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La payanca 1936-06-09 — Orquesta Juan D’Arienzo

Augusto Pedro Berto Letra: Juan Andrés Caruso (V1) — Jesús Fernández Blanco (V2)

La payanca par D’Arienzo dans la version de 1936 est un des très gros succès des milongas. Peut-être vous-êtes-vous demandé d’où venait le nom de ce tango ? Si ce n’est pas le cas, laissez-moi vous l’indiquer t vous faire découvrir une vingtaine de versions et vous présenter quelques détails sur ce titre.

Extrait musical

Partition pour piano de la Payanca. Couverture originale à gauche et Partition de piano à droite avec les paroles de Jesús Fernández Blanco (les plus récentes).
La payanca 1936-06-09 — Orquesta Juan D’Arienzo.

C’est un des premiers enregistrements où Biagi se lâche. Le contrebassiste, Rodolfo Duclós marque un rythme à la « Yumba » qui deviendra une caractéristique de Pugliese. Les violons de Alfredo Mazzeo, León Zibaico, Domingo Mancuso et Francisco Mancini font des merveilles. Une version énergique, euphorisante, sans doute la toute première à utiliser pour faire plaisir aux danseurs.
On remarque qu’il est indiqué « Sobre motivos populares ». En effet, on reconnaîtra des thèmes traditionnels, notamment de gato (une sorte de chacarera), mais modifié en tango.
On remarquera également qu’il est indiqué « Tango Milonga », ce qui signifie que c’est un tango pour danser. Cependant, nous verrons que ce thème a également été basculé franchement du côté de la milonga pure et dure dans d’autres enregistrements.

Trois versions de couverture de la partition. À gauche, la plus ancienne, sans auteur de paroles. Au centre, avec les paroles de Caruso et à droite, avec les paroles de Blanco.

Origine du titre

Dans son livre, Así nacieron los tangos, Francisco García Jiménez, raconte que le tango est né lors d’une fête à la campagne en l’honneur d’une personnalité locale qui venait d’être élue triomphalement, des musiciens avaient joué des airs de l’intérieur, dont un gato (sorte de chararera) duquel il restait : « Laraira laralaila; laira laraira… ». Il est impossible de retrouver le gato à partir de cette simple indication, car laraira… c’est comme tralala. C’est ce que chantent les payadors quand ils cherchent leurs mots (ils chantaient en inventant les paroles à la volée). Certains textes de ces musiques ont été fixés et écrits par la suite et nombre d’entre eux comportent Laraira laralaila; laira laraira ou équivalent :

  • La,lara,laira,laira,la dans Pago viejo (chacarera, mais le rythme est proche du gato),
  • Lara lara laira larai ñarai lá dans Corazón alegre (bailecito)
  • Trala lará larala lará larala lará lará dans El pala pala (danse, danza)
  • Lará, larará, laraira, Lará, larará, laraira, dans Cabeza colorada
  • La ra lara la ra la la ra la ra la ra la dans La Sanlorencina (Cuenca)
  • La lalara la la la la la la La la lara la la la la la la La la lara la la lara la la dans Dios a la una (chanson).
  • Tra lara lara lara tra lara lero dans Que se vengan los chicos (Bailecito)
  • La lara la la la la La lara la la la la dans La chararera del adios (chacarera)
  • Larala larala lara lara lara lara lara dans Amigazo pa’ sufrir (huella)
  • La lara lara larará… lara lara larará… lara lara larará… dans Cantar de coya (Carnavalito)
  • Lara lara lara lara dans Muchacha de mayo (Chanson).

Je n’ai pas trouvé de gato avec l’indication, mais il est fort probable que Berto ait entendu une improvisation, le lara lara étant une façon de meubler quand les paroles ne viennent pas.
Donc Berto a entendu ce gato ou gato polqueado et il eut l’idée de l’adapter en tango. Lui à la guitare et Durand à la flûte l’ont adapté et joué. Ce titre a tout de suite été un succès et comme souvent à l’époque, il est resté sans être édité pendant onze années. Comme la plupart des orchestres jouaient le titre, il était très connu et les danseurs et divers paroliers lui ont donné des paroles, plus ou moins recommandables. N’oublions pas où évoluait le tango à cette époque.
Deux de ces paroles nous sont parvenues, celles de Caruso et celles de Blanco. Les secondes sont plus osées et correspondent assez bien à cet univers.
Il reste à préciser pourquoi il s’appelle payanca. Selon Jiménez, Berto aurait dit tout de go que ce tango s’appelait ainsi quand il fut sommé de donner un titre. Il semblerait que Berto ait donné sa propre version de l’histoire, en affirmant que le titre serait venu en voyant des gamins jouer avec un lasso à attraper des poules. Un adulte leur aurait crié « ¡Pialala de payanca!« , c’est-à-dire tire la avec un mouvement de payanca. Il indiquait ainsi la meilleure façon d’attraper la poule avec le lasso.
L’idée du lasso me semble assez bonne dans la mesure où les trois partitions qui nous sont parvenues illustrent ce thème.
Voici une vidéo qui montre la technique de la Payanca qui est une forme particulière de lancer du lasso pour attraper un animal qui court en le faisant choir.

Dans cette vidéo, on voit un pial (lancement du lasso) pour attraper un bovidé à l’aide de la technique « Payanca ». Elle consiste à lancer le lasso (sans le faire tourner) de façon à entraver les antérieurs de l’animal pour le déséquilibrer et le faire tomber. Âmes sensibles s’abstenir, mais c’est la vie du gaucho. Ici, un joli coup par le gaucho Milton Mariano Pino.

Pour être moins incomplet, je pourrai préciser que la payanca ou payana ou payanga ou payaya est un jeu qui se joue avec cinq pierres et qui est très proches au jeu des osselets. L’idée de ramasser les pierres en quechua se dit pallay, ce qui signifie collectionner, ramasser du sol. Que ce soit attraper au lasso ou ramasser, le titre joue sur l’analogie et dans les deux cas, le principe est de capturer la belle, comme en témoignent les paroles.

Paroles de Juan Andrés Caruso

¡Ay!, una payanca io
quiero arrojar
para enlazar
tu corazón
¡Qué va cha che!
¡Qué va cha che !
Esa payanca será
certera
y ha de aprisonar
todo tu amor
¡Qué va cha che !
¡Qué va cha che !
Por que yo quiero tener
todo entero tu querer.

Mira que mi cariño es un tesoro.
Mira que mi cariño es un tesoro.
Y que pior que un niño po’ ella « yoro »…
Y que pior que un niño po’ ella « yoro »…

Payanca de mi vida, ay, io te imploro.
Payanca de mi vida, ay, io te imploro,
que enlaces para siempre a la que adoro…
que enlaces para siempre a la que adoro…
Augusto Pedro Berto Letra: Juan Andrés Caruso

Augusto Pedro Berto Letra: Juan Andrés Caruso

Traduction libre des paroles de Juan Andrés Caruso

Yeh ! une payanca (payanca attraper au lasso). Moi, (Io pour yo = je), je veux lancer pour enlacer (enlacer du lasso…) ton cœur.
Que vas-tu faire ! (¿Qué va cha ché ? ou Qué vachaché Est aussi un tango écrit par Enrique Santos Discépolo)
Que vas-tu faire !
Cette payanca sera parfaite et emprisonnera tout ton amour.
Que vas-tu faire ?
Que vas-tu faire ?
Parce que je veux avoir tout ton amour.

Regarde, mon affection est un trésor.
Regarde, mon affection est un trésor.
Et quoi de pire qu’un enfant qui pleure pour elle…
Et quoi de pire qu’un enfant qui pleure pour elle…

Payanca de ma vie, oui, je t’en supplie (il parle à son coup de lasso pour attraper le cœur de sa belle).
Payanca de ma vie, oui, je t’en supplie,
que tu enlaces pour toujours celle que j’adore…
que tu enlaces pour toujours celle que j’adore…
La métaphore rurale et gauchesque est poussée à son extrémité. Il compare la capture du cœur de sa belle à une passe de lasso. Dans le genre galant, c’est moyen, mais cela rappelle que la vie du gaucho est une source d’inspiration pour le tango et en cela, je ne partage pas l’avis de Jorges Luis Borges pour quoi le tango est uniquement urbain et violent.

Paroles de Jesús Fernández Blanco

Con mi payanca de amor,
siempre mimao por la mujer,
pude enlazar su corazón…
¡Su corazón !
Mil bocas como una flor
de juventud, supe besar,
hasta saciar mi sed de amor…
¡Mi sed de amor !

Ninguna pudo escuchar
los trinos de mi canción,
sin ofrecerse a brindar
sus besos por mi pasión…
¡Ay, quién pudiera volver
a ser mocito y cantar,
y en brazos de la mujer
la vida feliz pasar !

Payanca, payanquita
de mis amores,
mi vida la llenaste
de resplandores…
¡Payanca, payanquita
ya te he perdido
y sólo tu recuerdo
fiel me ha seguido!

Con mi payanca logré
a la mujer que me gustó,
y del rival siempre triunfé.
¡Siempre triunfé!
El fuego del corazón
en mi cantar supe poner,
por eso fui rey del amor…
¡Rey del amor!

Jesús Fernández Blanco

Traduction, libre des paroles de Jesús Fernández Blanco

Avec ma payanca d’amour (je ne sais pas quoi en penser, admettons que c’est son coup de lasso, mais il peut s’agir d’un autre attribut du galant), toujours choyée par les femmes, j’ai pu enlacer ton cœur…
Ton cœur !
Mille bouches comme une fleur de jouvence, j’ai su embrasser, jusqu’à étancher ma soif d’amour…
Ma soif d’amour !

Aucune ne pouvait entendre les trilles de ma chanson, sans offrir ses baisers à ma passion…
Yeh, qui pourrait redevenir un petit garçon et chanter, et passer dans les bras de la femme, la vie heureuse !

Payanca, payanquita de mes amours (Payanca, petite payanca, on ne sait toujours pas ce que c’est…), tu as rempli ma vie de brillances…
Payanca, payanquita Je t’ai déjà perdue et seul ton souvenir fidèle m’a suivi !

Avec ma payanca, j’ai eu la femme que j’aimais, et du rival, j’ai toujours triomphé.
J’ai toujours triomphé !
J’ai su mettre le feu du cœur dans ma chanson (la payanca pourrait être sa chanson, sa façon de chanter), c’est pourquoi j’étais le roi de l’amour…
Le roi de l’amour !

Autres versions

La payanca 1917-05-15 — Orq. Eduardo Arolas con Pancho Cuevas (Francisco Nicolás Bianco).

Probablement la plus ancienne version enregistrée qui nous soit parvenue. Il y a un petit doute avec la version de Celestino Ferrer, mais cela ne change pas grand-chose. Pancho Cueva à la guitare et au chant et le tigre du Bandonéon (Eduardo Arolas) avec son instrument favori. On notera que si le tango fut composé vers 1906, sans paroles, il en avait en 1917, celles de Juan Andrés Caruso.

La payanca 1918-03-25 (ou 1917-03-12) — Orquesta Típica Ferrer (Orquesta Típica Argentina Celestino).

Le plus ancien enregistrement ou le second, car il y a en fait deux dates, 1917-03-12 et 1918-03-25. Je pense cependant que cette seconde date correspond à l’édition réalisée à New York ou Camdem, New Jersey. On remarquera que l’orchestre comporte une guitare, celle de Celestino Ferrer qui est aussi le chef d’orchestre, une flûte, jouée par E. Santeramo et un accordéon par Carlos Güerino Filipotto. Deux violons complètent l’orchestre, Gary Busto et L. San Martín. Le piano est tenu par une femme, Carla Ferrara. C’est une version purement instrumentale. Après avoir été un des pionniers du tango en France, Celestino Ferrer s’est rendu aux USA où il a enregistré de nombreux titres, dont celui-ci.

La payanca 1926-12-13 — Orquesta Típica Victor, direction Adolfo Carabelli.

Une version un peu plus moderne qui bénéficie de l’enregistrement électrique. Mais on peut mieux faire, comme on va le voir bientôt.

La payanca 1936-06-09 — Orquesta Juan D’Arienzo. C’est notre tango du jour.

J’ai déjà dit tout le bien que je pensais de cette version, à mon avis, insurpassée, y compris par D’Arienzo lui-même…

Trío de Guitarras (Iriarte-Pagés-Pesoa).

Le trio de guitares de Iriarte, Pagés et Pesoa ne joue pas dans la même catégorie que D’Arienzo. C’est joli, pas pour la danse, un petit moment de suspension.

La payanca 1946-10-21 — Roberto Firpo y su Nuevo Cuarteto.

Pour revenir au tango de danse, après la version de D’Arienzo, cette version paraît fragile, notamment, car c’est un quartetto et que donc il ne fait pas le poids face à la machine de D’Arienzo. On notera tout de même une très belle partie de bandonéon. La transition avec le trio de guitares a permis de limiter le choc entre les versions.

La payanca 1949-04-06 — Orquesta Juan D’Arienzo.

On retrouve la grosse machine D’Arienzo, mais cette version est plus anecdotique. Cela peut passer en milonga, mais si je dois choisir entre la version de 1936 et 1949, je n’hésite pas une seconde.

La payanca 1952-10-01 — Enrique Mora y su Cuarteto Típico.

Encore un quartetto qui passe après D’Arienzo. Si cette version n’est pas pour la danse, elle n’est pas désagréable à écouter, sans toutefois provoquer d’enthousiasme délirant… Le final est assez sympa.

La payanca 1954-11-10 — Orquesta Juan D’Arienzo.

Eh oui, encore D’Arienzo qui décidément a apprécié ce titre. Ce n’est assurément pas un grand D’Arienzo. Je ne sais pas si c’est meilleur que la version de 49. Par certains côtés, oui, mais par d’autres, non. Dans le doute, je m’abstiendrai de proposer l’une comme l’autre.

La payanca 1957-04-12 — Orquesta Héctor Varela.

On est dans tout autre chose. Mais cela change sans être un titre de danse à ne pas oublier. On perd la dimension énergique du gaucho qui conquiert sa belle avec son lasso pour plonger dans un romantisme plus appuyé. Cependant, cette version n’est pas niaise, le bandonéon dans la dernière variation vaut à lui seul que l’on s’intéresse à ce titre.

La payanca 1958 — Los Muchachos de antes.

Avec la guitare et la flûte, cette petite composition peut donner une idée de ce qu’aurait pu être les versions du début du vingtième siècle, si elles n’avaient pas été bridées par les capacités de l’enregistrement. On notera que cette version est la plus proche d’un rythme de milonga et qu’elle pourrait remplir son office dans une milonga avec des danseurs intimidés par ce rythme.

La payanca 1959 — Miguel Villasboas y su Quinteto Típico.

Les Uruguayens sont restés très fanatiques du tango milonga. En voici une jolie preuve avec Miguel Villasboas.

La payanca 1959-03-23 — Donato Racciatti y sus Tangueros del 900.

Oui, ce tango inspire les Uruguayens. Racciatti en donne également sa version la même année.

La payanga 1964 — Orquesta Osvaldo Pugliese.

Pas évident de reconnaître notre thème du jour dans la version de Pugliese. C’est une version perdue pour les danseurs, mais qu’il convient d’apprécier sur un bon système sonore.

La payanca 1964-07-29 — Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.

De la même année que l’enregistrement de Pugliese, on mesure la divergence d’évolution entre Pugliese et Canaro. Cependant, pour les danseurs, la version du Quinteto pirincho, dirigé pour une des toutes dernières fois par Canaro sera la préférée des deux…

La payanca 1966-07-25 — Orquesta Juan D’Arienzo.

D’Arienzo se situe entre Pugliese et Canaro pour cet enregistrement quasiment contemporain, mais bien sûr bien plus proche de Canaro. Ce n’est pas vraiment un titre de danse, mais il y a des éléments intéressants. Définitivement, je l’avoue, je reste avec la version de 1936.

La payanga 1984 — Orquesta Alberto Nery con Quique Ojeda y Víctor Renda.

Alberto Nery fut pianiste d’Edith Piaf en 1953. Ici, il nous propose une des rares versions chantées, avec les paroles de Jesús Fernández Blanco. Vous aurez donc les deux versions à écouter. Honnêtement, ce n’est pas beaucoup plus intéressant que l’enregistrement de Eduardo Arolas et Pancho Cuevas antérieur de près de 70 ans. On notera toutefois le duo final qui relève un peu l’ensemble.

La payanca 2005 — Cuarteto Guardia Vieja.

Pour terminer en fermant la boucle avec une version à la saveur début du vingtième siècle, je vous propose une version par le Cuarteto Guardia Vieja.

À demain, les amis !

Sinsabor 1939-06-05 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Lita Morales

Ascanio Ernesto Donato Letra : Adolfo Antonio Vedani

Il y a quelques semaines, je suis tombé sur un article qui disait que Tita Merello avec «Yo soy así», avait donné une place aux femmes dans le tango. Il me semble que c’est aller un peu vite en besogne, car les femmes en sont des interprètes de la première heure, Flora Gobbi, Rosita Quirogan, Ada Falcón, Anita Palmero, Azucena Maizani, Nelly Omar, Mercedes Simone, Lita Morales, Libertad Lamarque, Tania, María Graña, Susana Rinaldi, Virginia Luque, Eladia Blázquez, Nina Miranda, Impreio Argentina, Olga Delgrossi et bien sûr et pas des moindres, Tita Merello. Aujourd’hui, c’est Lita qui nous parle de tango.

Pourquoi cette impression que les femmes ne sont pas dans l’univers du tango ?

Je pense que cette vision a trois causes. La première est que les femmes ont eu une place importante comme chanteuses, mais pas réellement comme chefs d’orchestre ou musiciennes. Aujourd’hui, beaucoup de danseurs connaissent et reconnaissent les orchestres, mais très peu, les chanteurs et quand ils le font, c’est souvent, car ce sont des « couples » que l’on est habitué à associer à un orchestre, comme D’Agostino-Vargas, Troilo-Fiorentino ou Rodriguez-Moreno. S’ils entendent Fiorentino avec un autre orchestre, pas sûr qu’ils le reconnaissent.

Les femmes ont plus souvent chanté des versions à écouter que des versions à danser. Je n’ai pas d’explication sur cette raison, d’autant plus que la voix de femme dans un registre plus aiguë laisse de la place aux instruments plus graves qui marquent généralement la pulsation, Main gauche au piano, contrebasse, bandonéon… La preuve est que des versions chantées de bout en bout par des femmes sont parfaitement dansables alors que par le même orchestre et à la même époque, une version chantée par un homme n’est qu’à écouter. Voir par exemple les enregistrements de Canaro qui a de nombreux exemples de titres enregistrées deux ou trois fois, pour l’écoute et pour la danse, par un homme ou une femme.

Une autre cause vient sans doute d’un excès de machisme dans le domaine. Les hommes ont occupé la place, laissant peu de places aux femmes en dehors des thèmes des tangos. Là, elles n’ont pas toujours le beau rôle, comme en témoigne notre tango du jour.

Dans l’idée de lever un coin du voile et vous montrer qu’il y a de nombreuses femmes dans l’univers de tango, je vous propose aujourd’hui quelques chanteuses, mais pour l’instant, concentrons-nous sur le phénomène Lita Morales.
Avant d’écouter notre tango du jour, sachez qu’il existe un autre tango du même titre, Sin sabor joué par Tito Francia qui en est le compositeur avec des paroles de Pedro Tusoli. Je ne pourrai pas vous le faire écouter, n’ayant pas le disque…

Extrait musical

Sinsabor 1939-06-05 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Lita Morales.

Je pense que nous sommes nombreux à aimer ce duo magnifique, cette musique entraînante. La tristesse des paroles passe très bien et n’entame pas la bonne humeur des danseurs. Une valeur sûre pour les milongas. La musique est en mode majeur. L’orchestre expose le thème, puis Horacio Lagos prend la parole. Lita Morales le rejoint ensuite pour former un duo et finalement, l’orchestre termine le tango. La structure est très simple, comme l’orchestration. C’est une belle version qui brille par sa simplicité et sa légèreté.

Paroles

Llevando mi pesar
Como una maldición
Sin rumbo fui
Buscando de olvidar
El fuego de ese amor
Que te imploré
Y allá en la soledad
Del desamparo cruel
Tratando de olvidarte recordé
Con la ansiedad febril
Del día que te di
Todo mi ser
Y al ver la realidad
De toda tu crueldad
Yo maldecí
La luz de tu mirar
En que me encandilé
Llevado en mi ansiedad de amar
Besos impregnados de amargura
Tuve de tu boca en su frialdad
Tu alma no sintió mi fiel ternura
Y me brindó con su rigor, maldad
Quiero disipar toda mi pena
Busco de calmar mi sinsabor
Siento inaguantable esta cadena
Que me ceñí al implorar tu amor

Ascanio Ernesto Donato Letra : Adolfo Antonio Vedani

Horacio Lagos chante le début, seul, puis Lita Morales se rajoute pour chanter en duo ce qui est en gras.

Traduction libre et indications

Portant mon chagrin comme une malédiction, sans but, j’ai cherché à oublier.
Le feu de cet amour que j’implorais de toi et là, dans la solitude d’un cruel abandon.
Essayant de t’oublier, je me suis souvenu de l’anxiété fébrile du jour où je t’ai donné tout mon être et voyant la réalité de toute ta cruauté, j’ai maudit.
La lumière de ton regard, qui m’a aveuglé (dans laquelle j’étais ébloui), emporté par mon anxiété d’aimer.
Des baisers imprégnés d’amertume, je les ai obtenus de ta bouche dans sa froideur.
Ton âme n’a pas senti ma tendresse fidèle, et m’a offert, avec sa rigueur, la méchanceté.
Je veux dissiper toute ma douleur, je cherche à apaiser ma détresse (sinsabor, de sin sabor [sans saveur] signifie regret, malaise moral, tristesse).
Je sens insupportable cette chaîne, que je me suis attachée quand j’ai imploré ton amour.

De gauche à droite, Lita Morales, Edgardo Donato et Horacio Lagos, l’équipe qui nous offre le tango du jour.

Sur cette photo, Lita Morales et Horacio Lagos ne semblent pas être le couple ayant donné le sujet de ce tango… Il se dit qu’ils se seraient mariés, mais rien ne le prouve. Ce couple, si c’était un couple, était très discret et mystérieux. Un indice, les deux ont commencé par enregistrer du folklore, lui un peu avant et ils ont tous les deux arrêté rapidement la carrière (1935-1942 pour Horacio, 1937-1941 pour Lita, avec un petit retour en 1955-1956). Peut-être l’arrêt en 1941 était pour cause de naissance, Lita aurait été enceinte. Ceci pourrait expliquer son retour tardif, lorsque son enfant est devenu plus autonome.

Autres versions

Le tango du jour est a priori, la plus ancienne version enregistrée et la seule avant une date assez récente.

Sinsabor 1939-06-05 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Lita Morales. C’est notre tango du jour.

Le Cuarteto Mulenga l’a enregistré vers 2008, avec le chanteur Maximilliano Agüero.

Sinsabor 2008c — Carteto Mulenga Con Maximilliano Agüero.

Je vous laisse penser ce que vous voulez de cette version, mais elle a du mal à faire oublier celle de Donato, à mon avis.
C’est toutefois un bel effort pour faire revivre ce titre, mais l’essai n’est pas totalement transformé. En revanche, la Romantica Milonguera nous en a donné plusieurs versions intéressantes.

Sinsabor 2017-10 — Orquesta Romántica Milonguera con Marisol Martínez y Roberto Minondi (Sur l’album Romantica Milonguera de 2017).
Sinsabor 2018 — Orquesta Romántica Milonguera con Marisol Martínez y Roberto Minondi (sur l’album Duo de 2018). Cette, nouvelle version est plus tonique.
Sinsabor 2019 — Orquesta Romántica Milonguera con Marisol Martínez y Roberto Minondi (sur le single Sin sabor — Quizas, quizas, quizás, Nuevas versiones de 2019).

Roberto Minondi est un magnifique chanteur, mais Marisol Martínez, sur scène, lui vole la vedette par son jeu d’actrice remarquable.

Elle me permet d’introduire la dernière partie de l’anecdote du jour, une petite liste de chanteuses de tango. Combien en connaissez-vous ?

Quelques chanteuses de tango

Je vous propose une petite galerie de portraits. Elle est très incomplète, mais j’aurai l’occasion de revenir sur le sujet.

Combien de chanteuses reconnaissez-vous ? Passez la souris sur l’image pour faire apparaitre le nom de la chanteuse.

On notera que beaucoup de ces chanteuses ont aussi fait du cinéma. Le lien entre cinéma et tango est très fort, beaucoup de tangos fameux ont été composés pour les films et même à l’époque des films muets, les musiciens jouaient dans la salle en direct.

En prime, je vous propose la première joueuse de bandonéon professionnelle, je vous parlerai une autre fois des musiciennes, des auteurs et compositrices, il y a énormément à dire sur ce sujet également. Alors, les femmes et le tango, c’est une histoire ancienne et toujours vivante. Voir par exemple cet article…

Paquita Bernardo, Bandonéoniste (1900-1925).

Elle fut la première bandonéoniste, mais sa vie fut trop brève. Elle n’a pas laissé d’enregistrement, cependant, Gardel et Juan Carlos Cobián ont enregistré ses compositions.

Paquita Bernardo (1900-1925) Bandonéoniste

Uno 1943-05-26 – Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán

Mariano Mores Letra: Enrique Santos Discépolo

Le tango du jour s’appelle UNO, (un), mais vous aurez le droit à une belle addition de « uns ». Attention, les huns, pardon, les uns débarquent 1+1+1+1+1+…= un des plus beaux tangos du répertoire, écrit par Mariano Mores avec des paroles de Enrique Santos Discépolo. Préparez-vous à l’écoute, mais aussi à voir, j’ai une surprise pour vous…

Extrait musical

Uno 1943-05-26 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán

Paroles

Uno busca lleno de esperanzas
El camino que los sueños prometieron a sus ansias
Sabe que la lucha es cruel y es mucha
Pero lucha y se desangra por la fe que lo empecina
Uno va arrastrándose entre espinas
Y en su afán de dar su amor
Sufre y se destroza hasta entender
Que uno se quedó sin corazón
Precio de castigo que uno entrega
Por un beso que no llega
O un amor que lo engañó
Vacío ya de amar y de llorar
Tanta traición
Si yo tuviera el corazón
El corazón que dí
Si yo pudiera, como ayer
Querer sin presentir
Es posible que a tus ojos que me gritan su cariño
Los cerrara con mil besos
Sin pensar que eran como esos
Otros ojos, los perversos
Los que hundieron mi vivir
Si yo tuviera el corazón
El mismo que perdí
Si olvidara a la que ayer lo destrozó
Y pudiera amarte
Me abrazaría a tu ilusión
Para llorar tu amor
Si yo tuviera el corazón
El mismo que perdí
Si olvidara a la que ayer lo destrozó
Y pudiera amarte
Me abrazaría a tu ilusión
Para llorar tu amor

Mariano Mores Letra: Enrique Santos Discépolo

Traduction libre

Chacun cherche, plein d’espoir, le chemin que les rêves ont promis à ses désirs.Chacun sait que la lutte est cruelle et qu’elle est grande, mais il se bat et saigne pour la foi qui l’obsède.
Chacun rampe parmi les épines et dans son empressement à donner son amour, il souffre et se détruit jusqu’à ce qu’il comprenne que chacun se retrouve sans cœur, le prix de la punition que chacun donne pour un baiser qui ne vient pas, ou un amour qui l’a trompé.
Vide d’aimer et de pleurer tant de trahisons.
Si j’avais le cœur, le cœur que j’ai donné.
Si je pouvais, comme hier, aimer sans crainte, il est possible que tes yeux qui me crient leur affection, je les refermerais de mille baisers, sans penser qu’ils sont comme ces autres yeux, les pervers, ceux qui ont coulé ma vie.
Si j’avais le cœur, le même que j’ai perdu.
Si j’oubliais celle qui l’a détruit hier et que je pouvais t’aimer, j’embrasserais ton illusion pour pleurer ton amour.

Autres versions

Comme annoncé, ce titre a été enregistré de très nombreuses fois. Impossible de tout vous proposer, alors, voici une sélection pour vous faire découvrir la variété et les points communs de ces versions en commençant par notre tango du jour, qui est le premier à avoir été enregistré.

Uno 1943-05-26 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán. C’est notre tango du jour.
Uno 1943-05-28 — Libertad Lamarque con orquesta dirigida por Mario Maurano.

Deux jours après Canaro, Libertad Lamarque enregistre le disque.
C’est là qu’on remarque, une fois de plus, que Canaro est toujours au fait de l’actualité. En effet, ce titre est destiné à un film, El fin de la noche, réalisé par Alberto de Zavalía. Le tournage ne commencera qu’en août 1943 et le film ne sortira en Argentine que le premier novembre 1944, car le gouvernement argentin a tardé à donner l’autorisation de diffusion, notamment à cause du sujet qui mettait en cause le gouvernement allemand…

Affiche du film El fin de la noche, réalisé par Alberto de Zavalía avec Libertad Lamarque.

En effet, l’intrigue est totalement liée à l’actualité de l’époque, ce qui prouve que l’information circulait. Lola Morel (Libertad Lamarque), une chanteuse Sud-Américaine qui vit à Paris a été bloquée à Paris par la guerre (La plupart des Argentins avaient quitté la France en 1939, tout comme les frères Canaro et notamment Rafael qui fut le dernier à quitter la France). Elle souhaite revenir en Amérique du Sud avec sa fille. Pour obtenir des passeports, elle se voit proposé d’espionner la résistance.
Ce film confirme que les Argentins ne se désintéressaient pas de la situation en Europe durant la seconde guerre mondiale.
Mais la merveille, c’est de voir Libertad Lamarque chantant. C’est une des plus émouvantes prises disponibles, jugez-en.

Libertad Lamarque canta el tango UNO, en la película “El fin de la noche”, dirigida por Alberto de Zavalía. On voit dans cet extrait, par ordre d’apparition : Florence Marly… Pilar, Jorge Villoldo… Caissier du bar et Libertad Lamarque… Lola Morel qui chante UNO. Cette scène a lieu à 1h08 du début du film.

Difficile de revenir sur terre après cette version, alors autant rester dans les nuages avec Troilo et Marino.

Uno 1943-06-30 — Orquesta Aníbal Troilo con Alberto Marino arr. de Astor Piazzolla.

C’est peut-être la version la plus connue. Il faut dire qu’elle est parfaite, à chaque écoute, elle provoque la même émotion.

Uno 1943-10-27 — Tania acomp. de Orquesta.

Quelques mois après Libertad, Tania donne sa version. À qui va votre préférence ? Tania enregistrera une autre version avec Donato Racciatti en 1959.

Avant de passer à D’Arienzo, un petit point « technique ». Les disques de l’époque étaient prévus pour être utilisé à 78 tours par minute. C’est une vitesse précise. Ce n’est pas 77 ou 79 tours.
Donc, ces disques joués à 78 tours par minute donnent la bonne restitution, celle qui a été décidée par l’orchestre et l’éditeur.
Le résultat peut être différent de ce qui a été joué. Par exemple, pour paraître plus virtuose, on peut graver la matrice à une vitesse plus lente. Ainsi, lorsque le disque qui sera pressé à partir d’elle sera joué à 78 tours, le son sera plus rapide et plus aigu.
Dans des groupes de DJ qui n’ont sans doute que cela à faire, on disserte longuement de la valeur du diapason, notamment du bandonéon et de la vitesse exacte de jeu d’une musique. À moins d’avoir une oreille absolue, ce qui est une horreur, on ne remarquera pas d’une milonga sur l’autre qu’un titre est joué un tout petit peu plus aigu ou grave. Pour moi, l’important est donc d’avoir la bonne vitesse des 78 tours et c’est tout. Si d’Arienzo ou son éditeur a modifié la vitesse, c’est la décision de l’époque.
En revanche, je suis moins indulgent sur les rééditions des 78 tours en 33 tours. Ces transcriptions ont donné lieu à différents abus (pas forcément tous sur tous les disques) :

  • L’ajout de réverbération pour donner un « effet stéréo », mais qui perturbe grandement la lisibilité de la musique, ce qui est dommageable pour la danse également.
  • La coupure de l’introduction ou des notes finales. Le bruit étant jugé gênant pour un disque « neuf », beaucoup d’éditeurs ont supprimé les notes finales faibles, lorsqu’ils ont produit des 33 tours à partir de 78 tours usagés. Biagi est une des principales victimes de ce phénomène et Tanturi, le moins touché. Cela tient, bien sûr, à leur façon de terminer les morceaux…
  • Le filtrage de fréquences pour diminuer le bruit du disque original. Les moyens de l’époque font que cette suppression filtre le bruit du disque, mais aussi la musique qui est dans la même gamme de fréquences.
  • Le changement de vitesse. Si le disque tourne plus vite, on a l’impression que les musiciens jouent plus vite. Si aujourd’hui on peut varier la vitesse sans toucher à la tonalité, à l’époque, c’était impossible. Un disque accéléré est donc plus aigu. Ce n’est pas gênant en soi, si le résultat est convaincant et seuls les possesseurs de la fameuse oreille absolue s’en rendront compte si cela est fait dans des proportions raisonnables.

Après ce long propos liminaire, voici enfin la version de D’Arienzo et Maure. En premier, un enregistrement à partir du 78 tours original. La vitesse est donc celle proposée par D’Arienzo et la société Víctor.

Uno 1943-11-23 — Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré. Version tirée du 78 tours de la Víctor.

Et maintenant la version accélérée éditée en 33 tours et reprise depuis par différents éditeurs, y compris contemporains, ce qui prouve qu’ils sont partis du 33 tours et pas du 78 tours, ou mieux de la matrice originale…

Uno 1943-11-23 — Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré.

Édition accélérée, sans écouter la première version, vous seriez-vous rendu compte de la différence ? Probablement, car cela fait précipité, notamment en comparaison des versions déjà écoutées qui durent parfois près de 3:30 minutes, ce qui est exceptionnel en tango.

Uno 1943-12-01 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Oscar Serpa.

Une version sans doute moins connue, mais que je trouve très jolie également. Dommage que l’on ne passe pas en général le même titre dans une milonga. Cependant, les événements de plusieurs jours, ou les très longues milongas (10 h ou plus), permettent ces fantaisies…

Uno 1944 Alberto Gómez con Adolfo Guzmán y su conjunto.

Alberto Gómez commence a capela tout au plus soutenu par quelques accords au piano. Progressivement, ce soutien est proposé par d’autres instruments, mais ce n’est qu’à 58 secondes que l’orchestre prend progressivement une place plus importante, sans toutefois perdre de vue qu’il n’est que l’accompagnement du chanteur. Cette version à écouter suscite de la mention, malgré la voix un peu forcée de Gómez que l’on sans doute mieux appréciée, moins appuyée, comme il sait le faire dans certains passages de ce thème.

Uno 1944-04-11 — Orquesta Rodolfo Biagi con Carlos Acuña.

On change complètement de style avec Biagi. Une version rythmée, un peu pressée. Même pour la danse, on sent une pression qui empêche d’entrer complètement dans le thème. Ce n’est pas une critique de la qualité musicale, mais je trouve que cette fois Biagi est passé un peu à côté de la danse, du moins pour les danseurs qui interprètent la musique. Pour les autres, ils retrouveront le tempo bien marqué qui leur convient pour poser leurs patounes en rythme.

Uno 1946 — Trío Argentino (Irusta, Fugazot, Demare) y su Orquesta Típica Argentina con Agustín Irusta.

Les subtilités de la chronologie nous offrent ici, une interprétation à l’opposé de la précédente, par Biagi. Elle est à classer dans la lignée Lamarque, Tania et Gómez. Je pense que vous préférez cette version à celle de l’autre homme de la sélection de tango à écouter. Ici, il s’agit presque d’un duo avec le piano de Lucio Demare. Ce dernier est un merveilleux pianiste pour la musique intime. Vous pourrez vous en convaincre en écoutant ses formidables enregistrements de tango au piano, sur trois époques (1930, 1952-1953 et 1968). C’est le seul grand à s’être livré à cet exercice.

Uno 1951-12-18 — Charlo y su orquesta.

Encore une version à rajouter à la lignée des chansons. La qualité d’enregistrement des années 50 rend mieux justice à la voix de Charlo que ceux de 1925. On a même du mal à être sûr que c’est la même voix quand il chantait avec Canaro ou Lomuto. Essayez d’écouter ses enregistrements avec orchestre ou guitare des années 50 pour vous en rendre compte. Cette métamorphose, en grande partie causée par la technique, nous faire prendre conscience de ce que nous avons perdu en n’étant pas dans la salle dans les années 20.

Uno 1952 — Orquesta Aníbal Troilo con Jorge Casal.

Avec Troilo et Casal, on revient vers le tango de danse. Bien sûr, vous comparerez cette version avec celle de 1943 avec Marino. Les deux sont formidables. L’orchestre est éventuellement moins facile à suivre pour les danseurs, les DJ réserveront certainement cette version aux meilleurs pratiquants.

Uno 1957-09-25 — Orquesta Armando Pontier con Julio Sosa.

Avec Julio Sosa et l’orchestre Armando Pontier, nous sommes plus avancés dans les années 50 et l’importance de faire du tango de danse est perdue. Cela n’enlève pas de la beauté à cette version, mais ça nous fait regretter que le rock et autres rythmes aient supplanté le tango à cette époque en Argentine…

Uno 1961-05-18 — Orquesta José Basso.

José Basso nous donne une des rares versions qui se prive des paroles de Discépolo. Pour ma part, je trouve que la voix manque, même si à tour de rôle et les violons chantent plutôt bien et que le piano de José Basso ne démérite pas. On reste dans l’attente de la voix et c’est un beau final qui nous coupe les illusions.

Uno 1963 — Argentino Ledesma y su orquesta.

De la part de Ledesma, on attend une belle version et on n’est pas déçu.

Uno 1965 – Orquesta Jorge Caldara con Rodolfo Lesica.

On retrouve Caldara, cet ancien bandonéoniste de Pugliese avec Lesica. Une belle association. L’introduction avec le superbe violoncelle de José Federighi prouve s’il en était besoin les qualités de ce musicien et arrangeur d’une grande modestie.
Je vous propose de terminer cette longue liste avec l’auteur Mariano Mores et son petit-fils, Gabriel Mores.

N’oubliez pas de cliquer sur ce dernier lien pour consulter l’album de Mariano Mores en écoutant une toute dernière version d’Uno, même si c’est loin d’être la meilleure. Vous y découvrez la vie de cet artiste qui est resté sur scène jusqu’à l’âge de 94 ans, après 80 années d’activité. Sans doute un des records de longévité.

https://es.moresproject.com/mariano-mores

Au revoir, Mariano, et à demain, les amis !

Haragán – Primero de mayo (premier mai)

Enrique Pedro Delfino Letra: Manuel Romero, Luis Bayón Herrera

En Argentine, le premier mai est férié. Tous les magasins sont fermés et seuls quelques services jugés essentiels fonctionnent. Tout au plus quelques bars ouvrent dans la soirée. Les maisons de disques fermant aussi, il ne semble pas y avoir de tangos enregistrés pour le jour des travailleurs et travailleuses (Día Internacional del trabajador y la trabajadora comme on dit en Argentine). Mais il y a des choses à dire sur le sujet…

Faute d’enregistrement un premier mai, j’ai cherché des tangos qui parlent du premier mai et de ces questions.
Le plus connu est bien sûr Haragán. C’est donc lui qui va faire office de tango du jour… Ce tango ne parle pas précisément du premier mai, mais le type fainéant qui se fait disputer par sa femme est ce qu’on appelle en Argentine un Primero de Mayo (un premier mai), à cause de son allergie au travail.

Extrait musical

Haragán, partition pour piano. Superbe illustration de couverture par Sandro

Il y a de très nombreuses versions de Haragán et bien sûr, aucune n’est du premier mai. J’en ai donc choisi une, mais vous avez beaucoup d’autres à écouter après la présentation des paroles. J’ai choisi celle de Rafael Canaro car elle est sympa et qu’on l’entend moins que son frangin, Francisco qui a aussi donné sa version du thème, une version que j’aime bien car elle est amusante. Mais le thème de Haragán est amusant, comme en témoigne l’illustration de la partition…

Haragán 1929 – Orquesta Rafael Canaro con Carlos Dante

Paroles de Haragán

Sofia Bozán a été la première à chanter Haragán. C’était en 1928, au théâtre Sarmiento. Malheureusement, il ne semble pas y avoir d’enregistrements de cette prestation.

¡La pucha que sos reo y enemigo de yugarla!
La esquena se te frunce si tenés que laburarla…
Del orre batallón vos sos el capitán;
vos creés que naciste pa’ ser un sultán.
Te gusta meditarla panza arriba, en la catrera
y oír las campanadas del reló de Balvanera.
¡Salí de tu letargo! ¡Ganate tu pan!
Si no, yo te largo… ¡Sos muy haragán!

Haragán,
sí encontrás al inventor
del laburo, lo fajás…
Haragán, si seguís en ese tren
yo te amuro, Cachafaz
Grandulón,
prototipo de atorrante
robusto, gran bacán;
despertá, si dormido estás,
pedazo de haragán.

El día del casorio dijo el tipo ‘e la sotana:
«El coso debe siempre mantener a su fulana».
Y vos interpretás las cosas al revés:
¡que yo te mantenga es lo que querés!
Al campo a cachar giles que el amor no da pa’ tanto.
A ver si te entreveras porque yo ya no te aguanto…
Si en tren de cara rota pensás continuar,
« Primero de Mayo » te van a llamar.

Enrique Pedro Delfino Letra: Manuel Romero, Luis Bayón Herrera

Traduction libre de Haragán

Putain ! (c’est en fait une exclamation de surprise, de dégoût, pas la désignation d’une pute au sens strict) tu es condamné et ennemi du travail ! (yugar ou yugarla – travail)
Ton dos se tord s’il te faut travailler…
Du bataillon des condamnés (orre est reo en verlan), tu es le capitaine ;
Tu crois être né pour être un sultan.
Tu aimes méditer le ventre à l’air, sur le lit (catrera = lit en lunfardo)
et entendre les cloches de l’horloge de Balvanera.
Sors de ta léthargie ! Gagne ton pain !
Sinon, je te jette dehors… Tu es trop paresseux !

Paresseux,
Si tu croises l’inventeur du travail, tu le roues de coups…
Paresseux, si tu continues ainsi (dans ce train), je t’abandonne (amuro en lunfardo a différentes significations, dont celle de quitter pour un autre), Cachafaz (il ne s’agit pas bien sûr de El Cachafaz, mais du terme lunfardo qui signifie paresseux, coquin, voyou, sans vergogne et autres choses peu aimables).
Grand gaillard,
Prototype de l’oisif (attorante) robuste, grand profiteur (un bacan, est un individu qui jouit de la vie. En général un bacan a de l’argent, il entretient une courtisane, mais là, il n’en a que les façons, pas le portefeuille) ;
Réveille-toi, si tu es endormi gros tas (pedazo est un amoncellement) fainéant.

Le jour du mariage, le type en soutane a dit :
« Le mec doit toujours entretenir sa moitié. »
Et tu interprètes les choses à l’envers :
Que je t’entretienne, c’est ce que tu veux !
À la campagne pour attraper des idiots pour l’amour ne donne pas pour si cher.
Voyons si tu vas t’emmêler les pinceaux (là, ce serait plutôt se remuer qu’emmêler) parce que là, je ne te supporte plus…
Si tu prévois de continuer sur un train en panne
« Primero de Mayo », ils vont te nommer (en lunfardo, un primero de mayo est un fainéant qui fait de chaque jour un 1er mai, jour férié).

Autres versions

Haragán 1928-08-31 — Orquesta Francisco Canaro con Charlo.

Cette version fait un peu musique de dessin animé. Charlo chante un paresseux qui semble content de l’être.

Haragán 1928-08-31 — Orquesta Francisco Lomuto.

Le même jour que Canaro, Lomuto produit une version instrumentale. Comme souvent, cette version peut faire penser à Canaro, mais elle est un peu moins imaginative. La concordance de date fait qu’il est amusant de comparer les deux versions.

Haragán 1928 – Enrique Delfino (piano y canto) y Manuel Parada (guitarra).

Une version par l’auteur de la musique au piano, je vous en présenterai deux autres…

Haragán 1928-09-11 — Azucena Maizani con acomp. de Dúo Enrique Delfino (piano) y Manuel Parada (guitare).

Les mêmes musiciens, avec le renfort d’Azucena…

Haragán 1928-09-25 — Orquesta Osvaldo Fresedo.

C’est une version instrumentale, mais on entend bien la « fatigue » du paresseux.

1928-09-28 – Orquesta Juan Maglio Pacho (version instrumentale).
Haragán 1928-09-28 – Orquesta Juan Maglio Pacho – Disco-Nacional-Odeon-No.7591-A-Matriz-e-3264
Haragán 1929-06-21 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José María Aguilar (guitarras)
Haragán 1929 – Ignacio Corsini acomp. de guitares. L’autre Gardel…
Haragán 1929 – Orquesta Rafael Canaro con Carlos Dante
Haragán 1929 — Enrique Delfino (piano) y Antonio Rodio (violin).

Une version instrumentale très sympa. Dommage que le son ne soit pas de bonne qualité…

Haragán 1929 — Alina de Silva (acomp. accordéon et piano). Un enregistrement français de chez Pathé)
Haragán 1929 — Alina de Silva (acomp. accordéon et piano). Un enregistrement français de chez Pathé).

