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Tigre viejo

Tigre viejo 1934-08-16 — Orquesta Osvaldo Fresedo

Salvador Grupillo

Avec ses grandes cas­cades musi­cales qui se ter­mi­nent dans des écrase­ments impres­sion­nants, Tigre viejo (le vieux tigre) attire l’attention. C’est devenu un incon­tourn­able des milon­gas tant à Buenos Aires qu’en Europe dans la ver­sion d’Osvaldo Frese­do enreg­istrée en 1934.

Frese­do, « El Pibe de la Pater­nal » (le gamin de la Pater­nal, un quarti­er du nord-ouest de la ville de Buenos Aires) est claire­ment un chef d’orchestre de la vieille garde. Il a com­mencé à enreg­istr­er en 1922 et une très grande par­tie de sa musique instru­men­tale, jusqu’à 1934, est mar­quée par les accents du canyengue avec un rythme mar­qué que Frese­do allège cepen­dant, notam­ment avec de jolis traits de vio­lon, voire de ban­donéon, son instru­ment. Tigre viejo est un titre charnière qui mar­que une tran­si­tion entre cette époque anci­enne et une plus mélodique, celle qu’il déploiera pro­gres­sive­ment avec les chanteurs Rober­to Ray et plus encore Ricar­do Ruiz. On con­sid­ère Frese­do comme un chef d’orchestre raf­finé con­venant bien aux audi­teurs de la bonne société.

Extrait musical

Partitura de Tigre viejo composé par Salvador Grupillo…
Par­ti­tu­ra de Tigre viejo com­posé par Sal­vador Grupil­lo…
Tigre viejo 1934-08-16 — Orques­ta Osval­do Frese­do

On remar­que dès le début de Tigre viejo la puis­sance du rythme, bien appuyé, mais à par­tir de 19 sec­on­des sur­git un élé­ment per­tur­ba­teur, une spi­rale vibrante des vio­lons qui sem­ble tomber pour s’aplatir dans un lourd accord de piano. Frese­do sera friand de cet effet qu’il emploiera jusqu’à la fin de sa car­rière, comme dans Pimien­ta de 1962.
Les vio­lons et les ban­donéons sont chan­tants et le piano leur donne la réponse. Les vio­lons alter­nent les pizzi­cati et le jeu lega­to, par­fois, en se sub­di­visant pour faire cohab­iter les deux styles.
Les grandes vagues des vio­lons et des ban­donéons don­nent un car­ac­tère nos­tal­gique et on se prend à penser à un vieux tigre, triste de sen­tir les forces s’en aller, mais avec suff­isam­ment de vigueur pour vivre les traits énergiques pro­posés par Frese­do.

Une édition par les éditions Melos. C’est pour un cuarteto, mais cela peut être facilement étendue en doublant les parties de violons et bandonéons. On remarque les vagues évoquées, elles se retrouvent graphiquement dans l’édition musicale… https://melos.com.ar/
Une édi­tion par les édi­tions Melos. C’est pour un cuar­te­to, mais cela peut être facile­ment éten­due en dou­blant les par­ties de vio­lons et ban­donéons. On remar­que les vagues évo­quées, elles se retrou­vent graphique­ment dans l’édition musi­cale… https://melos.com.ar/

Autres versions

Même si elle est de très loin la plus célèbre, la ver­sion enreg­istrée de Frese­do n’est pas la plus anci­enne. L’année précé­dente, Elvi­no Var­daro, le mer­veilleux vio­loniste, avait enreg­istré une ver­sion plutôt sur­prenante.

Tigre viejo 1933 — Sex­te­to de Elvi­no Var­daro.

Elvi­no Var­daro et Hugo Bar­alis (vio­lonistes), Jorge Argenti­no Fer­nán­dez et Aníbal Troi­lo (ban­donéon­istes, Pedro Carac­ci­o­lo (Con­tre­bassiste) et José Pas­cual (Pianiste). Cette ver­sion dans l’esprit de De Caro, presque étrange, aura bien du mal à sat­is­faire les danseurs, notam­ment car elle est rem­plie de sur­pris­es ren­dant l’improvisation impos­si­ble. Au côté des deux excel­lents vio­lonistes, on notera la qual­ité des musi­ciens au ser­vice de cette ver­sion et notam­ment la présence d’Anibal Troi­lo, âgé de 19 ans lors de cet enreg­istrement.

Tigre viejo 1934-08-16 — Orques­ta Osval­do Frese­do. C’est notre tan­go du jour.

Une ver­sion par­faite­ment dans­able et sans doute bien­v­enue après l’expérience pro­posée par Var­daro.

Tigre viejo 1947-07-08 — Orques­ta Franci­ni-Pon­tier.

La ver­sion de Enrique Franci­ni et Arman­do Pon­tier a sans doute plus de points com­muns avec l’interprétation de Var­daro.

Tigre viejo 1948 — Orchestre Argentin Manuel Pizarro.

Comme l’indique le nom de l’orchestre, Pizarro a fait une par­tie très impor­tante de sa car­rière en France, où il est arrivé en 1920 et y où il est mort en 1982. Bien sûr, il a fait de nom­breux voy­ages et sa présence en France n’a pas été con­tin­ue.

Tigre viejo 1969-09-18 — Orques­ta Juan D’Arien­zo.

Dans sa péri­ode tar­dive, D’Arienzo pro­pose une ver­sion peu facile à danser, ce qui est plutôt rare chez lui. On con­sid­ér­era sans doute cette ver­sion comme une curiosité, plus que comme une per­le à pro­pos­er en milon­ga.

Tigre viejo 2011 — Hype­r­i­on Ensem­ble.

Hype­r­i­on est dans l’ensemble un orchestre de danse. Il pro­pose cette ver­sion qui évoque celle de Frese­do. Cepen­dant, si cela est sans doute un peu dans­able, il n’y a prob­a­ble­ment aucune rai­son de pro­pos­er cette ver­sion en milon­ga.

Atten­tion, je par­le du point de vue du DJ, pas de celui du Directeur artis­tique. En effet, un orchestre peut se per­me­t­tre des musiques un peu moins con­sen­suelles, il y a l’effet orchestre qui mod­i­fie l’écoute des danseurs. C’est un peu comme quand on passe des dis­ques noirs, les danseurs réagis­sent dif­férem­ment, même si le son est rigoureuse­ment iden­tique (copie numérique de bonne qual­ité du disque 78 tours, par exem­ple).

Tigre viejo 2017 — Tan­go Bar­do.

Cet autre orchestre con­tem­po­rain s’inspire de Frese­do en appor­tant une note énergique qui peut tout à fait con­venir aux danseurs actuels. Dis­ons que, si l’on souhaite chang­er de la ver­sion de Frese­do, on peut con­sid­ér­er cet enreg­istrement. https://tangobardo.bandcamp.com/track/tigre-viejo

Tigre viejo 2018 — Esquina Sur.

Une ver­sion dans l’esprit de Frese­do et qui se révèle dans­able, même s’il lui manque sans doute un peu de l’âme qu’avait su don­ner Frese­do.

Tigre viejo 2021 (in the style of Enrique Franci­ni & Arman­do Pon­tier) — Cuar­te­to SolTan­go.

Comme ils l’annoncent, cette inter­pré­ta­tion s’inspire de celle de Enrique Franci­ni et Arman­do Pon­tier et elle rejoint la grande lignée des ver­sions des­tinées exclu­sive­ment à l’écoute.

Tigre viejo 2023 — Estación Buenos Aires Quar­tet.

C’est tou­jours sym­pa de voir les musi­ciens. Voici donc une vidéo de 2023. Atten­tion, il manque la fin. Vous devrez donc acquérir la piste si vous souhaitez l’entendre en entier. https://www.halidonmusic.com/it/tango-from-origins-to-piazzolla-album-8104.html

Même si on peut envis­ager de la pro­pos­er en milon­ga, je trou­ve qu’il ne jus­ti­fie pas de déclass­er Frese­do, qui reste, pour ma part, le seul à avoir sat­is­fait les danseurs.

D’autres vieux tigres

Le titre a été util­isé pour divers­es œuvres. Pour votre amuse­ment, en voici qua­tre exem­ples :

Tigre viejo 1926-12-06 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor dirigé par Adol­fo Cara­bel­li. (Nicolás Guas­tavi­no Ara­gay)
Tigre viejo 1934 — Impe­rio Argenti­na con Gui­tar­ras (Enrique Nieto de Moli­na — Toko — Jose Abel­da).
Tigre viejo 2022 — José Romero Bel­lo Con Joseito Romero y Nativi­dad Díaz. Une com­po­si­tion inter­prétée à la harpe.
Tigre viejo 1960 — Ángel C. Loy­ola y sus Guariqueños (José Ren­jiló y Ángel Cus­to­dio Loy­ola).

Grupillo et les tigres

Je n’ai pas d’explication sur l’origine de ce titre. Le tigre était, par exem­ple le ban­donéon­iste Eduar­do Aro­las. Ce dernier a con­nu une fin trag­ique, alcoolique et tuber­culeux à Paris, de quoi faire un thème pour un tan­go. D’ailleurs, le tan­go de Nicolás Guas­tavi­no Ara­gay por­tant le même titre et enreg­istré par Cara­bel­li avec l’orchestre de la Vic­tor est de 1926, deux ans après la mort d’Arolas, ce qui est un bon délai pour un enreg­istrement en hom­mage.

Un tigre, cela peut être aus­si, en lun­far­do, une per­son­ne souf­frant de var­i­ole avec le vis­age grêlé, une per­son­ne cru­elle et san­guinaire, ou au con­traire, quelqu’un d’habile, mais l’un n’empêche cepen­dant pas l’autre. C’est aus­si, dans l’argot des pris­ons, celui qui net­toie les excré­ments…

Grupil­lo, quant à lui, est né dans les Pouilles et est donc un de ces si nom­breux Ital­iens d’origine mod­este pour ne pas dire pau­vre qui ont peu­plé l’Argentine.

Ma chasse au tigre

En 2009, j’ai par­lé pour la pre­mière fois avec Dany Borel­li, un des plus grands DJ de Buenos Aires. C’était juste­ment à pro­pos de ce tan­go. C’était à El Arranque, cette belle milon­ga de l’après-midi, si chaleureuse, qui est aujourd’hui rem­placée par un club de sport…

Dany et Vivi, deux talentueux DJ de Buenos Aires. Vivi est la fille de l'organisateur de la Milonga El Arranque et a appris le métier de DJ avec Dany. Photo de Dany y Vivi https://jantango.wordpress.com/2014/10/19/milonga-review-el-arranque-revisited/
Dany et Vivi, deux tal­entueux DJ de Buenos Aires. Vivi est la fille de l’or­gan­isa­teur de la Milon­ga El Arranque et a appris le méti­er de DJ avec Dany. Pho­to de Dany y Vivi https://jantango.wordpress.com/2014/10/19/milonga-review-el-arranque-revisited/

Une vidéo sou­venir du Salon La Argenti­na où avait lieu la milon­ga El Arranque.

Le salon "Nuevo Salon La Argentina) où avait lieu El Arranque. Pas de plancher, pas de clim, seulement d’immenses ventilateurs bruyants, mais un lieu chaleureux pour les milongas de l'après-midi.
Le salon “Nue­vo Salon La Argenti­na) où avait lieu El Arranque. Pas de planch­er, pas de clim, seule­ment d’immenses ven­ti­la­teurs bruyants, mais un lieu chaleureux pour les milon­gas de l’après-midi.
En 2018, le salon était à louer et aujourd'hui, c'est un lieu de fitness...
En 2018, le salon était à louer et aujour­d’hui, c’est un lieu de fit­ness…

Voilà, les amis. Je ter­mine ici,  après cette petite séquence « nos­tal­gie ». À bien­tôt !

El choclo 1948-01-15 — Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas

Ángel Villoldo (Ángel Gregorio Villoldo Arroyo) / Casimiro Alcorta Letra: Ángel Villoldo / Juan Carlos Marambio Catán / Enrique Santos Discépolo.

Comme tous les tan­gos célèbres, El choclo a son lot de légen­des. Je vous pro­pose de faire un petit tour où nous ver­rons au moins qua­tre ver­sions des paroles accrédi­tant cer­taines de ces légen­des. Ce titre importé par Vil­lol­do en France y aurait rem­placé l’hymne argentin (par ailleurs mag­nifique), car il était plus con­nu des orchestres français de l’époque que l’hymne offi­ciel argentin Oid mor­tales du com­pos­i­teur espag­nol : Blas Par­era i Moret avec des paroles de Vicente López y Planes (écrivain et homme poli­tique argentin). Voyons donc l’histoire de cet hymne de sub­sti­tu­tion.

Qui a écrit El choclo ?

Le vio­loniste, danseur (avec sa com­pagne La Pauli­na) et com­pos­i­teur Casimiro Alcor­ta pour­rait avoir écrit la musique de El choclo en 1898. Ce fils d’esclaves noirs, mort à 73 ans dans la mis­ère à Buenos Aires, serait, selon cer­tains, l’auteur de nom­breux tan­gos de la péri­ode comme Con­cha sucia (1884) que Fran­cis­co Canaro arrangea sous le titre Cara sucia, net­te­ment plus élé­gant, mais aus­si La yapa, Entra­da pro­hibi­da et sans doute pas mal d’autres. À l’époque, ces musiques n’étaient pas écrites et elles apparte­naient donc à ceux qui les jouaient, puis à ceux qui les éditèrent…
L’absence d’écriture empêche de savoir si, Ángel Vil­lol­do a « emprun­té » cette musique…
En 1903, Vil­lol­do demande à son ami chef d’un orchestre clas­sique, José Luis Ron­cal­lo, de jouer avec son orchestre cette com­po­si­tion dans un restau­rant chic, La Amer­i­cana. Celui-ci refusa, car le patron du restau­rant con­sid­érait le tan­go comme de la musique vul­gaire (ce en quoi il est dif­fi­cile de lui don­ner tort si on con­sid­ère ce qui se fai­sait à l’époque). Pour éviter cela, Vil­lol­do pub­lia la par­ti­tion le 3 novem­bre 1903 en indi­quant qu’il s’agissait d’une danse criol­la… Ce sub­terfuge per­mit de jouer le tan­go dans ce restau­rant. Ce fut un tel suc­cès, que l’œuvre était jouée tous les jours et que Vil­lol­do est allé l’enregistrer à Paris, en com­pag­nie de Alfre­do Gob­bi et de sa femme, Flo­ra Rodriguez.
Par la suite, des cen­taines de ver­sions ont été pub­liées. Celle du jour est assez intéres­sante. On la doit à Fran­cis­co Canaro avec Alber­to Are­nas. L’enregistrement est du 15 jan­vi­er 1948.

Extrait musical

Divers­es par­ti­tions de El choclo. On remar­quera à gauche (5ème édi­tion), la dédi­cace à Ron­cal­lo qui lancera le titre.
El choclo 1948-01-15 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Alber­to Are­nas.

On remar­que tout de suite le rythme rapi­de. Are­nas chante égale­ment rapi­de­ment, de façon sac­cadée et il ne se con­tente pas de l’habituel refrain. Il chante l’intégralité des paroles écrites l’année précé­dente pour Lib­er­tad Lamar­que.
Ce fait est générale­ment car­ac­téris­tique des tan­gos à écouter. Cepen­dant, mal­gré les facéties de cet enreg­istrement, il me sem­ble que l’on pour­rait envis­ager de le pro­pos­er dans un moment déli­rant, une sorte de cathar­sis, pour toutes ces heures passées à danser sur des ver­sions plus sages. On notera les clo­chettes qui don­nent une légèreté, en con­traste à la voix très appuyée d’Arenas.

Paroles (version de Enrique Santos Discépolo)

Ici, les paroles de la ver­sion du jour, mais reportez-vous en fin d’article pour d’autres ver­sions…

Con este tan­go que es burlón y com­padri­to
se ató dos alas la ambi­ción de mi sub­ur­bio;
con este tan­go nació el tan­go, y como un gri­to
sal­ió del sór­di­do bar­ri­al bus­can­do el cielo;
con­juro extraño de un amor hecho caden­cia
que abrió caminos sin más ley que la esper­an­za,
mez­cla de rabia, de dolor, de fe, de ausen­cia
llo­ran­do en la inocen­cia de un rit­mo juguetón.

Por tu mila­gro de notas agor­eras
nacieron, sin pen­sar­lo, las paicas y las gre­las,
luna de char­cos, canyengue en las caderas
y un ansia fiera en la man­era de quer­er…

Al evo­carte, tan­go queri­do,
sien­to que tiem­blan las bal­dosas de un bai­lon­go
y oigo el rezon­go de mi pasa­do…
Hoy, que no ten­go más a mi madre,
sien­to que lle­ga en pun­ta ‘e pie para besarme
cuan­do tu can­to nace al son de un ban­doneón.

Caran­can­fun­fa se hizo al mar con tu ban­dera
y en un pernó mez­cló a París con Puente Alsi­na.
Triste com­padre del gav­ión y de la mina
y has­ta comadre del bacán y la pebe­ta.
Por vos shusheta, cana, reo y mishiadu­ra
se hicieron voces al nac­er con tu des­ti­no…
¡Misa de fal­das, querosén, tajo y cuchil­lo,
que ardió en los con­ven­til­los y ardió en mi corazón.
Enrique San­tos Dis­cépo­lo

Traduction libre et indications de la version de Enrique Santos Discépolo

Avec ce tan­go moqueur et com­padri­to, l’am­bi­tion de ma ban­lieue s’est attaché deux ailes ;
Avec ce tan­go naquit, le tan­go, et, comme un cri, il sor­tit du quarti­er sor­dide en cher­chant le ciel.
Un étrange sort d’amour fait cadence qui ouvrait des chemins sans autre loi que l’e­spoir, un mélange de rage, de douleur, de foi, d’ab­sence pleu­rant dans l’in­no­cence d’un rythme joueur.
Par ton mir­a­cle des notes prophé­tiques, les paicas et les gre­las ( paicas et gre­las sont les chéries des com­padri­tos) sont nées, sans y penser, une lune de (ou de flaque d’eau), de canyengue sur les hanch­es et un désir farouche dans la façon d’aimer…
Quand je t’évoque, cher tan­go, je sens les dalles d’un danc­ing trem­bler et j’en­tends le mur­mure de mon passé…
Aujour­d’hui, alors que je n’ai plus ma mère, j’ai l’im­pres­sion qu’elle vient sur la pointe des pieds pour m’embrasser quand ton chant naît au son d’un ban­donéon.
Caran­can­fun­fa (danseur habile, on retrou­ve ce mot dans divers titres, comme les milon­gas Carán-Can-Fú de l’orchestre Rober­to Zer­ril­lo avec Jorge Car­do­zo, ou Carán­can­fún de Fran­cis­co Canaro avec Car­los Roldán) a pris la mer avec ton dra­peau et en un éclair a mêlé Paris au pont Alsi­na (pont sur le Riachue­lo à la Boca).
Triste com­padre du gabion (mecs) et de la mina (femme) et jusqu’à la mar­raine du bacán (riche) et de la pebe­ta (gamine).
Pour toi, l’élégant, prison, accu­sa­tions et mis­ère ont par­lé à la nais­sance avec ton des­tin…
Une messe de jupes, de kérosène (pét­role lam­pant pour l’éclairage), de lames et de couteaux, qui brûlait dans les con­ven­til­los (habitas col­lec­tifs pop­u­laires et surpe­u­plés) et brûlait dans mon cœur.

Un épi peut en cacher un autre…

On a beau­coup glosé sur l’origine du nom de ce tan­go.
Tout d’abord, la plus évi­dente et celle que Vil­lol­do a affir­mé le plus sou­vent était que c’était lié à la plante comestible. Les orig­ines très mod­estes des Vil­lol­do peu­vent expli­quer cette dédi­cace. Le nord de la Province de Buenos Aires ain­si que la Pam­pa sont encore aujourd’hui des zones de pro­duc­tion impor­tante de maïs et cette plante a aidé à sus­ten­ter les pau­vres. On peut même con­sid­ér­er que cer­tains aiment réelle­ment manger du maïs. En faveur de cette hypothèse, les paroles de la ver­sion chan­tée par lui-même, mais nous ver­rons que ce n’est pas si sim­ple quand nous allons abor­der les paroles…
Il s’agirait égale­ment, d’un tan­go à la charge d’un petit mal­frat de son quarti­er et qui avait les cheveux blonds. C’est du moins la ver­sion don­née par Irene Vil­lol­do, la sœur de Ángel et que rap­porte Juan Car­los Maram­bio Catán dans une let­tre écrite en 1966 à Juan Bautista Devo­to. On notera que les paroles de Juan Car­los Maram­bio Catán con­for­tent juste­ment cette ver­sion.
Lorsque Lib­er­tad Lamar­que doit enreg­istr­er ce tan­go en 1947 pour le film « Gran Casi­no » de Luis Buñuel, elle fait mod­i­fi­er les paroles par Enrique San­tos Dis­cépo­lo pour lui enlever le côté vio­lent de la sec­onde ver­sion et dou­teuse de celles de Vil­lol­do.
Vil­lol­do n’était pas un enfant de chœur et je pense que vous avez tous enten­du par­ler de la dernière accep­tion. Par la forme phallique de l’épi de maïs, il est ten­tant de faire ce rap­proche­ment. N’oublions pas que les débuts du tan­go n’étaient pas pour les plus prudes et cette con­no­ta­tion sex­uelle était, assuré­ment, dans l’esprit de bien des audi­teurs. Le lun­far­do et cer­tains textes de tan­gos aiment à jouer sur les mots. Vous vous sou­venez sans doute de « El chi­no Pan­taleón » où, sous cou­vert de par­ler musique et tan­go, on par­lait en fait de bagarre…
Rajou­tons que, comme le tan­go était une musique appré­ciée dans les bor­dels, il est plus que prob­a­ble que le dou­ble sens ait été encour­agé.
Faut-il alors rejeter le témoignage de la sœur de Vil­lol­do ? Pas for­cé­ment, il y avait peut-être une tête d’épi dans leur entourage, mais on peut aus­si sup­pos­er que, même si Irène était anal­phabète, elle avait la notion de la bien­séance et qu’elle se devait de dif­fuser une ver­sion soft, ver­sion que son frère a peut-être réelle­ment encour­agée pour pro­téger sa sœurette.
Retenons de cela qu’au fur et à mesure que le tan­go a gag­né ses let­tres de noblesse, les poètes se sont éver­tués à écrire de belles paroles et pas seule­ment à cause des péri­odes de cen­sure de cer­tains gou­verne­ments. Tout sim­ple­ment, car le tan­go entrant dans le « beau monde », il devait présen­ter un vis­age plus accept­able.
Les textes ont changé, n’en déplaise à Jorge Borges, et avec eux, l’ambiance du tan­go.

Autres versions

Tout comme pour la Cumpar­si­ta, il n’est pas pens­able de présen­ter toutes les ver­sions de ce tan­go. Je vous pro­pose donc une sélec­tion très restreinte sur deux critères :
• His­torique, pour con­naître les dif­férentes épo­ques de ce thème.
• Intérêt de l’interprétation, notam­ment pour danser, mais aus­si pour écouter.
Il ne sem­ble pas y avoir d’enregistrement disponible de la ver­sion de 1903, si ce n’est celle de Vil­lol­do enreg­istrée en 1910 avec les mêmes paroles pré­sumées.
Mais aupar­a­vant, pri­or­ité à la data­tion, une ver­sion un peu dif­férente et avec un autre type de paroles. Il s’agit d’une ver­sion dia­loguée (voire criée…) sur la musique de El Choclo. Le titre en est Car­iño puro, mais vous retrou­verez sans prob­lème notre tan­go du jour.

Car­iño puro (diál­o­go y tan­go) 1907 – Los Gob­bi con Los Cam­pos.

Ce titre a été enreg­istré en 1907 sur un disque en car­ton de la com­pag­nie Mar­coni. Si la qual­ité d’origine était bonne, ce matéri­au n’a pas résisté au temps et au poids des aigu­illes de phono­graphes de l’époque. Heureuse­ment, cette ver­sion a été réédité en disque shel­lac par la Colum­bia et vous pou­vez donc enten­dre cette curiosité… La forme dia­loguée rap­pelle que les musi­ciens fai­saient beau­coup de revues et de pièces de théâtre.

À gauche, disque en car­ton recou­vert d’acé­tate (procédé Mar­coni). Ces dis­ques étaient de bonne qual­ité, mais trop frag­iles. À droite, le même enreg­istrement en ver­sion shel­lac.

