Archives par étiquette : La foule

Que nadie sepa mi sufrir 1955-06-30 — Orquesta Alfredo Gobbi con Alfredo Del Río y Tito Landó

Ángel Cabral Letra: Enrique Dizeo

Que ce soit dans les bals musettes de France, dans les milon­gas du Monde entier ou dans des lieux plus éton­nants, cette superbe valse a fait tourn­er des danseurs et des têtes.
Générale­ment, on dit que c’est une valse péru­vi­enne, mais cela peut faire hurler les Argentins, car les papas de cette mer­veille sont tous Argentins.

Une valse bien née

La musique est de Ángel Cabral (Ángel Ama­to). Ce gui­tariste est né en 1911 à Buenos Aires. Très jeune, il jouait dans des trios de gui­tares. À l’époque de l’écriture de Que nadie sepa mi sufrir, le trio était com­posé de Ángel Cabral, Juan José Riverol (né à Buenos Aires et fils du gui­tariste de Car­los Gardel) et Alfre­do Lucero Pala­cios (né à Rosario, Argen­tine).
Il était ami de Enrique Dizeo (né à Buenos Aires), l’auteur des paroles, avec José Riverol, trois fana­tiques des cours­es de chevaux et tous les trois nés à Buenos Aires.
L’auteur de la musique et des paroles est Ángel Cabral. Enrique Dizeo aurait joué un rôle sec­ondaire d’améliorations du texte de Cabral.
Ce thème aurait écrit vers 1936 (d’aucuns dis­ent 1927) et inter­prété en 1936 par Hugo Del Car­ril (né à Buenos Aires). Cer­tains affir­ment que Hugo Del Car­ril aurait enreg­istré cette valse, mais cela sem­ble faux ou pour le moins il n’existe pas d’enregistrement déclaré, ni de film dans lequel il aurait inter­prété ce titre.
Par ailleurs, si la date de 1927 était vraie, ce serait le pre­mier titre de Cabral en solo. Le plus ancien titre enreg­istré datant de 1930 et était une col­lab­o­ra­tion, La Bra­va, une ranchera com­posée avec Hérmes Romu­lo Per­essi­ni.
Dans les années 1940, il écrit tous les autres titres avec la par­tic­i­pa­tion de ses col­lègues gui­taristes du trio. Il s’agit de cor­ri­dos et de milon­gas. La pre­mière ranchera de 1930 n’est peut-être pas de lui, mais de Martín Valen­tín Cabral, auteur de nom­breuses rancheras.
Le fait que sur la par­ti­tion de Que nadie sepa mi sufrir, il y ait la pho­to des trois gui­taristes de l’époque, et pas du trio des années 30, me sem­ble devoir con­fir­mé que le titre date plutôt de la fin des années 40 ou du début des années 50. Si quelqu’un pou­vait sor­tir une véri­ta­ble preuve que Hugo Del Car­ril a chan­té le titre en 1936, ce serait intéres­sant.

C’est le trio qui est présen­té sur la par­ti­tion, ce qui m’incite à penser que le titre date plutôt de la fin des années 40, début des années 50.

Quoi qu’il en soit, on voit donc que toutes les per­son­nes ayant par­ticipé de près ou de loin à ce titre sont Argen­tines. Alors, pourquoi dire que c’est une valse péru­vi­enne ?
En fait, le terme de valse péru­vi­enne désig­nait un rythme de valse plutôt lent que d’ailleurs Cabral a util­isé pour la plu­part de ses valses des années 50 et 60. Je pense qu’il souhaitait surfer sur le suc­cès de Que nadie sepa mi sufrir qui a con­nu son véri­ta­ble suc­cès dans ces années, plus que dans les années 20 ou 30 si les sources plus ou moins fan­tai­sistes faisant remon­ter la créa­tion à cette époque sont exactes.
Cette valse « péru­vi­enne » a donc con­nu beau­coup de suc­cès, mais en atten­dant, je vous pro­pose d’écouter une ver­sion enreg­istrée il y a exacte­ment 69 ans. C’est une des meilleures ver­sions, mais plusieurs se bat­tent pour le podi­um et ça va être une véri­ta­ble course pour savoir qui sera le pre­mier. Mais comme les auteurs sont tur­fistes, les cours­es, ils con­nais­sent.

Extrait musical

Que nadie sepa mi sufrir 1955-06-30 — Orques­ta Alfre­do Gob­bi con Alfre­do Del Río y Tito Landó.
Que nadie sepa mi sufrir. Ángel Cabral Letra: Enrique Dizeo. Édi­tions Julio Korn.

En pho­to, les mem­bres du trio de gui­tariste dont était mem­bre Cabral à l’époque de l’écriture de cette valse (dans mon hypothèse qu’elle date des alen­tours de 1950).

Paroles

No te asom­bres si te digo lo que fuiste
Una ingra­ta con mi pobre corazón
Porque el fuego de tus lin­dos ojos negros
Alum­braron el camino de otro amor
Porque el fuego de tus lin­dos ojos negros
Alum­braron el camino de otro amor
Amor de mis amores, reina mía, ¿qué me hiciste?
Que no puedo con­for­marme sin poderte con­tem­plar
Ya que pagaste mal, mi car­iño tan sin­cero
Lo que con­seguirás, que no te nom­bre nun­ca más
Amor de mis amores, si dejaste de quer­erme
No hay cuida­do, que la gente de eso no se enter­ará
¿Qué gano con decir que una mujer cam­bió mi suerte?
Se burlarán de mí, que nadie sepa mi sufrir
Y pen­sar que te adora­ba cie­ga­mente
Que a tu lado como nun­ca me sen­tí
Y por esas cosas raras de la vida
Sin el beso de tu boca, yo me vi
Y por esas cosas raras de la vida
Sin el beso de tu boca, yo me vi
Amor de mis amores, reina mía, ¿qué me hiciste?
Que no puedo con­for­marme sin poderte con­tem­plar
Ya que pagaste mal, mi car­iño tan sin­cero
Lo que con­seguirás, que no te nom­bre nun­ca más
Amor de mis amores, si dejaste de quer­erme
No hay cuida­do, que la gente de eso no se enter­ará
¿Qué gano con decir que una mujer cam­bió mi suerte?
Se burlarán de mí, que nadie sepa mi sufrir

Ángel Cabral Letra : Enrique Dizeo

Traduction libre

Ne t’étonne pas si je te dis com­bi­en tu as été ingrate avec mon pau­vre cœur.
Parce que le feu de tes beaux yeux noirs a illu­miné le chemin d’un autre amour.
Parce que le feu de tes beaux yeux noirs a éclairé le chemin d’un autre amour
Amour de mes amours, ma reine, que m’as-tu fait ?
Que je ne peux pas être sat­is­fait sans pou­voir te con­tem­pler puisque tu as mal payé, mon affec­tion si sincère.
Ce que tu obtien­dras, c’est que je ne t’appellerai plus jamais amour de mes amours, si tu cess­es de m’aimer.
Ne t’inquiète pas, les gens ne s’en ren­dront pas compte.
Qu’est-ce que je gagne à dire qu’une femme a changé ma chance ?
Ils se moqueront de moi, per­son­ne ne con­naî­tra ma souf­france et ils penseront que je t’ai adoré aveuglé­ment, qu’à tes côtés comme si jamais je ne l’avais ressen­ti.
Et à cause de ces choses étranges de la vie sans le bais­er de ta bouche, je me suis vu.
Et pour ces choses étranges de la vie, sans le bais­er de ta bouche, je me suis vu
Amour de mes amours, ma reine, que m’as-tu fait ?
Que je ne puis être sat­is­fait sans pou­voir te con­tem­pler puisque tu as mal payé, mon affec­tion si sincère.
Ce que tu obtien­dras, c’est que je ne t’appellerai plus jamais amour de mes amours, si tu cess­es de m’aimer.
Ne t’inquiète pas, les gens ne s’en ren­dront pas compte.
Qu’est-ce que je gagne à dire qu’une femme a changé ma chance ?
Ils se moqueront de moi, per­son­ne ne con­naî­tra ma souf­france.

Autres versions

Que nadie sepa mi sufrir 1953-10-28 — Alber­to Castil­lo — Orq Dir Ángel Con­der­curi.

Que nadie sepa mi sufrir 1953-10-28 — Alber­to Castil­lo — Orq Dir Ángel Con­der­curi. Cer­tains attribuent à Jorge Drag­one la Direc­tion de l’orchestre. C’est à mon avis une erreur, car Drag­one dirigeait l’orchestre de Ledes­ma et les pre­miers enreg­istrements sont de 1957.
Castil­lo, après avoir chan­té pour l’orchestre de Tan­turi jusqu’en 1943 a mon­té son orchestre, dirigé par Emilio Bal­carce de fin 1943 à août 1944, puis par Enrique Alessio. En 1948, après un bref pas­sage par l’orchestre de Troi­lo, Castil­lo con­fie la direc­tion de son orchestre à Ángel Con­der­curi et César Zag­no­li, puis en 1949 à Eduar­do Rovi­ra. En 1951 Ángel Con­der­curi, revient, seul à la direc­tion de l’orchestre jusqu’en 1959. Sig­nalons toute­fois quelques enreg­istrements par Raúl Bianchi sur la péri­ode, donc si on peut avoir un doute sur Con­der­curi, c’est du côté de Bianchi qu’il faudrait regarder, pas du côté de Drag­one. Dans les années 60 et 70, Osval­do Reque­na et Con­der­curi vont diriger à tour de rôle l’orchestre. Aucune men­tion de Jorge Drag­one dans la lit­téra­ture sérieuse sur la ques­tion. J’ai même trou­vé un CD où l’orchestre était men­tion­né comme étant celui de Tan­turi…
Mais il reste quelque chose de très impor­tant à sig­naler sur cette inter­pré­ta­tion. Ce serait celle qu’aurait enten­du Edith Piaf et qui en aurait fait La foule avec les paroles de Michel Riv­gauche.

Que nadie sepa mi sufrir 1953-12-18 — Alfre­do De Ange­lis con Car­los Dante.

Moins de deux mois après Castil­lo, Alfre­do De Ange­lis donne sa ver­sion avec Car­los Dante. C’est une très belle ver­sion qui souf­fre seule­ment du mépris de cer­tains pour De Ange­lis et de ce que ce titre met en avant les sonorités criol­las ce qui fait dire avec dédain à cer­tains que c’est du folk­lore et pas du tan­go.

Que nadie sepa mi sufrir 1954-11-09 — Alber­to Mari­no.