Pas d’enregistrement notable du titre dans les années 30, il faut attendre 1947 et… Astor Piazzolla, pour le retrouver sur un disque.

Haragán 1947-04-15 – Astor Piazzolla y su Orquesta Típica con Aldo Campoamor
Haragán 1955-12-14 — Enrique Mora y su Cuarteto Típico con Elsa Moreno.

Une version tonique, une chanson mais quasiment dansable. Un résultat dans la lignée de cambalache ou des enregistrements de Tita Merello (qui a d’ailleurs enregistré aussi cambalache…).

Haragán 1958-07-29 — Diana Durán con acomp. de Oscar Savino.

Une version chantée par une femme énergique. Notre Haragán n’a qu’à bien se tenir.

Haragán 2013 — Stella Milano.

Une des plus récentes versions de ce thème qui est toujours d’actualité…

Autres musiques

D’autres musiques pourraient convenir pour un premier mai, par exemple :

Al pie de la Santa Cruz 1933-09-18 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, Domingo Riverol, Domingo Julio Vivas, Horacio Pettorossi.

Ce tango a été interdit, car il parle de grève…

Trabajar, nunca 1930-06-11 — Tita Merello con orquesta (Juan Carlos Bazán Letra : Enrique Carrera Sotelo).

Un tango humoristique qui pourrait être la réponse du Haragán a sa femme, sous forme de bonnes résolutions pour l’année nouvelle et qui se termine par, « j’accepte tout en ton nom, mais le travail, ça, non ! » L’argot utilisé dans ce tango est similaire à celui de Haragán.

Seguí mi consejo 1929-06-21 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José María Aguilar (Salvador Merico Letra: Eduardo Salvador Trongé).

Encore un tango qui donne de bons conseils pour ne rien faire… Un véritable manuel du haragán.

Seguí mi consejo 1947-01-29 — Orquesta Enrique Rodríguez con Ricardo Herrera.

Une version dansable de ce titre. Sans doute à passer un premier mai, ou pour se moquer d’un danseur un peu paresseux…

1° de mayo — Osvaldo Jiménez y Luis García Montero (Tango).

Oui, oui, j’ai bien trouvé un tango qui portait la date du jour. Osvaldo Jiménez à la guitare et au chant a mis en musique le poème 1° de mayo de Luis García Montero… Bon, ce n’est pas le tango du siècle, mais ça montre que le tango est toujours en phase de création et que l’association entre les poètes et les musiciens fonctionne toujours.

1° de mayo — Osvaldo Jiménez y Luis García Montero (Tango).
La photo de couverture est un mural intérieur, peint à l’huile, de 4,5x6m de Ricardo Carpani appelé 1ero de Mayo. Il se trouve au Sindicato de Obreros del Vestido, rue Tucumán au 737. Il a été réalisé en 1963 et pas en 1964 comme le disent presque toutes les sources. J’ai rajouté la signature (Carpani).

Si vous souhaitez en savoir plus sur cet artiste : http://www.relats.org/documentos/TAC.Muralismo.Soneira.60y70.pdf

Danzarín 1963-04-25 – Orquesta Aníbal Troilo arr. de Julián Plaza

Julián Plaza

On me demande parfois ce tango en disant, ce tango de Piazzolla, ou de Pugliese. Ben, il est en fait de Plaza et c’est De Angelis qui l’a interprété pour la première fois et c’est Troilo qui l’a rendu célèbre. Analysons ce chef d’œuvre qui annonce un tournant important dans le microcosme tango à la fin des années 50.

On date souvent l’apparition du tango nuevo de Piazzolla et des années 60. Mais comme toujours, c’est bien plus compliqué que cela.
Dans les années 30, Francisco Canaro était déjà à la recherche de nouveaux styles de tango, mais en fait, les principaux orchestres ont cherché à innover en ajoutant des instruments et en en enlevant d’autres. La flûte a été remplacée par le bandonéon, le piano a fait son apparition, la harpe a été remplacée par la guitare, puis est revenue et repartie, puis des instruments plus ou moins étranges comme la scie musicale (serrucho) parfois remplacée par le theremine qui donne un son très proche bien que purement électronique. Parmi les joueurs de scie musicale, on pourrait citer Rafael Canaro ou Juan Caldarella.

On entend la scie musicale dans la Cumparsita de Roberto Firpo en 1916 et dans de nombreuses compositions. Les sons un peu étranges et planants ne datent pas d’aujourd’hui…
 Pour le theremine, voici un exemple de jeu sur une pièce classique, le cygne de Saint-Saëns.

Dans les années 40, Canaro, toujours lui, fut un des premiers à utiliser l’Orgue Hammond. Un instrument électromécanique, produisant des sons à l’aide de roues phoniques. Le principe en est simple. Une roue portant des aimants tourne. Elle déclenche un microphone électromagnétique lors de sa rotation (du même type que ceux des guitares électriques). Si un aimant passe devant le microphone 100 fois par seconde, un son de 100 Hz est émis. Il y a plusieurs roues dont le nombre d’aimants est différent. Avec le double d’aiment, à vitesse de rotation égale, le son est deux fois plus aigu.
En faisant varier la vitesse de rotation, on change la hauteur du son de façon continue.
On peut entendre l’orgue Hammond dans Cristal (1944-06-03) de Francisco Canaro (à partir de 1 minute, ou dans Garras (1945-03-15) à partir de 32 secondes. Si vous écoutez ces titres, écoutez-les en entier pour profiter de la jolie interprétation du chanteur, Carlos Roldán.

Garras 1945-03-15 – Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán. Finalement, je vous propose garras, peut-être moins connu que Cristal que je vous invite à écouter de votre côté pour repérer les cloches, autre instrument original…

Piazzolla introduit la guitare électrique qui utilise donc les mêmes microphones que l’orgue Hammond, une décennie plus tard. C’est un nouvel instrument, mais il est loin d’être le premier à l’avoir fait.
J’arrête là la liste des innovations, il y en a trop. C’était juste pour vous démontrer que les nouveautés en tango, c’est vieux. Sinon, on serait toujours au tango des Gobbi et autres joyeusetés.

Extrait musical

Voici enfin le titre que vous souhaitez écouter… C’est également une innovation, dans l’orchestration et le rendu de la musique. C’est également un tango nouveau, une marche dans l’évolution du tango.
Plaza l’a écrit pour la danse, disons pour la danse de scène. Il souhaitait inclure dans sa composition des motifs permettant de pratiquer toutes les figures possibles pour un danzarín, un excellent danseur.

Danzarín 1963-04-25 — Orquesta Aníbal Troilo arr. de Julián Plaza.

Vous aurez noté qu’il y a ajouté arr. de Julián Plaza pour arrangement de Julián Plaza. Même s’il est l’auteur du titre, il l’a retravaillé pour Troilo. Nous verrons cependant la limite de cette intervention un peu plus loin dans cette anecdote…
N’oublions pas que c’est De Angelis qui l’a joué en premier, en 1956, mais sans l’enregistrer. Cela peut sembler étonnant. Il est certain que le résultat devait être très différent de celui du premier enregistrement par Troilo en 1958. Sans doute pour aller plus loin, Troilo a demandé à Plaza de revoir sa partition pour l’adapter encore plus à son orchestre.

Autres versions

Il y a des centaines d’enregistrements de Danzarin. Faute de pouvoir produire la version de De Angelis, je vais me contenter des deux enregistrements de Troilo. En effet, la très grande majorité des enregistrements postérieurs ont pris la version de Troilo comme modèle et elles n’apportent donc pas grand-chose à l’histoire. La grande époque du tango est terminée, les orchestres cherchent à perdurer, en proposant de nouvelles pistes pour l’écoute et les nouveaux orchestres restent dans les pas des aînés.

Danzarín 1958-12-15 — Orquesta Aníbal Troilo.
Danzarín 1963-04-25 — Orquesta Aníbal Troilo arr. de Julián Plaza. C’est notre tango du jour.

La sonorité est très différente entre les deux enregistrements.
Pour comprendre ce qui se passe, regardons l’analyse du spectre :

La stéréo de la version de 1963 donne une impression d’espace. Les instruments sont aussi séparés spatialement. Cela ne change pas grand-chose pour la danse, car dans une milonga on est obligé de limiter la stéréo pour que la répartition soit correcte dans toute la salle. En revanche, pour l’écoute, c’est plus agréable.
La première utilisation de la stéréophonie date de 1881 et c’est une invention du papa de l’avion, Clément Ader qui a eu l’idée de diffuser le son de l’opéra Garnier de Paris à l’aide d’un réseau de câbles électriques reliés d’un côté à deux microphones et de l’autre à deux écouteurs (un par oreille, donc en stéréo). Il a appelé cela le théâtrophone.
En 1931, Alan Blumlein, va plus loin en proposant un procédé d’enregistrement et de relecture sur piste unique qui sera quasiment identique à celui qui sera mis en œuvre à la fin des années 50.
Pour la musique, Disney en 1940 a fait du multipiste pour son film musical Fantasia. Malheureusement, les salles ne se sont pas équipées et le son du cinéma est resté globalement monophonique jusque dans les années 60.
Pour revenir au disque, c’est à partir de 1958 que la stéréophonie est apparue.
Cela implique que tout le tango de l’âge d’or est purement monophonique.
Troilo qui a un peu souffert d’éditeurs médiocres au début de sa carrière cherche à refaire son enregistrement avec le nouveau procédé et c’est le résultat que l’on peut entendre dans la version de 1963. Malheureusement, pour des questions de taille de fichier, il m’est impossible de vous le faire écouter ici en entier [mon fichier original fait 71 Mo]. Voici donc un court extrait, de plus réduit en MP3 (ce que certains DJ considèrent comme un format acceptable en milonga…).

Danzarín 1963-04-25 — Orquesta Aníbal Troilo

Dans ce court extrait, on entend tout de même l’effet stéréo qui est bien marqué :
0 s : les violons débutent à gauche,
3 s : le piano attaque plutôt au centre et les bandonéons se rajoutent à droite comme un écho du piano.
15 s : le piano monte des arpèges, les aigus sont plus à droite. Il est donc enregistré avec deux microphones en stéréo.
19 s : tous les pupitres jouent en même temps, emplissant tout l’espace sonore de gauche à droite.
34 s : les bandonéons et les violons sont des deux côtés. Le piano est plus au centre.
49 s : les instruments retrouvent leur latéralité, les violons plus à gauche et les bandonéons plus à droite. Si vous avez le disque, essayez de l’écouter dans de bonnes conditions, la qualité sonore en vaut la peine.

Différences entre les deux versions

L’histoire de la stéréo est réglée. Voyons s’il y a d’autres éléments que l’on peut déduire des audiogrammes.

Globalement le spectre est bien rempli dans les deux cas (partie inférieure en rouge). Il y a des fréquences jusqu’à environ 20 kHz, on est en présence de deux enregistrements de qualité. En 1958, comme on est en mono, les deux canaux sont absolument identiques. À droite, on remarque que le canal de droite (situé en bas) présente des « trous » alors que le gauche est plein. C’est ce qu’on a entendu dans le court extrait en stéréo, les violons commencent à gauche (donc en haut), puis le piano au centre et enfin les bandonéons à droite (donc en bas). À la moitié du morceau, cet effet est encore plus marqué.

On constate que si la version de 1963 est globalement plus lente, ce n’est pas vrai partout. La version de 1958, allongée devrait coïncider avec celles de 1963 pour la « pause » centrale. Ce n’est pas le cas, elle arrive plus tard.
Le début est plus rapide dans la version de 1958, mais quand on cale les deux morceaux à la même durée, tout est fort semblable jusqu’à 40 secondes, puis la version de 63 est plus rapide. Elle prend de l’avance. À 1 : 15, la version de 1958 3 secondes de retard.
La « pause » centrale arrive à 1 : 42 dans la version de 1963 et à 1 : 50, les deux sont de nouveau synchronisés pour le solo de violoncelle. La version de 1963 avait accéléré, puis avant la pause, beaucoup ralenti, ce qui a permis à la fin de la pause de resynchroniser le violoncelle. Je rappelle que c’est en temps relatif, car j’ai augmenté le temps de la version de 1958 afin qu’elle représente 100 % de la durée de celle de 1963.
À 2 : 28, la version de 1963 accélère de nouveau, devançant celle de 1958, exactement comme elle l’avait fait lors de la première fois. Ainsi, le solo de violoncelle est de nouveau synchronisé à 1 : 54 et ainsi de suite.

Attention, expérience sensorielle perturbante

Quand je musicalise, j’écoute toujours la musique qui passe sur la piste, mais je prépare aussi la tanda suivante et je cherche une cortina convenable. Ceci fait que j’ai souvent deux, voire trois musiques en même temps à l’écoute dans le casque et en direct.
Je vais vous proposer une version simplifiée de cela en vous présentant un morceau constitué à gauche de la version de 1958 et à droite, de la version de 1963. Ce sera plus simple si vous pouvez l’écouter au casque, ou a minima avec un équipement stéréo bien équilibré.
Cela va vous permettre de constater tout ce que j’indiquais ci-dessus avec vos oreilles, à vous…

Danzarin Gauche 1958 Droite 1963 Troilo.

Si vous n’avez pas la tête à l’envers à la fin de l’écoute, vous pourriez être DJ ; -)

Vous aurez remarqué, sans doute, qu’il n’y a pas de différence notable dans l’orchestration. Je ne comprends donc pas pourquoi on rajoute sur ce titre qu’il a bénéficié des arrangements de Plaza. Peut-être que c’était le cas aussi de la version de 1958. Comme on n’a pas d’enregistrement de De Angelis, il est impossible de faire la différence.

NB : Cette dernière archive sonore n’est pas un essai de tango nuevo…

Ventanita florida 1932-04-21 – Orquesta Francisco Canaro con Agustín Irusta

Enrique Pedro Delfino (Delfy) Letra: Luis César Amadori

Après le sujet lourd et triste d’hier, un sujet plus léger. La petite fenêtre fleurie. Léger, au moins pour nous, mais pour le malheureux ou la malheureuse qui dit sa peine, c’est sans doute moins agréable. Aujourd’hui, ce malheureux est Agustín Irusta qui marche sous la baguette de Francisco Canaro. C’était il y a 92 années.

Extrait musical

Ventanita florida 1932-04-21 — Orquesta Francisco Canaro con Agustín Irusta.

Irusta ne chante que le refrain, comme il est de coutume pour les tangos de danse. Mais nous allons voir qu’il y a une autre raison à cela après avoir étudié les paroles… On est dans du Canaro typique de cette période, un tango qui se dégage doucement du canyengue. Un tango bien marché avec de petites cachotteries musicales qui évitent la monotonie.

Les paroles

Fue una noche clara
que alumbraba tan sólo el lucero.
Junto a mi humilde ventana
‘te juro’ – decía – ‘mi amor es eterno’
Yo le di mi vida
y entre dulces promesas se fue.
Sola y conmovida
a la reja mi amor le confié.

Ventanita florida
de mi vieja tapera,
en tu reja prendida está
mi tímida ilusión.
Al abrirte contemplo
un jardín de esperanza,
ventanita, y te cierro al fin
cantando por mi amor.

Pero fue mentira
su promesa de amor duradero.
Desde que vino el invierno
una noche tras otra yo en vano lo espero.
Ya ni la esperanza
va quedando de verlo volver.
¡Tanto que lo quise!
¿Para qué me engañó, para qué?

Ventanita florida
de mi vieja tapera,
en tu reja marchita está
la flor de su traición.
Al abrirte, la noche
hasta el alma me hiela,
ventanita, y te cierro al fin
llorando por mi amor.

Enrique Pedro Delfino (Delfy) Letra: Luis César Amadori

Traduction libre et indications

C’était une nuit claire qu’illuminait seulement la lucarne (plusieurs possibilités pour « lucero ». Vénus, lucarne, partie du volet par laquelle peut entrer la lumière. Bref, ce n’est pas très clair, au propre, comme au figuré).
Ensemble à mon humble fenêtre : « Je te jure, disait-il, mon amour est éternel. »
Et je lui ai donné ma vie et au milieu des douces promesses, il est parti.
Seule et inquiète à la grille (probablement les barreaux de la fenêtre, ou une grille de protection qui peut s’ouvrir) je lui ai confié mon amour.

Petite fenêtre fleurie de ma vieille bicoque, en ta grille est accrochée ma timide illusion.
Quand je t’ouvre, je contemple un jardin d’espérance, petite fenêtre, et je te ferme enfin en chantant pour mon amour.

Mais ce fut un mensonge sa promesse d’amour durable.
Depuis que l’hiver est venu nuit après nuit, je l’ai attendue en vain.
Là, il n’y a plus d’espoir de le voir revenir.
Je l’ai tant désiré !
Pourquoi m’a-t-il trompé, pour quoi ?

Petite fenêtre fleurie de ma vieille bicoque, dans ta grille flétrie est la fleur de sa trahison.
Quand je t’ouvre, la nuit me gèle jusqu’à l’âme, petite fenêtre, et je te ferme enfin pleurant pour mon amour.

Autres versions

Je devrais placer en premier une version avec Libertad Lamarque qui a lancé le titre au théâtre Maipo, mais malheureusement, il ne semble pas y avoir d’enregistrement. Elle devait chanter toutes les paroles et en tant que femme, c’était bien adapté. À ce sujet, il me semble opportun de narrer une anecdote. La musique de Enrique Delfino reçut un accueil plutôt froid des musiciens de l’orchestre chargés de la jouer. Les paroliers du théâtre ne voulurent pas se charger des paroles. C’est alors que Luis César Amadori s’est proposé de les écrire. Libertad Lamarque les chanta, probablement, comme à son habitude, de façon remarquable et le titre devint un grand succès.

La couverture de la partition de Ventanita florida rappellant que c’est un succès de Libertad Lamarque. Un second titre dAmadori, Se viene la Maroma (instrumental) est également inclus. Canaro l’enregistra 8 jours après Ventanita Florida avec Irusta.

Ventanita florida 1932-04-21 — Orquesta Francisco Canaro con Agustín Irusta. C’est le tango du jour.

Ce diable de Canaro, toujours à l’affût d’un bon titre l’a enregistré dans la foulée, mais avec un homme. C’est notre tango du jour. Il convenait donc, soit de changer les paroles, soit, ce qui fut l’option choisie, de ne chanter qu’une partie asexuée, le refrain. Nous verrons plus loin cependant que cette « nécessité » n’est pas une loi.

Ventanita florida 1932-05-04 — Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro.

Une superbe et émouvante version, chantée avec âme. La musique et le chant sont comme relancés à chaque phrase, un peu comme dans une ranchera dans un rythme presque ternaire, bien loin de la version marchée d’Irusta. C’est bien sûr une version chanson, mais un, jour de folie, avec des danseurs particulièrement tolérants, je pourrai la proposer à la danse. Cette version en tous, car mérite les oreilles et même si les danseurs s’arrêtent de danser pour l’écouter, ce sera un bon moment.

Trois autres à écouter, chantées par des hommes qui curieusement chantent les paroles au féminin.

Ventanita florida 1932-07-20 — Ignacio Corsini con guitarras de Pagés-Pesoa-Maciel.

Deux mois plus tard, Corsini enregistre sa version. Là, pas question de danser.

Ventanita florida 1955-11-24 – Ángel Vargas y su Orquesta dirigida por Edelmiro « Toto » D’Amario.

Un tango chanson, mais avec assez de tonicité. Vargas n’a pas trop viré dans le sentimentalisme. Cela n’en fait pas une version de danse. Pour cela, je reste avec les versions de Canaro.

Ventanita florida 1989 – Roberto Goyeneche con acomp. de Néstor Marconi y su conjunto. Une version assez douce, peut-être trop. Un fond sonore pour une soirée au restaurant ?

Le tango, est-il un truc de pleurnichards et de cocus ?

Le tango du jour est clairement sentimental. Un peu pleureur, mais pas vraiment de cocu dans la mesure où c’est une femme qui a été abandonnée par un homme qui l’a abusée par des promesses.
Ce n’est peut-être pas la bonne occasion de parler du sujet, mais je vais tout de même donner quelques indications.
Si Discépolo a dit que le tango est une pensée triste qui se danse, c’est qu’il avait une vision un peu pessimiste de la vie, comme il l’a exprimé dans cambalache. Ses préoccupations étaient existentialistes et il se devait de parler de vécu et de ressenti.
Mais n’est-ce pas le cas de tant d’autres domaines ? L’art, la poésie, la littérature, quand ils ne sont pas à la gloire d’un commanditaire, parlent d’amour, de hauts faits (celui des compadritos dans le cas du tango et souvent avec beaucoup de moquerie et de dérision), de religion (comme Plegaria).
Même la chanson populaire dans le monde entier parle de tout et de rien et notamment des déboires et des joies de la vie. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour le tango ?
Nous avons vu hier, Plegaria, nous voyons aujourd’hui, par notre petite fenêtre, une histoire d’abandon, voire de trahison, d’autres, comme Tengo mil novias de Cadicamo, des fanfaronnades empreintes d’humour.
Le peuple argentin n’a pas eu la vie facile et cela l’a sans doute incité à trouver un refuge dans l’art. Il y a une quantité de lecteurs incroyable, tout autant de musiciens et de peintres. L’art est partout dans la rue. Buenos Aires est la ville du Monde qui compte le plus de théâtre.
Cet art est aussi populaire, c’est celui des gens de la rue et pas seulement un grand art subventionné et intellectuel. Les gens dansent, chantent et il est donc normal qu’ils confient à la musique et à la chanson l’expression de leurs peines comme de leurs joies.
Le tango n’est que le reflet de la vie et il faut être particulièrement aveugle et sourd pour ne voir dans le tango que des histoires larmoyantes de cocus. Je pense que cette approche est causée par une approche purement littéraire des textes et à une focalisation sur des tangos chanson destinés à l’écoute.
En effet, même avec des paroles tristes, un tango peut être plaisant, agréable, voire joyeux à danser. J’ai déjà pris l’exemple de la valse « A Magaldi », qui peut remplir de bonheur le danseur qui se plonge dans la musique avec sa partenaire (ou la danseuse avec son partenaire, bien sûr). Même s’ils comprennent les paroles, la valse est comme une catharsis à une éventuelle tristesse, aux petits et grands malheurs de la vie.
Les Portègnes ne vont pas danser pour se couper les veines. Ils ont le sourire, partagent. Il y a des musiques tristes, mais ce n’est pas une généralité dans l’univers du tango. Si on s’attache à la musique, on se rend compte que la grande majorité est plutôt allègre.
Si on essaye de faire la balance entre les deux, je pense que l’on constatera que le tango de danse est à dominante gaie et que le tango chanson, qui a pris le dessus dans les années 50 est peut-être à dominante triste.
Les chanteurs de refrain de l’âge d’or ne chantaient qu’une petite partie des paroles, ce qui donnait l’occasion à la musique de dispenser sa joie, malgré une éventuelle tristesse des paroles. A contrario, les versions entières pour l’écoute sont souvent larmoyantes, comme en témoigne l’exemple de cette anecdote.
Il est donc important pour le DJ de proposer les tangos de danse et pas ces tangos lugubres qui plombent l’ambiance. Les danseurs viennent passer un bon moment et si quelques-uns pensent que le tango doit être triste, qu’ils gardent le balai là où ils se le sont enfoncé.
Le tango est une pensée joyeuse qui peut se danser !

Rodríguez Peña 1952-04-08 — Orquesta Carlos Di Sarli

Vicente Greco Letra : Ernesto Temes (Julián Porteño) ; Juan Miguel Velich ; Rafael (Ralph) Velich; Chamfleury & Liogar…

Il s’agit de la deuxième version du thème Rodríguez Peña, enregistrée par Di Sarli, celle du 8 avril 1952. Comme il l’a enregistré trois fois en 1945, 1952 et 1956, nous allons voir comment il a évolué durant ces onze années… Ce thème a eu beaucoup de succès et les paroliers se sont battus pour apporter leurs propres paroles. Mais là, on s’en moque, car c’est une version instrumentale…

Extrait musical

Rodríguez Peña 1952-04-08 — Orquesta Carlos Di Sarli

Les trois versions de Di Sarli

Rodríguez Peña 1945-01-03 — Orquesta Carlos Di Sarli
Rodríguez Peña 1952-04-08 — Orquesta Carlos Di Sarli
Rodríguez Peña 1956-02-23 — Orquesta Carlos Di Sarli

On remarque, dans la partie verte, que les répartitions des fortissimi et des piani sont égales. Dans la quatrième vignette, en bas à droite, c’est la version de 1956, en MP3. Alors que, dans la vignette en bas à gauche, on a des fréquences supérieures à 15 kHz, à droite, en MP3, c’est à peine si on atteint les 10 kHz. C’est la raison pour laquelle je préfère utiliser la musique que je numérise moi-même à partir des disques 78 tours.

Les trois débuts

Je vous laisse comparer les trois versions, si possible dans des versions de bonne qualité, mais dès le début, les différences sont énormes entre les versions. C’est d’ailleurs étonnant de voir les erreurs dans les partages de certains « DJ » qui confondent les trois versions, voire des éditeurs qui indiquer 2e version, tantôt pour celle de 1952 ou celle de 1953.
Voici visuellement les trois débuts :

On voit facilement que la version de 1956 dure plus longtemps que celle de 1952, qui dure plus longtemps que celle de 1945. En effet, entre les trois versions, le tempo se ralentit et c’est très net à l’écoute. Carlos Di Sarli baisse énormément la vitesse entre 1945 et 1956.
On voit aussi que les attaques de 1952 et 1953 sont plus fortes que celle de 1945. Celle de 1956 est forte, mais démarre de façon moins abrupte que celle de 1952, par un ZOOOOM qui monte en force progressivement et qui est typique de Di Sarli de la seconde partie des années 50.
On n’a presque pas besoin d’écouter la musique, tout est dans l’audiogramme 😉
Si, si, il faut écouter. Je vous propose donc ici les trois débuts enchaînés et par ordre chronologique.

Rodríguez Peña, mixage des trois introductions. 1945, puis 1952, puis 1956

Paroles

Il s’agit d’une version instrumentale, mais il y a des paroles qui permettent de lever le doute. Ce tango ne parle pas du président argentin, mais d’un établissement où se jouait le tango et qui était dans la rue Rodríguez Peña au 344. Son véritable nom était Salón San Martín. Nous l’avons évoqué récemment à propos du tango Pasado-florido-1945-04-04.
Les paroliers se sont mis à trois, mais ce ne sont pas des textes inoubliables…

Julián Porteño (Ernesto Temes)Juan Miguel VelichJuan Miguel Velich et Rafael (Ralph) Velich
Noches del salón Rodriguez Peña,
donde bailé
llevando en brazos un buen querer
que hoy añora mi corazón,
recuerdos…nostalgias
de volver a aquellos tiempos bravos
de juventud
y entreverarme en el vaivén
del tango aquel.
 
Fue en Rodriguez Peña
que por ella me jugué
la vida, y conquisté
feliz su corazón.
 
Fue en Rodriguez Peña
que una noche la dejé
arrullado por otra pasión.
 
Llegan tus compases
viejo tango,a reprocharme,
ahora que estoy solo
añorando su querer,
ella fue mi dicha
y mi ilusión,
Rodriguez Peña,
en noches porteñas
que ya nunca olvidaré.
Llora mi corazón
en el silencio del arrabal
al ver que todo cambiado está.
Honda recordación
del romancesco pasado aquel
que tanto amé.

Adiós, Rodríguez Peña de mi alegre juventud.
Rincón que al evocar me acerca al tierno bien
que fuera como un astro del hermoso ensueño azul
que en mi rodar incierto no olvidé
y mi tango que se hermana con mi gran sentir
suspira al comprender que ya no volverán
las tardes y las noches que contento compartí
con los muchachos de ese tiempo ideal.

Tango de mis glorias,
que repito con mi fiel canción,
tango que sonriendo
con mi diosa lo bailé.
Quiero, tango lindo,
que me arrulles con tu dulce voz,
como aquellos días
venturosos del ayer.
Suelta hasta el zorzal
su honda centinela, y su canción
es tétrico gemido que al corazón
oprime de pena.
Música dos compases.
Viendo cómo se fue
el tiempo tan florido que ayer vivió
el arrabal.

El Rodríguez Peña, templo bravo, espiritual,
en la transmutación del lindo tiempo aquel
ha perdido de las paicas el tanguear sensual
y al taitaje que brilló en él.
Hoy sólo queda el recuerdo que cantando va
el sin igual valor de nuestra tradición,
y jamás del alma el progreso borrará
aquel pasado de empuje y de acción.

Te hirió el progreso,
mi Rodríguez Peña divinal,
pero es triste orgullo
el querer prevalecer,
si su alma es tuya,
que es el tango himno de arrabal,
que con sus notas canta
las purezas del ayer.

Traduction libre de la version de Julián Porteño (Ernesto Temes)
Les nuits du salon Rodríguez Peña, où j’ai dansé tenant un bon amour dans les bras
Que mon cœur désire ardemment aujourd’hui, souvenirs… Nostalgies de revenir à ces temps de la jeunesse et me laisser emporter par le balancement
de ce tango.

Ce fut au Rodríguez Peña que, pour elle j’ai joué ma vie, et conquis, heureux, son cœur.

Ce fut au Rodríguez Peña qu’une nuit je l’ai quittée bercé par une autre passion.

Tes compas arrivent, vieux tango, pour me faire des reproches, maintenant que je suis seul, désirant ardemment son amour. Elle était mon bonheur et mon illusion, Rodríguez Peña, dans les nuits portègnes que jamais j’oublierai.

La siete de abril (zamba)

Andrés Avelino Chazarreta et Pedro Evaristo Díaz, ou Ñato Carrillo, ou Agenor Reynoso ou Gómez Carrillo ou El Ciego Chazaou…

Les Argentins adorent avoir des règles pour pouvoir les transgresser. Comme le jour de la zamba est le 29 septembre (anniversaire de Gustavo «Cuchi» Leguizamón) et le jour national du folkloriste argentin le 29 mai (anniversaire de Andrés Avelino Chazarreta, auteur [possible] de cette zamba), ils fêtent la zamba le 7 avril, jour mentionné dans le titre de cette zamba qui est la «Cumparsita» (selon l’expression de Daniel Borelli) des danseurs de zamba. ¡A bailar la zamba chicos!

Pour vous permettre d’avoir une idée de cette danse, je vous propose cette interprétation de zamba par Carol Retamoso et Juan Manuel Sotelo.

Zamba dansée par Carol Retamoso et Juan Manuel Sotelo. Musiciens : Cristian Bautista (violon) ; Alef Cardozo Madaf (guitare) Eduardo Lobos, (Bombo).

Qui est l’auteur de cette zamba ?

L’auteur de cette zamba n’est pas vraiment connu. J’ai listé les créateurs potentiels, mais le nom généralement retenu est le premier qui l’a déposé à la SADAIC (société des auteurs argentins), Andrés Avelino Chazarreta.
Manuel Gomez Carillo l’a collectée et déposée à son tour en 1923. Il n’en est donc pas l’auteur, il l’a seulement collectée et sur sa version, Manuel Valladares Leda a rajouté des paroles postérieurement. Plusieurs autres versions existent.
L’auteur original, s’il n’est pas Chazarreta peut-être Pedro Evaristo Díaz, ou Ñato Carrillo, ou Agenor Reynoso ou Gómez Carrillo ou El Ciego Chazaou ou un autre qui reste anonyme. Cela n’a pas beaucoup d’intérêt en fait.

Extrait musical

Il y a des dizaines de versions de cette zamba. En voici quelques-unes, relativement différentes, mais c’est une toute petite partie de celles qui existent. Si vous êtes en Argentine le 7 avril, vous allez l’entendre de tout côté…

La 7 de abril — Los Manseros Santiagueños. Sans doute la plus connue.
La 7 de abril — Pitin Salazar. Avec annonce des figures de la chorégraphie. Comme DJ, cette version peut aider les danseurs un peu fragiles dans la pratique de la zamba, mais le DJ peut aussi faire les annonces.
La 7 de abril — .
La 7 de abril — Dino Saluzzi
La 7 de abril — Andrés Chazarreta à la guitare. Je ne proposerai pas cette version à la danse, mais elle est intéressante, car interprétée par « l’auteur ».

ZZZ’avez dit zamba ou samba ?

Zamba, comme vous l’avez constaté avec la vidéo, cette danse n’a absolument rien à voir avec la danse brésilienne qui enflamme les rues de Rio durant le carnaval, pas plus que la zemba, semba ou la zumba.
Cette danse, originaire de… Bon, on se retrouve devant une autre difficulté. Les revendications sont nombreuses. Des origines africaines (j’imagine que les auteurs confondent avec la samba ou la zemba, semba) ou des origines péruviennes. En effet, on attribue souvent à l’évolution de la zamacueca en une version plus rapide, l’origine de la zamba. J’écris la zamba, mais il y a en fait des zambas. Pour éviter de me mettre à dos la moitié des danseurs de folklore argentins, je vais rester vague et juste dire que cette danse se pratique avec des foulards (pañuelos) dans toutes les provinces argentines et même à Buenos Aires.
Il y a d’ailleurs beaucoup plus de danseurs de folklore en Argentine que de danseurs de tango.

Comment ça se danse ?

C’est un peu la suite de la question précédente. Il n’y a pas une, mais, des zambas. Pour simplifier, on dit que les rythmes sont un peu différents d’une province à l’autre, mais les chorégraphies sont également variées.
En fait, il s’agit d’une danse traditionnelle et chaque groupe ethnique l’a mise à sa sauce, l’a conçue, l’a construite et déconstruite. Les ethnologues et musicologues ont figé ces danses dans des chorégraphies, ce qui a appauvri la diversité, car c’est de ces collectes que sont partis les groupes folkloriques pour monter leurs spectacles. Je connais bien le phénomène, étant maître de danses traditionnelles et ayant fait mon mémoire, justement sur ce sujet…
La base de la danse est une danse de couple, sans contact. C’est une danse de séduction. L’homme et la femme se déplacent en agitant leur mouchoir (foulard). Dans la première partie, la femme rejette les avances de l’homme, mais, dans la seconde, elle se fait plus tolérante et finalement se laisse conquérir.
Les deux parties sont donc distinctes. Dans la première, l’homme est entreprenant, il mobilise son foulard et essaye d’attirer l’attention de la dame. La femme est pudique, se masque le visage, n’accepte pas l’invitation. Elle donne même souvent le dos à la fin de la première partie. Dans la seconde partie, en revanche, elle devient plus entreprenante et accepte les avances. Souvent, les danseurs jouent les deux parties de la même façon, ou toute la durée est en séduction réciproque, ce qui est à mon avis une petite trahison de l’esprit de cette danse.
D’autres la dansent comme si c’était une chorégraphie de country, mais c’est une autre histoire…

Je pensais vous faire un petit cours de zamba et me suis plongé dans ma bibliothèque à la recherche de quelque manuel d’où je pourrais tirer des éléments utiles. Las, ces petits dessins semblent tellement compliqués à comprendre que j’ai abandonné l’idée.
Je vais juste vous mentionner les figures de la forme la plus courante à Buenos Aires, qui est très loin d’être l’endroit où elle se danse le plus, mais dans les milongas, il y a souvent un intermède de folklore comportant chacarera et zamba et comme vous me suivez pour le tango, vous avez certainement une attirance pour cette ville.
Les phrases musicales sont de 8 temps. Elles donnent la durée des « figures ».
L’introduction. On peut frapper dans les mains.
La première vuelta. Elle commence avec le chant (quand c’est une zamba chantée, bien sûr). À la fin de la première phrase, on a un échange de place avec sa partenaire. À la fin de la seconde, on est rentré dans une sorte de spirale et on s’arrête, on change de direction (arresto) au début de la troisième phrase et on revient au point de départ en faisant l’escargot à l’envers.
On revient au centre et ont fait trois arrestos (ce qui donne l’impression que les partenaires se tournent autour), puis ont revient au point de départ.
La musique change de tonalité, de caractère. Cela annonce le dernier escargot.
Et sur la dernière phrase, le couple se réunit au centre (la femme dos à l’homme dans la première partie et de face et complice dans la seconde).
Je pense que vous n’aurez rien compris, ce n’est pas grave car en admettant que vous ayez compris la chorégraphie, il vous resterait à acquérir la manipulation du foulard et c’est tout un autre univers. Toutefois, pour le foulard, on peut améliorer son jeu en jouant l’histoire de la danse. Dans la première partie, l’homme cherche à capter l’attention et la femme se cache et rejette, dans la seconde, ils s’accordent et peuvent enlacer les foulard, se caresser avec…

La siete de abril

Le titre peut sembler est une date (7 avril). On se demande alors immédiatement qu’à cette date particulière pour qu’on en fasse une zamba (ou même une chanson).
Une date probable est le 7 avril 1840, où Marcos Avellaneda qui dirigeait une insurrection (la Ligue du Nord) a perdu la tête qui a été exposée par l’armée de Rosas sur la place centrale de San Miguel de Tucumán.
La défaite de l’insurrection a eu lieu à Famaillá, mais Avellaneda s’est enfuit vers le Nord et il se peut que ce soit sur l’emplacement de 7 de Abril qu’il a été rattrapé et décapité.

Cette localité qui compte aujourd’hui un millier de personnes s’était développée à proximité d’une station de chemin de fer destinée à transporter vers des lieux plus peuplés, la canne à sucre produite ici et le bois récolté dans les bois avoisinants.

Quoi qu’il en soit, il est difficile de faire le lien entre cet événement sanglant et la zamba. Il reste deux hypothèses. La belle est de 7 de Abril, où il s’agit d’un 7 de Abril, date d’une rencontre et donc, une date plutôt d’ordre privé.
Tournons-nous du côté des paroles pour voir si on a d’autres pistes.

Les paroles

Il y a en fait diverses paroles. La version la plus courante aujourd’hui est celle de Pedro Evaristo Díaz sur la musique déposée par Andrés Avelino Chazarreta.

Triste y con penas me voy
Voy cantando mi canción
{Buscando consuelo en una zamba
Porque me ha pedido el corazón} bis
Lejos se escucha una (mi) voz
Y ella dice en su cantar
{En aquellas noches silenciosas
Canto porque alivio mi pesar} bis
Estribillo
Otros andarán por ahí
Igualitos como yo
{Cantando triste sus penas
Zamba sos mi canción} bis

Como el perfume de flor
Suave, acompasada sos
{Has hecho bailar a muchos criollos
Haciendo vivir la tradición} bis
Tus melodías quizás
Siempre han sido para mí
{La que muchas noches he soñado
Y así la nombré siete de abril} bis

Andrés Avelino Chazarreta Letra : Pedro Evaristo Díaz

Si vous voulez connaître d’autres versions, mais qui ne donnent pas plus d’indication sur l’origine, vous pouvez consulter cet excellent article :

https://raicesmusical.blogspot.com/p/zambas-y-sus-versiones.html

Version archivée au cas où la page deviendrait indisponible : https://web.archive.org/web/20220909213526/https://raicesmusical.blogspot.com/p/zambas-y-sus-versiones.html

Traduction libre

Triste et chargé de peine je m’en vais
Je m’en vais en chantant ma chanson
Cherchant du réconfort dans une zamba
{Parce que mon cœur me l’a demandé} bis
Au loin s’entend une voix
Et elle dit dans sa chanson
{Dans ces nuits silencieuses
Je chante pour alléger mon chagrin} bis
Refrain
D’autres viendront par là
Tous égaux, comme moi
{Chantant tristement leurs peines
Zamba tu es ma chanson} bis

Comme le parfum de la fleur
Tu es douce et rythmée
{Tu as fait danser beaucoup de criollos
Faisant revivre la tradition} bis
Tes mélodies peut-être
Ont toujours été pour moi
{Celle dont j’ai rêvé de nombreuses nuits
C’est ainsi que je l’ai nommée 7 avril} bis

Alors, allez-vous danser la zamba ?

Comme DJ, j’adore voir les danseurs danser une belle zamba. Ce plaisir est rare en Europe, alors j’espère que vous vous y mettrez, pour me faire plaisir, mais surtout pour vous faire plaisir.
J’essaye toujours de placer un intermède de folklore dans les milongas que j’anime. En Europe, ça a rarement du succès et ça se termine en cortina, mais désormais, la chacarera est bien rentrée dans les mœurs. La zamba, c’est un peu plus difficile, mais j’ai eu quelques occasions, donc celle qui m’a servi pour la photo de couverture où deux danseurs français ont réalisé une très belle zamba. Ils se sont retrouvés seuls sur la piste, mais ils ont produit une vive émotion et je suis sûr que cela a donné une petite envie à certains.
L’an dernier à Tarbes, j’ai aussi pu faire danser quelques couples sur une zamba.

Une autre zamba pour vous décider à la danser, par Argentino Luna

Il existe des centaines de Zambas, chacune dans de nombreuses versions. C’est un champ immense.

Gallitos del aire par Argentino Luna. Les Gallitos del Aire (petits coqs de l’air) sont les foulards.

Les Gallitos del Aire (petits coqs de l’air) sont les foulards.

À Buenos Aires, cette version plaît beaucoup.

Je vous en donne les paroles et leur traduction, car ce titre décrit exactement la danse et son sentiment.

Paroles de Gallitos del aire

Comenzó la zamba y con el pañuelo
Te invité a bailarla y fue como un ruego
Cuando te acercaste, casi sin aliento
Con mucha vergüenza, dijiste bailemos
Y así comenzamos a bailar la zamba
Poniendo en el baile, el cuerpo y el alma

La Luna traviesa brillaba en tu pelo
Yo te presentía paloma en acecho
En la media vuelta me puse a tu lado
Buscando tus ojos, mis ojos jugaron
Giraste y te fuiste, tímida y callada
Temblorosamente bailando la zamba

Una vuelta entera, nos puso de frente
Mis labios deseaban tus labios ardientes
Gallitos del aire fueron los pañuelos
Que en blanco y celeste pintaron el cielo
Ya la media zamba marcaba el final
Y yo presentía tus ganas de amar

Se va la segunda, dijo el musiquero
Y yo enamorado seguía tu vuelo
Presentí tus miedos casi con asombro
Mientras me mirabas por arriba del hombro
Con la mano izquierda me toque el sombrero
Como pa’ decirte aquí voy de nuevo

Lo demás fue un juego de amagues y esquives
Un tantear de cerca, tu cuerpo de mimbre
Formando un arresto, mi pañuelo blanco
Lo entrelazó al tuyo que andaba volando
Y fue con el baile, violín y guitarra
La noche más noche, la zamba más zamba

Una vuelta entera nos puso de frente
Mis labios deseaban tus labios ardientes
Gallitos del aire, fueron los pañuelos
Que en blanco y celeste pintaron el cielo
Mi pañuelo blanco te trajo hacia mí
Y tú enamorada dijiste que sí

Argentino Luna

Traduction libre de Gallitos del aire et indications

La zamba a commencé et avec le foulard
Je t’ai invitée à la danser et c’était comme une prière
Quand tu t’es approchée, presque essoufflée
Avec beaucoup de honte, tu as dit, dansons
C’est ainsi que nous avons commencé à danser la zamba
Mettant dans la danse corps et âme

La lune coquine brillait dans tes cheveux
J’ai senti que tu étais une colombe traquée
Dans la media vuelta (figure de la zamba), je me tenais à ton côté
Mes yeux jouant à chercher tes yeux
Tu t’es retourné et tu es partie, timide et silencieuse
Dansant la zamba en tremblant

Un vuelta entera (figure de zamba, tour entier), nous a mis face à face
Mes lèvres désiraient tes lèvres brûlantes
Les coqs de l’air étaient les foulards
Qui en blanc et bleu céleste ont peint le ciel. (Ce sont les couleurs de la bandera argentine. Les femmes ont traditionnellement le foulard céleste et les hommes le blanc. Les foulard sont agités en l’air et donnent l’impression de peindre le ciel)
Déjà la demi-zamba marquait la fin
Et j’ai pressenti ton désir d’aimer. (C’est la fin de la première partie. Le danseur raccompagne la femme et la seconde partie commence).

La seconde démarre, dit le musicien (il annonce la seconde partie)
Et moi, amoureux, j’ai suivi ton vol
J’ai senti tes craintes presque avec étonnement
Alors que tu me regardais par-dessus ton épaule
De ma main gauche, j’ai touché mon chapeau
Comme pour te dire que je reviens.

Le reste n’était qu’un jeu de feintes et d’esquives
Une sensation de proximité, ton corps en osier
Formant une arresto (figure de la zamba consistant à changer de sens, comme une simulation de court après-moi que je t’attrape), mon foulard blanc
Je l’ai entrelacé avec le tien qui allait, volant
Et ce fut avec la danse, le violon et la guitare
La nuit la plus nuit, la zamba la plus zamba

Un tour entier nous a mis face à face
Mes lèvres désiraient tes lèvres brûlantes
Coqs de l’air, c’étaient les foulards
Qui en blanc et bleu clair ont peint le ciel
Mon foulard blanc t’a amené jusqu’à moi
Et toi, énamourée, tu as dit oui.

Melodía de arrabal (film) – 1933-04-05

Metteur en scène : Louis Joseph Gasnier Scénario Alfredo Le Pera.

Melodía de arrabal, c’est le retour de Carlos Gardel au cinéma dans un film réalisé par le réalisateur français, Louis Joseph Gasnier. Comment un film français, réalisé en France, nous apprend ce qui se passait dans le milieu du tango argentin au début du vingtième siècle.

