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El choclo 1948-01-15 – Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas

Ángel Villoldo (Ángel Gregorio Villoldo Arroyo) / Casimiro Alcorta Letra: Ángel Villoldo / Juan Carlos Marambio Catán / Enrique Santos Discépolo.

Comme tous les tangos célèbres, El choclo a son lot de légendes. Je vous propose de faire un petit tour où nous verrons au moins quatre versions des paroles accréditant certaines de ces légendes. Ce titre importé par Villoldo en France y aurait remplacé l’hymne argentin (par ailleurs magnifique), car il était plus connu des orchestres français de l’époque que l’hymne officiel argentin Oid mortales du compositeur espagnol : Blas Parera i Moret avec des paroles de Vicente López y Planes (écrivain et homme politique argentin). Voyons donc l’histoire de cet hymne de substitution.

Qui a écrit El choclo ?

Le violoniste, danseur (avec sa compagne La Paulina) et compositeur Casimiro Alcorta pourrait avoir écrit la musique de El choclo en 1898. Ce fils d’esclaves noirs, mort à 73 ans dans la misère à Buenos Aires, serait, selon certains, l’auteur de nombreux tangos de la période comme Concha sucia (1884) que Francisco Canaro arrangea sous le titre Cara sucia, nettement plus élégant, mais aussi La yapa, Entrada prohibida et sans doute pas mal d’autres. À l’époque, ces musiques n’étaient pas écrites et elles appartenaient donc à ceux qui les jouaient, puis à ceux qui les éditèrent…
L’absence d’écriture empêche de savoir si, Ángel Villoldo a « emprunté » cette musique…
En 1903, Villoldo demande à son ami chef d’un orchestre classique, José Luis Roncallo, de jouer avec son orchestre cette composition dans un restaurant chic, La Americana. Celui-ci refusa, car le patron du restaurant considérait le tango comme de la musique vulgaire (ce en quoi il est difficile de lui donner tort si on considère ce qui se faisait à l’époque). Pour éviter cela, Villoldo publia la partition le 3 novembre 1903 en indiquant qu’il s’agissait d’une danse criolla… Ce subterfuge permit de jouer le tango dans ce restaurant. Ce fut un tel succès, que l’œuvre était jouée tous les jours et que Villoldo est allé l’enregistrer à Paris, en compagnie de Alfredo Gobbi et de sa femme, Flora Rodriguez.
Par la suite, des centaines de versions ont été publiées. Celle du jour est assez intéressante. On la doit à Francisco Canaro avec Alberto Arenas. L’enregistrement est du 15 janvier 1948.

Extrait musical

Diverses partitions de El choclo. On remarquera à gauche (5ème édition), la dédicace à Roncallo qui lancera le titre.
El choclo 1948-01-15 – Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas.

On remarque tout de suite le rythme rapide. Arenas chante également rapidement, de façon saccadée et il ne se contente pas de l’habituel refrain. Il chante l’intégralité des paroles écrites l’année précédente pour Libertad Lamarque.
Ce fait est généralement caractéristique des tangos à écouter. Cependant, malgré les facéties de cet enregistrement, il me semble que l’on pourrait envisager de le proposer dans un moment délirant, une sorte de catharsis, pour toutes ces heures passées à danser sur des versions plus sages. On notera les clochettes qui donnent une légèreté, en contraste à la voix très appuyée d’Arenas.

Paroles (version de Enrique Santos Discépolo)

Ici, les paroles de la version du jour, mais reportez-vous en fin d’article pour d’autres versions…

Con este tango que es burlón y compadrito
se ató dos alas la ambición de mi suburbio;
con este tango nació el tango, y como un grito
salió del sórdido barrial buscando el cielo;
conjuro extraño de un amor hecho cadencia
que abrió caminos sin más ley que la esperanza,
mezcla de rabia, de dolor, de fe, de ausencia
llorando en la inocencia de un ritmo juguetón.

Por tu milagro de notas agoreras
nacieron, sin pensarlo, las paicas y las grelas,
luna de charcos, canyengue en las caderas
y un ansia fiera en la manera de querer…

Al evocarte, tango querido,
siento que tiemblan las baldosas de un bailongo
y oigo el rezongo de mi pasado…
Hoy, que no tengo más a mi madre,
siento que llega en punta ‘e pie para besarme
cuando tu canto nace al son de un bandoneón.

Carancanfunfa se hizo al mar con tu bandera
y en un pernó mezcló a París con Puente Alsina.
Triste compadre del gavión y de la mina
y hasta comadre del bacán y la pebeta.
Por vos shusheta, cana, reo y mishiadura
se hicieron voces al nacer con tu destino…
¡Misa de faldas, querosén, tajo y cuchillo,
que ardió en los conventillos y ardió en mi corazón.
Enrique Santos Discépolo

Traduction libre et indications de la version de Enrique Santos Discépolo

Avec ce tango moqueur et compadrito, l’ambition de ma banlieue s’est attaché deux ailes ;
Avec ce tango naquit, le tango, et, comme un cri, il sortit du quartier sordide en cherchant le ciel.
Un étrange sort d’amour fait cadence qui ouvrait des chemins sans autre loi que l’espoir, un mélange de rage, de douleur, de foi, d’absence pleurant dans l’innocence d’un rythme joueur.
Par ton miracle des notes prophétiques, les paicas et les grelas ( paicas et grelas sont les chéries des compadritos) sont nées, sans y penser, une lune de (ou de flaque d’eau), de canyengue sur les hanches et un désir farouche dans la façon d’aimer…
Quand je t’évoque, cher tango, je sens les dalles d’un dancing trembler et j’entends le murmure de mon passé…
Aujourd’hui, alors que je n’ai plus ma mère, j’ai l’impression qu’elle vient sur la pointe des pieds pour m’embrasser quand ton chant naît au son d’un bandonéon.
Carancanfunfa (danseur habile, on retrouve ce mot dans divers titres, comme les milongas Carán-Can-Fú de l’orchestre Roberto Zerrillo avec Jorge Cardozo, ou Caráncanfún de Francisco Canaro avec Carlos Roldán) a pris la mer avec ton drapeau et en un éclair a mêlé Paris au pont Alsina (pont sur le Riachuelo à la Boca).
Triste compadre du gabion (mecs) et de la mina (femme) et jusqu’à la marraine du bacán (riche) et de la pebeta (gamine).
Pour toi, l’élégant, prison, accusations et misère ont parlé à la naissance avec ton destin…
Une messe de jupes, de kérosène (pétrole lampant pour l’éclairage), de lames et de couteaux, qui brûlait dans les conventillos (habitas collectifs populaires et surpeuplés) et brûlait dans mon cœur.

Un épi peut en cacher un autre…

On a beaucoup glosé sur l’origine du nom de ce tango.
Tout d’abord, la plus évidente et celle que Villoldo a affirmé le plus souvent était que c’était lié à la plante comestible. Les origines très modestes des Villoldo peuvent expliquer cette dédicace. Le nord de la Province de Buenos Aires ainsi que la Pampa sont encore aujourd’hui des zones de production importante de maïs et cette plante a aidé à sustenter les pauvres. On peut même considérer que certains aiment réellement manger du maïs. En faveur de cette hypothèse, les paroles de la version chantée par lui-même, mais nous verrons que ce n’est pas si simple quand nous allons aborder les paroles…
Il s’agirait également, d’un tango à la charge d’un petit malfrat de son quartier et qui avait les cheveux blonds. C’est du moins la version donnée par Irene Villoldo, la sœur de Ángel et que rapporte Juan Carlos Marambio Catán dans une lettre écrite en 1966 à Juan Bautista Devoto. On notera que les paroles de Juan Carlos Marambio Catán confortent justement cette version.
Lorsque Libertad Lamarque doit enregistrer ce tango en 1947 pour le film « Gran Casino » de Luis Buñuel, elle fait modifier les paroles par Enrique Santos Discépolo pour lui enlever le côté violent de la seconde version et douteuse de celles de Villoldo.
Villoldo n’était pas un enfant de chœur et je pense que vous avez tous entendu parler de la dernière acception. Par la forme phallique de l’épi de maïs, il est tentant de faire ce rapprochement. N’oublions pas que les débuts du tango n’étaient pas pour les plus prudes et cette connotation sexuelle était, assurément, dans l’esprit de bien des auditeurs. Le lunfardo et certains textes de tangos aiment à jouer sur les mots. Vous vous souvenez sans doute de « El chino Pantaleón » où, sous couvert de parler musique et tango, on parlait en fait de bagarre…
Rajoutons que, comme le tango était une musique appréciée dans les bordels, il est plus que probable que le double sens ait été encouragé.
Faut-il alors rejeter le témoignage de la sœur de Villoldo ? Pas forcément, il y avait peut-être une tête d’épi dans leur entourage, mais on peut aussi supposer que, même si Irène était analphabète, elle avait la notion de la bienséance et qu’elle se devait de diffuser une version soft, version que son frère a peut-être réellement encouragée pour protéger sa sœurette.
Retenons de cela qu’au fur et à mesure que le tango a gagné ses lettres de noblesse, les poètes se sont évertués à écrire de belles paroles et pas seulement à cause des périodes de censure de certains gouvernements. Tout simplement, car le tango entrant dans le « beau monde », il devait présenter un visage plus acceptable.
Les textes ont changé, n’en déplaise à Jorge Borges, et avec eux, l’ambiance du tango.

Autres versions

Tout comme pour la Cumparsita, il n’est pas pensable de présenter toutes les versions de ce tango. Je vous propose donc une sélection très restreinte sur deux critères :
• Historique, pour connaître les différentes époques de ce thème.
• Intérêt de l’interprétation, notamment pour danser, mais aussi pour écouter.
Il ne semble pas y avoir d’enregistrement disponible de la version de 1903, si ce n’est celle de Villoldo enregistrée en 1910 avec les mêmes paroles présumées.
Mais auparavant, priorité à la datation, une version un peu différente et avec un autre type de paroles. Il s’agit d’une version dialoguée (voire criée…) sur la musique de El Choclo. Le titre en est Cariño puro, mais vous retrouverez sans problème notre tango du jour.

Cariño puro (diálogo y tango) 1907 – Los Gobbi con Los Campos.

Ce titre a été enregistré en 1907 sur un disque en carton de la compagnie Marconi. Si la qualité d’origine était bonne, ce matériau n’a pas résisté au temps et au poids des aiguilles de phonographes de l’époque. Heureusement, cette version a été réédité en disque shellac par la Columbia et vous pouvez donc entendre cette curiosité… La forme dialoguée rappelle que les musiciens faisaient beaucoup de revues et de pièces de théâtre.

À gauche, disque en carton recouvert d’acétate (procédé Marconi). Ces disques étaient de bonne qualité, mais trop fragiles. À droite, le même enregistrement en version shellac.

Paroles de Cariño puro des Gobbi

Ay mi china que tengo mucho que hablarte,
de una cosa que a vos no te va a gustar
Largá el rollo que escucho y explicate
Lo que pases no es tontera,
pues te juro que te digo la verdad.
dame un beso no me vengas con chanela (2)
dejate de tonteras, no me hagas esperar.
Decí ya sé que la otra noche
vos con un gavilán
son cuentos que te han hecho
án.
No me faltes mirá que no hay macanas
yo no vengo con ganas mi china de farrear
Pues entonces no me vengas con cuento
y escuchame un momento que te voy a explicar.
No te enojes que yo te diré lo cierto
y verás que me vas a perdonar
Pues entonces
Te diré la purísima verdad
Vamos china ya que voy a hacer las paces
a tomar un carrindango pa pasear
Y mirar de Palermo
Yo te quiero mi chinita no hagas caso
Que muy lejos querer
el esquinazo
ni golpe ni porrazo…
Ángel Villoldo

Traduction de Cariño puro des Gobbi

  • Oh, ma chérie, que j’ai beaucoup à te parler,
    D’une chose qui ne va pas te plaire
    Avoue (lâcher le rouleau) que je t’écoute et explique-toi
    Ce que tu traverses n’est pas une bêtise,
  • – Eh bien, je te jure que je te dis la vérité.
    Donne-moi un baiser Ne viens pas à moi en parlementant
  • – Arrête les bêtises, ne me fais pas attendre.
    J’ai déjà dit que je savais pour l’autre soir
    Toi avec un épervier (homme rapide en affaires)
  • – Ce sont des histoires qui t’ont été faites
    un.
    Ne détourne pas le regard, n’y a pas d’arnaque.
  • – Je ne viens pas, ma chérie, avec l’envie de rigoler.
    Aussi, ne me raconte pas d’histoires
  • – et écoute-moi un instant et, car je vais te l’expliquer.
    Ne te fâche pas, je vais te dire ce qui est sûr
    Et tu verras que tu vas me pardonner
    Puis, ensuite
    Je vais te dire la pure vérité
  • – Allez, ma chérie, car je vais faire la paix
    En prenant une voiture pour une promenade
    Et regarder Palermo
    Je t’aime ma petite chérie, ne fais pas attention
    Car je veux arrondir les angles
    ni coup ni bagarre…

On voit que ces paroles sont plutôt mignonnes, autour des tourments d’un couple, interprétés par Alfredo Gobbi et sa femme, Flora Rodriguez. Dommage que la technique où le goût de l’époque fasse tant crier, cela n’est pas bien accepté par nos oreilles modernes.

El choclo 1910 – Ángel Gregorio Villoldo con guitarra.

Cette version présente les paroles supposées originales et qui parlent effectivement du maïs. C’est donc cette version qui peut faire pencher la balance entre la plante et le sexe masculin. Voyons ce qu’il en est.

Paroles de Villoldo

De un grano nace la planta
que más tarde nos da el choclo
por eso de la garganta
dijo que estaba humilloso.
Y yo como no soy otro
más que un tanguero de fama
murmuro con alborozo
está muy de la banana.

Hay choclos que tienen
las espigas de oro
que son las que adoro
con tierna pasión,
cuando trabajando
llenito de abrojos
estoy con rastrojos
como humilde peón.

De lavada enrubia
en largas guedejas
contemplo parejas
sí es como crecer,
con esos bigotes
que la tierra virgen
al noble paisano
le suele ofrecer.

A veces el choclo
asa en los fogones
calma las pasiones
y dichas de amor,
cuando algún paisano
lo está cocinando
y otro está cebando
un buen cimarrón.

Luego que la humita
está preparada,
bajo la enramada
se oye un pericón,
y junto al alero,
de un rancho deshecho
surge de algún pecho
la alegre canción.
Ángel Villoldo

Traduction des paroles de Ángel Villoldo

D’un grain naît la plante qui nous donnera plus tard du maïs
C’est pourquoi, de la gorge (agréable au goût) je dis qu’il avait été humilié (calomnié).
Et comme je ne suis autre qu’un tanguero célèbre, je murmure de joie, il est bien de la banane (du meilleur, la banane étant également un des surnoms du sexe de l’homme).
Il y a des épis qui ont des grains d’or, ce sont ceux que j’adore avec une tendre passion, quand je les travaille plein de chardons, je suis avec du chaume comme un humble ouvrier.
De l’innocence blonde aux longues mèches, je contemple les plantes (similaires, spécimens…) si c’est comme grandir, avec ces moustaches que la terre vierge offre habituellement au noble paysan. (Un double sens n’est pas impossible, la terre cultivée n’a pas de raison particulière d’être considérée comme vierge).
Parfois, les épis de maïs sur les feux calment les passions et les joies de l’amour (les feux, sont les cuisinières, poêles. Qu’ils calment la faim, cela peut se concevoir, mais les passions et les joies de l’amour, cela procède sans doute d’un double sens marqué), quand un paysan le cuisine et qu’un autre appâte un bon cimarron (esclave noir, ou animal sauvage, mais il doit s’agir ici plutôt d’une victime d’arnaque, peut-être qu’un peu de viande avec le maïs fait un bon repas).
Une fois que la humita (ragoût de maïs) est prête, sous la tonnelle, un pericón (pericón nacional, danse traditionnelle) se fait entendre, et à côté des avant-toits, d’un ranch brisé, le chant joyeux surgit d’une poitrine (on peut imaginer différentes choses à propos du chant qui surgit d’une poitrine, mais c’est un peu difficile de s’imaginer que cela puisse être provoqué par la préparation d’une humita, aussi talentueux que soit le cuisinier…

Je vous laisse vous faire votre opinion, mais il me semble difficile d’exclure un double sens de ces paroles.

El choclo 1913 – Orquesta Típica Porteña dir. Eduardo Arolas.

Cette version instrumentale permet de faire une pause dans les paroles.

El choclo 1929-08-27 – Orquesta Típica Victor.

Une version instrumentale par la Típica Víctor dirigée par Carabelli. Un titre pour les amateurs du genre, mais un peu pesant pour les autres danseurs.

El choclo 1937-07-26 – Orquesta Juan D’Arienzo.

Sans doute une des versions les plus adaptées aux danseurs, avec les ornementations de Biagi au piano et le bel équilibre des instruments, principalement tous au service du rythme et donc de la danse, avec notamment l’accélération (simulée) finale.

El choclo 1937-11-15 – Quinteto Don Pancho dir. Francisco Canaro.

Cette version n’apporte pas grand-chose, mais je l’indique pour marquer le contraste avec notre version du jour, enregistrée par Canaro 11 ans plus tard.

El choclo 1940-09-29 – Roberto Firpo y su Cuarteto Típico.

Une version légère. Le doublement des notes, caractéristiques de cette œuvre, a ici une sonorité particulière, on dirait presque un bégaiement. En opposition, des passages aux violons chantants donnent du contraste. Le résultat me semble cependant un peu confus, précipité et pas destiné à donner le plus de plaisir aux danseurs.

El choclo 1941-11-13 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas.

On retrouve une version chantée. Les paroles sont celles de Juan Carlos Marambio Catán, ou plus exactement le tout début des paroles avec la fin du couplet avec une variante.
Je vous propose ici, les paroles complètes de Catán, pour en garder le souvenir et aussi, car la partie qui n’est pas chantée par Vargas parle de ce fameux type aux cheveux couleur de maïs…

Paroles de Juan Carlos Marambio Catán

Vieja milonga que en mis horas de tristeza
traes a mi mente tu recuerdo cariñoso,
encadenándome a tus notas dulcemente
siento que el alma se me encoje poco a poco.
Recuerdo triste de un pasado que en mi vida,
dejó una página de sangre escrita a mano,
y que he llevado como cruz en mi martirio
aunque su carga infame me llene de dolor.

