Rodolfo Biagi, qui venait de se faire virer par D’Arienzo, car il commençait à lui prendre la vedette, enregistre le 15 août 1938, deux tangos exceptionnels. El incendio (l’incendie) et Gólgota. Le premier est instrumental et met, comme il l’annonce, le feu. Gólgota monte la tension d’un cran. Il est comme une déclaration de guerre, une annonce fracassante disant que, désormais, il faudra compter avec Biagi dans l’Univers du tango. L’ancien tango a été crucifié et, la force brute de cette interprétation servie merveilleusement par le premier chanteur de Biagi, Teófilo Ibáñez, explose à nos oreilles.
Je vous invite donc à découvrir le phénomène Biagi dans son premier enregistrement avec son orchestre. Il n’avait auparavant enregistré que du piano solo, de l’accompagnement de Gardel et, bien sûr, la partie de piano de l’orchestre de D’Arienzo.
Extrait musical
Gólgota. Partition pour piano et diverses éditions en disque. Argentine, Uruguay. Le dernier disque évoque le procédé de Columbia, « Viva-tonal », une technique d’enregistrement électrique de la seconde moitié des années 1920 et qui verra la production de toute une série de lecteurs de disques 78 tours, de la machine portable au cabinet avec portes fermant à clef. Comme nous le verrons en fin d’article.Gólgota, 1938-08-15 – Orquesta Rodolfo Biagi con Teófilo Ibáñez.
Les pas lourds de la montée au Gólgota démarrent le titre, puis, soudain, une des fameuses virgules musicales de Biagi au piano libère la tension dans une phrase legato des cordes et bandonéons. Puis, les pas pesants reprennent et, une fois de plus, le piano libère une phrase legato. À 31 secondes, Biagi libère un motif qu’il utilisera beaucoup par la suite. Presque joyeux, a minima, joueur, ce passage est suivi d’un autre passage où domine le legato, même si la pulsation est toujours présente. L’orchestre annonce ensuite l’arrivée de Ibáñez, qui va réaliser la prouesse de donner la mélodie tout en scandant le rythme. On notera que, même si les disques mentionnent un estribillo (refrain), Ibáñez chante pendant plus d’une minute (le titre dure 2 minutes 36). Pour un premier enregistrement, c’est un coup de maître et l’orchestre continuera sur sa lancée jusqu’en 1956, où il passera à la maison de disque Columbia, puis Music Hall. Mais cela fait longtemps que le souffle des premières années s’était éteint et que Biagi était tombé dans un automatisme qui rend cet orchestre beaucoup moins intéressant. Pour l’instant, intéressons-nous à Gólgota, composé par Biagi et puissamment mis en paroles par l’auteur de Paciencia, Mala suerte, La bruja ou Ansiedad, Francisco (Froilán) Gorrindo. Un petit clin d’œil. À partir du départ de Biagi de l’orchestre de D’Arienzo, le pianiste Juan Polito reproduira les ornementations de Biagi, ce qui fait qu’au même moment, les deux orchestres paraissaient très proches aux oreilles de ceux qui écoutaient d’une manière un peu distraite.
Paroles
Yo fui capaz de darme entero y es por eso que me encuentro hecho pedazos, y me encuentro abandonao. Porque me di, sin ver a quién me daba, y hoy tengo como premio que estar arrodillao. Arrodillao frente al altar de la mentira, frente a tantas alcancías, que se llaman corazón; y comulgar en tanta hipocresía, por el pan diario, por un rincón.
Arrodillao, hay que vivir, pa’ merecer algún favor; que si de pie te ponés, para gritar tanta ruina y maldad. Crucificao, te vas a ver, por la moral de los demás; en este Gólgota cruel, donde el más vil, ése, la va de Juez.
No me han dejao más que el consuelo de mis noches, de mis noches de bohemia, mezclar sueños con alcohol. Ni quiero más, me basta estando solo, teniendo por amigo un vaso de licor. Que por lo menos con monedas he comprado, a quién no podrá venderme, quién me prestará valor para cumplir en este circo diario, con las piruetas de tanto clown. Rodolfo Biagi Letra: Francisco Gorrindo
Ibáñez chante ce qui est en gras et Omar, seulement ce qui est en bleu.
Palacios chante tout et reprend le refrain qui est en bleu pour terminer.
Traduction libre
J’ai été capable de me donner entièrement, et c’est pour ça que je me retrouve en morceaux, et je me retrouve abandonné. Parce que je me suis donné, sans voir à qui je me donnais, et aujourd’hui j’ai comme récompense d’être à genoux. Je m’agenouille devant l’autel du mensonge, devant tant de tirelires, qu’on appelle cœur ; et de communier dans tant d’hypocrisie, pour le pain quotidien, pour un coin.
Je m’agenouille, il faut vivre, pour mériter quelque faveur ; que si vous vous levez, pour crier tant de ruine et de méchanceté. Crucifié, tu te verras, par la morale des autres ; dans ce cruel Golgotha, où le plus vil, celui-là, ce fait juge.
Ils ne m’ont laissé que la consolation de mes nuits, de mes nuits bohèmes, mêlant rêves et alcool. Je ne veux rien d’autre, ça me suffit d’être seul, en ayant un verre d’alcool pour ami. Que pour le moins, avec des pièces (de monnaie), j’ai acheté à qui ne pourra pas me vendre, à qui me prêtera le courage d’atteindre dans ce cirque quotidien, avec les pirouettes de tant de clowns.
Autres versions
Gólgota, 1938-08-15 – Orquesta Rodolfo Biagi con Teófilo Ibáñez. C’est notre tango du jour.Gólgota, 1938-10-14 – Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar.
On remarquera tout de suite que le rythme est moins puissant et que le piano est plus discret, intégré à l’orchestre. On remarquera aussi le magnifique passage à la clarinette à partir de 1 minute. Difficile de dire si c’est Carmelo Aguila (grand clarinetiste de Jazz qui était dans l’orchestre de Lomuto, au moins épisodiquement depuis 1926 ou Primo Staderi arrivée vers 1936 dans l’orchestre, mais sans que cela signe le départ de Carmelo. En 1938, les deux musiciens étaient référencés dans l’orchestre, alors Carmelo ou Primo ? Mystère et boule de gomme. Bien que cette version soit plus courte de 10 secondes que celle de Biagi, Jorge Omar n’intervient qu’à 1:27 et il ne chantera que 30 secondes, la moitié de Ibáñez… Sa voix est plus ronde et chaude, moins nasale que celle de Ibáñez. C’est un baryton et ce que perd le titre en incision, il le gagne en chaleur et cela rend cette version également attachante. À parti de 2 minutes, la, ou plutôt les clarinettes reviennent. On notera la fin assez particulière, avec cette montée chromatique particulièrement staccato et frénétique.
Gólgota 1938-11 – Héctor Palacios con guitarras.
L’année 1938 se termine par l’enregistrement par Palacios du thème. La guitare ne fait pas le poids face aux orchestres précédents, mais le résultat est loin d’être inintéressant. Bien sûr, pas question de danser sur cette version, mais c’est agréable, très agréable à écouter.
Gólgota 1963 – Héctor Mauré acompañado por el Orquesta Lito Escarso.
La belle voix de Mauré sert parfaitement le titre, accompagné avec légèreté par l’orchestre de Lito Escarso. Héctor Mauré chante toutes les paroles et reprend la fin du refrain. Bien sûr, il s’agit d’une version d’écoute, à comparer avec celle enregistrée 25 ans plus tôt par Palacios.
Gólgota 1970 – Hugo Duval acompañado por el Trio Yumba.
Difficile de ne pas retrouver l’inspiration de Biagi dans le Trio Yumba, c’est logique dans la mesure où ils continuent le style du maître. On les trouve d’ailleurs parfois sous le nom de Biaggi (avec deux G). Hugo Duval, qui chantait également avec Biagi, continue avec le trio, ce qui renforce l’illusion. Il chante la même partie que Mauré sept ans plus tôt. Cependant, on notera une énergie moindre, surtout si on compare à la version de 1938, mais il ne faut pas oublier qu’un trio ne peut pas sonner comme une Típica… Pour finir, ce n’est pas génial à écouter et pas plus intéressant pour la danse.
Gólgota 2021 – Tango Bardo C Osvaldo Peredo.
Je vous propose de terminer ce tour du Gólgota par une version assez récente (2021), enregistrée par Tango Bardo avec la voix de Osvaldo Peredo.
Je ne vais pas me lancer dans l’histoire de ces tourne-disques, car je n’y connais pas grand-chose. En revanche, il me semble intéressant de rappeler qu’il y a eu toute une diversité de gramophones et que la tendance dès les années 20 a été de les inclure dans des meubles devant s’intégrer dans les intérieurs art déco de l’époque, mais également de les rendre portables pour animer la vie à l’extérieur.
Je vous présent ici, une machine de chaque type. Un modèle cabinet, un modèle portatif et un modèle portable.
Un magnifique Cabinet, Columbia Viva Tonal 612. On remarque le meuble élégant (enfin, dans le goût de l’époque), la manivelle et le mécanisme d’entraînement à ressort et enfin l’aiguille (ici, pointant en l’air sur les deux photos). Le pavillon est caché dans la partie inférieure, derrière la toile.Deux publicités Columbia. À gauche, un cabinet est mis en avant, mais un modèle portable et d’autres cabinets sont présentés. Au centre, un modèle portatif, posé sur une table et à droite, une pochette de disque.Deux modèles de lecteurs portables en valise. À gauche, un modèle 163 restauré par Giakke & Mikke et à droite, une publicité pour le modèle 118.
Ces objets sont magnifiques, mais je vous assure, même si certains affirment le contraire, que la qualité sonore n’est pas à la hauteur des procédés actuels…
J’espère que vous me pardonnerez cette petite facétie. « El día que me quieras » (Le jour où tu m’aimeras) ; vous connaissez tous ce titre pour l’avoir entendu par Gardel, que ce soit sur disque, ou dans le film du même nom. La version que je vous propose est bien plus rare et antérieure de cinq ans à celle de Gardel. En fait, j’ai saisi l’occasion de l’anniversaire de l’enregistrement de ce titre, il y a exactement 95 ans, pour évoquer cet orchestre un peu moins connu. Mais rassurez-vous, vous aurez droit au titre de Gardel et Le Pera, également, ainsi qu’à d’autres tangos du même titre…
Extrait musical
El día que me quieras 1930-02-07 – Orquesta Cayetano Puglisi con Roberto Díaz.
L’introduction est plutôt jolie et élégante. Le violon de Cayetano Puglisi domine en chantant les autres instruments plus percussifs et qui marquent le rythme, puis il cède la place à Roberto Díaz qui chante à son tour un court passage. Comme nous le verrons, ce titre est assez différent de celui de Gardel qui est bien plus connu. Le thème est cependant le même. On notera quelques passages agités des bandonéons de Federico Scorticati et Pascual Storti en double-croche qui font le contrepoint avec les violons de Cayetano Puglisi et Mauricio Mise plus suaves. Pour une musique de 1930, c’est assez bien orchestré. Cayetano Puglisi, cet excellent violoniste qui a intégré les plus fameux orchestres, comme ceux de Firpo, Canaro D’Arienzo et Maffia a également eu son propre sexteto avec lequel il a enregistré une quinzaine de titres en 1929 et 1930. Je n’ai pas cité son frère José, à la contrebasse, ni Armando Federico au piano. J’aime bien et dans une milonga où les danseurs seraient amateurs de thèmes un peu vieillots, cet enregistrement pourrait intégrer une tanda.
Paroles de Ramón C. Acevedo
Yo quisiera tenerte entre mis brazos Y besarte en tu boca sin igual, Yo quisiera prodigarte mil abrazos Mujer esquiva de rostro angelical.
Tu sonrisa altanera y orgullosa Tu mirada quisiera doblegar, Y que aun, negándome besara Con un beso, sublime y sin final. Raúl Brujis L : Ramón C. Acevedo
Traduction des paroles de Ramón C. Acevedo
J’aimerais te tenir dans mes bras et t’embrasser sur ta bouche sans pareille, Je voudrais te prodiguer mille abrazos, femme insaisissable au visage angélique.
Ton regard souhaiterait faire céder ton sourire hautain et fier, et aussi, même si tu me le niais, m’embrasser, avec un baiser sublime et sans fin.
Autres versions
Il n’y a pas d’autre enregistrement de ce titre, alors je vous propose d’écouter quelques enregistrements du tango de même titre, mais écrit 4 ans plus tard par Carlos Gardel et Alfredo le Pera pour le film de la Paramount… El día que me quieras. Nous écouterons aussi d’autres thèmes ayant le même titre. Tout d’abord, réécoutons le tango du jour, qui est le plus ancien titre…
El día que me quieras 1930-02-07 – Orquesta Cayetano Puglisi con Roberto Díaz.
C’est notre tango du jour et le seul enregistrement de la composition de Raúl Brujis.
Version 2, de Víctor Pedro Donato et Miguel Gómez Bao
El día que me quieras 1930-11-05 Orquesta Ricardo Luis Brignolo con Luis Díaz.
Quelques mois après, Brignolo enregistre un tango composé par Víctor Pedro Donato avec des paroles de Miguel Gómez Bao. Ce titre est bien moins moderne que notre tango du jour. Il ressort encore d’un style canyengue très marqué.
Paroles de la version de Víctor Pedro Donato et Miguel Gómez Bao
El boliche del Turco no tendrá ni un cohete, el piberío del hueco los hará estallar, la cantina del “Beppo” abrirá los espiches y todo el “Grevanaje” en curda dormirá. La farra, el capuchino tomará el chocolate, ese día yo banco con mi felicidad y la orquesta de Chicho, pelandruna y mistonga hará un tango canyengue con la marcha nupcial.
A tu hermano el tarasca compraremos botines, al zambullo una faja de esas pa’ adelgazar, y al menor, al checato, dos docenas de anteojos y una jaula con trampa pa’ que vaya a cazar, a tu vieja diez cajas de pastillas de menta, a tu viejo toscanos para reventar, y el globo luminoso que tiene la botica a tu hermana la tuerta como ojo de cristal.
El bañao de la esquina será un lago encantado y las ranas cantantes en la noche un jazz-band, el buzón de la esquina el Pasaje Barolo, la cancel‘e tu casa, la escala celestial. El día que me quieras, pebeta de mi barrio, toditas mis ternuras pa’vos sólo serán, aunque llore a escondidas mi viejecita santa que al extrañar mis besos tendrá unas canas más. Víctor Pedro Donato et Miguel Gómez Bao
Traduction de la version de Víctor Pedro Donato et Miguel Gómez Bao
Le bazar (les pulperias faisaient office de bar, vendaient de tout et pourvoyaient des distractions, comme les jeux de boules, ou la danse) du Turc n’aura plus de fusées (feux d’artificee, les Argentins sont des fanatiques des activités pyrotechniques), les gamins du terrain vague les auront fait exploser, la cantine du« Beppo » (Beppo est un prénom d’origine italienne dérivé de Joseph) ouvrira les robinets (des tonneaux de vin, bien sûr) et tous les « Grevanaje » (je pense qu’il faut rapprocher cela de Grebano qui signifie idiot, rustre), ivres, dormiront. La fête, le cappuccino boira le chocolat, ce jour-là, je reste avec mon bonheur et l’orchestre de Chicho (je ne l’ai pas identifié), paresseux et triste jouera un tango canyengue avec la marche nuptiale.
Pour ton frère, El Tarasca , nous achèterons les bottes, au gros (zambulo, à la panse proéminente) une de ces ceintures pour perdre du poids (la faja est la ceinture qu’utilisent les gauchos. Elles sont souvent décorées de pièces de monnaie. Dans le cas présent, il peut s’agir de ceintures de toiles, également utilisées par les gauchos), et au plus jeune, le vérificateur, deux douzaines de paires de lunettes et une cage avec un piège pour qu’il puisse aller à la chasse. À ta vieille (mère), dix boîtes de bonbons à la menthe, à ton vieux (père) des cigares à éclater (faut-il y voir des cigares de farces et attrapes qui explosent quand on les fume ?), et le globe lumineux qu’a l’apothicaire pour ta sœur borgne, comme œil de verre.
Le marécage du coin sera un lac enchanté et les grenouilles chanteuses de la nuit, un groupe de jazz. La boîte aux lettres de l’angle sera le passage Barolo (plus que passage, on dirait aujourd’hui le Palais, un des hauts bâtiments luxueux du centre-ville de Buenos Aires), la porte d’entrée de ta maison (porte intérieure séparant l’entrée de la maison, sorte de sas), l’échelle céleste. Le jour où tu m’aimeras, petite (terme affectueux) de mon quartier, toutes mes tendresses seront pour toi seule, même si, de façon cachée, je verserai quelques larmes pour ma sainte petite mère qui, manquant de mes baisers, aura encore quelques cheveux blancs de plus.
Version 3, la plus célèbre, celle de Carlos Gardel et Alfredo Le Pera
El día que me quieras 1935-03-19 – Carlos Gardel con acomp. de la orquesta dir. por Terig Tucci.
Paroles de la version de Carlos Gardel et Alfredo Le Pera
Acaricia mi ensueño el suave murmullo de tu suspirar, ¡como ríe la vida si tus ojos negros me quieren mirar! Y si es mío el amparo de tu risa leve que es como un cantar, ella aquieta mi herida, ¡todo, todo se olvida!
El día que me quieras la rosa que engalana se vestirá de fiesta con su mejor color. Al viento las campanas dirán que ya eres mía y locas las fontanas me contarán tu amor. La noche que me quieras desde el azul del cielo, las estrellas celosas nos mirarán pasar y un rayo misterioso hará nido en tu pelo, luciérnaga curiosa que verá…¡que eres mi consuelo!
Recitado: El día que me quieras no habrá más que armonías, será clara la aurora y alegre el manantial. Traerá quieta la brisa rumor de melodías y nos darán las fuentes su canto de cristal. El día que me quieras endulzará sus cuerdas el pájaro cantor, florecerá la vida, no existirá el dolor…
La noche que me quieras desde el azul del cielo, las estrellas celosas nos mirarán pasar y un rayo misterioso hará nido en tu pelo, luciérnaga curiosa que verá… ¡que eres mi consuelo!
Carlos Gardel Letra: Alfredo Le Pera
Traduction de la version de Carlos Gardel et Alfredo Le Pera
Ma rêverie caresse le doux murmure de ton soupir, Comme la vie rirait si tes yeux noirs voulaient me regarder ! Comme si était mien l’abri de ton rire léger qui est comme une chanson, Elle calme ma blessure, tout, tout est oublié !
Le jour où tu m’aimeras, la rose qui orne s’habillera de fête, avec sa plus belle couleur. Au vent, les cloches diront que tu es déjà à moi, et folles, les fontaines me conteront ton amour. La nuit où tu m’aimeras depuis le bleu du ciel, Les étoiles jalouses nous regarderont passer et un mystérieux éclair se nichera dans tes cheveux, curieuse luciole qui verra… que tu es ma consolation !
Récité : Le jour où tu m’aimeras, il n’y aura plus que des harmonies, L’aube sera claire et la source joyeuse. La brise apportera le calme, le murmure des mélodies, et les fontaines nous donneront leur chant de cristal. Le jour où tu m’aimeras, l’oiseau chanteur adoucira ses cordes, La vie fleurira, la douleur n’existera pas…
La nuit où tu m’aimeras depuis le bleu du ciel, Les étoiles jalouses nous regarderont passer et un mystérieux éclair se nichera dans tes cheveux, curieuse luciole qui verra… que tu es ma consolation !
Extrait du film El día que me quieras de John Reinhardt (1934)
« El día que me quieras », dúo final Carlos Gardel y Rosita Moreno du film du même nom de 1934 dirigé par John Reinhardt. Dans ce film, Carlos Gardel chante également Sol tropical, Sus ojos se cerraron, Guitarra, guitarra mía, Volver et Suerte negra avec Lusiardo et Peluffo.
Autres versions du thème composé par Gardel
Il existe des dizaines d’enregistrements, y compris en musique classique ou de variété. Je vous propose donc une courte sélection, principalement pour l’écoute.
El día que me quieras 1948-05-11 – Orquesta Florindo Sassone con Jorge Casal.
Une version chantée par Jorge Casal qui ne démérite pas face aux interprétations de Gardel.
El día que me quieras 1955-06-30 – Orquesta Francisco Canaro con Juan Carlos Rolón.
Une version pour faire pleurer les ménagères nées après 1905…
El día que me quieras 1968 – Orquesta Típica Atilio Stampone.
Stampone, bien qu’il s’agisse d’une version instrumentale, n’a pas destiné cet enregistrement aux danseurs.
El día que me quieras 1972 – Trio Hugo Díaz.
Encore une version instrumentale, mais fort intéressant à défaut d’être pour la danse par le trio Hugo Diaz… Si vous n’entendez pas l’harmonica, c’est que ce trio est celui du bandonéoniste uruguayen, Hugo Díaz, à ne pas confondre avec Victor Hugo Díaz qui est le magicien de l’harmonica, qui lui est argentin (Santiago del Estero) et sans doute bien plus connu…
El día que me quieras 1977-06-14 – Orquesta Osvaldo Pugliese.
Une version sans doute surprenante, essentiellement construite autour de solos de violon et piano.
El día que me quieras 1978 – María Amelia Baltar.
Une version expressive par la compagne de Piazzolla.
El día que me quieras 1979 – Alberto Di Paulo y su Orquesta Especial para Baile.
Bien que l’orchestre affirme être de danse, je ne suis pas convaincu que cela plaira aux danseurs de tango, mais peut-être aux amateurs de slow et boléros (dans le sens argentin qui qualifie des musiques romantiques au rythme flou et pas nécessairement de vrais boléros).
El día que me quieras 1997 – Enrique Chia con Libertad Lamarque.
Une introduction à la Mozart (Flûte enchantée) et s’élève la magnifique voix de Libertad Lamarque. C’est bien sûr une chanson et pas un tango de danse, mais c’est joli, n’est-ce pas ?
Avec cette belle version, je propose d’arrêter là, et je vous dis, à bientôt, les amis !
Qui n’a pas été ému par la voix de Roberto Rufino chantant Patotero sentimental ? Mais savez-vous que cet enregistrement suit de presque 20 ans un succès phénoménal qui obligeait Ignacio Corsini à rechanter cet air souvent plus de cinq fois à la suite. Je vous invite à vous plonger dans l’histoire de ce patotero, émouvant par ses regrets et par là-même découvrir un peu plus cet univers des cabarets, repaire des patoteros.