Paroles de Cariño puro des Gobbi

Ay mi chi­na que ten­go mucho que hablarte,
de una cosa que a vos no te va a gus­tar
Largá el rol­lo que escu­cho y expli­cate
Lo que pas­es no es ton­tera,
pues te juro que te digo la ver­dad.
dame un beso no me ven­gas con chanela (2)
dejate de ton­teras, no me hagas esper­ar.
Decí ya sé que la otra noche
vos con un gav­ilán
son cuen­tos que te han hecho
án.
No me faltes mirá que no hay macanas
yo no ven­go con ganas mi chi­na de far­rear
Pues entonces no me ven­gas con cuen­to
y escuchame un momen­to que te voy a explicar.
No te eno­jes que yo te diré lo cier­to
y verás que me vas a per­donar
Pues entonces
Te diré la purísi­ma ver­dad
Vamos chi­na ya que voy a hac­er las paces
a tomar un car­rin­dan­go pa pasear
Y mirar de Paler­mo
Yo te quiero mi chini­ta no hagas caso
Que muy lejos quer­er
el esquina­zo
ni golpe ni por­ra­zo…
Ángel Vil­lol­do

Traduction de Cariño puro des Gobbi

  • Oh, ma chérie, que j’ai beau­coup à te par­ler,
    D’une chose qui ne va pas te plaire
    Avoue (lâch­er le rouleau) que je t’écoute et explique-toi
    Ce que tu tra­vers­es n’est pas une bêtise,
  • - Eh bien, je te jure que je te dis la vérité.
    Donne-moi un bais­er Ne viens pas à moi en par­lemen­tant
  • - Arrête les bêtis­es, ne me fais pas atten­dre.
    J’ai déjà dit que je savais pour l’autre soir
    Toi avec un éper­vi­er (homme rapi­de en affaires)
  • - Ce sont des his­toires qui t’ont été faites
    un.
    Ne détourne pas le regard, n’y a pas d’arnaque.
  • - Je ne viens pas, ma chérie, avec l’en­vie de rigol­er.
    Aus­si, ne me racon­te pas d’histoires
  • - et écoute-moi un instant et, car je vais te l’ex­pli­quer.
    Ne te fâche pas, je vais te dire ce qui est sûr
    Et tu ver­ras que tu vas me par­don­ner
    Puis, ensuite
    Je vais te dire la pure vérité
  • - Allez, ma chérie, car je vais faire la paix
    En prenant une voiture pour une prom­e­nade
    Et regarder Paler­mo
    Je t’aime ma petite chérie, ne fais pas atten­tion
    Car je veux arrondir les angles
    ni coup ni bagarre…

On voit que ces paroles sont plutôt mignonnes, autour des tour­ments d’un cou­ple, inter­prétés par Alfre­do Gob­bi et sa femme, Flo­ra Rodriguez. Dom­mage que la tech­nique où le goût de l’époque fasse tant crier, cela n’est pas bien accep­té par nos oreilles mod­ernes.

El choclo 1910 — Ángel Gre­go­rio Vil­lol­do con gui­tar­ra.

Cette ver­sion présente les paroles sup­posées orig­i­nales et qui par­lent effec­tive­ment du maïs. C’est donc cette ver­sion qui peut faire pencher la bal­ance entre la plante et le sexe mas­culin. Voyons ce qu’il en est.

Paroles de Villoldo

De un gra­no nace la plan­ta
que más tarde nos da el choclo
por eso de la gar­gan­ta
dijo que esta­ba humil­loso.
Y yo como no soy otro
más que un tanguero de fama
mur­muro con alboro­zo
está muy de la banana.

Hay choc­los que tienen
las espi­gas de oro
que son las que adoro
con tier­na pasión,
cuan­do tra­ba­jan­do
llen­i­to de abro­jos
estoy con ras­tro­jos
como humilde peón.

De lava­da enrubia
en largas guede­jas
con­tem­p­lo pare­jas
sí es como cre­cer,
con esos big­otes
que la tier­ra vir­gen
al noble paisano
le suele ofre­cer.

A veces el choclo
asa en los fogones
cal­ma las pasiones
y dichas de amor,
cuan­do algún paisano
lo está coci­nan­do
y otro está ceban­do
un buen cimar­rón.

Luego que la humi­ta
está prepara­da,
bajo la enra­ma­da
se oye un per­icón,
y jun­to al alero,
de un ran­cho deshe­cho
surge de algún pecho
la ale­gre can­ción.
Ángel Vil­lol­do

Traduction des paroles de Ángel Villoldo

D’un grain naît la plante qui nous don­nera plus tard du maïs
C’est pourquoi, de la gorge (agréable au goût) je dis qu’il avait été humil­ié (calom­nié).
Et comme je ne suis autre qu’un tanguero célèbre, je mur­mure de joie, il est bien de la banane (du meilleur, la banane étant égale­ment un des surnoms du sexe de l’homme).
Il y a des épis qui ont des grains d’or, ce sont ceux que j’adore avec une ten­dre pas­sion, quand je les tra­vaille plein de chardons, je suis avec du chaume comme un hum­ble ouvri­er.
De l’innocence blonde aux longues mèch­es, je con­tem­ple les plantes (sim­i­laires, spéci­mens…) si c’est comme grandir, avec ces mous­tach­es que la terre vierge offre habituelle­ment au noble paysan. (Un dou­ble sens n’est pas impos­si­ble, la terre cul­tivée n’a pas de rai­son par­ti­c­ulière d’être con­sid­érée comme vierge).
Par­fois, les épis de maïs sur les feux cal­ment les pas­sions et les joies de l’amour (les feux, sont les cuisinières, poêles. Qu’ils cal­ment la faim, cela peut se con­cevoir, mais les pas­sions et les joies de l’amour, cela procède sans doute d’un dou­ble sens mar­qué), quand un paysan le cui­sine et qu’un autre appâte un bon cimar­ron (esclave noir, ou ani­mal sauvage, mais il doit s’agir ici plutôt d’une vic­time d’arnaque, peut-être qu’un peu de viande avec le maïs fait un bon repas).
Une fois que la humi­ta (ragoût de maïs) est prête, sous la ton­nelle, un per­icón (per­icón nacional, danse tra­di­tion­nelle) se fait enten­dre, et à côté des avant-toits, d’un ranch brisé, le chant joyeux sur­git d’une poitrine (on peut imag­in­er dif­férentes choses à pro­pos du chant qui sur­git d’une poitrine, mais c’est un peu dif­fi­cile de s’imaginer que cela puisse être provo­qué par la pré­pa­ra­tion d’une humi­ta, aus­si tal­entueux que soit le cuisinier…

Je vous laisse vous faire votre opin­ion, mais il me sem­ble dif­fi­cile d’exclure un dou­ble sens de ces paroles.

El choclo 1913 — Orques­ta Típi­ca Porteña dir. Eduar­do Aro­las.

Cette ver­sion instru­men­tale per­met de faire une pause dans les paroles.

El choclo 1929-08-27 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor.

Une ver­sion instru­men­tale par la Típi­ca Víc­tor dirigée par Cara­bel­li. Un titre pour les ama­teurs du genre, mais un peu pesant pour les autres danseurs.

El choclo 1937-07-26 — Orques­ta Juan D’Arien­zo.

Sans doute une des ver­sions les plus adap­tées aux danseurs, avec les orne­men­ta­tions de Bia­gi au piano et le bel équili­bre des instru­ments, prin­ci­pale­ment tous au ser­vice du rythme et donc de la danse, avec notam­ment l’accélération (simulée) finale.

El choclo 1937-11-15 — Quin­te­to Don Pan­cho dir. Fran­cis­co Canaro.

Cette ver­sion n’apporte pas grand-chose, mais je l’indique pour mar­quer le con­traste avec notre ver­sion du jour, enreg­istrée par Canaro 11 ans plus tard.

El choclo 1940-09-29 — Rober­to Fir­po y su Cuar­te­to Típi­co.

Une ver­sion légère. Le dou­ble­ment des notes, car­ac­téris­tiques de cette œuvre, a ici une sonorité par­ti­c­ulière, on dirait presque un bégaiement. En oppo­si­tion, des pas­sages aux vio­lons chan­tants don­nent du con­traste. Le résul­tat me sem­ble cepen­dant un peu con­fus, pré­cip­ité et pas des­tiné à don­ner le plus de plaisir aux danseurs.

El choclo 1941-11-13 — Orques­ta Ángel D’Agosti­no con Ángel Var­gas.

On retrou­ve une ver­sion chan­tée. Les paroles sont celles de Juan Car­los Maram­bio Catán, ou plus exacte­ment le tout début des paroles avec la fin du cou­plet avec une vari­ante.
Je vous pro­pose ici, les paroles com­plètes de Catán, pour en garder le sou­venir et aus­si, car la par­tie qui n’est pas chan­tée par Var­gas par­le de ce fameux type aux cheveux couleur de maïs…

Paroles de Juan Carlos Marambio Catán

Vie­ja milon­ga que en mis horas de tris­teza
traes a mi mente tu recuer­do car­iñoso,
enca­denán­dome a tus notas dul­cemente
sien­to que el alma se me enco­je poco a poco.
Recuer­do triste de un pasa­do que en mi vida,
dejó una pági­na de san­gre escri­ta a mano,
y que he lle­va­do como cruz en mi mar­tirio
aunque su car­ga infame me llene de dolor.

Fue aque­l­la noche
que todavía me ater­ra.
Cuan­do ella era mía
jugó con mi pasión.
Y en due­lo a muerte
con quien robó mi vida,
mi daga gaucha
par­tió su corazón.
Y me llam­a­ban
el choclo com­pañero;
tal­lé en los entreveros
seguro y fajador.
Pero una chi­na
enve­nenó mi vida
y hoy lloro a solas
con mi trági­co dolor.

Si algu­na vuelta le toca por la vida,
en una mina pon­er su corazón;
recuerde siem­pre
que una ilusión per­di­da
no vuelve nun­ca
a dar su flor.

Besos men­ti­dos, engaños y amar­guras
rodan­do siem­pre la pena y el dolor,
y cuan­do un hom­bre entre­ga su ter­nu­ra
cer­ca del lecho
lo acecha la traición.

Hoy que los años han blan­quea­do ya mis sienes
y que en mi pecho sólo ani­da la tris­teza,
como una luz que me ilu­mi­na en el sendero
lle­gan tus notas de melódi­ca belleza.
Tan­go queri­do, viejo choclo que me embar­ga
con las cari­cias de tus notas tan sen­ti­das;
quiero morir aba­jo del arrul­lo de tus que­jas
can­tan­do mis querel­las, llo­ran­do mi dolor.
Juan Car­los Maram­bio Catán

Traduction libre des paroles de Juan Carlos Marambio Catán

Vieille milon­ga. À mes heures de tristesse, tu me rap­pelles ton sou­venir affectueux,
En m’en­chaî­nant douce­ment à tes notes, je sens mon âme se rétré­cir peu à peu.
Sou­venir triste d’un passé qui, dans ma vie, a lais­sé une page de sang écrite à la main, et que j’ai porté comme une croix dans mon mar­tyre, même si son infâme fardeau me rem­plit de douleur.
C’est cette nuit-là qui, encore, me ter­ri­fie.
Quand elle était à moi, elle jouait avec ma pas­sion.
Et dans un duel à mort avec celui qui m’a volé la vie, mon poignard gau­cho lui a brisé le cœur.
Et ils m’ap­pelaient le com­pagnon maïs (choclo);
J’ai tail­lé dans les mêlées, sûr et résis­tant.
Mais une femme chérie a empoi­son­né ma vie et, aujour­d’hui, je pleure tout seul avec ma douleur trag­ique.
S’il vous prend dans la vie de met­tre votre cœur dans une chérie ; rap­pelez-vous tou­jours qu’une illu­sion per­due ne redonne plus jamais sa fleur.
Des bais­ers men­songers, trompeurs et amers roulent tou­jours le cha­grin et la douleur, et quand un homme donne sa ten­dresse, près du lit, la trahi­son le traque.
Aujour­d’hui que les années ont déjà blanchi mes tem­pes et que, dans ma poitrine seule se niche la tristesse, comme une lumière qui m’é­claire sur le chemin où arrivent tes notes de beauté mélodique.
Tan­go chéri, vieux choclo qui m’ac­ca­ble des caress­es de tes notes si sincères ;
Je veux mourir sous la berceuse de tes plaintes, chan­tant mes peines, pleu­rant ma douleur.

El choclo 1947 – Lib­er­tad Lamar­que, dans le film Gran casi­no de Luis Buñuel.

El choclo 1947 – Lib­er­tad Lamar­que, dans le film Gran casi­no de Luis Buñuel.

Dans cet extrait Lib­er­tad Lamar­que inter­prète le titre avec les paroles écrites pour elle par Dis­ce­po­lo. On com­prend qu’elle ne voulait pas pren­dre le rôle de l’assassin et que les paroles adap­tées sont plus con­ven­ables à une dame…
Les paroles de Enrique San­tos Dis­cépo­lo seront réu­til­isées ensuite, notam­ment par Canaro pour notre tan­go du jour.

El choclo 1948-01-15 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Alber­to Are­nas. C’est notre tan­go du jour.

Comme vous vous en doutez, je pour­rai vous présen­ter des cen­taines de ver­sions de ce titre, mais cela n’a pas grand intérêt. J’ai donc choisi de vous pro­pos­er pour ter­min­er une ver­sion très dif­férente…

Kiss of Fire 1955 — Louis Arm­strong.

En 1952, Lester Allan et Robert Hill ont adap­té et sérieuse­ment mod­i­fié la par­ti­tion, mais on recon­naît par­faite­ment la com­po­si­tion orig­i­nale.

Je vous pro­pose de nous quit­ter là-dessus, une autre preuve de l’universalité du tan­go.
À bien­tôt, les amis.

En guise de corti­na, on pour­rait met­tre Pop Corn, non ?

PS : si vous avez des ver­sions de El choclo que vous adorez, n’hésitez pas à les indi­quer dans les com­men­taires, je rajouterais les plus demandées.

Condena (S.O.S.) 1937-12-26 — Orquesta Francisco Lomuto

Enrique Santos Discépolo; Francisco Pracánico Letra: Enrique Santos Discépolo

Il est des cir­con­stances dans la vie qui peu­vent être tristes, voire dés­espérantes. Aimer de façon silen­cieuse en étant enchaîné par les liens de l’amitié est la sit­u­a­tion décrite dans ce tan­go qui, au-delà des mal­heurs du nar­ra­teur, fait éclore un large sourire aux danseurs d’encuentros européens. Eux, ne sen­tent pas du tout con­damnés et incités à lancer des S.O.S. dans les bras de leurs parte­naires.

Histoire de S.O.S.

Enrique San­tos Dis­cépo­lo a écrit ce tan­go en 1929 pour une pièce de théâtre. Il por­tait alors le titre de “En un cepo”, que l’on pour­rait inter­préter comme en prison, à l’isolement, dans un piège, voire au pilori (de nos jours, même le Dol­lar est sous Cepo en Argen­tine). Un truc pas bien joyeux en fait.
Voici com­ment Dis­ce­po­lo décrit son inten­tion lorsqu’il a écrit ce titre.

Dis­ce­po­lo par­le de son inten­tion en écrivant ce tan­go.

« Com­ment j’ai écrit “Con­de­na”

J’ai voulu dépein­dre la sit­u­a­tion d’un homme pau­vre, déchu, sans ressources, n’ayant rien et ambi­tion­nant tout. J’ai voulu plac­er cet homme face au monde, regar­dant pass­er la vie qui passe, les plaisirs qui le trou­blent, et il se tord dans l’im­puis­sance de voir qu’ils ne sont pas pour lui. J’ai vu tant de fois dans la rue l’homme en cos­tume élimé, avec un vis­age défor­mé, avec une démarche crain­tive qui voit pass­er une femme envelop­pée de soies bruis­santes et qui se mord en pen­sant qu’elle appar­tien­dra à n’im­porte qui d’autre, sauf à lui. Et la voiture qui passe qui brille d’in­so­lence et qui ne pour­ra jamais être pour lui.
Et j’ai ressen­ti la douleur de cet homme qui est comme « pris au piège ». Lut­tant con­tre l’im­puis­sance, l’en­vie et l’échec. Et cette douleur énorme et con­cen­trée de l’homme enchaîné dans son triste des­tin, face au bon­heur qui passe sans le touch­er, c’est ce que j’ai voulu trans­met­tre bien et pro­fondé­ment ; tor­turé, mais sans pleur­er. »

En 1931, à la tête de son orchestre, Dis­ce­po­lo ressort ce tan­go, sans nom par­ti­c­uli­er. Canaro le veut pour l’enregistrer, ce qu’il fera en 1934. L’argent don­né par Canaro pour l’occasion sau­va le pro­jet de voy­age de Dis­ce­po­lo et de sa com­pagne Tania et, lorsque Canaro deman­da le titre du tan­go à Dis­ce­po­lo, celui-ci lui répon­dit qu’il pou­vait met­tre le titre qu’il voulait.
S.O.S. a été util­isé, comme dans le disque de Lomu­to, car, l’achat de Canaro a sauvé Dis­ce­po­lo.
En revanche, en 1937, Canaro a util­isé le nom “Con­de­na” et pas S.O.S. pour l’enregistrement avec Mai­da. On asso­cie désor­mais les deux titres.
En 1937, tou­jours, Dis­ce­po­lo par­ticipe au film “Melodías Porteñas” où la chanteuse Aman­da Les­des­ma chante deux fois le titre, comme vous pour­rez le voir et l’entendre dans cet arti­cle.

Extrait musical

Con­de­na (S.O.S.) 1937-12-26 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to.
Disque Vic­tor de Con­de­na par Fran­cis­co Lomu­to On remar­que que le disque porte la men­tion S.O.S. comme pour Canaro en 1934, mais pas en 1937 ou Canaro a pris le titre de Con­de­na.

Les pas lourds de la con­damna­tion démar­rent le titre, suivi de pas­sages lega­to en con­traste.
À 32s com­mence la par­tie B avec les superbes ban­donéons de Martín Dar­ré, Améri­co Fígo­la, Luis Zinkes et Miguel Jura­do qui venait de rem­plac­er Víc­tor Lomu­to le frère de Fran­cis­co qui était retourné en France (en 1934, il avait épousé Yvonne, une Française dont il eut un fils).
Dans ce pas­sage, le rythme est mar­qué de façon très orig­i­nale avec le pre­mier temps un peu sourd et grave (con­tre­basse de Ham­let Gre­co et per­cus­sions de Desio Cilot­ta) et les trois suiv­ants plus forts, exprimés notam­ment par les ban­donéons en stac­ca­to.
Comme pour la pre­mière par­tie, le con­traste des legatos ter­mine cette par­tie A.
Un pont de 55s à 1′ relance la par­tie A qui présente un pas­sage piano, ce qui rompt la monot­o­nie et qui sem­ble annon­cer quelque chose.
Ce quelque chose, c’est peut-être l’impression de tohu-bohu qui appa­raît à 1:19 et qui s’apaise à 1:24. Enfin, à 1:33, un solo de vio­lon enchanteur et par­ti­c­ulière­ment grave (util­i­sa­tion d’un alto ?) mag­ni­fie l’interprétation. Il est réal­isé par Leopol­do Schiffrin (Leo), qui avait inté­gré l’orchestre dès 1928 et qui en sera le pre­mier vio­lon jusqu’en 1947, date où il se sépara de l’orchestre qui par­tait en tournée en Espagne. L’un de ses fils est le com­pos­i­teur Lalo Schiffrin (Boris Clau­dio Schifrin) qui a notam­ment fait la musique du film de Car­los Saura « Tan­go ».
Le rythme à qua­tre temps avec le pre­mier temps faible et grave est repris et donne une expres­sion orig­i­nale sup­plé­men­taire à ce pas­sage.
La vari­a­tion finale, per­met de met­tre en valeur les instru­ments à vent de l’orchestre.
Cette vari­a­tion est annon­cée par un long pont à la tonal­ité changeante de 2:02 à 2:10 où appa­rais­sent le sax­o­phone et la clar­inette de Carme­lo Aguila et Pri­mo Staderi. Il est impos­si­ble de savoir qui jouait tel ou tel instru­ment lors de cet enreg­istrement, car les deux jouaient du saxo et de la clar­inette.
À 2:28, on remar­quera, après un trait de piano (Oscar Napoli­tano), une courte envolée de la clar­inette qui précède les deux accords ter­minaux.

Paroles

Yo quisiera saber
qué des­ti­no bru­tal
me con­de­na al hor­ror
de este infier­no en que estoy…
Cas­ti­gao como un vil,
pa’ que sufra en mi error
el fra­ca­so de un ansia de amor.
Con­de­nao al dolor
de saber pa’ mi mal
que vos nun­ca serás,
nun­ca… no para mí.
Que sos de otro… y que hablar,
es no verte ya más,
es perderte pa’ siem­pre y morir.

He arras­trao llo­ran­do
la esper­an­za de olvi­dar,
enfan­gan­do mi alma
en cien amores, sin piedad.
Sueño inútil. No he podi­do
No, olvi­dar…
Hoy como ayer
ciego y bru­tal me abra­so
en ansias por vos.

Y lo peor, lo bes­tial
de este dra­ma sin fin
es que vos ni sabés
de mi amor infer­nal…
Que me has dao tu amis­tad
y él me brin­da su fe,
y ninguno sospecha mi mal…
¿Quién me hir­ió de este amor
que no puedo apa­gar?
¿Quién me empu­ja a matar la razón
como un vil?
¿Son tus ojos quizás?
¿O es tu voz quien me ató?…
¿O en tu andar se entremece mi amor?
Enrique San­tos Dis­cépo­lo; Fran­cis­co Pracáni­co Letra : Enrique San­tos Dis­cépo­lo

Traduction libre

Je voudrais savoir quel sort bru­tal me con­damne à l’hor­reur de cet enfer dans lequel je suis…
Punis comme un vil, pour que je souf­fre dans mon erreur de l’échec d’un désir d’amour.
Con­damné à la douleur de savoir pour mon mal que toi tu ne seras jamais, jamais… pour moi.
Que tu sois à un autre
(sos sig­ni­fie tu es. Il est util­isé en jeu de mot pour S.O.S.)… et que par­ler, ce soit ne plus te voir, c’est te per­dre à jamais et mourir.
Je me suis traîné, pleu­rant l’e­spoir d’ou­bli­er, en embrouil­lant mon âme dans cent amours, sans pitié.
Rêve inutile. Je n’ai pas été capa­ble d’oublier…
Aujour­d’hui, comme hier, aveu­gle et bru­tal, je brûle de te désir­er.
Et le pire, le bes­tial de ce drame sans fin, c’est que tu ne sais pas mon amour infer­nal…
Que tu m’as don­né ton ami­tié et lui m’a don­né sa foi, et que per­son­ne ne soupçonne mon mal…
Qui m’a blessé de cet amour que je ne peux pas étein­dre ?
Qui me pousse à tuer la rai­son comme un vil ?
Ce sont tes yeux, peut-être ?
Ou est-ce ta voix qui m’a attaché ?…
Ou, dans ta démarche s’immisce mon amour ?

Autres versions

Les ver­sions de Canaro sont sans doute les plus dif­fusées, mais notre tan­go du jour prou­ve qu’il y a des alter­na­tives, cer­taines pour la danse, d’autre pour l’écoute et cer­taines, pour l’oubli…

Con­de­na (S.O.S.) 1934-11-16 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

On trou­ve des simil­i­tudes, comme sou­vent, entre la ver­sion de Lomu­to et celle de Canaro. La clar­inette est encore plus présente et bril­lante. Canaro a fait appel pour cet enreg­istrement à des musi­ciens de son ensem­ble de jazz.
La très orig­i­nale vari­a­tion de Lomu­to n’existe pas dans cette ver­sion de Canaro et une cer­taine monot­o­nie peut donc se dégager de cette ver­sion. Cela ne dérangera pas for­cé­ment les danseurs qui n’utilisent que la cadence, mais ce petit manque est peut-être un des élé­ments qui a con­duit Canaro à réen­reg­istr­er le titre en 1937, avec Rober­to Mai­da.

Affiche du film “Melodías Porteñas” (1937) dans lequel Aman­da Les­des­ma chante deux fois Con­de­na

Aman­da Les­des­ma chante deux fois Con­de­na dans le film “Melodías Porteñas” réal­isé en 1937 par Luis Moglia Barth sur un scé­nario de de René Garzón, Luis Moglia Barth et Enrique San­tos Dis­cépo­lo.
Les rôles prin­ci­paux sont tenus par Rosi­ta Con­tr­eras, Enrique San­tos Dis­cépo­lo et Aman­da Ledes­ma.
Un autre intérêt du film est que Enrique San­tos Dis­cépo­lo, auteur de la musique et des paroles est égale­ment acteur dans le film, comme on peut le voir dans ces extraits…

Con­de­na 1937 — Aman­da Les­des­ma dans le film Melodías Porteñas de Luis Moglia Barth. Mon­tage des deux inter­pré­ta­tions dans le film.
Con­de­na (S.O.S.) 1937-11-05 — Aman­da Les­des­ma y su Trío Típi­co.

Une jolie ver­sion qui prof­ite de son suc­cès dans le film “Melodías Porteñas”.

Con­de­na (S.O.S.) 1937-11-08 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Rober­to Mai­da.

L’intervention de Mai­da casse la monot­o­nie du titre. C’est à mon sens une meilleure ver­sion si on doit choisir Canaro pour le bal. Cette ver­sion reste tout à fait tonique et inci­sive, un délice pour les danseurs qui mar­quent les pas ou qui aiment le canyengue.