Fue aquella noche
que todavía me aterra.
Cuando ella era mía
jugó con mi pasión.
Y en duelo a muerte
con quien robó mi vida,
mi daga gaucha
partió su corazón.
Y me llamaban
el choclo compañero;
tallé en los entreveros
seguro y fajador.
Pero una china
envenenó mi vida
y hoy lloro a solas
con mi trágico dolor.

Si alguna vuelta le toca por la vida,
en una mina poner su corazón;
recuerde siempre
que una ilusión perdida
no vuelve nunca
a dar su flor.

Besos mentidos, engaños y amarguras
rodando siempre la pena y el dolor,
y cuando un hombre entrega su ternura
cerca del lecho
lo acecha la traición.

Hoy que los años han blanqueado ya mis sienes
y que en mi pecho sólo anida la tristeza,
como una luz que me ilumina en el sendero
llegan tus notas de melódica belleza.
Tango querido, viejo choclo que me embarga
con las caricias de tus notas tan sentidas;
quiero morir abajo del arrullo de tus quejas
cantando mis querellas, llorando mi dolor.
Juan Carlos Marambio Catán

Traduction libre des paroles de Juan Carlos Marambio Catán

Vieille milonga. À mes heures de tristesse, tu me rappelles ton souvenir affectueux,
En m’enchaînant doucement à tes notes, je sens mon âme se rétrécir peu à peu.
Souvenir triste d’un passé qui, dans ma vie, a laissé une page de sang écrite à la main, et que j’ai porté comme une croix dans mon martyre, même si son infâme fardeau me remplit de douleur.
C’est cette nuit-là qui, encore, me terrifie.
Quand elle était à moi, elle jouait avec ma passion.
Et dans un duel à mort avec celui qui m’a volé la vie, mon poignard gaucho lui a brisé le cœur.
Et ils m’appelaient le compagnon maïs (choclo);
J’ai taillé dans les mêlées, sûr et résistant.
Mais une femme chérie a empoisonné ma vie et, aujourd’hui, je pleure tout seul avec ma douleur tragique.
S’il vous prend dans la vie de mettre votre cœur dans une chérie ; rappelez-vous toujours qu’une illusion perdue ne redonne plus jamais sa fleur.
Des baisers mensongers, trompeurs et amers roulent toujours le chagrin et la douleur, et quand un homme donne sa tendresse, près du lit, la trahison le traque.
Aujourd’hui que les années ont déjà blanchi mes tempes et que, dans ma poitrine seule se niche la tristesse, comme une lumière qui m’éclaire sur le chemin où arrivent tes notes de beauté mélodique.
Tango chéri, vieux choclo qui m’accable des caresses de tes notes si sincères ;
Je veux mourir sous la berceuse de tes plaintes, chantant mes peines, pleurant ma douleur.

El choclo 1947 – Libertad Lamarque, dans le film Gran casino de Luis Buñuel.

El choclo 1947 – Libertad Lamarque, dans le film Gran casino de Luis Buñuel.

Dans cet extrait Libertad Lamarque interprète le titre avec les paroles écrites pour elle par Discepolo. On comprend qu’elle ne voulait pas prendre le rôle de l’assassin et que les paroles adaptées sont plus convenables à une dame…
Les paroles de Enrique Santos Discépolo seront réutilisées ensuite, notamment par Canaro pour notre tango du jour.

El choclo 1948-01-15 – Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas. C’est notre tango du jour.

Comme vous vous en doutez, je pourrai vous présenter des centaines de versions de ce titre, mais cela n’a pas grand intérêt. J’ai donc choisi de vous proposer pour terminer une version très différente…

Kiss of Fire 1955 – Louis Armstrong.

En 1952, Lester Allan et Robert Hill ont adapté et sérieusement modifié la partition, mais on reconnaît parfaitement la composition originale.

Je vous propose de nous quitter là-dessus, une autre preuve de l’universalité du tango.
À bientôt, les amis.

En guise de cortina, on pourrait mettre Pop Corn, non ?

PS : si vous avez des versions de El choclo que vous adorez, n’hésitez pas à les indiquer dans les commentaires, je rajouterais les plus demandées.

El esquinazo 1951-07-20 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro con refrán por Francisco Canaro

Ángel Gregorio Villoldo Letra : Carlos Pesce ; A. Timarni (Antonio Polito)

Au début des années 2000, dans une milonga en France où j’étais danseur, l’organisateur est venu me dire qu’il ne fallait pas frapper du pied, que ça ne se faisait pas en tango. Il ne savait sans doute pas qu’il reproduisait l’interdiction de Anselmo Tarana, un siècle plus tôt. Je vais donc vous raconter l’histoire frappante de El esquinazo.

Extrait musical

El esquinazo – Ángel Gregorio Villoldo Letra : Carlos Pesce ; A. Timarni (Antonio Polito). Partition pour piano et deux couvertures, dont une avec Canaro.
El esquinazo 1951-07-20 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro con refrán por Francisco Canaro.

Vous aurez remarqué, dès le début, l’incitation à frapper du pied. On retrouve cette invitation sur les partitions par la mention golpes (coups).

El esquinazo – Ángel Gregorio Villoldo Letra: Carlos Pesce ; A. Timarni (Antonio Polito). Partition pour guitare (1939).

El Esquinazo, un succès à tout rompre (partie 1) anatomie du pousse-au-crime

Dès le début de la partition, on voit inscrit « Golpes » (coups).

La zone en rouge, ici au début de la partition, est la montée chromatique en triolets de double-croche et en double-croche. C’est donc un passage vif, d’autant plus que l’on remarque des appoggiatures brèves.Ce sont ces petites notes barrées qui indiquent que l’on doit (peut) jouer une note supplémentaire, une fraction de temps avant, voire en même temps que la note qu’elle complète. Ces appoggiatures augmentent donc le nombre de notes et par conséquent l’impression de vitesse.
Après cette montée rapide, on s’attend à une suite, mais Villoldo nous offre une surprise, un silence (la zone verte), marqué ici par un quart de soupir pour la ligne mélodique supérieure et un demi-soupir suivi d’un soupir pour l’accompagnement.
La zone bleue comporte des signes de percussion et le texte indique Golpes en el puente (coup dans le pont). Rassurez-vous, il ne s’agit pas d’un pont au sens commun, mais de la transition entre deux parties d’une musique. Ici, il est donc constitué seulement de coups, coups que faisaient les musiciens avec les talons et que bientôt le public imita de diverses manières.

Mariano Mores copiera cette structure pour son célèbre « Taquito militar ».
Voici la version enregistrée en 1997 par Mariano Mores de Taquito militar. Cette version commence par le fameux motif suivi de coups.

Taquito militar 1997 – Mariano Mores.

Cette version à l’orgue Hammond est un peu particulière, mais vous pourrez entendre toutes les versions classiques dans l’article dédié à Taquito militar.

El Esquinazo, un succès à tout rompre (partie 2) les paroles

Ángel Villoldo a composé ce tango avec des paroles. Même si Villoldo était lui-même chanteur, c’est à Pepita Avellaneda (Josefa Calatti) que revint l’honneur de les inaugurer. Malheureusement, ces paroles originales semblent perdues, tout comme celles de El entrerriano qu’il avait « écrites » pour la même Pepita.
J’émets l’hypothèse que les célèbres coups donnés au plancher au départ par les musiciens devaient avoir une explication dans les paroles. El esquinazo, c’est prendre la tangente dans une relation amoureuse, s’enfuir, ne plus répondre aux tendresses, prendre ses distances, poser un lapin (ne pas venir à un rendez-vous). On peut donc supposer que les premières paroles devaient exprimer d’une façon imagée cette fuite, ou la façon dont elle était ressentie par le partenaire.
J’ai indiqué « écrites » au sujet des paroles, mais à l’époque, les paroles et même la musique n’étaient pas toujours écrites. Elles sont donc probablement restées orales et retrouver un témoin de l’époque est désormais impossible.
Cependant, notre tango du jour nous apporte un éclairage intéressant sur l’histoire, grâce aux quelques mots que lâche Canaro après les séries de coups. En effet, dans sa version, il est plutôt question de quelqu’un qui frappe à la porte pour ne pas dormir dehors sous la pluie…
Je serai assez tenté d’y voir un reflet des paroles originales qui justifieraient bien plus les coups que les paroles de Pesce et Timarni. Le désamour (esquinazo) pourrait expliquer qu’une porte reste fermée, l’occupant restant sourd aux supplications de lui (dans le Canaro) ou d’elle (dans le cas de Pepita Avellaneda).

Paroles dites par Canaro dans sa version de 1951

Les paroles prononcées par Francisco Canaro dans sa version de 1951

Canaro intervient quatre fois durant le thème pour donner des phrases, un peu énigmatiques, mais que j’aime à imaginer, tirées ou inspirées des paroles originales de Villoldo.

  1. Frappe, qu’ils viennent t’ouvrir.
  2. Suis là, puisque tu l’as
  3. Ils fêtent l’esquinazo
  4. Ouvre que je suis en train de me mouiller. Ne me fais pas dormir dehors

Ces paroles de Canaro, sont-elles inspirées directement de celles de Villoldo ? En l’absence des paroles originales, on ne le saura pas, alors, passons aux paroles postérieures, qui n’ont sans doute pas la « saveur » de celles de la première version.

Paroles

Nada me importa de tu amor, golpeá nomás…
el corazón me dijo,
que tu amor (cariño) fue una falsía,
aunque juraste y juraste que eras mía.
No llames más, no insistas más, yo te daré…
el libro del recuerdo,
para que guardes las flores del olvido
porque vos lo has querido
el esquinazo yo te doy.

Fue por tu culpa que he tomado otro camino
sin tino… Vida mía.
Jamás pensé que llegaría este momento
que siento,
la más terrible realidad…
Tu ingratitud me ha hecho sufrir un desencanto
si tanto… te quería.
Mas no te creas que por esto guardo encono
Perdono
tu más injusta falsedad.

Ángel Gregorio Villoldo Letra: Carlos Pesce; A. Timarni (Antonio Polito)

Traduction libre et indications

Je me fiche de ton amour, une tocade, rien de plus (golpear, c’est donner un coup, mais aussi droguer, intoxiquer. Certains y voient la justification des coups frappés par les musiciens, mais il me semble que c’est un peu léger et que les paroles initiales devaient être plus convaincantes et certainement moins acceptables par un public de plus en plus raffiné. C’est peut-être aussi une simple évocation des coups frappés à la porte de la version chantée par Canaro, ce qui pourrait renforcer l’hypothèse que Canaro chante des bribes des paroles d’origine)…
Mon cœur me disait que ton amour était un mensonge, bien que tu aies juré et juré que tu étais à moi.
N’appelle plus, (le tango s’est modernisé. Si à l’origine, l’impétrant venait frapper à la porte, maintenant, il utilise le téléphone…) n’insiste plus, je te donnerai… le livre de souvenirs, pour que tu gardes les fleurs de l’oubli parce que toi tu l’as, l’esquinazo (difficile de trouver un équivalent. C’est l’abandon, la non-réponse aux sentiments, la fuite, le lapin dans le cas d’un rendez-vous…) que je te donne.
C’est ta faute si j’ai pris un autre chemin sans but… (tino, peut signifier l’habileté à toucher la cible)
Ma vie.
Je n’ai jamais pensé que ce moment, dont je ressens la terrible réalité, arriverait…
Ton ingratitude m’a fait subir un désamour si toutefois… Je t’aimais.
Mais, ne crois pas que, pour cette raison, je conserve de l’amertume. Je pardonne ton mensonge le plus injuste.

El Esquinazo, un succès à tout rompre (partie 3) le succès du pousse-au-crime.

Nous avons vu dans la première partie comment était préparé le frappement du talon. Dans la seconde et avec les paroles, nous avons essayé de trouver un sens à ces frappés, à ces taquitos qui à défaut d’être militaires, sont bien tentants à imiter, comme nous l’allons voir.
Le premier témoignage sur la reproduction des coups par le public est celui de Pintin Castellanos qui raconte dans Entre cortes y quebradas, candombes, milongas y tangos en su historia y comentarios. Montevideo, 1948 la fureur autour de El esquinazo.
La composition de Villoldo a été un triomphe […]. L’accueil du public fut tel que, soir après soir, il grandissait et le rythme diabolique du tango susmentionné commença à rendre peu à peu tout le monde fou.
Tout d’abord, et avec une certaine prudence, les clients ont accompagné la musique de « El Esquinazo » en tapant légèrement avec leurs mains sur les tables.
Mais les jours passaient et l’engouement pour le tango diabolique ne cessait de croître.
Les clients du
Café Tarana (voir l’article sur En Lo de Laura où je donne des précisions sur Lo de Hansen/Café Tarana) ne se contentaient plus d’accompagner avec le talon et leurs mains. Les coups, en gardant le rythme, augmentèrent peu à peu et furent rejoints par des tasses, des verres, des chaises, etc.
Mais cela ne s’est pas arrêté là […] Et il arriva une nuit, une nuit fatale, où se produisit ce que le propriétaire de l’établissement florissant ressentait depuis des jours. À l’annonce de l’exécution du tango déjà consacré de
Villoldo, une certaine nervosité était perceptible dans le public nombreux […] l’orchestre a commencé la cadence de « El Esquinazo » et tous les assistants ont continué à suivre le rythme avec tout ce qu’ils avaient sous la main : chaises, tables, verres, bouteilles, talons, etc. […]. Patiemment, le propriétaire (Anselmo R. Tarana) a attendu la fin du tango du démon, mais le dernier accord a reçu une standing ovation de la part du public. La répétition ne se fit pas attendre ; et c’est ainsi qu’il a été exécuté un, deux, trois, cinq, sept… Finalement, de nombreuses fois et à chaque interprétation, une salve d’applaudissements ; et d’autres choses cassées […] Cette nuit inoubliable a coûté au propriétaire plusieurs centaines de pesos, irrécouvrables. Mais le problème le plus grave […] n’était pas ce qui s’était passé, mais ce qui allait continuer à se produire dans les nuits suivantes.
Après mûre réflexion, le malheureux « 
Paganini » des « assiettes brisées » prit une résolution héroïque. Le lendemain, les clients du café Tarana ont eu la désagréable surprise de lire une pancarte qui, près de l’orchestre, disait : « Est strictement interdite l’exécution du tango el esquinazo ; La prudence est de mise à cet égard. »

Ce tango fut donc interdit dans cet établissement, mais bien sûr, il a continué sa carrière, comme le prouve le témoignage suivant.

Témoignage de Francisco García Jiménez, vers 1921

La orquesta arrancó con el tango El esquinazo, de Villoldo, que tiene en su desarrollo esos golpes regulados que los bailarines de antes marcaban a tacón limpio. En este caso, el conjunto de La Paloma hacía lo mismo en el piso del palquito, con tal fuerza, que las viejas tablas dejaban caer una nube de tierra sobre la máquina del café express, la caja registradora y el patrón. Este echaba denuestos; los de arriba seguían muy serios su tango ; y los parroquianos del cafetín se regocijaban.

Témoignage de Francisco García Jiménez

Traduction libre du témoignage de Francisco García Jiménez

L’orchestre a commencé avec le tango El esquinazo, de Villoldo, qui a dans son développement ces rythmes réglés que les danseurs d’antan marquaient d’un talon clair.
Dans ce cas, le conjunto La Paloma a fait de même sur le sol de la tribune des musiciens, avec une telle force que les vieilles planches ont laissé tomber un nuage de saleté sur la machine à expresso, la caisse enregistreuse et le patron. Il leur fit des reproches ; Ceux d’en haut suivaient leur tango très sérieusement, et les clients du café se réjouissaient.
On constate qu’en 1921, l’usage de frapper du pied chez les danseurs était moindre, voire absent. Cet argument peut venir du fait que l’interdit de Tarana a été efficace sur les danseurs, mais j’imagine tout autant que les paroles et l’interprétation originelle étaient plus propices à ces débordements.
L’idée des coups frappés à une porte, comme les coups du destin dans la 5e symphonie de Ludwig Van Beethoven, ou ceux de la statue du commandeur dans Don Giovanni de Wolfgang Amadeus Mozart, me plaît bien…

Autres versions

El esquinazo 1910-03 05 — Estudiantina Centenario dirige par Vicente Abad.

Cette version ancienne est plutôt un tango qu’une milonga, comme il le deviendra par la suite. On entend les coups frappés et la mandoline. On note un petit ralentissement avant les frappés, ralentissement que l’on retrouvera amplifié dans la version de 1961 de Canaro.

El esquinazo 1913 – Moulin Rouge Orchester Berlin – Dir. Ferdinand Litschauer.

Encore une version ancienne, enregistrée à Berlin (Allemagne) en 1913, preuve que le tango était dès cette époque totalement international. Les frappés sont remplacés par de frêles percussions, mais on notera le gong au début…

Le disque de El esquinazo par l’orchestre du Moulin Rouge (allemand, malgré ce que pourrait faire penser son nom) et la version Russe du disque… On notera que les indications sont en anglais, russe et français. La International Talking Machine est la société qui a fondé Odeon… S’il en fallait une de plus, cette preuve témoigne de la mondialisation du tango à une date précoce (1913).
El esquinazo 1938-01-04 – Orquesta Juan D’Arienzo.

Est-il nécessaire de présenter la version de D’Arienzo, probablement pas, car vous l’avez déjà entendu des milliers de fois. Tout l’orchestre se tait pour laisser entendre les frappés. Même Biagi renonce à ses habituelles fioritures au moment des coups. En résumé, c’est une exécution parfaite et une des milongas les plus réjouissantes du répertoire. On notera les courts passages de violons en legato qui contrastent avec le staccato général de tous les instruments.

El esquinazo 1939-03-31 – Roberto Firpo y su Cuarteto Típico.

Roberto Firpo au piano démarre la montée chromatique une octave plus grave, mais reprend ensuite sur l’octave commune. Cela crée une petite impression de surprise chez les danseurs qui connaissent. La suite est joueuse, avec peut être un petit manque de clarté qui pourra décontenancer les danseurs débutants, mais de toute façon, cette version est assez difficile à danser, mais elle ravira les bons danseurs, car elle est probablement la plus joueuse.

El esquinazo 1951-07-20 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro con refrán por Francisco Canaro.

C’est notre tango du jour. Francisco Canaro nous donne sans doute des clefs dans les quelques paroles qu’il dit. Cette version est de vitesse modérée, entre canyengue et milonga. Elle sera plus adaptée aux danseurs modestes.

