Même si Pichuco considérait que sa véritable maison était celle de la rue Soler au 3280, c’est bien au 2937 de la rue José Antonio Cabrera qu’il est né, le 11 juillet 1914. La mère d’Aníbal n’est retournée rue Soler qu’à la mort du père de Troilo, en 1922. Cette maison a connu divers usages au cours du temps, comme en témoignent quelques photos historiques. Si j’ai décidé d’en parler aujourd’hui, c’est qu’elle vient d’être détruite pour un projet immobilier.
La maison natale de Aníbal Troilo
La maison natale de Pichuco, rue José Antonio Cabrera 2937
Aníbal Carmelo Troilo, le père, et Felisa Bagnolo, la mère, louèrent cette maison, par suite du drame de la mort de Concepción, celle qui aurait dû être la grande sœur du bandoneón mayor de Buenos Aires.
Les parents et Marcos, l’aîné, déménagèrent donc dans la maison de la rue Cabrera où naquit le petit Pichuco.
Ils y restèrent peu de temps, car, en 1922, le père mourait à son tour. La mère retourna alors dans la maison familiale de la rue Soler, celle qu’a donc le mieux connue Aníbal et qui en disait :
« Yo nací en una casa de Cabrera 2937, pero mi casa fue la de Soler 3280 ».
Je suis né dans une maison de Cabrera 2937, mais ma maison fut celle de Soler 3280.
Maison natale de Troilo à différentes époques. Avant 1998, à gauche, vers 2011 (présence d’une milonga), 2024, une des dernières photos avec le bâtiment debout. Celui à sa gauche a déjà été remplacé. 2025, pendant la destruction de la semaine du 21 au 25 avril.La plaque posée en 2008 déclarant la maison comme site d’intérêt culturel. Cela n’a pas empêché sa destruction…
La maison de Soler 3280
C’est la maison familiale jusqu’en 1914 et après 1922. Celle que Pichuco considère comme la sienne.
La maison de la rue Soler au 3280. À droite, la plaque posée le 11 juillet 1976 pour l’anniversaire de la naissance, l’année suivant la mort de Pichuco.
La fausse maison de Aníbal Troilo
Au 2540 rue Carlos Calvo, il y a eu « La Casa de Aníbal Troilo”. Cet établissement de spectacle n’a pas de rapport direct avec notre gros, favori. Plus tard, le bâtiment a été réutilisé par Cacho Castaña, l’auteur de Café la Humedad, chanson qui a donné le nom à son établissement.
Attention, le Café de la Humedad de la rue Carlos Calvo n’est pas le café original. En effet, celui-ci était, comme le dit la chanson, à l’angle de Gaona y Boyaca.
L’emplacement original du Café la Humedad, à l’angle de Gaona y Boyaca.
Les paroles de la chanson de Cacho Castaña
Humedad, llovizna y frío Mi aliento empaña el vidrio azul del viejo bar No me pregunten si hace mucho que la espero Un café que ya está frío y hace varios ceniceros
Aunque sé que nunca llega Siempre que llueve voy corriendo hasta el café Y solo cuento con la compañía de un gato Que al cordón de mi zapato lo destroza con placer
Café La Humedad, billar y reunión Sábado con trampas, qué linda función Yo solamente necesito agradecerte La enseñanza de tus noches Que me alejan de la muerte
Café La Humedad, billar y reunión Sábado con trampas, qué linda función Eternamente te agradezco las poesías Que la escuela de tus noches Le enseñaron a mis días
Soledad, soledad de soltería Son treinta abriles ya cansados de soñar Por eso vuelvo hasta la esquina del boliche A buscar la barra eterna de Gaona y Boyaca
Ya son pocos los amigos que me quedan Vamos, muchachos, esta noche a recordar Una por una las hazañas de otros tiempos Y el recuerdo del boliche que llamamos La Humedad
Café La Humedad, billar y reunión Sábado con trampas, qué linda función Yo solamente necesito agradecerte La enseñanza de tus noches Que me alejan de la muerte
Café La Humedad, billar y reunión Sábado con trampas, qué linda función Eternamente te agradezco las poesías Que la escuela de tus noches Le enseñaron a mis días
Cacho Castaña
Traduction libre
L’humidité, la bruine et le froid Mon haleine embue les vitres bleues du vieux bar Ne me demandez pas si je l’attends depuis longtemps Un café déjà froid et ça fait plusieurs cendriers. Bien que je sache qu’elle ne vient jamais. Quand il pleut, je cours au café. Et je n’ai que la compagnie d’un chat. Qui détruit le lacet de ma chaussure avec plaisir Café La Humedad, billard et rencontre Samedi avec des tromperies, quel beau programme J’ai juste besoin de te remercier L’enseignement de tes nuits Qui me tiennent à l’écart de la mort Café La Humedad, billard et rencontre samedi avec des pièges, quel beau spectacle Éternellement, je te remercie pour les poèmes Que l’école de tes nuits A enseigné à mes jours Solitude, solitude du célibataire C’est trente avrils, déjà fatigué de rêver C’est pourquoi je retourne à l’angle du dancing Pour chercher l’éternelle bande de Gaona et Boyaca Il ne me reste que peu d’amis Allons-y, les gars, ce soir, pour nous remémorer Un à un les exploits d’autrefois Et le souvenir du dancing que nous appelons La Humedad. Café La Humedad, billard et rencontre Samedi avec des tromperies, quel beau programme J’ai juste besoin de te remercier L’enseignement de tes nuits Qui me tiennent à l’écart de la mort Café La Humedad, billard et rencontre samedi avec des pièges, quel beau spectacle Éternellement, je te remercie pour les poèmes Que l’école de tes nuits A enseigné à mes jours. Cacho Castaña
Je vous propose de terminer sur la chanson nostalgique de Cacho Castaña, chanté par lui-même dans son établissement, Café la Humedad.
Café la Humedad, chanté dans le théâtre Café la Humedad par son propriétaire et auteur, Cacho Castaña.
Georges Bizet. Florindo Sassone, Othmar Klose et Rudi Luksch (adaptation en tango)
Beaucoup de tangos sont inspirés de musiques européennes. Les valses, notamment, mais pas seulement. Ces titres sont adaptés et deviennent de « vrais tangos », mais ce n’est pas toujours le cas. En France, certains danseurs de tango apprécient des titres un peu étranges, des titres qui n’ont jamais été écrits pour cette danse. On appelle généralement cela le « tango alternatif ». Un des titres les plus connus dans le genre est la reprise d’un opéra du XIXe siècle effectuée par Florindo Sassone. Le fait qu’un chef d’orchestre de tango reprenne un titre n’en fait pas un tango de danse. Cela reste donc de l’alternatif. Je vous laisse en juger avec los pescadores de perlas, les pêcheurs de perles, de Bizet et Sassone…
Écoutes
Tout d’abord, voyons l’original composé par Bizet. Je vous propose une version par un orchestre et un chanteur français, celle du ténor Roberto Alagna avec l’orchestre de Paris, qui est dirigé par Michel Plasson. Cette interprétation a été enregistrée le 9 juillet 2009 au Bassin de Neptune du château de Versailles. Ce soir-là, il chantera trois œuvres de Bizet, dont un extrait de Carmen, même si ce n’est pas la célèbre habanera qui a tant à voir avec un des rythmes de base du tango et de la milonga. Vous pouvez voir le concert en entier avec cette vidéo… https://youtu.be/Jx5CNgsw3S0. Ne vous fiez pas à la prise de son un peu médiocre du début, par la suite, cela devient excellent. Pour aller directement au but, je vous propose ici l’extrait, sublime où Alagna va à la pêche aux perles d’émotion en interprétant notre titre du jour.
Roberto Alagna et l’orchestre de Paris dirigé par Michel Plasson dans Les Pêcheurs de Perles de Georges Bizet. L’air de Nadir « Je crois entendre encore ».
Deux mots de l’opéra de Bizet
Les pêcheurs de perles est le premier opéra composé par Bizet, âgé de 25 ans, en 1863). L’intrigue est simpliste. L’opéra se passe sur l’île de Ceylan, où deux amis d’enfance, Zurga et Nadir, évoquent leur passion de jeunesse pour une prêtresse de Candi nommé Leïla. Pour ne pas nuire à leur amitié, ils avaient renoncé à leur amour, surtout Zurga, car Nadir avait secrètement revu Leïla. Zurga était mécontent, mais, finalement, il décide de sauver les deux amants en mettant le feu au village. L’air célèbre qui a été repris par Sassone est celui de Nadir, au moment où il reconnaît la voix de Leïla. En voici les paroles :
Je crois entendre encore, Caché sous les palmiers, Sa voix tendre et sonore Comme un chant de ramier ! Ô nuit enchanteresse ! Divin ravissement ! Ô souvenir charmant ! Folle ivresse ! Doux rêve ! Aux clartés des étoiles, Je crois encore la voir, Entrouvrir ses longs voiles Aux vents tièdes du soir ! Ô nuit enchanteresse ! Divin ravissement ! Ô souvenir charmant ! Folle ivresse ! Doux rêve !
Avant de passer aux versions de Florindo Sassone, une version par Alfredo Kraus, un ténor espagnol qui chante en Italien… La scène provient du film « Gayarre » de 1959 réalisé par Domingo Viladomat Pancorbo. Ce film est un hommage à un autre ténor espagnol, mais du XIXe siècle, Julián Gayarre (1844-1890). La vie, ou plutôt la mort de ce chanteur, est liée à notre titre du jour, puisqu’en décembre 1889, Gayarre chanta Los pescadores de perlas malgré une bronchopneumonie (provoquée par l’épidémie de grippe russe qui fit 500 000 morts). Lors de l’exécution, qui fut aussi la sienne, sa voix se cassa sur une note aigüe et il s’évanouit. Les effets conjugués de la maladie et de la dépression causée par son échec artistique l’emportèrent peu après, le 2 janvier 1890 ; il avait seulement 45 ans. Cette histoire était suffisante pour en faire un mythe. D’ailleurs trois films furent consacrés à sa vie, dont voici un extrait du second, « Gayarre » où Alfredo Kraus interprète le rôle de Gayarre chantant la chanson « je crois entendre encore » tiré des pêcheurs de perles.
Alfredo Kraus interprète le rôle de Gayarre chantant la chanson « je crois entendre encore » tiré des pêcheurs de perles dans le film Gayarre.
Sassone pouvait donc connaître cette œuvre, par les deux premiers films, « El Canto del Ruiseñor » de 1932 et « Gayarre » de 1959 (le troisième, Romanza final est de 1986) ou tout simplement, car bizet fut un compositeur influent et que Les pêcheurs de Perles est son deuxième plus gros succès derrière Carmen.
J’en viens enfin aux versions de Sassone
La canción de los pescadores de perlas 1968-08-30 – Orquesta Florindo Sassone.
C’est une version “adaptée” en tango. Je vous laisse juger de la dansabilité. Certains adorent. Dès le début la harpe apporte une ambiance particulière, peut-être l’ondoiement des vagues, que ponctue le vibraphone. L’orchestre majestueux accompagné par des basses profondes qui marquent la marche alterne les expressions suaves et d’autres plus autoritaires. On est dans du Sasonne typique de cette période, comme on l’a vu dans d’autres anecdotes, comme dans Félicia du même Sassone. https://dj-byc.com/felicia-1966-03-11-orquesta-florindo-sassone/ La présence d’un rythme relativement régulier, souligné par les bandonéons, peut inspirer certains danseurs de tango. Pour d’autres, cela pourrait trop rappeler le rythme régulier du tango musette et au contraire les gêner.
Cet aspect musette est sans doute le fait d’Othmar Klose et Rudi Luksch qui sont intervenus dans l’orchestration. Luksch était accordéoniste et Klose était un des compositeurs d’Adalbert Lutter (tango allemand).
C’est cependant un titre qui peut intéresser certains danseurs de spectacle par sa variation d’expressivité.
La canción de los pescadores de perlas 1971 – Orquesta Florindo Sassone.
Trois ans plus tard, Sassone enregistre une version assez différente et sans doute encore plus éloignée de la danse. Là encore, elle pourrait trouver des amateurs… Cette version démarre plus suavement. La harpe est moins expressive et les violons ont pris plus de présence. La contrebasse et le violoncelle sont bien présents et donnent le rythme. Cependant, cette version est peut-être plus lisse et moins expressive. Quitte à proposer une musique originale, je jouerai, plutôt le jeu de la première version, même si elle risque d’inciter certains danseurs à dépasser les limites généralement admises en tango social.
Cette version est souvent datée de 1974, mais l’enregistrement est bien de 1971 et a été réalisé à Buenos Aires, dans les studios ION. Los Estudios ION qui existent toujours ont été des pionniers pour les nouveaux talents et notamment ceux du Rock nacional à partir des années 60. Le fait que Sassone enregistre chez eux pourrait être interprété comme une indication que ce titre et l’évolution de Sassone s’étaient un peu éloigné du tango « traditionnel », mais tout autant que les maisons d’éditions traditionnelles s’étaient éloignées du tango. Balle au centre.
Comparaison des versions de 1968 et 1971. On voit rapidement que la version de 1968, à gauche est marquée par des nuances bien plus fortes. Elle a plus de contraste. L’autre est plus plate. Elle relève plus du genre « musique d’ascenseur » que son aînée.
Le DJ de tango est-il un chercheur de perles ?
Le DJ est au service des danseurs et doit donc leur proposer des musiques qui leur donnent envie de danser. Cependant, il a également la responsabilité de conserver et faire vivre un patrimoine. Je prendrai la comparaison avec un conservateur de musée d’art pour me faire mieux comprendre. Le conservateur de musée comme son nom l’indique (au moins en français ou italien et un peu moins en espagnol ou en anglais où il se nomme respectivement curador et curator) est censé conserver les œuvres dont il a la responsabilité. Il les étudie, il les fait restaurer quand elles ont des soucis, il fait des publications et des expositions pour les mettre en valeur. Il enrichit également les collections de son institution par des acquisitions ou la réception de dons. Son travail consiste principalement à faire connaître le patrimoine et à le faire vivre sans lui porter préjudice en le préservant pour les générations futures. Le DJ fait de même. Il recherche des œuvres, les restaure (pas toujours avec talent) et les mets en valeur en les faisant écouter dans les milongas. Parfois, certains décident de jouer avec le patrimoine en passant des disques d’époque. Cela n’a aucun intérêt d’un point de vue de la qualité du son et c’est très risqué pour les disques, notamment les 78 tours qui deviennent rares et qui sont très fragiles. Si on veut vraiment faire du show, il est préférable de faire presser des disques noirs et de les passer à la place des originaux. Bon, à force d’enfiler les idées comme des perles, j’ai perdu le fil de ma canne à pêcher les nouveautés. Le DJ de tango, comme le conservateur de musée avec ses visiteurs, a le devoir de renouveler l’intérêt des danseurs en leur proposant des choses nouvelles, ou pour le moins méconnues et intéressantes. Évidemment, cela n’est pas très facile dans la mesure où trouver des titres originaux demande un peu de travail et notamment un goût assez sûr pour définir si une œuvre est bonne pour la danse, et dans quelles conditions. Enfin, ce n’est pas si difficile si on fait sauter la limite qui est de rester dans le genre tango. C’est la brèche dans laquelle se sont engouffré un très fort pourcentage de DJ, encouragés par des danseurs insuffisamment formés pour se rendre compte de la supercherie. C’est comme si un conservateur de musée d’art se mettait à afficher uniquement des œuvres sans intention artistique au détriment des œuvres ayant une valeur artistique probante. Je pense par exemple à ces productions en série que l’on trouve dans les magasins de souvenir du monde entier, ces chromos dégoulinants de couleurs ou ces « statues » en plastique ou résine. Sous prétexte que c’est facile d’abord, on pourrait espérer voir des visiteurs aussi nombreux que sur les stands des bords de plage des stations balnéaires populaires. Revenons au DJ de tango. Le parallèle est de passer des musiques de variété, des musiques appréciées par le plus grand monde, des produits marketing matraqués par les radios et les télévisions, ou des musiques de film et qui, à force d’êtres omniprésentes, sont donc devenues familières, voire constitutive des goûts des auditeurs. Je n’écris pas qu’il faut rejeter toutes les musiques, mais qu’avant de les faire entrer dans le répertoire du tango, il faut sérieusement les étudier. C’est assez facile pour les valses, car le Poum Tchi Tchi du rythme à trois temps avec le premier temps marqué est suffisamment porteur pour ne pas déstabiliser les danseurs. Bien sûr, les puristes seront outrés, mais c’est plus une (op)position de principe qu’une véritable indignation. Pour les autres rythmes, c’est moins évident. Les zambas ou les boléros dansés en tango, c’est malheureusement trop courant. Pareil pour les chamames, foxtrots et autres rythmes qui sont bougés en forme de milonga. Avec ces exemples, je suis resté dans ce qu’on peut entendre dans certaines milongas habituelles, mais, bien sûr, d’autres vont beaucoup plus loin avec des musiques n’ayant absolument aucun rapport avec l’Amérique du Sud et les rythmes qui y étaient pratiqués. Pour ma part, je cherche des perles, mais je les cherche dans des enregistrements perdus, oubliés, masqués par des versions plus connues et devenues uniques, car peu de collègues font l’effort de puiser dans des versions moins faciles d’accès. Vous aurez sans doute remarqué, si vous êtes un fidèle de mes anecdotes de tango, que je propose de nombreuses versions. Souvent avec un petit commentaire qui explique pourquoi je ne passerais pas en milonga cette version, ou au contraire, pourquoi je trouve que c’est injustement laissé de côté. Le DJ est donc, à sa façon un pêcheur de perles, mais son travail ne vaut que s’il est partagé et respectueux des particularités du tango, cette culture, riche en perles. Bon, je rentre dans ma coquille pour me protéger des réactions que cette anecdote risque de provoquer…
Ces réactions n’ont pas manqué, quelques réponses ici…
Tango ou pas tango ?
Une réaction de Jean-Philippe Kbcoo m’incite à développer un peu ce point.
« Les pêcheurs de perles » classés en alternatif !!!! Wouhaaa ! Quelle brillantissime audace ! Sur la dansabilité, je le trouve nettement plus interprétable qu’un bon Gardel, pourtant classé dans les tangos purs et durs, non ? En tout cas, merci de cet article à la phylogénétique très inattendue 🙂
Il est souvent assez difficile de faire comprendre ce qui fait la dansabilité d’une musique de tango. J’ai fait un petit article sur le sujet il y a quelques années : https://dj-byc.com/les-styles-du-tango/ Il est fort possible qu’aujourd’hui, je n’écrirai pas la même chose. Cependant, Gardel n’a jamais été considéré comme étant destiné à la danse. Le tango a divers aspects et là encore, pour simplifier, il y a le tango à écouter et le tango à danser. Les deux relèvent de la culture Tango, mais si les frontières semblent floues aujourd’hui, elles étaient parfaitement claires à l’époque. C’était inscrit sur les disques… Gardel, pour y revenir, avait sur ses disques la mention : “Carlos Gardel con acomp. de guitarras” ou “con la orquesta Canaro”, par exemple. Les tangos de danse étaient indiqués : “Orquesta Juan Canaro con Ernesto Famá” Dans le cas de Gardel, qui ne faisait pas de tangos de danse, on n’a, bien sûr, pas cette mention. Cependant, pour reprendre Famá et Canaro, il y a eu aussi des enregistrements destinés à l’écoute et, dans ce cas, ils étaient notés : “Ernesto Famá con acomp. de Francisco Canaro”. Dans le cas des enregistrements de Sassone, ils sont tardifs et ces distinctions n’étaient plus de rigueur. Toutefois, le fait qu’ils aient été arrangés par des compositeurs de musette ou de tango allemand, Othmar Klose et Rudi Luksch, ce qui est très net dans la version de 1968, fait que ce n’est pas du tango argentin au sens strict, même si le tango musette est l’héritier des bébés tangos laissés par les Argentins comme les Gobi ou les Canaro en France. Je confirme donc qu’au sens strict, ces enregistrements de Sassone ne relèvent pas du répertoire traditionnel du tango et qu’ils peuvent donc être considérés comme alternatifs, car pas acceptés par les danseurs traditionnels. Bien sûr, en Europe, où la culture tango a évolué de façon différente, on pourrait placer la limite à un autre endroit. La version de 1968 n’est pas du pur musette et peut donc être plus facilement assimilée. Celle de 1971 cependant, est dans une tout autre dimension et ne présente aucun intérêt pour la danse de tango. On notera d’ailleurs que, sur le disque de 1971 réédité en CD en 1998, il y a la mention « Tango international » et que les titres sont classés en deux catégories : « Tangos europeos et norteamericanos » et « Melodias japonesas ».
Le CD de 1998 reprenant les enregistrements de 1971 est très clair sur le fait que ce n’est pas du tango argentin.
Cette mention de « Tango international » est à mettre en parallèle avec d’autres disques destinés à un public étranger et étiquetés « Tango for export ». C’est à mon avis un élément qui classe vraiment ce titre hors du champ du tango classique. Cela ne signifie pas que c’est de la mauvaise musique ou que l’on ne peut pas la danser. Certains sont capables de danser sur n’importe quoi, mais cette musique ne porte pas cette danse si particulière qu’est le tango argentin.
Cela n’empêche pas de la passer en milonga, en connaissance de cause et, car cela fait plaisir à certains danseurs. Il ne faut jamais dire jamais…
Une suggestion d’une collègue, Roselyne Deberdt
Merci à Roselyne pour cette proposition qui permet de mettre en avant une autre version française.
Les pêcheurs de perles 1936 – Tino Rossi Accompagné par l’Orchestre de Marcel Cariven. Disque Columbia France (label rouge) BF-31. Numéro de matrice CL5975-1.
Sur la face B du disque, La berceuse de Jocelyn. Jocelyn est un opéra du compositeur français Benjamin Godard, créé en 1888 avec un livret d’Armand Sylvestre et Victor Capoul. Il est inspiré du roman en vers éponyme de Lamartine. Cependant, même si la voix de Tino est merveilleuse, ce thème n’a pas sa place en milonga, malgré ses airs de de « Petit Papa Noël« … N’oublions pas que Tino Rossi a chanté plusieurs tangos, dont le plus beau tango du monde, mais aussi :
C’est à Capri
C’était un musicien
Écris-Moi
Le tango bleu
Le tango des jours heureux
Tango de Marilou
Et le merveilleux, Vous, qu’avez-vous fait de mon amour ?, que je rajoute pour le plaisir ici :
Vous, qu’avez-vous fait de mon amour ? 1933-11-09 – Tino Rossi Accomp. Miguel Orlando et son Orchestre du Bagdad.
Le Bagdad était à Paris au 168, rue du Faubourg Saint-Honoré. Miguel Orlando était un bandonéoniste argentin, importé par Francisco Canaro à Paris et grand-oncle de notre ami DJ de Buenos Aires, Mario Orlando… Le monde est petit, non ?
8 mars, journée internationale (des droits) des femmes
Le 8 mars est la journée internationale (des droits) des femmes. Il me semble d’actualité, d’aborder la question des femmes dans le tango. Il faudrait plus qu’un article, qu’un livre et sans doute une véritable encyclopédie pour traiter ce sujet, aussi, je vous propose uniquement quelques petites indications qui rappellent que le tango est aussi une histoire de femmes.
« We can do it » (on peut le faire). Affiche de propagande de la société Westinghouse Electric pour motiver les femmes dans l’effort de guerre en 1943. Elle a été créée par J. Howard Miller en 1943.
Cette affiche rappelle, malgré elle, que la journée du 8 mars était au début la journée des femmes travailleuses, journée créée en mémoire des 129 ouvrières tuées dans l’incendie de leur manufacture le 8 mars 1908. Ce sont les propres propriétaires de cette usine, la Cotton Textile Factory, qui ont mis le feu pour régler le problème avec leurs employées qui réclamaient de meilleurs salaires et conditions de vie avec le slogan « du pain et des roses »…
Du pain et des roses, un slogan qui coûtera la vie de 129 ouvrières du textile le 8 mars 1908 à New York.
On se souvient en Argentine de faits semblables, lors de la semaine tragique de janvier 1919 où des centaines d’ouvriers furent assassinés, faits qui se renouvèleront deux ans plus tard en Patagonie où plus de 1000 ouvriers grévistes ont été tués. Aujourd’hui, la journée des femmes cherche plutôt à établir l’égalité de traitement entre les sexes, ce qui est un autre type de lutte, mais qui rencontre, notamment dans l’Argentine d’aujourd’hui, une opposition farouche du gouvernement.
Une petite musique de fond pour la lecture de cette anecdote…
Las mujeres y el amor (Ranchera) 1934-08-16 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray.
Il s’agit d’une ranchera écrite par Eduardo Vetere avec des paroles de Manuel R. López. Le thème (les femmes et l’amour) me semblait bien se prêter à notre thème du jour).
Les origines du tango et les femmes
Je passerai sous silence les affirmations disant que le tango se dansait initialement entre hommes, car, si, on a quelques photos montrant des hommes dansant de façon plus ou moins grotesque, cela relève plus de la charge, de la moquerie, que du désir de pratiquer l’art de la danse. Le tango a diverses origines. Parmi celles-ci, le monde du spectacle, de la scène, du moins pour ses particularités musicales. Dans les spectacles qui étaient joués dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle, il y avait des femmes sur scène. Elles chantaient, dansaient. Elles étaient actrices. Les thèmes de ces spectacles étaient les mêmes qu’en Europe et souvent inspirés par les productions du Vieux Continent. Elles étaient destinées à ceux qui pouvaient payer, et donc à une certaine élite. Je ferai le parallèle avec Carmen de Jorge Bizet, pas à cause de la habanera, mais pour montrer à quoi pouvait ressembler une des productions de l’époque. Des histoires, souvent sentimentales, des figurants et différents tableaux qui se succédaient. La plupart du temps, ces spectacles relèvent du genre « vaudeville ». Les femmes, comme Carmen, étaient souvent les héroïnes et a minima, elles étaient indispensables et présentes. Au vingtième siècle, lorsque le tango a mûri, on retrouve le même principe dans le théâtre (Buenos Aires est la ville du Monde qui compte le plus de théâtres), mais aussi dans le cinéma. Je pense que vous aurez remarqué à la lecture de mes anecdotes qu’une part importante des tangos provient de films et de pièces de théâtre. Une autre origine tourne autour des faubourgs de Buenos Aires, du mal-être d’hommes en manque de compagnie féminine. Dans ce monde dur, où les couteaux sortaient facilement, où on travaillait dans des usines, aux abattoirs ou aux travaux agricoles et notamment l’élevage, les femmes étaient rares et convoitées. Cela donnait lieu à des bagarres et on se souvient que le tango canyengue évoquait par ses passes des figures de combat au couteau. Les hommes qui avaient la possibilité de danser avec une femme d’accès facile jouaient une sorte de comédie pour les compagnons qui regardaient, cherchant à se mettre en valeur, se lançant, comme en témoignent les paroles des tangos, dans des figures audacieuses et combatives, comme les fentes. La pénurie de femmes, malgré les importations à grande échelle de grisettes françaises et de pauvres hères d’autres parties de l’Europe, fait que c’est dans les bordels qu’il était le plus facile de les aborder. Dans ces maisons, closes, il y avait une partie de spectacle, de décorum et la danse pouvait être un moyen de contact. Il suffisait de payer une petite somme, comme on l’a vu, par exemple pour Lo de Laura. Dans cet univers, le tango tournait autour des femmes, comme en témoigne la très grande majorité des paroles, et ce sont des femmes, dans les meilleurs quartiers qui tenaient les « maisons ». Dans les faubourgs, c’était plutôt le cabaretier qui favorisait les activités pour que les clients de sa pulperia passe du temps et consomme. Une dernière origine du tango, notamment en Uruguay est l’immigration (forcée) d’Afrique noire. Ces esclaves, puis affranchis, tout comme ce fut le cas dans le Sud des USA, ont développé un art musical et chorégraphique pour exprimer leur peine et enjoliver leur vie pénible. Là encore, les femmes sont omniprésentes. Elles dansaient et chantaient. Elles étaient cependant absentes comme instrumentiste, les tambours du candombe étaient plutôt frappés par des hommes, mais ce n’est pas une particularité de la branche noire du tango.
Les femmes comme source d’inspiration
Si on décidait de se priver des tangos parlant des femmes, il n’en resterait sans doute pas beaucoup. Que ces dernières soient une étoile inaccessible, une traitresse infidèle, une compagne aimante, une femme de passage entrevue et perdue ou une mère. En effet, le thème de la mère est fortement présent dans le tango. Même les mauvais garnements, comme Gardel, n’ont qu’une seule mère.
Madre hay una sola 1930-12-10 — Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro (Agustín Bardi Letra : José de la Vega).
Je vous propose une version chantée par une femme, la maîtresse malheureuse de Francisco Canaro, Ada Falcón.
Je ne ferai pas le tour du thème des femmes inspiratrices, car vous le retrouverez dans la plupart de mes anecdotes de tango.
Les femmes danseuses
Je n’aborderai pas non plus le thème des femmes danseuses, mais il me semble important de les mentionner, car, comme je l’indiquais au début de cet article, c’est aussi pour approcher les femmes que les hommes se convertissent en danseurs…
Carmencita Calderón et Benito Bianquet (El Cachafaz) dansent El Entrerriano de Anselmo Rosendo Mendizábal, dans le film « Tango » (1933) de Luis Moglia Barth.
Les femmes et la musique
La musique en Europe était surtout une affaire d’hommes si on se réfère à la composition ou à la direction d’orchestre. Les femmes tenaient des rôles plus discrets, comme violonistes dans un orchestre, ou, plus sûrement, elles jouaient du piano familial. Le manque de femmes dans la composition et la direction d’orchestre n’est donc pas un phénomène propre au tango. C’est plutôt un travers de la société patriarcale ou la femme reste à la maison et développe une culture artistique destinée à l’agrément de sa famille et des invités du « maître » de maison. Cependant, quelques femmes ont su dominer le tabou et se faire un nom dans ce domaine.
Les femmes musiciennes
Aujourd’hui, on trouve des orchestres de femmes, mais il faut reconnaître que les femmes ont tenu peu de pupitres à l’âge d’or du tango. Francisca Bernardo, plus connue sous son pseudonyme de Paquita Bernardo, est la pionnière des bandonéonistes femmes.
Paquita Bernardo (1900-1925) , première femme connue pour jouer du bandonéon, un instrument réservé aux hommes auparavant.
Morte à 25 ans, elle n’a pas eu le temps de laisser une marque profonde dans l’histoire du tango, car elle n’a pas enregistré de disque. Cependant on connaît ses talents de compositrice à travers quelques œuvres qui nous sont parvenues comme Floreal, un titre enregistré en 1923 par Juan Carlos Cobián.
Floreal 1923-08-14 — Orquesta Juan Carlos Cobián.
L’enregistrement acoustique ne rend pas vraiment justice à la compositrice. C’est un autre inconvénient que d’être décédé avant l’apparition de l’enregistrement électrique…
Je vous propose également deux autres de ses compositions enregistrées par Carlos Gardel, malheureusement encore, toujours à l’ère de l’enregistrement acoustique.
La enmascarada 1924 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras), avec des paroles de Francisco García Jiménez.Soñando 1925 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras), avec des paroles de Eugenio Cárdenas.
Desde el alma (Valse) 1947-10-22 — Orquesta Francisco Canaro con Nelly Omar.
Je vous propose une des plus belles versions, chantée par l’incroyable Nelly Omar (qui vécut 102 ans).
Là encore, c’est une courte citation et une femme un peu particulière va me permettre de faire la transition avec les auteures de paroles de tango. Il s’agit de María Luisa Garnelli.
Les femmes auteures
María Luisa Garnelli est à la fois compositrice et auteure. J’ai parlé d’elle au sujet d’une de ses compositions, La naranja nacio verde.
María Luisa Garnelli, alias Luis Mario et Mario Castro.
Retenons qu’elle a pris divers pseudonymes masculins, comme Luis Mario ou Mario Castro, ce qui lui permit d’écrire des paroles de tango en lunfardo, sans que sa famille bourgeoise le sache… Elle fut également journaliste et correspondante de guerre… Je vous propose d’écouter un autre des titres dont elle a écrit les paroles, El malevo, sur une musique de Julio de Caro. Ici, une version chantée par une femme, Rosita Quiroga.
Je ne me lancerai pas dans la liste des chanteuses de tango, mais je vous propose une petite galerie de photos. Elle est très loin d’être exhaustive, mais je vous encourage à découvrir celles que vous pourriez ne pas connaître. Je vous propose d’écouter une version de la cumparsita par Mercedes Simone pour nous quitter en musique en regardant quelques portraits de chanteuses de tango.
La cumparsita (Si supieras) 1966 — Mercedes Simone accompagnée par l’orchestre d’Emilio Brameri.
Ada Falcón 1905-2002
Amanda Ledesma 1911-2000 à la fois actrice et chanteuse
Anita Palmero 1902-1987
Azucena Maizani 1902-1970
Dorita Davis 1906-1980
Eladia Blázquez 1931-2005
Elba Berón 1930-1994 (à gauche) et Rosita Berón 1933-2001 (Las Hermanas Berón en 1954)
Flora Gobbi Flora Hortensia Rodríguez de Gobbi 1883-1952 Ici avec son mari
Imperio Argentina 19102003
Libertad Lamarque 1908-2000 Chanteuse et actrice dans une vingtaine de films
Linda Thelma Ermelinda Spinelli 1879-1939
Lita Morales enregistrements entre 1937 et 1956
Maruja Pacheco Huergo 1916-1983
Mercedes Simone 1904-1990
Nelly Omar 19011-2013 une belle longévité avec plus de 100 années de vie
Nina Miranda 1925-2012
Olga Delgrossi 1932-
Rosita Quiroga Rosa Rodríguez Quiroga de Capiello née entre 1896 et 1901-1984
Sabina Olmos 1913-1999
Sofía Bozán 1904-1958
Susana Rinaldi 1935-
Tania 1908-1999 Chanteurse et actrice
Tita Merello 1904-2002
Virginia Luque 1927-2014
Dédicace
Je dédicace cette anecdote à Victoria, ma femme, à ma fille, à ma mère et à mes grand-mères, mais aussi à Thierry qui m’a proposé de faire une anecdote sur ce sujet. Il est aussi le correcteur de mes anecdotes. À bientôt, les amis !
Qui n’a pas été ému par la voix de Roberto Rufino chantant Patotero sentimental ? Mais savez-vous que cet enregistrement suit de presque 20 ans un succès phénoménal qui obligeait Ignacio Corsini à rechanter cet air souvent plus de cinq fois à la suite. Je vous invite à vous plonger dans l’histoire de ce patotero, émouvant par ses regrets et par là-même découvrir un peu plus cet univers des cabarets, repaire des patoteros.
Je publie cet article le 26 janvier qui est la date anniversaire de la version de Di Sarli avec Mario Pomar et pas celle que je mets en avant, avec Roberto Rufino. Je triche donc un petit peu, on pourra toujours en reparler un 6 juin…
Patoteros, apaches, youth gangs…
Un patotero est le membre d’une patota, un groupe de jeunes enclins à la violence et à la délinquance. Ce phénomène de bandes de jeunes est sans doute une des conséquences de la révolution industrielle qui a jeté des générations de paysans dans les villes. Si les parents y travaillaient, les jeunes qui voyaient les conditions méprisables de vie de leurs parents trouvaient refuge dans des activités, plus ou moins lucratives à défaut d’être honnêtes. Si à Paris, les Apaches (bandes de jeunes délinquants surnommées ainsi par le journaliste Henri Fouquier en référence à la brutalité de leurs crimes qui rappelaient les romans de Fenimore Cooper colportant des idées colonialistes sur la violence des Indiens américains) étaient particulièrement violents, à Buenos Aires, les patoteros étaient un peu moins craints par la population. Pour juger de la différence, on peut s’intéresser à leurs danses, vraiment très différentes. Pour les Argentins, je ne vous propose pas de vidéo, il vous suffit d’imaginer un tango canyengue accentuant l’aspect « canaille », les fentes et autres passes (figures) inspirées du combat au couteau.
Un bal en 1900. Peut-être du tango.
Pour le côté parisien, la danse des apaches est une danse qui alterne des moments violents et des moments plus sensuels. C’est une dramatisation des relations entre femmes et hommes. Cette danse perdurera en France jusque dans les années 60. On retrouvera ses figures, reprises dans d’autres danses comme le lindy-hop, le rock acrobatique, le tango de show, voire le tango de danse sportive.
