Archives par étiquette : Aníbal Troilo (Aníbal Carmelo Troilo)

Comme il faut 1951-09-26 – Orquesta Carlos Di Sarli

Eduardo Arolas Letra: Gabriel Clausi

« Comme il faut » , le titre de ce tango est en français et il signifie que l’on fait les choses bien, comme il faut qu’elles soient réalisées. Nous allons toutefois voir, que sous ce titre « anodin » se cache une tricherie, quelque chose qui n’est peut-être pas fait, « comme il faut ».

Je parle français comme il faut

Je pense que vous ne serez pas surpris de découvrir un titre en français, il y a en a plusieurs et les mots français sont couramment utilisés par les Argentins et fort fréquents dans le tango.

Deux raisons expliquent cette abondance.

La première, c’est le prestige de la France de l’époque.

La haute société argentine parlait couramment le français qui était la langue « chic » de l’époque. À ce sujet, il y a une quinzaine d’années, une amie me faisait visiter son club nautique. C’est le genre d’endroit dont on devient membre par cooptation ou héritage familial. J’ai été surpris d’y entendre parler français, sans accent, par une bonne partie et peut-être même la majorité des personnes que l’on croisait. Je m’en suis ouvert et mon amie m’a informé que les personnes de cette société avaient coutume de parler entre eux en français, cette langue étant toujours celle de l’élite.

La seconde, vous la connaissez.

Les orchestres de tango se sont donné rendez-vous en France au début du vingtième siècle. Il était donc naturel que s’expriment des nostalgies, des références pour montrer que l’on avait fait le voyage ou tout simplement que s’affichent les expressions à la mode.

Je peux vous conseiller un petit ouvrage sur la question, EL FRANCÉS EN EL TANGO: Recopilación de términos del idioma francés y de la cultura francesa utilizados en las letras de tango. Il a été écrit par Víctor A. Benítez Boned qui cite et explicite 78 mots de français qui se retrouvent dans le tango et 41 noms propres désignant des Français ou des lieux de France. On peut considérer qu’environ 200 tangos font directement référence à la France, aux Français (souvent aux Françaises) ou à la langue française. Víctor A. Benítez Boned en cite 177.

Lien vers le livre au format Kindle.

Extrait musical

Comme il faut 1951-09-26 – Orquesta Carlos Di Sarli.
Comme il faut de Eduardo Arolas avec la dédicace “A mis estimados y distinguidos amigos Francisco Wright Victorica, Vladislao A. Frías, Juan Carlos Parpaglione y Manuel Miranda Naón”.

Les dédicataires sont des étudiants en droit qui ont probablement cassé leur tire-lire pour être dédicataires :
Francisco Wright Victorica, étudiant de la Faculté de droit et de sciences sociales de Buenos Aires en 1917
Vladislao A. Frías ; étudiant de la Faculté de droit et de sciences sociales de Buenos Aires en 1917, puis juge au civil et membre de la cour d’appel au tribunal de commerce de Buenos Aires.
Juan Carlos Parpaglione, étudiant de la Faculté de droit et de sciences sociales de Buenos Aires en 1917.
Manuel Miranda Naón, étudiant de la Faculté de droit et de sciences sociales de Buenos Aires. En 1918, il a participé au mouvement de réforme de cette université.

Paroles

Luna, farol y canción,
dulce emoción del ayer
fue en París,
donde viví tu amor.
Tango, , corazón,
noche de amor
que no está,
en mi sueño vivirá…

Es como debe ser, con ilusión viví
las alegrías y las tristezas;
en esa noche fue que yo sentí por vos
una esperanza en mi corazón.
Es como debe ser en la pasión de ley,
tus ojos negros y tu belleza.
Siempre serás mi amor en bello amanecer
para mi vida, dulce ilusión.

En este tango
te cuento mi tristeza,
dolor y llanto
que dejo en esta pieza.
Quiero que oigas mi canción
hecha de luna y de farol
y que tu amor, mujer,
vuelva hacia mí.

Eduardo Arolas Letra: Gabriel Clausi

libre et indications

Lune, réverbère et chanson, douce émotion d’hier c’était à , où j’ai vécu ton amour.
Tango, Champagne, cœur, nuit d’amour qui n’est pas là, dans mon rêve vivra…
C’est comme il faut (comme il se doit), avec enthousiasme j’ai vécu les joies et les peines ; C’est ce soir-là que j’ai senti de l’espoir pour toi dans mon cœur.
C’est comme doit être la véritable passion (les Argentins disent de ley, de la loi, par exemple un porteño de ley pour dire un véritable portègne), de tes yeux noirs et de ta beauté.
Tu seras toujours mon amour dans la belle aurore pour ma vie, douce illusion (doux sentiment).
Dans ce tango, je te conte ma tristesse, douleur et larmes que je laisse dans ce morceau.
Je veux que tu entendes ma chanson faite de lune et de réverbère et que ton amour, femme, revienne jusqu’à moi.

Elle est où la tricherie promise ?

Comme je vois que vous semblez intéressés, voici la tricherie. Le tango « Comme il faut » a un frère jumeau «  criolla » signé Rafael Iriarte.

Couverture et partition de Comparsa Criolla de Rafael Iriarte. La mention du concours de 1930 est en haut de la couverture.

La gémellité n’est pas une tricherie me direz-vous, mais alors comment nommer deux tangos identiques attribués à des auteurs différents ?
On dirait aujourd’hui un plagiat.
Nous avons déjà rencontré plusieurs tangos dont les attributions étaient floues, que ce soit pour la musique ou les paroles. Firpo n’a-t-il pas cherché à mettre sous son nom La cumparsita, alors pourquoi pas une comparsa ?
Mais revenons à notre paire de tangos et intéressons-nous aux auteurs.
Eduardo Arolas (1892-1924), un génie, mort très jeune (32 ans). Non seulement il jouait du bandonéon de façon remarquable, ce qui lui a valu son surnom de «  du bandonéon », mais en plus, il a composé de très nombreux titres. C’est assez remarquable si on tient compte de sa très courte carrière. Il s’est dit cependant qu’il s’inspirait de l’air du temps, utilisant ce que d’autres musiciens pouvaient interpréter à une époque où beaucoup n’écrivaient pas la musique.
Il me semble que c’est plus complexe et qu’il est plutôt difficile de dénouer les fils des interactions entre les musiciens à cette époque où il y avait peu de partitions, peu d’enregistrements et donc surtout une connaissance par l’écoute, ce qui favorise l’appropriation d’airs que l’on peut de toute bonne foi croire originaux.
Pour revenir à notre tango du jour et faire les choses Comme il faut, voyons qui est le second auteur, celui de Comparsa criolla, Rafael Iriarte. (1890-1961).
Lui aussi a fait le voyage à Paris et Néstor Pinsón évoque une collaboration dans la composition qui aurait eu lieu en 1915.
Si on s’intéresse aux enregistrements, les plus anciens semblent dater de 1917 et sont de Arolas lui-même et de la Orquesta Típica Pacho. Les deux disques mentionnent seulement Arolas comme seul compositeur.

Eduardo Arolas et un disque par la Tipica Pacho qui serait également de 1917 selon , spécialiste de la vieille garde).

Peut-être que le fait que Arolas avait accès au disque à cette époque et pas Iriarte a été un élément. Peut-être aussi que la part d’Arolas était suffisamment prépondérante pour justifier qu’il soit le seul mentionné.
Je n’ai pas trouvé de témoignage indiquant une brouille entre les deux hommes, si ce n’est une hypothèse de Néstor Pinsón. Faut-il voir dans le fait que Iriarte signe de son seul nom la version qu’il dépose en 1930 et qui obtiendra un prix, au septième concours organisé par la maison de disque « Nacional ».
Ce qui est curieux est que Francisco Canaro, qui était ami de Arolas ait enregistré sa version avec la mention de Iriarte et pas celle de son ami décédé six ans plus tôt. Faut-il voir dans cela une reconnaissance de Canaro pour la part de Iriarte ?
Pour vous permettre d’entendre les similitudes, je vous propose d’écouter le début de deux versions. Celui de 1951 de Comme il faut, notre tango du jour par Di Sarli et celui de Comparsa criolla de Tanturi de 1941. J’ai modifié la vitesse de la version de Tanturi pour que les tempos soient comparables.

Débuts de : Comme il faut de Eduardo Arolas par Carlos Di Sarli (1951) et Comparsa criolla de Rafael Iriarte par Ricardo Tanturi (1941).

Autres versions

Comme il s’agit du « même » tango, je vais placer par ordre chronologique plusieurs versions de Comme il faut et de Comparsa criolla.

Comme il faut 1917 – Eduardo Arolas
Les musiciens de l’orchestre de Arolas en 1916. Arolas est en bas, au centre. Juan Marini, pianiste, à gauche, puis Rafael Tuegols et Atilio Lombardo (violonistes) et Paredes (violonceliste). Ce sont eux qui ont enregistré la version de 1917 de Arolas.
Comme il faut 1917 – Orquesta Típica Pacho
Comparsa criolla 1930-11-18 – Francisco Canaro
Comme il faut 1936-10-27 – Juan D’Arienzo
Comme il faut 1938-03-07 – Anibal Troilo
Comparsa criolla 1941-06-16 – Ricardo Tanturi
Comme il faut 1947-01-14 – Carlos Di Sarli
Comparsa criolla 1950-12-12 – Orchestre Quintin Verdu
Comme il faut 1951-09-26 – Orquesta Carlos Di Sarli.
Comme il faut 1955-07-15 – Carlos Di Sarli
Comme il faut 1966-09-30 – Hector Varela
Comme il faut 1980 – Alfredo De Angelis
Comme il faut 1982 –

Mon cher Correcteur, Thierry, m’a fait remarquer que je n’avais pas proposé de versions chantées. N’en ayant pas sous la main, j’ai fait un appel à des collègues qui m’ont proposé deux versions, avec de 1997 et Sciamarella Tango con Denise Sciammarella de 2018 :

Comme il faut 1997 – Nelly Omar con Bartolomé Palermo y sus guitarras. Merci à Howard Jones qui m’a signalé cette version.
Comme il faut 2013 – Gente de tango
Comme il faut 2018 – Sciamarella Tango con Denise Sciammarella. Merci à Yüksel Şişe qui m’a indiqué cette version.
Comme il faut 2020-08 – El Cachivache

Je vous propose d’arrêter là les exemples, il y en aurait bien sûr quelques autres et je vous dis, à bientôt les amis !

El cuarteador 1941-09-08 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino

Rosendo Luna (Enrique Domingo Cadícamo) (Musique et paroles)

Rosendo Luna, de son nom complet Enrique Domingo Cadícamo a composé et écrit les paroles de notre , El cuarteador. C’est pour nous l’occasion de découvrir un métier oublié, banni de en 1966 avec l’interdiction des moteurs de sang (la traction animale). El cuarteador est un cavalier muni d’une forte monture qui loue ses services aux voituriers embourbés ou en mauvaise passe.

Enrique Cadícamo a composé ce titre sur le mini piano qu’il venait d’acheter.

Schroeder, le peanuts créé par Charles M. Schulz et son mini piano.

Je me suis posé la question de savoir ce qu’était un mini piano. En fait, ce n’est probablement pas un instrument dans le genre de celui de Schroeder, mais tout simplement un piano droit, sans doute un peu moins large avec seulement cinq ou six octaves. Son instrument était de la maison John Carlitt, une maison allemande de la ville de Dresde et ce facteur faisait dans le piano traditionnel, pas dans le jouet. Cadícamo semble avoir été assez discret sur l’usage de cet instrument, il n’a sans doute pas été un véritable pianiste, son talent n’en a absolument pas souffert comme on peut l’entendre dans cette composition.
Curieusement, Ángel Villodo n’a pas composé ce titre ou un autre du même genre alors qu’il a travaillé comme cuarteador. Ce sont deux autres Ángel, D’Agostino et Vargas qui l’enregistreront à la suite de Troilo-Fiorentino et Canaro-Amor.
Attention, nous allons patauger dans la boue, dans la boue de Barracas.

Extrait musical

El cuarteador 1941-09-08 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino. Le titre commence par une annonce.

Paroles

Fue en un café de la Boca y allá por el ano dos, donde este tango nació. Estaba linda la fiesta. Y compadreando la orquesta de esta manera empezó.
Yo soy Prudencio Navarro,
.
Tengo un pingo que en el barro
cualquier carro
tira y saca.
Overo de anca partida,
que en un trabajo de cuarta
de la zanja siempre aparta
¡Chiche!
la rueda que se ha quedao.

Yo que tanta cuarta di,
yo que a todos los prendí
a la cincha de mi percherón,
hoy, que el carro de mi amor se me encajó,
no hay uno que pa’ mi
tenga un tirón.

En la calle del querer
el amor de una mujer
en un bache hundió mi
¡Hoy, ni mi overo me saca
de este profundo zanjón!

Yo soy Prudencio Navarro,
el cuarteador de Barracas.
Cuando ve mi overo un carro
compadreando
se le atraca.

No hay carga que me lo achique,
porque mi chuzo es valiente;
yo lo llamo suavemente
¡Chiche!
Y el pingo pega el tirón.

Rosendo Luna (Enrique Domingo Cadícamo) (Musique et paroles)

Traduction libre et indications

C’était dans un café de La Boca et en l’an 2 (1902) que ce tango est né. La fête était sympa. Et l’orchestre amicalement commença de cette façon.

Je suis Prudencio Navarro, le cuarteador de Barracas.
J’ai un pingo (cheval en ) qui tire et sort de la boue n’importe quel chariot.
Overo (Cheval couleur de pêche, aubère ou alezan) avec la croupe fendue (car musclée), qui dans un travail de cuarta (travail du cuarteador qui consiste à tirer des chariots embourbés. Le nom vient du fait que l’on pliait la sangle de tirage pour la rendre quadruple et ainsi plus résistante), du fossé sort toujours, Chiche ! (Nom du cheval, ou expression pour le mobiliser) la roue qui était coincée.
Moi qui ai donné tant de cuartas, moi qui les ai tous accrochés à la sangle de mon percheron, aujourd’hui, que la voiture de mon amour s’est coincée, il n’y en a pas un qui pour moi ferait une traction.
Dans la rue de l’amour, l’amour d’une femme dans un nid-de-poule a fait sombrer mon cœur…
Aujourd’hui, même mon overo ne peut pas me sortir de ce fossé profond !
Je suis Prudencio Navarro, le cuarteador de Barracas.
Quand mon overo voit une voiture, il s’y colle (comme un amoureux qui recherche le d’une femme, jeu de mots, car c’est aussi attacher le chariot).
Il n’y a pas de fardeau qui puisse le rétrécir, parce que mon chuzo (aiguillon) est courageux ; je l’appelle doucement Chiche ! Et le pingo (cheval, mais peut aussi avoir un sens plus coquin) tire.

Autres versions

El cuarteador 1941-09-08 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino. C’est notre tango du jour.
El cuarteador 1941-10-06 – Orquesta Francisco Canaro con Francisco Amor.
El cuarteador 1942 Orquesta Ángel D’Agostino con .

Mais Enrique Cadícamo a aussi réalisé un court métrage où on peut entendre les deux anges interpréter ce thème. Nous en avons déjà parlé à propos de Tres esquinas.

Voici la vidéo au moment où D’Agostino et Vargas entament El cuarteador de Barracas, mais je vous recommande de voir les 9 minutes du court-métrage en entier, c’est intéressant dès le début et avant El cuarteador de Barracas, il y a Tres Esquinas

El cuarteador de Barracas à 6:54 du film de Enrique Cadícamo.
Timbre uruguayen mettant en avant un cuarteador. Remarquez le harnachement du cheval.

Los cuarteadores

Nous avons vu qu’Ángel Villoldo avait exercé ce métier, mais il avait aussi été clown dans un cirque, typographe et a de fait exercer de nombreux petits métiers pour survivre.
Pour les mêmes raisons, les gauchos dont les territoires ont été rattrapés par l’urbanisation de Buenos Aires se sont adaptés et sont passés du gardiennage des vaches au sauvetage des chariots et tranvias (tramways) en péril dans la boue ou dans des déclivités trop fortes.
Pour les voyages en chariot, il était prudent de s’attacher les services d’un ou plusieurs cuarteadores pour pouvoir se tirer d’embarras dans les chemins défoncés qui servaient de routes à l’époque.

À gauche, Prudencio Navarro par Rodolfo Ramos et à droite, des voyageurs attendant les cuarteadores…

Voici comment les voyageurs , narrèrent leur traversée de la entre Buenos Aires et Santa Fe.

« Après avoir attaché l’attelage à la malle-poste (diligence), sous la direction du cocher, on adjoignit quatre cuarteadores, mal vêtus, chacun sur son cheval, sans autre harnais que la sangle.
Celle-ci était attachée par une extrémité à la selle et de l’autre au timon de la voiture…
À peine avions-nous atteint les faubourgs que nous rencontrâmes un de ces terribles marécages.
Ce sont des masses de boue épaisse de trois à trois mètres et demi de profondeur et trente à cinquante de largeur (la profondeur semble exagérée, mais retenons que c’était boueux).
Les cuarteadores éclaboussèrent dans la boue, puis la deuxième équipe les suivit, et lorsque les deux équipes quittèrent le marais et, par conséquent, furent sur la terre ferme, avant que la voiture n’entre dans le bourbier, elles avaient gagné un endroit où se tenir pour développer leur force.
À coups de fouet et d’éperon, encouragés par les cris des postillons, les chevaux nous traînèrent triomphalement hors du marais.
De cette façon, nous avons traversé avec succès tous les bourbiers, marécages et ruisseaux qui séparent Buenos Aires et Santa Fe. »

La gravure du 19e siècle qui m’a servie pour réaliser l’ de l’anecdote.

On remarquera la sangle (ici qui n’est pas quadruple), entre la selle et le timon. Il s’agit d’aider dans une montée. J’ai rajouté de la boue dans ma version pour rendre l’expérience encore plus probante. Cette gravure est indiquée comme étant de Buenos Aires, mais je n’ai pas trouvé le lieu. On remarquera au premier plan à droite, un autre cuarteador se relaxant avec le pied sur la sangle de tirage posée sur la croupe du cheval. Il attend à son tour que des chariots fassent appel à ses services.
Voilà, cette anecdote tire à sa fin, vous écouterez sans doute de façon différente les belles versions de cette composition de Rosendo Luna.

Cómo se pianta la vida 1940-08-20 – Orquesta Enrique Rodríguez con Armando Moreno

Carlos Viván (Miguel Rice Treacy), paroles et musique

Carlos Viván, l’auteur et le compositeur de ce tango fut un bon vivant et ce tango touche de très près sa vie qui fut clairement parmi les plus instables possibles. Le seul point étonnant est qu’il l’a écrit à 26 ans et pas, comme on peut le supposer, à la fin de sa vie tourmentée… L’abondance des versions à l’âge d’or et par la suite, prouve que ce sujet touchait la sensibilité des Argentins ; et la vôtre ?

Extrait musical

1940-08-20 -Orquesta con
Partitions de Cómo se pianta la vida de Carlos Viván (paroles et musique)

Paroles

Berretines locos
De muchacho rana
Me arrastraron ciegos
En mi juventud
En milongas, timbas
Y en otras macanas
Donde fui palmando
Toda mi salud

Mi copa bohemia
De rubia champagne
Brindando amoríos
Borracho la alze
Mi vida fue un barco
Cargado de hazañas
Que juntó a las playas
Del mar lo encalle

Cómo se pianta la vida
Cómo rezongan los años
Cuando fieros desengaños
Nos van abriendo una herida
Es triste la primavera
Si se vive desteñida

Cómo se pianta la vida
De muchacho calavera

Los veinte abriles cantaron un día
la triste de mi berretín
y en la contradanza de esa algarabía
al trompo de mi alma le faltó piolín.
Hoy estoy pagando aquellas ranadas
Final de los vivos
Que siempre se da
Me encuentro sin chance
En esta jugada
La muerte sin grupo
Ya ha entrado a tallar

Cómo se pianta la vida
De muchacho calavera
Carlos Viván — 1929 — Paroles et musique

Traduction libre

Les folles lubies d’un gars débrouillard m’ont entraîné à l’aveuglette dans ma jeunesse, dans les milongas (Carlos Viván était un grand danseur de tango), les timbas (salle de jeu) et autres clubs où j’ai ruiné toute ma santé.
Mon verre bohème de champagne blond, trinquant aux amours, ivre, je l’ai levé (Carlos Viván était plutôt amateur de Whisky, sans doute à cause de ses origines irlandaises).
Ma vie a été un navire plein d’exploits, qui rejoignit les plages marines et s’échoua.
Comme la vie se perd (piantar, c’est en lunfardo, s’enfuir), comme les années grognent quand de féroces déceptions nous ouvrent une blessure.
Le printemps est triste s’il se vit déteint.
Comment se perd la vie d’un gars débauché.
Les vingt avrils (même si « Avril » en Argentine tombe en automne, c’est l’équivalent de l’expression « Printemps » pour marquer les années. Dans le vers précédent, il parlait d’ailleurs de printemps) ont chanté un jour la milonga triste de ma lubie et dans la contredanse de ce brouhaha, Il me manquait au plus profond de mon âme une innocence (piolín, verlan de limpio, propre, personne sans casier judiciaire…).
Aujourd’hui, je paie pour ces méfaits.
Le final des canailles arrive toujours.
Je me retrouve sans chance dans ce jeu dangereux.
La mort sans mentir est déjà entrée pour tailler.
Comme se perd la vie, d’un garçon débauché.

Autres versions

Voici une petite sélection de versions illustrant le succès du thème pendant plus de 50 ans.

Cómo se pianta la vida 1930-03-18 – con conjunto
Cómo se pianta la vida 1930-03-21 – con guitarras
Cómo se pianta la vida 1930-03-27 – Orquesta Luis Petrucelli con Roberto Díaz
Cómo se pianta la vida 1930-04-02 – Orquesta Pedro Maffia con Carlos Viván.

Carlos Viván chante sa composition. Il a 27 ans au moment de l’enregistrement.

Cómo se pianta la vida 1930 – acomp. de Orquesta Alberto Castellano.

Roberto Maida avant Francisco Canaro

Cómo se pianta la vida 1930 – Tania acomp. de Orquesta Alberto Castellano.

Tania avec le même orchestre que Roberto Maida.

Cómo se pianta la vida 1932 – Orquesta Típica Auguste-Jean Pesenti du Coliseum de .

En France aussi, la vie des tangueros est un peu dissolue…

Cómo se pianta la vida 1940-08-20 – Orquesta Enrique Rodríguez con Armando Moreno. C’est notre tango du jour.
Cómo se pianta la vida 1942-09-15 – Orquesta Ricardo Tanturi con .
Cómo se pianta la vida 1950-12-26 – Orquesta Edgardo Donato con Carlos Almada.
Cómo se pianta la vida 1959c – Héctor Mauré con guitarras y bandoneon
Cómo se pianta la vida 1963-04-30 – Orquesta con Roberto Goyeneche arr. de Julián Plaza.

On notera le début impressionnant proposé par Troilo et Plaza qui offre un tremplin pour Goyeneche pour lancer le titre d’une façon particulièrement expressive. Une version que je trouve convaincante et touchante. Pas de danse possible, mais un régal à écouter.

Cómo se pianta la vida 1981-07-08 – Orquesta Osvaldo Pugliese con Abel Córdoba.

C’est la plus originale et travaillée, un cran au-dessus de celle de Troilo, mais il faut être vraiment fan de Córdoba pour être enchanté par cette version. Je préfère les versions de danse ou celle de Troilo avec Goyeneche, mais la beauté du tango est qu’on a le choix et chacun pourra trouver son bonheur dans la très grande variété de ces enregistrements.

Amurado 1940-07-29 – Orquesta Pedro Laurenz con Juan Carlos Casas

Pedro Maffia ; Pedro Laurenz Letra : José Pedro De Grandis

Encore un tango qui ne laisse pas les tangueros se reposer, notamment dans cette version. Les deux Pedro, Laurenz puis Maffia ont créé un monstre qui aspire toute l’énergie vitale des de la première à la dernière note. Le charme semble aussi avoir opéré également sur les directeurs d’orchestre, car de très nombreuses versions en ont été enregistrées. La version du jour est par l’un des deux compositeurs, Laurenz avec Juan Carlos Casas.

Un démarrage sur les chapeaux de roues

Le point de départ de ce tango a été donné par De Grandis qui avait écrit un texte, sur la misère de l’abandon. En 1925-1926, il était violoniste dans le sexteto du bandonéoniste Enrique Pollet, celui qu’on retrouvera par la suite dans l’orchestre de Pugliese et qui est à l’origine de la superbe variation finale de Recuerdo.

Un jour que ce sexteto jouait dans son lieu habituel, Le Café El Parque (près de Tribunales et assez près du théâtre Colón), Pedro Laurenz qui était ami de Pollet prit connaissance du texte et sur l’instant sur son bandonéon, imagina un air pour la première partie, puis il alla le montrer à Pedro Maffia qui était alors au cinéma Select Lavalle, à proximité, dans l’orchestre de Julio De Caro. Maffia fut tellement enthousiasmé qu’il demanda à Laurenz de pouvoir le terminer.
Et ainsi, intégra le répertoire de Julio De Caro qui l’enregistrera deux ans plus tard, la même année que Gardel et beaucoup d’autres.
Après cette première vague, le tango fut moins enregistré, juste ressuscité à diverses reprises par Laurenz. La seconde vague n’arrivera que dans les années 50 avec une nouvelle folie autour du thème, folie qui dure jusqu’à nos jours où beaucoup d’orchestres ont ce tango à leur répertoire.
Pedro Laurenz l’a enregistré au moins cinq fois, vous pourrez comparer les versions dans la partie « autres versions ».

Extrait musical

Amurado. Pedro Maffia ; Pedro Laurenz Letra: José Pedro de Grandis La dédicace est au Docteur Prospero Deco, qui deviendra le Directeur del Hospital General de Agudos José María Penna de 1945 à 1955. À droite, son buste dans l’hôpital.
Amurado 1940-07-29 – Orquesta Pedro Laurenz con Juan Carlos Casas.

Tout commence par un puissant appel du bandonéon qui résonne comme un , puis la machine se met en marche. Le rythme est puissamment martelé, par les bandonéons, la contrebasse, le piano, en contrepoint, des plages de douceur sont données par les violons et en son temps par Juan Carlos Casas, mais à aucun moment le rythme et la tension ne baissent, jusqu’à la fin presque abrupte. On notera aussi un magnifique solo de bandonéon, indispensable pour un titre composé par deux bandonéonistes… L’intervention, courte de Casas, n’exprime pas toute la douleur du texte et les danseurs peuvent prendre du plaisir sans remord. Cette incroyable composition emporte les danseurs et hérisse les poils de bonheur de bout en bout. Cette version est une merveille absolue qui fait regretter que Laurenz et Casas n’ait pas plus enregistré.

Paroles

Campaneo a mi catrera y la encuentro desolada.
Sólo tengo de recuerdo el cuadrito que está ahí,
pilchas viejas, unas flores y mi alma atormentada…
Eso es todo lo que queda desde que se fue de aquí.

Una tarde más tristona que la pena que me aqueja
arregló su bagayito y amurado me dejó.
No le dije una palabra, ni un reproche, ni una queja…
La miré que se alejaba y pensé :
¡Todo acabó!

¡Si me viera ! ¡Estoy tan viejo!
¡Tengo blanca la cabeza!
¿Será acaso la tristeza
de mi negra soledad ?
Debe ser, porque me cruzan
tan fuleros berretines
que voy por los cafetines
a buscar felicidad.

Bulincito que conoces mis amargas desventuras,
no te extrañe que hable solo. ¡Que es tan grande mi dolor !
Si me faltan sus caricias, sus consuelos, sus ternuras,
¿qué me quedará a mis años, si mi vida está en su amor?

¡Cuántas noches voy vagando angustiado, silencioso
recordando mi pasado, con mi amiga la ilusión !…
Voy en curda… No lo niego que será muy vergonzoso,
¡pero llevo más en curda a mi pobre corazón!

Pedro Maffia ; Pedro Laurenz Letra: José Pedro de Grandis

Juan Carlos Casas ne chante que ce qui est en gras.

Traduction libre et indications

Je contemple mon lit et le trouve désolé.
Je n’ai comme souvenir que le petit tableau qui est ici, de vieilles couvertures, quelques fleurs et mon âme tourmentée…
C’est tout ce qui reste depuis qu’elle est partie d’ici.
Un après-midi plus triste que le chagrin qui m’afflige, elle a préparé son petit bagage et m’a laissé emmuré.
Je n’ai pas dit un mot, pas un reproche, pas une plainte…
Je l’ai regardée s’éloigner et j’ai pensé :
Tout à une fin !
Si elle me voyait ! Je suis si vieux !
J’ai la tête blanche !
Est-ce peut-être la tristesse de ma noire solitude ?
Ça doit l’être, parce que j’ai des idées tant débiles que je vais dans les cafés pour chercher le bonheur.
Petit logis, qui connaît mes mésaventures amères, ne t’étonne pas que je parle tout seul. Que ma douleur est grande !
Si me manquent ses caresses, ses consolations, sa tendresse, que me restera-t-il dans mes années, si ma vie est dans son amour ?
Combien de nuits je vais vagabondant, angoissé, silencieux, me souvenant de mon passé, avec mon ami l’illusion…
Je vais me saouler… Je ne nie pas que ce soit honteux, mais je supporte mieux mon pauvre cœur quand je suis bourré (saoul) !

Autres versions

J’ai mis en rouge les versions par les auteurs (Maffia, 1 version et Laurens, 5 versions).

Amurado 1927-02-11 – Orquesta Roberto Firpo.

Une version calme, sans doute trop calme si on la compare à notre tango du jour…

Amurado 1927-04-08 – Orquesta Francisco Lomuto.

Une autre version tranquille, exécutée avec conscience, mais sans doute pas de quoi susciter la folie.

Amurado 1927-06-08 – Ignacio Corsini con guitarras de Pagés-Pesoa-Maciel.

Une jolie interprétation de Corsini, à écouter, bien sûr.

Amurado 1927-07-20 – Pedro Maffia y Alfredo De Franco (Duo de bandoneones).

Pedro Maffia l’auteur de la seconde partie nous propose ici sa version en duo avec Alfredo De Franco. Une version simple, mais plus rapide que les autres de l’époque. Il nous manque certains instruments auxquels nous sommes désormais habitués pour totalement apprécier cette version qui peut paraître un peu monotone et répétitive.

Amurado 1927-07-22 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras).

Avec seulement deux guitares, Gardel donne la réponse à Corsini qui le mois précédent avait enregistré le titre avec trois guitares. C’est également joli et tout autant pour l’écoute et pas pour la danse.

Amurado 1927-08-16 – Orquesta Francisco Canaro con .

Canaro enregistre à son tour, sur un rythme calme, qui est de toute façon une de ses caractéristiques de l’époque. De jolis traits de violon et bandonéon allègent un peu le marquage puissant du rythme. La voix de Irusta, un peu nasale, apporte une petite variation dans cette interprétation qui ne sera sans doute pas à la hauteur des danseurs d’aujourd’hui.

Amurado 1927-09-07 – Agustín Magaldi con guitarras.

Il ne manquait que lui, après Corsini et Gardel, voici Magaldi. Moi, j’aime bien. Bien sûr, ce n’est pas plus pour la danse que les versions des deux concurrents, mais ça se laisse écouter.

Amurado 1927-09-12 – Orquesta Julio De Caro.

Je pense que dès les premières mesures vous aurez remarqué la différence d’ambiance par rapport à toutes les versions précédentes. Le rubato marqué, parfois exagéré et la variation du solo de bandonéon sont déjà très proches de ce que proposera Laurenz 13 ans plus tard. On notera les sonorités étranges qui apparaissent vers la fin du morceau, De Caro aime ajouter des instruments atypiques.

Amurado 1927-12-06 – Orquesta Juan Maglio « Pacho » con José Galarza.

On revient sans doute un cran en arrière dans la modernité, mais la partie d’orchestre est assez sympathique. La voix de Galarza sera en revanche un peu plus difficile à accepter par les danseurs d’aujourd’hui.

Amurado 1928 – Trío Argentino (Irusta, Fugazot, Demare) y su Orquesta Típica Argentina con Roberto Fugazot.

Le piano de Demare démarre puis laisse la place à la voix de Fugazot qui gardera ensuite la vedette en masquant un peu le beau jeu de Demare au piano qui ne pourra que placer un magnifique accord final.

Amurado 1940-07-29 – Orquesta Pedro Laurenz con Juan Carlos Casas.

C’est notre tango du Jour. Si on note la filiation avec l’interprétation de De Caro, la version donnée par Laurenz est éblouissante en tous points. Il a fait le ménage dans les propositions parfois un peu confuses de De Caro et le résultat est parfait pour la danse.

Amurado 1944-11-24 – Orquesta .

Tout en restant fidèle à l’écriture de Laurenz, Pugliese propose sa version avec une pointe de Yumba et son alternance de moments tendus et d’autres, relâchés, et des nuances très marquées. Le résultat est comme toujours superbe, mais beaucoup plus difficile à danser pour les danseurs qui ne connaissent pas cette version. En milonga, c’est donc à réserver à des danseurs expérimentés ou motivés. L’accélération de la variation en solo du bandonéon qui nous mène au final est tout aussi belle que celle de Laurenz, les danseurs pourront s’y donner rendez-vous pour oublier les petits pièges des parties précédentes.

Amurado 1946 (transmisión radial) – Orquesta Pedro Laurenz.

Six ans plus tard, Laurenz propose une version instrumentale. Il s’agit d’un enregistrement radiophonique, d’une qualité impossible pour la danse, mais nous avons une version enregistrée l’année suivante.

Amurado 1947-01-16 – Orquesta Pedro Laurenz.

Cette version est très proche et je ne la proposerai sans doute pas, car je suis sûr que le petit estribillo chanté par Casas va manquer aux danseurs.

Amurado 1952-09-25 – Orquesta Pedro Laurenz.

Après un peu de temps de réflexion, Laurenz propose une nouvelle version, très différente. On sent qu’il a voulu dans la première partie tirer parti des idées de Pugliese, mais la réalisation est un peu plus sèche, moins coulée et la seconde partie s’enfonce un peu dans la guimauve. Mon petit Pedro, désolé, mais on reste avec ta première version, même si on garde de cette version le final qui est tout aussi beau que dans l’autre.

Amurado 1955-09-16 – Orquesta .

Basso reprend l’appel initial du bandonéon, en l’accentuant encore plus que Laurenz dans sa version de 1940. Un violon virtuose nous transporte, puis le bandonéon tout aussi agile reprend le flambeau. Par moment on retrouve l’esprit de la version de la version de Laurenz en 1940, mais entrecoupée de passages totalement différents. Je ne sais pas ce qu’en penseraient les danseurs. D’un côté les rappels proches de Laurenz peuvent leur faire regretter l’original, mais les idées différentes peuvent aussi éveiller leur curiosité et les intéresser. Peut-être à tenter dans un lieu rempli de danseurs un peu curieux.

Amurado 1956 – Edmundo Rivero con acomp. de y su Orquesta.

Une version à écouter, avec la puissance d’un grand orchestre.

Amurado 1956c – Trio Hugo Diaz.

Le trio d’Hugo Diaz, harmoniciste que l’on retrouvera 12 ans plus tard avec une version encore plus intéressante.

Amurado 1959-01-08 – Orquesta José Basso.

Encore Basso, qui s’essaye à l’amélioration de son interprétation et je trouve que c’est une réussite qui devrait intéresser encore plus de danseurs que la version de 1955.

Amurado 1961-09-08 – Jorge Vidal con acomp. de guitarras, cello y contrabajo.

Amurado 1961-09-08 – Jorge Vidal con acomp. de guitarras, cello y contrabajo. Vidal avec ce conjunto de cordes nous propose une version très originale. Sa superbe voix est parfaitement mise en valeur par les cordes qui l’accompagnent. Dommage que ce ne soit pas pour la danse.

Amurado 1962-04-19 Orquesta con Julio Sosa.

Dans la première époque du titre, on avait entendu Corsini, Gardel et Magaldi. Dans cette nouvelle période, après Rivero, voici Julio Sosa, El varón del tango. Une version qui fait se dresser les poils de plaisir. Quelle version !

Amurado 1962-12-19 – Aníbal Troilo y en vivo.

Un enregistrement avec un public enthousiaste, qui masque parfois la merveille du bandonéon exprimé par Troilo, extraordinaire.

Amurado 1968 Pedro Laurenz con su Quinteto.

La dernière version enregistrée par Pedro Laurenz, avec la guitare électrique en prime. Une version à écouter, mais pas inintéressante.

Amurado 1972 – .

Le meilleur harmoniciste nous propose une version plus aboutie.

Amurado 1975 – Sexteto Mayor.
Amurado 1981 – Orquesta Leopoldo Federico.

Bien au-delà de la version avec Sosa, l’orchestre s’exprime magnifiquement. On est bien sûr totalement hors du domaine de la danse, mais c’est une merveille.

Amurado 1990 Roberto Goyeneche con arreglos y dirección de Raúl Garello.

Goyeneche manquait à la liste des chanteurs ayant mis ce titre à son répertoire. Cet enregistrement comble cette lacune.

Amurado 1995-08-23 – Sexteto Tango.

Une version par les anciens musiciens de Pugliese.

Voilà, avec une trentaine de versions, vous avez encore une fois un échantillon de la richesse du tango. En général, seules une ou deux versions passent en milonga, mais quelquefois les modes changent et des titres oubliés redeviennent à la mode. Ainsi, le tango reste vivant et quand des orchestres contemporains se chargent de rénover la chose, c’est parfois une seconde chance pour les titres.

Sur ces entrefaites, je vous dis, à demain, les amis.

La tablada 1942-07-23 – Orquesta Aníbal Troilo

Quand on pense à l’Argentine, on pense à sa viande et ce n’est pas un cliché sans raison. Les Argentins sont de très grands amateurs et consommateurs de viande. Chaque maison a sa parilla (barbecue) et en ville, certains vont jusqu’à improviser leurs parillas dans la rue avec un demi-bidon d’huile. Dans les espaces verts, il y a également des parillas aménagées et si vous préférez aller au restaurant, vous n’aurez pas beaucoup à marcher pour obtenir un bon asado. du jour, la tablada a à voir avec cette tradition. En effet, la tablada est le lieu où est regroupé le bétail avant d’aller au matadero

, matadero, la tablada…

Extrait musical

La tablada 1942-07-23 – Orquesta Aníbal Troilo
La tablada. La couverture de gauche est plus proche du sujet de ce tango que celle de droite…
La partition est dédicacée par Canaro à des amis d’Uruguay (auteurs, musiciens…).

Autres versions

La tablada 1927-06-09 – Orquesta Francisco Canaro.

Une version presque gaie. Les vaches « gambadent », du pas lourd du .

La tablada 1929-08-02 – Orquesta .

Une version pesante comme les coups coups donnés par les mataderos pour sacrifier les animaux.

La tablada 1929-12-23 – Orquesta Francisco Canaro.

Cette version est assez originale, on dirait par moment, une musique de dessin animé. Cette version s’est dégagée de la lourdeur des versions précédentes et c’est suffisamment joueur pour amuser les danseurs les plus créatifs.

La tablada 1936-08-06 – Orquesta Edgardo Donato.

Une des versions le plus connues de cette œuvre.

La tablada 1938-07-11 – Orquesta Típica .

Cette version française fait preuve d’une belle imagination musicale. Alemany est probablement Argentin de naissance avec des parents Polonais. Son nom était-il vraiment Alemany, ou est-ce un pseudonyme, car il a travaillé en Allemagne avant la seconde guerre mondiale avant d’aller en France où il a fait quelques enregistrements comme cette belle version de la tablada avant d’émigrer aux USA. Ses musiciens étaient majoritairement argentins, car il avait fait le voyage en Argentine en 1936 pour les recruter. Cette version est donc franco-argentine pour être précis…

La tablada 1942-07-23 – Orquesta Aníbal Troilo. C’est notre tango du jour.
La tablada 1946-09-10 – Orquesta Francisco Canaro.

L’introduction en appels sifflés se répondant est particulièrement longue dans cette version. Il s’agit de la référence au train qui transportait la viande depuis La Tablada jusqu’à Buenos Aires. Les employés devaient siffler pour signaler le départ, comme cela se fait encore dans quelques gares de campagne.

La tablada 1950-11-03 – Enrique Mora y su .

Encore une version bien guillerette et plutôt sympathique, non ?

La tablada 1951 – Orquesta Roberto Caló.

C’est le frère qui était aussi chanteur, mais aussi pianiste (comme on peut l’entendre dans cet enregistrement), de .

La tablada 1951-12-07 – Horacio Salgán y su Orquesta Típica.

Une version qui se veut résolument moderne, et qui explore plein de directions. À écouter attentivement.

La tablada 1955-04-19 – Orquesta .

Dans cette version, très intéressante et étonnante, Basso s’éclate au piano, mais les autres instruments ne sont pas en reste et si les danseurs peuvent être étonnés, je suis sûr que certains apprécieront et que d’autres me maudiront.

La tablada 1957 – Mariano Mores y su Gran Orquesta Popular.

L’humour de Mariano Mores explose tout au long de cette version. Là encore, c’est encore un coup à se faire maudire par les danseurs, mais si vous avez envie de rigoler, c’est à préconiser.

La tablada 1957-03-29 – Orquesta Héctor Varela. Varela est plus sérieux, mais sa version est également assez foisonnante. Décidément, la tablada a donné lieu à beaucoup de créativité.
La tablada 1962 – Orquesta Rodolfo Biagi.

On revient à des choses plus classiques avec Rodolfo Biagi qui n’oublie pas de fleurir le tout de ses ornements au piano. À noter le jeu des bandonéons avec le piano et les violons qui dominent le tout, insensibles au staccato des collègues.

La tablada 1962-08-21 – Cuarteto Troilo-Grela.

Le duo Grela, Troilo est un plaisir raffiné pour les oreilles. À écouter bien au chaud pour se laisser emporter par le dialogue savoureux entre ces deux génies.

La tablada 1965-08-11 – Orquesta Juan D’Arienzo.

La spatialisation stéréophonique est sans doute un peu exagérée, avec le bandonéon à droite et les violons à gauche. Beaucoup de DJ passent les titres en mono. C’est logique, car tout l’âge d’or et ce qui le précède est mono. Cependant, pour les cortinas et les enregistrements plus récents, le passage en mono peut être une limitation. Vous ne pourrez pas vous en rendre compte ici, car pour pouvoir mettre en ligne les extraits sonores, je dois les passer en mono (deux fois moins gros) en plus de les compresser au maximum afin qu’ils rentrent dans la limite autorisée de taille. Mes morceaux originaux font autour de 50 Mo chacun. Pour revenir à la diffusion en stéréo, le DJ doit penser que les danseurs tournent autour de la piste et qu’un titre comme celui leur donnera à entendre le bandonéon dans une zone de la salle et les violons dans une autre. Dans ce cas, il faudra limiter le panoramique en rapprochant du centre les deux canaux. Encore un truc que ne peuvent pas faire les DJ qui se branchent sur l’entrée ligne où les deux canaux sont déjà regroupés et ne peuvent donc pas être placés spatialement de façon individuelle (sans parler du fait que l’entrée ligne comporte généralement moins de réglage de tonalité que les entrées principales).

La tablada 1966-03-10 – Orquesta Florindo Sassone.

Une meilleure utilisation de la spatialisation stéréophonique, mais ça reste du Sassone qui n’est donc pas très passionnant à écouter et encore moins à danser.

La tablada 1968 – Orquesta Típica Atilio Stampone.

Stampone a explosé la frontière entre la musique classique et le tango avec cette version très, très originale. J’adore et je la passe parfois avant la milonga en musique d’ambiance, ça intrigue les premiers danseurs en attente du début de la milonga.

La tablada 1968-06-05 – Cuarteto Aníbal Troilo.

On termine, car il faut bien une fin, avec Pichuco et son cuarteto afin d’avoir une autre version de notre musicien du jour qui nous propose la tablada.

Après ce menu musical assez riche, je vous propose un petit asado

L’asado

Je suis resté discret sur le thème matadero évoqué dans l’introduction. Matar en espagnol est tuer (à ne pas confondre avec mate) qui est la boisson nationale. Si vous écrivez « maté », vous voulez dire « tué ». Il ne faut donc surtout pas mettre d’accent, même si ça prononce maté, ça s’écrit mate. L’accent tonique est sur le ma et pas sur le te. J’arrête de tourner autour du pot, le matadero, c’est l’abattoir.

À la fin du 16e siècle, Jean de Garay apporta 500 vaches d’Europe (et bien sûr quelques taureaux). Ces animaux se plurent, l’herbe de la pampa était abondante et nourrissante aussi les bovins prospérèrent au point que deux siècles plus tard, Félix de Azara, un naturaliste espagnol constatait que les criollos ne consommaient que de la viande, sans pain.
Plus étonnant, ils pouvaient tuer une pour ne manger que la langue ou la partie qui les intéressait.
Puis, la colonisation s’intensifiant, la viande est devenue la nourriture de tous, y compris des nouveaux arrivants. Certaines parties délaissées par la « cuisine » traditionnelle furent l’aubaine des plus pauvres, mais certaines parties qui étaient très appréciées par les personnes raffinées et négligées par les consommateurs traditionnels continuent à faire le bonheur des commerçants avisés qui répartissent les parties de l’animal selon les quartiers.
Le travail du cuir est aussi une ressource importante de l’Argentine, mais dans certaines provinces, l’asado (la grillade) se fait avec la peau et dans ce cas, le cuir est perdu. C’est un reste de l’habitude de tuer une vache pour n’utiliser que la portion nécessaire à un moment donné.
Les Argentins consomment un kilo de viande et par personne chaque semaine. Je devrais écrire qui consommaient, car depuis l’arrivée du nouveau gouvernement en Argentine, le prix de la viande a triplé et la consommation a fortement baissée en quantité (de l’ordre de 700 grammes par semaine et surtout en qualité, les viandes les moins nobles étant désormais plus recherchées, car moins chères).

