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Flor de tango 1945-08-28 – Orquesta Osvaldo Pugliese

Julio Carrasco

Ce tango enregistré par Pugliese est une composition de Julio Carrasco, un violoniste qui fut fidèle pendant près de 30 ans à l’orchestre. Comme beaucoup des membres de l’orchestre de Pugliese, il était aussi arrangeur et compositeur et sans doute amateur de fleurs, puisque deux de ses titres les plus célèbres sont De floreo et Flor de tango.

Nous sommes ici en présence du premier titre de la trilogie proposée par Pugliese et Carrasco : 

  • Flor de tango 1945-08-28
  • De floreo 1950-03-29
  • Mi lamento 1954-03-17

Extrait musical

Flor de tango 1945-08-28 – Orquesta Osvaldo Pugliese

La musique est sans doute un peu trop déstructurée pour les danseurs d’aujourd’hui. L’alternance des légatos et staccatos, par exemple, peut surprendre. On est dans l’héritage de De Caro, cet orchestre qu’admirait Pugliese. Cela rend donc l’œuvre plus difficile à danser pour les danseurs contemporains qui sont moins habitués à l’improvisation, car dansant sur des enregistrements connus par cœur.
À l’âge d’or, les danseurs découvraient « en direct » les nouveautés et ils devaient donc être plus attentifs à la musique.
En résumé, je ne passerai ce titre en milonga qu’avec des danseurs bien familiarisés avec cette façon de danser, d’autant plus que le mode mineur adopté peut donner une pincée de tristesse qui pourrait s’ajouter aux hésitations provoquées par les surprises (richesses) de la musique et faire que le moment ne soit pas aussi agréable que possible.
On notera toutefois la beauté de la musique avec le beau solo de violon à 1:30 et la variation virtuose des bandonéons en final.

Il n’y a pas d’autre version enregistrée

Comme cela arrive pour les chefs-d’œuvre, personne n’a osé enregistrer le titre après San Pugliese.

Il n’y a donc pas d’autres versions. Cependant, en plus des éléments de la trilogie déjà évoqués, Carrasco a écrit, dans une époque plus ancienne, quelques titres parmi lesquels :

Stud El Pueblo 1929-03-06 – Orquesta Francisco Canaro. Comme le nom l’indique (Stud = cheval de course ou une écurie de course), il s’agit d’un titre parlant de chevaux…
La couverture de la partition de Stud El Pueblo où on apprend que c'était un succès de Bachicha qui avait gagné un deuxième accessit lors d'un concours dirigé par Francisco Canaro.
La couverture de la partition de Stud El Pueblo où on apprend que c’était un succès de Bachicha qui avait gagné un deuxième accessit lors d’un concours dirigé par Francisco Canaro.

Canaro et Carrasco sont Uruguayens. C’était donc probable qu’ils se retrouvent à Montevideo pour ce concours. Bachicha (Juan Bautista Deambroggio) est Argentin, mais il allait régulièrement à Montevideo depuis 1916.

Noches de carnaval 1929-10-09 – Orquesta Francisco Canaro.

La trilogie de Julio Carrasco

Je vous propose pour terminer de réécouter la trilogie avec Pugliese à partir d’un extrait de mon article sur De Floreo.
Je pense qu’il est intéressant de noter l’évolution et les similitudes sur la décennie de cette trilogie.

Flor de tango 1945-08-28 – Orquesta Osvaldo Pugliese. C’est notre tango du jour.
De floreo 1950-03-29 – Orquesta Osvaldo Pugliese.

Les bandonéons lancent un rythme très marqué, lié par quelques glissandos des violons. Puis à 0:35 les violons prennent le dessus dans le staccato avec de légers motifs de piano de Pugliese.
Comme il est habituel à cette époque pour Pugliese, l’œuvre est construite par des touches successives en legato et staccato. Cette organisation semble indiquer aux danseurs quoi faire. Encore faut-il que les danseurs soient attentifs aux changements d’expression, car une écoute trop légère ferait manquer les transitions et danser à contrecourant. C’est ce qui peut rendre certains titres de Pugliese si passionnants, mais parfois difficiles à danser. Contrairement à ce qui est généralement exprimé, je ne pense pas que Pugliese soit à réserver aux excellents danseurs.
Certains y voient une musique romantique et tranquille, à danser avec une personne de cœur. D’autres se déchaînent dans des envolées incompréhensibles, pensant révolutionner l’art de la danse et laisser un public ébloui à la limite de l’évanouissement devant tant de génie.
Entre ces deux extrêmes, il y a les danseurs qui écoutent la musique et qui savent adapter leur danse aux évolutions de la musique, tout en respectant les autres danseurs.
Il n’y a donc pas besoin d’être un excellent danseur, seulement un excellent auditeur.
Bien sûr, ceux qui peuvent être les deux existent, mais dans un beau bal, avec des danseurs qui dansent en musique, il y a une vibration particulière sur la piste durant les tandas de Pugliese.
À 1:40 commence le passage que l’on ne peut pas louper et danser mal, le sublime solo de violon de Enrique Camerano qui se dilue ensuite dans les accords nerveux des bandonéons, puis des autres instruments.
Le thème du solo de violon ressurgit ensuite jusqu’au final et l’interprétation se termine par les deux accords traditionnels chez beaucoup d’orchestres, dont celui de Pugliese.

Pour rester dans la dansabilité. On remarquera que la présence d’un rythme bien marqué au début inspire la confiance des danseurs. Les phrases musicales sont plus claires et les transitions de danse plus faciles à prévoir. Certains motifs peuvent susciter de belles improvisations ou a minima des fioritures élégantes, permettant ainsi de danser De floreo…
Et le solo de violon devrait faire fondre les danseurs à coup sûr et donc participer au succès de la danse.

Mi lamento 1954-03-17 – Orquesta Osvaldo Pugliese.

Mi lamento démarre avec une rythmique appuyée qui sécurise les danseurs, mais, par la suite, on retrouve des éléments d’insécurité, comme avec Flor de tango dont il partage la tonalité de Fa # mineur. Certains passages, comme à 1:35, sans doute un peu trop calmes, peuvent enlever un peu d’énergie aux danseurs. Cela n’empêche pas de le passer, mais il convient de bien juger de l’atmosphère du bal pour le passer à bon escient en étant prêt à relancer la machine si l’on sent que les danseurs ne suivent pas cette proposition.
Comme dans les deux œuvres précédentes, on retrouve le solo de violon à 1:50. Après tout, Julio Carrasco est violoniste et il est donc logique qu’il mette en valeur son instrument. Là encore, c’est Enrique Camerano qui interprète en sa qualité de premier violon le solo qui sera évoqué jusqu’à la fin, comme pour De floreo et contrairement à Flor de tango, où il est effacé par les bandonéons à la fin.
La réputation de Julio Carrasco aurait pu lui ouvrir la carrière de premier violon dans l’orchestre de Pugliese, mais celui-ci a décliné l’invitation lors du départ de l’orchestre de Enrique Camerano.
Cette évolution va donc d’une musique très decaréenne (de De Caro) a une musique au rythme plus appuyé, plus facile à danser. Les solos de violons sont tous les trois intéressants.

