
  • Il y a des médialunas (viennoiseries en forme de croissant) à la fin de la nuit.

C’est un des hauts lieux du folklore. Cela peut paraître surprenant vu le public plus jeune, mais toutes les milongas, ou presque proposent des intermèdes de folklore.

On la trouve à Armenia 1366, au siège de l’association culturelle arménienne.

Un OVNI pour parler de la milonga La Viruta de Buenos Aires.

Otra noche en la Viruta 2007 — Otros Aires (Miguel Di Génova, Omar Massa ; Diego Ramos Letra : Miguel Di Génova).

Comme quoi, il n’y a pas que Sassone qui sait faire des musiques ennuyeuses, mais là vous avez en prime une vidéo kitch. La milonga « la Viruta » de Buenos Aires mériterait un hommage plus sympathique…

Autres versions

Ce titre a donné lieu à d’innombrables versions. Je vous en propose quelques-unes par ordre antéchronologique de la version de Sassone à la plus ancienne en stock.

La viruta 1970-04-09 — Orquesta Florindo Sassone. C’est le tango du jour.
La viruta 1967-07-04 — Orquesta Héctor Varela. Une version énergique et boum boum, qui rappelle la version contemporaine de l’année d’avant par D’Arienzo.
La viruta 1966-07-25 — Orquesta Juan D’Arienzo. Énergique, mais D’Arienzo ne faisait pas grand-chose d’autres dans les années 60…
La viruta 1957-09-27 — Orquesta Osvaldo Fresedo. Je vous vois venir, vous allez penser que Fresedo a copié sur Sassone et Varela. Eh bien, non, regardez la date, c’est enregistré dix ans plus tôt. Ceux qui pensent que Fresedo, c’est uniquement la vieille garde se trompent.
La viruta 1952-12-12 — Orquesta Carlos Di Sarli. Même Di Sarli met beaucoup d’énergie dans cette version. Une assez jolie version, même si les enregistrements de 18 952 ne sont pas les meilleurs sur le plan technique.
La viruta 1948-07-22 — Orquesta Rodolfo Biagi. Une superbe version avec un Biagi qui fait des vagues au piano. Sans doute une des plus belles versions. À comparer à celle qu’il a enregistrée douze ans plus tôt avec D’Arienzo.
La viruta 1947-05-16 – Orquesta Alfredo Gobbi. L’orchestre d’Alfredo Gobbi n’est pas très apprécié des danseurs, mais cette version de La viruta ne démérite pas.
La viruta 1943-08-05 — Orquesta Carlos Di Sarli, toujours en remontant le temps, on retrouve un Di Sarli au compas marqué de façon plus sèche. Il n’a pas encore le « zoom » qui fait entrer de façon progressive les attaques de ses violons.
La viruta 1938-12-13 — Quinteto Don Pancho dir. Francisco Canaro. Une version plus calme, plutôt joli. Légère par la taille de l’orchestre (quintette). En plus cette version est très joueuse. Elle devrait donc plaire à beaucoup de danseurs, malgré son air un peu ancien, mais plutôt reposant après les gros pavés que nous venons d’entendre.
La viruta 1936-12-30 — Orquesta Juan D’Arienzo. On retrouve Biagi, cette fois sous la coupe de D’Arienzo. Le piano est bien plus timide que dans l’enregistrement de 1948, mais il y a quelques petites fioritures « à la Biagi » qui permettront aux danseurs qui connaissent bien le titre, de les marquer.
La viruta 1933-11-09 — Miguel Orlando et son Orchestre du Bagdad. Une version avec des « fusées de feu d’artifice » (comme dans fuegos artificiales). Le compas est toujours présent, mais sait se faire discret pour laisser la parole aux instruments solistes. Les attaques des violons évoquent celles de D’Arienzo. Le résultat est un peu répétitif, mais ce titre pourra plaire aux amateurs de versions peu connues et limite canyengue.
En France, il a notamment joué à Paris, justement au Bagdad (168, rue du Faubourg Saint-Honoré, Paris 8°). Son petit neveu, Mario Orlando est DJ de tango à Buenos Aires.
La viruta 1928-07-02 — Orquesta Luis Petrucelli. Une version qui devient tout de même un peu ancienne, mais il y a des sons des violons qui méritent d’être entendus.
La viruta 1913 — Cuarteto Juan Maglio « Pacho ». Et on termine par l’arrière-grand-mère de toutes ces versions. Un rythme soutenu et de jolies notes de flûtes. Peut-être un peu monotone, les différentes reprises sont comparables, même si un petit changement apparaît sur les dernières mesures.