Bien sûr, ce film n’est pas un documentaire et on pourrait considérer qu’il exploite des clichés sur le tango portègne. Cependant, ces mêmes clichés sont ceux qui nourrissent les paroles et l’imaginaire des tangos, imaginaire où des jeunes gens un peu hâbleurs et bagarreurs séduisent de belles ingénues, ingénues qui se révèlent avoir du caractère ou d’autres aspirations.
À ceux qui peuvent s’étonner qu’un film sur Buenos Aires soit tourné à Paris, avec des acteurs argentins ou espagnols par une société américaine (Paramount), je répondrai que c’est une preuve de l’internationalisation rapide du tango.
Je vous propose aujourd’hui quelques éléments de la romance de Buenos Aires autour de ce film sorti au cinéma le 5 avril 1933.

Les acteurs

Carlos Gardel (Roberto Ramírez), Imperio Argentina (Alina), Vicente Padula (Gutiérrez), Jaime Devesa (Rancales, le truand), Helena D’Algy (Marga), Felipe Sassone (Empresario), Manuel París (Maldonado), José Argüelles (Julián), Josita Hernán.

Carlos Gardel et Imperio Argentino à l’époque du tournage du film (fin 1932).

L’intrigue

Roberto Ramírez, interprété par Carlos Gardel, est un vaurien qui vit dans les cafés de la banlieue de Buenos Aires. Il est tricheur et se pique de chanter le tango.
Alina (jouée par Imperio Argentina) qui est professeur de chant l’entend chanter et lui conseille de se lancer dans le métier.
Roberto Ramírez (Gardel) décide de suivre ses conseils et d’améliorer sa vie. Malheureusement, il tue accidentellement un truand qui menaçait de dévoiler ses mauvais penchants à Alina, qui croit que c’est un brave gars (ce qui n’est pas faux).
Si on passe les péripéties de l’enquête policière (dont le rebondissement final est amusant), on notera qu’Alina cherche à faire entendre Roberto, son protégé à un producteur joué par Felipe Sassone.
Ce n’est pas si facile, car Gardel ne souhaite pas se dévoiler en public, mais le producteur sous le charme d’Alina accepte d’écouter Gardel dans une soirée privée chez lui.
Lors de cette soirée, le producteur fait chanter Alina, puis celle-ci enjoint à Gardel de chanter.
Si on me permet cette audace, c’est aussi lors de cette soirée que le truand Rancales essaye également de faire chanter Gardel, mais d’une autre façon et qu’il terminera mort dans une scène à la Agatha Christie.
C’est un succès, le producteur fait venir Gardel, pardon, Roberto dans son théâtre et l’y fait chanter.
C’est là qu’il va chanter Silencio avec beaucoup de succès. C’est nettement le temps fort du film. On comprendra pourquoi en lisant ma notice sur Silencio…
La version du film que je propose enchaîne de façon étrange sur Melodía de arrabal. Est-ce le même jour, pas sûr. Les ellipses dans ce film sont moyennes. Par exemple, quand Rancales, le truand joué par Jaime Devesa sort de prison, on risque de ne pas capter qu’il s’est passé un an. Un an sans voir Alina, qui lui avait proposé de l’aider à chanter. On le sait uniquement par un dialogue de Gardel un peu plus tard. Dans le cas présent, je pense que le changement de costume est censé nous renseigner.
Le film se termine en parfait retour arrière avec le début du film avec le disque 78 tours de Roberto (Melodía de arrabal) tournant sur un gramophone et la caméra qui se lance dans un long traveling arrière symétrique du traveling du début. On voit les badauds s’agglutiner à la devanture du magasin de disque. Le mot « fin » apparaît sur le sol. Gardel, (Roberto) est devenu chanteur de tango…

Quelques points de repère et moments forts du film

Cliquez sur les vidéos, vous irez directement au moment sélectionné. Ne vous fiez pas à l’image qui est toujours la même, vous irez bien au point indiqué en cliquant sur l’image.

Pour voir le film en entier dans YouTube, cliquez sur ce lien.

Le film commence après un panoramique sur un long traveling avant qui suit Carlos Gardel (Roberto) jusqu’à un magasin de disques.
Quelques personnes sont autour d’un phonographe qui passe une version instrumentale de Melodía de arrabal. Gardel qui est entré y rencontre Imperia (Alina). Il lui propose de lui offrir le disque. Celle-ci refuse, mais Roberto lui promet de lui chanter à chaque fois qu’il la croisera.
https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=47
3 : 08 pour voir un peu de danse et l’ambiance reconstitué dans un studio de la région parisienne des lieux portègnes du début du vingtième siècle.
https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=188
37 : 15 No sé porqué, une habanera chantée par Imperio Argentina et Carlos Gardel en Duo. Une perle ! José Sentis, l’auteur des paroles et de la musique était un pianiste et compositeur né en Espagne. Il fut un des pionniers du tango à Paris. Ce titre témoigne de ses origines.
https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=2234
46:28 Le barman utilise un shaker comme des maracas, les danseurs dansent Jazz. N’oublions pas que les bals de l’époque étaient mixtes, tango et jazz. Continuez de regarder pour voir les gens danser et voir la fin de la danse quand… à 47 : 10, le maître de maison (le producteur) arrête la musique sur laquelle les gens dansaient pour annoncer l’intermède. On voit donc un bal privé utilisant des disques. À la suite chante donc Imperio Argentina qui s’accompagne au piano.
https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=2788
50 : 09 Cuando tú no estás, une chanson chantée par Carlos Gardel accompagné au piano par Imperio Argentina. (Carlos Gardel et Marcel Lattés pour la musique et Alfredo Le Pera et Mario Battistella pour les paroles).
https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=3006
1 :11 :15 Silencio, par Carlos Gardel (Musique Carlos Gardel et Horacio G. Pettorossi, paroles Alfredo Le Pera et Horacio G. Pettorossi). Nous avons présenté ce merveilleux titre dans une anecdote du jour Silencio. Remarquez à l’arrière-plan la Orquesta típica Argentina de Juan Cruz Mateo.
https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=4256
1 :15 :07 Melodía de arrabal, par Carlos Gardel (Carlos Gardel pour la musique et Alfredo Le Pera et Mario Battistella pour les paroles).
https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=4502
Reprise finale, pour la troisième fois de Melodía de arrabal, cette fois sur le disque qu’il a enregistré. C’est la fin du film.
https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=4872

Quelques affiches et pochettes de DVD…

Vous pouvez les regarder en écoutant, deux versions très différentes.

Melodía de arrabal 1933-04-17 – Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá. Canaro, comme il l’avait fait pour Silencio, publie “la musique du film » dans sa version. Un bon marketing, c’est toujours utile, non ? En plus, c’est une version de danse, alors, on ne va pas bouder son plaisir.
Melodía de arrabal 1965 – Orquesta Miguel Caló con Raúl del Mar y glosas de Héctor Gagliardi J’aime bien la glose initiale. Et cette version est sympathique.

Recuerdo, 1944-03-31 — Orquesta Osvaldo Pugliese

Adolfo et/ou Osvaldo Pugliese Letra : Eduardo Moreno

Recuerdo serait le premier tango écrit par Osvaldo Pugliese. Ayant été édité en 1924, cela voudrait dire qu’il l’aurait écrit avant l’âge de 19 ans. Rien d’étonnant de la part d’un génie, mais ce qui est étonnant, c’est le titre, Recuerdo (souvenir), semble plus le titre d’une personne d’âge mûr que d’un tout jeune homme, surtout pour une première œuvre. Essayons d’y voir plus clair en regroupant nos souvenirs…

La famille Pugliese, une famille de musiciens

Osvaldo est né en 1905, le 2 décembre. Bien que d’une famille modeste, son père lui offre un violon à l’âge de neuf ans, mais Osvaldo préféra le piano.
Je vais vous présenter sa famille, tout d’abord avec un arbre généalogique, puis nous entrerons dans les détails en présentant les musiciens.

Adolfo Pugliese (1876-06-24 – 1945-02-09), le père, flûtiste, compositeur (?) et éditeur de musique

Comme compositeur, on lui attribue :

Ausencia (Tango mío) (Tango de 1931), mais nous verrons, à la fin de cet article, qu’il y en a peut-être un autre, ou pas…
La légende veut qu’il soit un modeste ouvrier du cuir, comme son père qui était cordonnier, mais il était aussi éditeur de musique et flûtiste. Il avait donc plusieurs cordes à son arc.
De plus, quand son fils Osvaldo a souhaité faire du piano, cela ne semble pas avoir posé de problème alors qu’il venait de lui fournir un violon (qui pouvait être partagé avec son frère aîné, cependant). Les familles qui ont un piano ne sont pas les plus démunies…
Même si Adolfo a écrit, semble-t-il, écrit peu (ou pas) de tango, il en a en revanche édité, notamment ceux de ses enfants…
Voici deux exemples de partition qu’il éditait. À droite, celle de Recuerco, notre tango du jour. On remarquera qu’il indique « musique d’Adolfo Pugliese » et la seconde de « Por una carta », une composition de son fils Alberto, frère d’Osvaldo, donc.

Sur la couverture de Recuerdo, le nom des musiciens de Julio de Caro, à savoir : Julio de Caro, reconnaissable à son violon avec cornet qui est également le directeur de l’orchestre., puis de gauche à droite, Francisco de Caro au piano, Pedro Maffia au bandonéon (que l’on retrouve sur la partition de Por una carta), Enrike Krauss à la contrebasse, Pedro Laurenz au bandonéon et Emilio de Caro, le 3e De Caro de l’orchestre…
Sur la partition de Por una carta, les signatures des membres de l’orchestre de Pedro Maffia : Elvino Vardaro, le merveilleux violoniste, Osvaldo Pugliese au piano, Pedro Maffia au bandonéon et directeur de l’orchestre, Francisco De Lorenzo à la contrebasse, Alfredo De Franco au bandonéon et Emilio Puglisi au violon.

On voir qu’Adolfo gérait ses affaires et que donc l’idée d’un Osvaldo Pugliese né dans un milieu déshérité est bien exagérée. Cela n’a pas empêché Osvaldo d’avoir des idées généreuses comme en témoignent son engagement au parti communiste argentin et sa conception de la répartition des gains avec son orchestre. Il divisait les émoluments en portions égales à chacun des membres de l’orchestre, ce qui n’était pas la façon de faire d’autres orchestres ou le leader était le mieux payé…

Antonio Pugliese (1878-11-21— ????), oncle d’Osvaldo. Musicien et compositeur d’au moins un tango

Ce tango d’Antonio est : Qué mal hiciste avec des paroles d’Andrés Gaos (fils). Il fut enregistré en 1930 par Antonio Bonavena. Je n’ai pas de photo du tonton, alors je vous propose d’écouter son tango dans cette version instrumentale.

Que mal hiciste 1930 Orquesta Antonio Bonavena (version instrumentale)

Alberto Pugliese (1901-01-29- 1965-05-15), frère d’Osvaldo. Violoniste et compositeur

Curieusement, les grands frères d’Osvaldo sont peu cités dans les textes sur le tango. Alberto a pourtant réalisé des compositions sympathiques, parmi lesquelles on pourrait citer :

  • Adoración (Tango) enregistré Orquesta Juan Maglio « Pacho » avec Carlos Viván (1930-03-28).
  • Cabecitas blancas (Tango) enregistré par Osvaldo et Chanel (1947-10-14)
  • Cariño gaucho (Milonga)
  • El charquero (Tango de 1964)
  • El remate (Tango) dont son petit frère a fait une magnifique version (1944-06-01). Mais de nombreux autres orchestres l’ont également enregistré.
  • Espinas (Tango) Enregistré par Firpo (1927-02-27)
  • Milonga de mi tierra (Milonga) enregistrée par Osvaldo et Jorge Rubino (1943-10-21)
  • Por una carta (Tango) enregistré par la Típica Victor (1928-06-26)
  • Soñando el Charleston (Charleston) enregistré par Adolfo Carabelli Jazz Band (1926-12-02).

Il en a certainement écrit d’autres, mais elles sont encore à identifier et à faire jouer par un orchestre qui les enregistrera…
On notera que sa petite fille, Marcela est chanteuse de tango. Les gènes ont aussi été transmis à la descendance d’Alberto.

Adolfo Vicente (Fito) Pugliese (1899— ????), frère d’Osvaldo. Violoniste et compositeur

Adolfo Vicente (surnommé Fito pour mieux le distinguer de son père Adolfo, Adolfito devient Fito) ne semble pas avoir écrit ou enregistré sous son nom. Ce n’est en revanche pas si sûr. En effet, il était un brillant violoniste et étant le plus âgé des garçons, c’est un peu lui qui faisait tourner la boutique quand son père se livrait à ses frasques (il buvait et courait les femmes).
Cependant, la mésentente avec le père a fini par le faire partir de Buenos Aires et il est allé s’installer à Mar del Plata où il a délaissé la musique et le violon, ce qui explique que l’on perde sa trace par la suite.

Beba (Lucela Delma) Pugliese (1936— …), pianiste, chef d’orchestre et compositrice

C’est la fille d’Osvaldo et de María Concepción Florio et donc la petite fille d’Adolfo, le flûtiste et éditeur.
Parmi ses compositions, Catire et Chicharrita qu’elle a joué avec son quinteto…

Carla Pugliese (María Carla Novelli) Pugliese (1977— …), Pianiste et compositrice

Petite fille d’Osvaldo et fille de Beba, la tradition familiale continue de nos jours, même si Carla s’oriente vers d’autres musiques.
Si vous voulez en savoir plus sur ce jeune talent :

https://www.todotango.com/creadores/biografia/1505/Carla-Pugliese/ (en espagnol)

https://www.todotango.com/english/artists/biography/1505/Carla-Pugliese/ (en anglais)

Les grands-parents de Pugliese

Je ne sais pas s’ils étaient musiciens. Le père était zapatero (cordonnier). Ce sont eux qui ont fait le voyage en Argentine où sont nés leurs 5 enfants. Ce sont deux parmi les milliers d’Européens qui ont émigré vers l’Argentine, comme le fit la mère de Carlos Gardel quelques années plus tard.

Roque PUGLIESE Padula

Né le 5 octobre 1853 — Tricarico, Matera, Basilicata, Italie
Zapatero. C’est de lui que vient le nom de Pugliese qu’il a certainement adopté en souvenir de sa terre natale.

Filomena Vulcano

Née en 1852 — Rossano, Cosenza, Calabria, Italie
Ils se sont mariés le 28 novembre 1896, dans l’église Nuestra Señora de la Piedad, de Buenos Aires.
Leurs enfants :

  • Adolfo Juan PUGLIESE Vulcano 1876-1943 (Père d’Osvaldo, compositeur, éditeur et flûtiste)
  • Antonio PUGLIESE Vulcano 1878 (Musicien et compositeur)
  • Luisa María Margarita PUGLIESE Vulcano 1881
  • Luisa María PUGLIESE Vulcano 1883
  • Concepción María Ana PUGLIESE Vulcano 1885

Extrait musical

Recuerdo, 1944-03-31 — Orquesta Osvaldo Pugliese.

Dans cette version il y a déjà tout le Pugliese à venir. Les versions enregistrées auparavant avaient déjà pour certaines des intonations proches. On peut donc penser que la puissance de l’écriture de Pugliese a influencé les orchestres qui ont interprété son œuvre. À l’écoute on se pose la question de la paternité de la composition. Alfredo, Osvaldo ou un autre ? Nous y reviendrons.

Les paroles

Ayer cantaron las poetas
y lloraron las orquestas
en las suaves noches del ambiente del placer.
Donde la bohemia y la frágil juventud
aprisionadas a un encanto de mujer
se marchitaron en el bar del barrio sud,
muriendo de ilusión
muriendo su canción.

Mujer
de mi poema mejor.
¡Mujer!
Yo nunca tuve un amor.
¡Perdón!
Si eres mi gloria ideal
Perdón,
serás mi verso inicial.

Y la voz en el bar
para siempre se apagó
su motivo sin par
nunca más se oyó.

Embriagada Mimí,
que llegó de París,
siguiendo tus pasos
la gloria se fue
de aquellos muchachos
del viejo café.

Quedó su nombre grabado
por la mano del pasado
en la vieja mesa del café del barrio sur,
donde anoche mismo una sombra de ayer,
por el recuerdo de su frágil juventud
y por la culpa de un olvido de mujer
durmióse sin querer
en el Café Concert.

Adolfo et/ou Osvaldo Pugliese Letra : Eduardo Moreno

Dans la version de la Típica Victor de 1930, Roberto Díaz ne chante que la partie en gras. Rosita Montemar chante deux fois tout ce qui est en bleu.

Traduction libre et indications

Hier, les poètes ont chanté et les orchestres ont pleuré dans les douces nuits de l’atmosphère de plaisir.
Où la bohème et la jeunesse fragile prisonnière du charme d’une femme se flétrissaient dans le bar du quartier sud, mourant d’illusion et mourant de leur chanson.
Femme de mon meilleur poème.

Femme !
Je n’ai jamais eu d’amour.
Pardon !
Si tu es ma gloire idéale
Désolé, tu seras mon couplet d’ouverture.

Et la voix dans le bar s’éteignit à jamais, son motif sans pareil ne fut plus jamais entendu.
Mimì ivre, qui venait de Paris, suivant tes traces, la gloire s’en est allée à ces garçons du vieux café.

Son nom était gravé par la main du passé sur la vieille table du café du quartier sud, où hier soir une ombre d’hier, par le souvenir de sa jeunesse fragile et par la faute de l’oubli d’une femme, s’est endormie involontairement dans le Café-Concert.

Dans ce tango, on voit l’importance du sud de Buenos Aires.

Autres versions

Recuerdo, 1926-12-09 — Orquesta Julio De Caro. C’est l’orchestre qui est sur la couverture de la partition éditée avec le nom d’Adolfo. Remarquez que dès cette version, la variation finale si célèbre est déjà présente.
Recuerdo 1927 — Rosita Montemar con orquesta. Une version chanson. Juste pour l’intérêt historique et pour avoir les paroles chantées…
Recuerdo, 1928-01-28 — Orquesta Bianco-Bachicha. On trouve dans cette version enregistrée à Paris, quelques accents qui seront mieux développés dans les enregistrements de Pugliese. Ce n’est pas inintéressant. Cela reste cependant difficile de passer à la place de « La référence ».
Recuerdo, 1930-04-23 — Orquesta Típica Victor con Roberto Díaz. Une des rares versions chantées et seulement sur le refrain (en gras dans les paroles ci-dessus). Un basson apporte une sonorité étonnante à cette version. On l’entend particulièrement après le passage chanté.
Recuerdo, 1941-08-08 — Orquesta Francisco Lomuto. Une version très intéressante. Que je pourrais éventuellement passer en bal.
Recuerdo 1941 Orquesta Aníbal Troilo. La prise de son qui a été réalisée à Montevideo est sur acétate, donc le son est mauvais. Elle n’est là que pour la référence.
Recuerdo, 1942-11-04 — Orquesta Ricardo Tanturi. Une version surprenante pour du Tanturi et pas si loin de ce que fera Pugliese, deux ans plus tard. Heureusement qu’il y a la fin typique de Tanturi, une dominante suivie bien plus tard par la tonique pour nous certifier que c’est bien Tanturi 😉
Recuerdo, 1944-03-31 — Orquesta Osvaldo Pugliese. C’est le tango du jour. Il est intéressant de voir comment cette version avait été annoncée par quelques interprétations antérieures. On se pose toujours la question ; Alfredo ou Osvaldo ? Suspens…
Recuerdo, 1952-09-17 — Orquesta Julio De Caro. De Caro enregistre 26 ans plus tard le titre qu’il a lancé. L’évolution est très nette. L’utilisation d’un orchestre au lieu du sexteto, donne de l’ampleur à la musique.
Recuerdo 1966-09 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel. On retrouve Pugliese, 22 ans après son premier enregistrement. Cette fois, la voix de Maciel. Celui-ci chante les paroles, mais avec beaucoup de modifications. Je ne sais pas quoi en penser pour la danse. C’est sûr qu’en Europe, cela fait un malheur. L’interprétation de Maciel ne se prête pas à la danse, mais c’est tellement joli que l’on pourrait s’arrêter de danser pour écouter.

En 1985, on a au moins trois versions de Rucuerdo par Pugliese. Celle de « Grandes Valores », une émission de télévision, mais avec un son moyen, mais une vidéo. Alors, je vous la présente.

Recuerdo par Osvaldo Pugliese dans l’émission Grandes Valores de 1985.

Puisqu’on est dans les films, je vous propose aussi la version au théâtre Colon, cette salle de spectacle fameuse de Buenos Aires.

Recuerdo par Osvaldo Pugliese au Théatre Colon, le 12 décembre 1985.

Pour terminer, toujours de 1985, l’enregistrement en studio du 25 avril.

Recuerdo, 1985-04-25 — Orquesta Osvaldo Pugliese.

Pugliese a continué à jouer à de nombreuses reprises sa première œuvre. Vous pouvez écouter les différentes versions, mais elles sont globalement semblables et je vous propose d’arrêter là notre parcours, pour traiter de notre fil rouge. Qui est le compositeur de Recuerdo ?

Qui est le compositeur de Recuerdo ?

On a vu que la partition éditée en 1926 par Adolfo Pugliese mentionne son nom comme auteur. Cependant, la tradition veut que ce soit la première composition d’Osvaldo.
Écoutons le seul tango qui soit étiqueté Adolfo :
Ausencia, 1926-09-16 — José Bohr y su Orquesta Típica. C’est mignon, mais c’est loin d’avoir la puissance de Recuerdo.
On notera toutefois que la réédition de cette partition est signée Adolfo et Osvaldo. La seule composition d’Adolfo serait-elle en fait de son fils ? C’est à mon avis très probable. Le père et sa vie peu équilibrée et n’ayant pas donné d’autres compositions, contrairement à ses garçons, pourrait ne pas être compositeur, en fait.

Pour certains, c’est, car Osvaldo était mineur, que son père a édité la partition à son nom. Le problème est que plusieurs tangos d’Osvaldo avaient été antérieurement édités à son nom. Donc, l’argument ne tient pas.

Pour rendre la chose plus complexe, il faut prendre en compte l’histoire de son frère aîné
Adolfo (Fito). Ce dernier était un brillant violoniste et compositeur.
Pedro Laurenz, alors Bandonéiste dans l’orchestre de Julio De Caro, indique qu’il était avec Eduardo Moreno quand un violoniste Emilio Marchiano serait venu lui demander d’aller chercher ce tango chez Fito pour lui ajouter des paroles.
Marchiano travaillait alors au café ABC, comme l’indique Osvaldo qui était ami avec le bandonéoniste Enrique Pollet (Francesito) et qui aurait recommandé les deux titres marqués Adolfo (Ausencia et Recuerdo).
On est sur le fil avec ces deux histoires avec les mêmes acteurs. Dans un cas, l’auteur serait Adolfito qui donnerait la musique pour qu’elle soit jouée par De Caro et dans l’autre, ce serait Pollet qui aurait fait la promotion des compositions qui seraient toutes deux d’Osvaldo et pas de son père, ni de son grand frère.
Pour expliquer que le nom de son père soit sur les partitions de ces deux œuvres, je donne la parole à Osvaldo qui indique qu’il est bien l’auteur de ces tangos, et notamment de Recuerdo qu’il aurait donné à son père, car ce dernier, flûtiste avait du mal à trouver du travail et qu’il avait décidé de se reconvertir comme éditeur de partition. En effet, la flûte, très présente dans la vieille garde n’était plus guère utilisée dans les nouveaux orchestres. Cette anecdote est par Oscar del Priore et Irene Amuchástegui dans Cien tangos fundamentales.
Toujours selon Pedro Laurenz, la variation finale, qui donne cette touche magistrale à la pièce, serait d’Enrique Pollet, alias El Francés, (1901-1973) le bandonéoniste qui travaillait avec Eduardo Moreno au moment de l’adaptation de l’œuvre aux paroles.
Cependant, la version de 1927 chantée par Rosita Montemar ne contient pas la variation finale alors que l’enregistrement de 1926 par De Caro, si. Plus grave, la version de 1957, chantée par Maciel ne comporte pas non plus cette variation. On pourrait donc presque dire que pour adapter au chant Recuerdo, on a supprimé la variation finale.

Et en conclusion ?

Ben, il y a plein d’hypothèses et toutes ne sont pas fausses. Pour ma part, je pense que l’on a minimisé le rôle Fito et qu’Adolfo le père n’a pas d’autre mérite que d’avoir donné le goût de la musique à ses enfants. Il semble avoir été un père moins parfait sur d’autres plans, comme en témoigne l’exil d’Adolfito (Vicente).
Mais finalement, ce qui compte, c’est que cette œuvre merveilleuse nous soit parvenue dans tant de versions passionnantes et qu’elle verra sans doute régulièrement de nouvelles versions pour le plus grand plaisir de nos oreilles, voire de nos pieds.
Recuerdo restera un souvenir vivant.

El pollo Ricardo 1946-03-29 – Orquesta Carlos Di Sarli

Luis Alberto Fernández Letra : Gerardo Adroher

Je dédicace cet article à mon ami Ricardo Salusky, DJ de Buenos Aires, ce tango étant une histoire d’amitié, c’était logique. Pollo, le poulet, est un surnom assez courant, les Argentins et Uruguayens sont friands de cet exercice qui consiste à ne jamais dire le véritable prénom de personnes…

Reste à savoir qui était le poulet de Luis Alberto Fernández, l’auteur et le parolier de ce tango qu’il a dédicacé à un de ses amis.
Ricardo est un prénom courant. Il nous faut donc investiguer.
Luis Alberto Fernández (c’est son véritable nom) est né à Montevideo le 29 mars 1887. Il était pianiste, compositeur et parolier d’au moins deux tangos, celui dont nous parlons aujourd’hui et Intervalo. El Pollo Ricardo est indiqué dans les registres de la AGADU (Asociación General de Autores del Uruguay) comme étant de 1911, ce que confirment d’autres sources, comme les plus anciennes exécutions connues par Carlos Warren, puis Juan Maglio Pacho (malheureusement sans enregistrement) et un peu plus tardivement (1917), celle de Celestino Ferrer que vous pourrez écouter à la fin de cet article.
De Fernández, on ne connaît que deux compositions, El pollo Ricardo et Intervalo.
En cherchant dans les amis de Fernández on trouve un autre Uruguayen ayant justement écrit un tango sur les cartes,

Une partition de Ricardo Scandroglio du tango « En Puerta » (l’ouverture) sur le thème des jeux de cartes. On notera que l’auteur se fait appeler (El Pollo Ricardo).

On retrouve ce Ricardo Scandroglio sur une photo où il est au côté de Luis Alberto Fernández.

Photo prise dans les bois de Palermo en 1912 (Parque Tres de Febrero à Buenos Aires).

Assis, de gauche à droite : El pollo Ricardo qui a bien une tête de poulet, non ? Au centre, Luis Alberto Fernández et Curbelo. Debouts, Arturo Prestinari et Fernández Castilla. Cette photo a été reproduite dans la revue La Mañana du 29 septembre 1971.
Et pour clore le tout, on a une entrevue entre Alfredo Tassano et Ricardo Scandroglio où ce dernier donne de nombreuses précisions sur leur amitié.
Vous pouvez écouter cette entretien (à la fin de la version de Canaro de El pollo Ricardo) ici:
https://bhl.org.uy/index.php/Audio:_Entrevista_a_Ricardo_Scandroglio_a_sus_81_a%C3%B1os,_1971
Mais je vous conseille de lire tout le dossier qui est passionnant :
https://bhl.org.uy/index.php/Scandroglio,_Ricardo_-_El_Pollo_Ricardo

Extrait musical

Il s’agit du deuxième des trois enregistrements de El pollo Ricardo par Carlos Di Sarli. Nous écouterons les autres dans le chapitre « autres versions ».

El pollo Ricardo 1946-03-29 — Orquesta Carlos Di Sarli.
Couverture de la deuxième édition et partition pour piano de El pollo Ricardo

Les paroles

Personne ne connaît les paroles que Gerardo Adroher, encore un Uruguayen, a composées, mais qu’aucun orchestre n’a enregistrées.
Ce tango a été récupéré par les danseurs qui ont moins besoin des paroles. Toutefois, il me semble intéressant de les mentionner, car il montre l’atmosphère d’amitié entre Ricardo Scandroglio et Luis Alberto Fernández.

Tu pinta de bacán
tu estampa de varón
tu clase pura para el baile
cuando te floreás
te han distinguido
entre los buenos guapos con razón
porque entrando a tallar
te hiciste respetar.
Pollo Ricardo
vos fuiste amigo fiel
y yo he querido con un tango
bravo y compadrón
dar lo mejor de mi amistad
a quien me abrió su corazón.
La barra fuerte del café
muchachos bravos de verdad
formaban rueda cuando vos
maravillabas al tanguear.
Y siempre fue tu juventud
el sol que a todos alumbró
borrando sombras con la luz
que tu bondad nos dio.
Y cuando pasen los años
oirás en el compás de este tango
un desfilar de recuerdos
largo… largo.
Puede que entonces
me fui yo a viajar
con rumbo por una estrella.
Mira hacia el cielo
es ella, la que brilla más.

Gerardo Adroher

Traduction libre et indications

Ton élégance de noceur, ton allure de mec, ta pure classe pour la danse quand tu brilles t’ont distingué parmi les beaux élégants, à juste titre, parce que quand tu entres en taille (figure de tango, comme dans le ocho cortado. Ne pas oublier que la forme ancienne du tango de danse avait des attitudes pouvant rappeler le combat au couteau) ; tu t’es fait respecter.
Poulet Ricardo tu étais un ami fidèle et moi j’ai aimé avec un tango, courageux, et compère, donner le meilleur de mon amitié à qui m’a ouvert son cœur.
La bande du café, des garçons vraiment bons (vaillants, bons danseurs dans le cas présent).
Formant le cercle quand tu émerveillais en dansant le tango.
Et ça a toujours été ta jeunesse, le soleil qui a illuminé tout le monde, effaçant les ombres avec la lumière que ta bonté nous a donnée.
Et quand les années passeront, tu entendras au rythme de ce tango un défilé de souvenirs
long… long.
Il se peut qu’ensuite, je sois parti en voyage,
En route vers une étoile. Lève les yeux vers le ciel, c’est celle qui brille le plus.
Fernandez est décédé en 1947, et il avait trois ans de plus que Ricardo, ces paroles peuvent paraître prémonitoires, mais avec beaucoup d’avance…

Autres versions

Les premières versions

Le premier orchestre à avoir joué El pollo Ricardo en 1912 serait l’orchestre uruguayen de Carlos Warren, mais il ne semble pas y avoir d’enregistrement. Même chose pour la version par Juan Maglio Pacho. La partition aurait été éditée en 1917, mais si on prend en compte que Fernández jouait d’oreille et n’écrivait pas la musique, on peut penser que les premières interprétations soient passées par un canal différent.

El pollo Ricardo 1917-01-17 — Orquesta Típica de Celestino Ferrer.

C’est, a priori, la plus ancienne version existante en enregistrement. Ferrer était réputé pour sa participation aux nuits parisiennes autour des orchestres comme celui de Pizarro. On lui doit un tango comme compositeur, El Garrón, qui célèbre le salon parisien qui fut un des premiers lieux de tango à Paris. Il faut attendre un peu pour trouver des versions dansantes du tango.

El pollo Ricardo 1938-05-09 — Quinteto Don Pancho dir. Francisco Canaro.

Une version bien ronde et qui avance avec une cadence régulière qui pourra plaire aux danseurs milongueros. J’aime bien les petits « galops » qu’on entend particulièrement bien vers 43 secondes et à diverses reprises. Cependant, on ne pense pas forcément à un poulet ou à un danseur de tango.

Les trois enregistrements de Di Sarli

J’ai choisi de regrouper les trois enregistrements de Di Sarli pour qu’il soit plus facile à comparer. La version intermédiaire de D’Arienzo de 1947 sera placée après celle de 1951 de Di Sarli, ce qui vous permettra de comparer également les deux enregistrements de D’Arienzo (1947 et 1952).

El pollo Ricardo 1940-09-23 Orquesta Carlos Di Sarli.

C’est la première version de ce thème par Di Sarli. À diverses reprises le son du bandonéon peut faire penser au caquètement d’un poulet (0 : 26 ou 1 : 26 par exemple).

El pollo Ricardo 1946-03-29 — Orquesta Carlos Di Sarli. C’est notre tango du jour.

Le tempo est plus modéré que dans la version de 1940 et le caquètement de poulet est plus accentué, en contraste avec les violons en legato. Comme le tempo est un peu plus lent, les caquètements sont décalés à 0 : 30 et 1 : 30. En six ans on remarque bien l’évolution de l’orchestre, même si le style reste encore très rythmé et les violons s’expriment moins que dans des versions plus tardives comme celle de 1951.

El pollo Ricardo 1951-07-16 — Orquesta Carlos Di Sarli.

La sonorité de cette version est plus familière aux aficionados de Di Sarli des années 50. Les violons sont beaucoup plus présents, y compris dans les caquètements qui toutefois sont plus discrets que dans les deux autres versions. Le piano s’exprime également plus et rajoute les fioritures qui sont une des caractéristiques du Di Sarli des années 50.

Les deux enregistrements de D’Arienzo

Les deux enregistrements de D’Arienzo sont à comparer aux deux enregistrements quasi contemporains de Di Sarli (46-47 et 51-52).
Comme nous l’avons vu, l’évolution de Di Sarli est allée en direction des violons. Celles de D’Arienzo serait plutôt de favoriser les bandonéons et de les engager dans le marquage du tempo, comme d’ailleurs tous les instruments de l’orchestre. Il n’est pas El Rey del Compas pour rien… Le piano a toujours une grande place chez D’Arienzo qui n’oublie pas que c’est aussi un instrument à percussion…

El pollo Ricardo 1947-05-20 — Orquesta Juan D’Arienzo
El pollo Ricardo 1952-11-12 — Orquesta Juan D’Arienzo

Retour en Uruguay

Le héros, le compositeur et le parolier de ce tango étant uruguayens, il me semble logique de donner la parole en dernier à trois orchestres de ce pays.

El pollo Ricardo 1972 — Orquesta Orquesta Donato Racciatti.

Une version énergique et au tempo soutenu. Quelques illuminations du piano de Racciatti répondent aux violons (jouant legato mais aussi en pizzicati) . Le style haché et joueur peut être intéressant à proposer aux danseurs.

El pollo Ricardo 1985 – Miguel Villasboas y su Orquesta Típica.

Un peu moins tonique que la version de Racciatti et avec la sonorité particulière de cet orchestre, on trouve tout de même un air de famille, le son uruguayen 😉 Les violons un peu plus lyriques, le piano plus sourd rendent sans doute cette version moins intéressante, mais elle devrait tout de même plaire aux danseurs notamment dans la dernière partie qui est plutôt très réussi et entraînante.

El pollo Ricardo 2005-10 – Orquesta Matos Rodríguez.

Bien que l’orchestre se réfère à Matos Rodríguez (le compositeur uruguayen de la Cumparsita), on est plus dans une impression à la Di Sarli. Cependant, le résultat est un peu mièvre et ne se prête pas à une danse de qualité, même s’il reprend des idées des orchestres urugayens et des trucs à la Sassone.

La dédicace à El Pollo Ricardo

Comme Fernandez a réalisé un hommage à son ami Ricardo, je fais de même avec Ricardo, l’excellent DJ de Buenos Aires. J’ai emprunté la photo au talentueux photographe (celui qui avait réalisé la grande fresque du salon

Silencio 1933 -03-27 – Carlos Gardel con la orquesta de Francisco Canaro y coro de mujeres

Carlos Gardel; Horacio G. Pettorossi Letra: Alfredo Le Pera ; Horacio G. Pettorossi

Le tango du jour est Silencio, enregistré par Gardel avec l’orchestre de Canaro en 1933. Ce titre « expiatoire » dévoile une des failles de Carlos Gardel, Enfant de France. Je vous invite à découvrir ou redécouvrir ce titre chargé d’émotion et d’histoire.

Une fois n’est pas coutume, je vais vous faire voir et écouter une version différente du tango du jour, avant la version du jour.
Nous sommes en 1932, Carlos Gardel est en France (comme beaucoup de musiciens et artistes Argentins à l’époque). Il y tourne quatre films et dans le dernier de la série, il chante une chanson dont on ne peut comprendre la totalité de l’émotion qu’avec un peu d’histoire.

Silencio 1932-11 Carlos Gardel con la Orquesta típica Argentina de Juan Cruz Mateo. Une version émouvante tirée du film « Melodía de arrabal » de Louis Gasnier.

Ce film a été tourné en France, à l’est de Paris, aux Studios de Joinville-le-Pont en octobre et novembre 1932. Le scénario est d’Alfredo Le Pera (auteur des paroles de ce titre, également).

Juan Cruz Mateo

L’orchestre représenté dans le film et qui joue la bande-son est la Orquesta típica Argentina de Juan Cruz Mateo. C’est un des 200 orchestres de tango de l’âge d’or. On n’en connaît guère aujourd’hui qu’une cinquantaine ayant suffisamment d’enregistrements pour être significatifs et sans doute pas beaucoup plus d’une cinquantaine ayant suffisamment de titres pour faire une tanda, et cela à la condition de ne pas être trop exigeant. D’ailleurs, pour certains titres que j’appelle « orphelins », je mélange les orchestres pour constituer une tanda complète et cohérente. Par exemple, la Típica Victor dirigée par Carabelli et l’orchestre de Carabelli. Cela, c’est plus fréquemment pour les milongas qui sont plutôt déficitaires en nombre (moins de 600 milongas ont été enregistrées entre 1935 et 1955), contre presque le double de valses et quatre fois plus de tangos. En effet, l’âge d’or du tango, c’est à peine 6000 titres et tous ne sont pas pour la danse… C’est donc un patrimoine ridiculement petit par rapport à ce qui a été joué et pas enregistré.

Sur l’image de gauche, l’équipe du film « La Casa es seria » avec Juan Cruz Mateo, le pianiste de Gardel à droite de l’image. À sa droite, au premier plan, Le Pera et sur la gauche de l’image au premier plan… Carlos Gardel. Les autres sont des personnes de la Paramount qui a produit le film. La photo du centre montre Mateo et Gardel en répétition. À droite, autoportrait de Mateo devenu peintre…

Juan Cruz Mateo, ce pianiste et directeur d’orchestre argentin est un de ces oubliés. C’est sans doute, car il a fait sa carrière principalement en France et qu’il s’est recyclé comme peintre futuriste à la fin des années 30.
On lui doit notamment l’accompagnement orchestral de trois films interprétés par Gardel durant ses séjours parisiens, Espérame, La casa es seria et Melodía de arrabal dont est tiré cet extrait. C’est également le pianiste qui a le plus accompagné Carlos Gardel. Donc, si vous entendez chanter Gardel avec un accompagnement de piano, c’est certainement lui…

Extrait musical

Silencio 1933 -03-27 – Carlos Gardel con la orquesta de Francisco Canaro y coro de mujeres.

Cette version est particulièrement émouvante, avec son chœur de femme et la voix de Gardel. Nous y reviendrons après avoir étudié les paroles.

Les paroles

Silencio en la noche.
Ya todo está en calma.
El músculo duerme.
La ambición descansa.

Meciendo una cuna,
una madre canta
un canto querido
que llega hasta el alma,
porque en esa cuna,
está su esperanza.

Eran cinco hermanos.
Ella era una santa.
Eran cinco besos
que cada mañana
rozaban muy tiernos
las hebras de plata
de esa viejecita
de canas muy blancas.
Eran cinco hijos
que al taller marchaban.

Silencio en la noche.
Ya todo está en calma.
El músculo duerme,
la ambición trabaja.

Un clarín se oye.
Peligra la Patria.

Y al grito de guerra
los hombres se matan
cubriendo de sangre
los campos de Francia.

Hoy todo ha pasado.
Renacen las plantas.
Un himno a la vida
los arados cantan.
Y la viejecita
de canas muy blancas
se quedó muy sola,
con cinco medallas
que por cinco héroes
la premió la Patria.

Silencio en la noche.
Ya todo está en calma.
El músculo duerme,
la ambición descansa…

Un coro lejano
de madres que cantan
mecen en sus cunas,
nuevas esperanzas.
Silencio en la noche.
Silencio en las almas…

Carlos Gardel; Horacio G. Pettorossi Letra: Alfredo Le Pera ; Horacio G. Pettorossi.

Carlos Gardel et Imperio Argentina chantent la totalité du texte. Ernesto Famá ne chante que ce qui est en gras et deux fois ce qui est en bleu.

Traduction libre et indications

Le titre commence par un son de clairon. Le clairon jouant sur trois notes, cet air fait immédiatement penser à une musique militaire (le clairon ne permet de jouer facilement que 4 notes et trois autres notes ne sont accessibles qu’aux virtuoses de cet instrument, autant dire qu’elles ne sont jamais jouées.
Les notes, Sol Do Mi sont égrenées lentement, comme dans les sonneries aux morts. On peut dire que Canaro annonce la couleur dès le début…
Gardel reprend à la suite de la sonnerie sur le même Mi. Cela permet de faire la liaison entre le clairon et sa voix, ce qui n’était pas si évident à concevoir. Dans la version de 1932 c’est une trompette et pas un clairon qui lance Sol Sol Do et Gardel commence sur un Mi, ce qui est logique, c’est sa tessiture. La version de Canaro est donc à mon sens mieux construite de ce point de vue et l’usage du clairon est plus pertinent.

Silencio militar – Día de los muertos por la patria. Interprété par le régiment de Grenadiers à cheval « General San Martín », escorte présidentielle de la République argentine.

On remarquera que la sonnerie « officielle n’est pas la même, même si elle inclut la même séquence de trois notes. La sonnerie aux morts française est assez proche, mais pas identique non plus à celle proposée par Canaro. Disons que c’est une sonnerie factice destinée à donner le La. Pardon, le clairon ne peut pas jouer de La. Disons qu’il donne le Mi à Gardel.

Silence dans la nuit. Tout est calme maintenant. Les muscles dorment. L’ambition se repose.
Balançant un berceau, une mère chante une chanson bien-aimée qui touche l’âme, parce que dans ce berceau, se trouve son espoir. (Le chœur de femmes intervient sur ce couplet).
Ils étaient cinq frères. Elle était une sainte. Il y avait cinq baisers qui, chaque matin, effleuraient très tendrement les mèches argentées de cette déjà vieille aux cheveux blanchis. Il y avait cinq garçons qui sont allés à l’atelier en marchant. (L’atelier c’est la guerre)
Silence dans la nuit. Tout est calme maintenant. Les muscles dorment, l’ambition travaille. (L’ambition passe du repos au travail. Elle prépare le combat).
Un clairon résonne. La patrie est en danger. Et au cri de guerre, les hommes s’entretuent, couvrant de sang les champs de France. (À la place des chants de femmes, c’est ici le clairon qui résonne).
Aujourd’hui, tout est fini. Les plantes renaissent. Les charrues chantent un hymne à la vie. Et la petite vieille aux cheveux très blancs se sent très seule, avec cinq médailles que pour cinq héros lui a décernées la Patrie.
Silence dans la nuit. Tout est calme maintenant.
Les muscles dorment, l’ambition se repose…
Un chœur lointain de mères qui chantent berçant dans leurs berceaux, de nouveaux espoirs.
Silence dans la nuit.
Silence dans les âmes…

Les versions

Silencio 1932-11 Carlos Gardel con la Orquesta típica Argentina de Juan Cruz Mateo.

Une version émouvante tirée du film « Melodía de arrabal » de Louis Gasnier. C’est le même extrait, qu’en début d’article, mais sans la vidéo. Comme déjà indiqué, la sonnerie de trompette au début est différente de la sonnerie de clairon de la version de Canaro de 1933.

Silencio 1933 -03-27 – Carlos Gardel con la orquesta de Francisco Canaro y coro de mujeres.

C’est le tango du jour. Dans la version du film, il y a deux petites réponses de Imperio Argentina, sa partenaire dans le film, mais qui n’apparaît pas à l’écran au moment où elle chante. Ici, c’est un chœur féminin qui donne la réponse à Gardel.

Silencio 1933 Imperio Argentina con acomp. de guitarras, piano y clarín (trompette).

La partenaire de Carlos Gardel dans le film Melodía de arrabal, reprend à son compte le titre. C’est également une superbe version à écouter. On notera que sur le disque il est écrit Tango du film melodía de Arrabal. En fait, elle n’y chante que deux phrases en voix off et ce disque n’est donc pas tiré du film (même s’il n’est pas à exclure qu’il ait été enregistré en même temps que la bande son du film (octobre-novembre 1932) et qu’il soit sorti en 1933, à l’occasion de la sortie du film (5 avril 1933 à Buenos Aires), comme les versions de Canaro, qui était toujours à l’affut d’un bon coup financier.

Silencio 1933 Imperio Argentina con acomp. de guitarras, piano y clarín. Disque de 1933 (à gauche) — Une réédition du même enregistrement à droite, preuve du succès.

Une autre « erreur du disque est la mention d’un clairon. Contrairement à la version Canaro Gardel, c’est de nouveau une trompette, comme dans le film avec l’orchestre de Mateo.
Elle débute par Si Si Si Do Ré RéRé Ré Ré Mi Fa, Les notes en rouge sont inaccessibles à un clairon. Cela ne peut donc pas être un clairon, d’autant plus que la sonorité n’est pas la bonne.
Le piano apparait pour sa part tardivement, à une minute par une petite fioriture sur la respiration de la chanteuse (de esa viejecita DING – DONG de canas muy blancas). Après 1 :11, la guitare, le piano, puis la trompette se mêlent à la voix sur le refrain. À 2 : 18, on croit entendre une mandoline. Le piano termine élégamment en faisant descendre la tension par un motif léger ascendant puis descendant.
J’aime beaucoup le résultat, Imperio a pris sa revanche sur Gardel en nous fournissant une version complémentaire et tout aussi belle.

