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Condena (S.O.S.) 1937-12-26 — Orquesta Francisco Lomuto

Enrique Santos Discépolo; Francisco Pracánico Letra: Enrique Santos Discépolo

Il est des cir­con­stances dans la vie qui peu­vent être tristes, voire dés­espérantes. Aimer de façon silen­cieuse en étant enchaîné par les liens de l’amitié est la sit­u­a­tion décrite dans ce tan­go qui, au-delà des mal­heurs du nar­ra­teur, fait éclore un large sourire aux danseurs d’encuentros européens. Eux, ne sen­tent pas du tout con­damnés et incités à lancer des S.O.S. dans les bras de leurs parte­naires.

Histoire de S.O.S.

Enrique San­tos Dis­cépo­lo a écrit ce tan­go en 1929 pour une pièce de théâtre. Il por­tait alors le titre de “En un cepo”, que l’on pour­rait inter­préter comme en prison, à l’isolement, dans un piège, voire au pilori (de nos jours, même le Dol­lar est sous Cepo en Argen­tine). Un truc pas bien joyeux en fait.
Voici com­ment Dis­ce­po­lo décrit son inten­tion lorsqu’il a écrit ce titre.

Dis­ce­po­lo par­le de son inten­tion en écrivant ce tan­go.

« Com­ment j’ai écrit “Con­de­na”

J’ai voulu dépein­dre la sit­u­a­tion d’un homme pau­vre, déchu, sans ressources, n’ayant rien et ambi­tion­nant tout. J’ai voulu plac­er cet homme face au monde, regar­dant pass­er la vie qui passe, les plaisirs qui le trou­blent, et il se tord dans l’im­puis­sance de voir qu’ils ne sont pas pour lui. J’ai vu tant de fois dans la rue l’homme en cos­tume élimé, avec un vis­age défor­mé, avec une démarche crain­tive qui voit pass­er une femme envelop­pée de soies bruis­santes et qui se mord en pen­sant qu’elle appar­tien­dra à n’im­porte qui d’autre, sauf à lui. Et la voiture qui passe qui brille d’in­so­lence et qui ne pour­ra jamais être pour lui.
Et j’ai ressen­ti la douleur de cet homme qui est comme « pris au piège ». Lut­tant con­tre l’im­puis­sance, l’en­vie et l’échec. Et cette douleur énorme et con­cen­trée de l’homme enchaîné dans son triste des­tin, face au bon­heur qui passe sans le touch­er, c’est ce que j’ai voulu trans­met­tre bien et pro­fondé­ment ; tor­turé, mais sans pleur­er. »

En 1931, à la tête de son orchestre, Dis­ce­po­lo ressort ce tan­go, sans nom par­ti­c­uli­er. Canaro le veut pour l’enregistrer, ce qu’il fera en 1934. L’argent don­né par Canaro pour l’occasion sau­va le pro­jet de voy­age de Dis­ce­po­lo et de sa com­pagne Tania et, lorsque Canaro deman­da le titre du tan­go à Dis­ce­po­lo, celui-ci lui répon­dit qu’il pou­vait met­tre le titre qu’il voulait.
S.O.S. a été util­isé, comme dans le disque de Lomu­to, car, l’achat de Canaro a sauvé Dis­ce­po­lo.
En revanche, en 1937, Canaro a util­isé le nom “Con­de­na” et pas S.O.S. pour l’enregistrement avec Mai­da. On asso­cie désor­mais les deux titres.
En 1937, tou­jours, Dis­ce­po­lo par­ticipe au film “Melodías Porteñas” où la chanteuse Aman­da Les­des­ma chante deux fois le titre, comme vous pour­rez le voir et l’entendre dans cet arti­cle.

Extrait musical

Con­de­na (S.O.S.) 1937-12-26 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to.
Disque Vic­tor de Con­de­na par Fran­cis­co Lomu­to On remar­que que le disque porte la men­tion S.O.S. comme pour Canaro en 1934, mais pas en 1937 ou Canaro a pris le titre de Con­de­na.

Les pas lourds de la con­damna­tion démar­rent le titre, suivi de pas­sages lega­to en con­traste.
À 32s com­mence la par­tie B avec les superbes ban­donéons de Martín Dar­ré, Améri­co Fígo­la, Luis Zinkes et Miguel Jura­do qui venait de rem­plac­er Víc­tor Lomu­to le frère de Fran­cis­co qui était retourné en France (en 1934, il avait épousé Yvonne, une Française dont il eut un fils).
Dans ce pas­sage, le rythme est mar­qué de façon très orig­i­nale avec le pre­mier temps un peu sourd et grave (con­tre­basse de Ham­let Gre­co et per­cus­sions de Desio Cilot­ta) et les trois suiv­ants plus forts, exprimés notam­ment par les ban­donéons en stac­ca­to.
Comme pour la pre­mière par­tie, le con­traste des legatos ter­mine cette par­tie A.
Un pont de 55s à 1′ relance la par­tie A qui présente un pas­sage piano, ce qui rompt la monot­o­nie et qui sem­ble annon­cer quelque chose.
Ce quelque chose, c’est peut-être l’impression de tohu-bohu qui appa­raît à 1:19 et qui s’apaise à 1:24. Enfin, à 1:33, un solo de vio­lon enchanteur et par­ti­c­ulière­ment grave (util­i­sa­tion d’un alto ?) mag­ni­fie l’interprétation. Il est réal­isé par Leopol­do Schiffrin (Leo), qui avait inté­gré l’orchestre dès 1928 et qui en sera le pre­mier vio­lon jusqu’en 1947, date où il se sépara de l’orchestre qui par­tait en tournée en Espagne. L’un de ses fils est le com­pos­i­teur Lalo Schiffrin (Boris Clau­dio Schifrin) qui a notam­ment fait la musique du film de Car­los Saura « Tan­go ».
Le rythme à qua­tre temps avec le pre­mier temps faible et grave est repris et donne une expres­sion orig­i­nale sup­plé­men­taire à ce pas­sage.
La vari­a­tion finale, per­met de met­tre en valeur les instru­ments à vent de l’orchestre.
Cette vari­a­tion est annon­cée par un long pont à la tonal­ité changeante de 2:02 à 2:10 où appa­rais­sent le sax­o­phone et la clar­inette de Carme­lo Aguila et Pri­mo Staderi. Il est impos­si­ble de savoir qui jouait tel ou tel instru­ment lors de cet enreg­istrement, car les deux jouaient du saxo et de la clar­inette.
À 2:28, on remar­quera, après un trait de piano (Oscar Napoli­tano), une courte envolée de la clar­inette qui précède les deux accords ter­minaux.