Con­de­na (S.O.S.) 1937-12-26 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to. C’est notre tan­go du jour.
Con­de­na (S.O.S.) 1937-12-29 — Tania acomp. de Orques­ta Enrique Dis­cépo­lo.

Un des intérêts de cet enreg­istrement est qu’il est de l’auteur de la musique et des paroles et que Tania était sa com­pagne.
L’introduction du vio­lon mar­que que l’on entre dans un univers dif­férent des ver­sions de Canaro et Lomu­to. C’est une ver­sion pour l’écoute et on aurait tort de se priv­er de la belle voix de Tania. Nous l’avons déjà ren­con­trée, cette chanteuse espag­nole, car c’est elle qui a importé en Argen­tine « Fuman­do espero » avec le Con­jun­to The Mex­i­cans.

Tania et Dis­ce­po­lo
Con­de­na (S.O.S.) 1954 — Héc­tor Mau­ré con acomp. de Orques­ta Juan Sánchez Gorio.

La voix de ténor de Héc­tor Mau­ré est un peu plus lourde dans cet enreg­istrement. C’est pour l’écoute et chan­té avec sen­ti­ment.

Con­de­na (S.O.S.) 1969 — Alber­to Mari­no con orques­ta.

J’ai évo­qué des ver­sions à oubli­er. Peut-être est-ce pour celle-ci, un peu « sur­jouée »…

Con­de­na (S.O.S.) 2013-11-30 — Hype­r­i­on Ensem­ble con Rubén Peloni.

Hype­r­i­on et l’ami Rubén font de belles ver­sions pour la danse. On remar­quera la fin, assez orig­i­nale.

Con­de­na (S.O.S.) 2015 — Sex­te­to Cristal con Guiller­mo Rozen­thuler.

Une des spé­cial­ités du Sex­te­to Cristal est de ressor­tir les gros suc­cès des encuen­tros milongueros. Cette copie de la ver­sion de Canaro, est un peu moins « sèche », plus ronde et peut con­venir à cer­tains danseurs qui apprécieront la meilleure qual­ité de l’enregistrement. En presque un siè­cle, de gros pro­grès ont été faits de ce côté…

Pour ter­min­er, tou­jours avec le Sex­te­to Cristal, un enreg­istrement vidéo de Con­de­na durant le fes­ti­val Tan­goneón à Hérak­lion, Crète le 16 juil­let 2022. Ce titre est à 24:47.

Con­de­na durant le fes­ti­val Tan­goneón à Hérak­lion, Crète le 16 juil­let 2022. Ce titre est à 24:47

Les fans du Sex­te­to Cristal pour­ront enten­dre le con­cert en entier…
À vous de danser et à bien­tôt les amis.

Shusheta (El aristócrata) 1940-10-08 — Orquesta Carlos Di Sarli

Juan Carlos Cobián Letra: Enrique Cadícamo

Shusheta ou sa vari­ante shushetín désigne un dandy, un jeune homme élé­gant, avec une nuance qui peut aus­si qual­i­fi­er un mouchard. Les Dic­ta­teurs de la Décen­nie infâme ne s’y sont pas trompés et l’histoire des paroles en témoigne. Ce por­trait de ce shusheta, peint crû­ment par Cadí­camo sur la musique de Cobián n’est pas si flat­teur.

Extrait musical

Shusheta (El aristócra­ta) 1940-10-08 — Orques­ta Car­los Di Sar­li
Par­ti­tion de Shusheta « Gran tan­go de salón para piano ».

Paroles usuelles (1938)

Le tan­go a été écrit en 1920 et était donc instru­men­tal, jusqu’à ce que Cadí­camo accède à la demande de son ami de lui écrire des paroles pour ce titre. Il le fit en 1934, mais la ver­sion habituelle est celle déposée à la SADAIC en 1938.

Toda la calle Flori­da lo vio
con sus polainas, galera y bastón…

Dicen que fue, allá por su juven­tud,
un gran Don Juan del Buenos Aires de ayer.
Engalanó la puer­ta (las fies­tas) del Jock­ey Club
y en el ojal siem­pre llev­a­ba un clav­el.

Toda la calle Flori­da lo vio
con sus polainas, cham­ber­go (galera) y bastón.

Apel­li­do dis­tin­gui­do,
gran señor en las reuniones,
por las damas sus­pira­ba
y con­quista­ba
sus cora­zones.
Y en las tardes de Paler­mo
en su coche se pasea­ba
y en procu­ra de un encuen­tro
iba el porteño
con­quis­ta­dor.

Ah, tiem­pos del Petit Salón…
Cuán­ta locu­ra juve­nil…
Ah, tiem­po de la
sec­ción Cham­pán Tan­go
del “Armenonville”.

Todo pasó como un fugaz
instante lleno de emo­ción…
Hoy sólo quedan
recuer­dos de tu corazón…

Toda la calle Flori­da lo vio
con sus polainas, galera y bastón.
Juan Car­los Cobián Letra: Enrique Cadí­camo

Var­gas ne chante pas ce qui est en bleu. Cette par­tie des paroles est peut-être un peu plus faible et de toute façon, cela aurait été trop long pour un tan­go de danse.
En gras les mots chan­tés par Var­gas à la place de ceux de Cadí­camo.

Traduction libre des paroles usuelles et indications

Toute la rue Flori­da l’a vu avec ses guêtres, son cha­peau et sa canne… (Polainas, c’est aus­si con­trar­iété, revers, décep­tion, Galera, c’est aus­si la prison ou la boîte à gâteau des fils de bonne famille. On peut donc avoir deux lec­tures des paroles, ce que con­firme la ver­sion, orig­i­nale, plus noire. Pré­cisons toute­fois que la par­ti­tion déposée à la SADAIC indique cham­ber­go, cha­peau. Ce serait donc Var­gas qui aurait adap­té les paroles).
On dit qu’il était, dans sa jeunesse, un grand Don Juan du Buenos Aires d’an­tan.
Il déco­rait la porte (Var­gas chante les fêtes) du Jock­ey Club et por­tait tou­jours un œil­let à la bou­ton­nière.
Toute la rue Flori­da l’a vu avec ses guêtres, son cha­peau et sa canne.
Un nom de famille dis­tin­gué, un grand seigneur dans les réu­nions, il soupi­rait pour les dames et con­quérait leurs cœurs.
Et les après-midi de Paler­mo, il se prom­e­nait dans sa voiture à la recherche d’un ren­dez-vous, ain­si allait le porteño con­quérant.
Ah, l’époque du Petit Salón… (Deux tan­gos s’appellent Petit Salón, dont un de Vil­lo­do [mort en 1919]. L’autre est de Vicente Demar­co né en 1912 et qui n’a sans doute pas con­nu le Petit Salón).

Com­bi­en de folie juvénile…
Ah, c’est l’heure du Tan­go Cham­pagne de l’Ar­menonville.
Tout s’est passé comme un instant fugace et plein d’é­mo­tion…
Aujour­d’hui, il ne reste que des sou­venirs de ton cœur…
Toute la rue Flori­da l’a vu avec ses guêtres, son cha­peau et sa canne

Premières paroles (1934)

Ces paroles n’ont sem­ble-t-il jamais été éditées. Selon Juan Ángel Rus­so, Cadí­camo les aurait écrites en 1934.
Cette ver­sion n’a été enreg­istrée que par Osval­do Ribó accom­pa­g­né à la gui­tare par Hugo Rivas.
On notera qu’elles men­tion­nent shusheta, ce que ne fait pas la ver­sion de 1938 :

Pobre shusheta, tu tri­un­fo de ayer
hoy es la causa de tu pade­cer…
Te has apa­gao como se apa­ga un can­dil
y de sha­cao sólo te que­da el per­fil,
hoy la vejez el armazón te ha aflo­jao
y parecés un ban­doneón desin­flao.
Pobre shusheta, tu tri­un­fo de ayer
hoy es la causa de tu pade­cer.

Yo me acuer­do cuan­do entonces,
al influ­jo de tus guiyes,
te mima­ban las minusas,
las más papusas
de Armenonville.
Con tu smok­ing relu­ciente
y tu pin­ta de alto ran­go,
eras rey bai­lan­do el tan­go
tenías patente de gigoló.

Madam Gior­get te supo dar
su gran amor de gigo­let,
la Ñata Inés te hizo soñar…
¡y te empeñó la vuaturé !
Y te acordás cuan­do a Renée
le regalaste un reló
y al otro día
la fulería
se paró.
Juan Car­los Cobián Letra: Enrique Cadí­camo

Traduction libre de la première version de 1934

Pau­vre shusheta (un shusheta est un jeune vêtu à la mode en lun­far­do, voire un “petit maître”), ton tri­om­phe d’hi­er est aujour­d’hui la cause de tes souf­frances…
Tu t’es éteint comme s’éteint une chan­delle et de sha­cao (je n’ai pas trou­vé la référence) il ne te reste que le pro­fil, aujour­d’hui la vieil­lesse t’a relâché le squelette et tu ressem­bles à un ban­donéon dégon­flé.
Pau­vre shusheta, ton tri­om­phe d’hi­er est aujour­d’hui la cause de ta souf­france.
Je me sou­viens qu’alors, sous l’in­flu­ence de tes guiyes (gilles, copains ?), tu étais choyé par les minusas (les filles), les plus papusas (poupées, filles) d’Ar­menonville.
Avec ton smok­ing bril­lant et ton look de haut rang, tu étais le roi en dansant le tan­go, tu tenais un brevet de gigo­lo.
Madame Gior­get a su vous don­ner son grand amour de gigo­lette, Ñata Inés vous a fait rêver… (le salon de Ñata Inés était un étab­lisse­ment de San­ti­a­go, au Chili, appré­cié par Pablo Neru­da) et a mis ta décapotable (vuaturé est une voiture avec capote rabat­table à deux portes. Pronon­ci­a­tion à la française.) en gage !
Et tu te sou­viens quand tu as offert une mon­tre à Renée (sans doute une Française…) et que le lende­main les choses se sont arrêtées.

Dans El mis­te­rio de la Ñata Inés, Luis Sánchez Latorre dans le jour­nal chilien Las Últi­mas Noti­cias du 15 juil­let 2006, s’interroge sur ce qu’était réelle­ment la Ñata Inés. Sans doute un étab­lisse­ment mixte pou­vant aller de la scène à la pros­ti­tu­tion, comme les étab­lisse­ments de ce type en Argen­tine.

D’Agostino et la censure

Vous l’aurez com­pris, le terme Shusheta qui peut qual­i­fi­er un « mouchard » a fait que le tan­go a été cen­suré et qu’il a dû chang­er de nom.
En effet, pour éviter la cen­sure, D’Agostino a demandé à Cadí­camo une ver­sion expurgée que je vous pro­pose ci-dessous.
On notera toute­fois que la ver­sion chan­tée en 1945 par Var­gas prend les paroles habituelles, celles de 1938, mais débar­rassée du titre polémique au prof­it du plus neu­tre El aristócra­ta. C’est la rai­son pour laque­lle, les ver­sions d’avant 1944 (la cen­sure a com­mencé à s’exercer en 1943) s’appellent Shusheta et les postérieures El aristócra­ta. Aujourd’hui, on donne sou­vent les deux titres, ensem­ble ou indif­férem­ment. On trou­ve aus­si par­fois El ele­gante.

Paroles de El aristócrata, version validée par la censure en 1944

Toda la calle Flori­da te vio
con tus polainas, galera y bastón.

Hoy quien te ve…
en fal­sa escuadra y cha­cao,
toman­do sol con un nieti­to a tu lao.
Vos, que una vez romp­iste un cabaré,
hoy, reti­rao… ni amor, ni guer­ra querés.

Toda la calle Flori­da te vio
con tus polainas, galera y bastón.

Te apod­a­ban el shusheta
por lo bien que te vestías.
Peleador y calav­era
a tu man­era te divertías…
Y hecho un dandy, medio en copas,
en los altos del Casi­no
la pato­ta te aclam­a­ba
sí milongue­abas un buen gotán.

Ah, tiem­po del Petit Salón,
cuán­ta locu­ra juve­nil…
Ah, tiem­po aquel de la Sec­ción
Cham­pán-Tan­go de Armenonvil.
Todo pasó como un fugaz
instante lleno de emo­ción.
Hoy solo quedan
recuer­dos en tu corazón.

Toda la calle Flori­da te vio
con tus polainas, galera y bastón.

Traduction libre de la version de 1944

Toute la rue Flori­da t’a vu avec tes guêtres, ton cha­peau et ta canne.
Aujour­d’hui, qui te voit…
Avec une pochette fac­tice et cha­cao (???), prenant le soleil avec un petit-fils à tes côtés.
Toi, qui as autre­fois dévasté un cabaret, tu prends aujour­d’hui ta retraite… Tu ne veux ni amour ni guerre.
Toute la rue Flori­da t’a vu avec tes guêtres, ton cha­peau et ta canne.
On te surnom­mait le shusheta à cause de la façon dont tu t’habillais.
Bagar­reur et crâneur, à ta manière, tu t’es amusé…
Et fait un dandy, les coupes à moitié bues, depuis les hau­teurs (galeries) du Casi­no, la bande t’encouragerait si tu milonguéais un bon gotan (Tan­go en ver­lan).
Ah, cette époque du Petit Salon, que de folie juvénile…
Ah, cette époque de la sec­tion Cham­pagne-Tan­go de l’Ar­menonville.
Tout est passé comme un instant fugace et plein d’é­mo­tion.
Aujour­d’hui, il ne reste que des sou­venirs dans ton cœur.
Toute la rue Flori­da t’a vu avec tes guêtres, ton cha­peau et ta canne.

Autres versions

Shusheta 1923-03-27 — Orques­ta Juan Car­los Cobián.

Le pre­mier enreg­istrement, par le com­pos­i­teur, Juan Car­los Cobián. C’est bien sûr une ver­sion instru­men­tale, puisque les paroles n’ont été écrites que onze ans plus tard.

Shusheta (El aristócra­ta) 1940-10-08 — Orques­ta Car­los Di Sar­li. C’est notre tan­go du jour.
El aristócra­ta (El Shusheta) 1945-04-05 — Orques­ta Ángel D’Agosti­no con Ángel Var­gas.

Cette ver­sion, sans doute la plus con­nue, utilise les paroles non cen­surées de 1938. Le titre a été mod­i­fié pour éviter la cen­sure. Il est vrai qu’en dehors de Shusheta qui pou­vait irrit­er un censeur très sus­picieux, le texte n’était pas si sub­ver­sif. J’imagine que D’Agostino qui avait envie d’enregistrer le titre avec Var­gas a demandé les paroles cen­surées, puis y a renon­cé, peut-être en ayant acquis la cer­ti­tude que la cen­sure n’interdirait pas ce titre. Var­gas a apporté de très légères mod­i­fi­ca­tions au texte, mais sans que cela soit pour des raisons de cen­sure, ces mod­i­fi­ca­tions étant anodines.

Shusheta 1951-05-30 — Hora­cio Sal­gán y su Orques­ta Típi­ca.

Une ver­sion éton­nante, pour l’auditeur, mais encore plus pour le danseur qui pour­rait bien se venger d’un DJ qui la dif­fuserait en milon­ga. Je n’ai pas dit qu’il fal­lait jeter cet enreg­istrement, juste le réserv­er pour l’écoute.

El aristócra­ta (Shusheta) 1952 — Juan Poli­to y su Orques­ta Típi­ca.

L’ancien com­plice de D’Arienzo a ses débuts et de nou­veau, quand il a rem­placé Biag­gi qui venait de se faire vir­er, pro­pose une ver­sion nerveuse et ma foi sym­pa­thique de Shusheta. La ryth­mique pour­rait décon­cen­tr­er des danseurs très habitués à d’autres ver­sions, mais on peut s’amuser, lorsque l’on con­naît un peu le titre avec les facéties de Poli­to au piano. On se sou­vient que quand il avait rem­placé Bia­gi, il avait con­tin­ué les fior­i­t­ures de son prédécesseur. Là, ces orne­men­ta­tions sont bien per­son­nelles et ne doivent rien à Bia­gi.

Shusheta (El aristócra­ta) 1957-08-30 — Ángel Var­gas y su Orques­ta dirigi­da por Edelmiro “Toto” D’A­mario.

Var­gas fait cav­a­lier seul, sans D’Agostino. Je vous con­seille de vous sou­venir plutôt de la ver­sion de 1945.

Shusheta (El Ele­gante) 1970 — Osval­do Pugliese con cuer­das arreg­los de Mauri­cio Mar­cel­li.

Une ver­sion des­tinée à l’écoute, au con­cert.

Shusheta 2019-08-28 ou 29 – Sex­te­to Cristal.

Je vous pro­pose d’arrêter là, il existe bien d’autres ver­sions, mais rien qui puisse faire oubli­er les mer­veilleuses ver­sions de D’Agostino et Var­gas et celle de Di Sar­li.

Prisionero 1943-08-24 — Orquesta Rodolfo Biagi con Alberto Amor

Julio Carressons Letra: Carlos Bahr (Carlos Andrés Bahr)

Au sujet de cette valse bien sym­pa­thique, avec une intro­duc­tion un peu plus longue que la moyenne, je pen­sais faire un petit encart sur le dia­pa­son, jus­ti­fié par le change­ment effec­tué à cette époque par Bia­gi. À cause des réac­tions sur le sujet, je vais me con­cen­tr­er sur le dia­pa­son pour cette anec­dote. Nous voilà prêts à accorder nos vio­lons…

Extrait musical et autre version

Je vous donne ici, les deux prin­ci­paux enreg­istrements de cette valse. Celui de Bia­gi qui précède de quelques mois, celui de D’Arienzo.

Pri­sionero 1943-08-24 — Orques­ta Rodol­fo Bia­gi con Alber­to Amor

D’un point de vue tech­nique, cet enreg­istrement est sans doute le dernier enreg­istré avec le dia­pa­son à 435Hz. Par la suite, l’orchestre de Bia­gi s’accordera à 440Hz.
Pour l’enregistrement de D’Arienzo, c’est 20 jours après le pre­mier enreg­istrement en 440Hz par Bia­gi. D’Arienzo a‑t-il changé en même temps, avant, après ? Si c’est impor­tant pour vous, vous avez la réponse… Sinon, écou­tons plutôt les dif­férences styl­is­tiques entre les deux ver­sions, c’est plus pas­sion­nant à mon goût.

Pri­sionero 1943-12-27 — Orques­ta Juan D’Arien­zo con Héc­tor Mau­ré.

On remar­que tout de suite que D’Arienzo a sauté la longue intro­duc­tion de Bia­gi. C’est clas­sique chez D’Arienzo qui aime bien ren­tr­er directe­ment dans le feu de la danse.
Le rythme est en revanche plus lent. Mal­gré l’absence des 21 sec­on­des d’introduction de la ver­sion de Bia­gi, la ver­sion de D’Arienzo fait 6 sec­on­des de plus. S’il avait joué au même rythme que Bia­gi, sa ver­sion aurait total­isé 21 sec­on­des de moins. Ce sont donc 27 sec­on­des de dif­férence, c’est beau­coup et beau­coup plus que le pas­sage de 435 à 440 Hz dans la dif­férence de sen­sa­tion 😉

Petit jeu

Je me suis « amusé » à trafi­quer les deux enreg­istrements de la façon suiv­ante :

  • J’ai enlevé l’introduction de Bia­gi.
Pri­sionero 1943-08-24 — Orques­ta Rodol­fo Bia­gi con Alber­to Amor (SIN INTRO)
  • J’ai accéléré la ver­sion de D’Arienzo pour la met­tre au même rythme que celle de Bia­gi.
Pri­sionero 1943-12-27 — Orques­ta Juan D’Arien­zo con Héc­tor Mau­ré (ACCÉLÉRÉE)

Vous pou­vez donc com­par­er les deux ver­sions à la même cadence. C’est bien sûr un petit sac­rilège, car D’Arienzo a volon­taire­ment enreg­istré une ver­sion plus lente, mais cela me sem­ble intéres­sant pour bien sen­tir les dif­férences d’orchestrations sur la même par­ti­tion.

  • Et comme je ne suis pas avare de fan­taisies, je vous pro­pose main­tenant une ver­sion mixte com­prenant la ver­sion de Bia­gi sans l’introduction dans le canal de gauche et la ver­sion de D’Arienzo accélérée dans le canal de droite. On remar­quera que le mélange n’est pas si déton­nant. Pour bien saisir, il est préférable d’écouter sur un sys­tème stéréo, voire au casque.
Pri­sionero. Com­para­i­son des deux ver­sions à la même vitesse et syn­chro­nisées.

Pri­sionero. Ver­sion de Bia­gi sans intro­duc­tion, dans le canal de gauche. Ver­sion de D’Arienzo accélérée, dans le canal de droite.

Si vous avez appré­cié le petit jeu, vous pou­vez avoir un autre par­ti­c­uli­er dans le dernier chapitre de cette anec­dote, sur les dia­pa­sons. Un truc qui régale cer­tains spé­cial­istes, ce que je ne suis pas.

Paroles

Libre es el vien­to
Que doma la dis­tan­cia,
Baja a los valles
Y sube a las mon­tañas.
Libre es el agua
Que se despeña y can­ta,
Y el pájaro fugaz
Que surge de ver
Una azul inmen­si­dad…

Libre es el potro
Que al vien­to la mele­na,
Huele a las flo­res
Que es mata en la pradera.
Libre es el cón­dor
Señor de su cimera,
Yo que no sé olvi­dar
Escla­vo de un dolor
No ten­go lib­er­tad…

Loco y cau­ti­vo
Car­ga­do de cade­nas,
Mi oscu­ra cár­cel
Me mata entre sus rejas.
Soy pri­sionero
De incur­able pena,
Pre­so al recuer­do
De mi per­di­do bien.

Nada me pri­va
De andar por donde quiero,
Pero no puedo
Librarme del dolor.
Y pese a todo
Soy pri­sionero,
De los recuer­dos
Que guar­da el corazón.
Julio Car­res­sons Letra: Car­los Bahr (Car­los Andrés Bahr)

Traduction libre

Libre est le vent qui dompte la dis­tance, descend dans les val­lées et grav­it les mon­tagnes.
Libre est l’eau qui tombe et chante, et l’oiseau fugace qui émerge de la vue d’une immen­sité bleue…
Libre est le poulain qui dans le vent a sa crinière, sent les fleurs qui poussent dans le pré (mata est une plante de faible hau­teur, arbuste ou plus petit. J’ai traduit par pouss­er, mais il y a peut-être mieux à faire…).
Libre est le con­dor, seigneur de son som­met, moi qui ne sais pas oubli­er, esclave d’une douleur, je n’ai pas de lib­erté…
Fou et cap­tif, chargé de chaînes, ma prison som­bre me tue der­rière les bar­reaux. (Mata, s’écrit de la même façon, mais ici, c’est le verbe tuer. C’est un dis­cret jeu de mots).
Je suis pris­on­nier d’un cha­grin incur­able, empris­on­né dans la mémoire de mon bien per­du.
Rien ne m’empêche de marcher où je veux, mais je n’ar­rive pas à me libér­er de la douleur.
Et mal­gré tout, je suis pris­on­nier des sou­venirs que le cœur garde.

Mettons-nous au diapason…

Le dia­pa­son est la fréquence de référence qui per­met que tous les musi­ciens d’un orchestre jouent de façon har­monieuse.
Vous avez en tête les séances d’accordage qui précè­dent une presta­tion.
Le principe est sim­ple. On prend pour référence l’instrument le moins accord­able rapi­de­ment, par exem­ple le piano qui est accordé avant le con­cert, car avec près de 250 cordes à régler, l’opération prend du temps.
En l’absence de piano, les orchestres clas­siques se calent sur le haut­bois, celui du « pre­mier haut­bois ». Ensuite, ses voisins, les autres instru­ments à vent, s’accordent sur lui, puis c’est le tour des cordes.
Je vous pro­pose cette superbe vidéo qui met en scène le principe. On remar­quera que c’est bien le haut­bois qui y donne le La3.

Instal­la­tion inter­ac­tive “Sous-ensem­ble” de Thier­ry Fournier — Enreg­istrement de l’ac­cord pour chaque instru­ment.

La note de référence doit pou­voir être jouée par tous les instru­ments. Dans les con­certs où il y a des instru­ments anciens, on est par­fois obligé d’accorder plus grave pour éviter d’avoir une ten­sion exagérée des cordes sur des instru­ments frag­iles.
En général, cela est défi­ni à l’avance et on accorde le piano en con­séquence avant le con­cert.
La note de référence est générale­ment un La, le La3 (situé entre la deux­ième et la troisième ligne de la portée en clef de sol). Au piano, c’est celui qui tombe naturelle­ment sous la main droite, vers le milieu du clavier. Sur les vio­lons et altos, c’est la sec­onde corde, corde dont la cheville de réglage est en haut à droite en regar­dant le vio­lon de face. Les musi­ciens jouent donc cette corde à vide, jusqu’à ce qu’elle résonne comme la note de référence émise. Les autres cordes sont accordées par l’instrumentiste lui-même par com­para­i­son avec la corde de référence. Mais vous avez sans doute regardé la vidéo précé­dente et vous savez tout cela.
Dans le cas du tan­go, le piano est générale­ment la base, mais quand c’est pos­si­ble, on se cale sur le ban­donéon qui n’est pas accord­able pour régler le piano.
En effet, la note de référence, si c’est en principe tou­jours le La3, n’a pas la même hau­teur selon les épo­ques et les régions.