Asado a la estaca (sur des pieux) — Asado con cuero (avec la peau de l’animal) Asado dans un restaurant, les chaînes permettent de régler la hauteur des différentes grilles — asado familiar.

Tira de asado
La viande est attachée à l’os. C’est assez spectaculaire et plein d’os que certains enlèvent avec leur couteau ou en croquant entre les restes de côtes.

Vacio (Vide)
Un morceau de choix, sans os, tendre et à odeur forte. IL se cuit lentement à feu indirect.

Matambre
Entre la peau et les os, le matambre est recherché. Il est également utilisé roulé, avec un remplissage entre chaque couche. Une fois découpé en rondelle, comme une bûche de Noël, c’est très joli. Le remplissage peut être des œufs durs, des légumes ou autres.

Colita de cuadril
Partie de l’aloyau (croupe) proche de la queue, d’où le nom.

Entraña
Partie intérieure des côtes de veaux.

Bife de chorizo
Bifteck de chorizo, un steack à ne pas confondre avec la saucisse espagnole de ce nom.

Bife Ancho
Un steack large, épais avec graisse.

Bife angosto
Le contraire du précédent, plus fin.

Lomo
La longe, une pièce de viande peu grasse.

Palomita
Une coupe parmi tant d’autres. J’imagine que certains y voient une colombe, mais c’est bien du bœuf.

Picaña
Arrière de la longe de bœuf de forme triangulaire.

Achuras
Ce sont les abats.
Ils sont présentés en tripes, chorizos, boudins, ris de veau, rognons et autres.
Ils ne font pas l’unanimité chez les Argentins, mais un asado sans achuras, ce n’est pas un asado pour beaucoup.

Bondiola
Le porc passe aussi un sale moment sur la parilla.
Beaucoup la mangent en sandwich dans du pain français (rien à voir avec le pain de France). Le pain peut être chauffé sur la parilla.

Pechito de cerdo
La poitrine de porc fait aussi partie des morceaux de choix de l’asado. Elle est considérée ici comme une viande plus saine (comme quoi tout est relatif).

Des légumes, poivrons, aubergines peuvent rejoindre l’asado, mais ce ne sera pas le met préféré des Argentins, même si on y fait cuire un œuf afin de ne pas manquer de protéines…

Le travail de l’asador

C’est la personne qui prépare l’asado. Son travail peut paraître simple, mais ce n’est pas le cas.
Il faut préparer les morceaux, parfois les condimenter (modérément) et la cuisson est tout un art. Une fois que le bois ou le charbon de bois sont prêts, il faut régler la hauteur de la grille afin que la viande cuise doucement et longuement et de façon adaptée selon les pièces qui se trouvent aux différents endroits de la grille.
Beaucoup d’Argentins aiment la viande bien cuite, les steaks tartares sont une idée qui n’est pas dans le vent ici. D’autres l’aiment à point et la bonne viande se coupe à la cuillère, voire avec le manche de la cuillère.
Hors de l’Argentine, il est assez difficile de convaincre un boucher de découper la viande à l’Argentine, à moins de bien lui expliquer et d’acheter 40 kilos d’un coup. Il vous faudra donc aller en Argentine ou dans un restaurant argentin qui s’approvisionne bien souvent en bœuf de l’Aubrac (France).
La coutume veut qu’on applaudisse l’asador qui a passé des heures à faire cuire amoureusement les animaux.
L’Argentine n’est pas le paradis des végétariens, d’autant plus que les légumes sont souvent plus chers que la viande (même si en ce moment, c’est moins le cas). Il faut compter entre 4 et 10 $ le kilo, voire moins si vous achetez de grosses quantités, si vous payez en liquide, si vous avez la carte de telle ou telle banque… L’Argentine fourmille d’astuces pour payer un peu moins cher.
Ne sortez pas l’American Express ici son slogan est plutôt « ne sortez pas avec elle » si vous ne voulez pas payer plus cher.
En ce qui concerne les autres produits d’origine animale, le lait et les produits laitiers ne sont pas les grands favoris et le poisson coûte le même prix qu’en Europe et par conséquent est hors de prix pour la majorité des Argentins, sauf peut-être le merlu que l’on peut trouver à moins de 10 $ contre 30 ou 40 $ le saumon (d’élevage, congelé et à la chair très pâle et grasse).
Bon, je me suis un peu échappé du domaine du tango, mais n’étant pas amateur de viande, il me fallait faire une forme de catharsis…

À demain, les amis !

Selección de tangos de Julio de Caro 1949-07-22 – Orquesta Aníbal Troilo

Julio De Caro –

Hier, je vous ai proposé un titre « popurrí ». C’est-à-dire qu’il était constitué par l’assemblage de plusieurs tangos. Cet exercice est pratiqué par différents orchestres. Troilo en a fait plusieurs. Notre pot-pourri du jour s’appelle Selección de tangos de Julio de Caro, il est constitué de sept compositions de… Julio de Caro, bravo, vous avez deviné.

Extrait musical

1949-07-22 – Orquesta Aníbal Troilo.

Avez-vous reconnu tous les thèmes présentés ?

Voici les titres sur des partitions qui sont bien sûr toutes des compositions de Julio de Caro. Elles datent des années 20 du vingtième siècle.

Selección de tangos de Julio de Caro. Les couvertures des partitions des compositions de De Caro utilisé dans cette sélection.

Les pièces du puzzle

Voici toutes les pièces, dans l’ordre. du jour a été enregistré en 1949. Anibal Troilo avait donc comme modèles, les versions antérieures, mais n’oublions pas que ce n’est pas parce qu’il n’y a pas d’ que les orchestres ne jouaient pas leurs titres. Troilo peut très bien avoir entendu jouer Julio de Caro au moment où il assemblait le pot-pourri. Il avait donc des références qui ne nous sont plus accessibles.

Buen Amigo

Buen amigo 1925-05-12 – Orquesta Julio De Caro
Buen amigo 1930-02-26 – Orquesta Julio De Caro
Buen amigo 1942-09-16 – Orquesta Julio De Caro con Agustín Volpe
Buen amigo 1950-12-18 – Orquesta Julio De Caro con Orlando Verri

Mala pinta

Mala pinta (Mala estampa) 1928-08-27 – Orquesta Julio De Caro
Mala pinta (Mala estampa) 1951-11-16 – Orquesta Julio De Caro

Guarda vieja

Guardia vieja 1926-10-06 – Orquesta Julio De Caro
Guardia vieja 1943-09-07 – Orquesta Julio De Caro
Guardia vieja 1949-11-18 – Orquesta Julio De Caro

Boedo 1928-11-16 – Orquesta Julio De Caro
Boedo 1939-07-07 – Orquesta Julio De Caro con palabras de Héctor Farrel
Boedo 1950-08-09 – Orquesta Julio De Caro
Boedo 1952-09-17 – Orquesta Julio De Caro. J’aime beaucoup le début, mais par la suite, je trouve que ça fait un peu fouillis. Ce n’est pas pour la danse, alors je vous laisse au plaisir d’écouter ou d’écourter.

Tierra querida

Tierra querida 1927-09-12 – Orquesta Julio De Caro
Tierra querida 1936-12-15 – Quinteto Los Virtuosos (piano), Pedro Maffia et (bandonéon), Julio De Caro (violon à cornet), Elvino Vardaro (violon). Si Elvino Varado mérite l’épithète de virtuose, c’est un peu moins le cas pour Julio de Caro et son violon particulier (avec un cornet).
Tierra querida 1952-11-27 – Orquesta Julio De Caro

Je vous propose de vous reporter à l’anecdote sur El monito pour en savoir plus sur ce titre.

El monito 1925-07-23 — Orquesta Julio De Caro. On notera les parties sifflées.
El monito 1928-07-19 — Julio De Caro y su Orquesta Típica.
El monito 1939-05-23 — Orquesta Julio De Caro. Une version énergique. On retrouve les sifflements et apparaît un dialogue « Raahhhh, Monito / Si / Quieres Café? / No / Por qué? ». C’est sans doute un souvenir du tango humoristique. On imagine que les clients devaient s’amuser lorsque l’orchestre évoquait le titre. Peut-être que l’idée vient d’un client imitant le singe et que cette scénette improvisée au départ s’est invitée dans la prestation de l’orchestre.
El monito 1949-09-29 — Orquesta Julio De Caro. Une dizaine d’années plus tard, De Caro nous offre une nouvelle version superbe. Les similitudes avec Pugliese sont encore plus marquées, notamment avec le tempo nettement plus lent et proche de celui de Pugliese. On retrouve toutefois le dialogue de la version de 1939, dans une version un plus large. “Ah, ah ah, Monito / Si / Quieres Café? / No / Por qué? / Quiero caramelo” (je veux un bonbon). Avec ces dialogues imitant la « voix » d’un singe, De Caro s’éloigne des paroles de Juan Carlos Marambio Catán en renouant avec le côté tango humoristique. Mais tous les orchestres se sont éloignés des paroles, du moins pour l’enregistrement, car toutes les versions disponibles aujourd’hui sont instrumentales (si on excepte ).
Ce qui est sûr est que cette version convient parfaitement à la danse, ce qui fait mentir ceux qui classe De Caro dans le définitivement indansable.

Mala junta

Mala junta 1927-09-13 – Orquesta Julio De Caro
Mala junta 1938-11-16 – Orquesta Julio De Caro
Mala junta 1949-10-10 – Orquesta Julio De Caro

Assembler le puzzle

Il y a des pots-pourris beaucoup plus simples à repérer que celui-ci. Troilo a fait œuvre de création avec des ponts (transition entre les différentes pièces du puzzle) relativement élaborés et en sélectionnant des parties pas forcément principales des œuvres citées.
Vous devriez arriver à résoudre le puzzle en vérifiant les versions des titres que vous connaissez moins bien (De Caro ne passe quasiment jamais en , mais ses compositions, si). Indice, parfois, c’est la partie chantée qui est utilisée. Parfois, c’est une version plus ancienne qu’il faut prendre comme référence et dans quelques cas, une version postérieure, ce qui confirme que Troilo connaissait l’état des interprétations de De Caro à l’époque, même si elles n’ont pas été enregistrées. Il se peut aussi que De Caro ait copié en reprenant les idées de Troilo. C’est le principe de l’émulation entre deux grands musiciens qui se respectaient.
On peut le vérifier en constatant que Troilo a réalisé ces hommages à De Caro (les sélections) et que De Caro a composé « Aníbal Troilo » qu’il a d’ailleurs été le seul à enregistrer.

Aníbal Troilo 1949-09-29 – Orquesta Julio De Caro.

Autres versions

Anibal Troilo a réalisé plusieurs popurri (Selección). Une seule utilise les mêmes titres, la version de 1966. Vous allez pouvoir comparer les deux versions.

Selección de tangos de Julio de Caro 1949-07-22 – Orquesta Aníbal Troilo. C’est notre tango, ou notre paquet de tangos du jour.
Selección de Julio de Caro 1966-12-06 – Orquesta Aníbal Troilo.

À demain, les amis !

Alma de bohemio 1943-07-15 – Orquesta Pedro Laurenz con Alberto Podestá

Roberto Firpo Letra: Juan Andrés Caruso

La connexion du monde du tango avec le théâtre, puis le cinéma a toujours été naturelle. Le tango du jour, Alma de bohemio est un parfait exemple de ce phénomène. Il a été créé pour le théâtre et a été repris à au moins deux reprises par le cinéma. Devenu le morceau de choix de notre chanteur du jour, il résonnera ensuite sur les grandes scènes où Alberto Podestá l’offrait à son public. Je suis sûr que certains versions vont vous étonner, et pas qu’un peu…

Extrait musical

Alma de bohemio. Roberto Firpo Letra:Juan Andrés Caruso. Partition et à droite réédition de 1966 de notre tango du jour sur un disque 33 tours.

À gauche, la partition dédicacée à l’acteur qui jouait la pièce dont Alma de bohemio était le titre final. L’œuvre a été étrennée en 1914 au de Buenos Aires. On notera que la couverture de la partition porte la mention . Les auteurs ont donc conçu ce tango comme une pièce à écouter, ce qui est logique, vu son usage. On notera que ce même tango a été réutilisé au cinéma à au moins deux reprises, en 1933 et en 1944, nous en parlerons plus bas.
À droite, la réédition en disque microsillon de 1966 de notre tango du jour. Alma de bohemio est le premier titre de la face A et a donné son nom à l’album.

Alma de bohemio 1943-07-15 – Orquesta Pedro Laurenz con Alberto Podestá.

Paroles

Peregrino y soñador,
cantar
quiero mi fantasía
y la loca poesía
que hay en mi ,
y lleno de amor y de alegría,
volcaré mi canción.

Siempre sentí
la dulce ilusión,
de estar viviendo
mi pasión.

Si es que vivo lo que sueño,
yo sueño todo lo que canto,
por eso mi encanto
es el amor.
Mi pobre alma de bohemio
quiere acariciar
y como una flor
perfumar.

Y en mis noches de dolor,
a hablar
me voy con las estrellas
y las cosas más bellas,
despierto he de soñar,
porque le confío a ellas
toda mi sed de amar.

Siempre sentí
la dulce ilusión,
de estar viviendo
mi pasión.

Yo busco en los ojos celestes
y renegridas cabelleras,
pasiones sinceras,
dulce emoción.
Y en mi triste vida errante
llena de ilusión,
quiero dar todo
mi corazón.

Roberto Firpo Letra: Juan Andrés Caruso

Traduction libre

Pèlerin et rêveur, je veux chanter ma fantaisie et la folle poésie qui est dans mon cœur, et plein d’amour et de joie, je déverserai ma chanson.
J’ai toujours ressenti la douce sensation de vivre ma passion.
Si je vis ce dont je rêve, je rêve tout ce que je chante, c’est pourquoi mon charme c’est l’amour.
Ma pauvre âme de bohème veut caresser et parfumer comme une fleur.
Et dans mes nuits de douleur, je vais parler avec les étoiles et les choses les plus belles, il faut rêver éveillé, car je leur confie toute ma soif d’amour.
J’ai toujours ressenti la douce sensation de vivre ma passion.
Je recherche dans les yeux bleus (couleur du ciel et du drapeau argentin) et les chevelures noir obscur des passions sincères, une douce émotion.
Et dans ma triste vie errante et pleine d’illusions, je veux donner tout mon cœur.

Autres versions

Alma de bohemio 1914 – Roberto Firpo.

Le tango, tel qu’il était joué dans la pièce originale, par Firpo, c’est-à-dire sans parole. Ces dernières n’ont été écrites par Caruso qu’une dizaine d’années plus tard.

Alma de bohemio 1925-12-16 – Orquesta Julio De Caro.

Là où il y a de la recherche d’originalité, De Caro s’y intéresse.

Alma de bohemio 1925 – Ignacio Corsini.

La plus ancienne version chantée avec les paroles de Caruso. Il est assez logique que Corsini soit le premier à l’avoir chanté, car il était à la fois proche de Firpo avec qui il a enregistré Patotero sentimental en 1922 et de Caruso dont il a enregistré de nombreux titres. Il était donc à la croisée des chemins pour enregistrer le premier.

Séance d’enregistrement d’Ignacio Corsini (debout) avec, de gauche à droite, ses guitaristes Rosendo Pesoa, Enrique Maciel et Armando Pagés. La photo date probablement des années 30, elle est donc moins ancienne que l’enregistrement présenté.
Alma de bohemio 1927-04-26 – Orquesta Osvaldo Fresedo.

Une belle version instrumentale, relativement étonnante pour l’époque.

Alma de bohemio 1927-05-05 – Orquesta Francisco Canaro.

Une version typique de Canaro. On verra qu’il l’enregistrera à d’autres reprises.

Alma de bohemio 1927-07-26 – Orquesta Roberto Firpo.

Treize ans plus tard, Roberto Firpo redonne vie à son titre, toujours de façon instrumentale.

Alma de bohemio 1929-05-18 – Orquesta Típica Victor.

Deux ans plus tard, la Típica Victor, dirigée par Adolfo Carabelli donne sa propre version également instrumentale.

Alma de bohemio 1929-09-19 – Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro.

Ada Falcón avec sa voix d’une grande pureté en donne une version magnifique accompagnée par son cher Canaro. On notera les notes tenues, un temps impressionnant, plus que ce qu’en avait donné Corsini. Disons que Falcón lancera la course à la note tenue le plus longtemps possible.

Le succès de Corsini avec les paroles de Caruso va permettre au titre de retourner dans le spectacle avec le premier film parlant argentin, Tango réalisé par Luis Moglia Barth et sorti en 1933.

1933 Tango – Alma de Bohemio par Alberto Gómez dans le film de Luis Moglia Barth, Tango sorti le 27 avril 1933.

Alberto Gómez suivra donc également les traces de Falcón avec de belles notes tenues.

Alma de bohemio 1930-09-05 – Orquesta Francisco Canaro.

Francisco Canaro reste sur la voie du tango de concierto avec une version très étonnante et qui fait l’impasse sur les notes très longuement tenues. Je pense qu’il faut associer cette interprétation aux recherches de Canaro en direction du tango fantasia ou symphonique. Pour moi, il n’est pas question de proposer cela à des danseurs, mais je trouve cette œuvre captivante et je suis content de vous la faire découvrir (enfin, à ceux qui ne connaissaient pas).

Alma de bohemio 1935-01-23 – Trío Ciriaco Ortiz.

Le Trío Ciriaco Ortiz offre lui aussi une version très sophistiquée et surprenante de l’œuvre. C’est bien sûr plus léger que ce qu’a fait Canaro cinq ans plus tôt, mais c’est un trio, pas une grosse machine comme celle de Canaro.

Alma de bohemio 1939-03-24 – Orquesta Rodolfo Biagi con Teófilo Ibáñez.

On peut au moins apporter au crédit de Biagi qu’il a essayé de faire la première version de danse. Cette version est à l’opposé de tout ce qu’on a entendu. Le rythme soutenu et martelé est presque caricatural. J’ai du mal à considérer cela comme joli et même si c’est éventuellement dansable, ce n’est pas la version que je passerais en .

Alma de bohemio 1943-07-15 – Orquesta Pedro Laurenz con Alberto Podestá. C’est notre tango du jour.

Avec cette version mise au point par Pedro Laurenz, un immense chef d’orchestre ayant trop peu enregistré à mon goût, on a une bonne synthèse d’une version pour la danse et à écouter. Alberto Podestá gagne clairement le concours de la note tenue la plus longue. Il surpasse Falcón, Gómez et en 1949, Castillo ne fera pas mieux…

Alma de bohemio 1946-11-13 – Orquesta Francini-Pontier con Alberto Podestá.

Alberto Podestá s’attaque à son record de la note tenue la plus longue et je crois qu’il l’a battu avec cette version. Cela constitue une alternative avec la version de Laurenz.

Alma de bohemio 1947-04-02 – Orquesta Ricardo Tanturi con Osvaldo Ribó.

Alma de bohemio 1947-04-02 – Orquesta Ricardo Tanturi con Osvaldo Ribó. Avec cet enregistrement, Osvaldo Ribó prouve qu’il ne manque pas d’air, lui non plus…

Alma de bohemio 1947-05-21 – Roberto Firpo y su Nuevo Cuarteto.

Tiens, une version instrumentale. Firpo tenterait-il de tempérer les ardeurs des chanteurs gonflés ?

Alma de bohemio 1947-06-10 – Orquesta Ángel D’Agostino con Tino García.

La tentative de Firpo ne semble pas avoir réussi, Tino García explose les compteurs avec cette version servie par le tempo modéré de D’Agostino.

Voici Alberto Castillo, pour la seconde version cinématographique de Alma de Bohemio, dans un film qui porte le nom de ce tango.

Alberto Castillo chante Alma de bohemio (dans la seconde partie de cet extrait, à partir de 3 minutes) dans le film réalisé par Julio Saraceni (1949)

Alberto Castillo chante Alma de bohemio (dans la seconde partie de cet extrait) dans le film réalisé par Julio Saraceni à partir d’un scénario de et Carlos A. Petit. Le film est sorti le 24 août 1949. L’orchestre est dirigé par ou Ángel Condercuri… L’enregistrement a été réalisé le 6 mai 1949.
Castillo ne dépasse pas Podestá dans le concours de la note tenue la plus longue, mais il se débrouille bien dans cet exercice.

Fidel Pintos (à gauche) et Alberto Castillo dans le film de Julio Saraceni Alma de bohemio (1949).
Alma de bohemio 1951-07-17 – Juan Cambareri y su Cuarteto Típico con .

Alberto Casares fait durer de façon modérée les notes, l’originalité principale de cette version est l’orchestration délirante de Cambareri, avec ses traits virtuoses et d’autres éléments qui donnent le sourire, à l’écoute, pour la danse, cela reste à prouver… Signalons qu’une version avec le chanteur Hector Berardi circule. Berardi a en effet remplacé Casares à partir de 1955, mais cette version est un faux. C’est celle de Casares dont on a supprimé les premières notes de l’introduction. Les éditeurs ne reculent devant aucune manœuvre pour vendre deux fois la même chose…

Alma de bohemio 1958-12-10 – Orquesta .

Une version bien différente et qui marque la maîtrise créative de Pugliese. Souvenons-nous tout de même que d’autres orchestres, y compris Canaro s’étaient orientés vers des versions sophistiquées.

Alma de bohemio 1958 – Argentino Galván.

La version la plus courte (37 secondes), extraite du disque de Argentino Galván que je vous ai déjà présenté Historia de la orquesta tipica.

Alma de bohemio 1959-04-29 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.

À la tête de son Quinteto Pirincho, Francisco Canaro, donne une nouvelle version de l’œuvre. Rien qu’avec ses versions on croise une grande diversité d’interprétations. De la version de 1927, canyengue, l’émouvante version avec Ada Falcón, celle de 1930, étonnamment moderne et finalement celle-ci, légère et relativement dansante. Il y a du choix chez Monsieur Canaro.

Alma de bohemio 1965-12-10 – Orquesta Aníbal Troilo con Nelly Vázquez.

Nelly Vázquez prouve que les femmes ont aussi du coffre. L’orchestre d’Aníbal Troilo est ici au service de la chanteuse, il ne propose pas une version révolutionnaire qui aurait nuit à l’écoute de Nelly Vázquez. Cette intégration fait que c’est une version superbe, à écouter les yeux fermés.

Alma de bohemio 1967 – Astor Piazzolla y su Orquesta.

Piazzolla propose sans doute la version la plus étonnante. Le chœur de voix féminines sera sans doute une surprise pour beaucoup. L’atmosphère inquiète avec les grands coups de cordes tranchants, moins, car ils font partie du vocabulaire usuel d’Astor. Le thème original est transfiguré, la plupart du temps difficile à retrouver, mais ce n’est pas un problème, car il n’a servi que de prétexte à Piazzolla pour illuminer les nouvelles voies qu’il ouvrait dans le tango.

Il y a bien d’autres enregistrements, mais aucun ne me semblait pourvoir lutter contre cette version de Piazzolla, aucun, peut-être pas, et je vous propose de revenir à notre concours de la note tenue la plus longue et je pense que c’est un chanteur d’Opéra, un des plus grands chanteurs d’opéra du vingtième siècle, Plácido Domingo qui nous l’offre. Écoutez comme, tranquillement, il explose tous les compteurs avec une facilité apparente incroyable.

Alma de bohemio 1981 — Plácido Domingo — dir. y arr. Roberto Pansera.

Impressionnant, non ?

Vous en redemandez, alors, je vous propose une version un peu plus tardive (1987) où, en plus, il joue l’accompagnement au piano. Il définitivement meilleur chanteur que pianiste, mais quel artiste.

Alma de Bohemio 1987 — Plácido Domingo (piano) — Avery Fisher Hall (New York)

À demain, les amis !

En tus ojos de cielo 1944-07-10 – Orquesta Miguel Caló con Raúl Berón

(Osmar Héctor Maderna) Letra: Luis Rubistein

Curieusement, Osmar Maderna ne semble pas avoir enregistré ce titre qu’il a composé. Pourtant, dans la version de Caló, on reconnaît bien son orchestration. Si on creuse un peu la question, on se rend compte qu’il l’a enregistré, comme pianiste de Miguel Caló et entouré des musiciens exceptionnels de cet orchestre. Il était difficile de faire mieux pour mettre en musique un de plus beaux poèmes d’amour du tango.

Les musiciens de Miguel Caló

Piano : Osmar Maderna. Son style délicat et simple cadre parfaitement avec la merveilleuse déclaration d’amour que constitue ce tango. Le bon homme à la bonne place, d’autant plus qu’il est l’auteur de la musique…
Bandonéons : Domingo Federico, Armando Pontier, José Cambareri (le mage du bandonéon et sa virtuosité époustouflante) et Felipe Ricciardi.
Violons : Enrique Francini, Aquiles Aguilar, Ariol Ghesaghi et Angel Bodas.
Contrebasse : Ariel Pedernera, dont nous avons entendu la version mutilée de 9 de Julio hier…

Extrait musical

En tus ojos de cielo 1944-07-10 – Orquesta Miguel Caló con Raúl Berón
Disque Odeon 8390 Face A San souci – Partition de En tus ojos de cielo – Face B En tus ojos de cielo.

Face A du disque San souci

Comme il n’y a pas d’autres enregistrements de notre tango du jour, je vous propose la face A du disque où a été gravé En tus ojos de cielo. Il s’agit de San souci de Enrique Delfino. Ce titre a été enregistré trois jours plus tôt, le vendredi 7 juillet 1944.

Sans souci 1944-07-07 – Orquesta Miguel Caló (Enrique Delfino).

Pour ceux qui aiment faire des tandas mixtes, il est envisageable de passer les deux faces du disque dans la même tanda. En effet, dans une milonga courte (5 heures), on passe rarement deux tandas de Calo. Pour éviter d’avoir à choisir entre instrumental et chanté, on peut commencer par deux titres chantés, puis terminer par deux titres instrumentaux. Les titres instrumentaux sont souvent un peu plus toniques ce qui justifie de les placer à la fin. Par ailleurs, ils sont aussi un peu plus intéressants pour la danse avec certains orchestres, car l’orchestre est plus libre, n’étant pas au service du chanteur. Bien sûr, ce n’est pas une règle et chaque association doit se faire en fonction du moment et des . On peut même envisager une tanda instrumentale tonique qui termine de façon plus romantique, par exemple en fin de milonga.

Paroles

Je trouve que c’est un magnifique poème d’amour. Luis Rubistein a fait ici une œuvre splendide.

Como una piedra tirada en el camino,
era mi vida, sin ternuras y sin fe,
pero una noche Dios te trajo a mi destino
y entonces con tu embrujo me desperté…
Eras un sueño de estrellas y luceros,
eras un ángel con perfume celestial.
Ahora sólo soy feliz porque te quiero
y en tus ojos olvidé mi viejo mal…

En tus ojos de cielo,
sueño un mundo mejor.
En tus ojos de cielo
que son mi desvelo,
mi pena y mi amor.
En tus ojos de cielo,
azulada canción,
tengo mi alma perdida,
pupilas dormidas
en mi

Vos dijiste que, al fin, la vida es buena
cuando un cariño nos embruja el corazón,
con tu ternura, luz de sombra para mi pena,
mi sombra ya no es sombra porque es canción…
Sólo me resta decir ¡bendita seas!,
alma de mi alma, esperanza y realidad.
Ya nunca ha de arrancarme de tus brazos,
porque en ellos hay amor, luz y verdad…

Osmar Maderna (Osmar Héctor Maderna) Letra: Luis Rubistein

Traduction libre

Comme une pierre jetée sur le chemin était ma vie, sans tendresse et sans foi, mais une nuit Dieu t’a conduite à mon destin et depuis avec ton sortilège je me suis réveillé…
Tu étais un rêve d’étoiles et d’astres (lucero peut parler de Vénus et des astres plus brillants que la moyenne), tu étais un ange au parfum céleste.
Maintenant seulement, je suis heureux parce que je t’aime et que dans tes yeux j’ai oublié mon ancien mal…
Dans tes yeux de ciel, je rêve d’un monde meilleur.
Dans tes yeux de ciel, qui sont mes insomnies, ma peine et mon amour.
Dans tes yeux de ciel, une chanson bleue, j’ai mon âme perdue, des pupilles endormies dans mon cœur…
Tu as dit que, finalement, la vie est bonne quand l’affection envoûte nos cœurs, avec ta tendresse, lumière d’ombre pour mon chagrin, mon ombre désormais n’est plus une ombre, car c’est une chanson…
Il ne me reste plus qu’à dire « que tu sois bénie ! », âme de mon âme, espérance et réalité.
Maintenant, rien ne m’arrachera jamais de tes bras, parce qu’en eux il y a l’amour, la lumière et la vérité…

Dans ses yeux

Les yeux bleus

Les yeux des femmes sont un sujet de choix pour les tangos. Ici, ils sont le paradis pour l’homme qui s’y abîme.
On retrouve le même thème chez Francisco Bohigas dans

El cielo en tus ojos
yo vi amada mía,
y desde ese día
en tu amor confié,
el cielo en tus ojos
me habló de alegrías,
me habló de ternuras
me dió valentías,
el cielo en tus ojos
rehizo mi ser.

Francisco Bohigas, El cielo en tus ojos
El cielo en tus ojos 1941-10-03 – Orquesta con Roberto Rufino.

Le ciel dans tes yeux, je l’ai vu ma bien-aimée, et à partir de ce jour-là j’ai fait confiance en ton amour, le ciel dans tes yeux m’a parlé de joie, il m’a parlé de tendresse, il m’a donné du courage, le ciel dans tes yeux a refait mon être.

Pour d’autres, comme Homero Expósito, les yeux fussent-il couleur de ciel, ne suffisent pas à le retenir auprès de la femme :

Eran sus ojos de cielo
el ancla más linda
que ataba mis sueños;
era mi amor, pero un día
se fue de mis cosas
y entró a ser recuerdo.

Homero Expósito
Qué me van a hablar de amor 1946-07-11 – Orquesta Aníbal Troilo con Floreal Ruiz

Ses yeux de ciel étaient l’ancre la plus belle qui liait mes rêves ; elle était mon amour, mais un jour, elle s’en fut de mes affaires et est devenue un souvenir.

Les autres couleurs d’yeux et en particulier les noirs

Je n’ai évoqué que très brièvement, les yeux bleus, couleur apportée par les colons européens, notamment Italiens, Français et d’Europe de l’Est, mais il y a des textes sur toutes les couleurs, même si les yeux noirs sont sans doute majoritaires…

  • Tus ojos de trigo (blé) dans Tu casa ya no está de Virgilio et son frère Homero Expósito, valse enregistrée par Osvaldo Pugliese avec Roberto Chanel en 1944.
  • Ojos verdes (tango par Juan Canaro) et vals par Humberto Canaro Letra: Alfredo Defilpo (superbe dans son interprétation par et , ainsi qu’une autre valse par Manuel López, Quiroga Miquel Letra: Salvador Federico Valverde; Rafael de León; Arias de Saavedra.
  • Tus ojos de azúcar quemada (sucre brûlé) de Pedacito de Cielo de Homero Expósito, valse enregistrée par divers orchestres dont Troilo avec Fiorentino en 1942.
    Et la longue liste des yeux noirs, rien que dans le titre…
  • Dos ojos negros de Raúl Joaquín de los Hoyos Letra: Diego Arzeno
    Ojos negros d’après un air russe repris par Vicente Greco et des paroles de José Arolas (frère aîné de Eduardo) et d’autres de Pedro Numa Córdoba, mais aussi par Rosita Montemar (musique et paroles)
  • Ojos negros que fascinan de Manuel Salina Letra: Florián Rey.
  • Muchachita de ojos negro de Tito Insausti
  • Por unos ojos negros de José Dames Letra: Horacio Sanguinetti.
  • Tus ojos negros (valse) de Osvaldo Adriani (parolier inconnu)
  • Yo vendo unos ojos negros de Pablo Ara Lucena très connu dans l’interprétation de Mercedes Simone con Juan Carlos Cambon y Su Orquesta mais qui est tiré d’une tonada chilena (chanson chilienne) dont une belle version a été enregistrée par Moreyra – Canale y su Conjunto Criollo avec des arrangements de Félix Villa.

Et un petit coup d’œil aux origines du tango

Ces histoires d’yeux m’ont fait penser à l’œil noir de Carmen, la reine de la habanera de Georges Bizet (Un œil noir te regarde…).
Mais non, je ne me suis pas perdu loin du tango. Bizet a écrit Carmen pour flatter la femme de d’origine espagnole (Eugenia de Montijo, Guzman). Dans son opéra, il y a une célèbre habanera (Près des remparts de Séville), rythme qui est fréquent dans les anciens tangos, les milongas et la musique de Piazzolla, car ne l’oublions pas, le premier tango est d’origine espagnole.

Georges Bizet – Carmen : «  L’amour est un oiseau rebelle » sur un rythme de habanera. 2010 – Elina Garanca – Metropolitan Opera de New York Direction, Yannick Nézet-Séguin.

Le tango est en effet né dans les théâtres et pas dans les bordels et son inspiration est andalouse.
La zarzuela (sorte d’opéra du sud de l’Espagne mêlant chant, jeu d’acteur et danse) comportait différents rythmes dont la séguedille (que l’on retrouve dans Carmen dans Près des remparts de Séville) et la habanera. Les musiciens, qu’ils soient français ou espagnols, connaissaient donc ces musiques.
En 1857 pour le spectacle (une sorte de zarzuela) El gaucho de Buenos Aires O todos rabian por casarse de Estanislao del Campo, Santiago Ramos, un musicien espagnol a écrit Tomá mate, che. Nous n’avons évidemment pas d’enregistrement de l’époque, mais il y en a deux de 1951 qui reprennent la musique avec des adaptations et un titre légèrement différent. Je vous les propose :

Tomá mate, tomá mate 1951-05-18 – Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas.
Tomá mate, tomá mate 1951-10-15 – Lorenzo Barbero y su orquesta de la argentinidad con Rodolfo Florio y Carlos del Monte.

Évidemment, presque un siècle après l’écriture, il est certain que les arrangements de Canaro ont modifié la composition originale, mais je suis content de vous avoir présenté le tango au berceau.

D’autres candidats comme Bartolo tenía una fluta, dont on n’a, semble-t-il, pas de trace, mais qui est évoqué dans un certain nombre de titres comme Bartolo toca la flauta (ranchera) Che Bartolo (tango) ou La flauta de Bartolo (milonga) l’ont suivi.
Je citerai également El queco (bordel en lunfardo d’origine quechua) de la pianiste andalouse Heloise de Silva et dont le titre originel était Kico (diminutif de Francisco. Le clarinettiste Lino Galeano l’a adapté à l’air du temps en changeant Kico pour Queco, avec des paroles vulgaires. Le titre originel invitait Kico à danser, le nouveau texte est bien moins élégant, l’invitation n’est pas à danser. On arrive donc au bordel, mais on est en 1874. Quoi qu’il en soit, Queco a obtenu du succès et fut l’un des tout premiers tangos à être largement diffusé et qui confirme les origines andalouses du tango.
Je n’oublie pas l’origine « candombéenne », on reparlera un jour de El Negro Schicoba composé en 1866 par José María Palazuelos et interprété pour la première fois par avec ses paroles le 24 mai 1867.

À suivre.

À demain, les amis !

Después 1944-07-07 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe

Hugo Gutiérrez Letra : Homero Manzi

Hugo Gutiérrez et Homero Manzi ont réalisé avec ce tango le difficile exercice de parler de la mort avec une émotion rarement atteinte dans le tango, sans être oppressants. La version de D’Arienzo et Echagüe qui est notre tango du jour est peut-être une des moins réussies, mais je tenais à mettre en avant ce titre qui a à son service quelques-unes de plus belles interprétations du répertoire, de plus avec une grande variété. Entrons dans cette pensée triste qui se danse.

Extrait musical

Después 1944-07-07 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe
À gauche, couverture de partition Casa Amarilla avec un chanteur, Jorge Novoa, oublié ? Partition de Después avec en couverture Anibal Troilo.

Paroles

Después …
La luna en sangre y tu emoción,
y el anticipo del final
en un oscuro nubarrón.
Luego …
irremediablemente,
tus ojos tan ausentes
llorando sin dolor.
Y después…
La noche enorme en el cristal,
y tu fatiga de vivir
y mi deseo de luchar.
Luego…
tu piel como de nieve,
y en una ausencia leve
tu pálido final.

Todo retorna del recuerdo:
tu pena y tu silencio,
tu y tu misterio.
Todo se abisma en el pasado:
tu nombre repetido…
tu duda y tu cansancio.
Sombra más fuerte que la muerte,
grito perdido en el olvido,
paso que vuelve del fracaso
canción hecha pedazos
que aún es canción.

Después …
vendrá el olvido o no vendrá
y mentiré para reír
y mentiré para llorar.
Torpe
fantasma del pasado
bailando en el tinglado
tal vez para olvidar.
Y después,
en el silencio de tu voz,
se hará un dolor de soledad
y gritaré para vivir…
como si huyera del recuerdo
en arrepentimiento
para poder morir.

Hugo Gutiérrez Letra: Homero Manzi

Traduction libre

Après…
La lune en sang et ton émotion, et l’anticipation de la fin dans un nuage sombre.
Plus tard… irrémédiablement, tes yeux si absents pleurant sans douleur.
Et après…
L’immense nuit dans le verre, et ta fatigue de vivre et mon envie de me battre.
Plus tard… ta peau comme de la neige, et une absence légère, ta pâleur finale.
Tout me revient de mémoire :
ton chagrin et ton silence, ton angoisse et ton mystère.
Tout s’abîme dans le passé : ton nom répété… ton doute et ta fatigue.
Une ombre plus forte que la mort, un cri perdu dans l’oubli, un pas qui revient de l’échec, une chanson en miettes qui est encore une chanson.
Après…
L’oubli viendra ou il ne viendra pas et je mentirai pour rire
Et je mentirai pour pleurer.
Un fantôme maladroit du passé dansant dans le hangar (tinglado a plusieurs sens, allant d’abri, auvent, plus ou moins sommaire à hangar), peut-être pour oublier.
Et puis, dans de ta voix, il y aura une douleur de solitude et je crierai pour vivre… Comme si je fuyais le souvenir en repentirs pour pouvoir mourir.

Autres versions

Después 1943-1944 – Nelly Omar accomp. Guitare de José Canet.

Je commence par cet enregistrement, car Manzi a écrit Después pour elle. Il est daté de 1944, mais curieusement, il est très rarement indiqué, y compris dans des sites généralement assez complets comme tango-dj.at ou El Recodo. Je l’indique comme étant de 1943-1944, mais sans garantie réelle qu’il soit antérieur à celui de qui est du tout début de 1944. La voix merveilleusement chaude de Nilda Elvira Vattuone alias Nelly Omar accompagnée par la guitare de José Canet nous propose une version fantastique, mais bien sûr à écouter et pas à danser.

Después 1944-01-10 Orquesta Miguel Caló con Raúl Iriarte.

Dès les premières notes, l’ambiance est impressionnante. On pourrait penser à un film de suspens. La magnifique voix de Iriarte, plus rare que celle de Berón, convient parfaitement au titre. Si vous n’aimez pas avoir des frissons et les poils qui se dressent, évitez cette version proposée par Miguel Caló et Raúl Iriarte très émouvante.

Después 1944-03-03 – Orquesta con .

Avec Troilo, on reste avec une très belle version musicale. Le grondement des bandonéons me semble moins émouvant. Il y a une recherche de joliesse dans ce titre qui me semble aller un peu au détriment de la danse. Ce ne sera donc pas ma version préférée pour la milonga.

Después 1944-03-15 – con orquesta dirigida por .

Después 1944-03-15 – Libertad Lamarque con orquesta dirigida por Mario Maurano. La voix de Libertad Lamarque est très différente de celle de Nelly Omar, mais tout aussi captivante. Elle bénéficie en plus d’un orchestre dirigé par Mario Maurano dont le piano ressort avec beaucoup de justesse (je précise que je parle de la finesse, de la justesse de l’expression, de l’arrangement et pas du fait que le piano soit bien accordé. Celui que je vise saura que je parle de lui…).

Después 1944-07-07 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe. C’est notre tango du jour.

Después 1944-07-07 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe. C’est notre tango du jour. Comme toujours, la version de D’Arienzo est bien marchante et dansante. C’est la cinquième version de l’année 1944, une année qui nous apporte une incroyable diversité pour ce titre. Pour une œuvre de D’Arienzo, on peut la trouver un peu bavarde. Echagüe, met beaucoup de pression. Le résultat est dansable, mais il me semble que d’autres titres interprétés par D’Arienzo le remplaceront avantageusement dans une tanda de D’Arienzo et Echagüe, notamment ceux de la première période. Después est le premier titre enregistré par cette composition après cinq années sans enregistrement et il me semble que cette association mettra un peu de temps avant de retrouver une harmonie, l’année 1944 n’est pas la meilleure.

Después 1951-03-22 – L’orchestre Argentin Manuel Pizarro.

Después 1951-03-22 – L’orchestre Argentin Manuel Pizarro. Arrivé en France en 1920 et s’en étant absenté de 1941 à 1950, Manuel Pizarro y revient et recommence à enregistrer. Son Después fait partie de ces enregistrements français qui prouvent que la distance entre les deux mondes n’est pas si grande. Notons que c’est une des rares versions purement instrumentales.

Después 1974-05-03 – Orquesta Aníbal Troilo con (Programa En Homenaje a Homero Manzi – Conducción Antonio Carrizo).

Cette version a été enregistrée lors d’une émission en public en hommage à Homero Manzi décédé exactement 23 ans plus tôt. Il me semble que cette version Troilo – Juárez est plus aboutie que celle de 1944. On aurait aimé l’avoir dans une belle qualité sonore.

Después 1974 – Rubén Juárez Accomp. Armando Pontier.

Le même Rubén Juárez avec l’orchestre du bandonéoniste Armando Pontier. La prise de son est meilleure que dans l’enregistrement précédent et elle met donc plus en valeur la voix de Rubén Juárez. On notera qu’il est, tout comme Armando Pontier, également bandonéoniste. Cependant, dans cette version, il se « contente » de chanter.

Después 1977-05-13 – Roberto Goyeneche con la dirigida por Raúl Garello.

Le bandonéon de Raúl Garello annonce la couleur et l’émotion qui va se dégager de cette version. El Polaco (Roberto Goyeneche) donne une version extrêmement émouvante et l’orchestre l’accompagne parfaitement dans les ondulations de la musique. Cette version fait ressortir toute la poésie de Manzi qui fut un grand poète qui décida de consacrer sa vie à l’art populaire et national du tango plutôt que de rechercher les honneurs qui aurait pu s’attacher à la carrière de poète qu’il aurait méritée.

Je vous propose d’arrêter avec ce titre très émouvant et donc de passer sous silence les versions de Pugliese avec Abel Córdoba qui sortent, à mon avis, du champ du tango pour entrer dans autre chose, sans doute une forme de musique classique moderne, mais sans l’émotion que suscite généralement le tango.

Avant de recevoir des coups de bâtons sur la tête pour avoir osé écrire cela, je vous dis au revoir et à demain, les amis.

La rosarina 1937-07-02 — Orquesta Juan D’Arienzo

Ricardo González Alfiletegaray Letra: Antonio Polito (A. Timarni)

Les femmes de Rosario ont la réputation d’être jolies. Plusieurs tangos vont dans ce sens, mais les Rosarinas ne sont pas les seules dont la beauté est vantée. Dans le cas présent, Ricardo González a composé son titre en pensant à une personne en particulier, une femme de Rosario, bien sûr. Je vous donnerai son nom en fin d’article.

Ricardo González était bandonéoniste et il fut le professeur du Tigre du bandonéon, Eduardo Arolas.

Extrait musical

1937-07-02 — Orquesta Juan D’Arienzo.

Paroles

Je n’ai pas trouvé d’enregistrement chanté de ce tango, mais il existe bien des paroles associées et qui sont parfaitement en accord avec le thème. Alors, les voici.

Mujeres de tradición
Nacidas en la Argentina,
Ninguna de corazón
Como era ‘la rosarina’.
La barra, feliz con su amor
No supo nunca de sinsabores,
Fue siempre gentil y brindó
Ternura suave, como una flor.
 
Cuando iba a los bailongos
Se destacaba por su pinta,
En el tango demostró, ser sin rival
Nadie la pudo igualar.
Rosarina de mi vida
Dulce recuerdo vos dejaste,
Es por eso que jamás
Te olvidarán, hasta morir.
 
