Nous vivons dans un monde de fous et le poids d’un baiser volé est sans doute tellement lourd aujourd’hui que l’on n’oserait plus écrire des paroles comparables à celles de notre tango du jour. Les initiales T.B.C. signifient Te bese (je t’ai embrassé). Mais nous verrons d’autres significations possibles pour les premières versions.
Ascanio
Ascanio Ernesto Donato
Ascanio Donato (14 octobre 1903 — 31 décembre 1971) est un des 8 frères de Edgardo Donato, l’interprète de notre tango du jour. Contrairement à son grand frère, Edgardo (violoniste) ou même son petit frère, Osvaldo (pianiste), Ascanio est peu connu. Le site TodoTango, qui est en général une bonne source, l’indique comme violoniste, alors qu’il était violoncelliste. Sa fiche dans le répertoire des auteurs uruguayens est plus que sommaire : https://autores.uy/autor/4231. Avec seulement la date de naissance et un seul de ses prénoms et pas de date de décès. En effet, contrairement à son aîné, Edgardo qui est né à Buenos Aires, Ascanio est né à Montevideo. L’œuvre a été déposée le 22 janvier 1929 (n° 40855) sous le nom de A.E. Donato (Ascanio Ernesto Donato). À l’époque, il était déjà violoncelliste avec ses frères, Osvaldo au piano et Edgardo à la direction et au violon. On notera que le dépôt a eu lieu en 1929, mais que le tango a été enregistré pour la première fois en 1927. Un autre dépôt a été effectué en Argentine le 19 décembre 1940 (# 2535 | ISWC T0370028060) et cette fois, le dépôt est au nom d’Edgardo. Cependant, les premiers disques mentionnent A. Donato.
Différents disques de T.B.C.
Les premiers disques indiquent bien A. Donato. Celui de Veiga réalisé à New York indique E Donato et pas les auteurs du texte, chanté. Celui de Rafael Canaro réalisé en Espagne indique juste Donato. Celui de De Angelis indique E. Donato et celui du quintette du pianiste Oscar Sabino, de nouveau, A. Donato… On notera que le premier disque, celui de Carlos Di Sarli à gauche ne mentionne pas les auteurs des paroles, l’œuvre étant instrumentale.
Je propose de conserver l’attribution à Ascanio, d’autant plus que je verse au dossier une partition qui lui attribue l’œuvre…
Extrait musical
Partition de T.B.C. indiquant A.E. Donato, donc, sans ambiguïté, Ascanio Ernesto Donato.T.B.C. (Te bese) 1953-08-11 — Orquesta Edgardo Donato con Roberto Morel y Raúl Ángeló
Paroles
Les paroles semblent avoir été ajoutées postérieurement. Nous y reviendrons.
Te besé y te cabriaste de tal manera que te pusiste hecha una fiera. Y hasta quisiste, sin más motivo, darme el olivo por ser audaz.
Total no es para tanto, no ves que estaba “colo”. Pensá que fue uno sólo y al fin te va a gustar. No digas que no, que cuando sepas, besar dando la vida serás tu quien me pida y sé qué me dirás.
Bésame, que no me enojo, bésame, como en el cine. Un beso de pasión, que al no poder respirar, me detenga el corazón. Bésame, Negro querido, el alma dame en un beso que me haga estremecer la sensación de ese placer. Ascanio Donato Letra: Roberto Fontaina; Víctor Soliño
Traduction libre
Je t’ai embrassée et tu t’es tellement fâchée que tu es devenue une bête sauvage. Et tu voulais même, sans plus de raison, t’enfuir (Dar el olivo, c’est partir, fuir) pour avoir été audacieux. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas si mal, ne vois-tu pas que c’était « colo » (Loco, fou en verlan). J’ai pensé que ce serait un seul et qu’au final tu aimerais. Ne dis pas non, que quand tu sais, embrasser en donnant la vie, tu seras celle qui me demandera et je sais ce que tu me diras : “Embrasse-moi, que je ne me fâche pas, embrasse-moi, comme au cinéma. Un baiser de passion, que de ne plus pouvoir respirer, mon cœur s’arrête. Embrasse-moi, mon chéri (Negro est un surnom affectueux qui peut être donné à quelqu’un qui n’est pas noir), donne-moi un baiser à l’âme qui me fasse secouer la sensation de ce plaisir.”
Comme pour beaucoup de paroles de tango, il convient de faire des hypothèses quant à la signification exacte. Le fait que des femmes et des hommes l’aient chanté permet de relativiser l’affaire, ce ne sont pas d’horribles machistes qui violentent des femmes non consentantes. Certains voient dans le tango des histoires de bordels, mais dans la grande majorité, les histoires sont plutôt sentimentales, c’est-à-dire qu’elles parlent de sentiments. Que ce soit l’illusion, l’amour fou, la détresse de l’abandon, le repentir, le regret. En dehors de l’époque des prototangos et des premiers tangos qui avaient des paroles assez crues et où les mecs faisaient les bravaches, la plupart des titres est plutôt romantique. Je veux voir dans le texte de ce tango une idylle naissante, peut-être entre des adolescents, pas le cas d’un taita qui s’impose à une mina désemparée, d’autant plus que le texte peut être vu des deux points de vue, comme le prouvent les versions que je vous propose. Pour la traduction, j’ai choisi de faire parler un homme, puisque ce sont des hommes qui chantent notre tango du jour et le dernier couplet pourrait-être la réponse de la femme qui se rend aux arguments, à la sollicitation de l’homme. Mais on peut totalement inverser les rôles. Les premiers enregistrements sont instrumentaux. T.B.C. peut dans ce cas signifier Te Bese, ou TBC (sans les points) qui désigne la tuberculose… TBC est aussi un club nautique de Tigre (près de Buenos Aires) TBC pour Tigre Boat Club. De nombreux tangos font référence à un établissement, ou un club. Mais le fait qu’il soit à Tigre et pas à Montevideo limite la portée de cette hypothèse. L’excellent site bibletango.com indique que le titre serait inspiré par un club assez spécial de Montevideo, mais sans autre précision. Si on excepte l’acception TBC=Tuberculose, je ne trouve pas de club en relation avec T.B.C. à Montevideo.
Avec les paroles de Roberto Fontaina et Víctor Soliño, le doute n’est plus permis, c’est bien Te bese qu’il faut comprendre. Roberto Fontaina et Víctor Soliño travaillaient à Montevideo. Ce qui confirme l’origine uruguayenne de ce titre.
Autres versions
Ce tango a été enregistré à diverses reprises et en deux vagues, à la fin des années 20 et dans les années 50. Les enregistrements de 1927 et 1928 sont instrumentaux.
T.B.C. 1927-11-28 — Orquesta Julio De Caro.
Premier enregistrement, instrumental.
T.B.C. 1928-11-26 — Sexteto Carlos Di Sarli. Une version instrumentale.
Une autre version instrumentale.
Rosita Quiroga nous propose la première version chantée.
T.B.C. 1929-01-22 — Rosita Quiroga con guitarras y silbidos.
Je trouve cette version fraîche et délicieuse. Toute simple et qui exprime bien le texte. Remarquez les sifflements.
T.B.C. (Te bese) 1929-06-19 — Genaro Veiga — Orquesta de la Madriguera.
Cette version a été enregistrée à New York, ce qui une fois de plus prouve la diffusion rapide des œuvres. On n’est pas obligé d’apprécier la voix un peu traînante de Veiga.
T.B.C. (Te bese) 1930 Orquesta Rafael Canaro con Carlos Dante y Rafael Canaro.
Rafael se joint à Carlos Dante pour le refrain dans un duo sympathique. Cette version a été enregistrée en Espagne, par le plus français des Canaro.
T.B.C. (Te bese) 1952-12-05 — Florindo Sassone con Roberto Chanel.
Une version typique de Sassone qui remet au goût du jour ce thème. C’est un peu trop grandiloquent à mon goût. Roberto Chanel, semble rire au début, sans doute pour dédramatiser sa demande. En revanche, l’orchestre passe au second plan et cela permet de profiter de la belle voix de Chanel.
T.B.C. (Te bese) 1953-08-11 — Orquesta Edgardo Donato con Roberto Morel y Raúl Ángeló. C’est notre tango du jour.
Après l’écoute de Sassone, on trouvera l’interprétation beaucoup plus sèche et nerveuse. Pour le premier disque de ce tango de son frère (ou de lui…), c’est un peu tardif, mais c’est plutôt joli. Cela reste dansable. Comme dans la version de Rafael Canaro qui initie le premier duo, le refrain est chanté par Morel et Ángeló.
T.B.C. (Te bese) 1957-07-17 — Diana Durán con orquesta.
À comparer à la version de Rosita Quiroga de 28 années antérieure. On peut trouver que c’est un peu trop dit et pas assez chanté. Je préfère la version de Rosita.
T.B.C. (Te bese) 1960-10-19 — Orquesta Alfredo De Angelis con Lalo Martel.
Lalo Martel, reprend le style décontracté et un peu gouailleur de ses prédécesseurs.
T.B.C. (Te bese) 1990 C — Los Tubatango.
Et on ferme la boucle avec une version instrumentale avec un orchestre qui s’inspire des premiers orchestres de tango…
T.B.C. Inspiré de Psyché ranimée par le baiser de l’Amour — Antonio Canova.
J’ai utilisé un des baisers les plus célèbres de l’histoire de l’art, celui immortalisé dans le marbre par Antonio Canova et que vous pouvez admirer au Musée du Louvre (Paris, France) pour l’image de couverture.
Luz y sombra, de lumière et d’ombre, de Angelis, Larroca et Dante peignent un tableau ravissant que je vais vous présenter. Les ombres sont uniquement présentes pour donner du relief à la lumière. Cette valse paisible, mais entraînante, nous fait découvrir un aspect du tango, bien loin de la seule tristesse qu’y voient certains. Mettons cela en lumière.
Extrait musical
Luz y sombra 1956-08-08 — Orquesta Alfredo De Angelis con Carlos Dante y Oscar Larroca.
Dès les premières notes, la gaîté du morceau apparaît, les premiers temps de la valse sont bien marqués. Après 50 secondes, Oscar Larroca commence de sa voix de baryton, suivi de peu par la voix de ténor de Carlos Dante. Les deux voix vont se mêler ainsi jusqu’à la dernière mesure. On sent bien qu’il ne se déroule pas un drame dans cette valse. Les paroles vont nous le confirmer.