À bientôt, les amis !

Fruta prohibida 1930-08-05 – Orquesta Típica Brunswick dirigée par Juan Polito

B. Nortoni

Fruta, Fruto, qui se frotte à ces deux mots, peut être étonné. En fait, les deux termes sont interchangeables en Argentine, sauf peut-être pour les botanistes. Dans la vie courante, on peut aller dans un mercado de frutos pour acheter des frutas ou l’inverse. Quoiqu’il en soit, vous vous demandez peut-être en quoi une scie peut avoir un rapport avec un fruit défendu. Je vais vous le faire entendre, avec ce vieux tango, bien canyengue.

Extrait musical

Fruta prohibida 1930-08-05 – Orquesta Típica Brunswick dir. Juan Polito.

Pas besoin de l’écouter en entier pour identifier qu’il correspond à ce que l’on appelle maintenant le style canyengue. Un style que certains continuent de pratiquer, même à Buenos Aires, où on ne passe en général pas ce type de musique. Les aficionados le font sur un Canaro ou un Lomuto un peu plan-plan, par exemple, mais qui n’est pas du canyengue pur et dur comme on peut en entendre en Europe.
Vous remarquez les sonorités un peu étranges de la scie musicale (serrucho) de 1:05 à 1:37. Je vous en dirai plus sur cet instrument en fin d’article.
Je ne sais pas qui en joue. Peut-être le frère de Juan Polito, Salvador. Il est violoniste (et parolier). Il est envisageable de réduire le pupitre des violons pour y placer la scie musicale qui joue 30 secondes.

Un peu plus d’incertitudes sur ce tango

Ce tango composé par B. Nortoni est probablement le seul de ce compositeur qui nous soit parvenu sous forme de disque.
En revanche, j’ai trouvé un tango du même titre, publié à Madrid en 1927, mais attribué à d’autres auteurs.

La mention du tango Fruta probibida dans le journal espagnol « El Debate » du 13 novembre 1927. En bas à gauche, la couverture de la partition.

Dans le journal El Debate daté du 13 novembre 1927, on trouve la mention d’un tango de Enrique Bregel (1893-1981) et Samuel Herrera (?-1985) appelé Fruta prohibida.
J’ai trouvé la couverture de la partition sur laquelle il y a une femme, peut être le fruit défendu ? Les paroles de Manuel Feijoó (1904-1938) et Vincente Moro (?-1947) pourraient nous aider à en savoir plus.
Pour savoir si la musique est la même que celle du tango attribué à B. Nortoni, il faudrait pouvoir trouver un enregistrement ou la partition. Je n’ai pas trouvé d’enregistrement et malheureusement, la partition n’est pas consultable depuis Buenos Aires, seulement sur les ordinateurs de la Bibliothèque Nationale Espagnole à Madrid.
“Esta obra es de acceso restringido. Puede acceder a ella en ordenadores específicos de las instalaciones de la BNE / Restricted access to this document. It is only available on specific computers at BNE facilities.”
Ce ne serait pas la première fois qu’une œuvre espagnole se retrouve sous la bannière argentine. B. Nortoni a-t-il signé trois ans plus tard, un tango écrit en Espagne ? Est-ce simplement une coïncidence. Difficile de le confirmer sans accès à la partition. Si quelqu’un de Madrid peut aller à la BNE pour obtenir cette partition…

Une scie musicale

En français, une scie désigne également une œuvre un peu répétitive et peu enthousiasmante. Mais la scie musicale est un instrument de musique.

À gauche, Marlene Dietrich jouant da la scie musicale pour les soldats américains. Dominique Pinon, à droite, joue de la scie musicale dans le film de Caro et Jeunet « Delicatessen » (1991). Au centre, une scie musicale française de 1930.

La scie musicale est un instrument idiophone, c’est-à-dire que le son est produit par le matériau de l’instrument. L’instrument ressemble à une scie égoïne, sans les dents et avec une poignée plus grande, car elle est destinée à être maintenue entre les cuisses. L’autre extrémité est maintenue entre le pouce et l’index ou mieux maintenue par une manette de flexion qui permet de maintenir la torsion de la lame avec moins d’effort.
On utilise un archet (de violon, alto ou autre) pour mettre en résonance la lame métallique.
Francisco Canaro a découvert cet instrument en France et a payé des cours à son petit frère, Rafael, pour qu’il complète la liste de ses instruments (contrebasse et guitare) par la scie musicale que les Argentins appellent serrucho (scie).
D’autres orchestres que ceux des Canaro l’ont utilisée, comme José Maria Lucchesi, Eduardo Bianco et Bachicha (Juan Bautista Deambrogio) et bien sûr, la Típica Brunswick.

Autres versions

Il n’y a pas d’autres versions, alors je vous propose d’autres titres avec serrucho, par ordre chronologique…

El serrucho 1924 – Orquesta Francisco Canaro.

Malgré le nom de l’œuvre, la scie musicale n’est pas mise en valeur. Elle est présente, mais n’a pas de partie en solo.

La sulamita 1924 (Shimmy) – Jazz Band Francisco Canaro.

Dans son Jazz Band, Canaro a aussi intégré la scie musicale. Comme pour El serrucho, la présence est tout de même discrète.

Taita 1926-11 – Orquesta Bianco-Bachicha.

On note l’arrivée de la scie musicale dès le début (6 secondes).

Quasimodo 1928-01 – Orchestre Sud-Américain José Maria Lucchesi.

Un titre très original, La scie musicale entre en scène avec puissance à 1:06.

La cumparsita 1928-01-28 – Orquesta Bianco-Bachicha.

La scie musicale entre en scène à 2:09.

Fruta prohibida 1930-08-05 – Orquesta Típica Brunswick dir. Juan Polito. C’est notre tango du jour.
La cumparsita 1930-08-05 – Orquesta Típica Brunswick dir. Juan Polito.

Une cumparsita enregistrée le même jour que Fruta prohibida par Juan Polito et la Típica Brunswick. Il faut passer l’impressionnante et très longue introduction (1:15) pour entrer dans l’œuvre. La scie musicale n’entre en fonction qu’à 2:14 pour un bref solo.

Voilà, vous saurez maintenant repérer cet instrument original. Vous pouvez aussi vous reporter à l’anecdote du 24 avril 2024 sur Danzarín 1963-04-25pour d’autres informations sur des instruments plus rares.
À demain, les amis !

Una lágrima tuya 1949-05-27 – Orquesta José Basso con Francisco Fiorentino y Ricardo Ruiz

Mariano Mores Letra: Homero Manzi

Nous restons avec Mariano Mores qui nous avait donné Uno hier pour une autre merveille, Una lágrima tuya. Les paroles sont d’Homero Manzi, on reste dans le très haut du registre. Comme Uno, ce titre a été créé pour un film, Corrientes, calle de ensueños. Je pense que vous allez être très surpris par ce tango, mais est-ce vraiment un tango?

