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El choclo 1948-01-15 — Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas

Ángel Villoldo (Ángel Gregorio Villoldo Arroyo) / Casimiro Alcorta Letra: Ángel Villoldo / Juan Carlos Marambio Catán / Enrique Santos Discépolo.

Comme tous les tan­gos célèbres, El choclo a son lot de légen­des. Je vous pro­pose de faire un petit tour où nous ver­rons au moins qua­tre ver­sions des paroles accrédi­tant cer­taines de ces légen­des. Ce titre importé par Vil­lol­do en France y aurait rem­placé l’hymne argentin (par ailleurs mag­nifique), car il était plus con­nu des orchestres français de l’époque que l’hymne offi­ciel argentin Oid mor­tales du com­pos­i­teur espag­nol : Blas Par­era i Moret avec des paroles de Vicente López y Planes (écrivain et homme poli­tique argentin). Voyons donc l’histoire de cet hymne de sub­sti­tu­tion.

Qui a écrit El choclo ?

Le vio­loniste, danseur (avec sa com­pagne La Pauli­na) et com­pos­i­teur Casimiro Alcor­ta pour­rait avoir écrit la musique de El choclo en 1898. Ce fils d’esclaves noirs, mort à 73 ans dans la mis­ère à Buenos Aires, serait, selon cer­tains, l’auteur de nom­breux tan­gos de la péri­ode comme Con­cha sucia (1884) que Fran­cis­co Canaro arrangea sous le titre Cara sucia, net­te­ment plus élé­gant, mais aus­si La yapa, Entra­da pro­hibi­da et sans doute pas mal d’autres. À l’époque, ces musiques n’étaient pas écrites et elles apparte­naient donc à ceux qui les jouaient, puis à ceux qui les éditèrent…
L’absence d’écriture empêche de savoir si, Ángel Vil­lol­do a « emprun­té » cette musique…
En 1903, Vil­lol­do demande à son ami chef d’un orchestre clas­sique, José Luis Ron­cal­lo, de jouer avec son orchestre cette com­po­si­tion dans un restau­rant chic, La Amer­i­cana. Celui-ci refusa, car le patron du restau­rant con­sid­érait le tan­go comme de la musique vul­gaire (ce en quoi il est dif­fi­cile de lui don­ner tort si on con­sid­ère ce qui se fai­sait à l’époque). Pour éviter cela, Vil­lol­do pub­lia la par­ti­tion le 3 novem­bre 1903 en indi­quant qu’il s’agissait d’une danse criol­la… Ce sub­terfuge per­mit de jouer le tan­go dans ce restau­rant. Ce fut un tel suc­cès, que l’œuvre était jouée tous les jours et que Vil­lol­do est allé l’enregistrer à Paris, en com­pag­nie de Alfre­do Gob­bi et de sa femme, Flo­ra Rodriguez.
Par la suite, des cen­taines de ver­sions ont été pub­liées. Celle du jour est assez intéres­sante. On la doit à Fran­cis­co Canaro avec Alber­to Are­nas. L’enregistrement est du 15 jan­vi­er 1948.

Extrait musical

Divers­es par­ti­tions de El choclo. On remar­quera à gauche (5ème édi­tion), la dédi­cace à Ron­cal­lo qui lancera le titre.
El choclo 1948-01-15 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Alber­to Are­nas.

On remar­que tout de suite le rythme rapi­de. Are­nas chante égale­ment rapi­de­ment, de façon sac­cadée et il ne se con­tente pas de l’habituel refrain. Il chante l’intégralité des paroles écrites l’année précé­dente pour Lib­er­tad Lamar­que.
Ce fait est générale­ment car­ac­téris­tique des tan­gos à écouter. Cepen­dant, mal­gré les facéties de cet enreg­istrement, il me sem­ble que l’on pour­rait envis­ager de le pro­pos­er dans un moment déli­rant, une sorte de cathar­sis, pour toutes ces heures passées à danser sur des ver­sions plus sages. On notera les clo­chettes qui don­nent une légèreté, en con­traste à la voix très appuyée d’Arenas.

Paroles (version de Enrique Santos Discépolo)

Ici, les paroles de la ver­sion du jour, mais reportez-vous en fin d’article pour d’autres ver­sions…

Con este tan­go que es burlón y com­padri­to
se ató dos alas la ambi­ción de mi sub­ur­bio;
con este tan­go nació el tan­go, y como un gri­to
sal­ió del sór­di­do bar­ri­al bus­can­do el cielo;
con­juro extraño de un amor hecho caden­cia
que abrió caminos sin más ley que la esper­an­za,
mez­cla de rabia, de dolor, de fe, de ausen­cia
llo­ran­do en la inocen­cia de un rit­mo juguetón.

Por tu mila­gro de notas agor­eras
nacieron, sin pen­sar­lo, las paicas y las gre­las,
luna de char­cos, canyengue en las caderas
y un ansia fiera en la man­era de quer­er…

Al evo­carte, tan­go queri­do,
sien­to que tiem­blan las bal­dosas de un bai­lon­go
y oigo el rezon­go de mi pasa­do…
Hoy, que no ten­go más a mi madre,
sien­to que lle­ga en pun­ta ‘e pie para besarme
cuan­do tu can­to nace al son de un ban­doneón.

Caran­can­fun­fa se hizo al mar con tu ban­dera
y en un pernó mez­cló a París con Puente Alsi­na.
Triste com­padre del gav­ión y de la mina
y has­ta comadre del bacán y la pebe­ta.
Por vos shusheta, cana, reo y mishiadu­ra
se hicieron voces al nac­er con tu des­ti­no…
¡Misa de fal­das, querosén, tajo y cuchil­lo,
que ardió en los con­ven­til­los y ardió en mi corazón.
Enrique San­tos Dis­cépo­lo

Traduction libre et indications de la version de Enrique Santos Discépolo

Avec ce tan­go moqueur et com­padri­to, l’am­bi­tion de ma ban­lieue s’est attaché deux ailes ;
Avec ce tan­go naquit, le tan­go, et, comme un cri, il sor­tit du quarti­er sor­dide en cher­chant le ciel.
Un étrange sort d’amour fait cadence qui ouvrait des chemins sans autre loi que l’e­spoir, un mélange de rage, de douleur, de foi, d’ab­sence pleu­rant dans l’in­no­cence d’un rythme joueur.
Par ton mir­a­cle des notes prophé­tiques, les paicas et les gre­las ( paicas et gre­las sont les chéries des com­padri­tos) sont nées, sans y penser, une lune de (ou de flaque d’eau), de canyengue sur les hanch­es et un désir farouche dans la façon d’aimer…
Quand je t’évoque, cher tan­go, je sens les dalles d’un danc­ing trem­bler et j’en­tends le mur­mure de mon passé…
Aujour­d’hui, alors que je n’ai plus ma mère, j’ai l’im­pres­sion qu’elle vient sur la pointe des pieds pour m’embrasser quand ton chant naît au son d’un ban­donéon.
Caran­can­fun­fa (danseur habile, on retrou­ve ce mot dans divers titres, comme les milon­gas Carán-Can-Fú de l’orchestre Rober­to Zer­ril­lo avec Jorge Car­do­zo, ou Carán­can­fún de Fran­cis­co Canaro avec Car­los Roldán) a pris la mer avec ton dra­peau et en un éclair a mêlé Paris au pont Alsi­na (pont sur le Riachue­lo à la Boca).
Triste com­padre du gabion (mecs) et de la mina (femme) et jusqu’à la mar­raine du bacán (riche) et de la pebe­ta (gamine).
Pour toi, l’élégant, prison, accu­sa­tions et mis­ère ont par­lé à la nais­sance avec ton des­tin…
Une messe de jupes, de kérosène (pét­role lam­pant pour l’éclairage), de lames et de couteaux, qui brûlait dans les con­ven­til­los (habitas col­lec­tifs pop­u­laires et surpe­u­plés) et brûlait dans mon cœur.

Un épi peut en cacher un autre…

On a beau­coup glosé sur l’origine du nom de ce tan­go.
Tout d’abord, la plus évi­dente et celle que Vil­lol­do a affir­mé le plus sou­vent était que c’était lié à la plante comestible. Les orig­ines très mod­estes des Vil­lol­do peu­vent expli­quer cette dédi­cace. Le nord de la Province de Buenos Aires ain­si que la Pam­pa sont encore aujourd’hui des zones de pro­duc­tion impor­tante de maïs et cette plante a aidé à sus­ten­ter les pau­vres. On peut même con­sid­ér­er que cer­tains aiment réelle­ment manger du maïs. En faveur de cette hypothèse, les paroles de la ver­sion chan­tée par lui-même, mais nous ver­rons que ce n’est pas si sim­ple quand nous allons abor­der les paroles…
Il s’agirait égale­ment, d’un tan­go à la charge d’un petit mal­frat de son quarti­er et qui avait les cheveux blonds. C’est du moins la ver­sion don­née par Irene Vil­lol­do, la sœur de Ángel et que rap­porte Juan Car­los Maram­bio Catán dans une let­tre écrite en 1966 à Juan Bautista Devo­to. On notera que les paroles de Juan Car­los Maram­bio Catán con­for­tent juste­ment cette ver­sion.
Lorsque Lib­er­tad Lamar­que doit enreg­istr­er ce tan­go en 1947 pour le film « Gran Casi­no » de Luis Buñuel, elle fait mod­i­fi­er les paroles par Enrique San­tos Dis­cépo­lo pour lui enlever le côté vio­lent de la sec­onde ver­sion et dou­teuse de celles de Vil­lol­do.
Vil­lol­do n’était pas un enfant de chœur et je pense que vous avez tous enten­du par­ler de la dernière accep­tion. Par la forme phallique de l’épi de maïs, il est ten­tant de faire ce rap­proche­ment. N’oublions pas que les débuts du tan­go n’étaient pas pour les plus prudes et cette con­no­ta­tion sex­uelle était, assuré­ment, dans l’esprit de bien des audi­teurs. Le lun­far­do et cer­tains textes de tan­gos aiment à jouer sur les mots. Vous vous sou­venez sans doute de « El chi­no Pan­taleón » où, sous cou­vert de par­ler musique et tan­go, on par­lait en fait de bagarre…
Rajou­tons que, comme le tan­go était une musique appré­ciée dans les bor­dels, il est plus que prob­a­ble que le dou­ble sens ait été encour­agé.
Faut-il alors rejeter le témoignage de la sœur de Vil­lol­do ? Pas for­cé­ment, il y avait peut-être une tête d’épi dans leur entourage, mais on peut aus­si sup­pos­er que, même si Irène était anal­phabète, elle avait la notion de la bien­séance et qu’elle se devait de dif­fuser une ver­sion soft, ver­sion que son frère a peut-être réelle­ment encour­agée pour pro­téger sa sœurette.
Retenons de cela qu’au fur et à mesure que le tan­go a gag­né ses let­tres de noblesse, les poètes se sont éver­tués à écrire de belles paroles et pas seule­ment à cause des péri­odes de cen­sure de cer­tains gou­verne­ments. Tout sim­ple­ment, car le tan­go entrant dans le « beau monde », il devait présen­ter un vis­age plus accept­able.
Les textes ont changé, n’en déplaise à Jorge Borges, et avec eux, l’ambiance du tan­go.

Autres versions

Tout comme pour la Cumpar­si­ta, il n’est pas pens­able de présen­ter toutes les ver­sions de ce tan­go. Je vous pro­pose donc une sélec­tion très restreinte sur deux critères :
• His­torique, pour con­naître les dif­férentes épo­ques de ce thème.
• Intérêt de l’interprétation, notam­ment pour danser, mais aus­si pour écouter.
Il ne sem­ble pas y avoir d’enregistrement disponible de la ver­sion de 1903, si ce n’est celle de Vil­lol­do enreg­istrée en 1910 avec les mêmes paroles pré­sumées.
Mais aupar­a­vant, pri­or­ité à la data­tion, une ver­sion un peu dif­férente et avec un autre type de paroles. Il s’agit d’une ver­sion dia­loguée (voire criée…) sur la musique de El Choclo. Le titre en est Car­iño puro, mais vous retrou­verez sans prob­lème notre tan­go du jour.

Car­iño puro (diál­o­go y tan­go) 1907 – Los Gob­bi con Los Cam­pos.

Ce titre a été enreg­istré en 1907 sur un disque en car­ton de la com­pag­nie Mar­coni. Si la qual­ité d’origine était bonne, ce matéri­au n’a pas résisté au temps et au poids des aigu­illes de phono­graphes de l’époque. Heureuse­ment, cette ver­sion a été réédité en disque shel­lac par la Colum­bia et vous pou­vez donc enten­dre cette curiosité… La forme dia­loguée rap­pelle que les musi­ciens fai­saient beau­coup de revues et de pièces de théâtre.

À gauche, disque en car­ton recou­vert d’acé­tate (procédé Mar­coni). Ces dis­ques étaient de bonne qual­ité, mais trop frag­iles. À droite, le même enreg­istrement en ver­sion shel­lac.

Paroles de Cariño puro des Gobbi

Ay mi chi­na que ten­go mucho que hablarte,
de una cosa que a vos no te va a gus­tar
Largá el rol­lo que escu­cho y expli­cate
Lo que pas­es no es ton­tera,
pues te juro que te digo la ver­dad.
dame un beso no me ven­gas con chanela (2)
dejate de ton­teras, no me hagas esper­ar.
Decí ya sé que la otra noche
vos con un gav­ilán
son cuen­tos que te han hecho
án.
No me faltes mirá que no hay macanas
yo no ven­go con ganas mi chi­na de far­rear
Pues entonces no me ven­gas con cuen­to
y escuchame un momen­to que te voy a explicar.
No te eno­jes que yo te diré lo cier­to
y verás que me vas a per­donar
Pues entonces
Te diré la purísi­ma ver­dad
Vamos chi­na ya que voy a hac­er las paces
a tomar un car­rin­dan­go pa pasear
Y mirar de Paler­mo
Yo te quiero mi chini­ta no hagas caso
Que muy lejos quer­er
el esquina­zo
ni golpe ni por­ra­zo…
Ángel Vil­lol­do

Traduction de Cariño puro des Gobbi

  • Oh, ma chérie, que j’ai beau­coup à te par­ler,
    D’une chose qui ne va pas te plaire
    Avoue (lâch­er le rouleau) que je t’écoute et explique-toi
    Ce que tu tra­vers­es n’est pas une bêtise,
  • - Eh bien, je te jure que je te dis la vérité.
    Donne-moi un bais­er Ne viens pas à moi en par­lemen­tant
  • - Arrête les bêtis­es, ne me fais pas atten­dre.
    J’ai déjà dit que je savais pour l’autre soir
    Toi avec un éper­vi­er (homme rapi­de en affaires)
  • - Ce sont des his­toires qui t’ont été faites
    un.
    Ne détourne pas le regard, n’y a pas d’arnaque.
  • - Je ne viens pas, ma chérie, avec l’en­vie de rigol­er.
    Aus­si, ne me racon­te pas d’histoires
  • - et écoute-moi un instant et, car je vais te l’ex­pli­quer.
    Ne te fâche pas, je vais te dire ce qui est sûr
    Et tu ver­ras que tu vas me par­don­ner
    Puis, ensuite
    Je vais te dire la pure vérité
  • - Allez, ma chérie, car je vais faire la paix
    En prenant une voiture pour une prom­e­nade
    Et regarder Paler­mo
    Je t’aime ma petite chérie, ne fais pas atten­tion
    Car je veux arrondir les angles
    ni coup ni bagarre…

On voit que ces paroles sont plutôt mignonnes, autour des tour­ments d’un cou­ple, inter­prétés par Alfre­do Gob­bi et sa femme, Flo­ra Rodriguez. Dom­mage que la tech­nique où le goût de l’époque fasse tant crier, cela n’est pas bien accep­té par nos oreilles mod­ernes.

El choclo 1910 — Ángel Gre­go­rio Vil­lol­do con gui­tar­ra.

Cette ver­sion présente les paroles sup­posées orig­i­nales et qui par­lent effec­tive­ment du maïs. C’est donc cette ver­sion qui peut faire pencher la bal­ance entre la plante et le sexe mas­culin. Voyons ce qu’il en est.

Paroles de Villoldo

De un gra­no nace la plan­ta
que más tarde nos da el choclo
por eso de la gar­gan­ta
dijo que esta­ba humil­loso.
Y yo como no soy otro
más que un tanguero de fama
mur­muro con alboro­zo
está muy de la banana.

Hay choc­los que tienen
las espi­gas de oro
que son las que adoro
con tier­na pasión,
cuan­do tra­ba­jan­do
llen­i­to de abro­jos
estoy con ras­tro­jos
como humilde peón.

De lava­da enrubia
en largas guede­jas
con­tem­p­lo pare­jas
sí es como cre­cer,
con esos big­otes
que la tier­ra vir­gen
al noble paisano
le suele ofre­cer.

A veces el choclo
asa en los fogones
cal­ma las pasiones
y dichas de amor,
cuan­do algún paisano
lo está coci­nan­do
y otro está ceban­do
un buen cimar­rón.

Luego que la humi­ta
está prepara­da,
bajo la enra­ma­da
se oye un per­icón,
y jun­to al alero,
de un ran­cho deshe­cho
surge de algún pecho
la ale­gre can­ción.
Ángel Vil­lol­do

Traduction des paroles de Ángel Villoldo

D’un grain naît la plante qui nous don­nera plus tard du maïs
C’est pourquoi, de la gorge (agréable au goût) je dis qu’il avait été humil­ié (calom­nié).
Et comme je ne suis autre qu’un tanguero célèbre, je mur­mure de joie, il est bien de la banane (du meilleur, la banane étant égale­ment un des surnoms du sexe de l’homme).
Il y a des épis qui ont des grains d’or, ce sont ceux que j’adore avec une ten­dre pas­sion, quand je les tra­vaille plein de chardons, je suis avec du chaume comme un hum­ble ouvri­er.
De l’innocence blonde aux longues mèch­es, je con­tem­ple les plantes (sim­i­laires, spéci­mens…) si c’est comme grandir, avec ces mous­tach­es que la terre vierge offre habituelle­ment au noble paysan. (Un dou­ble sens n’est pas impos­si­ble, la terre cul­tivée n’a pas de rai­son par­ti­c­ulière d’être con­sid­érée comme vierge).
Par­fois, les épis de maïs sur les feux cal­ment les pas­sions et les joies de l’amour (les feux, sont les cuisinières, poêles. Qu’ils cal­ment la faim, cela peut se con­cevoir, mais les pas­sions et les joies de l’amour, cela procède sans doute d’un dou­ble sens mar­qué), quand un paysan le cui­sine et qu’un autre appâte un bon cimar­ron (esclave noir, ou ani­mal sauvage, mais il doit s’agir ici plutôt d’une vic­time d’arnaque, peut-être qu’un peu de viande avec le maïs fait un bon repas).
Une fois que la humi­ta (ragoût de maïs) est prête, sous la ton­nelle, un per­icón (per­icón nacional, danse tra­di­tion­nelle) se fait enten­dre, et à côté des avant-toits, d’un ranch brisé, le chant joyeux sur­git d’une poitrine (on peut imag­in­er dif­férentes choses à pro­pos du chant qui sur­git d’une poitrine, mais c’est un peu dif­fi­cile de s’imaginer que cela puisse être provo­qué par la pré­pa­ra­tion d’une humi­ta, aus­si tal­entueux que soit le cuisinier…

Je vous laisse vous faire votre opin­ion, mais il me sem­ble dif­fi­cile d’exclure un dou­ble sens de ces paroles.

El choclo 1913 — Orques­ta Típi­ca Porteña dir. Eduar­do Aro­las.

Cette ver­sion instru­men­tale per­met de faire une pause dans les paroles.

El choclo 1929-08-27 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor.

Une ver­sion instru­men­tale par la Típi­ca Víc­tor dirigée par Cara­bel­li. Un titre pour les ama­teurs du genre, mais un peu pesant pour les autres danseurs.

El choclo 1937-07-26 — Orques­ta Juan D’Arien­zo.

Sans doute une des ver­sions les plus adap­tées aux danseurs, avec les orne­men­ta­tions de Bia­gi au piano et le bel équili­bre des instru­ments, prin­ci­pale­ment tous au ser­vice du rythme et donc de la danse, avec notam­ment l’accélération (simulée) finale.

El choclo 1937-11-15 — Quin­te­to Don Pan­cho dir. Fran­cis­co Canaro.

Cette ver­sion n’apporte pas grand-chose, mais je l’indique pour mar­quer le con­traste avec notre ver­sion du jour, enreg­istrée par Canaro 11 ans plus tard.

El choclo 1940-09-29 — Rober­to Fir­po y su Cuar­te­to Típi­co.

Une ver­sion légère. Le dou­ble­ment des notes, car­ac­téris­tiques de cette œuvre, a ici une sonorité par­ti­c­ulière, on dirait presque un bégaiement. En oppo­si­tion, des pas­sages aux vio­lons chan­tants don­nent du con­traste. Le résul­tat me sem­ble cepen­dant un peu con­fus, pré­cip­ité et pas des­tiné à don­ner le plus de plaisir aux danseurs.

El choclo 1941-11-13 — Orques­ta Ángel D’Agosti­no con Ángel Var­gas.

On retrou­ve une ver­sion chan­tée. Les paroles sont celles de Juan Car­los Maram­bio Catán, ou plus exacte­ment le tout début des paroles avec la fin du cou­plet avec une vari­ante.
Je vous pro­pose ici, les paroles com­plètes de Catán, pour en garder le sou­venir et aus­si, car la par­tie qui n’est pas chan­tée par Var­gas par­le de ce fameux type aux cheveux couleur de maïs…

Paroles de Juan Carlos Marambio Catán

Vie­ja milon­ga que en mis horas de tris­teza
traes a mi mente tu recuer­do car­iñoso,
enca­denán­dome a tus notas dul­cemente
sien­to que el alma se me enco­je poco a poco.
Recuer­do triste de un pasa­do que en mi vida,
dejó una pági­na de san­gre escri­ta a mano,
y que he lle­va­do como cruz en mi mar­tirio
aunque su car­ga infame me llene de dolor.

Fue aque­l­la noche
que todavía me ater­ra.
Cuan­do ella era mía
jugó con mi pasión.
Y en due­lo a muerte
con quien robó mi vida,
mi daga gaucha
par­tió su corazón.
Y me llam­a­ban
el choclo com­pañero;
tal­lé en los entreveros
seguro y fajador.
Pero una chi­na
enve­nenó mi vida
y hoy lloro a solas
con mi trági­co dolor.

Si algu­na vuelta le toca por la vida,
en una mina pon­er su corazón;
recuerde siem­pre
que una ilusión per­di­da
no vuelve nun­ca
a dar su flor.

Besos men­ti­dos, engaños y amar­guras
rodan­do siem­pre la pena y el dolor,
y cuan­do un hom­bre entre­ga su ter­nu­ra
cer­ca del lecho
lo acecha la traición.

Hoy que los años han blan­quea­do ya mis sienes
y que en mi pecho sólo ani­da la tris­teza,
como una luz que me ilu­mi­na en el sendero
lle­gan tus notas de melódi­ca belleza.
Tan­go queri­do, viejo choclo que me embar­ga
con las cari­cias de tus notas tan sen­ti­das;
quiero morir aba­jo del arrul­lo de tus que­jas
can­tan­do mis querel­las, llo­ran­do mi dolor.
Juan Car­los Maram­bio Catán

Traduction libre des paroles de Juan Carlos Marambio Catán

Vieille milon­ga. À mes heures de tristesse, tu me rap­pelles ton sou­venir affectueux,
En m’en­chaî­nant douce­ment à tes notes, je sens mon âme se rétré­cir peu à peu.
Sou­venir triste d’un passé qui, dans ma vie, a lais­sé une page de sang écrite à la main, et que j’ai porté comme une croix dans mon mar­tyre, même si son infâme fardeau me rem­plit de douleur.
C’est cette nuit-là qui, encore, me ter­ri­fie.
Quand elle était à moi, elle jouait avec ma pas­sion.
Et dans un duel à mort avec celui qui m’a volé la vie, mon poignard gau­cho lui a brisé le cœur.
Et ils m’ap­pelaient le com­pagnon maïs (choclo);
J’ai tail­lé dans les mêlées, sûr et résis­tant.
Mais une femme chérie a empoi­son­né ma vie et, aujour­d’hui, je pleure tout seul avec ma douleur trag­ique.
S’il vous prend dans la vie de met­tre votre cœur dans une chérie ; rap­pelez-vous tou­jours qu’une illu­sion per­due ne redonne plus jamais sa fleur.
Des bais­ers men­songers, trompeurs et amers roulent tou­jours le cha­grin et la douleur, et quand un homme donne sa ten­dresse, près du lit, la trahi­son le traque.
Aujour­d’hui que les années ont déjà blanchi mes tem­pes et que, dans ma poitrine seule se niche la tristesse, comme une lumière qui m’é­claire sur le chemin où arrivent tes notes de beauté mélodique.
Tan­go chéri, vieux choclo qui m’ac­ca­ble des caress­es de tes notes si sincères ;
Je veux mourir sous la berceuse de tes plaintes, chan­tant mes peines, pleu­rant ma douleur.

El choclo 1947 – Lib­er­tad Lamar­que, dans le film Gran casi­no de Luis Buñuel.

El choclo 1947 – Lib­er­tad Lamar­que, dans le film Gran casi­no de Luis Buñuel.

Dans cet extrait Lib­er­tad Lamar­que inter­prète le titre avec les paroles écrites pour elle par Dis­ce­po­lo. On com­prend qu’elle ne voulait pas pren­dre le rôle de l’assassin et que les paroles adap­tées sont plus con­ven­ables à une dame…
Les paroles de Enrique San­tos Dis­cépo­lo seront réu­til­isées ensuite, notam­ment par Canaro pour notre tan­go du jour.

El choclo 1948-01-15 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Alber­to Are­nas. C’est notre tan­go du jour.

Comme vous vous en doutez, je pour­rai vous présen­ter des cen­taines de ver­sions de ce titre, mais cela n’a pas grand intérêt. J’ai donc choisi de vous pro­pos­er pour ter­min­er une ver­sion très dif­férente…

Kiss of Fire 1955 — Louis Arm­strong.

En 1952, Lester Allan et Robert Hill ont adap­té et sérieuse­ment mod­i­fié la par­ti­tion, mais on recon­naît par­faite­ment la com­po­si­tion orig­i­nale.

Je vous pro­pose de nous quit­ter là-dessus, une autre preuve de l’universalité du tan­go.
À bien­tôt, les amis.

En guise de corti­na, on pour­rait met­tre Pop Corn, non ?

PS : si vous avez des ver­sions de El choclo que vous adorez, n’hésitez pas à les indi­quer dans les com­men­taires, je rajouterais les plus demandées.

Sueño imaginado 1932-01-05 — Orquesta Típica Los Provincianos con Carlos Lafuente. Dir. Ciriaco Ortiz

Cieto Minocchio Letra: Francisco Brancatti

C’est sym­pa de faire des rêves, mais par­fois le retour à la réal­ité est ter­ri­ble. C’est ce qui arrive au héros de cette mag­nifique valse, sans doute un peu trop rare dans les milon­gas. Ciri­a­co Ortiz, à la tête de l’orchestre Los Provin­cianos, l’a enreg­istrée, il y a exacte­ment 93 ans…

Sueño imag­i­na­do 1932-01-05 — Orques­ta Típi­ca Los Provin­cianos con Car­los Lafuente. Dir. Ciri­a­co Ortiz.

Dès le début on remar­que que le titre est conçu sous forme de ques­tions-répons­es. L’orchestre lance une ques­tion et un soliste donne la réponse.
Si les vio­lons avec Elvi­no Var­daro sont majori­taire­ment les solistes, les ban­donéons, dont celui de Ciri­a­co Ortiz et peut-être celui du jeune Aníbal Troi­lo ont égale­ment leurs répar­ties. Pour les danseurs, ces dia­logues sont très intéres­sants, car cela leur per­met de vari­er l’improvisation. La répéti­tiv­ité de la struc­ture per­met de pré­par­er une « réponse » au cas où les pre­miers dia­logues auraient été loupés dans l’improvisation.
Pour les danseurs moins avancés, les pre­miers temps de chaque mesure sont mar­qués par la con­tre­basse de Man­fre­do Lib­er­a­tore. C’est le Poum du Poum-Tchi-Tchi de la valse (Temps fort-Temps faible-Temps faible). On n’entend pas vrai­ment le piano, en revanche, on a l’impression qu’une caisse claire sonne les temps faibles.
C’est donc une valse facile pour les danseurs qui ont besoin d’un repère tem­porel bien mar­qué.
À 1:58, Car­los Lafuente chante le refrain. Sa voix peut un peu sur­pren­dre, mais, comme l’intervention est courte, cela ne devrait pas trop per­turber les danseurs. On remar­quera que l’orchestre fait la place au chanteur en l’accompagnant en sour­dine par un dis­cret Poum-Tchi-Tchi, ce qui per­met aux danseurs de garder le rythme.
On remar­quera la com­plex­ité modale de l’œuvre, avec de nom­breux change­ments de tonal­ité, ce qui peut par­fois don­ner une impres­sion de dis­so­nance si on reste sur l’élan de la tonal­ité précé­dente.

Il est dif­fi­cile d’authentifier les instru­men­tistes de l’orchestre, car les orchestres de la Vic­tor étaient à géométrie vari­able. Comme ces orchestres se lim­i­taient aux enreg­istrements, ils se con­stru­i­saient à chaque ses­sion avec des musi­ciens de pre­mier plan, disponibles.
On con­sid­ère générale­ment que les prin­ci­paux musi­ciens de Los Provin­cianos dirigés par Ciri­a­co Ortiz étaient :
Ciri­a­co Ortiz, Aníbal Troi­lo, Hora­cio Golli­no (ban­donéon­istes)
Orlan­do Cara­bel­li (pianiste)
Elvi­no Var­daro, Manuel Núñez, Anto­nio Rossi (vio­lonistes)
Man­fre­do Lib­er­a­tore (con­tre­bassiste)

Un des orchestres de la Vic­tor

Cette pho­to générale­ment légendée comme étant de Los Provin­cianos, sans doute à cause de la présence de Ciri­a­co Ortiz. Cepen­dant, Mer­cedes Simone n’est pas inter­v­enue dans cet orchestre. Il me sem­ble donc qu’il faut plutôt con­sid­ér­er que c’est une com­po­si­tion mixte, notam­ment avec l’orchestre Típi­ca Vic­tor de Cara­bel­li dont Ciri­a­co Ortiz était égale­ment mem­bre. On notera la présence du jeune Aníbal Troi­lo. Sur la droite, le vio­loniste Ben­jamín Hol­ga­do Bar­rio qui est à l’origine de la pre­mière scis­sion de l’orchestre de D’Agostino. Il récla­mait 17 pesos, pour lui et les autres mem­bres de l’orchestre, au lieu des 15 pesos qui étaient octroyés pour les enreg­istrements, et D’Agostino a viré tout l’orchestre, Var­gas com­pris. Celui-ci est revenu un peu plus tard, mais la magie fut un peu brisée.
Je pro­pose pour cette pho­to, la date du 13 août 1931, car c’est celle qui per­met de réu­nir le plus de pro­tag­o­nistes. Mer­cedes Simone a enreg­istré ce jour Cir­co criol­lo avec la Tipi­ca Vic­tor (Cara­bel­li). Sur cette pho­to, il manque Cara­bel­li et, Lesende, qui n’a jamais enreg­istré avec la Vic­tor est plutôt un intrus. En effet, il enreg­is­trait à l’époque avec deux com­pag­nies con­cur­rentes de la Vic­tor, la Brunswick (avec la Orques­ta Típi­ca Brunswick) et avec la Colum­bia (avec l’orchestre de Anto­nio Bonave­na).
Hora­cio Golli­no est générale­ment indiqué comme ayant fait par­tie des pre­miers ban­donéon­istes de Los Provin­cianos. Il était né le 5 févri­er 1911, il aurait donc eu qua­si 20 ans, ce qui sem­ble cor­re­spon­dre à l’âge du troisième ban­donéon­iste de la pho­to.
José María Otero, qui est tou­jours très bien doc­u­men­té, indique que ce serait en fait Toto (Juan Miguel Rodríguez). Si on observe la pho­to suiv­ante, représen­tant l’orchestre de Troi­lo en 1941, il sem­blerait que l’on puisse valid­er l’hypothèse de Toto.

De gauche à droite, en bas : David Díaz, Toto (Juan Miguel Rodríguez), Ani­bal Troi­lo, Eduar­do Mari­no et Hugo Bar­alis. À l’arrière : Pedro Sapoc­hnik, Orlan­do Goñi, Fran­cis­co Fiorenti­no, Kicho Díaz et Astor Piaz­zol­la (qui fit le forc­ing auprès de Troi­lo pour rem­plac­er Toto qui était malade). Hugo Bar­alis a appuyé sa can­di­da­ture…

Cepen­dant, selon Toto Tan­go qui est égale­ment une source de haute qual­ité, Toto serait né en 1919. Il aurait donc eu 12 ans si ma data­tion de la pho­to est bonne, ce qui sem­ble tout de même un peu jeune et ne cor­re­spond pas à l’image. Si on regarde l’âge prob­a­ble des dif­férents musi­ciens de la pre­mière pho­to, la date de 1931 est fort plau­si­ble ; Troi­lo fait vrai­ment jeune (il est né en 1914 et aurait donc 17 ans), sur la sec­onde, il a 27 ans, il sem­ble dif­fi­cile de con­sid­ér­er qu’il y a beau­coup moins de 10 ans entre les pho­tos.
Je pro­pose donc d’identifier Hora­cio Golli­no sur cette pho­to, ce qui nous per­me­t­tra d’avoir enfin un vis­age à met­tre sur ce musi­cien de grande qual­ité, qui ter­mi­na sa vie en don­nant des cours de musique sans pou­voir pra­ti­quer le ban­donéon à cause de la paralysie d’un de ses bras.

Paroles

Que sueño aquel tan hon­do y cru­el
Me vi en la glo­ria de tu pecho amante
Y a al instante todo se acabo
Fue mi Sueño imag­i­na­do
Nada más que un sop­lo de plac­er
Que se fumó y una ilusión hecha can­ción que se apagó
Cieto Minoc­chio Letra: Fran­cis­co Bran­cat­ti

Traduction libre

Quel rêve si pro­fond et cru­el.
Je me suis vu dans la gloire de ta poitrine aimante et, instan­ta­né­ment, tout fut ter­miné.
C’é­tait mon rêve imag­iné,
rien de plus qu’un souf­fle de plaisir
qui par­tit en fumée et une illu­sion faite chan­son qui s’éteignait.

Autres versions…

Il n’y a pas d’autre ver­sion enreg­istrée de cette valse, même si le titre a inspiré de nom­breux auteurs de tous types de musique. Je vous pro­pose donc de ter­min­er en réé­coutant cette valse.

Sueño imag­i­na­do 1932-01-05 — Orques­ta Típi­ca Los Provin­cianos con Car­los Lafuente. Dir. Ciri­a­co Ortiz. C’est notre valse du jour.

À bien­tôt, les amis. Faîtes de beaux rêves qui se réalis­eront.

Tehuana 1939-12-23 — Orquesta Típica Victor dirigé par Freddy Scorticati

Alfon­so Esparza Oteo

Depuis quelques années, les valses de l’orchestre Típi­ca Vic­tor ont les faveurs des danseurs, notam­ment en Europe. Il faut dire qu’elles sont mag­nifiques et que, comme tous les enreg­istrements de cet orchestre, elles sont des­tinées à la danse. Vous vous deman­dez peut-être ce que Fri­da Kahlo vient faire dans la cou­ver­ture d’un arti­cle sur une valse argen­tine, vous aurez la réponse 😉

Extrait musical

Tehua­na 1939-12-23 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor dirigé par Fred­dy Scor­ti­cati.

La superbe intro­duc­tion nous invite à décou­vrir un air nos­tal­gique en do mineur. Enfin, en l’absence de la par­ti­tion, il est dif­fi­cile de savoir quelle est la tonal­ité, car si la ver­sion la plus courante est en Do# mineur et dure 3’03″, ma ver­sion qui est en Do mineur dure 3’15″.
La tonal­ité plus grave est causée par une rota­tion moins rapi­de du disque. Ou plutôt, ce sont, à mon avis, les ver­sions courantes qui sont plus rapi­des et à mon goût trop rapi­de.
J’ai fait la demande de la par­ti­tion auprès du CENEDIM (Cen­tro Nacional de Inves­ti­gación, Doc­u­mentación e Infor­ma­ción Musi­cal Car­los Chávez), je met­trai à jour si j’ai une réponse pos­i­tive.
Cette ten­dance à accélér­er la musique pour la ren­dre plus bril­lante n’est pas gênante en soi et en milon­ga, il m’arrive très sou­vent de chang­er la vitesse pour adapter le titre au besoin du moment en milon­ga. Par exem­ple, si je vois que les danseurs ont envie de danser sur un rythme rapi­de, je peux légère­ment accélér­er la valse et arriv­er à la durée de la ver­sion de 3’03″ éditée par Le Club de tan­go dans son CD Orques­ta Típi­ca Vic­tor Vol. 21 (1939–1941).
Cette ver­sion n’est pas d’une qual­ité opti­male et je pense donc préférable d’utiliser un enreg­istrement depuis le disque orig­i­nal 38862 (78 tours) édité par la Vic­tor (on s’en doute, vu que c’est son orchestre). Sur ce disque, la face B com­porte un paso doble Amoríos com­posé par Alex Schnei­der, ce qui per­met de rap­pel­er la poly­va­lence des orchestres et la plus grande diver­sité des dans­es pra­tiquées dans les bals de l’époque.
Après cette (très) longue digres­sion, revenons à notre valse.
La pre­mière par­tie, tout comme l’introduction, est en mode mineur.
À 43″ on remar­que le pont qui per­met d’assurer la tran­si­tion avec la sec­onde par­tie, qui, elle, est en majori­taire­ment mode majeur, tout au moins à par­tir d’une minute.
Le fait que le titre soit sans par­tie chan­tée (Alfon­so Esparza Oteo avait écrit des paroles) peut don­ner une impres­sion de monot­o­nie, cepen­dant, les jolis orne­ments du ban­donéon, notam­ment dans la sec­onde par­tie (à par­tir de 2’11″) font qu’on se laisse porter, un peu en transe, sans avoir l’impression de danser la même chose. Le final ralen­tit le rythme, pour que les danseurs puis­sent sor­tir de l’hypnose, sans dan­ger.

Que vient faire Frida Kahlo dans cette histoire ?

Fri­da Kahlo (pein­tre et mod­èle), à gauche et 2 femmes, à droite, en cos­tume de Tehua­na.

Comme vous le savez, Fri­da Kahlo est une pein­tre mex­i­caine avec une vie sin­gulière, voire semi-trag­ique. Elle était d’origine Tehua­na, une province du sud du Mex­ique. Elle s’est représen­tée avec ce cos­tume tra­di­tion­nel et notam­ment El res­p­lan­dor, la coiffe que por­tent égale­ment les deux femmes sur la pho­to de droite. On remar­quera sur son front le ter­ri­ble Diego Rivera, dont elle venait de divorcer (1940), mais qui reste dans ses pen­sées.

Fri­da Kahlo devant son auto­por­trait ter­miné (donc après 1943) et à droite, un médail­lon où elle porte le res­p­lan­dor (1948).

Tehua­na, le nom de notre valse du jour vient donc du Mex­ique. Alfon­so Esparza Oteo, le com­pos­i­teur et l’auteur des paroles, est égale­ment Mex­i­cain.
Cette valse aurait pu rester pure­ment mex­i­caine si Fred­dy Scor­ti­cati et la Típi­ca Vic­tor ne l’avaient pas enreg­istrée. Il se peut aus­si que d’autres orchestres argentins l’aient jouée sans l’enregistrer.
La Tehua­na n’étant prob­a­ble­ment pas Fri­da Kahlo, j’ai essayé divers­es pistes pour l’identifier. Ce n’est pas sa femme, qu’il a ren­con­trée en 1925 et épousée en 1926, car celle-ci était orig­i­naire de Aran­das (Jalis­co) et donc pas de la région de l’Isthme de Tehuan­te­pec.

À gauche Blan­ca Tor­res Por­tillo à 17 ans, un an avant de ren­con­tr­er Alfon­so Esparza Oteo. À droite, les jeunes époux en 1926. Blan­ca a 17 ans et Alfon­so, 32. Ils auront 9 enfants.

Tehua­na date de la décen­nie suiv­ant son mariage et comme il était heureux en ménage, con­traire­ment à Fri­da, il est peu prob­a­ble que le titre sug­gère une liai­son de cette époque.

Peut-être qu’ une des qua­tre femmes qui entourent Alfon­so et Blan­ca, sa femme a inspiré Tehua­na. Mais sans la tenue tra­di­tion­nelle, c’est impos­si­ble à véri­fi­er 😉

Si on con­sulte son cat­a­logue, cer­taines femmes sont évo­quées et il se peut donc que Tehua­na soit une anci­enne com­pagne, ou tout sim­ple­ment un thème qui chante son pays, comme beau­coup de ses com­po­si­tions.

Autres versions

Alfon­so Esparza Oteo a com­posé env­i­ron 150 œuvres. Quelques-unes sont sor­ties du domaine de la musique mex­i­caine pour inté­gr­er le réper­toire argentin. C’est le cas de notre valse du jour et de quelques autres que je vous pro­pose d’écouter.

