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Samaritana 1932-07-27 — Orquesta Típica Los Provincianos Dir. Ciriaco Ortiz con Alberto Gómez

Luis Rubistein (Musique et paroles)

À Buenos Aires, la majorité des milon­gas con­tin­u­ent de faire des tan­das de 4 titres pour les tan­gos, et pour quelques-unes, y com­pris pour les valses, mais unique­ment si tous les danseurs dansent, ce qui est générale­ment le cas. Notre tan­go du jour est donc, vous l’avez dev­iné, une valse, sans doute trop peu con­nue, Samar­i­tana. Elle a été enreg­istrée il y a 92 ans.

Ceux qui me con­nais­sent savent que je ne suis pas avare de valses et que je n’hésite jamais à faire des propo­si­tions un peu plus rares, l’avantage des valses est que la majorité reste dansante grâce à la struc­ture par­ti­c­ulière à trois temps avec le pre­mier temps accen­tué (POUM – tchi — tchi). Il est donc plus facile de pren­dre des risques avec les valses que les tan­gos et encore plus que les milon­gas, qui ont le rythme le plus dif­fi­cile à pro­pos­er en milon­ga.

Los Provincianos

Ciri­a­co Ortiz Direc­tion et ban­donéon, Aníbal Troi­lo et Hora­cio Golli­no (ban­donéons), Orlan­do Cara­bel­li (piano), Elvi­no Var­daro et Manuel Núñez (vio­lons), Man­fre­do Lib­er­a­tore (con­tre­basse) et Alber­to Gómez (dit Nico) au chant sont les artistes qui ont mis en musique et enreg­istré cette valse.

Orques­ta Los Provin­cianos. Vous aurez recon­nu le jeune Aníbal Troi­lo et son ban­donéon qui l’accompagnera durant toute sa car­rière…

On trou­ve par­fois cet enreg­istrement sous le nom d’orchestre OTV – Orches­tra Típi­ca Víc­tor. Ce n’est pas vrai­ment faux, car il s’agit effec­tive­ment d’un orchestre créé par la mai­son de disque Víc­tor et qui était des­tiné à enreg­istr­er des dis­ques.
Le pre­mier orchestre, celui qui était dirigé par Cara­bel­li avec le nom de OTV, mais par la suite, la com­pag­nie Víc­tor déci­da de mul­ti­pli­er les orchestres et pour s’y retrou­ver, elle leur don­na des nos dif­férents…

  • La Orques­ta Típi­ca Los Provin­cianos, dirigée par Ciri­a­co Ortiz et qui a enreg­istré notre valse du jour et qui est en fait la con­tin­u­a­tion de l’orchestre de Cara­bel­li, d’où le fait qu’on le nomme par­fois tout sim­ple­ment Típi­ca Víc­tor, comme le pre­mier orchestre et comme on le fera pour les suiv­ants…
  • La Orques­ta Víc­tor Pop­u­lar,
  • La Orques­ta Radio Víc­tor Argenti­na, dirigée par Mario Mau­ra­no
  • La Orques­ta Argenti­na Víc­tor
  • La Orques­ta Víc­tor Inter­na­cional
  • El Cuar­te­to Víc­tor com­posé de Cayetano Puglisi et Anto­nio Rossi (vio­lons), Ciri­a­co Ortiz et Fran­cis­co Pracáni­co (ban­donéons)
  • El Trío Víc­tor com­posé de Elvi­no Var­daro (vio­lon) et de Oscar Alemán et Gastón Bueno Lobo (gui­tares).

Même si cet orchestre n’était pas des­tiné à jouer en pub­lic, les habitués du Cabaret Casano­va qui était situé en la rue Maipu, juste en face du Salón Marabú (où a débuté Troi­lo avec son orchestre, juste en tra­ver­sant la rue…) et qui existe, lui, tou­jours, ont pu enten­dre l’orchestre sur scène.

Extrait musical

Samar­i­tana 1932-07-27 – Orques­ta Típi­ca Los Provin­cianos con Alber­to Gómez.

Les vio­lons dessi­nent les pre­mières notes sur une base stac­ca­to du reste de l’orchestre et notam­ment des ban­donéons et de la con­tre­basse qui mar­que fer­me­ment les pre­miers temps. Puis s’exprime le sub­lime vio­lon soliste. Les ban­donéons repren­nent la voix avec à 35 sec­on­des un curieux (mais génial) glis­san­do. À 1:12, Alber­to Gómez lance le chant, tou­jours en mode mineur, mais ce n’est pas éton­nant vu les paroles. Sa voix décon­trac­tée enlève la tragédie des paroles, il ter­mine en voix de tête. Il reste ensuite une minute à l’orchestre pour faire oubli­er le triste des paroles, ce qu’il fait par­faite­ment, notam­ment avec la vari­a­tion finale exé­cutée prin­ci­pale­ment par les ban­donéons en dou­ble croche.

Les orchestres Víc­tor sont des­tinés aux dis­ques, mais aux dis­ques pour danseurs et ce n’est donc pas un hasard si les valses de ces orchestres com­por­tent une telle pro­por­tion de mer­veilles.

Paroles

N’ayant pas trou­vé la par­ti­tion, ni les paroles, il s’agit ici unique­ment de ce que chante Alber­to Gómez.

El dolor, cruzó mi corazón
Gol­pe­an­do fuerte,
Dejan­do en su ruti­na
Frío de muerte,
Que me asesina
Sin com­pasión.

Mi can­tar se ahoga con mi voz
Que es una pena,
Y nada me con­suela
De haber per­di­do,
Lo que he queri­do
Con tan­to amor.

Luis Rubis­tein (Musique et paroles)

Traduction libre des paroles

La douleur a transper­cé mon cœur, frap­pant fort, lais­sant dans sa rou­tine, le froid de la mort qui me tue sans com­pas­sion.
Mon chant s’est noyé avec ma voix, qui est un cha­grin, et rien ne me con­sole d’avoir per­du ce que j’ai aimé avec tant d’amour.

Qui est la samaritana ?

Je pose la ques­tion, mais je n’ai pas de réponse.
Le sens le plus com­mun fait référence à la femme de la Bible, la femme au puits.
Par exten­sion, le terme désigne une per­son­ne qui se dévoue pour les autres.
Mais ce n’est pas tout, la samar­i­taine est une pécher­esse, car elle a eu cinq « maris » sans être mar­iée. Cette direc­tion nous rap­pelle que les pros­ti­tuées héri­tent par­fois de cette appel­la­tion, comme le rap­pelle la très belle chan­son du chanteur espag­nol José Luis Perales, Samar­i­tanas del amor.

Samar­i­tanas del amor — José Luis Perales avec sous-titre et tra­duc­tion pos­si­ble…

Comme cette valse est orphe­line et les paroles incom­plètes, on ne peut rester qu’à des sup­po­si­tions. Mais est-ce si grave si on peut se plonger dans l’ivresse de cette valse ?
On notera que quelques années après l’écriture de cette valse (1938), un « Nos­tradamus argentin » a qual­i­fié l’Argen­tine de Samar­i­tana del Mun­do, l’Argen­tine accueil­lant les peu­ples meur­tris.

Solari Par­ravici­ni — Dibu­jos pro­feti­cos

Je ne me pronon­cerai pas sur la valid­ité des prophéties de Solari Par­ravici­ni, mais le fait que Luis Rubis­tein était sen­si­ble au pro­jet sion­iste peut l’avoir influ­encé. Je me garderai de faire tout rap­proche­ment avec l’actualité argen­tine, en lais­sant les coïn­ci­dences non analysées.

Tristesse et joie du tango

Pour moi, le tan­go est une pen­sée joyeuse qui se danse. Si vous écoutez la valse du jour sans faire atten­tion aux paroles, vous ne décou­vrirez pas la tragédie sous-jacente, vous vous lais­serez envelop­per par le rythme implaca­ble de la valse en ne pen­sant à rien d’autre.
Dis­cépo­lo qui a écrit le con­traire de ce que je pense est mort à 50 ans dans une pro­fonde dépres­sion. Un homme mal­heureux au point de se laiss­er mourir de faim est-il un bon témoin pour par­ler du plaisir du tan­go qui a ani­mé, pen­dant plusieurs décen­nies, des mil­liers de danseurs ? Je n’en suis pas sûr. L’auteur de Vachaché, Yira yira ou Cam­bal­ache avait un regard plutôt noir et dés­abusé sur le monde. Nicolás Oli­vari assura que Dis­cépo­lo était la cheville ouvrière de l’hu­mour de Buenos Aires, grais­sée par l’an­goisse. (Oli­vari écrivait El per­no, c’est le boulon, mais aus­si la par­tie qui main­tient la tige dans une charnière. J’ai choisi de traduire par la cheville ouvrière qui est la pièce la plus impor­tante des char­rettes avec roues avant ori­enta­bles. Notons qu’en lun­far­do, el per­no est aus­si le mem­bre vir­il).
Les paroles de Luis Rubis­tein pour­raient paraître de la même veine, mais elles par­lent d’une douleur intime, presque théâ­tral­isée, celle que ressent l’amoureux qui a per­du son objet d’amour, elles ne man­i­fes­tent pas néces­saire­ment un rejet de la société. Par ailleurs, Luis Rubis­tein est à la fois l’auteur de la musique et des paroles, aus­si, il pou­vait par­faite­ment établir l’équilibre entre l’émotion et la tristesse des paroles et l’enthousiasme de la musique.
En Europe, on s’interdit cer­tains tan­gos, car les paroles par­lent de sujets tristes (Juan Porteño, La nove­na), ici, à Buenos Aires, ils sont passés et bien que tout monde puisse en com­pren­dre les paroles, per­son­ne n’y fait atten­tion et tout le monde est sur la piste. C’est peut-être éton­nant quand on entend les danseurs chanter les paroles d’autres titres qu’ils con­nais­sent par cœur. En revanche, je ne passerai pas des titres vul­gaires comme Si soy así (inter­prété par Rodríguez avec Her­rera).
Ceci pour dire que le tan­go de danse se fait à par­tir de la musique et que si la musique donne envie de danser, c’est un tan­go pour la milon­ga, sauf à de très rares excep­tions. On aura remar­qué que même lorsque les paroles fai­saient référence à une his­toire triste, les tan­gos de danse n’en repren­nent que l’estribillo (refrain), voire un ou deux cou­plets en plus, mais que générale­ment, les par­ties les plus sin­istres ne sont pas chan­tées.
Le tan­go triste est le tan­go à écouter, car il dif­fuse la total­ité de l’histoire et que cette his­toire peut effec­tive­ment être très triste. La voix du chanteur étant mise en avant, l’auditeur ne dis­pose pas de l’amortissement de la musique et est con­fron­té à la dureté du texte.
On peut se deman­der pourquoi le tan­go exprime sou­vent des pen­sées tristes. Quand on sait que c’est le pays du Monde où il y a le plus de psys par habi­tant et que Buenos Aires est la ville qui a le plus de théâtres, il me sem­ble facile d’y voir un début d’explication.
La nos­tal­gie de l’émigré, immi­gré, sou­vent issu de pop­u­la­tions défa­vorisées d’Europe, voire d’Afrique, tout cela peut don­ner une cer­taine propen­sion à la tristesse, mais ce sont des gens qui ont su domin­er leurs dif­fi­cultés. Ils pen­saient arriv­er dans un espace vierge à con­quérir pour se lancer dans une nou­velle vie, mais con­traire­ment à ce qui s’est passé dans d’autres pays, l’Argentine était déjà entière­ment pri­vatisée, aux mains de quelques grandes familles et les con­quérants espérant s’établir en vivant de leurs ter­res ont été réduits à devoir tra­vailler pour les pro­prié­taires ou à s’entasser dans les villes, ou plutôt La ville, pour servir de main‑d’œuvre à l’industrie.
Ils ont quit­té une mis­ère pour en trou­ver une autre, loin de leurs racines. Il y avait sans doute de quoi avoir des ten­dances mélan­col­iques. Alors, la danse ne pou­vait pas être autre chose qu’un exu­toire, un sas de décom­pres­sion, ce qui explique les excès des pre­miers temps et la cir­con­scrip­tion à des lieux inter­lopes et pop­u­laires du tan­go. C’est quand la bonne société a jugé bon de s’acoquiner, que l’intellectualisation a façon­né une autre cul­ture.

El tango tiene los pies en el fango y la cabeza en las nubes

Le tan­go a les pieds dans la boue et la tête dans les nuages, c’est ce qui fait sa grandeur et sa richesse.
Tout bon DJ con­naît les dif­férents degrés de la musique qui s’adresse aux sen­ti­ments, au cerveau, au corps et c’est en jouant sur les dif­férents car­ac­tères qu’il ani­me la milon­ga.
Le ludique de D’Arienzo, l’urbain de Troi­lo, l’intellectuel de Pugliese et le sen­ti­men­tal de Di Sar­li for­ment les qua­tre piliers qui ser­vent à con­stru­ire une milon­ga qui don­nera à toutes les sen­si­bil­ités de danseurs, de quoi être heureux. Évidem­ment, cette répar­ti­tion que l’on donne comme indi­ca­tion aux DJ débu­tants est très som­maire et demande à être nuancée.
Il n’est pas ques­tion d’équilibrer ces 4 piliers. Selon l’événement, les danseurs et le moment, on favoris­era plutôt l’un des piliers. On passera générale­ment plus de D’Arienzo que de Pugliese, les piliers n’ont pas tous la même taille.
Par ailleurs, met­tre dans une de ces qua­tre cas­es ces qua­tre orchestres, c’est oubli­er qu’ils ont évolué et ont nav­igué d’une case à l’autre selon les péri­odes. Il faut donc nuancer la déf­i­ni­tion des piliers et le dernier point est que d’autres orchestres ont exprimé ces qua­tre sen­si­bil­ités et qu’ils peu­vent très bien se sub­stituer aux orchestres canon­iques.
Maler­ba et Caló, peu­vent aller dans la case roman­tique, tout comme De Caro et cer­tains Troi­lo qui peu­vent se class­er dans la case intel­lectuelle. Rodriguez ira sans doute dans la case ludique et ain­si de suite.
C’est la rai­son pour laque­lle on alterne les gen­res. On ne passera générale­ment pas deux tan­das romantiques/ludiques/intellectuelles/urbaines à la suite. On passera d’un des qua­tre piliers à l’autre dans le but de ne pas laiss­er sur sa chaise un danseur avec deux tan­das qui sont de types qui ne lui par­lent pas. Com­bi­en de fois avez-vous ressen­ti de l’ennui en ayant l’impression que c’était « tout le temps pareil », notam­ment dans ces milon­gas où le DJ respecte un ordre chronologique, com­mençant par la vieille garde et ter­mi­nant par le tan­go « nue­vo » …
Je me sou­viens d’un danseur, dans une ville française qui fut autre­fois pio­nnière dans le tan­go (et qui n’est pas Paris), qui après une tan­da de Pugliese est venu me dire, ça va être le néotan­go main­tenant ? Ne com­prenant pas le sens de sa ques­tion, je lui ai demandé des pré­ci­sions et il m’a dit qu’ici, les DJ com­mençaient par Canaro et ter­mi­naient par du néotan­go et comme il était rel­a­tive­ment tôt dans la soirée, il s’inquiétait de devoir par­tir, car il ne s’intéressait pas à ce type de musique. Je l’ai ras­suré et il est resté, jusqu’à la fin.

Sur ce, je vous dis à demain, les amis…

Tres Esquinas 1941-07-24 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Ángel D’Agostino y Alfredo Attadía Letra: Enrique Cadícamo

Je suis aux anges de vous par­ler aujourd’hui de Tres Esquinas (trois coins de rue), car ce mer­veilleux tan­go immor­tal­isé par les deux angeli­tos (D’Agostino et Var­gas) par­le à tous les danseurs. C’est une com­po­si­tion de Ángel D’Agosti­no et Alfre­do Attadía, Enrique Cadí­camo lui a don­né ses paroles et son nom. Par­tons en train jusqu’à Tres Esquinas à la décou­verte du berceau de ce tan­go.

Naissance de Tres Esquinas

En 1920, Ángel D’Agosti­no a com­posé ce titre dans une ver­sion som­maire pour une saynète nom­mée « Armenonville » mon­tée par Luis Ara­ta, Leopol­do Simari et José Fran­co. Comme on peut s’en douter, cette pièce par­lait de la vie des pau­vres filles du cabaret Armenonville.
Ángel D’Agosti­no jouait cette com­po­si­tion au piano sous le titre, Pobre Piba (Pau­vre gamine).

Ara­ta-Simari-Fran­co

Une ving­taine d’années plus tard selon la légende (his­toire) D’Agostino fre­donnait le titre que reprit Var­gas à la sor­tie de la salle où ils venaient d’intervenir. Cadí­camo imag­i­na le pre­mier vers « Yo soy del bar­rio de Tres Esquinas ». Alfre­do Attadía qui était le pre­mier ban­donéon et l’arrangeur de l’orchestre de D’Agostino s’occupa des arrange­ments. Il doit cepen­dant d’avoir son nom à la par­ti­tion par son apport sur le phrasé des ban­donéons, phrasé inspiré par la façon de chanter de Var­gas qui devrait donc à ce dou­ble titre avoir aus­si son nom sur la par­ti­tion 😉

Extrait musical

Com­mençons par écouter cette mer­veille pour se met­tre dans l’humeur prop­ice à notre décou­verte.

Tres Esquinas 1941-07-24 — Orques­ta Ángel D’Agosti­no con Ángel Var­gas.
Tres Esquinas. Ángel D’Agosti­no y Alfre­do Attadía Letra: Enrique Cadí­camo. À gauche, deux cou­ver­tures, puis par­ti­tion et accords gui­tare et disque.

Je pense que vous avez remar­qué ce fameux phrasé dès le début. On y telle­ment habitué main­tenant que l’on pense que cela a tou­jours existé… Lorsque Var­gas chante, le ban­donéon se fait dis­cret, se con­tentant au même titre que les autres instru­ments de mar­quer le rythme et de pro­pos­er quelques orne­ments pour les ponts. On notera le superbe solo de vio­lon de Hol­ga­do Bar­rio après la voix de Var­gas et la reprise du ban­donéon (vers 2:20). Var­gas a le dernier mot et ter­mine le titre.

Je n’ai pas trou­vé d’enregistrement de Pobre piba pour juger de l’apport de Atta­dia, mais il y a fort à pari­er que ce titre éphémère, lié à une pièce qui n’a pas accédé à une gloire intem­porelle n’a pas inspiré les maisons de disque.

Paroles

Yo soy del bar­rio de Tres Esquinas,
viejo balu­arte de un arra­bal
donde flo­re­cen como glic­i­nas
las lin­das pibas de delan­tal.
Donde en la noche tib­ia y ser­e­na
su antiguo aro­ma vuel­ca el malvón
y bajo el cielo de luna llena
duer­men las chatas del cor­ralón.

Soy de ese bar­rio de humilde ran­go,
yo soy el tan­go sen­ti­men­tal.
Soy de ese bar­rio que toma mate
bajo la som­bra que da el par­rral.
En sus ochavas com­padrié de mozo,
tiré la daga por un loco amor,
quemé en los ojos de una mal­e­va
la ardi­ente ceba de mi pasión.

Nada hay más lin­do ni más com­padre
que mi sub­ur­bio mur­mu­rador,
con los chi­men­tos de las comadres
y los piro­pos del Picaflor.
Vie­ja bar­ri­a­da que fue estandarte
de mis arro­jos de juven­tud…
Yo soy del bar­rio que vive aparte
en este siglo de Neo-Lux.

Ángel D’Agosti­no y Alfre­do Attadía Letra: Enrique Cadí­camo

Traduction libre des paroles

Je suis du quarti­er de Tres Esquinas (plus un vil­lage qu’un quarti­er au sens actuel), un ancien bas­tion d’une ban­lieue où les jolies filles en tabli­er fleuris­sent comme des glycines (Il s’ag­it des tra­vailleuses des usines locales).
Où dans la nuit chaude et sere­ine le géra­ni­um déverse son arôme ancien et sous le ciel de la pleine lune dor­ment les logis du cor­ralón (le cor­ralón est un habi­tat col­lec­tif, le pen­dant du con­ven­til­lo, mais à la cam­pagne. Au lieu de don­ner sur un couloir, les pièces qui accueil­lent les familles don­nent sur un bal­con. Au pluriel, cela peut aus­si désign­er le lieu où on par­que le bétail et tout l’attirail de la trac­tion ani­male. Je pense plutôt au loge­ment dans ce cas à cause des géra­ni­ums qui me font plus penser à un habi­tat, même si les cor­ralones étaient proches. Les géra­ni­ums éloignent les mouch­es qui devaient pul­luler à cause de la prox­im­ité du bétail).
Je viens de ce quarti­er de rang mod­este, je suis le tan­go sen­ti­men­tal.
Je suis de ce quarti­er qui boit du maté à l’om­bre de la vigne.
Dans ses ochavas (la ocha­va est la découpe des angles des rues qui au lieu d’être vifs à 90 % présen­tent un petit pan de façade oblique) j’é­tais un jeune homme, j’ai jeté le poignard pour un amour fou, j’ai brûlé dans les yeux d’une mau­vaise l’ap­pât brûlant de ma pas­sion.
Il n’y a rien de plus beau ni de plus com­padre que mon faubourg mur­mu­rant, avec les com­mérages des com­mères et les com­pli­ments du Picaflor (les piro­pos sont des com­pli­ments pour séduire et un picaflor [oiseau-mouche] est un homme qui butine de femme en femme).
Un vieux quarti­er qui fut l’é­ten­dard de mon audace de jeunesse…
Je suis du quarti­er qui vit à part en ce siè­cle de Néo-Lux.

Autres versions

Comme sou­vent, les ver­sions immenses sem­blent intimider les suiveurs et il n’existe pas d’enregistrement remar­quable de l’époque, si on exclut Hugo Del Car­ril à la gui­tare et notre sur­prise du jour, mais patience…

Tres Esquinas 1941-07-24 — Orques­ta Ángel D’Agosti­no con Ángel Var­gas. C’est notre tan­go du jour.
Tres Esquinas 1942-05-07 — Hugo Del Car­ril con gui­tar­ras.

Il me sem­ble dif­fi­cile de s’attacher à cette ver­sion une fois que l’on a décou­vert celle des deux anges. On retrou­ve l’ambiance de Gardel, mais cet enreg­istrement ne sera nor­male­ment jamais pro­posé dans une milon­ga.

Tres Esquinas 2010 — Sex­te­to Milonguero con Javier Di Ciri­a­co.

Tres Esquinas 2010 — Sex­te­to Milonguero con Javier Di Ciri­a­co. J’ai eu le bon­heur de décou­vrir cet orchestre à ses débuts à Buenos Aires où il met­tait une ambiance de folie. Je l’ai fait venir à Tan­go­postale (Toulouse France) où il a sus­cité un ent­hou­si­asme déli­rant. Il nous reste le disque pour nous sou­venir de ces moments intens­es mag­nifiés par la voix de Javier Di Ciri­a­co.

Le jeune Ariel Ardit relève toute­fois le défi et pro­pose plusieurs ver­sions élec­trisantes de ce titre. Voici un enreg­istrement pub­lic en vidéo datant de 2010.

Ariel Ardit inter­prète Tres Esquinas en 2010.

Ce n’est pas non plus pour la danse (du moins dans sa forme tra­di­tion­nelle), mais c’est une mag­nifique ver­sion avec une grande richesse des con­tre­points. Ariel Ardit donne beau­coup d’expression et l’orchestre n’est pas en reste. On com­prend l’approbation du pub­lic.

SURPRISE : il reste une ver­sion en réserve à décou­vrir à la fin de cette anec­dote, vous ne pou­vez pas vous la per­dre ! Avis pour Thier­ry, mon tal­entueux cor­recteur, ce n’est pas une coquille, mais une for­mu­la­tion calquée sur l’espagnol…

Un petit mot sur Tres Esquinas

Il faut imag­in­er un lieu rel­a­tive­ment rur­al qui com­por­tait des espaces de ter­rains vagues, des usines, des maisons pour les pau­vres (cor­ralones) et des cafés, dont un qui se nom­mait Tres Esquinas du nom de ce quarti­er qui dis­po­sait toute­fois d’une sta­tion fer­rovi­aire du même nom… Voici de quoi vous repér­er. Atten­tion, cette zone n’est pas trop à recom­man­der aux touristes, mais on y organ­ise des peñas mag­nifiques ! Pas des peñas pour touristes dans un café plus ou moins branché, mais des hangars rem­plis de cen­taines de danseurs qui s’éclatent sur des orchestres fab­uleux en dansant, chacar­eras, gatos, zam­bas et une bonne dizaine d’autres titres. Ce qui est le plus sur­prenant est que quand l’orchestre enchaîne deux titres, les danseurs adoptent automa­tique­ment le style de la nou­velle danse en moins de deux sec­on­des. Si vous avez lu mes con­seils pour la chacar­era, vous savez déjà recon­naître celles à 6 et 8 com­pas­es et les dobles, c’est la par­tie fon­due de l’iceberg du folk­lore argentin.

Le café Tres Esquinas est ici cer­clé de rouge.

On voit qu’on est au bord de l’eau (Riachue­lo) qui mar­que la lim­ite sud de la ville de Buenos Aires (Vue Google). Comme on peut le voir, le quarti­er est d’usines, de ter­rains vagues et est main­tenant bor­dé par l’autoroute qui va à La Pla­ta (la cap­i­tale de la Province de Buenos Aires). Le café pro­pre­ment dit n’est plus que l’ombre de lui-même. Notez toute­fois la ocha­va  qui coupe l’angle de l’immeuble et qui mar­que l’entrée de ce qui était ce café his­torique.
La sta­tion de train por­tait aus­si logique­ment le nom du quarti­er.

À gauche la gare de Tres Esquinas vers 1909. À droite, une vue aéri­enne de Google.

Le cer­cle rouge est le café Tres Esquinas. Le cer­cle jaune mar­que la zone où était située la gare de Tres Esquinas détru­ite en 1955. L’autoroute qui a été créée en 1994–1996 a coupé en deux le quarti­er et prob­a­ble­ment mis un peu de désor­dre dans les baraque­ments de latas (voir Del bar­rio de las latas, le berceau du tan­go pour en savoir plus sur ce type de con­struc­tion)

Et pour ter­min­er, un court-métrage recon­sti­tu­ant l’ambiance d’un bar comme celui de Tres Esquinas, réal­isée par Enrique Cadí­camo en 1943.

Voici la vidéo au moment où D’Agostino et Var­gas enta­ment Tres Esquinas, mais je vous recom­mande de voir les 9 min­utes du court-métrage en entier, c’est intéres­sant dès le début et après Tres Esquinas, il y a El cuar­teador de Bar­ra­cas

Court-métrage sur un scé­nario et sous la direc­tion de Enrique Cadí­camo où l’on voit des scènes de café, pit­toresques et l’interprétation de Tres esquinas et de El cuar­teador de Bar­ra­cas par Ángel D’Agostino et Ángel Var­gas.

À demain, les amis !

Fumando espero 1927-07-21 — Orquesta Típica Victor

Juan Viladomat Masanas Letra: Félix Garzo (Antonio José Gaya Gardus)

On sait main­tenant que fumer n’est pas bon pour la san­té, mais dans la mytholo­gie du tan­go, la cig­a­rette, cig­a­r­il­lo, pucho, faso et sa fumée ont inspiré les créa­teurs quand eux-mêmes inspi­raient les volutes de fumée. Notre tan­go du jour est à la gloire de la fumée, au point qu’il est devenu objet de pro­pa­gande pub­lic­i­taire. Mais nous ver­rons que le tan­go a aus­si servi à lut­ter con­tre le tabac qui t’abat. Je pense que vous décou­vrirez quelques scoops dans cette anec­dote fumante.

Extrait musical

Fuman­do espero 1927-07-21 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor — Dir. Adol­fo Cara­bel­li.

