On se plaint parfois du prix des milongas et ce n’est pas nouveau. Quand le démon du tango nous grignote, il nous faut trouver des astuces pour pouvoir aller danser. C’est ce que nous conte ce tango composé par Victor Felice avec des paroles de Carlos Lucero. Nous verrons que cette thématique n’est pas liée à la seule ville de Buenos Aires… Les paroles nous montrent aussi le soin minutieux que mettaient les hommes de l’époque pour soigner leur tenue avant d’aller à la milonga.
Extrait musical
Bailarín de contraseña — Ángel D’Agostino con Ángel Vargas Disque Victor. Disque 60–0768, Face A. Sur la face B, Pinta blanca (Mario Perini Letra : Cátulo Castillo) enregistré le même jour.
Bailarín de contraseña 1945-08-27 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas
Victor Felice, le compositeur de ce tango, était depuis 1944 un des violonistes de D’Agostino. Parmi ses compositions, signalons “Yo soy de Parque Patricios”, un autre grand succès de D’Agostino et de Vargas.
Paroles
Sábado a la tarde, te planchás el traje Te cortás el pelo, después te afeitás Con bastante crema te hacés dar masajes Gomina y colonia, luego te peinás
Lista tu figura, llegada la noche Te vestís ligero después de cenar Con un cigarrillo prendido en los labios Sales de tu casa, te vas a bailar
Y al llegar al Sportivo Con tu silueta elegante Te detienes en la puerta Con los aires de un doctor
Está atenta tu mirada Para ver si está el amigo Que anteayer te prometiera La entradita de favor
Y mientras vas esperando Ya tenés todo planeado Si no aparece el amigo Te la sabes arreglar
Esperás el intervalo Y con tu cara risueña Le pedís la contraseña A todo aquel que se va
Victor Felice Letra: Carlos Lucero
Traduction libre
Le samedi après-midi, Tu repasses ton costume, tu te coupes les cheveux, puis tu te rases avec beaucoup de crème, tu te fais masser, gomina et eau de Cologne, puis tu te peignes. Ta silhouette est prête, à la tombée de la nuit, tu t’habilles légèrement après le dîner, une cigarette allumée aux lèvres, tu sors de la maison et tu vas danser. Et lorsque tu arrives au Sportivo (Sportivo Tango Buenos Aires, un club de football, qui fut également un centre important du tango), avec ta silhouette élégante, tu te postes à la porte avec des airs de docteur. Ton regard est attentif pour voir si l’ami qui, avant-hier, t’a promis la petite entrée de faveur est là. Et pendant que tu attends, tu as déjà tout prévu au cas où l’ami ne se présentait pas, tu sais te débrouiller. Tu attends l’entracte et, avec ton visage souriant, tu demandes le mot de passe à tous ceux qui s’en vont.
On notera que Vargas chante deux fois le dernier couplet, ce qui met l’accent sur la récupération de la fameuse contraseña.
Les systèmes de paiement et de gestion des entrées au bal
Les méthodes de paiement sont inspirées de celles qui avaient cours en Europe. On pouvait payer à l’entrée, être invité, méthodes qui sont encore d’actualité aujourd’hui. Des méthodes moins courantes étaient celle de la corde qui consistait à vider la salle en tendant une corde pour pousser les danseurs hors de la salle de danse pour les faire payer de nouveau une période de danse.
Le jeton donnant accès au bal, ou à un nombre donné de danses
J’ai réalisé la photo de couverture à partir d’un mural de la calle Oruro. Une diagonale particulièrement riche en peintures murales. On y remarque le slogan pessimiste de Diecepolo et un jeton indiquant qu’il est valable pour une tanda de trois tangos. On remarque un cartel mentionnant Casimiro Aim, le danseur qui a fait approuver le tango par le pape de l’époque.
Le paiement se faisait de préférence au moyen de jetons (fichas). Ces jetons étaient achetés à l’entrée. Pour pouvoir participer à la période suivante, il fallait donc donner son jeton (ou le présenter s’il était permanent) au propriétaire du lieu ou à l’un de ses employés.
Dans le mural on voit que le jeton dessiné donnait droit à une tanda de trois tangos.
Le jeton du mural de la calle Oruro indique une valeur de trois tangos… Il est de 1923.
On notera la mention de trois tangos. Cela peut faire penser au système actuel des tandas. Certains évoquent que ces jetons pouvait aussi être utilisé pour danser avec un taxi dancer ou une prostituée dans un bordel. Ce n’est pas impossible…
Ce système de jeton existait aussi en Europe, en voici quelques exemples :
Quelques exemples de jetons de danse. Un jeton de Buenos Aires (1880), Un jeton pour un événement particulier à l’Opéra de Paris, le bal sud-américain du 2 juin 1927. En bas, un du bal « à la Réunion » du 10 rue des Batignolles. Un jeton de bal alsacien de Mulhouse et à droite, une pièce de monnaie argentine de 5 pesos de 1913 et qui n’a plus cours aujourd’hui. Ce n’est pas un jeton de bal, mais je trouvais amusant de présenter cette pièce ici.
Le bal sud-américain du 2 juin 1927 à l’Opéra de Paris
On connaît l’importance de Paris dans l’histoire du tango. On voit que, dans cet événement mondain de haute volée, l’Argentine est bien représentée, autour d’une pièce de théâtre rocambolesque avec ses gauchos. L’orchestre de Pizarro et des danseurs, donc Casimiro Ain sont au programme. Je vous propose quelques pages du programme.
Extrait du programme du Bal sud-américain à l’Opéra de Paris du 2 juin 1927. D’autres pages dans ce fichier PDF. Je compléterai les pages lors de mon prochain passage en France où j’ai le document complet…
Comme on l’a remarqué au sujet de l’événement de l’Opéra de Paris, il peut y avoir des sorties et entrées en cours d’événement. Pour gérer cela, une méthode est de donner à celui qui sort un mot de passe, la fameuse “contraseña” que notre danseur cherche à obtenir auprès de personnes qui sortent. Ce mot de passe peut bien sûr être sous la forme d’un de ces jetons ou tout autre système à la discrétion des organisateurs.
En Argentine, il est d’usage de prendre un ticket à l’entrée dans un magasin ou une administration. Parfois, une personne sort avant d’avoir été servie et son ticket peut faire le bonheur d’un arrivé récent qui se retrouve avec un numéro proche d’être appelé…
Cela peut faire un petit phénomène en chaine. Une personne donne son ticket à une personne qui est plus loin dans la queue. Celle-ci se retrouve donc avec deux tickets. Une fois servie, elle peut donner son ticket moins favorable à un arrivant plus tardif qui se retrouvera donc surclassé. C’est un petit jeu sympa, au moins pour les gagnants…
Un petit mot du “Sportivo Tango Buenos Aires”
Le bal où se rend le héros de ce tango se trouvait au “Club Social y Sportivo Buenos Aires”. Ce club créé en 1910 et qui se destinait au football et à d’autres activités n’existe plus. Il était, à son origine, situé de l’autre côté du fameux pont de la Boca que connaissent tous les touristes qui ont visité la ville. Aujourd’hui, le lieu ne leur est pas forcément recommandé, même si la traversée avec le pont transbordeur est une activité intéressante…
Il a ensuite rejoint l’autre rive, celle de Buenos Aires, capitale fédérale. Il se peut que le tango évoque cette époque où le club était renommé pour les événements de tango qu’il organisait.
Voilà, les amis. C’est tout pour aujourd’hui. Je vous souhaite de pouvoir toujours vous procurer une entrée dans les bals qui vous intéressent et que ceux-ci ne vous décevront pas.
Les Portègnes appellent leurs bus, des colectivos et plus affectueusement encore, des bondis.
Nos tangos du jour sont de simples évocations à l’occasion de la fermeture d’une ligne que j’aimais bien. Voici donc quelques anecdotes qui peuvent intéresser ou amuser les touristes qui découvrent cette merveilleuse ville de Buenos Aires.
Nous serons accompagnés par deux tangos chansons dont vous trouverez les paroles et leurs traductions en fin d’article.
Pour commencer en musique
Ce ne sont pas des tangos de danse, mais ils évoquent le colectivo. Je donne les paroles et leurs traductions en fin d’article.
Tango del colectivo 1968-12-04 — Orquesta Aníbal Troilo con Roberto Goyeneche. Musique de Armando Pontier et paroles de Federico Silva.Se rechiflo el colectivo 2013 — Horacio Ferrer Acc. piano por Juan Trepiana. Musique de Osvaldo Tarantino et paroles de Horacio Ferrer.
Un tout petit peu d’histoire
Si el tranvia (tramway) a donné lieu à plus de paroles de tango que le colectivo, ce moyen de transport fait également partie de l’histoire de la ville. Les premiers transports étaient tirés par des chevaux, ce qu’on appelle ici, « à moteur de sang », que ce soient les tramways ou les bus.
Si les tramways sont lentement passés à l’électricité, l’apparition du moteur saluée par les défenseurs des animaux a apporté son lot de bruit et de pollution à la ville.
Aujourd’hui, à toute heure du jour et de la nuit, des bus circulent. Certains commencent à expérimenter l’énergie électrique, mais d’autres disparaissent.
Payer son billet, une aventure
Une machine distributrice de tickets. Le chauffeur donnait le ticket correspondant à la distance à parcourir.
Jusque dans les années 90, le chauffeur faisait payer chaque passager. Il lui remettait un ticket en échange. Cette façon de procéder avait plusieurs inconvénients :
C’était relativement lent. Le chauffeur devait rendre le change et comme il tentait de faire cela en roulant, c’était donc également dangereux et il y avait régulièrement des accidents pour cette raison.
Il était tentant pour les malandrins d’attaquer les chauffeurs pour récupérer les pièces.
En 1967, Elena Konovaluk a été la première conductrice de colectivo. (ligne 310 puis 9) On imagine la difficulté de distribuer les tickets et de conduire en même temps.
Le 2 mai 1994, un nouveau système est apparu. Un système semi-automatique. Il fallait donner sa destination au chauffeur. Celui-ci paramétrait sur son pupitre le prix à payer et l’usager devait glisser les pièces correspondantes dans la machine.
Le type de machine apparu à partir de 1994. On indiquait la destination au chauffeur. Il programmait le prix et on devait verser les pièces correspondantes dans l’entonnoir du haut de la machine, puis récupérer le billet et sa monnaie.
Ce système n’était pas parfait et, pour tout dire un peu compliqué dans la mesure où les pièces étaient rares et difficiles à obtenir. Dans les commerces, personne ne voulait se séparer de ses précieuses pièces au point qu’ils faisaient cadeau de quelques centimes plutôt que de devoir rendre le change et se trouver démuni de pièces. Mon truc était d’aller au dépôt (terminus) où ils échangeaient volontiers les billets contre des pièces. Certains essayaient d’attendrir le chauffeur en tendant un billet, ce qui se terminait soit par un passage gratuit, soit par une expulsion du bus.
À partir de 2009, la SUBE a fait progressivement son apparition. Sur les premières lignes équipées, il suffisait d’annoncer sa destination au chauffeur et de présenter la carte devant la machine, sans avoir à sortir de pièces. La SUBE fonctionne également pour le métro et pour le train de banlieue et dans certaines provinces d’Argentine. On peut aussi emprunter avec une bicyclette, c’est donc une carte très utile et une innovation intelligente.
Une machine de validation de la carte SUBE (il en existe de nombreux modèles). Il suffit de la plaquer sur la zone dédiée pour que son solde soit débité du montant du trajet. On peut lire sur l’afficheur le tarif, le prix réellement débité et le solde de la carte.
Pour le chauffeur, cela ne change rien au système de 1994, il doit toujours sélectionner le prix sur son pupitre (en fait la distance, mais on en reparlera). Pour l’usager ce système semble parfait.
Cependant, il y a un petit point qu’il faut tenir en mémoire. Il faut charger sa carte SUBE et c’est là que le bât blesse. Pendant longtemps, cela pouvait se faire dans les kiosques, qui sont nombreux, puis les kiosques n’ont plus eu le droit de le faire et ce sont désormais les lieux de loterie qui permettent de recharger la carte et ils sont moins nombreux. On peut se faire avoir, car de nombreux kiosques ont conservé l’affichette SUBE et certains continuent de vendre la carte vierge, mais pas la recharge…
Mais, trouver un point de recharge ne suffit pas, car il faut avoir la somme exacte que l’on souhaite déposer sur la carte. Si vous avez un gros billet, il faudra tout mettre. Ah, non, ce n’est pas si simple (je sais, je l’ai déjà écrit). Si le billet est trop gros, on va vous le refuser.
En effet, les lieux de vente ont des quotas. Ils ne peuvent pas vendre plus que ce qui leur est autorisé. Les versements maximums sont donc limités et, même avec cette précaution, il arrive que le lieu ait atteint son quota de la journée. Si c’est le cas, il faudra revenir le lendemain en espérant que ce ne soit pas le début d’un long week-end, une autre spécialité argentine qui fait que, si un jour férié tombe un dimanche, on le reporte au lundi.
Il reste alors la possibilité d’aller dans une station de métro (Subte à ne pas confondre avec SUBE) ou de train. Là, deux possibilités s’offrent au voyageur, une machine ou un préposé, mais ce dernier est assez rarement disposé à recharger la carte.
Il y a une autre possibilité pour ceux qui ont un compte bancaire argentin, la recharge en ligne. Il faut ensuite valider son solde sur une machine, par exemple dans une banque…
Pour en terminer avec la SUBE sous forme de carte, signalons la difficulté de l’obtenir, car il y a parfois une pénurie. Mieux vaut ne pas la perdre à ce moment.
Mais voyons maintenant une autre innovation qui va dans le bon sens.
Depuis 2024, on peut payer à partir de son téléphone et de l’application SUBE. C’est sans doute un autre progrès.
Depuis 2024, on peut charger sa carte et la faire valider auprès du chauffeur et même payer directement depuis l’application SUBE sur son téléphone. Cette dernière est une option un peu risquée dans la mesure où les vols sont tout de même assez fréquents, surtout aux abords des portes, le malfaiteur sautant du bus et s’enfuyant à toutes jambes, à moins qu’il repère simplement votre téléphone pour le subtiliser discrètement lors d’une petite bousculade en arrivant à un arrêt. Dans tous les cas, si vous tenez à votre téléphone, évitez de l’utiliser près des portes.
Un pas en avant et deux pas en arrière ?
L’arrivée de la machine à pièces, puis de la SUBE et maintenant de l’application facilite la vie des usagers. Cependant, un autre danger les guette ; la hausse des prix.
Le service de transport est assuré par des entreprises privées, mais, comme c’est le gouvernement de gauche de Cristina Fernandez qui l’a mis en place, les prix sont unifiés entre les compagnies et les billets sont subventionnés.
Le résultat a été un prix des transports publics de voyageurs très raisonnable, même pour ceux, très nombreux, qui viennent de province pour travailler à la capitale fédérale et qui doivent prendre deux ou trois transports (bus, métro, train).
Un petit rappel, Buenos Aires est une très grande province dont la capitale est La Plata et la ville de Buenos Aires est une ville autonome, entourée par cette province sans en faire partie…
Ceux qu’on appellerait les banlieusards à Paris font souvent une à deux heures de trajet pour aller travailler, ce qui est aggravé par le fait que nombre d’entre eux ont deux activités pour joindre les deux bouts.
Évoquons maintenant le pas en arrière. Fin 2023, un président d’extrême droite et libertaire a été élu, Milei et sa tronçonneuse. Pour lui, les subventions sont un vol. Chacun doit payer ce qu’il utilise. Donc, les transports, l’éducation, la médecine, les travaux publics ; le gaz, l’électricité et même les retraites sont considérés comme des domaines qui ne doivent plus être subventionnés, abondés.
Les prix de ces services explosent donc. On remarquera toutefois que, si Milei ne veut pas entendre parler de subvention, il propose tout de même aux plus riches qui ont leurs enfants dans les écoles privées des aides (versées directement aux écoles).
Pour les hôpitaux publics, c’est une catastrophe. Même les médecins doivent avoir deux métiers. Par exemple, hier, la télé présentait l’un deux qui complète ses revenus en travaillant pour Uber (un service de transport de personnes assuré par des particuliers qui utilisent leur voiture personnelle).
Pour revenir progressivement à nos bus, les chauffeurs assurent des services très longs pour gagner plus, ce qui provoque des accidents. Si vous avez essayé de conduire à Buenos Aires, imaginez que vous le faites 12 heures de rang (suivies de 12 heures de pause et avec un repos hebdomadaire de 35 heures), avec une pause toilette en bout de ligne si vous n’êtes pas arrivé en retard, le tout au volant d’un gros machin d’apparence antédiluvienne qui tourne quasiment en permanence et dont beaucoup mériteraient une sérieuse révision.
La semaine dernière, un adolescent est tombé du bus, car la fenêtre a cédé. Et je ne vous parle pas des bruits de freins, des portes qui fonctionnent quand elles le décident et des panaches de fumées qu’émettent certains des bondis. Alors, si un chauffeur est un peu moins souriant, prenez sur vous et mettez-vous à sa place (pas sur son siège, je parle au figuré).
La fin des subventions aux transports en commun
Puisque les subventions sont un vol fait aux riches qui n’utilisent pas les transports publics au profit de ceux qui les utilisent, ces subventions ont été très fortement diminuées et, par conséquent, le prix du billet a explosé, comme d’ailleurs celui de la nourriture, mais sans doute pour d’autres raisons… La hausse des prix sur les produits de base ignore les chiffres de l’inflation donnés par le gouvernement (moins de 2 % en mai). Seuls les produits de luxe (voitures, téléphones et autres biens de confort) voient effectivement leurs prix baisser, pas les légumes, la viande, les transports, les médicaments…
Voici donc un tableau reprenant le prix du trajet en bus, au moment de la prise de fonction de Milei et à la date d’aujourd’hui.
Entre fin 2023, date d’arrivée du président Milei au pouvoir et aujourd’hui (fin juin 2025), le prix du billet a été multiplié par 8.
Ce tableau demande quelques explications. La colonne de gauche indique des distances. Par exemple, 0 à 3 km, ce qui est en fait 1 à 30 pâtés de maisons (manzana en espagnol, bloc en anglais…). Un voyage d’un kilomètre en décembre 2023 coûtait donc 52,96 pesos, soit 0,06 euro (voir dans la partie droite du tableau, entourée de bleu). Le prix était donc très réduit, du moins pour un Européen ou un Américain du Nord. Pour un Argentin qui avait moins de 200 € de revenus, c’était tout de même une somme, surtout pour ceux qui devaient prendre deux ou trois transports pour aller travailler. Les tarifs sont toutefois un peu dégressifs si on utilise plusieurs bus dans une période de deux heures.
La diminution drastique des subventions aux entreprises de transport imposée par le nouveau gouvernement fait que les prix ont énormément augmenté. C’est le résultat de la logique qui veut que ceux qui utilisent les transports en commun doivent en payer le coût, pas ceux qui roulent en taxi ou dans des voitures particulières.
Pour revenir à l’étude du tableau, on observe deux nouvelles catégories « utilisateurs enregistrés » et « utilisateurs non enregistrés ». Cette distinction permet deux choses :
Suivre les déplacements des utilisateurs. Chaque carte enregistrée est associée au document d’identité du possesseur. Cela permet de connaître mieux les déplacements de chacun.
Les subventions ont été fortement diminuées, ce qui explique en grande partie la hausse des prix. Les subventions sont totalement supprimées pour les utilisateurs qui ne sont pas enregistrés selon la logique ; s’ils ne sont pas enregistrés, c’est qu’ils veulent cacher leurs déplacements ou qu’ils sont étrangers et que, par conséquent, les Argentins « de bien » n’ont pas à payer pour eux.
Nous avons évoqué à propos de l’anecdote Bailarín de contraseña, le fait que certaines milongas faisaient payer moins chers les autochtones, cela peut donc se comprendre. D’ailleurs, en Europe, on fait payer une taxe par nuitée aux gens de passage.
L’augmentation en un an et demi est donc d’environ 800 % pour un Argentin enregistré. Pour ceux qui ne le sont pas, c’est une augmentation de presque 13 fois. Cela commence à faire. Certains banlieusards ont abandonné leur travail, passer la moitié de la journée à travailler pour gagner à peine le prix du trajet aller-retour n’était plus rentable.
Cependant, pour un Européen qui utilise l’Euro, la baisse de valeur du Peso argentin fait qu’au final, l’augmentation est un peu inférieure à 9 fois et pour un étranger qui a une carte SUBE enregistrée ou tout simplement ancienne, c’est seulement 5,5 fois. Quand on connaît le prix des transports à Paris, cela reste très, très modeste, alors, ne râlez pas…
Un adieu à la ligne 23 ?
Le AD 706 SU qui a assuré le service de la ligne 23 jusqu’en… 2023. C’est aussi la vedette de l’image de couverture de cet article.
Pour aller à Nuevo Chique, j’étais habitué à prendre la ligne 23 qui était assurée par la société Transporte Rio Grande SA.C.I.F.
Cette ligne au moment de sa fermeture (annoncée ?), dimanche dernier, comportait encore neuf véhicules.
Cinq bus de 25 places assises datant de 2019 AD 672 OW/AD 672 PF/AD 672 PD/AD 672 PG et AD 882 PX.
Un bus de 35 places datant de 2023 AF 957 UO.
Et trois bus de 35 places datant de 2024 AG 708 WP/AG 835 IX et AG 946 ZZ.
Dimanche dernier cette ligne a cessé son activité :
Vidéo réalisée par un des derniers utilisateurs de la ligne.
La ligne, tout au moins le service qu’elle assurait, va-t-il complètement disparaître ? Il est difficile de le dire. Lors de la suppression de la ligne 5, la ligne 8 a pris le relai en créant un « ramal » (branche) supplémentaire. Ces branches sont un autre piège pour ceux qui ne sont pas habitués. Il faut regarder le numéro du bus, mais aussi la pancarte qui indique la branche qui va être pratiquée. Si vous ne le faites pas, vous risquez de vous retrouver bien loin de la destination espérée, notamment si vous vous rendez dans la province. De même, si vous prenez un omnibus au lieu d’un semi-rapide, vous risquez de passer beaucoup plus de temps dans le bus que nécessaire lorsque vous faites une longue distance en banlieue.
Hier, pour aller à Nuevo Chique, j’ai pris ce bus. Un numéro 115, mais avec une étiquette indiquant qu’il assurait en fait le service de la ligne 23. Encore un piège pour ceux qui sont peu attentifs… J’ai juste eu le temps de prendre une photo en en descendant, au moment où il redémarrait.
Donc, en attendant, il semblerait qu’il faille prendre le 115 qui porte une pancarte indiquant qu’il fait le service du 23. Cependant, s’il y avait 9 bus en circulation pour la ligne 23, il semblerait que ce soit bien plus réduit pour cette nouvelle ligne, déjà que le 115 n’est pas un des plus fournis (c’est un des bus que je prends pour aller à El Beso…).
Une actualisation sur la ligne 23
Il continue de passer des bus verts 23. Selon les chauffeurs interrogés, la compagnie est en faillite (quiebra) et continue sur son rythme de tango hésitant et lent, un pas en avant et un pas en arrière.
Petit problème mathématique
Voici le trajet qui était effectué par la ligne 23 entre Villa Soldati (en bas) et Retiro (en haut). Environ 12 km.
Il y avait 9 bus en circulation pour effectuer les 12 kilomètres de la ligne. Les horaires indiquant un temps de parcours de 50 minutes et les chauffeurs avaient 10 minutes de repos aux deux extrémités. Ce n’était plus tout à fait vrai pour Soldati, le terminus y était toujours, mais les chauffeurs, depuis le 5 mai (2025) prenaient leur service à Lugano (tiens, c’est justement à côté du départ de la ligne 115…).
Première question : Quelle est la vitesse de circulation moyenne ?
Deuxième question : Quel est le temps moyen d’attente entre chaque bus si on considère que les 9 étaient en service et qu’ils étaient espacés régulièrement.
Pour la réponse, retournez l’ordinateur…
Non, pardon, je plaisante, voici les réponses :
12 km en 50 minutes, cela donne 14,4 km/h de moyenne. Ce n’est pas énorme, mais il passe par moment dans des dédales un peu compliqués.
Pour la seconde réponse, je cherche la réponse tout en l’écrivant. Un bus part de Soldati et arrive 50 minutes plus tard à Retiro. Il attend 10 minutes et arrive donc de nouveau à Soldati 100 minutes après son départ où le chauffeur prend de nouveau 10 minutes de pause. Ces 120 minutes sont donc à diviser par le nombre de bus, ce qui donne 120/9 = 13,33 minutes, ce qui correspond assez bien au quart d’heure vérifié à l’arrêt. Sur des lignes mieux remplies, on peut voir des bus circuler à bien plus grande fréquence et souvent des « trains » de deux ou trois bus qui se « suivent », enfin, à la mode portègne, c’est-à-dire qu’ils se dépassent, se klaxonnent, se redépassent, se côtoient et discutent aux feux rouges. Oui, désormais, la plupart des bus s’arrêtent aux feux rouges, ce qui peut surprendre ceux qui étaient habitués à considérer qu’il s’agissait d’accessoires de décoration. Rassurez-vous, il reste les panneaux STOP (PARE) qui ne sont pas du tout respectés, ni par les bus, ni par les autres, d’ailleurs. C’est le plus inconscient qui passe le premier et ce n’est pas toujours le bus qui gagne.
Se repérer pour prendre le bon bus
Avant l’arrivée des applications sur téléphone, il y avait dans les annuaires téléphoniques des plans de Buenos Aires quadrillés, avec le nord en bas (donc à l’inverse des cartes habituelles). Dans chaque case numérotée, comme pour la bataille navale, il y avait des arrêts de bus. Ces derniers n’étaient pas indiqués sur le plan, mais listés dans la légende. Par exemple, dans la case B5,il y avait un arrêt des bus 12, 8, 48, 96. Avec cette indication approximative, il fallait faire preuve de logique. Les rues étant généralement à sens unique, si on voulait aller vers le sud (le haut de la carte), il convenait d’identifier une rue qui avait le sens de circulation vers le sud.
Ce n’était pas forcément simple et la difficulté était renforcé par le fait que le point d’arrêt n’était marqué que par un numéro sur la façade d’un immeuble, un petit autocollant sur un poteau, voire, par rien du tout. Il fallait donc souvent demander où était l’emplacement de l’arrêt quand on s’aventurait dans un quartier moins connu.
L’autre jeu qui complique les choses est que les chauffeurs font preuve de créativité et il est fréquent de voir des bus en maraude. Parfois, c’est justifié par une route coupée, mais à d’autres moments, c’est pour gagner du temps. Par exemple le 115 évite souvent de s’engager dans Bartolomé Mitre (la rue encombrée par des étals, des véhicules mal garés et des boutiques de tissus) pour rejoindre directement Corrientes par Pueyrredón. Ce n’est pas trop grave pour ceux qui sont dans le bus, mais peut-être moins drôle pour ceux qui attendent le bus dans cette zone où il ne passera pas.
Faut-il rajouter des trucs ?
Ce court article, très imparfait, ne donne qu’un maigre aperçu de toutes les subtilités qu’il faut connaître pour bien voyager en bus. Il vous faudra faire votre expérience, en vous repérant dans la ville, ce qui est bien plus facile que dans une ville Européenne pour savoir où demander l’arrêt en appuyant sur le bouton concerné, cependant, la plupart des chauffeurs sont prêts à vous aider et peuvent même vous rappeler le moment de descendre.
En attendant, voici quelques trucs, en vrac.
Si vous n’avez pas une formation d’alpiniste chevronné, évitez de descendre par la porte arrière de certains bus dont la marche inférieure est à une hauteur encore vertigineuse. Cependant, la plupart de bus ont un accès et des places pour les fauteuils roulants.
Pensez à regarder vers l’arrière du bus au moment d’en descendre, car ils s’arrêtent rarement au bord du trottoir, notamment car les arrêts de bus sont souvent considérés comme des places de stationnement par les automobilistes. Il se peut donc qu’au moment de descendre, une moto décide de passer à toute vitesse par la droite du bus. C’est mieux de la voir venir et de retarder de quelques fractions de seconde le saut depuis le bus. Aussi, pour cette raison, des personnes rencontrant des difficultés à marcher demandent au chauffeur de sortir par l’avant, ils se sentent plus en sécurité. Cette habitude va sans doute s’atténuer, car désormais, les bus s’arrêtent complètement pour prendre et déposer les passagers. Ils ne doivent plus ouvrir les portes lorsque le bus est en mouvement. Je sais, le folklore perd de sa saveur, c’était bien amusant de se faufiler entre les voitures en stationnement pour sauter dans un bus qui ne faisait que ralentir et de descendre en essayant de ne pas atterrir dans une poubelle, un véhicule en stationnement (voire en marche) ou contre un de ces diaboliques câbles en diagonale qui sont ancrés au sol pour tenir je ne sais quel poteau et qui sont peu visibles de nuit, même quand ils sont recouverts d’une gaine jaune.
Voici une autre curiosité. Il y a désormais de nombreux arrêts qui disposent d’un abribus. N’imaginez pas qu’il est là pour vous permettre d’attendre le bus. En effet, la queue se fait par rapport au poteau et donc, les gens sont à la file, face à l’arrivée potentielle du bus et donc tous, hors de l’édicule… Cependant, les Argentins sont très respectueux. Si vous êtes arrivés le premier (ce qui veut dire que vous venez de rater le bus précédent), vous pouvez profiter du banc de l’arrêt de bus. Le premier au poteau vous laissera passer sans discuter. D’ailleurs, il n’y a pas de lutte à l’entrée, très souvent un passager plus avant dans la file vous laisse passer.
Attention, utiliser le banc est aussi un piège, car, si le bus qui arrive n’a pas à s’arrêter pour déposer un passager, il passera sans vous prendre en compte. Dans la pratique, il faut donc s’assurer qu’il y a quelqu’un qui veut prendre le même bus afin de profiter en toute tranquillité de ce siège. Cela peut sembler étonnant, car on peut imaginer voir le bus arriver de loin. Hélas, non, car les véhicules en stationnement coupent toute visibilité à ceux qui sont assis et même souvent à ceux qui sont debout et à tous les arrêts, vous verrez des intrépides se lancer au milieu de la rue pour voir si le bus arrive au loin.
Pour être efficace à ce jeu, il faut avoir une bonne vue et s’aider du code de couleurs (le bus 23 était vert, le 115 est rouge, d’autres sont bleus ou jaunes).
Vous devez lever de façon très visible le bras pour inciter le conducteur à s’arrêter. Si le feu est au vert, il arrive qu’il ne s’arrête pas pour en profiter. Il s’arrêtera de l’autre côté du carrefour pour déposer les passagers qui voulaient descendre et vous, vous devrez attendre le prochain. Le prochain peut être une autre ligne qui passe aussi par votre point d’arrivée. Cependant, l’arrêt de cette autre ligne peut-être à une dizaine de mètres. Si le chauffeur de l’autre ligne se rend compte que vous venez de l’arrêt du concurrent, il y a fort à parier qu’il ne s’arrêtera pas. Vous devez être à l’arrêt quand il vous voit. Quand l’arrêt est situé à un feu rouge, il arrive qu’on arrive à attendrir le chauffeur, qui prend toutefois le temps de terminer un truc important sur son téléphone portable avant de vous ouvrir la porte. Cela ne lui coûte rien, puisque le feu l’a juste empêché de repartir, mais c’est le prix à payer pour la faveur qu’il vous fait.
Une fois dans le bus, il peut être agréable de trouver une place assise. Il y a des places réservées aux personnes qui en ont besoin et c’est plutôt bien respecté. En revanche, pour les autres places, c’est le premier qui la prend. Celles près des portes sont exposées au vol à la tire. Certaines sont dos à la route, ce qui est désagréable pour les personnes sujettes au mal de mer. Rappelez-vous que le bus se déplace comme un esquif pris dans une tempête. Il faut donc avoir le cœur bien accroché et être très bien accroché quand on est debout.
Il y a des ceintures de sécurité pour les places situées totalement à l’arrière, face au couloir. Même si presque personne ne les utilise, elles peuvent vous éviter de traverser à plat ventre tout le bus lors d’un freinage brutal ou d’un accident.
On notera que, pour agrémenter la chute, la plupart des bus ont un escalier dans la partie arrière, ce qui ajoute au plaisir de l’expérience.
Voilà, j’espère que je vous ai donné envie de prendre le colectivo de Buenos Aires, que je ne vous ai pas trop refroidis, je laisse cela aux soins de la clim à fond ou un coup de chaleur, ce que je laisse aux soins de la clim en panne ou absente.
Certaines lignes ont des décors surprenants avec des tentures, des fileteados, d’autres sont plus sobres. Les sièges des conducteurs sont souvent faits de fil tendu entre deux barres de métal, je n’envie pas du tout ces valeureux chauffeurs et leurs conditions de travail effroyables. Je plains également les banlieusards qui restent souvent une heure debout dans des bus bondés après avoir attendu dans une queue de 50 mètres de long.
Pour toutes ces raisons, les riches prennent leur voiture, un Uber, et à la limite, un taxi et ne s’aventurent jamais dans les bus ni dans le métro. Pour cette raison, ils ne comprennent sans doute pas pourquoi on subventionnerait ces moyens de transport alors qu’eux, ils payent leur service.
Il y aurait sans doute à dire sur l’esclavage des taxis et des chauffeurs Uber, mais ce sera pour une autre fois si vous le voulez bien.
À bientôt les amis, mais en guise de cadeau, voici les paroles des deux tangos évoqués et leur traduction.
Paroles de Tango del colectivo
Ahora es ‘Cinta Scotch’ En vez de cuatro chinches Porque la vida pasa… El tiempo cambia. Pero siempre Gardel, Sonrisa, esmoquin Gardel y los muchachos… Esos muchachos… Que son de alguna forma Iguales a la rubia, De los textos abiertos Y los ojos cerrados.
Se sube en la primera Corriéndose hacia el fondo, Y empuja cuando baja Como toda la gente. Las manos Ya cansadas de apretar La bronca… De pedir sin que te den, Y al fin perder las cosas Que te importan.
Las cosas de verdad que tanto importan, El sol sobre los ojos me hace mal, Por eso es que me has visto lagrimear No ves la ciudad viene y se va, Y las veredas son de todos Como el pan. Armando Pontier (Armando Francisco Punturero) Letra: Federico Silva (René Federico Silva Iraluz)
Traduction de Tango del colectivo
Maintenant, c’est du « ruban adhésif scotch » au lieu de quatre punaises (les chinches sont les punaises de lit et on considérait que s’il y en avait 4 par mètre carré, il fallait prendre des mesures. Mais en lunfardo, les chinches sont des personnes qui dérangent, voire qui ont une maladie vénérienne, j’avoue ne pas savoir quelle signification donner à ces 4 punaises), parce que la vie passe… Les temps changent. Mais toujours Gardel, a le sourire, le smoking Gardel et les garçons (muchachos, peut-être ceux à qui il a dit adieu dans sa chanson adios muchachos, un titre de Julio César Sanders avec des paroles de César Felipe Vedani qu’ont enregistré Agustín Magaldi, Ignacio Corsini et finalement Carlos Gardel à París, ce qui a consacré le titre). Ces gars-là… Qui sont d’une certaine façon comme la blonde, avec les textes ouverts et les yeux fermés (ici, c’est un jeu de mot entre les textes ouverts qui sont des textes ouverts à plusieurs interprétations, à double sens, ces textes qui pullulent aux époques de censure, dans la tradition d’Ésope ou de Jean de la Fontaine. Dans le cas contraire, on parle de textes fermés, mais là, ce sont les yeux qui sont fermés). Il grimpe le premier (dans le bus) en courant vers le fond, et pousse quand il descend comme tout le monde. (Cette partie du texte évoque donc le colectivo et justifie le titre, mais c’est bien sûr, une allégorie des pratiques de certains…). Les mains déjà fatiguées de serrer la colère… De demander sans qu’on vous le donne, et à la fin de perdre les choses qui comptent pour vous (sans doute une évocation du poing fermé, geste des humiliés qui réclament de quoi vivre, un symbole tant d’actualité en Argentine aujourd’hui au moment où y renait la dictature). Les vraies choses qui comptent tant, le soleil me fait mal aux yeux, c’est pour cela que vous m’avez vu pleurer, tu ne vois pas la ville aller et venir, et les trottoirs appartiennent à tout le monde comme le pain.