Je publie cet article le 26 janvier qui est la date anniversaire de la version de Di Sarli avec Mario Pomar et pas celle que je mets en avant, avec Roberto Rufino. Je triche donc un petit peu, on pourra toujours en reparler un 6 juin…
Patoteros, apaches, youth gangs…
Un patotero est le membre d’une patota, un groupe de jeunes enclins à la violence et à la délinquance. Ce phénomène de bandes de jeunes est sans doute une des conséquences de la révolution industrielle qui a jeté des générations de paysans dans les villes. Si les parents y travaillaient, les jeunes qui voyaient les conditions méprisables de vie de leurs parents trouvaient refuge dans des activités, plus ou moins lucratives à défaut d’être honnêtes. Si à Paris, les Apaches (bandes de jeunes délinquants surnommées ainsi par le journaliste Henri Fouquier en référence à la brutalité de leurs crimes qui rappelaient les romans de Fenimore Cooper colportant des idées colonialistes sur la violence des Indiens américains) étaient particulièrement violents, à Buenos Aires, les patoteros étaient un peu moins craints par la population. Pour juger de la différence, on peut s’intéresser à leurs danses, vraiment très différentes. Pour les Argentins, je ne vous propose pas de vidéo, il vous suffit d’imaginer un tango canyengue accentuant l’aspect « canaille », les fentes et autres passes (figures) inspirées du combat au couteau.
Un bal en 1900. Peut-être du tango.
Pour le côté parisien, la danse des apaches est une danse qui alterne des moments violents et des moments plus sensuels. C’est une dramatisation des relations entre femmes et hommes. Cette danse perdurera en France jusque dans les années 60. On retrouvera ses figures, reprises dans d’autres danses comme le lindy-hop, le rock acrobatique, le tango de show, voire le tango de danse sportive.
Trois présentations de valse chaloupée en 1904, 1910 et 1935. Cette danse présente des chorégraphies brutales, d’apparence machiste, même si les femmes peuvent y être également agressives. On considère que c’est une mise en scène des relations tumultueuses entre une prostituée et son souteneur. Quand on imagine le nombre de femmes « volées » à Paris et mise au travail comme prostituées en Argentine, on comprend mieux ce phénomène, fait d’alternance de moments de tensions extrêmes et de moments de passion amoureuse.
Extrait musical
Partition de patotero sentimental. Trois couvertures. Avec Manuel Jovés et Ignacio Corsini à gauche et sur la couverture de droite, Lorenzo Barbero qui l’a enregistrée en 1950 avec le chanteur Osvaldo Brizuela.Patotero sentimental 1941-06-06 – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino.
Le patotero s’avance avec des pas bien marqués qui alternent avec de longs glissandos des violons. Rufino commence à chanter, en respectant le rythme initial. Sa voix est expressive et il ne sombre pas dans le pathos que peuvent présenter d’autres chanteurs. Cette sensibilité associée à la pression constante de l’orchestre fait que les danseurs trouveront leur compte dans cette version idéale pour la danse. Le plaisir des oreilles et des jambes. Nous verrons que cet équilibre qui semble si simple et naturel dans cette version a du mal à se retrouver dans les nombreux autres enregistrements du titre, du moins dans les versions de danse, celles pour l’écoute entre dans une autre catégorie. Par exemple, le même Di Sarli, avec l’excellent Mario Pomar fait un autre enregistrement en 1954 et il est difficile d’y trouver la même dansabilité, même si bien sûr de nombreux danseurs tomberont sous le charme de cette autre version (qui est la vraie version du jour, puisqu’enregistrée un 26 janvier).
Roberto Rufino. À gauche à Mar del Plata en 1970 et à droite à Radio Belgrano en 1944.
Paroles
Patotero, rey del bailongo Patotero sentimental Escondés bajo tu risa Muchas ganas de llorar Ya los años se van pasando Y en mi pecho, no entra un querer En mi vida tuve muchas, muchas minas Pero nunca una mujer Cuando tengo dos copas de más En mi pecho comienza a surgir El recuerdo de aquella fiel mujer Que me quiso de verdad y que ingrato abandoné De su amor, me burlé sin mirar Que pudiera sentirlo después Sin pensar que los años al correr Iban crueles a amargar, a este rey del cabaret Pobrecita, cómo lloraba Cuando ciego la eche a rodar La patota me miraba, y No es de hombre el aflojar Patotero, rey del bailongo Siempre de ella te acordarás Hoy reís, pero en tu risa Solo hay ganas de llorar Manuel Jovés Letra: Manuel Romero
Traduction libre des paroles
Patotero, roi du bal Patotero sentimental Tu caches sous ton rire beaucoup d’envies de pleurer. Et les années passent et, dans ma poitrine, aucun amour n’entre. Dans ma vie, j’ai eu beaucoup, beaucoup de poulettes (chéries), mais jamais une femme. Quand j’ai deux verres de trop, dans ma poitrine commence à resurgir le souvenir de cette femme fidèle qui m’aimait vraiment et que j’ai abandonnée ingratement. De son amour, je me moquais sans voir que je pourrais le ressentir plus tard, sans penser que les années, à mesure qu’elles s’écoulaient, étaient cruelles à aigrir ce roi du cabaret. Pauvre petite, comme elle pleurait quand aveugle j’ai commencé à la larguer. La bande (patota) m’observait, et ce n’est pas à un homme de se relâcher (se laisser attendrir). Patotero, roi du bal, toujours, tu te souviendras d’elle. Aujourd’hui tu ris, mais, dans ton rire, il n’y a que l’envie de pleurer.
Autres versions
El patotero sentimental 1922-03-29 – Ignacio Corsini con Orquesta Roberto Firpo.
C’est Corsini qui a créé le titre. Nous verrons cela en fin d’article. Ce fut son premier grand succès, ce tango a lancé sa carrière.
Ignacio Corsini en 1922
La même année, Carlos Gardel décide d’enregistrer le titre. Cette vidéo de Sinfonia Maleva permet de suivre les paroles chantées par Carlos Gardel.
El patotero sentimental 1922 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras)
Submergé d’émotion Raul (Hugo Del Carril) chante Patotero sentimental quand il comprend qu’il va perdre elisa. dans le film La vida est une tango (1939)Patotero sentimental 1941-06-06 – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino. C’est notre (faux) tango du jour.Patotero sentimental 1949-11-25 – Orquesta José Basso con Oscar Ferrari.
La voix un peu acide de Ferrari ne sert pas aussi bien le thème que celle de Rufino ou de Corsini. D’un point de vue de la danse, les manières de Ferrari rendent cet enregistrement peu propice à la danse. C’est un peu dommage, car l’orchestre fait un assez joli travail.
Patotero sentimental 1950-12-28 – Lorenzo Barbero y su orquesta de la argentinidad con Osvaldo Brizuela.
Une Jolie version qui ne détrônera pas celle de Di Sarli et Rufino, mais qui se laisse écouter et qui a obtenu un certain succès à son époque, comme en témoigne la partition présentée au début de cet article.
Patotero sentimental 1952-10-16 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Héctor Pacheco.
Dans la veine des tangos à écouter il y a cette version. La voix précieuse de Pacheco est-elle réellement adaptée au rôle d’un patotero, même converti ? On a du mal à croire à cette histoire, d’autant plus que Fresedo multiplie ses fioritures, tout aussi peu propices à la danse que celles de Florindo Sasonne de la même époque.
Patotero sentimental 1954-01-26 – Orquesta Carlos Di Sarli con Mario Pomar.
J’adore Mario Pomar et son interprétation ne souffre d’aucune critique. C’est juste que le choix un peu moins tonique rend, à mon sens, le titre un peu moins agréable à danser que la version avec Rufino enregistrée 13 ans plus tôt. C’est cette version qui a été enregistrée un 26 janvier et qui devrait donc officiellement être le tango du jour.
Patotero sentimental 1974 – Orquesta Florindo Sassone con Oscar Macri.
J’ai parlé des bruitages de Sassone à propos de la version de 1952 de Fresedo, je pense que vous remarquerez que Sassone ne les propose pas dans cet enregistrement. C’est assez logique, car ces bruitages sont le témoignage d’une époque et qu’ils furent abandonnés par la suite. Vous noterez toutefois les moments où Sassone quelques années plus tôt aurait abusé de ces effets. Si Sassone n’est pas un pourvoyeur de tango de danse, il faut reconnaître qu’avec l’interprétation inspirée de Macri, le résultat est plutôt sympa, même si à mon avis, il ne devrait pas franchir la porte de la milonga (en tous cas pas trop souvent 😉
Patotero sentimental 1974 – Hugo Díaz.
L’harmonica d’Hugo Díaz, une voix à lui tout seul. L’ambiance jazzy donnée par le piano et la guitare ne satisfera cependant pas les danseurs qui réserveront le titre pour une écoute au coin du feu.
Patotero sentimental 1974c – Leopoldo Federico con Carlos Gari.
Le bandonéon expressif de Leopoldo Federico nous offre un duo avec Carlos Gari dont la voix puissante contraste avec tous les instruments. C’est une belle interprétation, pleine d’émotion. L’opposition, voix et instruments du début s’apaise progressivement pour nous offrir un paysage sonore parfaitement cohérent. Moi, j’aime bien, mais bien sûr, ça reste entre mon ordinateur et moi, cela ne passera pas sur les haut-parleurs de la milonga.
Patotero sentimental 1991-03 – Carlos García solo de piano.
Le piano sait souvent être expressif. Je vous laisse juger si Carlos García a su suffisamment faire parler son instrument…
Patotero sentimental 2005 – Cuarteto Guardia Vieja con Omar de Luca (ou Dario Paz ou Fabian Vidarte…). Je ne suis pas sûr de qui chante.Patotero sentimental 2006 – Aureliano Tango Club C Aureliano Marin.
Une version très différente mais pas inintéressante. Vous pouvez jeter un œil à leur site, celui d’Aureliano Marin, arrangeur, directeur et contrebassiste du trio en plus d’en être le chanteur.
Patotero sentimental 2011 – Orquesta Típica Gente de Tango con Héctor Morano.
On termine ici, avec une version plus traditionnelle.
Origine de ce tango
Comme nous l’avons vu à de nombreuses reprises, les tangos qui animent nos milongas ont souvent été créés pour des revues musicales, des pièces de théâtre ou des films. Celui-ci ne fait pas exception. Il était une des scènes de la pièce « El bailarín del cabaret » (le danseur de cabaret) qui fut lancée le 12 mai 1922 au théâtre Apolo par la compagnie de Cesar Ratti, et qui eut un succès immense, notamment pour l’interprétation par Ignacio Corsini de notre tango du jour. Les spectateurs bissaient de nombreuses fois ce titre que Corsini chantait, appuyé sur le dossier d’une chaise et avec le genou droit sur l’assise. On connait ce détail par Osvaldo Sosa Cordero dans « Historia de las varietés en Buenos Aires 1900-1925 » qui nous apprend également que 800 disques de ce titre ont été gravés en 1922 et comme nous l’avons vu, Gardel s’est aussi emparé du phénomène, la même année.
Osvaldo Sosa Cordero; Historia de las varietés en Buenos Aires 1900-1925. À gauche, édition originale de 1978 et à droite, la réédition de 1999.
Il me semble intéressant de voir comment s’articulaient ces variétés.
El bailarín del cabaret – Couverture de la 4ème édition (19 août 1922 et déjà 319 représentations successives)… À droite, l’extrait du livret avec les paroles du tango chanté par Ignacio Corsini.
Dans la pièce de Manuel Romero, El bailarín del cabaret, où se trouve cette pièce, il y a 4 tableaux. L’apparition de ce tango est dans le troisième. La scène se passe dans un cabaret luxueux et tous dansent un foxtrot joué par l’orchestre dirigé par Félix Scolatti Almeyda, sauf Maria qui est triste à sa table et une famille qui découvre cet univers. Je vous reproduis ici un dialogue savoureux où un jeune homme (Troncoso) souhaite inviter la fille de la famille de visiteurs (Cayetana) et qui se termine par l’introduction de notre tango, Patotero sentimental.
Dialogues liminaires au tango Patotero sentimental
TRONCOSO.- Buenas noches. ¿ Me acompaña ese tango señorita? CAYETANA.-Yo no me comando sola. Pídale permiso a me papá. D. GAETANO.-E iñudole, cabayere. Me nena non « bala ». TRONCOSO.-¿Cómo es eso? ¿Acaso usted. no sabe que toda mujer que entra aquí está obligada a bailar? D. GAETANO.-Ma nun. diga. TRONCOSO.–Si, señor, sino va a haber tiros. CAYETANA.-Papá, vamo in casa. (Troncoso saca un revólver.) D. GAETANO.-Boeno … boeno .. . que « bale » pero no me lamprete mucho. (Bailan ridiculamente.) CATALINA.-Gaetano; roa mire como le hace co la pierna. D. GAETANO.-(Parándolo.) ¡Ah! ¡No covencito, eso no, pe la madonna! Me hija non he una melunguera cualunque. E osté, non debe hacerle cosquiyite inta la gamba, Sabe? TRONCOSO.-¿Dónde le he hecho cosquillas? D. GAETANO.-¿E me lo pregunta todavía? ¡Chancho! TRONCOSO.-¡Salí de ahí otario!(Le da un bife,y lo sacan a bofetadas hasta la calle, madre e hija van detras, la orquesta ataca un paso doble. Tumulto, risas y todos bailan.) ¿ Vamos a bailar, Marta? MARTA.-No: dejame, no quiero bailar hoy. TRONCOSO.-¿ Qué te pasa? MARTA.-Nada. Dejame. TRONCOSO.-¿Pero qué tenés vos esta noche? MARTA.-Nada. Se van a reir si lo digo. PANCHITO.-Dejala; algún metejón nuevo. MARTA.-No, nada de eso, les juro. MARGOT.-A ver, decimelo ami. Yo soy tu amiga . M-ARTA.-¡Es qué! … Pero no, es ridículo. MARGOT.-Deci … . MARTA.-Pero no se rían. He dejado a mi nene en casa con cuarenta grados de fiebre y se me va a morir y yo no quiero que se me muera. (Llorando.) LA BEBA.-¡Já, já, já! Dejate de sentimentalismos. TRONCOSO.-¡Qué desgraciada! (Todos rien.) LORENA.-¿Por qué se ríen de ella? TRONCOSO.-A vos que te pasa? De un tiempo a esta parte el mozo se ha puesto muy sentimental. LA BEBA.-En cuanto toma dos copas se pone imposible. LORENA.-Para ustedes no hay nada respetable en la vida … TRONCOSO.-Pero hermano! Vos, el rey de los patateros, hablando asi! . . . LORENA.-¿ Y qué? ¿Acaso un patatero no puede tener alma? Si ustedes supieran …
Traduction des dialogues
TRONCOSO.- Bonsoir. M’accompagneriez-vous pour ce tango, mademoiselle ? CAYETANA : Je ne me commande pas. Demandez la permission à mon père. D. GAETANO.- C’est inutile jeune-homme. Ma fille ne « danse » pas. (Les guillemets soulignent l’opinion que le père a de ces danses de cabaret). TRONCOSO.- Comment cela se fait-il ? Vraiment? Ne savez-vous pas que chaque femme qui entre ici est obligée de danser ? D. GAETANO.-Mais nul me l’a dit. TRONCOSO.–Oui, monsieur, sinon il y aura des coups de feu. CAYETANA.-Papa, rentrons à la maison. (Troncoso sort un revolver.) D. GAETANO.-Bien … Bien .. . qu’ils « dansent » cette « danse » mais ne la serrez pas trop. (Ils dansent ridiculement.) CATALINA.-Gaetano ; Roa, regarde comment il fait avec sa jambe. D. GAETANO.- (L’arrêtant.) Ah ! Non jeune homme, pas ça, par la Madone ! Ma fille n’est pas une melunguera (milonguera, le père ne connait pas bien et déforme le mot) quelconque. Et il ne faut pas chatouiller la jambe, vous savez ? TRONCOSO : Où l’ai-je chatouillée ? D. GAETANO : Et vous me demandez en plus ? Cochon! TRONCOSO : Sors d’ici, otario ! (Otario, cave, naïf, idiot) (Il le gifle, et ils le sortent avec des baffes) jusqu’à la rue. La mère et la fille se glissent derrière, l’orchestre attaque un paso doble. Tumulte, rires et tout le monde danse.) On va danser, Marta ? MARTHA : Non, laisse-moi, je ne veux pas danser aujourd’hui. TRONCOSO : Que t’arrive-t-il ? MARTA.-Rien, laisse-moi. TRONCOSO : Mais qu’as-tu ce soir ? MARTA : Rien, ils vont rire si je le dis. PANCHITO : Laisse-la ; quelque chose d’une nouvelle amourette. MARTA : Non, rien de tel, je vous jure. MARGOT : Eh bien, dis-le-moi. Je suis ton amie. MARTA.-C’est que ! … Mais non, c’est ridicule. MARGOT.-Parle… . MARTA : Mais ne riez pas. J’ai laissé mon bébé à la maison avec quarante degrés de fièvre et il va mourir et je ne veux pas qu’il meure. (En pleurs.) LA BEBA.-Ah-Ah-Ah Arrête avec la sentimentalité. TRONCOSO : Quelle malchance ! (Tout le monde rit.) LORENA.-Pourquoi vous moquez-vous d’elle ? TRONCOSO : Qu’est-ce qui ne va pas chez toi ? Depuis quelque temps, le monsieur (beau jeune-homme) est devenu très sentimental. LE BÉBÉ : Dès qu’il boit deux verres il devient impossible. LORENA.-Pour vous, il n’y a rien de respectable dans la vie… TRONCOSO : Mais frère ! Toi, le roi des patateros, tu parles ainsi !… LORENA : Et alors ? Un patatero ne peut-il pas avoir une âme ? Si vous saviez…
Et là, Ignacio Corsini retourne une chaise, pose un genou sur l’assise et s’appuie au dossier avant d’entamer cette chanson qu’il reprendra de nombreuses fois à la demande des spectateurs. Lors d’une représentation, le chef de la troupe, Cesar Ratti, a essayé d’interdire les bis multiples. Finalement, il a dû céder devant la pression du public et il y a eu cinq bis. Voilà, vous en savez sans doute un peu plus sur l’histoire de ce tango et du lien entre notre musique favorite, les cabarets, théâtres et autres lieux de spectacle du début du vingtième siècle.
“No te cases” (ne te marie pas), c’est le conseil donné par ce tango composé par Donato avec des paroles de Carlos Pesce. Ceux qui nous connaissent savent que nous n’allons pas suivre cette directive. Cependant, les complexités de l’administration argentine font que nous avons failli baisser les bras aujourd’hui même, juste avant de recevoir enfin l’information que notre mariage était confirmé après deux mois de bagarre et deux reports de date.
Extrait musical
Disque Victor 38092. No te cases est sur la face A.
No te cases 1937-01-23 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos.
Le motif sympathique des bandonéons ouvre ce titre. Il sonne comme une comptine enfantine. Se succèdent ensuite des successions de passages ordonnés et d’autres plus troublés, comme s’il y avait un débat contradictoire pesant le pour et le contre. À 59 secondes commence la chanson. Lagos chante le refrain avec quelques répliques parlées par un intervenant non identifié qui joue le rôle du futur marié. Est-ce Donato ? Ce n’est pas impossible. Canaro effectue souvent, ce type d’interventions.
Paroles
¡No te cases! ¿A qué valor ? Seguí nomás así, que sos un gran señor. ¡No te cases! ¿Que vas hacer? ¡que peligrá! Ya vas a entrar ¡Mírame a mí que bien! ¡Quien lo dirá! Gordo y feliz como un sultán Pobre de vos ¿Casarme yo? ¡Ja Ja! Si estoy muy bien así E sí… Sin complicarme con la existencia Si es un placer llegar a fin de mes. Edgardo Donato Letra: Carlos Pesce
En rouge, les répliques de l’intéressé.
Traduction libre
Ne te marie pas ! À quelle valeur ? Continue comme ça, tu es un grand seigneur. Ne te marie pas ! Que vas-tu faire ? Quel danger ! Tu vas comprendre. Regarde-moi, comme c’est bon ! Qui le dira ! Gros et heureux comme un sultan, Pauvre de toi Me marier, moi ? Ha ha ! Si je suis très bien ainsi. Et si… Sans me compliquer l’existence Si c’est un plaisir de joindre les deux bouts. (arriver à la fin du mois) Le futur marié qui intervient en réponse, pense que son copain va finalement se marier, même s’il donne le conseil contraire.
Autres versions
Il n’y a pas d’autre enregistrement de ce titre, mais…
Liborio no te cases 1931-04-10 – Orquesta Francisco Canaro con Charlo.
Un foxtrot adressé à un certain Liborio qui lui donne les mêmes conseils. Rappelons, pour la xxxxx fois, que Canaro avait aussi un orchestre de jazz et que les bals de l’époque étaient mixtes, tango et jazz. Le Liborio en question pourrait être Argentino Liborio Galván (18 ans au moment de cet enregistrement, ou le compositeur moins connu, Augusto Liborio Fistolera Mallié (32 ans au moment de cet enregistrement). Il peut s’agir également d’un tout autre Liberio, amis ou pas des auteurs, Eduardo Armani et René Cóspito (musique), Alfredo Enrique Bertonasco et Domingo L. Martignone (paroles). Le L. de Martignone est pour « Luis », pas Liborio…
No te cases 1937-01-23 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos. C’est notre tango du jour.Ya lo sabés… (No te casés) 1941-07-01 – Orquesta Francisco Canaro con Francisco Amor y coro.
Encore Canaro, qui ne voulait pas vraiment se marier avec Ada Falcón, ou plutôt, qui craignait de divorcer de la Française, sa terrible épouse… On peut donc imaginer qu’il se lance le conseil, avec un peu de retard à travers cette jolie valse composée par son frère Rafael Canaro et Oscar Sabino avec des paroles d’Aristeo Salgueiro.
17 février 2025
Ce n’est pas un événement dans l’histoire du tango, mais, ce jour, Victoria et moi nous marierons à Buenos Aires (Boedo). Si ça vous dit de nous faire un coucou, au Sede Comunal 5 ou en visio… Ce bâtiment est le premier de ce type à Buenos Aires. Il marque une volonté de redonner une empreinte verte à la ville.
Le Sede comunal 5 (boedo) avec son mur végétalisé. À droite, la structure des anciens entrepôts Tata a été conservée et utilisée pour fournir de l’ombre dans le parc.La terrasse végétalisée et le système de collecte de l’eau pour l’arrosage du parc adjacent.L’entrée du Sede comunal 5 et le parc.