Si j’étais un DJ taquin, je met­trais cette ver­sion dans une milon­ga (si, au fait, je suis un DJ taquin, je pour­rais le faire en Europe…). Le céles­ta donne le ton, on est dans quelque chose d’original. La gui­tare joue une très belle par­ti­tion accom­pa­g­née par la con­tre­basse qui donne la base. Il y aurait un accordéon, mais il est telle­ment dis­cret qu’on ne le remar­que pas.

Le céles­ta, com­ment ça marche ? Par Cather­ine Cournot. Pour tout con­naître sur le céles­ta, cet instru­ment orig­i­nal.
Que nadie sepa mi sufrir 1955-06-30 — Alfre­do Gob­bi Con Alfre­do Del Rio y Tito Lan­do.

C’est notre valse du jour. Le rythme est plus posé que dans les ver­sions de De Ange­lis et Castil­lo, on est ain­si plus proche de ce qu’est cen­sée être une valse péru­vi­enne. Le duo Alfre­do Del Rio et Tito Lan­do fonc­tionne par­faite­ment. Même si Gob­bi n’est pas en odeur de sain­teté dans toutes les milon­gas, c’est une ver­sion qui pour­rait faire le bon­heur des danseurs. Pour moi, c’est une très belle réal­i­sa­tion.

Que nadie sepa mi sufrir 1956 — Agustín Irus­ta.

Une ver­sion chan­son, sym­pa, sauf pour la danse. Une intro­duc­tion orig­i­nale annonce aus­si une orches­tra­tion dif­férente.

Voilà la ver­sion que vous attendiez, celle d’Edith Piaf… Ici, vous avez en prime les paroles affichées en espag­nol.

La foule 1957-02-28 — Edith Piaf (paroles de Michel Riv­gauche).

On remar­que l’introduction qui dif­fère un peu des autres ver­sions (en fait, presque toutes les intro­duc­tions ont des vari­antes).

Paroles de La foule d’Edith Piaf (écrites par Michel Rivgauche)

Paroles de La foule
Je revois la ville en fête et en délire
Suf­fo­quant sous le soleil et sous la joie
Et j’en­tends dans la musique les cris, les rires
Qui écla­tent et rebondis­sent autour de moi
Et per­due par­mi ces gens qui me bous­cu­lent
Étour­die, désem­parée, je reste là
Quand soudain, je me retourne, il se recule
Et la foule vient me jeter entre ses bras
Emportés par la foule qui nous traîne
Nous entraîne
Écrasés l’un con­tre l’autre
Nous ne for­mons qu’un seul corps
Et le flot sans effort
Nous pousse, enchaînés l’un et l’autre
Et nous laisse tous deux
Épanouis, enivrés et heureux
Entraînés par la foule qui s’élance
Et qui danse
Une folle faran­dole
Nos deux mains restent soudées
Et par­fois soulevés
Nos deux corps enlacés s’en­v­o­lent
Et retombent tous deux
Épanouis, enivrés et heureux
Et la joie éclaboussée par son sourire
Me transperce et rejail­lit au fond de moi
Mais soudain je pousse un cri par­mi les rires
Quand la foule vient l’ar­racher d’en­tre mes bras
Emportés par la foule qui nous traîne
Nous entraîne
Nous éloigne l’un de l’autre
Je lutte et je me débats
Mais le son de ma voix
S’é­touffe dans les rires des autres
Et je crie de douleur, de fureur et de rage
Et je pleure
Entraînée par la foule qui s’élance
Et qui danse
Une folle faran­dole
Je suis emportée au loin
Et je crispe mes poings, maud­is­sant la foule qui me vole
L’homme qu’elle m’avait don­né
Et que je n’ai jamais retrou­vé

Paroles de Michel Riv­gauche

Je vous pro­pose d’arrêter là. J’avais sélec­tion­né une quar­an­taine de ver­sions, y com­pris dans d’autres rythmes, ce sera pour une autre fois et ter­min­er avec Piaf, c’est tout de même une belle envolée, non ?

À demain, les amis !

El Cachafaz 1937-06-02 — Orquesta Juan D’Arienzo

Manuel Aróstegui (Manuel Gregorio Aroztegui) Letra: Ángel Villoldo

Si vous vous intéressez à la danse du tan­go, vous avez for­cé­ment enten­du par­ler de El Cachafaz . C’était un danseur réputé, mais était-il réelle­ment appré­cié pour ses qual­ités humaines ? D’un côté, il a un tan­go qui lui est dédié, mais les paroles ne le décrivent pas à son avan­tage. D’autre part, si la ver­sion de D’Arienzo qui est notre tan­go du jour est remar­quable, les autres inter­pré­ta­tions ne sont pas si agréables que cela, comme si les orchestres avaient eu une réti­cence à l’évoquer. Je vous invite aujourd’hui à décou­vrir un peu plus de qui était el Cachafaz, la canaille.

Extrait musical

Par­ti­tion pour piano de El Cachafáz
El Cachafaz 1937-06-02 — Orques­ta Juan D’Arien­zo.

La musique com­mence par le cor­net du tran­via (tramway). Le piano de Bia­gi, prend tous les inter­valles libres, mais le ban­donéon et les vio­lons ne méri­tent pas. C’est du très bon D’Arienzo. On a l’impression que El Cachafaz se promène, salué par les tramways. On peut imag­in­er qu’il danse, d’ailleurs ce titre est tout à fait dans­able…

Paroles

Toutes les ver­sions que je vous pro­pose aujourd’hui sont instru­men­tales, mais les paroles nous sont très utiles pour cern­er le per­son­nage. Men­tion­nons tout de même que la musique a été écrite en 1912 et était des­tiné à l’acteur Flo­ren­cio Par­ravici­ni. Cepen­dant, les paroles de Ángel Vil­lol­do s’adressent bien au danseur.

El Cachafaz es un tipo
de vestir muy ele­gante
y en su pres­en­cia arro­gante
se desta­ca un gran señor.
El Cachafaz, donde quiera,
lo han de encon­trar muy tran­qui­lo
y si saca algún filo
se con­vierte en picaflor.

El Cachafaz, bien lo saben,
que es famoso bailarín
y anda en bus­ca de un fes­tín
para así, flo­re­arse más.
El Cachafaz cae a un baile
rece­lan los prometi­dos,
y tiem­blan los mari­dos
cuan­do cae el Cachafaz.

El Cachafaz, cuan­do cae a un bailecito
se larga; pero muy de para­da
y no respe­ta ni a casa­da;
y si es soltera, mejor.
Con mil prome­sas de ter­nu­ra
les ofer­ta, como todos, un mun­do de grandezas
y nadie sabe que la pieza no ha paga­do
y anda en bus­ca afligi­do, el acree­dor.

Manuel Aróstegui (Manuel Gre­go­rio Aroztegui) Letra: Ángel Vil­lol­do

Traduction libre et indications

Le Cachafaz est un type vêtu très élégam­ment et dans sa présence arro­gante se dis­tingue un grand seigneur.
Le Cachafaz, où qu’il soit, doit être trou­vé très calme et s’il trou­ve une ouver­ture (filo se dit chez les délin­quants pour par­ler d’une oppor­tu­nité), il devient un picaflor (col­ib­ri, ou plutôt homme allant butin­er de femme en femme).
Le Cachafaz, comme vous le savez bien, est un danseur célèbre et cherche un fes­tin afin de s’épanouir davan­tage.
Quand le Cachafaz débar­que (caer, tomber en espag­nol, est ici en lun­far­do et sig­ni­fie être présent dans un lieu) dans un bal, les fiancés sont méfi­ants et les maris trem­blent quand le Cachafaz arrive.
Le Cachafaz, lorsqu’il débar­que dans un petit bal, se lâche ; mais, il est très pré­ten­tieux (de nar­iz para­da, le nez redressé comme savent le faire les per­son­nes pré­ten­tieuses) et ne respecte ni les femmes mar­iées ni les céli­bataires, c’est mieux (il préfère les céli­bataires).
Avec mille promess­es de ten­dresse, il leur offre, comme tous, un monde de grandeur et per­son­ne ne sait que la cham­bre n’est pas payée et que va, affligé, à sa recherche, le créanci­er.

Et voici El Cachafaz

Main­tenant que j’ai dressé son por­trait à tra­vers les paroles, essayons de nous intéress­er au per­son­nage réel.
El Cachafaz (Ovidio José Bian­quet), Buenos Aires, 1885–02-14-Mar del Pla­ta, 1942-02-07.
El Cachafaz était grand, laid, grêlé de vérole, il avait un air mal­adif.

Sa danse

El Cachafaz a dan­sé dans une dizaine de films et notam­ment Tan­go (1933) et Car­naval de antaño (1940), extraits que je vais vous présen­ter ici.

C’est un extrait du film “Tan­go” (1933) de Luis Moglia Barth qui est le pre­mier film par­lant argentin. On y voit El Cachafaz (José Ovidio Bian­quet) danser avec Car­menci­ta Calderón, El Entr­erri­ano de Ansel­mo Rosendo Men­dizábal.

À ce moment, il est âgé de 48 ans et sa parte­naire Car­menci­ta Calderón 28 ans. Je donne cette pré­ci­sion, car cer­tains affir­ment que sa parte­naire n’a pas encore 20 ans. Il dansera avec elle dans deux autres films en 1939 “Giá­co­mo” et “Var­iedades”. Ce sera aus­si sa com­pagne de vie jusqu’à sa mort et à part une presta­tion avec Sofía Bozán, sa parte­naire de danse. Car­menci­ta Calderón est morte cen­te­naire, en 2005. Une preuve que le tan­go con­serve.

Voyons-le danser un peu plus tard, en 1940, avec Sofía Bozán

C’est un extrait du film “Car­naval de antaño” (1940) de Manuel Romero. C’est deux ans avant la mort de El Cachafaz. Il a 55 ans dans cette presta­tion.

On notera que le rôle prin­ci­pal est tenu par Flo­ren­cio Par­ravici­ni qui aurait été lé dédi­cataire en 1912 de la musique de Manuel Aróstegui. Les deux Cachafaz dans le même film.

Ses principales partenaires :

Eloise Gab­bi. Elle fit avec lui une tournée aux USA en 1911. En fait, c’est plutôt l’inverse si on cons­dère que El Cachafaz était désigné comme “an Argen­tine indi­an” (Un indi­en argentin). Il faut dire qu’il devait encore avoir à l’époque la stature faubouri­enne qu’il amélior­era, comme Bertrán, dans le tan­go Del bar­rio de las latas.