Paroles de Se rechiflo el colectivo
Se rechifló el colectivo que tomé para tu casa yo vi que el colectivero, por Sandiablo, bocinaba raros tangos que Alfonsina con Ray Bradbury bailaba sobre el capó entre un tumulto de camelias y galaxias y perdió, de tumbo en tumbo, la vergüenza y las frenadas. Y voló al dintel del sueño donde está mi noche brava. Se rechifló, pero a muerte, porque al ir para tu casa, supo que vos me querías con reloj, sueldo y corbata
¡Qué tonta… pero qué tonta!
¡A mí, que un láser de versos me calienta hasta la barba! y cargo al hombro mi tumba para morir de amor ¡Mañana!… y Chopín y Alfredo Gobbi pobres como las arañas, en mi bulín la fortuna de sus penas, me regala.
Se negó a llevarme a vos, colectivo de mi alma, en las torres de Retiro se embaló por las fachadas y de un puente de alboroto cayó al Río de la Plata, cuando mi río es mis tripas y es mi vino y es mi magia.
Se rechifló el colectivo que tomé para tu casa: y en el techo yo reía y en la gloria te gritaba: ¡Se rechifló… pobre de vos! ¡Se rechifló… gracias a Dios! Osvaldo Tarantino Letra: Horacio Ferrer
Traduction de Se rechiflo el colectivo
Il serait très prétentieux de ma part d’essayer de retranscrire la poésie de Ferrer. Cette traduction est donc plus un guide pour aiguiller dans la direction, mais vous devrez faire le parcours poétique vous-même.
Le bus que j’ai pris pour rentrer chez toi s’est moqué. J’ai vu que le chauffeur, par Sandiablo (Saint Diable est un oxymore inventé par Ferrer pour exprimer la folie), klaxonnait d’étranges tangos qu’Alfonsina (Alfonsina Storni qui s’est suicidée en se jetant à la mer à Mar de Plata, comme dans un de ses poèmes, et qui a donné lieu à la merveilleuse zamba, Alfonsina y el mar immortalisée par Mercedes Sosa) avec Ray Bradbury (c’est bien sûr l’auteur de Fahreinheit 451, qui évoque la destruction des livres, dans la droite lignée de ce que font les régimes fascistes comme la dictature militaire argentine de l’époque, ou l’actuelle ou les partisans de Milei brûlent des livres qu’ils croient pernicieux faute de les avoir lus) dansait sur le capot (une est morte noyée et l’autre parle d’un pompier et de feu, le symbole de Ferrer est fort) au milieu d’un tumulte de camélias et de galaxies et perdait, de culbute en culbute, la honte et les freins. Et il s’envola vers le linteau du sommeil où se trouve ma folle nuit. Il s’est moqué, mais à mort, parce que, lorsqu’il s’est arrêté chez toi, il savait que tu m’aimais avec une montre, un salaire et une cravate. Quelle idiote, mais quelle idiote ! Pour moi, qu’un laser de vers me réchauffe jusqu’à la barbe ! Et je charge sur mes épaules ma tombe pour mourir d’amour Demain !… Et Chopin et Alfredo Gobbi, pauvres comme les araignées, dans ma chambrette m’offrent la fortune de leurs chagrins. Il a refusé de me conduire à toi, le colectivo de mon âme, dans les tours de Retiro (station de train, où allait justement le bus 23…), il a chargé à travers les façades et d’un pont de tumulte (émeute) il est tombé dans le Río de la Plata, quand mon fleuve est mes tripes et qu’il est mon vin et qu’il est ma magie. Le bus que j’ai pris pour aller chez toi s’est moqué : Et sur le toit, je riais et, dans la gloire, je te criais : Il s’est moqué… Pauvre de toi ! Il s’est moqué… Dieu merci !
Comme DJ, on rencontre une grande variété dans la qualité des systèmes de sonorisation proposés par les organisateurs. Il me semble que rappeler quelques points peut être utile pour optimiser l’équipement et améliorer le confort des danseurs.
La sonorisation fait partie d’une chaîne qui va de la musique à diffuser, jusqu’à l’oreille de l’auditeur, danseur dans notre cas. Il convient donc de traiter chacun des points, car le plus faible maillon limite la qualité de la chaîne en entier.
La musique
Si on rencontre encore des musiques effroyables, notamment sur des services comme Spotify ou YouTube, dans l’ensemble, la qualité a bien augmenté ces dernières années. Il est donc très important d’avoir de la bonne musique, mais je pars du principe que les organisateurs vont faire venir un bon DJ et que, donc, ce point est traité de façon satisfaisante. Voir l’article sur la musique trichée pour plus d’informations sur ce point.
L’ordinateur ou le matériel du DJ
Même si un phénomène de mode peut faire utiliser des platines tourne-disques, des lecteurs de CD ou de cassettes, l’ordinateur est devenu la norme et, comme ses capacités surpassent en tous points celles des autres systèmes, il ne convient pas de faire de différence à ce niveau de la chaîne. Ce qui sera bon pour l’ordinateur le sera également pour tous les autres matériels.
La carte son (DAC)
Certains DJ, notamment ceux qui font des playlists à l’avance, utilisent le jack pour raccorder leur ordinateur à la sono. Cette organisation est fortement déconseillée, car elle ne permet pas la préécoute et donc, le DJ ne peut que suivre sa playlist en faisant d’éventuelles modifications dans l’ordre de ses tandas ou en choisissant des tandas toutes prêtes au lieu de les construire sur mesure.
Il faut donc une carte son qui permet d’avoir deux sources de diffusion. Une dirigée vers le casque (généralement la sortie jack de l’ordi) et une via la carte son qui ira vers la console de mixage.
Pour exploiter ce système, il faut un logiciel spécifique pour DJ qui permet d’assigner des sorties différentes pour la préécoute et pour la diffusion, ou à la rigueur, deux logiciels configurés de façon différente, mais c’est se compliquer la vie.
Certains discutent de la qualité des différents DAC, mais ce n’est pas si essentiel si on considère les limites de la musique que l’on passe en milonga. Bien sûr, le DJ qui veut le top pourra acquérir un équipement plus performant et il y aura de petites différences, mais je pense que d’autres points sont à prendre en compte.
La présence d’un bouton de réglage du volume. Cela semble tout bête, mais c’est plus simple à faire sur le DAC que dans le logiciel. Tous les DAC n’en sont pas pourvus.
Une sortie via deux XLR, deux jacks 6,35 ou à la rigueur au format RCA (Cinch).
Une entrée USB, probablement USB‑C si on achète un matériel récent.
Prendre un système qui se raccorde par câble, plutôt qu’un système qui se branche, comme une clef USB, un faux mouvement pourrait briser ce dispositif. En revanche, il est important de scotcher tous les câbles au gaffeur pour éviter une coupure du son en cas de manipulation maladroite pendant la milonga.
Une entrée microphone peut être pratique, avec son réglage de volume et une balance entre le microphone et la musique.
Quatre DAC que j’utilise.
J’utilise différents systèmes, mais le plus souvent un DAC Audient iD4 qui est léger et de bonne qualité. Son gros bouton de volume est pratique. J’ai enlevé le cabochon du bouton de mute pour éviter d’appuyer dessus par erreur durant la milonga. En cas de besoin, il suffit d’appuyer sur la partie qui reste avec le gras du doigt, mais je n’ai jamais eu à le faire.
Acheté à Buenos Aires, j’ai un MidiPlus Studio M qui est plus léger que le Audient, mais le bouton de volume est petit et trop proche du bouton du volume casque. Je le trouve donc moins pratique. Cependant son poids peut être un élément de choix et de plus, et il est disponible en Argentine à bon prix…
J’utilise aussi un DAC Traktor Z1 qui a l’avantage d’avoir des boutons de réglage aigus, médiums et basses. Cela peut dépanner en l’absence de console de mixage. En revanche, il n’a pas d’entrée micro.
Même s’il est prévu pour le logiciel Traktor, on peut le configurer dans MIXXX, pour que le déplacement du curseur en butée change de morceau. C’est pratique pour terminer la cortina et enchaîner à l’intervalle souhaité les morceaux d’une tanda. Cependant, il est assez lourd et encombrant et moins utile si on a une console.
En sécurité, j’ai toujours de petits DAC, dans l’étui des casques audio, dans ceux des cartes sons) qui peuvent me permettre d’avoir un dépannage sans me surcharger en avion avec un second DAC Adaptateur de Prise de Casque USB C à 3,5 mm. https://amzn.to/4k7fRJb Je n’ai jamais eu à utiliser en milonga, mais peut-être qu’un jour, en cas de panne du DAC principal, l’un d’eux me rendra service…
La console de mixage
Jusqu’à présent, on était dans le domaine du DJ. Ici, on est dans la transition entre le DJ et le sonorisateur. Pour ma part, quand je le peux, j’apporte ma propre console (table de mixage) et cela pour deux raisons. Celles qui sont proposées par les organisateurs ne sont pas toujours terribles et j’aime travailler avec une console numérique, ce qui est rarement disponible en dehors des gros festivals, et encore…
On trouve assez souvent ce type de console analogique.
Cette petite console semble disposer de tout ce qui faut pour un DJ, entrée ligne, microphones, voire instruments complémentaires. Les trois réglages de tonalité permettent une intervention correcte sur le rendu.
La console Behringer Qx1204Usb pourrait être parfaite, si les ingénieurs de Behringer avaient prévu son utilisation en carte son…
Les points forts :
Réglages tonalité 3 bandes (aigus, médiums et basses). Cela ne vaut pas un semi-paramétrique ou un paramétrique, mais c’est mieux que rien. Pour le même prix, Yamaha ne propose que deux bandes de contrôle de tonalité.
Réglage du gain d’entrée.
Panoramique permettant de diffuser le signal en mono, ce qui est intéressant pour le bal.
Le point faible
Elle ne peut pas servir de carte son avec réglage de tonalité, car l’entrée USB ne sert que pour envoyer le son directement à la sortie. Il est donc impossible de régler le volume ou la tonalité de l’entrée USB, ce qui la rend inutile pour un DJ de tango. Il y aurait peut-être une astuce consistant à renvoyer le signal USB vers les connecteurs 2‑track et, de là, brancher une connexion vers les entrées des tranches normales, mais je n’ai pas testé. Si ça marche, cela éviterait d’avoir à se trimbaler une carte son tout en ayant un contrôle de volume et de tonalité. Ce point faible reste à relativiser, il oblige seulement à avoir une carte son en plus. C’est juste dommage de ne pas avoir tout intégré…
Ce que devrait avoir une console a minima
Une entrée stéréo avec réglage volume, contrôle de tonalité et balance gauche-droite.
Une entrée microphone
Ce que pourrait avoir une console de préférence
Une entrée USB permettant de régler la tonalité, le volume et la balance. Cela permet de se passer d’une carte son. C’est ce qui manque à la petite Behringer.
Ce que devrait avoir une console dans l’idéal
En plus des points précédents, la console pourrait disposer d’un égaliseur graphique, paramétrique ou semi-paramétrique. Toutefois, si la console dispose d’une sortie et entrée pour une boucle auxiliaire, il est possible d’avoir cet élément séparément.
L’égaliseur graphique est intéressant pour le réglage de la salle en permettant de supprimer les fréquences de résonance (modes propres de la salle).
En général on utilise l’égaliseur graphique pour compenser les résonances propres du local. Par exemple, si la structure vibre à 300 Hz, on baissera en conséquence le curseur correspondant. En stéréo, il faut le faire sur les deux canaux.
L’égaliseur paramétrique est lui plus utilisé pour corriger une musique à un moment donné. Par exemple, un De Angelis dont les violons sifflent. On sélectionne la fréquence, par exemple, 4500 Hz et on diminue le volume de cette fréquence. Un égaliseur disposant du réglage de la fréquence d’action et du volume de réglage de cette fréquence est dit semi-paramétrique.
Un égaliseur paramétrique dispose en plus du réglage de la pente de la courbe (facteur Q comme Qualité). Quand on baisse le volume d’une fréquence, cela agit sur les fréquences voisines. En réglant le facteur Q, on peut choisir de baisser uniquement cette fréquence ou une bande plus large. C’est très commode. On peut l’utiliser pour limiter le bruit de surface d’un disque avec une pente très serrée, pour ne pas détruire les fréquences voisines de la musique ou de façon plus large, pour enrichir, par exemple, les basses d’un morceau qui en manque.
Un égaliseur paramétrique permet de choisir une fréquence pour augmenter son volume ou le baisser. Un paramètre supplémentaire est la pente du filtre (Facteur Q). Une valeur élevée fait agir le volume sur une bande de fréquence très resserrée autour de celle réglée. Une valeur faible permet de moduler une zone de fréquence plus large. À gauche, il n’y a que deux réglages du facteur Q, étroit ou large). À droite, on peut le faire varier en continu.
Les consoles de moyenne gamme ont en général une seule fréquence en semi-paramétrique. D’autres en ont trois ou quatre, mais c’est moins intéressant pour nous, DJ de tango, car on a rarement besoin de régler plusieurs fréquences en même temps.
Toutefois, une console numérique apporte un grand confort d’utilisation, notamment avec l’affichage des fréquences de la musique qui est jouée.
Chaque cercle de couleur est un point de contrôle. On peut le placer vers le haut (augmenter le volume de sa fréquence) ou vers le bas. On peut choisir la pente, par exemple, pour modifier une fréquence très précise ou une plus grande partie du spectre sonore. On voit en gris sous la courbe, le spectrogramme (RTA) en temps réel de la musique.
La console SOUNDCRAFT UI12 est celle que j’utilise depuis plusieurs années qui me permet à la fois de sonoriser un petit orchestre ou plusieurs DJ (8 entrées) et de musicaliser de façon précise en ajustant de façon visuelle les éléments de l’égaliseur paramétrique.
J’aime beaucoup ma console numérique SOUNDCRAFT UI12. Je l’associe parfois à un petit contrôleur midi Korg pour avoir un contrôle rapide sur le volume lors de mixages (en plus des contrôles par écran tactile).
Les points forts :
Possibilité de régler les paramètres à distance (Wi-Fi) afin de vérifier que, sur la piste on a bien le son parfait, car souvent l’emplacement du DJ ne permet pas de prendre complètement conscience du son qu’ont les danseurs.
Présence de l’analyseur de spectre en temps réel. Un pic dans une fréquence est visible et on peut le « tuer » en appliquant un coup de son excellent égaliseur paramétrique, tout en voyant le résultat. Si on branche un micro de mesure, on peut aussi analyser le rendu dans la salle (il ne faut bien sûr pas rerouter ce micro vers la sortie principale…).
Les points faibles :
La console ne dispose pas d’écran. Il faut donc utiliser celui d’une tablette, d’un téléphone (Wi-Fi) ou un ordinateur. Le réglage sur un écran tactile est assez pratique, moins si on doit utiliser une souris. J’utilise parfois un contrôleur midi Korg KOH Nanokontrol2-WH, ce qui me permet de régler facilement les différents potentiomètres, comme sur une console traditionnelle.
C’est un peu lourd (alimentation séparée, éventuel contrôleur midi, il faut un écran pour l’utiliser, donc a minima un téléphone, mieux une tablette ou, dans l’idéal un ordi avec un grand écran tactile).
Amplification et diffusion
La sortie de l’ordinateur, de la carte son ou de la console de mixage est trop faible pour attaquer directement des haut-parleurs. Il faut donc amplifier le signal.
Il existe deux systèmes (pour simplifier). Un avec des amplis et des enceintes passives et un avec des enceintes amplifiées (qui peuvent être actives ou passives).
Pour un DJ ou un organisateur qui transporte son matériel, ce sont assurément des enceintes amplifiées qui sont à prévoir. Je ne vais donc évoquer que ce type de matériel, car un organisateur qui veut équiper sa salle aura tout intérêt à demander les conseils d’un professionnel s’il souhaite utiliser un ampli séparé (ce qui est plus pratique pour une installation fixe), car l’appariement des HP et des amplis est un domaine compliqué.
On trouve des matériels d’un poids raisonnable 10 à 25 kg et qui ont une bande passante suffisante pour la musique de tango.
Au besoin, un caisson de basse peut améliorer les choses en déchargeant les enceintes principales des basses fréquences. Cela améliore la pureté du son. Un seul caisson de basse est nécessaire, les enceintes étant directives.
Un bon équipement, constitué de deux enceintes pour les aigus et médiums, placés en hauteur (au-dessus de la tête des danseurs) et un caisson de basse.
Les points à prendre en compte :
En premier, l’idéal est d’écouter les enceintes avant de les acheter…
En général, ces enceintes ont deux voies. Une pour les aigus et une pour les médiums, voire les basses pour les plus gros modèles.
En général, un haut-parleur de 10 ou 12 pouces peut convenir pour la musique de tango qui n’a pas de basses très profondes. Si vous utilisez des haut-parleurs plus petits, il sera préférable d’ajouter un caisson de basses avec des HP de 12 pouces.
Attention toutefois à avoir un ensemble cohérent. La musique de tango est plus à traiter comme de la musique classique que comme de la musique de variété. Il faut un rendu relativement plat et homogène. Les enceintes pour la musique de variété ont souvent des aigus stridents et des basses qui mangent tout. On veut entendre le boum boum.
Le résultat en tango est minable et très difficile à rattraper, car on a un trou dans les fréquences principales du tango et des chanteurs.
Exemple d’enceintes que je déteste, les aigus sont stridents et les basses pesantes. C’est à mon avis peu adapté à la musique de tango traditionnelle, même si c’est génial pour les cortinas…
Conseils supplémentaires pour la sonorisation
La salle est un acteur de la sonorisation. S’il y a beaucoup de réverbération (écho), le son risque d’être confus. Pour limiter ce problème, il y a plusieurs pistes :
Meubler la pièce
Avec des tentures non-feu, bien sûr, fermer les rideaux, placer des meubles absorbants ou beaucoup de danseurs…
Choisir des enceintes relativement directives
Il faut éviter de projeter le son vers les parois ou le plafond. Une enceinte directive permet de cibler la zone de la piste de danse en limitant les réflexions parasites. Cela concerne surtout les aigus, les basses ne sont pas directives et rayonnent dans toutes les directions.
Positionner les enceintes à la bonne hauteur
Tout d’abord, éviter les enceintes à hauteur d’oreilles des danseurs. C’est mauvais pour la diffusion du son, absorbé par les danseurs et désagréable pour les oreilles. Si on a une grande hauteur sous plafond, on place les enceintes le plus haut possible et a minima à 2 m. Si les pieds ne sont pas assez hauts, on peut les poser sur la scène. L’idéal est une installation en hauteur, plongeante, mais cela n’est pas facile à réaliser pour une installation temporaire. On adoptera en revanche ce type d’installation pour les salles permanentes.
Le caisson de basse doit être posé au sol. Les autres enceintes doivent être plus hautes que les têtes des danseurs. L’idéal, pour une installation fixe, est une installation plongeante.
Le caisson de basse est toujours posé au sol pour favoriser le rayonnement des basses. On évite de le poser sur la scène, car il risque de la faire vibrer. Si on a plusieurs caissons de basse, il est préférable de les regrouper plutôt que de les placer sous chaque haut-parleur de médiums et aigus. Si la salle est très grande, on peut les placer de part et d’autre de la salle.
Orientation des enceintes
S’il convient de diriger les enceintes vers les danseurs depuis une position haute, il est également important de bien les orienter horizontalement.
Placer les enceintes dans les angles peut renforcer leur puissance, mais c’est rarement la meilleure solution. Pour les mêmes raisons, on évite de les placer trop près des murs. Dans beaucoup de milongas, la piste de danse est entourée de tables et donc le meilleur endroit est au bord de la piste, orienté vers la piste. Cela diminue un peu le volume sonore aux tables, ce qui facilite les discussions.
La forme idéale de la salle est presque carrée. On dirige les deux haut-parleurs à 2/3 de la distance du fond de la salle. Il faut veiller que les HP soient branchés de la même façon (en phase).
Les salles très en longueur
Chaque fois que c’est possible, on placera seulement deux haut-parleurs, du même côté de la salle. Pour les très grandes salles, on peut conserver ce principe à condition de pouvoir placer les haut-parleurs suffisamment haut. D’ailleurs, pour les très gros concerts de variété, les systèmes d’enceintes sont regroupés et pas dispersés dans tout le stade.
Cependant, si la salle est très en longueur, on est dans la plus mauvaise configuration possible. Il faudra probablement utiliser plus d’enceintes.
Pour une salle très en longueur, il faudra probablement multiplier les haut-parleurs pour éviter d’avoir une différence de volume trop importante d’un bout à l’autre. Si on a que deux HP, on peut en mettre un à une extrémité et un autre au milieu, orienté vers le fond de la pièce.
Ici, une possibilité avec deux enceintes principales et d’autres, plus faibles, pour équilibrer le volume. Les enceintes secondaires devraient être réglées à un volume plus faible pour garder la cohérence de la venue du son depuis les enceintes principales. Pour ma part, je les oriente dans la même direction afin d’éviter les ventres et les nœuds acoustiques (zones où le son s’additionne ou s’annule).
Pour une grande taille, il faut ménager des délais différents selon les enceintes afin que l’auditeur ait l’impression que toutes les enceintes, proches ou éloignées, résonnent en même temps. Malheureusement, ce type de réglage n’est possible que sur des équipements professionnels et ils seront donc réservés aux événements disposant d’un sonorisateur compétent. Dans les autres cas, réduire le volume des auxiliaires permet de faire passer le montage comme supportable.
Une autre possibilité consiste à poser les enceintes face à face, à chaque extrémité de la pièce. Dans ce cas, il est important de mettre les enceintes en opposition de phase pour éviter un nœud au centre de la pièce.Mise en phase des haut-parleurs.
En haut, les HP sont branchés de la même façon. Les ondes sont synchronisées. Un auditeur situé à égale distance des deux HP aura une écoute optimale. Lorsqu’il est à une distance différente des deux HP, il entend le signal d’un côté un peu décalé. Cela peut poser un manque de clarté, mais cela donne aussi une impression de volume et, si c’est dans des proportions raisonnables, ce n’est pas un problème. Dans une salle très profonde avec des haut-parleurs très distants, l’effet peut être désagréable si on n’ajuste pas les délais.
Lorsque les HP sont en opposition de phase, les ondes sonores qu’ils émettent tendent à s’annuler, ce qui crée un nœud. Comme l’effet est variable selon les fréquences, le résultat peut être très désagréable, notamment pour les danseurs qui vont se déplacer dans la salle et passer par des successions de nœuds et ventres.
Il existe plusieurs façons d’inverser la phase. La plus simple est de sélectionner la commande correspondante sur l’enceinte. Sur des systèmes grand public, on peut inverser le fil rouge et le noir sur le bornier. Pour des connexions en XLR ou Speakon, il faut utiliser un adaptateur spécifique (ce dernier tend à disparaître au profit du réglage sur les enceintes).
Connexion entre la console et les enceintes amplifiées
Les principales sorties d’une console de mixage. RCA (connecteur blanc pour la gauche et rouge pour la droite). Connecteurs jacks 6,35 avec moins de risque d’arrachement accidentel et XLR, le seul système vraiment professionnel et qui, idéalement, est symétrique lorsque l’on a besoin d’une grande longueur de câble entre la console et les enceintes.
Dans une liaison symétrique, le signal passe dans deux des conducteurs du câble en opposition de phase. À l’arrivée, les deux signaux sont remis en phase et combinés. Si un bruit causé par une interférence sur le câble apparait, il est automatiquement supprimé, car il est en opposition de phase sur les deux fils. Cela permet de grandes longueurs de câble et c’est donc la liaison idéale entre la console de mixage et des haut-parleurs amplifiés qui peuvent être assez loin dans la salle.
La puissance des enceintes
Une règle empirique pourrait être de multiplier les W par 10 par le nombre de danseurs. Ainsi, 100 danseurs 1000W ; 300 danseurs 3000W et 10 danseurs… 100W 😉 On musicalise généralement le tango à moins de 85 dB et il n’y a pas de graves puissants, demandeurs de puissance. Cette base empirique peut donc suffire.
2 enceintes de 1000 à 2000 W peuvent donc être l’équipement de base d’un organisateur ou d’un DJ itinérant.
Pour une installation en fixe, il est préférable d’optimiser les paramètres en fonction de la salle. C’est un tout autre domaine qui demande d’étudier beaucoup de paramètres et qui ne peut se résoudre simplement par la seule sonorisation.
Tester le son dans la salle
Pour vérifier que le positionnement des enceintes est correct, que l’égalisation est bien effectuée (compensation des modes propres de la salle), il y a plusieurs étapes, plutôt simples.
Vérifier le signal gauche droite.
En tango, comme on diffuse généralement en quasi-mono, ce n’est pas déterminant, sauf si on a plus que deux haut-parleurs pour vérifier que les groupes sont cohérents. Cela permet aussi de vérifier qu’un côté n’est pas plus fort que l’autre. Pour cela, on peut envoyer un signal alternativement à gauche et à droite. Par exemple, un signal de 1000 kHz. Si on souhaite que la gauche soit réellement la gauche et la droite, la droite, on peut enregistrer une piste qui annonce gauche/droite, mais encore une fois, en tango et pour la danse où on se déplace, ce n’est pas primordial.
Vérifier l’absence de ventres et de nœuds à toutes les fréquences
Là, en revanche, c’est absolument essentiel si on est face à une sonorisation improvisée. Les organisateurs n’aiment pas toujours que le DJ déplace les enceintes et balance du bruit rose dans la salle, mais c’est le prix à payer pour une sonorisation de qualité. Dans une salle professionnelle avec un sonorisateur, ces précautions peuvent être superflues. Tous ces réglages ont été effectués en amont au mieux des capacités de la salle.
Pour effectuer cela, on envoie un bruit rose à un volume pertinent par rapport à l’utilisation finale (par exemple 80 dB).
Bruits rose et blanc, très utiles pour vérifier la qualité d’une installation de sonorisation.
On parle dans le public, plus souvent de bruit blanc qui est un bruit de puissance équivalente à toutes les fréquences. Cependant, pour la mesure d’une salle, il est préférable d’envoyer un bruit rose, car il possède une énergie constante par octave. C’est-à-dire qu’il a 50 % d’énergie (3 dB) en moins à chaque doublement de la fréquence.
L’utilisation du bruit rose a deux avantages :
Il suffit de vérifier que le signal est horizontal, sans pics ou creux pour vérifier que toutes les fréquences sont bien représentées dans la salle.
Du fait des propriétés de l’oreille, il donne à l’écoute la sensation d’une intensité semblable à toutes les fréquences.
Même sans équipement sophistiqué, on peut, avec une simple application sur un téléphone, avoir une représentation du profil de la musique en cours. Même si le téléphone n’est pas hyper précis, il est suffisant pour la musique de tango qui se trouve dans la plage de fréquence où le microphone du téléphone donne de bons résultats.
En blanc, les fréquences émises à un instant T. Cette ligne évolue donc rapidement.
En jaune, le canal gauche et en vert, le droit avec une inertie. C’est-à-dire que, si le son s’arrête, les lignes jaune et verte descendent progressivement vers le bas.
Le fond bleu correspond aux maxima rencontrés. Par exemple, on remarque qu’il y a eu un pic à 800 Hz ici.
Si on utilise cette application pour mesurer le bruit rose, on doit avoir un résultat aussi plat que possible. Pour y arriver, il faudra éventuellement changer la place des haut-parleurs et agir sur l’égaliseur graphique en montant ou baissant les curseurs des fréquences défectueuses. Par exemple, dans cette illustration (qui n’est pas une mesure de bruit rose), on baisserait le curseur des 800 Hz sur l’égaliseur graphique.
On se déplace dans la salle pour vérifier que la courbe est bien plate dans tous les emplacements. On vérifie aussi que le niveau sonore est homogène. Une différence de 12 dB est à mon avis acceptable entre les zones les plus fortes et les plus faibles de la piste de danse. L’idéal est bien sûr de rester dans la limite de 3 dB, mais c’est presque impossible à réaliser. Je ne m’occupe pas du volume sonore hors de la piste, pour deux raisons. La première est qu’il est généralement plus faible que sur la piste et que les danseurs sont a priori sur la piste. Si on cherche à augmenter le volume près des murs pour les personnes aux tables, on va augmenter la réverbération et nuire à la qualité de la musique sur la piste.
Une autre mesure que j’adore faire est de diffuser un signal passant de 10 Hz à 20 kHz, voire d’un double signal avec un son en sens contraire. Quand la salle est parfaitement réglée, la courbe résultante est parfaitement horizontale.
Bien sûr, ces mesures sont difficiles à faire quand il y a du public dans la salle, car ces « bruits » peuvent déranger. C’est pour cela que les organisateurs sont bien avisés quand ils respectent les possibilités de balance pour les DJ également. Souvent, seuls les orchestres peuvent en bénéficier et ceux-ci font plutôt des répétitions que des balances, ce qui fait que le DJ n’a que rarement 5 minutes pour faire ses réglages.
Faut-il une conclusion ?
J’ai bien conscience que c’est grotesque d’évoquer l’acoustique et la sonorisation d’une façon aussi simpliste. C’est un métier à part entière et il n’est pas question que les organisateurs et les DJ se forment à cette discipline. Cependant, ces quelques conseils pourraient améliorer les choses en donnant aux danseurs une expérience plus agréable pour leurs oreilles et pour conclure, je rappellerai qu’il est question d’une chaîne et que, donc, tous les maillons doivent être à la hauteur.
Il y a aussi l’ambiance qui joue. Je prendrai l’exemple de la cigarette. Comme non-fumeur, je suis très dérangé par la moindre odeur de cigarette, même à plusieurs mètres dans la rue. Pourtant, quand il s’agit d’une activité passion, comme le DJing ou la danse, on est beaucoup moins dérangé. C’était en rentrant à la maison ou l’hôtel que l’on se rendait compte que les vêtements empestaient le tabac. Cependant, à Buenos Aires, l’interdiction de fumer en milonga, qui date de 2006 n’expose plus à cet inconvénient et c’est un exemple à suivre.
Je ne propose pas une lecture ou une analyse détaillée de cet article. Je l’utilise juste comme prétexte pour donner quelques pistes pour que ne meure pas notre tango.
Faut-il évoluer pour être un patrimoine de l’humanité ?
Christian Martínez regrette que la politique culturelle argentine n’appuie pas la création dans le domaine du tango. Il parle d’absence de financement et on ne peut que le suivre quand on constate qu’avec le gouvernement actuel, tout ce qui est culturel ne va plus être subventionné. Rappelons tout de même que certaines milongas sont aidées par la Ville de Buenos Aires, notamment pour financer des prestations d’orchestres.
Il émet la thèse que les financements permettent de soutenir la création artistique, indispensable à la survie du tango, tout du moins, de son tango, un tango contemporain et en recherche d’un autre souffle.
Dans son article, il prend l’exemple du chamamé, une musique et une danse centrées sur la province de Corrientes et que les Européens dansent en milonga… Il rappelle que le chamamé vient de sortir du champ du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco, pour n’être pas suffisamment novateur, pas assez varié.
Qui a fait même un très court séjour dans la Province de Corrientes aura entendu du chamamé à longueur de journée. Le fait qu’il ne soit pas devenu un élément pour touriste et au contraire, qu’il remplisse l’âme des Correntinos devrait, à mon avis, renforcer son titre de patrimoine.
Cela est inquiétant pour le tango, car, si ce critère prédomine, ce sera une accélération de la dénaturation de ce patrimoine, la recherche d’originalité et de nouveauté au détriment de la nature profonde du tango.
Ce titre serait alors plutôt une pierre tombale, tout comme le sont en France les appellations contrôlées de fromages où on oblige à industrialiser les procédés de fabrication pour uniformiser le goût d’un producteur à l’autre. C’est le principe de Mac Donald ; un hamburger doit avoir le même goût à New York, Paris, Rome ou Tokyo. Le chamamé et bientôt le tango doivent se fondre dans cette culture de masse mondiale pour être reconnus comme patrimoine culturel.
Éléments sur la situation du tango à Buenos Aires et ailleurs
Pour parler d’argent, À Buenos Aires, chaque musicien d’un orchestre de tango est payé autour de 50 000 pesos (moins de 50 €/$) par prestation, tout comme le DJ, mais ce dernier assure plus d’heures…
Pour les danseurs, le problème est surtout l’inflation qui fait que les prix explosent. Les milongas coûtent désormais entre 5 000 et 10 000 pesos plus 3 000 pesos pour une boisson, quasi obligatoire, ce qui rejoint les prix européens. Malheureusement, les revenus mensuels, notamment chez les retraités qui sont une part importante des milongueros portègnes, tournent autour de 600 000 pesos, voire la moitié dans bien des cas. Le résultat est que les Portègnes ne dansent plus qu’une ou deux fois par semaine là où ils dansaient tous les jours.
Les organisateurs cherchent à boucher les trous en attirant les touristes, tandas de trois, orchestres qui n’étaient pas joués auparavant comme Sassone. Ces manœuvres éloignent encore plus les milongueros. Les étrangers en viennent à danser entre eux ou avec des taxis dancers (sans le savoir dans la plupart des cas, car il y a 2 à 10 % de taxis dancers payés par les organisateurs). Rappelons que leur « paye » peut être l’entrée gratuite et une boisson. Comme l’évoquent les paroles écrites par Carlos Lucero pour Bailarín de contraseña interprété par Ángel D’Agostino et Ángel Vargas, on trouve des expédients pour pouvoir danser…
Curieusement, les entrées gratuites ou à prix réduit pour les habitués (lire les Autochtones) sont décriées par les touristes comme étant de la discrimination. Mais c’est pourtant une mesure qui peut sauver les milongas en y conservant quelques véritables danseurs portègnes et éviter que les milongas soient toutes des Disneylands où des touristes viennent voir bouger en savourant un café, une coupe de « champagne » et des médialunas, des simulacres de tango pratiqués par des débutants et des touristes.
Le tango de danse est un art populaire, qui a ses sources dans l’âme du peuple. Il a été forgé essentiellement en Argentine. Les intellectuels qui théorisent ce divertissement le rendent souvent insipide.
Reste à parler du rôle du DJ (et des organisateurs). Le partage entre faire du vulgaire pour attirer les masses et faire de la qualité pour conserver les danseurs qui s’intéressent à la musique n’est pas si facile, du moins en apparence.
En effet, on se rend rapidement compte que les bons tangos de danse de l’âge d’or sont suffisants pour donner du plaisir aux danseurs étrangers et qu’ils n’ont pas besoin de retrouver les titres médiocres (ou mal agencés) qu’ils peuvent avoir chez eux. Sinon, pourquoi faire plusieurs milliers de kilomètres pour retrouver la même bouillie qu’à la maison ?