Negrito
Querés café.
No, mama
Que me hace mal.
Entonces
Lo qué querés
Careta pa’

Ricardo González Alfiletegaray Letra : Antonio Polito (A. Timarni)

libre et indications

Des femmes de tradition nées en Argentine, aucune n’est de cœur comme l’était « la Rosarina».
La bande, heureuse de son amour, n’a jamais connu les ennuis, elle était toujours gentille et offrait une tendresse douce, comme une fleur.
Quand elle allait au bal, elle se distinguait par son allure, dans , elle démontrait être sans rivale, personne ne pouvait l’égaler.
Rosarina de ma vie, tu as laissé de doux souvenirs, c’est pour cela qu’ils ne t’oublieront jamais, jusqu’à la mort.

Negrito, veux-tu du café ?
Non, maman, ça me fait mal.
Alors, que veux-tu
 ?
Un masque pour carnaval…

Le texte qui n’est pas en gras est assez étrange. Il rappelle certaines apostrophes que lançaient les orchestres, voire les clients de la salle. On se souvient d’avoir évoqué cela au sujet de El Monito avec un dialogue semblable dans les versions de Julio De Caro.
Negrito, petit noir, n’est pas forcément l’expression d’un racisme, le terme s’adressant à des personnes mates de peau, pas nécessairement à des personnes noires. On connaît Mercedes Sossa qui était surnommée La Negra.
Quand au masque de Carnaval, c’est encore une occasion d’évoquer comment les carnavals rythmaient la carrière des musiciens.
Ce texte additionnel semble assez curieux pour un tango dédié à une femme.

Autres versions

Le tango aurait été écrit en 1912 et le premier enregistrement serait de 1915, mais il semble introuvable. Je signale donc que Félix Camerano l’aurait enregistré en 1915 avec son orchestre. Ce n’est pas du tout impossible, vu qu’il était ami avec l’auteur de la musique depuis 1898, époque où il faisait avec lui un duo guitare et bandonéon. Quoi qu’il en soit, je n’ai pas ce disque dans mon grenier.

La rosarina 1928-12-15 — .

La rosarina 1928-12-15 — Alberto Diana Lavalle. Alberto Diana Lavalle, nous donne une version à la guitare, sans chanson. En fait, je n’ai pas trouvé d’enregistrement avec les paroles de Antonio Polito. Peut-être que cette chanson était interprétée sous cette forme lors de sa création.

Plaque en hommage à Alberto Diana Lavalle offerte par les « Martes Bohemios » un an après la mort de Lavalle. La plaque est donc au cimetière de Chacarita.
C’est une réalisation du sculpteur Orlando Stagnaro, qui est le frère du musicien et poète Santiago Stagnaro.
La rosarina 1929-11-20 — Orquesta Típica Victor. Dir. Adolfo Carabelli.

C’est la première version orchestrale dont on a une trace sonore.

La rosarina 1936-12-19 — Roberto Firpo y su Cuarteto Típico.

La rosarina 1936-12-19 — Roberto Firpo y su Cuarteto Típico. Roberto Firpo enregistrera trois fois le titre, dans des versions somme toute assez proches. Était-ce un intérêt pour le thème ou pour la dame ? Je n’en sais rien… Cette version est assez rapide et tonique, peut-être un peu brouillonne.

La rosarina 1937-07-02 — Orquesta Juan D’Arienzo. C’est notre tango du jour.

Les petits silences et les ornementations de Biagi sont bien présents dans ce titre typique de cette époque de D’Arienzo. La musique est assez joueuse, voire un peu sautillante. Bien dansable, avec quelques petites surprises et un joli contraste entre les lignes ondulantes des violons et le reste de l’orchestre plus percusif.

La rosarina 1943-12-30 — Quinteto Pirincho dir. .

Pour une fois, Canaro n’arrive pas rapidement sur le titre. Canaro était pourtant proche de Ricardo González, puisque ce dernier lui avait dédicacé son premier tango El fulero et qu’il avait travaillé comme bandonéoniste dans son orchestre en France.
Il donne cet enregistrement avec son quintette. Après la version de D’Arienzo, cela peut sembler un peu trop calme. Il y a cependant de beaux traits musicaux, mais peut-être que les peuvent se dispenser de cette interprétation.

La rosarina 1944-03-31 — Roberto Firpo y su Nuevo Cuarteto.

Le retour de Firpo sur ce titre. Huit ans plus tard, il y a beaucoup de similitudes entre les versions. Le rythme est très légèrement plus lent. L’orchestre est un peu mieux synchronisé, ce qui facilitera la tâche des danseurs qui devront gérer ce titre qui hésite entre la et le tango, mais qui a pour lui d’être joueur.

La rosarina 1949-10-21 — Roberto Firpo y su Nuevo Cuarteto.

Encore Firpo, cinq ans plus tard. Cette version diffère des premières par un tempo beaucoup plus lent. La dédicataire s’est peut-être assagie avec l’âge. Le tango de Firpo, c’est certain.

La rosarina 1975-01-06 — Miguel Villasboas, Washington Quintas Moreno.

Une version sympathique à deux pianos. Villasboas hésite aussi souvent entre les rythmes de milonga et de tango. Disons que cette version est pour le concert, mais qu’elle est sympathique à écouter.

Miguel Villasboas et Wishington Quintas Moreno ont produit plusieurs disques. Le titre que vous écoutez vient de celui de gauche, mais sur celui de droite « Antologia », on peut voir les deux pianistes à l’oeuvre.
La Rosarina 1980c — Miguel Villasboas y su Orquesta Típica.

Comme Firpo, Villasboas retourne au titre, cette fois avec son orchestre. Le tempo est un plus lent que dans la version à deux pianos. Les similitudes avec Firpo sont toujours marquées. Ce ne sera sans doute pas le titre le plus apprécié de la milonga, mais une fois de temps en temps, avec des danseurs moyennement portés sur la milonga, cela peut faire l’affaire.

Mais qui était La rosarina ?

Il est assez facile de découvrir que la dédicataire, ou pour le moins l’inspiratrice s’appelait . Venue voir sa sœur, selon les versions dans un spectacle à Acayucho (environ 300 km de Buenos Aires), dans un club nommé Alegria, par suite d’une soi-disant erreur d’un cocher. Quoi qu’il en soit, elle est tombée sous le regard de Ricardo González qui dirigeait le spectacle et qui a décidé de lui écrire un tango. Selon le journaliste Julián Porteño, cela se serait passé en 1912. Porteño indique que la femme était très belle et qu’en plus elle dansait, ce qui fait que Ricardo González (surnommé Mochila) l’a intégrée à la revue où elle était arrivée, par erreur, ou pour voir sa sœur.

Ce qu’on ne vous dit pas, c’est que sa sœur, la danseuse de la revue menée par González s’appelait María E. Díaz et que les deux sœurs devaient être un peu dévergondées, car le 29 juillet 1947, elles se sont fait exclure du Club Social et Sportif Villa Malcolm, pour y avoir dansé de façon non conforme à ce qui était attendu dans l’établissement.
En fait, la façon jugée inconvenante de danser était d’avoir le visage trop près de celui du partenaire. Ce club Villa Malcom était donc assez peu libéral et même Anibal Troilo en avait fait les frais. Il avait été renvoyé le 25 juillet 1942, car le 17 juillet, certains de ses musiciens ne se seraient pas pliés totalement à l’étiquette de l’établissement et qu’il aurait fait venir des gens qui n’étaient pas dans le style de l’établissement. l’avait remplacé, comme quoi le malheur des uns fait le bonheur des autres.

Ricardo González est parti pour la France dans les années 20. Il y a travaillé notamment pour Francisco Canaro qui avait insisté pour le faire revenir en France dont il était parti peu de temps auparavant. Si Ricardo González avait fait une autre conquête, une danseuse prénommée Bernadette, lors de son séjour en France, on ne sait pas s’il a continué à rêver de la belle Rosarina. Tout ce qu’on sait, c’est qu’à son retour de France, il s’est retiré du tango et qu’on en n’a plus entendu parler. J’aime à imaginer que c’est pour filer l’amour parfait avec Zulema.

Voilà, j’arrive au terme de ce petit parcours au sujet d’un tango dédié à une apparition qui a enflammé l’imagination d’un bandonéoniste qui en a fait un tango.

En effet, je ne crois pas que les paroles tristes de notre tango du jour soient reliées à cette histoire, puisque les sœurs ont été exclues en 1947, soit 35 ans après la rencontre et donc bien longtemps après que les paroles ont été écrites.

À demain, les amis.

El bulín de la calle Ayacucho 1941-06-17 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino

 ; Luis Servidio Letra: Celedonio Esteban Flores

El bulín de la calle Ayacucho a été écrit en 1923 par deux amis d’enfance pour décrire leur vie de bohème, un style de vie courant chez les artistes et musiciens. En France, on a eu Chien-Caillou, sobriquet donné à Rodolphe Bresdin par ses amis et dont Champfleury s’inspira pour sa nouvelle, « Chien-caillou ». Nous avons vu hier le triste destin de Alfredo Gobbi, les histoires de bulines, sont légion dans l’imaginaire tanguero. Intéressons-nous donc à celui de la rue Ayacucho…

Extrait musical

Partition de El bulín de la calle Ayacucho.
El bulín de la calle Ayacucho 1941-06-17 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.

Même si on ne comprend rien aux paroles, ce qui ne sera pas votre cas après avoir lu cette anecdote, on ne peut qu’admirer ce chef-d’œuvre dont la qualité tient avant tout à la simplicité, la fluidité, l’harmonie entre la voix et la musique.
Le rythme est soutenu, la musique avance avec décision, aucun danseur ne peut résister à envahir la piste. Quand après une minute, Fiorentino commence à chanter, la magie augmente encore, les cordes et bandonéons continuent de marquer la cadence, sans flancher et la voix de Fiore lie le tout avant de laisser la parole au piano et on se surprend à être surpris par l’arrivée de la fin, tant on aimerait que cela dure un peu plus longtemps.

Paroles

El bulín de la calle ayacucho,
Que en mis tiempos de rana alquilaba,
El bulín que la barra buscaba
Pa caer por la noche a timbear,
El bulín donde tantos muchachos,
En su racha de vida fulera,
Encontraron marroco y catrera
Rechiflado, parece llorar.

El primus no me fallaba
Con su carga de aguardiente
Y habiendo agua caliente
El mate era allí señor.
No faltaba la guitarra
Bien encordada y lustrosa
Ni el bacán de voz gangosa
Con berretín de cantor.

El bulín de la calle Ayacucho
Ha quedado mistongo y fulero:
Ya no se oye el cantor milonguero,
Engrupido, su musa entonar.
Y en el primus no bulle la pava
Que a la barra contenta reunía
Y el bacán de la rante alegría
Está seco de tanto llorar.

Cada cosa era un recuerdo
Que la vida me amargaba :
Por eso me la pasaba
Fulero, rante y tristón.

Los muchachos se cortaron
Al verme tan afligido
Y yo me quedé en el nido
Empollando mi aflicción.

Cotorrito mistongo, tirado
En el fondo de aquel conventillo,
Sin alfombras, sin lujo y sin brillo,
¡Cuántos días felices pasé,
Al calor del querer de una piba
Que fue mía, mimosa y sinceral…
¡Y una noche de invierno, fulera,
Hasta el cielo de un vuelo se fue!

José Servidio ; Luis Servidio Letra : Celedonio Esteban Flores

Fiorentino avec Troilo chante ce qui est en gras.
Fiorentino avec Basso chante ce qui est en bleu.
Rodolfo Lesica chante ce qui est en gras, plus le dernier couplet sur lequel il termine.

Traduction libre et indications

Huile sur toile non signée. Une pava (sorte de bouilloire) sur un réchauffeur à alcool, Primus. Sur le plateau un mate (en calebasse) et une bombilla (paille servant à aspirer la boisson). Dans l’assiette, la (les feuilles broyées servant à préparer le mate). Tout le nécessaire pour le mate, en somme. En Argentine et pays voisins, le mate est aussi une cérémonie amicale. Le mate passe de main en main, un seul pour toute l’assemblée.

La piaule (dans un conventillo, habitat populaire, c’est une pièce où vivait, s’entassait, une famille. Cette pièce donnait directement sur un couloir qui lui donnait du jour, le bulín n’ayant en général pas d’autre ouverture que la porte donnant sur le couloir) de la rue Ayacucho, que je louais à l’époque (pour être précis, son logement était prêté par l’éditeur , pas loué…) où j’étais dans la dèche (rana, a plusieurs sens, astucieux, je pense que là il faut comprendre les temps heureux de la démerde, pauvre mais heureux), le bulín dans lequel la bande cherchait à se réfugier (tomber, au sens de point de chute, abri) la nuit pour jouer (timbear, c’est jouer de l’argent en principe), le bulín où tant de mecs, dans leur ligne de vie (racha = successions de faits, bons ou mauvais) quelconque, trouvaient marroco (pain) et litière. (chiflado = cinglé, rechiflado, plus que cinglé. Il faut comprendre que le bulín était un lieu de folie), semble pleurer.
Le primus (réchauffeur à alcool, voir ci-dessus) ne me faisait pas défaut avec sa provision d’alcool (aguardiente est plutôt une eau-de-vie, mais je pense qu’ici on parle du combustible du petit réchaud) faisait de l’eau chaude, le mate était roi là-bas (on dirait plutôt, ici, mais là-bas souligne que c’est loin dans le passé. J’ai traduit señor par roi, pour les Argentins pauvres, le maté est parfois la seule nourriture d’un repas. D’ailleurs, aujourd’hui avec la crise, beaucoup d’Argentins reviennent à ce régime, encouragé par le gouvernement qui dit qu’un seul repars par jour suffit. Les plus pauvres se fond du mate cocido, le mate des enfants, car en infusion, cela demande moins de yerba, d’herbe à mate).
La guitare ne faisait pas défaut, bien accordée et lustrée, ni l’important (bacán, il s’agit de l’auteur des paroles, Cele qui se tourne en dérision) à la voix à la voix nasillarde avec la vocation de chanteur. (Berretín, nous l’avons vu est le loisir).
Le bulín de la rue Ayacucho est resté misérable et quelconque :
Le chanteur milonguero prétentieux ne s’entend plus taquiner sa muse en chantant.
Et sur le primus, la pava ne chauffe plus, elle qui réunissait la bande joyeuse et le bacán à la bohème (rante de atorrante, clochard) allègre est sec de tant pleurer.
Chaque chose était un souvenir que la vie me rendait amer :
C’est pourquoi j’ai passé un bon moment, errant (quelconque, clochard…) et triste.
Les copains se tirèrent quand ils me virent si affligé et je suis resté dans le nid à ruminer mon affliction.
Petite piaule misérable (cotorrito est un synonyme de bulín), retirée au fond de ce conventillo, sans tapis, sans luxe et sans éclat.
Combien de jours heureux j’ai passés, dans la chaleur de l’amour d’une fille qui était mienne, câline et sincère…
Et une nuit d’hiver, quelconque, jusqu’au ciel d’un vol, s’en fut !

La censure

Cette histoire de jeunes fauchés qui faisaient de la musique dans une chambre en buvant du mate n’eut pas l’heur de plaire aux militaires qui avaient pris le pouvoir en 1943. De nombreux tangos, comme nous l’avons déjà vu (plegaria) ont été interdits, ou modifiés pour avoir des paroles plus respectables. Ce fut le cas de celui-ci. Voici les paroles modifiées :

La version des paroles après censure

Mi cuartito feliz y coqueto
Que en la calle Ayacucho alquilaba
mi cuartito feliz que albergaba
un romance sincero de amor
Mi cuartito feliz donde siempre
una mano cordial me tendía
y una linda carita ponía
con bondad su sonrisa mejor…

Version acceptée par la censure de la dictature militaire de 1943

Traduction de la version après censure

Ma petite chambre joyeuse et coquette que je louais dans la rue Ayacucho.
Ma petite chambre heureuse qui hébergeait une romance amoureuse sincère.
Ma petite chambre heureuse où toujours une main cordiale se tendait.
Et un joli petit visage posait avec gentillesse son meilleur sourire…
Il doit être difficile de faire plus cucu. Les militaires sont de grands romantiques…

Les administrateurs de la SADAIC ont demandé une entrevue au général Perón, nouveau président pour faire tomber cette ridicule censure sur les paroles de tango. Le 25 mars 1949, ce dernier qui disait ne pas être au courant de cette censure a donné droit à leur requête. Les tangos pouvaient désormais retrouver les paroles qu’ils souhaitaient.

El bulín de la calle Ayacucho 1925-12-27 — con acomp. de José Ricardo. Cette première version a été enregistrée à (Espagne).
El bulín de la calle Ayacucho 1926 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo. Cette version a été enregistrée à .
El bulín de la calle Ayacucho 1941-06-17 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino. C’est notre tango du jour.
El bulín de la calle Ayacucho 1949-04-07 — Orquesta con Francisco Fiorentino.

La prestation de l’orchestre est très différente de celle de Troilo, sans doute un peu grandiloquente. On sent que Basso a voulu se mesurer à Troilo, mais je trouve que ce qu’il a ajouté n’apporte rien au thème. Fiorentino chante toujours superbement, cependant l’orchestre se marie moins bien avec le chant. Il se met en retrait, ce qui met en avant la voix, il n’y a pas la même harmonie. FIorentino chante plus dans cette version.

El bulín de la calle Ayacucho 1951-07-17 — Orquesta Héctor Varela con Rodolfo Lesica.

Un grand chanteur, peut-être un peu trop romantique et lisse pour ce titre. Je pense qu’on a du mal à accrocher.

El bulín de la calle Ayacucho 1956 — Armando Pontier con .

Une superbe version en vivo. Dommage que ce soit un enregistrement de piètre qualité, réalisé lors des Carnavales de Huracán de 1956. Julio Sosa chante toutes les paroles (un peu en désordre).

El bulín de la calle Ayacucho 1961-09-08 — Jorge Vidal con acomp. de guitarras, cello y contrabajo.

Le violoncelle qui débute et accompagne Vidal tout au long est l’autre vedette de ce titre. On souhaiterait presque avoir une version purement instrumentale pour mieux l’écouter. On retrouve la tradition de Gardel, pour un tango à écouter, mais pas à danser.

Edmundo Rivero l’a également interprété. En voici une version avec vidéo. La version disque est de 1967.

Edmundo Rivero chante El bulín de la calle Ayacucho
El bulín de la calle Ayacucho 2018-02 — Tango Bardo con Osvaldo Peredo.

Cette version a sans doute peu de chance de convaincre les danseurs. Il convient toutefois d’encourager les orchestres contemporains à faire revivre les grands titres.

El bulín de la calle Ayacucho

Ce conventillo et la chambre étaient situés au 1443 de la rue Ayacucho.

Calle Ayacucho 1443. L’immeuble n’existe plus. On notera tout de même sur l’immeuble de droite, le beau bas-relief et à gauche, une autre maison ancienne.

Comment José Servidio décrit la chambre de Cele, celle qui lui a inspiré, ce titre

En 1923 compuse « El bulín de la calle Ayacucho ». Gardel lo grabó en ese mismo año. Yo vivía entonces en Aguirre 1061, donde aún vive mi familia. Celedonio me trajo al café A.B.C. la letra ya hecha. Era para la primavera de 1923.
Nosotros éramos amigos desde la infancia, él vivía en la calle Velazco entre Malabia y Canning. Compuse el tango en un par de días, en el bandoneón. La primera frase me salió enseguida. El bulín de la calle Ayacucho existió realmente. Quedaba en Ayacucho 1443. El dueño del bulín era Julio Korn, que se lo prestó a Celedonio Flores. 
Era una piecita en la que ni los ratones faltaban. Concurrentes infaltables a las reuniones de todos los viernes, eran Juan Fulginiti, el cantor Martino, el cantor (del dúo Paganini-Ciacia); Nunziatta, también cantor, del dúo Cicarelli-Nunziatta; el flaco Sola, cantor, guitarrista y garganta privilegiada para la caña; yo, en fin…
Ciacia, que formaba dúo con Paganini, era el que cocinaba siempre un buen puchero. En el bulín, del barrio de Recoleta, había una sartén y una morochita.
Se tomaba mate, se charlaba. Como le decía, hasta algún ratón merodeaba por allí. Las reuniones en el bulín de la calle Ayacucho duraron más o menos hasta fines de 1921. Cuando Cele se puso de novio terminaron. Ya han muerto casi todos los que nos reuníamos allí.
El tango lo editó un maestro de escuela, de apellido Lami, que puso editorial en Paraguay al 4200. Después se falsificó la edición. El bulín de la calle Ayacucho lo estrenó el dúo Torelli-Mandarino, en el teatro Soleil. Canataro acompañaba con su guitarra al dúo.

José Gobello et Jorge Alberto Bossio. Tangos, letras y letristas tomo 1. Pages 82 à 89.

Traduction libre du témoignage de José Servidio et indications.

En 1923, j’ai composé « El bulín de la calle Ayacucho ». Gardel l’a enregistré la même année. Je vivais à l’époque au 1061 de la rue Aguirre, où ma famille vit toujours. Celedonio m’a apporté les paroles déjà écrites au café ABC. C’était pour le printemps 1923.
Nous nous étions amis depuis l’enfance. Lui vivait rue Velazco entre Malabia et Canning (aujourd’hui Scalibrini Ortiz).
J’ai composé la musique en une paire de jours. Le bulín existait réellement dans la rue Ayacucho au 1443. Le propriétaire en était Julio Korn (éditeur de musique dont nous avons déjà parlé au sujet des succès de la radio en 1937), qui le prêtait à Celedonio Flores.
C’était une petite pièce dans laquelle même les souris ne manquaient pas.
Les participants inévitables aux réunions tous les vendredis étaient Juan Fulginiti, le chanteur Martino, le chanteur Paganini (du duo Paganini-Ciacia) ; Nunziatta, également chanteur (du duo Cicarelli-Nunziatta) ; le Flaco Sola (flaco = maigre), chanteur, guitariste et gosier privilégié pour la cuite (caña, ivresse) ; Moi, enfin…
Ciacia préparait toujours un ragoût. Dans le bulín, il y avait une poêle et une morochita (marmite patinée).
On prenait le mate et on bavardait.
Comme je le disais, même une souris rôdait dans les parages.
Les réunions dans le bulín de la rue Ayacucho ont duré plus ou moins jusqu’à la fin de 1921. Quand Cele (Celedonio Esteban Flores) s’est fiancé, ça s’est arrêté.
Presque tous ceux d’entre nous qui se sont rencontrés là-bas sont déjà morts.
Le tango a été édité par un maître d’école, nommé Lami, qui a créé une maison d’édition rue Paraguay au 4200. Plus tard, l’édition a été falsifiée. Le bulín de la calle Ayacucho a été créé par le duo Torelli-Mandarino, au Teatro Soleil. Canataro a accompagné le duo avec sa guitare.
On notera que le narrateur est le compositeur. Son frère, Luis, semble avoir eu un rôle mineur dans cette composition. Ils avaient l’habitude de cosigner, mais les participations étaient variables selon les œuvres.

El bulín de la calle Ayacucho. J’avoue m’être inspiré de Van Gogh, mais il y a plusieurs différences. Il n’y a pas de fenêtre, c’est un bulín, pas une chambre à Arles. Il y a une guitare et un pava sur le primus, prête pour le mate. Un petit changement dans les cadres pour personnaliser l’intérieur de la chambrette de Cele dont on peut voir le portrait dans le cadre en haut à droite.
Les calques utilisés pour créer cette image.

El engobbiao 1957-06-18 Orquesta Alfredo Gobbi

Eduardo Rovira

Ne cherchez pas dans le dictionnaire le mot Engobbiao, vous ne le trouverez pas. C’est une création de Eduardo Rovira en l’honneur de… Si, vous allez trouver ; G — O — B — B — I. Bravo !
Il y a trois
Gobbi fameux dans l’histoire du tango, Flora, Alfredo et Alfredo. Oui, deux Alfredo. Essayons d’y voir plus clair.

Extrait musical

Tout d’abord écoutons ce titre surprenant que Rovira écrira en l’honneur du chef de l’orchestre où il était bandonéoniste.

1957-06-18 Orquesta Alfredo Gobbi
Partition de El enggobiao

Les Gobbi

Nous avons déjà évoqué et à plusieurs reprises les Gobbi, mari et femme, pionniers du tango et indiscutablement propagateur du genre en France après l’avoir fait en Argentine.
Flora, la femme et Alfredo, donc, le mari ont plusieurs enregistrements, parmi les plus anciens qui nous soient parvenus. Les pauvres, la technique d’ de l’époque n’a pas rendu justice à la qualité de leurs interprétations, obligés qu’ils étaient plus à crier qu’à chanter pour que quelque chose se grave sur le disque.

El criollo falsificado () 1906 – Dúo Los Gobbi (Flora et Alfredo Gobbi).

Vous aurez reconnu ce thème que l’on connaît désormais sous le titre El porteñito.

Le troisième Gobbi, se prénommant aussi Alfredo et voici son état-civil complet : Alfredo Julio Floro Gobbi.
Le Gobbi du début de siècle s’appelait au complet : Alfredo Eusebio Gobbi Chiapapietra. On a donc l’habitude de l’appeler Alfredo Eusebio Gobbi pour le distinguer, bien inutilement, de Alfredo Julio Gobbi. Les deux signaient Alfredo Gobbi et personne ne peut confondre une composition ou une interprétation de l’un avec celle de l’autre… Pour en finir avec les noms, précisons que la femme de Gobbi (je ne vous dit pas lequel) s’appelait Flora Rodríguez de Gobbi et était d’origine chilienne.
En fait, je vous ai présenté toute la famille, le père, Alfredo, la mère, Flora et le fiston, encore Alfredo, né à Paris en 1912. Signalons que son parrain était Ángel Villoldo. Le pauvre avait donc de grandes chances de tomber dans le tango, d’autant plus qu’en 1913, il était installé à . Ce point de chute des Gobbi est bien sûr dicté par le tango, car la mère était chilienne et le père uruguayen. D’ailleurs, le petit Gobbi apprendra le piano (qui sera aussi son dernier instrument à la fin triste de sa vie), puis le violon et dès l’âge de 13 ans il jouera dans un trio avec ses amis, Orlando Goñi (pianiste) et (bandonéoniste).
À la mort de son ami Orlando Goñi, en 1945, Alfredo écrira A Orlando Goñi, dont nous avons son enregistrement en 1949.

A Orlando Goñi 1949-03-24 — Orquesta Alfredo Gobbi.

L’hommage de Gobbi à son ami Goñi. C’est un de ses titres les plus connus et que l’on entend parfois en milonga.
Troilo et Pugliese qui étaient dans le même cercle l’enregistrèrent également.

Alfredo Gobbi, le violon romantique et le pianiste en fin de vie, à droite

Si Alfredo Gobbi a commencé l’étude du piano à 6 ans, c’est comme violoniste prodige qu’il a fait sa carrière. À la fin de sa courte vie, il est retourné au piano pour jouer dans des bars de nuit afin de gagner sa pitance. Quelle triste fin pour cet artiste, amical et généreux comme en témoignent les hommages après sa mort, en 1965 à seulement 53 ans.
Ses amis, cherchèrent à récupérer son violon auprès de son logeur qui le gardait en gage pour les loyers en retard. Lorsqu’ils demandèrent à Troilo de participer, celui-ci s’exclama, « mais pourquoi ne m’avez-vous pas demandé en premier ? » Troilo avait d’ailleurs dédicacé son tango Milonguero triste à son ami.

Anibal Troilo joue Milonguero triste, sa composition dédicacée à son ami Alfredo Gobbi avec son cuarteto. Les membres du quartette sont au piano, Anibal Troilo au bandonéon, Aníbal Arias à la guitare et Rafael Del Bagno à la contrebasse.
Un disque posthume de Alfredo Gobbi nommé Milonguero triste (mais ne comportant pas ce titre que Alfredo Gobbi n’a pas enregistré. Troilo l’a enregistré moins de cinq mois avant la mort de son ami.

Il convient de rajouter à la liste des dédicaces à Alfredo Gobbi, Alfredeando enregistré en 1987 par Pugliese et qui a été composé par le bandonéoniste .

Alfredeando 1987-12-12 Orquesta Osvaldo Pugliese

De Rovira à Piazzolla

Eduardo Rovira était bandonéoniste dans l’orchestre de Alfredo Gobbi. Il lui a dédié deux thèmes. Notre tango du jour, Engobbiao et A Don Alfredo Gobbi qui terminera notre parcours des avant-gardes autour de Gobbi.

Eduardo Rovira
El engobbiao 1957-06-18 Orquesta Alfredo Gobbi. C’est notre tango du jour.

On notera l’étonnante modernité de ce titre.
L’année d’après, Rovira produit cette version étonnante de Febril avec l’orchestre du pianiste Osvaldo Manzi dont il est membre, comme bandonéoniste.

Febril 1958-12-18 — Orquesta Osvaldo Manzi. Composition de Eduardo Rovira.

On peut constater comme en un an, Rovira est allé encore plus loin.

A don Alfredo Gobbi 1968 – Eduardo Rovira y su agrupación de tango moderno.

On est à l’arrivée de l’évolution de Rovira. Difficile d’y voir du tango, malgré un début en habanera et des accents de folklore. L’évocation de son ami, décédé en 1965, Alfredo Gobbi se fait par un passage virtuose au violon, mêlé à son bandonéon qui aura le dernier mot dans un curieux halètement final.
Vous avez sans doute remarqué la présence, dès les premières notes, d’une guitare électrique. C’est celle de Salvador Drucker.

Le disque Sonico de Eduardo Rovira y su agrupación de tango moderno

La bande de copains, Gobbi, Rovira, Goñi, s’était adjoint à d’autres novateurs, comme Troilo et Pugliese (voir par exemple Patético de Jorge qui avait fait entrer la musique novatrice de Rovira dans l’orchestre de Pugliese), mais aussi, Astor Pantalón Piazzolla. Ce dernier écrira également un hommage à Gobbi, un portrait dont voici une de ses interprétations.

Retrato de Alfredo Gobbi 1970 — Astor Piazzolla y su Quinteto.

Le quintette de Piazzolla était composé de Astor Piazzolla (bandonéon), Osvaldo Manzi (piano), Antonio Agri (violon), Kicho Díaz (contrebasse) et Cacho Tirao (guitare électrique). Oui, comme Rovira, Piazzolla utilise la guitare électrique dans son orchestre.
Cet autre hommage à Gobbi, par Piazzolla, après Rovira est sans doute une autre explication du fait que les danseurs ne sont pas fans (euphémisme) de Gobbi. Sa musique a évolué et en fait très peu de ses titres sont réellement pour la danse. Sans détester les danseurs comme se plaisait à le faire savoir Piazzolla, il avait d’autres préoccupations, tout comme ses compagnons et le fidèle Rovira, le novateur.
Gobbi n’écrivit pas un tango pour Rovira, mais joua un homenaje a Eduardo Rovira.

Homenaje a Eduardo Rovira – Pájaro del alma, Meloodíka, Mefisto compra almas, La casa de las chinas, Pasos en la noche – Orquesta Fernando Romano.

Il s’agit d’une suite avec différentes musiques jouées par l’orchestre de Eduardo Rovira enchaînées, par exemple le magnifique Pasos en la noche, une suite de ballet composée par Fernando Guibert.

Pasos en la Noche 1962 – Eduardo Rovira (Fernando Guibert compositeur)

Vous l’avez remarqué, on n’est pas dans le tango, mais ces témoignages permettent de rendre un peu de sa place à Rovira, éclipsé, pas forcément avec pertinence par Piazzolla. Les deux ont leur place au panthéon de la musique d’inspiration tanguera de la fin du vingtième siècle.

Autres versions

El engobbiao 1957-06-18 Orquesta Alfredo Gobbi. C’est notre tango du jour.
El engobbiao 1993 — . Une version très différente, enregistrée par les anciens musiciens de Pugliese.

Voilà, les amis. C’est tout pour aujourd’hui. Si vous n’aimez pas Gobbi comme musicien pour la danse, vous devriez l’aimer comme homme et novateur, lui qui était le Milonguero triste.

El monito 1945-06-12 — Orquesta Osvaldo Pugliese

Julio De Caro Letra :

Ne sont-ils pas mignons ces deux-là ? , le petit singe est en fait un texte plein de tendresse et de regrets. Parfois, les hommes commettent des erreurs qu’ils regrettent. Ne les singeons pas et contentons-nous d’apprécier ce que nous avons, ici, cette magnifique musique decarienne interprétée par Pugliese. Cette anecdote nous permettra d’approfondir la liaison entre ces deux grands musiciens, De Caro et Pugliese.

Extrait musical

Partition pour piano El monito de Letra: Juan Carlos Marambio Catán.
El monito 1945-06-12 — Orquesta Osvaldo Pugliese.
El monito, Julio de Caro, Disque Victor 79569 face A, enregistrement du 23 juillet 1925.

Sur le disque du premier enregistrement du titre, on remarque deux choses. Il est indiqué « Tango humoristico ». Ce titre se veut donc drôle. L’autre chose est la mention « orquesta « repertorio nacional » ; cela indique que l’orchestre joue de la musique argentine.

Paroles

“Mi monitoz” me llamó
la piba de mi amor,
la que mi robó y que,
en mi pobre bulín,
me amó con berretín
sin conocer dolor.
El bulín fue nido fiel
de mi primer amor,
donde gocé su gran pasión de amar.
Y fue mi fiel mujer
poniendo en mí su fe,
su puro corazón.

La piba cantábame así:
Si yo quiero vivir
juntito a tu amor,
tu amor,
que curó mi dolor.
¿Por qué
me dejás corazón?
Sin ti,
morirá mi pasión.
Así,
mi pebeta cantó,
mi pebeta cantó su canción.
¡Qué ingrata pasó
su fugaz ilusión!

Mi monito no dirá,
Monito de mi amor.
Mi corazón hoy la buscó en su afán
sin poder ya gozar
la luz de su mirar,
la miel de su pasión.
Mi pebeta ya se fue
y nunca volverá.
Talvez irá rodando al cabaret,
buscando en su dolor,
alivio al champán,
olvido a mi desdén.

Julio De Caro Letra : Juan Carlos Marambio Catán

libre

« Mon petit singe » m’appelait la fille de mon amour, celle qui a volée mon cœur et qui, dans mon pauvre logis, m’a aimée avec passion sans connaître de douleur.
Le logis a été le nid fidèle de mon premier amour, où j’ai apprécié sa grande passion pour aimer.
Et elle fut ma femme fidèle qui mettait en moi sa foi, son cœur pur.

La fille m’a chanté ceci :
Si je veux vivre avec ton amour, ton amour, qui a guéri ma douleur.
Pourquoi me quittes-tu mon cœur ?
Sans toi, ma passion mourra.
Ainsi ma poupée a chanté, ma poupée a chanté sa chanson.
Comme, en ingrate, passa ton illusion fugace !

Mon petit singe elle ne dira plus, petit singe de mon amour.
Mon cœur aujourd’hui la cherche dans son empressement sans pouvoir goûter son regard, le miel de sa passion.
Ma poupée maintenant est partie et ne reviendra jamais.
Peut-être ira-t-elle roder jusqu’au cabaret, cherchant dans sa douleur le soulagement du , l’oubli de mon dédain.

Autres versions

El monito 1925-07-23 — Orquesta Julio De Caro.

Julio de Caro, auteur, ouvre le bal. On notera les parties sifflées.

El monito 1926 — con guitarras.

On regrette le son assez primitif qui ne rend pas grâce à la qualité de cette interprétation par un excellent chanteur. C’est la seule version avec les paroles.

El monito 1928-07-19 — Julio De Caro y su Orquesta Típica.

Sur le disque, la mention tango humoristique a disparu. Même s’il reste les sifflements, cette version est plus sérieuse. Elle bénéficie de l’enregistrement électrique qui améliore considérablement la qualité sonore et même si De Caro continue à jouer avec son violon à cornet, le titre est d’une grande qualité musicale. De Caro n’est pas réputé pour la danse, mais là, il me semble qu’ici, on peut en avoir pour ses oreilles et ses pieds.

Le disque de 1929. L’indication de tango humoristique a disparu.
El monito 1939-05-23 — Orquesta Julio De Caro.

Une version énergique.
On retrouve les sifflements et apparaît un dialogue « Raahhhh, Monito / Si / Quieres Café? / No / Por qué? ». C’est sans doute un souvenir du tango humoristique. On imagine que les clients devaient s’amuser lorsque l’orchestre évoquait le titre. Peut-être que l’idée vient d’un client imitant le singe et que cette scénette improvisée au départ s’est invitée dans la prestation de l’orchestre.
On retrouve dans cette interprétation de De Caro, des caractères, comme les sifflements puissants des violons, que l’on retrouvera chez Pugliese. N’oublions pas que ce dernier était un grand admirateur de De Caro. Avec sa modestie, il se voulait un simple conservateur de la mémoire du maître. On sait qu’il a fait bien plus, comme en témoigne notre .

El monito 1945-06-12 — Orquesta Osvaldo Pugliese. C’est notre tango du jour.

La parenté avec de De Caro est sensible, mais Pugliese a son style propre qui influencera sans doute aussi un peu De Caro, dans un jeu d’aller-retour.

El monito 1949-09-29 — Orquesta Julio De Caro.

Une dizaine d’années plus tard, De Caro nous offre une nouvelle version superbe. Les similitudes avec Pugliese sont encore plus marquées, notamment avec le tempo nettement plus lent et proche de celui de Pugliese. On retrouve toutefois le dialogue de la version de 1939, dans une version un plus large. “Ah, ah ah, Monito / Si / Quieres Café? / No / Por qué? / Quiero caramelo” (je veux un bonbon). Avec ces dialogues imitant la « voix » d’un singe, De Caro s’éloigne des paroles de Juan Carlos Marambio Catán en renouant avec le côté tango humoristique. Mais tous les orchestres se sont éloignés des paroles, du moins pour l’enregistrement, car toutes les versions disponibles aujourd’hui sont instrumentales (si on excepte Roberto Díaz).
Ce qui est sûr est que cette version convient parfaitement à la danse, ce qui fait mentir ceux qui classe De Caro dans le définitivement indansable.

El monito 1953 — Orquesta arr. de Astor Piazzolla.

Comme on s’en doute, Troilo avec Piazzolla ne vont pas donner dans la gaudriole et pas de risque d’entendre un signe refuser un café dans cette version qui a perdu tout ce qui fait le caractère d’un tango de danse, mais qui a gagné une richesse musicale incroyable, pleine de rebondissements. Cette version nous raconte une , quasi une épopée, de quoi rester à bout de souffle, même en restant tranquillement dans son fauteuil à l’écouter.

Il y a bien sûr d’autres enregistrements postérieurs, mais je préfère vous laisser sur ce point culminant.

À demain les amis !

Cristal 1944-06-07 — Orquesta Aníbal Troilo con Alberto Marino

Letra : José María Contursi

La musique de est de celles qui marquent les esprits et les cœurs. La force de l’écriture fait que la plupart des versions conservent l’ambiance du thème original. Cependant, nous aurons des petites surprises. Je vous présente, Cristal de Mariano Mores avec des paroles de Contursi, mais pas que…

Extrait musical

Cristal 1944-06-07 — Orquesta Aníbal Troilo con Alberto Marino.

Une très jolie descente répétée lance cette version. Les notes deviennent de plus en plus graves en suivant une gamme mineure. Cela donne une imposante présence au thème. L’introduction se développe, puis après 30 secondes se développe le thème principal. Celui que Alberto Marino chantera à partir de 1’20.

Paroles

Tengo el corazón hecho pedazos,
rota mi emoción en este día…
Noches y más noches sin descanso
y esta desazón del alma mía…
¡Cuántos, cuántos años han pasado,
grises mis cabellos y mi vida!
Loco… casi muerto… destrozado,
con mi espíritu amarrado
a nuestra juventud.

Más frágil que el cristal
fue mi amor
junto a ti…
Cristal tu corazón, tu mirar, tu reír…
Tus sueños y mi voz
y nuestra timidez
temblando suavemente en tu balcón…
Y ahora sólo se
que todo se perdió
la tarde de mi .
Ya nunca volveré, lo sé, lo sé bien, ¡nunca más!
Tal vez me esperarás, junto a Dios, ¡más allá!

Todo para mí se ha terminado,
todo para mí se torna olvido.
¡Trágica enseñanza me dejaron
esas horas negras que he vivido!
¡Cuántos, cuántos años han pasado,
grises mis cabellos y mi vida!
Solo, siempre solo y olvidado,
con mi espíritu amarrado
a nuestra juventud…

Mariano Mores Letra: José María Contursi

libre

Mon cœur est en morceaux, mon émotion est brisée en ce jour…
Des nuits et encore des nuits sans repos et ce malaise de mon âme…
Combien, combien d’années se sont écoulées, grisonnant mes cheveux et ma vie !
Fou… presque mort… détruit, avec mon esprit amarré à notre jeunesse.

Plus fragile que le verre était mon amour avec toi…
De cristal, ton cœur, ton regard, ton rire…
Tes rêves et ma voix et notre timidité tremblant doucement sur ton balcon…
Et seulement maintenant, je sais que tout a été perdu l’après-midi de mon absence.
Je n’y retournerai jamais, je sais, je le sais bien, plus jamais !
Peut-être m’attendrez-vous, à côté de Dieu, au-delà !

Tout pour moi est fini, tout pour moi devient oubli.
Tragique enseignement que m’ont laissé ces heures sombres que j’ai vécues !
Combien, combien d’années se sont écoulées, grisonnant mes cheveux et ma vie !
Seul, toujours seul et oublié, avec mon esprit amarré à notre jeunesse…

Autres versions

Cristal 1944-06-03 — Orquesta Francisco Canaro con .

Canaro ouvre le bal avec une version tonique et assez rapide. Le début spectaculaire que nous avons vu dans la version de Troilo est bien présent. On remarquera la présence de l’Orgue Hammond et sa sonorité particulière, juste avant que chante Carlos Roldán. Ce dernier est par moment accompagné par le .

Cristal 1944-06-07 — Orquesta Aníbal Troilo con Alberto Marino. C’est notre tango du jour.
Cristal 1944-06-30 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Oscar Serpa.

Fresedo ne pouvait pas passer à côté de ce thème qui semble avoir été écrit pour lui. La structure est très proche de celles de Canaro et Troilo, mais avec sa sonorité. La voix de Serpa, plus tranchante que celle de Ray et Ruiz, donne un caractère toutefois un peu différent à cette interprétation de Fresedo.

Cristal 1957 — Dalva de Oliveira con acomp. de orquesta.

L’introduction est raccourcie et Dalva de Oliveura chante quasiment tout de suite. Vous aurez sans doute remarqué que cette version était chantée en Portugais avec quelques variantes. Vous trouverez le texte en fin d’article. L’orchestre peut être celui de Francisco Canaro, car elle a enregistrée en 1957 avec lui, mais ce n’est pas sûr.

Cristal 1957-02-01 — Orquesta Mariano Mores con Enrique Lucero.

Mariano Mores enregistre sa création. Mariano Mores se passe de sa spectaculaire introduction pour jouer directement son thème principal. Le piano fait le lien entre les différents instruments, puis Enrique Lucero entre scène. Lucero a une belle voix, mais manque un peu de présence, associé à un orchestre léger et sans doute trop poussé à des fantaisies qui fait que cette version perd un peu de force dramatique. On verra avec des versions suivantes que Mores corrigera le tir, du côté chant, mais pas forcément du côté orchestral.

Cristal 1958 — Albertinho Fortuna com Alexandre Gnattali e a sua orquestra.

Là encore, voir en fin d’article le texte en portugais brésilien.

Cristal 1961 — Astor Piazzolla Y Su Quinteto Con Nelly Vázquez.

Piazzolla enregistre à plusieurs reprises le titre. Ici, une version avec Nelly Vázquez. On est dans autre chose.

Cristal 1962-04-27 — Orquesta con Héctor Dario.

Armando Pontier nous livre une version sympathique, avec un Héctor Dario qui lance avec énergie le thème.

Cristal 1965 — Ranko Fujisawa. Avec l’orchestre japonais de son mari,

Ranko nous prouve que le tango est vraiment . Elle chante avec émotion.

Cristal 1978-08-01 — Roberto Goyeneche con Orquesta Típica Porteña arr. y dir. Raúl Garello.

Goyeneche a enregistré de nombreuses fois ce titre, y compris avec Piazzolla. Voici une de ses versions, je vous en présenterai une autre en vidéo en fin d’article. On voit que Piazzolla est passé par là, avec quelques petites références dans l’orchestration.

Cristal 1984c — Claudia Mores con la Orquesta de Mariano Mores.

Mariano revient à la charge avec Claudia, sa belle-fille. En effet, elle était mariée à Nico, le fils de Mariano. On retrouve l’orgue Hammond de Canaro dans cette version. Si elle est moins connue que son mari, il faut lui reconnaître une jolie voix et une remarquables expressivité.

Cristal 1986 — Mariano Mores y su Orquesta con Vikki Carr.

Une rencontre entre Vikki Carr qui a habituellement un répertoire différent. On notera que l’orchestre est plus sobre que dans d’autres versions, même, si Mores ne peut pas s’empêcher quelques fantaisies.

Cristal 1994 — Orquesta Mariano Mores con Mercedes Sosa.

Attention, pure émotion quand la Negra se lance dans Cristal. Sa voix si particulière, habituée au s’adapte parfaitement à ce thème. Attention, il y a un break (silence) très long, ne perdez pas la fin en coupant trop vite. Avec cette version, on peut dire que Mores, avec ces trois femmes, a donné de superbes versions de sa composition, d’un caractère assez différent de ce qu’ont donné les autres orchestres, si on excepte Piazzolla et ce qui va suivre.