Emma Bóve­da, Elsa O’Con­nor puis Isabel San Miguel qui furent aus­si ses com­pagnes, jusqu’à ce qu’il ren­cotre Car­menci­ta Calderón (Car­men Micaela Ris­so de Can­cel­lieri) (1905–02-10 – 200510–31. Car­menci­ta danse avec lui dans Tan­go (1933), Giá­co­mo” (1939) et “Var­iedades (1939).
Sofía Bozán (Sofía Isabel Berg­ero) 1904-11-05 — 1958-07-09. Pour le film Car­naval de antaño, mais il reste avec Car­menci­ta, jusqu’à sa mort en 1942, Car­menci­ta qui lui sur­vivra 63 ans…

La pho­to dont je suis par­ti pour faire celle de cou­ver­ture de l’ar­ti­cle… El Cachafaz avec sa com­pagne, Car­menci­ta Calderón. C’est une pho­to posée et retouchée pour ce qui est du vis­age de El Cachafaz.

Voici ce qu’en dit Canaro (pages 79–81 de Mis memorias)

Mis memo­rias 1906–1956 – Fran­cis­co Canaro. Même si le livre est cen­trée sur Canaro, c’est une mine de ren­seigne­ments sur le tan­go de l’époque. C’est assez curieux qu’il soit si peu cité.

“Con­cur­ría: con suma fre­cuen­cia a los bailes del “Olimpo” un per­son­aje que ya goz­a­ba de cier­ta pop­u­lar­i­dad: Ben­i­to Bian­quet (“El Cachafaz”); a quien no se le cobra­ba la entra­da, porque era una ver­dadera atrac­ción; cuan­do él bail­a­ba la con­cur­ren­cia entu­si­as­ma­da le forma­ba rue­da y él se flo­re­a­ba a gus­to hacien­do der­roche en las fig­uras del típi­co tan­go de arra­bal.

Puede decirse, sin temor a hipér­bole, que “El Cachafaz” fué indis­cutible­mente el mejor y más com­ple­to bailarín de tan­go de su tiem­po. No tuvo mae­stro de baile; su propia intu­ición fué la mejor escuela de su esti­lo. Era per­fec­to en su porte, ele­gante y jus­to en sus movimien­tos, el de mejor com­pás; en una pal­abra, “El Cachafaz”, en el tan­go, fué lo que Car­l­i­tos Gardel coma can­tor: un creador; y ambos no han tenido suce­sores, sino imi­ta­dores, que no es lo mis­mo. “El Cachafaz” siem­pre iba acom­paña­do de su insep­a­ra­ble ami­go “El Paisan­i­to”, mucha­cho que tenía fama de guapo y que, para su defen­sa, usa­ba una daga de unos sesen­ta a seten­ta, cen­tímet­ros de largo; se la ponía deba­jo del bra­zo izquier­do calzán­dola por entre la aber­tu­ra del chale­co, y la pun­ta daba más aba­jo del cin­turón rozán­dole la pier­na. Para sacar­la lo hacía en tres tiem­pos y con gran rapi­dez cuan­do las cir­cun­stan­cias lo exigían. No obstante, “El Paisan­i­to” era un buen mucha­cho y un leal ami­go. […]

Pre­cisa­mente, recuer­do que una noche hal­lán­dose en una mesa “El Cachafaz” con “El Paisan­i­to” y otros ami­gos, apare­ció otro famoso Bailarín de tan­go, “El Ren­go Coton­go”, guapo el hom­bre y según decían de averías y de mal vivir; lo acom­paña­ban otros suje­tos de pin­ta no muy recomend­able, quienes se ubi­caron en una mesa próx­i­ma a la de “El Cachafaz”. “El Ren­go Coton­go” traía tam­bién su com­pañera de baile. Empezaron a beber en ambas mesas, y entre baile y baile lan­z­a­ban indi­rec­tas alu­si­vas a “El Cachafaz”, y se orig­inó un desafió. Querían dilu­ci­dar y dejar sen­ta­do cuál de los dos era mejor bailarín de tan­go. Se con­cretó la apues­ta y el primera en salir a bailar fué “El Ren­go Coton­go”, quien pidió que tocasen “El Entr­erri­ano”. El apo­do le venía porque rengue­a­ba de una pier­na al andar, pero ello no fué obstácu­lo para lle­gar a con­quis­tar car­tel de buen bailarín, pues en real­i­dad bai­lan­do no se le nota­ba la renguera, al igual que a los tar­ta­mu­dos, que can­tan­do dejan de ser­lo. sal­ió el famoso “Ren­go” hacien­da fil­igranas, acla­ma­do por la bar­ra que lo acom­paña­ba y por los con­ter­tulios que sim­pa­ti­z­a­ban con él, y ter­miné la pieza entre grandes aplau­sos. Y le tocó a “El Cachafaz”, quien pidió que tomasen El Choclo. Sal­ió con su gar­bo varonil y con su pos­tu­ra ele­gante hacien­do con los pies tan mar­avil­losas “fior­it­uras” que sólo falta­ba que pusiera su nom­bre; pero dibu­jó sus ini­ciales entre atron­adores aplau­sos y «¡vivas!” a “El Cachafaz”. Al verse “El Ren­go” y sus comp­inch­es desaira­dos en su desafió, ahí nomas empezaron a menudear los tiros y se armó la de San Quin­tín. En media del barul­lo nosotros no sen­tíamos más que “¡pim-paf, pum!” … y las balas pega­ban en la cha­pa de hier­ro que cubría la baran­da del pal­co donde nosotros tocábamos, vién­donos oblig­a­dos a echar cuer­po a tier­ra has­ta que amainó el escán­da­lo con la pres­en­cia de la policía, que arreó con todo el mun­do a la comis­aria. Y el salón quedó clausura­do por largo tiem­po.”

Fran­cis­co Canaro — Mis memo­rias 1906–1956

Traduction libre du texte de Canaro

Très fréquem­ment aux bals de l’ ”Olimpo” se trou­vait un per­son­nage qui jouis­sait déjà d’une cer­taine pop­u­lar­ité : Ben­i­to Bian­quet (« El Cachafaz ») ; qui ne payait pas l’entrée, parce que c’é­tait une véri­ta­ble attrac­tion ; Quand il dan­sait, la foule ent­hou­si­aste for­mait un cer­cle et il s’é­panouis­sait à l’aise, se répan­dant dans les fig­ures du tan­go typ­ique des faubourgs.

On peut dire, sans crainte de l’hy­per­bole, que « El Cachafaz » était incon­testable­ment le meilleur et le plus com­plet danseur de tan­go de son temps. Il n’avait pas de pro­fesseur de danse ; Sa pro­pre intu­ition fut la meilleure école de son style. Il était par­fait dans son main­tien, élé­gant et juste dans ses mou­ve­ments, le meilleur com­pás; en un mot, « El Cachafaz », en tan­go, était ce que Car­l­i­tos Gardel est comme chanteur : un créa­teur ; Et les deux n’ont pas eu de suc­cesseurs, mais des imi­ta­teurs, ce qui n’est pas la même chose. « El Cachafaz » était tou­jours accom­pa­g­né de son insé­para­ble ami « El Paisan­i­to », un garçon qui avait la répu­ta­tion d’être beau et qui, pour sa défense, util­i­sait un poignard d’en­v­i­ron soix­ante à soix­ante-dix cen­timètres de long ; Il le plaçait sous son bras gauche, l’in­sérant dans l’ou­ver­ture du gilet, et la pointe était au-dessous de la cein­ture et lui effleu­rait la jambe. Pour le sor­tir, il le fai­sait en trois temps et avec une grande rapid­ité lorsque les cir­con­stances l’ex­igeaient. Néan­moins, « El Paisan­i­to » était un bon garçon et un ami fidèle. […]

Pré­cisé­ment, je me sou­viens qu’un soir où « El Cachafaz » était à une table avec « El Paisan­i­to » et d’autres amis, un autre danseur de tan­go célèbre est apparu, « El Ren­go Coton­go », bel homme et, comme on dis­ait, de dépres­sions et de mau­vaise vie ; il était accom­pa­g­né d’autres sujets d’ap­parence peu recom­mand­able, qui étaient assis à une table près de celle d’El Cachafaz. El Ren­go Coton­go” a égale­ment amené sa parte­naire de danse. Ils com­mencèrent à boire aux deux tables, et entre les dans­es, ils lançaient des allu­sions à « El Cachafaz », et un défi s’en­suiv­it. Ils voulaient élu­cider et établir lequel des deux était le meilleur danseur de tan­go. Le pari a été fait et le pre­mier à aller danser a été « El Ren­go Coton­go », qui nous a demandé de jouer « El Entr­erri­ano ». Le surnom lui venait du fait qu’il boitait d’une jambe lorsqu’il mar­chait, mais ce n’é­tait pas un obsta­cle pour con­quérir l’af­fiche d’un bon danseur, car en réal­ité en dansant, ce n’é­tait pas per­cep­ti­ble, ain­si que les bègues, qui en chan­tant cessent de l’être. Le fameux « Ren­go » est sor­ti, en exé­cu­tant des fil­igranes, acclamé par la bande qui l’ac­com­pa­g­nait et par les par­tic­i­pants qui sym­pa­thi­saient avec lui, et j’ai ter­miné la pièce au milieu de grands applaud­isse­ments. Et ce fut au tour d’ “El Cachafaz », qui nous a demandé de pren­dre El Choclo. Il entra avec sa grâce vir­ile et son atti­tude élé­gante, faisant de si mer­veilleuses « fior­it­uras » avec ses pieds qu’il ne lui restait plus qu’à met­tre son nom ; mais il a dess­iné ses ini­tiales au milieu d’un ton­nerre d’ap­plaud­isse­ments et de « vivas ! » à « El Cachafaz ». A con­trario, « El Ren­go » et ses acolytes ont été snobés dans leur défi, aus­si, sans façon, les coups de feu ont com­mencé à être tirés et la de San Quin­tín a été mise en place (cela sig­ni­fie un scan­dale ou une très grande bagarre, en référence à la bataille de San Quentin qui a eu lieu à l’époque de Philippe II (XVIe siè­cle) entre l’Es­pagne et la France, autour du roy­aume de Naples. Au milieu du brouha­ha, nous n’avons rien ressen­ti d’autre que « pim-paf, bam ! » et les balles se logeaient dans la plaque de fer qui cou­vrait la balustrade de la loge où nous jouions, et nous avons été for­cés de nous jeter à terre jusqu’à ce que le scan­dale s’éteigne avec la présence de la police, qui a rassem­blé tout le monde au com­mis­sari­at. Et le salon a été fer­mé pen­dant longtemps.

El Cachafaz évoqué par Miguel Eusebio Bucino

Le tan­go Bailarín com­padri­to de Miguel Euse­bio Buci­no par­le juste­ment de El Cachafaz.