Paroles
Los trinos se derraman Y emergen los arrullos Ese jardín florido Que tienen por mansión Jilgueros y gorriones Alondras y zorzales Que entonan himnos bellos Como una bendición Viajeras golondrinas Saludan a su pasó Y como gentileza Contesta el ruiseñor Elabora el hornero Su rústica morada Y un pavo rearrumbroso Critica constructor
Concierto de perfume De cantos y de alegrías De la naturaleza Ofrece al soñador Maleta de colores Enjambre delicioso Que alucinó llevado Jamás algún pintor
Y cuando cae la tarde Los pájaros palmeros Retornan a sus nidos En busca de calor Entornan las camelias Sus pétalos celosos Por miedo que el rocío Les quite su esplendor
Enmudece el ambiente La noche se aproxima Ensaya un grillo el canto Monótono y tristón Palidecen las rosas Se esfuma la alegría Y llora la cigarra Porque se ha puesto el Sol Y llora la cigarra Porque se ha puesto el Sol Alfredo De Angelis Letra: Gervasio López
Traduction libre et indications
Les trilles se répandent et les roucoulements émergent. Ce jardin fleuri qui est le manoir des chardonnerets et des moineaux, des alouettes et des grives qui chantent de beaux hymnes comme une bénédiction. Les hirondelles voyageuses les saluent au passage et, par courtoisie, le rossignol répond, le hornero élabore sa demeure rustique et une dinde revêche critique le constructeur. Un concert de parfums, de chants et de joies, offre la nature au rêveur, une mallette de couleurs, un délicieux essaim qui a halluciné et que n’a jamais porté un peintre. (la mallette, on pourrait dire la palette de couleurs est si riche qu’aucun peintre n’en a jamais eu de pareille). Et quand tombe le soir, les oiseaux de palmiers retournent à leurs nids à la recherche de chaleur. Les camélias enveloppent jalousement leurs pétales de peur que la rosée ne leur enlève leur splendeur. L’ambiance est muette, la nuit approche, un grillon répète le chant monotone et triste, les roses pâlissent et la joie s’évanouit et la cigale pleure parce que le soleil s’est couché. Et la cigale pleure parce que le soleil s’est couché.
Les duos et trios de chanteurs de De Angelis
Si plusieurs orchestres, j’hésite à dire beaucoup, ont réalisé des duos de chanteurs, De Angelis a eu une prédilection pour le genre. Nous avons vu hier que Edgardo Donato avait enregistré de nombreux chanteurs et avait profité de la profusion pour enregistrer même des trios.
Les duos de chanteurs de De Angelis
De Angelis a fait de même en enregistrant beaucoup de duos et même un quatuor… Voici une liste des associations qu’il a utilisées pour ses enregistrements. D’autres ont existé, mais sans avoir été immortalisée par le disque :
Carlos Aguirre et Alberto Cuello
Carlos Aguirre et Julián Rosales
Carlos Dante et Julio Martel (sans doute le duo le plus connu de De Angelis)
Carlos Dante et Oscar Larroca (c’est celui de notre valse du jour)
Juan Carlos Godoy et Oscar Larroca
Juan Carlos Godoy et Lalo Martel
Juan Carlos Godoy et Roberto Mancini
Isabel “Gigí” De Angelis et Carlos Boledi (Gigi est la fille de De Angelis)
Isabel “Gigí” De Angelis et Ricardo “Chiqui” Pereyra (Exercice de prononciation Gigi y Chiqui).
Rubén Linares et Marcelo Biondini
Sur la composition des duos. En général, les orchestres essayaient d’avoir deux chanteurs. Un qui jouait le rôle de l’Espagnol (Oscar Larroca pour cette valse) et un qui jouait le rôle de l’Italien (Carlos Dante pour cette valse). Il y avait aussi la nécessité d’association de voix compatibles et généralement de registres différents (ténor et baryton, par exemple). De Angelis ou Troilo ont particulièrement bien réussi leurs « mariages », d’autres chefs ont eu du mal à contracter les voix qui vont bien ensemble, comme Di Sarli ou D’Arienzo. Une autre raison qui fait que De Angelis a utilisé des duos est que c’est une caractéristique de la musique traditionnelle et De Angelis a, par exemple, enregistré pas mal de vals criollos. Pour Troilo, il me semble que c’est plus son goût pour les voix, même s’il a aussi investigué du côté du folklore.
Le quatuor de chanteur de De Angelis
Ricardo “Chiqui” Pereyra, Jorge Guillermo, Marcelo Biondini et Isabel “Gigí” De Angelis
Comme les quatuors de chanteurs sont tout de même assez rares en tango, je vais vous faire écouter celui-ci dans un titre qui va faire rire certains. La calesita (le manège).
La calesita 1981 — Orquesta Alfredo De Angelis con Ricardo “Chiqui” Pereyra, Jorge Guillermo, Marcelo Biondini y Isabel “Gigí” De Angelis (Mariano Mores Letra: Cátulo Castillo).
Avec La calesita, on est assez loin du tango auquel nous a habitué De Angelis, mais le titre vaut une explication. La calesita, c’est le manège. Celui qu’aiment les enfants. À Buenos Aires, ils étaient mus par des moteurs de sang (des chevaux) avant de passer à des motorisations moins cruelles pour les animaux. Certains qualifiaient De Angelis de orquesta de calesita, orchestre pour les manèges. Mais contrairement au dédain qu’affichent ceux qui l’affublent de ce nom, ce n’est pas à cause d’un manque de qualité, bien au contraire. Si De Angelis était si joué dans les manèges, c’était que sa musique attirait les femmes qui décidaient de placer leur progéniture sur la machine tournante afin de pouvoir savourer la musique de De Angelis. Les femmes n’étaient pas les seules à être attirées par la musique, certains danseurs profitaient de cette musique « gratuite » pour danser autour du manège. Peut-être que le manège était également propice pour se mettre en ménage (jeu de mot en français, je suis désolé pour ceux qui lisent dans une autre langue).
Autres versions
La valse enregistrée par De Angelis est unique, mais le titre avait auparavant été utilisé pour d’autres œuvres.
Luz y sombra 1930-09-11 — Orquesta Julio De Caro con Luis Díaz (Alfredo Oscar Gentile; Atilio Supparo, musique et paroles).
Bon, ce n’est pas vilain, mais cela manque tout de même d’un peu d’euphorie et d’intérêt pour la danse. Je vous propose de mettre ce titre de côté.
Luz y sombra 1955 — Astor Piazzolla y su Orquesta Típica (Astor Piazzolla).
De l’excellent Piazzolla, mais à 1000 lieues de ce qu’enregistrera l’année suivante, De Angelis. La musique de Piazzolla est relativement descriptive. On peut assez facilement identifier les alternances de lumière et d’ombre. De la musique à écouter, dans l’ombre d’un salon cossu.
Luz y sombra 1993-12 — Georges Rabol (Astor Piazzolla).
Luz y sombra 1993-12 — Georges Rabol (Astor Piazzolla). Une interprétation impressionnante, au piano, de Luz y sombra de Piazzolla. Le piano est un merveilleux instrument, capable, comme le prouve Georges Rabol, de remplacer un orchestre. Nous sommes en 1993, mais rassurez-vous, je vous propose maintenant, pour vous divertir, la version de Luz y sombra de De Angelis, notre valse du jour qui est nettement antérieure de 37 années.
Luz y sombra 1956-08-08 — Orquesta Alfredo De Angelis con Carlos Dante y Oscar Larroca.
Notre valse du jour est le seul enregistrement de cette anecdote passable dans une milonga, mais sa bonne humeur permet de compenser cela.
La nuit est en train de tomber sur ce joli jardin.
On remarquera le hornero et sa maison faîte de boue qui lui vaut le titre d’architecte. Le chardonneret élégant, cité dans la chanson, est également présent. Les camélias et les roses pâlissantes. C’est ce beau jardin que j’imagine en entendant cette valse. En passant l’arche, on trouvera un espace dégagé pour danser la valse.
Juan Viladomat Masanas Letra: Félix Garzo (Antonio José Gaya Gardus)
On sait maintenant que fumer n’est pas bon pour la santé, mais dans la mythologie du tango, la cigarette, cigarillo, pucho, faso et sa fumée ont inspiré les créateurs quand eux-mêmes inspiraient les volutes de fumée. Notre tango du jour est à la gloire de la fumée, au point qu’il est devenu objet de propagande publicitaire. Mais nous verrons que le tango a aussi servi à lutter contre le tabac qui t’abat. Je pense que vous découvrirez quelques scoops dans cette anecdote fumante.
Extrait musical
Fumando espero 1927-07-21 — Orquesta Típica Victor — Dir. Adolfo Carabelli.
Cette très belle version souffre bien sûr de son ancienneté et du style de l’époque, mais les contrepoints sont superbes et la rythmique lourde est compensée par de jolis traits. J’aime beaucoup les passages legato des violons.
Maintenant que vous l’avez écouté, nous allons entrer dans le vif d’un sujet un peu fumeux, tout d’abord avec des couvertures de partitions.
Fumando espero. Diverses partitions.
On notera que trois des partitions annoncent la création, mais par des artistes différents… Création de Ramoncita Rovira (Partition éditée par Ildefonso Alier) à Madrid en 1925. Création de Pilar Berti pour la publication de Barcelone, DO-RE-MI qui publiait chaque semaine une partition. Mais c’est une autre Pilar (Arcos) qui l’enregistrera à diverses reprises. Tania Mexican, créatrice de ce magnifique tango, annonce cette partition. Tania aurait été la première à le chanter à Buenos Aires. Ce n’est pas impossible dans la mesure où cette Espagnole de Tolède est arrivée en Argentine en 1924. Elle fut la compagne de Enrique Santos Discépolo. Si on peut voir la mention « « « Mexican » à côté de son nom, c’est qu’elle est arrivée à Buenos Aires avec le Conjunto The Mexicans…
Après les éditions espagnoles, voici celles d’Amérique latine, plus tardives, elles ont suivi le trajet de la musique. Felix Carso au lieu de Carzo pour l’édition brésilienne de 1927. L’éditeur, Carlos Wehrs vendait aussi des pianos. Tango de Veladomato (au lieu de Veladomat (non catalan) pour l’édition chilienne. Ces cinq partitions sont de la première vague (années 20–30)
La partition éditée par las Ediciones Internacionales Fermata avec la photo de Héctor Varela en couverture date des années 50. Probablement de 1955, date de l’enregistrement par Varela de ce titre.
Paroles
Fumar es un placer genial, sensual. Fumando espero al hombre a quien yo quiero, tras los cristales de alegres ventanales. Mientras fumo, mi vida no consumo porque flotando el humo me suelo adormecer… Tendida en la chaise longue soñar y amar… Ver a mi amante solícito y galante, sentir sus labios besar con besos sabios, y el devaneo sentir con más deseos cuando sus ojos veo, sedientos de pasión. Por eso estando mi bien es mi fumar un edén.
Dame el humo de tu boca. Anda, que así me vuelvo loca. Corre que quiero enloquecer de placer, sintiendo ese calor del humo embriagador que acaba por prender la llama ardiente del amor.