Il est donc essentiel que le DJ et l’organisateur fassent fonctionner un bon patrimoine. Cela n’exclut pas les orchestres contemporains, même si la majorité d’entre eux sont des clones des orchestres de l’âge d’or. Un bon orchestre en vivo fait venir du monde, de même qu’un bon DJ remplit les milongas portègnes.
Les milongas qui sont remplies au forceps (accords avec des voyagistes, par exemple), sont à moyen terme condamnées. Les danseurs ne trouvent pas de table libre et la piste est encombrée par des touristes, sac à main en bandoulière, qui gesticulent comme des déments. Les bons danseurs ne viennent plus ou alors ne s’intéressent qu’aux belles étrangères qui peuvent leur apporter un espoir d’émigration. Du coup, les danseuses portègnes ne viennent plus et seule la perfusion des entrées des touristes permet de faire fonctionner ce mécanisme à vide.
Le raisonnement pourrait être le même pour les milongas hors de Buenos Aires, mais peut-être avec la raison supplémentaire que pour certains organisateurs, le but unique est de gagner de l’argent. Cela n’est pas un mal en soi, c’est un métier comme un autre. En revanche, cela devient néfaste quand la volonté de lucre en vient à diminuer la qualité de l’événement en offrant des prestations médiocres, voire franchement nulles.
Parfois, c’est une question de choix. On dépense beaucoup pour un orchestre de 10 musiciens et on met des DJ locaux avec des playlists médiocres pour occuper la majorité des créneaux de danse. Si l’orchestre est exceptionnel, cela peut passer, mais souvent, les économies se font aussi sur l’orchestre et là, c’est au DJ de sauver l’événement. S’il ne peut pas le faire, cela fait d’autres danseurs qui vont s’éloigner de cet événement, puis, à force de retrouver le problème, même en se déplaçant parfois très loin, c’est le tango qu’ils abandonnent.
Pour éviter cela, il reste (ou restait ?), Buenos Aires. Il est donc important que la communauté portègne prenne en charge son héritage et le valorise et arrête de sombrer dans des concessions au tourisme pour redevenir un générateur, un régénérateur du tango à l’échelle mondiale.
Il y a ici d’immenses professionnels et c’est désolant de voir comme ils peuvent être noyés dans une médiocrité croissante qui tend à devenir la norme.
Le tango se mérite. Il demande beaucoup d’efforts pour le comprendre, l’aimer, le servir, l’adorer. Je crois qu’il faudrait donc veiller à soutenir la flamme de ceux qui veulent découvrir cet univers. Malheureusement, on leur propose surtout des douches froides, des événements tristes, compassés, aseptisés, ennuyeux et par-dessus tout prétentieux, comme ces grands festivals financés par une collectivité complaisante et qui peuvent survivre par ce moyen, même sans jamais avoir en priorité le plaisir des danseurs.
Heureusement, il y a des événements qui redonnent du bonheur et de l’envie et, bien sûr, plusieurs milongas portègnes, même si les proportions baissent.
Alors, tous ensemble, dans ce monde désespérant sur bien trop de plans, essayons de nous forger un petit paradis de tango.
Que les danseurs apprennent à écouter la musique pour ne plus se contenter de bruits médiocres, proposés dans n’importe quel ordre ou toujours dans la même organisation, celle de la playlist récupérée.
Que les DJ apprennent à étudier la piste de danse, à marquer de l’empathie pour les danseurs et qu’ils enrichissent leurs connaissances pour sauvegarder l’héritage, mais en le gardant vivant.
Il serait bien aussi que tous les professeurs enseignent le tango comme une danse sociale, appuyée sur une musique dédiée et dans le respect de l’harmonie du bal.
Enfin, le sommet serait que les organisateurs veillent au confort des danseurs avec, notamment de bons intervenants, une sonorisation de qualité, un plancher satisfaisant et un accueil chaleureux, voire amical, pour que chaque danseur se sente comme membre de la grande famille du tango.
Comme annoncé dans l’article sur la musique trichée, voici quelques éléments d’explication pour aider ceux qui ne sont pas au fait de la musique sous forme numérique. Nous aborderons la chaîne musicale analogique et comment on la convertit en musique numérique. Des éléments sur les formats de compression et les capacités réelles des formats numériques seront également donnés. C’est un peu technique, mais il y a quelques idées reçues qu’il me semblait utile de revoir.
La musique est un phénomène analogique
La musique est une forme particulière de sons qui se distingue du bruit par une certaine forme d’organisation. J’en parle dans mes cours de musicalité et je ne souhaite pas radoter. Ces sons sont donc des vibrations, plus ou moins harmonieuses, qui parviennent à nos oreilles, voire au corps, en entier, notamment pour les basses fréquences.
Fréquence d’un son
On représente l’onde sonore par une courbe sinusoïde pour un son régulier (une fréquence pure). Si la courbe s’alterne 2000 fois par seconde, on parle de fréquence de 2000 Hz.
Le Hertz est l’unité de mesure de la fréquence.
À gauche, les infrasons et à droite, les ultrasons sont les fréquences que ne capte pas l’oreille humaine.
Une bonne oreille humaine est réputée pouvoir entendre des fréquences comprises entre 20 Hz (20 vibrations par seconde) et 20 kHz (20 000 vibrations par seconde). Pour les fréquences plus graves, les infrasons, le corps peut les ressentir (tremblements de terre, par exemple). Pour les plus aigus, les ultrasons, pas de chance, c’est le domaine des chauves-souris et des chiens. On notera qu’au fur et à mesure que les cils de la cochlée disparaissent, la sensibilité de l’oreille baisse, notamment pour les plus hautes fréquences.
Volume d’un son
L’autre élément important pour décrire un son, c’est son volume. C’est-à-dire l’amplitude des ondes qui parviennent à nos sens.
L’onde sonore parvient à l’oreille comme une succession de vibrations. Plus elles sont amples et plus le son est fort.
Si les amplitudes sont trop faibles, l’oreille n’est pas capable de les détecter. Si elles sont trop fortes, des dommages irréversibles aux oreilles peuvent advenir. Le décibel (dB) est l’unité de mesure du volume sonore. On parle de pression acoustique. Pour évoquer le niveau sonore pour la diffusion de la musique, il y a plusieurs paramètres à prendre en compte et notamment la durée du son fort. J’y consacrerai un autre article… Pour l’instant, il importe de se souvenir qu’un son supérieur à 120 dB (seuil de la douleur) provoque des dommages irréversibles et qu’au-dessus de 85 dB, il convient de limiter le temps d’exposition. Un dernier point, la pression sonore double tous les 3 dB. Ainsi, un son de 85 dB est deux fois plus fort qu’un son de 82 dB.
Principe d’une chaîne musicale analogique
Je ne partirai pas de l’enregistrement que nous avons déjà évoqué, seulement de la reproduction. Les supports principaux de l’enregistrement analogique pour la musique sont le disque et la bande magnétique. Pour le disque, ce sont les ondulations du sillon qui sont transformées en onde sonore.
Pointe de lecture (en saphir ou diamant industriel) dans un sillon de microsillon. À droite, l’image représente environ 0,3 mm de large. Les aspérités du bord du disque sont les bords du chemin. Les différences de profondeur servent à coder un second canal (stéréo).
Contrairement à une croyance très répandue, la stéréo n’est pas obtenue par une différence entre le côté droit et le côté gauche du sillon, mais par une différence de profondeur de celui-ci. En effet, les deux bords du sillon sont parallèles et une pointe de lecture unique ne pourrait pas suivre les deux côtés en même temps si ce n’était pas le cas. Donc, les mouvements horizontaux du sillon sont absolument identiques sur un disque mono et un disque stéréo. Ce qui est différent sur un disque stéréo, c’est que le sillon est plus ou moins creusé. Ce creusement n’est pas le codage d’un canal, mais la différence d’un canal par rapport à l’autre. La gravure verticale est égale au signal de Gauche moins celui de Droite. Si les canaux sont identiques (mono ou tout simplement, car il n’y a pas de différence entre les deux canaux), la profondeur du sillon est constante. Si on a un son qui passe d’un côté à l’autre (effet ping-pong), on aura des changements de profondeur du sillon. On notera que, contrairement à l’enregistrement numérique ou à l’enregistrement magnétique (sur un excellent magnétophone), le taux de diaphonie n’est pas extraordinaire. Il est impossible de mettre 100 % d’un côté ou de l’autre, ce qui réduit l’effet stéréo, mais ce n’est pas gênant, car, dans un concert, on entend toujours la musique provenant de l’autre côté.
Dans les premiers systèmes, un grand pavillon tentait de diffuser le bruit de l’aiguille dans les sillons du disque. Les systèmes électriques, en amplifiant ce signal, ont permis de sonoriser plus confortablement n’importe quel espace. La pointe de lecture, une aiguille pour les disques 78 tours, puis un diamant pour les microsillons subit les ondulations du sillon et les transmet à un dispositif électromagnétique qui détecte les vibrations pour moduler un courant électrique.
Un schéma simplifié du principe de fonctionnement d’une cellule platine disque vinyle (stéréo). La pointe de lecture (diamant) fait se déplacer le cantilever relié à un pivot. Ce pivot porte deux aimants dont les déplacements sont détectés par 4 entrefers reliés chacun à une bobine. Le courant circulant dans les bobines est modulé en fonction des mouvements des aimants. Ce signal électrique est transmis par 4 fils au système de décodage et préamplification afin de restituer le signal sonore stéréo.
Ce qui est important à tenir en compte, c’est que le signal dans les systèmes analogiques est toujours sous forme de variation d’onde. C’est un phénomène continu. La pointe de lecture de la platine tourne-disques se déplace par vibrations. Ces vibrations sont transmises sous forme de variation de potentiel électrique par la cellule. Ces variations sont amplifiées par l’amplificateur analogique, qui envoie un signal électrique plus fort aux enceintes dont les bobines des haut-parleurs vont se déplacer en fonction de ce qu’elles reçoivent. Par exemple, quand l’onde est à son maximum, la bobine va pousser la membrane du haut-parleur vers l’avant et quand l’onde est à son maximum, la bobine va vers l’arrière. Le mouvement de la membrane du haut-parleur, solidaire de la bobine, va pousser l’air pour le mettre en mouvement, ce qui va produire dans notre oreille une sensation de son.
Schéma d’un haut-parleur (découpé). Lorsque la bobine se déplace, elle entraîne avec elle la membrane (cône et dôme anti-poussière). Le mouvement est transmis à l’air ambiant et le son peut se propager jusqu’aux oreilles des auditeurs.
Une petite mise en garde. Si on utilise deux haut-parleurs, il faut veiller à les brancher dans le même sens pour éviter qu’un aille vers l’avant pendant que l’autre va vers l’arrière. Les ondes produites par les haut-parleurs tendraient à s’annuler, le maximum de l’un correspondant au minimum de l’autre. Voir un court topo sur la question. On utilise d’ailleurs ce phénomène pour les casques à réduction dynamique de bruit, mais c’est une autre histoire…
Le cas du magnétique
En plus des procédés purement mécaniques ou électromécaniques, des procédés de stockage magnétiques ont été inventés. Dans les bandes magnétiques analogiques, la magnétisation de la bande est plus ou moins forte. Ces variations, comme celle de la pointe de lecture, peuvent être amplifiées et envoyées dans le système de diffusion sonore. Nous verrons, toutefois, que la bande magnétique a survécu à l’ère analogique pour rejoindre l’ère numérique que nous allons évoquer maintenant.
L’arrivée du numérique
Le signal analogique est très simple à gérer. Il suffit de respecter les caractéristiques du signal électrique, le plus fidèlement possible, de la pointe de lecture de la platine, jusqu’à la bobine du haut-parleur. Le numérique exploite un autre principe. On mesure les caractéristiques d’un son à un moment donné. On mesure notamment son amplitude et ses fréquences (j’écris « ses » fréquences, car les sons musicaux sont des mélanges variés de fréquences et pas une onde sinusoïdale pure).
La courbe de fréquence est ici le résultat de la superposition de toutes les fréquences de la musique.
Cette mesure s’effectue à un moment donné. Les informations peuvent être retranscrites sous forme numérique, puisqu’on les a mesurées. On recommence une fraction de seconde plus tard et ainsi de suite pour toute la durée de la musique. Cette opération qui consiste à diviser la musique en tranches s’appelle la quantification.
En gris, la courbe de la musique. La ligne brisée en escaliers représente le signal numérique.
Pour bien comprendre, regardez l’espace entre les deux lignes rouges verticales. C’est un instant de la musique. La ligne verte horizontale dans la colonne rose indique la fréquence identifiée par la numérisation. On se rend compte, toutefois, que la courbe analogique (en gris) est ascendante durant le temps de cette quantification. Il y aura donc une moyenne et pas une valeur exacte. Lors de la restitution, on effectue l’opération inverse. On reproduit la fréquence enregistrée et on extrapole l’évolution jusqu’à la valeur suivante (ici, le palier vert à droite de la zone rose).
L’aspect d’une “courbe” numérisée à différents niveaux d’échelle. On se rend compte que, dans la capture d’écran du bas, on voit les « points », les valeurs mesurées.
On pourrait penser que ces escaliers dénatureront la musique. Cela peut être le cas, mais pour éviter cela, on multiplie les mesures. Pour les CD, c’est 44 100 fois par seconde. Pour les DVD 48 000 fois par seconde. C’est la fréquence d’échantillonnage. Ces échantillons rapprochés permettent de reproduire des sons jusqu’à une fréquence sensiblement égale à la moitié de cette fréquence d’échantillonnage, soit 22 kHz et 24 kHz, des valeurs supérieures aux capacités des oreilles humaines.
Le stockage de l’information de volume
La quantification, ce qui n’apparaît pas dans mon graphique précédent, mesure aussi le volume de la musique. C’est essentiel, car les nuances sont un élément majeur de la musique, enfin, de la plupart des musiques…
Le volume de l’information à stocker
On a donc dans chaque case, pour chaque mesure, de nombreuses informations. Pour les stocker, il fallait de nouveaux types de supports. Le CD est le support qui a permis la généralisation de la musique numérique. Les studios d’enregistrement numériques utilisaient eux des magnétophones multipistes à bande, mais c’est un autre domaine. Ce support reçoit de la musique échantillonnée à 44,1 kHz et sur 16 bits. C’est-à-dire que chaque mesure peut être codée avec 65,536 valeurs différentes. Cela permet de stocker des fréquences de 20 à 20 kHz et des écarts de dynamique de 90 dB. Ces valeurs sont suffisantes pour atteindre les performances des meilleures oreilles humaines, tout en offrant un rapport signal/bruit incroyable pour l’époque (même si dans le domaine de l’enregistrement numérique, le Dolby faisait des miracles en étant dans la même gamme de rapport signal/bruit…). Il y avait tout de même un point noir pour les utilisateurs lambdas. Il n’y avait pas de système d’enregistrement grand public permettant de manipuler facilement ces énormes quantités d’informations. Des enregistreurs de CD sont bien apparus, mais ils étaient lents et moyennement fiables. Les enregistreurs DAT étaient vraiment chers. Ils utilisaient des bandes magnétiques, ce qui permettait de faciliter les opérations d’enregistrements, mais en lecture et avec un accès séquentiel (il faut faire défiler la bande jusqu’au point qui nous intéresse, comme avec les cassettes Philips). Peu de temps après, le MiniDisc résolvait ces deux problèmes. Il avait la facilité d’usage pour l’enregistrement d’un magnétophone à cassettes, mais son accès aléatoire permettait un accès instantané et indexé à la musique présente sur le MiniDisc. Dans mon cas, cela a été mon support favori pour numériser les disques Shellac. Augusto, un DJ parisien originaire de Bariloche, l’utilisait également en milonga.
L’informatique musicale
Aujourd’hui, la quasi-totalité des DJ utilisent un ordinateur. J’ai, je pense, été un des premiers à le faire, tout d’abord avec un ordinateur tour qu’il fallait triballer avec son écran, écran qui, même en 15 pouces, était lourd et encombrant. Je rêvais donc d’un ordinateur portable, mais dans les années 90, c’était coûteux et les disques durs étaient très petits. Un disque dur de 40 Mo permettait de stocker un seul tango au format WAV… J’avais un disque dur SCSI de 160 Mo (un monstre pour l’époque), mais cela était bien sûr trop limité. C’est alors que je suis passé au MP3 à 128 ou 192 kbit/s, ce qui permettait de stocker 10 fois plus de musique. J’ai alors investi dans un lecteur Syquest et une flopée de disques de 88 Mo et dans mon premier ordinateur portable. Un truc avec un écran monochrome, mais offert avec une souris « Colani » et une calculatrice du même designer…
Mon premier ordinateur portable et un lecteur Syquest avec des cartouches de 88 Mo. L’ordinateur avait un processeur 486DX2 à 66 MHz, 8 Mo de RAM et 540 Mo de disque dur. Je ne sais pas où est passé cet ordinateur, mais il me reste encore des Syquests avec des cartouches de 88 Mo et de 200 Mo. En recherchant une photo de l’ordinateur sur Internet, j’ai même retrouvé ses caractéristiques.
Le système devenait viable et, vers 2000, j’ai inauguré ce portable et les Syquests avec Winamp, un logiciel qui permettait également de changer la vitesse de la musique. Royal, non ? Un disque de 1 Go en interne quelques années plus tard m’a permis d’avoir plus de musique avec moi. Aujourd’hui, je suis passé à 4 To… Tout cela pour dire que le MP3, qui est un retrait par rapport aux capacités du CD a été salvateur pour utiliser l’informatique en milonga. Le MP3 devait également se développer à cause des faibles performances d’Internet de l’époque, même si j’avais Numéris, un système qui permettait d’atteindre 64, voire 128 kbit/s en agrégeant deux canaux, mais en doublant aussi le prix de la communication… Aujourd’hui, avec l’ADSL ou la fibre, on a oublié ce temps où il fallait des heures pour les transferts et qu’ils étaient facturés à la minute…
Comment le MP3 a permis de réduire la taille des fichiers
Un tango au format WAV, qualité CD, occupe environ 30 Mo. Un fichier MP3 à 128 kbit/s occupe environ 3 Mo, soit 10 fois moins que le fichier sans compression.
Ce tableau présente la quantité d’information à stocker en fonction de ses caractéristiques (Fréquence d’échantillonnage et résolution). Encadré en rouge, le CD (piste mono). Il faut multiplier par deux pour un fichier stéréo (1411 kbit/s).
Un fichier MP3 stéréo en qualité « CD », 44,1 kHz et 16 bits devrait faire également 30 Mo s’il n’avait pas de compression. Un fichier audio stéréo au format CD demande un débit de 1411 kbit/s. Le meilleur MP3 est limité à 320 kbit/s. Il faut donc comprimer environ 4 fois le fichier pour le faire entrer dans son format. Cela se fait en supprimant des données estimées inutiles ou pas utiles. Sur une musique relativement simple, c’est réalisable, mais plus complexe pour de la musique plus riche. Si on choisit un débit plus faible, par exemple 128 kbit/s, et que l’on a conservé les valeurs initiales de 44,1 kHz et 16 bits, il faut donc augmenter très sensiblement la compression et là, les pertes commencent à s’entendre, comme vous avez pu l’écouter dans mon article « Détecter la musique trichée ». https://dj-byc.com/detecter-la-musique-trichee/
Taille relative des boîtes à musique
Les “boîtes” bleues montre les capacités d’enregistrement, sans compression. À gauche, trois formats. le 78 tours, le 33 tours et le MP3 à 320 kbit/s.
En haut à droite, le format CD (44,1 kHz/16 bits). En dessous, le format DVD et les formats Haute résolution. Ces deux derniers formats permettent d’enregistrer des gammes de fréquences bien au-delà du nécessaire et des différences de niveaux sonores supérieures à ceux qui pourraient se rencontrer sur terre. Ce sont donc des formats destinés à l’enregistrement professionnel. Par exemple, si le volume d’enregistrement a été trop faible, on pourra l’augmenter sans rajouter de bruit de fond, ce qui serait impossible avec un format CD ou DVD. On restera donc probablement à des valeurs raisonnables pour ce qui est de la diffusion de la musique en conservant les valeurs du CD ou du DVD. Pour vous enlever toute hésitation, je vous présente ce qu’occupent les formats traditionnels (LP 33 tours et shellac 78 tours) en comparaison de la boîte du CD.
Les trois contenants au format 44,1 kHz et 16 bits) et comment s’y logent trois formats. Le 78 tours, le 33 tours et le MP3 à sa plus haute qualité.
Je commencerai par le cas du MP3. La partie centrale est la taille du fichier. La partie qui l’entoure, en rose, c’est l’espace que va retrouver la musique après la décompression. En théorie, on retrouve dans la musique décompressée, la même gamme de fréquences et la même dynamique que le CD. La différence que l’on peut éventuellement noter dans de bonnes conditions vient des artefacts de compression qui ont restitué des détails un peu différents de ceux d’origine. Dans les deux boîtes supérieures, j’ai placé le 78 tours et le 33 tours. On voit qu’il y a beaucoup de marge de manœuvre. Les capacités du CD sont nettement supérieures à celles de ces deux supports. Certains pourraient affirmer que le rendu analogique est plus doux, meilleur ou je ne sais quoi, mais il s’agit plus d’un fantasme, notamment pour la musique historique du tango, qui n’a pas bénéficié des tout derniers progrès du disque noir. Le test est facile à faire. Placez un « mélomane » en écoute aveugle et demandez-lui s’il écoute la version CD ou la version shellac. Bien sûr, vous lui aurez offert le meilleur casque, ou une chaîne hi-fi haut de gamme pour être beau joueur. S’il trouve à chaque fois sans se tromper, renouvelez le test dans une milonga avec une bonne sono. Si ce phénomène continue de toujours différencier le disque noir de sa copie numérique en qualité CD, c’est assurément que votre transfert est de très mauvaise qualité. Dans ce cas j’ai un article pour vous aider, et éventuellement un autre sur le nettoyage des disques…
Vous aurez sans doute reconnu dans la photo de couverture, une évocation du merveilleux film de Fritz Lang, Metropolis. Mais peut-être ne savez-vous pas que, si on peut voir aujourd’hui ce film en entier, c’est grâce à l’Argentine qui avait conservé une version complète (au format 16 mm) contenant les 25 minutes que l’on croyait perdues. Aujourd’hui, on peut voir ce chef-d’œuvre absolu du cinéma en entier.
Nous avons déjà parlé des techniques d’enregistrement depuis les origines, mais aujourd’hui, je souhaite répondre à un ami DJ, Fred, qui m’a demandé comment reconnaître de la musique trichée. C’est-à-dire de la musique qui est vendue comme étant de haute qualité, mais qui est de la musique ordinaire dont on a changé l’étiquette.
Les pièces du procès
Fred m’a soumis trois fichiers qu’il a acquis auprès d’un éditeur que je ne citerai pas, mais qui prétend fournir de la qualité 16 bits/44,1 kHz. Il est déçu de ses acquisitions qui ne lui semblent pas correspondre à ce que devraient être ces fichiers.
Première remarque, les noms de fichiers ne sont pas standardisés. Si on ouvre ces fichiers dans iTunes, on remarque que les métadonnées ne sont pas toutes remplies.
On peut voir que les données ne sont pas au top. Musiques du Monde au mieux de tango, une seule date d’enregistrement correcte. On remarquera toutefois que le débit indiqué est de 514 ou 1411 kbit/s, ce qui correspond à des formats haute définition.
Échantillon pas gratuit
Le principe de la musique numérique est de découper le signal sonore analogique en tranches temporelles. À un moment donné, on va quantifier le signal et enregistrer cela sous forme numérique. Puis, un peu plus tard, on va faire de même et ainsi de suite. On considère pour que ce soit de bonne qualité, il faut le faire au moins 40 000 fois par seconde… Plus ont le fait souvent et plus on aura de précision en captant les plus petits détails de changement de la musique. On considère que l’oreille humaine pouvant entendre des sons de 20 kHz (pas tout le monde…), il faut une fréquence d’échantillonnage du double pour restituer des aigus extrêmes qui, même si on ne les entend pas, influencent, ou influencerait, sur le timbre des instruments. Voyons ce qu’en dit l’éditeur douteux, repéré par Fred.
Le site de vente de musique épinglé par Fred se vante de fournir de la musique de bonne qualité, comme en témoigne ce dessin sur leur page. Le format MP3 présente des escaliers, car le taux d’échantillonnage y serait faible.
Ce dessin fait partie de la tromperie de cet éditeur. En effet, il est en partie faux. En effet, il présente le MP3 à 320 kbit/s comme ayant des marches d’escalier supérieures à celles du format CD. C’est un mensonge. En effet, le MP3 permet un échantillonnage à 44 kHz et donc, l’effet d’escalier sera exactement le même. D’ailleurs, ils n’indiquent pas la fréquence d’échantillonnage en face du MP3, seulement en face du format CD ou Hi-Res Audio. Bien sûr, on peut échantillonner du MP3 à des valeurs inférieures. Par exemple, à 22 kHz, les fichiers seront deux fois plus petits et la fréquence maximale reproductible sera 11 kHz. On peut donc partir du principe que les MP3 à 320 kbit/s sont échantillonnés à 44 kHz et que la différence de qualité vient d’ailleurs. Il vient du fait que la compression, qui permet de réduire fortement la taille des fichiers, est destructive. Le programme de compression décide que certains éléments sont peu importants et les supprime. C’est exactement comme pour les photos en JPG. Si elles sont trop compressées, on obtient des artefacts à la décompression.
Les effets de la compression excessive sur une image sont de même ordre que ceux sur un fichier de musique. La musique devient floue, pâteuse, sans détail, sans subtilité.
Compression, décompression, ne vous mettez pas la pression
Les trois fichiers en question sont sous deux formats différents, comme en témoignent les extensions de fichier. Mais cela ne suffit pas pour être sûr de ce que l’on a et pour deux raisons :
Le fichier peut avoir été enregistré à ce format, mais à partir d’un format de moindre qualité. Cela n’augmente pas la qualité de la musique. C’est donc une « arnaque ». Cependant, si vous souhaitez retoucher votre musique, vous devrez adopter un format sans perte pour éviter qu’à chaque enregistrement la qualité du fichier baisse à cause d’une nouvelle compression.
Certains formats sont en fait des conteneurs qui peuvent recueillir différents types de fichiers. Par exemple, le format m4a de No te aguanto más est un conteneur qui peut contenir de la musique à un format compressé (type mp3) ou haute qualité (type ALAC). L’extension m4a seule ne suffit donc pas à assurer que l’on a un fichier de haute qualité, sans perte (Losless). Dans iTunes, on remarque un débit de 514 kbit/s et dans la colonne « Type », la mention Fichiers audio Apple Lossless (ALAC), ce qui correspond bien à un format de haute qualité.
La compression consiste à supprimer des informations jugées peu utiles afin de réduire la taille du fichier. Cette disposition a fait le succès du format MP3 qui permettait de ne pas saturer trop vite les petits disques durs d’il y a quelques décennies et qui pouvait s’adapter aux débits disponibles sur Internet. Avec l’augmentation du débit Internet et l’augmentation de taille des disques, le format MP3 ne se justifie plus vraiment, car il abime trop sensiblement la musique. On attend ENCODE qui serait un format avec compression de meilleure qualité grâce à l’intelligence artificielle, mais, pour l’instant, il faut regarder du côté des formats sans compression destructrice (WAV, AIFF, ALAC, FLAC…).
Il n’y a pas de petits profits
Les éditeurs l’ont bien compris et pouvoir ressortir leurs vieux fichiers au format MP3 en les « gonflant » est une astuce qui permet de vendre plus cher la même chose, sans que la qualité finale soit meilleure. Si on veut être juste, passer un disque vinyle en CD ne faisait pas non plus augmenter la qualité de la musique, n’en déplaise aux nostalgiques, un enregistrement numérique (DDD) est potentiellement meilleur qu’un (ADD) ou un (AAD). Le D pour Digital (numérique) et le A pour Analogique).
DDD = Enregistrement numérique, mixage et mastérisation numérique et diffusion numérique
Les disques de tango de l’âge d’or sont tous en enregistrement analogique (A). Les supports numériques d’aujourd’hui peuvent donc être AAD ou ADD. On pourrait penser que ADD est meilleur, mais c’est aussi le domaine de tous les abus qui nuisent à l’authenticité de la musique. Pour ma part, je préfère un bon AAD quand je ne peux pas partir d’un disque noir original. Il y a cependant des ADD qui bénéficient d’un excellent travail de restauration. Ce serait dommage de s’en priver. Les éditeurs de tango font plutôt du AAD, ce qui donne souvent des musiques avec beaucoup de bruit disque. Ce bruit est maîtrisable, mais encore faut-il bien le faire et d’autres éditeurs sont vraiment minables dans ce travail. La plupart du temps, quand vous voyez “Remasterizado” ou “Remastered”, le mieux est de fuir.
La démonstration par l’image…
Fred a détecté le problème en écoutant la musique. C’est une excellente démarche. Mais, il peut être intéressant de voir le problème. Je vous propose ici d’étudier le problème à partir de 6 fichiers représentatifs de certaines dérives. Les trois de Fred, plus trois autres que je rajoute à titre d’exemples complémentaires.
Divagando – Osvaldo Fresedo – Format AIFF – « Éditeur de Fred »
Tout d’abord, le fichier livré est bien, comme annoncé, dans un format CD (16 bits/44,1 kHz).
Divagando de Fresedo au format AIF. C’est normalement un fichier de haute qualité, mais il y a un gros problème.
On remarque quelque chose d’étrange dans le spectrogramme de ce fichier. Il y a une baisse de volume à partir de 4000 Hz. Pour comprendre, regardez l’échelle de gauche. Elle indique les fréquences. On considère qu’une bonne oreille humaine (celle d’un jeune) est capable d’entendre de 20 Hz à 20 000 Hz. On voit qu’à partir de 4000 Hz, la couleur passe de l’orange au bleu. La couleur s’analyse en regardant l’échelle de droite. Le jaune indique un fort niveau et le bleu, un niveau plus faible. Ce résultat est très étonnant et j’ai vérifié dans un autre logiciel.
Tous les modules du logiciel confirment le problème. À gauche, on voit que la partie orange est arasée à 4000 Hz. Dans l’égaliseur paramétrique, la chute à 4000 Hz est également évidente, tout comme dans l’analyseur de fréquence.
La raison de cette chute est assez simple. Un filtre de coupure a été placé avec une bascule à 4000 Hz et une pente très forte. Toutes les fréquences supérieures à la fréquence de coupure ont été supprimées. C’est une façon efficace de supprimer le bruit de surface d’un disque, mais c’est une destruction de la musique. Avec l’égaliseur paramétrique, on peut récupérer un peu des aigus détruits, mais il vaut mieux ne pas perdre son temps avec une musique de si mauvaise qualité.L’analyse du fichier révèle que son débit est de 1411 kbit/s et est réellement à 1411 kbit/s en natif. Donc, l’éditeur n’a pas triché dans le cas présent, la destruction des aigus par l’application d’un filtre passe-bas à forte pente (-40 dB à 4000 Hz) rend la musique peu utilisable. Ce traitement exagéré était probablement destiné à supprimer le bruit du disque. Je vous propose d’écouter le début du fichier.
Impossible de le laisser en entier en bonne qualité à cause des restrictions du serveur. C’est du MP3 à 320 kbit/s, mais même dans ce format dégradé, les défauts de la musique sont évidents.
06 — Orquesta Tipica Osvaldo Fresedo – Divagando (EXTRAIT)06 — Orquesta Tipica Osvaldo Fresedo – Divagando (en entier, mais adapté pour être accepté par mon site).
Conclusion pour ce fichier. Même s’il n’y a pas de triche sur le format, les traitements appliqués rendent le fichier aussi mauvais que du MP3… C’est dommage d’acheter ce fichier sans obtenir l’augmentation de qualité espérée.
No te aguanto más – Carlos Di Sarli – Format M4a – « Éditeur de Fred »
Le fichier est bien dans un format CD (16 bits/44,1 kHz), mais on est bien devant une énorme arnaque.
On se rend compte qu’il n’y a absolument rien au-dessus de 11 kHz. Il manque quasiment la moitié des fréquences de la musique possibles.
L’analyse révèle qu’en fait, le fichier source est à 96 kbit/s, le débit des plus mauvais MP3… Le fichier fait donc apparaître un spectrogramme conforme, ce format ne permettant pas d’afficher les hautes fréquences. On remarque ici la coupure très nette à 11 kHz qui contrairement à l’exemple précédent n’est pas causée par un filtre passe-bas agressif, mais par le fait que le support original ne permettait pas de conserver les hautes fréquences. Le fichier est vendu comme ayant un débit de 4116 kbit/s. Le fichier vendu est donc le fruit d’un gonflement de 42 fois du document original… C’est donc une tromperie.
No te aguanto más – Carlos Di Sarli (EXTRAIT)No te aguanto más – Carlos Di Sarli (en entier, mais adapté pour être accepté par mon site).
Le résultat est logiquement sourd et étouffé, comme l’a remarqué notre ami, Fred.
Recuerdo – Ricardo Tanturi – Format AIF – « Éditeur de Fred »
Une fois de plus, il n’y a pas de tromperie sur le contenant. C’est bien au format CD. C’est en fait l’astuce de ces vendeurs. On prend une boite de grande taille, normalement destinée à contenir un gros objet (une musique en haute résolution dans notre cas). Dans cette boîte, il peut y avoir un gros objet, mais aussi un objet plus petit (le fichier artificiellement gonflé). Mais, ce que le DJ achète, ce n’est pas la boite, mais l’objet, la musique. Il me semble donc important de lui éviter de tomber dans la tromperie qu’on ne peut sans doute pas traiter de fraude, car les vendeurs ne parlent que de format de fichier et que, donc, il n’y a pas tromperie. La boîte est bien une grosse boite…
La boîte fait bien 1411 kbit/s, mais le fichier qui est dedans est du 320 kbit/s. Il y a donc une triche x4, mais il y a une seconde arnaque.
Si le fait de gonfler par quatre la musique est une triche, l’original étant en 320 kbit/s, la musique résultante pourrait être correcte. Cependant, on se retrouve dans le même cas que les précédents fichiers. Les fréquences utiles sont limitées à environ 7500 Hz, ce qui donne en théorie un son sourd, manquant de brillance. Cependant, ici, un autre traitement est venu s’ajouter. Il s’agit de la réverbération. Cela permet de donner une impression de spatialité, voire de brillance. Ce procédé est a été très utilisé lors du passage au microsillon stéréo. Le transfert des anciens disques mono était soumis à ce traitement pour donner l’impression d’un effet pseudostéréophonique.
Recuerdo – Ricardo Tanturi (EXTRAIT)Recuerdo – Ricardo Tanturi (en entier, mais adapté pour être accepté par mon site).
Le résultat est désagréable et le présent exemple en témoigne. Pour moi, ce fichier est inutilisable en milonga. On notera, toutefois, qu’une réverbération bien appliquée donne une profondeur agréable à la musique qui, sinon, pourrait paraitre trop sèche. C’est d’ailleurs une stratégie qu’emploient la quasi-totalité des enregistrements modernes.