Notre lieu de mariage est un petit coin de verdure dans la grande ville, à deux pas de notre maison (deux pas ou plutôt 200 mètres). Et pour les curieux d’histoire, ce lieu charmant est le fruit de la lutte des habitants pour obtenir un espace vert à la place des anciens entrepôts de la compagnie Tata.
Les anciens locaux de Tata (années 1980). C’est vraiment plus sympa maintenant.Les habitants manifestant pour obtenir la place et faire obstacle aux projets industriels pour ce lieu. Ici, ils sont avenue Boedo, à l’angle de Independencia.
Nous ne suivrons donc pas les conseils de nos précieux aînés…
À bientôt les amis !
Lors de notre dernier passage en France pour le festival Niort Tango (10/2024). Ici, à La Rochelle.
Mariano Ramiro Ochoa Induráin (paroles et musique)
Cette jolie valse est une des premières que je mettais régulièrement à mes débuts de DJ de tango. Je m’en souviens, car la correspondance des prénoms, du nom et du titre m’avait frappé. Deux Francisco, Amor et Canaro et L’Amor de Francisco Amor et le double amor du titre, répété 6 fois dans les paroles et auquel il faut rajouter un amo. L’autre point, plus objectif, qui fait que j’aimais bien ce titre, est qu’il est essentiellement en mode majeur, d’un rythme soutenu et qu’il évite la monotonie en variant les instruments et que Francisco Amor a une belle voix.
Extrait musical
Amor, amor vení 1941-01-09 – Orquesta Francisco Canaro con Francisco Amor.
On note dès le début le rythme bien accentué, typique de Canaro. Certains diront un peu lourd, mais cela plait aux Européens qui se sont habitués à ce fait, comme en témoigne l’évolution du tango en Europe, où la batterie rythme les bals de village même pour les tangos. On notera que le piano marque tous les temps à l’aide d’accords. On le remarque moins sur les premiers temps, justement à cause de l’utilisation appuyée de la contrebasse d’Abraham Krauss sur les premiers temps, mais aussi des autres instruments et notamment des violons, du violoncelle et des bandonéons, qui évolueront durant toute la durée entre des parties rythmiques et des passages mélodiques, en alternance afin que le rythme ne se perde pas et que ce soit confortable pour les danseurs. Le piano se libère progressivement de cet ostinato en lâchant quelques fioritures en fin de phrase. Le piano est tenu par Mariano Mores qui remplaça Luis Riccardi qui était dans l’orchestre de Canaro depuis 1928 et dont la maladie l’a obligé à abandonner la carrière. À 21 s se remarque la clarinette qui rappelle qu’avant les bandonéons, les flûtes faisaient partie des instruments du tango et que Canaro a également un orchestre de jazz. On retrouvera également la clarinette en contrepoint du chanteur un peu plus tard. À 28 s, commence la partie B qui se distingue par des allers-retours entre l’orchestre et le piano. À 56 s, Francisco Amor commence à chanter avec les violons en contre-chant et les ponctuations du piano, la contrebasse continuant d’aider les danseurs en marquant les premiers temps. Les bandonéons s’occupant de marquer tous les temps, comme le faisait le piano au début. Je pense qu’en l’ayant écoutée attentivement, vous comprendrez pourquoi je trouve que c’est une merveille, simple et élégante.
Paroles
Amor, amor vení No me hagas más penar, Que mi vida está en peligro Siempre que no tardes más.
Amor, amor vení Ya no puedo repetir, Porque me falta el aliento Y fuerzas para vivir.
Caminito del colegio Que de ahí te conocí, Me mirabas como a un hombre Y mi amor fue para ti.
Tengo veinte y tú también Y mi amor también creció, No sé si me comprendiste Y por eso te amo yo. Mariano Ramiro Ochoa Induráin (paroles et musique)
Traduction libre
Amour, amour vient (amour = chérie) Ne m’inflige pas plus de chagrin, car ma vie est toujours en danger, aussi, ne tarde pas davantage. Amour, amour vient Je ne peux plus le répéter, parce que me font défaut le souffle et les forces pour vivre. Sur le chemin de l’école où je t’ai rencontrée, tu m’as regardé comme un homme et mon amour fut pour toi. J’ai vingt ans, et toi aussi, et mon amour a également grandi, je ne sais pas si tu m’as compris, et c’est pourquoi, moi, je t’aime.
Bredouille
Difficile de trouver des éléments sur cette valse. Son auteur est inconnu. On ne lui doit aucun autre titre et la SADAIC ne dispose d’aucune donnée dans son enregistrement correspondant, #195 009, pas même le nom du compositeur et parolier, Mariano Ramiro Ochoa Induráin. Du côté des deux Francisco, l’horizon s’éclaircit. Je ne vais pas vous parler de Canaro, mais vous dire quelques mots de Amor. S’il a commencé dans l’orchestre de Florindo Sassone, ce natif de Bahia Bianca, comme Di Sarli, n’a enregistré qu’avec Canaro. Son image a toutefois été enregistré dans divers films comme : Viento norte 1937 de Mario Soffici où il tient le rôle du soldat chanteur… Musique et chansons de Andres R. Domenech et P. Rubbione.
Francisco Amor en Viento norte 1937. Un film de Mario Soffici. Dans cet extrait, Francisco Amor chante deux chansons et on peut voir à la fin un Gato et un Malambo interprété par les soldats.
Pampa y cielo 1938 de Raúl Gurruchaga dans lequel il chante notamment « No te cases » (ne te marie pas).
No te cases 1937 (Vals) – Francisco Amor con la Orquesta de Francisco Canaro
Mandinga en la sierra 1939 de Isidoro Navarro. Napoleón 1941 de Luis César Amadori. Buenos Aires canta 1947 de Antonio Solano. Comme le titre peut le suggérer, plusieurs chanteurs sont à l’affiche et en plus de Francisco Amor, citons, Azucena Maizani, Ernesto Famá. On peut aussi y écouter Oscar Aleman, l’orchestre le plus en vogue lors de la décadence du tango au profit du jazz.
Autres versions
Les Francisco ont enregistré ensemble une vingtaine de valses. Cependant, il n’y a pas de version enregistrée de cette valse par un autre orchestre. Je vous propose donc de terminer en la réécoutant.
Amor, amor vení 1941-01-09 – Orquesta Francisco Canaro con Francisco Amor.
Je vous laisse avec les 76 mots chantés par Amor, qui dira son nom de famille (il s’appelait réellement Amor et même Iglesias Amor, c’est-à-dire « Église Amour »…) six fois.
Sur ces bonnes… paroles, je vous dis à bientôt, les amis !
Le Carnaval était, chaque année, un moment clef pour les orchestres de tango. À cette occasion, des orchestres se regroupaient pour proposer des orchestres immenses et des milliers de danseurs « tanguaient » sur les pistes plus ou moins improvisées, dans les rues, les places ou les salles de concert, comme le Luna Park. Mais Carnaval, c’était bien plus que le seul tango. C’était un moment de libération dans une vie souvent difficile et parfois, l’occasion de rencontres, comme celle que nous narre ce tango de Di Sarli.
Extrait musical
Otra vez carnaval (Noche de carnaval) 1942-01-03 – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino.Partition de piano de Otra vez carnaval de Di Sarli et Jiménez.
Paroles
En los ojos llevaba la noche y el amor en la boca… Carnaval en su coche la paseaba triunfal. Serpentina de mágico vuelo fue su amor de una noche; serpentina que luego arrastró mi dolor enredada en las ruedas de un coche cuando el corso en la sombra quedó…
Otra vez, Carnaval, en tu noche me cita la misma bonita y audaz mascarita… Otra vez, Carnaval, otra vez, como ayer, sus locos amores le vuelvo a creer. Y acaso la llore mañana otra vez…
Fugitivas se irán en la aurora la ventura y la risa… ¡Tendrán todas mis horas una gris soledad! En mis labios habrá la ceniza de su nuevo desaire; y despojos del sueño tan sólo serán, un perfume rondando en el aire y en el suelo un pequeño antifaz… Carlos Di Sarli Letra: Francisco García Jiménez
Traduction libre
Dans ses yeux, elle portait la nuit et l’amour à la bouche… Carnaval dans son char la faisait défiler triomphalement. Un serpentin de vol magique fut son amour d’une nuit ; serpentin qui ensuite traîna ma douleur empêtrée dans les roues d’une voiture lorsque le char dans l’ombre s’immobilisa…
Encore une fois, Carnaval, dans ta nuit, me donna rendez-vous, la même belle et audacieuse, masquée… Encore une fois, Carnaval, encore une fois, comme hier, ses amours folles, je reviens à les croire. Et peut-être que je la pleurerai demain, encore une fois…
Les fugitives s’en iront dans l’aurore, la fortune et les rires… Toutes mes heures auront une solitude grise ! Sur mes lèvres resteront les cendres de son nouveau camouflet ; et les restes du rêve ne seront plus qu’un parfum planant dans l’air et sur le sol un petit masque…
Autres versions
Otra vez carnaval (Noche de carnaval) 1942-01-03 – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino. C’est notre tango du jour.Otra vez carnaval (Noche de carnaval) 1947-01-14 – Orquesta Carlos Di Sarli con Jorge Durán. Cinq ans plus tard, nouveau chanteur. Di Sarli réenregistre sa composition.Otra vez carnaval 1981-08-12 – Roberto Goyeneche con Orquesta Típica Porteña. Une version à écouter.
Carnaval
Les festivités de Carnaval se sont vues à plusieurs reprises interdites en Argentine. Il faut dire qu’au XIXe siècle, cela donnait souvent lieu à des débordements. Il s’agissait de manifestations plutôt spontanées jusqu’au dix-neuvième siècle, elles furent interdites ou limitées à certains lieux, notamment dans le cadre de la limitation des populations d’origine africaines.
1869, l’état autorise le carnaval et l’organise
C’est Sarmiento, de retour d’un voyage en Italie où il avait assisté aux festivités de Carnaval, qui les a rétablies officiellement en 1869 sous la forme du défilé.
Défilé en 1931, 1940 et de nos jours (Gualeguaychú, province de Entre Ríos).
Tango et carnaval
Les orchestres étaient mis à contribution et, durant les décennies tango, les orchestres de tango faisaient danser plusieurs milliers de couples. Pas seulement à Buenos Aires, mais aussi à Montevideo et Rosario, notamment.
Affiches de carnavals. 1917 Firpo et Canaro – 1940 Eddie Kay (Jazz), Canaro, Fresedo et D’Arienzo (voir le petit jeu en fin d’article). Ensuite, Di Sarli et enfin une affiche de 1950 avec Troilo et De Angelis.
Exemple de règlement mis en place durant la dictature militaire (Cordoba, 1976/02/23)
La plus récente prohibition fut partielle. C’était pendant la dernière dictature du vingtième siècle. Le Carnaval n’avait pas été aboli, mais deux conditions avaient été posées : “Se prohíbe el uso de disfraces que atenten contra la moral y la decencia públicas: uniformes militares, policiales, vestiduras sacerdotales y los que ridiculicen a las autoridades del Estado u otras naciones. -Está permitido de 9 a 19, jugar con agua en buenas condiciones de higiene, globitos y pomos.” « L’utilisation de costumes qui violent la moralité publique et la décence est interdite : uniformes militaires, uniformes de police, vêtements sacerdotaux et ceux qui ridiculisent les autorités de l’État ou d’autres nations. (On notera que la lecture peut être à double niveau et que l’on pourrait y considérer les vêtements militaires et sacerdotaux comme indécents…) -Il est permis de 9 h à 19 h de jouer avec l’eau dans de bonnes conditions d’hygiène, les ballons et les pommeaux. » (Les jeux d’eau sont en effet courants, il faut dire que l’époque du carnaval correspond au plein été en Argentine).
Les jeux avec l’eau sont restés permis pendant la dictature.
Cependant, durant la Dictature, il n’y a pas eu de Carnaval proprement dit, pas de défilés et de grandes fêtes populaires.
La fin de la dictature et le retour du Carnaval
Lorsque Alfonsin fut élu en 1983, il mit en œuvre son programme « Avec la démocratie on mange, on se soigne et on s’éduque ». L’année suivante, le carnaval de nouveau libéré a pris une saveur particulière et, peu à peu, les tentatives de coup d’État se sont espacées et la démocratie s’est implantée pour une quarantaine d’années.
Le carnaval de 1984 est important, car il fête le retour de la démocratie et, par la même, le retour du Carnaval sous sa forme habituelle.
En 2023, le congrès portait des banderoles 40 ans de démocratie, en souvenir de cette époque.
Le gouvernement précédent avait fait placer deux banderoles, de part et d’autre de l’entrée des députés au Congrès (Congreso). J’ai pris cette photo, peu de temps après le changement de gouvernement. Une des banderoles avait disparu. On remarquera une scène étonnante, ce livreur qui dort sur la chaussée (emplacement réservé aux voitures officielles). Il ne reste bien sûr plus de banderole aujourd’hui et les indigents sont priés de dormir hors de la ville. Les matelas de fortune et les maigres possessions de ces personnes sont brûlés. Cela semble fonctionner, on rencontre beaucoup moins de personnes dormant dehors maintenant. Mais il suffit de franchir les limites de la ville pour constater que ce n’est pas une amélioration de la situation des plus pauvres, mais un simple « nettoyage ».
Petit jeu (très facile)
Observez cette affiche et attribuez à chaque chef d’orchestre son ou ses chanteurs…
Affiche de la Radio El Mundo de Buenos Aires pour le Carnaval de 1940.À gauche les orchestres et à droite les chanteurs…
Réponse au petit jeu
J’imagine que vous n’avez pas trop eu de difficulté pour ce qui est de raccorder les orchestres avec leurs chanteurs de tango. Il restait ensuite deux noms, Eddie Kay et Rudy Green, qu’il semble donc logique d’associer, car ils sont moins connus. Eddie Kay, pianiste né en Italie et qui est passé auparavant par les États-Unis pour sa formation musicale avant de retourner en Italie, puis de s’installer en Argentine. Étant donné son passé en Amérique du Nord, il est tentant d’en faire un musicien de jazz. On n’aurait pas tort, mais sa rencontre avec Gardel, qui se transforma en amitié, a fait qu’il a élargi ses horizons et a également composé des tangos. Cependant, en ce qui concerne l’affiche de notre jeu, il intervenait bien comme orchestre de jazz (Foxtrots, valses et danses importées d’Amérique du Nord). Son groupe Alabama Jazz, a un nom qui marque bien les ambitions de cet orchestre, tout comme le pseudonyme Eddie Kay car son nom véritable était Edmundo Tulli, ce qui fait nettement moins, jazzman. Il reste Rudy Green. Là, je n’ai pas trouvé trace du bonhomme. Il y a bien un Rudy Green, mais celui-ci était noir et avait commencé sa carrière en 1946 à Nashville alors qu’il avait 14 ans. Il s’agit donc forcément d’un autre Rudy Green, le type sur l’affiche n’a pas une tête de gamin noir de 8 ans… Je ne sais donc pas si ce chanteur était associé à Eddie Kay, mais, par son nom ou pseudonyme, on peut penser qu’il gravitait également autour du Jazz. Peut-être qu’un jour la lumière se fera sur ce point et alors, je vous en aviserai.
Les réponses. Le lien entre Eddie Kay et Rudy Green est une hypothèse, fort probable, mais sans garantie…
Un petit cadeau
J’ai monté quelques images fixes et animées de Carnaval. Cela vous permettra de vous faire une idée du phénomène.
Osvaldo Novarro; Tito Luar (Raúl Fortunato) Letra: Mario Battistella
Pourquoi une femme noire tenant un bongo sur plan de surfeurs hawaïens ? Comme vous vous en doutez, j’ai une explication. Alors partons à la découverte de la Rumbita candombe, un curieux mariage qui a fêté ses noces de chêne et qui continue de faire bouger les danseurs d’aujourd’hui.
Extrait musical
La rumbita candombe 1942-12-29 – Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré.
Comme l’indique le titre, on reconnaît rapidement un rythme de rumba. J’écris « un » rythme de rumba, car il y a en a des dizaines. Historiquement, la rumba est originaire de Cuba où elle a été mêlée avec diverses danses, notamment d’origine africaine. Cela se reconnaît par la complexité des rythmes qui sont loin des rythmes codifiés en Europe. Il n’est qu’à demander à un danseur européen moyen de faire sonner le clave de la salsa en rythme, pour voir à quel point c’est hors de sa culture. N’étant pas moi-même un spécialiste de la rumba, j’ai essayé de déterminer le type de rumba utilisée dans cette composition. Parmi la centaine de possibilités, je trouve que la rumba yambu (une des trois principales rumbas cubaines) est un assez bon candidat.
La rumbita candombe de D’Arienzo et Mauré que j’ai mixé avec un rythme de rumba yambu.
Bien sûr, la version de D’Arienzo est un peu particulière et il a mis en avant le plaisir des danseurs de milonga en prenant plus de libertés par rapport au rythme original que les autres interprétations. On notera, par exemple, une cadence bien plus rapide.
Le Général Juan Manuel de Rosas assistant à une manifestation de candombe vers 1838 assistant à une manifestation de candombe vers 1838.
De Rosas avait une trentaine d’esclaves, mais il était plutôt sympa avec eux et les esclaves qui avaient fui le Brésil le considéraient comme un libérateur. On voit qu’il a un homme noir sur le siège à son côté, ce qui doit probablement témoigner de sa proximité. On remarquera les tambours du candombe. Le peintre, Martín Boneo s’est représenté avec son épouse, debout à l’arrière de De Rosas. La fille du couple (Manuelita) est en rouge au côté de l’homme noir assis.
Paroles de la version de Juan D’Arienzo et Héctor Mauré
Les différentes versions disposent de paroles légèrement différentes. Celles de l’enregistrement de D’Arienzo et Mauré sont les plus divergentes par rapport aux paroles originales. J’indiquerai, en fin d’article, les paroles originales et donnerai quelques indications pour les autres versions.
Presten todos atención Que ya empezó Y a virutear esta milonga Que el rey negro bautizo
No es su cuna el arrabal Negro y cumbe
Por eso es que Todos le dicen La milonga candombe
Ae ae ae ae Ae ae ae ae
A bailar a cantar A seguir sin parar
Ae ae ae ae Ae ae ae ae
Que se va y se fue La milonga candombe.
Osvaldo Novarro; Tito Luar (Raúl Fortunato) Letra: Mario Battistella
Traduction libre de la version de Juan D’Arienzo et Héctor Mauré
Prêtez tous attention. Ça a déjà commencé et pour virutear (référence à la viruta et l’usure du plancher) cette milonga que le roi noir a baptisée. Ce n’est pas son berceau les faubourgs Noir et cumbe (esclaves noirs ayant fui et vivant libres) C’est pourquoi tous l’appellent la milonga candombe Ae ae ae ae À danser, à chanter À continuer sans s’arrêter, Ae ae ae ae Car elle s’en va et est partie La milonga candombe.
Autres versions
Je commence par les auteurs de la musique, Osvaldo Novarro et Tito Luar.
La rumbita candombe 1942-06-02 – Hawaiian Serenaders con Osvaldo Novarro.
Les Hawaiian Serenaders est un groupe argentin, malgré ce que pourrait laisser penser son nom. Il fut actif durant une vingtaine d’années après sa création en 1940 par le chanteur Osvaldo Novarro (Héctor Villanueva) associé à Tito Luar (Raúl Fortunato) (Directeur d’orchestre, tromboniste et violoniste) et auteurs de la musique de notre titre du jour. Les deux hommes étaient d’origine vénézuélienne, pas l’ombre d’un Hawaïen dans l’histoire.
À l’origine du groupe Hawaiian serenaders, un groupe de musique hawaïenne mené par Osvaldo Novarro dans les années 30.
À ce sujet, il est amusant de noter qu’il y a eu un autre groupe nommé The Hawaiian Serenaders, mais qu’ils étaient Grecs et étaient dirigés par Felix Mendelssohn (probablement un pseudonyme…). Je ne résiste pas à la tentation de vous présenter une de mes 600 cumparsitas par ces Grecs « hawaïens »…
La cumparsita 1941 – Felix-Mendelssohn & His Hawaiian Serenaders.
Les sonorités sont beaucoup plus hawaïennes que pour le groupe argentin…
La rumbita candombe 1942-12-29 – Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré. C’est notre titre du jour. La rumbita candombe 1943-06-28 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Oscar Serpa.
Oscar Serpa et surtout l’interprétation magnifique de Fresedo fait que cette version peut très bien être proposée en bal, même si peu de DJ s’y risquent.
La negrita candombe (La rumbita candombe) 1943-07-16 – Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán.
La version de Canaro est sans doute celle qui est la plus connue. Son rythme assez calme respecte mieux, que la version de D’Arienzo, le rythme de la rumba. Comme il en a l’habitude et grâce à ses percussionnistes de son orchestre de jazz, Canaro peut proposer une introduction au tambour et une orchestration un peu différente.
Paroles de la version originale
Presten todos atención Que va a empezar, Esta será la nueva danza Que tendremos que bailar… Fue su cuna la ilusión El cabaré Por eso es que la llamamos La rumbita candombe.
(Estribillo) Ae, ae, ae, ae Ae, ae, ae, ae (coro) A bailar, a cantar A seguir sin parar, Ae, ae, ae, ae Ae, ae, ae, ae (coro) Ya se va, ya se fue La rumbita candombe.
El autor de su compás Es un bongó, Que se enamorado de una milonga Un domingo se casó Y es por eso que al vibrar, Sentimental su ritmo es Mezcla de rumba Y candombe federal. Osvaldo Novarro; Tito Luar (Raúl Fortunato) Letra: Mario Battistella
Traduction libre des paroles de la version originale
Prêtez tous attention. Ça va commencer, Ce sera la nouvelle danse que nous devrons danser… Son berceau était l’illusion, le cabaret, c’est pour ça qu’on l’appelle, la rumbita candombe.
(Refrain) Ae, ae, ae, ae Ae, ae, ae, ae (chœur) À danser, à chanter À continuer sans s’arrêter, Ae, ae, ae, ae (chœur) Déjà elle s’en va, déjà elle est partie La rumbita candombe.
L’auteur de son rythme est un bongo, qui est tombé amoureux d’une milonga. Un dimanche, il s’est marié et c’est pourquoi, lorsqu’il vibre, sentimental, son rythme est un mélange de rumba et de candombe fédéral.
Paroles de la version de Canaro et Roldán
Presten todos atención Que va a empezar, Esta será la nueva danza Que tendremos que bailar… Fue su cuna la ilusión Que le dio fe, Por eso es que la llamamos La negrita candombe.
Así, así, así, así Así, así, así, así (coro) A bailar, a cantar A seguir sin parar, Así, así, así, así (coro) Ya se va, ya se fue La negrita candombe.