Vesti­do como dandy, peina’o a la gom­i­na
Y dueño de una mina más lin­da que una flor
Bailás en la milon­ga con aire de impor­tan­cia
Lucien­do la ele­gan­cia y hacien­do exhibi­ción
Cualquiera iba a decirte, ¡che!, reo de otros días
Que un día lle­garías a rey de cabaret
Que pa’ enseñar tus cortes pon­drías acad­e­mia
Al tau­ra siem­pre pre­mia la suerte, que es mujer
Bailarín com­padri­to
Que flo­re­aste tus cortes primero
En el viejo bai­lon­go orillero
De Bar­ra­cas, al sur
Bailarín com­padri­to
Que querías pro­bar otra vida
Y al lucir tu famosa cor­ri­da
Te vin­iste al Maipú
Ara­ca, cuan­do a veces oís “La Cumpar­si­ta“
Yo sé cómo pal­pi­ta tu cuore al recor­dar
Que un día lo bailaste de lengue y sin un man­go
Y aho­ra el mis­mo tan­go bailás hecho un bacán
Pero algo vos darías por ser por un rati­to
El mis­mo com­padri­to del tiem­po que se fue
Pues cansa tan­ta glo­ria y un poco triste y viejo
Te ves en el espe­jo del loco cabaret
Bailarín com­padri­to
Que querías pro­bar otra vida
Y al lucir tu famosa cor­ri­da
Te vin­iste al Maipú
Miguel Euse­bio Buci­no

Miguel Euse­bio Buci­no

Traduction libre de Bailarín compadrito

Habil­lé en dandy, les cheveux peignés et pro­prié­taire d’une fille plus belle qu’une fleur, vous dansez dans la milon­ga avec un air d’importance, faisant éta­lage d’élégance et faisant une exhi­bi­tion n’importe qui allait vous dire, che ! pris­on­nier d’un autre temps, qu’un jour vous devien­driez roi du cabaret que pour enseign­er tes cortes tu fer­ras académie au tau­ra sourit tou­jours la chance, qui est une femme.
Danseur voy­ou qui a fait fleurir tes pre­miers cortes dans l’ancien bal à la périphérie de Bar­ra­cas, au sud.
Danseur voy­ou qui voulait essay­er une autre vie et qui, quand tu as mon­tré ta fameuse cor­ri­da, tu es venu au Maipú.
Mon vieux (gar­di­en), quand tu entends par­fois « La Cumpar­si­ta », je sais com­ment ton cœur bat quand tu te sou­viens qu’un jour tu l’as dan­sé avec un foulard (on le voit dans le film Tan­go de 1933) et sans un sou et main­tenant le même tan­go fait de toi un bacán (un for­tuné).
Mais tu don­nerais quelque chose pour être pen­dant un petit moment le même voy­ou de l’époque qui s’en est allé, parce que tant de gloire est fati­gante et que vous vous voyez dans le miroir du cabaret fou.
Danseur voy­ou, qui voulait essay­er une autre vie et qui en mon­trant sa fameuse cor­ri­da, tu es venu au Maipú.
On voit que ces paroles cor­re­spon­dent à celles de Vil­lo­do, ce qui me per­met de valid­er le fait que ce tan­go est bien adressé à El Cachafaz, du moins dans ses paroles.

Autres versions

Toutes les ver­sions sont instru­men­tales. L’écoute ne per­met prob­a­ble­ment pas de dis­tinguer les ver­sions qui étaient plutôt des­tinées à l’acteur et celles des­tinées au danseur. On note toute­fois, que la plu­part ne sont pas géniales pour la danse. Est-ce une façon de les départager ? Je suis partagé sur la ques­tion.

El Cachafaz 1912 — Cuar­te­to Juan Maglio “Pacho”.

Cet enreg­istrement Antique com­mence avec le cor­net du tran­via et qui résonne à dif­férentes repris­es, arrê­tant le bal. Des paus­es, un peu comme les breaks que D’Arienzo met­tra en place bien plus tard dans ses inter­pré­ta­tions.

El Cachafaz 1937-06-02 — Orques­ta Juan D’Arien­zo.

La musique com­mence par le cor­net du tran­via (tramway). Le piano de Bia­gi, prend tous les inter­valles libres, mais le ban­donéon et les vio­lons ne méri­tent pas. C’est du très bon D’Arienzo. On a l’impression que El Cachafaz se promène, salué par les tramways. On peut imag­in­er qu’il danse, d’ailleurs ce titre est tout à fait dans­able…

El Cachafaz 1950-12-27 — Ricar­do Pedev­il­la y su Orques­ta Típi­ca.

Pass­er après D’Arienzo, n’est pas évi­dent. Un petit coup de Cor­net pour débuter et ensuite de jolis pas­sages, mais à mon avis pas avec le même intérêt pour le danseur que la ver­sion de D’Arienzo. Cepen­dant, cette ver­sion reste tout à fait dans­able et si elle ne va prob­a­ble­ment pas soulever des ent­hou­si­asme déli­rants, elle ne devrait pas sus­citer de tol­lé mémorables et se ter­min­er à la de San Quin­tín.

El Cachafaz 1953-05-22 — Orques­ta Eduar­do Del Piano.

Le Cor­net ini­tial est peu recon­naiss­able. Le tan­go est tout à fait dif­férent. Il a des accents un peu som­bres. Del Piano est dans une recherche musi­cale qui l’a éloigné de la danse. Un comble si le tan­go est lié à un danseur si célèbre.

El Cachafaz 1954-01-26 — Orques­ta Car­los Di Sar­li.

Di Sar­li rétabli le cor­net ini­tial, mais son inter­pré­ta­tion est assez décousue. Pour le danseur il est dif­fi­cile de prévoir ce qui va se pass­er. Sans doute un essai de renou­velle­ment de la part de Di Sar­li, mais je ne suis pas tant con­va­in­cu que les danseurs trou­vent le ter­rain calme et favor­able à l’improvisation auquel Di Sar­li les a habitué. Pour moi, c’est un des rares Di Sar­li de cette époque que je ne passerai pas.

El Cachafaz 1958 — Los Mucha­chos De Antes.

On retrou­ve avec cette ver­sion, la flûte qui fait le cor­net du tran­via. L’association gui­tare, flute, donne un résul­tat très léger et agréable. La gui­tare, mar­que bien la cadence et les danseurs pour­ront aller en sécu­rité avec cette ver­sion qui oscille entre la milon­ga et le tan­go. Les mucha­chos ont recréé une ambiance début de siè­cle très con­va­in­cante. Ils méri­tent leur nom.

Voilà les amis, c’est tout pour aujourd’hui. Je vous souhaite de danser comme El Cachafaz et Car­menci­ta.

La pulpera de Santa Lucía 1945-04-24 — Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Enrique Alessio

Enrique Maciel Letra: Héctor Pedro Blomberg

Cette valse si agréable à danser, notam­ment dans la ver­sion qu’en donne Castil­lo avec son orchestre a fail­li ne pas voir de suc­cès. Lançons-nous à la ren­con­tre de la pulpera de la pulpería.

La pulpera de Santa Lucía

Tout d’abord, un peu de vocab­u­laire. Une pulpera, est une employée, ou une pro­prié­taire de pulpería. Le « í » est donc impor­tant. La chan­son par­le d’une femme, pas de son étab­lisse­ment.

Mais alors qui est cette femme et où était cet établissement?

Héc­tor Pedro Blomberg décrit une blonde aux yeux bleus. Elle pour­rait être inven­tée à l’image de son pays d’origine (son grand-père pater­nel était un marin norvégien).
En fait, même s’il y a plusieurs hypothès­es, la plus prob­a­ble est que cette femme était la fille d’un mon­sieur Miran­da qui tenait un lieu de ce type. À sa mort pour une his­toire poli­tique, on ver­ra dans les paroles que De Rosas n’est pas loin, sa femme et sa fille ont repris l’établissement qui était fameux. Il est décrit comme étant à l’angle de Caseros et Mar­tin Gar­cia. Mal­heureuse­ment, ce sont deux avenues, donc par­al­lèles. Je pro­pose donc plutôt l’angle de Mar­tin Gar­cia et Montes de Oca, juste­ment le bâti­ment qui touche l’église de San­ta Lucía…
La blonde aux yeux bleus s’appelait peut-être Dion­isia Miran­da si ces hypothès­es ne sont pas trop fauss­es…

Évidem­ment, l’histoire se passe au milieu du XIXe siè­cle et donc, ce bâti­ment n’existait pas. À l’époque, l’église devait être isolée dans un envi­ron­nement rur­al et les gau­chos devaient pass­er une bonne par­tie de leurs journées à la pulpería.

Extrait musical

La pulpera de San­ta Lucía 1945-04-24 — Alber­to Castil­lo y su Orques­ta Típi­ca dir. por Enrique Alessio.

Pour une ver­sion de chanteur, c’est tout à fait dans­able. C’est même une superbe valse. Je pense que vous éprou­verez beau­coup de plaisir à la danser, mal­gré les regrets exprimés dans les paroles.

Paroles

Era rubia y sus ojos celestes
refle­ja­ban la glo­ria del día
y canta­ba como una calan­dria
la pulpera de San­ta Lucía.

Era flor de la vie­ja par­ro­quia.
¿Quién fue el gau­cho que no la quería?
Los sol­da­dos de cua­tro cuar­te­les
sus­pira­ban en la pulpería.

Le can­tó el payador mazor­quero
con un dulce gemir de vihue­las
en la reja que olía a jazmines,
en el patio que olía a diame­las.

« Con el alma te quiero, pulpera,
y algún día ten­drás que ser mía,
mien­tras llenan las noches del bar­rio
las gui­tar­ras de San­ta Lucía ».

La llevó un payador de Lavalle
cuan­do el año cuarenta moría;
ya no alum­bran sus ojos celestes
la par­ro­quia de San­ta Lucía.

No volvieron los trompas de Rosas
a can­tar­le vidalas y cie­los.
En la reja de la pulpería
los jazmines llora­ban de celos.

Y volvió el payador mazor­quero
a can­tar en el patio vacío
la doliente y postr­er ser­e­na­ta
que llevábase el vien­to del río:

¿Dónde estás con tus ojos celestes,
oh pulpera que no fuiste mía?”
¡Cómo llo­ran por ti las gui­tar­ras,
las gui­tar­ras de San­ta Lucía!