Cristal 1994 — Susana Rinaldi con acomp. de orquesta.

La même année encore une femme qui donne une superbe version du thème de Mores. Là, c’est la voix qui est essentielle. Une version étincelante qui pourrait rappeler Piaf dans le vibrato de la voix.

Cristal 1998 — Orquesta Néstor Marconi con Adriana Varela.

Oui, encore une femme, une voix différente. L’empreinte de Piazzolla est encore présente. Néstor Marconi propose un parfait accompagnement avec son bandonéon. Vous le verrez de façon encore plus spectaculaire dans la vidéo en fin d’article.

Cristal 2010c — Aureliano Tango Club. Une introduction très originale à la contrebasse.

On notera aussi la présence de la batterie qui éloigne totalement cette version du tango traditionnel.

Versions en portugais

Voici le texte des deux versions en portugais que je vous ai présentées.

Paroles

Tenho o coração feito em pedaços
Trago esfarrapada a alma inteira
Noites e mais noites de cansaço
Minha vida, em sombras, prisioneira
Quantos, quantos anos são passados
Meus cabelos brancos, fim da vida
Louca, quase morta, derrotada
No crepúsculo apagado lembrando a juventude
Mais frágil que o cristal
Foi o amor, nosso amor
Cristal, teu coração, teu olhar, teu calor
Carinhos juvenis, juramentos febris
Trocamos, docemente em teu portão
Mais tarde compreendi
Que alguém bem junto a ti
Manchava a minha ausência
Jamais eu voltarei, nunca mais, sabes bem
Talvez te esperarei, junto a Deus, mais além

À propos de la version d’Haroldo Barbosa

Le thème des paroles d’Haroldo Barbosa est semblable, mais ce n’est pas une simple traduction. Si la plupart des images sont semblables, on trouve une différence sensible dans le texte que j’ai reproduis en gras.
« Plus tard, j’ai réalisé que quelqu’un juste à côté de toi avait souillé mon absence.
 Je ne reviendrai jamais, plus jamais, tu sais. Peut-être que je t’attendrai, avec Dieu, dans l’au-delà ».
Contrairement à la version de Contursi, on a une cause de la séparation différente et là, c’est lui qui attendra auprès de Dieu et non, elle qui attendra peut-être.

Roberto Goyeneche et Néstor Marconi, Cristal

Et pour terminer, la vidéo promise de Goyeneche et Marconi. Cette vidéo montre parfaitement le jeu de Marconi. Hier, nous avions Troilo à ses tout débuts, là, c’est un autre géant, dans la maturité.

Roberto Goyeneche Néstor Marconi et Ángel Ridolfi (contrebasse) dans Cristal de Mariano Mores et José María Contursi. Buenos Aires, 1987.

À demain, les amis!

Araca la cana 1933-06-06 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray

Enrique Delfino Letra:

Voici un des gros des encuentros milongueros. Mais les danseurs qui se jettent sur ce titre ne savent peut-être pas que Troilo est le premier à l’avoir enregistré, oui, monsieur, oui, madame, avant Fresedo… De plus, je peux même vous montrer le film où il joue ce titre. N’hésitez pas à la tentation de voir le jeune Pichuco à l’œuvre avec son bandonéon en fin d’article.

L’expression Araca la cana peut sembler mystérieuse. Je vous donnerai sa signification dans la traduction des paroles.
Je vous propose d’écouter maintenant notre tango du jour.

Extrait musical

Araca la cana 1933-06-06 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray

Paroles

¡Araca la cana!
Ya estoy engriyao…
Un par de ojos negros me han engayolao.
Ojazos profundos, oscuros y bravos,
tajantes y fieros hieren al mirar,
con brillos de acero que van a matar.
De miedo al mirarlos el cuor me ha fayao.
¡Araca la cana! ya estoy engriyao.

Yo que anduve entreverao
en mil y una ocasión
y en todas he guapeao
yo que al bardo me he jugao
entero el corazón
sin asco ni cuidao.
Como un gil vengo a ensartarme
en esta daga que va a matarme
si es pa’ creer que es cosa’e Dios
que al guapo más capaz
le faye el corazón.

Enrique Delfino Letra : Mario Fernando Rada

Traduction libre et indications

Araca la cana ! (En français, on dirait, 22 ou 22 voilà les flics, la police. C’est un cri d’alarme signalant un danger). Je suis déjà derrière les barreaux (en )
Une paire d’yeux noirs m’a emprisonné. Des yeux profonds, sombres et féroces, vifs et féroces, qui blessent quand ont les regarde, avec des éclairs d’acier qui vont tuer.
De peur, en les regardant, le cœur m’a manqué.
Araca la cana ! Je suis déjà engrillagé. Moi qui ai été impliqué en mille et une occasions et dans toutes, j’ai affronté, moi, qui naturellement ai misé tout mon cœur sans répugnance ni précaution.
Comme un cave (type quelconque, ne connaissant pas le milieu, la pègre), je viens m’embrocher sur ce poignard qui me tuera si c’est pour croire que c’est la chose de Dieu qu’au plus beau et plus capable, le cœur lui manque (fait défaut).

Autres versions

Nous verrons les deux premières versions en fin d’article, car elles sont dans le film Los tres berretines.

Araca la cana 1933-06-06 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray. C’est notre tango du jour.
Araca la cana 1933-06-12 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, , Domingo Julio Vivas, Horacio Pettorossi (guitarras).

Un tout petit peu après Fresedo, Gardel enregistre sa version.

Araca la cana 1933-06-16 – Orquesta con .

Canaro n’est jamais en retard quand il s’agit d’enregistrer un succès. Voici donc sa version. Avec des passages doux et lyriques, pas si fréquents dans cette période de son orchestre. Peut-être l’influence de Fresedo dont la version dans le film était sortie le mois précédent.

Araca la cana 1951 – Edmundo Rivero con orquesta dir. por .

Une version qui n’est probablement pas pour les cardiaques. En effet, le démarrage de Edmundo Rivero après une introduction longue surprend. Bien sûr, ce n’est pas une version de danse.

Bébé Troilo

Le film annoncé en début d’article, s’apppelle Los tres berretines. Berretin a plusieurs sens qui vont de caprice, loisir, caprice amoureux à passion… Dans le cas du film, ce sont les trois passions des Portègnes, à savoir, le ciné, le football et… . Pour être précis, dans la pièce de théâtre antérieure, c’était le tango, le football et… la radio. Mais pour faire un film, c’était mieux de mettre le cinéma au cœur de l’action.
C’est le deuxième film sonore argentin, sorti le 19 de mai 1933, soit une semaine après Tango que nous avons déjà évoqué à propo de El Cachafaz et presque un mois avant l’enregistrement de notre tango du jour par Fresedo et Ray.
Il a été dirigé par à partir d’un scénario de Arnaldo Malfatti et . L’extrait que je vais vous présenter présente le tango du jour, interprété par un orchestre imaginaire, EL Conjunto Nacional Foccile Marafiotti. Vous reconnaîtrez sans mal le jeune bandonéoniste, alors âgé de 18 ans, Aníbal Troilo. Il s’agit du second plus ancien enregistrement de lui dont nous disposons, le plus ancien étant avec Carlos Gardel (La que nunca tuvo novio de 1931).
Osvaldo Fresedo faisait aussi partie de l’équipe du film, il était donc parfaitement légitime pour enregistrer ce titre.
L’intrigue du film est autour des passions des enfants d’un quincaillier. Les affaires de la quincaillerie ne sont pas brillantes et le père se désespère de voir ses enfants délaisser l’entreprise familiale pour leurs passions. Nous nous intéressons à la partie tango du film avec un des fils, joué par Luis Sandrini qui veut devenir compositeur de tango.

Extraits du film Los tres berretines

Affiche du film Los tres berretines. Elle annonce que c’est le premier film parlant, mais c’est en fait le second, tango étant sorti la semaine d’avant.

Troilo, qui a donc l’honneur, à 18 ans, de jouer dans le second film sonore argentin apparaît jouant à la moitié du film qui dure moins d’une heure. Je vous propose plusieurs extraits permettant de voir comment était composé et lancé un tango au début de l’âge d’or.
Dans le premier extrait, Aníbal Troilo joue avec le violoniste Vicente Tagliacozzo. José María Rizutti, le pianiste s’entend, mais ne se voit pas.
Pour corriger cette injustice, je vous propose un autre extrait où on le voit jouer Araca la cana, ou plutôt ce qui va le devenir, au piano. Il le joue sous la dictée sifflée de Luis Sandrini. (qui ressemble à Enrique Delfino, l’auteur du tango du jour).
La naissance d’un tango, c’est aussi l’écriture des paroles. Ici, on voit un poète (qui n’est pas joué par Mario Fernando Rada l’auteur des paroles). La tasse de café au lait devant le poète, c’est le prix payé pour les paroles. La transcription de la musique ayant été payée 5 pesos un peu plus tôt dans le film à José María Rizutti qui avait joué sous la dictée sifflée par Luis Sandrini dans la scène du piano.
Dès les paroles terminées, les musiciens et le chanteur (Luis Díaz) se ruent au balcon réservé aux orchestres. On peut ainsi entendre la première version de Araca la Cana avec Aníbal Troilo (bandonéon) Vicente Tagliacozzo (violon) José María Rizutti (piano) et Luis Díaz (chant).
Le dernier extrait, c’est l’orchestre de Osvaldo Fresedo jouant le titre sur la scène d’un bal et la scène finale du film. Le berretin « tango » aura ainsi aidé à sauver l’entreprise familiale.

Extraits choisis par DJ BYC Bernardo du film Los tres berretines.

Racing Club 1930-06-03 – Sexteto Carlos Di Sarli

Vicente Greco Letra : Carlos Pesce

Les Argentins sont toqués de football, comme peu d’autres peuples. Chacun est hincha (fan) d’un club. Il était donc naturel que cela se retrouve dans l’autre passion de certains Argentins, le tango. Notre tango du jour ne brille pas forcément par ses paroles, mais la musique de Vicente Greco est intéressante et comme toutes les versions enregistrées sont instrumentales, on peut danser, même si on déteste le football.

Extrait musical

Partition pour piano de Racing Club. On voit que sur la couverture de la partition, la dédicace aux affiliés au Racing Club et la mention « Tango Footballistico ». L’orthographe est plus proche de l’anglais que l’orthographe actulle, les Argentins écrivent désormais Futbol.
Racing Club 1930-06-03 – Sexteto .

On connaît bien l’entrée en matière énergique. Cette version se distingue de bien des enregistrements de l’époque, par un bel étagement des instruments, avec un motif de violon qui lie le tout et quelques relances de piano ou de bandonéon. Cette version est assez moderne et pourrait probablement passer en milonga, notamment, s’il y a beaucoup de piétineurs dans les participants.
Pour cet , le sexteto est composé des musiciens suivants :
César Ginzo et Tito Landó (bandonéons) Carlos Di Sarli (piano) et Héctor Lefalle (violons) et Domingo Capurro à la contrebasse.

Paroles

Racing Club de Avellaneda
club de mi pueblo querido,
yo que admiro con cariño
tu valiente batallar
en esas horas gloriosas
para el deporte argentino,
fuiste campeón genuino
de la masa popular.

Racing Club, vos que diste
academia en la del Sur
gran campeón de los de oro
del futbol de mi Nación,
yo quisiera ver triunfar a tus colores,
que son los de mi bandera
porque aún seguís siendo para todos
el glorioso Racing Club.

Noble club con gran cariño
te sigue la muchachada
la que tan entusiasmada
te sabrá siempre alentar,
porque sos vos Racing Club
la gloria del tiempo de oro
como el Alumni que añoro
y jamás volverá.

Vicente Greco Letra: Carlos Pesce

Traduction libre et indications

Racing Club de Avellaneda, club de mon village bien-aimé, moi qui admire avec affection ta courageuse bataille en ces heures glorieuses pour le sport argentin, tu as été un véritable champion des masses populaires.
Racing Club, toi qui as donné académie en Amérique du Sud, grand champion de l’ancien âge d’or du football dans ma nation, je voudrais voir triompher tes couleurs, qui sont celles de mon drapeau, car tu es toujours pour nous tous, le glorieux Racing Club.
Noble club, avec beaucoup d’affection te suit la foule, celle qui avec tant d’enthousiasme saura toujours t’encourager, car tu es, toi,
Racing Club, la gloire de l’âge d’or, comme L’Alumni (club de football des élèves de l’école , disparu en 1913) qui me manque et jamais ne reviendra.
Les fans de foot pourront regarder cette courte vidéo présentant l’histoire du club Alumni.

https://youtu.be/R5Nr6FKgJ6k

Histoire du club Alumni en vidéo. Les maillots ont des rayures comme celles du Racing Club, mais rouges et blanches au lieu de célestes et blanches.

Pour les superfans qui s’intéressent à l’histoire des stades, je propose ce document, seulement en espagnol, mais bien documenté sur la vie des stades, notamment à partir d’exemples portègnes. El ciclo de vida de los estadios porteños (PDF).

Autres versions

Racing Club 1916 – Orquesta Típica Ferrer (Orquesta Típica Argentina Celestino).

Je pense que vous êtes désormais habitué à ce son linéaire. La prise de son acoustique ne rend sans doute pas une grande justice à la prestation. Les nuances sont impossibles. Jouer moins fort, c’est prendre le risque que la musique disparaisse dans le bruit de fond du disque. On entend cependant de jolis motifs, comme les « twitwititis » de la flûte, en arrière-plan. Comme avec la plupart des tangos de l’époque, on peut trouver le résultat monotone, les différentes parties étant très similaires, pour ne pas dire identiques.

Racing Club 1930-06-03 – Sexteto Carlos Di Sarli. C’est notre tango du jour.
Racing Club 1940-07-04 – Orquesta Carlos Di Sarli.

Avec son orchestre, Di Sarli enregistre de nouveau le titre. Une version vraiment très différente de la version de 1930 qui permet de mesurer son évolution et reconnaître ses évolutions futures. Roberto Guisado (violon) et Carlos Di Sarli (piano), sont les seuls musiciens ayant participé au sexteto.

Racing Club 1942 – Orquesta Aníbal Troilo.

Bien que ce ne soit pas son club de cœur, il était de River, Troilo a enregistré le titre. La qualité sonore est médiocre, car c’est un enregistrement en acétate réalisé lors d’une prestation à la radio, c’est dommage, avec un enregistrement correct, on aurait eu une version animée pour les milongas.

Racing Club 1946-03-29 – Orquesta Ángel D’Agostino.

On ne s’attend sans doute pas à trouver cet enregistrement de la part de D’Agostino. Mais c’est sans doute qu’on privilégie les enregistrements avec qui pousse d’Agostino à plus de douceur et de romantisme. On notera un appel en début de morceau, au bandonéon, différents des versions précédentes.

Racing Club 1949-10-13 – Orquesta Alfredo Gobbi.

Le moins qu’on puisse dire est que Gobbi n’est pas très apprécié/passé en milonga, mais si on le passe, c’est avec Racing Club et Orlando Goñi, La viruta et bien sûr Independiente Club qui est le pendant parfait de Racing Club, puisque c’est un club concurrent. Peu de DJ s’aventurent beaucoup plus loin et c’est sans doute mieux ainsi, car il est difficile de faire une belle tanda, homogène, avec le reste de ses enregistrements… Gobbi utilise le même appel au bandonéon que D’Agostino.

Racing Club 1950-09-13 – Orquesta Rodolfo Biagi.

Racing Club 1950-09-13 – Orquesta Rodolfo Biagi. Bon, c’est du Biagi. Cela se reconnaît dès le début, Biagi entre directement dans le « Tchang – Tchang » qui lui est cher. Ceux qui n’ont pas reconnu, le feront au bout des quinze premières secondes, lors de la première virgule (la petite fioriture) de Biagi au piano. Même si Biagi a de nombreux fans, il est difficile de mettre plus de deux tandas de cet orchestre dans une milonga si on veut proposer un éventail de sensations plus large. Mais certains sont prêts à danser toute la nuit avec Biagi, alors, ojo comme on dit en Argentine, attention, DJ, on t’a à l’œil, ou plutôt à l’oreille).

Racing Club 1966-10-07 – Los Siete Del Tango dir. y arr. Luis Stazo y .

Pour terminer, cette liste qui pourrait bien sûr être plus longue, cette version par les anciens musiciens de Pugliese, Los Siete Del Tango (les 7 du tango). On n’est plus dans la danse, mais c’est de la belle ouvrage. On notera que le début est celui de D’Agostino, mais revu. Il est plus lent et annonce une pause avant le début du morceau.

Pour réconcilier les footeux et les tangueros et faire plaisir à ceux qui sont les deux

Je vous propose cette vidéo avec comme musique, Quejas de bandoneón par Aníbal Troilo, dansé à San Telmo (quartier de buenos Aires) par un couple virtuose du ballon rond. Petite fantaisie, Troilo était hincha de (Les anglo-saxons parlent de River Plate pour le Río de la Plata), pas du Racing, mais comme fanatique de football, il me pardonnera sans doute, d’autant plus qu’il a enregistré Racing Club…
Pour le Racing, il faudrait plutôt choisir qui était hincha de ce club, mais il n’a pas enregistré le titre…

Réalisé pour la coupe du Monde de 2018, ce film était dans le cadre de la campagne futbol deporte nacional (Football, Sport National).

Allez, un dernier truc, une playlist pour hinchas de Racing sur Spotify… ATTENTION, cela n’a rien de tango, c’est juste pour vous aider à prendre la dimension du phénomène football en Argentine.

Del barrio de las latas, Tita Merello y la cuna del tango

Letra: Emilio Augusto Oscar Fresedo

Je n’étais pas totalement inspiré par les tangos enregistré un premier juin, alors j’ai décidé de vous parler d’un tango qui a été étrenné un premier juin. Il s’agit de Del barrio de la latas (du quartier des barils) que Tita Merello interpréta sur scène pour la première fois le premier juin de 1926 au théâtre Maipo. Le quartier décrit ne dura que trente ans et est, du moins pour certains, le berceau du tango.

Le quartier des bidons

Le pétrole lampant, avant de servir aux avions d’aujourd’hui sous le nom de kérosène, était utilisé pour l’éclairage, d’où son nom. Les plus jeunes n’ont sans doute pas connu cela, mais je me souviens de la magie, quand j’étais gamin de la lampe à pétrole dont on faisait sortir la mèche en tournant une vis. J’ai encore la sensation de cette vis moletée sur mes doigts et la vision de la mèche de coton qui sortait miraculeusement et permettait de régler la luminosité. La réserve de la mèche qui trempait dans le pétrole paraissait un serpent et sa présence me gênait, car elle assombrissait la transparence du verre.

Je n’ai plus les lampes à pétrole de mon enfance, mais je me souviens qu’elles avaient une corolle en verre. Impossible d’en trouver en illustration, toutes ont le tube blanc seul. J’imagine que les corolles ont été réutilisées pour faire des lustres électriques. Je me suis donc fabriqué une lampe à pétrole, telle que je m’en souviens, celle de gauche. En fait, le verre était multicolore. J’ai fait au plus simple, mais sans le génie des artisans du XIXe siècle qui avaient créé ces merveilles. J’ai finalement trouvé une lampe complète (à droite). Je l’ai rajoutée à mon illustration. Le verre est plus transparent, ceux de mon enfance étaient plus proches de celui de gauche et les couleurs étaient bien plus jolies, mais cela prouve que l’on peut encore trouver des lampes complètes.

Vous aurez compris que ces lampes étaient destinées aux familles aisées, pas aux pauvres émigrés qui traînaient aux alentours du port. Ces derniers cependant « bénéficiaient » de l’industrie du pétrole lampant en récupérant les bidons vides.
La ville qui s’est ainsi montée de façon anarchique est exactement ce qu’on appelle un bidonville. Mais ici, il s’agit d’un quartier, barrio de latas boîtes de conserve, bidons…

Une masure constituée de bidons d’huile et de pétrole lampant du quartier de las latas

Arrêtons-nous un instant sur cette photographie. On reconnaît bien la forme des bidons parallélépipédiques qui servaient à contenir l’huile et le pétrole lampant. On sait qu’ils étaient remplis de terre par l’auteur de l’ouvrage William Jacob Holland (1848-1932) relatant l’expédition scientifique envoyée par le Carnegie Museum. L’ouvrage a été publié en 1913, preuve qu’il restait des éléments de ce type de construction à l’époque. En fait, il y en a toujours de nos jours.
Voici un extrait du livre parlant de ce logement.

La page 164 et un intercalaire (situé entre les pages 164 et 165) avec des photographies. On notera le contraste entre le Teatro Colón et la masure faite de bidons d’huile et de pétrole lampant.

To the River Plate and back (page 162)

The Argentines are a pleasure-loving people, as is attested by the number of places of amusement which are to be found. The Colon Theater is the largest opera-house in South America and in fact in the world, surpassing in size and in the splendor of its interior decoration the great Opera-house in Paris. To it come most of the great operatic artists of the day, and to succeed upon the stage in Buenos Aires is a passport to success in Madrid, London, and New York.

In contrast with the Colon Theatre may be put a hut which was found in the suburbs made out of old oil-cans, rescued from a dumping-place close at hand. The cans had been filled with earth and then piled up one upon the other to form four low walls. The edifice was then covered over with old roofing-tin, which likewise had been picked up upon the dump. The structure formed the sleeping apartment of an immigrant laborer, whose resourcefulness exceeded his resources. His kitchen had the sky for a roof; his pantry consisted of a couple of pails covered with pieces of board. Who can predict the future of this new citizen?

William Jacob Holland; To the River Plate and back. The narrative of a scientific mission to South America, with observations upon things seen and suggested. Page 162.

Traduction de l’extrait du livre de William Jacob Holland

Les Argentins sont un peuple qui aime les plaisirs, comme l’atteste le nombre de lieux de divertissement qu’on y trouve. Le théâtre Colon est le plus grand opéra d’Amérique du Sud et même du monde, surpassant par la taille et la splendeur de sa décoration intérieure le grand opéra de Paris. C’est là que viennent la plupart des grands artistes lyriques de l’époque, et réussir sur la scène de Buenos Aires est un passeport pour le succès à Madrid, à Londres et à New York.

En contraste avec le théâtre de Colon, on peut mettre une cabane qui a été trouvée dans les faubourgs, faite de vieux bidons d’huile, sauvés d’une décharge à proximité. Les boîtes avaient été remplies de terre puis empilées les unes sur les autres pour former quatre murets. L’édifice fut alors recouvert de vieilles plaques de tôle de toiture, qui avaient également été ramassées sur la décharge. La structure formait l’appartement de sommeil d’un travailleur immigré, dont l’ingéniosité dépassait les ressources. Sa cuisine avait le ciel pour toi ; son garde-manger se composait de deux seaux recouverts de morceaux de planche. Qui peut prédire l‘avenir de ce nouveau citoyen ?

William Jacob Holland ; Vers le Rio de la Plata et retour. Le récit d’une mission scientifique en Amérique du Sud, avec des observations sur les choses vues et suggérées.

Et un autre paragraphe sur les femmes à Buenos Aires, toujours dans le même ouvrage

La demi-réclusion du beau sexe, qui est valable en Espagne, prévaut dans tous les pays d’Amérique du Sud, qui ont hérité de l’Espagne leurs coutumes et leurs traditions. Les dames apparaissent dans les rues plus ou moins étroitement voilées, très rarement sans escorte, et jamais sans escorte après le coucher du soleil. Pour une femme, paraître seule dans les rues, ou voyager sans escorte, c’est tôt ou tard s’exposer à l’embarras. Le mélange libre mais respectueux des sexes qui se produit dans les terres nordiques est inconnu ici. Les vêtements de deuil semblent être très affectés par les femmes des pays d’Amérique latine. Je dis à l’une de mes connaissances, alors que nous étions assis et regardions des passants sur l’une des artères bondées : «Il doit y avoir une mortalité effroyable dans cette ville, à en juger par le nombre de personnes en grand deuil. Il sourit et répondit : « Les femmes regardent les vêtements noirs avec faveur comme déclenchant leurs charmes, et se précipitent dans le deuil au moindre prétexte. La ville est raisonnablement saine. Ne vous y trompez pas. »

On est vraiment loin de l’atmosphère que respirent les tangos du début du vingtième siècle. L’auteur, d’ailleurs, ne s’intéresse pas du tout à cette pratique et ne mentionne pas le tango dans les 387 pages de l’ouvrage…

Extrait musical

Bon, il est temps de parler musique. Bien sûr, on n’a pas l’enregistrement de la prestation de Tita Merello le premier juin 1929. En revanche, on a un enregistrement bien pus tardif puisqu’il est de 1964. C’est donc lui qui servira de tango du jour.
L’autre avantage de choisir cette version est que l’on a les paroles complètes.

Del barrio de las latas 1964 Tita Merello con acomp. de Carlos Figari y su conjunto.

Bon, c’est un tango à écouter, je passe tout de suite aux paroles qui sont plus au cœur de notre anecdote du jour.

Paroles

Del barrio de las latas
se vino pa’
con un par de alpargatas
y pilchas indecentes.
La suerte tan mistonga
un tiempo lo trató,
hasta que al fin, un día,
Beltrán se acomodó.

Y hoy lo vemos por las calles
de Corrientes y Esmeralda,
estribando unas polainas
que dan mucho dique al pantalón.
No se acuerda que en Boedo
arreglaba cancha’e bochas,
ni de aquella vieja chocha,
por él, que mil veces lo ayudó.

Y allá, de tarde en tarde,
haciendo comentarios,
las viejas, con los chismes
revuelven todo el barrio.
Y dicen en voz baja,
al verlo un gran señor:
“¿Tal vez algún descuido
que el mozo aprovechó?”

Pero yo que sé la historia
de la vida del muchacho,
que del barrio de los tachos
llegó por su pinta hasta el salón,
aseguro que fue un lance
que quebró su mala racha,
una vieja muy ricacha
con quien el muchacho se casó.

Raúl Joaquín de los Hoyos Metra: Emilio Augusto Oscar Fresedo

Traduction libre et indications

Depuis le bidonville, il s’en vint par Corrientes avec une paire d’espadrilles et des vêtements indécents.
La chance si pingre un certain temps l’a ballotté, jusqu’à ce qu’un jour, Beltran s’installe.
Et aujourd’hui, nous le voyons dans Corrientes et Esmeralda, portant des guêtres qui donnent beaucoup d’allure au pantalon.
Il ne se souvient pas qu’à Boedo, il réparait le terrain de boules ni de cette vieille radoteuse, selon lui, qui mille fois l’a aidé.
Et là, de temps à autre, faisant des commentaires, les vieilles femmes, avec leurs commérages, remuent tout le quartier.
Et elles disent à voix basse en le voyant en grand monsieur :
« Peut-être quelque négligence dont le beau gosse a profité ? »
Mais moi qui connais l’histoire de la vie du garçon qui est venu du quartier des poubelles et qui par son allure parvint jusqu’au salon, je vous assure que c’est un coup de chance qui a brisé sa mauvaise série, une vieille femme très riche avec qui le garçon s’est marié.

Autres versions

Del barrio de las latas 1926 – con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras).

Le plus ancien enregistrement, du tout début de l’enregistrement électrique.

Del barrio de las latas 1926-11-16 – Sexteto Osvaldo Fresedo.

Une version bien piétinante pour les amateurs du genre. Pas vilain, mais un peu monotone et peu propice à l’improvisation. Son frère n’a pas encore écrit les paroles.

Del barrio de las latas 1926-11-21 – Orquesta Juan Maglio Pacho.

Pour les mêmes. Cela fait du bien quand ça s’arrête 😉

Del barrio de las latas 1927-01-19 – Orquesta Francisco Canaro.

Les piétineurs, je vous gâte. Cette version a en plus un contrepoint très sympa. On pourrait se laisser tenter, disons que c’est la première version que l’on pourrait envisager en milonga.

Del barrio de las latas 1954-04-21 – Orquesta Carlos Di Sarli con Mario Pomar.

On fait un bond dans le temps, 27 ans plus tard, Di Sarli enregistre avec Pomar la première version géniale à danser, pour une tanda romantique, mais pas soporifique.

Del barrio de las latas 1964 Tita Merello con acomp. de Carlos Figari y su conjunto. C’est notre tango du jour.

Pas pour la danse, mais comme déjà évoqué, il nous rappelle que c’est Tita qui a inauguré le titre, 35 ans plus tôt.

Del barrio de las latas 1968-06-05 – Cuarteto Aníbal Troilo.

Pour terminer notre parcours musical dans le bidonville. Je vous propose cette superbe version par le cuarteto de Aníbal Troilo.
La relative discrétion des trois autres musiciens permet d’apprécier toute la science de Troilo avec son bandonéon. Il s’agit d’un cuarteto nouveau pour l’occasion et qui dans cette composition ne sera actif qu’en 1968. Il était composé de :
Aníbal Troilo (bandonéon), Osvaldo Berlingieri (piano), Ubaldo De Lío (guitare) et Rafael Del Bagno (contrebasse).

– Le berceau du tango

Le titre de l’article du jour parle de berceau du tango, mais on n’a rien vu de tel pour l’instant. Je ne vais pas vous bercer d’illusions et voici donc pourquoi ce quartier de bidons serait le berceau du tango.

Où se trouvait ce quartier

Nous avons déjà évoqué l’importance du Sud de Buenos Aires pour le tango. Avec Sur, bien sûr, mais aussi avec En lo de Laura (en fin d’article).

À cause de la peste de 1871, les plus riches qui vivaient dans cette zone se sont expatriés dans le Nord et les pauvres ont continué de s’amasser dans le sud de Buenos Aires, autour des points d’arrivée des bateaux.
La même année, Sarmiento confirma que la zone était la décharge d’ordures de Buenos Aires. Le volume des immondices accumulées à cet endroit était de l’ordre de 600 000m3. Une épaisseur de 2 mètres sur une surface de 3km². On comprend que les pauvres se fabriquent des abris avec les matériaux récupérés dans cette décharge.

Le train des ordures. El tren de la basura qui apportait les ordures à proximité du barrio de las latas.

Pour alimenter cette immense décharge, un train a été mis en place pour y transporter les ordures. Il partait de Once de septiembre (la gare) et allait jusqu’à la Quema lieu où on brûlait les ordures (Quemar en espagnol est brûler).
L’année dernière, les habitants du quartier où passait ce train ont réalisé la  fresque qui retrace l’histoire de ce train.

Peinture murale du train des ordures, calle Oruro (elle est représentée à gauche avec le petit train qui va passer sur le pont rouge).
Histoire du train de la basura qui a commencé à fonctionner le 30 mai 1873.
La montagne d’ordures. Dans la peinture murale, des éléments réels ont été insérés. Il y a le nom des deux peintres et de ceux qui ont donné des « ordures » pour l’œuvre.

ET le berceau du tango ?

Ah oui, je m’égare. Dans la zone de la décharge, il y avait donc de l’espace qui n’était pas convoité par les riches, à cause bien sûr des odeurs et des fumées. Même le passage du train était une nuisance. S’est rassemblée dans ces lieux la foule interlope qui sera le terreau présumé du tango.
Il faut rajouter dans le coin les abattoirs, des abattoirs qui feraient frémir aujourd’hui, tant l’hygiène y était ignorée.

Los Corrales Viejos (situé à Parque Patricios),  les abattoirs et le lieu de la dernière bataille, le 22 juin 1880, des guerres civiles argentines. Elle a vu la victoire des forces nationales et donc la défaite des rebelles de la province de Buenos Aires.

Extrait de (anonyme)

Anoche en
Bailé con la Boladora
Y estaba la parda Flora
Que en cuanto me vio estriló,
Que una vez en los Corrales
En un cafetín que estaba,
Le tuve que dar la biaba
Porque se me reversó.

Anonyme

Traduction de la La Pishuca

Hier soir à lo de Tranqueli, j’ai dansé avec la Boladora. Il y avait la Parda Flora (Uruguayenne mulâtresse ayant travaillé à Lo de Laura et danseuse réputée). Quand elle m’a vu, elle s’est mise en colère, car aux Corrales dans un café où elle était, j’avais dû lui donner une branlée, car j’étais retourné.

Il y a donc une perméabilité entre les deux mondes.

Sur l’origine du tango, nous avons d’autres sources qui se rapportent à cette zone. Par exemple ce poème de Francisco García Jiménez (qui a par ailleurs donné les paroles de nombreux tangos) :

Poème de Francisco García Jiménez (en lunfardo)

La cosa jué por el sur,
y aconteció n’el ochenta
ayá en los Corrales Viejos,
por la caye de la Arena.

Salga el sol, salga la luna,
salga la estreya mayor.
La cita es en ;
naide falte a la riunión…

Los hombres dentraron serios
y cayao el mujerío:
siempre se yega a un bailongo
como al cruce del destino.

Tocaron tres musicantes
haciendo punt’al festejo:
con flauta, guitarra y arpa,
un rubio, un pardo y un negro.

Salieron los bailarines
por valse, mazurca y polca;
y entre medio, una pareja
salió bailando otra cosa.

El era un güen cuchiyero,
pero de genio prudente.
Eya una china pintona,
mejorando lo presente.

Eya se llamaba Flora
y él se apellidaba Trejo:
con cortes y con quebradas
lo firmaban en el suelo.

No lo hacían de compadres
¡y compadreaban sin güelta!
Al final bailaban solos
pa’contener a la rueda.

Bailaron una mestura
que no era pa’maturrangos,
de habanera con candombe,
de milonga con fandango.

Jué un domingo, en los Corrales
cuando inventaron el tango.

Francisco García Jiménez

Traduction libre du poème de Francisco García Jiménez

Cela s’est passé vers le sud, et cela s’est passé dans les années quatre-vingt dans les Corrales viejos, le long de la Calle de la Arena (la rue de sable, en Argentine, beaucoup de villes ont encore de nos jours des rues en sable ou en terre. En 1880, la zone, l’actuel Parque Patricios, était rurale).
Que le soleil se lève, que la lune se lève, que l’étoile majeure se lève.
Le rendez-vous est à La Blanquiada ; personne ne manque la réunion…

La Blanquiada (Blanqueada, était une pulpería (magasin d’alimentation, café, lieu de divertissements). On y jouais aux boules (comme évoqué dans notre tango du jour), mais on y dansait aussi, comme le conte cette histoire.

Les hommes entrèrent gravement et le coureur de jupons se tut.
On arrive toujours à une danse comme si on était à la croisée des chemins du destin.
Trois musiciens ont joué au point culminant de la fête avec flûte, guitare et harpe, un blond, un brun et un noir. (On pourrait penser à Pagés-Pesoa-Maciel, Enrique Maciel étant noir (et était un grand ami du parolier Blomberg, grand et blond).
Les danseurs sont sortis pour la valse, la mazurka et la polka ; et entre les deux, un couple est sorti en dansant autre chose.
C’était un bon couteau (adroit avec le couteau), mais d’un tempérament prudent.
Elle était une femme fardée, améliorant le présent.
Elle s’appelait Flora, (probablement la Flora Parda dont nous avons parlé dans En Lo de Laura) et lui s’appelait Trejo (est-ce Nemesio Trejo qui aurait été âgé de 20 ans ? Je ne le crois pas, mais ce n’est pas impossible, même s’il est plus connu comme parolier et payador que comme danseur) : avec des cortes et des fentes, ils le signaient dans le sol.
Ils ne l’ont pas fait en tant que camarades, et ils l’ont fait sans bonté !
À la fin, ils dansèrent seuls pour contenir la ronde.
Ils dansaient une mesure qui n’était pas pour de maturrangos (mauvais cavaliers), d’habanera avec candombe, de milonga avec fandango.
C’était un dimanche, dans les Corrales quand ils ont inventé le tango.
Francisco García Jiménez étant né en 1899, soit 17 ans après les faits, il ne peut pas en être un témoin direct.

Un autre texte sur la naissance du tango de Miguel Andrés Camino

Je cite donc à la barre, un autre auteur, plus âgé. Miguel Andrés Camino, né à Buenos Aires en 1877. Il aurait donc eu cinq ans, ce qui est un peu jeune, mais il peut avoir eu des informations par des parents témoins de la scène.

El tango par Miguel Andrés Camino

Nació en los Corrales Viejos,
allá por el año ochenta.
Hijo fue de una milonga
y un pesao del arrabal.
Lo apadrinó la corneta
del mayoral del tranvía,
y los duelos a cuchillo
le ensañaron a bailar.
Así en el ocho
y en la sentada,
la media luna,
y el paso atrás
puso el reflejo
de la embestida
y las cuerpeadas
del que la juega
con su puñal.
requintó el chambergo
usó melena enrulada, pantalones con trencilla
y botines de charol.
Fondeó en los peringundines,
bodegones y… posadas
y en el cuerpo de las chinas
sus virtudes enroscó.
En la corrida
y el abanico.
el medio corto
y el paso atrás,
puso las curvas
de sus deseos
de mozo guapo
que por la hembra
se hace matar.
También vagó por las calles
con un clavel en la oreja;
Lució botín a lo militar.
Se adueñó del conventillo,
engatusó a las sirvientas
y por él no quedó jeta
que no aprendiera a chiflar.
Y desde entonces
se vio al malevo
preso de honda
sensualidad
robar las curvas
de las caderas,
pechos y piernas
de las chiruzas
de la ciudad.
Y así que los vigilantes
lo espiantaron de la esquina,
se largó pa’ las Uropas,
de donde volvió señor.
Volvió lleno de gomina,
usando traje de cola
y en las murgas y pianolas
hasta los rulos perdió.
Y hoy que es un jaife
tristón y flaco,
que al ir bailando
durmiendo va;
y su tranquito
ya se asemeja
al del matungo
de algún Mateo
que va a largar.

Miguel Andrés Camino

Traduction libre et indications sur le poème de Miguel Andrés Camino

Il est né dans les Corrales Viejos, dans les années quatre-vingt.
Il était le fils d’une milonga et d’un bagarreur des faubourgs.
Il était parrainé par le cor du conducteur du tramway, et les duels au couteau lui apprirent à danser. Ainsi, dans le huit (ocho) et dans la sentada (figure où la femme est assise sur les cuisses de l’homme, voir, par exemple Taquito millitar), la demi-lune et le pas en arrière, le reflet de l’assaut et les attitudes de celui qui la joue avec son poignard.
Il portait des cheveux bouclés, des pantalons tressés et des bottines en cuir verni.
Il a jeté l’ancre dans les bordels, bars et… et dans le corps des femmes faciles, ses vertus s’enroulaient.
Dans la corrida et l’éventail, le demi-corte et le pas en arrière, il a mis les courbes de ses désirs de beau jeune homme qui se fait tuer pour la femelle.
Il traînait aussi dans les rues avec un œillet à l’oreille ; les bottines brillantes comme celles des militaires.
Il s’empara du conventillo (habitation collective pour les pauvres), lutina les servantes, et il n’y avait pas une tasse qu’il n’apprendrait pas à siffler (boire, jeu de mots lourdingue et graveleux).
Et depuis lors, se vit prisonnier le mauvais d’une profonde sensualité a été vu en train de voler les courbes des hanches, des seins et des jambes des chiruzas (femmes vulgaires) de la ville.
Et dès que les gardes l’aperçurent du coin, il se rendit chez les Européens, d’où il revint, monsieur.
Il est revenu plein de gomina, vêtu d’un queue-de-pie et dans les murgas et les pianolas, il a même perdu ses boucles.
Et aujourd’hui, c’est un présomptueux, triste et maigre, qui va danser en dormant ; et son calme ressemble déjà à celui du matungo  (cheval faible ou inutile) d’un Mateo (coche, taxi, à chevaux) qui va partir.

On comprend dans ce poème dont on ne cite généralement que le début qu’il parle du tango qui, né dans les faubourgs bagarreurs, s’est abâtardi en allant en Europe. Cela date donc le poème des années 1910-1920 et si le texte reflète une tradition, voire une légende, il ne peut être utilisé pour avoir une certitude.

Nous sommes bien avancés. Nous avons donc plusieurs textes qui relatent des idées semblables, mais qui ne nous donnent pas l’assurance que le berceau du tango est bien à Parque Patricios, Corrales Viejos.

Faut-il en douter comme Borges qui avait des idées pourtant très semblables à celles de Miguel Andrés Camino ? Peu importe. Cette légende, même si elle est fausse a ensemencé le tango, par exemple El ciruja de De Angelis. On dirait plutôt aujourd’hui El cartoniero. Les cartonieros sont des personnages indissociables des grandes villes argentines. Avec leur charrette à bras chargée de tout ce qu’ils ont trouvé dans les poubelles, ils risquent leur vie au milieu de la circulation trépidante pour déplacer leurs dérisoires trésors vers les lieux de recyclage. Cette communauté souffre beaucoup en ce moment, les restaurants solidaires (soupes populaires) ne reçoivent plus d’aide de l’état et pire, ce dernier laisse se périmer des tonnes de nourritures achetées pour cet usage par le gouvernement précédent.

Espérons que ces personnages miséreux qu’on appelle parfois les grenouilles (ranas), car dans le quartier des bidons, il y avait souvent des inondations et que les habitants faisaient preuve d’imagination et de débrouillardise pour survivre. Grenouille n’est donc pas péjoratif, c’est plutôt l’équivalent de rusé, astucieux. Le Beltrán de notre tango du jour est une décès grenouilles qui s’est transformée en prince charmant, au moins pour une vieille femme, très riche 😉

Je vous présente Beltrán et sa femme. C’est beau l’amour.

Una lágrima tuya 1949-05-27 – Orquesta José Basso con Francisco Fiorentino y Ricardo Ruiz

Mariano Mores Letra: Homero Manzi

Nous restons avec Mariano Mores qui nous avait donné Uno hier pour une autre merveille, Una lágrima tuya. Les paroles sont d’Homero Manzi, on reste dans le très haut du registre. Comme Uno, ce titre a été créé pour un film, Corrientes, calle de ensueños. Je pense que vous allez être très surpris par ce tango, mais est-ce vraiment un tango?

Fiorentino — Ruiz?

Pour cette œuvre un peu hors norme, José Basso s’est adjoint deux chanteurs de premier plan, Francisco Fiorentino et Ricardo Ruiz.
On est habitué à associer Francisco Fiorentino à Troilo, mais en 1944, Fiore avait mis les bouts pour créer son propre orchestre dont il confia la direction à Astor Piazzolla. Ce dernier partant à son tour, Fiorentino ira en 1948 chanter pour deux ans avec Basso.
De son côté Ricardo Ruiz est associé à Fresedo. Cependant, il avait quitté cet orchestre en 1942 et depuis 1947, il travaille avec Basso. En 1949, il est donc logique de trouver ces deux chanteurs en duo dans l’orchestre de José Basso.

Extrait musical

Una lágrima tuya 1949-05-27 — Orquesta José Basso con Francisco Fiorentino y Ricardo Ruiz.
Avec la photo de Mariano Mores, la partition de Una lagrima tuya.

Je pense que dès les premières mesures, vous avez été surpris par le rythme de cette œuvre. Les connaisseurs auront reconnu le rythme du malambo.
Vous connaissez sans doute le malambo sans le savoir, car son élément essentiel est le zapateo, ces jeux de jambes et de pieds que les hommes font durant la chacarera.
C’est une démonstration d’agilité, un défi que se lançaient les gauchos au XIXe siècle. C’est devenu aujourd’hui un élément de folklore et les groupes de danses traditionnelles présentent cette danse si enthousiasmante à pratiquer.
Comme il s’agit d’un défi, les hommes ont un regard sérieux pour ne pas dire « méchant ». Il ne s’agit pas de petites frappes au sol avec un grand sourire comme on peut le voir dans nos milongas, ou de petits battements de pieds, légers qui semblent caresser le sol.
Il n’y a pas à proprement parler de chorégraphie, chaque « danseur » (je mets danseur entre guillemets, car il s’agit plutôt d’un duelliste) fait preuve d’imagination et de créativité pour effectuer les figures les plus audacieuses. Le gagnant du duel est celui qui reste, le perdant part, épuisé ou dégoûté par les capacités de son adversaire.
La chacarera offre une forme « civilisée » du malambo. Pas question de se livrer à des exubérances, il s’agit de conquérir la femme, pas de lui faire peur. Par ailleurs, la chacarera est une danse de groupe et un peu d’harmonie dans l’ensemble est de rigueur.

Cette vidéo présente un duel de malambo effectué par deux adolescents. Vous reconnaîtrez la musique initiale qui est celle de notre « tango » du jour. C’est une création de Canal Encuentro, une merveilleuse chaîne culturelle argentine, malheureusement menacée, car la culture n’entre pas dans les priorités du nouveau président argentin, Javier Milei.

Dans la seconde partie de la musique, on retrouve une autre musique traditionnelle, la huella (à partir de 1 h 30). Vous connaissez certainement cette musique popularisée par Ariel Ramírez dans sa Misa criolla.

Pour faire d’une pierre, deux coups, vous pouvez entendre ici une interprétation de La Peregrinación () faisant partie de la Misa Criolla. Il s’agit ici d’une danse chorégraphiée par un groupe de danse traditionnelle, mais on peut se rendre compte qu’il y a des similitudes avec la chacarera (vueltas et zapateos, par exemple).

Avec une référence au malambo norteño et à la huella pampeana sureña, Mores évoque le Nord et le Sud de l’Argentine.

