Archives par étiquette : Aníbal Troilo (Aníbal Carmelo Troilo)

Un bus de la ligne 23 en 2021. Colectivos, bondis de Buenos Aires

Colectivos, bondis de Buenos Aires

Les Portègnes appel­lent leurs bus, des colec­tivos et plus affectueuse­ment encore, des bondis.

Nos tan­gos du jour sont de sim­ples évo­ca­tions à l’occasion de la fer­me­ture d’une ligne que j’aimais bien. Voici donc quelques anec­dotes qui peu­vent intéress­er ou amuser les touristes qui décou­vrent cette mer­veilleuse ville de Buenos Aires.

Nous serons accom­pa­g­nés par deux tan­gos chan­sons dont vous trou­verez les paroles et leurs tra­duc­tions en fin d’article.

Pour commencer en musique

Ce ne sont pas des tan­gos de danse, mais ils évo­quent le colec­ti­vo. Je donne les paroles et leurs tra­duc­tions en fin d’article.

Tan­go del colec­ti­vo 1968-12-04 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Rober­to Goyeneche. Musique de Arman­do Pon­tier et paroles de Fed­eri­co Sil­va.
Se rechi­flo el colec­ti­vo 2013 — Hora­cio Fer­rer Acc. piano por Juan Trepi­ana. Musique de Osval­do Taran­ti­no et paroles de Hora­cio Fer­rer.

Un tout petit peu d’histoire

Si el tran­via (tramway) a don­né lieu à plus de paroles de tan­go que le colec­ti­vo, ce moyen de trans­port fait égale­ment par­tie de l’histoire de la ville. Les pre­miers trans­ports étaient tirés par des chevaux, ce qu’on appelle ici, « à moteur de sang », que ce soient les tramways ou les bus.

Si les tramways sont lente­ment passés à l’électricité, l’apparition du moteur saluée par les défenseurs des ani­maux a apporté son lot de bruit et de pol­lu­tion à la ville.

Aujourd’hui, à toute heure du jour et de la nuit, des bus cir­cu­lent. Cer­tains com­men­cent à expéri­menter l’énergie élec­trique, mais d’autres dis­parais­sent.

Payer son billet, une aventure

Une machine distributrice de tickets. Le chauffeur donnait le ticket correspondant à la distance à parcourir.
Une machine dis­trib­utrice de tick­ets. Le chauf­feur don­nait le tick­et cor­re­spon­dant à la dis­tance à par­courir.

Jusque dans les années 90, le chauf­feur fai­sait pay­er chaque pas­sager. Il lui remet­tait un tick­et en échange. Cette façon de procéder avait plusieurs incon­vénients :

  • C’était rel­a­tive­ment lent. Le chauf­feur devait ren­dre le change et comme il ten­tait de faire cela en roulant, c’était donc égale­ment dan­gereux et il y avait régulière­ment des acci­dents pour cette rai­son.
  • Il était ten­tant pour les malan­drins d’attaquer les chauf­feurs pour récupér­er les pièces.
En 1967, Elena Konovaluk a été la première conductrice de colectivo. (ligne 310 puis 9) On imagine la difficulté de distribuer les tickets et de conduire en même temps.
En 1967, Ele­na Kono­valuk a été la pre­mière con­duc­trice de colec­ti­vo. (ligne 310 puis 9) On imag­ine la dif­fi­culté de dis­tribuer les tick­ets et de con­duire en même temps.

Le 2 mai 1994, un nou­veau sys­tème est apparu. Un sys­tème semi-automa­tique. Il fal­lait don­ner sa des­ti­na­tion au chauf­feur. Celui-ci paramé­trait sur son pupitre le prix à pay­er et l’usager devait gliss­er les pièces cor­re­spon­dantes dans la machine.

Le type de machine apparu à partir de 1994. On indiquait la destination au chauffeur. Il programmait le prix et on devait verser les pièces correspondantes dans l'entonnoir du haut de la machine, puis récupérer le billet et sa monnaie.
Le type de machine apparu à par­tir de 1994. On indi­quait la des­ti­na­tion au chauf­feur. Il pro­gram­mait le prix et on devait vers­er les pièces cor­re­spon­dantes dans l’en­ton­noir du haut de la machine, puis récupér­er le bil­let et sa mon­naie.

Ce sys­tème n’était pas par­fait et, pour tout dire un peu com­pliqué dans la mesure où les pièces étaient rares et dif­fi­ciles à obtenir. Dans les com­merces, per­son­ne ne voulait se sépar­er de ses pré­cieuses pièces au point qu’ils fai­saient cadeau de quelques cen­times plutôt que de devoir ren­dre le change et se trou­ver dému­ni de pièces. Mon truc était d’aller au dépôt (ter­mi­nus) où ils échangeaient volon­tiers les bil­lets con­tre des pièces. Cer­tains essayaient d’attendrir le chauf­feur en ten­dant un bil­let, ce qui se ter­mi­nait soit par un pas­sage gra­tu­it, soit par une expul­sion du bus.

À par­tir de 2009, la SUBE a fait pro­gres­sive­ment son appari­tion. Sur les pre­mières lignes équipées, il suff­i­sait d’annoncer sa des­ti­na­tion au chauf­feur et de présen­ter la carte devant la machine, sans avoir à sor­tir de pièces. La SUBE fonc­tionne égale­ment pour le métro et pour le train de ban­lieue et dans cer­taines provinces d’Argentine. On peut aus­si emprunter avec une bicy­clette, c’est donc une carte très utile et une inno­va­tion intel­li­gente.

Une machine de validation de la carte SUBE (il en existe de nombreux modèles). Il suffit de la plaquer sur la zone dédiée pour que son solde soit débité du montant du trajet. On peut lire sur l’afficheur le tarif, le prix réellement débité et le solde de la carte.
Une machine de val­i­da­tion de la carte SUBE (il en existe de nom­breux mod­èles). Il suf­fit de la pla­quer sur la zone dédiée pour que son sol­de soit débité du mon­tant du tra­jet. On peut lire sur l’afficheur le tarif, le prix réelle­ment débité et le sol­de de la carte.

Pour le chauf­feur, cela ne change rien au sys­tème de 1994, il doit tou­jours sélec­tion­ner le prix sur son pupitre (en fait la dis­tance, mais on en repar­lera). Pour l’usager ce sys­tème sem­ble par­fait.

Cepen­dant, il y a un petit point qu’il faut tenir en mémoire. Il faut charg­er sa carte SUBE et c’est là que le bât blesse. Pen­dant longtemps, cela pou­vait se faire dans les kiosques, qui sont nom­breux, puis les kiosques n’ont plus eu le droit de le faire et ce sont désor­mais les lieux de loterie qui per­me­t­tent de recharg­er la carte et ils sont moins nom­breux. On peut se faire avoir, car de nom­breux kiosques ont con­servé l’affichette SUBE et cer­tains con­tin­u­ent de ven­dre la carte vierge, mais pas la recharge…

Mais, trou­ver un point de recharge ne suf­fit pas, car il faut avoir la somme exacte que l’on souhaite dépos­er sur la carte. Si vous avez un gros bil­let, il fau­dra tout met­tre. Ah, non, ce n’est pas si sim­ple (je sais, je l’ai déjà écrit). Si le bil­let est trop gros, on va vous le refuser.

En effet, les lieux de vente ont des quo­tas. Ils ne peu­vent pas ven­dre plus que ce qui leur est autorisé. Les verse­ments max­i­mums sont donc lim­ités et, même avec cette pré­cau­tion, il arrive que le lieu ait atteint son quo­ta de la journée. Si c’est le cas, il fau­dra revenir le lende­main en espérant que ce ne soit pas le début d’un long week-end, une autre spé­cial­ité argen­tine qui fait que, si un jour férié tombe un dimanche, on le reporte au lun­di.

Il reste alors la pos­si­bil­ité d’aller dans une sta­tion de métro (Subte à ne pas con­fon­dre avec SUBE) ou de train. Là, deux pos­si­bil­ités s’offrent au voyageur, une machine ou un pré­posé, mais ce dernier est assez rarement dis­posé à recharg­er la carte.

Il y a une autre pos­si­bil­ité pour ceux qui ont un compte ban­caire argentin, la recharge en ligne. Il faut ensuite valid­er son sol­de sur une machine, par exem­ple dans une banque…

Pour en ter­min­er avec la SUBE sous forme de carte, sig­nalons la dif­fi­culté de l’obtenir, car il y a par­fois une pénurie. Mieux vaut ne pas la per­dre à ce moment.

Mais voyons main­tenant une autre inno­va­tion qui va dans le bon sens.

Depuis 2024, on peut payer à partir de son téléphone et de l'application SUBE. C'est sans doute un autre progrès.
Depuis 2024, on peut pay­er à par­tir de son télé­phone et de l’ap­pli­ca­tion SUBE. C’est sans doute un autre pro­grès.

Depuis 2024, on peut charg­er sa carte et la faire valid­er auprès du chauf­feur et même pay­er directe­ment depuis l’application SUBE sur son télé­phone. Cette dernière est une option un peu risquée dans la mesure où les vols sont tout de même assez fréquents, surtout aux abor­ds des portes, le mal­fai­teur sautant du bus et s’enfuyant à toutes jambes, à moins qu’il repère sim­ple­ment votre télé­phone pour le sub­tilis­er dis­crète­ment lors d’une petite bous­cu­lade en arrivant à un arrêt. Dans tous les cas, si vous tenez à votre télé­phone, évitez de l’utiliser près des portes.

Un pas en avant et deux pas en arrière ?

L’arrivée de la machine à pièces, puis de la SUBE et main­tenant de l’application facilite la vie des usagers. Cepen­dant, un autre dan­ger les guette ; la hausse des prix.

Le ser­vice de trans­port est assuré par des entre­pris­es privées, mais, comme c’est le gou­verne­ment de gauche de Cristi­na Fer­nan­dez qui l’a mis en place, les prix sont unifiés entre les com­pag­nies et les bil­lets sont sub­ven­tion­nés.

Le résul­tat a été un prix des trans­ports publics de voyageurs très raisonnable, même pour ceux, très nom­breux, qui vien­nent de province pour tra­vailler à la cap­i­tale fédérale et qui doivent pren­dre deux ou trois trans­ports (bus, métro, train).

Un petit rap­pel, Buenos Aires est une très grande province dont la cap­i­tale est La Pla­ta et la ville de Buenos Aires est une ville autonome, entourée par cette province sans en faire par­tie…

Ceux qu’on appellerait les ban­lieusards à Paris font sou­vent une à deux heures de tra­jet pour aller tra­vailler, ce qui est aggravé par le fait que nom­bre d’entre eux ont deux activ­ités pour join­dre les deux bouts.

Évo­quons main­tenant le pas en arrière. Fin 2023, un prési­dent d’extrême droite et lib­er­taire a été élu, Milei et sa tronçon­neuse. Pour lui, les sub­ven­tions sont un vol. Cha­cun doit pay­er ce qu’il utilise. Donc, les trans­ports, l’éducation, la médecine, les travaux publics ; le gaz, l’électricité et même les retraites sont con­sid­érés comme des domaines qui ne doivent plus être sub­ven­tion­nés, abondés.

Les prix de ces ser­vices explosent donc. On remar­quera toute­fois que, si Milei ne veut pas enten­dre par­ler de sub­ven­tion, il pro­pose tout de même aux plus rich­es qui ont leurs enfants dans les écoles privées des aides (ver­sées directe­ment aux écoles).

Pour les hôpi­taux publics, c’est une cat­a­stro­phe. Même les médecins doivent avoir deux métiers. Par exem­ple, hier, la télé présen­tait l’un deux qui com­plète ses revenus en tra­vail­lant pour Uber (un ser­vice de trans­port de per­son­nes assuré par des par­ti­c­uliers qui utilisent leur voiture per­son­nelle).

Pour revenir pro­gres­sive­ment à nos bus, les chauf­feurs assurent des ser­vices très longs pour gag­n­er plus, ce qui provoque des acci­dents. Si vous avez essayé de con­duire à Buenos Aires, imag­inez que vous le faites 12 heures de rang (suiv­ies de 12 heures de pause et avec un repos heb­do­madaire de 35 heures), avec une pause toi­lette en bout de ligne si vous n’êtes pas arrivé en retard, le tout au volant d’un gros machin d’apparence antédilu­vi­enne qui tourne qua­si­ment en per­ma­nence et dont beau­coup mérit­eraient une sérieuse révi­sion.

La semaine dernière, un ado­les­cent est tombé du bus, car la fenêtre a cédé. Et je ne vous par­le pas des bruits de freins, des portes qui fonc­tion­nent quand elles le déci­dent et des panach­es de fumées qu’émettent cer­tains des bondis. Alors, si un chauf­feur est un peu moins souri­ant, prenez sur vous et met­tez-vous à sa place (pas sur son siège, je par­le au fig­uré).

La fin des subventions aux transports en commun

Puisque les sub­ven­tions sont un vol fait aux rich­es qui n’utilisent pas les trans­ports publics au prof­it de ceux qui les utilisent, ces sub­ven­tions ont été très forte­ment dimin­uées et, par con­séquent, le prix du bil­let a explosé, comme d’ailleurs celui de la nour­ri­t­ure, mais sans doute pour d’autres raisons… La hausse des prix sur les pro­duits de base ignore les chiffres de l’inflation don­nés par le gou­verne­ment (moins de 2 % en mai). Seuls les pro­duits de luxe (voitures, télé­phones et autres biens de con­fort) voient effec­tive­ment leurs prix baiss­er, pas les légumes, la viande, les trans­ports, les médica­ments…

Voici donc un tableau reprenant le prix du tra­jet en bus, au moment de la prise de fonc­tion de Milei et à la date d’aujourd’hui.

Entre fin 2023, date d'arrivée du président Milei au pouvoir et aujourd'hui (fin juin 2025), le prix du billet a été multiplié par 8.
Entre fin 2023, date d’ar­rivée du prési­dent Milei au pou­voir et aujour­d’hui (fin juin 2025), le prix du bil­let a été mul­ti­plié par 8.

Ce tableau demande quelques expli­ca­tions. La colonne de gauche indique des dis­tances. Par exem­ple, 0 à 3 km, ce qui est en fait 1 à 30 pâtés de maisons (man­zana en espag­nol, bloc en anglais…). Un voy­age d’un kilo­mètre en décem­bre 2023 coû­tait donc 52,96 pesos, soit 0,06 euro (voir dans la par­tie droite du tableau, entourée de bleu). Le prix était donc très réduit, du moins pour un Européen ou un Améri­cain du Nord. Pour un Argentin qui avait moins de 200 € de revenus, c’était tout de même une somme, surtout pour ceux qui devaient pren­dre deux ou trois trans­ports pour aller tra­vailler. Les tar­ifs sont toute­fois un peu dégres­sifs si on utilise plusieurs bus dans une péri­ode de deux heures.

La diminu­tion dras­tique des sub­ven­tions aux entre­pris­es de trans­port imposée par le nou­veau gou­verne­ment fait que les prix ont énor­mé­ment aug­men­té. C’est le résul­tat de la logique qui veut que ceux qui utilisent les trans­ports en com­mun doivent en pay­er le coût, pas ceux qui roulent en taxi ou dans des voitures par­ti­c­ulières.

