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Un bus de la ligne 23 en 2021. Colectivos, bondis de Buenos Aires

Colectivos, bondis de Buenos Aires

Les Portègnes appel­lent leurs bus, des colec­tivos et plus affectueuse­ment encore, des bondis.

Nos tan­gos du jour sont de sim­ples évo­ca­tions à l’occasion de la fer­me­ture d’une ligne que j’aimais bien. Voici donc quelques anec­dotes qui peu­vent intéress­er ou amuser les touristes qui décou­vrent cette mer­veilleuse ville de Buenos Aires.

Nous serons accom­pa­g­nés par deux tan­gos chan­sons dont vous trou­verez les paroles et leurs tra­duc­tions en fin d’article.

Pour commencer en musique

Ce ne sont pas des tan­gos de danse, mais ils évo­quent le colec­ti­vo. Je donne les paroles et leurs tra­duc­tions en fin d’article.

Tan­go del colec­ti­vo 1968-12-04 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Rober­to Goyeneche. Musique de Arman­do Pon­tier et paroles de Fed­eri­co Sil­va.
Se rechi­flo el colec­ti­vo 2013 — Hora­cio Fer­rer Acc. piano por Juan Trepi­ana. Musique de Osval­do Taran­ti­no et paroles de Hora­cio Fer­rer.

Un tout petit peu d’histoire

Si el tran­via (tramway) a don­né lieu à plus de paroles de tan­go que le colec­ti­vo, ce moyen de trans­port fait égale­ment par­tie de l’histoire de la ville. Les pre­miers trans­ports étaient tirés par des chevaux, ce qu’on appelle ici, « à moteur de sang », que ce soient les tramways ou les bus.

Si les tramways sont lente­ment passés à l’électricité, l’apparition du moteur saluée par les défenseurs des ani­maux a apporté son lot de bruit et de pol­lu­tion à la ville.

Aujourd’hui, à toute heure du jour et de la nuit, des bus cir­cu­lent. Cer­tains com­men­cent à expéri­menter l’énergie élec­trique, mais d’autres dis­parais­sent.

Payer son billet, une aventure

Une machine distributrice de tickets. Le chauffeur donnait le ticket correspondant à la distance à parcourir.
Une machine dis­trib­utrice de tick­ets. Le chauf­feur don­nait le tick­et cor­re­spon­dant à la dis­tance à par­courir.

Jusque dans les années 90, le chauf­feur fai­sait pay­er chaque pas­sager. Il lui remet­tait un tick­et en échange. Cette façon de procéder avait plusieurs incon­vénients :

  • C’était rel­a­tive­ment lent. Le chauf­feur devait ren­dre le change et comme il ten­tait de faire cela en roulant, c’était donc égale­ment dan­gereux et il y avait régulière­ment des acci­dents pour cette rai­son.
  • Il était ten­tant pour les malan­drins d’attaquer les chauf­feurs pour récupér­er les pièces.
En 1967, Elena Konovaluk a été la première conductrice de colectivo. (ligne 310 puis 9) On imagine la difficulté de distribuer les tickets et de conduire en même temps.
En 1967, Ele­na Kono­valuk a été la pre­mière con­duc­trice de colec­ti­vo. (ligne 310 puis 9) On imag­ine la dif­fi­culté de dis­tribuer les tick­ets et de con­duire en même temps.

Le 2 mai 1994, un nou­veau sys­tème est apparu. Un sys­tème semi-automa­tique. Il fal­lait don­ner sa des­ti­na­tion au chauf­feur. Celui-ci paramé­trait sur son pupitre le prix à pay­er et l’usager devait gliss­er les pièces cor­re­spon­dantes dans la machine.

Le type de machine apparu à partir de 1994. On indiquait la destination au chauffeur. Il programmait le prix et on devait verser les pièces correspondantes dans l'entonnoir du haut de la machine, puis récupérer le billet et sa monnaie.
Le type de machine apparu à par­tir de 1994. On indi­quait la des­ti­na­tion au chauf­feur. Il pro­gram­mait le prix et on devait vers­er les pièces cor­re­spon­dantes dans l’en­ton­noir du haut de la machine, puis récupér­er le bil­let et sa mon­naie.

Ce sys­tème n’était pas par­fait et, pour tout dire un peu com­pliqué dans la mesure où les pièces étaient rares et dif­fi­ciles à obtenir. Dans les com­merces, per­son­ne ne voulait se sépar­er de ses pré­cieuses pièces au point qu’ils fai­saient cadeau de quelques cen­times plutôt que de devoir ren­dre le change et se trou­ver dému­ni de pièces. Mon truc était d’aller au dépôt (ter­mi­nus) où ils échangeaient volon­tiers les bil­lets con­tre des pièces. Cer­tains essayaient d’attendrir le chauf­feur en ten­dant un bil­let, ce qui se ter­mi­nait soit par un pas­sage gra­tu­it, soit par une expul­sion du bus.

À par­tir de 2009, la SUBE a fait pro­gres­sive­ment son appari­tion. Sur les pre­mières lignes équipées, il suff­i­sait d’annoncer sa des­ti­na­tion au chauf­feur et de présen­ter la carte devant la machine, sans avoir à sor­tir de pièces. La SUBE fonc­tionne égale­ment pour le métro et pour le train de ban­lieue et dans cer­taines provinces d’Argentine. On peut aus­si emprunter avec une bicy­clette, c’est donc une carte très utile et une inno­va­tion intel­li­gente.

Une machine de validation de la carte SUBE (il en existe de nombreux modèles). Il suffit de la plaquer sur la zone dédiée pour que son solde soit débité du montant du trajet. On peut lire sur l’afficheur le tarif, le prix réellement débité et le solde de la carte.
Une machine de val­i­da­tion de la carte SUBE (il en existe de nom­breux mod­èles). Il suf­fit de la pla­quer sur la zone dédiée pour que son sol­de soit débité du mon­tant du tra­jet. On peut lire sur l’afficheur le tarif, le prix réelle­ment débité et le sol­de de la carte.

Pour le chauf­feur, cela ne change rien au sys­tème de 1994, il doit tou­jours sélec­tion­ner le prix sur son pupitre (en fait la dis­tance, mais on en repar­lera). Pour l’usager ce sys­tème sem­ble par­fait.

Cepen­dant, il y a un petit point qu’il faut tenir en mémoire. Il faut charg­er sa carte SUBE et c’est là que le bât blesse. Pen­dant longtemps, cela pou­vait se faire dans les kiosques, qui sont nom­breux, puis les kiosques n’ont plus eu le droit de le faire et ce sont désor­mais les lieux de loterie qui per­me­t­tent de recharg­er la carte et ils sont moins nom­breux. On peut se faire avoir, car de nom­breux kiosques ont con­servé l’affichette SUBE et cer­tains con­tin­u­ent de ven­dre la carte vierge, mais pas la recharge…

Mais, trou­ver un point de recharge ne suf­fit pas, car il faut avoir la somme exacte que l’on souhaite dépos­er sur la carte. Si vous avez un gros bil­let, il fau­dra tout met­tre. Ah, non, ce n’est pas si sim­ple (je sais, je l’ai déjà écrit). Si le bil­let est trop gros, on va vous le refuser.

En effet, les lieux de vente ont des quo­tas. Ils ne peu­vent pas ven­dre plus que ce qui leur est autorisé. Les verse­ments max­i­mums sont donc lim­ités et, même avec cette pré­cau­tion, il arrive que le lieu ait atteint son quo­ta de la journée. Si c’est le cas, il fau­dra revenir le lende­main en espérant que ce ne soit pas le début d’un long week-end, une autre spé­cial­ité argen­tine qui fait que, si un jour férié tombe un dimanche, on le reporte au lun­di.

Il reste alors la pos­si­bil­ité d’aller dans une sta­tion de métro (Subte à ne pas con­fon­dre avec SUBE) ou de train. Là, deux pos­si­bil­ités s’offrent au voyageur, une machine ou un pré­posé, mais ce dernier est assez rarement dis­posé à recharg­er la carte.

Il y a une autre pos­si­bil­ité pour ceux qui ont un compte ban­caire argentin, la recharge en ligne. Il faut ensuite valid­er son sol­de sur une machine, par exem­ple dans une banque…

Pour en ter­min­er avec la SUBE sous forme de carte, sig­nalons la dif­fi­culté de l’obtenir, car il y a par­fois une pénurie. Mieux vaut ne pas la per­dre à ce moment.

Mais voyons main­tenant une autre inno­va­tion qui va dans le bon sens.

Depuis 2024, on peut payer à partir de son téléphone et de l'application SUBE. C'est sans doute un autre progrès.
Depuis 2024, on peut pay­er à par­tir de son télé­phone et de l’ap­pli­ca­tion SUBE. C’est sans doute un autre pro­grès.

Depuis 2024, on peut charg­er sa carte et la faire valid­er auprès du chauf­feur et même pay­er directe­ment depuis l’application SUBE sur son télé­phone. Cette dernière est une option un peu risquée dans la mesure où les vols sont tout de même assez fréquents, surtout aux abor­ds des portes, le mal­fai­teur sautant du bus et s’enfuyant à toutes jambes, à moins qu’il repère sim­ple­ment votre télé­phone pour le sub­tilis­er dis­crète­ment lors d’une petite bous­cu­lade en arrivant à un arrêt. Dans tous les cas, si vous tenez à votre télé­phone, évitez de l’utiliser près des portes.

Un pas en avant et deux pas en arrière ?

L’arrivée de la machine à pièces, puis de la SUBE et main­tenant de l’application facilite la vie des usagers. Cepen­dant, un autre dan­ger les guette ; la hausse des prix.

Le ser­vice de trans­port est assuré par des entre­pris­es privées, mais, comme c’est le gou­verne­ment de gauche de Cristi­na Fer­nan­dez qui l’a mis en place, les prix sont unifiés entre les com­pag­nies et les bil­lets sont sub­ven­tion­nés.

Le résul­tat a été un prix des trans­ports publics de voyageurs très raisonnable, même pour ceux, très nom­breux, qui vien­nent de province pour tra­vailler à la cap­i­tale fédérale et qui doivent pren­dre deux ou trois trans­ports (bus, métro, train).

Un petit rap­pel, Buenos Aires est une très grande province dont la cap­i­tale est La Pla­ta et la ville de Buenos Aires est une ville autonome, entourée par cette province sans en faire par­tie…

Ceux qu’on appellerait les ban­lieusards à Paris font sou­vent une à deux heures de tra­jet pour aller tra­vailler, ce qui est aggravé par le fait que nom­bre d’entre eux ont deux activ­ités pour join­dre les deux bouts.

Évo­quons main­tenant le pas en arrière. Fin 2023, un prési­dent d’extrême droite et lib­er­taire a été élu, Milei et sa tronçon­neuse. Pour lui, les sub­ven­tions sont un vol. Cha­cun doit pay­er ce qu’il utilise. Donc, les trans­ports, l’éducation, la médecine, les travaux publics ; le gaz, l’électricité et même les retraites sont con­sid­érés comme des domaines qui ne doivent plus être sub­ven­tion­nés, abondés.

Les prix de ces ser­vices explosent donc. On remar­quera toute­fois que, si Milei ne veut pas enten­dre par­ler de sub­ven­tion, il pro­pose tout de même aux plus rich­es qui ont leurs enfants dans les écoles privées des aides (ver­sées directe­ment aux écoles).

Pour les hôpi­taux publics, c’est une cat­a­stro­phe. Même les médecins doivent avoir deux métiers. Par exem­ple, hier, la télé présen­tait l’un deux qui com­plète ses revenus en tra­vail­lant pour Uber (un ser­vice de trans­port de per­son­nes assuré par des par­ti­c­uliers qui utilisent leur voiture per­son­nelle).

Pour revenir pro­gres­sive­ment à nos bus, les chauf­feurs assurent des ser­vices très longs pour gag­n­er plus, ce qui provoque des acci­dents. Si vous avez essayé de con­duire à Buenos Aires, imag­inez que vous le faites 12 heures de rang (suiv­ies de 12 heures de pause et avec un repos heb­do­madaire de 35 heures), avec une pause toi­lette en bout de ligne si vous n’êtes pas arrivé en retard, le tout au volant d’un gros machin d’apparence antédilu­vi­enne qui tourne qua­si­ment en per­ma­nence et dont beau­coup mérit­eraient une sérieuse révi­sion.

La semaine dernière, un ado­les­cent est tombé du bus, car la fenêtre a cédé. Et je ne vous par­le pas des bruits de freins, des portes qui fonc­tion­nent quand elles le déci­dent et des panach­es de fumées qu’émettent cer­tains des bondis. Alors, si un chauf­feur est un peu moins souri­ant, prenez sur vous et met­tez-vous à sa place (pas sur son siège, je par­le au fig­uré).

La fin des subventions aux transports en commun

Puisque les sub­ven­tions sont un vol fait aux rich­es qui n’utilisent pas les trans­ports publics au prof­it de ceux qui les utilisent, ces sub­ven­tions ont été très forte­ment dimin­uées et, par con­séquent, le prix du bil­let a explosé, comme d’ailleurs celui de la nour­ri­t­ure, mais sans doute pour d’autres raisons… La hausse des prix sur les pro­duits de base ignore les chiffres de l’inflation don­nés par le gou­verne­ment (moins de 2 % en mai). Seuls les pro­duits de luxe (voitures, télé­phones et autres biens de con­fort) voient effec­tive­ment leurs prix baiss­er, pas les légumes, la viande, les trans­ports, les médica­ments…

Voici donc un tableau reprenant le prix du tra­jet en bus, au moment de la prise de fonc­tion de Milei et à la date d’aujourd’hui.

Entre fin 2023, date d'arrivée du président Milei au pouvoir et aujourd'hui (fin juin 2025), le prix du billet a été multiplié par 8.
Entre fin 2023, date d’ar­rivée du prési­dent Milei au pou­voir et aujour­d’hui (fin juin 2025), le prix du bil­let a été mul­ti­plié par 8.

Ce tableau demande quelques expli­ca­tions. La colonne de gauche indique des dis­tances. Par exem­ple, 0 à 3 km, ce qui est en fait 1 à 30 pâtés de maisons (man­zana en espag­nol, bloc en anglais…). Un voy­age d’un kilo­mètre en décem­bre 2023 coû­tait donc 52,96 pesos, soit 0,06 euro (voir dans la par­tie droite du tableau, entourée de bleu). Le prix était donc très réduit, du moins pour un Européen ou un Améri­cain du Nord. Pour un Argentin qui avait moins de 200 € de revenus, c’était tout de même une somme, surtout pour ceux qui devaient pren­dre deux ou trois trans­ports pour aller tra­vailler. Les tar­ifs sont toute­fois un peu dégres­sifs si on utilise plusieurs bus dans une péri­ode de deux heures.

La diminu­tion dras­tique des sub­ven­tions aux entre­pris­es de trans­port imposée par le nou­veau gou­verne­ment fait que les prix ont énor­mé­ment aug­men­té. C’est le résul­tat de la logique qui veut que ceux qui utilisent les trans­ports en com­mun doivent en pay­er le coût, pas ceux qui roulent en taxi ou dans des voitures par­ti­c­ulières.

Pour revenir à l’étude du tableau, on observe deux nou­velles caté­gories « util­isa­teurs enreg­istrés » et « util­isa­teurs non enreg­istrés ». Cette dis­tinc­tion per­met deux choses :

  • Suiv­re les déplace­ments des util­isa­teurs. Chaque carte enreg­istrée est asso­ciée au doc­u­ment d’identité du pos­sesseur. Cela per­met de con­naître mieux les déplace­ments de cha­cun.
  • Les sub­ven­tions ont été forte­ment dimin­uées, ce qui explique en grande par­tie la hausse des prix. Les sub­ven­tions sont totale­ment sup­primées pour les util­isa­teurs qui ne sont pas enreg­istrés selon la logique ; s’ils ne sont pas enreg­istrés, c’est qu’ils veu­lent cacher leurs déplace­ments ou qu’ils sont étrangers et que, par con­séquent, les Argentins « de bien » n’ont pas à pay­er pour eux.

Nous avons évo­qué à pro­pos de l’anecdote Bailarín de con­traseña, le fait que cer­taines milon­gas fai­saient pay­er moins chers les autochtones, cela peut donc se com­pren­dre. D’ailleurs, en Europe, on fait pay­er une taxe par nuitée aux gens de pas­sage.

L’augmentation en un an et demi est donc d’environ 800 % pour un Argentin enreg­istré. Pour ceux qui ne le sont pas, c’est une aug­men­ta­tion de presque 13 fois. Cela com­mence à faire. Cer­tains ban­lieusards ont aban­don­né leur tra­vail, pass­er la moitié de la journée à tra­vailler pour gag­n­er à peine le prix du tra­jet aller-retour n’était plus rentable.

Cepen­dant, pour un Européen qui utilise l’Euro, la baisse de valeur du Peso argentin fait qu’au final, l’augmentation est un peu inférieure à 9 fois et pour un étranger qui a une carte SUBE enreg­istrée ou tout sim­ple­ment anci­enne, c’est seule­ment 5,5 fois. Quand on con­naît le prix des trans­ports à Paris, cela reste très, très mod­este, alors, ne râlez pas…

Un adieu à la ligne 23 ?

Le AD 706 SU qui a assuré le service de la ligne 23 jusqu'en… 2023. C’est aussi la vedette de l’image de couverture de cet article.
Le AD 706 SU qui a assuré le ser­vice de la ligne 23 jusqu’en… 2023. C’est aus­si la vedette de l’image de cou­ver­ture de cet arti­cle.

Pour aller à Nue­vo Chique, j’étais habitué à pren­dre la ligne 23 qui était assurée par la société Trans­porte Rio Grande SA.C.I.F.

Cette ligne au moment de sa fer­me­ture (annon­cée ?), dimanche dernier, com­por­tait encore neuf véhicules.

Cinq bus de 25 places assis­es datant de 2019 AD 672 OW/AD 672 PF/AD 672 PD/AD 672 PG et AD 882 PX.

Un bus de 35 places datant de 2023 AF 957 UO.

Et trois bus de 35 places datant de 2024 AG 708 WP/AG 835 IX et AG 946 ZZ.

Dimanche dernier cette ligne a cessé son activ­ité :

Vidéo réal­isée par un des derniers util­isa­teurs de la ligne.

La ligne, tout au moins le ser­vice qu’elle assur­ait, va-t-il com­plète­ment dis­paraître ? Il est dif­fi­cile de le dire. Lors de la sup­pres­sion de la ligne 5, la ligne 8 a pris le relai en créant un « ramal » (branche) sup­plé­men­taire. Ces branch­es sont un autre piège pour ceux qui ne sont pas habitués. Il faut regarder le numéro du bus, mais aus­si la pan­car­te qui indique la branche qui va être pra­tiquée. Si vous ne le faites pas, vous risquez de vous retrou­ver bien loin de la des­ti­na­tion espérée, notam­ment si vous vous ren­dez dans la province. De même, si vous prenez un omnibus au lieu d’un semi-rapi­de, vous risquez de pass­er beau­coup plus de temps dans le bus que néces­saire lorsque vous faites une longue dis­tance en ban­lieue.

Hier, pour aller à Nuevo Chique, j'ai pris ce bus. Un numéro 115, mais avec une étiquette indiquant qu'il assurait en fait le service de la ligne 23. Encore un piège pour ceux qui sont peu attentifs… J’ai juste eu le temps de prendre une photo en en descendant, au moment où il redémarrait.
Hier, pour aller à Nue­vo Chique, j’ai pris ce bus. Un numéro 115, mais avec une éti­quette indi­quant qu’il assur­ait en fait le ser­vice de la ligne 23. Encore un piège pour ceux qui sont peu atten­tifs… J’ai juste eu le temps de pren­dre une pho­to en en descen­dant, au moment où il redé­mar­rait.

Donc, en atten­dant, il sem­blerait qu’il faille pren­dre le 115 qui porte une pan­car­te indi­quant qu’il fait le ser­vice du 23. Cepen­dant, s’il y avait 9 bus en cir­cu­la­tion pour la ligne 23, il sem­blerait que ce soit bien plus réduit pour cette nou­velle ligne, déjà que le 115 n’est pas un des plus four­nis (c’est un des bus que je prends pour aller à El Beso…).

Une actualisation sur la ligne 23

Il con­tin­ue de pass­er des bus verts 23. Selon les chauf­feurs inter­rogés, la com­pag­nie est en fail­lite (quiebra) et con­tin­ue sur son rythme de tan­go hési­tant et lent, un pas en avant et un pas en arrière.

Petit problème mathématique

Voici le trajet qui était effectué par la ligne 23 entre Villa Soldati (en bas) et Retiro (en haut). Environ 12 km.
Voici le tra­jet qui était effec­tué par la ligne 23 entre Vil­la Sol­dati (en bas) et Retiro (en haut). Env­i­ron 12 km.

Il y avait 9 bus en cir­cu­la­tion pour effectuer les 12 kilo­mètres de la ligne. Les horaires indi­quant un temps de par­cours de 50 min­utes et les chauf­feurs avaient 10 min­utes de repos aux deux extrémités. Ce n’était plus tout à fait vrai pour Sol­dati, le ter­mi­nus y était tou­jours, mais les chauf­feurs, depuis le 5 mai (2025) pre­naient leur ser­vice à Lugano (tiens, c’est juste­ment à côté du départ de la ligne 115…).