Fiorentino — Ruiz?

Pour cette œuvre un peu hors norme, José Basso s’est adjoint deux chanteurs de premier plan, Francisco Fiorentino et Ricardo Ruiz.
On est habitué à associer Francisco Fiorentino à Troilo, mais en 1944, Fiore avait mis les bouts pour créer son propre orchestre dont il confia la direction à Astor Piazzolla. Ce dernier partant à son tour, Fiorentino ira en 1948 chanter pour deux ans avec Basso.
De son côté Ricardo Ruiz est associé à Fresedo. Cependant, il avait quitté cet orchestre en 1942 et depuis 1947, il travaille avec Basso. En 1949, il est donc logique de trouver ces deux chanteurs en duo dans l’orchestre de José Basso.

Extrait musical

Una lágrima tuya 1949-05-27 — Orquesta José Basso con Francisco Fiorentino y Ricardo Ruiz.
Avec la photo de Mariano Mores, la partition de Una lagrima tuya.

Je pense que dès les premières mesures, vous avez été surpris par le rythme de cette œuvre. Les connaisseurs auront reconnu le rythme du malambo.
Vous connaissez sans doute le malambo sans le savoir, car son élément essentiel est le zapateo, ces jeux de jambes et de pieds que les hommes font durant la chacarera.
C’est une démonstration d’agilité, un défi que se lançaient les gauchos au XIXe siècle. C’est devenu aujourd’hui un élément de folklore et les groupes de danses traditionnelles présentent cette danse si enthousiasmante à pratiquer.
Comme il s’agit d’un défi, les hommes ont un regard sérieux pour ne pas dire « méchant ». Il ne s’agit pas de petites frappes au sol avec un grand sourire comme on peut le voir dans nos milongas, ou de petits battements de pieds, légers qui semblent caresser le sol.
Il n’y a pas à proprement parler de chorégraphie, chaque « danseur » (je mets danseur entre guillemets, car il s’agit plutôt d’un duelliste) fait preuve d’imagination et de créativité pour effectuer les figures les plus audacieuses. Le gagnant du duel est celui qui reste, le perdant part, épuisé ou dégoûté par les capacités de son adversaire.
La chacarera offre une forme « civilisée » du malambo. Pas question de se livrer à des exubérances, il s’agit de conquérir la femme, pas de lui faire peur. Par ailleurs, la chacarera est une danse de groupe et un peu d’harmonie dans l’ensemble est de rigueur.

Cette vidéo présente un duel de malambo effectué par deux adolescents. Vous reconnaîtrez la musique initiale qui est celle de notre « tango » du jour. C’est une création de Canal Encuentro, une merveilleuse chaîne culturelle argentine, malheureusement menacée, car la culture n’entre pas dans les priorités du nouveau président argentin, Javier Milei.

Dans la seconde partie de la musique, on retrouve une autre musique traditionnelle, la huella (à partir de 1 h 30). Vous connaissez certainement cette musique popularisée par Ariel Ramírez dans sa Misa criolla.

Pour faire d’une pierre, deux coups, vous pouvez entendre ici une interprétation de La Peregrinación (huella pampeana) faisant partie de la Misa Criolla. Il s’agit ici d’une danse chorégraphiée par un groupe de danse traditionnelle, mais on peut se rendre compte qu’il y a des similitudes avec la chacarera (vueltas et zapateos, par exemple).

Avec une référence au malambo norteño et à la huella pampeana sureña, Mores évoque le Nord et le Sud de l’Argentine.

Paroles

Una lágrima tuya
me moja el alma,
mientras rueda la luna
por la montaña.

Yo no sé si has llorado
sobre un pañuelo
nombrándome,
nombrándome,
con desconsuelo.

La voz triste y sentida
de tu canción,
desde otra vida
me dice adiós.

La voz de tu canción
que en el temblor de las campanas
me hace evocar el cielo azul
de tus mañanas llenas de sol.

Una lágrima tuya
me moja el alma
mientras gimen
las cuerdas de mi guitarra.

Ya no cantan mis labios
junto a tu pelo,
diciéndote,
diciéndote,
lo que te quiero.

Tal vez con este canto
puedas saber
que de tu llanto
no me olvidé,
no me olvidé.

Mariano Mores Letra: Homero Manzi

Traduction libre

Une de tes larmes mouille mon âme, tandis que la lune roule sur la montagne.
Je ne sais pas si tu as pleuré sur un mouchoir en me nommant, inconsolable.
La voix triste et sincère de ta chanson, d’une autre vie,
me dit adieu.
La voix de ta chanson qui dans le tremblement des cloches me fait évoquer le ciel bleu de tes matinées pleines de soleil.
Une de tes larmes mouille mon âme alors que les cordes de ma guitare gémissent.
Mes lèvres ne chantent plus, collées à tes cheveux, te disant, te disant, combien je t’aime.
Peut-être qu’avec cette chanson, tu pourras savoir que je n’ai pas oublié tes pleurs, je n’ai pas oublié.

Mariano Mores et le folklore

Ce n’est pas la seule fois où Mariano Mores fait référence au folklore dans ses compositions., par exemple :
Adiós, pampa mía qui incorpore des rythmes de pericón nacional et de estilo.
El estrellero (cheval qui lève la tête continuellement, ce qui gêne le cavalier) avec rythme de estillo.
Lors de ses tournées internationales, il était toujours accompagné de ballets de folklore, car, il ne laissait jamais de côté les danses folkloriques.

Autres versions

Una lagrima tuya 1948 — Orquesta Juan Deambroggio Bachicha con José Duarte.

Ce titre a été enregistré en France et édité par Luis Garzon qui a par ailleurs publié sa propre version dans les années 60 (à écouter plus bas). La date de 1948 semble bien précoce. J’ai contacté les éditions Luis Garzon, si j’obtiens des informations j’adapterai la date, si nécessaire.

Una lágrima tuya 1949-03-30 — Orquesta Aníbal Troilo con Edmundo Rivero y Aldo Calderón.

Cette version a connu le succès dès son lancement sur disque et à la radio. C’est la première version avec les paroles définitives de Manzi.

Una lágrima tuya 1949-05-27 — Orquesta José Basso con Francisco Fiorentino y Ricardo Ruiz. C’est notre version du jour.
Una lágrima tuya 1949-10-13 — Orquesta Francisco Canaro con Mario Alonso.

Canaro sort sa version, sans duo, un mois après la sortie du film dans lequel il est intervenu. Pour une fois, il n’est pas dans les premiers à avoir enregistré (sauf si on tient compte de la version du film enregistrée en août 1948).

Una lágrima tuya 1949 — Orquesta Atilio Bruni con Hugo Del Carril.