El autor de su compás Es un bongó, Que al arribar a la Argentina De una criolla se prendó… Y es por eso que al vibrar, Sentimental su ritmo es Mezcla de rumba Y candombe federal.
Osvaldo Novarro; Tito Luar (Raúl Fortunato) Letra: Mario Battistella (y?)
Traduction libre de la version de Canaro et Roldán
C’est pourquoi nous l’appelons La negrita candombe. (La rumbita est passée de la musique, petite rumba à une negrita, petite femme noire). Comme ceci, comme cela, comme cela (contrairement aux autres versions, Roldán chante « así » et pas « ae »). Comme ceci, comme ça, comme ça Danser, chanter Pour continuer sans s’arrêter, Comme ceci, comme ça, comme ça Déjà elle s’en va, déjà elle est partie La negrita candombe. L’auteur de son rythme est un bongo, qui à son arrivée en Argentine, d’une créole, est tombé amoureux… (la localisation en Argentine et la mention d’une créole ancrent la chanson. Canaro était Uruguayen de naissance et les esclaves étaient en grande partie originaires du Brésil, et bien sûr d’Afrique avant). Et c’est pourquoi, quand il vibre, sentimental, son rythme est un mélange de rumba et de candombe fédéral.
Quelques éléments sur la milonga candombe
Même si le propos de Osvaldo Novarro et Tito Luar était de créer un nouveau rythme à base de rumba en le mixant avec des rythmes de candombe, cette expérimentation qui n’a pas donné d’autres musiques est contemporaine de l’apparition de la milonga candombe. En effet, on attribue à Sebastián Piana la mise en forme de la milonga candombe. Sa première milonga candombe est Pena mulata (écrite en 1940).
Pena mulata 1941-02-18 – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino (Sebastián Piana Letra: Homero Manzi).
C’est le plus ancien enregistrement de milonga candombe. Amis DJ, si vous avez une milonga candombe d’avant 1940, c’est sûrement un candombe ou un autre rythme… Ce n’est pas interdit de le passer, mais prenez vos précautions pour ne pas mettre en difficulté les danseurs qui sont souvent moins à l’aise avec les milongas candombe et qui peuvent être totalement perdus avec des candombes.
Aleluya 1943-12-15 – Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán (Sebastián Piana Letra: Cátulo Castillo).
Et une version par Piana lui-même :
Aleluya 1944 – Sebastián Piana con Jorge Demare.
Une version brute, un peu rugueuse, mais qui fait bien sentir les origines de l’inspiration de Piana.
Les titres apparentés au candombe, composés par Sebastián Piana
Les trois types de tambours du candombe, de gauche à droite : Tambor repique, tambor chico, tambor piano et un autre tambor chico.
Et les surfeurs ?
Ah oui, j’allais oublier. Mais vous avez sans doute deviné. La femme noire, c’est la negrita de Canaro, le tambor chico qu’elle tient dans les mains, c’est le candombe et les surfeurs et l’exocet, c’est une partie d’une affiche de 1940 pour Hawaï.
Une affiche publicitaire pour Hawaï de la Pan American Airways.
Le surf à Hawaï semble être une très vieille activité, comme en témoigne James Cook en 1779.
Duke Kahanamoku en 1910.
À l’époque, les îles s’appelaient Îles Sandwich, nom qu’avait donné Cook en l’honneur de John Montagu de Sandwich, l’inventeur du sandwich. Attention, il ne faut pas les confondre avec les Îles Sandwich du Sud, revendiquées, comme les Îles Malouines, par l’Argentine…
Le dernier état des USA (Hawaï) dans l’hémisphère Nord et les Îles Sandwich du Sud, revendiquées par l’Argentine.
Enrique Santos Discépolo; Francisco Pracánico Letra: Enrique Santos Discépolo
Il est des circonstances dans la vie qui peuvent être tristes, voire désespérantes. Aimer de façon silencieuse en étant enchaîné par les liens de l’amitié est la situation décrite dans ce tango qui, au-delà des malheurs du narrateur, fait éclore un large sourire aux danseurs d’encuentros européens. Eux, ne sentent pas du tout condamnés et incités à lancer des S.O.S. dans les bras de leurs partenaires.
Histoire de S.O.S.
Enrique Santos Discépolo a écrit ce tango en 1929 pour une pièce de théâtre. Il portait alors le titre de « En un cepo », que l’on pourrait interpréter comme en prison, à l’isolement, dans un piège, voire au pilori (de nos jours, même le Dollar est sous Cepo en Argentine). Un truc pas bien joyeux en fait. Voici comment Discepolo décrit son intention lorsqu’il a écrit ce titre.
Discepolo parle de son intention en écrivant ce tango.
« Comment j’ai écrit « Condena »
J’ai voulu dépeindre la situation d’un homme pauvre, déchu, sans ressources, n’ayant rien et ambitionnant tout. J’ai voulu placer cet homme face au monde, regardant passer la vie qui passe, les plaisirs qui le troublent, et il se tord dans l’impuissance de voir qu’ils ne sont pas pour lui. J’ai vu tant de fois dans la rue l’homme en costume élimé, avec un visage déformé, avec une démarche craintive qui voit passer une femme enveloppée de soies bruissantes et qui se mord en pensant qu’elle appartiendra à n’importe qui d’autre, sauf à lui. Et la voiture qui passe qui brille d’insolence et qui ne pourra jamais être pour lui. Et j’ai ressenti la douleur de cet homme qui est comme « pris au piège ». Luttant contre l’impuissance, l’envie et l’échec. Et cette douleur énorme et concentrée de l’homme enchaîné dans son triste destin, face au bonheur qui passe sans le toucher, c’est ce que j’ai voulu transmettre bien et profondément ; torturé, mais sans pleurer. »
En 1931, à la tête de son orchestre, Discepolo ressort ce tango, sans nom particulier. Canaro le veut pour l’enregistrer, ce qu’il fera en 1934. L’argent donné par Canaro pour l’occasion sauva le projet de voyage de Discepolo et de sa compagne Tania et, lorsque Canaro demanda le titre du tango à Discepolo, celui-ci lui répondit qu’il pouvait mettre le titre qu’il voulait. S.O.S. a été utilisé, comme dans le disque de Lomuto, car, l’achat de Canaro a sauvé Discepolo. En revanche, en 1937, Canaro a utilisé le nom « Condena » et pas S.O.S. pour l’enregistrement avec Maida. On associe désormais les deux titres. En 1937, toujours, Discepolo participe au film « Melodías Porteñas » où la chanteuse Amanda Lesdesma chante deux fois le titre, comme vous pourrez le voir et l’entendre dans cet article.
Extrait musical
Condena (S.O.S.) 1937-12-26 – Orquesta Francisco Lomuto.
Disque Victor de Condena par Francisco Lomuto On remarque que le disque porte la mention S.O.S. comme pour Canaro en 1934, mais pas en 1937 ou Canaro a pris le titre de Condena.
Les pas lourds de la condamnation démarrent le titre, suivi de passages legato en contraste. À 32s commence la partie B avec les superbes bandonéons de Martín Darré, Américo Fígola, Luis Zinkes et Miguel Jurado qui venait de remplacer Víctor Lomuto le frère de Francisco qui était retourné en France (en 1934, il avait épousé Yvonne, une Française dont il eut un fils). Dans ce passage, le rythme est marqué de façon très originale avec le premier temps un peu sourd et grave (contrebasse de Hamlet Greco et percussions de Desio Cilotta) et les trois suivants plus forts, exprimés notamment par les bandonéons en staccato. Comme pour la première partie, le contraste des legatos termine cette partie A. Un pont de 55s à 1′ relance la partie A qui présente un passage piano, ce qui rompt la monotonie et qui semble annoncer quelque chose. Ce quelque chose, c’est peut-être l’impression de tohu-bohu qui apparaît à 1:19 et qui s’apaise à 1:24. Enfin, à 1:33, un solo de violon enchanteur et particulièrement grave (utilisation d’un alto ?) magnifie l’interprétation. Il est réalisé par Leopoldo Schiffrin (Leo), qui avait intégré l’orchestre dès 1928 et qui en sera le premier violon jusqu’en 1947, date où il se sépara de l’orchestre qui partait en tournée en Espagne. L’un de ses fils est le compositeur Lalo Schiffrin (Boris Claudio Schifrin) qui a notamment fait la musique du film de Carlos Saura « Tango ». Le rythme à quatre temps avec le premier temps faible et grave est repris et donne une expression originale supplémentaire à ce passage. La variation finale, permet de mettre en valeur les instruments à vent de l’orchestre. Cette variation est annoncée par un long pont à la tonalité changeante de 2:02 à 2:10 où apparaissent le saxophone et la clarinette de Carmelo Aguila et Primo Staderi. Il est impossible de savoir qui jouait tel ou tel instrument lors de cet enregistrement, car les deux jouaient du saxo et de la clarinette. À 2:28, on remarquera, après un trait de piano (Oscar Napolitano), une courte envolée de la clarinette qui précède les deux accords terminaux.
Paroles
Yo quisiera saber qué destino brutal me condena al horror de este infierno en que estoy… Castigao como un vil, pa’ que sufra en mi error el fracaso de un ansia de amor. Condenao al dolor de saber pa’ mi mal que vos nunca serás, nunca… no para mí. Que sos de otro… y que hablar, es no verte ya más, es perderte pa’ siempre y morir.
He arrastrao llorando la esperanza de olvidar, enfangando mi alma en cien amores, sin piedad. Sueño inútil. No he podido No, olvidar… Hoy como ayer ciego y brutal me abraso en ansias por vos.
Y lo peor, lo bestial de este drama sin fin es que vos ni sabés de mi amor infernal… Que me has dao tu amistad y él me brinda su fe, y ninguno sospecha mi mal… ¿Quién me hirió de este amor que no puedo apagar? ¿Quién me empuja a matar la razón como un vil? ¿Son tus ojos quizás? ¿O es tu voz quien me ató?… ¿O en tu andar se entremece mi amor? Enrique Santos Discépolo; Francisco Pracánico Letra : Enrique Santos Discépolo
Traduction libre
Je voudrais savoir quel sort brutal me condamne à l’horreur de cet enfer dans lequel je suis… Punis comme un vil, pour que je souffre dans mon erreur de l’échec d’un désir d’amour. Condamné à la douleur de savoir pour mon mal que toi tu ne seras jamais, jamais… pour moi. Que tu sois à un autre (sos signifie tu es. Il est utilisé en jeu de mot pour S.O.S.)… et que parler, ce soit ne plus te voir, c’est te perdre à jamais et mourir. Je me suis traîné, pleurant l’espoir d’oublier, en embrouillant mon âme dans cent amours, sans pitié. Rêve inutile. Je n’ai pas été capable d’oublier… Aujourd’hui, comme hier, aveugle et brutal, je brûle de te désirer. Et le pire, le bestial de ce drame sans fin, c’est que tu ne sais pas mon amour infernal… Que tu m’as donné ton amitié et lui m’a donné sa foi, et que personne ne soupçonne mon mal… Qui m’a blessé de cet amour que je ne peux pas éteindre ? Qui me pousse à tuer la raison comme un vil ? Ce sont tes yeux, peut-être ? Ou est-ce ta voix qui m’a attaché ?… Ou, dans ta démarche s’immisce mon amour ?
Autres versions
Les versions de Canaro sont sans doute les plus diffusées, mais notre tango du jour prouve qu’il y a des alternatives, certaines pour la danse, d’autre pour l’écoute et certaines, pour l’oubli…
Condena (S.O.S.) 1934-11-16 – Orquesta Francisco Canaro.
On trouve des similitudes, comme souvent, entre la version de Lomuto et celle de Canaro. La clarinette est encore plus présente et brillante. Canaro a fait appel pour cet enregistrement à des musiciens de son ensemble de jazz. La très originale variation de Lomuto n’existe pas dans cette version de Canaro et une certaine monotonie peut donc se dégager de cette version. Cela ne dérangera pas forcément les danseurs qui n’utilisent que la cadence, mais ce petit manque est peut-être un des éléments qui a conduit Canaro à réenregistrer le titre en 1937, avec Roberto Maida.
Affiche du film “Melodías Porteñas” (1937) dans lequel Amanda Lesdesma chante deux fois Condena
Amanda Lesdesma chante deux fois Condena dans le film “Melodías Porteñas” réalisé en 1937 par Luis Moglia Barth sur un scénario de de René Garzón, Luis Moglia Barth et Enrique Santos Discépolo. Les rôles principaux sont tenus par Rosita Contreras, Enrique Santos Discépolo et Amanda Ledesma. Un autre intérêt du film est que Enrique Santos Discépolo, auteur de la musique et des paroles est également acteur dans le film, comme on peut le voir dans ces extraits…
Condena 1937 – Amanda Lesdesma dans le film Melodías Porteñas de Luis Moglia Barth. Montage des deux interprétations dans le film.Condena (S.O.S.) 1937-11-05 – Amanda Lesdesma y su Trío Típico.
Une jolie version qui profite de son succès dans le film “Melodías Porteñas”.
Condena (S.O.S.) 1937-11-08 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida.
L’intervention de Maida casse la monotonie du titre. C’est à mon sens une meilleure version si on doit choisir Canaro pour le bal. Cette version reste tout à fait tonique et incisive, un délice pour les danseurs qui marquent les pas ou qui aiment le canyengue.
Condena (S.O.S.) 1937-12-26 – Orquesta Francisco Lomuto. C’est notre tango du jour.Condena (S.O.S.) 1937-12-29 – Tania acomp. de Orquesta Enrique Discépolo.
Un des intérêts de cet enregistrement est qu’il est de l’auteur de la musique et des paroles et que Tania était sa compagne. L’introduction du violon marque que l’on entre dans un univers différent des versions de Canaro et Lomuto. C’est une version pour l’écoute et on aurait tort de se priver de la belle voix de Tania. Nous l’avons déjà rencontrée, cette chanteuse espagnole, car c’est elle qui a importé en Argentine « Fumando espero » avec le Conjunto The Mexicans.
Tania et DiscepoloCondena (S.O.S.) 1954 – Héctor Mauré con acomp. de Orquesta Juan Sánchez Gorio.
La voix de ténor de Héctor Mauré est un peu plus lourde dans cet enregistrement. C’est pour l’écoute et chanté avec sentiment.
Condena (S.O.S.) 1969 – Alberto Marino con orquesta.
J’ai évoqué des versions à oublier. Peut-être est-ce pour celle-ci, un peu « surjouée »…
Condena (S.O.S.) 2013-11-30 – Hyperion Ensemble con Rubén Peloni.
Hyperion et l’ami Rubén font de belles versions pour la danse. On remarquera la fin, assez originale.
Condena (S.O.S.) 2015 – Sexteto Cristal con Guillermo Rozenthuler.
Une des spécialités du Sexteto Cristal est de ressortir les gros succès des encuentros milongueros. Cette copie de la version de Canaro, est un peu moins « sèche », plus ronde et peut convenir à certains danseurs qui apprécieront la meilleure qualité de l’enregistrement. En presque un siècle, de gros progrès ont été faits de ce côté…
Pour terminer, toujours avec le Sexteto Cristal, un enregistrement vidéo de Condena durant le festival Tangoneón à Héraklion, Crète le 16 juillet 2022. Ce titre est à 24:47.
Condena durant le festival Tangoneón à Héraklion, Crète le 16 juillet 2022. Ce titre est à 24:47
Les fans du Sexteto Cristal pourront entendre le concert en entier… À vous de danser et à bientôt les amis.
Je ne veux pas vous faire passer un amer Noël, mais, curieusement, les tangos enregistrés le 24 décembre ne sont pas d’une grande gaieté. J’ai choisi un des moins désespérants, Sin un adiós que Donato et Ibáñez enregistrèrent la veille de Noël 1931.
Extrait musical
Sin un adiós 1931-12-24 – Orquesta Edgardo Donato con Teófilo Ibáñez.
Ce titre est assez original à cause du solo de piano de son frère, Osvaldo. Le jeu est un peu jazzy. Vous pouvez l’entendre à partir de 35 secondes. C’est la partie B. À 1’10″ la reprise de la partie A est presque un soulagement de retrouver une orchestration plus habituelle, pour les danseurs. La reprise de la partie B sera effectuée par Teófilo Ibáñez, qui restera accompagné par tout l’orchestre, marquant le rythme. Je reviens sur ce surprenant solo de piano. Est-ce que Edgardo a voulu faire une fleur à son frère en cette veille de Noël ? Seize ans plus tard, Osvaldo créera son propre orchestre en embarquant les musiciens de son frère, dont il avait quitté le poste de pianiste l’année précédente. Osvaldo (pianiste) et Ascanio (violoncelliste) sont plus discrets que leur frère Edgardo (violoniste). Ce solo de piano permet de mettre Osvaldo en lumière, une trentaine de secondes.
Paroles
Errante voy sin fe y sin esperanza Buscando alivio a mi dolor Con su visión se pierde en lontananza Y muerta está, en mi alma, la ilusión.
Ya no volveré a verla más, ni alcanzan Todas mis cuitas y mi pasión Se marchó y llorando su tardanza Aún está mi pobre corazón. J. Navarrete Letra: Francisco Antonio Lío
Traduction libre
Errant, je vais sans foi et sans espoir, cherchant un soulagement à ma douleur. Avec sa vision qui se perd dans le lointain et morte est dans mon âme, l’illusion (sentiment amoureux). Je ne la reverrai jamais, et tous mes désirs et ma passion n’y arriveront pas. Elle est partie et pleurant son retard, toujours est mon pauvre cœur.
Autres versions
Il n’y a pas d’autre version de ce thème, même si le titre a été utilisé à de très nombreuses reprises, en tango et dans d’autres rythmes, mais ce sont des créations d’autres auteurs. Je vous propose donc un parcours musical autour des titres enregistrés par Donato et dans lesquels il y a le mot « adiós« .
Adiós a Gardel 1936-10-07 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos.
Sur le disque, il est indiqué que c’est un Corrido. Je n’en suis pas totalement convaincu. Quoi qu’il en soit, Horacio Lagos chante le refrain composé et écrit par Rafael Hernández en l’honneur de Gardel, mort en 1935.
Les amateurs de vieux tangos apprécient l’association de Edgardo Donato et Roberto Zerrillo. Comme c’est Noël, je leur offre cet enregistrement…
El adiós 1938-04-02 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos.
Je n’étais pas très enthousiaste avec les autres titres proposés, mais là, on est devant un chef-d’œuvre. Alors, quoi de mieux pour vous dire à bientôt, les amis, et Joyeux Noël !
Sin un adiós. Petit délire de saison (même s’il fait trente degrés à Buenos Aires). Espérons que le Père Noël retrouvera sa Mère Noël et qu’il vous déposera plein de cadeaux mérités au pied de votre arbolito de navidad.
Les bals « tango » de l’âge d’or comportaient du tango, sous ses trois formes, mais aussi du « jazz » et d’autres danses, plus ou moins traditionnelles. Notre musique du jour est Argentine (voire uruguayenne si on se réfère aux origines de Canaro), mais le rythme (un corrido), les paroles et l’inspiration sont mexicains.
J’utilise parfois ce titre pour « chauffer » la salle avant la milonga. Le corrido se danse en principe en couple, c’est une forme qui rappelle la polka, mais aussi le pasodoble. Les Argentins le dansent surtout en marche, tout comme ils font avec le pasodoble, d’ailleurs…
Extrait musical
Rancho alegre 1941-12-10 – Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán y coro.Partition et couvertures de Rancho alegre de Felipe Bermejo Araujo. On notera la présence de partitions brésiliennes. Le corrido est bien sorti du Mexique et pas seulement pour les pays hispanophones, comme l’Argentine.
Le rancho alegre (ranch joyeux) est vraiment joyeux et je suis sûr que cette musique vous donne envie de bouger.
Paroles
Y soy del mero Rancho Alegre (Yo soy charro mexicano) Un ranchero de verdad, compadre Jálese, pariente Pa’ la gente del rancho, pa’ la gente de pueblo
Soy del mero Rancho Alegre Un ranchero de verdad Que trabaja De labriero, mayordomo y caporal
Mi querencia es este rancho Donde vivo tan feliz Escondido entre montaña De color azul anís
Rancho Alegre Mi nidito Mi nidito perfumado y de jasmín Donde guardo Mi amorcito Que tiene ojos de lucero y capulín
En mi rancho Tengo todo Animales, agua y sol Y una tierra brillante y buena Que trabajo con ardor
Cuando acabo mis labores Ya que se ha metido el sol A la luz de las estrellas Canto alegre mi canción
Rancho Alegre Mi nidito Mi nidito perfumado y de jasmín Donde guardo Mi amorcito Que tiene ojos de lucero y capulín
Solo falta Una cosa Que muy pronto, yo tendré Como estoy recién casado Adivínenme lo que es
Ha de ser un chilpallate Grande y fuerte a no dudar Que también será labriero Mayordomo y caporal
Rancho Alegre Mi nidito Mi nidito perfumado y de jasmín Donde guardo Mi amorcito Que tiene ojos de lucero y capulín Felipe Bermejo Araujo
Carlos Roldán chante seulement ce qui est en gras.
En rouge, la version originale mexicaine qui parle de charro (cowboy, gaucho).
Traduction libre des paroles
Et je suis du simple Rancho Alegre (ranch joyeux) un vrai éleveur, compadre bien « tiré » (C’est quelque chose de positif, bon compagnon), parent pour les gens du ranch, pour les gens du village. Je suis du simple Rancho Alegre, un vrai éleveur qui travaille comme agriculteur, majordome et contremaître. Mon amour c’est ce ranch où je vis si heureux, caché dans les montagnes bleu anis
Refrain Rancho Alegre Mon petit nid Mon petit nid parfumé et de jasmin où je garde ma petite chérie qui a les yeux d’une étoile et de cerise (les capulines sont de petites cerises de couleur noir rougeâtre. On les appelle aussi, cerises mexicaines).
Sur mon ranch j’ai tout, des animaux, de l’eau et du soleil et une terre brillante et bonne que je travaille avec ardeur Quand je finis mes travaux parce que le soleil s’est couché. À la lumière des étoiles, je chante joyeusement ma chanson. Il ne manque qu’une seule chose, que très bientôt j’aurai, car, je viens de me marier. Devinez ce que c’est. Il doit être un gamin grand et fort (chilpallate est une expression mexicaine) sans aucun doute qu’il sera aussi un fermier, majordome et contremaître.
Autres versions
Le thème est tout de même assez rare en Argentine. Outre cette version de Canaro, on peut citer les chanteurs de l’aube qui ont fait un disque aux sonorités mexicaines. Je vous propose aussi une version mexicaine avec un jeu intéressant de l’accordéon (oui, le Mexique utilise de plus gros pianos à bretelles).