Cette très belle ver­sion souf­fre bien sûr de son anci­en­neté et du style de l’époque, mais les con­tre­points sont superbes et la ryth­mique lourde est com­pen­sée par de jolis traits. J’aime beau­coup les pas­sages lega­to des vio­lons.

Main­tenant que vous l’avez écouté, nous allons entr­er dans le vif d’un sujet un peu fumeux, tout d’abord avec des cou­ver­tures de par­ti­tions.

Fuman­do espero. Divers­es par­ti­tions.

On notera que trois des par­ti­tions annon­cent la créa­tion, mais par des artistes dif­férents…
Créa­tion de Ramonci­ta Rovi­ra (Par­ti­tion éditée par Ilde­fon­so Alier) à Madrid en 1925.
Créa­tion de Pilar Berti pour la pub­li­ca­tion de Barcelone, DO-RE-MI qui pub­li­ait chaque semaine une par­ti­tion. Mais c’est une autre Pilar (Arcos) qui l’enregistrera à divers­es repris­es.
Tania Mex­i­can, créa­trice de ce mag­nifique tan­go, annonce cette par­ti­tion. Tania aurait été la pre­mière à le chanter à Buenos Aires. Ce n’est pas impos­si­ble dans la mesure où cette Espag­nole de Tolède est arrivée en Argen­tine en 1924. Elle fut la com­pagne de Enrique San­tos Dis­cépo­lo.
Si on peut voir la men­tion « « « Mex­i­can » à côté de son nom, c’est qu’elle est arrivée à Buenos Aires avec le Con­jun­to The Mex­i­cans

Après les édi­tions espag­noles, voici celles d’Amérique latine, plus tar­dives, elles ont suivi le tra­jet de la musique.
Felix Car­so au lieu de Car­zo pour l’édition brésili­enne de 1927. L’éditeur, Car­los Wehrs vendait aus­si des pianos.
Tan­go de Velado­ma­to (au lieu de Velado­mat (non cata­lan) pour l’édition chili­enne.
Ces cinq par­ti­tions sont de la pre­mière vague (années 20–30)

La par­ti­tion éditée par las Edi­ciones Inter­na­cionales Fer­ma­ta avec la pho­to de Héc­tor Varela en cou­ver­ture date des années 50. Prob­a­ble­ment de 1955, date de l’enregistrement par Varela de ce titre.

Paroles

Fumar es un plac­er
genial, sen­su­al.
Fuman­do espero
al hom­bre a quien yo quiero,
tras los cristales
de ale­gres ven­tanales.
Mien­tras fumo,
mi vida no con­sumo
porque flotan­do el humo
me sue­lo adorme­cer…
Ten­di­da en la chaise longue
soñar y amar…
Ver a mi amante
solíc­i­to y galante,
sen­tir sus labios
besar con besos sabios,
y el deva­neo
sen­tir con más deseos
cuan­do sus ojos veo,
sedi­en­tos de pasión.
Por eso estando mi bien
es mi fumar un edén.

Dame el humo de tu boca.
Anda, que así me vuel­vo loca.
Corre que quiero enlo­que­cer
de plac­er,
sin­tien­do ese calor
del humo embria­gador
que aca­ba por pren­der
la lla­ma ardi­ente del amor.

Mi egip­cio es espe­cial,
qué olor, señor.
Tras la batal­la
en que el amor estal­la,
un cig­a­r­ril­lo
es siem­pre un des­can­sil­lo
y aunque parece
que el cuer­po lan­guidece,
tras el cig­a­r­ro crece
su fuerza, su vig­or.
La hora de inqui­etud
con él, no es cru­el,
sus espi­rales son sueños celes­tiales,
y for­man nubes
que así a la glo­ria suben
y envuelta en ella,
su chis­pa es una estrel­la
que luce, clara y bel­la
con rápi­do ful­gor.
Por eso estando mi bien
es mi fumar un edén.

Juan Vilado­mat Masanas Letra: Félix Gar­zo (Anto­nio José Gaya Gar­dus)

Traduction libre et indications

Fumer est un plaisir génial, sen­suel.
En fumant, j’attends l’homme que j’aime, der­rière les vit­res de fenêtres gaies.
Pen­dant que je fume, ma vie, je ne la con­somme pas parce que la fumée qui flotte me rend générale­ment som­no­lente…
Allongée sur la chaise longue, rêver et aimer… (On notera que la chaise longue est indiquée en français dans le texte).
Voir mon amant plein de sol­lic­i­tude et galant, de sen­tir ses lèvres embrass­er de bais­ers sages, et d’éprouver plus de désir quand je vois ses yeux assoif­fés de pas­sion.
C’est pourquoi mon bien est de fumer une Edén (mar­que de cig­a­rettes, voir ci-dessous les détails).
Donne-moi la fumée de ta bouche.
Allez, qu’ainsi je devi­enne folle.
Cours, que j’ai envie de devenir folle de plaisir, en sen­tant cette chaleur de la fumée enivrante qui finit par allumer la flamme brûlante de l’amour.
Mon égyp­tien (tabac égyp­tien) est spé­cial, quelle odeur, mon­sieur.
Après la bataille dans laque­lle l’amour explose, une cig­a­rette est tou­jours un repos et bien qu’il sem­ble que le corps lan­guisse, après le cig­a­re (en lun­far­do, el cig­a­r­ro est le mem­bre vir­il…), sa force, sa vigueur, gran­dis­sent.
L’heure de l’agitation avec lui n’est pas cru­elle, ses spi­rales sont des rêves célestes, et for­ment des nuages qui s’élèvent ain­si vers la gloire et envelop­pés d’elle, son étin­celle est une étoile qui brille, claire et belle d’un éblouisse­ment rapi­de.
C’est pourquoi mon bien est de fumer une Edén.

La cigarette et le tango

Ce tan­go serait une bonne occa­sion pour par­ler du thème de la cig­a­rette et du tan­go. Étant non-fumeur, je béni la loi 1799 (Buenos Aires) qui fait que depuis octo­bre 2006, il est inter­dit de fumer dans les lieux publics. Cela a large­ment amélioré la qual­ité de l’air dans les milon­gas.
La loi 3718 (décem­bre 2010) ren­force encore ces inter­dic­tions et donc depuis 5 jan­vi­er 2012, il est totale­ment inter­dit de fumer dans les lieux publics et les espaces fumeurs intérieurs sont inter­dits. Cepen­dant, imag­inez l’atmosphère au cours du vingtième siè­cle, époque où le tabac fai­sait des rav­ages.
Le tan­go du jour peut être con­sid­éré comme une pub­lic­ité pour le tabac et même une pub­lic­ité pour le tabac égyp­tien d’une part et la mar­que Edén qui était une mar­que rel­a­tive­ment lux­ueuse.

Avec Edén, allez plus vite au paradis

Dans ce tan­go, sont cités deux types de tabac, l’égyptien et les cig­a­rettes à base de tabac de la Havane. Je pour­rais rajouter le cig­a­re de la Havane, mais je pense que la référence au cig­a­re est plus coquine que rel­a­tive à la fumée…
Les cig­a­rettes Edén étaient com­mer­cial­isées en deux var­iétés, la n° 1, fab­riqué avec du tabac de la Havane, coû­tait 30 cents et la n° 2, avec un mélange de tabac de la Havane et de Bahia, 20 cents le paquet.

À gauche, paquet de tabac égyp­tien. À droite, pub­lic­ité pour les cig­a­rettes Edén (1899). Clodimiro Urtubey est le créa­teur de la mar­que

Les tangos faisant la propagande du tabac

On peut bien sûr inclure notre tan­go du jour (Fuman­do espero (1922), puisqu’il cite des mar­ques et l’acte de fumer. Cepen­dant, rien ne prou­ve que ce soient des pub­lic­ités, même déguisées. La référence au tabac égyp­tien peut être une sim­ple évo­ca­tion du luxe, tout comme la mar­que Edén qui en out­re rime avec bien.
Par ailleurs, l’auteur de la musique, Juan Vilado­mat sem­ble être un adepte des drogues dans la mesure où il a égale­ment écrit un tan­go qui se nomme La cocaí­na avec des paroles de Ger­ar­do Alcázar.

Par­ti­tion de La cocaina de Juan Vilado­mat avec des paroles de Ger­ar­do Alcázar.
La cocaí­na 1926 — Ramonci­ta Rovi­ra.

La cocaí­na 1926 — Ramonci­ta Rovi­ra. Cette pièce fai­sait par­tie du Guig­nol lyrique en un acte « El tan­go de la cocaí­na » com­posé par Juan Vilado­mat avec un livret de Amichatis et Ger­ar­do Alcázar.

J’imagine donc qu’il a choisi le thème sans besoin d’avoir une moti­va­tion finan­cière…
D’autres tan­gos sont dans le même cas, comme : Larga el pucho (1914), Sobre el pucho (1922), Fume Com­padre (ou Nubes de humo, 1923), Como el humo (1928), Cig­a­r­il­lo (1930), Pucho 1932, Taba­co (1944), Som­bra de humo (1951), Un cig­a­r­il­lo y yo (1966) et bien d’autres qui par­lent à un moment ou un autre, de fumée, de cig­a­rette (cigarillo/pucho/faso) ou de tabac.

Cig­a­r­ril­lo 1930-07-17 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Luis Díaz (Adol­fo Rafael Avilés Letra: Ernesto E. de la Fuente).

Atten­tion, ne pas con­fon­dre avec le tan­go du même nom qui milite con­tre le tabac et que je présente ci-dessous…
Sur le fait que Canaro n’a pas fait cela pour de l’ar­gent, j’ai tout de même un petit doute, il avait le sens du com­merce…

En revanche, d’autres tan­gos ont été com­man­dités par des mar­ques de cig­a­rettes. Par­mi ceux-ci, citons :

Améri­ca (qui est une mar­que de cig­a­rettes)
Fuman­do Sudan, espero (Sudan est une mar­que de cig­a­rette et Pilar Arcos a enreg­istré cette ver­sion pub­lic­i­taire en 1928).

Paquet en dis­tri­b­u­tion gra­tu­ite et vignettes de col­lec­tion (1920) des cig­a­rettes Soudan, une mar­que brésili­enne créée par Sab­ba­do D’Angelo en 1913.
Fuman­do Sudan espero 1928-06-15 — Pilar Arcos Acc. Orques­ta Tipi­ca Dir. Louis Katz­man.

Le nom des cig­a­rettes ne vient pas du pays, le Soudan, mais de l’utilisation des pre­mières let­tres du nom du fon­da­teur de la mar­que, S de Saba­do, Um(N) de Umberto et DAN de D’Angelo…
Quoi qu’il en soit, cette mar­que ne rec­u­lait devant aucun moyen mar­ket­ing, dis­tri­b­u­tion gra­tu­ite, images de col­lec­tion, ver­sion chan­tée…
Cela me fait penser à cette pub­lic­ité argen­tine pour la pre­mière cig­a­rette…

Pub­lic­ité argen­tine pour la pre­mière cig­a­rette met­tant en scène un enfant… La cig­a­rette est au pre­mier plan à gauche. On imag­ine la suite.

Sel­lo azul (qui est une mar­que de cig­a­rettes).

Sel­lo Azul de Sci­ammarel­la et Rubis­tein, et à droite, un paquet de ces cig­a­rettes…

Aprovechá la bola­da, Fumá Caran­chos dont je vous pro­pose ici les paroles qui sont un petit chef‑d’œuvre de mar­ket­ing de bas étage :

Cou­ver­ture de la par­ti­tion de Aprovechá la bola­da — Fumá Caran­chos de Fran­cis­co Bohi­gas

Paroles de Aprovechá la bolada, Fumá Caranchos

Che Pan­chi­to, no seas longhi, calmá un poco tu arreba­to que el que tiene una papusa cual la novia que tenés, no es de ley que se sui­cide por el hecho de andar pato; a la suerte hay que afrontar­la con bravu­ra y altivez.
Donde hay vida hay esper­an­za, no pifiés como un incau­to.
Y a tu piba no le arru­ines su pala­cio de ilusión vos querés dártela seca porque sueña con un auto, una casa y otras yer­bas; yo te doy la solu­ción.
Refrán:
Fumá Caran­chos no seas chan­cle­ta, que en cada eti­que­ta se encuen­tra un cupón.
Seguí mi con­se­jo, pren­dete, che Pan­cho que está en Los Caran­chos tu gran sal­vación.
Fumá Caran­chos, que al fin del jaleo en el gran sor­teo te vas a lig­ar una casa pos­ta, un buick de paseo y el sueño de tu piba se va a realizar.
Ya se me hace, che Pan­chi­to, que te veo muy tri­un­fante, dan­do dique a todo el mun­do con un buick deslum­brador, por Flori­da, por Cor­ri­entes, con tu novia en el volante propi­etario de una casa que será nido de amor.
Sin embar­go, caro mio, si no entrás en la fuma­da, serás siem­pre un pobre loco que de seco no sal­drá.
Vos bus­cate tu aco­mo­do, aprovechá la bola­da, fumá Caran­chos queri­do, que tu suerte cam­biará.
Fumá Caran­chos, no seas chan­cle­ta que en cada eti­que­ta se encuen­tra el cupón.

Fran­cis­co Bohi­gas

Traduction libre de Aprovechá la bolada, Fumá Caranchos (Saute sur ta chance, fume Caranchos)

Che Pan­chi­to, ne sois pas un manche, calme un peu ton emporte­ment, car celui qui a une poupée comme la petite amie que tu as, il n’est pas juste pour lui de se sui­cider, car il a fait le canard (« cada paso una caga­da », le canard a la répu­ta­tion de faire une crotte à chaque pas, une gaffe à chaque pas) ; la chance doit être affron­tée avec bravoure et arro­gance.
Là où il y a de la vie, il y a de l’espoir, ne faites pas de gaffes comme un impru­dent.
Et ne ruine pas le palais d’illusion de ta poupée, tu te vois fauché parce qu’elle rêve d’une voiture, d’une mai­son et d’autres trucs ; Je vais te don­ner la solu­tion.
Fume Caran­chos ne sois pas une mau­vi­ette, car sur chaque éti­quette, se trou­ve un coupon.
Suis mon con­seil, allume, che Pan­cho, ton grand salut est dans les Caran­chos.
Fume des Caran­chos, parce qu’à la fin du tirage de la grande tombo­la, tu vas recevoir une mai­son excel­lente, une Buick pour la balade et le rêve de ta chérie va se réalis­er.
Il me sem­ble, che Pan­chi­to, que je te vois très tri­om­phant, te pavanant devant tout le monde avec une Buick éblouis­sante, dans Flori­da, dans Cor­ri­entes, avec ta copine au volant et pro­prié­taire d’une mai­son qui sera un nid d’amour.
Cepen­dant, mon cher, si tu ne te lances pas dans la fumée, tu seras tou­jours un pau­vre fou qui ne sor­ti­ra pas de la dèche.
Tu trou­veras ton loge­ment, prof­ite de la chance, fume, mon cher, Caran­chos, ta chance va tourn­er.
Fume des Caran­chos, ne sois pas une mau­vi­ette, car sur chaque éti­quette se trou­ve le coupon.
On notera qu’il a fait un tan­go du même type Tirate un lance (tente ta chance), qui fai­sait la pro­pa­gande d’un tirage au sort d’un vin pro­duit par les caves Giol7. Ne pas con­fon­dre avec le tan­go du même titre écrit par Héc­tor Mar­có et chan­té notam­ment par Edmun­do Rivero.

Le tango contre le tabac

Même si l’immense des tan­gos fait l’apologie de la cig­a­rette, cer­tains dénon­cent ses méfaits en voici un exem­ple :

Paroles de Cigarrillo de Pipo Cipolatti (musique et paroles)

Tan­to daño,
tan­to daño provo­caste
a toda la humanidad.
Tan­tas vidas,
tan­tas vidas de mucha­cho
te fumaste… yo no sé.
Apa­gan­do mi amar­gu­ra
en la bor­ra del café
hoy te can­to, cig­a­r­ril­lo, mi ver­dad…

Cig­a­r­ril­lo…
com­pañero de esas noches,
de mujeres y cham­pagne.
Muerte lenta…
cada faso de taba­co
es un año que se va…
Che, purrete,
escuchá lo que te digo,
no hagas caso a los demás.
El taba­co es traicionero
te destruye el cuer­po entero
y te agre­ga más edad…
El taba­co es traicionero,
te destruye el cuer­po entero… ¡y qué!
y esa tos te va a matar…

¡Ay, que lin­do !…
Ay, que lin­do que la gente
com­prendiera de una vez
lo difí­cil,
lo difí­cil que se hace,
hoy en día, el res­pi­rar.
Es el humo del cilin­dro
maquiavéli­co y rufián
que destruye tu teji­do pul­monar

Pipo Cipo­lat­ti

Traduction libre des paroles de Cigarrillo

Tant de dégâts, tant de dégâts tu as causé à toute l’humanité.
Tant de vies, tant de vies d’enfants tu as fumé… Je ne sais pas.
Éteignant mon amer­tume dans le marc de café, aujourd’hui je te chante, cig­a­rette, ma vérité…
Cig­a­rette… Com­pagne de ces nuits, des femmes et de cham­pagne.
Mort lente… Chaque cig­a­rette (faso, cig­a­rette en lun­far­do) est une année qui s’en va…
Che, gamin, écoute ce que je te dis, ne fais pas atten­tion aux autres.
Le tabac est traître, il détru­it le corps en entier et t’ajoute plus d’âge…
Le tabac est traître, il détru­it le corps entière­ment… et puis !
Et cette toux va te tuer…
Oh, comme ce serait bien !…
Oh, comme ce serait bien que les gens com­pren­nent une fois pour toutes com­bi­en le dif­fi­cile, com­bi­en il est dif­fi­cile de respir­er aujourd’hui.
C’est la fumée du cylin­dre machi­avélique et voy­ou qui détru­it ton tis­su pul­monaire

Si on rajoute un autre de ses tan­gos Piso de soltero qui par­le des rela­tions d’un homme avec d’autres hommes et des femmes et des alcools, vous aurez un panora­ma des vices qu’il dénonce.

Autres versions

Il y a des dizaines de ver­sions, alors je vais essay­er d’être bref et de n’apporter au dossier que des ver­sions intéres­santes, ou qui appor­tent un autre éclairage.
Ce que l’on sait peu, est que ce tan­go est espag­nol, voire cata­lan et pas argentin…
Juan Vilado­mat est de Barcelone et Félix Gar­zo de San­ta Colo­ma de Gramenet (sur la rive opposée du río Besós de Barcelone).
Le tan­go (en fait un cuplé, c’est-à-dire une chan­son courte et légère des­tinée au théâtre) a été écrit pour la revue La nue­va España, lancée en 1923 au teatro Vic­to­ria de Barcelona.
La pre­mière chanteuse du titre en a été Ramonci­ta Rovi­ra née à Fuli­o­la (Cat­a­logne). Je rap­pelle que Ramonci­ta a aus­si lancé le tan­go La cocaí­na que l’on a écouté ci-dessus. Ramonci­ta, l’aurait enreg­istré en 1924, mais je n’ai pas ce disque. D’autres chanteuses espag­noles pren­dront la relève comme Pilar Arcos, puis Sara Mon­tiel et ensuite Mary Sant­pere bien plus tard.

Fuman­do-Espero 1926-08 – Orques­ta Del Mae­stro Lacalle.

Ce disque Colum­bia No.2461‑X tiré de la matrice 95227 a été enreg­istré en août 1926 à New York où le Mae­stro Lacalle (la rue), d’origine espag­nole, a fini sa vie (11 ans plus tard). C’est une ver­sion instru­men­tale, un peu répéti­tive. L’avantage d’avoir enreg­istré à New-York est d’avoir béné­fi­cié d’une meilleure qual­ité sonore, grâce à l’enregistrement élec­trique. Le même jour, il a enreg­istré Lan­gos­ta de Juan de Dios Fil­ib­er­to, mais il en a fait une marche joyeuse qui a peu à voir avec le tan­go orig­i­nal.

Disque enreg­istré à New York en 1926 par El Mae­stro Lacalle de Fuman­do Espero et Lan­gos­ta.

On est donc en présence d’un tan­go 100 % espag­nol et même 100 % cata­lan, qui est arrivé à New York en 1926, mais ce n’est que le début des sur­pris­es.

Fuman­do Espero 1926-10-18 — Mar­gari­ta Cue­to acc. Orques­ta Inter­na­cional — Dir.Eduardo Vig­il Y Rob­les. Un autre enreg­istrement new-yorkais et ce ne sera pas le dernier…

Fuman­do espero 1926-10-29 — Orques­ta Inter­na­cional — Dir. Eduar­do Vig­il Y Rob­les. Quelques jours après l’enregistrement avec Mar­gari­ta Cue­to, une ver­sion instru­men­tale.

On quitte New York pour Buenos Aires…

Fuman­do espero 1927-07-11 — Rosi­ta Quiroga con orques­ta.

Rosi­ta Quiroga, la Édith Piaf de Buenos Aires, à la dic­tion et aux manières très faubouri­ennes était sans doute dans son élé­ment pour par­ler de la cig­a­rette. On est toute­fois loin de la ver­sion raf­finée qui était celle du cuplé espag­nol d’origine.

Fuman­do espero 1927-07-21 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor — Dir. Adol­fo Cara­bel­li.

C’est notre superbe ver­sion instru­men­tale du jour, magis­trale­ment exé­cutée par l’orchestre de la Vic­tor sous la baguette de Cara­bel­li.

Fuman­do espero 1927 — Sex­te­to Fran­cis­co Pracáni­co.

Une autre ver­sion instru­men­tale argen­tine. Le titre a donc été adop­té à Buenos Aires, comme en témoigne la suc­ces­sion des ver­sions.

Fuman­do espero 1927-08-20 – Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to.

Une ver­sion un peu frus­tre à mon goût.

Fuman­do espero 1927-08-23 – Orques­ta Rober­to Fir­po.

Fir­po nous pro­pose une superbe intro­duc­tion et une orches­tra­tion très élaborée, assez rare pour l’époque. Même si c’est des­tiné à un tan­go un peu lourd, canyengue, cette ver­sion devrait plaire aux danseurs qui peu­vent sor­tir du strict âge d’or.

Fuman­do espero 1927-09-30 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Rober­to Fuga­zot.

Canaro ne pou­vait pas rester en dehors du mou­ve­ment, d’autant plus qu’il enreg­istr­era Cig­a­r­ril­lo avec Luis Díaz en 1930 (comme nous l’avons vu et écouté ci-dessus).

Fuman­do espero 1927-11-08 — Orques­ta Osval­do Frese­do.
Fuman­do espero 1927-11-17 — Igna­cio Corsi­ni con gui­tar­ras de Aguilar-Pesoa-Maciel.

Une belle inter­pré­ta­tion par ce chanteur qui aurait mérité, à mon avis, une gloire égale à celle de Gardel.

Fuman­do espero 1927 — Pilar Arcos Acc. The Castil­ians.
Fuman­do Sudan espero 1928-06-15 — Pilar Arcos Acc. Orques­ta Tipi­ca Dir. Louis Katz­man.

C’est la ver­sion pub­lic­i­taire que nous avons évo­quée dans le chapitre sur tabac et tan­go.

La source sem­ble s’être tarie et l’on ne trou­ve plus de ver­sions de Fuman­do espero intéres­sante avant les années 1950.

Fuman­do espero 1955-05-20 — Enrique Mora — Elsa Moreno.
Fuman­do espero 1955-06-01 — Orques­ta Héc­tor Varela con Argenti­no Ledes­ma.

Oui, je sais, cette ver­sion, vous la con­nais­sez et elle a cer­taine­ment aidé au renou­veau du titre. C’est superbe et bien que ce type d’interprétation mar­que la fin du tan­go de danse, 97,38 % (env­i­ron), des danseurs se ruent sur la piste aux pre­mières notes.

Fuman­do espero 1955-12-01 — Orques­ta Dona­to Rac­ciat­ti con Olga Del­grossi.

L’Uruguay se toque aus­si pour la reprise de Fuman­do espero. Après Dona­to Rac­ciat­ti et Olga Del­grossi, Nina Miran­da.

Fuman­do espero 1956 — Orques­ta Gra­ciano Gómez con Nina Miran­da.

Nina Miran­da a été engagée en 1955 par Odeón. C’est Gra­ciano Gómez qui a été chargé de l’accompagner. C’est une col­lab­o­ra­tion entre les deux rives du Rio de la Pla­ta.

Fuman­do espero 1956 — Jorge Vidal con gui­tar­ras.

Une ver­sion tran­quille, à la gui­tare.

Fuman­do espero 1956-02-03 — Orques­ta Car­los Di Sar­li con Argenti­no Ledes­ma.

Après la ver­sion à 97,38 % avec Varela, Argenti­no Ledes­ma, avec Di Sar­li réalise la ver­sion pour 100 % des danseurs.
Ledes­ma venait de quit­ter l’orchestre de Varela pour inté­gr­er celui de Di Sar­li. Il devient le spé­cial­iste du titre… Ce fut un immense suc­cès com­mer­cial au point que la Víc­tor décala sa fer­me­ture pour vacances pour rééditer d’autres dis­ques en urgence. L’enregistrement avec Varela n’avait pas obtenu le même accueil, c’est donc plutôt 1956 qui mar­que le renou­veau explosif du titre.

Fuman­do espero 1956-04-03 — Orques­ta Alfre­do De Ange­lis con Car­los Dante.

J’aurais plus imag­iné Lar­ro­ca pour ce titre. De Ange­lis a choisi Dante. C’est toute­fois joli, mais je trou­ve qu’il manque un petit quelque chose…

Pop­urri 1956-04-20 Fuman­do espero, His­to­ria de un amor y Baile­mos — José Bas­so C Flo­re­al Ruiz.

Il s’agit d’un pop­urrí, c’est à dire du mélange dans un seul tan­go de plusieurs titres. Comme ce pot-pour­ri com­mence par Fuman­do espero, j’ai choisi de l’insérer pour que vous puissiez prof­iter de la superbe voix de Flo­re­al Ruiz. À 58 sec­on­des com­mence His­to­ria de un amor et à deux min­utes, vous avez pour le même prix un troisième titre, Baile­mos. Les tran­si­tions sont réussies et l’ensemble est cohérent. On pour­rait presque pro­pos­er cela pour la danse (avec pré­cau­tion et pour un moment spé­cial).

Fuman­do espero 1956-04-26 — Orques­ta Car­los Di Sar­li con Rober­to Flo­rio.

On peut se deman­der pourquoi Di Sar­li enreg­istre une nou­velle ver­sion, moins de trois mois après celle de Ledes­ma. L’introduction est dif­férente et l’orchestration présente quelques vari­antes. La plus grosse dif­férence est la voix du chanteur. Si on décide de faire une tan­da avec Flo­rio, cet enreg­istrement me sem­ble un excel­lent élé­ment. Je pense que la prin­ci­pale rai­son est que Ledes­ma n’a enreg­istré que trois tan­gos avec Di Sar­li et que donc c’est trop peu, ne serait que pour nous, DJ, pour avoir un peu de choix. Si je veux pass­er la ver­sion avec Ledes­ma, je suis obligé de faire une tan­da mixte, autre chanteur et/ou titre instru­men­tal pour obtenir les qua­tre titres de rigueur. Puis, entre nous, ce n’est pas indis­pens­able d’inclure une de ces ver­sions dans une milon­ga…
Il y a peut-être aus­si un peu de colère de la part de Di Sar­li. En effet, si l’enregistrement de Ledes­ma avec Varela n’avait pas bien fonc­tion­né, à la suite du suc­cès de la ver­sion avec Di Sar­li, la Colum­bia (la mai­son de dis­ques de Varela) décide de relancer l’enregistrement de 1955. Ce fut alors un immense suc­cès qui a décidé la Colum­bia a réin­té­gr­er Ledes­ma dans l’orchestre de Varela. Voy­ant que son nou­veau poulain, par­tait en fumée, Di Sar­li (ou la Víc­tor) a donc décidé de graver d’urgence une autre ver­sion avec un nou­veau chanteur afin de ne pas laiss­er au cat­a­logue un titre avec un chanteur passé à la con­cur­rence…

Fuman­do espero 1956 — Los Señores Del Tan­go C Mario Pomar.