Una lágrima tuya 1949 — Orquesta Atilio Bruni con Hugo Del Carril. Une version bien adaptée au zapateo dans sa première partie (malambo), avec la belle voix chaude de Del Carril. Mariano Mores aurait aimé que De Carril chante dans le film, mais ce fut son frère qui chanta.

Una lágrima tuya (en vivo con glosas) 1951 — Orquesta Aníbal Troilo con Jorge Casal y Raúl Berón.

La qualité de cet enregistrement est très mauvaise, car c’est un enregistrement acétate, un support peu durable. Il a été réalisé en public lors d’un concert à San Pablo au Brasil et a été retransmis par Radio Bandeirantes. On peste contre ce son effroyable, mais quelle prestation ! On notera l’accent brésilien du présentateur qui annonce le titre, évoquant le malambo.

Una lágrima tuya charlo 1951-12-18 – Charlo y su orquesta.

Une belle version avec la voix qui domine un orchestre dont l’orchestration est originale.

Una lágrima tuya 1953 — Cristóbal Herrero y su orquesta típica Buenos Aires con Rodolfo Díaz y Beatriz Maselli.

Una lágrima tuya 1953 — Cristóbal Herrero y su orquesta típica Buenos Aires con Rodolfo Díaz y Beatriz Maselli. Pas étonnant que Herrero enregistre ce titre, car il avait été catalogué par Odeon du côté du folklore et ils lui faisaient enregistrer cela plutôt que du tango. Il était donc un spécialiste des deux genres, mais aurait préféré enregistrer du tango. Cet enregistrement est donc une revanche, car il a coupé l’introduction en malambo. Il n’a gardé que les accords finaux, typiques du malambo. On retrouve la marche, marquée par le bandonéon, mais guère plus que les autres versions, celle-ci est adaptée aux danseurs exigeants. L’autre originalité du titre est que c’est un duo homme-femme. J’aime bien.

Una lágrima tuya (En vivo) 1954-10-04 — Orquesta Juan Canaro con Héctor Insúa.

Le Japon s’est toqué du tango et les tournées des orchestres argentins ont été des succès formidables.

Una lágrima tuya 1954 — Luis Tuebols et son Orchestre typique argentin.

Oui, comme je l’ai mentionné à diverses reprises, l’histoire du tango n’est pas qu’en Argentine et Uruguay. Luis Tuebols a continué à promouvoir le tango en France, notamment en enregistrant avec Riviera, puis Barclay. Cet enregistrement fait partie des enregistrements avec Riviera en 78 tours. Il sera réédité en 33 tours en 1956 par Barclay.

Una lágrima tuya 1957-04-30 – Orquesta Mariano Mores con Enrique Lucero.

Voici comment Mariano Mores interprète sa création. On remarquera la voix profonde de son frère, Enrique Lucero. Ce dernier est celui qui chante dans le film avec Canaro (enregistrement du 31 août 1948 au teatro Maipo). Mariano joue le même thème, mais au piano solo. Vous pourrez voir cette vidéo à la fin de cet article.

Una lagrima tuya 1959 c — Primo Corchia y su Orquesta.

Primo Corchia, encore un exemple français du tango (même s’il est né en Italie, il a fait toute sa carrière en France).

Una lágrima tuya 1961-05-05 — Orquesta José Basso.

Un autre enregistrement de José Basso, instrumental celui-ci. Il assume parfaitement son affiliation au folklore. Le rythme est plus rapide que dans la version de 1949. J’espère que ce petit coup de projecteur sur ce musicien trop souvent négligé, José Basso vous donnera envie d’en écouter, voire danser, plus.

Et pour terminer cette liste bien incomplète, je vous propose deux curiosités :

Una lagrima tuya 1961 c— Orchestre Luis Garzon.

C’est celui qui aurait publié dès 1948 l’enregistrement de Bachicha. Cette version est purement musette. Le beau rythme de marche du malambo du départ, se commue en rythmique de tango musette, mais pas tout le temps. J’imagine que c’est une des raisons du succès de ce tango en France, la marche très marquée écrite par Mores s’adapte parfaitement au style musette. Le terme musette, vient de l’instrument à vent, de la famille des cornemuses, utilisé dans les bals populaires en France. Contrairement aux instruments des Écossais, la musette appelée cabrette dans le Massif-Central se remplit à l’aide d’un soufflet et non pas en soufflant dans une embouchure. Le joueur de musette peut donc chanter en jouant.

Una lagrima tuya y Adiós Pampa mía 1994 – Roberto Gallardo y su gran orquesta con Beatriz Suarez Paz y Oscar Larroca (hijo).

Deux titres de Mariano Mores ayant trait au folklore, enchaînés, Una lágrima tuya et Adiós Pampa mía. Le nom du chanteur vous dit certainement quelque chose, c’est le fils du chanteur des mêmes nom et prénom qui chanta si bien, par exemple avec De Angelis.
Encore un petit mot sur le film pour lequel Mores a écrit ce thème.

Corrientes, calle de ensueños, le film

Corrientes, calle de ensueños est un film de Román Viñoly Barreto sur un scénario de Luis Saslavsky sorti le 29 septembre 1949.

Une publicité pour le film Corrientes, calle de ensueños. Cette rue a une histoire et je dois la conter.

Homero Manzi, peu de temps avant sa mort, regrettait de ne pas avoir travaillé en collaboration avec Mariano Mores. Oscar Del Priore et Irene Amuchástegui racontent dans Cien tangos fundamentales (Mariano Mores a d’ailleurs écrit le prologue de ce livre…) que Mores de visite chez Manzi, joue ce thème au piano et peu après, Manzi fait savoir à Mores qu’il a des paroles à lui proposer pour sa musique. En réalité, les paroles définitives évolueront, jusqu’à la version que donnera Canaro avec Alonso en 1949, quelque temps avant le lancement du film.
Canaro était bien placé pour connaître cette œuvre, puisqu’il l’interprète, justement à la fin du film, mais ce n’est pas cet extrait que je vais vous présenter. Parmi les acteurs, Mariano Mores, lui-même, dans son premier rôle au cinéma. Dans cet extrait du début du film, il joue le titre au piano. De quoi bien terminer cette chronique.

Mariano Mores joue Una lágrima tuya au piano au début du film Corrientes, calle de ensueños

Patético 1948-04-06 — Orquesta Osvaldo Pugliese

Jorge Caldara

Pour bien comprendre pourquoi cette version de Patético interprétée par Osvaldo Pugliese est géniale, il faut la comparer aux deux autres enregistrements contemporains, par Anibal Troilo et Juan Deambroggio « Bachicha »… Mais surtout, il faut nous intéresser à son compositeur, Jorge Caldara, un génie mort trop jeune. Pugliese a enregistré Patético il y a jour pour jour 76 ans.

Extrait musical

Patético 1948-04-06 — Orquesta Osvaldo Pugliese

Je vous laisse écouter cette merveilleuse version, sans commentaire. Vous les trouverez cependant ci-dessous, en comparaison avec deux autres versions contemporaines.