Enrique Maciel Letra: Héc­tor Pedro Blomberg

Traduction libre et indications

Elle était blonde et ses yeux bleu clair (célestes, couleur du dra­peau argentin) reflé­taient la gloire du jour et elle chan­tait comme une calan­dre (oiseau chanteur) la pulpera (la femme) de San­ta Lucia.
Elle était la fleur de l’ancienne paroisse. Quel gau­cho ne voudrait pas d’elle ? Les sol­dats de qua­tre casernes soupi­raient dans la pulpería (l’établissement).
Le payador mazor­quero (chanteur par­ti­san de Rosas, mil­i­taire, gou­verneur et putschiste) lui chan­tait avec un doux gémisse­ment de vihue­las (instru­ment de musique appar­en­té à la gui­tare) sur la clô­ture qui sen­tait le jas­min, dans la cour qui sen­tait le diame­las (sorte de jas­min).
« Pulpera, je t’aime de toute mon âme, et un jour tu devras être mienne, quand les nuits du quarti­er sont rem­plies des gui­tares de San­ta Lucia. »
Un payador de Lavalle (c’est aus­si le titre d’une ranchera de Brig­no­lo) l’a enlevée à la mort de l’année quar­ante ; déjà, ses yeux bleus n’éclairent plus la paroisse de San­ta Lucia.
Les trompettes de Rosas ne revin­rent pas lui chanter des vidalas et des cie­los (dans­es). Sur la clô­ture de l’épicerie, les jas­mins pleu­raient de jalousie.
Et le payador de Rosas revint chanter dans la cour vide
la séré­nade plain­tive et tar­dive qu’apportait le vent de la riv­ière :
Où es-tu avec tes yeux célestes, ô pulpera qui ne fut pas mienne ? Com­ment, pour toi pleurent les gui­tares, les gui­tares de San­ta Lucía !

Cette valse nous par­le donc d’un temps ou le quarti­er était rur­al et où De Rosas gérait d’une main de fer la Province de Buenos Aires, l’époque Rosis­tas.

Autres versions

La pulpera de San­ta Lucía 1929-06-19 — Igna­cio Corsi­ni con gui­tar­ras de Pagés-Pesoa-Maciel.

Cette ver­sion est impor­tante, car Corsi­ni est celui qui a lancé cette valse écrite par un de ces gui­taristes, Enrique Maciel… C’était à la radio, en 1928 et le suc­cès a été tel que les audi­teurs ont demandé un bis par télé­phone. Ceux qui avaient refusé le titre ont dû s’en mor­dre les doigts.

Une fois lancée, Canaro, comme à son habi­tude, l’a enreg­istrée…

La pulpera de San­ta Lucía 1929-07-03 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

C’est une ver­sion lente avec l’originalité de la présence d’une gui­tare hawaïenne. Canaro utilis­era cet instru­ment dans d’autres œuvres, dont juste­ment une valse com­posée par William H. Heag­ney, tout aus­si lente que celle-ci et qui se nomme… Bells of Hawaii (enreg­istrée le 9 novem­bre de la même année).

Bells of Hawaii 1929-11-09 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro (William H. Heag­ney)

(Ce n’est bien sûr pas une ver­sion de la pulpera, c’est juste pour vous faire enten­dre une valse sim­i­laire avec de la gui­tare hawaïenne).

La pulpera de San­ta Lucía 1930 — Orques­ta Rafael Canaro con Car­los Dante.

Le frère de Fran­cis­co s’y colle ensuite avec Car­los Dante. Une ver­sion très rapi­de, plutôt chan­son avec une forte présence de la gui­tare qui fait penser à Corsi­ni.

La pulpera de San­ta Lucía 1945-04-24 — Alber­to Castil­lo y su Orques­ta Típi­ca dir. por Enrique Alessio. La pulpera de San­ta Lucía 1945-04-24 — Alber­to Castil­lo y su Orques­ta Típi­ca dir. por Enrique Alessio. C’est notre mer­veille de valse du jour.
La pulpera de San­ta Lucía 1974 — Hugo Díaz.

Une ver­sion très éton­nante avec ses dis­so­nances plaquées sur l’introduction. L’harmonica par­ti­c­ulière­ment expres­sif d’Hugo Díaz se promène par-dessus la gui­tare qui donne le rythme et per­met de ren­dre dans­able cette ver­sion assez par­ti­c­ulière. Même si vous ne la dansez pas, il faut la con­naître pour l’harmonica qui lui imprime son car­ac­tère si puis­sant.

La pulpera de San­ta Lucía 1977 Nel­ly Omar con gui­tar­ras — Jose Canet.

Une ver­sion sym­pa­thique, chan­tée par une femme et quelle chanteuse. Je pense que vous apprécierez son écoute.

La pulpera de San­ta Lucía 1983 — Miguel Vil­las­boas y su Orques­ta Típi­ca.

Pour ter­min­er, une ver­sion de l’autre rive. Bien dansante et amu­sante comme c’est le faire Vil­las­boas avec son piano bien ryth­mé et ses vio­lons qui flot­tent avec une sonorité si par­ti­c­ulière. On notera égale­ment le mag­nifique solo du ban­donéon. Tous n’aiment pas, mais moi, j’aime bien et c’est assez fes­tif pour ter­min­er ce tour des ver­sions de la Pulpera de San­ta Lucía.

Un « couple » étonnant

Dans la milon­ga d’hier, j’abordai les orig­ines noires du tan­go. Enrique Maciel, El Negro Maciel est effec­tive­ment d’origine noire et plus pré­cisé­ment noire améri­caine. Il est descen­dant d’esclaves du Sud des États-Unis. C’est son grand-père pater­nel, dont le nom de famille était Mar­shall qui a immi­gré en Argen­tine. Maciel fait plus Argentin que Mar­shall, j’imagine la scène à l’immigration « c’est quoi ton nom ? Mar­shall, Maciel ?

Son parte­naire dans la com­po­si­tion de ce tan­go est Héc­tor Pedro Blomberg qui comme son nom le sug­gère était Norvégien d’origine. Là encore, c’est son grand-père pater­nel qui s’est fixé après avoir épousé une Paraguayenne, elle-même auteure. En 1911, il embar­que sur un navire pour… la Norvège où il reste deux ans. Durant son voy­age il écriv­it des arti­cles pour les revues de l’époque. Par chance, on peut les lire sans retrou­ver toutes les revues, car ils ont été pub­liés en 1920 dans un ouvrage Las Puer­tas de Babel. Le pré­faci­er, Manuel Gálvez, nous en explique le titre. Je repro­duis cet extrait ici, car il est très évo­ca­teur du Buenos Aires des orig­ines du tan­go : 

«Los puer­tos de Buenos Aires, y los bar­rios que los rodean: La Boca, El Dock Sur, El Paseo de Julio, son las puer­tas de Babel. Por ellos se entra en la ciu­dad mon­stru­osa e inqui­etante donde todos los idiomas del mun­do y todas las razas se con­fun­den y mez­clan. Arri­ba está la ciu­dad rica y poderosa. Aba­jo, es decir en las puer­tas de Babel, se aglom­era la car­a­vana de los parias, la tur­ba sucia y doliente que arras­tra por los puer­tos y los mares su des­o­lación et su mis­e­ria.

Mul­ti­tud de lam­en­ta­bles fig­uril­las humanas des­fi­lan. Marineros ingle­ses, bor­ra­chos y bru­tales, pasan jun­tos a suaves y con­tem­pla­tivos chi­nos. Holan­deses et ital­ianos codéense en los antros del Paseo de Julio con árabes melancóli­cos que invo­can a Alá, y año­ran las amadas de Argel. Mujeres de todas las razas — las cig­a­r­ras del ham­bre — can­tan y dan­zan en los cabarets sinie­stros: andaluzas de Cádiz y de Mála­ga, grie­gas de Salóni­ca, mulatas mar­tiniqueñas, ingle­sas de Liv­er­pool u de Swansea. Todos los bar­rios trági­cos de tier­ra son evo­ca­dos en las puer­tas de Babel: el Bund, de Changai; el Sol­brero Rojo, de Marsel­la; las calle­jue­las sucias de los bar­rios que cir­cun­dan los grandes puer­tos. Y todas las can­ciones de la tier­ra dilúyense en los ámbitos de Babel: coplas de Sor­ren­to, que hacen soñar con el mar azul, fados por­tugue­ses, sen­suales y lán­gui­dos; can­rates des­o­la­dos de los archip­iéla­gos, oídos en las radas de Oceanía; bal­adas cán­di­das, y fra­gantes que evo­can las már­genes del Yang-Tse-Kiang; vie­jas gua­ji­ras de Cuba ; lúgubres coplas andaluzas.Y todas aque­l­las gentes van pasan­do bajo las arcadas del Paseo de Julio, o por las calles de la Boca o del Dock Sur, o se amon­to­nan en los antros, en los cabarets, en las hamadas, en los fumaderos de opio. Y la trage­dia estal­la a cada paso, allí en las puer­tas de Babel. Hom­bres tat­u­a­dos se apuñalean por algu­na de aque­l­las cig­a­r­ras del ham­bre, “gavio­tas de todos los puer­tos”, como tam­bién las lla­ma Blomberg. »

Pré­face de Las Puer­tas de Babel par Manuel Gálvez.

Traduction libre

« Les ports de Buenos Aires, et les quartiers qui les entourent : La Boca, El Dock Sur, El Paseo de Julio, sont les portes de Babel. C’est par eux que vous entrez dans la ville mon­strueuse et inquié­tante où toutes les langues du monde et toutes les races sont con­fon­dues et mélangées. Au-dessus se trou­ve la ville riche et puis­sante. En bas, c’est-à-dire aux portes de Babel, se rassem­ble la car­a­vane des pro­scrits, la foule immonde et triste qui traîne sa déso­la­tion et sa mis­ère à tra­vers les ports et les mers.
Une mul­ti­tude de pitoy­ables fig­urines humaines défi­lent. Les marins anglais, ivres et bru­taux, passent avec des Chi­nois doux et con­tem­plat­ifs. Néer­landais et Ital­iens se côtoient dans les clubs du Paseo de Julio avec des Arabes mélan­col­iques qui invo­quent Allah et se lan­guis­sent des bien-aimés d’Alger. Des femmes de toutes les races, les cigales de la faim, chantent et dansent dans les sin­istres cabarets : Andalous­es de Cadix et de Mala­ga, Grec­ques de Thes­sa­lonique, mulâtres mar­tini­quais­es, Anglais­es de Liv­er­pool ou de Swansea. Tous les quartiers trag­iques de la terre sont évo­qués aux portes de Babel : le Bund, à Changai ; le cha­peau rouge de Mar­seille (le nom vient du cha­peau que por­taient les cochers des mes­sageries Royales et qui a don­né le nom à nom­bre de relais de poste, auberges…) ; les ruelles sales des quartiers qui entourent les grands ports. Et tous les chants de la terre se dilu­ent dans les lam­beaux de Babel : les cou­plets de Sor­rente, qui font rêver la mer bleue, le fado por­tu­gais, sen­suel et lan­goureux ; les can­rates désolés des archipels (prob­a­ble­ment Canaries), enten­dus dans les rades de l’Océanie ; des bal­lades can­dides et par­fumées qui évo­quent les rives du Yang-Tsé-Kiang ; vieilles gua­ji­ras de Cuba ; Lugubres cou­plets andalous.
Et tous ces gens-là passent sous les arcades du Paseo de Julio, ou dans les rues de La Boca ou du Dock Sur, ou s’entassent dans les clubs, dans les cabarets, dans les hamadas, dans les fumeries d’opium (on en par­lait à pro­pos de El opio de Canaro). Et la tragédie éclate à chaque tour­nant, là-bas, aux portes de Babel. Des hommes tatoués sont poignardés pour l’une de ces cigales de la faim, « mou­ettes de tous les ports », comme les appelle aus­si Blomberg. »

Un petit documentaire pour terminer

Un doc­u­men­taire réal­isé par El Veci­nalRéseau social de Misiones. C’est en espag­nol, mais des infor­ma­tions com­plé­men­taires sont pro­posés, notam­ment sur De Rosas.