Trois présentations de valse chaloupée en 1904, 1910 et 1935. Cette danse présente des chorégraphies brutales, d’apparence machiste, même si les femmes peuvent y être également agressives. On considère que c’est une mise en scène des relations tumultueuses entre une prostituée et son souteneur. Quand on imagine le nombre de femmes « volées » à Paris et mise au travail comme prostituées en Argentine, on comprend mieux ce phénomène, fait d’alternance de moments de tensions extrêmes et de moments de passion amoureuse.
Extrait musical
Partition de patotero sentimental. Trois couvertures. Avec Manuel Jovés et Ignacio Corsini à gauche et sur la couverture de droite, Lorenzo Barbero qui l’a enregistrée en 1950 avec le chanteur Osvaldo Brizuela.Patotero sentimental 1941-06-06 – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino.
Le patotero s’avance avec des pas bien marqués qui alternent avec de longs glissandos des violons. Rufino commence à chanter, en respectant le rythme initial. Sa voix est expressive et il ne sombre pas dans le pathos que peuvent présenter d’autres chanteurs. Cette sensibilité associée à la pression constante de l’orchestre fait que les danseurs trouveront leur compte dans cette version idéale pour la danse. Le plaisir des oreilles et des jambes. Nous verrons que cet équilibre qui semble si simple et naturel dans cette version a du mal à se retrouver dans les nombreux autres enregistrements du titre, du moins dans les versions de danse, celles pour l’écoute entre dans une autre catégorie. Par exemple, le même Di Sarli, avec l’excellent Mario Pomar fait un autre enregistrement en 1954 et il est difficile d’y trouver la même dansabilité, même si bien sûr de nombreux danseurs tomberont sous le charme de cette autre version (qui est la vraie version du jour, puisqu’enregistrée un 26 janvier).
Roberto Rufino. À gauche à Mar del Plata en 1970 et à droite à Radio Belgrano en 1944.
Paroles
Patotero, rey del bailongo Patotero sentimental Escondés bajo tu risa Muchas ganas de llorar Ya los años se van pasando Y en mi pecho, no entra un querer En mi vida tuve muchas, muchas minas Pero nunca una mujer Cuando tengo dos copas de más En mi pecho comienza a surgir El recuerdo de aquella fiel mujer Que me quiso de verdad y que ingrato abandoné De su amor, me burlé sin mirar Que pudiera sentirlo después Sin pensar que los años al correr Iban crueles a amargar, a este rey del cabaret Pobrecita, cómo lloraba Cuando ciego la eche a rodar La patota me miraba, y No es de hombre el aflojar Patotero, rey del bailongo Siempre de ella te acordarás Hoy reís, pero en tu risa Solo hay ganas de llorar Manuel Jovés Letra: Manuel Romero
Traduction libre des paroles
Patotero, roi du bal Patotero sentimental Tu caches sous ton rire beaucoup d’envies de pleurer. Et les années passent et, dans ma poitrine, aucun amour n’entre. Dans ma vie, j’ai eu beaucoup, beaucoup de poulettes (chéries), mais jamais une femme. Quand j’ai deux verres de trop, dans ma poitrine commence à resurgir le souvenir de cette femme fidèle qui m’aimait vraiment et que j’ai abandonnée ingratement. De son amour, je me moquais sans voir que je pourrais le ressentir plus tard, sans penser que les années, à mesure qu’elles s’écoulaient, étaient cruelles à aigrir ce roi du cabaret. Pauvre petite, comme elle pleurait quand aveugle j’ai commencé à la larguer. La bande (patota) m’observait, et ce n’est pas à un homme de se relâcher (se laisser attendrir). Patotero, roi du bal, toujours, tu te souviendras d’elle. Aujourd’hui tu ris, mais, dans ton rire, il n’y a que l’envie de pleurer.
Autres versions
El patotero sentimental 1922-03-29 – Ignacio Corsini con Orquesta Roberto Firpo.
C’est Corsini qui a créé le titre. Nous verrons cela en fin d’article. Ce fut son premier grand succès, ce tango a lancé sa carrière.
Ignacio Corsini en 1922
La même année, Carlos Gardel décide d’enregistrer le titre. Cette vidéo de Sinfonia Maleva permet de suivre les paroles chantées par Carlos Gardel.
El patotero sentimental 1922 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras)
Submergé d’émotion Raul (Hugo Del Carril) chante Patotero sentimental quand il comprend qu’il va perdre elisa. dans le film La vida est une tango (1939)Patotero sentimental 1941-06-06 – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino. C’est notre (faux) tango du jour.Patotero sentimental 1949-11-25 – Orquesta José Basso con Oscar Ferrari.
La voix un peu acide de Ferrari ne sert pas aussi bien le thème que celle de Rufino ou de Corsini. D’un point de vue de la danse, les manières de Ferrari rendent cet enregistrement peu propice à la danse. C’est un peu dommage, car l’orchestre fait un assez joli travail.
Patotero sentimental 1950-12-28 – Lorenzo Barbero y su orquesta de la argentinidad con Osvaldo Brizuela.
Une Jolie version qui ne détrônera pas celle de Di Sarli et Rufino, mais qui se laisse écouter et qui a obtenu un certain succès à son époque, comme en témoigne la partition présentée au début de cet article.
Patotero sentimental 1952-10-16 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Héctor Pacheco.
Dans la veine des tangos à écouter il y a cette version. La voix précieuse de Pacheco est-elle réellement adaptée au rôle d’un patotero, même converti ? On a du mal à croire à cette histoire, d’autant plus que Fresedo multiplie ses fioritures, tout aussi peu propices à la danse que celles de Florindo Sasonne de la même époque.
Patotero sentimental 1954-01-26 – Orquesta Carlos Di Sarli con Mario Pomar.
J’adore Mario Pomar et son interprétation ne souffre d’aucune critique. C’est juste que le choix un peu moins tonique rend, à mon sens, le titre un peu moins agréable à danser que la version avec Rufino enregistrée 13 ans plus tôt. C’est cette version qui a été enregistrée un 26 janvier et qui devrait donc officiellement être le tango du jour.
Patotero sentimental 1974 – Orquesta Florindo Sassone con Oscar Macri.
J’ai parlé des bruitages de Sassone à propos de la version de 1952 de Fresedo, je pense que vous remarquerez que Sassone ne les propose pas dans cet enregistrement. C’est assez logique, car ces bruitages sont le témoignage d’une époque et qu’ils furent abandonnés par la suite. Vous noterez toutefois les moments où Sassone quelques années plus tôt aurait abusé de ces effets. Si Sassone n’est pas un pourvoyeur de tango de danse, il faut reconnaître qu’avec l’interprétation inspirée de Macri, le résultat est plutôt sympa, même si à mon avis, il ne devrait pas franchir la porte de la milonga (en tous cas pas trop souvent 😉
Patotero sentimental 1974 – Hugo Díaz.
L’harmonica d’Hugo Díaz, une voix à lui tout seul. L’ambiance jazzy donnée par le piano et la guitare ne satisfera cependant pas les danseurs qui réserveront le titre pour une écoute au coin du feu.
Patotero sentimental 1974c – Leopoldo Federico con Carlos Gari.
Le bandonéon expressif de Leopoldo Federico nous offre un duo avec Carlos Gari dont la voix puissante contraste avec tous les instruments. C’est une belle interprétation, pleine d’émotion. L’opposition, voix et instruments du début s’apaise progressivement pour nous offrir un paysage sonore parfaitement cohérent. Moi, j’aime bien, mais bien sûr, ça reste entre mon ordinateur et moi, cela ne passera pas sur les haut-parleurs de la milonga.
Patotero sentimental 1991-03 – Carlos García solo de piano.
Le piano sait souvent être expressif. Je vous laisse juger si Carlos García a su suffisamment faire parler son instrument…
Patotero sentimental 2005 – Cuarteto Guardia Vieja con Omar de Luca (ou Dario Paz ou Fabian Vidarte…). Je ne suis pas sûr de qui chante.Patotero sentimental 2006 – Aureliano Tango Club C Aureliano Marin.
Une version très différente mais pas inintéressante. Vous pouvez jeter un œil à leur site, celui d’Aureliano Marin, arrangeur, directeur et contrebassiste du trio en plus d’en être le chanteur.
Patotero sentimental 2011 – Orquesta Típica Gente de Tango con Héctor Morano.
On termine ici, avec une version plus traditionnelle.
Origine de ce tango
Comme nous l’avons vu à de nombreuses reprises, les tangos qui animent nos milongas ont souvent été créés pour des revues musicales, des pièces de théâtre ou des films. Celui-ci ne fait pas exception. Il était une des scènes de la pièce « El bailarín del cabaret » (le danseur de cabaret) qui fut lancée le 12 mai 1922 au théâtre Apolo par la compagnie de Cesar Ratti, et qui eut un succès immense, notamment pour l’interprétation par Ignacio Corsini de notre tango du jour. Les spectateurs bissaient de nombreuses fois ce titre que Corsini chantait, appuyé sur le dossier d’une chaise et avec le genou droit sur l’assise. On connait ce détail par Osvaldo Sosa Cordero dans « Historia de las varietés en Buenos Aires 1900-1925 » qui nous apprend également que 800 disques de ce titre ont été gravés en 1922 et comme nous l’avons vu, Gardel s’est aussi emparé du phénomène, la même année.
Osvaldo Sosa Cordero; Historia de las varietés en Buenos Aires 1900-1925. À gauche, édition originale de 1978 et à droite, la réédition de 1999.
Il me semble intéressant de voir comment s’articulaient ces variétés.
El bailarín del cabaret – Couverture de la 4ème édition (19 août 1922 et déjà 319 représentations successives)… À droite, l’extrait du livret avec les paroles du tango chanté par Ignacio Corsini.
Dans la pièce de Manuel Romero, El bailarín del cabaret, où se trouve cette pièce, il y a 4 tableaux. L’apparition de ce tango est dans le troisième. La scène se passe dans un cabaret luxueux et tous dansent un foxtrot joué par l’orchestre dirigé par Félix Scolatti Almeyda, sauf Maria qui est triste à sa table et une famille qui découvre cet univers. Je vous reproduis ici un dialogue savoureux où un jeune homme (Troncoso) souhaite inviter la fille de la famille de visiteurs (Cayetana) et qui se termine par l’introduction de notre tango, Patotero sentimental.
Dialogues liminaires au tango Patotero sentimental
TRONCOSO.- Buenas noches. ¿ Me acompaña ese tango señorita? CAYETANA.-Yo no me comando sola. Pídale permiso a me papá. D. GAETANO.-E iñudole, cabayere. Me nena non « bala ». TRONCOSO.-¿Cómo es eso? ¿Acaso usted. no sabe que toda mujer que entra aquí está obligada a bailar? D. GAETANO.-Ma nun. diga. TRONCOSO.–Si, señor, sino va a haber tiros. CAYETANA.-Papá, vamo in casa. (Troncoso saca un revólver.) D. GAETANO.-Boeno … boeno .. . que « bale » pero no me lamprete mucho. (Bailan ridiculamente.) CATALINA.-Gaetano; roa mire como le hace co la pierna. D. GAETANO.-(Parándolo.) ¡Ah! ¡No covencito, eso no, pe la madonna! Me hija non he una melunguera cualunque. E osté, non debe hacerle cosquiyite inta la gamba, Sabe? TRONCOSO.-¿Dónde le he hecho cosquillas? D. GAETANO.-¿E me lo pregunta todavía? ¡Chancho! TRONCOSO.-¡Salí de ahí otario!(Le da un bife,y lo sacan a bofetadas hasta la calle, madre e hija van detras, la orquesta ataca un paso doble. Tumulto, risas y todos bailan.) ¿ Vamos a bailar, Marta? MARTA.-No: dejame, no quiero bailar hoy. TRONCOSO.-¿ Qué te pasa? MARTA.-Nada. Dejame. TRONCOSO.-¿Pero qué tenés vos esta noche? MARTA.-Nada. Se van a reir si lo digo. PANCHITO.-Dejala; algún metejón nuevo. MARTA.-No, nada de eso, les juro. MARGOT.-A ver, decimelo ami. Yo soy tu amiga . M-ARTA.-¡Es qué! … Pero no, es ridículo. MARGOT.-Deci … . MARTA.-Pero no se rían. He dejado a mi nene en casa con cuarenta grados de fiebre y se me va a morir y yo no quiero que se me muera. (Llorando.) LA BEBA.-¡Já, já, já! Dejate de sentimentalismos. TRONCOSO.-¡Qué desgraciada! (Todos rien.) LORENA.-¿Por qué se ríen de ella? TRONCOSO.-A vos que te pasa? De un tiempo a esta parte el mozo se ha puesto muy sentimental. LA BEBA.-En cuanto toma dos copas se pone imposible. LORENA.-Para ustedes no hay nada respetable en la vida … TRONCOSO.-Pero hermano! Vos, el rey de los patateros, hablando asi! . . . LORENA.-¿ Y qué? ¿Acaso un patatero no puede tener alma? Si ustedes supieran …
Traduction des dialogues
TRONCOSO.- Bonsoir. M’accompagneriez-vous pour ce tango, mademoiselle ? CAYETANA : Je ne me commande pas. Demandez la permission à mon père. D. GAETANO.- C’est inutile jeune-homme. Ma fille ne « danse » pas. (Les guillemets soulignent l’opinion que le père a de ces danses de cabaret). TRONCOSO.- Comment cela se fait-il ? Vraiment? Ne savez-vous pas que chaque femme qui entre ici est obligée de danser ? D. GAETANO.-Mais nul me l’a dit. TRONCOSO.–Oui, monsieur, sinon il y aura des coups de feu. CAYETANA.-Papa, rentrons à la maison. (Troncoso sort un revolver.) D. GAETANO.-Bien … Bien .. . qu’ils « dansent » cette « danse » mais ne la serrez pas trop. (Ils dansent ridiculement.) CATALINA.-Gaetano ; Roa, regarde comment il fait avec sa jambe. D. GAETANO.- (L’arrêtant.) Ah ! Non jeune homme, pas ça, par la Madone ! Ma fille n’est pas une melunguera (milonguera, le père ne connait pas bien et déforme le mot) quelconque. Et il ne faut pas chatouiller la jambe, vous savez ? TRONCOSO : Où l’ai-je chatouillée ? D. GAETANO : Et vous me demandez en plus ? Cochon! TRONCOSO : Sors d’ici, otario ! (Otario, cave, naïf, idiot) (Il le gifle, et ils le sortent avec des baffes) jusqu’à la rue. La mère et la fille se glissent derrière, l’orchestre attaque un paso doble. Tumulte, rires et tout le monde danse.) On va danser, Marta ? MARTHA : Non, laisse-moi, je ne veux pas danser aujourd’hui. TRONCOSO : Que t’arrive-t-il ? MARTA.-Rien, laisse-moi. TRONCOSO : Mais qu’as-tu ce soir ? MARTA : Rien, ils vont rire si je le dis. PANCHITO : Laisse-la ; quelque chose d’une nouvelle amourette. MARTA : Non, rien de tel, je vous jure. MARGOT : Eh bien, dis-le-moi. Je suis ton amie. MARTA.-C’est que ! … Mais non, c’est ridicule. MARGOT.-Parle… . MARTA : Mais ne riez pas. J’ai laissé mon bébé à la maison avec quarante degrés de fièvre et il va mourir et je ne veux pas qu’il meure. (En pleurs.) LA BEBA.-Ah-Ah-Ah Arrête avec la sentimentalité. TRONCOSO : Quelle malchance ! (Tout le monde rit.) LORENA.-Pourquoi vous moquez-vous d’elle ? TRONCOSO : Qu’est-ce qui ne va pas chez toi ? Depuis quelque temps, le monsieur (beau jeune-homme) est devenu très sentimental. LE BÉBÉ : Dès qu’il boit deux verres il devient impossible. LORENA.-Pour vous, il n’y a rien de respectable dans la vie… TRONCOSO : Mais frère ! Toi, le roi des patateros, tu parles ainsi !… LORENA : Et alors ? Un patatero ne peut-il pas avoir une âme ? Si vous saviez…
Et là, Ignacio Corsini retourne une chaise, pose un genou sur l’assise et s’appuie au dossier avant d’entamer cette chanson qu’il reprendra de nombreuses fois à la demande des spectateurs. Lors d’une représentation, le chef de la troupe, Cesar Ratti, a essayé d’interdire les bis multiples. Finalement, il a dû céder devant la pression du public et il y a eu cinq bis. Voilà, vous en savez sans doute un peu plus sur l’histoire de ce tango et du lien entre notre musique favorite, les cabarets, théâtres et autres lieux de spectacle du début du vingtième siècle.
Le dix-neuvième siècle a vu le développement du ferroviaire et du cinéma. On se souvent que l’un des premier films, L’arrivée d’un train en gare de La Ciotat (film n° 653 de Louis Lumière), a été tourné durant l’été 1895 et présenté au public le 25 janvier 1896. Mon grand-père, né quatre ans après les faits, me contait que les spectateurs furent pris de panique. L’œuvre d’aujourd’hui est à sa manière, une glorification des deux nouveautés. Le chemin de fer argentin, le plus développé d’Amérique du Sud, et le cinéma où les orchestres proposaient la musique manquant aux films de l’époque…
L’arrivée d’un train en gare de La Ciotat (film n° 653 de Louis Lumière) – Musique el Espiante 1932-01-17 Osvaldo Fresedo.
L’espiante peut désigner en lunfardo une arnaque ou le départ, par exemple, pour mettre fin à une relation me tomo el espiante. Dans le cas présent, vous allez le comprendre à l’écoute, il s’agit d’un train, que nous allons prendre ensemble. En voiture !
Extrait musical
Partitions de El espiante. On notera que l’on ne voit pas de train. Peut-être que le couple se fait l’espiante en sortant d’une milonga ennuyeuse…El espiante 1932-01-17 – Orquesta Osvaldo Fresedo con canto.
Tout commence par la cloche suivie par le sifflet du chef de gare. Le souffle bruyant des pistons aide au démarrage du train. Le voyage se déroule ensuite les sons d’imitation et ceux de l’orchestre se mélangeant. Le bruit de la vapeur suit le train sur une bonne partie du trajet. À 1:00 et 2:00, en entend l’annonce de la voiture-restaurant. Le trajet se fait par des successions de montées et descentes, et la musique poursuit son parcours, jusqu’au final où les passagers s’interpellent et où le train s’arrête dans l’annonce de la gare, Rosario… Ce titre est sans doute à classer dans la rubrique des tangos ludiques et à réserver aux amateurs de canyengue, mais d’autres passagers, pardon, danseurs peuvent le danser avec entrain.
Autres versions
Même si c’est une composition de Fresedo, le plus ancien enregistrement disponible est par Roberto Firpo. Ce n’est pas très étonnant, c’est le grand orchestre du moment et Firpo aime bien les titres aux sons réalistes. On pensera par exemple à El amanecer où il introduit des chants d’oiseaux joués au violon. Mais il a sans doute un attachement au train, également, puisqu’il écrira le tango El rápido qui évoque également le même train, celui de Rosario…
El rápido 1931-08-27 – Orquesta Roberto Firpo con estribillo coreado.
Ce titre est signalé comme tango humoristique et est donc de la même veine que celui de Fresedo. Il est ponctué de voix de « passagers ». Comme la version de Fresedo de 1932 (notre tango du jour, l’annonce finale est également « Rosario ».
On peut imaginer que Firpo répond à son compère. L’espiante et El rápido désignent également les trains. On notera qu’à l’époque, il fallait seulement trois heures pour rallier Retiro (gare de Buenos Aires) à Rosario, soit presque trois fois moins que maintenant… Firpo avait déjà enregistré ce titre en 1927 et je rappelle que Biagi a aussi enregistré, El rápido ainsi que Rodriguez, Piazzolla, Villasboas et Varella. Revenons maintenant aux espiantes, on prendra le rapide une autre fois…
El espiante 1916 – Sexteto Roberto Firpo. Il s’agit d’un enregistrement acoustique.
Pas de bruitage de train, ce que les musiciens de l’époque auraient pu produire sans problème, car ils le faisaient pour le cinéma qui était muet à l’époque. J’imagine que cet ajout de bruitages s’est fait au fur et à mesure des concerts. Firpo n’est pas hostile à cela, bien au contraire si on écoute ce qu’il a fait dans El rápido de 1931.
El espiante 1927-12-01 – Orquesta Osvaldo Fresedo.
Si le caractère du train qui alterne les montées poussives et les descentes de pente précipitées est bien présent, les bruitages ne sont pas encore à l’ordre du jour. Il faudra peut-être attendre le délire de Firpo en 1931 avec El rápido, pour que cela devienne une habitude chez Fresedo également. Même si on n’est pas fan du canyengue, il faut reconnaître à cette œuvre, de belles trouvailles musicales, que Fresedo exploitera tout au long de sa carrière comme ses fameuses descentes et chutes.
El espiante 1932-01-17 – Orquesta Osvaldo Fresedo con canto (Rosario). C’est notre tango du jour.El espiante 1933-03-16 – Orquesta Osvaldo Fresedo.
On pourrait confondre cette version avec la précédente, mais elle se distingue principalement de son aînée par l’absence des paroles finales et une fin différente. On notera aussi une accentuation moindre du caractère ferroviaire de cet enregistrement. Il y a tout de même le sifflet et la cloche au début, des sons de pistons (souffles à la voix) et le sifflet à environ 1:00, 2:10 et 2:30. Et un dernier souffle des pistons termine l’œuvre.
El espiante 1939-07-07 – Orquesta Julio De Caro.
Julio De Caro n’allait pas laisser ses copains s’amuser avec la musique du train sans participer. Lui aussi aime proposer des musiques descriptives. On notera que son train est plus un rapide qu’un espiante. Cette version très joueuse est sans doute dansable par les danseurs allergiques au canyengue, car elle est vraiment très sympa et le train qui n’a rien de poussif devrait les entraîner jusqu’à Rosario (ou ailleurs) sans problème.
El espiante 1954-11-25 – Orquesta Héctor Varela.
À part un semblant de cloche, au début, les bruitages ferroviaires sont absents de cette version. L’arrivée en gare se fait avec un bandonéon nerveux, peut-être celui de Varela. En effet, en 1954, Varela est venu grossir les rangs de son orchestre comme bandonéoniste en plus de Antonio Marchese et Alberto San Miguel. Trois autres bandonéonistes s’adjoindront à l’orchestre à cette époque : Luis Pinotti, Salvador Alonso et Eduardo Otero. Le freinage final se fait au violon.
El espiante 1955-12-29 – Orquesta Osvaldo Fresedo.
En 1955, Fresedo remet sur les rails son espiante. On retrouve dans cette version la cloche, le sifflet et la trompe du train. Cependant la musique va vers plus de joliesse. Le train semble traverser de beaux paysages, même si par moment, le rythme retrouve la respiration des pistons.
El espiante 1974 – Orquesta Héctor Varela.
Comme dans la version de 1954, le caractère ferroviaire sous forme de bruitages est absent, mais on reste tout de même dans l’ambiance avec la musique qui évoque irrésistiblement le déplacement d’un train. L’arrivée est ici, entièrement réalisée par le bandonéon nerveux qui ne laisse pas la place au violon, comme en 1954. Varela privilégie son instrument…
El espiante 1979-11-06 – Orquesta Osvaldo Fresedo.
En 1979, Fresedo fait partir son train avec un sifflet initial et lui fera émettre ses célèbres coups de trompes, mais on sent qu’il file comme le vent, au moins dans certains passages qui alternent avec des passages plus poussifs, rappelant le train des débuts. Comme en 1955 et sans doute encore plus, le train semble traverser d’élégants paysages. Le résultat décevra sans doute les amateurs du « vieux » Fresedo, mais ravira ceux qui aiment Sassone ou Varela. Le titre se termine par un jingle au vibraphone.
Et pour terminer notre voyage, prenons deux trains tirés par des locomotives à vapeur « Pacific 231 ». 231 pour 2 roues à l’avant (directrices), Trois grandes roues motrices et 1 dernière roue à l’arrière pour l’équilibre. 2-3-1 (4-6-2) si on envisage les deux côtés de la locomotive. La musique est celle d’Arthur Honegger, qui, comme Firpo et Fresedo, était fan des trains.
Pacific 231 1931- Mijaíl Tsekhanovsky – Arthur Honegger (film russe).
Ce court métrage magnifique fait le parallèle entre les mécanismes de la locomotive et le jeu des instruments, l’utilisation des surimpressions et des fondus enchaînés fait que la bête humaine (nom d’un film de Jean Renoir en 1938 ayant pour thème le chemin de fer à vapeur) et l’orchestre se mélangent.
Pacific 231 1949 – Jean Mitry – Arthur Honegger (film français).
L’esthétique du film de Jean Mitry est bien différente. De belles images de trains accompagnent la musique. C’est certainement beaucoup moins créatif que le film de Tsekhanovsky, mais intéressant tout de même, ne serait-ce que par l’aspect documentaire qui fait revivre ses monstres se nourrissant de charbon.
Terminus, tout le monde descend ! À bientôt, les amis !
J’ai reçu ce matin un message d’un organisateur de milonga me demandant quelle valse proposer pour un anniversaire, avec la contrainte que ce soit une valse du mois de janvier vu que l’anniversaire était aujourd’hui. J’ai proposé cette valse, Mentías, pour deux raisons. La première est que c’est une valse qui correspond bien à l’occasion et la seconde est que sa date d’enregistrement coïncide avec la date de naissance de la danseuse à fêter. Je te dédicace donc, Martine de Saint-Pierre (La Réunion), cette valse, en te souhaitant un excellent anniversaire.
Extrait musical
Disque RCA Victor (38 138 face B) de Mentías… Le numéro de matrice 93549 est indiqué à gauche de l’axe. Sur la face A (38 138-A) il y a El apronte, enregistré juste avant, le même jour, avec le numéro de matrice 93548-1.Mentías 1937-04-01 – Orquesta Juan D’Arienzo.
Cette valse commence sur un rythme rapide, avec une introduction au piano par Rodolfo Biagi, qui proposera de nombreuses ponctuations et transitions légères (comme la première à 13s). Durant toute la première partie (jusqu’à 28s), tous les instruments sont au service du rythme. Ensuite, les bandonéons s’individualisent pour la partie B et ensuite cèdent le pas aux magnifiques violons. À 1:50, la variation apporte une impression de vitesse, sans toutefois changer le tempo, simplement, comme le fait presque systématiquement D’Arienzo, en subdivisant les temps en employant des double-croches au lieu de croches. Le rythme rapide, mais sans exagération et la fin somme toute tranquille, laisse la place à des titres plus énergiques pour terminer la tanda dans une explosion. Ce titre est un bon premier titre, ce qui renforce ma conviction qu’il peut faire l’affaire pour un anniversaire.
Paroles
Mis ojos te grabaron en mi mente Bajaste de la mente al corazón, La flor del corazón se abrió en latidos ¡Latidos que acunaron nuestro amor! Amor que florecía con tus besos Tus besos encubrían la traición, Traición que me valió la cruz del llanto ¡Y el llanto por mis ojos te arrojó!
¡Mentías…! Con caricias… estudiadas… ¡Cinismo…! Del cariño desleal… Jurabas Por tu dios y por tu madre… ¡Mira si no es criminal! Los seres Que han matado y se redimen, Merecen el olvido y el perdón… Cien vidas No podrán borrar tu crimen ¡Asesinar la ilusión!
Y ahora que mi vida está vacía Anclada en un silencio sin dolor, Golpea el aldabón de tu recuerdo Las puertas de mi pobre corazón… Ya es tarde para unir idilios rotos Miremos cara a cara la verdad, No vuelvas a rondar por mi cariño ¡Que el sueño que se fue no torna más! Juan Carlos Casaretto Letra: Alfredo Navarrine
Traduction libre des paroles
Mes yeux t’ont gravé dans mon esprit, tu es descendue de l’esprit au cœur, la fleur du cœur s’est ouverte en palpitant. Des battements de cœur qui ont bercé notre amour ! L’amour qui s’est épanoui avec tes baisers. Tes baisers ont couvert la trahison, la trahison qui m’a valu la croix des pleurs. Et les larmes à travers mes yeux t’ont rejetée !
Mensonges…! Avec des caresses… Étudiées… Cynisme…! D’affection déloyale… Tu as juré par ton dieu et par ta mère… Vois si ce n’est pas criminel ! Les êtres qui ont tué et se sont rachetés méritent l’oubli et le pardon… Cent vies ne pourront pas effacer ton crime Tuer l’illusion !
Et maintenant que ma vie est vide, ancrée dans un silence indolore, le heurtoir de ton souvenir frappe les portes de mon pauvre cœur… Il est trop tard pour unir des idylles brisées. Regardons la vérité face à face, ne reviens pas à chercher mon amour. Car le rêve qui est parti ne revient pas !
On notera que les paroles sont très moyennement adaptées à une fête d’anniversaire. Cependant, cela ne dérange pas, car elles ne sont pas enregistrées et la musique les dément totalement.
Juan Carlos Casaretto y Alfredo Navarrine
Le compositeur de cette valse, Juan Carlos Casaretto n’est connu que pour un seul autre titre, un tango, Chiclana y Boedo (avec J. Treviño, encore plus inconnu). Il en existe un enregistrement tardif par Enrique Rodriguez et Roberto Flores, mais ce n’est pas pour la danse. Alfredo Navarrine (Pigmeo), en revanche, est à la tête d’une riche production. Avec son frère, Julio Plácido Navarrine, il a fourni bon nombre de titres de tango.
Des frères Alfredo et Julio Navarrine :
Alaridos 1942
Juana 1958
Mil novecientos treinta y siete 1937 (plus José Domingo Pécora)
Lechuza 1928
Oiga amigo 1933
Sos de Chiclana 1947 (plus Rafael Rossa)
Trilla e recuerdos
De Julio Navarrine :
A la luz del candil 1927
Barcos amarrados
Catorce primaveras
El anillito de plata
El vinacho Milonga
La piba de los jazmines
Oiga amigo
Oro muerto (Jirón porteño) 1926
Por qué no has venido 1926
Qué quieren yo soy así Milonga
Trago amargo 1925
De Alfredo Navarrine :
Agüita e luna
Ayer y hoy 1939
Bandoneones en la noche
Barrio reo 1927
Brindis de olvido 1945
Canción del reloj
Canto estrellero 1943
Cielito del porteño 1950
Como una flor 1947
Con licencia 1955
Corazón en sombras 1943
Curiosa
Desvíos
Escarmiento 1940
Escúcheme, gringo amigo 1944
Esmeralda
Estampa rea 1953
Este amor 1938
Falsedad 1955
Fea 1925
Gajito de cedrón 1973 Canción criolla
Galleguita 1925
He perdido un beso 1940
Humildad 1938
La condición 1946
La Federal
Latido porteño
Luna pampa 1951
Mentías 1941 (Notre valse du jour)
Milonga de un argentino 1972
No nos veremos más 1939
Noche de plata 1930 (Vals)
Nocturno inútil 1941
Ojos en el corazón 1945
Ojos tristes 1939
Pajarada 1945
Qué linda es la vida
Rancheriando
Resignación
Ronda de sueños 1944
Rosas negras 1942
Sangre porteña 1946
Sé hombre
Señor Juez 1941
Señuelo 1977
Serenidad 1946
Tamal 1975
Tango lindo
Tango para un mal amor 1948
Tata Dios 1931
Torcacita
Tucumana (Zamba)
Tucumano 1961
Vidalita
Yo era un corazón 1939
Yunque 1953
Autres versions
Il n’y a pas d’autre version de notre valse du jour, Il est assez curieux de voir la frilosité des orchestres contemporains pour enregistrer des valses. Ils nous donnent des dizaines de versions de quelques tangos, mais très peu de valses ou de milongas. Si cette valse n’a pas été enregistrée par la suite, nous avons un tango du même titre composé par Juan de Dios Filiberto avec des paroles de Milon E. Mujica. Je vous propose deux enregistrements de celui-ci et on terminera par la valse du jour.
Mentías 1923 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras).
Un enregistrement acoustique. Bien sûr on réserve cela pour l’écoute et pas pour le bal.
Mentías 1927-10-20 – Orquesta Roberto Firpo.
Une jolie version. C’est assez léger et pas trop marqué en canyengue intense… Cela reste cependant un peu monotone, mais le joli violon de Cayetano Puglisi, délicieusement larmoyant, fait pardonner cela.
Mentías 1937-04-01 – Orquesta Juan D’Arienzo.
Mentías 1937-04-01 (vals) – Orquesta Juan D’Arienzo. C’est notre valse du jour. On termine avec énergie.
La tradition de la valse d’anniversaire
Il est des traditions dont on ne connaît pas vraiment l’origine. La valse d’anniversaire dans les milongas en fait sans doute partie. Il se peut aussi que ce soit une ignorance de ma part. Voici ce qui me semble à peu près vérifiable.
La valse des mariés
Un peu partout dans le monde, les nouveaux mariés ouvrent le bal, par une valse, ce qui assure à certains professeurs de danse une petite rente. Ils mettent en scène une petite chorégraphie, les mariés l’apprennent par cœur et le jour de la noce, ils émerveillent les invités et la famille, soigneusement anesthésiés au préalable par la richesse du repas et des alcools servis.
La valse des 15 ans
Plus spécifiquement en Amérique latine, il y a la tradition des 15 ans des jeunes filles/femmes. Cette cérémonie, peut-être issue des cultures précolombiennes, perdure de nos jours avec des formes, souvent très élaborées. Il existe des boutiques de robes spéciales pour les 15 ans, des maîtres de cérémonie et des vidéastes spécialisés. Ce sont des fêtes fort coûteuses et les familles s’endettent bien plus pour les quinze ans que pour le mariage. Cette tradition évolue, mais en général, la jeune femme est présentée par le père (ou parrain) et effectue avec lui une valse, puis, les amis d’enfance, éventuels prétendants et autres, dansent avec la quinceañera (jeune femme de 15 ans). Voir l’article de Wikipédia pour des éléments plus concrets. En Europe, chez les puissants, on peut trouver une cérémonie parallèle, le bal des débutantes.
La valse d’anniversaire des tangueros
Vous avez reconnu l’organisation de la valse d’anniversaire telle qu’elle se pratique dans les milongas. À ce sujet, il existe plusieurs façons de faire et beaucoup d’organisateurs ne souhaitent pas qu’on « perde » du temps à cette manifestation. D’autres, comme celui qui m’a commandé la valse ce matin, marquent plus d’attention pour cette tradition. En Argentine, les amis tangueros fêtent l’anniversaire à la milonga. Ils réservent une table et c’est une des occasions où il est autorisé d’apporter de la nourriture de l’extérieur. En général, un gâteau qui ferait tomber en syncope un nutritionniste, il n’y a jamais trop de crème et de sucre. Le « champagne » local, qui lui est celui vendu dans la milonga, participe à la fête, ainsi que souvent, des déguisements et autres fantaisies. En Europe, cela se fait moins, on pense que le temps pris pour fêter l’anniversaire est du temps perdu pour les danseurs. C’est un peu vrai, mais c’est aussi oublier la dimension sociale du tango. Nous sommes une communauté et c’est important de la renforcer par des marques d’amitié. Le tango n’est pas un club de gym où on fait son entraînement avec des écouteurs sur les oreilles. On parle, on chante et on partage. Comme DJ, il est important d’aider à trouver l’équilibre. Si l’organisateur refuse que l’on fête un anniversaire, je me contente d’une dédicace avant la tanda de valse. Libre aux danseurs qui le souhaitent d’organiser un moment convivial. Lorsque c’est l’organisateur qui le demande, il y a plusieurs possibilités. Parfois, tous les danseurs/danseuses veulent danser avec la personne qui fête son anniversaire. Dans ce cas, il se forme une immense file et ils refuseront d’aller danser avec quelqu’un d’autre tant qu’ils n’auront pas réussi à partager quelques secondes de valse. Parfois, cela dure toute la tanda. Cela peut être effectivement frustrant pour ceux qui ne danseront pas avec la personne dont c’est l’anniversaire (les femmes, si c’est une femme qui fête son anniversaire, ou les hommes dans le cas contraire). Cela risque de faire baisser l’énergie dans le bal et à moins que l’ambiance soit très amicale, je pense que cette organisation est à éviter. Plus intéressante est la mise en place d’un double parcours. On invite le héros de soirée à se placer au centre de la piste et les partenaires intéressés s’alignent. Les autres danseurs peuvent les entourer en dansant autour. Je trouve cela assez sympathique et cela ne frustre ni les stakhanovistes du bal ni les amis qui souhaitent partager quelques secondes de danse avec la personne qui fête son anniversaire. Il me semble qu’il est intéressant de proposer cette organisation, ce que peut faire le DJ avec l’accord de l’organisateur, ou l’organisateur, de son propre chef. Pour bien mettre en valeur l’anniversaire, on peut réserver une partie du premier thème au seul anniversaire et remplir progressivement la piste. S’il y a beaucoup de prétendants, cela peut impliquer de réserver tout le premier titre de la tanda à la personne qui fête son anniversaire. Comme DJ qui aime proposer des valses, je propose, en plus de la valse d’anniversaire, une tanda complète. Cela permet aux danseurs qui ont participé au manège de danser avec un autre partenaire. La tanda fera donc au moins quatre valses, voire cinq, si je suis sur un régime de tandas de 4 et que le premier titre a été entièrement utilisé pour souhaiter l’anniversaire. Les danseurs qui vont inviter la personne dont c’est l’anniversaire ne doivent pas hésiter à faire un peu de spectacle. Pas dans la façon de danser (ils doivent au contraire, être aux petits soins pour le partenaire), mais dans la manière de prendre son tour (ou de le donner). Cela apporte une distraction à ceux qui ne participent pas. Dans mon ancien profil Facebook, malheureusement fermé pour d’obscures raisons, j’avais réalisé une vidéo en direct où les danseurs qui s’étaient mis en file indienne se sont mis à se balancer en rythme d’un pied sur l’autre. Ce fut un superbe moment, tous les hommes de l’événement se balançant d’une même cadence, dans l’attente de partager quelques secondes de bal.