El esquinazo 1958 – Los Muchachos De Antes.

Avec clarinette et guitare en vedette, cette version est très dynamique et sympathique. Ce n’est bien sûr pas le top pour la danse, mais on a d’autres versions pour cela…

El esquinazo 1960 – Orquesta Carlos Figari con Enrique Dumas.

Une version en chanson qui perd le caractère joueur de la milonga, même si quelques coups de claves rappellent les frappés fameux. En revanche, cette chanson nous présente les paroles de Carlos Pesce et A. Timarni. J’aime beaucoup, même si ce n’est pas à proposer aux danseurs.

El esquinazo 1961-12-01 – Orquesta Francisco Canaro (en vivo al Teatro Koma de Tokyo, Japón).

El esquinazo 1961-12-01 – Orquesta Francisco Canaro (en vivo al Teatro Koma de Tokyo, Japón). Cette version très joueuse commence par la célèbre invite à frapper du pied, répétée trois fois. Les deux premières sont très lentes et la troisième fois, la pause est beaucoup plus longue, ce qui provoque un effet irrésistible. C’est un exemple, bien que tardif de comment les orchestres jouaient avec les danseurs, jeux que nous avons perdus à cause des versions figées par le disque. Bien sûr, il s’agit ici d’un concert, mais un DJ taquin pourrait proposer cette version à danser, notamment à cause des pauses et de l’accélération finale qui peuvent surprendre (aussi dans le bon sens du terme), les danseurs.

El esquinazo 1962 – Los Violines De Oro Del Tango.

Une version à la limite de l’excès de vitesse, même sur autoroute. Je trouve cela très sympa, mais j’y réfléchirai à deux fois avant de diffuser en milonga…

El esquinazo 1970 – Cuarteto Juan Cambareri.

Je pense que vous avez repéré Juan Cambareri, ce bandonéoniste virtuose qui après une carrière dans différents orchestres s’est mis « à son compte » avec un orchestre, dans les années 50 et un peu plus tard (1968) dans un cuarteto composé de :

Juan Rizzo au piano, Juan Gandolfo et Felipe Escomabache aux violons et Juan Cambareri au bandonéon. Cet enregistrement date de cette période. Comme à son habitude, il imprime une cadence d’enfer que les doigts virtuoses des quatre musiciens peuvent jouer, mais qui posera des problèmes à un grand nombre de danseurs.

El esquinazo 1974 – Sexteto Tango.

Le début semble s’inspirer de la version de Canaro au Japon en 1961, mais la suite vous détrompera bien vite. C’est clairement une version de concert qui a bien sa place dans un fauteuil d’orchestre, mais qui vous donnera des sueurs froides sur la piste de danse.

El esquinazo 1976 – Di Matteo y su trio.

La version proposée par le trio Di Matteo ne rassurera pas les danseurs, mais c’est plaisant à écouter. À réserver donc pour le salon, au coin du feu (j’écris depuis Buenos Aires et ici, c’est l’hiver et cette année, il est particulièrement froid…).

El esquinazo 1983 – Orquesta José Basso.

Une assez belle version, orchestrale. Pour la milonga, on peut éventuellement lui reprocher un peu de mordant en comparaison de la version de D’Arienzo. On notera également que quelques frappés sont joués au piano et non en percussion.

El esquinazo 1991 – Los Tubatango.

Comme toujours, cet orchestre sympathique se propose de retrouver les sensations du début du vingtième siècle. Outre le tuba qui donne le nom à l’orchestre et la basse de la musique, on notera les beaux contrepoints de la flûte et du bandonéon qui discutent ensemble et en même temps comme savent si bien le faire les Argentins…

El esquinazo 2002 – Armenonville.

Une introduction presque comme une musique de la renaissance, puis la contrebasse lance la montée chromatique, des coups donnés et la musique est lancée. Elle se déroule ensuite de façon sympathique, mais pas assez structurée pour la danse. Une accélération, puis un ralentissement et l’estribillo est chanté en guise de conclusion.

El esquinazo 2007 – Esteban Morgado Cuarteto.

Une version légère et rapide pour terminer tranquillement cette anecdote du jour.

À demain, les amis !

Une autre façon de casser la vaisselle…

Don Juan 1948-06-15 – Juan D’Arienzo

Ernesto Ponzio Letra: Alfredo Eusebio Gobbi, Ricardo Podestá et anonyme.

Pas besoin d’être un grand détective pour savoir qui est le Don Juan dont parle ce tango. Dans un des trois versions connues des paroles, il y a le nom et presque l’adresse de ce Don Juan. Ce que vous ne savez peut-être pas, c’est que l’auteur en est un gamin de 13 (ou 15 ans).

Extrait musical

Partition pour piano de Don Juan de Ernesto Ponzio.
Don Juan 1948-06-15 – Juan D’Arienzo

Paroles de Alfredo Eusebio Gobbi (Mozos guapos)

Al compás de una marchita
muy marcada y compadrona,
a casa de ’ña Ramona
me fui un ratito a bailar.
Por distraer las muchachas
empecé a soltar tiritos
y al ver esto los mocitos
ya empezaron, ya empezaron a roncar.

Si en los presentes
hay mozos guapos,
que peguen naco,
que vengan a mí.
Que aunque sean muchos
yo les daré palos
porque soy más malo
que el cumbarí.

Yo que no soy nada lerdo
ni nada hay que yo no vea,
comprendiendo que pelea
se me trataba de armar,
salí al patio y envolviendo
al brazo el poncho de guerra
hice una raya en la tierra
y me le puse, me puse a cantar.

Salió el dueño de la casa,
’ña Ramona y los parientes,
“Perdonate por decente,
mucho respeto y admiro”.
Cuando uno haciendo rollo
rascándose la cadera
sacó un revólver de afuera
dijo si me le pegó, le pegó un tiro.

Yo que estaba con el ojo
bien clavado en el mocito,
me largué sobre el maldito
y el revólver le quité.
Y después mirando a todos,
y haciéndoles la pat’ ancha,
les grité ¡ábranme cancha!,
y enseguida, enseguida les canté.

Ernesto Ponzio Letra: Alfredo Eusebio Gobbi

Traduction libre des paroles de Alfredo Eusebio Gobbi

Au rythme d’une petite marche bien rythmée et compadrona, je suis allé un petit moment à la casa de la Ramona pour danser un petit moment.
Pour distraire les filles, j’ai commencé à libérer des frissons et quand ils ont vu cela, les morveux ont commencé, à grogner.

S’il y a de beaux gosses ici, qui frappent dur, qu’ils viennent à moi.
Que même s’il y en a beaucoup, je les battrai parce que je suis pire que le cumbarí. (Sorte de piment appelé en argot putaparió, fils de pute).

Moi, qui ne suis en rien terne et qu’il n’y a rien que je ne voie pas, comprenant qu’ils essayaient de m’entraîner, je suis sorti dans la cour et enroulant le poncho de guerre autour de mon bras, j’ai fait une ligne sur le sol et je me mis, je me mis à chanter.

La patrone de la maison, La Ramona et les parents, sont sortis : « Excusez-moi d’être décent, beaucoup de respect et d’admiration. »
Quand l’un d’eux s’est raclé la hanche et a sorti un revolver, j’ai dit de dehors que s’il me touchait, je lui enverrai un tir. (Les paroles semblent évoquer l’histoire personnelle de Ponzio qui un peu plus tard tuera par accident le voisin de la personne qu’il voulait intimider et fut condamné à 20 ans de prison. Il était peut-être attiré par la personnalité des tauras et des compadritos au point d’en devenir un lui-même).
Moi, qui avais l’œil fermement fixé sur le morveux, je me jetai sur ce maudit homme et lui ai pris le revolver.
Et puis en regardant tout le monde, et en faisant toute une histoire, je leur ai crié : « Ouvrez-moi le champ ! », et immédiatement, immédiatement je leur ai chanté.

Paroles de Ricardo Podestá (El taita del barrio)

En el tango soy tan taura
que cuando hago un doble corte
corre la voz por el Norte,
si es que me encuentro en el Sud.
Y pa bailar la Yuyeta
si es que me visto a la moda
la gente me dice toda
Dios le dé, Dios le dé, vida y salud.

Calá, che, calá.
Siga el piano, che,
dése cuenta usted
y después dirá
si con este taita
podrán por el Norte
calá che, qué corte,
calá, che, calá.

No hay teatro que no conozca
pues hasta soy medio artista
y luego tengo una vista
que hasta dicen que soy luz.
Y la forma de mi cuerpo
arreglada a mi vestido
me hacen mozo muy querido,
lo juro, lo juro por esta cruz.

Yo soy el taita del barrio,
pregúnteselo a cualquiera.
No es esta la vez primera
en que me han de conocer.
Yo vivo por San Cristóbal,
me llaman Don Juan Cabello,
anóteselo en el cuello
y ahí va, y ahí va, así me quieren ver.

Ernesto Ponzio Letra: Ricardo Podestá

Traduction libre des paroles de Ricardo Podestá

Au tango, je suis tellement taura (caïd, baron du lieu) que quand je fais un double corte (figure de tango) la nouvelle se répand dans le Nord, si je me trouve dans le Sud.
Et pour danser la Yuyeta (probablement une orthographe populaire de shusheta qui signifie élégant, déloyal ou qui ne peut pas garder un secret. On connait le tango EL aristócrata dont le sous-titre est shusheta, mais quel est le lien avec la danse ?), si je m’habille à la mode, les gens me disent que Dieu lui donne tout, Dieu lui donne, la vie et la santé.

Calá, che, calá. (???)
Suivez le piano, che, vous vous en rendez compte et puis vous direz si avec ce taita ils pourront aller vers le nord
Calá che, quelle coupe,
Calá, che, calá.

Il n’y a pas de théâtre que je ne connaisse, car je suis à moitié un artiste et que j’ai une vue qui dit témoigne que je suis rapide, brillant.
Et la forme de mon corps arrangée avec mes vêtements (aujourd’hui, un vestido est une robe…) fait de moi un bel homme apprécié, je le jure, je jure par cette croix.

Je suis le caïd du quartier, demandez à n’importe qui.
Ce n’est pas la première fois que vous devez me rencontrer.
J’habite à San Cristóbal (quartier de Buenos Aires), ils m’appellent Don Juan Cabello (Cabello, cheveux. On a son adresse, enfin, son quartier, mais si on le croit, il ne doit pas être difficile à trouver), écrivez-le sur ton col (on prenait parfois des notes sur le col amovible de la chemise, faute de papier sous la main) et voilà, et voilà, c’est comme ça qu’ils veulent me voir.

Histoire du thème

Ernesto Ponzio, se serait inspiré d’un air joué plus ou moins traditionnel, joué par un pianiste, qu’il a délogé pour continuer la composition avec sa création.

De fait, le thème de Don Juan s’écoute dans différents tangos, plus ou moins métamorphosés. Pour que cela soit pertinent, il ne faudrait prendre que des thèmes composés avant la création de Ernesto Ponzio, c’est-à-dire 1898 ou 1900.

Qué polvo con tanto viento 1890 par Pedro M. Quijano

On n’a pas d’enregistrement de l’époque de Qué polvo con tanto viento, mais deux reconstitutions modernes. Dans les deux cas on reconnaît le thème de Don Juan au début (ou pour le moins, quelque chose de semblable).

Qué polvo con tanto viento 1980 – Cuarteto de tango antiguo.

Une reconstitución par un quartette composé de Oscar Bozzarelli (bandonéon), Rafael Lavecchia (flute), Jose Romano Yalour (violon) et Maximo Hernandez (guitare). Ce quatuor tentait de reproduire les musiques perdues des premières années du tango.

Que polvo con tanto viento – Lecture midi du thème réécrit dans un logiciel de composition musicale par Tío Lavandina (Oncle la Javel, sûr que c’est un pseudo).

Soy Tremendo

Soy tremendo 1909-10 – Orquesta Heyberger con Angel Villoldo.

Angel Villoldo “chante” et est aussi l’auteur de ce tango. On reconnaît le thème de Don Juan dans la première partie. Il se peut que ce thème soit antérieur à la composition de Ponzio, mais ce n’est pas sûr. Disons que c’est que l’air était dans… l’air du temps.

El rana

El rana 1909c – Arturo A Mathón y F Raias. Composé par Arturo Mathón.

El rana 1909c – Arturo A Mathón y F Raias. Composé par Arturo Mathón. Joué et chanté par lui-même à la guitare, avec un accompagnement de bandonéon, par F. Raias. Au début et à 0:54, on entend le thème de Don Juan, mais c’est tellement moche que ça ne donne pas envie de l’écouter… Heureusement qu’il a écrit El apache argentino et que c’est Canaro avec son Pirincho qui l’a fait passer à la postérité… Vu que c’est probablement plus récent que Don Juan de Ponzio, cela peut aussi être une inspiration basée sur le thème de Ponzio. On notera que le titre devrait être « La rana », rana étant féminin. D’ailleurs plus loin, il chante sapo (crapaud) et le tango parle d’un gars, alors, c’est finalement logique.

El rana 1909c – Arturo A Mathón y F Raias. Le bandonéon n’était pas encore très fréquent. La Colubia n’a donc pas relevé l’erreur Mandoneon au lieu de bandoneón sur le disque…

On trouve un petit bout de cet air dans différents tangos, mais rien de bien pertinent et qui permettent de garantir que la source d’inspiration est le thème anonyme ou celui de Ponzio.
Quoi qu’il en soit, le gamin Ponzio a commencé très jeune a fréquenté les lieux de « perdition ».

Autres versions

Don Juan Tango 1927-11 – Orquesta Argentina Victor.

On ne regrette pas de ne pas avoir de versions plus anciennes à l’écoute des vieilleries que je viens de vous présenter.

Don Juan 1928-03-06 – Orquesta Osvaldo Fresedo.
Don Juan 1929-08-02 – Orquesta Francisco Canaro.
Orquesta Típica Victor con Alberto Gómez.

Autre version par un orchestre Victor, cette fois, chanté par Alberto Gómez avec une partie des paroles de Ricardo Podestá (avec variantes).

Don Juan 1936-09-29 – Orquesta Juan D’Arienzo.

Pour moi, c’est la première version qui donne envie de danser. On y trouve les premières facéties de Biagi au piano, de beaux violons des bandonéons énergiques, le tout avec un tempo tout aussi bien marqué que pour les versions précédentes, mais plus rapide.

Don Juan 1940-11-08 – Charlo solo de acordeón con guitarras.

Une version très originale. Dommage que le son laisse à désirer. Il me faudra trouver un disque en meilleur état. Une guitare vraiment virtuose, non ?

Don Juan 1941-10-03 – Orquesta Di Sarli.
Don Juan 1947-10-22 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.
Don Juan 1948-06-15 – Juan D’Arienzo. C’est notre tango du jour.

Très proche de l’enregistrement suivant du 1950-12-28.

Don Juan 1948-08-14 – Juan Cambareri y su Gran Cuarteto Típico « Ayer y hoy ».

Toujours le train d’enfer et virtuose de Cambareri. Une curiosité, mais pas trop pour la danse. Il l’enregistrera encore en 1956, dans un rythme comparable…

Don Juan 1950-12-28 – Juan D’Arienzo.
Don Juan 1951-12-06 – Orquesta Carlos Di Sarli.
Don Juan 1951-05-09 – Roberto Firpo y su Nuevo Cuarteto.

Comme la version de Canaro de 1947, cette version donne le sourire, tout au moins à celui qui l’écoute, pour le danseur, c’est moins sûr.

Don Juan 1955-01-31 – Orquesta Carlos Di Sarli.
Don Juan 1961 – Astor Piazzolla y su Quinteto. Comme d’habitude avec Piazzolla, on est dans un autre univers, très loin des danseurs… de tango.

Il y a bien sûr beaucoup d’autres enregistrements de ce thème qui bien qu’un de plus anciens continue de passer les siècles, du dix-neuvième à nos jours, mais après la version de Piazzolla, il me semble sage de réécouter une des versions de danse, par exemple notre tango du jour, une autre version de D’Arienzo ou une de Di Sarli…

Ou peut-être ce tout dernier exemple avec des paroles anonymes, qui n’ont d’ailleurs aucun intérêt, un petit couplet sur le tango ; du remplissage, en somme.

Don Juan 1965-09-07 – Orquesta Alfredo De Angelis con Carlos Aguirre.

À demain les amis !

El Cachafaz 1937-06-02 – Orquesta Juan D’Arienzo

Manuel Aróstegui (Manuel Gregorio Aroztegui) Letra: Ángel Villoldo

Si vous vous intéressez à la danse du tango, vous avez forcément entendu parler de El Cachafaz . C’était un danseur réputé, mais était-il réellement apprécié pour ses qualités humaines ? D’un côté, il a un tango qui lui est dédié, mais les paroles ne le décrivent pas à son avantage. D’autre part, si la version de D’Arienzo qui est notre tango du jour est remarquable, les autres interprétations ne sont pas si agréables que cela, comme si les orchestres avaient eu une réticence à l’évoquer. Je vous invite aujourd’hui à découvrir un peu plus de qui était el Cachafaz, la canaille.

Extrait musical

Partition pour piano de El Cachafáz
El Cachafaz 1937-06-02 – Orquesta Juan D’Arienzo.

La musique commence par le cornet du tranvia (tramway). Le piano de Biagi, prend tous les intervalles libres, mais le bandonéon et les violons ne méritent pas. C’est du très bon D’Arienzo. On a l’impression que El Cachafaz se promène, salué par les tramways. On peut imaginer qu’il danse, d’ailleurs ce titre est tout à fait dansable…

Paroles

Toutes les versions que je vous propose aujourd’hui sont instrumentales, mais les paroles nous sont très utiles pour cerner le personnage. Mentionnons tout de même que la musique a été écrite en 1912 et était destiné à l’acteur Florencio Parravicini. Cependant, les paroles de Ángel Villoldo s’adressent bien au danseur.

El Cachafaz es un tipo
de vestir muy elegante
y en su presencia arrogante
se destaca un gran señor.
El Cachafaz, donde quiera,
lo han de encontrar muy tranquilo
y si saca algún filo
se convierte en picaflor.

El Cachafaz, bien lo saben,
que es famoso bailarín
y anda en busca de un festín
para así, florearse más.
El Cachafaz cae a un baile
recelan los prometidos,
y tiemblan los maridos
cuando cae el Cachafaz.