Paroles

Yo quisiera saber
qué des­ti­no bru­tal
me con­de­na al hor­ror
de este infier­no en que estoy…
Cas­ti­gao como un vil,
pa’ que sufra en mi error
el fra­ca­so de un ansia de amor.
Con­de­nao al dolor
de saber pa’ mi mal
que vos nun­ca serás,
nun­ca… no para mí.
Que sos de otro… y que hablar,
es no verte ya más,
es perderte pa’ siem­pre y morir.

He arras­trao llo­ran­do
la esper­an­za de olvi­dar,
enfan­gan­do mi alma
en cien amores, sin piedad.
Sueño inútil. No he podi­do
No, olvi­dar…
Hoy como ayer
ciego y bru­tal me abra­so
en ansias por vos.

Y lo peor, lo bes­tial
de este dra­ma sin fin
es que vos ni sabés
de mi amor infer­nal…
Que me has dao tu amis­tad
y él me brin­da su fe,
y ninguno sospecha mi mal…
¿Quién me hir­ió de este amor
que no puedo apa­gar?
¿Quién me empu­ja a matar la razón
como un vil?
¿Son tus ojos quizás?
¿O es tu voz quien me ató?…
¿O en tu andar se entremece mi amor?
Enrique San­tos Dis­cépo­lo; Fran­cis­co Pracáni­co Letra : Enrique San­tos Dis­cépo­lo

Traduction libre

Je voudrais savoir quel sort bru­tal me con­damne à l’hor­reur de cet enfer dans lequel je suis…
Punis comme un vil, pour que je souf­fre dans mon erreur de l’échec d’un désir d’amour.
Con­damné à la douleur de savoir pour mon mal que toi tu ne seras jamais, jamais… pour moi.
Que tu sois à un autre
(sos sig­ni­fie tu es. Il est util­isé en jeu de mot pour S.O.S.)… et que par­ler, ce soit ne plus te voir, c’est te per­dre à jamais et mourir.
Je me suis traîné, pleu­rant l’e­spoir d’ou­bli­er, en embrouil­lant mon âme dans cent amours, sans pitié.
Rêve inutile. Je n’ai pas été capa­ble d’oublier…
Aujour­d’hui, comme hier, aveu­gle et bru­tal, je brûle de te désir­er.
Et le pire, le bes­tial de ce drame sans fin, c’est que tu ne sais pas mon amour infer­nal…
Que tu m’as don­né ton ami­tié et lui m’a don­né sa foi, et que per­son­ne ne soupçonne mon mal…
Qui m’a blessé de cet amour que je ne peux pas étein­dre ?
Qui me pousse à tuer la rai­son comme un vil ?
Ce sont tes yeux, peut-être ?
Ou est-ce ta voix qui m’a attaché ?…
Ou, dans ta démarche s’immisce mon amour ?

Autres versions

Les ver­sions de Canaro sont sans doute les plus dif­fusées, mais notre tan­go du jour prou­ve qu’il y a des alter­na­tives, cer­taines pour la danse, d’autre pour l’écoute et cer­taines, pour l’oubli…

Con­de­na (S.O.S.) 1934-11-16 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

On trou­ve des simil­i­tudes, comme sou­vent, entre la ver­sion de Lomu­to et celle de Canaro. La clar­inette est encore plus présente et bril­lante. Canaro a fait appel pour cet enreg­istrement à des musi­ciens de son ensem­ble de jazz.
La très orig­i­nale vari­a­tion de Lomu­to n’existe pas dans cette ver­sion de Canaro et une cer­taine monot­o­nie peut donc se dégager de cette ver­sion. Cela ne dérangera pas for­cé­ment les danseurs qui n’utilisent que la cadence, mais ce petit manque est peut-être un des élé­ments qui a con­duit Canaro à réen­reg­istr­er le titre en 1937, avec Rober­to Mai­da.

Affiche du film “Melodías Porteñas” (1937) dans lequel Aman­da Les­des­ma chante deux fois Con­de­na

Aman­da Les­des­ma chante deux fois Con­de­na dans le film “Melodías Porteñas” réal­isé en 1937 par Luis Moglia Barth sur un scé­nario de de René Garzón, Luis Moglia Barth et Enrique San­tos Dis­cépo­lo.
Les rôles prin­ci­paux sont tenus par Rosi­ta Con­tr­eras, Enrique San­tos Dis­cépo­lo et Aman­da Ledes­ma.
Un autre intérêt du film est que Enrique San­tos Dis­cépo­lo, auteur de la musique et des paroles est égale­ment acteur dans le film, comme on peut le voir dans ces extraits…

Con­de­na 1937 — Aman­da Les­des­ma dans le film Melodías Porteñas de Luis Moglia Barth. Mon­tage des deux inter­pré­ta­tions dans le film.
Con­de­na (S.O.S.) 1937-11-05 — Aman­da Les­des­ma y su Trío Típi­co.

Une jolie ver­sion qui prof­ite de son suc­cès dans le film “Melodías Porteñas”.

Con­de­na (S.O.S.) 1937-11-08 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Rober­to Mai­da.

L’intervention de Mai­da casse la monot­o­nie du titre. C’est à mon sens une meilleure ver­sion si on doit choisir Canaro pour le bal. Cette ver­sion reste tout à fait tonique et inci­sive, un délice pour les danseurs qui mar­quent les pas ou qui aiment le canyengue.

Con­de­na (S.O.S.) 1937-12-26 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to. C’est notre tan­go du jour.
Con­de­na (S.O.S.) 1937-12-29 — Tania acomp. de Orques­ta Enrique Dis­cépo­lo.

Un des intérêts de cet enreg­istrement est qu’il est de l’auteur de la musique et des paroles et que Tania était sa com­pagne.
L’introduction du vio­lon mar­que que l’on entre dans un univers dif­férent des ver­sions de Canaro et Lomu­to. C’est une ver­sion pour l’écoute et on aurait tort de se priv­er de la belle voix de Tania. Nous l’avons déjà ren­con­trée, cette chanteuse espag­nole, car c’est elle qui a importé en Argen­tine « Fuman­do espero » avec le Con­jun­to The Mex­i­cans.

Tania et Dis­ce­po­lo
Con­de­na (S.O.S.) 1954 — Héc­tor Mau­ré con acomp. de Orques­ta Juan Sánchez Gorio.

La voix de ténor de Héc­tor Mau­ré est un peu plus lourde dans cet enreg­istrement. C’est pour l’écoute et chan­té avec sen­ti­ment.

Con­de­na (S.O.S.) 1969 — Alber­to Mari­no con orques­ta.

J’ai évo­qué des ver­sions à oubli­er. Peut-être est-ce pour celle-ci, un peu « sur­jouée »…

Con­de­na (S.O.S.) 2013-11-30 — Hype­r­i­on Ensem­ble con Rubén Peloni.