Le débat sur le diapason musical uniforme au dix-neuvième siècle

Je vous pro­pose trois élé­ments pour juger du débat qui ani­me tou­jours les musi­ciens d’aujourd’hui… C’est un exem­ple français, mais à voca­tion large­ment européenne par les élé­ments traités et l’accueil fait aux deman­des de la com­mis­sion ayant établi le rap­port.

  • Un rap­port étab­lis­sant des con­seils pour l’établissement d’un dia­pa­son musi­cal uni­forme.

Les mem­bres de la com­mis­sion étaient :
Jules Bernard Joseph Pel­leti­er, con­seiller d’É­tat, secré­taire général du min­istère d’É­tat, prési­dent de la com­mis­sion ;
Jacques Fro­men­tal Halévy, mem­bre de l’Institut, secré­taire per­pétuel de l’A­cadémie des beaux-arts, rap­por­teur de la com­mis­sion ;
Daniel-François-Esprit Auber, mem­bre de l’Institut, directeur du Con­ser­va­toire impér­i­al de musique et de décla­ma­tion (et qui a sa rue qui donne sur l’Opéra de Paris) ;
Louis Hec­tor Berlioz, mem­bre de l’In­sti­tut ;
Man­suete César Despretz, mem­bre de l’In­sti­tut, pro­fesseur de physique à la Fac­ulté des sci­ences.
Camille Doucet, chef de la divi­sion des théâtres au min­istère d’É­tat ;
Jules Antoine Lis­sajous, pro­fesseur de physique au lycée Saint-Louis, mem­bre du con­seil de la Société d’en­cour­age­ment pour l’in­dus­trie nationale ;
Le Général Émile Mellinet, chargé de l’or­gan­i­sa­tion des musiques mil­i­taires ;
Désiré-Guil­laume-Édouard Mon­nais, com­mis­saire impér­i­al près les théâtres lyriques et le Con­ser­va­toire ;
Gia­co­mo Meyer­beer, com­pos­i­teur alle­mand, mais vivant à Paris où il mour­ra en 1871 ;
Gioachi­no Rossi­ni, Com­pos­i­teur ital­ien, mais vivant à Paris où il mour­ra en 1872 ;
Ambroise Thomas, com­pos­i­teur français et mem­bre de l’In­sti­tut.

  • Le décret met­tant en place ce dia­pa­son uni­forme.
  • Les cri­tiques con­tre le dia­pa­son uni­forme…

On voit donc que l’histoire est un éter­nel recom­mence­ment et que les pinail­lages actuels n’en sont que la con­ti­nu­ité…

Vous pou­vez accéder à l’ensemble des textes, ici (12 pages)

Pour les plus pressés, voici un extrait sous forme de tableaux qui vous per­me­t­tront de con­stater la var­iété des dia­pa­sons, leur évo­lu­tion et donc la néces­sité de met­tre de l’ordre et notam­ment de frein­er le mou­ve­ment vers un dia­pa­son plus aigu.
Les valeurs indiquées dans ce tableau sont en « vibra­tions ». Il faut donc divis­er par deux pour avoir la fréquence en Hertz. Ain­si, le dia­pa­son de Paris indiqué 896 cor­re­spond à 448 Hz.

Tableau des dia­pa­sons en Europe en 1858 et tableau de l’élévation du dia­pa­son au cours du temps (tableau de droite). Extrait du rap­port présen­té à S. Exc. Le min­istre d’État par la com­mis­sion chargée d’établir en France un dia­pa­son musi­cal uni­forme (Arrêté du 17 juil­let 1858) — Paris, le 1er févri­er 1859.

Compléments sur le diapason

Si vous n’avez pas con­sulté le doc­u­ment de 12 pages, il est encore temps de vous y référ­er, il est juste au-dessus des tableaux… Vous pou­vez le charg­er en PDF pour le lire plus facile­ment.

Si vous voulez enten­dre la dif­férence entre le dia­pa­son à 435 Hz et celui à 440 Hz, je vous pro­pose cette vidéo.

Dia­pa­son 435 Hz et 440 Hz.

Sur l’histoire du dia­pa­son, cet arti­cle sig­nalé par l’ami Jean Lebrun.

https://www.radiofrance.fr/francemusique/accord-et-desaccord-la-guerre-du-la-6695782

Sur la ques­tion du dia­pa­son et de la vitesse en tan­go, je vous pro­pose ce court arti­cle que j’avais écrit.

Et un arti­cle bien plus com­plet, mais en anglais de Michael Lav­oc­ah sig­nalé par Angela.

Homenajes

Aujourd’hui, nous allons nous intéress­er aux hom­mages. C’est en effet un thème récur­rent du tan­go. On célèbre l’ami, le maître, le grand homme ou la grande femme, la mère, sou­vent. Voici quelques hom­mages et le dernier va sans doute vous éton­ner.

Je n’évoquerai pas les dédi­caces que l’on trou­ve notam­ment sur les par­ti­tions. Ce ne sont pas tou­jours à pro­pre­ment par­ler des hom­mages, car sou­vent les per­son­nes payaient pour être men­tion­nées. Je n’évoquerai pas non plus les dis­ques d’hommage à…, puisqu’il s’agit de com­pi­la­tions et pas de titres créés spé­ciale­ment.
J’évoque donc ici, les thèmes musi­caux et les paroles qui ren­dent hom­mage, évo­quent, citent, des per­son­nes, au sens large.

Hommage avec le nom dans le titre

Une pre­mière forme est de tout sim­ple­ment déclar­er dans le titre le nom de la per­son­ne à qui on souhaite ren­dre hom­mage.
Atten­tion toute­fois à ne pas com­met­tre d’erreurs. En effet, les noms de per­son­nal­ités publiques font le plus sou­vent référence à un lieu, à une rue, et pas au per­son­nage qui a don­né son nom à cet endroit. Par exem­ple, Rodriguez Peña ou Te espero en Rodriguez Peña ne par­lent pas du prési­dent argentin, mais de la rue et plus par­ti­c­ulière­ment du salon qui y était fameux.
Très sou­vent, ces hom­mages com­men­cent par A pour indi­quer la dédi­cace, mais ce n’est pas tou­jours le cas. Voici une petite liste, bien sûr très incom­plète, notam­ment, je n’évoque pas les tan­gos qui n’ont pas l’objet dans le titre, ou ceux dont le titre vient d’une dédi­cace postérieure, comme El Entr­erri­ano.

  • A Alfre­do Belusi
  • A Ángel Amadeo Labruna
  • A Belis­ario Roldán
  • A Don Agustín Bar­di
  • A Don Guiller­mo
  • A Don Javier
  • A Don Juan Manuel
  • A Don Nicanor Pare­des
  • A Don Pedro Maf­fia
  • A Don Pedro San­til­lán
  • A Don Pir­in­cho Canaro
  • A Ernesto Sába­to
  • A Evaris­to Car­riego
  • A Fir­po
  • A Franci­ni-Pon­tier
  • A Fran­cis­co
  • A Fran­cis­co de Caro
  • A Gabi­no Sosa
  • A Home­ro
  • A Home­ro Manzi
  • A Hora­cio Sal­gan
  • A Orlan­do Goñi
  • A Ire­neo Leguisamo (“El Pulpo” o “El Mae­stro”)
  • A Juan Car­los Copes,
  • A Leopol­do Fed­eri­co
  • A Lo Pir­in­cho
  • A Luci­na y Joe
  • A Luis Luchi
  • A Mag­a­l­di
  • A Man­cu­so
  • A Mar­ta Rosa
  • A Mar­tin Fier­ro
  • A Mer­cedes
  • A Natalio Pes­cia
  • A Orlan­do Goñi (Orlan­do Goñi)
  • A Pedro Maf­fia
  • A Quin­quela Mar­tin
  • A Raúl Berón
  • A Ricar­do Cate­na
  • A Rober­to Ari
  • A Rober­to Grela
  • A Rober­to Peppe
  • A Rober­to Per­fumo
  • A Ros­alía
  • A Sal­vador Allende
  • Adiós Aro­las (Se llam­a­ba Eduar­do Aro­las)
  • Ángel Var­gas (El ruiseñor)
  • Aníbal Troi­lo
  • Aro­las
  • Calle­jas solo (A Alfre­do Calle­jas)
  • Cele­do­nio
  • Con T de Troi­lo
  • Cum­br­era (Car­los Gardel)
  • D’Arienzo vos sos el rey
  • D’Arienzo y Pal­i­to
  • Dis­cos de Gardel
  • Don José Maria
  • Don Juan
  • Don Orlan­do
  • El fueye de Aro­las
  • El pol­lo Ricar­do
  • El Tigre
  • El Yakaré (Elías Antúnez)
  • Gardel
  • Gardel que estas en los cie­los
  • Gardel – Raz­zano (El moro­cho y el Ori­en­tal)
  • Ger­ar­do Matos Rodriguez
  • Gri­cel
  • La negri­ta María
  • Luís maría
  • Mar­go
  • Mar­got
  • María
  • María Bar­ri­en­to
  • María Cristi­na
  • María de Buenos Aires
  • María Del Car­men
  • María Dolores
  • María Esther
  • María Lan­do
  • María Reme­dios
  • María Trinia
  • Mar­i­ana
  • Mar­ián­gel
  • Mar­i­an­i­to
  • Madame Ivone
  • Mi Ana María
  • Mi maría Rosa
  • Mi Mar­i­anela
  • Milon­ga para Gardel
  • Negra María
  • Para Eduar­do Aro­las
  • Peri­con por María
  • Pir­in­cho (Canaro)
  • Que le parece Dona María
  • Retra­to de Alfre­do Gob­bi
  • Rincón por María
    Tan­go a Pugliese
  • Un ADN a Gardel
  • Vio­lín
  • Zor­ro platea­do (Máx­i­mo Acos­ta)

Personnes difficiles à identifier

On par­le d’une per­son­ne pré­cise, mais il est dif­fi­cile d’être sûr de la per­son­ne évo­quée, il s’agit par­fois d’un être imag­iné à par­tir de plusieurs per­son­nes, comme Zor­ro Gris.

  • A lo Mag­dale­na
  • A lo Mega­ta
  • A mi mar­i­u­cho
  • Grise­ta
  • La Mar­i­anel­la
  • María celosa
  • María la del portón
  • María more­na
  • Mari­posa (papil­lon)
  • Otario que andas penan­do
  • Pobre Mar­got
  • Señori­ta María
  • Tu nom­bre es María
  • Yo soy María
  • Zor­ro gris

Dédicaces génériques

Elles peu­vent être util­isées pour dif­férentes per­son­nes, par exem­ple, les mères en général

  • A la mujer argenti­na
  • A los ami­gos
  • A los artis­tas plás­ti­cos
  • A los mae­stros
  • A los míos
  • A los mucha­chos
  • A los obreros grá­fi­cos
  • A los payadores
  • A los que se fueron
  • A mi esposa
  • A mi madre
  • A mi madrecita
  • A mi padre
  • A mi vie­ja
  • A mis com­pañeros
  • A mis tíos
  • A mis viejos
  • A su memo­ria
  • A un seme­jante
  • El inge­niero (ingénieurs diplômés dans les uni­ver­sités argen­tines).

Les dédicaces à Canaro

  • A Don Pir­in­cho Canaro (déjà cité)
  • A lo Pir­in­cho
  • Canaro
  • Canaro en Cór­do­ba
  • Canaro en Japón
  • Canaro en Paris
  • Pir­in­cho

Les sélections

Les selec­ciones sont des titres qui mélan­gent plusieurs morceaux. On les appelle aus­si Pop­urri (Pots-pour­ris).
Il en existe de dif­férents auteurs et/ou com­pos­i­teurs, par exem­ple Aro­las, Canaro, De Caro, Delfi­no, Di Sar­li, Dis­ce­po­lo, Gardel, Mar­i­ano Mores, Piaz­zol­la, Troi­lo… C’est une forme d’hommage qui con­siste à met­tre en valeur des com­po­si­tions ou textes d’un com­pos­i­teur ou auteur par­ti­c­uli­er.
Sans le titre selec­cion ou pop­urri, on trou­ve égale­ment

  • Hom­e­na­je a Car­los Gardel
  • Recor­dan­do a Dis­ce­po­lo
  • Hom­e­na­je a Eduar­do Rovi­ra

Les à la manière de

Il s’agit d’œuvres où on imite le style de la per­son­ne à qui on souhaite ren­dre hom­mage. Je par­le de com­po­si­tions, pas des orchestres qui jouent à la manière de…

  • Engob­biao (Alfre­do Gob­bi)
  • Pichuque­an­do (Canaro)
  • Pugliese­an­do  (Pugliese)
  • Tan­go a Pugliese (Pugliese)

San Pugliese

Vous vous êtes peut-être demandé pourquoi on dis­ait « San Pugliese », ce qui veut dire Saint Pugliese.
Don Osval­do était athée, com­mu­niste de sur­croît et donc, dif­fi­cile­ment canon­is­able, du moins par le Vat­i­can, même avec un Pape d’origine argen­tine.
Mais les Argentins ont de la ressource et l’idée de créer une image « pieuse » (Estampi­ta) à l’image de Pugliese est venue à Car­los Vil­l­a­ba à la vue des images pieuses qui se dis­tribuent dans les églis­es.
Il con­fia le texte à Alber­to Muñoz qui souhai­ta garder l’anonymat et c’est pour cette rai­son qu’il n’est pas signé. Ce qui est amu­sant, c’est que plusieurs per­son­nes ont revendiqué l’écriture, ce qui, pour Alber­to était la preuve que cela fonc­tion­nait.
L’image d’origine est con­sti­tuée d’une pho­to de Pugliese sur laque­lle un œil­let a été ajouté. C’est l’œillet qui était placé sur le piano quand Pugliese était absent (générale­ment en prison…) lors des con­certs.

San Pugliese. À gauche, Rec­to et ver­so de l’im­age « pieuse » orig­i­nale (estampi­ta). À droite, trois ver­sions plus récentes.

La men­tion « San Pugliese », reprend le principe des images pieuses, comme celle de San Expe­d­i­to, le saint des caus­es justes et urgentes…

Une image pieuse dédiée à San Expos­i­to.

Un doc­u­men­taire est sor­ti il y a quelques mois sur San Pugliese. Je vous invite à le voir, si vous en avez l’occasion, il est pas­sion­nant.

Bande annonce de San Pugliese

https://filmfreeway.com/SanPugliese
Le site et la bande annonce de San Pugliese.

https://www.facebook.com/sanpugliesedocumental
La page Face­book est égale­ment intéres­sante

Texte de la prière à Saint Pugliese

Pro­tégenos de todo aquel que no escucha. Ampára­nos de la mufa de los que insis­ten con la pati­ta de pol­lo nacional. Ayú­danos a entrar en la armonía e ilumí­nanos para que no sea la des­gra­cia la úni­ca acción coop­er­a­ti­va. Llé­vanos con tu mis­te­rio hacia una pasión que no par­ta los hue­sos y no nos deje en silen­cio miran­do un ban­doneón sobre una sil­la

Traduction libre de la prière à Saint Pugliese

« Pro­tège-nous tous ceux qui n’écoutent pas. Pro­tège-nous de la mufa (mau­vaise humeur) de ceux qui insis­tent avec la cuisse de poulet nationale. Aide-nous à entr­er en har­monie et éclaire-nous afin que le mal­heur ne soit pas la seule action coopéra­tive. Emmène-nous avec ton mys­tère vers une pas­sion qui ne brise pas les os et ne nous laisse pas en silence regar­dant un ban­donéon sur une chaise ».

Comment utiliser la prière à San Pugliese

Les musi­ciens argentins, même ceux qui n’ont rien à voir avec le tan­go respectent San Pugliese et l’invoquent pour que tout se passe bien. Sur les scènes, on peut voir des images de San Pugliese et quand tout ne se passe pas pour le mieux, il con­vient de con­jur­er le mau­vais sort en cri­ant Pugliese – Pugliese – Pugliese. Ne croyez pas que c’est une super­sti­tion, cela fonc­tionne et beau­coup d’artistes et de tech­ni­ciens ont la Estampi­ta dans leur porte­feuille, placée sur la con­sole ou sur leur instru­ment.

Clin d’œil final…

Le principe des images pieuses détournées con­tin­ue d’être util­isée en Argen­tine et je vous présente pour ter­min­er une image qui me fait mourir de rire. Le nom de l’homme poli­tique San­toro a été découpé en faire San Toro. Jaja­ja.

San­toro (en un seul mot) est un homme poli­tique argentin, enseignant de for­ma­tion. La prière demande à ce que les enfants puis­sent avoir une plave (van­cante) à l’é­cole publique.

Pasional 1951-07-31 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán

Jorge Caldara Letra : Mario Soto

Tous les danseurs n’apprécient pas ce type de musique de Pugliese et d’autres adorent. Ce qui est sûr est que Jorge Cal­dara a une fois de plus mon­tré ses tal­ents de com­pos­i­teur et que les paroles de Mario Soto sont d’une puis­sance extrême. Il fal­lait bien ça pour le titre ambitieux de ce tan­go, Pasion­al (pas­sion­né). Je vous présen­terai en fin d’anecdote qui a inspiré ce mer­veilleux texte d’amour.

Autour du piano de Pugliese que l’on recon­naît, au cen­tre, l’équipe de Pugliese.

De gauche à droite, Emilio Bal­car­cé (vio­loniste), Alber­to Morán (le chanteur de notre tan­go du jour), Mario Soto (locu­teur et l’auteur des paroles du tan­go du jour), Osval­do Pugliese (pianiste et « chef »), Osval­do Rug­giero (ban­donéon­iste), Oscar Her­rero (vio­loniste) et enfin Jorge Cal­dara (ban­donéon­iste et com­pos­i­teur du tan­go du jour).

Extrait musical

Pasion­al, Jorge Cal­dara Letra : Mario Soto.

À gauche, le disque de notre tan­go du jour. Au cen­tre la par­ti­tion éditée par Julio Korn, avec la dédi­cace au Doc­teur O. Nus­deo qui était chirurgien à l’hôpital Raw­son de Buenos Aires. À droite, la cou­ver­ture de la par­ti­tion avec Osval­do Pugliese, puis celle avec Ranko Fuji­sawa, la chanteuse japon­aise qui avait incité Jorge Cal­dara à aller au Japon.

Pasion­al 1951-07-31 — Orques­ta Osval­do Pugliese con Alber­to Morán.

Paroles

No sabrás… nun­ca sabrás
lo que es morir mil veces de ansiedad.
No podrás… nun­ca enten­der
lo que es amar y enlo­que­cer.
Tus labios que que­man… tus besos que embria­gan
y que tor­tu­ran mi razón.
Sed… que me hace arder
y que me enciende el pecho de pasión.

Estás clava­da en mí… te sien­to en el latir
abrasador de mis sienes.
Te adoro cuan­do estás… y te amo mucho más
cuan­do estás lejos de mí.

Así te quiero dulce vida de mi vida.
Así te sien­to… solo mía… siem­pre mía.

Ten­go miedo de perderte…
de pen­sar que no he de verte.
¿Por qué esa duda bru­tal?
¿Por qué me habré de san­grar
sí en cada beso te sien­to des­ma­yar?
Sin embar­go me ator­men­to
porque en la san­gre te lle­vo.
Y en cada instante… febril y amante
quiero tus labios besar.

¿Qué ten­drás en tu mirar
que cuan­do a mí tus ojos lev­an­tás
sien­to arder en mi inte­ri­or
una voraz lla­ma de amor?
Tus manos desa­tan… cari­cias que me atan
a tus encan­tos de mujer.
Sé que nun­ca más
podré arran­car del pecho este quer­er.

Te quiero siem­pre así… estás clava­da en mí
como una daga en la carne.
Y ardi­ente y pasion­al… tem­b­lan­do de ansiedad
quiero en tus bra­zos morir.

Jorge Cal­dara Letra: Mario Soto

Traduction libre

Tu ne sauras pas… Tu ne sauras jamais ce que c’est que de mourir mille fois d’anx­iété.
Tu ne pour­ras pas… jamais, com­pren­dre ce que c’est que d’aimer et de devenir fou.
Tes lèvres qui brû­lent… tes bais­ers qui enivrent et qui tor­turent ma rai­son.
Soif… qui me brûle et qui enflamme ma poitrine de pas­sion.
Tu es cloué en moi… Je te sens dans le bat­te­ment brûlant de mes tem­pes.
Je t’adore quand tu es là… Et je t’aime telle­ment plus quand tu es loin de moi.
Alors je t’aime, douce vie de ma vie.
Ain­si je te sens… seule­ment mienne… tou­jours mienne.
J’ai peur de te per­dre…
de penser que je ne te ver­rai pas.
Pourquoi ce doute bru­tal ?
Pourquoi devrais-je saign­er si dans chaque bais­er je te sens défail­lir ?
Cepen­dant, je me tour­mente parce que je te porte dans mon sang.
Et à chaque instant… fiévreux et aimant, je veux embrass­er tes lèvres.
Qu’as-tu dans ton regard pour que, lorsque tu lèves les yeux sur moi, je sente brûler en moi une flamme vorace d’amour ?
Tes mains délient… caress­es qui me lient à tes charmes de femme.
Je sais que jamais plus je pour­rai arracher cet amour de ma poitrine.
Je t’aime tou­jours ain­si… Tu es fichée en moi comme un poignard dans la chair.
Et ardent et pas­sion­né… trem­blant d’an­goisse, je veux dans tes bras, mourir.

Autres versions

Ce titre a eu un immense suc­cès et dès sa créa­tion en 1951, de nom­breux orchestres l’ont mis à leur réper­toire. En voici quelques exem­ples.

Des dis­ques de Pasion­al, de Calo, Pugliese 1951, De Ange­lis, Pugliese 52, Cal­dara 1966 en faux 45 tours (petite taille, mais 33 tours) et une réédi­tion du même enreg­istrement chez Music Hall, en disque LP 33 tours, où Pasion­al est le pre­mier titre de la face A.
Pasion­al 1951-05-23 — Orques­ta Miguel Caló con Juan Car­los Fab­ri.

Le plus ancien enreg­istrement. Il nous fait décou­vrir un Caló moins courant, tout d’abord par le chanteur, Juan Car­los Fab­ri, mais aus­si par l’interprétation, une con­ces­sion mar­quée de Caló aux nou­velles ori­en­ta­tions du tan­go. Il fut sans doute sub­jugué par la com­po­si­tion de Cal­dara au point de sor­tir de sa zone de con­fort. Je me demande pourquoi il a enreg­istré avant Pugliese qui avait sous la main, l’auteur des paroles, le com­pos­i­teur et les musi­ciens. J’imagine qu’il devait encore être en prison. Le prob­lème de vivre entre deux con­ti­nents est que j’ai une par­tie de ma bib­lio­thèque des deux côtés et pas la par­tie qui con­cerne les déboires poli­tiques de Pugliese de ce côté…

Pasion­al 1951-07-31 — Orques­ta Osval­do Pugliese con Alber­to Morán. C’est notre tan­go du jour.

Les deux auteurs, Jorge Cal­dara et Mario Soto sont de l’équipe de Pugliese. Cal­dara est ban­donéon­iste, com­pos­i­teur et arrangeur et Mario Soto est présen­ta­teur. En effet, les orchestres de l’époque se fai­saient présen­ter au pub­lic. On entend cela dans quelques enreg­istrements où cette présen­ta­tion a été con­servée. Je ne fais pas par­tie des DJ qui met­tent volon­tiers ce type de tan­go, mais si je sais qu’il y a des fans dans le salon de danse, je peux le pro­pos­er.

Pasion­al 1951-10-08 — Mario Demar­co y su Orques­ta Típi­ca con Raúl Quiroz.

Une ver­sion pour écouter au salon, de la mai­son, pas de bal. Mario Demar­co fut l’un des ban­donéon­istes de Pugliese au départ de Jorge Cal­dara. Il faut not­er qu’il a enreg­istré ce titre qua­tre ans avant d’intégrer l’orchestre de Pugliese. Il était proche de son col­lègue, Cal­dara.

Pasion­al 1951-11-03 – Orques­ta Alfre­do De Ange­lis con Oscar Lar­ro­ca.

Oscar Lar­ro­ca est sans doute un excel­lent choix pour des paroles aus­si roman­tiques. Si De Ange­lis évite la guimauve qui pour­rait pro­duire ce titre, on peut penser qu’il est tombé dans l’excès inverse en étant un peu trop tonique pour le thème. Cela facilit­era le tra­vail des danseurs, on ne va boud­er.