Mi egipcio es especial, qué olor, señor. Tras la batalla en que el amor estalla, un cigarrillo es siempre un descansillo y aunque parece que el cuerpo languidece, tras el cigarro crece su fuerza, su vigor. La hora de inquietud con él, no es cruel, sus espirales son sueños celestiales, y forman nubes que así a la gloria suben y envuelta en ella, su chispa es una estrella que luce, clara y bella con rápido fulgor. Por eso estando mi bien es mi fumar un edén.
Fumer est un plaisir génial, sensuel. En fumant, j’attends l’homme que j’aime, derrière les vitres de fenêtres gaies. Pendant que je fume, ma vie, je ne la consomme pas parce que la fumée qui flotte me rend généralement somnolente… Allongée sur la chaise longue, rêver et aimer… (On notera que la chaise longue est indiquée en français dans le texte). Voir mon amant plein de sollicitude et galant, de sentir ses lèvres embrasser de baisers sages, et d’éprouver plus de désir quand je vois ses yeux assoiffés de passion. C’est pourquoi mon bien est de fumer une Edén (marque de cigarettes, voir ci-dessous les détails). Donne-moi la fumée de ta bouche. Allez, qu’ainsi je devienne folle. Cours, que j’ai envie de devenir folle de plaisir, en sentant cette chaleur de la fumée enivrante qui finit par allumer la flamme brûlante de l’amour. Mon égyptien (tabac égyptien) est spécial, quelle odeur, monsieur. Après la bataille dans laquelle l’amour explose, une cigarette est toujours un repos et bien qu’il semble que le corps languisse, après le cigare (en lunfardo, el cigarro est le membre viril…), sa force, sa vigueur, grandissent. L’heure de l’agitation avec lui n’est pas cruelle, ses spirales sont des rêves célestes, et forment des nuages qui s’élèvent ainsi vers la gloire et enveloppés d’elle, son étincelle est une étoile qui brille, claire et belle d’un éblouissement rapide. C’est pourquoi mon bien est de fumer une Edén.
La cigarette et le tango
Ce tango serait une bonne occasion pour parler du thème de la cigarette et du tango. Étant non-fumeur, je béni la loi 1799 (Buenos Aires) qui fait que depuis octobre 2006, il est interdit de fumer dans les lieux publics. Cela a largement amélioré la qualité de l’air dans les milongas. La loi 3718 (décembre 2010) renforce encore ces interdictions et donc depuis 5 janvier 2012, il est totalement interdit de fumer dans les lieux publics et les espaces fumeurs intérieurs sont interdits. Cependant, imaginez l’atmosphère au cours du vingtième siècle, époque où le tabac faisait des ravages. Le tango du jour peut être considéré comme une publicité pour le tabac et même une publicité pour le tabac égyptien d’une part et la marque Edén qui était une marque relativement luxueuse.
Avec Edén, allez plus vite au paradis
Dans ce tango, sont cités deux types de tabac, l’égyptien et les cigarettes à base de tabac de la Havane. Je pourrais rajouter le cigare de la Havane, mais je pense que la référence au cigare est plus coquine que relative à la fumée… Les cigarettes Edén étaient commercialisées en deux variétés, la n° 1, fabriqué avec du tabac de la Havane, coûtait 30 cents et la n° 2, avec un mélange de tabac de la Havane et de Bahia, 20 cents le paquet.
À gauche, paquet de tabac égyptien. À droite, publicité pour les cigarettes Edén (1899). Clodimiro Urtubey est le créateur de la marque
Les tangos faisant la propagande du tabac
On peut bien sûr inclure notre tango du jour (Fumando espero (1922), puisqu’il cite des marques et l’acte de fumer. Cependant, rien ne prouve que ce soient des publicités, même déguisées. La référence au tabac égyptien peut être une simple évocation du luxe, tout comme la marque Edén qui en outre rime avec bien. Par ailleurs, l’auteur de la musique, Juan Viladomat semble être un adepte des drogues dans la mesure où il a également écrit un tango qui se nomme La cocaína avec des paroles de Gerardo Alcázar.
Partition de La cocaina de Juan Viladomat avec des paroles de Gerardo Alcázar.La cocaína 1926 — Ramoncita Rovira.
La cocaína 1926 — Ramoncita Rovira. Cette pièce faisait partie du Guignol lyrique en un acte « El tango de la cocaína » composé par Juan Viladomat avec un livret de Amichatis et Gerardo Alcázar.
J’imagine donc qu’il a choisi le thème sans besoin d’avoir une motivation financière… D’autres tangos sont dans le même cas, comme : Larga el pucho (1914), Sobre el pucho (1922), Fume Compadre (ou Nubes de humo, 1923), Como el humo (1928), Cigarillo (1930), Pucho 1932, Tabaco (1944), Sombra de humo (1951), Un cigarillo y yo (1966) et bien d’autres qui parlent à un moment ou un autre, de fumée, de cigarette (cigarillo/pucho/faso) ou de tabac.
Cigarrillo 1930-07-17 — Orquesta Francisco Canaro con Luis Díaz (Adolfo Rafael Avilés Letra: Ernesto E. de la Fuente).
Attention, ne pas confondre avec le tango du même nom qui milite contre le tabac et que je présente ci-dessous… Sur le fait que Canaro n’a pas fait cela pour de l’argent, j’ai tout de même un petit doute, il avait le sens du commerce…
En revanche, d’autres tangos ont été commandités par des marques de cigarettes. Parmi ceux-ci, citons :
América (qui est une marque de cigarettes) Fumando Sudan, espero (Sudan est une marque de cigarette et Pilar Arcos a enregistré cette version publicitaire en 1928).
Paquet en distribution gratuite et vignettes de collection (1920) des cigarettes Soudan, une marque brésilienne créée par Sabbado D’Angelo en 1913.Fumando Sudan espero 1928-06-15 — Pilar Arcos Acc. Orquesta Tipica Dir. Louis Katzman.
Le nom des cigarettes ne vient pas du pays, le Soudan, mais de l’utilisation des premières lettres du nom du fondateur de la marque, S de Sabado, Um(N) de Umberto et DAN de D’Angelo… Quoi qu’il en soit, cette marque ne reculait devant aucun moyen marketing, distribution gratuite, images de collection, version chantée… Cela me fait penser à cette publicité argentine pour la première cigarette…
Publicité argentine pour la première cigarette mettant en scène un enfant… La cigarette est au premier plan à gauche. On imagine la suite.
Sello azul (qui est une marque de cigarettes).
Sello Azul de Sciammarella et Rubistein, et à droite, un paquet de ces cigarettes…
Aprovechá la bolada, Fumá Caranchos dont je vous propose ici les paroles qui sont un petit chef‑d’œuvre de marketing de bas étage :
Couverture de la partition de Aprovechá la bolada — Fumá Caranchos de Francisco Bohigas
Paroles de Aprovechá la bolada, Fumá Caranchos
Che Panchito, no seas longhi, calmá un poco tu arrebato que el que tiene una papusa cual la novia que tenés, no es de ley que se suicide por el hecho de andar pato; a la suerte hay que afrontarla con bravura y altivez. Donde hay vida hay esperanza, no pifiés como un incauto. Y a tu piba no le arruines su palacio de ilusión vos querés dártela seca porque sueña con un auto, una casa y otras yerbas; yo te doy la solución. Refrán: Fumá Caranchos no seas chancleta, que en cada etiqueta se encuentra un cupón. Seguí mi consejo, prendete, che Pancho que está en Los Caranchos tu gran salvación. Fumá Caranchos, que al fin del jaleo en el gran sorteo te vas a ligar una casa posta, un buick de paseo y el sueño de tu piba se va a realizar. Ya se me hace, che Panchito, que te veo muy triunfante, dando dique a todo el mundo con un buick deslumbrador, por Florida, por Corrientes, con tu novia en el volante propietario de una casa que será nido de amor. Sin embargo, caro mio, si no entrás en la fumada, serás siempre un pobre loco que de seco no saldrá. Vos buscate tu acomodo, aprovechá la bolada, fumá Caranchos querido, que tu suerte cambiará. Fumá Caranchos, no seas chancleta que en cada etiqueta se encuentra el cupón.
Francisco Bohigas
Traduction libre de Aprovechá la bolada, Fumá Caranchos (Saute sur ta chance, fume Caranchos)
Che Panchito, ne sois pas un manche, calme un peu ton emportement, car celui qui a une poupée comme la petite amie que tu as, il n’est pas juste pour lui de se suicider, car il a fait le canard (« cada paso una cagada », le canard a la réputation de faire une crotte à chaque pas, une gaffe à chaque pas) ; la chance doit être affrontée avec bravoure et arrogance. Là où il y a de la vie, il y a de l’espoir, ne faites pas de gaffes comme un imprudent. Et ne ruine pas le palais d’illusion de ta poupée, tu te vois fauché parce qu’elle rêve d’une voiture, d’une maison et d’autres trucs ; Je vais te donner la solution. Fume Caranchos ne sois pas une mauviette, car sur chaque étiquette, se trouve un coupon. Suis mon conseil, allume, che Pancho, ton grand salut est dans les Caranchos. Fume des Caranchos, parce qu’à la fin du tirage de la grande tombola, tu vas recevoir une maison excellente, une Buick pour la balade et le rêve de ta chérie va se réaliser. Il me semble, che Panchito, que je te vois très triomphant, te pavanant devant tout le monde avec une Buick éblouissante, dans Florida, dans Corrientes, avec ta copine au volant et propriétaire d’une maison qui sera un nid d’amour. Cependant, mon cher, si tu ne te lances pas dans la fumée, tu seras toujours un pauvre fou qui ne sortira pas de la dèche. Tu trouveras ton logement, profite de la chance, fume, mon cher, Caranchos, ta chance va tourner. Fume des Caranchos, ne sois pas une mauviette, car sur chaque étiquette se trouve le coupon. On notera qu’il a fait un tango du même type Tirate un lance (tente ta chance), qui faisait la propagande d’un tirage au sort d’un vin produit par les caves Giol7. Ne pas confondre avec le tango du même titre écrit par Héctor Marcó et chanté notamment par Edmundo Rivero.