  • Pre­mière ques­tion : Quelle est la vitesse de cir­cu­la­tion moyenne ?
  • Deux­ième ques­tion : Quel est le temps moyen d’attente entre chaque bus si on con­sid­ère que les 9 étaient en ser­vice et qu’ils étaient espacés régulière­ment.

Pour la réponse, retournez l’ordinateur…

Non, par­don, je plaisante, voici les répons­es :

  • 12 km en 50 min­utes, cela donne 14,4 km/h de moyenne. Ce n’est pas énorme, mais il passe par moment dans des dédales un peu com­pliqués.
  • Pour la sec­onde réponse, je cherche la réponse tout en l’écrivant. Un bus part de Sol­dati et arrive 50 min­utes plus tard à Retiro. Il attend 10 min­utes et arrive donc de nou­veau à Sol­dati 100 min­utes après son départ où le chauf­feur prend de nou­veau 10 min­utes de pause. Ces 120 min­utes sont donc à divis­er par le nom­bre de bus, ce qui donne 120/9 = 13,33 min­utes, ce qui cor­re­spond assez bien au quart d’heure véri­fié à l’arrêt. Sur des lignes mieux rem­plies, on peut voir des bus cir­culer à bien plus grande fréquence et sou­vent des « trains » de deux ou trois bus qui se « suiv­ent », enfin, à la mode portègne, c’est-à-dire qu’ils se dépassent, se klax­on­nent, se redé­passent, se côtoient et dis­cu­tent aux feux rouges. Oui, désor­mais, la plu­part des bus s’arrêtent aux feux rouges, ce qui peut sur­pren­dre ceux qui étaient habitués à con­sid­ér­er qu’il s’agissait d’accessoires de déco­ra­tion. Ras­surez-vous, il reste les pan­neaux STOP (PARE) qui ne sont pas du tout respec­tés, ni par les bus, ni par les autres, d’ailleurs. C’est le plus incon­scient qui passe le pre­mier et ce n’est pas tou­jours le bus qui gagne.

Se repérer pour prendre le bon bus

Avant l’arrivée des appli­ca­tions sur télé­phone, il y avait dans les annu­aires télé­phoniques des plans de Buenos Aires quadrillés, avec le nord en bas (donc à l’inverse des cartes habituelles). Dans chaque case numérotée, comme pour la bataille navale, il y avait des arrêts de bus. Ces derniers n’étaient pas indiqués sur le plan, mais listés dans la légende. Par exem­ple, dans la case B5,il y avait un arrêt des bus 12, 8, 48, 96. Avec cette indi­ca­tion approx­i­ma­tive, il fal­lait faire preuve de logique. Les rues étant générale­ment à sens unique, si on voulait aller vers le sud (le haut de la carte), il con­ve­nait d’identifier une rue qui avait le sens de cir­cu­la­tion vers le sud.

Ce n’était pas for­cé­ment sim­ple et la dif­fi­culté était ren­for­cé par le fait que le point d’arrêt n’était mar­qué que par un numéro sur la façade d’un immeu­ble, un petit auto­col­lant sur un poteau, voire, par rien du tout. Il fal­lait donc sou­vent deman­der où était l’emplacement de l’arrêt quand on s’aventurait dans un quarti­er moins con­nu.

L’autre jeu qui com­plique les choses est que les chauf­feurs font preuve de créa­tiv­ité et il est fréquent de voir des bus en maraude. Par­fois, c’est jus­ti­fié par une route coupée, mais à d’autres moments, c’est pour gag­n­er du temps. Par exem­ple le 115 évite sou­vent de s’engager dans Bar­tolomé Mitre (la rue encom­brée par des étals, des véhicules mal garés et des bou­tiques de tis­sus) pour rejoin­dre directe­ment Cor­ri­entes par Pueyrredón. Ce n’est pas trop grave pour ceux qui sont dans le bus, mais peut-être moins drôle pour ceux qui atten­dent le bus dans cette zone où il ne passera pas.

Faut-il rajouter des trucs ?

Ce court arti­cle, très impar­fait, ne donne qu’un mai­gre aperçu de toutes les sub­til­ités qu’il faut con­naître pour bien voy­ager en bus. Il vous fau­dra faire votre expéri­ence, en vous repérant dans la ville, ce qui est bien plus facile que dans une ville Européenne pour savoir où deman­der l’arrêt en appuyant sur le bou­ton con­cerné, cepen­dant, la plu­part des chauf­feurs sont prêts à vous aider et peu­vent même vous rap­pel­er le moment de descen­dre.

En atten­dant, voici quelques trucs, en vrac.

Si vous n’avez pas une for­ma­tion d’alpiniste chevron­né, évitez de descen­dre par la porte arrière de cer­tains bus dont la marche inférieure est à une hau­teur encore ver­tig­ineuse. Cepen­dant, la plu­part de bus ont un accès et des places pour les fau­teuils roulants.

Pensez à regarder vers l’arrière du bus au moment d’en descen­dre, car ils s’arrêtent rarement au bord du trot­toir, notam­ment car les arrêts de bus sont sou­vent con­sid­érés comme des places de sta­tion­nement par les auto­mo­bilistes. Il se peut donc qu’au moment de descen­dre, une moto décide de pass­er à toute vitesse par la droite du bus. C’est mieux de la voir venir et de retarder de quelques frac­tions de sec­onde le saut depuis le bus. Aus­si, pour cette rai­son, des per­son­nes ren­con­trant des dif­fi­cultés à marcher deman­dent au chauf­feur de sor­tir par l’avant, ils se sen­tent plus en sécu­rité. Cette habi­tude va sans doute s’atténuer, car désor­mais, les bus s’arrêtent com­plète­ment pour pren­dre et dépos­er les pas­sagers. Ils ne doivent plus ouvrir les portes lorsque le bus est en mou­ve­ment. Je sais, le folk­lore perd de sa saveur, c’était bien amu­sant de se fau­fil­er entre les voitures en sta­tion­nement pour sauter dans un bus qui ne fai­sait que ralen­tir et de descen­dre en essayant de ne pas atter­rir dans une poubelle, un véhicule en sta­tion­nement (voire en marche) ou con­tre un de ces dia­boliques câbles en diag­o­nale qui sont ancrés au sol pour tenir je ne sais quel poteau et qui sont peu vis­i­bles de nuit, même quand ils sont recou­verts d’une gaine jaune.

Voici une autre curiosité. Il y a désor­mais de nom­breux arrêts qui dis­posent d’un abribus. N’imaginez pas qu’il est là pour vous per­me­t­tre d’attendre le bus. En effet, la queue se fait par rap­port au poteau et donc, les gens sont à la file, face à l’arrivée poten­tielle du bus et donc tous, hors de l’édicule… Cepen­dant, les Argentins sont très respectueux. Si vous êtes arrivés le pre­mier (ce qui veut dire que vous venez de rater le bus précé­dent), vous pou­vez prof­iter du banc de l’arrêt de bus. Le pre­mier au poteau vous lais­sera pass­er sans dis­cuter. D’ailleurs, il n’y a pas de lutte à l’entrée, très sou­vent un pas­sager plus avant dans la file vous laisse pass­er.

Atten­tion, utilis­er le banc est aus­si un piège, car, si le bus qui arrive n’a pas à s’arrêter pour dépos­er un pas­sager, il passera sans vous pren­dre en compte. Dans la pra­tique, il faut donc s’assurer qu’il y a quelqu’un qui veut pren­dre le même bus afin de prof­iter en toute tran­quil­lité de ce siège. Cela peut sem­bler éton­nant, car on peut imag­in­er voir le bus arriv­er de loin. Hélas, non, car les véhicules en sta­tion­nement coupent toute vis­i­bil­ité à ceux qui sont assis et même sou­vent à ceux qui sont debout et à tous les arrêts, vous ver­rez des intrépi­des se lancer au milieu de la rue pour voir si le bus arrive au loin.

Pour être effi­cace à ce jeu, il faut avoir une bonne vue et s’aider du code de couleurs (le bus 23 était vert, le 115 est rouge, d’autres sont bleus ou jaunes).

Vous devez lever de façon très vis­i­ble le bras pour inciter le con­duc­teur à s’arrêter. Si le feu est au vert, il arrive qu’il ne s’arrête pas pour en prof­iter. Il s’arrêtera de l’autre côté du car­refour pour dépos­er les pas­sagers qui voulaient descen­dre et vous, vous devrez atten­dre le prochain. Le prochain peut être une autre ligne qui passe aus­si par votre point d’arrivée. Cepen­dant, l’arrêt de cette autre ligne peut-être à une dizaine de mètres. Si le chauf­feur de l’autre ligne se rend compte que vous venez de l’arrêt du con­cur­rent, il y a fort à pari­er qu’il ne s’arrêtera pas. Vous devez être à l’arrêt quand il vous voit. Quand l’arrêt est situé à un feu rouge, il arrive qu’on arrive à atten­drir le chauf­feur, qui prend toute­fois le temps de ter­min­er un truc impor­tant sur son télé­phone portable avant de vous ouvrir la porte. Cela ne lui coûte rien, puisque le feu l’a juste empêché de repar­tir, mais c’est le prix à pay­er pour la faveur qu’il vous fait.

Une fois dans le bus, il peut être agréable de trou­ver une place assise. Il y a des places réservées aux per­son­nes qui en ont besoin et c’est plutôt bien respec­té. En revanche, pour les autres places, c’est le pre­mier qui la prend. Celles près des portes sont exposées au vol à la tire. Cer­taines sont dos à la route, ce qui est désagréable pour les per­son­nes sujettes au mal de mer. Rap­pelez-vous que le bus se déplace comme un esquif pris dans une tem­pête. Il faut donc avoir le cœur bien accroché et être très bien accroché quand on est debout.

Il y a des cein­tures de sécu­rité pour les places situées totale­ment à l’arrière, face au couloir. Même si presque per­son­ne ne les utilise, elles peu­vent vous éviter de tra­vers­er à plat ven­tre tout le bus lors d’un freinage bru­tal ou d’un acci­dent.

On notera que, pour agré­menter la chute, la plu­part des bus ont un escalier dans la par­tie arrière, ce qui ajoute au plaisir de l’expérience.

Voilà, j’espère que je vous ai don­né envie de pren­dre le colec­ti­vo de Buenos Aires, que je ne vous ai pas trop refroidis, je laisse cela aux soins de la clim à fond ou un coup de chaleur, ce que je laisse aux soins de la clim en panne ou absente.

Cer­taines lignes ont des décors sur­prenants avec des ten­tures, des filetea­d­os, d’autres sont plus sobres. Les sièges des con­duc­teurs sont sou­vent faits de fil ten­du entre deux bar­res de métal, je n’envie pas du tout ces valeureux chauf­feurs et leurs con­di­tions de tra­vail effroy­ables. Je plains égale­ment les ban­lieusards qui restent sou­vent une heure debout dans des bus bondés après avoir atten­du dans une queue de 50 mètres de long.

Pour toutes ces raisons, les rich­es pren­nent leur voiture, un Uber, et à la lim­ite, un taxi et ne s’aventurent jamais dans les bus ni dans le métro. Pour cette rai­son, ils ne com­pren­nent sans doute pas pourquoi on sub­ven­tion­nerait ces moyens de trans­port alors qu’eux, ils payent leur ser­vice.

Il y aurait sans doute à dire sur l’esclavage des taxis et des chauf­feurs Uber, mais ce sera pour une autre fois si vous le voulez bien.

À bien­tôt les amis, mais en guise de cadeau, voici les paroles des deux tan­gos évo­qués et leur tra­duc­tion.

Paroles de Tango del colectivo

Aho­ra es ‘Cin­ta Scotch’
En vez de cua­tro chinch­es
Porque la vida pasa…
El tiem­po cam­bia.
Pero siem­pre Gardel,
Son­risa, esmo­quin
Gardel y los mucha­chos…
Esos mucha­chos…
Que son de algu­na for­ma
Iguales a la rubia,
De los tex­tos abier­tos
Y los ojos cer­ra­dos.

Se sube en la primera
Cor­rién­dose hacia el fon­do,
Y empu­ja cuan­do baja
Como toda la gente.
Las manos
Ya cansadas de apre­tar
La bron­ca…
De pedir sin que te den,
Y al fin perder las cosas
Que te impor­tan.

Las cosas de ver­dad que tan­to impor­tan,
El sol sobre los ojos me hace mal,
Por eso es que me has vis­to lagrimear
No ves la ciu­dad viene y se va,
Y las veredas son de todos
Como el pan.
Arman­do Pon­tier (Arman­do Fran­cis­co Pun­turero) Letra: Fed­eri­co Sil­va (René Fed­eri­co Sil­va Iraluz)

Traduction de Tango del colectivo

Main­tenant, c’est du « ruban adhésif scotch » au lieu de qua­tre punais­es (les chinch­es sont les punais­es de lit et on con­sid­érait que s’il y en avait 4 par mètre car­ré, il fal­lait pren­dre des mesures. Mais en lun­far­do, les chinch­es sont des per­son­nes qui dérangent, voire qui ont une mal­adie vénéri­enne, j’avoue ne pas savoir quelle sig­ni­fi­ca­tion don­ner à ces 4 punais­es), parce que la vie passe…
Les temps changent.
Mais tou­jours Gardel, a le sourire, le smok­ing Gardel et les garçons (mucha­chos, peut-être ceux à qui il a dit adieu dans sa chan­son adios mucha­chos, un titre de Julio César Sanders avec des paroles de César Felipe Vedani qu’ont enreg­istré Agustín Mag­a­l­di, Igna­cio Corsi­ni et finale­ment Car­los Gardel à París, ce qui a con­sacré le titre).
Ces gars-là…
Qui sont d’une cer­taine façon comme la blonde, avec les textes ouverts et les yeux fer­més (ici, c’est un jeu de mot entre les textes ouverts qui sont des textes ouverts à plusieurs inter­pré­ta­tions, à dou­ble sens, ces textes qui pul­lu­lent aux épo­ques de cen­sure, dans la tra­di­tion d’Ésope ou de Jean de la Fontaine. Dans le cas con­traire, on par­le de textes fer­més, mais là, ce sont les yeux qui sont fer­més).
Il grimpe le pre­mier (dans le bus) en courant vers le fond, et pousse quand il descend comme tout le monde. (Cette par­tie du texte évoque donc le colec­ti­vo et jus­ti­fie le titre, mais c’est bien sûr, une allé­gorie des pra­tiques de cer­tains…).
Les mains déjà fatiguées de ser­rer la colère…
De deman­der sans qu’on vous le donne, et à la fin de per­dre les choses qui comptent pour vous (sans doute une évo­ca­tion du poing fer­mé, geste des humil­iés qui récla­ment de quoi vivre, un sym­bole tant d’actualité en Argen­tine aujourd’hui au moment où y renait la dic­tature).
Les vraies choses qui comptent tant, le soleil me fait mal aux yeux, c’est pour cela que vous m’avez vu pleur­er, tu ne vois pas la ville aller et venir, et les trot­toirs appar­ti­en­nent à tout le monde comme le pain.

Paroles de Se rechiflo el colectivo

Se rechi­fló el colec­ti­vo que tomé para tu casa
yo vi que el colec­tivero, por San­di­a­blo, bocin­a­ba
raros tan­gos que Alfon­si­na con Ray Brad­bury bail­a­ba
sobre el capó entre un tumul­to de camelias y galax­i­as
y perdió, de tum­bo en tum­bo, la vergüen­za y las fre­nadas.
Y voló al din­tel del sueño donde está mi noche bra­va.
Se rechi­fló, pero a muerte, porque al ir para tu casa,
supo que vos me querías con reloj, suel­do y cor­ba­ta

¡Qué ton­ta… pero qué ton­ta!

¡A mí, que un lás­er de ver­sos me calien­ta has­ta la bar­ba!
y car­go al hom­bro mi tum­ba para morir de amor
¡Mañana!…
y Chopín y Alfre­do Gob­bi pobres como las arañas,
en mi bulín la for­tu­na de sus penas, me regala.

Se negó a lle­varme a vos, colec­ti­vo de mi alma,
en las tor­res de Retiro se embaló por las fachadas
y de un puente de alboro­to cayó al Río de la Pla­ta,
cuan­do mi río es mis tri­pas y es mi vino y es mi magia.

Se rechi­fló el colec­ti­vo que tomé para tu casa:
y en el techo yo reía y en la glo­ria te gri­ta­ba:
¡Se rechi­fló… pobre de vos!
¡Se rechi­fló… gra­cias a Dios!
Osval­do Taran­ti­no Letra: Hora­cio Fer­rer

Traduction de Se rechiflo el colectivo

Il serait très pré­ten­tieux de ma part d’essayer de retran­scrire la poésie de Fer­rer. Cette tra­duc­tion est donc plus un guide pour aigu­iller dans la direc­tion, mais vous devrez faire le par­cours poé­tique vous-même.

Le bus que j’ai pris pour ren­tr­er chez toi s’est moqué. J’ai vu que le chauf­feur, par San­di­a­blo (Saint Dia­ble est un oxy­more inven­té par Fer­rer pour exprimer la folie), klax­on­nait d’é­tranges tan­gos qu’Al­fon­si­na (Alfon­si­na Storni qui s’est sui­cidée en se jetant à la mer à Mar de Pla­ta, comme dans un de ses poèmes, et qui a don­né lieu à la mer­veilleuse zam­ba, Alfon­si­na y el mar immor­tal­isée par Mer­cedes Sosa) avec Ray Brad­bury (c’est bien sûr l’auteur de Fahrein­heit 451, qui évoque la destruc­tion des livres, dans la droite lignée de ce que font les régimes fas­cistes comme la dic­tature mil­i­taire argen­tine de l’époque, ou l’actuelle ou les par­ti­sans de Milei brû­lent des livres qu’ils croient per­ni­cieux faute de les avoir lus) dan­sait sur le capot (une est morte noyée et l’autre par­le d’un pom­pi­er et de feu, le sym­bole de Fer­rer est fort) au milieu d’un tumulte de camélias et de galax­ies et per­dait, de cul­bute en cul­bute, la honte et les freins.
Et il s’en­vola vers le lin­teau du som­meil où se trou­ve ma folle nuit.
Il s’est moqué, mais à mort, parce que, lorsqu’il s’est arrêté chez toi, il savait que tu m’aimais avec une mon­tre, un salaire et une cra­vate.
Quelle idiote, mais quelle idiote !
Pour moi, qu’un laser de vers me réchauffe jusqu’à la barbe !
Et je charge sur mes épaules ma tombe pour mourir d’amour
Demain !…
Et Chopin et Alfre­do Gob­bi, pau­vres comme les araignées, dans ma cham­brette m’offrent la for­tune de leurs cha­grins.
Il a refusé de me con­duire à toi, le colec­ti­vo de mon âme, dans les tours de Retiro (sta­tion de train, où allait juste­ment le bus 23…), il a chargé à tra­vers les façades et d’un pont de tumulte (émeute) il est tombé dans le Río de la Pla­ta, quand mon fleuve est mes tripes et qu’il est mon vin et qu’il est ma magie.
Le bus que j’ai pris pour aller chez toi s’est moqué :
Et sur le toit, je riais et, dans la gloire, je te cri­ais :
Il s’est moqué… Pau­vre de toi !
Il s’est moqué… Dieu mer­ci !

De puro guapo 1940-01-25 — Orquesta Pedro Laurenz con Juan Carlos Casas

Pedro Laurenz (Pedro Blanco) Letra: Manuel Andrés Meaños

Même si Pedro Lau­renz et Juan Car­los Casas ont enreg­istré dix tan­gos, la plu­part du temps, dans les milon­gas, seuls qua­tre de ces titres sont dif­fusés par les DJ. Ces titres le méri­tent, mais cela occulte les autres enreg­istrements qui peu­vent per­me­t­tre de faire des tan­das plus intéres­santes. En effet, les titres habituels sont telle­ment proches qu’on a l’impression de danser plusieurs fois le même titre.

Extrait musical

Par­ti­tion de Puro puapo, ver­sion Lau­renz et Meaños.
De puro guapo 1940-01-25 — Orques­ta Pedro Lau­renz con Juan Car­los Casas.

Deux accords au piano d’Héctor Grané, puis l’appel qui fait se sou­venir que Lau­renz était ban­donéon­iste (ici, accom­pa­g­né au ban­donéon par Ángel Domínguez et Rolan­do Gavi­o­li). Avec le com­plé­ment de la con­tre­basse de Alber­to Celen­za, le rythme très mar­qué des ban­donéons et du piano se con­tin­ue. Il faut atten­dre presque une minute pour que les vio­lons s’expriment de façon plus audi­ble et encore, pour quelques sec­on­des. À 1:25 un très beau motif du vio­loniste Mauri­cio Mise annonce l’intervention de Juan Car­los Casas qui débute à 1:45. La voix par­faite­ment déliée s’intègre dans le phrasé agres­sif des ban­donéons qui, lorsque Casas ter­mine le seul refrain, repren­nent jusqu’au final le rythme puis­sant.

Paroles

Entre cortes y que­bradas,
suave rezongué en tu oído
todo mi ver­bo flori­do
que te dijo mi quer­er.
Vos mostraste en tu son­risa
toda tu coquetería,
y yo, ven­ci­da mi hom­bría…
Yo que siem­pre supe vencer.