Pour revenir à l’étude du tableau, on observe deux nou­velles caté­gories « util­isa­teurs enreg­istrés » et « util­isa­teurs non enreg­istrés ». Cette dis­tinc­tion per­met deux choses :

  • Suiv­re les déplace­ments des util­isa­teurs. Chaque carte enreg­istrée est asso­ciée au doc­u­ment d’identité du pos­sesseur. Cela per­met de con­naître mieux les déplace­ments de cha­cun.
  • Les sub­ven­tions ont été forte­ment dimin­uées, ce qui explique en grande par­tie la hausse des prix. Les sub­ven­tions sont totale­ment sup­primées pour les util­isa­teurs qui ne sont pas enreg­istrés selon la logique ; s’ils ne sont pas enreg­istrés, c’est qu’ils veu­lent cacher leurs déplace­ments ou qu’ils sont étrangers et que, par con­séquent, les Argentins « de bien » n’ont pas à pay­er pour eux.

Nous avons évo­qué à pro­pos de l’anecdote Bailarín de con­traseña, le fait que cer­taines milon­gas fai­saient pay­er moins chers les autochtones, cela peut donc se com­pren­dre. D’ailleurs, en Europe, on fait pay­er une taxe par nuitée aux gens de pas­sage.

L’augmentation en un an et demi est donc d’environ 800 % pour un Argentin enreg­istré. Pour ceux qui ne le sont pas, c’est une aug­men­ta­tion de presque 13 fois. Cela com­mence à faire. Cer­tains ban­lieusards ont aban­don­né leur tra­vail, pass­er la moitié de la journée à tra­vailler pour gag­n­er à peine le prix du tra­jet aller-retour n’était plus rentable.

Cepen­dant, pour un Européen qui utilise l’Euro, la baisse de valeur du Peso argentin fait qu’au final, l’augmentation est un peu inférieure à 9 fois et pour un étranger qui a une carte SUBE enreg­istrée ou tout sim­ple­ment anci­enne, c’est seule­ment 5,5 fois. Quand on con­naît le prix des trans­ports à Paris, cela reste très, très mod­este, alors, ne râlez pas…

Un adieu à la ligne 23 ?

Le AD 706 SU qui a assuré le service de la ligne 23 jusqu'en… 2023. C’est aussi la vedette de l’image de couverture de cet article.
Le AD 706 SU qui a assuré le ser­vice de la ligne 23 jusqu’en… 2023. C’est aus­si la vedette de l’image de cou­ver­ture de cet arti­cle.

Pour aller à Nue­vo Chique, j’étais habitué à pren­dre la ligne 23 qui était assurée par la société Trans­porte Rio Grande SA.C.I.F.

Cette ligne au moment de sa fer­me­ture (annon­cée ?), dimanche dernier, com­por­tait encore neuf véhicules.

Cinq bus de 25 places assis­es datant de 2019 AD 672 OW/AD 672 PF/AD 672 PD/AD 672 PG et AD 882 PX.

Un bus de 35 places datant de 2023 AF 957 UO.

Et trois bus de 35 places datant de 2024 AG 708 WP/AG 835 IX et AG 946 ZZ.

Dimanche dernier cette ligne a cessé son activ­ité :

Vidéo réal­isée par un des derniers util­isa­teurs de la ligne.

La ligne, tout au moins le ser­vice qu’elle assur­ait, va-t-il com­plète­ment dis­paraître ? Il est dif­fi­cile de le dire. Lors de la sup­pres­sion de la ligne 5, la ligne 8 a pris le relai en créant un « ramal » (branche) sup­plé­men­taire. Ces branch­es sont un autre piège pour ceux qui ne sont pas habitués. Il faut regarder le numéro du bus, mais aus­si la pan­car­te qui indique la branche qui va être pra­tiquée. Si vous ne le faites pas, vous risquez de vous retrou­ver bien loin de la des­ti­na­tion espérée, notam­ment si vous vous ren­dez dans la province. De même, si vous prenez un omnibus au lieu d’un semi-rapi­de, vous risquez de pass­er beau­coup plus de temps dans le bus que néces­saire lorsque vous faites une longue dis­tance en ban­lieue.

Hier, pour aller à Nuevo Chique, j'ai pris ce bus. Un numéro 115, mais avec une étiquette indiquant qu'il assurait en fait le service de la ligne 23. Encore un piège pour ceux qui sont peu attentifs… J’ai juste eu le temps de prendre une photo en en descendant, au moment où il redémarrait.
Hier, pour aller à Nue­vo Chique, j’ai pris ce bus. Un numéro 115, mais avec une éti­quette indi­quant qu’il assur­ait en fait le ser­vice de la ligne 23. Encore un piège pour ceux qui sont peu atten­tifs… J’ai juste eu le temps de pren­dre une pho­to en en descen­dant, au moment où il redé­mar­rait.

Donc, en atten­dant, il sem­blerait qu’il faille pren­dre le 115 qui porte une pan­car­te indi­quant qu’il fait le ser­vice du 23. Cepen­dant, s’il y avait 9 bus en cir­cu­la­tion pour la ligne 23, il sem­blerait que ce soit bien plus réduit pour cette nou­velle ligne, déjà que le 115 n’est pas un des plus four­nis (c’est un des bus que je prends pour aller à El Beso…).

Une actualisation sur la ligne 23

Il con­tin­ue de pass­er des bus verts 23. Selon les chauf­feurs inter­rogés, la com­pag­nie est en fail­lite (quiebra) et con­tin­ue sur son rythme de tan­go hési­tant et lent, un pas en avant et un pas en arrière.

Petit problème mathématique

Voici le trajet qui était effectué par la ligne 23 entre Villa Soldati (en bas) et Retiro (en haut). Environ 12 km.
Voici le tra­jet qui était effec­tué par la ligne 23 entre Vil­la Sol­dati (en bas) et Retiro (en haut). Env­i­ron 12 km.

Il y avait 9 bus en cir­cu­la­tion pour effectuer les 12 kilo­mètres de la ligne. Les horaires indi­quant un temps de par­cours de 50 min­utes et les chauf­feurs avaient 10 min­utes de repos aux deux extrémités. Ce n’était plus tout à fait vrai pour Sol­dati, le ter­mi­nus y était tou­jours, mais les chauf­feurs, depuis le 5 mai (2025) pre­naient leur ser­vice à Lugano (tiens, c’est juste­ment à côté du départ de la ligne 115…).

  • Pre­mière ques­tion : Quelle est la vitesse de cir­cu­la­tion moyenne ?
  • Deux­ième ques­tion : Quel est le temps moyen d’attente entre chaque bus si on con­sid­ère que les 9 étaient en ser­vice et qu’ils étaient espacés régulière­ment.

Pour la réponse, retournez l’ordinateur…

Non, par­don, je plaisante, voici les répons­es :

  • 12 km en 50 min­utes, cela donne 14,4 km/h de moyenne. Ce n’est pas énorme, mais il passe par moment dans des dédales un peu com­pliqués.
  • Pour la sec­onde réponse, je cherche la réponse tout en l’écrivant. Un bus part de Sol­dati et arrive 50 min­utes plus tard à Retiro. Il attend 10 min­utes et arrive donc de nou­veau à Sol­dati 100 min­utes après son départ où le chauf­feur prend de nou­veau 10 min­utes de pause. Ces 120 min­utes sont donc à divis­er par le nom­bre de bus, ce qui donne 120/9 = 13,33 min­utes, ce qui cor­re­spond assez bien au quart d’heure véri­fié à l’arrêt. Sur des lignes mieux rem­plies, on peut voir des bus cir­culer à bien plus grande fréquence et sou­vent des « trains » de deux ou trois bus qui se « suiv­ent », enfin, à la mode portègne, c’est-à-dire qu’ils se dépassent, se klax­on­nent, se redé­passent, se côtoient et dis­cu­tent aux feux rouges. Oui, désor­mais, la plu­part des bus s’arrêtent aux feux rouges, ce qui peut sur­pren­dre ceux qui étaient habitués à con­sid­ér­er qu’il s’agissait d’accessoires de déco­ra­tion. Ras­surez-vous, il reste les pan­neaux STOP (PARE) qui ne sont pas du tout respec­tés, ni par les bus, ni par les autres, d’ailleurs. C’est le plus incon­scient qui passe le pre­mier et ce n’est pas tou­jours le bus qui gagne.

Se repérer pour prendre le bon bus

Avant l’arrivée des appli­ca­tions sur télé­phone, il y avait dans les annu­aires télé­phoniques des plans de Buenos Aires quadrillés, avec le nord en bas (donc à l’inverse des cartes habituelles). Dans chaque case numérotée, comme pour la bataille navale, il y avait des arrêts de bus. Ces derniers n’étaient pas indiqués sur le plan, mais listés dans la légende. Par exem­ple, dans la case B5,il y avait un arrêt des bus 12, 8, 48, 96. Avec cette indi­ca­tion approx­i­ma­tive, il fal­lait faire preuve de logique. Les rues étant générale­ment à sens unique, si on voulait aller vers le sud (le haut de la carte), il con­ve­nait d’identifier une rue qui avait le sens de cir­cu­la­tion vers le sud.

Ce n’était pas for­cé­ment sim­ple et la dif­fi­culté était ren­for­cé par le fait que le point d’arrêt n’était mar­qué que par un numéro sur la façade d’un immeu­ble, un petit auto­col­lant sur un poteau, voire, par rien du tout. Il fal­lait donc sou­vent deman­der où était l’emplacement de l’arrêt quand on s’aventurait dans un quarti­er moins con­nu.

L’autre jeu qui com­plique les choses est que les chauf­feurs font preuve de créa­tiv­ité et il est fréquent de voir des bus en maraude. Par­fois, c’est jus­ti­fié par une route coupée, mais à d’autres moments, c’est pour gag­n­er du temps. Par exem­ple le 115 évite sou­vent de s’engager dans Bar­tolomé Mitre (la rue encom­brée par des étals, des véhicules mal garés et des bou­tiques de tis­sus) pour rejoin­dre directe­ment Cor­ri­entes par Pueyrredón. Ce n’est pas trop grave pour ceux qui sont dans le bus, mais peut-être moins drôle pour ceux qui atten­dent le bus dans cette zone où il ne passera pas.

Faut-il rajouter des trucs ?

Ce court arti­cle, très impar­fait, ne donne qu’un mai­gre aperçu de toutes les sub­til­ités qu’il faut con­naître pour bien voy­ager en bus. Il vous fau­dra faire votre expéri­ence, en vous repérant dans la ville, ce qui est bien plus facile que dans une ville Européenne pour savoir où deman­der l’arrêt en appuyant sur le bou­ton con­cerné, cepen­dant, la plu­part des chauf­feurs sont prêts à vous aider et peu­vent même vous rap­pel­er le moment de descen­dre.

En atten­dant, voici quelques trucs, en vrac.

Si vous n’avez pas une for­ma­tion d’alpiniste chevron­né, évitez de descen­dre par la porte arrière de cer­tains bus dont la marche inférieure est à une hau­teur encore ver­tig­ineuse. Cepen­dant, la plu­part de bus ont un accès et des places pour les fau­teuils roulants.

Pensez à regarder vers l’arrière du bus au moment d’en descen­dre, car ils s’arrêtent rarement au bord du trot­toir, notam­ment car les arrêts de bus sont sou­vent con­sid­érés comme des places de sta­tion­nement par les auto­mo­bilistes. Il se peut donc qu’au moment de descen­dre, une moto décide de pass­er à toute vitesse par la droite du bus. C’est mieux de la voir venir et de retarder de quelques frac­tions de sec­onde le saut depuis le bus. Aus­si, pour cette rai­son, des per­son­nes ren­con­trant des dif­fi­cultés à marcher deman­dent au chauf­feur de sor­tir par l’avant, ils se sen­tent plus en sécu­rité. Cette habi­tude va sans doute s’atténuer, car désor­mais, les bus s’arrêtent com­plète­ment pour pren­dre et dépos­er les pas­sagers. Ils ne doivent plus ouvrir les portes lorsque le bus est en mou­ve­ment. Je sais, le folk­lore perd de sa saveur, c’était bien amu­sant de se fau­fil­er entre les voitures en sta­tion­nement pour sauter dans un bus qui ne fai­sait que ralen­tir et de descen­dre en essayant de ne pas atter­rir dans une poubelle, un véhicule en sta­tion­nement (voire en marche) ou con­tre un de ces dia­boliques câbles en diag­o­nale qui sont ancrés au sol pour tenir je ne sais quel poteau et qui sont peu vis­i­bles de nuit, même quand ils sont recou­verts d’une gaine jaune.

Voici une autre curiosité. Il y a désor­mais de nom­breux arrêts qui dis­posent d’un abribus. N’imaginez pas qu’il est là pour vous per­me­t­tre d’attendre le bus. En effet, la queue se fait par rap­port au poteau et donc, les gens sont à la file, face à l’arrivée poten­tielle du bus et donc tous, hors de l’édicule… Cepen­dant, les Argentins sont très respectueux. Si vous êtes arrivés le pre­mier (ce qui veut dire que vous venez de rater le bus précé­dent), vous pou­vez prof­iter du banc de l’arrêt de bus. Le pre­mier au poteau vous lais­sera pass­er sans dis­cuter. D’ailleurs, il n’y a pas de lutte à l’entrée, très sou­vent un pas­sager plus avant dans la file vous laisse pass­er.

Atten­tion, utilis­er le banc est aus­si un piège, car, si le bus qui arrive n’a pas à s’arrêter pour dépos­er un pas­sager, il passera sans vous pren­dre en compte. Dans la pra­tique, il faut donc s’assurer qu’il y a quelqu’un qui veut pren­dre le même bus afin de prof­iter en toute tran­quil­lité de ce siège. Cela peut sem­bler éton­nant, car on peut imag­in­er voir le bus arriv­er de loin. Hélas, non, car les véhicules en sta­tion­nement coupent toute vis­i­bil­ité à ceux qui sont assis et même sou­vent à ceux qui sont debout et à tous les arrêts, vous ver­rez des intrépi­des se lancer au milieu de la rue pour voir si le bus arrive au loin.

Pour être effi­cace à ce jeu, il faut avoir une bonne vue et s’aider du code de couleurs (le bus 23 était vert, le 115 est rouge, d’autres sont bleus ou jaunes).

Vous devez lever de façon très vis­i­ble le bras pour inciter le con­duc­teur à s’arrêter. Si le feu est au vert, il arrive qu’il ne s’arrête pas pour en prof­iter. Il s’arrêtera de l’autre côté du car­refour pour dépos­er les pas­sagers qui voulaient descen­dre et vous, vous devrez atten­dre le prochain. Le prochain peut être une autre ligne qui passe aus­si par votre point d’arrivée. Cepen­dant, l’arrêt de cette autre ligne peut-être à une dizaine de mètres. Si le chauf­feur de l’autre ligne se rend compte que vous venez de l’arrêt du con­cur­rent, il y a fort à pari­er qu’il ne s’arrêtera pas. Vous devez être à l’arrêt quand il vous voit. Quand l’arrêt est situé à un feu rouge, il arrive qu’on arrive à atten­drir le chauf­feur, qui prend toute­fois le temps de ter­min­er un truc impor­tant sur son télé­phone portable avant de vous ouvrir la porte. Cela ne lui coûte rien, puisque le feu l’a juste empêché de repar­tir, mais c’est le prix à pay­er pour la faveur qu’il vous fait.

Une fois dans le bus, il peut être agréable de trou­ver une place assise. Il y a des places réservées aux per­son­nes qui en ont besoin et c’est plutôt bien respec­té. En revanche, pour les autres places, c’est le pre­mier qui la prend. Celles près des portes sont exposées au vol à la tire. Cer­taines sont dos à la route, ce qui est désagréable pour les per­son­nes sujettes au mal de mer. Rap­pelez-vous que le bus se déplace comme un esquif pris dans une tem­pête. Il faut donc avoir le cœur bien accroché et être très bien accroché quand on est debout.