Voilà, nous sommes arrivés au terme du voyage.

Rien ne vous empêche maintenant de faire des sauts dans le temps pour retrouver votre version préférée.

La viruta.

Rodríguez Peña 1952-04-08 — Orquesta Carlos Di Sarli

Vicente Greco Letra : Ernesto Temes (Julián Porteño) ; Juan Miguel Velich ; Rafael (Ralph) Velich; Chamfleury & Liogar…

Il s’agit de la deuxième version du thème Rodríguez Peña, enregistrée par Di Sarli, celle du 8 avril 1952. Comme il l’a enregistré trois fois en 1945, 1952 et 1956, nous allons voir comment il a évolué durant ces onze années… Ce thème a eu beaucoup de succès et les paroliers se sont battus pour apporter leurs propres paroles. Mais là, on s’en moque, car c’est une version instrumentale…

Extrait musical

Rodríguez Peña 1952-04-08 — Orquesta Carlos Di Sarli

Les trois versions de Di Sarli

Rodríguez Peña 1945-01-03 — Orquesta Carlos Di Sarli
Rodríguez Peña 1952-04-08 — Orquesta Carlos Di Sarli
Rodríguez Peña 1956-02-23 — Orquesta Carlos Di Sarli

On remarque, dans la partie verte, que les répartitions des fortissimi et des piani sont égales. Dans la quatrième vignette, en bas à droite, c’est la version de 1956, en MP3. Alors que, dans la vignette en bas à gauche, on a des fréquences supérieures à 15 kHz, à droite, en MP3, c’est à peine si on atteint les 10 kHz. C’est la raison pour laquelle je préfère utiliser la musique que je numérise moi-même à partir des disques 78 tours.

Les trois débuts

Je vous laisse comparer les trois versions, si possible dans des versions de bonne qualité, mais dès le début, les différences sont énormes entre les versions. C’est d’ailleurs étonnant de voir les erreurs dans les partages de certains « DJ » qui confondent les trois versions, voire des éditeurs qui indiquer 2e version, tantôt pour celle de 1952 ou celle de 1953.
Voici visuellement les trois débuts :

On voit facilement que la version de 1956 dure plus longtemps que celle de 1952, qui dure plus longtemps que celle de 1945. En effet, entre les trois versions, le tempo se ralentit et c’est très net à l’écoute. Carlos Di Sarli baisse énormément la vitesse entre 1945 et 1956.
On voit aussi que les attaques de 1952 et 1953 sont plus fortes que celle de 1945. Celle de 1956 est forte, mais démarre de façon moins abrupte que celle de 1952, par un ZOOOOM qui monte en force progressivement et qui est typique de Di Sarli de la seconde partie des années 50.
On n’a presque pas besoin d’écouter la musique, tout est dans l’audiogramme 😉
Si, si, il faut écouter. Je vous propose donc ici les trois débuts enchaînés et par ordre chronologique.