Silencio 1933-03-30 — Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá.

Trois jours après la version à écouter chantée par Gardel, Canaro enregistre le thème avec Ernesto Famá. Ce dernier en bon chanteur de refrain ne chante qu’une petite partie des paroles. Cela en fait un tango de danse. La tragédie des paroles est compensée par des fioritures, notamment avant la reprise du début du refrain.

Je ne vous propose pas d’autres versions, même s’il y en a environ deux douzaines, car avec cet échantillon réduit, on a l’émotion, l’image, l’homme qui chante, la femme qui chante et une version de danse. La totale, quoi ?
Parmi les versions que je laisse de côté, des interprétations de Gardel avec des guitares, Un Pugliese avec Maciel et pas mal de petits orchestres qui ont flashé pour le thème.

Pourquoi Silencio ?

Carlos Gardel Enfant de France

Je ne vais pas rouvrir le dossier et me fâcher avec mes amis uruguayens, mais je signale tout de même cette page où je présente les arguments en faveur d’une origine française de Gardel.
Ce qui ne peut pas être remis en question, c’est que Gardel est venu en France à diverses reprises, qu’il a visité sa famille française, notamment à Toulouse et Albi. Ce qu’on sait moins, c’est qu’étant né français, il était soumis à mobilisation pour la « Grande Guerre », celle de 1914-1918. Grâce à ses faux papiers uruguayens, il a pu échapper à l’accusation de désertion. Cependant, lors d’un séjour en France, il a visité les cimetières de la Grande Guerre.
On sent que cela le chatouillait. Le tango Silencio est un peu son expiation pour avoir échappé à la tuerie de 1914-1918. Tuerie et silence, cela ouvre m’a évoqué le grand sculpteur romantique, Auguste Préault, justement auteur de deux œuvres d’une force extrême, Tuerie et Le Silence.

Auguste Préault, sculpteur romantique

J’ai donc choisi pour l’illustration du jour, de partir d’une œuvre du sculpteur français Auguste Préault qui a réalisé en 1842 cette œuvre pour le monument funéraire d’un certain Jacob Roblès qui est désormais célèbre grâce à cette œuvre au cimetière du Père-Lachaise à Paris.
Il m’a paru logique de l’associer à « Tuerie » du même artiste pour évoquer la guerre de 1914-1918, même cette œuvre ne relate pas précisément des faits de guerre attestés. Elle se veut plus générique et provocatrice. D’ailleurs cette œuvre n’a été acceptée au salon officiel de 1839 que pour montrer ce qu’il ne fallait pas faire pour être un grand sculpteur. Préault réalisera la commande de Roblès en 1842, mais son œuvre ne sera exposée au salon qu’en 1849 (après 10 ans de purgatoire et d’interdiction d’exposition).
Le nom de « Le Silence » n’est pas de cette époque. Il a été donné plus tardivement, vers 1867.

Silencio. Montage et interprétation d’après « Tuerie » 1839 et « Le Silence » 1842 d’Auguste Préault, avec toute mon admiration. Ces œuvres portent le même message que Silencio.

Voici les deux œuvres et en prime un portrait de Préault par le photographe Nadar.

Auguste Préault par Nadar — Tuerie (Salon de 1834) — Monument funéraire de Jacob Roblès au Père-Lachaise (Paris). Sur le monument funéraire, l’inscription en hébreux « Ne rien cacher ». J’ai donc essayé de vous révéler l’origine de ce tango créé par un « déserteur ».

La vidéo de fin…

Pour une fois, je vais faire plusieurs entorses au format des anecdotes du jour en terminant par une vidéo au lieu d’une illustration que j’aurais réalisée.
Je n’ai pas choisi la musique, c’est une initiative de l’ami Memo Vilte qui voulait rendre un hommage à la France en chantant ce tango qui n’est pas dans son répertoire habituel de folklore argentin.

  1. Je ne suis pas l’auteur de cette vidéo. C’est notre amie Anne-Marie Bou de Paris qui l’a réalisée à l’arrache (c’était totalement impromptu). Merci à toi Anne-Marie.
  2. La danseuse extraordinaire, c’est Stella Maris, mais vous l’aurez reconnue. Muchísimas Gracias Stella.
  3. Je suis « danseur » médiocre dans cette vidéo. Vous comprenez maintenant pourquoi je préfère être DJ.
  4. La tour Eiffel s’est mise à scintiller pour saluer notre performance. C’était imprévu, mais on a apprécié cet hommage de la Vieille Dame au tango qu’elle a vu naître.

Adios Argentina 1930-03-20 — Orquesta Típica Victor

Gerardo Hernán Matos Rodríguez Letra: Fernando Silva Valdés

Je suis dans l’avion qui m’éloigne de mon Argentine pour l’Europe. La coïncidence de date fait, que je me devais le choisir comme tango du jour. Il y a un siècle, les musiciens, danseurs et chanteurs argentins s’ouvrirent, notamment à Paris, les portes du succès. Un détail amusant, les auteurs de ce titre sont Uruguayens, Gerardo Hernán Matos Rodríguez, l’auteur de la Comparsita et Fernando Silva Valdès…

Correspondance de date. Cette anecdote a été écrite dans l’avion l’an dernier et je suis encore de voyage entre l’Argentine et l’Espagne à la même date. Ce court exil me permettra d’animer quelques milongas et je rentrerai à Buenos Aires, fin avril.

Ce titre peut ouvrir la piste à de très nombreux sujets. Pas question de les traiter tous. Je liquide rapidement celui de l’histoire contée dans ce tango, d’autant plus que cette version est instrumentale. C’est un gars de la campagne qui s’est fait voler sa belle par un sale type et qui a donc décidé de se faire la belle (s’en aller) en quittant l’Argentine « Adios Argentina ».
Il se peut qu’il se retourne en Uruguay, ce qui serait logique quand on connaît la nostalgie des originaires de la Province de l’Est (voir par exemple, Felicia écrit par Carlos Mauricio Pacheco).
Dans le cas présent, j’ai préféré imaginer qu’il va en Europe. Il dit dans la chanson qu’il cherche d’autres terres, et un autre soleil, ce n’est donc sans doute pas le Sol de Mayo qui est commun, quoique d’aspect différent sur les deux drapeaux.

Les voyages transatlantiques des musiciens de tango

Le début du vingtième siècle jusqu’en 1939 a vu de nombreux musiciens et chanteurs argentins venir tenter leur chance en Europe.
Parmi eux, en vrac :
Alfredo Eusebio Gobbi et sa femme Flora Rodriguez, Ángel Villoldo, Eduardo Arolas, Enrique Saborido, Eduardo Bianco, Juan Bautista Deambroggio (Bachicha) et son fils Tito, les frères Canaro, Carlos Gardel, Vicente Loduca, Manuel Pizarro, José Ricardo, José Razzano, Mario Melfi, Víctor Lomuto, Genaro Espósito, Celestino Ferrer, Eduardo Monelos, Horacio Pettorossi…
La liste est interminable, je vous en fais grâce, mais nous en parlerons tout au long des anecdotes de tango. Sachez seulement que, selon l’excellent site « La Bible tango », 345 orchestres ont été répertoriés, chaque orchestre comptant plusieurs musiciens. Même si tous n’étaient pas Argentins ou Uruguayens de naissance, ils ont donné dans la mode « Tango ». Pour en savoir plus, vous pouvez consulter l’excellent site de Dominique Lescarret (dit el Ingeniero « Une histoire du tango »)

Vous remarquerez que l’orchestre de Bianco et Bachita est vêtu en costume de Gaucho et qu’ils portent la fameuse bombacha, bombacha offerte par la France à l’Argentine… En effet, le syndicat des musiciens français obligeait les artistes étrangers porter un costume traditionnel de leur pays pour se distinguer des artistes autochtones.

Histoire de bombachas

On connaît tous la tenue traditionnelle des gauchos, avec la culotte ample, nommée bombacha. Ce vêtement est particulièrement pratique pour travailler, car il laisse de la liberté de mouvement, même s’il est réalisé avec une étoffe qui n’est pas élastique.
Cependant, ce qui est peut-être moins connu c’est que l’origine de ce vêtement est probablement française, du moins indirectement.
En France métropolitaine, se portaient, dans certaines régions, comme la Bretagne, des braies très larges (bragou-braz en breton).
Dans les pays du sud et de l’est de la Méditerranée, ce pantalon était aussi très utilisé. Par exemple, par les janissaires turcs, ou les zouaves de l’armée française d’Algérie.

La désastreuse guerre de Crimée en provoquant la mort de 800 000 soldats a également libéré des stocks importants d’uniformes. Qu’il s’agisse d’uniformes de zouaves (armée de la France d’Algérie dont quatre régiments furent envoyés en Crimée) ou de Turcs qui étaient alliés de la France dans l’affaire.

Napoléon III s’est alors retrouvé à la tête d’un stock de près de 100 000 uniformes comportant des « babuchas », ce pantalon ample. Il décida de les offrir à Urquiza, alors président de la fédération argentine. Les Argentins ont alors adopté les babuchas qu’ils réformeront en bombachas.
En guise de conclusion et pour être complet, signalons que certaines personnes disent que le pantalon albicéleste d’Obélix, ce fameux personnage René Goscinny et Albert Uderzo est en fait une bombacha et que c’est donc une influence argentine. Goscinny a effectivement vécu dans son enfance et son adolescence en Argentine de 1927 (à 1 an) à 1945. Il a donc certainement croisé des bombachas, même s’il a étudié au lycée français de Buenos Aires. Ce qui est encore plus certain, c’est qu’il a connu les bandes alternées de bleu ciel et de blanc que les Argentins utilisent partout de leur drapeau à son équipe nationale de foot.

Il se peut donc que Goscinny ait influencé Uderzo sur le choix des couleurs du pantalon d’Obélix. En revanche, pour moi, la forme ample est plus causée par les formes d’Obélix que par la volonté de lui faire porter un costume traditionnel, qu’il soit argentin ou breton… Et si vraiment on devait retenir le fait que son pantalon est une bombacha, alors, il serait plus logique de considérer que c’est un bragou-braz, par Toutatis, d’autant plus que les Gaulois portaient des pantalons amples (braies) serrés à la cheville…

Extrait musical

Adiós Argentina 1930-03-20 – Orquesta Típica Victor.

Les paroles

Tierra generosa,
en mi despedida
te dejo la vida
temblando en mi adiós.
Me voy para siempre
como un emigrante
buscando otras tierras,
buscando otro sol.
Es hondo y es triste
y es cosa que mata
dejar en la planta
marchita la flor.
Pamperos sucios
ajaron mi china,
adiós, Argentina,
te dejo mi amor.

Mi alma
prendida estaba a la de ella
por lazos
que mi cariño puro trenzó,
y el gaucho,
que es varón y es altanero,
de un tirón los reventó.
¿Para qué quiero una flor
que en manos de otro hombre
su perfume ya dejó?

Llevo la guitarra
hembra como ella;
como ella tiene
cintas de color,
y al pasar mis manos
rozando sus curvas
cerraré los ojos
pensando en mi amor.
Adiós, viejo rancho,
que nos cobijaste
cuando por las tardes
a verla iba yo.
Ya nada queda
de tanta alegría.
Adiós Argentina,
vencido me voy.

Gerardo Hernán Matos Rodríguez Letra: Fernando Silva Valdés

Traduction libre

Terre généreuse, dans mes adieux, je te laisse la vie tremblante dans mes adieux. Je pars pour toujours comme un émigré à la recherche d’autres terres, à la recherche d’un autre soleil. C’est profond et c’est triste et c’est une chose qui tue que de laisser la fleur sur la plante fanée. Les sales pamperos ont sali ma chérie, au revoir, Argentine, je te laisse mon amour.
Mon âme était attachée à la sienne par des liens que ma pure affection tressait, et le gaucho, qui est homme et hautain, les brisa d’un seul coup. Pourquoi voudrais-je d’une fleur qui a déjà laissé son parfum dans les mains d’un autre homme ?
J’emporte ma guitare, femme comme elle, comme elle, elle a des rubans colorés, et, quand mes mains frôleront ses courbes, je fermerai les yeux en pensant à mon amour. Adieu, vieux ranch, tu nous abritais quand j’allais la voir le soir. Il ne reste rien de tant de joie. Adieu Argentine, vaincu, je pars.

J’ai laissé le terme « Pamperos » dans sa forme originale, car il peut y avoir différents sens. Ici, on peut penser qu’il s’agit des hommes de la pampa, vu ce qu’ils ont fait à sa china (chérie) voir l’article sur Por vos yo me rompo todo.
Le Pampero est aussi un vent violent et froid venant du Sud-ouest. Un vent qui pourrait faire du mal à une fleur. Dans un autre tango, Pampero de 1935 composé par Osvaldo Fresedo avec des paroles d’Edmundo Bianchi ; le Pampero (le vent) donne des gifles aux gauchos.

¡Pampero!
¡Viento macho y altanero
que le enseñaste al gaucho
golpeándole en la cara
a levantarse el ala del sombrero!

Pampero 1935-02-15 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray (Osvaldo Fresedo Letra: Edmundo Bianchi)

Pampero, vent macho et hautain qui a appris au gaucho en le giflant à la face à lever les ailes de son chapeau (à saluer).

Le terme de Pampero était donc dans l’air du temps et je trouve que l’hypothèse d’un quelconque malotru de la Pampa fait un bon candidat, en tout cas meilleur que le compagnon de Patoruzú, le petit Tehuelche de la BD de Dante Quinterno, puisque ce cheval fougueux n’a rejoint son compagnon qu’en 1936, 8 ans après la création de la BD et donc trop tard pour ce tango. Mais de toute façon, je n’y croyais pas.

Autres versions

D’autre versions, notamment chantées, pour vous permettre d’écouter les paroles.
Les artistes qui ont enregistré ce titre dans les années 1930 étaient tous familiers de la France. C’est dans ce pays que le tango s’est acheté une « conduite » et qu’il s’est ainsi ouvert les portes de la meilleure société argentine, puis d’une importante partie de sa communauté de danseurs, de la fin des années 30 jusqu’au milieu des années 50 du XXe siècle.

Adiós Argentina 1930-03-20 – Orquesta Típica Victor.
Adiós Argentina 1930 – Alina De Silva accompagnée par l’Orchestre argentin El Morito. Voir ci-dessous un texte très élogieux sur cette artiste paru dans une revue de l’époque.
Adiós Argentina 1930-07-18 – Alberto Vila con conjunto
Adiós Argentina 1930-12-03 – Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro
Adiós Argentina 1930-12-10 – Orquesta Francisco Canaro. Une semaine après l’enregistrement du titre avec Ada Falcón, Francisco Canaro enregistre une version instrumentale.
Adiós Argentina 1930-12-10 – Orquesta Francisco Canaro. Il s’agit du même disque que le précédent, mais lu sur un gramophone de 1920. C’est en gros le son qu’avaient les utilisateurs de l’époque… La comparaison est moins nette car pour être mis en place sur ce site, les fichiers sont environ réduit à 40 % de leur taille, mais on entend tout de même la différence.
Adiós Argentina 2001-06 – Orquesta Matos Rodríguez (Orquesta La Cumparsita). Une sympathique versión par cet orchestre à la gloire du compositeur uruguyane, autour de la musique du tango du jour.

Le succès d’une chanteuse Argentine en France, Alina de Silva

« Nous l’avons connue à l’Empire il y a quelques mois.
Son tour de chant, immédiatement et justement remarqué, réunit les éloges unanimes de la critique.
Elle s’est imposée maintenant dans la pléiade des grandes et pures artistes.
Chanteuse incomparable, elle est habitée d’une passion frémissante, qu’elle sait courber à sa fantaisie en ondes douces et poignantes à la fois.
Sur elle, notre confrère Louis-Léon Martin a écrit, ce nous semble, des phrases définitives :
“Alina de Silva chante et avec quel art. Elle demeure immobile et l’émotion naît des seules indexions de son visage et des modulations de sa voix. Elle possède cette vertu extraordinaire de paraître toute proche, comme penchée vers nous. J’ai dit sa voix calme et volontaire, soumise et impérieuse, capiteuse, passionnée, mais jamais je ne I’avais entendue s’éteindre — mais oui, tous les sens ont ici leur part — en de belles pâmoisons. Alina de Silva joue de sa voix comme les danseuses, ses compatriotes, de leurs reins émouvants et flexibles. Elle subjugue…”
Deux ans ont suffi à Mlle Alina de Silva pour conquérir ce Paris qu’elle adore et qui le lui rend bien, depuis le jour où elle pénétra dans la capitale.
La petite chanteuse argentine est devenue maintenant une » étoile » digne de figurer à côté des plus éclatantes.
Il est des émotions qui ne trompent pas. Celles que continue à nous donner Alina de Silva accroissent notre certitude dans l’avenir radieux réservé à cette artiste de haute race. »
A. B.

Et ce n’est qu’un des nombreux articles dithyrambiques qui saluent la folie du tango en France à la belle époque des années folles.

A. B. ? La Rampe du premier décembre 1929

Ainsi s’achève mon vol

Mon avion va bientôt atterrir à Madrid, c’est merveilleux de faire en si peu d’heures le long trajet qu’ont effectué en bateau tant de musiciens argentins pour venir semer le tango en Europe. Je vais essayer, lors de cette tournée européenne, de faire sentir l’âme de notre tango à tous les danseurs qui auront la gentillesse de danser sur mes propositions musicales.
À très bientôt les amis !

Silueta porteña 1967-03-17 — Los Siete Del Tango (de Luis Stazo et Orlando Trípodi) con Gloria Velez y Lalo Martel

Nicolas Luis Cuccaro; Juan Ventura Cuccaro Letra Orlando D’Aniello ; Ernesto Noli
Direction et arrangements Luis Stazo et Orlando Trípodi

Silueta porteña est une superbe milonga qui fait le bonheur des danseurs. Aujourd’hui, je vais vous la proposer dans une version différente, moins dansante, mais le tango ne s’arrête pas à la porte de la milonga et le duo est superbe. Un sondage en fin d’article vous permettra de donner votre avis sur la dansabilité.

Luis Stazo (1930-2016) est un très grand monsieur du tango, tout d’abord comme bandonéoniste., mais aussi comme chef d’orchestre, arrangeur et compositeur.
Il est aussi connu pour être le fondateur du Sexteto Mayor avec José Libertella, également bandonéoniste. Cet orchestre a tourné dans le monde entier et continue de le faire avec les successeurs des créateurs.

Évolution de la composition du Sexteto Mayor. Source https://es.wikipedia.org/wiki/Sexteto_Mayor

Los siete del tango est un autre orchestre créé également par Luis Stazo, mais avec Orlando Trípodi. Ils sont les arrangeurs et les chefs de cet orchestre qui a eu une carrière plutôt réduite, entre 1965 et 1969. Cependant, on conserve des enregistrements, à la fois de compositions « classiques », comme Silueta porteña, notre tango du jour et des compositions de Stazo et Trípodi, comme Entre dos, qu’ils ont enregistré le même jour, le 17 mars 1967.
La composition de l’orchestre est la suivante :

  • Luis Stazo au bandonéon (plus arrangements et direction)
  • Orlando Trípodi au piano (plus arrangements et direction)
  • Suarez Paz au violon
  • Hector Ortega à la guitare électrique
  • Mario Monteleone à la basse
  • Les chanteurs sont Gloria Velez et Lalo Martel pour cet enregistrement, mais Roberto Echague et Olga de Grossi ont enregistré d’autres titres.
Silueta porteña n’a pas été intégrée aux quatre disques 33 tours réalisés par l’orchestre (cinq si on compte une double édition avec les mêmes titres) ni éditée en 45 tours (ce qui fut réservé à seulement deux titres, dont celui qui a été enregistrée le même jour que Silueta porteña, Entre dos. Elle a été publié sur la compilation « Al ritmo de la milongas inovidables » par Pampa – EMI – Odeon en 1968. C’est le second titre de la face B. On y trouve la date d’enregistrement, 17-3-67).

Extrait musical

Silueta porteña 1967-03-17 – Los Siete Del Tango con Gloria Velez y Lalo Martel

Les paroles

J’indique également les paroles de cette version qui sont un peu différentes, car Gloria Velez chante sa partie en jouant le rôle de la Silueta porteña, contrairement à la version habituelle ou tout le texte est dit du point de vue de l’homme.

Cuando tú pasas caminando por las tardes, (Cuando yo paso caminando por las calles)
repiqueteando tu taquito en la vereda, (repiqueteando mi taquito en la vereda)  
marcas compases de cadencias melodiosas
de una milonga juguetona y callejera.
Y en tus vaivenes pareciera la bailaras, (Y en los vaivenes pareciera lo bailara)
así te miren y te dicen lo que quieran, (así me miran y me dicen lo que quiera)
porque tú llevas en tu cuerpo la arrogancia  
y el majestuoso ondular de las porteñas.

Tardecita criolla, de límpido cielo
bordado de nubes, llevas en tu pelo.
Vinchita argentina que es todo tu orgullo...
¡Y cuánto sol tienen esos ojos tuyos!

Y los piropos que te dicen los muchachos,
como florcitas que a tu paso te ofrecieran
que las recoges y que enredas en tu pelo,
junto a la vincha con que adornas tu cabeza.
Dice tu cuerpo tu arrogancia y tu cadencia
y tus taquitos provocando en la vereda:
Soy el espíritu criollo hecho silueta
y te coronan la más guapa y más porteña.

Nicolas Luis Cuccaro ; Juan Ventura Cuccaro Letra Orlando D’Aniello ; Ernesto Noli

En rouge ce qui est chantée par Gloria Velez (Quand c’est un homme qui chante, c’est la partie gauche des lignes qui est chantée).
En bleu, ce qui est chanté par Lalo Martel.
En gras, ce qui est chanté par les deux en duo.
En gras et vert, la reprise finale du refrain par les deux chanteurs, Gloria et Lalo.
Le dernier couplet n’est pas chanté dans cette version
.

Une autre silhouette portègne jusqu’au bout des ongles

Traduction libre

Quand tu passes dans l’après-midi, en faisant claquer tes talons sur le trottoir, tu marques la cadence mélodieuse d’une milonga joyeuse et de la rue (il n’y a pas d’équivalent en français).
Et dans tes allers et retours, tu sembles danser, ainsi ils te regardent, te parlent ceux qui aiment, car tu portes dans ton corps, l’arrogance et la majestueuse ondulation des Portègnes.
L’après-midi criollo, au ciel limpide et brodé de nuages, tu le portes dans tes cheveux. Le ruban (bannière) argentin(e) qui est toute ta fierté… Et que de soleil contiennent tes yeux ! (Elle porte les couleurs de l’Argentine sur la tête. Le céleste et le blanc, ainsi que le soleil dans ses yeux).
Et les flatteries (piropos) que te lancent les gars, comme des petites fleurs qu’ils offrent à ton passage pour que tu les ramasses et les laces dans tes cheveux, au côté du bandeau dont tu ornes ta tête. Ton corps dit ton arrogance et ta cadence et tes talons professent sur le trottoir : je suis l’esprit criollo fait silhouette et ils te couronnent comme la plus belle et la plus portègne.

Sondage

Autres versions

Lors de la publication le 17 mars 2024, il n’y avait que la version de Los Siete Del Tango. Un an jour pour jour, plus tard, je vous propose d’autres versions :

Silueta porteña 1936-01-14 – Orquesta Juan D’Arienzo con Walter Cabral.

Plus ancien enregistrement en stock. La voix un peu acide de Cabral n’est pas forcément la plus agréable, mais c’est tout à fait dansable.

Silueta porteña 1936-07-17 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida.

Cette version est sans doute celle qui passe le plus souvent et c’est justifié.

Silueta porteña 1956-05-18 – Orquesta Héctor Varela con Argentino Ledesma.

Vingt ans après la première vague, Varela donne sa version. J’aime beaucoup l’introduction qui bat comme un cœur (je ne suis pas médecin, mais j’espère que votre cœur ne bat pas ainsi). Même si l’orchestre de Varela n’est pas le plus apprécié en milonga, je trouve cette version assez sympathique et il m’arrive de la passer.

Silueta porteña 1956-08-02 – Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel y Miguel Montero.

Cette version en duo est jolie, mais sans doute un peu trop liée pour en faire une milonga intéressante à danser. On se contentera donc de l’écouter avec ravissement.

Silueta porteña 1958 – Los Muchachos De Antes.

Une version tonique et courte à la flûte et guitare. C’est agréable à écouter, mais pas forcément à danser pour les véritables danseurs de milonga. Mais cela peut faire plaisir aux timides de la milonga.

Silueta porteña 1967-03-17 – Los Siete Del Tango con Gloria Velez y Lalo Martel. C’est notre milonga du jour.
Silueta porteña 1970 – Orquesta Donato Racciatti.

On retrouve la tonicité et la joie de Racciatti dans cet enregistrement. Il est sans doute d’un tempo un peu rapide pour la plupart de danseurs et finalement un peu trop régulier pour amuser les bons danseurs de milonga.

Silueta porteña 1971-08-04 – Miguel Villasboas y su Sexteto Típico.

On reste en Uruguay. Villasboas adopte un tempo un peu plus modéré que son compatriote.

Silueta porteña 2003 – Los Mancifesta. Une autre version rapide, peut-être trop rapide, mais avec des danseurs bien échauffés et prêts à tout, c’est peut-être à tenter. Reste à trouver ces danseurs. On retrouve un duo.
Silueta Porteña 2011 – Luces de Buenos Aires.

On change d’univers et là, on arrive au summum du plat. Ce n’est pas très intéressant, à mon avis.

La plupart des orchestres contemporains jouent cette milonga et vous pourrez donner en commentaire des souvenirs de vos pas avec un de ces orchestres.

L’après-midi criollo, au ciel limpide et brodé de nuages, tu le portes dans tes cheveux. La bannière argentine est toute ta fierté… Et que de soleil contiennent tes yeux !

Deja el mundo como está 1940-03-14 – Orquesta Rodolfo Biagi con Andrés Falgás

Rodolfo Biagi Letra Rodolfo Sciammarella

Le tango du jour, Deja el mundo como está, (Laisse le monde comme il est) a été enregistré par Biagi avec la voix d’Andrés Falgás en mars 1940. Il faut s’intéresser aux paroles, relativement originales, pour comprendre pourquoi ne pas changer le Monde, n’oublions pas que si l’Argentine fut épargnée par la seconde guerre mondiale, tout n’y était pas rose en 1940.

La Década Infame (la décennie infâme)

La década infame se situe entre deux coups d’État qui ont secoué l’Argentine (1930-1943). Entre les deux différentes élections truquées et les manipulations politiques douteuses.
Les causes de la década infame sont en grande partie issues du crash du 1929, la chute du commerce international ayant durement touché les possibilités d’exportations de l’Argentine, engendrant un chômage massif. Le rôle de l’Angleterre, sa mainmise sur l’économie argentine, n’est pas sans rappeler l’actualité de l’Argentine d’aujourd’hui, il suffit de remplacer Royaume-Uni par FMI ou USA pour avoir une idée du problème. L’Argentine revit de façon cyclique le même phénomène en alternance à chaque décade.
En résumé, la situation sociale était plutôt morose et la répression des mouvements populaires féroce durant toute la période. Il fallait bien se changer les idées avec le tango pour voir la vie en rose.

La Década de Oro (L’Âge d’or)

À l’opposé de la situation politique, la situation artistique était florissante.
L’Argentine était tournée vers l’Europe et en littérature, le groupe de Florida avait pour modèle les écrivains européens. Ils étaient plutôt issus des hautes classes de la société, celles où on parlait couramment le français et où on était attentif à toutes les modes européennes. Ces écrivains soignaient la forme de leurs écrits, sans doute plus que le contenu. On trouve parmi eux, Jorge Luis Borges.
Le bipartisme argentin fait que le principal groupe concurrent, celui de Boedo avait pour sa part des préoccupations plus sociales et avait tendance à passer la forme au second plan. Une de ses figures de proue était Roberto Emilio Arlt.

On retrouve la même dichotomie en peinture, avec d’un côté le groupe de Paris, lié au surréalisme, alors en vogue en France et de l’autre, des peintres plus préoccupés des questions sociales dont le plus connu est sans doute Quinquela Martin, celui qui a donné à la Boca l’image qui plaît tant aux touristes en mettant de la couleur sur les tristes tôles des maisons de l’époque. Je l’avais évoqué au sujet du tango « El Flete ».

 Je pense que vous m’avez vu venir, cette période est également une década de oro pour la musique et notamment le tango. Le tango de cette époque fait le lien entre l’Europe et notamment la France, beaucoup de musiciens argentins s’étant installés ou ayant fait le voyage en Europe et notamment à Paris avant de rentrer d’urgence en 1939 à cause de la Seconde Guerre mondiale. Ceci fait qu’à Buenos Aires s’est retrouvé tout ce qui comptait en matière de musique de tango. Là encore, deux styles, l’orientation De Caro, plus intellectuelle et destinée au concert et l’orientation Canaro, D’Arienzo, plus tournés vers le bal.
Cette période est donc à la fois tragique pour la population et extrêmement riche pour la création artistique.
Je vais m’intéresser, enfin, au tango du jour et voir pourquoi il ne faut pas changer le Monde.

Extrait musical

Deja el mundo como está 1940-03-14 – Orquesta Rodolfo Biagi con Andrés Falgás y coro

Les changements chromatiques, du grave vers l’aigu à chaque début du couplet, font monter l’intensité dramatique. Inconsciemment on associe ces montées chromatiques à une accélération du rythme, comme si le disque tournait plus vite, ce qui n’est pas le cas, le tempo reste content sur toute la durée du morceau.

Les paroles

Hoy sos un hombre descontento y amargado
después que has derrochado tu bienestar.
Te has convertido en enemigo de la vida
porque ella te convida a trabajar.
Por eso mismo es que todo te molesta
y se oye tu protesta por los demás.
Con el tono llorón de un agorero
decís que el mundo entero lo deben transformar.

Deja el mundo como está,
que está hecho a la medida… (aunque parezca mentira)
Deja el mundo como está
vos debes cambiar de vida… (No has muerto viejo)
Le quieres poner rueditas…
¿Dónde lo quieres llevar?
Sólo vos lo ves cuadrado
y redondo los demás.
Deja el mundo como está,
con sus malas y sus buenas,
con sus dichas y sus penas…
¡Deja el mundo como está!


Qué cosa buena has de encontrar a la deriva
o es que esperas de arriba tu porvenir.
Sólo se logran con trabajo y sacrificios
los grandes beneficios para vivir.
Al fin, tu queja es el clamor de un fracasado,
ya me tienes cansado de oírte gritar…
Que anda el mundo al revés y está deshecho
y vos… ¿Con qué derecho lo pretendes cambiar?

Rodolfo Biagi Letra Rodolfo Sciammarella

Dans la version de Biagi, Falgás chante ce qui est en gras et le chœur insiste en chantant la partie en rouge.
Dans la version de Canaro, ce qui est chanté par Famá est la partie en gras et Canaro fait un dialogue en chantant ce qui est en bleu. Il n’y a pas de reprise de la fin du refrain, contrairement à Biagi.
Pour sa part, dans la version de Donato, Lagos chante les mêmes couplets que Falgás, mais sans la reprise de la fin du refrain.

Traduction libre :

Aujourd’hui, tu es un homme mécontent et amer après avoir dilapidé ton bien-être. Tu es devenu l’ennemi de la vie parce qu’elle t’invite à travailler. C’est pourquoi tout te dérange et que ta protestation est entendue par-dessus tout. Avec le ton pleurnichard du pessimiste, tu dis que le monde entier doit être transformé.

Laisse le monde tel qu’il est, c’est du sur-mesure… (crois-le ou pas)
Laisse le monde tel qu’il est, c’est toi qui dois changer de vie… (Tu n’es pas mort, mon vieux)
Tu veux y mettre des roulettes… Où veux-tu l’emporter ? Il n’y a que toi qui le vois carré et tous les autres le voient rond.
Laisse le monde tel qu’il est, avec ses mauvais et ses bons aspects, avec ses joies et ses peines… Laisse le monde tel qu’il est !

Le passage suivant n’est pas chanté dans aucune des trois versions, mais il est intéressant à saisir :
Ce qu’il y a de bon à se laisser aller à la dérive, c’est que tu attends d’en haut ton avenir. Or, ce n’est qu’au prix d’un travail acharné et de sacrifices que l’on peut obtenir les grands avantages de la vie. Pour finir, ta plainte est la clameur d’un échec, là, tu me fatigues de t’entendre crier… Que le monde est sens dessus dessous et qu’il est défait, et toi… de quel droit prétends-tu le changer ?

Autres versions

Ce tango a rencontré l’air du temps et en quelques mois, il a été enregistré trois fois.
Par son auteur, Biagi, puis par Canaro et enfin Donato.
Il me semble intéressant de comparer les trois versions.
Les trois ont des caractères communs, mais les versions de Canaro et de Donato sont plus traditionnelles. Elles ont le même dynamisme et l’impression de marche haletante que dans la version de Biagi, mais ce dernier propose des enrichissements convaincants et un étagement des plans musicaux plus riches, plus variés que ceux de ses collègues qui sont totalement dans la marche et moins dans la subtilité.

Deja el mundo como está 1940-03-14 – Orquesta Rodolfo Biagi con Andrés Falgás y coro

Le rythme est d’environ 139 BPM et est régulier tout au long de l’interprétation, même si on a une impression d’accélération suggérée par les montées chromatiques.          

Deja el mundo como está 1940-09-30 – Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá y contracanto por Francisco Canaro

On note dans cette version, des variations de rythme (145 à 135). Les parties chantées sont plus lentes. Canaro a également choisi de faire un dialogue où il répond à Famá, jouant donc le rôle de celui qui l’encourage à travailler. La clarinette, le piano et les violons semblent aussi se lancer dans la discussion pour finalement « parler » en même temps, comme le fait le chœur dans la version de Biagi.

Deja el mundo como está 1941-01-21 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos

C’est le tempo le plus lent des trois versions, avec environ 135 BPM sur la partie instrumentale et 133 sur la partie chantée. Les montées chromatiques sont présentes, mais moins marquées que chez Biagi.

La fin du Monde

Pardonnez ce titre racoleur. Je veux juste vous parler de comment se terminent ces titres et comment les agencer dans une tanda.
La terminaison des trois versions. On a vu que dans la version de Biagi, il y a une accélération simulée avec en apothéose la reprise finale du couplet par le chœur. L’intensité est donc maximale à la fin.
Dans la version de Canaro, le mélange des voix des instruments à la fin suggère également un apogée, un paroxysme.
Pour Donato, en revanche, rien de tel. Il y a juste la ligne mélodique du violon qui devient plus expressive et présente, mais d’impression d’explosion finale, contrairement aux deux autres versions.
Cette caractéristique, avec le fait qu’elle est d’un tempo plus lent, me pousserait à ne pas terminer une tanda avec ce titre, mais plutôt de le mettre en début de tanda. Les versions de Canaro et Biagi, avec leur apothéose finale, font en revanche de bons morceaux de fin de tanda.
Bien sûr, ce qui compte est également ce qu’on met avant dans le cas de Biagi et Canaro et après dans celui de Donato.
Par exemple, si on termine une tanda de Donato par ce titre, cela veut dire que les précédents sont sans doute moins dynamiques. La tanda sera donc plutôt calme, voire peut-être un peu plate, mais cela peut convenir, par exemple après des milongas, pour que les danseurs reprennent leur respiration. Comme toujours en la matière, il n’y a pas de règle qui résiste à l’observation de la milonga. C’est l’ambiance du moment qui décide.

Ce titre me fait penser à la chanson de Ralph Zachary Richard reprise notamment par Julien Clerc et Alpha Blondy

En lo de Laura 1943-03-12 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Antonio Polito Letra Enrique Cadícamo (Domingo Enrique Cadícamo)

Cette milonga, enregistrée il y a exactement 81 ans par D’Agostino et Vargas évoque l’un des lieux de tango semi-clandestin les plus fameux des débuts du tango. Celui qui était tenu par Laurentina Monserrat, Laura. Nous sommes à la fin du XIXe, début du XXe siècle. Je vous propose de suivre le tango dans ses berceaux interlopes, à la recherche de ses heures de gloire.

Au sujet de Sacale punta, j’ai évoqué les « maisons » de tango. Je prolonge ici l’enquête, plus au cœur de ces premiers sites, qui n’étaient pas que des lieux de danse…

Extrait musical

En lo de Laura 1943-03-12 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Les paroles

Milonga de aquel entonces
que trae un pasado envuelto…
De aquel 911
ya no te queda ni un vuelto…
Milonga que en lo de Laura
bailé con la Parda Flora
Milonga provocadora
que me dio cartel de taura…
Ah… milonga ‘e lo de Laura

Milonga de mil recuerdos
milonga del tiempo viejo.
Qué triste cuando me acuerdo
si todo ha quedado lejos…
Milonga vieja y sentida
¿quién sabe qué se ha hecho de todo?
En la pista de la vida
ya estamos doblando el codo.
Ah… milonga ‘e lo de Laura

Amigos de antes, cuando chiquilín,
fui bailarín compadrito…
Saco negro, trensillao, y bien afrancesao
el pantalón a cuadritos…
¡Que baile solo el Morocho
! — me solía gritar
la barra «
e los Balmaceda…
Viejos tangos que empezó a cantar
la Pepita Avellaneda
¡Eso ya no vuelve más!

Antonio Polito Letra Enrique Cadícamo (Domingo Enrique Cadícamo).

Traduction

Milonga de cette époque qui apporte un passé révolu…
De ce 911, il ne te reste, pas même une pièce (monnaie rendue)…
Milonga que j’ai dansée que j’ai dansée chez Laura (en lo de Laura) avec la Parda Flora…
Milonga provocatrice qui m’a donné une réputation de brave…
Ah… la milonga chez Laura…

Milonga aux mille souvenirs, milonga d’antan.
Quelle tristesse quand je me souviens que tout est si loin !
Milonga vieille et sincère, qui sait ce qu’il est devenu de tout ?
Sur la piste de la vie, nous avons atteint un âge vénérable (doblar el codo = passer un cap où il reste moins de temps à vivre que ce qu’on a vécu).
Ah… la milonga chez Laura…

Amis d’antan, quand, enfant, j’étais un danseur compadrito…
Veste noire, galon, et le pantalon bien français, à carreaux…
Q’uil danse seul, le Morocho ! (homme à la peau sombre) — avaient l’habitude de me crier la bande et les Balmaceda…
Wieux tangos qu’avait commencé à chanter la Pepita Avellaneda… (peut-être la Parda Flora)
Cela ne reviendra plus !

Une brève et caricaturale histoire du tango

On lit beaucoup de bêtises sur les prémices du tango, le mieux est donc de faire court pour limiter la liste de ces âneries. Ce que l’on peut en dire de façon à peu près certaine est qu’il n’est pas né dans les salons huppés de la bourgeoisie. Cependant, les jeunes hommes de la bonne société, les niños biens, allaient parfois s’encanailler dans les moins troubles des lieux de « divertissement » de l’époque.
Comme bien sûr, les filles de bonne famille ne pouvaient pas décemment se rendre dans les mêmes lieux, la danse se faisait avec les femmes du lieu, des banlieusardes, des soubrettes, des grisettes et des prostituées, plus ou moins raffinées. On n’y dansait donc pas entre hommes, en tout cas pas de façon généralisée et souhaitée…
Lorsque le tango est revenu couvert de gloire d’Europe et notamment de Paris, le tango s’est diffusé dans les hautes sphères. Il n’était plus nécessaire de fréquenter ce type de lieu pour le pratiquer, les femmes de la bonne société pouvaient alors s’adonner à cette danse qui s’est alors assagie. Les paroles outrancières comme celles de Villodo ont été réécrites, la danse s’est raffinée en adoptant une attitude plus droite, plus élégante, le tango était prêt à entrer dans son âge d’or. Par chance pour nous, c’est aussi plus ou moins l’époque où l’enregistrement électrique est apparu, ce qui nous permet de conserver des souvenirs sonores de bien meilleure qualité de cette époque. Enregistrement.

Allons au bordel

La maison que certains appellent pudiquement « école de danse » ou tout simplement Lo de Laura (ou du nom d’une autre tenancière) est tout simplement une maison de plaisirs. Cependant, il ne faut pas y voir nécessairement un lieu sordide, digne d’un roman de Zola.
En effet, la prostitution au XIXe siècle avait différents étages.

Les courtisanes

Tout en haut, la Courtisane. À Paris, la Paiva en était sans doute le meilleur exemple. C’était une prostituée, plus ou moins occasionnelle qui a réussi à se faire remarquer et qui est devenu une femme entretenue, par un ou plusieurs riches hommes.
Avoir une maîtresse pour un homme très riche n’était pas mal vu à l’époque, au contraire, c’est le contraire qui aurait été choquant. On aurait pensé qu’il était pingre ou ruiné, ce qui n’aurait pas été bon pour les affaires.

L’hôtel de la Païva, 25 avenue des Champs-Élysées à Paris, France,

L’hôtel de la Païva est le seul hôtel particulier restant de l’époque où on affirmait que c’étaient les Champs-Élysées qui étaient la plus belle avenue du Monde. En effet, l’horrible avenue actuelle n’a plus rien à voir avec le charme de tous ces hôtels qui rivalisaient sur les « Champs ». Même ce survivant est mis à mal, car désormais masqué par la devanture d’un bistrot.

Cliquez ce lien pour en savoir un peu plus sur ce lieu et sa propriétaire.

Les cocottes

La cocotte (cocote en espagnol) n’arrive pas au statut social des courtisanes. Elle est entretenue par divers « réguliers », mais aucun n’est suffisamment riche ou généreux pour lui permettre de s’établir dans un somptueux hôtel particulier.
Notons que les économies qu’arrivent à faire certaines leur permettent d’ouvrir des maisons, que ce soient des pensions (logements) ou des bordels. Elles continuent donc de travailler, elles-mêmes ou font travailler d’autres femmes, contrairement aux Courtisanes, qui ne travaillent plus que pour le plaisir ou leur mécène.

Les occasionnelles

L’occasionnelle est celle qui ayant du mal à boucler son budget, se livre à l’exercice moyennant finance. Elle peut être une lingère, une fille de salle, une artiste de cabaret, ou toute autre profession qui ne garantit pas un revenu suffisamment régulier et important pour vivre. Certaines auront un peu de chance dans leurs rencontres et iront rejoindre les cocotes, voire les courtisanes, mais d’autres feront cela à temps plein et entreront alors dans les maisons closes.

Les maisons closes (prostibulos)

Là encore il y a différents étages. Je ne rentrerai pas dans les détails, car cela n’aurait pas trop d’intérêt pour notre propos. Ce qu’il suffit de savoir est que pour pratiquer le tango dans les premiers temps, c’étaient des lieux où on pouvait facilement trouver une partenaire, pour danser, ou plus si affinité (et finances). En général, cela commençait avec un café, café qui reste toujours de mise dans la bouche des dragueurs des milongas portègnes…
Ces établissements étaient contrôlés, notamment pour limiter la syphilis et gérés par une ancienne prostituée, un souteneur ou quelque entrepreneur entreprenant. D’ailleurs, de très nombreuses filles pauvres, notamment des Françaises, sont venues à Buenos Aires avec les promesses d’un bel Argentin et se sont retrouvées dans ces établissements avec des fortunes très diverses. Parmi elles, on pourrait citer de nombreuses « grisettes » comme Griseta, Malena, Manón, Margot, María, Mimí, Mireya Ninón et Mademoiselle Ivonne qui devient Madame Ivonne. Cette dernière toutefois était une administratrice de pension, pas de bordel, elle a employé différemment ses économies.
Les différentes « écoles de danse » étaient donc des lieux où la danse n’était pas la seule activité.

Les « Lo »

Parmi les lieux les plus réputés pour la danse, on pourrait citer Lo de Laura, qui fait l’objet de ce tango et que nous avons déjà décrit à propos de Sacale punta, Lo de Maria la Vasca (la Basque). On cite souvent Lo de Hansen qui était un bar-restaurant créé par un Allemand, Juan Hansen, en 1877, mais il est à la fois douteux que ce fût un lieu de danse et un bordel. En revanche, Lo de Tancreli revendique les deux fonctions.

Lo de Hansen

Cet établissement était situé dans le parc 3 de febrero (Palermo) qui a été inauguré en 1875.
Pour ceux que ça intéresse, le nom vient du 3 février 1852, date de la bataille de Caseros entre les armées de Rosas et Urquiza et qui marque le début de la période nommée « organización nacional » (organisation nationale…) de l’histoire politique mouvementée de l’Argentine.
Le 4 mai 1877, Juan Hansen sollicite auprès de la commission du parc d’ouvrir un café-restaurant dans une construction du parc (probablement antérieure à la création du parc en 1875, car elle était en mauvais état. Il avait déjà un établissement depuis 1869, également à Palermo (en face de la gare). La commission accepte et Juan Hansen effectuera différents travaux comme l’ajout d’une terrasse sur le toit, le remplacement du plancher par un carrelage, l’agrandissement des fenêtres existantes et la construction d’un salon supplémentaire.

Le café de Hansen, ici nommé « Restaurant del Parque 3 de Febrero » et la mention J Hansen sur la droite de la façade. À droite, une vue « intérieure ». On voit sur ces deux photos les aménagements proposés à la commission : Le carrelage et la terrasse panoramique.