Paroles

Una lágrima tuya
me moja el alma,
mientras rueda la luna
por la montaña.

Yo no sé si has llorado
sobre un pañuelo
nombrándome,
nombrándome,
con desconsuelo.

La voz triste y sentida
de tu canción,
desde otra vida
me dice adiós.

La voz de tu canción
que en el temblor de las campanas
me hace evocar el cielo azul
de tus mañanas llenas de sol.

Una lágrima tuya
me moja el alma
mientras gimen
las cuerdas de mi guitarra.

Ya no cantan mis labios
junto a tu pelo,
diciéndote,
diciéndote,
lo que te quiero.

Tal vez con este canto
puedas saber
que de tu llanto
no me olvidé,
no me olvidé.

Mariano Mores Letra: Homero Manzi

Traduction libre

Une de tes larmes mouille mon âme, tandis que la lune roule sur la montagne.
Je ne sais pas si tu as pleuré sur un mouchoir en me nommant, inconsolable.
La voix triste et sincère de ta chanson, d’une autre vie,
me dit adieu.
La voix de ta chanson qui dans le tremblement des cloches me fait évoquer le ciel bleu de tes matinées pleines de soleil.
Une de tes larmes mouille mon âme alors que les cordes de ma guitare gémissent.
Mes lèvres ne chantent plus, collées à tes cheveux, te disant, te disant, combien je t’aime.
Peut-être qu’avec cette chanson, tu pourras savoir que je n’ai pas oublié tes pleurs, je n’ai pas oublié.

Mariano Mores et le folklore

Ce n’est pas la seule fois où Mariano Mores fait référence au folklore dans ses compositions., par exemple :
Adiós, pampa mía qui incorpore des rythmes de et de estilo.
El estrellero (cheval qui lève la tête continuellement, ce qui gêne le cavalier) avec rythme de estillo.
Lors de ses tournées internationales, il était toujours accompagné de ballets de folklore, car, il ne laissait jamais de côté les danses folkloriques.

Autres versions

Una lagrima tuya 1948 — Orquesta Juan Deambroggio Bachicha con José Duarte.

Ce titre a été enregistré en France et édité par qui a par ailleurs publié sa propre version dans les années 60 (à écouter plus bas). La date de 1948 semble bien précoce. J’ai contacté les éditions Luis Garzon, si j’obtiens des informations j’adapterai la date, si nécessaire.

Una lágrima tuya 1949-03-30 — Orquesta con y Aldo Calderón.

Cette version a connu le dès son lancement sur disque et à la radio. C’est la première version avec les paroles définitives de Manzi.

Una lágrima tuya 1949-05-27 — Orquesta José Basso con Francisco Fiorentino y Ricardo Ruiz. C’est notre version du jour.
Una lágrima tuya 1949-10-13 — Orquesta Francisco Canaro con Mario Alonso.

Canaro sort sa version, sans duo, un mois après la sortie du film dans lequel il est intervenu. Pour une fois, il n’est pas dans les premiers à avoir enregistré (sauf si on tient compte de la version du film enregistrée en août 1948).

Una lágrima tuya 1949 — Orquesta Atilio Bruni con Hugo Del Carril.

Una lágrima tuya 1949 — Orquesta Atilio Bruni con Hugo Del Carril. Une version bien adaptée au zapateo dans sa première partie (malambo), avec la belle voix chaude de Del Carril. Mariano Mores aurait aimé que De Carril chante dans le film, mais ce fut son frère qui chanta.

Una lágrima tuya (en vivo con glosas) 1951 — Orquesta Aníbal Troilo con Jorge Casal y .

La qualité de cet enregistrement est très mauvaise, car c’est un enregistrement acétate, un support peu durable. Il a été réalisé en public lors d’un concert à San Pablo au Brasil et a été retransmis par Radio Bandeirantes. On peste contre ce son effroyable, mais quelle prestation ! On notera l’accent brésilien du présentateur qui annonce le titre, évoquant le malambo.

Una lágrima tuya charlo 1951-12-18 – Charlo y su orquesta.

Une belle version avec la voix qui domine un orchestre dont l’orchestration est originale.

Una lágrima tuya 1953 — Cristóbal Herrero y su orquesta típica con Rodolfo Díaz y Beatriz Maselli.

Una lágrima tuya 1953 — Cristóbal Herrero y su orquesta típica Buenos Aires con Rodolfo Díaz y Beatriz Maselli. Pas étonnant que Herrero enregistre ce titre, car il avait été catalogué par Odeon du côté du folklore et ils lui faisaient enregistrer cela plutôt que du tango. Il était donc un spécialiste des deux genres, mais aurait préféré enregistrer du tango. Cet enregistrement est donc une revanche, car il a coupé l’introduction en malambo. Il n’a gardé que les accords finaux, typiques du malambo. On retrouve la marche, marquée par le bandonéon, mais guère plus que les autres versions, celle-ci est adaptée aux danseurs exigeants. L’autre originalité du titre est que c’est un duo homme-femme. J’aime bien.

Una lágrima tuya (En vivo) 1954-10-04 — Orquesta Juan Canaro con Héctor Insúa.

Le s’est toqué du tango et les tournées des orchestres argentins ont été des succès formidables.

Una lágrima tuya 1954 — Luis Tuebols et son Orchestre typique argentin.

Oui, comme je l’ai mentionné à diverses reprises, l’histoire du tango n’est pas qu’en Argentine et Uruguay. Luis Tuebols a continué à promouvoir le tango en France, notamment en enregistrant avec Riviera, puis Barclay. Cet enregistrement fait partie des enregistrements avec Riviera en 78 tours. Il sera réédité en 33 tours en 1956 par Barclay.

Una lágrima tuya 1957-04-30 – Orquesta Mariano Mores con Enrique Lucero.

Voici comment Mariano Mores interprète sa création. On remarquera la voix profonde de son frère, Enrique Lucero. Ce dernier est celui qui chante dans le film avec Canaro (enregistrement du 31 août 1948 au teatro Maipo). Mariano joue le même thème, mais au piano solo. Vous pourrez voir cette vidéo à la fin de cet article.

Una lagrima tuya 1959 c — Primo Corchia y su Orquesta.

Primo Corchia, encore un exemple français du tango (même s’il est né en Italie, il a fait toute sa carrière en France).

Una lágrima tuya 1961-05-05 — Orquesta José Basso.

Un autre enregistrement de José Basso, instrumental celui-ci. Il assume parfaitement son affiliation au folklore. Le rythme est plus rapide que dans la version de 1949. J’espère que ce petit coup de projecteur sur ce musicien trop souvent négligé, José Basso vous donnera envie d’en écouter, voire danser, plus.

Et pour terminer cette liste bien incomplète, je vous propose deux curiosités :

Una lagrima tuya 1961 c— Orchestre Luis Garzon.

C’est celui qui aurait publié dès 1948 l’enregistrement de Bachicha. Cette version est purement musette. Le beau rythme de marche du malambo du départ, se commue en rythmique de tango musette, mais pas tout le temps. J’imagine que c’est une des raisons du succès de ce tango en France, la marche très marquée écrite par Mores s’adapte parfaitement au style musette. Le terme musette, vient de l’instrument à vent, de la famille des cornemuses, utilisé dans les bals populaires en France. Contrairement aux instruments des Écossais, la musette appelée cabrette dans le Massif-Central se remplit à l’aide d’un soufflet et non pas en soufflant dans une embouchure. Le joueur de musette peut donc chanter en jouant.

Una lagrima tuya y Adiós Pampa mía 1994 – Roberto Gallardo y su gran orquesta con y Oscar Larroca (hijo).

Deux titres de Mariano Mores ayant trait au folklore, enchaînés, Una lágrima tuya et Adiós Pampa mía. Le nom du chanteur vous dit certainement quelque chose, c’est le fils du chanteur des mêmes nom et prénom qui chanta si bien, par exemple avec De Angelis.
Encore un petit mot sur le film pour lequel Mores a écrit ce thème.

Corrientes, calle de ensueños, le film

Corrientes, calle de ensueños est un film de Román Viñoly Barreto sur un scénario de Luis Saslavsky sorti le 29 septembre 1949.

Une publicité pour le film Corrientes, calle de ensueños. Cette rue a une histoire et je dois la conter.

Homero Manzi, peu de temps avant sa mort, regrettait de ne pas avoir travaillé en collaboration avec Mariano Mores. Oscar Del Priore et Irene Amuchástegui racontent dans Cien tangos fundamentales (Mariano Mores a d’ailleurs écrit le prologue de ce livre…) que Mores de visite chez Manzi, joue ce thème au piano et peu après, Manzi fait savoir à Mores qu’il a des paroles à lui proposer pour sa musique. En réalité, les paroles définitives évolueront, jusqu’à la version que donnera Canaro avec Alonso en 1949, quelque temps avant le lancement du film.
Canaro était bien placé pour connaître cette œuvre, puisqu’il l’interprète, justement à la fin du film, mais ce n’est pas cet extrait que je vais vous présenter. Parmi les acteurs, Mariano Mores, lui-même, dans son premier rôle au cinéma. Dans cet extrait du début du film, il joue le titre au piano. De quoi bien terminer cette chronique.

Mariano Mores joue Una lágrima tuya au piano au début du film Corrientes, calle de ensueños

Uno 1943-05-26 – Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán

Mariano Mores Letra:

Le tango du jour s’appelle UNO, (un), mais vous aurez le droit à une belle addition de « uns ». Attention, les huns, pardon, les uns débarquent 1+1+1+1+1+…= un des plus beaux tangos du répertoire, écrit par Mariano Mores avec des paroles de Enrique Santos Discépolo. Préparez-vous à l’écoute, mais aussi à voir, j’ai une surprise pour vous…

Extrait musical

Uno 1943-05-26 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán

Paroles

Uno busca lleno de esperanzas
El camino que los sueños prometieron a sus ansias
Sabe que la lucha es cruel y es mucha
Pero lucha y se desangra por la fe que lo empecina
Uno va arrastrándose entre espinas
Y en su afán de dar su amor
Sufre y se destroza hasta entender
Que uno se quedó sin corazón
Precio de castigo que uno entrega
Por un beso que no llega
O un amor que lo engañó
Vacío ya de amar y de llorar
Tanta traición
Si yo tuviera el corazón
El corazón que dí
Si yo pudiera, como ayer
Querer sin presentir
Es posible que a tus ojos que me gritan su cariño
Los cerrara con mil besos
Sin pensar que eran como esos
Otros ojos, los perversos
Los que hundieron mi vivir
Si yo tuviera el corazón
El mismo que perdí
Si olvidara a la que ayer lo destrozó
Y pudiera amarte
Me abrazaría a tu ilusión
Para llorar tu amor
Si yo tuviera el corazón
El mismo que perdí
Si olvidara a la que ayer lo destrozó
Y pudiera amarte
Me abrazaría a tu ilusión
Para llorar tu amor

Mariano Mores Letra: Enrique Santos Discépolo

Traduction libre

Chacun cherche, plein d’espoir, le chemin que les rêves ont promis à ses désirs.Chacun sait que la lutte est cruelle et qu’elle est grande, mais il se bat et saigne pour la foi qui l’obsède.
Chacun rampe parmi les épines et dans son empressement à donner son amour, il souffre et se détruit jusqu’à ce qu’il comprenne que chacun se retrouve sans cœur, le prix de la punition que chacun donne pour un baiser qui ne vient pas, ou un amour qui l’a trompé.
Vide d’aimer et de pleurer tant de trahisons.
Si j’avais le cœur, le cœur que j’ai donné.
Si je pouvais, comme hier, aimer sans crainte, il est possible que tes yeux qui me crient leur affection, je les refermerais de mille baisers, sans penser qu’ils sont comme ces autres yeux, les pervers, ceux qui ont coulé ma vie.
Si j’avais le cœur, le même que j’ai perdu.
Si j’oubliais celle qui l’a détruit hier et que je pouvais t’aimer, j’embrasserais ton illusion pour pleurer ton amour.

Autres versions

Comme annoncé, ce titre a été enregistré de très nombreuses fois. Impossible de tout vous proposer, alors, voici une sélection pour vous faire découvrir la variété et les points communs de ces versions en commençant par notre tango du jour, qui est le premier à avoir été enregistré.

Uno 1943-05-26 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán. C’est notre tango du jour.
Uno 1943-05-28 — Libertad Lamarque con orquesta dirigida por Mario Maurano.

Deux jours après Canaro, Libertad Lamarque enregistre le disque.
C’est là qu’on remarque, une fois de plus, que Canaro est toujours au fait de l’actualité. En effet, ce titre est destiné à un film, El fin de la noche, réalisé par Alberto de Zavalía. Le tournage ne commencera qu’en août 1943 et le film ne sortira en Argentine que le premier novembre 1944, car le gouvernement argentin a tardé à donner l’autorisation de diffusion, notamment à cause du sujet qui mettait en cause le gouvernement allemand…

Affiche du film El fin de la noche, réalisé par Alberto de Zavalía avec Libertad Lamarque.

En effet, l’intrigue est totalement liée à l’actualité de l’époque, ce qui prouve que l’information circulait. Lola Morel (Libertad Lamarque), une chanteuse Sud-Américaine qui vit à Paris a été bloquée à Paris par la guerre (La plupart des Argentins avaient quitté la France en 1939, tout comme les frères Canaro et notamment Rafael qui fut le dernier à quitter la France). Elle souhaite revenir en Amérique du Sud avec sa fille. Pour obtenir des passeports, elle se voit proposé d’espionner la résistance.
Ce film confirme que les Argentins ne se désintéressaient pas de la situation en Europe durant la seconde guerre mondiale.
Mais la merveille, c’est de voir Libertad Lamarque chantant. C’est une des plus émouvantes prises disponibles, jugez-en.

Libertad Lamarque canta el tango UNO, en la película “El fin de la noche”, dirigida por Alberto de Zavalía. On voit dans cet extrait, par ordre d’apparition : Florence Marly… Pilar, Jorge Villoldo… Caissier du bar et Libertad Lamarque… Lola Morel qui chante UNO. Cette scène a lieu à 1h08 du début du film.

Difficile de revenir sur terre après cette version, alors autant rester dans les nuages avec Troilo et Marino.

Uno 1943-06-30 — Orquesta Aníbal Troilo con arr. de Astor Piazzolla.

C’est peut-être la version la plus connue. Il faut dire qu’elle est parfaite, à chaque écoute, elle provoque la même émotion.

Uno 1943-10-27 — acomp. de Orquesta.

Quelques mois après Libertad, Tania donne sa version. À qui va votre préférence ? Tania enregistrera une autre version avec en 1959.

Avant de passer à D’Arienzo, un petit point « technique ». Les disques de l’époque étaient prévus pour être utilisé à 78 tours par minute. C’est une vitesse précise. Ce n’est pas 77 ou 79 tours.
Donc, ces disques joués à 78 tours par minute donnent la bonne restitution, celle qui a été décidée par l’orchestre et l’éditeur.
Le résultat peut être différent de ce qui a été jouée. Par exemple, pour paraître plus virtuose, on peut graver la matrice à une vitesse plus lente. Ainsi, lorsque le disque qui sera pressé à partir d’elle sera joué à 78 tours, le son sera plus rapide et plus aigu.
Dans des groupes de DJ qui n’ont sans doute que cela à faire, on disserte longuement de la valeur du diapason, notamment du bandonéon et de la vitesse exacte de jeu d’une musique. À moins d’avoir une oreille absolue, ce qui est une horreur, on ne remarquera pas d’une sur l’autre qu’un titre est joué un tout petit peu plus aigu ou grave. Pour moi, l’important est donc d’avoir la bonne vitesse des 78 tours et c’est tout. Si d’Arienzo ou son éditeur a modifié la vitesse, c’est la décision de l’époque.
En revanche, je suis moins indulgent sur les rééditions des 78 tours en 33 tours. Ces transcriptions ont donné lieu à différents abus (pas forcément tous sur tous les disques) :

  • L’ajout de réverbération pour donner un « effet stéréo », mais qui perturbe grandement la lisibilité de la musique, ce qui est dommageable pour la danse également.
  • La coupure de l’introduction ou des notes finales. Le bruit étant jugé gênant pour un disque « neuf », beaucoup d’éditeurs ont supprimé les notes finales faibles, lorsqu’ils ont produit des 33 tours à partir de 78 tours usagés. Biagi est une des principales victimes de ce phénomène et Tanturi, le moins touché. Cela tient, bien sûr, à leur façon de terminer les morceaux…
  • Le filtrage de fréquences pour diminuer le bruit du disque original. Les moyens de l’époque font que cette suppression filtre le bruit du disque, mais aussi la musique qui est dans la même gamme de fréquences.
  • Le changement de vitesse. Si le disque tourne plus vite, on a l’impression que les musiciens jouent plus vite. Si aujourd’hui on peut varier la vitesse sans toucher à la tonalité, à l’époque, c’était impossible. Un disque accéléré est donc plus aigu. Ce n’est pas gênant en soi, si le résultat est convaincant et seuls les possesseurs de la fameuse oreille absolue s’en rendront compte si cela est fait dans des proportions raisonnables.

Après ce long propos liminaire, voici enfin la version de D’Arienzo et Maure. En premier, un enregistrement à partir du 78 tours original. La vitesse est donc celle proposée par D’Arienzo et la société Víctor.

Uno 1943-11-23 — Orquesta Juan D’Arienzo con . Version tirée du 78 tours de la Víctor.

Et maintenant la version accélérée éditée en 33 tours et reprise depuis par différents éditeurs, y compris contemporains, ce qui prouve qu’ils sont partis du 33 tours et pas du 78 tours, ou mieux de la matrice originale…

Uno 1943-11-23 — Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré.

Édition accélérée, sans écouter la première version, vous seriez-vous rendu compte de la différence ? Probablement, car cela fait précipité, notamment en comparaison des versions déjà écoutées qui durent parfois près de 3:30 minutes, ce qui est exceptionnel en tango.

Uno 1943-12-01 — Orquesta Osvaldo Fresedo con .

Une version sans doute moins connue, mais que je trouve très jolie également. Dommage que l’on ne passe pas en général le même titre dans une milonga. Cependant, les événements de plusieurs jours, ou les très longues milongas (10 h ou plus), permettent ces fantaisies…

Uno 1944 Alberto Gómez con Adolfo Guzmán y su conjunto.

Alberto Gómez commence a capela tout au plus soutenu par quelques accords au piano. Progressivement, ce soutien est proposé par d’autres instruments, mais ce n’est qu’à 58 secondes que l’orchestre prend progressivement une place plus importante, sans toutefois perdre de vue qu’il n’est que l’accompagnement du chanteur. Cette version à écouter suscite de la mention, malgré la voix un peu forcée de Gómez que l’on sans doute mieux appréciée, moins appuyée, comme il sait le faire dans certains passages de ce thème.

Uno 1944-04-11 — Orquesta con Carlos Acuña.

On change complètement de style avec Biagi. Une version rythmée, un peu pressée. Même pour la danse, on sent une pression qui empêche d’entrer complètement dans le thème. Ce n’est pas une critique de la qualité musicale, mais je trouve que cette fois Biagi est passé un peu à côté de la danse, du moins pour les danseurs qui interprètent la musique. Pour les autres, ils retrouveront le tempo bien marqué qui leur convient pour poser leurs patounes en rythme.

Uno 1946 — Trío Argentino (Irusta, Fugazot, Demare) y su con Agustín Irusta.

Les subtilités de la chronologie nous offrent ici, une interprétation à l’opposée de la précédente, par Biagi. Elle est à classer dans la lignée Lamarque, Tania et Gómez. Je pense que vous préférez cette version à celle de l’autre homme de la sélection de tango à écouter. Ici, il s’agit presque d’un duo avec le piano de Lucio Demare. Ce dernier est un merveilleux pianiste pour la musique intime. Vous pourrez vous en convaincre en écoutant ses formidables enregistrements de tango au piano, sur trois époques (1930, 1952-1953 et 1968). C’est le seul grand à s’être livré à cet exercice.

Uno 1951-12-18 — Charlo y su orquesta.

Encore une version à rajouter à la lignée des chansons. La qualité d’enregistrement des années 50 rend mieux justice à la voix de Charlo que ceux de 1925. On a même du mal à être sûr que c’est la même voix quand il chantait avec Canaro ou Lomuto. Essayez d’écouter ses enregistrements avec orchestre ou guitare des années 50 pour vous en rendre compte. Cette métamorphose, en grande partie causée par la technique, nous faire prendre conscience de ce que nous avons perdu en n’étant pas dans la salle dans les années 20.

Uno 1952 — Orquesta Aníbal Troilo con Jorge Casal.

Avec Troilo et Casal, on revient vers le tango de danse. Bien sûr, vous comparerez cette version avec celle de 1943 avec Marino. Les deux sont formidables. L’orchestre est éventuellement moins facile à suivre pour les danseurs, les DJ réserveront certainement cette version aux meilleurs pratiquants.

Uno 1957-09-25 — Orquesta Armando Pontier con Julio Sosa.

Avec Julio Sosa et l’orchestre Armando Pontier, nous sommes plus avancés dans les années 50 et l’importance de faire du tango de danse est perdue. Cela n’enlève pas de la beauté à cette version, mais ça nous fait regretter que le rock et autres rythmes aient supplanté le tango à cette époque en Argentine…

Uno 1961-05-18 — Orquesta José Basso.

José Basso nous donne une des rares versions qui se prive des paroles de Discépolo. Pour ma part, je trouve que la voix manque, même si à tour de rôle et les violons chantent plutôt bien et que le piano de José Basso ne démérite pas. On reste dans l’attente de la voix et c’est un beau final qui nous coupe les illusions.

Uno 1963 — Argentino Ledesma y su orquesta.

De la part de Ledesma, on attend une belle version et on n’est pas déçu.

Uno 1965 – Orquesta Jorge Caldara con Rodolfo Lesica.

On retrouve Caldara, cet ancien bandonéoniste de Pugliese avec Lesica. Une belle association. L’introduction avec le superbe violoncelle de José Federighi prouve s’il en était besoin les qualités de ce musicien et arrangeur d’une grande modestie.
Je vous propose de terminer cette longue liste avec l’auteur Mariano Mores et son petit-fils, .

N’oubliez pas de cliquer sur ce dernier lien pour consulter l’album de Mariano Mores en écoutant une toute dernière version d’Uno, même si c’est loin d’être la meilleure. Vous y découvrez la vie de cet artiste qui est resté sur scène jusqu’à l’âge de 94 ans, après 80 années d’activité. Sans doute un des records de longévité.

https://es.moresproject.com/mariano-mores

Au revoir, Mariano, et à demain, les amis !

La bordona 1958-05-06 — Orquesta Aníbal Troilo

Le bourdon est une corde ou une hanche qui donne toujours la même note. C’est très courant sur les instruments traditionnels comme la vielle à roue ou les cornemuses. Emilio Balcarce a voulu donner un air «champêtre à cette composition et a donc proposé un bourdon, bien sûr, beaucoup plus sophistiqué, mais qui a donné sa couleur à la musique. Le violoncelle démarre la musique sur sa corde basse, qui se nomme bordona. Le titre du tango nous l’annonçait.

Signalons que bordona a d’autres acceptions. C’est la corde grave, voire les trois cordes les plus graves de la guitare. C’est aussi la fille cadette d’une famille…

Extrait musical

1958-05-06 — Orquesta .

Le violoncelle lance la mélodie sur ses cordes graves. Ce ronronnement caractéristique se retrouvera à plusieurs reprises dans l’œuvre. C’est cette phrase mélodique dans les graves qui a inspiré son nom.

Une partition avec tous les pupitres.

La première page de la partition (au centre) montre que seuls le violoncelle et le piano entrent en scène. La page de droite montre un passage ultérieur où tous les instruments sont mobilisés, puis le début du solo de bandonéon. Partition proposée par le site https://tangosinfin.org.ar/.

Autres versions

La bordona 1958-05-06 — Orquesta Aníbal Troilo. C’est notre .
La bordona 1958-08-06 — Orquesta Osvaldo Pugliese.

Pugliese commence avec un piano, son piano plus présent. Le ronronnement grave est moins présent. L’atmosphère est différente, moins chaude.

La bordona 1962-01-09 — Orquesta Aníbal Troilo.

Moins de 4 ans plus tard, Troilo propose une version très différente. La nouvelle entrée en matière est percutante avec un arpège au piano. Comme chez Pugliese, le ronronnement est un peu masqué et le piano a pris de l’ampleur. L’ensemble reste cohérent avec une bonne distribution des variations. Ce n’est pas à mettre entre les pattes de tous les , mais il y a des éléments de supports à l’improvisation qui peuvent intéresser certains. Ce me semble cependant la limite maximale pour une proposition de danse et je ne m’y aventurerai qu’avec un public particulièrement gourmand de ce type d’interprétations.

La bordona 1963-04-25 — Orquesta Aníbal Troilo.

Un an plus tard, cette nouvelle version met en avant les capacités de l’ (vous ne pouvez pas l’entendre dans les anecdotes à cause de la taille admissible des fichiers sur le site, ces derniers sont en basse définition et en mono… Cherchez donc le titre dans votre discothèque pour en apprécier les effets spatiaux. Cette version est plus mélodique, probablement moins dansante, même si ce titre n’est pas un titre totalement destiné à la danse, quelle que soit la version. On notera que l’introduction en arpège de la version de 1962 ajoute les accords de l’orchestre aux arpèges du piano.

La bordona 1993 — .

Ce sexteto issu de l’orchestre de Pugliese propose une version intéressante avec de jolis pizzicati au début e tune intro inspirée de celles de Troilo 62/63, mais différente. On s’éloigne encore un peu plus du tango de danse. Elle manque peut-être un peu d’allant et elle me semble un peu décousue, les parties ne s’enchaînent pas de façon aussi harmonieuse que dans d’autres versions.

La bordona 1996 — Orquesta .

Cette version démarre avec une introduction très sombre, presque inquiétante. J’aime beaucoup. La suite est peut-être un peu moins réussie. Elle ne démérite pas, mais elle n’est pas à la hauteur de l’introduction. Le parti pris de tempo assez lent et les surprises éloignent pour moi totalement cette version du champ de la danse. Sa fin plus tonique avec sa courte citation de habanera est intéressante.

La bordona 2000-09 — Orquesta .

El Arranque introduit la guitare, instrument légitime dans la mesure où ses cordes graves sont des bordonas… Cette version est plus légère que les précédentes et doit pouvoir susciter l’intérêt, même si pour la danse, je pense qu’il est plus raisonnable de rester chez Troilo.
Et pour terminer, une version à la guitare.
Anibal Arias — La Bordona. On voit dans la vidéo les trois cordes graves (celles du dessus) que l’on appelle bordonas sur une guitare. Une version pour guitare est donc tout à fait légitime, même si elle n’a pas l’ampleur de celles avec les grands orchestres.  

El entrerriano 1944-04-26 — Orquesta Osvaldo Fresedo

Anselmo Rosendo Mendizábal Letra : Ernesto Temes (), Homero Expósito, H. Semino, S. Retondaro, y Oscar Amor, Ángel Villoldo.

Voici une chose bien curieuse que ce tango qui ne dispose pas d’enregistrement de version chantée intéressante dispose de tant de paroles. Pas moins de cinq versions… Quoi qu’il en soit, ce tango écrit en 1897 par Rosendo Mendizábal est fameux, et il fut le premier à avoir une partition…

Un tango célèbre

Ce tango est fameux. C’est pour cela, probablement qu’il dispose de plusieurs paroles, ces dernières étant utilisées pour flatter un commanditaire potentiel.
J’ai raconté dans comment Rosendo l’a dédicacé à Ricardo Segovia et a gagné ainsi 100 pesos… Il venait de le jouer à de multiples reprises à la demande du public en Lo de María la Vasca, dont il était le pianiste attitré.
Comme preuve de notoriété, outre l’abondance de paroliers, je pourrais mentionner qu’il est chanté par Gardel dans Tango argentino 1929-12-11.

«De tus buenos tiempos aún hay palpitan
El choclo, Pelele’, El taita, El cabure
La morocha, El catre y La cumparsita
Aquel Entrerriano y el Sabado ingles»

La dernière preuve est le nombre incroyable de versions de ce titre. Les 100 pesos de Ricardo Segovia furent un bon investissement.

Extrait musical

El entrerriano 1944-04-26 — Orquesta .

On comprend l’enthousiasme des premiers auditeurs de El entrerriano qui ne s’appelait pas ainsi quand il fut joué pour la première fois en Lo de María la Vasca. À l’époque Rosendo l’avait joué au piano et sans doute émulé par la bonne réception par les participants s’était peut-être lancé dans quelque chose un peu plus jouer et spontané que les versions de l’époque. Ce qui est sûr, c’est que Fresedo a su sortir de sa zone de confort pour nous éblouir avec cette version joyeuse.

Les paroles

J’ai mentionné cinq versions. Je n’en ai retrouvé que quatre, celle de Ángel Villoldo semble perdue.
Les quatre restantes sont du même type, elle raconte la gloire, la gloriole d’un type. Rien de bien intéressant et original. Je vous les cite donc par ordre chronologique et ne traduirai que la plus récente, celle de Homero Expósito.

Letra de Ángel Villoldo

Ángel Villoldo a dédié une version à Pepita Avellaneda. Pour cela il a écrit des paroles qui semblent perdues pour le moment.
Attention à ne pas confondre la chanteuse Pepita Avellaneda et Pepito Avellaneda, pseudonyme du danseur José Domingo Monteleone. Ce dernier a pris ce surnom, car il était né à Avellaneda. Pepito, je ne sais pas pourquoi il l’a choisi quand il fut obligé de prendre un pseudonyme pour atténuer son origine italienne afin de faciliter ses tournées européennes et le fait qu’il était d’une famille de pizzaiolos de province (Avellaneda).
D’ailleurs Pepita Avellaneda était également un pseudonyme, la chanteuse, qui était aussi danseuse s’appelait en fait Josefa Calatti… C’est elle qui avait étrenné El esquinazo de Villoldo, avec des paroles également disparues…
Villoldo a cependant écrit les paroles d’un autre tango qu’il a également composé : Desafío de un entrerriano (défi d’un entrerriano).
Il se peut qu’une partie des paroles soit proche de celles de la version perdue, à la différence qu’il s’agissait d’une femme, probablement uruguayenne dans le premier cas, mais à l’époque, l’Uruguay et Entre Rios sont très proche et la frontière de la Province de l’Est perméable.
On remarquera qu’elles sont de la même eau que celles destinées à El enterriano, ce qui confirme la destination de ces paroles, la flatterie, voire la flagornerie…
On ne connaît pas la datation précise de l’écriture de ce tango, mais comme il a été publié en 1907 dans Caras y Careteras, il est au plus tard de cette époque, soit tout au plus, cinq ans après la version perdue. Il ne semble pas exister d’enregistrement de ce tango. Voici donc les paroles de Desafío de un entrerriano :

Ángel VilloldoDesafío de un entrerriano 
Aquí viene el entrerriano
El criollo más respetado,
Por una milonga, un estilo,
O un tanguito requebrado.
En cuanto yo me presento
No hay quién se atreva a roncar,
Al cohete son los candiales…
Me tienen que respetar.

¿Vamos a ver quién se atreve?
¿No hay ninguno que ya ladré?
¿Dónde está ese mozo pierna
que la echaba de compadre?
Vayan saliendo al momento
Ya que llega la ocasión,
Que eso es lo que a mí me gusta
Pa´ darles un revolcón.

¿Quién le ronca al entrerriano?
¿No hay quién cope la parada?,
Vamos a ver, pues, los taitas
Aprovechen la bolada.
Miren que ocasión como esta
No se les va a presentar…
¿De ande yerba?… Tienen miedo
Que los vaya a abatatar.

Ya veo que no hay ninguno
Que resuelle por la herida,
Y me gano la carrera
Mucho antes de la partida.
Aquí concluyo y saludo
Con cariño fraternal,
A todos los concurrentes
Y al pabellón nacional…


Letra de A. Semino y S. Retondaro
Tú el entrerriano un criollazo
De nobleza e hidalguía
Que captó la simpatía
De todo el que lo trató.
Porque siempre demostró
Ser hombre sincero y fiel
Y como macho de Ley
La muchachada lo apreció.

Como varón se comportó
Su pecho noble supo exponer
Para el débil defender
Y así librarlo del mal
Pero una noche sombría.
Que fue, ¡ay !, su desventura
En su alma la amargura
Echó su manto fatal
Por haber sido tan leal
Halló su cruel perdición …!
El entrerriano lloró
Su triste desilusión.

Una noche en un callejón
Al amigo más fiel vio caer,
Bajo el puñal de un matón
Que de traición lo hirió cruel
Y vibrando de indignación
El criollazo atropelló
Y en la faz del matón
Un barbijo marcó.

Y al correr de los años
Libertao ‘e las cadenas
Con el peso de su pena,
Pa’l viejo barrio volvió
Y amargado lagrimeó
Al hallarse sin abrigo
Y hasta aquél… el más amigo,
El amparo le negó.


Letra de Vicente Planells del Campo y Oscar Amor
Mi apodo es
El Entrerriano y soy
de aquellos tiempos heroicos de ayer,
el de los patios del farol y el parral,
con perfume a madreselva y clavel.
Soy aquel tango que no tuvo rival
en las broncas y entreveros.
Pero fui sentimental
junto al calor
del vestido de .

Soy aquel que no aflojó jamás,
el que luchó con su valor
por mantener este compás
y con él
me sentí muy feliz
al poder triunfar con mi valor
lejos de aquí, allá en París.
Y
de recorrer triunfal,
la vuelta pegué para volver
junto al calor de mi arrabal
y hoy al ver
que soy retruco y flor
quiero agradecer este favor
al bailarín como al cantor.

Entrerriano soy
de pura cepa y no hay
a pesar de ser tan viejo, varón
ni quien me pise los talones pues soy
el compás de meta y ponga y fui
de la quebrada y el corte el rey
en lo de Hansen y el Tambito.
Y en las trenzadas de amor
primero yo
por bohemio y picaflor.


Letra de Julián Porteño
En el barrio de San Telmo
yo soy
picaflor afortunao en amor
un punto bravo pa’l chamuyo floreao
buen amigo en cualquier ocasión
caudillo firme de jugado valor
pa’ copar una parada
y afirmar mi bien probada
lealtad con el doctor.

Calá este varón
cuando con un gesto
mando en el resto
pa’ ganar una elección.
Calá este varón
en bailongos bien mistongos
conquistando un fiel corazón.
Calá este varón
en salones distinguidos
todo presumido
de “doctor”.
Calá este varón
mozo atrevido
siempre canto flor, envido
en el amor.

Naipe y mujeres
son mi única pasión,
sí señor,
éstas me dicen que sí
aquél me dice que no.
Pero no le hace
mella a mi condición
de varón,
soy entrerriano, señor
y tengo firme el corazón.


Letra de Homero Expósito
Sabrán que soy el Entrerriano,
que soy
milonguero y provinciano,
que soy también
un poquito compadrito
y aguanto el tren
de los guapos con tajitos.
Y en el vaivén
de algún tango de fandango,
como el querer
voy metiéndome hasta el mango,
que pa’l baile y pa’l amor
sabrán que soy
siempre el mejor.

¿Ven, no ven lo que es bailar así,
llevándola juntito a mí
como apretando el corazón?…
¿Ven, no ven lo que es llevarse bien
en las cortadas del querer
y en la milonga del amor?…

Todo corazón para el amor
me dio la vida
y alguna herida
de vez en vez,
para saber lo peor.
Todo corazón para bailar
haciendo cortes
y al Sur y al Norte
sulen gritar
que el Entrerriano es el gotán.

libre de la version de Homero Expósito

Ils sauront que je suis l’Entrerriano, (celui de la Povince d’Entre Rios) que je suis un milonguero et un provincial, que je suis aussi un peu compadrito et je tiens la dégaine du guapo (beau) avec des cicatrices (tajito, petites entailles).
Et dans le balancement d’un tango fandango, (Un siècle avant le tango, le fandango a fait scandale, car jugé lascif. Avec le tango, l’ se répète… N’oublions pas que ce tango s’est inauguré dans une maison de plaisir…)

avec volonté je me lance à fond, afin qu’ils sachent que pour la danse et pour l’amour je suis toujours le meilleur.
Vois-tu, ne vois-tu pas ce que c’est que de danser comme cela, de l’amener à moi comme pour écraser le cœur ?…
Voyez, ne voyez pas ce qu’est de s’entendre bien dans les cortadas du désir et dans la milonga de l’amour ?…
Tout cœur pour l’amour m’a donné la vie et une blessure de temps en temps, pour connaître le pire.
Tout le cœur pour danser en faisant des cortes (figure de tango) et au Sud et au Nord, ils vont crier que l’Entrerriano est le gotan (tango en verlan, mais vous le saviez…).

Les versions

El entrerriano 1910-03-05 Estudiantina Centenario dir. Vicente Abad
El entrerriano 1913 — Eduardo Arolas y su Orquesta Típica.

Une version par le tigre du bandonéon. Il existe peu d’enregistrements de Arolas, sans doute, moins de 20 et tous de la période de l’. Ils ne rendent sans doute pas justice aux prestations réelles de cet artiste du bandonéon et de son orchestre.

El entrerriano 1914 — Quinteto Criollo Tano Genaro.
El entrerriano 1917 Orquesta Roberto Firpo. Avec les moyens et le style de l’époque.
El entrerriano 1927-02-24 — Orquesta Francisco Canaro.

Une version calme et tranquille à la Canaro des années 20, mais avec de beaux passages guidés par le piano comme après 50 s.

El entrerriano 1927-03-20 — Orquesta Osvaldo Fresedo.

Une version avec des bruits étranges, on entend les animaux de la ferme (notamment à partir de 30 s). Le dédicataire est en effet un riche propriétaire terrien et j’imagine que Fresedo s’est amusé à ce petit jeu de recréer une basse-cour avec son orchestre.

El entrerriano 1937-03-29 ou 1940-08-29 — Roberto Firpo y su Cuarteto Típico.

Une version à toute . Avec mandoline. Je ne sais pas si elle était destinée à la danse. J’ai plutôt l’impression que c’était une démonstration de virtuosité.

El entrerriano 1940-11-06 — Orquesta Radio Victor Argentina.

On dirait que Firpo a passé le virus à Scorticati qui dirigeait la Victor à cette époque. On peut imaginer sa joie de faire raisonner le « Pin-Pon-Pin » du bandonéon comme une ponctuation tout au long de l’interprétation. On sent que l’orchestre, y compris la trompette, s’amuse et nous, DJ ou danseurs, avec.

El entrerriano 1944-04-26 — Orquesta Osvaldo Fresedo. C’est notre tango du jour.

On dirait que Firpo et Scorticati ont passé le virus à Fresedo qui produit à son tour une version très rapide. Il fallait sans doute ces deux contaminations pour l’inciter à produire cette version tonique et rapide. Le bandonéon fait encore un « Pin-Pon-Pin » encore plus convaincant. Cependant, adieu veaux, vaches, couvées par rapport à la version précédente de 1927. Chaque instrument a son tour de gloire et le résultat est prenant, jusqu’au classique double accord final de Fresedo. C’est notre tango du jour.

J’ai passé sous silence les versions de 1941 de Troilo (c’était l’époque où il avait des enregistrements pourris, car les maisons de disques ne voulaient pas concurrencer leurs poulains) et celle de Biagi, qui est du Biagi comme il y en a tant. Du bon Biagi, mais que du Biagi, sans valeur ajoutée au titre lui-même.

El entrerriano 1944-06-27 — Orquesta Aníbal Troilo.

Pas la version de 1941 qui était une version plutôt rapide, mais celle de 1944, bien mieux enregistrée. On voit que l’ambiance est bien différente de tout ce qui s’est fait avant, plus grave, calme, musicale, moins dans la surprise. On remarquera les pleurs du bandonéon à 2 : 46, le merveilleux jeu de Troilo. Une version pour une danse bien différente, Troilo commence à montrer le bout de son nez novateur.

El entrerriano 1954-04-29 — Orquesta Juan D’Arienzo.

Du bon D’Arienzo qui cogne, tout en restant joueur. De quoi réveiller l’ambiance d’une milonga qui somnole (il paraît que ça existe), mais certains des titres précédents sont également efficaces pour cet usage…

El entrerriano 1979-10-31 — Orquesta Osvaldo Fresedo.

Fresedo a encore enregistré le titre en 1979. Honnêtement, cet enregistrement n’a rien d’exceptionnel et je vous propose de bouleverser la chronologie pour terminer cette anecdote avec une version étonnante, par Varela…

El entrerriano 1957-03-29 — Orquesta Héctor Varela.

C’est le dernier titre que je vous propose aujourd’hui. Il débute avec le « Pin-Pon-Pin », mais très solennel, suivi d’une citation des paroles de Tiempos viejos (Francisco Canaro Letra: Manuel Romero) « ¿Te acordás, hermano, qué tiempos aquellos? » puis « Oí si » et une phrase de Mi noche triste (Samuel Castriota Letra: Pascual Contursi) « me dan ganas de llorar ».

Voilà, je termine avec cela. Quel parcours effectué depuis 1897 par ce tango exceptionnel !

À demain les amis !

Danzarín 1963-04-25 – Orquesta Aníbal Troilo arr. de Julián Plaza

Julián Plaza

On me demande parfois ce tango en disant, ce tango de Piazzolla, ou de Pugliese. Ben, il est en fait de Plaza et c’est De Angelis qui l’a interprété pour la première fois et c’est Troilo qui l’a rendu célèbre. Analysons ce chef d’œuvre qui annonce un tournant important dans le microcosme tango à la fin des années 50.

On date souvent l’apparition du tango nuevo de Piazzolla et des années 60. Mais comme toujours, c’est bien plus compliqué que cela.
Dans les années 30, Francisco Canaro était déjà à la recherche de nouveaux styles de tango, mais en fait, les principaux orchestres ont cherché à innover en ajoutant des instruments et en en enlevant d’autres. La flûte a été remplacée par le bandonéon, le piano a fait son apparition, la harpe a été remplacée par la guitare, puis est revenue et repartie, puis des instruments plus ou moins étranges comme la scie musicale (serrucho) parfois remplacée par le theremine qui donne un son très proche bien que purement électronique. Parmi les joueurs de scie musicale, on pourrait citer Rafael Canaro ou Juan Caldarella.

On entend la scie musicale dans la Cumparsita de Roberto Firpo en 1916 et dans de nombreuses compositions. Les sons un peu étranges et planants ne datent pas d’aujourd’hui…
 Pour le theremine, voici un exemple de jeu sur une pièce classique, le cygne de Saint-Saëns.

Dans les années 40, Canaro, toujours lui, fut un des premiers à utiliser l’. Un instrument électromécanique, produisant des sons à l’aide de roues phoniques. Le principe en est simple. Une roue portant des aimants tourne. Elle déclenche un microphone électromagnétique lors de sa rotation (du même type que ceux des guitares électriques). Si un aimant passe devant le microphone 100 fois par seconde, un son de 100 Hz est émis. Il y a plusieurs roues dont le nombre d’aimants est différent. Avec le double d’aiment, à vitesse de rotation égale, le son est deux fois plus aigu.
En faisant varier la vitesse de rotation, on change la hauteur du son de façon continue.
On peut entendre l’orgue Hammond dans (1944-06-03) de Francisco Canaro (à partir de 1 minute, ou dans Garras (1945-03-15) à partir de 32 secondes. Si vous écoutez ces titres, écoutez-les en entier pour profiter de la jolie interprétation du chanteur, .

Garras 1945-03-15 – Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán. Finalement, je vous propose garras, peut-être moins connu que Cristal que je vous invite à écouter de votre côté pour repérer les cloches, autre instrument original…

Piazzolla introduit la guitare électrique qui utilise donc les mêmes microphones que l’orgue Hammond, une décennie plus tard. C’est un nouvel instrument, mais il est loin d’être le premier à l’avoir fait.
J’arrête là la liste des innovations, il y en a trop. C’était juste pour vous démontrer que les nouveautés en tango, c’est vieux. Sinon, on serait toujours au tango des Gobbi et autres joyeusetés.

Extrait musical

Voici enfin le titre que vous souhaitez écouter… C’est également une innovation, dans l’orchestration et le rendu de la musique. C’est également un tango nouveau, une marche dans l’évolution du tango.
Plaza l’a écrit pour la danse, disons pour la danse de scène. Il souhaitait inclure dans sa composition des motifs permettant de pratiquer toutes les figures possibles pour un , un excellent danseur.

Danzarín 1963-04-25 — Orquesta arr. de .

Vous aurez noté qu’il y a ajouté arr. de Julián Plaza pour arrangement de Julián Plaza. Même s’il est l’auteur du titre, il l’a retravaillé pour Troilo. Nous verrons cependant la limite de cette intervention un peu plus loin dans cette anecdote…
N’oublions pas que c’est De Angelis qui l’a joué en premier, en 1956, mais sans l’enregistrer. Cela peut sembler étonnant. Il est certain que le résultat devait être très différent de celui du premier enregistrement par Troilo en 1958. Sans doute pour aller plus loin, Troilo a demandé à Plaza de revoir sa partition pour l’adapter encore plus à son orchestre.

Autres versions

Il y a des centaines d’enregistrements de Danzarin. Faute de pouvoir produire la version de De Angelis, je vais me contenter des deux enregistrements de Troilo. En effet, la très grande majorité des enregistrements postérieurs ont pris la version de Troilo comme modèle et elles n’apportent donc pas grand-chose à l’. La grande époque du tango est terminée, les orchestres cherchent à perdurer, en proposant de nouvelles pistes pour l’écoute et les nouveaux orchestres restent dans les pas des aînés.