Rodríguez Peña, mixage des trois introductions. 1945, puis 1952, puis 1956

Paroles

Il s’agit d’une version instrumentale, mais il y a des paroles qui permettent de lever le doute. Ce tango ne parle pas du président argentin, mais d’un établissement où se jouait le tango et qui était dans la rue Rodríguez Peña au 344. Son véritable nom était Salón San Martín. Nous l’avons évoqué récemment à propos du tango Pasado-florido-1945-04-04.
Les paroliers se sont mis à trois, mais ce ne sont pas des textes inoubliables…

Julián Porteño (Ernesto Temes)Juan Miguel VelichJuan Miguel Velich et Rafael (Ralph) Velich
Noches del salón Rodriguez Peña,
donde bailé
llevando en brazos un buen querer
que hoy añora mi corazón,
recuerdos…nostalgias
de volver a aquellos tiempos bravos
de juventud
y entreverarme en el vaivén
del tango aquel.
 
Fue en Rodriguez Peña
que por ella me jugué
la vida, y conquisté
feliz su corazón.
 
Fue en Rodriguez Peña
que una noche la dejé
arrullado por otra pasión.
 
Llegan tus compases
viejo tango,a reprocharme,
ahora que estoy solo
añorando su querer,
ella fue mi dicha
y mi ilusión,
Rodriguez Peña,
en noches porteñas
que ya nunca olvidaré.
Llora mi corazón
en el silencio del arrabal
al ver que todo cambiado está.
Honda recordación
del romancesco pasado aquel
que tanto amé.

Adiós, Rodríguez Peña de mi alegre juventud.
Rincón que al evocar me acerca al tierno bien
que fuera como un astro del hermoso ensueño azul
que en mi rodar incierto no olvidé
y mi tango que se hermana con mi gran sentir
suspira al comprender que ya no volverán
las tardes y las noches que contento compartí
con los muchachos de ese tiempo ideal.

Tango de mis glorias,
que repito con mi fiel canción,
tango que sonriendo
con mi diosa lo bailé.
Quiero, tango lindo,
que me arrulles con tu dulce voz,
como aquellos días
venturosos del ayer.
Suelta hasta el zorzal
su honda centinela, y su canción
es tétrico gemido que al corazón
oprime de pena.
Música dos compases.
Viendo cómo se fue
el tiempo tan florido que ayer vivió
el arrabal.

El Rodríguez Peña, templo bravo, espiritual,
en la transmutación del lindo tiempo aquel
ha perdido de las paicas el tanguear sensual
y al taitaje que brilló en él.
Hoy sólo queda el recuerdo que cantando va
el sin igual valor de nuestra tradición,
y jamás del alma el progreso borrará
aquel pasado de empuje y de acción.

Te hirió el progreso,
mi Rodríguez Peña divinal,
pero es triste orgullo
el querer prevalecer,
si su alma es tuya,
que es el tango himno de arrabal,
que con sus notas canta
las purezas del ayer.

Traduction libre de la version de Julián Porteño (Ernesto Temes)
Les nuits du salon Rodríguez Peña, où j’ai dansé tenant un bon amour dans les bras
Que mon cœur désire ardemment aujourd’hui, souvenirs… Nostalgies de revenir à ces temps de la jeunesse et me laisser emporter par le balancement
de ce tango.

Ce fut au Rodríguez Peña que, pour elle j’ai joué ma vie, et conquis, heureux, son cœur.

Ce fut au Rodríguez Peña qu’une nuit je l’ai quittée bercé par une autre passion.

Tes compas arrivent, vieux tango, pour me faire des reproches, maintenant que je suis seul, désirant ardemment son amour. Elle était mon bonheur et mon illusion, Rodríguez Peña, dans les nuits portègnes que jamais j’oublierai.

La siete de abril (zamba)

Andrés Avelino Chazarreta et Pedro Evaristo Díaz, ou Ñato Carrillo, ou Agenor Reynoso ou Gómez Carrillo ou El Ciego Chazaou…

Les Argentins adorent avoir des règles pour pouvoir les transgresser. Comme le jour de la zamba est le 29 septembre (anniversaire de Gustavo «Cuchi» Leguizamón) et le jour national du folkloriste argentin le 29 mai (anniversaire de Andrés Avelino Chazarreta, auteur [possible] de cette zamba), ils fêtent la zamba le 7 avril, jour mentionné dans le titre de cette zamba qui est la «Cumparsita» (selon l’expression de Daniel Borelli) des danseurs de zamba. ¡A bailar la zamba chicos!