Mentías. L’illustration n’est pas exactement fidèle au texte, mais plutôt à la musique et surtout, elle évoque l’utilisation que j’en propose, une valse d’anniversaire.
Le Carnaval était, chaque année, un moment clef pour les orchestres de tango. À cette occasion, des orchestres se regroupaient pour proposer des orchestres immenses et des milliers de danseurs « tanguaient » sur les pistes plus ou moins improvisées, dans les rues, les places ou les salles de concert, comme le Luna Park. Mais Carnaval, c’était bien plus que le seul tango. C’était un moment de libération dans une vie souvent difficile et parfois, l’occasion de rencontres, comme celle que nous narre ce tango de Di Sarli.
Extrait musical
Otra vez carnaval (Noche de carnaval) 1942-01-03 – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino.Partition de piano de Otra vez carnaval de Di Sarli et Jiménez.
Paroles
En los ojos llevaba la noche y el amor en la boca… Carnaval en su coche la paseaba triunfal. Serpentina de mágico vuelo fue su amor de una noche; serpentina que luego arrastró mi dolor enredada en las ruedas de un coche cuando el corso en la sombra quedó…
Otra vez, Carnaval, en tu noche me cita la misma bonita y audaz mascarita… Otra vez, Carnaval, otra vez, como ayer, sus locos amores le vuelvo a creer. Y acaso la llore mañana otra vez…
Fugitivas se irán en la aurora la ventura y la risa… ¡Tendrán todas mis horas una gris soledad! En mis labios habrá la ceniza de su nuevo desaire; y despojos del sueño tan sólo serán, un perfume rondando en el aire y en el suelo un pequeño antifaz… Carlos Di Sarli Letra: Francisco García Jiménez
Traduction libre
Dans ses yeux, elle portait la nuit et l’amour à la bouche… Carnaval dans son char la faisait défiler triomphalement. Un serpentin de vol magique fut son amour d’une nuit ; serpentin qui ensuite traîna ma douleur empêtrée dans les roues d’une voiture lorsque le char dans l’ombre s’immobilisa…
Encore une fois, Carnaval, dans ta nuit, me donna rendez-vous, la même belle et audacieuse, masquée… Encore une fois, Carnaval, encore une fois, comme hier, ses amours folles, je reviens à les croire. Et peut-être que je la pleurerai demain, encore une fois…
Les fugitives s’en iront dans l’aurore, la fortune et les rires… Toutes mes heures auront une solitude grise ! Sur mes lèvres resteront les cendres de son nouveau camouflet ; et les restes du rêve ne seront plus qu’un parfum planant dans l’air et sur le sol un petit masque…
Autres versions
Otra vez carnaval (Noche de carnaval) 1942-01-03 – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino. C’est notre tango du jour.Otra vez carnaval (Noche de carnaval) 1947-01-14 – Orquesta Carlos Di Sarli con Jorge Durán. Cinq ans plus tard, nouveau chanteur. Di Sarli réenregistre sa composition.Otra vez carnaval 1981-08-12 – Roberto Goyeneche con Orquesta Típica Porteña. Une version à écouter.
Carnaval
Les festivités de Carnaval se sont vues à plusieurs reprises interdites en Argentine. Il faut dire qu’au XIXe siècle, cela donnait souvent lieu à des débordements. Il s’agissait de manifestations plutôt spontanées jusqu’au dix-neuvième siècle, elles furent interdites ou limitées à certains lieux, notamment dans le cadre de la limitation des populations d’origine africaines.
1869, l’état autorise le carnaval et l’organise
C’est Sarmiento, de retour d’un voyage en Italie où il avait assisté aux festivités de Carnaval, qui les a rétablies officiellement en 1869 sous la forme du défilé.
Défilé en 1931, 1940 et de nos jours (Gualeguaychú, province de Entre Ríos).
Tango et carnaval
Les orchestres étaient mis à contribution et, durant les décennies tango, les orchestres de tango faisaient danser plusieurs milliers de couples. Pas seulement à Buenos Aires, mais aussi à Montevideo et Rosario, notamment.
Affiches de carnavals. 1917 Firpo et Canaro – 1940 Eddie Kay (Jazz), Canaro, Fresedo et D’Arienzo (voir le petit jeu en fin d’article). Ensuite, Di Sarli et enfin une affiche de 1950 avec Troilo et De Angelis.
Exemple de règlement mis en place durant la dictature militaire (Cordoba, 1976/02/23)
La plus récente prohibition fut partielle. C’était pendant la dernière dictature du vingtième siècle. Le Carnaval n’avait pas été aboli, mais deux conditions avaient été posées : “Se prohíbe el uso de disfraces que atenten contra la moral y la decencia públicas: uniformes militares, policiales, vestiduras sacerdotales y los que ridiculicen a las autoridades del Estado u otras naciones. -Está permitido de 9 a 19, jugar con agua en buenas condiciones de higiene, globitos y pomos.” « L’utilisation de costumes qui violent la moralité publique et la décence est interdite : uniformes militaires, uniformes de police, vêtements sacerdotaux et ceux qui ridiculisent les autorités de l’État ou d’autres nations. (On notera que la lecture peut être à double niveau et que l’on pourrait y considérer les vêtements militaires et sacerdotaux comme indécents…) -Il est permis de 9 h à 19 h de jouer avec l’eau dans de bonnes conditions d’hygiène, les ballons et les pommeaux. » (Les jeux d’eau sont en effet courants, il faut dire que l’époque du carnaval correspond au plein été en Argentine).
Les jeux avec l’eau sont restés permis pendant la dictature.
Cependant, durant la Dictature, il n’y a pas eu de Carnaval proprement dit, pas de défilés et de grandes fêtes populaires.
La fin de la dictature et le retour du Carnaval
Lorsque Alfonsin fut élu en 1983, il mit en œuvre son programme « Avec la démocratie on mange, on se soigne et on s’éduque ». L’année suivante, le carnaval de nouveau libéré a pris une saveur particulière et, peu à peu, les tentatives de coup d’État se sont espacées et la démocratie s’est implantée pour une quarantaine d’années.
Le carnaval de 1984 est important, car il fête le retour de la démocratie et, par la même, le retour du Carnaval sous sa forme habituelle.
En 2023, le congrès portait des banderoles 40 ans de démocratie, en souvenir de cette époque.
Le gouvernement précédent avait fait placer deux banderoles, de part et d’autre de l’entrée des députés au Congrès (Congreso). J’ai pris cette photo, peu de temps après le changement de gouvernement. Une des banderoles avait disparu. On remarquera une scène étonnante, ce livreur qui dort sur la chaussée (emplacement réservé aux voitures officielles). Il ne reste bien sûr plus de banderole aujourd’hui et les indigents sont priés de dormir hors de la ville. Les matelas de fortune et les maigres possessions de ces personnes sont brûlés. Cela semble fonctionner, on rencontre beaucoup moins de personnes dormant dehors maintenant. Mais il suffit de franchir les limites de la ville pour constater que ce n’est pas une amélioration de la situation des plus pauvres, mais un simple « nettoyage ».
Petit jeu (très facile)
Observez cette affiche et attribuez à chaque chef d’orchestre son ou ses chanteurs…
Affiche de la Radio El Mundo de Buenos Aires pour le Carnaval de 1940.À gauche les orchestres et à droite les chanteurs…
Réponse au petit jeu
J’imagine que vous n’avez pas trop eu de difficulté pour ce qui est de raccorder les orchestres avec leurs chanteurs de tango. Il restait ensuite deux noms, Eddie Kay et Rudy Green, qu’il semble donc logique d’associer, car ils sont moins connus. Eddie Kay, pianiste né en Italie et qui est passé auparavant par les États-Unis pour sa formation musicale avant de retourner en Italie, puis de s’installer en Argentine. Étant donné son passé en Amérique du Nord, il est tentant d’en faire un musicien de jazz. On n’aurait pas tort, mais sa rencontre avec Gardel, qui se transforma en amitié, a fait qu’il a élargi ses horizons et a également composé des tangos. Cependant, en ce qui concerne l’affiche de notre jeu, il intervenait bien comme orchestre de jazz (Foxtrots, valses et danses importées d’Amérique du Nord). Son groupe Alabama Jazz, a un nom qui marque bien les ambitions de cet orchestre, tout comme le pseudonyme Eddie Kay car son nom véritable était Edmundo Tulli, ce qui fait nettement moins, jazzman. Il reste Rudy Green. Là, je n’ai pas trouvé trace du bonhomme. Il y a bien un Rudy Green, mais celui-ci était noir et avait commencé sa carrière en 1946 à Nashville alors qu’il avait 14 ans. Il s’agit donc forcément d’un autre Rudy Green, le type sur l’affiche n’a pas une tête de gamin noir de 8 ans… Je ne sais donc pas si ce chanteur était associé à Eddie Kay, mais, par son nom ou pseudonyme, on peut penser qu’il gravitait également autour du Jazz. Peut-être qu’un jour la lumière se fera sur ce point et alors, je vous en aviserai.
Les réponses. Le lien entre Eddie Kay et Rudy Green est une hypothèse, fort probable, mais sans garantie…
Un petit cadeau
J’ai monté quelques images fixes et animées de Carnaval. Cela vous permettra de vous faire une idée du phénomène.
A. Riobal (Alberto Castillo) ; Trío Los Halcones (Alberto Losavio ; Héctor Serrao ; Rodolfo Genaro Serrao)
¡Feliz año nuevo! Il est minuit à Buenos Aires, c’est l’année nouvelle qui commence. Les fusées de feu d’artifice pétaradent et illuminent le ciel de Buenos Aires. Ici, pas de majestueux feux d’artifice élaborés par des artificiers professionnels. Ce sont les Argentins qui se chargent du spectacle en fonction de leurs moyens financiers et de leurs capacités. Notre musique du jour n’est pas un tango, mais est chantée par un de ses chanteurs, Alberto Castillo, qui en est également un des auteurs.
Riobal y los Halcones
Quelques mots sur les auteurs de ce titre.
Riobal
Riobal, alias Alberto Castillo, alias…, alias…, alias…, alias…
Riobal est un des pseudonymes de Alberto Castillo, ou plutôt de Alberto Salvador De Lucca, puisque que Castillo est également un pseudonyme destiné à faire plus espagnol, ce qui était courant pour les chanteurs de tango. Les orchestres avaient besoin d’un chanteur italien et d’un chanteur espagnol pour satisfaire les deux principales communautés portègnes. Peu importe qu’ils soient réellement originaires de ces pays. D’ailleurs ses premiers pseudonymes ont été Alberto Dual et Carlos Duval… Cette foison de pseudonymes était également destinée à tromper la vigilance paternelle. Pour son père, il était étudiant en médecine et, effectivement, il devait être médecin gynécologue. Un jour, en écoutant son fils à la radio, il s’exclama, « il chante très bien, il a une voix semblable à celle de Albertito », et pour cause… Cependant, le tango a pris le dessus et Alberto a rejoint l’orchestre d’un dentiste, celui de Ricardo Tanturi, avant de terminer sa dernière année… Il n’était donc pas à proprement parler gynécologue, comme on le lit en général dans ses biographies.
Trío Los Halcones
Ce trio a chanté avec Miguel Caló, mais leur spécialité était plutôt le boléro et autres musiques traditionnelles ou folkloriques. Ils ont collaboré avec Castillo pour l’écriture de la musique et des paroles de ce titre. Il ne semble pas y avoir d’enregistrement de Año nuevo par ce trio.
Trío Los Halcones.
Extrait musical
Año nuevo 1956-01-31 (Marcha) – Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Ángel Condercuri. Partition de saxophone ténor de Año nuevo.
Ángel Condercuri ou Jorge Dragone ?
Año nuevo a été enregistré le 31 janvier 1956. Je n’ai pas respecté le choix d’un thème enregistré le jour de l’anecdote, pour vous proposer un air gai et de circonstance. Nous sommes donc en 1956 et Alberto Castillo a son orchestre dirigé par un chef. Selon les sources, il y a un doute sur le chef qui tenait la baguette le jour de l’enregistrement.
Gabriel Valiente dans son Enciclopedia del Tango indique que l’orchestre de Castillo est dirigé par Ángel Condercuri de 1951 à 1954 puis de nouveau à partir de 1959 et par Jorge Dragone de 1955 à 1958. Ce travail est une somme, mais il y a de nombreuses imprécisions et un certain nombre d’erreurs. C’est une bonne source, mais qui demande à être vérifiée.
Todo Tango, qui est le site de référence incontournable propose une entrevue avec Jorge Dragone dans laquelle celui-ci indique qu’il était dans l’orchestre de Condercuri à cette époque. https://www.todotango.com/historias/cronica/238/Dragone-Un-eterno-viajero/ Par conséquent, s’il est le pianiste de l’orchestre, il n’en est pas le directeur. En 1957, donc l’année suivante, il indique avoir son propre orchestre en alternance pour lequel il recourt à la voix de Argentino Ledesma. Même s’il est envisageable que, pour une séance d’enregistrement particulière, Condercuri ait laissé la direction à son pianiste, cela mériterait d’être documenté.
La solution serait d’avoir le catalogue ou le disque d’origine, malheureusement, je n’ai pas trouvé le catalogue de Odeón correspondant et les CD ne sont pas précis sur la question (soit ils n’indiquent rien, soit ils mettent les deux noms, sans préciser à quels titres, cela se rapporte). Quant aux disques d’origine, ils indiquent juste Alberto Castillo y su Orquesta. Bernhard Gehberger, le créateur du site Tango-DJ.AT, confirme avec les mêmes arguments. Il m’a même rappelé que certains enregistrements étaient donnés avec Raúl Bianchi à la direction. Cependant, cela ne semble concerner que la période 1953-1955. En 1956, Bianchi était à Rosario. On notera toutefois, que Bianchi était pianiste, comme Dragone. Serait-ce une habitude chez Condercuri de laisser ses pianistes diriger ? En attendant d’en savoir plus, je conserve Ángel Condercuri comme Directeur de l’orchestre de Castillo pour cet enregistrement.
Paroles
Il y a différentes variantes, mais qui ne changent pas le sens. Vous aurez la version du film en fin d’article avec les paroles en sous-titrage.
Año nuevo Vida nueva Más alegres los días serán Año nuevo Vida nueva Con salud y con prosperidad
Entre pitos y matracas entre música y sonrisa El reloj ya nos avisa que ha llegado un año más, Las mujeres y los hombres, un besito nos daremos Entre todos cantaremos, llenos de felicidad Vamos todos a cantar
Año nuevo Vida nueva Nuestras penas dejemos atrás Año nuevo Vida nueva Con salud y con prosperidad
Año nuevo Vida nueva Mas alegre los días serán Sin problema, sin tristeza Y un feliz año nuevo vendrá…
Entre pitos y matracas entre música y sonrisa El reloj ya nos avisa que ha llegado un año más Las mujeres y los hombres, un besito nos daremos Entre todos cantaremos, llenos de felicidad Vamos todos a cantar
Año nuevo Vida nueva Más alegres los días serán Año nuevo Vida nueva Con salud y con prosperidad
Año nuevo Vida nueva Nuestras penas dejemos atrás Sin problema, sin tristeza Y un feliz año nuevo vendrá Y un feliz año nuevo vendrá Y un feliz año nuevo vendrá Y un feliz año nuevo vendrá…
A. Riobal (Alberto Castillo) ; Trío Los Halcones (Alberto Losavio; Héctor Serrao; Rodolfo Genaro Serrao)
Traduction libre des paroles
Nouvel An Nouvelle vie Les jours seront plus heureux Nouvel An Nouvelle vie Avec la santé et la prospérité
Entre sifflets et crécelles Entre musique et sourire L’horloge nous avertit déjà qu’est arrivée une année de plus Les femmes et les hommes, un baiser nous nous donnerons Entre tous, nous chanterons, pleins de bonheur Nous allons tous chanter
Nouvel An Nouvelle vie Les jours seront plus heureux Nouvel An Nouvelle vie Avec la santé et la prospérité
Nouvel An Nouvelle vie Les jours seront plus joyeux Sans problème et sans tristesse Et un Nouvel An heureux viendra
Entre sifflets et crécelles Entre musique et sourire L’horloge nous avertit déjà qu’est arrivée une année de plus Les femmes et les hommes, un baiser nous nous donnerons Entre tous, nous chanterons, pleins de bonheur Nous allons tous chanter
Pito y matraca (sifflet et crécelle)
Nouvel An Nouvelle vie Les jours seront plus heureux Nouvel An Nouvelle vie Avec la santé et la prospérité
Nouvel An Nouvelle vie Nous laisserons nos peines derrière Sans problème et sans tristesse Et un Nouvel An heureux viendra Et un Nouvel An heureux viendra Et un Nouvel An heureux viendra Et un Nouvel An heureux viendra…
Autres versions
Año nuevo 1956-01-31 (Marcha) – Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Ángel Condercuri. C’est notre thème du jour.Año Nuevo 1965 – Billo’s Caracas Boys. C’est la version qui est sans doute la plus connue, elle est jouée pour le Nouvel An dans la plupart des pays d’Amérique du Sud et pas seulement au Vénézuéla, leur pays.
Pour terminer en vidéo, je vous propose de voir et écouter Alberto Castillo dans le film « Música, alegría y amor » dirigé par Enrique Carreras. La scène a été enregistrée en 1955, cependant, le film sortira après le disque, le 9 mai 1956. J’ai indiqué les paroles pour vous permettre de suivre…
Año nuevo dans le film Música, alegría y amor. Dans cet extrait, en plus de Alberto Castillo, on remarque Beatriz Taibo, Ubaldo Martínez et Tito Gómez. Il y a aussi une courte apparition de Leonor Rinaldi et Francisco Álvarez, les personnes âgées.
Alberto Castillo, qui tient le rôle principal (Alberto Morán) est un jeune homme bohème qui rêve de devenir peintre, mais qui finalement aura du succès comme chanteur (Raúl Manrupe & María Alejandra Portela – Un Diccionario de Films Argentinos 1995, page 401). Ce film contient beaucoup de chansons par Castillo, dont notre titre du jour.
L’intrigue du film serait tirée de Loute, une comédie française (vaudeville) en quatre actes de Pierre Veber dont l’intrigue tourne autour de Dupont, un homme qui mène une vie de débauche sous l’influence de son « ami » Castillon. Dupont décide de se marier avec Renée, une jeune femme de bonne famille, mais il est rapidement rattrapé par son passé tumultueux. Loute, une ancienne maîtresse de Dupont, réapparaît et cause des complications. Les malentendus et les quiproquos s’enchaînent, notamment avec l’arrivée de Francolin, un cousin de Dupont, qui cherche à se venger de lui. Finalement, après de nombreux rebondissements, les personnages tentent de se réconcilier et de trouver un équilibre entre leurs vies passées et présentes. Le lien entre la pièce et le film réalisé par Enrique Carreras sur un scénario de Enrique Santés Morello me semble un peu distendu, d’autant plus que la pièce a eu son heure de gloire plus de 50 ans avant la réalisation du film. Cela témoigne tout de même de la francophilie qui était encore vive à l’époque. Disons que la base du synopsis a été de faire une comédie musicale pour mettre en avant Alberto Castillo…
L’affiche du film réalisée par le caricaturiste argentin Narciso González Bayón. On y reconnaît Alberto Castillo et Amelita Vargas. À la table, de gauche à droite, Francisco Álvarez, Leonor Rinaldi, Gerardo Chiarella et Ubaldo Martinez. La taille démesurée de Castillo montre bien que c’était lui la vedette du film…
Voilà de quoi bien débuter l’année, en chanson.
De camino al 2025
Je souhaite une merveilleuse année, la santé et le bonheur, à tous les humains de la Terre, tous.
De floreo de Julio Carrasco est l’élément central d’une trilogie de trois tangos. Flor de tango (1945), De floreo (1950) et Mi lamento (1954). De floreo peut avoir différentes significations allant d’un bavardage inutile ou léger, par exemple, un piropo (compliment à une femme que l’on cherche à conquérir) à une danse parfaitement maîtrisée. Pour ma part, j’ai choisi une autre acception, celle du musicien épanoui qui domine son instrument. Il n’est qu’à écouter le solo de violon de Enrique Camerano pour se conforter dans cette idée.
Extrait musical
De floreo. Partition, Disque Odeon 30610B (matrice 17601), pochette et disque vinyle 4334 de EMI. De floreo est le sixième et dernier titre de la face A, mais aussi le nom de l’album, ce qui témoigne de son succès.De floreo 1950-03-29 – Orquesta Osvaldo Pugliese.
Les bandonéons lancent un rythme très marqué, lié par quelques glissandos des violons. Puis à 0:35 les violons prennent le dessus dans le staccato avec de légers motifs de piano de Pugliese. Comme il est habituel à cette époque pour Pugliese, l’œuvre est construite par des touches successives en legato et staccato. Cette organisation semble indiquer aux danseurs quoi faire. Encore faut-il que les danseurs soient attentifs aux changements d’expression, car une écoute trop légère ferait manquer les transitions et danser à contrecourant. C’est ce qui peut rendre certains titres de Pugliese si passionnants, mais parfois difficiles à danser. Contrairement à ce qui est généralement exprimé, je ne pense pas que Pugliese soit à réserver aux excellents danseurs. Certains y voient une musique romantique et tranquille, à danser avec une personne de cœur. D’autres se déchaînent dans des envolées incompréhensibles, pensant révolutionner l’art de la danse et laisser un public ébloui à la limite de l’évanouissement devant tant de génie. Entre ces deux extrêmes, il y a les danseurs qui écoutent la musique et qui savent adapter leur danse aux évolutions de la musique, tout en respectant les autres danseurs. Il n’y a donc pas besoin d’être un excellent danseur, seulement un excellent auditeur. Bien sûr, ceux qui peuvent être les deux existent, mais dans un beau bal, avec des danseurs qui dansent en musique, il y a une vibration particulière sur la piste durant les tandas de Pugliese. À 1:40 commence le passage que l’on ne peut pas louper et danser mal, le sublime solo de violon de Enrique Camerano qui se dilue ensuite dans les accords nerveux des bandonéons, puis des autres instruments. Le thème du solo de violon ressurgit ensuite jusqu’au final et l’interprétation se termine par les deux accords traditionnels chez beaucoup d’orchestres, dont celui de Pugliese.
Détail du revers de la pochette du disque 33 tours De floreo édité par EMI sous le numéro 4334.
Autres versions
De floreo 1950-03-29 – Orquesta Osvaldo Pugliese. C’est notre tango du jour.De floreo 2004 – Color Tango de Roberto Álvarez.
On retrouvera bien sûr des accents de Pugliese dans cette version de Color Tango. Son créateur, Roberto Álvarez, était l’un des arrangeurs de Pugliese (même si dans son orchestre, la plupart des musiciens étaient aussi arrangeurs). J’en profite pour rappeler qu’il y a eu deux et même trois orchestres Color Tango, tous héritiers de Pugliese. L’orchestre originel « Color Tango » créé par Roberto Álvarez (bandonéoniste de Pugliese), Amílcar Tolosa (violoniste de Pugliese) et Fernando Rodríguez (contrebassiste de Pugliese). À la suite d’un désaccord, l’orchestre se scinda en deux parties égales et Roberto Álvarez et Amílcar Tolosa dirigèrent chacun un orchestre « Color Tango ». Comme les deux orchestres avaient les mêmes droits à porter ce nom, ce fut un peu compliqué, mais un accord a été trouvé et les deux orchestres ont coexisté avec le nom de leur directeur accolé. Color Tango de Roberto Álvarez et Color Tango de Amílcar Tolosa. À ce sujet, une petite remarque. Les orchestres ne restent pas tous immuables et au fil du temps, des musiciens sont remplacés. Aujourd’hui, la situation est encore plus marquée. Les orchestres voyageant à travers le monde, ils ont souvent recours à des musiciens différents suivant les lieux de la tournée ou suivant les engagements déjà pris avec un autre orchestre par un instrumentiste. La séparation de l’orchestre avec le même nom n’est donc pas si surprenante, mais c’est bien que le nom les différencie, même si la plupart des éditions restent vagues sur le sujet. Un Color Tango peut en cacher un autre.
Voici une version en vidéo par Martin Klett & Ensemble.
De floreo 2019c – Martin Klett & Ensemble
La trilogie de Julio Carrasco
Comme indiqué ci-dessus, De floreo fait partie d’une trilogie composée par Julio Carrasco. Voici les trois titres à l’écoute. Je pense qu’il est intéressant de noter l’évolution et les similitudes sur la décennie de cette trilogie.
Flor de tango 1945-08-28 – Orquesta Osvaldo Pugliese
La musique est sans doute un peu trop déstructurée pour les danseurs d’aujourd’hui. L’alternance des légatos et staccatos, par exemple, peut surprendre. On est dans l’héritage de De Caro, cet orchestre qu’admirait Pugliese. Cela rend donc l’œuvre plus difficile à danser pour les danseurs contemporains qui sont moins habitués à l’improvisation, car dansant sur des enregistrements connus par cœur. À l’âge d’or, les danseurs découvraient « en direct » les nouveautés et ils devaient donc être plus attentifs à la musique. En résumé, je ne passerai ce titre en milonga qu’avec des danseurs bien familiarisés avec cette façon de danser, d’autant plus que le mode mineur adopté peut donner une pincée de tristesse qui pourrait s’ajouter aux hésitations provoquées par les surprises (richesses) de la musique et faire que le moment ne soit pas aussi agréable que possible. On notera toutefois la beauté de la musique avec le beau solo de violon à 1:30 et la variation virtuose des bandonéons en final.
Vous trouverez dans l’article sur Flor de tango, quelques éléments sur l’auteur de la trilogie, Julio Carrasco.
De floreo 1950-03-29 – Orquesta Osvaldo Pugliese. C’est notre tango du jour.
Pour rester dans la dansabilité. On remarquera que la présence d’un rythme bien marqué au début inspire la confiance des danseurs. Les phrases musicales sont plus claires et les transitions de danse plus faciles à prévoir. Certains motifs peuvent susciter de belles improvisations ou a minima des fioritures élégantes, permettant ainsi de danser de floreo… Et le solo de violon devrait faire fondre les danseurs à coup sûr et donc participer au succès de la danse.
Mi lamento 1954-03-17 – Orquesta Osvaldo Pugliese.
Mi lamento démarre avec une rythmique appuyée qui sécurise les danseurs, mais, par la suite, on retrouve des éléments d’insécurité, comme avec Flor de tango dont il partage la tonalité de Fa # mineur. Certains passages comme à 1:35, sans doute un peu trop calmes, peuvent enlever un peu d’énergie aux danseurs. Cela n’empêche pas de le passer, mais il convient de bien juger de l’atmosphère du bal pour le passer à bon escient en étant prêt à relancer la machine si l’on sent que les danseurs ne suivent pas cette proposition.
Comme dans les deux œuvres précédentes, on retrouve le solo de violon à 1:50. Après tout Julio Carrasco est violoniste et il est donc logique qu’il mette en valeur son instrument. Là encore, c’est Enrique Camerano qui interprète en sa qualité de premier violon le solo qui sera évoqué jusqu’à la fin, comme pour De floreo et contrairement à Flor de tango, où il est effacé par les bandonéons à la fin. La réputation de Julio Carrasco aurait pu lui ouvrir la carrière de premier violon dans l’orchestre de Pugliese, mais celui-ci a décliné l’invitation lors du départ de l’orchestre de Enrique Camerano. Cette évolution va donc d’une musique très decaréenne (de De Caro) a une musique au rythme plus appuyé, plus facile à danser. Les solos de violons sont tous les trois intéressants, mais celui de De floreo a sans doute ma préférence et comme il est sur le titre le plus dansable des trois, je passerai De floreo en priorité.
Et s’il fallait faire une tanda avec De floreo
Je propose cet exercice qui consiste à faire une tanda de Pugliese un peu moins consensuelle. Dans une milonga courte, je ne m’y risquerai sans doute pas et je resterai avec la vingtaine de titres validés par les danseurs. Mais admettons que je sois en présence de danseurs curieux, n’ayant pas peur de se mettre en « danger ». Dans cette tanda, je ne passerai probablement pas deux des titres de la trilogie, sauf si je vois que l’accueil est très bon et seulement pour des tandas de quatre titres et pas de trois comme cela se fait de plus en plus (difficile de passer un de ces titres en premier et en dernier, il en faut donc a minima un avant et un après). Pour donner un peu de variété à la tanda en gardant un esprit un peu decaréen, je pourrais proposer.
1) Boedo 1948-07-14 – Orquesta Osvaldo Pugliese.
Une composition de De Caro, assez connue et qui peut donc rassurer en premier thème.
2) De floreo en deuxième, car pas suffisamment connu pour bien faire lever les danseurs. Ce titre servira d’aiguillage. Si je vois qu’il est parfaitement adopté, je pourrai envisager de passer Mi lamento en 3e titre. Si je sens que c’est passable, sans plus, je reviendrais à un peu plus facile avec, par exemple :
3) Bien milonga 1951-07-31 – Orquesta Osvaldo Pugliese.
Pas trop difficile à danser et avec un beau solo de violon pour rester dans l’esprit de De floreo.
4) La cachila 1952-11-24 – Orquesta Osvaldo Pugliese.
Avec des passages très « yumba ». Ce titre très connu, plus facile à danser, pourrait terminer la tanda.
Si je vois qu’il faut raccrocher les wagons, je pourrais passer à Canaro à Paris en troisième titre de la tanda, qui est plus rassurant pour les danseurs et qui comporte de magnifiques solos de bandonéon et de violoncelle.
3) alternative selon la réception de De floreo. Canaro en París 1949-11-28 – Orquesta Osvaldo Pugliese
Le 4e titre pourra être un titre « phare de Pugliese », même si cela nuit un peu à l’harmonie de la tanda. Sinon, La Cachila pourra faire l’affaire.
Si je vois que Boedo ne passe pas très bien (tous les danseurs ne sont pas sur la piste), j’activerai l’aiguillage plus tôt et je basculerai vers les grands standards, en ne passant donc pas De floreo et autres. Passer une tanda de Pugliese avec des titres peu connus donne des sueurs froides au DJ. Pour cette raison, il est indispensable, lorsque l’on ne connaît pas le public, d’être prêt à tout changer à la volée et c’est un bon exemple de l’impossibilité de faire des playlists à l’avance, sauf si on est DJ résident et que l’on passe la musique toutes les semaines dans le même lieu, car, dans ce cas, on apprivoise les danseurs en formant leur goût. C’est d’ailleurs une responsabilité du DJ résident, car à routiner les danseurs sur un style de musique, on risque de les éloigner de la communauté tanguera. Par exemple, dans certaines milongas, le DJ résident met beaucoup de tango alternatif ou des titres peu typiques. Les danseurs s’y habituent et ont ensuite du mal à aller dans des milongas « normales ». Ouvrir les oreilles et les horizons, c’est bien, mais il ne faut pas oublier le cœur du tango. À bientôt les amis !
De floreo 1950-03-29 – Orquesta Osvaldo Pugliese – L’écoute des tourbillons de musique qui entrent dans les oreilles.
Adiós, Coco est un au revoir, ou plutôt un adieu à Rafael D’Agostino, le neveu de Ángel D’Agostino qui était pianiste, compositeur, auteur et journaliste spécialisé dans les spectacles (notamment au journal La Razón à l’Editorial Anahi et à Radio Colonia). Par son oncle et ses activités, il était membre de la grande famille du tango et sa mort tragique dans un accident de la route a secoué la communauté, comme en témoigne ce tango composé par Lázzari, bandonéoniste et arrangeur de l’orchestre de D’Arienzo et l’enregistrement par l’orchestre de ce dernier, un mois seulement, après la mort de Coco. Maintenant, il me reste à vous expliquer pourquoi un dinosaure conduit une voiture…
Extrait musical
Adiós, Coco 1972-12-14 – Orquesta Juan D’Arienzo.
Adiós, Coco s’inscrit dans la lignée des tangos tardifs enregistrés par D’Arienzo. La puissance est énorme. Les violons virtuoses et les longs breaks rendent ce style reconnaissable immédiatement. Le piano de Juan Polito est en ponctuation permanente et bien sûr, les bandonéons (instrument du compositeur, Carlos Ángel Lázzari) et la contrebasse assurent la base rythmique que reprennent les autres instruments. Dans cette version, quelques solos de violons font taire le martellement du rythme, une pointe de romantisme en l’honneur de Coco. Cet orchestre tardif de D’Arienzo, le dernier de sa carrière était composé de la façon suivante : Carlos Lázzari (bandonéoniste et arrangeur de l’orchestre. C’est lui qui reprendra la direction à la mort de D’Arienzo et qui enregistrera des titres du même type de dynamisme avec las solistas de D’Arienzo (les solistes de D’Arienzo, orchestre créé en 1973 avec l’autorisation de D’Arienzo). Voyons donc ces autres solistes : Enrique Alessio, Felipe Ricciardi et Aldo Junnissi (bandonéonistes de D’Arienzo, comme Lázzari de 1950 à 1975).
Juan D’Arienzo dans une attitude typique, anime ses bandonénistes. De gauche à droite, Enrique Alessio, Carlos Lázzari, celui de droite me semble être Aldo Junnissi plus que Felipe Ricciardi, mais je ne garantis rien… Les quatre bandonéonistes de D’Arienzo sont restés les mêmes de 1950 à 1975. Cette photo semble dater de la décennie précédente, probablement les années 60.
Juan Polito (pianiste de l’orchestre de D’Arienzo en 1929, 1938-1939, 1957-1975) Cayetano Puglisi, Blas Pensato, Jaime Ferrer et Clemente Arnaiz (violonistes de D’Arienzo depuis 1940. Cette longévité explique la merveille des violons de D’Arienzo qui était lui-même violoniste). Victorio Virgilito (contre-bassiste de D’Arienzo depuis 1950).
Cette version est instrumentale, mais je pense intéressant de présenter les chanteurs de l’époque : Osvaldo Ramos (ténor). C’est le père de Pablo Ramos qui dirige l’orchestre Los Herederos del Compás que vous pourrez entendre et voir dans ce titre en fin d’article. Alberto Echagüe et Armando Laborde (barytons) Mercedes Serrano (mezzo-soprano).
Rafael D’Agostino (Coco)
Son oncle, Ángel D’Agostino, est bien plus connu et j’ai eu à diverses reprises l’honneur de présenter certaines de ses interprétations. Je vous propose un petit éclairage sur le neveu, Coco, objet de cet hommage. L’histoire commence entre Juan D’Arienzo et Ángel D’Agostino, les D’ du tango. D’Arienzo violoniste et D’Agostino pianiste sont amis depuis l’adolescence. Lorsqu’en 1928 naquit Rafael, ce dernier est entré dans le cercle d’amitié des deux hommes qui l’ont accompagné dans son entrée dans la carrière musicale. Malgré ses capacités de pianiste, Rafael s’est dirigé vers le journalisme, notamment de spectacle. Il fut utilisateur dans ses chroniques de surnoms pour les artistes. Cette mode a été initiée par Felix Laiño, le sous-directeur du journal La Razón. Coco s’est expliqué sur cette coutume, par exemple en parlant de Tita Merello :
« Nadie puede negar que Tita Merello es lastimera; todos los días se queja de su miseria, sus años y su mala suerte, Estos apodos nacen de sus propios defectos y virtudes. »
(Personne ne peut nier que Tita Merello est pitoyable ; chaque jour elle se plaint de sa misère, de son âge et de sa malchance. Ces surnoms naissent de leurs propres défauts et vertus.)