Il y a des cein­tures de sécu­rité pour les places situées totale­ment à l’arrière, face au couloir. Même si presque per­son­ne ne les utilise, elles peu­vent vous éviter de tra­vers­er à plat ven­tre tout le bus lors d’un freinage bru­tal ou d’un acci­dent.

On notera que, pour agré­menter la chute, la plu­part des bus ont un escalier dans la par­tie arrière, ce qui ajoute au plaisir de l’expérience.

Voilà, j’espère que je vous ai don­né envie de pren­dre le colec­ti­vo de Buenos Aires, que je ne vous ai pas trop refroidis, je laisse cela aux soins de la clim à fond ou un coup de chaleur, ce que je laisse aux soins de la clim en panne ou absente.

Cer­taines lignes ont des décors sur­prenants avec des ten­tures, des filetea­d­os, d’autres sont plus sobres. Les sièges des con­duc­teurs sont sou­vent faits de fil ten­du entre deux bar­res de métal, je n’envie pas du tout ces valeureux chauf­feurs et leurs con­di­tions de tra­vail effroy­ables. Je plains égale­ment les ban­lieusards qui restent sou­vent une heure debout dans des bus bondés après avoir atten­du dans une queue de 50 mètres de long.

Pour toutes ces raisons, les rich­es pren­nent leur voiture, un Uber, et à la lim­ite, un taxi et ne s’aventurent jamais dans les bus ni dans le métro. Pour cette rai­son, ils ne com­pren­nent sans doute pas pourquoi on sub­ven­tion­nerait ces moyens de trans­port alors qu’eux, ils payent leur ser­vice.

Il y aurait sans doute à dire sur l’esclavage des taxis et des chauf­feurs Uber, mais ce sera pour une autre fois si vous le voulez bien.

À bien­tôt les amis, mais en guise de cadeau, voici les paroles des deux tan­gos évo­qués et leur tra­duc­tion.

Paroles de Tango del colectivo

Aho­ra es ‘Cin­ta Scotch’
En vez de cua­tro chinch­es
Porque la vida pasa…
El tiem­po cam­bia.
Pero siem­pre Gardel,
Son­risa, esmo­quin
Gardel y los mucha­chos…
Esos mucha­chos…
Que son de algu­na for­ma
Iguales a la rubia,
De los tex­tos abier­tos
Y los ojos cer­ra­dos.

Se sube en la primera
Cor­rién­dose hacia el fon­do,
Y empu­ja cuan­do baja
Como toda la gente.
Las manos
Ya cansadas de apre­tar
La bron­ca…
De pedir sin que te den,
Y al fin perder las cosas
Que te impor­tan.

Las cosas de ver­dad que tan­to impor­tan,
El sol sobre los ojos me hace mal,
Por eso es que me has vis­to lagrimear
No ves la ciu­dad viene y se va,
Y las veredas son de todos
Como el pan.
Arman­do Pon­tier (Arman­do Fran­cis­co Pun­turero) Letra: Fed­eri­co Sil­va (René Fed­eri­co Sil­va Iraluz)

Traduction de Tango del colectivo

Main­tenant, c’est du « ruban adhésif scotch » au lieu de qua­tre punais­es (les chinch­es sont les punais­es de lit et on con­sid­érait que s’il y en avait 4 par mètre car­ré, il fal­lait pren­dre des mesures. Mais en lun­far­do, les chinch­es sont des per­son­nes qui dérangent, voire qui ont une mal­adie vénéri­enne, j’avoue ne pas savoir quelle sig­ni­fi­ca­tion don­ner à ces 4 punais­es), parce que la vie passe…
Les temps changent.
Mais tou­jours Gardel, a le sourire, le smok­ing Gardel et les garçons (mucha­chos, peut-être ceux à qui il a dit adieu dans sa chan­son adios mucha­chos, un titre de Julio César Sanders avec des paroles de César Felipe Vedani qu’ont enreg­istré Agustín Mag­a­l­di, Igna­cio Corsi­ni et finale­ment Car­los Gardel à París, ce qui a con­sacré le titre).
Ces gars-là…
Qui sont d’une cer­taine façon comme la blonde, avec les textes ouverts et les yeux fer­més (ici, c’est un jeu de mot entre les textes ouverts qui sont des textes ouverts à plusieurs inter­pré­ta­tions, à dou­ble sens, ces textes qui pul­lu­lent aux épo­ques de cen­sure, dans la tra­di­tion d’Ésope ou de Jean de la Fontaine. Dans le cas con­traire, on par­le de textes fer­més, mais là, ce sont les yeux qui sont fer­més).
Il grimpe le pre­mier (dans le bus) en courant vers le fond, et pousse quand il descend comme tout le monde. (Cette par­tie du texte évoque donc le colec­ti­vo et jus­ti­fie le titre, mais c’est bien sûr, une allé­gorie des pra­tiques de cer­tains…).
Les mains déjà fatiguées de ser­rer la colère…
De deman­der sans qu’on vous le donne, et à la fin de per­dre les choses qui comptent pour vous (sans doute une évo­ca­tion du poing fer­mé, geste des humil­iés qui récla­ment de quoi vivre, un sym­bole tant d’actualité en Argen­tine aujourd’hui au moment où y renait la dic­tature).
Les vraies choses qui comptent tant, le soleil me fait mal aux yeux, c’est pour cela que vous m’avez vu pleur­er, tu ne vois pas la ville aller et venir, et les trot­toirs appar­ti­en­nent à tout le monde comme le pain.

Paroles de Se rechiflo el colectivo

Se rechi­fló el colec­ti­vo que tomé para tu casa
yo vi que el colec­tivero, por San­di­a­blo, bocin­a­ba
raros tan­gos que Alfon­si­na con Ray Brad­bury bail­a­ba
sobre el capó entre un tumul­to de camelias y galax­i­as
y perdió, de tum­bo en tum­bo, la vergüen­za y las fre­nadas.
Y voló al din­tel del sueño donde está mi noche bra­va.
Se rechi­fló, pero a muerte, porque al ir para tu casa,
supo que vos me querías con reloj, suel­do y cor­ba­ta

¡Qué ton­ta… pero qué ton­ta!

¡A mí, que un lás­er de ver­sos me calien­ta has­ta la bar­ba!
y car­go al hom­bro mi tum­ba para morir de amor
¡Mañana!…
y Chopín y Alfre­do Gob­bi pobres como las arañas,
en mi bulín la for­tu­na de sus penas, me regala.

Se negó a lle­varme a vos, colec­ti­vo de mi alma,
en las tor­res de Retiro se embaló por las fachadas
y de un puente de alboro­to cayó al Río de la Pla­ta,
cuan­do mi río es mis tri­pas y es mi vino y es mi magia.

Se rechi­fló el colec­ti­vo que tomé para tu casa:
y en el techo yo reía y en la glo­ria te gri­ta­ba:
¡Se rechi­fló… pobre de vos!
¡Se rechi­fló… gra­cias a Dios!
Osval­do Taran­ti­no Letra: Hora­cio Fer­rer

Traduction de Se rechiflo el colectivo

Il serait très pré­ten­tieux de ma part d’essayer de retran­scrire la poésie de Fer­rer. Cette tra­duc­tion est donc plus un guide pour aigu­iller dans la direc­tion, mais vous devrez faire le par­cours poé­tique vous-même.

Le bus que j’ai pris pour ren­tr­er chez toi s’est moqué. J’ai vu que le chauf­feur, par San­di­a­blo (Saint Dia­ble est un oxy­more inven­té par Fer­rer pour exprimer la folie), klax­on­nait d’é­tranges tan­gos qu’Al­fon­si­na (Alfon­si­na Storni qui s’est sui­cidée en se jetant à la mer à Mar de Pla­ta, comme dans un de ses poèmes, et qui a don­né lieu à la mer­veilleuse zam­ba, Alfon­si­na y el mar immor­tal­isée par Mer­cedes Sosa) avec Ray Brad­bury (c’est bien sûr l’auteur de Fahrein­heit 451, qui évoque la destruc­tion des livres, dans la droite lignée de ce que font les régimes fas­cistes comme la dic­tature mil­i­taire argen­tine de l’époque, ou l’actuelle ou les par­ti­sans de Milei brû­lent des livres qu’ils croient per­ni­cieux faute de les avoir lus) dan­sait sur le capot (une est morte noyée et l’autre par­le d’un pom­pi­er et de feu, le sym­bole de Fer­rer est fort) au milieu d’un tumulte de camélias et de galax­ies et per­dait, de cul­bute en cul­bute, la honte et les freins.
Et il s’en­vola vers le lin­teau du som­meil où se trou­ve ma folle nuit.
Il s’est moqué, mais à mort, parce que, lorsqu’il s’est arrêté chez toi, il savait que tu m’aimais avec une mon­tre, un salaire et une cra­vate.
Quelle idiote, mais quelle idiote !
Pour moi, qu’un laser de vers me réchauffe jusqu’à la barbe !
Et je charge sur mes épaules ma tombe pour mourir d’amour
Demain !…
Et Chopin et Alfre­do Gob­bi, pau­vres comme les araignées, dans ma cham­brette m’offrent la for­tune de leurs cha­grins.
Il a refusé de me con­duire à toi, le colec­ti­vo de mon âme, dans les tours de Retiro (sta­tion de train, où allait juste­ment le bus 23…), il a chargé à tra­vers les façades et d’un pont de tumulte (émeute) il est tombé dans le Río de la Pla­ta, quand mon fleuve est mes tripes et qu’il est mon vin et qu’il est ma magie.
Le bus que j’ai pris pour aller chez toi s’est moqué :
Et sur le toit, je riais et, dans la gloire, je te cri­ais :
Il s’est moqué… Pau­vre de toi !
Il s’est moqué… Dieu mer­ci !

Sueño imaginado 1932-01-05 — Orquesta Típica Los Provincianos con Carlos Lafuente. Dir. Ciriaco Ortiz

Cieto Minocchio Letra: Francisco Brancatti

C’est sym­pa de faire des rêves, mais par­fois le retour à la réal­ité est ter­ri­ble. C’est ce qui arrive au héros de cette mag­nifique valse, sans doute un peu trop rare dans les milon­gas. Ciri­a­co Ortiz, à la tête de l’orchestre Los Provin­cianos, l’a enreg­istrée, il y a exacte­ment 93 ans…

Sueño imag­i­na­do 1932-01-05 — Orques­ta Típi­ca Los Provin­cianos con Car­los Lafuente. Dir. Ciri­a­co Ortiz.

Dès le début on remar­que que le titre est conçu sous forme de ques­tions-répons­es. L’orchestre lance une ques­tion et un soliste donne la réponse.
Si les vio­lons avec Elvi­no Var­daro sont majori­taire­ment les solistes, les ban­donéons, dont celui de Ciri­a­co Ortiz et peut-être celui du jeune Aníbal Troi­lo ont égale­ment leurs répar­ties. Pour les danseurs, ces dia­logues sont très intéres­sants, car cela leur per­met de vari­er l’improvisation. La répéti­tiv­ité de la struc­ture per­met de pré­par­er une « réponse » au cas où les pre­miers dia­logues auraient été loupés dans l’improvisation.
Pour les danseurs moins avancés, les pre­miers temps de chaque mesure sont mar­qués par la con­tre­basse de Man­fre­do Lib­er­a­tore. C’est le Poum du Poum-Tchi-Tchi de la valse (Temps fort-Temps faible-Temps faible). On n’entend pas vrai­ment le piano, en revanche, on a l’impression qu’une caisse claire sonne les temps faibles.
C’est donc une valse facile pour les danseurs qui ont besoin d’un repère tem­porel bien mar­qué.
À 1:58, Car­los Lafuente chante le refrain. Sa voix peut un peu sur­pren­dre, mais, comme l’intervention est courte, cela ne devrait pas trop per­turber les danseurs. On remar­quera que l’orchestre fait la place au chanteur en l’accompagnant en sour­dine par un dis­cret Poum-Tchi-Tchi, ce qui per­met aux danseurs de garder le rythme.
On remar­quera la com­plex­ité modale de l’œuvre, avec de nom­breux change­ments de tonal­ité, ce qui peut par­fois don­ner une impres­sion de dis­so­nance si on reste sur l’élan de la tonal­ité précé­dente.

Il est dif­fi­cile d’authentifier les instru­men­tistes de l’orchestre, car les orchestres de la Vic­tor étaient à géométrie vari­able. Comme ces orchestres se lim­i­taient aux enreg­istrements, ils se con­stru­i­saient à chaque ses­sion avec des musi­ciens de pre­mier plan, disponibles.
On con­sid­ère générale­ment que les prin­ci­paux musi­ciens de Los Provin­cianos dirigés par Ciri­a­co Ortiz étaient :
Ciri­a­co Ortiz, Aníbal Troi­lo, Hora­cio Golli­no (ban­donéon­istes)
Orlan­do Cara­bel­li (pianiste)
Elvi­no Var­daro, Manuel Núñez, Anto­nio Rossi (vio­lonistes)
Man­fre­do Lib­er­a­tore (con­tre­bassiste)

Un des orchestres de la Vic­tor

Cette pho­to générale­ment légendée comme étant de Los Provin­cianos, sans doute à cause de la présence de Ciri­a­co Ortiz. Cepen­dant, Mer­cedes Simone n’est pas inter­v­enue dans cet orchestre. Il me sem­ble donc qu’il faut plutôt con­sid­ér­er que c’est une com­po­si­tion mixte, notam­ment avec l’orchestre Típi­ca Vic­tor de Cara­bel­li dont Ciri­a­co Ortiz était égale­ment mem­bre. On notera la présence du jeune Aníbal Troi­lo. Sur la droite, le vio­loniste Ben­jamín Hol­ga­do Bar­rio qui est à l’origine de la pre­mière scis­sion de l’orchestre de D’Agostino. Il récla­mait 17 pesos, pour lui et les autres mem­bres de l’orchestre, au lieu des 15 pesos qui étaient octroyés pour les enreg­istrements, et D’Agostino a viré tout l’orchestre, Var­gas com­pris. Celui-ci est revenu un peu plus tard, mais la magie fut un peu brisée.
Je pro­pose pour cette pho­to, la date du 13 août 1931, car c’est celle qui per­met de réu­nir le plus de pro­tag­o­nistes. Mer­cedes Simone a enreg­istré ce jour Cir­co criol­lo avec la Tipi­ca Vic­tor (Cara­bel­li). Sur cette pho­to, il manque Cara­bel­li et, Lesende, qui n’a jamais enreg­istré avec la Vic­tor est plutôt un intrus. En effet, il enreg­is­trait à l’époque avec deux com­pag­nies con­cur­rentes de la Vic­tor, la Brunswick (avec la Orques­ta Típi­ca Brunswick) et avec la Colum­bia (avec l’orchestre de Anto­nio Bonave­na).
Hora­cio Golli­no est générale­ment indiqué comme ayant fait par­tie des pre­miers ban­donéon­istes de Los Provin­cianos. Il était né le 5 févri­er 1911, il aurait donc eu qua­si 20 ans, ce qui sem­ble cor­re­spon­dre à l’âge du troisième ban­donéon­iste de la pho­to.
José María Otero, qui est tou­jours très bien doc­u­men­té, indique que ce serait en fait Toto (Juan Miguel Rodríguez). Si on observe la pho­to suiv­ante, représen­tant l’orchestre de Troi­lo en 1941, il sem­blerait que l’on puisse valid­er l’hypothèse de Toto.