Un bon orchestre avec la belle voix de Mario Pomar. Agréable à écouter.

Fuman­do espero 1956 — Lib­er­tad Lamar­que Orques­ta — Dir.Victor-Buchino.

Fuman­do espero 1956 — Lib­er­tad Lamar­que Orques­ta —  Dir.Victor-Buchino. L’accompagnement dis­cret de Vic­tor Buchi­no et la presta­tion sou­vent a capel­la de Lib­er­tad Lamar­que per­met de bien saisir le grain de voix mag­nifique de Lib­er­tad.

Fuman­do espero 1957 — Chola Luna y Orques­ta Luis Caru­so.
Fuman­do espero 1957 — Impe­rio Argenti­na.

Si Impe­rio Argenti­na est née en Argen­tine, elle a fait une grande par­tie de sa car­rière en Europe, en Espagne (où elle est arrivée, ado­les­cente) et bien sûr en France, mais aus­si en Alle­magne. Elle nous per­met de faire la liai­son avec l’Espagne ou nous revenons pour ter­min­er cette anec­dote.

C’est le film, El Últi­mo Cuplé qui va nous per­me­t­tre de fer­mer la boucle. Le thème rede­vient un cuplé et même si le théâtre a été rem­placé par le ciné­ma, nous achèverons notre par­cours avec cette scène du film ou Sara Mon­tiel chante le cuplé.

Sara Mon­tiel chante Fuman­do espero dans le film El Últi­mo Cuplé de 1957. Met­teur en scène : Juan de Orduña

Vous aurez recon­nu l’illustration de cou­ver­ture. J’ai mod­i­fié l’ambiance pour la ren­dre plus noire et ajouté de la fumée, beau­coup de fumée…

À demain, les amis, et à ceux qui sont fumeurs, suiv­ez les con­seils de Pipo Cipo­lat­ti que je vous con­serve longtemps. Je rédi­ge cette anec­dote le 20 juil­let, Dia del ami­go (jour de l’ami).

Nunca más 1941-07-14 — Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré

Francisco Lomuto Letra: Oscar Lomuto

Nun­ca más, est comme un cri lancé. Nun­ca más exprime la rage, le dés­espoir, l’espoir. Nun­ca más, c’est un des plus beaux thèmes enreg­istrés par D’Arienzo avec Mau­ré. Nun­ca más est une œuvre de deux des frères Lomu­to, Fran­cis­co qui en a fait la musique et Oscar qui a écrit les paroles. Un tan­go qui exprime la rage, le dés­espoir, l’espoir. C’est notre tan­go du jour.

Extrait musical

Nun­ca más 1941-07-14 – Orques­ta Juan D’Arienzo con Héc­tor Mau­ré.
Nun­ca más. Fran­cis­co Lomu­to Letra: Oscar Lomu­to.

Paroles

En una noche de fal­sa ale­gría
tus ojos claros volví a recor­dar
y entre los tan­gos, el vino y la orgía,
busqué febril tu recuer­do matar.
Record­a­ba mi dicha sin igual
que a vos sola mi vida con­sagré,
pero ingra­ta te fuiste y en mi mal
triste y solo, cobarde, te lloré.

Eras
la ilusión de mi vida
toda
mi ale­gría y mi pasión.
Mala,
yo que te quise por bue­na
en tus dul­ces labios, nena,
me he que­ma­do el corazón.
Lin­da,
muñe­qui­ta mimosa,
siem­pre,
en mi corazón estás,
Nena,
acor­date de la pena
que me dio tu boca, loca,
cuan­do dijo: ¡Nun­ca más!

Entre milon­gas y tim­bas, mi vida
pasan­do va estas horas inqui­etas,
de penas lleno, el alma oprim­i­da,
páli­do el ros­tro como una care­ta.
Arrepen­ti­da, nun­ca vuel­vas, jamás
a pedir des­o­la­da mi perdón.
¡No olvides que al decirme nun­ca más,
me dejaste, mujer, sin corazón!…

Fran­cis­co Lomu­to Letra: Oscar Lomu­to

Traduction libre

Par une nuit de joie fac­tice, je me suis rap­pelé tes yeux clairs et entre les tan­gos, le vin et l’orgie, j’ai cher­ché fébrile­ment à tuer ton sou­venir.
Je me suis sou­venu de mon bon­heur sans pareil d’avoir con­sacré ma vie à toi seul, mais ingrate, tu t’en es allée et dans mon mal triste et soli­taire, lâche, je t’ai pleurée.
Tu étais l’amour (« ilusión » n’est pas « illu­sion ») de ma vie, toute ma joie et ma pas­sion.
Mau­vaise, moi qui t’ai aimé pour le bien sur tes douces lèvres, petite, j’ai brûlé mon cœur.
Belle, poupée câline, tu es tou­jours, dans mon cœur, Petite, sou­viens-toi du cha­grin que ta bouche folle m’a don­né, quand elle a dit : Plus jamais !
Entre milon­gas et tim­bas (tripot, boîtes de jeu clan­des­tines), ma vie passe par ces heures agitées, pleines de cha­grins, l’âme oppressée, le vis­age pâle comme un masque.
Repen­tante, jamais tu ne reviens, jamais à deman­der, désolée, mon par­don.
N’oublie pas qu’en dis­ant plus jamais, tu m’as lais­sé, femme, sans cœur !… (la vir­gule change le sens de la phrase. Là, c’est prob­a­ble­ment lui qui est sans cœur, même s’il est sous-enten­du qu’elle a égale­ment été sans cœur de l’abandonner. J’y vois une façon sub­tile de la met­tre en cause, mais sans l’attaquer de front, au cas où elle reviendrait…).

Autres versions

Nun­ca más 1924 — Car­los Gardel con acomp. de Guiller­mo Bar­bi­eri, José Ricar­do (gui­tar­ras).

Gardel est le pre­mier à avoir enreg­istré le titre, env­i­ron deux ans après son écri­t­ure.

Nun­ca más 1927-07-19 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to.

Trois ans après Gardel, Lomu­to enreg­istre le titre conçu avec son frère. Une ver­sion bien canyengue. Pas vilain, mais à réserv­er aux ama­teurs du genre. Le ban­donéon de Minot­to Di Cic­co est bien vir­tu­ose pour l’époque.

Nun­ca más 1931-08-27 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to con Alber­to Acuña y Fer­nan­do Díaz.

Une ver­sion plus tonique, qui mon­tre mieux la colère de l’homme aban­don­né. Enfin, pour le début, car quand les chanteurs com­men­cent d’une voix miaulante, tout retombe. Je ne suis pas con­va­in­cu par ce duo. Ce ne sera pas ma ver­sion préférée, mais il y en a tant d’autres que ce n’est pas un prob­lème… Le plus éton­nant est que c’est la plus dif­fusée. Une fois les chanteurs muets, la musique reprend, plus entraî­nante, c’était juste un « mau­vais moment » à pass­er. Comme quoi, les goûts et les couleurs… On notera que Oscar Napoli­tano qui a rem­placé un autre frère de Lomu­to (Enrique) inter­vient de façon sym­pa­thique.

Nun­ca más 1931-11-10 — Alber­to Gómez con acomp. de gui­tar­ras.

Gómez pro­pose une ver­sion chan­tée, sans doute plus sym­pa­thique que celle de Gardel.

Nun­ca más 1932-01-12 — Ada Fal­cón con acomp. de Fran­cis­co Canaro.

On reste dans les ver­sions à écouter avec Ada Fal­cón. Elle met au ser­vice du titre sa dic­tion et son phrasé par­ti­c­uli­er. C’est un autre titre sym­pa­thique à écouter.

Nun­ca más 1941-07-14 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Héc­tor Mau­ré.

C’est notre tan­go du jour. Il reprend le début tonique de la ver­sion de 1931 de Lomu­to, mais avec la rage de D’Arienzo à pleine puis­sance. Une énergie fan­tas­tique se dégage de ce titre et don­nera un élan irré­press­ible aux danseurs. Ce qui est mer­veilleux est que Mau­ré s’inscrit dans cette dynamique sans faire chuter la dynamique, même si l’orchestre se met en retrait pen­dant son inter­ven­tion. C’est un des très grands titres de danse de D’Arienzo. Ce n’est pas par hasard que je l’ai choisi comme tan­go du jour…

Nun­ca más 1948-09-23 — Orques­ta Miguel Caló con Rober­to Arri­eta.

On change d’univers avec Miguel Caló. On est sur­pris par de nom­breux change­ments de tonal­ité. Même si la voix de Arri­eta est belle, on aura sans doute mal à soulever l’enthousiasme des danseurs avec cette ver­sion.

Nun­ca más 1950-04-25 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to con Miguel Mon­tero.

De fin à 1949 à fin 1950, Mon­tero a enreg­istré de quoi faire une tan­da calme et nos­tal­gique avec Lomu­to, mais je pense que ceux qui adorent Mon­tero sont plus des audi­teurs que des danseurs.

Nun­ca más 1956-08-31 — Ángel Var­gas y su Orques­ta dirigi­da por Edelmiro “Toto” D’A­mario.

Sans son parte­naire ange, (D’Agostino), Var­gas pour­suit sa car­rière. L’orchestre de Toto pro­pose un accom­pa­g­ne­ment de qual­ité. La voix de Var­gas est tou­jours mer­veilleuse. On écoutera donc sans doute ce titre avec plaisir dans un bon canapé.

Nun­ca más 1974-12-11 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Alber­to Echagüe.

Avec son sec­ond chanteur fétiche, D’Arienzo renou­vèlera-t-il le suc­cès de la ver­sion de 1941 ? Pour moi, non. Cette ver­sion clin­quante comme beau­coup d’enregistrement de cette époque a lais­sé de côté la qual­ité de la danse au prof­it du spec­ta­cle, voire de l’esbrouffe. Echagüe, lui-même donne trop de sen­si­b­lerie dans son inter­pré­ta­tion. Je vous con­seille de revenir au titre chan­té par Mau­ré.

En résumé, pour moi, le DJ qui souhaite faire plaisir aux danseurs, il n’y a qu’une seule ver­sion pour une milon­ga de qual­ité, celle de 1941, même si cer­taines autres fer­ont plaisir à l’écoute.

Histoire du corbeau qui dit Nunca más

Ce titre me fait penser au texte d’Edgar Allan Poe, Le cor­beau (The raven).En voici la ver­sion en anglais et à la suite, la ver­sion traduite en français par Charles Baude­laire.

Nev­er­more (Nun­ca más).

Paroles

‘Once upon a mid­night drea­ry, while I pon­dered, weak and weary,
Over many a quaint and curi­ous vol­ume of for­got­ten lore—
While I nod­ded, near­ly nap­ping, sud­den­ly there came a tap­ping,
As of some one gen­tly rap­ping, rap­ping at my cham­ber door.
“’Tis some vis­i­tor,” I mut­tered, “tap­ping at my cham­ber door—
Only this and noth­ing more.”

Ah, dis­tinct­ly I remem­ber it was in the bleak Decem­ber;
And each sep­a­rate dying ember wrought its ghost upon the floor.
Eager­ly I wished the mor­row; —vain­ly I had sought to bor­row
From my books surcease of sor­row – sor­row for the lost Lenore—
For the rare and radi­ant maid­en whom the angels name Lenore—
Name­less here for ever­more.

And the silken, sad, uncer­tain rustling of each pur­ple cur­tain
Thrilled me – filled me with fan­tas­tic ter­rors nev­er felt before;
So that now, to still the beat­ing of my heart, I stood repeat­ing
“’Tis some vis­i­tor entreat­ing entrance at my cham­ber door—
Some late vis­i­tor entreat­ing entrance at my cham­ber door; —
This it is and noth­ing more.”

Present­ly my soul grew stronger; hes­i­tat­ing then no longer,
“Sir,” said I, “or Madam, tru­ly your for­give­ness I implore;
But the fact is I was nap­ping, and so gen­tly you came rap­ping,
And so faint­ly you came tap­ping, tap­ping at my cham­ber door,
That I scarce was sure I heard you” – here I opened wide the door; —
Dark­ness there and noth­ing more.

Deep into that dark­ness peer­ing, long I stood there won­der­ing, fear­ing,
Doubt­ing, dream­ing dreams no mor­tal ever dared to dream before;
But the silence was unbro­ken, and the still­ness gave no token,
And the only word there spo­ken was the whis­pered word, “Lenore?”
This I whis­pered, and an echo mur­mured back the word, “Lenore!”–
Mere­ly this and noth­ing more.

Back into the cham­ber turn­ing, all my soul with­in me burn­ing,
Soon again I heard a tap­ping some­what loud­er than before.
“Sure­ly,” said I, “sure­ly that is some­thing at my win­dow lat­tice;
Let me see, then, what there­at is, and this mys­tery explore—
Let my heart be still a moment and this mys­tery explore; —
’Tis the wind and noth­ing more!”

Open here I flung the shut­ter, when, with many a flirt and flut­ter,
In there stepped a state­ly Raven of the saint­ly days of yore;
Not the least obei­sance made he; not a minute stopped or stayed he;
But, with mien of lord or lady, perched above my cham­ber door—
Perched upon a bust of Pal­las just above my cham­ber door—
Perched, and sat, and noth­ing more.

Then this ebony bird beguil­ing my sad fan­cy into smil­ing,
By the grave and stern deco­rum of the coun­te­nance it wore,
“Though thy crest be shorn and shaven, thou,” I said, “art sure no craven,
Ghast­ly grim and ancient Raven wan­der­ing from the Night­ly shore—
Tell me what thy lord­ly name is on the Night’s Plu­ton­ian shore!”
Quoth the Raven “Nev­er­more.”

Much I mar­velled this ungain­ly fowl to hear dis­course so plain­ly,
Though its answer lit­tle mean­ing – lit­tle rel­e­van­cy bore;
For we can­not help agree­ing that no liv­ing human being
Ever yet was blessed with see­ing bird above his cham­ber door—
Bird or beast upon the sculp­tured bust above his cham­ber door,
With such name as “Nev­er­more.”

But the Raven, sit­ting lone­ly on the placid bust, spoke only
That one word, as if his soul in that one word he did out­pour.
Noth­ing far­ther then he uttered – not a feath­er then he flut­tered—
Till I scarce­ly more than mut­tered “Oth­er friends have flown before—
On the mor­row he will leave me, as my Hopes have flown before.”
Then the bird said “Nev­er­more.”

Star­tled at the still­ness bro­ken by reply so apt­ly spo­ken,
“Doubt­less,” said I, “what it utters is its only stock and store
Caught from some unhap­py mas­ter whom unmer­ci­ful Dis­as­ter
Fol­lowed fast and fol­lowed faster till his songs one bur­den bore—
Till the dirges of his Hope that melan­choly bur­den bore
Of ‘Nev­er – nev­er­more’.”

But the Raven still beguil­ing all my fan­cy into smil­ing,
Straight I wheeled a cush­ioned seat in front of bird, and bust and door;
Then, upon the vel­vet sink­ing, I betook myself to link­ing
Fan­cy unto fan­cy, think­ing what this omi­nous bird of yore—
What this grim, ungain­ly, ghast­ly, gaunt, and omi­nous bird of yore
Meant in croak­ing “Nev­er­more.”

This I sat engaged in guess­ing, but no syl­la­ble express­ing
To the fowl whose fiery eyes now burned into my bosom’s core;
This and more I sat divin­ing, with my head at ease reclin­ing
On the cushion’s vel­vet lin­ing that the lamp-light gloat­ed o’er,
But whose vel­vet-vio­let lin­ing with the lamp-light gloat­ing o’er,
She shall press, ah, nev­er­more!

Then, methought, the air grew denser, per­fumed from an unseen censer
Swung by Seraphim whose foot-falls tin­kled on the tuft­ed floor.
“Wretch,” I cried, “thy God hath lent thee – by these angels he hath sent thee
Respite – respite and nepenthe from thy mem­o­ries of Lenore;
Quaff, oh quaff this kind nepenthe and for­get this lost Lenore!”
Quoth the Raven “Nev­er­more.”

“Prophet!” said I, “thing of evil! – prophet still, if bird or dev­il! —
Whether Tempter sent, or whether tem­pest tossed thee here ashore,
Des­o­late yet all undaunt­ed, on this desert land enchant­ed—
On this home by Hor­ror haunt­ed – tell me tru­ly, I implore—
Is there–is there balm in Gilead? – tell me–tell me, I implore!”
Quoth the Raven “Nev­er­more.”

“Prophet!” said I, “thing of evil! – prophet still, if bird or dev­il!
By that Heav­en that bends above us – by that God we both adore—
Tell this soul with sor­row laden if, with­in the dis­tant Aidenn,
It shall clasp a saint­ed maid­en whom the angels name Lenore—
Clasp a rare and radi­ant maid­en whom the angels name Lenore.”
Quoth the Raven “Nev­er­more.”

“Be that word our sign of part­ing, bird or fiend!” I shrieked, upstart­ing–
“Get thee back into the tem­pest and the Night’s Plu­ton­ian shore!
Leave no black plume as a token of that lie thy soul hath spo­ken!
Leave my lone­li­ness unbro­ken! – quit the bust above my door!
Take thy beak from out my heart, and take thy form from off my door!”
Quoth the Raven “Nev­er­more.”

And the Raven, nev­er flit­ting, still is sit­ting, still is sit­ting
On the pal­lid bust of Pal­las just above my cham­ber door;
And his eyes have all the seem­ing of a demon’s that is dream­ing,
And the lamp-light o’er him stream­ing throws his shad­ow on the floor;
And my soul from out that shad­ow that lies float­ing on the floor
Shall be lift­ed – nev­er­more!’

Edgar Allan Poe, The raven.

Le corbeau (traduction en français de Charles Beaudelaire)

« Une fois, sur le minu­it lugubre, pen­dant que je médi­tais, faible et fatigué, sur maint pré­cieux et curieux vol­ume d’une doc­trine oubliée, pen­dant que je don­nais de la tête, presque assoupi, soudain il se fit un tapote­ment, comme de quelqu’un frap­pant douce­ment, frap­pant à la porte de ma cham­bre. « C’est quelque vis­i­teur, — mur­mu­rai-je, — qui frappe à la porte de ma cham­bre ; ce n’est que cela, et rien de plus. »
Ah ! dis­tincte­ment je me sou­viens que c’était dans le glacial décem­bre, et chaque tison bro­dait à son tour le planch­er du reflet de son ago­nie. Ardem­ment je désir­ais le matin ; en vain m’étais-je effor­cé de tir­er de mes livres un sur­sis à ma tristesse, ma tristesse pour ma Lénore per­due, pour la pré­cieuse et ray­on­nante fille que les anges nom­ment Lénore, — et qu’ici on ne nom­mera jamais plus.
Et le soyeux, triste et vague bruisse­ment des rideaux pour­prés me péné­trait, me rem­plis­sait de ter­reurs fan­tas­tiques, incon­nues pour moi jusqu’à ce jour ; si bien qu’enfin, pour apais­er le bat­te­ment de mon cœur, je me dres­sai, répé­tant : « C’est quelque vis­i­teur qui sol­licite l’entrée à la porte de ma cham­bre, quelque vis­i­teur attardé sol­lic­i­tant l’entrée à la porte de ma cham­bre ; — c’est cela même, et rien de plus. »
Mon âme en ce moment se sen­tit plus forte. N’hésitant donc pas plus longtemps : « Mon­sieur, — dis-je, — ou madame, en vérité j’implore votre par­don ; mais le fait est que je som­meil­lais, et vous êtes venu frap­per si douce­ment, si faible­ment vous êtes venu taper à la porte de ma cham­bre, qu’à peine étais-je cer­tain de vous avoir enten­du. » Et alors j’ouvris la porte toute grande ; — les ténèbres, et rien de plus !
Scru­tant pro­fondé­ment ces ténèbres, je me tins longtemps plein d’étonnement, de crainte, de doute, rêvant des rêves qu’aucun mor­tel n’a jamais osé rêver ; mais le silence ne fut pas trou­blé, et l’immobilité ne don­na aucun signe, et le seul mot proféré fut un nom chu­choté : « Lénore ! » — C’était moi qui le chu­chotais, et un écho à son tour mur­mu­ra ce mot : « Lénore ! » — Pure­ment cela, et rien de plus.
Ren­trant dans ma cham­bre, et sen­tant en moi toute mon âme incendiée, j’entendis bien­tôt un coup un peu plus fort que le pre­mier. « Sûre­ment, — dis-je, — sûre­ment, il y a quelque chose aux jalousies de ma fenêtre ; voyons donc ce que c’est, et explorons ce mys­tère. Lais­sons mon cœur se calmer un instant, et explorons ce mys­tère ; — c’est le vent, et rien de plus. »
Je pous­sai alors le volet, et, avec un tumultueux bat­te­ment d’ailes, entra un majestueux cor­beau digne des anciens jours. Il ne fit pas la moin­dre révérence, il ne s’arrêta pas, il n’hésita pas une minute ; mais, avec la mine d’un lord ou d’une lady, il se per­cha au-dessus de la porte de ma cham­bre ; il se per­cha sur un buste de Pal­las juste au-dessus de la porte de ma cham­bre ; — il se per­cha, s’installa, et rien de plus.
Alors cet oiseau d’ébène, par la grav­ité de son main­tien et la sévérité de sa phy­s­ionomie, induisant ma triste imag­i­na­tion à sourire : « Bien que ta tête, — lui dis-je, — soit sans huppe et sans cimi­er, tu n’es certes pas un poltron, lugubre et ancien cor­beau, voyageur par­ti des rivages de la nuit. Dis-moi quel est ton nom seigneur­ial aux rivages de la Nuit plu­toni­enne ! » Le cor­beau dit : « Jamais plus ! »
Je fus émer­veil­lé que ce dis­gra­cieux volatile entendît si facile­ment la parole, bien que sa réponse n’eût pas un bien grand sens et ne me fût pas d’un grand sec­ours ; car nous devons con­venir que jamais il ne fut don­né à un homme vivant de voir un oiseau au-dessus de la porte de sa cham­bre, un oiseau ou une bête sur un buste sculp­té au-dessus de la porte de sa cham­bre, se nom­mant d’un nom tel que Jamais plus !
Mais le cor­beau, per­ché soli­taire­ment sur le buste placide, ne proféra que ce mot unique, comme si dans ce mot unique il répandait toute son âme. Il ne prononça rien de plus ; il ne remua pas une plume, — jusqu’à ce que je me prisse à mur­mur­er faible­ment : « D’autres amis se sont déjà envolés loin de moi ; vers le matin, lui aus­si, il me quit­tera comme mes anci­ennes espérances déjà envolées. » L’oiseau dit alors : « Jamais plus ! »
Tres­sail­lant au bruit de cette réponse jetée avec tant d’à‑propos : « Sans doute, — dis-je, — ce qu’il prononce est tout son bagage de savoir, qu’il a pris chez quelque maître infor­tuné que le Mal­heur impi­toy­able a pour­suivi ardem­ment, sans répit, jusqu’à ce que ses chan­sons n’eussent plus qu’un seul refrain, jusqu’à ce que le De pro­fundis de son Espérance eût pris ce mélan­col­ique refrain : Jamais, jamais plus !
Mais, le cor­beau induisant encore toute ma triste âme à sourire, je roulai tout de suite un siège à coussins en face de l’oiseau et du buste et de la porte ; alors, m’enfonçant dans le velours, je m’appliquai à enchaîn­er les idées aux idées, cher­chant ce que cet augur­al oiseau des anciens jours, ce que ce triste, dis­gra­cieux, sin­istre, mai­gre et augur­al oiseau des anciens jours voulait faire enten­dre en croas­sant son Jamais plus !
Je me tenais ain­si, rêvant, con­jec­turant, mais n’adressant plus une syl­labe à l’oiseau, dont les yeux ardents me brûlaient main­tenant jusqu’au fond du cœur ; je cher­chais à devin­er cela, et plus encore, ma tête reposant à l’aise sur le velours du coussin que cares­sait la lumière de la lampe, ce velours vio­let caressé par la lumière de la lampe que sa tête, à Elle, ne pressera plus, — ah ! jamais plus !
Alors il me sem­bla que l’air s’épaississait, par­fumé par un encen­soir invis­i­ble que bal­ançaient des séraphins dont les pas frôlaient le tapis de la cham­bre. “Infor­tuné ! — m’écriai-je, — ton Dieu t’a don­né par ses anges, il t’a envoyé du répit, du répit et du népenthès dans tes ressou­venirs de Lénore ! Bois, oh ! bois ce bon népenthès, et oublie cette Lénore per­due !” Le cor­beau dit : “Jamais plus !”
“Prophète ! — dis-je, — être de mal­heur ! oiseau ou démon, mais tou­jours prophète ! que tu sois un envoyé du Ten­ta­teur, ou que la tem­pête t’ait sim­ple­ment échoué, naufragé, mais encore intrépi­de, sur cette terre déserte, ensor­celée, dans ce logis par l’Horreur han­té, — dis-moi sincère­ment, je t’en sup­plie, existe-t-il, existe-t-il ici un baume de Judée ? Dis, dis, je t’en sup­plie !” Le cor­beau dit : “Jamais plus !”
“Prophète ! — dis-je, — être de mal­heur ! oiseau ou démon ! tou­jours prophète ! par ce Ciel ten­du sur nos têtes, par ce Dieu que tous deux nous adorons, dis à cette âme chargée de douleur si, dans le Par­adis loin­tain, elle pour­ra embrass­er une fille sainte que les anges nom­ment Lénore, embrass­er une pré­cieuse et ray­on­nante fille que les anges nom­ment Lénore.” Le cor­beau dit : “Jamais plus !”
“Que cette parole soit le sig­nal de notre sépa­ra­tion, oiseau ou démon ! — hurlai-je en me redres­sant. — Ren­tre dans la tem­pête, retourne au rivage de la Nuit plu­toni­enne ; ne laisse pas ici une seule plume noire comme sou­venir du men­songe que ton âme a proféré ; laisse ma soli­tude invi­o­lée ; quitte ce buste au-dessus de ma porte ; arrache ton bec de mon cœur et pré­cip­ite ton spec­tre loin de ma porte !” Le cor­beau dit : “Jamais plus !”
Et le cor­beau, immuable, est tou­jours instal­lé, tou­jours instal­lé sur le buste pâle de Pal­las, juste au-dessus de la porte de ma cham­bre ; et ses yeux ont toute la sem­blance des yeux d’un démon qui rêve ; et la lumière de la lampe, en ruis­se­lant sur lui, pro­jette son ombre sur le planch­er ; et mon âme, hors du cer­cle de cette ombre qui gît flot­tante sur le planch­er, ne pour­ra plus s’élever, — jamais plus ! »

Et voici, pour ter­min­er, une ver­sion ciné­matographique de haute volée. À demain, les amis !

Los Simp­son (The Simp­sons) de Matt Groen­ingThe Raven d’Edgar Allan Poe.
Vous pou­vez affich­er les sous-titres dans la langue souhaitée…

Veneración 1933-07-13 — Orquesta Edgardo Donato

Osvaldo Donato Letra: Adolfo A. Vedani

Edgar­do Dona­to a fait une dou­ble réus­site en enreg­is­trant cette valse com­posée par son frère. La pre­mière est d’avoir exé­cuté une valse mag­nifique, la sec­onde est d’avoir écarté les paroles de cet enreg­istrement. En effet, si les paroles nous per­me­t­tent de com­pren­dre le titre, elles sont plutôt médiocres et il est vrai­ment préférable que les audi­teurs et danseurs imag­i­nent leur pro­pre his­toire sur la musique.