On attribue un certain nombre d’œuvres à Coco : Pasión milonguera Vida bohemia (avec Ricardo García) Paica alegre Mis flores negras (Pas le passillo colombiano arrangé en valse que chanta Gardel) Noches de Cabaret (pas celui d’Héctor Varela avec Rodolfo Lesica) Mi covacha On voit que ces œuvres sont peu connues et celles qui le sont portent le nom d’autres auteurs. Mais j’ai gardé le meilleur pour la fin. On lui attribue également El Plesiosauro. Voyons un peu de ce côté…
El Plesiosauro
Ce sympathique animal marin, un dinosaure, aime faire des farces. En Écosse, il s’appelle Nessi et hante le Loch Ness. En Argentine, on l’appelle par son nom scientifique, El Plesiosauro, mais il porte aussi le nom de El Nahuelito, car il serait apparu au Lac Nahuel Huapi (Bariloche) ou à un autre lac bien plus au sud, el lago Epuyén. Contrairement à son cousin d’Écosse, ce dernier s’est offert le luxe d’écrire une lettre que publia le journal La Nación, en mars 1922, dont voici les termes : “El objetivo de mi carta es persuadirlos de que me dejen en paz, ya que soy un monstruo discreto y desinteresado” « L’objet de ma lettre est de vous persuader de me laisser en paix, car je suis un monstre discret et désintéressé. » Je pense que vous commencez à penser à un canular, voici l’histoire : La première mention de cet animal date de 1910 et c’est la publication en 1922 de cette « vision » par George Garret qui donna l’idée à un Nord Américain nommé Martín Sheffield d’annoncer la présence de cet animal. Cela arriva aux oreilles du Docteur Clemente Onelli, directeur du Zoo de Buenos Aires, qui aurait bien aimé le mettre dans ses collections. Il envoya des fonds à Martín Sheffield et organisa une expédition. À son arrivée, Martín Sheffield avait disparu avec l’argent et vous vous en doutez, la quête de El Nahuelito s’est avérée vaine, malgré les descriptions qu’en ont faites les prétendus témoins. La bête aurait un long cou, la taille d’une vache et serait carnivore. Certains scientifiques y voyaient la description d’un plésiosaure, d’où le nom le plus courant à l’époque et d’autres d’un ichtyosaure. Des photos auraient été réalisées, mais où sont-elles ?
L’affaire du Plésiosaure à Bariloche. De gauche à droite.
Martin Shieffeld, l’aventurier d’Amérique du Nord. Il a quitté les lieux avec l’argent et n’a pas fait partie de l’expédition.
Docteur Clemente Onelli, le directeur du Zoo et organisateur de l’expédition.
Sur la photo centrale :
Alberto Merkle, un taxidermiste allemand qui aurait pu conserver El Nahuelito si ses collègues l’avaient abattu comme prévu.
Emilio Frey, un ingénieur, ami de Clemente Onelli qui est à droite de lui sur la photo centrale
Santiago Andueza et José Cinaghi, les chasseurs.
La photo de droite représente une reconstitution du Plésiosaure à Bariloche.
Le Plésiosaure a suscité des passions, des rires et plusieurs musiques ont exploité le filon. Parmi celles-ci, la partition attribuée à Rafael D’Agostino.
La partition attribuée à Rafael D’Agostino du Plesiosauro. Elle serait de 1922. On remarque la dédicace à Clemente Onelli, le Directeur de l’expédition, et à un Manuel Garcia que je n’ai pas identifié. Est-il de la famille de Ricardo García avec qui il a composé Vida Bohémia ?
Tous les auteurs qui parlent de ce tango mentionnent sans hésitation Coco, Rafael D’Agostino comme le compositeur du Plesiosauro. Le fait qui m’intrigue est que la partition serait datée de 1922, ce qui est logique vu que c’est l’époque des faits. Ce qui est moins logique, c’est que Rafael D’Agostino est né en 1928 (il avait 40 ans en 1968 selon une interview, et 44 à a sa mort en 1972). Un prodige comme Mozart peut écrire une œuvre à six ans, mais pas six ans avant sa naissance… Il faut donc soit considérer que la partition n’est pas de 1922, soit que c’est d’un autre Rafael D’Agostino. Le fait que Coco soit un plaisantin pourrait laisser penser qu’il aurait réalisé un faux. Dans le sens de cette hypothèse, je mettrai la réalisation assez sommaire de la couverture de la partition. Ce qui ne fait pas de doute, c’est l’expédition à Bariloche de Onelli, les documents sont suffisamment précis sur la question et ce scientifique n’aurait pas mis en jeu sa réputation pour un canular. Le fait qu’il soit cité sur la partition est un peu plus étonnant. En effet, comme il est rentré bredouille, il est peu probable qu’il ait apprécié l’attention. Avoir un tango dédicacé à son nom et qui rappelle un échec n’est sans doute pas des plus réjouissant. Cela me conforte dans l’idée du faux que j’attribuerai à Rafael D’Agostino, un drôle de coco (« drôle de coco » en français peut signifier un farceur, quelqu’un d’un peu original). Son comparse, l’auteur des paroles, serait Amílcar Morbidelli, un « poète » dont on n’a pas vraiment de traces. Est-ce aussi un élément de la blague ? Nous verrons que les paroles peuvent renforcer cette impression. L’orchestre Sciammarella tango a produit la seule version enregistrée de cette œuvre.
El Plesiosauro 2023 – Sciammarella tango.
Sciammarella aurait retrouvé la partition et exécuté l’œuvre. Est-ce une composition originale de cet orchestre ou réellement une œuvre écrite en 1922, ou un canular tardif de Coco ? Le site très sérieux et extrêmement bien documenté Todo Tango cite l’œuvre, donne Rafael D’Agostino comme compositeur et Amílcar Morbidelli comme auteur des paroles. https://www.todotango.com/musica/tema/6341/El-plesiosauro/ Cet élément peut faire pencher la balance du côté de l’œuvre authentique, dont voici les paroles.
Paroles de El Plesiosauro
Yo soy un pobre animal buscado por los ingratos y sin conciencia. Porque soy raro y también lo soy curioso (según dice la gente allí).
Dejemen solo aquí, gozando en la soledad de este lago ¿Qué es lo que haréis con sacarme si es en vano llevarme vivo de este lugar ?
¿No saben los señores que esto no es coger flores? Pretenden aquí cazarme y llevar como si nada fuera.
¡Maldito! No me nombres. Nada te debo Onelli. Deja que yo viva con igual prerrogativas como tú vives allí. Rafael D’Agostino Letra: Amílcar Morbidelli
Traduction libre et indications
Je suis un pauvre animal recherché par les ingrats et sans conscience. Parce que je suis bizarre et que je suis aussi curieux (selon ce que disent les gens de là-bas). Laissez-moi seul ici, profitant de la solitude de ce lac Que ferez-vous de me sortir, si c’est en vain que vous voulez m’enlever vivant d’ici ? (Les membres de l’expédition sont armés et deux chasseurs y participent. La présence d’une grande seringue dans l’équipement est parfois mentionnée, mais mise en doute. Ils pensaient tuer le « monstre » et l’empailler « d’où la présence d’un empailleur dans l’expédition. Ces messieurs ne savent-ils pas qu’il ne s’agit pas de cueillir des fleurs ? Ils ont l’intention de me traquer et de m’emmener comme si de rien n’était. Maudit ! Ne me nommez pas. Je ne te dois rien, Onelli. Laissez-moi, que je vive avec les mêmes prérogatives que vous là-bas.
On voit que l’auteur a pris la parole pour el Nahuelito. À moins que ce soit lui, puisqu’il avait déjà publié une lettre dans le journal La Nación. On remarquera que, si la couverture dédicace l’œuvre à Onelli, le texte n’est pas du tout à sa gloire. Cela me fait encore hésiter. Un auteur aurait-il dédicacé un tango où il traite de maudit son dédicataire ? Cela me semble bien étrange. Si on tient compte que le Plésiosaure est un dinosaure qui vit dans l’eau, on pourrait penser à un poisson d’avril, coutume qui consiste à raconter un truc incroyable que l’on retrouve dans quelques pays d’Europe et dans le Monde, mais pas en Argentine. On pourrait aussi voir dans cette histoire un rappel de la colonisation… Ces Indiens et gauchos que l’on a déplacés et massacrés sans ménagement pour conquérir leur territoire.
Autres versions de Adiós, Coco
Adiós, Coco 1972-12-14 – Orquesta Juan D’Arienzo. C’est notre tango du jour.
Du fait qu’il s’agit d’un tango tardif, il n’a pas eu le temps d’entrer dans le répertoire des orchestres. Une exception toutefois, Los Herederos del Compás, l’orchestre animé par Pablo Ramos, le fils de l’ancien chanteur de D’Arienzo, Osvaldo Ramos, et qui travaille ardemment à entretenir le souvenir de son père et de la Orquesta Del Rey del Compás. Cet orchestre joue régulièrement le thème, et je l’ai donc écouté par eux à diverses reprises avec des évolutions intéressantes.
Adiós Coco 2021 – Pablo Ramos & Los Herederos del Compás. C’est la version du disque “Que siga el encuentro de 2021”.
Mais je pense que vous serez content de voir l’une de leurs prestations. C’était l’an passé, le 8 avril 2023, à la huitième édition du festival de La Plata.
Adiós Coco 2023-04-08 – Pablo Ramos & Los Herederos del Compás, en La Plata Baila Tango (8va edición).
Avec cette vidéo, je pense que l’on peut dire Adiós Coco, au revoir, les amis. Soyez prudent sur les routes, un dinosaure pourrait traverser sans crier gare !
Les bals « tango » de l’âge d’or comportaient du tango, sous ses trois formes, mais aussi du « jazz » et d’autres danses, plus ou moins traditionnelles. Notre musique du jour est Argentine (voire uruguayenne si on se réfère aux origines de Canaro), mais le rythme (un corrido), les paroles et l’inspiration sont mexicains.
J’utilise parfois ce titre pour « chauffer » la salle avant la milonga. Le corrido se danse en principe en couple, c’est une forme qui rappelle la polka, mais aussi le pasodoble. Les Argentins le dansent surtout en marche, tout comme ils font avec le pasodoble, d’ailleurs…
Extrait musical
Rancho alegre 1941-12-10 – Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán y coro.Partition et couvertures de Rancho alegre de Felipe Bermejo Araujo. On notera la présence de partitions brésiliennes. Le corrido est bien sorti du Mexique et pas seulement pour les pays hispanophones, comme l’Argentine.
Le rancho alegre (ranch joyeux) est vraiment joyeux et je suis sûr que cette musique vous donne envie de bouger.
Paroles
Y soy del mero Rancho Alegre (Yo soy charro mexicano) Un ranchero de verdad, compadre Jálese, pariente Pa’ la gente del rancho, pa’ la gente de pueblo
Soy del mero Rancho Alegre Un ranchero de verdad Que trabaja De labriero, mayordomo y caporal
Mi querencia es este rancho Donde vivo tan feliz Escondido entre montaña De color azul anís
Rancho Alegre Mi nidito Mi nidito perfumado y de jasmín Donde guardo Mi amorcito Que tiene ojos de lucero y capulín
En mi rancho Tengo todo Animales, agua y sol Y una tierra brillante y buena Que trabajo con ardor
Cuando acabo mis labores Ya que se ha metido el sol A la luz de las estrellas Canto alegre mi canción
Rancho Alegre Mi nidito Mi nidito perfumado y de jasmín Donde guardo Mi amorcito Que tiene ojos de lucero y capulín
Solo falta Una cosa Que muy pronto, yo tendré Como estoy recién casado Adivínenme lo que es
Ha de ser un chilpallate Grande y fuerte a no dudar Que también será labriero Mayordomo y caporal
Rancho Alegre Mi nidito Mi nidito perfumado y de jasmín Donde guardo Mi amorcito Que tiene ojos de lucero y capulín Felipe Bermejo Araujo
Carlos Roldán chante seulement ce qui est en gras.
En rouge, la version originale mexicaine qui parle de charro (cowboy, gaucho).
Traduction libre des paroles
Et je suis du simple Rancho Alegre (ranch joyeux) un vrai éleveur, compadre bien « tiré » (C’est quelque chose de positif, bon compagnon), parent pour les gens du ranch, pour les gens du village. Je suis du simple Rancho Alegre, un vrai éleveur qui travaille comme agriculteur, majordome et contremaître. Mon amour c’est ce ranch où je vis si heureux, caché dans les montagnes bleu anis
Refrain Rancho Alegre Mon petit nid Mon petit nid parfumé et de jasmin où je garde ma petite chérie qui a les yeux d’une étoile et de cerise (les capulines sont de petites cerises de couleur noir rougeâtre. On les appelle aussi, cerises mexicaines).
Sur mon ranch j’ai tout, des animaux, de l’eau et du soleil et une terre brillante et bonne que je travaille avec ardeur Quand je finis mes travaux parce que le soleil s’est couché. À la lumière des étoiles, je chante joyeusement ma chanson. Il ne manque qu’une seule chose, que très bientôt j’aurai, car, je viens de me marier. Devinez ce que c’est. Il doit être un gamin grand et fort (chilpallate est une expression mexicaine) sans aucun doute qu’il sera aussi un fermier, majordome et contremaître.
Autres versions
Le thème est tout de même assez rare en Argentine. Outre cette version de Canaro, on peut citer les chanteurs de l’aube qui ont fait un disque aux sonorités mexicaines. Je vous propose aussi une version mexicaine avec un jeu intéressant de l’accordéon (oui, le Mexique utilise de plus gros pianos à bretelles).
Rancho alegre 1941-12-10 – Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán y coro. C’est notre musique du jour.Rancho alegre 1976 – Los Cantores del Alba.Rancho alegre 2020 – Octavio Norzagaray.
L’excellent fileteador porteño, Gustavo Ferrari, alors que je passais ce titre dans une milonga m’a indiqué que ce titre était l’hymne des fileteadores (peintres décorateurs, spécialistes des filets décoratifs typiques de Buenos Aires). Comme j’adore ce tango, je le passe assez souvent, mais pas forcément dans la version du jour, celle d’Alberto Castillo qui était également un fan de ce tango comme nous le verrons. J’imagine que vous avez dans l’oreille l’enregistrement des deux anges, D’Agostino et Vargas. Mais, comme l’anecdote d’avant-hier était avec ces deux interprètes, il faut laisser de la place aux autres. C’est d’autant plus important que Vargas et D’Agostino semble s’être emparé du titre, laissant peu de place à d’autres enregistrements. Pourtant, plusieurs sont intéressants. À noter que, sur certains disques, on trouve Manoblanca, en un seul mot. J’ai unifié la présentation en Mano Blanca, mais les deux orthographes existent
Extrait musical
Mano Blanca 1943-12-07 – Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Emilio Balcarce.
Bien que ce soit un titre plutôt destiné à l’écoute, puisque le disque mentionne que Alberto Castillo est accompagné par son orchestre dirigé par Emilio Balcarce. Cependant cet enregistrement reste tout à fait présentable dans une milonga et c’est même presque étonnant que l’on ne l’entende quasiment jamais.
Partition de Mano Blanca. Arturo De Bassi Letra: Homero Manzi et l’angle de rue où se trouve le « musée Manoblanca ».
Paroles
Dónde vas carrerito del este castigando tu yunta de ruanos, y mostrando en la chata celeste las dos iniciales pintadas a mano.
Reluciendo la estrella de bronce claveteada en la suela de cuero, dónde vas carrerito del Once, cruzando ligero las calles del Sur.
¡Porteñito!… ¡Manoblanca!… Vamos ¡fuerza, que viene barranca! ¡Manoblanca!… ¡Porteñito! ¡Fuerza! ¡vamos, que falta un poquito!
¡Bueno! ¡bueno!… ¡Ya salimos!… Ahora sigan parejo otra vez, que esta noche me esperan sus ojos en la Avenida Centenera y Tabaré.
Dónde vas carrerito porteño con tu chata flamante y coqueta, con los ojos cerrados de sueño y un gajo de ruda detrás de la oreja.
El orgullo de ser bien querido se adivina en tu estrella de bronce, carrerito del barrio del Once que vuelves trotando para el corralón.
¡Bueno! ¡bueno!… ¡Ya salimos!… Ahora sigan parejo otra vez mientras sueño en los ojos aquellos de la Avenida Centenera y Tabaré. Arturo De Bassi Letra: Homero Manzi
Traduction libre des paroles
Où vas-tu petit meneur (conducteur de chariot hippomobile) de l’est en punissant ton attelage de rouans (chevaux de couleur rouanne), et en montrant sur la charrette bleue les deux initiales peintes à la main. Elle brille l’étoile de bronze clouée sur le harnais de cuir. Où vas-tu, petit meneur de Once, en traversant rapidement (légèrement, peut-être à vide), les rues du Sud. Porteñito… Manoblanca… (Ce sont les noms des deux chevaux) Allons, force, un fossé arrive ! Manoblanca… Porteñito ! Force ! Allons, il reste peu à faire ! Bien ! Bien !… Nous voilà sortis (de l’ornière, fossé)… Maintenant, continuez ensemble à nouveau, car ce soir, ses yeux m’attendent sur l’Avenida Centenera et Tabaré. (l’angle de ces deux avenues marque “La esquina del herrero, barro y pampa » que le même Homero Manzi mentionne dans son tango « Sur ». Où vas-tu, petit meneur portègne avec ta charrette flamboyante et coquette, avec les yeux fermés de sommeil (ou rêve) et un brin de rue (le gajo de ruda est une plante qui est censée éloigner le mal) derrière l’oreille. La fierté d’être bien aimé se devine dans ton étoile de bronze, petit meneur du quartier de Once, car tu reviens en trottant au corralón (hangar, garage). Bien ! Bien !… Nous voilà sortis. Maintenant, ils continuent en couple (chevaux en harmonie) de nouveau pendant que je rêve à ces yeux de l’Avenida Centenera et de Tabaré.
Les fileteados
Les fileteados son une expression artistique typique de Buenos Aires. Elle est apparue en premier sur les chariots et s’est étendue jusqu’à aujourd’hui dans tous les domaines.
Un chariot hippomobile décoré de fileteados. Cette charrette comporte des ridelles, ce que n’avait peut-être pas celle de la chanson qui est une simple chata (fond plat et qui avait sans doute quatre roues).
Un véhicule de quatre saisons richement décoré de fileteados. La chata de la chanson devait plutôt avoir 4 roues, mais l’idée est là…
Les deux premiers enregistrements, par Canaro, sont bien de a composition Arturo de Bassi, mais elles avaient été publiées à l’époque sous le titre El romántico fulero. Cette musique était une petite pièce à l’intérieur d’un tableau intitulé Románticos fuleros, lui-même inclus dans le spectacle Copamos la banca. Les paroles apportées par Homero Manzi 15 ans plus tard, à la demande de Bassi, ont donné une autre dimension à l’œuvre et lui ont permis de passer à la postérité.
El romántico fulero 1924 – Orquesta Francisco Canaro.
C’est un enregistrement acoustique, donc, d’une qualité sonore un peu compliquée, mais on reconnaît parfaitement le thème du tango du jour.
El romántico fulero 1926-09 – Azucena Maizani con acomp. de Francisco Canaro.
Le même Canaro enregistre, cette fois en enregistrement électrique le titre avec des paroles de Carlos Schaefer Gallo.
Paroles de Carlos Schaefer Gallo
Manyeme que’l bacán no la embroca, parleme que’l boton no la juna y en la noche que pinta la luna la punga de un beso le tiró en la boca. Aquí estoy en la calle desierta como un gil pa’ mirar su hermosura campaneando que me abra la puerta pa’ darle a escondidas un beso de amor.
Se lo juro que no hablo al cohete y que le pongo pa’usté cacho e cielo un cotorro que ni Marcelo lo tiene puesto con más firulete. Si usté quiere la pianto ahora si usté lo quiere digamelo, será mi piba mi nena la aurora, en esta sombra que’n el alma cayó.
Le pondré garçonnière a la gurda y tendrá vuaturé limusine, y la noche que nos cache curda veremos al chorro Tom Mix en el cine. Berretín que me das esperanza metejón que proteje la noche, piantaremos en auto o en coche como unos punguistas que fanan amor. Carlos Schaefer Gallo
Honnêtement, ces paroles en lunfardo pour un divertissement populaire d’entrée de gamme ne méritent pas vraiment de passer à la postérité. Je ne vous en donnerai donc pas la traduction. On notera toutefois que le texte fait référence au président de l’époque, Marcelo Torcuato de Alvear et à Tom Mix, un héros de western… L’auteur n’a reculé devant rien pour recueillir l’assentiment du public.
Mano Blanca 1943-12-07 – Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Emilio Balcarce. C’est notre tango du jour.Mano Blanca 1944-03-09 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas.
C’est la version de référence, une merveille absolue. Magnifique piano et voix des deux anges.
Mano Blanca 1960 – Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. y arr. por Osvaldo Requena.
Cette version, très différente de celle que Castillo a enregistrée en 1944, est clairement une chanson. Pas question de la passer en bal. Il me semble que Castillo surjoue un peu le titre, mais on peut apprécier.
Mano Blanca 1976 – José Canet con Nelly Omar.
Toujours la belle association entre la guitare de José Canet et la voix de Nelly Omar.
Mano Blanca c2010 – Miguel Ángel Báccola.
Une version en chanson que j’ai trouvée dans ma collection, sans savoir d’où j’avais acheté ce disque.
Mano Blanca 2013, Juan Carlos « Tata » Cedrón.
J’ai un petit faible pour « Tata » que j’ai connu adolescent (moi, pas lui). Cet enregistrement en studio montre qu’il a toujours le tango dans les veines. Cette vidéo vient de l’excellente chaine culturelle argentine « encuentro ». À bientôt, les amis, je monte sur mon petit chariot et je pars sur les rues du Sud, au rythme de mes petits chevaux rouans.
Nous avons vu le 9 août un tango du même titre Una vez interprété par la Orquesta Típica Victor dirigée par Mario Maurano avec le chant de Ortega Del Cerro. La version du jour est celle composée par Osvaldo Pugliese et n’a donc rien à voir avec celle de Carlos Marcucci. Je vous propose d’en savoir un peu plus sur cette œuvre romantique et magnifique.
Extrait musical
Una vez 1946-11-08 – Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán (Osvaldo Pugliese Letra : Cátulo Castillo). Partition de Una vez de Osvaldo Pugliese et Cátulo Castillo. Alfredo Gobbi est en photo avec son violon en haut à gauche et en bas à droite, le sourire de Mariano Mores.
Un premier appel est lancé par les bandonéons, qui est repris par les cordes et le piano. Rapidement, les cordes passent en pizzicati et Morán lance sa voix charmeuse et caressante. On retrouve donc un peu le principe de la version de Marcucci avec la voix en contrepoint avec les cordes. L’harmonie est cependant plus travaillée, avec un enchevêtrement des parties plus complexe. Le soliste laisse parfois la place aux instruments qui donnent le motif avec leur voix propre. On notera que Morán chante durant toute la durée du morceau, ce qui n’était pas si courant à l’époque pour les tangos de danse. On pourrait en déduire qu’il était plus conçu pour l’écoute, mais aujourd’hui, les danseurs sont tellement habitués à ce type de composition qu’ils seraient bien frustrés si le DJ se les interdisait.
Paroles
Una vez fue su amor que llamó y después sobre el abismo rodó, la que amé más que a mí mismo fue. Luz de su mirada, siempre, siempre helada. Sabor de sinsabor, mi amor, amor que no era nada. Pequeñez de su burla mordaz, una vez, sólo en la vida, una vez.
Pudo llamarse Renée o acaso fuera Manón, ya no me importa quien fue, Manón o Renée, si la olvidé… Muchas llegaron a mí, pero pasaron igual, un mal querer me hizo así, gané en el perder, ya no creí.
Luz lejana y mansa que ya no me alcanza. Mi voz gritó ayer, hoy, amor, sin esperanza. Una vez, fue su espina tenaz una vez, sólo en la vida, una vez. Osvaldo Pugliese Letra : Cátulo Castillo
Traduction libre
Une fois, c’était son amour qui m’appelait puis vagabondait au-dessus de l’abîme, celle que j’aimais plus que moi-même. La lumière de son regard, toujours, toujours glaciale. Le goût sans goût, mon amour, amour qui n’était rien. La petitesse de sa moquerie mordante, une fois, seulement dans la vie, une fois. Elle aurait pu s’appeler Renée ou peut-être que c’était Manón, je m’en moque de qui c’était, Manón ou Renée, si je l’ai oubliée… Beaucoup sont venues à moi, mais elles sont passés également, un mauvais amour m’a fait comme ça, j’ai gagné en perdant, je n’y croyais plus. Lumière lointaine et douce qui ne m’atteint plus. Ma voix a crié hier, aujourd’hui, amour, sans espoir. Une fois, ce fut son aiguillon tenace une fois, seulement dans la vie, une fois.
Autres versions
Contrairement à la version de Carlos Marcucci, il y a divers enregistrements de ce titre composé par Pugliese avec des paroles de Castillo.
Una vez 1945 – Orquesta Edgardo Donato con Osvaldo Morel.
Un an avant Pugliese, Donato propose son enregistrement. Si on retrouve la puissance de la composition de l’antimufa, la voix de Morel a un peu de mal à convaincre, malgré son prénom d’Osvaldo. Le résultat n’est pas vilain, mais à mon avis, ce n’est pas trop pertinent pour Donato d’avoir voulu mettre à son répertoire, ce titre qui s’éloigne trop de son style, style qu’il cherchait à moderniser pour rattraper l’évolution.
Una vez 1946-10-31 – Orquesta Osmar Maderna con Pedro Dátila.
Précédant de peu la version enregistrée par Pugliese, celle de Maderna avec Pedro Dátila est intéressante. Le piano de Maderna est plus décoratif que celui de Pugliese et la voix de Pedro Dátila est expressive, sans doute autant que celle de Alberto Morán, si on peut préférer ce dernier, c’est peut-être aussi, car sa voix nous est plus familière. Même si on préfère la version de Pugliese, celle de Maderna est tout à fait dansante, voire plus que celle de l’auteur de la musique.
Una vez 1946-11-08 – Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán. C’est notre tango du jour.Una vez 1964 – Orquesta Fulvio Salamanca con Luis Roca.
Salamanca n’a pas la réputation de faire de la musique pour la danse et cet enregistrement ne contredira pas ce fait. Cela n’interdit pas d’aimer cette version et de détester le DJ qui vous la proposerait en bal 😉
Una vez 1968-05-31 – Alberto Morán accompagné par una Orquesta dirigée par Armando Cupo.
Si Cupo a fait quelques enregistrements intéressants et que le chanteur, Morán, est le même que dans la version de Pugliese (24 ans plus tard), il est difficile de s’enthousiasmer pour cette version.
Photos
Le fait que ce soit Mores et Gobbi sur la partition m’a donné l’idée de vous proposer des photos de Pugliese et de Castillo.
Pugliese, Pugliese, Pugliese, lancé par les artistes et techniciens du spectacle pour conjurer le mauvais sort. Pugliese, antimufa…Castillo, Castillo, Castillo, mais là, cela n’a aucun effet antimufa (anti-poisse).
Shusheta ou sa variante shushetín désigne un dandy, un jeune homme élégant, avec une nuance qui peut aussi qualifier un mouchard. Les Dictateurs de la Décennie infâme ne s’y sont pas trompés et l’histoire des paroles en témoigne. Ce portrait de ce shusheta, peint crûment par Cadícamo sur la musique de Cobián n’est pas si flatteur.
Extrait musical
Shusheta (El aristócrata) 1940-10-08 – Orquesta Carlos Di SarliPartition de Shusheta « Gran tango de salón para piano ».
Paroles usuelles (1938)
Le tango a été écrit en 1920 et était donc instrumental, jusqu’à ce que Cadícamo accède à la demande de son ami de lui écrire des paroles pour ce titre. Il le fit en 1934, mais la version habituelle est celle déposée à la SADAIC en 1938.
Toda la calle Florida lo vio con sus polainas, galera y bastón…
Dicen que fue, allá por su juventud, un gran Don Juan del Buenos Aires de ayer. Engalanó la puerta (las fiestas) del Jockey Club y en el ojal siempre llevaba un clavel.
Toda la calle Florida lo vio con sus polainas, chambergo (galera) y bastón.
Apellido distinguido, gran señor en las reuniones, por las damas suspiraba y conquistaba sus corazones. Y en las tardes de Palermo en su coche se paseaba y en procura de un encuentro iba el porteño conquistador.
Ah, tiempos del Petit Salón… Cuánta locura juvenil… Ah, tiempo de la sección Champán Tango del « Armenonville ».
Todo pasó como un fugaz instante lleno de emoción… Hoy sólo quedan recuerdos de tu corazón…
Toda la calle Florida lo vio con sus polainas, galera y bastón. Juan Carlos Cobián Letra: Enrique Cadícamo
Vargas ne chante pas ce qui est en bleu. Cette partie des paroles est peut-être un peu plus faible et de toute façon, cela aurait été trop long pour un tango de danse. En gras les mots chantés par Vargas à la place de ceux de Cadícamo.
Traduction libre des paroles usuelles et indications
Toute la rue Florida l’a vu avec ses guêtres, son chapeau et sa canne… (Polainas, c’est aussi contrariété, revers, déception, Galera, c’est aussi la prison ou la boîte à gâteau des fils de bonne famille. On peut donc avoir deux lectures des paroles, ce que confirme la version, originale, plus noire. Précisons toutefois que la partition déposée à la SADAIC indique chambergo, chapeau. Ce serait donc Vargas qui aurait adapté les paroles). On dit qu’il était, dans sa jeunesse, un grand Don Juan du Buenos Aires d’antan. Il décorait la porte (Vargas chante les fêtes) du Jockey Club et portait toujours un œillet à la boutonnière. Toute la rue Florida l’a vu avec ses guêtres, son chapeau et sa canne. Un nom de famille distingué, un grand seigneur dans les réunions, il soupirait pour les dames et conquérait leurs cœurs. Et les après-midi de Palermo, il se promenait dans sa voiture à la recherche d’un rendez-vous, ainsi allait le porteño conquérant. Ah, l’époque du Petit Salón… (Deux tangos s’appellent Petit Salón, dont un de Villodo [mort en 1919]. L’autre est de Vicente Demarco né en 1912 et qui n’a sans doute pas connu le Petit Salón). Combien de folie juvénile… Ah, c’est l’heure du Tango Champagne de l’Armenonville. Tout s’est passé comme un instant fugace et plein d’émotion… Aujourd’hui, il ne reste que des souvenirs de ton cœur… Toute la rue Florida l’a vu avec ses guêtres, son chapeau et sa canne
Premières paroles (1934)
Ces paroles n’ont semble-t-il jamais été éditées. Selon Juan Ángel Russo, Cadícamo les aurait écrites en 1934. Cette version n’a été enregistrée que par Osvaldo Ribó accompagné à la guitare par Hugo Rivas. On notera qu’elles mentionnent shusheta, ce que ne fait pas la version de 1938 :
Pobre shusheta, tu triunfo de ayer hoy es la causa de tu padecer… Te has apagao como se apaga un candil y de shacao sólo te queda el perfil, hoy la vejez el armazón te ha aflojao y parecés un bandoneón desinflao. Pobre shusheta, tu triunfo de ayer hoy es la causa de tu padecer.
Yo me acuerdo cuando entonces, al influjo de tus guiyes, te mimaban las minusas, las más papusas de Armenonville. Con tu smoking reluciente y tu pinta de alto rango, eras rey bailando el tango tenías patente de gigoló.
Madam Giorget te supo dar su gran amor de gigolet, la Ñata Inés te hizo soñar… ¡y te empeñó la vuaturé ! Y te acordás cuando a Renée le regalaste un reló y al otro día la fulería se paró. Juan Carlos Cobián Letra: Enrique Cadícamo
Traduction libre de la première version de 1934
Pauvre shusheta (un shusheta est un jeune vêtu à la mode en lunfardo, voire un « petit maître »), ton triomphe d’hier est aujourd’hui la cause de tes souffrances… Tu t’es éteint comme s’éteint une chandelle et de shacao (je n’ai pas trouvé la référence) il ne te reste que le profil, aujourd’hui la vieillesse t’a relâché le squelette et tu ressembles à un bandonéon dégonflé. Pauvre shusheta, ton triomphe d’hier est aujourd’hui la cause de ta souffrance. Je me souviens qu’alors, sous l’influence de tes guiyes (gilles, copains ?), tu étais choyé par les minusas (les filles), les plus papusas (poupées, filles) d’Armenonville. Avec ton smoking brillant et ton look de haut rang, tu étais le roi en dansant le tango, tu tenais un brevet de gigolo. Madame Giorget a su vous donner son grand amour de gigolette, Ñata Inés vous a fait rêver… (le salon de Ñata Inés était un établissement de Santiago, au Chili, apprécié par Pablo Neruda) et a mis ta décapotable (vuaturé est une voiture avec capote rabattable à deux portes. Prononciation à la française.) en gage ! Et tu te souviens quand tu as offert une montre à Renée (sans doute une Française…) et que le lendemain les choses se sont arrêtées.
Dans El misterio de la Ñata Inés, Luis Sánchez Latorre dans le journal chilien Las Últimas Noticias du 15 juillet 2006, s’interroge sur ce qu’était réellement la Ñata Inés. Sans doute un établissement mixte pouvant aller de la scène à la prostitution, comme les établissements de ce type en Argentine.
D’Agostino et la censure
Vous l’aurez compris, le terme Shusheta qui peut qualifier un « mouchard » a fait que le tango a été censuré et qu’il a dû changer de nom. En effet, pour éviter la censure, D’Agostino a demandé à Cadícamo une version expurgée que je vous propose ci-dessous. On notera toutefois que la version chantée en 1945 par Vargas prend les paroles habituelles, celles de 1938, mais débarrassée du titre polémique au profit du plus neutre El aristócrata. C’est la raison pour laquelle, les versions d’avant 1944 (la censure a commencé à s’exercer en 1943) s’appellent Shusheta et les postérieures El aristócrata. Aujourd’hui, on donne souvent les deux titres, ensemble ou indifféremment. On trouve aussi parfois El elegante.
Paroles de El aristócrata, version validée par la censure en 1944
Toda la calle Florida te vio con tus polainas, galera y bastón.
Hoy quien te ve… en falsa escuadra y chacao, tomando sol con un nietito a tu lao. Vos, que una vez rompiste un cabaré, hoy, retirao… ni amor, ni guerra querés.
Toda la calle Florida te vio con tus polainas, galera y bastón.
Te apodaban el shusheta por lo bien que te vestías. Peleador y calavera a tu manera te divertías… Y hecho un dandy, medio en copas, en los altos del Casino la patota te aclamaba sí milongueabas un buen gotán.
Ah, tiempo del Petit Salón, cuánta locura juvenil… Ah, tiempo aquel de la Sección Champán-Tango de Armenonvil. Todo pasó como un fugaz instante lleno de emoción. Hoy solo quedan recuerdos en tu corazón.
Toda la calle Florida te vio con tus polainas, galera y bastón.
Traduction libre de la version de 1944
Toute la rue Florida t’a vu avec tes guêtres, ton chapeau et ta canne. Aujourd’hui, qui te voit… Avec une pochette factice et chacao (???), prenant le soleil avec un petit-fils à tes côtés. Toi, qui as autrefois dévasté un cabaret, tu prends aujourd’hui ta retraite… Tu ne veux ni amour ni guerre. Toute la rue Florida t’a vu avec tes guêtres, ton chapeau et ta canne. On te surnommait le shusheta à cause de la façon dont tu t’habillais. Bagarreur et crâneur, à ta manière, tu t’es amusé… Et fait un dandy, les coupes à moitié bues, depuis les hauteurs (galeries) du Casino, la bande t’encouragerait si tu milonguéais un bon gotan (Tango en verlan). Ah, cette époque du Petit Salon, que de folie juvénile… Ah, cette époque de la section Champagne-Tango de l’Armenonville. Tout est passé comme un instant fugace et plein d’émotion. Aujourd’hui, il ne reste que des souvenirs dans ton cœur. Toute la rue Florida t’a vu avec tes guêtres, ton chapeau et ta canne.