Pa’ con­seguir tu car­iño
quiero jugarme la vida
al naipe que me ha gus­ta­do…
No es la primera par­ti­da
en que mi resto he juga­do…
Y si al final copo y gano,
—tau­ra soy en la pos­tu­ra—
hay un facón, bra­va mano,
cora­je y bravu­ra
pa’ hac­erme valer.

Lo que yo quiero lo ten­go,
y eso por tau­ra y por guapo…
Bas­ta que en un bra­zo el trapo
ten­ga y en otro el facón…
Si no bas­tan mis haz­a­ñas
pon­go mi cora­je a prue­ba.
¡Nadie ven­ta­ja me lle­va
cuan­do está en juego tu amor!
Pedro Lau­renz (Pedro Blan­co) Letra: Manuel Andrés Meaños

Juan Car­los Casas ne chante que le refrain (en gras).

Traduction libre

Entre cortes y que­bradas (fig­ures de tan­go archaïques),
J’ai douce­ment grom­melé dans ton oreille
Tout mon verbe fleuri
Que t’a dit mon amour.
Tu as mon­tré avec ton sourire
Toute ta coquet­terie (séduc­tion)
et moi, ma viril­ité vain­cue…
Moi qui avais tou­jours su vain­cre.
Pour obtenir ton affec­tion
Je veux ris­quer ma vie
à la carte qui m’a plu…
Ce n’est pas la pre­mière par­tie
dans lequel j’ai joué mon repos…
Et si à la fin je bois et gagne,
—tau­ra (Caïd), je suis dans la pos­ture —
il y a un couteau, main vive (courageuse, prompte à tir­er le couteau),
Courage et bravoure
pour me faire val­oir.
Ce que je veux, je l’ai
Et cela par tau­ra et par beau (parce que je suis un caïd et beau)…
Il suf­fit que, dans un bras il y ait le chif­fon (étoffe pour pro­téger. Les gau­chos util­i­saient leur pon­cho enroulé sur le bras comme pro­tec­tion)
et dans l’autre, le couteau…
Si mes exploits ne suff­isent pas
Je mets mon courage à l’épreuve.
Per­son­ne n’a l’a­van­tage sur moi
Quand est en jeu ton amour !

Autres versions

De puro guapo 1935-07-24 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Rober­to Mai­da.

On est telle­ment habitués à enten­dre la ver­sion de Lau­renz et Casas, que cette ver­sion pesante de Canaro sem­ble d’une antiq­ui­té insup­port­able. De fait, il sem­ble peu intéres­sant de sub­stituer cet enreg­istrement à notre tan­go du jour. Bien sûr, les ama­teurs de canyengue seront sans doute d’un avis con­traire et c’est bien. J’aime la diver­sité des opin­ions.

De puro guapo 1935-11-26 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to con Jorge Omar.

Enreg­istré seule­ment qua­tre mois plus tard, la ver­sion de Lomu­to se dégage un peu plus de la gangue de la vieille garde que la ver­sion de Canaro. Quelques lib­ertés des instru­ments allè­gent égale­ment cet enreg­istrement. La sonorité est plus proche de celle que pro­duira trois ans plus tard Lau­renz.

De puro guapo 1940-01-25 — Orques­ta Pedro Lau­renz con Juan Car­los Casas. C’est notre tan­go du jour.

Les enreg­istrements suiv­ants seront instru­men­taux et chercheront à pro­pos­er de nou­velles direc­tions dans l’interprétation de l’œuvre. Je vous invite à juger de la diver­sité.

De puro guapo 1966 — Leopol­do Fed­eri­co y Rober­to Grela.

Grela que nous avons enten­du tant de fois en duo avec Troi­lo est ici avec Leopol­do Fed­eri­co. Le ban­donéon de ce dernier et la gui­tare de Grela nous livrent un titre très intéres­sant à écouter, foi­son­nant de créa­tiv­ité.

De puro guapo 1967-11-29 — Orques­ta Aníbal Troi­lo.

La ver­sion de Troi­lo est assez majestueuse. Elle n’est claire­ment pas des­tinée à la danse, même si je con­nais cer­tains qui me con­trediront.

De puro guapo 1968 — Pedro Lau­renz con su Quin­te­to.

Près de 30 ans plus tard, Lau­renz remet son titre en jeu. Cette ver­sion un peu sautil­lante ne me con­va­inc pas, mais pas du tout. On a l’impression que les musi­ciens s’endorment, mal­gré la présence de la gui­tare élec­trique…
Le quin­tette était for­mé de Pedro Lau­renz (ban­donéon), Eduar­do Wal­czak (vio­lon), Rubén Ruiz (gui­tare élec­trique), José Colán­ge­lo (piano) et Luis Pereyra qui a rem­placé le ban­donéon par la con­tre­basse.

De puro guapo 1969-09-18 — Orques­ta Juan D’Arien­zo.

On réveille tout le monde avec cette ver­sion de D’Arienzo. Si on recon­naît des élé­ments de D’Arienzo, cet enreg­istrement tardif manque sans doute de la puis­sance que peu­vent man­i­fester d’autres titres de la même époque. Les efforts de D’Arienzo pour pro­duire un son plus « mod­erne » déna­turent son style et là encore, je ne défendrai pas ce titre pour con­stituer une tan­da, même si cela reste dans­able.

De puro guapo 1972-11-10 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Après les recherch­es de Troi­lo, cette ver­sion mar­que une autre étape dans la recherche d’une har­monie par­ti­c­ulière. Autant les mêmes efforts chez D’Arienzo tombaient à plat, autant le résul­tat de Pugliese apporte un sus­pens musi­cal qui rend l’œuvre pas­sion­nante à écouter. Là encore, ce n’est pas un titre à danser, mais à écouter avec une atten­tion soutenue pour prof­iter de tous ces instants sub­tils.

De puro guapo 1996 — Quin­te­to Real.

Puisqu’on a décidé de s’éloigner, au fil du temps du tan­go de danse, cette ver­sion du Quin­te­to Real s’essaye à une syn­thèse entre les recherch­es de Pugliese et l’orchestration de Lau­renz. Le résul­tat, au regard des deux mod­èles opposés a du mal à con­va­in­cre, ou pour le moins à me con­va­in­cre.

De puro guapo 2002 — La Fur­ca.

La Fur­ca essaye de main­tenir la dragée haute. Il est curieux de voir que cette œuvre qui a sus­cité la mer­veilleuse ver­sion de Lau­renz Casas a eu peu de descen­dance à la hau­teur.
Je vous pro­pose de ter­min­er ce tour du tan­go « De Puro Guapo » avec une petite sur­prise.

Un Puro guapo peut en cacher un autre

Il arrive sou­vent qu’on demande au DJ un morceau spé­ci­fique. C’est générale­ment le cas pour les démon­stra­tions de danseurs, mais aus­si pour les danseurs usuels de la milon­ga. Sou­vent (lire, tout le temps), ils sont décom­posés quand je leur dis, mais quelle ver­sion ? Suit une petite écoute au casque, jusqu’à ce qu’ils trou­vent la ver­sion souhaitée.
À ce sujet, j’ai eu, en quelques occa­sions, des danseurs qui m’ont chan­té le titre qu’ils voulaient pour leur démo. Là encore, trou­ver le titre est générale­ment assez facile, mais quand il y a trente ver­sions, il faut faire preuve de per­spi­cac­ité.
Par­fois, la dif­fi­culté vient de ce qu’un orchestre a enreg­istré deux tan­gos du même titre, mais dif­férents. C’est par exem­ple le cas avec De puro guapo qui existe aus­si dans une ver­sion écrite par Rafael Iri­arte (Rafael Yorio) avec des paroles de Juan Car­los Fer­nán­dez Díaz.
Ce tan­go a été enreg­istré par plusieurs orchestres qui ont aus­si enreg­istré la ver­sion de Lau­renz, par exem­ple, Fran­cis­co Canaro. Mais on se ren­dra bien vite compte que ce n’est pas le même. Imag­inez le désar­roi du cou­ple de danseurs en démon­stra­tion si le DJ met le mau­vais tan­go. Le DJ doit savoir pos­er les bonnes ques­tions et faire écouter le titre aux danseurs , si pos­si­ble, et les danseurs devraient s’assurer de la ver­sion qu’ils souhait­ent utilis­er en don­nant l’orchestre, l’éventuel chanteur et la date d’enregistrement afin d’éviter tout risque et ambiguïté. Enfin, presque tous les risques, car nous avons vu qu’un orchestre comme celui de Canaro pou­vait enreg­istr­er le même jour avec le même chanteur, le même titre, un en ver­sion de danse et un en ver­sion d’écoute…

La cou­ver­ture de la ver­sion de Iri­arte et Meaños. Je vous passe les paroles du tan­go, comme on peut s’en douter en voy­ant cette illus­tra­tion, l’his­toire est trag­ique, plus que celle de Lau­renz à laque­lle elle peut tout de même répon­dre…
De puro guapo 1927-11-16 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

On retrou­ve le canyengue cher à Canaro. Cette ver­sion instru­men­tale nous dis­pense de la noirceur des paroles. On remar­que que le titre n’a rien à voir avec celui écrit par Lau­renz.

De puro guapo 1928-01-14 — Car­los Gardel con acomp. de Guiller­mo Bar­bi­eri, José Ricar­do (gui­tar­ras).

Gardel avec ses gui­taristes nous présente cette chan­son trag­ique.

De puro guapo V2 1928-02-02 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Ernesto Famá.

Deux semaines après Gardel, Frese­do enreg­istre le titre dans une ver­sion des­tinée à la danse. Tout au moins la danse de l’époque…

De puro guapo 1972-12-13 — Rober­to Goyeneche con Atilio Stam­pone y su Orques­ta Típi­ca.

Goyeneche nous donne une très belle inter­pré­ta­tion de ce titre. Bien sûr, une chan­son, bien jolie à écouter et chargée d’émotion.

Comme la ver­sion de Lau­renz, la ver­sion de Iri­arte a don­né lieu à des inter­pré­ta­tions très var­iées, mais elle n’aura sans doute pas les hon­neurs du bal, comme la ver­sion que Lau­renz a enreg­istrés avec Casas et qui nous rav­it à chaque fois.

Bon, lais­sons les puros gua­pos à leurs van­tardis­es et méfaits et je vous dis, à bien­tôt, les amis !

Barrio de tango 1943-01-19 — Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz

Aníbal Troilo Letra: Homero Manzi

Impos­si­ble que vous ne con­naissiez pas Bar­rio de tan­go immor­tal­isé par Aníbal Troi­lo et Fran­cis­co Fiorenti­no. Cepen­dant, vous con­nais­sez peut-être moins cette très intéres­sante ver­sion par Miguel Caló et Jorge Ortiz. D’ailleurs, il y a quelques ponts curieux entre ces deux directeurs d’orchestre.

Extrait musical

Bar­rio de tan­go 1943-01-19 — Orques­ta Miguel Caló con Jorge Ortiz.

Paroles

Un peda­zo de bar­rio, allá en Pom­peya,
dur­mién­dose al costa­do del ter­raplén.
Un farol bal­ance­an­do en la bar­rera
y el mis­te­rio de adiós que siem­bra el tren.
Un ladri­do de per­ros a la luna.
El amor escon­di­do en un portón.
Y los sapos redob­lan­do en la lagu­na
y a lo lejos la voz del ban­doneón.

Bar­rio de tan­go, luna y mis­te­rio,
calles lejanas, ¡cómo estarán!
Viejos ami­gos que hoy ni recuer­do,
¡qué se habrán hecho, dónde estarán!
Bar­rio de tan­go, qué fue de aque­l­la,
Jua­na, la rubia, que tan­to amé.
¡Sabrá que sufro, pen­san­do en ella,
des­de la tarde que la dejé!
Bar­rio de tan­go, luna y mis­te­rio,
¡des­de el recuer­do te vuel­vo a ver!

Un coro de sil­bidos allá en la esquina.
El codil­lo llenan­do el almacén.
Y el dramón de la pál­i­da veci­na
que ya nun­ca sal­ió a mirar el tren.
Así evo­co tus noches, bar­rio ‘e tan­go,
con las chatas entran­do al cor­ralón
y la luna cha­pale­an­do sobre el fan­go
y a lo lejos la voz del ban­doneón.
Aníbal Troi­lo Letra: Home­ro Manzi

Traduction libre et indications

Un morceau de quarti­er, là-bas à Pom­peya (quarti­er au sud de Buenos Aires), dor­mant sur le côté du talus (sans doute le terre-plein du chemin de fer qui coupe le quarti­er, voir plan en fin d’article).
Une lanterne qui se bal­ance sur la bar­rière et le mys­tère d’un adieu que le train sème.
Un aboiement de chiens à la lune.
L’amour caché dans une porte cochère.
Et les cra­pauds redou­blant dans le lac et au loin la voix du ban­donéon.
Quarti­er du tan­go, lune et mys­tère, rues loin­taines, com­ment seront-elles !
De vieux amis dont je ne me sou­viens même pas aujour­d’hui, qu’ont-ils fait, où sont-ils !
Quarti­er de Tan­go, qu’est-il arrivé à celle-là, Jua­na, la blonde, que j’ai tant aimée.
Elle saura que je souf­fre, en pen­sant à elle, depuis l’après-midi où je l’ai quit­tée !
Quarti­er de tan­go, lune et mys­tère, depuis le sou­venir, je te revois !
Un chœur de sif­fle­ments là-bas au coin de la rue.
Le codil­lo (artic­u­la­tion, coude, voire jeu de cartes) rem­plis­sant l’en­tre­pôt (ou le mag­a­sin). Cette phrase est donc incer­taine, au moins pour moi…
Et le drame de la pâle voi­sine qui n’est plus jamais sor­tie pour regarder le train.
C’est ain­si que j’évoque tes nuits, bar­rio de tan­go, avec les char­rettes entrant dans le dépôt et la lune éclabous­sant au-dessus de la boue et au loin la voix du ban­donéon.

Autres versions

Bar­rio de tan­go 1942-12-14 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Fran­cis­co Fiorenti­no.
Francesco Fiorenti­no et Aníbal Troi­lo
Bar­rio de tan­go 1942-12-30 — Orques­ta Ángel D’Agosti­no con Ángel Var­gas.
Ángel D’Agosti­no et Ángel Var­gas
Bar­rio de tan­go 1943-01-19 — Orques­ta Miguel Caló con Jorge Ortiz. C’est notre tan­go du jour.
Jorge Ortiz et Miguel Caló
Bar­rio de tan­go 1964-02-03 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Nel­ly Vázquez.
Nel­ly Vázquez et Aníbal Troi­lo
Bar­rio de tan­go 1971 — Cuar­te­to Aníbal Troi­lo con Rober­to Goyeneche.

Une cap­ture à la radio, la qual­ité n’est pas au top, mais l’interprétation est intéres­sante.

Bar­rio de tan­go 1971-05-06 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Rober­to Goyeneche.

Les mêmes, enfin, pas tout à fait, car au lieu du cuar­te­to, c’est ici, l’orchestre de Troi­lo qui accom­pa­gne Goyeneche.

Aníbal Troi­lo con Rober­to Goyeneche. Te acordás… Pola­co ? Disque et pho­to

Pompeya, barrio de tango

Ou plutôt “Nue­va Pom­peya”, l’ancienne ayant eu des petits prob­lèmes avec le Vésuve est un quarti­er du sud de Buenos Aires bor­dant le Riachue­lo.

En jaune, Nue­va Pom­peya. On remar­que la belle courbe et sa con­tre­courbe verte qui cor­re­spond au talus du chemin de fer, talus évo­qué dans les paroles.
Pom­peya, lors des inon­da­tions de 1912 et aujour­d’hui. On remar­que la voie fer­rée sur son talus. Des entre­pôts et usines au pre­mier plan et au nord-est de la voie fer­rée, quelques habi­ta­tions.
Les touristes qui restent à Reco­let­ta ou Paler­mo ne voient pas for­cé­ment la mis­ère qui est tou­jours présente en Argen­tine. Sur la pho­to de gauche, la lim­ite Bar­ra­cas et Nue­va Pom­peya. On remar­quera la présence de rails, ceux qui étaient util­isés pour le train des ordures. À droite, une habi­ta­tion con­sti­tuée de latas (bidons d’huile ou de pét­role lam­pant), ancêtre des loge­ments actuels qui sont égale­ment créés à par­tir de matéri­aux de récupéra­tion comme on peut le voir sur la pho­to de gauche.

Je ter­mine notre par­cours dans un bar­rio de tan­go. Un par­cours rapi­de et qui ne sera jamais dans les pro­grammes des guides touris­tiques. C’est pour­tant là un des berceaux du tan­go. Je vous invite à con­sul­ter mon anec­dote sur le Bar­rio de las latas pour en savoir plus.

Un des ponts entre Aníbal Troilo et Miguel Caló

Aujourd’hui, je vais juste vous par­ler d’un petit pont, celui qui lie cer­tains enreg­istrements de Troi­lo avec ceux de Caló.
Je m’amuse par­fois à « tromper » les danseurs en leur pro­posant une fausse tan­da de Caló qui est en fait 100 % Troi­lo. Je com­mence par un titre très proche de Caló et je dévie, ensuite, plus ou moins vers du pur Troi­lo. C’est un des avan­tages des tan­das de qua­tre de pou­voir faire des tran­si­tions plus sub­tiles. Voici quelques titres enreg­istrés par Troi­lo qui peu­vent, pour des oreilles peu aver­ties, paraître proches de Caló. J’imagine que mes lecteurs qui sont des spé­cial­istes ne vont pas adhér­er à ces simil­i­tudes, mais je vous assure que l’illusion fonc­tionne assez bien comme j’ai pu le con­stater des dizaines de fois, notam­ment l’année du cen­te­naire de Troi­lo où je pas­sais beau­coup notre gor­do favorito.
Corazón no le hagas caso
Lejos de Buenos Aires
Tris­tezas de la calle Cor­ri­entes
Per­cal
Después
Mar­gari­ta Gau­thi­er
Cada día te extraño mas
Fru­ta amar­ga
De bar­ro
Gime el vien­to
La noche que te fuiste
Orques­tas de mi ciu­dad
Il y a égale­ment des simil­i­tudes dans le choix des musiques, mais la plu­part sont inter­prétées avec un style pro­pre qui ne prête pas à con­fu­sion. Il y a aus­si quelques Caló tardifs qui pour­raient pass­er pour des Troi­lo de la décen­nie précé­dente.
On en repar­lera…

À bien­tôt, les amis !

El chino Pantaleón 1942-01-13 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán

Francisco Canaro (paroles et musique)

Le prénom Pan­taleón est bien con­nu dans le domaine du tan­go à cause de Piaz­zol­la qui l’avait en sec­ond prénom. Chi­no ‚me fait penser au génial Chi­no Labor­de, que je vais d’ailleurs aller écouter avec La Mucha Tan­go jeu­di à Nue­vo Chique. En com­bi­nant les deux, on obtient notre titre du jour, écrit par Fran­cis­co Canaro. Cette « milon­ga » fait par­tie de ces titres à la lim­ite du lun­far­do qui jouent sur les mots, mélangeant tan­go et castagne.

Extrait musical

El chi­no Pan­taleón 1942-01-13 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Car­los Roldán.
Disque Odeón 55157. El Chi­no Pan­taleón est sur la face A et Y… No la puedo olvi­dar, sur la face B.

Le rythme de cette com­po­si­tion est un peu atyp­ique et il rend dif­fi­cile de la class­er, milongua tangue­an­da, milon­ga can­dombe. Ce n’est peut-être pas de tout pre­mier choix pour le bal…
La voix de Car­los Roldán est sym­pa.
On notera la fin abrupte, très orig­i­nale, comme si la musique avait été mise KO.

Paroles

Caballeros milongueros,
la milon­ga está for­ma­da
y el que cope la para­da
que se juegue todo entero,
si es que tiene com­pañero,
la gui­tar­ra bien tem­pla­da
pa’ aguan­tar cualquier tren­za­da
con razón o sin razón,
cara a cara, frente a frente,
corazón a corazón.

Era el Chi­no Pan­taleón
milonguero y cachafaz,
que al sonar de un ban­doneón
vibore­a­ba en su com­pás.
Era un tau­ra pa’ copar
y de ley como el mejor;
si lo entra­ban a apu­rar
era capaz de can­tar
“La vio­le­ta” o “Trovador”.