Pour vous permettre d’avoir une idée de cette danse, je vous propose cette interprétation de zamba par Carol Retamoso et Juan Manuel Sotelo.

Zamba dansée par Carol Retamoso et Juan Manuel Sotelo. Musiciens : Cristian Bautista (violon) ; Alef Cardozo Madaf (guitare) Eduardo Lobos, (Bombo).

Qui est l’auteur de cette zamba ?

L’auteur de cette zamba n’est pas vraiment connu. J’ai listé les créateurs potentiels, mais le nom généralement retenu est le premier qui l’a déposé à la SADAIC (société des auteurs argentins), Andrés Avelino Chazarreta.
Manuel Gomez Carillo l’a collectée et déposée à son tour en 1923. Il n’en est donc pas l’auteur, il l’a seulement collectée et sur sa version, Manuel Valladares Leda a rajouté des paroles postérieurement. Plusieurs autres versions existent.
L’auteur original, s’il n’est pas Chazarreta peut-être Pedro Evaristo Díaz, ou Ñato Carrillo, ou Agenor Reynoso ou Gómez Carrillo ou El Ciego Chazaou ou un autre qui reste anonyme. Cela n’a pas beaucoup d’intérêt en fait.

Extrait musical

Il y a des dizaines de versions de cette zamba. En voici quelques-unes, relativement différentes, mais c’est une toute petite partie de celles qui existent. Si vous êtes en Argentine le 7 avril, vous allez l’entendre de tout côté…

La 7 de abril — Los Manseros Santiagueños. Sans doute la plus connue.
La 7 de abril — Pitin Salazar. Avec annonce des figures de la chorégraphie. Comme DJ, cette version peut aider les danseurs un peu fragiles dans la pratique de la zamba, mais le DJ peut aussi faire les annonces.
La 7 de abril — .
La 7 de abril — Dino Saluzzi
La 7 de abril — Andrés Chazarreta à la guitare. Je ne proposerai pas cette version à la danse, mais elle est intéressante, car interprétée par « l’auteur ».

ZZZ’avez dit zamba ou samba ?

Zamba, comme vous l’avez constaté avec la vidéo, cette danse n’a absolument rien à voir avec la danse brésilienne qui enflamme les rues de Rio durant le carnaval, pas plus que la zemba, semba ou la zumba.
Cette danse, originaire de… Bon, on se retrouve devant une autre difficulté. Les revendications sont nombreuses. Des origines africaines (j’imagine que les auteurs confondent avec la samba ou la zemba, semba) ou des origines péruviennes. En effet, on attribue souvent à l’évolution de la zamacueca en une version plus rapide, l’origine de la zamba. J’écris la zamba, mais il y a en fait des zambas. Pour éviter de me mettre à dos la moitié des danseurs de folklore argentins, je vais rester vague et juste dire que cette danse se pratique avec des foulards (pañuelos) dans toutes les provinces argentines et même à Buenos Aires.
Il y a d’ailleurs beaucoup plus de danseurs de folklore en Argentine que de danseurs de tango.

Comment ça se danse ?