Hype­r­i­on et l’ami Rubén font de belles ver­sions pour la danse. On remar­quera la fin, assez orig­i­nale.

Con­de­na (S.O.S.) 2015 — Sex­te­to Cristal con Guiller­mo Rozen­thuler.

Une des spé­cial­ités du Sex­te­to Cristal est de ressor­tir les gros suc­cès des encuen­tros milongueros. Cette copie de la ver­sion de Canaro, est un peu moins « sèche », plus ronde et peut con­venir à cer­tains danseurs qui apprécieront la meilleure qual­ité de l’enregistrement. En presque un siè­cle, de gros pro­grès ont été faits de ce côté…

Pour ter­min­er, tou­jours avec le Sex­te­to Cristal, un enreg­istrement vidéo de Con­de­na durant le fes­ti­val Tan­goneón à Hérak­lion, Crète le 16 juil­let 2022. Ce titre est à 24:47.

Con­de­na durant le fes­ti­val Tan­goneón à Hérak­lion, Crète le 16 juil­let 2022. Ce titre est à 24:47

Les fans du Sex­te­to Cristal pour­ront enten­dre le con­cert en entier…
À vous de danser et à bien­tôt les amis.

Corazón de oro 1980-07-01 — Orquesta Alfredo De Angelis

Francisco Canaro Letra: Jesús Fernández Blanco

La valse d’aujourd’hui, Corazón de oro, créée par Fran­cis­co Canaro est un immense suc­cès, mais la ver­sion du jour va sans doute vous éton­ner. Si elle ne vous plait pas, je me rat­trap­erai avec les nom­breuses ver­sions de Canaro. Mais comme je sais que vous avez un cœur en or, vous me par­don­nerez de vous infliger une ver­sion de Alfre­do De Ange­lis, bien étrange.

Extrait musical

Corazón de oro 1980-07-01 — Orques­ta De Ange­lis.

L’introduction est réduite en étant jouée plus rapi­de­ment (les descentes chro­ma­tiques sont jouées en croches et pas en noires, donc deux fois plus rapi­de­ment.
Ce qui vous sur­pren­dra rapi­de­ment, ce sont les sonorités, au piano de De Ange­lis, aux superbes vio­lons, aux ban­donéons vir­tu­os­es, s’ajoute un orgue élec­tron­ique, à par­tir de 45 sec­on­des.
Celui chante la mélodie, puis les autres se mélan­gent de nou­veau. Le résul­tat manque un peu de clarté et je ne suis pas con­va­in­cu qu’il soit totale­ment appré­cié par les danseurs qui risquent de regret­ter les ver­sions de Canaro que vous allez pou­voir appréci­er à la suite de cet arti­cle.

Corazón de oro — Fran­cis­co Canaro Letra: Jesús Fer­nán­dez Blan­co.

La par­ti­tion demande trois pages, con­tre deux générale­ment à cause de la très longue intro­duc­tion, vrai­ment très longue dans cer­taines ver­sions, même si ce n’est pas le cas pour notre valse du jour par De Ange­lis qui ne fait « que » 15 sec­on­des.

Paroles

Con su amor mi madre me enseñó
a reír y soñar,
y con besos me alen­tó
a sufrir sin llo­rar…
En mi pecho nun­ca ten­go hiel,
en el alma, can­ta la ilusión,
y es mi vida ale­gre cas­ca­bel.
¡Con oro se for­jó mi corazón!…
Siem­pre he sido noble en el amor,
el plac­er, la amis­tad;
mi car­iño no causó dolor,
mi quer­er fue ver­dad…
Cuan­do sien­to el filo de un puñal
que me cla­va a veces la traición,
no enmudece el pájaro ide­al,
¡porque yo ten­go de oro el corazón!…

Entre amor
flo­recí
y el dolor
huyó de mí.
Sé curar
mi aflic­ción
sin llo­rar,
¡ten­go de oro el corazón!…

¡Los ruiseñores de mi ale­gría
van por mi vida can­tan­do a coro
y en las cam­panas del alma mía
resue­na el oro del corazón!…

Yo pagué la negra ingrat­i­tud
con gen­til com­pasión,
y jamás dejó mi juven­tud
de entonar su can­ción…
Al sen­tir el alma enarde­cer
y apu­rar con ansia mi pasión,
no me da dolores el plac­er,
¡pues ten­go de oro puro el corazón!…
Entre risas pasa mi vivir,
siem­pre amé, no sé odi­ar,
y con­vier­to en tri­nos mi sufrir
porque sé per­donar…
Mi exis­ten­cia quiero embel­le­cer,
pues al ver que muere una ilusión,
otras bel­las sien­to renac­er,
¡mi madre me hizo de oro el corazón!…

Fran­cis­co Canaro Letra: Jesús Fer­nán­dez Blan­co

Traduction libre

Avec son amour, ma mère m’a appris à rire et à rêver, et avec des bais­ers, elle m’a encour­agé à souf­frir sans pleur­er…
Dans mon cœur je n’ai jamais de fiel, dans mon âme l’illusion chante, et ma vie est un joyeux car­il­lon (cas­ca­bel = grelot, j’ai un peu inter­prété et surtout, il ne faut pas pren­dre cas­ca­bel pour une de ses sig­ni­fi­ca­tions en lun­far­do).
Mon cœur s’est forgé avec de l’or…
J’ai tou­jours été noble en amour, en plaisir, en ami­tié ; mon affec­tion ne cau­sait pas de douleur, mon amour était vrai…
Quand je sens le tran­chant d’un poignard qui me transperce par­fois de trahi­son, l’oiseau idéal ne se tait pas, car mon cœur est fait d’or…
entouré d’amour, je fleuris­sais et la douleur me fuyait.
Je sais guérir mon afflic­tion sans pleur­er, j’ai un cœur en or…
Les rossig­nols de ma joie tra­versent ma vie en chan­tant en chœur et dans les cloches de mon âme résonne l’or du cœur…
J’ai payé l’ingratitude noire avec une douce com­pas­sion, et ma jeunesse n’a jamais cessé de chanter sa chan­son…
Quand je sens mon âme enflam­mer et ani­mer avec ardeur ma pas­sion, le plaisir ne me cause pas de douleur, car mon cœur est fait d’or pur…
Entre les rires ma vie passe, j’ai tou­jours aimé, je ne sais pas haïr, et je trans­forme ma souf­france en trilles parce que je sais par­don­ner…
Je veux embel­lir mon exis­tence, car quand je vois qu’une illu­sion (un sen­ti­ment amoureux) meurt, j’en sens d’autres, belles, renaître, ma mère a fait mon cœur en or…

Autres versions

Corazón de Oro par Canaro

La com­po­si­tion est de Canaro et c’est donc lui qui se taille la part du lion des enreg­istrements. Je vous pro­pose de com­mencer par lui et de revenir ensuite avec des enreg­istrements inter­mé­di­aires d’autres orchestres.