Danzarín 1958-12-15 — Orquesta Aníbal Troilo.
Danzarín 1963-04-25 — Orquesta Aníbal Troilo arr. de Julián Plaza. C’est notre tango du jour.

La sonorité est très différente entre les deux enregistrements.
Pour comprendre ce qui se passe, regardons l’analyse du spectre :

La stéréo de la version de 1963 donne une impression d’espace. Les instruments sont aussi séparés spatialement. Cela ne change pas grand-chose pour la danse, car dans une milonga on est obligé de limiter la stéréo pour que la répartition soit correcte dans toute la salle. En revanche, pour l’écoute, c’est plus agréable.
La première utilisation de la stéréophonie date de 1881 et c’est une invention du papa de l’avion, Clément Ader qui a eu l’idée de diffuser le son de l’opéra Garnier de Paris à l’aide d’un réseau de câbles électriques reliés d’un côté à deux microphones et de l’autre à deux écouteurs (un par oreille, donc en stéréo). Il a appelé cela le théâtrophone.
En 1931, , va plus loin en proposant un procédé d’enregistrement et de relecture sur piste unique qui sera quasiment identique à celui qui sera mis en œuvre à la fin des années 50.
Pour la musique, Disney en 1940 a fait du multipiste pour son film musical Fantasia. Malheureusement, les salles ne se sont pas équipées et le son du cinéma est resté globalement monophonique jusque dans les années 60.
Pour revenir au disque, c’est à partir de 1958 que la stéréophonie est apparue.
Cela implique que tout de l’âge d’or est purement monophonique.
Troilo qui a un peu souffert d’éditeurs médiocres au début de sa carrière cherche à refaire son enregistrement avec le nouveau procédé et c’est le résultat que l’on peut entendre dans la version de 1963. Malheureusement, pour des questions de taille de fichier, il m’est impossible de vous le faire écouter ici en entier [mon fichier original fait 71 Mo]. Voici donc un court extrait, de plus réduit en MP3 (ce que certains DJ considèrent comme un format acceptable en milonga…).

Danzarín 1963-04-25 — Orquesta Aníbal Troilo

Dans ce court extrait, on entend tout de même l’effet stéréo qui est bien marqué :
0 s : les violons débutent à gauche,
3 s : le piano attaque plutôt au centre et les bandonéons se rajoutent à droite comme un écho du piano.
15 s : le piano monte des arpèges, les aigus sont plus à droite. Il est donc enregistré avec deux microphones en stéréo.
19 s : tous les pupitres jouent en même temps, emplissant tout l’espace sonore de gauche à droite.
34 s : les bandonéons et les violons sont des deux côtés. Le piano est plus au centre.
49 s : les instruments retrouvent leur latéralité, les violons plus à gauche et les bandonéons plus à droite. Si vous avez le disque, essayez de l’écouter dans de bonnes conditions, la qualité sonore en vaut la peine.

Différences entre les deux versions

L’histoire de la stéréo est réglée. Voyons s’il y a d’autres éléments que l’on peut déduire des audiogrammes.

Globalement le spectre est bien rempli dans les deux cas (partie inférieure en rouge). Il y a des fréquences jusqu’à environ 20 kHz, on est en présence de deux enregistrements de qualité. En 1958, comme on est en mono, les deux canaux sont absolument identiques. À droite, on remarque que le canal de droite (situé en bas) présente des « trous » alors que le gauche est plein. C’est ce qu’on a entendu dans le court extrait en stéréo, les violons commencent à gauche (donc en haut), puis le piano au centre et enfin les bandonéons à droite (donc en bas). À la moitié du morceau, cet effet est encore plus marqué.

On constate que si la version de 1963 est globalement plus lente, ce n’est pas vrai partout. La version de 1958, allongée devrait coïncider avec celles de 1963 pour la « pause » centrale. Ce n’est pas le cas, elle arrive plus tard.
Le début est plus rapide dans la version de 1958, mais quand on cale les deux morceaux à la même durée, tout est fort semblable jusqu’à 40 secondes, puis la version de 63 est plus rapide. Elle prend de l’avance. À 1 : 15, la version de 1958 3 secondes de retard.
La « pause » centrale arrive à 1 : 42 dans la version de 1963 et à 1 : 50, les deux sont de nouveau synchronisés pour le solo de violoncelle. La version de 1963 avait accéléré, puis avant la pause, beaucoup ralenti, ce qui a permis à la fin de la pause de resynchroniser le violoncelle. Je rappelle que c’est en temps relatif, car j’ai augmenté le temps de la version de 1958 afin qu’elle représente 100 % de la durée de celle de 1963.
À 2 : 28, la version de 1963 accélère de nouveau, devançant celle de 1958, exactement comme elle l’avait fait lors de la première fois. Ainsi, le solo de violoncelle est de nouveau synchronisé à 1 : 54 et ainsi de suite.

Attention, expérience sensorielle perturbante

Quand je musicalise, j’écoute toujours la musique qui passe sur la piste, mais je prépare aussi la tanda suivante et je cherche une cortina convenable. Ceci fait que j’ai souvent deux, voire trois musiques en même temps à l’écoute dans le casque et en direct.
Je vais vous proposer une version simplifiée de cela en vous présentant un morceau constitué à gauche de la version de 1958 et à droite, de la version de 1963. Ce sera plus simple si vous pouvez l’écouter au casque, ou a minima avec un équipement stéréo bien équilibré.
Cela va vous permettre de constater tout ce que j’indiquais ci-dessus avec vos oreilles, à vous…

Danzarin Gauche 1958 Droite 1963 Troilo.

Si vous n’avez pas la tête à l’envers à la fin de l’écoute, vous pourriez être DJ ; -)

Vous aurez remarqué, sans doute, qu’il n’y a pas de différence notable dans l’orchestration. Je ne comprends donc pas pourquoi on rajoute sur ce titre qu’il a bénéficié des arrangements de Plaza. Peut-être que c’était le cas aussi de la version de 1958. Comme on n’a pas d’enregistrement de De Angelis, il est impossible de faire la différence.

NB : Cette dernière archive sonore n’est pas un essai de tango nuevo…

La vi llegar 1944-04-19 — Orquesta Miguel Caló con Raúl Iriarte

Enrique Mario Francini Letra Julián Centeya

«La vi llegar», je l’ai vue venir, ne raconte pas l’arrivée espérée d’une femme, même si j’ai choisi dans mes illustrations de prendre le texte au pied de la lettre, je vais ici donner le véritable sens aux paroles de ce magnifique tango dont les paroles de Julián Centeya sont ici toute en finesse, je dirai même que tout le thème est un jeu de mots.

Extrait musical

La vi llegar 1944-04-19 — Orquesta Miguel Caló con .

Paroles

La vi llegar…
¡Caricia de su mano breve!
La vi llegar…
¡Alondra que azotó la nieve
 !
Tu amor -pude decirle- se funde en el misterio
de un tango acariciante que gime por los dos.

Y el bandoneón
-¡rezongo amargo en el olvido!-
lloró su voz,
que se quebró en la densa bruma.
Y en la desesperanza,
tan cruel como ninguna,
la vi partir sin la palabra del adiós.

Era mi mundo de ilusión…
Lo supo el corazón,
que aún recuerda siempre su extravío?.
Era mi mundo de ilusión
y se perdió de mí,
sumándome en la sombra del dolor.
Hay un fantasma en la noche interminable.
Hay un fantasma que ronda en mi silencio.
Es el recuerdo de su voz,
latir de su canción,
la noche de su olvido y su rencor.

La vi llegar…
¡Murmullo de su paso leve
 !
La vi llegar…
¡Aurora que borró la nieve!
Perdido en la tiniebla, mi paso vacilante
la busca en mi terrible carnino de dolor.

Y el bandoneón
dice su nombre en su gemido,
con esa voz
que la llamó desde el olvido.
Y en este desencanto brutal que me condena
la vi partir, sin la palabra del adiós…

Enrique Mario Francini Letra: Julián Centeya

libre et indications

Je l’ai vue venir… (À prendre comme « je t’ai vu venir avec tes gros sabots ». Il a deviné que quelque chose clochait)
Caresse de sa main furtive ! (Elle l’effleure avec sa main, mais elle n’ose pas le toucher franchement).
Je l’ai vue venir…
Alouette qui fouettait la neige ! (La traduction est difficile. Disons qu’il compare la main à une alouette qui jetterait de la neige, du froid sur le cœur de l’homme).
Ton amour, pourrais-je lui dire, se fond dans le mystère d’un tango caressant qui gémit pour nous deux. (La femme cherche ses mots pour annoncer la mauvaise nouvelle).

Et le bandonéon
— grognait amèrement dans le désamour ! — (Olvido est à prendre ici dans son sens second, plus rare, comme la fin de l’affection et pas comme l’oubli).
Sa voix pleurait, en se brisant dans la brume épaisse.
Et dans un désespoir, plus cruel qu’aucun autre, ce fut sans un mot d’adieu…

C’était mon monde d’illusions…
Le cœur le savait, lui qui se souvient toujours de sa perte.
C’était mon monde d’illusion qui fut perdu pour moi, me plongeant dans l’ombre de la douleur.
Il y a un fantôme dans la nuit interminable.
Il y a un fantôme qui rôde dans mon silence.
C’est le souvenir de sa voix, le battement de sa chanson, la nuit de son désamour et de son ressentiment.

Je l’ai vue venir…
Le murmure de son pas léger !
Je l’ai vue venir…
Aurore qui a envoyé la neige !
Perdu dans les ténèbres, mon pas vacillant la cherche sur mon terrible chemin de douleur.

Et le bandonéon prononce son nom dans son gémissement, de cette voix qui l’appelait depuis le désamour.
Et dans ce désenchantement brutal qui me condamne, je l’ai vue partir, sans un mot d’adieu…
Et le bandonéon prononce son nom dans son gémissement, de cette voix qui invoquait le désamour.
Et dans ce désenchantement brutal qui me condamne, je l’ai vue partir, sans un mot d’adieu…

Je l’ai vue venir

On emploie souvent cette expression quand dire que la personne qui nous parle ne va pas directement au but, mais que l’on a deviné bien avant qu’il le dise où il voulait aller.
Les paroles de ce tango alternent donc avec « je l’ai vue venir » en prenant la métaphore de l’arrivée avec la neige pour montrer qu’elle lance un froid et « je l’ai vue partir », sans un mot d’adieu. Là, on n’est pas dans le figuré, elle est vraiment partie.

Autres versions

La vi llegar 1944-04-19 — Orquesta Miguel Caló con Raúl Iriarte. C’est notre tango du jour
La vi llegar 1944-06-27 — Orquesta Aníbal Troilo con .

Contrairement à Caló, Troilo ne donne pas la vedette aux violons et dès le début, les bandonéons les accompagnent et les différents solos sont courts et avec un accompagnement très présent. Francini est violoniste, mais Troilo est bandonéoniste…

Une version au cinéma extraite du film Los Pérez García (1950). Orquesta con Alberto Podestá.

La vi llegar 1949-50 — Orquesta Enrique Mario Francini y Armando Pontier Con Alberto Podestá. Extrait du film Los Pérez García sorti le premier février 1950.

Extrait du film Los Pérez García sorti le premier février 1950. Comme il n’y a pas de véritable enregistrement de ce titre par son compositeur, on est content de l’avoir dans ce film. Petit gag, Armando Pontier semble avoir un problème avec son bandonéon au début de l’interprétation. On peut aussi voir Enrique Mario Francini au violon, jouant sa composition. On peut juste regretter de ne pas avoir un disque de cette prestation. Peut-être qu’un jour on retrouvera les enregistrements de studio qui ont été exploités pour le film. Tout est possible en Argentine. C’est même là que l’on a retrouvé les parties perdues du chef d’œuvre de Fritz Lang, Metropolis.
Metteur en scène ; Fernando Bolín y Don Napy, scénario Oscar Luis Massa, Antonio Corma y Don Napy. Le film est tiré du feuilleton radiophonique du même nom et met en scène plus ou moins les mêmes acteurs.

A los amigos, La vi llegar 1958 – Francini-Pontier, Orquesta Típica – Dirección Argentino Galván.

C’est le 28e morceau du disque. Bien qu’il y ait deux titres enchaînés, la pièce est courte (1:50). La vi llegar qui est le thème le plus intéressant notamment grâce au violon solo de Francini commence à 45 s. Julio Ahumada (bandonéon et (piano) complètent l’orchestre. Ci-dessous, la couverture du disque.

C’est un 33 tours (long play) qui comporte 34 titres qui ont la particularité (sauf un), d’être joués par différents orchestres, mais tous dirigés par le même chef, Argentino Galván. J’ai proposé sur Facebook un jeu sur cette couverture, de découvrir tous les lieux, et clins d’œil au tango qu’elle mentionne.

La vi llegar 1961 — Orquesta con .

Pour ceux qui aiment la voix pleurante de Maciel dans les années 60, ça devrait plaire. J’imagine même que certains le danseraient.

La vi llegar 1966 — dir. .

Seule version instrumentale de ma sélection. Le piano de Stampone en fait une version intéressante. J’ai aussi mis cette version, car Tibidado est présent sur la couverture du disque de 1960 dirigé par Argentino Galván. Le Tibidabo était un cabaret situé sur Corrientes au 1244. Il a fonctionné de 1942 à 1955. Aníbal Troilo en était un des piliers.

La vi llegar 1970-05-07 — Orquesta Típica Porteña dir. y arreglos Raúl Garello y Osvaldo Berlingieri.

Une version émouvante et impressionnante. Bien sûr, pas pour la danse, mais elle vaut l’écoute, assurément.

À propos des illustrations

On aura bien compris que la neige que j’ai représenté dans les deux images était « virtuelle ». C’est le froid qu’a laissé le désamour.
La première image est « Je l’ai vue venir ». Ici, au sens propre alors que c’est plutôt figuré dans la chanson.

Elle arrive pour rompre, elle est triste.

Puis, elle est partie. Sans parole d’adieu. Là, elle n’a pas de valise. Je trouvais que cela aurait alourdi cette image que je voulais toute légère. Elle part vers la lumière et lui reste dans l’ombre et le froid. J’avais fait au départ une ombre plus marquée en bas qui partait de celle de la femme qui part, mais je n’arrivai pas à cadrer ça dans un format 16/9e. Alors, il n’y a plus d’ombre.
À demain les amis, pour un thème, beaucoup plus glaçant. En effet, la neige d’aujourd’hui était virtuelle, mais demain, je vais jeter un froid.

Maipo 1939-04-18 — Orquesta Juan D’Arienzo

Eduardo Arolas Letra Gabriel Clausi

Le théâtre est un célèbre théâtre de Buenos Aires. En plus de sa grande salle, il dispose de plusieurs étages où il est possible d’assister à des spectacles en prenant une petite merienda (goûter) pendant le spectacle. Plusieurs orchestres y ont joué, dont celui de Firpo qui fut un des premiers à enregistrer ce titre, en 1918. Mais êtes-vous sûr que ce tango parle bien de ce théâtre ?

Brève histoire du théâtre Maipo de Buenos Aires

Si on en croit l’historique développé sur le site du théâtre, voici quelques dates :

  • 1908-05-07, il a été inauguré sous le nom de .
  • 1915-09-30, il est renommé en Esmeralda (il est d’ailleurs rue Esmeralda au 443).
  • 1922-08-15, il prend le nom actuel de Maipo.

Ce tango ne devrait donc pas être antérieur à 1922. Cependant, Roberto Firpo y a joué en 1920 et il a enregistré Maipo en 1918, ce qui est logique. Je vous donnerai l’explication plus loin…
Pour changer, je vous propose de voir un documentaire sur son histoire.
Il est en espagnol, mais il y a des sous-titres multilingues…

Extrait musical

Maipo 1939-04-18 — Orquesta Juan D’Arienzo. C’est notre tango du jour.

Paroles

Les paroles ne sont pas contemporaines de la musique. Elles témoignent en fait d’un changement de du tango.
En effet, le tango écrit par Arolas fêtait le centenaire de la bataille de Maipo ou Maipú, une bataille gagnée contre les Espagnols dans les guerres d’indépendance.
1918, c’est aussi l’année de la création de la , le drapeau argentin avec le soleil de Mai.
Cette gravure de Géricault existe aussi en couleur avec une bandera argentina… Je ne me suis donc pas fait prier pour en mettre dans mon illustration de couverture. J’ai voulu jouer sur les deux tableaux, le théâtre Maipo et le théâtre des opérations militaires, mais ce n’est pas très réussi…

Vuelve a mí, recuerdo del ayer
con el brillar de luces en escena;
siempre el mismo fulgor,
las viejas candilejas
son como estrellas…
Otra vez, vibra en la noche aquel
sueño de amor y canto del pasado;
sombras que corretean
por este viejo tablado de ayer.

Marquesinas de mis sueños,
mil destellos de colores,
figuras esculturales,
nombres que están olvidados…
corre el tiempo y el recuerdo
se entrelaza con la pena…
el sabor de cosas de antes
guardadas con tanto amor…

El viejo Maipo nos vio bajo sus luces
aquellos días tan llenos de ternuras
soñar amores que fueron embeleso…
con toda el alma, con toda la ilusión,
con estas notas, con este tango triste,
quiero contarte teatro de mi pueblo
aquello que guardé en mi corazón,
tal como lo viví… tan lleno de emoción.

Eduardo Arolas (Avant 1918 Letra de Gabriel Clausi plus tardive 1953 ?)

Traduction libre et indications

Cela me revient, un souvenir d’hier avec le scintillement des lumières sur la scène ; toujours la même luminosité, les vieilles lampes sont comme des étoiles…
De nouveau, le rêve d’amour et le chant du passé vibrent dans la nuit ; des ombres qui courent autour de cette vieille scène d’hier.

Des verrières de mes rêves, mille éclats de couleurs, des figures sculpturales, des noms oubliés… Le temps passe et le souvenir se mêle au chagrin… le goût des choses du passé gardées avec tant d’amour…


Le vieux Maipo nous voyait sous ses lumières, ces jours si pleins de tendresse, rêvant d’amours ravies… De toute mon âme, de toute mon illusion, avec ces notes, avec ce triste tango, j’ai envie de te dire, théâtre de mon village, ce que j’ai gardé dans mon cœur, comme je l’ai vécu… tellement plein d’émotion.

Autres versions

Maipo 1918 — Orquesta Roberto Firpo.

Une version commémorative de la bataille de Maipo ou Maipú ou Maïpu. Firpo jouera justement cette œuvre dans ce théâtre en 1920, alors qu’il s’appelle encore Esperalda, du nom de la rue où il est. Il ne prendra le nom de Maipo, qu’en 1922. J’imagine que Maipo qui est équivalent à Maipú peut venir du nom de la rue de la même manzana (bloc urbain de 100mx100m encadré par 4 rues). Le théâtre appartient au bloc délimité par l’avenue et les rues Esmeralda (où il a sa porte principale), Maipù et Lavalle.

Maipo 1928-03-28 — Orquesta .

Une version un peu nostalgique, qui pourrait coller aux paroles, mais en 1928, le théâtre n’était pas un « vieux théâtre ». Il a subi un incendie en 1928, mais c’était en novembre, en mars, les paroles ne pouvaient pas le regretter.

Maipo 1936-07-24 — Orquesta Pedro Maffia.

Huit ans plus tard, un thème très nostalgique. Une version douce et jolie, avec des vents et un piano agile. Une belle version qui entraîne bien.

Maipo 1939-04-18 — Orquesta Juan D’Arienzo. C’est notre tango du jour.
Maipo 1941-09-02 — Orquesta Julio De Caro.

Jolis violons, survolant le piano et l’orchestre plus percussif. Cette version, plus tonique que celle de 1928, s’accommode plus d’un thème militaire ou festif (évocation des spectacles du théâtre) que nostalgique.

Maipo 1953-04-10 — Orquesta Julio De Caro.

Une version un peu étrange. Compatible avec le thème du théâtre. Gabriel Clausi dont on ne connaît pas la date d’écriture des paroles pourrait aussi l’avoir écrit en 1953, à son retour de dix ans au Chili. Il retrouve le théâtre et la nostalgie fait le reste.

Maipo 1962-09-13 — Cuarteto Troilo-Grela.

Avec (bandonéon), (guitarra), (guitarrón), Eugenio Pro (contrabajo). Une très belle version, à écouter.

Maipo 1964 — Orquesta Fulvio Salamanca
Maipo 2024-01-12 — Orquesta Romantica Milonguera.

La toute dernière version, une version originale comme sait en faire cet orchestre.

Finalement, peu de versions collent aux paroles. La musique est plutôt tonique et pas nostalgique dans la plupart des versions.
Elle peut être tonique pour évoquer la bataille de Maipo, mais aussi pour présenter les spectacles qui se déroulaient dans la salle.
Je vous laisse donc en plan. Si vous trouvez la réponse et notamment la date d’écriture des paroles par Gabriel Clausi, je suis preneur.

À demain, les amis !

Te aconsejo que me olvides 1941-04-16 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino

Pedro Mario Maffia Letra : Jorge Curi

Il est des courriers qu’on n’aime pas recevoir. C’est ce qui est arrivé à Francisco Fiorentino qui a reçu un courrier définitif, mais qui réagit en homme. L’interprétation qu’il en fait avec le merveilleux orchestre d’ est tellement prodigieuse, que ce titre est désormais hors de portée de tous les autres orchestres et chanteurs, même de Fiorentino lui-même et j’en apporte la preuve.

Extrait musical

Te aconsejo que me olvides 1941-04-16 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.

Dès le début, la montée piquée au bandonéon donne le rythme. Puis les violons annoncent le thème, puis on inverse et enfin explose la voix de Fiorentino. Sa diction est parfaite, un léger rubato anime sa partition. Il exploite complètement, le contraste des nuances. L’orchestre l’accompagne, le relaye. Tout se fond merveilleusement. La montée piquée revient régulièrement pour relancer le mouvement. Aucun risque de monotonie. Du très grand art, jusqu’à la dernière note. Fiorentino termine et l’orchestre ponctue par un accord de dominante suivi par un accord de tonique, atténué.

Les paroles

Recibí tu última carta,
en la cual tú me decías:
« Te aconsejo que me olvides,
todo ha muerto entre los dos.
Sólo pido mi retrato
y todas las cartas mías,
ya lo sabes que no es justo
que aún eso conserves vos ».
Hoy reconoces la falta,
tienes miedo que yo diga…
que le cuente
al que tú sabes (a tu marido)
nuestra íntima amistad;
¡Soy muy hombre, no te vendo,
no soy capaz de una intriga!
Lo comprendo que, si hablara,
quiebro tu felicidad.

Pero no vas a negar
que cuando vos fuiste mía,
dijiste que me querías,
que no me ibas a olvidar;
y que ciega de cariño
me besabas en la boca,
como si estuvieras loca…
Sedienta, nena, de amar.

Yo no tengo inconveniente
en enviarte todo eso,
sin embargo, aunque no quieras,
algo tuyo ha de quedar.
El vacío que dejaste
y el calor de aquellos besos
bien lo sabes que no puedo
devolvértelos jamás.
Yo lo hago en bien tuyo
evitando un compromiso,
sacrifico mi cariño
por tu apellido y tu honor ;
me conformo con mi suerte,
ya que así el destino quiso
pero acuérdate bien mío,
¡que esto lo hago por tu amor!

Pedro Mario Maffia Letra : Jorge Curi

On notera que tous, sauf Gardel chantent « a tu marido » au lieu de « al que tú sabes».

libre

J’ai reçu ta dernière lettre, dans laquelle tu me disais : « Je te conseille de m’oublier, tout est mort entre nous deux. Je ne demande que mon portrait et toutes mes lettres, tu sais qu’il n’est pas juste que tu gardes même cela. Aujourd’hui tu reconnais la faute, tu as peur que je dise… que je raconte à qui tu sais, notre amitié intime ; je suis bien un homme, je ne te vends pas, je ne suis pas capable d’intriguer ! Je comprends que, si je parlais, je briserais ton bonheur.
Mais tu ne vas pas nier que quand tu étais à moi, tu m’as dit que tu m’aimais, que tu n’allais pas m’oublier ; et qu’aveugle de tendresse, tu m’as embrassée sur la bouche, comme si tu étais folle… assoiffée, petite, d’aimer.
Je n’ai pas d’objection à t’envoyer tout ça, cependant, même si tu ne le veux pas, quelque chose de toi doit rester. Le vide que tu as laissé et la chaleur de ces baisers, tu sais que je ne pourrai jamais te les rendre. Je le fais pour ton bien, en évitant un engagement, je sacrifie mon affection à ton nom et à ton honneur ; je me contente de mon sort, car c’est ce que le destin a voulu, mais souviens-toi bien du mien, que je fais cela pour ton amour !

Autres versions

Pour moi, il n’y a pas d’autre version que celle de Troilo et Fiorentino…
On peut essayer Fiorentino sans Troilo, par exemple avec , ça ne va pas.
On peut essayer des noms prestigieux, comme Gardel, Pugliese, voire Canaro et Lomuto. Rien n’arrive à la cheville de la version époustouflante de Troilo et Fiorentino.
Voici tout de même une petite sélection. Vous avez le droit d’y trouver des perles qui m’auraient échappé, mais je serai étonné que vous y trouviez mieux que Troilo et Fiorentino…

Te aconsejo que me olvides 1928-09-17 — Charlo con acomp. de Francisco Canaro.

Une chanson, rien pour la danse, mais l’, c’est l’histoire. On peut regretter le début différent de notre version de référence par Troilo et Fiorentino.

Te aconsejo que me olvides 1928-09-25 — Orquesta Francisco Canaro.

Une semaine plus tard, Canaro remet le couvert, mais sans Charlo. Cette fois, il n’omet pas le début si spectaculaire dans la version de Troilo.

Te aconsejo que me olvides 1928-10-11 — Carlos Gardel con acomp. de , José María Aguilar, José Ricardo (guitarras).

Quelques jours après Canaro, Gardel donne sa version avec ses guitaristes. Comme pour la version avec Charlo, on regrette aussi le début. Mais on n’est pas là pour danser.

Te aconsejo que me olvides 1928-10-15 — Orquesta .

Si vous trouviez la version de Canaro un peu planplan et soporifique, n’écoutez pas celle-ci. L’autre Francisco a réussi à faire… pire. Après tout, vous avez le droit d’aimer.

Te aconsejo que me olvides 1941-04-16 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.

C’est notre tango du jour. Pour ma part, j’ai envie de l’écouter après chaque version différente…

Te aconsejo que me olvides 1950-12-29 — Orquesta Alberto Mancione con Francisco Fiorentino.

Neuf ans plus tard, Francisco Fiorentino enregistre de nouveau le thème, mais cette fois avec Alberto Mancione. Je ne sais pas s’il faut pleurer, crier ou tout simplement se tasser dans un coin avec des bouchons dans les oreilles, mais cette version ne me semble pas du tout une réussite. Mais là encore, vous avez le droit d’aimer.

Te aconsejo que me olvides 1951-10-30 — Juan Cambareri y su Cuarteto Típico con Alberto Casares.

Toujours très original, Cambareri. Le bandonéon énervé n’arrive pas à faire changer le rythme de Casares, on échappe ainsi à une des versions express de Cambareri. Le résultat est mignon, sans plus.

Te aconsejo que me olvides 1954-05-13 — Orquesta con Juan Carlos Cobos.

El Negro Cobos qui a remplacé Vidal dans l’orchestre de Pugliese dispose d’un imposant organe vocal. Il met bien en valeur le thème. Le résultat est très Pugliese. Dès les premières mesures San Pugliese a marqué son empreinte. Pas un tango de danse, même si je sais que certains le passeront tout de même. C’est un très bel que l’on écoutera avec grand plaisir, mais comme je l’annonçais au début, rien n’égale pour la danse la merveille de Troilo et Fiorentino. En tous cas, c’est mon avis.

Te aconsejo que no le olvidas

(Je te conseille de ne pas l’oublier)

Un petit mot sur l’illustration de couverture. des années 20, on parle de lettre, l’homme qui pleure au centre me paraissait logique. Seulement, le sujet de ce tango est de tous les temps. J’ai pensé aux signaux de fumée, mais c’était compliqué à dessiner et à faire comprendre. Je suis donc resté à un moyen de communication moins ancien, le télégraphe Chappe. Celui-ci était dans une tour placée sur une église de . Les postrévolutionnaires ne s’embarrassaient pas de considération de ce qui en d’autres temps aurait pu paraître un sacrilège. À droite, un téléphone portable, pas de la toute dernière génération, mais qui annonce le même fatidique message. Je connais une église qui a une antenne de téléphonie accolée à son clocher. Ce n’est moins respectueux que le coup du télégraphe Chappe à la fin de la Révolution française.

Taquito militar 1957-04-15 – Orquesta Mariano Mores (Milonga candombe)

Mariano Mores Letra : Dante Gilardoni

Mariano Mores vous invite à danser la milonga avec , notre anecdote du jour. Les paroles de Gilardoni et le film de Demicheli vous donnent même les conseils pour bien la danser. Alors, pourquoi s’en priver?

Histoire de Taquito militar

Inauguré au théâtre Colon en 1952, ce titre a été utilisé dans le film La voz de mi ciudad, un film de en 1953. Cependant, Mariano Mores a une histoire à raconter sur la création de ce titre. Voici ce que cite l’excellent site : Tangos al bardo :

« Discépolo, y yo, con mi Orquesta de Cámara del Tango, habíamos sido invitados a un acto en el Ministerio (de Guerra), con la presencia del General Perón. Al terminar mi actuación se acercó un señor a quien no conocía, para pedirme que tocáramos algo más. Como solo quedábamos en el salón dos de los músicos, Pepe Corriale y Ubaldo De Lío, improvisamos los tres un tema. Al final el mismo señor me solicitó una pieza más. Entonces me puse a improvisar sobre un motivo de milonga que tenía en mente : en esa improvisación se fue desarrollando « Taquito militar ». Fue tal el entusiasmo de este señor -de quien después supe que era el General Franklin Lucero, ministro de Guerra-, que tuvimos que repetirla tres veces esa misma noche. Después, plasmé la forma definitiva y pasó el tiempo. »

Tangos al bardo

Traduction :

Discépolo, Tania et moi, avec mon Orchestre de Chambre de Tango, avions été invités à un événement au Ministère (de la Guerre), en présence du général Perón. À la fin de ma prestation, un homme que je ne connaissais pas s’est approché de moi pour me demander de jouer autre chose. Comme il ne restait que deux musiciens dans la salle, Pepe Corriale et Ubaldo De Lío, nous avons improvisé un air tous les trois. Finalement, le même homme m’a demandé un morceau supplémentaire. Alors j’ai commencé à improviser sur un motif de milonga que j’avais en tête : dans cette improvisation s’est développé « Taquito militar ». L’enthousiasme de cet homme — dont j’ai appris plus tard qu’il s’agissait du général Franklin Lucero, ministre de la Guerre — était tel que nous avons dû le répéter trois fois dans la même nuit. Ensuite, j’ai fixé la forme finale et le temps a passé.

Extrait musical

Taquito militar 1957-04-15 — Orquesta Mariano Mores. Cette milonga candombe encourage à frapper du pied.

Les paroles

Le tango du jour est instrumental, mais il y a des paroles ajoutées postérieurement par Gilardoni et qui décrivent la danse, telle qu’elle est présentée dans le film « La voz de Buenos Aires ». Les voici :

Para bailar esta milonga,
hay que tener primeramente
una buena compañera
que sienta en el alma
el ritmo de fuego así…

Hay que juntar las cabezas mirando hacia el suelo
pendientes de su compás,
dejar libres los zapatos que vayan y vengan
en repiqueteo sin fin,
y que mueva la mujer las caderas
al ritmo caliente que da el tambor,
olvidarse de la vida y del amor
para bailar…

Porque en este baile insinuante
hay que tener,
desde el corazón palpitante
hasta los pies,
el repiquetear del taquito
se hace obsesión,
hasta que se funde en el ritmo
del corazón…

Al compás de esta milonga
vuelvo a ver igual que ayer
un baile de meta y ponga
y un vivir para querer…
Un pasito atrás por aquí,
otro avance más por allá,
la sentada limpia y después
viene el taconeo final…
El candombe está en lo mejor
y la moza vibra al compás,
y siempre que esta milonga
vuelvo a bailar, me gusta más…

Para bailar,
se necesita más que nada amar la vida,
porque es vida todo aquello
que se agita en los compases
de un candombe de mi flor y
de mi amor

Mariano Mores Letra : Dante Gilardoni

libre

Pour danser cette milonga, il faut d’abord avoir une bonne partenaire qui ressent dans l’âme le rythme du feu, comme ça…

Il faut joindre les têtes en regardant le sol, suspendu à son rythme, laisser ses chaussures libres d’aller et venir dans des claquements sans fin, et que la femme bouge ses hanches au rythme torride que marque le tambour, oublier de la vie et de l’amour pour danser…

Parce que dans cette danse insinuante, il faut avoir, du cœur palpitant jusqu’aux pieds, les claquements du talon qui deviennent une obsession, jusqu’à ce qu’ils se fondent dans le rythme du cœur…

Au rythme de cette milonga je revois, comme hier, une danse sans fin (meta y ponga, c’est de forme continue, sans perdre le rythme de la marche, refaire…) et vivre pour aimer…

Un petit pas en arrière par-ci, un autre pas en avant par-là, la sentada (figure de tango où l’homme fait asseoir la danseuse sur sa cuisse) et puis vient le frapper de talon final.

Le candombe est à son meilleur et la fille (serveuse) vibre en rythme, et chaque fois que je danse cette milonga, elle me plaît plus…

Pour danser, il faut plus que tout aimer la vie, car tout ce qui s’agite dans les battements d’un candombe de ma fleur (référence probable au candombe « Milonga de mi flor » de Feliciano Brunelli avec des paroles de Carlos Bahr de 1940. Gilardoni arrive au moins 13 ans plus tard, il peut donc y faire parfaitement référence) et de mon amour, c’est la vie.

Autres versions

La plus ancienne version dont nous avons une trace est l’enthousiasmante version de Mariano Mores lui-même dans le film de Tulio Demicheli ; La voz de mi ciudad, sorti le 15 janvier 1953.

La voz de mi ciudad 1953-01-15 (film argentin dirigé par Tulio Demicheli). Extrait présentant le Taquito militar.
Taquito militar 1953-12-07 — Orquesta Francini-Pontier.

En fin d’année, Francini-Pontier donnent une belle version, la plus ancienne en qualité « disque » et qui commence par les tambours du candombe.

Taquito militar 1954 Orquesta . Oui, vous avez bien lu Calo.

C’est un des petits frères de Miguel. Ils étaient six frères : Miguel [1907-1972], Juan [1910-1984], Roberto [1913-1985], Salvador, surnommé Fredy [1916— ????], Antonio [1918— ????] y Armando surnommé Keyla [1922— ????] et tous étaient musiciens…

Taquito militar 1957-04-15 — Orquesta Mariano Mores.

Taquito militar 1957-04-15 — Orquesta Mariano Mores, c’est le tango du jour. Plus de quatre ans après la version du film, enfin disponible en disque.

Taquito militar 1954-09-06 — Orquesta Aníbal Troilo arr. de Ismaël Spitalnik.
Taquito militar 1954-05-28 – dir. Francisco Canaro.

À chaque fois, Canaro s’enregistre une version des du moment. Pas étonnant qu’il soit le chef d’orchestre avec le plus d’enregistrements au compteur…

Taquito militar 1955-01-10 — .

Une version en jazz argentino (rumba). Surprenant, non ? J’ai bien écrit Héctor Lomuto [1914-1968]. C’est le petit frère de Francisco. Les autres frères étaient Hector, Oscar, Enrique et Victor).

Taquito militar 1959 Los Violines De Oro Del Tango. Une version assez originale. Je ne vous épargne rien aujourd’hui…
Taquito militar 1972 — Orquesta Donato Racciatti.
Taquito militar 1976 — y Ubaldo De Lio.

Ubaldo de Lio était, si vous vous en souvenez, présent lors de « l’invention » de ce titre au ministère de la Guerre. Les deux en feront d’autres enregistrements, comme celui de 1981. Cette version est un peu folle, non ?

Taquito militar 1997 – Mariano Mores. Cette version est particulière à cause de l’utilisation de l’orgue Hammond.

J’ai commencé par un film, je termine donc par un film. Le premier film avait pour vedette Mariano Mores. Le dernier a pour vedette… Mariano Mores.

Il s’agit de la séquence finale du documentaire « Café de los maestros » réalisé en 2008 par Miguel Kohan. Petite nostalgie, dans cette séquence finale, on voit plein de visages qui ne sont plus aujourd’hui. Une page du tango a été définitivement tournée.

Patético 1948-04-06 — Orquesta Osvaldo Pugliese

Jorge Caldara

Pour bien comprendre pourquoi cette version de Patético interprétée par Osvaldo Pugliese est géniale, il faut la comparer aux deux autres enregistrements contemporains, par Anibal Troilo et Juan Deambroggio « Bachicha »… Mais surtout, il faut nous intéresser à son compositeur, Jorge Caldara, un génie mort trop jeune. Pugliese a enregistré Patético il y a jour pour jour 76 ans.

Extrait musical

Patético 1948-04-06 — Orquesta Osvaldo Pugliese

Je vous laisse écouter cette merveilleuse version, sans commentaire. Vous les trouverez cependant ci-dessous, en comparaison avec deux autres versions contemporaines.

Autres versions

Il me semble intéressant de comparer les trois versions enregistrées à quelques mois d’intervalle. Je commence par du jour, celle de Pugliese, puis une version de Bachicha mal datée, mais probablement légèrement postérieure à celle de Pugliese dans la mesure où Jorge Caladara était bandonéoniste dans l’orchestre d’Osvaldo à ce moment.
La troisième version est celle de Troilo, enregistrée presque un an après celle de Pugliese.

Je vous invite à remarquer comme la version de Pugliese est différente dès les premières secondes.

Patético 1948-04-06 — Orquesta Osvaldo Pugliese
Patético 1948 — Orquesta Juan Deambroggio « Bachicha »
Patético 1949-03-30 — Orquesta

Intéressons-nous maintenant à la vision d’ensemble des trois interprétations.

La partie verte représente le volume de la musique.
La partie à dominante rouge représente la hauteur du son. En bas (en jaune), ce sont les basses et en haut, les aigus.
On se rend compte à l’oreille et à l’œil que la version de Pugliese est un peu plus sourde (moins d’aigus que celle de Troilo. Celle de Bachicha a des aigus, mais ce sont principalement les bruits du disque…
Cela étant dit, il convient de remarquer la structure très différente des trois morceaux. Celui de Pugliese présente des parties fortissimo et des parties piano. Vous remarquerez par exemple la partie où est le curseur (ligne rouge verticale et fine) qui correspond à une partie pianissimo (bas niveau sonore).
Dans la version de Troilo, les alternances de fortissimi et piani sont plus fréquentes et moins marquées.
La version de Bachicha est plus homogène. On peut imaginer que la musique sera un peu moins expressive que dans les deux autres versions.
Sur les basses (partie inférieure en jaune), Pugliese les marque notamment avec ses cordes (contrebasse, par exemple).
Troilo les réalise avec les cordes, mais aussi avec le piano. Les instruments percutant en même temps.
1 : 05 Pugliese ne met pas le long trait de violon qui était si original au début. Au contraire, c’est presque silencieux, ce qui crée un manque, un appel, une interrogation chez l’auditeur. Pour le danseur qui n’avait pas pu danser le premier, car tout au début, c’est une frustration possible. Il s’attendait à faire un truc « super » sur ce motif…Puisqu’on parle de cette partie, Bachicha, que ce soit au début ou au milieu (1 : 08) remplit le vide par un motif ascendant au piano. Ce n’est pas une invention de sa part, il est écrit ans la partition de Caldara. Pugliese a pour sa part, décidé de le supprimer totalement (lui qui est pourtant pianiste).Quant à Troilo, il propose au contraire un motif de piano descendant et une petite fioriture au piano pour compenser, mais seulement dans la partie du milieu, vers 1 : 15.
Je vous laisse écouter les différences.
Pour vérifier que vous suivez bien le moment sur l’audiogramme, voici un petit jeu. Écoutez le morceau en suivant de gauche à droite la zone verte. Si vous arrivez à vous repérer pour être en phase avec les variations de volume, c’est très bien. A minima, essayez de terminer votre lecture visuelle en même temps que la musique.

Pour terminer cette courte étude des interprétations, allons à la fin du morceau. Écoutez la fin de Bachicha. Il déroule tranquillement la partition, sans créer d’effet de surprise. Les deux accords finaux (dominante et tonique) sont joués avec quasiment le même volume. Un véritable « tsoin tsoin » final. J’ai une anecdote à ce sujet, mais je vous la conterai une autre fois. Maintenant, bon, OK. J’étais habitué à dire « tsoin tsoin » à la fin des morceaux. Ce tsoin-tsoin était couvert par les applaudissements. Cependant, un jour, nous avons interprété un choral de Bach durant une messe. Le problème est que dans ce type d’endroit, les gens n’applaudissent pas et que mon tsoin-tsoin a résonné dans toute l’église. Vais-je dire que j’ai encore honte, tant d’années après. Peut-être, mais en tous cas, cela a exacerbé ma sensibilité sur les fins de morceaux et les orchestres de tango sont un régal pour cela, chacun cherchant à donner sa signature.
Revenons à nos moutons, ou plutôt à Troilo et Pugliese afin d’écouter leurs signatures.
Troilo reprend le motif du départ (qui n’est pas dans la partition originale) et termine avec un glissando énorme du piano pour lancer finalement les deux accords finaux, dominante fortissimo et le dernier plus faible. C’est une fin superbe, il faut en convenir.
La fin proposée par Pugliese. Le rappel du motif initial est presque absent, si ce n’est quelques « coups » de volume de tous les instruments avec une fin qui s’estompe, comme un rêve qui se termine. Le pathétique devenu insignifiant après s’être tant gonflé disparaît d’une pichenette et retombe sur l’accord final comme une baudruche dégonflée.

Jorge Caldara (17 septembre 1924 – 24 août 1967)

Le compositeur du tango du jour est un jeune prodige. Tout gosse, il voulait devenir pianiste, mais son père un tanguero un peu pingre rabattit ses ambitions au bandonéon.
Cela ne découragea pas Jorge qui commença à jouer dans des orchestres à l’âge de 14 ans et à 15 ans, il créa son propre orchestre, la Orquesta Juvenil . (l’orchestre de jeunes de Buenos Aires) qui joua en alternance avec l’orchestre d’Anibal Troilo les mardis au (Avenida Corrientes au 942, au côté du Café Nacional, aujourd’hui théâtre Nacional Sancor Seguros). C’était un lieu prestigieux, voisin du café Nacional avec qui il travaillait en doublette et en face des 36 Billares. De toute façon, chaque mètre de l’avenue Corrientes dans ces environs a des souvenirs de tango. Donc, avoir son orchestre à 15 ans et jouer dans la cour des grands, cela prouve le talent du bonhomme.
Évidemment, il a été remarqué et Alberto Pugliese l’a fait entrer dans son orchestre comme bandéoniste, jusqu’en 1944, date où il a dû effectuer son service militaire.
À la fin de son service, il intègre l’orchestre du petit frère d’, Osvaldo Pugliese.
Caldara prendra une place importante dans l’orchestre de Pugliese, toutes proportions gardées, comme Biagi avec D’Arienzo, grâce à son bandonéon énergique qui marquait la cadence tout en développant la mélodie. Caldara était sensible à un tango moderne, notamment à celui d’ et je pense que cela l’a influencé pour ses créations à l’époque de Pugliese, celui-ci pourtant novateur, n’a pris la dimension de Rovira que bien plus tard, notamment avec sa magnifique version de A Evaristo Carriego qu’il n’a enregistré qu’en 1969… Je pense même que Troilo auquel Caldara était également sensible avait de l’avance dans ce domaine par rapport à Pugliese, notamment sur l’utilisation des chanteurs.
J’ai une théorie personnelle sur la question, mais je pense que la Yumba doit un peu à la façon de jouer de Caldara, même si Pugliese affirme qu’il l’a choisi, car il pouvait s’intégrer parmi sa ligne de bandonéonistes déjà en place.

Osvaldo reconnut également ses talents de compositeurs, car il lui doit plusieurs de ses succès comme Patético 1948, notre tango du jour, Pastoral 1950, Pasional 1951 (avec ) et Por pecadora 1952 (avec Alberto Morán).
Le jeune Jorge Caladra vouait une dévotion à son nouveau chef d’orchestre et lui dédicacera un tango Puglieseando, qui est une merveille et que je vous propose d’écouter tout de suite :

Puglieseando

Puglieseando 1958-08-13 — Jorge Caldara

Le début rappelle Ríe, payaso de Virgilio Carmona, notamment la version de D’Arienzo avec Bustos de 1959 qui possède un tempo proche, a contrario de celle de 1940 (avec Carlos Casares) qui a un tempo beaucoup plus rapide. Jorge connaissait ce titre, car il l’a enregistré.
0 : 17 La Yumba chère à Pugliese apparaît.
0 : 50 remarquez son bandonéon sensible et expressif qui lui permet de marquer le contraste avec les passages plus énergiques. Caldara était bandonéoniste.
Comme chez l’objet de son hommage, les parties avec un tempo marqué alternent avec les parties glissées et suaves, notamment dessinées par les violons, le piano et les bandonéons plus staccatos contrastent, jusqu’à ce que à…
2 : 30 les réponses se fassent de plus en plus rapprochés, les changements de tonalité, font grimper la tension qui s’apaise dans une coda plus lente et un gros accord sur la dominante, suivi par un léger rebond sur la tonique, dans un style complètement pugliesien.