De gauche à droite, en bas : David Díaz, Toto (Juan Miguel Rodríguez), Ani­bal Troi­lo, Eduar­do Mari­no et Hugo Bar­alis. À l’arrière : Pedro Sapoc­hnik, Orlan­do Goñi, Fran­cis­co Fiorenti­no, Kicho Díaz et Astor Piaz­zol­la (qui fit le forc­ing auprès de Troi­lo pour rem­plac­er Toto qui était malade). Hugo Bar­alis a appuyé sa can­di­da­ture…

Cepen­dant, selon Toto Tan­go qui est égale­ment une source de haute qual­ité, Toto serait né en 1919. Il aurait donc eu 12 ans si ma data­tion de la pho­to est bonne, ce qui sem­ble tout de même un peu jeune et ne cor­re­spond pas à l’image. Si on regarde l’âge prob­a­ble des dif­férents musi­ciens de la pre­mière pho­to, la date de 1931 est fort plau­si­ble ; Troi­lo fait vrai­ment jeune (il est né en 1914 et aurait donc 17 ans), sur la sec­onde, il a 27 ans, il sem­ble dif­fi­cile de con­sid­ér­er qu’il y a beau­coup moins de 10 ans entre les pho­tos.
Je pro­pose donc d’identifier Hora­cio Golli­no sur cette pho­to, ce qui nous per­me­t­tra d’avoir enfin un vis­age à met­tre sur ce musi­cien de grande qual­ité, qui ter­mi­na sa vie en don­nant des cours de musique sans pou­voir pra­ti­quer le ban­donéon à cause de la paralysie d’un de ses bras.

Paroles

Que sueño aquel tan hon­do y cru­el
Me vi en la glo­ria de tu pecho amante
Y a al instante todo se acabo
Fue mi Sueño imag­i­na­do
Nada más que un sop­lo de plac­er
Que se fumó y una ilusión hecha can­ción que se apagó
Cieto Minoc­chio Letra: Fran­cis­co Bran­cat­ti

Traduction libre

Quel rêve si pro­fond et cru­el.
Je me suis vu dans la gloire de ta poitrine aimante et, instan­ta­né­ment, tout fut ter­miné.
C’é­tait mon rêve imag­iné,
rien de plus qu’un souf­fle de plaisir
qui par­tit en fumée et une illu­sion faite chan­son qui s’éteignait.

Autres versions…

Il n’y a pas d’autre ver­sion enreg­istrée de cette valse, même si le titre a inspiré de nom­breux auteurs de tous types de musique. Je vous pro­pose donc de ter­min­er en réé­coutant cette valse.

Sueño imag­i­na­do 1932-01-05 — Orques­ta Típi­ca Los Provin­cianos con Car­los Lafuente. Dir. Ciri­a­co Ortiz. C’est notre valse du jour.

À bien­tôt, les amis. Faîtes de beaux rêves qui se réalis­eront.

Comme il faut 1951-09-26 — Orquesta Carlos Di Sarli

Eduardo Arolas Letra: Gabriel Clausi

« Comme il faut » , le titre de ce tan­go est en français et il sig­ni­fie que l’on fait les choses bien, comme il faut qu’elles soient réal­isées. Nous allons toute­fois voir, que sous ce titre « anodin » se cache une tricherie, quelque chose qui n’est peut-être pas fait, « comme il faut ».

Je parle français comme il faut

Je pense que vous ne serez pas sur­pris de décou­vrir un titre en français, il y a en a plusieurs et les mots français sont couram­ment util­isés par les Argentins et fort fréquents dans le tan­go.

Deux raisons expliquent cette abon­dance.

La pre­mière, c’est le pres­tige de la France de l’époque.

La haute société argen­tine par­lait couram­ment le français qui était la langue « chic » de l’époque. À ce sujet, il y a une quin­zaine d’années, une amie me fai­sait vis­iter son club nau­tique. C’est le genre d’endroit dont on devient mem­bre par coop­ta­tion ou héritage famil­ial. J’ai été sur­pris d’y enten­dre par­ler français, sans accent, par une bonne par­tie et peut-être même la majorité des per­son­nes que l’on croi­sait. Je m’en suis ouvert et mon amie m’a infor­mé que les per­son­nes de cette société avaient cou­tume de par­ler entre eux en français, cette langue étant tou­jours celle de l’élite.

La sec­onde, vous la con­nais­sez.

Les orchestres de tan­go se sont don­né ren­dez-vous en France au début du vingtième siè­cle. Il était donc naturel que s’expriment des nos­tal­gies, des références pour mon­tr­er que l’on avait fait le voy­age ou tout sim­ple­ment que s’affichent les expres­sions à la mode.

Je peux vous con­seiller un petit ouvrage sur la ques­tion, EL FRANCÉS EN EL TANGO: Recopi­lación de tér­mi­nos del idioma francés y de la cul­tura france­sa uti­liza­dos en las letras de tan­go. Il a été écrit par Víc­tor A. Benítez Boned qui cite et explicite 78 mots de français qui se retrou­vent dans le tan­go et 41 noms pro­pres désig­nant des Français ou des lieux de France. On peut con­sid­ér­er qu’environ 200 tan­gos font directe­ment référence à la France, aux Français (sou­vent aux Français­es) ou à la langue française. Víc­tor A. Benítez Boned en cite 177.

Lien vers le livre au for­mat Kin­dle.

Extrait musical

Comme il faut 1951-09-26 — Orques­ta Car­los Di Sar­li.
Comme il faut de Eduar­do Aro­las avec la dédi­cace “A mis esti­ma­dos y dis­tin­gui­dos ami­gos Fran­cis­co Wright Vic­tor­i­ca, Vladis­lao A. Frías, Juan Car­los Parpaglione y Manuel Miran­da Naón”.

Les dédi­cataires sont des étu­di­ants en droit qui ont prob­a­ble­ment cassé leur tire-lire pour être dédi­cataires :
Fran­cis­co Wright Vic­tor­i­ca, étu­di­ant de la Fac­ulté de droit et de sci­ences sociales de Buenos Aires en 1917
Vladis­lao A. Frías ; étu­di­ant de la Fac­ulté de droit et de sci­ences sociales de Buenos Aires en 1917, puis juge au civ­il et mem­bre de la cour d’appel au tri­bunal de com­merce de Buenos Aires.
Juan Car­los Parpaglione, étu­di­ant de la Fac­ulté de droit et de sci­ences sociales de Buenos Aires en 1917.
Manuel Miran­da Naón, étu­di­ant de la Fac­ulté de droit et de sci­ences sociales de Buenos Aires. En 1918, il a par­ticipé au mou­ve­ment de réforme de cette uni­ver­sité.

Paroles

Luna, farol y can­ción,
dulce emo­ción del ayer
fue en París,
donde viví tu amor.
Tan­go, Cham­pagne, corazón,
noche de amor
que no está,
en mi sueño vivirá…

Es como debe ser, con ilusión viví
las ale­grías y las tris­tezas;
en esa noche fue que yo sen­tí por vos
una esper­an­za en mi corazón.
Es como debe ser en la pasión de ley,
tus ojos negros y tu belleza.
Siem­pre serás mi amor en bel­lo amanecer
para mi vida, dulce ilusión.

En este tan­go
te cuen­to mi tris­teza,
dolor y llan­to
que dejo en esta pieza.
Quiero que oigas mi can­ción
hecha de luna y de farol
y que tu amor, mujer,
vuel­va hacia mí.

Eduar­do Aro­las Letra: Gabriel Clausi

Traduction libre et indications

Lune, réver­bère et chan­son, douce émo­tion d’hi­er c’était à Paris, où j’ai vécu ton amour.
Tan­go, Cham­pagne, cœur, nuit d’amour qui n’est pas là, dans mon rêve vivra…
C’est comme il faut (comme il se doit), avec ent­hou­si­asme j’ai vécu les joies et les peines ; C’est ce soir-là que j’ai sen­ti de l’e­spoir pour toi dans mon cœur.
C’est comme doit être la véri­ta­ble pas­sion (les Argentins dis­ent de ley, de la loi, par exem­ple un porteño de ley pour dire un véri­ta­ble portègne), de tes yeux noirs et de ta beauté.
Tu seras tou­jours mon amour dans la belle aurore pour ma vie, douce illu­sion (doux sen­ti­ment).
Dans ce tan­go, je te con­te ma tristesse, douleur et larmes que je laisse dans ce morceau.
Je veux que tu enten­des ma chan­son faite de lune et de réver­bère et que ton amour, femme, revi­enne jusqu’à moi.

Elle est où la tricherie promise ?

Comme je vois que vous sem­blez intéressés, voici la tricherie. Le tan­go « Comme il faut » a un frère jumeau « Com­parsa criol­la » signé Rafael Iri­arte.

Cou­ver­ture et par­ti­tion de Com­parsa Criol­la de Rafael Iri­arte. La men­tion du con­cours de 1930 est en haut de la cou­ver­ture.

La gémel­lité n’est pas une tricherie me direz-vous, mais alors com­ment nom­mer deux tan­gos iden­tiques attribués à des auteurs dif­férents ?
On dirait aujourd’hui un pla­giat.
Nous avons déjà ren­con­tré plusieurs tan­gos dont les attri­bu­tions étaient floues, que ce soit pour la musique ou les paroles. Fir­po n’a‑t-il pas cher­ché à met­tre sous son nom La cumpar­si­ta, alors pourquoi pas une com­parsa ?
Mais revenons à notre paire de tan­gos et intéres­sons-nous aux auteurs.
Eduar­do Aro­las (1892–1924), un génie, mort très jeune (32 ans). Non seule­ment il jouait du ban­donéon de façon remar­quable, ce qui lui a valu son surnom de « Tigre du ban­donéon », mais en plus, il a com­posé de très nom­breux titres. C’est assez remar­quable si on tient compte de sa très courte car­rière. Il s’est dit cepen­dant qu’il s’inspirait de l’air du temps, util­isant ce que d’autres musi­ciens pou­vaient inter­préter à une époque où beau­coup n’écrivaient pas la musique.
Il me sem­ble que c’est plus com­plexe et qu’il est plutôt dif­fi­cile de dénouer les fils des inter­ac­tions entre les musi­ciens à cette époque où il y avait peu de par­ti­tions, peu d’enregistrements et donc surtout une con­nais­sance par l’écoute, ce qui favorise l’appropriation d’airs que l’on peut de toute bonne foi croire orig­in­aux.
Pour revenir à notre tan­go du jour et faire les choses Comme il faut, voyons qui est le sec­ond auteur, celui de Com­parsa criol­la, Rafael Iri­arte. (1890–1961).
Lui aus­si a fait le voy­age à Paris et Nés­tor Pin­són évoque une col­lab­o­ra­tion dans la com­po­si­tion qui aurait eu lieu en 1915.
Si on s’intéresse aux enreg­istrements, les plus anciens sem­blent dater de 1917 et sont de Aro­las lui-même et de la Orques­ta Típi­ca Pacho. Les deux dis­ques men­tion­nent seule­ment Aro­las comme seul com­pos­i­teur.

Eduar­do Aro­las et un disque par la Tipi­ca Pacho qui serait égale­ment de 1917 selon Enrique Bin­da, spé­cial­iste de la vieille garde).

Peut-être que le fait que Aro­las avait accès au disque à cette époque et pas Iri­arte a été un élé­ment. Peut-être aus­si que la part d’Aro­las était suff­isam­ment prépondérante pour jus­ti­fi­er qu’il soit le seul men­tion­né.
Je n’ai pas trou­vé de témoignage indi­quant une brouille entre les deux hommes, si ce n’est une hypothèse de Nés­tor Pin­són. Faut-il voir dans le fait que Iri­arte signe de son seul nom la ver­sion qu’il dépose en 1930 et qui obtien­dra un prix, au sep­tième con­cours organ­isé par la mai­son de disque « Nacional ».
Ce qui est curieux est que Fran­cis­co Canaro, qui était ami de Aro­las ait enreg­istré sa ver­sion avec la men­tion de Iri­arte et pas celle de son ami décédé six ans plus tôt. Faut-il voir dans cela une recon­nais­sance de Canaro pour la part de Iri­arte ?
Pour vous per­me­t­tre d’entendre les simil­i­tudes, je vous pro­pose d’écouter le début de deux ver­sions. Celui de 1951 de Comme il faut, notre tan­go du jour par Di Sar­li et celui de Com­parsa criol­la de Tan­turi de 1941. J’ai mod­i­fié la vitesse de la ver­sion de Tan­turi pour que les tem­pos soient com­pa­ra­bles.

Débuts de : Comme il faut de Eduar­do Aro­las par Car­los Di Sar­li (1951) et Com­parsa criol­la de Rafael Iri­arte par Ricar­do Tan­turi (1941).

Autres versions

Comme il s’agit du « même » tan­go, je vais plac­er par ordre chronologique plusieurs ver­sions de Comme il faut et de Com­parsa criol­la.

Comme il faut 1917 — Eduar­do Aro­las
Les musi­ciens de l’orchestre de Aro­las en 1916. Aro­las est en bas, au cen­tre. Juan Mari­ni, pianiste, à gauche, puis Rafael Tue­gols et Atilio Lom­bar­do (vio­lonistes) et Alber­to Pare­des (vio­lon­celiste). Ce sont eux qui ont enreg­istré la ver­sion de 1917 de Aro­las.
Comme il faut 1917 — Orques­ta Típi­ca Pacho
Com­parsa criol­la 1930-11-18 — Fran­cis­co Canaro
Comme il faut 1936-10-27 — Juan D’Arien­zo
Comme il faut 1938-03-07 — Ani­bal Troi­lo
Com­parsa criol­la 1941-06-16 — Ricar­do Tan­turi
Comme il faut 1947-01-14 — Car­los Di Sar­li
Com­parsa criol­la 1950-12-12 — Orchestre Quintin Ver­du
Comme il faut 1951-09-26 — Orques­ta Car­los Di Sar­li.
Comme il faut 1955-07-15 — Car­los Di Sar­li
Comme il faut 1966-09-30 — Hec­tor Varela
Comme il faut 1980 — Alfre­do De Ange­lis
Comme il faut 1982 — Leopol­do Fed­eri­co

Mon cher Cor­recteur, Thier­ry, m’a fait remar­quer que je n’avais pas pro­posé de ver­sions chan­tées. N’en ayant pas sous la main, j’ai fait un appel à des col­lègues qui m’ont pro­posé deux ver­sions, Nel­ly Omar avec Bar­tolomé Paler­mo de 1997 et Scia­marel­la Tan­go con Denise Sci­ammarel­la de 2018 :

Comme il faut 1997 — Nel­ly Omar con Bar­tolomé Paler­mo y sus gui­tar­ras. Mer­ci à Howard Jones qui m’a sig­nalé cette ver­sion.
Comme il faut 2013 — Gente de tan­go
Comme il faut 2018 – Scia­marel­la Tan­go con Denise Sci­ammarel­la. Mer­ci à Yük­sel Şişe qui m’a indiqué cette ver­sion.
Comme il faut 2020-08 — El Cachivache

Je vous pro­pose d’arrêter là les exem­ples, il y en aurait bien sûr quelques autres et je vous dis, à bien­tôt les amis !