Extrait musical

Ven­eración 1933-07-13 — Orques­ta Edgar­do Dona­to.
Ven­eración. Par­ti­tion Osval­do Dona­to Letra: Adol­fo A. Vedani.

L’attention est attirée par les coups de « klax­on ». Cela attire aus­si l’attention des danseurs qui peu­vent se deman­der ce qui se passe et ce qui va pass­er. Après 25 sec­on­des, la valse démarre, elle tourne imper­turbable­ment, ce titre est entraî­nant et plait en général aux danseurs qui aiment les valses. Cer­tains n’aiment pas les valses, tant pis pour eux…

Paroles (extrait)

Ama­da mía, pido en mis rue­gos
Al de los cie­los con gran devo­ción
Que te con­serve fres­ca y lozana rosa
Tem­prana de mi hon­da pasión
Tu eres aliv­io de mis pesares que en otros lares
Yo con­quisté pues en tus labios
Que son dos corales hal­lé la dulce cal­ma que ambi­cioné.
Mujer ama­da diosa div­ina, con tu car­iño yo soy feliz.
Si el me fal­tara mi vida muere
Por qué tú eres mi úni­co amor pues con tus besos y tus cari­cias
Cal­mas las penas de mi exi­s­tir
Porque en mis noches de cru­el insom­nio
Sabes cal­marme con tu elixir

Adol­fo A. Vedani

Traduction libre

On com­prend pourquoi on ne trou­ve pas de ver­sion avec les paroles. L’intention est touchante, mais le résul­tat est assez pau­vre et plat.Mon aimée, je demande dans mes prières vers les cieux, avec une grande dévo­tion, qu’il te garde fraîche et lux­u­ri­ante rose.
Dès le début de ma pas­sion pro­fonde, tu es le soulage­ment de mes cha­grins, plus que toute autre per­son­ne généreuse (lare sig­ni­fie en lun­far­do per­son­ne généreuse, ou corps…).
J’ai con­quis ensuite sur tes lèvres qui sont deux coraux, j’ai trou­vé le doux calme que je con­voitais.
Femme aimée, déesse divine, avec ton affec­tion, je suis heureux.
Si elle me fai­sait défaut, ma vie mour­rait.
Parce que tu es mon seul amour et que de tes bais­ers et de tes caress­es tu apais­es les cha­grins de mon exis­tence.
Parce que dans mes nuits d’insomnie cru­elle, tu sais com­ment me calmer avec ton élixir.
Cet extrait des paroles per­met de com­pren­dre le thème de la valse. Comme la seule ver­sion enreg­istrée est celle de Dona­to et qu’elle est instru­men­tale, je pense que vous pou­vez oubli­er les paroles et ne garder que les images que vous souhaitez pour vous inspir­er dans la danse…

Autres versions

Il n’y a pas d’autre ver­sion… Vous pou­vez donc réé­couter cette jolie valse 😉

Mais avant de nous quit­ter, je vous pose la ques­tion de si vous préférez cette valse avec son assez longue intro­duc­tion de 25 sec­on­des ou en entrée directe. Comme DJ, j’ai ten­dance à sup­primer l’introduction en milieu de tan­da, mais beau­coup moins en début de tan­da, l’introduction étant un appel. Les danseurs peu­vent ter­min­er tran­quille­ment les miradas/cabeceos et être sur la piste au moment où la musique démarre. J’annonce juste au micro que ce sont des valses et que ça démarre après l’introduction.

Ven­eración 1933-07-13 — Orques­ta Edgar­do Dona­to (avec l’introduction de 25 sec­on­des).
Ven­eración 1933-07-13 — Orques­ta Edgar­do Dona­to (sans l’introduction)

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À demain, les amis !

Mi vieja linda 1941 — Orquesta Emilio Pellejero con Enalmar De María

Ernesto Céspedes Polanco (Musique et paroles)

En 2012, le thème du fes­ti­val Tan­go­postale de Toulouse était les deux rives. À cette occa­sion, j’ai eu l’idée d’alterner les tan­das argen­tines et uruguayennes. Entre les deux, une corti­na réal­isée pour l’occasion per­me­t­tait de matéri­alis­er le pas­sage d’une rive à l’autre. Je me sou­viens de l’accueil ent­hou­si­aste pour Mi vie­ja lin­da qui était peu con­nue à l’époque, tout comme les ver­sions de nom­breux orchestres uruguayens qui n’étaient alors représen­tés que par Rac­ciat­ti et Vil­las­boas… Dix ans plus tard, le Sex­te­to Cristal a eu l’excellente idée de repren­dre à l’identique Mi vie­ja lin­da, ce qui a per­mis à de nou­velles généra­tions de danseurs de redé­cou­vrir cette milon­ga fes­tive, comme beau­coup de musiques uruguayennes.

Extrait musical

Mi vie­ja lin­da 1941 — Orques­ta Emilio Pelle­jero con Enal­mar De María.
Mi vie­ja lin­da. Par­ti­tion pour qua­tre gui­tares.

Paroles

Mi vie­ja lin­da
Pen­san­do en vos
Se me refres­ca
El corazón
Des­de el día que te vi
Tras de la reja
En mi pecho abrió una flor
Como una luz
Y la pasión
Alum­bró mi corazón
Mi vie­ja lin­da
Pen­san­do en vos
Me sien­to bueno
Como el mejor
Y cuan­do un beso te doy
Boca con boca
Yo paladeo el sabor
De estar en vos
Que estar así
Corazón a corazón

Ernesto Cés­pedes Polan­co

Traduction libre

Ma jolie chérie (vie­ja est la mère, ou la femme chérie. Vu le reste des paroles, c’est la sec­onde option la bonne…), en pen­sant à toi, mon cœur est rafraîchi.
Depuis le jour où je t’ai vu, à tra­vers la grille, une fleur s’est ouverte dans ma poitrine, comme une lumière et la pas­sion a illu­miné mon cœur.
Ma jolie chérie, je pense à toi.
Je me sens bien, comme le meilleur et quand je te donne un bais­er, bouche con­tre bouche, je savoure le goût d’être en toi, d’être ain­si, cœur à cœur.

Autres versions

Mi vie­ja lin­da 1941 — Orques­ta Emilio Pelle­jero con Enal­mar De María. C’est notre milon­ga du jour.
Mi vie­ja lin­da 2022-07-12 – Sex­te­to Cristal con Guiller­mo Rozen­thuler.

Comparaison des deux versions

Vous l’aurez remar­qué, les deux ver­sions sont très sem­blables. Le Sex­te­to Cristal a repro­duit exacte­ment l’interprétation de Emilio Pelle­jero. Pour vous per­me­t­tre de véri­fi­er que le tra­vail est excel­lent, je vous pro­pose d’écouter les deux musiques en même temps.
Vous pour­rez con­stater que la plu­part du temps, la musique est syn­chro­nisée. Cela veut dire que les danseurs pour­ront danser indif­férem­ment sur une ver­sion ou l’autre, sans dif­férence notable.

Le Sex­te­to Crital a eu l’ex­cel­lente idée d’interpréter “Mi vie­ja lin­da” de Ernesto Cés­pedes Polan­co et qui était con­nu prin­ci­pale­ment pour la ver­sion enreg­istrée en 1941 par Emilio Pelle­jero avec la voix d’E­nal­mar De María. Sa repro­duc­tion de la ver­sion orig­i­nale est presque par­faite comme vous le ver­rez dans cette vidéo. Les deux ver­sions jouent en même temps et sont presque tou­jours syn­chro­nisées.

Les deux rives

L’année dernière au fes­ti­val de Tarbes, il y avait le Sex­te­to Cristal qui a bien sûr joué son titre fétiche. J’intervenais le lende­main dans la Halle Mar­cadieu et j’ai pu pass­er la ver­sion orig­i­nale de Pelle­jero afin de ren­dre à César (plutôt Emilio) ce qui était à Emilio Pelle­jero et je pour­rais égale­ment rajouter Ernesto, Ernesto Cés­pedes Polan­co, l’auteur de la musique et des paroles et qui a réal­isé quelques titres prin­ci­pale­ment inter­prétés par Emilio Pelle­jero comme Palo­ma que vue­las et Que­man­do recuer­dos, les deux avec des paroles de Fer­nan­do Sil­va Valdés.
Il est d’usage de dire que le tan­go est un enfant des deux rives du Rio de la Pla­ta, Buenos Aires et sa Jumelle ori­en­tale, Mon­te­v­ideo. Le pas­sage d’un pays à l’autre était courant pour ne pas dire con­stant pour les orchestres. La per­méa­bil­ité entre les deux rives était donc extrême. Cepen­dant, la plu­part des artistes qui ont cher­ché à dévelop­per leur car­rière se sont cen­trés sur Buenos Aires, comme Fran­cis­co Canaro, né Uruguayen et nat­u­ral­isé Argentin.

À Dona­to Rac­ciat­ti et Miguel Vil­las­boas, on peut rajouter quelques orchestres uruguayens moins con­nus :
Nel­son Alber­ti, Julio Arregui, Juan Cao, Anto­nio Cerviño, Rober­to Cuen­ca, Romeo Gavi­o­li, Álvaro Hagopián, Juan Manuel Mouro, Ángel Sica, Julio Sosa.

Durant la pandémie COVID, je dif­fu­sais une milon­ga heb­do­madaire et le fait de pass­er aus­si des orchestres uruguayens m’avait attiré la sym­pa­thie d’auditeurs de ce pays et j’avais reçu de nom­breuses infor­ma­tions via Mes­sen­ger. Mal­heureuse­ment, la fer­me­ture par Face­book de mon compte de l’époque m’a fait per­dre toutes ces infor­ma­tions. Je me sou­viens de con­tacts d’enfants de musi­ciens et de témoignages sur les orchestres de l’époque que je n’avais pas mis au pro­pre, par manque de temps de traiter ces infor­ma­tions très rich­es. Je comp­tais égale­ment enrichir ma dis­cothèque à par­tir de ces sources. Si mes con­tacts de l’époque lisent ce blog, qu’ils n’hésitent pas à repren­dre con­tact…

Cruzan­do el Rio de la Pla­ta – Volver (Chamuyo) et bruitages DJ BYC. Une des corti­nas des deux rives de Tan­go­postale 2012. DJ BYC Bernar­do. Les effets stéréo de la tra­ver­sée sont bien sur per­dus à cause de la néces­sité de pass­er les fichiers en mono pour le blog (lim­ite de taille des fichiers à 1Mo).
Mi vie­ja lin­da 1941. Femme à la fenêtre Antoine Bour­delle.

Pour réalis­er cette image, j’ai util­isé une pein­ture d’An­toine Bour­delle, un sculp­teur génial dont on peut voir les œuvres à Buenos Aires, Toulouse et à Paris où sa mai­son musée est une mer­veille.

Antoine Bour­delle, Femme à la fenêtre, Huile sur toile, Paris, musée Bour­delle

9 de Julio (Nueve de Julio) 2009 — La Tuba Tango

1908 ou 1916 José Luis Padula Letra : 1916 ou 1919 Ricardo M. Llanes 1930 — 1931 Eugenio Cárdenas 1931 Lito Bayardo (Manuel Juan García Ferrari)

Le 9 juil­let pour les Argentins, c’est le 4 juil­let des Éta­suniens d’Amérique, le 14 juil­let des Français, c’est la fête nationale de l’Argentine. Elle com­mé­more l’indépendance vis-à-vis de l’Espagne. José Luis Padu­la était assez bien placé pour écrire ce titre, puisque la sig­na­ture de la Déc­la­ra­tion d’indépendance a été effec­tuée à San Miguel de Tucumán, son lieu natal, le 9 juil­let 1816.

Padu­la pré­tend avoir écrit ce tan­go en 1908, à l’âge de 15 ans, sans titre par­ti­c­uli­er et qu’il a décidé de le dédi­er au 9 juil­let dont on allait fêter le cen­te­naire en 1916.
Dif­fi­cile de véri­fi­er ses dires. Ce qu’on peut en revanche affirmer c’est que Rober­to Fir­po l’a enreg­istrée en 1916 et qu’on y entend les cris de joie (étranges) des sig­nataires (argentins) du traité.

Sig­na­ture de la déc­la­ra­tion d’indépendance au Con­gre­so de Tucumán (San Miguel de Tucumán) le 9 juil­let 1816. Aquarelle de Anto­nio Gonzáles Moreno (1941).
José Luis Padu­la 1893 – 1945. Il a débuté en jouant de l’har­mon­i­ca et de la gui­tare dès son plus jeune âge (son père était mort quand il avait 12 ans et a donc trou­vé cette activ­ité pour gag­n­er sa vie). L’image de gauche est une illus­tra­tion, ce n’est pas Padu­la. Au cen­tre, Padu­la vers 1931 sur une par­ti­tion de 9 de Julio avec les paroles de Lito Bayardo et à droite une pho­to peu avant sa mort, vers 1940.

Extrait musical

Par­ti­tion pour piano de 9 de Julio. L’évocation de l’indépendance est man­i­feste sur les deux cou­ver­tures. On notera sur celle de droite la men­tion de Car­de­nas pour les paroles.
Autre exem­ple de par­ti­tion avec un agran­disse­ment de la dédi­cace au procu­rador tit­u­lar Señor Ger­va­sio Rodriguez. Il n’y a pas de men­tion de paroli­er sur ces paroles.
9 de Julio (Nueve de Julio) 2009 — La Tuba Tan­go.

Dès les pre­mières notes, on note la tru­cu­lence du tuba et l’ambiance fes­tive que crée cet instru­ment. J’ai choisi cette ver­sion pour fêter le 9 juil­let, car il n’existait pas d’enregistrement intéres­sant du 9 juil­let. C’est que c’est un jour férié et les orchestres devaient plutôt ani­mer la fête plutôt que d’enregistrer. L’autre rai­son est que le tuba est asso­cié à la fan­fare, au défilé et que donc, il me sem­blait adap­té à l’occasion. Et la dernière rai­son et d’encourager cet orchestre créé en 1967 et qui s’est don­né pour mis­sion de retrou­ver la joie des ver­sions du début du vingtième siè­cle. Je trou­ve qu’il y répond par­faite­ment et vous pou­vez lui don­ner un coup de pouce en achetant pour un prix mod­ique ses albums sur Band­camp.

Paroles

Vous avez sans doute remar­qué que j’avais indiqué plusieurs paroliers. C’est qu’il y a en fait qua­tre ver­sions. C’est beau­coup pour un titre qui a surtout été enreg­istré de façon instru­men­tale… C’est en fait un phénomène assez courant pour les titres les plus célèbres, dif­férents auteurs ajoutent des paroles pour être inscrits et touch­er les droits afférents. Dans le cas présent, les héri­tiers de Padu­la ont fait un procès, preuve que les his­toires de sous exis­tent aus­si dans le monde du tan­go. En effet, avec trois auteurs de paroles au lieu d’un, la part de la redis­tri­b­u­tion aux héri­tiers de Padu­la était d’autant dimin­uée.
Je vous pro­pose de retrou­ver les paroles en fin d’article pour abor­der main­tenant les 29 ver­sions. La musique avant tout… Ceux qui sont intéressés pour­ront suiv­re les paroles des rares ver­sions chan­tées avec la tran­scrip­tion cor­re­spon­dante en la trou­vant à la fin.

Autres versions

9 de Julio (Nueve de Julio) 1916 — Orques­ta Rober­to Fir­po.

On y entend les cris de joie des sig­nataires, des espèces de roucoule­ments que je trou­ve étranges, mais bon, c’était peut-être la façon de man­i­fester sa joie à l’époque. L’interprétation de la musique, mal­gré son antiq­ui­té, est par­ti­c­ulière­ment réussie et on ne ressent pas vrai­ment l’impression de monot­o­nie des très vieux enreg­istrements. On entend un peu de cuiv­res, cuiv­res qui sont totale­ment à l’honneur dans notre tan­go du jour avec La Tuba Tan­go.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1927-06-03 — Orques­ta Rober­to Fir­po.

Encore Fir­po qui nous livre une autre belle ver­sion anci­enne une décen­nie après la précé­dente. L’enregistrement élec­trique améliore sen­si­ble­ment le con­fort d’écoute.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1928-10-11 — Guiller­mo Bar­bi­eri, José María Aguilar, José Ricar­do (gui­tar­ras).

Vous aurez recon­nu les gui­taristes de Gardel. Cet enreg­istrement a été réal­isé à Paris en 1928. C’est un plaisir d’entendre les gui­taristes sans la voix de leur « maître ». Cela per­met de con­stater la qual­ité de leur jeu.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1929-12-04 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Je trou­ve cette ver­sion un peu pesante mal­gré les beaux accents du piano de Luis Ric­cardi. C’est un titre à réserv­er aux ama­teurs de canyengue, tout au moins les deux tiers, la dernière vari­a­tion plus allè­gre voit les ban­donéons s’illuminer. J’aurais préféré que tout le titre soit à l’aune de sa fin. Mais bon, Canaro a décidé de le jouer ain­si…

9 de Julio (Nueve de Julio) 1930-04-04 — Orques­ta Luis Petru­cel­li.

Le décès à seule­ment 38 ans de Luis Petru­cel­li l’a cer­taine­ment privé de la renom­mée qu’il méri­tait. Il était un excel­lent ban­donéon­iste, mais aus­si, comme en témoigne cet enreg­istrement, un excel­lent chef d’orchestre. Je pré­cise toute­fois qu’il n’a pas enreg­istré après 1931 et qu’il est décédé en 1941. Ces dernières 10 années furent con­sacrées à sa car­rière de ban­donéon­iste, notam­ment pour Frese­do.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1931 — Agustín Mag­a­l­di con orques­ta.

Mag­a­l­di n’appréciant pas les paroles de Euge­nio Cár­de­nas fit réalis­er une ver­sion par Lito Bayardo.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1931-08-15 — Orques­ta Típi­ca Colum­bia con Ernesto Famá.

Famá chante le pre­mier cou­plet de Bayardo.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1935-12-31 — Orques­ta Juan D’Arienzo.

C’est une des ver­sions les plus con­nues, véri­ta­ble star des milon­gas. L’impression d’accélération con­tin­ue est sans doute une des clefs de son suc­cès.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1939-07-04 – Char­lo (accordéon et gui­tare).

Je ne sais pas d’où vient cet ovni. Je l’avais dans ma musique, extrait d’un CD Colec­ción para enten­di­dos – Época de oro vol. 6 (1926–1939). Char­lo était pianiste en plus d’être chanteur (et acteur). Tout comme les gui­taristes de Gardel qui ont enreg­istré 9 de Julio sous le nom de Gardel (voir ci-dessus l’enregistrement du 11 octo­bre 1928), il se peut qu’il s’agisse de la même chose. Le même jour, Char­lo enreg­is­trait comme chanteur avec ses gui­taristes Diva­gan­do, No hay tier­ra como la mía, Sola­mente tú et un autre titre accordéon et gui­tare sans chant, la valse Año­ran­do mi tier­ra.
On trou­ve d’autres titres sous la men­tion Char­lo avec accordéon et gui­tare. La cumpar­si­ta et Recuer­dos de mi infan­cia le 12 sep­tem­bre 1939, Pin­ta bra­va, Don Juan, Ausen­cia et La pol­ca del ren­gui­to le 8 novem­bre 1940. Il faut donc cer­taine­ment en con­clure que Char­lo jouait aus­si de l’accordéon. Pour le prou­ver, je verserai au dossier, une ver­sion éton­nante de La cumpar­si­ta qu’il a enreg­istrée en duo avec Sabi­na Olmos avec un accordéon soliste, prob­a­ble­ment lui…

9 de Julio (Nueve de Julio) 1948 — Orques­ta Héc­tor Stam­poni.

Une jolie ver­sion avec une mag­nifique vari­a­tion finale. On notera l’annonce, une pra­tique courante à l’époque où un locu­teur annonçait les titres.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1950-05-15 — Orques­ta Juan D’Arienzo.

D’Arienzo nous donne une autre ver­sion. Il y a de jolis pas­sages, mais je trou­ve que c’est un peu plus con­fus que la ver­sion de 1935 qui devrait être plus sat­is­faisante pour les danseurs. Ful­vio Sala­man­ca relève l’ensemble avec son piano, piano qui est générale­ment l’épine dor­sale de D’Arienzo.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1950-07-20 — Orques­ta Alfre­do De Ange­lis.

Chez De Ange­lis, le piano est aus­si essen­tiel, mais c’est lui qui en joue, il est donc libre de don­ner son inter­pré­ta­tion mag­nifique, sec­ondé par ses excel­lents vio­lonistes. Pour ceux qui n’aiment pas De Ange­lis, ce titre pour­rait les faire chang­er d’avis.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1957-04-08 — Orques­ta Héc­tor Varela.

Varela nous pro­pose une intro­duc­tion orig­i­nale.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1953 — Hora­cio Sal­gán y su Orques­ta Típi­ca.

Une ver­sion sans doute pas évi­dente à danser.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1953-03-03 — Ariel Ped­ern­era y su Quin­te­to Típi­co.

Une belle ver­sion, mal­heureuse­ment cette copie a été mas­sacrée par le « col­lec­tion­neur ». J’espère trou­ver un disque pour vous pro­pos­er une ver­sion cor­recte en milon­ga, car ce thème le mérite large­ment.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1953-09-10 — Orques­ta José Sala.

Pour l’écoute, bien sûr, mais des pas­sages très sym­pas

9 de Julio (Nueve de Julio) 1954-05-13 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Pugliese a mis un peu de temps à enreg­istr­er sa ver­sion du thème. C’est une superbe réal­i­sa­tion, mais qui alterne des pas­sages sans doute trop var­iés pour les danseurs, mais je suis sûr que cer­tains seront ten­tés par l’expérience.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1959 — Luis Macha­co.

Une ver­sion tran­quille et plutôt jolie par un orchestre oublié. Le con­tre­point entre le ban­donéon en stac­ca­to et les vio­lons en lega­to est par­ti­c­ulière­ment réus­si.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1964 — Alber­to Mari­no con la orques­ta de Osval­do Taran­ti­no.

Alber­to Mari­no chante les paroles de Euge­nio Cár­de­nas. Ce n’est bien sûr pas une ver­sion pour la danse.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1966-06-21 — Orques­ta Florindo Sas­sone.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1966-08-03 — Orques­ta Juan D’Arienzo.

Une ver­sion bien con­nue par D’Arien­zo, dans le style sou­vent pro­posé par les orchestres con­tem­po­rains. Spec­tac­u­laire, mais, y‑a-t-il un mais ?

9 de Julio (Nueve de Julio) 1967-08-10 (Ranchera-Per­icón) — Orques­ta Enrique Rodríguez.

Sec­ond OVNI du jour, cette ranchera-Per­icón nacional avec ses flon­flons, bien prop­ice à faire la fête. Peut-être une corti­na pour demain (aujourd’hui pour vous qui lisez, demain pour moi qui écrit).

9 de Julio (Nueve de Julio) 1968 — Cuar­te­to Juan Cam­bareri.

Une ver­sion vir­tu­ose et ent­hou­si­as­mante. Pensez à prévoir des danseurs de rechange après une tan­da de Cam­bareri… Si cela sem­ble lent pour du Cam­bareri, atten­dez la vari­a­tion finale et vous com­pren­drez pourquoi Cam­bareri était nom­mé le mage du ban­donéon.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1970 — Orques­ta Arman­do Pon­tier.

Une ver­sion orig­i­nale, mais pas for­cé­ment indis­pens­able, mal­gré le beau ban­donéon d’Arman­do Pon­tier.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1971 — Orques­ta Dona­to Rac­ciat­ti.

Même si la Provin­cia Ori­en­tale tombait en 1916 sous la coupe du Por­tu­gal / Brésil, les Uruguayens sont sen­si­bles à l’é­man­ci­pa­tion d’avec le vieux monde et donc, les orchestres uruguayens ont aus­si pro­posé leurs ver­sions du 9 juil­let.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1971 — Paler­mo Trío.

Avec un trio, for­cé­ment, c’est plus léger. Ici, la danse n’est pas au pro­gramme.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1971-08-04 — Miguel Vil­las­boas y su Sex­te­to Típi­co.

Dans le style hési­tant de Vil­las­boas entre tan­go et milon­ga qu’af­fec­tion­nent les Uruguayens. Le type de musique qui a fait dire que le tan­go avait été inven­té par un indé­cis…

9 de Julio (Nueve de Julio) 1973-11-29 — Miguel Vil­las­boas y Wásh­ing­ton Quin­tas Moreno (dúo de pianos).

L’autre jour, au sujet de La rosa­ri­na 1975-01-06, un lecteur a dit qu’il avait appré­cié la ver­sion en duo de piano de Vil­las­boas et Wásh­ing­ton. Pour ce lecteur, voici 9 de Julio par les mêmes.

Et il est temps de clore cette longue liste avec notre orchestre du jour et dans deux ver­sions :

9 de Julio (Nueve de Julio) 1991 — Los Tubatan­go.

Cet orchestre orig­i­nal par la présence du tuba et sa volon­té de retrou­ver l’ambiance du tan­go des années 1900 a été créé par Guiller­mo Inchausty. C’est le même orchestre que celui de notre tan­go du jour qui est désor­mais dirigé par Lucas Kohan sous l’appellation La Tuba Tan­go au lieu du nom orig­i­nal de Los Tubatan­go.

9 de Julio (Nueve de Julio) 2009 — La Tuba Tan­go.

C’est notre tan­go du jour. Les musi­ciens en sont : Igna­cio Ris­so (tuba), Matias Rul­lo (ban­donéon), Gon­za­lo Braz (clar­inette) et Lucas Kohan (Direc­tion et gui­tare).

Cette longue liste de 29 titres, mais qui aurait pu être facile­ment deux fois plus longue mon­tre la diver­sité de la pro­duc­tion du tan­go.
En ce qui con­cerne la danse, nous nous sommes habitués à danser sur un ou deux de ces titres, mais je pense que vous aurez remar­qué que d’autres étaient aus­si intéres­sants pour le bal. La ques­tion est surtout de savoir les pro­pos­er au bon moment et aux bons danseurs. C’est toute la richesse et l’intérêt du méti­er de DJ.
Pour moi, un bon DJ n’est pas celui qui met des titres incon­nus et étranges afin de recueil­lir les applaud­isse­ments des néo­phytes, mais celui qui met la bonne musique au bon moment en sachant pren­dre des risques mesurés afin d’aider les danseurs à mag­ni­fi­er leur impro­vi­sa­tion et leur plaisir de danser.

Je reviens main­tenant, comme promis aux qua­tre ver­sions des paroles…

Paroles de Lito Bayardo (1931)

Sin un solo adiós
dejé mi hog­ar cuan­do partí
porque jamás quise sen­tir
un sol­lozar por mí.
Triste amanecer
que nun­ca más he de olvi­dar
hoy para qué remem­o­rar
todo lo que sufrí.

Lejano Nueve de Julio
de una mañana div­ina
mi corazón siem­pre fiel quiso can­tar
y por el mun­do poder pere­gri­nar,
infati­ga­ble vagar de soñador
marchan­do en pos del ide­al con todo amor
has­ta que al fin dejé
mi madre y el quer­er
de la mujer que adoré.

Yo me prometi
lleno de glo­ria regre­sar
para podérsela brindar
a quien yo más amé
y al retornar
triste, ven­ci­do y sin fe
no hal­lé mi amor ni hal­lé mi hog­ar
y con dolor lloré.

Cual vagabun­do car­ga­do de pena
yo lle­vo en el alma la desilusión
y des­de entonces así me con­de­na
la angus­tia infini­ta de mi corazón
¡Qué puedo hac­er si ya mis horas de ale­gría
tam­bién se fueron des­de aquel día
que con las glo­rias de mis tri­un­fos yo soñara,
sueños lejanos de mi loca juven­tud!