Autres versions
Shusheta 1923-03-27 – Orquesta Juan Carlos Cobián.
Le premier enregistrement, par le compositeur, Juan Carlos Cobián. C’est bien sûr une version instrumentale, puisque les paroles n’ont été écrites que onze ans plus tard.
Shusheta (El aristócrata) 1940-10-08 – Orquesta Carlos Di Sarli. C’est notre tango du jour.El aristócrata (El Shusheta) 1945-04-05 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas.
Cette version, sans doute la plus connue, utilise les paroles non censurées de 1938. Le titre a été modifié pour éviter la censure. Il est vrai qu’en dehors de Shusheta qui pouvait irriter un censeur très suspicieux, le texte n’était pas si subversif. J’imagine que D’Agostino qui avait envie d’enregistrer le titre avec Vargas a demandé les paroles censurées, puis y a renoncé, peut-être en ayant acquis la certitude que la censure n’interdirait pas ce titre. Vargas a apporté de très légères modifications au texte, mais sans que cela soit pour des raisons de censure, ces modifications étant anodines.
Shusheta 1951-05-30 – Horacio Salgán y su Orquesta Típica.
Une version étonnante, pour l’auditeur, mais encore plus pour le danseur qui pourrait bien se venger d’un DJ qui la diffuserait en milonga. Je n’ai pas dit qu’il fallait jeter cet enregistrement, juste le réserver pour l’écoute.
El aristócrata (Shusheta) 1952 – Juan Polito y su Orquesta Típica.
L’ancien complice de D’Arienzo a ses débuts et de nouveau, quand il a remplacé Biaggi qui venait de se faire virer, propose une version nerveuse et ma foi sympathique de Shusheta. La rythmique pourrait déconcentrer des danseurs très habitués à d’autres versions, mais on peut s’amuser, lorsque l’on connaît un peu le titre avec les facéties de Polito au piano. On se souvient que quand il avait remplacé Biagi, il avait continué les fioritures de son prédécesseur. Là, ces ornementations sont bien personnelles et ne doivent rien à Biagi.
Shusheta (El aristócrata) 1957-08-30 – Ángel Vargas y su Orquesta dirigida por Edelmiro « Toto » D’Amario.
Vargas fait cavalier seul, sans D’Agostino. Je vous conseille de vous souvenir plutôt de la version de 1945.
Shusheta (El Elegante) 1970 – Osvaldo Pugliese con cuerdas arreglos de Mauricio Marcelli.
Une version destinée à l’écoute, au concert.
Shusheta 2019-08-28 ou 29 – Sexteto Cristal.
Je vous propose d’arrêter là, il existe bien d’autres versions, mais rien qui puisse faire oublier les merveilleuses versions de D’Agostino et Vargas et celle de Di Sarli.
Rosendo Luna (Enrique Domingo Cadícamo) (Musique et paroles)
Rosendo Luna, de son nom complet Enrique Domingo Cadícamo a composé et écrit les paroles de notre tango du jour, El cuarteador. C’est pour nous l’occasion de découvrir un métier oublié, banni de Buenos Aires en 1966 avec l’interdiction des moteurs de sang (la traction animale). El cuarteador est un cavalier muni d’une forte monture qui loue ses services aux voituriers embourbés ou en mauvaise passe.
Enrique Cadícamo a composé ce titre sur le mini piano qu’il venait d’acheter.
Schroeder, le peanuts créé par Charles M. Schulz et son mini piano.
Je me suis posé la question de savoir ce qu’était un mini piano. En fait, ce n’est probablement pas un instrument dans le genre de celui de Schroeder, mais tout simplement un piano droit, sans doute un peu moins large avec seulement cinq ou six octaves. Son instrument était de la maison John Carlitt, une maison allemande de la ville de Dresde et ce facteur faisait dans le piano traditionnel, pas dans le jouet. Cadícamo semble avoir été assez discret sur l’usage de cet instrument, il n’a sans doute pas été un véritable pianiste, son talent n’en a absolument pas souffert comme on peut l’entendre dans cette composition. Curieusement, Ángel Villodo n’a pas composé ce titre ou un autre du même genre alors qu’il a travaillé comme cuarteador. Ce sont deux autres Ángel, D’Agostino et Vargas qui l’enregistreront à la suite de Troilo-Fiorentino et Canaro-Amor. Attention, nous allons patauger dans la boue, dans la boue de Barracas.
Extrait musical
El cuarteador 1941-09-08 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.
Le titre commence par une annonce.
Paroles
Fue en un café de la Boca y allá por el ano dos, donde este tango nació. Estaba linda la fiesta. Y compadreando la orquesta de esta manera empezó. Yo soy Prudencio Navarro, el cuarteador de Barracas. Tengo un pingo que en el barro cualquier carro tira y saca. Overo de anca partida, que en un trabajo de cuarta de la zanja siempre aparta ¡Chiche! la rueda que se ha quedao.
Yo que tanta cuarta di, yo que a todos los prendí a la cincha de mi percherón, hoy, que el carro de mi amor se me encajó, no hay uno que pa’ mi tenga un tirón.
En la calle del querer el amor de una mujer en un bache hundió mi corazón… ¡Hoy, ni mi overo me saca de este profundo zanjón!
Yo soy Prudencio Navarro, el cuarteador de Barracas. Cuando ve mi overo un carro compadreando se le atraca.
No hay carga que me lo achique, porque mi chuzo es valiente; yo lo llamo suavemente ¡Chiche! Y el pingo pega el tirón.
Rosendo Luna (Enrique Domingo Cadícamo) (Musique et paroles)
Traduction libre et indications
C’était dans un café de La Boca et en l’an 2 (1902) que ce tango est né. La fête était sympa. Et l’orchestre amicalement commença de cette façon.
Je suis Prudencio Navarro, le cuarteador de Barracas. J’ai un pingo (cheval en lunfardo) qui tire et sort de la boue n’importe quel chariot. Overo (Cheval couleur de pêche, aubère ou alezan) avec la croupe fendue (car musclée), qui dans un travail de cuarta (travail du cuarteador qui consiste à tirer des chariots embourbés. Le nom vient du fait que l’on pliait la sangle de tirage pour la rendre quadruple et ainsi plus résistante), du fossé sort toujours, Chiche ! (Nom du cheval, ou expression pour le mobiliser) la roue qui était coincée. Moi qui ai donné tant de cuartas, moi qui les ai tous accrochés à la sangle de mon percheron, aujourd’hui, que la voiture de mon amour s’est coincée, il n’y en a pas un qui pour moi ferait une traction. Dans la rue de l’amour, l’amour d’une femme dans un nid-de-poule a fait sombrer mon cœur… Aujourd’hui, même mon overo ne peut pas me sortir de ce fossé profond ! Je suis Prudencio Navarro, le cuarteador de Barracas. Quand mon overo voit une voiture, il s’y colle (comme un amoureux qui recherche le contact d’une femme, jeu de mots, car c’est aussi attacher le chariot). Il n’y a pas de fardeau qui puisse le rétrécir, parce que mon chuzo (aiguillon) est courageux ; je l’appelle doucement Chiche ! Et le pingo (cheval, mais peut aussi avoir un sens plus coquin) tire.
Autres versions
El cuarteador 1941-09-08 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino. C’est notre tango du jour.El cuarteador 1941-10-06 – Orquesta Francisco Canaro con Francisco Amor.El cuarteador 1942 Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas.
Mais Enrique Cadícamo a aussi réalisé un court métrage où on peut entendre les deux anges interpréter ce thème. Nous en avons déjà parlé à propos de Tres esquinas.
Voici la vidéo au moment où D’Agostino et Vargas entament El cuarteador de Barracas, mais je vous recommande de voir les 9 minutes du court-métrage en entier, c’est intéressant dès le début et avant El cuarteador de Barracas, il y a Tres Esquinas…
El cuarteador de Barracas à 6:54 du film de Enrique Cadícamo.
Timbre uruguayen mettant en avant un cuarteador. Remarquez le harnachement du cheval.
Los cuarteadores
Nous avons vu qu’Ángel Villoldo avait exercé ce métier, mais il avait aussi été clown dans un cirque, typographe et a de fait exercer de nombreux petits métiers pour survivre. Pour les mêmes raisons, les gauchos dont les territoires ont été rattrapés par l’urbanisation de Buenos Aires se sont adaptés et sont passés du gardiennage des vaches au sauvetage des chariots et tranvias (tramways) en péril dans la boue ou dans des déclivités trop fortes. Pour les voyages en chariot, il était prudent de s’attacher les services d’un ou plusieurs cuarteadores pour pouvoir se tirer d’embarras dans les chemins défoncés qui servaient de routes à l’époque.
À gauche, Prudencio Navarro par Rodolfo Ramos et à droite, des voyageurs attendant les cuarteadores…
Voici comment les voyageurs J. et G. Robertson, narrèrent leur traversée de la pampa entre Buenos Aires et Santa Fe.
« Après avoir attaché l’attelage à la malle-poste (diligence), sous la direction du cocher, on adjoignit quatre cuarteadores, mal vêtus, chacun sur son cheval, sans autre harnais que la sangle. Celle-ci était attachée par une extrémité à la selle et de l’autre au timon de la voiture… À peine avions-nous atteint les faubourgs que nous rencontrâmes un de ces terribles marécages. Ce sont des masses de boue épaisse de trois à trois mètres et demi de profondeur et trente à cinquante de largeur (la profondeur semble exagérée, mais retenons que c’était boueux). Les cuarteadores éclaboussèrent dans la boue, puis la deuxième équipe les suivit, et lorsque les deux équipes quittèrent le marais et, par conséquent, furent sur la terre ferme, avant que la voiture n’entre dans le bourbier, elles avaient gagné un endroit où se tenir pour développer leur force. À coups de fouet et d’éperon, encouragés par les cris des postillons, les chevaux nous traînèrent triomphalement hors du marais. De cette façon, nous avons traversé avec succès tous les bourbiers, marécages et ruisseaux qui séparent Buenos Aires et Santa Fe. »
La gravure du 19e siècle qui m’a servie pour réaliser l’illustration de l’anecdote.
On remarquera la sangle (ici qui n’est pas quadruple), entre la selle et le timon. Il s’agit d’aider dans une montée. J’ai rajouté de la boue dans ma version pour rendre l’expérience encore plus probante. Cette gravure est indiquée comme étant de Buenos Aires, mais je n’ai pas trouvé le lieu. On remarquera au premier plan à droite, un autre cuarteador se relaxant avec le pied sur la sangle de tirage posée sur la croupe du cheval. Il attend à son tour que des chariots fassent appel à ses services. Voilà, cette anecdote tire à sa fin, vous écouterez sans doute de façon différente les belles versions de cette composition de Rosendo Luna.
Notre tango du Jour est très original, par son titre, par sonorité et par sa rareté. Un marajá (maharajá) est bien sûr un maharadjah qui pour l’époque qui nous intéresse est un des princes feudataires de l’Inde. La sonorité de la musique le confirme rapidement si on avait un doute.
Un Federico peut en cacher un autre
Quatre âges de Domingo Federico.
Domingo Federico (1916-2000) avait une petite sœur, Nélida Cristina Federico (1920-2007). Bandonéoniste, pianiste et peintre (1920-2007). Cette dernière indique que son père, Federico était violoniste et même professeur de violon selon son frère, Domingo et c’est là que les problèmes commencent. Un Francisco Federico, on en a un en stock, mais il était contrebassiste, notamment dans l’orchestre de Miguel Caló. Il était également compositeur, par exemple de El marajá dont on parle aujourd’hui. Selon Nélida, c’est son père et Domingo qui l’ont initié à la musique. Il est donc fort probable que le Francisco auteur de ce tango soit le père de Nélida et Domingo, sinon, pourquoi ne pas parler de son autre frère qui comme compositeur et contrebassiste aurait pu aussi contribuer à la formation musicale de la jeune femme ? Une autre indication est le fait que le tango Saludos est cosigné Domingo et Francisco Federico et qu’à cette époque, Francisco Federico était contrebassiste dans l’orchestre de Miguel Caló. Sur le fait de jouer plusieurs instruments, c’était une particularité de la famille et de nombreux autres musiciens de tango. Nélida aurait commencé à étudier le violon, puis serait passé au piano et au bandonéon. En effet, le premier janvier 1931, avec son frère Domingo, elle jouait au Café Tokyo de Junín en compagnie de son frère âgé de 14 ans (elle devait donc avoir environ 11 ans). Lui au bandonéon et elle au piano. Le clou du spectacle est qu’ils échangèrent les rôles, lui au piano et elle au bandonéon, le père étant le conseiller musical du duo qui fut appelé, le Duo Federico. J’avais donc monté l’hypothèse que le Francisco de Saludos et de El marajá était le père ou sinon le frère de Nélida et Domingo. Pour lever cette ambiguïté, j’ai contacté des collègues et l’excellent Camilo Gatica m’a orienté vers une source que j’avais consultée, mais dans une version inaccessible pour moi. Cette source complète confirme toutes mes hypothèses, je cite donc la conclusion de Camilo (avec des ajouts entre parenthèses) : « Ainsi, Francisco était pianiste, bandonéoniste, violoniste (et même professeur de violon selon son fils), contrebassiste (dans l’orchestre de Miguel Calo) et avait des connaissances en musique. Il était le père de Domingo et Nélida ».
Domingo et Nélida Federico avant…Domingo et Nélida après une vie d’artiste (Nélida avait abandonné le bandonéon pour la peinture, mais est revenue ensuite au bandonéon).
Extrait musical
El marajá 1951-08-03 – Orquesta Domingo Federico.
El marajá 1951-08-03 – Orquesta Domingo Federico.
Un motif très léger de flûte ethnique commence l’œuvre. La mélodie principale a des caractéristiques qui la rapprochent de la musique orientale. On ne peut donc à aucun moment écarter la volonté de référence à un orient. On notera la grande richesse des contrepoints, les instruments se lançant à tour de rôle de dans de belles phrases qui s’enlacent et s’enchevêtre, tout en gardant une grande clarté. Les motifs, plus typiquement orientaux, reviennent régulièrement pour rappeler le thème. Étant ignorant en musique indienne, je ne peux pas vous proposer d’œuvres de comparaison qui permettraient de définir la source d’inspiration de Francisco Federico. Cependant, ceux qui connaissent Ravi ShankarouGeorge Harrison (le guitariste des Beatles)verront toute de suite des analogies, même si Francisco et Domingo Federico ne font pas appel au sitar. Que ce soit un orient de fantaisie ou savant, cela évoque l’Inde et l’un de ses princes, un maharajá.
Mais qui est ce mahârâjah – maharajá – marajá ?
Le fait que le père de Domingo soit l’auteur de ce tango est important, car en 1925, un mahârâjah est venu en Argentine et a été reçu en grande pompe, au point que le Président Alvear a dû sortir de sa poche une partie du financement, car l’enveloppe de dépense avait explosé. Le voyageur était le mahârâjah de Kapurthala, Jagatjit Singh Sahib Bahadur. Ce prince indien était fortement européanisé et parlait français, ce qui était courant dans la haute société argentine de l’époque. Il effectua son voyage en habits européens, sans son turban.
Le maharajah (au centre de face) en compagnie du président argentin Alvear (au centre, de profil avec la canne) et du Prince de Galles (le deuxième à partir de la gauche).
Le maharajah relate son périple dans son journal : My Tour in South, Central, and North America (1926). On y apprend qu’il faisait froid à son arrivée à Buenos Aires en provenance d’Uruguay et que Buenos Aires est le lieu qui lui a le plus plu de son voyage. On peut le croire quand on constate qu’un quart de son livre est consacré à son passage dans la province. Parmi ses visites, en plus du théâtre Colon et les réceptions habituelles, il est allé à Tigre et dans un site insolite que j’ai choisi de mettre en fond de la photo de couverture. Il s’agit du château estancia Huetel situé à 200 km de Buenos Aires, dans la Pampa. Il passa deux jours dans ce château imitant le style français Louis XIII appartenant à doña Concepción Unzué de Casares.
Quelques vues du château estancia Huetel construit par l’architecte franco-suisse Jacques Dunant. Né à Genève, Jacques Dunant fit ses études d’architecte aux Beaux-Arts de Paris. Pour l’exposition universelle de 1889 (celle où a été construite la Tour Eiffel), il travailla au pavillon de l’Argentine. En 1995, il fut appelé à Buenos Aires pour juger du concours pour l’attribution de la construction du Congresso. Il se fixa en Argentine et y réalisa de nombreux édifices (ainsi qu’en Uruguay). La construction de l’estancia Huetel a commencé en 1906.
Au programme, un concert de Carlos Gardel. Un chanteur d’origine française, dans un château de style français par un architecte français, il n’en fallait pas plus pour ravir le mahârâjah francophile. Pour être précis, Gardel n’était pas seul. Il était accompagné de Razzano et de leurs guitaristes Ricardo et Barbieri et d’un instrumentiste impromptu… Gardel et Razzano commencèrent à interpréter Linda provincianita, Galleguita, Claveles mendocinos, La pastora et La canción del ukelele. Alors, Le Prince de Galles qui était également invité est parti dans sa suite chercher un ukulélé et il se mit à en jouer y compris sur les chansons de Gardel et Razzano. Jagatjit Singh Sahib Bahadur (le maharajah) raconte dans son journal que l’accueil de la population argentine a été enthousiaste dans tous les points de son voyage dans le pays et qu’on l’accueillait aux cris de « Viva el Maharajá », y compris aux haltes du train qui le mena par la suite vers le Chili.
My Tour in South, Central, and North America (1926). Sur la photo du maharajah de Kapurthala, Jagatjit Singh Sahib Bahadur, en costume traditionnel, on peut voir un fauteuil qui lui avait été offert à La Plata par le gouverneur Cantillo en août 1925.
La visite d’un prince venu de si loin semble avoir impressionné la population et j’imagine que c’est bien cette visite qui a donné l’idée à Francisco Federico d’écrire ce titre.
Autres versions
Il n’y a pas d’autre version de ce tango, je vous propose de le réécouter.
El marajá 1951-08-03 – Orquesta Domingo Federico.
Domingo Federico est sans doute un musicien un peu oublié. Sa retraite à Rosario l’éloignant de Buenos Aires a peut-être limité sa visibilité. Je suis donc content, une fois de plus, de lui redonner un peu de présence.
À propos de l’image de couverture
J’ai assemblé deux images. Une vue de l’estancia Huetel et au premier plan, un portrait du maharajah de Kapurthala, Jagatjit Singh Sahib Bahadur. Ce portrait n’est pas d’époque, mais je tenais à présenter un maharajah avec son turban.
El marajá (mahârâjah) de Kapurthala, Jagatjit Singh Sahib Bahadur.
Quand on pense à l’Argentine, on pense à sa viande et ce n’est pas un cliché sans raison. Les Argentins sont de très grands amateurs et consommateurs de viande. Chaque maison a sa parilla (barbecue) et en ville, certains vont jusqu’à improviser leurs parillas dans la rue avec un demi-bidon d’huile. Dans les espaces verts, il y a également des parillas aménagées et si vous préférez aller au restaurant, vous n’aurez pas beaucoup à marcher pour obtenir un bon asado. Le tango du jour, la tablada a à voir avec cette tradition. En effet, la tablada est le lieu où est regroupé le bétail avant d’aller au matadero…
Corrales viejos, matadero, la tablada…
Extrait musical
La tablada 1942-07-23 – Orquesta Aníbal TroiloLa tablada. La couverture de gauche est plus proche du sujet de ce tango que celle de droite…La partition est dédicacée par Canaro à des amis d’Uruguay (auteurs, musiciens…).
Autres versions
La tablada 1927-06-09 – Orquesta Francisco Canaro.
Une version presque gaie. Les vaches « gambadent », du pas lourd du canyengue.
La tablada 1929-08-02 – Orquesta Cayetano Puglisi.
Une version pesante comme les coups coups donnés par les mataderos pour sacrifier les animaux.
La tablada 1929-12-23 – Orquesta Francisco Canaro.
Cette version est assez originale, on dirait par moment, une musique de dessin animé. Cette version s’est dégagée de la lourdeur des versions précédentes et c’est suffisamment joueur pour amuser les danseurs les plus créatifs.
La tablada 1936-08-06 – Orquesta Edgardo Donato.
Une des versions le plus connues de cette œuvre.
La tablada 1938-07-11 – Orquesta Típica Bernardo Alemany.
Cette version française fait preuve d’une belle imagination musicale. Alemany est probablement Argentin de naissance avec des parents Polonais. Son nom était-il vraiment Alemany, ou est-ce un pseudonyme, car il a travaillé en Allemagne avant la seconde guerre mondiale avant d’aller en France où il a fait quelques enregistrements comme cette belle version de la tablada avant d’émigrer aux USA. Ses musiciens étaient majoritairement argentins, car il avait fait le voyage en Argentine en 1936 pour les recruter. Cette version est donc franco-argentine pour être précis…
La tablada 1942-07-23 – Orquesta Aníbal Troilo. C’est notre tango du jour.La tablada 1946-09-10 – Orquesta Francisco Canaro.
L’introduction en appels sifflés se répondant est particulièrement longue dans cette version. Il s’agit de la référence au train qui transportait la viande depuis La Tablada jusqu’à Buenos Aires. Les employés devaient siffler pour signaler le départ, comme cela se fait encore dans quelques gares de campagne.
La tablada 1950-11-03 – Enrique Mora y su Cuarteto Típico.
Encore une version bien guillerette et plutôt sympathique, non ?
La tablada 1951 – Orquesta Roberto Caló.
C’est le frère qui était aussi chanteur, mais aussi pianiste (comme on peut l’entendre dans cet enregistrement), de Miguel Caló.
La tablada 1951-12-07 – Horacio Salgán y su Orquesta Típica.
Une version qui se veut résolument moderne, et qui explore plein de directions. À écouter attentivement.
La tablada 1955-04-19 – Orquesta José Basso.
Dans cette version, très intéressante et étonnante, Basso s’éclate au piano, mais les autres instruments ne sont pas en reste et si les danseurs peuvent être étonnés, je suis sûr que certains apprécieront et que d’autres me maudiront.
La tablada 1957 – Mariano Mores y su Gran Orquesta Popular.
L’humour de Mariano Mores explose tout au long de cette version. Là encore, c’est encore un coup à se faire maudire par les danseurs, mais si vous avez envie de rigoler, c’est à préconiser.
La tablada 1957-03-29 – Orquesta Héctor Varela. Varela est plus sérieux, mais sa version est également assez foisonnante. Décidément, la tablada a donné lieu à beaucoup de créativité.La tablada 1962 – Orquesta Rodolfo Biagi.
On revient à des choses plus classiques avec Rodolfo Biagi qui n’oublie pas de fleurir le tout de ses ornements au piano. À noter le jeu des bandonéons avec le piano et les violons qui dominent le tout, insensibles au staccato des collègues.
La tablada 1962-08-21 – Cuarteto Troilo-Grela.
Le duo Grela, Troilo est un plaisir raffiné pour les oreilles. À écouter bien au chaud pour se laisser emporter par le dialogue savoureux entre ces deux génies.
La tablada 1965-08-11 – Orquesta Juan D’Arienzo.
La spatialisation stéréophonique est sans doute un peu exagérée, avec le bandonéon à droite et les violons à gauche. Beaucoup de DJ passent les titres en mono. C’est logique, car tout l’âge d’or et ce qui le précède est mono. Cependant, pour les cortinas et les enregistrements plus récents, le passage en mono peut être une limitation. Vous ne pourrez pas vous en rendre compte ici, car pour pouvoir mettre en ligne les extraits sonores, je dois les passer en mono (deux fois moins gros) en plus de les compresser au maximum afin qu’ils rentrent dans la limite autorisée de taille. Mes morceaux originaux font autour de 50 Mo chacun. Pour revenir à la diffusion en stéréo, le DJ doit penser que les danseurs tournent autour de la piste et qu’un titre comme celui leur donnera à entendre le bandonéon dans une zone de la salle et les violons dans une autre. Dans ce cas, il faudra limiter le panoramique en rapprochant du centre les deux canaux. Encore un truc que ne peuvent pas faire les DJ qui se branchent sur l’entrée ligne où les deux canaux sont déjà regroupés et ne peuvent donc pas être placés spatialement de façon individuelle (sans parler du fait que l’entrée ligne comporte généralement moins de réglage de tonalité que les entrées principales).
La tablada 1966-03-10 – Orquesta Florindo Sassone.
Une meilleure utilisation de la spatialisation stéréophonique, mais ça reste du Sassone qui n’est donc pas très passionnant à écouter et encore moins à danser.
La tablada 1968 – Orquesta Típica Atilio Stampone.
Stampone a explosé la frontière entre la musique classique et le tango avec cette version très, très originale. J’adore et je la passe parfois avant la milonga en musique d’ambiance, ça intrigue les premiers danseurs en attente du début de la milonga.
La tablada 1968-06-05 – Cuarteto Aníbal Troilo.
On termine, car il faut bien une fin, avec Pichuco et son cuarteto afin d’avoir une autre version de notre musicien du jour qui nous propose la tablada.
Après ce menu musical assez riche, je vous propose un petit asado…
L’asado
Je suis resté discret sur le thème matadero évoqué dans l’introduction. Matar en espagnol est tuer (à ne pas confondre avec mate) qui est la boisson nationale. Si vous écrivez « maté », vous voulez dire « tué ». Il ne faut donc surtout pas mettre d’accent, même si ça prononce maté, ça s’écrit mate. L’accent tonique est sur le ma et pas sur le te. J’arrête de tourner autour du pot, le matadero, c’est l’abattoir.
À la fin du 16e siècle, Jean de Garay apporta 500 vaches d’Europe (et bien sûr quelques taureaux). Ces animaux se plurent, l’herbe de la pampa était abondante et nourrissante aussi les bovins prospérèrent au point que deux siècles plus tard, Félix de Azara, un naturaliste espagnol constatait que les criollos ne consommaient que de la viande, sans pain. Plus étonnant, ils pouvaient tuer une vache pour ne manger que la langue ou la partie qui les intéressait. Puis, la colonisation s’intensifiant, la viande est devenue la nourriture de tous, y compris des nouveaux arrivants. Certaines parties délaissées par la « cuisine » traditionnelle furent l’aubaine des plus pauvres, mais certaines parties qui étaient très appréciées par les personnes raffinées et négligées par les consommateurs traditionnels continuent à faire le bonheur des commerçants avisés qui répartissent les parties de l’animal selon les quartiers. Le travail du cuir est aussi une ressource importante de l’Argentine, mais dans certaines provinces, l’asado (la grillade) se fait avec la peau et dans ce cas, le cuir est perdu. C’est un reste de l’habitude de tuer une vache pour n’utiliser que la portion nécessaire à un moment donné. Les Argentins consomment un kilo de viande et par personne chaque semaine. Je devrais écrire qui consommaient, car depuis l’arrivée du nouveau gouvernement en Argentine, le prix de la viande a triplé et la consommation a fortement baissée en quantité (de l’ordre de 700 grammes par semaine et surtout en qualité, les viandes les moins nobles étant désormais plus recherchées, car moins chères).
Asado a la estaca (sur des pieux) — Asado con cuero (avec la peau de l’animal)
Asado dans un restaurant, les chaînes permettent de régler la hauteur des différentes grilles — asado familiar.
Tira de asado La viande est attachée à l’os. C’est assez spectaculaire et plein d’os que certains enlèvent avec leur couteau ou en croquant entre les restes de côtes.
Vacio (Vide) Un morceau de choix, sans os, tendre et à odeur forte. IL se cuit lentement à feu indirect.
Matambre Entre la peau et les os, le matambre est recherché. Il est également utilisé roulé, avec un remplissage entre chaque couche. Une fois découpé en rondelle, comme une bûche de Noël, c’est très joli. Le remplissage peut être des œufs durs, des légumes ou autres.
Colita de cuadril Partie de l’aloyau (croupe) proche de la queue, d’où le nom.
Entraña Partie intérieure des côtes de veaux.
Bife de chorizo Bifteck de chorizo, un steack à ne pas confondre avec la saucisse espagnole de ce nom.
Bife Ancho Un steack large, épais avec graisse.
Bife angosto Le contraire du précédent, plus fin.
Lomo La longe, une pièce de viande peu grasse.
Palomita Une coupe parmi tant d’autres. J’imagine que certains y voient une colombe, mais c’est bien du bœuf.
Picaña Arrière de la longe de bœuf de forme triangulaire.
Achuras Ce sont les abats. Ils sont présentés en tripes, chorizos, boudins, ris de veau, rognons et autres. Ils ne font pas l’unanimité chez les Argentins, mais un asado sans achuras, ce n’est pas un asado pour beaucoup.
Bondiola Le porc passe aussi un sale moment sur la parilla. Beaucoup la mangent en sandwich dans du pain français (rien à voir avec le pain de France). Le pain peut être chauffé sur la parilla.
Pechito de cerdo La poitrine de porc fait aussi partie des morceaux de choix de l’asado. Elle est considérée ici comme une viande plus saine (comme quoi tout est relatif).
Des légumes, poivrons, aubergines peuvent rejoindre l’asado, mais ce ne sera pas le met préféré des Argentins, même si on y fait cuire un œuf afin de ne pas manquer de protéines…
Le travail de l’asador
C’est la personne qui prépare l’asado. Son travail peut paraître simple, mais ce n’est pas le cas. Il faut préparer les morceaux, parfois les condimenter (modérément) et la cuisson est tout un art. Une fois que le bois ou le charbon de bois sont prêts, il faut régler la hauteur de la grille afin que la viande cuise doucement et longuement et de façon adaptée selon les pièces qui se trouvent aux différents endroits de la grille. Beaucoup d’Argentins aiment la viande bien cuite, les steaks tartares sont une idée qui n’est pas dans le vent ici. D’autres l’aiment à point et la bonne viande se coupe à la cuillère, voire avec le manche de la cuillère. Hors de l’Argentine, il est assez difficile de convaincre un boucher de découper la viande à l’Argentine, à moins de bien lui expliquer et d’acheter 40 kilos d’un coup. Il vous faudra donc aller en Argentine ou dans un restaurant argentin qui s’approvisionne bien souvent en bœuf de l’Aubrac (France). La coutume veut qu’on applaudisse l’asador qui a passé des heures à faire cuire amoureusement les animaux. L’Argentine n’est pas le paradis des végétariens, d’autant plus que les légumes sont souvent plus chers que la viande (même si en ce moment, c’est moins le cas). Il faut compter entre 4 et 10 $ le kilo, voire moins si vous achetez de grosses quantités, si vous payez en liquide, si vous avez la carte de telle ou telle banque… L’Argentine fourmille d’astuces pour payer un peu moins cher. Ne sortez pas l’American Express ici son slogan est plutôt « ne sortez pas avec elle » si vous ne voulez pas payer plus cher. En ce qui concerne les autres produits d’origine animale, le lait et les produits laitiers ne sont pas les grands favoris et le poisson coûte le même prix qu’en Europe et par conséquent est hors de prix pour la majorité des Argentins, sauf peut-être le merlu que l’on peut trouver à moins de 10 $ contre 30 ou 40 $ le saumon (d’élevage, congelé et à la chair très pâle et grasse). Bon, je me suis un peu échappé du domaine du tango, mais n’étant pas amateur de viande, il me fallait faire une forme de catharsis…
Hier, je vous ai proposé un titre « popurrí ». C’est-à-dire qu’il était constitué par l’assemblage de plusieurs tangos. Cet exercice est pratiqué par différents orchestres. Troilo en a fait plusieurs. Notre pot-pourri du jour s’appelle Selección de tangos de Julio de Caro, il est constitué de sept compositions de… Julio de Caro, bravo, vous avez deviné.
Extrait musical
Selección de tangos de Julio de Caro 1949-07-22 – Orquesta Aníbal Troilo.
Avez-vous reconnu tous les thèmes présentés ?
Voici les titres sur des partitions qui sont bien sûr toutes des compositions de Julio de Caro. Elles datent des années 20 du vingtième siècle.
Selección de tangos de Julio de Caro. Les couvertures des partitions des compositions de De Caro utilisé dans cette sélection.
Les pièces du puzzle
Voici toutes les pièces, dans l’ordre. Le tango du jour a été enregistré en 1949. Anibal Troilo avait donc comme modèles, les versions antérieures, mais n’oublions pas que ce n’est pas parce qu’il n’y a pas d’enregistrement que les orchestres ne jouaient pas leurs titres. Troilo peut très bien avoir entendu jouer Julio de Caro au moment où il assemblait le pot-pourri. Il avait donc des références qui ne nous sont plus accessibles.
Buen Amigo
Buen amigo 1925-05-12 – Orquesta Julio De CaroBuen amigo 1930-02-26 – Orquesta Julio De CaroBuen amigo 1942-09-16 – Orquesta Julio De Caro con Agustín VolpeBuen amigo 1950-12-18 – Orquesta Julio De Caro con Orlando Verri
Mala pinta
Mala pinta (Mala estampa) 1928-08-27 – Orquesta Julio De CaroMala pinta (Mala estampa) 1951-11-16 – Orquesta Julio De Caro
Guarda vieja
Guardia vieja 1926-10-06 – Orquesta Julio De CaroGuardia vieja 1943-09-07 – Orquesta Julio De CaroGuardia vieja 1949-11-18 – Orquesta Julio De Caro
Boedo
Boedo 1928-11-16 – Orquesta Julio De CaroBoedo 1939-07-07 – Orquesta Julio De Caro con palabras de Héctor FarrelBoedo 1950-08-09 – Orquesta Julio De CaroBoedo 1952-09-17 – Orquesta Julio De Caro. J’aime beaucoup le début, mais par la suite, je trouve que ça fait un peu fouillis. Ce n’est pas pour la danse, alors je vous laisse au plaisir d’écouter ou d’écourter.
Tierra querida
Tierra querida 1927-09-12 – Orquesta Julio De CaroTierra querida 1936-12-15 – Quinteto Los Virtuosos
Francisco De Caro (piano), Pedro Maffia et Ciriaco Ortiz (bandonéon), Julio De Caro (violon à cornet), Elvino Vardaro (violon). Si Elvino Varado mérite l’épithète de virtuose, c’est un peu moins le cas pour Julio de Caro et son violon particulier (avec un cornet).
Tierra querida 1952-11-27 – Orquesta Julio De Caro
El monito 1925-07-23 — Orquesta Julio De Caro. On notera les parties sifflées.El monito 1928-07-19 — Julio De Caro y su Orquesta Típica.El monito 1939-05-23 — Orquesta Julio De Caro. Une version énergique.
On retrouve les sifflements et apparaît un dialogue « Raahhhh, Monito / Si / Quieres Café? / No / Por qué? ». C’est sans doute un souvenir du tango humoristique. On imagine que les clients devaient s’amuser lorsque l’orchestre évoquait le titre. Peut-être que l’idée vient d’un client imitant le singe et que cette scénette improvisée au départ s’est invitée dans la prestation de l’orchestre.
El monito 1949-09-29 — Orquesta Julio De Caro. Une dizaine d’années plus tard, De Caro nous offre une nouvelle version superbe. Les similitudes avec Pugliese sont encore plus marquées, notamment avec le tempo nettement plus lent et proche de celui de Pugliese. On retrouve toutefois le dialogue de la version de 1939, dans une version un plus large. “Ah, ah ah, Monito / Si / Quieres Café? / No / Por qué? / Quiero caramelo” (je veux un bonbon). Avec ces dialogues imitant la « voix » d’un singe, De Caro s’éloigne des paroles de Juan Carlos Marambio Catán en renouant avec le côté tango humoristique. Mais tous les orchestres se sont éloignés des paroles, du moins pour l’enregistrement, car toutes les versions disponibles aujourd’hui sont instrumentales (si on excepte Roberto Díaz). Ce qui est sûr est que cette version convient parfaitement à la danse, ce qui fait mentir ceux qui classe De Caro dans le définitivement indansable.
Mala junta
Mala junta 1927-09-13 – Orquesta Julio De CaroMala junta 1938-11-16 – Orquesta Julio De CaroMala junta 1949-10-10 – Orquesta Julio De Caro
Assembler le puzzle
Il y a des pots-pourris beaucoup plus simples à repérer que celui-ci. Troilo a fait œuvre de création avec des ponts (transition entre les différentes pièces du puzzle) relativement élaborés et en sélectionnant des parties pas forcément principales des œuvres citées. Vous devriez arriver à résoudre le puzzle en vérifiant les versions des titres que vous connaissez moins bien (De Caro ne passe quasiment jamais en milonga, mais ses compositions, si). Indice, parfois, c’est la partie chantée qui est utilisée. Parfois, c’est une version plus ancienne qu’il faut prendre comme référence et dans quelques cas, une version postérieure, ce qui confirme que Troilo connaissait l’état des interprétations de De Caro à l’époque, même si elles n’ont pas été enregistrées. Il se peut aussi que De Caro ait copié en reprenant les idées de Troilo. C’est le principe de l’émulation entre deux grands musiciens qui se respectaient. On peut le vérifier en constatant que Troilo a réalisé ces hommages à De Caro (les sélections) et que De Caro a composé « Aníbal Troilo » qu’il a d’ailleurs été le seul à enregistrer.