Tehua­na 1939-12-23 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor dirigé par Fred­dy Scor­ti­cati.

C’est notre valse du jour et bien qu’elle soit mag­nifique, elle ne sem­ble pas avoir inspiré d’autres orchestres.

Carta de amor (Alfonso Esparza Oteo letra: Gustavo Ruiz Hoyos)

Car­ta de amor 1930-06-03 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Char­lo.
Car­ta de amor 1930-06-13 — Char­lo con acomp. de Fran­cis­co Canaro.

Cette ver­sion enreg­istrée seule­ment 10 jours après la pre­mière, par les mêmes, est une habi­tude chez Canaro. Il enreg­istre une ver­sion pour le bal et une ver­sion pour l’écoute.

Dime que sí (Alfonso Esparza Oteo letra: Alfonso Espriu Herrera)

Ce titre est un des gros suc­cès, de Alfon­so Esparza Oteo comme en témoignent divers enreg­istrements en tan­go, mais aus­si sous d’autres formes…

Par­ti­tion de Dime que sí (Alfon­so Esparza Oteo, letra: Alfon­so Espriu Her­rera)
Dime que sí 1938-11-04 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to con Jorge Omar.

Un rythme enjoué et entraî­nant. La voix de Jorge Omar, s’inscrit par­faite­ment dans le rythme. Je trou­ve que c’est une belle réal­i­sa­tion qui devrait pou­voir intéress­er les danseurs, même si cette ver­sion est peu con­nue. Remar­quez son final un peu théâ­tral, digne de la bande sonore d’un film…

Dime que sí 1938-11-29 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Fran­cis­co Amor.

Dime que sí 1938-11-29 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Fran­cis­co Amor. Canaro enreg­istre un autre titre de Alfon­so Esparza Oteo. Con­traire­ment à Lomu­to, Canaro a choisi un tem­po très lent. Je ne suis pas con­va­in­cu que ce soit par­fait pour le bal et la voix de Fran­cis­co Amor, ne me sem­ble pas au mieux. Il y a tant de valses plus effi­caces, qu’il ne me sem­ble pas utile de pren­dre des risques avec cette ver­sion.

Dime que sí 1938-12-30 — Juan Arvizu con orques­ta.

Juan Arvizu est égale­ment d’origine mex­i­caine, ce qui l’a sans doute incité à enreg­istr­er cette valse écrite par son com­pa­tri­ote. Il a égale­ment enreg­istré la Zan­dun­ga, cette valse tra­di­tion­nelle orig­i­naire de Tehuan­te­pec (tout comme Canaro). Pour par­ler de cette inter­pré­ta­tion, elle ne manque pas d’enthousiasme mais est peut-être un peu trop brouil­lonne pour les danseurs.

Dime que sí 1939-08-14 (Avant) — Pedro Var­gas con orques­ta de José Sabre Mar­ro­quín.

Un enreg­istrement réal­isé à Mex­i­co, sans doute au début de 1939 (impré­ci­sion sur la date à cause d’une erreur dans les reg­istres de la Vic­tor). Le ténor Pedro Var­gas est égale­ment Mex­i­cain.
Il réen­reg­istr­era le titre 39 ans plus tard, tou­jours à Mex­i­co…

Dime Que Sí (en vivo) 1978 · Pedro Var­gas con Orques­ta Sin­fóni­ca del Esta­do de Méx­i­co. Concier­to en vivo en el Pala­cio de Bel­las Artes — 50 Aniver­sario 1928 ‑1978 – Arrange­ments de Pocho Pérez
Dime que sí 2024 — Mari­achi Impe­r­i­al Azteca — Orques­ta Sin­fóni­ca de Aguas­calientes.

Aguas­calientes est la ville de Alfon­so Esparza Oteo. On s’est bien éloigné de la valse argen­tine. L’action de mémoire de sa ville natale n’est sans doute pas étrangère à la per­ma­nence du suc­cès des œuvres de ce com­pos­i­teur qui était en train de jouer une de ses œuvres, “Limonci­to”, quand José de León Tora, un car­i­ca­tur­iste, s’est approché du général Álvaro Obregón, prési­dent du Mex­ique qu’il a abat­tu de nom­breuses balles de pis­to­let.
Alfon­so et son orchestre ont con­tin­ué de jouer l’œuvre, sans se ren­dre compte de ce qui s’était passé, ou, s’ils s’en sont ren­du compte, ils sont restés drôle­ment pro­fes­sion­nels…

La ville mex­i­caine de Aguas­calientes (eaux chaudes) est fière de son com­pos­i­teur et divers mon­u­ments le célèbrent dans la ville et une rue porte son nom.

Pour ter­min­er cette petite série, une curiosité, une ver­sion par un orchestre sym­phonique avec un joli duo, sopra­no et ténor.
En fait, ce n’est pas si rare, cette valse est sou­vent jouée en con­cert de musique clas­sique et notam­ment sous forme piano plus chant.

Dime que sí 2014-11-15 — Veróni­ca De Lar­rea (sopra­no) y Víc­tor Cam­pos Leal (tenor), Orchestre sym­phonique de l’Université Frédéric Chopin de Varso­vie.

À bien­tôt, les amis, en espérant que les prob­lèmes d’attaque du site de cette semaine ne vont pas se repro­duire.

Milonga de los fortines 1937-09-28 — Típica Victor con Mariano Balcarce Direction Federico Scorticati

Sebastián Piana Letra: Homero Manzi

Les danseurs recon­nais­sent immé­di­ate­ment cette milon­ga qui s’annonce par un coup de cla­iron. Cepen­dant, ils ne savent peut-être pas tous pourquoi cet instru­ment inso­lite s’est invité dans l’orchestre pour cette courte presta­tion. Je vous pro­pose d’en décou­vrir la rai­son en nous plongeant dans l’histoire de la jeune nation argen­tine.

Extrait musical

Milon­ga de los fortines 1937-09-28 — Típi­ca Vic­tor con Mar­i­ano Bal­carce Direc­tion Fed­eri­co Scor­ti­cati
Milon­ga de los fortines — Disque Vic­tor 38285 — Face A.

Paroles

Milon­ga de cien rey­er­tas
tem­pla­da como el val­or.
Gri­to de pam­pa desier­ta
dicien­do su aler­ta
con voz de can­tor.
Milon­ga de qui­ta penas.
Nos­tal­gia de población.
Can­to qu’en noche ser­e­na
su rezo despe­na
detrás del fogón.

Diana de vie­jas vic­to­rias
en la pun­ta del tro­pel,
con tu van­guardia de glo­ria
serás en la his­to­ria
can­ción y lau­rel.
Son de queren­cia queri­da
en las noches del cuar­tel.
Pena de chi­na queri­da
que al fin afligi­da
dejó de ser fiel.

Resue­nan con tus acen­tos,
milon­ga del batal­lón,
gri­tos de viejos sar­gen­tos
car­gan­do en el vien­to
con el escuadrón.
Y vuel­ven en los sonidos
agu­dos del cor­netín,
ecos de mil alar­i­dos
que esta­ban per­di­dos
detrás del con­fín.

Gime el desier­to rodan­do
sus rumores de huracán…
Vienen las lan­zas car­gan­do
y están aguai­tan­do
la Cruz y el Puñal.
Glo­ria de aquel coman­dante
que jamás volvió al can­tón.
Besan su bar­ba cervu­na
la luz de la luna
y el fuego del sol.
Sebastián Piana Letra: Home­ro Manzi

Traduction libre et indications

Milon­ga de cent batailles, tem­pérée comme le courage.
Cri de la pam­pa déserte dis­ant son alerte d’une voix de chanteur.
Milon­ga qui ôte les cha­grins.
Nos­tal­gie de la pop­u­la­tion (de l’humanité com­mune ?).
Je chante pour que dans la nuit sere­ine, sa prière s’achève (despe­nar en lun­far­do, c’est achev­er un ani­mal mourant, ou couper les cheveux courts…) der­rière le feu.
Diane des anci­ennes vic­toires à la tête de la troupe, avec ton avant-garde de gloire tu seras dans l’his­toire chan­son et lau­ri­ers.
Vous serez très aimés les nuits de la caserne (quarti­er).
Cha­grin d’une com­pagne chérie qui, à la fin, affligée, a cessé d’être fidèle.
Ils réson­nent avec tes accents, milon­ga du batail­lon, les cris des vieux ser­gents chargeant au vent avec l’escadron.
Et ils revi­en­nent aux sons aigus du cor­net, échos de mille hurlements qui se sont per­dus der­rière les con­fins.
Le désert gémit en roulant ses rumeurs d’oura­gan…
Les lances vien­nent en chargeant et elles arrosent la Croix et le Poignard.
Gloire à ce com­man­dant qui n’est jamais revenu au can­ton­nement.
Ils embrassent sa barbe rousse (couleur de cerf), la lumière de la lune et le feu du soleil.

Autres versions

Milon­ga de los fortines 1937-09-28 — Típi­ca Vic­tor con Mar­i­ano Bal­carce Direc­tion Fed­eri­co Scor­ti­cati.
Milon­ga de los fortines 1981-06-23 — Nel­ly Omar con el con­jun­to de gui­tar­ras de José Canet.

Les forts (los fortines)

Cette milon­ga est ancrée pro­fondé­ment dans l’histoire de l’Argentine.

Ren­con­tre du gou­verneur Gerón­i­mo Mator­ras avec le Cacique Paykin — Tomás Cabr­era 1774 (Musée d’histoire de Buenos Aires). Com­po­si­tion com­plète à gauche, présen­tant en haut la jus­ti­fi­ca­tion religieuse des faits mil­i­taires.

En 1774, un accord a été trou­vé entre les Mocovies et les Espag­nols, ce que représente l’œuvre de Tomás Cabr­era. Cepen­dant, l’expansion des Européens ne va pas laiss­er les choses ain­si et il fut décrété une con­quête du désert (Con­quista del Desier­to).
Le terme de désert a été choisi pour nier l’existence de peu­ples pre­miers sur les ter­ri­toires. On con­naît mieux l’histoire Nord-améri­caine, notam­ment par les cen­taines de « west­erns » et Lucky Luke, mais il est facile d’imaginer que les exac­tions furent les mêmes en Argen­tine.
Pour con­solid­er leurs avancés et se pro­téger des pop­u­la­tions indi­ennes qui souhaitaient con­serv­er la jouis­sance de leurs espaces, les mil­i­taires ont mon­té des forts, con­struc­tions som­maires qui se sont par la suite ren­for­cées et qui sont aujourd’hui des villes.

Évo­lu­tion des forts. En haut, sim­ples palis­sades et baraque­ments en bois. Au cen­tre, le fort Codi­hue. En bas, des con­struc­tions en dur appa­rais­sent. En bas à droite, c’est la mai­son des com­man­dants du fort « Général Roca ».
Cam­paña del Desier­to 1879 — Par Anto­nio Poz­zo. Un siè­cle plus tard, les prob­lèmes avec les Indi­ens sont tou­jours au cœur des préoc­cu­pa­tion de cer­tains comme le Général Roca qui prô­nait l’extermination de tous les peu­ples pre­miers.
La vuelta del malón 1892 — Angel Del­la Valle. Les peu­ples pre­miers sont présen­tés comme des sauvages qui raptent les femmes et les objets saints. Ce type de pein­ture que l’on trou­ve au musée des Beaux-Arts de Buenos Aires sert de jus­ti­fi­ca­tion aux exac­tions visant à exter­min­er les peu­ples pre­miers.

Nous arrivons au bout de ce petit par­cours his­torique, pas for­cé­ment en faveur de la fierté de l’Argentine, mais quel peu­ple colonisa­teur n’a pas com­mis son lot d’horreurs ?

La prochaine fois que vous enten­dez le cla­iron, vous aurez peut-être une pen­sée pour ces indi­ens décimés et vous danserez une milon­ga endi­a­blée en hom­mage à leurs souf­frances.

Lucky Luke de Mor­ris, ici sur le cou­ver­cle d’une boîte con­tenant le fort Canyon en bois (1985, Coman­si, Dar­gaud).

Dif­fi­cile de ne pas faire le lien entre l’Amérique du Nord et celle du Sud. James Huth s’est sans doute fait la même réflex­ion, car c’est en Argen­tine (Men­doza, Salta et Jujuy), qu’il a tourné le film Lucky Luke.

N’oublions pas égale­ment que René Goscin­ny, le scé­nar­iste de Lucky Luke (et Astérix) a égale­ment vécu en Argen­tine de 1928 à 1945.

À bien­tôt, les amis, je m’en vais sur mon blanc cheval, musi­calis­er une milon­ga où je passerai peut-être la Milon­ga de los fortines.

I’m a poor lone­some cow­boy (Lucky Luke Theme) 1971 — Claude Bolling. Générique du dessin ani­mé sor­ti en 1971.

Una vez 1943-08-09 — Orquesta Típica Victor dir. Mario Maurano con Ortega Del Cerro

Carlos Marcucci Letra: Lito Bayardo

Même si le titre de notre tan­go du jour est Una vez (Une fois), il peut y avoir deux fois le même titre pour des tan­gos des années 40. La ver­sion du jour est celle de la Típi­ca Vic­tor beau­coup moins con­nue que celle com­posée par Pugliese un peu plus tard, mais qui est égale­ment un suc­cès des milon­gas, sans doute un peu plus tra­di­tion­nelles.
Ne vous inquiétez-pas, je vous pro­pose les deux à l’é­coute…

Carlos Marcucci 30/10/1903 – 31/05/1957

Car­los Mar­cuc­ci, le com­pos­i­teur de notre tan­go du jour, et son ban­donéon ont tra­ver­sé tout l’âge d’or du tan­go et l’Atlantique, Canaro l’ayant enjoint de venir tra­vailler dans son orchestre en France.
On lui doit d’autres com­po­si­tions comme Mi Dolor ce sub­lime tan­go enreg­istré par qua­si­ment tous les orchestres, Esta noche qui aus­si un suc­cès d’enregistrement et Aquí me pon­go a can­tar, la milon­ga phare de l’orchestre de Fran­cis­co Lomu­to.
Il est l’oncle de Alfre­do Mar­cuc­ci (14/09/1929 – 12/06/2010), à qui il a passé sa pas­sion pour l’instrument. Alfre­do racon­te que quand il allait voir son oncle et qu’il n’entendait pas le ban­donéon, c’est qu’il était absent.

Alfre­do­Mar­cuc­ci (à gauche) et son oncle Car­los Mar­cuc­ci. Deux des fameux ban­donéon­istes du vingtième siè­cle.

Comme son oncle, Alfre­do est passé par les grands orchestres de son époque, comme le dernier de Di Sar­li, mais aus­si par des orchestres plus con­tem­po­rains comme la Orques­ta Típi­ca Silen­cio.

Ban­donéon de Alfre­do Mar­cuc­ci. C’est un Doble Aa (Alfred Arnold) fab­riqué vers 1929 à Carls­feld, en Alle­magne.

À sa mort, le ban­donéon d’Alfre­do Mar­cuc­ci a été offert par l’Argentine au Musée des instru­ments de Musique (MIM) de Brux­elles, en Bel­gique, le pays où on dit tout le temps « Une fois » (Una vez).

Extrait musical

Una vez 1943-08-09 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor dir. Mario Mau­ra­no con Orte­ga Del Cer­ro.

Les orchestres Víc­tor sont des orchestres conçus pour enreg­istr­er des dis­ques de danse. Cela s’entend dès les pre­mières notes où le rythme est bien mar­qué. Cepen­dant, Mar­cuc­ci pro­pose un motif très orig­i­nal, à par­tir de 30 sec­on­des, qui con­siste en une phrase à l’accordéon à laque­lle répond le piano. Cela peut ravir les danseurs en les inci­tant à sor­tir de la marche pour impro­vis­er sur les temps de réponse du piano en con­traste avec le ban­donéon. Si on rajoute les tut­ti de l’orchestre, les danseurs ont au moins trois univers dif­férents à explor­er avant le début du chant.
Le chant, c’est Orte­ga Del Cer­ro, qui reprend la struc­ture de la pre­mière par­tie en assumant la par­tie des ban­donéons et les cordes repren­nent les répons­es du piano lega­to ou en pizzi­cati selon les moments. C’est vrai­ment du bel ouvrage.

Paroles

Morir en los rayos de sol
La niebla de un día sin luz.
Y luego en la tarde ser­e­na
Con­ge­lo mi angus­tia y mi pena.

Soña­ba aque­l­la tarde con tus besos
Sen­tíame feliz con tu regre­so.
Y al verte de nue­vo ante mí
Canta­ba en mis sueños así:
Una vez, sólo te vi una vez
Y te amé, sólo bastó una vez.
Hoy no sé si me fal­tará tu car­iño
¡Ay de mí, que estoy solo sin ti!

Sólo tú me sabes com­pren­der
Siem­pre tú, para poder vencer.
Nun­ca más, yo te lo juro vida mía
Nun­ca más podré vivir sin ti.
Car­los Mar­cuc­ci Letra: Lito Bayardo

Traduction libre

Mourir dans les rayons du soleil
Le brouil­lard d’une journée sans lumière.
Et puis dans l’après-midi sere­in, mon angoisse et mon cha­grin ont gelé.
J’ai rêvé cet après-midi de tes bais­ers, je me sen­tais heureux avec ton retour.
Et à te revoir en face de moi, je chan­tais dans mes rêves ain­si :
Une fois, je ne t’ai vue qu’une fois, et je t’ai aimée.
Une seule fois a suf­fi.
Aujour­d’hui, je ne sais pas si ton amour va me man­quer, pau­vre de moi, que je suis seul sans toi !
Seule­ment toi sais me com­pren­dre, tou­jours toi, pour pou­voir vain­cre.
Plus jamais, je te le jure, ma vie, plus jamais, je ne pour­rai vivre sans toi.

Autres versions

Il n’y a pas d’autre enreg­istrement de cette com­po­si­tion de Car­los Mar­cuc­ci, je vous pro­pose une ver­sion qua­si con­tem­po­raine d’un tan­go du même titre com­posé par Osval­do Pugliese.

Una vez 1943-08-09 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor dir. Mario Mau­ra­no con Orte­ga Del Cer­ro. C’est notre tan­go du jour.
Una vez 1946-11-08 — Orques­ta Osval­do Pugliese con Alber­to Morán (Osval­do Pugliese Letra : Cátu­lo Castil­lo).

Un pre­mier appel est lancé par les ban­donéons, qui est repris par les cordes et le piano. Rapi­de­ment, les cordes passent en pizzi­cati et Morán lance sa voix charmeuse et cares­sante. On retrou­ve donc un peu le principe de la ver­sion de Mar­cuc­ci avec la voix en con­tre­point avec les cordes. L’harmonie est cepen­dant plus com­plexe, avec un enchevêtrement des par­ties plus com­plexe. Le soliste laisse par­fois la place aux instru­ments qui don­nent le motif avec leur voix pro­pre. On notera que Morán chante durant toute la durée du morceau, ce qui n’était pas si courant à l’époque pour les tan­gos de danse. On pour­rait en déduire qu’il était plus conçu pour l’écoute, mais aujourd’hui, les danseurs sont telle­ment habitués à ce type de com­po­si­tion qu’ils seraient bien frus­trés si le DJ se les inter­di­s­ait.

Il y a de nom­breuses autres ver­sions de la com­po­si­tion de Pugliese. Je vous pro­pose d’en par­ler le 8 novem­bre, jour anniver­saire de l’enregistrement par Pugliese.
Nous avons écouté deux tan­gos réu­nis sous un même titre, exp­ri­mant un sen­ti­ment roman­tique puis­sant, et qui se révè­lent tous deux de belles pièces pour la danse. Alors, vous crois­erez sans doute une fois, deux fois ou bien plus, ces chefs‑d’œuvre dans votre vie de danseur.

Voilà, c’est tout pour aujourd’hui. À demain, les amis !

Samaritana 1932-07-27 — Orquesta Típica Los Provincianos Dir. Ciriaco Ortiz con Alberto Gómez

Luis Rubistein (Musique et paroles)

À Buenos Aires, la majorité des milon­gas con­tin­u­ent de faire des tan­das de 4 titres pour les tan­gos, et pour quelques-unes, y com­pris pour les valses, mais unique­ment si tous les danseurs dansent, ce qui est générale­ment le cas. Notre tan­go du jour est donc, vous l’avez dev­iné, une valse, sans doute trop peu con­nue, Samar­i­tana. Elle a été enreg­istrée il y a 92 ans.

Ceux qui me con­nais­sent savent que je ne suis pas avare de valses et que je n’hésite jamais à faire des propo­si­tions un peu plus rares, l’avantage des valses est que la majorité reste dansante grâce à la struc­ture par­ti­c­ulière à trois temps avec le pre­mier temps accen­tué (POUM – tchi — tchi). Il est donc plus facile de pren­dre des risques avec les valses que les tan­gos et encore plus que les milon­gas, qui ont le rythme le plus dif­fi­cile à pro­pos­er en milon­ga.

Los Provincianos

Ciri­a­co Ortiz Direc­tion et ban­donéon, Aníbal Troi­lo et Hora­cio Golli­no (ban­donéons), Orlan­do Cara­bel­li (piano), Elvi­no Var­daro et Manuel Núñez (vio­lons), Man­fre­do Lib­er­a­tore (con­tre­basse) et Alber­to Gómez (dit Nico) au chant sont les artistes qui ont mis en musique et enreg­istré cette valse.

Orques­ta Los Provin­cianos. Vous aurez recon­nu le jeune Aníbal Troi­lo et son ban­donéon qui l’accompagnera durant toute sa car­rière…

On trou­ve par­fois cet enreg­istrement sous le nom d’orchestre OTV – Orches­tra Típi­ca Víc­tor. Ce n’est pas vrai­ment faux, car il s’agit effec­tive­ment d’un orchestre créé par la mai­son de disque Víc­tor et qui était des­tiné à enreg­istr­er des dis­ques.
Le pre­mier orchestre, celui qui était dirigé par Cara­bel­li avec le nom de OTV, mais par la suite, la com­pag­nie Víc­tor déci­da de mul­ti­pli­er les orchestres et pour s’y retrou­ver, elle leur don­na des nos dif­férents…

  • La Orques­ta Típi­ca Los Provin­cianos, dirigée par Ciri­a­co Ortiz et qui a enreg­istré notre valse du jour et qui est en fait la con­tin­u­a­tion de l’orchestre de Cara­bel­li, d’où le fait qu’on le nomme par­fois tout sim­ple­ment Típi­ca Víc­tor, comme le pre­mier orchestre et comme on le fera pour les suiv­ants…
  • La Orques­ta Víc­tor Pop­u­lar,
  • La Orques­ta Radio Víc­tor Argenti­na, dirigée par Mario Mau­ra­no
  • La Orques­ta Argenti­na Víc­tor
  • La Orques­ta Víc­tor Inter­na­cional
  • El Cuar­te­to Víc­tor com­posé de Cayetano Puglisi et Anto­nio Rossi (vio­lons), Ciri­a­co Ortiz et Fran­cis­co Pracáni­co (ban­donéons)
  • El Trío Víc­tor com­posé de Elvi­no Var­daro (vio­lon) et de Oscar Alemán et Gastón Bueno Lobo (gui­tares).

Même si cet orchestre n’était pas des­tiné à jouer en pub­lic, les habitués du Cabaret Casano­va qui était situé en la rue Maipu, juste en face du Salón Marabú (où a débuté Troi­lo avec son orchestre, juste en tra­ver­sant la rue…) et qui existe, lui, tou­jours, ont pu enten­dre l’orchestre sur scène.

Extrait musical

Samar­i­tana 1932-07-27 – Orques­ta Típi­ca Los Provin­cianos con Alber­to Gómez.

Les vio­lons dessi­nent les pre­mières notes sur une base stac­ca­to du reste de l’orchestre et notam­ment des ban­donéons et de la con­tre­basse qui mar­que fer­me­ment les pre­miers temps. Puis s’exprime le sub­lime vio­lon soliste. Les ban­donéons repren­nent la voix avec à 35 sec­on­des un curieux (mais génial) glis­san­do. À 1:12, Alber­to Gómez lance le chant, tou­jours en mode mineur, mais ce n’est pas éton­nant vu les paroles. Sa voix décon­trac­tée enlève la tragédie des paroles, il ter­mine en voix de tête. Il reste ensuite une minute à l’orchestre pour faire oubli­er le triste des paroles, ce qu’il fait par­faite­ment, notam­ment avec la vari­a­tion finale exé­cutée prin­ci­pale­ment par les ban­donéons en dou­ble croche.

Les orchestres Víc­tor sont des­tinés aux dis­ques, mais aux dis­ques pour danseurs et ce n’est donc pas un hasard si les valses de ces orchestres com­por­tent une telle pro­por­tion de mer­veilles.

Paroles

N’ayant pas trou­vé la par­ti­tion, ni les paroles, il s’agit ici unique­ment de ce que chante Alber­to Gómez.

El dolor, cruzó mi corazón
Gol­pe­an­do fuerte,
Dejan­do en su ruti­na
Frío de muerte,
Que me asesina
Sin com­pasión.

Mi can­tar se ahoga con mi voz
Que es una pena,
Y nada me con­suela
De haber per­di­do,
Lo que he queri­do
Con tan­to amor.

Luis Rubis­tein (Musique et paroles)

Traduction libre des paroles

La douleur a transper­cé mon cœur, frap­pant fort, lais­sant dans sa rou­tine, le froid de la mort qui me tue sans com­pas­sion.
Mon chant s’est noyé avec ma voix, qui est un cha­grin, et rien ne me con­sole d’avoir per­du ce que j’ai aimé avec tant d’amour.

Qui est la samaritana ?

Je pose la ques­tion, mais je n’ai pas de réponse.
Le sens le plus com­mun fait référence à la femme de la Bible, la femme au puits.
Par exten­sion, le terme désigne une per­son­ne qui se dévoue pour les autres.
Mais ce n’est pas tout, la samar­i­taine est une pécher­esse, car elle a eu cinq « maris » sans être mar­iée. Cette direc­tion nous rap­pelle que les pros­ti­tuées héri­tent par­fois de cette appel­la­tion, comme le rap­pelle la très belle chan­son du chanteur espag­nol José Luis Perales, Samar­i­tanas del amor.

Samar­i­tanas del amor — José Luis Perales avec sous-titre et tra­duc­tion pos­si­ble…

Comme cette valse est orphe­line et les paroles incom­plètes, on ne peut rester qu’à des sup­po­si­tions. Mais est-ce si grave si on peut se plonger dans l’ivresse de cette valse ?
On notera que quelques années après l’écriture de cette valse (1938), un « Nos­tradamus argentin » a qual­i­fié l’Argen­tine de Samar­i­tana del Mun­do, l’Argen­tine accueil­lant les peu­ples meur­tris.

Solari Par­ravici­ni — Dibu­jos pro­feti­cos

Je ne me pronon­cerai pas sur la valid­ité des prophéties de Solari Par­ravici­ni, mais le fait que Luis Rubis­tein était sen­si­ble au pro­jet sion­iste peut l’avoir influ­encé. Je me garderai de faire tout rap­proche­ment avec l’actualité argen­tine, en lais­sant les coïn­ci­dences non analysées.

Tristesse et joie du tango

Pour moi, le tan­go est une pen­sée joyeuse qui se danse. Si vous écoutez la valse du jour sans faire atten­tion aux paroles, vous ne décou­vrirez pas la tragédie sous-jacente, vous vous lais­serez envelop­per par le rythme implaca­ble de la valse en ne pen­sant à rien d’autre.
Dis­cépo­lo qui a écrit le con­traire de ce que je pense est mort à 50 ans dans une pro­fonde dépres­sion. Un homme mal­heureux au point de se laiss­er mourir de faim est-il un bon témoin pour par­ler du plaisir du tan­go qui a ani­mé, pen­dant plusieurs décen­nies, des mil­liers de danseurs ? Je n’en suis pas sûr. L’auteur de Vachaché, Yira yira ou Cam­bal­ache avait un regard plutôt noir et dés­abusé sur le monde. Nicolás Oli­vari assura que Dis­cépo­lo était la cheville ouvrière de l’hu­mour de Buenos Aires, grais­sée par l’an­goisse. (Oli­vari écrivait El per­no, c’est le boulon, mais aus­si la par­tie qui main­tient la tige dans une charnière. J’ai choisi de traduire par la cheville ouvrière qui est la pièce la plus impor­tante des char­rettes avec roues avant ori­enta­bles. Notons qu’en lun­far­do, el per­no est aus­si le mem­bre vir­il).
Les paroles de Luis Rubis­tein pour­raient paraître de la même veine, mais elles par­lent d’une douleur intime, presque théâ­tral­isée, celle que ressent l’amoureux qui a per­du son objet d’amour, elles ne man­i­fes­tent pas néces­saire­ment un rejet de la société. Par ailleurs, Luis Rubis­tein est à la fois l’auteur de la musique et des paroles, aus­si, il pou­vait par­faite­ment établir l’équilibre entre l’émotion et la tristesse des paroles et l’enthousiasme de la musique.
En Europe, on s’interdit cer­tains tan­gos, car les paroles par­lent de sujets tristes (Juan Porteño, La nove­na), ici, à Buenos Aires, ils sont passés et bien que tout monde puisse en com­pren­dre les paroles, per­son­ne n’y fait atten­tion et tout le monde est sur la piste. C’est peut-être éton­nant quand on entend les danseurs chanter les paroles d’autres titres qu’ils con­nais­sent par cœur. En revanche, je ne passerai pas des titres vul­gaires comme Si soy así (inter­prété par Rodríguez avec Her­rera).
Ceci pour dire que le tan­go de danse se fait à par­tir de la musique et que si la musique donne envie de danser, c’est un tan­go pour la milon­ga, sauf à de très rares excep­tions. On aura remar­qué que même lorsque les paroles fai­saient référence à une his­toire triste, les tan­gos de danse n’en repren­nent que l’estribillo (refrain), voire un ou deux cou­plets en plus, mais que générale­ment, les par­ties les plus sin­istres ne sont pas chan­tées.
Le tan­go triste est le tan­go à écouter, car il dif­fuse la total­ité de l’histoire et que cette his­toire peut effec­tive­ment être très triste. La voix du chanteur étant mise en avant, l’auditeur ne dis­pose pas de l’amortissement de la musique et est con­fron­té à la dureté du texte.
On peut se deman­der pourquoi le tan­go exprime sou­vent des pen­sées tristes. Quand on sait que c’est le pays du Monde où il y a le plus de psys par habi­tant et que Buenos Aires est la ville qui a le plus de théâtres, il me sem­ble facile d’y voir un début d’explication.
La nos­tal­gie de l’émigré, immi­gré, sou­vent issu de pop­u­la­tions défa­vorisées d’Europe, voire d’Afrique, tout cela peut don­ner une cer­taine propen­sion à la tristesse, mais ce sont des gens qui ont su domin­er leurs dif­fi­cultés. Ils pen­saient arriv­er dans un espace vierge à con­quérir pour se lancer dans une nou­velle vie, mais con­traire­ment à ce qui s’est passé dans d’autres pays, l’Argentine était déjà entière­ment pri­vatisée, aux mains de quelques grandes familles et les con­quérants espérant s’établir en vivant de leurs ter­res ont été réduits à devoir tra­vailler pour les pro­prié­taires ou à s’entasser dans les villes, ou plutôt La ville, pour servir de main‑d’œuvre à l’industrie.
Ils ont quit­té une mis­ère pour en trou­ver une autre, loin de leurs racines. Il y avait sans doute de quoi avoir des ten­dances mélan­col­iques. Alors, la danse ne pou­vait pas être autre chose qu’un exu­toire, un sas de décom­pres­sion, ce qui explique les excès des pre­miers temps et la cir­con­scrip­tion à des lieux inter­lopes et pop­u­laires du tan­go. C’est quand la bonne société a jugé bon de s’acoquiner, que l’intellectualisation a façon­né une autre cul­ture.

El tango tiene los pies en el fango y la cabeza en las nubes

Le tan­go a les pieds dans la boue et la tête dans les nuages, c’est ce qui fait sa grandeur et sa richesse.
Tout bon DJ con­naît les dif­férents degrés de la musique qui s’adresse aux sen­ti­ments, au cerveau, au corps et c’est en jouant sur les dif­férents car­ac­tères qu’il ani­me la milon­ga.
Le ludique de D’Arienzo, l’urbain de Troi­lo, l’intellectuel de Pugliese et le sen­ti­men­tal de Di Sar­li for­ment les qua­tre piliers qui ser­vent à con­stru­ire une milon­ga qui don­nera à toutes les sen­si­bil­ités de danseurs, de quoi être heureux. Évidem­ment, cette répar­ti­tion que l’on donne comme indi­ca­tion aux DJ débu­tants est très som­maire et demande à être nuancée.
Il n’est pas ques­tion d’équilibrer ces 4 piliers. Selon l’événement, les danseurs et le moment, on favoris­era plutôt l’un des piliers. On passera générale­ment plus de D’Arienzo que de Pugliese, les piliers n’ont pas tous la même taille.
Par ailleurs, met­tre dans une de ces qua­tre cas­es ces qua­tre orchestres, c’est oubli­er qu’ils ont évolué et ont nav­igué d’une case à l’autre selon les péri­odes. Il faut donc nuancer la déf­i­ni­tion des piliers et le dernier point est que d’autres orchestres ont exprimé ces qua­tre sen­si­bil­ités et qu’ils peu­vent très bien se sub­stituer aux orchestres canon­iques.
Maler­ba et Caló, peu­vent aller dans la case roman­tique, tout comme De Caro et cer­tains Troi­lo qui peu­vent se class­er dans la case intel­lectuelle. Rodriguez ira sans doute dans la case ludique et ain­si de suite.
C’est la rai­son pour laque­lle on alterne les gen­res. On ne passera générale­ment pas deux tan­das romantiques/ludiques/intellectuelles/urbaines à la suite. On passera d’un des qua­tre piliers à l’autre dans le but de ne pas laiss­er sur sa chaise un danseur avec deux tan­das qui sont de types qui ne lui par­lent pas. Com­bi­en de fois avez-vous ressen­ti de l’ennui en ayant l’impression que c’était « tout le temps pareil », notam­ment dans ces milon­gas où le DJ respecte un ordre chronologique, com­mençant par la vieille garde et ter­mi­nant par le tan­go « nue­vo » …
Je me sou­viens d’un danseur, dans une ville française qui fut autre­fois pio­nnière dans le tan­go (et qui n’est pas Paris), qui après une tan­da de Pugliese est venu me dire, ça va être le néotan­go main­tenant ? Ne com­prenant pas le sens de sa ques­tion, je lui ai demandé des pré­ci­sions et il m’a dit qu’ici, les DJ com­mençaient par Canaro et ter­mi­naient par du néotan­go et comme il était rel­a­tive­ment tôt dans la soirée, il s’inquiétait de devoir par­tir, car il ne s’intéressait pas à ce type de musique. Je l’ai ras­suré et il est resté, jusqu’à la fin.

Sur ce, je vous dis à demain, les amis…

Fumando espero 1927-07-21 — Orquesta Típica Victor

Juan Viladomat Masanas Letra: Félix Garzo (Antonio José Gaya Gardus)

On sait main­tenant que fumer n’est pas bon pour la san­té, mais dans la mytholo­gie du tan­go, la cig­a­rette, cig­a­r­il­lo, pucho, faso et sa fumée ont inspiré les créa­teurs quand eux-mêmes inspi­raient les volutes de fumée. Notre tan­go du jour est à la gloire de la fumée, au point qu’il est devenu objet de pro­pa­gande pub­lic­i­taire. Mais nous ver­rons que le tan­go a aus­si servi à lut­ter con­tre le tabac qui t’abat. Je pense que vous décou­vrirez quelques scoops dans cette anec­dote fumante.

Extrait musical

Fuman­do espero 1927-07-21 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor — Dir. Adol­fo Cara­bel­li.

Cette très belle ver­sion souf­fre bien sûr de son anci­en­neté et du style de l’époque, mais les con­tre­points sont superbes et la ryth­mique lourde est com­pen­sée par de jolis traits. J’aime beau­coup les pas­sages lega­to des vio­lons.

Main­tenant que vous l’avez écouté, nous allons entr­er dans le vif d’un sujet un peu fumeux, tout d’abord avec des cou­ver­tures de par­ti­tions.

Fuman­do espero. Divers­es par­ti­tions.

On notera que trois des par­ti­tions annon­cent la créa­tion, mais par des artistes dif­férents…
Créa­tion de Ramonci­ta Rovi­ra (Par­ti­tion éditée par Ilde­fon­so Alier) à Madrid en 1925.
Créa­tion de Pilar Berti pour la pub­li­ca­tion de Barcelone, DO-RE-MI qui pub­li­ait chaque semaine une par­ti­tion. Mais c’est une autre Pilar (Arcos) qui l’enregistrera à divers­es repris­es.
Tania Mex­i­can, créa­trice de ce mag­nifique tan­go, annonce cette par­ti­tion. Tania aurait été la pre­mière à le chanter à Buenos Aires. Ce n’est pas impos­si­ble dans la mesure où cette Espag­nole de Tolède est arrivée en Argen­tine en 1924. Elle fut la com­pagne de Enrique San­tos Dis­cépo­lo.
Si on peut voir la men­tion « « « Mex­i­can » à côté de son nom, c’est qu’elle est arrivée à Buenos Aires avec le Con­jun­to The Mex­i­cans

Après les édi­tions espag­noles, voici celles d’Amérique latine, plus tar­dives, elles ont suivi le tra­jet de la musique.
Felix Car­so au lieu de Car­zo pour l’édition brésili­enne de 1927. L’éditeur, Car­los Wehrs vendait aus­si des pianos.
Tan­go de Velado­ma­to (au lieu de Velado­mat (non cata­lan) pour l’édition chili­enne.
Ces cinq par­ti­tions sont de la pre­mière vague (années 20–30)

La par­ti­tion éditée par las Edi­ciones Inter­na­cionales Fer­ma­ta avec la pho­to de Héc­tor Varela en cou­ver­ture date des années 50. Prob­a­ble­ment de 1955, date de l’enregistrement par Varela de ce titre.

Paroles

Fumar es un plac­er
genial, sen­su­al.
Fuman­do espero
al hom­bre a quien yo quiero,
tras los cristales
de ale­gres ven­tanales.
Mien­tras fumo,
mi vida no con­sumo
porque flotan­do el humo
me sue­lo adorme­cer…
Ten­di­da en la chaise longue
soñar y amar…
Ver a mi amante
solíc­i­to y galante,
sen­tir sus labios
besar con besos sabios,
y el deva­neo
sen­tir con más deseos
cuan­do sus ojos veo,
sedi­en­tos de pasión.
Por eso estando mi bien
es mi fumar un edén.

Dame el humo de tu boca.
Anda, que así me vuel­vo loca.
Corre que quiero enlo­que­cer
de plac­er,
sin­tien­do ese calor
del humo embria­gador
que aca­ba por pren­der
la lla­ma ardi­ente del amor.

Mi egip­cio es espe­cial,
qué olor, señor.
Tras la batal­la
en que el amor estal­la,
un cig­a­r­ril­lo
es siem­pre un des­can­sil­lo
y aunque parece
que el cuer­po lan­guidece,
tras el cig­a­r­ro crece
su fuerza, su vig­or.
La hora de inqui­etud
con él, no es cru­el,
sus espi­rales son sueños celes­tiales,
y for­man nubes
que así a la glo­ria suben
y envuelta en ella,
su chis­pa es una estrel­la
que luce, clara y bel­la
con rápi­do ful­gor.
Por eso estando mi bien
es mi fumar un edén.

Juan Vilado­mat Masanas Letra: Félix Gar­zo (Anto­nio José Gaya Gar­dus)

Traduction libre et indications

Fumer est un plaisir génial, sen­suel.
En fumant, j’attends l’homme que j’aime, der­rière les vit­res de fenêtres gaies.
Pen­dant que je fume, ma vie, je ne la con­somme pas parce que la fumée qui flotte me rend générale­ment som­no­lente…
Allongée sur la chaise longue, rêver et aimer… (On notera que la chaise longue est indiquée en français dans le texte).
Voir mon amant plein de sol­lic­i­tude et galant, de sen­tir ses lèvres embrass­er de bais­ers sages, et d’éprouver plus de désir quand je vois ses yeux assoif­fés de pas­sion.
C’est pourquoi mon bien est de fumer une Edén (mar­que de cig­a­rettes, voir ci-dessous les détails).
Donne-moi la fumée de ta bouche.
Allez, qu’ainsi je devi­enne folle.
Cours, que j’ai envie de devenir folle de plaisir, en sen­tant cette chaleur de la fumée enivrante qui finit par allumer la flamme brûlante de l’amour.
Mon égyp­tien (tabac égyp­tien) est spé­cial, quelle odeur, mon­sieur.
Après la bataille dans laque­lle l’amour explose, une cig­a­rette est tou­jours un repos et bien qu’il sem­ble que le corps lan­guisse, après le cig­a­re (en lun­far­do, el cig­a­r­ro est le mem­bre vir­il…), sa force, sa vigueur, gran­dis­sent.
L’heure de l’agitation avec lui n’est pas cru­elle, ses spi­rales sont des rêves célestes, et for­ment des nuages qui s’élèvent ain­si vers la gloire et envelop­pés d’elle, son étin­celle est une étoile qui brille, claire et belle d’un éblouisse­ment rapi­de.
C’est pourquoi mon bien est de fumer une Edén.