El Cachafaz, cuando cae a un bailecito
se larga; pero muy de parada
y no respeta ni a casada;
y si es soltera, mejor.
Con mil promesas de ternura
les oferta, como todos, un mundo de grandezas
y nadie sabe que la pieza no ha pagado
y anda en busca afligido, el acreedor.

Manuel Aróstegui (Manuel Gregorio Aroztegui) Letra: Ángel Villoldo

Traduction libre et indications

Le Cachafaz est un type vêtu très élégamment et dans sa présence arrogante se distingue un grand seigneur.
Le Cachafaz, où qu’il soit, doit être trouvé très calme et s’il trouve une ouverture (filo se dit chez les délinquants pour parler d’une opportunité), il devient un picaflor (colibri, ou plutôt homme allant butiner de femme en femme).
Le Cachafaz, comme vous le savez bien, est un danseur célèbre et cherche un festin afin de s’épanouir davantage.
Quand le Cachafaz débarque (caer, tomber en espagnol, est ici en lunfardo et signifie être présent dans un lieu) dans un bal, les fiancés sont méfiants et les maris tremblent quand le Cachafaz arrive.
Le Cachafaz, lorsqu’il débarque dans un petit bal, se lâche ; mais, il est très prétentieux (de nariz parada, le nez redressé comme savent le faire les personnes prétentieuses) et ne respecte ni les femmes mariées ni les célibataires, c’est mieux (il préfère les célibataires).
Avec mille promesses de tendresse, il leur offre, comme tous, un monde de grandeur et personne ne sait que la chambre n’est pas payée et que va, affligé, à sa recherche, le créancier.

Et voici El Cachafaz

Maintenant que j’ai dressé son portrait à travers les paroles, essayons de nous intéresser au personnage réel.
El Cachafaz (Ovidio José Bianquet), Buenos Aires, 1885-02-14-Mar del Plata, 1942-02-07.
El Cachafaz était grand, laid, grêlé de vérole, il avait un air maladif.

Sa danse

El Cachafaz a dansé dans une dizaine de films et notamment Tango (1933) et Carnaval de antaño (1940), extraits que je vais vous présenter ici.

C’est un extrait du film « Tango » (1933) de Luis Moglia Barth qui est le premier film parlant argentin. On y voit El Cachafaz (José Ovidio Bianquet) danser avec Carmencita Calderón, El Entrerriano de Anselmo Rosendo Mendizábal.

À ce moment, il est âgé de 48 ans et sa partenaire Carmencita Calderón 28 ans. Je donne cette précision, car certains affirment que sa partenaire n’a pas encore 20 ans. Il dansera avec elle dans deux autres films en 1939 « Giácomo » et « Variedades« . Ce sera aussi sa compagne de vie jusqu’à sa mort et à part une prestation avec Sofía Bozán, sa partenaire de danse. Carmencita Calderón est morte centenaire, en 2005. Une preuve que le tango conserve.

Voyons-le danser un peu plus tard, en 1940, avec Sofía Bozán

C’est un extrait du film “Carnaval de antaño” (1940) de Manuel Romero. C’est deux ans avant la mort de El Cachafaz. Il a 55 ans dans cette prestation.

On notera que le rôle principal est tenu par Florencio Parravicini qui aurait été lé dédicataire en 1912 de la musique de Manuel Aróstegui. Les deux Cachafaz dans le même film.

Ses principales partenaires :

Eloise Gabbi. Elle fit avec lui une tournée aux USA en 1911. En fait, c’est plutôt l’inverse si on consdère que El Cachafaz était désigné comme « an Argentine indian » (Un indien argentin). Il faut dire qu’il devait encore avoir à l’époque la stature faubourienne qu’il améliorera, comme Bertrán, dans le tango Del barrio de las latas.

Emma Bóveda, Elsa O’Connor puis Isabel San Miguel qui furent aussi ses compagnes, jusqu’à ce qu’il rencotre Carmencita Calderón (Carmen Micaela Risso de Cancellieri) (1905-02-10 – 200510-31. Carmencita danse avec lui dans Tango (1933), Giácomo » (1939) et « Variedades (1939).
Sofía Bozán (Sofía Isabel Bergero) 1904-11-05 – 1958-07-09. Pour le film Carnaval de antaño, mais il reste avec Carmencita, jusqu’à sa mort en 1942, Carmencita qui lui survivra 63 ans…

La photo dont je suis parti pour faire celle de couverture de l’article… El Cachafaz avec sa compagne, Carmencita Calderón. C’est une photo posée et retouchée pour ce qui est du visage de El Cachafaz.

Voici ce qu’en dit Canaro (pages 79-81 de Mis memorias)

Mis memorias 1906-1956 – Francisco Canaro. Même si le livre est centrée sur Canaro, c’est une mine de renseignements sur le tango de l’époque. C’est assez curieux qu’il soit si peu cité.

“Concurría: con suma frecuencia a los bailes del « Olimpo » un personaje que ya gozaba de cierta popularidad: Benito Bianquet (« El Cachafaz« ); a quien no se le cobraba la entrada, porque era una verdadera atracción; cuando él bailaba la concurrencia entusiasmada le formaba rueda y él se floreaba a gusto haciendo derroche en las figuras del típico tango de arrabal.

Puede decirse, sin temor a hipérbole, que « El Cachafaz » fué indiscutiblemente el mejor y más completo bailarín de tango de su tiempo. No tuvo maestro de baile; su propia intuición fué la mejor escuela de su estilo. Era perfecto en su porte, elegante y justo en sus movimientos, el de mejor compás; en una palabra, « El Cachafaz« , en el tango, fué lo que Carlitos Gardel coma cantor: un creador; y ambos no han tenido sucesores, sino imitadores, que no es lo mismo. « El Cachafaz » siempre iba acompañado de su inseparable amigo « El Paisanito« , muchacho que tenía fama de guapo y que, para su defensa, usaba una daga de unos sesenta a setenta, centímetros de largo; se la ponía debajo del brazo izquierdo calzándola por entre la abertura del chaleco, y la punta daba más abajo del cinturón rozándole la pierna. Para sacarla lo hacía en tres tiempos y con gran rapidez cuando las circunstancias lo exigían. No obstante, « El Paisanito » era un buen muchacho y un leal amigo. […]

Precisamente, recuerdo que una noche hallándose en una mesa « El Cachafaz » con « El Paisanito » y otros amigos, apareció otro famoso Bailarín de tango, « El Rengo Cotongo« , guapo el hombre y según decían de averías y de mal vivir; lo acompañaban otros sujetos de pinta no muy recomendable, quienes se ubicaron en una mesa próxima a la de « El Cachafaz« . « El Rengo Cotongo » traía también su compañera de baile. Empezaron a beber en ambas mesas, y entre baile y baile lanzaban indirectas alusivas a « El Cachafaz« , y se originó un desafió. Querían dilucidar y dejar sentado cuál de los dos era mejor bailarín de tango. Se concretó la apuesta y el primera en salir a bailar fué « El Rengo Cotongo« , quien pidió que tocasen « El Entrerriano« . El apodo le venía porque rengueaba de una pierna al andar, pero ello no fué obstáculo para llegar a conquistar cartel de buen bailarín, pues en realidad bailando no se le notaba la renguera, al igual que a los tartamudos, que cantando dejan de serlo. salió el famoso « Rengo » hacienda filigranas, aclamado por la barra que lo acompañaba y por los contertulios que simpatizaban con él, y terminé la pieza entre grandes aplausos. Y le tocó a « El Cachafaz« , quien pidió que tomasen El Choclo. Salió con su garbo varonil y con su postura elegante haciendo con los pies tan maravillosas « fiorituras » que sólo faltaba que pusiera su nombre; pero dibujó sus iniciales entre atronadores aplausos y «¡vivas! » a « El Cachafaz« . Al verse « El Rengo » y sus compinches desairados en su desafió, ahí nomas empezaron a menudear los tiros y se armó la de San Quintín. En media del barullo nosotros no sentíamos más que « ¡pim-paf, pum! » … y las balas pegaban en la chapa de hierro que cubría la baranda del palco donde nosotros tocábamos, viéndonos obligados a echar cuerpo a tierra hasta que amainó el escándalo con la presencia de la policía, que arreó con todo el mundo a la comisaria. Y el salón quedó clausurado por largo tiempo.”

Francisco Canaro – Mis memorias 1906-1956

Traduction libre du texte de Canaro

Très fréquemment aux bals de l' »Olimpo » se trouvait un personnage qui jouissait déjà d’une certaine popularité : Benito Bianquet (« El Cachafaz ») ; qui ne payait pas l’entrée, parce que c’était une véritable attraction ; Quand il dansait, la foule enthousiaste formait un cercle et il s’épanouissait à l’aise, se répandant dans les figures du tango typique des faubourgs.

On peut dire, sans crainte de l’hyperbole, que « El Cachafaz » était incontestablement le meilleur et le plus complet danseur de tango de son temps. Il n’avait pas de professeur de danse ; Sa propre intuition fut la meilleure école de son style. Il était parfait dans son maintien, élégant et juste dans ses mouvements, le meilleur compás; en un mot, « El Cachafaz », en tango, était ce que Carlitos Gardel est comme chanteur : un créateur ; Et les deux n’ont pas eu de successeurs, mais des imitateurs, ce qui n’est pas la même chose. « El Cachafaz » était toujours accompagné de son inséparable ami « El Paisanito », un garçon qui avait la réputation d’être beau et qui, pour sa défense, utilisait un poignard d’environ soixante à soixante-dix centimètres de long ; Il le plaçait sous son bras gauche, l’insérant dans l’ouverture du gilet, et la pointe était au-dessous de la ceinture et lui effleurait la jambe. Pour le sortir, il le faisait en trois temps et avec une grande rapidité lorsque les circonstances l’exigeaient. Néanmoins, « El Paisanito » était un bon garçon et un ami fidèle. […]

Précisément, je me souviens qu’un soir où « El Cachafaz » était à une table avec « El Paisanito » et d’autres amis, un autre danseur de tango célèbre est apparu, « El Rengo Cotongo », bel homme et, comme on disait, de dépressions et de mauvaise vie ; il était accompagné d’autres sujets d’apparence peu recommandable, qui étaient assis à une table près de celle d’El Cachafaz. El Rengo Cotongo » a également amené sa partenaire de danse. Ils commencèrent à boire aux deux tables, et entre les danses, ils lançaient des allusions à « El Cachafaz », et un défi s’ensuivit. Ils voulaient élucider et établir lequel des deux était le meilleur danseur de tango. Le pari a été fait et le premier à aller danser a été « El Rengo Cotongo », qui nous a demandé de jouer « El Entrerriano ». Le surnom lui venait du fait qu’il boitait d’une jambe lorsqu’il marchait, mais ce n’était pas un obstacle pour conquérir l’affiche d’un bon danseur, car en réalité en dansant, ce n’était pas perceptible, ainsi que les bègues, qui en chantant cessent de l’être. Le fameux « Rengo » est sorti, en exécutant des filigranes, acclamé par la bande qui l’accompagnait et par les participants qui sympathisaient avec lui, et j’ai terminé la pièce au milieu de grands applaudissements. Et ce fut au tour d’« El Cachafaz », qui nous a demandé de prendre El Choclo. Il entra avec sa grâce virile et son attitude élégante, faisant de si merveilleuses « fiorituras » avec ses pieds qu’il ne lui restait plus qu’à mettre son nom ; mais il a dessiné ses initiales au milieu d’un tonnerre d’applaudissements et de « vivas ! » à « El Cachafaz ». A contrario, « El Rengo » et ses acolytes ont été snobés dans leur défi, aussi, sans façon, les coups de feu ont commencé à être tirés et la de San Quintín a été mise en place (cela signifie un scandale ou une très grande bagarre, en référence à la bataille de San Quentin qui a eu lieu à l’époque de Philippe II (XVIe siècle) entre l’Espagne et la France, autour du royaume de Naples. Au milieu du brouhaha, nous n’avons rien ressenti d’autre que « pim-paf, bam ! » et les balles se logeaient dans la plaque de fer qui couvrait la balustrade de la loge où nous jouions, et nous avons été forcés de nous jeter à terre jusqu’à ce que le scandale s’éteigne avec la présence de la police, qui a rassemblé tout le monde au commissariat. Et le salon a été fermé pendant longtemps.

El Cachafaz évoqué par Miguel Eusebio Bucino

Le tango Bailarín compadrito de Miguel Eusebio Bucino parle justement de El Cachafaz.

Vestido como dandy, peina’o a la gomina
Y dueño de una mina más linda que una flor
Bailás en la milonga con aire de importancia
Luciendo la elegancia y haciendo exhibición
Cualquiera iba a decirte, ¡che!, reo de otros días
Que un día llegarías a rey de cabaret
Que pa’ enseñar tus cortes pondrías academia
Al taura siempre premia la suerte, que es mujer
Bailarín compadrito
Que floreaste tus cortes primero
En el viejo bailongo orillero
De Barracas, al sur
Bailarín compadrito
Que querías probar otra vida
Y al lucir tu famosa corrida
Te viniste al Maipú
Araca, cuando a veces oís « La Cumparsita »
Yo sé cómo palpita tu cuore al recordar
Que un día lo bailaste de lengue y sin un mango
Y ahora el mismo tango bailás hecho un bacán
Pero algo vos darías por ser por un ratito
El mismo compadrito del tiempo que se fue
Pues cansa tanta gloria y un poco triste y viejo
Te ves en el espejo del loco cabaret
Bailarín compadrito
Que querías probar otra vida
Y al lucir tu famosa corrida
Te viniste al Maipú
Miguel Eusebio Bucino

Miguel Eusebio Bucino

Traduction libre de Bailarín compadrito

Habillé en dandy, les cheveux peignés et propriétaire d’une fille plus belle qu’une fleur, vous dansez dans la milonga avec un air d’importance, faisant étalage d’élégance et faisant une exhibition n’importe qui allait vous dire, che ! prisonnier d’un autre temps, qu’un jour vous deviendriez roi du cabaret que pour enseigner tes cortes tu ferras académie au taura sourit toujours la chance, qui est une femme.
Danseur voyou qui a fait fleurir tes premiers cortes dans l’ancien bal à la périphérie de Barracas, au sud.
Danseur voyou qui voulait essayer une autre vie et qui, quand tu as montré ta fameuse corrida, tu es venu au Maipú.
Mon vieux (gardien), quand tu entends parfois « La Cumparsita », je sais comment ton cœur bat quand tu te souviens qu’un jour tu l’as dansé avec un foulard (on le voit dans le film Tango de 1933) et sans un sou et maintenant le même tango fait de toi un bacán (un fortuné).
Mais tu donnerais quelque chose pour être pendant un petit moment le même voyou de l’époque qui s’en est allé, parce que tant de gloire est fatigante et que vous vous voyez dans le miroir du cabaret fou.
Danseur voyou, qui voulait essayer une autre vie et qui en montrant sa fameuse corrida, tu es venu au Maipú.
On voit que ces paroles correspondent à celles de Villodo, ce qui me permet de valider le fait que ce tango est bien adressé à El Cachafaz, du moins dans ses paroles.

Autres versions

Toutes les versions sont instrumentales. L’écoute ne permet probablement pas de distinguer les versions qui étaient plutôt destinées à l’acteur et celles destinées au danseur. On note toutefois, que la plupart ne sont pas géniales pour la danse. Est-ce une façon de les départager ? Je suis partagé sur la question.

El Cachafaz 1912 – Cuarteto Juan Maglio « Pacho ».

Cet enregistrement Antique commence avec le cornet du tranvia et qui résonne à différentes reprises, arrêtant le bal. Des pauses, un peu comme les breaks que D’Arienzo mettra en place bien plus tard dans ses interprétations.

El Cachafaz 1937-06-02 – Orquesta Juan D’Arienzo.

La musique commence par le cornet du tranvia (tramway). Le piano de Biagi, prend tous les intervalles libres, mais le bandonéon et les violons ne méritent pas. C’est du très bon D’Arienzo. On a l’impression que El Cachafaz se promène, salué par les tramways. On peut imaginer qu’il danse, d’ailleurs ce titre est tout à fait dansable…

El Cachafaz 1950-12-27 – Ricardo Pedevilla y su Orquesta Típica.

Passer après D’Arienzo, n’est pas évident. Un petit coup de Cornet pour débuter et ensuite de jolis passages, mais à mon avis pas avec le même intérêt pour le danseur que la version de D’Arienzo. Cependant, cette version reste tout à fait dansable et si elle ne va probablement pas soulever des enthousiasme délirants, elle ne devrait pas susciter de tollé mémorables et se terminer à la de San Quintín.

El Cachafaz 1953-05-22 – Orquesta Eduardo Del Piano.

Le Cornet initial est peu reconnaissable. Le tango est tout à fait différent. Il a des accents un peu sombres. Del Piano est dans une recherche musicale qui l’a éloigné de la danse. Un comble si le tango est lié à un danseur si célèbre.

El Cachafaz 1954-01-26 – Orquesta Carlos Di Sarli.

Di Sarli rétabli le cornet initial, mais son interprétation est assez décousue. Pour le danseur il est difficile de prévoir ce qui va se passer. Sans doute un essai de renouvellement de la part de Di Sarli, mais je ne suis pas tant convaincu que les danseurs trouvent le terrain calme et favorable à l’improvisation auquel Di Sarli les a habitué. Pour moi, c’est un des rares Di Sarli de cette époque que je ne passerai pas.

El Cachafaz 1958 – Los Muchachos De Antes.

On retrouve avec cette version, la flûte qui fait le cornet du tranvia. L’association guitare, flute, donne un résultat très léger et agréable. La guitare, marque bien la cadence et les danseurs pourront aller en sécurité avec cette version qui oscille entre la milonga et le tango. Les muchachos ont recréé une ambiance début de siècle très convaincante. Ils méritent leur nom.

Voilà les amis, c’est tout pour aujourd’hui. Je vous souhaite de danser comme El Cachafaz et Carmencita.

El entrerriano 1944-04-26 — Orquesta Osvaldo Fresedo

Anselmo Rosendo Mendizábal Letra : Ernesto Temes (Julián Porteño), Homero Expósito, H. Semino, S. Retondaro, Vicente Planells del Campo y Oscar Amor, Ángel Villoldo.