Pasion­al 1952-11-24 – Orques­ta Osval­do Pugliese con Alber­to Morán.
Pasion­al 1952 – Orques­ta Típi­ca Tokio con Ranko Fuji­sawa.

On retrou­ve Pugliese et Morán, je vous laisse mesur­er l’évolution entre les deux inter­pré­ta­tions. Jorge Cal­dara est tou­jours dans l’orchestre, mais Mario Soto était par­ti Il n’est pas éton­nant de trou­ver ce titre au réper­toire de Ranko Fuji­sawa et de l’orchestre dirigé par son mari. En effet, Ranko est celle qui a insisté très forte­ment et avec con­stance pour que Jorge Cal­dara aille au Japon. Elle appré­ci­ait beau­coup ce jeune ban­donéon­iste et com­pos­i­teur.

Pasion­al 1954-11 – Tucho Pavón con acomp. de Car­los Gar­cía.

Avec ce titre, il est dif­fi­cile de dire ce qui est de danse et pour l’écoute, là, c’est clair, ce n’est pas pour la danse. Enfin, je crois (humour ; -)

Pasion­al 1954 – Ranko Fuji­sawa con gui­tar­ras.

Ce sec­ond enreg­istrement par Ranko prou­ve qu’elle était vrai­ment intéressée par les qual­ités musi­cales de Cal­dara.

Pasion­al 1955-11-08 – Alber­to Morán con acomp. de Orques­ta dir. Arman­do Cupo.

Troisième enreg­istrement du thème par Morán.

Pasion­al 1956-06-13 – Aida Denis.

Aida Denis donne du sen­ti­ment. C’est intéres­sant à écouter.

Pasion­al 1964 – Orques­ta Jorge Cal­dara con Rodol­fo Lesi­ca.

Rodol­fo Lesi­ca nous pro­pose une ver­sion expres­sive, mais qui se com­bine bien avec l’orchestre du com­pos­i­teur, Jorge Cal­dara. Pas pour la danse, mais il est intéres­sant de voir com­ment Cal­dara met en œuvre sa créa­tion.

Pasion­al 1980c – Jorge Fal­cón acomp. de Orques­ta.

Une propo­si­tion plus légère, après celle de Cal­dara, on vire presque à la var­iété.

Pasion­al 2010 – Fran­cis Andreu.

Cette ver­sion sim­ple, accom­pa­g­née à la gui­tare pro­posée par l’Uruguayenne Fran­cis Andreu, est une belle réal­i­sa­tion.

Pasion­al 2010c – Caio Rodriguez acomp. Ane­ta Pajek (ban­donéon) et Javier Tucat Moreno (piano).

Les musi­ciens du Ham­burg Tan­go Quin­tet se met­tent au ser­vice de la voix de Caio Rodriguez. Une pro­duc­tion atyp­ique, tirant vers la musique clas­sique, mais c’est égale­ment une évo­lu­tion du tan­go à pren­dre en compte.

Pasion­al 2014-10-27 — Marce­lo Boc­canera.

Une ver­sion assez poé­tique, pas prévue pour la danse, mais qui s’écoute avec plaisir.

Pasion­al 2024-01-14 — Sil­via Lujan.

Un enreg­istrement tout récent qui mon­tre que l’œuvre con­tin­ue de sus­citer de l’intérêt.

Naissance d’un chef‑d’œuvre

Jorge Cal­dara et Mario Soto tra­vail­laient pour l’orchestre de Pugliese. Jorge Cal­dara comme ban­donéon­iste, arrangeur et com­pos­i­teur (voir mon anec­dote sur Patéti­co où je dévoile un peu son rôle de moteur d’innovation dans l’orchestre de Pugliese) et Mario Soto comme présen­ta­teur et même un peu plus si on le croit quand il dit qu’il fai­sait égale­ment le pro­gramme de l’orchestre.
Dans l’édition du 9 jan­vi­er 1994 du jour­nal HOY (aujourd’hui) de La Pla­ta (Cap­i­tale de la Province de Buenos Aires, située au sud-est de la cap­i­tale fédérale) Mario Soto racon­te dans une inter­view au jour­nal­iste Acquaforte com­ment est né Pasion­al.
« J’ai été inspiré pour com­pos­er (c’est en fait une co-créa­tion avec Cal­dara) ce tan­go par deux sœurs petites et laides qui assis­taient à tous les bals de Pugliese dans la zone sud, dans les clubs de Quilmes, Sarandí et Domíni­co. Elles étaient timides, insignifi­antes et “repas­saient” (plan­char, c’est repass­er, mais pour les danseuses, c’est faire ban­quette, ne pas être invitées) toute la nuit.
J’ai ressen­ti quelque chose comme de la com­pas­sion et j’ai recréé silen­cieuse­ment la chan­son, basée sur ces deux petites souris trans­for­mées en une ter­ri­ble « wamp ».

Oscar Blot­ta. Illus­tra­tion de l’his­toire de Pasion­al.

Dans cette illus­tra­tion, on recon­naît Mario Soto, appuyé au lam­padaire, le ban­donéon­iste lunaire, c’est bien sûr Jorge Cal­dara et les deux sœurs timides sont seules sur leur chaise. On notera l’emprunt que j’ai fait à Oscar Blot­ta pour l’illustration de cou­ver­ture de cette anec­dote.

Chers amis, je vous souhaite de ne pas planch­er (faire ban­quette), lors de votre prochaine milon­ga et je vous dis, à demain !

Los 33 orientales 1955-07-28 — Orquesta Carlos Di Sarli

José “Natalín” Felipetti ; Rosario Mazzeo Letra: Arturo Juan Rodríguez

Le tan­go du jour est instru­men­tal, et en écoutant la musique sen­suelle de Di Sar­li, je suis sûr que la plu­part de ceux qui ne sont pas uruguayens ont pen­sé que j’étais tombé sur la tête, une fois de plus, en pro­posant cette image de cou­ver­ture. J’ai imag­iné cette illus­tra­tion en me référant à Géri­cault, un pein­tre qui a don­né à la fois dans le mil­i­taire et l’orientalisme. Mais qui sont ces 33 ori­en­tales que Di Sar­li célébr­era trois fois par le disque ?

De l’importance de l’article

Il peut échap­per aux per­son­nes qui ne par­lent pas bien espag­nol, la dif­férence entre las (déter­mi­nant pluriel, féminin) et los (déter­mi­nant pluriel, mas­culin). Las 33 ori­en­tales, ça pour­rait-être ceci,

Los ou las ?

mais los 33 ori­en­tales, c’est plutôt cela :

El jura­men­to de los 33 ori­en­tales Juan Manuel Blanes (1878).

Je vous racon­terai l’histoire de ces 33 mecs en fin d’article, pas­sons tout de suite à l’écoute.

Extrait musical

Les com­pos­i­teurs sont José Felipet­ti (ban­donéon­iste et édi­teur musi­cal) et Alfre­do Rosario Mazzeo, vio­loniste, notam­ment dans l’orchestre de Juan D’Arienzo, puis de Poli­to (qui fut pianiste égale­ment de D’Arienzo). Rosario Mazzeo avait la par­tic­u­lar­ité d’utiliser un archet de vio­lon alto, plus grand pour avoir un son plus lourd.

Los 33 ori­en­tales 1955-07-28 — Orques­ta Car­los Di Sar­li.

Je n’ai pas grand-chose à dire sur cette ver­sion que vous puissiez ne pas con­naître. Je suis sûr que dans les cinq sec­on­des vous aviez repéré que c’était Di Sar­li, avec ses puis­sants accords sur son 88 touch­es (le piano) et les légatos des vio­lons. Comme il est d’usage chez lui, les nuances sont bien exprimées. Les suc­ces­sions de for­tis­si­mos mourant dans des pas­sages pianos (moins forts) et les accords fin­aux où domi­nent le piano font que c’est du 100% Di Sar­li.

Il s’agit du troisième enreg­istrement de Los 33 ori­en­tales par Di Sar­li. Comme d’habitude, vous aurez droit aux autres dans le chapitre dédié, Autres ver­sions

Les trois dis­ques de Los 33 ori­en­tales par Car­los Di Sar­li.

On notera que la ver­sion de 1952 est un 33 tours Long Play, c’est-à-dire qu’il y a deux tan­gos par face, ici La Cachi­la et Los 33 ori­en­tales. Sur la face A, il y a Cua­tro vidas et Sueño de juven­tud. Le pas­sage de 78 à 33 tours per­me­t­tait de plus que dou­bler la durée enreg­is­tra­ble. Mais ce n’est que la général­i­sa­tion du microsil­lon qui per­met d’atteindre des durées plus longues de plus de 20 min­utes par face. Ce disque est donc un disque de « tran­si­tion » entre deux tech­nolo­gies.

Paroles

Bien qu’il soit instru­men­tal dans les ver­sions con­nues, il y a eu des paroles écrites par Arturo Juan Rodriguez.
Au cas où elles seraient per­dues, je vous pro­pose un extrait de celles d’un autre tan­go appelé égale­ment los 33 ori­en­tales, à l’origine et rebap­tisé par la suite La uruguyai­ta Lucia.
Il a été écrit en 1933 par Eduar­do Pereyra avec des paroles de Daniel López Bar­reto.
Je vous le pro­pose à l’é­coute, dans la ver­sion de Ricar­do Tan­turi avec Enrique Cam­pos (1945).

La uruguyai­ta Lucia 1945-04-12 — Ricar­do Tan­turi C Enrique Cam­pos

Y mien­tras en el cer­ro; de los bravos 33 el clarín se oía
y al mun­do una patria nue­va anun­cia­ba
un tier­no sol­lo­zo de mujer, a la glo­ria reclam­a­ba
el amor de su gau­cho, que más fiel a la patria su vida le entregó.
Cabel­los negros, los ojos
azules, muy rojos
los labios tenía.
La Uruguayi­ta Lucía,
la flor del pago ‘e Flori­da.
Has­ta los gau­chos más fieros,
eter­nos matreros,
más man­sos se hacían.
Sus oja­zos parecían
azul del cielo al mirar.

Ningún gau­cho jamás
pudo alcan­zar
el corazón de Lucía.
Has­ta que al pago llegó un día
un gau­cho que nadie conocía.
Buen payador y buen mozo
can­tó con voz las­timera.
El gau­cho le pidió el corazón,
ella le dio su alma entera.

Fueron felices sus amores
jamás los sins­a­bores
inter­rumpió el idilio.
Jun­tas soñaron sus almi­tas
cual tier­nas palomi­tas
en un rincón del nido.
Cuan­do se que­ma el hor­i­zonte
se escucha tras el monte
como un suave mur­mul­lo.
Can­ta la tier­na y fiel pare­ja,
de amores son sus que­jas,
sus­piros de pasión.

Pero la patria lo lla­ma,
su hijo recla­ma
y lo ofrece a la glo­ria.
Jun­to al clarín de Vic­to­ria
tam­bién se escucha una que­ja.
Es que tronchó Lavalle­ja
a la dulce pare­ja
el idilio de un día.
Hoy ya no can­ta Lucía,
su payador no volvió.

Eduar­do Pereyra Letra: Daniel López Bar­reto

Traduction libre et indications

Et pen­dant que tu étais sur la colline ; des braves du 33 le cla­iron a été enten­du et au monde il annonça une nou­velle patrie, un ten­dre san­glot d’une femme, à la gloire il a revendiqué l’amour de son gau­cho, qui le plus fidèle à la patrie lui a don­né sa vie.
Cheveux noirs, yeux bleus, lèvres très rouges, elle avait.
La Uruguayi­ta Lucía, la fleur du bled (pago, coin de cam­pagne et la pop­u­la­tion qui l’habite) Flori­da.
Même les gau­chos les plus féro­ces, éter­nels matreros (bour­rus, sauvages, qui fuient la jus­tice), se fai­saient apprivois­er.
Ses grands yeux sem­blaient bleus de ciel quand elle regar­dait.
Aucun gau­cho ne put jamais attein­dre le cœur de Lucia.
Jusqu’au jour où un gau­cho arri­va dans le coin et que per­son­ne ne con­nais­sait.
Bon payador et bien beau, il chan­tait d’une voix pitoy­able.
Le gau­cho lui deman­da le cœur, elle lui don­na son âme en entier.
Leurs amours étaient heureuses, jamais les ennuis n’in­ter­rom­pirent l’idylle.
Ensem­ble, leurs petites âmes rêvaient comme de ten­dres colombes dans un coin du nid.
Lorsque l’hori­zon brûla, s’entendit der­rière la mon­tagne comme un doux mur­mure.
Le cou­ple ten­dre et fidèle chante, leurs plaintes sont d’amour, leurs soupirs de pas­sion.
Mais la patrie l’ap­pelle, elle réclame son fils et lui offre la gloire.
Jointe au cla­iron de vic­toire, une plainte s’entend égale­ment.
C’est Lavalle­ja (voir en fin d’article) qui a coupé court à l’idylle du cou­ple en une journée.

La ver­sion de José « Natalín » Felipet­ti ; Rosario Mazzeo et Arturo Juan Rodríguez n’a peut-être ou sans doute rien à voir, mais cela per­met tout de même d’évoquer un autre titre faisant référence aux 33 ori­en­tales et même à Lavalle­ja, que je vous présen­terai dans la dernière par­tie de l’article.

Autres versions

Je vous pro­pose 5 ver­sions. Trois par Di Sar­li plus deux dans le style de Di Sar­li

Los 33 ori­en­tales 1948-06-22 — Car­los Di Sar­li.

La musique avance à petits pas fer­mes aux­quels suc­cèdes des envolées de vio­lons, le tout appuyé par les accords de Di Sar­li sur son piano. C’est joli dansant, du Di Sar­li effi­cace pour le bal.

Los 33 ori­en­tales 1952-06-10 — Car­los Di Sar­li.

Cette ver­sion est assez proche de celles de 1948. Le piano est un tout petit plus dis­so­nant, dans cer­tains accords, accen­tu­ant, le con­traste en les aspects doux des vio­lons et les sons plus mar­ti­aux du piano.

Los 33 ori­en­tales 1955-07-28 — Orques­ta Car­los Di Sar­li.

Los 33 ori­en­tales 1955-07-28 — Orques­ta Car­los Di Sar­li. C’est notre tan­go du jour. La musique est plus liée, les vio­lons plus expres­sifs. Le con­traste piano un peu dis­so­nant par moment et les vio­lons, plus lyriques est tou­jours présent. C’est peut-être ma ver­sion préférée, mais les trois con­vi­en­nent par­faite­ment au bal.

Los 33 ori­en­tales 1960 — Los Señores Del Tan­go.

En sep­tem­bre 1955, des chanteurs et musi­ciens quit­tèrent, l’orchestre de Di Sar­li et fondèrent un nou­v­el orchestre, Los Señores Del Tan­go, en gros, le pluriel du surnom de Di Sar­li, El Señor del tan­go… Comme on s’en doute, ils ne se sont pas détachés du style de leur ancien directeur. Vous pou­vez l’entendre avec cet enreg­istrement de 1960 (deux ans après le dernier enreg­istrement de Di Sar­li).

Los 33 ori­en­tales 2003 — Gente De Tan­go (esti­lo Di Sar­li).

Gente De Tan­go annonce jouer ce titre dans le style de Di Sar­li. Mais on notera quand même des dif­férences, qui ne vont pas for­cé­ment toute dans le sens de l’orchestre con­tem­po­rain ? L’impression de fusion et d’organisation de la musique est bien moins réussie. Le ban­donéon sem­ble par­fois un intrus. Le sys­té­ma­tisme de cer­tains procédés fait que le résul­tat est un peu monot­o­ne. N’est pas Di Sar­li qui veut.

Qui sont les 33 orientales ?

Ras­surés-vous, je ne vais pas vous don­ner leur nom et numéro de télé­phone, seule­ment vous par­ler des grandes lignes.

J’ai évo­qué à pro­pos du 9 juil­let, jour de l’indépendance de l’Argentine, que les Espag­nols avaient été mis à la porte. Ces derniers se sont rabat­tus sur Mon­te­v­ideo et ont été délogés par les Por­tu­gais, qui souhaitaient inter­préter en leur faveur le traité de Torde­sil­las.

Un peu d’histoire

On revient au quinz­ième siè­cle, époque des grandes décou­vertes, Christophe Colomb avait débar­qué en 1492, en… Colom­bie, enfin, non, pas tout à fait. Il se croy­ait en Asie et a plutôt atteint Saint-Domingue et Cuba pour employ­er les noms actuels.

Colomb était par­ti en mis­sion pour le compte de la Castille (Espagne), mais selon le traité d’Al­caço­vas, signé en 1479 entre la Castille et le Por­tu­gal, la décou­verte serait plutôt à inclure dans le domaine de dom­i­na­tion por­tu­gais, puisqu’au sud du par­al­lèle des îles Canaries, ce que le roi du Por­tu­gal (Jean II) s’est empressé de remar­quer et de men­tion­ner à Colomb. Le pape est inter­venu et après dif­férents échanges, le Por­tu­gal et la Castille sont arrivés à un accord, celui de Torde­sil­las qui don­nait à la Castille les ter­res situées à plus de 370 lieues à l’ouest des îles du Cap-Vert. Une lieue espag­nole de l’époque valait 4180 m, ce qui fait que tout ce qui est à plus à l’ouest du méri­di­en pas­sant à 1546 km du Cap Vert est Espag­nol, mais cela implique égale­ment, que ce qui moins loin est Por­tu­gais. La décou­verte de ce qui devien­dra le Brésil sera donc une aubaine pour le Por­tu­gal.

À gauche, les délim­i­ta­tions des traités d’Al­caço­vas et de Tordessil­las. À droite, la même chose avec une ori­en­ta­tion plus mod­erne, avec le Nord, au nord…

Je pense que vous avez suivi cette révi­sion de vos cours d’histoire, je passe donc à l’étape suiv­ante…
Les Brésiliens Por­tu­gais et les Espag­nols, tout autour, cher­chaient à éten­dre leur dom­i­na­tion sur la plus grande par­tie de la Terre nou­velle. Les Por­tu­gais ont défon­cé la lim­ite du traité de Tortes­sil­las en creu­sant dans la par­tie ama­zoni­enne du con­ti­nent, mais ils con­voitaient égale­ment les ter­res plus au Sud et qui étaient sous dom­i­nance espag­nole, là où est l’Uruguay actuel. Les Espag­nols, qui avaient un peu nég­ligé cette zone, établirent Mon­te­v­idéo pour met­tre un frein aux pré­ten­tions por­tu­gais­es.
La sit­u­a­tion est restée ain­si jusqu’à la fin du 18e siè­cle, à l’intérieur de ces pos­ses­sions espag­noles et por­tu­gais­es, de grands pro­prié­taires com­mençaient à bien pren­dre leurs ais­es. Aus­si voy­aient-ils d’un mau­vais œil les impôts espag­nols et por­tu­gais et ont donc poussé vers l’indépendance de leur zone géo­graphique.
Les Argentins ont obtenu cela en 1816 (9 juil­let), mais les Espag­nols se sont retranchés dans la par­tie est du Pays, l’actuel Uruguay qui n’a donc pas béné­fi­cié de cette indépen­dance pour­tant signée pour toutes les Provinces-Unies du Rio de la Pla­ta.
Le 12 octo­bre 1822, le Brésil (7 sep­tem­bre) proclame son indépen­dance vis-à-vis du Por­tu­gal par la voix du prince Pedro de Alcân­tara qui se serait écrié ce jour-là, l’indépen­dance ou la mort ! Il est finale­ment mort, mais en 1934 et le brésil était « libre » depuis au moins 1825.
Dans son His­toire du Brésil, Armelle Enders, remet en cause cette déc­la­ra­tion du prince héri­ti­er de la couronne por­tu­gaise qui s’il déclare l’indépendance, il instau­re une monar­chie con­sti­tu­tion­nelle et Pedro de Alcân­tara devient le pre­mier empereur du Brésil sous le nom de Pierre Ier. Révo­lu­tion­naire, oui, mais empereur…
Donc, en Uruguay, ça ne s’est pas bien passé. Arti­gas qui avait fait par­tie des insti­ga­teurs de l’indépendance de l’Argentine a été con­traint de s’exiler au Paraguay à la suite de trahisons, ain­si que des dizaines de mil­liers d’Uruguayens. Par­mi eux, Juan Anto­nio Lavalle­ja et Manuel Oribe.

Juan Anto­nio Lavalle­ja (pho­tos de gauche) et Manuel Oribe, les meneurs des 33 ori­en­tales. Ils seront tous les deux prési­dents de le la république uruguayenne.

Où on en vient, enfin, aux 33 orientales

Après de ter­ri­bles péripéties, notam­ment de Lavalle­ja con­tre les Por­tu­gais-Brésiliens qui avaient finale­ment délogé les Espag­nols de Mon­te­v­ideo en 1816, il fut fait pris­on­nier et exilé jusqu’en 1821. L’année suiv­ante, le Brésil obte­nait son indépen­dance, tout au moins son début d’indépendance. Lavalle­ja se ral­lia du côté de Pierre 1er, voy­ant en lui une meilleure option pour obtenir l’indépendance de son pays.
En 1824, il est déclaré déser­teur pour être allé à Buenos Aires. Son but était de repren­dre le pro­jet d’Artigas et d’unifier les Provinces du Rio de la Pla­ta.
Une équipe de 33 hommes a donc fait la tra­ver­sée du Rio Uruguay. Une fois sur l’autre rive, ils ont prêté ser­ment sur la Playa de la Agra­ci­a­da (ou ailleurs, il y a deux points de débar­que­ment poten­tiel, mais cela ne change rien à l’affaire).

El jura­men­to de los 33 ori­en­tales sur la plage selon le pein­tre Juan Manuel Blanes et l’emplacement du débar­que­ment (dans le cer­cle rouge). La pyra­mide com­mé­more cet événe­ment.

Ce débar­que­ment et ce ser­ment, le jura­men­to de los 33 ori­en­tales mar­quent le début de la guerre d’indépendance qui se pro­longera dans d’autres guer­res surnom­mées Grande et Petite. Les Bri­tan­niques furent mis dans l’affaire, mais ils pen­sèrent plus aux leurs, d’affaires, que d’essayer d’aider, n’est-ce pas Mon­sieur Can­ning (qui a depuis per­du la rue qui por­tait son nom et qui s’appelle désor­mais Scal­abri­ni Ortiz) ? Le salon Can­ning con­nu de tous les danseurs de tan­go est juste­ment situé dans la rue Scal­abri­ni Ortiz (anci­en­nement Can­ning).
Les Argentins, dont le prési­dent Riva­davia espérait uni­fi­er l’ancienne province ori­en­tale à l’Argentine, ils se sont donc embar­qués dans la guerre, mais le coût dépas­sait sen­si­ble­ment les ressources disponibles. Le Brésil rece­vait l’aide directe des Anglais, l’affaire était donc assez mal engagée pour les indépen­dan­tistes uruguayens.
Un pro­jet de traité en 1827 fut rejeté, jugé humiliant par les Argentins et futurs Uruguayens indépen­dants.
La Province de Buenos Aires, dirigée par Dor­rego, le Sénat et l’empereur du Brésil se mirent finale­ment d’accord en 1928. Juan Manuel de Rosas était égale­ment favor­able au traité ren­dant l’Uruguay indépen­dant bien que Dor­rego et Rosas ne fai­saient pas bon ménage. L’exécution de Dor­rego coïn­cide avec l’ascension au pou­voir de De Rosas et ce n’est pas un hasard…
L’histoire ne se ter­mine pas là. Nos deux héros, Juan Anto­nio Lavalle­ja et Manuel Oribe qui avaient fait la tra­ver­sée des 33 sont tous les deux devenus prési­dents de l’Uruguay et de grande guerre à petite guerre, ce sont plusieurs décen­nies de pagaille qui s’en suivirent. L’indépendance et la mise en place de l’Uruguay n’ont pas été sim­ples à met­tre en œuvre. Les paroles du tan­go de Pereyra et Bar­reto nous rap­pel­lent que ces années firent des vic­times.
Les 33 ori­en­tales restent dans le sou­venir des deux peu­ples voisins du Rio de la Pla­ta. À Buenos Aires, une rue porte ce nom, elle va de l’avenue Riva­davia à l’avenue Caseros et sem­ble se con­tin­uer par une des rues les plus cour­tes de Buenos Aires, puisqu’elle mesure 50 m, la rue Trole… Au nord, de l’autre côté de Riva­davia, elle prend le nom de Raw­son, mais, si c’est aus­si un tan­go, c’est aus­si une autre his­toire.

Alors, à demain, les amis !

Los 33 ori­en­tales. La tra­ver­sée par les 33. Ne soyez pas éton­né par le dra­peau bleu-blanc-rouge, c’est effec­tive­ment celui des 33. Vous pou­vez le voir sur le tableau de Juan Manuel Blanes.