Corazón de oro 1928-05-19 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Une intro­duc­tion qui prend son temps, très lente. La valse ne com­mence qu’après 50 sec­on­des, ce qui est beau­coup pour la patience des danseurs d’aujourd’hui. On peut éventuelle­ment la plac­er en début de tan­da, ou couper l’introduction. Les vio­lons émet­tent des miaule­ments éton­nants. Bien que d’une durée respectable (près de 5 min­utes), cette valse n’est pas monot­o­ne et pour­ra sat­is­faire les danseurs. Elle est très rarement passée en milon­ga. Il faut dire qu’elle a plein de copines du même Canaro qui sont intéres­santes. Jetons‑y un œil.

Corazón de oro 1928-08-07 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Char­lo.

L’introduction est rel­a­tive­ment longue, mais plus rapi­de que pour la ver­sion de mai de la même année. De plus, elle tourne un peu, annonçant plus la valse qui va suiv­re. Elle est plus rapi­de et Char­lo, inter­vient pour chanter le refrain à près de deux min­utes. C’est une ver­sion qui tourne bien et qui donc a toute sa place en milon­ga.

Corazón de oro 1929-12-17 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

C’est déjà le troisième enreg­istrement de cette valse par Canaro. L’in­tro­duc­tion est du type long, mais moins lente que dans la pre­mière ver­sion de 1928. Le ralen­tisse­ment de la fin est sym­pa­thique.

Corazón de oro 1930-06-11 — Ada Fal­cón con acomp. de Fran­cis­co Canaro.

L’introduction avec ses 25 sec­on­des peut être lais­sée. Elle laisse immé­di­ate­ment la place à la voix mag­nifique de Ada Fal­cón. Ce n’est pas une ver­sion de danse, mais elle est si jolie que je pense qu’une bonne par­tie des danseurs par­don­neront aux DJ qui la passera en milon­ga. Pour ma part, j’adore.

Corazón de oro 1938-03-24 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Décidé­ment Canaro enchaîne les enreg­istrements de sa valse. J’ai l’impression que c’est la ver­sion qui passe le plus sou­vent en milon­ga. Elle démarre sans longue intro­duc­tion et le rythme est bien mar­qué. L’équilibre entre les ban­donéons avec les vio­lons en con­tre­point est mag­nifique. C’est donc logique­ment que les danseurs l’apprécient d’autant que cer­tains pas­sages plus énergiques réveil­lent l’attention. La flûte et la trompette bouchée, qui rap­pel­lent que Canaro donne aus­si dans le jazz donne une sonorité orig­i­nale à cette ver­sion qui n’est pas monot­o­ne mal­gré sa durée respectable de 3:13 min­utes. Sa fin dynamique per­met de l’envisager en fin de tan­da.

Corazón de oro 1951-11-26 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Canaro a lais­sé quelques années de côté sa valse pour la ressor­tir dans une ver­sion remaniée. C’est la ver­sion qui servi­ra de mod­èle à Lalo Schifrin pour la musique du film Tan­go de Car­los Saura. La présence de chœur chan­tant la mélodie sans paroles est aus­si une orig­i­nal­ité, égale­ment reprise par Lalo Schifrin. Cette ver­sion béné­fi­cie aus­si de la fin tonique qui en fait une bonne can­di­date de fin de tan­da.

Corazón de oro 1961-12-26 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con coro.

La dernière ver­sion enreg­istrée par Canaro, trois ans avant sa mort. Cet enreg­istrement a été effec­tué au Japon. Les Japon­ais sont pas­sion­nés de tan­go et le suc­cès des tournées des artistes argentins en témoigne.
Canaro renoue avec l’introduction longue et lente de la pre­mière ver­sion qui atteint 50 sec­on­des. Le résul­tat est encore une valse qui dépasse les 4 min­utes, ce qui peut pouss­er les DJ à couper l’introduction, d’autant plus qu’elle n’est pas dansante. C’est très joli, mais peut-être pas la ver­sion la plus touchante pour les danseurs. Comme dans la ver­sion de la décen­nie précé­dente le chœur apporte sa note d’originalité, mais c’est sans doute la fin qui est le plus remar­quable, après un pas­sage extrême­ment lent, une fin, explo­sive. En milon­ga, ça passe, ou ça casse. Soit les danseurs adorent, soit ils s’arrêtent de danser avant la fin. Il faut donc bien juger de son pub­lic avant de pass­er cette ver­sion.

On con­tin­ue avec le Quin­te­to Pir­in­cho qui a pro­longé l’héritage de Canaro après sa mort avec deux enreg­istrements.

Corazón de oro 1978 — Quin­te­to Pir­in­cho dir. Oscar Bassil.

Cette ver­sion, sou­vent éti­quetée Canaro, car il s’agit du Quin­te­to Pir­in­cho a été enreg­istré 14 ans après la mort de Canaro… C’est Oscar Bassil (ban­donéon­iste) qui dirigeait le Quin­te­to à cette époque.

Corazón de oro 1996 — Quin­te­to Pir­in­cho Dir. Anto­nio D’Alessandro.

Autre ver­sion du Pir­in­cho, dans la ver­sion lente. Cette fois dirigée par Anto­nio D’Alessandro.

Con­traire­ment à Bassil, D’Alessandro reprend la tra­di­tion de l’introduction lente qui dure dans le cas présent près de 40 sec­on­des. Les pre­miers temps de la valse sont très accen­tués par moments ce qui peut paraître man­quer de sub­til­ité. Cette ver­sion me sem­ble moins aboutie que celle de Bassil et le chœur a une voix que je trou­ve hor­ri­ble, voire presque lugubre. Cer­taine­ment pas ma ver­sion préférée si je souhaite faire plaisir aux danseurs, ce qui est en général mon objec­tif pre­mier…

Corazón de oro par d’autres orchestres

Pas­sons à d’autres orchestres main­tenant.

Corazón de oro 1950-04-11 — Juan Cam­bareri y su Cuar­te­to Típi­co.

Encore une ver­sion de Cam­bareri à une vitesse de fou furieux. C’est plus de l’essorage de linge que de la valse à une telle vitesse. Je me demande ce qu’il avait dans la tête pour don­ner des inter­pré­ta­tions à une telle vitesse. On est aux antipodes de Canaro qui était plutôt calme, voire très calme dans toutes ses ver­sions.

Corazón de oro 1954-11-05 — Orques­ta Juan Sánchez Gorio.