La cigarette et le tango

Ce tan­go serait une bonne occa­sion pour par­ler du thème de la cig­a­rette et du tan­go. Étant non-fumeur, je béni la loi 1799 (Buenos Aires) qui fait que depuis octo­bre 2006, il est inter­dit de fumer dans les lieux publics. Cela a large­ment amélioré la qual­ité de l’air dans les milon­gas.
La loi 3718 (décem­bre 2010) ren­force encore ces inter­dic­tions et donc depuis 5 jan­vi­er 2012, il est totale­ment inter­dit de fumer dans les lieux publics et les espaces fumeurs intérieurs sont inter­dits. Cepen­dant, imag­inez l’atmosphère au cours du vingtième siè­cle, époque où le tabac fai­sait des rav­ages.
Le tan­go du jour peut être con­sid­éré comme une pub­lic­ité pour le tabac et même une pub­lic­ité pour le tabac égyp­tien d’une part et la mar­que Edén qui était une mar­que rel­a­tive­ment lux­ueuse.

Avec Edén, allez plus vite au paradis

Dans ce tan­go, sont cités deux types de tabac, l’égyptien et les cig­a­rettes à base de tabac de la Havane. Je pour­rais rajouter le cig­a­re de la Havane, mais je pense que la référence au cig­a­re est plus coquine que rel­a­tive à la fumée…
Les cig­a­rettes Edén étaient com­mer­cial­isées en deux var­iétés, la n° 1, fab­riqué avec du tabac de la Havane, coû­tait 30 cents et la n° 2, avec un mélange de tabac de la Havane et de Bahia, 20 cents le paquet.

À gauche, paquet de tabac égyp­tien. À droite, pub­lic­ité pour les cig­a­rettes Edén (1899). Clodimiro Urtubey est le créa­teur de la mar­que

Les tangos faisant la propagande du tabac

On peut bien sûr inclure notre tan­go du jour (Fuman­do espero (1922), puisqu’il cite des mar­ques et l’acte de fumer. Cepen­dant, rien ne prou­ve que ce soient des pub­lic­ités, même déguisées. La référence au tabac égyp­tien peut être une sim­ple évo­ca­tion du luxe, tout comme la mar­que Edén qui en out­re rime avec bien.
Par ailleurs, l’auteur de la musique, Juan Vilado­mat sem­ble être un adepte des drogues dans la mesure où il a égale­ment écrit un tan­go qui se nomme La cocaí­na avec des paroles de Ger­ar­do Alcázar.

Par­ti­tion de La cocaina de Juan Vilado­mat avec des paroles de Ger­ar­do Alcázar.
La cocaí­na 1926 — Ramonci­ta Rovi­ra.

La cocaí­na 1926 — Ramonci­ta Rovi­ra. Cette pièce fai­sait par­tie du Guig­nol lyrique en un acte « El tan­go de la cocaí­na » com­posé par Juan Vilado­mat avec un livret de Amichatis et Ger­ar­do Alcázar.

J’imagine donc qu’il a choisi le thème sans besoin d’avoir une moti­va­tion finan­cière…
D’autres tan­gos sont dans le même cas, comme : Larga el pucho (1914), Sobre el pucho (1922), Fume Com­padre (ou Nubes de humo, 1923), Como el humo (1928), Cig­a­r­il­lo (1930), Pucho 1932, Taba­co (1944), Som­bra de humo (1951), Un cig­a­r­il­lo y yo (1966) et bien d’autres qui par­lent à un moment ou un autre, de fumée, de cig­a­rette (cigarillo/pucho/faso) ou de tabac.

Cig­a­r­ril­lo 1930-07-17 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Luis Díaz (Adol­fo Rafael Avilés Letra: Ernesto E. de la Fuente).

Atten­tion, ne pas con­fon­dre avec le tan­go du même nom qui milite con­tre le tabac et que je présente ci-dessous…
Sur le fait que Canaro n’a pas fait cela pour de l’ar­gent, j’ai tout de même un petit doute, il avait le sens du com­merce…

En revanche, d’autres tan­gos ont été com­man­dités par des mar­ques de cig­a­rettes. Par­mi ceux-ci, citons :

Améri­ca (qui est une mar­que de cig­a­rettes)
Fuman­do Sudan, espero (Sudan est une mar­que de cig­a­rette et Pilar Arcos a enreg­istré cette ver­sion pub­lic­i­taire en 1928).

Paquet en dis­tri­b­u­tion gra­tu­ite et vignettes de col­lec­tion (1920) des cig­a­rettes Soudan, une mar­que brésili­enne créée par Sab­ba­do D’Angelo en 1913.
Fuman­do Sudan espero 1928-06-15 — Pilar Arcos Acc. Orques­ta Tipi­ca Dir. Louis Katz­man.

Le nom des cig­a­rettes ne vient pas du pays, le Soudan, mais de l’utilisation des pre­mières let­tres du nom du fon­da­teur de la mar­que, S de Saba­do, Um(N) de Umberto et DAN de D’Angelo…
Quoi qu’il en soit, cette mar­que ne rec­u­lait devant aucun moyen mar­ket­ing, dis­tri­b­u­tion gra­tu­ite, images de col­lec­tion, ver­sion chan­tée…
Cela me fait penser à cette pub­lic­ité argen­tine pour la pre­mière cig­a­rette…

Pub­lic­ité argen­tine pour la pre­mière cig­a­rette met­tant en scène un enfant… La cig­a­rette est au pre­mier plan à gauche. On imag­ine la suite.

Sel­lo azul (qui est une mar­que de cig­a­rettes).

Sel­lo Azul de Sci­ammarel­la et Rubis­tein, et à droite, un paquet de ces cig­a­rettes…

Aprovechá la bola­da, Fumá Caran­chos dont je vous pro­pose ici les paroles qui sont un petit chef‑d’œuvre de mar­ket­ing de bas étage :

Cou­ver­ture de la par­ti­tion de Aprovechá la bola­da — Fumá Caran­chos de Fran­cis­co Bohi­gas

Paroles de Aprovechá la bolada, Fumá Caranchos

Che Pan­chi­to, no seas longhi, calmá un poco tu arreba­to que el que tiene una papusa cual la novia que tenés, no es de ley que se sui­cide por el hecho de andar pato; a la suerte hay que afrontar­la con bravu­ra y altivez.
Donde hay vida hay esper­an­za, no pifiés como un incau­to.
Y a tu piba no le arru­ines su pala­cio de ilusión vos querés dártela seca porque sueña con un auto, una casa y otras yer­bas; yo te doy la solu­ción.
Refrán:
Fumá Caran­chos no seas chan­cle­ta, que en cada eti­que­ta se encuen­tra un cupón.
Seguí mi con­se­jo, pren­dete, che Pan­cho que está en Los Caran­chos tu gran sal­vación.
Fumá Caran­chos, que al fin del jaleo en el gran sor­teo te vas a lig­ar una casa pos­ta, un buick de paseo y el sueño de tu piba se va a realizar.
Ya se me hace, che Pan­chi­to, que te veo muy tri­un­fante, dan­do dique a todo el mun­do con un buick deslum­brador, por Flori­da, por Cor­ri­entes, con tu novia en el volante propi­etario de una casa que será nido de amor.
Sin embar­go, caro mio, si no entrás en la fuma­da, serás siem­pre un pobre loco que de seco no sal­drá.
Vos bus­cate tu aco­mo­do, aprovechá la bola­da, fumá Caran­chos queri­do, que tu suerte cam­biará.
Fumá Caran­chos, no seas chan­cle­ta que en cada eti­que­ta se encuen­tra el cupón.

Fran­cis­co Bohi­gas

Traduction libre de Aprovechá la bolada, Fumá Caranchos (Saute sur ta chance, fume Caranchos)

Che Pan­chi­to, ne sois pas un manche, calme un peu ton emporte­ment, car celui qui a une poupée comme la petite amie que tu as, il n’est pas juste pour lui de se sui­cider, car il a fait le canard (« cada paso una caga­da », le canard a la répu­ta­tion de faire une crotte à chaque pas, une gaffe à chaque pas) ; la chance doit être affron­tée avec bravoure et arro­gance.
Là où il y a de la vie, il y a de l’espoir, ne faites pas de gaffes comme un impru­dent.
Et ne ruine pas le palais d’illusion de ta poupée, tu te vois fauché parce qu’elle rêve d’une voiture, d’une mai­son et d’autres trucs ; Je vais te don­ner la solu­tion.
Fume Caran­chos ne sois pas une mau­vi­ette, car sur chaque éti­quette, se trou­ve un coupon.
Suis mon con­seil, allume, che Pan­cho, ton grand salut est dans les Caran­chos.
Fume des Caran­chos, parce qu’à la fin du tirage de la grande tombo­la, tu vas recevoir une mai­son excel­lente, une Buick pour la balade et le rêve de ta chérie va se réalis­er.
Il me sem­ble, che Pan­chi­to, que je te vois très tri­om­phant, te pavanant devant tout le monde avec une Buick éblouis­sante, dans Flori­da, dans Cor­ri­entes, avec ta copine au volant et pro­prié­taire d’une mai­son qui sera un nid d’amour.
Cepen­dant, mon cher, si tu ne te lances pas dans la fumée, tu seras tou­jours un pau­vre fou qui ne sor­ti­ra pas de la dèche.
Tu trou­veras ton loge­ment, prof­ite de la chance, fume, mon cher, Caran­chos, ta chance va tourn­er.
Fume des Caran­chos, ne sois pas une mau­vi­ette, car sur chaque éti­quette se trou­ve le coupon.
On notera qu’il a fait un tan­go du même type Tirate un lance (tente ta chance), qui fai­sait la pro­pa­gande d’un tirage au sort d’un vin pro­duit par les caves Giol7. Ne pas con­fon­dre avec le tan­go du même titre écrit par Héc­tor Mar­có et chan­té notam­ment par Edmun­do Rivero.

Le tango contre le tabac

Même si l’immense des tan­gos fait l’apologie de la cig­a­rette, cer­tains dénon­cent ses méfaits en voici un exem­ple :

Paroles de Cigarrillo de Pipo Cipolatti (musique et paroles)

Tan­to daño,
tan­to daño provo­caste
a toda la humanidad.
Tan­tas vidas,
tan­tas vidas de mucha­cho
te fumaste… yo no sé.
Apa­gan­do mi amar­gu­ra
en la bor­ra del café
hoy te can­to, cig­a­r­ril­lo, mi ver­dad…

Cig­a­r­ril­lo…
com­pañero de esas noches,
de mujeres y cham­pagne.
Muerte lenta…
cada faso de taba­co
es un año que se va…
Che, purrete,
escuchá lo que te digo,
no hagas caso a los demás.
El taba­co es traicionero
te destruye el cuer­po entero
y te agre­ga más edad…
El taba­co es traicionero,
te destruye el cuer­po entero… ¡y qué!
y esa tos te va a matar…

¡Ay, que lin­do !…
Ay, que lin­do que la gente
com­prendiera de una vez
lo difí­cil,
lo difí­cil que se hace,
hoy en día, el res­pi­rar.
Es el humo del cilin­dro
maquiavéli­co y rufián
que destruye tu teji­do pul­monar

Pipo Cipo­lat­ti

Traduction libre des paroles de Cigarrillo

Tant de dégâts, tant de dégâts tu as causé à toute l’humanité.
Tant de vies, tant de vies d’enfants tu as fumé… Je ne sais pas.
Éteignant mon amer­tume dans le marc de café, aujourd’hui je te chante, cig­a­rette, ma vérité…
Cig­a­rette… Com­pagne de ces nuits, des femmes et de cham­pagne.
Mort lente… Chaque cig­a­rette (faso, cig­a­rette en lun­far­do) est une année qui s’en va…
Che, gamin, écoute ce que je te dis, ne fais pas atten­tion aux autres.
Le tabac est traître, il détru­it le corps en entier et t’ajoute plus d’âge…
Le tabac est traître, il détru­it le corps entière­ment… et puis !
Et cette toux va te tuer…
Oh, comme ce serait bien !…
Oh, comme ce serait bien que les gens com­pren­nent une fois pour toutes com­bi­en le dif­fi­cile, com­bi­en il est dif­fi­cile de respir­er aujourd’hui.
C’est la fumée du cylin­dre machi­avélique et voy­ou qui détru­it ton tis­su pul­monaire

Si on rajoute un autre de ses tan­gos Piso de soltero qui par­le des rela­tions d’un homme avec d’autres hommes et des femmes et des alcools, vous aurez un panora­ma des vices qu’il dénonce.

Autres versions

Il y a des dizaines de ver­sions, alors je vais essay­er d’être bref et de n’apporter au dossier que des ver­sions intéres­santes, ou qui appor­tent un autre éclairage.
Ce que l’on sait peu, est que ce tan­go est espag­nol, voire cata­lan et pas argentin…
Juan Vilado­mat est de Barcelone et Félix Gar­zo de San­ta Colo­ma de Gramenet (sur la rive opposée du río Besós de Barcelone).
Le tan­go (en fait un cuplé, c’est-à-dire une chan­son courte et légère des­tinée au théâtre) a été écrit pour la revue La nue­va España, lancée en 1923 au teatro Vic­to­ria de Barcelona.
La pre­mière chanteuse du titre en a été Ramonci­ta Rovi­ra née à Fuli­o­la (Cat­a­logne). Je rap­pelle que Ramonci­ta a aus­si lancé le tan­go La cocaí­na que l’on a écouté ci-dessus. Ramonci­ta, l’aurait enreg­istré en 1924, mais je n’ai pas ce disque. D’autres chanteuses espag­noles pren­dront la relève comme Pilar Arcos, puis Sara Mon­tiel et ensuite Mary Sant­pere bien plus tard.

Fuman­do-Espero 1926-08 – Orques­ta Del Mae­stro Lacalle.

Ce disque Colum­bia No.2461‑X tiré de la matrice 95227 a été enreg­istré en août 1926 à New York où le Mae­stro Lacalle (la rue), d’origine espag­nole, a fini sa vie (11 ans plus tard). C’est une ver­sion instru­men­tale, un peu répéti­tive. L’avantage d’avoir enreg­istré à New-York est d’avoir béné­fi­cié d’une meilleure qual­ité sonore, grâce à l’enregistrement élec­trique. Le même jour, il a enreg­istré Lan­gos­ta de Juan de Dios Fil­ib­er­to, mais il en a fait une marche joyeuse qui a peu à voir avec le tan­go orig­i­nal.

Disque enreg­istré à New York en 1926 par El Mae­stro Lacalle de Fuman­do Espero et Lan­gos­ta.

On est donc en présence d’un tan­go 100 % espag­nol et même 100 % cata­lan, qui est arrivé à New York en 1926, mais ce n’est que le début des sur­pris­es.

Fuman­do Espero 1926-10-18 — Mar­gari­ta Cue­to acc. Orques­ta Inter­na­cional — Dir.Eduardo Vig­il Y Rob­les. Un autre enreg­istrement new-yorkais et ce ne sera pas le dernier…

Fuman­do espero 1926-10-29 — Orques­ta Inter­na­cional — Dir. Eduar­do Vig­il Y Rob­les. Quelques jours après l’enregistrement avec Mar­gari­ta Cue­to, une ver­sion instru­men­tale.

On quitte New York pour Buenos Aires…

Fuman­do espero 1927-07-11 — Rosi­ta Quiroga con orques­ta.

Rosi­ta Quiroga, la Édith Piaf de Buenos Aires, à la dic­tion et aux manières très faubouri­ennes était sans doute dans son élé­ment pour par­ler de la cig­a­rette. On est toute­fois loin de la ver­sion raf­finée qui était celle du cuplé espag­nol d’origine.

Fuman­do espero 1927-07-21 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor — Dir. Adol­fo Cara­bel­li.

C’est notre superbe ver­sion instru­men­tale du jour, magis­trale­ment exé­cutée par l’orchestre de la Vic­tor sous la baguette de Cara­bel­li.

Fuman­do espero 1927 — Sex­te­to Fran­cis­co Pracáni­co.

Une autre ver­sion instru­men­tale argen­tine. Le titre a donc été adop­té à Buenos Aires, comme en témoigne la suc­ces­sion des ver­sions.

Fuman­do espero 1927-08-20 – Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to.

Une ver­sion un peu frus­tre à mon goût.

Fuman­do espero 1927-08-23 – Orques­ta Rober­to Fir­po.

Fir­po nous pro­pose une superbe intro­duc­tion et une orches­tra­tion très élaborée, assez rare pour l’époque. Même si c’est des­tiné à un tan­go un peu lourd, canyengue, cette ver­sion devrait plaire aux danseurs qui peu­vent sor­tir du strict âge d’or.

Fuman­do espero 1927-09-30 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Rober­to Fuga­zot.

Canaro ne pou­vait pas rester en dehors du mou­ve­ment, d’autant plus qu’il enreg­istr­era Cig­a­r­ril­lo avec Luis Díaz en 1930 (comme nous l’avons vu et écouté ci-dessus).

Fuman­do espero 1927-11-08 — Orques­ta Osval­do Frese­do.
Fuman­do espero 1927-11-17 — Igna­cio Corsi­ni con gui­tar­ras de Aguilar-Pesoa-Maciel.

Une belle inter­pré­ta­tion par ce chanteur qui aurait mérité, à mon avis, une gloire égale à celle de Gardel.

Fuman­do espero 1927 — Pilar Arcos Acc. The Castil­ians.
Fuman­do Sudan espero 1928-06-15 — Pilar Arcos Acc. Orques­ta Tipi­ca Dir. Louis Katz­man.

C’est la ver­sion pub­lic­i­taire que nous avons évo­quée dans le chapitre sur tabac et tan­go.

La source sem­ble s’être tarie et l’on ne trou­ve plus de ver­sions de Fuman­do espero intéres­sante avant les années 1950.

Fuman­do espero 1955-05-20 — Enrique Mora — Elsa Moreno.
Fuman­do espero 1955-06-01 — Orques­ta Héc­tor Varela con Argenti­no Ledes­ma.

Oui, je sais, cette ver­sion, vous la con­nais­sez et elle a cer­taine­ment aidé au renou­veau du titre. C’est superbe et bien que ce type d’interprétation mar­que la fin du tan­go de danse, 97,38 % (env­i­ron), des danseurs se ruent sur la piste aux pre­mières notes.

Fuman­do espero 1955-12-01 — Orques­ta Dona­to Rac­ciat­ti con Olga Del­grossi.

L’Uruguay se toque aus­si pour la reprise de Fuman­do espero. Après Dona­to Rac­ciat­ti et Olga Del­grossi, Nina Miran­da.

Fuman­do espero 1956 — Orques­ta Gra­ciano Gómez con Nina Miran­da.

Nina Miran­da a été engagée en 1955 par Odeón. C’est Gra­ciano Gómez qui a été chargé de l’accompagner. C’est une col­lab­o­ra­tion entre les deux rives du Rio de la Pla­ta.

Fuman­do espero 1956 — Jorge Vidal con gui­tar­ras.

Une ver­sion tran­quille, à la gui­tare.

Fuman­do espero 1956-02-03 — Orques­ta Car­los Di Sar­li con Argenti­no Ledes­ma.

Après la ver­sion à 97,38 % avec Varela, Argenti­no Ledes­ma, avec Di Sar­li réalise la ver­sion pour 100 % des danseurs.
Ledes­ma venait de quit­ter l’orchestre de Varela pour inté­gr­er celui de Di Sar­li. Il devient le spé­cial­iste du titre… Ce fut un immense suc­cès com­mer­cial au point que la Víc­tor décala sa fer­me­ture pour vacances pour rééditer d’autres dis­ques en urgence. L’enregistrement avec Varela n’avait pas obtenu le même accueil, c’est donc plutôt 1956 qui mar­que le renou­veau explosif du titre.

Fuman­do espero 1956-04-03 — Orques­ta Alfre­do De Ange­lis con Car­los Dante.

J’aurais plus imag­iné Lar­ro­ca pour ce titre. De Ange­lis a choisi Dante. C’est toute­fois joli, mais je trou­ve qu’il manque un petit quelque chose…

Pop­urri 1956-04-20 Fuman­do espero, His­to­ria de un amor y Baile­mos — José Bas­so C Flo­re­al Ruiz.

Il s’agit d’un pop­urrí, c’est à dire du mélange dans un seul tan­go de plusieurs titres. Comme ce pot-pour­ri com­mence par Fuman­do espero, j’ai choisi de l’insérer pour que vous puissiez prof­iter de la superbe voix de Flo­re­al Ruiz. À 58 sec­on­des com­mence His­to­ria de un amor et à deux min­utes, vous avez pour le même prix un troisième titre, Baile­mos. Les tran­si­tions sont réussies et l’ensemble est cohérent. On pour­rait presque pro­pos­er cela pour la danse (avec pré­cau­tion et pour un moment spé­cial).

Fuman­do espero 1956-04-26 — Orques­ta Car­los Di Sar­li con Rober­to Flo­rio.

On peut se deman­der pourquoi Di Sar­li enreg­istre une nou­velle ver­sion, moins de trois mois après celle de Ledes­ma. L’introduction est dif­férente et l’orchestration présente quelques vari­antes. La plus grosse dif­férence est la voix du chanteur. Si on décide de faire une tan­da avec Flo­rio, cet enreg­istrement me sem­ble un excel­lent élé­ment. Je pense que la prin­ci­pale rai­son est que Ledes­ma n’a enreg­istré que trois tan­gos avec Di Sar­li et que donc c’est trop peu, ne serait que pour nous, DJ, pour avoir un peu de choix. Si je veux pass­er la ver­sion avec Ledes­ma, je suis obligé de faire une tan­da mixte, autre chanteur et/ou titre instru­men­tal pour obtenir les qua­tre titres de rigueur. Puis, entre nous, ce n’est pas indis­pens­able d’inclure une de ces ver­sions dans une milon­ga…
Il y a peut-être aus­si un peu de colère de la part de Di Sar­li. En effet, si l’enregistrement de Ledes­ma avec Varela n’avait pas bien fonc­tion­né, à la suite du suc­cès de la ver­sion avec Di Sar­li, la Colum­bia (la mai­son de dis­ques de Varela) décide de relancer l’enregistrement de 1955. Ce fut alors un immense suc­cès qui a décidé la Colum­bia a réin­té­gr­er Ledes­ma dans l’orchestre de Varela. Voy­ant que son nou­veau poulain, par­tait en fumée, Di Sar­li (ou la Víc­tor) a donc décidé de graver d’urgence une autre ver­sion avec un nou­veau chanteur afin de ne pas laiss­er au cat­a­logue un titre avec un chanteur passé à la con­cur­rence…

Fuman­do espero 1956 — Los Señores Del Tan­go C Mario Pomar.

Un bon orchestre avec la belle voix de Mario Pomar. Agréable à écouter.

Fuman­do espero 1956 — Lib­er­tad Lamar­que Orques­ta — Dir.Victor-Buchino.

Fuman­do espero 1956 — Lib­er­tad Lamar­que Orques­ta —  Dir.Victor-Buchino. L’accompagnement dis­cret de Vic­tor Buchi­no et la presta­tion sou­vent a capel­la de Lib­er­tad Lamar­que per­met de bien saisir le grain de voix mag­nifique de Lib­er­tad.

Fuman­do espero 1957 — Chola Luna y Orques­ta Luis Caru­so.
Fuman­do espero 1957 — Impe­rio Argenti­na.

Si Impe­rio Argenti­na est née en Argen­tine, elle a fait une grande par­tie de sa car­rière en Europe, en Espagne (où elle est arrivée, ado­les­cente) et bien sûr en France, mais aus­si en Alle­magne. Elle nous per­met de faire la liai­son avec l’Espagne ou nous revenons pour ter­min­er cette anec­dote.

C’est le film, El Últi­mo Cuplé qui va nous per­me­t­tre de fer­mer la boucle. Le thème rede­vient un cuplé et même si le théâtre a été rem­placé par le ciné­ma, nous achèverons notre par­cours avec cette scène du film ou Sara Mon­tiel chante le cuplé.

Sara Mon­tiel chante Fuman­do espero dans le film El Últi­mo Cuplé de 1957. Met­teur en scène : Juan de Orduña

Vous aurez recon­nu l’illustration de cou­ver­ture. J’ai mod­i­fié l’ambiance pour la ren­dre plus noire et ajouté de la fumée, beau­coup de fumée…

À demain, les amis, et à ceux qui sont fumeurs, suiv­ez les con­seils de Pipo Cipo­lat­ti que je vous con­serve longtemps. Je rédi­ge cette anec­dote le 20 juil­let, Dia del ami­go (jour de l’ami).

Meneca 1927–07-19(20) — ¿Por qué?  1955-07-19 — Orquesta Osvaldo Fresedo

Meneca — E. Mercado
¿Por qué ? — Osvaldo Fresedo Letra : Emilio Augusto Oscar Fresedo

Les dates d’enregistrement qui me ser­vent de base pour les anec­dotes de tan­go ne sont pas des don­nées immuables. J’avais prévu d’associer deux titres de Frese­do enreg­istrés le même jour, un 19 juil­let, mais à 28 ans d’intervalle. Quand j’ai com­mencé à écrire, je me suis ren­du compte qu’à la suite des travaux de Enrique Bin­da, la date de Meneca avait changé pour le 20 juil­let. J’ai toute­fois décidé de con­serv­er mon idée ini­tiale, car la com­para­i­son des deux titres me sem­ble intéres­sante, vous le com­pren­drez que mieux en prenant con­nais­sance des paroles de Por qué..

Una meneca est une belle jeune femme. Pour être appelé ain­si, elle doit avoir les deux attrib­uts. Le tan­go est instru­men­tal, mais d’autres employ­ant ce terme sont avec des paroles et il con­vient donc de rester avec cette sig­ni­fi­ca­tion. J’imagine que le terme étant proche de muñe­ca (poupée) explique qu’on l’utilise unique­ment pour des jeunes femmes.
Meneca désigne égale­ment une langue qua­si dis­parue qui existe (exis­tait) entre le Pérou et la Colom­bie.

Le choix dans la date de la Meneca

Enrique Bin­da est une ressource impor­tante pour qui s’intéresse au tan­go.
https://www.todotango.com/comunidad/colaboradores/colaborador.aspx?id=73
Il a étudié de nom­breux cat­a­logues et notam­ment pour la péri­ode acous­tique (avant l’enregistrement élec­trique). Par con­séquent, son avis fait autorité.
Dans le cas présent, Frese­do a enreg­istré le 19 et le 20 juil­let 1927, ou seule­ment le 19 ou seule­ment le 20 les qua­tre tan­gos instru­men­taux suiv­ants :

  • Flo­res (Ángel Massi­ni) – Matrice 1037–1 (face A du disque 5159)
  • Mucha can­cha – (Alber­to Richieri) Matrice 1038 (face B du disque 5159)
  • Coque­ta (A. Mil­i­to) – Matrice 1039 (Face A du disque 5160)
  • Meneca (E. Mer­ca­do) – Matrice 1040 (Face B du disque 5160)

À l’époque, les orchestres enreg­istrent en moyenne deux tan­gos à qua­tre tan­gos par jour. Tous ne vont pas au disque. On notera que l’enregistrement de Flo­res sem­ble avoir été com­pliqué dans la mesure où il y a plusieurs pris­es.
Meneca a le numéro de matrice le plus élevé (1040) ce qui con­firme que Meneca a été enreg­istré en dernier et donc prob­a­ble­ment le 20 et pas le 19 s’il y a eu deux jours, comme c’est indiqué dans le livret du disque édité par CTA, mais aus­si dans la Enci­clo­pe­dia del Tan­go de Gabriel Valiente et dans le Frese­do Project qui pla­cent les qua­tre tan­gos à la même date, le 19 juil­let 1927.
Pour l’année 1927, on trou­ve plusieurs jours avec qua­tre enreg­istrements, on ne peut donc pas être affir­matif sur l’existence d’un sec­ond jour d’enregistrement néces­saire. Que tout soit du 19, tout du 20 ou panaché, ce n’est peut-être pas si impor­tant. Je con­serve donc mon idée de met­tre en rela­tion les deux tan­gos, d’autant plus que je vous réserve une sur­prise en fin d’article sur le sujet…

Extrait musical

Meneca 1927-07-20 — Orques­ta Osval­do Frese­do.

Meneca 1927-07-20 — Orques­ta Osval­do Frese­do. Osval­do Frese­do inter­vient comme ban­donéon­iste et on remar­quera la très jolie par­tie de vio­lon. Je vous présente les musi­ciens qui ont fait cette petite mer­veille.
Osval­do Frese­do et Alber­to Rodríguez (ban­donéon­istes), José María Riz­zut­ti (piano), Man­lio Fran­cia, Adol­fo Muzzi et Juan Koller (vio­lonistes), Hum­ber­to Con­stan­zo (con­tre­bassiste).

¿Por qué ? 1955-07-19 — Orques­ta Osval­do Frese­do.

Ce qui frappe dans ce titre est l’ostinato qui revient régulière­ment et notam­ment sur les par­ties chan­tées.

Par­ti­tion de ¿Por qué ? On note sur la page de gauche que c’est la ver­sion passée à la Radio Fenix. À droite, la ver­sion en ré pour les chanteurs.

LR9 Radio Fénix est une radio de Buenos Aires qui a démar­ré le 11 févri­er 1927 et qui se nom­mera ensuite Antár­ti­da puis AM1190 Améri­ca.
La par­ti­tion pour les chanteurs est en ré. Elle com­mence en ré mineur, puis con­tin­ue en ré majeur pour revenir à la dernière ligne en ré mineur. C’est donc une alter­nance de sonorités plus tristes et plus gaies.

Paroles

¿Por qué
si yo soy el mis­mo querés cam­biar
mi pilcha ‘e varón?
¿Por qué
si mi pobre ajuar
dio a can­tar
mi hon­da tris­teza?
¿Por qué
si no está en mi san­gre vos me adornás
p’ hac­erme amar­gar?

Yo soy milon­ga
sen­ti­men­tal.
Mi nom­bre es macho
soy el gotán.
Vestí de negro con fun­yi claro…
Y me quisieron.
Me respetaron.
Y fue muy pura mi vida entera
y hay quien ven­era mi cuna de ayer.

¿Por qué
quieren que me vista tan ataviao
con tan­to tren­zao?
¿Por qué
quieren verme así
hecho un gil
de fan­tasía?
¿ Por qué
si he naci­do tan­go y así latió
mi gran corazón?

Osval­do Frese­do Letra: Emilio Augus­to Oscar Frese­do

Traduction libre de ¿Por qué ?

Pourquoi, si je suis le même, veux tu chang­er mes fringues, hein, mec ?
Pourquoi, si mon pau­vre trousseau don­nait à chanter ma pro­fonde tristesse ?
Pourquoi, si ce n’est pas dans mon sang, me fais-tu des orne­ments pour me ren­dre amer ?
Je suis milon­ga sen­ti­men­tale.
Je m’appelle macho, je suis le gotan (tan­go).
Je suis habil­lé de noir avec un cha­peau clair (fun­yi, cha­peau en forme de champignon).
Et ils m’aimaient.
Ils me respec­taient.
Et toute ma vie était très pure et il y a ceux qui vénèrent mon berceau d’hier.
Pourquoi veu­lent-ils que je revête tant de parures avec tant de galons ?
Pourquoi, veu­lent-ils me voir comme ça, faisant un idiot de fan­taisie ?
Pourquoi, si je suis né tan­go et ain­si bat­tait mon grand cœur.

Autres versions

Il ne sem­ble pas y avoir d’autres enreg­istrements de Meneca, cepen­dant, il est intéres­sant de voir ce que devient Por Qué….

Meneca 1927-07-20 — Orques­ta Osval­do Frese­do.

Un de nos deux tan­gos du jour, pour mémoire et com­para­i­son…

Dif­férents dis­ques de ¿Por qué ? Alber­to Vila, Frese­do avec Ibanez, Ser­pa et instru­men­tal (33 tours avec pochette) et Pugliese avec Chanel et Moran.
¿Por qué ? 1931-08-18 – Alber­to Vila accomp. Orques­ta Típi­ca Vic­tor.

Ce pre­mier enreg­istrement qui est une chan­son est superbe­ment inter­prétée par Alber­to Vila (dont la voix est rem­plie de tré­mo­los) accom­pa­g­né par l’orchestre Típi­ca Vic­tor dirigé par Cara­bel­li.

¿Por qué ? 1931-10-30 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Teó­fi­lo Ibáñez.

L’osti­na­to de la con­tre­basse est assez éton­nant et il s’achève en ralen­tis­sant sur la toute fin de la musique.

¿Por qué ? 1943-01-25 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Oscar Ser­pa.

¿Por qué ? 1943-01-25 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Oscar Ser­pa. Le rythme est plus rapi­de et quelques sonorités de vibra­phone se super­posent aux instru­ments habituels. L’ostinato la vedette de ce thème démarre désor­mais le titre et est accom­pa­g­né du vibra­phone.
L’expressivité est plus mar­quée. On pour­rait qual­i­fi­er cette ver­sion de plus roman­tique.
Petit inter­lude pour vous présen­ter Frese­do jouant ce titre dans un film qui reste à iden­ti­fi­er (ce n’est pas Tan­go comme tous l’écrivent).

¿Por qué ? — Osval­do Frese­do y su Orques­ta
¿Por qué ? 1945-08-28 — Orques­ta Osval­do Pugliese con Alber­to Morán y Rober­to Chanel.

L’osti­na­to que vous con­nais­sez bien démarre le titre, come dans la ver­sion de 1943 de Frese­do, puis pro­gres­sive­ment Pugliese déstruc­ture le titre pour le ren­dre com­pat­i­ble avec son style. L’osti­no revient de temps à autre et notam­ment sous la voix des chanteurs. L’effet est superbe les voix se mêlent pen­dant que l’osti­na­to s’atténue et que les vio­lons ond­u­lent dans un con­tre­point splen­dide. C’est assuré­ment un chef d’œuvre. Peut-être plus dif­fi­cile à danser que les guimauves trop sou­vent passées dans cer­taines milon­gas, mais à tester à mon avis…

¿Por qué ? 1955-07-19 — Orques­ta Osval­do Frese­do. C’est notre autre tan­go du jour.

Le vibra­phone prend un peu plus ses ais­es, libéré par l’absence du chanteur qui est représen­té par le piano. Le résul­tat est plutôt joli, mais pas con­va­in­quant pour la danse.

¿Por qué ? 1979-10-30 — Orques­ta Osval­do Frese­do.

Le titre démarre en trombe, mais avec l’in­tro­duc­tion que Frese­do avait aban­don­né depuis 1943. Les vio­lons cou­vrent un peu trop l’ostinato, enl­e­vant une par­tie de l’originalité de ce titre. La bat­terie s’est rajoutée, mais sans pour autant ren­forcer la dans­abil­ité du morceau, sauf à le danser en tan­go musette…

¿Por qué ? — Mar­i­ano Mores y su Sex­te­to Rít­mi­co Mod­er­no.

C’est une ver­sion très orig­i­nale que signe Mar­i­ano Mores. L’osti­na­to est assez dis­cret et prin­ci­pale­ment don­né par le piano. Les per­cus­sions sont à l’hon­neur. Dif­férents motifs éclosent et don­nent une impres­sion de var­iété. Bien sûr, pas ques­tion de pro­pos­er cela à des danseurs, mais l’é­couter de temps à autre est une activ­ité sym­pa.
Elle clô­ture la liste des ver­sions et il est temps d’ouvrir le débat.

Faites ce que je dis et pas ce que je fais

Comme vous l’avez remar­qué, les paroles du tan­go ¿Por qué? Des frères Frese­do sem­blent regret­ter un tan­go plus épuré. Ils font par­ler le tan­go qui regrette le temps où il n’était pas ridi­culisé par des fior­i­t­ures.
Dans les inter­pré­ta­tions de 1931 et 1943, Osval­do Frese­do respecte ces (ses) direc­tives. Tout comme bien sûr, dans Meneca de 1927.
Par con­tre, dans notre tan­go du jour, la ver­sion de 1955 de ¿Por qué? On peut se deman­der s’il n’a pas un peu per­du cela de vue. D’ailleurs, cette ver­sion est instru­men­tale, peut-être pour éviter que les paroles met­tent en valeur cette dichotomie.
Pugliese, en 1945, avait peut-être com­mencé cette bifur­ca­tion, mais il ne me sem­ble pas que l’on puisse l’accuser de faire de l’ornementation gra­tu­ite. D’ailleurs, il a con­servé les paroles. Je l’enlèverai donc des pièces du procès…
Frese­do aggrave très sen­si­ble­ment son cas en 1979, avec une ver­sion con­sti­tuée majori­taire­ment de fior­i­t­ures. Là, je dois le déclar­er coupable. Il a déguisé le tan­go et renon­cé à ses principes énon­cés dans les années 30. Avec son goût pour les instru­ments orig­in­aux, il cour­rait cer­taine­ment ce risque et il est tombé dans son pro­pre piège.
Je pense que vous avez sans doute fait le rap­proche­ment avec le débat plus con­tem­po­rain sur le tan­go, le néotan­go et autres vari­a­tions. Le tan­go, comme les autres œuvres de l’humanité, ne résiste pas aux querelles des Anciens et des Mod­ernes, tel que l’a vécu l’Académie française à la fin du 17e siè­cle.
Tous les goûts sont dans la nature et le tra­vail du DJ est à la fois de dévelop­per les goûts et de sat­is­faire ceux qui sont exis­tants. C’est pas­sion­nant.

À demain, les amis !

Marejada 1941-07-16 — Orquesta Carlos Di Sarli

Roberto Firpo Letra : Daniel López Barreto y Vicente Planells Del Campo ?

J’espère que vous n’avez pas le mal de mer, car nous embar­quons avec un des rares tan­gos dédiés à la marine. C’est encore une com­po­si­tion de Rober­to Fir­po et l’histoire rap­pellera sans doute des sou­venirs à de nom­breux marins au long cours ou aux mil­i­taires engagés dans la marine.

Extrait musical

Mare­ja­da 1941-07-16 — Orques­ta Car­los Di Sar­li
Mare­ja­da Rober­to Fir­po Letra : Daniel López Bar­reto

La par­ti­tion est dédi­cacée au dis­tin­gui­do señor Con­ra­do Del Car­ril et non pas, comme c’est écrit partout à Boni­fa­cio del Car­ril, qui fut avo­cat, min­istre de l’Intérieur et diplo­mate, mais qui est né en 1911, année d’écriture de ce tan­go. Il fut aus­si le tra­duc­teur du Petit Prince (Prin­cip­i­to) de Antoine de Saint-Exupéry.
Le marin représen­té sur la cou­ver­ture de gauche est Con­ra­do del Car­ril, comme on peut le voir inscrit sur la bouée. En 1910, Con­ra­do del Car­ril a passé les exa­m­ens de sec­onde année d’aspirant de l’école navale mil­i­taire. Le décret qui le stip­ule est le n° 1397 du 8 avril 1910. Il avait donc à faire dans le domaine de la marine, con­traire­ment à Boni­fa­cio

Le décret du 8 avril 1810 men­tion­nant Con­ra­do del Car­ril surligné en jaune.

J’ai essayé de trou­ver le lien avec Fir­po, sans suc­cès. Il ne faut bien sûr pas chercher du côté d’Hugo del Car­ril qui est un pseu­do­nyme et qui est de toute façon né en 1912. Les paroles étant plus tar­dives et la dédi­cace étant sur la par­ti­tion orig­i­nale, ce n’est pas non plus du côté de Daniel López Bar­reto qu’il faut chercher.

Paroles

Il est par­fois indiqué l’intervention de Vicente Planells Del Cam­po, pour une pre­mière ver­sion des paroles, ou une par­tic­i­pa­tion à la com­po­si­tion, je n’en suis pas du tout sûr. Pour la com­po­si­tion, c’est prob­a­ble­ment non, trop tôt. Pour les paroles, il s’agit sans doute d’une erreur du cat­a­logue de Odeón, la par­ti­tion indi­quant bien Daniel López Bar­reto. Sauf à imag­in­er des paroles de Plan­nels Del Cam­po à la fin des années 20. Mais dans ce cas, on n’a pas de traces et comme de toute façon toutes les ver­sions sont instru­men­tales, sauf celle de 1929, avec les paroles de Daniel López Bar­reto, la ques­tion n’a pas trop d’intérêt… Voici donc les paroles de Daniel López Bar­reto, qui, on le con­stat­era, n’ont rien d’extraordinaire…

Cuan­do te dejé, tier­ra queri­da,
y te di aquel triste adiós,
la bar­ra del Flori­da
con pena sin­cera me des­pidió,
parece que veo los pañue­los
agi­tarse con dolor
y entre la gente esta­ba
muy triste y llora­ba
una mujer.

Yo sé que mi mira­da
llegó cual mare­ja­da
y su almi­ta ape­na­da
y su esper­an­za naufragó.
Me quiso con locu­ra,
con­mi­go fue muy dichosa,
fue bue­na y car­iñosa
y yo, insen­sato,
la dejé.

Cuan­do regresé a mi patria,
después de una larga ausen­cia,
la vi una vez;
¡qué triste fue
volver­la a ver así !
Arras­tró la mare­ja­da
a su bar­co de ilu­siones
y navego sin direc­ción
por cul­pa
de mi amor.

Rober­to Fir­po Letra: Daniel López Bar­reto.

Teó­fi­lo Ibáñez ne chante que ce qui est gras.