La gayola 1941-06-23 — Orquesta Francisco Lomuto con Fernando Díaz

Rafael Eulogio Tuegols Letra: Armando José María Tagini

La gay­ola, je suis sûr que cer­tains ont l’habitude de l’apprécier par Rodriguez et Moreno. Mon célèbre esprit de con­tra­dic­tion et la date du jour fait que je vous pro­pose une ver­sion moins con­nue, mais tout à fait intéres­sante. Elle a été enreg­istrée deux semaines plus tard par Fran­cis­co Lomu­to et Fer­nan­do Díaz.

Extrait musical

La gay­ola 1941-06-23 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to con Fer­nan­do Díaz.

Le stac­ca­to ini­tial de l’orchestre donne le ton. C’est une ver­sion énergique. Cepen­dant, elle alterne avec des pas­sages plus doux. C’est une inter­pré­ta­tion en con­traste, sans monot­o­nie et qui reste dans­able de bout en bout.

Éditée par Julio Korn, dont nous avons par­lé à divers­es repris­es, La gay­ola, par­ti­tion pour piano avec Rodriguez en cou­ver­ture.

Paroles

¡No te asustes ni me huyas !… No he venido pa’ ven­garme
si mañana, jus­ta­mente, yo me voy pa’ no volver…
He venido a des­pedirme y el gus­ta­zo quiero darme
de mirarte frente a frente y en tus ojos con­tem­plarme,
silen­ciosa, larga­mente, como me mira­ba ayer…

He venido pa’que jun­tos recordemos el pasa­do
como dos buenos ami­gos que hace rato no se ven;
a acor­darme de aquel tiem­po en que yo era un hom­bre hon­ra­do
y el car­iño de mi madre era un pon­cho que había echa­do
sobre mi alma noble y bue­na con­tra el frío del des­dén.

Una noche fue la muerte quien vis­tió mi alma de due­lo
a mi bue­na
(tier­na) madrecita la llamó a su lado Dios…
Y en mis sueños parecía que la pobre, des­de el cielo,
me decía que eras bue­na, que con­fi­ara siem­pre en vos.

Pero me jugaste sucio y, sedi­en­to de ven­gan­za…
mi cuchil­lo en un mal rato envainé en un corazón…
y, más tarde, ya sereno, muer­ta mi úni­ca esper­an­za,
unas lágri­mas rebeldes
(amar­gas) las sequé en un bodegón.

Me encer­raron muchos años en la sór­di­da gay­ola
y una tarde me libraron… pa’ mi bien…o pa’ mi mal…
Fui sin rum­bo por las calles y rodé como una bola;
Por la gra­cia de un men­dru­go, ¡cuán­tas veces hice cola!
las auro­ras me encon­traron largo a largo en un umbral.

Hoy ya no me que­da nada; ni un refu­gio… ¡Estoy tan pobre!
Sola­mente vine a verte pa’ dejarte mi perdón…
Te lo juro; estoy con­tento que la dicha a vos te sobre…
Voy a tra­ba­jar muy lejos…a jun­tar algunos cobres
pa’ que no me fal­ten flo­res cuan­do esté den­tro ‘el cajón.

Rafael Eulo­gio Tue­gols Letra: Arman­do José MaríaTagi­ni

Fer­nan­do Díaz chante tout ce qui est en gras.
Arman­do Moreno chante ce qui est en bleu.
(Entre par­en­thès­es, des vari­antes des paroles).
Gardel chante encore d’autres vari­antes que je ne repro­duis pas ici.

Traduction libre et indications

N’aie pas peur et ne me fuis pas… Je ne suis pas venu me venger si demain, juste­ment, je pars pour ne plus revenir…
Je suis venu te dire au revoir et je veux me don­ner le plaisir de te regarder face à face et dans tes yeux me con­tem­pler, en silence, pen­dant un long moment, comme tu me regar­dais autre­fois (ayer est hier, ou le passé, comme ici)
Je suis venu pour qu’ensemble nous puis­sions nous sou­venir du passé comme deux bons amis qui ne se sont pas vus depuis longtemps ; de me sou­venir de cette époque où j’étais un homme hon­nête et où l’affection de ma mère était un pon­cho que j’avais jeté sur ma noble et bonne âme con­tre le froid du dédain.
Une nuit, c’est la mort qui a revê­tu mon âme de deuil, ma ten­dre petite mère l’a appelée à ses côtés, Dieu…
Et dans mes rêves, il me sem­blait que la pau­vre créa­ture, du ciel, me dis­ait que tu étais bonne, que je devais tou­jours te faire con­fi­ance.
Mais tu m’as joué sale­ment et, assoif­fé de vengeance…
mon couteau dans un mau­vais moment, je l’ai four­ré dans un cœur…
Et, plus tard, déjà sere­in, mon seul espoir mort, j’ai séché quelques larmes amères dans un bodegón (restau­rant pop­u­laire).
Ils m’ont enfer­mé pen­dant de nom­breuses années dans la sor­dide geôle et une après-midi ils m’ont libéré… pour mon bien… ou pour mon mal…
J’errais sans but dans les rues et roulais comme une balle ; par la grâce d’un quignon de pain, com­bi­en de fois j’ai fait la queue !
Les aurores me trou­vèrent bien sou­vent sur un pas de porte.
Aujourd’hui, il ne me reste rien ; pas un refuge… Je suis si pau­vre !
Je suis seule­ment venu te voir que pour te laiss­er mon par­don…
Je te jure ; je suis heureux que le bon­heur te sourie…
Je vais tra­vailler très loin… pour récolter quelques piécettes (cobres, pièces de menue mon­naie en cuiv­re) afin de ne pas man­quer de fleurs quand je serai dans le cer­cueil.

Autres versions

La gay­ola 1927-05-19 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro. Cette pre­mière ver­sion est instru­men­tale.
La gay­ola 1927-08-20 — Car­los Gardel con acomp. de Guiller­mo Bar­bi­eri, José Ricar­do (gui­tar­ras).
La gay­ola 1941-06-09 — Enrique Rodriguez con Arman­do Moreno.
La gay­ola 1941-06-23 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to con Fer­nan­do Díaz. C’est notre tan­go du jour.

Et on ter­mine par qua­tre ver­sions à écouter.

La gay­ola 1957-07-22 — Arman­do Pon­tier con Julio Sosa.

Peu de temps après, Julio Sosa se détachera de l’orchestre de Pon­tier pour faire car­rière solo et il se rap­prochera de l’orchestre de Fed­eri­co qui l’accompagnera jusqu’à sa mort.

La gay­ola — Edmu­do Rivero accomp. Gui­tare.
La gay­ola — Edmun­do Rivero accomp. Hora­cio Sal­gan.

Il est intéres­sant d’écouter deux ver­sions, une à la gui­tare et l’autre avec un orchestre.

On ter­mine par Julio Sosa en vidéo. Moins d’un an plus tard, il trou­vait la mort dans un acci­dent de la route, juste après avoir chan­té ce titre avec l’orchestre de Leopol­do Fed­eri­co. En effet, c’était sa « cumpar­si­ta ». Il ter­mi­nait tou­jours ses presta­tions par La gay­ola.
Esto es mi hom­e­na­je al Varón del tan­go.

Julio Sosa chante la gay­ola avec l’orchestre de Leopol­do Fed­eri­co.
La gay­ola.

La gay­ola, la geôle, la prison. Remar­quez le numéro sur la porte… Cela vous rap­pelle un autre tan­go ?

La payanca 1936-06-09 — Orquesta Juan D’Arienzo

Augusto Pedro Berto Letra: Juan Andrés Caruso (V1) — Jesús Fernández Blanco (V2)

La payan­ca par D’Arienzo dans la ver­sion de 1936 est un des très gros suc­cès des milon­gas. Peut-être vous-êtes-vous demandé d’où venait le nom de ce tan­go ? Si ce n’est pas le cas, lais­sez-moi vous l’indiquer t vous faire décou­vrir une ving­taine de ver­sions et vous présen­ter quelques détails sur ce titre.

Extrait musical

Par­ti­tion pour piano de la Payan­ca. Cou­ver­ture orig­i­nale à gauche et Par­ti­tion de piano à droite avec les paroles de Jesús Fer­nán­dez Blan­co (les plus récentes).
La payan­ca 1936-06-09 — Orques­ta Juan D’Arienzo.

C’est un des pre­miers enreg­istrements où Bia­gi se lâche. Le con­tre­bassiste, Rodol­fo Duclós mar­que un rythme à la « Yum­ba » qui devien­dra une car­ac­téris­tique de Pugliese. Les vio­lons de Alfre­do Mazzeo, León Zibaico, Domin­go Man­cu­so et Fran­cis­co Manci­ni font des mer­veilles. Une ver­sion énergique, eupho­risante, sans doute la toute pre­mière à utilis­er pour faire plaisir aux danseurs.
On remar­que qu’il est indiqué « Sobre motivos pop­u­lares ». En effet, on recon­naî­tra des thèmes tra­di­tion­nels, notam­ment de gato (une sorte de chacar­era), mais mod­i­fié en tan­go.
On remar­quera égale­ment qu’il est indiqué « Tan­go Milon­ga », ce qui sig­ni­fie que c’est un tan­go pour danser. Cepen­dant, nous ver­rons que ce thème a égale­ment été bas­culé franche­ment du côté de la milon­ga pure et dure dans d’autres enreg­istrements.

Trois ver­sions de cou­ver­ture de la par­ti­tion. À gauche, la plus anci­enne, sans auteur de paroles. Au cen­tre, avec les paroles de Caru­so et à droite, avec les paroles de Blan­co.

Origine du titre

Dans son livre, Así nacieron los tan­gos, Fran­cis­co Gar­cía Jiménez, racon­te que le tan­go est né lors d’une fête à la cam­pagne en l’honneur d’une per­son­nal­ité locale qui venait d’être élue tri­om­phale­ment, des musi­ciens avaient joué des airs de l’intérieur, dont un gato (sorte de charar­era) duquel il restait : “Laraira lar­alaila; laira laraira…”. Il est impos­si­ble de retrou­ver le gato à par­tir de cette sim­ple indi­ca­tion, car laraira… c’est comme tralala. C’est ce que chantent les payadors quand ils cherchent leurs mots (ils chan­taient en inven­tant les paroles à la volée). Cer­tains textes de ces musiques ont été fixés et écrits par la suite et nom­bre d’entre eux com­por­tent Laraira lar­alaila; laira laraira ou équiv­a­lent :

  • La,lara,laira,laira,la dans Pago viejo (chacar­era, mais le rythme est proche du gato),
  • Lara lara laira larai ñarai lá dans Corazón ale­gre (bailecito)
  • Trala lará lar­ala lará lar­ala lará lará dans El pala pala (danse, dan­za)
  • Lará, larará, laraira, Lará, larará, laraira, dans Cabeza col­ora­da
  • La ra lara la ra la la ra la ra la ra la dans La San­lorenci­na (Cuen­ca)
  • La lalara la la la la la la La la lara la la la la la la La la lara la la lara la la dans Dios a la una (chan­son).
  • Tra lara lara lara tra lara lero dans Que se ven­gan los chicos (Bailecito)
  • La lara la la la la La lara la la la la dans La charar­era del adios (chacar­era)
  • Lar­ala lar­ala lara lara lara lara lara dans Amiga­zo pa’ sufrir (huel­la)
  • La lara lara larará… lara lara larará… lara lara larará… dans Can­tar de coya (Car­naval­i­to)
  • Lara lara lara lara dans Muchacha de mayo (Chan­son).

Je n’ai pas trou­vé de gato avec l’indication, mais il est fort prob­a­ble que Berto ait enten­du une impro­vi­sa­tion, le lara lara étant une façon de meubler quand les paroles ne vien­nent pas.
Donc Berto a enten­du ce gato ou gato polquea­do et il eut l’idée de l’adapter en tan­go. Lui à la gui­tare et Durand à la flûte l’ont adap­té et joué. Ce titre a tout de suite été un suc­cès et comme sou­vent à l’époque, il est resté sans être édité pen­dant onze années. Comme la plu­part des orchestres jouaient le titre, il était très con­nu et les danseurs et divers paroliers lui ont don­né des paroles, plus ou moins recom­mand­ables. N’oublions pas où évolu­ait le tan­go à cette époque.
Deux de ces paroles nous sont par­v­enues, celles de Caru­so et celles de Blan­co. Les sec­on­des sont plus osées et cor­re­spon­dent assez bien à cet univers.
Il reste à pré­cis­er pourquoi il s’appelle payan­ca. Selon Jiménez, Berto aurait dit tout de go que ce tan­go s’appelait ain­si quand il fut som­mé de don­ner un titre. Il sem­blerait que Berto ait don­né sa pro­pre ver­sion de l’histoire, en affir­mant que le titre serait venu en voy­ant des gamins jouer avec un las­so à attrap­er des poules. Un adulte leur aurait crié “¡Pialala de payan­ca!”, c’est-à-dire tire la avec un mou­ve­ment de payan­ca. Il indi­quait ain­si la meilleure façon d’attraper la poule avec le las­so.
L’idée du las­so me sem­ble assez bonne dans la mesure où les trois par­ti­tions qui nous sont par­v­enues illus­trent ce thème.
Voici une vidéo qui mon­tre la tech­nique de la Payan­ca qui est une forme par­ti­c­ulière de lancer du las­so pour attrap­er un ani­mal qui court en le faisant choir.

Dans cette vidéo, on voit un pial (lance­ment du las­so) pour attrap­er un bovidé à l’aide de la tech­nique « Payan­ca ». Elle con­siste à lancer le las­so (sans le faire tourn­er) de façon à entraver les antérieurs de l’animal pour le déséquili­br­er et le faire tomber. Âmes sen­si­bles s’abstenir, mais c’est la vie du gau­cho. Ici, un joli coup par le gau­cho Mil­ton Mar­i­ano Pino.

Pour être moins incom­plet, je pour­rai pré­cis­er que la payan­ca ou payana ou payan­ga ou payaya est un jeu qui se joue avec cinq pier­res et qui est très proches au jeu des osse­lets. L’idée de ramass­er les pier­res en quechua se dit pal­lay, ce qui sig­ni­fie col­lec­tion­ner, ramass­er du sol. Que ce soit attrap­er au las­so ou ramass­er, le titre joue sur l’analogie et dans les deux cas, le principe est de cap­tur­er la belle, comme en témoignent les paroles.

Paroles de Juan Andrés Caruso

¡Ay!, una payan­ca io
quiero arro­jar
para enlazar
tu corazón
¡Qué va cha che!
¡Qué va cha che !
Esa payan­ca será
cert­era
y ha de apris­onar
todo tu amor
¡Qué va cha che !
¡Qué va cha che !
Por que yo quiero ten­er
todo entero tu quer­er.

Mira que mi car­iño es un tesoro.
Mira que mi car­iño es un tesoro.
Y que pior que un niño po’ ella « yoro »…
Y que pior que un niño po’ ella « yoro »…

Payan­ca de mi vida, ay, io te imploro.
Payan­ca de mi vida, ay, io te imploro,
que enlaces para siem­pre a la que adoro…
que enlaces para siem­pre a la que adoro…
Augus­to Pedro Berto Letra: Juan Andrés Caru­so

Augus­to Pedro Berto Letra: Juan Andrés Caru­so

Traduction libre des paroles de Juan Andrés Caruso

Yeh ! une payan­ca (payan­ca attrap­er au las­so). Moi, (Io pour yo = je), je veux lancer pour enlac­er (enlac­er du las­so…) ton cœur.
Que vas-tu faire ! (¿Qué va cha ché ? ou Qué vachaché Est aus­si un tan­go écrit par Enrique San­tos Dis­cépo­lo)
Que vas-tu faire !
Cette payan­ca sera par­faite et empris­on­nera tout ton amour.
Que vas-tu faire ?
Que vas-tu faire ?
Parce que je veux avoir tout ton amour.

Regarde, mon affec­tion est un tré­sor.
Regarde, mon affec­tion est un tré­sor.
Et quoi de pire qu’un enfant qui pleure pour elle…
Et quoi de pire qu’un enfant qui pleure pour elle…

Payan­ca de ma vie, oui, je t’en sup­plie (il par­le à son coup de las­so pour attrap­er le cœur de sa belle).
Payan­ca de ma vie, oui, je t’en sup­plie,
que tu enlaces pour tou­jours celle que j’adore…
que tu enlaces pour tou­jours celle que j’adore…
La métaphore rurale et gauch­esque est poussée à son extrémité. Il com­pare la cap­ture du cœur de sa belle à une passe de las­so. Dans le genre galant, c’est moyen, mais cela rap­pelle que la vie du gau­cho est une source d’inspiration pour le tan­go et en cela, je ne partage pas l’avis de Jorges Luis Borges pour quoi le tan­go est unique­ment urbain et vio­lent.

Paroles de Jesús Fernández Blanco

Con mi payan­ca de amor,
siem­pre mimao por la mujer,
pude enlazar su corazón…
¡Su corazón !
Mil bocas como una flor
de juven­tud, supe besar,
has­ta saciar mi sed de amor…
¡Mi sed de amor !

Ningu­na pudo escuchar
los tri­nos de mi can­ción,
sin ofre­cerse a brindar
sus besos por mi pasión…
¡Ay, quién pudiera volver
a ser moc­i­to y can­tar,
y en bra­zos de la mujer
la vida feliz pasar !

Payan­ca, payan­qui­ta
de mis amores,
mi vida la llenaste
de res­p­lan­dores…
¡Payan­ca, payan­qui­ta
ya te he per­di­do
y sólo tu recuer­do
fiel me ha segui­do!

Con mi payan­ca logré
a la mujer que me gustó,
y del rival siem­pre tri­un­fé.
¡Siem­pre tri­un­fé!
El fuego del corazón
en mi can­tar supe pon­er,
por eso fui rey del amor…
¡Rey del amor!

Jesús Fer­nán­dez Blan­co

Traduction, libre des paroles de Jesús Fernández Blanco

Avec ma payan­ca d’amour (je ne sais pas quoi en penser, admet­tons que c’est son coup de las­so, mais il peut s’agir d’un autre attrib­ut du galant), tou­jours choyée par les femmes, j’ai pu enlac­er ton cœur…
Ton cœur !
Mille bouch­es comme une fleur de jou­vence, j’ai su embrass­er, jusqu’à étanch­er ma soif d’amour…
Ma soif d’amour !

Aucune ne pou­vait enten­dre les trilles de ma chan­son, sans offrir ses bais­ers à ma pas­sion…
Yeh, qui pour­rait rede­venir un petit garçon et chanter, et pass­er dans les bras de la femme, la vie heureuse !

Payan­ca, payan­qui­ta de mes amours (Payan­ca, petite payan­ca, on ne sait tou­jours pas ce que c’est…), tu as rem­pli ma vie de bril­lances…
Payan­ca, payan­qui­ta Je t’ai déjà per­due et seul ton sou­venir fidèle m’a suivi !

Avec ma payan­ca, j’ai eu la femme que j’aimais, et du rival, j’ai tou­jours tri­om­phé.
J’ai tou­jours tri­om­phé !
J’ai su met­tre le feu du cœur dans ma chan­son (la payan­ca pour­rait être sa chan­son, sa façon de chanter), c’est pourquoi j’étais le roi de l’amour…
Le roi de l’amour !

Autres versions

La payan­ca 1917-05-15 — Orq. Eduar­do Aro­las con Pan­cho Cuevas (Fran­cis­co Nicolás Bian­co).

Prob­a­ble­ment la plus anci­enne ver­sion enreg­istrée qui nous soit par­v­enue. Il y a un petit doute avec la ver­sion de Celesti­no Fer­rer, mais cela ne change pas grand-chose. Pan­cho Cue­va à la gui­tare et au chant et le tigre du Ban­donéon (Eduar­do Aro­las) avec son instru­ment favori. On notera que si le tan­go fut com­posé vers 1906, sans paroles, il en avait en 1917, celles de Juan Andrés Caru­so.

La payan­ca 1918-03-25 (ou 1917-03-12) — Orques­ta Típi­ca Fer­rer (Orques­ta Típi­ca Argenti­na Celesti­no).

Le plus ancien enreg­istrement ou le sec­ond, car il y a en fait deux dates, 1917-03-12 et 1918-03-25. Je pense cepen­dant que cette sec­onde date cor­re­spond à l’édition réal­isée à New York ou Cam­dem, New Jer­sey. On remar­quera que l’orchestre com­porte une gui­tare, celle de Celesti­no Fer­rer qui est aus­si le chef d’orchestre, une flûte, jouée par E. San­ter­amo et un accordéon par Car­los Güeri­no Fil­ipot­to. Deux vio­lons com­plè­tent l’orchestre, Gary Bus­to et L. San Martín. Le piano est tenu par une femme, Car­la Fer­rara. C’est une ver­sion pure­ment instru­men­tale. Après avoir été un des pio­nniers du tan­go en France, Celesti­no Fer­rer s’est ren­du aux USA où il a enreg­istré de nom­breux titres, dont celui-ci.

La payan­ca 1926-12-13 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor, direc­tion Adol­fo Cara­bel­li.

Une ver­sion un peu plus mod­erne qui béné­fi­cie de l’enregistrement élec­trique. Mais on peut mieux faire, comme on va le voir bien­tôt.

La payan­ca 1936-06-09 — Orques­ta Juan D’Arienzo. C’est notre tan­go du jour.

J’ai déjà dit tout le bien que je pen­sais de cette ver­sion, à mon avis, insur­passée, y com­pris par D’Arienzo lui-même…

Trío de Gui­tar­ras (Iri­arte-Pagés-Pesoa).

Le trio de gui­tares de Iri­arte, Pagés et Pesoa ne joue pas dans la même caté­gorie que D’Arienzo. C’est joli, pas pour la danse, un petit moment de sus­pen­sion.

La payan­ca 1946-10-21 — Rober­to Fir­po y su Nue­vo Cuar­te­to.

Pour revenir au tan­go de danse, après la ver­sion de D’Arienzo, cette ver­sion paraît frag­ile, notam­ment, car c’est un quar­tet­to et que donc il ne fait pas le poids face à la machine de D’Arienzo. On notera tout de même une très belle par­tie de ban­donéon. La tran­si­tion avec le trio de gui­tares a per­mis de lim­iter le choc entre les ver­sions.

La payan­ca 1949-04-06 — Orques­ta Juan D’Arienzo.

On retrou­ve la grosse machine D’Arienzo, mais cette ver­sion est plus anec­do­tique. Cela peut pass­er en milon­ga, mais si je dois choisir entre la ver­sion de 1936 et 1949, je n’hésite pas une sec­onde.

La payan­ca 1952-10-01 — Enrique Mora y su Cuar­te­to Típi­co.

Encore un quar­tet­to qui passe après D’Arienzo. Si cette ver­sion n’est pas pour la danse, elle n’est pas désagréable à écouter, sans toute­fois provo­quer d’enthousiasme déli­rant… Le final est assez sym­pa.

La payan­ca 1954-11-10 — Orques­ta Juan D’Arienzo.

Eh oui, encore D’Arienzo qui décidé­ment a appré­cié ce titre. Ce n’est assuré­ment pas un grand D’Arienzo. Je ne sais pas si c’est meilleur que la ver­sion de 49. Par cer­tains côtés, oui, mais par d’autres, non. Dans le doute, je m’abstiendrai de pro­pos­er l’une comme l’autre.

La payan­ca 1957-04-12 — Orques­ta Héc­tor Varela.

On est dans tout autre chose. Mais cela change sans être un titre de danse à ne pas oubli­er. On perd la dimen­sion énergique du gau­cho qui con­quiert sa belle avec son las­so pour plonger dans un roman­tisme plus appuyé. Cepen­dant, cette ver­sion n’est pas niaise, le ban­donéon dans la dernière vari­a­tion vaut à lui seul que l’on s’intéresse à ce titre.

La payan­ca 1958 — Los Mucha­chos de antes.

Avec la gui­tare et la flûte, cette petite com­po­si­tion peut don­ner une idée de ce qu’aurait pu être les ver­sions du début du vingtième siè­cle, si elles n’avaient pas été bridées par les capac­ités de l’enregistrement. On notera que cette ver­sion est la plus proche d’un rythme de milon­ga et qu’elle pour­rait rem­plir son office dans une milon­ga avec des danseurs intimidés par ce rythme.

La payan­ca 1959 — Miguel Vil­las­boas y su Quin­te­to Típi­co.

Les Uruguayens sont restés très fana­tiques du tan­go milon­ga. En voici une jolie preuve avec Miguel Vil­las­boas.

La payan­ca 1959-03-23 — Dona­to Rac­ciat­ti y sus Tangueros del 900.

Oui, ce tan­go inspire les Uruguayens. Rac­ciat­ti en donne égale­ment sa ver­sion la même année.

La payan­ga 1964 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Pas évi­dent de recon­naître notre thème du jour dans la ver­sion de Pugliese. C’est une ver­sion per­due pour les danseurs, mais qu’il con­vient d’apprécier sur un bon sys­tème sonore.

La payan­ca 1964-07-29 — Quin­te­to Pir­in­cho dir. Fran­cis­co Canaro.