Autres versions

Il me semble intéressant de comparer les trois versions enregistrées à quelques mois d’intervalle. Je commence par le tango du jour, celle de Pugliese, puis une version de Bachicha mal datée, mais probablement légèrement postérieure à celle de Pugliese dans la mesure où Jorge Caladara était bandonéoniste dans l’orchestre d’Osvaldo à ce moment.
La troisième version est celle de Troilo, enregistrée presque un an après celle de Pugliese.

Je vous invite à remarquer comme la version de Pugliese est différente dès les premières secondes.

Patético 1948-04-06 — Orquesta Osvaldo Pugliese
Patético 1948 — Orquesta Juan Deambroggio « Bachicha »
Patético 1949-03-30 — Orquesta Aníbal Troilo

Intéressons-nous maintenant à la vision d’ensemble des trois interprétations.

La partie verte représente le volume de la musique.
La partie à dominante rouge représente la hauteur du son. En bas (en jaune), ce sont les basses et en haut, les aigus.
On se rend compte à l’oreille et à l’œil que la version de Pugliese est un peu plus sourde (moins d’aigus que celle de Troilo. Celle de Bachicha a des aigus, mais ce sont principalement les bruits du disque…
Cela étant dit, il convient de remarquer la structure très différente des trois morceaux. Celui de Pugliese présente des parties fortissimo et des parties piano. Vous remarquerez par exemple la partie où est le curseur (ligne rouge verticale et fine) qui correspond à une partie pianissimo (bas niveau sonore).
Dans la version de Troilo, les alternances de fortissimi et piani sont plus fréquentes et moins marquées.
La version de Bachicha est plus homogène. On peut imaginer que la musique sera un peu moins expressive que dans les deux autres versions.
Sur les basses (partie inférieure en jaune), Pugliese les marque notamment avec ses cordes (contrebasse, par exemple).
Troilo les réalise avec les cordes, mais aussi avec le piano. Les instruments percutant en même temps.
1 : 05 Pugliese ne met pas le long trait de violon qui était si original au début. Au contraire, c’est presque silencieux, ce qui crée un manque, un appel, une interrogation chez l’auditeur. Pour le danseur qui n’avait pas pu danser le premier, car tout au début, c’est une frustration possible. Il s’attendait à faire un truc « super » sur ce motif…Puisqu’on parle de cette partie, Bachicha, que ce soit au début ou au milieu (1 : 08) remplit le vide par un motif ascendant au piano. Ce n’est pas une invention de sa part, il est écrit ans la partition de Caldara. Pugliese a pour sa part, décidé de le supprimer totalement (lui qui est pourtant pianiste).Quant à Troilo, il propose au contraire un motif de piano descendant et une petite fioriture au piano pour compenser, mais seulement dans la partie du milieu, vers 1 : 15.
Je vous laisse écouter les différences.
Pour vérifier que vous suivez bien le moment sur l’audiogramme, voici un petit jeu. Écoutez le morceau en suivant de gauche à droite la zone verte. Si vous arrivez à vous repérer pour être en phase avec les variations de volume, c’est très bien. A minima, essayez de terminer votre lecture visuelle en même temps que la musique.

Pour terminer cette courte étude des interprétations, allons à la fin du morceau. Écoutez la fin de Bachicha. Il déroule tranquillement la partition, sans créer d’effet de surprise. Les deux accords finaux (dominante et tonique) sont joués avec quasiment le même volume. Un véritable « tsoin tsoin » final. J’ai une anecdote à ce sujet, mais je vous la conterai une autre fois. Maintenant, bon, OK. J’étais habitué à dire « tsoin tsoin » à la fin des morceaux. Ce tsoin-tsoin était couvert par les applaudissements. Cependant, un jour, nous avons interprété un choral de Bach durant une messe. Le problème est que dans ce type d’endroit, les gens n’applaudissent pas et que mon tsoin-tsoin a résonné dans toute l’église. Vais-je dire que j’ai encore honte, tant d’années après. Peut-être, mais en tous cas, cela a exacerbé ma sensibilité sur les fins de morceaux et les orchestres de tango sont un régal pour cela, chacun cherchant à donner sa signature.
Revenons à nos moutons, ou plutôt à Troilo et Pugliese afin d’écouter leurs signatures.
Troilo reprend le motif du départ (qui n’est pas dans la partition originale) et termine avec un glissando énorme du piano pour lancer finalement les deux accords finaux, dominante fortissimo et le dernier plus faible. C’est une fin superbe, il faut en convenir.
La fin proposée par Pugliese. Le rappel du motif initial est presque absent, si ce n’est quelques « coups » de volume de tous les instruments avec une fin qui s’estompe, comme un rêve qui se termine. Le pathétique devenu insignifiant après s’être tant gonflé disparaît d’une pichenette et retombe sur l’accord final comme une baudruche dégonflée.

Jorge Caldara (17 septembre 1924 – 24 août 1967)

Le compositeur du tango du jour est un jeune prodige. Tout gosse, il voulait devenir pianiste, mais son père un tanguero un peu pingre rabattit ses ambitions au bandonéon.
Cela ne découragea pas Jorge qui commença à jouer dans des orchestres à l’âge de 14 ans et à 15 ans, il créa son propre orchestre, la Orquesta Juvenil Buenos Aires. (l’orchestre de jeunes de Buenos Aires) qui joua en alternance avec l’orchestre d’Anibal Troilo les mardis au Café Germinal (Avenida Corrientes au 942, au côté du Café Nacional, aujourd’hui théâtre Nacional Sancor Seguros). C’était un lieu prestigieux, voisin du café Nacional avec qui il travaillait en doublette et en face des 36 Billares. De toute façon, chaque mètre de l’avenue Corrientes dans ces environs a des souvenirs de tango. Donc, avoir son orchestre à 15 ans et jouer dans la cour des grands, cela prouve le talent du bonhomme.
Évidemment, il a été remarqué et Alberto Pugliese l’a fait entrer dans son orchestre comme bandéoniste, jusqu’en 1944, date où il a dû effectuer son service militaire.
À la fin de son service, il intègre l’orchestre du petit frère d’Alberto, Osvaldo Pugliese.
Caldara prendra une place importante dans l’orchestre de Pugliese, toutes proportions gardées, comme Biagi avec D’Arienzo, grâce à son bandonéon énergique qui marquait la cadence tout en développant la mélodie. Caldara était sensible à un tango moderne, notamment à celui d’Eduardo Rovira et je pense que cela l’a influencé pour ses créations à l’époque de Pugliese, celui-ci pourtant novateur, n’a pris la dimension de Rovira que bien plus tard, notamment avec sa magnifique version de A Evaristo Carriego qu’il n’a enregistré qu’en 1969… Je pense même que Troilo auquel Caldara était également sensible avait de l’avance dans ce domaine par rapport à Pugliese, notamment sur l’utilisation des chanteurs.
J’ai une théorie personnelle sur la question, mais je pense que la Yumba doit un peu à la façon de jouer de Caldara, même si Pugliese affirme qu’il l’a choisi, car il pouvait s’intégrer parmi sa ligne de bandonéonistes déjà en place.