El cuarteador 1941-09-08 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino

Rosendo Luna (Enrique Domingo Cadícamo) (Musique et paroles)

Rosendo Luna, de son nom com­plet Enrique Domin­go Cadí­camo a com­posé et écrit les paroles de notre tan­go du jour, El cuar­teador. C’est pour nous l’occasion de décou­vrir un méti­er oublié, ban­ni de Buenos Aires en 1966 avec l’interdiction des moteurs de sang (la trac­tion ani­male). El cuar­teador est un cav­a­lier muni d’une forte mon­ture qui loue ses ser­vices aux voi­turi­ers embour­bés ou en mau­vaise passe.

Enrique Cadí­camo a com­posé ce titre sur le mini piano qu’il venait d’acheter.

Schroed­er, le peanuts créé par Charles M. Schulz et son mini piano.

Je me suis posé la ques­tion de savoir ce qu’était un mini piano. En fait, ce n’est prob­a­ble­ment pas un instru­ment dans le genre de celui de Schroed­er, mais tout sim­ple­ment un piano droit, sans doute un peu moins large avec seule­ment cinq ou six octaves. Son instru­ment était de la mai­son John Car­litt, une mai­son alle­mande de la ville de Dres­de et ce fac­teur fai­sait dans le piano tra­di­tion­nel, pas dans le jou­et. Cadí­camo sem­ble avoir été assez dis­cret sur l’usage de cet instru­ment, il n’a sans doute pas été un véri­ta­ble pianiste, son tal­ent n’en a absol­u­ment pas souf­fert comme on peut l’entendre dans cette com­po­si­tion.
Curieuse­ment, Ángel Vil­lo­do n’a pas com­posé ce titre ou un autre du même genre alors qu’il a tra­vail­lé comme cuar­teador. Ce sont deux autres Ángel, D’Agostino et Var­gas qui l’enregistreront à la suite de Troi­lo-Fiorenti­no et Canaro-Amor.
Atten­tion, nous allons patauger dans la boue, dans la boue de Bar­ra­cas.

Extrait musical

El cuar­teador 1941-09-08 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Fran­cis­co Fiorenti­no. Le titre com­mence par une annonce.

Paroles

Fue en un café de la Boca y allá por el ano dos, donde este tan­go nació. Esta­ba lin­da la fies­ta. Y com­padre­an­do la orques­ta de esta man­era empezó.
Yo soy Pru­den­cio Navar­ro,
el cuar­teador de Bar­ra­cas.
Ten­go un pin­go que en el bar­ro
cualquier car­ro
tira y saca.
Overo de anca par­ti­da,
que en un tra­ba­jo de cuar­ta
de la zan­ja siem­pre aparta
¡Chiche!
la rue­da que se ha quedao.

Yo que tan­ta cuar­ta di,
yo que a todos los prendí
a la cin­cha de mi percherón,
hoy, que el car­ro de mi amor se me enca­jó,
no hay uno que pa’ mi
ten­ga un tirón.

En la calle del quer­er
el amor de una mujer
en un bache hundió mi corazón…
¡Hoy, ni mi overo me saca
de este pro­fun­do zan­jón!

Yo soy Pru­den­cio Navar­ro,
el cuar­teador de Bar­ra­cas.
Cuan­do ve mi overo un car­ro
com­padre­an­do
se le atra­ca.

No hay car­ga que me lo achique,
porque mi chu­zo es valiente;
yo lo llamo suave­mente
¡Chiche!
Y el pin­go pega el tirón.

Rosendo Luna (Enrique Domin­go Cadí­camo) (Musique et paroles)

Traduction libre et indications

C’é­tait dans un café de La Boca et en l’an 2 (1902) que ce tan­go est né. La fête était sym­pa. Et l’orchestre ami­cale­ment com­mença de cette façon.

Je suis Pru­den­cio Navar­ro, le cuar­teador de Bar­ra­cas.
J’ai un pin­go (cheval en lun­far­do) qui tire et sort de la boue n’im­porte quel char­i­ot.
Overo (Cheval couleur de pêche, aubère ou alezan) avec la croupe fendue (car mus­clée), qui dans un tra­vail de cuar­ta (tra­vail du cuar­teador qui con­siste à tir­er des char­i­ots embour­bés. Le nom vient du fait que l’on pli­ait la san­gle de tirage pour la ren­dre quadru­ple et ain­si plus résis­tante), du fos­sé sort tou­jours, Chiche ! (Nom du cheval, ou expres­sion pour le mobilis­er) la roue qui était coincée.
Moi qui ai don­né tant de cuar­tas, moi qui les ai tous accrochés à la san­gle de mon percheron, aujour­d’hui, que la voiture de mon amour s’est coincée, il n’y en a pas un qui pour moi ferait une trac­tion.
Dans la rue de l’amour, l’amour d’une femme dans un nid-de-poule a fait som­br­er mon cœur…
Aujour­d’hui, même mon overo ne peut pas me sor­tir de ce fos­sé pro­fond !
Je suis Pru­den­cio Navar­ro, le cuar­teador de Bar­ra­cas.
Quand mon overo voit une voiture, il s’y colle (comme un amoureux qui recherche le con­tact d’une femme, jeu de mots, car c’est aus­si attach­er le char­i­ot).
Il n’y a pas de fardeau qui puisse le rétré­cir, parce que mon chu­zo (aigu­il­lon) est courageux ; je l’ap­pelle douce­ment Chiche ! Et le pin­go (cheval, mais peut aus­si avoir un sens plus coquin) tire.

Autres versions

El cuar­teador 1941-09-08 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Fran­cis­co Fiorenti­no. C’est notre tan­go du jour.
El cuar­teador 1941-10-06 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Fran­cis­co Amor.
El cuar­teador 1942 Orques­ta Ángel D’Agosti­no con Ángel Var­gas.

Mais Enrique Cadí­camo a aus­si réal­isé un court métrage où on peut enten­dre les deux anges inter­préter ce thème. Nous en avons déjà par­lé à pro­pos de Tres esquinas.

Voici la vidéo au moment où D’Agostino et Var­gas enta­ment El cuar­teador de Bar­ra­cas, mais je vous recom­mande de voir les 9 min­utes du court-métrage en entier, c’est intéres­sant dès le début et avant El cuar­teador de Bar­ra­cas, il y a Tres Esquinas

El cuar­teador de Bar­ra­cas à 6:54 du film de Enrique Cadí­camo.
Tim­bre uruguayen met­tant en avant un cuar­teador. Remar­quez le har­nache­ment du cheval.

Los cuarteadores

Nous avons vu qu’Ángel Vil­lol­do avait exer­cé ce méti­er, mais il avait aus­si été clown dans un cirque, typographe et a de fait exercer de nom­breux petits métiers pour sur­vivre.
Pour les mêmes raisons, les gau­chos dont les ter­ri­toires ont été rat­trapés par l’urbanisation de Buenos Aires se sont adap­tés et sont passés du gar­di­en­nage des vach­es au sauve­tage des char­i­ots et tran­vias (tramways) en péril dans la boue ou dans des décliv­ités trop fortes.
Pour les voy­ages en char­i­ot, il était pru­dent de s’attacher les ser­vices d’un ou plusieurs cuar­teadores pour pou­voir se tir­er d’embarras dans les chemins défon­cés qui ser­vaient de routes à l’époque.

À gauche, Pru­den­cio Navar­ro par Rodol­fo Ramos et à droite, des voyageurs atten­dant les cuar­teadores…

Voici com­ment les voyageurs J. et G. Robert­son, nar­rèrent leur tra­ver­sée de la pam­pa entre Buenos Aires et San­ta Fe.

« Après avoir attaché l’at­te­lage à la malle-poste (dili­gence), sous la direc­tion du cocher, on adjoignit qua­tre cuar­teadores, mal vêtus, cha­cun sur son cheval, sans autre har­nais que la san­gle.
Celle-ci était attachée par une extrémité à la selle et de l’autre au tim­on de la voiture…
À peine avions-nous atteint les faubourgs que nous ren­con­trâmes un de ces ter­ri­bles marécages.
Ce sont des mass­es de boue épaisse de trois à trois mètres et demi de pro­fondeur et trente à cinquante de largeur (la pro­fondeur sem­ble exagérée, mais retenons que c’était boueux).
Les cuar­teadores éclaboussèrent dans la boue, puis la deux­ième équipe les suiv­it, et lorsque les deux équipes quit­tèrent le marais et, par con­séquent, furent sur la terre ferme, avant que la voiture n’en­tre dans le bour­bier, elles avaient gag­né un endroit où se tenir pour dévelop­per leur force.
À coups de fou­et et d’éper­on, encour­agés par les cris des pos­til­lons, les chevaux nous traînèrent tri­om­phale­ment hors du marais.
De cette façon, nous avons tra­ver­sé avec suc­cès tous les bour­biers, marécages et ruis­seaux qui sépar­ent Buenos Aires et San­ta Fe. »

La gravure du 19e siè­cle qui m’a servie pour réalis­er l’il­lus­tra­tion de l’anec­dote.

On remar­quera la san­gle (ici qui n’est pas quadru­ple), entre la selle et le tim­on. Il s’agit d’aider dans une mon­tée. J’ai rajouté de la boue dans ma ver­sion pour ren­dre l’expérience encore plus probante. Cette gravure est indiquée comme étant de Buenos Aires, mais je n’ai pas trou­vé le lieu. On remar­quera au pre­mier plan à droite, un autre cuar­teador se relax­ant avec le pied sur la san­gle de tirage posée sur la croupe du cheval. Il attend à son tour que des char­i­ots fassent appel à ses ser­vices.
Voilà, cette anec­dote tire à sa fin, vous écouterez sans doute de façon dif­férente les belles ver­sions de cette com­po­si­tion de Rosendo Luna.

Cómo se pianta la vida 1940-08-20 — Orquesta Enrique Rodríguez con Armando Moreno

Carlos Viván (Miguel Rice Treacy), paroles et musique

Car­los Viván, l’auteur et le com­pos­i­teur de ce tan­go fut un bon vivant et ce tan­go touche de très près sa vie qui fut claire­ment par­mi les plus insta­bles pos­si­bles. Le seul point éton­nant est qu’il l’a écrit à 26 ans et pas, comme on peut le sup­pos­er, à la fin de sa vie tour­men­tée… L’abondance des ver­sions à l’âge d’or et par la suite, prou­ve que ce sujet touchait la sen­si­bil­ité des Argentins ; et la vôtre ?

Extrait musical

Cómo se pianta la vida 1940-08-20 ‑Orques­ta Enrique Rodríguez con Arman­do Moreno
Par­ti­tions de Cómo se pianta la vida de Car­los Viván (paroles et musique)

Paroles

Berretines locos
De mucha­cho rana
Me arras­traron cie­gos
En mi juven­tud
En milon­gas, tim­bas
Y en otras macanas
Donde fui pal­man­do
Toda mi salud

Mi copa bohemia
De rubia cham­pagne
Brin­dan­do amoríos
Bor­ra­cho la alze
Mi vida fue un bar­co
Car­ga­do de haz­a­ñas
Que jun­tó a las playas
Del mar lo encalle

Cómo se pianta la vida
Cómo rezon­gan los años
Cuan­do fieros desen­gaños
Nos van abrien­do una heri­da
Es triste la pri­mav­era
Si se vive desteñi­da

Cómo se pianta la vida
De mucha­cho calav­era

Los veinte abriles can­taron un día
la milon­ga triste de mi berretín
y en la con­tradan­za de esa algar­abía
al trompo de mi alma le faltó piolín.
Hoy estoy pagan­do aque­l­las ranadas
Final de los vivos
Que siem­pre se da
Me encuen­tro sin chance
En esta juga­da
La muerte sin grupo
Ya ha entra­do a tal­lar

Cómo se pianta la vida
De mucha­cho calav­era
Car­los Viván — 1929 — Paroles et musique

Traduction libre

Les folles lubies d’un gars débrouil­lard m’ont entraîné à l’aveu­glette dans ma jeunesse, dans les milon­gas (Car­los Viván était un grand danseur de tan­go), les tim­bas (salle de jeu) et autres clubs où j’ai ruiné toute ma san­té.
Mon verre bohème de cham­pagne blond, trin­quant aux amours, ivre, je l’ai levé (Car­los Viván était plutôt ama­teur de Whisky, sans doute à cause de ses orig­ines irlandais­es).
Ma vie a été un navire plein d’ex­ploits, qui rejoignit les plages marines et s’é­choua.
Comme la vie se perd (piantar, c’est en lun­far­do, s’enfuir), comme les années grog­nent quand de féro­ces décep­tions nous ouvrent une blessure.
Le print­emps est triste s’il se vit déteint.
Com­ment se perd la vie d’un gars débauché.
Les vingt avrils (même si “Avril” en Argen­tine tombe en automne, c’est l’équiv­a­lent de l’ex­pres­sion “Print­emps” pour mar­quer les années. Dans le vers précé­dent, il par­lait d’ailleurs de print­emps) ont chan­té un jour la milon­ga triste de ma lubie et dans la con­tredanse de ce brouha­ha, Il me man­quait au plus pro­fond de mon âme une inno­cence (piolín, ver­lan de limpio, pro­pre, per­son­ne sans casi­er judi­ci­aire…).
Aujour­d’hui, je paie pour ces méfaits.
Le final des canailles arrive tou­jours.
Je me retrou­ve sans chance dans ce jeu dan­gereux.
La mort sans men­tir est déjà entrée pour tailler.
Comme se perd la vie, d’un garçon débauché.

Autres versions

Voici une petite sélec­tion de ver­sions illus­trant le suc­cès du thème pen­dant plus de 50 ans.

Cómo se pianta la vida 1930-03-18 — Azu­ce­na Maizani con con­jun­to
Cómo se pianta la vida 1930-03-21 — Alber­to Vila con gui­tar­ras
Cómo se pianta la vida 1930-03-27 — Orques­ta Luis Petru­cel­li con Rober­to Díaz
Cómo se pianta la vida 1930-04-02 — Orques­ta Pedro Maf­fia con Car­los Viván.

Car­los Viván chante sa com­po­si­tion. Il a 27 ans au moment de l’enregistrement.

Cómo se pianta la vida 1930 — Rober­to Mai­da acomp. de Orques­ta Alber­to Castel­lano.

Rober­to Mai­da avant Fran­cis­co Canaro

Cómo se pianta la vida 1930 — Tania acomp. de Orques­ta Alber­to Castel­lano.

Tania avec le même orchestre que Rober­to Mai­da.

Cómo se pianta la vida 1932 — Orques­ta Típi­ca Auguste-Jean Pesen­ti du Col­i­se­um de Paris.

En France aus­si, la vie des tangueros est un peu dis­solue…

Cómo se pianta la vida 1940-08-20 — Orques­ta Enrique Rodríguez con Arman­do Moreno. C’est notre tan­go du jour.
Cómo se pianta la vida 1942-09-15 — Orques­ta Ricar­do Tan­turi con Alber­to Castil­lo.
Cómo se pianta la vida 1950-12-26 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Car­los Alma­da.
Cómo se pianta la vida 1959c — Héc­tor Mau­ré con gui­tar­ras y ban­do­neon
Cómo se pianta la vida 1963-04-30 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Rober­to Goyeneche arr. de Julián Plaza.

On notera le début impres­sion­nant pro­posé par Troi­lo et Plaza qui offre un trem­plin pour Goyeneche pour lancer le titre d’une façon par­ti­c­ulière­ment expres­sive. Une ver­sion que je trou­ve con­va­in­cante et touchante. Pas de danse pos­si­ble, mais un régal à écouter.

Cómo se pianta la vida 1981-07-08 — Orques­ta Osval­do Pugliese con Abel Cór­do­ba.