Pasional

Si je vous dis que c’est aussi Jorge Caldara qui a composé Pasional, un des plus gros succès de Pugliese, vous avez pris la dimension de ce musicien. Voici sa version enregistrée avec l’immense chanteur Rodolfo Lesica sur des paroles de Mario Soto.

Pasional 1964 — Jorge Caldara — Rodolfo Lesica, sa composition qu’a rendu célèbre Osvaldo Pugliese, mais ici par son compositeur et chantée par le grand Lesica.

Il a donc commencé très jeune, mais il est mort après moins de 30 ans de carrière et surtout, ses premiers enregistrements comme chef d’orchestre ne datent que de la fin des années 50, période où le rock’n’roll et autres fantaisies avaient pris le pas sur le tango.

Principales compositions de Jorge Caldara

Ses tangos instrumentaux

  • Bamba, dédicacé à sa fille,
  • Con T de Troilo,
  • Cuando habla el bandoneón, en collaboration avec Luis Stazo,
  • Mi bandoneón y yo (Crecimos juntos),
  • Papilino, dédicacé à son fils,
  • Pastoral,
  • Patético,
  • Patriarca,
  • Puglieseando,
  • Sentido en collaboration avec Daniel Lomuto,
  • Tango 05, dédicacé à la Fuerza Aérea Argentina (armée de l’air argentine)

Ses tangos chantés

  • Pasional, avec des paroles de Mario Soto
  • Por pecadora, avec des paroles de Mario Soto
  • Muchachita de barrio, avec des paroles de Mario Soto
  • Profundamente, avec des paroles de Mario Soto
  • Paternal, avec des paroles de Norberto Samonta
  • No ves que nos queremos, avec des paroles de
  • Estés donde estés, avec des paroles de Martínez
  • Gorrión de barrio, son premier tango (il était lui-même très jeune et donc comme un petit moineau de quartier).
  • Solo Dios vos y yo, dédicacé à son épouse, avec des paroles de Rodolfo Aiello

Jorge Caldara et ses orchestres

On a vu qu’il a fondé son premier orchestre à quinze ans avant d’intégrer différents grands orchestres dont pour finir celui d’Osvaldo Pugliese, mais son parcours ne s’arrête pas là, il reprend à plusieurs milliers de kilomètres de Buenos Aires, au
Jorge Caldara a en effet passé un an au Japon. La fameuse chanteuse Ranko Fujisawa l’ayant entendu jouer dans l’orchestre d’Osvaldo Pugliese à Buenos Aires, l’a invité à venir créer son propre orchestre au Japon.
Fidèle à son directeur, il n’a pas relevé l’invitation, mais un peu plus tard, Ranko est revenue à la charge et Jorge décida de quitter l’orchestre d’Osvaldo à la fin de 1954 et a déménagé avec sa famille.
Il y est resté un an et y a gravé ses premiers disques avec un orchestre composé avec des musiciens japonais qu’il avait recrutés, mais aussi avec ceux de la Típica Tokio dirigée par le mari de Ranko…
Il fut donc l’un des tout premiers, après Juan Canaro, à faire le saut vers le Japon. J’y vois encore une preuve de la qualité de cet artiste.
Parmi les titres gravés au Japon, je vous propose enregistré en 1955 et chanté par… vous aurez deviné, Ranko Fujisawa.

Recuerdo de Buenos Aires 1955 — orquesta de Jorge Caldara con Ranko Fujisawa

De retour à Buenos Aires, il monte un orchestre.

Parmi les titres enregistrés avec cet orchestre, je vous propose maintenant deux curiosités, mais le plus intéressant sera pour la fin de cet article…

La Pena de James Dean 1958-11-13 — Jorge Caldara Con Miguel Martino. Une chanson composée par Enrique Juan Munné avec des paroles de Lina Ferro de Bahr) parlant de James Dean, cet acteur mort en 1955 à l’âge de 24 ans dans un accident de voiture.
La fulana (milonga) 1957-07-29 — Jorge Caldara Con Carlos Montalvo avec des paroles et la musique de Alberto Mastra et Luis Rafael Caruso.

En parallèle, Jorge joue dans un cuarteto. Cette dimension d’orchestre s’adapte mieux à cette époque où le tango est en perte de vitesse.

La tablada 1960-01-29 Estrellas de Buenos Aires

Un exemple de ce que donne ce cuarteto nommé Las estrellas de Buenos Aires (les Étoiles de Buenos Aires). Dans ce titre, on entend bien séparément les quatre instruments. Vous pouvez donc repérer par ordre d’apparition : le bandonéon de Jorge, le piano d’Armando Cupo et le violon d’Hugo Baralis puis la contrebasse de Kicho Díaz. Vous remarquerez que la version proposée par ce cuarteto est bien originale et qu’elle valait le coup de lire jusqu’ici.

Et une dernière surprise, un de ses derniers enregistrements

Mais ce n’est pas fini, je reviens à l’orchestre avec qui il a continué d’enregistrer dans les années 60 avec un titre incroyable. C’est une des compositions les plus célèbres d’Osvaldo Pugliese, ici dans une version fort étonnante que nous propose Jorge Caldara et son orchestre.

La Yumba 1964 — Jorge Caldara — La Yumba 1964 — Jorge Caldara.

On voit bien que c’est Caldara qui poussait Pugliese, plutôt que l’inverse, non ?

On ne peut que regretter que ce talentueux musicien soit mort jeune, sa carrière commencée à 14 ans n’a pas duré 30 ans (26 ans). Les trois/quatre dernières années de sa vie furent perdues à cause du cancer qui l’emporta. Ses enregistrements de 1964 sont les derniers.

Un placer 1936-04-03 — Orquesta Juan D’Arienzo con Walter Cabral

Vicente Romeo Letra : Juan Andrés Caruso

Aujourd’hui, une valse pour déclarer son amour à une jolie femme. Pour cela, quatre hommes se sont attelés à la tâche, Vicente Romeo, Juan Andrés Caruso, Juan d’Arienzo et . Nous appellerons également à la rescousse, d’autres grands du tango pour vous donner les arguments nécessaires pour séduire une femme papillon.

Avec D’Arienzo à la baguette et Biagi, on a l’assurance d’avoir une valse dansable.
En, ce qui concerne le chanteur, Walter Obdulio Cabral (27/10/1917 – 1993), celui collaborera un peu plus d’un an avec D’Arienzo, le temps d’enregistrer trois valses : , Tu Olvido et Irene et une milonga orpheline Silueta Porteña.

Extrait musical

Un placer 1936-04-03 — Orquesta Juan D’Arienzo con Walter Cabral.

Je vous laisse l’écouter. On en reparlera en comparaison avec les autres versions de ce titre.

Les paroles

Linda mariposa
tú eres mi alegría
y tus colores de rosa
te hacen tan hermosa
que en el alma mía
tu imagen quedó.

Por eso a tu reja
hoy vengo a cantarte,
para decirte, mi diosa,
que eres muy hermosa
y no puedo olvidarte
que antes de dejarte
prefiero la muerte
que sólo con verte
es para mí un placer.

Sin tu amor ya no puedo vivir.
¡Oh! ven pronto no me hagas penar.
De tus labios yo quiero sentir
el placer que se siente al besar.
Y por eso en mi canto te ruego
que apagues el fuego
que hay dentro de mí.

Oye amada mía
tuyo es mi querer,
que tuya es el alma mía
toda mi poesía
mis alegres días,
hermosa mujer.

Sale a tu ventana
que quiero admirarte.
Sale mi rosa temprana,
hermosa galana,
que yo quiero hablarte
y quiero robarte
tu querer que es santo
porque te amo tanto
que no puedo más.

Y si el destino
de ti me separa
nunca podre ser feliz
y antes prefiero morir.
Porque tu cariño
es mi vida entera.
Tú has de ser la postrera,
la dulce compañera que ayer soñé.

Vicente Romeo Letra : Juan Andrés Caruso

Traduction libre

Joli papillon, tu es ma joie et tes couleurs de rose te rendent si belle que dans mon âme ton image est restée.


C’est pourquoi à ta grille, aujourd’hui je viens chanter, pour te dire, ma déesse, que tu es très belle, que je ne peux pas t’oublier et que plutôt que de te quitter je préfère la mort. Que rien que te voir est un plaisir pour moi.

Sans ton amour, je ne peux pas vivre. Oh ! Viens vite, ne me fais pas de peine. De tes lèvres, je veux sentir le plaisir que l’on ressent en embrassant et c’est pourquoi dans ma chanson je te supplie que tu éteignes le feu qu’il y a en moi.

Entend ma bien-aimée, que tu es mon désir, mon âme est tienne, toute ma poésie, mes jours heureux ; merveilleuse femme.

Sort à ta fenêtre que je veux t’admirer. Sors ma rose précoce, belle galante, car je veux te parler et te voler ton amour qui est saint parce que je t’aime tant que je n’en peux plus.

Et si le destin me séparait de toi, je ne pourrais jamais être heureux et préférerais mourir. Parce que ta tendresse est toute ma vie. Tu seras la dernière, la douce compagne dont j’ai rêvé hier.

Autres versions

Un placer 1931-04-23 — Orquesta Juan Maglio Pacho.

Un tempo très lent, qui peut déstabiliser certains danseurs. C’est une version instrumentale, avec sans doute un peu de monotonie malgré des variations de rythme. Pour ma part, j’éviterai de la proposer à mes danseurs.

Un placer 1933-04-11 — Orquesta Típica Los Provincianos (dir. Ciriaco Ortiz) con .

Avec la voix un peu aigre de Carlos Lafuente, mais un joli orchestre pour une valse entraînante. La fin donne l’impression d’accélération, ce qui ravit en général les danseurs, surtout en fin de tanda. On est clairement monté d’un cran dans le plaisir de la danse avec cette version. L’orchestre est Los provincianos, mais il s’agit d’un orchestre Victor dirigé par Ciriaco Ortiz. Ce qui fait que vous pouvez trouver le même sous les trois formes : Los Provincianos, Típica Victor ou Ciriaco Ortiz, voire un mixage des trois, mais tout cela se réfère à cet enregistrement du 11 avril 1933.

Un placer 1936-04-03 — Orquesta Juan D’Arienzo con Walter Cabral. C’est le .

La voix de Walter Cabral rappelle celle de Carlos Lafuente, une voix de ténor un peu nasillarde, mais comme dans le cas de Lafuente, ce n’est pas si gênant, car ce n’est que pour une petite partie de la valse. L’impression d’accélération ressentie avec la version de Ciriaco Ortiz est présente, mais c’est une constante chez d’Arienzo. BIagi qui a intégré l’orchestre il y a cinq mois est relativement discret. Il se détache sur quelques ponctuations lâchées sur les temps de respiration de l’orchestre. Il n’a pas encore complètement trouvé sa place, place qui lui coûtera la sienne deux ans plus tard…

Un placer 1942-06-12 — Orquesta .

Ici pas de voix aigre ou nasillarde, les parties sont chantées par les violons, ou par le chœur des instruments, avec bien sûr le dernier mot au bandonéon de Troilo qui termine divinement cette version élégante et dansante.

Un placer 1949-02 — con su Sexteto Los Mendocinos y .

Une version un peu faible à mon goût. Le sexteto manque de présence et Argentino Olivier, déroule les paroles, sans provoquer une émotion irrépressible. Une version que je ne recommanderai pas, mais qui a son intérêt historique et qui après tout peut avoir ses fanatiques.

Un placer 1949-08-04 — Orquesta José Basso con y Ricardo Ruiz.

Une version très jolie, avec piano, violons et bandonéons expressifs. L’originalité est la prestation en Duo, de deux magnifiques chanteurs, Francisco Fiorentino y Ricardo Ruiz. On peut ressentir un léger étonnement en écoutant les paroles, les deux semblent se répondre. C’est une jolie version, mais peut-être pas la première à proposer en milonga.

Un placer 1954 — Cuarteto Troilo-Grela.

Une magnifique version dans le dialogue entre le bandonéon et la guitare. La musique est riche en nuances. Le bandonéon démarre tristement, puis la guitare donne le rythme de la valse et le bandonéon alternent des moments où les notes sont piquées à la main droite, et d’autres où le plein jeu de la main gauche donne du corps à sa musique. À 1 : 30 et 1 : 50, à 2 : 02, le bandonéon s’estompe, comme s’il s’éloignait. À 2 : 10, la réverbération du bandonéon peut être causée par un éloignement physique important du bandonéon par rapport au microphone, ou bien à un ajout ponctuel de réverbération sur ce passage. Je ne suis pas sûr que cet artifice provoqué par l’enregistrement apporte beaucoup au jeu de Troilo. Il faut toutefois pardonner à l’ingénieur du son de l’époque. C’est le début d’une nouvelle ère technique et il a sans doute eu envie de jouer avec les boutons…

Un placer 1958-10-07 — Orquesta José Basso con Alfredo Belusi y .

José Basso refait le coup du duo, mais cette fois avec Alfredo Belusi et Ricardo Ruiz. À mon avis, cela fonctionne moins bien que la version de 1949.

Un placer 1979 — Sexteto Mayor.

Pour terminer, une version assez originale, dès l’introduction. Je vous laisse la découvrir. Étant limité à 1 Mo par morceau sur le site, vous ne pouvez pas entendre la stéréo vraiment exagérée de ce morceau, car tous les titres sont passés en basse qualité et en mono pour tenir dans la limite de 1 Mo. C’est une peine pour moi, car la musique que j’utilise en milonga demande entre 30 et 60 Mo par morceau… Sur la stéréo en milonga, c’est à limiter, surtout avec des titres comme celui-ci, car les danseurs auraient d’un côté de la salle un instrument et de l’autre un autre. Donc, si j’ai un titre de ce type à passer (c’est fréquent dans les démos), je limite l’effet stéréo en réglant le panoramique proche du centre. Une salle de bal n’est pas un auditorium…

Mini tanda en cadeau

Cabral n’a enregistré que trois valses avec D’Arienzo. Je vous propose d’écouter et surtout danser cette mini tanda de seulement trois titres. Peut-être apprécierez-vous à la fin de la tanda la voix un peu surprenante de Cabral.

Cerise sur la tanda. Pardon, le gâteau, les trois titres forment une histoire. Il découvre son amour, elle s’appelle Irene et… Ça se termine mal…

Un placer 1936-04-03 — Orquesta Juan D’Arienzo con Walter Cabral. C’est le tango du jour.
Irene 1936-06-09 – Orquesta Juan D’Arienzo con Walter Cabral
Tu olvido 1936-05-08 — Orquesta Juan D’Arienzo con Walter Cabral

Vida y obra de Walter Cabral

Vous pourrez trouver sur ce site, une biographie complète de ce chanteur.

Recuerdo, 1944-03-31 — Orquesta Osvaldo Pugliese

Adolfo et/ou Osvaldo Pugliese Letra : Eduardo Moreno

Recuerdo serait le premier tango écrit par Osvaldo Pugliese. Ayant été édité en 1924, cela voudrait dire qu’il l’aurait écrit avant l’âge de 19 ans. Rien d’étonnant de la part d’un génie, mais ce qui est étonnant, c’est le titre, Recuerdo (souvenir), semble plus le titre d’une personne d’âge mûr que d’un tout jeune homme, surtout pour une première œuvre. Essayons d’y voir plus clair en regroupant nos souvenirs…

La famille Pugliese, une famille de musiciens

Osvaldo est né en 1905, le 2 décembre. Bien que d’une famille modeste, son père lui offre un violon à l’âge de neuf ans, mais Osvaldo préféra le piano.
Je vais vous présenter sa famille, tout d’abord avec un arbre généalogique, puis nous entrerons dans les détails en présentant les musiciens.

Adolfo Pugliese (1876-06-24 – 1945-02-09), le père, flûtiste, compositeur (?) et éditeur de musique

Comme compositeur, on lui attribue :

Ausencia (Tango mío) (Tango de 1931), mais nous verrons, à la fin de cet article, qu’il y en a peut-être un autre, ou pas…
La légende veut qu’il soit un modeste ouvrier du cuir, comme son père qui était cordonnier, mais il était aussi éditeur de musique et flûtiste. Il avait donc plusieurs cordes à son arc.
De plus, quand son fils Osvaldo a souhaité faire du piano, cela ne semble pas avoir posé de problème alors qu’il venait de lui fournir un violon (qui pouvait être partagé avec son frère aîné, cependant). Les familles qui ont un piano ne sont pas les plus démunies…
Même si Adolfo a écrit, semble-t-il, écrit peu (ou pas) de tango, il en a en revanche édité, notamment ceux de ses enfants…
Voici deux exemples de partition qu’il éditait. À droite, celle de Recuerco, notre tango du jour. On remarquera qu’il indique « musique d’Adolfo Pugliese » et la seconde de « Por una carta », une composition de son fils Alberto, frère d’Osvaldo, donc.

Sur la couverture de Recuerdo, le nom des musiciens de Julio de Caro, à savoir : Julio de Caro, reconnaissable à son violon avec cornet qui est également le directeur de l’orchestre., puis de gauche à droite, Francisco de Caro au piano, Pedro Maffia au bandonéon (que l’on retrouve sur la partition de Por una carta), Enrike Krauss à la contrebasse, Pedro Laurenz au bandonéon et Emilio de Caro, le 3e De Caro de l’orchestre…
Sur la partition de Por una carta, les signatures des membres de l’orchestre de Pedro Maffia : Elvino Vardaro, le merveilleux violoniste, Osvaldo Pugliese au piano, Pedro Maffia au bandonéon et directeur de l’orchestre, Francisco De Lorenzo à la contrebasse, au bandonéon et Emilio Puglisi au violon.

On voir qu’Adolfo gérait ses affaires et que donc l’idée d’un Osvaldo Pugliese né dans un milieu déshérité est bien exagérée. Cela n’a pas empêché Osvaldo d’avoir des idées généreuses comme en témoignent son engagement au parti communiste argentin et sa conception de la répartition des gains avec son orchestre. Il divisait les émoluments en portions égales à chacun des membres de l’orchestre, ce qui n’était pas la façon de faire d’autres orchestres ou le leader était le mieux payé…

Antonio Pugliese (1878-11-21— ????), oncle d’Osvaldo. Musicien et compositeur d’au moins un tango

Ce tango d’Antonio est : Qué mal hiciste avec des paroles d’Andrés Gaos (fils). Il fut enregistré en 1930 par Antonio Bonavena. Je n’ai pas de photo du tonton, alors je vous propose d’écouter son tango dans cette version instrumentale.

Que mal hiciste 1930 Orquesta Antonio Bonavena (version instrumentale)

(1901-01-29- 1965-05-15), frère d’Osvaldo. Violoniste et compositeur

Curieusement, les grands frères d’Osvaldo sont peu cités dans les sur le tango. Alberto a pourtant réalisé des compositions sympathiques, parmi lesquelles on pourrait citer :

  • Adoración (Tango) enregistré Orquesta Juan Maglio « Pacho » avec Carlos Viván (1930-03-28).
  • Cabecitas blancas (Tango) enregistré par Osvaldo et Chanel (1947-10-14)
  • Cariño gaucho (Milonga)
  • El charquero (Tango de 1964)
  • El remate (Tango) dont son petit frère a fait une magnifique version (1944-06-01). Mais de nombreux autres orchestres l’ont également enregistré.
  • Espinas (Tango) Enregistré par Firpo (1927-02-27)
  • Milonga de mi tierra (Milonga) enregistrée par Osvaldo et Jorge Rubino (1943-10-21)
  • Por una carta (Tango) enregistré par la Típica Victor (1928-06-26)
  • Soñando el Charleston (Charleston) enregistré par Jazz Band (1926-12-02).

Il en a certainement écrit d’autres, mais elles sont encore à identifier et à faire jouer par un orchestre qui les enregistrera…
On notera que sa petite fille, Marcela est chanteuse de tango. Les gênes ont aussi été transmis à la descendance d’Alberto.

Adolfo Vicente (Fito) Pugliese (1899— ????), frère d’Osvaldo. Violoniste et compositeur

Adolfo Vicente (surnommé Fito pour mieux le distinguer de son père Adolfo, Adolfito devient Fito) ne semble pas avoir écrit ou enregistré sous son nom. Ce n’est en revanche pas si sûr. En effet, il était un brillant violoniste et étant le plus âgé des garçons, c’est un peu lui qui faisait tourner la boutique quand son père se livrait à ses frasques (il buvait et courait les femmes).
Cependant, la mésentente avec le père a fini par le faire partir de Buenos Aires et il est allé s’installer à Mar del Plata où il a délaissé la musique et le violon, ce qui explique que l’on perde sa trace par la suite.

Beba (Lucela Delma) Pugliese (1936— …), pianiste, chef d’orchestre et compositrice

C’est la fille d’Osvaldo et de María Concepción Florio et donc la petite fille d’Adolfo, le flûtiste et éditeur.
Parmi ses compositions, Catire et Chicharrita qu’elle a joué avec son quinteto…

Carla Pugliese (María Carla Novelli) Pugliese (1977— …), Pianiste et compositrice

Petite fille d’Osvaldo et fille de Beba, la tradition familiale continue de nos jours, même si Carla s’oriente vers d’autres musiques.
Si vous voulez en savoir plus sur ce jeune talent :

https://www.todotango.com/creadores/biografia/1505/Carla-Pugliese/ (en espagnol)

https://www.todotango.com/english/artists/biography/1505/Carla-Pugliese/ (en anglais)

Les grands-parents de Pugliese

Je ne sais pas s’ils étaient musiciens. Le père était zapatero (cordonnier). Ce sont eux qui ont fait le voyage en Argentine où sont nés leurs 5 enfants. Ce sont deux parmi les milliers d’Européens qui ont émigré vers l’Argentine, comme le fit la mère de Carlos Gardel quelques années plus tard.

Roque PUGLIESE Padula

Né le 5 octobre 1853 — Tricarico, Matera, Basilicata, Italie
Zapatero. C’est de lui que vient le nom de Pugliese qu’il a certainement adopté en souvenir de sa terre natale.

Filomena Vulcano

Née en 1852 — Rossano, Cosenza, Calabria, Italie
Ils se sont mariés le 28 novembre 1896, dans l’église Nuestra Señora de la Piedad, de Buenos Aires.
Leurs enfants :

  • Adolfo Juan PUGLIESE Vulcano 1876-1943 (Père d’Osvaldo, compositeur, éditeur et flûtiste)
  • Antonio PUGLIESE Vulcano 1878 (Musicien et compositeur)
  • Luisa María Margarita PUGLIESE Vulcano 1881
  • Luisa María PUGLIESE Vulcano 1883
  • Concepción María Ana PUGLIESE Vulcano 1885

Extrait musical

Recuerdo, 1944-03-31 — Orquesta Osvaldo Pugliese.

Dans cette version il y a déjà tout le Pugliese à venir. Les versions enregistrées auparavant avaient déjà pour certaines des intonations proches. On peut donc penser que la puissance de l’écriture de Pugliese a influencé les orchestres qui ont interprété son œuvre. À l’écoute on se pose la question de la paternité de la composition. Alfredo, Osvaldo ou un autre ? Nous y reviendrons.

Les paroles

Ayer cantaron las poetas
y lloraron las orquestas
en las suaves noches del ambiente del placer.
Donde la bohemia y la frágil juventud
aprisionadas a un encanto de mujer
se marchitaron en el bar del barrio sud,
muriendo de ilusión
muriendo su canción.

Mujer
de mi poema mejor.
¡Mujer!
Yo nunca tuve un amor.
¡Perdón!
Si eres mi gloria ideal
Perdón,
serás mi verso inicial.

Y la voz en el bar
para siempre se apagó
su motivo sin par
nunca más se oyó.

Embriagada Mimí,
que llegó de París,
siguiendo tus pasos
la gloria se fue
de aquellos muchachos
del viejo café.

Quedó su nombre grabado
por la mano del pasado
en la vieja mesa del café del barrio sur,
donde anoche mismo una sombra de ayer,
por el recuerdo de su frágil juventud
y por la culpa de un olvido de mujer
durmióse sin querer
en el Café Concert.

Adolfo et/ou Osvaldo Pugliese Letra : Eduardo Moreno

Dans la version de la Típica Victor de 1930, Roberto Díaz ne chante que la partie en gras. Montemar chante deux fois tout ce qui est en bleu.

Traduction libre et indications

Hier, les poètes ont chanté et les orchestres ont pleuré dans les douces nuits de l’atmosphère de plaisir.
Où la bohème et la jeunesse fragile prisonnière du charme d’une femme se flétrissaient dans le bar du quartier sud, mourant d’illusion et mourant de leur chanson.
Femme de mon meilleur poème.

Femme !
Je n’ai jamais eu d’amour.
Pardon !
Si tu es ma gloire idéale
Désolé, tu seras mon couplet d’ouverture.

Et la voix dans le bar s’éteignit à jamais, son motif sans pareil ne fut plus jamais entendu.
Mimì ivre, qui venait de Paris, suivant tes traces, la gloire s’en est allée à ces garçons du vieux café.

Son nom était gravé par la main du passé sur la vieille table du café du quartier sud, où hier soir une ombre d’hier, par le souvenir de sa jeunesse fragile et par la faute de l’oubli d’une femme, s’est endormie involontairement dans le Café-Concert.

Dans ce tango, on voit l’importance du sud de Buenos Aires.

Autres versions

Recuerdo, 1926-12-09 — Orquesta Julio De Caro. C’est l’orchestre qui est sur la couverture de la partition éditée avec le nom d’Adolfo. Remarquez que dès cette version, la variation finale si célèbre est déjà présente.
Recuerdo 1927 — con orquesta. Une version chanson. Juste pour l’intérêt historique et pour avoir les paroles chantées…
Recuerdo, 1928-01-28 — Orquesta Bianco-Bachicha. On trouve dans cette version enregistrée à Paris, quelques accents qui seront mieux développés dans les enregistrements de Pugliese. Ce n’est pas inintéressant. Cela reste cependant difficile de passer à la place de « La référence ».
Recuerdo, 1930-04-23 — Orquesta Típica Victor con Roberto Díaz. Une des rares versions chantées et seulement sur le refrain (en gras dans les paroles ci-dessus). Un basson apporte une sonorité étonnante à cette version. On l’entend particulièrement après le passage chanté.
Recuerdo, 1941-08-08 — Orquesta . Une version très intéressante. Que je pourrais éventuellement passer en bal.
Recuerdo 1941 Orquesta Aníbal Troilo. La prise de son qui a été réalisée à Montevideo est sur acétate, donc le son est mauvais. Elle n’est là que pour la référence.
Recuerdo, 1942-11-04 — Orquesta Ricardo Tanturi. Une version surprenante pour du Tanturi et pas si loin de ce que fera Pugliese, deux ans plus tard. Heureusement qu’il y a la fin typique de Tanturi, une dominante suivie bien plus tard par la tonique pour nous certifier que c’est bien Tanturi 😉
Recuerdo, 1944-03-31 — Orquesta Osvaldo Pugliese. C’est le tango du jour. Il est intéressant de voir comment cette version avait été annoncée par quelques interprétations antérieures. On se pose toujours la question ; Alfredo ou Osvaldo ? Suspens…
Recuerdo, 1952-09-17 — Orquesta Julio De Caro. De Caro enregistre 26 ans plus tard le titre qu’il a lancé. L’évolution est très nette. L’utilisation d’un orchestre au lieu du sexteto, donne de l’ampleur à la musique.
Recuerdo 1966-09 — Orquesta Osvaldo Pugliese con . On retrouve Pugliese, 22 ans après son premier enregistrement. Cette fois, la voix de Maciel. Celui-ci chante les paroles, mais avec beaucoup de modifications. Je ne sais pas quoi en penser pour la danse. C’est sûr qu’en Europe, cela fait un malheur. L’interprétation de Maciel ne se prête pas à la danse, mais c’est tellement joli que l’on pourrait s’arrêter de danser pour écouter.

En 1985, on a au moins trois versions de Rucuerdo par Pugliese. Celle de « Grandes Valores », une émission de télévision, mais avec un son moyen, mais une vidéo. Alors, je vous la présente.

Recuerdo par Osvaldo Pugliese dans l’émission Grandes Valores de 1985.

Puisqu’on est dans les films, je vous propose aussi la version au théâtre Colon, cette salle de spectacle fameuse de Buenos Aires.

Recuerdo par Osvaldo Pugliese au Théatre Colon, le 12 décembre 1985.

Pour terminer, toujours de 1985, l’enregistrement en studio du 25 avril.

Recuerdo, 1985-04-25 — Orquesta Osvaldo Pugliese.

Pugliese a continué à jouer à de nombreuses reprises sa première œuvre. Vous pouvez écouter les différentes versions, mais elles sont globalement semblables et je vous propose d’arrêter là notre parcours, pour traiter de notre fil rouge. Qui est le compositeur de Recuerdo ?

Qui est le compositeur de Recuerdo ?

On a vu que la partition éditée en 1926 par Adolfo Pugliese mentionne son nom comme auteur. Cependant, la tradition veut que ce soit la première composition d’Osvaldo.
Écoutons le seul tango qui soit étiqueté Adolfo :
Ausencia, 1926-09-16 — José Bohr y su Orquesta Típica. C’est mignon, mais c’est loin d’avoir la puissance de Recuerdo.
On notera toutefois que la réédition de cette partition est signée Adolfo et Osvaldo. La seule composition d’Adolfo serait-elle en fait de son fils ? C’est à mon avis très probable. Le père et sa vie peu équilibrée et n’ayant pas donné d’autres compositions, contrairement à ses garçons, pourrait ne pas être compositeur, en fait.

Pour certains, c’est, car Osvaldo était mineur, que son père a édité la partition à son nom. Le problème est que plusieurs tangos d’Osvaldo avaient été antérieurement édités à son nom. Donc, l’argument ne tient pas.

Pour rendre la chose plus complexe, il faut prendre en compte l’histoire de son frère aîné
Adolfo (Fito). Ce dernier était un brillant violoniste et compositeur.
Pedro Laurenz, alors Bandonéiste dans l’orchestre de Julio De Caro, indique qu’il était avec Eduardo Moreno quand un violoniste Emilio Marchiano serait venu lui demander d’aller chercher ce tango chez Fito pour lui ajouter des paroles.
Marchiano travaillait alors au café ABC, comme l’indique Osvaldo qui était ami avec le bandonéoniste Enrique Pollet (Francesito) et qui aurait recommandé les deux titres marqués Adolfo (Ausencia et Recuerdo).
On est sur le fil avec ces deux histoires avec les mêmes acteurs. Dans un cas, l’auteur serait Adolfito qui donnerait la musique pour qu’elle soit jouée par De Caro et dans l’autre, ce serait Pollet qui aurait fait la promotion des compositions qui seraient toutes deux d’Osvaldo et pas de son père, ni de son grand frère.
Pour expliquer que le nom de son père soit sur les partitions de ces deux œuvres, je donne la parole à Osvaldo qui indique qu’il est bien l’auteur de ces tangos, et notamment de Recuerdo qu’il aurait donné à son père, car ce dernier, flûtiste avait du mal à trouver du travail et qu’il avait décidé de se reconvertir comme éditeur de partition. En effet, la flûte, très présente dans la vieille garde n’était plus guère utilisée dans les nouveaux orchestres. Cette anecdote est par Oscar del Priore et Irene Amuchástegui dans Cien tangos fundamentales.
Toujours selon Pedro Laurenz, la variation finale, qui donne cette touche magistrale à la pièce, serait d’Enrique Pollet, alias El Francés, (1901-1973) le bandonéoniste qui travaillait avec Eduardo Moreno au moment de l’adaptation de l’œuvre aux paroles.
Cependant, la version de 1927 chantée par Rosita Montemar ne contient pas la variation finale alors que l’enregistrement de 1926 par De Caro, si. Plus grave, la version de 1957, chantée par Maciel ne comporte pas non plus cette variation. On pourrait donc presque dire que pour adapter au chant Recuerdo, on a supprimé la variation finale.

Et en conclusion ?

Ben, il y a plein d’hypothèses et toutes ne sont pas fausses. Pour ma part, je pense que l’on a minimisé le rôle Fito et qu’Adolfo le père n’a pas d’autre mérite que d’avoir donné le goût de la musique à ses enfants. Il semble avoir été un père moins parfait sur d’autres plans, comme en témoigne l’exil d’Adolfito (Vicente).
Mais finalement, ce qui compte, c’est que cette œuvre merveilleuse nous soit parvenue dans tant de versions passionnantes et qu’elle verra sans doute régulièrement de nouvelles versions pour le plus grand plaisir de nos oreilles, voire de nos pieds.
Recuerdo restera un souvenir vivant.

Temblando 1944-03-30 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino

Hilarion Acuña Letra : Charrúa (Gualberto Márquez)

Qui ne s’est jamais laissé emporter dans le tourbillon de cette chantée par et le bandonéon d’Anibal Troilo. Mais peut-être n’avez-vous pas fait attention au tendre sujet que nous dévoilent les paroles d’un amour de jeunesse, en tremblant.

Troilo et Fiore (Francesco Fiorentino)

Troilo et Fiorentino ont enregistré 73 titres, dont 4 en duo avec .
Ce sont quasiment tous des succès au point que certains DJ ne passent pour les Troilo chantés, que des versions avec Fiore.
Ce n’est pas mon cas et dans les anecdotes de tango de ces derniers jours, vous avez pu lire les articles ayant pour thème :
Sur 1948-02-23 — Anibal Troilo C Edmundo Rivero, Yuyo verde 1945-02-28 Orquesta Aníbal Troilo con Floreal Ruiz et, je l’avoue une autre jolie valse qui a été enregistré par Troilo et Fiorentino, cinq jours plus tôt que celle-ci, Valsecito amigo 1943-03-25 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.

Alberto Hilarion Acuña et Charrúa (Gualberto Márquez)

Alberto Hilarion Acuña est né en 1896 à , ou plus précisément à Pueblo de la Paz puisque c’était le nom du village à l’époque de la naissance d’Alberto. Maintenant, c’est englobé au sud-ouest du grand Buenos Aires. Un milieu plutôt rural à l’époque et cela a sans doute influencé ses choix musicaux, souvent orientés vers ce que l’on appelle maintenant le folklore, la valse du jour est en effet un vals criollo (vals est masculin en espagnol). Il a écrit en plus des tangos, des gatos, des chacareras, comme La choyana que Gardel a chanté avec Razzano, mais aussi des candombés comme enregistré par exemple en 1998 et 2003 par Juan Carlos Cáceres.
En 1924, il forme un duo avec René Ruiz. Ce duo sera fameux et à l’époque, on le comparait à celui de Gardel et Razzano. Ainsi la revue El Canta Claro (le chante-clair) du 19 avril 1929 indiquait : « Depuis que s’est désagrégé le duo insurpassable Gardel-Razzano, le meilleur qui reste pour interpréter notre muse sentimentale et populaire est indiscutablement l’exquis Ruiz-Acuña ».
Quant à l’auteur des paroles, Charrúa (Gualberto Gregorio Márquez), il est né uruguayen. Son surnom, Charrúa, vient du peuple Charrúa qui vivait en Uruguay, dans la province d’Entre-Rios (frontalière avec l’Uruguay) et au Brésil.
Ses penchants pour la ruralité peuvent sans doute trouver leur origine dans son territoire de naissance, mais aussi dans son activité dans le « civil », il était administrateur d’établissements agricoles du côté de General Las Heras (zone à l’époque rurale dans le Ouest-Sud-Ouest de Buenos Aires).
Son surnom et ses origines uruguayennes par son père (sa mère était portègne) ne l’empêchent pas de revendiquer d’être Argentin comme il l’a écrit dans un de ses poèmes. Lo que soy (ce que je suis) :
« Je suis d’origine uruguayenne, cependant, ma mère étant originaire de Buenos Aires, mon mot d’ordre est “25 de Mayo” ; je regarde de face et non de côté ce sol divin, je défends ce qui est authentique, ce qui est traditionnel, ce que je veux, c’est pourquoi je m’engage pleinement à être le meilleur Argentin. »
Son engagement pour ce qui est traditionnel s’est montré par ses sujets de poésie, par le fait qu’il a écrit des (chansons folkloriques typiques de la pampa, ce qui explique le poncho dont il sera question dans la valse du jour) et bien sûr les paroles champêtres de la valse du jour.

Extrait musical

Temblando 1944-03-30 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino. C’est la valse du jour.

Le bandonéon lance le début de l’introduction comme un démarrage difficile. Puis à 0 : 15 commence le thème par les violons, puis à 0 : 45 ; le piano entre dans la danse, et ainsi de suite, s’alternent les instruments jusqu’à ce que le violon freine et relance à 1 : 05 à la fin de son solo. À 1 : 28, Fiorentino reprend le thème. Il accentue de nombreux premiers temps en les pointant (la note dure ½ en plus de sa durée normale). Cela donne l’impression de ralentissement que contredit ½ temps plus tard la reprise du rythme normal de la valse. Un peu comme un homme qui tournerait la manivelle d’une voiture ancienne pour démarrer le moteur. C’est le même principe que le démarrage initial du bandonéon en introduction. Cet élément stylistique s’apparente dans une certaine mesure à la valse viennoise, mais aussi au vals criolo où le ralentissement est encore plus marqué et le rythme sort complètement de la régularité des trois temps de la valse, comme on peut l’entendre par exemple chez Corsini (voir ci-dessous dans les autres versions).

Les paroles

Linda estaba la tarde en que la vide,
el patio de su rancho acomodando
y aunque (muy) guapo pa’todo me sentía, (y aunque guapo muy guapo me sentía)
no pude hablarla y me quedé temblando.

Estaba como nunca la había visto,
vestido livianito de zaraza,
con el pelo volcado sobre los hombros
era una virgen que encontré en la casa.

Ni ella ni yo, ninguno dijo nada,
con sus ojazos me siguió quemando,
dejó la escoba que tenía en la mano,
me quiso hablar y se quedó temblando.

Era el recuerdo del amor primero,
amor nacido en una edad temprana,
como esas flores rústicas del campo
que nacen de la noche a la mañana.

Amor que está oculto en los adobes
de su rancho paterno tan sencillo
y en la corteza del ombú del patio
escrito con la punta del cuchillo.

Me di vuelta pisando despacito,
como quien desconfía de una trampa,
envolviendo recuerdos y emociones
entre las listas de mi poncho pampa.

No sé qué me pasó, monté a caballo
y me fui (sali) galopeando a rienda suelta,
con todos los recuerdos y emociones
que en las listas del poncho saqué envueltas.

Linda estaba la tarde en que la vide,
el patio de su rancho acomodando.
Y aunque (muy) guapo pa’todo me sentía, (y aunque guapo muy guapo me sentía)
no pude hablarla y me quedé temblando.

Alberto Hilarion Acuña Letra: Charrúa (Gualberto Márquez)

Fiorentino et Bermúdez chantent ce qui est en gras et terminent en reprenant le couplet qui est en rouge. En bleu, la variante de Carmen Idal qui chante, comme Corsini, l’intégralité des paroles.

Traduction libre et indications

L’après-midi où je l’ai vue était belle, la cour de son ranch bien ordonnée et même si je me sentais beau en tous points, je ne parvins pas à lui parler et je restais tremblant.
Elle était comme je ne l’avais jamais vue auparavant, une robe légère de zaraza, les cheveux retombant sur les épaules, c’était une vierge que j’avais rencontrée dans la maison. (Zaraza est une sorte de Percal. Un tango de Benjamin et Alfonso Tagle Lara porte ce nom. Et Biagi avec Ortiz en a donné une des meilleures versions en 1941. Acuña l’auteur de la valse du jour l’a également chanté en duo avec Ruiz).
Ni elle, ni moi, ni l’un ni l’autre n’avons parlé, avec ses yeux immenses qui me suivaient en me brûlant, elle a délaissé le balai qu’elle tenait à la main, elle voulait me parler et elle est restée tremblante.
C’était le souvenir du premier amour, amour né dans notre jeune âge, comme ces fleurs rustiques des champs qui naissent du jour au lendemain (de la nuit au matin).
Amour qui était caché dans les adobes du ranch de son père, tout simple et grâce à la courtoisie d’un ombú de la cour, j’ai écrit à la pointe d’un couteau. (l’ombú, c’est le belombra ou raisinier dioïque, un arbre d’Amérique du Sud faisant une belle ombre, d’où son nom de bel ombra)
Je me retournai d’un pas lent, comme quelqu’un qui se méfie d’un piège, enveloppant et émotions entre les plis de mon poncho de la pampa. (Lista, c’est la liste blanche sur le chanfrein des chevaux. Il enveloppe donc ses émotions dans les bandes blanches donc, les rayures de son poncho).
Je ne sais pas ce qui m’est arrivé, je suis monté à cheval et j’ai galopé à bride abattue, avec tous les souvenirs et les émotions que j’avais enveloppés dans les listes de ponchos.
L’après-midi où je l’ai vue était belle, la cour de son ranch bien ordonnée et même si je me sentais beau en tous points, je ne parvins pas à lui parler et je restais tremblant.
Un documentaire intéressant pour connaître le poncho.

Autres versions

Temblando 1933-09-28 — Ignacio Corsini con guitarras de Pagés-Pesoa-Maciel (Vals Criollo). Une belle interprétation pour ce type de valses folkloriques.
Temblando 1944 Orquesta Gabriel Chula Clausi con Carmen Idal.

Une jolie version, chantée et presque dansable. Il est à noter qu’elle chante les paroles de l’homme. Avec de petites variations, comme cela arrive souvent, les chanteurs prennent de petites libertés pour mieux coller à leur diction, à l’arrangement de la musique, à leur style ou pour actualiser un texte.

Temblando 1944-03-30 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino. C’est la valse du jour.
Temblando 1944-04-26 — Orquesta Pedro Laurenz con Carlos Bermúdez.

Comme la version de Troilo, celle de Lorenzo commence par un bandonéon qui « démarre ». Les arrangements sont assez proches de ceux de Troilo. À 1 : 19 commence Bermúdez, sa voix est magnifique, plus chaude que celle de Fiorentino, c’est une superbe version, injustement estompée, à mon avis par celle de Troilo qui ne lui est pas sensiblement supérieure. À 2 : 25, vous noterez le changement de et même de mode, la musique passe en mode mineur (voir le petit cours de musique à propos de Lágrimas y sonrisas).

Par la suite, le thème a été repris à différentes reprises, par des chanteurs plutôt versés du côté folklore, ou par d’autres du côté chanson, mais l’aspect dans n’a plus été mis en valeur par des versions équivalentes à celles de Troilo ou de Laurenz. J’en cite cependant quelques-unes, intéressantes par différents aspects.

Temblando 1976 Rubén Juárez.

Des petits moments de rappel de vals criollo, au milieu d’une interprétation sous forme de chanson. Comme beaucoup de chansons en valse, cette version reste dansable, au moins pour les danseurs qui ne sont pas trop puristes.

Temblando 1976 — Rubén Juárez ().

Le mêmechanteur, mais cette fois dans le périlleux exercice du chant a capela. Là, pas du tout question de danser…

Temblando 1995 — Canta Luis Cardei.

Pour terminer en douceur, une version d’inspiration criolla. Malgré sa très courte carrière (6 ans, Luis Cardei a produit trois disques et chanté dans le film La Nube (1998) de Fernando Solanas, basé sur la pièce de théâtre Rojos globos rojos d’Eduardo Pavlovsky. Le film débute sur des vues de Buenos Aires où tout va à l’envers (les voitures et les piétons, sauf un, reculent, la suite est peut-être moins intéressante, à tous les points de vue, sauf pour les fans de Solanas…).

Valsecito amigo 1943-03-25 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino

Aníbal Carmelo Troilo Letra José María Contursi

Si comme moi vous adorez les valses, vous devez avoir le titre du jour, Valsecito amigo bien au chaud dans votre cœur. Ce titre est né sous tous les bons auspices avec la musique de Troilo, les paroles de Contursi et la voix de Fiorentino. Vous en aviez rêvé, Pichuco l’a fait pour vous.

Aníbal Carmelo Troilo y Marcos

Pichuco, el Gordo, el bandoneón mayor de Buenos Aires et autres appellations témoignent de l’affection que portent les Portègnes à Troilo.

Il utilisait son nom véritable, tout comme son grand frère Marcos, également bandonéiste et qui travailla d’ailleurs dans l’orchestre de son frère de 1941 à 1947.

Le chouchou de Buenos Aires

À Buenos Aires, Troilo est littéralement adoré. C’était nettement moins le cas en Europe et je me souviens qu’en 2014, en France, pour le centenaire de sa naissance, certains faisaient la moue quand j’annonçais une tanda de Troilo. J’ai cependant insisté et je pense que désormais, Troilo est unanimement apprécié, même s’il y a quelques semaines, je recueillais les confidences d’un danseur qui m’indiquait qu’il avait du mal à danser sur Troilo.
Ce n’est pas le lieu d’entrer dans le débat ici, mais Troilo a fait du tango pour la danse et du tango à écouter. Par ailleurs, il adorait les chanteurs et leur a donné un peu plus de présence. Cela a donc influé sur la dansabilité de ses titres. Il convient donc de choisir les Troilo que l’on propose en et l’on peut donner énormément de bonheur aux danseurs, même en sortant de la liste d’une quinzaine de titres à laquelle se limitent la plupart des DJ.
Avec cette valse, pas de risque de déception, sauf bien sûr pour les rares danseurs qui n’aiment pas les valses (bisous, Henri et Catherine).