Osvaldo reconnut également ses talents de compositeurs, car il lui doit plusieurs de ses succès comme Patético 1948, notre tango du jour, Pastoral 1950, Pasional 1951 (avec Alberto Morán) et Por pecadora 1952 (avec Alberto Morán).
Le jeune Jorge Caladra vouait une dévotion à son nouveau chef d’orchestre et lui dédicacera un tango Puglieseando, qui est une merveille et que je vous propose d’écouter tout de suite :

Puglieseando

Puglieseando 1958-08-13 — Jorge Caldara

Le début rappelle Ríe, payaso de Virgilio Carmona, notamment la version de D’Arienzo avec Bustos de 1959 qui possède un tempo proche, a contrario de celle de 1940 (avec Carlos Casares) qui a un tempo beaucoup plus rapide. Jorge connaissait ce titre, car il l’a enregistré.
0 : 17 La Yumba chère à Pugliese apparaît.
0 : 50 remarquez son bandonéon sensible et expressif qui lui permet de marquer le contraste avec les passages plus énergiques. Caldara était bandonéoniste.
Comme chez l’objet de son hommage, les parties avec un tempo marqué alternent avec les parties glissées et suaves, notamment dessinées par les violons, le piano et les bandonéons plus staccatos contrastent, jusqu’à ce que à…
2 : 30 les réponses se fassent de plus en plus rapprochés, les changements de tonalité, font grimper la tension qui s’apaise dans une coda plus lente et un gros accord sur la dominante, suivi par un léger rebond sur la tonique, dans un style complètement pugliesien.

Pasional

Si je vous dis que c’est aussi Jorge Caldara qui a composé Pasional, un des plus gros succès de Pugliese, vous avez pris la dimension de ce musicien. Voici sa version enregistrée avec l’immense chanteur Rodolfo Lesica sur des paroles de Mario Soto.

Pasional 1964 — Jorge Caldara — Rodolfo Lesica, sa composition qu’a rendu célèbre Osvaldo Pugliese, mais ici par son compositeur et chantée par le grand Lesica.

Il a donc commencé très jeune, mais il est mort après moins de 30 ans de carrière et surtout, ses premiers enregistrements comme chef d’orchestre ne datent que de la fin des années 50, période où le rock’n’roll et autres fantaisies avaient pris le pas sur le tango.

Principales compositions de Jorge Caldara

Ses tangos instrumentaux

  • Bamba, dédicacé à sa fille,
  • Con T de Troilo,
  • Cuando habla el bandoneón, en collaboration avec Luis Stazo,
  • Mi bandoneón y yo (Crecimos juntos),
  • Papilino, dédicacé à son fils,
  • Pastoral,
  • Patético,
  • Patriarca,
  • Puglieseando,
  • Sentido en collaboration avec Daniel Lomuto,
  • Tango 05, dédicacé à la Fuerza Aérea Argentina (armée de l’air argentine)

Ses tangos chantés

  • Pasional, avec des paroles de Mario Soto
  • Por pecadora, avec des paroles de Mario Soto
  • Muchachita de barrio, avec des paroles de Mario Soto
  • Profundamente, avec des paroles de Mario Soto
  • Paternal, avec des paroles de Norberto Samonta
  • No ves que nos queremos, avec des paroles de Abel Aznar
  • Estés donde estés, avec des paroles de Martínez
  • Gorrión de barrio, son premier tango (il était lui-même très jeune et donc comme un petit moineau de quartier).
  • Solo Dios vos y yo, dédicacé à son épouse, avec des paroles de Rodolfo Aiello

Jorge Caldara et ses orchestres

On a vu qu’il a fondé son premier orchestre à quinze ans avant d’intégrer différents grands orchestres dont pour finir celui d’Osvaldo Pugliese, mais son parcours ne s’arrête pas là, il reprend à plusieurs milliers de kilomètres de Buenos Aires, au
Jorge Caldara a en effet passé un an au Japon. La fameuse chanteuse Ranko Fujisawa l’ayant entendu jouer dans l’orchestre d’Osvaldo Pugliese à Buenos Aires, l’a invité à venir créer son propre orchestre au Japon.
Fidèle à son directeur, il n’a pas relevé l’invitation, mais un peu plus tard, Ranko est revenue à la charge et Jorge décida de quitter l’orchestre d’Osvaldo à la fin de 1954 et a déménagé avec sa famille.
Il y est resté un an et y a gravé ses premiers disques avec un orchestre composé avec des musiciens japonais qu’il avait recrutés, mais aussi avec ceux de la Típica Tokio dirigée par le mari de Ranko…
Il fut donc l’un des tout premiers, après Juan Canaro, à faire le saut vers le Japon. J’y vois encore une preuve de la qualité de cet artiste.
Parmi les titres gravés au Japon, je vous propose Recuerdo de Buenos Aires enregistré en 1955 et chanté par… vous aurez deviné, Ranko Fujisawa.

Recuerdo de Buenos Aires 1955 — orquesta de Jorge Caldara con Ranko Fujisawa

De retour à Buenos Aires, il monte un orchestre.

Parmi les titres enregistrés avec cet orchestre, je vous propose maintenant deux curiosités, mais le plus intéressant sera pour la fin de cet article…

La Pena de James Dean 1958-11-13 — Jorge Caldara Con Miguel Martino. Une chanson composée par Enrique Juan Munné avec des paroles de Lina Ferro de Bahr) parlant de James Dean, cet acteur mort en 1955 à l’âge de 24 ans dans un accident de voiture.
La fulana (milonga) 1957-07-29 — Jorge Caldara Con Carlos Montalvo avec des paroles et la musique de Alberto Mastra et Luis Rafael Caruso.

En parallèle, Jorge joue dans un cuarteto. Cette dimension d’orchestre s’adapte mieux à cette époque où le tango est en perte de vitesse.

La tablada 1960-01-29 Estrellas de Buenos Aires

Un exemple de ce que donne ce cuarteto nommé Las estrellas de Buenos Aires (les Étoiles de Buenos Aires). Dans ce titre, on entend bien séparément les quatre instruments. Vous pouvez donc repérer par ordre d’apparition : le bandonéon de Jorge, le piano d’Armando Cupo et le violon d’Hugo Baralis puis la contrebasse de Kicho Díaz. Vous remarquerez que la version proposée par ce cuarteto est bien originale et qu’elle valait le coup de lire jusqu’ici.

Et une dernière surprise, un de ses derniers enregistrements

Mais ce n’est pas fini, je reviens à l’orchestre avec qui il a continué d’enregistrer dans les années 60 avec un titre incroyable. C’est une des compositions les plus célèbres d’Osvaldo Pugliese, ici dans une version fort étonnante que nous propose Jorge Caldara et son orchestre.