C’est un peu la suite de la question précédente. Il n’y a pas une, mais, des zambas. Pour simplifier, on dit que les rythmes sont un peu différents d’une province à l’autre, mais les chorégraphies sont également variées.
En fait, il s’agit d’une danse traditionnelle et chaque groupe ethnique l’a mise à sa sauce, l’a conçue, l’a construite et déconstruite. Les ethnologues et musicologues ont figé ces danses dans des chorégraphies, ce qui a appauvri la diversité, car c’est de ces collectes que sont partis les groupes folkloriques pour monter leurs spectacles. Je connais bien le phénomène, étant maître de danses traditionnelles et ayant fait mon mémoire, justement sur ce sujet…
La base de la danse est une danse de couple, sans contact. C’est une danse de séduction. L’homme et la femme se déplacent en agitant leur mouchoir (foulard). Dans la première partie, la femme rejette les avances de l’homme, mais, dans la seconde, elle se fait plus tolérante et finalement se laisse conquérir.
Les deux parties sont donc distinctes. Dans la première, l’homme est entreprenant, il mobilise son foulard et essaye d’attirer l’attention de la dame. La femme est pudique, se masque le visage, n’accepte pas l’invitation. Elle donne même souvent le dos à la fin de la première partie. Dans la seconde partie, en revanche, elle devient plus entreprenante et accepte les avances. Souvent, les danseurs jouent les deux parties de la même façon, ou toute la durée est en séduction réciproque, ce qui est à mon avis une petite trahison de l’esprit de cette danse.
D’autres la dansent comme si c’était une chorégraphie de country, mais c’est une autre histoire…

Je pensais vous faire un petit cours de zamba et me suis plongé dans ma bibliothèque à la recherche de quelque manuel d’où je pourrais tirer des éléments utiles. Las, ces petits dessins semblent tellement compliqués à comprendre que j’ai abandonné l’idée.
Je vais juste vous mentionner les figures de la forme la plus courante à Buenos Aires, qui est très loin d’être l’endroit où elle se danse le plus, mais dans les milongas, il y a souvent un intermède de folklore comportant chacarera et zamba et comme vous me suivez pour le tango, vous avez certainement une attirance pour cette ville.
Les phrases musicales sont de 8 temps. Elles donnent la durée des « figures ».
L’introduction. On peut frapper dans les mains.
La première vuelta. Elle commence avec le chant (quand c’est une zamba chantée, bien sûr). À la fin de la première phrase, on a un échange de place avec sa partenaire. À la fin de la seconde, on est rentré dans une sorte de spirale et on s’arrête, on change de direction (arresto) au début de la troisième phrase et on revient au point de départ en faisant l’escargot à l’envers.
On revient au centre et ont fait trois arrestos (ce qui donne l’impression que les partenaires se tournent autour), puis ont revient au point de départ.
La musique change de tonalité, de caractère. Cela annonce le dernier escargot.
Et sur la dernière phrase, le couple se réunit au centre (la femme dos à l’homme dans la première partie et de face et complice dans la seconde).
Je pense que vous n’aurez rien compris, ce n’est pas grave car en admettant que vous ayez compris la chorégraphie, il vous resterait à acquérir la manipulation du foulard et c’est tout un autre univers. Toutefois, pour le foulard, on peut améliorer son jeu en jouant l’histoire de la danse. Dans la première partie, l’homme cherche à capter l’attention et la femme se cache et rejette, dans la seconde, ils s’accordent et peuvent enlacer les foulard, se caresser avec…

La siete de abril

Le titre peut sembler est une date (7 avril). On se demande alors immédiatement qu’à cette date particulière pour qu’on en fasse une zamba (ou même une chanson).
Une date probable est le 7 avril 1840, où Marcos Avellaneda qui dirigeait une insurrection (la Ligue du Nord) a perdu la tête qui a été exposée par l’armée de Rosas sur la place centrale de San Miguel de Tucumán.
La défaite de l’insurrection a eu lieu à Famaillá, mais Avellaneda s’est enfuit vers le Nord et il se peut que ce soit sur l’emplacement de 7 de Abril qu’il a été rattrapé et décapité.

Cette localité qui compte aujourd’hui un millier de personnes s’était développée à proximité d’une station de chemin de fer destinée à transporter vers des lieux plus peuplés, la canne à sucre produite ici et le bois récolté dans les bois avoisinants.