Traduction libre

Quand je t’ai quit­tée, Terre chérie, et que je t’ai fait ce triste adieu, la bande du Flori­da avec une tristesse sincère m’a dit au revoir, il sem­ble que je vois les mou­choirs s’agiter de douleur et par­mi les gens il y avait, très triste, une femme qui pleu­rait.
Je sais que mon regard s’est posé comme un raz-de-marée (la mare­ja­da est une houle mod­érée, mais je pense que l’image du raz-de-marée est plus par­lante pour évo­quer la tristesse de la femme délais­sée) et que sa petite âme affligée et son espoir ont fait naufrage.
Elle m’aimait à la folie, elle était très heureuse avec moi, elle était bonne et affectueuse et moi, insen­sé, je l’ai quit­tée.
Quand je suis ren­tré dans ma patrie, après une longue absence, je l’ai vue une fois ; comme c’était triste de la revoir ain­si !
La houle m’a traîné jusqu’à son bateau d’illusions et je nav­igue sans direc­tion par la faute de mon amour.

Autres versions

Mare­ja­da 1914 — Rober­to Fir­po (solo de piano).
Mare­ja­da 1917 – Orques­ta Rober­to Fir­po.
Mare­ja­da 1929-07-04 – Orques­ta Rober­to Fir­po con Teó­fi­lo Ibáñez.
Mare­ja­da 1932-03-10 – Orques­ta Rober­to Fir­po.
Mare­ja­da 1937-01-12 – Orques­ta Típi­ca Vic­tor, Dir. Fed­eri­co Scor­ti­cati.
Mare­ja­da 1941-07-16 — Orques­ta Car­los Di Sar­li. C’est notre tan­go du jour.
Mare­ja­da 1950-07-06 — Orques­ta Fran­cis­co Rotun­do.
Mare­ja­da 1953-01-15 – Orques­ta Florindo Sas­sone.
Mare­ja­da 1967 – Orques­ta Osval­do Pugliese.
Mare­ja­da 2012 — Típi­ca Fer­nán­dez Fier­ro.

Hon­nête­ment, j’ai classé cela dans la caté­gorie « bruit ».

La vague

Vous avez recon­nu le mod­èle de mon illus­tra­tion de cou­ver­ture, La Grande Vague de Kana­gawa, qui est prob­a­ble­ment la pre­mière de la série des 36 vues du Mont Fuji réal­isées vers 1830 par Hoku­sai. Il s’agit d’une gravure sur bois, chaque couleur est appliqué à par­tir d’une planche de bois gravée pour recevoir et imprimé cette couleur.
L’image de cette vague m’a sem­blé évi­dente pour évo­quer la houle qui fait som­br­er la mal­heureuse.

La Grande Vague de Kana­gawa — Hoku­sai — 1830

友達、また明日会いましょう。

Alma de bohemio 1943-07-15 — Orquesta Pedro Laurenz con Alberto Podestá

Roberto Firpo Letra: Juan Andrés Caruso

La con­nex­ion du monde du tan­go avec le théâtre, puis le ciné­ma a tou­jours été naturelle. Le tan­go du jour, Alma de bohemio est un par­fait exem­ple de ce phénomène. Il a été créé pour le théâtre et a été repris à au moins deux repris­es par le ciné­ma. Devenu le morceau de choix de notre chanteur du jour, il réson­nera ensuite sur les grandes scènes où Alber­to Podestá l’offrait à son pub­lic. Je suis sûr que cer­tains ver­sions vont vous éton­ner, et pas qu’un peu…

Extrait musical

Alma de bohemio. Rober­to Fir­po Letra:Juan Andrés Caru­so. Par­ti­tion et à droite réédi­tion de 1966 de notre tan­go du jour sur un disque 33 tours.

À gauche, la par­ti­tion dédi­cacée à l’acteur Flo­ren­cio Par­ravici­ni qui jouait la pièce dont Alma de bohemio était le titre final. L’œuvre a été étren­née en 1914 au Teatro Argenti­no de Buenos Aires. On notera que la cou­ver­ture de la par­ti­tion porte la men­tion Tan­go de concier­to. Les auteurs ont donc conçu ce tan­go comme une pièce à écouter, ce qui est logique, vu son usage. On notera que ce même tan­go a été réu­til­isé au ciné­ma à au moins deux repris­es, en 1933 et en 1944, nous en par­lerons plus bas.
À droite, la réédi­tion en disque microsil­lon de 1966 de notre tan­go du jour. Alma de bohemio est le pre­mier titre de la face A et a don­né son nom à l’album.

Alma de bohemio 1943-07-15 — Orques­ta Pedro Lau­renz con Alber­to Podestá.

Paroles

Pere­gri­no y soñador,
can­tar
quiero mi fan­tasía
y la loca poesía
que hay en mi corazón,
y lleno de amor y de ale­gría,
vol­caré mi can­ción.

Siem­pre sen­tí
la dulce ilusión,
de estar vivien­do
mi pasión.

Si es que vivo lo que sueño,
yo sueño todo lo que can­to,
por eso mi encan­to
es el amor.
Mi pobre alma de bohemio
quiere acari­ciar
y como una flor
per­fumar.

Y en mis noches de dolor,
a hablar
me voy con las estrel­las
y las cosas más bel­las,
despier­to he de soñar,
porque le con­fío a ellas
toda mi sed de amar.

Siem­pre sen­tí
la dulce ilusión,
de estar vivien­do
mi pasión.

Yo bus­co en los ojos celestes
y rene­gri­das cabelleras,
pasiones sin­ceras,
dulce emo­ción.
Y en mi triste vida errante
llena de ilusión,
quiero dar todo
mi corazón.

Rober­to Fir­po Letra: Juan Andrés Caru­so

Traduction libre

Pèlerin et rêveur, je veux chanter ma fan­taisie et la folle poésie qui est dans mon cœur, et plein d’amour et de joie, je déverserai ma chan­son.
J’ai tou­jours ressen­ti la douce sen­sa­tion de vivre ma pas­sion.
Si je vis ce dont je rêve, je rêve tout ce que je chante, c’est pourquoi mon charme c’est l’amour.
Ma pau­vre âme de bohème veut caress­er et par­fumer comme une fleur.
Et dans mes nuits de douleur, je vais par­ler avec les étoiles et les choses les plus belles, il faut rêver éveil­lé, car je leur con­fie toute ma soif d’amour.
J’ai tou­jours ressen­ti la douce sen­sa­tion de vivre ma pas­sion.
Je recherche dans les yeux bleus (couleur du ciel et du dra­peau argentin) et les chevelures noir obscur des pas­sions sincères, une douce émo­tion.
Et dans ma triste vie errante et pleine d’illusions, je veux don­ner tout mon cœur.

Autres versions

Alma de bohemio 1914 — Orques­ta Argenti­na Rober­to Fir­po.

Le tan­go, tel qu’il était joué dans la pièce orig­i­nale, par Fir­po, c’est-à-dire sans parole. Ces dernières n’ont été écrites par Caru­so qu’une dizaine d’années plus tard.

Alma de bohemio 1925-12-16 — Orques­ta Julio De Caro.

Là où il y a de la recherche d’originalité, De Caro s’y intéresse.

Alma de bohemio 1925 — Igna­cio Corsi­ni.

La plus anci­enne ver­sion chan­tée avec les paroles de Caru­so. Il est assez logique que Corsi­ni soit le pre­mier à l’avoir chan­té, car il était à la fois proche de Fir­po avec qui il a enreg­istré Patotero sen­ti­men­tal en 1922 et de Caru­so dont il a enreg­istré de nom­breux titres. Il était donc à la croisée des chemins pour enreg­istr­er le pre­mier.

Séance d’enregistrement d’Ignacio Corsi­ni (debout) avec, de gauche à droite, ses gui­taristes Rosendo Pesoa, Enrique Maciel et Arman­do Pagés. La pho­to date prob­a­ble­ment des années 30, elle est donc moins anci­enne que l’enregistrement présen­té.
Alma de bohemio 1927-04-26 — Orques­ta Osval­do Frese­do.

Une belle ver­sion instru­men­tale, rel­a­tive­ment éton­nante pour l’époque.

Alma de bohemio 1927-05-05 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Une ver­sion typ­ique de Canaro. On ver­ra qu’il l’enregistrera à d’autres repris­es.

Alma de bohemio 1927-07-26 — Orques­ta Rober­to Fir­po.

Treize ans plus tard, Rober­to Fir­po redonne vie à son titre, tou­jours de façon instru­men­tale.

Alma de bohemio 1929-05-18 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor.

Deux ans plus tard, la Típi­ca Vic­tor, dirigée par Adol­fo Cara­bel­li donne sa pro­pre ver­sion égale­ment instru­men­tale.

Alma de bohemio 1929-09-19 — Ada Fal­cón con acomp. de Fran­cis­co Canaro.

Ada Fal­cón avec sa voix d’une grande pureté en donne une ver­sion mag­nifique accom­pa­g­née par son cher Canaro. On notera les notes tenues, un temps impres­sion­nant, plus que ce qu’en avait don­né Corsi­ni. Dis­ons que Fal­cón lancera la course à la note tenue le plus longtemps pos­si­ble.

Le suc­cès de Corsi­ni avec les paroles de Caru­so va per­me­t­tre au titre de retourn­er dans le spec­ta­cle avec le pre­mier film par­lant argentin, Tan­go réal­isé par Luis Moglia Barth et sor­ti en 1933.

1933 Tan­go – Alma de Bohemio par Alber­to Gómez dans le film de Luis Moglia Barth, Tan­go sor­ti le 27 avril 1933.

Alber­to Gómez suiv­ra donc égale­ment les traces de Fal­cón avec de belles notes tenues.

Alma de bohemio 1930-09-05 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Fran­cis­co Canaro reste sur la voie du tan­go de concier­to avec une ver­sion très éton­nante et qui fait l’impasse sur les notes très longue­ment tenues. Je pense qu’il faut associ­er cette inter­pré­ta­tion aux recherch­es de Canaro en direc­tion du tan­go fan­ta­sia ou sym­phonique. Pour moi, il n’est pas ques­tion de pro­pos­er cela à des danseurs, mais je trou­ve cette œuvre cap­ti­vante et je suis con­tent de vous la faire décou­vrir (enfin, à ceux qui ne con­nais­saient pas).

Alma de bohemio 1935-01-23 — Trío Ciri­a­co Ortiz.

Le Trío Ciri­a­co Ortiz offre lui aus­si une ver­sion très sophis­tiquée et sur­prenante de l’œuvre. C’est bien sûr plus léger que ce qu’a fait Canaro cinq ans plus tôt, mais c’est un trio, pas une grosse machine comme celle de Canaro.

Alma de bohemio 1939-03-24 — Orques­ta Rodol­fo Bia­gi con Teó­fi­lo Ibáñez.

On peut au moins apporter au crédit de Bia­gi qu’il a essayé de faire la pre­mière ver­sion de danse. Cette ver­sion est à l’opposé de tout ce qu’on a enten­du. Le rythme soutenu et martelé est presque car­i­cat­ur­al. J’ai du mal à con­sid­ér­er cela comme joli et même si c’est éventuelle­ment dans­able, ce n’est pas la ver­sion que je passerais en milon­ga.

Alma de bohemio 1943-07-15 — Orques­ta Pedro Lau­renz con Alber­to Podestá. C’est notre tan­go du jour.

Avec cette ver­sion mise au point par Pedro Lau­renz, un immense chef d’orchestre ayant trop peu enreg­istré à mon goût, on a une bonne syn­thèse d’une ver­sion pour la danse et à écouter. Alber­to Podestá gagne claire­ment le con­cours de la note tenue la plus longue. Il sur­passe Fal­cón, Gómez et en 1949, Castil­lo ne fera pas mieux…

Alma de bohemio 1946-11-13 — Orques­ta Franci­ni-Pon­tier con Alber­to Podestá.

Alber­to Podestá s’attaque à son record de la note tenue la plus longue et je crois qu’il l’a bat­tu avec cette ver­sion. Cela con­stitue une alter­na­tive avec la ver­sion de Lau­renz.

Alma de bohemio 1947-04-02 — Orques­ta Ricar­do Tan­turi con Osval­do Ribó.

Alma de bohemio 1947-04-02 — Orques­ta Ricar­do Tan­turi con Osval­do Ribó. Avec cet enreg­istrement, Osval­do Ribó prou­ve qu’il ne manque pas d’air, lui non plus…

Alma de bohemio 1947-05-21 — Rober­to Fir­po y su Nue­vo Cuar­te­to.

Tiens, une ver­sion instru­men­tale. Fir­po ten­terait-il de tem­pér­er les ardeurs des chanteurs gon­flés ?

Alma de bohemio 1947-06-10 — Orques­ta Ángel D’Agostino con Tino Gar­cía.

La ten­ta­tive de Fir­po ne sem­ble pas avoir réus­si, Tino Gar­cía explose les comp­teurs avec cette ver­sion servie par le tem­po mod­éré de D’Agostino.

Voici Alber­to Castil­lo, pour la sec­onde ver­sion ciné­matographique de Alma de Bohemio, dans un film qui porte le nom de ce tan­go.

Alber­to Castil­lo chante Alma de bohemio (dans la sec­onde par­tie de cet extrait, à par­tir de 3 min­utes) dans le film réal­isé par Julio Saraceni (1949)

Alber­to Castil­lo chante Alma de bohemio (dans la sec­onde par­tie de cet extrait) dans le film réal­isé par Julio Saraceni à par­tir d’un scé­nario de Rodol­fo Sci­ammarel­la et Car­los A. Petit. Le film est sor­ti le 24 août 1949. L’orchestre est dirigé par Eduar­do Rovi­ra ou Ángel Con­der­curi… L’enregistrement a été réal­isé le 6 mai 1949.
Castil­lo ne dépasse pas Podestá dans le con­cours de la note tenue la plus longue, mais il se débrouille bien dans cet exer­ci­ce.

Fidel Pin­tos (à gauche) et Alber­to Castil­lo dans le film de Julio Saraceni Alma de bohemio (1949).
Alma de bohemio 1951-07-17 — Juan Cam­bareri y su Cuar­te­to Típi­co con Alber­to Casares.

Alber­to Casares fait dur­er de façon mod­érée les notes, l’originalité prin­ci­pale de cette ver­sion est l’orchestration déli­rante de Cam­bareri, avec ses traits vir­tu­os­es et d’autres élé­ments qui don­nent le sourire, à l’écoute, pour la danse, cela reste à prou­ver… Sig­nalons qu’une ver­sion avec le chanteur Hec­tor Berar­di cir­cule. Berar­di a en effet rem­placé Casares à par­tir de 1955, mais cette ver­sion est un faux. C’est celle de Casares dont on a sup­primé les pre­mières notes de l’introduction. Les édi­teurs ne recu­lent devant aucune manœu­vre pour ven­dre deux fois la même chose…

Alma de bohemio 1958-12-10 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Une ver­sion bien dif­férente et qui mar­que la maîtrise créa­tive de Pugliese. Sou­venons-nous tout de même que d’autres orchestres, y com­pris Canaro s’étaient ori­en­tés vers des ver­sions sophis­tiquées.

Alma de bohemio 1958 — Argenti­no Galván.

La ver­sion la plus courte (37 sec­on­des), extraite du disque de Argenti­no Galván que je vous ai déjà présen­té His­to­ria de la orques­ta tipi­ca.

Alma de bohemio 1959-04-29 — Quin­te­to Pir­in­cho dir. Fran­cis­co Canaro.

À la tête de son Quin­te­to Pir­in­cho, Fran­cis­co Canaro, donne une nou­velle ver­sion de l’œuvre. Rien qu’avec ses ver­sions on croise une grande diver­sité d’interprétations. De la ver­sion de 1927, canyengue, l’émouvante ver­sion avec Ada Fal­cón, celle de 1930, éton­nam­ment mod­erne et finale­ment celle-ci, légère et rel­a­tive­ment dansante. Il y a du choix chez Mon­sieur Canaro.

Alma de bohemio 1965-12-10 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Nel­ly Vázquez.

Nel­ly Vázquez prou­ve que les femmes ont aus­si du cof­fre. L’orchestre d’Aníbal Troi­lo est ici au ser­vice de la chanteuse, il ne pro­pose pas une ver­sion révo­lu­tion­naire qui aurait nuit à l’écoute de Nel­ly Vázquez. Cette inté­gra­tion fait que c’est une ver­sion superbe, à écouter les yeux fer­més.

Alma de bohemio 1967 — Astor Piaz­zol­la y su Orques­ta.

Piaz­zol­la pro­pose sans doute la ver­sion la plus éton­nante. Le chœur de voix féminines sera sans doute une sur­prise pour beau­coup. L’atmosphère inquiète avec les grands coups de cordes tran­chants, moins, car ils font par­tie du vocab­u­laire usuel d’Astor. Le thème orig­i­nal est trans­fig­uré, la plu­part du temps dif­fi­cile à retrou­ver, mais ce n’est pas un prob­lème, car il n’a servi que de pré­texte à Piaz­zol­la pour illu­min­er les nou­velles voies qu’il ouvrait dans le tan­go.

Il y a bien d’autres enreg­istrements, mais aucun ne me sem­blait pour­voir lut­ter con­tre cette ver­sion de Piaz­zol­la, aucun, peut-être pas, et je vous pro­pose de revenir à notre con­cours de la note tenue la plus longue et je pense que c’est un chanteur d’Opéra, un des plus grands chanteurs d’opéra du vingtième siè­cle, Plá­ci­do Domin­go qui nous l’offre. Écoutez comme, tran­quille­ment, il explose tous les comp­teurs avec une facil­ité appar­ente incroy­able.

Alma de bohemio 1981 — Plá­ci­do Domin­go — dir. y arr. Rober­to Pansera.

Impres­sion­nant, non ?

Vous en rede­man­dez, alors, je vous pro­pose une ver­sion un peu plus tar­dive (1987) où, en plus, il joue l’accompagnement au piano. Il défini­tive­ment meilleur chanteur que pianiste, mais quel artiste.

Alma de Bohemio 1987 — Plá­ci­do Domin­go (piano) — Avery Fish­er Hall (New York)

À demain, les amis !

La rosarina 1937-07-02 — Orquesta Juan D’Arienzo

Ricardo González Alfiletegaray Letra: Antonio Polito (A. Timarni)

Les femmes de Rosario ont la répu­ta­tion d’être jolies. Plusieurs tan­gos vont dans ce sens, mais les Rosari­nas ne sont pas les seules dont la beauté est van­tée. Dans le cas présent, Ricar­do González a com­posé son titre en pen­sant à une per­son­ne en par­ti­c­uli­er, une femme de Rosario, bien sûr. Je vous don­nerai son nom en fin d’article.

Ricar­do González était ban­donéon­iste et il fut le pro­fesseur du Tigre du ban­donéon, Eduar­do Aro­las.

Extrait musical

La rosa­ri­na 1937-07-02 — Orques­ta Juan D’Arienzo.

Paroles

Je n’ai pas trou­vé d’enregistrement chan­té de ce tan­go, mais il existe bien des paroles asso­ciées et qui sont par­faite­ment en accord avec le thème. Alors, les voici.

Mujeres de tradi­ción
Naci­das en la Argenti­na,
Ningu­na de corazón
Como era ‘la rosa­ri­na’.
La bar­ra, feliz con su amor
No supo nun­ca de sins­a­bores,
Fue siem­pre gen­til y brindó
Ter­nu­ra suave, como una flor.
 
Cuan­do iba a los bai­lon­gos
Se desta­ca­ba por su pin­ta,
En el tan­go demostró, ser sin rival
Nadie la pudo igualar.
Rosa­ri­na de mi vida
Dulce recuer­do vos dejaste,
Es por eso que jamás
Te olvi­darán, has­ta morir.
 
Negri­to
Querés café.
No, mama
Que me hace mal.
Entonces
Lo qué querés
Care­ta pa’ car­naval…

Ricar­do González Alfilete­garay Letra : Anto­nio Poli­to (A. Timarni)

Traduction libre et indications

Des femmes de tra­di­tion nées en Argen­tine, aucune n’est de cœur comme l’était « la Rosa­ri­na».
La bande, heureuse de son amour, n’a jamais con­nu les ennuis, elle était tou­jours gen­tille et offrait une ten­dresse douce, comme une fleur.
Quand elle allait au bal, elle se dis­tin­guait par son allure, dans le tan­go, elle démon­trait être sans rivale, per­son­ne ne pou­vait l’égaler.
Rosa­ri­na de ma vie, tu as lais­sé de doux sou­venirs, c’est pour cela qu’ils ne t’oublieront jamais, jusqu’à la mort.

Negri­to, veux-tu du café ?
Non, maman, ça me fait mal.
Alors, que veux-tu
 ?
Un masque pour car­naval…

Le texte qui n’est pas en gras est assez étrange. Il rap­pelle cer­taines apos­tro­phes que lançaient les orchestres, voire les clients de la salle. On se sou­vient d’avoir évo­qué cela au sujet de El Moni­to avec un dia­logue sem­blable dans les ver­sions de Julio De Caro.
Negri­to, petit noir, n’est pas for­cé­ment l’expression d’un racisme, le terme s’adressant à des per­son­nes mates de peau, pas néces­saire­ment à des per­son­nes noires. On con­naît Mer­cedes Sos­sa qui était surnom­mée La Negra.
Quand au masque de Car­naval, c’est encore une occa­sion d’évoquer com­ment les car­navals ryth­maient la car­rière des musi­ciens.
Ce texte addi­tion­nel sem­ble assez curieux pour un tan­go dédié à une femme.

Autres versions

Le tan­go aurait été écrit en 1912 et le pre­mier enreg­istrement serait de 1915, mais il sem­ble introu­vable. Je sig­nale donc que Félix Cam­er­a­no l’aurait enreg­istré en 1915 avec son orchestre. Ce n’est pas du tout impos­si­ble, vu qu’il était ami avec l’auteur de la musique depuis 1898, époque où il fai­sait avec lui un duo gui­tare et ban­donéon. Quoi qu’il en soit, je n’ai pas ce disque dans mon gre­nier.

La rosa­ri­na 1928-12-15 — Alber­to Diana Lavalle.

La rosa­ri­na 1928-12-15 — Alber­to Diana Lavalle. Alber­to Diana Lavalle, nous donne une ver­sion à la gui­tare, sans chan­son. En fait, je n’ai pas trou­vé d’enregistrement avec les paroles de Anto­nio Poli­to. Peut-être que cette chan­son était inter­prétée sous cette forme lors de sa créa­tion.

Plaque en hom­mage à Alber­to Diana Lavalle offerte par les « Martes Bohemios » un an après la mort de Lavalle. La plaque est donc au cimetière de Chacari­ta.
C’est une réal­i­sa­tion du sculp­teur Orlan­do Stag­naro, qui est le frère du musi­cien et poète San­ti­a­go Stag­naro.
La rosa­ri­na 1929-11-20 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor. Dir. Adol­fo Cara­bel­li.

C’est la pre­mière ver­sion orches­trale dont on a une trace sonore.

La rosa­ri­na 1936-12-19 — Rober­to Fir­po y su Cuar­te­to Típi­co.

La rosa­ri­na 1936-12-19 — Rober­to Fir­po y su Cuar­te­to Típi­co. Rober­to Fir­po enreg­istr­era trois fois le titre, dans des ver­sions somme toute assez proches. Était-ce un intérêt pour le thème ou pour la dame ? Je n’en sais rien… Cette ver­sion est assez rapi­de et tonique, peut-être un peu brouil­lonne.

La rosa­ri­na 1937-07-02 — Orques­ta Juan D’Arienzo. C’est notre tan­go du jour.

Les petits silences et les orne­men­ta­tions de Bia­gi sont bien présents dans ce titre typ­ique de cette époque de D’Arienzo. La musique est assez joueuse, voire un peu sautil­lante. Bien dans­able, avec quelques petites sur­pris­es et un joli con­traste entre les lignes ondu­lantes des vio­lons et le reste de l’orchestre plus per­cusif.

La rosa­ri­na 1943-12-30 — Quin­te­to Pir­in­cho dir. Fran­cis­co Canaro.

Pour une fois, Canaro n’arrive pas rapi­de­ment sur le titre. Canaro était pour­tant proche de Ricar­do González, puisque ce dernier lui avait dédi­cacé son pre­mier tan­go El fulero et qu’il avait tra­vail­lé comme ban­donéon­iste dans son orchestre en France.
Il donne cet enreg­istrement avec son quin­tette. Après la ver­sion de D’Arienzo, cela peut sem­bler un peu trop calme. Il y a cepen­dant de beaux traits musi­caux, mais peut-être que les danseurs peu­vent se dis­penser de cette inter­pré­ta­tion.

La rosa­ri­na 1944-03-31 — Rober­to Fir­po y su Nue­vo Cuar­te­to.

Le retour de Fir­po sur ce titre. Huit ans plus tard, il y a beau­coup de simil­i­tudes entre les ver­sions. Le rythme est très légère­ment plus lent. L’orchestre est un peu mieux syn­chro­nisé, ce qui facilit­era la tâche des danseurs qui devront gér­er ce titre qui hésite entre la milon­ga et le tan­go, mais qui a pour lui d’être joueur.

La rosa­ri­na 1949-10-21 — Rober­to Fir­po y su Nue­vo Cuar­te­to.

Encore Fir­po, cinq ans plus tard. Cette ver­sion dif­fère des pre­mières par un tem­po beau­coup plus lent. La dédi­cataire s’est peut-être assagie avec l’âge. Le tan­go de Fir­po, c’est cer­tain.

La rosa­ri­na 1975-01-06 — Miguel Vil­las­boas, Wash­ing­ton Quin­tas Moreno.

Une ver­sion sym­pa­thique à deux pianos. Vil­las­boas hésite aus­si sou­vent entre les rythmes de milon­ga et de tan­go. Dis­ons que cette ver­sion est pour le con­cert, mais qu’elle est sym­pa­thique à écouter.

Miguel Vil­las­boas et Wish­ing­ton Quin­tas Moreno ont pro­duit plusieurs dis­ques. Le titre que vous écoutez vient de celui de gauche, mais sur celui de droite “Antolo­gia”, on peut voir les deux pianistes à l’oeu­vre.
La Rosa­ri­na 1980c — Miguel Vil­las­boas y su Orques­ta Típi­ca.

Comme Fir­po, Vil­las­boas retourne au titre, cette fois avec son orchestre. Le tem­po est un plus lent que dans la ver­sion à deux pianos. Les simil­i­tudes avec Fir­po sont tou­jours mar­quées. Ce ne sera sans doute pas le titre le plus appré­cié de la milon­ga, mais une fois de temps en temps, avec des danseurs moyen­nement portés sur la milon­ga, cela peut faire l’affaire.

Mais qui était La rosarina ?

Il est assez facile de décou­vrir que la dédi­cataire, ou pour le moins l’inspiratrice s’appelait Zule­ma Díaz. Venue voir sa sœur, selon les ver­sions dans un spec­ta­cle à Acayu­cho (env­i­ron 300 km de Buenos Aires), dans un club nom­mé Ale­gria, par suite d’une soi-dis­ant erreur d’un cocher. Quoi qu’il en soit, elle est tombée sous le regard de Ricar­do González qui dirigeait le spec­ta­cle et qui a décidé de lui écrire un tan­go. Selon le jour­nal­iste Julián Porteño, cela se serait passé en 1912. Porteño indique que la femme était très belle et qu’en plus elle dan­sait, ce qui fait que Ricar­do González (surnom­mé Mochi­la) l’a inté­grée à la revue où elle était arrivée, par erreur, ou pour voir sa sœur.

Ce qu’on ne vous dit pas, c’est que sa sœur, la danseuse de la revue menée par González s’appelait María E. Díaz et que les deux sœurs devaient être un peu déver­gondées, car le 29 juil­let 1947, elles se sont fait exclure du Club Social et Sportif Vil­la Mal­colm, pour y avoir dan­sé de façon non con­forme à ce qui était atten­du dans l’établissement.
En fait, la façon jugée incon­venante de danser était d’avoir le vis­age trop près de celui du parte­naire. Ce club Vil­la Mal­com était donc assez peu libéral et même Ani­bal Troi­lo en avait fait les frais. Il avait été ren­voyé le 25 juil­let 1942, car le 17 juil­let, cer­tains de ses musi­ciens ne se seraient pas pliés totale­ment à l’étiquette de l’établissement et qu’il aurait fait venir des gens qui n’étaient pas dans le style de l’établissement. Lucio Demare l’avait rem­placé, comme quoi le mal­heur des uns fait le bon­heur des autres.

Ricar­do González est par­ti pour la France dans les années 20. Il y a tra­vail­lé notam­ment pour Fran­cis­co Canaro qui avait insisté pour le faire revenir en France dont il était par­ti peu de temps aupar­a­vant. Si Ricar­do González avait fait une autre con­quête, une danseuse prénom­mée Bernadette, lors de son séjour en France, on ne sait pas s’il a con­tin­ué à rêver de la belle Rosa­ri­na. Tout ce qu’on sait, c’est qu’à son retour de France, il s’est retiré du tan­go et qu’on en n’a plus enten­du par­ler. J’aime à imag­in­er que c’est pour fil­er l’amour par­fait avec Zule­ma.

Voilà, j’arrive au terme de ce petit par­cours au sujet d’un tan­go dédié à une appari­tion qui a enflam­mé l’imagination d’un ban­donéon­iste qui en a fait un tan­go.

En effet, je ne crois pas que les paroles tristes de notre tan­go du jour soient reliées à cette his­toire, puisque les sœurs ont été exclues en 1947, soit 35 ans après la ren­con­tre et donc bien longtemps après que les paroles ont été écrites.

À demain, les amis.

Don Juan 1948-06-15 — Juan D’Arienzo

Ernesto Ponzio Letra: Alfredo Eusebio Gobbi, Ricardo Podestá et anonyme.

Pas besoin d’être un grand détec­tive pour savoir qui est le Don Juan dont par­le ce tan­go. Dans un des trois ver­sions con­nues des paroles, il y a le nom et presque l’adresse de ce Don Juan. Ce que vous ne savez peut-être pas, c’est que l’auteur en est un gamin de 13 (ou 15 ans).

Extrait musical

Par­ti­tion pour piano de Don Juan de Ernesto Ponzio.
Don Juan 1948-06-15 — Juan D’Arien­zo

Paroles de Alfredo Eusebio Gobbi (Mozos guapos)

Al com­pás de una mar­chi­ta
muy mar­ca­da y com­padrona,
a casa de ’ña Ramona
me fui un rati­to a bailar.
Por dis­traer las muchachas
empecé a soltar tir­i­tos
y al ver esto los moc­i­tos
ya empezaron, ya empezaron a ron­car.

Si en los pre­sentes
hay mozos gua­pos,
que peguen naco,
que ven­gan a mí.
Que aunque sean muchos
yo les daré palos
porque soy más malo
que el cum­barí.

Yo que no soy nada ler­do
ni nada hay que yo no vea,
com­pren­di­en­do que pelea
se me trata­ba de armar,
salí al patio y envolvien­do
al bra­zo el pon­cho de guer­ra
hice una raya en la tier­ra
y me le puse, me puse a can­tar.

Sal­ió el dueño de la casa,
’ña Ramona y los pari­entes,
“Per­do­nate por decente,
mucho respeto y admiro”.
Cuan­do uno hacien­do rol­lo
rascán­dose la cadera
sacó un revólver de afuera
dijo si me le pegó, le pegó un tiro.

Yo que esta­ba con el ojo
bien clava­do en el moc­i­to,
me largué sobre el maldito
y el revólver le quité.
Y después miran­do a todos,
y hacién­doles la pat’ ancha,
les grité ¡ábran­me can­cha!,
y ensegui­da, ensegui­da les can­té.

Ernesto Ponzio Letra: Alfre­do Euse­bio Gob­bi

Traduction libre des paroles de Alfredo Eusebio Gobbi

Au rythme d’une petite marche bien ryth­mée et com­padrona, je suis allé un petit moment à la casa de la Ramona pour danser un petit moment.
Pour dis­traire les filles, j’ai com­mencé à libér­er des fris­sons et quand ils ont vu cela, les morveux ont com­mencé, à grogn­er.

S’il y a de beaux goss­es ici, qui frap­pent dur, qu’ils vien­nent à moi.
Que même s’il y en a beau­coup, je les bat­trai parce que je suis pire que le cum­barí. (Sorte de piment appelé en argot puta­parió, fils de pute).

Moi, qui ne suis en rien terne et qu’il n’y a rien que je ne voie pas, com­prenant qu’ils essayaient de m’entraîner, je suis sor­ti dans la cour et enroulant le pon­cho de guerre autour de mon bras, j’ai fait une ligne sur le sol et je me mis, je me mis à chanter.

La patrone de la mai­son, La Ramona et les par­ents, sont sor­tis : « Excusez-moi d’être décent, beau­coup de respect et d’ad­mi­ra­tion. »
Quand l’un d’eux s’est raclé la hanche et a sor­ti un revolver, j’ai dit de dehors que s’il me touchait, je lui enver­rai un tir. (Les paroles sem­blent évo­quer l’histoire per­son­nelle de Ponzio qui un peu plus tard tuera par acci­dent le voisin de la per­son­ne qu’il voulait intimider et fut con­damné à 20 ans de prison. Il était peut-être attiré par la per­son­nal­ité des tauras et des com­padri­tos au point d’en devenir un lui-même).
Moi, qui avais l’œil fer­me­ment fixé sur le morveux, je me jetai sur ce mau­dit homme et lui ai pris le revolver.
Et puis en regar­dant tout le monde, et en faisant toute une his­toire, je leur ai crié : « Ouvrez-moi le champ ! », et immé­di­ate­ment, immé­di­ate­ment je leur ai chan­té.

Paroles de Ricardo Podestá (El taita del barrio)

En el tan­go soy tan tau­ra
que cuan­do hago un doble corte
corre la voz por el Norte,
si es que me encuen­tro en el Sud.
Y pa bailar la Yuyeta
si es que me vis­to a la moda
la gente me dice toda
Dios le dé, Dios le dé, vida y salud.

Calá, che, calá.
Siga el piano, che,
dése cuen­ta ust­ed
y después dirá
si con este tai­ta
podrán por el Norte
calá che, qué corte,
calá, che, calá.

No hay teatro que no conoz­ca
pues has­ta soy medio artista
y luego ten­go una vista
que has­ta dicen que soy luz.
Y la for­ma de mi cuer­po
arregla­da a mi vesti­do
me hacen mozo muy queri­do,
lo juro, lo juro por esta cruz.

Yo soy el tai­ta del bar­rio,
pregún­te­se­lo a cualquiera.
No es esta la vez primera
en que me han de cono­cer.
Yo vivo por San Cristóbal,
me lla­man Don Juan Cabel­lo,
anóte­se­lo en el cuel­lo
y ahí va, y ahí va, así me quieren ver.

Ernesto Ponzio Letra: Ricar­do Podestá

Traduction libre des paroles de Ricardo Podestá

Au tan­go, je suis telle­ment tau­ra (caïd, baron du lieu) que quand je fais un dou­ble corte (fig­ure de tan­go) la nou­velle se répand dans le Nord, si je me trou­ve dans le Sud.
Et pour danser la Yuyeta (prob­a­ble­ment une orthographe pop­u­laire de shusheta qui sig­ni­fie élé­gant, déloy­al ou qui ne peut pas garder un secret. On con­nait le tan­go EL aristócra­ta dont le sous-titre est shusheta, mais quel est le lien avec la danse ?), si je m’habille à la mode, les gens me dis­ent que Dieu lui donne tout, Dieu lui donne, la vie et la san­té.

Calá, che, calá. (???)
Suiv­ez le piano, che, vous vous en ren­dez compte et puis vous direz si avec ce tai­ta ils pour­ront aller vers le nord
Calá che, quelle coupe,
Calá, che, calá.

Il n’y a pas de théâtre que je ne con­naisse, car je suis à moitié un artiste et que j’ai une vue qui dit témoigne que je suis rapi­de, bril­lant.
Et la forme de mon corps arrangée avec mes vête­ments (aujourd’hui, un vesti­do est une robe…) fait de moi un bel homme appré­cié, je le jure, je jure par cette croix.

Je suis le caïd du quarti­er, deman­dez à n’importe qui.
Ce n’est pas la pre­mière fois que vous devez me ren­con­tr­er.
J’habite à San Cristóbal (quarti­er de Buenos Aires), ils m’appellent Don Juan Cabel­lo (Cabel­lo, cheveux. On a son adresse, enfin, son quarti­er, mais si on le croit, il ne doit pas être dif­fi­cile à trou­ver), écrivez-le sur ton col (on pre­nait par­fois des notes sur le col amovi­ble de la chemise, faute de papi­er sous la main) et voilà, et voilà, c’est comme ça qu’ils veu­lent me voir.

Histoire du thème

Ernesto Ponzio, se serait inspiré d’un air joué plus ou moins tra­di­tion­nel, joué par un pianiste, qu’il a délogé pour con­tin­uer la com­po­si­tion avec sa créa­tion.

De fait, le thème de Don Juan s’écoute dans dif­férents tan­gos, plus ou moins méta­mor­phosés. Pour que cela soit per­ti­nent, il ne faudrait pren­dre que des thèmes com­posés avant la créa­tion de Ernesto Ponzio, c’est-à-dire 1898 ou 1900.

Qué polvo con tanto viento 1890 par Pedro M. Quijano

On n’a pas d’enregistrement de l’époque de Qué pol­vo con tan­to vien­to, mais deux recon­sti­tu­tions mod­ernes. Dans les deux cas on recon­naît le thème de Don Juan au début (ou pour le moins, quelque chose de sem­blable).

Qué pol­vo con tan­to vien­to 1980 — Cuar­te­to de tan­go antiguo.

Une recon­sti­tu­ción par un quar­tette com­posé de Oscar Boz­zarel­li (ban­donéon), Rafael Lavec­chia (flute), Jose Romano Yalour (vio­lon) et Max­i­mo Her­nan­dez (gui­tare). Ce quatuor ten­tait de repro­duire les musiques per­dues des pre­mières années du tan­go.

Que pol­vo con tan­to vien­to – Lec­ture midi du thème réécrit dans un logi­ciel de com­po­si­tion musi­cale par Tío Lavan­d­i­na (Oncle la Jav­el, sûr que c’est un pseu­do).

Soy Tremendo

Soy tremen­do 1909-10 – Orques­ta Hey­berg­er con Angel Vil­lol­do.

Angel Vil­lol­do “chante” et est aus­si l’auteur de ce tan­go. On recon­naît le thème de Don Juan dans la pre­mière par­tie. Il se peut que ce thème soit antérieur à la com­po­si­tion de Ponzio, mais ce n’est pas sûr. Dis­ons que c’est que l’air était dans… l’air du temps.

El rana

El rana 1909c — Arturo A Math­ón y F Raias. Com­posé par Arturo Math­ón.

El rana 1909c — Arturo A Math­ón y F Raias. Com­posé par Arturo Math­ón. Joué et chan­té par lui-même à la gui­tare, avec un accom­pa­g­ne­ment de ban­donéon, par F. Raias. Au début et à 0:54, on entend le thème de Don Juan, mais c’est telle­ment moche que ça ne donne pas envie de l’écouter… Heureuse­ment qu’il a écrit El apache argenti­no et que c’est Canaro avec son Pir­in­cho qui l’a fait pass­er à la postérité… Vu que c’est prob­a­ble­ment plus récent que Don Juan de Ponzio, cela peut aus­si être une inspi­ra­tion basée sur le thème de Ponzio. On notera que le titre devrait être « La rana », rana étant féminin. D’ailleurs plus loin, il chante sapo (cra­paud) et le tan­go par­le d’un gars, alors, c’est finale­ment logique.

El rana 1909c — Arturo A Math­ón y F Raias. Le ban­donéon n’é­tait pas encore très fréquent. La Col­u­bia n’a donc pas relevé l’er­reur Man­do­neon au lieu de ban­doneón sur le disque…

On trou­ve un petit bout de cet air dans dif­férents tan­gos, mais rien de bien per­ti­nent et qui per­me­t­tent de garan­tir que la source d’inspiration est le thème anonyme ou celui de Ponzio.
Quoi qu’il en soit, le gamin Ponzio a com­mencé très jeune a fréquen­té les lieux de « perdi­tion ».

Autres versions

Don Juan Tan­go 1927-11 — Orques­ta Argenti­na Vic­tor.

On ne regrette pas de ne pas avoir de ver­sions plus anci­ennes à l’écoute des vieil­leries que je viens de vous présen­ter.

Don Juan 1928-03-06 — Orques­ta Osval­do Frese­do.
Don Juan 1929-08-02 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.
Orques­ta Típi­ca Vic­tor con Alber­to Gómez.

Autre ver­sion par un orchestre Vic­tor, cette fois, chan­té par Alber­to Gómez avec une par­tie des paroles de Ricar­do Podestá (avec vari­antes).

Don Juan 1936-09-29 — Orques­ta Juan D’Arien­zo.

Pour moi, c’est la pre­mière ver­sion qui donne envie de danser. On y trou­ve les pre­mières facéties de Bia­gi au piano, de beaux vio­lons des ban­donéons énergiques, le tout avec un tem­po tout aus­si bien mar­qué que pour les ver­sions précé­dentes, mais plus rapi­de.

Don Juan 1940-11-08 — Char­lo solo de acordeón con gui­tar­ras.

Une ver­sion très orig­i­nale. Dom­mage que le son laisse à désir­er. Il me fau­dra trou­ver un disque en meilleur état. Une gui­tare vrai­ment vir­tu­ose, non ?