Aníbal Troilo 1949-09-29 – Orquesta Julio De Caro.
Autres versions
Anibal Troilo a réalisé plusieurs popurri (Selección). Une seule utilise les mêmes titres, la version de 1966. Vous allez pouvoir comparer les deux versions.
Selección de tangos de Julio de Caro 1949-07-22 – Orquesta Aníbal Troilo. C’est notre tango, ou notre paquet de tangos du jour.Selección de Julio de Caro 1966-12-06 – Orquesta Aníbal Troilo.
Ángel Gregorio Villoldo Letra : Carlos Pesce ; A. Timarni (Antonio Polito)
Au début des années 2000, dans une milonga en France où j’étais danseur, l’organisateur est venu me dire qu’il ne fallait pas frapper du pied, que ça ne se faisait pas en tango. Il ne savait sans doute pas qu’il reproduisait l’interdiction de Anselmo Tarana, un siècle plus tôt. Je vais donc vous raconter l’histoire frappante de El esquinazo.
Extrait musical
El esquinazo – Ángel Gregorio Villoldo Letra : Carlos Pesce ; A. Timarni (Antonio Polito). Partition pour piano et deux couvertures, dont une avec Canaro.El esquinazo 1951-07-20 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro con refrán por Francisco Canaro.
Vous aurez remarqué, dès le début, l’incitation à frapper du pied. On retrouve cette invitation sur les partitions par la mention golpes (coups).
El esquinazo – Ángel Gregorio Villoldo Letra: Carlos Pesce ; A. Timarni (Antonio Polito). Partition pour guitare (1939).
El Esquinazo, un succès à tout rompre (partie 1) anatomie du pousse-au-crime
Dès le début de la partition, on voit inscrit « Golpes » (coups).
La zone en rouge, ici au début de la partition, est la montée chromatique en triolets de double-croche et en double-croche. C’est donc un passage vif, d’autant plus que l’on remarque des appoggiatures brèves.Ce sont ces petites notes barrées qui indiquent que l’on doit (peut) jouer une note supplémentaire, une fraction de temps avant, voire en même temps que la note qu’elle complète. Ces appoggiatures augmentent donc le nombre de notes et par conséquent l’impression de vitesse. Après cette montée rapide, on s’attend à une suite, mais Villoldo nous offre une surprise, un silence (la zone verte), marqué ici par un quart de soupir pour la ligne mélodique supérieure et un demi-soupir suivi d’un soupir pour l’accompagnement. La zone bleue comporte des signes de percussion et le texte indique Golpes en el puente (coup dans le pont). Rassurez-vous, il ne s’agit pas d’un pont au sens commun, mais de la transition entre deux parties d’une musique. Ici, il est donc constitué seulement de coups, coups que faisaient les musiciens avec les talons et que bientôt le public imita de diverses manières.
Mariano Mores copiera cette structure pour son célèbre « Taquito militar ». Voici la version enregistrée en 1997 par Mariano Mores de Taquito militar. Cette version commence par le fameux motif suivi de coups.
Taquito militar 1997 – Mariano Mores.
Cette version à l’orgue Hammond est un peu particulière, mais vous pourrez entendre toutes les versions classiques dans l’article dédié à Taquito militar.
El Esquinazo, un succès à tout rompre (partie 2) les paroles
Ángel Villoldo a composé ce tango avec des paroles. Même si Villoldo était lui-même chanteur, c’est à Pepita Avellaneda (Josefa Calatti) que revint l’honneur de les inaugurer. Malheureusement, ces paroles originales semblent perdues, tout comme celles de El entrerriano qu’il avait « écrites » pour la même Pepita. J’émets l’hypothèse que les célèbres coups donnés au plancher au départ par les musiciens devaient avoir une explication dans les paroles. El esquinazo, c’est prendre la tangente dans une relation amoureuse, s’enfuir, ne plus répondre aux tendresses, prendre ses distances, poser un lapin (ne pas venir à un rendez-vous). On peut donc supposer que les premières paroles devaient exprimer d’une façon imagée cette fuite, ou la façon dont elle était ressentie par le partenaire. J’ai indiqué « écrites » au sujet des paroles, mais à l’époque, les paroles et même la musique n’étaient pas toujours écrites. Elles sont donc probablement restées orales et retrouver un témoin de l’époque est désormais impossible. Cependant, notre tango du jour nous apporte un éclairage intéressant sur l’histoire, grâce aux quelques mots que lâche Canaro après les séries de coups. En effet, dans sa version, il est plutôt question de quelqu’un qui frappe à la porte pour ne pas dormir dehors sous la pluie… Je serai assez tenté d’y voir un reflet des paroles originales qui justifieraient bien plus les coups que les paroles de Pesce et Timarni. Le désamour (esquinazo) pourrait expliquer qu’une porte reste fermée, l’occupant restant sourd aux supplications de lui (dans le Canaro) ou d’elle (dans le cas de Pepita Avellaneda).
Paroles dites par Canaro dans sa version de 1951
Les paroles prononcées par Francisco Canaro dans sa version de 1951
Canaro intervient quatre fois durant le thème pour donner des phrases, un peu énigmatiques, mais que j’aime à imaginer, tirées ou inspirées des paroles originales de Villoldo.
Frappe, qu’ils viennent t’ouvrir.
Suis là, puisque tu l’as
Ils fêtent l’esquinazo
Ouvre que je suis en train de me mouiller. Ne me fais pas dormir dehors
Ces paroles de Canaro, sont-elles inspirées directement de celles de Villoldo ? En l’absence des paroles originales, on ne le saura pas, alors, passons aux paroles postérieures, qui n’ont sans doute pas la « saveur » de celles de la première version.
Paroles
Nada me importa de tu amor, golpeá nomás… el corazón me dijo, que tu amor (cariño) fue una falsía, aunque juraste y juraste que eras mía. No llames más, no insistas más, yo te daré… el libro del recuerdo, para que guardes las flores del olvido porque vos lo has querido el esquinazo yo te doy.
Fue por tu culpa que he tomado otro camino sin tino… Vida mía. Jamás pensé que llegaría este momento que siento, la más terrible realidad… Tu ingratitud me ha hecho sufrir un desencanto si tanto… te quería. Mas no te creas que por esto guardo encono Perdono tu más injusta falsedad.
Ángel Gregorio Villoldo Letra: Carlos Pesce; A. Timarni (Antonio Polito)
Traduction libre et indications
Je me fiche de ton amour, une tocade, rien de plus (golpear, c’est donner un coup, mais aussi droguer, intoxiquer. Certains y voient la justification des coups frappés par les musiciens, mais il me semble que c’est un peu léger et que les paroles initiales devaient être plus convaincantes et certainement moins acceptables par un public de plus en plus raffiné. C’est peut-être aussi une simple évocation des coups frappés à la porte de la version chantée par Canaro, ce qui pourrait renforcer l’hypothèse que Canaro chante des bribes des paroles d’origine)… Mon cœur me disait que ton amour était un mensonge, bien que tu aies juré et juré que tu étais à moi. N’appelle plus, (le tango s’est modernisé. Si à l’origine, l’impétrant venait frapper à la porte, maintenant, il utilise le téléphone…) n’insiste plus, je te donnerai… le livre de souvenirs, pour que tu gardes les fleurs de l’oubli parce que toi tu l’as, l’esquinazo (difficile de trouver un équivalent. C’est l’abandon, la non-réponse aux sentiments, la fuite, le lapin dans le cas d’un rendez-vous…) que je te donne. C’est ta faute si j’ai pris un autre chemin sans but… (tino, peut signifier l’habileté à toucher la cible) Ma vie. Je n’ai jamais pensé que ce moment, dont je ressens la terrible réalité, arriverait… Ton ingratitude m’a fait subir un désamour si toutefois… Je t’aimais. Mais, ne crois pas que, pour cette raison, je conserve de l’amertume. Je pardonne ton mensonge le plus injuste.
El Esquinazo, un succès à tout rompre (partie 3) le succès du pousse-au-crime.
Nous avons vu dans la première partie comment était préparé le frappement du talon. Dans la seconde et avec les paroles, nous avons essayé de trouver un sens à ces frappés, à ces taquitos qui à défaut d’être militaires, sont bien tentants à imiter, comme nous l’allons voir. Le premier témoignage sur la reproduction des coups par le public est celui de Pintin Castellanos qui raconte dansEntre cortes y quebradas, candombes, milongas y tangos en su historia y comentarios. Montevideo, 1948 la fureur autour de El esquinazo. La composition de Villoldo a été un triomphe […]. L’accueil du public fut tel que, soir après soir, il grandissait et le rythme diabolique du tango susmentionné commença à rendre peu à peu tout le monde fou. Tout d’abord, et avec une certaine prudence, les clients ont accompagné la musique de « El Esquinazo » en tapant légèrement avec leurs mains sur les tables. Mais les jours passaient et l’engouement pour le tango diabolique ne cessait de croître. Les clients du Café Tarana(voir l’article sur En Lo de Laura où je donne des précisions sur Lo de Hansen/Café Tarana) ne se contentaient plus d’accompagner avec le talon et leurs mains. Les coups, en gardant le rythme, augmentèrent peu à peu et furent rejoints par des tasses, des verres, des chaises, etc. Mais cela ne s’est pas arrêté là […] Et il arriva une nuit, une nuit fatale, où se produisit ce que le propriétaire de l’établissement florissant ressentait depuis des jours. À l’annonce de l’exécution du tango déjà consacré de Villoldo, une certaine nervosité était perceptible dans le public nombreux […] l’orchestre a commencé la cadence de « El Esquinazo » et tous les assistants ont continué à suivre le rythme avec tout ce qu’ils avaient sous la main : chaises, tables, verres, bouteilles, talons, etc. […]. Patiemment, le propriétaire (Anselmo R. Tarana) a attendu la fin du tango du démon, mais le dernier accord a reçu une standing ovation de la part du public. La répétition ne se fit pas attendre ; et c’est ainsi qu’il a été exécuté un, deux, trois, cinq, sept… Finalement, de nombreuses fois et à chaque interprétation, une salve d’applaudissements ; et d’autres choses cassées […] Cette nuit inoubliable a coûté au propriétaire plusieurs centaines de pesos, irrécouvrables. Mais le problème le plus grave […] n’était pas ce qui s’était passé, mais ce qui allait continuer à se produire dans les nuits suivantes. Après mûre réflexion, le malheureux « Paganini » des « assiettes brisées » prit une résolution héroïque. Le lendemain, les clients du café Tarana ont eu la désagréable surprise de lire une pancarte qui, près de l’orchestre, disait : « Est strictement interdite l’exécution du tango el esquinazo ; La prudence est de mise à cet égard. »
Ce tango fut donc interdit dans cet établissement, mais bien sûr, il a continué sa carrière, comme le prouve le témoignage suivant.
Témoignage de Francisco García Jiménez, vers 1921
La orquesta arrancó con el tango El esquinazo, de Villoldo, que tiene en su desarrollo esos golpes regulados que los bailarines de antes marcaban a tacón limpio. En este caso, el conjunto de La Paloma hacía lo mismo en el piso del palquito, con tal fuerza, que las viejas tablas dejaban caer una nube de tierra sobre la máquina del café express, la caja registradora y el patrón. Este echaba denuestos; los de arriba seguían muy serios su tango ; y los parroquianos del cafetín se regocijaban.
Témoignage de Francisco García Jiménez
Traduction libre du témoignage de Francisco García Jiménez
L’orchestre a commencé avec le tango El esquinazo, de Villoldo, qui a dans son développement ces rythmes réglés que les danseurs d’antan marquaient d’un talon clair. Dans ce cas, le conjuntoLa Paloma a fait de même sur le sol de la tribune des musiciens, avec une telle force que les vieilles planches ont laissé tomber un nuage de saleté sur la machine à expresso, la caisse enregistreuse et le patron. Il leur fit des reproches ; Ceux d’en haut suivaient leur tango très sérieusement, et les clients du café se réjouissaient. On constate qu’en 1921, l’usage de frapper du pied chez les danseurs était moindre, voire absent. Cet argument peut venir du fait que l’interdit de Tarana a été efficace sur les danseurs, mais j’imagine tout autant que les paroles et l’interprétation originelle étaient plus propices à ces débordements. L’idée des coups frappés à une porte, comme les coups du destin dans la 5e symphonie de Ludwig Van Beethoven, ou ceux de la statue du commandeur dans Don Giovanni de Wolfgang Amadeus Mozart, me plaît bien…
Autres versions
El esquinazo 1910-03 05 — Estudiantina Centenario dirige par Vicente Abad.
Cette version ancienne est plutôt un tango qu’une milonga, comme il le deviendra par la suite. On entend les coups frappés et la mandoline. On note un petit ralentissement avant les frappés, ralentissement que l’on retrouvera amplifié dans la version de 1961 de Canaro.
El esquinazo 1913 – Moulin Rouge Orchester Berlin – Dir. Ferdinand Litschauer.
Encore une version ancienne, enregistrée à Berlin (Allemagne) en 1913, preuve que le tango était dès cette époque totalement international. Les frappés sont remplacés par de frêles percussions, mais on notera le gong au début…
Le disque de El esquinazo par l’orchestre du Moulin Rouge (allemand, malgré ce que pourrait faire penser son nom) et la version Russe du disque… On notera que les indications sont en anglais, russe et français. La International Talking Machine est la société qui a fondé Odeon… S’il en fallait une de plus, cette preuve témoigne de la mondialisation du tango à une date précoce (1913).El esquinazo 1938-01-04 – Orquesta Juan D’Arienzo.
Est-il nécessaire de présenter la version de D’Arienzo, probablement pas, car vous l’avez déjà entendu des milliers de fois. Tout l’orchestre se tait pour laisser entendre les frappés. Même Biagi renonce à ses habituelles fioritures au moment des coups. En résumé, c’est une exécution parfaite et une des milongas les plus réjouissantes du répertoire. On notera les courts passages de violons en legato qui contrastent avec le staccato général de tous les instruments.
El esquinazo 1939-03-31 – Roberto Firpo y su Cuarteto Típico.
Roberto Firpo au piano démarre la montée chromatique une octave plus grave, mais reprend ensuite sur l’octave commune. Cela crée une petite impression de surprise chez les danseurs qui connaissent. La suite est joueuse, avec peut être un petit manque de clarté qui pourra décontenancer les danseurs débutants, mais de toute façon, cette version est assez difficile à danser, mais elle ravira les bons danseurs, car elle est probablement la plus joueuse.
El esquinazo 1951-07-20 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro con refrán por Francisco Canaro.
C’est notre tango du jour. Francisco Canaro nous donne sans doute des clefs dans les quelques paroles qu’il dit. Cette version est de vitesse modérée, entre canyengue et milonga. Elle sera plus adaptée aux danseurs modestes.
El esquinazo 1958 – Los Muchachos De Antes.
Avec clarinette et guitare en vedette, cette version est très dynamique et sympathique. Ce n’est bien sûr pas le top pour la danse, mais on a d’autres versions pour cela…
El esquinazo 1960 – Orquesta Carlos Figari con Enrique Dumas.
Une version en chanson qui perd le caractère joueur de la milonga, même si quelques coups de claves rappellent les frappés fameux. En revanche, cette chanson nous présente les paroles de Carlos Pesce et A. Timarni. J’aime beaucoup, même si ce n’est pas à proposer aux danseurs.
El esquinazo 1961-12-01 – Orquesta Francisco Canaro (en vivo al Teatro Koma de Tokyo, Japón).
El esquinazo 1961-12-01 – Orquesta Francisco Canaro (en vivo al Teatro Koma de Tokyo, Japón). Cette version très joueuse commence par la célèbre invite à frapper du pied, répétée trois fois. Les deux premières sont très lentes et la troisième fois, la pause est beaucoup plus longue, ce qui provoque un effet irrésistible. C’est un exemple, bien que tardif de comment les orchestres jouaient avec les danseurs, jeux que nous avons perdus à cause des versions figées par le disque. Bien sûr, il s’agit ici d’un concert, mais un DJ taquin pourrait proposer cette version à danser, notamment à cause des pauses et de l’accélération finale qui peuvent surprendre (aussi dans le bon sens du terme), les danseurs.
El esquinazo 1962 – Los Violines De Oro Del Tango.
Une version à la limite de l’excès de vitesse, même sur autoroute. Je trouve cela très sympa, mais j’y réfléchirai à deux fois avant de diffuser en milonga…
El esquinazo 1970 – Cuarteto Juan Cambareri.
Je pense que vous avez repéré Juan Cambareri, ce bandonéoniste virtuose qui après une carrière dans différents orchestres s’est mis « à son compte » avec un orchestre, dans les années 50 et un peu plus tard (1968) dans un cuarteto composé de :
Juan Rizzo au piano, Juan Gandolfo et Felipe Escomabache aux violons et Juan Cambareri au bandonéon. Cet enregistrement date de cette période. Comme à son habitude, il imprime une cadence d’enfer que les doigts virtuoses des quatre musiciens peuvent jouer, mais qui posera des problèmes à un grand nombre de danseurs.
El esquinazo 1974 – Sexteto Tango.
Le début semble s’inspirer de la version de Canaro au Japon en 1961, mais la suite vous détrompera bien vite. C’est clairement une version de concert qui a bien sa place dans un fauteuil d’orchestre, mais qui vous donnera des sueurs froides sur la piste de danse.
El esquinazo 1976 – Di Matteo y su trio.
La version proposée par le trio Di Matteo ne rassurera pas les danseurs, mais c’est plaisant à écouter. À réserver donc pour le salon, au coin du feu (j’écris depuis Buenos Aires et ici, c’est l’hiver et cette année, il est particulièrement froid…).
El esquinazo 1983 – Orquesta José Basso.
Une assez belle version, orchestrale. Pour la milonga, on peut éventuellement lui reprocher un peu de mordant en comparaison de la version de D’Arienzo. On notera également que quelques frappés sont joués au piano et non en percussion.
El esquinazo 1991 – Los Tubatango.
Comme toujours, cet orchestre sympathique se propose de retrouver les sensations du début du vingtième siècle. Outre le tuba qui donne le nom à l’orchestre et la basse de la musique, on notera les beaux contrepoints de la flûte et du bandonéon qui discutent ensemble et en même temps comme savent si bien le faire les Argentins…
El esquinazo 2002 – Armenonville.
Une introduction presque comme une musique de la renaissance, puis la contrebasse lance la montée chromatique, des coups donnés et la musique est lancée. Elle se déroule ensuite de façon sympathique, mais pas assez structurée pour la danse. Une accélération, puis un ralentissement et l’estribillo est chanté en guise de conclusion.
El esquinazo 2007 – Esteban Morgado Cuarteto.
Une version légère et rapide pour terminer tranquillement cette anecdote du jour.
Meneca – E. Mercado ¿Por qué ? – Osvaldo Fresedo Letra : Emilio Augusto Oscar Fresedo
Les dates d’enregistrement qui me servent de base pour les anecdotes de tango ne sont pas des données immuables. J’avais prévu d’associer deux titres de Fresedo enregistrés le même jour, un 19 juillet, mais à 28 ans d’intervalle. Quand j’ai commencé à écrire, je me suis rendu compte qu’à la suite des travaux de Enrique Binda, la date de Meneca avait changé pour le 20 juillet. J’ai toutefois décidé de conserver mon idée initiale, car la comparaison des deux titres me semble intéressante, vous le comprendrez que mieux en prenant connaissance des paroles de Por qué..
Una meneca est une belle jeune femme. Pour être appelé ainsi, elle doit avoir les deux attributs. Le tango est instrumental, mais d’autres employant ce terme sont avec des paroles et il convient donc de rester avec cette signification. J’imagine que le terme étant proche de muñeca (poupée) explique qu’on l’utilise uniquement pour des jeunes femmes. Meneca désigne également une langue quasi disparue qui existe (existait) entre le Pérou et la Colombie.
Le choix dans la date de la Meneca
Enrique Binda est une ressource importante pour qui s’intéresse au tango. https://www.todotango.com/comunidad/colaboradores/colaborador.aspx?id=73 Il a étudié de nombreux catalogues et notamment pour la période acoustique (avant l’enregistrement électrique). Par conséquent, son avis fait autorité. Dans le cas présent, Fresedo a enregistré le 19 et le 20 juillet 1927, ou seulement le 19 ou seulement le 20 les quatre tangos instrumentaux suivants :
Flores (Ángel Massini) – Matrice 1037-1 (face A du disque 5159)
Mucha cancha – (Alberto Richieri) Matrice 1038 (face B du disque 5159)
Coqueta (A. Milito) – Matrice 1039 (Face A du disque 5160)
Meneca (E. Mercado) – Matrice 1040 (Face B du disque 5160)
À l’époque, les orchestres enregistrent en moyenne deux tangos à quatre tangos par jour. Tous ne vont pas au disque. On notera que l’enregistrement de Flores semble avoir été compliqué dans la mesure où il y a plusieurs prises. Meneca a le numéro de matrice le plus élevé (1040) ce qui confirme que Meneca a été enregistré en dernier et donc probablement le 20 et pas le 19 s’il y a eu deux jours, comme c’est indiqué dans le livret du disque édité par CTA, mais aussi dans la Enciclopedia del Tango de Gabriel Valiente et dans le Fresedo Project qui placent les quatre tangos à la même date, le 19 juillet 1927. Pour l’année 1927, on trouve plusieurs jours avec quatre enregistrements, on ne peut donc pas être affirmatif sur l’existence d’un second jour d’enregistrement nécessaire. Que tout soit du 19, tout du 20 ou panaché, ce n’est peut-être pas si important. Je conserve donc mon idée de mettre en relation les deux tangos, d’autant plus que je vous réserve une surprise en fin d’article sur le sujet…
Extrait musical
Meneca 1927-07-20 – Orquesta Osvaldo Fresedo.
Meneca 1927-07-20 – Orquesta Osvaldo Fresedo. Osvaldo Fresedo intervient comme bandonéoniste et on remarquera la très jolie partie de violon. Je vous présente les musiciens qui ont fait cette petite merveille. Osvaldo Fresedo et Alberto Rodríguez (bandonéonistes), José María Rizzutti (piano), Manlio Francia, Adolfo Muzzi et Juan Koller (violonistes), Humberto Constanzo (contrebassiste).
¿Por qué ? 1955-07-19 – Orquesta Osvaldo Fresedo.
Ce qui frappe dans ce titre est l’ostinato qui revient régulièrement et notamment sur les parties chantées.
Partition de ¿Por qué ? On note sur la page de gauche que c’est la version passée à la Radio Fenix. À droite, la version en ré pour les chanteurs.
LR9 Radio Fénix est une radio de Buenos Aires qui a démarré le 11 février 1927 et qui se nommera ensuite Antártida puis AM1190 América. La partition pour les chanteurs est en ré. Elle commence en ré mineur, puis continue en ré majeur pour revenir à la dernière ligne en ré mineur. C’est donc une alternance de sonorités plus tristes et plus gaies.
Paroles
¿Por qué si yo soy el mismo querés cambiar mi pilcha ‘e varón? ¿Por qué si mi pobre ajuar dio a cantar mi honda tristeza? ¿Por qué si no está en mi sangre vos me adornás p’ hacerme amargar?
Yo soy milonga sentimental. Mi nombre es macho soy el gotán. Vestí de negro con funyi claro… Y me quisieron. Me respetaron. Y fue muy pura mi vida entera y hay quien venera mi cuna de ayer.
¿Por qué quieren que me vista tan ataviao con tanto trenzao? ¿Por qué quieren verme así hecho un gil de fantasía? ¿ Por qué si he nacido tango y así latió mi gran corazón?
Osvaldo Fresedo Letra: Emilio Augusto Oscar Fresedo
Traduction libre de ¿Por qué ?
Pourquoi, si je suis le même, veux tu changer mes fringues, hein, mec ? Pourquoi, si mon pauvre trousseau donnait à chanter ma profonde tristesse ? Pourquoi, si ce n’est pas dans mon sang, me fais-tu des ornements pour me rendre amer ? Je suis milonga sentimentale. Je m’appelle macho, je suis le gotan (tango). Je suis habillé de noir avec un chapeau clair (funyi, chapeau en forme de champignon). Et ils m’aimaient. Ils me respectaient. Et toute ma vie était très pure et il y a ceux qui vénèrent mon berceau d’hier. Pourquoi veulent-ils que je revête tant de parures avec tant de galons ? Pourquoi, veulent-ils me voir comme ça, faisant un idiot de fantaisie ? Pourquoi, si je suis né tango et ainsi battait mon grand cœur.
Autres versions
Il ne semble pas y avoir d’autres enregistrements de Meneca, cependant, il est intéressant de voir ce que devient Por Qué….
Meneca 1927-07-20 – Orquesta Osvaldo Fresedo.
Un de nos deux tangos du jour, pour mémoire et comparaison…
Différents disques de ¿Por qué ? Alberto Vila, Fresedo avec Ibanez, Serpa et instrumental (33 tours avec pochette) et Pugliese avec Chanel et Moran. ¿Por qué ? 1931-08-18 – Alberto Vila accomp. Orquesta Típica Victor.
Ce premier enregistrement qui est une chanson est superbement interprétée par Alberto Vila (dont la voix est remplie de trémolos) accompagné par l’orchestre Típica Victor dirigé par Carabelli.
L’ostinato de la contrebasse est assez étonnant et il s’achève en ralentissant sur la toute fin de la musique.
¿Por qué ? 1943-01-25 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Oscar Serpa.
¿Por qué ? 1943-01-25 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Oscar Serpa. Le rythme est plus rapide et quelques sonorités de vibraphone se superposent aux instruments habituels. L’ostinato la vedette de ce thème démarre désormais le titre et est accompagné du vibraphone. L’expressivité est plus marquée. On pourrait qualifier cette version de plus romantique. Petit interlude pour vous présenter Fresedo jouant ce titre dans un film qui reste à identifier (ce n’est pas Tango comme tous l’écrivent).
¿Por qué ? – Osvaldo Fresedo y su Orquesta¿Por qué ? 1945-08-28 – Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán y Roberto Chanel.
L’ostinato que vous connaissez bien démarre le titre, come dans la version de 1943 de Fresedo, puis progressivement Pugliese déstructure le titre pour le rendre compatible avec son style. L’ostino revient de temps à autre et notamment sous la voix des chanteurs. L’effet est superbe les voix se mêlent pendant que l’ostinato s’atténue et que les violons ondulent dans un contrepoint splendide. C’est assurément un chef d’œuvre. Peut-être plus difficile à danser que les guimauves trop souvent passées dans certaines milongas, mais à tester à mon avis…
¿Por qué ? 1955-07-19 – Orquesta Osvaldo Fresedo. C’est notre autre tango du jour.
Le vibraphone prend un peu plus ses aises, libéré par l’absence du chanteur qui est représenté par le piano. Le résultat est plutôt joli, mais pas convainquant pour la danse.
¿Por qué ? 1979-10-30 – Orquesta Osvaldo Fresedo.
Le titre démarre en trombe, mais avec l’introduction que Fresedo avait abandonné depuis 1943. Les violons couvrent un peu trop l’ostinato, enlevant une partie de l’originalité de ce titre. La batterie s’est rajoutée, mais sans pour autant renforcer la dansabilité du morceau, sauf à le danser en tango musette…
¿Por qué ? – Mariano Mores y su Sexteto Rítmico Moderno.
C’est une version très originale que signe Mariano Mores. L’ostinato est assez discret et principalement donné par le piano. Les percussions sont à l’honneur. Différents motifs éclosent et donnent une impression de variété. Bien sûr, pas question de proposer cela à des danseurs, mais l’écouter de temps à autre est une activité sympa. Elle clôture la liste des versions et il est temps d’ouvrir le débat.
Faites ce que je dis et pas ce que je fais
Comme vous l’avez remarqué, les paroles du tango ¿Por qué? Des frères Fresedo semblent regretter un tango plus épuré. Ils font parler le tango qui regrette le temps où il n’était pas ridiculisé par des fioritures. Dans les interprétations de 1931 et 1943, Osvaldo Fresedo respecte ces (ses) directives. Tout comme bien sûr, dans Meneca de 1927. Par contre, dans notre tango du jour, la version de 1955 de ¿Por qué? On peut se demander s’il n’a pas un peu perdu cela de vue. D’ailleurs, cette version est instrumentale, peut-être pour éviter que les paroles mettent en valeur cette dichotomie. Pugliese, en 1945, avait peut-être commencé cette bifurcation, mais il ne me semble pas que l’on puisse l’accuser de faire de l’ornementation gratuite. D’ailleurs, il a conservé les paroles. Je l’enlèverai donc des pièces du procès… Fresedo aggrave très sensiblement son cas en 1979, avec une version constituée majoritairement de fioritures. Là, je dois le déclarer coupable. Il a déguisé le tango et renoncé à ses principes énoncés dans les années 30. Avec son goût pour les instruments originaux, il courrait certainement ce risque et il est tombé dans son propre piège. Je pense que vous avez sans doute fait le rapprochement avec le débat plus contemporain sur le tango, le néotango et autres variations. Le tango, comme les autres œuvres de l’humanité, ne résiste pas aux querelles des Anciens et des Modernes, tel que l’a vécu l’Académie française à la fin du 17e siècle. Tous les goûts sont dans la nature et le travail du DJ est à la fois de développer les goûts et de satisfaire ceux qui sont existants. C’est passionnant.
Enrique Pedro Delfino (Delfy) Letra : Juan Fernando Camillo Darthés
Nous avons vu dans beaucoup de tangos que le lunfardo, l’argot de Buenos Aires était très apprécié des paroliers qui ne prenaient pas tous les précautions de Juan Bautista Abad Reyes qui a écrit que « Le risque est de penser en faubourien et de concevoir les œuvres en lunfardo ». Notre tango du jour est à destination des néophytes et plus particulièrement des Français qui bénéficient d’un dictionnaire chanté par une Française qui s’est installée à Buenos Aires et qui trouve cela épatant !
Extrait musical
Buenos Aires es una papa (Buenos Aires c’est épatant) 1928-07-18 – Orquesta Francisco Canaro con Charlo.Buenos Aires es una papa (Buenos Aires, c’est épatant) – Enrique Pedro Delfino (Delfy) Letra : Juan Fernando Camillo Darthés.
L’illustration de couverture est de Roger de Valério. Le disque Odeon porte le numéro 4474. Ce tango est la face A. La face B est Talismán (1928-04-25), tango instrumental. On notera le nom de Marthe Berthy qui inaugurera cette œuvre à Paris, puis à Buenos Aires.
Paroles
Paroles de cet enregistrement
Ce tango de Delfy (Enrique Pedro Delfino) a des paroles étonnantes, car elles ont été écrites en français par un Argentin, Juan Fernando Camillo Darthés. Notre version du jour, chantée par Charlo ne vous proposera pas l’intégralité des paroles et même ne vous en donnera que des bribes. Nous verrons après les paroles « officielles », mais voici la retranscription des paroles de notre tango du jour.
Desde el pasado no encontró Ici l’amour c’est l’metejón Desde el pasar “et bien voila” À la canción de cantar
Versión de Charlo…
Oui, vous avez bien lu/entendu. C’est un texte mélangeant le français et l’espagnol.
Paroles originales (en français)
Quand je me suis embarquée pour l’Argentine, j’étais pour mes parents la p’tite Titine. Maintenant, voici, c’est drôle, j’ne comprends pas ! Tout le monde ici m’appelle « La Porotá ». Pour dire parler, maintenant je dis « chamuyo » ; au lieu de dire un franc, je dis « un grullo ». À mon fiancé je l’appelle « un gran bacán ». Oh, Buenos Aires, messieurs, c’est épatant !
C’est épatant comme nous changeons. Ici l’amour c’est l’metejón. C’est épatant et bien, voilà, en Argentine on dit comme ça.
J’ai appris cette langue à peine dans une semaine et ils m’ont changé, c’est triste, tout de même. Pour dire le lit je dis « la catrera », pour dire sortir il faut dire « espiantá ». Le pain a table je l’appelle « marroco » ; quand j’ai mal à la tête, « me duele el coco ». Je dis « la guita » au lieu de dire l’argent… Oh, Buenos Aires, messieurs, c’est épatant !
Enrique Pedro Delfino (Delfy) Letra: Juan Fernando Camillo Darthés
Paroles en espagnol
Cuando me embarqué hacia la Argentina Yo era, para mis padres, la pequeña Titine. Ahora vea usted, es gracioso, no entiendo nada: Todo el mundo aquí me llama: “la Porotá”. Para decir hablar, ahora digo “chamuyo”, En lugar de decir un franco, digo “un grullo”, A mi novio lo llamo “un gran bacán” … ¡Oh, Buenos Aires, señores, es asombroso!
Es asombroso Cómo cambiamos, Aquí el amor Es el metejón. Es asombroso Y sin embargo, En Argentina Se dice así.
Aprendí esta lengua en apenas una semana Y ellos sin embargo, me cambiaron, es triste, Para decir la cama, digo “la catrerá”, Para decir salir, hay que decir “espiantá”, Al pan sobre la mesa lo llaman “marroco”, Cuando tengo dolor de cabeza, “me duele el coco”. Digo “la guita” en lugar de decir el dinero… ¡Oh, Buenos Aires, señores, es asombroso!
Enrique Pedro Delfino (Delfy) Letra: Juan Fernando Camillo Darthés
Traduction libre et indications
Bon, ceux qui lisent cette anecdote et français ou en espagnol ne vont pas comprendre, puisque j’ai donné ci-dessus les versions en français (original) et en espagnol. Ce texte est donc destiné à ceux qui lisent dans une autre de ces langues. La difficulté est que le texte en français donne à la fois les paroles en français et en espagnol. Vous risquez de voir donc deux fois le même mot ou des trucs étranges, je vous en demande pardon par avance.
Voyons tout d’abord le titre qui est à la fois en espagnol et en français. « Buenos Aires es una papa / Buenos Aires, c’est épatant”. Le terme “épatant”, très “français”, même si un peu vieilli n’est pas la traduction littérale. En effet, la papa, c’est la pomme de terre, à ne pas confondre avec papá qui est le père en langage enfantin. Cependant, même si pour l’illustration de couverture j’ai choisi de vous présenter une pomme de terre, il faut prendre papa dans un autre sens. En effet, papa veut aussi dire que c’est facile. C’est donc facile pour elle de s’adapter à l’Argentine, ce qui n’est pas forcément l’avis de toutes les grisettes qui ont vécu de terribles histoires lors de leur arrivée en Argentine.
Quand je me suis embarquée pour l’Argentine, j’étais pour mes parents la p’tite Titine (Titine peut être le gentilé du prénom Christine, mais aussi un surnom sans relation directe avec le prénom d’origine). Maintenant, voici, c’est drôle, j’ne comprends pas ! Tout le monde ici m’appelle « La Porotá » (un surnom). Pour dire parler, maintenant je dis « chamuyo » ; au lieu de dire un franc, je dis « un grullo » (de Mangrullo, un billet d’un peso). À mon fiancé je l’appelle « un gran bacán ». Oh, Buenos Aires, messieurs, c’est épatant !
C’est épatant comme nous changeons. Ici l’amour c’est l’metejón. C’est épatant et bien, voilà, en Argentine on dit comme ça.
J’ai appris cette langue à peine dans une semaine et ils m’ont changé, c’est triste, tout de même. Pour dire le lit je dis « la catrera », pour dire sortir il faut dire « espiantá ». Le pain à table je l’appelle « marroco » ; quand j’ai mal à la tête, « me duele el coco ». Je dis « la guita » au lieu de dire l’argent… Oh, Buenos Aires, messieurs, c’est épatant !
Fin du cours de lunfardo…
On voit donc les emprunts faits par Charlo dans sa version qui est une amputation très sévère du texte d’origine…
Autres versions
Je n’ai pas d’autres versions à proposer. Dans le catalogue Odéon de 1929, on trouve un enregistrement par Delfy (l’auteur de la musique), mais je n’ai pas réussi à trouver ce disque.
Sous la référence de disque 7000 B, Delfy a enregistré un disque avec Odeón de « Buenos Aires c’est epatant » (sic).