José Luis Padu­la Letra: Lito Bayardo (Manuel Juan Gar­cía Fer­rari)

C’est la ver­sion que chante Mag­a­l­di, vu qu’il l’a demandé à Bayardo
Famá, chante égale­ment cette ver­sion, mais seule­ment le pre­mier cou­plet.

Traduction libre des paroles de Lito Bayardo

Sans un seul au revoir, j’ai quit­té ma mai­son quand je suis par­ti parce que je ne voulais jamais ressen­tir un san­glot pour moi.
Une triste aube que je n’oublierai jamais aujourd’hui, pour qu’elle se sou­vi­enne de tout ce que j’ai souf­fert.
Loin­tain 9 juil­let, d’un matin divin, mon cœur tou­jours fidèle a voulu chanter et à tra­vers le monde faire le pèleri­nage,
infati­ga­ble errance d’un rêveur marchant à la pour­suite de l’idéal avec tout l’amour jusqu’à ce qu’enfin je quitte ma mère et l’amour de la femme que j’adorais.
Je me suis promis une fois plein de gloire de revenir pour pou­voir l’offrir à celle que j’aimais le plus et quand je suis revenu triste, vain­cu et sans foi je n’ai pas trou­vé mon amour ni ma mai­son et avec douleur j’ai pleuré.
Comme un vagabond acca­blé de cha­grin, je porte la décep­tion dans mon âme, et depuis lors, l’angoisse infinie de mon cœur me con­damne.
Que pour­rais-je faire si mes heures de joie sont déjà par­ties depuis ce jour où j’ai rêvé des gloires de mes tri­om­phes, rêves loin­tains de ma folle jeunesse ?

Paroles de Ricardo M. Llanes (1916 ou 1919)

De un con­ven­til­lo mugri­en­to y fulero,
con un can­flinfero
te espi­antaste vos ;
aban­donaste a tus pobres viejos
que siem­pre te daban
con­se­jos de Dios;
aban­donaste a tus pobres her­manos,
¡tus her­man­i­tos,
que te querían!
Aban­donastes el negro laburo
donde gan­abas el pan con hon­or.

Y te espi­antaste una noche
escab­ul­l­i­da en el coche
donde esper­a­ba el bacán;
todo, todo el con­ven­til­lo
por tu espi­ante ha sol­loza­do,
mien­tras que vos te has mez­cla­do
a las far­ras del gotán;
¡a dónde has ido a parar!
pobrecita milonguera
que soñaste con la glo­ria
de ten­er un buen bulín;
pobre pebe­ta inocente
que engrup­i­da por la far­ra,
te metiste con la bar­ra
que vive en el cafetín.

Tal vez mañana, pia­doso,
un hos­pi­tal te dé cama,
cuan­do no brille tu fama
en el salón;
cuan­do en el “yiro” no hagas
más “sport”;
cuan­do se canse el cafi­sio
de tu amor ;
y te espi­ante rechi­fla­do
del bulín;
cuan­do te den el “oli­vo“
los que hoy tan­to te aplau­den
en el gran cafetín.

Entonces, triste con tu deca­den­cia,
per­di­da tu esen­cia,
tu amor, tu cham­pagne ;
sólo el recuer­do quedará en tu vida
de aque­l­la per­di­da
glo­ria del gotán;
y entonces, ¡pobre!, con lágri­mas puras,
tus amar­guras
der­ra­marás;
y sen­tirás en tu noche enfer­miza,
la ingra­ta risa
del primer bacán.

José Luis Padu­la Letra: Ricar­do M. Llanes

Traduction libre des paroles de Ricardo M. Llanes

D’un immeu­ble (le con­ven­til­lo est un sys­tème d’habitation pour les pau­vres où les familles s’entassent dans une pièce desservie par un cor­ri­dor qui a les seules fenêtres sur l’extérieur) sale et vilain, avec un prox­énète, tu t’es enfuie ;
tu as aban­don­né tes pau­vres par­ents qui t’ont tou­jours prodigué des con­seils de Dieu ;
Tu as aban­don­né tes pau­vres frères, tes petits frères, qui t’aimaient !
Tu as aban­don­né le tra­vail noir où tu gag­nais ton pain avec hon­neur.
Et tu t’es enfuie une nuit en te fau­fi­lant dans la voiture où le bacán (homme qui entre­tient une femme) attendait ;
Tout, tout l’immeuble à cause de ta fuite a san­gloté, tan­dis que toi tu t’es mêlée aux fêtes du Gotan (Tan­go) ;
Mais où vas-tu t’arrêter ?
Pau­vre milonguera qui rêvait de la gloire et d’avoir un bon logis ;
Pau­vre fille inno­cente qui, enflée par la fête, s’est aco­quinée avec la bande qui vit dans le café.
Peut-être que demain, pieuse­ment, un hôpi­tal te don­nera un lit, quand ta renom­mée ne brillera pas dans ce salon ;
quand dans le « yiro » (pros­ti­tu­tion) vous ne faites plus de « sport » ;
quand le voy­ou de ton amour se fatigue ;
et tu t’évades folle du logis ;
Quand ils te ren­voient (dar el oli­vo = ren­voy­er en lun­far­do), ceux qui vous applaud­is­sent tant aujourd’hui dans le Grand Cafetín.
Puis, triste avec ta déca­dence, perte de ton essence, de ton amour, de ton cham­pagne ;
Seul le sou­venir de cette perte restera dans ta vie
Gloire du Gotan ;
et alors, pau­vre créa­ture, avec des larmes pures, ton amer­tume tu déverseras ;
Et tu sen­ti­ras dans ta nuit mal­adive, le rire ingrat du pre­mier Bacán.

Paroles de Eugenio Cárdenas (version 1 de 1930)

Mien­tras los clar­ines tocan diana
y el vibrar de las cam­panas
reper­cute en los con­fines,
mil recuer­dos a los pechos
los infla­ma la ale­gría
por la glo­ria de este día
que nun­ca se ha de olvi­dar.
Deja, con su músi­ca, el pam­pero
sobre los patrios aleros
una belleza que encan­ta.
Y al con­juro de sus notas
las campiñas se lev­an­tan
salu­dan­do, rev­er­entes,
al sol de la Lib­er­tad.

Bro­ta, majes­tu­oso, el Him­no
de todo labio argenti­no.
Y las almas trem­u­lantes de emo­ción,
a la Patria sólo saben ben­de­cir
mien­tras los ecos repiten la can­ción
que dos genios han lega­do al por­venir.
Que la her­mosa can­ción
por siem­pre vivirá
al calor del corazón.

Los cam­pos están de fies­ta
y por la flo­res­ta
el sol se der­ra­ma,
y a sus destel­los de mág­i­cas lum­bres,
el llano y la cum­bre
se envuel­ven de lla­mas.
Mien­tras que un criol­lo patri­ar­cal
nar­ra las horas
de las cam­pañas
lib­er­ta­do­ras,
cuan­do los hijos de este sue­lo
amer­i­cano
por jus­ta causa
demostraron
su val­or.

José Luis Padu­la Letra: Euge­nio Cár­de­nas

C’est la ver­sion chan­tée par Alber­to Mari­no en 1964.

Traduction libre des paroles de Eugenio Cárdenas (version 1 de 1930)

Tan­dis que les clairons son­nent le réveil et que la vibra­tion des cloches résonne aux con­fins,
mille sou­venirs enflam­ment de joie les poitrines pour la gloire de ce jour qui ne sera jamais oublié.
Avec sa musique, le pam­pero laisse sur les patri­otes alliés une beauté qui enchante.
Et sous le charme de ses notes, la cam­pagne se lève avec révérence, au soleil de la Lib­erté.
L’hymne de chaque lèvre argen­tine germe, majestueux.
Et les âmes, trem­blantes d’émotion, ne savent que bénir la Patrie tan­dis que les échos répè­tent le chant que deux génies ont légué à l’avenir.
Que la belle chan­son vivra à jamais dans la chaleur du cœur.
Les cam­pagnes sont en fête et le soleil se déverse à tra­vers la forêt, et avec ses éclairs de feux mag­iques, la plaine et le som­met sont envelop­pés de flammes.
Tan­dis qu’un criol­lo patri­ar­cal racon­te les heures des cam­pagnes de libéra­tion, lorsque les enfants de ce sol améri­cain pour une cause juste ont démon­tré leur courage.

Paroles de Eugenio Cárdenas (version 2 de 1931)

Hoy sien­to en mí
el des­per­tar de algo feliz.
Quiero evo­car aquel ayer
que me brindó plac­er,
pues no he de olvi­dar
cuan­do tem­bló mi corazón
al escuchar, con emo­ción,
esta feliz can­ción:

Bro­ta, majes­tu­oso, el Him­no
de todo labio argenti­no.
Y las almas trem­u­lantes de emo­ción,
a la Patria sólo saben ben­de­cir
mien­tras los ecos repiten la can­ción
que dos genios han lega­do al por­venir.
Que la her­mosa can­ción
por siem­pre vivirá
al calor del corazón.

En los ran­chos hay
un revivir de mocedad;
los criol­los ven en su
pasión
todo el amor lle­gar.
Por las huel­las van
llenos de fe y de ilusión,
los gau­chos que oí can­tar
al res­p­lan­dor lunar.

Los cam­pos están de fies­ta
y por la flo­res­ta
el sol se der­ra­ma,
y a sus destel­los de mág­i­cas lum­bres,
el llano y la cum­bre
se envuel­ven de lla­mas.
Mien­tras que un criol­lo patri­ar­cal
nar­ra las horas
de las cam­pañas
lib­er­ta­do­ras,
cuan­do los hijos de este sue­lo
amer­i­cano
por jus­ta causa
demostraron
su val­or.

José Luis Padu­la Letra: Euge­nio Cár­de­nas

Traduction libre des paroles de Eugenio Cárdenas (version 2 de 1931)

Aujourd’hui je sens en moi l’éveil de quelque chose d’heureux.
Je veux évo­quer cet hier qui m’a offert du plaisir, car je ne dois pas oubli­er quand mon cœur a trem­blé quand j’ai enten­du, avec émo­tion, cette chan­son joyeuse :
L’hymne de chaque lèvre argen­tine germe, majestueux.
Et les âmes, trem­blantes d’émotion, ne savent que bénir la Patrie tan­dis que les échos répè­tent le chant que deux génies ont légué à l’avenir.
Que la belle chan­son vivra à jamais dans la chaleur du cœur.
Dans les baraques (mai­son som­maire, pas un ranch…), il y a un regain de jeunesse ;
Les Criol­los voient dans leur pas­sion tout l’amour arriv­er.
Sur les traces (empreintes de pas ou de roues), ils sont pleins de foi et d’illusion, les gau­chos que j’ai enten­dus chanter au clair de lune.
Les cam­pagnes sont en fête et le soleil se déverse à tra­vers la forêt, et avec ses éclairs de feux mag­iques, la plaine et le som­met sont envelop­pés de flammes.
Tan­dis qu’un criol­lo patri­ar­cal racon­te les heures des cam­pagnes de libéra­tion, quand les enfants de ce sol améri­cain pour une juste cause ont démon­tré leur courage.

Vous êtes encore là ? Alors, à demain, les amis !

Racing Club 1930-06-03 – Sexteto Carlos Di Sarli

Vicente Greco Letra : Carlos Pesce

Les Argentins sont toqués de foot­ball, comme peu d’autres peu­ples. Cha­cun est hin­cha (fan) d’un club. Il était donc naturel que cela se retrou­ve dans l’autre pas­sion de cer­tains Argentins, le tan­go. Notre tan­go du jour ne brille pas for­cé­ment par ses paroles, mais la musique de Vicente Gre­co est intéres­sante et comme toutes les ver­sions enreg­istrées sont instru­men­tales, on peut danser, même si on déteste le foot­ball.

Extrait musical

Par­ti­tion pour piano de Rac­ing Club. On voit que sur la cou­ver­ture de la par­ti­tion, la dédi­cace aux affil­iés au Rac­ing Club et la men­tion « Tan­go Foot­bal­lis­ti­co ». L’orthographe est plus proche de l’anglais que l’orthographe actulle, les Argentins écrivent désor­mais Fut­bol.
Rac­ing Club 1930-06-03 – Sex­te­to Car­los Di Sar­li.

On con­naît bien l’entrée en matière énergique. Cette ver­sion se dis­tingue de bien des enreg­istrements de l’époque, par un bel étage­ment des instru­ments, avec un motif de vio­lon qui lie le tout et quelques relances de piano ou de ban­donéon. Cette ver­sion est assez mod­erne et pour­rait prob­a­ble­ment pass­er en milon­ga, notam­ment, s’il y a beau­coup de piétineurs dans les par­tic­i­pants.
Pour cet enreg­istrement, le sex­te­to est com­posé des musi­ciens suiv­ants :
César Gin­zo et Tito Landó (ban­donéons) Car­los Di Sar­li (piano) Rober­to Guisa­do et Héc­tor Lefalle (vio­lons) et Domin­go Capurro à la con­tre­basse.

Paroles

Rac­ing Club de Avel­lane­da
club de mi pueblo queri­do,
yo que admiro con car­iño
tu valiente batal­lar
en esas horas glo­riosas
para el deporte argenti­no,
fuiste campeón gen­uino
de la masa pop­u­lar.

Rac­ing Club, vos que diste
acad­e­mia en la Améri­ca del Sur
gran campeón de los tiem­pos viejos de oro
del fut­bol de mi Nación,
yo quisiera ver tri­un­far a tus col­ores,
que son los de mi ban­dera
porque aún seguís sien­do para todos
el glo­rioso Rac­ing Club.

Noble club con gran car­iño
te sigue la muchacha­da
la que tan entu­si­as­ma­da
te sabrá siem­pre alen­tar,
porque sos vos Rac­ing Club
la glo­ria del tiem­po de oro
como el Alum­ni que añoro
y jamás volverá.

Vicente Gre­co Letra: Car­los Pesce

Traduction libre et indications

Rac­ing Club de Avel­lane­da, club de mon vil­lage bien-aimé, moi qui admire avec affec­tion ta courageuse bataille en ces heures glo­rieuses pour le sport argentin, tu as été un véri­ta­ble cham­pi­on des mass­es pop­u­laires.
Rac­ing Club, toi qui as don­né académie en Amérique du Sud, grand cham­pi­on de l’ancien âge d’or du foot­ball dans ma nation, je voudrais voir tri­om­pher tes couleurs, qui sont celles de mon dra­peau, car tu es tou­jours pour nous tous, le glo­rieux Rac­ing Club.
Noble club, avec beau­coup d’affection te suit la foule, celle qui avec tant d’enthousiasme saura tou­jours t’encourager, car tu es, toi,
Rac­ing Club, la gloire de l’âge d’or, comme L’Alum­ni (club de foot­ball des élèves de l’école Willis High School, dis­paru en 1913) qui me manque et jamais ne revien­dra.
Les fans de foot pour­ront regarder cette courte vidéo présen­tant l’histoire du club Alum­ni.

https://youtu.be/R5Nr6FKgJ6k

His­toire du club Alum­ni en vidéo. Les mail­lots ont des rayures comme celles du Rac­ing Club, mais rouges et blanch­es au lieu de célestes et blanch­es.

Pour les super­fans qui s’intéressent à l’histoire des stades, je pro­pose ce doc­u­ment, seule­ment en espag­nol, mais bien doc­u­men­té sur la vie des stades, notam­ment à par­tir d’exemples portègnes. El ciclo de vida de los esta­dios porteños (PDF).

Autres versions

Rac­ing Club 1916 – Orques­ta Típi­ca Fer­rer (Orques­ta Típi­ca Argenti­na Celesti­no).

Je pense que vous êtes désor­mais habitué à ce son linéaire. La prise de son acous­tique ne rend sans doute pas une grande jus­tice à la presta­tion. Les nuances sont impos­si­bles. Jouer moins fort, c’est pren­dre le risque que la musique dis­paraisse dans le bruit de fond du disque. On entend cepen­dant de jolis motifs, comme les « twitwiti­tis » de la flûte, en arrière-plan. Comme avec la plu­part des tan­gos de l’époque, on peut trou­ver le résul­tat monot­o­ne, les dif­férentes par­ties étant très sim­i­laires, pour ne pas dire iden­tiques.

Rac­ing Club 1930-06-03 – Sex­te­to Car­los Di Sar­li. C’est notre tan­go du jour.
Rac­ing Club 1940-07-04 – Orques­ta Car­los Di Sar­li.

Avec son orchestre, Di Sar­li enreg­istre de nou­veau le titre. Une ver­sion vrai­ment très dif­férente de la ver­sion de 1930 qui per­met de mesur­er son évo­lu­tion et recon­naître ses évo­lu­tions futures. Rober­to Guisa­do (vio­lon) et Car­los Di Sar­li (piano), sont les seuls musi­ciens ayant par­ticipé au sex­te­to.

Rac­ing Club 1942 – Orques­ta Aníbal Troi­lo.

Bien que ce ne soit pas son club de cœur, il était de Riv­er, Troi­lo a enreg­istré le titre. La qual­ité sonore est médiocre, car c’est un enreg­istrement en acé­tate réal­isé lors d’une presta­tion à la radio, c’est dom­mage, avec un enreg­istrement cor­rect, on aurait eu une ver­sion ani­mée pour les milon­gas.

Rac­ing Club 1946-03-29 – Orques­ta Ángel D’Agostino.

On ne s’attend sans doute pas à trou­ver cet enreg­istrement de la part de D’Agostino. Mais c’est sans doute qu’on priv­ilégie les enreg­istrements avec Ángel Var­gas qui pousse d’Agostino à plus de douceur et de roman­tisme. On notera un appel en début de morceau, au ban­donéon, dif­férents des ver­sions précé­dentes.

Rac­ing Club 1949-10-13 – Orques­ta Alfre­do Gob­bi.

Le moins qu’on puisse dire est que Gob­bi n’est pas très apprécié/passé en milon­ga, mais si on le passe, c’est avec Rac­ing Club et Orlan­do Goñi, La viru­ta et bien sûr Inde­pen­di­ente Club qui est le pen­dant par­fait de Rac­ing Club, puisque c’est un club con­cur­rent. Peu de DJ s’aventurent beau­coup plus loin et c’est sans doute mieux ain­si, car il est dif­fi­cile de faire une belle tan­da, homogène, avec le reste de ses enreg­istrements… Gob­bi utilise le même appel au ban­donéon que D’Agostino.

Rac­ing Club 1950-09-13 – Orques­ta Rodol­fo Bia­gi.

Rac­ing Club 1950-09-13 – Orques­ta Rodol­fo Bia­gi. Bon, c’est du Bia­gi. Cela se recon­naît dès le début, Bia­gi entre directe­ment dans le « Tchang – Tchang » qui lui est cher. Ceux qui n’ont pas recon­nu, le fer­ont au bout des quinze pre­mières sec­on­des, lors de la pre­mière vir­gule (la petite fior­i­t­ure) de Bia­gi au piano. Même si Bia­gi a de nom­breux fans, il est dif­fi­cile de met­tre plus de deux tan­das de cet orchestre dans une milon­ga si on veut pro­pos­er un éven­tail de sen­sa­tions plus large. Mais cer­tains sont prêts à danser toute la nuit avec Bia­gi, alors, ojo comme on dit en Argen­tine, atten­tion, DJ, on t’a à l’œil, ou plutôt à l’oreille).

Rac­ing Club 1966-10-07 – Los Siete Del Tan­go dir. y arr. Luis Sta­zo y Orlan­do Trípo­di.

Pour ter­min­er, cette liste qui pour­rait bien sûr être plus longue, cette ver­sion par les anciens musi­ciens de Pugliese, Los Siete Del Tan­go (les 7 du tan­go). On n’est plus dans la danse, mais c’est de la belle ouvrage. On notera que le début est celui de D’Agosti­no, mais revu. Il est plus lent et annonce une pause avant le début du morceau.

Pour réconcilier les footeux et les tangueros et faire plaisir à ceux qui sont les deux

Je vous pro­pose cette vidéo avec comme musique, Que­jas de ban­doneón par Aníbal Troi­lo, dan­sé à San Tel­mo (quarti­er de buenos Aires) par un cou­ple vir­tu­ose du bal­lon rond. Petite fan­taisie, Troi­lo était hin­cha de Riv­er Plate (Les anglo-sax­ons par­lent de Riv­er Plate pour le Río de la Pla­ta), pas du Rac­ing, mais comme fana­tique de foot­ball, il me par­don­nera sans doute, d’autant plus qu’il a enreg­istré Rac­ing Club…
Pour le Rac­ing, il faudrait plutôt choisir Atilio Stam­pone qui était hin­cha de ce club, mais il n’a pas enreg­istré le titre…

Réal­isé pour la coupe du Monde de 2018, ce film était dans le cadre de la cam­pagne fut­bol deporte nacional (Foot­ball, Sport Nation­al).

Allez, un dernier truc, une playlist pour hin­chas de Rac­ing sur Spo­ti­fy… ATTENTION, cela n’a rien de tan­go, c’est juste pour vous aider à pren­dre la dimen­sion du phénomène foot­ball en Argen­tine.

Les styles du tango

El Mun­do du dimanche 1er octo­bre de 1944.

Il sem­ble que tout a été dit sur les styles de tan­go. Je vous pro­pose cepen­dant un petit point, vu essen­tielle­ment sur l’aspect du tan­go de danse.

Ce qu’il con­vient de pren­dre en compte, c’est que les péri­odes générale­ment admis­es sont en fait toutes rel­a­tives.

Les orchestres ont, selon les cas, con­tin­ué un style qui leur réus­sis­sait au-delà d’autres orchestres et a con­trario, d’autres ont innové bien avant les autres, voire, sont revenus en arrière, remet­tant en avant des élé­ments dis­parus depuis plusieurs décen­nies.

On peut donc avoir deux enreg­istrements con­tem­po­rains appar­tenant à des courants forts dif­férents. C’est par­ti­c­ulière­ment sen­si­ble à par­tir des années 50, où la baisse de la pra­tique de danse a incité les orchestres à dévelop­per de nou­veaux hori­zons, sou­vent en réchauf­fant des plats plus anciens.

Les origines (avant le tango)

Il ne s’agit pas ici de tranch­er dans un des nom­breux débats entre spé­cial­istes des orig­ines. Du strict point de vue de la danse, les pre­miers tan­gos sont proche du style habanero et par con­séquent, c’est plus du côté des habaneras qu’il con­vient de trou­ver la forme de danse.

La habanera

Vous con­nais­sez ce rythme. DaaaTa­daTaDaaa

Pour ceux qui ne sont pas lecteurs de la musique, les bar­res rouges (croches pointées) cor­re­spon­dent à 3 unités tem­porelles rel­a­tives (dou­ble croche), les bar­res bleues à une unité tem­porelle (dou­ble croche) et les bar­res vertes à deux unités tem­porelles (croche). Les bar­res sont donc pro­por­tion­nelles à la durée des notes. Au début de la portée, il y a l’indication 2/4. Cela sig­ni­fie qu’il y a deux noires par mesure (espace entre deux bar­res ver­ti­cales). Les croches valent la moitié d’une noire en durée et les dou­bles croches la moitié d’une croche. Voilà, vous con­nais­sez la lec­ture du rythme en musique (ou pas…).
Rythme de la habanera au piano. retrou­vez le DaaaTa­daTaDaaa…

La habanera porte ce nom, car c’est une resti­tu­tion d’un rythme cubain. L’inventeur du genre est Sebastián de Iradier qui a com­posé El arregli­to (le petit arrange­ment) où il joue avec ce rythme. En voici un extrait et je suis sûr que cela va vous rap­pel­er quelque chose.

Axiv­il Criol­lo — El Arregli­to — Com­pos­i­teur Sebastián de Iradier vers 1840.

Avez-vous trou­vé ?

Oui, vous avez trou­vé. Ce cher Georges Bizet a piqué la musique de Sebastián de Iradier.

Tere­sa Bergan­za chante la Habanera de Car­men de Bizet (le copieur 😉

Ce rythme, très présent dans les pre­miers tan­gos, est devenu plus dis­cret, sauf pour les milon­gas qui l’ont large­ment exploité.

Dans la milon­ga criol­la (ici par l’orchestre de Fran­cis­co Canaro 1936-10-06), on recon­nait par­faite­ment le rythme de la habanera qui a été accélérée et est dev­enue une des pier­res de con­struc­tion des milon­gas.

Lorsque le tan­go de danse a per­du de son élan, les orchestres sont revenus à ces formes tra­di­tion­nelles, au point que les com­pos­i­teurs l’on réin­tro­duit très large­ment.

Autres apports

En par­al­lèle, des formes chan­tées, notam­ment par les payadors et des dans­es, tra­di­tion­nelles, voire trib­ales, ont influ­encé ces prémices, don­nant une grande richesse à ce qui devien­dra le tan­go, notam­ment à tra­vers ses trois formes dan­sées, le tan­go, la milon­ga et la valse.

Les payadors

On lit par­fois que Gardel était un payador. Cepen­dant, même s’il était ami de José Bet­tinot­ti, il n’a pas été directe­ment l’un de ces chanteurs qui s’ac­com­pa­g­naient à la gui­tare en impro­visant. Cepen­dant, l’influence des payadors est indé­ni­able pour le tan­go, comme vous pou­vez en juger. Par cet extrait, qui avec ses relents d’ha­banera pour­rait s’ap­procher d’une milon­ga lente ou d’un canyengue.

José Bet­tinot­ti, El cabrero cir­ca 1913

Exemple d’influence africaine

Par­mi les sources, on met en avant des orig­ines africaines. Même si l’Ar­gen­tine n’a pas été une terre d’esclavage très mar­quée, con­traire­ment à beau­coup d’autres payés du con­ti­nent améri­cain, il y a eu une com­mu­nauté d’o­rig­ine africaine rel­a­tive­ment impor­tante au XIXe siè­cle. Celle-ci s’est atténuée par l’émi­gra­tion, les mariages avec des pop­u­la­tions d’autre orig­ines et quelques faits guer­ri­ers où ils ont servi de chair à canon.

Même si l’Ar­gen­tine a absorbé des élé­ments, c’est plutôt la province de l’Est, l’U­ruguay qui a le plus été influ­encé par ces musiques, notam­ment les per­cus­sions.

Can­dombe solo para Uruguayos — Hugo Fat­toru­so — “Cam­i­nan­do” , Toma de Sonido Dario Ribeiro

Le can­dombe et la milon­ga can­dombe se retrou­vent à la mode dans les années 50, bien avant que Juan Car­los Cacéres relance la mode.

Siga el baile 1953-10-28 — Alber­to Castil­lo y su Orques­ta Típi­ca dirigé par Ángel Con­der­curi.

La dénom­i­na­tion “tan­go” est sou­vent asso­ciée à la défor­ma­tion de “tam­bo” et désig­nait des lieux ou la com­mu­nauté noire dan­sait. Il faut voir un juge­ment négatif par la bonne société blanche. Le terme est devenu syn­onyme de bam­boche, de débauche, ou pour le moins de moeurs légères. La musique des faubourgs, même si elle n’é­tait pas issue des Africains a hérité de ce voca­ble péjo­ratif, lorsque le tan­go s’est dévelop­pé dans les bor­dels et autres lieux choquants pour la bonne société.

Les origines européennes

L’im­mi­gra­tion européenne a apporté sa musique. Pour el vals, même criol­lo, on est très proche de la valse et des artistes comme Canaro ont même adop­té des valses vien­nois­es.

Pour la milon­ga, c”est un peu moins évi­dent de retrou­ver des sources européennes, si ce n’est que la mode de la habanera en Europe et les échanges dans le monde lati­noaméri­cain ont favorisé sa dif­fu­sion. La habanera sym­bol­i­sait le marin pour l’Eu­rope. La milon­ga, on devrait même écrire les milon­gas sont une sal­sa, un mélange d’in­flu­ences.

Les débuts du tan­go dans les faubourgs et les milieux inter­lopes ont con­duit celui-ci à des formes assez pop­u­laires, voire out­rées que le canyengue d’aujourd’hui a du mal à retraduire en total­ité.