Caballeros milongueros,
vayan salien­do a la can­cha
porque el que hace la “patan­cha“
es señal que le da el cuero;
siem­pre el que pega primero
lle­va la may­or ven­ta­ja;
no le ponen la mor­ta­ja
al que tira sin errar;
no es de vivo, com­pañero,
el dejarse madru­gar.
Fran­cis­co Canaro (paroles et musique)

Traduction libre et indications

Messieurs les milongueros (dans le sens de bagar­reurs), l’affaire est for­mée (milon­ga a ici le sens d’affaire dou­teuse, désor­dre) et celui qui prend posi­tion doit tout jouer, s’il a un parte­naire (un parte­naire. Cela con­firme que l’on est plus dans le domaine de la rixe que celui de la danse).
La gui­tare (peut aus­si faire allu­sion à l’argent) bien accordée pour résis­ter à toute bagarre avec rai­son ou sans rai­son,
Face à face, front à front, cœur à cœur.
C’é­tait le Chi­no Pan­taleón milonguero et inso­lent (cachafaz comme était surnom­mé Ovidio José Bian­quet, qui tra­vail­la avec Canaro pour ses revues musi­cales), qui, lorsque son­nait un ban­donéon (Ban­donéon n’est pas ici l’instrument, mais l’action de gên­er l’autre en faisant du bruit), vibrait à son rythme.
Il était un tau­ra (généreux) à boire et de ley (loy­al, véri­ta­ble comme dans milonguero de ley) comme le meilleur ;
s’ils le cher­chaient (se jetaient sur lui, l’obligeaient), il pou­vait chanter « La vio­le­ta » (tan­go de Cátu­lo Castil­lo avec des paroles de Nicolás Oli­vari, chan­té par Mai­da et Gardel, puis, par Troi­lo avec Casal puis Goyeneche) ou « Trovador » (valse de Car­los Alcaraz avec des paroles de Car­los Pesce). Je pense que ces titres sont plutôt don­nés pour indi­quer que le type a du répon­dant dans la bagarre.
Messieurs les milongueros, sortez sur le ter­rain, car celui qui fait le « patan­cha » (pata ancha, la grosse pat­te, le courageux) est un signe que le cuir lui donne ;
Celui qui frappe le pre­mier a tou­jours le meilleur avan­tage ;
Ils ne met­tent pas le linceul à celui qui tire sans se per­dre (per­dre de temps, sans errer) ;
Il n’est pas vivant, cama­rade, de se laiss­er devancer (madru­gar peut sig­ni­fi­er, devancer, gag­n­er du temps, atta­quer le pre­mier).
On voit que les paroles rich­es de lun­far­do, jouent sur les mots. Avec le vocab­u­laire de la milon­ga, on par­le bel et bien de bagarre.

Autres versions

Notre pre­mier titre est un fox-trot, qui n’a que seul point com­mun, le prénom Pan­taleón…

Pan­taleón 1930-05-28 (Fox-trot) — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Char­lo. (Eleu­terio Irib­ar­ren Letra: Fran­cis­co Anto­nio Bas­tar­di).
El chi­no Pan­taleón 1942-01-13 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Car­los Roldán. C’est notre milon­ga du jour.
El chi­no Pan­taleón 1942-06-17 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to con Fer­nan­do Díaz.

Par­fois, Lomu­to fait des choses plus intéres­santes que Canaro. C’est sans doute le cas de cet enreg­istrement que je trou­ve plus sym­pa à danser. On remar­quera, dès le début, une util­i­sa­tion dif­férente des instru­ments, ce ne sont pas les mêmes élé­ments qui sont mis en valeur. En ce qui con­cerne la voix, on peut préfér­er Roldán à Díaz, mais je trou­ve que cette milon­ga est rel­a­tive­ment joueuse et qu’elle pour­rait trou­ver sa place dans une milon­ga. Sa fin est en revanche plus clas­sique avec les deux accords fin­aux, habituels.

El chi­no Pan­taleón 1953-03-25 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Alber­to Are­nas y Mario Alon­so.

Canaro reprend sa com­po­si­tion pour l’enregistrer en duo. On pour­rait presque dire en trio, tant le piano qui s’amuse est présent. C’est tou­jours Mar­i­ano Mores, mais il a pris plus de place dans l’orchestre qu’à son arrivée en 1940.
La ver­sion ne se prête pas plus et peut-être moins encore à la danse que la ver­sion de 1942, notam­ment à cause de ses dia­logues et des paus­es dans la musique.

Qui est Pantaleón ?

Je n’ai pas d’autre ver­sion de cette milon­ga en stock. Cepen­dant, il reste un autre titre par­lant d’un Pan­taleón et ce prénom est accom­pa­g­né d’un nom de famille, Lucero.
Écou­tons ce titre.

Yo Soy Pan­taleón Lucero 1979 — Ricar­do Daniel Pereyra (“Chiqui”). (Faus­to Fron­tera Letra: Cele­do­nio Flo­res)

Ce titre com­posé au début du vingtième siè­cle par Faus­to Fron­tera avec des paroles de Cele­do­nio Flo­res a été enreg­istré par Chiqui en 1979. Il ne sem­ble pas y avoir d’autres ver­sions enreg­istrées.

Ricar­do Daniel Pereyra (“Chiqui”). Avec Rober­to Goyeneche sur la pho­to de gauche.

Paroles de Yo Soy Pantaleón Lucero

Yo soy Pan­taleón Lucero
de pro­fe­sión may­oral,
cump­lo cuarenta en enero
aunque algunos me dan más.
Nací por el Bar­rio Norte
y me crié por el sur,
tal vez no ten­ga dinero,
pero me sobra salud.

Si me quieren, tam­bién quiero
si no me quieren, tam­bién,
soy querendón y sin­cero
porque soy hom­bre de fe.
Ami­go que sale malo
yo lo olvi­do y ter­minó,
pero no puedo olvi­dar­la
a la que a mí me olvidó.

Yo soy Pan­taleón Lucero
no sé si recor­darán,
deci­dor y refranero
y criol­lo a car­ta cabal.
Matear amar­go es mi vicio
mi des­dicha, enam­orar,
qué ale­gría, can­tar siem­pre
así las penas se van.

(Coda)
Yo soy Pan­taleón Lucero,
pa’ lo que guste man­dar.
Faus­to Fron­tera Letra: Cele­do­nio Flo­res

Traduction libre des paroles de Yo Soy Pantaleón Lucero

Je suis Pan­taleón Lucero, may­oral (pré­posé aux bil­lets du Tramway) de pro­fes­sion,
J’au­rai quar­ante ans en jan­vi­er, bien que cer­tains m’en don­nent plus.
Je suis né dans le Bar­rio Norte et j’ai gran­di dans le sud. Peut-être que je n’ai pas d’ar­gent, mais j’ai beau­coup de san­té.
S’ils m’ai­ment, j’aime aus­si. S’ils ne m’ai­ment pas, égale­ment. Je suis aimant et sincère parce que je suis un homme de foi.
L’ami qui devient mau­vais, je l’ou­blie et c’est fini, mais je ne peux pas oubli­er celle qui m’a oublié.
Je suis Pan­taleón Lucero, je ne sais pas si vous vous en sou­venez, un décideur et un diseur et un créole absol­u­ment (l’expression a car­ta cabal sig­ni­fie, pleine­ment).
Boire le mate amer est mon vice, ma mis­ère, tomber amoureux, quelle joie, tou­jours chanter, ain­si les cha­grins s’en vont.
(Coda)
Je suis Pan­taleón Lucero, pour tout ce que vous souhaitez deman­der.

En savons-nous plus sur Pantaleón ?

Nous avons main­tenant trois por­traits d’un Pan­taleón.

S’il est dif­fi­cile de savoir si les deux Pan­taleón de Canaro cor­re­spon­dent au même per­son­nage. En revanche, il est peu prob­a­ble que le may­oral, qui sem­ble un être pais­i­ble soit le même que celui de la milon­ga de Canaro.
Je pro­pose donc de laiss­er la ques­tion en sus­pens et en com­pen­sa­tion, une petite remar­que.
Le chanteur Enrique Martínez, le petit frère de Mar­i­ano Mores, le pianiste de Canaro, avait choisi comme nom de scène, Enrique Lucero. Mais je pense que c’est plus en référence à Vénus (Lucero del alba, l’étoile de l’aube), qu’en l’honneur d’un dis­trib­u­teur de bil­lets dans un tramway…
De nos jours, le terme chi­no est plutôt réservé aux Chi­nois.
Cepen­dant, en lun­far­do, la chi­na est la chérie, et, dans une moin­dre mesure chi­no est égale­ment util­is­able pour chéri.
Le terme « chi­no » définit égale­ment des métiss­es d’Indiens et de Noirs. Cela expli­querait le choix d’une musique proche du canyengue pour ce titre.
Je fais donc l’hypothèse que El chi­no Pan­taleón est un per­son­nage som­bre de peau, bagar­reur, un des nom­breux com­padri­tos qui han­taient les faubourgs de Buenos Aires.

À bien­tôt les amis !

Otra vez carnaval (Noche de carnaval) 1942-01-03 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino

Carlos Di Sarli Letra: Francisco García Jiménez

Le Car­naval était, chaque année, un moment clef pour les orchestres de tan­go. À cette occa­sion, des orchestres se regroupaient pour pro­pos­er des orchestres immenses et des mil­liers de danseurs “tan­guaient” sur les pistes plus ou moins impro­visées, dans les rues, les places ou les salles de con­cert, comme le Luna Park. Mais Car­naval, c’était bien plus que le seul tan­go. C’était un moment de libéra­tion dans une vie sou­vent dif­fi­cile et par­fois, l’occasion de ren­con­tres, comme celle que nous narre ce tan­go de Di Sar­li.

Extrait musical

Otra vez car­naval (Noche de car­naval) 1942-01-03 — Orques­ta Car­los Di Sar­li con Rober­to Rufi­no.
Par­ti­tion de piano de Otra vez car­naval de Di Sar­li et Jiménez.

Paroles

En los ojos llev­a­ba la noche
y el amor en la boca…
Car­naval en su coche
la pasea­ba tri­un­fal.
Ser­penti­na de mági­co vue­lo
fue su amor de una noche;
ser­penti­na que luego arras­tró mi dolor
enreda­da en las ruedas de un coche
cuan­do el cor­so en la som­bra quedó…

Otra vez, Car­naval,
en tu noche me cita
la mis­ma boni­ta
y audaz mas­cari­ta…
Otra vez, Car­naval,
otra vez, como ayer,
sus locos amores
le vuel­vo a creer.
Y aca­so la llore
mañana otra vez…

Fugi­ti­vas se irán en la auro­ra
la ven­tu­ra y la risa…
¡Ten­drán todas mis horas
una gris soledad!
En mis labios habrá la ceniza
de su nue­vo desaire;
y despo­jos del sueño tan sólo serán,
un per­fume ron­dan­do en el aire
y en el sue­lo un pequeño antifaz…
Car­los Di Sar­li Letra: Fran­cis­co Gar­cía Jiménez

Traduction libre

Dans ses yeux, elle por­tait la nuit et l’amour à la bouche…
Car­naval dans son char la fai­sait défil­er tri­om­phale­ment.
Un ser­pentin de vol mag­ique fut son amour d’une nuit ;
ser­pentin qui ensuite traî­na ma douleur empêtrée dans les roues d’une voiture lorsque le char dans l’om­bre s’im­mo­bil­isa…

Encore une fois, Car­naval, dans ta nuit, me don­na ren­dez-vous, la même belle et auda­cieuse, masquée…
Encore une fois, Car­naval, encore une fois, comme hier, ses amours folles, je reviens à les croire.
Et peut-être que je la pleur­erai demain, encore une fois…

Les fugi­tives s’en iront dans l’au­rore, la for­tune et les rires…
Toutes mes heures auront une soli­tude grise !
Sur mes lèvres res­teront les cen­dres de son nou­veau cam­ou­flet ;
et les restes du rêve ne seront plus qu’un par­fum planant dans l’air et sur le sol un petit masque…

Autres versions

Otra vez car­naval (Noche de car­naval) 1942-01-03 — Orques­ta Car­los Di Sar­li con Rober­to Rufi­no. C’est notre tan­go du jour.
Otra vez car­naval (Noche de car­naval) 1947-01-14 — Orques­ta Car­los Di Sar­li con Jorge Durán. Cinq ans plus tard, nou­veau chanteur. Di Sar­li réen­reg­istre sa com­po­si­tion.
Otra vez car­naval 1981-08-12 — Rober­to Goyeneche con Orques­ta Típi­ca Porteña. Une ver­sion à écouter.

Carnaval

Les fes­tiv­ités de Car­naval se sont vues à plusieurs repris­es inter­dites en Argen­tine. Il faut dire qu’au XIXe siè­cle, cela don­nait sou­vent lieu à des débor­de­ments.
Il s’agissait de man­i­fes­ta­tions plutôt spon­tanées jusqu’au dix-neu­vième siè­cle, elles furent inter­dites ou lim­itées à cer­tains lieux, notam­ment dans le cadre de la lim­i­ta­tion des pop­u­la­tions d’origine africaines.

1869, l’état autorise le carnaval et l’organise

C’est Sarmien­to, de retour d’un voy­age en Ital­ie où il avait assisté aux fes­tiv­ités de Car­naval, qui les a rétablies offi­cielle­ment en 1869 sous la forme du défilé.

Défilé en 1931, 1940 et de nos jours (Gualeguay­chú, province de Entre Ríos).

Tango et carnaval

Les orchestres étaient mis à con­tri­bu­tion et, durant les décen­nies tan­go, les orchestres de tan­go fai­saient danser plusieurs mil­liers de cou­ples. Pas seule­ment à Buenos Aires, mais aus­si à Mon­te­v­ideo et Rosario, notam­ment.

Affich­es de car­navals. 1917 Fir­po et Canaro — 1940 Eddie Kay (Jazz), Canaro, Frese­do et D’Arien­zo (voir le petit jeu en fin d’ar­ti­cle). Ensuite, Di Sar­li et enfin une affiche de 1950 avec Troi­lo et De Ange­lis.

Exemple de règlement mis en place durant la dictature militaire (Cordoba, 1976/02/23)

La plus récente pro­hi­bi­tion fut par­tielle. C’était pen­dant la dernière dic­tature du vingtième siè­cle. Le Car­naval n’avait pas été aboli, mais deux con­di­tions avaient été posées :
“Se pro­híbe el uso de dis­fraces que aten­ten con­tra la moral y la decen­cia públi­cas: uni­formes mil­itares, poli­ciales, vestiduras sac­er­do­tales y los que ridi­culi­cen a las autori­dades del Esta­do u otras naciones.
-Está per­mi­ti­do de 9 a 19, jugar con agua en bue­nas condi­ciones de higiene, glo­bitos y pomos.”
« L’u­til­i­sa­tion de cos­tumes qui vio­lent la moral­ité publique et la décence est inter­dite : uni­formes mil­i­taires, uni­formes de police, vête­ments sac­er­do­taux et ceux qui ridi­culisent les autorités de l’É­tat ou d’autres nations. (On notera que la lec­ture peut être à dou­ble niveau et que l’on pour­rait y con­sid­ér­er les vête­ments mil­i­taires et sac­er­do­taux comme indé­cents…)
-Il est per­mis de 9 h à 19 h de jouer avec l’eau dans de bonnes con­di­tions d’hy­giène, les bal­lons et les pom­meaux. » (Les jeux d’eau sont en effet courants, il faut dire que l’époque du car­naval cor­re­spond au plein été en Argen­tine).

Les jeux avec l’eau sont restés per­mis pen­dant la dic­tature.

Cepen­dant, durant la Dic­tature, il n’y a pas eu de Car­naval pro­pre­ment dit, pas de défilés et de grandes fêtes pop­u­laires.

La fin de la dictature et le retour du Carnaval

Lorsque Alfon­sin fut élu en 1983, il mit en œuvre son pro­gramme « Avec la démoc­ra­tie on mange, on se soigne et on s’éduque ». L’année suiv­ante, le car­naval de nou­veau libéré a pris une saveur par­ti­c­ulière et, peu à peu, les ten­ta­tives de coup d’État se sont espacées et la démoc­ra­tie s’est implan­tée pour une quar­an­taine d’années.

Le car­naval de 1984 est impor­tant, car il fête le retour de la démoc­ra­tie et, par la même, le retour du Car­naval sous sa forme habituelle.

En 2023, le con­grès por­tait des ban­deroles 40 ans de démoc­ra­tie, en sou­venir de cette époque.

Le gou­verne­ment précé­dent avait fait plac­er deux ban­deroles, de part et d’autre de l’en­trée des députés au Con­grès (Con­gre­so). J’ai pris cette pho­to, peu de temps après le change­ment de gou­verne­ment. Une des ban­deroles avait dis­paru. On remar­quera une scène éton­nante, ce livreur qui dort sur la chaussée (emplace­ment réservé aux voitures offi­cielles). Il ne reste bien sûr plus de ban­de­role aujourd’hui et les indi­gents sont priés de dormir hors de la ville. Les mate­las de for­tune et les mai­gres pos­ses­sions de ces per­son­nes sont brûlés. Cela sem­ble fonc­tion­ner, on ren­con­tre beau­coup moins de per­son­nes dor­mant dehors main­tenant. Mais il suf­fit de franchir les lim­ites de la ville pour con­stater que ce n’est pas une amélio­ra­tion de la sit­u­a­tion des plus pau­vres, mais un sim­ple « net­toy­age ».

Petit jeu (très facile)

Observez cette affiche et attribuez à chaque chef d’orchestre son ou ses chanteurs…

Affiche de la Radio El Mun­do de Buenos Aires pour le Car­naval de 1940.
À gauche les orchestres et à droite les chanteurs…

Réponse au petit jeu

J’imagine que vous n’avez pas trop eu de dif­fi­culté pour ce qui est de rac­corder les orchestres avec leurs chanteurs de tan­go.
Il restait ensuite deux noms, Eddie Kay et Rudy Green, qu’il sem­ble donc logique d’associer, car ils sont moins con­nus.
Eddie Kay, pianiste né en Ital­ie et qui est passé aupar­a­vant par les États-Unis pour sa for­ma­tion musi­cale avant de retourn­er en Ital­ie, puis de s’installer en Argen­tine.
Étant don­né son passé en Amérique du Nord, il est ten­tant d’en faire un musi­cien de jazz. On n’aurait pas tort, mais sa ren­con­tre avec Gardel, qui se trans­for­ma en ami­tié, a fait qu’il a élar­gi ses hori­zons et a égale­ment com­posé des tan­gos. Cepen­dant, en ce qui con­cerne l’affiche de notre jeu, il inter­ve­nait bien comme orchestre de jazz (Fox­trots, valses et dans­es importées d’Amérique du Nord). Son groupe Alaba­ma Jazz, a un nom qui mar­que bien les ambi­tions de cet orchestre, tout comme le pseu­do­nyme Eddie Kay car son nom véri­ta­ble était Edmun­do Tul­li, ce qui fait net­te­ment moins, jazzman.
Il reste Rudy Green. Là, je n’ai pas trou­vé trace du bon­homme. Il y a bien un Rudy Green, mais celui-ci était noir et avait com­mencé sa car­rière en 1946 à Nashville alors qu’il avait 14 ans. Il s’agit donc for­cé­ment d’un autre Rudy Green, le type sur l’affiche n’a pas une tête de gamin noir de 8 ans…
Je ne sais donc pas si ce chanteur était asso­cié à Eddie Kay, mais, par son nom ou pseu­do­nyme, on peut penser qu’il grav­i­tait égale­ment autour du Jazz. Peut-être qu’un jour la lumière se fera sur ce point et alors, je vous en avis­erai.

Les répons­es. Le lien entre Eddie Kay et Rudy Green est une hypothèse, fort prob­a­ble, mais sans garantie…

Un petit cadeau

J’ai mon­té quelques images fix­es et ani­mées de Car­naval. Cela vous per­me­t­tra de vous faire une idée du phénomène.

Quelques images de Car­naval de 1889 à nos jours.

À bien­tôt, les amis !

Mano a mano 1987-08-22 – Roberto Goyeneche con la Orquesta de Osvaldo Pugliese

Carlos Gardel, José Razzano Letra: Celedonio Esteban Flores

Hier, en fouil­lant dans les vidéos de La yum­ba, sans doute l’œuvre où on a le plus de vues de Pugliese jouant et dirigeant son orchestre, une vidéo a attiré mon atten­tion. Il s’agit d’un con­cert don­né en 1987 où Rober­to Goyeneche a été accom­pa­g­né par l’orchestre de Osval­do Pugliese. Cette ren­con­tre au som­met entre ces deux idol­es du tan­go a donc été filmée et j’ai pen­sé que je devais vous partager ce morceau d’anthologie qui a été enreg­istré il y a exacte­ment 37 ans, jour pour jour.
Je pour­rai rajouter que les auteurs sont eux aus­si plutôt fameux, puisqu’il s’agit de Car­los Gardel et José Raz­zano pour la com­po­si­tion et Cele­do­nio Este­ban Flo­res pour les paroles.

Mano a mano, Osvaldo Pugliese et Roberto Goyeneche

Par­ti­tion de Mano a mano de Car­los Gardel et José Raz­zano avec des paroles de Cele­do­nio Flo­res.
Mano a mano — Rober­to Goyeneche con Osval­do Pugliese y su orques­ta. Enreg­istrement pub­lic au Teatro Opera de Buenos Aires (Aveni­da Cor­ri­entes 860) le 22 août 1987

Je pense que vous serez d’accord pour dire que cette vidéo est un mon­u­ment d’amitié, de respect et d’émotion. Un très grand moment du tan­go.

Paroles

Rechi­fla­do en mi tris­teza, te evo­co y veo que has sido
en mi pobre vida paria sólo una bue­na mujer.
Tu pres­en­cia de bacana puso calor en mi nido,
fuiste bue­na, con­se­cuente, y yo sé que me has queri­do
cómo no qui­siste a nadie, como no podrás quer­er.

Se dio el juego de remanye cuan­do vos, pobre per­can­ta,
gam­bete­abas la pobreza en la casa de pen­sión.
Hoy sos toda una bacana, la vida te ríe y can­ta,
Los mor­la­cos del otario los jugás a la marchan­ta
como jue­ga el gato maula con el mísero ratón.