Le bilan des acquisitions de Fred
Comme Fred l’a détecté, ces musiques sont frelatées. Elles ne sont pas d’une qualité justifiant un prix supérieur à celui des éditions d’entrée de gamme, ou de la musique de YouTube ou Spotify. Si toutes les musiques de cette plateforme sont de ce niveau, l’abonnement n’est pas justifié pour les enregistrements historiques du tango. Pour la musique contemporaine, il se peut que la valeur ajoutée soit intéressante, car les sources sont effectivement de bonne qualité. Les enregistrements actuels sont faits au moins en 24 bits (ou mieux 32 bits en virgule flottante) et 96, voire 192 kHz, ce qui permet d’avoir un rapport signal/bruit de 140 dB (en 24 bits et 1528 dB en 32 bits v.f.). Et de pouvoir restituer des fréquences jusqu’à 90 kHz (presque 5 fois plus aigus que ce que l’humain peut entendre). Ces enregistrements peuvent intéresser votre chien qui entend les ultrasons… Cette énorme marge de rapport signal/bruit et de fréquences permet en fait de travailler plus confortablement en studio par la suite, pour le mixage et la mastérisation. En revanche, cela n’a pas grand intérêt pour l’auditeur. Diffuser des fréquences inaudibles pourra tout au plus détruire les tweeters des enceintes si elles ne disposent pas de bons filtres de coupure. Avoir une plage dynamique de 140 dB signifie que l’on pourrait reproduire le silence absolu et atteindre le seuil de la douleur, de quoi donner des sensations, mais pas de confort d’écoute, car, par moment, on n’entendrait rien et à d’autres on devrait se boucher les oreilles. Le plus fort écart de pression sonore existant sur terre est de 210 dB, les 1528 dB 32 bits à virgule flottante permettent à un ingénieur du son d’enregistrer sans se soucier du réglage du volume (tolérance de plus de 700 dB en plus ou en moins…). Pour les enregistrements historiques de tango qui ont une faible dynamique à cause du bruit de surface du disque et les limites imposées par l’inertie de l’aiguille, un codage en 16 bits est très largement suffisant. D’ailleurs, la plupart des musiques éditées actuellement n’utilisent qu’une toute petite partie de la gamme dynamique autorisée par la technique. En effet, elles sont compressées (ATTENTION, CE N’EST PAS LA COMPRESSION DU FICHIER), c’est-à-dire que la dynamique est écrasée. On relève le niveau des passages pianos et on diminue les fortissimos. Ainsi, on gagne en confort d’écoute en n’étant pas obligé de tout le temps manipuler le bouton de volume. Pour la musique actuelle, tonique, on compresse tellement la musique qu’elle est en fait quasiment d’un bout à l’autre du titre au même volume sonore. C’est l’autre extrême…
Trois autres exemples avec d’autres éditeurs
J’ai décidé de compléter ce petit panorama avec trois autres titres, diffusés par deux éditeurs spécialisés dans le tango. Je ne donnerai pas non plus leur nom, même s’ils font plutôt de l’excellent travail, on verra qu’il y a quelques points à discuter…
Quiero verte una vez más 1950-03-07 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán – Format AIF – Éditeur spécialisé tango A
Ce fichier tient ses promesses. C’est un format numérique sans perte (AIF) et son débit est bien celui de la source, à savoir 705 kbit/s, ce qui correspond à un débit satisfaisant pour une source mono. Voyons son spectrogramme. On notera que le fichier est échantillonné à 64 kHz et 32 bits (virgule flottante), ce qui est une boîte nettement supérieure à ce qui est nécessaire.
Ce fichier tient ses promesses. C’est un fichier qui correspond à ce qui est annoncé. On le voit tout de suite avec des fréquences qui montent jusqu’à 17 kHz de façon exploitable et une limite égale à la limite théorique de 22 kHz.
On voit que les fréquences élevées continuent d’exister au-delà des 7500 des fichiers précédents. Toute l’amplitude de la musique est respectée, cette version a donc sa place dans une milonga de qualité. Pour en juger, voici un exemple peu compressé, mais de courte durée et une version intégrale dans une qualité réduite pour pouvoir être diffusée sur mon site.
Quiero verte una vez más 1950-03-07 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán (EXTRAIT)Quiero verte una vez más 1950-03-07 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán (en entier, mais adapté pour être accepté par mon site).
Ce titre acheté chez cet éditeur vaut donc la peine, dans la mesure où on a un fichier de bonne qualité. Le transfert depuis le disque original a été fait avec un disque en bon état avec relativement peu de bruit de surface. Cet éditeur que j’ai appelé A est réputé sur le marché et c’est justifié.
La noche que me esperes 1952-01-28 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán – Format m4a (ALAC) – Éditeur spécialisé tango B
Ce que l’on remarque chez cet éditeur est que les fréquences hautes montent à plus de 30 kHz. Cela indique que, même si le format d’origine était à 320 kbit/s, le taux d’échantillonnage devait être élevé. En effet, le fichier est en 96 kHz et 32 bits virgule flottante. On pourrait penser à une triche, puisque le format final a un débit 33 fois supérieur à celui de la source, mais je ne le dirai pas ainsi, car il s’agit plutôt d’un choix technique. Je pense que le format 320 kbit/s n’a été utilisé que pour les dernières étapes, une fois que les fichiers ont été optimisés. À ce stade, les 320 kbit/s sont largement suffisants pour « contenir » toutes les informations musicales originales. La petite menterie serait donc de gonfler sans nécessité, le fichier vendu, plutôt que de livrer directement l’original qui était probablement dans ce format. Cela étant, on peut juger de la qualité du transfert à l’écoute, même avec les limites imposées par mon site.
La présence de fréquences supérieures à 30 kHz s’explique par le choix d’une fréquence de 96 kHz qui permet d’avoir des sons de plus de 40 kHz.
On ne jugera que de la gamme de fréquences inférieure à 20 kHz. On voit tout de suite qu’il y a de l’orange et donc un volume suffisant pour être bien entendu. Cela se ressentira à l’écoute.
La noche que me esperes 1952-01-28 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán (EXTRAIT)La noche que me esperes 1952-01-28 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán (en entier, mais adapté pour être accepté par mon site).
En résumé, une musique de parfaite qualité qui donnera (ou pas) satisfaction en milonga. Je vous réserve une petite surprise en fin d’article sur le sujet.
Desvelo (De flor en flor) 1953-08-16 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán – Format FLAC – Éditeur spécialisé tango B
Un autre exemple, chez le même éditeur, au format FLAC. Un format libre des plus utilisés. Les commentaires pourraient être les mêmes que pour le titre précédent. Le changement de flacon (ALAC, FLAC), ne change pas le goût du liquide (la musique).
Comme pour le titre précédent, une limite des aigus très haute et des fréquences aiguës au-dessus des 15 kHz, gage d’un bon rendu des timbres des instruments et de la voix.Desvelo (De flor en flor) 1953-08-16 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán (EXTRAIT)Desvelo (De flor en flor) 1953-08-16 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán (en entier, mais adapté pour être accepté par mon site).
Comme on peut en juger à l’écoute, on est devant une très belle version. Le passage par une étape en 320 kbit/s n’a pas dénaturé la musique et ce titre est excellent.
Faut-il acheter de la musique Hi-Res pour le tango ?
Le principe d’une chaîne (comme la chaîne hi-fi) est que la qualité finale dépend du moins bon élément. Si vous avez une source formidable, un ampli de qualité et des haut-parleurs minables, vous aurez un son minable. Dans le cas du tango, les enregistrements historiques sont très en deçà des capacités des matériels modernes.
Ces valeurs signifient que toute la musique de l’âge d’or du tango bénéficie au mieux d’un rendu en fréquence compris entre 10 et 15 kHz et d’un rapport signal bruit de l’ordre de 60 dB. Le format Hi-Res peut atteindre des valeurs de 32 bits (virgule flottante) et 192 kHz de fréquence d’échantillonnage. Cela signifie que l’on est capable d’enregistrer des musiques de 0 à 96 kHz et d’avoir un rapport signal bruit de 1528 dB. Dit autrement, on peut enregistrer une gamme de fréquences cinq fois plus large que celle du meilleur disque noir avec une gamme dynamique des milliards de fois plus grande (chaque 3 dB, la pression sonore double).
Qualité de la musique en fonction du format
Si les formats CD et encore plus Hi-Res surpassent énormément les caractéristiques des musiques de l’âge d’or, les formats compressés, comme le MP3 (ou le AAC) posent question. En MP3 de nombreux paramètres sont ajustables. Voici quelques valeurs de restitution possible en fonction de ces paramètres. Pour mémoire, le fichier utilisé est Desvelo au format FLAC qui fait 35 906 Ko.
On se rend compte que sur le papier, le format MP3, jusqu’à 32 kHz et 16 bits convient pour reproduire de la musique de tango de l’âge d’or. On notera que la taille de fichier ne change pas pour les grandes valeurs.
On remarquera que les formats les plus performants ne produisent pas de fichiers plus grands. C’est un résultat de la compression. En effet, lorsque le fichier est compressé, on enlève toutes les informations jugées inutiles. La musique de tango comportant peu d’aigus, peu d’amplitude de dynamique, la compression est efficace. La vue de ce tableau pourrait donc laisser penser que les fichiers MP3 conviennent parfaitement, mais est-ce le cas ?
Desvelo en image et son…
Comme je ne peux pas vous partager les fichiers en haute qualité sur ce site, je vous propose de télécharger l’archive des fichiers dans les différents formats.
Télécharger l’archive ZIP des fichiers audio. Vous devrez décompresser le fichier pour pouvoir écouter les morceaux. Rassurez-vous, cette compression n’abîme pas la musique. Vous aurez exactement le son que j’ai sur mon ordinateur…
Pour une meilleure comparaison, utilisez un casque.
Fichier original au format FLAC (96kHz-32 bits virgule flottante)Fichier MP3 (48kHz-32 bits virgule flottante). On remarque que la limite est désormais à 20 kHz, ce qui est normal, puisqu’on est passé à une fréquence d’échantillonnage de 48 kHz.Fichier MP3 (48kHz-16 bits). Le passage à 16 bits ne change absolument rien, car la musique originale n’avait pas une dynamique supérieure à 90 dB.Fichier MP3 (44kHz-24 bits) L’utilisation d’une fréquence d’échantillonnage plus basse ne change quasiment rien, car la musique ne comporte pas de fréquences supérieures à 20 kHz.Fichier MP3 (44kHz-16 bits) Comme pour la fréquence d’échantillonnage de 48 kHz, la dynamique réduite de ce morceau n’est pas impactée par la baisse de résolution (débit).Fichier MP3 (44kHz‑8 bits) Le passage à 8 bits, en diminuant la dynamique rend la musique moins claire. Le spectrogramme montre que les hautes fréquences sont moins nettes. Le fond bleu est moins profond. Fichier MP3 (32000–16) On retrouve le fond bleu avec le rétablissement d’une résolution de 16 bits. La coupure à 15 kHz est très nette. C’est le résultat du passage à une fréquence d’échantillonnage de 32 kHz. Ce n’est pas forcément tragique, car la plupart des auditeurs n’entendent pas les fréquences supérieures à 15 kHz.Fichier MP3 (22000–16 bits) Le passage à une fréquence d’échantillonnage à 22 kHz, limite la bande passante à 10 000 Hz. C’est tout à fait logique et là, la musique commence à être vraiment dénaturée. On réservera cette qualité à l’enregistrement de la parole.Fichier MP3 (8000–8 bits) C’est le pire format MP3 possible. La fréquence d’échantillonnage à 8 kHz limite la bande passante à moins de 4 kHz. La limitation de la résolution écrase la dynamique. On voit l’aspect de la musique sur cette image et à l’écoute, c’est tout aussi horrifiant.
Pour ceux qui auront la flemme d’ouvrir tous les fichiers du fichier ZIP, je propose le fichier monstrueusement diminué, celui à 8kHz et 8 bits… Attention, oreilles fragiles, bien s’accrocher.
09 — Desvelo 8kHz et 8 bits. Redoutable, non ?
Alors, MP3 ou Hi-Res ?
Au vu de la plupart des installations de diffusion sonore dans les milongas, du MP3 à 44 kHz et 16 bits est suffisant. Cela peut être le format final. En revanche, ce format n’est pas possible si on doit intervenir sur la musique (retouche). Car chaque fois qu’on enregistre un format MP3, on refait une compression destructive, c’est-à-dire que l’on supprime à chaque fois des informations, c’est-à-dire des sons… Il est donc préférable dans ce cas de partir de fichiers dans un format sans perte, ce qui permettra de le réenregistrer sans diminuer la qualité sonore du fichier. Le tout dernier enregistrement peut être en MP3 44kHz-16 bits (320 kbit/s). Je suis convaincu qu’aucun danseur s’en rendra compte, même si je n’utilise que de la musique Hi-Res, car il y a tout de même une légère différence. Le plus important est d’avoir une source de bonne qualité, sans réverbération, avec une dynamique et une plage de fréquence complètes. Ces sources sont très rares, mais on en trouve de plus en plus. Pour ma part, j’ai eu la chance de numériser énormément de musique à partir des disques, ce qui est bien sûr la meilleure solution. Pour le reste, c’est un long travail de sélection, de restauration pour obtenir un enregistrement meilleur que celui que j’avais avant. C’est un peu décevant de faire tout ce travail et de voir que des pseudoDJ utilisent des musiques venant de YouTube, Spotify ou autres. Ces musiques médiocres transforment les oreilles des danseurs.
Pourquoi certains danseurs se plaignent-ils des musiques de qualité ?
Á gauche, la Chapelle Sixtine avant restauration. À droite, après.
On remarque facilement la différence, comme on remarque la différence sonore entre un mauvais MP3 et un bon fichier audio. Lorsque la chapelle Sixtine a été dévoilée après la restauration, il y a eu un tollé pour dénoncer un massacre. Les visiteurs étaient habitués à un plafond noirci par des siècles de fumée de cierges et la pollution urbaine. Retrouver les couleurs franches choquait certains regards. Pour être complet, la restauration de la Sixtine a reçu des interventions de diverses qualités. En musique, les restaurations produisent aussi des dégâts qui rendent la musique désagréable à l’écoute. Le nettoyage du bruit du disque a fait disparaître certains éléments de la musique, voire donné un effet de baignoire. Tout comme on ne s’improvise pas restaurateur de fresques, on ne s’improvise pas restaurateur de musique. Cela demande du temps, de la réflexion et des connaissances, ce dont semblent manquer certains éditeurs et, en particulier, ceux qui affichent fièrement « Remastered » ou « Remasterizado ». Mais revenons à la polémique sur la musique dans les milongas. La plupart des DJ improvisés, et qui sont malheureusement les plus nombreux, ont des musiques effroyables, sans contraste, sans aigu. Comme les auditeurs ont l’ouïe qui baisse avec l’âge et que la communauté tanguera n’est pas de la première jeunesse, on finit par s’habituer à cette musique plate, sourde et sans contraste, comme le plafond sale de la Sixtine. Lorsqu’une musique riche en aigus et en basses arrive, certains se sentent agressés, car ils n’y sont pas habitués. Les plus jeunes adorent, ainsi que les mélomanes qui peuvent retrouver la subtilité de la musique. Comme DJ, il faut savoir sacrifier la qualité de sa musique, notamment lorsque le système de diffusion de la salle est médiocre. De plus en plus de systèmes sont destinés à la musique de boite de nuit avec un renforcement des graves et des aigus, avec des médiums peu présents. Cela ne se marie pas toujours bien avec la musique de tango, qui demande plutôt des installations comparables à celles de la musique classique. Les violons sur ces matériels mal adaptés deviennent criards, les basses peuvent aussi gêner. Le premier travail du DJ est d’abord de vérifier l’acoustique de la salle. Cela se fait a minima en diffusant un bruit rose et en vérifiant dans la salle, à l’aide d’un analyseur de spectre (ou à l’oreille si on n’est pas équipé), qu’il n’y a pas de résonance gênante. Si c’est le cas, on procède à une égalisation de base qui consiste à obtenir un signal aussi plat que possible pour toutes les fréquences. Trop souvent, les organisateurs ne donnent pas l’opportunité au DJ de faire ces réglages, notamment quand il y a un orchestre, ce dernier ayant tendance à transformer sa balance en répétition et il faut attendre parfois des heures avant d’avoir quelques minutes pour faire ses réglages. Pour ma part, je souhaite être sur place au moins une heure avant pour avoir le temps de tout régler quand je ne connais pas le lieu.
Un cas extrême de sono déséquilibrée. Dans cette salle, il y avait auparavant un DJ “toutes danses”. Il m’a été impossible de faire les mesures dans la salle avant la milonga, car j’ai enchaîné directement. Il m’a donc fallu modifier l’égalisation en direct dans des proportions incroyables, en gonflant énormément les basses et en baissant les aigus. En effet, le son était diffusé par des enceintes médiums aiguës, sans caisson de basse. En poussant les basses, on introduit de la distorsion dans les haut-parleurs qui ne sont pas adaptés pour cela. Pour avoir un son correct dans la salle, la seule solution a été de couper les fréquences supérieures, en gros, transformer de la musique de haute qualité, en mauvais MP3. Un comble. Si j’avais eu la possibilité d’intervenir en amont sur la sono, j’aurais certainement trouvé comment régler le problème avant la milonga.
Bon, c’était un peu technique et je pense que je vais devoir faire des pages supplémentaires pour détailler certains points.
Julio De Caro; Pedro Laurenz Letra: Juan Miguel Velich
Je suis sûr que vous avez déjà été interpellés par ce titre qui commence par des rires, voire par des sifflements. La version du jour est réalisée par un des deux auteurs, le bandonéoniste Pedro Laurenz, qui à l’époque de la composition, était dans l’orchestre de l’autre compositeur, Julio de Caro. Nous verrons que, dès 1927, cette œuvre est d’une extraordinaire modernité. Mala junta peut se traduire par mauvaise rencontre. Vous serez peut-être étonné de voir qu’elle est la mauvaise rencontre évoquée par Magaldi…
Extrait musical
Partitions de Mala junta. Elles sont dédicacées “Al distinguido y apreciado Señor Don Luis Gondra y familia”. Première des 26 pages de la partition complète et début de la partie finale avec la mise en valeur du bandonéon. Partition réalisée par Lucas Alcides Caceres.Mala junta 1947-01-16 — Orquesta Pedro Laurenz.
Les versions de Pugliese sont bien plus connues, mais vous reconnaîtrez tout de suite le titre malgré l’absence des éclats de rire du début, ou plus exactement, c’est l’orchestre qui reproduit le thème de l’éclat de rire, instrumentalement. Le rythme est bien marqué, même s’il comporte quelques syncopes en fantaisie. On notera que Laurenz fait également l’impasse sur les sifflements. Dans son enregistrement de 1968, avec son quinteto, il omettra également ces deux éléments. On pourrait donc imaginer que ces rires et sifflements sont des fantaisies de De Caro. C’est d’autant plus probable si on se souvient que, dans El monito, il utilise les sifflements, les rires et même des phrases humoristiques. Si quelques dissonances rappellent les compositions decaréennes (de De Caro), elles ne devraient pas troubler les danseurs moins familiers de ces sonorités. Les phrases sont lancées et se terminent souvent comme jetées, précipitées. Le piano coupe ces accélérations par ses ponctuations. La musique semble se remettre en place et on recommence jusqu’à la dernière partie où le bandonéon de Laurenz s’en donne à cœur joie. Rappelez-vous que, dans la partition, toute cette partie est en doubles-croches, ce qui permet de donner une impression de vitesse, sans modifier le rythme.
Disque Odeón 7644 Face A avec Mala junta interprété par Pedro Laurenz.
Don Luis Gondra
Luis Gondra a deux époques et une caricature dans la Revue Caras y Caretas de 1923, qui rappelle qu’il était également avocat.
La dédicace de ce tango a été effectuée à Luis Gondra (Luis Roque Gondra), un militant, écrivain et politique. Il fait partie des survivants du massacre de Pirovano où 200 hommes venus prêter main-forte à Hipólito Yrigoyen en prenant le train à Bahia Blanca ont été attaqués à balles et baïonnettes par des forces loyales au gouvernement de Manuel Quintana. Il est mort le 10 février 1947, soit moins d’un mois après l’enregistrement de notre tango du jour. Il est l’auteur de différents ouvrages, principalement d’histoire politique, comme des ouvrages sur Belgrano ou des cours d’économie, car il était professeur de cette matière.
Un ouvrage à la gloire de Belgrano, un cours d’économie politique et sociale et un livre sur les idées économiques de Belgrano. Cela donne le profil du dédicataire de ce tango.
Paroles, deux versions
Même si notre tango du jour est instrumental, il y a des paroles, celles enregistrées par Magaldi, qui dénoncent le tango comme la cause de la perdition et celles que l’on trouve habituellement dans les recueils de paroles de tango. Ce qui est curieux est qu’il n’y a pas de version enregistrée des paroles « canoniques ». Je commence donc par la version de Magaldi et donnerait ensuite la version « standard ».
Paroles chantées par Magaldi
Por tu mala junta te perdieron, Nena, Y causaste a tus pobres viejos, pena, Que a pesar de todos los consejos, Un mal día te engrupieron Y el gotán te encadenó…
¡Ay! ¿Dónde estás, Nenita de mirada seductora? Tan plena de poesía, cual diosa del amor… Nunca, jamás veré la Sultanita que en otrora Con sus mimos disipaba mi dolor.
Recitado: Guardo de ti recuerdo sin igual Pues fuiste para mí toda la vida. Mi corazón sufrió la desilusión Del desprecio a su querer que era su ideal.
Y con la herida Que tú me has hecho, Mi fe has desecho Y serás mi perdición.
Todo está sombrío y muy triste, alma, Y nos falta, desde que te has ido, calma, El vivir la dicha ya ha perdido Porque con tu mal viniste A enlutar mi corazón.
¿Por qué, mi amor, seguiste a esa mala consejera que, obrando con falsía, buscó tu perdición? Mientras que aquí está la madrecita que te espera Para darte su amorosa bendición.
Recitado: Dulce deidad, que fue para mi bien Un sueño de placer nunca sentido, Yo no pensé que ése, mi gran querer, Lo perdiera así nomás, siendo mi Edén.
¿Dónde te has ido mi noviecita? Tu madrecita Siempre cree que has de volver. Julio De Caro; Pedro Laurenz Letra: Juan Miguel Velich
Traduction libre des paroles de la version de Magaldi
À cause de ta mauvaise rencontre, ils t’ont perdu, Bébé, Et tu as causé à tes pauvres parents, de la peine, Que malgré tous les conseils, un mauvais jour, ils t‑on trompés (dit des mensonges) et le gotan t’a enchaîné… (Et voilà le grand coupable, le tango…). Hélas! Où es-tu, petite fille au regard séducteur ? Tellement pleine de poésie, comme une déesse de l’amour… Je ne verrai jamais, jamais la sultane qui, une fois, avec ses câlins, a dissipé ma douleur. Récitatif: Je garde un souvenir inégalé de toi parce que tu as été pour moi toute ma vie. Mon cœur a souffert de la déception du mépris pour son amour, qui était son idéal. Et avec la blessure que tu m’as faite, Tu as rejeté ma foi et tu seras ma perte. Tout est lugubre et très triste, âme, et nous manquons, depuis que tu es partie, le calme, la vie du bonheur s’est déjà perdue, car avec ton mal tu es venue endeuiller mon cœur. Pourquoi, mon amour, as-tu suivi ce mauvais conseiller qui, agissant faussement, a cherché ta perte ? Alors qu’ici se trouve la petite mère qui t’attend pour te donner sa bénédiction aimante. Récitatif: Douce divinité, qui était pour mon bien un rêve de plaisir jamais ressenti, Je ne pensais pas que cela, mon grand amour, je le perdrai, étant mon Eden. Où es-tu allée, ma petite fiancée? Ta petite mère pense toujours que tu vas revenir.
Paroles de la version standard
Por tu mala junta te perdiste, nena y nos causa tu extravío, llantos, ¡pena!… De un vivir risueño te han hablado y al final… ¡te has olvidado de tu vieja y de mi amor!… En la fiebre loca de mentidas galas se quemaron tus divinas, ¡níveas alas!… En tu afán de lujos y de orgías recubriste de agonías ¡a mi vida y a tu hogar!…
Fuiste el ángel de mis horas de bohemia, el bien de mi esperanza, tierno sueño encantador; y no puedo sofocar mis neurastenias cuando pienso en la mudanza ¡de tu cruel amor!…
(recitado) ¡Pobre de mí… que a cuestas con mi gran cruz rodando he de marchar por mi oscura senda; ¡sin el calor de aquella fulgente luz que tu mirar dispersó en mi corazón!
(canto) Sueños de gloria que truncos quedaron y herido me dejaron entre brumas de dolor…
Por tu mala junta te perdiste, nena, y nos causa tu extravío llantos, ¡pena!… Por seguir tus necias ambiciones mis doradas ilusiones ¡para siempre las perdí!… Una santa madre delirante clama y con ella mi cariño, ruega, ¡llama!… El perdón te espera con un beso sí nos traes con tu regreso ¡la alegría de vivir!…
Tus recuerdos se amontonan en mi mente, tu imagen me obsesiona, te contemplo en mi ansiedad; y te nombro suspirando tristemente, pero en vano… ¡no reacciona tu alma sin piedad!…
Y como el cisne que muere cantando así se irá esfumando ¡mi doliente juventud!… Julio De Caro; Pedro Laurenz Letra: Juan Miguel Velich
Traduction libre des paroles de la version standard
À cause de ta mauvaise rencontre, tu t’es perdue, bébé et ta perte nous cause, des larmes, du chagrin… On t’a parlé d’une vie souriante et à la fin… tu as oublié ta mère et mon amour… Dans la fièvre folle, des parures mensongères se brûlèrent tes ailes divines et neigeuses… Dans ton avidité de luxe et d’orgies, tu as couvert d’agonies (amertumes, douleurs, chagrins) ma vie et ta maison… Tu étais l’ange de mes heures de bohème, le bien de mon espérance, le rêve tendre et enchanteur ; et je ne puis étouffer ma neurasthénie quand je pense au changement de ton amour cruel… (récitatif) Pauvre de moi… que sur mes épaules, avec ma grande croix, errant, je dois marcher le long de mon obscur sentier ; Sans la chaleur de cette lumière éclatante que ton regard a dispersée dans mon cœur ! (chant) Des rêves de gloire qui resteront tronqués et me laissèrent blessé dans des brouillards de douleur… À cause de ta mauvaise rencontre, tu t’es perdue, bébé et ta perte nous cause, des larmes, du chagrin… Pour suivre tes folles ambitions, mes illusions dorées, pour toujours, je les ai perdues… Une sainte mère en délire crie et, avec elle, mon affection, supplie, appelle… Le pardon t’attend avec un baiser si tu nous ramènes avec ton retour, la joie de vivre… Tes souvenirs s’accumulent dans mon esprit, ton image m’obsède, je te contemple dans mon angoisse ; Et je te nomme en soupirant tristement, mais en vain… ton âme sans pitié ne réagit pas… Et comme le cygne qui meurt en chantant ainsi s’évanouira, ma douloureuse jeunesse…
On voit les différences entre les deux versions des paroles. Il se peut que les deux soient de Juan Miguel Velich, à moins que Magaldi ait adapté les paroles à son goût. C’est un petit mystère, mais cela me semble très marginal dans la mesure où l’intérêt principal de cette composition est dans la musique.
Autres versions
Mala junta 1927-09-13 — Orquesta Julio De Caro.
Cette version permet de retrouver les deux compositeurs avec Julio de Caro au violon (son violon à cornet) et Pedro Laurenz au bandonéon. Ce dernier avait intégré l’orchestre de De Caro en 1924 en remplacement de Luis Petrucelli. On notera, après les rires, le début sifflé. Cette version, la plus ancienne enregistrée en notre possession, a déjà tous les éléments de modernité que l’on attribuera deux ou trois décennies plus tard à Osvaldo Pugliese qui se considérait comme l’humble héritier de De Caro. Voici la composition du sexteto pour cet enregistrement :
Pedro Laurenz et Armando Blasco au bandonéon.
Francisco De Caro au piano.
Julio De Caro et Alfredo Citro au violon.
Enrique Krauss à la contrebasse.
Disque Victor de la version enregistrée par De Caro en 1927.
Mala junta 1928-06-18 — Agustín Magaldi con orquesta.
Comme nous l’avons vu, Magaldi chante des paroles différentes, mais l’histoire est la même. C’est bien sûr un enregistrement destiné à l’écoute, à la limite de la pièce de théâtre.
Mala junta 1928-12 — Orquesta Típica Brodman-Alfaro. Original Columbia L 1349–1 Matrice D 19172.
Le titre commence avec les sifflets, mais sans les rires. Cette version comporte un passage avec une scie musicale. Finalement, ce n’est pas vilain, mais sans doute plus curieux que captivant.
À gauche, le disque officiel édité par la Columbia en 1929 (enregistrement de décembre 1928). À droite, un disque pirate du même enregistrement réalisé dans le courant de 1929.
Quelqu’un a‑t-il réussi à se procurer la matrice D 19172 et à en faire une copie sous le numéro de matrice bidon N300028 ? La moins bonne qualité de la copie pirate peut aussi laisser penser qu’elle a été réalisée à partir d’un disque édité. Bien sûr, il est difficile de juger, car il faudrait plusieurs copies de la version pirate, pour vérifier que cela vient de la fabrication et pas de l’usure du disque.
Même enregistrement, mais ici, la copie pirate d’Omnia (Disque X27251 — Matrice N300028). La qualité est sensiblement plus faible, est-ce le fait de la copie d’un disque original ou tout simplement de l’usure plus importante de ce disque ? Petit rappel. Les disques sont réalisés à partir d’une matrice, elle-même issue de l’enregistrement sur une galette de cire. La cire était directement gravée par la pression acoustique (pour les premiers enregistrements) et par le déplacement d’un burin soumis aux vibrations obtenues par voie électrique (microphone à charbon, par exemple). Cette cire servait à réaliser un contretype, la matrice qui servait ensuite à réaliser les disques par pressage. Sans cette matrice, il faut partir d’un disque déjà pressé, ce qui engendre à la fois la perte de détails qui avaient été déjà atténués à cause de l’impression originale, mais cela peut également ajouter les défauts du disque s’il a été utilisé auparavant. La copie pirate est donc obligatoirement de moins bonne qualité dans ce cas, d’autant plus que le matériau du disque peut également être choisi de moins bonne qualité, ce qui engendrera plus de bruit de fond, mais ce qui permettra de réduire le prix de fabrication de cette arnaque. On notera que, de nos jours, les éditeurs partent souvent de disques qui sont eux-mêmes des copies et qu’ils ajoutent des traitements numériques supposés de redonner une jeunesse à leurs produits. Le résultat est souvent monstrueux et se détecte par la mention « remastered » sur le disque. Malheureusement, cela tend à devenir la norme dans les milongas, malgré les sonorités horribles que ces traitements mal exécutés produisent.
Mala junta 1938-07-11 — Orquesta Típica Bernardo Alemany.
Le principal intérêt de cette version est qu’elle ouvre une seconde période d’enregistrements, une décennie plus tard. On peut cependant ne pas être emballé par le résultat, sans doute trop confus.
Mala junta 1938-11-16 — Orquesta Julio De Caro.
De Caro réenregistre sa création, cette fois, les rires et les sifflements sont reportés à la seconde partie. Cela permet de mettre en valeur la composition musicale assez complexe. Cette complexité même qui fera que ce titre, malgré sa beauté, aura du mal à rendre les danseurs heureux. On le réservera donc à l’écoute.
Mala junta 1943–08-27- Orquesta Osvaldo Pugliese.
Contrairement à son modèle, Pugliese a conservé les rires en début d’œuvre, mais a également supprimé les sifflements qui n’interviendront que dans la seconde partie. L’interprétation est d’une grande régularité et avant le solo du dernier tiers de l’œuvre, on pourra trouver que l’interprétation manque d’originalité, ce n’est en effet que dans la dernière partie que Pugliese déchaîne son orchestre avec des bandonéons excités survolés par le violon tranquille. Au crédit de cet enregistrement, on pourra indiquer qu’il est dansable et que la fin énergique pourra faire oublier un début manquant un peu d’expression.
Mala junta 1947-01-16 — Orquesta Pedro Laurenz. C’est notre tango du Jour.Mala junta 1949-10-10 — Orquesta Julio De Caro.
De Caro, après la version de Pugliese et celle de Laurenz, son coauteur, enregistre une version différente. Comme pour celle de 1938, il ne conserve pas les rires et sifflets initiaux. C’est encore plus abouti musicalement, mais toujours plus pour l’écoute que pour la danse. Conservons cela en tête pour découvrir, la réponse de Pugliese…
Mala junta 1952-11-29 — Orquesta Osvaldo Pugliese.
Toujours les rires, sans sifflements au début de cet enregistrement et dans la seconde partie, ce sont les sifflements qui remplacent les rires. L’affirmation de la Yumba dans l’interprétation et la structure de cette orchestration nous propose un Pugliese bien formé et « typique » qui devrait plaire à beaucoup de danseurs, car l’improvisation y est facilitée, même si la richesse peut rendre difficile la tâche à des danseurs peu expérimentés.
La version de 1952 a été éditée en disque 33 tours. Mala junta est la première plage de la face A du disque LDS 103.
Mala junta 1957-09-02 — Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.
Disons-le clairement, j’ai un peu honte de vous présenter cette version après celle de Pugliese. Cette version sautillante ne me semble pas adaptée au thème. Je ne tenterai donc pas de la proposer en milonga. Je ne verrai donc jamais les danseurs transformés en petits duendes (lutins) gambadants comme je l’imagine à l’écoute.
Mala junta 1968 — Pedro Laurenz con su Quinteto.
Pedro Laurenz enregistre une dernière version de sa création. Il y a de jolis passages, mais je ne suis pas pour ma part très convaincu du résultat. On a l’impression que les instruments jouent chacun dans leur coin, sans trop s’occuper de ce que font les autres. Attention, je ne parle pas d’instrumentistes médiocres qui ne jouent pas ensemble, mais du lancement de traits juxtaposés et superposés qui semblent être lâchés sans cohérence. Si cela peut plaire à l’oreille de certains, c’est sûr que cela posera des difficultés aux danseurs qui souhaitent danser la musique et pas seulement faire des pas sur la musique.
Je vous propose de terminer avec Pugliese, qui est incontestablement celui qui a le plus concouru à faire connaitre ce titre. Je vous propose une vidéo réalisée au théâtre Colón de Buenos Aires, point d’orgue de la carrière du maître qui rappelle que ses fans criaient « Al Colón » quand ils l’écoutaient. Finalement, Pugliese est arrivé au Colón et cette vidéo en témoigne…
Mala junta — Osvaldo Pugliese — Teatro Colón 1985.
Il y a d’autres versions, y compris par Pugliese, notamment réalisées au cours de différents voyages, mais je pense que l’essentiel est dit et, pour ma part, je reste sur la version de 1952 pour la danse, tout en ayant un faible pour version tant novatrice (pour l’époque) de 1927 de De Caro et la version intéressante de Laurenz, qui constitue notre tango du jour.
Ceux qui ont traversé les provinces de Entre-Rios et Corrientes ont sans doute remarqué au bord des nationales 12 et 14 les nombreuses pancartes annonçant que l’on pouvait trouver du « yacaré » à l’escabèche. Le yacaré est le nom du crocodile local et l’escabèche (esacabeche) est la sauce qui accommode ce saurien et dont sont friands les entrerianos et corientinos. Mais, notre tango du jour ne vante pas un plat typique, ni même l’animal du même nom. Il nous parle d’un jockey fameux, Elías Antúnez, surnommé El Yacaré, car il est justement originaire de Corrientes.