La naissance européenne

Dis­ons-le, tout bon­nement, ce tan­go d’avant le tan­go n’est pas au sens strict du tan­go. À cela se rajoute que les rares enreg­istrements de l’époque ont été réal­isés par voie acous­tique et qu’ils ne sont donc pas du tout adap­tés à nos oreilles con­tem­po­raines.

Voir les pro­grès de l’en­reg­istrement pour plus d’in­for­ma­tions sur l’en­reg­istrement acous­tique.

Vu les lieux où le tan­go était joué et mal­gré la fréquen­ta­tion par des ninos bien (jeunes hommes de bonne famille), le tan­go ne s’est pas fait une place impor­tante en Argen­tine avant d’ac­quérir ses let­tres de noblesse en Europe et notam­ment en France.
Il y a une théorie dif­férente qui se base sur un film réal­isé en 1900 à Buenos Aires par Eugene Py. Le prob­lème est que si Py a bien réalise un film, on ne l’a pas retrou­vé. Un film est con­sid­éré par cer­tains comme le film de Py qui aurait été retrou­vé.

Dans ce film, on voit deux danseurs dans un décor pra­ti­quer une forme de tan­go. Ce film est par­fois qual­i­fié de pre­mier film de tan­go qui cor­re­spondrait à un film enreg­istré en 1900 par Eugène Py. La qual­ité de l’im­age, le vête­ment de la femme, le style de danse font plutôt dater ce film des années 1920. Les par­ti­sans de l’at­tri­bu­tion à Eugène Py indique que le film orig­i­nal a été réal­isé en extérieur, sur la ter­rasse de l’en­tre­prise Casa Lep­age À Buenos Aires. On peut voir qu’i­ci, il s’ag­it d’un décor qui peut avoir été placé en extérieur pour faire croire a un intérieur. Cela sem­ble un peu exagéré pour ce type de film. En admet­tant que ce soit le cas, les danseurs seraient des gens de la haute société. Aus­si, pourquoi servi­raient-ils de fig­u­rants ? Il est plus sim­ple d’imag­in­er que ce sont des danseurs qui jouent un rôle. Donc, si ce film est de 1900 (ce dont je doute), il peut s’a­gir de danseurs fig­u­rants. Si le film est de 1920, il peut s’a­gir de per­son­nes plus for­tunées qui présen­tent leurs per­for­mances de danse. Je pro­pose donc de rester sur les témoignages écrits et nom­breux et de ne pas suiv­re l’hy­pothèse qui ferait de ce film la preuve que le tan­go était dan­sé dans la haute société dès 1900.

Le style du tango, avant le tango… (Prototango)

Avant 1926, date des pre­miers enreg­istrements élec­triques, pas d’enregistrements util­is­ables en danse.

Argañaraz — Orques­ta Típi­ca Criol­la Alfre­do Gob­bi (1913)

Comme vous pou­vez vous en ren­dre compte, le style som­maire et monot­o­ne de la musique est ren­for­cé par l’obligation de jouer de façon assez forte et peu nuancée pour que le pavil­lon puisse graver le sup­port d’enregistrement. On retrou­ve cepen­dant cer­tains élé­ments « Canyengue » que l’on con­naît par les enreg­istrements élec­triques.

Je vous pro­pose à titre d’exemple, Zor­ro gris un enreg­istrement élec­trique de 1927 par Fran­cis­co Canaro.

Zor­ro gris 1927-08-22, Fran­cis­co Canaro (enreg­istrement élec­trique).

La vieille garde (Guardia vieja)

Gob­bi et Canaro, dans la pre­mière par­tie de leur car­rière, sont des représen­tants de ce que l’on a nom­mé la vieille garde. On ne peut pas réduire cela au canyengue, car dès les années 20 des rythmes dif­férents avaient vu le jour. Se détachant pro­gres­sive­ment du style clau­di­cant du canyengue, les orchestres aban­don­nent la habanera, accélèrent le rythme. Des titres en canyengue devi­en­nent des milon­gas, comme par exem­ple : Milon­ga de mis amores, ici dans la ver­sion de Canaro en 1937 et qui a encore des accents de canyengue :

Extrait de Milon­ga de mis amores 1937-05-26, Fran­cis­co Canaro

con­traire­ment à la ver­sion de la même année par Pedro Lau­renz :

Extrait de Milon­ga de mis amores 1937-07-14, Pedro Lau­renz can­ta Héc­tor Far­rel

Ou celle du même de 1944 :

Extrait de Milon­ga de mis amores 1944-01-14, Pedro Lau­renz

Des orchestres anciens évolu­ent, comme Di Sar­li ou d’Arien­zo, notam­ment à l’ar­rivée de Bia­gi dans l’orchestre et on arrive à la grande péri­ode du tan­go, l’âge d’or.

L’âge d’or (Edad de oro)

C’est la péri­ode con­sid­érée comme la plus adap­tée au tan­go de danse. C’est logique, car à l’époque, le tan­go était une danse à la mode et chaque semaine, plusieurs orchestres se pro­dui­saient.

El Mun­do du dimanche 1er octo­bre de 1944. En rouge, les 4 piliers se pro­duisent le même jour (Hoy). En bleu des orchestres de sec­ond plan, tout à fait dans­ables et en vert, des orchestres un peu moins per­ti­nents pour la danse.

On voit l’énorme choix qui s’adressait aux danseurs. Les musi­ciens jouaient ensem­ble plusieurs fois par semaine et il y avait un cli­mat d’émulation pour ne pas dire de com­péti­tion entre les orchestres.

On remar­quera qu’en face de cha­cun des orchestres de tan­go, il y a un orchestre de « Jazz ». En effet, les bals de l’époque jouaient des gen­res var­iés et les orchestres se spé­cial­i­saient.

Cer­tains comme Canaro avaient deux orchestres, ce qui lui per­me­t­tait d’assurer les deux aspects de la soirée. D’ailleurs, Canaro utilise des cuiv­res dans son orchestre de tan­go, il jouait donc de la lim­ite entre les deux for­ma­tions. Vous avez pu écouter cela dans l’ex­trait de Milon­ga de mis amores, ci-dessus.

Chaque orchestre se dis­tin­guait par un style pro­pre. Cer­tains étaient plus intel­lectuels, comme Pugliese ou De Caro, d’autres plus joueurs, comme Rodriguez ou D’Arienzo, d’autres plus roman­tiques, comme Di Sar­li ou Frese­do et d’autres plus urbains, comme Troi­lo.

Aujourd’hui, dans les milon­gas, le DJ s’arrange pour pro­pos­er ces qua­tre ori­en­ta­tions pour éviter la monot­o­nie et con­tenter les dif­férentes sen­si­bil­ités des danseurs.

Même si la pro­duc­tion de l’époque est essen­tielle­ment tournée vers la danse, il y a égale­ment une pro­duc­tion pour l’écoute.

Sur les dis­ques de l’époque, il est facile de faire la dif­férence, notam­ment pour les tan­gos avec chanteur. En effet, un tan­go à danser est indiqué : Nom de l’orchestre can­ta ou estri­bil­lo can­ta­do por Nom du chanteur. Un tan­go à écouter est indiqué Nom du chanteur y su orques­ta dirigi­do por ou con (avec) Nom de l’orchestre.

Nous n’entrerons pas dans les détails en ce qui con­cerne les styles des orchestres de l’âge d’or, cela fait l’objet d’un de mes cycles de cours/conférence (mini 3 h, voire 6 h). Il con­vient seule­ment de savoir recon­naître le tan­go de danse et de savoir appréci­er les dif­férences de style entre les orchestres.

Pour les DJ, il est impor­tant de tenir compte de l’évolution des styles du même orchestre. Il est sou­vent moins grave de mélanger deux orchestres enreg­istrés à la même époque que de mélanger deux enreg­istrements d’époques styl­is­tique­ment dif­férentes du même orchestre.

Tango Nuevo

C’est celui ini­tié par De Caro, repris ensuite par Troi­lo, Pugliese et Piaz­zol­la, par exem­ple. Il est encore très vivant, notam­ment chez les orchestres de con­cert.

À not­er que Pugliese et Troi­lo sont bien sûr des piliers du tan­go de bal et que leurs incur­sions nuevos, pas tou­jours pour la danse, ne doivent pas mas­quer leur impor­tance dans le bal tra­di­tion­nel.

N’oublions pas que Pugliese a aus­si bien enreg­istré du canyengue, que du tan­go clas­sique avant de faire du Nue­vo… Curieuse­ment, le tan­go dit nue­vo reprend sou­vent des motifs les plus anciens, notam­ment la habanera des tout pre­miers titres du XIXe siè­cle.

Tango Electronico

Style Gotan Project. Il se car­ac­térise prin­ci­pale­ment par une bat­terie et l’utilisation d’instruments élec­tron­iques. Curieuse­ment, il est par­fois assez proche, d’un point de vue ryth­mique, du tan­go musette qui est l’évolution européenne et notam­ment fran­co-ital­i­enne, du tan­go du début du XXe siè­cle.

Comme DJ, j’évite et en tout cas je n’en abuse pas, car cette musique est très répéti­tive et ne con­vient pas aux danseurs avancés. Cepen­dant, il faut recon­naître que cette musique a fait venir de nou­veaux adeptes au tan­go.

Tango alternatif (neotango)

Le tan­go alter­natif con­siste à danser avec des repères « tan­go » sur des musiques qui ne sont absol­u­ment pas conçues comme telles.

Par exem­ple, la Cole­giala de Ramirez est un tan­go alter­natif, puisqu’on le danse en “milon­ga” alors que c’est un fox-trot.

Cer­tains DJ européens pla­cent des zam­bas que les danseurs dansent en tan­go. Quel dom­mage quand on sait la beauté de la danse.

N’oublions pas la dynamique « néotan­go » qui con­siste à danser sur toute musique, chan­son, de tout style et de toute époque. Cela ouvre des hori­zons immenses, car la très grande majorité de la musique actuelle est à 4 temps et per­met donc de marcher sur les temps.

Ce qui manque sou­vent à cette musique, c’est le sup­port à l’improvisation. On peut lui recon­naître une forme de créa­tiv­ité dans la mesure où elle per­met / oblige de sor­tir des repères et donc d’in­nover. Mais est-t-il vrai­ment pos­si­ble d’in­nover en tan­go ? C’est un autre débat.

Pourquoi l’âge d’or est bien adapté à la danse

Si on étudie un tan­go de l’âge d’or, on y décou­vri­ra plusieurs qual­ités favorisant la danse :

  • La musique a plusieurs plans sonores. On peut choisir de danser sur un instru­ment (dont le chanteur), puis pass­er à un autre. On peut aus­si choisir de danser unique­ment la mar­ca­tion (tem­po). Les instru­ments se répon­dent. On peut ain­si se répar­tir les rôles avec les parte­naires en recon­sti­tu­ant le dia­logue en le dansant.
  • La musique se répète plusieurs fois, mais avec des vari­a­tions. Cela per­met de décou­vrir le tan­go au cas où il ne serait pas con­nu et la sec­onde fois, l’oreille est plus famil­ière et l’improvisation est plus con­fort­able. Cette reprise est en général dif­férente de la pre­mière expo­si­tion, mais reste tout à fait com­pa­ra­ble. Par exem­ple, la pre­mière fois le thème est joué au vio­lon ou au ban­donéon et la sec­onde fois, c’est le rôle du chanteur ou d’un autre instru­ment. Si c’est le même instru­ment, il y aura de légères dif­férences dans l’orchestration qui ren­dra l’écoute moins monot­o­ne.
  • Les change­ments de rythme, phras­es, par­ties, sont annon­cés. Un danseur musi­cien ou exer­cé sait recon­naître les par­ties et peut « devin­er » ce qui va suiv­re, ce qui lui per­met d’improviser plus facile­ment sans dérouter sa parte­naire. Je devrais plutôt met­tre cela au pluriel, car les deux mem­bres du cou­ple par­ticipent à l’improvisation. Si la per­son­ne guidée a envie d’appuyer, de mar­quer un élé­ment qui va arriv­er, elle a le temps d’alerter le guideur pour qu’il lui laisse un espace. Les musiques alter­na­tives ou des musiques d’inspiration pus clas­siques, comme cer­taines com­po­si­tions de Piaz­zol­la » pro­posent sou­vent des sur­pris­es qui font qu’elles ne per­me­t­tent pas de devin­er la suite, ou au con­traire, sont telle­ment répéti­tives, que quand revient le même thème de façon iden­tique et mécanique, les danseurs n’ont pas de nou­velles idées et finis­sent par tomber dans une rou­tine. Évidem­ment, les danseurs qui n’écoutent pas la musique et qui se con­tentent de dérouler des choré­gra­phies ne ver­ront pas de dif­férences entre les dif­férents types de tan­go. Ceci explique le suc­cès des pra­tiques neotan­go auprès des débu­tants, même si ces bals ont aus­si du suc­cès auprès de danseurs plus affir­més. En revanche, on ne fera jamais danser, même sous la men­ace, un Portègne sur ce type de musique, en tout cas, en tan­go…

Ne faut-il danser que sur des tangos de l’âge d’or ?

Non, bien sûr que non. Les canyengues et la vieille garde com­por­tent des titres sub­limes et très amu­sants ou intéres­sants à danser. Cer­tains danseurs sont prêts à danser plusieurs heures d’af­filée sur ces rythmes. Cepen­dant, un DJ qui passerait ce genre de musique de façon un peu soutenue à Buenos Aires se ferait écharp­er…

Quelques musiques mod­ernes don­nent des idées agréables à danser. Pour ma part, je pro­pose sou­vent une tan­da de valses « orig­i­nales ». Le rythme à trois temps de la valse reste le même que pour les tan­gos tra­di­tion­nels et le besoin d’improvisation est moins impor­tant, car il s’agit surtout de… tourn­er.

Même si les danseurs avancés aiment moins danser sur les d’Arienzo des années 50 ou postérieures, ils n’y rechig­nent pas tou­jours et l’énergie de ces musiques plaît à de très nom­breux danseurs. C’est donc un domaine à pro­pos­er aux danseurs. D’ailleurs, les orchestres qui font à la manière de du d’Arienzo sont par­ti­c­ulière­ment nom­breux. C’est bien le signe que c’est tou­jours dans l’air du temps.

Pour ter­min­er, je pré­cise que je suis DJ et que par con­séquent, mon tra­vail est de ren­dre les danseurs heureux. J’adapte donc la musique à leur sen­si­bil­ité.

Pour un DJ rési­dent, en revanche, il est impor­tant d’ouvrir les oreilles des habitués. Dans cer­tains endroits, le DJ met tou­jours le même type de musique, pas for­cé­ment de la meilleure qual­ité pour la danse. Le prob­lème est qu’il habitue les danseurs à ce type de musique et que quand ces derniers vont aller dans un autre endroit, ils vont être déroutés par la musique.

L’innovation, c’est bien, mais il me sem­ble qu’il faut tou­jours garder un fond de cul­ture « authen­tique » pour que le tan­go reste du tan­go.

Quelles sont les qualités d’un bon DJ de tango ?

Réponse à une question de Sonia Devi :

Buenos Aires (Gri­cel) — DJ BYC Bernar­do

« Il faut du tra­vail, mais aus­si de la sen­si­bil­ité, sans doute la capac­ité à sor­tir des sen­tiers bat­tus tout en guidant son pub­lic, une capac­ité de con­nex­ion avec le groupe, du sens psy­chologique, de la générositéquelles sont pour toi les qual­ités d’un bon DJ ? ».

Lien vers la dis­cus­sion sur Face­book…

Sonia, je vais répon­dre sur cha­cun des points avec le code couleur que j’ai util­isé pour met­tre en valeur ta ques­tion :

Il faut du travail

Moins qu’avant, car la musique est large­ment disponible, bien mieux classée et de meilleure qual­ité qu’il y a vingt ans ou trente ans.

L’ordinateur per­met de gag­n­er beau­coup de temps pour le classe­ment, la facil­ité d’écoute et la recherche des musiques.

Les choses ont telle­ment été sim­pli­fiées sur ces plans que toute per­son­ne ayant mis la main sur une playlist de tan­go et ayant un ordi­na­teur se déclare DJ.

Si c’était si sim­ple, cela ferait longtemps que l’on aurait créé la « playlist idéale » et qu’on la passerait dans toutes les milon­gas du monde.

Les humains étant ver­sa­tiles, dif­férents, les con­di­tions de bal, les cul­tures, les habi­tudes et autres dif­férant d’un lieu à l’autre et d’un jour à l’autre, cette fameuse playlist idéale sera obsolète dès sa deux­ième ten­ta­tive d’utilisation.

Tout au plus, dans des milon­gas régulières, on peut se per­me­t­tre de pass­er le même type de playlist chaque semaine.

Si on inter­vient sur un événe­ment dif­férent de sa zone habituelle, les ennuis vont être bien plus impor­tants pour ces pseu­do-DJ, car ils vont se con­fron­ter à d’autres goûts et atti­tudes.

Ils devront donc être capa­bles de repér­er le plus rapi­de­ment pos­si­ble ce qui va ren­con­tr­er le pub­lic.

La sensibilité, une capacité de connexion avec le groupe, du sens psychologique, de la générosité

Pour déter­min­er les goûts des danseurs, il faut savoir observ­er, faire preuve d’empathie. Un DJ qui ferait cela pour sa « pomme » sera dif­fi­cile­ment un excel­lent DJ, car il fera préféren­tielle­ment pass­er ses goûts avant ceux de son pub­lic, en admet­tant même qu’il s’en soucie…

La sen­si­bil­ité, c’est aus­si avoir une cul­ture musi­cale per­me­t­tant de se repér­er dans les épo­ques, les styles afin de pou­voir vari­er les musiques et éviter les « tun­nels » (suc­ces­sion de tan­das sem­blables qui génèrent l’ennui).

La con­nex­ion avec le groupe, cela dépend de la per­son­nal­ité du DJ. Cer­tains sont en retrait, ne cherchent pas l’interaction avec les danseurs, mais sont très atten­tifs à eux. C’est le cas d’un des meilleurs DJ de Buenos Aires, Daniel Borel­li.

Un autre, très dif­férent, est Marce­lo Rojas (égale­ment de Buenos Aires, mais qui tourne dans le monde entier) qui va par­ler à son pub­lic et se tenir majori­taire­ment debout.

Ceux qui me con­nais­sent savent que j’abuse par­fois de cette recherche de com­plic­ité avec les danseurs. Ceux qui préfèrent les DJ inertes ne me font pas venir ou me deman­dent d’être dis­cret, ce que je peux faire, bien qu’avec dif­fi­culté 😉 Jeu­di prochain, je serai DJ dans une milon­ga très tra­di­tion­nelle de Buenos Aires et je serai dis­cret, si, si…

Les goûts des danseurs sont dif­férents et avoir un éven­tail de per­son­nal­ités de DJ est intéres­sant.

En ce qui con­cerne le sens psy­chologique, je par­lerai plutôt de sens de l’observation. Remar­quer la hau­teur des talons, les âges, les pro­por­tions de danseurs et danseuses, leurs capac­ités d’écoute de la musique, com­ment les gens sont entre eux, s’ils se con­nais­sent, s’ils sont plutôt joyeux ou intro­ver­tis (le but peut être de les faire chang­er d’attitude s’ils sont un peu trop com­passés ; —)

La capacité à sortir des sentiers battus tout en guidant son public

Une fois qu’on a mis en place les élé­ments précé­dents, c’est-à-dire que l’on a :

  • Une bonne diver­sité de musique en stock et bien sûr, tous les « incon­tourn­ables »
  • Une excel­lente con­nais­sance de sa base de musique
  • Une bonne déter­mi­na­tion des goûts et attentes des danseurs
  • Une con­nex­ion intéres­sante avec le groupe

On peut alors essay­er de sor­tir des sen­tiers bat­tus. Cepen­dant, il me sem­ble qu’il faut dévelop­per ce point avant d’aller plus loin.

Le tan­go est une danse assez par­ti­c­ulière, basée sur l’improvisation. Les cou­ples évolu­ent sur la musique, sans aucune choré­gra­phie préal­able et dans une con­struc­tion mutuelle de la danse. Ils doivent égale­ment tenir compte des con­traintes du lieu, des déplace­ments des autres cou­ples et d’autres critères pou­vant aller d’un trou dans le planch­er à une per­son­ne assise avec les pieds qui traî­nent sur la piste en pas­sant par le serveur qui passe avec un plateau chargé de ver­rerie.

Toutes ces « con­traintes » sont en fait des enrichisse­ments qui per­me­t­tent d’innover, d’improviser sans avoir l’impression de faire tou­jours la même chose. Mais les plus grandes aides à l’improvisation sont bien sûr la musique et le (la) parte­naire.

Le parte­naire n’est pas du ressort du DJ, sauf s’il pro­pose des tan­das ros­es, améri­caines, des femmes, des bon­bons ou d’autres sug­ges­tions et encour­age­ments à ne pas être trop strict sur les règles d’invitation et accep­ta­tion de l’invitation. Ce levi­er est aus­si aux mains de l’organisateur.

Tout cela pour en venir à la sor­tie des sen­tiers bat­tus. Le DJ peut apporter une note de fan­taisie, mais il me sem­ble qu’il a égale­ment la respon­s­abil­ité de con­duire les danseurs vers « le tan­go » et pas vers une danse « créa­tive », mais qui aurait per­du les car­ac­tères de la danse orig­i­nale.

Je n’ai rien con­tre les milon­gas alter­na­tives, j’en ai même musi­cal­isé, cepen­dant, je suis cer­tain qu’il est qua­si­ment impos­si­ble de danser le tan­go sur ces musiques. On peut faire des « fig­ures » de tan­go, adopter un abra­zo milonguero ou salón, mais il man­quera l’impulsion, la var­iété com­préhen­si­ble qui rend la musique prop­ice à l’improvisation pour que les danseurs se sen­tent en sécu­rité avec la musique.

Si la musique est hyper con­nue, les danseurs pour­ront impro­vis­er. Si la musique n’est pas con­nue, il fau­dra que les danseurs soient capa­bles de devin­er la suite, de la pressen­tir. C’est la lim­ite que devra s’imposer le DJ pour ne pas désta­bilis­er les danseurs et leur ouvrir de nou­veaux hori­zons.

La plu­part des musiques actuelles sont à qua­tre temps. On peut donc avoir l’impression qu’elles sont adap­tées au tan­go. Ce n’est mal­heureuse­ment pas sou­vent (jamais) le cas. C’est sans doute pour cela que les danseurs de Buenos Aires sont si « tra­di­tion­nels ». Ils ne trou­vent pas dans des musiques trop éloignées de leur zone de con­fort, ce qu’ils recherchent pour con­stru­ire leur danse.

Avec des danseurs moins con­nais­seurs, les musiques alter­na­tives ou les tan­gos plus « orig­in­aux » passent rel­a­tive­ment bien, car très peu dansent la musique. Ils peu­vent danser sur la musique, mais pas la musique.

Danser sur la musique, c’est pos­er les pieds sur les temps et faire des paus­es quand la musique en fait. Danser la musique, c’est en avoir une écoute atten­tive pour danser tan­tôt sur un instru­ment, tan­tôt sur un autre (les tan­gos de danse pro­posent d’eux-mêmes une diver­sité d’interprétation dans les dif­férentes repris­es du même thème). C’est prévoir les vari­a­tions de rythme pour pré­par­er sa parte­naire (ou se pré­par­er si on préfère être suiveur.

Donc, sor­tir des sen­tiers bat­tus, ça peut tout aus­si bien être de pro­pos­er un tan­go tra­di­tion­nel, mais plus rare ou pro­pos­er une musique qui n’est pas de tan­go, mais qui sera à la portée des danseurs. Dans ce dernier cas, on remar­quera que le plus les danseurs sont fam­i­liers avec le tan­go et plus ils auront du mal à s’adapter à une musique trop « étrange ».

Sor­tir des sen­tiers bat­tus, c’est cepen­dant une respon­s­abil­ité du DJ d’un lieu don­né. Dans des com­mu­nautés où il y a peu de diver­sité dans l’offre, il arrive qu’un DJ « forme » le goût des danseurs en leur pro­posant un type de musique atyp­ique. Ces danseurs seront donc habitués à d’autres sen­tiers et le jour où ils iront dans une milon­ga plus clas­sique, ils seront déroutés et per­dront ce qui fait une des grandes richess­es du tan­go, pou­voir danser avec n’importe qui dans le monde à con­di­tion de savoir guider et suiv­re. On pour­rait dire la même chose des « pro­fesseurs », d’ailleurs.

Pour repren­dre le chemin de la ques­tion ini­tiale, un DJ invité devra à la fois se couler dans les habi­tudes du lieu, mais aus­si apporter sa voix/voie orig­i­nale. S’il passe la même musique que le DJ rési­dent, quel est l’intérêt de le faire venir ? Il devra donc guider les danseurs vers son univers en créant un cli­mat de con­fi­ance. À la lim­ite, lorsque les blancs en neige auront pris, il pour­ra ren­vers­er le sal­adier, en faisant danser sur des musiques qui ne seraient pas venues à l’esprit des danseurs.

Sonia, j’aime ton dernier point « tout en guidant son pub­lic ». Le DJ est avant tout un ani­ma­teur. Il provoque des envies, qu’il retarde pour mieux les sat­is­faire. Il con­stru­it ses tan­das pour que les danseurs se sépar­ent comblés. Par exem­ple, une des règles de base qui con­siste à altern­er les styles est une forme très sim­pli­fiée de « don­ner envie ».

Après une tan­da énergique, comme une tan­da de milon­gas, il est courant de pro­pos­er une tan­da plus calme, voire roman­tique. Si on pro­pose une tan­da tonique à la place de cette tan­da calme, il fau­dra qu’elle soit irré­sistible. Les danseurs se jet­teront alors sur la piste et le moment de calme sera repoussé à la tan­da suiv­ante. Ils ne l’apprécieront que mieux.

La con­struc­tion de la tan­da sus­cite aus­si l’envie. C’est d’ailleurs pour cela qu’il est plus facile de faire des tan­das de qua­tre que de trois, car on a plus de grad­u­a­tion pour guider les danseurs. On peut com­mencer calme et ter­min­er avec beau­coup d’énergie. Dans une tan­da de trois, les tran­si­tions risquent d’être plus heurtées ou il fau­dra se lim­iter dans la pro­gres­sion.

En résumé, il y a telle­ment de fac­teurs à pren­dre en compte que toutes les qual­ités pos­si­bles seront utiles au DJ de tan­go qui n’est pas un créa­teur comme le DJ de boîte de nuit. Il est celui qui pro­pose avec empathie, avec le seul but de faire pass­er une excel­lente soirée aux danseurs.

Un dernier point, il doit aus­si être masochiste, car la respon­s­abil­ité du DJ rend le tra­vail très stres­sant et il est frus­trant de ne pas pou­voir danser avec les danseurs quand le bal est mag­nifique.

Voir aus­si :
DJ de tan­go, la grande incom­préhen­sion
Ques­tion­naire DJ

Questionnaire DJ -— Est-ce que c’était bien ?

Est-ce que c’était bien ? Questionnaire DJ

(Tra­duc­tion de la page https://mshedgehog.blogspot.com/2012/08/was-that-good-dj-questionnaire.html) réal­isée par une danseuse de Lon­dres et pub­liée le same­di 4 août 2012…

Être un bon DJ est une énorme quan­tité de tra­vail. Pos­séder beau­coup de musique n’est pas suff­isant. Cela néces­site égale­ment des con­nais­sances, du goût et une pré­pa­ra­tion extrême­ment longue. Ça ne m’intéresse pas de le faire, parce que c’est beau­coup trop de tra­vail, et je préfère danser (l’article est écrit par une danseuse lon­doni­enne (NDT BYC). Il n’est bien fait que par des gens qui aiment vrai­ment le faire pour eux-mêmes, et qui aiment vrai­ment faire le tra­vail qui est req­uis.