De la même année que l’enregistrement de Pugliese, on mesure la diver­gence d’évolution entre Pugliese et Canaro. Cepen­dant, pour les danseurs, la ver­sion du Quin­te­to pir­in­cho, dirigé pour une des toutes dernières fois par Canaro sera la préférée des deux…

La payan­ca 1966-07-25 — Orques­ta Juan D’Arienzo.

D’Arienzo se situe entre Pugliese et Canaro pour cet enreg­istrement qua­si­ment con­tem­po­rain, mais bien sûr bien plus proche de Canaro. Ce n’est pas vrai­ment un titre de danse, mais il y a des élé­ments intéres­sants. Défini­tive­ment, je l’avoue, je reste avec la ver­sion de 1936.

La payan­ga 1984 — Orques­ta Alber­to Nery con Quique Oje­da y Víc­tor Ren­da.

Alber­to Nery fut pianiste d’Edith Piaf en 1953. Ici, il nous pro­pose une des rares ver­sions chan­tées, avec les paroles de Jesús Fer­nán­dez Blan­co. Vous aurez donc les deux ver­sions à écouter. Hon­nête­ment, ce n’est pas beau­coup plus intéres­sant que l’enregistrement de Eduar­do Aro­las et Pan­cho Cuevas antérieur de près de 70 ans. On notera toute­fois le duo final qui relève un peu l’ensemble.

La payan­ca 2005 — Cuar­te­to Guardia Vie­ja.

Pour ter­min­er en fer­mant la boucle avec une ver­sion à la saveur début du vingtième siè­cle, je vous pro­pose une ver­sion par le Cuar­te­to Guardia Vie­ja.

À demain, les amis !

Melodía de arrabal (film) — 1933-04-05

Met­teur en scène : Louis Joseph Gas­nier Scé­nario Alfre­do Le Pera.

Melodía de arra­bal, c’est le retour de Car­los Gardel au ciné­ma dans un film réal­isé par le réal­isa­teur français, Louis Joseph Gas­nier. Com­ment un film français, réal­isé en France, nous apprend ce qui se pas­sait dans le milieu du tan­go argentin au début du vingtième siè­cle.

Bien sûr, ce film n’est pas un doc­u­men­taire et on pour­rait con­sid­ér­er qu’il exploite des clichés sur le tan­go portègne. Cepen­dant, ces mêmes clichés sont ceux qui nour­ris­sent les paroles et l’imaginaire des tan­gos, imag­i­naire où des jeunes gens un peu hâbleurs et bagar­reurs séduisent de belles ingénues, ingénues qui se révè­lent avoir du car­ac­tère ou d’autres aspi­ra­tions.
À ceux qui peu­vent s’étonner qu’un film sur Buenos Aires soit tourné à Paris, avec des acteurs argentins ou espag­nols par une société améri­caine (Para­mount), je répondrai que c’est une preuve de l’internationalisation rapi­de du tan­go.
Je vous pro­pose aujourd’hui quelques élé­ments de la romance de Buenos Aires autour de ce film sor­ti au ciné­ma le 5 avril 1933.

Les acteurs

Car­los Gardel (Rober­to Ramírez), Impe­rio Argenti­na (Ali­na), Vicente Padu­la (Gutiér­rez), Jaime Devesa (Ran­cales, le truand), Hele­na D’Al­gy (Mar­ga), Felipe Sas­sone (Empre­sario), Manuel París (Mal­don­a­do), José Argüelles (Julián), Josi­ta Hernán.

Car­los Gardel et Impe­rio Argenti­no à l’époque du tour­nage du film (fin 1932).

L’intrigue

Rober­to Ramírez, inter­prété par Car­los Gardel, est un vau­rien qui vit dans les cafés de la ban­lieue de Buenos Aires. Il est tricheur et se pique de chanter le tan­go.
Ali­na (jouée par Impe­rio Argenti­na) qui est pro­fesseur de chant l’entend chanter et lui con­seille de se lancer dans le méti­er.
Rober­to Ramírez (Gardel) décide de suiv­re ses con­seils et d’améliorer sa vie. Mal­heureuse­ment, il tue acci­den­telle­ment un truand qui menaçait de dévoil­er ses mau­vais pen­chants à Ali­na, qui croit que c’est un brave gars (ce qui n’est pas faux).
Si on passe les péripéties de l’enquête poli­cière (dont le rebondisse­ment final est amu­sant), on notera qu’Alina cherche à faire enten­dre Rober­to, son pro­tégé à un pro­duc­teur joué par Felipe Sas­sone.
Ce n’est pas si facile, car Gardel ne souhaite pas se dévoil­er en pub­lic, mais le pro­duc­teur sous le charme d’Alina accepte d’écouter Gardel dans une soirée privée chez lui.
Lors de cette soirée, le pro­duc­teur fait chanter Ali­na, puis celle-ci enjoint à Gardel de chanter.
Si on me per­met cette audace, c’est aus­si lors de cette soirée que le truand Ran­cales essaye égale­ment de faire chanter Gardel, mais d’une autre façon et qu’il ter­min­era mort dans une scène à la Agatha Christie.
C’est un suc­cès, le pro­duc­teur fait venir Gardel, par­don, Rober­to dans son théâtre et l’y fait chanter.
C’est là qu’il va chanter Silen­cio avec beau­coup de suc­cès. C’est net­te­ment le temps fort du film. On com­pren­dra pourquoi en lisant ma notice sur Silen­cio…
La ver­sion du film que je pro­pose enchaîne de façon étrange sur Melodía de arra­bal. Est-ce le même jour, pas sûr. Les ellipses dans ce film sont moyennes. Par exem­ple, quand Ran­cales, le truand joué par Jaime Devesa sort de prison, on risque de ne pas capter qu’il s’est passé un an. Un an sans voir Ali­na, qui lui avait pro­posé de l’aider à chanter. On le sait unique­ment par un dia­logue de Gardel un peu plus tard. Dans le cas présent, je pense que le change­ment de cos­tume est cen­sé nous ren­seign­er.
Le film se ter­mine en par­fait retour arrière avec le début du film avec le disque 78 tours de Rober­to (Melodía de arra­bal) tour­nant sur un gramo­phone et la caméra qui se lance dans un long trav­el­ing arrière symétrique du trav­el­ing du début. On voit les badauds s’agglutiner à la devan­ture du mag­a­sin de disque. Le mot « fin » appa­raît sur le sol. Gardel, (Rober­to) est devenu chanteur de tan­go…

Quelques points de repère et moments forts du film

Cliquez sur les vidéos, vous irez directe­ment au moment sélec­tion­né. Ne vous fiez pas à l’im­age qui est tou­jours la même, vous irez bien au point indiqué en cli­quant sur l’im­age.

Pour voir le film en entier dans YouTube, cliquez sur ce lien.

Le film com­mence après un panoramique sur un long trav­el­ing avant qui suit Car­los Gardel (Rober­to) jusqu’à un mag­a­sin de dis­ques.
Quelques per­son­nes sont autour d’un phono­graphe qui passe une ver­sion instru­men­tale de Melodía de arra­bal. Gardel qui est entré y ren­con­tre Impe­ria (Ali­na). Il lui pro­pose de lui offrir le disque. Celle-ci refuse, mais Rober­to lui promet de lui chanter à chaque fois qu’il la crois­era.
https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=47
3 : 08 pour voir un peu de danse et l’ambiance recon­sti­tué dans un stu­dio de la région parisi­enne des lieux portègnes du début du vingtième siè­cle.
https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=188
37 : 15 No sé porqué, une habanera chan­tée par Impe­rio Argenti­na et Car­los Gardel en Duo. Une per­le ! José Sen­tis, l’auteur des paroles et de la musique était un pianiste et com­pos­i­teur né en Espagne. Il fut un des pio­nniers du tan­go à Paris. Ce titre témoigne de ses orig­ines.
https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=2234
46:28 Le bar­man utilise un shak­er comme des mara­cas, les danseurs dansent Jazz. N’oublions pas que les bals de l’époque étaient mixtes, tan­go et jazz. Con­tin­uez de regarder pour voir les gens danser et voir la fin de la danse quand… à 47 : 10, le maître de mai­son (le pro­duc­teur) arrête la musique sur laque­lle les gens dan­saient pour annon­cer l’intermède. On voit donc un bal privé util­isant des dis­ques. À la suite chante donc Impe­rio Argenti­na qui s’accompagne au piano.
https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=2788
50 : 09 Cuan­do tú no estás, une chan­son chan­tée par Car­los Gardel accom­pa­g­né au piano par Impe­rio Argenti­na. (Car­los Gardel et Mar­cel Lat­tés pour la musique et Alfre­do Le Pera et Mario Bat­tis­tel­la pour les paroles).
https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=3006
1 :11 :15 Silen­cio, par Car­los Gardel (Musique Car­los Gardel et Hora­cio G. Pet­torossi, paroles Alfre­do Le Pera et Hora­cio G. Pet­torossi). Nous avons présen­té ce mer­veilleux titre dans une anec­dote du jour Silen­cio. Remar­quez à l’arrière-plan la Orques­ta típi­ca Argenti­na de Juan Cruz Mateo.
https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=4256
1 :15 :07 Melodía de arra­bal, par Car­los Gardel (Car­los Gardel pour la musique et Alfre­do Le Pera et Mario Bat­tis­tel­la pour les paroles).
https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=4502
Reprise finale, pour la troisième fois de Melodía de arra­bal, cette fois sur le disque qu’il a enreg­istré. C’est la fin du film.
https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=4872

Quelques affiches et pochettes de DVD…

Vous pou­vez les regarder en écoutant, deux ver­sions très dif­férentes.

Melodía de arra­bal 1933-04-17 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Ernesto Famá. Canaro, comme il l’avait fait pour Silen­cio, pub­lie “la musique du film” dans sa ver­sion. Un bon mar­ket­ing, c’est tou­jours utile, non ? En plus, c’est une ver­sion de danse, alors, on ne va pas boud­er son plaisir.
Melodía de arra­bal 1965 — Orques­ta Miguel Caló con Raúl del Mar y glosas de Héc­tor Gagliar­di J’aime bien la glose ini­tiale. Et cette ver­sion est sym­pa­thique.

Recuerdo, 1944-03-31 — Orquesta Osvaldo Pugliese

Adolfo et/ou Osvaldo Pugliese Letra : Eduardo Moreno

Recuer­do serait le pre­mier tan­go écrit par Osval­do Pugliese. Ayant été édité en 1924, cela voudrait dire qu’il l’aurait écrit avant l’âge de 19 ans. Rien d’étonnant de la part d’un génie, mais ce qui est éton­nant, c’est le titre, Recuer­do (sou­venir), sem­ble plus le titre d’une per­son­ne d’âge mûr que d’un tout jeune homme, surtout pour une pre­mière œuvre. Essayons d’y voir plus clair en regroupant nos sou­venirs…

La famille Pugliese, une famille de musiciens

Osval­do est né en 1905, le 2 décem­bre. Bien que d’une famille mod­este, son père lui offre un vio­lon à l’âge de neuf ans, mais Osval­do préféra le piano.
Je vais vous présen­ter sa famille, tout d’abord avec un arbre généalogique, puis nous entrerons dans les détails en présen­tant les musi­ciens.

Adolfo Pugliese (1876–06-24 — 1945-02-09), le père, flûtiste, compositeur (?) et éditeur de musique

Comme com­pos­i­teur, on lui attribue :

Ausen­cia (Tan­go mío) (Tan­go de 1931), mais nous ver­rons, à la fin de cet arti­cle, qu’il y en a peut-être un autre, ou pas…
La légende veut qu’il soit un mod­este ouvri­er du cuir, comme son père qui était cor­don­nier, mais il était aus­si édi­teur de musique et flûtiste. Il avait donc plusieurs cordes à son arc.
De plus, quand son fils Osval­do a souhaité faire du piano, cela ne sem­ble pas avoir posé de prob­lème alors qu’il venait de lui fournir un vio­lon (qui pou­vait être partagé avec son frère aîné, cepen­dant). Les familles qui ont un piano ne sont pas les plus dému­nies…
Même si Adol­fo a écrit, sem­ble-t-il, écrit peu (ou pas) de tan­go, il en a en revanche édité, notam­ment ceux de ses enfants…
Voici deux exem­ples de par­ti­tion qu’il édi­tait. À droite, celle de Recuer­co, notre tan­go du jour. On remar­quera qu’il indique « musique d’Adolfo Pugliese » et la sec­onde de « Por una car­ta », une com­po­si­tion de son fils Alber­to, frère d’Osvaldo, donc.

Sur la cou­ver­ture de Recuer­do, le nom des musi­ciens de Julio de Caro, à savoir : Julio de Caro, recon­naiss­able à son vio­lon avec cor­net qui est égale­ment le directeur de l’orchestre., puis de gauche à droite, Fran­cis­co de Caro au piano, Pedro Maf­fia au ban­donéon (que l’on retrou­ve sur la par­ti­tion de Por una car­ta), Enrike Krauss à la con­tre­basse, Pedro Lau­renz au ban­donéon et Emilio de Caro, le 3e De Caro de l’orchestre…
Sur la par­ti­tion de Por una car­ta, les sig­na­tures des mem­bres de l’orchestre de Pedro Maf­fia : Elvi­no Var­daro, le mer­veilleux vio­loniste, Osval­do Pugliese au piano, Pedro Maf­fia au ban­donéon et directeur de l’orchestre, Fran­cis­co De Loren­zo à la con­tre­basse, Alfre­do De Fran­co au ban­donéon et Emilio Puglisi au vio­lon.

On voir qu’Adolfo gérait ses affaires et que donc l’idée d’un Osval­do Pugliese né dans un milieu déshérité est bien exagérée. Cela n’a pas empêché Osval­do d’avoir des idées généreuses comme en témoignent son engage­ment au par­ti com­mu­niste argentin et sa con­cep­tion de la répar­ti­tion des gains avec son orchestre. Il divi­sait les émol­u­ments en por­tions égales à cha­cun des mem­bres de l’orchestre, ce qui n’était pas la façon de faire d’autres orchestres ou le leader était le mieux payé…

Antonio Pugliese (1878–11-21— ????), oncle d’Osvaldo. Musicien et compositeur d’au moins un tango

Ce tan­go d’Antonio est : Qué mal hiciste avec des paroles d’Andrés Gaos (fils). Il fut enreg­istré en 1930 par Anto­nio Bonave­na. Je n’ai pas de pho­to du ton­ton, alors je vous pro­pose d’écouter son tan­go dans cette ver­sion instru­men­tale.

Que mal hiciste 1930 Orques­ta Anto­nio Bonave­na (ver­sion instru­men­tale)

Alberto Pugliese (1901–01-29- 1965-05-15), frère d’Osvaldo. Violoniste et compositeur

Curieuse­ment, les grands frères d’Osvaldo sont peu cités dans les textes sur le tan­go. Alber­to a pour­tant réal­isé des com­po­si­tions sym­pa­thiques, par­mi lesquelles on pour­rait citer :

  • Ado­ración (Tan­go) enreg­istré Orques­ta Juan Maglio « Pacho » avec Car­los Viván (1930–03-28).
  • Cabecitas blan­cas (Tan­go) enreg­istré par Osval­do et Chanel (1947–10-14)
  • Car­iño gau­cho (Milon­ga)
  • El char­quero (Tan­go de 1964)
  • El remate (Tan­go) dont son petit frère a fait une mag­nifique ver­sion (1944–06-01). Mais de nom­breux autres orchestres l’ont égale­ment enreg­istré.
  • Espinas (Tan­go) Enreg­istré par Fir­po (1927–02-27)
  • Milon­ga de mi tier­ra (Milon­ga) enreg­istrée par Osval­do et Jorge Rubi­no (1943–10-21)
  • Por una car­ta (Tan­go) enreg­istré par la Típi­ca Vic­tor (1928–06-26)
  • Soñan­do el Charleston (Charleston) enreg­istré par Adol­fo Cara­bel­li Jazz Band (1926–12-02).

Il en a cer­taine­ment écrit d’autres, mais elles sont encore à iden­ti­fi­er et à faire jouer par un orchestre qui les enreg­istr­era…
On notera que sa petite fille, Marcela est chanteuse de tan­go. Les gènes ont aus­si été trans­mis à la descen­dance d’Alberto.

Adolfo Vicente (Fito) Pugliese (1899— ????), frère d’Osvaldo. Violoniste et compositeur

Adol­fo Vicente (surnom­mé Fito pour mieux le dis­tinguer de son père Adol­fo, Adolfito devient Fito) ne sem­ble pas avoir écrit ou enreg­istré sous son nom. Ce n’est en revanche pas si sûr. En effet, il était un bril­lant vio­loniste et étant le plus âgé des garçons, c’est un peu lui qui fai­sait tourn­er la bou­tique quand son père se livrait à ses frasques (il buvait et courait les femmes).
Cepen­dant, la mésen­tente avec le père a fini par le faire par­tir de Buenos Aires et il est allé s’installer à Mar del Pla­ta où il a délais­sé la musique et le vio­lon, ce qui explique que l’on perde sa trace par la suite.

Beba (Lucela Delma) Pugliese (1936— …), pianiste, chef d’orchestre et compositrice

C’est la fille d’Osvaldo et de María Con­cep­ción Flo­rio et donc la petite fille d’Adolfo, le flûtiste et édi­teur.
Par­mi ses com­po­si­tions, Catire et Chichar­ri­ta qu’elle a joué avec son quin­te­to…

Carla Pugliese (María Carla Novelli) Pugliese (1977— …), Pianiste et compositrice

Petite fille d’Osvaldo et fille de Beba, la tra­di­tion famil­iale con­tin­ue de nos jours, même si Car­la s’oriente vers d’autres musiques.
Si vous voulez en savoir plus sur ce jeune tal­ent :

https://www.todotango.com/creadores/biografia/1505/Carla-Pugliese/ (en espag­nol)

https://www.todotango.com/english/artists/biography/1505/Carla-Pugliese/ (en anglais)

Les grands-parents de Pugliese

Je ne sais pas s’ils étaient musi­ciens. Le père était zap­a­tero (cor­don­nier). Ce sont eux qui ont fait le voy­age en Argen­tine où sont nés leurs 5 enfants. Ce sont deux par­mi les mil­liers d’Européens qui ont émi­gré vers l’Argentine, comme le fit la mère de Car­los Gardel quelques années plus tard.

Roque PUGLIESE Padula

Né le 5 octo­bre 1853 — Tri­cari­co, Mat­era, Basil­i­ca­ta, Ital­ie
Zap­a­tero. C’est de lui que vient le nom de Pugliese qu’il a cer­taine­ment adop­té en sou­venir de sa terre natale.

Filomena Vulcano

Née en 1852 — Rossano, Cosen­za, Cal­abria, Ital­ie
Ils se sont mar­iés le 28 novem­bre 1896, dans l’église Nues­tra Seño­ra de la Piedad, de Buenos Aires.
Leurs enfants :

  • Adol­fo Juan PUGLIESE Vul­cano 1876–1943 (Père d’Osvaldo, com­pos­i­teur, édi­teur et flûtiste)
  • Anto­nio PUGLIESE Vul­cano 1878 (Musi­cien et com­pos­i­teur)
  • Luisa María Mar­gari­ta PUGLIESE Vul­cano 1881
  • Luisa María PUGLIESE Vul­cano 1883
  • Con­cep­ción María Ana PUGLIESE Vul­cano 1885

Extrait musical

Recuer­do, 1944-03-31 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Dans cette ver­sion il y a déjà tout le Pugliese à venir. Les ver­sions enreg­istrées aupar­a­vant avaient déjà pour cer­taines des into­na­tions proches. On peut donc penser que la puis­sance de l’écriture de Pugliese a influ­encé les orchestres qui ont inter­prété son œuvre. À l’écoute on se pose la ques­tion de la pater­nité de la com­po­si­tion. Alfre­do, Osval­do ou un autre ? Nous y revien­drons.

Les paroles

Ayer can­taron las poet­as
y llo­raron las orques­tas
en las suaves noches del ambi­ente del plac­er.
Donde la bohemia y la frágil juven­tud
apri­sion­adas a un encan­to de mujer
se mar­chi­taron en el bar del bar­rio sud,
murien­do de ilusión
murien­do su can­ción.

Mujer
de mi poe­ma mejor.
¡Mujer!
Yo nun­ca tuve un amor.
¡Perdón!
Si eres mi glo­ria ide­al
Perdón,
serás mi ver­so ini­cial.

Y la voz en el bar
para siem­pre se apagó
su moti­vo sin par
nun­ca más se oyó.

Embria­ga­da Mimí,
que llegó de París,
sigu­ien­do tus pasos
la glo­ria se fue
de aque­l­los mucha­chos
del viejo café.

Quedó su nom­bre graba­do
por la mano del pasa­do
en la vie­ja mesa del café del bar­rio sur,
donde anoche mis­mo una som­bra de ayer,
por el recuer­do de su frágil juven­tud
y por la cul­pa de un olvi­do de mujer
dur­mióse sin quer­er
en el Café Con­cert.

Adol­fo et/ou Osval­do Pugliese Letra : Eduar­do Moreno

Dans la ver­sion de la Típi­ca Vic­tor de 1930, Rober­to Díaz ne chante que la par­tie en gras. Rosi­ta Mon­temar chante deux fois tout ce qui est en bleu.

Traduction libre et indications

Hier, les poètes ont chan­té et les orchestres ont pleuré dans les douces nuits de l’atmosphère de plaisir.
Où la bohème et la jeunesse frag­ile pris­on­nière du charme d’une femme se flétris­saient dans le bar du quarti­er sud, mourant d’illusion et mourant de leur chan­son.
Femme de mon meilleur poème.

Femme !
Je n’ai jamais eu d’amour.
Par­don !
Si tu es ma gloire idéale
Désolé, tu seras mon cou­plet d’ouverture.

Et la voix dans le bar s’éteignit à jamais, son motif sans pareil ne fut plus jamais enten­du.
Mimì ivre, qui venait de Paris, suiv­ant tes traces, la gloire s’en est allée à ces garçons du vieux café.

Son nom était gravé par la main du passé sur la vieille table du café du quarti­er sud, où hier soir une ombre d’hier, par le sou­venir de sa jeunesse frag­ile et par la faute de l’oubli d’une femme, s’est endormie involon­taire­ment dans le Café-Con­cert.

Dans ce tan­go, on voit l’importance du sud de Buenos Aires.

Autres versions

Recuer­do, 1926-12-09 — Orques­ta Julio De Caro. C’est l’orchestre qui est sur la cou­ver­ture de la par­ti­tion éditée avec le nom d’Adolfo. Remar­quez que dès cette ver­sion, la vari­a­tion finale si célèbre est déjà présente.
Recuer­do 1927 — Rosi­ta Mon­temar con orques­ta. Une ver­sion chan­son. Juste pour l’intérêt his­torique et pour avoir les paroles chan­tées…
Recuer­do, 1928-01-28 — Orques­ta Bian­co-Bachicha. On trou­ve dans cette ver­sion enreg­istrée à Paris, quelques accents qui seront mieux dévelop­pés dans les enreg­istrements de Pugliese. Ce n’est pas inin­téres­sant. Cela reste cepen­dant dif­fi­cile de pass­er à la place de « La référence ».
Recuer­do, 1930-04-23 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor con Rober­to Díaz. Une des rares ver­sions chan­tées et seule­ment sur le refrain (en gras dans les paroles ci-dessus). Un bas­son apporte une sonorité éton­nante à cette ver­sion. On l’entend par­ti­c­ulière­ment après le pas­sage chan­té.
Recuer­do, 1941-08-08 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to. Une ver­sion très intéres­sante. Que je pour­rais éventuelle­ment pass­er en bal.
Recuer­do 1941 Orques­ta Aníbal Troi­lo. La prise de son qui a été réal­isée à Mon­te­v­ideo est sur acé­tate, donc le son est mau­vais. Elle n’est là que pour la référence.
Recuer­do, 1942-11-04 — Orques­ta Ricar­do Tan­turi. Une ver­sion sur­prenante pour du Tan­turi et pas si loin de ce que fera Pugliese, deux ans plus tard. Heureuse­ment qu’il y a la fin typ­ique de Tan­turi, une dom­i­nante suiv­ie bien plus tard par la tonique pour nous cer­ti­fi­er que c’est bien Tan­turi 😉
Recuer­do, 1944-03-31 — Orques­ta Osval­do Pugliese. C’est le tan­go du jour. Il est intéres­sant de voir com­ment cette ver­sion avait été annon­cée par quelques inter­pré­ta­tions antérieures. On se pose tou­jours la ques­tion ; Alfre­do ou Osval­do ? Sus­pens…
Recuer­do, 1952-09-17 — Orques­ta Julio De Caro. De Caro enreg­istre 26 ans plus tard le titre qu’il a lancé. L’évolution est très nette. L’utilisation d’un orchestre au lieu du sex­te­to, donne de l’ampleur à la musique.
Recuer­do 1966-09 — Orques­ta Osval­do Pugliese con Jorge Maciel. On retrou­ve Pugliese, 22 ans après son pre­mier enreg­istrement. Cette fois, la voix de Maciel. Celui-ci chante les paroles, mais avec beau­coup de mod­i­fi­ca­tions. Je ne sais pas quoi en penser pour la danse. C’est sûr qu’en Europe, cela fait un mal­heur. L’interprétation de Maciel ne se prête pas à la danse, mais c’est telle­ment joli que l’on pour­rait s’arrêter de danser pour écouter.