Quand le tango va de Paris à Buenos Aires
Notre tango du jour a été inauguré à Paris par Marthe Berthy dans le spectacle « Paris aux nues », une des revues du Moulin Rouge qui fit une tournée en Amérique du Sud en 1928. Durant cette tournée, avant d’être présentée à Buenos Aires, le 15 juillet 1928 au Teatro Ópera, la revue a été présentée à Rio de Janeiro. Le journal de Rio de Janeiro, Correio da Manhã du 6 mai 1928 nous présente l’équipe du Moulin Rouge. On y apprend que la troupe composée de 90 personnes arrivées à bord du Lutecia. Un repas a été offert aux artistes, parmi lesquels on trouve : Jacques Charles, créateur de plus de 110 revues, dont « Ça c’est Paris ! » (immortalisé par Mistinguett), « Ça c’est Montmartre », « Paris aux nues » dont est tiré notre tango du jour « Oh ! Paris ! Mon Paris ! »…
Le Moulin Rouge – Simon Girard (Aimé Simon-Girard), Marthe Berthy, Marta Albaicín (Pepita García Escudero), membres principaux de la troupe du Moulin rouge durant la tournée en Amérique du Sud.
Simon Girard, acteur de cinéma (Aimé Simon-Girard a joué dans Le vert galant 1924, Fanfan-la-Tulipe 1925 et Les trois mousquetaires 1932), Marta Albaicín (Pepita García Escudero), danseuse de flamenco d’origine espagnole, Marthe Berthy, chanteuse (et danseuse, même si ce n’est pas précisé dans l’article) ayant remplacé Mistinguett au Moulin Rouge, Baldrini, chanteur déjà intervenu à Buenos Aires et beaucoup d’autres.
L’intransigeant 1927-04-03 – La revue Ça c’est Paris avec Mistinguett et Marthe Berthy.
Le journal de Rio de Janeiro, Correio da Manhã du 6 mai 1928 annonçant que le spectacle va être joué à Rio de Janeiro et à Buenos Aires.
Dans le même journal, dans l’édition du 15 juin 1928, on trouve la publicité pour le spectacle qui aura lieu le 10 juillet 1928 (cinq jours avant la représentation de Buenos Aires) au Palacio Theatro de Rio de Janeiro.
Le journal de Rio de Janeiro, Correio da Manhã du 15 juin 1928 avec la publicité pour le spectacle du Moulin Rouge au Palacio Theatro. À gauche, l’annonce complète, à droite, l’annonce découpée pour la rendre plus lisible.
On notera le titre des différentes revues présentées, Paris à la diable, Paris aux étoiles, Paris au feu, Paris aux nues (celle qui nous intéresse aujourd’hui) et Adieu Paris. Dans ce spectacle, il y avait donc diverses pièces musicales qui étaient également un prétexte pour présenter ce qui a fait le succès du Moulin Rouge. Dans « Montmartre aux nues » une des 110 revues crées par Jacques-Charles, on trouvera par exemple un tango-fox-trot Lola de Valence, Fleur du mal avec des paroles de Jacques-Charles et Ch. L. Pothier et une musique de René Mercier. Les revues parisiennes qui faisaient fureur dans le monde entier et notamment en Amérique du Nord et du Sud s’alimentaient donc également des musiques et danses des pays d’exportation. Même si on a du mal à l’imaginer aujourd’hui, le Monde du tango et du spectacle était pour le moins triangulaire, entre les Amériques et l’Europe et notamment Paris dans le cas du tango et des revues du type Moulin Rouge. En cortina, je vous propose un French Cancan, une musique qui date de la période précédant celle que nous venons d’évoquer (1890 au lieu de 1928) mais qui a toujours du succès dans les milongas en cortina…
Bande-annonce de French Cancan (29/04/1955) réalisé par Jean Renoir en 1954-55.
Andrés Avelino Chazarreta et Pedro Evaristo Díaz, ou Ñato Carrillo, ou Agenor Reynoso ou Gómez Carrillo ou El Ciego Chazaou…
Les Argentins adorent avoir des règles pour pouvoir les transgresser. Comme le jour de la zamba est le 29 septembre (anniversaire de Gustavo «Cuchi» Leguizamón) et le jour national du folkloriste argentin le 29 mai (anniversaire de Andrés Avelino Chazarreta, auteur [possible] de cette zamba), ils fêtent la zamba le 7 avril, jour mentionné dans le titre de cette zamba qui est la «Cumparsita» (selon l’expression de Daniel Borelli) des danseurs de zamba. ¡A bailar la zamba chicos!
Pour vous permettre d’avoir une idée de cette danse, je vous propose cette interprétation de zamba par Carol Retamoso et Juan Manuel Sotelo.
Zamba dansée par Carol Retamoso et Juan Manuel Sotelo. Musiciens : Cristian Bautista (violon) ; Alef Cardozo Madaf (guitare) Eduardo Lobos, (Bombo).
Qui est l’auteur de cette zamba ?
L’auteur de cette zamba n’est pas vraiment connu. J’ai listé les créateurs potentiels, mais le nom généralement retenu est le premier qui l’a déposé à la SADAIC (société des auteurs argentins), Andrés Avelino Chazarreta. ManuelGomez Carillo l’a collectée et déposée à son tour en 1923. Il n’en est donc pas l’auteur, il l’a seulement collectée et sur sa version, Manuel Valladares Leda a rajouté des paroles postérieurement. Plusieurs autres versions existent. L’auteur original, s’il n’est pas Chazarreta peut-être Pedro Evaristo Díaz, ou Ñato Carrillo, ou Agenor Reynoso ou Gómez Carrillo ou El Ciego Chazaou ou un autre qui reste anonyme. Cela n’a pas beaucoup d’intérêt en fait.
Extrait musical
Il y a des dizaines de versions de cette zamba. En voici quelques-unes, relativement différentes, mais c’est une toute petite partie de celles qui existent. Si vous êtes en Argentine le 7 avril, vous allez l’entendre de tout côté…
La 7 de abril — Los Manseros Santiagueños. Sans doute la plus connue.La 7 de abril — Pitin Salazar. Avec annonce des figures de la chorégraphie. Comme DJ, cette version peut aider les danseurs un peu fragiles dans la pratique de la zamba, mais le DJ peut aussi faire les annonces.La 7 de abril — .La 7 de abril — Dino SaluzziLa 7 de abril — Andrés Chazarreta à la guitare. Je ne proposerai pas cette version à la danse, mais elle est intéressante, car interprétée par « l’auteur ».Andrès Chazarreta, à l’époque du dépôt de la musique à la SADAIC (1916) et à droite, jouant « sa zamba » à la guitare.
ZZZ’avez dit zamba ou samba ?
Zamba, comme vous l’avez constaté avec la vidéo, cette danse n’a absolument rien à voir avec la danse brésilienne qui enflamme les rues de Rio durant le carnaval, pas plus que la zemba, semba ou la zumba. Cette danse, originaire de… Bon, on se retrouve devant une autre difficulté. Les revendications sont nombreuses. Des origines africaines (j’imagine que les auteurs confondent avec la samba ou la zemba, semba) ou des origines péruviennes. En effet, on attribue souvent à l’évolution de la zamacueca en une version plus rapide, l’origine de la zamba. J’écris la zamba, mais il y a en fait des zambas. Pour éviter de me mettre à dos la moitié des danseurs de folklore argentins, je vais rester vague et juste dire que cette danse se pratique avec des foulards (pañuelos) dans toutes les provinces argentines et même à Buenos Aires. Il y a d’ailleurs beaucoup plus de danseurs de folklore en Argentine que de danseurs de tango.
Comment ça se danse ?
C’est un peu la suite de la question précédente. Il n’y a pas une, mais, des zambas. Pour simplifier, on dit que les rythmes sont un peu différents d’une province à l’autre, mais les chorégraphies sont également variées. En fait, il s’agit d’une danse traditionnelle et chaque groupe ethnique l’a mise à sa sauce, l’a conçue, l’a construite et déconstruite. Les ethnologues et musicologues ont figé ces danses dans des chorégraphies, ce qui a appauvri la diversité, car c’est de ces collectes que sont partis les groupes folkloriques pour monter leurs spectacles. Je connais bien le phénomène, étant maître de danses traditionnelles et ayant fait mon mémoire, justement sur ce sujet… La base de la danse est une danse de couple, sans contact. C’est une danse de séduction. L’homme et la femme se déplacent en agitant leur mouchoir (foulard). Dans la première partie, la femme rejette les avances de l’homme, mais, dans la seconde, elle se fait plus tolérante et finalement se laisse conquérir. Les deux parties sont donc distinctes. Dans la première, l’homme est entreprenant, il mobilise son foulard et essaye d’attirer l’attention de la dame. La femme est pudique, se masque le visage, n’accepte pas l’invitation. Elle donne même souvent le dos à la fin de la première partie. Dans la seconde partie, en revanche, elle devient plus entreprenante et accepte les avances. Souvent, les danseurs jouent les deux parties de la même façon, ou toute la durée est en séduction réciproque, ce qui est à mon avis une petite trahison de l’esprit de cette danse. D’autres la dansent comme si c’était une chorégraphie de country, mais c’est une autre histoire…
Parmi ma dizaine de livres qui traitent de la zamba, que de variété dans les chorégraphies et les explications ! J’ai renoncé à en faire la synthèse…
Je pensais vous faire un petit cours de zamba et me suis plongé dans ma bibliothèque à la recherche de quelque manuel d’où je pourrais tirer des éléments utiles. Las, ces petits dessins semblent tellement compliqués à comprendre que j’ai abandonné l’idée. Je vais juste vous mentionner les figures de la forme la plus courante à Buenos Aires, qui est très loin d’être l’endroit où elle se danse le plus, mais dans les milongas, il y a souvent un intermède de folklore comportant chacarera et zamba et comme vous me suivez pour le tango, vous avez certainement une attirance pour cette ville. Les phrases musicales sont de 8 temps. Elles donnent la durée des « figures ». L’introduction. On peut frapper dans les mains. La première vuelta. Elle commence avec le chant (quand c’est une zamba chantée, bien sûr). À la fin de la première phrase, on a un échange de place avec sa partenaire. À la fin de la seconde, on est rentré dans une sorte de spirale et on s’arrête, on change de direction (arresto) au début de la troisième phrase et on revient au point de départ en faisant l’escargot à l’envers. On revient au centre et ont fait trois arrestos (ce qui donne l’impression que les partenaires se tournent autour), puis ont revient au point de départ. La musique change de tonalité, de caractère. Cela annonce le dernier escargot. Et sur la dernière phrase, le couple se réunit au centre (la femme dos à l’homme dans la première partie et de face et complice dans la seconde). Je pense que vous n’aurez rien compris, ce n’est pas grave car en admettant que vous ayez compris la chorégraphie, il vous resterait à acquérir la manipulation du foulard et c’est tout un autre univers. Toutefois, pour le foulard, on peut améliorer son jeu en jouant l’histoire de la danse. Dans la première partie, l’homme cherche à capter l’attention et la femme se cache et rejette, dans la seconde, ils s’accordent et peuvent enlacer les foulard, se caresser avec…
La siete de abril
Le titre peut sembler est une date (7 avril). On se demande alors immédiatement qu’à cette date particulière pour qu’on en fasse une zamba (ou même une chanson). Une date probable est le 7 avril 1840, où Marcos Avellaneda qui dirigeait une insurrection (la Ligue du Nord) a perdu la tête qui a été exposée par l’armée de Rosas sur la place centrale de San Miguel de Tucumán. La défaite de l’insurrection a eu lieu à Famaillá, mais Avellaneda s’est enfuit vers le Nord et il se peut que ce soit sur l’emplacement de 7 de Abril qu’il a été rattrapé et décapité.
Le charmant hameau de 7 de Abril vu depuis la nationale 34… Le bar, restaurant, supermarché…
Cette localité qui compte aujourd’hui un millier de personnes s’était développée à proximité d’une station de chemin de fer destinée à transporter vers des lieux plus peuplés, la canne à sucre produite ici et le bois récolté dans les bois avoisinants.
La récolte de la canne à sucre dans la province de Tucuman. Pas un métier particulièrement facile…
Quoi qu’il en soit, il est difficile de faire le lien entre cet événement sanglant et la zamba. Il reste deux hypothèses. La belle est de 7 de Abril, où il s’agit d’un 7 de Abril, date d’une rencontre et donc, une date plutôt d’ordre privé. Tournons-nous du côté des paroles pour voir si on a d’autres pistes.
Les paroles
Il y a en fait diverses paroles. La version la plus courante aujourd’hui est celle de Pedro Evaristo Díaz sur la musique déposée par Andrés Avelino Chazarreta.
Triste y con penas me voy Voy cantando mi canción {Buscando consuelo en una zamba Porque me ha pedido el corazón} bis Lejos se escucha una (mi) voz Y ella dice en su cantar {En aquellas noches silenciosas Canto porque alivio mi pesar} bis Estribillo Otros andarán por ahí Igualitos como yo {Cantando triste sus penas Zamba sos mi canción} bis
Como el perfume de flor Suave, acompasada sos {Has hecho bailar a muchos criollos Haciendo vivir la tradición} bis Tus melodías quizás Siempre han sido para mí {La que muchas noches he soñado Y así la nombré siete de abril} bis
Andrés Avelino Chazarreta Letra : Pedro Evaristo Díaz
Si vous voulez connaître d’autres versions, mais qui ne donnent pas plus d’indication sur l’origine, vous pouvez consulter cet excellent article :
Triste et chargé de peine je m’en vais Je m’en vais en chantant ma chanson Cherchant du réconfort dans une zamba {Parce que mon cœur me l’a demandé} bis Au loin s’entend une voix Et elle dit dans sa chanson {Dans ces nuits silencieuses Je chante pour alléger mon chagrin} bis Refrain D’autres viendront par là Tous égaux, comme moi {Chantant tristement leurs peines Zamba tu es ma chanson} bis
Comme le parfum de la fleur Tu es douce et rythmée {Tu as fait danser beaucoup de criollos Faisant revivre la tradition} bis Tes mélodies peut-être Ont toujours été pour moi {Celle dont j’ai rêvé de nombreuses nuits C’est ainsi que je l’ai nommée 7 avril} bis
Alors, allez-vous danser la zamba ?
Comme DJ, j’adore voir les danseurs danser une belle zamba. Ce plaisir est rare en Europe, alors j’espère que vous vous y mettrez, pour me faire plaisir, mais surtout pour vous faire plaisir. J’essaye toujours de placer un intermède de folklore dans les milongas que j’anime. En Europe, ça a rarement du succès et ça se termine en cortina, mais désormais, la chacarera est bien rentrée dans les mœurs. La zamba, c’est un peu plus difficile, mais j’ai eu quelques occasions, donc celle qui m’a servi pour la photo de couverture où deux danseurs français ont réalisé une très belle zamba. Ils se sont retrouvés seuls sur la piste, mais ils ont produit une vive émotion et je suis sûr que cela a donné une petite envie à certains. L’an dernier à Tarbes, j’ai aussi pu faire danser quelques couples sur une zamba.
Une autre zamba pour vous décider à la danser, par Argentino Luna
Il existe des centaines de Zambas, chacune dans de nombreuses versions. C’est un champ immense.
Gallitos del aire par Argentino Luna. Les Gallitos del Aire (petits coqs de l’air) sont les foulards.
Les Gallitos del Aire (petits coqs de l’air) sont les foulards.
À Buenos Aires, cette version plaît beaucoup.
Je vous en donne les paroles et leur traduction, car ce titre décrit exactement la danse et son sentiment.
Paroles de Gallitos del aire
Comenzó la zamba y con el pañuelo Te invité a bailarla y fue como un ruego Cuando te acercaste, casi sin aliento Con mucha vergüenza, dijiste bailemos Y así comenzamos a bailar la zamba Poniendo en el baile, el cuerpo y el alma
La Luna traviesa brillaba en tu pelo Yo te presentía paloma en acecho En la media vuelta me puse a tu lado Buscando tus ojos, mis ojos jugaron Giraste y te fuiste, tímida y callada Temblorosamente bailando la zamba
Una vuelta entera, nos puso de frente Mis labios deseaban tus labios ardientes Gallitos del aire fueron los pañuelos Que en blanco y celeste pintaron el cielo Ya la media zamba marcaba el final Y yo presentía tus ganas de amar
Se va la segunda, dijo el musiquero Y yo enamorado seguía tu vuelo Presentí tus miedos casi con asombro Mientras me mirabas por arriba del hombro Con la mano izquierda me toque el sombrero Como pa’ decirte aquí voy de nuevo
Lo demás fue un juego de amagues y esquives Un tantear de cerca, tu cuerpo de mimbre Formando un arresto, mi pañuelo blanco Lo entrelazó al tuyo que andaba volando Y fue con el baile, violín y guitarra La noche más noche, la zamba más zamba
Una vuelta entera nos puso de frente Mis labios deseaban tus labios ardientes Gallitos del aire, fueron los pañuelos Que en blanco y celeste pintaron el cielo Mi pañuelo blanco te trajo hacia mí Y tú enamorada dijiste que sí
Argentino Luna
Traduction libre de Gallitos del aire et indications
La zamba a commencé et avec le foulard Je t’ai invitée à la danser et c’était comme une prière Quand tu t’es approchée, presque essoufflée Avec beaucoup de honte, tu as dit, dansons C’est ainsi que nous avons commencé à danser la zamba Mettant dans la danse corps et âme
La lune coquine brillait dans tes cheveux J’ai senti que tu étais une colombe traquée Dans la media vuelta (figure de la zamba), je me tenais à ton côté Mes yeux jouant à chercher tes yeux Tu t’es retourné et tu es partie, timide et silencieuse Dansant la zamba en tremblant
Un vuelta entera (figure de zamba, tour entier), nous a mis face à face Mes lèvres désiraient tes lèvres brûlantes Les coqs de l’air étaient les foulards Qui en blanc et bleu céleste ont peint le ciel. (Ce sont les couleurs de la bandera argentine. Les femmes ont traditionnellement le foulard céleste et les hommes le blanc. Les foulard sont agités en l’air et donnent l’impression de peindre le ciel) Déjà la demi-zamba marquait la fin Et j’ai pressenti ton désir d’aimer. (C’est la fin de la première partie. Le danseur raccompagne la femme et la seconde partie commence).
La seconde démarre, dit le musicien (il annonce la seconde partie) Et moi, amoureux, j’ai suivi ton vol J’ai senti tes craintes presque avec étonnement Alors que tu me regardais par-dessus ton épaule De ma main gauche, j’ai touché mon chapeau Comme pour te dire que je reviens.
Le reste n’était qu’un jeu de feintes et d’esquives Une sensation de proximité, ton corps en osier Formant une arresto (figure de la zamba consistant à changer de sens, comme une simulation de court après-moi que je t’attrape), mon foulard blanc Je l’ai entrelacé avec le tien qui allait, volant Et ce fut avec la danse, le violon et la guitare La nuit la plus nuit, la zamba la plus zamba
Un tour entier nous a mis face à face Mes lèvres désiraient tes lèvres brûlantes Coqs de l’air, c’étaient les foulards Qui en blanc et bleu clair ont peint le ciel Mon foulard blanc t’a amené jusqu’à moi Et toi, énamourée, tu as dit oui.
Michèle y Christophe, deux danseurs ayant dansé la zamba sur ma musique à la Mirada (France) en 2021. On peut regretter que cela soit rarement le cas, mais leur belle prestation qui a finalement viré à la démo a sans doute provoqué des vocations. On notera que le foulard de Michèle porte la mention Gricel, c’est la référence à ce lieu de milonga prestigieux de Buenos Aires.
Adolfo et/ou Osvaldo Pugliese Letra : Eduardo Moreno
Recuerdo serait le premier tango écrit par Osvaldo Pugliese. Ayant été édité en 1924, cela voudrait dire qu’il l’aurait écrit avant l’âge de 19 ans. Rien d’étonnant de la part d’un génie, mais ce qui est étonnant, c’est le titre, Recuerdo (souvenir), semble plus le titre d’une personne d’âge mûr que d’un tout jeune homme, surtout pour une première œuvre. Essayons d’y voir plus clair en regroupant nos souvenirs…
La famille Pugliese, une famille de musiciens
Osvaldo est né en 1905, le 2 décembre. Bien que d’une famille modeste, son père lui offre un violon à l’âge de neuf ans, mais Osvaldo préféra le piano. Je vais vous présenter sa famille, tout d’abord avec un arbre généalogique, puis nous entrerons dans les détails en présentant les musiciens.
La famille d’Osvaldo Pugliese. Au moins 8 musiciens, son père, Adolfo, son oncle, Antonio, ses frères Alberto et Vicente, sa fille, Beba, sa petite fille Carla et Marcela, la petite fille de son frère Alberto qui est chanteuse de tango. Cliquez sur l’image pour l’agrandir.
Adolfo Pugliese (1876-06-24 – 1945-02-09), le père, flûtiste, compositeur (?) et éditeur de musique
Adolfo Pugliese, le père d’Osvaldo. Sur la photo de droite, c’est lui avec la flute. Photo prise au studio Cordero qui se trouvait sur Boedo au 2080).
Comme compositeur, on lui attribue :
Ausencia (Tango mío) (Tango de 1931), mais nous verrons, à la fin de cet article, qu’il y en a peut-être un autre, ou pas… La légende veut qu’il soit un modeste ouvrier du cuir, comme son père qui était cordonnier, mais il était aussi éditeur de musique et flûtiste. Il avait donc plusieurs cordes à son arc. De plus, quand son fils Osvaldo a souhaité faire du piano, cela ne semble pas avoir posé de problème alors qu’il venait de lui fournir un violon (qui pouvait être partagé avec son frère aîné, cependant). Les familles qui ont un piano ne sont pas les plus démunies… Même si Adolfo a écrit, semble-t-il, écrit peu (ou pas) de tango, il en a en revanche édité, notamment ceux de ses enfants… Voici deux exemples de partition qu’il éditait. À droite, celle de Recuerco, notre tango du jour. On remarquera qu’il indique « musique d’Adolfo Pugliese » et la seconde de « Por una carta », une composition de son fils Alberto, frère d’Osvaldo, donc.
Exemples de partition éditée par Adolfo Pugliese. À gauche, la couverture de Recuerdo, à son nom, Adolfo Pugliese. Nous y reviendrons. À droite, une partition d’un de ses fils, Alberto « Por una Carta ! »
Sur la couverture de Recuerdo, le nom des musiciens de Julio de Caro, à savoir : Julio de Caro, reconnaissable à son violon avec cornet qui est également le directeur de l’orchestre., puis de gauche à droite, Francisco de Caro au piano, Pedro Maffia au bandonéon (que l’on retrouve sur la partition de Por una carta), Enrike Krauss à la contrebasse, Pedro Laurenz au bandonéon et Emilio de Caro, le 3e De Caro de l’orchestre… Sur la partition de Por una carta, les signatures des membres de l’orchestre de Pedro Maffia : Elvino Vardaro, le merveilleux violoniste, Osvaldo Pugliese au piano, Pedro Maffia au bandonéon et directeur de l’orchestre, Francisco De Lorenzo à la contrebasse, Alfredo De Franco au bandonéon et Emilio Puglisi au violon.
Mention portée sur les partitions éditées par Adolfo Pugliese.
On voir qu’Adolfo gérait ses affaires et que donc l’idée d’un Osvaldo Pugliese né dans un milieu déshérité est bien exagérée. Cela n’a pas empêché Osvaldo d’avoir des idées généreuses comme en témoignent son engagement au parti communiste argentin et sa conception de la répartition des gains avec son orchestre. Il divisait les émoluments en portions égales à chacun des membres de l’orchestre, ce qui n’était pas la façon de faire d’autres orchestres ou le leader était le mieux payé…
Antonio Pugliese (1878-11-21— ????), oncle d’Osvaldo. Musicien et compositeur d’au moins un tango
Ce tango d’Antonio est : Qué mal hiciste avec des paroles d’Andrés Gaos (fils). Il fut enregistré en 1930 par Antonio Bonavena. Je n’ai pas de photo du tonton, alors je vous propose d’écouter son tango dans cette version instrumentale.
Que mal hiciste 1930 Orquesta Antonio Bonavena (version instrumentale)
Alberto Pugliese (1901-01-29- 1965-05-15), frère d’Osvaldo. Violoniste et compositeur
Alberto Puglise un des grands frères d’Osvaldo. Il est à droite sur la photo de gauche, avec les mains sur les hanches. Osvaldo est appuyé au poteau et je n’ai pas identifié le troisième homme. Ce serait tentant d’y voir le troisième frère Vincente, mais rien n’est moins sûr…
Curieusement, les grands frères d’Osvaldo sont peu cités dans les textes sur le tango. Alberto a pourtant réalisé des compositions sympathiques, parmi lesquelles on pourrait citer :
Adoración (Tango) enregistré Orquesta Juan Maglio « Pacho » avec Carlos Viván (1930-03-28).
Cabecitas blancas (Tango) enregistré par Osvaldo et Chanel (1947-10-14)
Cariño gaucho (Milonga)
El charquero (Tango de 1964)
El remate (Tango) dont son petit frère a fait une magnifique version (1944-06-01). Mais de nombreux autres orchestres l’ont également enregistré.
Espinas (Tango) Enregistré par Firpo (1927-02-27)
Milonga de mi tierra (Milonga) enregistrée par Osvaldo et Jorge Rubino (1943-10-21)
Por una carta (Tango) enregistré par la Típica Victor (1928-06-26)
Soñando el Charleston (Charleston) enregistré par Adolfo Carabelli Jazz Band (1926-12-02).
Il en a certainement écrit d’autres, mais elles sont encore à identifier et à faire jouer par un orchestre qui les enregistrera… On notera que sa petite fille, Marcela est chanteuse de tango. Les gènes ont aussi été transmis à la descendance d’Alberto.
Adolfo Vicente (surnommé Fito pour mieux le distinguer de son père Adolfo, Adolfito devient Fito) ne semble pas avoir écrit ou enregistré sous son nom. Ce n’est en revanche pas si sûr. En effet, il était un brillant violoniste et étant le plus âgé des garçons, c’est un peu lui qui faisait tourner la boutique quand son père se livrait à ses frasques (il buvait et courait les femmes). Cependant, la mésentente avec le père a fini par le faire partir de Buenos Aires et il est allé s’installer à Mar del Plata où il a délaissé la musique et le violon, ce qui explique que l’on perde sa trace par la suite.
Adolfo (Fito) Vicente est l’aîné des frères Pugliese. Il était violoniste et compositeur, mais a abandonné sa carrière à la suite de la mésentente avec son père.
Beba (Lucela Delma) Pugliese (1936— …), pianiste, chef d’orchestre et compositrice
Beba, la fille d’Osvaldo, également une musicienne de talent
C’est la fille d’Osvaldo et de María Concepción Florio et donc la petite fille d’Adolfo, le flûtiste et éditeur. Parmi ses compositions, Catire et Chicharrita qu’elle a joué avec son quinteto…
Beba Pugliese avec sa mère, María Concepción et Osvaldo en 1948
Petite fille d’Osvaldo et fille de Beba, la tradition familiale continue de nos jours, même si Carla s’oriente vers d’autres musiques. Si vous voulez en savoir plus sur ce jeune talent :
Je ne sais pas s’ils étaient musiciens. Le père était zapatero (cordonnier). Ce sont eux qui ont fait le voyage en Argentine où sont nés leurs 5 enfants. Ce sont deux parmi les milliers d’Européens qui ont émigré vers l’Argentine, comme le fit la mère de Carlos Gardel quelques années plus tard.
Roque PUGLIESE Padula
Né le 5 octobre 1853 — Tricarico, Matera, Basilicata, Italie Zapatero. C’est de lui que vient le nom de Pugliese qu’il a certainement adopté en souvenir de sa terre natale.
Filomena Vulcano
Née en 1852 — Rossano, Cosenza, Calabria, Italie Ils se sont mariés le 28 novembre 1896, dans l’église Nuestra Señora de la Piedad, de Buenos Aires. Leurs enfants :
Adolfo Juan PUGLIESE Vulcano 1876-1943 (Père d’Osvaldo, compositeur, éditeur et flûtiste)
Antonio PUGLIESE Vulcano 1878 (Musicien et compositeur)
Luisa María Margarita PUGLIESE Vulcano 1881
Luisa María PUGLIESE Vulcano 1883
Concepción María Ana PUGLIESE Vulcano 1885
Extrait musical
Recuerdo, 1944-03-31 — Orquesta Osvaldo Pugliese.
Dans cette version il y a déjà tout le Pugliese à venir. Les versions enregistrées auparavant avaient déjà pour certaines des intonations proches. On peut donc penser que la puissance de l’écriture de Pugliese a influencé les orchestres qui ont interprété son œuvre. À l’écoute on se pose la question de la paternité de la composition. Alfredo, Osvaldo ou un autre ? Nous y reviendrons.
Les paroles
Ayer cantaron las poetas y lloraron las orquestas en las suaves noches del ambiente del placer. Donde la bohemia y la frágil juventud aprisionadas a un encanto de mujer se marchitaron en el bar del barrio sud, muriendo de ilusión muriendo su canción.
Mujer de mi poema mejor. ¡Mujer! Yo nunca tuve un amor. ¡Perdón! Si eres mi gloria ideal Perdón, serás mi verso inicial.
Y la voz en el bar para siempre se apagó su motivo sin par nunca más se oyó.
Embriagada Mimí, que llegó de París, siguiendo tus pasos la gloria se fue de aquellos muchachos del viejo café.
Quedó su nombre grabado por la mano del pasado en la vieja mesa del café del barrio sur, donde anoche mismo una sombra de ayer, por el recuerdo de su frágil juventud y por la culpa de un olvido de mujer durmióse sin querer en el Café Concert.
Adolfo et/ou Osvaldo Pugliese Letra : Eduardo Moreno
Dans la version de la Típica Victor de 1930, Roberto Díaz ne chante que la partie en gras. Rosita Montemar chante deux fois tout ce qui est en bleu.
Traduction libre et indications
Hier, les poètes ont chanté et les orchestres ont pleuré dans les douces nuits de l’atmosphère de plaisir. Où la bohème et la jeunesse fragile prisonnière du charme d’une femme se flétrissaient dans le bar du quartier sud, mourant d’illusion et mourant de leur chanson. Femme de mon meilleur poème.
Femme ! Je n’ai jamais eu d’amour. Pardon ! Si tu es ma gloire idéale Désolé, tu seras mon couplet d’ouverture.
Et la voix dans le bar s’éteignit à jamais, son motif sans pareil ne fut plus jamais entendu. Mimì ivre, qui venait de Paris, suivant tes traces, la gloire s’en est allée à ces garçons du vieux café.
Son nom était gravé par la main du passé sur la vieille table du café du quartier sud, où hier soir une ombre d’hier, par le souvenir de sa jeunesse fragile et par la faute de l’oubli d’une femme, s’est endormie involontairement dans le Café-Concert.
Dans ce tango, on voit l’importance du sud de Buenos Aires.
Autres versions
Recuerdo, 1926-12-09 — Orquesta Julio De Caro. C’est l’orchestre qui est sur la couverture de la partition éditée avec le nom d’Adolfo. Remarquez que dès cette version, la variation finale si célèbre est déjà présente.La photo est de Luis Richelme (qui avait son studio sur l’avenue Corrientes au 1238 de l’avenue Corrientes). C’est le même studio qui a réalisé la photo d’Osvaldo que j’ai placée en bas à droite de l’arbre généalogique. Adolfo a donc changé de studio photo depuis l’époque où il était avec son orchestre (il utilisait alors le studio Cordero qui se trouvait sur Boedo au 2080).Recuerdo 1927 — Rosita Montemar con orquesta. Une version chanson. Juste pour l’intérêt historique et pour avoir les paroles chantées…Recuerdo, 1928-01-28 — Orquesta Bianco-Bachicha. On trouve dans cette version enregistrée à Paris, quelques accents qui seront mieux développés dans les enregistrements de Pugliese. Ce n’est pas inintéressant. Cela reste cependant difficile de passer à la place de « La référence ». Recuerdo, 1930-04-23 — Orquesta Típica Victor con Roberto Díaz. Une des rares versions chantées et seulement sur le refrain (en gras dans les paroles ci-dessus). Un basson apporte une sonorité étonnante à cette version. On l’entend particulièrement après le passage chanté.Recuerdo, 1941-08-08 — Orquesta Francisco Lomuto. Une version très intéressante. Que je pourrais éventuellement passer en bal.Recuerdo 1941 Orquesta Aníbal Troilo. La prise de son qui a été réalisée à Montevideo est sur acétate, donc le son est mauvais. Elle n’est là que pour la référence.Recuerdo, 1942-11-04 — Orquesta Ricardo Tanturi. Une version surprenante pour du Tanturi et pas si loin de ce que fera Pugliese, deux ans plus tard. Heureusement qu’il y a la fin typique de Tanturi, une dominante suivie bien plus tard par la tonique pour nous certifier que c’est bien Tanturi 😉Recuerdo, 1944-03-31 — Orquesta Osvaldo Pugliese. C’est le tango du jour. Il est intéressant de voir comment cette version avait été annoncée par quelques interprétations antérieures. On se pose toujours la question ; Alfredo ou Osvaldo ? Suspens…Recuerdo, 1952-09-17 — Orquesta Julio De Caro. De Caro enregistre 26 ans plus tard le titre qu’il a lancé. L’évolution est très nette. L’utilisation d’un orchestre au lieu du sexteto, donne de l’ampleur à la musique. Recuerdo 1966-09 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel. On retrouve Pugliese, 22 ans après son premier enregistrement. Cette fois, la voix de Maciel. Celui-ci chante les paroles, mais avec beaucoup de modifications. Je ne sais pas quoi en penser pour la danse. C’est sûr qu’en Europe, cela fait un malheur. L’interprétation de Maciel ne se prête pas à la danse, mais c’est tellement joli que l’on pourrait s’arrêter de danser pour écouter.
En 1985, on a au moins trois versions de Rucuerdo par Pugliese. Celle de « Grandes Valores », une émission de télévision, mais avec un son moyen, mais une vidéo. Alors, je vous la présente.
Recuerdo par Osvaldo Pugliese dans l’émission Grandes Valores de 1985.
Puisqu’on est dans les films, je vous propose aussi la version au théâtre Colon, cette salle de spectacle fameuse de Buenos Aires.
Recuerdo par Osvaldo Pugliese au Théatre Colon, le 12 décembre 1985.
Pour terminer, toujours de 1985, l’enregistrement en studio du 25 avril.
Recuerdo, 1985-04-25 — Orquesta Osvaldo Pugliese.
Pugliese a continué à jouer à de nombreuses reprises sa première œuvre. Vous pouvez écouter les différentes versions, mais elles sont globalement semblables et je vous propose d’arrêter là notre parcours, pour traiter de notre fil rouge. Qui est le compositeur de Recuerdo ?
Qui est le compositeur de Recuerdo ?
On a vu que la partition éditée en 1926 par Adolfo Pugliese mentionne son nom comme auteur. Cependant, la tradition veut que ce soit la première composition d’Osvaldo. Écoutons le seul tango qui soit étiqueté Adolfo : Ausencia, 1926-09-16 — José Bohr y su Orquesta Típica. C’est mignon, mais c’est loin d’avoir la puissance de Recuerdo. On notera toutefois que la réédition de cette partition est signée Adolfo et Osvaldo. La seule composition d’Adolfo serait-elle en fait de son fils ? C’est à mon avis très probable. Le père et sa vie peu équilibrée et n’ayant pas donné d’autres compositions, contrairement à ses garçons, pourrait ne pas être compositeur, en fait.
La réédition de Ausencia est maintenant signée O et A Pugliese. Mais il peut s’agit d’Adolfito, le frère aîné et pas d’Adolfo, le père.
Pour certains, c’est, car Osvaldo était mineur, que son père a édité la partition à son nom. Le problème est que plusieurs tangos d’Osvaldo avaient été antérieurement édités à son nom. Donc, l’argument ne tient pas.
Un des premiers tangos de Pugliese El Frenopàtico, que celui-ci a dédié à sa chère tante Concepción (celle qui est à droite dans l’arbre généalogique que je vous ai présenté). Il est signé de son nom et prénom alors qu’il était mineur.
L’édition de 1926, réalisée par Adolfo Pugliese, porte toujours son nom comme auteur. En revanche, par la suite, c’est bien le prénom d’Osvaldo qui figurera. À gauche, il est fait mention de l’orchestre de Julio de Caro qui a étrenné le tango et l’a enregistré en décembre 1926. Cette partition est donc postérieure à 1926, contrairement à l’édition initiale. Osvaldo était alors âgé de 21 ans et donc majeur. L’argument tombe pour cette deuxième raison également.