Un doc­u­men­taire réal­isé par El Veci­nalRéseau social de Misiones

Silencio 1933 ‑03–27 — Carlos Gardel con la orquesta de Francisco Canaro y coro de mujeres

Carlos Gardel; Horacio G. Pettorossi Letra: Alfredo Le Pera ; Horacio G. Pettorossi

Le tan­go du jour est Silen­cio, enreg­istré par Gardel avec l’orchestre de Canaro en 1933. Ce titre « expi­a­toire » dévoile une des failles de Car­los Gardel, Enfant de France. Je vous invite à décou­vrir ou redé­cou­vrir ce titre chargé d’émotion et d’histoire.

Une fois n’est pas cou­tume, je vais vous faire voir et écouter une ver­sion dif­férente du tan­go du jour, avant la ver­sion du jour.
Nous sommes en 1932, Car­los Gardel est en France (comme beau­coup de musi­ciens et artistes Argentins à l’époque). Il y tourne qua­tre films et dans le dernier de la série, il chante une chan­son dont on ne peut com­pren­dre la total­ité de l’émotion qu’avec un peu d’histoire.

Silen­cio 1932-11 Car­los Gardel con la Orques­ta típi­ca Argenti­na de Juan Cruz Mateo. Une ver­sion émou­vante tirée du film « Melodía de arra­bal » de Louis Gas­nier.

Ce film a été tourné en France, à l’est de Paris, aux Stu­dios de Joinville-le-Pont en octo­bre et novem­bre 1932. Le scé­nario est d’Alfredo Le Pera (auteur des paroles de ce titre, égale­ment).

Juan Cruz Mateo

L’orchestre représen­té dans le film et qui joue la bande-son est la Orques­ta típi­ca Argenti­na de Juan Cruz Mateo. C’est un des 200 orchestres de tan­go de l’âge d’or. On n’en con­naît guère aujourd’hui qu’une cinquan­taine ayant suff­isam­ment d’enregistrements pour être sig­ni­fi­cat­ifs et sans doute pas beau­coup plus d’une cinquan­taine ayant suff­isam­ment de titres pour faire une tan­da, et cela à la con­di­tion de ne pas être trop exigeant. D’ailleurs, pour cer­tains titres que j’appelle « orphe­lins », je mélange les orchestres pour con­stituer une tan­da com­plète et cohérente. Par exem­ple, la Típi­ca Vic­tor dirigée par Cara­bel­li et l’orchestre de Cara­bel­li. Cela, c’est plus fréquem­ment pour les milon­gas qui sont plutôt défici­taires en nom­bre (moins de 600 milon­gas ont été enreg­istrées entre 1935 et 1955), con­tre presque le dou­ble de valses et qua­tre fois plus de tan­gos. En effet, l’âge d’or du tan­go, c’est à peine 6000 titres et tous ne sont pas pour la danse… C’est donc un pat­ri­moine ridicule­ment petit par rap­port à ce qui a été joué et pas enreg­istré.

Sur l’image de gauche, l’équipe du film « La Casa es seria » avec Juan Cruz Mateo, le pianiste de Gardel à droite de l’image. À sa droite, au pre­mier plan, Le Pera et sur la gauche de l’image au pre­mier plan… Car­los Gardel. Les autres sont des per­son­nes de la Para­mount qui a pro­duit le film. La pho­to du cen­tre mon­tre Mateo et Gardel en répéti­tion. À droite, auto­por­trait de Mateo devenu pein­tre…

Juan Cruz Mateo, ce pianiste et directeur d’orchestre argentin est un de ces oubliés. C’est sans doute, car il a fait sa car­rière prin­ci­pale­ment en France et qu’il s’est recy­clé comme pein­tre futur­iste à la fin des années 30.
On lui doit notam­ment l’accompagnement orches­tral de trois films inter­prétés par Gardel durant ses séjours parisiens, Espérame, La casa es seria et Melodía de arra­bal dont est tiré cet extrait. C’est égale­ment le pianiste qui a le plus accom­pa­g­né Car­los Gardel. Donc, si vous enten­dez chanter Gardel avec un accom­pa­g­ne­ment de piano, c’est cer­taine­ment lui…

Extrait musical

Silen­cio 1933 ‑03–27 — Car­los Gardel con la orques­ta de Fran­cis­co Canaro y coro de mujeres.

Cette ver­sion est par­ti­c­ulière­ment émou­vante, avec son chœur de femme et la voix de Gardel. Nous y revien­drons après avoir étudié les paroles.

Les paroles

Silen­cio en la noche.
Ya todo está en cal­ma.
El mús­cu­lo duerme.
La ambi­ción des­cansa.

Mecien­do una cuna,
una madre can­ta
un can­to queri­do
que lle­ga has­ta el alma,
porque en esa cuna,
está su esper­an­za.

Eran cin­co her­manos.
Ella era una san­ta.
Eran cin­co besos
que cada mañana
roz­a­ban muy tier­nos
las hebras de pla­ta
de esa viejecita
de canas muy blan­cas.
Eran cin­co hijos
que al taller march­a­ban.

Silen­cio en la noche.
Ya todo está en cal­ma.
El mús­cu­lo duerme,
la ambi­ción tra­ba­ja.

Un clarín se oye.
Peligra la Patria.

Y al gri­to de guer­ra
los hom­bres se matan
cubrien­do de san­gre
los cam­pos de Fran­cia.

Hoy todo ha pasa­do.
Rena­cen las plan­tas.
Un him­no a la vida
los ara­dos can­tan.
Y la viejecita
de canas muy blan­cas
se quedó muy sola,
con cin­co medal­las
que por cin­co héroes
la pre­mió la Patria.

Silen­cio en la noche.
Ya todo está en cal­ma.
El mús­cu­lo duerme,
la ambi­ción des­cansa…

Un coro lejano
de madres que can­tan
mecen en sus cunas,
nuevas esper­an­zas.
Silen­cio en la noche.
Silen­cio en las almas…

Car­los Gardel; Hora­cio G. Pet­torossi Letra: Alfre­do Le Pera ; Hora­cio G. Pet­torossi.

Car­los Gardel et Impe­rio Argenti­na chantent la total­ité du texte. Ernesto Famá ne chante que ce qui est en gras et deux fois ce qui est en bleu.

Traduction libre et indications

Le titre com­mence par un son de cla­iron. Le cla­iron jouant sur trois notes, cet air fait immé­di­ate­ment penser à une musique mil­i­taire (le cla­iron ne per­met de jouer facile­ment que 4 notes et trois autres notes ne sont acces­si­bles qu’aux vir­tu­os­es de cet instru­ment, autant dire qu’elles ne sont jamais jouées.
Les notes, Sol Do Mi sont égrenées lente­ment, comme dans les son­ner­ies aux morts. On peut dire que Canaro annonce la couleur dès le début…
Gardel reprend à la suite de la son­ner­ie sur le même Mi. Cela per­met de faire la liai­son entre le cla­iron et sa voix, ce qui n’était pas si évi­dent à con­cevoir. Dans la ver­sion de 1932 c’est une trompette et pas un cla­iron qui lance Sol Sol Do et Gardel com­mence sur un Mi, ce qui est logique, c’est sa tes­si­ture. La ver­sion de Canaro est donc à mon sens mieux con­stru­ite de ce point de vue et l’usage du cla­iron est plus per­ti­nent.

Silen­cio mil­i­tar – Día de los muer­tos por la patria. Inter­prété par le rég­i­ment de Grenadiers à cheval « Gen­er­al San Martín », escorte prési­den­tielle de la République argen­tine.

On remar­quera que la son­ner­ie « offi­cielle n’est pas la même, même si elle inclut la même séquence de trois notes. La son­ner­ie aux morts française est assez proche, mais pas iden­tique non plus à celle pro­posée par Canaro. Dis­ons que c’est une son­ner­ie fac­tice des­tinée à don­ner le La. Par­don, le cla­iron ne peut pas jouer de La. Dis­ons qu’il donne le Mi à Gardel.

Silence dans la nuit. Tout est calme main­tenant. Les mus­cles dor­ment. L’ambition se repose.
Bal­ançant un berceau, une mère chante une chan­son bien-aimée qui touche l’âme, parce que dans ce berceau, se trou­ve son espoir. (Le chœur de femmes inter­vient sur ce cou­plet).
Ils étaient cinq frères. Elle était une sainte. Il y avait cinq bais­ers qui, chaque matin, effleu­raient très ten­drement les mèch­es argen­tées de cette déjà vieille aux cheveux blan­chis. Il y avait cinq garçons qui sont allés à l’atelier en marchant. (L’atelier c’est la guerre)
Silence dans la nuit. Tout est calme main­tenant. Les mus­cles dor­ment, l’ambition tra­vaille. (L’ambition passe du repos au tra­vail. Elle pré­pare le com­bat).
Un cla­iron résonne. La patrie est en dan­ger. Et au cri de guerre, les hommes s’entretuent, cou­vrant de sang les champs de France. (À la place des chants de femmes, c’est ici le cla­iron qui résonne).
Aujourd’hui, tout est fini. Les plantes renais­sent. Les char­rues chantent un hymne à la vie. Et la petite vieille aux cheveux très blancs se sent très seule, avec cinq médailles que pour cinq héros lui a décernées la Patrie.
Silence dans la nuit. Tout est calme main­tenant.
Les mus­cles dor­ment, l’ambition se repose…
Un chœur loin­tain de mères qui chantent berçant dans leurs berceaux, de nou­veaux espoirs.
Silence dans la nuit.
Silence dans les âmes…

Les versions

Silen­cio 1932-11 Car­los Gardel con la Orques­ta típi­ca Argenti­na de Juan Cruz Mateo.