Elías Antúnez, El Yacaré.
Chevaux et tango
De nombreux tangos font référence aux courses de chevaux. Carlos Gardel fut l’un des promoteurs du genre, par exemple en chantant Leguisamo solo, Por una cabeza. Si le sujet vous intéresse, je vous invite à consulter l’excellent Todo Tango sur le sujet…
L’hippodrome de Palermo.
Extrait musical
El Yacaré 1941-12-12 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas.
Aujourd’hui, pas de partition, mais les accords pour les guitaristes sur chordify.net :
Paroles
Es domingo, Palermo resplandece de sol, cada pingo en la arena llevará una ilusión. En las cintas los puros alineados están y a la voz de “¡Largaron!” da salida un afán. En el medio del lote, conteniendo su acción, hay un jockey que aguarda con serena atención, ya se apresta a la carga… griterío infernal. Emoción que desborda en un bravo final.
¡Arriba viejo Yacaré! Explota el grito atronador. Todos castigan con rigor, pero no hay nada que hacer, en el disco ya está Antúnez. Sabés sacar un perdedor, ganar un Premio Nacional… Muñeca brava y al final el tope del marcador siempre es tu meta triunfal.
Un artista en las riendas, con coraje de león, tenés toda la clase que consagra a un campeón. Dominando la pista con certera visual el camino del disco vos sabés encontrar. Las tribunas admiran tu pericia y tesón y se rinde a tu arte con intensa emoción. Se enronquecen gargantas en un loco estallar, cuando a taco y a lonja empezás a cargar. Alfredo Attadía Letra: Mario Soto
Traduction libre des paroles
C’est dimanche, Palermo resplendit de soleil, chaque cheval (pingo) sur le sable (de la piste) portera un espoir. Sur les bandes, les cigares sont alignés et la voix de « ¡Largaron ! » (on entend dans Largaron de Carlos Cubría et Juan Navarro connue par l’enregistrement de De Angelis, la cloche et le « largaron » qui annoncent le départ des chevaux) laisse place à l’empressement. Au milieu du peloton, contenant son action, il y a un jockey qui attend avec une attention sereine, déjà, il se prépare à la charge… brouhaha infernal. Une émotion qui déborde dans un bravo final (ou un final vaillant). Courage, le vieux Yacaré ! Le cri tonitruant explose. Tous cravachent vigoureusement (punissent), mais il n’y a rien à faire, Antúnez (El Yacaré) est déjà au poste d’arrivée. Tu sais faire sortir un perdant, qu’il gagne un Prix national… Muñeca brava (poignet vaillant, mais une Muñeca brava est aussi une femme, comme dans le tango de Enrique Cadícamo) et, à la fin, le haut du tableau de résultat est toujours ton but, triomphal. Un artiste aux rênes, avec le courage d’un lion, vous avez toute la classe qui consacre un champion. Dominant la piste avec une vision précise, tu sais trouver le chemin du poste d’arrivée. Les tribunes admirent ton savoir-faire et ta ténacité et rendent à ton art avec une émotion intense. Les gorges s’enrouent dans une explosion folle, lorsque vous commencez à charger avec les talons et la cravache.
Autres versions
El Yacaré 1941-12-12 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas. C’est notre tango du jour.El Yacaré 1951 — Alfredo Attadía con Armando Moreno.
Dix ans après D’Agostino et Vargas, Attadía donne sa version de sa composition. On notera toutefois qu’il est difficile de détacher cet enregistrement de celui des deux anges. Cette proximité peut se comprendre. Attadía a composé un certain nombre des succès de D’Agostino et notamment, Tres esquinas composé en commun avec D’Agostino. Le résultat est agréable à écouter et même dansable.
Armando Moreno et Alfredo Attadía (El Bandoneón de Oro).El Yacaré 2009 – Sexteto Milonguero con Javier Di Ciriaco.
On regrette la disparition de cet orchestre qui valait surtout par la voix et les interprétations extraordinaires de Javier Di Ciriaco. Une version dans le style de cet orchestre, plutôt intéressante et dansable.
Les cabarets sont les premiers lieux « présentables » du tango naissant. L’Armenonville est l’un de ces cabarets, celui dont s’échappe Zorro Gris. Juan Félix Maglio crée ce tango pour ses amis, les créateurs de ce salon. Le tango du jour est son second enregistrement du titre. Allons visiter ce haut lieu du tango naissant.
Extrait musical
Armenonville1929-12–06 Orquesta Juan Maglio Pacho.
L’œuvre commence par trois accords mineurs descendants. Je suis sûr que ces trois accords plaintifs vous évoquent un autre tango, écrit par Juan Carlos Rodríguez. Je vous dirai lequel en fin d’article… Vous pourrez, en attendant, écouter les variations sur ce motif dans les différentes versions proposées où il apparaît à plusieurs reprises.
Autres versions
Armenonville 1912 — Cuarteto Juan Maglio “Pacho”.
Dans l’année suivant l’inauguration du cabaret, Maglio enregistre l’œuvre, le troisième tango qu’il a composé. Ici, c’est la petite formation, en cuarteto. La composition est jolie et élégante, mais la façon d’interpréter de l’époque rend un résultat un peu monotone, car les instruments jouent à l’unisson et chaque partie est rejouée de façon très similaire.
Armenonville1929-12–06 Orquesta Juan Maglio Pacho. C’est notre tango du jour.
Dix-sept ans plus tard, Maglio procède à un nouvel enregistrement. On mesurera entre les deux versions les progrès de l’enregistrement, qui est désormais électrique et plus acoustique. Maintenant, Maglio est à la tête d’un orchestre typique, plus complet. Ces deux avancées permettent une musique plus riche, des orchestrations plus complexes. Les instruments s’individualisent et jouent quelques traits en soliste, ce qui ne se trouvait pas à l’époque précédente.
Armenonville 1942-09-09 — Cuarteto Típico Los Ases dir. Juan Carlos Cambón.
Cet enregistrement au rythme plus soutenu est sans doute un peu confus pour le proposer en bal, mais il est joli. On sent que la tentation d’en faire une milonga n’est pas loin. Le piano de Juan Carlos Cambón est très présent et anime joliment ce titre qui se termine de façon allègre avec de jolis traits des différents instruments.
Armenonville 1958 Los Muchachos De Antes y Panchito Cao.
La clarinette de Panchito Cao est la vedette de cette version. Elle domine tout le titre. Le rythme de milonga est mieux marqué et l’on peut donc proposer cette version aux danseurs de milonga. La sonorité simple avec notamment la guitare en instrument rythmique évoque d’origine de ce tango.
Armenonville 1970–08-21- Orquesta Juan D’Arienzo.
D’Arienzo est le seul directeur de grand orchestre à avoir enregistré cette œuvre. On est en face d’un D’Arienzo tardif typique. L’énergie est présente, mais est-ce suffisant pour en faire un titre phare pour les bals. Assurément non. On notera que D’Arienzo a fait le choix de revenir au rythme du tango. En résumé, un résultat très intéressant, mais pas forcément adapté au bal.
Armenonville 1974-02-15 — Miguel Villasboas y su Orquesta Típica.
Les orchestres uruguayens ont été friands de rythmes hésitant entre tango et milonga. On pourrait classer cette interprétation comme un canyengue rapide ou une milonga lente. En dehors de la difficulté de classer ce tango, on pourra toutefois apprécier son côté joueur et il pourrait convaincre les danseurs de se lancer sur la piste. On notera que, si Villasboas inclut les trois accords descendants, il les fait précéder par une anacrouse.
Armenonville 2004 — Cuarteto Armenonville.
Ce cuarteto a pris le nom de ce tango, ou du cabaret, il était donc logique qu’il l’enregistre.
Les Armenonvilles
Le bandonéoniste Juan Maglio a créé son tango « Armenonville » pour évoquer le cabaret de ses amis, les anciens serveurs de l’hôtel Vignolles, Carlos Bonifacio Diego Lanzavechia et Manuel Loureiro. Ces derniers ont donc ouvert ce prestigieux établissement en 1911. Cependant, il n’existe pas un Armenonville, mais trois que je vais numéroter de 0 à 2.
Armenonville « 0 »
Armenonville « 0 », c’est le pavillon d’Armenonville qui existe toujours est situé dans le Bois de Boulogne à Paris.
Le pavillon d’Armenonville “0” est situé dans le Bois de Boulogne. Cette photo réalisée vers 1859 est attribuée à Charles-François Bossu dit Charles Marville. On remarquera l’architecture particulière du bâtiment avec ses ornementations en bois.
Il ne faut cependant pas se tromper en voyant cette architecture « champêtre », l’intérieur est luxueux, comme en témoigne cette huile sur toile d’Henri Gervex, exécutée en 1905, soit 6 ans avant l’ouverture de l’Armenonville de Buenos Aires.
Armenonville le soir du Grand ‑Prix — Henri Gervex 1905.
On notera que cette illustration qui représente l’Armenonville parisien est souvent reproduite pour témoigner de l’Armenonville de Buenos Aires… Mais ce n’est pas la seule erreur faite dans l’iconographie des Armenonvilles, comme nous allons le voir.
Arnemonville 1
Mon propos étant portègne, j’ai numéroté 0, l’Armenonville de Paris, pour ne pas changer la numérotation habituelle des édifices de Buenos Aires.
Sur la couverture de la partition, on peut voir l’ancien Armenonville, celui que Maglio a glorifié.
Comme on peut le voir sur la couverture de la partition, le pavillon Armenonville est dans un parc. On ne voit pas bien son architecture sur cette illustration, en revanche, on dispose de quelques photos.
Armenonville 1. On considère que le modèle est l’Armenonville de Paris. On remarquera toutefois que la ressemblance est assez lointaine, mais l’inspiration et le nom témoignent de la volonté de mettre en avant le côté “chic” français.
L’architecture a quelques similitudes avec le « modèle » parisien et il est donc convenu de considérer que c’est une inspiration directe. Il ne faut pas oublier qu’à l’époque, tout ce qui est français est « chic », le tango bénéficiera de cette étiquette peu après.
Sur cette image, on peut voir qu’il devait être sympathique de prendre un rafraîchissement dans ce cadre.Comme on le voit sur la couverture de la partition, les bâtiments sont entourés d’un parc, parc propice à diverses activités que la morale parfois réprouve. Mais, dans la journée, c’est un lieu de promenade tout à fait agréable.
Si Armenonville 0, le modèle parisien a désormais trois siècles (300 ans), l’Armenonville 1 n’a duré que 14 ans. Édifié en 1911, il a été rasé en 1925.
Emplacement de l’Armenonville 1. C’est maintenant la Plaza Republica de Chile. Image Google maps.
Cependant, on voit souvent des représentations de l’Armenonville avec une salle immense et un aspect bien plus imposant que ce pavillon de chasse. L’erreur vient de ce qu’un autre Armenonville a été construit…
Armenonville 2
Cette illustration montre la magnificence du site dont il ne reste rien…
L’illustration de couverture de l’article représente l’intérieur de la salle de l’Armenonville 2. J’ai donc un peu triché pour cette anecdote en ne montrant pas l’Armenonville qui a servi d’inspiration à Maglio. L’Armenonville 2, comme vous pouvez en juger est d’une toute autre ampleur que ses aînés. On reconnaît son architecture Arts déco et il ne faut pas beaucoup d’imagination pour se représenter la splendeur du lieu, même si lui aussi n’a pas survécu bien longtemps. Cet édifice a été conçu par l’architecte Valentín M. Brodsky en 1927.
Valentín M. Brodsky en 1919, médaille d’or de son école d’architecture. Sa signature sur un immeuble situé à l’angle de Scalabrini Ortiz (la rue qui s’appelait à l’époque Canning et où se trouvait l’Armenonville 2) et Córdoba.
Même s’il n’a pas grand-chose à voir avec le tango, je vous présente la photo de Valentín M. Brodsky, car il fut un élève très apprécié de son école d’architecture où il a obtenu divers prix, dont la médaille d’or, mais surtout l’appréciation de ses collègues et professeurs, comme élève brillant et aimable. Peu de temps après son diplôme, il se voit confier la réalisation de l’Armenonville 2, cet immense projet qui fera la démonstration de son talent.
Sur cette iconographie, on peut lire que le Dancing “Armenonville” a été construit en 70 jours ouvrables. Cela renforce notre estime pour son jeune architecte.
Comme on peut le lire sur ce document, l’Armenonville 2 était situé rue Canning au 3533 (en fait, les propriétaires de l’ancien Armenonville avaient acheté une demie manzana (bloc) et donc le bâtiment avait de l’espace. Il a été construit en 70 jours ouvrables.
Armenonville 2Armenonville 2Armenonville 2 (intérieur)Entrée de “Les Ambassadeurs”, le nouveau nom de l’Armenonville 2.Un prospectus de “Les Ambassadeurs”. On peut y voir qu’il est indiqué 3000 couverts…Une affiche de l’Armenonville 2
En 1960, le bâtiment fut acheté et utilisé pour la chaine de télévision Canal 9 qui l’utilisa un an, car le bâtiment brûla en 1961.
Le repère rouge de cette carte Google indique l’emplacement de l’Armenonville 2 dont il ne reste plus rien.
Voilà, les trois Armenonvilles bien différenciés et vous pourrez, comme-moi, bondir quand vous verrez ces articles ou vidéos mélangeant tout. Un dernier point à préciser, les emplacements relatifs de Armenonville 1 et Armenonville 2. En fait, les deux étaient proches, mais pas situés exactement au même endroit comme on le lit parfois (souvent). Lorsque la ville a fait fermer l’Armenonville 1, les propriétaires ont acheté le terrain d’Armenonville 2 situé un peu plus à l’Ouest et fait construire rapidement le nouveau bâtiment.
Emplacements relatifs sur une carte Google maps qui permet de voir que les deux Armenonvilles n’étaient pas sur le même terrain.
Les trois accords du début
Voici la réponse à la petite devinette du début de l’article. Les trois accords mineurs se retrouvent dans un autre titre, postérieur. La composition de Maglio a donc été « copiée », à moins qu’il s’agisse d’une inspiration commune.
Les trois premiers accords, en rouge, vert puis bleu, sont semblables dans ces deux titres.
Le tango qui reprend cet artifice, c’est Queja indiana (plainte indienne) de Juan Rodriguez. On retrouve le mode mineur, les deux accords constitués de noires (en rouge et vert dans mon illustration) et le troisième de blanches (en bleu). Queja indiana permit à Juan Rodriguez d’obtenir un prix offert par Disco Nacional del Palace Theatre (qui était au 757, rue Corrientes). Il se peut que Juan Rodriguez se soit inspiré de la composition de Juan Maglio, Maglio ayant composé ce titre cinq ans avant la première composition de Rodriguez. Pour terminer, voici la composition de Juan Rodriguez interprétée par Roberto Firpo.
« Comme il faut » , le titre de ce tango est en français et il signifie que l’on fait les choses bien, comme il faut qu’elles soient réalisées. Nous allons toutefois voir, que sous ce titre « anodin » se cache une tricherie, quelque chose qui n’est peut-être pas fait, « comme il faut ».
Je parle français comme il faut
Je pense que vous ne serez pas surpris de découvrir un titre en français, il y a en a plusieurs et les mots français sont couramment utilisés par les Argentins et fort fréquents dans le tango.
Deux raisons expliquent cette abondance.
La première, c’est le prestige de la France de l’époque.
La haute société argentine parlait couramment le français qui était la langue « chic » de l’époque. À ce sujet, il y a une quinzaine d’années, une amie me faisait visiter son club nautique. C’est le genre d’endroit dont on devient membre par cooptation ou héritage familial. J’ai été surpris d’y entendre parler français, sans accent, par une bonne partie et peut-être même la majorité des personnes que l’on croisait. Je m’en suis ouvert et mon amie m’a informé que les personnes de cette société avaient coutume de parler entre eux en français, cette langue étant toujours celle de l’élite.
La seconde, vous la connaissez.
Les orchestres de tango se sont donné rendez-vous en France au début du vingtième siècle. Il était donc naturel que s’expriment des nostalgies, des références pour montrer que l’on avait fait le voyage ou tout simplement que s’affichent les expressions à la mode.
Je peux vous conseiller un petit ouvrage sur la question, EL FRANCÉS EN EL TANGO: Recopilación de términos del idioma francés y de la cultura francesa utilizados en las letras de tango. Il a été écrit par Víctor A. Benítez Boned qui cite et explicite 78 mots de français qui se retrouvent dans le tango et 41 noms propres désignant des Français ou des lieux de France. On peut considérer qu’environ 200 tangos font directement référence à la France, aux Français (souvent aux Françaises) ou à la langue française. Víctor A. Benítez Boned en cite 177.
Comme il faut 1951-09-26 — Orquesta Carlos Di Sarli.Comme il faut de Eduardo Arolas avec la dédicace “A mis estimados y distinguidos amigos Francisco Wright Victorica, Vladislao A. Frías, Juan Carlos Parpaglione y Manuel Miranda Naón”.
Les dédicataires sont des étudiants en droit qui ont probablement cassé leur tire-lire pour être dédicataires : Francisco Wright Victorica, étudiant de la Faculté de droit et de sciences sociales de Buenos Aires en 1917 Vladislao A. Frías ; étudiant de la Faculté de droit et de sciences sociales de Buenos Aires en 1917, puis juge au civil et membre de la cour d’appel au tribunal de commerce de Buenos Aires. Juan Carlos Parpaglione, étudiant de la Faculté de droit et de sciences sociales de Buenos Aires en 1917. Manuel Miranda Naón, étudiant de la Faculté de droit et de sciences sociales de Buenos Aires. En 1918, il a participé au mouvement de réforme de cette université.
Paroles
Luna, farol y canción, dulce emoción del ayer fue en París, donde viví tu amor. Tango, Champagne, corazón, noche de amor que no está, en mi sueño vivirá…
Es como debe ser, con ilusión viví las alegrías y las tristezas; en esa noche fue que yo sentí por vos una esperanza en mi corazón. Es como debe ser en la pasión de ley, tus ojos negros y tu belleza. Siempre serás mi amor en bello amanecer para mi vida, dulce ilusión.
En este tango te cuento mi tristeza, dolor y llanto que dejo en esta pieza. Quiero que oigas mi canción hecha de luna y de farol y que tu amor, mujer, vuelva hacia mí.
Eduardo Arolas Letra: Gabriel Clausi
Traduction libre et indications
Lune, réverbère et chanson, douce émotion d’hier c’était à Paris, où j’ai vécu ton amour. Tango, Champagne, cœur, nuit d’amour qui n’est pas là, dans mon rêve vivra… C’est comme il faut (comme il se doit), avec enthousiasme j’ai vécu les joies et les peines ; C’est ce soir-là que j’ai senti de l’espoir pour toi dans mon cœur. C’est comme doit être la véritable passion (les Argentins disent de ley, de la loi, par exemple un porteño de ley pour dire un véritable portègne), de tes yeux noirs et de ta beauté. Tu seras toujours mon amour dans la belle aurore pour ma vie, douce illusion (doux sentiment). Dans ce tango, je te conte ma tristesse, douleur et larmes que je laisse dans ce morceau. Je veux que tu entendes ma chanson faite de lune et de réverbère et que ton amour, femme, revienne jusqu’à moi.
Elle est où la tricherie promise ?
Comme je vois que vous semblez intéressés, voici la tricherie. Le tango « Comme il faut » a un frère jumeau « Comparsa criolla » signé Rafael Iriarte.
Couverture et partition de Comparsa Criolla de Rafael Iriarte. La mention du concours de 1930 est en haut de la couverture.
La gémellité n’est pas une tricherie me direz-vous, mais alors comment nommer deux tangos identiques attribués à des auteurs différents ? On dirait aujourd’hui un plagiat. Nous avons déjà rencontré plusieurs tangos dont les attributions étaient floues, que ce soit pour la musique ou les paroles. Firpo n’a‑t-il pas cherché à mettre sous son nom La cumparsita, alors pourquoi pas une comparsa ? Mais revenons à notre paire de tangos et intéressons-nous aux auteurs. Eduardo Arolas (1892–1924), un génie, mort très jeune (32 ans). Non seulement il jouait du bandonéon de façon remarquable, ce qui lui a valu son surnom de « Tigre du bandonéon », mais en plus, il a composé de très nombreux titres. C’est assez remarquable si on tient compte de sa très courte carrière. Il s’est dit cependant qu’il s’inspirait de l’air du temps, utilisant ce que d’autres musiciens pouvaient interpréter à une époque où beaucoup n’écrivaient pas la musique. Il me semble que c’est plus complexe et qu’il est plutôt difficile de dénouer les fils des interactions entre les musiciens à cette époque où il y avait peu de partitions, peu d’enregistrements et donc surtout une connaissance par l’écoute, ce qui favorise l’appropriation d’airs que l’on peut de toute bonne foi croire originaux. Pour revenir à notre tango du jour et faire les choses Comme il faut, voyons qui est le second auteur, celui de Comparsa criolla, Rafael Iriarte. (1890–1961). Lui aussi a fait le voyage à Paris et Néstor Pinsón évoque une collaboration dans la composition qui aurait eu lieu en 1915. Si on s’intéresse aux enregistrements, les plus anciens semblent dater de 1917 et sont de Arolas lui-même et de la Orquesta Típica Pacho. Les deux disques mentionnent seulement Arolas comme seul compositeur.
Eduardo Arolas et un disque par la Tipica Pacho qui serait également de 1917 selon Enrique Binda, spécialiste de la vieille garde).
Peut-être que le fait que Arolas avait accès au disque à cette époque et pas Iriarte a été un élément. Peut-être aussi que la part d’Arolas était suffisamment prépondérante pour justifier qu’il soit le seul mentionné. Je n’ai pas trouvé de témoignage indiquant une brouille entre les deux hommes, si ce n’est une hypothèse de Néstor Pinsón. Faut-il voir dans le fait que Iriarte signe de son seul nom la version qu’il dépose en 1930 et qui obtiendra un prix, au septième concours organisé par la maison de disque « Nacional ». Ce qui est curieux est que Francisco Canaro, qui était ami de Arolas ait enregistré sa version avec la mention de Iriarte et pas celle de son ami décédé six ans plus tôt. Faut-il voir dans cela une reconnaissance de Canaro pour la part de Iriarte ? Pour vous permettre d’entendre les similitudes, je vous propose d’écouter le début de deux versions. Celui de 1951 de Comme il faut, notre tango du jour par Di Sarli et celui de Comparsa criolla de Tanturi de 1941. J’ai modifié la vitesse de la version de Tanturi pour que les tempos soient comparables.
Débuts de : Comme il faut de Eduardo Arolas par Carlos Di Sarli (1951) et Comparsa criolla de Rafael Iriarte par Ricardo Tanturi (1941).
Autres versions
Comme il s’agit du « même » tango, je vais placer par ordre chronologique plusieurs versions de Comme il faut et de Comparsa criolla.
Comme il faut 1917 — Eduardo Arolas
Les musiciens de l’orchestre de Arolas en 1916. Arolas est en bas, au centre. Juan Marini, pianiste, à gauche, puis Rafael Tuegols et Atilio Lombardo (violonistes) et Alberto Paredes (violonceliste). Ce sont eux qui ont enregistré la version de 1917 de Arolas.
Comme il faut 1917 — Orquesta Típica PachoComparsa criolla 1930-11-18 — Francisco CanaroComme il faut 1936-10-27 — Juan D’ArienzoComme il faut 1938-03-07 — Anibal TroiloComparsa criolla 1941-06-16 — Ricardo TanturiComme il faut 1947-01-14 — Carlos Di SarliComparsa criolla 1950-12-12 — Orchestre Quintin VerduComme il faut 1951-09-26 — Orquesta Carlos Di Sarli.Comme il faut 1955-07-15 — Carlos Di SarliComme il faut 1966-09-30 — Hector VarelaComme il faut 1980 — Alfredo De AngelisComme il faut 1982 — Leopoldo Federico
Mon cher Correcteur, Thierry, m’a fait remarquer que je n’avais pas proposé de versions chantées. N’en ayant pas sous la main, j’ai fait un appel à des collègues qui m’ont proposé deux versions, Nelly Omar avec Bartolomé Palermo de 1997 et Sciamarella Tango con Denise Sciammarella de 2018 :
Comme il faut 1997 — Nelly Omar con Bartolomé Palermo y sus guitarras. Merci à Howard Jones qui m’a signalé cette version.Comme il faut 2013 — Gente de tangoComme il faut 2018 – Sciamarella Tango con Denise Sciammarella. Merci à Yüksel Şişe qui m’a indiqué cette version.Comme il faut 2020-08 — El Cachivache
Je vous propose d’arrêter là les exemples, il y en aurait bien sûr quelques autres et je vous dis, à bientôt les amis !
Juan D’Arienzo ; Fulvio Salamanca (Fulvio Werfil Salamanca); Carlos Bahr (Carlos Andrés Bahr)
Quand les auteurs de tango se lancent dans la philosophie de la vie, cela donne cela ; des conseils pour naviguer entre les canailles et les giles. Juan D’Arienzo et son pianiste de l’époque, Fulvio Salamanca se sont associés avec Carlos Bahr pour élaborer la musique et les paroles. Pour les danseurs, la philosophie est simple, sauter sur la piste aux premières notes et s’éclater à danser ce titre énergique servi par l’orchestre de D’Arienzo et la voix prenante de Echagüe.
La bande des auteurs
Généralement, on attribue à D’Arienzo et Salamanca la musique et à Carlos Bahr les paroles, mais l’enregistrement à la SADAIC (Société des auteurs argentins) donne la paternité aux trois pour les deux éléments.
Registre de la SADAIC indiquant l’enregistrement de l’œuvre le 20 avril 1953.
On notera que pour les trois, la mention est auteur et compositeur. Les pourcentages pour chacun des trois ne sont pas déterminés. C’est qu’ils estimaient avoir collaboré de façon comparable et qu’ils devraient donc recevoir à parts égales les droits afférents. On notera au passage les pseudonymes de Salamanca et Bahr. Tony Cayena pour le premier et Alfas et Luke J Y C pour le second.
Carlos Bahr, Juan D’Arienzo et Fulvio Salamanca, les trois auteurs, compositeurs du tango du jour.
Ce travail à trois n’est pas étonnant dans la mesure où Salamanca et Bahr étaient des amis proches et que D’Arienzo aimait mettre en musique les textes de Bahr. Ce trio a d’ailleurs réalisé dans les mêmes conditions d’autres titres joués par l’orchestre de D’Arienzo, comme : Ganzúa, La sonrisa de mamá, Sin balurdo, Tomá estas monedas!, Trampa et notre tango du jour, Y suma y sigue… D’autres titres ont été composés par D’Arienzo et Salamanca avec un texte de Bahr comme : Hoy me vas a escuchar, Necesito tu cariño et Se-Pe-Ño-Po-Ri-Py-Ta-Pa et d’autres, enfin, ont été créé par Bahr (texte) et Salamanca (musique) sans l’apport de D’Arienzo, comme : Amarga sospecha, Aqui he venido a cantar, Dale dale, caballito, Desde aquella noche et Eterna.
De gauche à droite, debout : Héctor Varela, Juan D’Arienzo, Armando Laborde, Alberto Echagüe et Fulvio Salamanca au piano.
Y suma y sigue
Le titre peut interroger. Ce terme venant des livres comptables invite à tourner la page pour consulter la suite d’un compte, mais il a plusieurs autres significations.
Expression indiquant en bas de page, que le calcul va se continuer sur la page suivante.
Équivalent de etc. du latín et cetera, pour indiquer que la liste pourrait continuer (et le reste, et les autres choses).
Indique que ça va continuer à augmenter.
Indique que quelque chose se répète.
Je vous laisse choisir votre interprétation à la présentation des paroles ci-dessous.
Extrait musical
Y suma y sigue… 1952-08-13 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe.Partition de Suma y sigue…
Paroles
No me gusta andar con vivos y a los giles les doy pase a los otros si es preciso los atiendo y se acabó. Si la mala se encabrita me la aguanto hasta que amanse y aunque siempre hay un amigo, curo a solas mi dolor. Me enseñó la mala racha que la suerte es mina ilusa, Que, al final, se queda siempre con aquel que está grillao. Y aprendí en los desencantos, que si afloja el de la zurda, es mejor que te amasijes porque al fin irás palmao.
Aunque seas bien derecho si andas seco te dan pifia. Trabajando sos cualquiera y afanando sos señor. Porque, al fin, hasta la grela que comparte tu cobija cuando ve mangos en fila solo piensa “¿cuántos son?”. Además, nadie pregunta de que “lao” llegó la buena, la importancia está en los mangos aunque salgan de lo peor. Y aprendes al triste precio de tu credo en esta feria que ni tiñe la vergüenza, ni la guita tiene honor.
Me enseñaron los amigos que estas firme si hay rebusque, aprendí de los extraños que hay que abrirse del favor. Y la vez, que por humano le di cuarta a un gil “cualunque”, me dejó en la puerca vía sin confianza y sin colchón. Los demás te ven sacando por la pinta, como al naipe, y al marcarte “gil en puerta”, pregonando que hay amor, te saquean hasta el alma y después te dan el raje… ¡Pero nadie mira nunca que tenés un corazón! Juan D’Arienzo ; Fulvio Salamanca (Fulvio Werfil Salamanca); Carlos Bahr (Carlos Andrés Bahr)
Traduction libre
Je n’aime pas aller avec les canailles et aux giles (XXXX voir anecdote sur le sujet) je donne un laissez-passer, quant aux autres si nécessaire, je m’occupe d’eux et c’est tout. Si le mauvais se déchaîne, je le supporte jusqu’à ce qu’il se lève et bien qu’il y ait toujours un ami, je guéris ma douleur seul. La mauvaise série m’a appris que la chance est une gamine illusoire, qu’à la fin, elle reste toujours avec celui qui est grillé. Et j’ai appris dans les déceptions, que si le sincère se détend, cela vaut mieux que de se pétrir (de coups), car à la fin vous finissez dans les pommes (palmao de palmado est endormir en lunfardo). Même si tu es très droit, si tu es sec, ils se moquent de toi. En travaillant, tu es quelconque et en trompant (arnaquant, volant), tu es un Monsieur. Parce qu’en fin de compte, même la gonzesse (femme) qui partage votre couverture (lit) quand elle voit des biffetons (billets de 1 peso) alignés elle pense uniquement à « combien il y en a ? ». D’ailleurs, personne ne demande de quel côté vient le bon, l’important ce sont les billets même s’ils sortent du pire. Et tu apprends au triste prix de ton credo dans cette foire qui ni la honte tache, ni le flouze (l’argent) n’a d’honneur. Les amis m’ont appris à être ferme s’il y a une petite occasion (rebusque est un petit travail supplémentaire, voire un amour passager), j’ai appris d’inconnus qu’il faut s’ouvrir à la faveur (peut aussi signifier profiter sexuellement). Et la fois, que pour être humain, j’ai porté assistance à un gil quelconque, il m’a laissé des scrofules, sans confiance et sans matelas (je ne suis pas sûr du sens). Les autres te voient venir pour l’allure, comme aux cartes, et dès qu’ils te marquent « gil à la porte », proclamant qu’il y a de l’amour, ils te pillent jusqu’à l’âme et ensuite ils te jettent dehors… Mais personne ne voit jamais que tu as un cœur ! Ces conseils de vie, se terminent par Mais personne ne voit jamais que tu as un cœur ! Les conseils cachent en fait un regard critique et désabusé sur le monde contemporain, sur les relations humaines. En cela, ce tango rejoint d’autres tangos comme cambalache, tormenta et tant d’autres qui dénoncent les injustices et les abus.
Autres versions
Il n’y a pas d’autre enregistrement de ce titre, mais D’Arienzo et Echagüe ont enregistré plusieurs tangos faisant appel au lunfardo. En 1964, RCA a édité une sélection de 12 de ces tangos dans un disque 33 tours.
Academia del lunfardo (1964). 12 tangos avec des paroles en lunfardo par D’Arienzo et Echagüe. Notre tango du jour est le premier titre de la face 2.Joyas del Lunfardo (1996) reprend les 12 titres de 1964 et en rajoute 8.
Voici la liste des 20 titres du CD. Ceux qui sont en gras étaient dans le CD de 1964
1 Cartón junao (Juan D‘Arienzo/Héctor Varela/Carlos Waiss) 2 Chichipía(Juan (D‘Arienzo / Héctor Varela / Carlos Waiss) 3 Bien pulenta (Carlos Waiss) 4 El nene del Abasto (Eladio Blanco/Raúl Hormaza) 5 Sarampión (Eladio Blanco/Raúl Hormaza) 6 Cambalache (Enrique Santos Discépolo) 7 Pituca (Enrique Cadícamo/José Ferreyra) 8 El raje (Juan D‘Arienzo/Héctor Varela) 9 Amarroto (Miguel Bucino / Juan Cao) 10 Barajando (Eduardo Escaris Mendez) 11 Don Juan Mondiola (Antonio Oscar Arona) 12 Farabute (Joaquín Barreiro / Antonio Casciani) 13 Corrientes y Esmeralda (Celedonio Flores / Francisco Pracánico) 14 Y suma y sigue (Carlos Bahr / Juan D‘Arienzo / Fulvio Salamanca) 15 Che existencialista (Mario Landi / Rodolfo Martincho) 16 Pan comido (Enrique Dizeo) 17 Las cuarenta (Froilán Gorrindo) 18 Que mufa che (Jorge Sturla (Tito Pueblo) / Luis Zambaldi) 19 Mi querida Sisebuta (Armando Gatti / Carlos Lázzari / Antonio Polito) 20 Peringundín (Pintín Castellanos)
Voilà, les amis, c’est tout pour aujourd’hui.
Je ne vous dis pas à demain, car je vais faire une pause dans les anecdotes, notamment pour essayer de résoudre les problèmes avec Facebook que cela énerve, mais aussi, car le site sature et que mon hébergeur me fait aussi les gros yeux.
Un abrazo énorme, desde Buenos Aires où il fait encore bien froid…
Francisco Canaro; Rafael Canaro Letra: Juan Andrés Caruso
Nous avons vu les liens entre le tango et le théâtre, le cinéma, la radio. Notre tango du jour, Sentimiento gaucho a tous ces liens et en plus, il a gagné un concours… Il n’est donc pas étonnant qu’il dispose de dizaines de versions, voyons donc ce Sentimiento gaucho à partir de la version orientale, de Donato Racciatti et Nina Miranda.
Les concours Max Glücksmann
La firme Max Glücksmann est celle qui a créé la maison de disques Odeón, que vous connaissez bien maintenant. Cette société a organisé à partir de 1924 différents concours annuels qui se déroulaient dans différents lieux à Buenos Aires et Montevideo. Trois fois par semaine, durant le concours, l’orchestre « officiel » qui était différent chaque année, jouait les tangos qui avaient été sélectionnés par l’entreprise pour concourir. Les jours concernés, l’orchestre jouait deux fois la sélection, une fois pour la séance de cinéma de 18 heures et une fois pour la séquence de cinéma de 22h30. Le public votait grâce à un coupon placé sur le ticket d’entrée au théâtre/cinéma. En 1924, la première année du concours, c’est Sentimiento Gaucho qui gagna. L’orchestre qui a joué les œuvres électionnées était celui de Roberto Firpo, un orchestre gonflé pour atteindre 15 musiciens, dans le Théâtre Grand Splendid et la radio LOW, Radio Grand Splendid retransmettait également la prestation de l’orchestre. On voit que le dispositif était particulièrement élaboré et que Max Glücksmann avait mis les moyens. La version présentée était instrumentale, car les trois premières années du concours, il n’y avait pas de chanteur, « seulement » 15 musiciens. Le palmarès de cette année a été le suivant :
Premier prix : Sentimiento Gaucho (Francisco et Rafael Canaro)
Pa que te acordés (Francisco Lomuto)
Organito de la tarde (Catulo Castillo)
Con toda el alma (Juan Farini)
Amigazo (Juan de Dios Filiberto)
Mentions : Capablanca solo (Enrique Delfino)
El púa (Arturo de Bassi)
Soñando (Paquita Bernardo)
Extrait musical
Sentimiento gaucho. Francisco Canaro; Rafael Canaro Letra: Juan Andrés Caruso.