Le tango contre le tabac
Même si l’immense des tangos fait l’apologie de la cigarette, certains dénoncent ses méfaits en voici un exemple :
Paroles de Cigarrillo de Pipo Cipolatti (musique et paroles)
Tanto daño, tanto daño provocaste a toda la humanidad. Tantas vidas, tantas vidas de muchacho te fumaste… yo no sé. Apagando mi amargura en la borra del café hoy te canto, cigarrillo, mi verdad…
Cigarrillo… compañero de esas noches, de mujeres y champagne. Muerte lenta… cada faso de tabaco es un año que se va… Che, purrete, escuchá lo que te digo, no hagas caso a los demás. El tabaco es traicionero te destruye el cuerpo entero y te agrega más edad… El tabaco es traicionero, te destruye el cuerpo entero… ¡y qué! y esa tos te va a matar…
¡Ay, que lindo !… Ay, que lindo que la gente comprendiera de una vez lo difícil, lo difícil que se hace, hoy en día, el respirar. Es el humo del cilindro maquiavélico y rufián que destruye tu tejido pulmonar
Pipo Cipolatti
Traduction libre des paroles de Cigarrillo
Tant de dégâts, tant de dégâts tu as causé à toute l’humanité. Tant de vies, tant de vies d’enfants tu as fumé… Je ne sais pas. Éteignant mon amertume dans le marc de café, aujourd’hui je te chante, cigarette, ma vérité… Cigarette… Compagne de ces nuits, des femmes et de champagne. Mort lente… Chaque cigarette (faso, cigarette en lunfardo) est une année qui s’en va… Che, gamin, écoute ce que je te dis, ne fais pas attention aux autres. Le tabac est traître, il détruit le corps en entier et t’ajoute plus d’âge… Le tabac est traître, il détruit le corps entièrement… et puis ! Et cette toux va te tuer… Oh, comme ce serait bien !… Oh, comme ce serait bien que les gens comprennent une fois pour toutes combien le difficile, combien il est difficile de respirer aujourd’hui. C’est la fumée du cylindre machiavélique et voyou qui détruit ton tissu pulmonaire
Si on rajoute un autre de ses tangos Piso de soltero qui parle des relations d’un homme avec d’autres hommes et des femmes et des alcools, vous aurez un panorama des vices qu’il dénonce.
Autres versions
Il y a des dizaines de versions, alors je vais essayer d’être bref et de n’apporter au dossier que des versions intéressantes, ou qui apportent un autre éclairage. Ce que l’on sait peu, est que ce tango est espagnol, voire catalan et pas argentin… Juan Viladomat est de Barcelone et Félix Garzo de Santa Coloma de Gramenet (sur la rive opposée du río Besós de Barcelone). Le tango (en fait un cuplé, c’est-à-dire une chanson courte et légère destinée au théâtre) a été écrit pour la revue La nueva España, lancée en 1923 au teatro Victoria de Barcelona. La première chanteuse du titre en a été Ramoncita Rovira née à Fuliola (Catalogne). Je rappelle que Ramoncita a aussi lancé le tango La cocaína que l’on a écouté ci-dessus. Ramoncita, l’aurait enregistré en 1924, mais je n’ai pas ce disque. D’autres chanteuses espagnoles prendront la relève comme Pilar Arcos, puis Sara Montiel et ensuite Mary Santpere bien plus tard.
Fumando-Espero 1926-08 – Orquesta Del Maestro Lacalle.
Ce disque Columbia No.2461‑X tiré de la matrice 95227 a été enregistré en août 1926 à New York où le Maestro Lacalle (la rue), d’origine espagnole, a fini sa vie (11 ans plus tard). C’est une version instrumentale, un peu répétitive. L’avantage d’avoir enregistré à New-York est d’avoir bénéficié d’une meilleure qualité sonore, grâce à l’enregistrement électrique. Le même jour, il a enregistré Langosta de Juan de Dios Filiberto, mais il en a fait une marche joyeuse qui a peu à voir avec le tango original.
Disque enregistré à New York en 1926 par El Maestro Lacalle de Fumando Espero et Langosta.
On est donc en présence d’un tango 100 % espagnol et même 100 % catalan, qui est arrivé à New York en 1926, mais ce n’est que le début des surprises.
Fumando Espero 1926-10-18 — Margarita Cueto acc. Orquesta Internacional — Dir.Eduardo Vigil Y Robles. Un autre enregistrement new-yorkais et ce ne sera pas le dernier…
Fumando espero 1926-10-29 — Orquesta Internacional — Dir. Eduardo Vigil Y Robles. Quelques jours après l’enregistrement avec Margarita Cueto, une version instrumentale.
On quitte New York pour Buenos Aires…
Fumando espero 1927-07-11 — Rosita Quiroga con orquesta.
Rosita Quiroga, la Édith Piaf de Buenos Aires, à la diction et aux manières très faubouriennes était sans doute dans son élément pour parler de la cigarette. On est toutefois loin de la version raffinée qui était celle du cuplé espagnol d’origine.
Fumando espero 1927-07-21 — Orquesta Típica Victor — Dir. Adolfo Carabelli.
C’est notre superbe version instrumentale du jour, magistralement exécutée par l’orchestre de la Victor sous la baguette de Carabelli.
Fumando espero 1927 — Sexteto Francisco Pracánico.
Une autre version instrumentale argentine. Le titre a donc été adopté à Buenos Aires, comme en témoigne la succession des versions.
Fumando espero 1927-08-20 – Orquesta Francisco Lomuto.
Une version un peu frustre à mon goût.
Fumando espero 1927-08-23 – Orquesta Roberto Firpo.
Firpo nous propose une superbe introduction et une orchestration très élaborée, assez rare pour l’époque. Même si c’est destiné à un tango un peu lourd, canyengue, cette version devrait plaire aux danseurs qui peuvent sortir du strict âge d’or.
Fumando espero 1927-09-30 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Fugazot.
Canaro ne pouvait pas rester en dehors du mouvement, d’autant plus qu’il enregistrera Cigarrillo avec Luis Díaz en 1930 (comme nous l’avons vu et écouté ci-dessus).
Fumando espero 1927-11-08 — Orquesta Osvaldo Fresedo.Fumando espero 1927-11-17 — Ignacio Corsini con guitarras de Aguilar-Pesoa-Maciel.
Une belle interprétation par ce chanteur qui aurait mérité, à mon avis, une gloire égale à celle de Gardel.
Fumando espero 1927 — Pilar Arcos Acc. The Castilians.Fumando Sudan espero 1928-06-15 — Pilar Arcos Acc. Orquesta Tipica Dir. Louis Katzman.
C’est la version publicitaire que nous avons évoquée dans le chapitre sur tabac et tango.
La source semble s’être tarie et l’on ne trouve plus de versions de Fumando espero intéressante avant les années 1950.
Fumando espero 1955-05-20 — Enrique Mora — Elsa Moreno.Fumando espero 1955-06-01 — Orquesta Héctor Varela con Argentino Ledesma.
Oui, je sais, cette version, vous la connaissez et elle a certainement aidé au renouveau du titre. C’est superbe et bien que ce type d’interprétation marque la fin du tango de danse, 97,38 % (environ), des danseurs se ruent sur la piste aux premières notes.
Fumando espero 1955-12-01 — Orquesta Donato Racciatti con Olga Delgrossi.
L’Uruguay se toque aussi pour la reprise de Fumando espero. Après Donato Racciatti et Olga Delgrossi, Nina Miranda.
Fumando espero 1956 — Orquesta Graciano Gómez con Nina Miranda.
Nina Miranda a été engagée en 1955 par Odeón. C’est Graciano Gómez qui a été chargé de l’accompagner. C’est une collaboration entre les deux rives du Rio de la Plata.
Fumando espero 1956 — Jorge Vidal con guitarras.
Une version tranquille, à la guitare.
Fumando espero 1956-02-03 — Orquesta Carlos Di Sarli con Argentino Ledesma.
Après la version à 97,38 % avec Varela, Argentino Ledesma, avec Di Sarli réalise la version pour 100 % des danseurs. Ledesma venait de quitter l’orchestre de Varela pour intégrer celui de Di Sarli. Il devient le spécialiste du titre… Ce fut un immense succès commercial au point que la Víctor décala sa fermeture pour vacances pour rééditer d’autres disques en urgence. L’enregistrement avec Varela n’avait pas obtenu le même accueil, c’est donc plutôt 1956 qui marque le renouveau explosif du titre.
Fumando espero 1956-04-03 — Orquesta Alfredo De Angelis con Carlos Dante.
J’aurais plus imaginé Larroca pour ce titre. De Angelis a choisi Dante. C’est toutefois joli, mais je trouve qu’il manque un petit quelque chose…
Popurri 1956-04-20 Fumando espero, Historia de un amor y Bailemos — José Basso C Floreal Ruiz.
Il s’agit d’un popurrí, c’est à dire du mélange dans un seul tango de plusieurs titres. Comme ce pot-pourri commence par Fumando espero, j’ai choisi de l’insérer pour que vous puissiez profiter de la superbe voix de Floreal Ruiz. À 58 secondes commence Historia de un amor et à deux minutes, vous avez pour le même prix un troisième titre, Bailemos. Les transitions sont réussies et l’ensemble est cohérent. On pourrait presque proposer cela pour la danse (avec précaution et pour un moment spécial).
Fumando espero 1956-04-26 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Florio.
On peut se demander pourquoi Di Sarli enregistre une nouvelle version, moins de trois mois après celle de Ledesma. L’introduction est différente et l’orchestration présente quelques variantes. La plus grosse différence est la voix du chanteur. Si on décide de faire une tanda avec Florio, cet enregistrement me semble un excellent élément. Je pense que la principale raison est que Ledesma n’a enregistré que trois tangos avec Di Sarli et que donc c’est trop peu, ne serait que pour nous, DJ, pour avoir un peu de choix. Si je veux passer la version avec Ledesma, je suis obligé de faire une tanda mixte, autre chanteur et/ou titre instrumental pour obtenir les quatre titres de rigueur. Puis, entre nous, ce n’est pas indispensable d’inclure une de ces versions dans une milonga… Il y a peut-être aussi un peu de colère de la part de Di Sarli. En effet, si l’enregistrement de Ledesma avec Varela n’avait pas bien fonctionné, à la suite du succès de la version avec Di Sarli, la Columbia (la maison de disques de Varela) décide de relancer l’enregistrement de 1955. Ce fut alors un immense succès qui a décidé la Columbia a réintégrer Ledesma dans l’orchestre de Varela. Voyant que son nouveau poulain, partait en fumée, Di Sarli (ou la Víctor) a donc décidé de graver d’urgence une autre version avec un nouveau chanteur afin de ne pas laisser au catalogue un titre avec un chanteur passé à la concurrence…
Fumando espero 1956 — Los Señores Del Tango C Mario Pomar.
Un bon orchestre avec la belle voix de Mario Pomar. Agréable à écouter.
Fumando espero 1956 — Libertad Lamarque Orquesta — Dir.Victor-Buchino.
Fumando espero 1956 — Libertad Lamarque Orquesta — Dir.Victor-Buchino. L’accompagnement discret de Victor Buchino et la prestation souvent a capella de Libertad Lamarque permet de bien saisir le grain de voix magnifique de Libertad.
Fumando espero 1957 — Chola Luna y Orquesta Luis Caruso.Fumando espero 1957 — Imperio Argentina.
Si ImperioArgentina est née en Argentine, elle a fait une grande partie de sa carrière en Europe, en Espagne (où elle est arrivée, adolescente) et bien sûr en France, mais aussi en Allemagne. Elle nous permet de faire la liaison avec l’Espagne ou nous revenons pour terminer cette anecdote.