Une ver­sion émou­vante tirée du film « Melodía de arra­bal » de Louis Gas­nier. C’est le même extrait, qu’en début d’article, mais sans la vidéo. Comme déjà indiqué, la son­ner­ie de trompette au début est dif­férente de la son­ner­ie de cla­iron de la ver­sion de Canaro de 1933.

Silen­cio 1933 ‑03–27 — Car­los Gardel con la orques­ta de Fran­cis­co Canaro y coro de mujeres.

C’est le tan­go du jour. Dans la ver­sion du film, il y a deux petites répons­es de Impe­rio Argenti­na, sa parte­naire dans le film, mais qui n’apparaît pas à l’écran au moment où elle chante. Ici, c’est un chœur féminin qui donne la réponse à Gardel.

Silen­cio 1933 Impe­rio Argenti­na con acomp. de gui­tar­ras, piano y clarín (trompette).

La parte­naire de Car­los Gardel dans le film Melodía de arra­bal, reprend à son compte le titre. C’est égale­ment une superbe ver­sion à écouter. On notera que sur le disque il est écrit Tan­go du film melodía de Arra­bal. En fait, elle n’y chante que deux phras­es en voix off et ce disque n’est donc pas tiré du film (même s’il n’est pas à exclure qu’il ait été enreg­istré en même temps que la bande son du film (octo­bre-novem­bre 1932) et qu’il soit sor­ti en 1933, à l’occasion de la sor­tie du film (5 avril 1933 à Buenos Aires), comme les ver­sions de Canaro, qui était tou­jours à l’affut d’un bon coup financier.

Silen­cio 1933 Impe­rio Argenti­na con acomp. de gui­tar­ras, piano y clarín. Disque de 1933 (à gauche) — Une réédi­tion du même enreg­istrement à droite, preuve du suc­cès.

Une autre « erreur du disque est la men­tion d’un cla­iron. Con­traire­ment à la ver­sion Canaro Gardel, c’est de nou­veau une trompette, comme dans le film avec l’orchestre de Mateo.
Elle débute par Si Si Si Do Ré RéRé Ré Ré Mi Fa, Les notes en rouge sont inac­ces­si­bles à un cla­iron. Cela ne peut donc pas être un cla­iron, d’autant plus que la sonorité n’est pas la bonne.
Le piano appa­rait pour sa part tar­di­ve­ment, à une minute par une petite fior­i­t­ure sur la res­pi­ra­tion de la chanteuse (de esa viejecita DING — DONG de canas muy blan­cas). Après 1 :11, la gui­tare, le piano, puis la trompette se mêlent à la voix sur le refrain. À 2 : 18, on croit enten­dre une man­do­line. Le piano ter­mine élégam­ment en faisant descen­dre la ten­sion par un motif léger ascen­dant puis descen­dant.
J’aime beau­coup le résul­tat, Impe­rio a pris sa revanche sur Gardel en nous four­nissant une ver­sion com­plé­men­taire et tout aus­si belle.

Silen­cio 1933-03-30 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Ernesto Famá.

Trois jours après la ver­sion à écouter chan­tée par Gardel, Canaro enreg­istre le thème avec Ernesto Famá. Ce dernier en bon chanteur de refrain ne chante qu’une petite par­tie des paroles. Cela en fait un tan­go de danse. La tragédie des paroles est com­pen­sée par des fior­i­t­ures, notam­ment avant la reprise du début du refrain.

Je ne vous pro­pose pas d’autres ver­sions, même s’il y en a env­i­ron deux douzaines, car avec cet échan­til­lon réduit, on a l’émotion, l’image, l’homme qui chante, la femme qui chante et une ver­sion de danse. La totale, quoi ?
Par­mi les ver­sions que je laisse de côté, des inter­pré­ta­tions de Gardel avec des gui­tares, Un Pugliese avec Maciel et pas mal de petits orchestres qui ont flashé pour le thème.

Pourquoi Silencio ?

Carlos Gardel Enfant de France

Je ne vais pas rou­vrir le dossier et me fâch­er avec mes amis uruguayens, mais je sig­nale tout de même cette page où je présente les argu­ments en faveur d’une orig­ine française de Gardel.
Ce qui ne peut pas être remis en ques­tion, c’est que Gardel est venu en France à divers­es repris­es, qu’il a vis­ité sa famille française, notam­ment à Toulouse et Albi. Ce qu’on sait moins, c’est qu’étant né français, il était soumis à mobil­i­sa­tion pour la « Grande Guerre », celle de 1914–1918. Grâce à ses faux papiers uruguayens, il a pu échap­per à l’accusation de déser­tion. Cepen­dant, lors d’un séjour en France, il a vis­ité les cimetières de la Grande Guerre.
On sent que cela le cha­touil­lait. Le tan­go Silen­cio est un peu son expi­a­tion pour avoir échap­pé à la tuerie de 1914–1918. Tuerie et silence, cela m’a évo­qué le grand sculp­teur roman­tique, Auguste Préault, juste­ment auteur de deux œuvres d’une force extrême, Tuerie et Le Silence.

Auguste Préault, sculpteur romantique

J’ai donc choisi pour l’illustration du jour, de par­tir d’une œuvre du sculp­teur français Auguste Préault qui a réal­isé en 1842 cette œuvre pour le mon­u­ment funéraire d’un cer­tain Jacob Rob­lès qui est désor­mais célèbre grâce à cette œuvre au cimetière du Père-Lachaise à Paris.
Il m’a paru logique de l’associer à « Tuerie » du même artiste pour évo­quer la guerre de 1914–1918, même cette œuvre ne relate pas pré­cisé­ment des faits de guerre attestés. Elle se veut plus générique et provo­ca­trice. D’ailleurs cette œuvre n’a été accep­tée au salon offi­ciel de 1839 que pour mon­tr­er ce qu’il ne fal­lait pas faire pour être un grand sculp­teur. Préault réalis­era la com­mande de Rob­lès en 1842, mais son œuvre ne sera exposée au salon qu’en 1849 (après 10 ans de pur­ga­toire et d’interdiction d’exposition).
Le nom de « Le Silence » n’est pas de cette époque. Il a été don­né plus tar­di­ve­ment, vers 1867.

Silen­cio. Mon­tage et inter­pré­ta­tion d’après « Tuerie » 1839 et « Le Silence » 1842 d’Auguste Préault, avec toute mon admi­ra­tion. Ces œuvres por­tent le même mes­sage que Silen­cio.

Voici les deux œuvres et en prime un por­trait de Préault par le pho­tographe Nadar.

Auguste Préault par Nadar — Tuerie (Salon de 1834) — Mon­u­ment funéraire de Jacob Rob­lès au Père-Lachaise (Paris). Sur le mon­u­ment funéraire, l’inscription en hébreux « Ne rien cacher ». J’ai donc essayé de vous révéler l’origine de ce tan­go créé par un « déser­teur ».

Une autre explication par Todo Tango

L’excellent site Todo Tan­go donne une autre orig­ine dans un arti­cle « El tan­go “Silen­cio” y un con­tex­to trági­co ».

Gardel grabó el tan­go “Silen­cio” en tres opor­tu­nidades, paran el sel­lo Odeon. Dos con las gui­tar­ras de Domin­go Julio Vivas, Ángel Domin­go Riverol, Guiller­mo Bar­bi­eri y Hora­cio Pet­torossi (cin­co matri­ces, cua­tro del 14 de febrero y la otra, del 13 de mayo de 1933), y una con la orques­ta de Fran­cis­co Canaro. Todas tuvieron el agre­ga­do de un coro femeni­no.

El coro en las graba­ciones con gui­tar­ras, lo inte­graron las hijas de Guiller­mo Bar­bi­eri: María Esther y Adela, (tías de la actriz Car­men Bar­bi­eri). Para la grabación con Canaro, el coro lo for­maron: Blan­ca del Pra­do, Felisa San Martín, Éli­da Medol­la, Cori­na Paler­mo, Emil­ia Pezzi y Sara Delar.

Fue uno de los temas del film Melodía de Arra­bal, real­iza­do en los estu­dios Para­mount de Joinville, Fran­cia, con la direc­ción de Louis Gas­nier (estre­na­do en Buenos Aires, el 5 de abril de 1933, en el Cine Porteño de la calle Cor­ri­entes). Car­los Gardel lo can­ta en la pelícu­la, acom­paña­do por la orques­ta de Juan Cruz Mateo de la que Hora­cio Pet­torossi era miem­bro.

Pres­i­dente Paul DoumerUn ruso blan­co —Pablo Gorguloff–, recién sali­do del man­i­comio y deseoso de lla­mar la aten­ción sobre su mis­er­able des­ti­no, asesinó a tiros a Paul Doumer, pres­i­dente recién elec­to de Fran­cia y la situación de los emi­gra­dos rusos comen­zó a hac­erse insostenible. El crimen fue el 6 de mayo de 1932.

Años atrás, cua­tro de los ocho hijos de la víc­ti­ma, fueron mil­itares y muer­tos durante la Primera Guer­ra Mundi­al (1914–1918): el capitán Marce­lo Doumer, muer­to en com­bate aéreo el 28 de junio de 1918, el capitán René Doumer, muer­to en com­bate aéreo el 26 de abril de 1917, el teniente André Doumer, muer­to delante de su madre Nan­cy el 24 de sep­tiem­bre de 1914, el may­or ayu­dante de médi­co Armand Doumer muer­to el 5 de agos­to de 1922.

La láp­i­da con­mem­o­ra­ti­va de Paul Doumer y sus cua­tro hijos se encuen­tra en La Ferme de Navarin, mon­u­men­to osario donde des­cansan los restos de 10.000 com­bat­ientes, situ­a­do a 45 kilómet­ros al este de Reims, a una trein­te­na de kilómet­ros en el norte de Châlons-en-Cham­pagne en Somepy-Tahure (Marne).

Este due­lo dramáti­co emo­cionó y, muy prob­a­ble­mente, inspiró en 1932, una de las can­ciones más tristes plas­madas por Gardel. Tan­to Alfre­do Le Pera como Pet­torossi imag­i­naron el dolor de la seño­ra Doumer.