Le café restaurant ouvre donc, mais se livrerait à d’autres activités, comme l’avancent « José Sebastian Tallón dans El tango en su etapa de música prohibida. Buenos Aires, Instituto Amigos del Libro Argentino, 1959 et repris par Enrique Horacio Puccia dans “el Buenos Aires de Ángel Villoldo”. »
« Hansen à Palermo, était un mélange de bordel somptueux et de restaurant. Un commerce de précurseurs, pourrait-on dire, avec en prime les bagarres fréquentes, le cabaret tumultueux qui a précédé les actuels. Ce fut la cour de récréation de bacancitos (petits chefs) et compadritos comme ils se définissent eux-mêmes. Et des bagarreurs et des gens ayant divers problèmes. »
Cependant, plus qu’un bordel, c’était une « Chupping house » comme disent élégamment les Argentins qui ne veulent pas parler de la chose et la déguisent par une expression anglaise qui pourrait se traduire par masturbation. Il semblerait que les bosquets avoisinants aient été propices à ces activités, notamment la nuit.
En effet, le café de Hansen avait deux visages. Il était ouvert en permanence. De jour, il accueillait les promeneurs qui venaient se rafraîchir et manger et de nuit, les fêtards et fauteurs de trouble s’y retrouvaient.
Parmi eux, les amateurs de tango. Ceux-ci venaient écouter, car il était interdit de le danser, comme l’affirment notamment Amadeo Lastra et Miguel Angel Scenna.
Cependant, plusieurs témoignages indiquent que l’on dansait tout de même au son de la musique dans les alentours de l’établissement. Dans ce sens, je vous propose le témoignage de Félix Lima :

« Se bailaba? Estaba prohibido el bailongo, pero a retaguardia del caserón de Hansen, en la zona de las glorietas tanguea base liso, tangos dormilones, de contrabando. Los mozos hacían la vista gorda. El tango estaba en pañales. A un no había invadido los salones de la « haute ». Solamente lo bailaban las mujeres alegres »

« Est-ce qu’on y dansait ? Il était interdit de faire du bailongo, mais à l’arrière de l’établissement d’Hansen, dans la zone des gloriettes, il se dansait des tangos tranquilles, des tangos lascifs (endormis), de contrebande. Les serveurs faisaient semblant de ne pas voir (vista gorda). Le tango avait encore des couches (était bébé). Il n’avait pas encore investi les salons de la « haute ». Seules les femmes légères (alegres) le dansaient.

El Esquinazo, un succès à tout rompre

C’est dans cet établissement qu’a eu lieu l’incroyable succès de El Esquinazo d’Ángel Gregorio Villoldo. Voici comment le raconte Pintin Castellanos dans Entre cartes y quebradas, candombes, milongas y tangos en su historia y comentarios. Montevideo, 1948.
Pintin parle du Café Tarana qui était le nom de l’époque du Café de Hansen (qui était mort le 3 avril 1891). Anselmo R. Tarana avait lorsqu’il en devint le propriétaire le 8 mai 1903, adopté le nom « Restaurante Recreo Palermo. Antiguo Hansen ». Mais pour les clients, c’était Lo de Hansen ou Lo de Tarana. Signalons que Tarana avait cinq voitures, pour raccompagner les clients à domicile, ce qui témoigne bien du succès.
La composition de Villoldo a été un triomphe […]. L’accueil du public fut tel que, soir après soir, il se rendit au et le rythme diabolique du tango susmentionné commença à rendre peu à peu tout le monde fou. Pour avoir une idée de comment c’était joué à l’époque, un enregistrement de 1909 sorti le 5 mars 1910.

El esquinazo 1910-03 05 — Estudiantina Centenario dirige par Vicente Abad (Ángel Gregorio Villoldo Letra Carlos Pesce ; A. Timarni [Antonio Polito])

Tout d’abord, et avec une certaine prudence, les clients ont accompagné la musique de « El Esquinazo » en tapant légèrement avec leurs mains sur les tables.
Mais les jours passaient et l’engouement pour le tango diabolique ne cessait de croître.
Les clients du Café Tarana ne se contentaient plus d’accompagner avec le talon et leurs mains. Les coups, en gardant le rythme, augmentèrent peu à peu et furent rejoints par des tasses, des verres, des chaises, etc.
Mais cela ne s’est pas arrêté là […] Et il arriva une nuit, une nuit fatale, où se produisit ce que le propriétaire de l’établissement florissant ressentait depuis des jours. À l’annonce de l’exécution du tango déjà consacré de Villoldo, une certaine nervosité était perceptible dans le public nombreux […] l’orchestre a commencé le rythme rythmique de « El Esquinazo » et tous les assistants ont continué à suivre leur rythme avec tout ce qu’ils avaient sous la main : chaises, tables, verres, bouteilles, talons, etc. […]. Patiemment, le propriétaire (Anselmo R Tarana) a attendu la fin du tango du démon, mais le dernier accord a reçu une standing ovation de la part du public. La répétition ne se fit pas attendre ; et c’est ainsi qu’il a été exécuté un, deux, trois, cinq, sept… Finalement, de nombreuses fois et à chaque interprétation, une salve d’applaudissements ; et d’autres choses cassées […] Cette nuit inoubliable a coûté au propriétaire plusieurs centaines de pesos, irrécouvrables. Mais le problème le plus grave […] n’était pas ce qui s’était passé, mais ce qui allait continuer à se produire dans les nuits suivantes.
Après mûre réflexion, le malheureux « Paganini » des « assiettes brisées » prit une résolution héroïque. Le lendemain, les clients du café Tarana ont eu la désagréable surprise de lire une pancarte qui, près de l’orchestre, disait : « Est strictement interdite l’exécution du tango el esquinazo ; La prudence est de mise à cet égard. »

Lo de María la Vasca

Cette maison était située en la calle Europa, aujourd’hui, Carlos Calvo au n° 2721. Elle appartenait à Carlos Kern (El Ingles) et sa femme, María Rangolla, une basque française) et une ancienne prostituée, devenue Courtisane la gérait.
C’est là que Rosendo Mendizábal a lancé « El Entrerriano », voir cela dans l’article sur Sacale punta.

El entrerriano 1910-03-05 Estudiantina Centenario dir. Vicente Abad (enregistré en 1909, sortie du disque le 5 mars 1910). Une sympathique version avec une jolie mandoline.
Extérieur et patio de la casa de Maria la Vasca.

Le mari de la Vasca, Carlos Kern dont l’autre surnom était Matasiete (tue sept en référence à son imposante stature) veillait à ce que les dames de la maison soient respectées.

Un mural réalisé par Eduardo Sabado, Ernesto Martinchuk en décembre 2024, représente Lo de María la Vasca.

Un film un peu particulier sur cette maison : Origines prohibidos y prostibularios del tango — María Aldaz. Il y a beaucoup à lire, plus qu’à regarder, c’est comme un immense générique, ou un livre à défilement automatique, mais ce travail est intéressant si vous avez le courage de vous y plonger.

Origines prohibidos y prostibularios del tango par María Aldaz

La Parda Loreto

Le mari de la Vasca possédait un autre lieu, plus modeste qui était situé à Chile au 1567 à la Societad Patria e Lavoro. Cet immeuble n’existe plus. Sa danseuse la plus réputée était « La Parda » Loreto.
Avec le paiement d’un supplément, il était possible de profiter d’une chambre avec une des belles du bal.
Cette « annexe » de Lo de la Vasca, n’était pas forcément bien vue par Maria, qui était à juste titre jalouse de ce qui s’y passait avec son mari.

Lo de Laura

Lo de Laura est l’établissement en l’honneur duquel a été écrite la milonga du jour.
Elle était située en Paraguay 2512. J’en ai parlé à propos de Sacale punta.
Cette maison était beaucoup plus grande que celle de María la Vasca.

Lo de Laura (Laurentina Monserrat). Cette « maison » était située en Paraguay 2512. C’est maintenant une maison de retraite…

Sa fréquentation était plus élitiste que celles des toutes les autres maisons.

Les maisons de tango dans les paroles de tangos

Voici quelques tangos qui parlent de ces maisons, comme Lo de Laura.

En lo de Laura 1943-03-12 — Antonio Polito Letra Enrique Cadícamo

Lo de Laura

C’est le tango du jour, voir donc ci-dessus, mais ne boudons pas le plaisir d’écouter de nouveau nos deux anges. Vargas et D’Agostino.

En lo de Laura 1943-03-12 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

No aflojés (Pedro Maffia et Sebastián Piana Letra : Mario Battistella)

Lo de Laura et Lo de María la Vasca

 « Vos fuiste el rey del bailongo en lo de Laura y la Vasca… »

No aflojés 1940-11-13 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas (Pedro Maffia ; Sebastián Piana Letra: Mario Battistella)

Tiempos viejos (Francisco Canaro Letra:  Manuel Romero)

Lo de Laura et lo de Hansen

En 1926, Carlos Gardel enregistrait le bon vieux temps, celui des « maisons » de danse, ces bordels de luxe où on dansait le tango et cherchait la compagnie des femmes. La musique est de Francisco Canaro et les paroles de Manuel Romero.

Tiempos viejos (Te acordás hermano) 1926 — Carlos Gardel avec les guitares de Guillermo Barbieri et José Ricardo (Francisco Canaro Letra: Manuel Romero)

Canaro l’a enregistré à de multiples reprises, mais seulement à partir de 1927, notamment avec sa compagne officieuse, Ada Falcón.

Tiempos viejos (Te acordás hermano) 1931-12-17 — Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro. C’est une autre version « chanson ».

Je reviendrai à l’occasion du tango du jour sur une version de danse de ce titre, notamment le 28 septembre avec la version enregistrée en 1937 par Francisco Canaro et Roberto Maida.

¿Te acordás, hermano ? ¡Qué tiempos aquéllos!
Eran otros hombres más hombres los nuestros.
No se conocían cocó ni morfina,
los muchachos de antes no usaban gomina.

¿Te acordás, hermano? ¡Qué tiempos aquéllos!
¡Veinticinco abriles que no volverán!
Veinticinco abriles, volver a tenerlos,
si cuando me acuerdo me pongo a llorar.

¿Dónde están los muchachos de entonces?
Barra antigua de ayer ¿dónde está?
Yo y vos solos quedamos, hermano,
yo y vos solos para recordar…
¿Dónde están las mujeres aquéllas,
minas fieles, de gran corazón,
que en los bailes de Laura peleaban
cada cual defendiendo su amor?

¿Te acordás, hermano, la rubia Mireya,
que quité en lo de Hansen al loco Cepeda?

Casi me suicido una noche por ella
y hoy es una pobre mendiga harapienta.
¿Te acordás, hermano, lo linda que era?
Se formaba rueda pa’ verla bailar…
Cuando por la calle la veo tan vieja
doy vuelta la cara y me pongo a llorar.

Francisco Canaro Letra: Manuel Romero

On note plusieurs éléments dans le texte, que j’ai mis en gras et que je traduis ici :
On ne connaissait pas la cocaïne ni la morphine (pas de drogue autre que le tabac).
Les gars d’avant n’utilisaient pas de gomina (le film argentin d’Enrique Carreras ; Los muchachos de antes no usaban gomina sorti le 13 mars 1969 prétend représenter cette époque et a choisi cette phrase de la chanson comme titre.
Tu te souviens, frérot, de la blonde Mireya, que j’ai piqué à Lo de Hansen au fou Cepeda ? Il a piqué la copine française, Mireille, à Cepeda, le poète Andrés Cepeda [surnommé le Loco ou le mauvais, il était de plus anarchiste] et il a failli se suicider pour elle et aujourd’hui, elle est une mendiante.

La Vasca [Juan Calos Bazán]

Lo de María la Vasca

Couverture de la partition pour piano de la Vasca de Juan Carlos Bazan.

On a la partition, mais pas d’enregistrement de ce tango.

El fueye de Arolas [Pedro Laurenz Letra : Héctor Marcó]

Lo de Hansen

Lo de Hansen est cité dans « El fueye de Arolas » [Le bandonéon d’Arolas] écrit à la mémoire d’Arolas par Héctor Marcó en 1951, à l’occasion du retour des restes d’Arolas de Paris à Buenos Aires :
No ronda en las noches de Hansen al muelle [Il s’agit du quai de la Marne, Arolas étant mort à Paris]. La mention de Lo de Hansen est donc très sommaire, mais ça prouve qu’en 1924, l’établissement rasé en 1912 restait dans les mémoires).
Pedro Laurenz le mettra en musique, mais il n’a probablement pas été enregistré.

La Pishuca — El baile en lo de Tranqueli

Noté par Eduardo Barberis le 25 avril 1905 (compositeur anonyme).

Lo de Tranqueli, cet établissement de bas étage était situé à l’angle sud-est des rues Suárez y Necochea (La Boca). L’immeuble n’en a plus pour très longtemps, il est désaffecté. À droite, la partition avec la retranscription des paroles qui sont assez difficiles à comprendre.

Eduardo Barberis (qui a fait un travail ethnographique en récoltant ce tango) a essayé de reproduire la façon de chanter ce qu’il entendait. Cela rend la partition moins compréhensible. Je vous propose une version probable et une traduction approximative à la suite…

Anoche en lo de Tranqueli
Bailé con la Boladora
Y estaba la parda Flora
Que en cuanto me vio estriló,
Que una vez en los Corrales
En un cafetín que estaba,
Le tuve que dar la biaba
Porque se me reversó.

Premier couplet du tango qui en compte cinq, de la même eau…

Hier soir à lo de Tranqueli, j’ai dansé avec la Boladora. Il y avait la Parda Flora (Uruguayenne mulâtresse ayant travaillé à Lo de Laura et danseuse réputée). Quand elle m’a vu elle s’est mise en colère, car aux Corrales dans un café où elle était, j’avais dû lui donner une branlée, car j’étais à l’envers (retourné, pas dans mon assiette).
Je propose de rapprocher la Parda Flora de Pepita Avellaneda, qui si elle n’est pas la même a un parcours très similaire : Uruguay, Lo de Laura, Flores et la Boca.
Aux Corrales viejos a eu lieu le 22 juin 1880, le dernier combat des guerres civiles argentines. Les forces nationales y ont remporté la dernière manche contre les rebelles de la Province de Buenos Aires.

Los Corrales Viejos (situé à Parque Patricios). On voit qu’on n’est pas dans l’ambiance feutrée des salons parisiens, ni même dans celle de Lo de Laura…

Selon le poète Miguel A.Camino, le tango est né aux Corrales Viejos dans les années 80, les duels au couteau leur ont appris à danser, le 8 (ocho) et la sentada, la media luna et le pas en arrière.
Lo de Tranqueli fait partie des piringundines, les bordels où on danse, mais de bas étages. Rien à voir avec les établissements de plus haute tenue comme Lo de Laura.
Fernando Assuncao, dans « El tango y sus circunstancias » mentionne cette uruguayenne fameuse qui gérait un bordel en Montevideo où il y avait régulièrement (pour ne pas dire tout le temps du grabuge). On lui attribue la phrase « ¡Que haiga relajo pero con orden! », que ce soit détendu, mais avec de l’ordre !

En guise de conclusion, provisoire…

Il est étonnant et intéressant de voir comment le tango s’est frayé un chemin des faubourgs et de la prostitution de bas étage, jusqu’aux plus hautes classes de la société. Nous avons développé aujourd’hui la première étape, celle où le tango est interdit de danse dans les lieux publics et doit donc se cacher dans des établissements déguisés sous le nom d’école de danse ou de bordels.
J’ai passé sous silence la danse dans les conventillos (habitats populaires), mais on imagine que les fanatiques du tango devaient saisir toutes les occasions possibles, dans les gloriettes où on pouvait entendre la musique de chez Hansen, jusqu’à la musique des manèges pour enfants (les calecitas).
Progressivement, il se trouve un chemin et va être dansé dans de nouveaux lieux, comme ici au Théâtre de la rue de la rue Victoria.

El Teatro de la Victoria. On trouve en général la photo de droite associée à Lo de Laura. Il s’agit en fait d’une photographie réalisée en 1905 au Teatro de la Victoria qui était situé au 954 de la calle Victoria (actuelle Hipolito Irigoyen).

L’étape suivante se passe en Europe, nous aurons l’occasion d’y revenir.
À suivre…

Danseurs en Lo de Laura — Reconstitution fantaisiste à tous points de vue.

Niño bien 1953-03-08 — Enrique Mora y su Cuarteto Típico con Elsa Moreno

Juan Antonio Collazo Letra : Roberto Fontaina ; Víctor Soliño

Un Niño bien est un jeune homme de bonne famille, élégant et un peu précieux. Cependant, le tango du jour parle d’un autre Niño bien. Enrique Mora et Elsa Moreno vous invitent à découvrir le personnage avec une caricature légère et entraînante. C’est aussi pour moi, l’occasion de vous faire souvenir d’un orchestre un peu oublié.

Même dans le monde du tango, il y a des personnes qui aiment paraître, qui ont la « nariz parada » (le nez relevé par la fierté), qui souhaitent péter plus haut que leur cul. Ce tango, dont les paroles qui sont de Roberto Fontaina et Víctor Soliño, parlent d’un de ces personnages de banlieue qui joue à être de la haute (société).
Ce tango a été enregistré à diverses reprises, en deux vagues.
La plus ancienne version est une version chantée par Alberto Vila, accompagné à la guitare en 1927. L’année suivante, la Típica Victor enregistre une version instrumentale et en 1930 Irusta le chante avec Lucio Demare (piano) et Samul Reznik (violon).
Puis le titre reste dans l’ombre, jusqu’en 1948. Nous écouterons certains de ces enregistrements.

À propos de Niño bien

 Niño bien a donné son nom à une milonga du jeudi à Buenos Aires qui était fameuse mais qui a malheureusement disparu, comme tant d’autres.

La Leonesa, le salon où se déroulait la milonga Niño bien. Je pense que vous reconnaissez le DJ 😉

Cette milonga était suffisamment fameuse pour que Brian Winter donne son nom à un de ses livres (Bien après minuit à la Niño bien). Une autre milonga fameuse qui elle aussi a disparu, Thunderland est l’autre héroïne parmi les milongas citées dans ce livre.

La captivante quête d’une Américaine dans les milongas portègnes pour retrouver le bel Argentin dont elle est tombée amoureuse dans une milonga aux USA. Pour le retrouver, elle devra découvrir tous les aspects du tango. Ce livre permet de se remémorer des lieux qui n’existent plus, dont la fameuse milonga Niño Bien évoquée ci-dessus. Je ne vous en dis pas plus pour ne pas vous gâcher le plaisir de lire ce livre paru en 2008, mais qui place l’histoire en 1999.

Enrique Mora y su Cuarteto Típico con Elsa Moreno

Enrique (Fausta) Mora (8 février 1915 – 14 juillet 2003) est sans doute injustement oublié, Il était un brillant pianiste, chef d’orchestre et compositeur de tangos comme Este es tu tango, connu par les enregistrements de Ricardo Tanturi avec Roberto Videla ou Enrique Rodriguez avec Armando Moreno.
J’imagine que son oubli vient en particulier du fait qu’il n’a enregistré que dans les années 50, un moment où le tango de danse était en régression. Il n’a donc pas été réédité aussi rapidement que les monstres sacrés. Je suis donc content de lui redonner justice, comme j’avais ressorti de l’oubli Donato Racciatti il y a une vingtaine d’années (en France). D’ailleurs, à l’écoute, on retrouvera une similitude entre Mora, Racciatti et Firpo, jusqu’à la façon de chanter d’Elsa Moreno qui peut évoquer Nina Miranda ou Olga Delgrossi, voire Tita Merello qui a aussi chanté ce titre.
Elsa Moreno a enregistré une douzaine de titres avec le cuarteto d’Enrique Mora entre 1953 et 1956. Niño bien est le premier de la série.

Extrait musical

Niño bien 1953-03-08 — Enrique Mora y su Cuarteto Típico con Elsa Moreno
Couverture du numéro 40 de la revue hebdomadaire El tango de Moda (1929). Cette revue a été publiée d’octobre 1928, jusqu’en 1934.
Couverture du numéro 40 de la revue hebdomadaire El tango de Moda (1929). Cette revue a été publiée d’octobre 1928, jusqu’en 1934.

Les paroles

Niño bien, pretencioso y engrupido,
que tenés berretín de figurar;
niño bien que llevás dos apellidos
y que usás de escritorio el Petit Bar;
pelandrún que la vas de distinguido
y siempre hablás de la estancia de papá,
mientras tu viejo, pa’ ganarse el puchero,
todos los días sale a vender fainá.

Vos te creés que porque hablás de ti,
fumás tabaco inglés
paseás por Sarandí,
y te cortás las patillas a lo Rodolfo
sos un fifí.
Porque usás la corbata carmín
y allá en el Chantecler
la vas de bailarín,
y te mandás la biaba de gomina,
te creés que sos un rana
y sos un pobre gil.

Niño bien, que naciste en el suburbio
de un bulín alumbrao a querosén,
que tenés pedigrée bastante turbio
y decís que sos de familia bien,
no manyás que estás mostrando la hilacha
y al caminar con aire triunfador
se ve bien claro que tenés mucha clase
para lucirte detrás de un mostrador.

Juan Antonio Collazo Letra: Roberto Fontaina; Víctor Soliño

Traduction

Niño bien (enfant de « bonne famille »), prétentieux et vaniteux, qui a pour but (loisir), le paraître ;
Un Niño bien qui porte deux noms de famille et qui utilise le Petit Bar comme bureau ;
Pelandrún (personne oisive et paresseuse) qui se meut de façon distinguée et qui parle toujours de l’estancia (ferme de gros propriétaire terrien) de papa, bien que ton vieux (père), pour gagner sa vie, sort tous les jours pour vendre des fainás (pains plats à base de farine de pois chiches, aliment pour les pauvres, mais que vendent aussi les pizzerias argentines).
Tu crois que, parce-ce que tu parles de toi, que tu fumes du tabac anglais, que tu te promènes dans Sarandí et que tu coupes tes favoris comme Rodolfo, tu es un fifi (éphèbe qui suit la mode).
Parce que tu portes la cravate carmin et que tu vas comme danseur au Chantecler et que tu t’envoies biaba de gomina (coiffure avec une quantité exagérée de gomina), tu te prends pour une rana (grenouille, personne avisée) et tu es un pauvre gil (imbécile, médiocre, cave).
Niño bien, qui est né dans les faubourgs, dans un bordel éclairé au pétrole (kérosène), qui a un pedigree plutôt trouble et tu dis que tu descends d’une bonne famille,
Tu ne soupçonnes pas que tu montres le fil et, lorsque tu marches d’un air triomphant, il est très clair que tu as beaucoup de classe pour briller derrière un comptoir.

La photo de couverture

Pour cette image, je ne suis pas parti de photos. Je vais vous expliquer la démarche, à la lueur des paroles du tango.

Siempre hablás de la estancia de papá, mientras tu viejo, pa’ ganarse el puchero, todos los días sale a vender fainá. [Tu parles toujours du domaine de ton papa, cependant ton vieux, pour gagner la pitance, sort tous les jours pour vendre des fainás (Galettes à base de farine de pois chiches)].

Au couplet suivant : « te cortás las patillas a lo Rodolfo, sos un fifí. » Tu te tailles les pattes à la Rudoph (Valentino), tu es un efféminé.

Pour l’image, je suis parti de l’idée d’avoir le Niño Bien au premier plan et à l’arrière-plan, son vieux père qui vend des fainás. Pour le le niño bien, j’ai choisi de partir de son modèle, à savoir Rudolph Valentino, cet acteur de l’époque du cinéma muet qui était considéré comme particulièrement beau. Pour le père, j’ai décidé de mettre en avant (ou plutôt à l’arrière dans le cas présent) un véritable vendeur de fainás. Il s’agit ici de galettes de farine de pois chiches, cuites au four à pizza, à la poêle, ou sur des installations plus sommaires, comme on peut le voir sur la photo.
Voici les images originales :

À gauche, Rudolph Valentino. Il y a un logo en bas à droite, mais je n’ai pas identifié le studio (photo ou cinéma). À droite, le « père » est en fait Ricardo Ravadero, un vendeur ambulant de Buenos Aires dans les années 20 sur cette photo).

Autres versions

Niño bien 1927-12-03 – Alberto Vila con guitarras.

Une jolie et simple version par Alberto Vila accompagnée par la guitare. Les trémolos de la voix d’Alberto, sont peut-être un peu trop appuyés, mais c’est le témoignage d’une époque et d’une forme de chant qui eut ses émules.

Niño bien 1928-04-09 – Orquesta Típica Victor.

Cette version instrumentale. Sous ses airs de marche militaire, exprime bien la fierté de notre niño bien marchant d’un pas triomphant dans la rue Sarandí…

Après la première vague des années 20-30, la relance du titre vient de la sortie du film d’Homero Manzi e Ralph Pappier « Pobre mi madre querida », sorti le 28 avril 1948. Hugo del Carril y chante ce titre en se moquant d’un autre type, ce qui va se terminer en bagarre…

Nino bien 1948-04-28 (sortie du film) — Hugo del Carril. Extrait du film « Pobre mi madre querida » de Homero Manzi y Ralph Pappier
Niño bien 1953-03-08 — Enrique Mora y su Cuarteto Típico con Elsa Moreno. C’est le tango du jour.
Niño bien 1955-03-22 — Orquesta Juan Sánchez Gorio con Luis Mendoza. Avec de la réverbération. On peut préférer la version de 1953…
Niño bien 1955-03-22 — Orquesta Juan Sánchez Gorio con Luis Mendoza. Avec de la réverbération. On peut préférer la version de 1953…
Niño bien 1956-06-14 — Tita Merello accompagnée par Francisco Canaro.

La gouaille incroyable de Tita Merello, fait de cette version un morceau d’anthologie. Pas garanti pour le bal, c’est d’ailleurs présenté comme une chanson, mais à ne pas rater.

Niño bien 1965c – Cuarteto Los porteñitos.

Un jour, il faudra que je vous parle un peu de ce talentueux musicien qui a réussi dans tous les genres, du jazz au tango, Santos Lipesker (frère de Félix). Ici, il a formé un cuarteto avec Estaban Ubaldo De Lío et Héctor Davis à la guitare, Roberto Tierrita Guisado, qui était le premier violon de l’orchestre de Di Sarli (on connaît l’importance du violon pour les interprétations de Di Sarli). Lui-même, Santos Lipesker tient le bandonéon, mais il jouait d’autres instruments à vent comme le saxophone ou la clarinette. Ce cuarteto n’a enregistré, semble-t-il que deux cassettes. C’est sans doute dommage, car c’est plutôt réussi, même si ce n’est sans doute pas ce qui sera le plus apprécié dans les bals…

Niño bien, 1975c – Elba Berón accomp. Cuarteto A Puro Tango, dirigé par Miguel Nijensohn.

Avec Elba, on retrouve la gouaille de Tita, avec un accompagnement plus simple privilégiant la guitare, comme dans la première version que je vous ai proposée, celle d’Alberto Vila.

Cette anecdote publiée initialement le 8 mars 2024 a été complétée le 7 mars 2025 (traductions et nouvelles interprétations).

Le Niño Bien semble détonner dans le magasin et les clients le regardent avec un air étonné.

Tinta verde 1938-03-07 — Orquesta Aníbal Troilo

Agustín Bardi (compositeur)

Peut-être vous êtes-vous demandé pourquoi ce sublime tango s’appelait « Tinta Verde » (Encre verte). La version de ce tango du jour a été enregistrée par Anibal Troilo le 7 mars 1938, il y a exactement 86 ans, mais la musique a été écrite par Bardi en 1914. Une histoire d’amitié comme il en existe tant en Argentine.

Jetez l’encre

Agustín Bardi (13 août 1884 – 21 avril 1941) a écrit ce très beau tango en 1914. Il n’en existe pas à ma connaissance de versions chantées, toutes les versions sont instrumentales. On n’a donc que l’écoute et le titre pour avoir une idée du thème. Je me suis intéressé à d’autres tangos qui parlaient d’encre (tinta).
Tinta roja (Sebastián Piana Letra: Cátulo Castillo). Il ne s’agit pas d’encre rouge, mais des jeux de couleurs, couleur du sang et du vin teinté (les hispanophones disent vino tinto pour parler du vin rouge). Tinta roja (1942) a sans doute été écrit en réponse à tinta verde qui avait toujours du succès comme en témoignent les enregistrements de D’Arienzo 1935 et Troilo 1938, celui dont on parle aujourd’hui).
Tinta china (Antonio Polito Letra : Héctor Polito). Encre de Chine. Peut-être pour les mêmes raisons, mais sans le même succès, ce tango écrit en 1942 parle des personnes à la peau noire. Tinta china se réfère donc à la couleur de la peau.
Tinta verde. J’ai gardé le suspens, mais je vous rassure, c’est impossible de deviner pourquoi ce tango s’appelle Tinta verde (encre verte). Ce n’est pas une histoire de couleur de peau (pas de petits Martiens à la peau verte), d’autant plus que la célèbre émission d’Orson Welles mettant en scène la Guerre des Mondes d’Herbert George Wells (le plus grand pionnier de la science-fiction) n’a été diffusée que le 30 octobre 1938 et ce tango écrit en 1914.
Je lève le suspens, il s’agit tout simplement de l’encre verte, celle que l’on peut mettre dans les stylos.

1 Je suis parti d’une photo de Octopus Fluids, le fabricant de l’excellente encre Barock 1910, la verte s’appelle jade. J’espère que le collègue photographe ne m’en voudra pas de cet emprunt, mais j’ai trouvé sa photo si belle que je n’ai pas eu d’idée pour faire mieux. Voici le site d’Octopus Fluids pour ceux que ça intéresse. https://www.octopus-fluids.de/en/writing-ink-fountain-pen-inks/barock-fountain-pen-inks

Vous allez me dire que je devrais avancer une preuve, car le tango étant instrumental, c’est difficile à vérifier.
La preuve, la voici ; Agustín Bardi avait pour voisin et ami, Eduardo Arolas (24 février 1892 – 29 septembre 1924). Ce dernier était illustrateur en plus d’être bandonéoniste, compositeur et chef d’orchestre. Il était donc coutumier de l’usage des encres. Curieuse coïncidence, à la même époque, Agustín Bardi travaillait pour une entreprise de transport, « La Cargadora » (la chargeuse, ou le chargeur). Dans cet établissement, Agustín écrivait les étiquettes des expéditions à l’encre verte. Cela lui a donné d’écrire le tango pour son jeune ami (il avait 22 ans et Agustín 30), compagnon d’usage des encres.

Eduardo, qui était donc également illustrateur a réalisé la couverture de la partition qui lui était dédiée, à l’encre verte… La boucle est bouclée.

Extrait musical

Depuis 1914, il y a eu diverses versions du titre. Vous pourrez entendre la plupart en fin de cet article. Mais le tango du jour est l’excellente version de Troilo de 1938. Il l’a réenregistré, avec moins de bonheur à mon sens en 1970.

Tinta verde 1938-03-07 — Orquesta Aníbal Troilo. C’est le tango du jour.

Je trouve amusant de proposer en réponse, l’encre rouge, qui elle a des paroles chantées par Fiorentino. Nous en reparlerons sans doute en octobre…

Tinta roja 1941-10-23 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino / Sebastián Piana Letra : Cátulo Castillo

Je vous laisse apprécier le contraste. Ces titres peuvent être compatibles, pour les DJ qui mélangent les tangos chantés et instrumentaux.

D’autres enregistrements

Cette histoire d’amitié, trop vite interrompue par la mort d’Eduardo Arolas (en 1924, à 32 ans), a donné lieu à de nombreuses et belles versions. Agustín Bardi aura le bonheur d’entendre les versions de D’Arienzo et Troilo, mais probablement pas l’intéressante interprétation de Demare. Ce dernier l’a enregistré plus d’un an après la mort de Bardi, mais il se peut qu’il l’ait joué en sa présence avant avril 1941.

Tinta verde 1916 — Quinteto Criollo Atlanta. Une version acoustique, mais plutôt mélodique. Pas pour nos milongas, mais à découvrir, tout de même.
Tinta verde 1927-10-17 — Osvaldo Fresedo. Une version un peu canyengue, moyennement intéressante, même pour l’époque. À réserver aux fans absolus de Fresedo et de la vieille garde.
Tinta verde 1929-10-03 — Orquesta Pedro Maffia. Une version tranquille qui aura une sœur 30 ans plus tard.
Tinta verde 1935-08-12 — Orquesta Juan D’Arienzo. Un D’Arienzo typique de sa première période, avant l’arrivée de Biagi dans l’orchestre.
Tinta verde 1938-03-07 — Orquesta Aníbal Troilo. C’est le tango du jour.
Tinta verde 1942-12-09 — Orquesta Lucio Demare. J’aime bien l’entrée du piano au début de cette version.
Tinta verde 1945-10-30 — Orquesta Carlos Di Sarli. Magnifique solo de violon.
Tinta verde 1954-01-26 — Orquesta Carlos Di Sarli. Une version lente et majestueuse, comme sait en produire El Señor del Tango.
Tinta verde 1957-06-19 — Orquesta Juan Cambareri. Une version un peu précipitée comme adore en proposé « El Mago del Bandoneón ». Amusante, quasiment dansable en milonga. Elle sera sans doute déroutante pour les danseurs et donc à éviter, sauf occasion très particulière.
Tinta verde 1959 — Orquesta Pedro Maffia. 30 ans après le premier enregistrement, Maffia joue avec une sonorité différente, mais un rythme proche.
Tinta verde 1966-12-23 — Orquesta Armando Pontier. Une version assez originale. Pas forcément géniale à danser, mais agréable à écouter.
Tinta verde 1967-11-14 Orquesta Juan D’Arienzo. Ce n’est clairement pas la meilleure version. Je ne proposerai pas en milonga, même si cela reste dansable.
Tinta verde 1970-11-23 — Orquesta Aníbal Troilo. Comme pour D’Arienzo, on s’éloigne un peu trop du tango de danse. C’est magnifique, mais sans doute insatisfaisant pour les meilleurs danseurs.

Il existe bien d’autres versions, les thèmes appréciés par Troilo ou D’Arienzo ont beaucoup de succès avec les orchestres contemporains. N’hésitez pas à donner votre avis sur votre version préférée en commentaire (il faut créer un compte pour éviter les spams, mais ce n’est pas très contraignant).

Agustin Bardi (à droite), a écrit ce tango pour son ami, Eduardo Arolas, à gauche.

Cornetín 1943-03-05 Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino

Pedro Maffia Letra : Homero Manzi ; Cátulo Castillo

Le tango du jour, Cornetín, évoque le cornet autrefois utilisé par les « conductors» del tranvía a motor de sangre (les chargés de clientèle des tramways à moteur de sang, c’est-à-dire à traction animale). Il a été enregistré il y a exactement 81 ans.

Éléments d’histoire du tranvía, le tramway de Buenos Aires)

Les premiers tramways étaient donc à traction animale. Vous aurez noté que les Argentins disent à moteur de sang pour ce qui est traction humaine et animale. Cela peut paraître étrange, mais quand on pense au prix que payaient les chevaux qui tiraient les tranvías de Buenos Aires, l’expression est assez parlante.

Tranvías a motor de sangre en la Boca (Puente Puyrredon)

En effet, à Buenos Aires, les chevaux étaient durement exploités et avaient une durée d’utilisation d’environ deux ans avant d’être hors d’usage contre une dizaine d’années en Europe, région où le cheval coûtait cher et était donc un peu plus préservé.
Nous avons déjà vu les calesitas qui étaient animées par un cheval, jusqu’à ce que ce soit interdit, tout comme, il n’y a que très peu d’années, les cartoneros de Buenos Aires n’aient plus le droit d’utiliser des chevaux. L’ironie de l’histoire est que l’arrêt de l’utilisation des chevaux a été édicté pour éviter la cruauté envers les animaux, mais maintenant, ce sont des hommes qui tirent les charrettes de ce qu’ils ont récupéré dans les poubelles.
Dans la Province de Buenos Aires, le passage de la traction animale à la traction électrique s’est fait autour de 1915, sauf pour quelques compagnies résistantes à ce changement et qui ont continué jusqu’à la fin des années 20.
Il faut aussi noter que la réticence des passagers à la traction électrique, avec la peur d’être électrocuté, est aussi allée dans ce sens. Il faut dire que les étincelles et le tintement des roues de métal sur les rails pouvaient paraître inquiétants. Je me souviens que quand j’étais gamin, j’aimais regarder le conducteur du métro, fasciné par les nuées d’étincelles qui explosaient dans son habitacle. Je me souviens également d’un conducteur qui donnait des coups avec une batte en bois sur je ne sais quel équipement électrique, situé à la gauche de la cabine. C’était le temps des voitures de métro en bois, elles avaient leur charme.

Retour au cornetín

Celui qui tenait le cornetín, c’est le conductor. Attention, il n’est pas celui qui mène l’attelage ou qui conduit les tramways électriques, c’est celui qui s’occupe des passagers. Le nom peut effectivement porter à confusion. Le conducteur, c’est le mayoral que l’on retrouve également, héros de différents tangos que je présenterai en fin d’article.
Le cornetín servait à la communication entre le mayoral (à l’avant) et le conductor à l’arrière). Le premier avait une cloche pour indiquer qu’il allait donner le départ et le second un cornet qui servait à avertir le conducteur qu’il devait s’arrêter à la suite d’un problème de passager. Le conducteur abusait parfois de son instrument pour présenter ses hommages à de jolies passantes.
C’est l’histoire de ce tango.

Extrait musical

Cornetín 1943-03-05 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino

Les paroles

Tarí, Tarí.
Lo apelan Roque Barullo
conductor del Nacional.

Con su tramway, sin cuarta ni cinchón,
sabe cruzar el barrancón de Cuyo (al sur).
El cornetín, colgado de un piolín,
y en el ojal un medallón de yuyo.

Tarí, tarí.
y el cuerno listo al arrullo
si hay percal en un zaguán.

Calá, que linda está la moza,
calá, barriendo la vereda,
Mirá, mirá que bien le queda,
mirá, la pollerita rosa.
Frená, que va a subir la vieja,
frená porque se queja,
si está en movimiento.
Calá, calá que sopla el viento,
calá, calá calamidad.

Tarí, tarí,
trota la yunta,
palomas chapaleando en el barrial.

Talán, tilín,
resuena el campanín
del mayoral
picando en son de broma
y el conductor
castiga sin parar
para pasar
sin papelón la loma
Tarí, tarí,
que a lo mejor se le asoma,
cualquier moza de un portal

Qué linda esta la moza,
barriendo la vereda,
mirá que bien le queda,
la pollerita rosa.
Frená, que va a subir la vieja,
Frená porque se queja
si está en movimiento,
calá, calá que sopla el viento,
calá, calá calamidad.

Tarí, Tarí.
Conduce Roque Barullo
de la línea Nacional.

Pedro Maffia Letra : Homero Manzi ; Cátulo Castillo

Parmi les détails amusants :

On notera le nom du conducteur du tranvía, Barullo, qui en lunfardo veut dire bagarreur. Encore un tango qui fait le portrait d’un compadrito d’opérette. Celui-ci fait ralentir le tranvía pour faciliter la montée d’une ancienne ou d’une belle ou tout simplement admirer une serveuse sur le trottoir.

Le Tarí, Tarí, ou Tará, Tarí est bien sûr le son du cornetín.

“sabe cruzar el barrancón de Cuyo” – El barrancón de Cuyo est un ravin, comme si le tranvía allait s’y risquer. Cela a dû paraître extravagant, car dans certaines versions, c’est tout simplement remplacé par el sur (dans le même sens que le Sur de la chanson de ce nom qui est d’ailleurs écrite par le même Homero Manzi. D’ailleurs la ligne « nacionale » pouvait s’adresser à celle de Lacroze qui allait effectivement dans le sud.

Tangos sur le tranvía

Cornetín (le thème du jour de Pedro Maffia Letra : Homero Manzi; Cátulo Castillo)

El cornetín (Cornetín) 1942-12-29 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán.

C’est le premier de la série à être enregistré.

Cornetín 1943-03-05 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino. C’est le tango du jour.

Cornetín 1943-04-05 — Libertad Lamarque con orquesta dirigida por Mario Maurano.

Cornetín 1943-04-05 — Libertad Lamarque con orquesta dirigida por Mario Maurano.

Cette chanson a été enregistrée un mois, jour pour jour, après la version de Di Sarli. Cette version, plutôt chanson est tout de même dansée dans le film Eclipse de sol de Luis Saslavsky d’après un scénario d’Homero Manzi tiré de l’œuvre d’Enrique García Velloso. Le film est sorti le 1er juillet 1943.
Cet extrait nous permet de voir comment était organisé un tranvía a motor de sangre, avec son mayoral à l’avant, conduisant les chevaux et son conductor, à l’arrière, armé de son cornetín.

Cornetín 1950-07-28 Nelly Omar con el conjunto de guitarras de Roberto Grela.

Après une courte intro sur un rythme à trois temps, Nelly Omar chante sur un rythme d’habanera. Le résultat est très sympa, l’équilibre entre la voix de Nelly et la guitare de Roberto Grela et ses fioritures est agréable.

  • Je vous dispense de la version de De Angelis de 1976…

Autres titres parlant du tranvía

El cochero del tranvía 1908 Los Gobbi (Alfredo Gobbi y Flora Gobbi) – Ángel Gregorio Villoldo (MyL).

Le son est pénible à écouter, c’est un des tout premiers enregistrements et c’est plus un dialogue qu’une chanson. C’est pour l’intérêt historique, je ne vous en voudrai pas si vous ne l’écoutez pas en entier.

El cornetín del tranvía 1938-06-09 – Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar / Antonio Oscar Arona Letra : Armando Tagini. Une belle version de ce titre.
El mayoral 1946-04-24 (milonga candombe) — Orquesta Domingo Federico con Oscar Larroca.mp 3/José Vázquez Vigo Letra: Joaquín Gómez Bas.

Au début, les annonces du départ et le adios final, vraiment théâtral. Sans doute pas le meilleur de Larocca.

El mayoral del tranvía (milonga) 1946-04-26 Orquesta Alfredo De Angelis con Julio Martel / Francisco Laino; Carlos Mayel (MyL)
Milonga del mayoral 1953 – Orquesta Aníbal Troilo con Jorge Casal y Raúl Berón arrangements d’Astor Piazzolla/Aníbal Troilo Letra: Cátulo Castillo

Un tango qui est plus une nostalgie de l’époque des tranvías

En effet, les tranvías ont terminé leur carrière à Buenos Aires en 1962, soit environ un siècle après le début de l’aventure.

Tiempo de tranvías 1981-07-01 Orquesta Osvaldo Pugliese con Abel Córdoba / Raúl Miguel Garello Letra : Héctor Negro.

Un truc qui peut plaire à certains, mais qui n’a aucune chance de passer dans une de mes milongas. L’intro de 20 secondes, sifflée, est assez originale. On croirait du Morricone, mais dans le cas présent, c’est un tranvía, pas un train qui passe.

Tiempo de tranvías 2012 — Nelson Pino accompagnement musical Quinteto Néstor Vaz / Raúl Miguel Garello Letra : Héctor Negro.

Petits plus

« Los cocheros y mayorales ebrios, en servicio, serán castigados con una multa de cinco pesos moneda nacional, que se hará efectiva por medio de la empresa ». Les cochers et conducteurs (plus tard, on dira les

On appelle souvent les colectivos de Buenos Aires « Bondis ». Ce nom vient du nom brésilien des tramways, « Bonde ». Sans doute une autre preuve de la nostalgie du tranvía perdu.

Quelques sources

Tranvías a motor de sangre en la Boca (Puente Puyrredon)
Un des premiers tramways électriques à avoir une grille pour sauver les piétons qui seraient percutés par le tramway. Cette grille pouvait se relever à l’aide d’une chaîne dont l’extrémité est dans la cabine de conduite.
Motorman levant la rejilla 1948 (Document Archives générales de la nation Argentine)

5 Coches del Tranvía eléctrico de la calle Las Heras, doble pisos.

Coches del Tranvía eléctrico de la calle Las Heras, doble pisos.
Reconstitution du tranvía du film « Eclipse de sol », car il n’apparait pas en entier dans le film, car la scène est trop petite.
À l’époque de notre tango (ici en 1938, donc 3 ans avant), c’est ce type de tramway qui circule. on comprend la nostalgie des temps anciens.
Trafic compliqué sur la Plaza de Mayo en 1934. À l’arrière-plan, les colonnes de la cathédrale. Trois tranvías électriques essayent de se frayer un passage. On remarque la grille destinée à éviter aux piétons de passer sous le tramway en cas de collision.

Bajo el cono azul 1944-02-29 (Tango) Alfredo De Angelis con Floreal Ruiz y glosas de Néstor Rodi

Alfredo De Angelis Letra : Carmelo Volpe

Le cono azul cache une histoire triste, mais vécue par des milliers de jeunes Françaises. Le tango du jour Bajo et cono azul a été enregistré par De Angelis et Floreal Ruiz, il y a exactement 80 ans, le 29 février 1944.

Comme il y a peu de 29 février, seulement les années bissextiles, on pouvait craindre qu’il soit difficile de trouver un enregistrement du jour. La richesse des enregistrements de tango, même si ce n’est qu’un faible pourcentage de ce qui a été joué permet de vous présenter cette perle.

Dedico esta nota a mi querida cuñada Marta cuyo cumpleaños es hoy.
Ella tiene suerte (o mala suerte) de cumplir solo cada cuatro años).