Rancho alegre 1941-12-10 – Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán y coro. C’est notre musique du jour.Rancho alegre 1976 – Los Cantores del Alba.Rancho alegre 2020 – Octavio Norzagaray.
En Europe, il y a une étonnante coutume qui consiste à danser la milonga sur n’importe quel rythme ; Chamame, polka et même fox-trot. Il est probable que cette coutume vient d’une méconnaissance par certains DJ de la variété des orchestres de tango qui pour beaucoup ont enregistrée, outre des tangos (valses et milongas), des titres de Jazz (par exemple des fox-trot). De toute bonne foi, ils ont proposé ces airs, pensant qu’il s’agissait de milongas. Comme les danseurs n’étaient pas très familiers avec le rythme de la milonga, ils ont rebondi sur la proposition et, désormais, c’est devenu une habitude bien ancrée que de danser ces danses dans un simulacre de milonga. Cela dit, le fox-trot est une superbe musique, ludique et joyeuse, et il serait dommage de s’en passer. Alors, même si vous la dansez en « milonga », le principal est de se faire plaisir. Le plus connu des fox-trots utilisés comme milonga est sans doute La colegiala de Rodriguez, notamment la version du 23 mars 1938. Notre fox-trot du jour est moins connu, mais assez sympathique, comme vous allez pouvoir en juger. Je ne dis pas qu’il fera une milonga formidable, mais assurément un excellent fox-trot…
Extrait musical
Me vuelves loco (You’re driving me crazy) 1931-11-02 (Fox-Trot) – Orquesta Adolfo Carabelli con Alberto Gómez (Nico).Partition de Me vuelves loco des éditions Julio Korn à gauche et de You’re driving me crazy (What did I do?) à droite des éditions Francis Day & Hunter.
Paroles
Pour une fois, je ne vais pas explorer les paroles, car chaque version est différente et je vais donc présenter seulement quelques extraits. Pour commencer, le titre d’origine.
Paroles en anglais
You’re Driving Me Crazy (What Did I Do?)
You left me sad and lonely Why did you leave me lonely For here’s a heart that’s only For nobody but you I’m burning like a flame, dear Oh, I’ll never be the same, dear I’ll always place the blame, dear On nobody but you Yes, you, you’re driving me crazy What did I do? What did I do? My tears for you make everything hazy Clouding the skies of blue How true were the friends who were near me To cheer me, believe me, they knew But you were the kind who would hurt me Desert me when I needed you Yes, you, you’re driving me crazy What did I do to you Walter Donaldson
Traduction libre de la version originale en anglais
Tu m’as laissé triste et seul Pourquoi m’as-tu laissé seul Car voici un cœur qui n’est Pour personne d’autre que vous Je brûle comme une flamme, ma chère Oh, je ne serai plus jamais le même, ma chère Je mettrai toujours le blâme, ma chère Sur personne d’autre que vous Oui, toi, tu me rends fou Qu’est-ce que j’ai fait ? Qu’est-ce que j’ai fait ? Mes larmes pour toi rendent tout brumeux Mettant des nuages dans le ciel bleu Comme les amis qui étaient près de moi étaient sincères Pour m’encourager, crois-moi, ils savaient Mais tu étais du genre à me faire du mal Tu m’abandonnas quand j’avais besoin de toi Oui, toi, tu me rends fou Qu’est-ce que je t’ai fait ?
Quelques extraits des différentes versions en espagnol
Les paroles de Francisco Antonio Lío ont été, comme toujours, utilisées en partie par les orchestres. N’ayant pas trouvé de version imprimée, je vous propose des bribes extraites des différentes versions.
Me vuelves loco nena, con tus caprichos vanos. Tienes que ser más buena para mi corazón. […] Bien sabes que te quiero y en cambio tú, querida _ me das dolor. Todo mi afán, es amarte con loco _ con fe y devoción. […] Loco de tanto adorarte nena, ya estoy por ti. […] Por ti estoy trastornado y no hay razón para sufrir Por tu desdén tantas desventuras hay dime que si mi amor el cariño que yo te profeso es dicha y pasión Mi afán es amarte con loco embeleso y devoción Loco de tanto adorarte nena ya estoy por ti.
Walter Donaldson Letra: Francisco Antonio Lío
Traduction libre des extraits en espagnol
Tu me rends fou, bébé, avec tes vains caprices. Tu devrais être plus gentille avec mon cœur. Tu sais bien que je t’aime et en revanche, toi, chère °°°°°°°°, tu me donnes de la peine. Tout mon empressement est de t’aimer avec une folle °°°°°°°°, avec foi et dévotion. Fou de t’adorer autant bébé, je le suis déjà pour toi. Pour toi je suis dérangé et il n’y a pas de raison de souffrir. Par ton dédain il y a tant de malheurs dis-moi que si mon amour, l’affection que je professe pour toi est joie et passion. Mon empressement est de t’aimer avec un fou ravissement et de la dévotion. Fou de tant t’adorer bébé, je le suis déjà pour toi.
°°°°°°°° indique des mots que je n’ai pas identifiés.
Autres versions
En 1930 Walter Donaldson compose et écrit les paroles de You’re driving me crazy qui sera dansé et interprété par Fred et Adèle Astaire dans la comédie musicale « Smiles ». Le titre est un succès et est repris par différents artistes. D’abord en anglais, puis, dans d’autres pays, comme l’Argentine. Voici quelques-unes des très nombreuses versions de ce fox-trot qui est connu sous différents noms, traduction plus ou moins approximative de You’re driving me crazy.
Fred et Adele (sa sœur aînée) Astaire dans « Smiles » Photo de Hal Phyfe (1930). C’est en effet dans cette comédie musicale de Florenz Ziegfeld Jr. que le titre est devenu célèbre.You’re driving me crazy 1930 – The New York Twelve.You’re driving me crazy (What did I do) 1930 – Lee Morse.
What did I do qui est répété trois fois dans la version anglaise est devenu le sous-titre de l’œuvre.
You’re driving me crazy! 1930-12-23 – Louis Armstrong and His Sebastian New Cotton Club Orchestra avec Les Hite’s Orchestra.
L’enregistrement a été réalisé à Los Angeles le 23 décembre 1930 en réunissant l’orchestre de Louis Armstrong et celui de Les Hite. Jugez de la qualité des musiciens qui composent ce grand orchestre de jazz. Banjo : Bill Perkins Basse : Joe Bailey Percussion : Lionel Hampton Guitare : Bill Perkins Piano : Jimmie Prince Direction de l’orchestre et saxophone alto et baryton : Les Hite Saxophone alto : Marvin Johnson Saxophone Tenor: Charlie Jones Trombone : Luther « Sonny » Craven Trompette : George Orendorf Trompette : Harold Scott Trompette et chant : Louis Armstrong
You’re driving me crazy de Luis Armstrong enregistré à Los Angeles, 23 Décembre 1930. Édition anglaise chez Parlophone.
En 1931, le titre qui est un succès en Argentine, est enregistré par différents orchestres, avec des paroles de Francisco Antonio Lío.
Me vuelves loco (You’re driving me crazy) 1931-11-02 – Orquesta Adolfo Carabelli con Alberto Gómez (Nico). C’est notre Foxtrot du jour.Me estas enloqueciendo 1931-11-17 – Osvaldo Fresedo con Carlos Viván.Me vuelves loco (You’re driving me crazy) 1931-11-21 – Orquesta Francisco Canaro con Charlo.
Me vuelves loco 1931-11-21 – Orquesta Francisco Canaro con Charlo (qui n’est pas mentionné sur le disque…)
Me estás enloqueciendo 1932 – Sexteto Carlos Di Sarli con Mercedes Carné.
Même Di Sarli a enregistré des fox-trots…
Me vuelves loco – Francisco Canaro et Aldo Maietti.
Aldo Maietti est le représentant du tango italien. Il est venu à Buenos Aires et il était ami avec Canaro. Cet enregistrement de 1932 les réunit pour une version instrumentale.
Aldo Maietti surnommé El rey del tango italiano a composé plusieurs centaines de tangos qui ont été interprétés, par exemple, par l’orchestre de Orchestre Piero Trombetta. Parmi ses compositions, on peut citer, Alma porteña (à ne pas confondre avec le tango de même nom composé par Vicente Greco avec des paroles de Julián Porteño et encore moins avec la milonga de Antonio Polito avec des paroles de Francisco Laino, Amico tango, Canaria, Lagrimas perdidas et Tristeza en la pampa.
Parmi ses compositions, on peut citer, Alma porteña (à ne pas confondre avec le tango de même nom composé par Vicente Greco avec des paroles de Julián Porteño et encore moins avec la milonga de Antonio Polito avec des paroles de Francisco Laino, Amico tango, Canaria, Lagrimas perdidas et Tristeza en la pampa.
Le jazz
En Argentine, le jazz a rencontré également du succès, même si l’explosion du tango l’a estompé. Dans les bals, il y avait souvent deux orchestres. Un pour le tango et un pour le jazz. Certains chefs d’orchestre ont décidé de se lancer dans les domaines, comme Carabelli, Canaro, Fresedo, Rodriguez et bien d’autres.
El Mundo du dimanche 1er octobre de 1944. On voit que, pour presque tous les événements, en plus de l’orchestre de tango (entouré), il y a le nom d’un second orchestre, un orchestre de jazz.
Les années folles ont donné naissance au jazz et au tango, genres qui trouveront leur plein développement dans les années 30-40. Le fox-trot est une danse de couple. Contrairement au tango, il y a peu d’improvisation et les déplacements sont codifiés. Cela pourrait rendre la danse un peu monotone, mais la musique est si entraînante et joueuse que l’on ne s’ennuie pas en le dansant. Voici un exemple, un peu atypique, mais d’époque. Il s’agit d’un extrait du court-métrage suédois Tango-Foxtrot de 1930. On y voit deux danseurs, Brita Appelgren et Mister Alberto le danser avec la musique de Helge Lindberg et son orchestre (Helge Lindberg’s Polyfonorkester). Le chanteur est Steinar Jøraandstad. C’est un des nombreux témoignages de l’universalité des musiques, en Amérique et Europe.
Extrait du court-métrage suédois Tango-Foxtrot de 1930. On y voit deux danseurs, Brita Appelgren et Mister Alberto, le danser avec la musique de Helge Lindberg et son orchestre (Helge Lindberg’s Polyfonorkester). Le chanteur est Steinar Jøraandstad.
La prochaine fois que vous entendrez un fox-trot dans un bal, peut-être aurez-vous envie de le danser en fox-trot… À bientôt, les amis.
Quand on pense à Osvaldo Pugliese, deux souvenirs reviennent forcément en mémoire. La yumba et le concert au Teatro Colón du 26 décembre 1985. Ces deux éléments distants de 40 ans sont intimement liés, nous allons voir comment.
Extrait musical
La yumba 1946-08-21 – Orquesta Osvaldo Pugliese Partition de La yumba (Osvaldo Pugliese).
Naissance d’un mythe
Lorsque Pugliese a lancé La yumba, cela a été immédiatement un succès. Mais il est intéressant de connaître le parcours. Vous lirez peut-être que cela vient du bruit du bandonéon quand il s’ouvre et se ferme ou d’autres choses plus ou moins fantaisistes. Je préfère, comme toujours, me raccrocher aux sources et donc, dans le cas présent à Osvaldo Pugliese.
Je lui laisse la parole à Osvaldo Pugliese à travers une entrevue avec Arturo Marcos Lozza :
Osvaldo Puglise – Al Colón – Arturo Marcos Lozza (1985)
Nosotros partimos de la etapa de Julio De Caro. Yo, de joven, viví esa etapa. No la viví escuchándola, la viví practicándola. Se deduce que tenía que haber una superación, no porque yo me lo hubiera impuesto, no. Vino solo, vino por necesidad específica, también por necesidad interna, espiritual. Y fuimos impulsando poco a poco una superación, una línea que cristalizó en “La yumba”.
En esa partitura, en esa interpretación, usted apela a un ritmo que tiene un sello muy especial…
Le he dado una marcación percusiva. Por ejemplo, los norteamericanos en el jazz hacen una marcación dinámica, mecánica, regular, monocorde. Para mi concepto, la batería no corre en el tango. Ya han hecho experiencias Canaro, Fresedo y qué sé yo cuántos, pero para mí la batería es un elemento que golpea. El tango, en cambio, tiene una característica procedente de la influencia del folclore pampeano, que es el arrastre, muy aplicado por la escuela de Julio De Caro, por Di Sarli y por nosotros también. Y después viene la marcación que Julio De Caro acentuó en el primer y tercer tiempo, en algunos casos con arrastre. Y nosotros hemos hecho la combinación de las dos cosas: la marcación del primer tiempo y del tercero, y el arrastre percusivo y que sacude.
Y esa combinación de marcación percusiva y de arrastre le da al tango una fuerza que es incapaz de dársela una batería.
No, no, la batería no se la puede dar, arruina. No quiero usar ni batería, ni pistón, ni trombones. Lo único que me llama la atención, y que en algún momento lo voy a incorporar, como se lo dije un día al finado Lipesker, es el clarinete bajo, un clarinete que Lipesker ya tocaba en la orquesta de Pedro Maffia y que le sacaba lindo color, oscuro y sedoso. Bueno, con la flauta y un clarinete bajo yo completaría una orquesta típica.
[…]
Le dimos una particularidad a nuestra interpretación y la gente reaccionaba gritándonos « ¡no se mueran nunca!”, “¡viva la sinfónica!”, « ¡al Colón, al Colón!”. Bueno, esas son cosas que expresan un sentimiento, pero son exageraciones: ni somos una sinfónica, ni nada por el estilo.
Eso sí, cuando tocamos, ponemos todo.
Ponen pólvora, ponen yumba, hay polenta en la interpretación. ¡Cuántos al escuchar a la típica del maestro, terminan con la piel de gallina por la emoción!
Y bueno, yo no sé. Para mí, sentir eso es una satisfacción. Pero me digo a mí mismo: « quédate ahí nomás, Osvaldo, no te fanfarronees y seguí trabajando siempre con la cabeza fría”.
Arturo Marcos Lozza ; Osvaldo Pugliese al Colón.
Traduction libre de la l’entrevue entre Osvaldo Pugliese et Arturo Lozza
Nous sommes partis de l’étape de Julio De Caro. Moi, en tant que jeune homme, j’ai vécu cette étape. Je ne l’ai pas vécue en l’écoutant, je l’ai vécue en le pratiquant. Il s’ensuit qu’il devait y avoir une amélioration, non pas parce que je me l’étais imposée, non. Elle est venue seule, elle est venue d’un besoin spécifique, aussi d’un besoin intérieur, spirituel. Et nous avons progressivement promu une amélioration, une ligne qui s’est cristallisée dans « La yumba ».
Dans cette partition, dans cette interprétation, vous faites appel à un rythme qui a un cachet très particulier…
Je lui ai donné une marque percussive. Par exemple, les Nord-Américains dans le jazz font un marquage dynamique, mécanique, régulier, monotone. Pour mon concept, la batterie ne va pas dans le tango. Canaro, Fresedo et je ne sais pas combien ont déjà fait des expériences, mais pour moi la batterie est un élément qui frappe. Le tango, d’autre part, a une caractéristique issue de l’influence du folklore de la pampa, qui est l’arrastre (traîner), très utilisé par l’école de Julio De Caro, par Di Sarli et par nous également. Et puis vient le marquage que Julio De Caro a accentué au premier et troisième temps, dans certains cas avec des arrastres. Et nous avons fait la combinaison des deux choses : le marquage du premier et du troisième temps, et l’arrastre percussive et tremblante.
Et cette combinaison de marquage percussif et d’arrastre donne au tango une force qu’une batterie est incapable de lui donner.
Non, non, la batterie ne peut pas la donner, elle ruine. Je ne veux pas utiliser de batterie, ni de pistons, ni de trombones. La seule chose qui attire mon attention, et qu’à un moment donné je vais incorporer, comme je l’ai dit un jour au regretté Lipesker, c’est la clarinette basse, une clarinette que Lipesker jouait déjà dans l’orchestre de Pedro Maffia et qui lui a donné une belle couleur sombre et soyeuse. Eh bien, avec la flûte et une clarinette basse, je compléterais un orchestre typique.
[…]
Nous avons donné une particularité à notre interprétation et les gens ont réagi en criant « ne meurs jamais ! », « Vive le symphonique ! », « au Colón, au Colón ! ». Eh bien, ce sont des choses qui expriment un sentiment, mais ce sont des exagérations : nous ne sommes pas un symphonique, ou quelque chose comme ça.
Bien sûr, quand nous jouons, nous y mettons tout ce qu’il faut.
Ils ont mis de la poudre à canon, ils ont mis de la yumba, il y a de la polenta (puissance, énergie) dans l’interprétation. Combien en écoutant la Típica du maître finissent par avoir la chair de poule à cause de l’émotion !
Et bien, je ne sais pas. Pour moi, ressentir cela est une satisfaction. Mais je me dis : « reste où tu es, sans plus, Osvaldo, ne te vante pas et continue de travailler, toujours avec la tête froide. »
On voit dans cet extrait la modestie de Pugliese et son attachement à De Caro.
Autres versions
Il existe des dizaines d’enregistrements de La yumba, mais je vous propose de rester dans un cercle très restreint, celui d’Osvaldo Pugliese lui-même.
La yumba 1946-08-21 – Orquesta Osvaldo Pugliese. C’est notre tango du jour.
Elle allie l’originalité musicale, sans perdre sa dansabilité. Sans doute la meilleure des versions pour la danse avec celle de 1948, mais dont la qualité sonore est moins bonne, car tirée d’un film.
Pugliese jouant la Yumba en 1948 !
La yumba en 1948. Le film “Mis cinco hijos” (mes cinq enfants), nous donne l’occasion de voir Osvaldo Pugliese à l’époque du lancement de La yumba.
Extrait du film « Mis cinco hijos » dirigé par Orestes Caviglia et Bernardo Spoliansky sur un scénario de Nathan Pinzón et Ricardo Setaro. Il est sorti le 2 septembre 1948. Ici, Osvaldo Pugliese interprète La yumba avec son orchestre. On peut voir à la fin de l’extrait le succès qu’il rencontre « Al Colón!«
La version de 1952
La yumba 1952-11-13 – Orquesta Osvaldo Pugliese.
Une version magnifique. Peut-être celle qui est le plus passée en Europe. On pourra la trouver un peu moins dansante. Cependant, comme cette version est très connue, les danseurs arrivent en général à s’y retrouver.
Le très, très célèbre concert du 26 décembre 1985, où Pugliese arrive enfin Al Colón comme le proclamaient les fans de Pugliese en 1946 (et dans le film de 1948).
1985-12-26, Osvaldo Pugliese Al Colón. La yumba Version courte (seulement la yumba)
Version longue avec la présentation des musiciens. C’est celle que je vous conseille si vous avez un peu plus de temps.
Osvaldo Pugliese avec Atilio Stampone en 1987.
1987, Une interprétation de La yumba à deux pianos, celui de Osvaldo Pugliese et celui de Atilio Stampone.
Le 26 juin 1989, Astor Piazzolla se joint à l’orchestre de Osvaldo Pugliese. Ils interprètent au Théâtre Carre d’Amsterdam (Pays-Bas), La yumba et Adiós nonino.
Le 26 juin 1989, Astor Piazzolla se joint à l’orchestre de Osvaldo Pugliese. Ils interprètent au Théâtre Carre d’Amsterdam (Pays-Bas), La yumba et Adiós nonino.
Dans le documentaire « San Pugliese », un des musiciens témoigne que les musiciens étaient assez réservés sur l’intervention de Astor Piazzolla. Osvaldo Pugliese, en revanche, considérait cela comme un honneur. Un grand homme, jusqu’au bout.
Pugliese au Japon
La yumba 1989-11 – Orquesta Osvaldo Pugliese.
La yumba 1989-11 – Orquesta Osvaldo Pugliese. Le dernier enregistrement de La yumba par San Pugliese, au Japon (Nagoya) en novembre 1989. Si vous écoutez jusqu’à la fin, au début des applaudissements, vous pourrez entendre une petite fantaisie au piano par Osvaldo Pugliese.
Je vous laisse sur ce petit jeu de notre cher maître, à la fois sérieux et facétieux.
La yumba – À partir d’un pochoir mural dans le quartier de Palermo. La ronde d’india, est inspirée par ma fantaisie à l’évocation de Yumba…
Fruta, Fruto, qui se frotte à ces deux mots, peut être étonné. En fait, les deux termes sont interchangeables en Argentine, sauf peut-être pour les botanistes. Dans la vie courante, on peut aller dans un mercado de frutos pour acheter des frutas ou l’inverse. Quoiqu’il en soit, vous vous demandez peut-être en quoi une scie peut avoir un rapport avec un fruit défendu. Je vais vous le faire entendre, avec ce vieux tango, bien canyengue.
Extrait musical
Fruta prohibida 1930-08-05 – Orquesta Típica Brunswick dir. Juan Polito.
Pas besoin de l’écouter en entier pour identifier qu’il correspond à ce que l’on appelle maintenant le style canyengue. Un style que certains continuent de pratiquer, même à Buenos Aires, où on ne passe en général pas ce type de musique. Les aficionados le font sur un Canaro ou un Lomuto un peu plan-plan, par exemple, mais qui n’est pas du canyengue pur et dur comme on peut en entendre en Europe. Vous remarquez les sonorités un peu étranges de la scie musicale (serrucho) de 1:05 à 1:37. Je vous en dirai plus sur cet instrument en fin d’article. Je ne sais pas qui en joue. Peut-être le frère de Juan Polito, Salvador. Il est violoniste (et parolier). Il est envisageable de réduire le pupitre des violons pour y placer la scie musicale qui joue 30 secondes.
Un peu plus d’incertitudes sur ce tango
Ce tango composé par B. Nortoni est probablement le seul de ce compositeur qui nous soit parvenu sous forme de disque. En revanche, j’ai trouvé un tango du même titre, publié à Madrid en 1927, mais attribué à d’autres auteurs.
La mention du tango Fruta probibida dans le journal espagnol « El Debate » du 13 novembre 1927. En bas à gauche, la couverture de la partition.