Voici une chose bien curieuse que ce tango qui ne dispose pas d’enregistrement de version chantée intéressante dispose de tant de paroles. Pas moins de cinq versions… Quoi qu’il en soit, ce tango écrit en 1897 par Rosendo Mendizábal est fameux, et il fut le premier à avoir une partition…

Un tango célèbre

Ce tango est fameux. C’est pour cela, probablement qu’il dispose de plusieurs paroles, ces dernières étant utilisées pour flatter un commanditaire potentiel.
J’ai raconté dans Sacale punta comment Rosendo l’a dédicacé à Ricardo Segovia et a gagné ainsi 100 pesos… Il venait de le jouer à de multiples reprises à la demande du public en Lo de María la Vasca, dont il était le pianiste attitré.
Comme preuve de notoriété, outre l’abondance de paroliers, je pourrais mentionner qu’il est chanté par Gardel dans Tango argentino 1929-12-11.

«De tus buenos tiempos aún hay palpitan
El choclo, Pelele’, El taita, El cabure
La morocha, El catre y La cumparsita
Aquel Entrerriano y el Sabado ingles»

La dernière preuve est le nombre incroyable de versions de ce titre. Les 100 pesos de Ricardo Segovia furent un bon investissement.

Extrait musical

El entrerriano 1944-04-26 — Orquesta Osvaldo Fresedo.

On comprend l’enthousiasme des premiers auditeurs de El entrerriano qui ne s’appelait pas ainsi quand il fut joué pour la première fois en Lo de María la Vasca. À l’époque Rosendo l’avait joué au piano et sans doute émulé par la bonne réception par les participants s’était peut-être lancé dans quelque chose un peu plus jouer et spontané que les versions de l’époque. Ce qui est sûr, c’est que Fresedo a su sortir de sa zone de confort pour nous éblouir avec cette version joyeuse.

Les paroles

J’ai mentionné cinq versions. Je n’en ai retrouvé que quatre, celle de Ángel Villoldo semble perdue.
Les quatre restantes sont du même type, elle raconte la gloire, la gloriole d’un type. Rien de bien intéressant et original. Je vous les cite donc par ordre chronologique et ne traduirai que la plus récente, celle de Homero Expósito.

Letra de Ángel Villoldo

Ángel Villoldo a dédié une version à Pepita Avellaneda. Pour cela il a écrit des paroles qui semblent perdues pour le moment.
Attention à ne pas confondre la chanteuse Pepita Avellaneda et Pepito Avellaneda, pseudonyme du danseur José Domingo Monteleone. Ce dernier a pris ce surnom, car il était né à Avellaneda. Pepito, je ne sais pas pourquoi il l’a choisi quand il fut obligé de prendre un pseudonyme pour atténuer son origine italienne afin de faciliter ses tournées européennes et le fait qu’il était d’une famille de pizzaiolos de province (Avellaneda).
D’ailleurs Pepita Avellaneda était également un pseudonyme, la chanteuse, qui était aussi danseuse s’appelait en fait Josefa Calatti… C’est elle qui avait étrenné El esquinazo de Villoldo, avec des paroles également disparues…
Villoldo a cependant écrit les paroles d’un autre tango qu’il a également composé : Desafío de un entrerriano (défi d’un entrerriano).
Il se peut qu’une partie des paroles soit proche de celles de la version perdue, à la différence qu’il s’agissait d’une femme, probablement uruguayenne dans le premier cas, mais à l’époque, l’Uruguay et Entre Rios sont très proche et la frontière de la Province de l’Est perméable.
On remarquera qu’elles sont de la même eau que celles destinées à El enterriano, ce qui confirme la destination de ces paroles, la flatterie, voire la flagornerie…
On ne connaît pas la datation précise de l’écriture de ce tango, mais comme il a été publié en 1907 dans Caras y Careteras, il est au plus tard de cette époque, soit tout au plus, cinq ans après la version perdue. Il ne semble pas exister d’enregistrement de ce tango. Voici donc les paroles de Desafío de un entrerriano :

Ángel VilloldoDesafío de un entrerriano 
Aquí viene el entrerriano
El criollo más respetado,
Por una milonga, un estilo,
O un tanguito requebrado.
En cuanto yo me presento
No hay quién se atreva a roncar,
Al cohete son los candiales…
Me tienen que respetar.

¿Vamos a ver quién se atreve?
¿No hay ninguno que ya ladré?
¿Dónde está ese mozo pierna
que la echaba de compadre?
Vayan saliendo al momento
Ya que llega la ocasión,
Que eso es lo que a mí me gusta
Pa´ darles un revolcón.

¿Quién le ronca al entrerriano?
¿No hay quién cope la parada?,
Vamos a ver, pues, los taitas
Aprovechen la bolada.
Miren que ocasión como esta
No se les va a presentar…
¿De ande yerba?… Tienen miedo
Que los vaya a abatatar.

Ya veo que no hay ninguno
Que resuelle por la herida,
Y me gano la carrera
Mucho antes de la partida.
Aquí concluyo y saludo
Con cariño fraternal,
A todos los concurrentes
Y al pabellón nacional…


Letra de A. Semino y S. Retondaro
Tú el entrerriano un criollazo
De nobleza e hidalguía
Que captó la simpatía
De todo el que lo trató.
Porque siempre demostró
Ser hombre sincero y fiel
Y como macho de Ley
La muchachada lo apreció.

Como varón se comportó
Su pecho noble supo exponer
Para el débil defender
Y así librarlo del mal
Pero una noche sombría.
Que fue, ¡ay !, su desventura
En su alma la amargura
Echó su manto fatal
Por haber sido tan leal
Halló su cruel perdición …!
El entrerriano lloró
Su triste desilusión.

Una noche en un callejón
Al amigo más fiel vio caer,
Bajo el puñal de un matón
Que de traición lo hirió cruel
Y vibrando de indignación
El criollazo atropelló
Y en la faz del matón
Un barbijo marcó.

Y al correr de los años
Libertao ’e las cadenas
Con el peso de su pena,
Pa’l viejo barrio volvió
Y amargado lagrimeó
Al hallarse sin abrigo
Y hasta aquél… el más amigo,
El amparo le negó.


Letra de Vicente Planells del Campo y Oscar Amor
Mi apodo es
El Entrerriano y soy
de aquellos tiempos heroicos de ayer,
el de los patios del farol y el parral,
con perfume a madreselva y clavel.
Soy aquel tango que no tuvo rival
en las broncas y entreveros.
Pero fui sentimental
junto al calor
del vestido de percal.

Soy aquel que no aflojó jamás,
el que luchó con su valor
por mantener este compás
y con él
me sentí muy feliz
al poder triunfar con mi valor
lejos de aquí, allá en París.
Y después
de recorrer triunfal,
la vuelta pegué para volver
junto al calor de mi arrabal
y hoy al ver
que soy retruco y flor
quiero agradecer este favor
al bailarín como al cantor.

Entrerriano soy
de pura cepa y no hay
a pesar de ser tan viejo, varón
ni quien me pise los talones pues soy
el compás de meta y ponga y fui
de la quebrada y el corte el rey
en lo de Hansen y el Tambito.
Y en las trenzadas de amor
primero yo
por bohemio y picaflor.


Letra de Julián Porteño
En el barrio de San Telmo
yo soy
picaflor afortunao en amor
un punto bravo pa’l chamuyo floreao
buen amigo en cualquier ocasión
caudillo firme de jugado valor
pa’ copar una parada
y afirmar mi bien probada
lealtad con el doctor.

Calá este varón
cuando con un gesto
mando en el resto
pa’ ganar una elección.
Calá este varón
en bailongos bien mistongos
conquistando un fiel corazón.
Calá este varón
en salones distinguidos
todo presumido
de “doctor”.
Calá este varón
mozo atrevido
siempre canto flor, envido
en el amor.

Naipe y mujeres
son mi única pasión,
sí señor,
éstas me dicen que sí
aquél me dice que no.
Pero no le hace
mella a mi condición
de varón,
soy entrerriano, señor
y tengo firme el corazón.


Letra de Homero Expósito
Sabrán que soy el Entrerriano,
que soy
milonguero y provinciano,
que soy también
un poquito compadrito
y aguanto el tren
de los guapos con tajitos.
Y en el vaivén
de algún tango de fandango,
como el querer
voy metiéndome hasta el mango,
que pa’l baile y pa’l amor
sabrán que soy
siempre el mejor.

¿Ven, no ven lo que es bailar así,
llevándola juntito a mí
como apretando el corazón?…
¿Ven, no ven lo que es llevarse bien
en las cortadas del querer
y en la milonga del amor?…

Todo corazón para el amor
me dio la vida
y alguna herida
de vez en vez,
para saber lo peor.
Todo corazón para bailar
haciendo cortes
y al Sur y al Norte
sulen gritar
que el Entrerriano es el gotán.

Traduction libre de la version de Homero Expósito

Ils sauront que je suis l’Entrerriano, (celui de la Povince d’Entre Rios) que je suis un milonguero et un provincial, que je suis aussi un peu compadrito et je tiens la dégaine du guapo (beau) avec des cicatrices (tajito, petites entailles).
Et dans le balancement d’un tango fandango, (Un siècle avant le tango, le fandango a fait scandale, car jugé lascif. Avec le tango, l’histoire se répète… N’oublions pas que ce tango s’est inauguré dans une maison de plaisir…)

avec volonté je me lance à fond, afin qu’ils sachent que pour la danse et pour l’amour je suis toujours le meilleur.
Vois-tu, ne vois-tu pas ce que c’est que de danser comme cela, de l’amener à moi comme pour écraser le cœur ?…
Voyez, ne voyez pas ce qu’est de s’entendre bien dans les cortadas du désir et dans la milonga de l’amour ?…
Tout cœur pour l’amour m’a donné la vie et une blessure de temps en temps, pour connaître le pire.
Tout le cœur pour danser en faisant des cortes (figure de tango) et au Sud et au Nord, ils vont crier que l’Entrerriano est le gotan (tango en verlan, mais vous le saviez…).

Les versions

El entrerriano 1910-03-05 Estudiantina Centenario dir. Vicente Abad
El entrerriano 1913 — Eduardo Arolas y su Orquesta Típica.

Une version par le tigre du bandonéon. Il existe peu d’enregistrements de Arolas, sans doute, moins de 20 et tous de la période de l’enregistrement acoustique. Ils ne rendent sans doute pas justice aux prestations réelles de cet artiste du bandonéon et de son orchestre.

El entrerriano 1914 — Quinteto Criollo Tano Genaro.
El entrerriano 1917 Orquesta Roberto Firpo. Avec les moyens et le style de l’époque.
El entrerriano 1927-02-24 — Orquesta Francisco Canaro.

Une version calme et tranquille à la Canaro des années 20, mais avec de beaux passages guidés par le piano comme après 50 s.

El entrerriano 1927-03-20 — Orquesta Osvaldo Fresedo.

Une version avec des bruits étranges, on entend les animaux de la ferme (notamment à partir de 30 s). Le dédicataire est en effet un riche propriétaire terrien et j’imagine que Fresedo s’est amusé à ce petit jeu de recréer une basse-cour avec son orchestre.

El entrerriano 1937-03-29 ou 1940-08-29 — Roberto Firpo y su Cuarteto Típico.

Une version à toute vitesse. Avec mandoline. Je ne sais pas si elle était destinée à la danse. J’ai plutôt l’impression que c’était une démonstration de virtuosité.

El entrerriano 1940-11-06 — Orquesta Radio Victor Argentina.

On dirait que Firpo a passé le virus à Scorticati qui dirigeait la Victor à cette époque. On peut imaginer sa joie de faire raisonner le « Pin-Pon-Pin » du bandonéon comme une ponctuation tout au long de l’interprétation. On sent que l’orchestre, y compris la trompette, s’amuse et nous, DJ ou danseurs, avec.

El entrerriano 1944-04-26 — Orquesta Osvaldo Fresedo. C’est notre tango du jour.

On dirait que Firpo et Scorticati ont passé le virus à Fresedo qui produit à son tour une version très rapide. Il fallait sans doute ces deux contaminations pour l’inciter à produire cette version tonique et rapide. Le bandonéon fait encore un « Pin-Pon-Pin » encore plus convaincant. Cependant, adieu veaux, vaches, couvées par rapport à la version précédente de 1927. Chaque instrument a son tour de gloire et le résultat est prenant, jusqu’au classique double accord final de Fresedo. C’est notre tango du jour.

J’ai passé sous silence les versions de 1941 de Troilo (c’était l’époque où il avait des enregistrements pourris, car les maisons de disques ne voulaient pas concurrencer leurs poulains) et celle de Biagi, qui est du Biagi comme il y en a tant. Du bon Biagi, mais que du Biagi, sans valeur ajoutée au titre lui-même.

El entrerriano 1944-06-27 — Orquesta Aníbal Troilo.

Pas la version de 1941 qui était une version plutôt rapide, mais celle de 1944, bien mieux enregistrée. On voit que l’ambiance est bien différente de tout ce qui s’est fait avant, plus grave, calme, musicale, moins dans la surprise. On remarquera les pleurs du bandonéon à 2 : 46, le merveilleux jeu de Troilo. Une version pour une danse bien différente, Troilo commence à montrer le bout de son nez novateur.

El entrerriano 1954-04-29 — Orquesta Juan D’Arienzo.

Du bon D’Arienzo qui cogne, tout en restant joueur. De quoi réveiller l’ambiance d’une milonga qui somnole (il paraît que ça existe), mais certains des titres précédents sont également efficaces pour cet usage…

El entrerriano 1979-10-31 — Orquesta Osvaldo Fresedo.

Fresedo a encore enregistré le titre en 1979. Honnêtement, cet enregistrement n’a rien d’exceptionnel et je vous propose de bouleverser la chronologie pour terminer cette anecdote avec une version étonnante, par Varela…

El entrerriano 1957-03-29 — Orquesta Héctor Varela.

C’est le dernier titre que je vous propose aujourd’hui. Il débute avec le « Pin-Pon-Pin », mais très solennel, suivi d’une citation des paroles de Tiempos viejos (Francisco Canaro Letra: Manuel Romero) « ¿Te acordás, hermano, qué tiempos aquellos? » puis « Oí si » et une phrase de Mi noche triste (Samuel Castriota Letra: Pascual Contursi) « me dan ganas de llorar ».

Voilà, je termine avec cela. Quel parcours effectué depuis 1897 par ce tango exceptionnel !

À demain les amis !

El Porteñito 1943-03-23 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Ángel Villoldo (Ángel Gregorio Villoldo Arroyo)

On connaît tous la milonga du jour, El Porteñito, mais est-ce vraiment une milonga ? Voyons de plus près ce coquin de Porteñito et ce qu’il nous cache.

Ángel Villoldo a composé et créé les paroles de ce tango qui est un des plus anciens dont on dispose des enregistrements. Je profite donc de ce patrimoine pour vous faire toucher du doigt le tango des origines avec le risque de relancer le débat des anciens et des modernes.

Extrait musical

El Porteñito 1943-03-23 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas. C’est notre tango du jour.

La version du jour est intermédiaire sur tous les plans.

Elle a été enregistrée en 1943, soit environ 40 après l’écriture de ce titre, au milieu de ce qu’il est convenu d’appeler l’âge d’or du tango.

Les deux anges se sont donc associés à un troisième, Villoldo pour nous offrir cette belle milonga… ou beau tango… Disons que c’est un tango milonga, un canyengue rapide. Ce titre évoluera depuis sa création entre les rythmes, nous en verrons quelques exemples en fin d’article.

Les paroles

Les paroles, il y a vraiment plusieurs paroles à ce tango. El porteñito est El criollito dans la plus ancienne version enregistrée. Je vais donc vous proposer trois versions.
Celle de D’Agostino et Vargas, ce dernier en bon chanteur de refrain, ne chante qu’une petite partie des paroles.
L’introduction musicale, nous présente un type qui se balade dans les rues, saluant les passants 1:22 plus tard, Vargas entame le chant et termine à la fin du titre. Cette version est généralement considérée comme une milonga, mais si vous la dansez en canyengue, personne ne vous dira rien.

D’Agostino Vargas 1943
 
Soy nacido en Buenos Aires,
me llaman « El Porteñito »,
el criollo más compadrito
que en esta tierra nació.

 
Y al bailar un tango criollo
no hay ninguno que me iguale
porque largo todo el rollo
cuando me pongo a bailar. 

 
Anda que está lindo el baile!
brindase comadre,
y el compadre…

 
Soy un taura del noventa,
tiempo bravo del tambito,
bailarín de mucha meta por más seña “El Porteñito”
y al bailar un tango bravo,
lo hago con corte y quebrada
para dejar bien sentada mi fama de bailarín.
Villoldo 1908
 
Soy hijo de Buenos Aires,
por apodo « El Porteñito »,
el criollo más compadrito
que en esta tierra nació.
Cuando un tango en la vigüela
rasguea algún compañero
no hay nadie en el mundo entero
que baile mejor que yo.

No hay ninguno que me iguale
para enamorar mujeres,
puro hablar de pareceres,
puro filo y nada más.
Y al hacerle la encarada
la fileo de cuerpo entero
asegurando el puchero
con el vento que dará.


…Recitativo…

Soy el terror del malevaje
cuando en un baile me meto,
porque a ninguno respeto
de los que hay en la reunión.
Y si alguno se retoba
y viene haciéndose el guapo
lo mando de un castañazo
a buscar quien lo engrupió.

Cuando el vento ya escasea
le formo un cuento a mi mina (china)
que es la paica más ladina
que pisó el barrio del sur.
Y como caído del cielo
entra el níquel al bolsillo
y al compás de un organillo
bailo el tango a su « salú ».

 
…Recitativo…
Los Gobbi 1906
 
Él:
Soy hijo de Buenos Aires
E me llaman el criollito,
El más pierna e compadrito
Per cantar e per bailar.
De las chinas un querido
Todas me brindan amores,
Soy el que entre los mejores
Siempre se hace respetar.
 
Ella:
Este tipo extravagante
Que viene a largar el rollo,
Echándosela de criollo
Y no sabe compadrear.
Es un gringo chacarero
De afuera recién llegado
Un criollo falsificado
Que la viene aquí a contar.
 
Él:
Soy tremendo para el baile
Se me voy donde hay…
E agarrando la guitarra
La “melunga” sé cantar.
 
Ella:
No arrugués que no hay quién planche
Afeitate, volvé luego,
Que te ha conocido el juego
Gringo, podés espiantar.
 