Hoy tenés el mate lleno de infe­lices ilu­siones,
te engrupieron los otar­ios, las ami­gas y el gav­ión;
la milon­ga, entre mag­nates, con sus locas tenta­ciones,
donde tri­un­fan y clau­di­can milongueras pre­ten­siones,
se te ha entra­do muy aden­tro en tu pobre corazón.

Nada debo agrade­certe, mano a mano hemos queda­do;
no me impor­ta lo que has hecho, lo que hacés ni lo que harás…
Los favores recibidos creo habérte­los paga­do
y, si algu­na deu­da chi­ca sin quer­er se me ha olvi­da­do,
en la cuen­ta del otario que tenés se la cargás.

Mien­tras tan­to, que tus tri­un­fos, pobres tri­un­fos pasajeros,
sean una larga fila de riquezas y plac­er;
que el bacán que te acá­mala ten­ga pesos duraderos,
que te abrás de las paradas con cafishos milongueros
y que digan los mucha­chos: Es una bue­na mujer.
Y mañana, cuan­do seas desco­la­do mue­ble viejo
y no ten­gas esper­an­zas en tu pobre corazón,
sí pre­cisás una ayu­da, si te hace fal­ta un con­se­jo,
acor­date de este ami­go que ha de jugarse el pelle­jo
pa’ayu­darte en lo que pue­da cuan­do llegue la ocasión.
Car­los Gardel, José Raz­zano Letra: Cele­do­nio Este­ban Flo­res

Traduction libre et indications

Entravé (rechi­fla­do peut sig­ni­fi­er amoureux, ent­hou­si­aste, fou…) dans ma tristesse, je t’évoque et je vois que tu as été dans ma pau­vre vie de paria seule­ment une femme bonne.
Ta présence de femme (mul­ti­tude d’acceptions allant de ten­an­cière de bor­del à con­cu­bine en pas­sant par amante d’un homme riche) a mis de la chaleur dans mon nid, tu étais bonne, con­séquente, et je sais que tu m’as aimé comme tu n’as aimé per­son­ne, comme tu ne pour­ras pas aimer.
Il y avait un jeu de soupçon quand toi, pau­vre femme (amante, con­cu­bine), tu drib­blais (essay­er d’esquiver, comme au foot­ball) la pau­vreté dans la pen­sion.
Aujour­d’hui, tu as une femme établie (prob­a­ble­ment ten­an­cière de mai­son close), la vie rit et chante pour toi, les mor­la­cos (pesos, argent) de l’o­tario (idiot, niais, cave) tu les joues à la marchan­ta (action de jeter des pièces à des per­son­nes pau­vres pour qu’elles se jet­tent dessus en se bat­tant) comme le chat joue avec la mis­érable souris.
Aujour­d’hui, tu as le mate plein d’il­lu­sions mal­heureuses, tu as été gon­flé par les otar­ios, les amis et le chéri (fiancé…) ; La milon­ga, chez les mag­nats, avec ses folles ten­ta­tions, où les milongueras tri­om­phent et chutent, est entrée pro­fondé­ment dans ton pau­vre cœur.
Je n’ai rien que je doive te remerci­er, main dans la main nous sommes restés ; peu importe ce que tu as fait, ce que tu fais ou ce que tu feras…
Je crois t’avoir payé les faveurs que j’ai reçues, et si j’ai oublié par hasard quelque petite dette, tu la charg­eras sur le compte de l’o­tario que tu as.
En atten­dant que tes tri­om­phes, pau­vres tri­om­phes éphémères, soient une longue lignée de richess­es et de plaisirs ; que le bacán (riche), qui t’a dans son lit, ait des pesos durables, que tu t’ouvres des parades avec des prox­énètes milongueros et que les garçons dis­ent : c’est une femme bonne.
Et demain, quand tu seras défraîchie (passée de mode), un vieux meu­ble et que tu n’auras plus d’e­spoir dans ton pau­vre cœur, si tu as besoin d’aide, si tu as besoin de con­seils, sou­viens-toi de cet ami qui ris­quera sa peau pour t’aider de toutes les manières pos­si­bles lorsque l’oc­ca­sion se présen­tera.

Autres versions

Il y a des cen­taines d’autres ver­sions, à com­mencer par celles de Gardel, lui-même, mais aujourd’hui j’avais plutôt envie de vous faire partager la for­mi­da­ble cama­raderie des gens de tan­go.
Ce sera donc pour une autre fois… Je vais à la place vous dire quelques mots sur le chanteur, Rober­to Goyeneche.

Roberto Goyeneche

Goyeneche, le Polon­ais (El Pola­co), arrive un peu après la bataille, puisqu’il ne com­mence sa car­rière qu’en 1944. Il était alors âgé de 18 ans, son retard dans le mou­ve­ment du tan­go est donc plutôt de la faute de ses par­ents 😉
En revanche, il com­pense cela par une dic­tion ferme et un phrasé très par­ti­c­uli­er qui font que l’on tombe oblig­a­toire­ment sous son charme.
Arriv­er tard, n’est pas for­cé­ment une mau­vaise chose dans la mesure où à par­tir des années 50, le tan­go devient surtout une activ­ité de con­cert, plus que de danse. La radio, les dis­ques et la télévi­sion étaient friands de ces chanteurs expres­sifs et Goyeneche a su créer l’engouement dans le pub­lic.
Dans les années 40, un de ses col­lègues de l’orchestre de Hora­cio Sal­gán, le chanteur Ángel Díaz, lui don­na son surnom de Pola­co (Polon­ais).
Son pas­sage dans l’orchestre de Aníbal Troi­lo affer­mit sa gloire nais­sante, mais le fait qu’il donne une vision per­son­nelle des grands titres du réper­toire a égale­ment attiré la sym­pa­thie du pub­lic. Il a su ain­si per­son­nalis­er son réper­toire, en renou­ve­lant des titres qui étaient déjà fameux par d’autres chanteurs.
Par exem­ple, notre tan­go du jour avait été par­ti­c­ulière­ment appré­cié, notam­ment par Car­los Gardel (son auteur), Char­lo, Jorge Omar, Héc­tor Pala­cios, Rober­to Mai­da, Car­los Dante et même Nina Miran­da (en duo avec Rober­to Líster), Car­los Roldán et Julio Sosa, el Varon del tan­go. Il con­ve­nait donc de se démar­quer et Goyeneche sut le faire, faisant sou­vent oubli­er les ver­sions antérieures pour que le pub­lic ne reti­enne que la sienne, celle du chanteur avec la voix de sable, gar­gan­ta con are­na (gorge avec du sable). Cacho Cas­taña a d’ailleurs fait une chan­son hom­mage au Pola­co, Gar­gan­ta con are­na.

Garganta con arena

Je vous pro­pose de ter­min­er avec la chan­son de Cacho Cas­taña en l’honneur de Rober­to Goyeneche. Cacho a com­posé cette chan­son, quelques mois avant la mort de Rober­to. Ce dernier en enten­dant la chan­son fre­donnée dans la loge par Cacho Cas­taña s’est écrié, « Mais je suis encore vivant, che! » et il a demandé à Adri­ana Varela qui était égale­ment présente de l’enregistrer, ce qui fut fait, elle a enreg­istré la chan­son, avant Cacho.
Seize ans plus tard, Cacho et Adri­ana chantent le titre en duo. C’est la vidéo que je vous pro­pose de voir main­tenant.

Gar­gan­ta con are­na, la chan­son de Cacho Cas­taña en l’hon­neur de Rober­to Goyeneche, ici, en 2010 chan­té par Cacho Cas­taña et Adri­ana Varela.

Paroles

Ya ves, el día no amanece
Pola­co Goyeneche, cán­tame un tan­go más
Ya ves, la noche se hace larga
Tu vida tiene un kar­ma: Can­tar, siem­pre can­tar

Tu voz, que al tan­go lo emo­ciona
Dicien­do el pun­to y coma que nadie le can­tó
Tu voz, con duen­des y fan­tas­mas
Res­pi­ra con el asma de un viejo ban­doneón

Can­ta, gar­gan­ta con are­na
Tu voz tiene la pena que Male­na no can­tó
Can­ta, que Juárez te con­de­na
Al las­ti­mar tu pena con su blan­co ban­doneón

Can­ta, la gente está aplau­di­en­do
Y aunque te estés murien­do, no cono­cen tu dolor
Can­ta, que Troi­lo des­de el cielo
Deba­jo de tu almo­ha­da, un ver­so te dejó

Can­tor de un tan­go algo inso­lente
Hiciste que a la gente le duela, le duela tu dolor
Can­tor de un tan­go equi­lib­rista
Más que can­tor, artista con vicios de can­tor

Ya ves, a mí y a Buenos Aires
Nos fal­ta siem­pre el aire cuan­do no está tu voz
A vos, que tan­to me enseñaste
El día que can­taste con­mi­go una can­ción

Can­ta, gar­gan­ta con are­na
Tu voz tiene la pena que Male­na no can­tó
Can­ta, que Juárez te con­de­na
Al las­ti­mar tu pena con su blan­co ban­doneón

Can­ta, la gente está aplau­di­en­do
Y aunque te estés murien­do, no cono­cen tu dolor
Can­ta, que Troi­lo des­de el cielo
Deba­jo de tu almo­ha­da, un ver­so te dejó
Cacho Cas­taña

Traduction libre de Garganta con arena

Tu vois, le jour ne se lève pas.
Pola­co Goyeneche, chante-moi encore un tan­go.
Tu vois, la nuit se fait longue.
Ta vie a du kar­ma : Chante, chante tou­jours
Ta voix, qui émeut le tan­go, dis­ant le point-vir­gule que per­son­ne jamais n’a chan­té.
Ta voix, avec des lutins (duen­des, sorte de gnomes de la mytholo­gie espag­nole et argen­tine) et des fan­tômes, respirez avec l’asthme d’un vieux ban­donéon.

Chante, gorge avec du sable.
Ta voix a le cha­grin que Male­na n’a pas chan­té.
Chante, que Juárez te con­damne en blessant ton cha­grin avec son ban­donéon blanc. (Rubén Juárez était un jeune chanteur de 21 ans de moins que Goyeneche, qui s’accompagnait au ban­donéon, ce qui est très rare. Troi­lo, lui-même, chan­tait par­fois quelques instants, mais jamais une véri­ta­ble par­tie de chanteur. Goyeneche a dit de Juárez : « Dans un an, on par­lera beau­coup de ce gamin ; dans deux ans, il nous coupera la tête à tous.»).
Chante, les gens applaud­is­sent.
Et même si tu te meurs, ils ne con­nais­sent pas ta douleur. Chante, que Troi­lo depuis le ciel, sous ton oreiller, un cou­plet, il t’a lais­sé.

Chanteur d’un tan­go un peu inso­lent, tu as fait que les gens aient mal, que ta douleur fasse mal.
Chanteur d’un tan­go équilib­riste, plus qu’un chanteur, un artiste avec des vices de chanteur.
Tu vois, à moi et à Buenos Aires, nous man­quons tou­jours d’air quand ta voix n’est pas là.
À toi, qui m’as tant appris le jour où tu as chan­té une chan­son avec moi.

Au revoir, les amis, au revoir Mon­sieur Goyeneche.

Cómo se pianta la vida 1940-08-20 — Orquesta Enrique Rodríguez con Armando Moreno

Carlos Viván (Miguel Rice Treacy), paroles et musique

Car­los Viván, l’auteur et le com­pos­i­teur de ce tan­go fut un bon vivant et ce tan­go touche de très près sa vie qui fut claire­ment par­mi les plus insta­bles pos­si­bles. Le seul point éton­nant est qu’il l’a écrit à 26 ans et pas, comme on peut le sup­pos­er, à la fin de sa vie tour­men­tée… L’abondance des ver­sions à l’âge d’or et par la suite, prou­ve que ce sujet touchait la sen­si­bil­ité des Argentins ; et la vôtre ?

Extrait musical

Cómo se pianta la vida 1940-08-20 ‑Orques­ta Enrique Rodríguez con Arman­do Moreno
Par­ti­tions de Cómo se pianta la vida de Car­los Viván (paroles et musique)

Paroles

Berretines locos
De mucha­cho rana
Me arras­traron cie­gos
En mi juven­tud
En milon­gas, tim­bas
Y en otras macanas
Donde fui pal­man­do
Toda mi salud

Mi copa bohemia
De rubia cham­pagne
Brin­dan­do amoríos
Bor­ra­cho la alze
Mi vida fue un bar­co
Car­ga­do de haz­a­ñas
Que jun­tó a las playas
Del mar lo encalle

Cómo se pianta la vida
Cómo rezon­gan los años
Cuan­do fieros desen­gaños
Nos van abrien­do una heri­da
Es triste la pri­mav­era
Si se vive desteñi­da

Cómo se pianta la vida
De mucha­cho calav­era

Los veinte abriles can­taron un día
la milon­ga triste de mi berretín
y en la con­tradan­za de esa algar­abía
al trompo de mi alma le faltó piolín.
Hoy estoy pagan­do aque­l­las ranadas
Final de los vivos
Que siem­pre se da
Me encuen­tro sin chance
En esta juga­da
La muerte sin grupo
Ya ha entra­do a tal­lar

Cómo se pianta la vida
De mucha­cho calav­era
Car­los Viván — 1929 — Paroles et musique

Traduction libre

Les folles lubies d’un gars débrouil­lard m’ont entraîné à l’aveu­glette dans ma jeunesse, dans les milon­gas (Car­los Viván était un grand danseur de tan­go), les tim­bas (salle de jeu) et autres clubs où j’ai ruiné toute ma san­té.
Mon verre bohème de cham­pagne blond, trin­quant aux amours, ivre, je l’ai levé (Car­los Viván était plutôt ama­teur de Whisky, sans doute à cause de ses orig­ines irlandais­es).
Ma vie a été un navire plein d’ex­ploits, qui rejoignit les plages marines et s’é­choua.
Comme la vie se perd (piantar, c’est en lun­far­do, s’enfuir), comme les années grog­nent quand de féro­ces décep­tions nous ouvrent une blessure.
Le print­emps est triste s’il se vit déteint.
Com­ment se perd la vie d’un gars débauché.
Les vingt avrils (même si “Avril” en Argen­tine tombe en automne, c’est l’équiv­a­lent de l’ex­pres­sion “Print­emps” pour mar­quer les années. Dans le vers précé­dent, il par­lait d’ailleurs de print­emps) ont chan­té un jour la milon­ga triste de ma lubie et dans la con­tredanse de ce brouha­ha, Il me man­quait au plus pro­fond de mon âme une inno­cence (piolín, ver­lan de limpio, pro­pre, per­son­ne sans casi­er judi­ci­aire…).
Aujour­d’hui, je paie pour ces méfaits.
Le final des canailles arrive tou­jours.
Je me retrou­ve sans chance dans ce jeu dan­gereux.
La mort sans men­tir est déjà entrée pour tailler.
Comme se perd la vie, d’un garçon débauché.

Autres versions

Voici une petite sélec­tion de ver­sions illus­trant le suc­cès du thème pen­dant plus de 50 ans.

Cómo se pianta la vida 1930-03-18 — Azu­ce­na Maizani con con­jun­to
Cómo se pianta la vida 1930-03-21 — Alber­to Vila con gui­tar­ras
Cómo se pianta la vida 1930-03-27 — Orques­ta Luis Petru­cel­li con Rober­to Díaz
Cómo se pianta la vida 1930-04-02 — Orques­ta Pedro Maf­fia con Car­los Viván.

Car­los Viván chante sa com­po­si­tion. Il a 27 ans au moment de l’enregistrement.

Cómo se pianta la vida 1930 — Rober­to Mai­da acomp. de Orques­ta Alber­to Castel­lano.

Rober­to Mai­da avant Fran­cis­co Canaro

Cómo se pianta la vida 1930 — Tania acomp. de Orques­ta Alber­to Castel­lano.

Tania avec le même orchestre que Rober­to Mai­da.

Cómo se pianta la vida 1932 — Orques­ta Típi­ca Auguste-Jean Pesen­ti du Col­i­se­um de Paris.

En France aus­si, la vie des tangueros est un peu dis­solue…

Cómo se pianta la vida 1940-08-20 — Orques­ta Enrique Rodríguez con Arman­do Moreno. C’est notre tan­go du jour.
Cómo se pianta la vida 1942-09-15 — Orques­ta Ricar­do Tan­turi con Alber­to Castil­lo.
Cómo se pianta la vida 1950-12-26 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Car­los Alma­da.
Cómo se pianta la vida 1959c — Héc­tor Mau­ré con gui­tar­ras y ban­do­neon
Cómo se pianta la vida 1963-04-30 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Rober­to Goyeneche arr. de Julián Plaza.

On notera le début impres­sion­nant pro­posé par Troi­lo et Plaza qui offre un trem­plin pour Goyeneche pour lancer le titre d’une façon par­ti­c­ulière­ment expres­sive. Une ver­sion que je trou­ve con­va­in­cante et touchante. Pas de danse pos­si­ble, mais un régal à écouter.

Cómo se pianta la vida 1981-07-08 — Orques­ta Osval­do Pugliese con Abel Cór­do­ba.

C’est la plus orig­i­nale et tra­vail­lée, un cran au-dessus de celle de Troi­lo, mais il faut être vrai­ment fan de Cór­do­ba pour être enchan­té par cette ver­sion. Je préfère les ver­sions de danse ou celle de Troi­lo avec Goyeneche, mais la beauté du tan­go est qu’on a le choix et cha­cun pour­ra trou­ver son bon­heur dans la très grande var­iété de ces enreg­istrements.

Amurado 1940-07-29 — Orquesta Pedro Laurenz con Juan Carlos Casas

Pedro Maffia ; Pedro Laurenz Letra : José Pedro De Grandis

Encore un tan­go qui ne laisse pas les tangueros se repos­er, notam­ment dans cette ver­sion. Les deux Pedro, Lau­renz puis Maf­fia ont créé un mon­stre qui aspire toute l’énergie vitale des danseurs de la pre­mière à la dernière note. Le charme sem­ble aus­si avoir opéré égale­ment sur les directeurs d’orchestre, car de très nom­breuses ver­sions en ont été enreg­istrées. La ver­sion du jour est par l’un des deux com­pos­i­teurs, Lau­renz avec Juan Car­los Casas.

Un démarrage sur les chapeaux de roues

Le point de départ de ce tan­go a été don­né par De Gran­dis qui avait écrit un texte, sur la mis­ère de l’abandon. En 1925–1926, il était vio­loniste dans le sex­te­to du ban­donéon­iste Enrique Pol­let, celui qu’on retrou­vera par la suite dans l’orchestre de Pugliese et qui est à l’origine de la superbe vari­a­tion finale de Recuer­do.

Un jour que ce sex­te­to jouait dans son lieu habituel, Le Café El Par­que (près de Tri­bunales et assez près du théâtre Colón), Pedro Lau­renz qui était ami de Pol­let prit con­nais­sance du texte et sur l’instant sur son ban­donéon, imag­i­na un air pour la pre­mière par­tie, puis il alla le mon­tr­er à Pedro Maf­fia qui était alors au ciné­ma Select Lavalle, à prox­im­ité, dans l’orchestre de Julio De Caro. Maf­fia fut telle­ment ent­hou­si­as­mé qu’il deman­da à Lau­renz de pou­voir le ter­min­er.
Et ain­si, le tan­go inté­gra le réper­toire de Julio De Caro qui l’enregistrera deux ans plus tard, la même année que Gardel et beau­coup d’autres.
Après cette pre­mière vague, le tan­go fut moins enreg­istré, juste ressus­cité à divers­es repris­es par Lau­renz. La sec­onde vague n’arrivera que dans les années 50 avec une nou­velle folie autour du thème, folie qui dure jusqu’à nos jours où beau­coup d’orchestres ont ce tan­go à leur réper­toire.
Pedro Lau­renz l’a enreg­istré au moins cinq fois, vous pour­rez com­par­er les ver­sions dans la par­tie « autres ver­sions ».

Extrait musical

Amu­ra­do. Pedro Maf­fia ; Pedro Lau­renz Letra: José Pedro de Gran­dis La dédi­cace est au Doc­teur Pros­pero Deco, qui devien­dra le Directeur del Hos­pi­tal Gen­er­al de Agu­dos José María Pen­na de 1945 à 1955. À droite, son buste dans l’hôpital.
Amu­ra­do 1940-07-29 — Orques­ta Pedro Lau­renz con Juan Car­los Casas.

Tout com­mence par un puis­sant appel du ban­donéon qui résonne comme un cla­iron, puis la machine se met en marche. Le rythme est puis­sam­ment martelé, par les ban­donéons, la con­tre­basse, le piano, en con­tre­point, des plages de douceur sont don­nées par les vio­lons et en son temps par Juan Car­los Casas, mais à aucun moment le rythme et la ten­sion ne bais­sent, jusqu’à la fin presque abrupte. On notera aus­si un mag­nifique solo de ban­donéon, indis­pens­able pour un titre com­posé par deux ban­donéon­istes… L’intervention, courte de Casas, n’exprime pas toute la douleur du texte et les danseurs peu­vent pren­dre du plaisir sans remord. Cette incroy­able com­po­si­tion emporte les danseurs et hérisse les poils de bon­heur de bout en bout. Cette ver­sion est une mer­veille absolue qui fait regret­ter que Lau­renz et Casas n’ait pas plus enreg­istré.