Dans le journal El Debate daté du 13 novembre 1927, on trouve la mention d’un tango de Enrique Bregel (1893-1981) et Samuel Herrera (?-1985) appelé Fruta prohibida. J’ai trouvé la couverture de la partition sur laquelle il y a une femme, peut être le fruit défendu ? Les paroles de Manuel Feijoó (1904-1938) et Vincente Moro (?-1947) pourraient nous aider à en savoir plus. Pour savoir si la musique est la même que celle du tango attribué à B. Nortoni, il faudrait pouvoir trouver un enregistrement ou la partition. Je n’ai pas trouvé d’enregistrement et malheureusement, la partition n’est pas consultable depuis Buenos Aires, seulement sur les ordinateurs de la Bibliothèque Nationale Espagnole à Madrid. “Esta obra es de acceso restringido. Puede acceder a ella en ordenadores específicos de las instalaciones de la BNE / Restricted access to this document. It is only available on specific computers at BNE facilities.” Ce ne serait pas la première fois qu’une œuvre espagnole se retrouve sous la bannière argentine. B. Nortoni a-t-il signé trois ans plus tard, un tango écrit en Espagne ? Est-ce simplement une coïncidence. Difficile de le confirmer sans accès à la partition. Si quelqu’un de Madrid peut aller à la BNE pour obtenir cette partition…
Une scie musicale
En français, une scie désigne également une œuvre un peu répétitive et peu enthousiasmante. Mais la scie musicale est un instrument de musique.
À gauche, Marlene Dietrich jouant da la scie musicale pour les soldats américains. Dominique Pinon, à droite, joue de la scie musicale dans le film de Caro et Jeunet « Delicatessen » (1991). Au centre, une scie musicale française de 1930.
La scie musicale est un instrument idiophone, c’est-à-dire que le son est produit par le matériau de l’instrument. L’instrument ressemble à une scie égoïne, sans les dents et avec une poignée plus grande, car elle est destinée à être maintenue entre les cuisses. L’autre extrémité est maintenue entre le pouce et l’index ou mieux maintenue par une manette de flexion qui permet de maintenir la torsion de la lame avec moins d’effort. On utilise un archet (de violon, alto ou autre) pour mettre en résonance la lame métallique. Francisco Canaro a découvert cet instrument en France et a payé des cours à son petit frère, Rafael, pour qu’il complète la liste de ses instruments (contrebasse et guitare) par la scie musicale que les Argentins appellent serrucho (scie). D’autres orchestres que ceux des Canaro l’ont utilisée, comme José Maria Lucchesi, Eduardo Bianco et Bachicha(Juan Bautista Deambrogio) et bien sûr, la Típica Brunswick.
Autres versions
Il n’y a pas d’autres versions, alors je vous propose d’autres titres avec serrucho, par ordre chronologique…
El serrucho 1924 – Orquesta Francisco Canaro.
Malgré le nom de l’œuvre, la scie musicale n’est pas mise en valeur. Elle est présente, mais n’a pas de partie en solo.
La sulamita 1924 (Shimmy) – Jazz Band Francisco Canaro.
Dans son Jazz Band, Canaro a aussi intégré la scie musicale. Comme pour El serrucho, la présence est tout de même discrète.
Taita 1926-11 – Orquesta Bianco-Bachicha.
On note l’arrivée de la scie musicale dès le début (6 secondes).
Quasimodo 1928-01 – Orchestre Sud-Américain José Maria Lucchesi.
Un titre très original, La scie musicale entre en scène avec puissance à 1:06.
La cumparsita 1928-01-28 – Orquesta Bianco-Bachicha.
La scie musicale entre en scène à 2:09.
Fruta prohibida 1930-08-05 – Orquesta Típica Brunswick dir. Juan Polito. C’est notre tango du jour.La cumparsita 1930-08-05 – Orquesta Típica Brunswick dir. Juan Polito.
Une cumparsita enregistrée le même jour que Fruta prohibida par Juan Polito et la Típica Brunswick. Il faut passer l’impressionnante et très longue introduction (1:15) pour entrer dans l’œuvre. La scie musicale n’entre en fonction qu’à 2:14 pour un bref solo.
Voilà, vous saurez maintenant repérer cet instrument original. Vous pouvez aussi vous reporter à l’anecdote du 24 avril 2024 sur Danzarín 1963-04-25pour d’autres informations sur des instruments plus rares. À demain, les amis !
Lison est un prénom à la mode depuis la fin du vingtième siècle. Il y a donc à parier que dans la nouvelle génération de danseuses de tango, nous allons avoir prochainement des Lison. Ce tango sera donc utile pour mettre en valeur une de ces danseuses. Les Lisón des années 40 étaient ces grisettes qui avaient quitté la France pour venir participer au «rêve» argentin.
Les auteurs
José Ranieri
José Ranieri (José Ranieri Magarotti) est également connu sous les pseudonymes de Pirula et Rudy Grant. Ne pas le confondre avec José Ranieri Virdo, flûtiste et trompettiste de Canaro. Le José Ranieri du jour est né à Buenos Aires le 20 décembre 1911 et décédé le 9 novembre 1972 (je ne sais pas où). Il était bandonéoniste, trompettiste et compositeur.
José Ranieri compositeur de tango et de jazz
Parmi ses compositions (tangos et jazz), citons : A los muchachos (Pa’ los muchachos), Cantares de oriente, Dibujos, La negra quiere bailar, La novia del mar, Lisón, Muñequita de París, Noches blancas, Oh ! Ma chérie, Pa’ los muchachos, Que no sepan las estrellas, Que te cuente mi violín, Sólo una novia, Te quiero todavía.
José Ranieri trompettiste
Comme trompettiste, c’est un scoop, car je n’ai trouvé nulle part la mention qu’il était trompettiste. Je répare donc cette lacune…
Me vuelves loco (You’re driving me crazy) 1931-11-02 – Orquesta Adolfo Carabelli con Alberto Gómez (Nico).
Vous avez certainement déjà entendu ce Fox-trot, car certains DJ de tango le passent comme milonga… Il y a deux trompettes, celle d’Ignacio Verrotti et celle de José Ranieri.
Cantares de oriente 1931-03-26 — Adolfo Carabelli Jazz Band con Francisco Donaldson. Un autre fox-trot où il intervient à la trompette avec Verrotti. Il en est également le compositeur. Oh ! Ma chérie 1932-03 — Orquesta Adolfo Carabelli, dont il est aussi le compositeur.
Noches Blancas — Elio Rietti y su Jazz Band.
Là, il y a trois trompettes, celle de Gaetano Ochipinti s’est rajoutée aux deux autres. Ranieri a également composé ce titre. Je vous le donne à écouter. Mais difficile de dire laquelle des trompettes est la sienne.
José Ranieri bandonéoniste
Curieusement, si aucun site ne parle de Ranieri comme flûtiste ou trompettiste, tous disent qu’il était bandonéoniste, mais impossible de le trouver mentionné. J’en suis donc réduit à des hypothèses. Le 26 mars 1931, Carabelli enregistre deux titres. Cantares de oriente et Por qué?, un tango d’Osvaldo Fresedo et Emilio Augusto Oscar Fresedo pour les paroles. Le chanteur est le même que pour Cantares de oriente et ce titre n’utilise pas la trompette. Est-il exagéré de suggérer que Ranieri pourrait avoir joué du bandonéon, puisque ce serait son instrument principal dans cet orchestre ? Je n’ai aucune preuve de cela, mais je garde l’idée sous le coude, d’autant plus que durant cette période Carabelli a enregistré divers Paso Dobles ou Fox-trots conjointement à des tangos. Dernière hypothèse, existe-t-il un lien de parenté entre les deux José Ranieri ? Magarotti pourrait être le nom de la femme de son père et Virdo, celui de la femme de son grand-père paternel. Pas facile d’avoir des informations sur des instrumentistes discrets, plus d’un siècle après les faits (pas trouvé dans les sites de généalogie).
Julián Centeya (Amleto Enrico Vergiati)
Julián Centeya est un poète et auteur de paroles de tango. Vous l’avez tous entendu au début de Café Dominguez de Ángel D’Agostino. C’est lui qui dit le récitatif « Café Dominguez de la vieja calle Corrientes que ya no queda… ». Il a mis les paroles sur le tango du jour, Lisón, notre tango du jour, mais aussi sur Pa’ los muchachos (que l’on connaît chanté par Roberto Rufino avec l’orchestre de Carlos Di Sarli ou par Ángel Vargas et son orchestre dirigé par Eduardo Del Piano). On lui doit aussi les paroles de : Claudinette, avec la musique de Enrique Pedro Delfino. Este cuore, avec la musique de Daniel Melingo. Felicita, avec la musique de Hugo del Carril. Julián Centeya, avec la musique de José Canet (on n’est jamais si bien servi que par soi-même). La vi llegar, avec la musique de Enrique Francini. Lisón, avec la musique de Ranieri (notre tango du jour). Lluvia de abril, avec la musique de Enrique Francini. Más allá de mi rencor, avec la musique de Lucio Demare.
Extrait musical
Avec tous ces propos liminaires, vous pensiez que nous n’y arriverons pas. Mais voici le tango du jour…
Lisón 1944-04-11 – Orquesta Rodolfo Biagi con Alberto Amor.
Ce tango est assez rarement passé en milonga. Je pense que c’est en partie à cause de ses faux départs et de ses arrêts intempestifs. En effet, le rythme de la musique est cassé à de nombreuses reprises. Ce n’est pas forcément très agréable pour la danse.
Les paroles
Lisón Tu amor quedó en mi corazón. Lisón, dulce Lisón. Y fue La melodía de tu voz Sentí triste canción. Lisón Eran tus manos blancas Y yo soñaba con la luna Vida mía. En un Romance azul de juventud Lisón, dulce Lisón.
Muchachita de ojos negros La canción Del buen amor. En la sombra de los muelles Es invierno cruel y llueve, Pasa el viento que te nombra, Y yo sueño entre las sombras Que te llama, corazón Con este amor.
José Ranieri Letra: Julián Centeya
Traduction libre et indications
Lison Ton amour est resté dans mon cœur. Lison, douce Lison. Et c’était la mélodie de ta voix, que je sentais être une triste chanson. Lison C’étaient tes mains blanches, et j’ai rêvé de la lune, ma vie. Dans une romance bleue de jeunesse Lison, douce Lison.
Fille aux yeux noirs, la chanson du bon amour. Dans l’ombre des quais c’est l’hiver cruel et il pleut, le vent qui te nomme passe, et je rêve dans l’ombre, qu’il t’appelle, cœur, avec cet amour.
Autres versions
Ce titre n’a pas eu un énorme succès, il n’a été enregistré que deux fois, en 1944.
Lisón 1944-04-11 – Orquesta Rodolfo Biagi con Alberto Amor. C’est notre tango du jourLisón 1944-10-04 — Orquesta Francisco Lomuto con Alberto Rivera.
Cette version est beaucoup plus liée. Les pauses sont mieux annoncées et si la version est plutôt moins énergique, elle peut convenir à une tanda de retour au calme, après une tanda de milonga par exemple. La voix plus rare d’Alberto Rivera n’est pas désagréable et la musique est sympathique, elle reste dansable, même si ce n’est pas un des 50 titres indispensables sur l’île déserte.
Qui était Lisón ?
Lison était un prénom courant en France au début du vingtième siècle, voire un surnom courant. La jeune femme aux yeux noirs de la chanson est donc probablement une de ces grisettes qui effectuaient des travaux domestiques ou peuplaient les maisons closes de l’époque, comme tant d’autres qui ont inspiré les compositeurs et auteurs de l’époque. Vous pouvez vous reporter à mes autres anecdotes de tango sur le sujet, notamment En Lo de Laura, El Porteñito, Madame Ivone, Bajo el cono azul ou Mañanitas de Montmartre (avant l’exportation…). En France, un autre tango porte le prénom Lison dans son titre : Tango pour Lison 1943 de Louis Moisello avec des paroles d’Achem. En France, toujours, le film musical Ils sont dans les vignes réalisé par Robert Vernay et sorti en 1952 contient une chanson (valse) Le jupon de Lison chantée par Line Renaud. C’est un titre de Louis Gasté (Loulou) et avec des paroles de Bernard Michel et Philippe Gérard. Pour revenir à la Lisón du tango du jour. Impossible à savoir vu le peu d’informations sur la vie privée des auteurs et le nombre conséquent de Lisón qui ont hanté les pensées des hommes de Buenos Aires.
Metteur en scène : Louis Joseph Gasnier Scénario Alfredo Le Pera.
Melodía de arrabal, c’est le retour de Carlos Gardel au cinéma dans un film réalisé par le réalisateur français, Louis Joseph Gasnier. Comment un film français, réalisé en France, nous apprend ce qui se passait dans le milieu du tango argentin au début du vingtième siècle.
Bien sûr, ce film n’est pas un documentaire et on pourrait considérer qu’il exploite des clichés sur le tango portègne. Cependant, ces mêmes clichés sont ceux qui nourrissent les paroles et l’imaginaire des tangos, imaginaire où des jeunes gens un peu hâbleurs et bagarreurs séduisent de belles ingénues, ingénues qui se révèlent avoir du caractère ou d’autres aspirations. À ceux qui peuvent s’étonner qu’un film sur Buenos Aires soit tourné à Paris, avec des acteurs argentins ou espagnols par une société américaine (Paramount), je répondrai que c’est une preuve de l’internationalisation rapide du tango. Je vous propose aujourd’hui quelques éléments de la romance de Buenos Aires autour de ce film sorti au cinéma le 5 avril 1933.
Les acteurs
Carlos Gardel (Roberto Ramírez), Imperio Argentina (Alina), Vicente Padula (Gutiérrez), Jaime Devesa (Rancales, le truand), Helena D’Algy (Marga), Felipe Sassone (Empresario), Manuel París (Maldonado), José Argüelles (Julián), Josita Hernán.
Carlos Gardel et Imperio Argentino à l’époque du tournage du film (fin 1932).
L’intrigue
Roberto Ramírez, interprété par Carlos Gardel, est un vaurien qui vit dans les cafés de la banlieue de Buenos Aires. Il est tricheur et se pique de chanter le tango. Alina (jouée par Imperio Argentina) qui est professeur de chant l’entend chanter et lui conseille de se lancer dans le métier. Roberto Ramírez (Gardel) décide de suivre ses conseils et d’améliorer sa vie. Malheureusement, il tue accidentellement un truand qui menaçait de dévoiler ses mauvais penchants à Alina, qui croit que c’est un brave gars (ce qui n’est pas faux). Si on passe les péripéties de l’enquête policière (dont le rebondissement final est amusant), on notera qu’Alina cherche à faire entendre Roberto, son protégé à un producteur joué par Felipe Sassone. Ce n’est pas si facile, car Gardel ne souhaite pas se dévoiler en public, mais le producteur sous le charme d’Alina accepte d’écouter Gardel dans une soirée privée chez lui. Lors de cette soirée, le producteur fait chanter Alina, puis celle-ci enjoint à Gardel de chanter. Si on me permet cette audace, c’est aussi lors de cette soirée que le truand Rancales essaye également de faire chanter Gardel, mais d’une autre façon et qu’il terminera mort dans une scène à la Agatha Christie. C’est un succès, le producteur fait venir Gardel, pardon, Roberto dans son théâtre et l’y fait chanter. C’est là qu’il va chanter Silencio avec beaucoup de succès. C’est nettement le temps fort du film. On comprendra pourquoi en lisant ma notice sur Silencio… La version du film que je propose enchaîne de façon étrange sur Melodía de arrabal. Est-ce le même jour, pas sûr. Les ellipses dans ce film sont moyennes. Par exemple, quand Rancales, le truand joué par Jaime Devesa sort de prison, on risque de ne pas capter qu’il s’est passé un an. Un an sans voir Alina, qui lui avait proposé de l’aider à chanter. On le sait uniquement par un dialogue de Gardel un peu plus tard. Dans le cas présent, je pense que le changement de costume est censé nous renseigner. Le film se termine en parfait retour arrière avec le début du film avec le disque 78 tours de Roberto (Melodía de arrabal) tournant sur un gramophone et la caméra qui se lance dans un long traveling arrière symétrique du traveling du début. On voit les badauds s’agglutiner à la devanture du magasin de disque. Le mot « fin » apparaît sur le sol. Gardel, (Roberto) est devenu chanteur de tango…
Quelques points de repère et moments forts du film
Cliquez sur les vidéos, vous irez directement au moment sélectionné. Ne vous fiez pas à l’image qui est toujours la même, vous irez bien au point indiqué en cliquant sur l’image.
Le film commence après un panoramique sur un long traveling avant qui suit Carlos Gardel (Roberto) jusqu’à un magasin de disques. Quelques personnes sont autour d’un phonographe qui passe une version instrumentale de Melodía de arrabal. Gardel qui est entré y rencontre Imperia (Alina). Il lui propose de lui offrir le disque. Celle-ci refuse, mais Roberto lui promet de lui chanter à chaque fois qu’il la croisera. https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=47
3 : 08 pour voir un peu de danse et l’ambiance reconstitué dans un studio de la région parisienne des lieux portègnes du début du vingtième siècle. https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=188
37 : 15 No sé porqué, une habanera chantée par Imperio Argentina et Carlos Gardel en Duo. Une perle ! José Sentis, l’auteur des paroles et de la musique était un pianiste et compositeur né en Espagne. Il fut un des pionniers du tango à Paris. Ce titre témoigne de ses origines. https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=2234
46:28 Le barman utilise un shaker comme des maracas, les danseurs dansent Jazz. N’oublions pas que les bals de l’époque étaient mixtes, tango et jazz. Continuez de regarder pour voir les gens danser et voir la fin de la danse quand… à 47 : 10, le maître de maison (le producteur) arrête la musique sur laquelle les gens dansaient pour annoncer l’intermède. On voit donc un bal privé utilisant des disques. À la suite chante donc Imperio Argentina qui s’accompagne au piano. https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=2788
50 : 09 Cuando tú no estás, une chanson chantée par Carlos Gardel accompagné au piano par Imperio Argentina. (Carlos Gardel et Marcel Lattés pour la musique et Alfredo Le Pera et Mario Battistella pour les paroles). https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=3006
1 :11 :15 Silencio, par Carlos Gardel (Musique Carlos Gardel et Horacio G. Pettorossi, paroles Alfredo Le Pera et Horacio G. Pettorossi). Nous avons présenté ce merveilleux titre dans une anecdote du jour Silencio. Remarquez à l’arrière-plan la Orquesta típica Argentina de Juan Cruz Mateo. https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=4256
Reprise finale, pour la troisième fois de Melodía de arrabal, cette fois sur le disque qu’il a enregistré. C’est la fin du film. https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=4872
Quelques affiches et pochettes de DVD…
Vous pouvez les regarder en écoutant, deux versions très différentes.
Melodía de arrabal 1933-04-17 – Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá. Canaro, comme il l’avait fait pour Silencio, publie “la musique du film » dans sa version. Un bon marketing, c’est toujours utile, non ? En plus, c’est une version de danse, alors, on ne va pas bouder son plaisir.Melodía de arrabal 1965 – Orquesta Miguel Caló con Raúl del Mar y glosas de Héctor Gagliardi J’aime bien la glose initiale. Et cette version est sympathique.
Adolfo et/ou Osvaldo Pugliese Letra : Eduardo Moreno
Recuerdo serait le premier tango écrit par Osvaldo Pugliese. Ayant été édité en 1924, cela voudrait dire qu’il l’aurait écrit avant l’âge de 19 ans. Rien d’étonnant de la part d’un génie, mais ce qui est étonnant, c’est le titre, Recuerdo (souvenir), semble plus le titre d’une personne d’âge mûr que d’un tout jeune homme, surtout pour une première œuvre. Essayons d’y voir plus clair en regroupant nos souvenirs…
La famille Pugliese, une famille de musiciens
Osvaldo est né en 1905, le 2 décembre. Bien que d’une famille modeste, son père lui offre un violon à l’âge de neuf ans, mais Osvaldo préféra le piano. Je vais vous présenter sa famille, tout d’abord avec un arbre généalogique, puis nous entrerons dans les détails en présentant les musiciens.
La famille d’Osvaldo Pugliese. Au moins 8 musiciens, son père, Adolfo, son oncle, Antonio, ses frères Alberto et Vicente, sa fille, Beba, sa petite fille Carla et Marcela, la petite fille de son frère Alberto qui est chanteuse de tango. Cliquez sur l’image pour l’agrandir.
Adolfo Pugliese (1876-06-24 – 1945-02-09), le père, flûtiste, compositeur (?) et éditeur de musique
Adolfo Pugliese, le père d’Osvaldo. Sur la photo de droite, c’est lui avec la flute. Photo prise au studio Cordero qui se trouvait sur Boedo au 2080).
Comme compositeur, on lui attribue :
Ausencia (Tango mío) (Tango de 1931), mais nous verrons, à la fin de cet article, qu’il y en a peut-être un autre, ou pas… La légende veut qu’il soit un modeste ouvrier du cuir, comme son père qui était cordonnier, mais il était aussi éditeur de musique et flûtiste. Il avait donc plusieurs cordes à son arc. De plus, quand son fils Osvaldo a souhaité faire du piano, cela ne semble pas avoir posé de problème alors qu’il venait de lui fournir un violon (qui pouvait être partagé avec son frère aîné, cependant). Les familles qui ont un piano ne sont pas les plus démunies… Même si Adolfo a écrit, semble-t-il, écrit peu (ou pas) de tango, il en a en revanche édité, notamment ceux de ses enfants… Voici deux exemples de partition qu’il éditait. À droite, celle de Recuerco, notre tango du jour. On remarquera qu’il indique « musique d’Adolfo Pugliese » et la seconde de « Por una carta », une composition de son fils Alberto, frère d’Osvaldo, donc.
Exemples de partition éditée par Adolfo Pugliese. À gauche, la couverture de Recuerdo, à son nom, Adolfo Pugliese. Nous y reviendrons. À droite, une partition d’un de ses fils, Alberto « Por una Carta ! »
Sur la couverture de Recuerdo, le nom des musiciens de Julio de Caro, à savoir : Julio de Caro, reconnaissable à son violon avec cornet qui est également le directeur de l’orchestre., puis de gauche à droite, Francisco de Caro au piano, Pedro Maffia au bandonéon (que l’on retrouve sur la partition de Por una carta), Enrike Krauss à la contrebasse, Pedro Laurenz au bandonéon et Emilio de Caro, le 3e De Caro de l’orchestre… Sur la partition de Por una carta, les signatures des membres de l’orchestre de Pedro Maffia : Elvino Vardaro, le merveilleux violoniste, Osvaldo Pugliese au piano, Pedro Maffia au bandonéon et directeur de l’orchestre, Francisco De Lorenzo à la contrebasse, Alfredo De Franco au bandonéon et Emilio Puglisi au violon.
Mention portée sur les partitions éditées par Adolfo Pugliese.