Él:
No te hagás la compadrona
La paciencia se me acaba,
Te va´ a comé una trompada
Se me llego yo a enojar.
 
Ella:
Arrimate che italiano
Y haceme una atropellada.
 
Él:
Te la doy.
 
Ella:
Pura parada
Si ni el agua vos cortás.
 
Él:
Fijate qué firulete, qué parada
No hay ninguno que me pueda guadañar.
 
Juntos:
Porque somos para el tango
Los más piernas,
Y sabemos hacernos respetar.
Ángel Villoldo (Ángel Gregorio Villoldo Arroyo)

Les versions

El criollo falsificado (Los criollos) 1906 – Dúo Los Gobbi.

Le titre est un peu différent, ainsi que les paroles. Ce sont celles de la troisième colonne. El porteñito est el criollito et il le texte comporte de nombreuses variations par rapport à la version « canonique ». Deux points sont à signaler. C’est un duo (que je trouver relativement pénible entre les époux Gobbi, Flora et Alfredo) avec des passages parlés comme c’était assez courant à l’époque.

El porteñito 1908 — Ángel Villoldo.

Cet enregistrement par l’auteur pourrait servir de référence. Ce sont les paroles de la version centrale (il y a quelques petites différences, comme mina au lien de china, mais qui ne change pas le sens).

El porteñito (La Criollita) 1909 – Andrée Vivianne con orquesta.

Une version chantée par une femme à la voix plutôt plus agréable que celle de Flora Gobbi, mais de peu. On notera qu’elle a adapté les paroles en chantant au féminin et en se faisant appeler la criollita et non pas la porteñita.

El Porteñito 1928-09-26 – Orquesta Típica Victor (Adolfo Carabelli).

On arrive ici à la première version dansable. Il est dirigé par la baguette d’Adolfo Carabelli. C’est une version instrumentale, avec de beaux dialogues instrumentaux, et des violons qui plairont à beaucoup. Une fantaisie qui pourrait passer dans une milonga, mais pas comme une milonga, c’est clairement un tango et même un bon canyengue avec les appuis qui favorisent la quebrada dont parlent d’ailleurs les paroles.

El Porteñito 1937-08-31 – Orquesta Juan D’Arienzo.

Une version au rythme syncopé avec un plan de violon ou bandonéon qui survole le tout. Une impression d’accélération à la fin et quelques ponctuations de Biagi au piano témoignent du style qui est en train de se mettre en place chez D’Arienzo. Je pense que c’est une version rarement diffusée en milonga. Elle pourrait l’être, mais il y a d’autres titres plus porteurs qui prennent la place dans le temps limité donné au DJ pour faire des propositions.

El Porteñito 1941-06-06 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.

Canaro enregistrera deux fois avec le quinteto Pirincho ce titre. Voici la première version, assez brillante, notamment grâce à la partie de piano interprétée par Luis Riccardi.

El Porteñito 1943-03-23 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas. C’est notre tango du jour. Nettement plus milonga que les versions écoutées précédemment. Un best-seller des milongas.

C’est notre tango du jour. Nettement plus milonga que les versions écoutées précédemment. Un best-seller des milongas.

El Porteñito 1959-04-09 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.

Je fais un petit saut dans le temps en passant diverses versions pour retrouver le Quinteto Pirincho et la flute géniale de Juvencio Física qui donne une couleur à cette version qui balance toujours entre le tango et la milonga, mais on peut en général le passer comme milonga, car son allure très enjouée le rend sympathique à danser et il est suffisamment connu pour que les jeux de l’orchestre, petits breaks et fioritures de l’orchestre puissent être mises en valeur par les danseurs.

El Porteñito 2013 – Otros Aires y Joe Powers.

Je vais vous demander de me pardonner, mais l’histoire n’est pas faite que de batailles gagnées. Il y a aussi des tragédies, comme cette version mixant l’orchestre Otros Aires (qui n’a pas su se renouveler et transformer ses premiers essais) et l’harmoniciste, Joe Powers (qui est loin d’être mon préféré). Le résultat est à la hauteur de mes espérances, inaudible, je comprends votre colère.

L’élégance au tango dans les années 1900

On a un peu de mal à imaginer que le tango ait pu paraître sulfureux au point d’être interdit à Buenos Aires. Cependant, il y avait tout de même de bonnes raisons.
Il était dansé dans des lieux dédiés au sexe et le but n’était pas d’être extrêmement élégant, mais de prendre du plaisir avec une femme compréhensive (même si cela la rendait malheureuse, comme a pu le voir hier avec Zorro gris qui parlait d’une grisette dans un établissement de luxe). On imagine que dans d’autres lieux comme Lo de Tranqueli, la réalité était bien pire.

El Cachafaz et Carmencita Calderon dans Tango de Luis Moglia Barth, un film de 1933.
El Cachafaz en 1940 avec Sofía Bozán dans le film de Manuel Romero Carnaval de Antaño.

Je parlerai plus abondamment le 2 juin prochain d’Ovidio José Bianquet, dit el Cachafaz, au sujet de la version du tango El Cachafaz, dans la version de D’Arienzo du 2 juin 1937.
Cette façon de danser passerait difficilement pour élégante de nos jours, mais elle faisait l’admiration de nos aïeux et on peut regretter aujourd’hui une certaine stérilisation de la danse.
Je ne dis pas qu’il faut retrouver les outrances de l’époque, mais plutôt de prendre des petites idées, de relancer la machine à improviser.
Je terminerai par cette image qui est un montage que j’ai réalisé à partir de photos du début du vingtième siècle où on voit des attitudes un peu surprenantes, mais qui étaient considérées comme très chic à l’époque. Cela devait toutefois être fait avec une certaine élégance et ne doit en aucun justifier les violences qu’infligent certains danseurs contemporains à leur partenaire et aux autres danseurs du bal… Eh oui ! Le DJ, il voit tout depuis son poste de travail 😉

Adios Argentina 1930-03-20 — Orquesta Típica Victor

Gerardo Hernán Matos Rodríguez Letra: Fernando Silva Valdés

Je suis dans l’avion qui m’éloigne de mon Argentine pour l’Europe. La coïncidence de date fait, que je me devais le choisir comme tango du jour. Il y a un siècle, les musiciens, danseurs et chanteurs argentins s’ouvrirent, notamment à Paris, les portes du succès. Un détail amusant, les auteurs de ce titre sont Uruguayens, Gerardo Hernán Matos Rodríguez, l’auteur de la Comparsita et Fernando Silva Valdès…

Correspondance de date. Cette anecdote a été écrite dans l’avion l’an dernier et je suis encore de voyage entre l’Argentine et l’Espagne à la même date. Ce court exil me permettra d’animer quelques milongas et je rentrerai à Buenos Aires, fin avril.

Ce titre peut ouvrir la piste à de très nombreux sujets. Pas question de les traiter tous. Je liquide rapidement celui de l’histoire contée dans ce tango, d’autant plus que cette version est instrumentale. C’est un gars de la campagne qui s’est fait voler sa belle par un sale type et qui a donc décidé de se faire la belle (s’en aller) en quittant l’Argentine « Adios Argentina ».
Il se peut qu’il se retourne en Uruguay, ce qui serait logique quand on connaît la nostalgie des originaires de la Province de l’Est (voir par exemple, Felicia écrit par Carlos Mauricio Pacheco).
Dans le cas présent, j’ai préféré imaginer qu’il va en Europe. Il dit dans la chanson qu’il cherche d’autres terres, et un autre soleil, ce n’est donc sans doute pas le Sol de Mayo qui est commun, quoique d’aspect différent sur les deux drapeaux.

Les voyages transatlantiques des musiciens de tango

Le début du vingtième siècle jusqu’en 1939 a vu de nombreux musiciens et chanteurs argentins venir tenter leur chance en Europe.
Parmi eux, en vrac :
Alfredo Eusebio Gobbi et sa femme Flora Rodriguez, Ángel Villoldo, Eduardo Arolas, Enrique Saborido, Eduardo Bianco, Juan Bautista Deambroggio (Bachicha) et son fils Tito, les frères Canaro, Carlos Gardel, Vicente Loduca, Manuel Pizarro, José Ricardo, José Razzano, Mario Melfi, Víctor Lomuto, Genaro Espósito, Celestino Ferrer, Eduardo Monelos, Horacio Pettorossi…
La liste est interminable, je vous en fais grâce, mais nous en parlerons tout au long des anecdotes de tango. Sachez seulement que, selon l’excellent site « La Bible tango », 345 orchestres ont été répertoriés, chaque orchestre comptant plusieurs musiciens. Même si tous n’étaient pas Argentins ou Uruguayens de naissance, ils ont donné dans la mode « Tango ». Pour en savoir plus, vous pouvez consulter l’excellent site de Dominique Lescarret (dit el Ingeniero « Une histoire du tango »)

Vous remarquerez que l’orchestre de Bianco et Bachita est vêtu en costume de Gaucho et qu’ils portent la fameuse bombacha, bombacha offerte par la France à l’Argentine… En effet, le syndicat des musiciens français obligeait les artistes étrangers porter un costume traditionnel de leur pays pour se distinguer des artistes autochtones.

Histoire de bombachas

On connaît tous la tenue traditionnelle des gauchos, avec la culotte ample, nommée bombacha. Ce vêtement est particulièrement pratique pour travailler, car il laisse de la liberté de mouvement, même s’il est réalisé avec une étoffe qui n’est pas élastique.
Cependant, ce qui est peut-être moins connu c’est que l’origine de ce vêtement est probablement française, du moins indirectement.
En France métropolitaine, se portaient, dans certaines régions, comme la Bretagne, des braies très larges (bragou-braz en breton).
Dans les pays du sud et de l’est de la Méditerranée, ce pantalon était aussi très utilisé. Par exemple, par les janissaires turcs, ou les zouaves de l’armée française d’Algérie.

La désastreuse guerre de Crimée en provoquant la mort de 800 000 soldats a également libéré des stocks importants d’uniformes. Qu’il s’agisse d’uniformes de zouaves (armée de la France d’Algérie dont quatre régiments furent envoyés en Crimée) ou de Turcs qui étaient alliés de la France dans l’affaire.

Napoléon III s’est alors retrouvé à la tête d’un stock de près de 100 000 uniformes comportant des « babuchas », ce pantalon ample. Il décida de les offrir à Urquiza, alors président de la fédération argentine. Les Argentins ont alors adopté les babuchas qu’ils réformeront en bombachas.
En guise de conclusion et pour être complet, signalons que certaines personnes disent que le pantalon albicéleste d’Obélix, ce fameux personnage René Goscinny et Albert Uderzo est en fait une bombacha et que c’est donc une influence argentine. Goscinny a effectivement vécu dans son enfance et son adolescence en Argentine de 1927 (à 1 an) à 1945. Il a donc certainement croisé des bombachas, même s’il a étudié au lycée français de Buenos Aires. Ce qui est encore plus certain, c’est qu’il a connu les bandes alternées de bleu ciel et de blanc que les Argentins utilisent partout de leur drapeau à son équipe nationale de foot.

Il se peut donc que Goscinny ait influencé Uderzo sur le choix des couleurs du pantalon d’Obélix. En revanche, pour moi, la forme ample est plus causée par les formes d’Obélix que par la volonté de lui faire porter un costume traditionnel, qu’il soit argentin ou breton… Et si vraiment on devait retenir le fait que son pantalon est une bombacha, alors, il serait plus logique de considérer que c’est un bragou-braz, par Toutatis, d’autant plus que les Gaulois portaient des pantalons amples (braies) serrés à la cheville…

Extrait musical

Adiós Argentina 1930-03-20 – Orquesta Típica Victor.

Les paroles

Tierra generosa,
en mi despedida
te dejo la vida
temblando en mi adiós.
Me voy para siempre
como un emigrante
buscando otras tierras,
buscando otro sol.
Es hondo y es triste
y es cosa que mata
dejar en la planta
marchita la flor.
Pamperos sucios
ajaron mi china,
adiós, Argentina,
te dejo mi amor.

Mi alma
prendida estaba a la de ella
por lazos
que mi cariño puro trenzó,
y el gaucho,
que es varón y es altanero,
de un tirón los reventó.
¿Para qué quiero una flor
que en manos de otro hombre
su perfume ya dejó?

Llevo la guitarra
hembra como ella;
como ella tiene
cintas de color,
y al pasar mis manos
rozando sus curvas
cerraré los ojos
pensando en mi amor.
Adiós, viejo rancho,
que nos cobijaste
cuando por las tardes
a verla iba yo.
Ya nada queda
de tanta alegría.
Adiós Argentina,
vencido me voy.

Gerardo Hernán Matos Rodríguez Letra: Fernando Silva Valdés

Traduction libre

Terre généreuse, dans mes adieux, je te laisse la vie tremblante dans mes adieux. Je pars pour toujours comme un émigré à la recherche d’autres terres, à la recherche d’un autre soleil. C’est profond et c’est triste et c’est une chose qui tue que de laisser la fleur sur la plante fanée. Les sales pamperos ont sali ma chérie, au revoir, Argentine, je te laisse mon amour.
Mon âme était attachée à la sienne par des liens que ma pure affection tressait, et le gaucho, qui est homme et hautain, les brisa d’un seul coup. Pourquoi voudrais-je d’une fleur qui a déjà laissé son parfum dans les mains d’un autre homme ?
J’emporte ma guitare, femme comme elle, comme elle, elle a des rubans colorés, et, quand mes mains frôleront ses courbes, je fermerai les yeux en pensant à mon amour. Adieu, vieux ranch, tu nous abritais quand j’allais la voir le soir. Il ne reste rien de tant de joie. Adieu Argentine, vaincu, je pars.

J’ai laissé le terme « Pamperos » dans sa forme originale, car il peut y avoir différents sens. Ici, on peut penser qu’il s’agit des hommes de la pampa, vu ce qu’ils ont fait à sa china (chérie) voir l’article sur Por vos yo me rompo todo.
Le Pampero est aussi un vent violent et froid venant du Sud-ouest. Un vent qui pourrait faire du mal à une fleur. Dans un autre tango, Pampero de 1935 composé par Osvaldo Fresedo avec des paroles d’Edmundo Bianchi ; le Pampero (le vent) donne des gifles aux gauchos.

¡Pampero!
¡Viento macho y altanero
que le enseñaste al gaucho
golpeándole en la cara
a levantarse el ala del sombrero!

Pampero 1935-02-15 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray (Osvaldo Fresedo Letra: Edmundo Bianchi)

Pampero, vent macho et hautain qui a appris au gaucho en le giflant à la face à lever les ailes de son chapeau (à saluer).

Le terme de Pampero était donc dans l’air du temps et je trouve que l’hypothèse d’un quelconque malotru de la Pampa fait un bon candidat, en tout cas meilleur que le compagnon de Patoruzú, le petit Tehuelche de la BD de Dante Quinterno, puisque ce cheval fougueux n’a rejoint son compagnon qu’en 1936, 8 ans après la création de la BD et donc trop tard pour ce tango. Mais de toute façon, je n’y croyais pas.

Autres versions

D’autre versions, notamment chantées, pour vous permettre d’écouter les paroles.
Les artistes qui ont enregistré ce titre dans les années 1930 étaient tous familiers de la France. C’est dans ce pays que le tango s’est acheté une « conduite » et qu’il s’est ainsi ouvert les portes de la meilleure société argentine, puis d’une importante partie de sa communauté de danseurs, de la fin des années 30 jusqu’au milieu des années 50 du XXe siècle.

Adiós Argentina 1930-03-20 – Orquesta Típica Victor.
Adiós Argentina 1930 – Alina De Silva accompagnée par l’Orchestre argentin El Morito. Voir ci-dessous un texte très élogieux sur cette artiste paru dans une revue de l’époque.
Adiós Argentina 1930-07-18 – Alberto Vila con conjunto
Adiós Argentina 1930-12-03 – Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro
Adiós Argentina 1930-12-10 – Orquesta Francisco Canaro. Une semaine après l’enregistrement du titre avec Ada Falcón, Francisco Canaro enregistre une version instrumentale.
Adiós Argentina 1930-12-10 – Orquesta Francisco Canaro. Il s’agit du même disque que le précédent, mais lu sur un gramophone de 1920. C’est en gros le son qu’avaient les utilisateurs de l’époque… La comparaison est moins nette car pour être mis en place sur ce site, les fichiers sont environ réduit à 40 % de leur taille, mais on entend tout de même la différence.
Adiós Argentina 2001-06 – Orquesta Matos Rodríguez (Orquesta La Cumparsita). Une sympathique versión par cet orchestre à la gloire du compositeur uruguyane, autour de la musique du tango du jour.

Le succès d’une chanteuse Argentine en France, Alina de Silva

« Nous l’avons connue à l’Empire il y a quelques mois.
Son tour de chant, immédiatement et justement remarqué, réunit les éloges unanimes de la critique.
Elle s’est imposée maintenant dans la pléiade des grandes et pures artistes.
Chanteuse incomparable, elle est habitée d’une passion frémissante, qu’elle sait courber à sa fantaisie en ondes douces et poignantes à la fois.
Sur elle, notre confrère Louis-Léon Martin a écrit, ce nous semble, des phrases définitives :
“Alina de Silva chante et avec quel art. Elle demeure immobile et l’émotion naît des seules indexions de son visage et des modulations de sa voix. Elle possède cette vertu extraordinaire de paraître toute proche, comme penchée vers nous. J’ai dit sa voix calme et volontaire, soumise et impérieuse, capiteuse, passionnée, mais jamais je ne I’avais entendue s’éteindre — mais oui, tous les sens ont ici leur part — en de belles pâmoisons. Alina de Silva joue de sa voix comme les danseuses, ses compatriotes, de leurs reins émouvants et flexibles. Elle subjugue…”
Deux ans ont suffi à Mlle Alina de Silva pour conquérir ce Paris qu’elle adore et qui le lui rend bien, depuis le jour où elle pénétra dans la capitale.
La petite chanteuse argentine est devenue maintenant une » étoile » digne de figurer à côté des plus éclatantes.
Il est des émotions qui ne trompent pas. Celles que continue à nous donner Alina de Silva accroissent notre certitude dans l’avenir radieux réservé à cette artiste de haute race. »
A. B.

Et ce n’est qu’un des nombreux articles dithyrambiques qui saluent la folie du tango en France à la belle époque des années folles.