Don Juan 1941-10-03 — Orques­ta Di Sar­li.
Don Juan 1947-10-22 — Quin­te­to Pir­in­cho dir. Fran­cis­co Canaro.
Don Juan 1948-06-15 — Juan D’Arien­zo. C’est notre tan­go du jour.

Très proche de l’enregistrement suiv­ant du 1950-12-28.

Don Juan 1948-08-14 — Juan Cam­bareri y su Gran Cuar­te­to Típi­co “Ayer y hoy”.

Tou­jours le train d’enfer et vir­tu­ose de Cam­bareri. Une curiosité, mais pas trop pour la danse. Il l’enregistrera encore en 1956, dans un rythme com­pa­ra­ble…

Don Juan 1950-12-28 — Juan D’Arien­zo.
Don Juan 1951-12-06 — Orques­ta Car­los Di Sar­li.
Don Juan 1951-05-09 — Rober­to Fir­po y su Nue­vo Cuar­te­to.

Comme la ver­sion de Canaro de 1947, cette ver­sion donne le sourire, tout au moins à celui qui l’écoute, pour le danseur, c’est moins sûr.

Don Juan 1955-01-31 — Orques­ta Car­los Di Sar­li.
Don Juan 1961 — Astor Piaz­zol­la y su Quin­te­to. Comme d’habitude avec Piaz­zol­la, on est dans un autre univers, très loin des danseurs… de tan­go.

Il y a bien sûr beau­coup d’autres enreg­istrements de ce thème qui bien qu’un de plus anciens con­tin­ue de pass­er les siè­cles, du dix-neu­vième à nos jours, mais après la ver­sion de Piaz­zol­la, il me sem­ble sage de réé­couter une des ver­sions de danse, par exem­ple notre tan­go du jour, une autre ver­sion de D’Arienzo ou une de Di Sar­li…

Ou peut-être ce tout dernier exem­ple avec des paroles anonymes, qui n’ont d’ailleurs aucun intérêt, un petit cou­plet sur le tan­go ; du rem­plis­sage, en somme.

Don Juan 1965-09-07 — Orques­ta Alfre­do De Ange­lis con Car­los Aguirre.

À demain les amis !

La payanca 1936-06-09 — Orquesta Juan D’Arienzo

Augusto Pedro Berto Letra: Juan Andrés Caruso (V1) — Jesús Fernández Blanco (V2)

La payan­ca par D’Arienzo dans la ver­sion de 1936 est un des très gros suc­cès des milon­gas. Peut-être vous-êtes-vous demandé d’où venait le nom de ce tan­go ? Si ce n’est pas le cas, lais­sez-moi vous l’indiquer t vous faire décou­vrir une ving­taine de ver­sions et vous présen­ter quelques détails sur ce titre.

Extrait musical

Par­ti­tion pour piano de la Payan­ca. Cou­ver­ture orig­i­nale à gauche et Par­ti­tion de piano à droite avec les paroles de Jesús Fer­nán­dez Blan­co (les plus récentes).
La payan­ca 1936-06-09 — Orques­ta Juan D’Arienzo.

C’est un des pre­miers enreg­istrements où Bia­gi se lâche. Le con­tre­bassiste, Rodol­fo Duclós mar­que un rythme à la « Yum­ba » qui devien­dra une car­ac­téris­tique de Pugliese. Les vio­lons de Alfre­do Mazzeo, León Zibaico, Domin­go Man­cu­so et Fran­cis­co Manci­ni font des mer­veilles. Une ver­sion énergique, eupho­risante, sans doute la toute pre­mière à utilis­er pour faire plaisir aux danseurs.
On remar­que qu’il est indiqué « Sobre motivos pop­u­lares ». En effet, on recon­naî­tra des thèmes tra­di­tion­nels, notam­ment de gato (une sorte de chacar­era), mais mod­i­fié en tan­go.
On remar­quera égale­ment qu’il est indiqué « Tan­go Milon­ga », ce qui sig­ni­fie que c’est un tan­go pour danser. Cepen­dant, nous ver­rons que ce thème a égale­ment été bas­culé franche­ment du côté de la milon­ga pure et dure dans d’autres enreg­istrements.

Trois ver­sions de cou­ver­ture de la par­ti­tion. À gauche, la plus anci­enne, sans auteur de paroles. Au cen­tre, avec les paroles de Caru­so et à droite, avec les paroles de Blan­co.

Origine du titre

Dans son livre, Así nacieron los tan­gos, Fran­cis­co Gar­cía Jiménez, racon­te que le tan­go est né lors d’une fête à la cam­pagne en l’honneur d’une per­son­nal­ité locale qui venait d’être élue tri­om­phale­ment, des musi­ciens avaient joué des airs de l’intérieur, dont un gato (sorte de charar­era) duquel il restait : “Laraira lar­alaila; laira laraira…”. Il est impos­si­ble de retrou­ver le gato à par­tir de cette sim­ple indi­ca­tion, car laraira… c’est comme tralala. C’est ce que chantent les payadors quand ils cherchent leurs mots (ils chan­taient en inven­tant les paroles à la volée). Cer­tains textes de ces musiques ont été fixés et écrits par la suite et nom­bre d’entre eux com­por­tent Laraira lar­alaila; laira laraira ou équiv­a­lent :

  • La,lara,laira,laira,la dans Pago viejo (chacar­era, mais le rythme est proche du gato),
  • Lara lara laira larai ñarai lá dans Corazón ale­gre (bailecito)
  • Trala lará lar­ala lará lar­ala lará lará dans El pala pala (danse, dan­za)
  • Lará, larará, laraira, Lará, larará, laraira, dans Cabeza col­ora­da
  • La ra lara la ra la la ra la ra la ra la dans La San­lorenci­na (Cuen­ca)
  • La lalara la la la la la la La la lara la la la la la la La la lara la la lara la la dans Dios a la una (chan­son).
  • Tra lara lara lara tra lara lero dans Que se ven­gan los chicos (Bailecito)
  • La lara la la la la La lara la la la la dans La charar­era del adios (chacar­era)
  • Lar­ala lar­ala lara lara lara lara lara dans Amiga­zo pa’ sufrir (huel­la)
  • La lara lara larará… lara lara larará… lara lara larará… dans Can­tar de coya (Car­naval­i­to)
  • Lara lara lara lara dans Muchacha de mayo (Chan­son).

Je n’ai pas trou­vé de gato avec l’indication, mais il est fort prob­a­ble que Berto ait enten­du une impro­vi­sa­tion, le lara lara étant une façon de meubler quand les paroles ne vien­nent pas.
Donc Berto a enten­du ce gato ou gato polquea­do et il eut l’idée de l’adapter en tan­go. Lui à la gui­tare et Durand à la flûte l’ont adap­té et joué. Ce titre a tout de suite été un suc­cès et comme sou­vent à l’époque, il est resté sans être édité pen­dant onze années. Comme la plu­part des orchestres jouaient le titre, il était très con­nu et les danseurs et divers paroliers lui ont don­né des paroles, plus ou moins recom­mand­ables. N’oublions pas où évolu­ait le tan­go à cette époque.
Deux de ces paroles nous sont par­v­enues, celles de Caru­so et celles de Blan­co. Les sec­on­des sont plus osées et cor­re­spon­dent assez bien à cet univers.
Il reste à pré­cis­er pourquoi il s’appelle payan­ca. Selon Jiménez, Berto aurait dit tout de go que ce tan­go s’appelait ain­si quand il fut som­mé de don­ner un titre. Il sem­blerait que Berto ait don­né sa pro­pre ver­sion de l’histoire, en affir­mant que le titre serait venu en voy­ant des gamins jouer avec un las­so à attrap­er des poules. Un adulte leur aurait crié “¡Pialala de payan­ca!”, c’est-à-dire tire la avec un mou­ve­ment de payan­ca. Il indi­quait ain­si la meilleure façon d’attraper la poule avec le las­so.
L’idée du las­so me sem­ble assez bonne dans la mesure où les trois par­ti­tions qui nous sont par­v­enues illus­trent ce thème.
Voici une vidéo qui mon­tre la tech­nique de la Payan­ca qui est une forme par­ti­c­ulière de lancer du las­so pour attrap­er un ani­mal qui court en le faisant choir.

Dans cette vidéo, on voit un pial (lance­ment du las­so) pour attrap­er un bovidé à l’aide de la tech­nique « Payan­ca ». Elle con­siste à lancer le las­so (sans le faire tourn­er) de façon à entraver les antérieurs de l’animal pour le déséquili­br­er et le faire tomber. Âmes sen­si­bles s’abstenir, mais c’est la vie du gau­cho. Ici, un joli coup par le gau­cho Mil­ton Mar­i­ano Pino.

Pour être moins incom­plet, je pour­rai pré­cis­er que la payan­ca ou payana ou payan­ga ou payaya est un jeu qui se joue avec cinq pier­res et qui est très proches au jeu des osse­lets. L’idée de ramass­er les pier­res en quechua se dit pal­lay, ce qui sig­ni­fie col­lec­tion­ner, ramass­er du sol. Que ce soit attrap­er au las­so ou ramass­er, le titre joue sur l’analogie et dans les deux cas, le principe est de cap­tur­er la belle, comme en témoignent les paroles.

Paroles de Juan Andrés Caruso

¡Ay!, una payan­ca io
quiero arro­jar
para enlazar
tu corazón
¡Qué va cha che!
¡Qué va cha che !
Esa payan­ca será
cert­era
y ha de apris­onar
todo tu amor
¡Qué va cha che !
¡Qué va cha che !
Por que yo quiero ten­er
todo entero tu quer­er.

Mira que mi car­iño es un tesoro.
Mira que mi car­iño es un tesoro.
Y que pior que un niño po’ ella « yoro »…
Y que pior que un niño po’ ella « yoro »…

Payan­ca de mi vida, ay, io te imploro.
Payan­ca de mi vida, ay, io te imploro,
que enlaces para siem­pre a la que adoro…
que enlaces para siem­pre a la que adoro…
Augus­to Pedro Berto Letra: Juan Andrés Caru­so

Augus­to Pedro Berto Letra: Juan Andrés Caru­so

Traduction libre des paroles de Juan Andrés Caruso

Yeh ! une payan­ca (payan­ca attrap­er au las­so). Moi, (Io pour yo = je), je veux lancer pour enlac­er (enlac­er du las­so…) ton cœur.
Que vas-tu faire ! (¿Qué va cha ché ? ou Qué vachaché Est aus­si un tan­go écrit par Enrique San­tos Dis­cépo­lo)
Que vas-tu faire !
Cette payan­ca sera par­faite et empris­on­nera tout ton amour.
Que vas-tu faire ?
Que vas-tu faire ?
Parce que je veux avoir tout ton amour.

Regarde, mon affec­tion est un tré­sor.
Regarde, mon affec­tion est un tré­sor.
Et quoi de pire qu’un enfant qui pleure pour elle…
Et quoi de pire qu’un enfant qui pleure pour elle…

Payan­ca de ma vie, oui, je t’en sup­plie (il par­le à son coup de las­so pour attrap­er le cœur de sa belle).
Payan­ca de ma vie, oui, je t’en sup­plie,
que tu enlaces pour tou­jours celle que j’adore…
que tu enlaces pour tou­jours celle que j’adore…
La métaphore rurale et gauch­esque est poussée à son extrémité. Il com­pare la cap­ture du cœur de sa belle à une passe de las­so. Dans le genre galant, c’est moyen, mais cela rap­pelle que la vie du gau­cho est une source d’inspiration pour le tan­go et en cela, je ne partage pas l’avis de Jorges Luis Borges pour quoi le tan­go est unique­ment urbain et vio­lent.

Paroles de Jesús Fernández Blanco

Con mi payan­ca de amor,
siem­pre mimao por la mujer,
pude enlazar su corazón…
¡Su corazón !
Mil bocas como una flor
de juven­tud, supe besar,
has­ta saciar mi sed de amor…
¡Mi sed de amor !

Ningu­na pudo escuchar
los tri­nos de mi can­ción,
sin ofre­cerse a brindar
sus besos por mi pasión…
¡Ay, quién pudiera volver
a ser moc­i­to y can­tar,
y en bra­zos de la mujer
la vida feliz pasar !

Payan­ca, payan­qui­ta
de mis amores,
mi vida la llenaste
de res­p­lan­dores…
¡Payan­ca, payan­qui­ta
ya te he per­di­do
y sólo tu recuer­do
fiel me ha segui­do!

Con mi payan­ca logré
a la mujer que me gustó,
y del rival siem­pre tri­un­fé.
¡Siem­pre tri­un­fé!
El fuego del corazón
en mi can­tar supe pon­er,
por eso fui rey del amor…
¡Rey del amor!

Jesús Fer­nán­dez Blan­co

Traduction, libre des paroles de Jesús Fernández Blanco

Avec ma payan­ca d’amour (je ne sais pas quoi en penser, admet­tons que c’est son coup de las­so, mais il peut s’agir d’un autre attrib­ut du galant), tou­jours choyée par les femmes, j’ai pu enlac­er ton cœur…
Ton cœur !
Mille bouch­es comme une fleur de jou­vence, j’ai su embrass­er, jusqu’à étanch­er ma soif d’amour…
Ma soif d’amour !

Aucune ne pou­vait enten­dre les trilles de ma chan­son, sans offrir ses bais­ers à ma pas­sion…
Yeh, qui pour­rait rede­venir un petit garçon et chanter, et pass­er dans les bras de la femme, la vie heureuse !

Payan­ca, payan­qui­ta de mes amours (Payan­ca, petite payan­ca, on ne sait tou­jours pas ce que c’est…), tu as rem­pli ma vie de bril­lances…
Payan­ca, payan­qui­ta Je t’ai déjà per­due et seul ton sou­venir fidèle m’a suivi !

Avec ma payan­ca, j’ai eu la femme que j’aimais, et du rival, j’ai tou­jours tri­om­phé.
J’ai tou­jours tri­om­phé !
J’ai su met­tre le feu du cœur dans ma chan­son (la payan­ca pour­rait être sa chan­son, sa façon de chanter), c’est pourquoi j’étais le roi de l’amour…
Le roi de l’amour !

Autres versions

La payan­ca 1917-05-15 — Orq. Eduar­do Aro­las con Pan­cho Cuevas (Fran­cis­co Nicolás Bian­co).

Prob­a­ble­ment la plus anci­enne ver­sion enreg­istrée qui nous soit par­v­enue. Il y a un petit doute avec la ver­sion de Celesti­no Fer­rer, mais cela ne change pas grand-chose. Pan­cho Cue­va à la gui­tare et au chant et le tigre du Ban­donéon (Eduar­do Aro­las) avec son instru­ment favori. On notera que si le tan­go fut com­posé vers 1906, sans paroles, il en avait en 1917, celles de Juan Andrés Caru­so.

La payan­ca 1918-03-25 (ou 1917-03-12) — Orques­ta Típi­ca Fer­rer (Orques­ta Típi­ca Argenti­na Celesti­no).

Le plus ancien enreg­istrement ou le sec­ond, car il y a en fait deux dates, 1917-03-12 et 1918-03-25. Je pense cepen­dant que cette sec­onde date cor­re­spond à l’édition réal­isée à New York ou Cam­dem, New Jer­sey. On remar­quera que l’orchestre com­porte une gui­tare, celle de Celesti­no Fer­rer qui est aus­si le chef d’orchestre, une flûte, jouée par E. San­ter­amo et un accordéon par Car­los Güeri­no Fil­ipot­to. Deux vio­lons com­plè­tent l’orchestre, Gary Bus­to et L. San Martín. Le piano est tenu par une femme, Car­la Fer­rara. C’est une ver­sion pure­ment instru­men­tale. Après avoir été un des pio­nniers du tan­go en France, Celesti­no Fer­rer s’est ren­du aux USA où il a enreg­istré de nom­breux titres, dont celui-ci.

La payan­ca 1926-12-13 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor, direc­tion Adol­fo Cara­bel­li.

Une ver­sion un peu plus mod­erne qui béné­fi­cie de l’enregistrement élec­trique. Mais on peut mieux faire, comme on va le voir bien­tôt.

La payan­ca 1936-06-09 — Orques­ta Juan D’Arienzo. C’est notre tan­go du jour.

J’ai déjà dit tout le bien que je pen­sais de cette ver­sion, à mon avis, insur­passée, y com­pris par D’Arienzo lui-même…

Trío de Gui­tar­ras (Iri­arte-Pagés-Pesoa).

Le trio de gui­tares de Iri­arte, Pagés et Pesoa ne joue pas dans la même caté­gorie que D’Arienzo. C’est joli, pas pour la danse, un petit moment de sus­pen­sion.

La payan­ca 1946-10-21 — Rober­to Fir­po y su Nue­vo Cuar­te­to.

Pour revenir au tan­go de danse, après la ver­sion de D’Arienzo, cette ver­sion paraît frag­ile, notam­ment, car c’est un quar­tet­to et que donc il ne fait pas le poids face à la machine de D’Arienzo. On notera tout de même une très belle par­tie de ban­donéon. La tran­si­tion avec le trio de gui­tares a per­mis de lim­iter le choc entre les ver­sions.

La payan­ca 1949-04-06 — Orques­ta Juan D’Arienzo.

On retrou­ve la grosse machine D’Arienzo, mais cette ver­sion est plus anec­do­tique. Cela peut pass­er en milon­ga, mais si je dois choisir entre la ver­sion de 1936 et 1949, je n’hésite pas une sec­onde.

La payan­ca 1952-10-01 — Enrique Mora y su Cuar­te­to Típi­co.

Encore un quar­tet­to qui passe après D’Arienzo. Si cette ver­sion n’est pas pour la danse, elle n’est pas désagréable à écouter, sans toute­fois provo­quer d’enthousiasme déli­rant… Le final est assez sym­pa.

La payan­ca 1954-11-10 — Orques­ta Juan D’Arienzo.

Eh oui, encore D’Arienzo qui décidé­ment a appré­cié ce titre. Ce n’est assuré­ment pas un grand D’Arienzo. Je ne sais pas si c’est meilleur que la ver­sion de 49. Par cer­tains côtés, oui, mais par d’autres, non. Dans le doute, je m’abstiendrai de pro­pos­er l’une comme l’autre.

La payan­ca 1957-04-12 — Orques­ta Héc­tor Varela.

On est dans tout autre chose. Mais cela change sans être un titre de danse à ne pas oubli­er. On perd la dimen­sion énergique du gau­cho qui con­quiert sa belle avec son las­so pour plonger dans un roman­tisme plus appuyé. Cepen­dant, cette ver­sion n’est pas niaise, le ban­donéon dans la dernière vari­a­tion vaut à lui seul que l’on s’intéresse à ce titre.

La payan­ca 1958 — Los Mucha­chos de antes.

Avec la gui­tare et la flûte, cette petite com­po­si­tion peut don­ner une idée de ce qu’aurait pu être les ver­sions du début du vingtième siè­cle, si elles n’avaient pas été bridées par les capac­ités de l’enregistrement. On notera que cette ver­sion est la plus proche d’un rythme de milon­ga et qu’elle pour­rait rem­plir son office dans une milon­ga avec des danseurs intimidés par ce rythme.

La payan­ca 1959 — Miguel Vil­las­boas y su Quin­te­to Típi­co.

Les Uruguayens sont restés très fana­tiques du tan­go milon­ga. En voici une jolie preuve avec Miguel Vil­las­boas.

La payan­ca 1959-03-23 — Dona­to Rac­ciat­ti y sus Tangueros del 900.

Oui, ce tan­go inspire les Uruguayens. Rac­ciat­ti en donne égale­ment sa ver­sion la même année.

La payan­ga 1964 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Pas évi­dent de recon­naître notre thème du jour dans la ver­sion de Pugliese. C’est une ver­sion per­due pour les danseurs, mais qu’il con­vient d’apprécier sur un bon sys­tème sonore.

La payan­ca 1964-07-29 — Quin­te­to Pir­in­cho dir. Fran­cis­co Canaro.

De la même année que l’enregistrement de Pugliese, on mesure la diver­gence d’évolution entre Pugliese et Canaro. Cepen­dant, pour les danseurs, la ver­sion du Quin­te­to pir­in­cho, dirigé pour une des toutes dernières fois par Canaro sera la préférée des deux…

La payan­ca 1966-07-25 — Orques­ta Juan D’Arienzo.

D’Arienzo se situe entre Pugliese et Canaro pour cet enreg­istrement qua­si­ment con­tem­po­rain, mais bien sûr bien plus proche de Canaro. Ce n’est pas vrai­ment un titre de danse, mais il y a des élé­ments intéres­sants. Défini­tive­ment, je l’avoue, je reste avec la ver­sion de 1936.

La payan­ga 1984 — Orques­ta Alber­to Nery con Quique Oje­da y Víc­tor Ren­da.

Alber­to Nery fut pianiste d’Edith Piaf en 1953. Ici, il nous pro­pose une des rares ver­sions chan­tées, avec les paroles de Jesús Fer­nán­dez Blan­co. Vous aurez donc les deux ver­sions à écouter. Hon­nête­ment, ce n’est pas beau­coup plus intéres­sant que l’enregistrement de Eduar­do Aro­las et Pan­cho Cuevas antérieur de près de 70 ans. On notera toute­fois le duo final qui relève un peu l’ensemble.

La payan­ca 2005 — Cuar­te­to Guardia Vie­ja.

Pour ter­min­er en fer­mant la boucle avec une ver­sion à la saveur début du vingtième siè­cle, je vous pro­pose une ver­sion par le Cuar­te­to Guardia Vie­ja.

À demain, les amis !

El amanecer 1950-05-29 — Orquesta Domingo Federico

Roberto Firpo

El amanecer (l’aube) est un thème très, très sou­vent passé en milon­ga, notam­ment quand celles-ci durent jusqu’à l’aube. En effet, quoi de plus agréable que d’entendre le chant des oiseaux aux pre­miers rayons du soleil? Fir­po qui adore évo­quer des sons réal­istes nous a fait cadeau de cette belle com­po­si­tion et Fed­eri­co va éveiller nos sens avec une ver­sion mécon­nue et sub­lime.

On oublie par­fois que l’un des filons pour les musi­ciens de tan­go au début du XXe siè­cle était de jouer en direct dans les ciné­mas à l’époque où les films étaient muets. Cer­tains ont donc dévelop­pé des tal­ents de brui­teurs et imiter des sons de la nature ou autre est un petit jeu que pra­tiquent de nom­breux musi­ciens. Ici, l’objet de l’imitation, ce sont les oiseaux. Avec ce thème et le tal­ent des orchestres, de nom­breuses milon­gas se sont trans­for­mées en volières.
Envolons-nous sur les ailes de l’aube.

Extrait musical

El amanecer 1950-05-29 — Orques­ta Domin­go Fed­eri­co.

J’imagine que vous avez dans l’oreille une des ver­sions de Di Sar­li ou de Fir­po. Cette ver­sion est assez dif­férente, mais on retrou­ve des élé­ments com­muns. Je vous pro­pose de les iden­ti­fi­er en écoutant quelques-unes des autres ver­sions.

Par­ti­tion pour vio­lon et piano de El amanecer de Rober­to Fir­po

Autres versions

À tout seigneur, tout hon­neur, com­mençons par l’auteur, Rober­to Fir­po, le com­pos­i­teur de l’œuvre.

El amanecer 1913 – Sex­te­to Rober­to Fir­po.

Quelques temps (1 à 3 ans) après la com­po­si­tion, Fir­po l’enregistre.

El amanecer 1928-05-28 (ou 31) — Orques­ta Rober­to Fir­po.

Des claque­ments, prob­a­ble­ment sen­sés représen­ter quelque chose, mais quoi ? D’après Fir­po, il se serait inspiré de la ligne 43 de tran­via (tramway) qu’il pre­nait pour ren­tr­er chez lui après une nuit de tra­vail. Puis, arrivé, il était émer­veil­lé par les chants des oiseaux. Les vio­lons de Cayetano Puglisi et Octavio Scaglione sont totale­ment sub­limes. Les oiseaux sont très dis­crets au début, mais s’exposent joli­ment en sec­onde par­tie.

El amanecer 1937-08-14 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor.

L’orchestre est alors dirigé par Fed­eri­co Scor­ti­cati. Remar­quez l’intervention dès le début « d’oiseaux » très réal­istes.

El amanecer 1938-01-04 — Orques­ta Rober­to Fir­po.

Les oiseaux arrivent aus­si dès le début, c’est une ver­sion mag­nifique, pleine de poésie, mais avec de la vigueur, une alter­nance des instru­ments, dont un très beau solo de vio­lon­celle.

El amanecer 1942-06-23 — Orques­ta Car­los Di Sar­li.

Une ver­sion en tous points, superbe. Du grand Di Sar­li. Les oiseaux sont réal­isés par Rober­to Guisa­do, au vio­lon.

El amanecer 1945-09-14 – Rober­to Fir­po y su hijo (Dúo de piano).

Le fils ayant le même prénom que le père, on l’identifie par un H pour Hijo, qui veut dire fils. Là, le fis­ton joue avec son papa. Des trilles et d’impressionnants arpèges à la fin de l’œuvre essayent de recréer les oiseaux. C’est moins réal­iste que les vio­lons, mais c’est intéres­sant à écouter.

El amanecer 1948-08-10 — Juan Cam­bareri y su Gran Cuar­te­to Típi­co Ayer y hoy.

S’il vous prend de met­tre ce thème en réveil, c’est sûr que vous allez vous réveiller en un instant. Fidèle à son style (vice ?) nous pro­pose une ver­sion en vitesse débridée. On a un peu de mal à imag­in­er une douce aube qui s’élève.

Encore Fir­po, encore El Amanecer. Là, il s’agit de El Can­tor Del Pueblo, un film de 1948 réal­isé par Anto­nio Ber Ciani. Rober­to Fir­po joue sa com­po­si­tion, El amanecer, avec son cuar­te­to.

Rober­to Fir­po joue sa com­po­si­tion, El amanecer, avec son cuar­te­to dans El Can­tor Del Pueblo, un film de 1948 réal­isé par Anto­nio Ber Ciani.
El amanecer 1950 — Orques­ta Joaquín Do Reyes.

Cet orchestre plus rare nous offre une ver­sion clas­sique. Une belle présence de la con­tre­basse devrait faciliter la tâche des danseurs.

El amanecer 1950-05-29 — Orques­ta Domin­go Fed­eri­co. C’est notre tan­go du jour.

Avec les exem­ples précé­dents, je pense que vous avez cerné la con­struc­tion de cette œuvre et que l’originalité de l’interprétation de Fed­eri­co vous sera per­cep­ti­ble.
Les vio­lons du début font penser à Vival­di. Tou­jours les vio­lons, dans les pizzi­cati, sont légers et pré­cis. Le piano est tou­jours présent et avec la con­tre­basse, donne le com­pas. À 1:30, un pas­sage par­ti­c­ulière­ment tonique. Prob­a­ble­ment une évo­ca­tion du tramway. Puis, les oiseaux nous enchantent. La fin ralen­tit, comme si le tramway freinait. Une ver­sion orig­i­nale, mag­nifique et qui devrait ravir cer­tains danseurs et faire râler, les ron­chons. Ne vous éton­nez donc pas si un jour, je vous la passe.

El amanecer 1950-11-28 — Orques­ta Ricar­do Pedev­il­la.

Encore une belle ver­sion, avec les oiseaux qui arrivent en sec­onde par­tie.

El amanecer 1951-09-26 — Orques­ta Car­los Di Sar­li.

Pas de sur­prise, vous avez déjà usé vos chaus­sures dans la rosée de cette aube de Di Sar­li­enne, mais si c’est peut-être moins que dans la ver­sion suiv­ante.

El amanecer 1953-12-11 — Rober­to Fir­po y su Nue­vo Cuar­te­to.

Vous repren­drez bien un petit peu de Fir­po, non ? Le voici de nou­veau, quar­ante ans après son pre­mier enreg­istrement.

El amanecer 1954-08-31 — Orques­ta Car­los Di Sar­li.

C’est sans doute la ver­sion que vous avez la plus dan­sée, mais main­tenant, vous allez peut-être l’écouter dif­férem­ment.

El amanecer 1964 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Je suis presque sûr que vous n’avez jamais dan­sé cette ver­sion. Il n’y a de toute façon aucune rai­son de le faire en milon­ga.

Depuis 1913, quel par­cours pour les lève-tôt ou couche très tard, comme Fir­po.

Pour ter­min­er avec une ver­sion à peu près dansante et venue de l’autre côté du Rio. Je vous pro­pose cette vidéo avec Miguel Vil­las­boas. Elle est un peu pré­cip­itée, mais elle présente l’intérêt de voir l’orchestre de Vil­las­boas à l’œuvre, d’autant plus que vous pour­rez voir com­ment le vio­loniste Pedro Sev­eri­no fait chanter son vio­lon avec des oiseaux et d’autres ani­maux, de quoi com­mencer la journée avec le sourire.

À demain, les amis !

 Pedro Sev­eri­no fait chanter son vio­lon avec des oiseaux et d’autres ani­maux

Derecho viejo 1945-05-28 — Orquesta Osvaldo Pugliese

Eduardo Arolas Letra : Andrés Baldesari (V1) — Gabriel Clausi (V2)

Dere­cho viejo, le vieux droit, le droit ancien est une expres­sion argen­tine qui sig­ni­fie que quelque chose doit être fait sans délai, sans détours. Ce tan­go Dere­cho viejo a été dédi­cacé par Aro­las au Cen­tre des Étu­di­ants en Droit. Il a été enreg­istré, depuis les années 1910, énor­mé­ment de fois, mais une seule fois par Pugliese. C’est notre ver­sion du jour.

Je dédie cet arti­cle à mes deux grands amis, trop tôt dis­parus, Juan Lenci­na y Daniel Rezk, créa­teurs de la milon­ga Dere­cho Viejo de Buenos Aires.

Je dédie cet arti­cle à mes deux grands amis, trop tôt dis­parus, Juan Lenci­na y Daniel Rezk, créa­teurs de la milon­ga Dere­cho Viejo de Buenos Aires.
Les locaux du cen­tre de droit à l’époque de l’écriture de Dere­cho Viejo. C’était à Moreno 350 et c’est aujourd’hui le Musée Ethno­graphique.

Extrait musical

Dere­cho viejo 1945-05-28 — Orques­ta Osval­do Pugliese.
Par­ti­tion de Dere­cho Viejo

Dere­cho viejo est instru­men­tal. Cepen­dant, il existe plusieurs paroles. J’en repro­duis ici deux. Celles de Balde­sari, les plus anci­ennes et qui cor­re­spon­dent au titre, à tra­vers une his­toire lar­moy­ante dans laque­lle l’expression Dere­cho viejo est util­isée. Les autres, celles de Clausi, plus récentes sont une ode au tan­go, ce qui n’est pas si mal, mais elles ont peu à voir avec le titre.

Paroles

Oiga ust­ed com­pañero… si me quiere escuchar…
no crea que soy, ami­go, un cuentero:
yo quiero con­fi­ar­le… a ust­ed… com­pañero
mi inmen­so y cru­el dolor…
Quiero desa­hog­ar mis penas… sién­tese nomás…
y pida algún tra­go si tiene vol­un­tad…
y preste aten­ción, que ahí va la cru­el­dad
de aquel infiel amor…

Ust­ed sabrá
que cuan­do el amor
comien­za a tacon­ear
sen­ti­mos en el pecho
la dulce tentación;
¡sen­ti­mos sed de amar
de amar de corazón !…
Y yo tam­bién
amé con gran pasión,
amé con gran delirio
y coseché mar­tirios
porque un pade­cer
me brindó esa mujer,
¡que fue mi perdi­ción!…

Con el alma la quería… y ella fue
siem­pre mi úni­ca ilusión…
pero por otro hom­bre… como a mí…
¡a su hija aban­donó!
Esa hiji­ta tan queri­da… com­pañero,
ayer tarde se murió…
¡pero antes de morir, de este modo,
ella me habló!…

¡Padre! … Si la lle­ga a encon­trar, dele mi perdón
y dígale tam­bién, que aunque ella nos dejó,
¡yo siem­pre la quer­ré, con todo el corazón
y bésela por mí!
¡Hoy la encon­tró, com­pañero… no pude per­donar…
me fui Dere­cho Viejo… y ahí, a esa vaga,
en nom­bre de mi hija… la pun­ta de mi daga
besó su corazón!…

Eduar­do Aro­las Letra: Andrés Balde­sari

En gras, les paroles chan­tées par Teó­fi­lo Ibáñez dans la ver­sion de 1934 de la Orques­ta Típi­ca Vic­tor.

Traduction libre des paroles de Andrés Baldesari

Enten­dez, cama­rade… Si vous voulez m’écouter… Ne croyez pas que je suis, mon ami, un con­teur :
je veux vous faire confiance…à vous… cama­rade, mon immense et cru­elle douleur…
Je veux évac­uer mes cha­grins… Asseyez-vous sans façon… et deman­dez à boire si vous en avez envie… Et prêtez atten­tion, car là va la cru­auté de cet amour infidèle…
Vous saurez que lorsque l’amour com­mence à taper du pied, nous sen­tons dans notre poitrine la douce ten­ta­tion, nous avons soif d’aimer, d’aimer du fond du cœur…
Et moi aus­si j’ai aimé avec grande pas­sion, j’ai aimé avec un grand délire, et j’ai récolté le mar­tyre parce que cette femme m’a fait souf­frir, qu’elle fut ma perte…
Je l’aimais de toute mon âme… Et elle a tou­jours été ma seule illu­sion… mais, pour un autre homme… Comme moi, elle a aban­don­né sa fille !
Cette petite fille tant aimée… Cama­rade, elle est morte hier soir, mais avant de mourir, elle m’a par­lé de cette façon…
Père !… Si tu la trou­ves, donne-lui mon par­don et dis-lui aus­si que même si elle nous a quit­tés, je l’aimerai tou­jours, de tout mon cœur et tu l’embrasseras pour moi !
Aujourd’hui, je l’ai trou­vée, mon ami… Je n’ai pas pu par­don­ner… Je suis allé droit au but (Dere­cho viejo)… Et là, à cette cloche (vau­ri­enne), au nom de ma fille… La pointe de mon poignard embras­sa son cœur…

Paroles

Tan­go de mi ciu­dad, male­vo y sen­su­al,
canyengue y tristón, col­or de arra­bal.
Señor de salón, tenés emo­ción
de noche porteña.
Vuelve para sur­gir en dan­za tri­un­fal
can­ción sin igual que hace sen­tir
con tan­ta pasión en el corazón
su abra­zo de amor.

Oigo el can­tar de un triste ban­doneón,
que llo­ra en su can­ción la pena de un amor
que nun­ca pudo ser, por causa de creer
en locos berretines.
Todo pasó, no quiero recor­dar
el tiem­po que se fue,
ya nun­ca volverá la dicha de tu amor
para poder soñar con vos en mi arra­bal.

Qué dulzu­ra hay en tu voz,
che, ban­doneón, con tu chamuyo reo.
Tan­go lin­do y querendón, nobleza de arra­bal,
amores de otros tiem­pos…
Sigue, sigue tu can­ción
para ale­grar esta vela­da lin­da,
sue­na, sue­na ban­doneón, que siem­pre tu can­ción
está en el corazón.

Eduar­do Aro­las Letra: Gabriel Clausi

Traduction libre de la version des paroles de Gabriel Clausi

Tan­go de ma cité, malveil­lant et sen­suel, canyengue (forme de danse ou du faubourg en lun­far­do) et triste, couleur de faubourg.
Mon­sieur de salon, tu as l’excitation de la nuit portègne.
Une chan­son sans égale sur­git pour émerg­er dans une danse tri­om­phante qui fait sen­tir avec tant de pas­sion au cœur, son étreinte d’amour.
J’entends le chant d’un ban­donéon triste, qui pleure dans sa chan­son la douleur d’un amour qui ne put jamais être, à cause de croire en des caprices fous.
Tout est fini, je ne veux pas me sou­venir du temps qui s’est écoulé, la joie de ton amour ne revien­dra jamais pour que je puisse rêver de toi dans mon faubourg.
Quelle douceur il y a dans ta voix, che, ban­donéon, avec ton bavardage roy­al.
Tan­go beau et affectueux, noblesse des faubourgs, amours d’autrefois…
Con­tin­ue, con­tin­ue ta chan­son pour égay­er cette belle soirée, sonne, sonne ban­donéon, que tou­jours ta chan­son soit dans le cœur.

Autres versions

Pas ques­tion de don­ner toutes les ver­sions. Mon pro­pos est de vous mon­tr­er com­ment on est passé de la ver­sion de la ver­sion d’Arolas à celle de Pugliese, 34 ans plus tard.
Top chrono :

Dere­cho viejo 1917 — Orques­ta Rober­to Fir­po. Une ver­sion rapi­de, joueuse. Elle cor­re­spond à l’idée d’étudiants qui font faire la fête.

Une ver­sion rapi­de, joueuse. Elle cor­re­spond à l’idée d’étudiants qui font faire la fête.

Dere­cho viejo 1926-08-04 — Orques­ta Julio De Caro.

Le rythme est plus lent et solen­nel, mais De Caro incor­pore plein de bruits étranges, comme des fusées de feu d’artifice ou des grince­ments.

Dere­cho viejo 1927 — Sex­te­to Fran­cis­co Pracáni­co.

Une ver­sion bien canyenge, avec un vio­lon qui vole au-dessus. Les fusées se retrou­vent et se ter­mi­nent par un « POUM ». Une ver­sion cepen­dant un peu monot­o­ne, avant les vari­a­tions de la dernière minute.

Dere­cho viejo 1927-04-16 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Le rythme bien pesant et mar­qué de Canaro, mais décoré avec de petites fior­i­t­ures. La mon­tée des « fusées » est trans­for­mée en mon­tées en pizzi­cati (qui ne sont pas suiv­is de descente et donc pas de « Poum » non plus, sauf dans la dernière minute où les mon­tées sont toute en vibra­to et les Poums bien présents.

Dere­cho viejo 1927-04-19 — Orques­ta Osval­do Frese­do.

La ver­sion de Frese­do est moins martelée, plus coulée, mais les mon­tées qu’il adore sont suiv­ies de descentes et de gros Poums aux tim­bales. Il explore aus­si la mon­tée en pizzi­cati de Canaro et les mon­tées en « vrille ». Un véri­ta­ble feu d’artifice.

Dere­cho viejo 1934-06-01 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor con Teó­fi­lo Ibáñez.

C’est la pre­mière ver­sion chan­tée de ma sélec­tion. Mon­tée en pizzi­cati et descente en vrille, suiv­ie de Poum. Teó­fi­lo Ibáñez chante le refrain des paroles de Andrés Balde­sari.

Dere­cho viejo 1936-08-10 — Orques­ta Julio De Caro.

On retrou­ve De Caro avec une ver­sion pleine d’encore plus de bruits incon­grus, dont des cuiv­res toni­tru­ants.

Dere­cho viejo 1938-03-15 — Quin­te­to Don Pan­cho dir. Fran­cis­co Canaro.

Une ver­sion qui marche bien avec une orches­tra­tion orig­i­nale. Du bon Canaro, net­te­ment plus dynamique que sa ver­sion de 1927…

Dere­cho viejo 1939-07-17 — Orques­ta Juan D’Arienzo.

D’Arienzo évite toutes les mon­tées et descentes glis­sées qu’offrent la plu­part des ver­sions. Son inter­pré­ta­tion plus sèche, même quand le motif de vio­lon sur­nage, sur l’orchestre, ce dernier ne perd pas la mar­ca­cion et on n’a pas d’autre choix que d’y aller dere­cho viejo (sans hésiter).

Dere­cho viejo 1941-12-30 — Orques­ta Osval­do Frese­do.

On retrou­ve Frese­do qui se régale avec les mon­tées et descentes de ses fusées et les gros poums. C’est vrai­ment son truc.

Dere­cho viejo 1945-05-28 — Orques­ta Osval­do Pugliese. C’est notre tan­go du jour.

Dès la deux­ième mesure, l’ambiance change avec Pugliese. Même la fusée qui ne fait qu’une descente en vrille a un autre car­ac­tère. La yum­ba pointe son nez. Les pas­sages, sans mar­cación aucune, pour­ront désta­bilis­er les danseurs qui aiment l’exercice de la marche à pas cadencé. Dans la dernière minute, les audaces har­moniques et les vari­a­tions de rythme, typ­iques de Pugliese don­neront du fil à retor­dre aux danseurs novices.
Le titre con­tin­uera par la suite, avec notam­ment des évo­lu­tions de Frese­do et Fir­po, mais je souhaite rester sur Pugliese et cet enreg­istrement qu’il ne renou­vellera pas de Dere­cho Viejo.

Eduardo Arolas, le tigre du bandonéon en film.