Paroles

Cam­pa­neo a mi catr­era y la encuen­tro des­o­la­da.
Sólo ten­go de recuer­do el cuadri­to que está ahí,
pilchas vie­jas, unas flo­res y mi alma ator­men­ta­da…
Eso es todo lo que que­da des­de que se fue de aquí.

Una tarde más tris­tona que la pena que me aque­ja
arregló su bagay­i­to y amu­ra­do me dejó.
No le dije una pal­abra, ni un reproche, ni una que­ja…
La miré que se ale­ja­ba y pen­sé :
¡Todo acabó!

¡Si me viera ! ¡Estoy tan viejo!
¡Ten­go blan­ca la cabeza!
¿Será aca­so la tris­teza
de mi negra soledad ?
Debe ser, porque me cruzan
tan fuleros berretines
que voy por los cafetines
a bus­car feli­ci­dad.

Bulinci­to que cono­ces mis amar­gas desven­turas,
no te extrañe que hable solo. ¡Que es tan grande mi dolor !
Si me fal­tan sus cari­cias, sus con­sue­los, sus ter­nuras,
¿qué me quedará a mis años, si mi vida está en su amor?

¡Cuán­tas noches voy vagan­do angus­ti­a­do, silen­cioso
recor­dan­do mi pasa­do, con mi ami­ga la ilusión !…
Voy en cur­da… No lo niego que será muy ver­gonzoso,
¡pero lle­vo más en cur­da a mi pobre corazón!

Pedro Maf­fia ; Pedro Lau­renz Letra: José Pedro de Gran­dis

Juan Car­los Casas ne chante que ce qui est en gras.

Traduction libre et indications

Je con­tem­ple mon lit et le trou­ve désolé.
Je n’ai comme sou­venir que le petit tableau qui est ici, de vieilles cou­ver­tures, quelques fleurs et mon âme tour­men­tée…
C’est tout ce qui reste depuis qu’elle est par­tie d’i­ci.
Un après-midi plus triste que le cha­grin qui m’af­flige, elle a pré­paré son petit bagage et m’a lais­sé emmuré.
Je n’ai pas dit un mot, pas un reproche, pas une plainte…
Je l’ai regardée s’éloign­er et j’ai pen­sé :
Tout à une fin !
Si elle me voy­ait ! Je suis si vieux !
J’ai la tête blanche !
Est-ce peut-être la tristesse de ma noire soli­tude ?
Ça doit l’être, parce que j’ai des idées tant débiles que je vais dans les cafés pour chercher le bon­heur.
Petit logis, qui con­naît mes mésaven­tures amères, ne t’é­tonne pas que je par­le tout seul. Que ma douleur est grande !
Si me man­quent ses caress­es, ses con­so­la­tions, sa ten­dresse, que me restera-t-il dans mes années, si ma vie est dans son amour ?
Com­bi­en de nuits je vais vagabon­dant, angois­sé, silen­cieux, me sou­venant de mon passé, avec mon ami l’il­lu­sion…
Je vais me saouler… Je ne nie pas que ce soit hon­teux, mais je sup­porte mieux mon pau­vre cœur quand je suis bour­ré (saoul) !

Autres versions

J’ai mis en rouge les ver­sions par les auteurs (Maf­fia, 1 ver­sion et Lau­rens, 5 ver­sions).

Amu­ra­do 1927-02-11 — Orques­ta Rober­to Fir­po.

Une ver­sion calme, sans doute trop calme si on la com­pare à notre tan­go du jour…

Amu­ra­do 1927-04-08 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to.

Une autre ver­sion tran­quille, exé­cutée avec con­science, mais sans doute pas de quoi sus­citer la folie.

Amu­ra­do 1927-06-08 — Igna­cio Corsi­ni con gui­tar­ras de Pagés-Pesoa-Maciel.

Une jolie inter­pré­ta­tion de Corsi­ni, à écouter, bien sûr.

Amu­ra­do 1927-07-20 — Pedro Maf­fia y Alfre­do De Fran­co (Duo de ban­do­neones).

Pedro Maf­fia l’auteur de la sec­onde par­tie nous pro­pose ici sa ver­sion en duo avec Alfre­do De Fran­co. Une ver­sion sim­ple, mais plus rapi­de que les autres de l’époque. Il nous manque cer­tains instru­ments aux­quels nous sommes désor­mais habitués pour totale­ment appréci­er cette ver­sion qui peut paraître un peu monot­o­ne et répéti­tive.

Amu­ra­do 1927-07-22 — Car­los Gardel con acomp. de Guiller­mo Bar­bi­eri, José Ricar­do (gui­tar­ras).

Avec seule­ment deux gui­tares, Gardel donne la réponse à Corsi­ni qui le mois précé­dent avait enreg­istré le titre avec trois gui­tares. C’est égale­ment joli et tout autant pour l’écoute et pas pour la danse.

Amu­ra­do 1927-08-16 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Agustín Irus­ta.

Canaro enreg­istre à son tour, sur un rythme calme, qui est de toute façon une de ses car­ac­téris­tiques de l’époque. De jolis traits de vio­lon et ban­donéon allè­gent un peu le mar­quage puis­sant du rythme. La voix de Irus­ta, un peu nasale, apporte une petite vari­a­tion dans cette inter­pré­ta­tion qui ne sera sans doute pas à la hau­teur des danseurs d’aujourd’hui.

Amu­ra­do 1927-09-07 — Agustín Mag­a­l­di con gui­tar­ras.

Il ne man­quait que lui, après Corsi­ni et Gardel, voici Mag­a­l­di. Moi, j’aime bien. Bien sûr, ce n’est pas plus pour la danse que les ver­sions des deux con­cur­rents, mais ça se laisse écouter.

Amu­ra­do 1927-09-12 — Orques­ta Julio De Caro.

Je pense que dès les pre­mières mesures vous aurez remar­qué la dif­férence d’ambiance par rap­port à toutes les ver­sions précé­dentes. Le ruba­to mar­qué, par­fois exagéré et la vari­a­tion du solo de ban­donéon sont déjà très proches de ce que pro­posera Lau­renz 13 ans plus tard. On notera les sonorités étranges qui appa­rais­sent vers la fin du morceau, De Caro aime ajouter des instru­ments atyp­iques.

Amu­ra­do 1927-12-06 — Orques­ta Juan Maglio “Pacho” con José Galarza.

On revient sans doute un cran en arrière dans la moder­nité, mais la par­tie d’orchestre est assez sym­pa­thique. La voix de Galarza sera en revanche un peu plus dif­fi­cile à accepter par les danseurs d’aujourd’hui.

Amu­ra­do 1928 — Trío Argenti­no (Irus­ta, Fuga­zot, Demare) y su Orques­ta Típi­ca Argenti­na con Rober­to Fuga­zot.

Le piano de Demare démarre puis laisse la place à la voix de Fuga­zot qui gardera ensuite la vedette en masquant un peu le beau jeu de Demare au piano qui ne pour­ra que plac­er un mag­nifique accord final.

Amu­ra­do 1940-07-29 — Orques­ta Pedro Lau­renz con Juan Car­los Casas.

C’est notre tan­go du Jour. Si on note la fil­i­a­tion avec l’interprétation de De Caro, la ver­sion don­née par Lau­renz est éblouis­sante en tous points. Il a fait le ménage dans les propo­si­tions par­fois un peu con­fus­es de De Caro et le résul­tat est par­fait pour la danse.

Amu­ra­do 1944-11-24 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Tout en restant fidèle à l’écriture de Lau­renz, Pugliese pro­pose sa ver­sion avec une pointe de Yum­ba et son alter­nance de moments ten­dus et d’autres, relâchés, et des nuances très mar­quées. Le résul­tat est comme tou­jours superbe, mais beau­coup plus dif­fi­cile à danser pour les danseurs qui ne con­nais­sent pas cette ver­sion. En milon­ga, c’est donc à réserv­er à des danseurs expéri­men­tés ou motivés. L’accélération de la vari­a­tion en solo du ban­donéon qui nous mène au final est tout aus­si belle que celle de Lau­renz, les danseurs pour­ront s’y don­ner ren­dez-vous pour oubli­er les petits pièges des par­ties précé­dentes.

Amu­ra­do 1946 (trans­misión radi­al) — Orques­ta Pedro Lau­renz.

Six ans plus tard, Lau­renz pro­pose une ver­sion instru­men­tale. Il s’agit d’un enreg­istrement radio­phonique, d’une qual­ité impos­si­ble pour la danse, mais nous avons une ver­sion enreg­istrée l’année suiv­ante.

Amu­ra­do 1947-01-16 — Orques­ta Pedro Lau­renz.

Cette ver­sion est très proche et je ne la pro­poserai sans doute pas, car je suis sûr que le petit estri­bil­lo chan­té par Casas va man­quer aux danseurs.

Amu­ra­do 1952-09-25 — Orques­ta Pedro Lau­renz.

Après un peu de temps de réflex­ion, Lau­renz pro­pose une nou­velle ver­sion, très dif­férente. On sent qu’il a voulu dans la pre­mière par­tie tir­er par­ti des idées de Pugliese, mais la réal­i­sa­tion est un peu plus sèche, moins coulée et la sec­onde par­tie s’enfonce un peu dans la guimauve. Mon petit Pedro, désolé, mais on reste avec ta pre­mière ver­sion, même si on garde de cette ver­sion le final qui est tout aus­si beau que dans l’autre.

Amu­ra­do 1955-09-16 — Orques­ta José Bas­so.

Bas­so reprend l’appel ini­tial du ban­donéon, en l’accentuant encore plus que Lau­renz dans sa ver­sion de 1940. Un vio­lon vir­tu­ose nous trans­porte, puis le ban­donéon tout aus­si agile reprend le flam­beau. Par moment on retrou­ve l’esprit de la ver­sion de la ver­sion de Lau­renz en 1940, mais entre­coupée de pas­sages totale­ment dif­férents. Je ne sais pas ce qu’en penseraient les danseurs. D’un côté les rap­pels proches de Lau­renz peu­vent leur faire regret­ter l’original, mais les idées dif­férentes peu­vent aus­si éveiller leur curiosité et les intéress­er. Peut-être à ten­ter dans un lieu rem­pli de danseurs un peu curieux.

Amu­ra­do 1956 — Edmun­do Rivero con acomp. de Car­los Figari y su Orques­ta.

Une ver­sion à écouter, avec la puis­sance d’un grand orchestre.

Amu­ra­do 1956c — Trio Hugo Diaz.

Le trio d’Hugo Diaz, har­moni­ciste que l’on retrou­vera 12 ans plus tard avec une ver­sion encore plus intéres­sante.

Amu­ra­do 1959-01-08 — Orques­ta José Bas­so.

Encore Bas­so, qui s’essaye à l’amélioration de son inter­pré­ta­tion et je trou­ve que c’est une réus­site qui devrait intéress­er encore plus de danseurs que la ver­sion de 1955.

Amu­ra­do 1961-09-08 — Jorge Vidal con acomp. de gui­tar­ras, cel­lo y con­tra­ba­jo.

Amu­ra­do 1961-09-08 — Jorge Vidal con acomp. de gui­tar­ras, cel­lo y con­tra­ba­jo. Vidal avec ce con­jun­to de cordes nous pro­pose une ver­sion très orig­i­nale. Sa superbe voix est par­faite­ment mise en valeur par les cordes qui l’accompagnent. Dom­mage que ce ne soit pas pour la danse.

Amu­ra­do 1962-04-19 Orques­ta Leopol­do Fed­eri­co con Julio Sosa.

Dans la pre­mière époque du titre, on avait enten­du Corsi­ni, Gardel et Mag­a­l­di. Dans cette nou­velle péri­ode, après Rivero, voici Julio Sosa, El varón del tan­go. Une ver­sion qui fait se dress­er les poils de plaisir. Quelle ver­sion !

Amu­ra­do 1962-12-19 — Aníbal Troi­lo y Rober­to Grela en vivo.

Un enreg­istrement avec un pub­lic ent­hou­si­aste, qui masque par­fois la mer­veille du ban­donéon exprimé par Troi­lo, extra­or­di­naire.

Amu­ra­do 1968 Pedro Lau­renz con su Quin­te­to.

La dernière ver­sion enreg­istrée par Pedro Lau­renz, avec la gui­tare élec­trique en prime. Une ver­sion à écouter, mais pas inin­téres­sante.

Amu­ra­do 1972 — Hugo Díaz.

Le meilleur har­moni­ciste nous pro­pose une ver­sion plus aboutie.

Amu­ra­do 1975 — Sex­te­to May­or.
Amu­ra­do 1981 — Orques­ta Leopol­do Fed­eri­co.

Bien au-delà de la ver­sion avec Sosa, l’orchestre s’exprime mag­nifique­ment. On est bien sûr totale­ment hors du domaine de la danse, mais c’est une mer­veille.

Amu­ra­do 1990 Rober­to Goyeneche con arreg­los y direc­ción de Raúl Garel­lo.

Goyeneche man­quait à la liste des chanteurs ayant mis ce titre à son réper­toire. Cet enreg­istrement comble cette lacune.

Amu­ra­do 1995-08-23 — Sex­te­to Tan­go.

Une ver­sion par les anciens musi­ciens de Pugliese.

Voilà, avec une trentaine de ver­sions, vous avez encore une fois un échan­til­lon de la richesse du tan­go. En général, seules une ou deux ver­sions passent en milon­ga, mais quelque­fois les modes changent et des titres oubliés rede­vi­en­nent à la mode. Ain­si, le tan­go reste vivant et quand des orchestres con­tem­po­rains se char­gent de rénover la chose, c’est par­fois une sec­onde chance pour les titres.

Sur ces entre­faites, je vous dis, à demain, les amis.

Después 1944-07-07 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe

Hugo Gutiérrez Letra : Homero Manzi

Hugo Gutiér­rez et Home­ro Manzi ont réal­isé avec ce tan­go le dif­fi­cile exer­ci­ce de par­ler de la mort avec une émo­tion rarement atteinte dans le tan­go, sans être oppres­sants. La ver­sion de D’Arienzo et Echagüe qui est notre tan­go du jour est peut-être une des moins réussies, mais je tenais à met­tre en avant ce titre qui a à son ser­vice quelques-unes de plus belles inter­pré­ta­tions du réper­toire, de plus avec une grande var­iété. Entrons dans cette pen­sée triste qui se danse.

Extrait musical

Después 1944-07-07 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Alber­to Echagüe
À gauche, cou­ver­ture de par­ti­tion Casa Amar­il­la avec un chanteur, Jorge Novoa, oublié ? Par­ti­tion Julio Korn de Después avec en cou­ver­ture Ani­bal Troi­lo.

Paroles

Después …
La luna en san­gre y tu emo­ción,
y el anticipo del final
en un oscuro nubar­rón.
Luego …
irre­me­di­a­ble­mente,
tus ojos tan ausentes
llo­ran­do sin dolor.
Y después…
La noche enorme en el cristal,
y tu fati­ga de vivir
y mi deseo de luchar.
Luego…
tu piel como de nieve,
y en una ausen­cia leve
tu páli­do final.

Todo retor­na del recuer­do:
tu pena y tu silen­cio,
tu angus­tia y tu mis­te­rio.
Todo se abis­ma en el pasa­do:
tu nom­bre repeti­do…
tu duda y tu can­san­cio.
Som­bra más fuerte que la muerte,
gri­to per­di­do en el olvi­do,
paso que vuelve del fra­ca­so
can­ción hecha peda­zos
que aún es can­ción.

Después …
ven­drá el olvi­do o no ven­drá
y men­tiré para reír
y men­tiré para llo­rar.
Tor­pe
fan­tas­ma del pasa­do
bai­lan­do en el tinglado
tal vez para olvi­dar.
Y después,
en el silen­cio de tu voz,
se hará un dolor de soledad
y gri­taré para vivir…
como si huy­era del recuer­do
en arrepen­timien­to
para poder morir.

Hugo Gutiér­rez Letra: Home­ro Manzi

Traduction libre

Après…
La lune en sang et ton émo­tion, et l’anticipation de la fin dans un nuage som­bre.
Plus tard… irrémé­di­a­ble­ment, tes yeux si absents pleu­rant sans douleur.
Et après…
L’immense nuit dans le verre, et ta fatigue de vivre et mon envie de me bat­tre.
Plus tard… ta peau comme de la neige, et une absence légère, ta pâleur finale.
Tout me revient de mémoire :
ton cha­grin et ton silence, ton angoisse et ton mys­tère.
Tout s’abîme dans le passé : ton nom répété… ton doute et ta fatigue.
Une ombre plus forte que la mort, un cri per­du dans l’oubli, un pas qui revient de l’échec, une chan­son en miettes qui est encore une chan­son.
Après…
L’oubli vien­dra ou il ne vien­dra pas et je men­ti­rai pour rire
Et je men­ti­rai pour pleur­er.
Un fan­tôme mal­adroit du passé dansant dans le hangar (tinglado a plusieurs sens, allant d’abri, auvent, plus ou moins som­maire à hangar), peut-être pour oubli­er.
Et puis, dans le silence de ta voix, il y aura une douleur de soli­tude et je crierai pour vivre… Comme si je fuyais le sou­venir en repen­tirs pour pou­voir mourir.

Autres versions

Después 1943–1944 — Nel­ly Omar accomp. Gui­tare de José Canet.

Je com­mence par cet enreg­istrement, car Manzi a écrit Después pour elle. Il est daté de 1944, mais curieuse­ment, il est très rarement indiqué, y com­pris dans des sites générale­ment assez com­plets comme tango-dj.at ou El Reco­do. Je l’indique comme étant de 1943–1944, mais sans garantie réelle qu’il soit antérieur à celui de Miguel Caló qui est du tout début de 1944. La voix mer­veilleuse­ment chaude de Nil­da Elvi­ra Vat­tuone alias Nel­ly Omar accom­pa­g­née par la gui­tare de José Canet nous pro­pose une ver­sion fan­tas­tique, mais bien sûr à écouter et pas à danser.

Después 1944-01-10 Orques­ta Miguel Caló con Raúl Iri­arte.

Dès les pre­mières notes, l’ambiance est impres­sion­nante. On pour­rait penser à un film de sus­pens. La mag­nifique voix de Iri­arte, plus rare que celle de Berón, con­vient par­faite­ment au titre. Si vous n’aimez pas avoir des fris­sons et les poils qui se dressent, évitez cette ver­sion pro­posée par Miguel Caló et Raúl Iri­arte très émou­vante.

Después 1944-03-03 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Alber­to Mari­no.

Avec Troi­lo, on reste avec une très belle ver­sion musi­cale. Le gron­de­ment des ban­donéons me sem­ble moins émou­vant. Il y a une recherche de joliesse dans ce titre qui me sem­ble aller un peu au détri­ment de la danse. Ce ne sera donc pas ma ver­sion préférée pour la milon­ga.

Después 1944-03-15 — Lib­er­tad Lamar­que con orques­ta dirigi­da por Mario Mau­ra­no.

Después 1944-03-15 — Lib­er­tad Lamar­que con orques­ta dirigi­da por Mario Mau­ra­no. La voix de Lib­er­tad Lamar­que est très dif­férente de celle de Nel­ly Omar, mais tout aus­si cap­ti­vante. Elle béné­fi­cie en plus d’un orchestre dirigé par Mario Mau­ra­no dont le piano ressort avec beau­coup de justesse (je pré­cise que je par­le de la finesse, de la justesse de l’expression, de l’arrangement et pas du fait que le piano soit bien accordé. Celui que je vise saura que je par­le de lui…).

Después 1944-07-07 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Alber­to Echagüe. C’est notre tan­go du jour.

Después 1944-07-07 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Alber­to Echagüe. C’est notre tan­go du jour. Comme tou­jours, la ver­sion de D’Arienzo est bien marchante et dansante. C’est la cinquième ver­sion de l’année 1944, une année qui nous apporte une incroy­able diver­sité pour ce titre. Pour une œuvre de D’Arienzo, on peut la trou­ver un peu bavarde. Echagüe, met beau­coup de pres­sion. Le résul­tat est dans­able, mais il me sem­ble que d’autres titres inter­prétés par D’Arienzo le rem­placeront avan­tageuse­ment dans une tan­da de D’Arienzo et Echagüe, notam­ment ceux de la pre­mière péri­ode. Después est le pre­mier titre enreg­istré par cette com­po­si­tion après cinq années sans enreg­istrement et il me sem­ble que cette asso­ci­a­tion met­tra un peu de temps avant de retrou­ver une har­monie, l’année 1944 n’est pas la meilleure.

Después 1951-03-22 — L’orchestre Argentin Manuel Pizarro.

Después 1951-03-22 — L’orchestre Argentin Manuel Pizarro. Arrivé en France en 1920 et s’en étant absen­té de 1941 à 1950, Manuel Pizarro y revient et recom­mence à enreg­istr­er. Son Después fait par­tie de ces enreg­istrements français qui prou­vent que la dis­tance entre les deux mon­des n’est pas si grande. Notons que c’est une des rares ver­sions pure­ment instru­men­tales.

Después 1974-05-03 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Rubén Juárez (Pro­gra­ma En Hom­e­na­je a Home­ro Manzi — Con­duc­ción Anto­nio Car­ri­zo).