C’est le film, El Último Cuplé qui va nous permettre de fermer la boucle. Le thème redevient un cuplé et même si le théâtre a été remplacé par le cinéma, nous achèverons notre parcours avec cette scène du film ou Sara Montiel chante le cuplé.
Sara Montiel chante Fumando espero dans le film El Último Cuplé de 1957. Metteur en scène : Juan de Orduña
Vous aurez reconnu l’illustration de couverture. J’ai modifié l’ambiance pour la rendre plus noire et ajouté de la fumée, beaucoup de fumée…
À demain, les amis, et à ceux qui sont fumeurs, suivez les conseils de Pipo Cipolatti que je vous conserve longtemps. Je rédige cette anecdote le 20 juillet, Dia del amigo (jour de l’ami).
Pascual De Gullo Letra : Francisco Gullo (Pascual De Gullo)
Hier, avec Valsecito amigo, nous étions en présence d’une merveilleuse valse. Aujourd’hui, une autre valse, Lágrimas y sonrisas qui va nous permettre de parler (un tout petit peu) de théorie musicale. Je vous emporte dans le tourbillon de cette merveilleuse valse rénovée par Rodolfo Biagi.
Extrait musical
Pour suivre la suite, il est important de vous mettre la musique dans l’oreille dès à présent. Voici donc la valse du jour. Elle a été composée en 1913 (il y a donc 111 ans), mais cette version a été enregistrée le 23 mars 1941, il y a exactement 83 ans par Biagi.
Lágrimas y sonrisas 1941-03-26 — Orquesta Rodolfo Biagi. C’est la valse du jour.
Vous avez peut-être perçu un changement d’ambiance à l’écoute en fonction des passages. Mais pour bien comprendre ce qui s’y passe, il faut faire un peu de théorie.
Lire une partition. La théorie musicale pour les débutants
Pardon à mes lecteurs musiciens, mais pour mieux faire comprendre aux non-spécialistes, je dois faire un topo liminaire très basique. Vous pouvez le sauter. Ceux qui ne sont pas tout à fait débutants pour se raccrocher aux étapes suivantes avant d’aller au cœur du sujet (au chapitre intitulé, Vous êtes renvoyés…) La vulgarisation, ce n’est pas de mettre des barreaux en haut de l’échelle, c’est de mettre des barreaux correctement espacés du bas au haut de l’échelle. Dixit un de mes professeurs à l’École du Louvre, il y a bien longtemps.
La hauteur d’une note
La portée est un ensemble de cinq lignes horizontales qui permet d’indiquer la hauteur d’un son. Plus un son est aigu et plus il représenté haut sur la portée. Si le son est plus aigu ou grave que les lignes de la portée, on rajoute un petit bout de ligne avec la note (voir ci-dessous, pour le premier DO, à gauche).
Par la suite, j’utiliserai la notation avec le nom des notes (Do à Si) et pas les lettres A à G.
Les altérations
Pour marquer les subtilités de la musique, on a besoin de « crans » intermédiaires à ces 8 étages. Pour cela on utilise les dièses et les bémols. Le dièse augmente d’un demi-ton la note qu’il précède. Le bémol baisse la note qu’il précède d’un demi-ton. Prenons l’exemple de la note Sol :
Le sol de gauche est bémol (b), il est donc un demi-ton plus grave que le sol du milieu. Le sol de droite est précédé d’un dièse (#), il est donc un demi-ton plus haut que le sol du milieu. Pourtant les 3 Sols sont sur la même ligne, celle qu’indique la clef en début de ligne, la clef de Sol.
On peut donc monter ou descendre une note, au choix. Si on augmente la note la plus grave et qu’on baisse la plus aiguë, on obtient le même son.
Le fa dièse et le sol bémol sont sensiblement la même note (à un demi-coma près). Sur un piano, c’est exactement la même note, car il n’y a qu’une touche noire.Sur un piano, c’est facile de se repérer. Les touches blanches sont les notes normales. Les touches noires sont les touches des notes altérées (dièse et/ou bémol). On remarquera qu’entre le mi et le fa et entre le si et le do, il n’y a pas de touche noire. C’est, car entre ces notes, il n’y a pas un ton complet d’écart, seulement un demi-ton. Un Mi dièse est donc un Fa et un Fa bémol est un Mi.Une vidéo qui vous montre un peu le principe du clavier du piano. https://youtu.be/WKuR6dwX6QE
Voici ce que donne la représentation sur une portée de l’air bien connu de Frère Jacques (Brother John / Lego Diego / Fra’ Martino / Bruder Jakob).
Représentation de la chanson Frère Jacques (Brother John / Lego Diego / Fra’ Martino / Bruder Jakob) sur une portée.
On peut donc raisonner en demi-tons, puisque chaque touche du piano (blanche et noire) est séparée de sa voisine d’un demi-ton. Revenons à Frère Jacques (Brother John / Lego Diego / Fra’ Martino / Bruder Jakob) qui peut être écrit ainsi : Do Ré Mi Do Do Ré Mi Do Mi Fa Sol Entre le Mi et le Fa, il n’y a qu’un demi-ton. On peut donc obtenir la même mélodie, un peu plus grave ou aigue, en décalant le jeu. Par exemple Sol La Si Sol Sol La Si Sol Si Do Ré. Maintenant, le demi-ton est entre le Si et le Do. On peut également jouer en incluant les touches noires, par exemple en commençant par Fa# Sol# La# et ainsi de suite. Cela peut aider pour jouer avec des instruments qui ont une tessiture étroite (qui ne peuvent jouer que des notes sur une étendue restreinte d’une ou deux octaves, comme une flûte à bec). On change la note de référence pour l’adapter aux possibilités de l’instrument avec lequel on joue. Cela s’appelle la transposition. On fait aussi cela pour les chanteurs. Par exemple, si c’est une femme soprano qui chante ou un homme baryton, il faudra que l’orchestre s’adapte à la tessiture du chanteur. Avec les instruments à cordes, on peut changer la tension pour modifier l’accord de l’instrument. Pour d’autres comme le bandonéon, c’est impossible. Il faut donc accorder tous les instruments pour qu’ils soient compatibles avec cet instrument. L’amusant est que selon les régions et les époques le « diapason » a changé et que certains se crêpent le chignon pour ce type de détail… Mais, cela devient un discours de « spécialiste » et n’a aucun intérêt pour la danse. Abordons donc d’abord le niveau trois, l’esprit tranquille.
Lire une partition. La théorie musicale, niveau trois, les modes
Il ne faudrait pas penser que toutes ces subtilités ont été créées pour pallier des problèmes techniques. Les altérations (dièses et bémols) ont été inventées pour changer la tonalité (la couleur, les teintes, pour faire une comparaison avec la peinture). Selon la disposition de ces altérations, l’ambiance du morceau va changer. Le plus simple est d’écouter un morceau bien connu et de voir comment son ambiance change si on modifie la position des demi-tons. Je reprends Frère Jacques (Brother John / Lego Diego / Fra’ Martino / Bruder Jakob) pour que ce soit bien clair.
Frère Jacques au piano en Do majeur. C’est la version habituelle.Frère Jacques au piano en Do mineur.
La tonalité de la musique est bien différente. Le mi de la version habituelle est devenu un mi bémol. Il est un demi-ton plus bas. Cela suffit à changer la façon dont on perçoit la musique. Elle semble plus triste. Ce mode particulier est appelé mode mineur par opposition au mode majeur plus gai que l’on est habitué à entendre pour ce titre.
Lire une partition. La théorie musicale, niveau quatre, l’armature et les changements de mode
On parle toujours du mode et pas de la mode vestimentaire, hein ? On a vu que le changement de mode donnait une couleur particulière à la musique. Pour éviter d’avoir à écrire chaque dièse ou bémol à la clef, on a décidé de mettre en début de partition, tous les dièses ou bémols à utiliser. Pour être précis, c’est soit des dièses, soit des bémols et l’ordre en est précis, on n’écrit pas n’importe quoi à l’armature (cette partie de la partition). Cette armature indique la tonalité d’un morceau. Par exemple, il peut être en Do majeur, c’est une des tonalités les plus simples. Au piano il se joue uniquement avec les touches blanches. La plupart des chansons enfantines sont dans cette tonalité, car elles sont souvent jouées sur des instruments rudimentaires qui ne permettent pas les demi-tons. Dans Lágrimas y sonrisas, le mode change en cours de route.
Représentation très simplifiée des tonalités de Lágrimas y sonrisas. En bleu, les parties majoritairement mineures, en ambre, les parties majoritairement majeures. On remarque que la partition comporte deux lignes de portées. Un pour la main droite (en haut) et une pour la main gauche (en bas). Comme les notes de la main gauche sont en général plus graves, on utilise une autre clef que la clef de Sol, au piano, c’est la clef de Fa 4e, car on parle d’une note Fa qui est sur la quatrième ligne. SI je vous ai perdu, ce n’est pas grâce, cette information n’est pas tuile aujourd’hui 😉
On remarquera à l’armature au tout début, trois bémols (Si b, Mi b, La b). Cela indique que tous les Si, tous les Mi et tous les La seront altérés (joués un demi-ton plus bas), sauf indication contraire. Contrairement au dièse ou au bémol isolé, ces altérations placées en début de partition influent sur toute la musique. Dans le cas de cette valse, on peut dire qu’elle commence en Do mineur donc un mode nostalgique, triste. Je n’entre pas dans les détails, ce serait trop long à exposer ici. On remarquera sur la seconde page de la partition, à l’endroit du changement de couleur, trois signes placés sur les lignes des Si, Mi et La (les lignes des notes qui sont altérées. Ces signes qui ressemblent un peu aux dièses sont des bécarres. Leur fonction est d’annuler les altérations sur les notes considérées. Ici, comme c’est au début d’une partie, c’est valable pour tout ce qui suit. Tous les Si, tous les Mi et tous les La seront désormais ordinaires [ni plus graves ni plus aigus].
Les trois signes qui marquent les altérations. Le dièse qui fait monter la note d’un demi-ton, le bémol qui la fait descendre d’un demi-ton et le bécarre qui annule le changement.
Le bécarre peut aussi être placé devant une seule note, comme un dièse ou un bémol. Dans ce cas, il ne modifie que la note qui va être jouée et pas les suivantes qui garderont l’altération [dièse ou bémol] appliquée à la clef dans l’armure. Cela semble un peu compliqué, mais une fois qu’on a compris, c’est pratique.
Vous êtes renvoyés…
Je reviens à la partition de Lágrimas y sonrisas. On a observé qu’au début elle était en Do mineur [3 bémols], puis que dans la partie de couleur ambre, elle était en mode majeur [ici Do majeur]. Cela veut dire que le début est plutôt triste et la partie de couleur ambre, plus gaie. Cela s’entend assez clairement à l’écoute si on arrive à passer par-dessus deux difficultés. La première est que les partitions sont écrites à l’économie. Lorsque l’on rejoue le même passage, on en l’écrit pas, on utilise des systèmes de renvoi. Par exemple, à la fin, on voit D. C. qui signifie Da Capo [en tête] et qui indique au musicien qu’il doit maintenant recommencer du début. D’autres renvois plus discrets sont les doubles barres verticales.