On voir qu’Adolfo gérait ses affaires et que donc l’idée d’un Osvaldo Pugliese né dans un milieu déshérité est bien exagérée. Cela n’a pas empêché Osvaldo d’avoir des idées généreuses comme en témoignent son engagement au parti communiste argentin et sa conception de la répartition des gains avec son orchestre. Il divisait les émoluments en portions égales à chacun des membres de l’orchestre, ce qui n’était pas la façon de faire d’autres orchestres ou le leader était le mieux payé…
Antonio Pugliese (1878-11-21— ????), oncle d’Osvaldo. Musicien et compositeur d’au moins un tango
Ce tango d’Antonio est : Qué mal hiciste avec des paroles d’Andrés Gaos (fils). Il fut enregistré en 1930 par Antonio Bonavena. Je n’ai pas de photo du tonton, alors je vous propose d’écouter son tango dans cette version instrumentale.
Que mal hiciste 1930 Orquesta Antonio Bonavena (version instrumentale)
Alberto Pugliese (1901-01-29- 1965-05-15), frère d’Osvaldo. Violoniste et compositeur
Alberto Puglise un des grands frères d’Osvaldo. Il est à droite sur la photo de gauche, avec les mains sur les hanches. Osvaldo est appuyé au poteau et je n’ai pas identifié le troisième homme. Ce serait tentant d’y voir le troisième frère Vincente, mais rien n’est moins sûr…
Curieusement, les grands frères d’Osvaldo sont peu cités dans les textes sur le tango. Alberto a pourtant réalisé des compositions sympathiques, parmi lesquelles on pourrait citer :
Adoración (Tango) enregistré Orquesta Juan Maglio « Pacho » avec Carlos Viván (1930-03-28).
Cabecitas blancas (Tango) enregistré par Osvaldo et Chanel (1947-10-14)
Cariño gaucho (Milonga)
El charquero (Tango de 1964)
El remate (Tango) dont son petit frère a fait une magnifique version (1944-06-01). Mais de nombreux autres orchestres l’ont également enregistré.
Espinas (Tango) Enregistré par Firpo (1927-02-27)
Milonga de mi tierra (Milonga) enregistrée par Osvaldo et Jorge Rubino (1943-10-21)
Por una carta (Tango) enregistré par la Típica Victor (1928-06-26)
Soñando el Charleston (Charleston) enregistré par Adolfo Carabelli Jazz Band (1926-12-02).
Il en a certainement écrit d’autres, mais elles sont encore à identifier et à faire jouer par un orchestre qui les enregistrera… On notera que sa petite fille, Marcela est chanteuse de tango. Les gènes ont aussi été transmis à la descendance d’Alberto.
Adolfo Vicente (surnommé Fito pour mieux le distinguer de son père Adolfo, Adolfito devient Fito) ne semble pas avoir écrit ou enregistré sous son nom. Ce n’est en revanche pas si sûr. En effet, il était un brillant violoniste et étant le plus âgé des garçons, c’est un peu lui qui faisait tourner la boutique quand son père se livrait à ses frasques (il buvait et courait les femmes). Cependant, la mésentente avec le père a fini par le faire partir de Buenos Aires et il est allé s’installer à Mar del Plata où il a délaissé la musique et le violon, ce qui explique que l’on perde sa trace par la suite.
Adolfo (Fito) Vicente est l’aîné des frères Pugliese. Il était violoniste et compositeur, mais a abandonné sa carrière à la suite de la mésentente avec son père.
Beba (Lucela Delma) Pugliese (1936— …), pianiste, chef d’orchestre et compositrice
Beba, la fille d’Osvaldo, également une musicienne de talent
C’est la fille d’Osvaldo et de María Concepción Florio et donc la petite fille d’Adolfo, le flûtiste et éditeur. Parmi ses compositions, Catire et Chicharrita qu’elle a joué avec son quinteto…
Beba Pugliese avec sa mère, María Concepción et Osvaldo en 1948
Petite fille d’Osvaldo et fille de Beba, la tradition familiale continue de nos jours, même si Carla s’oriente vers d’autres musiques. Si vous voulez en savoir plus sur ce jeune talent :
Je ne sais pas s’ils étaient musiciens. Le père était zapatero (cordonnier). Ce sont eux qui ont fait le voyage en Argentine où sont nés leurs 5 enfants. Ce sont deux parmi les milliers d’Européens qui ont émigré vers l’Argentine, comme le fit la mère de Carlos Gardel quelques années plus tard.
Roque PUGLIESE Padula
Né le 5 octobre 1853 — Tricarico, Matera, Basilicata, Italie Zapatero. C’est de lui que vient le nom de Pugliese qu’il a certainement adopté en souvenir de sa terre natale.
Filomena Vulcano
Née en 1852 — Rossano, Cosenza, Calabria, Italie Ils se sont mariés le 28 novembre 1896, dans l’église Nuestra Señora de la Piedad, de Buenos Aires. Leurs enfants :
Adolfo Juan PUGLIESE Vulcano 1876-1943 (Père d’Osvaldo, compositeur, éditeur et flûtiste)
Antonio PUGLIESE Vulcano 1878 (Musicien et compositeur)
Luisa María Margarita PUGLIESE Vulcano 1881
Luisa María PUGLIESE Vulcano 1883
Concepción María Ana PUGLIESE Vulcano 1885
Extrait musical
Recuerdo, 1944-03-31 — Orquesta Osvaldo Pugliese.
Dans cette version il y a déjà tout le Pugliese à venir. Les versions enregistrées auparavant avaient déjà pour certaines des intonations proches. On peut donc penser que la puissance de l’écriture de Pugliese a influencé les orchestres qui ont interprété son œuvre. À l’écoute on se pose la question de la paternité de la composition. Alfredo, Osvaldo ou un autre ? Nous y reviendrons.
Les paroles
Ayer cantaron las poetas y lloraron las orquestas en las suaves noches del ambiente del placer. Donde la bohemia y la frágil juventud aprisionadas a un encanto de mujer se marchitaron en el bar del barrio sud, muriendo de ilusión muriendo su canción.
Mujer de mi poema mejor. ¡Mujer! Yo nunca tuve un amor. ¡Perdón! Si eres mi gloria ideal Perdón, serás mi verso inicial.
Y la voz en el bar para siempre se apagó su motivo sin par nunca más se oyó.
Embriagada Mimí, que llegó de París, siguiendo tus pasos la gloria se fue de aquellos muchachos del viejo café.
Quedó su nombre grabado por la mano del pasado en la vieja mesa del café del barrio sur, donde anoche mismo una sombra de ayer, por el recuerdo de su frágil juventud y por la culpa de un olvido de mujer durmióse sin querer en el Café Concert.
Adolfo et/ou Osvaldo Pugliese Letra : Eduardo Moreno
Dans la version de la Típica Victor de 1930, Roberto Díaz ne chante que la partie en gras. Rosita Montemar chante deux fois tout ce qui est en bleu.
Traduction libre et indications
Hier, les poètes ont chanté et les orchestres ont pleuré dans les douces nuits de l’atmosphère de plaisir. Où la bohème et la jeunesse fragile prisonnière du charme d’une femme se flétrissaient dans le bar du quartier sud, mourant d’illusion et mourant de leur chanson. Femme de mon meilleur poème.
Femme ! Je n’ai jamais eu d’amour. Pardon ! Si tu es ma gloire idéale Désolé, tu seras mon couplet d’ouverture.
Et la voix dans le bar s’éteignit à jamais, son motif sans pareil ne fut plus jamais entendu. Mimì ivre, qui venait de Paris, suivant tes traces, la gloire s’en est allée à ces garçons du vieux café.
Son nom était gravé par la main du passé sur la vieille table du café du quartier sud, où hier soir une ombre d’hier, par le souvenir de sa jeunesse fragile et par la faute de l’oubli d’une femme, s’est endormie involontairement dans le Café-Concert.
Dans ce tango, on voit l’importance du sud de Buenos Aires.
Autres versions
Recuerdo, 1926-12-09 — Orquesta Julio De Caro. C’est l’orchestre qui est sur la couverture de la partition éditée avec le nom d’Adolfo. Remarquez que dès cette version, la variation finale si célèbre est déjà présente.La photo est de Luis Richelme (qui avait son studio sur l’avenue Corrientes au 1238 de l’avenue Corrientes). C’est le même studio qui a réalisé la photo d’Osvaldo que j’ai placée en bas à droite de l’arbre généalogique. Adolfo a donc changé de studio photo depuis l’époque où il était avec son orchestre (il utilisait alors le studio Cordero qui se trouvait sur Boedo au 2080).Recuerdo 1927 — Rosita Montemar con orquesta. Une version chanson. Juste pour l’intérêt historique et pour avoir les paroles chantées…Recuerdo, 1928-01-28 — Orquesta Bianco-Bachicha. On trouve dans cette version enregistrée à Paris, quelques accents qui seront mieux développés dans les enregistrements de Pugliese. Ce n’est pas inintéressant. Cela reste cependant difficile de passer à la place de « La référence ». Recuerdo, 1930-04-23 — Orquesta Típica Victor con Roberto Díaz. Une des rares versions chantées et seulement sur le refrain (en gras dans les paroles ci-dessus). Un basson apporte une sonorité étonnante à cette version. On l’entend particulièrement après le passage chanté.Recuerdo, 1941-08-08 — Orquesta Francisco Lomuto. Une version très intéressante. Que je pourrais éventuellement passer en bal.Recuerdo 1941 Orquesta Aníbal Troilo. La prise de son qui a été réalisée à Montevideo est sur acétate, donc le son est mauvais. Elle n’est là que pour la référence.Recuerdo, 1942-11-04 — Orquesta Ricardo Tanturi. Une version surprenante pour du Tanturi et pas si loin de ce que fera Pugliese, deux ans plus tard. Heureusement qu’il y a la fin typique de Tanturi, une dominante suivie bien plus tard par la tonique pour nous certifier que c’est bien Tanturi 😉Recuerdo, 1944-03-31 — Orquesta Osvaldo Pugliese. C’est le tango du jour. Il est intéressant de voir comment cette version avait été annoncée par quelques interprétations antérieures. On se pose toujours la question ; Alfredo ou Osvaldo ? Suspens…Recuerdo, 1952-09-17 — Orquesta Julio De Caro. De Caro enregistre 26 ans plus tard le titre qu’il a lancé. L’évolution est très nette. L’utilisation d’un orchestre au lieu du sexteto, donne de l’ampleur à la musique. Recuerdo 1966-09 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel. On retrouve Pugliese, 22 ans après son premier enregistrement. Cette fois, la voix de Maciel. Celui-ci chante les paroles, mais avec beaucoup de modifications. Je ne sais pas quoi en penser pour la danse. C’est sûr qu’en Europe, cela fait un malheur. L’interprétation de Maciel ne se prête pas à la danse, mais c’est tellement joli que l’on pourrait s’arrêter de danser pour écouter.
En 1985, on a au moins trois versions de Rucuerdo par Pugliese. Celle de « Grandes Valores », une émission de télévision, mais avec un son moyen, mais une vidéo. Alors, je vous la présente.
Recuerdo par Osvaldo Pugliese dans l’émission Grandes Valores de 1985.
Puisqu’on est dans les films, je vous propose aussi la version au théâtre Colon, cette salle de spectacle fameuse de Buenos Aires.
Recuerdo par Osvaldo Pugliese au Théatre Colon, le 12 décembre 1985.
Pour terminer, toujours de 1985, l’enregistrement en studio du 25 avril.
Recuerdo, 1985-04-25 — Orquesta Osvaldo Pugliese.
Pugliese a continué à jouer à de nombreuses reprises sa première œuvre. Vous pouvez écouter les différentes versions, mais elles sont globalement semblables et je vous propose d’arrêter là notre parcours, pour traiter de notre fil rouge. Qui est le compositeur de Recuerdo ?
Qui est le compositeur de Recuerdo ?
On a vu que la partition éditée en 1926 par Adolfo Pugliese mentionne son nom comme auteur. Cependant, la tradition veut que ce soit la première composition d’Osvaldo. Écoutons le seul tango qui soit étiqueté Adolfo : Ausencia, 1926-09-16 — José Bohr y su Orquesta Típica. C’est mignon, mais c’est loin d’avoir la puissance de Recuerdo. On notera toutefois que la réédition de cette partition est signée Adolfo et Osvaldo. La seule composition d’Adolfo serait-elle en fait de son fils ? C’est à mon avis très probable. Le père et sa vie peu équilibrée et n’ayant pas donné d’autres compositions, contrairement à ses garçons, pourrait ne pas être compositeur, en fait.
La réédition de Ausencia est maintenant signée O et A Pugliese. Mais il peut s’agit d’Adolfito, le frère aîné et pas d’Adolfo, le père.
Pour certains, c’est, car Osvaldo était mineur, que son père a édité la partition à son nom. Le problème est que plusieurs tangos d’Osvaldo avaient été antérieurement édités à son nom. Donc, l’argument ne tient pas.
Un des premiers tangos de Pugliese El Frenopàtico, que celui-ci a dédié à sa chère tante Concepción (celle qui est à droite dans l’arbre généalogique que je vous ai présenté). Il est signé de son nom et prénom alors qu’il était mineur.
L’édition de 1926, réalisée par Adolfo Pugliese, porte toujours son nom comme auteur. En revanche, par la suite, c’est bien le prénom d’Osvaldo qui figurera. À gauche, il est fait mention de l’orchestre de Julio de Caro qui a étrenné le tango et l’a enregistré en décembre 1926. Cette partition est donc postérieure à 1926, contrairement à l’édition initiale. Osvaldo était alors âgé de 21 ans et donc majeur. L’argument tombe pour cette deuxième raison également.
En 1942, sur l’enregistrement de Tanturi, c’est toujours A. Pugliese qui est mentionné. Est-ce toujours Adolfo, le père, Alberto ou le plus âgé des frères, Adolfito ?
Pour rendre la chose plus complexe, il faut prendre en compte l’histoire de son frère aîné Adolfo (Fito). Ce dernier était un brillant violoniste et compositeur. Pedro Laurenz, alors Bandonéiste dans l’orchestre de Julio De Caro, indique qu’il était avec Eduardo Moreno quand un violoniste Emilio Marchiano serait venu lui demander d’aller chercher ce tango chez Fito pour lui ajouter des paroles. Marchiano travaillait alors au café ABC, comme l’indique Osvaldo qui était ami avec le bandonéoniste Enrique Pollet (Francesito) et qui aurait recommandé les deux titres marqués Adolfo (Ausencia et Recuerdo). On est sur le fil avec ces deux histoires avec les mêmes acteurs. Dans un cas, l’auteur serait Adolfito qui donnerait la musique pour qu’elle soit jouée par De Caro et dans l’autre, ce serait Pollet qui aurait fait la promotion des compositions qui seraient toutes deux d’Osvaldo et pas de son père, ni de son grand frère. Pour expliquer que le nom de son père soit sur les partitions de ces deux œuvres, je donne la parole à Osvaldo qui indique qu’il est bien l’auteur de ces tangos, et notamment de Recuerdo qu’il aurait donné à son père, car ce dernier, flûtiste avait du mal à trouver du travail et qu’il avait décidé de se reconvertir comme éditeur de partition. En effet, la flûte, très présente dans la vieille garde n’était plus guère utilisée dans les nouveaux orchestres. Cette anecdote est par Oscar del Priore et Irene Amuchástegui dans Cien tangos fundamentales. Toujours selon Pedro Laurenz, la variation finale, qui donne cette touche magistrale à la pièce, serait d’Enrique Pollet, alias El Francés, (1901-1973) le bandonéoniste qui travaillait avec Eduardo Moreno au moment de l’adaptation de l’œuvre aux paroles. Cependant, la version de 1927 chantée par Rosita Montemar ne contient pas la variation finale alors que l’enregistrement de 1926 par De Caro, si. Plus grave, la version de 1957, chantée par Maciel ne comporte pas non plus cette variation. On pourrait donc presque dire que pour adapter au chant Recuerdo, on a supprimé la variation finale.
Et en conclusion ?
Ben, il y a plein d’hypothèses et toutes ne sont pas fausses. Pour ma part, je pense que l’on a minimisé le rôle Fito et qu’Adolfo le père n’a pas d’autre mérite que d’avoir donné le goût de la musique à ses enfants. Il semble avoir été un père moins parfait sur d’autres plans, comme en témoigne l’exil d’Adolfito (Vicente). Mais finalement, ce qui compte, c’est que cette œuvre merveilleuse nous soit parvenue dans tant de versions passionnantes et qu’elle verra sans doute régulièrement de nouvelles versions pour le plus grand plaisir de nos oreilles, voire de nos pieds. Recuerdo restera un souvenir vivant.
Juan Antonio Collazo Letra : Roberto Fontaina ; Víctor Soliño
Un Niño bien est un jeune homme de bonne famille, élégant et un peu précieux. Cependant, le tango du jour parle d’un autre Niño bien. Enrique Mora et Elsa Moreno vous invitent à découvrir le personnage avec une caricature légère et entraînante. C’est aussi pour moi, l’occasion de vous faire souvenir d’un orchestre un peu oublié.
Même dans le monde du tango, il y a des personnes qui aiment paraître, qui ont la « nariz parada » (le nez relevé par la fierté), qui souhaitent péter plus haut que leur cul. Ce tango, dont les paroles qui sont de Roberto Fontaina et Víctor Soliño, parlent d’un de ces personnages de banlieue qui joue à être de la haute (société). Ce tango a été enregistré à diverses reprises, en deux vagues. La plus ancienne version est une version chantée par Alberto Vila, accompagné à la guitare en 1927. L’année suivante, la Típica Victor enregistre une version instrumentale et en 1930 Irusta le chante avec Lucio Demare (piano) et Samul Reznik (violon). Puis le titre reste dans l’ombre, jusqu’en 1948. Nous écouterons certains de ces enregistrements.
À propos de Niño bien
Niño bien a donné son nom à une milonga du jeudi à Buenos Aires qui était fameuse mais qui a malheureusement disparu, comme tant d’autres.
Cette milonga était suffisamment fameuse pour que Brian Winter donne son nom à un de ses livres (Bien après minuit à la Niño bien). Une autre milonga fameuse qui elle aussi a disparu, Thunderland est l’autre héroïne parmi les milongas citées dans ce livre.
La captivante quête d’une Américaine dans les milongas portègnes pour retrouver le bel Argentin dont elle est tombée amoureuse dans une milonga aux USA. Pour le retrouver, elle devra découvrir tous les aspects du tango. Ce livre permet de se remémorer des lieux qui n’existent plus, dont la fameuse milonga Niño Bien évoquée ci-dessus. Je ne vous en dis pas plus pour ne pas vous gâcher le plaisir de lire ce livre paru en 2008, mais qui place l’histoire en 1999.
Enrique Mora y su Cuarteto Típico con Elsa Moreno
Enrique Fausta Mora (8 février 1915 – 14 juillet 2003)
Enrique (Fausta) Mora (8 février 1915 – 14 juillet 2003) est sans doute injustement oublié, Il était un brillant pianiste, chef d’orchestre et compositeur de tangos comme Este es tu tango, connu par les enregistrements de Ricardo Tanturi avec Roberto Videla ou Enrique Rodriguez avec Armando Moreno. J’imagine que son oubli vient en particulier du fait qu’il n’a enregistré que dans les années 50, un moment où le tango de danse était en régression. Il n’a donc pas été réédité aussi rapidement que les monstres sacrés. Je suis donc content de lui redonner justice, comme j’avais ressorti de l’oubli Donato Racciatti il y a une vingtaine d’années (en France). D’ailleurs, à l’écoute, on retrouvera une similitude entre Mora, Racciatti et Firpo, jusqu’à la façon de chanter d’Elsa Moreno qui peut évoquer Nina Miranda ou Olga Delgrossi, voire Tita Merello qui a aussi chanté ce titre. Elsa Moreno a enregistré une douzaine de titres avec le cuarteto d’Enrique Mora entre 1953 et 1956. Niño bien est le premier de la série.
Extrait musical
Niño bien 1953-03-08 — Enrique Mora y su Cuarteto Típico con Elsa Moreno
Couverture du numéro 40 de la revue hebdomadaire El tango de Moda (1929). Cette revue a été publiée d’octobre 1928, jusqu’en 1934.
Les paroles
Niño bien, pretencioso y engrupido, que tenés berretín de figurar; niño bien que llevás dos apellidos y que usás de escritorio el Petit Bar; pelandrún que la vas de distinguido y siempre hablás de la estancia de papá, mientras tu viejo, pa’ ganarse el puchero, todos los días sale a vender fainá.
Vos te creés que porque hablás de ti, fumás tabaco inglés paseás por Sarandí, y te cortás las patillas a lo Rodolfo sos un fifí. Porque usás la corbata carmín y allá en el Chantecler la vas de bailarín, y te mandás la biaba de gomina, te creés que sos un rana y sos un pobre gil.
Niño bien, que naciste en el suburbio de un bulín alumbrao a querosén, que tenés pedigrée bastante turbio y decís que sos de familia bien, no manyás que estás mostrando la hilacha y al caminar con aire triunfador se ve bien claro que tenés mucha clase para lucirte detrás de un mostrador.
Juan Antonio Collazo Letra: Roberto Fontaina; Víctor Soliño
Traduction
Niño bien (enfant de « bonne famille »), prétentieux et vaniteux, qui a pour but (loisir), le paraître ; Un Niño bien qui porte deux noms de famille et qui utilise le Petit Bar comme bureau ; Pelandrún (personne oisive et paresseuse) qui se meut de façon distinguée et qui parle toujours de l’estancia (ferme de gros propriétaire terrien) de papa, bien que ton vieux (père), pour gagner sa vie, sort tous les jours pour vendre des fainás (pains plats à base de farine de pois chiches, aliment pour les pauvres, mais que vendent aussi les pizzerias argentines). Tu crois que, parce-ce que tu parles de toi, que tu fumes du tabac anglais, que tu te promènes dans Sarandí et que tu coupes tes favoris comme Rodolfo, tu es un fifi (éphèbe qui suit la mode). Parce que tu portes la cravate carmin et que tu vas comme danseur au Chantecler et que tu t’envoies biaba de gomina (coiffure avec une quantité exagérée de gomina), tu te prends pour une rana (grenouille, personne avisée) et tu es un pauvre gil (imbécile, médiocre, cave). Niño bien, qui est né dans les faubourgs, dans un bordel éclairé au pétrole (kérosène), qui a un pedigree plutôt trouble et tu dis que tu descends d’une bonne famille, Tu ne soupçonnes pas que tu montres le fil et, lorsque tu marches d’un air triomphant, il est très clair que tu as beaucoup de classe pour briller derrière un comptoir.