Les danseurs mal infor­més et sans attentes créent un mau­vais DJing et l’aident à per­sis­ter, et un mau­vais DJing lim­ite la qual­ité glob­ale de la danse en ren­dant la danse sociale beau­coup plus dif­fi­cile qu’elle ne devrait l’être.

J’aimerais que les DJ soient plus appré­ciés. Cette check-list a pour but d’aider le danseur, en par­ti­c­uli­er le débu­tant, à réfléchir au DJing. Il ne sup­pose pas plus de con­nais­sances musi­cales que la capac­ité de faire la dif­férence entre le tan­go, la milon­ga et la valse, mais il repose en par­tie sur le fait que la musique de tan­go a un sens pour vous et vous donne envie de bouger. Cer­taines sont très sub­jec­tives, mais d’autres ne le sont pas. Prof­itez des morceaux de grâce habituels.

Com­mencez à 0. Ajoutez ou déduisez des points comme indiqué pour com­par­er les DJ. Vous pou­vez choisir plus d’une réponse pour cer­taines ques­tions. Si vous vouliez le per­son­nalis­er en fonc­tion de vos pri­or­ités, vous pou­vez évidem­ment mod­i­fi­er les scores. J’ai ten­dance à pénalis­er les mau­vais­es per­for­mances sur les choses les plus mécaniques et les plus mesurables, parce qu’il n’y a aucune bonne rai­son de se tromper.

Bases musi­cales
Est-ce que cer­taines musiques ne con­ve­naient pas à la danse du tan­go en société ? Par exem­ple :

  • Elle vous demande de rester immo­bile et de pos­er, comme un pavé, plutôt que de danser
  • Il est impos­si­ble de s’y adapter à moins de con­naître l’en­reg­istrement par­ti­c­uli­er par cœur
  • Elle sug­gère forte­ment de grands mou­ve­ments dra­ma­tiques rapi­des et des change­ments soudains de vitesse qui sont grossiers et peu pra­tiques pour la danse sociale dans l’e­space disponible
  • C’est de la bonne musique de danse, mais elle fait ressor­tir le pire des danseurs qui sont là.

En cas de doute, regardez la salle dans son ensem­ble : les indices sont que la ligne de danse cesse de se dérouler et som­bre dans le chaos, il y a beau­coup de chutes, et la plu­part des danseurs vrai­ment bons s’as­soient, se cachent ou vont fumer à moins que quelqu’un ne les attrape. Si c’est ce à quoi ressem­ble nor­male­ment votre milon­ga, ajustez votre juge­ment en con­séquence. [Édit. : Ce que vous cherchez, c’est si le DJ, ou une tan­da indi­vidu­elle font la dif­férence].

  1. Aucun de ces prob­lèmes ne s’est pro­duit (+10)
  2. Un ou deux moments dou­teux (-5)
  3. Plusieurs sec­tions dou­teuses (-7)
  4. Tan­da après tan­da, je m’en­nuyais, j’ai reçu des coups, ou les deux (-10)

Avez-vous déjà été sur­pris par une pièce qui ne cor­re­spondait pas à cette tan­da et qui vous a causé des dif­fi­cultés, de l’embarras ou de la décep­tion à vous ou à votre parte­naire ? Par exem­ple :

  • Un change­ment d’humeur ou de style choquant au milieu de la tan­da, de sorte que vous avez sen­ti que vous deviez déviss­er votre tête et la reviss­er
  • Une ouver­ture trompeuse qui sig­nifi­ait que vous passiez à côté d’une tan­da que vous auriez autrement aimée
  • Une pièce faible ou déce­vante au milieu, ou à finir
  • Change­ments de vitesse exces­sive­ment brusques
  • Une tan­da mélangée de musique que vous auriez préféré danser avec deux per­son­nes dif­férentes — ou une par­tie pas du tout.
  1. Aucun de ces prob­lèmes ne s’est pro­duit (+10)
  2. Une ou deux fois, peut-être une ques­tion d’opin­ion (-3)
  3. Plus, peut-être une ques­tion d’opin­ion (-5)
  4. Une ou deux fois, sans aucun doute ! (-7)
  5. Plus que cela (-10)
  6. Tout le temps de retourne­ment ! (-15)

Dans l’ensem­ble, sans se souci­er de pistes spé­ci­fiques, quelle était la qual­ité du son ?

  1. Bon — j’ai pu sen­tir la musique et vrai­ment m’y plonger (+7)
  2. OK — Je l’en­tendais de partout (+5)
  3. Médiocre — je ne pou­vais pas l’en­ten­dre assez claire­ment pour entr­er dedans cor­recte­ment — étouf­fé / pas de détail / pas de pro­fondeur / trop silen­cieux / fort, mais boueux / défor­mé / trop fort parce que DJ est sourd (-5)
  4. Ne s’ap­plique pas, l’équipement de ce lieu est médiocre, donc je ne peux pas le dire (0)

Y a‑t-il eu de mau­vais choix de pistes spé­ci­fiques, comme quelque chose de beau­coup trop rapi­de, beau­coup trop lent, ou avec une qual­ité sonore inac­cept­able ?

  1. Non (+5)
  2. Un ou deux, incer­tains (0)
  3. Plus que cela (-5)

Les corti­nas vous ont-elles ren­du heureux ?

  1. Oui (+5)
  2. Elles ont ren­du les gens heureux, mais pas moi en par­ti­c­uli­er (+3)
  3. Non, elles étaient générale­ment ennuyeuses (-3)
  4. Elles n’ont pas fait le tra­vail, je n’ai pas tou­jours pu dire ce qui était une corti­na ou s’il y en a eu (-5)
  5. Ne s’ap­plique pas — cette milon­ga a une poli­tique de non-corti­nas (0)

Il y avait-il suff­isam­ment de tan­das de vals (V) et milon­ga (M) par rap­port au tan­go (T), et elles étaient-ils jouées de manière régulière pour que vous sachiez où vous étiez ?

  1. À peu près à droite — quelque part dans la gamme TTVTTM ou TTTTVTTTTM, tout ce qui avait du sens compte tenu de la longueur de cette milon­ga (+5)
  2. Pas assez — TTTTTTTTTTM ou quelque chose comme ça (-5)
  3. Trop — TVTMTVTMTVTM DJ WTF ? (-7)
  4. Telle­ment chao­tique que je ne pou­vais pas dire — TT VV TTTTVTTTTTMTMV, ou quelque chose comme ça. (-10)
  5. « Tan­da » n’est pas le bon mot. (-15).

Les corti­nas étaient-elles assez longues pour que vous puissiez dégager la piste et trou­ver votre prochain parte­naire sans obstruer la vue de quelqu’un d’autre, compte tenu de la taille de la pièce, et en sup­posant qu’il y ait un endroit pour s’asseoir ?

  1. Oui (+3)
  2. Non (-3)

Le DJ a‑t-il dif­fusé gra­cieuse­ment à la fin avec de la musique qui n’est pas du tan­go pour que les gens se cal­ment et s’é­clair­cis­sent, en sup­posant que cela soit pos­si­ble ?

  1. Oui (+4)
  2. Non, il a util­isé le temps prévu et s’est arrêté là (0)

Pro­fes­sion­nal­isme

La musique a‑t-elle retenu toute l’at­ten­tion du DJ ?

  1. Oui, tout ou presque tout le temps (+5)
  2. Oui, autant que néces­saire dans la sit­u­a­tion (+3)
  3. Moins que cela (-3)
  4. Non, il est sor­ti fumer et la musique s’est arrêtée (-10)
  5. Non, il a mis une playlist/CD et s’est fâché avec les danseurs (-20)

S’il y avait des prob­lèmes avec l’équipement, le DJ les a‑t-il traités calme­ment et avec com­pé­tence ?

  1. Oui, excep­tion­nel — par exem­ple, il est ren­tré chez lui et a acheté un meilleur équipement. Il a trou­vé un autre ordi­na­teur (+7)
  2. Sat­is­fait aux attentes — con­tourne­ment du prob­lème et cor­rec­tion (+5)
  3. Un drame ! Mais il s’en est sor­ti (+3)
  4. Non (-5)
  5. Sans objet (0)

Le DJ a‑t-il eu de la dif­fi­culté à utilis­er l’équipement de sonori­sa­tion ?

  1. Non (+2)
  2. Il y a eu quelques con­ner­ies faites (-2)
  3. Il y a eu quelques prob­lèmes, mais com­préhen­si­bles dans les cir­con­stances (0)
  4. Le DJ n’é­tait claire­ment pas pré­paré (-7)

Le DJ a‑t-il sem­blé à un moment don­né oubli­er pourquoi il/elle était là ? A‑t-il, par exem­ple, suivi une per­for­mance de vingt min­utes, dans une milon­ga de trois heures, avec une piste de jive de cinq min­utes pour qu’un seul cou­ple puisse danser dans une per­for­mance bonus non offi­cielle, pen­dant que tous les autres attendaient comme des cit­rons, comme s’ils attendaient les pho­tos d’un mariage qui se retourne, et dans la posi­tion incon­fort­able de devoir pré­ten­dre qu’ils n’é­taient pas du tout ennuyés et qu’ils n’avaient rien de mieux à faire que de regarder cette van­ité ?

  1. Non (0)
  2. Oui (-5)
  3. Oui, et ce cou­ple se com­pre­nait lui-même ou son conjoint/partenaire et/ou au moins un mem­bre du cou­ple qui venait de se pro­duire (-10)
  4. Oui, mais, j’é­tais d’ac­cord avec ça dans les cir­con­stances (0)

S’il y avait un inter­mède de danse tra­di­tion­nelle, comme la chacar­era, ou une autre danse comme le jive ou la sal­sa, était-il bien pro­gram­mé, pas trop long et agréable pour un nom­bre raisonnable de per­son­nes présentes ?

  1. Oui, c’é­tait amu­sant, ça m’a plu / ça ne m’a pas dérangé de regarder (0)
  2. Non, c’é­tait un bor­del fas­ti­dieux, per­son­ne ne pou­vait danser dessus, ou ça pre­nait la dernière heure avant le dernier métro ! (-5)
  3. C’é­tait ennuyeux, mais c’é­tait exigé par les pro­fesseurs invités ou le lieu (0)

Ques­tions

La musique était-elle :

  1. Pré­ten­tieuse­ment salé avec l’in­dans­able, l’ob­scur ou l’i­nap­pro­prié (-10)
  2. Dis­posés de manière irréfléchie au fil du temps, avec de bonnes choses gâchées par le fait d’être trop proches les unes des autres (-5)
  3. D’ac­cord, mais à un rythme, trop d’un genre de chose (+5)
  4. Bon, mais avec un style de DJ qui n’est tout sim­ple­ment pas à mon goût (+10)
  5. Con­ven­able­ment var­iée, avec un bon mélange entre ryth­mique et lyrique et dra­ma­tique, compte tenu de la sit­u­a­tion (+15)
  6. Bril­lam­ment mixé, chaque tan­da don­nant l’im­pres­sion d’être un change­ment par­fait après le précé­dent (+20)

Qu’avez-vous ressen­ti par rap­port à « l’én­ergie » dans la pièce ?

  1. Con­fus et chao­tique. (-7)
  2. Bas. Ni moi ni mes parte­naires préférés n’avons pu entr­er dans la musique. (-5)
  3. Un peu plat, j’aimais bien la musique, mais je n’avais pas vrai­ment eu envie de m’y plonger (-2)
  4. Bien, ça se pas­sait tou­jours bien (+5)
  5. Mag­nifique, il a réus­si avec de bonnes sen­sa­tions, var­iées (+10)
  6. Fan­tas­tique, j’ai passé une excel­lente soirée, tout le monde était en effer­ves­cence, tout coulait de source et j’é­tais aus­si très heureux quand j’é­tais assis (+15)

Choi­sis­sez trois très bons danseurs soci­aux qui étaient là, de préférence céli­bataires. À quel point sem­blaient-ils danser ?

  1. Pas du tout, peut-être une ou deux tan­das avec la bonne per­son­ne (-5)
  2. Un peu, comme d’habi­tude en fait (0)
  3. Plus que d’habi­tude (+5)
  4. Tout le temps, et en prenant plus de risques que d’habi­tude avec le choix du parte­naire (+10)

Sub­jec­tive­ment, qu’en avez-vous pen­sé ? Pas de scores ici — com­parez avec ce que vous avez obtenu ci-dessus.

  1. C’é­tait génial / ça a été une révéla­tion pour moi / ça a trans­for­mé le lieu ou la sit­u­a­tion pour le mieux.
  2. C’é­tait très bien. J’en étais très con­tent.
  3. C’é­tait bien, mais il y avait quelques défauts, ou c’é­tait bien fait, mais ce n’é­tait pas mon truc.
  4. C’é­tait bon et con­stant, je pou­vais lui faire con­fi­ance, mais peut-être que ce n’é­tait pas inspi­rant.
  5. C’é­tait générale­ment inof­fen­sif et ne m’a pas causé de prob­lèmes sérieux.
  6. Pas bon — c’é­tait faible ou m’a ennuyé plusieurs fois.
  7. C’é­tait pau­vre. Je ne pou­vais pas lui faire con­fi­ance. Si quelque chose de bien se présen­tait, je devais pren­dre quelqu’un.
  8. C’é­tait mau­vais — moi, ou mes parte­naires envis­agés, nous ne voulions tout sim­ple­ment pas danser. Inutile de rester.

Je trac­erais la ligne de démar­ca­tion entre 4 et 5.

Arti­cle orig­i­nal (en anglais) https://mshedgehog.blogspot.com/2012/08/was-that-good-dj-questionnaire.html
Arti­cle orig­i­nal dans Web Archives (au cas où il dis­paraitrait du blog d’o­rig­ine) https://web.archive.org/web/20231120051440/https://mshedgehog.blogspot.com/2012/08/was-that-good-dj-questionnaire.html

DJ de tango, la grande incompréhension…

“Il suffit de secouer un arbre pour que 10 DJ en tombent

L’ar­ti­cle orig­i­nal avait été pub­lié en 2014 sur mon ancien site

Un organ­isa­teur me dis­ait il y a quelques temps qu’il suff­i­sait de sec­ouer un arbre pour que 10 “DJ” en tombent.
L’arrivée de l’ordinateur dans le DJi­ing et la dif­fu­sion de tan­gos via Inter­net ont très claire­ment démoc­ra­tisé le méti­er de DJ de tan­go. Il suf­fit désor­mais de télécharg­er des playlists pour se dire DJ.

C’est un peu facile, mais est-ce souhaitable pour les danseurs ?
Bien sûr, ce phénomène exis­tait aupar­a­vant avec les com­pi­la­tions organ­isées en tan­das, ven­dues par cer­taines milon­gas et DJ portègnes, ou par divers autres canaux. Ce qui est nou­veau main­tenant, c’est que la facil­ité d’utilisation de l’ordinateur per­met de mélanger ces morceaux, sans avoir à maîtris­er les out­ils en temps réel.
Et c’est là que le bât blesse. En effet, une com­pi­la­tion, qu’elle soit en prove­nance d’une milon­ga de Buenos Aires, ou qu’elle ait été réal­isée à la mai­son par l’apprenti DJ, NE PEUT CONVENIR À COUP SÛR À LA MILONGA en cours de musi­cal­i­sa­tion.

Sentir la milonga

Le rôle du DJ est de dif­fuser le bon morceau au bon moment. Si c’est pour dif­fuser une playlist, il suf­fit d’un CD gravé, d’un lecteur mp3 ou d’un ordi­na­teur. Je me demande quel peut être l’intérêt pour le DJ qui reste 5 heures ou plus der­rière son ordi à faire sem­blant de bricol­er une playlist qui est de toute façon immuable…

Je com­prends mieux les moti­va­tions de ce DJ qui se con­tente de couper la fin de la corti­na sur son lecteur mp3 pour être le pre­mier sur la piste. Lui, il veut danser sur les musiques qu’il aime et peu importe le vécu des danseurs (ou non-danseurs qui voient le DJ, s’agiter sur la piste alors qu’eux atten­dent un titre à peu près à leur goût).

Pour moi, le DJ doit sen­tir la milon­ga, regarder ceux qui ne dansent pas, repér­er ce qui fait lever cer­tains et pas d’autres, afin que chaque sen­si­bil­ité puisse trou­ver de quoi avoir envie de danser. Il pour­ra faire des tests, par exem­ple en vari­ant les corti­nas, ou en obser­vant les réac­tions devant un morceau un peu plus sur­prenant.

Mais dans tous les cas, c’est l’adéquation entre les envies des danseurs et la pro­gram­ma­tion qui fera le suc­cès de la soirée.

Le choix du DJ

J’ai été très inter­pelé il y a quelque temps en dis­cu­tant avec un organ­isa­teur qui me dis­ait qu’il sélec­tion­nait ses DJ par rap­port à leur style. Je crois qu’il pen­sait que met­tre un DJ « cat­a­logué » d’un style proche de sa milon­ga était un gage de qual­ité. De fait, s’il lui arrive de faire venir de bons DJ, il recrute finale­ment, surtout des mani­aques de la playlist.

Vous avez tous en tête cer­tains DJ capa­bles de musi­calis­er un fes­ti­val, une milon­ga de Buenos Aires ou un encuen­tro milonguero avec le même bon­heur, mais pas avec la même musique. C’est que ce DJ sait jouer des paramètres offerts par la musique et des moyens tech­niques à sa dis­po­si­tion pour s’adapter réelle­ment à son pub­lic.

Paramètres à la disposition du DJ pour adapter sa musicalisation

Les orchestres sont la pre­mière vari­able. Il est pos­si­ble de vari­er les orchestres pour éviter la monot­o­nie.

Les styles des orchestres est un fac­teur impor­tant. Notons aus­si qu’un même orchestre, suiv­ant les péri­odes peut avoir des ambiances dif­férentes.

Les formes de tan­gos (chan­tés, instru­men­taux, canyengue ou autres) sont très directe­ment ressen­ties par les danseurs. Cepen­dant, glob­ale­ment, les titres chan­tés sont majori­taires car ils sont plus plaisants à danser à con­di­tion de choisir des tan­gos chan­tés et pas des chan­sons de tan­go, ce qui est une erreur beau­coup trop fréquente chez les appren­tis DJ et qui plombent assuré­ment la tan­da…

L’énergie des morceaux est sans doute le paramètre essen­tiel et sou­vent mal géré. Il ne faut en effet pas con­fon­dre énergie et vitesse. Des morceaux d’apparence calmes comme cer­tains titres de Calo peu­vent être très énergiques et inverse­ment, des tan­gos bruyants et rapi­des peu­vent être com­plète­ment plats à danser. Cer­tains DJ con­fondent ces paramètres et vont dif­fuser des orchestres de style ou sonorité dif­férents, mais qui ont tous la même énergie. Cela créé l’ennui à coup sûr…

L’organisation des tan­das est très impor­tante selon moi. En effet, si le pre­mier morceau est des­tiné à faire se lever le plus de danseurs que pos­si­ble, il ne faut pas que les autres déçoivent. Ils doivent être donc d’une énergie sem­blable et de préférence ascen­dante. Les danseurs ne doivent pas non plus subir de choc causés par des titres mal assem­blés.

Réac­tiv­ité et adap­ta­tion sont très impor­tantes. Il m’arrive fréquem­ment de chang­er une tan­da en cours de dif­fu­sion en fonc­tion de ce qui se passe sur et autour de la piste. Si le pre­mier titre n’a pas fait lever assez de monde, je place un sec­ond titre plus effi­cace, voire, je change l’ambiance de la tan­da en la faisant évoluer. Je pense par exem­ple à une tan­da de canyengue qui peut selon les publics pass­er par­faite­ment ou bien fatiguer. Je fais alors évoluer la tan­da vers des canyengues plus rapi­des, voire plus du tout canyengue si cela n’a pas du tout de suc­cès.

L’organisation des tan­das en ron­da est aus­si un élé­ment sur lequel le DJ peut jouer. Pour ma part, je dif­fuse qua­si­ment tou­jours des tan­das de qua­tre, y com­pris pour les valses et sauf pour les milon­gas ou des titres nuevos par­fois plus longs. J’adopte cepen­dant par­fois les tan­das de trois, sur une par­tie de la milon­ga, par exem­ple lorsque la durée est très courte et s’il y a un gros déséquili­bre des parte­naires. C’est cepen­dant quelque chose que je répugne un peu à faire car cela entre dans la mode du « zap­ping » et l’on s’éloigne du tan­go. Il me sem­ble préférable de faire des milon­gas qui durent plus longtemps afin d’offrir à tout le monde une chance de bien danser (c’est d’ailleurs le choix effec­tué par les portègnes…). La ron­da com­porte tra­di­tion­nelle­ment des suc­ces­sions de styles du type T T V T T M ou T = Tan­go, V = Vals et M = Milon­ga). Pour les milon­gas cour­tes où quand je veux don­ner beau­coup d’énergie, il m’arrive de faire T V T M, ou T V T T M. Il n’est pas pos­si­ble d’utiliser cette ron­da toute une milon­ga, car elle est très fati­gante pour les danseurs… D’autres DJ vont mul­ti­pli­er au con­traire les tan­das de tan­go pour dimin­uer le nom­bre de Vals et Milon­gas.

Le vol­ume sonore est aus­si très impor­tant à con­sid­ér­er. Il arrive sou­vent que les corti­nas soient plus fortes que les morceaux dan­sés. Je trou­ve cela illogique. C’est à mon avis les tan­das qui doivent don­ner l’ambiance. Les corti­nas sont là pour échang­er quelques mots et se pré­par­er à la prochaine tan­da. Je pense aus­si que la musique doit être jouée suff­isam­ment forte pour que l’on puisse enter dedans sans être obligé de ten­dre l’oreille. Une corti­na moins forte per­me­t­tra de se repos­er l’oreille et évit­era d’avoir à pouss­er exagéré­ment le vol­ume de la tan­da suiv­ante pour cou­vrir les con­ver­sa­tions qui auront été poussées pour cou­vrir le bruit de la corti­na.

Je reste bref sur le choix des morceaux pour chaque com­pos­i­teur et orchestre. C’est un des rôles majeur du DJ, mais ce n’est pas sou­vent là qu’est le plus gros prob­lème (si on excepte la ques­tion des chan­sons dif­fusées com­ma tan­gos chan­tés). Le sérieux point noir vient de ce que ces morceaux sont dif­fusés dans un ordre hasardeux ou à mau­vais escient. Deux excel­lentes tan­das peu­vent se tuer si elles se suc­cè­dent car elles peu­vent être d’une énergie trop proche (ou trop dif­férente).

L’utilisation de l’ordinateur con­duit aus­si à ne pas exploiter un des fac­teurs qui est l’intervalle entre les morceaux. Par défaut, j’ai un inter­valle de 3,7 sec­on­des entre les titres, mais il m’arrive de rac­cour­cir ou pro­longer cette durée en fonc­tion du lieu, des danseurs et de l’énergie à dif­fuser. Par exem­ple, dans une tan­da où il y a une dynamique mécanique très entraî­nante comme dans cer­tains vals de d’Arienzo, il peut être intéres­sant de ne pas laiss­er de trop grands blancs pour que l’énergie reste en pro­gres­sion con­stante.

La longueur des corti­nas est aus­si à pren­dre en con­sid­éra­tion. Trop cour­tes, elles empêchent d’avoir le temps de retourn­er s’assoir, ce qui pénalise le renou­velle­ment des cou­ples. Il faut avoir le temps de rac­com­pa­g­n­er sa danseuse et de pré­par­er la suite… Il ne faut pas qu’elle soit trop longue non plus. Une fois que les plus rapi­des ont fait leur choix, il est intéres­sant de lancer la tan­da suiv­ante…

Dans la pra­tique, il y a des dizaines d’autres paramètres que doit pou­voir estimer et maîtris­er le DJ. Je prendrai juste pour exem­ple la dif­fu­sion d’une tan­da de milon­ga dans la dernière heure d’une soirée. Cer­tains DJ se l’interdisent par principe. En fait, c’est assez idiot dans la mesure où, où la milon­ga est appré­ciée, cette dernière tan­da sera hyper bien vécue, dans le style éclate finale. Il m’arrive dans d’autres endroits, de rem­plac­er une tan­da de milon­ga par des vals, ou plus rarement l’inverse.

Aux organisateurs

J’espère que ces petits élé­ments vous per­me­t­tront de voir plus clair sur com­ment choisir un DJ. Lorsque je suis danseur, j’ai envie de pass­er une bonne soirée et si je peux faire des kilo­mètres pour un DJ et même si tous les danseurs ne sont pas aus­si exigeants, ils sont glob­ale­ment tous sen­si­bles à la musique et ils passeront, ou pas, une excel­lente soirée, avec fatigue, ou sans. Le DJ doit donc pou­voir veiller sur eux, en les ménageant ou en les tonifi­ant en fonc­tion de l’ambiance du moment.

Un bon DJ a effec­tué un énorme tra­vail en amont pour con­naître et organ­is­er sa musique, de façon à pou­voir pro­gram­mer avec effi­cac­ité en direct. Ce tra­vail mérite salaire et il me sem­ble que l’on devrait pay­er le DJ en fonc­tion de sa réus­site. J’ai pro­posé à cer­tains organ­isa­teurs un paiement à l’entrée. Curieuse­ment, cela en gène beau­coup. Pour­tant, quand le DJ fait venir deux fois plus de monde que le pub­lic habituel, il sem­blerait logique qu’il soit mieux payé.

A min­i­ma, faîtes ce petit ques­tion­naire :

Aux DJ débutants

Bien­v­enue dans cette mer­veilleuse activ­ité qui con­siste à faire danser le tan­go en choi­sis­sant des musiques. Je vous con­seille très vite d’abandonner les playlists pour vous con­cen­tr­er sur ce qui se passe dans la salle (y com­pris autour de la piste).

Vous pou­vez en revanche organ­is­er des tan­das toutes faites, que vous dif­fuserez dans l’ordre qui con­vient à l’ambiance du moment. C’est un pre­mier pas vers l’adaptation. Ain­si, si vous avez besoin d’une tan­da plus calme ou plus tonique, vous en aurez quelques-unes toutes prêtes que vous pour­rez dif­fuser en con­fi­ance, sachant que vous en fer­ez pas de grave faute de goût.

Lorsque vous aurez acquis de l’assurance, vous pour­rez vous détach­er de ces tan­das pré­fab­riquées pour en créer de nou­velles en direct. Pour acquérir cette lib­erté, il vous faut deux choses :

  1. Bien con­naître votre musique
  2. Avoir bien organ­isé sa musique (rien de plus bête que de pass­er une milon­ga ou une ranchera au milieu d’une tan­da de vals car on a mal éti­queté sa musique…).

Cela ne vous dis­pensera pas de la pré-écoute, notam­ment pour les corti­nas… En général, j’ai au moins deux musiques en même temps dans les oreilles.
La musique de la salle, la musique de la corti­na et/ou la tan­da que je suis en train de pré­par­er.
Il faut éviter de s’isol­er de la salle pour tou­jours avoir con­science de la qual­ité sonore de la dif­fu­sion. Même si j’u­tilise en général des casques avec réduc­tion de bruit, je n’ac­tive cette fonc­tion­nal­ité que quelques instants, par exem­ple pour caler le début d’un morceau dont je ne souhaite pas dif­fuser l’in­tro­duc­tion.

Existe-t-il des tandas “classiques” ?

Réponse à un mes­sage d’un danseur que je cit­erai s’il se recon­naît…
Je crois que sa ques­tion était en lien avec l’ar­ti­cle tan­das 5–4‑3–2 ou 1

Existe-t-il une influence des vinyles sur l’ordre des morceaux d’une tanda ?