A. B. ? La Rampe du premier décembre 1929

Ainsi s’achève mon vol

Mon avion va bientôt atterrir à Madrid, c’est merveilleux de faire en si peu d’heures le long trajet qu’ont effectué en bateau tant de musiciens argentins pour venir semer le tango en Europe. Je vais essayer, lors de cette tournée européenne, de faire sentir l’âme de notre tango à tous les danseurs qui auront la gentillesse de danser sur mes propositions musicales.
À très bientôt les amis !

En lo de Laura 1943-03-12 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Antonio Polito Letra Enrique Cadícamo (Domingo Enrique Cadícamo)

Cette milonga, enregistrée il y a exactement 81 ans par D’Agostino et Vargas évoque l’un des lieux de tango semi-clandestin les plus fameux des débuts du tango. Celui qui était tenu par Laurentina Monserrat, Laura. Nous sommes à la fin du XIXe, début du XXe siècle. Je vous propose de suivre le tango dans ses berceaux interlopes, à la recherche de ses heures de gloire.

Au sujet de Sacale punta, j’ai évoqué les « maisons » de tango. Je prolonge ici l’enquête, plus au cœur de ces premiers sites, qui n’étaient pas que des lieux de danse…

Extrait musical

En lo de Laura 1943-03-12 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Les paroles

Milonga de aquel entonces
que trae un pasado envuelto…
De aquel 911
ya no te queda ni un vuelto…
Milonga que en lo de Laura
bailé con la Parda Flora
Milonga provocadora
que me dio cartel de taura…
Ah… milonga ‘e lo de Laura

Milonga de mil recuerdos
milonga del tiempo viejo.
Qué triste cuando me acuerdo
si todo ha quedado lejos…
Milonga vieja y sentida
¿quién sabe qué se ha hecho de todo?
En la pista de la vida
ya estamos doblando el codo.
Ah… milonga ‘e lo de Laura

Amigos de antes, cuando chiquilín,
fui bailarín compadrito…
Saco negro, trensillao, y bien afrancesao
el pantalón a cuadritos…
¡Que baile solo el Morocho
! — me solía gritar
la barra «
e los Balmaceda…
Viejos tangos que empezó a cantar
la Pepita Avellaneda
¡Eso ya no vuelve más!

Antonio Polito Letra Enrique Cadícamo (Domingo Enrique Cadícamo).

Traduction

Milonga de cette époque qui apporte un passé révolu…
De ce 911, il ne te reste, pas même une pièce (monnaie rendue)…
Milonga que j’ai dansée que j’ai dansée chez Laura (en lo de Laura) avec la Parda Flora…
Milonga provocatrice qui m’a donné une réputation de brave…
Ah… la milonga chez Laura…

Milonga aux mille souvenirs, milonga d’antan.
Quelle tristesse quand je me souviens que tout est si loin !
Milonga vieille et sincère, qui sait ce qu’il est devenu de tout ?
Sur la piste de la vie, nous avons atteint un âge vénérable (doblar el codo = passer un cap où il reste moins de temps à vivre que ce qu’on a vécu).
Ah… la milonga chez Laura…

Amis d’antan, quand, enfant, j’étais un danseur compadrito…
Veste noire, galon, et le pantalon bien français, à carreaux…
Q’uil danse seul, le Morocho ! (homme à la peau sombre) — avaient l’habitude de me crier la bande et les Balmaceda…
Wieux tangos qu’avait commencé à chanter la Pepita Avellaneda… (peut-être la Parda Flora)
Cela ne reviendra plus !

Une brève et caricaturale histoire du tango

On lit beaucoup de bêtises sur les prémices du tango, le mieux est donc de faire court pour limiter la liste de ces âneries. Ce que l’on peut en dire de façon à peu près certaine est qu’il n’est pas né dans les salons huppés de la bourgeoisie. Cependant, les jeunes hommes de la bonne société, les niños biens, allaient parfois s’encanailler dans les moins troubles des lieux de « divertissement » de l’époque.
Comme bien sûr, les filles de bonne famille ne pouvaient pas décemment se rendre dans les mêmes lieux, la danse se faisait avec les femmes du lieu, des banlieusardes, des soubrettes, des grisettes et des prostituées, plus ou moins raffinées. On n’y dansait donc pas entre hommes, en tout cas pas de façon généralisée et souhaitée…
Lorsque le tango est revenu couvert de gloire d’Europe et notamment de Paris, le tango s’est diffusé dans les hautes sphères. Il n’était plus nécessaire de fréquenter ce type de lieu pour le pratiquer, les femmes de la bonne société pouvaient alors s’adonner à cette danse qui s’est alors assagie. Les paroles outrancières comme celles de Villodo ont été réécrites, la danse s’est raffinée en adoptant une attitude plus droite, plus élégante, le tango était prêt à entrer dans son âge d’or. Par chance pour nous, c’est aussi plus ou moins l’époque où l’enregistrement électrique est apparu, ce qui nous permet de conserver des souvenirs sonores de bien meilleure qualité de cette époque. Enregistrement.

Allons au bordel

La maison que certains appellent pudiquement « école de danse » ou tout simplement Lo de Laura (ou du nom d’une autre tenancière) est tout simplement une maison de plaisirs. Cependant, il ne faut pas y voir nécessairement un lieu sordide, digne d’un roman de Zola.
En effet, la prostitution au XIXe siècle avait différents étages.

Les courtisanes

Tout en haut, la Courtisane. À Paris, la Paiva en était sans doute le meilleur exemple. C’était une prostituée, plus ou moins occasionnelle qui a réussi à se faire remarquer et qui est devenu une femme entretenue, par un ou plusieurs riches hommes.
Avoir une maîtresse pour un homme très riche n’était pas mal vu à l’époque, au contraire, c’est le contraire qui aurait été choquant. On aurait pensé qu’il était pingre ou ruiné, ce qui n’aurait pas été bon pour les affaires.

L’hôtel de la Païva, 25 avenue des Champs-Élysées à Paris, France,

L’hôtel de la Païva est le seul hôtel particulier restant de l’époque où on affirmait que c’étaient les Champs-Élysées qui étaient la plus belle avenue du Monde. En effet, l’horrible avenue actuelle n’a plus rien à voir avec le charme de tous ces hôtels qui rivalisaient sur les « Champs ». Même ce survivant est mis à mal, car désormais masqué par la devanture d’un bistrot.

Cliquez ce lien pour en savoir un peu plus sur ce lieu et sa propriétaire.

Les cocottes

La cocotte (cocote en espagnol) n’arrive pas au statut social des courtisanes. Elle est entretenue par divers « réguliers », mais aucun n’est suffisamment riche ou généreux pour lui permettre de s’établir dans un somptueux hôtel particulier.
Notons que les économies qu’arrivent à faire certaines leur permettent d’ouvrir des maisons, que ce soient des pensions (logements) ou des bordels. Elles continuent donc de travailler, elles-mêmes ou font travailler d’autres femmes, contrairement aux Courtisanes, qui ne travaillent plus que pour le plaisir ou leur mécène.

Les occasionnelles

L’occasionnelle est celle qui ayant du mal à boucler son budget, se livre à l’exercice moyennant finance. Elle peut être une lingère, une fille de salle, une artiste de cabaret, ou toute autre profession qui ne garantit pas un revenu suffisamment régulier et important pour vivre. Certaines auront un peu de chance dans leurs rencontres et iront rejoindre les cocotes, voire les courtisanes, mais d’autres feront cela à temps plein et entreront alors dans les maisons closes.

Les maisons closes (prostibulos)

Là encore il y a différents étages. Je ne rentrerai pas dans les détails, car cela n’aurait pas trop d’intérêt pour notre propos. Ce qu’il suffit de savoir est que pour pratiquer le tango dans les premiers temps, c’étaient des lieux où on pouvait facilement trouver une partenaire, pour danser, ou plus si affinité (et finances). En général, cela commençait avec un café, café qui reste toujours de mise dans la bouche des dragueurs des milongas portègnes…
Ces établissements étaient contrôlés, notamment pour limiter la syphilis et gérés par une ancienne prostituée, un souteneur ou quelque entrepreneur entreprenant. D’ailleurs, de très nombreuses filles pauvres, notamment des Françaises, sont venues à Buenos Aires avec les promesses d’un bel Argentin et se sont retrouvées dans ces établissements avec des fortunes très diverses. Parmi elles, on pourrait citer de nombreuses « grisettes » comme Griseta, Malena, Manón, Margot, María, Mimí, Mireya Ninón et Mademoiselle Ivonne qui devient Madame Ivonne. Cette dernière toutefois était une administratrice de pension, pas de bordel, elle a employé différemment ses économies.
Les différentes « écoles de danse » étaient donc des lieux où la danse n’était pas la seule activité.

Les « Lo »

Parmi les lieux les plus réputés pour la danse, on pourrait citer Lo de Laura, qui fait l’objet de ce tango et que nous avons déjà décrit à propos de Sacale punta, Lo de Maria la Vasca (la Basque). On cite souvent Lo de Hansen qui était un bar-restaurant créé par un Allemand, Juan Hansen, en 1877, mais il est à la fois douteux que ce fût un lieu de danse et un bordel. En revanche, Lo de Tancreli revendique les deux fonctions.

Lo de Hansen

Cet établissement était situé dans le parc 3 de febrero (Palermo) qui a été inauguré en 1875.
Pour ceux que ça intéresse, le nom vient du 3 février 1852, date de la bataille de Caseros entre les armées de Rosas et Urquiza et qui marque le début de la période nommée « organización nacional » (organisation nationale…) de l’histoire politique mouvementée de l’Argentine.
Le 4 mai 1877, Juan Hansen sollicite auprès de la commission du parc d’ouvrir un café-restaurant dans une construction du parc (probablement antérieure à la création du parc en 1875, car elle était en mauvais état. Il avait déjà un établissement depuis 1869, également à Palermo (en face de la gare). La commission accepte et Juan Hansen effectuera différents travaux comme l’ajout d’une terrasse sur le toit, le remplacement du plancher par un carrelage, l’agrandissement des fenêtres existantes et la construction d’un salon supplémentaire.

Le café de Hansen, ici nommé « Restaurant del Parque 3 de Febrero » et la mention J Hansen sur la droite de la façade. À droite, une vue « intérieure ». On voit sur ces deux photos les aménagements proposés à la commission : Le carrelage et la terrasse panoramique.

Le café restaurant ouvre donc, mais se livrerait à d’autres activités, comme l’avancent « José Sebastian Tallón dans El tango en su etapa de música prohibida. Buenos Aires, Instituto Amigos del Libro Argentino, 1959 et repris par Enrique Horacio Puccia dans “el Buenos Aires de Ángel Villoldo”. »
« Hansen à Palermo, était un mélange de bordel somptueux et de restaurant. Un commerce de précurseurs, pourrait-on dire, avec en prime les bagarres fréquentes, le cabaret tumultueux qui a précédé les actuels. Ce fut la cour de récréation de bacancitos (petits chefs) et compadritos comme ils se définissent eux-mêmes. Et des bagarreurs et des gens ayant divers problèmes. »
Cependant, plus qu’un bordel, c’était une « Chupping house » comme disent élégamment les Argentins qui ne veulent pas parler de la chose et la déguisent par une expression anglaise qui pourrait se traduire par masturbation. Il semblerait que les bosquets avoisinants aient été propices à ces activités, notamment la nuit.
En effet, le café de Hansen avait deux visages. Il était ouvert en permanence. De jour, il accueillait les promeneurs qui venaient se rafraîchir et manger et de nuit, les fêtards et fauteurs de trouble s’y retrouvaient.
Parmi eux, les amateurs de tango. Ceux-ci venaient écouter, car il était interdit de le danser, comme l’affirment notamment Amadeo Lastra et Miguel Angel Scenna.
Cependant, plusieurs témoignages indiquent que l’on dansait tout de même au son de la musique dans les alentours de l’établissement. Dans ce sens, je vous propose le témoignage de Félix Lima :

« Se bailaba? Estaba prohibido el bailongo, pero a retaguardia del caserón de Hansen, en la zona de las glorietas tanguea base liso, tangos dormilones, de contrabando. Los mozos hacían la vista gorda. El tango estaba en pañales. A un no había invadido los salones de la « haute ». Solamente lo bailaban las mujeres alegres »

« Est-ce qu’on y dansait ? Il était interdit de faire du bailongo, mais à l’arrière de l’établissement d’Hansen, dans la zone des gloriettes, il se dansait des tangos tranquilles, des tangos lascifs (endormis), de contrebande. Les serveurs faisaient semblant de ne pas voir (vista gorda). Le tango avait encore des couches (était bébé). Il n’avait pas encore investi les salons de la « haute ». Seules les femmes légères (alegres) le dansaient.

El Esquinazo, un succès à tout rompre

C’est dans cet établissement qu’a eu lieu l’incroyable succès de El Esquinazo d’Ángel Gregorio Villoldo. Voici comment le raconte Pintin Castellanos dans Entre cartes y quebradas, candombes, milongas y tangos en su historia y comentarios. Montevideo, 1948.
Pintin parle du Café Tarana qui était le nom de l’époque du Café de Hansen (qui était mort le 3 avril 1891). Anselmo R. Tarana avait lorsqu’il en devint le propriétaire le 8 mai 1903, adopté le nom « Restaurante Recreo Palermo. Antiguo Hansen ». Mais pour les clients, c’était Lo de Hansen ou Lo de Tarana. Signalons que Tarana avait cinq voitures, pour raccompagner les clients à domicile, ce qui témoigne bien du succès.
La composition de Villoldo a été un triomphe […]. L’accueil du public fut tel que, soir après soir, il se rendit au et le rythme diabolique du tango susmentionné commença à rendre peu à peu tout le monde fou. Pour avoir une idée de comment c’était joué à l’époque, un enregistrement de 1909 sorti le 5 mars 1910.

El esquinazo 1910-03 05 — Estudiantina Centenario dirige par Vicente Abad (Ángel Gregorio Villoldo Letra Carlos Pesce ; A. Timarni [Antonio Polito])

Tout d’abord, et avec une certaine prudence, les clients ont accompagné la musique de « El Esquinazo » en tapant légèrement avec leurs mains sur les tables.
Mais les jours passaient et l’engouement pour le tango diabolique ne cessait de croître.
Les clients du Café Tarana ne se contentaient plus d’accompagner avec le talon et leurs mains. Les coups, en gardant le rythme, augmentèrent peu à peu et furent rejoints par des tasses, des verres, des chaises, etc.
Mais cela ne s’est pas arrêté là […] Et il arriva une nuit, une nuit fatale, où se produisit ce que le propriétaire de l’établissement florissant ressentait depuis des jours. À l’annonce de l’exécution du tango déjà consacré de Villoldo, une certaine nervosité était perceptible dans le public nombreux […] l’orchestre a commencé le rythme rythmique de « El Esquinazo » et tous les assistants ont continué à suivre leur rythme avec tout ce qu’ils avaient sous la main : chaises, tables, verres, bouteilles, talons, etc. […]. Patiemment, le propriétaire (Anselmo R Tarana) a attendu la fin du tango du démon, mais le dernier accord a reçu une standing ovation de la part du public. La répétition ne se fit pas attendre ; et c’est ainsi qu’il a été exécuté un, deux, trois, cinq, sept… Finalement, de nombreuses fois et à chaque interprétation, une salve d’applaudissements ; et d’autres choses cassées […] Cette nuit inoubliable a coûté au propriétaire plusieurs centaines de pesos, irrécouvrables. Mais le problème le plus grave […] n’était pas ce qui s’était passé, mais ce qui allait continuer à se produire dans les nuits suivantes.
Après mûre réflexion, le malheureux « Paganini » des « assiettes brisées » prit une résolution héroïque. Le lendemain, les clients du café Tarana ont eu la désagréable surprise de lire une pancarte qui, près de l’orchestre, disait : « Est strictement interdite l’exécution du tango el esquinazo ; La prudence est de mise à cet égard. »

Lo de María la Vasca

Cette maison était située en la calle Europa, aujourd’hui, Carlos Calvo au n° 2721. Elle appartenait à Carlos Kern (El Ingles) et sa femme, María Rangolla, une basque française) et une ancienne prostituée, devenue Courtisane la gérait.
C’est là que Rosendo Mendizábal a lancé « El Entrerriano », voir cela dans l’article sur Sacale punta.

El entrerriano 1910-03-05 Estudiantina Centenario dir. Vicente Abad (enregistré en 1909, sortie du disque le 5 mars 1910). Une sympathique version avec une jolie mandoline.
Extérieur et patio de la casa de Maria la Vasca.

Le mari de la Vasca, Carlos Kern dont l’autre surnom était Matasiete (tue sept en référence à son imposante stature) veillait à ce que les dames de la maison soient respectées.

Un mural réalisé par Eduardo Sabado, Ernesto Martinchuk en décembre 2024, représente Lo de María la Vasca.

Un film un peu particulier sur cette maison : Origines prohibidos y prostibularios del tango — María Aldaz. Il y a beaucoup à lire, plus qu’à regarder, c’est comme un immense générique, ou un livre à défilement automatique, mais ce travail est intéressant si vous avez le courage de vous y plonger.

Origines prohibidos y prostibularios del tango par María Aldaz

La Parda Loreto

Le mari de la Vasca possédait un autre lieu, plus modeste qui était situé à Chile au 1567 à la Societad Patria e Lavoro. Cet immeuble n’existe plus. Sa danseuse la plus réputée était « La Parda » Loreto.
Avec le paiement d’un supplément, il était possible de profiter d’une chambre avec une des belles du bal.
Cette « annexe » de Lo de la Vasca, n’était pas forcément bien vue par Maria, qui était à juste titre jalouse de ce qui s’y passait avec son mari.

Lo de Laura

Lo de Laura est l’établissement en l’honneur duquel a été écrite la milonga du jour.
Elle était située en Paraguay 2512. J’en ai parlé à propos de Sacale punta.
Cette maison était beaucoup plus grande que celle de María la Vasca.

Lo de Laura (Laurentina Monserrat). Cette « maison » était située en Paraguay 2512. C’est maintenant une maison de retraite…

Sa fréquentation était plus élitiste que celles des toutes les autres maisons.

Les maisons de tango dans les paroles de tangos

Voici quelques tangos qui parlent de ces maisons, comme Lo de Laura.

En lo de Laura 1943-03-12 — Antonio Polito Letra Enrique Cadícamo

Lo de Laura

C’est le tango du jour, voir donc ci-dessus, mais ne boudons pas le plaisir d’écouter de nouveau nos deux anges. Vargas et D’Agostino.