À la limite du bleu et de l’ambre, on voit une double barre verticale. Celle-ci comporte à sa gauche deux points [:]. Cela signifie que l’on doit revenir en arrière, jusqu’à ce qu’on rencontre une autre double barre, mais avec les points à sa droite… Remarquez également les trois bécarres qui suppriment les altérations des Si, Mi et La et transforment le mode en Do majeur.
La seconde difficulté est qu’il y a des altérations ou des bécarres sur des notes isolées. On voit dans l’illustration précédente, des bécarres sur les trois « Si » de la première mesure entière de cet extrait. C’est-à-dire que la tonalité a en fait changé avant l’arrivée des bécarres. C’est tout simplement que le compositeur, Pascual de Gullo dans le cas présent, prépare l’oreille de l’auditeur pour le nouveau mode à venir. C’est ici très discret, c’est plus marqué à d’autres endroits. On remarquera la même chose dans d’autres mesures avec la présence de bécarres ou dièses isolés. Je signale ces changements dans la seconde écoute, ci-dessous. Ce sont ces subtilités qui font l’harmonie de la musique. Imaginez que vous passiez directement de Frère Jacques en mode majeur à sa version en mode mineur, sans préparation… La plupart des morceaux contiennent des changements de tonalité, moins souvent des changements de mode comme ici.
Nouvelle écoute de la valse du jour
Maintenant que vous êtes au courant, je vous propose d’écouter de nouveau et d’essayer de détecter ces changements de mode qui font passer du triste des larmes [Lágrimas] au gai des sourires [Sonrisas].
Lágrimas y sonrisas 1941-03-26 — Orquesta Rodolfo Biagi.
0 : 00 Mineur 0 : 18 Un peu de majeur [altérations avec des dièses pour changer la tonalité et le mode de façon très temporaire] 0 : 26 Mineur 0 : 51 Majeur 1 : 17 Mineur 1 : 31 Un peu de Majeur [altérations avec des dièses pour changer la tonalité et le mode de façon très temporaire] 1 : 44 Mineur jusqu’à la fin, mais les fioritures au piano de Biagi, tempèrent l’idée de tristesse, même s’il y a un léger ralentissement final.
Les paroles
Malheureusement, on n’a pas de version enregistrée avec les paroles de Francisco Gullo. On ne pourra donc pas entendre comment s’articulent les passages tristes ou gais, avec les paroles correspondantes. J’indique donc les paroles pour votre référence, même si vous avez peu de chance de les entendre interprétées, un jour.
Inmenso es el pesar que tu ausencia me ha causado, Mi corazón desgarrado sangra de tanto llorar, Ya no puedo vivir sin tus dulces sonrisas Lágrimas cruentas derramo sabiendo que te perdí…
Tus sonrisas, mágicas de encanto son Embeleso de mis lágrimas de amor, Me acarician con su divino rubor Soñándolas, vana ilusión, consuelo mi corazón…
Porque te amaba de veras Forjaba quimeras con loca ansiedad, Y en tus hermosas sonrisas Quedó prisionera mi felicidad…
Hoy que el recuerdo se ahonda en la mente Quisiera verte una vez más, Para confiarte en secreto, alma mía Que mi amor, no te olvido jamás…
Bésame con pasión tu boca me murmuraba, No te atormentes, que nada de ti me separará, Siempre te nombrarán mis lágrimas sentidas Por tus sonrisas fingidas, estoy enfermo de amor…
Pascual De Gullo Letra : Francisco Gullo (Pascual De Gullo)
Traduction libre et indications
Immense est le chagrin que m’a causé ton absence. Mon cœur déchiré saigne de tant pleurer. Je ne peux plus vivre sans tes doux sourires. Des larmes sanglantes que j’ai versées en sachant que je t’ai perdue… Tes sourires sont magiques de charme, embellissant mes larmes d’amour. Ils me caressent de leur divine rougeur. En rêver, vaine illusion, console mon cœur… Parce que je t’aimais vraiment ; j’ai forgé des chimères avec une folle anxiété et dans tes beaux sourires, mon bonheur était emprisonné… Aujourd’hui, que le souvenir s’engloutit dans l’esprit, j’aimerais te voir une fois de plus [voir le sublime tango « Quiero verte una vez más » de Mario Canaro avec des paroles de José María Contursi, sur le même thème]. Pour te confier secrètement, mon âme, que mon amour ne t’oubliera jamais Embrasse-moi passionnément, me murmura ta bouche, ne te tourmente pas, car rien ne me séparera de toi. Toujours mes larmes sincères te nommeront. À cause de tes sourires feints, je suis malade d’amour… Les paroles sont plutôt jolies et sensibles. La chute finale avec les sourires feints ouvre différents horizons que je vous laisse explorer ; —)
Les versions
Lágrimas y sonrisas 1913 — Eduardo Arolas y su Orquesta Típica.
Un enregistrement acoustique, donc un peu sévère pour nos oreilles modernes, mais qui laisse tout de même remarquer la qualité de l’interprétation. Cependant, le manque de variations peut laisser paraître le titre un peu monotone.
Lágrimas y sonrisas 1914 — Quinteto Criollo Tano Genaro Espósito.
L’année suivante, Tano Genaro l’interprète avec son Quinteto Criollo. À mon avis, on peut se passer facilement de cette version, plutôt ennuyeuse.
Lágrimas y sonrisas 1932-12-05 — Trío Ciriaco Ortiz.
Bien que de 1932, cette version à deux guitares et un bandonéon, peut se danser, mais elle ne devrait pas susciter des enthousiasmes débordants. Les guitares de Ramón Andrés Menéndez y Vicente Spina (le compositeur de Loco turbión) font leur travail, mais le bandonéon de Ciriaco Ortiz est un peu paresseux.
Lágrimas y sonrisas 1934-10-20 — Orquesta Adolfo Pocholo Pérez.
On monte un peu en énergie et la différence entre les parties tristes (mineure) et gaies (majeures) est bien sensible.
Lágrimas y sonrisas 1936-09-29 — Orquesta Juan D’Arienzo.
Une version classique. Biagi se remarque au piano par quelques éléments légers. Dans la partie gaie, il accompagne de façon légère les pizzicati des violons. Le final à la D’Arienzo suggère une accélération et la valse nous entraîne puissamment jusqu’aux dernières notes. Il est un peu dommage de ne pas en avoir un enregistrement de 1938, car c’est cette valse qui a poussé D’Arienzo à virer Biagi, car il devenait de plus en plus la vedette de l’orchestre. En effet, à la suite d’une interprétation brillante de cette valse, Biagi se leva pour saluer le public qui applaudissait à tout rompre. D’Arienzo s’est alors dirigé vers lui pour lui signifier à voix basse qu’il était viré ; “¡Soy la única estrella de esta orquesta…estás despedido!». Je suis la seule vedette (étoile) de cet orchestre, tu es viré !
Lágrimas y sonrisas 1941-03-26 — Orquesta Rodolfo Biagi.
C’est la valse du jour. Là, Biagi a son propre orchestre. Il peut se lâcher complètement au piano pour nous proposer cette version brillante. Les expirations haletantes des bandonéons, les glissandos des violons et les accents énergiques du piano donnent une grande variété à cette interprétation. La fin n’a pas l’impression d’accélération que possède la version de D’Arienzo, mais les motifs des 30 dernières secondes démontrent la virtuosité de Biagi au piano.
Lágrimas y sonrisas 1974-04-26 — Orquesta Alfredo De Angelis
Je terminerai avec un autre pianiste, De Angelis qui propose une version bien différente et tardive de cette très belle valse où on retrouve le même jeu que dans les 30 dernières secondes de la version de Biagi, mais plus tôt. On peut considérer que c’est un hommage, une citation. Cela permet à De Angelis de retrouver l’accélération finale qui avait été gommée dans la version de Biagi.
Lágrimas y sonrisas. Jean qui rit et Jean qui pleure 😉
Le tango du jour, Cornetín, évoque le cornet autrefois utilisé par les « conductors» del tranvía a motor de sangre (les chargés de clientèle des tramways à moteur de sang, c’est-à-dire à traction animale). Il a été enregistré il y a exactement 81 ans.
Éléments d’histoire du tranvía, le tramway de Buenos Aires)
Les premiers tramways étaient donc à traction animale. Vous aurez noté que les Argentins disent à moteur de sang pour ce qui est traction humaine et animale. Cela peut paraître étrange, mais quand on pense au prix que payaient les chevaux qui tiraient les tranvías de Buenos Aires, l’expression est assez parlante.
Tranvías a motor de sangre en la Boca (Puente Puyrredon)
En effet, à Buenos Aires, les chevaux étaient durement exploités et avaient une durée d’utilisation d’environ deux ans avant d’être hors d’usage contre une dizaine d’années en Europe, région où le cheval coûtait cher et était donc un peu plus préservé. Nous avons déjà vu les calesitas qui étaient animées par un cheval, jusqu’à ce que ce soit interdit, tout comme, il n’y a que très peu d’années, les cartoneros de Buenos Aires n’aient plus le droit d’utiliser des chevaux. L’ironie de l’histoire est que l’arrêt de l’utilisation des chevaux a été édicté pour éviter la cruauté envers les animaux, mais maintenant, ce sont des hommes qui tirent les charrettes de ce qu’ils ont récupéré dans les poubelles. Dans la Province de Buenos Aires, le passage de la traction animale à la traction électrique s’est fait autour de 1915, sauf pour quelques compagnies résistantes à ce changement et qui ont continué jusqu’à la fin des années 20. Il faut aussi noter que la réticence des passagers à la traction électrique, avec la peur d’être électrocuté, est aussi allée dans ce sens. Il faut dire que les étincelles et le tintement des roues de métal sur les rails pouvaient paraître inquiétants. Je me souviens que quand j’étais gamin, j’aimais regarder le conducteur du métro, fasciné par les nuées d’étincelles qui explosaient dans son habitacle. Je me souviens également d’un conducteur qui donnait des coups avec une batte en bois sur je ne sais quel équipement électrique, situé à la gauche de la cabine. C’était le temps des voitures de métro en bois, elles avaient leur charme.
Retour au cornetín
Celui qui tenait le cornetín, c’est le conductor. Attention, il n’est pas celui qui mène l’attelage ou qui conduit les tramways électriques, c’est celui qui s’occupe des passagers. Le nom peut effectivement porter à confusion. Le conducteur, c’est le mayoral que l’on retrouve également, héros de différents tangos que je présenterai en fin d’article. Le cornetín servait à la communication entre le mayoral (à l’avant) et le conductor à l’arrière). Le premier avait une cloche pour indiquer qu’il allait donner le départ et le second un cornet qui servait à avertir le conducteur qu’il devait s’arrêter à la suite d’un problème de passager. Le conducteur abusait parfois de son instrument pour présenter ses hommages à de jolies passantes. C’est l’histoire de ce tango.