Cette ver­sion a été enreg­istrée lors d’une émis­sion en pub­lic en hom­mage à Home­ro Manzi décédé exacte­ment 23 ans plus tôt. Il me sem­ble que cette ver­sion Troi­lo - Juárez est plus aboutie que celle de 1944. On aurait aimé l’avoir dans une belle qual­ité sonore.

Después 1974 — Rubén Juárez Accomp. Arman­do Pon­tier.

Le même Rubén Juárez avec l’orchestre du ban­donéon­iste Arman­do Pon­tier. La prise de son est meilleure que dans l’enregistrement précé­dent et elle met donc plus en valeur la voix de Rubén Juárez. On notera qu’il est, tout comme Arman­do Pon­tier, égale­ment ban­donéon­iste. Cepen­dant, dans cette ver­sion, il se « con­tente » de chanter.

Después 1977-05-13 — Rober­to Goyeneche con la Orques­ta Típi­ca Porteña dirigi­da por Raúl Garel­lo.

Le ban­donéon de Raúl Garel­lo annonce la couleur et l’émotion qui va se dégager de cette ver­sion. El Pola­co (Rober­to Goyeneche) donne une ver­sion extrême­ment émou­vante et l’orchestre l’accompagne par­faite­ment dans les ondu­la­tions de la musique. Cette ver­sion fait ressor­tir toute la poésie de Manzi qui fut un grand poète qui déci­da de con­sacr­er sa vie à l’art pop­u­laire et nation­al du tan­go plutôt que de rechercher les hon­neurs qui aurait pu s’attacher à la car­rière de poète qu’il aurait méritée.

Je vous pro­pose d’arrêter avec ce titre très émou­vant et donc de pass­er sous silence les ver­sions de Pugliese avec Abel Cór­do­ba qui sor­tent, à mon avis, du champ du tan­go pour entr­er dans autre chose, sans doute une forme de musique clas­sique mod­erne, mais sans l’émotion que sus­cite générale­ment le tan­go.

Avant de recevoir des coups de bâtons sur la tête pour avoir osé écrire cela, je vous dis au revoir et à demain, les amis.

Cristal 1944-06-07 — Orquesta Aníbal Troilo con Alberto Marino

Mariano Mores Letra : José María Contursi

La musique de Cristal est de celles qui mar­quent les esprits et les cœurs. La force de l’écriture fait que la plu­part des ver­sions con­ser­vent l’ambiance du thème orig­i­nal. Cepen­dant, nous aurons des petites sur­pris­es. Je vous présente, Cristal de Mar­i­ano Mores avec des paroles de Con­tur­si, mais pas que…

Extrait musical

Cristal 1944-06-07 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Alber­to Mari­no.

Une très jolie descente répétée lance cette ver­sion. Les notes devi­en­nent de plus en plus graves en suiv­ant une gamme mineure. Cela donne une imposante présence au thème. L’introduction se développe, puis après 30 sec­on­des se développe le thème prin­ci­pal. Celui que Alber­to Mari­no chantera à par­tir de 1’20.

Paroles

Ten­go el corazón hecho peda­zos,
rota mi emo­ción en este día…
Noches y más noches sin des­can­so
y esta desazón del alma mía…
¡Cuán­tos, cuán­tos años han pasa­do,
gris­es mis cabel­los y mi vida!
Loco… casi muer­to… destroza­do,
con mi espíritu amar­ra­do
a nues­tra juven­tud.

Más frágil que el cristal
fue mi amor
jun­to a ti…
Cristal tu corazón, tu mirar, tu reír…
Tus sueños y mi voz
y nues­tra timidez
tem­b­lan­do suave­mente en tu bal­cón…
Y aho­ra sólo se
que todo se perdió
la tarde de mi ausen­cia.
Ya nun­ca volveré, lo sé, lo sé bien, ¡nun­ca más!
Tal vez me esper­arás, jun­to a Dios, ¡más allá!

Todo para mí se ha ter­mi­na­do,
todo para mí se tor­na olvi­do.
¡Trág­i­ca enseñan­za me dejaron
esas horas negras que he vivi­do!
¡Cuán­tos, cuán­tos años han pasa­do,
gris­es mis cabel­los y mi vida!
Solo, siem­pre solo y olvi­da­do,
con mi espíritu amar­ra­do
a nues­tra juven­tud…

Mar­i­ano Mores Letra: José María Con­tur­si

Traduction libre

Mon cœur est en morceaux, mon émo­tion est brisée en ce jour…
Des nuits et encore des nuits sans repos et ce malaise de mon âme…
Com­bi­en, com­bi­en d’années se sont écoulées, grison­nant mes cheveux et ma vie !
Fou… presque mort… détru­it, avec mon esprit amar­ré à notre jeunesse.

Plus frag­ile que le verre était mon amour avec toi…
De cristal, ton cœur, ton regard, ton rire…
Tes rêves et ma voix et notre timid­ité trem­blant douce­ment sur ton bal­con…
Et seule­ment main­tenant, je sais que tout a été per­du l’après-midi de mon absence.
Je n’y retourn­erai jamais, je sais, je le sais bien, plus jamais !
Peut-être m’attendrez-vous, à côté de Dieu, au-delà !

Tout pour moi est fini, tout pour moi devient oubli.
Trag­ique enseigne­ment que m’ont lais­sé ces heures som­bres que j’ai vécues !
Com­bi­en, com­bi­en d’années se sont écoulées, grison­nant mes cheveux et ma vie !
Seul, tou­jours seul et oublié, avec mon esprit amar­ré à notre jeunesse…

Autres versions

Cristal 1944-06-03 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Car­los Roldán.

Canaro ouvre le bal avec une ver­sion tonique et assez rapi­de. Le début spec­tac­u­laire que nous avons vu dans la ver­sion de Troi­lo est bien présent. On remar­quera la présence de l’Orgue Ham­mond et sa sonorité par­ti­c­ulière, juste avant que chante Car­los Roldán. Ce dernier est par moment accom­pa­g­né par le vibra­phone.

Cristal 1944-06-07 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Alber­to Mari­no. C’est notre tan­go du jour.
Cristal 1944-06-30 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Oscar Ser­pa.

Frese­do ne pou­vait pas pass­er à côté de ce thème qui sem­ble avoir été écrit pour lui. La struc­ture est très proche de celles de Canaro et Troi­lo, mais avec sa sonorité. La voix de Ser­pa, plus tran­chante que celle de Ray et Ruiz, donne un car­ac­tère toute­fois un peu dif­férent à cette inter­pré­ta­tion de Frese­do.

Cristal 1957 — Dal­va de Oliveira con acomp. de orques­ta.

L’introduction est rac­cour­cie et Dal­va de Oliveu­ra chante qua­si­ment tout de suite. Vous aurez sans doute remar­qué que cette ver­sion était chan­tée en Por­tu­gais avec quelques vari­antes. Vous trou­verez le texte en fin d’article. L’orchestre peut être celui de Fran­cis­co Canaro, car elle a enreg­istrée en 1957 avec lui, mais ce n’est pas sûr.

Cristal 1957-02-01 — Orques­ta Mar­i­ano Mores con Enrique Lucero.

Mar­i­ano Mores enreg­istre sa créa­tion. Mar­i­ano Mores se passe de sa spec­tac­u­laire intro­duc­tion pour jouer directe­ment son thème prin­ci­pal. Le piano fait le lien entre les dif­férents instru­ments, puis Enrique Lucero entre scène. Lucero a une belle voix, mais manque un peu de présence, asso­cié à un orchestre léger et sans doute trop poussé à des fan­taisies qui fait que cette ver­sion perd un peu de force dra­ma­tique. On ver­ra avec des ver­sions suiv­antes que Mores cor­rig­era le tir, du côté chant, mais pas for­cé­ment du côté orches­tral.

Cristal 1958 — Albert­in­ho For­tu­na com Alexan­dre Gnat­tali e a sua orques­tra.

Là encore, voir en fin d’article le texte en por­tu­gais brésilien.

Cristal 1961 — Astor Piaz­zol­la Y Su Quin­te­to Con Nel­ly Vázquez.

Piaz­zol­la enreg­istre à plusieurs repris­es le titre. Ici, une ver­sion avec Nel­ly Vázquez. On est dans autre chose.

Cristal 1962-04-27 — Orques­ta Arman­do Pon­tier con Héc­tor Dario.

Arman­do Pon­tier nous livre une ver­sion sym­pa­thique, avec un Héc­tor Dario qui lance avec énergie le thème.

Cristal 1965 — Ranko Fuji­sawa. Avec l’orchestre japon­ais de son mari,

Ranko nous prou­ve que le tan­go est vrai­ment inter­na­tion­al. Elle chante avec émo­tion.

Cristal 1978-08-01 — Rober­to Goyeneche con Orques­ta Típi­ca Porteña arr. y dir. Raúl Garel­lo.

Goyeneche a enreg­istré de nom­breuses fois ce titre, y com­pris avec Piaz­zol­la. Voici une de ses ver­sions, je vous en présen­terai une autre en vidéo en fin d’article. On voit que Piaz­zol­la est passé par là, avec quelques petites références dans l’orchestration.

Cristal 1984c — Clau­dia Mores con la Orques­ta de Mar­i­ano Mores.

Mar­i­ano revient à la charge avec Clau­dia, sa belle-fille. En effet, elle était mar­iée à Nico, le fils de Mar­i­ano. On retrou­ve l’orgue Ham­mond de Canaro dans cette ver­sion. Si elle est moins con­nue que son mari, il faut lui recon­naître une jolie voix et une remar­quables expres­siv­ité.

Cristal 1986 — Mar­i­ano Mores y su Orques­ta con Vik­ki Carr.

Une ren­con­tre entre Vik­ki Carr qui a habituelle­ment un réper­toire dif­férent. On notera que l’orchestre est plus sobre que dans d’autres ver­sions, même, si Mores ne peut pas s’empêcher quelques fan­taisies.

Cristal 1994 — Orques­ta Mar­i­ano Mores con Mer­cedes Sosa.

Atten­tion, pure émo­tion quand la Negra se lance dans Cristal. Sa voix si par­ti­c­ulière, habituée au folk­lore s’adapte par­faite­ment à ce thème. Atten­tion, il y a un break (silence) très long, ne perdez pas la fin en coupant trop vite. Avec cette ver­sion, on peut dire que Mores, avec ces trois femmes, a don­né de superbes ver­sions de sa com­po­si­tion, d’un car­ac­tère assez dif­férent de ce qu’ont don­né les autres orchestres, si on excepte Piaz­zol­la et ce qui va suiv­re.

Cristal 1994 — Susana Rinal­di con acomp. de orques­ta.

La même année encore une femme qui donne une superbe ver­sion du thème de Mores. Là, c’est la voix qui est essen­tielle. Une ver­sion étince­lante qui pour­rait rap­pel­er Piaf dans le vibra­to de la voix.

Cristal 1998 — Orques­ta Nés­tor Mar­coni con Adri­ana Varela.

Oui, encore une femme, une voix dif­férente. L’empreinte de Piaz­zol­la est encore présente. Nés­tor Mar­coni pro­pose un par­fait accom­pa­g­ne­ment avec son ban­donéon. Vous le ver­rez de façon encore plus spec­tac­u­laire dans la vidéo en fin d’article.

Cristal 2010c — Aure­liano Tan­go Club. Une intro­duc­tion très orig­i­nale à la con­tre­basse.

On notera aus­si la présence de la bat­terie qui éloigne totale­ment cette ver­sion du tan­go tra­di­tion­nel.

Versions en portugais

Voici le texte des deux ver­sions en por­tu­gais que je vous ai présen­tées.

Paroles

Ten­ho o coração feito em pedaços
Tra­go esfar­ra­pa­da a alma inteira
Noites e mais noites de cansaço
Min­ha vida, em som­bras, pri­sioneira
Quan­tos, quan­tos anos são pas­sa­dos
Meus cabe­los bran­cos, fim da vida
Lou­ca, quase mor­ta, der­ro­ta­da
No crepús­cu­lo apa­ga­do lem­bran­do a juven­tude
Mais frágil que o cristal
Foi o amor, nos­so amor
Cristal, teu coração, teu olhar, teu calor
Car­in­hos juve­nis, jura­men­tos febris
Tro­camos, doce­mente em teu portão
Mais tarde com­preen­di
Que alguém bem jun­to a ti
Man­cha­va a min­ha ausên­cia
Jamais eu voltarei, nun­ca mais, sabes bem
Talvez te esper­arei, jun­to a Deus, mais além

Harol­do Bar­bosa

À propos de la version d’Haroldo Barbosa

Le thème des paroles d’Haroldo Bar­bosa est sem­blable, mais ce n’est pas une sim­ple tra­duc­tion. Si la plu­part des images sont sem­blables, on trou­ve une dif­férence sen­si­ble dans le texte que j’ai repro­duis en gras.
« Plus tard, j’ai réal­isé que quelqu’un juste à côté de toi avait souil­lé mon absence.
 Je ne reviendrai jamais, plus jamais, tu sais. Peut-être que je t’attendrai, avec Dieu, dans l’au-delà ».
Con­traire­ment à la ver­sion de Con­tur­si, on a une cause de la sépa­ra­tion dif­férente et là, c’est lui qui atten­dra auprès de Dieu et non, elle qui atten­dra peut-être.

Roberto Goyeneche et Néstor Marconi, Cristal

Et pour ter­min­er, la vidéo promise de Goyeneche et Mar­coni. Cette vidéo mon­tre par­faite­ment le jeu de Mar­coni. Hier, nous avions Troi­lo à ses tout débuts, là, c’est un autre géant, dans la matu­rité.

Rober­to Goyeneche Nés­tor Mar­coni et Ángel Ridolfi (con­tre­basse) dans Cristal de Mar­i­ano Mores et José María Con­tur­si. Buenos Aires, 1987.

À demain, les amis!

Ventanita florida 1932-04-21 — Orquesta Francisco Canaro con Agustín Irusta

Enrique Pedro Delfino (Delfy) Letra: Luis César Amadori

Après le sujet lourd et triste d’hier, un sujet plus léger. La petite fenêtre fleurie. Léger, au moins pour nous, mais pour le mal­heureux ou la mal­heureuse qui dit sa peine, c’est sans doute moins agréable. Aujourd’hui, ce mal­heureux est Agustín Irus­ta qui marche sous la baguette de Fran­cis­co Canaro. C’était il y a 92 années.

Extrait musical

Ven­tani­ta flori­da 1932-04-21 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Agustín Irus­ta.

Irus­ta ne chante que le refrain, comme il est de cou­tume pour les tan­gos de danse. Mais nous allons voir qu’il y a une autre rai­son à cela après avoir étudié les paroles… On est dans du Canaro typ­ique de cette péri­ode, un tan­go qui se dégage douce­ment du canyengue. Un tan­go bien marché avec de petites cachot­ter­ies musi­cales qui évi­tent la monot­o­nie.

Les paroles

Fue una noche clara
que alum­bra­ba tan sólo el lucero.
Jun­to a mi humilde ven­tana
‘te juro’ – decía – ‘mi amor es eter­no’
Yo le di mi vida
y entre dul­ces prome­sas se fue.
Sola y con­movi­da
a la reja mi amor le con­fié.

Ven­tani­ta flori­da
de mi vie­ja tapera,
en tu reja pren­di­da está
mi tími­da ilusión.
Al abrirte con­tem­p­lo
un jardín de esper­an­za,
ven­tani­ta, y te cier­ro al fin
can­tan­do por mi amor.

Pero fue men­ti­ra
su prome­sa de amor duradero.
Des­de que vino el invier­no
una noche tras otra yo en vano lo espero.
Ya ni la esper­an­za
va quedan­do de ver­lo volver.
¡Tan­to que lo quise!
¿Para qué me engañó, para qué?

Ven­tani­ta flori­da
de mi vie­ja tapera,
en tu reja mar­chi­ta está
la flor de su traición.
Al abrirte, la noche
has­ta el alma me hiela,
ven­tani­ta, y te cier­ro al fin
llo­ran­do por mi amor.

Enrique Pedro Delfi­no (Delfy) Letra: Luis César Amadori

Traduction libre et indications

C’était une nuit claire qu’illuminait seule­ment la lucarne (plusieurs pos­si­bil­ités pour « lucero ». Vénus, lucarne, par­tie du volet par laque­lle peut entr­er la lumière. Bref, ce n’est pas très clair, au pro­pre, comme au fig­uré).
Ensem­ble à mon hum­ble fenêtre : « Je te jure, dis­ait-il, mon amour est éter­nel. »
Et je lui ai don­né ma vie et au milieu des douces promess­es, il est par­ti.
Seule et inquiète à la grille (prob­a­ble­ment les bar­reaux de la fenêtre, ou une grille de pro­tec­tion qui peut s’ouvrir) je lui ai con­fié mon amour.

Petite fenêtre fleurie de ma vieille bicoque, en ta grille est accrochée ma timide illu­sion.
Quand je t’ouvre, je con­tem­ple un jardin d’espérance, petite fenêtre, et je te ferme enfin en chan­tant pour mon amour.

Mais ce fut un men­songe sa promesse d’amour durable.
Depuis que l’hiver est venu nuit après nuit, je l’ai atten­due en vain.
Là, il n’y a plus d’espoir de le voir revenir.
Je l’ai tant désiré !
Pourquoi m’a‑t-il trompé, pour quoi ?

Petite fenêtre fleurie de ma vieille bicoque, dans ta grille flétrie est la fleur de sa trahi­son.
Quand je t’ouvre, la nuit me gèle jusqu’à l’âme, petite fenêtre, et je te ferme enfin pleu­rant pour mon amour.

Autres versions

Je devrais plac­er en pre­mier une ver­sion avec Lib­er­tad Lamar­que qui a lancé le titre au théâtre Maipo, mais mal­heureuse­ment, il ne sem­ble pas y avoir d’enregistrement. Elle devait chanter toutes les paroles et en tant que femme, c’était bien adap­té. À ce sujet, il me sem­ble oppor­tun de nar­rer une anec­dote. La musique de Enrique Delfi­no reçut un accueil plutôt froid des musi­ciens de l’orchestre chargés de la jouer. Les paroliers du théâtre ne voulurent pas se charg­er des paroles. C’est alors que Luis César Amadori s’est pro­posé de les écrire. Lib­er­tad Lamar­que les chan­ta, prob­a­ble­ment, comme à son habi­tude, de façon remar­quable et le titre devint un grand suc­cès.

La cou­ver­ture de la par­ti­tion de Ven­tani­ta flori­da rap­pel­lant que c’est un suc­cès de Lib­er­tad Lamar­que. Un sec­ond titre dAmadori, Se viene la Maro­ma (instru­men­tal) est égale­ment inclus. Canaro l’enregistra 8 jours après Ven­tani­ta Flori­da avec Irus­ta.

Ven­tani­ta flori­da 1932-04-21 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Agustín Irus­ta. C’est le tan­go du jour.

Ce dia­ble de Canaro, tou­jours à l’affût d’un bon titre l’a enreg­istré dans la foulée, mais avec un homme. C’est notre tan­go du jour. Il con­ve­nait donc, soit de chang­er les paroles, soit, ce qui fut l’option choisie, de ne chanter qu’une par­tie asex­uée, le refrain. Nous ver­rons plus loin cepen­dant que cette « néces­sité » n’est pas une loi.

Ven­tani­ta flori­da 1932-05-04 — Ada Fal­cón con acomp. de Fran­cis­co Canaro.

Une superbe et émou­vante ver­sion, chan­tée avec âme. La musique et le chant sont comme relancés à chaque phrase, un peu comme dans une ranchera dans un rythme presque ter­naire, bien loin de la ver­sion marchée d’Irusta. C’est bien sûr une ver­sion chan­son, mais un, jour de folie, avec des danseurs par­ti­c­ulière­ment tolérants, je pour­rai la pro­pos­er à la danse. Cette ver­sion en tous, car mérite les oreilles et même si les danseurs s’arrêtent de danser pour l’écouter, ce sera un bon moment.

Trois autres à écouter, chan­tées par des hommes qui curieuse­ment chantent les paroles au féminin.

Ven­tani­ta flori­da 1932-07-20 — Igna­cio Corsi­ni con gui­tar­ras de Pagés-Pesoa-Maciel.

Deux mois plus tard, Corsi­ni enreg­istre sa ver­sion. Là, pas ques­tion de danser.

Ven­tani­ta flori­da 1955-11-24 — Ángel Var­gas y su Orques­ta dirigi­da por Edelmiro “Toto” D’A­mario.

Un tan­go chan­son, mais avec assez de tonic­ité. Var­gas n’a pas trop viré dans le sen­ti­men­tal­isme. Cela n’en fait pas une ver­sion de danse. Pour cela, je reste avec les ver­sions de Canaro.

Ven­tani­ta flori­da 1989 — Rober­to Goyeneche con acomp. de Nés­tor Mar­coni y su con­jun­to. Une ver­sion assez douce, peut-être trop. Un fond sonore pour une soirée au restau­rant ?

Le tango, est-il un truc de pleurnichards et de cocus ?