En 1942, sur l’enregistrement de Tanturi, c’est toujours A. Pugliese qui est mentionné. Est-ce toujours Adolfo, le père, Alberto ou le plus âgé des frères, Adolfito ?
Pour rendre la chose plus complexe, il faut prendre en compte l’histoire de son frère aîné Adolfo (Fito). Ce dernier était un brillant violoniste et compositeur. Pedro Laurenz, alors Bandonéiste dans l’orchestre de Julio De Caro, indique qu’il était avec Eduardo Moreno quand un violoniste Emilio Marchiano serait venu lui demander d’aller chercher ce tango chez Fito pour lui ajouter des paroles. Marchiano travaillait alors au café ABC, comme l’indique Osvaldo qui était ami avec le bandonéoniste Enrique Pollet (Francesito) et qui aurait recommandé les deux titres marqués Adolfo (Ausencia et Recuerdo). On est sur le fil avec ces deux histoires avec les mêmes acteurs. Dans un cas, l’auteur serait Adolfito qui donnerait la musique pour qu’elle soit jouée par De Caro et dans l’autre, ce serait Pollet qui aurait fait la promotion des compositions qui seraient toutes deux d’Osvaldo et pas de son père, ni de son grand frère. Pour expliquer que le nom de son père soit sur les partitions de ces deux œuvres, je donne la parole à Osvaldo qui indique qu’il est bien l’auteur de ces tangos, et notamment de Recuerdo qu’il aurait donné à son père, car ce dernier, flûtiste avait du mal à trouver du travail et qu’il avait décidé de se reconvertir comme éditeur de partition. En effet, la flûte, très présente dans la vieille garde n’était plus guère utilisée dans les nouveaux orchestres. Cette anecdote est par Oscar del Priore et Irene Amuchástegui dans Cien tangos fundamentales. Toujours selon Pedro Laurenz, la variation finale, qui donne cette touche magistrale à la pièce, serait d’Enrique Pollet, alias El Francés, (1901-1973) le bandonéoniste qui travaillait avec Eduardo Moreno au moment de l’adaptation de l’œuvre aux paroles. Cependant, la version de 1927 chantée par Rosita Montemar ne contient pas la variation finale alors que l’enregistrement de 1926 par De Caro, si. Plus grave, la version de 1957, chantée par Maciel ne comporte pas non plus cette variation. On pourrait donc presque dire que pour adapter au chant Recuerdo, on a supprimé la variation finale.
Et en conclusion ?
Ben, il y a plein d’hypothèses et toutes ne sont pas fausses. Pour ma part, je pense que l’on a minimisé le rôle Fito et qu’Adolfo le père n’a pas d’autre mérite que d’avoir donné le goût de la musique à ses enfants. Il semble avoir été un père moins parfait sur d’autres plans, comme en témoigne l’exil d’Adolfito (Vicente). Mais finalement, ce qui compte, c’est que cette œuvre merveilleuse nous soit parvenue dans tant de versions passionnantes et qu’elle verra sans doute régulièrement de nouvelles versions pour le plus grand plaisir de nos oreilles, voire de nos pieds. Recuerdo restera un souvenir vivant.
Ne me dites pas que la voix chaude d’Alberto Podestá quand il lance le premier « Percal » ne vous émeut pas, je ne vous croirais pas. Mais avant le thème créé par Domingo Federico et magistralement proposé par l’orchestre de Caló a instauré une ambiance de mystère.
Je ne sais pas pourquoi, mais les premières notes m’ont toujours fait penser aux mille et une nuit. L’évocation de la percale qui est un tissu de qualité en France pourrait renforcer cette impression de luxe. Cependant, le percal qui est masculin en espagnol, est une étoffe modeste destinée aux femmes pauvres. Vous le découvrirez plus largement avec les paroles, ci-dessous.
Podestá a commencé à chanter pour Caló à 15 ans. Il a passé une audition dans l’après-midi et le soir-même il commençait avec l’orchestre. Miguel Caló savait déceler les talents…
Extrait musical
Qué tiempo aquel 1938-02-24 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar
Les paroles
¿Te acuerdas del percal? Tenías quince abriles.
Percal… ¿Te acuerdas del percal? Tenías quince abriles, Anhelos de sufrir y amar, De ir al centro, triunfar Y olvidar el percal. Percal… Camino del percal, Te fuiste de tu casa… Tal vez nos enteramos mal. Solo sé que al final Te olvidaste el percal.
La juventud se fue… Tu casa ya no está… Y en el ayer tirados Se han quedado Acobardados Tu percal y mi pasado. La juventud se fue… Yo ya no espero más… Mejor dejar perdidos Los anhelos que no han sido Y el vestido de percal.
Llorar… ¿Por qué vas a llorar?… ¿Acaso no has vivido, Acaso no aprendiste a amar, A sufrir, a esperar, Y también a callar? Percal… Son cosas del percal… Saber que estás sufriendo Saber que sufrirás aún más Y saber que al final No olvidaste el percal. Percal… Tristezas del percal.
Percal est mentionné sept fois dans les paroles de ce tango d’Homero Expósito. Il est donc très important de ne pas faire un contresens sur la signification de ce mot. Wikipédia nous dit que : « La percale est un tissu de coton de qualité supérieure fait de fil fin serré à plat. Elle est appréciée en literie pour son toucher lisse, doux, et sa résistance ». Vous aurez compris qu’il ne faut pas en rester là, car une fois de plus, c’est le lunfardo, l’argot argentin qu’il faut interroger pour comprendre. En lunfardo, il s’agit d’un tissu de coton utilisé pour les robes des femmes de condition modeste. On retrouve dans cette dérivation du mot en lunfardo, la dérision de la mode de la haute société qui se piquait d’être à la française. Nommer une toile modeste du nom d’une toile prestigieuse était une façon de se moquer de sa condition de misère. En français, on dirait donc plutôt « calicot » que percale pour ce type de tissu de basse qualité. Voici ce qu’a écrit Athos Espíndola dans son « Diccionario del lunfardo » :
Percal. l. p. Tela de modesta calidad que se empleaba para vestidos de mujer, la más común entre la gente humilde. Fue llevada por el canto, la poesía y el teatro populares a convertirse en símbolo de sencillez y pureza que representaba a la mujer de barrio entregada a su hogar y a la obrera que sucumbía doce horas diarias en el taller de planchado o en la fábrica para llevar unos míseros pesos a la pobreza de su familia. A esa que luego, a la tardecita, salía con su vestido de percal a la puerta de su casa a echar a volar sueños e ilusiones. Pero también fue símbolo discriminatorio propicio para que las grandes señoras de seda y de petit-gris tuvieran otro motivo descalificatorio para esa pobreza ofensiva e insultante que, afortunadamente, estaba tan allá, en aquellos barrios adonde no alcanzaban sus miradas. ¿Cómo iba a detenerse a conversar con una mujer que viste de percal?
Athos Espíndola, Diccionario del lunfardo
Ce tango évoque donc la malédiction de celles qui sont nées pauvres et qui ne sortiront pas de l’univers des tissus de basse qualité, contrairement à celles qui vivent dans la soie et le petit-gris. Pour information, le petit-gris est apparenté au vair des chaussures de Cendrillon, le vair étant une fourrure à base de peaux d’écureuils. Le petit-gris, c’est pire dans le domaine de la cruauté, car il faut le double d’écureuils. Au lieu d’utiliser le dos et le ventre, on n’utilise que le dos des écureuils pour avoir une fourrure de couleur unie et non pas en damier comme le vair.
Tenías quince abriles, en français on emploi souvent l’expression avoir quinze printemps pour dire quinze ans. En Argentine, les quinze ans sont un âge tout particulier pour les femmes. Les familles modestes s’endettent pour offrir une robe de fête pour leur fille, pour cet anniversaire le plus spectaculaire de leur vie. Le fait que la robe de la chanson soit dans un tissus humble, accentue l’idée de pauvreté. Il existe d’ailleurs des valses de quinzième anniversaire et pas pour les autres années. Dans les milongas, la tradition de fêter les anniversaires en valse vient de là.
El vals de los quince años pour l’anniversaire de Quique Camargo par Los Reyes del Tango. Milonga Camargo Tango – El Beso – Buenos Aires – 2024-02-17. . Parole et musique Agustín Carlos Minotti. Grabación DJ BYC Bernardo
Les enregistrements de Percal
Percal 1943-02-25 — Orquesta Miguel Caló con Alberto Podestá. C’est le tango du jour.Percal 1943-03-25 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.
Enregistrée un mois, jour pour jour après celle de Calo, cette version est superbe. Cependant, il me semble que la voix de Fiorentino et en particulier sa première attaque de « Percal » sont en deçà de ce qu’ont proposé Caló et Podestá. Mais bien sûr, ce titre est également merveilleux à danser.
Percal 1943-05-13 Hugo Del Carril accompagné par Tito Ribero.
Cette chanson, ce n’est pas un tango de danse, commence avec une musique très particulière et Hugo Del Carril démarre très rapidement (normal, c’est une chanson) le thème d’une voix très chaude et vibrante.
Percal 1947 ou 1948 — Francisco González et son Orchestre typique argentin con Roberto Rodríguez.
Percal 1952-08-25 — Orquesta Domingo Federico con Armando Moreno et récitatif por Julia de Alba.
Il est intéressant d’écouter cette version enregistrée par l’auteur de la musique, même si c’est plus tardif. En plus des paroles chantées par Armando Moreno, il y a un récitatif dit par Julia de Alba, une célébrité de la radio. Son intervention renforce le thème du tango en évoquant le chemin de percale, la destinée que lui prédisait sa mère et qui s’est avérée la réalité. Elle l’a compris plus tard, pleurant les baisers de sa mère qui ne peut plus l’embrasser.
Percal 1969 — Orquesta Domingo Federico con Carlos Vidal.Percal 1969-09-24 — Domingo Federico (bandonéon) Oscar Brondel (guitare) con Rubén Maciel.
La particularité de cet enregistrement est qu’il est chanté en esperanto par Rubén Maciel. Federico était un militant de l’esperanto, ce langage destiner à unir les hommes dans une grande fraternité. Le même jour, ils ont aussi enregistré une version de la cumparsita, toujours en esperanto.
Percal 1990-12 — Orquesta Juvenil de Tango de la U.N.R. dir Domingo Federico con Héctor Gatáneo.
Vous pouvez acheter ce titre ou tout l’album sur BandCamp, y compris dans des formats sans perte (ALAC, FLAC…). Pour mémoire, les fichiers que je propose ici sont en très basse qualité pour être autorisé sur le serveur (limite 1 Mo par fichier).
Autre titre enregistré un 25 février
Ya sale el tren 1943-02-25 — Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz. Musique et paroles de Luis Rubistein.
Ce tango a été enregistré le même jour que Percal, mais avec un chanteur différent, Jorge Ortiz. On entend la cloche du train au début.
Ya sale el tren 1943-02-25 — Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz. Musique et paroles de Luis Rubistein. Ce tango a été enregistré le même jour que Percal, mais avec un chanteur différent, Jorge Ortiz. On entend la cloche du train au début.
Web Archive est un service qui mémorise des millions de sites Internet. Par chance, il a enregistré le site à différentes reprises, ce qui peut vous permettre de retrouver d’anciens articles qui ont été détruits suite au piratage du site.
Vous pouvez retrouver la plupart des anciens articles
Le premier site a été mis en ligne au tout début des années 2000 et a été à maintes reprises remanié. Web Archive a gardé des traces de certaines ces versions.
Les anciens articles qui sont toujours d’actualité seront réécris progressivement. Vous pouvez toutefois me réclamer les articles que vous souhaitez retrouver en priorité en me contactant.
Quelques gentils messages de danseurs et organisateurs Some nice messages from dancers and organizers Algunos lindos mensajes de bailarines y organizadores
Solange V Merci pour vos félicitations quant au choix du DJ ! Il est vrai que BYC Bernardo est un dj qui s’implique à 100 % Des personnes sensibles au laser ont beaucoup appréciés! (Pas laser, mais vidéoprojecteur avec nom des orchestres et musiques). Il régnait une aura une émanation incontestable, rarement aussi ressentie ! MERCI, MERCI à tous! Merci à Byc ! À refaire!!! Je vous promets sitôt que cela sera possible (Une date a été fixée 😉
Gustavo Benzecry Sabá Gracias, DJ Bernardo BYC, por la música y las fotos. ¡Abrazos!
Odette R Merci Bernardo pour tes belles photos… musique et gentillesse appréciées de tous les danseuses et danseurs…
Mireille S Merci Byc pour ta musique tes photos et ta bonne humeur !!!
Isabelle et Richard T Merci pour la musique et ces belles photos.
Robert P À bientôt j’espère
Gérard D Remarquable tout simplement.
Lone N Thank you for the nice music and the pictures, too Lovely.
Monique R Merci Bernardo pour ces magnifiques photos de couples reflétant le bonheur et la joie de tanguerer sur des musiques excellemment choisies. Au plaisir de revivre cette ambiance.
Rose-Marie A Un grand merci Bernardo d’être tel que tu es : passionné par le Tango, toujours agréable et si généreux ! Oui, ce festival a été merveilleux par sa musique et la joie qu’il a transmis.
Annick L. Merci pour ta musique, les photos et tout et tout !
Bernadette C. Première soirée très joyeuse ! Merci Bernardo pour la musique.
Roselyne D Merci Byc pour ces belles tandas. L’ambiance était plus qu’au top. J’ai adoré
Annick L Merci pour ta musicalisation, ton dynamisme, ton enthousiasme ! Tu nous as vraiment régalés !!!
Mims Bc Merci Byc Bernardo pour une merveilleuse programmation musicale. La soirée a été grandiose.
Luis P one of the most interesting DJs I’ve heard in Tarbes this year. Thank you so much.
José M (maestro) Un grand merci à toi Byc Bernardo pour le choix des musiques de notre démonstration, pour ton énergie, ton talent de photographe et ta bonne humeur Bravo et merci
Christine B Prestation, musique, organisation ont contribué à une despedida topissime ! (j’ai passé la musique pendant 12 heures en continu)
Daniel Norbeto L Grande Bernardo … Genial !
Roland A Merci pour ton dynamisme et ce bonheur communicatif à travers de magnifiques tandas
Mims Bc Merci Byc Bernardo pour une merveilleuse programmation musicale. La soirée a été grandiose.
Laura K Capísimo!!!!
D y M Superbe comme d’habitude. Bisous. Merci Byc.
Arielle C Merci Bernardo pour ta musique inspirée et pour tes clichés tendres.
Chrystelle R On s’est régalés !
Tango C C’est une tout nouvelle catégorie TDJPhotographe ! … Merci pour la fantastique sélection musicale adaptée et ces clichés de haute qualité visuelle que reflète les différentes formes d’exprimer la sensibilité humaine. Un abrazo !
Tata L La musique c’était top
Arielle C Merci Bernardo pour ta musique inspirée et pour tes clichés tendres.
Chrystelle R On s’est régalés !
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Severine P un DJ génial Bernardo Byc
Mireille S Toujours au top BYC!!!!Tu nous as régalés à Tarbes comme toujours!!! Un grand MERCIII et ce n’est pas fini !! A très vite!!!!!
Chrystele D Très belle milonga. Merci pour ta musicalisation DJ Bernardo. CT Super
Roselyne J Geantissime
Daniel P Byc Bernardo prueba superada!
Tanguera Emilienne R Merci pour tes choix musicaux et ton parti pris que j’ai trouvé JOYEUX… Comme tu l’es.
Marie C Quelle ambiance ! Merci pour cette despedida fabuleuse
Alain D Bonjour. J’étais ce week-end à St EMINIE. Merci pour votre musicalisation de grande qualité. Au plaisir de vous réentendre. Je vais à 2, 3 endroits en Italie je mentionnerai votre nom…
Béatrice B Ta musique en a enchanté plus d’un , tu vis vraiment en interaction avec la salle… ce n’est pas si courant ! Certains DJ déroulent leur playlist sans mesurer l’ambiance… Toi, tu mets le feu. Tu vis la musique et ça se ressent ! C’est du tonnerre…
Mireille S Bravo Bernardo, pour ta très belle musique ta gentillesse ton enthousiasme contagieux… À l’unanimité tu as animé magnifiquement la despedida avec bcp de créativité !! Bref…c’était top top!!! En 2023… la barre va être très haute!!! RV dans 1 an…
José M Nous avons passé un agréable week-end et encore merci pour ta musique. Tu es très professionnel, nous sommes partants de t’inviter chez nous pour passer ta musique. Abrazo fuerte
Jeanne R E Sainte-Énimie ce fut un plaisir Une mention particulière pour la longue route de Byc Bernardo à la ressource inépuisable.
Julia DGracias¡ Bernardo maravillosa musicalización en sueño porteño
Maria T que lindo verte amigo!!! muy buena tu musica.
Quique C : Un gran DJ, excelente, le encanta pasar música,
Daniel B : Bernardo, gran colega, gran amigo un tipo muy experimentado en el arte de musicalizar tango, no solo un DJ, además hace VJ lo que es muy importante, espectacular…
Victoria V : Un grand merci à Bernardo BYC … Quelle soirée formidable !!
Diana B G : Una noche preciosa, gracias por hacerlo siempre tan acogedor!! un abrazo
Guillermo N : DJ Bernardo que hace un trabajo fabuloso en Francia.
José M, J’ai trop adoré la musique
Jean D En plus, le dj nous fait des photos ressenties dans la musicalité de sa musique… What else? Bravo ami Byc
Odette R Comme toujours magnifiques ! Musique et photos sont au top… J’adore.
Lucia S : BYC ES BUENISIMO ¡¡¡¡Y SUPER FAMOSO EN FRANCIA PASANDO TANGO Y ACA TAMBIEN¡¡¡¡¡¡¡
Cyrille M : Merci beaucoup Bernardo, toujours aussi bien et cela fait toujours plaisir. Abrazos
Odette R : Merci Bernardo….pour tes superbes photos…également pour l’ambiance que tu fais partager avec ta musique...
Jean D : DJ Bernardo BYC je n’ai jamais oublié ta musicalisation à Besançon, avant le covid.
Marie J E : Merci Bernardo Byc, j’adore ta façon de nous rendre beaux et heureux…
Anny L : Merci pour les photos, Bernardo (et pour la musique !)
Mireille S : J’adore tes photos BYC !!! Tous les talents !!! Et quelle soirée !!! Ambiance de folie !!! Merciiiiiii
Luna M : remercie « DJ BYC Bernardo » pour sa gentillesse, sa bonne humeur et son professionnalisme !!
Marie-Noëlle H : Bravo Bernardo Byc pour la programmation musicale.
Christian T : BYC musicalisait en première partie (2 heures de musicalisation à BsAs, c’est qu’il est en train de gagner ses galons de Maréchal notre ami Bernardo). Très bien, comme d’habitude. Et comme d’habitude, il a mis presque aussitôt après mon arrivée une série de Rodriguez. À mon intention. Si ! C’était pour moi. Il l’a même annoncé au micro. Voyez bien qu’on m’aime parfois.
Mariana L : C’était une très belle milonga chez les amis de Malena, très bonne programmation musicale !! Bravo Dj Byc Bernardo ! Hasta pronto !
Nedj E : DJ Byc Bernardo n’est pas seulement un super DJ, c’est un super photographe. La première fois c’était en 2014, une photo magnifique qui capturait complètement qui j’étais à ce moment-là. 4 ans plus tard et après beaucoup de changements, il capture aussi qui je suis aujourd’hui. Merci Byc!
Eva J merci Byc très belle soirée et particulièrement ta programmation en nocturne
Quique C : Un gran DJ, le encanta pasar musica,
Maria B : C’était formidable hier ! Très bonne musique.
Frédéric Z : Merci à toi surtout : c’était MAGIQUE ! Ta program’ nous a transporté-e-s dans un autre monde, avec le Paty, la lune, les arbres, le lac, une très très belle énergie collective circulait <3
Daniel G : Une superbe soirée au clair de lune et un grand merci au DJ Bernardo pour sa belle musique et ses superbes cortina à l’écoute des danseurs … souvenir inoubliable d’une tanda avec pour seule lumière la lueur de la pleine lune
Julia D: ¡Gracias Bernardo maravillosa musicalización en Sueño porteño.
Doris S: Fabuleuse milonga au lac de Paty grâce à l’énergie lunaire, aux partenaires…. mais surtout au Dj Bernardo Byc hors du commun, très à l’écoute des mouvements enthousiastes sur la piste. Un grand merci à lui et aux organisateurs. Belle découverte!
MB: C’était formidable hier ! Très bonne musique.
Jean D : Grand merci ami pour ta merveilleuse musique et ces belles photos si gratifiantes…
Armelle T : La Nuit Blanche des allumés à Nantes DJ Bernardo Byc – Un pur régal ! Lien Youtube : https://youtu.be/zVVjUKdSh
Armelle T : tu donnes le maximum, en musique en ambiance, en bonne humeur … !
Jean-Pierre VL : Apart from being an excellent tango dj, BYC Bernardo is also a skillful video technician who can put on tango music accompanied by harmonizing video images and clips. And also worth mentioning is that he’s man with the heart at the right place. So I highly recommend!
Rubén G : !!!salute bernardo !!avant…sempre!!°me gusta esa milonga !!te felicito.!! estoy feliz.
Anik L : Un DJ Bernardo BYCà l’écoute et qui a le bon « oeil »
Catharina B : Un DJ à l’écoute !
PMS : Très belle soirée, excellente musique et très belles photos. Merci Bernardo. ABRAZO!
YD : Merci pour cette bonne musique à Nantes.
NJB : felicitaciones Bernardo, gracias por difundir nuestro tango
BB : c’était parfait !
EP : Gracias !!!, se nota mucho tu pasión de DJ
OR : Merci Bernardo…pour ces photos… ton entrain…et la qualité de tes prestations. Très beau festival…!
JD : Me encanto tu música. Espero que te hayas llevado orquestas nuevas como la romántica milonguera o el cachivache quinteto harán furor en Francia te esperamos con cariño abrazo enorme.
Gracias a vos.
SM : Que lindo fue verte otra vez, gracias por esas tandas divinas que bailamos y tu música fue la mejor de todo el encuentro. Hasta pronto
RC : Quelle superbe soirée tu nous a fait passer avec une programmation exceptionnelle. Merci pour tous ces merveilleux moments de bonheur et ces beaux souvenirs
ADP : Lovely músic and funny milonga. Enchanteresse Dj
MDG : Enhorabuena Byc, fuiste el mejor musicalizador de encuentro de Calpe, abrazo
AT : DJ Bernardo Byc hyper sympa et souriant, et bien sûr sa musique exquise, jusqu’à l’ombre des arbres en passant par l’ambiance et l’échange ….. !!!
GG : Gracias Bernardo por la Musica y el partege Cultural Argentino!!! Hasta la Proxima!!! Abrazos
Mets une bonne ambiance en annonçant les musiques choisies pour chaque tanda.
Et aime faire des surprises, du genre vidéos pendant les morceaux lorsque c’est possible !!!
Luisa T : compartió tu video en vivo. « Une super soirée avec de la super musique !! »
RC : Coucou BERNARDO encore une superbe soirée tu es le meilleur bravo pour tous ces moments de danses
MS : Un grand merci pour cette année encore pour tous ces merveilleux moments que tu nous as donnés par tous tes talents réunis et ta gentillesse
Merci pour ta musique
Merci pour ta bonne humeur et ta générosité
Tous ont été ravis et pressés de s’inscrire pour l’an prochain!!
C’était magique !!
Du mal à atterrir !!
AA : Merci pour cette belle prestation musicale
DR : Muchas gracias Bernardo, además de poner buena música, haces una fotos geniales
VH : Además de un excelente Dj. ¡¡Tengo que decir que eres muy guapo!! 🙂 Muchas gracias por tanta profesionalidad y hasta el año que viene
GG : Grande Bernardo!!!
AM : Musicalisation toujours au top ! C’est toujours un régal de danser sur ta musique. Surtout ne change rien !
RB : Une ovation pour le DJ
JRM : Byc Bernardo, gracias por confiar en mi mano para sostenerte, espero disfrutar nuevamente de tu selección musical y deseo que sea pronto, desde Granada te envío un fuerte abrazo tanguero!!!
AF : Je te félicite le bon choix au bon moment, Super Byc Bernardo
Rony C : WAOU quelle très belle soirée avec un dj hors pair Bisous de Toulouse à bientôt
EO : Coucou Bernardo, je fais remonter l’impression générale après la 1ère milonga estivale. Tout le monde a été enchanté par ta prestation du mardi 11/07/17, jugée d’excellente. Je te remercie et te dis à très bientôt.
CS : Belle soirée et DJ au top kiss
GM : Milonga à Nevers, quelle soirée! Merci à l’équipe et en particulier à DJ Byc Bernardo. Les derniers sur la piste…
OR : Merci Byc ,pour ces belles vidéos , ces belles ambiances de milonga…que tu sais si bien animer…
MM : C’est bien le + beau témoignage de cette chouette soirée ! Merci Byc Bernardo pour ton enthousiasme et ta générosité
BB : Excellent dj !excellent commercial …comment résister …
ML : Milonga Estivale très bien !! Je me suis vraiment amusée
DJ 17,75/20
PT : Merci merci et encore merci
FV : Super énergie….merci
RC : SUPERBE SOIRÉE A CHAQUE FOIS TU NOUS RÉGALES
BB : Trop bien ce festival ! Et te voir sur ton estrade tout ravi de nous voir ravis !!!super partage . Ah te gusta Bernard Yves tu tango !!!
S Sc Merci, BYC, pour cette très belle soirée musicale à Tangueando Toulouse, et tes très belles photos. A bientôt. Bises
JV : ça y est de retour notre grand DJ (de retour de Buenos Aires)
ED : Ambiance musicale extraordinaire ! Merci Bernardo Byc!
EP : Merci Bernardo Byc pour ces belles photos et pour ta bonne musique à ces 2 soirées
BB : !! Je t’adore autant en danseur qu’en dj ..bises
ML : Milonga despedida de Tangopostale très bien un peu fatiguée
DJ 17/20 muy bien
CN : Comme toujours, je suis éblouie par tant de talents pour un seul homme. …
TAM : Merci pour cette belle musicalisation !
AL : Byc Bernardo sabe tomar instantes mágicos que cree con su música
PB : Merci Bernardo pour cette belle ambiance que tu nous as mis
YD : Merci pour cette bonne musique à Nantes
ML : Ouverture Tangopostale aeroscopia
Merci beaucoup Byc Bernardo pour la Photo et les super tandas
JRE : Une agréable milonga de l’ombre de l’air et une musique exquise !
B : Nous sommes tous fatigués mais contents…. Merci à toi de nous avoir donné l’envie de danser jusqu’à très tard et d’avoir su apporter la bonne humeur nécessaire à cette réussite. Au plaisir de te rencontrer à nouveau à Brest ou ailleurs.
TAB : Merci à DJ BYC
MR : Belle soirée hier, merci pour votre musique, votre gentillesse et votre professionnalisme !!!
MCF : Triptica et Maria Belem plus Bernardo : c’était royal ! Magnifique soirée !
SM : J aime ta musique ta bonne humeur tes photos et tes vidéos! !!
Un grrrros Merci encore Bernardo
Plein de bises en attendant de se revoir à Aubais dimanche
AF : Merci de ton excellente prestation de mardi dernier
RC : Nous avons passé une superbe soirée avec un DJ qui sait mettre l’ambiance. Merci pour les belles vidéos que de beaux souvenirs bizzzz à bientôt
CT : Bravo c’était top !
VH : ¡¡ FELICIDADES GRAN DJ !! Qué ganas de verte en Calpe en el Milonguero Milonguero . y disfrutar de tu música.
MS : Bernardo le magnifique!!
Toujours au top !
Merciiiiii pour tous tes talents
AL : Quand BYC est aux manettes…le temps passe trop vite
HO : J`aime le tango,le festival,Toulouse,l’affiche et…BYC. !
EC : wahhou c’est loin mais à ne pas manquer !!!
(à l’annonce d’un événement que je vais animer)
JMG : Merci pour cette belle soirée. Toujours une excellente musicalisation avec Dj Byc Bernardo
SD : Merci Bernardo pour tes belles musiques ; nous avons beaucoup apprécié.
DL : Merci Byc Bernardo pour avoir animé cette milonga de Nevers avec tant de bonne humeur
on aurait dit un chef d’orchestre ou monsieur cent mille volts
CD : Super soirée, grâce à notre excellent DJ …et animateur….!
CT : BYC musicalisait en première partie (2 heures de musicalisation à BsAs, c’est qu’il est en train de gagner ses galons de Maréchal notre ami Bernardo). Très bien, comme d’habitude. Et comme d’habitude, il a mis presque aussitôt après mon arrivée une série de Rodriguez. À mon intention. Si ! c’était pour moi. Il l’a même annoncé au micro. Voyez bien qu’on m’aime parfois.
SM : Bernardo es un excelente bailarín y DJ
MJDT : Merci à tous, pour cette superbe soirée samedi à la milonga de Danzarín . Merci à notre dj invité bernardo, super ambiance!
FM : Merci Bernardo pour ta musique et tes belles photos!!! bisous
ALDG : Merci à toi, très belle musicalisation, un régal
MT : Merci! Une belle soirée musicale que les danseurs ont appréciée…Ils auraient bien dansé plus tard dans la nuit. Merci pour ta gentillesse et ton professionnalisme. A un de ces jours !
CR : Un vrai et grand DJ. Une richesse musicale très appréciable. Et qui sait rallumer le feu quand une soirée est mal engagée (ça arrive, avec des groupes de tangos un peu plans plans, ou une salle pas très engageante…).
AL : Ambiance top ,musicalité au RV ,merci Byc Bernardo
P : Une belle soirée où convivialité, bonne humeur, bon tango et belle musique étaient réunis. Merci Bernardo pour cette programmation musicale, merci MC Dance Shoes pour ta présence et merci à tous les danseurs!
OG : Merci Byc Byc Bernardo pour la musique. Un sans faute.
HM : trés belle milonga et trés bonne musicalité. Bravo au DJ.
EC : Et merci aussi à Byc Bernardo pour son excellente musique
VV : Merci pour ta présence et ton amour pour ce métier ainsi que pour la bonne musique à LA VICTORIA. Fait moi signe. Je t’embrasse et à très bientôt !
AP : Merci pour cette belle soirée. Super organisation, super DJ, super photographe…
ECB : Super week-end. Super dj. Merci.
AP : challenge bien mené !! et objectif atteint !!! c’était super hier soir, bravo Bernardo, despedida trés vivante sur la piste et fébrilité, plaisir et bonne humeur dans la salle !
MLA : Milonga estivale L’Oka super le DJ Byc Bernardo géniale la musique
F Z: Merci à toi : c’était MAGIQUE ! Ta program’ nous a transporté-e-s dans un autre monde, avec le Paty, la lune, les arbres, le lac, une très très belle énergie collective circulait <3
GB : Chouette le choix musical : pour tous les goûts, superbes photos, merci Byc Bernardo.
JMM : Après ce week End , le sentiment d’être comblés par tous ces bons moments que nous avons traversés …
Merci pour la qualité et la générosité de la « musique » et ta disponibilité ….
MH : J’ai beaucoup aimé la musique hier, même et surtout les morceaux que je ne connaissais pas… c’était toujours dansant… une fois de plus, merci Bernardo!
AF : Bonjour Bernardo, je voulais te remercier pour ta musicalisation , IMPRESSIONNANT J’ADORE ! Merci et nous nous retrouvons au week end MEZE? Un abrazo
MA : C’était une très belle soirée… merci pour la musique !!!!
BB : C’était très sympa , très bon accueil , très bon dj…..
AM : Belle musique, belle ambiance, belle soirée !….
GC : pour moi, tu reviens quand tu veux ! Hasta la proxima.
VV : j’ai beaucoup apprécié la musique que tu as choisi et la piste été toujours pleine !!! merci aussi pour les photos !!! Infiniment merci. Bonne Bellevilloise dimanche !!! je t’embrasse.
OG : Merci Bernardo, nous ne t’avons pas assez remercié pour cette belle soirée en ta compagnie. Je veux me faire le porte-parole de tous les participants de la milonga hier soir qui ont loué ta musique et exprimés de la sympathie envers vous . J’espère que nous pourrons renouveler l’expérience. Merci pour les superbes photos! Bises A bientôt.
AF : Un super Merci à Byc Bernardo, vraiment, extra, Merci mon ami.
TP : Non seulement DJ BYC Bernardo nous a fait danser toute la nuit Samedi 26 avril lors du Gala de Tangueros Perpignan, mais en plus il est un superbe photographe. Je partage dons son album… Merci Bernardo!
DE : Merci bernard pour ta musique et pour ton amitié, cela a été un plaisir de te revoir.
FCDT : merci pour cette belle musique! au plaisir de te revoir bientôt à la casa ou ailleurs.
JPD : Dimanche 8 février. Contradanza XXL. Photo de Bernardo Byc dont j’ai beaucoup apprécié la programmation musicale
FM : Superbe programmation à La Pluma!!!!! Un régal!!!! Rien à jeter!!
A bientôt.
BISOUS
MA : C’était une très belle soirée avec de la très très bonne musique. Merci Alejandro et DJ Bernardo
PMS : TRES GROSSE SOIREE avec une super ambiance toute la nuit jusqu’à 7h AM !!!On se serait cru dans une milonga de BsAs…
ALC : Un Dj entraînant, des tandas variées, dansantes et un excellent photographe.
TV : Et merci encore Bernardo pour afficher les noms des orchestres pendant la milonga, tant d’autres DJs (qui se la pètent parfois ne prennent même pas la peine de partager cela, c’est pourtant estimable et tellement bienvenu. Bonne musique également, Bravo et merci.
PB : Merci Bernardo pour ta musique et l’esprit que t’influe derrière tes platines
ECB : Un DJ super un lieu superbe même sous la grisaille et où on se sent bien dès que l’on y pose les pieds.
ML : encore plein de sourires et une belle énergie, encore un super DJ, qui plus est bénévole pour la bonne cause, encore 140 danseurs…
A : on te garde, Bernardo !!! très bonne musique de tous les avis et du mien, n’en parlons pas !! tout fut bon dans ce festival, il n’y a rien à jeter, et on l’a dégusté jusqu’à la dernière goutte !
F : Merci pour ta musicalisation, elle était à la hauteur de cette merveilleuse soirée inoubliable, quelle bonne idée d’avoir proposé DJ BYC
TP : Très belle soirée de gala hier, un couple de maestro sublime, une belle salle, une belle piste qui ne désemplissait pas grâce à un excellent DJ, une soirée dont on se souviendra !
JV : toujours le sourire!!!!!!!!!!!!!!!!Super DJ
TM : Excellente prestation !
Belle énergie.
MA : Merci pour cette belle soirée PR : Merci pour cette bonne soirée MEB : b !!!IR : Merci Bernardo ! Tu as mouillé la chemise et les platines
AL : C’est aussi le groupe que j’écoute le plus souvent, la première fois que je les ai entendus, c’est avec Byc Bernardo, quand elle chante Poema, tt y est la sensualité, la gravité… que du bonheur, j’essaie de m’organiser pour venir à Limouzi Tango
EJ: merci BYC très belle soirée et particulièrement ta programmation en nocturne
MNH : Bravo Bernardo BYC pour la programmation musicale.
Milonguero Milonguero 2016 – DJ Bernardo BYC
Témoignage VJ :
HL : animation vidéo par Byc… (et c’était très bien, mais ça c’est juste un avis perso)
Jean-Pierre VL : Apart from being an excellent tango dj, BYC Bernardo is also a skillful video technician who can put on tango music accompanied by harmonizing video images and clips. And also worth mentioning is that he’s man with the heart at the right place. So I highly recommend!
ED : Soirée très cool ouatée agréable et sensuelle que ce soit colorée ou dans le noir absolu. ..musiques très chouettes et ambiance de rêve !
NG :MERCI Byc Bernardo, c’est surprenant en tant que D.J. de voir en image l’inspiration du moment.
EA : Nom de nom, vous deux en coopération sur une Néolonga et j’ai raté ça en étant tout à côté ? De quoi se flinguer…
NG : Merci, Bernardo, j’ai trouvé que les gens sont restés un peu plus tard que d’habitude… Je ne crois pas au hasard !
HL : animation vidéo par Byc… (et c’était très bien, mais ça c’est juste un avis perso)
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