Quoi qu’il en soit, il est difficile de faire le lien entre cet événement sanglant et la zamba. Il reste deux hypothèses. La belle est de 7 de Abril, où il s’agit d’un 7 de Abril, date d’une rencontre et donc, une date plutôt d’ordre privé.
Tournons-nous du côté des paroles pour voir si on a d’autres pistes.

Les paroles

Il y a en fait diverses paroles. La version la plus courante aujourd’hui est celle de Pedro Evaristo Díaz sur la musique déposée par Andrés Avelino Chazarreta.

Triste y con penas me voy
Voy cantando mi canción
{Buscando consuelo en una zamba
Porque me ha pedido el corazón} bis
Lejos se escucha una (mi) voz
Y ella dice en su cantar
{En aquellas noches silenciosas
Canto porque alivio mi pesar} bis
Estribillo
Otros andarán por ahí
Igualitos como yo
{Cantando triste sus penas
Zamba sos mi canción} bis

Como el perfume de flor
Suave, acompasada sos
{Has hecho bailar a muchos criollos
Haciendo vivir la tradición} bis
Tus melodías quizás
Siempre han sido para mí
{La que muchas noches he soñado
Y así la nombré siete de abril} bis

Andrés Avelino Chazarreta Letra : Pedro Evaristo Díaz

Si vous voulez connaître d’autres versions, mais qui ne donnent pas plus d’indication sur l’origine, vous pouvez consulter cet excellent article :

https://raicesmusical.blogspot.com/p/zambas-y-sus-versiones.html

Version archivée au cas où la page deviendrait indisponible : https://web.archive.org/web/20220909213526/https://raicesmusical.blogspot.com/p/zambas-y-sus-versiones.html

Traduction libre

Triste et chargé de peine je m’en vais
Je m’en vais en chantant ma chanson
Cherchant du réconfort dans une zamba
{Parce que mon cœur me l’a demandé} bis
Au loin s’entend une voix
Et elle dit dans sa chanson
{Dans ces nuits silencieuses
Je chante pour alléger mon chagrin} bis
Refrain
D’autres viendront par là
Tous égaux, comme moi
{Chantant tristement leurs peines
Zamba tu es ma chanson} bis

Comme le parfum de la fleur
Tu es douce et rythmée
{Tu as fait danser beaucoup de criollos
Faisant revivre la tradition} bis
Tes mélodies peut-être
Ont toujours été pour moi
{Celle dont j’ai rêvé de nombreuses nuits
C’est ainsi que je l’ai nommée 7 avril} bis

Alors, allez-vous danser la zamba ?

Comme DJ, j’adore voir les danseurs danser une belle zamba. Ce plaisir est rare en Europe, alors j’espère que vous vous y mettrez, pour me faire plaisir, mais surtout pour vous faire plaisir.
J’essaye toujours de placer un intermède de folklore dans les milongas que j’anime. En Europe, ça a rarement du succès et ça se termine en cortina, mais désormais, la chacarera est bien rentrée dans les mœurs. La zamba, c’est un peu plus difficile, mais j’ai eu quelques occasions, donc celle qui m’a servi pour la photo de couverture où deux danseurs français ont réalisé une très belle zamba. Ils se sont retrouvés seuls sur la piste, mais ils ont produit une vive émotion et je suis sûr que cela a donné une petite envie à certains.
L’an dernier à Tarbes, j’ai aussi pu faire danser quelques couples sur une zamba.

Une autre zamba pour vous décider à la danser, par Argentino Luna

Il existe des centaines de Zambas, chacune dans de nombreuses versions. C’est un champ immense.

Gallitos del aire par Argentino Luna. Les Gallitos del Aire (petits coqs de l’air) sont les foulards.

Les Gallitos del Aire (petits coqs de l’air) sont les foulards.

À Buenos Aires, cette version plaît beaucoup.

Je vous en donne les paroles et leur traduction, car ce titre décrit exactement la danse et son sentiment.