En 1985, on a au moins trois ver­sions de Rucuer­do par Pugliese. Celle de « Grandes Val­ores », une émis­sion de télévi­sion, mais avec un son moyen, mais une vidéo. Alors, je vous la présente.

Recuer­do par Osval­do Pugliese dans l’émission Grandes Val­ores de 1985.

Puisqu’on est dans les films, je vous pro­pose aus­si la ver­sion au théâtre Colon, cette salle de spec­ta­cle fameuse de Buenos Aires.

Recuer­do par Osval­do Pugliese au Théa­tre Colon, le 12 décem­bre 1985.

Pour ter­min­er, tou­jours de 1985, l’enregistrement en stu­dio du 25 avril.

Recuer­do, 1985-04-25 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Pugliese a con­tin­ué à jouer à de nom­breuses repris­es sa pre­mière œuvre. Vous pou­vez écouter les dif­férentes ver­sions, mais elles sont glob­ale­ment sem­blables et je vous pro­pose d’arrêter là notre par­cours, pour traiter de notre fil rouge. Qui est le com­pos­i­teur de Recuer­do ?

Qui est le compositeur de Recuerdo ?

On a vu que la par­ti­tion éditée en 1926 par Adol­fo Pugliese men­tionne son nom comme auteur. Cepen­dant, la tra­di­tion veut que ce soit la pre­mière com­po­si­tion d’Osvaldo.
Écou­tons le seul tan­go qui soit éti­queté Adol­fo :
Ausen­cia, 1926-09-16 — José Bohr y su Orques­ta Típi­ca. C’est mignon, mais c’est loin d’avoir la puis­sance de Recuer­do.
On notera toute­fois que la réédi­tion de cette par­ti­tion est signée Adol­fo et Osval­do. La seule com­po­si­tion d’Adolfo serait-elle en fait de son fils ? C’est à mon avis très prob­a­ble. Le père et sa vie peu équili­brée et n’ayant pas don­né d’autres com­po­si­tions, con­traire­ment à ses garçons, pour­rait ne pas être com­pos­i­teur, en fait.

Pour cer­tains, c’est, car Osval­do était mineur, que son père a édité la par­ti­tion à son nom. Le prob­lème est que plusieurs tan­gos d’Osvaldo avaient été antérieure­ment édités à son nom. Donc, l’argument ne tient pas.

Pour ren­dre la chose plus com­plexe, il faut pren­dre en compte l’histoire de son frère aîné
Adol­fo (Fito). Ce dernier était un bril­lant vio­loniste et com­pos­i­teur.
Pedro Lau­renz, alors Ban­donéiste dans l’orchestre de Julio De Caro, indique qu’il était avec Eduar­do Moreno quand un vio­loniste Emilio Marchi­ano serait venu lui deman­der d’aller chercher ce tan­go chez Fito pour lui ajouter des paroles.
Marchi­ano tra­vail­lait alors au café ABC, comme l’indique Osval­do qui était ami avec le ban­donéon­iste Enrique Pol­let (France­si­to) et qui aurait recom­mandé les deux titres mar­qués Adol­fo (Ausen­cia et Recuer­do).
On est sur le fil avec ces deux his­toires avec les mêmes acteurs. Dans un cas, l’auteur serait Adolfi­to qui don­nerait la musique pour qu’elle soit jouée par De Caro et dans l’autre, ce serait Pol­let qui aurait fait la pro­mo­tion des com­po­si­tions qui seraient toutes deux d’Osvaldo et pas de son père, ni de son grand frère.
Pour expli­quer que le nom de son père soit sur les par­ti­tions de ces deux œuvres, je donne la parole à Osval­do qui indique qu’il est bien l’auteur de ces tan­gos, et notam­ment de Recuer­do qu’il aurait don­né à son père, car ce dernier, flûtiste avait du mal à trou­ver du tra­vail et qu’il avait décidé de se recon­ver­tir comme édi­teur de par­ti­tion. En effet, la flûte, très présente dans la vieille garde n’était plus guère util­isée dans les nou­veaux orchestres. Cette anec­dote est par Oscar del Pri­ore et Irene Amuchástegui dans Cien tan­gos fun­da­men­tales.
Tou­jours selon Pedro Lau­renz, la vari­a­tion finale, qui donne cette touche magis­trale à la pièce, serait d’Enrique Pol­let, alias El Francés, (1901–1973) le ban­donéon­iste qui tra­vail­lait avec Eduar­do Moreno au moment de l’adaptation de l’œuvre aux paroles.
Cepen­dant, la ver­sion de 1927 chan­tée par Rosi­ta Mon­temar ne con­tient pas la vari­a­tion finale alors que l’enregistrement de 1926 par De Caro, si. Plus grave, la ver­sion de 1957, chan­tée par Maciel ne com­porte pas non plus cette vari­a­tion. On pour­rait donc presque dire que pour adapter au chant Recuer­do, on a sup­primé la vari­a­tion finale.

Et en conclusion ?

Ben, il y a plein d’hypothèses et toutes ne sont pas fauss­es. Pour ma part, je pense que l’on a min­imisé le rôle Fito et qu’Adolfo le père n’a pas d’autre mérite que d’avoir don­né le goût de la musique à ses enfants. Il sem­ble avoir été un père moins par­fait sur d’autres plans, comme en témoigne l’exil d’Adolfito (Vicente).
Mais finale­ment, ce qui compte, c’est que cette œuvre mer­veilleuse nous soit par­v­enue dans tant de ver­sions pas­sion­nantes et qu’elle ver­ra sans doute régulière­ment de nou­velles ver­sions pour le plus grand plaisir de nos oreilles, voire de nos pieds.
Recuer­do restera un sou­venir vivant.

Lágrimas y sonrisas 1941-03-26 (Valse) — Orquesta Rodolfo Biagi

Pascual De Gullo Letra : Francisco Gullo (Pascual De Gullo)

Hier, avec Valsecito ami­go, nous étions en présence d’une mer­veilleuse valse. Aujourd’hui, une autre valse, Lágri­mas y son­risas qui va nous per­me­t­tre de par­ler (un tout petit peu) de théorie musi­cale. Je vous emporte dans le tour­bil­lon de cette mer­veilleuse valse rénovée par Rodol­fo Bia­gi.

Extrait musical

Pour suiv­re la suite, il est impor­tant de vous met­tre la musique dans l’oreille dès à présent.
Voici donc la valse du jour. Elle a été com­posée en 1913 (il y a donc 111 ans), mais cette ver­sion a été enreg­istrée le 23 mars 1941, il y a exacte­ment 83 ans par Bia­gi.

Lágri­mas y son­risas 1941-03-26 — Orques­ta Rodol­fo Bia­gi. C’est la valse du jour.

Vous avez peut-être perçu un change­ment d’ambiance à l’écoute en fonc­tion des pas­sages. Mais pour bien com­pren­dre ce qui s’y passe, il faut faire un peu de théorie.

Lire une partition. La théorie musicale pour les débutants

Par­don à mes lecteurs musi­ciens, mais pour mieux faire com­pren­dre aux non-spé­cial­istes, je dois faire un topo lim­i­naire très basique. Vous pou­vez le sauter. Ceux qui ne sont pas tout à fait débu­tants pour se rac­crocher aux étapes suiv­antes avant d’aller au cœur du sujet (au chapitre inti­t­ulé, Vous êtes ren­voyés…) La vul­gar­i­sa­tion, ce n’est pas de met­tre des bar­reaux en haut de l’échelle, c’est de met­tre des bar­reaux cor­recte­ment espacés du bas au haut de l’échelle. Dix­it un de mes pro­fesseurs à l’École du Lou­vre, il y a bien longtemps.

La hauteur d’une note

La portée est un ensem­ble de cinq lignes hor­i­zon­tales qui per­met d’indiquer la hau­teur d’un son.
Plus un son est aigu et plus il représen­té haut sur la portée. Si le son est plus aigu ou grave que les lignes de la portée, on rajoute un petit bout de ligne avec la note (voir ci-dessous, pour le pre­mier DO, à gauche).

Par la suite, j’utiliserai la nota­tion avec le nom des notes (Do à Si) et pas les let­tres A à G.

Les altérations

Pour mar­quer les sub­til­ités de la musique, on a besoin de « crans » inter­mé­di­aires à ces 8 étages. Pour cela on utilise les diès­es et les bémols.
Le dièse aug­mente d’un demi-ton la note qu’il précède. Le bémol baisse la note qu’il précède d’un demi-ton. Prenons l’exemple de la note Sol :

On peut donc mon­ter ou descen­dre une note, au choix. Si on aug­mente la note la plus grave et qu’on baisse la plus aiguë, on obtient le même son.

Une vidéo qui vous mon­tre un peu le principe du clavier du piano. https://youtu.be/WKuR6dwX6QE

Voici ce que donne la représen­ta­tion sur une portée de l’air bien con­nu de Frère Jacques (Broth­er John / Lego Diego / Fra’ Mar­ti­no / Brud­er Jakob).

Représen­ta­tion de la chan­son Frère Jacques (Broth­er John / Lego Diego / Fra’ Mar­ti­no / Brud­er Jakob) sur une portée.

On peut donc raison­ner en demi-tons, puisque chaque touche du piano (blanche et noire) est séparée de sa voi­sine d’un demi-ton.
Revenons à Frère Jacques (Broth­er John / Lego Diego / Fra’ Mar­ti­no / Brud­er Jakob) qui peut être écrit ain­si :
Do Ré Mi Do Do Ré Mi Do Mi Fa Sol
Entre le Mi et le Fa, il n’y a qu’un demi-ton. On peut donc obtenir la même mélodie, un peu plus grave ou aigue, en décalant le jeu. Par exem­ple Sol La Si Sol Sol La Si Sol Si Do Ré. Main­tenant, le demi-ton est entre le Si et le Do.
On peut égale­ment jouer en inclu­ant les touch­es noires, par exem­ple en com­mençant par Fa# Sol# La# et ain­si de suite.
Cela peut aider pour jouer avec des instru­ments qui ont une tes­si­ture étroite (qui ne peu­vent jouer que des notes sur une éten­due restreinte d’une ou deux octaves, comme une flûte à bec). On change la note de référence pour l’adapter aux pos­si­bil­ités de l’instrument avec lequel on joue. Cela s’appelle la trans­po­si­tion. On fait aus­si cela pour les chanteurs. Par exem­ple, si c’est une femme sopra­no qui chante ou un homme bary­ton, il fau­dra que l’orchestre s’adapte à la tes­si­ture du chanteur.
Avec les instru­ments à cordes, on peut chang­er la ten­sion pour mod­i­fi­er l’accord de l’instrument. Pour d’autres comme le ban­donéon, c’est impos­si­ble. Il faut donc accorder tous les instru­ments pour qu’ils soient com­pat­i­bles avec cet instru­ment. L’amusant est que selon les régions et les épo­ques le « dia­pa­son » a changé et que cer­tains se crêpent le chignon pour ce type de détail… Mais, cela devient un dis­cours de « spé­cial­iste » et n’a aucun intérêt pour la danse. Abor­dons donc d’abord le niveau trois, l’esprit tran­quille.

Lire une partition. La théorie musicale, niveau trois, les modes

Il ne faudrait pas penser que toutes ces sub­til­ités ont été créées pour pal­li­er des prob­lèmes tech­niques.
Les altéra­tions (diès­es et bémols) ont été inven­tées pour chang­er la tonal­ité (la couleur, les teintes, pour faire une com­para­i­son avec la pein­ture).
Selon la dis­po­si­tion de ces altéra­tions, l’ambiance du morceau va chang­er.
Le plus sim­ple est d’écouter un morceau bien con­nu et de voir com­ment son ambiance change si on mod­i­fie la posi­tion des demi-tons.
Je reprends Frère Jacques (Broth­er John / Lego Diego / Fra’ Mar­ti­no / Brud­er Jakob) pour que ce soit bien clair.

Frère Jacques au piano en Do majeur. C’est la ver­sion habituelle.
Frère Jacques au piano en Do mineur.

La tonal­ité de la musique est bien dif­férente. Le mi de la ver­sion habituelle est devenu un mi bémol. Il est un demi-ton plus bas. Cela suf­fit à chang­er la façon dont on perçoit la musique. Elle sem­ble plus triste. Ce mode par­ti­c­uli­er est appelé mode mineur par oppo­si­tion au mode majeur plus gai que l’on est habitué à enten­dre pour ce titre.

Lire une partition. La théorie musicale, niveau quatre, l’armature et les changements de mode

On par­le tou­jours du mode et pas de la mode ves­ti­men­taire, hein ?
On a vu que le change­ment de mode don­nait une couleur par­ti­c­ulière à la musique. Pour éviter d’avoir à écrire chaque dièse ou bémol à la clef, on a décidé de met­tre en début de par­ti­tion, tous les diès­es ou bémols à utilis­er. Pour être pré­cis, c’est soit des diès­es, soit des bémols et l’ordre en est pré­cis, on n’écrit pas n’importe quoi à l’armature (cette par­tie de la par­ti­tion).
Cette arma­ture indique la tonal­ité d’un morceau. Par exem­ple, il peut être en Do majeur, c’est une des tonal­ités les plus sim­ples. Au piano il se joue unique­ment avec les touch­es blanch­es. La plu­part des chan­sons enfan­tines sont dans cette tonal­ité, car elles sont sou­vent jouées sur des instru­ments rudi­men­taires qui ne per­me­t­tent pas les demi-tons.
Dans Lágri­mas y son­risas, le mode change en cours de route.

On remar­quera à l’armature au tout début, trois bémols (Si b, Mi b, La b). Cela indique que tous les Si, tous les Mi et tous les La seront altérés (joués un demi-ton plus bas), sauf indi­ca­tion con­traire.
Con­traire­ment au dièse ou au bémol isolé, ces altéra­tions placées en début de par­ti­tion influ­ent sur toute la musique. Dans le cas de cette valse, on peut dire qu’elle com­mence en Do mineur donc un mode nos­tal­gique, triste. Je n’entre pas dans les détails, ce serait trop long à expos­er ici.
On remar­quera sur la sec­onde page de la par­ti­tion, à l’endroit du change­ment de couleur, trois signes placés sur les lignes des Si, Mi et La (les lignes des notes qui sont altérées. Ces signes qui ressem­blent un peu aux diès­es sont des bécar­res. Leur fonc­tion est d’annuler les altéra­tions sur les notes con­sid­érées. Ici, comme c’est au début d’une par­tie, c’est val­able pour tout ce qui suit. Tous les Si, tous les Mi et tous les La seront désor­mais ordi­naires [ni plus graves ni plus aigus].

Le bécarre peut aus­si être placé devant une seule note, comme un dièse ou un bémol. Dans ce cas, il ne mod­i­fie que la note qui va être jouée et pas les suiv­antes qui garderont l’altération [dièse ou bémol] appliquée à la clef dans l’armure.
Cela sem­ble un peu com­pliqué, mais une fois qu’on a com­pris, c’est pra­tique.

Vous êtes renvoyés…

Je reviens à la par­ti­tion de Lágri­mas y son­risas. On a observé qu’au début elle était en Do mineur [3 bémols], puis que dans la par­tie de couleur ambre, elle était en mode majeur [ici Do majeur].
Cela veut dire que le début est plutôt triste et la par­tie de couleur ambre, plus gaie.
Cela s’entend assez claire­ment à l’écoute si on arrive à pass­er par-dessus deux dif­fi­cultés.
La pre­mière est que les par­ti­tions sont écrites à l’économie. Lorsque l’on rejoue le même pas­sage, on en l’écrit pas, on utilise des sys­tèmes de ren­voi. Par exem­ple, à la fin, on voit D. C. qui sig­ni­fie Da Capo [en tête] et qui indique au musi­cien qu’il doit main­tenant recom­mencer du début. D’autres ren­vois plus dis­crets sont les dou­bles bar­res ver­ti­cales.

La sec­onde dif­fi­culté est qu’il y a des altéra­tions ou des bécar­res sur des notes isolées. On voit dans l’illustration précé­dente, des bécar­res sur les trois « Si » de la pre­mière mesure entière de cet extrait.
C’est-à-dire que la tonal­ité a en fait changé avant l’arrivée des bécar­res. C’est tout sim­ple­ment que le com­pos­i­teur, Pas­cual de Gul­lo dans le cas présent, pré­pare l’oreille de l’auditeur pour le nou­veau mode à venir. C’est ici très dis­cret, c’est plus mar­qué à d’autres endroits. On remar­quera la même chose dans d’autres mesures avec la présence de bécar­res ou diès­es isolés. Je sig­nale ces change­ments dans la sec­onde écoute, ci-dessous.
Ce sont ces sub­til­ités qui font l’harmonie de la musique. Imag­inez que vous passiez directe­ment de Frère Jacques en mode majeur à sa ver­sion en mode mineur, sans pré­pa­ra­tion…
La plu­part des morceaux con­ti­en­nent des change­ments de tonal­ité, moins sou­vent des change­ments de mode comme ici.

Nouvelle écoute de la valse du jour

Main­tenant que vous êtes au courant, je vous pro­pose d’écouter de nou­veau et d’essayer de détecter ces change­ments de mode qui font pass­er du triste des larmes [Lágri­mas] au gai des sourires [Son­risas].

Lágri­mas y son­risas 1941-03-26 — Orques­ta Rodol­fo Bia­gi.

0 : 00 Mineur
0 : 18 Un peu de majeur [altéra­tions avec des diès­es pour chang­er la tonal­ité et le mode de façon très tem­po­raire]
0 : 26 Mineur
0 : 51 Majeur
1 : 17 Mineur
1 : 31 Un peu de Majeur [altéra­tions avec des diès­es pour chang­er la tonal­ité et le mode de façon très tem­po­raire]
1 : 44 Mineur jusqu’à la fin, mais les fior­i­t­ures au piano de Bia­gi, tem­pèrent l’idée de tristesse, même s’il y a un léger ralen­tisse­ment final.

Les paroles

Mal­heureuse­ment, on n’a pas de ver­sion enreg­istrée avec les paroles de Fran­cis­co Gul­lo. On ne pour­ra donc pas enten­dre com­ment s’articulent les pas­sages tristes ou gais, avec les paroles cor­re­spon­dantes. J’indique donc les paroles pour votre référence, même si vous avez peu de chance de les enten­dre inter­prétées, un jour.

Inmen­so es el pesar que tu ausen­cia me ha cau­sa­do,
Mi corazón des­gar­ra­do san­gra de tan­to llo­rar,
Ya no puedo vivir sin tus dul­ces son­risas
Lágri­mas cru­en­tas der­ramo sabi­en­do que te perdí…

Tus son­risas, mág­i­cas de encan­to son
Embe­le­so de mis lágri­mas de amor,
Me acari­cian con su divi­no rubor
Soñán­dolas, vana ilusión, con­sue­lo mi corazón…

Porque te ama­ba de veras
For­ja­ba quimeras con loca ansiedad,
Y en tus her­mosas son­risas
Quedó pri­sion­era mi feli­ci­dad…

Hoy que el recuer­do se ahon­da en la mente
Quisiera verte una vez más,
Para con­fi­arte en secre­to, alma mía
Que mi amor, no te olvi­do jamás…

Bésame con pasión tu boca me mur­mura­ba,
No te ator­mentes, que nada de ti me sep­a­rará,
Siem­pre te nom­brarán mis lágri­mas sen­ti­das
Por tus son­risas fin­gi­das, estoy enfer­mo de amor…

Pas­cual De Gul­lo Letra : Fran­cis­co Gul­lo (Pas­cual De Gul­lo)

Traduction libre et indications

Immense est le cha­grin que m’a causé ton absence. Mon cœur déchiré saigne de tant pleur­er.
Je ne peux plus vivre sans tes doux sourires. Des larmes sanglantes que j’ai ver­sées en sachant que je t’ai per­due…
Tes sourires sont mag­iques de charme, embel­lis­sant mes larmes d’amour. Ils me caressent de leur divine rougeur. En rêver, vaine illu­sion, con­sole mon cœur…
Parce que je t’aimais vrai­ment ; j’ai forgé des chimères avec une folle anx­iété et dans tes beaux sourires, mon bon­heur était empris­on­né…
Aujourd’hui, que le sou­venir s’engloutit dans l’esprit, j’aimerais te voir une fois de plus [voir le sub­lime tan­go « Quiero verte una vez más » de Mario Canaro avec des paroles de José María Con­tur­si, sur le même thème].
Pour te con­fi­er secrète­ment, mon âme, que mon amour ne t’oubliera jamais
Embrasse-moi pas­sion­né­ment, me mur­mu­ra ta bouche, ne te tour­mente pas, car rien ne me sépar­era de toi. Tou­jours mes larmes sincères te nom­meront. À cause de tes sourires feints, je suis malade d’amour…
Les paroles sont plutôt jolies et sen­si­bles. La chute finale avec les sourires feints ouvre dif­férents hori­zons que je vous laisse explor­er ; —)

Les versions

Lágri­mas y son­risas 1913 — Eduar­do Aro­las y su Orques­ta Típi­ca.

Un enreg­istrement acous­tique, donc un peu sévère pour nos oreilles mod­ernes, mais qui laisse tout de même remar­quer la qual­ité de l’interprétation. Cepen­dant, le manque de vari­a­tions peut laiss­er paraître le titre un peu monot­o­ne.

Lágri­mas y son­risas 1914 — Quin­te­to Criol­lo Tano Genaro Espósi­to.

L’année suiv­ante, Tano Genaro l’interprète avec son Quin­te­to Criol­lo. À mon avis, on peut se pass­er facile­ment de cette ver­sion, plutôt ennuyeuse.

Lágri­mas y son­risas 1932-12-05 — Trío Ciri­a­co Ortiz.

Bien que de 1932, cette ver­sion à deux gui­tares et un ban­donéon, peut se danser, mais elle ne devrait pas sus­citer des ent­hou­si­asmes débor­dants. Les gui­tares de Ramón Andrés Menén­dez y Vicente Spina (le com­pos­i­teur de Loco tur­bión) font leur tra­vail, mais le ban­donéon de Ciri­a­co Ortiz est un peu paresseux.

Lágri­mas y son­risas 1934-10-20 — Orques­ta Adol­fo Pocho­lo Pérez.

On monte un peu en énergie et la dif­férence entre les par­ties tristes (mineure) et gaies (majeures) est bien sen­si­ble.

Lágri­mas y son­risas 1936-09-29 — Orques­ta Juan D’Arienzo.

Une ver­sion clas­sique. Bia­gi se remar­que au piano par quelques élé­ments légers. Dans la par­tie gaie, il accom­pa­gne de façon légère les pizzi­cati des vio­lons. Le final à la D’Arienzo sug­gère une accéléra­tion et la valse nous entraîne puis­sam­ment jusqu’aux dernières notes.
Il est un peu dom­mage de ne pas en avoir un enreg­istrement de 1938, car c’est cette valse qui a poussé D’Arienzo à vir­er Bia­gi, car il deve­nait de plus en plus la vedette de l’orchestre. En effet, à la suite d’une inter­pré­ta­tion bril­lante de cette valse, Bia­gi se leva pour saluer le pub­lic qui applaud­is­sait à tout rompre. D’Arienzo s’est alors dirigé vers lui pour lui sig­ni­fi­er à voix basse qu’il était viré ; “¡Soy la úni­ca estrel­la de esta orquesta…estás des­pe­di­do!». Je suis la seule vedette (étoile) de cet orchestre, tu es viré !

Lágri­mas y son­risas 1941-03-26 — Orques­ta Rodol­fo Bia­gi.

C’est la valse du jour. Là, Bia­gi a son pro­pre orchestre. Il peut se lâch­er com­plète­ment au piano pour nous pro­pos­er cette ver­sion bril­lante. Les expi­ra­tions hale­tantes des ban­donéons, les glis­san­dos des vio­lons et les accents énergiques du piano don­nent une grande var­iété à cette inter­pré­ta­tion. La fin n’a pas l’impression d’accélération que pos­sède la ver­sion de D’Arienzo, mais les motifs des 30 dernières sec­on­des démon­trent la vir­tu­osité de Bia­gi au piano.

Lágri­mas y son­risas 1974-04-26 — Orques­ta Alfre­do De Ange­lis

Je ter­min­erai avec un autre pianiste, De Ange­lis qui pro­pose une ver­sion bien dif­férente et tar­dive de cette très belle valse où on retrou­ve le même jeu que dans les 30 dernières sec­on­des de la ver­sion de Bia­gi, mais plus tôt. On peut con­sid­ér­er que c’est un hom­mage, une cita­tion. Cela per­met à De Ange­lis de retrou­ver l’accélération finale qui avait été gom­mée dans la ver­sion de Bia­gi.