La photo de couverture
Pour cette image, je ne suis pas parti de photos. Je vais vous expliquer la démarche, à la lueur des paroles du tango.
Siempre hablás de la estancia de papá, mientras tu viejo, pa’ ganarse el puchero, todos los días sale a vender fainá. [Tu parles toujours du domaine de ton papa, cependant ton vieux, pour gagner la pitance, sort tous les jours pour vendre des fainás (Galettes à base de farine de pois chiches)].
Au couplet suivant : « te cortás las patillas a lo Rodolfo, sos un fifí. » Tu te tailles les pattes à la Rudoph (Valentino), tu es un efféminé.
La fainá est une galette à base de farine de pois chiches. C’est une sorte de pizza du pauvre, que l’on trouve encore aujourd’hui dans les pizzerias portègnes. À l’époque, elles étaient vendues par des vendeurs ambulants.
Pour l’image, je suis parti de l’idée d’avoir le Niño Bien au premier plan et à l’arrière-plan, son vieux père qui vend des fainás. Pour le le niño bien, j’ai choisi de partir de son modèle, à savoir Rudolph Valentino, cet acteur de l’époque du cinéma muet qui était considéré comme particulièrement beau. Pour le père, j’ai décidé de mettre en avant (ou plutôt à l’arrière dans le cas présent) un véritable vendeur de fainás. Il s’agit ici de galettes de farine de pois chiches, cuites au four à pizza, à la poêle, ou sur des installations plus sommaires, comme on peut le voir sur la photo. Voici les images originales :
À gauche, Rudolph Valentino. Il y a un logo en bas à droite, mais je n’ai pas identifié le studio (photo ou cinéma). À droite, le « père » est en fait Ricardo Ravadero, un vendeur ambulant de Buenos Aires dans les années 20 sur cette photo).
Autres versions
Niño bien 1927-12-03 – Alberto Vila con guitarras.
Une jolie et simple version par Alberto Vila accompagnée par la guitare. Les trémolos de la voix d’Alberto, sont peut-être un peu trop appuyés, mais c’est le témoignage d’une époque et d’une forme de chant qui eut ses émules.
Niño bien 1928-04-09 – Orquesta Típica Victor.
Cette version instrumentale. Sous ses airs de marche militaire, exprime bien la fierté de notre niño bien marchant d’un pas triomphant dans la rue Sarandí…
Après la première vague des années 20-30, la relance du titre vient de la sortie du film d’Homero Manzi e Ralph Pappier « Pobre mi madre querida », sorti le 28 avril 1948. Hugo del Carril y chante ce titre en se moquant d’un autre type, ce qui va se terminer en bagarre…
Nino bien 1948-04-28 (sortie du film) — Hugo del Carril. Extrait du film « Pobre mi madre querida » de Homero Manzi y Ralph Pappier Niño bien 1953-03-08 — Enrique Mora y su Cuarteto Típico con Elsa Moreno. C’est le tango du jour.Niño bien 1955-03-22 — Orquesta Juan Sánchez Gorio con Luis Mendoza. Avec de la réverbération. On peut préférer la version de 1953…Niño bien 1955-03-22 — Orquesta Juan Sánchez Gorio con Luis Mendoza. Avec de la réverbération. On peut préférer la version de 1953…Niño bien 1956-06-14 — Tita Merello accompagnée par Francisco Canaro.
La gouaille incroyable de Tita Merello, fait de cette version un morceau d’anthologie. Pas garanti pour le bal, c’est d’ailleurs présenté comme une chanson, mais à ne pas rater.
Niño bien 1965c – Cuarteto Los porteñitos.
Un jour, il faudra que je vous parle un peu de ce talentueux musicien qui a réussi dans tous les genres, du jazz au tango, Santos Lipesker (frère de Félix). Ici, il a formé un cuarteto avec Estaban Ubaldo De Lío et Héctor Davis à la guitare, Roberto Tierrita Guisado, qui était le premier violon de l’orchestre de Di Sarli (on connaît l’importance du violon pour les interprétations de Di Sarli). Lui-même, Santos Lipesker tient le bandonéon, mais il jouait d’autres instruments à vent comme le saxophone ou la clarinette. Ce cuarteto n’a enregistré, semble-t-il que deux cassettes. C’est sans doute dommage, car c’est plutôt réussi, même si ce n’est sans doute pas ce qui sera le plus apprécié dans les bals…
Niño bien, 1975c – Elba Berón accomp. Cuarteto A Puro Tango, dirigé par Miguel Nijensohn.
Avec Elba, on retrouve la gouaille de Tita, avec un accompagnement plus simple privilégiant la guitare, comme dans la première version que je vous ai proposée, celle d’Alberto Vila.
Cette anecdote publiée initialement le 8 mars 2024 a été complétée le 7 mars 2025 (traductions et nouvelles interprétations).
Le Niño Bien semble détonner dans le magasin et les clients le regardent avec un air étonné.
Il semble que tout a été dit sur les styles de tango. Je vous propose cependant un petit point, vu essentiellement sur l’aspect du tango de danse.
Ce qu’il convient de prendre en compte, c’est que les périodes généralement admises sont en fait toutes relatives.
Les orchestres ont, selon les cas, continué un style qui leur réussissait au-delà d’autres orchestres et a contrario, d’autres ont innové bien avant les autres, voire, sont revenus en arrière, remettant en avant des éléments disparus depuis plusieurs décennies.
On peut donc avoir deux enregistrements contemporains appartenant à des courants forts différents. C’est particulièrement sensible à partir des années 50, où la baisse de la pratique de danse a incité les orchestres à développer de nouveaux horizons, souvent en réchauffant des plats plus anciens.
Les origines (avant le tango)
Il ne s’agit pas ici de trancher dans un des nombreux débats entre spécialistes des origines. Du strict point de vue de la danse, les premiers tangos sont proche du style habanero et par conséquent, c’est plus du côté des habaneras qu’il convient de trouver la forme de danse.
La habanera
Vous connaissez ce rythme. DaaaTadaTaDaaa
Pour ceux qui ne sont pas lecteurs de la musique, les barres rouges (croches pointées) correspondent à 3 unités temporelles relatives (double croche), les barres bleues à une unité temporelle (double croche) et les barres vertes à deux unités temporelles (croche). Les barres sont donc proportionnelles à la durée des notes. Au début de la portée, il y a l’indication 2/4. Cela signifie qu’il y a deux noires par mesure (espace entre deux barres verticales). Les croches valent la moitié d’une noire en durée et les doubles croches la moitié d’une croche. Voilà, vous connaissez la lecture du rythme en musique (ou pas…).Rythme de la habanera au piano. retrouvez le DaaaTadaTaDaaa…
La habanera porte ce nom, car c’est une restitution d’un rythme cubain. L’inventeur du genre est Sebastián de Iradier qui a composé El arreglito (le petit arrangement) où il joue avec ce rythme. En voici un extrait et je suis sûr que cela va vous rappeler quelque chose.
Axivil Criollo – El Arreglito – Compositeur Sebastián de Iradier vers 1840.
Avez-vous trouvé ?
Oui, vous avez trouvé. Ce cher Georges Bizet a piqué la musique de Sebastián de Iradier.
Teresa Berganza chante la Habanera de Carmen de Bizet (le copieur 😉
Ce rythme, très présent dans les premiers tangos, est devenu plus discret, sauf pour les milongas qui l’ont largement exploité.
Dans la milonga criolla (ici par l’orchestre de Francisco Canaro 1936-10-06), on reconnait parfaitement le rythme de la habanera qui a été accélérée et est devenue une des pierres de construction des milongas.
Lorsque le tango de danse a perdu de son élan, les orchestres sont revenus à ces formes traditionnelles, au point que les compositeurs l’on réintroduit très largement.
Autres apports
En parallèle, des formes chantées, notamment par les payadors et des danses, traditionnelles, voire tribales, ont influencé ces prémices, donnant une grande richesse à ce qui deviendra le tango, notamment à travers ses trois formes dansées, le tango, la milonga et la valse.
Les payadors
On lit parfois que Gardel était un payador. Cependant, même s’il était ami de José Bettinotti, il n’a pas été directement l’un de ces chanteurs qui s’accompagnaient à la guitare en improvisant. Cependant, l’influence des payadors est indéniable pour le tango, comme vous pouvez en juger. Par cet extrait, qui avec ses relents d’habanera pourrait s’approcher d’une milonga lente ou d’un canyengue.
José Bettinotti, El cabrero circa 1913
Exemple d’influence africaine
Parmi les sources, on met en avant des origines africaines. Même si l’Argentine n’a pas été une terre d’esclavage très marquée, contrairement à beaucoup d’autres payés du continent américain, il y a eu une communauté d’origine africaine relativement importante au XIXe siècle. Celle-ci s’est atténuée par l’émigration, les mariages avec des populations d’autre origines et quelques faits guerriers où ils ont servi de chair à canon.
Même si l’Argentine a absorbé des éléments, c’est plutôt la province de l’Est, l’Uruguay qui a le plus été influencé par ces musiques, notamment les percussions.
Candombe solo para Uruguayos – Hugo Fattoruso – « Caminando » , Toma de Sonido Dario Ribeiro
Le candombe et la milonga candombe se retrouvent à la mode dans les années 50, bien avant que Juan Carlos Cacéres relance la mode.
Siga el baile 1953-10-28 – Alberto Castillo y su Orquesta Típica dirigé par Ángel Condercuri.
La dénomination « tango » est souvent associée à la déformation de « tambo » et désignait des lieux ou la communauté noire dansait. Il faut voir un jugement négatif par la bonne société blanche. Le terme est devenu synonyme de bamboche, de débauche, ou pour le moins de moeurs légères. La musique des faubourgs, même si elle n’était pas issue des Africains a hérité de ce vocable péjoratif, lorsque le tango s’est développé dans les bordels et autres lieux choquants pour la bonne société.
Les origines européennes
L’immigration européenne a apporté sa musique. Pour el vals, même criollo, on est très proche de la valse et des artistes comme Canaro ont même adopté des valses viennoises.
Pour la milonga, c »est un peu moins évident de retrouver des sources européennes, si ce n’est que la mode de la habanera en Europe et les échanges dans le monde latinoaméricain ont favorisé sa diffusion. La habanera symbolisait le marin pour l’Europe. La milonga, on devrait même écrire les milongas sont une salsa, un mélange d’influences.
Les débuts du tango dans les faubourgs et les milieux interlopes ont conduit celui-ci à des formes assez populaires, voire outrées que le canyengue d’aujourd’hui a du mal à retraduire en totalité.
La naissance européenne
Disons-le, tout bonnement, ce tango d’avant le tango n’est pas au sens strict du tango. À cela se rajoute que les rares enregistrements de l’époque ont été réalisés par voie acoustique et qu’ils ne sont donc pas du tout adaptés à nos oreilles contemporaines.
Vu les lieux où le tango était joué et malgré la fréquentation par des ninos bien (jeunes hommes de bonne famille), le tango ne s’est pas fait une place importante en Argentine avant d’acquérir ses lettres de noblesse en Europe et notamment en France. Il y a une théorie différente qui se base sur un film réalisé en 1900 à Buenos Aires par Eugene Py. Le problème est que si Py a bien réalise un film, on ne l’a pas retrouvé. Un film est considéré par certains comme le film de Py qui aurait été retrouvé.
Dans ce film, on voit deux danseurs dans un décor pratiquer une forme de tango. Ce film est parfois qualifié de premier film de tango qui correspondrait à un film enregistré en 1900 par Eugène Py. La qualité de l’image, le vêtement de la femme, le style de danse font plutôt dater ce film des années 1920. Les partisans de l’attribution à Eugène Py indique que le film original a été réalisé en extérieur, sur la terrasse de l’entreprise Casa Lepage À Buenos Aires. On peut voir qu’ici, il s’agit d’un décor qui peut avoir été placé en extérieur pour faire croire a un intérieur. Cela semble un peu exagéré pour ce type de film. En admettant que ce soit le cas, les danseurs seraient des gens de la haute société. Aussi, pourquoi serviraient-ils de figurants ? Il est plus simple d’imaginer que ce sont des danseurs qui jouent un rôle. Donc, si ce film est de 1900 (ce dont je doute), il peut s’agir de danseurs figurants. Si le film est de 1920, il peut s’agir de personnes plus fortunées qui présentent leurs performances de danse. Je propose donc de rester sur les témoignages écrits et nombreux et de ne pas suivre l’hypothèse qui ferait de ce film la preuve que le tango était dansé dans la haute société dès 1900.
Le style du tango, avant le tango… (Prototango)
Avant 1926, date des premiers enregistrements électriques, pas d’enregistrements utilisables en danse.
Comme vous pouvez vous en rendre compte, le style sommaire et monotone de la musique est renforcé par l’obligation de jouer de façon assez forte et peu nuancée pour que le pavillon puisse graver le support d’enregistrement. On retrouve cependant certains éléments « Canyengue » que l’on connaît par les enregistrements électriques.
Je vous propose à titre d’exemple, Zorro gris un enregistrement électrique de 1927 par Francisco Canaro.
Zorro gris 1927-08-22, Francisco Canaro (enregistrement électrique).
La vieille garde (Guardia vieja)
Gobbi et Canaro, dans la première partie de leur carrière, sont des représentants de ce que l’on a nommé la vieille garde. On ne peut pas réduire cela au canyengue, car dès les années 20 des rythmes différents avaient vu le jour. Se détachant progressivement du style claudicant du canyengue, les orchestres abandonnent la habanera, accélèrent le rythme. Des titres en canyengue deviennent des milongas, comme par exemple : Milonga de mis amores, ici dans la version de Canaro en 1937 et qui a encore des accents de canyengue :
Extrait de Milonga de mis amores 1937-05-26, Francisco Canaro
contrairement à la version de la même année par Pedro Laurenz :
Extrait de Milonga de mis amores 1937-07-14, Pedro Laurenz canta Héctor Farrel
Ou celle du même de 1944 :
Extrait de Milonga de mis amores 1944-01-14, Pedro Laurenz
Des orchestres anciens évoluent, comme Di Sarli ou d’Arienzo, notamment à l’arrivée de Biagi dans l’orchestre et on arrive à la grande période du tango, l’âge d’or.
L’âge d’or (Edad de oro)
C’est la période considérée comme la plus adaptée au tango de danse. C’est logique, car à l’époque, le tango était une danse à la mode et chaque semaine, plusieurs orchestres se produisaient.
El Mundo du dimanche 1er octobre de 1944. En rouge, les 4 piliers se produisent le même jour (Hoy). En bleu des orchestres de second plan, tout à fait dansables et en vert, des orchestres un peu moins pertinents pour la danse.
On voit l’énorme choix qui s’adressait aux danseurs. Les musiciens jouaient ensemble plusieurs fois par semaine et il y avait un climat d’émulation pour ne pas dire de compétition entre les orchestres.
On remarquera qu’en face de chacun des orchestres de tango, il y a un orchestre de « Jazz ». En effet, les bals de l’époque jouaient des genres variés et les orchestres se spécialisaient.
Certains comme Canaro avaient deux orchestres, ce qui lui permettait d’assurer les deux aspects de la soirée. D’ailleurs, Canaro utilise des cuivres dans son orchestre de tango, il jouait donc de la limite entre les deux formations. Vous avez pu écouter cela dans l’extrait de Milonga de mis amores, ci-dessus.
Chaque orchestre se distinguait par un style propre. Certains étaient plus intellectuels, comme Pugliese ou De Caro, d’autres plus joueurs, comme Rodriguez ou D’Arienzo, d’autres plus romantiques, comme Di Sarli ou Fresedo et d’autres plus urbains, comme Troilo.
Aujourd’hui, dans les milongas, le DJ s’arrange pour proposer ces quatre orientations pour éviter la monotonie et contenter les différentes sensibilités des danseurs.
Même si la production de l’époque est essentiellement tournée vers la danse, il y a également une production pour l’écoute.
Sur les disques de l’époque, il est facile de faire la différence, notamment pour les tangos avec chanteur. En effet, un tango à danser est indiqué : Nom de l’orchestrecanta ou estribillo cantado porNom du chanteur. Un tango à écouter est indiqué Nom du chanteury su orquesta dirigido por ou con (avec) Nom de l’orchestre.
Nous n’entrerons pas dans les détails en ce qui concerne les styles des orchestres de l’âge d’or, cela fait l’objet d’un de mes cycles de cours/conférence (mini 3 h, voire 6 h). Il convient seulement de savoir reconnaître le tango de danse et de savoir apprécier les différences de style entre les orchestres.
Pour les DJ, il est important de tenir compte de l’évolution des styles du même orchestre. Il est souvent moins grave de mélanger deux orchestres enregistrés à la même époque que de mélanger deux enregistrements d’époques stylistiquement différentes du même orchestre.
Tango Nuevo
C’est celui initié par De Caro, repris ensuite par Troilo, Pugliese et Piazzolla, par exemple. Il est encore très vivant, notamment chez les orchestres de concert.
À noter que Pugliese et Troilo sont bien sûr des piliers du tango de bal et que leurs incursions nuevos, pas toujours pour la danse, ne doivent pas masquer leur importance dans le bal traditionnel.
N’oublions pas que Pugliese a aussi bien enregistré du canyengue, que du tango classique avant de faire du Nuevo… Curieusement, le tango dit nuevo reprend souvent des motifs les plus anciens, notamment la habanera des tout premiers titres du XIXe siècle.
Tango Electronico
Style Gotan Project. Il se caractérise principalement par une batterie et l’utilisation d’instruments électroniques. Curieusement, il est parfois assez proche, d’un point de vue rythmique, du tango musette qui est l’évolution européenne et notamment franco-italienne, du tango du début du XXe siècle.
Comme DJ, j’évite et en tout cas je n’en abuse pas, car cette musique est très répétitive et ne convient pas aux danseurs avancés. Cependant, il faut reconnaître que cette musique a fait venir de nouveaux adeptes au tango.
Tango alternatif (neotango)
Le tango alternatif consiste à danser avec des repères « tango » sur des musiques qui ne sont absolument pas conçues comme telles.
Par exemple, la Colegiala de Ramirez est un tango alternatif, puisqu’on le danse en « milonga » alors que c’est un fox-trot.
Certains DJ européens placent des zambas que les danseurs dansent en tango. Quel dommage quand on sait la beauté de la danse.
N’oublions pas la dynamique « néotango » qui consiste à danser sur toute musique, chanson, de tout style et de toute époque. Cela ouvre des horizons immenses, car la très grande majorité de la musique actuelle est à 4 temps et permet donc de marcher sur les temps.
Ce qui manque souvent à cette musique, c’est le support à l’improvisation. On peut lui reconnaître une forme de créativité dans la mesure où elle permet / oblige de sortir des repères et donc d’innover. Mais est-t-il vraiment possible d’innover en tango ? C’est un autre débat.
Pourquoi l’âge d’or est bien adapté à la danse
Si on étudie un tango de l’âge d’or, on y découvrira plusieurs qualités favorisant la danse :
La musique a plusieurs plans sonores. On peut choisir de danser sur un instrument (dont le chanteur), puis passer à un autre. On peut aussi choisir de danser uniquement la marcation (tempo). Les instruments se répondent. On peut ainsi se répartir les rôles avec les partenaires en reconstituant le dialogue en le dansant.
La musique se répète plusieurs fois, mais avec des variations. Cela permet de découvrir le tango au cas où il ne serait pas connu et la seconde fois, l’oreille est plus familière et l’improvisation est plus confortable. Cette reprise est en général différente de la première exposition, mais reste tout à fait comparable. Par exemple, la première fois le thème est joué au violon ou au bandonéon et la seconde fois, c’est le rôle du chanteur ou d’un autre instrument. Si c’est le même instrument, il y aura de légères différences dans l’orchestration qui rendra l’écoute moins monotone.
Les changements de rythme, phrases, parties, sont annoncés. Un danseur musicien ou exercé sait reconnaître les parties et peut « deviner » ce qui va suivre, ce qui lui permet d’improviser plus facilement sans dérouter sa partenaire. Je devrais plutôt mettre cela au pluriel, car les deux membres du couple participent à l’improvisation. Si la personne guidée a envie d’appuyer, de marquer un élément qui va arriver, elle a le temps d’alerter le guideur pour qu’il lui laisse un espace. Les musiques alternatives ou des musiques d’inspiration pus classiques, comme certaines compositions de Piazzolla » proposent souvent des surprises qui font qu’elles ne permettent pas de deviner la suite, ou au contraire, sont tellement répétitives, que quand revient le même thème de façon identique et mécanique, les danseurs n’ont pas de nouvelles idées et finissent par tomber dans une routine. Évidemment, les danseurs qui n’écoutent pas la musique et qui se contentent de dérouler des chorégraphies ne verront pas de différences entre les différents types de tango. Ceci explique le succès des pratiques neotango auprès des débutants, même si ces bals ont aussi du succès auprès de danseurs plus affirmés. En revanche, on ne fera jamais danser, même sous la menace, un Portègne sur ce type de musique, en tout cas, en tango…
Ne faut-il danser que sur des tangos de l’âge d’or ?
Non, bien sûr que non. Les canyengues et la vieille garde comportent des titres sublimes et très amusants ou intéressants à danser. Certains danseurs sont prêts à danser plusieurs heures d’affilée sur ces rythmes. Cependant, un DJ qui passerait ce genre de musique de façon un peu soutenue à Buenos Aires se ferait écharper…
Quelques musiques modernes donnent des idées agréables à danser. Pour ma part, je propose souvent une tanda de valses « originales ». Le rythme à trois temps de la valse reste le même que pour les tangos traditionnels et le besoin d’improvisation est moins important, car il s’agit surtout de… tourner.
Même si les danseurs avancés aiment moins danser sur les d’Arienzo des années 50 ou postérieures, ils n’y rechignent pas toujours et l’énergie de ces musiques plaît à de très nombreux danseurs. C’est donc un domaine à proposer aux danseurs. D’ailleurs, les orchestres qui font à la manière de du d’Arienzo sont particulièrement nombreux. C’est bien le signe que c’est toujours dans l’air du temps.
Pour terminer, je précise que je suis DJ et que par conséquent, mon travail est de rendre les danseurs heureux. J’adapte donc la musique à leur sensibilité.
Pour un DJ résident, en revanche, il est important d’ouvrir les oreilles des habitués. Dans certains endroits, le DJ met toujours le même type de musique, pas forcément de la meilleure qualité pour la danse. Le problème est qu’il habitue les danseurs à ce type de musique et que quand ces derniers vont aller dans un autre endroit, ils vont être déroutés par la musique.
L’innovation, c’est bien, mais il me semble qu’il faut toujours garder un fond de culture « authentique » pour que le tango reste du tango.
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