La Yumba 1964 — Jorge Caldara — La Yumba 1964 — Jorge Caldara.

On voit bien que c’est Caldara qui poussait Pugliese, plutôt que l’inverse, non ?

On ne peut que regretter que ce talentueux musicien soit mort jeune, sa carrière commencée à 14 ans n’a pas duré 30 ans (26 ans). Les trois/quatre dernières années de sa vie furent perdues à cause du cancer qui l’emporta. Ses enregistrements de 1964 sont les derniers.

Adios Argentina 1930-03-20 — Orquesta Típica Victor

Gerardo Hernán Matos Rodríguez Letra: Fernando Silva Valdés

Je suis dans l’avion qui m’éloigne de mon Argentine pour l’Europe. La coïncidence de date fait, que je me devais le choisir comme tango du jour. Il y a un siècle, les musiciens, danseurs et chanteurs argentins s’ouvrirent, notamment à Paris, les portes du succès. Un détail amusant, les auteurs de ce titre sont Uruguayens, Gerardo Hernán Matos Rodríguez, l’auteur de la Comparsita et Fernando Silva Valdès…

Correspondance de date. Cette anecdote a été écrite dans l’avion l’an dernier et je suis encore de voyage entre l’Argentine et l’Espagne à la même date. Ce court exil me permettra d’animer quelques milongas et je rentrerai à Buenos Aires, fin avril.

Ce titre peut ouvrir la piste à de très nombreux sujets. Pas question de les traiter tous. Je liquide rapidement celui de l’histoire contée dans ce tango, d’autant plus que cette version est instrumentale. C’est un gars de la campagne qui s’est fait voler sa belle par un sale type et qui a donc décidé de se faire la belle (s’en aller) en quittant l’Argentine « Adios Argentina ».
Il se peut qu’il se retourne en Uruguay, ce qui serait logique quand on connaît la nostalgie des originaires de la Province de l’Est (voir par exemple, Felicia écrit par Carlos Mauricio Pacheco).
Dans le cas présent, j’ai préféré imaginer qu’il va en Europe. Il dit dans la chanson qu’il cherche d’autres terres, et un autre soleil, ce n’est donc sans doute pas le Sol de Mayo qui est commun, quoique d’aspect différent sur les deux drapeaux.

Les voyages transatlantiques des musiciens de tango

Le début du vingtième siècle jusqu’en 1939 a vu de nombreux musiciens et chanteurs argentins venir tenter leur chance en Europe.
Parmi eux, en vrac :
Alfredo Eusebio Gobbi et sa femme Flora Rodriguez, Ángel Villoldo, Eduardo Arolas, Enrique Saborido, Eduardo Bianco, Juan Bautista Deambroggio (Bachicha) et son fils Tito, les frères Canaro, Carlos Gardel, Vicente Loduca, Manuel Pizarro, José Ricardo, José Razzano, Mario Melfi, Víctor Lomuto, Genaro Espósito, Celestino Ferrer, Eduardo Monelos, Horacio Pettorossi…
La liste est interminable, je vous en fais grâce, mais nous en parlerons tout au long des anecdotes de tango. Sachez seulement que, selon l’excellent site « La Bible tango », 345 orchestres ont été répertoriés, chaque orchestre comptant plusieurs musiciens. Même si tous n’étaient pas Argentins ou Uruguayens de naissance, ils ont donné dans la mode « Tango ». Pour en savoir plus, vous pouvez consulter l’excellent site de Dominique Lescarret (dit el Ingeniero « Une histoire du tango »)

Vous remarquerez que l’orchestre de Bianco et Bachita est vêtu en costume de Gaucho et qu’ils portent la fameuse bombacha, bombacha offerte par la France à l’Argentine… En effet, le syndicat des musiciens français obligeait les artistes étrangers porter un costume traditionnel de leur pays pour se distinguer des artistes autochtones.

Histoire de bombachas

On connaît tous la tenue traditionnelle des gauchos, avec la culotte ample, nommée bombacha. Ce vêtement est particulièrement pratique pour travailler, car il laisse de la liberté de mouvement, même s’il est réalisé avec une étoffe qui n’est pas élastique.
Cependant, ce qui est peut-être moins connu c’est que l’origine de ce vêtement est probablement française, du moins indirectement.
En France métropolitaine, se portaient, dans certaines régions, comme la Bretagne, des braies très larges (bragou-braz en breton).
Dans les pays du sud et de l’est de la Méditerranée, ce pantalon était aussi très utilisé. Par exemple, par les janissaires turcs, ou les zouaves de l’armée française d’Algérie.

La désastreuse guerre de Crimée en provoquant la mort de 800 000 soldats a également libéré des stocks importants d’uniformes. Qu’il s’agisse d’uniformes de zouaves (armée de la France d’Algérie dont quatre régiments furent envoyés en Crimée) ou de Turcs qui étaient alliés de la France dans l’affaire.

Napoléon III s’est alors retrouvé à la tête d’un stock de près de 100 000 uniformes comportant des « babuchas », ce pantalon ample. Il décida de les offrir à Urquiza, alors président de la fédération argentine. Les Argentins ont alors adopté les babuchas qu’ils réformeront en bombachas.
En guise de conclusion et pour être complet, signalons que certaines personnes disent que le pantalon albicéleste d’Obélix, ce fameux personnage René Goscinny et Albert Uderzo est en fait une bombacha et que c’est donc une influence argentine. Goscinny a effectivement vécu dans son enfance et son adolescence en Argentine de 1927 (à 1 an) à 1945. Il a donc certainement croisé des bombachas, même s’il a étudié au lycée français de Buenos Aires. Ce qui est encore plus certain, c’est qu’il a connu les bandes alternées de bleu ciel et de blanc que les Argentins utilisent partout de leur drapeau à son équipe nationale de foot.

Il se peut donc que Goscinny ait influencé Uderzo sur le choix des couleurs du pantalon d’Obélix. En revanche, pour moi, la forme ample est plus causée par les formes d’Obélix que par la volonté de lui faire porter un costume traditionnel, qu’il soit argentin ou breton… Et si vraiment on devait retenir le fait que son pantalon est une bombacha, alors, il serait plus logique de considérer que c’est un bragou-braz, par Toutatis, d’autant plus que les Gaulois portaient des pantalons amples (braies) serrés à la cheville…

Extrait musical

Adiós Argentina 1930-03-20 – Orquesta Típica Victor.

Les paroles

Tierra generosa,
en mi despedida
te dejo la vida
temblando en mi adiós.
Me voy para siempre
como un emigrante
buscando otras tierras,
buscando otro sol.
Es hondo y es triste
y es cosa que mata
dejar en la planta
marchita la flor.
Pamperos sucios
ajaron mi china,
adiós, Argentina,
te dejo mi amor.