Byc Bernar­do j’ai lu avec intérêt ton arti­cle. Con­cer­nant l’apport des vinyles, je me suis fait la remar­que que cer­taines tan­das « clas­siques » que l’on entend par­fois (du genre où on peut prédire le morceau suiv­ant) sem­blaient cor­re­spon­dre à l’ordre des morceaux sur un vinyle d’origine. Je me suis donc demandé si cer­tains DJ à l’époque, peut-être par facil­ité, lais­saient les qua­tre morceaux dans l’ordre du disque (un peu comme pour les cas­settes) et que, par habi­tude audi­tive, cer­tains DJ actuels repre­naient ce même ordre sans for­cé­ment savoir qu’il avait été dic­té par.un aspect pra­tique au début. Qu’en pens­es-tu ? As-tu pu observ­er cela ?

Danseur anonyme, car je ne me sou­viens pas…

Ma réponse…

Excel­lente ques­tion, dont la réponse est facile à don­ner, c’est non 😉

Les dis­ques des tan­gos de l’âge d’or étaient des 78 tours qui ne com­por­taient qu’un morceau par face. Il n’y avait donc pas d’obligation d’enchaîner deux morceaux.

Les pub­li­ca­tions vinyles étaient réal­isées par des édi­teurs qui ne cher­chaient pas for­cé­ment à sat­is­faire les danseurs. Les morceaux sont dans un ordre quel­conque, ou plutôt, ils sont organ­isés d’un point de vue « esthé­tique », pas du tout par tan­da.

Le con­cept de disque tan­da est même assez récent et quelques orchestres comme la Roman­ti­ca Milonguera se sont lancés dans cette stratégie. C’est d’ailleurs un prob­lème pour les orchestres con­tem­po­rains qui n’ont pas leur style pro­pre, ils font un morceau dans le style de d’Arienzo, un dans le style de Di Sar­li et ain­si de suite et il est impos­si­ble d’en faire une belle tan­da. Évidem­ment, les orchestres mono­styles, comme la Juan d’Arienzo, sont plus faciles à utilis­er.

Sur l’organisation à l’identique de tan­das par dif­férents « DJs », j’attribuerai cela plutôt à l’origine com­mune des tan­das. À Buenos Aires, chaque DJ arrondit ses fins de mois en ven­dant des Playlists, y com­pris avec les corti­nas toutes faites.

Tu l’auras com­pris, c’est du tout-venant et rarement de bonne qual­ité, les DJ con­ser­vent jalouse­ment leurs meilleurs atouts.

D’autres récupèrent des playlists sur YouTube ou autres endroits, cela ne relève pas le niveau.

Mais, on peut en dire plus…

Cepen­dant, il y a des logiques.

  • Les titres d’une tan­da ne sont pas mis en œuvre de façon aléa­toire. Pour moi, c’est comme une expo­si­tion de pein­ture, il doit y avoir une har­monie d’ensemble. Cela peut se faire en ayant des titres de la même péri­ode, mais ce n’est pas totale­ment sûr, les orchestres pou­vant avoir enreg­istré le même jour une ver­sion à écouter et une à danser, ou des titres à la mode qui n’ont rien à voir. Après la pandémie, à Buenos Aires, plusieurs DJ s’étaient mis à mélanger dans les tan­das des tan­gos instru­men­taux et des chan­tés. C’est un peu passé de mode main­tenant. Depuis la pandémie, beau­coup de choses ont changé et les organisateurs/DJ, cherchent des for­mules pour attir­er la manne des touristes qui ont un taux de change très avan­tageux.
  • Une tan­da est un voy­age. On pro­pose au début un morceau qui donne envie de se lever, puis on pro­pose une pro­gres­sion. Le cou­ple aug­mente en com­pé­tence et la dernière pièce est donc une apothéose, les danseurs étant par­faite­ment accordés, il est pos­si­ble de se « lâch­er » (ce qui est éton­nant si on con­sid­ère que l’abrazo est ser­ré). Lorsque l’orchestre est très pro­lifique, il y a beau­coup de façon d’organiser les thèmes. Quand il a moins enreg­istré, c’est plus com­pliqué. Si on respecte l’harmonie des titres et le voy­age, il reste peu de choix et donc, la red­ite est prob­a­ble.

La cassette, ferait-elle un coupable idéal ?

Main­tenant que j’ai don­né plusieurs pistes, je vais te don­ner une rai­son bien plus prob­a­ble. En effet, lorsque Philips a sor­ti la cas­sette, les DJ se sont jetés dessus. Pour des raisons de solid­ité, les DJ util­i­saient unique­ment les C60 qui avaient 30 min­utes par face. Elles per­me­t­taient donc de cas­er 2X5 titres sur une face.

Ain­si, sur une cas­sette D’Arienzo, il y avait 4 tan­das pos­si­bles (de 5 titres cha­cune). Cela con­dui­sait à lire les titres dans le même ordre et pire, les tan­das dans le même ordre. Car il est impos­si­ble de rem­bobin­er les K7 en cours de milon­ga. On passe donc la pre­mière tan­da, ensuite la corti­na sur une autre cas­sette (qui elle est rem­bobinée à chaque pas­sage pour revenir au début de la corti­na qui était tou­jours la même). Ensuite, le DJ choi­sis­sait la cas­sette d’un autre orchestre et quand il voulait revenir à D’Arienzo, il jouait la deux­ième tan­da de la pre­mière face de la dis­quette.

Pour en savoir plus sur ce thème et la rai­son du nom­bre de titres d’une tan­da, je t’invite à lire un arti­cle que j’ai pro­posé sur le sujet : https://dj-byc.com/tandas-de‑5–4‑3–2‑ou‑1/

Je pour­rai rajouter plusieurs expli­ca­tions, du genre, la paresse de cer­tains qui fab­riquent des playlists à l’avance et qui ne se don­nent pas la peine de com­pos­er les tan­das en direct. Dans une cer­taine mesure, ils ont rai­son, si les organ­isa­teurs font appel à eux et dépensent de l’argent pour pay­er quelqu’un qui pour­rait être rem­placé par un lecteur de CD… ils auraient tort de se priv­er. J’ai vu cer­tains de ces DJ pass­er des playlists qui por­taient le nom d’autres événe­ments, ou qui passent tou­jours les mêmes titres, car ils sont itinérants et que donc per­son­ne ne se rend compte qu’ils passent tou­jours la même chose.

Je pense que si tu as par­ticipé à une milon­ga que j’anime tu as eu un peu plus de mal à devin­er ce qui va suiv­re, car juste­ment, j’essaye de pro­pos­er des titres moins con­nus ou de les enchaîn­er de façon plus orig­i­nale pour sus­citer l’intérêt et la curiosité. Ce sont les danseurs qui me don­nent des idées et je tire le fil. Un titre s’impose à moi et selon le moment, je trou­ve de quoi l’accompagner pour ren­forcer le thème. Par exem­ple, hier, plusieurs thèmes me sont passés par la tête, comme les oiseaux (au jardin Massey à Tarbes), le café (pour la buvette du jardin).

Ensuite, le DJ con­duit aus­si les danseurs. En met­tant un titre qui en évoque un autre, il place à l’insu des danseurs, l’idée du titre plus con­nu et quand celui-ci arrive, c’est comme une délivrance (au sens paysan du terme ; —)

Hommage à un extraordinaire DJ

Mon DJ préféré, Daniel Borel­li (Buenos Aires) est un as dans la com­po­si­tion des tan­das et dans la suc­ces­sion des tan­das. Ma grande fierté est de devin­er quel orchestre il va met­tre après la tan­da qu’il vient de pass­er. Cela fait près de quinze ans que je le suis, et il arrive tou­jours à me sur­pren­dre dans la com­po­si­tion des tan­das, mais plus rarement dans l’enchaînement des tan­das 😉

TANDAS ET CORTINAS, pour les danseurs et DJ

Les tandas

Arti­cle pub­lié orig­inelle­ment le 14 JUIN 2021 sur l’an­cien site.

Dans une milon­ga tra­di­tion­nelle, les musiques sont regroupées par plages du même type et inter­prétées par le même orchestre et les mêmes chanteurs à la même péri­ode.

Ces plages regroupant de trois ou qua­tre com­po­si­tions s’appellent des tan­das.

Une tan­da est un petit voy­age que l’on va faire avec le même parte­naire. Il importe donc que le DJ la con­stru­ise avec logique. Les morceaux doivent bien aller ensem­ble et être placés dans un ordre cohérent, comme des tableaux dans une expo­si­tion. Rien n’est plus désagréable d’inviter sur une musique qui plaît et de devoir se forcer sur la musique suiv­ante, ou inverse­ment, avoir envie de danser sur le sec­ond ou troisième titre lorsque la piste ne per­met plus la mira­da facile…

Les cortinas

Pour sépar­er deux tan­das, il y a une corti­na. C’est une courte com­po­si­tion musi­cale, de quelques dizaines de sec­on­des per­me­t­tant aux danseurs d’aller s’asseoir et de se pré­par­er à l’invitation suiv­ante.

Une bonne corti­na n’est pas « dans­able » et doit per­me­t­tre de rester dans l’ambiance ou de pré­par­er à ce qui va suiv­re.

Dans cer­taines milon­gas mod­ernes, les corti­nas sont sup­primées ou rem­placées par des silences. Les cou­ples ont alors la respon­s­abil­ité de se sépar­er après trois ou autre dans­es.

L’intérêt prin­ci­pal des corti­nas est de pou­voir vider la piste, ce qui facilite la mira­da (invi­ta­tion au regard). Si des danseurs indéli­cats restent sur la piste, ils empêchent les autres d’inviter et sont donc mal vus (car trop vus…).
Si vous souhaitez redanser avec la même danseuse, sortez de la piste et retournez‑y quand la musique reprend. Cela vous évit­era aus­si de vous retrou­ver tout bête si la musique de la nou­velle tan­da ne vous con­vient pas…

Un petit plus sur les corti­nas…

Oganisation de la musique de la milonga

Les milon­gas tra­di­tion­nelles com­por­tent tan­das et corti­nas. En général, deux tan­das de tan­go (TTTT), puis une de milon­ga (MMM) ou de valse (VVVV ou VVV). Cette organ­i­sa­tion peut vari­er d’un DJ à un autre, suiv­ant les événe­ments ou le moment de la soirée, mais une milon­ga tra­di­tion­nelle est générale­ment de la forme suiv­ante :

TTTTcorti­naTTTTcorti­naVVVVcorti­naTTTTcorti­naTTTTcorti­naMMM

Quelques inter­mèdes de folk­lore argentin, de rock ou de trop­i­cal ponctuent générale­ment la milon­ga portègne.

Pour en savoir plus, voir un arti­cle sur les tan­das.

TANDAS DE 5, 4, 3, 2 OU 1 ? Un débat récurrent, pour DJ et danseurs…

Arti­cle pub­lié orig­inelle­ment en août 2017 sur l’anci­enne ver­sion du site.

Pourquoi ce compte à rebours ?

Aujourd’hui se pose de plus en plus sou­vent la ques­tion du nom­bre de titres dans une tan­da.
Pour ma part, sans con­signe par­ti­c­ulière, je pro­pose 4 tan­gos, 4 valses et 3 milon­gas, mais de plus en plus sou­vent (même à Buenos Aires), cela devient 3 tan­gos, 3 valses et 3 milon­gas.
Je sépare les tan­das par une corti­na et de temps à autre, je pro­pose un inter­mède de Folk­lore (chacar­era et par­fois zam­ba), Trop­i­cal (cumbia, cuar­te­to, sal­sa…) ou Rock, voire autre chose en fonc­tion du lieu.
Dans cer­taines régions, on milite pour la tan­da de trois tan­gos, dans le but espéré de faire plus sou­vent tourn­er et ain­si lim­iter le temps d’attente, générale­ment des femmes, pour ceux qui ne dansent pas, faute d’un équili­bre du nom­bre de parte­naires.
La notion de tan­da est cepen­dant une notion assez récente. 

Le temps des orchestres, tandas de 2 et de 1

À l’âge d’or du tan­go, celui où on pou­vait danser tous les soirs sur un orchestre, les choses étaient bien dif­férentes. En fait, elles étaient absol­u­ment iden­tiques à ce que l’on trou­ve dans nos actuels bals musette en France. L’orchestre jouait deux tan­gos, puis le même orchestre ou un sec­ond orchestre jouait un autre air, du jazz, ou un fox­trot, par exem­ple.

Ensuite, ils jouaient une valse, suiv­ie d’un nou­veau morceau Jazz, puis à nou­veau deux tan­gas, du jazz, et enfin une milon­ga et on recom­mençait.

Mais alors, me direz-vous, les danseurs se séparaient à chaque morceau, par exem­ple après la valse s’ils ne souhaitaient par faire le jazz ?

Ben oui, mais la dif­férence est que les sièges n’étaient pas encore la règle dans les lieux de danse. Les danseurs rejoignaient le milieu de la piste et se diri­gaient ensuite vers les femmes situées au bord de la piste.

Cette stratégie pour­rait être intéres­sante pour les événe­ments dou­ble-rôle. Les guideurs au milieu, les suiveurs autour…

Je vous pro­pose ici un extrait de l’en­tre­vue de Toto Far­al­do inter­rogé par Pepa Pala­zon.
https://www.youtube.com/watch?v=HDwAVXI0zWs
Je vous engage à voir en entier cette entre­vue, car elle est pas­sion­nante, comme toutes celles de la série.
Ici, j’ai isolé la par­tie qui con­cer­nait l’o­rig­ine des tan­das et apporté une tra­duc­tion en français.
Vous trou­verez en fin de cet extrait, un aspect intéres­sant et peu con­nu sur le tan­go, mais qui vous aidera à com­pren­dre l’im­por­tance de la calecita que l’on retrou­ve dans plusieurs tan­gos.

Dans l’ar­ti­cle sur Bailarín de con­traseña 1945-08-27 — Orques­ta Ángel D’Agosti­no con Ángel Var­gas, j’évoque la con­traseña (ficha de danse) qui délim­i­tait par­fois le nom­bre de dans­es qu’elle autori­sait. Sur un mur­al de Buenos Aires, on voit un jeton indi­quant trois tan­gos.

Bailarín de contraseña – d’après un mural dans la rue Oruro, Buenos Aires.
Bailarín de con­traseña – d’après un mur­al dans la rue Oruro, Buenos Aires.

L’apparition des tables et des enregistrements sur cassettes, tandas de 5 et cortina

Philips, en inven­tant la cas­sette musi­cale a mod­i­fié les com­porte­ments dans les bals. Chaque face de cas­sette, à l’époque de 60 min­utes pou­vait com­porter 10 titres. Donc, entre la face A et la face B, une cas­sette com­por­tait 20 titres.

L’animateur découpait donc sa pro­gram­ma­tion en 5 morceaux de la pre­mière face, une corti­na sur une autre cas­sette. Ah, je vous vois venir, pourquoi la corti­na ?

C’est que sont apparues aus­si les tables. Il fal­lait donc prévoir le temps néces­saire pour que les cou­ples se défassent, se reposent (après 5 tan­gos) et se recom­posent.

Pourquoi une deux­ième cas­sette ?  Ben, le temps pour effectuer toutes ces opéra­tions pou­vant être très vari­ables d’un jour à l’autre ou d’une salle à l’autre, il est plus sim­ple d’avoir une cas­sette avec la corti­na et de la rem­bobin­er pour repo­si­tion­ner la corti­na à son début. Cer­tains le fai­saient avec un cray­on car c’était plus pré­cis qu’avec le lecteur de cas­sette car il suff­i­sait de trou­ver le repère, générale­ment l’amorce. À mes débuts, je coupais les amorces pour que le rem­bobi­nage soit plus sim­ple… Il me suff­i­sait de rem­bobin­er et j’étais au début. Mais j’avais un dou­ble-cas­settes. Sans cela, j’aurais procédé comme Felix Pich­er­na, au cray­on…

Felix Pich­er­na rem­bobi­nant sa cas­sette de corti­na. http://www.molo7photoagency.com/blog/felix-picherna-el-muzicalizador-de-buenos-aires/04–9/

De cette péri­ode reste aus­si la mode de la corti­na unique pour toute la soirée. C’est la même cas­sette qui ser­vait et était rem­bobinée.

Les tables et le ser­vice à icelles a aus­si favorisé le développe­ment des corti­nas pour per­me­t­tre aux serveurs de rejoin­dre les tables avec moins de risque d’accident…

L’apparition du CD, Tandas de 4 et cortinas

Je n’ai pas évo­qué l’utilisation du disque noir, car elle n’a pas apporté de grandes inno­va­tions sur ce point. En per­me­t­tant l’accès direct à chaque titre, elle per­me­t­tait en principe de créer les tan­das en direct, mais cela n’a pas d’influence sur le nom­bre de titres. On retrou­ve cette facil­ité sans la dif­fi­culté d’accéder à une plage pré­cise avec les CD (il fal­lait bien vis­er pour posi­tion­ner la tête de lec­ture pile au bon endroit du sil­lon et ne pas se tromper de plage, non plus…).

De cette époque, on retrou­ve la nor­mal­i­sa­tion des tan­das comme aujourd’hui dans les milon­gas tra­di­tion­nelles avec 4T, 4T, 4V, 4T, 4T et 3M (T=Tango, V=Valse, M=Milonga).

Je n’ai pas encore d’explication pour ce pas­sage de cinq à qua­tre, si ce n’est, peut-être déjà l’idée de réduire l’attente en cas de déséquili­bre entre parte­naires. Il y avait aus­si, sans doute le fait que beau­coup de danseurs n’invitaient que sur le sec­ond titre…

La démoc­ra­ti­sa­tion du graveur de CD a fait appa­raître un nou­veau phénomène, la « Playlist ». Le CD est alors tout bon­nement lu en con­tinu.

L’apparition de l’ordinateur portable

Dans les années 90, l’ordinateur et l’apparition des dis­ques durs ont favorisé son util­i­sa­tion en musique.

Pour ma part, je suis passé par le stade inter­mé­di­aire du Mini­disk qui per­me­t­tait de con­serv­er une qual­ité CD, sans se ruin­er. C’est l’époque où j’ai numérisé beau­coup de dis­ques de pâte (Shel­lac et Vinyles) grâce à ma regret­tée pla­tine Thorens TD 124…

L’ordinateur a offert une grande facil­ité pour pro­pos­er des tan­das con­stru­ites à la volée. En fait, c’est l’ordinateur portable qui per­me­t­tait cela, dif­fi­cile de se trim­baler avec les tours et surtout les écrans cathodiques de l’époque.

Cet out­il est donc mer­veilleux pour le DJ et dès que j’ai pu avoir un ordi­na­teur portable, je l’ai adop­té.

J’utilisais Winamp à l’époque, ce que de très nom­breux DJs con­tin­u­ent à faire, mais c’est une autre his­toire.

L’ère de l’ordinateur, encore plus que celle du graveur de CD a fait la part belle aux Playlists. Et je ne par­le pas des mp3… Tiens, à ce sujet, j’ai eu aus­si un épisode mp3, avec deux petits iPods nano et clas­sic (avec affichage) qui me per­me­t­taient de choisir une tan­da pen­dant que l’autre défi­lait. C’était pour ma milon­ga en plein air.

Donc, aujourd’hui, l’ordinateur domine le domaine. C’est très bien, car c’est l’outil qui per­met la plus grande sou­p­lesse pour l’organisation en direct de la musique. Il sert aus­si beau­coup pour les « DJs » à Playlists, qui font leur cour­ri­er, échangent sur Face­book ou tout autre activ­ité pour ne pas s’ennuyer (et pour que les danseurs les croient absorbés dans la créa­tion…). C’est une rai­son sup­plé­men­taire pour ne pas encour­ager ce type de DJs (je ne par­le pas des bénév­oles qui offi­cient dans les asso­ci­a­tions et qui ont le mérite de se dévouer pour le plaisir des autres). Ces playlis­teurs n’ont aucune rai­son d’être atten­tifs au bal, puisque de toute façon, ils ne pour­ront pas chang­er son déroule­ment. Un véri­ta­ble DJ, à mon sens est l’animateur de la soirée, rebondis­sant sur l’actualité de la salle, pour offrir le plus sou­vent pos­si­ble le bon titre au bon moment.

Et mes tandas dans tout cela ?

Ah, oui. Les tan­das. Ben, avec l’ordinateur, on peut faire ce que l’on veut. Pass­er la musique en mode aléa­toire. C’est l’ordinateur qui « choisit » la musique à suiv­re. Dif­fuser une playlist, ou, s’en servir pour rechercher rapi­de­ment le bon titre à dif­fuser.

J’espère que vous aurez dev­iné quelle stratégie est la mienne.

Je con­stru­is donc à la volée, des tan­das de qua­tre, ou trois selon les cir­con­stances.

Je ne sais pas ce que devien­dront les tan­das dans le futur. Ici, à Buenos Aires, les tan­das sont de qua­tre, y com­pris pour les valses (trois pour les milon­gas) dans les milon­gas tra­di­tion­nelles. C’est le mod­èle auquel je m’accroche et que j’essaye de faire partager, car je le trou­ve bien adap­té au fonc­tion­nement actuel avec tables, chais­es et mira­da. Le voy­age sur qua­tre titres est aus­si idéal avec la danseuse. Trois donne un impres­sion de frus­tra­tion (et par­fois, avouons-le de soulage­ment, mais dans ce cas, il fal­lait mieux inviter…).

Peut-être qu’ailleurs, la réduc­tion du nom­bre de titres va se généralis­er (dans cer­taines milon­gas à Buenos Aires, il existe des tan­das de trois valses). D’ailleurs, je vais respecter cela lors de ma prochaine musi­cal­i­sa­tion à Gri­cel…

En descen­dant le nom­bre de titres par tan­da, on risque de retrou­ver le fonc­tion­nement des milon­gas de l’âge d’or, à la lim­ite pourquoi pas. C’est peut-être à essay­er dans les milon­gas où il n’y a pas de sièges…

Par con­tre, les hommes au milieu qui vont chercher les femmes, pas sûr que ce soit appré­cié.

À suiv­re…

Mer­ci à Dany Borel­li, DJ à Los Con­sagra­dos, Nueveo Chique, Milon­ga de Buenos Aires et autres, d’avoir échangé sur ce sujet, ce qui me per­met de con­firmer cer­taines idées qui peu­vent paraître sur­prenantes aux néo­phytes.

Les cortinas, levons le voile sur cette tradition

Origine de la cortina

Il y a plusieurs expli­ca­tions à l’o­rig­ine de l’u­til­i­sa­tion des corti­nas.
L’une d’en­tre-elle était le change­ment d’orchestre qui don­nait lieu à la fer­me­ture du rideau de scène (Telon ou Corti­na) pour que les orchestres s’in­stal­lent plus dis­crète­ment.
Une autre vient de la néces­sité de don­ner du temps au DJ pour pré­par­er la tan­da suiv­ante à l’époque où les DJ util­i­saient des cas­settes.
Mais la corti­na fait désor­mais par­tie inté­grante de la milon­ga, même s’il n’y a plus les con­tin­gences tech­niques du début.

Nous allons voir pourquoi.

Les cortinas sont des coupures dans un bal tango

Elles ser­vent à mar­quer les change­ments de style de musique (change­ment d’orchestre, de style de danse…). En effet, le tan­go est organ­isé par tan­das, groupe de trois ou qua­tre com­po­si­tions sem­blables qui per­me­t­tent à un cou­ple de danseurs d’aller plus loin dans l’expérience. La pre­mière danse pour s’apprivoiser, les suiv­antes pour danser de mieux en mieux, en par­faite har­monie.

Quelle musique pour les cortinas ?

Générale­ment, une corti­na ne se danse pas. Il faut donc éviter de met­tre des dans­es, comme du rock, car cer­tains danseurs risquent de la danser et par con­séquent, ils ne libéreront pas la piste.
Il y a deux pra­tiques, celle qui con­siste à met­tre des corti­nas dif­férentes, éventuelle­ment sur un thème tout au long de la soirée et une autre qui con­siste à met­tre tout le temps la même corti­na dans la soirée.
Cer­tains DJ utilisent même la même corti­na pour toutes leurs milon­gas.
Toute­fois, la mode fait que main­tenant, on priv­ilégie les milon­gas var­iées. Cela per­met d’avoir plus d’action sur l’ambiance de la milon­ga et de tester la disponi­bil­ité des danseurs aux dif­férents inter­mèdes.

Pourquoi des cortinas ?

Pour moi, la corti­na est d’abord asso­ciée à la mira­da. Il faut que la piste soit dégagée pour que les invi­ta­tions au regard puis­sent se faire. De cela découle un autre point, il faut des sièges pour les danseurs pour éviter qu’ils encom­brent la piste.

Si ces con­di­tions idéales ne sont pas réu­nies, on peut effec­tive­ment se pos­er la ques­tion de la corti­na. Voici quelques réflex­ions qui la jus­ti­fient.

  • La tan­da est une coupure dans le flux de la danse.
  • Elle per­met de se rééquili­br­er des émo­tions de la tan­da précé­dente et de se pré­par­er à la suite.
  • Elle per­met une dis­cus­sion plus libre et une social­i­sa­tion, très impor­tante pour les Argentins et qui peut se traduire par des échanges vocaux par­fois soutenus…
  • Les danseurs débu­tants et ceux qui n’écoutent pas la musique ne se ren­dent pas tou­jours compte du change­ment de style de la musique et donc de la fin d’une tan­da. Le prob­lème est qu’alors la danseuse aban­don­née au milieu d’une tan­da se retrou­ve décalée par rap­port aux autres danseurs qui ne seront disponibles qu’à la fin de la tan­da. Cer­tains DJ ren­dent les choses encore plus dif­fi­ciles en mélangeant dans une tan­da des styles qui ne vont pas ensem­ble…

Cette inter­ro­ga­tion sur les corti­nas est assez typ­ique des danseurs qui man­quent un peu d’expérience. Lorsque l’on a goûté à l’ambiance des belles milon­gas tra­di­tion­nelles, il est dif­fi­cile de revenir en arrière et de trou­ver du plaisir dans des milon­gas décousues, où les musiques s’enchaînent sans ordre et sans pause. Chaque tan­da est un petit voy­age avec la danseuse. Si on prend la tan­da en cours, ce voy­age sera réduit, mais il aura une logique. Si on reste à cheval sur deux tan­das, on risque de se trou­ver dans une sit­u­a­tion où l’on n’a pas envie de danser la sec­onde tan­da avec cette danseuse.

L’élégance veut que l’on n’invite pas une danseuse sur les derniers morceaux d’une tan­da pour ne pas don­ner l’impression que l’on fait un « test ». Pour­tant, cela se pra­tique régulière­ment et une danseuse peu invitée préfér­era sans doute deux dans­es à rien… Et puis, si la tan­da suiv­ante vous plaît à tous les deux, vous pou­vez tou­jours vous réin­viter du regard, cette fois-ci pour une tan­da com­plète.

Je vois cepen­dant deux occa­sions où la corti­na peut être une gêne, au tout début de la soirée, lorsque le bal n’a pas vrai­ment démar­ré, il m’arrive de ne pas met­tre de corti­na pour faire lever plus rapi­de­ment les gens. L’autre cas est la milon­ga « boîte de nuit » (sou­vent util­isé pour les milon­gas alter­na­tives), où on recherche plus la transe que le voy­age avec une danseuse. Dans ce cas, on garde les danseurs sur la piste, le but étant de ne jamais les lâch­er.

Une dernière remar­que, lorsqu’il n’y a pas de corti­na, les danseurs ten­dent à garder leurs danseuses plus longtemps, de crainte de ne pas pou­voir en inviter une autre. En effet, comme tout le monde est sur la piste, lorsque l’on arrête, on risque de se retrou­ver sans pos­si­bil­ité d’inviter. Lorsqu’il y a beau­coup de danseuses qui atten­dent, il m’arrive de faire des tan­das de trois pour per­me­t­tre une rota­tion plus rapi­de. Sans corti­na, les danseurs feraient six dans­es au lieu de trois ou qua­tre.