Une ver­sion calme, bien dansante, sans doute enten­due trop rarement en milon­ga. Il faut dire qu’avec le choix que pro­pose Canaro, on peut hésiter à sor­tir des sen­tiers bat­tus. Les con­tre­points du piano sont par­ti­c­ulière­ment orig­in­aux. J’aime beau­coup et en général, les danseurs aus­si (c’est la moin­dre des choses pour un DJ que de pass­er des choses qui don­nent envie de danser…).

Corazón de oro 1955-06-13 — Orques­ta Franci­ni-Pon­tier.

Une ver­sion intéres­sante, destruc­turée et avec des artistes vir­tu­os­es, que ce soit le vio­lon de Franci­ni ou le piano de Angel Sci­chet­ti. J’avoue que je n’irai pas la pro­pos­er en milon­ga, mais cette ver­sion vaut tout de même une écoute atten­tive.

Corazón de oro 1959 — Juan Cam­bareri y su Cuar­te­to de Ayer.

Non, Cam­bareri ne s’est pas calmé, ou alors, très peu. Cette ver­sion est qua­si­ment aus­si rapi­de que celle de 1950.

Corazón de oro 1959 — Los Vio­lines De Oro Del Tan­go.

Une ver­sion plutôt ori­en­tée musique clas­sique, mais pas inin­téres­sante.

Corazón de oro 1979 — Nel­ly Omar con el con­jun­to de gui­tar­ras de José Canet.

La voix chaleureuse de Nel­ly Omar donne une ver­sion orig­i­nale de cette valse. Il y a peu de ver­sions chan­tées, il est donc intéres­sant d’en avoir une de plus, même si ce n’est pas pour danser. On notera qu’elle utilise de façon per­son­nelle les paroles, mais après tout, pourquoi pas.

Corazón de oro 1980-07-01 — Orques­ta De Ange­lis. C’est notre valse du jour.

Je vous pro­pose de ter­min­er avec cette ver­sion, on pour­rait sinon con­tin­uer à se per­dre dans les ver­sions pen­dant des heures, tant ce titre a été enreg­istré.

Canaro et De Angelis

Un des derniers dis­ques de De Ange­lis s’appelle Bodas de Oro con el Tan­go. Le livre de mémoires de Canaro est égale­ment sous-titré Mis Bodas de Oro con el Tan­go. J’ai trou­vé amu­sante cette coïn­ci­dence.

Las bodas de oro de Canaro y De Ange­lis. Le disque et la cas­sette édités en 1982 et le livre de Canaro édité en 1956. On notera la présence de Gigi De Ange­lis, la fille de De Ange­lis, chanteuse.

Alfre­do De Ange­lis a enreg­istré 17 titres de Canaro. Notre valse du jour n’est pas sur ce disque, mais sur un disque inti­t­ulé Al col­orado de Ban­field (1985), le col­orado (le rouquin), c’est De Ange­lis, qui était fan du club de foot­ball de Ban­field. Il a d’ailleurs écrit un tan­go « El Tal­adro », El Tal­adro étant le surnom du club de Ban­field.

L’album s’appelle Al Col­orado de Ban­field à cause du tan­go com­posé par Ernesto Baf­fa et Rober­to Pérez Prechi en l’honneur de De Ange­lis.
Il a été pub­lié en 1985, mais il com­porte des enreg­istrements de 1980 (comme notre valse du jour), jusqu’à 1985. C’est son dernier disque.

Canaro et De Ange­lis ont leurs par­ti­sans et leurs opposants. Aucun des deux n’a pu entr­er dans le saint des saints des 4 piliers, réservé à Pugliese, Troi­lo, D’Arienzo et Di Sar­li, mais ils ont créé tous les deux suff­isam­ment de titres intéres­sants pour avoir une bonne place dans le pan­théon du tan­go et tant pis pour les ron­chon­chons qui n’aiment pas.

À demain les amis !

Maestrita de mis pagos 1955-05-31 — Orquesta Juan Sánchez Gorio con Osvaldo Bazán

Miguel Roberto Abrodos Letra: Eugenio Majul

La valse du jour a été écrite par deux auteurs dont vous con­nais­sez au moins une autre valse, Her­mana par De Ange­lis et Godoy. Maestri­ta de mis pagos est une autre valse, sans doute très rare, mais joli­ment inter­prétée par Gorio et Bazán. Elle mérite donc qu’on s’y arrête, d’autant plus que le texte s’adresse à un per­son­nage peu évo­qué dans le tan­go, la maîtresse… d’école.
En effet, maestri­ta de mis pagos sig­ni­fie, la petite maîtresse (petite mar­que l’affection) de mon vil­lage (l’ex­pres­sion “mis pagos” est surtout util­isé à la cam­pagne).

Extrait musical

Maestri­ta de mis pagos 1955-05-31 — Orques­ta Juan Sánchez Gorio con Osval­do Bazán.

La valse démarre tout de suite, l’alternance entre le piano et l’orchestre est ravis­sante. À 1 :30 Osval­do Bazán com­mence à chanter et à dire le réc­i­tatif. On notera qu’il ne dit pas le pre­mier réc­i­tatif.

Paroles

Recita­do:
Ya ves… no te olvi­do, maestri­ta lejana
Estás en mis ver­sos y estás en mi voz…
Como cuan­do el lirio de tus blan­cas canas
Per­fumó mi beso, que te dijo adiós…

Tus manos queri­das, cer­cadas aho­ra
Por ese recuer­do tan tibio y fugaz,
Mi pelo acari­cia, ven­cien­do las horas
Maestri­ta sufri­da que no he de ver más.

Qué lejos que­dose tu beso más tier­no
Y esa lagrim­i­ta qué lejos tam­bién,
Esa que llorabas, nerviosa en invier­no
Porque mis ropi­tas no abri­ga­ban bien.

Hoy te evo­co, maestri­ta de mis pagos
Madrecita encaneci­da, estás en mí,
Quién pudiera revivir viejos hala­gos
Bal­buce­an­do una lec­ción muy jun­to a ti.
O sigu­ien­do con su tra­zo un lápiz rojo
Con un sol de un “vis­to bueno” jun­to a él,
Encon­trar tu mano blan­ca ante mis ojos
En un sueño de alb­o­radas y de miel.

Recita­do:
Qué dis­tin­to el mun­do que soñé a tu lado
Sobre el fon­do blan­co de tu delan­tal,
Ron­di­ta del patio, pizarrón ama­do
Cuán­ta nieve el tiem­po, der­ramó en mi mal.

Volver un instante a los días risueños
Sería sin duda, volverte a escuchar,
Cer­ran­do los ojos, maestri­ta, entre sueños
Quizá has­ta te oyera, feliz, dele­trear.