Extrait musical
Cornetín 1943-03-05 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino
Cornetín 1943-03-05 Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino (estribillo) — Disque Victor 60–0016‑A
Les paroles
Eclipse de sol, film sorti le 1er juillet 1943 — Libertad Lamarque et Dringue Farías avec son cornetín. Le conductor sous le charme de Libertad Lamarque danse avec elle. On remarquera qu’il est indiqué Mayoral sur sa casquette, ce qui ne correspond pas à sa fonction de conductor.
Tarí, Tarí. Lo apelan Roque Barullo conductor del Nacional.
Con su tramway, sin cuarta ni cinchón, sabe cruzar el barrancón de Cuyo (al sur). El cornetín, colgado de un piolín, y en el ojal un medallón de yuyo.
Tarí, tarí. y el cuerno listo al arrullo si hay percal en un zaguán.
Calá, que linda está la moza, calá, barriendo la vereda, Mirá, mirá que bien le queda, mirá, la pollerita rosa. Frená, que va a subir la vieja, frená porque se queja, si está en movimiento. Calá, calá que sopla el viento, calá, calá calamidad.
Tarí, tarí, trota la yunta, palomas chapaleando en el barrial.
Talán, tilín, resuena el campanín del mayoral picando en son de broma y el conductor castiga sin parar para pasar sin papelón la loma Tarí, tarí, que a lo mejor se le asoma, cualquier moza de un portal
Qué linda esta la moza, barriendo la vereda, mirá que bien le queda, la pollerita rosa. Frená, que va a subir la vieja, Frená porque se queja si está en movimiento, calá, calá que sopla el viento, calá, calá calamidad.
Tarí, Tarí. Conduce Roque Barullo de la línea Nacional.
Pedro Maffia Letra : Homero Manzi ; Cátulo Castillo
Parmi les détails amusants :
On notera le nom du conducteur du tranvía, Barullo, qui en lunfardo veut dire bagarreur. Encore un tango qui fait le portrait d’un compadrito d’opérette. Celui-ci fait ralentir le tranvía pour faciliter la montée d’une ancienne ou d’une belle ou tout simplement admirer une serveuse sur le trottoir.
Le Tarí, Tarí, ou Tará, Tarí est bien sûr le son du cornetín.
“sabe cruzar el barrancón de Cuyo” – El barrancón de Cuyo est un ravin, comme si le tranvía allait s’y risquer. Cela a dû paraître extravagant, car dans certaines versions, c’est tout simplement remplacé par el sur (dans le même sens que le Sur de la chanson de ce nom qui est d’ailleurs écrite par le même Homero Manzi. D’ailleurs la ligne “nacionale” pouvait s’adresser à celle de Lacroze qui allait effectivement dans le sud.
Tangos sur le tranvía
Cornetín (le thème du jour de Pedro Maffia Letra : Homero Manzi; Cátulo Castillo)
El cornetín (Cornetín) 1942-12-29 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán.
C’est le premier de la série à être enregistré.
Cornetín 1943-03-05 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino. C’est le tango du jour.
Cornetín 1943-04-05 — Libertad Lamarque con orquesta dirigida por Mario Maurano.
Cornetín 1943-04-05 — Libertad Lamarque con orquesta dirigida por Mario Maurano.
Cette chanson a été enregistrée un mois, jour pour jour, après la version de Di Sarli. Cette version, plutôt chanson est tout de même dansée dans le film Eclipse de sol de Luis Saslavsky d’après un scénario d’Homero Manzi tiré de l’œuvre d’Enrique García Velloso. Le film est sorti le 1er juillet 1943. Cet extrait nous permet de voir comment était organisé un tranvía a motor de sangre, avec son mayoral à l’avant, conduisant les chevaux et son conductor, à l’arrière, armé de son cornetín.
Cornetín 1950-07-28 Nelly Omar con el conjunto de guitarras de Roberto Grela.
Après une courte intro sur un rythme à trois temps, Nelly Omar chante sur un rythme d’habanera. Le résultat est très sympa, l’équilibre entre la voix de Nelly et la guitare de Roberto Grela et ses fioritures est agréable.
Je vous dispense de la version de De Angelis de 1976…
Autres titres parlant du tranvía
El cochero del tranvía 1908 Los Gobbi (Alfredo Gobbi y Flora Gobbi) — Ángel Gregorio Villoldo (MyL).
Le son est pénible à écouter, c’est un des tout premiers enregistrements et c’est plus un dialogue qu’une chanson. C’est pour l’intérêt historique, je ne vous en voudrai pas si vous ne l’écoutez pas en entier.
El cornetín del tranvía 1938-06-09 – Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar / Antonio Oscar Arona Letra : Armando Tagini. Une belle version de ce titre. El mayoral 1946-04-24 (milonga candombe) — Orquesta Domingo Federico con Oscar Larroca.mp 3/José Vázquez Vigo Letra: Joaquín Gómez Bas.
Au début, les annonces du départ et le adios final, vraiment théâtral. Sans doute pas le meilleur de Larocca.
El mayoral del tranvía (milonga) 1946-04-26 Orquesta Alfredo De Angelis con Julio Martel / Francisco Laino; Carlos Mayel (MyL) Milonga del mayoral 1953 — Orquesta Aníbal Troilo con Jorge Casal y Raúl Berón arrangements d’Astor Piazzolla/Aníbal Troilo Letra: Cátulo Castillo
Un tango qui est plus une nostalgie de l’époque des tranvías
En effet, les tranvías ont terminé leur carrière à Buenos Aires en 1962, soit environ un siècle après le début de l’aventure.
Tiempo de tranvías 1981-07-01 Orquesta Osvaldo Pugliese con Abel Córdoba / Raúl Miguel Garello Letra : Héctor Negro.
Un truc qui peut plaire à certains, mais qui n’a aucune chance de passer dans une de mes milongas. L’intro de 20 secondes, sifflée, est assez originale. On croirait du Morricone, mais dans le cas présent, c’est un tranvía, pas un train qui passe.
Tiempo de tranvías 2012 — Nelson Pino accompagnement musical Quinteto Néstor Vaz / Raúl Miguel Garello Letra : Héctor Negro.
Petits plus
« Los cocheros y mayorales ebrios, en servicio, serán castigados con una multa de cinco pesos moneda nacional, que se hará efectiva por medio de la empresa ». Les cochers et conducteurs (plus tard, on dira les
On appelle souvent les colectivos de Buenos Aires « Bondis ». Ce nom vient du nom brésilien des tramways, « Bonde ». Sans doute une autre preuve de la nostalgie du tranvía perdu.
Quelques sources
L’association des amis du Tranvía. Des passionnés qui vous feront revivre cette époque. Ils organisent des petits circuits dans des véhicules d’époque dans le quartier de Caballito. Pour patienter dans la file d’attente, ils vous proposent un historique. C’est très bien organisé et fait par des passionnés. Le trajet est gratuit, mais c’est sympa de leur acheter quelques souvenirs pour les aider dans leurs travaux de restauration de véhicules anciens.
Tranvías a motor de sangre en la Boca (Puente Puyrredon)Un des premiers tramways électriques à avoir une grille pour sauver les piétons qui seraient percutés par le tramway. Cette grille pouvait se relever à l’aide d’une chaîne dont l’extrémité est dans la cabine de conduite.Motorman levant la rejilla 1948 (Document Archives générales de la nation Argentine)
5 Coches del Tranvía eléctrico de la calle Las Heras, doble pisos.
Coches del Tranvía eléctrico de la calle Las Heras, doble pisos.Reconstitution du tranvía du film “Eclipse de sol”, car il n’apparait pas en entier dans le film, car la scène est trop petite.À l’époque de notre tango (ici en 1938, donc 3 ans avant), c’est ce type de tramway qui circule. on comprend la nostalgie des temps anciens.Trafic compliqué sur la Plaza de Mayo en 1934. À l’arrière-plan, les colonnes de la cathédrale. Trois tranvías électriques essayent de se frayer un passage. On remarque la grille destinée à éviter aux piétons de passer sous le tramway en cas de collision.
Le cono azul cache une histoire triste, mais vécue par des milliers de jeunes Françaises. Le tango du jour Bajo et cono azul a été enregistré par De Angelis et Floreal Ruiz, il y a exactement 80 ans, le 29 février 1944.
Comme il y a peu de 29 février, seulement les années bissextiles, on pouvait craindre qu’il soit difficile de trouver un enregistrement du jour. La richesse des enregistrements de tango, même si ce n’est qu’un faible pourcentage de ce qui a été joué permet de vous présenter cette perle.
Dedico esta nota a mi querida cuñada Marta cuyo cumpleaños es hoy. Ella tiene suerte (o mala suerte) de cumplir solo cada cuatro años).
La triste histoire de Susú et autres grisettes
La France, et notamment Paris, a été un réservoir inépuisable de femmes pour l’Argentine et notamment Buenos Aires. De beaux Argentins faisaient de belles promesses aux belles Françaises. Ces dernières, à la recherche du soleil (celui du drapeau de Manuel Belgrano ou tout simplement celui du ciel austral), font leur maigre bagage et se retrouvent au sein du rêve portègne. Las, là, les promesses se changent en trahison et les belles, dans le meilleur des cas deviennent « grisettes », à faire des œuvres de couture, mais beaucoup se retrouvent dans les bordels, à danser et à se livrer à d’autres activités usuelles dans ce genre d’endroit. On imagine leur détresse. C’est ce qui est arrivé à la Susú de ce tango, comme à tant d’autres qui ont inspiré des dizaines de tangos émouvants. Le point original de ce tango est que le narrateur connaissait et probablement aimait (il s’interroge sur ce point) Susú à Paris et qu’il l’a suivie quand elle est partie avec son « amour ». Aujourd’hui, vingt ans et « un amour » plus tard, elle continue de danser, mais elle qui se rêvait papillon, s’est brûlé les ailes à la chaleur de la lumière du projecteur et pleure dans l’ombre du salon où s’écrit jour après jour son malheur. Écoutons à présent ce thème qui unit Paris et le Cono sur (le cône du Sud), partie inférieure et triangulaire de l’Amérique latine.
Extrait musical
Bajo el cono azul 1944-02-29 (Tango) — Orquesta Alfredo De Angelis con Floreal Ruiz y glosas de Néstor Rodi. L’introduction parlée dure 13 secondes…
Un certain nombre de tangos ont été enregistrés avec des paroles dites, généralement en début de musique. C’est le cas de ce tango ou ces glosas dites par Néstor Rodi dévoilent la tristesse du thème. La musique de De Angelis est rythmée et tonique et la voix de Floreal Ruiz, est également bien marquée. Je ne sais pas si c’est pour cela qu’il a pris le surnom de Carlos Martel. C’était peut-être aussi en hommage au plus fameux des Carlos du tango.