La letra de “Silen­cio” sería un hom­e­na­je a la soledad de las madres, mien­tras los sol­da­dos mueren en el cam­po de hon­or.

Paul Doumer fue el 14º pres­i­dente de la Repúbli­ca de Fran­cia, des­de el 13 de junio de 1931 has­ta el 7 de mayo de 1932. En 1896 fue gob­er­nador gen­er­al de Indochi­na, donde con­cibió su estruc­tura colo­nial. Primero fue pres­i­dente del Sena­do y luego de la Repúbli­ca. Le gusta­ba el con­tac­to con el públi­co, lo que fue fatal. En el Hotel Salomon de Roth­schild, en una exposi­ción de escritores, surgió de entre la mul­ti­tud Gorguloff, quien der­ribó al pres­i­dente de tres dis­paros. Fue traslada­do al Hos­pi­tal Beau­jon, donde no fue bien aten­di­do y estu­vo en coma. Murió a la noche sigu­iente, sin cumplir un año de manda­to. Después del funer­al cel­e­bra­do en la cat­e­dral de Notre Dame de París, su mujer se negó a que fuese sepul­ta­do en el Pan­teón y se real­izó en la tum­ba famil­iar. El asesino fue eje­cu­ta­do el 14 de sep­tiem­bre de 1932 en la guil­loti­na.

Famil­ia DoumerBlanche Richel de Doumer, «la viejecita de canas muy blan­cas», que como se obser­va en la foto, tenía pelo rene­gri­do, nació el 8 de junio de 1859 en Sois­sons (Aisne) y fal­l­e­ció el 4 de abril de 1933. Después del crimen de su mari­do, recibió car­tas de pésame de jefes de Esta­dos y de las per­son­al­i­dades más impor­tantes. Luego, desa­pare­ció de la vida públi­ca. La antigua Primera dama, deses­per­a­da, sobre­vive sólo un año a la muerte de su esposo. Fue embesti­da por un coche en abril de 1933.

Con­clusión
Pet­torossi y Le Pera se encon­tra­ban en un país que aún no había cica­triza­do las heri­das de «la gran guer­ra». Muchos france­ses, inclu­i­do un gran ami­go de Gardel, Mar­cel Lattes, solían hablar sobre estas des­gra­cias. Entre ellas, la del asesina­to de Doumer y las de sus hijos muer­tos en com­bate.

Pero el tan­go “Silen­cio” no es una tran­scrip­ción exac­ta de esta trág­i­ca his­to­ria. En real­i­dad, com­pro­bamos que existe una úni­ca tum­ba famil­iar, en con­tra­posi­ción con el rela­to «de las cin­co tum­bas». Los mil­itares muer­tos fueron cua­tro y no cin­co como dice la letra. Asimis­mo, Blanche Richel, tuvo muy poco tiem­po para llo­rar a sus hijos ya que fal­l­e­ció en 1933. Además, la viejecita de canas muy blan­cas tenía pelo rene­gri­do.

Val­orable el vue­lo de los poet­as, que a par­tir de estas viven­cias, escri­bieron uno de los tan­gos más sen­si­bles de la his­to­ria, magis­tral­mente can­ta­do por El Zorzal.

Car­los E. Benítez

Traduction libre de l’article de Todo Tango

Gardel a enreg­istré le tan­go « Silen­cio » à trois repris­es, pour le label Odeon. Deux avec les gui­tares de Domin­go Julio Vivas, Ángel Domin­go Riverol, Guiller­mo Bar­bi­eri et Hora­cio Pet­torossi (cinq matri­ces, qua­tre du 14 févri­er et l’autre, du 13 mai 1933), et une avec l’orchestre de Fran­cis­co Canaro. Toutes avaient l’a­jout d’un chœur féminin.

Le chœur des enreg­istrements avec gui­tares était com­posé des filles de Guiller­mo Bar­bi­eri : María Esther et Adela, (tantes de l’ac­trice Car­men Bar­bi­eri). Pour l’en­reg­istrement avec Canaro, le chœur a été for­mé par : Blan­ca del Pra­do, Felisa San Martín, Éli­da Medol­la, Cori­na Paler­mo, Emil­ia Pezzi et Sara Delar.

Comme nous l’avons vu en intro­duc­tion de cet arti­cle, c’est l’un des thèmes du film Melodía de Arra­bal, réal­isé par Louis Gas­nier aux stu­dios Para­mount de Joinville (présen­té en pre­mière à Buenos Aires, le 5 avril 1933, au Ciné Porteño de la rue Cor­ri­entes). C’est Car­los Gardel qui la chante dans le film, accom­pa­g­né de l’orchestre Juan Cruz Mateo dont Hora­cio Pet­torossi était mem­bre.

Un Russe blanc, Paul Gorguloff, fraîche­ment sor­ti de l’asile et désireux d’at­tir­er l’at­ten­tion sur son sort mis­érable, a abat­tu Paul Doumer, le prési­dent nou­velle­ment élu de la France, et la sit­u­a­tion des émi­grés russ­es a com­mencé à devenir inten­able. Le crime a eu lieu le 6 mai 1932.

Des années aupar­a­vant, qua­tre des huit enfants de la vic­time ont été des sol­dats tués pen­dant la Pre­mière Guerre mon­di­ale (1914–1918) : le cap­i­taine Marce­lo Doumer, tué en com­bat aérien le 28 juin 1918, le cap­i­taine René Doumer, tué en com­bat aérien le 26 avril 1917, le lieu­tenant André Doumer, tué devant sa mère Nan­cy le 24 sep­tem­bre 1914, Le major adjoint Armand Doumer tué le 5 août 1922.

La plaque com­mé­mora­tive de Paul Doumer et de ses qua­tre fils se trou­ve dans La Ferme de Navarin, mon­u­ment ossuaire où reposent les restes de 10 000 com­bat­tants, situé à 45 kilo­mètres à l’est de Reims, à une trentaine de kilo­mètres au nord de Châlons-en-Cham­pagne à Somepy-Tahure (Marne).

Ce deuil dra­ma­tique émut et, très prob­a­ble­ment, inspi­ra en 1932, l’une des chan­sons les plus tristes enreg­istrées par Gardel. Alfre­do Le Pera et Pet­torossi ont tous deux imag­iné la douleur de Mme Doumer.

Les paroles de « Silen­cio » seraient un hom­mage à la soli­tude des mères, tan­dis que les sol­dats meurent sur le champ d’hon­neur.

Paul Doumer fut le 14e prési­dent de la République française, du 13 juin 1931 au 7 mai 1932. En 1896, il était gou­verneur général de l’In­do­chine, où il conçu sa struc­ture colo­niale. Il fut d’abord prési­dent du Sénat puis de la République. Il aimait le con­tact avec le pub­lic, ce qui lui fut fatal. À l’hô­tel Salomon de Roth­schild, lors d’une expo­si­tion d’écrivains, Gorguloff est sor­ti de la foule, et a abat­tu le prési­dent de trois balles. Il a été emmené à l’hôpi­tal Beau­jon, où il n’a pas été bien soigné et tom­ba dans le coma. Il mou­ru la nuit suiv­ante, avant d’avoir accom­pli un an de man­dat. Après les funérailles qui ont eu lieu dans la cathé­drale Notre-Dame de Paris, sa femme a refusé qu’il soit enter­ré au Pan­théon et il fut inhumé dans le tombeau famil­ial. Le meur­tri­er a été guil­lot­iné le 14 sep­tem­bre 1932.

Blanche Richel de Doumer, « la petite vieille aux cheveux gris très blancs », qui, comme on peut le voir sur la pho­to, avait les cheveux noirs, est née le 8 juin 1859 à Sois­sons (Aisne) et est décédée le 4 avril 1933. Après l’as­sas­si­nat de son mari, elle a reçu des let­tres de con­doléances de chefs d’É­tat et des per­son­nal­ités les plus impor­tantes. Puis, il a dis­paru de la vie publique. L’an­ci­enne pre­mière dame, dés­espérée, ne survit qu’un an à la mort de son mari. Elle fut ren­ver­sée par une voiture en avril 1933.

Con­clu­sion
Pet­torossi et Le Pera se trou­vaient dans un pays qui n’avait pas encore cica­trisé les plaies de la « grande guerre ». De nom­breux Français, dont un grand ami de Gardel, Mar­cel Lattes, par­laient de ces mal­heurs. Par­mi eux, celui de l’as­sas­si­nat de Doumer et ceux de ses fils tués au com­bat.

Mais le tan­go « Silen­cio » n’est pas une tran­scrip­tion exacte de cette his­toire trag­ique. En fait, nous voyons qu’il n’y a qu’une seule tombe famil­iale, par oppo­si­tion à l’his­toire des « cinq tombes ». Les sol­dats tués étaient qua­tre et non cinq comme le dis­ent les paroles. De même, Blanche Richel a eu très peu de temps pour faire le deuil de ses enfants depuis sa mort en 1933. De plus, la petite vieille dame aux cheveux gris très blancs avait les cheveux noirs.

L’en­vol des poètes, qui, à par­tir de ces expéri­ences, ont écrit l’un des tan­gos les plus sen­si­bles de l’his­toire, chan­té magis­trale­ment par El Zorzal, est pré­cieuse.

On voit que les petites dif­férences entre la chan­son et l’histoire n’invalident pas les deux hypothès­es. Gardel peut avoir été touché par la douleur de Madame Doumer, tout autant que s’être sen­ti coupable d’avoir déserté.

La vidéo de fin…

Pour une fois, je vais faire plusieurs entors­es au for­mat des anec­dotes du jour en ter­mi­nant par une vidéo au lieu d’une illus­tra­tion que j’aurais réal­isée.
Je n’ai pas choisi la musique, c’est une ini­tia­tive de l’ami Memo Vilte qui voulait ren­dre un hom­mage à la France en chan­tant ce tan­go qui n’est pas dans son réper­toire habituel de folk­lore argentin.

  1. Je ne suis pas l’auteur de cette vidéo. C’est notre amie Anne-Marie Bou de Paris qui l’a réal­isée à l’arrache (c’était totale­ment impromp­tu). Mer­ci à toi Anne-Marie.
  2. La danseuse extra­or­di­naire, c’est Stel­la Maris, mais vous l’aurez recon­nue. Muchísi­mas Gra­cias Stel­la.
  3. Je suis « danseur » médiocre dans cette vidéo. Vous com­prenez main­tenant pourquoi je préfère être DJ.
  4. La tour Eif­fel s’est mise à scin­tiller pour saluer notre per­for­mance. C’était imprévu, mais on a appré­cié cet hom­mage de la Vieille Dame au tan­go qu’elle a vu naître.