C’est la plus orig­i­nale et tra­vail­lée, un cran au-dessus de celle de Troi­lo, mais il faut être vrai­ment fan de Cór­do­ba pour être enchan­té par cette ver­sion. Je préfère les ver­sions de danse ou celle de Troi­lo avec Goyeneche, mais la beauté du tan­go est qu’on a le choix et cha­cun pour­ra trou­ver son bon­heur dans la très grande var­iété de ces enreg­istrements.

Amurado 1940-07-29 — Orquesta Pedro Laurenz con Juan Carlos Casas

Pedro Maffia ; Pedro Laurenz Letra : José Pedro De Grandis

Encore un tan­go qui ne laisse pas les tangueros se repos­er, notam­ment dans cette ver­sion. Les deux Pedro, Lau­renz puis Maf­fia ont créé un mon­stre qui aspire toute l’énergie vitale des danseurs de la pre­mière à la dernière note. Le charme sem­ble aus­si avoir opéré égale­ment sur les directeurs d’orchestre, car de très nom­breuses ver­sions en ont été enreg­istrées. La ver­sion du jour est par l’un des deux com­pos­i­teurs, Lau­renz avec Juan Car­los Casas.

Un démarrage sur les chapeaux de roues

Le point de départ de ce tan­go a été don­né par De Gran­dis qui avait écrit un texte, sur la mis­ère de l’abandon. En 1925–1926, il était vio­loniste dans le sex­te­to du ban­donéon­iste Enrique Pol­let, celui qu’on retrou­vera par la suite dans l’orchestre de Pugliese et qui est à l’origine de la superbe vari­a­tion finale de Recuer­do.

Un jour que ce sex­te­to jouait dans son lieu habituel, Le Café El Par­que (près de Tri­bunales et assez près du théâtre Colón), Pedro Lau­renz qui était ami de Pol­let prit con­nais­sance du texte et sur l’instant sur son ban­donéon, imag­i­na un air pour la pre­mière par­tie, puis il alla le mon­tr­er à Pedro Maf­fia qui était alors au ciné­ma Select Lavalle, à prox­im­ité, dans l’orchestre de Julio De Caro. Maf­fia fut telle­ment ent­hou­si­as­mé qu’il deman­da à Lau­renz de pou­voir le ter­min­er.
Et ain­si, le tan­go inté­gra le réper­toire de Julio De Caro qui l’enregistrera deux ans plus tard, la même année que Gardel et beau­coup d’autres.
Après cette pre­mière vague, le tan­go fut moins enreg­istré, juste ressus­cité à divers­es repris­es par Lau­renz. La sec­onde vague n’arrivera que dans les années 50 avec une nou­velle folie autour du thème, folie qui dure jusqu’à nos jours où beau­coup d’orchestres ont ce tan­go à leur réper­toire.
Pedro Lau­renz l’a enreg­istré au moins cinq fois, vous pour­rez com­par­er les ver­sions dans la par­tie « autres ver­sions ».

Extrait musical

Amu­ra­do. Pedro Maf­fia ; Pedro Lau­renz Letra: José Pedro de Gran­dis La dédi­cace est au Doc­teur Pros­pero Deco, qui devien­dra le Directeur del Hos­pi­tal Gen­er­al de Agu­dos José María Pen­na de 1945 à 1955. À droite, son buste dans l’hôpital.
Amu­ra­do 1940-07-29 — Orques­ta Pedro Lau­renz con Juan Car­los Casas.

Tout com­mence par un puis­sant appel du ban­donéon qui résonne comme un cla­iron, puis la machine se met en marche. Le rythme est puis­sam­ment martelé, par les ban­donéons, la con­tre­basse, le piano, en con­tre­point, des plages de douceur sont don­nées par les vio­lons et en son temps par Juan Car­los Casas, mais à aucun moment le rythme et la ten­sion ne bais­sent, jusqu’à la fin presque abrupte. On notera aus­si un mag­nifique solo de ban­donéon, indis­pens­able pour un titre com­posé par deux ban­donéon­istes… L’intervention, courte de Casas, n’exprime pas toute la douleur du texte et les danseurs peu­vent pren­dre du plaisir sans remord. Cette incroy­able com­po­si­tion emporte les danseurs et hérisse les poils de bon­heur de bout en bout. Cette ver­sion est une mer­veille absolue qui fait regret­ter que Lau­renz et Casas n’ait pas plus enreg­istré.

Paroles

Cam­pa­neo a mi catr­era y la encuen­tro des­o­la­da.
Sólo ten­go de recuer­do el cuadri­to que está ahí,
pilchas vie­jas, unas flo­res y mi alma ator­men­ta­da…
Eso es todo lo que que­da des­de que se fue de aquí.

Una tarde más tris­tona que la pena que me aque­ja
arregló su bagay­i­to y amu­ra­do me dejó.
No le dije una pal­abra, ni un reproche, ni una que­ja…
La miré que se ale­ja­ba y pen­sé :
¡Todo acabó!

¡Si me viera ! ¡Estoy tan viejo!
¡Ten­go blan­ca la cabeza!
¿Será aca­so la tris­teza
de mi negra soledad ?
Debe ser, porque me cruzan
tan fuleros berretines
que voy por los cafetines
a bus­car feli­ci­dad.

Bulinci­to que cono­ces mis amar­gas desven­turas,
no te extrañe que hable solo. ¡Que es tan grande mi dolor !
Si me fal­tan sus cari­cias, sus con­sue­los, sus ter­nuras,
¿qué me quedará a mis años, si mi vida está en su amor?

¡Cuán­tas noches voy vagan­do angus­ti­a­do, silen­cioso
recor­dan­do mi pasa­do, con mi ami­ga la ilusión !…
Voy en cur­da… No lo niego que será muy ver­gonzoso,
¡pero lle­vo más en cur­da a mi pobre corazón!

Pedro Maf­fia ; Pedro Lau­renz Letra: José Pedro de Gran­dis

Juan Car­los Casas ne chante que ce qui est en gras.

Traduction libre et indications

Je con­tem­ple mon lit et le trou­ve désolé.
Je n’ai comme sou­venir que le petit tableau qui est ici, de vieilles cou­ver­tures, quelques fleurs et mon âme tour­men­tée…
C’est tout ce qui reste depuis qu’elle est par­tie d’i­ci.
Un après-midi plus triste que le cha­grin qui m’af­flige, elle a pré­paré son petit bagage et m’a lais­sé emmuré.
Je n’ai pas dit un mot, pas un reproche, pas une plainte…
Je l’ai regardée s’éloign­er et j’ai pen­sé :
Tout à une fin !
Si elle me voy­ait ! Je suis si vieux !
J’ai la tête blanche !
Est-ce peut-être la tristesse de ma noire soli­tude ?
Ça doit l’être, parce que j’ai des idées tant débiles que je vais dans les cafés pour chercher le bon­heur.
Petit logis, qui con­naît mes mésaven­tures amères, ne t’é­tonne pas que je par­le tout seul. Que ma douleur est grande !
Si me man­quent ses caress­es, ses con­so­la­tions, sa ten­dresse, que me restera-t-il dans mes années, si ma vie est dans son amour ?
Com­bi­en de nuits je vais vagabon­dant, angois­sé, silen­cieux, me sou­venant de mon passé, avec mon ami l’il­lu­sion…
Je vais me saouler… Je ne nie pas que ce soit hon­teux, mais je sup­porte mieux mon pau­vre cœur quand je suis bour­ré (saoul) !

Autres versions

J’ai mis en rouge les ver­sions par les auteurs (Maf­fia, 1 ver­sion et Lau­rens, 5 ver­sions).

Amu­ra­do 1927-02-11 — Orques­ta Rober­to Fir­po.

Une ver­sion calme, sans doute trop calme si on la com­pare à notre tan­go du jour…

Amu­ra­do 1927-04-08 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to.

Une autre ver­sion tran­quille, exé­cutée avec con­science, mais sans doute pas de quoi sus­citer la folie.

Amu­ra­do 1927-06-08 — Igna­cio Corsi­ni con gui­tar­ras de Pagés-Pesoa-Maciel.

Une jolie inter­pré­ta­tion de Corsi­ni, à écouter, bien sûr.

Amu­ra­do 1927-07-20 — Pedro Maf­fia y Alfre­do De Fran­co (Duo de ban­do­neones).

Pedro Maf­fia l’auteur de la sec­onde par­tie nous pro­pose ici sa ver­sion en duo avec Alfre­do De Fran­co. Une ver­sion sim­ple, mais plus rapi­de que les autres de l’époque. Il nous manque cer­tains instru­ments aux­quels nous sommes désor­mais habitués pour totale­ment appréci­er cette ver­sion qui peut paraître un peu monot­o­ne et répéti­tive.

Amu­ra­do 1927-07-22 — Car­los Gardel con acomp. de Guiller­mo Bar­bi­eri, José Ricar­do (gui­tar­ras).

Avec seule­ment deux gui­tares, Gardel donne la réponse à Corsi­ni qui le mois précé­dent avait enreg­istré le titre avec trois gui­tares. C’est égale­ment joli et tout autant pour l’écoute et pas pour la danse.

Amu­ra­do 1927-08-16 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Agustín Irus­ta.

Canaro enreg­istre à son tour, sur un rythme calme, qui est de toute façon une de ses car­ac­téris­tiques de l’époque. De jolis traits de vio­lon et ban­donéon allè­gent un peu le mar­quage puis­sant du rythme. La voix de Irus­ta, un peu nasale, apporte une petite vari­a­tion dans cette inter­pré­ta­tion qui ne sera sans doute pas à la hau­teur des danseurs d’aujourd’hui.

Amu­ra­do 1927-09-07 — Agustín Mag­a­l­di con gui­tar­ras.

Il ne man­quait que lui, après Corsi­ni et Gardel, voici Mag­a­l­di. Moi, j’aime bien. Bien sûr, ce n’est pas plus pour la danse que les ver­sions des deux con­cur­rents, mais ça se laisse écouter.

Amu­ra­do 1927-09-12 — Orques­ta Julio De Caro.

Je pense que dès les pre­mières mesures vous aurez remar­qué la dif­férence d’ambiance par rap­port à toutes les ver­sions précé­dentes. Le ruba­to mar­qué, par­fois exagéré et la vari­a­tion du solo de ban­donéon sont déjà très proches de ce que pro­posera Lau­renz 13 ans plus tard. On notera les sonorités étranges qui appa­rais­sent vers la fin du morceau, De Caro aime ajouter des instru­ments atyp­iques.

Amu­ra­do 1927-12-06 — Orques­ta Juan Maglio “Pacho” con José Galarza.

On revient sans doute un cran en arrière dans la moder­nité, mais la par­tie d’orchestre est assez sym­pa­thique. La voix de Galarza sera en revanche un peu plus dif­fi­cile à accepter par les danseurs d’aujourd’hui.

Amu­ra­do 1928 — Trío Argenti­no (Irus­ta, Fuga­zot, Demare) y su Orques­ta Típi­ca Argenti­na con Rober­to Fuga­zot.

Le piano de Demare démarre puis laisse la place à la voix de Fuga­zot qui gardera ensuite la vedette en masquant un peu le beau jeu de Demare au piano qui ne pour­ra que plac­er un mag­nifique accord final.

Amu­ra­do 1940-07-29 — Orques­ta Pedro Lau­renz con Juan Car­los Casas.

C’est notre tan­go du Jour. Si on note la fil­i­a­tion avec l’interprétation de De Caro, la ver­sion don­née par Lau­renz est éblouis­sante en tous points. Il a fait le ménage dans les propo­si­tions par­fois un peu con­fus­es de De Caro et le résul­tat est par­fait pour la danse.

Amu­ra­do 1944-11-24 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Tout en restant fidèle à l’écriture de Lau­renz, Pugliese pro­pose sa ver­sion avec une pointe de Yum­ba et son alter­nance de moments ten­dus et d’autres, relâchés, et des nuances très mar­quées. Le résul­tat est comme tou­jours superbe, mais beau­coup plus dif­fi­cile à danser pour les danseurs qui ne con­nais­sent pas cette ver­sion. En milon­ga, c’est donc à réserv­er à des danseurs expéri­men­tés ou motivés. L’accélération de la vari­a­tion en solo du ban­donéon qui nous mène au final est tout aus­si belle que celle de Lau­renz, les danseurs pour­ront s’y don­ner ren­dez-vous pour oubli­er les petits pièges des par­ties précé­dentes.

Amu­ra­do 1946 (trans­misión radi­al) — Orques­ta Pedro Lau­renz.

Six ans plus tard, Lau­renz pro­pose une ver­sion instru­men­tale. Il s’agit d’un enreg­istrement radio­phonique, d’une qual­ité impos­si­ble pour la danse, mais nous avons une ver­sion enreg­istrée l’année suiv­ante.

Amu­ra­do 1947-01-16 — Orques­ta Pedro Lau­renz.

Cette ver­sion est très proche et je ne la pro­poserai sans doute pas, car je suis sûr que le petit estri­bil­lo chan­té par Casas va man­quer aux danseurs.

Amu­ra­do 1952-09-25 — Orques­ta Pedro Lau­renz.

Après un peu de temps de réflex­ion, Lau­renz pro­pose une nou­velle ver­sion, très dif­férente. On sent qu’il a voulu dans la pre­mière par­tie tir­er par­ti des idées de Pugliese, mais la réal­i­sa­tion est un peu plus sèche, moins coulée et la sec­onde par­tie s’enfonce un peu dans la guimauve. Mon petit Pedro, désolé, mais on reste avec ta pre­mière ver­sion, même si on garde de cette ver­sion le final qui est tout aus­si beau que dans l’autre.

Amu­ra­do 1955-09-16 — Orques­ta José Bas­so.

Bas­so reprend l’appel ini­tial du ban­donéon, en l’accentuant encore plus que Lau­renz dans sa ver­sion de 1940. Un vio­lon vir­tu­ose nous trans­porte, puis le ban­donéon tout aus­si agile reprend le flam­beau. Par moment on retrou­ve l’esprit de la ver­sion de la ver­sion de Lau­renz en 1940, mais entre­coupée de pas­sages totale­ment dif­férents. Je ne sais pas ce qu’en penseraient les danseurs. D’un côté les rap­pels proches de Lau­renz peu­vent leur faire regret­ter l’original, mais les idées dif­férentes peu­vent aus­si éveiller leur curiosité et les intéress­er. Peut-être à ten­ter dans un lieu rem­pli de danseurs un peu curieux.

Amu­ra­do 1956 — Edmun­do Rivero con acomp. de Car­los Figari y su Orques­ta.

Une ver­sion à écouter, avec la puis­sance d’un grand orchestre.

Amu­ra­do 1956c — Trio Hugo Diaz.

Le trio d’Hugo Diaz, har­moni­ciste que l’on retrou­vera 12 ans plus tard avec une ver­sion encore plus intéres­sante.

Amu­ra­do 1959-01-08 — Orques­ta José Bas­so.

Encore Bas­so, qui s’essaye à l’amélioration de son inter­pré­ta­tion et je trou­ve que c’est une réus­site qui devrait intéress­er encore plus de danseurs que la ver­sion de 1955.

Amu­ra­do 1961-09-08 — Jorge Vidal con acomp. de gui­tar­ras, cel­lo y con­tra­ba­jo.

Amu­ra­do 1961-09-08 — Jorge Vidal con acomp. de gui­tar­ras, cel­lo y con­tra­ba­jo. Vidal avec ce con­jun­to de cordes nous pro­pose une ver­sion très orig­i­nale. Sa superbe voix est par­faite­ment mise en valeur par les cordes qui l’accompagnent. Dom­mage que ce ne soit pas pour la danse.