La com­po­si­tion de Eduar­do Aro­las a donc eu beau­coup de suc­cès. Presque tous les orchestres ont gardé les grandes cas­cades que Frese­do a beau­coup util­isées dans ses inter­pré­ta­tions par la suite. Cer­tains les ont presque, adap­tées, comme Pugliese, voire sup­primé comme D’Arienzo qui n’en garde que l’amorce et nous laisse donc sur notre faim. À pro­pos de fin, je vous pro­pose de voir un extrait du film Dere­cho viejo réal­isé en 1950 par Manuel Romero sur un scé­nario de Alfre­do Ruano­va. Le film est sor­ti le 4 jan­vi­er 1951. Le film retrace la vie d’Eduardo Aro­las. Juan José Míguez jouant le rôle du Tigre du ban­donéon.
Dans cet extrait, on voit le ten­ancier récolter la mon­naie pour pay­er Aro­las. À 15 sec­on­des de mon extrait, on voit une femme qui dit à sa mère que l’on va danser sur un Tanga­zo (tan­go de pre­mière qual­ité) aujourd’hui. Lorsque « Aro­las » joue, accom­pa­g­né à la gui­tare on voit des cou­ples danser, dans un style qui se veut repro­duire celui du début du siè­cle

Princesa del fango 1951-05-11 — Orquesta Francini-Pontier con Julio Sosa

Enrique Mario Francini Letra : Horacio Sanguinetti (Horacio Basterra)

Nous avons décou­vert, à l’occasion de Porteña lin­da Rosi­ta, l’amour mal­heureux d’Hora­cio San­guinet­ti. Dans ce tan­go inter­prété par Julio Sosa, San­guinet­ti nous par­le d’elle et de son amour. Sortez vos mou­choirs.

Rosita

Rosi­ta, telle que la décrit Beba Pugliese était grande, blonde. Elle avait les cheveux coif­fés en arrière et elle fumait. C’était le grand amour de San­guineti. Mal­heureuse­ment, celle-ci est par­tie avec un autre, mais on peut trou­ver son por­trait en fil­igrane dans dif­férentes com­po­si­tions de San­guinet­ti et notam­ment dans Prince­sa del fan­go.
En effet, Rosi­ta était une tra­vailleuse de la nuit et elle était donc de la fange, la fange morale qui ter­nit les âmes.

Rosi­ta, alias : Prince­sa del fan­go. Rosi­ta, que j’imagine un peu à la Evi­ta était une femme de la nuit, une princesse de la fange, une femme « mod­erne ».

Extrait musical

Par­ti­tion pour piano de Prince­sa del fan­go avec en cou­ver­ture, Franci­ni et Pon­tier.
Prince­sa del fan­go 1951-05-11 — Orques­ta Franci­ni-Pon­tier con Julio Sosa

L’orchestre et Julio Sosa sont au ser­vice de la nos­tal­gie triste de San­guinet­ti. Cette ver­sion qui est la seule enreg­istrée ne sera pas des­tinée à la danse, mais c’est une belle chan­son, émo­tion­nante.

Paroles

(recita­do)
Se alargan las graves caden­cias de un tan­go,
un mís­ti­co sop­lo recorre el salón…
Y rezan las tristes prince­sas del fan­go
ple­garias que se alzan des­de un ban­doneón.


Mi copa es tu copa, bebamos, ami­ga,
el bel­lo topa­cio del mági­co alco­hol.
La sed que yo ten­go me que­ma la vida,
bebi­en­do des­cansa mi enorme dolor.
Tu rubio cabel­lo, tu piel de azu­ce­na,
tu largo vesti­do de seda y de tul,
me ale­gran los ojos, me bor­ran las penas,
me envuel­ven el alma en un sueño azul.

Prince­sa del fan­go,
baile­mos un tan­go…
¿No ves que estoy triste,
que llo­ra mi voz?
Prince­sa del fan­go,
her­mosa y coque­ta…
yo soy un poeta
que muere de amor.

Me sien­to esta noche más triste que nun­ca
me ron­da un oscuro fan­tas­ma de amor
por eso es que quiero matar su recuer­do
ahogan­do mi angus­tia, con tan­gos y alco­hol.
Yo sé que si miente tu boca pin­ta­da,
esconde un amar­go can­san­cio fatal.
Tu alma y mi alma están amar­radas
llo­ramos el mis­mo dolor de arra­bal.

Enrique Mario Franci­ni Letra: Hora­cio San­guinet­ti (Hora­cio Baster­ra)

Princesa del fango (traduction libre)

(Réc­i­tatif)
Les cadences graves d’un tan­go s’allongent, un souf­fle mys­tique par­court la pièce…
Et les tristes princess­es de la boue réci­tent des prières qui s’élèvent d’un ban­donéon.
Mon verre est ton verre, buvons, mon amie, la belle topaze de l’alcool mag­ique.

La soif que j’ai brûle ma vie, boire repose mon énorme douleur.
Tes cheveux blonds, ta peau de lys, ta longue robe de soie et de tulle réjouis­sent mes yeux, effacent mes peines, envelop­pent mon âme dans un rêve bleu.
Princesse de la boue, dan­sons un tan­go…

Ne vois-tu pas que je suis triste, que ma voix pleure ? Princesse de la boue, belle et coquette… Je suis un poète qui se meurt d’amour.
Je me sens plus triste que jamais ce soir, un som­bre fan­tôme d’amour me hante, c’est pourquoi je veux tuer son sou­venir en noy­ant mon angoisse avec des tan­gos et de l’alcool.

Je sais que si ta bouche peinte ment, elle cache une fatigue amère et fatale.
Ton âme et la mienne sont liées. Nous pleu­rons la même douleur des faubourgs.

Autres versions

Ce titre n’a pas de frères, mais des cousins. La fange, el fan­go a inspiré plusieurs com­pos­i­teurs, paroliers et orchestre. Voici donc un petit bain de boue…

Cuna de tango (Francisco Canaro Musique et paroles)

Cuna de fan­go 1952-08-11 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Alber­to Are­nas y Coro.

Un titre con­tem­po­rain de notre tan­go du jour. Le thème de la fange était à la mode. Ici, c’est le berceau qui fait l’objet de cette chan­son à car­ac­tère de milon­ga.
Au début, Alber­to Are­nas, dans son réc­i­tatif ini­tial, dit :

A este tan­go, flor de tan­go
Quieren cam­biar­lo de ran­go,
Pobre tan­go, flor de tan­go
Meci­do en cuna de fan­go.

De ce tan­go, fleur du tan­go
Ils veu­lent chang­er le rang,
Pau­vre tan­go, fleur du tan­go
Bercé dans le berceau de la fange.

Ran­go, Fan­go et Tan­go sont des rimes rich­es. Canaro, l’auteur, joue donc avec les mots. Avec cette déc­la­ra­tion lim­i­naire, il affirme une posi­tion sem­blable à celle de Borges qui con­sid­ère que le tan­go est affaire de bor­del et qu’il aurait dû se can­ton­ner à cet univers « vir­il »

Flor de tango (Augusto A. Gentile Letra: Pascual Contursi)

Peut-être le Flor de tan­go évo­qué par Cuna de tan­go…

Flor de fan­go 1918 — Car­los Gardel con acomp. de José Ricar­do (gui­tare).

On est à l’opposé de la milon­ga précé­dente. Car­los Gardel est dans le charme, ce qui avait l’effet d’énerver Borges. Ce sont deux visions opposées du tan­go qui s’affirment. Gardel et Borges, enne­mis à vie. Rien de tan­go bru­tal et rugueux dans cette chan­son du charmeur Gardel.

Flor de fan­go 1926-10-25 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor dir. Cara­bel­li.

Une ver­sion vieille garde. Suff­isam­ment marchante et énergique pour ne pas déplaire à Canaro (dont Cara­bel­li n’est pas si loin dans cette ver­sion) et à Borges.

Flor de fan­go 1940-04-25 — Rober­to Fir­po y su Cuar­te­to Típi­co.

Rober­to Fir­po dans son style sautil­lant. Sûr que ça va éclabouss­er. Je ne sais pas com­ment a réag­it Borges à cette ver­sion sym­pa­thique mais man­quant tout de même un peu de char­p­ente.

Flor de fan­go 1960-02-12 — Miguel Vil­las­boas y su Quin­te­to Bra­vo del 900.

Et on con­tin­ue à éclabouss­er avec Vil­las­boas qui reprend le style sautil­lant de Fir­po.

Hijo de fango (Francisco Pracánico ; C. Franzino Letra : Carlos Pesce)

Dans la famille Fan­go, après la fleur, je voudrais le fils.

Hijo del fan­go 1931-07-08 — Orques­ta Típi­ca Los Provin­cianos con Car­los Lafuente.

Le fils de la fange que chante Lafuente est empreint de tristesse et nos­tal­gie. On est loin de la fleur sautil­lante de Fir­po et Vil­las­boas.

Flor de fango y flor de tango

Revenons pour ter­min­er avec notre orchestre du jour. Franci­ni-Pon­tier. Voici un titre qui a une let­tre près aurait été de la même famille… Fango Tango, Triste flor de tan­go. La musique est du même Enrique Franci­ni, mais cette fois les paroles sont de Car­los Bahr.
Le chanteur n’est plus le Varon del Tan­go, Julio Sosa, mais le moins con­nu Pablo Moreno. Ce chanteur né en Ital­ie et établi à Mon­te­v­ideo (Uruguay) était ami de Julio Sosa, ce qui est une autre rai­son pour que j’associe cet enreg­istrement à notre tan­go du jour.

Pablo Moreno, le bary­ton ita­lo-uruguayen
Triste flor de tan­go 1953-09-22 — Orques­ta Franci­ni-Pon­tier con Pablo Moreno.

Lorsque Franci­ni et Pon­tier quit­tèrent l’orchestre de Miguel Caló, ils for­mèrent cet orchestre pour exploiter leur style et leurs tal­ents de vio­loniste (Franci­ni) et ban­donéon­iste (Pon­tier). Leur style, comme on peut l’entendre ici, est net­te­ment moins dansant que celui de Caló… Reste que la voix de bary­ton de Moreno est chaude et pleine et qu’il aurait peut-être fait des mer­veilles s’il avait eu une car­rière plus soutenue et plus portègne. Pour moi sa ver­sion de Manos ado­radas sur­passe les ver­sions de Rober­to Rufi­no et celles de Caló et si la ver­sion de Pugliese avec Alber­to Morán est peut-être supérieure, elle le doit aus­si au génie de San Pugliese et à son rythme plus soutenu et enivrant pour la valse.
Nous restons avec Franci­ni, Mon­tier et Moreno pour la valse Manos ado­radas, his­toire d’utiliser la force cen­trifuge pour éjecter toute la boue accu­mulée…

Manos ado­radas 1952-12-10 — Orques­ta Franci­ni-Pon­tier con Pablo Moreno
Prince­sa del fan­go.

Temo 1940-05-10 — Orquesta Típica Victor con Mario Pomar (Mario Celestino Corrales)

Aguariguay (Mario Luis Rafaelli) Letra: Atilio Gálvez (Atilio Manuel Perasso)

Temo (j’ai peur), est une valse mer­veilleuse qui depuis une quin­zaine d’années fait par­tie des valses les plus passées en milon­ga. Lorsque les pre­mières notes reten­tis­sent, les danseurs se ruent sur la piste.

Une équipe de choc

Cer­tains danseurs pensent que l’orchestre Típi­ca Vic­tor est un orchestre comme un autre. Il s’agit en fait d’un orchestre des­tiné aux enreg­istrements. Il ne se pro­dui­sait pas sur scène.
Son autre par­tic­u­lar­ité est qu’il a changé de chef au cours du temps. Le pre­mier Cara­bel­li n’est plus dans l’orchestre au moment de l’enregistrement de Temo. C’est le ban­donéon­iste Fed­eri­co Scor­ti­cati qui dirige l’orchestre à ce moment. Cet excel­lent ban­donéon­iste, encore un enfant prodi­ge a joué pour les plus grands orchestres et mal­gré sa dis­cré­tion, la com­pag­nie Vic­tor lui con­fia la direc­tion de l’orchestre, de 1935 à 1941. Il était mod­este, mais excel­lent.
La Vic­tor savait choisir ses musi­ciens, voici la liste de ceux qui tra­vail­laient pour l’orchestre au moment de l’enregistrement de notre valse du jour :
Fed­eri­co Scor­ti­cati (direc­tion et ban­donéon) Eduar­do Del Piano (ban­donéon), Hora­cio Golli­no (ban­donéon), Domin­go Triguero (ban­donéon), Héc­tor Stam­poni (piano), Elvi­no Var­daro (vio­lon), Víc­tor Felice (vio­lon), Víc­tor Braña (vio­lon), Abra­ham Gosis (vio­lon), Emilio González (vio­lon), Hum­ber­to Di Tata (con­tre­basse) et au chant, Mario Pomar. Que l’on sem­ble plus désor­mais appel­er par son nom réel, Cor­rales, je ne con­nais pas la rai­son de cette mode.

Extrait musical

Temo 1940-05-10 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor con Mario Pomar. Je vous laisse écouter cette mer­veille. On en repar­lera plus bas…

Paroles

Porque tus ojos me huyen
Aca­so no me amas ya…
Dime que lo haces tan sólo
Por ver si te quiero más…
Dilo, no ves que mi alma
Espera escuchar tu voz…
Entre can­ciones de besos
Me dices: “Te quiero, mi vida…”

Temo que ya no me quieras
Que ya no me quieras más…
Y es cru­el tor­tu­ra el pen­sar
Que no me amas, que a otro amás…
Dime que es fiel tu car­iño
Dime que es mío, muy mío,
Que sólo me huyen tus ojos
Por verme sufrir.

Aguar­iguay (Mario Luis Rafael­li) Letra: Atilio Gálvez (Atilio Manuel Peras­so)

Traduction libre

Pourquoi tes yeux me fuient-ils ? Peut-être que tu ne m’aimes plus ?
Dis-moi que tu le fais juste pour voir si je t’aime encore plus…
Dis-le, ne vois-tu pas que mon âme attend d’entendre ta voix, entre deux chan­sons de bais­ers me dire : « Je t’aime, ma vie… »
 J’ai peur que tu ne m’aimes pas, que désor­mais tu ne m’aimes plus et c’est une cru­elle tor­ture de penser que tu ne m’aimes pas, que tu aimes un autre…
Dites-moi que ton affec­tion est fidèle, dis-moi que tu es mienne, bien mienne, que tes yeux se détour­nent seule­ment, car ils me voient souf­frir.

Autres versions

Le suc­cès de cette valse est lié unique­ment à la ver­sion de la Típi­ca Vic­tor. Donc, pas vrai­ment d’autres ver­sions à vous pro­pos­er. Sig­nalons toute­fois que l’orchestre Hypéri­on l’a à son réper­toire et la joue régulière­ment. Mal­heureuse­ment les ver­sions dis­ques ne sont pas géniales et il vaut mieux écouter l’orchestre en direct.
Je vous pro­pose donc un autre exer­ci­ce, une tan­da de valse de la Típi­ca Vic­tor

Une tanda de valses

Faire une tan­da de la Típi­ca Vic­tor n’est pas si facile. Il y a pour­tant près de 50 valses par cet orchestre, mais comme nous l’avons vu, cet orchestre a des styles très dif­férents selon les épo­ques et les directeurs qui se sont suc­cédé.
Le but de la Vic­tor était d’enregistrer les gros suc­cès de l’époque, pas de faire des tan­das homogènes. N’oublions pas qu’il ne s’agit pas d’un orchestre de bal, seule­ment d’un orchestre de dis­ques.

Construction d’une tanda avec Mario Pomar au chant

En général, on s’arrange pour plac­er dans une tan­da des titres du même orchestre. S’il y a un chanteur, on reste sou­vent avec le même chanteur, dans la même péri­ode et le même style.
Avec la Vic­tor, autour de la valse Temo, si on suit ce principe, on n’a que trois autres valses à pro­pos­er. Les voici par ordre chronologique avec Temo pour ter­min­er :

Vuelve otra vez 1939-05-08 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor con Mario Pomar.

Ce titre démarre d’une façon assez rapi­de. Il a con­tre lui de ne pas être beau­coup joué. Pour un pre­mier titre, il y a donc le risque que ça ne se lève pas assez vite. Il a un autre point faible, lorsque Pomar com­mence à chanter, le rythme a un peu ralen­ti. L’ingénieur du son a de plus net­te­ment bais­sé le vol­ume de l’orchestre pour favoris­er la voix, ce qui peut faire per­dre le pas aux danseurs. N’oublions pas le con­seil de Adol­fo Pugliese, à son fils, Osval­do : « regarde les pieds des danseurs. S’ils per­dent la musique, c’est de ta faute ». Sur une tan­da de trois, je ne met­trais pas ce titre.

Noche de estrel­las 1939-10-04 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor con Mario Pomar.

En revanche Noche de estrel­las est suff­isam­ment con­nu pour faire un pre­mier titre et même s’il n’est pas plus rapi­de que la précé­dente, ses jeux de vio­lons et ban­donéons la rende moins monot­o­ne. Pomar chante égale­ment de façon plus tonique. Sur une tan­da de trois, c’est un excel­lent pre­mier titre.

Ani­ta 1939-12-12 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor con Mario Pomar.

Ani­ta a un rythme plus rapi­de. Elle est entraî­nante. Le style est cepen­dant dif­férent des deux pre­mières valses. Pour ma part, cela me gêne. En revanche, la fin est entraî­nante. Le change­ment de tonal­ité vers un son plus aigu donne l’impression d’accélération. La fin est donc très sat­is­faisante pour les danseurs.

Temo 1940-05-10 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor con Mario Pomar.

On arrive à notre valse du jour, la vedette des enreg­istrements avec Pomar. Aucun prob­lème pour ter­min­er la tan­da, avec cette valse, car le titre est con­sen­suel. Cepen­dant, si on a passé avant Ani­ta, on peut trou­ver que la fin manque d’élan
Dans ce cas on pour­rait imag­in­er de pass­er Ani­ta en dernier. Mais c’est un peu comme ter­min­er un repas en reprenant du fro­mage après le dessert. C’est là que l’observation des danseurs est très impor­tante. En effet, selon le moment de la milon­ga, selon ce qu’on va met­tre ensuite, on ne fera pas le même choix. Il est sûr que les deux pre­miers titres iront au début d’une tan­da de qua­tre et que les deux derniers iront à la fin d’une tan­da de qua­tre. Si on fait une tan­da de trois, ce qui com­mence à devenir courant, notam­ment pour les valses, même à Buenos Aires. On pour­rait donc avoir :

Noche de Estrel­las — Ani­ta — Temo ou Noche de Estrel­las — Temo — Ani­ta.

Je pencherai plutôt pour la sec­onde solu­tion, car la petite décep­tion d’avoir Ani­ta après Temo sera absorbée par la fin plus tonique, mais c’est le type de cas où je prends la déci­sion dans les 20 sec­on­des qui précè­dent l’avant-dernier titre…

Exploration d’autres tandas à partir de Temo

Il y a d’autres pos­si­bil­ités que de se can­ton­ner aux qua­tre valses de Pomar.

Prendre une ou des valses de la Típica Victor, instrumentales ou par un autre chanteur.

C’est sou­vent ce qu’on fait quand on veut faire une tan­da des grands hits. Dans ce cas, on va plac­er les valses les plus fameuses de cet orchestre, comme Sin rum­bo fijo (chan­tée par Ángel Var­gas).

Sin rum­bo fijo 1938-04-18 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor con Ángel Var­gas.

La voix est moyen­nement com­pat­i­ble, mais la musique, si, et après tout, le chanteur ne chante qu’une toute petite par­tie, ce qui fait que les danseurs auront oublié la dif­férence de voix.
Atten­tion, cer­tains chanteurs ne vont pas du tout ensem­ble. Par exem­ple, Car­los Lafuente qui chante un mois avant Pomar la valse Ínti­ma risque d’être très gênant.

Ínti­ma 1940-04-11 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor con Car­los Lafuente.

Toute­fois, on peut faire pire en prenant une valse d’un car­ac­tère totale­ment dif­férent, ici, tou­jours par Lafuente, Lamen­tos de mujer :

Lamen­tos de mujer 1933-05-24 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor con Car­los Lafuente.

Dans ce cas extrême, les deux valses par Lafuente ne vont même pas ensem­ble. On notera que l’introduction très longue (40 sec­on­des) devra être coupée pour un pas­sage en cours de tan­da afin d’éviter que les danseurs, même les plus bavards, s’ennuient.
Si on ne veut pas pren­dre de risque de mélanger des voix incom­pat­i­bles, on peut mix­er avec de l’instrumental, par exem­ple en choi­sis­sant la valse Novia mía :

Novia mía 1938-01-07 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor.

Pren­dre des titres célèbres pour faire une super tan­da est une excel­lente solu­tion. Son seul incon­vénient pour des milon­gas de très longue durée (8 heures ou plus comme j’en fais sou­vent), c’est que l’on grille toutes ses car­touch­es dans une tan­da. Si on veut faire une autre tan­da sem­blable quelques heures plus tard, on a moins de choix de morceaux phares. C’est aus­si le même prob­lème dans les événe­ments où se suc­cè­dent plusieurs DJ qui ne s’écoutent pas (ou qui tra­vail­lent avec des playlists immuables), on peut avoir deux fois de suite les mêmes morceaux. À Buenos Aires où les milon­gas durent sou­vent longtemps, il arrive qu’il y ait deux DJ. Lors de la pas­sa­tion de « pou­voir », on indique au col­lègue ce qu’on a passé pour qu’il évite les répéti­tions. Cela lui per­met aus­si de bouch­er les éventuels trous, les orchestres qui ne sont pas passés, par exem­ple. Pour ma part quand je passe après d’autres DJ, j’évite les répéti­tions et si j’anime tout un week-end (5 ou 6 milon­gas), je garde des tanga­zos (tan­gos très appré­ciés) pour chaque orchestre afin de pou­voir pro­pos­er une var­iété, sans épuis­er les titres incon­tourn­ables trop rapi­de­ment.

Prendre un titre par un autre orchestre

Pour les enreg­istrements anciens de la Típi­ca Vic­tor, avec Cara­bel­li, il est assez logique de mari­er les tan­das avec des titres de Cara­bel­li dirigeant son orchestre per­son­nel. Dans le cas de Scor­ti­cati, c’est impos­si­ble, il n’a pas enreg­istré avec ses pro­pres orchestres qui étaient par ailleurs tem­po­raires et plus de cir­con­stance que la volon­té de ce ban­donéon­iste d’avoir son orchestre. Cela se fait très peu en tan­go. En revanche, cela se pra­tique assez sou­vent en milon­ga et en valse. Cela peut être une bonne solu­tion. Encore faut-il que le DJ le fasse avec goût. Rien de plus frus­trant pour un danseur de s’élancer sur la piste avec un thème qui lui plaît et de se retrou­ver ensuite avec un titre qui ne l’inspire pas.
Voici une sug­ges­tion, un peu lim­ite, mais qui peut pass­er avec Temo, du moins à mon avis.

Con tus besos 1938-04-02 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos.

Con tus besos pour­rait faire un bon début de tan­da.

Pourquoi tu as peur, mon gars ?

El entrerriano 1944-04-26 — Orquesta Osvaldo Fresedo

Anselmo Rosendo Mendizábal Letra : Ernesto Temes (Julián Porteño), Homero Expósito, H. Semino, S. Retondaro, Vicente Planells del Campo y Oscar Amor, Ángel Villoldo.

Voici une chose bien curieuse que ce tan­go qui ne dis­pose pas d’enregistrement de ver­sion chan­tée intéres­sante dis­pose de tant de paroles. Pas moins de cinq ver­sions… Quoi qu’il en soit, ce tan­go écrit en 1897 par Rosendo Men­dizábal est fameux, et il fut le pre­mier à avoir une par­ti­tion…

Un tango célèbre

Ce tan­go est fameux. C’est pour cela, prob­a­ble­ment qu’il dis­pose de plusieurs paroles, ces dernières étant util­isées pour flat­ter un com­man­di­taire poten­tiel.
J’ai racon­té dans Sacale pun­ta com­ment Rosendo l’a dédi­cacé à Ricar­do Segovia et a gag­né ain­si 100 pesos… Il venait de le jouer à de mul­ti­ples repris­es à la demande du pub­lic en Lo de María la Vas­ca, dont il était le pianiste attitré.
Comme preuve de notoriété, out­re l’abondance de paroliers, je pour­rais men­tion­ner qu’il est chan­té par Gardel dans Tan­go argenti­no 1929-12-11.

«De tus buenos tiem­pos aún hay pal­pi­tan
El choclo, Pelele’, El tai­ta, El cabu­re
La morocha, El catre y La cumpar­si­ta
Aquel Entr­erri­ano y el Saba­do ingles»

La dernière preuve est le nom­bre incroy­able de ver­sions de ce titre. Les 100 pesos de Ricar­do Segovia furent un bon investisse­ment.

Extrait musical

El entr­erri­ano 1944-04-26 — Orques­ta Osval­do Frese­do.

On com­prend l’enthousiasme des pre­miers audi­teurs de El entr­erri­ano qui ne s’appelait pas ain­si quand il fut joué pour la pre­mière fois en Lo de María la Vas­ca. À l’époque Rosendo l’avait joué au piano et sans doute émulé par la bonne récep­tion par les par­tic­i­pants s’était peut-être lancé dans quelque chose un peu plus jouer et spon­tané que les ver­sions de l’époque. Ce qui est sûr, c’est que Frese­do a su sor­tir de sa zone de con­fort pour nous éblouir avec cette ver­sion joyeuse.

Les paroles

J’ai men­tion­né cinq ver­sions. Je n’en ai retrou­vé que qua­tre, celle de Ángel Vil­lol­do sem­ble per­due.
Les qua­tre restantes sont du même type, elle racon­te la gloire, la glo­ri­ole d’un type. Rien de bien intéres­sant et orig­i­nal. Je vous les cite donc par ordre chronologique et ne traduirai que la plus récente, celle de Home­ro Expósi­to.

Letra de Ángel Villoldo

Ángel Vil­lol­do a dédié une ver­sion à Pepi­ta Avel­lane­da. Pour cela il a écrit des paroles qui sem­blent per­dues pour le moment.
Atten­tion à ne pas con­fon­dre la chanteuse Pepi­ta Avel­lane­da et Pepi­to Avel­lane­da, pseu­do­nyme du danseur José Domin­go Mon­teleone. Ce dernier a pris ce surnom, car il était né à Avel­lane­da. Pepi­to, je ne sais pas pourquoi il l’a choisi quand il fut obligé de pren­dre un pseu­do­nyme pour atténuer son orig­ine ital­i­enne afin de faciliter ses tournées européennes et le fait qu’il était d’une famille de piz­zaio­los de province (Avel­lane­da).
D’ailleurs Pepi­ta Avel­lane­da était égale­ment un pseu­do­nyme, la chanteuse, qui était aus­si danseuse s’appelait en fait Jose­fa Calat­ti… C’est elle qui avait étren­né El esquina­zo de Vil­lol­do, avec des paroles égale­ment dis­parues…
Vil­lol­do a cepen­dant écrit les paroles d’un autre tan­go qu’il a égale­ment com­posé : Desafío de un entr­erri­ano (défi d’un entr­erri­ano).
Il se peut qu’une par­tie des paroles soit proche de celles de la ver­sion per­due, à la dif­férence qu’il s’agissait d’une femme, prob­a­ble­ment uruguayenne dans le pre­mier cas, mais à l’époque, l’Uruguay et Entre Rios sont très proche et la fron­tière de la Province de l’Est per­méable.
On remar­quera qu’elles sont de la même eau que celles des­tinées à El enter­ri­ano, ce qui con­firme la des­ti­na­tion de ces paroles, la flat­terie, voire la flagorner­ie…
On ne con­naît pas la data­tion pré­cise de l’écriture de ce tan­go, mais comme il a été pub­lié en 1907 dans Caras y Careteras, il est au plus tard de cette époque, soit tout au plus, cinq ans après la ver­sion per­due. Il ne sem­ble pas exis­ter d’enregistrement de ce tan­go. Voici donc les paroles de Desafío de un entr­erri­ano :

Ángel Vil­lol­doDesafío de un entr­erri­ano 
Aquí viene el entr­erri­ano
El criol­lo más respeta­do,
Por una milon­ga, un esti­lo,
O un tan­gui­to reque­bra­do.
En cuan­to yo me pre­sen­to
No hay quién se atre­va a ron­car,
Al cohete son los can­di­ales…
Me tienen que respetar.

¿Vamos a ver quién se atreve?
¿No hay ninguno que ya ladré?
¿Dónde está ese mozo pier­na
que la ech­a­ba de com­padre?
Vayan salien­do al momen­to
Ya que lle­ga la ocasión,
Que eso es lo que a mí me gus­ta
Pa´ dar­les un revol­cón.

¿Quién le ron­ca al entr­erri­ano?
¿No hay quién cope la para­da?,
Vamos a ver, pues, los taitas
Aprovechen la bola­da.
Miren que ocasión como esta
No se les va a pre­sen­tar…
¿De ande yer­ba?… Tienen miedo
Que los vaya a abatatar.

Ya veo que no hay ninguno
Que resuelle por la heri­da,
Y me gano la car­rera
Mucho antes de la par­ti­da.
Aquí con­cluyo y salu­do
Con car­iño fra­ter­nal,
A todos los con­cur­rentes
Y al pabel­lón nacional…


Letra de A. Semi­no y S. Reton­daro
Tú el entr­erri­ano un criol­la­zo
De nobleza e hidal­guía
Que cap­tó la sim­patía
De todo el que lo trató.
Porque siem­pre demostró
Ser hom­bre sin­cero y fiel
Y como macho de Ley
La muchacha­da lo apre­ció.

Como varón se com­portó
Su pecho noble supo expon­er
Para el débil defend­er
Y así librar­lo del mal
Pero una noche som­bría.
Que fue, ¡ay !, su desven­tu­ra
En su alma la amar­gu­ra
Echó su man­to fatal
Por haber sido tan leal
Hal­ló su cru­el perdi­ción …!
El entr­erri­ano lloró
Su triste desilusión.

Una noche en un calle­jón
Al ami­go más fiel vio caer,
Bajo el puñal de un matón
Que de traición lo hir­ió cru­el
Y vibran­do de indi­gnación
El criol­la­zo atro­pel­ló
Y en la faz del matón
Un bar­bi­jo mar­có.

Y al cor­rer de los años
Lib­er­tao ’e las cade­nas
Con el peso de su pena,
Pa’l viejo bar­rio volvió
Y amar­ga­do lagrimeó
Al hal­larse sin abri­go
Y has­ta aquél… el más ami­go,
El amparo le negó.


Letra de Vicente Planells del Cam­po y Oscar Amor
Mi apo­do es
El Entr­erri­ano y soy
de aque­l­los tiem­pos hero­icos de ayer,
el de los patios del farol y el par­ral,
con per­fume a madre­sel­va y clav­el.
Soy aquel tan­go que no tuvo rival
en las bron­cas y entreveros.
Pero fui sen­ti­men­tal
jun­to al calor
del vesti­do de per­cal.

Soy aquel que no aflo­jó jamás,
el que luchó con su val­or
por man­ten­er este com­pás
y con él
me sen­tí muy feliz
al poder tri­un­far con mi val­or
lejos de aquí, allá en París.
Y después
de recor­rer tri­un­fal,
la vuelta pegué para volver
jun­to al calor de mi arra­bal
y hoy al ver
que soy retru­co y flor
quiero agrade­cer este favor
al bailarín como al can­tor.

Entr­erri­ano soy
de pura cepa y no hay
a pesar de ser tan viejo, varón
ni quien me pise los talones pues soy
el com­pás de meta y pon­ga y fui
de la que­bra­da y el corte el rey
en lo de Hansen y el Tam­bito.
Y en las tren­zadas de amor
primero yo
por bohemio y picaflor.


Letra de Julián Porteño
En el bar­rio de San Tel­mo
yo soy
picaflor afor­tu­nao en amor
un pun­to bra­vo pa’l chamuyo flo­re­ao
buen ami­go en cualquier ocasión
caudil­lo firme de juga­do val­or
pa’ copar una para­da
y afir­mar mi bien proba­da
leal­tad con el doc­tor.

Calá este varón
cuan­do con un gesto
man­do en el resto
pa’ ganar una elec­ción.
Calá este varón
en bai­lon­gos bien mis­ton­gos
con­qui­s­tan­do un fiel corazón.
Calá este varón
en salones dis­tin­gui­dos
todo pre­sum­i­do
de “doc­tor”.
Calá este varón
mozo atre­v­i­do
siem­pre can­to flor, envi­do
en el amor.

Naipe y mujeres
son mi úni­ca pasión,
sí señor,
éstas me dicen que sí
aquél me dice que no.
Pero no le hace
mel­la a mi condi­ción
de varón,
soy entr­erri­ano, señor
y ten­go firme el corazón.


Letra de Home­ro Expósi­to
Sabrán que soy el Entr­erri­ano,
que soy
milonguero y provin­ciano,
que soy tam­bién
un poquito com­padri­to
y aguan­to el tren
de los gua­pos con taji­tos.
Y en el vaivén
de algún tan­go de fan­dan­go,
como el quer­er
voy metién­dome has­ta el man­go,
que pa’l baile y pa’l amor
sabrán que soy
siem­pre el mejor.

¿Ven, no ven lo que es bailar así,
lleván­dola jun­ti­to a mí
como apre­tan­do el corazón?…
¿Ven, no ven lo que es lle­varse bien
en las cor­tadas del quer­er
y en la milon­ga del amor?…

Todo corazón para el amor
me dio la vida
y algu­na heri­da
de vez en vez,
para saber lo peor.
Todo corazón para bailar
hacien­do cortes
y al Sur y al Norte
sulen gri­tar
que el Entr­erri­ano es el gotán.

Traduction libre de la version de Homero Expósito

Ils sauront que je suis l’Entrerriano, (celui de la Povince d’Entre Rios) que je suis un milonguero et un provin­cial, que je suis aus­si un peu com­padri­to et je tiens la dégaine du guapo (beau) avec des cica­tri­ces (taji­to, petites entailles).
Et dans le bal­ance­ment d’un tan­go fan­dan­go, (Un siè­cle avant le tan­go, le fan­dan­go a fait scan­dale, car jugé las­cif. Avec le tan­go, l’histoire se répète… N’oublions pas que ce tan­go s’est inau­guré dans une mai­son de plaisir…)

avec volon­té je me lance à fond, afin qu’ils sachent que pour la danse et pour l’amour je suis tou­jours le meilleur.
Vois-tu, ne vois-tu pas ce que c’est que de danser comme cela, de l’amener à moi comme pour écras­er le cœur ?…
Voyez, ne voyez pas ce qu’est de s’entendre bien dans les cor­tadas du désir et dans la milon­ga de l’amour ?…
Tout cœur pour l’amour m’a don­né la vie et une blessure de temps en temps, pour con­naître le pire.
Tout le cœur pour danser en faisant des cortes (fig­ure de tan­go) et au Sud et au Nord, ils vont crier que l’Entrerriano est le gotan (tan­go en ver­lan, mais vous le saviez…).

Les versions

El entr­erri­ano 1910-03-05 Estu­di­anti­na Cen­te­nario dir. Vicente Abad
El entr­erri­ano 1913 — Eduar­do Aro­las y su Orques­ta Típi­ca.

Une ver­sion par le tigre du ban­donéon. Il existe peu d’enregistrements de Aro­las, sans doute, moins de 20 et tous de la péri­ode de l’enregistrement acous­tique. Ils ne ren­dent sans doute pas jus­tice aux presta­tions réelles de cet artiste du ban­donéon et de son orchestre.

El entr­erri­ano 1914 — Quin­te­to Criol­lo Tano Genaro.
El entr­erri­ano 1917 Orques­ta Rober­to Fir­po. Avec les moyens et le style de l’époque.
El entr­erri­ano 1927-02-24 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Une ver­sion calme et tran­quille à la Canaro des années 20, mais avec de beaux pas­sages guidés par le piano comme après 50 s.

El entr­erri­ano 1927-03-20 — Orques­ta Osval­do Frese­do.

Une ver­sion avec des bruits étranges, on entend les ani­maux de la ferme (notam­ment à par­tir de 30 s). Le dédi­cataire est en effet un riche pro­prié­taire ter­rien et j’imagine que Frese­do s’est amusé à ce petit jeu de recréer une basse-cour avec son orchestre.

El entr­erri­ano 1937-03-29 ou 1940-08-29 — Rober­to Fir­po y su Cuar­te­to Típi­co.

Une ver­sion à toute vitesse. Avec man­do­line. Je ne sais pas si elle était des­tinée à la danse. J’ai plutôt l’impression que c’était une démon­stra­tion de vir­tu­osité.

El entr­erri­ano 1940-11-06 — Orques­ta Radio Vic­tor Argenti­na.

On dirait que Fir­po a passé le virus à Scor­ti­cati qui dirigeait la Vic­tor à cette époque. On peut imag­in­er sa joie de faire raison­ner le « Pin-Pon-Pin » du ban­donéon comme une ponc­tu­a­tion tout au long de l’interprétation. On sent que l’orchestre, y com­pris la trompette, s’amuse et nous, DJ ou danseurs, avec.

El entr­erri­ano 1944-04-26 — Orques­ta Osval­do Frese­do. C’est notre tan­go du jour.

On dirait que Fir­po et Scor­ti­cati ont passé le virus à Frese­do qui pro­duit à son tour une ver­sion très rapi­de. Il fal­lait sans doute ces deux con­t­a­m­i­na­tions pour l’inciter à pro­duire cette ver­sion tonique et rapi­de. Le ban­donéon fait encore un « Pin-Pon-Pin » encore plus con­va­in­cant. Cepen­dant, adieu veaux, vach­es, cou­vées par rap­port à la ver­sion précé­dente de 1927. Chaque instru­ment a son tour de gloire et le résul­tat est prenant, jusqu’au clas­sique dou­ble accord final de Frese­do. C’est notre tan­go du jour.

J’ai passé sous silence les ver­sions de 1941 de Troi­lo (c’était l’époque où il avait des enreg­istrements pour­ris, car les maisons de dis­ques ne voulaient pas con­cur­rencer leurs poulains) et celle de Bia­gi, qui est du Bia­gi comme il y en a tant. Du bon Bia­gi, mais que du Bia­gi, sans valeur ajoutée au titre lui-même.

El entr­erri­ano 1944-06-27 — Orques­ta Aníbal Troi­lo.

Pas la ver­sion de 1941 qui était une ver­sion plutôt rapi­de, mais celle de 1944, bien mieux enreg­istrée. On voit que l’ambiance est bien dif­férente de tout ce qui s’est fait avant, plus grave, calme, musi­cale, moins dans la sur­prise. On remar­quera les pleurs du ban­donéon à 2 : 46, le mer­veilleux jeu de Troi­lo. Une ver­sion pour une danse bien dif­férente, Troi­lo com­mence à mon­tr­er le bout de son nez nova­teur.

El entr­erri­ano 1954-04-29 — Orques­ta Juan D’Arienzo.

Du bon D’Arienzo qui cogne, tout en restant joueur. De quoi réveiller l’ambiance d’une milon­ga qui som­nole (il paraît que ça existe), mais cer­tains des titres précé­dents sont égale­ment effi­caces pour cet usage…

El entr­erri­ano 1979-10-31 — Orques­ta Osval­do Frese­do.

Frese­do a encore enreg­istré le titre en 1979. Hon­nête­ment, cet enreg­istrement n’a rien d’exceptionnel et je vous pro­pose de boule­vers­er la chronolo­gie pour ter­min­er cette anec­dote avec une ver­sion éton­nante, par Varela…

El entr­erri­ano 1957-03-29 — Orques­ta Héc­tor Varela.

C’est le dernier titre que je vous pro­pose aujourd’hui. Il débute avec le « Pin-Pon-Pin », mais très solen­nel, suivi d’une cita­tion des paroles de Tiem­pos viejos (Fran­cis­co Canaro Letra: Manuel Romero) « ¿Te acordás, her­mano, qué tiem­pos aque­l­los? » puis « Oí si » et une phrase de Mi noche triste (Samuel Cas­tri­o­ta Letra: Pas­cual Con­tur­si) « me dan ganas de llo­rar ».

Voilà, je ter­mine avec cela. Quel par­cours effec­tué depuis 1897 par ce tan­go excep­tion­nel !

À demain les amis !

Loca 1942-04-22 – Orquesta Juan D’Arienzo

Manuel Jovés Letra : Antonio Martínez Viérgol

On est tous fous de loca, les locos locaux et les locaux d’ailleurs. D’Arienzo l’a enreg­istré 3 ou 4 fois pour le disque et au moins une fois pour la télévi­sion. La ver­sion du jour est celle de 1942, son pre­mier enreg­istrement de ce titre et qui a aujourd’hui exacte­ment 82 ans.

Extrait musical

Loca 1942-04-22 – Orques­ta Juan D’Arienzo

Les paroles

Le tan­go du jour est instru­men­tal, mais il y a des paroles que voici :

Loca me lla­man mis ami­gos
que solo son tes­ti­gos
de mi liviano amor.
Loca…
Que saben lo que sien­to
ni que remordimien­to
se ocul­ta en mi inte­ri­or?

Yo ten­go con ale­grías
que dis­frazar mi tris­teza
y que hac­er de mi cabeza
las pesadil­las huir.
Yo ten­go que ahog­ar en vino
la pena que me devo­ra…
Cuan­do mi corazón llo­ra
mis labios deben reír.

Yo, si a un hom­bre lo des­pre­cio,
ten­go que fin­girle amores,
y admiración, cuan­do es necio
y si es cobarde, temores…
Yo, que no he perteneci­do
al ambi­ente en que aho­ra estoy
he de olvi­dar lo que he sido
y he de olvi­dar lo que soy.

Loca me lla­man mis ami­gos
que solo son tes­ti­gos
de mi liviano amor.
Loca…
Que saben lo que sien­to
ni que remordimien­to
se ocul­ta en mi inte­ri­or?

Alla, muy lejos, muy lejos,
donde el sol cae cada día,
un tran­qui­lo hog­ar tenía
y en el hog­ar unos viejos.
La vida y su encan­to era
una muchacha que huyo
sin decir­le donde fuera…
y esa muchacha era yo.