Vería a la humilde y cor­dial cam­pani­ta
Lla­man­do a recreo, que­bra­da su voz,
Los cam­pos lin­deros, sus mil mar­gar­i­tas
Y todo un paisaje, miran­do hacia Dios.

Miguel Rober­to Abro­dos Letra: Euge­nio Majul
Il y a deux réc­i­tat­ifs (indiqués en bleu) et 5 cou­plets.

Miguel Rober­to Abro­dos Letra: Euge­nio Majul

Miguel Rober­to Abro­dos Letra: Euge­nio Majul
Il y a deux réc­i­tat­ifs (indiqués en bleu) et 5 cou­plets.
Il y a deux réc­i­tat­ifs (indiqués en bleu) et 5 cou­plets.
Osval­do Bazán chante ou dit tout ce qui est en gras.
Dante Ressia chante ou dit, tout et ter­mine en reprenant ce qui est en rouge.

Traduction libre et indications

Euge­nio Majul est avant tout un poète. Cela se remar­que déjà par la con­struc­tion de son texte, en dodéca­syl­labes avec coupe à l’hémistiche pour cer­tains vers, ce qui en fait qua­si­ment des alexan­drins. Les rimes sont en bonne par­tie rich­es. C’est donc un texte très tra­vail­lé, mais aus­si très long. Ce qui fait que la par­tie chan­tée de ces deux ver­sions est très impor­tante en pro­por­tion. Même si on sort de la péri­ode de l’âge d’or de la danse de tan­go, cette valse, notam­ment dans la ver­sion de Gorio, reste dans­able. Intéres­sons-nous main­tenant au texte que mal­heureuse­ment, je ne saurais pas trans­met­tre dans son essence poé­tique.

Petite maîtresse d’école de mon vil­lage

Réc­i­tatif
Là, tu vois… Je ne t’oublie pas, loin­taine maîtresse, tu es dans mes vers et tu es dans ma voix…
Comme quand le lys de tes cheveux blancs a par­fumé mon bais­er, qui t’a dit au revoir…
Vos chères mains, fer­mées main­tenant, de ce sou­venir si chaud et fugace, cares­saient mes cheveux, gag­nant les heures, maîtresse souf­frante que je ne ver­rai plus.
Comme est loin ton bais­er le plus ten­dre et cette petite larme si loin­taine aus­si, celle que tu as pleurée, nerveuse en hiv­er parce que mes vête­ments ne m’abritaient pas bien.
Aujourd’hui je t’évoque, maîtresse de mon vil­lage, petite mère aux cheveux gris, tu es en moi, qui pour­rais raviv­er de vieux encour­age­ments, moi, bal­bu­tiant une leçon tout con­tre toi.
Ou suiv­ant avec son tracé, un cray­on rouge, avec un soleil d’approbation à côté, décou­vrir ta main blanche devant mes yeux dans un rêve d’aube et de miel.
Réc­i­tatif
Comme le monde est dif­férent de ce que je rêvais à ton côté, sur le fond blanc de ton tabli­er, une ronde dans la cour, un tableau noir bien-aimé, com­bi­en de neige le temps a déver­sé sur mon mal.
Revenir un instant aux jours souri­ants serait sans doute, t’écouter de nou­veau, en fer­mant les yeux, petite maîtresse, dans mes rêves peut-être même irais-je jusqu’à t’entendre, heureux, épel­er.
Je ver­rais la petite cloche hum­ble et cor­diale appel­er à la récréa­tion, sa voix brisée, les champs voisins, leurs mille mar­guerites et tout un paysage, regar­dant vers Dieu.
Ce texte est donc une ode funèbre à son enseignante de pri­maire. Le rythme de la valse fait pass­er le mes­sage sans tristesse par­ti­c­ulière.

Autres versions

Cela va aller vite, il n’y a que deux enreg­istrements Notre valse du jour et une ver­sion par un chanteur plus rare, Dante Ressia. Les deux enreg­istrements se sont faits à 12 jours d’écart.

Maestri­ta de mis pagos 1955-05-19 — Dante Ressia.

Cette valse en chan­son renoue avec la tra­di­tion des payadores, ces chanteurs impro­visa­teurs qui s’accompagnaient à la gui­tare. Pas d’improvisation dans ce cas, puisque le texte est écrit par le poète Euge­nio Majul.

Maestri­ta de mis pagos 1955-05-31 — Orques­ta Juan Sánchez Gorio con Osval­do Bazán. C’est notre valse du jour.

Osval­do Bazán, chante beau­coup, mais cela va bien dans la musique et cette valse est tout à fait dansante. Peut-être à pass­er le 11 sep­tem­bre, jour des Mae­stros et des Maes­tras en Argen­tine. À ce sujet, le terme de mae­stro indique un enseignant d’école pri­maire…

Un petit cadeau pour mieux connaître les auteurs

Je vous pro­pose deux valses écrites par la même équipe, Miguel Rober­to Abro­dos et Euge­nio Majul ; Feliz cumpleaños mamá et Her­mana.

Feliz cumpleaños mamá 1954-11-05 — Orques­ta Juan Sánchez Gorio con Osval­do Bazán.

Même com­pos­i­teur, même paroli­er, même orchestre et même chanteur. Cela ne suf­fit pas pour faire une tan­da, mais pour com­pléter, on pour­ra piocher dans une des dix autres valses de Gorio avec Bazán, avec Luis Men­doza, avec le duo Men­doza- Bazán ou dans les valses instru­men­tales. Par exem­ple, avec A mi madre (à ma mère) pour com­pléter la valse d’anniversaire…

Pour con­tin­uer avec la famille, voici l’autre valse écrite par l’équipe et que vous con­nais­sez for­cé­ment. Il s’agit d’Her­mana (sœur) :

Her­mana 1958-09-26 — Orques­ta Alfre­do De Ange­lis con Juan Car­los Godoy.

Et pour ter­min­er une petite infor­ma­tion. Rober­to Abro­tos avait 8 frères et avec deux d’entre eux (Manuel et José), il a enreg­istré 600 titres de folk­lore, vous les trou­vez sur leurs nom­breux dis­ques (78 tours) sous le nom de Los her­manos Abro­dos.

Si vous voulez en savoir plus sur ces pio­nniers du folk­lore, je vous con­seille cet arti­cle réal­isé à par­tir de repro­duc­tion d’articles tirés de la revue Revista folk­lore.