Mi alma
prendida estaba a la de ella
por lazos
que mi cariño puro trenzó,
y el gaucho,
que es varón y es altanero,
de un tirón los reventó.
¿Para qué quiero una flor
que en manos de otro hombre
su perfume ya dejó?

Llevo la guitarra
hembra como ella;
como ella tiene
cintas de color,
y al pasar mis manos
rozando sus curvas
cerraré los ojos
pensando en mi amor.
Adiós, viejo rancho,
que nos cobijaste
cuando por las tardes
a verla iba yo.
Ya nada queda
de tanta alegría.
Adiós Argentina,
vencido me voy.

Gerardo Hernán Matos Rodríguez Letra: Fernando Silva Valdés

Traduction libre

Terre généreuse, dans mes adieux, je te laisse la vie tremblante dans mes adieux. Je pars pour toujours comme un émigré à la recherche d’autres terres, à la recherche d’un autre soleil. C’est profond et c’est triste et c’est une chose qui tue que de laisser la fleur sur la plante fanée. Les sales pamperos ont sali ma chérie, au revoir, Argentine, je te laisse mon amour.
Mon âme était attachée à la sienne par des liens que ma pure affection tressait, et le gaucho, qui est homme et hautain, les brisa d’un seul coup. Pourquoi voudrais-je d’une fleur qui a déjà laissé son parfum dans les mains d’un autre homme ?
J’emporte ma guitare, femme comme elle, comme elle, elle a des rubans colorés, et, quand mes mains frôleront ses courbes, je fermerai les yeux en pensant à mon amour. Adieu, vieux ranch, tu nous abritais quand j’allais la voir le soir. Il ne reste rien de tant de joie. Adieu Argentine, vaincu, je pars.

J’ai laissé le terme « Pamperos » dans sa forme originale, car il peut y avoir différents sens. Ici, on peut penser qu’il s’agit des hommes de la pampa, vu ce qu’ils ont fait à sa china (chérie) voir l’article sur Por vos yo me rompo todo.
Le Pampero est aussi un vent violent et froid venant du Sud-ouest. Un vent qui pourrait faire du mal à une fleur. Dans un autre tango, Pampero de 1935 composé par Osvaldo Fresedo avec des paroles d’Edmundo Bianchi ; le Pampero (le vent) donne des gifles aux gauchos.

¡Pampero!
¡Viento macho y altanero
que le enseñaste al gaucho
golpeándole en la cara
a levantarse el ala del sombrero!

Pampero 1935-02-15 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray (Osvaldo Fresedo Letra: Edmundo Bianchi)

Pampero, vent macho et hautain qui a appris au gaucho en le giflant à la face à lever les ailes de son chapeau (à saluer).

Le terme de Pampero était donc dans l’air du temps et je trouve que l’hypothèse d’un quelconque malotru de la Pampa fait un bon candidat, en tout cas meilleur que le compagnon de Patoruzú, le petit Tehuelche de la BD de Dante Quinterno, puisque ce cheval fougueux n’a rejoint son compagnon qu’en 1936, 8 ans après la création de la BD et donc trop tard pour ce tango. Mais de toute façon, je n’y croyais pas.

Autres versions

D’autre versions, notamment chantées, pour vous permettre d’écouter les paroles.
Les artistes qui ont enregistré ce titre dans les années 1930 étaient tous familiers de la France. C’est dans ce pays que le tango s’est acheté une « conduite » et qu’il s’est ainsi ouvert les portes de la meilleure société argentine, puis d’une importante partie de sa communauté de danseurs, de la fin des années 30 jusqu’au milieu des années 50 du XXe siècle.

Adiós Argentina 1930-03-20 – Orquesta Típica Victor.
Adiós Argentina 1930 – Alina De Silva accompagnée par l’Orchestre argentin El Morito. Voir ci-dessous un texte très élogieux sur cette artiste paru dans une revue de l’époque.
Adiós Argentina 1930-07-18 – Alberto Vila con conjunto
Adiós Argentina 1930-12-03 – Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro
Adiós Argentina 1930-12-10 – Orquesta Francisco Canaro. Une semaine après l’enregistrement du titre avec Ada Falcón, Francisco Canaro enregistre une version instrumentale.
Adiós Argentina 1930-12-10 – Orquesta Francisco Canaro. Il s’agit du même disque que le précédent, mais lu sur un gramophone de 1920. C’est en gros le son qu’avaient les utilisateurs de l’époque… La comparaison est moins nette car pour être mis en place sur ce site, les fichiers sont environ réduit à 40 % de leur taille, mais on entend tout de même la différence.
Adiós Argentina 2001-06 – Orquesta Matos Rodríguez (Orquesta La Cumparsita). Une sympathique versión par cet orchestre à la gloire du compositeur uruguyane, autour de la musique du tango du jour.

Le succès d’une chanteuse Argentine en France, Alina de Silva

« Nous l’avons connue à l’Empire il y a quelques mois.
Son tour de chant, immédiatement et justement remarqué, réunit les éloges unanimes de la critique.
Elle s’est imposée maintenant dans la pléiade des grandes et pures artistes.
Chanteuse incomparable, elle est habitée d’une passion frémissante, qu’elle sait courber à sa fantaisie en ondes douces et poignantes à la fois.
Sur elle, notre confrère Louis-Léon Martin a écrit, ce nous semble, des phrases définitives :
“Alina de Silva chante et avec quel art. Elle demeure immobile et l’émotion naît des seules indexions de son visage et des modulations de sa voix. Elle possède cette vertu extraordinaire de paraître toute proche, comme penchée vers nous. J’ai dit sa voix calme et volontaire, soumise et impérieuse, capiteuse, passionnée, mais jamais je ne I’avais entendue s’éteindre — mais oui, tous les sens ont ici leur part — en de belles pâmoisons. Alina de Silva joue de sa voix comme les danseuses, ses compatriotes, de leurs reins émouvants et flexibles. Elle subjugue…”
Deux ans ont suffi à Mlle Alina de Silva pour conquérir ce Paris qu’elle adore et qui le lui rend bien, depuis le jour où elle pénétra dans la capitale.
La petite chanteuse argentine est devenue maintenant une » étoile » digne de figurer à côté des plus éclatantes.
Il est des émotions qui ne trompent pas. Celles que continue à nous donner Alina de Silva accroissent notre certitude dans l’avenir radieux réservé à cette artiste de haute race. »
A. B.

Et ce n’est qu’un des nombreux articles dithyrambiques qui saluent la folie du tango en France à la belle époque des années folles.

A. B. ? La Rampe du premier décembre 1929

Ainsi s’achève mon vol

Mon avion va bientôt atterrir à Madrid, c’est merveilleux de faire en si peu d’heures le long trajet qu’ont effectué en bateau tant de musiciens argentins pour venir semer le tango en Europe. Je vais essayer, lors de cette tournée européenne, de faire sentir l’âme de notre tango à tous les danseurs qui auront la gentillesse de danser sur mes propositions musicales.
À très bientôt les amis !