En lo de Laura 1943-03-12 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

No aflojés (Pedro Maffia et Sebastián Piana Letra : Mario Battistella)

Lo de Laura et Lo de María la Vasca

 « Vos fuiste el rey del bailongo en lo de Laura y la Vasca… »

No aflojés 1940-11-13 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas (Pedro Maffia ; Sebastián Piana Letra: Mario Battistella)

Tiempos viejos (Francisco Canaro Letra:  Manuel Romero)

Lo de Laura et lo de Hansen

En 1926, Carlos Gardel enregistrait le bon vieux temps, celui des « maisons » de danse, ces bordels de luxe où on dansait le tango et cherchait la compagnie des femmes. La musique est de Francisco Canaro et les paroles de Manuel Romero.

Tiempos viejos (Te acordás hermano) 1926 — Carlos Gardel avec les guitares de Guillermo Barbieri et José Ricardo (Francisco Canaro Letra: Manuel Romero)

Canaro l’a enregistré à de multiples reprises, mais seulement à partir de 1927, notamment avec sa compagne officieuse, Ada Falcón.

Tiempos viejos (Te acordás hermano) 1931-12-17 — Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro. C’est une autre version « chanson ».

Je reviendrai à l’occasion du tango du jour sur une version de danse de ce titre, notamment le 28 septembre avec la version enregistrée en 1937 par Francisco Canaro et Roberto Maida.

¿Te acordás, hermano ? ¡Qué tiempos aquéllos!
Eran otros hombres más hombres los nuestros.
No se conocían cocó ni morfina,
los muchachos de antes no usaban gomina.

¿Te acordás, hermano? ¡Qué tiempos aquéllos!
¡Veinticinco abriles que no volverán!
Veinticinco abriles, volver a tenerlos,
si cuando me acuerdo me pongo a llorar.

¿Dónde están los muchachos de entonces?
Barra antigua de ayer ¿dónde está?
Yo y vos solos quedamos, hermano,
yo y vos solos para recordar…
¿Dónde están las mujeres aquéllas,
minas fieles, de gran corazón,
que en los bailes de Laura peleaban
cada cual defendiendo su amor?

¿Te acordás, hermano, la rubia Mireya,
que quité en lo de Hansen al loco Cepeda?

Casi me suicido una noche por ella
y hoy es una pobre mendiga harapienta.
¿Te acordás, hermano, lo linda que era?
Se formaba rueda pa’ verla bailar…
Cuando por la calle la veo tan vieja
doy vuelta la cara y me pongo a llorar.

Francisco Canaro Letra: Manuel Romero

On note plusieurs éléments dans le texte, que j’ai mis en gras et que je traduis ici :
On ne connaissait pas la cocaïne ni la morphine (pas de drogue autre que le tabac).
Les gars d’avant n’utilisaient pas de gomina (le film argentin d’Enrique Carreras ; Los muchachos de antes no usaban gomina sorti le 13 mars 1969 prétend représenter cette époque et a choisi cette phrase de la chanson comme titre.
Tu te souviens, frérot, de la blonde Mireya, que j’ai piqué à Lo de Hansen au fou Cepeda ? Il a piqué la copine française, Mireille, à Cepeda, le poète Andrés Cepeda [surnommé le Loco ou le mauvais, il était de plus anarchiste] et il a failli se suicider pour elle et aujourd’hui, elle est une mendiante.

La Vasca [Juan Calos Bazán]

Lo de María la Vasca

Couverture de la partition pour piano de la Vasca de Juan Carlos Bazan.

On a la partition, mais pas d’enregistrement de ce tango.

El fueye de Arolas [Pedro Laurenz Letra : Héctor Marcó]

Lo de Hansen

Lo de Hansen est cité dans « El fueye de Arolas » [Le bandonéon d’Arolas] écrit à la mémoire d’Arolas par Héctor Marcó en 1951, à l’occasion du retour des restes d’Arolas de Paris à Buenos Aires :
No ronda en las noches de Hansen al muelle [Il s’agit du quai de la Marne, Arolas étant mort à Paris]. La mention de Lo de Hansen est donc très sommaire, mais ça prouve qu’en 1924, l’établissement rasé en 1912 restait dans les mémoires).
Pedro Laurenz le mettra en musique, mais il n’a probablement pas été enregistré.

La Pishuca — El baile en lo de Tranqueli

Noté par Eduardo Barberis le 25 avril 1905 (compositeur anonyme).

Lo de Tranqueli, cet établissement de bas étage était situé à l’angle sud-est des rues Suárez y Necochea (La Boca). L’immeuble n’en a plus pour très longtemps, il est désaffecté. À droite, la partition avec la retranscription des paroles qui sont assez difficiles à comprendre.

Eduardo Barberis (qui a fait un travail ethnographique en récoltant ce tango) a essayé de reproduire la façon de chanter ce qu’il entendait. Cela rend la partition moins compréhensible. Je vous propose une version probable et une traduction approximative à la suite…

Anoche en lo de Tranqueli
Bailé con la Boladora
Y estaba la parda Flora
Que en cuanto me vio estriló,
Que una vez en los Corrales
En un cafetín que estaba,
Le tuve que dar la biaba
Porque se me reversó.

Premier couplet du tango qui en compte cinq, de la même eau…

Hier soir à lo de Tranqueli, j’ai dansé avec la Boladora. Il y avait la Parda Flora (Uruguayenne mulâtresse ayant travaillé à Lo de Laura et danseuse réputée). Quand elle m’a vu elle s’est mise en colère, car aux Corrales dans un café où elle était, j’avais dû lui donner une branlée, car j’étais à l’envers (retourné, pas dans mon assiette).
Je propose de rapprocher la Parda Flora de Pepita Avellaneda, qui si elle n’est pas la même a un parcours très similaire : Uruguay, Lo de Laura, Flores et la Boca.
Aux Corrales viejos a eu lieu le 22 juin 1880, le dernier combat des guerres civiles argentines. Les forces nationales y ont remporté la dernière manche contre les rebelles de la Province de Buenos Aires.

Los Corrales Viejos (situé à Parque Patricios). On voit qu’on n’est pas dans l’ambiance feutrée des salons parisiens, ni même dans celle de Lo de Laura…

Selon le poète Miguel A.Camino, le tango est né aux Corrales Viejos dans les années 80, les duels au couteau leur ont appris à danser, le 8 (ocho) et la sentada, la media luna et le pas en arrière.
Lo de Tranqueli fait partie des piringundines, les bordels où on danse, mais de bas étages. Rien à voir avec les établissements de plus haute tenue comme Lo de Laura.
Fernando Assuncao, dans « El tango y sus circunstancias » mentionne cette uruguayenne fameuse qui gérait un bordel en Montevideo où il y avait régulièrement (pour ne pas dire tout le temps du grabuge). On lui attribue la phrase « ¡Que haiga relajo pero con orden! », que ce soit détendu, mais avec de l’ordre !

En guise de conclusion, provisoire…

Il est étonnant et intéressant de voir comment le tango s’est frayé un chemin des faubourgs et de la prostitution de bas étage, jusqu’aux plus hautes classes de la société. Nous avons développé aujourd’hui la première étape, celle où le tango est interdit de danse dans les lieux publics et doit donc se cacher dans des établissements déguisés sous le nom d’école de danse ou de bordels.
J’ai passé sous silence la danse dans les conventillos (habitats populaires), mais on imagine que les fanatiques du tango devaient saisir toutes les occasions possibles, dans les gloriettes où on pouvait entendre la musique de chez Hansen, jusqu’à la musique des manèges pour enfants (les calecitas).
Progressivement, il se trouve un chemin et va être dansé dans de nouveaux lieux, comme ici au Théâtre de la rue de la rue Victoria.

El Teatro de la Victoria. On trouve en général la photo de droite associée à Lo de Laura. Il s’agit en fait d’une photographie réalisée en 1905 au Teatro de la Victoria qui était situé au 954 de la calle Victoria (actuelle Hipolito Irigoyen).

L’étape suivante se passe en Europe, nous aurons l’occasion d’y revenir.
À suivre…

Danseurs en Lo de Laura — Reconstitution fantaisiste à tous points de vue.

Cornetín 1943-03-05 Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino

Pedro Maffia Letra : Homero Manzi ; Cátulo Castillo

Le tango du jour, Cornetín, évoque le cornet autrefois utilisé par les « conductors» del tranvía a motor de sangre (les chargés de clientèle des tramways à moteur de sang, c’est-à-dire à traction animale). Il a été enregistré il y a exactement 81 ans.

Éléments d’histoire du tranvía, le tramway de Buenos Aires)

Les premiers tramways étaient donc à traction animale. Vous aurez noté que les Argentins disent à moteur de sang pour ce qui est traction humaine et animale. Cela peut paraître étrange, mais quand on pense au prix que payaient les chevaux qui tiraient les tranvías de Buenos Aires, l’expression est assez parlante.

Tranvías a motor de sangre en la Boca (Puente Puyrredon)

En effet, à Buenos Aires, les chevaux étaient durement exploités et avaient une durée d’utilisation d’environ deux ans avant d’être hors d’usage contre une dizaine d’années en Europe, région où le cheval coûtait cher et était donc un peu plus préservé.
Nous avons déjà vu les calesitas qui étaient animées par un cheval, jusqu’à ce que ce soit interdit, tout comme, il n’y a que très peu d’années, les cartoneros de Buenos Aires n’aient plus le droit d’utiliser des chevaux. L’ironie de l’histoire est que l’arrêt de l’utilisation des chevaux a été édicté pour éviter la cruauté envers les animaux, mais maintenant, ce sont des hommes qui tirent les charrettes de ce qu’ils ont récupéré dans les poubelles.
Dans la Province de Buenos Aires, le passage de la traction animale à la traction électrique s’est fait autour de 1915, sauf pour quelques compagnies résistantes à ce changement et qui ont continué jusqu’à la fin des années 20.
Il faut aussi noter que la réticence des passagers à la traction électrique, avec la peur d’être électrocuté, est aussi allée dans ce sens. Il faut dire que les étincelles et le tintement des roues de métal sur les rails pouvaient paraître inquiétants. Je me souviens que quand j’étais gamin, j’aimais regarder le conducteur du métro, fasciné par les nuées d’étincelles qui explosaient dans son habitacle. Je me souviens également d’un conducteur qui donnait des coups avec une batte en bois sur je ne sais quel équipement électrique, situé à la gauche de la cabine. C’était le temps des voitures de métro en bois, elles avaient leur charme.

Retour au cornetín

Celui qui tenait le cornetín, c’est le conductor. Attention, il n’est pas celui qui mène l’attelage ou qui conduit les tramways électriques, c’est celui qui s’occupe des passagers. Le nom peut effectivement porter à confusion. Le conducteur, c’est le mayoral que l’on retrouve également, héros de différents tangos que je présenterai en fin d’article.
Le cornetín servait à la communication entre le mayoral (à l’avant) et le conductor à l’arrière). Le premier avait une cloche pour indiquer qu’il allait donner le départ et le second un cornet qui servait à avertir le conducteur qu’il devait s’arrêter à la suite d’un problème de passager. Le conducteur abusait parfois de son instrument pour présenter ses hommages à de jolies passantes.
C’est l’histoire de ce tango.

Extrait musical

Cornetín 1943-03-05 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino

Les paroles

Tarí, Tarí.
Lo apelan Roque Barullo
conductor del Nacional.

Con su tramway, sin cuarta ni cinchón,
sabe cruzar el barrancón de Cuyo (al sur).
El cornetín, colgado de un piolín,
y en el ojal un medallón de yuyo.

Tarí, tarí.
y el cuerno listo al arrullo
si hay percal en un zaguán.

Calá, que linda está la moza,
calá, barriendo la vereda,
Mirá, mirá que bien le queda,
mirá, la pollerita rosa.
Frená, que va a subir la vieja,
frená porque se queja,
si está en movimiento.
Calá, calá que sopla el viento,
calá, calá calamidad.

Tarí, tarí,
trota la yunta,
palomas chapaleando en el barrial.

Talán, tilín,
resuena el campanín
del mayoral
picando en son de broma
y el conductor
castiga sin parar
para pasar
sin papelón la loma
Tarí, tarí,
que a lo mejor se le asoma,
cualquier moza de un portal

Qué linda esta la moza,
barriendo la vereda,
mirá que bien le queda,
la pollerita rosa.
Frená, que va a subir la vieja,
Frená porque se queja
si está en movimiento,
calá, calá que sopla el viento,
calá, calá calamidad.

Tarí, Tarí.
Conduce Roque Barullo
de la línea Nacional.

Pedro Maffia Letra : Homero Manzi ; Cátulo Castillo

Parmi les détails amusants :

On notera le nom du conducteur du tranvía, Barullo, qui en lunfardo veut dire bagarreur. Encore un tango qui fait le portrait d’un compadrito d’opérette. Celui-ci fait ralentir le tranvía pour faciliter la montée d’une ancienne ou d’une belle ou tout simplement admirer une serveuse sur le trottoir.

Le Tarí, Tarí, ou Tará, Tarí est bien sûr le son du cornetín.

“sabe cruzar el barrancón de Cuyo” – El barrancón de Cuyo est un ravin, comme si le tranvía allait s’y risquer. Cela a dû paraître extravagant, car dans certaines versions, c’est tout simplement remplacé par el sur (dans le même sens que le Sur de la chanson de ce nom qui est d’ailleurs écrite par le même Homero Manzi. D’ailleurs la ligne « nacionale » pouvait s’adresser à celle de Lacroze qui allait effectivement dans le sud.

Tangos sur le tranvía

Cornetín (le thème du jour de Pedro Maffia Letra : Homero Manzi; Cátulo Castillo)

El cornetín (Cornetín) 1942-12-29 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán.

C’est le premier de la série à être enregistré.

Cornetín 1943-03-05 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino. C’est le tango du jour.

Cornetín 1943-04-05 — Libertad Lamarque con orquesta dirigida por Mario Maurano.

Cornetín 1943-04-05 — Libertad Lamarque con orquesta dirigida por Mario Maurano.

Cette chanson a été enregistrée un mois, jour pour jour, après la version de Di Sarli. Cette version, plutôt chanson est tout de même dansée dans le film Eclipse de sol de Luis Saslavsky d’après un scénario d’Homero Manzi tiré de l’œuvre d’Enrique García Velloso. Le film est sorti le 1er juillet 1943.
Cet extrait nous permet de voir comment était organisé un tranvía a motor de sangre, avec son mayoral à l’avant, conduisant les chevaux et son conductor, à l’arrière, armé de son cornetín.

Cornetín 1950-07-28 Nelly Omar con el conjunto de guitarras de Roberto Grela.

Après une courte intro sur un rythme à trois temps, Nelly Omar chante sur un rythme d’habanera. Le résultat est très sympa, l’équilibre entre la voix de Nelly et la guitare de Roberto Grela et ses fioritures est agréable.

  • Je vous dispense de la version de De Angelis de 1976…

Autres titres parlant du tranvía

El cochero del tranvía 1908 Los Gobbi (Alfredo Gobbi y Flora Gobbi) – Ángel Gregorio Villoldo (MyL).

Le son est pénible à écouter, c’est un des tout premiers enregistrements et c’est plus un dialogue qu’une chanson. C’est pour l’intérêt historique, je ne vous en voudrai pas si vous ne l’écoutez pas en entier.

El cornetín del tranvía 1938-06-09 – Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar / Antonio Oscar Arona Letra : Armando Tagini. Une belle version de ce titre.
El mayoral 1946-04-24 (milonga candombe) — Orquesta Domingo Federico con Oscar Larroca.mp 3/José Vázquez Vigo Letra: Joaquín Gómez Bas.

Au début, les annonces du départ et le adios final, vraiment théâtral. Sans doute pas le meilleur de Larocca.

El mayoral del tranvía (milonga) 1946-04-26 Orquesta Alfredo De Angelis con Julio Martel / Francisco Laino; Carlos Mayel (MyL)
Milonga del mayoral 1953 – Orquesta Aníbal Troilo con Jorge Casal y Raúl Berón arrangements d’Astor Piazzolla/Aníbal Troilo Letra: Cátulo Castillo

Un tango qui est plus une nostalgie de l’époque des tranvías

En effet, les tranvías ont terminé leur carrière à Buenos Aires en 1962, soit environ un siècle après le début de l’aventure.

Tiempo de tranvías 1981-07-01 Orquesta Osvaldo Pugliese con Abel Córdoba / Raúl Miguel Garello Letra : Héctor Negro.

Un truc qui peut plaire à certains, mais qui n’a aucune chance de passer dans une de mes milongas. L’intro de 20 secondes, sifflée, est assez originale. On croirait du Morricone, mais dans le cas présent, c’est un tranvía, pas un train qui passe.

Tiempo de tranvías 2012 — Nelson Pino accompagnement musical Quinteto Néstor Vaz / Raúl Miguel Garello Letra : Héctor Negro.

Petits plus

« Los cocheros y mayorales ebrios, en servicio, serán castigados con una multa de cinco pesos moneda nacional, que se hará efectiva por medio de la empresa ». Les cochers et conducteurs (plus tard, on dira les

On appelle souvent les colectivos de Buenos Aires « Bondis ». Ce nom vient du nom brésilien des tramways, « Bonde ». Sans doute une autre preuve de la nostalgie du tranvía perdu.

Quelques sources

Tranvías a motor de sangre en la Boca (Puente Puyrredon)
Un des premiers tramways électriques à avoir une grille pour sauver les piétons qui seraient percutés par le tramway. Cette grille pouvait se relever à l’aide d’une chaîne dont l’extrémité est dans la cabine de conduite.
Motorman levant la rejilla 1948 (Document Archives générales de la nation Argentine)

5 Coches del Tranvía eléctrico de la calle Las Heras, doble pisos.

Coches del Tranvía eléctrico de la calle Las Heras, doble pisos.
Reconstitution du tranvía du film « Eclipse de sol », car il n’apparait pas en entier dans le film, car la scène est trop petite.
À l’époque de notre tango (ici en 1938, donc 3 ans avant), c’est ce type de tramway qui circule. on comprend la nostalgie des temps anciens.
Trafic compliqué sur la Plaza de Mayo en 1934. À l’arrière-plan, les colonnes de la cathédrale. Trois tranvías électriques essayent de se frayer un passage. On remarque la grille destinée à éviter aux piétons de passer sous le tramway en cas de collision.