La triste histoire de Susú et autres grisettes

La France, et notamment Paris, a été un réservoir inépuisable de femmes pour l’Argentine et notamment Buenos Aires. De beaux Argentins faisaient de belles promesses aux belles Françaises. Ces dernières, à la recherche du soleil (celui du drapeau de Manuel Belgrano ou tout simplement celui du ciel austral), font leur maigre bagage et se retrouvent au sein du rêve portègne.
Las, là, les promesses se changent en trahison et les belles, dans le meilleur des cas deviennent « grisettes », à faire des œuvres de couture, mais beaucoup se retrouvent dans les bordels, à danser et à se livrer à d’autres activités usuelles dans ce genre d’endroit.
On imagine leur détresse. C’est ce qui est arrivé à la Susú de ce tango, comme à tant d’autres qui ont inspiré des dizaines de tangos émouvants.
Le point original de ce tango est que le narrateur connaissait et probablement aimait (il s’interroge sur ce point) Susú à Paris et qu’il l’a suivie quand elle est partie avec son « amour ».
Aujourd’hui, vingt ans et « un amour » plus tard, elle continue de danser, mais elle qui se rêvait papillon, s’est brûlé les ailes à la chaleur de la lumière du projecteur et pleure dans l’ombre du salon où s’écrit jour après jour son malheur.
Écoutons à présent ce thème qui unit Paris et le Cono sur (le cône du Sud), partie inférieure et triangulaire de l’Amérique latine.

Extrait musical

Bajo el cono azul 1944-02-29 (Tango) – Orquesta Alfredo De Angelis con Floreal Ruiz y glosas de Néstor Rodi.
L’introduction parlée dure 13 secondes…

Un certain nombre de tangos ont été enregistrés avec des paroles dites, généralement en début de musique. C’est le cas de ce tango ou ces glosas dites par Néstor Rodi dévoilent la tristesse du thème.
La musique de De Angelis est rythmée et tonique et la voix de Floreal Ruiz, est également bien marquée. Je ne sais pas si c’est pour cela qu’il a pris le surnom de Carlos Martel. C’était peut-être aussi en hommage au plus fameux des Carlos du tango.

Les paroles

Bajo el cono azul de luz
bailando está Susú
su danza nocturnal…
Sola, en medio del salón
se oprime el corazón
cansada de su mal…
Veinte años y un amor,
y luego la traición
de aquel que amó en París…
¡Mariposa que al querer llegar al sol
sólo encontró
la luz azul de un reflector!…

Bajo el cono azul
envuelta en el tul
gira tu silueta en el salón.
Y yo, desde aquí
como allá, en París,
Sueño igual que ayer, otra ilusión…
No sé si te amé…
Acaso lloré
cuando te alejaste con tu amor…
¡Triste recordar!
¡Sigue tu danzar!…
Yo era sólo un pobre soñador…

Bajo el cono azul de luz
no baila ya Susú
su danza nocturnal…
En las sombras del salón
solloza un corazón
su mal sentimental…
Veinte años y un amor,
que en alas de ilusión
la trajo de París…
¡Mariposa que al querer llegar al sol
sólo encontró
la luz de un reflector! …

Alfredo De Angelis Letra: Carmelo Volpe. La partie en italique n’est pas chantée par Floreal Ruiz. Il reprend pour terminer le refrain à partir de No sé si te amé…

La traduction des paroles

Les paroles sont intéressantes, mais sujettes à erreurs d’interprétation. J’ai donc décidé de faire une traduction en français. Avec la traduction automatique du site, vous l’aurez dans une éventuelle autre langue parmi les 50 possibles.

Sous le cône de lumière bleu, Susu danse sa danse nocturne…
Seule au milieu du salon, le cœur oppressé, fatiguée de son mal…
Vingt ans et un amour, et puis la trahison de celui qu’elle aimait à Paris…
Papillon qui veut atteindre le soleil ne trouve que la lumière bleue d’un projecteur !
(réflecteur, mais pour faire un cône de lumière il vaut mieux un projecteur…)

Sous le cône bleu, enveloppée de tulle, virevolte ta silhouette dans le salon.
Et moi, depuis ici comme là-bas, à Paris, je rêve comme hier, une autre illusion…
Je ne sais pas si je t’aimais…
J’ai peut-être pleuré quand tu es partie avec ton amour…
Triste souvenir !
Continue de danser ! …
Je n’étais qu’un pauvre rêveur…
 
Sous le cône de lumière bleu, Susu ne danse plus sa danse nocturne…
Dans l’ombre du salon un cœur sanglote son mal d’amour…
Vingt ans et un amour, que sur les ailes de l’illusion il l’a amenée de Paris…
Papillon qui veut atteindre le soleil ne rencontre que la lumière d’un projecteur ! …

Autres tangos enregistrés un 29 février

De Angelis a enregistré le même jour Ya sé que siguen hablando avec le chanteur Julio Martel. Le même jour, Floreal ne pouvait donc pas prendre son pseudonyme de Carlos Martel, hein ?

Ya sé que siguen hablando 1944-02-29 – Alfredo De Angelis con Julio Martel. Enregistré le même jour que Bajo el Cono Azul.
Canaro 1956-02-29 – Florindo Sasone. Une version curieuse, à la fois pour le thème, enregistré pour la première par Canaro en 1915 (on n’est jamais si bien servi que par soi-même). C’est un mélange d’un des styles de Canaro et de Sasone, assez étonnant.
Lagrimas 1956-02-29 Florinda Sasone. Enregistré le même jour, ce tango est plus dans l’esprit pur Sasone avec les dings si caractéristiques qui ponctuent ses interprétations.
De qué podemos hablar 1956-02-29 – Orquesta Carlos Di Sarli con Argentino Ledesma. Ledesma, une des grandes voix du tango. Mais est-ce sa meilleure interprétation, je ne suis pas sûr.
Mala yerba 1956-02-29 (Valse) – Orquesta Carlos Di Sarli con Rodolfo Galé. Enregistré le même jour que De qué podemos hablar. Cette valse n’est pas la plus entraînante, notamment à cause de la prestation de Galé, qui chante magnifiquement, mais pas forcément idéalement pour la danse.
Sous le cône de lumière bleu, Susu ne danse plus sa danse nocturne…
Dans l’ombre du salon un cœur sanglote son mal d’amour…

Ahora voy a tomar mate con yerba que no sea mala y con yuyos de sierras, y después a bailar el chamame qué estoy en la provincia de Corrientes. Qué la tristeza se va.

Et maintenant, je vais prendre un mate avec de la yerba qui ne soit pas mauvaise et des herbes de montagne. Ensuite, je vais danser le chamamé, car je suis dans la province de Corrientes, pour que la tristesse s’en aille.

El chamamé ya es Patrimonio Cultural Inmaterial de la Humanidad [Le chamame est désormais au Patrimoine Immatériel de l’Humanité (Unesco)]

Yuyo verde 1945-02-28 Orquesta Aníbal Troilo con Floreal Ruiz

Domingo Federico (Domingo Serafín Federico) Letra: Homero Aldo Expósito

Le tango du jour, Yuyo verde, a été enregistré le 28 février 1945 par Aníbal Troilo et Floreal Ruiz. C’est encore un magnifique thème écrit par l’équipe Federico et Expósito, les auteurs de Percal. Le yuyo verde est une herbe verte qui peut être soit une mauvaise herbe, soit une herbe médicinale. Je vous laisse forger votre interprétation à la lecture de cet article.

Extrait musical

Yuyo verde 1945-02-28 Orquesta Aníbal Troilo con Floreal Ruiz

Les paroles

Callejón… callejón…
lejano… lejano…
íbamos perdidos de la mano
bajo un cielo de verano
soñando en vano…
Un farol… un portón…
-igual que en un tango-
y los dos perdidos de la mano
bajo el cielo de verano
que partió…

Déjame que llore crudamente
con el llanto viejo adiós…
adonde el callejón se pierde
brotó ese yuyo verde
del perdón…
Déjame que llore y te recuerde
-trenzas que me anudan al portón-
De tu país ya no se vuelve
ni con el yuyo verde
del perdón…

¿Dónde estás?… ¿Dónde estás?…
¿Adónde te has ido?…
¿Dónde están las plumas de mi nido,
la emoción de haber vivido
y aquel cariño?…
Un farol… un portón…
-igual que un tango-
y este llanto mío entre mis manos
y ese cielo de verano
que partió…

Domingo Federico Letra: Homero Expósito

Traduction

Ruelle… ruelle…
lointaine… lointaine…
Nous étions perdus main dans la main sous un ciel d’été rêvant en vain…
Un lampadaire… un portail (une porte cochère)…
-Comme dans un tango-

et les deux, perdus, main dans la main sous le ciel d’été qui s’en est allé…

Laisse-moi pleurer mon soûl avec les larmes d’un vieil adieu…
Là où la ruelle se perd, cette herbe verte du pardon a germé…
Laisse-moi pleurer et me souvenir de toi

-tresses qui m’attachent à la porte-
De ton pays, on ne revient pas, pas même avec l’herbe verte du pardon…

Où es-tu ?… Où es-tu ?…
Où es-tu allée ?…
Où sont les plumes de mon nid, l’émotion d’avoir vécu une telle affection ?…
Un lampadaire… un portail…
-tout comme un tango-
et ces pleurs qui sont miens entre mes mains et ce ciel d’été qui s’en est allé…

Autres versions

Ce tango, magnifique a donné lieu à des centaines de versions.

Yuyo verde 1944-09-12 — Orquesta Domingo Federico con Carlos Vidal. La version originale par l’auteur de la musique. C’est une jolie version.
Yuyo verde (Callejón) 1945-01-24 — Orquesta Rodolfo Biagi con Jorge Ortiz. Un biagi typique, bien énergique. À noter le sous-titre, Callejón, la ruelle, qui commence les paroles en étant chantée deux fois.
Yuyo verde 1945-01-25 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán. Une interprétation de Morán un peu larmoyante. Rien à voir avec la version enregistrée la veille par Biagi et Ortiz. La merveilleuse diversité des orchestres de l’âge d’or du tango.
Yuyo verde 1945-02-28 Orquesta Aníbal Troilo con Floreal Ruiz. C’est le tango du jour. Pour moi, c’est un des meilleurs équilibres entre dansabilité et sensibilité.
Yuyo verde 1945-05-08 — Tania y su Orquesta Típica dir. Miguel Nijenson. Si l’enregistrement de Troilo et Morán faisait un peu chanson, cette interprétation par Tania est clairement une chanson. L’indication que c’est Tania et son orchestre, dirigé par Miguel Mijenson confirme que l’intention de Tania était bien d’en faire une chanson.

Avec ces cinq versions, on a donc une vision intéressante du potentiel de ce titre. En 1958, Federico a enregistré de nouveau ce titre, avec son Trío Saludos et les chanteurs Rubén Maciel et Rubén Sánchez. Je vous fais grâce de cette version kitch.
Comme il est l’auteur de la musique, je citerai aussi son enregistrement réalisé à Rosario avec la Orquesta Juvenil De La Universidad Nacional De Rosario con Héctor Gatáneo. J’ai déjà évoqué ce chanteur et cet orchestre à propos de Percal dont Federico est également l’auteur.
Il y a des centaines d’interprétations par la suite, mais relativement peu pour la danse. Les aspects chanson ou musique classique ont plutôt été les sources d’inspiration.
Pour terminer cet article sur une note sympathique, une version en vidéo par un orchestre qui a cherché son style propre, la Romántica Milonguera. Ici avec Roberto Minondi. Un enregistrement effectué en Uruguay, un des trois pays du tango ; en mars 2019.

Yuyo verde 2019-03 – Orquesta Romantica Milonguera con Roberto Minondi.

Clin d’œil

Un cuarteto organisé autour du guitariste Diego Trosman et du bandéoniste Fernando Maguna avait pris le nom de Yuyo Verde en 2003. Ce cuarteto avait d’ailleurs participé en 2004 au festival que j’organisais alors à Saint-Geniez d’Olt (Aveyron, France). Ils nous avaient fait parvenir une maquette dont je tire cette superbe interprétation de la milonga La Trampera. Ce n’est pas Yuyo Verde, mais c’est une composition d’Anibal Troilo, on reste dans le thème du jour.

La trampera 2004 — Yuyo Verde (Maquette)

Deux des affiches que j’avais réalisées pour mon festival de tango. Le site internet était hébergé par mon site perso de l’époque (byc.ch) et sur l’affiche de droite, les plus observateurs pourront remarquer mon logo de l’époque. C’était il y a 20 ans…

Petite histoire, ce festival de tango qui existe toujours, avec d’autres organisateurs, avait au départ une partie salsa, car mon coorganisateur croyait plutôt en cette danse. C’est la raison pour laquelle j’avais donné le nom de Tango latino (tango y latino), pour faire apparaître ces deux facettes. La milonga du samedi soir était animée par Yuyo Verde et Corine d’Alès, une pionnière du DJing de tango que je salue ici…

Percal 1943-02-25 (Tango) – Orquesta Miguel Caló con Alberto Podestá

Domingo Federico (Domingo Serafín Federico) Letra: Homero Aldo Expósito

Ne me dites pas que la voix chaude d’Alberto Podestá quand il lance le premier « Percal » ne vous émeut pas, je ne vous croirais pas. Mais avant le thème créé par Domingo Federico et magistralement proposé par l’orchestre de Caló a instauré une ambiance de mystère.

Je ne sais pas pourquoi, mais les premières notes m’ont toujours fait penser aux mille et une nuit. L’évocation de la percale qui est un tissu de qualité en France pourrait renforcer cette impression de luxe.
Cependant, le percal qui est masculin en espagnol, est une étoffe modeste destinée aux femmes pauvres. Vous le découvrirez plus largement avec les paroles, ci-dessous.

Podestá a commencé à chanter pour Caló à 15 ans. Il a passé une audition dans l’après-midi et le soir-même il commençait avec l’orchestre. Miguel Caló savait déceler les talents…

Extrait musical

Qué tiempo aquel 1938-02-24 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar

Les paroles

Percal…
¿Te acuerdas del percal?
Tenías quince abriles,
Anhelos de sufrir y amar,
De ir al centro, triunfar
Y olvidar el percal.
Percal…
Camino del percal,
Te fuiste de tu casa…
Tal vez nos enteramos mal.
Solo sé que al final
Te olvidaste el percal.

La juventud se fue…
Tu casa ya no está…
Y en el ayer tirados
Se han quedado
Acobardados
Tu percal y mi pasado.
La juventud se fue…
Yo ya no espero más…
Mejor dejar perdidos
Los anhelos que no han sido
Y el vestido de percal.

Llorar…
¿Por qué vas a llorar?…
¿Acaso no has vivido,
Acaso no aprendiste a amar,
A sufrir, a esperar,
Y también a callar?
Percal…
Son cosas del percal…
Saber que estás sufriendo
Saber que sufrirás aún más
Y saber que al final
No olvidaste el percal.
Percal…
Tristezas del percal.

Domingo Federico (Domingo Serafín Federico) Letra: Homero Aldo Expósito

Parlons chiffons

Percal est mentionné sept fois dans les paroles de ce tango d’Homero Expósito. Il est donc très important de ne pas faire un contresens sur la signification de ce mot.
Wikipédia nous dit que : « La percale est un tissu de coton de qualité supérieure fait de fil fin serré à plat. Elle est appréciée en literie pour son toucher lisse, doux, et sa résistance ».
Vous aurez compris qu’il ne faut pas en rester là, car une fois de plus, c’est le lunfardo, l’argot argentin qu’il faut interroger pour comprendre.
En lunfardo, il s’agit d’un tissu de coton utilisé pour les robes des femmes de condition modeste. On retrouve dans cette dérivation du mot en lunfardo, la dérision de la mode de la haute société qui se piquait d’être à la française. Nommer une toile modeste du nom d’une toile prestigieuse était une façon de se moquer de sa condition de misère.
En français, on dirait donc plutôt « calicot » que percale pour ce type de tissu de basse qualité.
Voici ce qu’a écrit Athos Espíndola dans son « Diccionario del lunfardo » :

Percal. l. p. Tela de modesta calidad que se empleaba para vestidos de mujer, la más común entre la gente humilde. Fue llevada por el canto, la poesía y el teatro populares a convertirse en símbolo de sencillez y pureza que representaba a la mujer de barrio entregada a su hogar y a la obrera que sucumbía doce horas diarias en el taller de planchado o en la fábrica para llevar unos míseros pesos a la pobreza de su familia. A esa que luego, a la tardecita, salía con su vestido de percal a la puerta de su casa a echar a volar sueños e ilusiones. Pero también fue símbolo discriminatorio propicio para que las grandes señoras de seda y de petit-gris tuvieran otro motivo descalificatorio para esa pobreza ofensiva e insultante que, afortunadamente, estaba tan allá, en aquellos barrios adonde no alcanzaban sus miradas. ¿Cómo iba a detenerse a conversar con una mujer que viste de percal?

Athos Espíndola, Diccionario del lunfardo

Ce tango évoque donc la malédiction de celles qui sont nées pauvres et qui ne sortiront pas de l’univers des tissus de basse qualité, contrairement à celles qui vivent dans la soie et le petit-gris.
Pour information, le petit-gris est apparenté au vair des chaussures de Cendrillon, le vair étant une fourrure à base de peaux d’écureuils. Le petit-gris, c’est pire dans le domaine de la cruauté, car il faut le double d’écureuils. Au lieu d’utiliser le dos et le ventre, on n’utilise que le dos des écureuils pour avoir une fourrure de couleur unie et non pas en damier comme le vair.

Tenías quince abriles, en français on emploi souvent l’expression avoir quinze printemps pour dire quinze ans. En Argentine, les quinze ans sont un âge tout particulier pour les femmes. Les familles modestes s’endettent pour offrir une robe de fête pour leur fille, pour cet anniversaire le plus spectaculaire de leur vie. Le fait que la robe de la chanson soit dans un tissus humble, accentue l’idée de pauvreté.
Il existe d’ailleurs des valses de quinzième anniversaire et pas pour les autres années.
Dans les milongas, la tradition de fêter les anniversaires en valse vient de là.

El vals de los quince años pour l’anniversaire de Quique Camargo par Los Reyes del Tango.
Milonga Camargo Tango – El Beso – Buenos Aires – 2024-02-17. .
Parole et musique Agustín Carlos Minotti.
Grabación DJ BYC Bernardo

Les enregistrements de Percal

Percal 1943-02-25 — Orquesta Miguel Caló con Alberto Podestá. C’est le tango du jour.
Percal 1943-03-25 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.

Enregistrée un mois, jour pour jour après celle de Calo, cette version est superbe. Cependant, il me semble que la voix de Fiorentino et en particulier sa première attaque de « Percal » sont en deçà de ce qu’ont proposé Caló et Podestá. Mais bien sûr, ce titre est également merveilleux à danser.

Percal 1943-05-13 Hugo Del Carril accompagné par Tito Ribero.

Cette chanson, ce n’est pas un tango de danse, commence avec une musique très particulière et Hugo Del Carril démarre très rapidement (normal, c’est une chanson) le thème d’une voix très chaude et vibrante.

Percal 1947 ou 1948 — Francisco González et son Orchestre typique argentin con Roberto Rodríguez.

Je n’ai pas cette musique dans ma collection. Le catalogue de la Bibliothèque nationale de France (Notice FRBNF38023941) l’indique de 1948 sous la bonne référence du disque : Selmer ST3003. La bible Tango l’indique de 1947 et avec le numéro de matrice 3728.

Percal 1952-08-25 — Orquesta Domingo Federico con Armando Moreno et récitatif por Julia de Alba.

Il est intéressant d’écouter cette version enregistrée par l’auteur de la musique, même si c’est plus tardif. En plus des paroles chantées par Armando Moreno, il y a un récitatif dit par Julia de Alba, une célébrité de la radio. Son intervention renforce le thème du tango en évoquant le chemin de percale, la destinée que lui prédisait sa mère et qui s’est avérée la réalité. Elle l’a compris plus tard, pleurant les baisers de sa mère qui ne peut plus l’embrasser.

Percal 1969 — Orquesta Domingo Federico con Carlos Vidal.
Percal 1969-09-24 — Domingo Federico (bandonéon) Oscar Brondel (guitare) con Rubén Maciel.

La particularité de cet enregistrement est qu’il est chanté en esperanto par Rubén Maciel. Federico était un militant de l’esperanto, ce langage destiner à unir les hommes dans une grande fraternité. Le même jour, ils ont aussi enregistré une version de la cumparsita, toujours en esperanto.

Percal 1990-12 — Orquesta Juvenil de Tango de la U.N.R. dir Domingo Federico con Héctor Gatáneo.

Vous pouvez acheter ce titre ou tout l’album sur BandCamp, y compris dans des formats sans perte (ALAC, FLAC…). Pour mémoire, les fichiers que je propose ici sont en très basse qualité pour être autorisé sur le serveur (limite 1 Mo par fichier).

Autre titre enregistré un 25 février

Ya sale el tren 1943-02-25 — Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz. Musique et paroles de Luis Rubistein.

Ce tango a été enregistré le même jour que Percal, mais avec un chanteur différent, Jorge Ortiz. On entend la cloche du train au début.

Ya sale el tren 1943-02-25 — Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz. Musique et paroles de Luis Rubistein. Ce tango a été enregistré le même jour que Percal, mais avec un chanteur différent, Jorge Ortiz. On entend la cloche du train au début.

Alma mía 1940-02-15 (Valse) – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino

Diego J. Centeno Letra: Héctor Marcó

Alma mía, ¿con quién soñás?
He venido a turbar tu paz. […]
Abre niña tu ventanal
que con rayos de luna risueña
la noche porteña te quiere besar.

Clin d’oeil, j’ai utilisé la silhouette de Gardel pour le chanteur derrière les volets.

Le tango du jour est une superbe valse, Alma mía qui témoigne des premiers enregistrements de l’orchestre de Carlos Di Sarli qui auparavant avait seulement gravé des titres avec son Sexteto.
On retrouve dès les premiers enregistrements la subtilité harmonique au service d’une cadence rigoureuse qui fera sa gloire. Pour être juste, on trouvait déjà dans les derniers enregistrements du sexteto, quelques éléments de cette harmonie, mais qui étaient étouffés par une rythmique un peu pesante, héritière du canyengue.
Pour se rendre compte de la qualité de la musique de Di Sarli sur des tangos, on pourra écouter La trilla, enregistrée le même jour qu’Alma mía, ou son premier enregistrement avec Rufino, le 11 décembre 1939, Corazón.
Ceux qui me connaissent, savent que j’adore les valses, mais si je l’ai préférée à La trilla, enregistrée le même jour et qui aurait donc parfaitement convenu comme tango du jour, c’est que je suis retourné et j’ai toujours envie de chanter à tue-tête en même temps que Rufino « Aaaalmaaaaa míííííííaaaaaa, ¿ con quién soñás ? » (Mon âme, à qui rêves-tu ?).
C’est également une superbe déclaration d’amour, à la Cyrano de Bergerac, il y a même le balcon.
J’arrête de me justifier, cette valse est une merveille absolue et si Rufino est moins souvent choisi par certains collègues DJ que Jorge Durán ou Alberto Podestá, voire Carlos Acuña ou Oscar Serpa, c’est à mon sens très dommage. Il y a quelques jours, une organisatrice de Buenos Aires m’a remercié d’avoir passé une tanda avec Roberto Rufino.

Extrait musical

Alma mía 1940-02-15 (Valse) – Carlos Di Sarli con Roberto Rufino

L’archive sonore présentée ici, l’est à titre d’exemple didactique. La qualité sonore est réduite à cause de la plateforme de diffusion qui n’accepte pas les fichiers que j’utilise en milonga et qui sont environ 50 fois plus gros et de bien meilleure qualité. Je pense toutefois que cet extrait vous permettra de découvrir le titre en attendant que vous le trouviez dans une qualité audiophile.

Paroles

Alma mía, ¿con quién soñás?
He venido a turbar tu paz.
No me culpes, soy un cantor
que ha querido mezclar a tu sueño
un verso porteño borracho de amor.

Si despiertas, no maldigas
llego aquí porque te adoro,
porque sufro, porque imploro,
porque quiero que me digas,
si es verdad que cuando sueñas
me acarician tus amores.
Mariposa, tus colores
me han robado el corazón.

Deja el lecho cándida flor
que en tu reja ronda el amor.
Abre niña tu ventanal
que con rayos de luna risueña
la noche porteña te quiere besar.

Duerme el ave, allá en su nido,
solo rondo yo en la calma
por saber si tienes alma,
oh mujer, que me has vencido.
Despierta si estás dormida
que por ti, mi dulce dueña,
mientras Buenos Aires sueña,
yo agonizo en tu balcón.

Diego J. Centeno Letra: Héctor Marcó

Traduction des paroles

Mon âme, à qui rêves-tu ?
Je suis venu troubler ta tranquillité.
Ne m’accuse pas, je suis un chanteur qui a voulu mélanger à ton rêve un vers porteño, ivre d’amour.
Si tu te réveilles, ne me maudis pas, je viens ici parce que je t’adore, parce que je souffre, parce que j’implore, parce que je veux que tu me le dises, si c’est vrai que, quand tu rêves, tes amours me caressent.
Papillon, tes couleurs m’ont volé le cœur.
Sors du lit, fleur candide, car l’amour hante ta clôture.
Ouvre ta fenêtre, jeune femme, qu’avec les rayons d’une lune rieuse, la nuit portègne veut t’embrasser.
L’oiseau dort, là, dans son nid.
Seul, je me promène dans le calme pour savoir si tu as une âme,
ô femme, qui m’a vaincu.
Réveille-toi si tu dors, car, pour toi, ma douce maîtresse, pendant que Buenos Aires rêve, j’agonise à ton balcon.

Autres enregistrements

Curieusement, cette magnifique valse a été peu enregistrée. Il faut dire qu’il est difficile de surpasser la version de Di Sarli et Rufino. Les quelques exemples que je cite ici le prouvent.

  • 1936-07-15 Agustín Magaldi accompagné de guitares. Honnêtement, cette version est un peu criée et pas très intéressante. Ce qu’en a fait 4 ans plus tard Di Sarli est heureux pour cette valse.
  • 1969-10-21 Le Sexteto Tango avec Jorge Maciel. Absolument pas pour la danse et pour ceux qui supportent Maciel dans ses moins bons moments.
  • 1996 Enzo Valentino propose une version maniérée guère plus intéressante que la version de Maciel. Pas de risque que je propose cela en milonga.

Sous le même titre, on trouve un tango composé par Sando Panizzi. Il est interprété par Marek Weber et son orchestre. Cet orchestre allemand est attachant, il témoigne de la folie du tango dans les années 20 et 30 en Europe. Son interprétation n’est pas si vilaine malgré ses airs militaires et ses flonflons de tromblons.
J’ai mentionné ci-dessus La trilla, un tango écrit par Eduardo Arolas avec des paroles d’Héctor Polito. Rien à voir avec Alma mía, si ce n’est que ce tango a été enregistré par les mêmes, le même jour, le 15 février 1940.

Le chanteur s’interroge sur le rêve de sa bien-aimée. Peut-être que cette image représente le rêve des deux, quand elle aura ouvert ses volets pour accueillir la lune et l’amour. C’est mon interprétation…

Mañanitas de Montmartre 1928-02-13 (Tango) – Orquesta Francisco Canaro

Lucio Demare (Letra : Agustín Irusta; Roberto Fugazot)

Mis mañanitas de Montmartre tan queridas
son para mí un delirio y una gran pasión.

Le tango du jour parle des aubes de Montmartre (Paris, France).
Le tango est né à Paris…
Pardon, sans Paris, le tango ne serait pas ce qu’il a été/est. C’est dans cette ville qu’il a acquis ses lettres de noblesse et qu’il a pu revenir en Argentine et devenir ce que l’on sait. Si vous ne le savez pas, regardez mon article sur l’âge d’or du tango.

Plusieurs centaines de tangos font référence à la France et à Paris, mais aussi aux grisettes, ces jeunes Françaises qui à l’instar de Madame Yvonne quittaient la France pour le « rêve » argentin (voir par exemple Bajo el cono azul).
Canaro qui a fait à diverses reprises le voyage à Paris a sans doute été sensible à cette composition de Demare qui devait également lui évoquer les paysages de la Butte Montmartre.

Extrait musical

Mañanitas de Montmartre 1928-02-13 – Francisco Canaro

L’archive sonore présentée ici, l’est à titre d’exemple didactique. La qualité sonore est réduite à cause de la plateforme de diffusion qui n’accepte pas les fichiers que j’utilise en milonga et qui sont environ 50 fois plus gros et de bien meilleure qualité. Je pense toutefois que cet extrait vous permettra de découvrir le titre en attendant que vous le trouviez dans une qualité audiophile.

Paroles

Las grises mañanitas de Montmartre,
donde iluso derroché mi juventud,
serán eternas en mi triste vida,
porque las recuerdo para mi inquietud.
Al igual que un amor cicatrizado
e imborrable en un tierno corazón,
mis mañanitas de Montmartre tan queridas
son para mí un delirio y una gran pasión.

Pero sos, mujer,
pobre insensata que en el mundo triunfás;
la frágil barca de tu vida quizás
naufragará porque el timón de tu esperanza
se quebrará en la mar,
y humillada ya,
mis mañanitas de Montmartre verán
la fría nieve del destino caer
sobre tu almita acongojada
destruyendo aquellos sueños
que forjaste con afán.

Nuevamente volverás a ser aquella
que paseaba exenta de pudor
por esas calles en que todas las mujeres
pecadoras, guardaban su dolor.
Y en las tinieblas de tu pobre vida,
por ingrata nunca más encontrarás
quien te devuelva con un beso de cariño
la luz de tu esperanza, que se apaga ya.

Lucio Demare Letra : Agustín Irusta; Roberto Fugazot

Traduction des paroles

Les petits matins gris de Montmartre, où j’ai insouciamment gaspillé ma jeunesse, seront éternels dans ma triste vie, parce que je m’en souviens par mon inquiétude.
Comme un amour cicatrisé et indélébile dans un cœur tendre, mes petits matins de Montmartre tant chéris sont pour moi un délire et une grande passion.
Mais tu es, femme, une pauvre insensée, qui triomphe dans le monde ;
La frêle barque de ta vie fera peut-être naufrage parce que le gouvernail de ton espoir se brisera en mer, et, déjà humiliée, mes petits matins de Montmartre verront la neige froide du destin tomber sur ta petite âme angoissée, détruisant ces rêves que tu t’es forgés avec empressement.
Une fois de plus, tu redeviendras celle qui a marché sans honte dans ces rues où toutes les femmes pécheresses gardaient leur douleur.
Et dans les ténèbres de ta pauvre vie, pour être ingrate, plus jamais tu ne trouveras quelqu’un pour te rendre avec un baiser d’affection la lumière de l’espoir qui s’est déjà éteinte.

Mañanitas De Montmartre – Couverture de la revue La Canción Moderna du 16 juillet 1928.

Autres enregistrements

Ce titre n’a pas été beaucoup enregistré, mais on trouve quelques versions intéressantes :

Mañanitas de Montmartre (Mañanita de Montmartre) 1928 – Lucio Demare y su Orquesta Típica Argentina.

Superbe version. Elle est généralement attribuée au Trío Argentino, Agustín Irusta (ténor), Roberto Fugazot (ténor) et Lucio Demare (pianiste), mais comme vous pouvez l’entendre, c’est une version instrumentale et il me semble qu’il faut donc l’attribuer à l’Orquesta Típica Argentina, celui qui a travaillé en Espagne (Notamment à Barcelone de 1928 à 1935) et dont le noyau était effectivement le trio des deux chanteurs et du pianiste envoyé par Canaro pour diffuser la musique argentine en Espagne.

Mañanitas de Montmartre 1928-02-13 – Orquesta Francisco Canaro. C’est notre tango du jour.
Mañanitas de Montmartre 1930 – Lucio Demare (piano).

Version instrumentale par le compositeur.

Mañanitas de Montmartre 1930 – Agustín Irusta accomp. Lucio Demare (piano).

Agustín Irusta est accompagné au piano par Lucio Demare pour cet autre enregistrement. C’est le dernier de la série enregistrée par Demare en Espagne. On dirait une version enregistrée de façon amateur.

No nos veremos más – Mañanitas de Montmartre 1952-06-18 – Lucio Demare (piano).

Lucio Demare encore au piano avec « No nos veremos más » la valse que nous avons présentée le 11 février dans le cadre des Anecdotas de Tango

Mañanitas de Montmartre 1968-07-30 – Lucio Demare (piano).

Toujours Lucio Demare et encore au piano.

Mañanitas de Montmartre 1970-04-14 – Orquesta Aníbal Troilo.
Mañanitas de Montmartre 1972-08-18 – Orquesta Aníbal Troilo arr. de Raúl Garello.

Cet enregistrement a été effectué lors d’un concert organisé par la SADAIC (la SACEM argentine). On reconnaîtra l’ orchestration et les arrangements effectués par Raúl Garello qui ont assez profondément modifié le caractère de l’œuvre.

La version de Canaro est relativement archaïque, de style canyengue, mais c’est la seule qui peut se prêter à la danse.

Lucio Demare est un pianiste et un des rares compositeurs à avoir enregistré beaucoup de tangos au piano. Ce pianiste égaré dans les rues sous l’aube pâle de Montmartre est sans aucun doute Lucio Demare. Il joue du piano debout…

No nos veremos más 1943-02-11 (Valse) – Orquesta Lucio Demare con Raúl Berón

Lucio Demare Letra: Julio Plácido Navarrine

Bésame otra vez Siento que después No nos veremos más.

Le tango du jour est une valse, nostalgique, mais entraînante dans cette version réalisée par Lucio Demare et Raúl Berón.
Elle a été enregistrée il y a 81 ans, le 11 février 1943.
Lucio Demare était pianiste et compositeur. On lui doit beaucoup de titres qu’il a lui-même interprétés, comme cette valse, mais aussi d’autres tangos à succès, comme Telón, Malena, Mañana zarpa un barco, Solamente ella et autres titres nostalgiques.

Extrait musical

No nos veremos más 1943-02-11 – Lucio Demare con Raúl Berón

L’archive sonore présentée ici, l’est à titre d’exemple didactique. La qualité sonore est réduite à cause de la plateforme de diffusion qui n’accepte pas les fichiers que j’utilise en milonga et qui sont environ 50 fois plus gros et de bien meilleure qualité. Je pense toutefois que cet extrait vous permettra de découvrir le titre en attendant que vous le trouviez dans une qualité audiophile.

Paroles

Saber partir
Con la sonrisa florecida.
Y ver morir
El sueño de toda la vida.
Ahogar la voz
Morder la angustia que nos hiere.
Después, adiós
Y el alma de un rosal que muere.

Bésame otra vez
Siento que después
No nos veremos más.
Se irá la cerrazón
Pero la ilusión
No vendrá jamás.
Sombra entre los dos
Que un dolor atroz
No torna claridad.
Amor que se abre en cruz
Al puñal de luz
De todas las estrellas.

Hoy por distinta huella
Nos echa la vida,
Amor que nunca olvida
No sabe llorar.
Bésame otra vez
Siento que después
No nos veremos más.
Se irá la cerrazón
Pero la ilusión
No vendrá jamás.

Lucio Demare Letra: Julio Plácido Navarrine

Traduction

Savoir partir avec un sourire fleuri et voir mourir le rêve de toute une vie.
Étouffer la voix, mordre l’angoisse qui nous blesse.
Puis, au revoir et l’âme d’un rosier se meure.
Embrasse-moi à nouveau, je sens que nous ne nous reverrons plus.
Les ténèbres disparaîtront, mais l’illusion ne viendra jamais.
Une ombre entre les deux qu’une douleur atroce ne transformera pas en clarté.
L’amour qui s’ouvre en croix au poignard de lumière de toutes les étoiles.
Aujourd’hui, la vie s’échappe par une empreinte différente, l’amour qui n’oublie jamais, ne sait pas pleurer.
Embrasse-moi à nouveau, je sens que nous ne nous reverrons plus.
Les ténèbres disparaîtront, mais l’illusion ne viendra jamais.

Autres enregistrements

Il existe une autre version, par Francisco Canaro et Roberto Maida (1935-12-03), dans un rythme beaucoup plus lent et majestueux, très différent de cette interprétation par Demare et Berón.
Signalons aussi l’enregistrement (1952-06-18) par Lucio Demare, au piano, solo de cette valse, dans le rythme lent de Canaro. Il enchaîne sur Mañanitas de Montmartre, une autre de ses compositions, dans cet enregistrement de 1952.
Comme Lucio Demare est le compositeur, il est possible qu’il l’ait conçue dans le rythme lent de 1935 et 1952 et que cette version de 1943 soit une adaptation au goût de l’époque, l’âge d’or du tango de danse.

No nos veremos más 1935-12-02 – Francisco Canaro et Roberto Maida.

C’est la première version. Cette version est empreinte de sonorité européenne. Ce que la présence de l’accordéon dans la partie B (à 19 s) souligne. Cette même partie B sera reprise par la trompette bouchée à 45 s. À 54 s, Roberto Maida chante la partie A, puis la B, puis de nouveau la A et la B. On remarquera les sonorités très particulières du violon et de la trompette à 1:50, cet assemblage rare et étonnant donne une dimension intéressante à cette interprétation. À 2:16 on remarquera le piano solo qui donne une respiration particulière à ce passage après les sonorités de la trompette associée au violon. Comme pour s’excuser de l’audace précédente. À 2:27 l’orchestre reprend brièvement la main pour proposer une fin de film de cinéma…

Cela n’est sans doute pas si étonnant si on considère que Demare à cette époque, faisait de la musique pour le cinéma en Espagne avec son trio et j’émets l’hypothèse que ce titre faisait partie du film, malheureusement perdu « Boliche » de Francisco Elías (1933). Comme on le sait, Canaro a repris de nombreuses musiques de film, pourquoi pas celle-ci ?

Affiches du film Boliche de Francisco Elias.
No nos veremos más 1943-02-11 – Lucio Demare con Raúl Berón. C’est notre valse du jour.
No nos veremos más 1946 – Trío Argentino (Irusta, Fugazot, Demare) y su Orquesta Típica Argentina.

Si mon hypothèse est exacte, ce serait une reprise, 13 ans plus tard, de la musique du film Boliche.

No nos veremos más – Mañanitas de Montmartre 1952-06-18 – Lucio Demare (piano).

Demare est un des rares chefs d’orchestre a avoir fait des enregistrements de son seul instrument. Il faut dire que le piano se prête assez bien à cet exercice.

No nos veremos más 2015 – Roulotte Tango con Gaspar Pocai.

Pour terminer avec cette version en valse créée par Lucio Demare, la proposition d’un orchestre français, Roulotte Tango avec la voix de Garpar Pocai.

Sous le même titre, on trouve une chanson de tango de Luis Stazo avec des paroles de Federico Silva qui a eu son petit succès en 1963, notamment par la version de Roberto Goyeneche avec l’accompagnement de Luis Stazo, Armando Cupo y Mario Monteleone.
On pourrait citer aussi celle de Maure, de la même année, ou celle de d’Arienzo avec Jorge Valdez. Avec mon célèbre esprit de contradiction, je vous propose d’écouter la version de De Angelis et Godoy…

No nos veremos más 1964-04 – Orquesta Alfredo De Angelis con Juan Carlos Godoy.

Comme les autres interprétations de ce titre, il s’agit d’une version de concert, pas de bal.

Amor que se abre en cruz al puñal de luz de todas las estrellas.

Mi vida fue una milonga (Así es la vida) 1943-02-10 (Milonga) – Orquesta Manuel Buzón con Osvaldo Moreno

Benjamín García (Benjamín Garcilazo) et Mario Soto Letra : Mario Soto

Mi vida fue una milonga

Manuel Buzón est un musicien un peu tombé dans l’oubli.
Il a débuté comme professeur de piano et de solfège et a travaillé à la station de radio LOY Radio Nacional Flores, comme secrétaire de la Direction artistique, pianiste, chanteur et directeur d’orchestre. Il interviendra dans différentes radios durant sa vie, notamment à Radio Paris…
Il a très peu enregistré avec son orchestre. Seulement une vingtaine de titres en 1942-1943 et les titres chantés sont tous avec Osvaldo Moreno.

Il a réalisé quelques enregistrements comme pianiste avec différents orchestres ou comme accompagnateur de chanteurs.
Pour son activité de compositeur, on pourrait mentionner que son tango « Después hablamos » a gagné le troisième prix en 1933 à un concours organisé par le journal « Critica » et qui a eu lieu au Luna Park, la célèbre salle événementielle de Buenos Aires.
Ce tango ne semble pas avoir été enregistré, mais on le connaît par sa partition.
Il ne faut en effet pas réduire le tango au seul patrimoine enregistré qui nous est parvenu. Les orchestres jouaient plusieurs fois par semaine, avec des variations et des titres qu’ils n’ont jamais enregistrés.
La composition la plus célèbre de Buzon reste sans doute la milonga Mano brava (paroles d’Enrique Cadícamo) qu’il a enregistrée avec Osvaldo Moreno le 11 février 1942, soit un an après Anibal Troilo et Francisco Fiorentino (1941-03-04).

Extrait musical

Mi vida fue una milonga (Así es la vida) 1943-02-10 – Manuel Buzón con Osvaldo Moreno.

Cette milonga est assez originale et pas désagréable à l’écoute. On pourra sans doute regretter pour la danse qu’elle manque de structure et qu’elle est difficile, voire impossible à danser sans connaissance préalable du titre. Comme cette milonga est rare, elle n’est pas connue et donc, elle ne peut pas être bien dansée et par conséquent, on ne peut pas la proposer en milonga et donc la faire connaître. C’est donc probablement un titre qui ne restera dans l’ombre une fois lu cet article…

L’archive sonore présentée ici, l’est à titre d’exemple didactique. La qualité sonore est réduite à cause de la plateforme de diffusion qui n’accepte pas les fichiers que j’utilise en milonga et qui sont environ 50 fois plus gros et de bien meilleure qualité. Je pense toutefois que cet extrait vous permettra de découvrir le titre en attendant que vous le trouviez dans une qualité audiophile.

Paroles

Mi vida fue una milonga
Que bailé sin dar resuello,
Con lengue de seda al cuello
Y una flor en el ojal.
Humilde como el percal
Que usó la piba fabriquera,
Me pasé la vida entera,
En la calma callejera
Que respira mi arrabal.
Milonga mía, tus notas
Traen del ayer
Recuerdos de tantas cosas.
Nostalgia de las mujeres
Que más amé,
Y del calor de su boca.
Oigo tu compás y en el corazón
Reviven mis años mozos,
Cuando marcaba en el piso
De algún salón,
La flor de un corte compadrón.

Benjamín García (Benjamín Garcilazo) et Mario Soto Letra : Mario Soto

Traduction

Ma vie fut une milonga que je dansais sans reprendre un souffle, avec un foulard de soie autour du cou et une fleur à la boutonnière.
Humble comme le calicot (percal) utilisé par la fille d’usine, j’ai passé ma vie entière, dans le calme de rue que respire mon faubourg.
Ma milonga, tes notes m’apportent de l’autrefois tant de choses.
Nostalgie des femmes que j’aimais le plus, et de la chaleur de leurs bouches.
J’entends ton rythme et dans mon cœur revivent mes jeunes années, quand je marquais sur le plancher d’un salon, la fleur d’un corte compadrón (pas de tango).

Autres enregistrements

Pas d’autres versions. C’est dommage, car celle de Buzón est loin d’être géniale…
Sous le même titre secondaire (Así es la vida), on trouve cependant deux compositions. Une de Edgardo Donato qui fut enregistrée le 30 avril1929 par Francisco Canaro et une autre de Menvielle enregistrée par Cayetano Puglisi le 26 septembre de la même année.
Ces deux compositions ne comportent pas de paroles. On ne peut donc faire des comparaisons que sur la musique, elle-même.

Así es la vida 1929-04-30 – Orquesta Francisco Canaro (Edgardo Donato).

Le rythme appuyé et marqué est assez rapide. Peut-être un peu trop pour les amateurs de canyengue. On notera l’utilisation de la guitare hawaïenne (1:03) qui rappelle peut-être à Canaro qu’il fabriqua son premier violon avec des boites de conserve. Canaro fut toujours amateur de sonorités nouvelles et il employa une multitude d’instruments qui ne sont jamais apparus dans les autres orchestres. On pense bien sûr aux instruments à vent en cuivre, mais aussi aux percussions, percussions que l’on retrouve dans le descendant lointain du tango de Canaro, le tango musette français. S’il existe des centaines de titres que l’on passera en priorité, celui-ci pourra tout de même franchir la barre de la sélection d’un DJ exigeant et être diffusé dans une milonga si les circonstances s’y prêtent. La semaine dernière à Buenos Aires, l’organisateur de la milonga m’a demandé de commencer par une tanda de canyengue en liaison avec le cours donné auparavant. J’ai mis la Typica Victor, mais un Canaro aurait pu faire l’affaire, avec ce titre en fin de tanda, pour retrouver un rythme plus rapide pour « chauffer » les danseurs qui ne sont pas fanatiques de canyengue.

Así es la vida 1929-09-26 – Orquesta Cayetano Puglisi (N.C. Menvielle).

Ce titre au pas lourd du canyengue et un peu larmoyant laisse à penser que cette vie a connu quelques peines. Ce n’est pas vilain, loin de là et cela devrait pouvoir être proposé aux amateurs du genre.