À gauche, la partition Ricordi qui correspond au texte des paroles habituelles. À droite de la partition, le premier prix gagné par Canaro (il n’y avait pas de paroles et c’était donc cohérent de représenter un gaucho). À l’extrême droite, la couverture de la partition avec les paroles censurées.
Sentimiento gaucho 1954-07-30 — Orquesta Donato Racciatti con Nina Miranda
Paroles
En un viejo almacén del Paseo Colón Donde van los que tienen perdida la fe Todo sucio, harapiento, una tarde encontré A un borracho sentado en oscuro rincón Al mirarle sentí una profunda emoción Porque en su alma un dolor secreto adiviné Y, sentándome cerca, a su lado, le hablé Y él, entonces, me hizo esta cruel confesión Ponga, amigo, atención
Sabe que es condición de varón el sufrir La mujer que yo quería con todo mi corazón Se me ha ido con un hombre que la supo seducir Y, aunque al irse mi alegría tras de ella se llevó No quisiera verla nunca… Que en la vida sea feliz Con el hombre que la tiene pa’ su bien… O qué sé yo Porque todo aquel amor que por ella yo sentí Lo cortó de un solo tajo con el filo’e su traición
Pero inútil… No puedo, aunque quiera, olvidar El recuerdo de la que fue mi único amor Para ella ha de ser como el trébol de olor Que perfuma al que la vida le va a arrancar Y, si acaso algún día quisiera volver A mi lado otra vez, yo la he de perdonar Si por celos a un hombre se puede matar Se perdona cuando habla muy fuerte el querer A cualquiera mujer
Francisco Canaro; Rafael Canaro Letra: Juan Andrés Caruso
Traduction libre et indications
Dans un vieux magasin (El almacén, est à a la fois un magasin, un bar, un lieu de vie, de musique et danse, etc.) du Paseo Colón (rue du sud de Buenos Aires) où vont ceux qui ont perdu la foi. Tout sale, en haillons, un après-midi, j’ai trouvé un ivrogne assis dans un coin sombre. En le regardant, j’éprouvai une profonde émotion parce que dans son âme je devinais une douleur secrète. Et assis près de lui, je lui ai parlé, et il m’a fait cette cruelle confession. Fais attention, mon ami. Sache que c’est la condition de l’homme que de souffrir. La femme que j’ai aimée de tout mon cœur s’en est allée avec un homme qui a su la séduire et, avec son départ, elle a emporté ma joie avec elle. Je ne voudrais jamais la revoir… Puisse-t-elle être heureuse dans la vie avec l’homme qui l’a pour la sienne… Ou qu’est-ce que j’en sais pourquoi tout cet amour que je ressentais pour elle, elle l’a coupé d’un seul coup avec la lame de sa trahison. Mais inutile… Je ne peux pas, même si je le voulais, oublier le souvenir de celle qui était mon seul amour. Pour elle, il faut être comme le trèfle d’odeur (mélilot) qui parfume celui que la vie va arracher. Et si un jour elle veut revenir vers moi, je lui pardonnerai. Si un homme peut être tué par jalousie, cela se pardonne quand parle très fort l’amour à quelque femme que ce soit.
Il existe deux autres versions des paroles, mais le problème sur le site ne m’a pas laissé le temps de les retranscrire. Une version censurée, ou l’ivrogne dans le bar devient un paysan dans un champ et l’autre une version humoristique de Trio Gedeón. J’y reviendrai un jour, mais pour l’instant, ma priorité est de rétablir le site.
Autres versions
Pour les mêmes raisons que le gros raccourcissement de l’anecdote du jour, le problème sur le site, je ne propose pas les autres versions de Sentimiento Gaucho. Là encore, j’essayerai de rattraper, dès que possible, lorsque le site sera remis en état. Je vous présente tout de même cette version sympa où on voit chanter Ada Falcon. C’est dans le film : Idolos de la radio de Eduardo Morera
Ada Falcondans Idolos de la radio de Eduardo Morera chante Sentimiento Gaucho.
j’espère à demain, les amis, avec une version plus complète…
Quand on pense à l’Argentine, on pense à sa viande et ce n’est pas un cliché sans raison. Les Argentins sont de très grands amateurs et consommateurs de viande. Chaque maison a sa parilla (barbecue) et en ville, certains vont jusqu’à improviser leurs parillas dans la rue avec un demi-bidon d’huile. Dans les espaces verts, il y a également des parillas aménagées et si vous préférez aller au restaurant, vous n’aurez pas beaucoup à marcher pour obtenir un bon asado. Le tango du jour, la tablada a à voir avec cette tradition. En effet, la tablada est le lieu où est regroupé le bétail avant d’aller au matadero…
Corrales viejos, matadero, la tablada…
Extrait musical
La tablada 1942-07-23 — Orquesta Aníbal TroiloLa tablada. La couverture de gauche est plus proche du sujet de ce tango que celle de droite…La partition est dédicacée par Canaro à des amis d’Uruguay (auteurs, musiciens…).
Autres versions
La tablada 1927-06-09 — Orquesta Francisco Canaro.
Une version presque gaie. Les vaches « gambadent », du pas lourd du canyengue.
La tablada 1929-08-02 — Orquesta Cayetano Puglisi.
Une version pesante comme les coups coups donnés par les mataderos pour sacrifier les animaux.
La tablada 1929-12-23 — Orquesta Francisco Canaro.
Cette version est assez originale, on dirait par moment, une musique de dessin animé. Cette version s’est dégagée de la lourdeur des versions précédentes et c’est suffisamment joueur pour amuser les danseurs les plus créatifs.
La tablada 1936-08-06 — Orquesta Edgardo Donato.
Une des versions le plus connues de cette œuvre.
La tablada 1938-07-11 — Orquesta Típica Bernardo Alemany.
Cette version française fait preuve d’une belle imagination musicale. Alemany est probablement Argentin de naissance avec des parents Polonais. Son nom était-il vraiment Alemany, ou est-ce un pseudonyme, car il a travaillé en Allemagne avant la seconde guerre mondiale avant d’aller en France où il a fait quelques enregistrements comme cette belle version de la tablada avant d’émigrer aux USA. Ses musiciens étaient majoritairement argentins, car il avait fait le voyage en Argentine en 1936 pour les recruter. Cette version est donc franco-argentine pour être précis…
La tablada 1942-07-23 — Orquesta Aníbal Troilo. C’est notre tango du jour.La tablada 1946-09-10 — Orquesta Francisco Canaro.
L’introduction en appels sifflés se répondant est particulièrement longue dans cette version. Il s’agit de la référence au train qui transportait la viande depuis La Tablada jusqu’à Buenos Aires. Les employés devaient siffler pour signaler le départ, comme cela se fait encore dans quelques gares de campagne.
La tablada 1950-11-03 — Enrique Mora y su Cuarteto Típico.
Encore une version bien guillerette et plutôt sympathique, non ?
La tablada 1951 — Orquesta Roberto Caló.
C’est le frère qui était aussi chanteur, mais aussi pianiste (comme on peut l’entendre dans cet enregistrement), de Miguel Caló.
La tablada 1951-12-07 — Horacio Salgán y su Orquesta Típica.
Une version qui se veut résolument moderne, et qui explore plein de directions. À écouter attentivement.
La tablada 1955-04-19 — Orquesta José Basso.
Dans cette version, très intéressante et étonnante, Basso s’éclate au piano, mais les autres instruments ne sont pas en reste et si les danseurs peuvent être étonnés, je suis sûr que certains apprécieront et que d’autres me maudiront.
La tablada 1957 — Mariano Mores y su Gran Orquesta Popular.
L’humour de Mariano Mores explose tout au long de cette version. Là encore, c’est encore un coup à se faire maudire par les danseurs, mais si vous avez envie de rigoler, c’est à préconiser.
La tablada 1957-03-29 — Orquesta Héctor Varela. Varela est plus sérieux, mais sa version est également assez foisonnante. Décidément, la tablada a donné lieu à beaucoup de créativité.La tablada 1962 — Orquesta Rodolfo Biagi.
On revient à des choses plus classiques avec Rodolfo Biagi qui n’oublie pas de fleurir le tout de ses ornements au piano. À noter le jeu des bandonéons avec le piano et les violons qui dominent le tout, insensibles au staccato des collègues.
La tablada 1962-08-21 — Cuarteto Troilo-Grela.
Le duo Grela, Troilo est un plaisir raffiné pour les oreilles. À écouter bien au chaud pour se laisser emporter par le dialogue savoureux entre ces deux génies.
La tablada 1965-08-11 — Orquesta Juan D’Arienzo.
La spatialisation stéréophonique est sans doute un peu exagérée, avec le bandonéon à droite et les violons à gauche. Beaucoup de DJ passent les titres en mono. C’est logique, car tout l’âge d’or et ce qui le précède est mono. Cependant, pour les cortinas et les enregistrements plus récents, le passage en mono peut être une limitation. Vous ne pourrez pas vous en rendre compte ici, car pour pouvoir mettre en ligne les extraits sonores, je dois les passer en mono (deux fois moins gros) en plus de les compresser au maximum afin qu’ils rentrent dans la limite autorisée de taille. Mes morceaux originaux font autour de 50 Mo chacun. Pour revenir à la diffusion en stéréo, le DJ doit penser que les danseurs tournent autour de la piste et qu’un titre comme celui leur donnera à entendre le bandonéon dans une zone de la salle et les violons dans une autre. Dans ce cas, il faudra limiter le panoramique en rapprochant du centre les deux canaux. Encore un truc que ne peuvent pas faire les DJ qui se branchent sur l’entrée ligne où les deux canaux sont déjà regroupés et ne peuvent donc pas être placés spatialement de façon individuelle (sans parler du fait que l’entrée ligne comporte généralement moins de réglage de tonalité que les entrées principales).
La tablada 1966-03-10 — Orquesta Florindo Sassone.
Une meilleure utilisation de la spatialisation stéréophonique, mais ça reste du Sassone qui n’est donc pas très passionnant à écouter et encore moins à danser.
La tablada 1968 — Orquesta Típica Atilio Stampone.
Stampone a explosé la frontière entre la musique classique et le tango avec cette version très, très originale. J’adore et je la passe parfois avant la milonga en musique d’ambiance, ça intrigue les premiers danseurs en attente du début de la milonga.
La tablada 1968-06-05 — Cuarteto Aníbal Troilo.
On termine, car il faut bien une fin, avec Pichuco et son cuarteto afin d’avoir une autre version de notre musicien du jour qui nous propose la tablada.
Après ce menu musical assez riche, je vous propose un petit asado…
L’asado
Je suis resté discret sur le thème matadero évoqué dans l’introduction. Matar en espagnol est tuer (à ne pas confondre avec mate) qui est la boisson nationale. Si vous écrivez « maté », vous voulez dire « tué ». Il ne faut donc surtout pas mettre d’accent, même si ça prononce maté, ça s’écrit mate. L’accent tonique est sur le ma et pas sur le te. J’arrête de tourner autour du pot, le matadero, c’est l’abattoir.
À la fin du 16e siècle, Jean de Garay apporta 500 vaches d’Europe (et bien sûr quelques taureaux). Ces animaux se plurent, l’herbe de la pampa était abondante et nourrissante aussi les bovins prospérèrent au point que deux siècles plus tard, Félix de Azara, un naturaliste espagnol constatait que les criollos ne consommaient que de la viande, sans pain. Plus étonnant, ils pouvaient tuer une vache pour ne manger que la langue ou la partie qui les intéressait. Puis, la colonisation s’intensifiant, la viande est devenue la nourriture de tous, y compris des nouveaux arrivants. Certaines parties délaissées par la « cuisine » traditionnelle furent l’aubaine des plus pauvres, mais certaines parties qui étaient très appréciées par les personnes raffinées et négligées par les consommateurs traditionnels continuent à faire le bonheur des commerçants avisés qui répartissent les parties de l’animal selon les quartiers. Le travail du cuir est aussi une ressource importante de l’Argentine, mais dans certaines provinces, l’asado (la grillade) se fait avec la peau et dans ce cas, le cuir est perdu. C’est un reste de l’habitude de tuer une vache pour n’utiliser que la portion nécessaire à un moment donné. Les Argentins consomment un kilo de viande et par personne chaque semaine. Je devrais écrire qui consommaient, car depuis l’arrivée du nouveau gouvernement en Argentine, le prix de la viande a triplé et la consommation a fortement baissée en quantité (de l’ordre de 700 grammes par semaine et surtout en qualité, les viandes les moins nobles étant désormais plus recherchées, car moins chères).
Asado a la estaca (sur des pieux) — Asado con cuero (avec la peau de l’animal)
Asado dans un restaurant, les chaînes permettent de régler la hauteur des différentes grilles — asado familiar.
Tira de asado La viande est attachée à l’os. C’est assez spectaculaire et plein d’os que certains enlèvent avec leur couteau ou en croquant entre les restes de côtes.
Vacio (Vide) Un morceau de choix, sans os, tendre et à odeur forte. IL se cuit lentement à feu indirect.
Matambre Entre la peau et les os, le matambre est recherché. Il est également utilisé roulé, avec un remplissage entre chaque couche. Une fois découpé en rondelle, comme une bûche de Noël, c’est très joli. Le remplissage peut être des œufs durs, des légumes ou autres.
Colita de cuadril Partie de l’aloyau (croupe) proche de la queue, d’où le nom.
Entraña Partie intérieure des côtes de veaux.
Bife de chorizo Bifteck de chorizo, un steack à ne pas confondre avec la saucisse espagnole de ce nom.
Bife Ancho Un steack large, épais avec graisse.
Bife angosto Le contraire du précédent, plus fin.
Lomo La longe, une pièce de viande peu grasse.
Palomita Une coupe parmi tant d’autres. J’imagine que certains y voient une colombe, mais c’est bien du bœuf.
Picaña Arrière de la longe de bœuf de forme triangulaire.
Achuras Ce sont les abats. Ils sont présentés en tripes, chorizos, boudins, ris de veau, rognons et autres. Ils ne font pas l’unanimité chez les Argentins, mais un asado sans achuras, ce n’est pas un asado pour beaucoup.
Bondiola Le porc passe aussi un sale moment sur la parilla. Beaucoup la mangent en sandwich dans du pain français (rien à voir avec le pain de France). Le pain peut être chauffé sur la parilla.
Pechito de cerdo La poitrine de porc fait aussi partie des morceaux de choix de l’asado. Elle est considérée ici comme une viande plus saine (comme quoi tout est relatif).
Des légumes, poivrons, aubergines peuvent rejoindre l’asado, mais ce ne sera pas le met préféré des Argentins, même si on y fait cuire un œuf afin de ne pas manquer de protéines…
Le travail de l’asador
C’est la personne qui prépare l’asado. Son travail peut paraître simple, mais ce n’est pas le cas. Il faut préparer les morceaux, parfois les condimenter (modérément) et la cuisson est tout un art. Une fois que le bois ou le charbon de bois sont prêts, il faut régler la hauteur de la grille afin que la viande cuise doucement et longuement et de façon adaptée selon les pièces qui se trouvent aux différents endroits de la grille. Beaucoup d’Argentins aiment la viande bien cuite, les steaks tartares sont une idée qui n’est pas dans le vent ici. D’autres l’aiment à point et la bonne viande se coupe à la cuillère, voire avec le manche de la cuillère. Hors de l’Argentine, il est assez difficile de convaincre un boucher de découper la viande à l’Argentine, à moins de bien lui expliquer et d’acheter 40 kilos d’un coup. Il vous faudra donc aller en Argentine ou dans un restaurant argentin qui s’approvisionne bien souvent en bœuf de l’Aubrac (France). La coutume veut qu’on applaudisse l’asador qui a passé des heures à faire cuire amoureusement les animaux. L’Argentine n’est pas le paradis des végétariens, d’autant plus que les légumes sont souvent plus chers que la viande (même si en ce moment, c’est moins le cas). Il faut compter entre 4 et 10 $ le kilo, voire moins si vous achetez de grosses quantités, si vous payez en liquide, si vous avez la carte de telle ou telle banque… L’Argentine fourmille d’astuces pour payer un peu moins cher. Ne sortez pas l’American Express ici son slogan est plutôt « ne sortez pas avec elle » si vous ne voulez pas payer plus cher. En ce qui concerne les autres produits d’origine animale, le lait et les produits laitiers ne sont pas les grands favoris et le poisson coûte le même prix qu’en Europe et par conséquent est hors de prix pour la majorité des Argentins, sauf peut-être le merlu que l’on peut trouver à moins de 10 $ contre 30 ou 40 $ le saumon (d’élevage, congelé et à la chair très pâle et grasse). Bon, je me suis un peu échappé du domaine du tango, mais n’étant pas amateur de viande, il me fallait faire une forme de catharsis…
Juan Viladomat Masanas Letra: Félix Garzo (Antonio José Gaya Gardus)
On sait maintenant que fumer n’est pas bon pour la santé, mais dans la mythologie du tango, la cigarette, cigarillo, pucho, faso et sa fumée ont inspiré les créateurs quand eux-mêmes inspiraient les volutes de fumée. Notre tango du jour est à la gloire de la fumée, au point qu’il est devenu objet de propagande publicitaire. Mais nous verrons que le tango a aussi servi à lutter contre le tabac qui t’abat. Je pense que vous découvrirez quelques scoops dans cette anecdote fumante.
Extrait musical
Fumando espero 1927-07-21 — Orquesta Típica Victor — Dir. Adolfo Carabelli.
Cette très belle version souffre bien sûr de son ancienneté et du style de l’époque, mais les contrepoints sont superbes et la rythmique lourde est compensée par de jolis traits. J’aime beaucoup les passages legato des violons.
Maintenant que vous l’avez écouté, nous allons entrer dans le vif d’un sujet un peu fumeux, tout d’abord avec des couvertures de partitions.
Fumando espero. Diverses partitions.
On notera que trois des partitions annoncent la création, mais par des artistes différents… Création de Ramoncita Rovira (Partition éditée par Ildefonso Alier) à Madrid en 1925. Création de Pilar Berti pour la publication de Barcelone, DO-RE-MI qui publiait chaque semaine une partition. Mais c’est une autre Pilar (Arcos) qui l’enregistrera à diverses reprises. Tania Mexican, créatrice de ce magnifique tango, annonce cette partition. Tania aurait été la première à le chanter à Buenos Aires. Ce n’est pas impossible dans la mesure où cette Espagnole de Tolède est arrivée en Argentine en 1924. Elle fut la compagne de Enrique Santos Discépolo. Si on peut voir la mention « « « Mexican » à côté de son nom, c’est qu’elle est arrivée à Buenos Aires avec le Conjunto The Mexicans…
Après les éditions espagnoles, voici celles d’Amérique latine, plus tardives, elles ont suivi le trajet de la musique. Felix Carso au lieu de Carzo pour l’édition brésilienne de 1927. L’éditeur, Carlos Wehrs vendait aussi des pianos. Tango de Veladomato (au lieu de Veladomat (non catalan) pour l’édition chilienne. Ces cinq partitions sont de la première vague (années 20–30)
La partition éditée par las Ediciones Internacionales Fermata avec la photo de Héctor Varela en couverture date des années 50. Probablement de 1955, date de l’enregistrement par Varela de ce titre.
Paroles
Fumar es un placer genial, sensual. Fumando espero al hombre a quien yo quiero, tras los cristales de alegres ventanales. Mientras fumo, mi vida no consumo porque flotando el humo me suelo adormecer… Tendida en la chaise longue soñar y amar… Ver a mi amante solícito y galante, sentir sus labios besar con besos sabios, y el devaneo sentir con más deseos cuando sus ojos veo, sedientos de pasión. Por eso estando mi bien es mi fumar un edén.
Dame el humo de tu boca. Anda, que así me vuelvo loca. Corre que quiero enloquecer de placer, sintiendo ese calor del humo embriagador que acaba por prender la llama ardiente del amor.
Mi egipcio es especial, qué olor, señor. Tras la batalla en que el amor estalla, un cigarrillo es siempre un descansillo y aunque parece que el cuerpo languidece, tras el cigarro crece su fuerza, su vigor. La hora de inquietud con él, no es cruel, sus espirales son sueños celestiales, y forman nubes que así a la gloria suben y envuelta en ella, su chispa es una estrella que luce, clara y bella con rápido fulgor. Por eso estando mi bien es mi fumar un edén.
Fumer est un plaisir génial, sensuel. En fumant, j’attends l’homme que j’aime, derrière les vitres de fenêtres gaies. Pendant que je fume, ma vie, je ne la consomme pas parce que la fumée qui flotte me rend généralement somnolente… Allongée sur la chaise longue, rêver et aimer… (On notera que la chaise longue est indiquée en français dans le texte). Voir mon amant plein de sollicitude et galant, de sentir ses lèvres embrasser de baisers sages, et d’éprouver plus de désir quand je vois ses yeux assoiffés de passion. C’est pourquoi mon bien est de fumer une Edén (marque de cigarettes, voir ci-dessous les détails). Donne-moi la fumée de ta bouche. Allez, qu’ainsi je devienne folle. Cours, que j’ai envie de devenir folle de plaisir, en sentant cette chaleur de la fumée enivrante qui finit par allumer la flamme brûlante de l’amour. Mon égyptien (tabac égyptien) est spécial, quelle odeur, monsieur. Après la bataille dans laquelle l’amour explose, une cigarette est toujours un repos et bien qu’il semble que le corps languisse, après le cigare (en lunfardo, el cigarro est le membre viril…), sa force, sa vigueur, grandissent. L’heure de l’agitation avec lui n’est pas cruelle, ses spirales sont des rêves célestes, et forment des nuages qui s’élèvent ainsi vers la gloire et enveloppés d’elle, son étincelle est une étoile qui brille, claire et belle d’un éblouissement rapide. C’est pourquoi mon bien est de fumer une Edén.
La cigarette et le tango
Ce tango serait une bonne occasion pour parler du thème de la cigarette et du tango. Étant non-fumeur, je béni la loi 1799 (Buenos Aires) qui fait que depuis octobre 2006, il est interdit de fumer dans les lieux publics. Cela a largement amélioré la qualité de l’air dans les milongas. La loi 3718 (décembre 2010) renforce encore ces interdictions et donc depuis 5 janvier 2012, il est totalement interdit de fumer dans les lieux publics et les espaces fumeurs intérieurs sont interdits. Cependant, imaginez l’atmosphère au cours du vingtième siècle, époque où le tabac faisait des ravages. Le tango du jour peut être considéré comme une publicité pour le tabac et même une publicité pour le tabac égyptien d’une part et la marque Edén qui était une marque relativement luxueuse.
Avec Edén, allez plus vite au paradis
Dans ce tango, sont cités deux types de tabac, l’égyptien et les cigarettes à base de tabac de la Havane. Je pourrais rajouter le cigare de la Havane, mais je pense que la référence au cigare est plus coquine que relative à la fumée… Les cigarettes Edén étaient commercialisées en deux variétés, la n° 1, fabriqué avec du tabac de la Havane, coûtait 30 cents et la n° 2, avec un mélange de tabac de la Havane et de Bahia, 20 cents le paquet.
À gauche, paquet de tabac égyptien. À droite, publicité pour les cigarettes Edén (1899). Clodimiro Urtubey est le créateur de la marque
Les tangos faisant la propagande du tabac
On peut bien sûr inclure notre tango du jour (Fumando espero (1922), puisqu’il cite des marques et l’acte de fumer. Cependant, rien ne prouve que ce soient des publicités, même déguisées. La référence au tabac égyptien peut être une simple évocation du luxe, tout comme la marque Edén qui en outre rime avec bien. Par ailleurs, l’auteur de la musique, Juan Viladomat semble être un adepte des drogues dans la mesure où il a également écrit un tango qui se nomme La cocaína avec des paroles de Gerardo Alcázar.
Partition de La cocaina de Juan Viladomat avec des paroles de Gerardo Alcázar.La cocaína 1926 — Ramoncita Rovira.
La cocaína 1926 — Ramoncita Rovira. Cette pièce faisait partie du Guignol lyrique en un acte « El tango de la cocaína » composé par Juan Viladomat avec un livret de Amichatis et Gerardo Alcázar.
J’imagine donc qu’il a choisi le thème sans besoin d’avoir une motivation financière… D’autres tangos sont dans le même cas, comme : Larga el pucho (1914), Sobre el pucho (1922), Fume Compadre (ou Nubes de humo, 1923), Como el humo (1928), Cigarillo (1930), Pucho 1932, Tabaco (1944), Sombra de humo (1951), Un cigarillo y yo (1966) et bien d’autres qui parlent à un moment ou un autre, de fumée, de cigarette (cigarillo/pucho/faso) ou de tabac.
Cigarrillo 1930-07-17 — Orquesta Francisco Canaro con Luis Díaz (Adolfo Rafael Avilés Letra: Ernesto E. de la Fuente).
Attention, ne pas confondre avec le tango du même nom qui milite contre le tabac et que je présente ci-dessous… Sur le fait que Canaro n’a pas fait cela pour de l’argent, j’ai tout de même un petit doute, il avait le sens du commerce…
En revanche, d’autres tangos ont été commandités par des marques de cigarettes. Parmi ceux-ci, citons :
América (qui est une marque de cigarettes) Fumando Sudan, espero (Sudan est une marque de cigarette et Pilar Arcos a enregistré cette version publicitaire en 1928).
Paquet en distribution gratuite et vignettes de collection (1920) des cigarettes Soudan, une marque brésilienne créée par Sabbado D’Angelo en 1913.Fumando Sudan espero 1928-06-15 — Pilar Arcos Acc. Orquesta Tipica Dir. Louis Katzman.
Le nom des cigarettes ne vient pas du pays, le Soudan, mais de l’utilisation des premières lettres du nom du fondateur de la marque, S de Sabado, Um(N) de Umberto et DAN de D’Angelo… Quoi qu’il en soit, cette marque ne reculait devant aucun moyen marketing, distribution gratuite, images de collection, version chantée… Cela me fait penser à cette publicité argentine pour la première cigarette…
Publicité argentine pour la première cigarette mettant en scène un enfant… La cigarette est au premier plan à gauche. On imagine la suite.
Sello azul (qui est une marque de cigarettes).
Sello Azul de Sciammarella et Rubistein, et à droite, un paquet de ces cigarettes…
Aprovechá la bolada, Fumá Caranchos dont je vous propose ici les paroles qui sont un petit chef‑d’œuvre de marketing de bas étage :
Couverture de la partition de Aprovechá la bolada — Fumá Caranchos de Francisco Bohigas
Paroles de Aprovechá la bolada, Fumá Caranchos
Che Panchito, no seas longhi, calmá un poco tu arrebato que el que tiene una papusa cual la novia que tenés, no es de ley que se suicide por el hecho de andar pato; a la suerte hay que afrontarla con bravura y altivez. Donde hay vida hay esperanza, no pifiés como un incauto. Y a tu piba no le arruines su palacio de ilusión vos querés dártela seca porque sueña con un auto, una casa y otras yerbas; yo te doy la solución. Refrán: Fumá Caranchos no seas chancleta, que en cada etiqueta se encuentra un cupón. Seguí mi consejo, prendete, che Pancho que está en Los Caranchos tu gran salvación. Fumá Caranchos, que al fin del jaleo en el gran sorteo te vas a ligar una casa posta, un buick de paseo y el sueño de tu piba se va a realizar. Ya se me hace, che Panchito, que te veo muy triunfante, dando dique a todo el mundo con un buick deslumbrador, por Florida, por Corrientes, con tu novia en el volante propietario de una casa que será nido de amor. Sin embargo, caro mio, si no entrás en la fumada, serás siempre un pobre loco que de seco no saldrá. Vos buscate tu acomodo, aprovechá la bolada, fumá Caranchos querido, que tu suerte cambiará. Fumá Caranchos, no seas chancleta que en cada etiqueta se encuentra el cupón.
Francisco Bohigas
Traduction libre de Aprovechá la bolada, Fumá Caranchos (Saute sur ta chance, fume Caranchos)
Che Panchito, ne sois pas un manche, calme un peu ton emportement, car celui qui a une poupée comme la petite amie que tu as, il n’est pas juste pour lui de se suicider, car il a fait le canard (« cada paso una cagada », le canard a la réputation de faire une crotte à chaque pas, une gaffe à chaque pas) ; la chance doit être affrontée avec bravoure et arrogance. Là où il y a de la vie, il y a de l’espoir, ne faites pas de gaffes comme un imprudent. Et ne ruine pas le palais d’illusion de ta poupée, tu te vois fauché parce qu’elle rêve d’une voiture, d’une maison et d’autres trucs ; Je vais te donner la solution. Fume Caranchos ne sois pas une mauviette, car sur chaque étiquette, se trouve un coupon. Suis mon conseil, allume, che Pancho, ton grand salut est dans les Caranchos. Fume des Caranchos, parce qu’à la fin du tirage de la grande tombola, tu vas recevoir une maison excellente, une Buick pour la balade et le rêve de ta chérie va se réaliser. Il me semble, che Panchito, que je te vois très triomphant, te pavanant devant tout le monde avec une Buick éblouissante, dans Florida, dans Corrientes, avec ta copine au volant et propriétaire d’une maison qui sera un nid d’amour. Cependant, mon cher, si tu ne te lances pas dans la fumée, tu seras toujours un pauvre fou qui ne sortira pas de la dèche. Tu trouveras ton logement, profite de la chance, fume, mon cher, Caranchos, ta chance va tourner. Fume des Caranchos, ne sois pas une mauviette, car sur chaque étiquette se trouve le coupon. On notera qu’il a fait un tango du même type Tirate un lance (tente ta chance), qui faisait la propagande d’un tirage au sort d’un vin produit par les caves Giol7. Ne pas confondre avec le tango du même titre écrit par Héctor Marcó et chanté notamment par Edmundo Rivero.
Le tango contre le tabac
Même si l’immense des tangos fait l’apologie de la cigarette, certains dénoncent ses méfaits en voici un exemple :
Paroles de Cigarrillo de Pipo Cipolatti (musique et paroles)
Tanto daño, tanto daño provocaste a toda la humanidad. Tantas vidas, tantas vidas de muchacho te fumaste… yo no sé. Apagando mi amargura en la borra del café hoy te canto, cigarrillo, mi verdad…
Cigarrillo… compañero de esas noches, de mujeres y champagne. Muerte lenta… cada faso de tabaco es un año que se va… Che, purrete, escuchá lo que te digo, no hagas caso a los demás. El tabaco es traicionero te destruye el cuerpo entero y te agrega más edad… El tabaco es traicionero, te destruye el cuerpo entero… ¡y qué! y esa tos te va a matar…
¡Ay, que lindo !… Ay, que lindo que la gente comprendiera de una vez lo difícil, lo difícil que se hace, hoy en día, el respirar. Es el humo del cilindro maquiavélico y rufián que destruye tu tejido pulmonar
Pipo Cipolatti
Traduction libre des paroles de Cigarrillo
Tant de dégâts, tant de dégâts tu as causé à toute l’humanité. Tant de vies, tant de vies d’enfants tu as fumé… Je ne sais pas. Éteignant mon amertume dans le marc de café, aujourd’hui je te chante, cigarette, ma vérité… Cigarette… Compagne de ces nuits, des femmes et de champagne. Mort lente… Chaque cigarette (faso, cigarette en lunfardo) est une année qui s’en va… Che, gamin, écoute ce que je te dis, ne fais pas attention aux autres. Le tabac est traître, il détruit le corps en entier et t’ajoute plus d’âge… Le tabac est traître, il détruit le corps entièrement… et puis ! Et cette toux va te tuer… Oh, comme ce serait bien !… Oh, comme ce serait bien que les gens comprennent une fois pour toutes combien le difficile, combien il est difficile de respirer aujourd’hui. C’est la fumée du cylindre machiavélique et voyou qui détruit ton tissu pulmonaire
Si on rajoute un autre de ses tangos Piso de soltero qui parle des relations d’un homme avec d’autres hommes et des femmes et des alcools, vous aurez un panorama des vices qu’il dénonce.
Autres versions
Il y a des dizaines de versions, alors je vais essayer d’être bref et de n’apporter au dossier que des versions intéressantes, ou qui apportent un autre éclairage. Ce que l’on sait peu, est que ce tango est espagnol, voire catalan et pas argentin… Juan Viladomat est de Barcelone et Félix Garzo de Santa Coloma de Gramenet (sur la rive opposée du río Besós de Barcelone). Le tango (en fait un cuplé, c’est-à-dire une chanson courte et légère destinée au théâtre) a été écrit pour la revue La nueva España, lancée en 1923 au teatro Victoria de Barcelona. La première chanteuse du titre en a été Ramoncita Rovira née à Fuliola (Catalogne). Je rappelle que Ramoncita a aussi lancé le tango La cocaína que l’on a écouté ci-dessus. Ramoncita, l’aurait enregistré en 1924, mais je n’ai pas ce disque. D’autres chanteuses espagnoles prendront la relève comme Pilar Arcos, puis Sara Montiel et ensuite Mary Santpere bien plus tard.
Fumando-Espero 1926-08 – Orquesta Del Maestro Lacalle.
Ce disque Columbia No.2461‑X tiré de la matrice 95227 a été enregistré en août 1926 à New York où le Maestro Lacalle (la rue), d’origine espagnole, a fini sa vie (11 ans plus tard). C’est une version instrumentale, un peu répétitive. L’avantage d’avoir enregistré à New-York est d’avoir bénéficié d’une meilleure qualité sonore, grâce à l’enregistrement électrique. Le même jour, il a enregistré Langosta de Juan de Dios Filiberto, mais il en a fait une marche joyeuse qui a peu à voir avec le tango original.
Disque enregistré à New York en 1926 par El Maestro Lacalle de Fumando Espero et Langosta.
On est donc en présence d’un tango 100 % espagnol et même 100 % catalan, qui est arrivé à New York en 1926, mais ce n’est que le début des surprises.
Fumando Espero 1926-10-18 — Margarita Cueto acc. Orquesta Internacional — Dir.Eduardo Vigil Y Robles. Un autre enregistrement new-yorkais et ce ne sera pas le dernier…
Fumando espero 1926-10-29 — Orquesta Internacional — Dir. Eduardo Vigil Y Robles. Quelques jours après l’enregistrement avec Margarita Cueto, une version instrumentale.
On quitte New York pour Buenos Aires…
Fumando espero 1927-07-11 — Rosita Quiroga con orquesta.
Rosita Quiroga, la Édith Piaf de Buenos Aires, à la diction et aux manières très faubouriennes était sans doute dans son élément pour parler de la cigarette. On est toutefois loin de la version raffinée qui était celle du cuplé espagnol d’origine.
Fumando espero 1927-07-21 — Orquesta Típica Victor — Dir. Adolfo Carabelli.
C’est notre superbe version instrumentale du jour, magistralement exécutée par l’orchestre de la Victor sous la baguette de Carabelli.
Fumando espero 1927 — Sexteto Francisco Pracánico.