Paroles de Gallitos del aire

Comenzó la zamba y con el pañuelo
Te invité a bailarla y fue como un ruego
Cuando te acercaste, casi sin aliento
Con mucha vergüenza, dijiste bailemos
Y así comenzamos a bailar la zamba
Poniendo en el baile, el cuerpo y el alma

La Luna traviesa brillaba en tu pelo
Yo te presentía paloma en acecho
En la media vuelta me puse a tu lado
Buscando tus ojos, mis ojos jugaron
Giraste y te fuiste, tímida y callada
Temblorosamente bailando la zamba

Una vuelta entera, nos puso de frente
Mis labios deseaban tus labios ardientes
Gallitos del aire fueron los pañuelos
Que en blanco y celeste pintaron el cielo
Ya la media zamba marcaba el final
Y yo presentía tus ganas de amar

Se va la segunda, dijo el musiquero
Y yo enamorado seguía tu vuelo
Presentí tus miedos casi con asombro
Mientras me mirabas por arriba del hombro
Con la mano izquierda me toque el sombrero
Como pa’ decirte aquí voy de nuevo

Lo demás fue un juego de amagues y esquives
Un tantear de cerca, tu cuerpo de mimbre
Formando un arresto, mi pañuelo blanco
Lo entrelazó al tuyo que andaba volando
Y fue con el baile, violín y guitarra
La noche más noche, la zamba más zamba

Una vuelta entera nos puso de frente
Mis labios deseaban tus labios ardientes
Gallitos del aire, fueron los pañuelos
Que en blanco y celeste pintaron el cielo
Mi pañuelo blanco te trajo hacia mí
Y tú enamorada dijiste que sí

Argentino Luna

Traduction libre de Gallitos del aire et indications

La zamba a commencé et avec le foulard
Je t’ai invitée à la danser et c’était comme une prière
Quand tu t’es approchée, presque essoufflée
Avec beaucoup de honte, tu as dit, dansons
C’est ainsi que nous avons commencé à danser la zamba
Mettant dans la danse corps et âme

La lune coquine brillait dans tes cheveux
J’ai senti que tu étais une colombe traquée
Dans la media vuelta (figure de la zamba), je me tenais à ton côté
Mes yeux jouant à chercher tes yeux
Tu t’es retourné et tu es partie, timide et silencieuse
Dansant la zamba en tremblant

Un vuelta entera (figure de zamba, tour entier), nous a mis face à face
Mes lèvres désiraient tes lèvres brûlantes
Les coqs de l’air étaient les foulards
Qui en blanc et bleu céleste ont peint le ciel. (Ce sont les couleurs de la bandera argentine. Les femmes ont traditionnellement le foulard céleste et les hommes le blanc. Les foulard sont agités en l’air et donnent l’impression de peindre le ciel)
Déjà la demi-zamba marquait la fin
Et j’ai pressenti ton désir d’aimer. (C’est la fin de la première partie. Le danseur raccompagne la femme et la seconde partie commence).

La seconde démarre, dit le musicien (il annonce la seconde partie)
Et moi, amoureux, j’ai suivi ton vol
J’ai senti tes craintes presque avec étonnement
Alors que tu me regardais par-dessus ton épaule
De ma main gauche, j’ai touché mon chapeau
Comme pour te dire que je reviens.

Le reste n’était qu’un jeu de feintes et d’esquives
Une sensation de proximité, ton corps en osier
Formant une arresto (figure de la zamba consistant à changer de sens, comme une simulation de court après-moi que je t’attrape), mon foulard blanc
Je l’ai entrelacé avec le tien qui allait, volant
Et ce fut avec la danse, le violon et la guitare
La nuit la plus nuit, la zamba la plus zamba

Un tour entier nous a mis face à face
Mes lèvres désiraient tes lèvres brûlantes
Coqs de l’air, c’étaient les foulards
Qui en blanc et bleu clair ont peint le ciel
Mon foulard blanc t’a amené jusqu’à moi
Et toi, énamourée, tu as dit oui.