Hoy no existe ya la casa,
hoy no exis­ten ya los viejos,
hoy la muchacha, muy lejos,
sufrien­do la vida pasa.
Y al caer todos los días
en aque­l­la tier­ra el sol,
cae con el mi ale­gría
y muere mi corazón.

Manuel Jovés Letra: Anto­nio Martínez Viér­gol

Traduction libre

Folle, m’appellent mes amis qui ne sont que les témoins de mon amour léger.
Folle…
Qui sait ce que je ressens ou quels remords sont cachés en moi ?
Je dois avec des joies déguis­er ma tristesse et faire fuir mes cauchemars de ma tête.
Il faut que je noie dans le vin le cha­grin qui me dévore…
Quand mon cœur pleure, mes lèvres doivent rire.
Moi, si je méprise un homme, je dois fein­dre l’amour et l’admiration pour lui, alors qu’il est un imbé­cile et que s’il est lâche, qu’il a peur…
Moi qui n’ai pas appartenu au milieu dans lequel je suis main­tenant, je dois oubli­er ce que j’ai été et je dois oubli­er ce que je suis.
Mes amis qui ne sont que les témoins de mon amour de lumière me trait­ent de folle.
Folle…
Qui sait ce que je ressens ou quels remords sont cachés en moi ?
Là-bas, très loin, là où le soleil tombe chaque jour, il y avait un foy­er tran­quille, et dans ce foy­er quelques vieux.
La vie et son charme, c’était une fille qui s’enfuyait sans lui dire où elle allait…
Et cette fille, c’était moi.
Aujourd’hui, la mai­son n’existe plus, aujourd’hui il n’y a plus de vieux, aujourd’hui la fille, très loin, la vie passe en souf­frant.
Et quand tombe chaque jour sur cette terre le soleil, ma joie tombe avec lui, et mon cœur meurt.

Autres versions par D’Arienzo

Loca 1942-04-22 – Orques­ta Juan . Notre tan­go du jour est le plus ancien enreg­istrement par D’Arienzo.
Loca 1946-10-18 – Orques­ta Juan D’Arienzo
Loca 1955-12-22 – Orques­ta Juan D’Arienzo

Loca 1971

Vous avez tous déjà vu cette vidéo et la façon par­ti­c­ulière­ment ani­mée de diriger de D’Arienzo. Plusieurs orchestres con­tem­po­rains imi­tent cette mise en scène, pour le plus grand plaisir des danseurs.

Loca 1975 – Los Solis­tas de D’Arienzo. Quelques mois avant la mort de D’Arienzo. Je ne suis pas sûr qu’il ait dirigé cet enreg­istrement. C’était peut-être Car­los Lazarri, ban­donéon­iste et arrangeur de l’orchestre.

Autres versions par d’autres orchestres

Loca est un titre à très grand suc­cès et il existe des cen­taines de ver­sions. Je vous en pro­pose donc une sélec­tion très réduite, mais représen­ta­tive.

Loca 1922 – Car­los Gardel con acomp. de Guiller­mo Bar­bi­eri, José Ricar­do (gui­tar­ras)
Loca 1923 – Orchestre Mondain Jose Sen­tis. Atten­tion, enreg­istrement per­tur­bé (disque endom­magé). Cepen­dant, cela per­met de voir que la France était en pointe, ce titre ayant été écrit l’année d’avant.
Loca 1938-06-20 – Quin­te­to Don Pan­cho dir. Fran­cis­co Canaro
Loca 1941-07-08 – Orques­ta Típi­ca Vic­tor Dir. Fred­dy Scor­ti­cati
Loca 1950-11-06 – Enrique Mora y su Cuar­te­to Típi­co con Aman­da Vidal
Loca 1951 Astor Piaz­zol­la, María de la Fuente.
Loca 1954-10-04 – Orques­ta Juan Canaro con María de la Fuente (en vivo en Japón). La même chanteuse que Piaz­zo­la.
Loca 1959-01-30 – Orques­ta Dona­to Rac­ciat­ti con Olga Del­grossi
Loca 1964-04 – Orques­ta Alfre­do De Ange­lis con Juan Car­los Godoy
Loca 2006 — Orques­ta Típi­ca Fer­vor de Buenos Aires.

Peut-être la ver­sion la plus orig­i­nale. Fer­vor de Buenos Aires, est un orchestre créé en 2003 et qui a eu sa per­son­nal­ité en don­nant de nou­velles sonorités à des inter­pré­ta­tions inspirées de Di Sar­li. À par­tir de 2008, il a con­tin­ué son chemin avec un style proche sous le nom Típi­ca Mis­te­riosa Buenos Aires. Ce dernier orchestre s’annonce comme un orchestre de danse, mais cela reste tout de même à prou­ver…

Alors, avez-vous vu ? C’est fou, vrai­ment fou, tout cela.

Un placer 1936-04-03 — Orquesta Juan D’Arienzo con Walter Cabral

Vicente Romeo Letra : Juan Andrés Caruso

Aujourd’hui, une valse pour déclar­er son amour à une jolie femme. Pour cela, qua­tre hommes se sont attelés à la tâche, Vicente Romeo, Juan Andrés Caru­so, Juan d’Arienzo et Wal­ter Cabral. Nous appellerons égale­ment à la rescousse, d’autres grands du tan­go pour vous don­ner les argu­ments néces­saires pour séduire une femme papil­lon.

Avec D’Arienzo à la baguette et Bia­gi, on a l’assurance d’avoir une valse dans­able.
En, ce qui con­cerne le chanteur, Wal­ter Obdulio Cabral (27/10/1917 – 1993), celui col­la­bor­era un peu plus d’un an avec D’Arienzo, le temps d’enregistrer trois valses : Un Plac­er, Tu Olvi­do et Irene et une milon­ga orphe­line Silue­ta Porteña.

Extrait musical

Un plac­er 1936-04-03 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Wal­ter Cabral.

Je vous laisse l’é­couter. On en repar­lera en com­para­i­son avec les autres ver­sions de ce titre.

Les paroles

Lin­da mari­posa
tú eres mi ale­gría
y tus col­ores de rosa
te hacen tan her­mosa
que en el alma mía
tu ima­gen quedó.

Por eso a tu reja
hoy ven­go a can­tarte,
para decirte, mi diosa,
que eres muy her­mosa
y no puedo olvi­darte
que antes de dejarte
pre­fiero la muerte
que sólo con verte
es para mí un plac­er.

Sin tu amor ya no puedo vivir.
¡Oh! ven pron­to no me hagas penar.
De tus labios yo quiero sen­tir
el plac­er que se siente al besar.
Y por eso en mi can­to te ruego
que apagues el fuego
que hay den­tro de mí.

Oye ama­da mía
tuyo es mi quer­er,
que tuya es el alma mía
toda mi poesía
mis ale­gres días,
her­mosa mujer.

Sale a tu ven­tana
que quiero admi­rarte.
Sale mi rosa tem­prana,
her­mosa galana,
que yo quiero hablarte
y quiero robarte
tu quer­er que es san­to
porque te amo tan­to
que no puedo más.

Y si el des­ti­no
de ti me sep­a­ra
nun­ca podre ser feliz
y antes pre­fiero morir.
Porque tu car­iño
es mi vida entera.
Tú has de ser la postr­era,
la dulce com­pañera que ayer soñé.

Vicente Romeo Letra : Juan Andrés Caru­so

Traduction libre

Joli papil­lon, tu es ma joie et tes couleurs de rose te ren­dent si belle que dans mon âme ton image est restée.


C’est pourquoi à ta grille, aujourd’hui je viens chanter, pour te dire, ma déesse, que tu es très belle, que je ne peux pas t’oublier et que plutôt que de te quit­ter je préfère la mort. Que rien que te voir est un plaisir pour moi.

Sans ton amour, je ne peux pas vivre. Oh ! Viens vite, ne me fais pas de peine. De tes lèvres, je veux sen­tir le plaisir que l’on ressent en embras­sant et c’est pourquoi dans ma chan­son je te sup­plie que tu éteignes le feu qu’il y a en moi.

Entend ma bien-aimée, que tu es mon désir, mon âme est tienne, toute ma poésie, mes jours heureux ; mer­veilleuse femme.

Sort à ta fenêtre que je veux t’admirer. Sors ma rose pré­coce, belle galante, car je veux te par­ler et te vol­er ton amour qui est saint parce que je t’aime tant que je n’en peux plus.

Et si le des­tin me séparait de toi, je ne pour­rais jamais être heureux et préfér­erais mourir. Parce que ta ten­dresse est toute ma vie. Tu seras la dernière, la douce com­pagne dont j’ai rêvé hier.

Autres versions

Un plac­er 1931-04-23 — Orques­ta Juan Maglio Pacho.

Un tem­po très lent, qui peut désta­bilis­er cer­tains danseurs. C’est une ver­sion instru­men­tale, avec sans doute un peu de monot­o­nie mal­gré des vari­a­tions de rythme. Pour ma part, j’éviterai de la pro­pos­er à mes danseurs.

Un plac­er 1933-04-11 — Orques­ta Típi­ca Los Provin­cianos (dir. Ciri­a­co Ortiz) con Car­los Lafuente.

Avec la voix un peu aigre de Car­los Lafuente, mais un joli orchestre pour une valse entraî­nante. La fin donne l’impression d’accélération, ce qui rav­it en général les danseurs, surtout en fin de tan­da. On est claire­ment mon­té d’un cran dans le plaisir de la danse avec cette ver­sion. L’orchestre est Los provin­cianos, mais il s’agit d’un orchestre Vic­tor dirigé par Ciri­a­co Ortiz. Ce qui fait que vous pou­vez trou­ver le même enreg­istrement sous les trois formes : Los Provin­cianos, Típi­ca Vic­tor ou Ciri­a­co Ortiz, voire un mix­age des trois, mais tout cela se réfère à cet enreg­istrement du 11 avril 1933.

Un plac­er 1936-04-03 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Wal­ter Cabral. C’est le tan­go du jour.

La voix de Wal­ter Cabral rap­pelle celle de Car­los Lafuente, une voix de ténor un peu nasil­larde, mais comme dans le cas de Lafuente, ce n’est pas si gênant, car ce n’est que pour une petite par­tie de la valse. L’impression d’accélération ressen­tie avec la ver­sion de Ciri­a­co Ortiz est présente, mais c’est une con­stante chez d’Arienzo. BIa­gi qui a inté­gré l’orchestre il y a cinq mois est rel­a­tive­ment dis­cret. Il se détache sur quelques ponc­tu­a­tions lâchées sur les temps de res­pi­ra­tion de l’orchestre. Il n’a pas encore com­plète­ment trou­vé sa place, place qui lui coûtera la sienne deux ans plus tard…

Un plac­er 1942-06-12 — Orques­ta Aníbal Troi­lo.

Ici pas de voix aigre ou nasil­larde, les par­ties sont chan­tées par les vio­lons, ou par le chœur des instru­ments, avec bien sûr le dernier mot au ban­donéon de Troi­lo qui ter­mine divine­ment cette ver­sion élé­gante et dansante.

Un plac­er 1949-02 — Fran­cis­co Lau­ro con su Sex­te­to Los Men­do­ci­nos y Argenti­no Olivi­er.

Une ver­sion un peu faible à mon goût. Le sex­te­to manque de présence et Argenti­no Olivi­er, déroule les paroles, sans provo­quer une émo­tion irré­press­ible. Une ver­sion que je ne recom­man­derai pas, mais qui a son intérêt his­torique et qui après tout peut avoir ses fana­tiques.

Un plac­er 1949-08-04 — Orques­ta José Bas­so con Fran­cis­co Fiorenti­no y Ricar­do Ruiz.

Une ver­sion très jolie, avec piano, vio­lons et ban­donéons expres­sifs. L’originalité est la presta­tion en Duo, de deux mag­nifiques chanteurs, Fran­cis­co Fiorenti­no y Ricar­do Ruiz. On peut ressen­tir un léger éton­nement en écoutant les paroles, les deux sem­blent se répon­dre. C’est une jolie ver­sion, mais peut-être pas la pre­mière à pro­pos­er en milon­ga.

Un plac­er 1954 — Cuar­te­to Troi­lo-Grela.

Une mag­nifique ver­sion dans le dia­logue entre le ban­donéon et la gui­tare. La musique est riche en nuances. Le ban­donéon démarre tris­te­ment, puis la gui­tare donne le rythme de la valse et le ban­donéon alter­nent des moments où les notes sont piquées à la main droite, et d’autres où le plein jeu de la main gauche donne du corps à sa musique. À 1 : 30 et 1 : 50, à 2 : 02, le ban­donéon s’estompe, comme s’il s’éloignait. À 2 : 10, la réver­béra­tion du ban­donéon peut être causée par un éloigne­ment physique impor­tant du ban­donéon par rap­port au micro­phone, ou bien à un ajout ponctuel de réver­béra­tion sur ce pas­sage. Je ne suis pas sûr que cet arti­fice provo­qué par l’enregistrement apporte beau­coup au jeu de Troi­lo. Il faut toute­fois par­don­ner à l’ingénieur du son de l’époque. C’est le début d’une nou­velle ère tech­nique et il a sans doute eu envie de jouer avec les bou­tons…

Un plac­er 1958-10-07 — Orques­ta José Bas­so con Alfre­do Belusi y Flo­re­al Ruiz.

José Bas­so refait le coup du duo, mais cette fois avec Alfre­do Belusi et Ricar­do Ruiz. À mon avis, cela fonc­tionne moins bien que la ver­sion de 1949.

Un plac­er 1979 — Sex­te­to May­or.

Pour ter­min­er, une ver­sion assez orig­i­nale, dès l’introduction. Je vous laisse la décou­vrir. Étant lim­ité à 1 Mo par morceau sur le site, vous ne pou­vez pas enten­dre la stéréo vrai­ment exagérée de ce morceau, car tous les titres sont passés en basse qual­ité et en mono pour tenir dans la lim­ite de 1 Mo. C’est une peine pour moi, car la musique que j’utilise en milon­ga demande entre 30 et 60 Mo par morceau… Sur la stéréo en milon­ga, c’est à lim­iter, surtout avec des titres comme celui-ci, car les danseurs auraient d’un côté de la salle un instru­ment et de l’autre un autre. Donc, si j’ai un titre de ce type à pass­er (c’est fréquent dans les démos), je lim­ite l’effet stéréo en réglant le panoramique proche du cen­tre. Une salle de bal n’est pas un audi­to­ri­um…

Mini tanda en cadeau

Cabral n’a enreg­istré que trois valses avec D’Arienzo. Je vous pro­pose d’écouter et surtout danser cette mini tan­da de seule­ment trois titres. Peut-être apprécierez-vous à la fin de la tan­da la voix un peu sur­prenante de Cabral.

Cerise sur la tan­da. Par­don, le gâteau, les trois titres for­ment une his­toire. Il décou­vre son amour, elle s’appelle Irene et… Ça se ter­mine mal…

Un plac­er 1936-04-03 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Wal­ter Cabral. C’est le tan­go du jour.
Irene 1936-06-09 – Orques­ta Juan D’Arienzo con Wal­ter Cabral
Tu olvi­do 1936-05-08 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Wal­ter Cabral

Vida y obra de Walter Cabral

Vous pour­rez trou­ver sur ce site, une biogra­phie com­plète de ce chanteur.

Recuerdo, 1944-03-31 — Orquesta Osvaldo Pugliese

Adolfo et/ou Osvaldo Pugliese Letra : Eduardo Moreno

Recuer­do serait le pre­mier tan­go écrit par Osval­do Pugliese. Ayant été édité en 1924, cela voudrait dire qu’il l’aurait écrit avant l’âge de 19 ans. Rien d’étonnant de la part d’un génie, mais ce qui est éton­nant, c’est le titre, Recuer­do (sou­venir), sem­ble plus le titre d’une per­son­ne d’âge mûr que d’un tout jeune homme, surtout pour une pre­mière œuvre. Essayons d’y voir plus clair en regroupant nos sou­venirs…

La famille Pugliese, une famille de musiciens

Osval­do est né en 1905, le 2 décem­bre. Bien que d’une famille mod­este, son père lui offre un vio­lon à l’âge de neuf ans, mais Osval­do préféra le piano.
Je vais vous présen­ter sa famille, tout d’abord avec un arbre généalogique, puis nous entrerons dans les détails en présen­tant les musi­ciens.

Adolfo Pugliese (1876–06-24 — 1945-02-09), le père, flûtiste, compositeur (?) et éditeur de musique

Comme com­pos­i­teur, on lui attribue :

Ausen­cia (Tan­go mío) (Tan­go de 1931), mais nous ver­rons, à la fin de cet arti­cle, qu’il y en a peut-être un autre, ou pas…
La légende veut qu’il soit un mod­este ouvri­er du cuir, comme son père qui était cor­don­nier, mais il était aus­si édi­teur de musique et flûtiste. Il avait donc plusieurs cordes à son arc.
De plus, quand son fils Osval­do a souhaité faire du piano, cela ne sem­ble pas avoir posé de prob­lème alors qu’il venait de lui fournir un vio­lon (qui pou­vait être partagé avec son frère aîné, cepen­dant). Les familles qui ont un piano ne sont pas les plus dému­nies…
Même si Adol­fo a écrit, sem­ble-t-il, écrit peu (ou pas) de tan­go, il en a en revanche édité, notam­ment ceux de ses enfants…
Voici deux exem­ples de par­ti­tion qu’il édi­tait. À droite, celle de Recuer­co, notre tan­go du jour. On remar­quera qu’il indique « musique d’Adolfo Pugliese » et la sec­onde de « Por una car­ta », une com­po­si­tion de son fils Alber­to, frère d’Osvaldo, donc.

Sur la cou­ver­ture de Recuer­do, le nom des musi­ciens de Julio de Caro, à savoir : Julio de Caro, recon­naiss­able à son vio­lon avec cor­net qui est égale­ment le directeur de l’orchestre., puis de gauche à droite, Fran­cis­co de Caro au piano, Pedro Maf­fia au ban­donéon (que l’on retrou­ve sur la par­ti­tion de Por una car­ta), Enrike Krauss à la con­tre­basse, Pedro Lau­renz au ban­donéon et Emilio de Caro, le 3e De Caro de l’orchestre…
Sur la par­ti­tion de Por una car­ta, les sig­na­tures des mem­bres de l’orchestre de Pedro Maf­fia : Elvi­no Var­daro, le mer­veilleux vio­loniste, Osval­do Pugliese au piano, Pedro Maf­fia au ban­donéon et directeur de l’orchestre, Fran­cis­co De Loren­zo à la con­tre­basse, Alfre­do De Fran­co au ban­donéon et Emilio Puglisi au vio­lon.

On voir qu’Adolfo gérait ses affaires et que donc l’idée d’un Osval­do Pugliese né dans un milieu déshérité est bien exagérée. Cela n’a pas empêché Osval­do d’avoir des idées généreuses comme en témoignent son engage­ment au par­ti com­mu­niste argentin et sa con­cep­tion de la répar­ti­tion des gains avec son orchestre. Il divi­sait les émol­u­ments en por­tions égales à cha­cun des mem­bres de l’orchestre, ce qui n’était pas la façon de faire d’autres orchestres ou le leader était le mieux payé…

Antonio Pugliese (1878–11-21— ????), oncle d’Osvaldo. Musicien et compositeur d’au moins un tango

Ce tan­go d’Antonio est : Qué mal hiciste avec des paroles d’Andrés Gaos (fils). Il fut enreg­istré en 1930 par Anto­nio Bonave­na. Je n’ai pas de pho­to du ton­ton, alors je vous pro­pose d’écouter son tan­go dans cette ver­sion instru­men­tale.

Que mal hiciste 1930 Orques­ta Anto­nio Bonave­na (ver­sion instru­men­tale)

Alberto Pugliese (1901–01-29- 1965-05-15), frère d’Osvaldo. Violoniste et compositeur

Curieuse­ment, les grands frères d’Osvaldo sont peu cités dans les textes sur le tan­go. Alber­to a pour­tant réal­isé des com­po­si­tions sym­pa­thiques, par­mi lesquelles on pour­rait citer :

  • Ado­ración (Tan­go) enreg­istré Orques­ta Juan Maglio « Pacho » avec Car­los Viván (1930–03-28).
  • Cabecitas blan­cas (Tan­go) enreg­istré par Osval­do et Chanel (1947–10-14)
  • Car­iño gau­cho (Milon­ga)
  • El char­quero (Tan­go de 1964)
  • El remate (Tan­go) dont son petit frère a fait une mag­nifique ver­sion (1944–06-01). Mais de nom­breux autres orchestres l’ont égale­ment enreg­istré.
  • Espinas (Tan­go) Enreg­istré par Fir­po (1927–02-27)
  • Milon­ga de mi tier­ra (Milon­ga) enreg­istrée par Osval­do et Jorge Rubi­no (1943–10-21)
  • Por una car­ta (Tan­go) enreg­istré par la Típi­ca Vic­tor (1928–06-26)
  • Soñan­do el Charleston (Charleston) enreg­istré par Adol­fo Cara­bel­li Jazz Band (1926–12-02).

Il en a cer­taine­ment écrit d’autres, mais elles sont encore à iden­ti­fi­er et à faire jouer par un orchestre qui les enreg­istr­era…
On notera que sa petite fille, Marcela est chanteuse de tan­go. Les gènes ont aus­si été trans­mis à la descen­dance d’Alberto.

Adolfo Vicente (Fito) Pugliese (1899— ????), frère d’Osvaldo. Violoniste et compositeur

Adol­fo Vicente (surnom­mé Fito pour mieux le dis­tinguer de son père Adol­fo, Adolfito devient Fito) ne sem­ble pas avoir écrit ou enreg­istré sous son nom. Ce n’est en revanche pas si sûr. En effet, il était un bril­lant vio­loniste et étant le plus âgé des garçons, c’est un peu lui qui fai­sait tourn­er la bou­tique quand son père se livrait à ses frasques (il buvait et courait les femmes).
Cepen­dant, la mésen­tente avec le père a fini par le faire par­tir de Buenos Aires et il est allé s’installer à Mar del Pla­ta où il a délais­sé la musique et le vio­lon, ce qui explique que l’on perde sa trace par la suite.

Beba (Lucela Delma) Pugliese (1936— …), pianiste, chef d’orchestre et compositrice

C’est la fille d’Osvaldo et de María Con­cep­ción Flo­rio et donc la petite fille d’Adolfo, le flûtiste et édi­teur.
Par­mi ses com­po­si­tions, Catire et Chichar­ri­ta qu’elle a joué avec son quin­te­to…

Carla Pugliese (María Carla Novelli) Pugliese (1977— …), Pianiste et compositrice

Petite fille d’Osvaldo et fille de Beba, la tra­di­tion famil­iale con­tin­ue de nos jours, même si Car­la s’oriente vers d’autres musiques.
Si vous voulez en savoir plus sur ce jeune tal­ent :

https://www.todotango.com/creadores/biografia/1505/Carla-Pugliese/ (en espag­nol)

https://www.todotango.com/english/artists/biography/1505/Carla-Pugliese/ (en anglais)

Les grands-parents de Pugliese

Je ne sais pas s’ils étaient musi­ciens. Le père était zap­a­tero (cor­don­nier). Ce sont eux qui ont fait le voy­age en Argen­tine où sont nés leurs 5 enfants. Ce sont deux par­mi les mil­liers d’Européens qui ont émi­gré vers l’Argentine, comme le fit la mère de Car­los Gardel quelques années plus tard.

Roque PUGLIESE Padula

Né le 5 octo­bre 1853 — Tri­cari­co, Mat­era, Basil­i­ca­ta, Ital­ie
Zap­a­tero. C’est de lui que vient le nom de Pugliese qu’il a cer­taine­ment adop­té en sou­venir de sa terre natale.

Filomena Vulcano

Née en 1852 — Rossano, Cosen­za, Cal­abria, Ital­ie
Ils se sont mar­iés le 28 novem­bre 1896, dans l’église Nues­tra Seño­ra de la Piedad, de Buenos Aires.
Leurs enfants :

  • Adol­fo Juan PUGLIESE Vul­cano 1876–1943 (Père d’Osvaldo, com­pos­i­teur, édi­teur et flûtiste)
  • Anto­nio PUGLIESE Vul­cano 1878 (Musi­cien et com­pos­i­teur)
  • Luisa María Mar­gari­ta PUGLIESE Vul­cano 1881
  • Luisa María PUGLIESE Vul­cano 1883
  • Con­cep­ción María Ana PUGLIESE Vul­cano 1885

Extrait musical

Recuer­do, 1944-03-31 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Dans cette ver­sion il y a déjà tout le Pugliese à venir. Les ver­sions enreg­istrées aupar­a­vant avaient déjà pour cer­taines des into­na­tions proches. On peut donc penser que la puis­sance de l’écriture de Pugliese a influ­encé les orchestres qui ont inter­prété son œuvre. À l’écoute on se pose la ques­tion de la pater­nité de la com­po­si­tion. Alfre­do, Osval­do ou un autre ? Nous y revien­drons.

Les paroles

Ayer can­taron las poet­as
y llo­raron las orques­tas
en las suaves noches del ambi­ente del plac­er.
Donde la bohemia y la frágil juven­tud
apri­sion­adas a un encan­to de mujer
se mar­chi­taron en el bar del bar­rio sud,
murien­do de ilusión
murien­do su can­ción.

Mujer
de mi poe­ma mejor.
¡Mujer!
Yo nun­ca tuve un amor.
¡Perdón!
Si eres mi glo­ria ide­al
Perdón,
serás mi ver­so ini­cial.

Y la voz en el bar
para siem­pre se apagó
su moti­vo sin par
nun­ca más se oyó.

Embria­ga­da Mimí,
que llegó de París,
sigu­ien­do tus pasos
la glo­ria se fue
de aque­l­los mucha­chos
del viejo café.

Quedó su nom­bre graba­do
por la mano del pasa­do
en la vie­ja mesa del café del bar­rio sur,
donde anoche mis­mo una som­bra de ayer,
por el recuer­do de su frágil juven­tud
y por la cul­pa de un olvi­do de mujer
dur­mióse sin quer­er
en el Café Con­cert.

Adol­fo et/ou Osval­do Pugliese Letra : Eduar­do Moreno

Dans la ver­sion de la Típi­ca Vic­tor de 1930, Rober­to Díaz ne chante que la par­tie en gras. Rosi­ta Mon­temar chante deux fois tout ce qui est en bleu.

Traduction libre et indications

Hier, les poètes ont chan­té et les orchestres ont pleuré dans les douces nuits de l’atmosphère de plaisir.
Où la bohème et la jeunesse frag­ile pris­on­nière du charme d’une femme se flétris­saient dans le bar du quarti­er sud, mourant d’illusion et mourant de leur chan­son.
Femme de mon meilleur poème.

Femme !
Je n’ai jamais eu d’amour.
Par­don !
Si tu es ma gloire idéale
Désolé, tu seras mon cou­plet d’ouverture.

Et la voix dans le bar s’éteignit à jamais, son motif sans pareil ne fut plus jamais enten­du.
Mimì ivre, qui venait de Paris, suiv­ant tes traces, la gloire s’en est allée à ces garçons du vieux café.

Son nom était gravé par la main du passé sur la vieille table du café du quarti­er sud, où hier soir une ombre d’hier, par le sou­venir de sa jeunesse frag­ile et par la faute de l’oubli d’une femme, s’est endormie involon­taire­ment dans le Café-Con­cert.

Dans ce tan­go, on voit l’importance du sud de Buenos Aires.

Autres versions

Recuer­do, 1926-12-09 — Orques­ta Julio De Caro. C’est l’orchestre qui est sur la cou­ver­ture de la par­ti­tion éditée avec le nom d’Adolfo. Remar­quez que dès cette ver­sion, la vari­a­tion finale si célèbre est déjà présente.
Recuer­do 1927 — Rosi­ta Mon­temar con orques­ta. Une ver­sion chan­son. Juste pour l’intérêt his­torique et pour avoir les paroles chan­tées…
Recuer­do, 1928-01-28 — Orques­ta Bian­co-Bachicha. On trou­ve dans cette ver­sion enreg­istrée à Paris, quelques accents qui seront mieux dévelop­pés dans les enreg­istrements de Pugliese. Ce n’est pas inin­téres­sant. Cela reste cepen­dant dif­fi­cile de pass­er à la place de « La référence ».
Recuer­do, 1930-04-23 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor con Rober­to Díaz. Une des rares ver­sions chan­tées et seule­ment sur le refrain (en gras dans les paroles ci-dessus). Un bas­son apporte une sonorité éton­nante à cette ver­sion. On l’entend par­ti­c­ulière­ment après le pas­sage chan­té.
Recuer­do, 1941-08-08 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to. Une ver­sion très intéres­sante. Que je pour­rais éventuelle­ment pass­er en bal.
Recuer­do 1941 Orques­ta Aníbal Troi­lo. La prise de son qui a été réal­isée à Mon­te­v­ideo est sur acé­tate, donc le son est mau­vais. Elle n’est là que pour la référence.
Recuer­do, 1942-11-04 — Orques­ta Ricar­do Tan­turi. Une ver­sion sur­prenante pour du Tan­turi et pas si loin de ce que fera Pugliese, deux ans plus tard. Heureuse­ment qu’il y a la fin typ­ique de Tan­turi, une dom­i­nante suiv­ie bien plus tard par la tonique pour nous cer­ti­fi­er que c’est bien Tan­turi 😉
Recuer­do, 1944-03-31 — Orques­ta Osval­do Pugliese. C’est le tan­go du jour. Il est intéres­sant de voir com­ment cette ver­sion avait été annon­cée par quelques inter­pré­ta­tions antérieures. On se pose tou­jours la ques­tion ; Alfre­do ou Osval­do ? Sus­pens…
Recuer­do, 1952-09-17 — Orques­ta Julio De Caro. De Caro enreg­istre 26 ans plus tard le titre qu’il a lancé. L’évolution est très nette. L’utilisation d’un orchestre au lieu du sex­te­to, donne de l’ampleur à la musique.
Recuer­do 1966-09 — Orques­ta Osval­do Pugliese con Jorge Maciel. On retrou­ve Pugliese, 22 ans après son pre­mier enreg­istrement. Cette fois, la voix de Maciel. Celui-ci chante les paroles, mais avec beau­coup de mod­i­fi­ca­tions. Je ne sais pas quoi en penser pour la danse. C’est sûr qu’en Europe, cela fait un mal­heur. L’interprétation de Maciel ne se prête pas à la danse, mais c’est telle­ment joli que l’on pour­rait s’arrêter de danser pour écouter.

En 1985, on a au moins trois ver­sions de Rucuer­do par Pugliese. Celle de « Grandes Val­ores », une émis­sion de télévi­sion, mais avec un son moyen, mais une vidéo. Alors, je vous la présente.

Recuer­do par Osval­do Pugliese dans l’émission Grandes Val­ores de 1985.

Puisqu’on est dans les films, je vous pro­pose aus­si la ver­sion au théâtre Colon, cette salle de spec­ta­cle fameuse de Buenos Aires.

Recuer­do par Osval­do Pugliese au Théa­tre Colon, le 12 décem­bre 1985.

Pour ter­min­er, tou­jours de 1985, l’enregistrement en stu­dio du 25 avril.

Recuer­do, 1985-04-25 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Pugliese a con­tin­ué à jouer à de nom­breuses repris­es sa pre­mière œuvre. Vous pou­vez écouter les dif­férentes ver­sions, mais elles sont glob­ale­ment sem­blables et je vous pro­pose d’arrêter là notre par­cours, pour traiter de notre fil rouge. Qui est le com­pos­i­teur de Recuer­do ?

Qui est le compositeur de Recuerdo ?

On a vu que la par­ti­tion éditée en 1926 par Adol­fo Pugliese men­tionne son nom comme auteur. Cepen­dant, la tra­di­tion veut que ce soit la pre­mière com­po­si­tion d’Osvaldo.
Écou­tons le seul tan­go qui soit éti­queté Adol­fo :
Ausen­cia, 1926-09-16 — José Bohr y su Orques­ta Típi­ca. C’est mignon, mais c’est loin d’avoir la puis­sance de Recuer­do.
On notera toute­fois que la réédi­tion de cette par­ti­tion est signée Adol­fo et Osval­do. La seule com­po­si­tion d’Adolfo serait-elle en fait de son fils ? C’est à mon avis très prob­a­ble. Le père et sa vie peu équili­brée et n’ayant pas don­né d’autres com­po­si­tions, con­traire­ment à ses garçons, pour­rait ne pas être com­pos­i­teur, en fait.

Pour cer­tains, c’est, car Osval­do était mineur, que son père a édité la par­ti­tion à son nom. Le prob­lème est que plusieurs tan­gos d’Osvaldo avaient été antérieure­ment édités à son nom. Donc, l’argument ne tient pas.

Pour ren­dre la chose plus com­plexe, il faut pren­dre en compte l’histoire de son frère aîné
Adol­fo (Fito). Ce dernier était un bril­lant vio­loniste et com­pos­i­teur.
Pedro Lau­renz, alors Ban­donéiste dans l’orchestre de Julio De Caro, indique qu’il était avec Eduar­do Moreno quand un vio­loniste Emilio Marchi­ano serait venu lui deman­der d’aller chercher ce tan­go chez Fito pour lui ajouter des paroles.
Marchi­ano tra­vail­lait alors au café ABC, comme l’indique Osval­do qui était ami avec le ban­donéon­iste Enrique Pol­let (France­si­to) et qui aurait recom­mandé les deux titres mar­qués Adol­fo (Ausen­cia et Recuer­do).
On est sur le fil avec ces deux his­toires avec les mêmes acteurs. Dans un cas, l’auteur serait Adolfi­to qui don­nerait la musique pour qu’elle soit jouée par De Caro et dans l’autre, ce serait Pol­let qui aurait fait la pro­mo­tion des com­po­si­tions qui seraient toutes deux d’Osvaldo et pas de son père, ni de son grand frère.
Pour expli­quer que le nom de son père soit sur les par­ti­tions de ces deux œuvres, je donne la parole à Osval­do qui indique qu’il est bien l’auteur de ces tan­gos, et notam­ment de Recuer­do qu’il aurait don­né à son père, car ce dernier, flûtiste avait du mal à trou­ver du tra­vail et qu’il avait décidé de se recon­ver­tir comme édi­teur de par­ti­tion. En effet, la flûte, très présente dans la vieille garde n’était plus guère util­isée dans les nou­veaux orchestres. Cette anec­dote est par Oscar del Pri­ore et Irene Amuchástegui dans Cien tan­gos fun­da­men­tales.
Tou­jours selon Pedro Lau­renz, la vari­a­tion finale, qui donne cette touche magis­trale à la pièce, serait d’Enrique Pol­let, alias El Francés, (1901–1973) le ban­donéon­iste qui tra­vail­lait avec Eduar­do Moreno au moment de l’adaptation de l’œuvre aux paroles.
Cepen­dant, la ver­sion de 1927 chan­tée par Rosi­ta Mon­temar ne con­tient pas la vari­a­tion finale alors que l’enregistrement de 1926 par De Caro, si. Plus grave, la ver­sion de 1957, chan­tée par Maciel ne com­porte pas non plus cette vari­a­tion. On pour­rait donc presque dire que pour adapter au chant Recuer­do, on a sup­primé la vari­a­tion finale.

Et en conclusion ?

Ben, il y a plein d’hypothèses et toutes ne sont pas fauss­es. Pour ma part, je pense que l’on a min­imisé le rôle Fito et qu’Adolfo le père n’a pas d’autre mérite que d’avoir don­né le goût de la musique à ses enfants. Il sem­ble avoir été un père moins par­fait sur d’autres plans, comme en témoigne l’exil d’Adolfito (Vicente).
Mais finale­ment, ce qui compte, c’est que cette œuvre mer­veilleuse nous soit par­v­enue dans tant de ver­sions pas­sion­nantes et qu’elle ver­ra sans doute régulière­ment de nou­velles ver­sions pour le plus grand plaisir de nos oreilles, voire de nos pieds.
Recuer­do restera un sou­venir vivant.

El Porteñito 1943-03-23 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Ángel Villoldo (Ángel Gregorio Villoldo Arroyo)

On con­naît tous la milon­ga du jour, El Porteñi­to, mais est-ce vrai­ment une milon­ga ? Voyons de plus près ce coquin de Porteñi­to et ce qu’il nous cache.

Ángel Vil­lol­do a com­posé et créé les paroles de ce tan­go qui est un des plus anciens dont on dis­pose des enreg­istrements. Je prof­ite donc de ce pat­ri­moine pour vous faire touch­er du doigt le tan­go des orig­ines avec le risque de relancer le débat des anciens et des mod­ernes.

Extrait musical

El Porteñi­to 1943-03-23 – Orques­ta Ángel D’Agostino con Ángel Var­gas. C’est notre tan­go du jour.

La ver­sion du jour est inter­mé­di­aire sur tous les plans.

Elle a été enreg­istrée en 1943, soit env­i­ron 40 après l’écriture de ce titre, au milieu de ce qu’il est con­venu d’appeler l’âge d’or du tan­go.

Les deux anges se sont donc asso­ciés à un troisième, Vil­lol­do pour nous offrir cette belle milon­ga… ou beau tan­go… Dis­ons que c’est un tan­go milon­ga, un canyengue rapi­de. Ce titre évoluera depuis sa créa­tion entre les rythmes, nous en ver­rons quelques exem­ples en fin d’article.

Les paroles

Les paroles, il y a vrai­ment plusieurs paroles à ce tan­go. El porteñi­to est El criol­li­to dans la plus anci­enne ver­sion enreg­istrée. Je vais donc vous pro­pos­er trois ver­sions.
Celle de D’Agostino et Var­gas, ce dernier en bon chanteur de refrain, ne chante qu’une petite par­tie des paroles.
L’introduction musi­cale, nous présente un type qui se balade dans les rues, salu­ant les pas­sants 1:22 plus tard, Var­gas entame le chant et ter­mine à la fin du titre. Cette ver­sion est générale­ment con­sid­érée comme une milon­ga, mais si vous la dansez en canyengue, per­son­ne ne vous dira rien.

D’Agostino Var­gas 1943
 
Soy naci­do en Buenos Aires,
me lla­man “El Porteñi­to”,
el criol­lo más com­padri­to
que en esta tier­ra nació.

 
Y al bailar un tan­go criol­lo
no hay ninguno que me iguale
porque largo todo el rol­lo
cuan­do me pon­go a bailar. 

 
Anda que está lin­do el baile!
brindase comadre,
y el com­padre…

 
Soy un tau­ra del noven­ta,
tiem­po bra­vo del tam­bito,
bailarín de mucha meta por más seña “El Porteñi­to”
y al bailar un tan­go bra­vo,
lo hago con corte y que­bra­da
para dejar bien sen­ta­da mi fama de bailarín.
Vil­lol­do 1908
 
Soy hijo de Buenos Aires,
por apo­do “El Porteñi­to”,
el criol­lo más com­padri­to
que en esta tier­ra nació.
Cuan­do un tan­go en la vigüela
ras­guea algún com­pañero
no hay nadie en el mun­do entero
que baile mejor que yo.

No hay ninguno que me iguale
para enam­orar mujeres,
puro hablar de pare­ceres,
puro filo y nada más.
Y al hac­er­le la encar­a­da
la fileo de cuer­po entero
ase­gu­ran­do el puchero
con el ven­to que dará.


…Recita­ti­vo…

Soy el ter­ror del mal­e­va­je
cuan­do en un baile me meto,
porque a ninguno respeto
de los que hay en la reunión.
Y si alguno se reto­ba
y viene hacién­dose el guapo
lo man­do de un cas­taña­zo
a bus­car quien lo engrupió.

Cuan­do el ven­to ya escasea
le for­mo un cuen­to a mi mina (chi­na)
que es la paica más lad­i­na
que pisó el bar­rio del sur.
Y como caí­do del cielo
entra el níquel al bol­sil­lo
y al com­pás de un organil­lo
bai­lo el tan­go a su “salú”.

 
…Recita­ti­vo…
Los Gob­bi 1906
 
Él:
Soy hijo de Buenos Aires
E me lla­man el criol­li­to,
El más pier­na e com­padri­to
Per can­tar e per bailar.
De las chi­nas un queri­do
Todas me brin­dan amores,
Soy el que entre los mejores
Siem­pre se hace respetar.
 
Ella:
Este tipo extrav­a­gante
Que viene a largar el rol­lo,
Echán­dosela de criol­lo
Y no sabe com­padrear.
Es un gringo chacarero
De afuera recién lle­ga­do
Un criol­lo fal­si­fi­ca­do
Que la viene aquí a con­tar.
 
Él:
Soy tremen­do para el baile
Se me voy donde hay…
E agar­ran­do la gui­tar­ra
La “melun­ga” sé can­tar.
 
Ella:
No arrugués que no hay quién planche
Afei­tate, volvé luego,
Que te ha cono­ci­do el juego
Gringo, podés espi­antar.
 
Él:
No te hagás la com­padrona
La pacien­cia se me aca­ba,
Te va´ a comé una trompa­da
Se me llego yo a eno­jar.
 
Ella:
Arri­mate che ital­iano
Y haceme una atro­pel­la­da.
 
Él:
Te la doy.
 
Ella:
Pura para­da
Si ni el agua vos cortás.
 
Él:
Fijate qué fir­ulete, qué para­da
No hay ninguno que me pue­da guadañar.
 