Amu­ra­do 1962-04-19 Orques­ta Leopol­do Fed­eri­co con Julio Sosa.

Dans la pre­mière époque du titre, on avait enten­du Corsi­ni, Gardel et Mag­a­l­di. Dans cette nou­velle péri­ode, après Rivero, voici Julio Sosa, El varón del tan­go. Une ver­sion qui fait se dress­er les poils de plaisir. Quelle ver­sion !

Amu­ra­do 1962-12-19 — Aníbal Troi­lo y Rober­to Grela en vivo.

Un enreg­istrement avec un pub­lic ent­hou­si­aste, qui masque par­fois la mer­veille du ban­donéon exprimé par Troi­lo, extra­or­di­naire.

Amu­ra­do 1968 Pedro Lau­renz con su Quin­te­to.

La dernière ver­sion enreg­istrée par Pedro Lau­renz, avec la gui­tare élec­trique en prime. Une ver­sion à écouter, mais pas inin­téres­sante.

Amu­ra­do 1972 — Hugo Díaz.

Le meilleur har­moni­ciste nous pro­pose une ver­sion plus aboutie.

Amu­ra­do 1975 — Sex­te­to May­or.
Amu­ra­do 1981 — Orques­ta Leopol­do Fed­eri­co.

Bien au-delà de la ver­sion avec Sosa, l’orchestre s’exprime mag­nifique­ment. On est bien sûr totale­ment hors du domaine de la danse, mais c’est une mer­veille.

Amu­ra­do 1990 Rober­to Goyeneche con arreg­los y direc­ción de Raúl Garel­lo.

Goyeneche man­quait à la liste des chanteurs ayant mis ce titre à son réper­toire. Cet enreg­istrement comble cette lacune.

Amu­ra­do 1995-08-23 — Sex­te­to Tan­go.

Une ver­sion par les anciens musi­ciens de Pugliese.

Voilà, avec une trentaine de ver­sions, vous avez encore une fois un échan­til­lon de la richesse du tan­go. En général, seules une ou deux ver­sions passent en milon­ga, mais quelque­fois les modes changent et des titres oubliés rede­vi­en­nent à la mode. Ain­si, le tan­go reste vivant et quand des orchestres con­tem­po­rains se char­gent de rénover la chose, c’est par­fois une sec­onde chance pour les titres.

Sur ces entre­faites, je vous dis, à demain, les amis.

La tablada 1942-07-23 — Orquesta Aníbal Troilo

Francisco Canaro

Quand on pense à l’Argen­tine, on pense à sa viande et ce n’est pas un cliché sans rai­son. Les Argentins sont de très grands ama­teurs et con­som­ma­teurs de viande. Chaque mai­son a sa par­il­la (bar­be­cue) et en ville, cer­tains vont jusqu’à impro­vis­er leurs par­il­las dans la rue avec un demi-bidon d’huile. Dans les espaces verts, il y a égale­ment des par­il­las amé­nagées et si vous préférez aller au restau­rant, vous n’aurez pas beau­coup à marcher pour obtenir un bon asa­do. Le tan­go du jour, la tabla­da a à voir avec cette tra­di­tion. En effet, la tabla­da est le lieu où est regroupé le bétail avant d’aller au matadero

Cor­rales viejos, matadero, la tabla­da…

Extrait musical

La tabla­da 1942-07-23 — Orques­ta Aníbal Troi­lo
La tabla­da. La cou­ver­ture de gauche est plus proche du sujet de ce tan­go que celle de droite…
La par­ti­tion est dédi­cacée par Canaro à des amis d’U­ruguay (auteurs, musi­ciens…).

Autres versions

La tabla­da 1927-06-09 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Une ver­sion presque gaie. Les vach­es « gam­badent », du pas lourd du canyengue.

La tabla­da 1929-08-02 — Orques­ta Cayetano Puglisi.

Une ver­sion pesante comme les coups coups don­nés par les mataderos pour sac­ri­fi­er les ani­maux.

La tabla­da 1929-12-23 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Cette ver­sion est assez orig­i­nale, on dirait par moment, une musique de dessin ani­mé. Cette ver­sion s’est dégagée de la lour­deur des ver­sions précé­dentes et c’est suff­isam­ment joueur pour amuser les danseurs les plus créat­ifs.

La tabla­da 1936-08-06 — Orques­ta Edgar­do Dona­to.

Une des ver­sions le plus con­nues de cette œuvre.

La tabla­da 1938-07-11 — Orques­ta Típi­ca Bernar­do Ale­many.

Cette ver­sion française fait preuve d’une belle imag­i­na­tion musi­cale. Ale­many est prob­a­ble­ment Argentin de nais­sance avec des par­ents Polon­ais. Son nom était-il vrai­ment Ale­many, ou est-ce un pseu­do­nyme, car il a tra­vail­lé en Alle­magne avant la sec­onde guerre mon­di­ale avant d’aller en France où il a fait quelques enreg­istrements comme cette belle ver­sion de la tabla­da avant d’émigrer aux USA. Ses musi­ciens étaient majori­taire­ment argentins, car il avait fait le voy­age en Argen­tine en 1936 pour les recruter. Cette ver­sion est donc fran­co-argen­tine pour être pré­cis…

La tabla­da 1942-07-23 — Orques­ta Aníbal Troi­lo. C’est notre tan­go du jour.
La tabla­da 1946-09-10 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

L’introduction en appels sif­flés se répon­dant est par­ti­c­ulière­ment longue dans cette ver­sion. Il s’agit de la référence au train qui trans­portait la viande depuis La Tabla­da jusqu’à Buenos Aires. Les employés devaient sif­fler pour sig­naler le départ, comme cela se fait encore dans quelques gares de cam­pagne.

La tabla­da 1950-11-03 — Enrique Mora y su Cuar­te­to Típi­co.

Encore une ver­sion bien guillerette et plutôt sym­pa­thique, non ?

La tabla­da 1951 — Orques­ta Rober­to Caló.

C’est le frère qui était aus­si chanteur, mais aus­si pianiste (comme on peut l’entendre dans cet enreg­istrement), de Miguel Caló.

La tabla­da 1951-12-07 — Hora­cio Sal­gán y su Orques­ta Típi­ca.

Une ver­sion qui se veut résol­u­ment mod­erne, et qui explore plein de direc­tions. À écouter atten­tive­ment.

La tabla­da 1955-04-19 — Orques­ta José Bas­so.

Dans cette ver­sion, très intéres­sante et éton­nante, Bas­so s’éclate au piano, mais les autres instru­ments ne sont pas en reste et si les danseurs peu­vent être éton­nés, je suis sûr que cer­tains apprécieront et que d’autres me maudiront.

La tabla­da 1957 — Mar­i­ano Mores y su Gran Orques­ta Pop­u­lar.

L’humour de Mar­i­ano Mores explose tout au long de cette ver­sion. Là encore, c’est encore un coup à se faire maudire par les danseurs, mais si vous avez envie de rigol­er, c’est à pré­conis­er.

La tabla­da 1957-03-29 — Orques­ta Héc­tor Varela. Varela est plus sérieux, mais sa ver­sion est égale­ment assez foi­son­nante. Décidé­ment, la tabla­da a don­né lieu à beau­coup de créa­tiv­ité.
La tabla­da 1962 — Orques­ta Rodol­fo Bia­gi.

On revient à des choses plus clas­siques avec Rodol­fo Bia­gi qui n’oublie pas de fleurir le tout de ses orne­ments au piano. À not­er le jeu des ban­donéons avec le piano et les vio­lons qui domi­nent le tout, insen­si­bles au stac­ca­to des col­lègues.

La tabla­da 1962-08-21 — Cuar­te­to Troi­lo-Grela.

Le duo Grela, Troi­lo est un plaisir raf­finé pour les oreilles. À écouter bien au chaud pour se laiss­er emporter par le dia­logue savoureux entre ces deux génies.

La tabla­da 1965-08-11 — Orques­ta Juan D’Arienzo.

La spa­tial­i­sa­tion stéréo­phonique est sans doute un peu exagérée, avec le ban­donéon à droite et les vio­lons à gauche. Beau­coup de DJ passent les titres en mono. C’est logique, car tout l’âge d’or et ce qui le précède est mono. Cepen­dant, pour les corti­nas et les enreg­istrements plus récents, le pas­sage en mono peut être une lim­i­ta­tion. Vous ne pour­rez pas vous en ren­dre compte ici, car pour pou­voir met­tre en ligne les extraits sonores, je dois les pass­er en mono (deux fois moins gros) en plus de les com­press­er au max­i­mum afin qu’ils ren­trent dans la lim­ite autorisée de taille. Mes morceaux orig­in­aux font autour de 50 Mo cha­cun. Pour revenir à la dif­fu­sion en stéréo, le DJ doit penser que les danseurs tour­nent autour de la piste et qu’un titre comme celui leur don­nera à enten­dre le ban­donéon dans une zone de la salle et les vio­lons dans une autre. Dans ce cas, il fau­dra lim­iter le panoramique en rap­prochant du cen­tre les deux canaux. Encore un truc que ne peu­vent pas faire les DJ qui se branchent sur l’entrée ligne où les deux canaux sont déjà regroupés et ne peu­vent donc pas être placés spa­tiale­ment de façon indi­vidu­elle (sans par­ler du fait que l’entrée ligne com­porte générale­ment moins de réglage de tonal­ité que les entrées prin­ci­pales).

La tabla­da 1966-03-10 — Orques­ta Florindo Sas­sone.

Une meilleure util­i­sa­tion de la spa­tial­i­sa­tion stéréo­phonique, mais ça reste du Sas­sone qui n’est donc pas très pas­sion­nant à écouter et encore moins à danser.

La tabla­da 1968 — Orques­ta Típi­ca Atilio Stam­pone.

Stam­pone a explosé la fron­tière entre la musique clas­sique et le tan­go avec cette ver­sion très, très orig­i­nale. J’adore et je la passe par­fois avant la milon­ga en musique d’ambiance, ça intrigue les pre­miers danseurs en attente du début de la milon­ga.

La tabla­da 1968-06-05 — Cuar­te­to Aníbal Troi­lo.

On ter­mine, car il faut bien une fin, avec Pichu­co et son cuar­te­to afin d’avoir une autre ver­sion de notre musi­cien du jour qui nous pro­pose la tabla­da.

Après ce menu musi­cal assez riche, je vous pro­pose un petit asa­do

L’asado

Je suis resté dis­cret sur le thème matadero évo­qué dans l’introduction. Matar en espag­nol est tuer (à ne pas con­fon­dre avec mate) qui est la bois­son nationale. Si vous écrivez « maté », vous voulez dire « tué ». Il ne faut donc surtout pas met­tre d’accent, même si ça prononce maté, ça s’écrit mate. L’accent tonique est sur le ma et pas sur le te. J’arrête de tourn­er autour du pot, le matadero, c’est l’abattoir.

À la fin du 16e siè­cle, Jean de Garay appor­ta 500 vach­es d’Europe (et bien sûr quelques tau­reaux). Ces ani­maux se plurent, l’herbe de la pam­pa était abon­dante et nour­ris­sante aus­si les bovins prospérèrent au point que deux siè­cles plus tard, Félix de Azara, un nat­u­ral­iste espag­nol con­statait que les criol­los ne con­som­maient que de la viande, sans pain.
Plus éton­nant, ils pou­vaient tuer une vache pour ne manger que la langue ou la par­tie qui les intéres­sait.
Puis, la coloni­sa­tion s’intensifiant, la viande est dev­enue la nour­ri­t­ure de tous, y com­pris des nou­veaux arrivants. Cer­taines par­ties délais­sées par la « cui­sine » tra­di­tion­nelle furent l’aubaine des plus pau­vres, mais cer­taines par­ties qui étaient très appré­ciées par les per­son­nes raf­finées et nég­ligées par les con­som­ma­teurs tra­di­tion­nels con­tin­u­ent à faire le bon­heur des com­merçants avisés qui répar­tis­sent les par­ties de l’animal selon les quartiers.
Le tra­vail du cuir est aus­si une ressource impor­tante de l’Argentine, mais dans cer­taines provinces, l’asado (la gril­lade) se fait avec la peau et dans ce cas, le cuir est per­du. C’est un reste de l’habitude de tuer une vache pour n’utiliser que la por­tion néces­saire à un moment don­né.
Les Argentins con­som­ment un kilo de viande et par per­son­ne chaque semaine. Je devrais écrire qui con­som­maient, car depuis l’arrivée du nou­veau gou­verne­ment en Argen­tine, le prix de la viande a triplé et la con­som­ma­tion a forte­ment bais­sée en quan­tité (de l’ordre de 700 grammes par semaine et surtout en qual­ité, les vian­des les moins nobles étant désor­mais plus recher­chées, car moins chères).

Asa­do a la esta­ca (sur des pieux) — Asa­do con cuero (avec la peau de l’animal) Asa­do dans un restau­rant, les chaînes per­me­t­tent de régler la hau­teur des dif­férentes grilles — asa­do famil­iar.

Tira de asa­do
La viande est attachée à l’os. C’est assez spec­tac­u­laire et plein d’os que cer­tains enlèvent avec leur couteau ou en cro­quant entre les restes de côtes.

Vacio (Vide)
Un morceau de choix, sans os, ten­dre et à odeur forte. IL se cuit lente­ment à feu indi­rect.

Matam­bre
Entre la peau et les os, le matam­bre est recher­ché. Il est égale­ment util­isé roulé, avec un rem­plis­sage entre chaque couche. Une fois découpé en ron­delle, comme une bûche de Noël, c’est très joli. Le rem­plis­sage peut être des œufs durs, des légumes ou autres.

Col­i­ta de cuadril
Par­tie de l’aloyau (croupe) proche de la queue, d’où le nom.

Entraña
Par­tie intérieure des côtes de veaux.

Bife de chori­zo
Bifteck de chori­zo, un steack à ne pas con­fon­dre avec la saucisse espag­nole de ce nom.

Bife Ancho
Un steack large, épais avec graisse.

Bife angos­to
Le con­traire du précé­dent, plus fin.

Lomo
La longe, une pièce de viande peu grasse.

Palomi­ta
Une coupe par­mi tant d’autres. J’imagine que cer­tains y voient une colombe, mais c’est bien du bœuf.

Picaña
Arrière de la longe de bœuf de forme tri­an­gu­laire.

Achuras
Ce sont les abats.
Ils sont présen­tés en tripes, chori­zos, boudins, ris de veau, rognons et autres.
Ils ne font pas l’unanimité chez les Argentins, mais un asa­do sans achuras, ce n’est pas un asa­do pour beau­coup.

Bon­di­o­la
Le porc passe aus­si un sale moment sur la par­il­la.
Beau­coup la man­gent en sand­wich dans du pain français (rien à voir avec le pain de France). Le pain peut être chauf­fé sur la par­il­la.

Pechi­to de cer­do
La poitrine de porc fait aus­si par­tie des morceaux de choix de l’asado. Elle est con­sid­érée ici comme une viande plus saine (comme quoi tout est relatif).