Mi vida fue una milonga (Así es la vida) 1943-02-10 – Orquesta Manuel Buzón con Osvaldo Moreno. C’est notre tango du jour.

Illustrations de l’édition de 2024

Mi vida fue una milonga, elle était en fin d’article en 2024.
Mi vida fue una milonga (couverture de l’édition de 2024)

Milonga sentimental 1933-02-09 (Canyengue – Milonga) – Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá y Ángel Ramos

Sebastián Piana Letra : Homero Manzi (Homero Nicolás Manzione Prestera)

Otros se quejan llorando, yo canto por no llorar. Tu amor se secó de golpe, nunca dijiste por qué. Yo me consuelo pensando que fue traición de mujer.

À noter que malgré son titre de « milonga » et que beaucoup de DJ propose ce titre comme une milonga, il s’agit plutôt d’un rythme de canyengue ou pour le moins d’un rythme bâtard entre le tango et la milonga que des orchestres comme celui de Miguel Villasboas adoreront utiliser plus tard.
Canaro le décrivait comme un milongon, une de ses inventions rythmiques qui n’ont pas eu de succès.

Extrait musical

Milonga sentimental 1933-02-09 – Francisco Canaro con Ernesto Famá y Ángel Ramos

L’archive sonore présentée ici, l’est à titre d’exemple didactique. La qualité sonore est réduite à cause de la plateforme de diffusion qui n’accepte pas les fichiers que j’utilise en milonga et qui sont environ 50 fois plus gros et de bien meilleure qualité. Je pense toutefois que cet extrait vous permettra de découvrir le titre en attendant que vous le trouviez dans une qualité audiophile.

Paroles

Milonga pa’ recordarte,
milonga sentimental.
Otros se quejan llorando,
yo canto por no llorar.
Tu amor se secó de golpe,
nunca dijiste por qué.
Yo me consuelo pensando
que fue traición de mujer.

Varón, pa’ quererte mucho,
varón, pa’ desearte el bien,
varón, pa’ olvidar agravios
porque ya te perdoné.
Tal vez no lo sepas nunca,
tal vez no lo puedas creer,
¡tal vez te provoque risa
verme tirao a tus pies!

Es fácil pegar un tajo
pa’ cobrar una traición,
o jugar en una daga
la suerte de una pasión.
Pero no es fácil cortarse
los tientos de un metejón,
cuando están bien amarrados
al palo del corazón.

Milonga que hizo tu ausencia.
Milonga de evocación.
Milonga para que nunca
la canten en tu balcón.
Pa’ que vuelvas con la noche
y te vayas con el sol.
Pa’ decirte que sí a veces
o pa’ gritarte que no.

Sebastián Piana Letra : Homero Manzi (Homero Nicolás Manzione Prestera)

Traduction

Milonga pour me souvenir de toi, milonga sentimentale.
D’aucuns se plaignent en pleurant, moi, je chante pour ne pas pleurer.
Ton amour s’est soudainement tari, tu n’as jamais dit pourquoi.
Je me console en pensant que ce fut trahison de femme.

Varón (mec, homme, mâle), pour t’aimer beaucoup, Varón, pour te souhaiter le bien, Varón, pour oublier les griefs, parce que je t’ai déjà pardonnée.
Peut-être que tu ne le sauras jamais, peut-être que tu ne le pourras pas croire, peut-être que cela te fera rire de me voir jeté à tes pieds !

Il est facile de faire une entaille pour faire payer une trahison, ou de jouer avec un poignard la chance d’une passion.
Mais il n’est pas facile de couper les liens d’un amour passionné, lorsqu’ils sont bien attachés au bâton du cœur
(tiento, palo peuvent se référer au membre viril et tajo à son pendant féminin).

Milonga qui a fait ton absence.
Milonga d’évocation.
Milonga pour que nul ne la chante jamais à ton balcon.
Pour que tu reviennes avec la nuit et que tu partes avec le soleil.
Pour te dire oui parfois ou pour te crier non.

Autres enregistrements

Je ne dresserai pas la liste des enregistrements de Milonga sentimentale, il y a en a des dizaines. Certains, comme la version de Canaro, sont proches du canyengue et d’autres sont de véritables milongas.
Voici juste quelques perles :

Milonga sentimental 1932-10-04 – Mercedes Simone con orquesta.

Une belle version assez rapide par Mercedes Simone. Malgré la simplicité de l’accompagnement avec flute bandonéon et guitare, cette version pourrait être proposée en milonga pour « laver les oreilles » des danseurs qui ne se contenteraient pas de la version du jour.

Milonga sentimental 1932-12-12 (Milonga Tangueada) – Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro.

Après la version de Mercedes Simone, Ada Falcón, nous propose une jolie version, plus canyengue, mais un peu molle pour la danse à mon goût, ce qui n’est pas étonnant, car c’est une chanson et pas un enregistrement de danse.

Milonga sentimental 1932-12-30 – Orquesta Adolfo Carabelli con Carlos Lafuente.

Une version bien canyengue, mais qui peut changer de notre version du jour, même si la voix plus acide de Lafuente peut ne pas plaire à tous.

Milonga sentimental 1933-01-23 – Carlos Gardel accompagné à la guitare par Guillermo Barbieri, Domingo Riverol, Domingo Julio Vivas et Horacio Pettorossi.

Pas pour la danse, mais des passages avec la voix de Gardel se retrouvent dans certaines versions de Otros Aires au vingt unième siècle…

Milonga sentimental 1933-01-25 – Alberto Gómez y Augusto « Tito » Vila con acomp. de guitarras.

C’est la première version enregistrée en duo. Même si on est dans le domaine de la chanson, c’est presque dansable et finalement assez agréable à écouter.

Milonga sentimental 1933-02-09 – Francisco Canaro con Ernesto Famá y Ángel Ramos. C’est notre titre du jour.
Milonga sentimental 1958-09-18 – Orquesta Fulvio Salamanca con Armando Guerrico y Mario Luna.

On doit reconnaître à Salamanca d’avoir été un des premiers à proposer une version rapide. En plus le duo qui reprend le principe de notre enregistrement du jour par Canaro est plutôt sympathique. Cette version qui peut être attirante à la première écoute, n’est cependant pas totalement satisfaisante pour la danse.

Milonga sentimental 1987C – Miguel Villasboas y su Orquesta Típica.

Le style sautillant et allègre de Villasboas est très typique de certains orchestres uruguayens. Ce n’est sans doute pas la meilleure version, mais ce n’est pas désagréable à écouter, voire à danser.

Les orchestres contemporains jouent systématiquement ce titre et nous avons donc une pléthore d’enregistrements qui hésitent entre les versions en chanson, les versions en canyengue et celles en milonga. Je vous propose juste pour le vingt-unième siècle une version très différente…

Milonga sentimental 2005 – Otros Aires Con Carlos Gardel.

J’indique Carlos Gardel, mais bien sûr, c’est juste sa voix qui est citée dans cet enregistrement de Otros Aires, un orchestre qui a eu son heure de gloire en apportant un style étonnant, mais qui n’a pas sût se renouveler.

Voilà, À bientôt, les amis !

Yo canto por no llorar / Je chante pour ne pas pleurer.

Quelles sont les dates de l’âge d’or en tango de danse ?

What are the dates of the golden age of dance tango?

Pour un DJ, l’âge d’or, c’est principalement l’époque ou le tango de danse était à la mode. Mais pour qu’un âge d’or arrive, il faut différents éléments précurseurs et pour qu’il se termine, il faut que l’élan s’épuise. Nous allons voir l’évolution de ce phénomène.

For a DJ, the golden age is mainly the time when dance tango was in fashion. But for a golden age to come, there must be different precursors, and for it to end, the momentum must be exhausted. We will see how this phenomenon evolves.

L’âge d’or du tango

Le prototango, le tango d’avant le tango

Dans l’article sur les styles du tango, vous trouverez des traces de l’histoire musicale, mais la musique n’est qu’un des aspects. Pour que l’âge d’or se manifeste, il faut également que la pratique de cette culture sorte des cercles restreints où elle est née.
L’Europe et particulièrement la France ont joué un rôle certain dans cette naissance. L’exposition universelle de 1900 a été l’occasion pour de nombreux Argentins argentés, de faire de Paris, leur point de chute, ou de plaisir.
Un certain nombre d’entre eux qui avaient goûté aux charmes du tango à la fin du 19e siècle l’ont encouragé à Paris. Un des exemples les plus connus est celui de Benino Macias, auquel on attribue le lancement de la furie du tango à Paris. Que ce soit cette histoire ou d’autres, il est certain que dès 1911, le tango était entré dans les mœurs à Paris. On pouvait le danser tous les jours dans plusieurs lieux, ce qui a attiré les orchestres argentins, même s’ils devaient se produire déguisés en gauchos, car les orchestres étrangers n’étaient autorisés qu’à la condition d’être «folkloriques». Le costume était réservé aux orchestres européens.

Prototango, the tango before the tango

In the article on tango styles, you will find traces of musical history, but music is only one aspect. In order for the golden age to manifest itself, the practice of this culture must also come out of the restricted circles in which it was born.

Europe and particularly France played a certain role in this birth. The Universal Exhibition of 1900 was an opportunity for many silver-loving Argentinians to make Paris their place of stay, or of pleasure. A number of them who had tasted the charms of tango at the end of the 19th century encouraged him in Paris. One of the best-known examples is that of Benino Macias, who is credited with launching the Tango Fury in Paris. Whether it is this story or others, it is certain that by 1911, tango had become part of the customs in Paris. It could be danced every day in several venues, which attracted Argentine orchestras, even if they had to perform disguised as gauchos, as foreign orchestras were only allowed on the condition that they were « folkloric ». The costume was reserved for European bands.

Pourquoi Pas, revue wallonne de Louis Dumont-Wilden, George Garnir et Léon Souguenet (les « trois moustiquaires ») du 4 octobre 1929.

La naissance du tango

Le chansonnier Fursv affirme, dans ses mémoires, avoir assisté, vers 1900, à la naissance du tango, l’Abbaye Albert », à Montmartre.
— Parmi les Argentins qui venaient là, conte-t-i1, il y avait un certain Benino Macias, formidablement riche, très nostalgique.
» Un soir, ayant payé l’orchestre pour le seconder dans son projet, il se mit à danser, pour la galerie, une sorte de pas lent, et traîné, coupé de repos rythmés, et accompagné par une mélodie en mineur, d’une infinie mélancolie.
~ Ce fut, sur le moment, de l’étonnement, mieux, de la stupeur.
» Mais on applaudit Benino Macias, qui dansait avec une certaine Loulou Christy, fort jolie.
» Huit jours après, il y avait vingt couples qui faisaient comme eux.» C’est ainsi que le tango a fait sa toute première apparition à Paris. »

Pourquoi Pas, revue wallonne de Louis Dumont-Wilden, George Garnir et Léon Souguenet (les « trois moustiquaires ») du 4 octobre 1929.

The birth of tango

In his memoirs, the chansonnier Fursv claims to have witnessed, around 1900, the birth of the tango, the « Abbaye Albert » in Montmartre.
« Among the Argentinians who came there, » he said, « was a certain Benino Macias, tremendously rich, very nostalgic.
One evening, having paid the orchestra to assist him in his project, he began to dance, for the gallery, a sort of slow, drawn-out step, interrupted by rhythmic rests, and accompanied by a melody in minor, of infinite melancholy.
~ It was, at the time, astonishment, or rather, amazement.
But we applaud Benino Macias, who danced with a certain Loulou Christy, who was very pretty.
Eight days later, there were twenty couples doing the same.This is how tango made its very first appearance in Paris. »

Pourquoi Pas, Walloon magazine by Louis Dumont-Wilden, George Garnir and Léon Souguenet (the « three mosquito nets ») of 4 October 1929.

Lorsque ces orchestres sont retournés en Argentine, auréolés de leurs succès européens, cela a aidé à sortir le tango de ses lieux mal famés en Argentine.
Dans l’article « Une enquête sur le tango », vous trouverez des éléments intéressants si vous vous intéressez à la question des débuts du tango en France. Vous pouvez aussi consulter le site milongaophelia, riche en documents iconographiques.
Donc, pour la France, l’âge d’or se situe dans les années 1910-1935. Cependant, ce tango s’y est figé dans le temps et s’est abâtardi pour devenir le tango musette qui est une lointaine réminiscence du tango de style canyengue. Il convient donc de retraverser l’Atlantique pour découvrir le véritable âge d’or.

When these orchestras returned to Argentina, basking in the glory of their European successes, it helped to bring tango out of its disreputable places in Argentina.
In the article « A survey on tango  », you will find interesting elements if you are interested in the question of the beginnings of tango in France. You can also consult the milongaophelia website, rich in iconographic documents.
So, for France, the golden age is in the years 1910-1935. However, this tango has been frozen in time and has bastardized to become the tango musette which is a distant reminiscence of the tango of the Canyengue style. It is therefore appropriate to cross the Atlantic again to discover the true golden age.

Les premiers orchestres dorés

Pas de musique sans orchestre.
Le phénomène tango se développe donc à Buenos Aires et dans sa jumelle rioplatense.
De nombreux orchestres se créent, se renforcent et pour accompagner cette vague, les enregistrements se multiplient. Malheureusement, les techniques rudimentaires de l’époque obligent à jouer d’une façon martiale, de crier plus que de chanter et la musique qui en résulte a du mal à sortir du bruit du disque pour donner de l’émotion.
On peut considérer que ces premiers enregistrements ne rendent pas justice à ce que jouaient réellement les orchestres devant le public. On se reportera à l’article sur les progrès de l’enregistrement pour en savoir plus.
Ce n’est qu’en 1926 que la qualité des enregistrements rend enfin justice aux prestations des orchestres. Ce biais fait que l’on peut négliger le phénomène tango antérieur et que par conséquent, on peut « louper » la détection d’un âge d’or, faute d’enregistrements de qualité.
Cependant, lorsque la qualité devient satisfaisante, la musique est pour sa part assez différente de celle qui sera déployée dans les décennies suivantes. Des orchestres anciens, comme ceux de Carabelli, Fresedo, Canaro font de fort belles choses, mais l’arrivée d’une nouvelle vague va révolutionner la musique.
Les orchestres deviennent plus virtuoses à force de pratiquer tous les jours et de se concurrencer dans une vive émulation.

The First Golden Orchestras

There is no music without an orchestra. The tango phenomenon is therefore developing in Buenos Aires and its Rioplatensian twin.
Many orchestras were created, strengthened, and to accompany this wave, recordings multiplied. Unfortunately, the rudimentary techniques of the time forced you to play in a martial way, to shout more than to sing and the resulting music had difficulty getting out of the noise of the record to give emotion.
It can be argued that these early recordings do not do justice to what the orchestras actually played in front of the audience. Refer to the article on the progress of registration for more information.
It was not until 1926 that the quality of the recordings finally did justice to the orchestras’ performances. This bias means that the previous tango phenomenon can be neglected and that consequently, the detection of a golden age can be « missed » due to a lack of quality recordings.
However, when the quality becomes satisfactory, the music is quite different from the one that will be deployed in the following decades. Old orchestras, such as those of Carabelli, Fresedo, Canaro did very beautiful things, but the arrival of a new wave revolutionized music. Orchestras become more virtuoso by dint of practicing every day and competing with each other in lively emulation.

El Mundo du dimanche 1er octobre de 1944.

Les quatre piliers

Le premier orchestre à décoller est sans conteste celui de Juan D’Arienzo, grâce à l’apport providentiel de Rodolfo Biagi (arrangeur et pianiste) à partir de décembre 1935. Le départ rapide de Biagi de l’orchestre en 1938 ne rompt pas le nouveau style de l’orchestre de D’Arienzo qui évoluera dans cette direction jusqu’à la mort de son directeur en 1976.

The Four Pillars

The first orchestra to take off was undoubtedly that of Juan D’Arienzo, thanks to the providential contribution of Rodolfo Biagi (arranger and pianist) from December 1935. Biagi’s rapid departure from the orchestra in 1938 did not break the new style of D’Arienzo’s orchestra, which would evolve in this direction until the death of its conductor in 1976.

Juan d’Arienzo – Gran Hotel Victoria (Hotel Victoria) 1935-07-02, avant Biagi.
Juan d’Arienzo – El flete 1936-04-03, après Biagi. On entend les ding ding du piano de Biagi.

Peu après, Carlos Di Sarli qui était à la tête d’un sexteto jusqu’au début des années 30 se lance avec un orchestre qui prend sa dimension dans les décades des années 40 et 50.

Shortly afterwards, Carlos Di Sarli, who was at the head of a sextet until the early 1930s, launched himself with an orchestra that took on its dimension in the 1940s and 1950s.

Carlos Di Sarli (Sexteto) – T.B.C. 1928-11-26
Carlos Di Sarli – El amanecer 1942-06-23
Carlos Di Sarli – El amanecer 1951-09-26 – La version de 1954-08-31 aurait également pu être prise comme example.

Troilo arrive au début des années 40, suivi de près par Pugliese.

L’âge d’or peut être défini comme la période d’activité maximale de ces quatre orchestres. Celle où l’on pouvait danser chaque semaine avec des orchestres époustouflants.

Troilo arrived in the early 1940s, closely followed by Pugliese.

The Golden Age can be defined as the period of maximum activity of these four orchestras. The one where you could dance every week with breathtaking orchestras.

La fin de l’âge d’or

The End of the Golden Age

Le rock et d’autres musiques vont changer les habitudes des danseurs et amorcer le déclin du tango.

Les années 40 voient les quatre piliers dans leur période de gloire. Dans les années 50, ils continuent leur évolution, mais en parallèle, l’arrivée de nouveaux goûts chez les danseurs, notamment le rock, fait que la pratique commence à baisser est que les orchestres se tournent vers des formes plus concertantes.
Troilo et Pugliese produisent dans leurs dernières années des titres novateurs et nostalgiques, à la recherche d’un second souffle, plus orienté vers le concert que la danse.
Carlos Di Sarli, peut-être plus dans l’air du temps qui demandait une musique plus romantique a continué dans son style jusqu’à la fin des années 50, sans sacrifier à la danse.
Quant à d’Arienzo, son style énergique en a fait une bête de scène qui lui permettait d’animer des concerts euphorisants jusqu’à sa mort en 1976. Ses musiciens (sous la direction de Carlos Lazzari, bandonéiste et arrangeur de D’Arienzo) puis de nombreux orchestres contemporains perpétuent ce style festif et énergique jusqu’à nos jours qui continuent d’enchanter les danseurs, comme les auditeurs.
Cependant, il est certain que le rock et d’autres modes ayant éloigné les danseurs du tango, il est difficile de faire continuer l’âge d’or après les années 50.

The 1940s saw the four pillars in their heyday. In the 1950s, they continued to evolve, but at the same time, the arrival of new tastes among dancers, especially rock, meant that the practice began to decline and that orchestras turned to more concertante forms.
In their last years, Troilo and Pugliese produced innovative and nostalgic tracks that were more oriented towards concert than dance in search of a second wind.
Carlos Di Sarli, perhaps more in tune with the times who demanded more romantic music, continued in his style until the end of the 50s, without sacrificing dance.
As for d’Arienzo, his energetic style made him a beast of the stage, allowing him to host euphoric concerts until his death in 1976. Its musicians (under the direction of Carlos Lazzari, D’Arienzo’s bandoneist and arranger) and many contemporary orchestras perpetuate this festive and energetic style to this day, which continues to enchant dancers and listeners alike. However, rock and other fashions have certainly kept dancers away from tango, making it difficult to continue the golden age after the 1950s.

Le lancement du disque, ou la seconde mort du tango de danse

The launch of the LP, or the second death of dance tango

Le disque LP et la stéréophonie ont changé la musique de tango.

Un autre phénomène se développe dans les années 50, le microsillon et en 1958, le son stéréo. Cette invention avec l’augmentation de la qualité de la musique, la plus grande durée de musique par disque (environ 8 fois plus par disque), fait que l’on peut posséder beaucoup plus de musique sans que cela devienne trop envahissant, d’autant plus que les disques microsillons sont plus légers et fins que les anciens 78 tours en shellac.
Le son stéréo a rapidement formé les oreilles des auditeurs, reléguant les anciens enregistrements au rayon des antiquités. Pour essayer de contrer ce mouvement et « moderniser » leur fond ancien, les éditeurs de musique ont réédité les tangos des années 30 et 40 en vinyle (microsillon) en rajoutant de la réverbération. Cela donne une impression d’espace et permet de faire du « stéréo like » à peu de frais. Aujourd’hui ces vinyles sont très mal vus, car la réverbération nuit au message sonore.

Another phenomenon developed in the 1950s, the LP, and in 1958, stereo sound. This invention with the increase in the quality of music, and the longer duration of music per record (about 8 times more per record), means that one can own much more music without it becoming too intrusive, especially since LP records are lighter and thinner than the old shellac 78s.
The stereo sound quickly trained listeners’ ears, relegating old recordings to the antique shelf. To try to counter this movement and « modernize » their old background, music publishers have reissued tangos from the 30s and 40s on vinyl (LP) by adding reverb. This gives the impression of space and allows you to « stereo like » at little cost. Today, these vinyls are very frowned upon, because the reverb detracts from the sound message.

La valse de Juan D’Arienzo – No llores madre de 1936-07-03 a été diffusée dans un premier temps sur disque shellac. Lors de la réédition en microsillon (LP), pour lui donner un air de « stéréo », les ingénieurs du son ont rajouté de la réverbération, ce qui a pollué la musique originale.

Ces deux données expliquent aussi le déclin des orchestres de bal. En effet, il devenait possible de jouer de la musique de tango pendant une demi-heure, sans aucune manipulation et sans avoir à payer un orchestre.

These two factors also explain the decline of ballroom bands. Indeed, it became possible to play tango music for half an hour, without any manipulation and without having to pay for an orchestra.

Le petit âge d’or, le moyen âge d’or et le grand âge d’or

The Little Golden Age, the Golden Age and the Great Golden Age

L’âge d’or du tango. Illustration libre, ne pas y chercher une vérité historique… / The golden age of tango. Free illustration, do not look for historical truth…

Une définition très stricte de l’âge d’or est parfois donnée et qui est bornée par la période où les 4 piliers jouaient, donc de 1943 (arrivée sur le marché du disque de Pugliese), jusqu’à l’arrivée du microsillon, aux alentours de 1955.
Comme on aime bien arrondir, on définit cette période comme courant de 1940 à 1955.
Cependant, cela enlève les merveilleux enregistrements de D’Arienzo de la seconde moitié des années 30. Il est donc plus courant de définir un « moyen âge d’or » de 1935 à 1955. Les comptes sont ronds, vingt ans tout juste. En Europe, la nostalgie et la familiarité avec le tango musette et italien, font que la vieille garde est également appréciée. Cela permet d’inclure des orchestres qui ont beaucoup de succès dans les « encuentros milongueros », comme Canaro, Donato, Carabelli ou Fresedo. Toujours pour favoriser les comptes justes, on étend parfois l’âge d’or de 1930 à 1955.

A very strict definition of the golden age is sometimes given which is limited by the period when the 4 pillars were playing, i.e. from 1943 (arrival on the market of the Pugliese record), until the arrival of the LP, around 1955.
Since we like to round up, we define this period as current from 1940 to 1955.
However, this takes away from the wonderful D’Arienzo recordings from the second half of the 1930s. It is therefore more common to define a « golden middle » from 1935 to 1955. The accounts are round, just twenty years. In Europe, nostalgia and familiarity with musette and Italian tango mean that the old guard is also appreciated. This makes it possible to include orchestras that are very successful in the « encuentros milongueros », such as Canaro, Donato, Carabelli, or Fresedo. Also in order to promote fair accounts, the golden age is sometimes extended from 1930 to 1955.

Le support de l’âge d’or

The support of the Golden Age

Un disque 78 tours en shellac. Ici, une valse de D’Arienzo, En tu corazón. / A 78 rpm shellac record. Here, a waltz from D’Arienzo, En tu corazón.

C’est le répertoire qu’utilisent les DJ les plus « traditionnels ».
Signalons que dans ce mouvement « traditionnel » certains DJ revendiquent la diffusion en milonga à partir de disques vinyle, un support anachronique. Mais les modes ont-elles à se justifier ? Quelques DJ utilisent des disques shellac par souci de vérité historique. Mais là, c’est jouer avec le patrimoine et cette pratique me semble non recommandable, car nuisible avec notre héritage, sans aucune valeur ajoutée en termes de musique. Les véritables collectionneurs respectent ces trésors et ne les exposent pas à la ruine.

This is the repertoire used by the most « traditional » DJs.
It should be noted that in this « traditional » movement, some DJs claim to broadcast in milonga from vinyl records, an anachronistic medium. But do fashions have to be justified? Some DJs use shellac records for the sake of historical truth. But in this case, it’s playing with heritage and this practice seems to me to be recommendable, because it is harmful to our heritage, without any added value in terms of music. True collectors respect these treasures and do not expose them to ruin.

Vers un nouvel âge d’or ?

Towards a new golden age?

Vers un nouvel âge d’or du tango ? / Towards a new golden age?

Le tango est né et est ressuscité à différentes reprises, sous des aspects légèrement différents à chaque fois.
Peut-être sommes-nous à l’aube d’un nouvel âge d’or du tango de danse ? Les avions n’ont jamais transporté autant de tangueros à Buenos Aires. En Europe, il n’y a pas une ville de quelque importance sans une communauté tanguera.
Cette communauté est internationale. Il est possible de danser avec des partenaires venus du monde entier et de s’entendre dès la première tanda commune. C’est un des miracles du tango. Cependant, ce patrimoine est fragile, comme les disques shellac. Il convient de le préserver et de ne pas le dénaturer en s’éloignant de ce qui fait la particularité de la danse.

Tango was born and resurrected on different occasions, in slightly different aspects each time.
Maybe we are at the dawn of a new golden age of dance tango? Planes have never carried so many tangueros to Buenos Aires. In Europe, there is not a city of any importance without a tanguera community.
This community is international. It is possible to dance with partners from all over the world and to hear each other from the first tanda together. This is one of the miracles of tango. However, this heritage is fragile, like shellac records. It should be preserved and not distorted by distancing oneself from what makes dance so special.

Épilogue

Epilogue

Difficile d’imaginer ce que sera le tango dans un siècle. Espérons qu’il sera dans un nouvel âge d’or. / It’s hard to imagine what tango will be like in a century. Hopefully it will be in a new golden age.

Un DJ actuel a le choix de quasiment un siècle de musique pour animer ses milongas. Il convient cependant qu’il ne sépare pas les danseurs de ce qui est le plus précieux, le tango de l’âge d’or. Il devra donc veiller à toujours donner à écouter et danser cette référence, les grands tangos de bals des années 35-55, ou 30-55, ou 40-55.
Charge aux danseurs et à leurs professeurs, de comprendre ce qui fait du tango une danse si particulière et pourquoi il est important de la relier à une musique parfaite pour lui. Pour terminer, je souhaite rappeler que le tango de danse n’est qu’une partie de la culture tango et que je n’ai parlé d’âge d’or que pour le DJ. Des amateurs de tango à écouter pourraient placer leur âge d’or dans les années Piazzolla. En effet, celui-ci crée son octeto en 1955 et ses propositions musicales débuteront le clivage entre tradition et modernité. On pourrait donc parler d’un âge d’or du tango d’écoute de 1955 à 1990…

A today DJ has the choice of almost a century of music to liven up his milongas. However, he should not separate the dancers from what is most precious, the tango of the golden age. He will therefore have to make sure that he always gives to listen to and dance to this reference, the great balls of the years 35-55, or 30-55, or 40-55.
It is up to the dancers and their teachers to understand what makes tango such a special dance and why it is important to connect it to music that is perfect for them. To conclude, I would like to remind you that dance tango is only one part of the tango culture and that I have only spoken of a golden age for the DJ. Tango lovers to listen to could place their golden age in the Piazzolla years. Indeed, he created his octeto in 1955 and his musical proposals began the divide between tradition and modernity. We could therefore speak of a golden age of listening tango from 1955 to 1990…

Les styles du tango

El Mundo du dimanche 1er octobre de 1944.

Il semble que tout a été dit sur les styles de tango. Je vous propose cependant un petit point, vu essentiellement sur l’aspect du tango de danse.

Ce qu’il convient de prendre en compte, c’est que les périodes généralement admises sont en fait toutes relatives.

Les orchestres ont, selon les cas, continué un style qui leur réussissait au-delà d’autres orchestres et a contrario, d’autres ont innové bien avant les autres, voire, sont revenus en arrière, remettant en avant des éléments disparus depuis plusieurs décennies.

On peut donc avoir deux enregistrements contemporains appartenant à des courants forts différents. C’est particulièrement sensible à partir des années 50, où la baisse de la pratique de danse a incité les orchestres à développer de nouveaux horizons, souvent en réchauffant des plats plus anciens.

Les origines (avant le tango)

Il ne s’agit pas ici de trancher dans un des nombreux débats entre spécialistes des origines. Du strict point de vue de la danse, les premiers tangos sont proche du style habanero et par conséquent, c’est plus du côté des habaneras qu’il convient de trouver la forme de danse.

La habanera

Vous connaissez ce rythme. DaaaTadaTaDaaa

Pour ceux qui ne sont pas lecteurs de la musique, les barres rouges (croches pointées) correspondent à 3 unités temporelles relatives (double croche), les barres bleues à une unité temporelle (double croche) et les barres vertes à deux unités temporelles (croche). Les barres sont donc proportionnelles à la durée des notes. Au début de la portée, il y a l’indication 2/4. Cela signifie qu’il y a deux noires par mesure (espace entre deux barres verticales). Les croches valent la moitié d’une noire en durée et les doubles croches la moitié d’une croche. Voilà, vous connaissez la lecture du rythme en musique (ou pas…).
Rythme de la habanera au piano. retrouvez le DaaaTadaTaDaaa…

La habanera porte ce nom, car c’est une restitution d’un rythme cubain. L’inventeur du genre est Sebastián de Iradier qui a composé El arreglito (le petit arrangement) où il joue avec ce rythme. En voici un extrait et je suis sûr que cela va vous rappeler quelque chose.

Axivil Criollo – El Arreglito – Compositeur Sebastián de Iradier vers 1840.

Avez-vous trouvé ?

Oui, vous avez trouvé. Ce cher Georges Bizet a piqué la musique de Sebastián de Iradier.

Teresa Berganza chante la Habanera de Carmen de Bizet (le copieur 😉

Ce rythme, très présent dans les premiers tangos, est devenu plus discret, sauf pour les milongas qui l’ont largement exploité.

Dans la milonga criolla (ici par l’orchestre de Francisco Canaro 1936-10-06), on reconnait parfaitement le rythme de la habanera qui a été accélérée et est devenue une des pierres de construction des milongas.

Lorsque le tango de danse a perdu de son élan, les orchestres sont revenus à ces formes traditionnelles, au point que les compositeurs l’on réintroduit très largement.

Autres apports

En parallèle, des formes chantées, notamment par les payadors et des danses, traditionnelles, voire tribales, ont influencé ces prémices, donnant une grande richesse à ce qui deviendra le tango, notamment à travers ses trois formes dansées, le tango, la milonga et la valse.

Les payadors

On lit parfois que Gardel était un payador. Cependant, même s’il était ami de José Bettinotti, il n’a pas été directement l’un de ces chanteurs qui s’accompagnaient à la guitare en improvisant. Cependant, l’influence des payadors est indéniable pour le tango, comme vous pouvez en juger. Par cet extrait, qui avec ses relents d’habanera pourrait s’approcher d’une milonga lente ou d’un canyengue.

José Bettinotti, El cabrero circa 1913

Exemple d’influence africaine

Parmi les sources, on met en avant des origines africaines. Même si l’Argentine n’a pas été une terre d’esclavage très marquée, contrairement à beaucoup d’autres payés du continent américain, il y a eu une communauté d’origine africaine relativement importante au XIXe siècle. Celle-ci s’est atténuée par l’émigration, les mariages avec des populations d’autre origines et quelques faits guerriers où ils ont servi de chair à canon.

Même si l’Argentine a absorbé des éléments, c’est plutôt la province de l’Est, l’Uruguay qui a le plus été influencé par ces musiques, notamment les percussions.

Candombe solo para Uruguayos – Hugo Fattoruso – « Caminando » , Toma de Sonido Dario Ribeiro

Le candombe et la milonga candombe se retrouvent à la mode dans les années 50, bien avant que Juan Carlos Cacéres relance la mode.

Siga el baile 1953-10-28 – Alberto Castillo y su Orquesta Típica dirigé par Ángel Condercuri.

La dénomination « tango » est souvent associée à la déformation de « tambo » et désignait des lieux ou la communauté noire dansait. Il faut voir un jugement négatif par la bonne société blanche. Le terme est devenu synonyme de bamboche, de débauche, ou pour le moins de moeurs légères. La musique des faubourgs, même si elle n’était pas issue des Africains a hérité de ce vocable péjoratif, lorsque le tango s’est développé dans les bordels et autres lieux choquants pour la bonne société.

Les origines européennes

L’immigration européenne a apporté sa musique. Pour el vals, même criollo, on est très proche de la valse et des artistes comme Canaro ont même adopté des valses viennoises.

Pour la milonga, c »est un peu moins évident de retrouver des sources européennes, si ce n’est que la mode de la habanera en Europe et les échanges dans le monde latinoaméricain ont favorisé sa diffusion. La habanera symbolisait le marin pour l’Europe. La milonga, on devrait même écrire les milongas sont une salsa, un mélange d’influences.

Les débuts du tango dans les faubourgs et les milieux interlopes ont conduit celui-ci à des formes assez populaires, voire outrées que le canyengue d’aujourd’hui a du mal à retraduire en totalité.

La naissance européenne

Disons-le, tout bonnement, ce tango d’avant le tango n’est pas au sens strict du tango. À cela se rajoute que les rares enregistrements de l’époque ont été réalisés par voie acoustique et qu’ils ne sont donc pas du tout adaptés à nos oreilles contemporaines.

Voir les progrès de l’enregistrement pour plus d’informations sur l’enregistrement acoustique.

Vu les lieux où le tango était joué et malgré la fréquentation par des ninos bien (jeunes hommes de bonne famille), le tango ne s’est pas fait une place importante en Argentine avant d’acquérir ses lettres de noblesse en Europe et notamment en France.
Il y a une théorie différente qui se base sur un film réalisé en 1900 à Buenos Aires par Eugene Py. Le problème est que si Py a bien réalise un film, on ne l’a pas retrouvé. Un film est considéré par certains comme le film de Py qui aurait été retrouvé.

Dans ce film, on voit deux danseurs dans un décor pratiquer une forme de tango. Ce film est parfois qualifié de premier film de tango qui correspondrait à un film enregistré en 1900 par Eugène Py. La qualité de l’image, le vêtement de la femme, le style de danse font plutôt dater ce film des années 1920. Les partisans de l’attribution à Eugène Py indique que le film original a été réalisé en extérieur, sur la terrasse de l’entreprise Casa Lepage À Buenos Aires. On peut voir qu’ici, il s’agit d’un décor qui peut avoir été placé en extérieur pour faire croire a un intérieur. Cela semble un peu exagéré pour ce type de film. En admettant que ce soit le cas, les danseurs seraient des gens de la haute société. Aussi, pourquoi serviraient-ils de figurants ? Il est plus simple d’imaginer que ce sont des danseurs qui jouent un rôle. Donc, si ce film est de 1900 (ce dont je doute), il peut s’agir de danseurs figurants. Si le film est de 1920, il peut s’agir de personnes plus fortunées qui présentent leurs performances de danse. Je propose donc de rester sur les témoignages écrits et nombreux et de ne pas suivre l’hypothèse qui ferait de ce film la preuve que le tango était dansé dans la haute société dès 1900.

Le style du tango, avant le tango… (Prototango)

Avant 1926, date des premiers enregistrements électriques, pas d’enregistrements utilisables en danse.

Argañaraz – Orquesta Típica Criolla Alfredo Gobbi (1913)

Comme vous pouvez vous en rendre compte, le style sommaire et monotone de la musique est renforcé par l’obligation de jouer de façon assez forte et peu nuancée pour que le pavillon puisse graver le support d’enregistrement. On retrouve cependant certains éléments « Canyengue » que l’on connaît par les enregistrements électriques.

Je vous propose à titre d’exemple, Zorro gris un enregistrement électrique de 1927 par Francisco Canaro.

Zorro gris 1927-08-22, Francisco Canaro (enregistrement électrique).

La vieille garde (Guardia vieja)

Gobbi et Canaro, dans la première partie de leur carrière, sont des représentants de ce que l’on a nommé la vieille garde. On ne peut pas réduire cela au canyengue, car dès les années 20 des rythmes différents avaient vu le jour. Se détachant progressivement du style claudicant du canyengue, les orchestres abandonnent la habanera, accélèrent le rythme. Des titres en canyengue deviennent des milongas, comme par exemple : Milonga de mis amores, ici dans la version de Canaro en 1937 et qui a encore des accents de canyengue :

Extrait de Milonga de mis amores 1937-05-26, Francisco Canaro

contrairement à la version de la même année par Pedro Laurenz :

Extrait de Milonga de mis amores 1937-07-14, Pedro Laurenz canta Héctor Farrel

Ou celle du même de 1944 :

Extrait de Milonga de mis amores 1944-01-14, Pedro Laurenz

Des orchestres anciens évoluent, comme Di Sarli ou d’Arienzo, notamment à l’arrivée de Biagi dans l’orchestre et on arrive à la grande période du tango, l’âge d’or.

L’âge d’or (Edad de oro)

C’est la période considérée comme la plus adaptée au tango de danse. C’est logique, car à l’époque, le tango était une danse à la mode et chaque semaine, plusieurs orchestres se produisaient.

El Mundo du dimanche 1er octobre de 1944. En rouge, les 4 piliers se produisent le même jour (Hoy). En bleu des orchestres de second plan, tout à fait dansables et en vert, des orchestres un peu moins pertinents pour la danse.

On voit l’énorme choix qui s’adressait aux danseurs. Les musiciens jouaient ensemble plusieurs fois par semaine et il y avait un climat d’émulation pour ne pas dire de compétition entre les orchestres.

On remarquera qu’en face de chacun des orchestres de tango, il y a un orchestre de « Jazz ». En effet, les bals de l’époque jouaient des genres variés et les orchestres se spécialisaient.

Certains comme Canaro avaient deux orchestres, ce qui lui permettait d’assurer les deux aspects de la soirée. D’ailleurs, Canaro utilise des cuivres dans son orchestre de tango, il jouait donc de la limite entre les deux formations. Vous avez pu écouter cela dans l’extrait de Milonga de mis amores, ci-dessus.

Chaque orchestre se distinguait par un style propre. Certains étaient plus intellectuels, comme Pugliese ou De Caro, d’autres plus joueurs, comme Rodriguez ou D’Arienzo, d’autres plus romantiques, comme Di Sarli ou Fresedo et d’autres plus urbains, comme Troilo.

Aujourd’hui, dans les milongas, le DJ s’arrange pour proposer ces quatre orientations pour éviter la monotonie et contenter les différentes sensibilités des danseurs.

Même si la production de l’époque est essentiellement tournée vers la danse, il y a également une production pour l’écoute.

Sur les disques de l’époque, il est facile de faire la différence, notamment pour les tangos avec chanteur. En effet, un tango à danser est indiqué : Nom de l’orchestre canta ou estribillo cantado por Nom du chanteur. Un tango à écouter est indiqué Nom du chanteur y su orquesta dirigido por ou con (avec) Nom de l’orchestre.

Nous n’entrerons pas dans les détails en ce qui concerne les styles des orchestres de l’âge d’or, cela fait l’objet d’un de mes cycles de cours/conférence (mini 3 h, voire 6 h). Il convient seulement de savoir reconnaître le tango de danse et de savoir apprécier les différences de style entre les orchestres.

Pour les DJ, il est important de tenir compte de l’évolution des styles du même orchestre. Il est souvent moins grave de mélanger deux orchestres enregistrés à la même époque que de mélanger deux enregistrements d’époques stylistiquement différentes du même orchestre.

Tango Nuevo

C’est celui initié par De Caro, repris ensuite par Troilo, Pugliese et Piazzolla, par exemple. Il est encore très vivant, notamment chez les orchestres de concert.

À noter que Pugliese et Troilo sont bien sûr des piliers du tango de bal et que leurs incursions nuevos, pas toujours pour la danse, ne doivent pas masquer leur importance dans le bal traditionnel.

N’oublions pas que Pugliese a aussi bien enregistré du canyengue, que du tango classique avant de faire du Nuevo… Curieusement, le tango dit nuevo reprend souvent des motifs les plus anciens, notamment la habanera des tout premiers titres du XIXe siècle.

Tango Electronico

Style Gotan Project. Il se caractérise principalement par une batterie et l’utilisation d’instruments électroniques. Curieusement, il est parfois assez proche, d’un point de vue rythmique, du tango musette qui est l’évolution européenne et notamment franco-italienne, du tango du début du XXe siècle.

Comme DJ, j’évite et en tout cas je n’en abuse pas, car cette musique est très répétitive et ne convient pas aux danseurs avancés. Cependant, il faut reconnaître que cette musique a fait venir de nouveaux adeptes au tango.

Tango alternatif (neotango)

Le tango alternatif consiste à danser avec des repères « tango » sur des musiques qui ne sont absolument pas conçues comme telles.

Par exemple, la Colegiala de Ramirez est un tango alternatif, puisqu’on le danse en « milonga » alors que c’est un fox-trot.

Certains DJ européens placent des zambas que les danseurs dansent en tango. Quel dommage quand on sait la beauté de la danse.

N’oublions pas la dynamique « néotango » qui consiste à danser sur toute musique, chanson, de tout style et de toute époque. Cela ouvre des horizons immenses, car la très grande majorité de la musique actuelle est à 4 temps et permet donc de marcher sur les temps.

Ce qui manque souvent à cette musique, c’est le support à l’improvisation. On peut lui reconnaître une forme de créativité dans la mesure où elle permet / oblige de sortir des repères et donc d’innover. Mais est-t-il vraiment possible d’innover en tango ? C’est un autre débat.

Pourquoi l’âge d’or est bien adapté à la danse

Si on étudie un tango de l’âge d’or, on y découvrira plusieurs qualités favorisant la danse :

  • La musique a plusieurs plans sonores. On peut choisir de danser sur un instrument (dont le chanteur), puis passer à un autre. On peut aussi choisir de danser uniquement la marcation (tempo). Les instruments se répondent. On peut ainsi se répartir les rôles avec les partenaires en reconstituant le dialogue en le dansant.
  • La musique se répète plusieurs fois, mais avec des variations. Cela permet de découvrir le tango au cas où il ne serait pas connu et la seconde fois, l’oreille est plus familière et l’improvisation est plus confortable. Cette reprise est en général différente de la première exposition, mais reste tout à fait comparable. Par exemple, la première fois le thème est joué au violon ou au bandonéon et la seconde fois, c’est le rôle du chanteur ou d’un autre instrument. Si c’est le même instrument, il y aura de légères différences dans l’orchestration qui rendra l’écoute moins monotone.
  • Les changements de rythme, phrases, parties, sont annoncés. Un danseur musicien ou exercé sait reconnaître les parties et peut « deviner » ce qui va suivre, ce qui lui permet d’improviser plus facilement sans dérouter sa partenaire. Je devrais plutôt mettre cela au pluriel, car les deux membres du couple participent à l’improvisation. Si la personne guidée a envie d’appuyer, de marquer un élément qui va arriver, elle a le temps d’alerter le guideur pour qu’il lui laisse un espace. Les musiques alternatives ou des musiques d’inspiration pus classiques, comme certaines compositions de Piazzolla » proposent souvent des surprises qui font qu’elles ne permettent pas de deviner la suite, ou au contraire, sont tellement répétitives, que quand revient le même thème de façon identique et mécanique, les danseurs n’ont pas de nouvelles idées et finissent par tomber dans une routine. Évidemment, les danseurs qui n’écoutent pas la musique et qui se contentent de dérouler des chorégraphies ne verront pas de différences entre les différents types de tango. Ceci explique le succès des pratiques neotango auprès des débutants, même si ces bals ont aussi du succès auprès de danseurs plus affirmés. En revanche, on ne fera jamais danser, même sous la menace, un Portègne sur ce type de musique, en tout cas, en tango…

Ne faut-il danser que sur des tangos de l’âge d’or ?

Non, bien sûr que non. Les canyengues et la vieille garde comportent des titres sublimes et très amusants ou intéressants à danser. Certains danseurs sont prêts à danser plusieurs heures d’affilée sur ces rythmes. Cependant, un DJ qui passerait ce genre de musique de façon un peu soutenue à Buenos Aires se ferait écharper…

Quelques musiques modernes donnent des idées agréables à danser. Pour ma part, je propose souvent une tanda de valses « originales ». Le rythme à trois temps de la valse reste le même que pour les tangos traditionnels et le besoin d’improvisation est moins important, car il s’agit surtout de… tourner.

Même si les danseurs avancés aiment moins danser sur les d’Arienzo des années 50 ou postérieures, ils n’y rechignent pas toujours et l’énergie de ces musiques plaît à de très nombreux danseurs. C’est donc un domaine à proposer aux danseurs. D’ailleurs, les orchestres qui font à la manière de du d’Arienzo sont particulièrement nombreux. C’est bien le signe que c’est toujours dans l’air du temps.

Pour terminer, je précise que je suis DJ et que par conséquent, mon travail est de rendre les danseurs heureux. J’adapte donc la musique à leur sensibilité.