Et pour les écouter, leur canal YouTube ou une bonne par­tie de leur discogra­phie est pro­posée…

Moli­na Cam­pos, escueli­ta criol­la (petite école de cham­pagne en Argen­tine). Prob­a­ble­ment le type de celle dont par­le la valse, mais avec une maîtresse plus avenante…
Intér­pré­ta­tion de Moli­na Cam­pos, escueli­ta criol­la. J’ai essayé de don­ner une tête plus humaine à la maîtresse…

Niño bien 1953-03-08 — Enrique Mora y su Cuarteto Típico con Elsa Moreno

Juan Anto­nio Col­la­zo Letra : Rober­to Fontaina ; Víc­tor Soliño

Un Niño bien est un jeune homme de bonne famille, élé­gant et un peu pré­cieux. Cepen­dant, le tan­go du jour par­le d’un autre Niño bien. Enrique Mora et Elsa Moreno vous invi­tent à décou­vrir le per­son­nage avec une car­i­ca­ture légère et entraî­nante. C’est aus­si pour moi, l’occasion de vous faire sou­venir d’un orchestre un peu oublié.

Même dans le monde du tan­go, il y a des per­son­nes qui aiment paraître, qui ont la « nar­iz para­da » (le nez relevé par la fierté), qui souhait­ent péter plus haut que leur cul. Ce tan­go, dont les paroles qui sont de Rober­to Fontaina et Víc­tor Soliño, par­lent d’un de ces per­son­nages de ban­lieue qui joue à être de la haute (société).
Ce tan­go a été enreg­istré à divers­es repris­es, en deux vagues.
La plus anci­enne ver­sion est une ver­sion chan­tée par Alber­to Vila, accom­pa­g­né à la gui­tare en 1927. L’année suiv­ante, la Típi­ca Vic­tor enreg­istre une ver­sion instru­men­tale et en 1930 Irus­ta le chante avec Lucio Demare (piano) et Samul Reznik (vio­lon).
Puis le titre reste dans l’ombre, jusqu’en 1948. Nous écouterons cer­tains de ces enreg­istrements.

À propos de Niño bien

 Niño bien a don­né son nom à une milon­ga du jeu­di à Buenos Aires qui était fameuse mais qui a mal­heureuse­ment dis­paru, comme tant d’autres.

La Leone­sa, le salon où se déroulait la milon­ga Niño bien. Je pense que vous recon­nais­sez le DJ 😉

Cette milon­ga était suff­isam­ment fameuse pour que Bri­an Win­ter donne son nom à un de ses livres (Bien après minu­it à la Niño bien). Une autre milon­ga fameuse qui elle aus­si a dis­paru, Thun­der­land est l’autre héroïne par­mi les milon­gas citées dans ce livre.

La cap­ti­vante quête d’une Améri­caine dans les milon­gas portègnes pour retrou­ver le bel Argentin dont elle est tombée amoureuse dans une milon­ga aux USA. Pour le retrou­ver, elle devra décou­vrir tous les aspects du tan­go. Ce livre per­met de se remé­mor­er des lieux qui n’existent plus, dont la fameuse milon­ga Niño Bien évo­quée ci-dessus. Je ne vous en dis pas plus pour ne pas vous gâch­er le plaisir de lire ce livre paru en 2008, mais qui place l’histoire en 1999.

Enrique Mora y su Cuarteto Típico con Elsa Moreno

Enrique (Faus­ta) Mora (8 févri­er 1915 – 14 juil­let 2003) est sans doute injuste­ment oublié, Il était un bril­lant pianiste, chef d’orchestre et com­pos­i­teur de tan­gos comme Este es tu tan­go, con­nu par les enreg­istrements de Ricar­do Tan­turi avec Rober­to Videla ou Enrique Rodriguez avec Arman­do Moreno.
J’imagine que son oubli vient en par­ti­c­uli­er du fait qu’il n’a enreg­istré que dans les années 50, un moment où le tan­go de danse était en régres­sion. Il n’a donc pas été réédité aus­si rapi­de­ment que les mon­stres sacrés. Je suis donc con­tent de lui redonner jus­tice, comme j’avais ressor­ti de l’oubli Dona­to Rac­ciat­ti il y a une ving­taine d’années (en France). D’ailleurs, à l’écoute, on retrou­vera une simil­i­tude entre Mora, Rac­ciat­ti et Fir­po, jusqu’à la façon de chanter d’Elsa Moreno qui peut évo­quer Nina Miran­da ou Olga Del­grossi, voire Tita Merel­lo qui a aus­si chan­té ce titre.
Elsa Moreno a enreg­istré une douzaine de titres avec le cuar­te­to d’Enrique Mora entre 1953 et 1956. Niño bien est le pre­mier de la série.

Extrait musical

Niño bien 1953-03-08 — Enrique Mora y su Cuar­te­to Típi­co con Elsa Moreno
Couverture du numéro 40 de la revue hebdomadaire El tango de Moda (1929). Cette revue a été publiée d’octobre 1928, jusqu’en 1934.
Cou­ver­ture du numéro 40 de la revue heb­do­madaire El tan­go de Moda (1929). Cette revue a été pub­liée d’octobre 1928, jusqu’en 1934.

Les paroles

Niño bien, pre­ten­cioso y engrupi­do,
que tenés berretín de fig­u­rar;
niño bien que llevás dos apel­li­dos
y que usás de escrito­rio el Petit Bar;
pelandrún que la vas de dis­tin­gui­do
y siem­pre hablás de la estancia de papá,
mien­tras tu viejo, pa’ ganarse el puchero,
todos los días sale a vender fainá.

Vos te creés que porque hablás de ti,
fumás taba­co inglés
paseás por Sarandí,
y te cortás las patil­las a lo Rodol­fo
sos un fifí.
Porque usás la cor­ba­ta car­mín
y allá en el Chante­cler
la vas de bailarín,
y te mandás la bia­ba de gom­i­na,
te creés que sos un rana
y sos un pobre gil.

Niño bien, que naciste en el sub­ur­bio
de un bulín alum­brao a querosén,
que tenés pedi­grée bas­tante tur­bio
y decís que sos de famil­ia bien,
no manyás que estás mostran­do la hilacha
y al cam­i­nar con aire tri­un­fador
se ve bien claro que tenés mucha clase
para lucirte detrás de un mostrador.