Les débuts de Pichuco contés par son frère, Marcos

Je vous propose cette archive datant de 1969, dans laquelle son grand frère, Marcos, parle des débuts de son fameux frère. L’entrevue est menée par Pipo Mancera (José Nicolás Mancera)

Marcos Troilo habla de Anibal 1969-07-12 — Sábados circulares de Pipo Mancera

Transcription partielle, mais pas partiale.

Pipo hablando a Aníbal: Pichuco, No, no te voy a pedir nada, se lo voy a preguntar a Troilo, pero no a vos, se lo voy a preguntar a tu hermano.
Pipo a Marcos: Si usted fuera tan amable, adelante señor Troilo.
Pipo al público: Marcos Troilo, hermano mayor de Aníbal Troilo.
Pipo a Marcos: Como era su hermano cuando era chico?
Marcos: Bueno mi hermano cuando chico ya dejaba entrever que iba a ser un poquito gordito […] que estaban en una época de los 10 a los 12 años 13 años bueno.
Pipo a Marcos: Señor Troilo cuando se despierte en Pichuco su amor por la música?
Marcos: Bueno, Pichuco, hace muchísimos años, tenía la edad de 10, 11 años y nosotros frecuentábamos un club que se llamó la Fanfarria (La Fanfarria estaba en los terrenos del antiguo Hipódromo Nacional, ahora, lugar de la cancha de , el club de Aníbal…) en las cuales los socios aportaban semanalmente uno o dos pesos y todas las semanas los mismos socios hacían una pequeña jugada en la cual si se llegaba a ganar se aportaba para hacer un picnic o una fiesta o un baile.
Pipo: Qué lindo
Marcos: Entonces es ahí donde empezó la vocación de Pichu pues esa cosa que se le despertó a él. Y yo recuerdo muy bien en los picnics cuando se encontraba con los bandoneones que actuaban en esa fiesta que festejaban eso que nosotros estábamos ahí que se sentaba siempre al lado de uno de los bandoneones y lo miraba muy atentamente.
Entonces llegó un día de que esos picnics se hacían con mucha frecuencia y un día le dijo a mi madre que le comprara un bandoneón. Esta vez así que en una oportunidad yo regresaba a casa y me dijo mi madre dice mira dice lo que hay arriba de esa cama. Y era un bandoneón que le había comprado en una casa de la calle Córdoba, a un señor que lo recuerdo como si fuera ahora, se llamaba “Esteinguar” (o Estenguar, apellido a verificar)
Pipo: Si como es este mismo (El bandoneón que está usando Aníbal)
Aníbal: Cuarenta y tres años.
Pipo: El fueye que le compro su madre.
Marcos: y creo que le costó 140 pesos […]
Pipo: 140 pesos
Aníbal: A pagar 10 pesos por mes.
Hay una anécdota curiosísima. A los cuatro meses, no vinieron a cobrar. El tipo se había muerto. Así que me costó 40 pesos.
Pipo a Marcos: Pero me has dado un dato que para mí es muy importante […] (Pipo pido el fuye a Anibal, tratando de hacer tocar a Marcos…) usted aprendió a tocar el fueye porque sabía que su hermano iba a ser famoso.
Marcos: No simplemente porque me contagió el entusiasmo que él tenía y un día decidí practicar y empecé a tocar una cosita de acá otra cosita de acá agregando y empecé a tocar un valsecito con éxito.
Pipo: Cuántos años hace que no toca el bandoneón?
Marcos: Bueno en honor de la verdad creo que hace del año 48 a fines del 48 (Marcos tocó en la orquesta de su hermano hasta 1947).
Pipo: Qué es lo que mejor recuerda que tocaba en bandoneón… Un valsecito, un tanguito?
Marcos: Creo que era un tango de Charlo. Este tango precioso. No recuerdo bien el nombre ahora, pero, que Pichuco me lo puede hacer recordar. […]

Marcos Troilo habla de Anibal 1969-07-12 — Sábados circulares de Pipo Mancera. En azul mis comentarios.

libre de l’entrevue avec Marcos Troilo

Pipo s’adressant à Aníbal : Pichuco, non, je ne vais rien te demander, je vais demander à Troilo, mais pas à toi, je vais demander à ton frère.
Pipo à Marcos : Si vous voulez bien le faire, venez, M. Troilo.
Pipo au public : Marcos Troilo, le frère aîné d’Aníbal Troilo.
Pipo à Marcos : Comment était ton frère quand il était enfant ?
Marcos : Eh bien, quand il était enfant, mon frère avait déjà laissé entendre qu’il allait être un peu potelé […] C’était au moment où il avait 10 à 12 ans, 13 ans.
Pipo à Marcos : M. Troilo, quand l’amour pour la musique s’éveille-t-il chez Pichuco ?
Marcos : Eh bien, Pichuco, il y a de nombreuses années, il avait 10 ou 11 ans et nous fréquentions un club appelé la Fanfarria (la Fanfare, qui était sur le terrain de l’ancien hippodrome national, aujourd’hui l’endroit où se trouve le terrain de River Plate, le club d’Aníbal…) dans lequel les membres contribuaient à hauteur d’un ou deux pesos par semaine et chaque semaine, les membres eux-mêmes faisaient une petite pièce dans laquelle s’ils gagnaient, c’était un apport pour faire un pique-nique, une fête ou une danse.
Pipo : C’est mignon.
Marcos : C’est donc là que la vocation de Pichu a commencé, cette chose qui s’est éveillée en lui. Et je me souviens très bien que lors des pique-niques, lorsqu’il rencontrait les bandonéonistes qui jouaient à cette fête. Il s’asseyait toujours à côté de l’un des bandonéonistes et le regardait très attentivement.
Puis il y a eu un jour où ces pique-niques étaient très fréquents et un jour il a dit à ma mère de lui acheter un bandonéon. Une fois que je rentrais à la maison, ma mère m’a dit, regarde ce qu’il y a sur ce lit. Et c’était un bandonéon qu’elle avait acheté dans une maison de la rue Cordoba, à un homme dont je me souviens comme si c’était maintenant, son nom était « Esteinguar » (ou Estenguar, nom de famille à vérifier)
Pipo : Oui, c’est celui-ci. (Le bandonéon qu’utilise Troilo est celui acheté par sa mère)
Hannibal : Quarante-trois ans.
Pipo : Le fueye que votre mère lui a acheté.
Marcos : Et je pense que ça lui a coûté 140 pesos […]
Pipo : 140 pesos
Aníbal : À payer 10 pesos par mois.
Il y a une anecdote très curieuse. Au bout de quatre mois, ils ne sont pas venus réclamer leur dû. Le gars était mort. Cela m’a donc coûté 40 pesos.
Pipo à Marcos : Mais tu m’as communiqué une information qui est très importante pour moi […] (Pipo emprunte le bandonéon à Anibal et essaye d’en faire jouer son frère, Marcos) tu as appris à jouer du bandonéon parce que tu savais que ton frère allait devenir célèbre ?
Marcos : Non, simplement parce que j’ai été contaminé par l’enthousiasme qu’il avait et qu’un jour j’ai décidé de m’entraîner et j’ai commencé à jouer une petite chose d’ici, une autre petite chose par-là, et j’ai commencé à jouer une valse avec succès.
Pipo : Combien d’années se sont-elles écoulées depuis que vous n’avez pas joué du bandonéon ?
Marcos : Eh bien, pour être honnête, je pense que c’était en 1948 à la fin de 1948 (Marcos a effectivement joué dans l’orchestre de son frère jusqu’en 1947).
Pipo : De quoi te souviens-tu le mieux quand tu jouais du bandonéon ? Une valse, un tango ?
Marcos : Je crois que c’était un tango de Charlo. Un beau tango. Je ne me souviens plus très bien du nom, mais Pichuco peut me le rappeler. […]

Extrait musical

Écoutons maintenant le , qui est cette merveilleuse valse, Valcesito amigo.

Valsecito amigo 1943-03-25 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.

Les paroles

Vals sentimental de nuestras viejas horas,
¡nunca te escuché tan triste como ahora!
Llegas hasta mi para aumentar mi queja,
tiene tu rondín sabor a cosa vieja…
Vals sentimental, ingenuo y ondulante,
vuelvo a recordar aquellos tiempos de antes.
Una voz lejana me acusa en tu canción,
¡valcesito!… ¡y envuelve mi emoción!

Vuelca tu nostalgia febril,
tu musiquita sensual,
se que no es posible seguir
oyéndote sin llorar.
Valcesito amigo, no ves
esta incertidumbre tenaz
que no hace más
que remover y conmover
mi soledad…
Unos ojos verdes de mar
más grandes que su ilusión,
unas ansias grandes de amar…
después… llorando una voz…
Valcesito amigo, no ves
que tu musiquita sensual
no sabe más
que atormentar y atormentar
mi

Cuando llegue el fin de mi oración postrera,
quiero imaginarla así, como ella era…
Juntaré mi voz a aquellos labios suyos,
mientras tu canción nos servirá de arrullo.
Vals sentimental de nuestras horas,
ya no me verán tan triste como ahora.
Lentamente tus notas amigas cantaré,
valsecito… ¡y entonces moriré!

Anibal Troilo Letra: José María Contursi

Traduction libre

Petite valse amicale

Valse sentimentale de nos heures anciennes, jamais en t’écoutant je n’ai eu tant de peine.
Tu ne viens à moi que pour me tourmenter. Tes notes ont la saveur des choses passées…
Valse sentimentale, ingénue et ondulante, de ces temps d’autrefois tu fais revenir le souvenir.
Une voix lointaine m’accuse dans ta chanson, petite valse, et enserre mon émotion.

Tu verses ta nostalgie fébrile, ta petite musique sensuelle, tu sais que je ne peux pas continuer de t’entendre sans pleurer. Petite valse amie, ne vois-tu pas cette incertitude tenace, qui ne fait rien que remuer et aviver ma solitude ?
Des yeux verts de mer, plus grands que ton illusion, une fringale immense d’aimer…
Puis… Une voix qui pleure…
Valse amicale, ne vois-tu pas que ta petite musique sensuelle ne sait rien faire d’autre que tourmenter et tourmenter mon cœur…

Quand arrivera la fin de ma dernière prière, je veux l’imaginer ainsi, comme elle était…
Je joindrai ma voix aux siennes lèvres, pendant que ta chanson nous servira de roucoulement.
Valse sentimentale de nos heures ; jamais me virent si triste comme maintenant. Lentement, je chanterai tes notes amicales, petite valse… et ensuite, je mourrai !

Pour une autre traduction en français, vous pouvez consulter celle de Fabrice Hatem, sur son site.

Les versions

Valsecito amigo 1943-03-25 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.

C’est du jour. Troilo est sur son terrain, car il en est le compositeur.
La première minute fait monter la tension afin de préparer l’intervention de Fiorentino. Le mode mineur adopté donne un peu de nostalgie à la musique, mais le rythme soutenu entraîne les danseurs dans une valse énergique. Les instruments, violons et bandonéon, mais aussi la voix relance l’énergie à chaque mesure. Le premier temps est marqué de façon sensible mais sans brutalité, toute en subtilité. Troilo a trouvé une façon de marquer les trois temps de la valse avec un style particulièrement fluide, que préserve Fiorentino. Impossible de résister à l’élan sans cesse renouvelé. Même Fiorentin ne semble pas devoir reprendre son souffle, pour ne pas couper la dynamique malgré une diction parfaite et rapide.

Valsecito amigo 1943-08-17 Orquesta Francisco Canaro con .

Enregistrée cinq mois plus tard, la version de Canaro marque bien la différence de style. Troilo a une modernité naissante bien différente de la version plus traditionnelle de Canaro. Cependant, il ne faudrait pas jeter la magnifique prestation de Canaro et l’émotion que suscite Eduardo Adrián.
Canaro qui est également à la tête d’un orchestre de jazz utilise des instruments plus rares dans les típicas de tango, comme la trompette bouchée ou la clarinette.
Les instruments se répondent, des motifs répondent à l’instrument principal qui peut être la voix. Ces petits accents sont comme des fioritures que peuvent observer les danseurs pour sortir du rythme régulier et puissant bien que d’un tempo plus modéré. Canaro donne la parole successivement à chaque instrument ce qui évite la monotonie, chaque reprise a une couleur différente.
Canaro a sa sonorité propre, facilement reconnaissable et le résultat est aussi fantastique que la version de Troilo et Fiorentino. Sur l’île déserte, il faut absolument emporter les deux.

S’il existe bien sûr d’autres enregistrements, il n’y a rien de bien passionnant qui puisse faire passer au second plan les versions de Troilo et Canaro.
On dirait que les merveilles réalisées par ces deux monstres sacrés ont fait peur aux suiveurs.
Cependant, un enregistrement moderne me semble intéressant, peut-être, car il me rappelle le Cuarteto Cedrón qui fut un des orchestres qui berça mon enfance avec la voix si particulière de Juan.

Valsecito amigo 2010-10-22 con Juan Tata Cedrón (voz y dirección).

À voir

Pour mieux connaître Pichuco, vous pouvez consulter ce film documentaire sur ceux qui font vivre l’héritage de Pichuco. Il a été réalisé en 2014 à l’occasion du centenaire de sa naissance.

Un recorrido musical por la obra de Aníbal ¨Pichuco¨ Troilo, uno de los personajes fundamentales de la historia del Tango y la música Argentina. Director: Martín Turnes. 2014. https://play.cine.ar/INCAA/produccion/1451

Il faut un compte pour voir le film, mais c’est gratuit et cela vous ouvrira la porte des merveilleuses ressources de l’INCAA.

Adiós, los Troilos

Marcos est décédé le 7 avril 1975 et un peu plus d’un mois plus tard, Anibal l’a rejoint.
Le poète Adrián Desiderato écrivit à cette triste occasion :
« Fue un 18 de mayo, ese día al bandoneón, se le cayó Pichuco de las manos ».
Ce fut un 18 mai, ce jour du bandonéon, qu’il tomba des mains de Pichuco.
Depuis l’âge de dix ans, l’instrument n’a pas quitté Anibal. On a donc décidé de faire du 18 mai le jour du bandonéon. Le seul hic, c’est qu’il y a un doute réel sur la date de décès d’Anibal, 18 ou 19 mai  ?
Je vous laisse méditer, comme le héros de cette valse, interprété par Fiorentino, Adrián et Cedrón.

Tinta verde 1938-03-07 — Orquesta Aníbal Troilo

Agustín Bardi (compositeur)

Peut-être vous êtes-vous demandé pourquoi ce sublime tango s’appelait « Tinta Verde » (Encre verte). La version de ce a été enregistrée par Anibal Troilo le 7 mars 1938, il y a exactement 86 ans, mais la musique a été écrite par Bardi en 1914. Une histoire d’amitié comme il en existe tant en Argentine.

Jetez l’encre

Agustín Bardi (13 août 1884 – 21 avril 1941) a écrit ce très beau tango en 1914. Il n’en existe pas à ma connaissance de versions chantées, toutes les versions sont instrumentales. On n’a donc que l’écoute et le titre pour avoir une idée du thème. Je me suis intéressé à d’autres tangos qui parlaient d’encre (tinta).
Tinta roja ( Letra: Cátulo Castillo). Il ne s’agit pas d’encre rouge, mais des jeux de couleurs, couleur du sang et du vin teinté (les hispanophones disent vino tinto pour parler du vin rouge). Tinta roja (1942) a sans doute été écrit en réponse à tinta verde qui avait toujours du succès comme en témoignent les enregistrements de D’Arienzo 1935 et Troilo 1938, celui dont on parle aujourd’hui).
(Antonio Polito Letra : Héctor Polito). Encre de Chine. Peut-être pour les mêmes raisons, mais sans le même succès, ce tango écrit en 1942 parle des personnes à la peau noire. Tinta china se réfère donc à la couleur de la peau.
Tinta verde. J’ai gardé le suspens, mais je vous rassure, c’est impossible de deviner pourquoi ce tango s’appelle Tinta verde (encre verte). Ce n’est pas une histoire de couleur de peau (pas de petits Martiens à la peau verte), d’autant plus que la célèbre émission d’ mettant en scène la Guerre des Mondes d’Herbert George Wells (le plus grand pionnier de la science-fiction) n’a été diffusée que le 30 octobre 1938 et ce tango écrit en 1914.
Je lève le suspens, il s’agit tout simplement de l’encre verte, celle que l’on peut mettre dans les stylos.

1 Je suis parti d’une photo de Octopus Fluids, le fabricant de l’excellente encre Barock 1910, la verte s’appelle jade. J’espère que le collègue photographe ne m’en voudra pas de cet emprunt, mais j’ai trouvé sa photo si belle que je n’ai pas eu d’idée pour faire mieux. Voici le site d’Octopus Fluids pour ceux que ça intéresse. https://www.octopus-fluids.de/en/writing-ink-fountain-pen-inks/barock-fountain-pen-inks

Vous allez me dire que je devrais avancer une preuve, car étant instrumental, c’est difficile à vérifier.
La preuve, la voici ; Agustín Bardi avait pour voisin et ami, Eduardo Arolas (24 février 1892 – 29 septembre 1924). Ce dernier était illustrateur en plus d’être bandonéoniste, compositeur et chef d’orchestre. Il était donc coutumier de l’usage des encres. Curieuse coïncidence, à la même époque, Agustín Bardi travaillait pour une entreprise de transport, «  » (la chargeuse, ou le chargeur). Dans cet établissement, Agustín écrivait les étiquettes des expéditions à l’encre verte. Cela lui a donné d’écrire le tango pour son jeune ami (il avait 22 ans et Agustín 30), compagnon d’usage des encres.

Eduardo, qui était donc également illustrateur a réalisé la couverture de la partition qui lui était dédiée, à l’encre verte… La boucle est bouclée.

Extrait musical

Depuis 1914, il y a eu diverses versions du titre. Vous pourrez entendre la plupart en fin de cet article. Mais le tango du jour est l’excellente version de Troilo de 1938. Il l’a réenregistré, avec moins de bonheur à mon sens en 1970.

Tinta verde 1938-03-07 — Orquesta Aníbal Troilo. C’est le tango du jour.

Je trouve amusant de proposer en réponse, l’encre rouge, qui elle a des paroles chantées par Fiorentino. Nous en reparlerons sans doute en octobre…

Tinta roja 1941-10-23 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino / Sebastián Piana Letra : Cátulo Castillo

Je vous laisse apprécier le contraste. Ces titres peuvent être compatibles, pour les DJ qui mélangent les tangos chantés et instrumentaux.

D’autres enregistrements

Cette histoire d’amitié, trop vite interrompue par la mort d’Eduardo Arolas (en 1924, à 32 ans), a donné lieu à de nombreuses et belles versions. Agustín Bardi aura le bonheur d’entendre les versions de D’Arienzo et Troilo, mais probablement pas l’intéressante interprétation de Demare. Ce dernier l’a enregistré plus d’un an après la mort de Bardi, mais il se peut qu’il l’ait joué en sa présence avant avril 1941.

Tinta verde 1916 — . Une version acoustique, mais plutôt mélodique. Pas pour nos milongas, mais à découvrir, tout de même.
Tinta verde 1927-10-17 — Osvaldo Fresedo. Une version un peu , moyennement intéressante, même pour l’époque. À réserver aux fans absolus de Fresedo et de la vieille garde.
Tinta verde 1929-10-03 — Orquesta Pedro Maffia. Une version tranquille qui aura une sœur 30 ans plus tard.
Tinta verde 1935-08-12 — Orquesta Juan D’Arienzo. Un D’Arienzo typique de sa première période, avant l’arrivée de Biagi dans l’orchestre.
Tinta verde 1938-03-07 — Orquesta Aníbal Troilo. C’est le tango du jour.
Tinta verde 1942-12-09 — Orquesta . J’aime bien l’entrée du piano au début de cette version.
Tinta verde 1945-10-30 — Orquesta Carlos Di Sarli. Magnifique solo de violon.
Tinta verde 1954-01-26 — Orquesta Carlos Di Sarli. Une version lente et majestueuse, comme sait en produire El Señor del Tango.
Tinta verde 1957-06-19 — Orquesta Juan Cambareri. Une version un peu précipitée. Amusante, quasiment dansable en . Elle sera sans doute déroutante pour les danseurs et donc à éviter, sauf occasion très particulière.
Tinta verde 1959 — Orquesta Pedro Maffia. 30 ans après le premier enregistrement, Maffia joue avec une sonorité différente, mais un rythme proche.
Tinta verde 1966-12-23 — Orquesta Armando Pontier. Une version assez originale. Pas forcément géniale à danser, mais agréable à écouter.
Tinta verde 1967-11-14 Orquesta Juan D’Arienzo. Ce n’est clairement pas la meilleure version. Je ne proposerai pas en milonga, même si cela reste dansable.
Tinta verde 1970-11-23 — Orquesta Aníbal Troilo. Comme pour D’Arienzo, on s’éloigne un peu trop du tango de danse. C’est magnifique, mais sans doute insatisfaisant pour les meilleurs danseurs.

Il existe bien d’autres versions, les thèmes appréciés par Troilo ou D’Arienzo ont beaucoup de succès avec les orchestres contemporains. N’hésitez pas à donner votre avis sur votre version préférée en commentaire (il faut créer un compte pour éviter les spams, mais ce n’est pas très contraignant).

Agustin Bardi (à droite), a écrit ce tango pour son ami, Eduardo Arolas, à gauche.

Cornetín 1943-03-05 Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino

Pedro Maffia Letra : Homero Manzi ; Cátulo Castillo

Le tango du jour, Cornetín, évoque le cornet autrefois utilisé par les « conductors» del tranvía a motor de sangre (les chargés de clientèle des tramways à moteur de sang, c’est-à-dire à traction animale). Il a été enregistré il y a exactement 81 ans.

Éléments d’ du tranvía, le tramway de )

Les premiers tramways étaient donc à traction animale. Vous aurez noté que les Argentins disent à moteur de sang pour ce qui est traction humaine et animale. Cela peut paraître étrange, mais quand on pense au prix que payaient les chevaux qui tiraient les tranvías de Buenos Aires, l’expression est assez parlante.

Tranvías a motor de sangre en la Boca (Puente Puyrredon)

En effet, à Buenos Aires, les chevaux étaient durement exploités et avaient une durée d’utilisation d’environ deux ans avant d’être hors d’usage contre une dizaine d’années en Europe, région où le cheval coûtait cher et était donc un peu plus préservé.
Nous avons déjà vu les calesitas qui étaient animées par un cheval, jusqu’à ce que ce soit interdit, tout comme, il n’y a que très peu d’années, les cartoneros de Buenos Aires n’aient plus le droit d’utiliser des chevaux. L’ironie de l’histoire est que l’arrêt de l’utilisation des chevaux a été édicté pour éviter la cruauté envers les animaux, mais maintenant, ce sont des hommes qui tirent les charrettes de ce qu’ils ont récupéré dans les poubelles.
Dans la Province de Buenos Aires, le passage de la traction animale à la traction électrique s’est fait autour de 1915, sauf pour quelques compagnies résistantes à ce changement et qui ont continué jusqu’à la fin des années 20.
Il faut aussi noter que la réticence des passagers à la traction électrique, avec la peur d’être électrocuté, est aussi allée dans ce sens. Il faut dire que les étincelles et le tintement des roues de métal sur les rails pouvaient paraître inquiétants. Je me souviens que quand j’étais gamin, j’aimais regarder le conducteur du métro, fasciné par les nuées d’étincelles qui explosaient dans son habitacle. Je me souviens également d’un conducteur qui donnait des coups avec une batte en bois sur je ne sais quel équipement électrique, situé à la gauche de la cabine. C’était le temps des voitures de métro en bois, elles avaient leur charme.

Retour au cornetín

Celui qui tenait le cornetín, c’est le conductor. Attention, il n’est pas celui qui mène l’attelage ou qui conduit les tramways électriques, c’est celui qui s’occupe des passagers. Le nom peut effectivement porter à confusion. Le conducteur, c’est le mayoral que l’on retrouve également, héros de différents tangos que je présenterai en fin d’article.
Le cornetín servait à la communication entre le mayoral (à l’avant) et le conductor à l’arrière). Le premier avait une cloche pour indiquer qu’il allait donner le départ et le second un cornet qui servait à avertir le conducteur qu’il devait s’arrêter à la suite d’un problème de passager. Le conducteur abusait parfois de son instrument pour présenter ses hommages à de jolies passantes.
C’est l’histoire de ce tango.

Extrait musical

Cornetín 1943-03-05 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino

Les paroles

Tarí, Tarí.
Lo apelan Roque Barullo
conductor del Nacional.

Con su tramway, sin cuarta ni cinchón,
sabe cruzar el barrancón de Cuyo (al sur).
El cornetín, colgado de un piolín,
y en el ojal un medallón de yuyo.

Tarí, tarí.
y el cuerno listo al arrullo
si hay percal en un zaguán.

Calá, que linda está la moza,
calá, barriendo la vereda,
Mirá, mirá que bien le queda,
mirá, la pollerita rosa.
Frená, que va a subir la vieja,
frená porque se queja,
si está en movimiento.
Calá, calá que sopla el viento,
calá, calá calamidad.

Tarí, tarí,
trota la yunta,
palomas chapaleando en el barrial.

Talán, tilín,
resuena el campanín
del mayoral
picando en son de broma
y el conductor
castiga sin parar
para pasar
sin papelón la loma
Tarí, tarí,
que a lo mejor se le asoma,
cualquier moza de un portal

Qué linda esta la moza,
barriendo la vereda,
mirá que bien le queda,
la pollerita rosa.
Frená, que va a subir la vieja,
Frená porque se queja
si está en movimiento,
calá, calá que sopla el viento,
calá, calá calamidad.

Tarí, Tarí.
Conduce Roque Barullo
de la línea Nacional.

Pedro Maffia Letra : Homero Manzi ; Cátulo Castillo

Parmi les détails amusants :

On notera le nom du conducteur du tranvía, Barullo, qui en lunfardo veut dire bagarreur. Encore un tango qui fait le portrait d’un compadrito d’opérette. Celui-ci fait ralentir le tranvía pour faciliter la montée d’une ancienne ou d’une belle ou tout simplement admirer une serveuse sur le trottoir.

Le Tarí, Tarí, ou Tará, Tarí est bien sur le son du cornetín.

“sabe cruzar el barrancón de Cuyo” – El barrancón de Cuyo est un ravin, comme si le tranvía allait s’y risquer. Cela a du paraitre extravagant, car dans certaines versions, c’est tout simplement remplacé par el sur (dans le même sens que le Sur de la chanson de ce nom qui est d’ailleurs écrite par le même Homero Manzi. D’ailleurs la ligne nacionale pouvait s’adresser à celle de Lacroze qui allait effectivement dans le sud.

Tangos sur le tranvía

Cornetín (le thème du jour de Pedro Maffia Letra : Homero Manzi; Cátulo Castillo)

El cornetín (Cornetín) 1942-12-29 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán. C’est le premier de la série à être enregistré.

Cornetín 1943-03-05 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino. C’est le tango du jour.

Cornetín 1943-04-05 — Libertad Lamarque con orquesta dirigida por Mario Maurano.

Cornetín 1943-04-05 — Libertad Lamarque con orquesta dirigida por Mario Maurano.

Cette chanson a été enregistrée un mois, jour pour jour, après la version de Di Sarli. Cette version, plutôt chanson est tout de même dansée dans le film Eclipse de sol de Luis Saslavsky d’après un scénario d’Homero Manzi tiré de l’œuvre d’Enrique García Velloso. Le film est sorti le 1er juillet 1943.
Cet extrait nous permet de voir comment était organisé un tranvía a motor de sangre, avec son mayoral à l’avant, conduisant les chevaux et son conductor, à l’arrière, armé de son cornetín.

Cornetín 1950-07-28 con el conjunto de guitarras de Roberto Grela.

Après une courte intro sur un rythme à trois temps, Nelly Omar chante sur un rythme d’habanera. Le résultat est très sympa, l’équilibre entre la voix de Nelly et la guitare de Roberto Grela et ses fioritures est agréable.

  • Je vous dispense de la version de De Angelis de 1976…

Autres titres parlant du tranvía

El cochero del tranvía 1908 Los Gobbi (Alfredo Gobbi y Flora Gobbi) – Ángel Gregorio Villoldo (MyL).

Le son est pénible à écouter, c’est un des tout premiers enregistrements et c’est plus un dialogue qu’une chanson. C’est pour l’intérêt historique, je ne vous en voudrai par si vous ne l’écoutez pas en entier.

1938-06-09 – Orquesta Francisco Lomuto con / Antonio Oscar Arona Letra : Armando Tagini. Une belle version de ce titre.
El mayoral 1946-04-24 ( candombe) — Orquesta con .mp 3/José Vázquez Vigo Letra: Joaquín Gómez Bas.

Au début, les annonces du départ et le adios final, vraiment théâtral. Sans doute pas le meilleur de Larocca.

El mayoral del tranvía (milonga) 1946-04-26 Orquesta Alfredo De Angelis con Julio Martel / Francisco Laino; Carlos Mayel (MyL)
Milonga del mayoral 1953 – Orquesta Aníbal Troilo con Jorge Casal y arrangements d’Astor Piazzolla/Aníbal Troilo Letra: Cátulo Castillo

Un tango qui est plus une nostalgie de l’époque des tranvías

En effet, les tranvías ont terminé leur carrière à Buenos Aires en 1962, soit environ un siècle après le début de l’aventure.

Tiempo de tranvías 1981-07-01 Orquesta Osvaldo Pugliese con Abel Córdoba / Letra : Héctor Negro.

Un truc qui peut plaire à certains, mais qui n’a aucune chance de passer dans une de mes milongas. L’intro de 20 secondes, sifflée, est assez originale. On croirait du Morricone, mais dans le cas présent, c’est un tranvía, pas un train qui passe.

Tiempo de tranvías 2012 — Nelson Pino accompagnement musical Quinteto Néstor Vaz / Raúl Miguel Garello Letra : Héctor Negro.

Petits plus

« Los cocheros y mayorales ebrios, en servicio, serán castigados con una multa de cinco pesos moneda nacional, que se hará efectiva por medio de la empresa ». Les cochers et conducteurs (plus tard, on dira les

On appelle souvent les colectivos de Buenos Aires « Bondis ». Ce nom vient du nom brésilien des tramways, « Bonde ». Sans doute une autre preuve de la nostalgie du tranvía perdu.

Quelques sources

Quelques sources

Tranvías a motor de sangre en la Boca (Puente Puyrredon)
Un des premiers tramways électriques à avoir une grille pour sauver les piétons qui seraient percutés par le tramway. Cette grille pouvait se relever à l’aide d’une chaîne dont l’extrémité est dans la cabine de conduite.
Motorman levant la rejilla 1948 (Document Archives générales de la nation Argentine)

5 Coches del Tranvía eléctrico de la calle Las Heras, doble pisos.

Coches del Tranvía eléctrico de la calle Las Heras, doble pisos.
Reconstitution du tranvía du film « Eclipse de sol », car il n’apparait pas en entier dans le film, car la scène est trop petite.
À l’époque de notre tango (ici en 1938, donc 3 ans avant), c’est ce type de tramway qui circule. on comprend la nostalgie des temps anciens.
Trafic compliqué sur la Plaza de Mayo en 1934. À l’arrière-plan, les colonnes de la cathédrale. Trois tranvías électriques essayent de se frayer un passage. On remarque la grille destinée à éviter aux piétons de passer sous le tramway en cas de collision.

Yuyo verde 1945-02-28 Orquesta Aníbal Troilo con Floreal Ruiz

Domingo Federico (Domingo Federico) Letra: Homero Aldo Expósito

Le tango du jour, Yuyo verde, a été enregistré le 28 février 1945, il y a 79 ans par et . C’est encore un magnifique thème écrit par l’équipe Federico et Expósito, les auteurs de Percal. Le yuyo verde est une herbe verte qui peut être soit une mauvaise herbe, soit une herbe médicinale. Je vous laisse forger votre interprétation à la lecture de cet article.

Extrait musical

Yuyo verde 1945-02-28 Orquesta Aníbal Troilo con Floreal Ruiz

Les paroles

Callejón… callejón…
lejano… lejano…
íbamos perdidos de la mano
bajo un cielo de verano
soñando en vano…
Un farol… un portón…
-igual que en un tango-
y los dos perdidos de la mano
bajo el cielo de verano
que partió…

Déjame que llore crudamente
con el llanto viejo adiós…
adonde el callejón se pierde
brotó ese yuyo verde
del perdón…
Déjame que llore y te recuerde
-trenzas que me anudan al portón-
De tu país ya no se vuelve
ni con el yuyo verde
del perdón…

¿Dónde estás?… ¿Dónde estás?…
¿Adónde te has ido?…
¿Dónde están las plumas de mi nido,
la emoción de haber vivido
y aquel cariño?…
Un farol… un portón…
-igual que un tango-
y este llanto mío entre mis manos
y ese cielo de verano
que partió…

Domingo Federico Letra: Homero Expósito

Autres versions

Ce tango, magnifique a donné lieu à des centaines de versions.

Yuyo verde 1944-09-12 — Orquesta Domingo Federico con Carlos Vidal. La version originale par l’auteur de la musique. C’est une jolie version.
Yuyo verde (Callejón) 1945-01-24 — Orquesta con Jorge Ortiz. Un biagi typique, bien énergique. À noter le sous-titre, Callejón, la ruelle, qui commence les paroles en étant chantée deux fois.
Yuyo verde 1945-01-25 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Morán. Une interprétation de Morán un peu larmoyante. Rien à voir avec la version enregistrée la veille par Biagi et Ortiz. La merveilleuse diversité des orchestres de l’âge d’or du tango.
Yuyo verde 1945-02-28 Orquesta Aníbal Troilo con Floreal Ruiz. C’est le tango du jour. Pour moi, c’est un des meilleurs équilibres entre dansabilité et sensibilité.
Yuyo verde 1945-05-08 — y su Orquesta Típica dir. Miguel Nijenson. Si l’enregistrement de Troilo et Morán faisait un peu chanson, cette interprétation par Tania est clairement une chanson. L’indication que c’est Tania et son orchestre, dirigé par Miguel Mijenson confirme que l’intention de Tania était bien d’en faire une chanson.

Avec ces cinq versions, on a donc une vision intéressante du potentiel de ce titre. En 1958, Federico a enregistré de nouveau ce titre, avec son et les chanteurs Rubén Maciel et Rubén Sánchez. Je vous fais grâce de cette version kitch.
Comme il est l’auteur de la musique, je citerai aussi son enregistrement réalisé à Rosario avec la Orquesta Juvenil De La Universidad Nacional De Rosario con Héctor Gatáneo. J’ai déjà évoqué ce chanteur et cet orchestre à propos de Percal dont Federico est également l’auteur.
Il y a des centaines d’interprétations par la suite, mais relativement peu pour la danse. Les aspects chanson ou musique classique ont plutôt été les sources d’inspiration.
Pour terminer cet article sur une note sympathique, une version en vidéo par un orchestre qui a cherché son style propre, la Romántica Milonguera. Ici avec . Un enregistrement effectué en Uruguay, un des trois pays du tango ; en mars 2019.

Yuyo verde 2019-03 – Orquesta con Roberto Minondi.

Clin d’œil

Un cuarteto organisé autour du guitariste Diego Trosman et du bandéoniste Fernando Maguna avait pris le nom de Yuyo Verde en 2003. Ce cuarteto avait d’ailleurs participé en 2004 au festival que j’organisais alors à Saint-Geniez d’Olt (Aveyron, France). Ils nous avaient fait parvenir une maquette dont je tire cette superbe interprétation de la milonga La Trampera. Ce n’est pas Yuyo Verde, mais c’est une composition d’Anibal Troilo, on reste dans le thème du jour.

La trampera 2004 — Yuyo Verde (Maquette)

Deux des affiches que j’avais réalisées pour mon festival de tango. Le site internet était hébergé par mon site perso de l’époque (byc.ch) et sur l’affiche de droite, les plus observateurs pourront remarquer mon logo de l’époque. C’était il y a 20 ans…

Petite , ce festival de tango qui existe toujours, avec d’autres organisateurs, avait au départ une partie salsa, car mon coorganisateur croyait plutôt en cette danse. C’est la raison pour laquelle j’avais donné le nom de Tango latino (tango y latino), pour faire apparaître ces deux facettes. La milonga du samedi soir était animée par Yuyo Verde et Corine d’Alès, une pionnière du DJing de tango que je salue ici…

Fuegos artificiales 1941-02-26 (Tango) – Orquesta Juan D’Arienzo

Roberto Firpo ; Eduardo Arolas

d’aujourd’hui a été enregistré par Juan D’Arienzo, le 26 février 1941, il y a exactement 83 ans. Los fuegos artificiales sont les feux d’artifice. Nous verrons dans cet article qu’on peut les voir réellement dans la musique.

Ceux qui connaissent un peu l’Argentine savent qu’ils sont fans d’expériences pyrotechniques. Cependant, contrairement à la France, ce ne sont pas les communes qui les proposent, ce sont les Argentins eux-mêmes qui rivalisent avec leurs voisins pour proposer le plus beau spectacle. Roberto Firpo et Eduardo Arolas se sont donc inspirés de ces feux d’artifice pour proposer un tango descriptif où se voient et s’entendent les fusées.

Roberto Firpo

Roberto Firpo, un des auteurs de cette musique, a souvent composé des tangos imagés, c’est-à-dire où la musique cherche à imiter des sons de la vie réelle. On connaît, par exemple :
(l’aube) avec ses oiseaux qui accueillent le soleil ; El burrito (l’âne) un pasodoble où on entend quelques facéties d’un âne ; El rápido (tango) imitation du train avec dans certaines versions des annonces du type (second service du restaurant). Biagi et Piazzolla par exemple, reprend ce thème de façon plus musicale, pour la danse dans le cas de Biagi et pour l’écoute en ce qui concerne Piazzolla, mais dans tous les cas on reconnaît bien le train ; La carcajada le rire.

Fuegos artificiales est donc dans cette lignée et il n’est pas difficile d’imaginer la trajectoire des cohetes (fusées) en écoutant les différentes versions de cette œuvre.

Roberto Firpo a composé énormément. Il n’est pas un chef d’orchestre de premier plan, mais tous les danseurs de tango ont dansé, parfois sans le savoir, bon nombre de ses créations interprétées par d’autres orchestres.
En plus d’El amanecer, on pourrait citer, dont il existe des dizaines de versions, dont celle très exceptionnelle de Pedro Laurenz chantée par Alberto Podestá qui tient la note pendant une durée incroyable, Argañaraz (Aquellas farras), Didi, ou Viviani.

Extrait musical

Fuegos artificiales 1941-02-26 – Orquesta Juan D’Arienzo.mp3. C’est le premier de ce thème par D’Arienzo et celui qui fait l’objet de cet article.

Les paroles… la musique en images

Comme il s’agit d’un tango instrumental et que personne n’a eu l’idée d’y mettre des paroles. Je vous propose de voir les fusées du feu d’artifice dans la musique.
En effet, pour travailler la musique, les logiciels spécialisés proposent différents outils. Un que j’aime bien est la représentation de la fréquence spectrale.
Le principe est simple. Plus un son est grave et plus il est représenté en bas du spectrogramme. Mais ici, ce n’est pas la technique qui nous intéresse, mais ce qu’on peut voir avec cet outil. Nous allons voir trois versions. Celle de Firpo (le compositeur) en 1927, puis en 1928 et enfin celle qui fait l’objet de la composition du jour, celle de D’Arienzo de 1941.

Spectrogramme de la version de 1927 de Firpo. Observez les lignes obliques qui indiquent, de gauche à droite, une descente chromatique, une remontée chromatique (on dirait un V, visible dans la première moitié) puis une descente vers le spectre grave vibrée dans la seconde moitié. Ce sont les fusées du feu d’artifice qui montent et descendent.
Fuegos artificiales 1927-11-04 — Orquesta Roberto Firpo. La partie correspondant à l’image ci-dessus se trouve entre 1 h 28 et 1 h 36.
Version de 1928 de Firpo. Elle est sensiblement différente de celle de 1927. La montée chromatique est effectuée par tout l’orchestre et la descente par les seuls violons. Le motif en V de la version de 1927 a disparu, certains éléments de la descente chromatique qui précédait se retrouvent désormais dans la montée, beaucoup plus puissante et par conséquent presque invisibles.
Fuegos artificiales 1928-05-28 — Orquesta Roberto Firpo. La partie correspondant à l’image ci-dessus se trouve entre 1 h 25 et 1 h 35. C’est la même que dans la version 1927.
La même partie de la musique, mais d’un aspect totalement différent. Les montées et descentes se font en escalier. Les glissandos de violons ont disparu.
Fuegos artificiales 1941-02-26 — Orquesta Juan D’Arienzo. Dans le même passage (1 : 29, à 1 : 36) les glissandos des violons ont disparu. Les notes en marche d’escalier sont typiques de D’Arienzo.
Tout l’orchestre et notamment les bandonéons et le piano montent chromatiquement par saccades, puis le piano en solo entame une descente chromatique qu’il enchaîne avec une remontée, accompagné par l’orchestre.

Le motif est donc très différent de celui de Firpo et ne suggère que lointainement le feu d’artifice.

Pour le retrouver, il faut choisir un autre passage.

Ici, c’est le début de la version de D’Arienzo, dans une partie différente. À gauche, une montée chromatique saccadée au piano, suivi d’un silence (zone sombre au milieu). Ce silence accueille des coups fermes du bandonéon, puis enfin, une nouvelle montée chromatique, cette fois en glissando par les violons. C’est une évocation de la montée des fusées.

Mais là, on est loin de la description des versions de Firpo. Même la montée chromatique des cordes est courte et peu expressive, comme si D’Arienzo voulait faire oublier qu’il s’agissait d’un feu d’artifice. En effet, il en fait une pièce instrumentale, beaucoup moins imagée.
Cependant, D’Arienzo n’a pas hésité à faire quelques tangos imagés, comme El Hipo où Echagüe a le hoquet (hipo), accompagné par de courts glissandos de violon, mais ce n’est pas le meilleur de sa production…

En observant les spectrogrammes, on peut tirer des idées sur la façon dont le musicien organise sa musique et sa composition.

Les enregistrements de Fuegos artificiales

Par Juan D’Arienzo

D’Arienzo a enregistré à deux reprises ce titre. . C’est la version proposée d’aujourd’hui.

Fuegos artificiales 1941-02-26 — Orquesta Juan D’Arienzo.
Fuegos artificiales 1946 — Orquesta Juan D’Arienzo. Une version plus rare. La prise de son un peu brouillonne rend la danse moins intéressante. Cette version ne manquera donc pas en .

On trouve deux ou trois autres enregistrements souvent attribués à d’Arienzo, mais ils ont été réalisés après la mort de celui-ci. Ce sont les mêmes musiciens qui ont repris les thèmes sous la direction du bandéoniste arrangeur de D’Arienzo, Carlos Lazzari. On peut donc presque considérer que c’est du D’Arienzo tardif. Le plus ancien est de 1977, un autre a été enregistré au Japon, mais est quasiment identique à celui de 1987 que je propose ici :

Fuegos Artificiales 1987 — dir. Carlos Lazzari.

Par d’autres orchestres

Fuegos artificiales 1927-11-04 — Orquesta Roberto Firpo. C’est le plus ancien enregistrement, par l’auteur de la partition. Une version bien canyengue, mais très expressive et descriptive. On aimerait sans doute un peu plus de pour rendre le spectacle plus dynamique. Nous en avons parlé ci-dessus.
Fuegos artificiales 1928-05-28 — Orquesta Roberto Firpo. Firpo s’est rendu compte qu’il pouvait accélérer son titre. Elle a également été présentée visuellement ci-dessus.
Fuegos artificiales 1945-05-29 — Orquesta . Comme dans la version de 1941 de DArienzo, la partie descriptive est atténuée. Contrairement à D’Arienzo, la musique est plus coulée, sans les saccades et on a un peu l’impression de voir les explosions de lumière au loin, les instruments se mêlant comme se mêlent les étoiles d’un feu d’artifice. C’est une très belle version alternant les moments de tension et ceux de relâchement, mais avec un enchaînement, sans rupture. La musique est plus coulée. Pour la danse, cela peut manquer un peu de clarté pour des danseurs qui ne maîtrisent pas les subtilités de Troilo, mais ils pourront se raccrocher à la marcation la plupart du temps bien présente.

En 1952, Troilo enregistrera une autre version bien plus spectaculaire et évoquant les prémices du tango nuevo.

Fuegos artificiales 1952 — Orquesta Aníbal Troilo. Version plus spectaculaire que celle de 1945, annonçant les futurs de Troilo vers le tango dit nuevo.

On pourrait multiplier les exemples, mais maintenant vous saurez être attentifs aux éléments de feu d’artifice, par exemple chez Donato, Varela ou De Angelis qui en ont tiré également des versions intéressantes.

Feux d’artifice et pauvreté, misère et artifices.