Le tan­go du jour est claire­ment sen­ti­men­tal. Un peu pleureur, mais pas vrai­ment de cocu dans la mesure où c’est une femme qui a été aban­don­née par un homme qui l’a abusée par des promess­es.
Ce n’est peut-être pas la bonne occa­sion de par­ler du sujet, mais je vais tout de même don­ner quelques indi­ca­tions.
Si Dis­cépo­lo a dit que le tan­go est une pen­sée triste qui se danse, c’est qu’il avait une vision un peu pes­simiste de la vie, comme il l’a exprimé dans cam­bal­ache. Ses préoc­cu­pa­tions étaient exis­ten­tial­istes et il se devait de par­ler de vécu et de ressen­ti.
Mais n’est-ce pas le cas de tant d’autres domaines ? L’art, la poésie, la lit­téra­ture, quand ils ne sont pas à la gloire d’un com­man­di­taire, par­lent d’amour, de hauts faits (celui des com­padri­tos dans le cas du tan­go et sou­vent avec beau­coup de moquerie et de déri­sion), de reli­gion (comme Ple­garia).
Même la chan­son pop­u­laire dans le monde entier par­le de tout et de rien et notam­ment des déboires et des joies de la vie. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour le tan­go ?
Nous avons vu hier, Ple­garia, nous voyons aujourd’hui, par notre petite fenêtre, une his­toire d’abandon, voire de trahi­son, d’autres, comme Ten­go mil novias de Cadicamo, des fan­faron­nades empreintes d’humour.
Le peu­ple argentin n’a pas eu la vie facile et cela l’a sans doute incité à trou­ver un refuge dans l’art. Il y a une quan­tité de lecteurs incroy­able, tout autant de musi­ciens et de pein­tres. L’art est partout dans la rue. Buenos Aires est la ville du Monde qui compte le plus de théâtre.
Cet art est aus­si pop­u­laire, c’est celui des gens de la rue et pas seule­ment un grand art sub­ven­tion­né et intel­lectuel. Les gens dansent, chantent et il est donc nor­mal qu’ils con­fient à la musique et à la chan­son l’expression de leurs peines comme de leurs joies.
Le tan­go n’est que le reflet de la vie et il faut être par­ti­c­ulière­ment aveu­gle et sourd pour ne voir dans le tan­go que des his­toires lar­moy­antes de cocus. Je pense que cette approche est causée par une approche pure­ment lit­téraire des textes et à une focal­i­sa­tion sur des tan­gos chan­son des­tinés à l’écoute.
En effet, même avec des paroles tristes, un tan­go peut être plaisant, agréable, voire joyeux à danser. J’ai déjà pris l’exemple de la valse « A Mag­a­l­di », qui peut rem­plir de bon­heur le danseur qui se plonge dans la musique avec sa parte­naire (ou la danseuse avec son parte­naire, bien sûr). Même s’ils com­pren­nent les paroles, la valse est comme une cathar­sis à une éventuelle tristesse, aux petits et grands mal­heurs de la vie.
Les Portègnes ne vont pas danser pour se couper les veines. Ils ont le sourire, parta­gent. Il y a des musiques tristes, mais ce n’est pas une général­ité dans l’univers du tan­go. Si on s’attache à la musique, on se rend compte que la grande majorité est plutôt allè­gre.
Si on essaye de faire la bal­ance entre les deux, je pense que l’on con­stat­era que le tan­go de danse est à dom­i­nante gaie et que le tan­go chan­son, qui a pris le dessus dans les années 50 est peut-être à dom­i­nante triste.
Les chanteurs de refrain de l’âge d’or ne chan­taient qu’une petite par­tie des paroles, ce qui don­nait l’occasion à la musique de dis­penser sa joie, mal­gré une éventuelle tristesse des paroles. A con­trario, les ver­sions entières pour l’écoute sont sou­vent lar­moy­antes, comme en témoigne l’exemple de cette anec­dote.
Il est donc impor­tant pour le DJ de pro­pos­er les tan­gos de danse et pas ces tan­gos lugubres qui plombent l’ambiance. Les danseurs vien­nent pass­er un bon moment et si quelques-uns pensent que le tan­go doit être triste, qu’ils gar­dent le bal­ai là où ils se le sont enfon­cé.
Le tan­go est une pen­sée joyeuse qui peut se danser !

La vi llegar 1944-04-19 — Orquesta Miguel Caló con Raúl Iriarte

Enrique Mario Francini Letra Julián Centeya

«La vi lle­gar», je l’ai vue venir, ne racon­te pas l’arrivée espérée d’une femme, même si j’ai choisi dans mes illus­tra­tions de pren­dre le texte au pied de la let­tre, je vais ici don­ner le véri­ta­ble sens aux paroles de ce mag­nifique tan­go dont les paroles de Julián Centeya sont ici toute en finesse, je dirai même que tout le thème est un jeu de mots.

Extrait musical

La vi lle­gar 1944-04-19 — Orques­ta Miguel Caló con Raúl Iri­arte.

Paroles

La vi lle­gar…
¡Cari­cia de su mano breve!
La vi lle­gar…
¡Alon­dra que azotó la nieve
 !
Tu amor ‑pude decir­le- se funde en el mis­te­rio
de un tan­go acari­ciante que gime por los dos.

Y el ban­doneón
-¡rezon­go amar­go en el olvi­do!-
lloró su voz,
que se que­bró en la den­sa bru­ma.
Y en la deses­per­an­za,
tan cru­el como ningu­na,
la vi par­tir sin la pal­abra del adiós.

Era mi mun­do de ilusión…
Lo supo el corazón,
que aún recuer­da siem­pre su extravío?.
Era mi mun­do de ilusión
y se perdió de mí,
sumán­dome en la som­bra del dolor.
Hay un fan­tas­ma en la noche inter­minable.
Hay un fan­tas­ma que ron­da en mi silen­cio.
Es el recuer­do de su voz,
latir de su can­ción,
la noche de su olvi­do y su ren­cor.

La vi lle­gar…
¡Mur­mul­lo de su paso leve
 !
La vi lle­gar…
¡Auro­ra que bor­ró la nieve!
Per­di­do en la tiniebla, mi paso vac­ilante
la bus­ca en mi ter­ri­ble carni­no de dolor.

Y el ban­doneón
dice su nom­bre en su gemi­do,
con esa voz
que la llamó des­de el olvi­do.
Y en este des­en­can­to bru­tal que me con­de­na
la vi par­tir, sin la pal­abra del adiós…

Enrique Mario Franci­ni Letra: Julián Centeya

Traduction libre et indications

Je l’ai vue venir… (À pren­dre comme « je t’ai vu venir avec tes gros sabots ». Il a dev­iné que quelque chose clochait)
Caresse de sa main furtive ! (Elle l’effleure avec sa main, mais elle n’ose pas le touch­er franche­ment).
Je l’ai vue venir…
Alou­ette qui fou­et­tait la neige ! (La tra­duc­tion est dif­fi­cile. Dis­ons qu’il com­pare la main à une alou­ette qui jet­terait de la neige, du froid sur le cœur de l’homme).
Ton amour, pour­rais-je lui dire, se fond dans le mys­tère d’un tan­go cares­sant qui gémit pour nous deux. (La femme cherche ses mots pour annon­cer la mau­vaise nou­velle).

Et le ban­donéon
— grog­nait amère­ment dans le désamour ! — (Olvi­do est à pren­dre ici dans son sens sec­ond, plus rare, comme la fin de l’affection et pas comme l’oubli).
Sa voix pleu­rait, en se brisant dans la brume épaisse.
Et dans un dés­espoir, plus cru­el qu’aucun autre, ce fut sans un mot d’adieu…

C’était mon monde d’illusions…
Le cœur le savait, lui qui se sou­vient tou­jours de sa perte.
C’était mon monde d’illusion qui fut per­du pour moi, me plongeant dans l’ombre de la douleur.
Il y a un fan­tôme dans la nuit inter­minable.
Il y a un fan­tôme qui rôde dans mon silence.
C’est le sou­venir de sa voix, le bat­te­ment de sa chan­son, la nuit de son désamour et de son ressen­ti­ment.

Je l’ai vue venir…
Le mur­mure de son pas léger !
Je l’ai vue venir…
Aurore qui a envoyé la neige !
Per­du dans les ténèbres, mon pas vac­il­lant la cherche sur mon ter­ri­ble chemin de douleur.

Et le ban­donéon prononce son nom dans son gémisse­ment, de cette voix qui l’appelait depuis le désamour.
Et dans ce désen­chante­ment bru­tal qui me con­damne, je l’ai vue par­tir, sans un mot d’adieu…
Et le ban­donéon prononce son nom dans son gémisse­ment, de cette voix qui invo­quait le désamour.
Et dans ce désen­chante­ment bru­tal qui me con­damne, je l’ai vue par­tir, sans un mot d’adieu…

Je l’ai vue venir

On emploie sou­vent cette expres­sion quand dire que la per­son­ne qui nous par­le ne va pas directe­ment au but, mais que l’on a dev­iné bien avant qu’il le dise où il voulait aller.
Les paroles de ce tan­go alter­nent donc avec « je l’ai vue venir » en prenant la métaphore de l’arrivée avec la neige pour mon­tr­er qu’elle lance un froid et « je l’ai vue par­tir », sans un mot d’adieu. Là, on n’est pas dans le fig­uré, elle est vrai­ment par­tie.

Autres versions

La vi lle­gar 1944-04-19 — Orques­ta Miguel Caló con Raúl Iri­arte. C’est notre tan­go du jour
La vi lle­gar 1944-06-27 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Alber­to Mari­no.

Con­traire­ment à Caló, Troi­lo ne donne pas la vedette aux vio­lons et dès le début, les ban­donéons les accom­pa­g­nent et les dif­férents solos sont courts et avec un accom­pa­g­ne­ment très présent. Franci­ni est vio­loniste, mais Troi­lo est ban­donéon­iste…

Une ver­sion au ciné­ma extraite du film Los Pérez Gar­cía (1950). Orques­ta Franci­ni-Pon­tier con Alber­to Podestá.

La vi lle­gar 1949–50 — Orques­ta Enrique Mario Franci­ni y Arman­do Pon­tier Con Alber­to Podestá. Extrait du film Los Pérez Gar­cía sor­ti le pre­mier févri­er 1950.

Extrait du film Los Pérez Gar­cía sor­ti le pre­mier févri­er 1950. Comme il n’y a pas de véri­ta­ble enreg­istrement de ce titre par son com­pos­i­teur, on est con­tent de l’avoir dans ce film. Petit gag, Arman­do Pon­tier sem­ble avoir un prob­lème avec son ban­donéon au début de l’in­ter­pré­ta­tion. On peut aus­si voir Enrique Mario Franci­ni au vio­lon, jouant sa com­po­si­tion. On peut juste regret­ter de ne pas avoir un disque de cette presta­tion. Peut-être qu’un jour on retrou­vera les enreg­istrements de stu­dio qui ont été exploités pour le film. Tout est pos­si­ble en Argen­tine. C’est même là que l’on a retrou­vé les par­ties per­dues du chef d’œu­vre de Fritz Lang, Metrop­o­lis.
Met­teur en scène ; Fer­nan­do Bolín y Don Napy, scé­nario Oscar Luis Mas­sa, Anto­nio Cor­ma y Don Napy. Le film est tiré du feuil­leton radio­phonique du même nom et met en scène plus ou moins les mêmes acteurs.

A los ami­gos, La vi lle­gar 1958 — Franci­ni-Pon­tier, Orques­ta Típi­ca — Direc­ción Argenti­no Galván.

C’est le 28e morceau du disque. Bien qu’il y ait deux titres enchaînés, la pièce est courte (1:50). La vi lle­gar qui est le thème le plus intéres­sant notam­ment grâce au vio­lon solo de Franci­ni com­mence à 45 s. Julio Ahu­ma­da (ban­donéon et Jaime Gosis (piano) com­plè­tent l’orchestre. Ci-dessous, la cou­ver­ture du disque.

C’est un 33 tours (long play) qui com­porte 34 titres qui ont la par­tic­u­lar­ité (sauf un), d’être joués par dif­férents orchestres, mais tous dirigés par le même chef, Argenti­no Galván. J’ai pro­posé sur Face­book un jeu sur cette cou­ver­ture, de décou­vrir tous les lieux, et clins d’œil au tan­go qu’elle men­tionne.

La vi lle­gar 1961 — Orques­ta Osval­do Pugliese con Jorge Maciel.

Pour ceux qui aiment la voix pleu­rante de Maciel dans les années 60, ça devrait plaire. J’imagine même que cer­tains le danseraient.

La vi lle­gar 1966 — Octe­to Tibid­abo dir. Atilio Stam­pone.

Seule ver­sion instru­men­tale de ma sélec­tion. Le piano de Stam­pone en fait une ver­sion intéres­sante. J’ai aus­si mis cette ver­sion, car Tibida­do est présent sur la cou­ver­ture du disque de 1960 dirigé par Argenti­no Galván. Le Tibid­abo était un cabaret situé sur Cor­ri­entes au 1244. Il a fonc­tion­né de 1942 à 1955. Aníbal Troi­lo en était un des piliers.

La vi lle­gar 1970-05-07 — Rober­to Goyeneche Orques­ta Típi­ca Porteña dir. y arreg­los Raúl Garel­lo y Osval­do Berlingieri.

Une ver­sion émou­vante et impres­sion­nante. Bien sûr, pas pour la danse, mais elle vaut l’écoute, assuré­ment.

À propos des illustrations

On aura bien com­pris que la neige que j’ai représen­té dans les deux images était « virtuelle ». C’est le froid qu’a lais­sé le désamour.
La pre­mière image est « Je l’ai vue venir ». Ici, au sens pro­pre alors que c’est plutôt fig­uré dans la chan­son.

Elle arrive pour rompre, elle est triste.

Puis, elle est par­tie. Sans parole d’adieu. Là, elle n’a pas de valise. Je trou­vais que cela aurait alour­di cette image que je voulais toute légère. Elle part vers la lumière et lui reste dans l’ombre et le froid. J’avais fait au départ une ombre plus mar­quée en bas qui par­tait de celle de la femme qui part, mais je n’arrivai pas à cadr­er ça dans un for­mat 16/9e. Alors, il n’y a plus d’ombre.
À demain les amis, pour un thème, beau­coup plus glaçant. En effet, la neige d’aujourd’hui était virtuelle, mais demain, je vais jeter un froid.

No nos veremos más 1943-02-11 (Valse) — Orquesta Lucio Demare con Raúl Berón

Lucio Demare Letra: Julio Plácido Navarrine

Bésame otra vez Sien­to que después No nos ver­e­mos más.

Le tan­go du jour est une valse, nos­tal­gique, mais entraî­nante dans cette ver­sion réal­isée par Lucio Demare et Raúl Berón.
Elle a été enreg­istrée il y a 81 ans, le 11 févri­er 1943.
Lucio Demare était pianiste et com­pos­i­teur. On lui doit beau­coup de titres qu’il a lui-même inter­prétés, comme cette valse, mais aus­si d’autres tan­gos à suc­cès, comme Telón, Male­na, Mañana zarpa un bar­co, Sola­mente ella et autres titres nos­tal­giques.

Extrait musical

No nos ver­e­mos más 1943-02–11 — Lucio Demare con Raúl Berón

L’archive sonore présen­tée ici, l’est à titre d’ex­em­ple didac­tique. La qual­ité sonore est réduite à cause de la plate­forme de dif­fu­sion qui n’ac­cepte pas les fichiers que j’u­tilise en milon­ga et qui sont env­i­ron 50 fois plus gros et de bien meilleure qual­ité. Je pense toute­fois que cet extrait vous per­me­t­tra de décou­vrir le titre en atten­dant que vous le trou­viez dans une qual­ité audio­phile.

Paroles

Saber par­tir
Con la son­risa flo­re­ci­da.
Y ver morir
El sueño de toda la vida.
Ahog­ar la voz
Morder la angus­tia que nos hiere.
Después, adiós
Y el alma de un ros­al que muere.

Bésame otra vez
Sien­to que después
No nos ver­e­mos más.
Se irá la cer­razón
Pero la ilusión
No ven­drá jamás.
Som­bra entre los dos
Que un dolor atroz
No tor­na clar­i­dad.
Amor que se abre en cruz
Al puñal de luz
De todas las estrel­las.

Hoy por dis­tin­ta huel­la
Nos echa la vida,
Amor que nun­ca olvi­da
No sabe llo­rar.
Bésame otra vez
Sien­to que después
No nos ver­e­mos más.
Se irá la cer­razón
Pero la ilusión
No ven­drá jamás.

Lucio Demare Letra: Julio Plá­ci­do Navar­rine

Traduction

Savoir par­tir avec un sourire fleuri et voir mourir le rêve de toute une vie.
Étouf­fer la voix, mor­dre l’an­goisse qui nous blesse.
Puis, au revoir et l’âme d’un rosier se meure.
Embrasse-moi à nou­veau, je sens que nous ne nous rever­rons plus.
Les ténèbres dis­paraîtront, mais l’il­lu­sion ne vien­dra jamais.
Une ombre entre les deux qu’une douleur atroce ne trans­formera pas en clarté.
L’amour qui s’ou­vre en croix au poignard de lumière de toutes les étoiles.
Aujour­d’hui, la vie s’échappe par une empreinte dif­férente, l’amour qui n’ou­blie jamais, ne sait pas pleur­er.
Embrasse-moi à nou­veau, je sens que nous ne nous rever­rons plus.
Les ténèbres dis­paraîtront, mais l’il­lu­sion ne vien­dra jamais.

Autres enregistrements

Il existe une autre ver­sion, par Fran­cis­co Canaro et Rober­to Mai­da (1935–12-03), dans un rythme beau­coup plus lent et majestueux, très dif­férent de cette inter­pré­ta­tion par Demare et Berón.
Sig­nalons aus­si l’enregistrement (1952–06-18) par Lucio Demare, au piano, solo de cette valse, dans le rythme lent de Canaro. Il enchaîne sur Mañan­i­tas de Mont­martre, une autre de ses com­po­si­tions, dans cet enreg­istrement de 1952.
Comme Lucio Demare est le com­pos­i­teur, il est pos­si­ble qu’il l’ait conçue dans le rythme lent de 1935 et 1952 et que cette ver­sion de 1943 soit une adap­ta­tion au goût de l’époque, l’âge d’or du tan­go de danse.

No nos ver­e­mos más 1935-12-02 — Fran­cis­co Canaro et Rober­to Mai­da.

C’est la pre­mière ver­sion. Cette ver­sion est empreinte de sonorité européenne. Ce que la présence de l’accordéon dans la par­tie B (à 19 s) souligne. Cette même par­tie B sera reprise par la trompette bouchée à 45 s. À 54 s, Rober­to Mai­da chante la par­tie A, puis la B, puis de nou­veau la A et la B. On remar­quera les sonorités très par­ti­c­ulières du vio­lon et de la trompette à 1:50, cet assem­blage rare et éton­nant donne une dimen­sion intéres­sante à cette inter­pré­ta­tion. À 2:16 on remar­quera le piano solo qui donne une res­pi­ra­tion par­ti­c­ulière à ce pas­sage après les sonorités de la trompette asso­ciée au vio­lon. Comme pour s’excuser de l’audace précé­dente. À 2:27 l’orchestre reprend briève­ment la main pour pro­pos­er une fin de film de ciné­ma…

Cela n’est sans doute pas si éton­nant si on con­sid­ère que Demare à cette époque, fai­sait de la musique pour le ciné­ma en Espagne avec son trio et j’émets l’hypothèse que ce titre fai­sait par­tie du film, mal­heureuse­ment per­du “Boliche” de Fran­cis­co Elías (1933). Comme on le sait, Canaro a repris de nom­breuses musiques de film, pourquoi pas celle-ci ?

Affich­es du film Boliche de Fran­cis­co Elias.
No nos ver­e­mos más 1943-02-11 — Lucio Demare con Raúl Berón. C’est notre valse du jour.
No nos ver­e­mos más 1946 — Trío Argenti­no (Irus­ta, Fuga­zot, Demare) y su Orques­ta Típi­ca Argenti­na.

Si mon hypothèse est exacte, ce serait une reprise, 13 ans plus tard, de la musique du film Boliche.

No nos ver­e­mos más – Mañan­i­tas de Mont­martre 1952-06-18 — Lucio Demare (piano).

Demare est un des rares chefs d’orchestre a avoir fait des enreg­istrements de son seul instru­ment. Il faut dire que le piano se prête assez bien à cet exer­ci­ce.

No nos ver­e­mos más 2015 – Roulotte Tan­go con Gas­par Pocai.

Pour ter­min­er avec cette ver­sion en valse créée par Lucio Demare, la propo­si­tion d’un orchestre français, Roulotte Tan­go avec la voix de Garpar Pocai.

Sous le même titre, on trou­ve une chan­son de tan­go de Luis Sta­zo avec des paroles de Fed­eri­co Sil­va qui a eu son petit suc­cès en 1963, notam­ment par la ver­sion de Rober­to Goyeneche avec l’accompagnement de Luis Sta­zo, Arman­do Cupo y Mario Mon­teleone.
On pour­rait citer aus­si celle de Mau­re, de la même année, ou celle de d’Arienzo avec Jorge Valdez. Avec mon célèbre esprit de con­tra­dic­tion, je vous pro­pose d’écouter la ver­sion de De Ange­lis et Godoy…

No nos ver­e­mos más 1964-04 — Orques­ta Alfre­do De Ange­lis con Juan Car­los Godoy.

Comme les autres inter­pré­ta­tions de ce titre, il s’agit d’une ver­sion de con­cert, pas de bal.

Amor que se abre en cruz al puñal de luz de todas las estrel­las.