Une autre version instrumentale argentine. Le titre a donc été adopté à Buenos Aires, comme en témoigne la succession des versions.
Fumando espero 1927-08-20 – Orquesta Francisco Lomuto.
Une version un peu frustre à mon goût.
Fumando espero 1927-08-23 – Orquesta Roberto Firpo.
Firpo nous propose une superbe introduction et une orchestration très élaborée, assez rare pour l’époque. Même si c’est destiné à un tango un peu lourd, canyengue, cette version devrait plaire aux danseurs qui peuvent sortir du strict âge d’or.
Fumando espero 1927-09-30 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Fugazot.
Canaro ne pouvait pas rester en dehors du mouvement, d’autant plus qu’il enregistrera Cigarrillo avec Luis Díaz en 1930 (comme nous l’avons vu et écouté ci-dessus).
Fumando espero 1927-11-08 — Orquesta Osvaldo Fresedo.Fumando espero 1927-11-17 — Ignacio Corsini con guitarras de Aguilar-Pesoa-Maciel.
Une belle interprétation par ce chanteur qui aurait mérité, à mon avis, une gloire égale à celle de Gardel.
Fumando espero 1927 — Pilar Arcos Acc. The Castilians.Fumando Sudan espero 1928-06-15 — Pilar Arcos Acc. Orquesta Tipica Dir. Louis Katzman.
C’est la version publicitaire que nous avons évoquée dans le chapitre sur tabac et tango.
La source semble s’être tarie et l’on ne trouve plus de versions de Fumando espero intéressante avant les années 1950.
Fumando espero 1955-05-20 — Enrique Mora — Elsa Moreno.Fumando espero 1955-06-01 — Orquesta Héctor Varela con Argentino Ledesma.
Oui, je sais, cette version, vous la connaissez et elle a certainement aidé au renouveau du titre. C’est superbe et bien que ce type d’interprétation marque la fin du tango de danse, 97,38 % (environ), des danseurs se ruent sur la piste aux premières notes.
Fumando espero 1955-12-01 — Orquesta Donato Racciatti con Olga Delgrossi.
L’Uruguay se toque aussi pour la reprise de Fumando espero. Après Donato Racciatti et Olga Delgrossi, Nina Miranda.
Fumando espero 1956 — Orquesta Graciano Gómez con Nina Miranda.
Nina Miranda a été engagée en 1955 par Odeón. C’est Graciano Gómez qui a été chargé de l’accompagner. C’est une collaboration entre les deux rives du Rio de la Plata.
Fumando espero 1956 — Jorge Vidal con guitarras.
Une version tranquille, à la guitare.
Fumando espero 1956-02-03 — Orquesta Carlos Di Sarli con Argentino Ledesma.
Après la version à 97,38 % avec Varela, Argentino Ledesma, avec Di Sarli réalise la version pour 100 % des danseurs. Ledesma venait de quitter l’orchestre de Varela pour intégrer celui de Di Sarli. Il devient le spécialiste du titre… Ce fut un immense succès commercial au point que la Víctor décala sa fermeture pour vacances pour rééditer d’autres disques en urgence. L’enregistrement avec Varela n’avait pas obtenu le même accueil, c’est donc plutôt 1956 qui marque le renouveau explosif du titre.
Fumando espero 1956-04-03 — Orquesta Alfredo De Angelis con Carlos Dante.
J’aurais plus imaginé Larroca pour ce titre. De Angelis a choisi Dante. C’est toutefois joli, mais je trouve qu’il manque un petit quelque chose…
Popurri 1956-04-20 Fumando espero, Historia de un amor y Bailemos — José Basso C Floreal Ruiz.
Il s’agit d’un popurrí, c’est à dire du mélange dans un seul tango de plusieurs titres. Comme ce pot-pourri commence par Fumando espero, j’ai choisi de l’insérer pour que vous puissiez profiter de la superbe voix de Floreal Ruiz. À 58 secondes commence Historia de un amor et à deux minutes, vous avez pour le même prix un troisième titre, Bailemos. Les transitions sont réussies et l’ensemble est cohérent. On pourrait presque proposer cela pour la danse (avec précaution et pour un moment spécial).
Fumando espero 1956-04-26 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Florio.
On peut se demander pourquoi Di Sarli enregistre une nouvelle version, moins de trois mois après celle de Ledesma. L’introduction est différente et l’orchestration présente quelques variantes. La plus grosse différence est la voix du chanteur. Si on décide de faire une tanda avec Florio, cet enregistrement me semble un excellent élément. Je pense que la principale raison est que Ledesma n’a enregistré que trois tangos avec Di Sarli et que donc c’est trop peu, ne serait que pour nous, DJ, pour avoir un peu de choix. Si je veux passer la version avec Ledesma, je suis obligé de faire une tanda mixte, autre chanteur et/ou titre instrumental pour obtenir les quatre titres de rigueur. Puis, entre nous, ce n’est pas indispensable d’inclure une de ces versions dans une milonga… Il y a peut-être aussi un peu de colère de la part de Di Sarli. En effet, si l’enregistrement de Ledesma avec Varela n’avait pas bien fonctionné, à la suite du succès de la version avec Di Sarli, la Columbia (la maison de disques de Varela) décide de relancer l’enregistrement de 1955. Ce fut alors un immense succès qui a décidé la Columbia a réintégrer Ledesma dans l’orchestre de Varela. Voyant que son nouveau poulain, partait en fumée, Di Sarli (ou la Víctor) a donc décidé de graver d’urgence une autre version avec un nouveau chanteur afin de ne pas laisser au catalogue un titre avec un chanteur passé à la concurrence…
Fumando espero 1956 — Los Señores Del Tango C Mario Pomar.
Un bon orchestre avec la belle voix de Mario Pomar. Agréable à écouter.
Fumando espero 1956 — Libertad Lamarque Orquesta — Dir.Victor-Buchino.
Fumando espero 1956 — Libertad Lamarque Orquesta — Dir.Victor-Buchino. L’accompagnement discret de Victor Buchino et la prestation souvent a capella de Libertad Lamarque permet de bien saisir le grain de voix magnifique de Libertad.
Fumando espero 1957 — Chola Luna y Orquesta Luis Caruso.Fumando espero 1957 — Imperio Argentina.
Si ImperioArgentina est née en Argentine, elle a fait une grande partie de sa carrière en Europe, en Espagne (où elle est arrivée, adolescente) et bien sûr en France, mais aussi en Allemagne. Elle nous permet de faire la liaison avec l’Espagne ou nous revenons pour terminer cette anecdote.
C’est le film, El Último Cuplé qui va nous permettre de fermer la boucle. Le thème redevient un cuplé et même si le théâtre a été remplacé par le cinéma, nous achèverons notre parcours avec cette scène du film ou Sara Montiel chante le cuplé.
Sara Montiel chante Fumando espero dans le film El Último Cuplé de 1957. Metteur en scène : Juan de Orduña
Vous aurez reconnu l’illustration de couverture. J’ai modifié l’ambiance pour la rendre plus noire et ajouté de la fumée, beaucoup de fumée…
À demain, les amis, et à ceux qui sont fumeurs, suivez les conseils de Pipo Cipolatti que je vous conserve longtemps. Je rédige cette anecdote le 20 juillet, Dia del amigo (jour de l’ami).
1908 ou 1916 José Luis Padula Letra : 1916 ou 1919 Ricardo M. Llanes 1930 — 1931 Eugenio Cárdenas 1931 Lito Bayardo (Manuel Juan García Ferrari)
Le 9 juillet pour les Argentins, c’est le 4 juillet des Étasuniens d’Amérique, le 14 juillet des Français, c’est la fête nationale de l’Argentine. Elle commémore l’indépendance vis-à-vis de l’Espagne. José Luis Padula était assez bien placé pour écrire ce titre, puisque la signature de la Déclaration d’indépendance a été effectuée à San Miguel de Tucumán, son lieu natal, le 9 juillet 1816.
Padula prétend avoir écrit ce tango en 1908, à l’âge de 15 ans, sans titre particulier et qu’il a décidé de le dédier au 9 juillet dont on allait fêter le centenaire en 1916. Difficile de vérifier ses dires. Ce qu’on peut en revanche affirmer c’est que Roberto Firpo l’a enregistrée en 1916 et qu’on y entend les cris de joie (étranges) des signataires (argentins) du traité.
Signature de la déclaration d’indépendance au Congreso de Tucumán (San Miguel de Tucumán) le 9 juillet 1816. Aquarelle de Antonio Gonzáles Moreno (1941).José Luis Padula 1893 – 1945. Il a débuté en jouant de l’harmonica et de la guitare dès son plus jeune âge (son père était mort quand il avait 12 ans et a donc trouvé cette activité pour gagner sa vie). L’image de gauche est une illustration, ce n’est pas Padula. Au centre, Padula vers 1931 sur une partition de 9 de Julio avec les paroles de Lito Bayardo et à droite une photo peu avant sa mort, vers 1940.
Extrait musical
Partition pour piano de 9 de Julio. L’évocation de l’indépendance est manifeste sur les deux couvertures. On notera sur celle de droite la mention de Cardenas pour les paroles. Autre exemple de partition avec un agrandissement de la dédicace au procurador titular Señor Gervasio Rodriguez. Il n’y a pas de mention de parolier sur ces paroles.9 de Julio (Nueve de Julio) 2009 — La Tuba Tango.
Dès les premières notes, on note la truculence du tuba et l’ambiance festive que crée cet instrument. J’ai choisi cette version pour fêter le 9 juillet, car il n’existait pas d’enregistrement intéressant du 9 juillet. C’est que c’est un jour férié et les orchestres devaient plutôt animer la fête plutôt que d’enregistrer. L’autre raison est que le tuba est associé à la fanfare, au défilé et que donc, il me semblait adapté à l’occasion. Et la dernière raison et d’encourager cet orchestre créé en 1967 et qui s’est donné pour mission de retrouver la joie des versions du début du vingtième siècle. Je trouve qu’il y répond parfaitement et vous pouvez lui donner un coup de pouce en achetant pour un prix modique ses albums sur Bandcamp.
Paroles
Vous avez sans doute remarqué que j’avais indiqué plusieurs paroliers. C’est qu’il y a en fait quatre versions. C’est beaucoup pour un titre qui a surtout été enregistré de façon instrumentale… C’est en fait un phénomène assez courant pour les titres les plus célèbres, différents auteurs ajoutent des paroles pour être inscrits et toucher les droits afférents. Dans le cas présent, les héritiers de Padula ont fait un procès, preuve que les histoires de sous existent aussi dans le monde du tango. En effet, avec trois auteurs de paroles au lieu d’un, la part de la redistribution aux héritiers de Padula était d’autant diminuée. Je vous propose de retrouver les paroles en fin d’article pour aborder maintenant les 29 versions. La musique avant tout… Ceux qui sont intéressés pourront suivre les paroles des rares versions chantées avec la transcription correspondante en la trouvant à la fin.
Autres versions
9 de Julio (Nueve de Julio) 1916 — Orquesta Roberto Firpo.
On y entend les cris de joie des signataires, des espèces de roucoulements que je trouve étranges, mais bon, c’était peut-être la façon de manifester sa joie à l’époque. L’interprétation de la musique, malgré son antiquité, est particulièrement réussie et on ne ressent pas vraiment l’impression de monotonie des très vieux enregistrements. On entend un peu de cuivres, cuivres qui sont totalement à l’honneur dans notre tango du jour avec La Tuba Tango.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1927-06-03 — Orquesta Roberto Firpo.
Encore Firpo qui nous livre une autre belle version ancienne une décennie après la précédente. L’enregistrement électrique améliore sensiblement le confort d’écoute.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1928-10-11 — Guillermo Barbieri, José María Aguilar, José Ricardo (guitarras).
Vous aurez reconnu les guitaristes de Gardel. Cet enregistrement a été réalisé à Paris en 1928. C’est un plaisir d’entendre les guitaristes sans la voix de leur « maître ». Cela permet de constater la qualité de leur jeu.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1929-12-04 — Orquesta Francisco Canaro.
Je trouve cette version un peu pesante malgré les beaux accents du piano de Luis Riccardi. C’est un titre à réserver aux amateurs de canyengue, tout au moins les deux tiers, la dernière variation plus allègre voit les bandonéons s’illuminer. J’aurais préféré que tout le titre soit à l’aune de sa fin. Mais bon, Canaro a décidé de le jouer ainsi…
9 de Julio (Nueve de Julio) 1930-04-04 — Orquesta Luis Petrucelli.
Le décès à seulement 38 ans de Luis Petrucelli l’a certainement privé de la renommée qu’il méritait. Il était un excellent bandonéoniste, mais aussi, comme en témoigne cet enregistrement, un excellent chef d’orchestre. Je précise toutefois qu’il n’a pas enregistré après 1931 et qu’il est décédé en 1941. Ces dernières 10 années furent consacrées à sa carrière de bandonéoniste, notamment pour Fresedo.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1931 — Agustín Magaldi con orquesta.
Magaldi n’appréciant pas les paroles de Eugenio Cárdenas fit réaliser une version par Lito Bayardo.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1931-08-15 — Orquesta Típica Columbia con Ernesto Famá.
Famá chante le premier couplet de Bayardo.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1935-12-31 — Orquesta Juan D’Arienzo.
C’est une des versions les plus connues, véritable star des milongas. L’impression d’accélération continue est sans doute une des clefs de son succès.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1939-07-04 – Charlo (accordéon et guitare).
Je ne sais pas d’où vient cet ovni. Je l’avais dans ma musique, extrait d’un CD Colección para entendidos – Época de oro vol. 6 (1926–1939). Charlo était pianiste en plus d’être chanteur (et acteur). Tout comme les guitaristes de Gardel qui ont enregistré 9 de Julio sous le nom de Gardel (voir ci-dessus l’enregistrement du 11 octobre 1928), il se peut qu’il s’agisse de la même chose. Le même jour, Charlo enregistrait comme chanteur avec ses guitaristes Divagando, No hay tierra como la mía, Solamente tú et un autre titre accordéon et guitare sans chant, la valse Añorando mi tierra. On trouve d’autres titres sous la mention Charlo avec accordéon et guitare. La cumparsita et Recuerdos de mi infancia le 12 septembre 1939, Pinta brava, Don Juan, Ausencia et La polca del renguito le 8 novembre 1940. Il faut donc certainement en conclure que Charlo jouait aussi de l’accordéon. Pour le prouver, je verserai au dossier, une version étonnante de La cumparsita qu’il a enregistrée en duo avec Sabina Olmos avec un accordéon soliste, probablement lui…
9 de Julio (Nueve de Julio) 1948 — Orquesta Héctor Stamponi.
Une jolie version avec une magnifique variation finale. On notera l’annonce, une pratique courante à l’époque où un locuteur annonçait les titres.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1950-05-15 — Orquesta Juan D’Arienzo.
D’Arienzo nous donne une autre version. Il y a de jolis passages, mais je trouve que c’est un peu plus confus que la version de 1935 qui devrait être plus satisfaisante pour les danseurs. Fulvio Salamanca relève l’ensemble avec son piano, piano qui est généralement l’épine dorsale de D’Arienzo.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1950-07-20 — Orquesta Alfredo De Angelis.
Chez De Angelis, le piano est aussi essentiel, mais c’est lui qui en joue, il est donc libre de donner son interprétation magnifique, secondé par ses excellents violonistes. Pour ceux qui n’aiment pas De Angelis, ce titre pourrait les faire changer d’avis.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1957-04-08 — Orquesta Héctor Varela.
Varela nous propose une introduction originale.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1953 — Horacio Salgán y su Orquesta Típica.
Une version sans doute pas évidente à danser.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1953-03-03 — Ariel Pedernera y su Quinteto Típico.
Une belle version, malheureusement cette copie a été massacrée par le « collectionneur ». J’espère trouver un disque pour vous proposer une version correcte en milonga, car ce thème le mérite largement.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1953-09-10 — Orquesta José Sala.
Pour l’écoute, bien sûr, mais des passages très sympas
9 de Julio (Nueve de Julio) 1954-05-13 — Orquesta Osvaldo Pugliese.
Pugliese a mis un peu de temps à enregistrer sa version du thème. C’est une superbe réalisation, mais qui alterne des passages sans doute trop variés pour les danseurs, mais je suis sûr que certains seront tentés par l’expérience.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1959 — Luis Machaco.
Une version tranquille et plutôt jolie par un orchestre oublié. Le contrepoint entre le bandonéon en staccato et les violons en legato est particulièrement réussi.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1964 — Alberto Marino con la orquesta de Osvaldo Tarantino.
Alberto Marino chante les paroles de Eugenio Cárdenas. Ce n’est bien sûr pas une version pour la danse.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1966-06-21 — Orquesta Florindo Sassone.9 de Julio (Nueve de Julio) 1966-08-03 — Orquesta Juan D’Arienzo.
Une version bien connue par D’Arienzo, dans le style souvent proposé par les orchestres contemporains. Spectaculaire, mais, y‑a-t-il un mais ?
9 de Julio (Nueve de Julio) 1967-08-10 (Ranchera-Pericón) — Orquesta Enrique Rodríguez.
Second OVNI du jour, cette ranchera-Pericón nacional avec ses flonflons, bien propice à faire la fête. Peut-être une cortina pour demain (aujourd’hui pour vous qui lisez, demain pour moi qui écrit).
9 de Julio (Nueve de Julio) 1968 — Cuarteto Juan Cambareri.
Une version virtuose et enthousiasmante. Pensez à prévoir des danseurs de rechange après une tanda de Cambareri… Si cela semble lent pour du Cambareri, attendez la variation finale et vous comprendrez pourquoi Cambareri était nommé le mage du bandonéon.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1970 — Orquesta Armando Pontier.
Une version originale, mais pas forcément indispensable, malgré le beau bandonéon d’Armando Pontier.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1971 — Orquesta Donato Racciatti.
Même si la Provincia Orientale tombait en 1916 sous la coupe du Portugal / Brésil, les Uruguayens sont sensibles à l’émancipation d’avec le vieux monde et donc, les orchestres uruguayens ont aussi proposé leurs versions du 9 juillet.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1971 — Palermo Trío.
Avec un trio, forcément, c’est plus léger. Ici, la danse n’est pas au programme.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1971-08-04 — Miguel Villasboas y su Sexteto Típico.
Dans le style hésitant de Villasboas entre tango et milonga qu’affectionnent les Uruguayens. Le type de musique qui a fait dire que le tango avait été inventé par un indécis…
9 de Julio (Nueve de Julio) 1973-11-29 — Miguel Villasboas y Wáshington Quintas Moreno (dúo de pianos).
L’autre jour, au sujet de La rosarina 1975-01-06, un lecteur a dit qu’il avait apprécié la version en duo de piano de Villasboas et Wáshington. Pour ce lecteur, voici 9 de Julio par les mêmes.
Et il est temps de clore cette longue liste avec notre orchestre du jour et dans deux versions :
9 de Julio (Nueve de Julio) 1991 — Los Tubatango.
Cet orchestre original par la présence du tuba et sa volonté de retrouver l’ambiance du tango des années 1900 a été créé par Guillermo Inchausty. C’est le même orchestre que celui de notre tango du jour qui est désormais dirigé par Lucas Kohan sous l’appellation La Tuba Tango au lieu du nom original de Los Tubatango.
9 de Julio (Nueve de Julio) 2009 — La Tuba Tango.
C’est notre tango du jour. Les musiciens en sont : Ignacio Risso (tuba), Matias Rullo (bandonéon), Gonzalo Braz (clarinette) et Lucas Kohan (Direction et guitare).
Cette longue liste de 29 titres, mais qui aurait pu être facilement deux fois plus longue montre la diversité de la production du tango. En ce qui concerne la danse, nous nous sommes habitués à danser sur un ou deux de ces titres, mais je pense que vous aurez remarqué que d’autres étaient aussi intéressants pour le bal. La question est surtout de savoir les proposer au bon moment et aux bons danseurs. C’est toute la richesse et l’intérêt du métier de DJ. Pour moi, un bon DJ n’est pas celui qui met des titres inconnus et étranges afin de recueillir les applaudissements des néophytes, mais celui qui met la bonne musique au bon moment en sachant prendre des risques mesurés afin d’aider les danseurs à magnifier leur improvisation et leur plaisir de danser.
Je reviens maintenant, comme promis aux quatre versions des paroles…
Paroles de Lito Bayardo (1931)
Sin un solo adiós dejé mi hogar cuando partí porque jamás quise sentir un sollozar por mí. Triste amanecer que nunca más he de olvidar hoy para qué rememorar todo lo que sufrí.
Lejano Nueve de Julio de una mañana divina mi corazón siempre fiel quiso cantar y por el mundo poder peregrinar, infatigable vagar de soñador marchando en pos del ideal con todo amor hasta que al fin dejé mi madre y el querer de la mujer que adoré.
Yo me prometi lleno de gloria regresar para podérsela brindar a quien yo más amé y al retornar triste, vencido y sin fe no hallé mi amor ni hallé mi hogar y con dolor lloré.
Cual vagabundo cargado de pena yo llevo en el alma la desilusión y desde entonces así me condena la angustia infinita de mi corazón ¡Qué puedo hacer si ya mis horas de alegría también se fueron desde aquel día que con las glorias de mis triunfos yo soñara, sueños lejanos de mi loca juventud!
José Luis Padula Letra: Lito Bayardo (Manuel Juan García Ferrari)
C’est la version que chante Magaldi, vu qu’il l’a demandé à Bayardo… Famá, chante également cette version, mais seulement le premier couplet.
Traduction libre des paroles de Lito Bayardo
Sans un seul au revoir, j’ai quitté ma maison quand je suis parti parce que je ne voulais jamais ressentir un sanglot pour moi. Une triste aube que je n’oublierai jamais aujourd’hui, pour qu’elle se souvienne de tout ce que j’ai souffert. Lointain 9 juillet, d’un matin divin, mon cœur toujours fidèle a voulu chanter et à travers le monde faire le pèlerinage, infatigable errance d’un rêveur marchant à la poursuite de l’idéal avec tout l’amour jusqu’à ce qu’enfin je quitte ma mère et l’amour de la femme que j’adorais. Je me suis promis une fois plein de gloire de revenir pour pouvoir l’offrir à celle que j’aimais le plus et quand je suis revenu triste, vaincu et sans foi je n’ai pas trouvé mon amour ni ma maison et avec douleur j’ai pleuré. Comme un vagabond accablé de chagrin, je porte la déception dans mon âme, et depuis lors, l’angoisse infinie de mon cœur me condamne. Que pourrais-je faire si mes heures de joie sont déjà parties depuis ce jour où j’ai rêvé des gloires de mes triomphes, rêves lointains de ma folle jeunesse ?
Paroles de Ricardo M. Llanes (1916 ou 1919)
De un conventillo mugriento y fulero, con un canflinfero te espiantaste vos ; abandonaste a tus pobres viejos que siempre te daban consejos de Dios; abandonaste a tus pobres hermanos, ¡tus hermanitos, que te querían! Abandonastes el negro laburo donde ganabas el pan con honor.
Y te espiantaste una noche escabullida en el coche donde esperaba el bacán; todo, todo el conventillo por tu espiante ha sollozado, mientras que vos te has mezclado a las farras del gotán; ¡a dónde has ido a parar! pobrecita milonguera que soñaste con la gloria de tener un buen bulín; pobre pebeta inocente que engrupida por la farra, te metiste con la barra que vive en el cafetín.
Tal vez mañana, piadoso, un hospital te dé cama, cuando no brille tu fama en el salón; cuando en el “yiro” no hagas más “sport”; cuando se canse el cafisio de tu amor ; y te espiante rechiflado del bulín; cuando te den el “olivo“ los que hoy tanto te aplauden en el gran cafetín.
Entonces, triste con tu decadencia, perdida tu esencia, tu amor, tu champagne ; sólo el recuerdo quedará en tu vida de aquella perdida gloria del gotán; y entonces, ¡pobre!, con lágrimas puras, tus amarguras derramarás; y sentirás en tu noche enfermiza, la ingrata risa del primer bacán.
José Luis Padula Letra: Ricardo M. Llanes
Traduction libre des paroles de Ricardo M. Llanes
D’un immeuble (le conventillo est un système d’habitation pour les pauvres où les familles s’entassent dans une pièce desservie par un corridor qui a les seules fenêtres sur l’extérieur) sale et vilain, avec un proxénète, tu t’es enfuie ; tu as abandonné tes pauvres parents qui t’ont toujours prodigué des conseils de Dieu ; Tu as abandonné tes pauvres frères, tes petits frères, qui t’aimaient ! Tu as abandonné le travail noir où tu gagnais ton pain avec honneur. Et tu t’es enfuie une nuit en te faufilant dans la voiture où le bacán (homme qui entretient une femme) attendait ; Tout, tout l’immeuble à cause de ta fuite a sangloté, tandis que toi tu t’es mêlée aux fêtes du Gotan (Tango) ; Mais où vas-tu t’arrêter ? Pauvre milonguera qui rêvait de la gloire et d’avoir un bon logis ; Pauvre fille innocente qui, enflée par la fête, s’est acoquinée avec la bande qui vit dans le café. Peut-être que demain, pieusement, un hôpital te donnera un lit, quand ta renommée ne brillera pas dans ce salon ; quand dans le « yiro » (prostitution) vous ne faites plus de « sport » ; quand le voyou de ton amour se fatigue ; et tu t’évades folle du logis ; Quand ils te renvoient (dar el olivo = renvoyer en lunfardo), ceux qui vous applaudissent tant aujourd’hui dans le Grand Cafetín. Puis, triste avec ta décadence, perte de ton essence, de ton amour, de ton champagne ; Seul le souvenir de cette perte restera dans ta vie Gloire du Gotan ; et alors, pauvre créature, avec des larmes pures, ton amertume tu déverseras ; Et tu sentiras dans ta nuit maladive, le rire ingrat du premier Bacán.
Paroles de Eugenio Cárdenas (version 1 de 1930)
Mientras los clarines tocan diana y el vibrar de las campanas repercute en los confines, mil recuerdos a los pechos los inflama la alegría por la gloria de este día que nunca se ha de olvidar. Deja, con su música, el pampero sobre los patrios aleros una belleza que encanta. Y al conjuro de sus notas las campiñas se levantan saludando, reverentes, al sol de la Libertad.
Brota, majestuoso, el Himno de todo labio argentino. Y las almas tremulantes de emoción, a la Patria sólo saben bendecir mientras los ecos repiten la canción que dos genios han legado al porvenir. Que la hermosa canción por siempre vivirá al calor del corazón.
Los campos están de fiesta y por la floresta el sol se derrama, y a sus destellos de mágicas lumbres, el llano y la cumbre se envuelven de llamas. Mientras que un criollo patriarcal narra las horas de las campañas libertadoras, cuando los hijos de este suelo americano por justa causa demostraron su valor.
José Luis Padula Letra: Eugenio Cárdenas
C’est la version chantée par Alberto Marino en 1964.
Traduction libre des paroles de Eugenio Cárdenas (version 1 de 1930)
Tandis que les clairons sonnent le réveil et que la vibration des cloches résonne aux confins, mille souvenirs enflamment de joie les poitrines pour la gloire de ce jour qui ne sera jamais oublié. Avec sa musique, le pampero laisse sur les patriotes alliés une beauté qui enchante. Et sous le charme de ses notes, la campagne se lève avec révérence, au soleil de la Liberté. L’hymne de chaque lèvre argentine germe, majestueux. Et les âmes, tremblantes d’émotion, ne savent que bénir la Patrie tandis que les échos répètent le chant que deux génies ont légué à l’avenir. Que la belle chanson vivra à jamais dans la chaleur du cœur. Les campagnes sont en fête et le soleil se déverse à travers la forêt, et avec ses éclairs de feux magiques, la plaine et le sommet sont enveloppés de flammes. Tandis qu’un criollo patriarcal raconte les heures des campagnes de libération, lorsque les enfants de ce sol américain pour une cause juste ont démontré leur courage.
Paroles de Eugenio Cárdenas (version 2 de 1931)
Hoy siento en mí el despertar de algo feliz. Quiero evocar aquel ayer que me brindó placer, pues no he de olvidar cuando tembló mi corazón al escuchar, con emoción, esta feliz canción:
Brota, majestuoso, el Himno de todo labio argentino. Y las almas tremulantes de emoción, a la Patria sólo saben bendecir mientras los ecos repiten la canción que dos genios han legado al porvenir. Que la hermosa canción por siempre vivirá al calor del corazón.
En los ranchos hay un revivir de mocedad; los criollos ven en su pasión todo el amor llegar. Por las huellas van llenos de fe y de ilusión, los gauchos que oí cantar al resplandor lunar.
Los campos están de fiesta y por la floresta el sol se derrama, y a sus destellos de mágicas lumbres, el llano y la cumbre se envuelven de llamas. Mientras que un criollo patriarcal narra las horas de las campañas libertadoras, cuando los hijos de este suelo americano por justa causa demostraron su valor.
José Luis Padula Letra: Eugenio Cárdenas
Traduction libre des paroles de Eugenio Cárdenas (version 2 de 1931)
Aujourd’hui je sens en moi l’éveil de quelque chose d’heureux. Je veux évoquer cet hier qui m’a offert du plaisir, car je ne dois pas oublier quand mon cœur a tremblé quand j’ai entendu, avec émotion, cette chanson joyeuse : L’hymne de chaque lèvre argentine germe, majestueux. Et les âmes, tremblantes d’émotion, ne savent que bénir la Patrie tandis que les échos répètent le chant que deux génies ont légué à l’avenir. Que la belle chanson vivra à jamais dans la chaleur du cœur. Dans les baraques (maison sommaire, pas un ranch…), il y a un regain de jeunesse ; Les Criollos voient dans leur passion tout l’amour arriver. Sur les traces (empreintes de pas ou de roues), ils sont pleins de foi et d’illusion, les gauchos que j’ai entendus chanter au clair de lune. Les campagnes sont en fête et le soleil se déverse à travers la forêt, et avec ses éclairs de feux magiques, la plaine et le sommet sont enveloppés de flammes. Tandis qu’un criollo patriarcal raconte les heures des campagnes de libération, quand les enfants de ce sol américain pour une juste cause ont démontré leur courage.
Antonio Mario Melfi ? Letra : Eduardo Vicente Bianco
Poema par Canaro et Maida est le type même du tango que l’on ne peut pas facilement proposer dans une autre version. Amis DJ, si vous tentez l’expérience, on vous fait les gros yeux. Pourtant, il existe d’autres versions qui ne déméritent pas. Analysons un peu ce tango, qui est, selon un sondage réalisé il y a une dizaine d’années, le préféré dans le monde. Nous présenterons également une enquête pour savoir qui est le compositeur de ce chef‑d’œuvre.
Tout d’abord, on ne se refuse pas d’écouter encore une fois Poema par Canaro. Peut-être plus attentivement 😉
Partition pour piano Poema de Antonio Mario Melfi Letra : Eduardo Vicente Bianco.Poema 1935-06-11 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida.
Paroles
Fue un ensueño de dulce amor, horas de dicha y de querer. Fue el poema de ayer, que yo soñé de dorado color. Vanas quimeras que el corazón no logrará descifrar jamás. ¡Nido tan fugaz, fue un sueño de amor, de adoración!…
Cuando las flores de tu rosal vuelvan más bellas a florecer, recordarás mi querer y has de saber todo mi intenso mal…
De aquel poema embriagador ya nada queda entre los dos. ¡Con mi triste adiós sentirás la emoción de mi dolor !…
Antonio Mario Melfi Letra : Eduardo Vicente Bianco
Traduction libre
Ce fut un rêve de doux amour, des heures de joie et d’amour. Ce fut le poème d’hier, dont je rêvais en couleur dorée. Vaines chimères que le cœur ne pourra jamais déchiffrer. Nid si fugace, ce fut un rêve d’amour, d’adoration…
Lorsque les fleurs de ton rosier refleuriront plus belles, tu te souviendras de mon amour et tu devras connaître tout de mon mal intense…
De ce poème enivrant, il ne reste rien entre les deux. Avec mon triste adieu, vous ressentirez l’émotion de ma douleur…
Qui est le compositeur de Poema ?
Vous pensez que la réponse est simple, mais ce n’est pas si certain, car il y a trois hypothèses.
La version traditionnelle
Antonio Mario Melfi pour la musique et Eduardo Vicente Bianco pour les paroles.
Partitions avec attributions traditionnelles. Partition espagnole avec Bianco en photo. Partition française (Garzon) avec Bianco et Melfi en photo. Disque Columbia Londres écrit en français de Pesenti et Nena Sainz. Partition Bianco (avec photo de Rosita Montenegro). Partition italienne, avec en plus le nom du traducteur U. Bertini.
Les partitions, en général, indiquent les deux noms et les mérites respectifs des auteurs. Remarquez le disque central. Il sera aussi, dans une autre édition, dans l’argument pour la variante…
Une variante :
Antonio Mario Melfi et Eduardo Vicente Bianco en collaboration pour les deux.
En faveur de cet argument, Melfi est compositeur et a écrit les paroles de certains tangos, notamment les siens. On peut donc le classer également comme parolier. Il a composé Volve muchacha qui a clairement des liens de parenté avec Poema. Bianco est connu comme parolier et comme musicien. Certains de ces titres peuvent concorder avec celui de Poema, stylistiquement, bien que moins réussis. Par exemple Corazón (dont il existe quatre enregistrements par Bianco de 1929 à 1942). Je ne parle que de la composition, pas de l’interprétation, Canaro n’ayant pas enregistré d’autre tango composé par Bianco, on doit comparer avec les enregistrements de Bianco. En faveur de cet argument, on a les disques qui ne différencient pas les deux contributions. En voici quelques exemples.
La majorité des disques ne distinguent pas les fonctions. À gauche, deux disques Brunswick du même enregistrement de Bianco (1937). Le premier indique les deux noms, sans différentiation et le second n’indique que Bianco… Au centre, notre Canaro de référence dans une édition argentine. Ensuite, Imperio Argentino et la mention des deux sans distinction de fonction et enfin à l’extrême droite, l’enregistrement de Pesenti et Nena Sainz, mais ici, sans le nom de la chanteuse et avec les auteurs sans attribution.
On voit donc qu’il est assez courant, que les auteurs ne soient pas précisément crédités. Le détail amusant est le disque de Pesenti et Nena Sainz qui entre dans les deux catégories.
Une version iconoclaste
Dans l’excellent site de référence « Bible tango », on peut lire : « Selon Marcel Pasquier, qui ne cite pas sa source et ne s’en souvient plus, Melfi aurait acheté la musique à Boris Sarbek, le véritable compositeur, pour 50 francs français de l’époque. Et cette mélodie serait un thème traditionnel biélorusse. » 50 francs de l’époque, selon le calculateur de l’INSEE (Institut National de Statistiques France), cela correspondrait à 33,16 euros. Pour référence, un kilo de pain coûtait 2,15 francs en 1930. En gros, il aurait vendu sa création pour la valeur de 15 kilos de pain. Cela peut sembler peu, mais souvenez-vous que pour le prix d’un café, Mario Fernando Rada aurait écrit les paroles de Araca la cana si on en croit l’anecdote présentée dans le film Los tres berretines. L’affirmation mérite d’être vérifiée. Boris Sarbek étant probablement un homme d’honneur, n’a probablement pas divulgué la vente de sa création qui d’ailleurs n’aurait été qu’une retranscription d’un thème traditionnel. Il convient donc de s’intéresser à ce compositeur pour essayer d’en savoir plus. Boris Sarbek (1897–1966) s’appelait en réalité Boris Saarbekoff et utilisait souvent le pseudonyme Oswaldo Bercas. Voyons un peu ses prestations dans le domaine de la musique pour voir s’il est un candidat crédible.