Pour un DJ résident, en revanche, il est important d’ouvrir les oreilles des habitués. Dans certains endroits, le DJ met toujours le même type de musique, pas forcément de la meilleure qualité pour la danse. Le problème est qu’il habitue les danseurs à ce type de musique et que quand ces derniers vont aller dans un autre endroit, ils vont être déroutés par la musique.

L’innovation, c’est bien, mais il me semble qu’il faut toujours garder un fond de culture « authentique » pour que le tango reste du tango.

COURS – CLASES – FORMATIONS

Cours et stages pour DJ et danseurs

Stages montés sur mesure dans le cadre de festivals ou pour des particuliers, dans ma salle de danse ou à domicile.

Les points abordés peuvent faire partie de cette liste ou plus…
Une durée de trois heures est idéale pour chaque stage
x1 à x3 pour les stages DJ (3 à 9 heures) et x1 à x6 pour les stages danseurs (3 à 18 heures).
Les cours peuvent aussi être proposés aux débutants complets, notamment aux futurs danseurs qui souhaitent apprendre le tango argentin de bal rapidement (sans chorégraphie).
Possibilité de débuter en bal à partir de 6 à 9 heures de cours.
Ils sont aussi destinés aux danseurs avancés qui souhaitent danser plus en musique et explorer les pistes de l’improvisation.

Tarif indicatif, 100 € le module de 3 heures (à répartir entre les participants, soit, par exemple 25 € pour 4 participants).
Déplacements en sus – Bon plan : Inclure les stages dans un événement où je suis DJ, tarifs adaptés 😉

Langues du cours Français – Anglais – Espagnol (prévoir traducteurs si plusieurs langues en mode conférence)

Clase para DJClase de musicalidad para bailarines y DJ
Autour d’une table ou dans une salle de conférence.
De 1 à 20 participants, illimité en conférence


Rôles du DJ
Comment assembler une tanda
Critères de dansabilité
Savoir lire la piste et la salle
Les orchestres du tango à danser
Animation de la milonga
Gestion de sa musique
Utilisation d’un logiciel DJ spécialisé
Utilisation d’une table de mixage et de matériels spécifiques aux DJ
Technique de la restauration de fichiers
Ressources pour DJ
Trucs et astuces
Un lieu où on peut danser…
De 1 à 4 participants

(travail individuel / couple)
Le tango est une danse d’improvisation
Danser sur la musique ou danser la musique ?
Comment interpréter une musique ?
Différence entre les différents styles de danse
Danser sur différents orchestres
Principes et mise en œuvre du guidage portègne
Découverte de son style personnel
(ne pas danser comme les autres)
Cours accessibles aux danseurs débutants
Aucune chorégraphie ne sera proposée dans le cadre de mes stages basés sur la pratique
Configurations idéales :
Femme seule
un ou deux couples
Exemple de contenus. Cette liste est très loin d’être exaustive, les contenus sont définis en amont avec les organisateurs et/ou stagiaires.

Clases y talleres para bailarines y DJ

Clases como parte de festivales o especial cabida aduana en mi salón de baile o en vuestro hogar.

Las cuestiones planteadas pueden ser parte de esta lista y más …
Una clase de tres horas es ideal para cada curso
x1 a x3 cursos DJ (3-9 horas) y X1 a X6 prácticas para bailarines (3-18 horas).
Los cursos también pueden ser ofrecidas para los principiantes completos, incluyendo futuros bailarines que desean aprender el baile de tango argentino rápidamente (sin coreografía).
Posibilidad de iniciar en milongas después de 6 a 9 horas de clases.
Son también para bailarines avanzados que quieren bailar más música y explorar las formas de improvisación.

Precio €100 cada módulo de 3 horas (para 4 participantes, cada €25).
además viajes – Consejos: Incluir cursos en un evento en el que las tasas de DJ sean adaptados 😉

Idiomas Curso en francés – Inglés – Español

Cours pour DJCours de musicalité pour danseurs et DJ
Alrededor de una mesa o en el modo de conferencia
1 a 20 participantes. Por conferencias  sin limitada    


Papeles de lDJ
Cómo armar una tanda
Criterios por el baile
Saber leer la pista de baile y el salón
Las orquestas de baile de tango
Animación de la milonga
Gestión de la música
El uso de un software especializado para DJ
El uso de un mezclador (mesa)
y equipamiento específico para DJ
Restauración de la música
Recursos para DJ
Trucos y astucias
Un lugar donde se puede bailar…
de 1 a 4 participantes
(Trabajo individual / pareja)

El tango es una danza de improvisación
Bailar con la música o bailar la música?
¿Cómo interpretar la música?
Diferencia entre diferentes estilos de baile
Orquestas de baile
Principios y aplicación de las indicaciones del guía porteño
Descubrimiento de estilo proprio
(No bailar como los demás)
Curso accesible para principiantes
Se propondrá ninguna coreografía
como parte de mis cursos de formación basada en la práctica
configuraciones ideales:
Mujer sola
una o dos parejas
Ejemplo de contenido. Esta lista está lejos de ser exhaustiva, los contenidos se definen previamente con los organizadores y/o los participantes.

Classes and workshops for dancers and DJ

Fitted internships as part of festivals or special in my dance room or at your home.

The points raised can be part of this list and more …
A three-hour lesson is ideal for each course
x1 to x3 DJ courses (3-9 hours) and x1 to x6 internships for dancers (3-18 hours).
Courses may also be offered for complete beginners, including future dancers who wish to learn the Argentine tango dance quickly (without any choreography).
Possibility of starting in milongas after 6 to 9 hours of classes.
They are also for advanced dancers who want to dance more in music and explore ways of improvisation.

Indicative price 100 € each 3-hours module (for distribution to participants, eg € 25 for 4 participants).
not including trips – Tips: Include courses in an event where I am DJ for adapted rates 😉

Course languages French – English – Spanish

Tango DJ lessonsMusicality classes for dancers and DJ
Around a table or in conference mode
1 to 20 participants, unlimited for conferences


DJ’s Roles
How to assemble a tanda
Criteria for dancing
Knowing how to read the dance floor and the room
The orchestras of tango
Animation of the milonga
How to organize the music
Using a specialized DJ software
Using a mix table
and DJ’s specific equipment
Restoring files
DJ Resources
Tips and tricks
A place where you can dance…
of 1 to 4 participants
(Individual work/couple)

The tango is a dance of improvisation
Dance with the music or dance the music?
How to interpret music?
Difference between different dance styles
Dance orchestras
Principles and implementation of the porteño guiding
Discovery of his own style
(Do not dance like the others)
Course accessible to beginners
No choreography will be proposed
as part of my training courses based only on practice
Ideal configurations:
Alone woman
One or two couples
Example of content. This list is far from being exhaustive, the contents are previously defined with the organizers and/or participants.

Testimonios, témoignages, testimonials

Quelques gentils messages de danseurs et organisateurs
Some nice messages from dancers and organizers
Algunos lindos mensajes de bailarines y organizadores

  • Solange V Merci pour vos félicitations quant au choix du DJ !
    Il est vrai que BYC Bernardo est un dj qui s’implique à 100 %
    Des personnes sensibles au laser ont beaucoup appréciés! (Pas laser, mais vidéoprojecteur avec nom des orchestres et musiques).
    Il régnait une aura une émanation incontestable, rarement aussi ressentie !
    MERCI, MERCI à tous! Merci à Byc !
    À refaire!!! Je vous promets sitôt que cela sera possible (Une date a été fixée 😉
  • Gustavo Benzecry Sabá Gracias, DJ Bernardo BYC, por la música y las fotos. ¡Abrazos!
  • Odette R Merci Bernardo pour tes belles photos… musique et gentillesse appréciées de tous les danseuses et danseurs…
  • Mireille S Merci Byc pour ta musique tes photos et ta bonne humeur !!!
  • Isabelle et Richard T Merci pour la musique et ces belles photos.
  • Robert P À bientôt j’espère
  • Gérard D Remarquable tout simplement.
  • Lone N Thank you for the nice music and the pictures, too Lovely.
  • Monique R Merci Bernardo pour ces magnifiques photos de couples reflétant le bonheur et la joie de tanguerer sur des musiques excellemment choisies. Au plaisir de revivre cette ambiance.
  • Rose-Marie A Un grand merci Bernardo d’être tel que tu es : passionné par le Tango, toujours agréable et si généreux ! Oui, ce festival a été merveilleux par sa musique et la joie qu’il a transmis.
  • Annick L. Merci pour ta musique, les photos et tout et tout !
  • Bernadette C. Première soirée très joyeuse ! Merci Bernardo pour la musique.
  • Roselyne D Merci Byc pour ces belles tandas. L’ambiance était plus qu’au top. J’ai adoré
  • Annick L Merci pour ta musicalisation, ton dynamisme, ton enthousiasme ! Tu nous as vraiment régalés !!!
  • Mims Bc Merci Byc Bernardo pour une merveilleuse programmation musicale. La soirée a été grandiose.
  • Luis P one of the most interesting DJs I’ve heard in Tarbes this year. Thank you so much.
  • José M (maestro) Un grand merci à toi Byc Bernardo pour le choix des musiques de notre démonstration, pour ton énergie, ton talent de photographe et ta bonne humeur Bravo et merci
  • Christine B Prestation, musique, organisation ont contribué à une despedida topissime ! (j’ai passé la musique pendant 12 heures en continu)
  • Daniel Norbeto L Grande Bernardo … Genial !
  • Roland A Merci pour ton dynamisme et ce bonheur communicatif à travers de magnifiques tandas 
  • Mims Bc Merci Byc Bernardo pour une merveilleuse programmation musicale. La soirée a été grandiose.
  • Laura K Capísimo!!!!
  • D y M Superbe comme d’habitude. Bisous. Merci Byc.
  • Arielle C Merci Bernardo pour ta musique inspirée et pour tes clichés tendres.
  • Chrystelle R On s’est régalés !
  • Tango C C’est une tout nouvelle catégorie TDJPhotographe ! … Merci pour la fantastique sélection musicale adaptée et ces clichés de haute qualité visuelle que reflète les différentes formes d’exprimer la sensibilité humaine. Un abrazo !
  • Tata L La musique c’était top
  • Arielle C Merci Bernardo pour ta musique inspirée et pour tes clichés tendres.
  • Chrystelle R On s’est régalés !
  • Tango C C’est une tout nouvelle catégorie TDJPhotographe ! …
    Merci pour la fantastique sélection musicale adaptée et ces clichés de haute qualité visuelle que reflète les différentes formes d’exprimer la sensibilité humaine. Un abrazo !
  • Tata L La musique c’était top
  • Luis P one of the most interesting DJs I’ve heard in Tarbes this year. Thank you so much.
  • Severine P un DJ génial Bernardo Byc
  • Mireille S Toujours au top BYC!!!! Tu nous as régalés à Tarbes comme toujours!!! Un grand MERCIII et ce n’est pas fini !! A très vite!!!!!
  • Chrystele D Très belle milonga. Merci pour ta musicalisation DJ Bernardo. CT Super
  • Roselyne J Geantissime
  • Daniel P Byc Bernardo prueba superada!
  • Tanguera Emilienne R Merci pour tes choix musicaux et ton parti pris que j’ai trouvé JOYEUX… Comme tu l’es.
  • Marie C Quelle ambiance ! Merci pour cette despedida fabuleuse 
  • Alain D Bonjour. J’étais ce week-end à St EMINIE. Merci pour votre musicalisation de grande qualité. Au plaisir de vous réentendre. Je vais à 2, 3 endroits en Italie je mentionnerai votre nom…
  • Béatrice B Ta musique en a enchanté plus d’un , tu vis vraiment en interaction avec la salle… ce n’est pas si courant ! Certains DJ déroulent leur playlist sans mesurer l’ambiance… Toi, tu mets le feu. Tu vis la musique et ça se ressent ! C’est du tonnerre
  • Mireille S Bravo Bernardo, pour ta très belle musique ta gentillesse ton enthousiasme contagieux… À l’unanimité tu as animé magnifiquement la despedida avec bcp de créativité !! Bref…c’était top top!!! En 2023… la barre va être très haute!!! RV dans 1 an…
  • José M Nous avons passé un agréable week-end et encore merci pour ta musique. Tu es très professionnel, nous sommes partants de t’inviter chez nous pour passer ta musique. Abrazo fuerte
  • Jeanne R E Sainte-Énimie ce fut un plaisir  Une mention particulière pour la longue route de Byc Bernardo à la ressource inépuisable.
  • Julia D Gracias¡ Bernardo maravillosa musicalización en sueño porteño
  • Maria T que lindo verte amigo!!! muy buena tu musica.
  • Quique C : Un gran DJ, excelente, le encanta pasar música,
  • Daniel B : Bernardo, gran colega, gran amigo un tipo muy experimentado en el arte de musicalizar tango, no solo un DJ, además hace VJ lo que es muy importante, espectacular…
  • Victoria V : Un grand merci à Bernardo BYC … Quelle soirée formidable !!
  • Diana B G : Una noche preciosa, gracias por hacerlo siempre tan acogedor!! un abrazo
  • Guillermo N : DJ Bernardo que hace un trabajo fabuloso en Francia.
  • José M, J’ai trop adoré la musique
  • Jean D En plus, le dj nous fait des photos ressenties dans la musicalité de sa musique… What else? Bravo ami Byc
  • Odette R Comme toujours magnifiques ! Musique et photos sont au top… J’adore.
  • Lucia S : BYC ES BUENISIMO ¡¡¡¡Y SUPER FAMOSO EN FRANCIA PASANDO TANGO Y ACA TAMBIEN¡¡¡¡¡¡¡
  • Cyrille M : Merci beaucoup Bernardo, toujours aussi bien et cela fait toujours plaisir.  Abrazos
  • Antoine F : CHAPEAU L’ARTISTE.
  • André L C : Merci Bernardo Byc ! Superbe maitrise de l’éclairage. et belles .
  • Belles maîtrises des images, du son et une l’ambiance au top! 
  • Arte Tango Albi : Une superbe soirée vidéo DJ avec Bernardo Byc
  • Jean D : Moi je viens pour mon ami Byc 
  • Roselyne L : Merci Bernardo pour les photos et…la musique ! 
  • Odette R : Merci Bernardo….pour tes superbes photos…également pour l’ambiance que tu fais partager avec ta musique...
  • Jean D : DJ Bernardo BYC je n’ai jamais oublié ta musicalisation à Besançon, avant le covid.
  • Marie J E : Merci Bernardo Byc, j’adore ta façon de nous rendre beaux et heureux
  • Anny L : Merci pour les photos, Bernardo (et pour la musique !)
  • Mireille S : J’adore tes photos BYC !!! Tous les talents !!! Et quelle soirée !!! Ambiance de folie !!! Merciiiiiii
  • Luna M : remercie « DJ BYC Bernardo » pour sa gentillesse, sa bonne humeur et son professionnalisme !!
  • Marie-Noëlle H : Bravo Bernardo Byc pour la programmation musicale.
  • Christian T : BYC musicalisait en première partie (2 heures de musicalisation à BsAs, c’est qu’il est en train de gagner ses galons de Maréchal notre ami Bernardo). Très bien, comme d’habitude. Et comme d’habitude, il a mis presque aussitôt après mon arrivée une série de Rodriguez. À mon intention. Si ! C’était pour moi. Il l’a même annoncé au micro. Voyez bien qu’on m’aime parfois.
  • Mariana L : C’était une très belle milonga chez les amis de Malena, très bonne programmation musicale !! Bravo Dj Byc Bernardo ! Hasta pronto !
  • Nedj E : DJ Byc Bernardo n’est pas seulement un super DJ, c’est un super photographe. La première fois c’était en 2014, une photo magnifique qui capturait complètement qui j’étais à ce moment-là. 4 ans plus tard et après beaucoup de changements, il capture aussi qui je suis aujourd’hui. Merci Byc!
  • Eva J merci Byc très belle soirée et particulièrement ta programmation en nocturne
  • Quique C : Un gran DJ, le encanta pasar musica,
  • Maria B : C’était formidable hier ! Très bonne musique.
  • Frédéric Z : Merci à toi surtout : c’était MAGIQUE ! Ta program’ nous a transporté-e-s dans un autre monde, avec le Paty, la lune, les arbres, le lac, une très très belle énergie collective circulait <3
  • Daniel G : Une superbe soirée au clair de lune et un grand merci au DJ Bernardo pour sa belle musique et ses superbes cortina à l’écoute des danseurs … souvenir inoubliable d’une tanda avec pour seule lumière la lueur de la pleine lune
  • Julia D: ¡Gracias Bernardo maravillosa musicalización en Sueño porteño.
  • Doris S: Fabuleuse milonga au lac de Paty grâce à l’énergie lunaire, aux partenaires…. mais surtout au Dj Bernardo Byc hors du commun, très à l’écoute des mouvements enthousiastes sur la piste. Un grand merci à lui et aux organisateurs. Belle découverte!
  • MB: C’était formidable hier ! Très bonne musique.
  • Jean D : Grand merci ami pour ta merveilleuse musique et ces belles photos si gratifiantes… 
  • Armelle T : La Nuit Blanche des allumés à Nantes  DJ Bernardo Byc – Un pur régal ! Lien Youtube : https://youtu.be/zVVjUKdSh 
  • Armelle T : tu donnes le maximum, en musique en ambiance, en bonne humeur … !
  • Jean-Pierre VL : Apart from being an excellent tango dj, BYC Bernardo is also a skillful video technician who can put on tango music accompanied by harmonizing video images and clips. And also worth mentioning is that he’s man with the heart at the right place. So I highly recommend!
  • Rubén G : !!!salute bernardo !!avant…sempre!!°me gusta esa milonga !!te felicito.!! estoy feliz.
  • Anik L : Un DJ Bernardo BYC à l’écoute et qui a le bon « oeil »
  • Catharina B : Un DJ à l’écoute !
  • PMS : Très belle soirée, excellente musique et très belles photos. Merci Bernardo. ABRAZO!
  • YD : Merci pour cette bonne musique à Nantes.
  • NJB : felicitaciones Bernardo, gracias por difundir nuestro tango
  • BB :  c’était parfait !
  • EP : Gracias !!!, se nota mucho tu pasión de DJ 
  • OR : Merci Bernardo…pour ces photos… ton entrain…et la qualité de tes prestations. Très beau festival…!
  • JD : Me encanto tu música. Espero que te hayas llevado orquestas nuevas como la romántica milonguera o el cachivache quinteto harán furor en Francia te esperamos con cariño abrazo enorme.
  • Gracias a vos.
  • SM : Que lindo fue verte otra vez, gracias por esas tandas divinas que bailamos y tu música fue la mejor de todo el encuentro. Hasta pronto
  • RC : Quelle superbe soirée tu nous a fait passer avec une programmation exceptionnelle. Merci pour tous ces merveilleux moments de bonheur et ces beaux souvenirs 
  • ADP : Lovely músic and funny milonga. Enchanteresse Dj 
  • MDG : Enhorabuena Byc, fuiste el mejor musicalizador de encuentro de Calpe, abrazo
  • AT : DJ Bernardo Byc hyper sympa et souriant, et bien sûr sa musique exquise, jusqu’à l’ombre des arbres en passant par l’ambiance et l’échange ….. !!! 
  • GG : Gracias Bernardo por la Musica y el partege Cultural Argentino!!! Hasta la Proxima!!! Abrazos
  • SM : El mejor DJ de Francia. Cuando nos vemos?
  • AL : Moment vécu …topissime, merci Byc Bernardo
  • AT : Absolument génial !!!
  • Mets une bonne ambiance en annonçant les musiques choisies pour chaque tanda.
  • Et aime faire des surprises, du genre vidéos pendant les morceaux lorsque c’est possible !!!
  • Luisa T : compartió tu video en vivo. « Une super soirée avec de la super musique !! »
  • RC : Coucou BERNARDO encore une superbe soirée tu es le meilleur bravo pour tous ces moments de danses
  • MS : Un grand merci pour cette année encore pour tous ces merveilleux moments que tu nous as donnés par tous tes talents réunis et ta gentillesse  
  • Merci pour ta musique
  • Merci pour ta bonne humeur et ta générosité
  • Tous ont été ravis et pressés de s’inscrire pour l’an prochain!!
  • C’était magique !!
  • Du mal à atterrir !!
  • AA : Merci pour cette belle prestation musicale
  • DR : Muchas gracias Bernardo, además de poner buena música, haces una fotos geniales
  • VH : Además de un excelente Dj. ¡¡Tengo que decir que eres muy guapo!! 🙂 Muchas gracias por tanta profesionalidad y hasta el año que viene
  • GG : Grande Bernardo!!!
  • AM : Musicalisation toujours au top ! C’est toujours un régal de danser sur ta musique. Surtout ne change rien !
  • RB : Une ovation pour le DJ
  • JRM : Byc Bernardo, gracias por confiar en mi mano para sostenerte, espero disfrutar nuevamente de tu selección musical y deseo que sea pronto, desde Granada te envío un fuerte abrazo tanguero!!!
  • AF : Je te félicite le bon choix au bon moment, Super Byc Bernardo
  • Rony C : WAOU quelle très belle soirée avec un dj hors pair Bisous de Toulouse à bientôt
  • EO : Coucou Bernardo, je fais remonter l’impression générale après la 1ère milonga estivale. Tout le monde a été enchanté par ta prestation du mardi 11/07/17, jugée d’excellente. Je te remercie et te dis à très bientôt. 
  • CS : Belle soirée et DJ au top kiss
  • GM : Milonga à Nevers, quelle soirée! Merci à l’équipe et en particulier à DJ Byc Bernardo. Les derniers sur la piste…
  • OR : Merci Byc ,pour ces belles vidéos , ces belles ambiances de milonga…que tu sais si bien animer
  • MM : C’est bien le + beau témoignage de cette chouette soirée ! Merci Byc Bernardo pour ton enthousiasme et ta générosité 
  • BB : Excellent dj !excellent commercial …comment résister …
  • ML : Milonga Estivale très bien !! Je me suis vraiment amusée 
  • DJ 17,75/20 
  • PT : Merci merci et encore merci
  • FV : Super énergie….merci
  • RC : SUPERBE SOIRÉE A CHAQUE FOIS TU NOUS RÉGALES 
  • BB : Trop bien ce festival ! Et te voir sur ton estrade tout ravi de nous voir ravis !!!super partage . Ah te gusta Bernard Yves tu tango !!!
  • S Sc Merci, BYC, pour cette très belle soirée musicale à Tangueando Toulouse, et tes très belles photos. A bientôt. Bises
  • JV : ça y est de retour notre grand DJ (de retour de Buenos Aires)
  • ED : Ambiance musicale extraordinaire ! Merci Bernardo Byc!
  • EP : Merci Bernardo Byc pour ces belles photos et pour ta bonne musique à ces 2 soirées  
  • BB : !! Je t’adore autant en danseur qu’en dj ..bises
  • ML : Milonga despedida de Tangopostale très bien  un peu fatiguée 
  • DJ 17/20  muy bien
  • CN : Comme toujours, je suis éblouie par tant de talents pour un seul homme. …
  • TAM : Merci pour cette belle musicalisation !
  • AL : Byc Bernardo sabe tomar instantes mágicos que cree con su música
  • PB : Merci Bernardo pour cette belle ambiance que tu nous as mis
  • YD : Merci pour cette bonne musique à Nantes
  • ML : Ouverture Tangopostale aeroscopia 
  • Merci beaucoup Byc Bernardo pour la Photo et les super tandas 
  • JRE : Une agréable milonga de l’ombre de l’air et une musique exquise
  • B : Nous sommes tous fatigués mais contents…. Merci à toi de nous avoir donné l’envie de danser jusqu’à très tard et d’avoir su apporter la bonne humeur nécessaire à cette réussite. Au plaisir de te rencontrer à nouveau à Brest ou ailleurs.
  • TAB : Merci à DJ BYC 
  • MR : Belle soirée hier, merci pour votre musique, votre gentillesse et votre professionnalisme !!!
  • MCF : Triptica et Maria Belem plus Bernardo : c’était royal ! Magnifique soirée !
  • SM : J aime ta musique ta bonne humeur tes photos et tes vidéos! !!
  • Un grrrros Merci encore Bernardo
  • Plein de bises en attendant de se revoir à Aubais dimanche
  • AF : Merci de ton excellente prestation de mardi dernier
  • RC : Nous avons passé une superbe soirée avec un DJ qui sait mettre l’ambiance. Merci pour les belles vidéos que de beaux souvenirs bizzzz à bientôt 
  • CT : Bravo c’était top !
  • VH : ¡¡ FELICIDADES GRAN DJ !! Qué ganas de verte en Calpe en el Milonguero Milonguero . y disfrutar de tu música.
  • MS : Bernardo le magnifique!!
  • Toujours au top !
  • Merciiiiii pour tous tes talents
  • AL : Quand BYC est aux manettes…le temps passe trop vite
  • HO : J`aime le tango,le festival,Toulouse,l’affiche et…BYC. !
  • EC : wahhou c’est loin mais à ne pas manquer !!!
  • (à l’annonce d’un événement que je vais animer)
  • JMG : Merci pour cette belle soirée. Toujours une excellente musicalisation avec Dj Byc Bernardo
  • SD : Merci Bernardo pour tes belles musiques ; nous avons beaucoup apprécié.
  • DL : Merci Byc Bernardo pour avoir animé cette milonga de Nevers avec tant de bonne humeur 
  • on aurait dit un chef d’orchestre ou monsieur cent mille volts
  • CD : Super soirée, grâce à notre excellent DJ …et animateur….!
  • CT : BYC musicalisait en première partie (2 heures de musicalisation à BsAs, c’est qu’il est en train de gagner ses galons de Maréchal notre ami Bernardo). Très bien, comme d’habitude. Et comme d’habitude, il a mis presque aussitôt après mon arrivée une série de Rodriguez. À mon intention. Si ! c’était pour moi. Il l’a même annoncé au micro. Voyez bien qu’on m’aime parfois.
  • SM : Bernardo es un excelente bailarín y DJ
  • MJDT : Merci à tous, pour cette superbe soirée samedi à la milonga de Danzarín . Merci à notre dj invité bernardo, super ambiance!
  • FM : Merci Bernardo pour ta musique et tes belles photos!!! bisous
  • ALDG : Merci à toi, très belle musicalisation, un régal
  • MT : Merci! Une belle soirée musicale que les danseurs ont appréciée…Ils auraient bien dansé plus tard dans la nuit. Merci pour ta gentillesse et ton professionnalisme. A un de ces jours !
  • CR : Un vrai et grand DJ. Une richesse musicale très appréciable. Et qui sait rallumer le feu quand une soirée est mal engagée (ça arrive, avec des groupes de tangos un peu plans plans, ou une salle pas très engageante…).
  • AL : Ambiance top ,musicalité au RV ,merci Byc Bernardo
  • P : Une belle soirée où convivialité, bonne humeur, bon tango et belle musique étaient réunis. Merci Bernardo pour cette programmation musicale, merci MC Dance Shoes pour ta présence et merci à tous les danseurs!
  • OG : Merci Byc Byc Bernardo pour la musique. Un sans faute.
  • HM : trés belle milonga et trés bonne musicalité. Bravo au DJ.
  • EC : Et merci aussi à Byc Bernardo pour son excellente musique
  • VV : Merci pour ta présence et ton amour pour ce métier ainsi que pour la bonne musique à LA VICTORIA. Fait moi signe. Je t’embrasse et à très bientôt !
  • AP : Merci pour cette belle soirée. Super organisation, super DJ, super photographe…
  • ECB : Super week-end. Super dj. Merci.
  • AP : challenge bien mené !! et objectif atteint !!! c’était super hier soir, bravo Bernardo, despedida trés vivante sur la piste et fébrilité, plaisir et bonne humeur dans la salle !
  • MLA : Milonga estivale L’Oka super le DJ Byc Bernardo géniale la musique 
  • F Z: Merci à toi : c’était MAGIQUE ! Ta program’ nous a transporté-e-s dans un autre monde, avec le Paty, la lune, les arbres, le lac, une très très belle énergie collective circulait <3
  • GB : Chouette le choix musical : pour tous les goûts, superbes photos, merci Byc Bernardo.
  • JMM : Après ce week End , le sentiment d’être comblés par tous ces bons moments que nous avons traversés …
  • Merci pour la qualité et la générosité  de la « musique   »  et ta disponibilité ….
  • MH : J’ai beaucoup aimé la musique hier, même et surtout les morceaux que je ne connaissais pas… c’était toujours dansant… une fois de plus, merci Bernardo!
  • AF : Bonjour Bernardo, je voulais te remercier pour ta musicalisation , IMPRESSIONNANT J’ADORE ! Merci et nous nous retrouvons au week end MEZE? Un abrazo
  • MA : C’était une très belle soirée… merci pour la musique !!!!
  • BB : C’était très sympa , très bon accueil , très bon dj…..
  • AM : Belle musique, belle ambiance, belle soirée !….
  • GC : pour moi, tu reviens quand tu veux ! Hasta la proxima.
  • VV :  j’ai beaucoup apprécié la musique que tu as choisi et la piste été toujours pleine !!! merci aussi pour les photos !!! Infiniment merci. Bonne Bellevilloise dimanche !!! je t’embrasse.
  • OG : Merci Bernardo, nous ne t’avons pas assez remercié pour cette belle soirée en ta compagnie. Je veux me faire le porte-parole de tous les participants de la milonga hier soir qui ont loué ta musique et exprimés de la sympathie envers vous . J’espère que nous pourrons renouveler l’expérience. Merci pour les superbes photos! Bises A bientôt.
  • AF : Un super Merci à Byc Bernardo, vraiment, extra, Merci mon ami.
  • TP : Non seulement DJ BYC Bernardo nous a fait danser toute la nuit Samedi 26 avril lors du Gala de Tangueros Perpignan, mais en plus il est un superbe photographe. Je partage dons son album… Merci Bernardo!
  • DE : Merci bernard pour ta musique et pour ton amitié, cela a été un plaisir de te revoir.
  • FCDT : merci pour cette belle musique! au plaisir de te revoir bientôt à la casa ou ailleurs.
  • JPD : Dimanche 8 février. Contradanza XXL. Photo de Bernardo Byc dont j’ai beaucoup apprécié la programmation musicale
  • FM : Superbe programmation à La Pluma!!!!! Un régal!!!! Rien à jeter!!
  • A bientôt.
  • BISOUS
  • MA : C’était une très belle soirée avec de la très très bonne musique. Merci Alejandro et DJ Bernardo
  • PMS : TRES GROSSE SOIREE avec une super ambiance toute la nuit jusqu’à 7h AM !!!On se serait cru dans une milonga de BsAs…
  • ALC : Un Dj entraînant, des tandas variées, dansantes et un excellent photographe.
  • TV : Et merci encore Bernardo pour afficher les noms des orchestres pendant la milonga, tant d’autres DJs (qui se la pètent parfois ne prennent même pas la peine de partager cela, c’est pourtant estimable et tellement bienvenu. Bonne musique également, Bravo et merci.
  • PB : Merci Bernardo pour ta musique et l’esprit que t’influe derrière tes platines
  • ECB : Un DJ super  un lieu superbe même sous la grisaille et où on se sent bien dès que l’on y pose les pieds.
  • ML : encore plein de sourires et une belle énergie, encore un super DJ, qui plus est bénévole pour la bonne cause, encore 140 danseurs…
  • A : on te garde, Bernardo !!! très bonne musique de tous les avis et du mien, n’en parlons pas !! tout fut bon dans ce festival, il n’y a rien à jeter, et on l’a dégusté jusqu’à la dernière goutte !
  • F : Merci pour ta musicalisation, elle était à la hauteur de cette merveilleuse soirée inoubliable, quelle bonne idée d’avoir proposé DJ BYC 
  • TP : Très belle soirée de gala hier, un couple de maestro sublime, une belle salle, une belle piste qui ne désemplissait pas grâce à un excellent DJ, une soirée dont on se souviendra !
  • JV : toujours le sourire!!!!!!!!!!!!!!!!Super DJ
  • TM : Excellente prestation !
  • Belle énergie.
  • MA : Merci pour cette belle soirée PR : Merci pour cette bonne soirée MEB : b !!!IR : Merci Bernardo ! Tu as mouillé la chemise et les platines
  • AL : C’est aussi le groupe que j’écoute le plus souvent, la première fois que je les ai entendus, c’est avec Byc Bernardo, quand elle chante Poema, tt y est la sensualité, la gravité… que du bonheur, j’essaie de m’organiser pour venir à Limouzi Tango
  • EJ: merci BYC très belle soirée et particulièrement ta programmation en nocturne
  • MNH : Bravo Bernardo BYC pour la programmation musicale.

Milonguero Milonguero 2016 – DJ Bernardo BYC

Témoignage VJ : 

  • HL : animation vidéo par Byc… (et c’était très bien, mais ça c’est juste un avis perso)
  • Jean-Pierre VL : Apart from being an excellent tango dj, BYC Bernardo is also a skillful video technician who can put on tango music accompanied by harmonizing video images and clips. And also worth mentioning is that he’s man with the heart at the right place. So I highly recommend!
  • ED : Soirée très cool ouatée agréable et sensuelle que ce soit colorée ou dans le noir absolu. ..musiques très chouettes et ambiance de rêve !
  • NG :MERCI Byc Bernardo, c’est surprenant en tant que D.J. de voir en image l’inspiration du moment.
  • EA : Nom de nom, vous deux en coopération sur une Néolonga et j’ai raté ça en étant tout à côté ? De quoi se flinguer…
  • NG : Merci, Bernardo, j’ai trouvé que les gens sont restés un peu plus tard que d’habitude… Je ne crois pas au hasard !
  • HL : animation vidéo par Byc… (et c’était très bien, mais ça c’est juste un avis perso)

Agenda et souvenirs

Témoignages et avis de danseurs et organisateurs

2025-2026

  • DJ Camargo Tango (El Beso, Buenos Aires) (Junio 2025)

  • DJ Camargo Tango (El Beso, Buenos Aires) (Enero y Febrero 2025)

  • DJ-VJ Milonga Tres Castillos (Francia) 2025-04-06

  • DJ VJ Milonga du Jive (Nîmes, Francia) 2025-04-15
  • DJ VJ Festival Los Tangueros (Yzeure, Francia) 2025-04-19
  • DJ VJ Lo de Lola (Vedène, Francia) 2025-04-27
  • DJ Milongas usuelles Buenos Aires (Mai à Juillet 2025)
  • DJ Jeudis de Nîmes (France) 14-08-2025
  • DJVJ Festival des Gorges du Tarn (Sainte-Énimie, Francia) 2025-09-12…14)
  • DJVJ Milonga de l’Aura (Noirétable, France) 2025-10-11
  • DJ Milongas usuelles Buenos Aires (Novembre 2025 à Mars 2026)
  • DJ VJ Milonga Tres Castillos (Saint-Paul-Trois-Châteaux, France) 2026-04-05

2024

  • DJ Buenos Aires (las milongas usuales) Enero hasta marzo de 2024
  • DJVJ Milonga du Jive (France) 11/09/2024
Milonga du Jive 2024-06-11
  • DJ Milonga consulaire, Valros (France) 21/06/2024
Milonga consulaire 2024-06-21
  • DJ Buenos Aires (las milongas usuales) 27 de junio hasta el 11 de agosto 2024
DJ BYC Bernardo en Camargo tango – Salon El Beso – Buenos Aires.

https://www.facebook.com/DJ.BYC.Bernardo.page/posts/pfbid021b9mbSs5KBbPLTc72M1U9ZVvwX84xBDEEbBXaRMEFD1r7dyqnp2qk1Da44rnH8ztl


DJ Sainte-Énimie (France) 13-15/09/2024

  • DJVJ Nancy (France) 21/09/2024.
J’animerai la milonga du 21 septembre avec Tango Sonos.

DJ Cave Aubais Mema (France) 29/09/2024

Milonga Mema 2024-09-29

DJ La milonga de L’Aura. Noirétable (France) 12/10/2024

Milonga de L’Aura, 2024-11-12

DJVJ Niortango 18-20/10/2024 (Niort, France), 3 milongas et 2 classes de musicalité.

Programme Niortango 2024

2023

  • DJ Buenos Aires (las milongas usuales) Octubre 2023
  • DJ Festival des Gorges du Tarn en Tango (Sainte-Énimie, France) Deux milongas, dont 12 h de despedida sans coupure 15-17/09/2023
  • DJ Les Jeudis de Nîmes (Nîmes, France) 24/08/2023
  • DJ Tarbes en tango (Tarbes, France) 17-18-19/08/2023
    Tarbes
  • DJ Buenos Aires (las milongas usuales) junio hasta agosto de 2023
  • DJ 4e Estivales de Tango (Bagnères-de-Bigorre, France) 9/06/2023
    Bagnères
  • DJ et Photographe, Encuentrito (Roquebrune-Sur-Argens, France) 26-28/05/2023
    Encuentrito
  • DJ et VJ, Milonga Tangomania (Montcuq, France) 22/04/2023
    Montcuq
  • DJ Festival de Pâques, Tangoemoi (Rouen, France) 08/04/2023
    Pâques
  • DJ Buenos Aires (las milongas usuales) Enero hasta marzo de 2023

2022

2021

  • DJ La milonga Mema (Aubais, Nîmes) 07/11/2021
  • DJ La Dominguera (Montpellier) 30/10/2021
  • DJVJ Limouzi Tango Mix (France) 28/10/2021
  • DJ Festival Ty Tango (Vannes)
  • DJVJ Luna milonguera (Vichy) 9/10/2021
  • DJ Festivalito C. (sur invitation et complet)
  • DJ Lo de Carmen (Nevers) 25/09/2021
  • DJ La Mirada (Alès) 12/09/2021
  • DJ Le Victoria (Montpellier) 24 & 26/08/2021
  • DJ Week-end Tango L. (sur invitation et complet) 18/07/2021
  • DJ Milonga consulaire Valros (France) 30/06/2021
  • DJ La Grande Bouffe 2 (France) 11-12-13/06/2021

2020

  • COVID (Milongas en vivo, virtuales)
    • DJVJ Milonga Porteña (virtual, cada sábado de la COVID) 20 dates sur l’année)
    • DJ Milonga Internacional (virtual Desde argentina))
    • DJ Earth Virtual Milonga (Estados Unidos)
    • DJ Milonga virtual San Petersburgo (Russia)
    • DJ Mundial de los musicalizadores de tango (Mexico)
    • DJVJ Milonga Neotango (Italia)
  • DJVJ Buenos Aires (las milongas usuales en enero y febrero)

2019

2018

2017

2016

  • DJ La Malenita Nevers Commande photos
  • DJ Encuentro Milonguero Milonguero (Calp Spain) 
  • DJ Festival de la côte basque 
  • DJ Festival de Béziers 
  • DJ Grande Nuit du Tango Argentin / Marathon des DJ  (Sommières) 
  • DJ Maquina tanguera (Toulouse) 09/2016 
  • DJ Festival des Gorges du Tarn (Sainte-Énimie) 
  • DJ Festival du Lac du Paty (Caromb) 
  • DJ Festival Tangopostale (Toulouse) 
  • DJ Festival Thautango (Mèze)
  • DJ Milonga Danzarin (Toulouse)
  • DJ Festival Corazon en fiesta (Nevers)
  • DJ Tangoloft (Vichy)
  • DJ Mas milonguero que nunca (Toulouse)
  • DJ Labo Tango (Nîmes)
  • DJ ParisTangoDjPart’3 (Capodanno Milonguero) Pomeridiana di Bernardo BYC (Paris)
  • DJ Milonga Porteña (ma milonga)

2015

  • DJ Encuentro Milonguero Milonguero (Calp Spain)
  • DJ Encuentro milonguero des 3 M (Roanne)
  • DJ Festival Artetango (Albi)
  • DJ Festival Tangopostale (Toulouse)
  • DJ Festival Thautango (Mèze) 
  • DJ Festival Corazon en fiesta (Nevers)
  • DJ Festival Destination Tango (Roanne)
  • DJ Festival Les Milonguettes (Cahuzac)
  • DJ Festival de Prayssac
  • DJ Festival des Gorges du Tarn (Sainte-Énimie)
  • DJ Festival de Moulins (Yzeure)
  • DJ Festival du Lac du Paty (Caromb)
  • DJ Encuentro des Fumades
  • DJ Milonga del Angel (Nîmes)
  • DJ Grande Nuit du Tango Argentin / Marathon des DJ  (Sommières)
  • DJ Lo de Carmen (Nevers)
  • DJ Los marineros (Marseille)
  • DJ La Pluma (Montpellier)
  • DJ Tempo di tango (Carcassonne)
  • DJ Tanguedia de ParisDJ Milonga XXL la Belleviloise (Paris)
  • DJ Pavadita Milonga (Béziers)
  • DJ La Victoria – Chalet du Lac (Paris)
  • DJ L’Oka (Toulouse)
  • DJ Las Morochas (Toulouse)
  • DJ Milonga Porteña (ma milonga)

2014 et avant… 2014 and before… 2014 y antes…

  • DJ Encuentro Milonguero Milonguero (Calp Spain) 2014
  • DJ Encuentro milonguero des 3 M (Roanne) 201
  • 4DJ Festival Tangopostale (Toulouse) 2011-2012-2013-2014
  • DJ Festival Artetango (Albi) 2014
  • DJ Festival Les Milonguettes (Cahuzac) 2014
  • DJ Grande Nuit du Tango Argentin / Marathon des DJ  (Sommières) 2014
  • DJ Lo de Carmen (Nevers) 2014
  • DJ Tanguedia de Paris (2013-2014)
  • DJ Esprit Tango (Paris) 2010-2011-2012
  • DJ La Pluma (Montpellier) 2014
  • DJ Tangueando (Toulouse) 2012-2013-2014
  • DJ La Platière (Lyon) 2010DJ Milonga du viaduc (Millau) 2008
  • DJ Recoules-Prévinquières (Aveyron France) de 2005 à 2010
  • DJ Milonga Porteña (ma milonga) de 2001 à aujourd’hui (hasta hoy)

DJ BYC Bernardo – Connaissance et amour du tango argentin

Anécdotas de tango- Les 4 piliers, Di Sarli, Pugliese, Troilo et D’Arienzo.

Des anecdotes pour mieux connaître et mieux aimer la culture et la musique autour du tango.

Ma philosophie — Mi filosofía — My philosophy

DJ BYC (Bernardo) a une solide formation musicale et depuis l’enfance, une passion pour la musique argentine, contemporaine et folklorique. Il était donc logique qu’il devienne danseur de tango et DJ spécialisé dans cette merveilleuse musique.

Depuis une vingtaine d’années, il anime des milongas, des festivals et des encuentros milongueros en Europe et à Buenos Aires. Voir son agenda…

Il a développé un style totalement voué au plaisir des danseurs dans l’esprit portègne, celui de Buenos Aires, avec sa touche personnelle, un brin de fantaisie.

Toutes ses tandas sont assemblées en direct à partir d’une sélection de 6000 tangos restaurés par ses soins. Aucune playlist…

Son autre passion est l’image, il travaille dans l’audiovisuel depuis 1979 et a combiné cette passion avec le tango en étant aussi VJ (Video-jockey) et photographe.

Ses animations vidéo sont en relation avec l’ambiance du bal, que ce soit pour des milongas traditionnelles ou des événements alternatifs. Pour en savoir plus…

Ses photos sont des remerciements au plaisir que lui donnent les danseurs qui évoluent sur sa musique. Pour voir quelques exemples…

Sa devise : « El tango es un pensamiento feliz que se baila ». (Le tango est une pensée joyeuse qui se danse).




DJ BYC (Bernardo) tiene una sólida formación musical y desde la infancia, la pasión por la música argentina, contemporánea y folklorica. Era lógico, pues, que se convierte en bailarín de tango y DJ especializado en esta maravillosa música.

Por veinte años, que hace DJing en milongas, festivales y encuentros milongueros en Europa y Buenos Aires. Ver las fechas…

Desarrolló un estilo totalmente dedicado al placer de los bailarines en el espíritu porteño, con un toque personal, un toque de fantasía.

Todas sus tandas se armen en vivo entre una selección de tangos 6000 restaurados por él. No hay lista de reproducción, ninguna…

Su otra pasión es la imagen que él trabajó en el audiovisual desde 1979 y combina esta pasión con el tango, como VJ (video jockey) y fotógrafo.

Sus animaciones de vídeo están relacionadas con el estado de ánimo del baile, ya sea para milongas tradicionales o eventos alternativos. Para saber más…

Sus fotos son para dar gracias los bailarines del placer a ver los evolucionar sobre su música. Para ver algunos ejemplos…

Su lema: “El tango es un pensamiento feliz que se baila”.

  • También hago formaciones de bailarines y DJ (musicalidad).

DJ BYC (Bernardo) has a solid musical background and since childhood, the passion for Argentine’s music, contemporary and folk. It was logical, then, that he became a tango dancer and DJ specialized in this wonderful music.

For twenty years, he makes DJing in milongas, festivals and encuentros milongueros in Europe and Buenos Aires. See the dates…

He developed a personal style totally dedicated to the pleasure of the dancers in the Buenos-Aires spirit, with a personal touch, a touch of humor.

All his tandas are realized live among a selection of 6000 tangos restored by him. No playlist…

His other passion is the image. He has worked in audiovisual since 1979 and combines this passion with tango, as VJ (video jockey) and photographer.

His video animations are related to the mood of the dance, whether for traditional milongas or alternative events. To know more…

His photos are to thank the dancers for the pleasure of watching them evolving over his music. To see some examples…

His motto: “The tango is a happy thought that is danced.”

  • I also make formations of dancers and DJ (musicality).