Les paroles
Bajo el cono azul gira tu silueta en el salón. Y yo, desde aquí como allá, en París, sueño igual que ayer, otra ilusión… Le papillon va se brûler les ailes…
Bajo el cono azul de luz bailando está Susú su danza nocturnal… Sola, en medio del salón se oprime el corazón cansada de su mal… Veinte años y un amor, y luego la traición de aquel que amó en París… ¡Mariposa que al querer llegar al sol sólo encontró la luz azul de un reflector!…
Bajo el cono azul envuelta en el tul gira tu silueta en el salón. Y yo, desde aquí como allá, en París, Sueño igual que ayer, otra ilusión… No sé si te amé… Acaso lloré cuando te alejaste con tu amor… ¡Triste recordar! ¡Sigue tu danzar!… Yo era sólo un pobre soñador…
Bajo el cono azul de luz no baila ya Susú su danza nocturnal… En las sombras del salón solloza un corazón su mal sentimental… Veinte años y un amor, que en alas de ilusión la trajo de París… ¡Mariposa que al querer llegar al sol sólo encontró la luz de un reflector! …
Alfredo De Angelis Letra: Carmelo Volpe. La partie en italique n’est pas chantée par Floreal Ruiz. Il reprend pour terminer le refrain à partir de No sé si te amé…
La traduction des paroles
Les paroles sont intéressantes, mais sujettes à erreurs d’interprétation. J’ai donc décidé de faire une traduction en français. Avec la traduction automatique du site, vous l’aurez dans une éventuelle autre langue parmi les 50 possibles.
Sous le cône de lumière bleu, Susu danse sa danse nocturne… Seule au milieu du salon, le cœur oppressé, fatiguée de son mal… Vingt ans et un amour, et puis la trahison de celui qu’elle aimait à Paris… Papillon qui veut atteindre le soleil ne trouve que la lumière bleue d’un projecteur ! (réflecteur, mais pour faire un cône de lumière il vaut mieux un projecteur…)
Sous le cône bleu, enveloppée de tulle, virevolte ta silhouette dans le salon. Et moi, depuis ici comme là-bas, à Paris, je rêve comme hier, une autre illusion… Je ne sais pas si je t’aimais… J’ai peut-être pleuré quand tu es partie avec ton amour… Triste souvenir ! Continue de danser ! … Je n’étais qu’un pauvre rêveur…
Sous le cône de lumière bleu, Susu ne danse plus sa danse nocturne… Dans l’ombre du salon un cœur sanglote son mal d’amour… Vingt ans et un amour, que sur les ailes de l’illusion il l’a amenée de Paris… Papillon qui veut atteindre le soleil ne rencontre que la lumière d’un projecteur ! …
Autres tangos enregistrés un 29 février
De Angelis a enregistré le même jour Ya sé que siguen hablando avec le chanteur Julio Martel. Le même jour, Floreal ne pouvait donc pas prendre son pseudonyme de Carlos Martel, hein ?
Ya sé que siguen hablando 1944-02-29 — Alfredo De Angelis con Julio Martel. Enregistré le même jour que Bajo el Cono Azul.Canaro 1956-02-29 — Florindo Sasone. Une version curieuse, à la fois pour le thème, enregistré pour la première par Canaro en 1915 (on n’est jamais si bien servi que par soi-même). C’est un mélange d’un des styles de Canaro et de Sasone, assez étonnant.Lagrimas 1956-02-29 Florinda Sasone. Enregistré le même jour, ce tango est plus dans l’esprit pur Sasone avec les dings si caractéristiques qui ponctuent ses interprétations.De qué podemos hablar 1956-02-29 — Orquesta Carlos Di Sarli con Argentino Ledesma. Ledesma, une des grandes voix du tango. Mais est-ce sa meilleure interprétation, je ne suis pas sûr.Mala yerba 1956-02-29 (Valse) — Orquesta Carlos Di Sarli con Rodolfo Galé. Enregistré le même jour que De qué podemos hablar. Cette valse n’est pas la plus entraînante, notamment à cause de la prestation de Galé, qui chante magnifiquement, mais pas forcément idéalement pour la danse.Sous le cône de lumière bleu, Susu ne danse plus sa danse nocturne… Dans l’ombre du salon un cœur sanglote son mal d’amour…
Ahora voy a tomar mate con yerba que no sea mala y con yuyos de sierras, y después a bailar el chamame qué estoy en la provincia de Corrientes. Qué la tristeza se va.
Et maintenant, je vais prendre un mate avec de la yerba qui ne soit pas mauvaise et des herbes de montagne. Ensuite, je vais danser le chamamé, car je suis dans la province de Corrientes, pour que la tristesse s’en aille.
El chamamé ya es Patrimonio Cultural Inmaterial de la Humanidad [Le chamame est désormais au Patrimoine Immatériel de l’Humanité (Unesco)]
Bésame otra vez
Siento que después
No nos veremos más.
Le tango du jour est une valse, nostalgique, mais entraînante dans cette version réalisée par Lucio Demare et Raúl Berón. Elle a été enregistrée il y a 81 ans, le 11 février 1943. Lucio Demare était pianiste et compositeur. On lui doit beaucoup de titres qu’il a lui-même interprétés, comme cette valse, mais aussi d’autres tangos à succès, comme Telón, Malena, Mañana zarpa un barco, Solamente ella et autres titres nostalgiques.
Extrait musical
No nos veremos más 1943-02–11 — Lucio Demare con Raúl Berón
L’archive sonore présentée ici, l’est à titre d’exemple didactique. La qualité sonore est réduite à cause de la plateforme de diffusion qui n’accepte pas les fichiers que j’utilise en milonga et qui sont environ 50 fois plus gros et de bien meilleure qualité. Je pense toutefois que cet extrait vous permettra de découvrir le titre en attendant que vous le trouviez dans une qualité audiophile.
Paroles
Saber partir Con la sonrisa florecida. Y ver morir El sueño de toda la vida. Ahogar la voz Morder la angustia que nos hiere. Después, adiós Y el alma de un rosal que muere.
Bésame otra vez Siento que después No nos veremos más. Se irá la cerrazón Pero la ilusión No vendrá jamás. Sombra entre los dos Que un dolor atroz No torna claridad. Amor que se abre en cruz Al puñal de luz De todas las estrellas.
Hoy por distinta huella Nos echa la vida, Amor que nunca olvida No sabe llorar. Bésame otra vez Siento que después No nos veremos más. Se irá la cerrazón Pero la ilusión No vendrá jamás.
Lucio Demare Letra: Julio Plácido Navarrine
Traduction
Savoir partir avec un sourire fleuri et voir mourir le rêve de toute une vie. Étouffer la voix, mordre l’angoisse qui nous blesse. Puis, au revoir et l’âme d’un rosier se meure. Embrasse-moi à nouveau, je sens que nous ne nous reverrons plus. Les ténèbres disparaîtront, mais l’illusion ne viendra jamais. Une ombre entre les deux qu’une douleur atroce ne transformera pas en clarté. L’amour qui s’ouvre en croix au poignard de lumière de toutes les étoiles. Aujourd’hui, la vie s’échappe par une empreinte différente, l’amour qui n’oublie jamais, ne sait pas pleurer. Embrasse-moi à nouveau, je sens que nous ne nous reverrons plus. Les ténèbres disparaîtront, mais l’illusion ne viendra jamais.
Autres enregistrements
Il existe une autre version, par Francisco Canaro et Roberto Maida (1935–12-03), dans un rythme beaucoup plus lent et majestueux, très différent de cette interprétation par Demare et Berón. Signalons aussi l’enregistrement (1952–06-18) par Lucio Demare, au piano, solo de cette valse, dans le rythme lent de Canaro. Il enchaîne sur Mañanitas de Montmartre, une autre de ses compositions, dans cet enregistrement de 1952. Comme Lucio Demare est le compositeur, il est possible qu’il l’ait conçue dans le rythme lent de 1935 et 1952 et que cette version de 1943 soit une adaptation au goût de l’époque, l’âge d’or du tango de danse.
No nos veremos más 1935-12-02 — Francisco Canaro et Roberto Maida.
C’est la première version. Cette version est empreinte de sonorité européenne. Ce que la présence de l’accordéon dans la partie B (à 19 s) souligne. Cette même partie B sera reprise par la trompette bouchée à 45 s. À 54 s, Roberto Maida chante la partie A, puis la B, puis de nouveau la A et la B. On remarquera les sonorités très particulières du violon et de la trompette à 1:50, cet assemblage rare et étonnant donne une dimension intéressante à cette interprétation. À 2:16 on remarquera le piano solo qui donne une respiration particulière à ce passage après les sonorités de la trompette associée au violon. Comme pour s’excuser de l’audace précédente. À 2:27 l’orchestre reprend brièvement la main pour proposer une fin de film de cinéma…
Cela n’est sans doute pas si étonnant si on considère que Demare à cette époque, faisait de la musique pour le cinéma en Espagne avec son trio et j’émets l’hypothèse que ce titre faisait partie du film, malheureusement perdu “Boliche” de Francisco Elías (1933). Comme on le sait, Canaro a repris de nombreuses musiques de film, pourquoi pas celle-ci ?
Affiches du film Boliche de Francisco Elias.No nos veremos más 1943-02-11 — Lucio Demare con Raúl Berón. C’est notre valse du jour.No nos veremos más 1946 — Trío Argentino (Irusta, Fugazot, Demare) y su Orquesta Típica Argentina.
Si mon hypothèse est exacte, ce serait une reprise, 13 ans plus tard, de la musique du film Boliche.
No nos veremos más – Mañanitas de Montmartre 1952-06-18 — Lucio Demare (piano).
Demare est un des rares chefs d’orchestre a avoir fait des enregistrements de son seul instrument. Il faut dire que le piano se prête assez bien à cet exercice.
No nos veremos más 2015 – Roulotte Tango con Gaspar Pocai.
Pour terminer avec cette version en valse créée par Lucio Demare, la proposition d’un orchestre français, Roulotte Tango avec la voix de Garpar Pocai.
Sous le même titre, on trouve une chanson de tango de Luis Stazo avec des paroles de Federico Silva qui a eu son petit succès en 1963, notamment par la version de Roberto Goyeneche avec l’accompagnement de Luis Stazo, Armando Cupo y Mario Monteleone. On pourrait citer aussi celle de Maure, de la même année, ou celle de d’Arienzo avec Jorge Valdez. Avec mon célèbre esprit de contradiction, je vous propose d’écouter la version de De Angelis et Godoy…
No nos veremos más 1964-04 — Orquesta Alfredo De Angelis con Juan Carlos Godoy.
Comme les autres interprétations de ce titre, il s’agit d’une version de concert, pas de bal.
Amor que se abre en cruz al puñal de luz de todas las estrellas.
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