Des musiques composées par Sarbek
Par ordre alphabétique. En bleu, les éléments allant dans le sens de l’hypothèse de Sarbek, auteur de Poema. Compositions : Ce soir mon cœur est lourd 1947 Concerto de minuit, classé comme musique légère Czardas Divertimento 1959 Déception (avec Mario Melfi). C’est donc une preuve que les deux se connaissaient suffisamment pour travailler ensemble. El Fanfarrón 1963 El queño Furtiva lagrima 1962 Gaucho negro Intermezzo de tango 1952 Je n’ai plus personne Le tango que l’on danse Linda brunita Manuska Mon cœur attendra 1948 Oro de la sierra Où es-tu mon Espagne ? Pourquoi je t’aime 1943 Près de toi ma Youka 1948 Rêvons ensemble 1947 Souffrir pour toi 1947 Tango d’amour Tango maudit Tendrement 1948
Des musiques arrangées par Sarbek
Bacanal 1961 C’est la samba d’amour 1950 Dis-moi je t’aime Elia 1942 En forêt 1942 Gipsy fire 1958 Je suis près de vous 1943 Les yeux noirs (chanson traditionnelle russe). Si Poema est une musique biélorusse, cela témoigne de son intérêt pour ce répertoire. Meditación 1963 Nuages One kiss Pampa linda 1956 Puentecito 1959 Rose avril 1947 Tango marcato 1963 Un roi à New York 1957 Il a réalisé les arrangements musicaux du film Un roi à New York de, et avec Charles Chaplin (Charlot). Chaplin a tout fait dans ce film, l’acteur, le metteur en scène et il a écrit la musique qu’a arrangée Sarbek. Ce dernier a aussi dirigé son grand orchestre pour la musique du film. Valse minuit Vivre avec toi 1950
Sarbek pianiste
Il est intervenu à la fois dans son orchestre, mais aussi pour différents groupes comme Tony Murena, Gus Viseur (l’accordéoniste), mais, car il était le pianiste de l’orchestre musette Victor.
Melfi récupérateur ?
Je place cela ici, car ce serait un argument si Mefli était coutumier de la récupération. Reviens mon amour a été arrangé par Mario Melfi sur l’air de « Tristesse » de Frédéric Chopin. Il a donc au moins une autre fois utilisé une mélodie dont il n’était pas à l’origine, mais il n’est pas le seul, les exemples fourmillent dans le domaine du tango. Donc, Melfi n’est pas un récupérateur habituel.
Sarbek interprète de Poema
S’il est l’auteur, il est probable qu’il ait enregistré ce titre. C’est effectivement le cas. Un enregistrement de Poema signé Boris Sarbek, ou plus exactement de son pseudonyme Oswaldo Bercas, circule avec la date de 1930. Si c’était vrai, ce serait probablement une preuve, Sarbek aurait enregistré deux ans avant les autres. Je vous propose de l’écouter.
Poema — Oswaldo Bercas et son Ensemble Tipique (sic).
Pensez-vous que cela soit une musique des années 1930 ? Pour en avoir le cœur net, je vous propose l’autre face du disque qui comporte une composition de Horacio G. Pettorossi, Angustia.
Angustia — Oswaldo Bercas et son Ensemble Tipique (sic).
Voici les photos des deux faces du disque.
Les numéros de matrice sont 2825–1 ACP pour Poema et 2829–1 ACP pour Ausencia.
Comme vous avez pu l’entendre et comme le confirment les numéros de matrice, les deux œuvres sont similaires et ne peuvent pas avoir un écart temporel de plus de vingt ans. C’est au moins un argument qui tombe, nous n’avons pas d’enregistrement de 1930 de Sarbek et encore moins de Poema.
Un argument musical
N’était pas spécialiste de musique biélorusse, je ne pourrai pas mener une étude approfondie de la question. Cependant, vous avez certainement noté, vers 1:18 du Poema de Sarbek, un thème qui n’est pas dans le Poema habituel et qui sonne assez musique slave. Est-ce un extrait du thème de référence que n’aurait pas conservé Melfi ? Dans les autres portions de Poema, on est tellement habitué à l’entendre qu’il n’est pas sûr qu’on puisse encore y trouver des origines slaves. Cependant le fait que ce titre sonne un peu différemment des autres Canaro contemporains pourrait indiquer un élément hétérogène. En effet, il n’y a pas de Canaro avec Maida qui s’assemble parfaitement avec Poema. Canaro a sans doute sauté sur le succès international de cette œuvre pour l’enregistrer. Au sujet d’international, il y a une version polonaise que nous entendrons ci-dessous. Les Polonais aurait pu être sensibles à la musique, mais ce n’est pas sûr, car à l’époque ils étaient sous la domination russe et ils n’en étaient pas particulièrement heureux… J’ai un dernier témoin à faire venir à la barre, la première version enregistrée par Bianco, en 1932. Écoutez-bien, vers 1:34, vous reconnaîtrez sans doute un instrument étrange. Cet enregistrement est le premier de la rubrique « Autres versions » ci-dessous.
Autres versions
La tâche du DJ est vraiment difficile. Comment proposer des alternatives à ce que la plupart des danseurs considèrent comme un chef‑d’œuvre absolu. Si vous êtes un fan de la Joconde, en accepteriez-vous une copie, même si elle est du même Leonardo Da Vinci ? À voir.
Poema 1932 — Orquesta Eduardo Bianco con Manuel Bianco.
Cette version commence par des cymbales, puis des violons très cinématographiques, puis un bandonéon qui gazouille. L’introduction dure au total plus d’une minute et le piano annonce comme si on ouvrait le rideau de la scène le morceau. Une fois « digérée » cette étonnante et longue introduction, on entre dans un Poema relativement classique. Avez-vous identifié l’instrument qui apparaît à 1:23, 1:31, 1:40, 1: 44 et à d’autres reprises comme 2: 44 avant le chant et en accompagnement de celui-ci ?
Vladimir Garodkin joue le canon en ré majeur de Johann Pachelbel. Tien à voir avec le tango, mais c’est pour vous faire entendre le tsimbaly…
Le tsimbaly, pas courant dans le tango, pourrait être un argument pour l’hypothèse de l’origine biélorusse.
Poema 1933 — Imperio Argentina acomp. de guitarras, piano y violin.
Le violon domine l’introduction, puis laisse la place à la voix accompagnée par la guitare et quelques ponctuations du piano. Le violon reprend la parole et de très belle manière pour la reprise du thème et Imperio Argentina reprend la voix jusqu’à la fin. Je suis sûr que vous allez trouver cette version magnifique, jusqu’à l’arpège final au violon.
Poema 1933 — Orquesta Típica Auguste Jean Pesenti du Coliséum de Paris con Nena Sainz.
Une version plus marchante, moins charmante. Auguste Jean Pesenti a déjà adopté des codes qui deviendront les caractéristiques du tango musette. Je suis moins convaincu que par l’autre version féminine d’Imperio Argentino. À noter la partie récitée, qui était assez fréquente à l’époque, mais que nous acceptons moins maintenant.
Poema 1933-12 — Orchestre Argentin Eduardo Bianco con Manuel Bianco.
Une autre version de Bianco avec son frère, Manuel. Elle est beaucoup plus proche de la version de Canaro, en dehors de l’introduction des violons qui jouent un peu en pizzicati à la tzigane. La contrebasse marque fortement le tempo, tout en restant musicale et en jouant certaines phrases. C’est très différent de la version de Canaro et Maida, mais pas vilain, même si la contrebasse sera plus appréciée par les danseurs de tango musette, qu’argentin.
Comme une chanson d’amour (Σαν τραγουδάκι ερωτικό) 1933 — Orchestre Parlophon, dirigé par G. Vitalis, chant Petros Epitropakis (Πέτρος Επιτροπάκης).
Une version grecque, preuve que le titre s’est rapidement répandu. Il y aura même une version arabe chantée par Fayrouz et l’orchestre de Bianco enregistré en 1951. Malheureusement, ce titre n’existe pas dans les quelques disques que j’ai de cette merveilleuse chanteuse libanaise.
Poema 1934 — Stefan Witas.
Une version polonaise qui fait tirer du côté des origines des pays de l’Est, même si comme je l’ai souligné, les Polonais n’étaient pas forcément russophiles à l’époque.
Poema 1935-06-11 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida. C’est notre tango du jour.
On notera que Canaro entre directement dans le thème, sans introduction.
Poema 1937 — René Pesenti et son Orchestre de Tango con Alberto.
Un autre Pesenti. Est-ce le frère d’Auguste Jean Pesenti ?
Deux autres preuves du succès mondial de Poema que je peux vous proposer grâce à la gentillesse d’André Vagnon de la Bible Tango qui me les a fait parvenir.
Poema 1938 — Orchestre Arpad Tchegledy con Pauls Sakss, en Letton. Cadeau d’André Vagnon.
(Ajouté le 29 août 2024)
Poema 1951 (Men Hona Hobbona marra) — Orquesta Eduardo Bianco con Fairuz (en arabe). Cadeau d’André Vagnon.
(Ajouté le 29 août 2024)
Poema 1954c — Oswaldo Bercas (Boris Sarbek) et son Ensemble Tipique (sic).
Oswaldo Bercas est peut-être l’auteur, ou tout au moins le collecteur de la musique traditionnelle à l’origine de Poema. Si cette hypothèse est juste, il est donc intéressant de voir ce qu’il en a fait. Nous l’avons déjà écouté, lorsque certains essayaient de faire passer cet enregistrement pour une réalisation de 1930. À comparer à la version de Melfi enregistrée quelques mois plus tard.
Poema 1957 — Mario Melfi.
Qu’il soit l’auteur, pas l’auteur ou coauteur, ici, Melfi présente sa lecture de l’œuvre. C’est une version très originale, mais il faut tenir compte qu’elle est de 1957, il est donc impossible de la comparer aux versions des années 30. Cependant, la comparaison avec la version à peine antérieure de Sarbek est pertinente…
Poema (Tango insólito impro 22 Un poema romántico by Solo Tango Orchestra).
Avec cet orchestre russe, on est peut-être dans un retour dans cet univers dont est originaire, ou pas, la musique. Pour terminer, une autre version actuelle, par la Romantica Milonguera qui a essayé de renouveler, un peu, le thème.
Poema par l’orchestre Romantica Milonguera. Chanteuse, Marisol Martinez.
La Romantica Milonguera commence directement sur le thème, sans l’introduction, comme Canaro.
Voici un des gros succès des encuentros milongueros. Mais les danseurs qui se jettent sur ce titre ne savent peut-être pas que Troilo est le premier à l’avoir enregistré, oui, monsieur, oui, madame, avant Fresedo… De plus, je peux même vous montrer le film où il joue ce titre. N’hésitez pas à la tentation de voir le jeune Pichuco à l’œuvre avec son bandonéon en fin d’article.
L’expression Araca la cana peut sembler mystérieuse. Je vous donnerai sa signification dans la traduction des paroles. Je vous propose d’écouter maintenant notre tango du jour.
Extrait musical
Araca la cana 1933-06-06 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray
Paroles
¡Araca la cana! Ya estoy engriyao… Un par de ojos negros me han engayolao. Ojazos profundos, oscuros y bravos, tajantes y fieros hieren al mirar, con brillos de acero que van a matar. De miedo al mirarlos el cuor me ha fayao. ¡Araca la cana! ya estoy engriyao.
Yo que anduve entreverao en mil y una ocasión y en todas he guapeao yo que al bardo me he jugao entero el corazón sin asco ni cuidao. Como un gil vengo a ensartarme en esta daga que va a matarme si es pa’ creer que es cosa’e Dios que al guapo más capaz le faye el corazón.
Enrique Delfino Letra : Mario Fernando Rada
Traduction libre et indications
Araca la cana ! (En français, on dirait, 22 ou 22 voilà les flics, la police. C’est un cri d’alarme signalant un danger). Je suis déjà derrière les barreaux (en prison)… Une paire d’yeux noirs m’a emprisonné. Des yeux profonds, sombres et féroces, vifs et féroces, qui blessent quand ont les regarde, avec des éclairs d’acier qui vont tuer. De peur, en les regardant, le cœur m’a manqué. Araca la cana ! Je suis déjà engrillagé. Moi qui ai été impliqué en mille et une occasions et dans toutes, j’ai affronté, moi, qui naturellement ai misé tout mon cœur sans répugnance ni précaution. Comme un cave (type quelconque, ne connaissant pas le milieu, la pègre), je viens m’embrocher sur ce poignard qui me tuera si c’est pour croire que c’est la chose de Dieu qu’au plus beau et plus capable, le cœur lui manque (fait défaut).
Autres versions
Nous verrons les deux premières versions en fin d’article, car elles sont dans le film Los tres berretines.
Araca la cana 1933-06-06 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray. C’est notre tango du jour.Araca la cana 1933-06-12 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, Domingo Riverol, Domingo Julio Vivas, Horacio Pettorossi (guitarras).
Un tout petit peu après Fresedo, Gardel enregistre sa version.
Araca la cana 1933-06-16 — Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá.
Canaro n’est jamais en retard quand il s’agit d’enregistrer un succès. Voici donc sa version. Avec des passages doux et lyriques, pas si fréquents dans cette période de son orchestre. Peut-être l’influence de Fresedo dont la version dans le film était sortie le mois précédent.
Araca la cana 1951 — Edmundo Rivero con orquesta dir. por Victor M. Buchino.
Une version qui n’est probablement pas pour les cardiaques. En effet, le démarrage de Edmundo Rivero après une introduction longue surprend. Bien sûr, ce n’est pas une version de danse.
Bébé Troilo
Le film annoncé en début d’article, s’apppelle Los tres berretines. Berretin a plusieurs sens qui vont de caprice, loisir, caprice amoureux à passion… Dans le cas du film, ce sont les trois passions des Portègnes, à savoir, le ciné, le football et… le tango. Pour être précis, dans la pièce de théâtre antérieure, c’était le tango, le football et… la radio. Mais pour faire un film, c’était mieux de mettre le cinéma au cœur de l’action. C’est le deuxième film sonore argentin, sorti le 19 de mai 1933, soit une semaine après Tango que nous avons déjà évoqué à propo de El Cachafaz et presque un mois avant l’enregistrement de notre tango du jour par Fresedo et Ray. Il a été dirigé par Enrique Telémaco Susini à partir d’un scénario de Arnaldo Malfatti et Nicolás de las Llanderas. L’extrait que je vais vous présenter présente le tango du jour, interprété par un orchestre imaginaire, EL Conjunto Nacional Foccile Marafiotti. Vous reconnaîtrez sans mal le jeune bandonéoniste, alors âgé de 18 ans, Aníbal Troilo. Il s’agit du second plus ancien enregistrement de lui dont nous disposons, le plus ancien étant avec Carlos Gardel (La que nunca tuvo novio de 1931). Osvaldo Fresedo faisait aussi partie de l’équipe du film, il était donc parfaitement légitime pour enregistrer ce titre. L’intrigue du film est autour des passions des enfants d’un quincaillier. Les affaires de la quincaillerie ne sont pas brillantes et le père se désespère de voir ses enfants délaisser l’entreprise familiale pour leurs passions. Nous nous intéressons à la partie tango du film avec un des fils, joué par Luis Sandrini qui veut devenir compositeur de tango.
Extraits du film Los tres berretines
Affiche du film Los tres berretines. Elle annonce que c’est le premier film parlant, mais c’est en fait le second, tango étant sorti la semaine d’avant.
Troilo, qui a donc l’honneur, à 18 ans, de jouer dans le second film sonore argentin apparaît jouant à la moitié du film qui dure moins d’une heure. Je vous propose plusieurs extraits permettant de voir comment était composé et lancé un tango au début de l’âge d’or. Dans le premier extrait, Aníbal Troilo joue avec le violoniste Vicente Tagliacozzo. José María Rizutti, le pianiste s’entend, mais ne se voit pas. Pour corriger cette injustice, je vous propose un autre extrait où on le voit jouer Araca la cana, ou plutôt ce qui va le devenir, au piano. Il le joue sous la dictée sifflée de Luis Sandrini. (qui ressemble à Enrique Delfino, l’auteur du tango du jour). La naissance d’un tango, c’est aussi l’écriture des paroles. Ici, on voit un poète (qui n’est pas joué par Mario Fernando Rada l’auteur des paroles). La tasse de café au lait devant le poète, c’est le prix payé pour les paroles. La transcription de la musique ayant été payée 5 pesos un peu plus tôt dans le film à José María Rizutti qui avait joué sous la dictée sifflée par Luis Sandrini dans la scène du piano. Dès les paroles terminées, les musiciens et le chanteur (Luis Díaz) se ruent au balcon réservé aux orchestres. On peut ainsi entendre la première version de Araca la Cana avec Aníbal Troilo (bandonéon) Vicente Tagliacozzo (violon) José María Rizutti (piano) et Luis Díaz (chant). Le dernier extrait, c’est l’orchestre de Osvaldo Fresedo jouant le titre sur la scène d’un bal et la scène finale du film. Le berretin « tango » aura ainsi aidé à sauver l’entreprise familiale.
Extraits choisis par DJ BYC Bernardo du film Los tres berretines.
Pata ancha en lunfardo signifie courage, mais en espagnol courant, cela peut aussi signifier gros pied. Pugliese fut un lutteur. Il lutta avec acharnement pour défendre ses idées politiques et paya le prix en effectuant de nombreux séjours en prison. Pata ancha a été enregistré par Odéon, lors d’une de ses «absences». Sur le piano, un œillet ou une rose rouge évoquaient le maître absent.
Extrait musical et histoire de prisons
Pata ancha 1957-05-13 — Orquesta Osvaldo Pugliese.
San pugliese étant emprisonné dans le cadre de la « operación cardenal ». Les détenus après un séjour à la Penitenciaria Nacional ont été transférés dans un bateau nommé « Paris ». C’est la raison pour laquelle Agosti a appelé son article dans les Cuadernos de Cultura (Cahiers de la Culture) Meditaciones desde el “París” Méditations depuis le Paris. C’est le pianiste Osvaldo Manzi qui le remplaça, comme ce fut le cas pour d’autres enregistrements comme La novia del suburbio enregistré le même jour que Pata ancha (1957–05-13), Yunta de oro et No me hablen de ella (1957–10-25), Corazoneando et Gente amiga (1958–01-02), La bordona et Qué pinturita (1958–08-06). Il y a certainement eu d’autres enregistrements dans ce cas, Pugliese ayant fait l’objet de nombreux emprisonnements ou interdictions de jouer.
Dans le journal communiste « La Hora » du 18 décembre 1948, l’annonce de l’interdiction de trois artistes, Osvaldo Pugliese, Atahulpa Yupanqui et Ken Hamilton. C’est neuf ans avant l’enregistrement de Pata ancha, sous Peron, qui fera également emprisonner Pugliese à Devoto en 1955. Cela explique les apparitions en pointillé de Pugliese.
Il reste un petit mot à dire sur le compositeur. Il s’agit de Mario Demarco, celui qui a remplacéJorge Caldara au bandonéon quand Caldara, sur la pression de sa femme, a quitté l’orchestre pour faire une virée au Japon. On peut comprendre les inquiétudes de sa femme vu les multiples emprisonnements du leader de l’orchestre…
Pata ancha
Hacer pata ancha (faire le gros pied), c’est résister bravement. Ce terme était utilisé en escrime créole, le combat au couteau des gauchos argentins.
Combat au facón et à la dague de gauchos. On remarque le poncho qui servait à se protéger. Le poncho est l’accessoire primordial de tout gaucho. Photo mise en scène par Frank G. Carpenter (1855–1924). Public domain (Library of Congress).
Sarmiento a fustigé cette coutume des gauchos dans son Facundo Quiroga, pour marquer l’absence de « civilisation » de cette population fière, mais plutôt marginale, une critique à peine déguisée à De Rosas. On l’appelle parfois, la esgrima criolla (escrime créole). Elle s’est développée durant la guerre d’indépendance argentine (1810). Si vous voulez en savoir plus sur cette lutte qui est encore pratiquée, notamment dans les bandes de délinquants d’aujourd’hui, vous pouvez consulter ce site…
Les facones, ces couteaux redoutables qui peuplent les paroles de tango, mais qui étaient plutôt les attributs des gauchos.
Les facones sont des couteaux redoutables. S’ils sont évoqués dans les tangos à propos de personnages un peu fanfarons, ils étaient utilisés par les gauchos dans des combats au sang, voire parfois à mort. Les facones du tango étaient plus souvent des couteaux courts, plus faciles à dissimuler et un adage argentin dit, « ne sors pas le couteau si tu ne comptes pas l’utiliser ». Pugliese à sa façon a fait preuve d’un grand courage pour défendre ses idées. Il est resté ferme et a fait la pata ancha et que ce soit Osvaldo Manzi qui effectue le solo de piano à 1 : 20 n’est pas très important dans un orchestre où chaque musicien était un membre à parts égales. Contrairement à d’autres orchestres dont le chef était un tyran, dans l’orchestre de Pugliese, il s’agissait d’une gestion collective, d’une communauté, ce qui explique la fidélité de plupart de ses musiciens qui étaient d’ailleurs payés en fonction de leurs interventions, sur les mêmes bases que Pugliese lui-même, ce qui aurait été impensable pour Canaro… Si Demarco et Caldara ont quitté l’orchestre, c’était dans les deux cas en raison de leurs femmes ; craintive pour l’avenir de son mari à cause des idées de Pugliese pour Caldara et pour raison de maladie dans le cas de Demarco, sa femme était malade et il a donc décidé de ne pas faire la tournée en Russie avec l’orchestre.
Autres versions
Pata ancha 1957-05-13 — Orquesta Osvaldo Pugliese.
C’est notre tango du jour. La yumba est particulièrement forte dans cette interprétation. Peut-être que les musiciens souhaitaient évoquer leur leader absent. On sait par ailleurs que quand Pugliese était « empêché » au dernier moment, en plus de la rose ou de l’œillet sur le piano, les musiciens marquaient fortement le rythme au pied pour que la yumba habite la représentation. Je me force un peu pour vous proposer d’autres versions, faute d’une version avec Pugliese au piano.
Pata ancha 1997 — Color tango de Roberto Álvarez.
Cet enregistrement a été effectué au « Estudio 24 » de Buenos Aires. Roberto Álvarez à la mort de Pugliese a repris la suite du maître. D’aucuns lui reprochent d’avoir utilisé les arrangements de Pugliese pour son orchestre, Color tango. En fait, de nombreux orchestres ont fait de même à la disparition de leur leader, comme los Solistas de D’Arienzo, le Quinteto Pirincho (Canaro) ou le Conjuncto Don Rodolfo. Écoutons donc le résultat, sans arrière-pensée.
Pata ancha 2000 — Orquesta Escuela de Tango Dir. Emilio Balcarce.
Cette milonga du jour a été enregistrée le 9 mars 1939, il y a 85 ans. Elle a été enregistrée par Donato et est toujours un succès dans les milongas. Cependant, son titre prête à interprétations et je choisis ce prétexte pour vous faire entrer dans le monde du tango du début du 20e siècle.
Edgardo Donato interprète ici une milonga écrite par son frère, pianiste, Osvaldo. Deux chanteurs interviennent, Horacio Lagos et Randona (Armando Julio Piovani). Ils ne chantent que deux couplets, comme il est d’usage pour le tango de danse.
Le disque
Sacale punta est la face B et la valse Que sera ?, la face A du disque Victor 38397.
Sur l’étiquette on trouve plusieurs mentions. Le nom de l’orchestre, Edgardo Donato y sus Muchachos et le nom d’un des chanteurs de l’estribillo, Horacio Lagos. Randona n’est pas mentionné. On trouve le nom des auteurs et compositeurs. L’auteur des paroles est en premier. Pour la valse, il n’y a qu’un nom, car Pepe Guízar est l’auteur de la musique et des paroles. Vous pourrez écouter cette valse en fin d’article. Sur le disque, on peut remarquer sur l’étiquette l’encadré suivant…
Exécution publique et radio-transmission réservées à RCA Victor Argentina INC. Ce disque n’est donc pas autorisé pour être joué en milonga 😉
Extrait musical
Sacale punta 1938-03-09 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Randona (Armando Julio Piovani)
Les paroles
Sacale punta a esta milonga Que ya empezó. Sentí que esos fueyes que rezongan De corazón. Y las pebetas se han venido De « true Vuitton ». (De truco y flor) El tango requiebra la vida (El tango es rey que da la vida) Y en su nota desparrama, Su amor.
Tango lindo de arrabal Que yo, No lo he visto desmayar ¡ Triunfó!. Tango lindo que al cantar Volcó, Su fe, su amor Varón tenés que ser.
Nada hay que hacer cuando rezongan El bandoneón Oreja a oreja las parejas Bailan al son, De un tango lleno de recuerdos Que no cayó. Si desde los tiempos de Laura Se ha sentido primera agua y brilló.
Osvaldo Donato Letra Sandalio Gómez. Seuls les deux premiers couplets sont chantés dans cette version.
Pourquoi un crayon à la milonga ?
Les paroles de cette chanson parlent donc de la milonga, du point de vue de l’homme qui se prépare à danser joue contre joue (oreille contre oreille) avec des jeunes femmes. « Saca punta » se dit pour tailler les crayons, faire sortir, la pointe, la mine. Cela se dit couramment dans les écoles.
Sacale punta. J’ai représenté le crayon bien taillé sur cette image, mais ce n’est qu’une petite partie de l’énigme.
Ici, Sandalio a écrit « Sacale punta a esta milonga », sors-lui la pointe à cette milonga… Pour ceux qui pourraient s’interroger, sur l’intérêt d’apporter un crayon à la milonga. Une petite investigation qui je l’espère ne sera pas trop décevante :
Les autres textes de Sandalio Gómez
Si on cherche une piste dans les autres textes écrits par Sandalio Gómez on trouve : Deux tangos : « Cumbrera » et « El mundo está loco ». Le premier est un hommage à Carlos Gardel et le second s’inscrit dans la tradition de « Cambalache » ou de « Al mundo le falta un tornillo », ces tangos qui parlent de la dégénérescence du Monde. Deux milongas : « De punta a punta » et « Mis piernas » qui est une milonga qui incite à se reposer, car les paroles commencent ainsi : « Sentate, cuerpo sentate, que las piernas no te dan más » assois-toi corps, car les jambes n’en peuvent plus. Un paso doble : « Embrujo » parle d’un « envoutement » amoureux. Du grand classique et si ce n’était ce « Sacale punta », les paroles ne prêteraient pas à interprétation. On n’est pas en présence de textes de Villoldo qu’il a souvent fallu remanier pour respecter les bonnes mœurs.
D’autres musiques utilisant « Sacale punta »
Il y a d’autres musiques qui utilisent l’expression « Sacale punta ». Par exemple, la milonga écrite par José Basso : « Sacale punta al lápiz » 1955-09-16 écrite par José Basso, mais qui n’a pas de paroles.
Sacale punta al lápiz 1955-09-16 — José Basso (Musique José Basso)
Si on reste en Argentine, on trouve plus récemment l’expression dans des textes de cumbias. Les cumbias ont souvent des textes scabreux, c’est le cas de celle qui s’appelle comme la milonga de Basso et qui est interprétée par Neni y su banda. Mon blog se voulant de haute tenue, je ne vous donnerai pas les paroles, mais sachez que le possesseur du lápiz (crayon) se vante de pouvoir en faire quelque chose au lit. Le groupe cubain Vieja Trova Santiaguera chante également « Sacale punta al lápiz ». Ce son est avec des paroles relativement explicites, la muñequa (poupée) faisant référence au même crayon que la cumbia susmentionnée.
Sácale la punta al lápiz — Vieja Trova Santiaguera
Le chanteur portoricain de Salsa, Adalberto Santiago, chante dans une salsa du même titre, « Sacale punta ». Il s’agit dans ce cas de faire les comptes avec sa compagne qui l’a trompée. Comme la liste des reproches est longue, elle doit préparer la mine de son crayon pour pouvoir tout noter. On est donc ici, dans la lignée scolaire, du crayon dont on doit affuter la mine.
Dans l’esprit du crayon pour écrire, on pourrait penser au carnet de bal pour inscrire les partenaires avec qui nous allons danser. Je n’y crois pas dans ce cas. Tout au plus le carnet et le crayon seront pour noter les coordonnées de la belle…
Et donc, pourquoi « Sacale punta » ?
Comme vous l’imaginez, les pistes précédentes ne me satisfont pas. Je vais vous donner ma version, ou plutôt mes versions, mais qui se rejoignent. Pour cela, interrogeons le lunfardo, l’argot portègne. En lunfardo se dit : « de punta en blanco » qui signifie élégant. Il est donc logique de penser que le narrateur souhaite sortir ses meilleurs vêtements pour aller à la milonga. Toujours en lunfardo, « hacer punta » est aller de l’avant. On peut donc imaginer qu’il faut aller de l’avant pour aller à la milonga. Continuons avec le lunfardo : La punta est aussi un couteau, une arme blanche. Quand on connaît la réputation des compadritos, on se dit qu’ils peuvent être prêts à sortir le couteau à la moindre occasion à la milonga. Pour résumer, il se prépare avec ses beaux habits, éventuellement avec un couteau dans la poche pour les coups durs. Il est donc prêt pour aller à la milonga qui a déjà commencé, pour danser joue contre joue et discuter ce qui se doit avec ceux qui se mettent en travers de sa route. On ne peut pas tout à fait exclure un double sens à la Villoldo, surtout si on se réfère au fait que cette milonga se réfère au début du XXe siècle, époque où les paroles étaient beaucoup plus « libres ».
Lo de Laura
En effet, le dernier couplet, qui n’est pas chanté ici, parle du temps de Laura. Il s’agit de la casa de Laura (Laurentina Monserrat). Elle était située en Paraguay 2512. Cette milonga était de bonne fréquentation au début du vingtième siècle.
Lo de Laura (Laurentina Monserrat). Cette « maison » était située en Paraguay 2512. C’est maintenant une maison de retraite…
Les danseurs pouvaient danser avec les « femmes » de la maison moyennant le paiement de quelques pesos. Je ne connais pas le prix pour cette maison, mais dans une maison comparable, Lo de Maria (La Vasca), le prix était de 3 pesos de l’heure. Le mari de la propriétaire, « El Ingles » (Carlos Kern) veillait à ce que les protégées soient respectées. On est toujours à l’époque du tango de prostibulo, mais avec classe. Il indique que dès l’époque de Laura, il était de Primer agua c’est-à-dire qu’il était déjà très bon. Un peu comme dans la milonga « En lo de Laura » (musique d’Antonio Polito et paroles d’Enrique Cadícamo). En effet, dans cette milonga, Cadícamo a écrit : « Milonga provocadora que me dio cartel de taura… », Milonga provocante qui me donna le titre de champion (en fait, plutôt dans le sens de cador, caïd, compadrito, courageux, qui se montre…).
En lo de Laura 1943-03-12 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas — Antonio Polito Letra Enrique Cadícamo (Domingo Enrique Cadícamo)
Pour vous donner une idée de l’ambiance de Lo de Laura, vous pouvez regarder cet extrait du film argentin « La Parda Flora » de León Klimovsky et qui est sorti le 11 juillet 1952. C’est bien sûr une reconstitution, avec les limites que ce genre impose.
Reconstitution de l’ambiance en Lo de Laura. Extrait du film argentin « La Parda Flora » de León Klimovsky sorti le 11 juillet 1952
Dans cette partie du film se joue “El Entrerriano” d’Anselmo Rosendo Mendizábal. En effet, une tradition veut que Mendizábal ait écrit ce tango en Lo de Laura. Il était en effet pianiste dans cet établissement et c’est donc fort possible. Il intervenait aussi à Lo de Maria la Vasca et certains affirment que cet dans ce dernier établissement qu’il a inauguré le tango. Notons que les deux affirmations ne sont pas contradictoires, mais je préfère lever le doute en prenant le témoignage de José Guidobono, témoin et acteur de la chose. Il décrit cela dans une lettre envoyée en 1934 à Héctor et Luis Bates et qui la publièrent en 1936 dans « Las historias del tango: sus autores » :
La couverture de la partition d’El Entrerriano avec la dédicace à Ricardo Segovia (en haut à droite). Cela valait bien 100 mangos… On notera l’erreur d’orthographe, il manque un « r » à Entrerriano »
“Existía una casa de baile que era conocida por “María la Vasca”. Allí se bailaba todas y toda la noche, a tres pesos hora por persona. Encontraba en esos bailes a estudiantes, cuidadores y jockeys y en general, gente bien. El pianista oficial era Rosendo y allí fue donde por primera vez se tocó “El entrerriano”. […] así se bailó hasta las 6 a.m. Al retirarnos lo saludé a Rosendo, de quien era amigo, y lo felicité por su tango inédito y sin nombre, y me dijo: “se lo voy a dedicar a usted, póngale nombre”. Le agradecí pero no acepté, y debo decir la verdad, no lo acepté porque eso me iba a costar por lo menos cien pesos, al tener que retribuir la atención. Pero le sugerí la idea que se lo dedicase a Segovia, un muchacho que paseaba con nosotros, amigo también de Rosendo y admirador; así fue; Segovia aceptó el ofrecimiento de Rosendo. Y se le puso “El entrerriano” porque Segovia era oriundo de Entre Ríos.”.
José Guidobono
Traduction :
Il y avait une maison de danse connue sous le nom de « María la Vasca ». On y dansait toute la nuit pour trois pesos de l’heure et par personne. À ces bals, j’ai croisé des étudiants, des médecins et des jockeys [c’était une soirée spéciale du Z Club, club auquel Rosendo Mendizábal a d’ailleurs dédié un tango (Z Club)] et en général, de bonnes personnes. Le pianiste officiel était Rosendo et c’est là que « El entrerriano » a été joué pour la première fois. […] c’est ainsi qu’on a dansé jusqu’à 6 heures du matin. En partant, j’ai salué Rosendo, dont j’étais ami, et je l’ai félicité pour son tango inédit et sans nom, et il m’a dit : « Je vais te le dédicacer, donne-lui un nom ». Je l’ai remercié, mais je n’ai pas accepté, et je dois dire la vérité, je ne l’ai pas accepté parce que cela allait me coûter au moins cent pesos, pour le remercier de l’attention. Mais j’ai suggéré l’idée qu’il le dédicace à Segovia, un garçon qui marchait avec nous, également ami et admirateur de Rosendo ; C’est comme ça que ça s’est passé ; Segovia a accepté l’offre de Rosendo. Et il l’a intitulé « El Entrerriano » parce que Segovia était originaire d’Entre Ríos. […] Rosendo a ainsi gagné cent mangos (pesos en lunfardo). »
La face A du disque Victor 38397
Sur la face A du même disque Victor a gravé une valse. Elle a été enregistrée le même jour par Donato et Lagos, comme c’est souvent le cas. Cette valse est sublime, je vous la propose donc ici :
Ne pas confondre cette valse avec une au titre qui ne diffère que par deux lettres…
Quién será ? 1941-10-13 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos — Luis Rubistein (MyL)
Un clin d’œil pour les DJ
Felix Picherna, un célèbre DJ de l’époque des cassettes Philips, utilisait un crayon pour rembobiner ses cassettes. Il devait donc sacar la punta antes de la milonga. J’en parle dans mon article sur les tandas. Maintenant, vous êtes prêts à danser à Lo de Laura ou dans votre milonga favorite.