Juan Anto­nio Col­la­zo Letra: Rober­to Fontaina; Víc­tor Soliño

Traduction

Niño bien (enfant de « bonne famille »), pré­ten­tieux et van­i­teux, qui a pour but (loisir), le paraître ;
Un Niño bien qui porte deux noms de famille et qui utilise le Petit Bar comme bureau ;
Pelandrún (per­son­ne oisive et paresseuse) qui se meut de façon dis­tin­guée et qui par­le tou­jours de l’estancia (ferme de gros pro­prié­taire ter­rien) de papa, bien que ton vieux (père), pour gag­n­er sa vie, sort tous les jours pour ven­dre des fainás (pains plats à base de farine de pois chich­es, ali­ment pour les pau­vres, mais que vendent aus­si les pizze­rias argen­tines).
Tu crois que, parce-ce que tu par­les de toi, que tu fumes du tabac anglais, que tu te promènes dans Sarandí et que tu coupes tes favoris comme Rodol­fo, tu es un fifi (éphèbe qui suit la mode).
Parce que tu portes la cra­vate carmin et que tu vas comme danseur au Chante­cler et que tu t’en­voies bia­ba de gom­i­na (coif­fure avec une quan­tité exagérée de gom­i­na), tu te prends pour une rana (grenouille, per­son­ne avisée) et tu es un pau­vre gil (imbé­cile, médiocre, cave).
Niño bien, qui est né dans les faubourgs, dans un bor­del éclairé au pét­role (kérosène), qui a un pedi­gree plutôt trou­ble et tu dis que tu descends d’une bonne famille,
Tu ne soupçonnes pas que tu mon­tres le fil et, lorsque tu march­es d’un air tri­om­phant, il est très clair que tu as beau­coup de classe pour briller der­rière un comp­toir.

La photo de couverture

Pour cette image, je ne suis pas par­ti de pho­tos. Je vais vous expli­quer la démarche, à la lueur des paroles du tan­go.

Siem­pre hablás de la estancia de papá, mien­tras tu viejo, pa’ ganarse el puchero, todos los días sale a vender fainá. [Tu par­les tou­jours du domaine de ton papa, cepen­dant ton vieux, pour gag­n­er la pitance, sort tous les jours pour ven­dre des fainás (Galettes à base de farine de pois chich­es)].

Au cou­plet suiv­ant : « te cortás las patil­las a lo Rodol­fo, sos un fifí. » Tu te tailles les pattes à la Rudoph (Valenti­no), tu es un efféminé.

Pour l’image, je suis par­ti de l’idée d’avoir le Niño Bien au pre­mier plan et à l’arrière-plan, son vieux père qui vend des fainás. Pour le le niño bien, j’ai choisi de par­tir de son mod­èle, à savoir Rudolph Valenti­no, cet acteur de l’époque du ciné­ma muet qui était con­sid­éré comme par­ti­c­ulière­ment beau. Pour le père, j’ai décidé de met­tre en avant (ou plutôt à l’arrière dans le cas présent) un véri­ta­ble vendeur de fainás. Il s’agit ici de galettes de farine de pois chich­es, cuites au four à piz­za, à la poêle, ou sur des instal­la­tions plus som­maires, comme on peut le voir sur la pho­to.
Voici les images orig­i­nales :

À gauche, Rudolph Valenti­no. Il y a un logo en bas à droite, mais je n’ai pas iden­ti­fié le stu­dio (pho­to ou ciné­ma). À droite, le « père » est en fait Ricar­do Ravadero, un vendeur ambu­lant de Buenos Aires dans les années 20 sur cette pho­to).

Autres versions

Niño bien 1927-12-03 — Alber­to Vila con gui­tar­ras.

Une jolie et sim­ple ver­sion par Alber­to Vila accom­pa­g­née par la gui­tare. Les tré­mo­los de la voix d’Alberto, sont peut-être un peu trop appuyés, mais c’est le témoignage d’une époque et d’une forme de chant qui eut ses émules.

Niño bien 1928-04-09 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor.

Cette ver­sion instru­men­tale. Sous ses airs de marche mil­i­taire, exprime bien la fierté de notre niño bien marchant d’un pas tri­om­phant dans la rue Sarandí…

Après la pre­mière vague des années 20–30, la relance du titre vient de la sor­tie du film d’Homero Manzi e Ralph Pap­pi­er « Pobre mi madre queri­da », sor­ti le 28 avril 1948. Hugo del Car­ril y chante ce titre en se moquant d’un autre type, ce qui va se ter­min­er en bagarre…

Nino bien 1948-04-28 (sor­tie du film) — Hugo del Car­ril. Extrait du film « Pobre mi madre queri­da » de Home­ro Manzi y Ralph Pap­pi­er
Niño bien 1953-03-08 — Enrique Mora y su Cuar­te­to Típi­co con Elsa Moreno. C’est le tan­go du jour.
Niño bien 1955-03-22 — Orques­ta Juan Sánchez Gorio con Luis Men­doza. Avec de la réver­béra­tion. On peut préfér­er la ver­sion de 1953…
Niño bien 1955-03-22 — Orques­ta Juan Sánchez Gorio con Luis Men­doza. Avec de la réver­béra­tion. On peut préfér­er la ver­sion de 1953…
Niño bien 1956-06-14 — Tita Merel­lo accom­pa­g­née par Fran­cis­co Canaro.

La gouaille incroy­able de Tita Merel­lo, fait de cette ver­sion un morceau d’anthologie. Pas garan­ti pour le bal, c’est d’ailleurs présen­té comme une chan­son, mais à ne pas rater.

Niño bien 1965c – Cuar­te­to Los porteñi­tos.

Un jour, il fau­dra que je vous par­le un peu de ce tal­entueux musi­cien qui a réus­si dans tous les gen­res, du jazz au tan­go, San­tos Lipesker (frère de Félix). Ici, il a for­mé un cuar­te­to avec Esta­ban Ubal­do De Lío et Héc­tor Davis à la gui­tare, Rober­to Tier­ri­ta Guisa­do, qui était le pre­mier vio­lon de l’orchestre de Di Sar­li (on con­naît l’importance du vio­lon pour les inter­pré­ta­tions de Di Sar­li). Lui-même, San­tos Lipesker tient le ban­donéon, mais il jouait d’autres instru­ments à vent comme le sax­o­phone ou la clar­inette. Ce cuar­te­to n’a enreg­istré, sem­ble-t-il que deux cas­settes. C’est sans doute dom­mage, car c’est plutôt réus­si, même si ce n’est sans doute pas ce qui sera le plus appré­cié dans les bals…

Niño bien, 1975c — Elba Berón accomp. Cuar­te­to A Puro Tan­go, dirigé par Miguel Nijen­sohn.

Avec Elba, on retrou­ve la gouaille de Tita, avec un accom­pa­g­ne­ment plus sim­ple priv­ilé­giant la gui­tare, comme dans la pre­mière ver­sion que je vous ai pro­posée, celle d’Alberto Vila.

Cette anec­dote pub­liée ini­tiale­ment le 8 mars 2024 a été com­plétée le 7 mars 2025 (tra­duc­tions et nou­velles inter­pré­ta­tions).

Le Niño Bien sem­ble déton­ner dans le mag­a­sin et les clients le regar­dent avec un air éton­né.