Jun­tos:
Porque somos para el tan­go
Los más pier­nas,
Y sabe­mos hac­er­nos respetar.
Ángel Vil­lol­do (Ángel Gre­go­rio Vil­lol­do Arroyo)

Les versions

El criol­lo fal­si­fi­ca­do (Los criol­los) 1906 – Dúo Los Gob­bi.

Le titre est un peu dif­férent, ain­si que les paroles. Ce sont celles de la troisième colonne. El porteñi­to est el criol­li­to et il le texte com­porte de nom­breuses vari­a­tions par rap­port à la ver­sion « canon­ique ». Deux points sont à sig­naler. C’est un duo (que je trou­ver rel­a­tive­ment pénible entre les époux Gob­bi, Flo­ra et Alfre­do) avec des pas­sages par­lés comme c’était assez courant à l’époque.

El porteñi­to 1908 — Ángel Vil­lol­do.

Cet enreg­istrement par l’auteur pour­rait servir de référence. Ce sont les paroles de la ver­sion cen­trale (il y a quelques petites dif­férences, comme mina au lien de chi­na, mais qui ne change pas le sens).

El porteñi­to (La Criol­li­ta) 1909 — Andrée Vivianne con orques­ta.

Une ver­sion chan­tée par une femme à la voix plutôt plus agréable que celle de Flo­ra Gob­bi, mais de peu. On notera qu’elle a adap­té les paroles en chan­tant au féminin et en se faisant appel­er la criol­li­ta et non pas la porteñi­ta.

El Porteñi­to 1928-09-26 – Orques­ta Típi­ca Vic­tor (Adol­fo Cara­bel­li).

On arrive ici à la pre­mière ver­sion dans­able. Il est dirigé par la baguette d’Adolfo Cara­bel­li. C’est une ver­sion instru­men­tale, avec de beaux dia­logues instru­men­taux, et des vio­lons qui plairont à beau­coup. Une fan­taisie qui pour­rait pass­er dans une milon­ga, mais pas comme une milon­ga, c’est claire­ment un tan­go et même un bon canyengue avec les appuis qui favorisent la que­bra­da dont par­lent d’ailleurs les paroles.

El Porteñi­to 1937-08-31 – Orques­ta Juan D’Arienzo.

Une ver­sion au rythme syn­copé avec un plan de vio­lon ou ban­donéon qui sur­v­ole le tout. Une impres­sion d’accélération à la fin et quelques ponc­tu­a­tions de Bia­gi au piano témoignent du style qui est en train de se met­tre en place chez D’Arienzo. Je pense que c’est une ver­sion rarement dif­fusée en milon­ga. Elle pour­rait l’être, mais il y a d’autres titres plus por­teurs qui pren­nent la place dans le temps lim­ité don­né au DJ pour faire des propo­si­tions.

El Porteñi­to 1941-06-06 – Quin­te­to Pir­in­cho dir. Fran­cis­co Canaro.

Canaro enreg­istr­era deux fois avec le quin­te­to Pir­in­cho ce titre. Voici la pre­mière ver­sion, assez bril­lante, notam­ment grâce à la par­tie de piano inter­prétée par Luis Ric­car­di.

El Porteñi­to 1943-03-23 – Orques­ta Ángel D’Agostino con Ángel Var­gas. C’est notre tan­go du jour. Net­te­ment plus milon­ga que les ver­sions écoutées précédem­ment. Un best-sell­er des milon­gas.

C’est notre tan­go du jour. Net­te­ment plus milon­ga que les ver­sions écoutées précédem­ment. Un best-sell­er des milon­gas.

El Porteñi­to 1959-04-09 – Quin­te­to Pir­in­cho dir. Fran­cis­co Canaro.

Je fais un petit saut dans le temps en pas­sant divers­es ver­sions pour retrou­ver le Quin­te­to Pir­in­cho et la flute géniale de Juven­cio Físi­ca qui donne une couleur à cette ver­sion qui bal­ance tou­jours entre le tan­go et la milon­ga, mais on peut en général le pass­er comme milon­ga, car son allure très enjouée le rend sym­pa­thique à danser et il est suff­isam­ment con­nu pour que les jeux de l’orchestre, petits breaks et fior­i­t­ures de l’orchestre puis­sent être mis­es en valeur par les danseurs.

El Porteñi­to 2013 – Otros Aires y Joe Pow­ers.

Je vais vous deman­der de me par­don­ner, mais l’histoire n’est pas faite que de batailles gag­nées. Il y a aus­si des tragédies, comme cette ver­sion mix­ant l’orchestre Otros Aires (qui n’a pas su se renou­vel­er et trans­former ses pre­miers essais) et l’harmoniciste, Joe Pow­ers (qui est loin d’être mon préféré). Le résul­tat est à la hau­teur de mes espérances, inaudi­ble, je com­prends votre colère.

L’élégance au tango dans les années 1900

On a un peu de mal à imag­in­er que le tan­go ait pu paraître sul­fureux au point d’être inter­dit à Buenos Aires. Cepen­dant, il y avait tout de même de bonnes raisons.
Il était dan­sé dans des lieux dédiés au sexe et le but n’était pas d’être extrême­ment élé­gant, mais de pren­dre du plaisir avec une femme com­préhen­sive (même si cela la rendait mal­heureuse, comme a pu le voir hier avec Zor­ro gris qui par­lait d’une grisette dans un étab­lisse­ment de luxe). On imag­ine que dans d’autres lieux comme Lo de Tran­queli, la réal­ité était bien pire.

El Cachafaz et Car­menci­ta Calderon dans Tan­go de Luis Moglia Barth, un film de 1933.
El Cachafaz en 1940 avec Sofía Bozán dans le film de Manuel Romero Car­naval de Antaño.

Je par­lerai plus abon­dam­ment le 2 juin prochain d’Ovidio José Bian­quet, dit el Cachafaz, au sujet de la ver­sion du tan­go El Cachafaz, dans la ver­sion de D’Arienzo du 2 juin 1937.
Cette façon de danser passerait dif­fi­cile­ment pour élé­gante de nos jours, mais elle fai­sait l’admiration de nos aïeux et on peut regret­ter aujourd’hui une cer­taine stéril­i­sa­tion de la danse.
Je ne dis pas qu’il faut retrou­ver les out­rances de l’époque, mais plutôt de pren­dre des petites idées, de relancer la machine à impro­vis­er.
Je ter­min­erai par cette image qui est un mon­tage que j’ai réal­isé à par­tir de pho­tos du début du vingtième siè­cle où on voit des atti­tudes un peu sur­prenantes, mais qui étaient con­sid­érées comme très chic à l’époque. Cela devait toute­fois être fait avec une cer­taine élé­gance et ne doit en aucun jus­ti­fi­er les vio­lences qu’infligent cer­tains danseurs con­tem­po­rains à leur parte­naire et aux autres danseurs du bal… Eh oui ! Le DJ, il voit tout depuis son poste de tra­vail 😉

Adios Argentina 1930-03-20 — Orquesta Típica Victor

Gerardo Hernán Matos Rodríguez Letra: Fernando Silva Valdés

Je suis dans l’avion qui m’éloigne de mon Argen­tine pour l’Europe. La coïn­ci­dence de date fait, que je me devais le choisir comme tan­go du jour. Il y a un siè­cle, les musi­ciens, danseurs et chanteurs argentins s’ouvrirent, notam­ment à Paris, les portes du suc­cès. Un détail amu­sant, les auteurs de ce titre sont Uruguayens, Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez, l’auteur de la Com­par­si­ta et Fer­nan­do Sil­va Valdès…

Cor­re­spon­dance de date. Cette anec­dote a été écrite dans l’avion l’an dernier et je suis encore de voy­age entre l’Argentine et l’Espagne à la même date. Ce court exil me per­me­t­tra d’animer quelques milon­gas et je ren­tr­erai à Buenos Aires, fin avril.

Ce titre peut ouvrir la piste à de très nom­breux sujets. Pas ques­tion de les traiter tous. Je liq­uide rapi­de­ment celui de l’histoire con­tée dans ce tan­go, d’autant plus que cette ver­sion est instru­men­tale. C’est un gars de la cam­pagne qui s’est fait vol­er sa belle par un sale type et qui a donc décidé de se faire la belle (s’en aller) en quit­tant l’Argentine « Adios Argenti­na ».
Il se peut qu’il se retourne en Uruguay, ce qui serait logique quand on con­naît la nos­tal­gie des orig­i­naires de la Province de l’Est (voir par exem­ple, Feli­cia écrit par Car­los Mauri­cio Pacheco).
Dans le cas présent, j’ai préféré imag­in­er qu’il va en Europe. Il dit dans la chan­son qu’il cherche d’autres ter­res, et un autre soleil, ce n’est donc sans doute pas le Sol de Mayo qui est com­mun, quoique d’aspect dif­férent sur les deux dra­peaux.

Les voyages transatlantiques des musiciens de tango

Le début du vingtième siè­cle jusqu’en 1939 a vu de nom­breux musi­ciens et chanteurs argentins venir ten­ter leur chance en Europe.
Par­mi eux, en vrac :
Alfre­do Euse­bio Gob­bi et sa femme Flo­ra Rodriguez, Ángel Vil­lol­do, Eduar­do Aro­las, Enrique Sabori­do, Eduar­do Bian­co, Juan Bautista Deam­brog­gio (Bachicha) et son fils Tito, les frères Canaro, Car­los Gardel, Vicente Lod­u­ca, Manuel Pizarro, José Ricar­do, José Raz­zano, Mario Melfi, Víc­tor Lomu­to, Genaro Espósi­to, Celesti­no Fer­rer, Eduar­do Mon­e­los, Hora­cio Pet­torossi…
La liste est inter­minable, je vous en fais grâce, mais nous en par­lerons tout au long des anec­dotes de tan­go. Sachez seule­ment que, selon l’excellent site « La Bible tan­go », 345 orchestres ont été réper­toriés, chaque orchestre comp­tant plusieurs musi­ciens. Même si tous n’étaient pas Argentins ou Uruguayens de nais­sance, ils ont don­né dans la mode « Tan­go ». Pour en savoir plus, vous pou­vez con­sul­ter l’excellent site de Dominique Lescar­ret (dit el Inge­niero « Une his­toire du tan­go »)

Vous remar­querez que l’orchestre de Bian­co et Bachi­ta est vêtu en cos­tume de Gau­cho et qu’ils por­tent la fameuse bom­bacha, bom­bacha offerte par la France à l’Ar­gen­tine… En effet, le syn­di­cat des musi­ciens français oblig­eait les artistes étrangers porter un cos­tume tra­di­tion­nel de leur pays pour se dis­tinguer des artistes autochtones.

Histoire de bombachas

On con­naît tous la tenue tra­di­tion­nelle des gau­chos, avec la culotte ample, nom­mée bom­bacha. Ce vête­ment est par­ti­c­ulière­ment pra­tique pour tra­vailler, car il laisse de la lib­erté de mou­ve­ment, même s’il est réal­isé avec une étoffe qui n’est pas élas­tique.
Cepen­dant, ce qui est peut-être moins con­nu c’est que l’origine de ce vête­ment est prob­a­ble­ment française, du moins indi­recte­ment.
En France mét­ro­pol­i­taine, se por­taient, dans cer­taines régions, comme la Bre­tagne, des braies très larges (bragou-braz en bre­ton).
Dans les pays du sud et de l’est de la Méditer­ranée, ce pan­talon était aus­si très util­isé. Par exem­ple, par les janis­saires turcs, ou les zouaves de l’armée française d’Algérie.

La désas­treuse guerre de Crimée en provo­quant la mort de 800 000 sol­dats a égale­ment libéré des stocks impor­tants d’uniformes. Qu’il s’agisse d’uniformes de zouaves (armée de la France d’Algérie dont qua­tre rég­i­ments furent envoyés en Crimée) ou de Turcs qui étaient alliés de la France dans l’affaire.

Napoléon III s’est alors retrou­vé à la tête d’un stock de près de 100 000 uni­formes com­por­tant des « babuchas », ce pan­talon ample. Il déci­da de les offrir à Urquiza, alors prési­dent de la fédéra­tion argen­tine. Les Argentins ont alors adop­té les babuchas qu’ils réformeront en bom­bachas.
En guise de con­clu­sion et pour être com­plet, sig­nalons que cer­taines per­son­nes dis­ent que le pan­talon albicéleste d’Obélix, ce fameux per­son­nage René Goscin­ny et Albert Uder­zo est en fait une bom­bacha et que c’est donc une influ­ence argen­tine. Goscin­ny a effec­tive­ment vécu dans son enfance et son ado­les­cence en Argen­tine de 1927 (à 1 an) à 1945. Il a donc cer­taine­ment croisé des bom­bachas, même s’il a étudié au lycée français de Buenos Aires. Ce qui est encore plus cer­tain, c’est qu’il a con­nu les ban­des alternées de bleu ciel et de blanc que les Argentins utilisent partout de leur dra­peau à son équipe nationale de foot.

Il se peut donc que Goscin­ny ait influ­encé Uder­zo sur le choix des couleurs du pan­talon d’Obélix. En revanche, pour moi, la forme ample est plus causée par les formes d’Obélix que par la volon­té de lui faire porter un cos­tume tra­di­tion­nel, qu’il soit argentin ou bre­ton… Et si vrai­ment on devait retenir le fait que son pan­talon est une bom­bacha, alors, il serait plus logique de con­sid­ér­er que c’est un bragou-braz, par Tou­tatis, d’autant plus que les Gaulois por­taient des pan­talons amples (braies) ser­rés à la cheville…

Extrait musical

Adiós Argenti­na 1930-03-20 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor.

Les paroles

Tier­ra gen­erosa,
en mi des­pe­di­da
te dejo la vida
tem­b­lan­do en mi adiós.
Me voy para siem­pre
como un emi­grante
bus­can­do otras tier­ras,
bus­can­do otro sol.
Es hon­do y es triste
y es cosa que mata
dejar en la plan­ta
mar­chi­ta la flor.
Pam­per­os sucios
ajaron mi chi­na,
adiós, Argenti­na,
te dejo mi amor.

Mi alma
pren­di­da esta­ba a la de ella
por lazos
que mi car­iño puro tren­zó,
y el gau­cho,
que es varón y es altane­ro,
de un tirón los reven­tó.
¿Para qué quiero una flor
que en manos de otro hom­bre
su per­fume ya dejó?

Lle­vo la gui­tar­ra
hem­bra como ella;
como ella tiene
cin­tas de col­or,
y al pasar mis manos
rozan­do sus cur­vas
cer­raré los ojos
pen­san­do en mi amor.
Adiós, viejo ran­cho,
que nos cobi­jaste
cuan­do por las tardes
a ver­la iba yo.
Ya nada que­da
de tan­ta ale­gría.
Adiós Argenti­na,
ven­ci­do me voy.

Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez Letra: Fer­nan­do Sil­va Valdés

Traduction libre

Terre généreuse, dans mes adieux, je te laisse la vie trem­blante dans mes adieux. Je pars pour tou­jours comme un émi­gré à la recherche d’autres ter­res, à la recherche d’un autre soleil. C’est pro­fond et c’est triste et c’est une chose qui tue que de laiss­er la fleur sur la plante fanée. Les sales pam­per­os ont sali ma chérie, au revoir, Argen­tine, je te laisse mon amour.
Mon âme était attachée à la sienne par des liens que ma pure affec­tion tres­sait, et le gau­cho, qui est homme et hau­tain, les brisa d’un seul coup. Pourquoi voudrais-je d’une fleur qui a déjà lais­sé son par­fum dans les mains d’un autre homme ?
J’emporte ma gui­tare, femme comme elle, comme elle, elle a des rubans col­orés, et, quand mes mains frôleront ses courbes, je fer­merai les yeux en pen­sant à mon amour. Adieu, vieux ranch, tu nous abri­tais quand j’allais la voir le soir. Il ne reste rien de tant de joie. Adieu Argen­tine, vain­cu, je pars.

J’ai lais­sé le terme « Pam­per­os » dans sa forme orig­i­nale, car il peut y avoir dif­férents sens. Ici, on peut penser qu’il s’agit des hommes de la pam­pa, vu ce qu’ils ont fait à sa chi­na (chérie) voir l’article sur Por vos yo me rompo todo.
Le Pam­pero est aus­si un vent vio­lent et froid venant du Sud-ouest. Un vent qui pour­rait faire du mal à une fleur. Dans un autre tan­go, Pam­pero de 1935 com­posé par Osval­do Frese­do avec des paroles d’Edmundo Bianchi ; le Pam­pero (le vent) donne des gifles aux gau­chos.

¡Pam­pero!
¡Vien­to macho y altane­ro
que le enseñaste al gau­cho
golpeán­dole en la cara
a lev­an­tarse el ala del som­brero!

Pam­pero 1935-02-15 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Rober­to Ray (Osval­do Frese­do Letra: Edmun­do Bianchi)

Pam­pero, vent macho et hau­tain qui a appris au gau­cho en le giflant à la face à lever les ailes de son cha­peau (à saluer).

Le terme de Pam­pero était donc dans l’air du temps et je trou­ve que l’hypothèse d’un quel­conque mal­otru de la Pam­pa fait un bon can­di­dat, en tout cas meilleur que le com­pagnon de Patoruzú, le petit Tehuelche de la BD de Dante Quin­ter­no, puisque ce cheval fougueux n’a rejoint son com­pagnon qu’en 1936, 8 ans après la créa­tion de la BD et donc trop tard pour ce tan­go. Mais de toute façon, je n’y croy­ais pas.

Autres versions

D’autre ver­sions, notam­ment chan­tées, pour vous per­me­t­tre d’écouter les paroles.
Les artistes qui ont enreg­istré ce titre dans les années 1930 étaient tous fam­i­liers de la France. C’est dans ce pays que le tan­go s’est acheté une « con­duite » et qu’il s’est ain­si ouvert les portes de la meilleure société argen­tine, puis d’une impor­tante par­tie de sa com­mu­nauté de danseurs, de la fin des années 30 jusqu’au milieu des années 50 du XXe siè­cle.

Adiós Argenti­na 1930-03-20 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor.
Adiós Argenti­na 1930 — Ali­na De Sil­va accom­pa­g­née par l’Orchestre argentin El Mori­to. Voir ci-dessous un texte très élo­gieux sur cette artiste paru dans une revue de l’époque.
Adiós Argenti­na 1930-07-18 — Alber­to Vila con con­jun­to
Adiós Argenti­na 1930-12-03 — Ada Fal­cón con acomp. de Fran­cis­co Canaro
Adiós Argenti­na 1930-12-10 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro. Une semaine après l’enregistrement du titre avec Ada Fal­cón, Fran­cis­co Canaro enreg­istre une ver­sion instru­men­tale.
Adiós Argenti­na 1930-12-10 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro. Il s’agit du même disque que le précé­dent, mais lu sur un gramo­phone de 1920. C’est en gros le son qu’avaient les util­isa­teurs de l’époque… La com­para­i­son est moins nette car pour être mis en place sur ce site, les fichiers sont env­i­ron réduit à 40 % de leur taille, mais on entend tout de même la dif­férence.
Adiós Argenti­na 2001-06 — Orques­ta Matos Rodríguez (Orques­ta La Cumpar­si­ta). Une sym­pa­thique ver­sión par cet orchestre à la gloire du com­pos­i­teur uruguyane, autour de la musique du tan­go du jour.

Le succès d’une chanteuse Argentine en France, Alina de Silva

« Nous l’avons con­nue à l’Empire il y a quelques mois.
Son tour de chant, immé­di­ate­ment et juste­ment remar­qué, réu­nit les éloges unanimes de la cri­tique.
Elle s’est imposée main­tenant dans la pléi­ade des grandes et pures artistes.
Chanteuse incom­pa­ra­ble, elle est habitée d’une pas­sion frémis­sante, qu’elle sait courber à sa fan­taisie en ondes douces et poignantes à la fois.
Sur elle, notre con­frère Louis-Léon Mar­tin a écrit, ce nous sem­ble, des phras­es défini­tives :
“Ali­na de Sil­va chante et avec quel art. Elle demeure immo­bile et l’émotion naît des seules index­ions de son vis­age et des mod­u­la­tions de sa voix. Elle pos­sède cette ver­tu extra­or­di­naire de paraître toute proche, comme penchée vers nous. J’ai dit sa voix calme et volon­taire, soumise et impérieuse, capi­teuse, pas­sion­née, mais jamais je ne I’avais enten­due s’éteindre — mais oui, tous les sens ont ici leur part — en de belles pâmoi­sons. Ali­na de Sil­va joue de sa voix comme les danseuses, ses com­pa­tri­otes, de leurs reins émou­vants et flex­i­bles. Elle sub­jugue…”
Deux ans ont suf­fi à Mlle Ali­na de Sil­va pour con­quérir ce Paris qu’elle adore et qui le lui rend bien, depuis le jour où elle péné­tra dans la cap­i­tale.
La petite chanteuse argen­tine est dev­enue main­tenant une » étoile » digne de fig­ur­er à côté des plus écla­tantes.
Il est des émo­tions qui ne trompent pas. Celles que con­tin­ue à nous don­ner Ali­na de Sil­va accrois­sent notre cer­ti­tude dans l’avenir radieux réservé à cette artiste de haute race. »
A. B.

Et ce n’est qu’un des nom­breux arti­cles dithyra­m­biques qui salu­ent la folie du tan­go en France à la belle époque des années folles.

A. B. ? La Rampe du pre­mier décem­bre 1929

Ainsi s’achève mon vol

Mon avion va bien­tôt atter­rir à Madrid, c’est mer­veilleux de faire en si peu d’heures le long tra­jet qu’ont effec­tué en bateau tant de musi­ciens argentins pour venir semer le tan­go en Europe. Je vais essay­er, lors de cette tournée européenne, de faire sen­tir l’âme de notre tan­go à tous les danseurs qui auront la gen­til­lesse de danser sur mes propo­si­tions musi­cales.
À très bien­tôt les amis !

Ventarrón 1933-03-13 Orquesta Típica Victor con Alberto Gómez (y Elvino Vardaro)

Pedro Maffia Letra : José Horacio Staffolan

Le tan­go du jour a été enreg­istré il y a exacte­ment 91 ans par Adol­fo Cara­bel­li à la tête de l’Orquesta Típi­ca Vic­tor. Le chanteur d’estribillo est Alber­to Gómez, mais un autre soliste fait de ce titre une mer­veille, le vio­loniste Elvi­no Var­daro.

Nous avons large­ment par­lé de la Vic­tor et de ses orchestres. Cara­bel­li est son pre­mier chef d’orchestre. Alber­to Gómez a enreg­istré deux fois ce titre en mars 1933. Le 6, comme chanteur de la ver­sion « chan­son » et le 13, pour une ver­sion de danse. Il est intéres­sant de com­par­er les deux ver­sions pour encore plus se famil­iaris­er entre les deux types de tan­gos que cer­tains danseurs, voire DJ n’assimilent pas tou­jours.

Elvino Vardaro (Buenos Aires le 18 juin 1905 — Argüello 5 août 1971)

Elvi­no Var­daro. Enfant, dans les années 40 et dans les années 60. Sur la dernière image, on remar­que que son pouce droit a per­du une pha­lange, à la suite d’un acci­dent quand il avait cinq ans.

Le 10 de julio 1919, il donne son pre­mier con­cert. Au pro­gramme de la musique clas­sique. Pour sub­venir aux besoins de sa famille, il com­mence alors à jouer au ciné­ma pour accom­pa­g­n­er les films muets. Rodol­fo Bia­gi puis Luis Vis­ca l’y remar­quent et finale­ment, Juan Maglio (Pacho) en 1922 vient le chercher au ciné­ma pour l’intégrer dans on orchestre. Il a alors 17 ans.
Son pro­fesseur de vio­lon, Doro Gor­gat­ti lui aurait dit : « Quel dom­mage que vous jouiez des tan­gos, vous pour­riez jouer très bien du vio­lon ! ».
Une chance pour nous qu’il ait pour­suivi dans sa voie.
Il tra­vaille en effet avec dif­férents orchestres et intè­gr­era les pres­tigieux orchestres de la Vic­tor où il fera mer­veille, comme vous pour­rez l’entendre dans le tan­go du jour.
Il mon­tera à divers­es repris­es des orchestres de tailles dif­férentes quin­tette, sex­tette, sep­tuor et même típi­ca, mais sans réel suc­cès et peu d’enregistrements. En revanche, il a par­ticipé qua­si­ment à tous les orchestres, Canaro, Di Sali, do Reyes, Fir­po, Frese­do, Maf­fia, Piaz­zol­la, Pugliese et a ter­miné sa car­rière dans l’orchestre sym­phonique de l’orchestre de Cor­do­ba.
Sa vir­tu­osité a inspiré à Argenti­no Galván une com­po­si­tion musi­cale « Vio­li­no­manía », qu’il a heureuse­ment enreg­istrée avec le Brighton Jazz Orques­ta, un orchestre qu’il dirigeait dans les années 1940. Ce n’est pas du tan­go, mais je le plac­erai en fin de cet arti­cle pour que vous puissiez juger de sa vir­tu­osité.
Je ne vous donne pas d’autre indi­ca­tion pour l’écoute du tan­go du jour. Si vous ne détectez pas immé­di­ate­ment le vio­lon de Var­daro, arrêtez le tan­go, met­tez-vous au reg­gae­ton.

Extraits musicaux

En pre­mier, je vous pro­pose la ver­sion de danse. Elle a été enreg­istrée une semaine après la ver­sion en chan­son.

Ven­tar­rón 1933-03-13 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor con Alber­to Gómez

Dans cette ver­sion, le deux­ième soliste, c’est le vio­loniste Elvi­no Var­daro. Je vous laisse l’écouter et avoir la chair de poule en l’entendant. Fab­uleux.

Ven­tar­rón 1933-03-06 Alber­to Gómez accom­pa­g­né par un orchestre

Il n’est pas cer­tain que l’orchestre soit la Típi­ca Vic­tor. C’est une ver­sion chan­tée et donc, l’important, c’est le chanteur, l’orchestre est au sec­ond plan.
Cette ver­sion n’est pas pour le bal et est à mon avis musi­cale­ment moins intéres­sante. Je reste donc avec ma ver­sion chérie, celle du 13 mars que je pro­pose de temps à autre en milon­ga, notam­ment en Europe où la Típi­ca Vic­tor a plutôt la cote.

Les paroles

Por tu fama, por tu estam­pa,
sos el male­vo men­ta­do del ham­pa;
sos el más tau­ra entre todos los tauras,
sos el mis­mo Ven­tar­rón.

¿Quién te iguala por tu ran­go
en las canyengues que­bradas del tan­go,
en la con­quista de los cora­zones,
si se da la ocasión?

Entre el mal­e­va­je,
Ven­tar­rón a vos te lla­man…
Ven­tar­rón, por tu cora­je,
por tus haz­a­ñas todos te acla­man…

A pesar de todo,
Ven­tar­rón dejó Pom­peya
y se fue tras de la estrel­la
que su des­ti­no le señaló.

Muchos años han pasa­do
y sus guapezas y sus berretines
los fue dejan­do por los cafetines
como un cas­ti­go de Dios.

Solo y triste, casi enfer­mo,
con sus der­ro­tas mordién­dole el alma,
volvió el male­vo bus­can­do su fama
que otro ya con­quistó.

Ya no sos el mis­mo,
Ven­tar­rón, de aque­l­los tiem­pos.
Sos cartón para el ami­go
y para el maula un pobre cristo.

Y al sen­tir un tan­go
com­padrón y reto­ba­do,
recordás aquel pasa­do,
las glo­rias gua­pas de Ven­tar­rón.

Pedro Maf­fia Letra : José Hora­cio Staffolan

Dans la ver­sion de danse du 13 mars, Gomez ne chante que deux cou­plets (en gras dans le texte). En revanche le vio­lon chante tout le reste, c’est lui la vedette de ce tan­go.  
Dans la ver­sion chan­son, Gomez chante la total­ité des cou­plets, dans l’ordre indiqué, sans reprise. De brefs moments instru­men­taux don­nent une petite res­pi­ra­tion, mais la voix est qua­si­ment tou­jours présente et on peut avoir une impres­sion de monot­o­nie qui fait que ce tan­go ne pour­rait pas porter de façon sat­is­faisante à l’improvisation.
Il con­vient donc dans cette ver­sion de porter atten­tion aux paroles. Heureuse­ment, elles ne posent pas de prob­lème par­ti­c­uli­er.
En voici une tra­duc­tion libre :
Par ta renom­mée, par ton image, tu es le méchant attitré du gang ; tu es le plus caïd par­mi tous les caïds, tu es le Ven­tar­rón même (vent furieux).
Qui t’égale pour ton rang dans les brisées du tan­go canyengue (façon de danser du canyengue, inspirée de la pos­ture du com­bat à l’arme blanche), dans la con­quête des cœurs, si l’occasion s’en présente ?
Dans l’assemblée des voy­ous, ils t’appellent Ven­tar­rón… Ven­tar­rón, pour ton courage. Pour tes exploits tout le monde t’acclame…
Mal­gré tout, Ven­tar­rón a délais­sé Pom­peya (quarti­er de Buenos Aires) et a suivi l’étoile que son des­tin lui a indiquée.
De nom­breuses années ont passé et ses témérités et ses faus­setés, il les a aban­don­nées pour les cafés, comme un châ­ti­ment de Dieu.
Seul et triste, presque malade, avec ses défaites mor­dant son âme, le bagar­reur est revenu cher­chant sa renom­mée qu’un autre a déjà con­quise.
Tu n’es plus le même, Ven­tar­rón, de cette époque. Tu es un cave pour l’ami (le foot­balleur Mes­si dirait bobo plutôt que cave) et pour le lâche un pau­vre hère.
Et quand tu sens un tan­go ami­cal et passé de mode, tu te sou­viens de ce passé, des gloires téméraires de Ven­tar­rón.

Là où on revient à mon violoniste adoré

Je vous l’avais promis, on ter­mine avec d’Elvino Vararo, le meilleur vio­loniste de tan­go du 20e siè­cle.
Argenti­no Galván a écrit Vio­li­no­manía en l’honneur de la vir­tu­osité d’Elvino Vararo. Celui-ci l’a enreg­istré à la tête du Brighton Jazz Orques­ta en 1941 à Buenos Aires. Elvi­no dirigeait cet orchestre à la radio « El Mun­do » et pour des con­certs dans dif­férents lieux, cabarets,confiterias, bals…

Vio­li­no­manía 1941 — Brighton Jazz Orques­ta, direc­tion et vio­lon, Elvi­no Vararo (Argenti­no Galván)

Pour être com­plet, je devrais sans doute citer qu’il a enreg­istré le même jour Fre­n­e­si, un morceau de « Rum­ba fox-trot », tou­jours avec le Brighton Jazz et les chanteurs Nito et Roland. C’est moins vir­tu­ose, mais représen­tatif d’un orchestre de Jazz à l’âge d’or du tan­go.

Fre­n­e­si 1941, Brighton Jazz Orques­ta, direc­tion et vio­lon, Elvi­no Vararo, con Nito y Roland (Alber­to Domingez)

Pour clore le chapitre en revenant au tan­go, même si c’est du tan­go à écouter et pas à danser, voici Pico de oro qu’Elvino a enreg­istré avec son orchestre en 1953.

Pico de oro 1953 — Elvi­no Var­daro y su Orques­ta Típi­ca (Juan Car­los Cobián Letra: Enrique Cadí­camo).
De nom­breuses années ont passé et ses témérités et ses faus­setés, il les a aban­don­nées pour les cafés, comme un châ­ti­ment de Dieu.

Tus besos fueron míos 1927-02-17 (Tango) — Orquesta Típica Victor (Direction Adolfo Carabelli)

Anselmo Alfredo Aieta Letra : Francisco García Jiménez

Tus besos fueron míos

Le tan­go du jour a 97 ans. Son titre est explicite, Tus besos fueron míos (Tes bais­ers furent miens) et son sujet, tou­jours d’actualité.
Même s’il s’agit ici d’une ver­sion instru­men­tale, on imag­ine qu’il s’agit de la chan­son de la perte d’un amour. Les paroles que l’on con­naît dans la plu­part des autres ver­sions le con­fir­ment.
J’ai choisi ce tan­go pour pou­voir par­ler de son édi­teur, la firme RCA Vic­tor. En effet, l’orchestre Típi­ca Vic­tor ne jouait pas en pub­lic, seule­ment en stu­dio, c’est l’o­rig­i­nal­ité de cer­tains de ces orchestres de maisons d’édi­tion.

Victor ou Victors ?

La par­tic­u­lar­ité de ces orchestres de maisons d’édition de dis­ques était qu’ils n’étaient pas asso­ciés à un Directeur d’orchestre. Les musi­ciens pou­vaient rester les mêmes et le chef chang­er, con­traire­ment aux orchestres dirigés par des chefs ayant don­né leur nom à l’orchestre. Le pre­mier chef d’orchestre à avoir été con­trac­té par la Vic­tor a été un jeune pianiste, Adol­fo Cara­bel­li, qui a eu par la suite son pro­pre orchestre. Ce tan­go date de cette péri­ode.

Les musi­ciens de la orques­ta Típi­ca Vic­tor vers 1927 De gauche à droite : Con­tre­basse : Hum­ber­to Costan­zo — Vio­lons : Euge­nio Romano, Age­si­lao Fer­raz­zano et Man­lio Fran­cia — Ban­donéons : Luis Petru­cel­li, Ciri­a­co Ortiz et Nicolás Prim­i­ani — Piano : Vicente Gor­rese. Adol­fo Cara­bel­li (le chef d’orchestre et le vio­loniste Elvi­no Var­daro qui tra­vail­lait aus­si à l’époque pour la RCA Vic­tor, ne sont pas sur la pho­to.

Qui dit pas Victor a parfois tort

Sou­vent, des danseurs me deman­dent la Típi­ca Vic­tor. Soucieux de leur faire plaisir, je leur demande quel orchestre, quelle péri­ode, quel titre et je n’obtiens jamais de réponse.
Cer­tains DJ, sous le pré­texte qu’il y a écrit Vic­tor passent n’importe quels titres sans tenir compte des styles assez dif­férents selon les orchestres et les directeurs qui se sont suc­cédé.

Les différents orchestres Victor

  • Orques­ta Vic­tor Pop­u­lar
  • Orques­ta Típi­ca Los Provin­cianos (Ciri­a­co Ortiz)
  • Orques­ta Radio Vic­tor Argenti­na (Mario Mau­ra­no)
  • Orques­ta Argenti­na Vic­tor
  • Orques­ta Vic­tor Inter­na­cional
  • Cuar­te­to Vic­tor [Cayetano Puglisi et Anto­nio Rossi (vio­lons), Ciri­a­co Ortiz et Fran­cis­co Pracáni­co (ban­donéons)]
  • Trío Vic­tor [Elvi­no Var­daro (vio­lon), Oscar Alemán et Gastón Buen (gui­tares)]

En revanche, il est sou­vent pos­si­ble de mélanger un titre de la Vic­tor avec un titre enreg­istré par le même chef avec son pro­pre orchestre.
On remar­quera, en effet, qu’avec les mêmes musi­ciens, les chefs ont mis leur empreinte. C’est d’ailleurs un phénomène bien con­nu pour les orchestres de musique clas­sique.

Le nom ne fait pas la tanda

Beau­coup de DJ débu­tants l’apprennent à leur dépens (ou à celui de leurs danseurs), le nom d’un orchestre ne suf­fit pas pour fab­ri­quer une belle tan­da. Dans le cas des orchestres Vic­tor, c’est assez clair, mais si on prend l’exemple de Canaro, de ces dif­férents orchestres (tan­go et jazz), de ses dif­férentes for­ma­tions, quin­tettes, Típi­cas et de sa très longue péri­ode d’enregistrement, on se retrou­ve face au même prob­lème.
Recon­nais­sons toute­fois que c’est un peu moins gênant main­tenant, car ces DJ s’appuient désor­mais sur des playlists qui cir­cu­lent et que donc, le tra­vail de tri a déjà été fait. C’était par­ti­c­ulière­ment sen­si­ble au début des années 2000. Voir à ce sujet, cet arti­cle.

Écoute

Tus besos fueron míos 1927-02–17Orques­ta Típi­ca Vic­tor (Direc­tion Adol­fo Cara­bel­li)

L’archive sonore présen­tée ici, l’est à titre d’ex­em­ple didac­tique. La qual­ité sonore est réduite à cause de la plate­forme de dif­fu­sion qui n’ac­cepte pas les fichiers que j’u­tilise en milon­ga et qui sont env­i­ron 50 fois plus gros et de bien meilleure qual­ité. Je pense toute­fois que cet extrait vous per­me­t­tra de décou­vrir le titre en atten­dant que vous le trou­viez dans une qual­ité audio­phile.

Les paroles

Tus besos fueron míos.
Dique Vic­tor 79334‑A

Hoy pasas a mi lado con fría indifer­en­cia
Tus ojos ni siquiera detienes sobre mí
Y sin embar­go, vives uni­da a mi exis­ten­cia
Y tuyas son las horas mejores que viví
Fui dueño de tu encan­to, tus besos fueron míos
Soñé y can­té mis penas jun­to a tu corazón
Tus manos en mis locos y ardi­entes desvaríos
Pasaron por mi frente como una ben­di­ción

Y yo he per­di­do por tor­pe incon­stan­cia
La dulce dicha que tú me tra­jiste
Y no respiro la suave fra­gan­cia
De tus pal­abras, ¡y estoy tan triste!
Nada del mun­do mi due­lo con­suela
Estoy a solas con mi ingrat­i­tud
Se fue con­ti­go, de mi nov­ela
La últi­ma risa de la juven­tud

Después te irás bor­ran­do, per­di­da en los refle­jos
Con­fu­sos que el olvi­do pon­drá a mi alrede­dor
Tu ima­gen se hará pál­i­da, tu amor estará lejos
Y yo erraré por todas las playas del dolor
Pero hoy que tu recuer­do con encen­di­dos bríos
Ocu­pa entera­mente mi pobre corazón
Mur­muro amarga­mente: “tus besos fueron míos
Tus besos de con­sue­lo, tus besos de pasión”

Y yo he per­di­do por tor­pe incon­stan­cia
La dulce dicha que tú me tra­jiste
Y no respiro la suave fra­gan­cia
De tus pal­abras, ¡y estoy tan triste!
Nada del mun­do mi due­lo con­suela
Estoy a solas con mi ingrat­i­tud
Se fue con­ti­go, de mi nov­ela
La últi­ma risa de la juven­tud

Ansel­mo Alfre­do Aieta Letra : Fran­cis­co Gar­cía Jiménez

Autres enregistrements

Ce titre a été enreg­istré à plusieurs repris­es, dans un bal­ance­ment entre ver­sions instru­men­tales, ver­sions chan­tées et ver­sions chan­sons (seule­ment pour l’écoute et pas pour la danse).

  • 1926, Car­los Gardel accom­pa­g­né par les gui­tares de Guiller­mo Bar­bi­eri et José Ricar­do enreg­is­trait ce titre avec les paroles.
  • 1926, Enreg­istrement par Canaro
  • 1927-02-17, la ver­sion que je vous pro­pose aujourd’hui et qui a donc 97 ans, est celle enreg­istrée le 17 févri­er 1927 par l’orchestre Típi­ca Vic­tor. Il a été édité sur disque 78 tours sous la référence Vic­tor 79334 A. Sa matrice por­tait le numéro 1102–2. C’était le deux­ième enreg­istrement de la journée et il est devenu la face A du disque.
    Le même jour, la Típi­ca Vic­tor enreg­is­tra Tra­go amar­go de Rafael Iri­arte Letra : Julio Plá­ci­do Navar­rine (matrice 1101–1).
    À cette époque, les maisons d’édition regravent les titres avec les nou­veaux procédés d’enregistrement élec­trique. Cela provoque une activ­ité intense, comme en témoignent d’autres enreg­istrements du du même jour, comme l’enregistrement de la com­par­si­ta par Canaro, chez Odéon.
  • 1927-02-21, Rosi­ta Quiroga pro­pose une ver­sion chan­tée, accom­pa­g­née par des gui­taristes.
  • 1927-05-30, Canaro l’enregistre de nou­veau, tou­jours en ver­sion instru­men­tale.
  • 1930-12-13, encore Canaro, mais en accom­pa­g­nant de sa chère Ada Fal­con. Voir cet arti­cle pour des infos sur leur « cou­ple ».
  • 1946-11-29, Ricar­do Tan­turi sort le titre de l’oubli avec le chanteur Rober­to Videla. Mal­gré le mode mineur (tristesse), la par­tie instru­men­tale est assez allè­gre. En revanche, Videla met beau­coup (trop ?) d’émotion. On peut aimer et ça reste comme Tan­turi en général, dans­able.
  • 1952-08-14, Alfre­do Attadía et le chanteur Enzo Valenti­no en donne une ver­sion chan­tée. C’est claire­ment une chan­son qui n’était pas des­tinée à la danse. Atta­dia, n’a pas con­trôlé le chanteur comme l’avait fait Tan­turi.
  • 1952-11-14, Alfre­do de Ange­lis et Car­los Dante en don­nent une ver­sion chan­tée bien équili­brée et qui per­met une danse de qual­ité. Elle rejoint donc la ver­sion de Tan­turi dans la dis­cothèque du DJ de tan­go.
Pero hoy que tu recuer­do con encen­di­dos bríos
Ocu­pa entera­mente mi pobre corazón
Mur­muro amarga­mente: “tus besos fueron míos
Tus besos de con­sue­lo, tus besos de pasión”