Des légumes, poivrons, aubergines peu­vent rejoin­dre l’asado, mais ce ne sera pas le met préféré des Argentins, même si on y fait cuire un œuf afin de ne pas man­quer de pro­téines…

Le tra­vail de l’asador

C’est la per­son­ne qui pré­pare l’asado. Son tra­vail peut paraître sim­ple, mais ce n’est pas le cas.
Il faut pré­par­er les morceaux, par­fois les condi­menter (mod­éré­ment) et la cuis­son est tout un art. Une fois que le bois ou le char­bon de bois sont prêts, il faut régler la hau­teur de la grille afin que la viande cuise douce­ment et longue­ment et de façon adap­tée selon les pièces qui se trou­vent aux dif­férents endroits de la grille.
Beau­coup d’Argentins aiment la viande bien cuite, les steaks tartares sont une idée qui n’est pas dans le vent ici. D’autres l’aiment à point et la bonne viande se coupe à la cuil­lère, voire avec le manche de la cuil­lère.
Hors de l’Argentine, il est assez dif­fi­cile de con­va­in­cre un bouch­er de découper la viande à l’Argentine, à moins de bien lui expli­quer et d’acheter 40 kilos d’un coup. Il vous fau­dra donc aller en Argen­tine ou dans un restau­rant argentin qui s’approvisionne bien sou­vent en bœuf de l’Aubrac (France).
La cou­tume veut qu’on applaud­isse l’asador qui a passé des heures à faire cuire amoureuse­ment les ani­maux.
L’Argentine n’est pas le par­adis des végé­tariens, d’autant plus que les légumes sont sou­vent plus chers que la viande (même si en ce moment, c’est moins le cas). Il faut compter entre 4 et 10 $ le kilo, voire moins si vous achetez de gross­es quan­tités, si vous payez en liq­uide, si vous avez la carte de telle ou telle banque… L’Argentine four­mille d’astuces pour pay­er un peu moins cher.
Ne sortez pas l’American Express ici son slo­gan est plutôt « ne sortez pas avec elle » si vous ne voulez pas pay­er plus cher.
En ce qui con­cerne les autres pro­duits d’origine ani­male, le lait et les pro­duits laitiers ne sont pas les grands favoris et le pois­son coûte le même prix qu’en Europe et par con­séquent est hors de prix pour la majorité des Argentins, sauf peut-être le mer­lu que l’on peut trou­ver à moins de 10 $ con­tre 30 ou 40 $ le saumon (d’élevage, con­gelé et à la chair très pâle et grasse).
Bon, je me suis un peu échap­pé du domaine du tan­go, mais n’étant pas ama­teur de viande, il me fal­lait faire une forme de cathar­sis…

À demain, les amis !

Selección de tangos de Julio de Caro 1949-07-22 — Orquesta Aníbal Troilo

Julio De Caro – Aníbal Troilo

Hier, je vous ai pro­posé un titre « pop­urrí ». C’est-à-dire qu’il était con­sti­tué par l’assemblage de plusieurs tan­gos. Cet exer­ci­ce est pra­tiqué par dif­férents orchestres. Troi­lo en a fait plusieurs. Notre pot-pour­ri du jour s’appelle Selec­ción de tan­gos de Julio de Caro, il est con­sti­tué de sept com­po­si­tions de… Julio de Caro, bra­vo, vous avez dev­iné.

Extrait musical

Selec­ción de tan­gos de Julio de Caro 1949-07-22 — Orques­ta Aníbal Troi­lo.

Avez-vous recon­nu tous les thèmes présen­tés ?

Voici les titres sur des par­ti­tions qui sont bien sûr toutes des com­po­si­tions de Julio de Caro. Elles datent des années 20 du vingtième siè­cle.

Selec­ción de tan­gos de Julio de Caro. Les cou­ver­tures des par­ti­tions des com­po­si­tions de De Caro util­isé dans cette sélec­tion.

Les pièces du puzzle

Voici toutes les pièces, dans l’ordre. Le tan­go du jour a été enreg­istré en 1949. Ani­bal Troi­lo avait donc comme mod­èles, les ver­sions antérieures, mais n’oublions pas que ce n’est pas parce qu’il n’y a pas d’enregistrement que les orchestres ne jouaient pas leurs titres. Troi­lo peut très bien avoir enten­du jouer Julio de Caro au moment où il assem­blait le pot-pour­ri. Il avait donc des références qui ne nous sont plus acces­si­bles.

Buen Amigo

Buen ami­go 1925-05-12 — Orques­ta Julio De Caro
Buen ami­go 1930-02-26 – Orques­ta Julio De Caro
Buen ami­go 1942-09-16 – Orques­ta Julio De Caro con Agustín Volpe
Buen ami­go 1950-12-18 – Orques­ta Julio De Caro con Orlan­do Ver­ri

Mala pinta

Mala pin­ta (Mala estam­pa) 1928-08-27 – Orques­ta Julio De Caro
Mala pin­ta (Mala estam­pa) 1951-11-16 – Orques­ta Julio De Caro

Guarda vieja

Guardia vie­ja 1926-10-06 — Orques­ta Julio De Caro
Guardia vie­ja 1943-09-07 — Orques­ta Julio De Caro
Guardia vie­ja 1949-11-18 — Orques­ta Julio De Caro

Boedo

Boe­do 1928-11-16 – Orques­ta Julio De Caro
Boe­do 1939-07-07 – Orques­ta Julio De Caro con pal­abras de Héc­tor Far­rel
Boe­do 1950-08-09 – Orques­ta Julio De Caro
Boe­do 1952-09-17 — Orques­ta Julio De Caro. J’aime beau­coup le début, mais par la suite, je trou­ve que ça fait un peu fouil­lis. Ce n’est pas pour la danse, alors je vous laisse au plaisir d’écouter ou d’écourter.

Tierra querida

Tier­ra queri­da 1927-09-12 – Orques­ta Julio De Caro
Tier­ra queri­da 1936-12-15 – Quin­te­to Los Vir­tu­osos Fran­cis­co De Caro (piano), Pedro Maf­fia et Ciri­a­co Ortiz (ban­donéon), Julio De Caro (vio­lon à cor­net), Elvi­no Var­daro (vio­lon). Si Elvi­no Vara­do mérite l’épithète de vir­tu­ose, c’est un peu moins le cas pour Julio de Caro et son vio­lon par­ti­c­uli­er (avec un cor­net).
Tier­ra queri­da 1952-11-27 — Orques­ta Julio De Caro

El monito

Je vous pro­pose de vous reporter à l’anecdote sur El moni­to pour en savoir plus sur ce titre.

El moni­to 1925-07-23 — Orques­ta Julio De Caro. On notera les par­ties sif­flées.
El moni­to 1928-07-19 — Julio De Caro y su Orques­ta Típi­ca.
El moni­to 1939-05-23 — Orques­ta Julio De Caro. Une ver­sion énergique. On retrou­ve les sif­fle­ments et appa­raît un dia­logue “Raah­h­hh, Moni­to / Si / Quieres Café? / No / Por qué?”. C’est sans doute un sou­venir du tan­go humoris­tique. On imag­ine que les clients devaient s’amuser lorsque l’orchestre évo­quait le titre. Peut-être que l’idée vient d’un client imi­tant le singe et que cette scénette impro­visée au départ s’est invitée dans la presta­tion de l’orchestre.
El moni­to 1949-09-29 — Orques­ta Julio De Caro. Une dizaine d’années plus tard, De Caro nous offre une nou­velle ver­sion superbe. Les simil­i­tudes avec Pugliese sont encore plus mar­quées, notam­ment avec le tem­po net­te­ment plus lent et proche de celui de Pugliese. On retrou­ve toute­fois le dia­logue de la ver­sion de 1939, dans une ver­sion un plus large. “Ah, ah ah, Moni­to / Si / Quieres Café? / No / Por qué? / Quiero carame­lo” (je veux un bon­bon). Avec ces dia­logues imi­tant la « voix » d’un singe, De Caro s’éloigne des paroles de Juan Car­los Maram­bio Catán en renouant avec le côté tan­go humoris­tique. Mais tous les orchestres se sont éloignés des paroles, du moins pour l’enregistrement, car toutes les ver­sions disponibles aujourd’hui sont instru­men­tales (si on excepte Rober­to Díaz).
Ce qui est sûr est que cette ver­sion con­vient par­faite­ment à la danse, ce qui fait men­tir ceux qui classe De Caro dans le défini­tive­ment indans­able.

Mala junta

Mala jun­ta 1927-09-13 – Orques­ta Julio De Caro
Mala jun­ta 1938-11-16 – Orques­ta Julio De Caro
Mala jun­ta 1949-10-10 – Orques­ta Julio De Caro

Assembler le puzzle

Il y a des pots-pour­ris beau­coup plus sim­ples à repér­er que celui-ci. Troi­lo a fait œuvre de créa­tion avec des ponts (tran­si­tion entre les dif­férentes pièces du puz­zle) rel­a­tive­ment élaborés et en sélec­tion­nant des par­ties pas for­cé­ment prin­ci­pales des œuvres citées.
Vous devriez arriv­er à résoudre le puz­zle en véri­fi­ant les ver­sions des titres que vous con­nais­sez moins bien (De Caro ne passe qua­si­ment jamais en milon­ga, mais ses com­po­si­tions, si). Indice, par­fois, c’est la par­tie chan­tée qui est util­isée. Par­fois, c’est une ver­sion plus anci­enne qu’il faut pren­dre comme référence et dans quelques cas, une ver­sion postérieure, ce qui con­firme que Troi­lo con­nais­sait l’état des inter­pré­ta­tions de De Caro à l’époque, même si elles n’ont pas été enreg­istrées. Il se peut aus­si que De Caro ait copié en reprenant les idées de Troi­lo. C’est le principe de l’émulation entre deux grands musi­ciens qui se respec­taient.
On peut le véri­fi­er en con­statant que Troi­lo a réal­isé ces hom­mages à De Caro (les sélec­tions) et que De Caro a com­posé « Aníbal Troi­lo » qu’il a d’ailleurs été le seul à enreg­istr­er.

Aníbal Troi­lo 1949-09-29 — Orques­ta Julio De Caro.

Autres versions

Ani­bal Troi­lo a réal­isé plusieurs pop­urri (Selec­ción). Une seule utilise les mêmes titres, la ver­sion de 1966. Vous allez pou­voir com­par­er les deux ver­sions.

Selec­ción de tan­gos de Julio de Caro 1949-07-22 — Orques­ta Aníbal Troi­lo. C’est notre tan­go, ou notre paquet de tan­gos du jour.
Selec­ción de Julio de Caro 1966-12-06 — Orques­ta Aníbal Troi­lo.

À demain, les amis !

Alma de bohemio 1943-07-15 — Orquesta Pedro Laurenz con Alberto Podestá

Roberto Firpo Letra: Juan Andrés Caruso

La con­nex­ion du monde du tan­go avec le théâtre, puis le ciné­ma a tou­jours été naturelle. Le tan­go du jour, Alma de bohemio est un par­fait exem­ple de ce phénomène. Il a été créé pour le théâtre et a été repris à au moins deux repris­es par le ciné­ma. Devenu le morceau de choix de notre chanteur du jour, il réson­nera ensuite sur les grandes scènes où Alber­to Podestá l’offrait à son pub­lic. Je suis sûr que cer­tains ver­sions vont vous éton­ner, et pas qu’un peu…

Extrait musical

Alma de bohemio. Rober­to Fir­po Letra:Juan Andrés Caru­so. Par­ti­tion et à droite réédi­tion de 1966 de notre tan­go du jour sur un disque 33 tours.

À gauche, la par­ti­tion dédi­cacée à l’acteur Flo­ren­cio Par­ravici­ni qui jouait la pièce dont Alma de bohemio était le titre final. L’œuvre a été étren­née en 1914 au Teatro Argenti­no de Buenos Aires. On notera que la cou­ver­ture de la par­ti­tion porte la men­tion Tan­go de concier­to. Les auteurs ont donc conçu ce tan­go comme une pièce à écouter, ce qui est logique, vu son usage. On notera que ce même tan­go a été réu­til­isé au ciné­ma à au moins deux repris­es, en 1933 et en 1944, nous en par­lerons plus bas.
À droite, la réédi­tion en disque microsil­lon de 1966 de notre tan­go du jour. Alma de bohemio est le pre­mier titre de la face A et a don­né son nom à l’album.

Alma de bohemio 1943-07-15 — Orques­ta Pedro Lau­renz con Alber­to Podestá.

Paroles

Pere­gri­no y soñador,
can­tar
quiero mi fan­tasía
y la loca poesía
que hay en mi corazón,
y lleno de amor y de ale­gría,
vol­caré mi can­ción.

Siem­pre sen­tí
la dulce ilusión,
de estar vivien­do
mi pasión.

Si es que vivo lo que sueño,
yo sueño todo lo que can­to,
por eso mi encan­to
es el amor.
Mi pobre alma de bohemio
quiere acari­ciar
y como una flor
per­fumar.

Y en mis noches de dolor,
a hablar
me voy con las estrel­las
y las cosas más bel­las,
despier­to he de soñar,
porque le con­fío a ellas
toda mi sed de amar.

Siem­pre sen­tí
la dulce ilusión,
de estar vivien­do
mi pasión.

Yo bus­co en los ojos celestes
y rene­gri­das cabelleras,
pasiones sin­ceras,
dulce emo­ción.
Y en mi triste vida errante
llena de ilusión,
quiero dar todo
mi corazón.

Rober­to Fir­po Letra: Juan Andrés Caru­so

Traduction libre

Pèlerin et rêveur, je veux chanter ma fan­taisie et la folle poésie qui est dans mon cœur, et plein d’amour et de joie, je déverserai ma chan­son.
J’ai tou­jours ressen­ti la douce sen­sa­tion de vivre ma pas­sion.
Si je vis ce dont je rêve, je rêve tout ce que je chante, c’est pourquoi mon charme c’est l’amour.
Ma pau­vre âme de bohème veut caress­er et par­fumer comme une fleur.
Et dans mes nuits de douleur, je vais par­ler avec les étoiles et les choses les plus belles, il faut rêver éveil­lé, car je leur con­fie toute ma soif d’amour.
J’ai tou­jours ressen­ti la douce sen­sa­tion de vivre ma pas­sion.
Je recherche dans les yeux bleus (couleur du ciel et du dra­peau argentin) et les chevelures noir obscur des pas­sions sincères, une douce émo­tion.
Et dans ma triste vie errante et pleine d’illusions, je veux don­ner tout mon cœur.

Autres versions

Alma de bohemio 1914 — Orques­ta Argenti­na Rober­to Fir­po.

Le tan­go, tel qu’il était joué dans la pièce orig­i­nale, par Fir­po, c’est-à-dire sans parole. Ces dernières n’ont été écrites par Caru­so qu’une dizaine d’années plus tard.

Alma de bohemio 1925-12-16 — Orques­ta Julio De Caro.

Là où il y a de la recherche d’originalité, De Caro s’y intéresse.

Alma de bohemio 1925 — Igna­cio Corsi­ni.

La plus anci­enne ver­sion chan­tée avec les paroles de Caru­so. Il est assez logique que Corsi­ni soit le pre­mier à l’avoir chan­té, car il était à la fois proche de Fir­po avec qui il a enreg­istré Patotero sen­ti­men­tal en 1922 et de Caru­so dont il a enreg­istré de nom­breux titres. Il était donc à la croisée des chemins pour enreg­istr­er le pre­mier.

Séance d’enregistrement d’Ignacio Corsi­ni (debout) avec, de gauche à droite, ses gui­taristes Rosendo Pesoa, Enrique Maciel et Arman­do Pagés. La pho­to date prob­a­ble­ment des années 30, elle est donc moins anci­enne que l’enregistrement présen­té.
Alma de bohemio 1927-04-26 — Orques­ta Osval­do Frese­do.

Une belle ver­sion instru­men­tale, rel­a­tive­ment éton­nante pour l’époque.

Alma de bohemio 1927-05-05 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Une ver­sion typ­ique de Canaro. On ver­ra qu’il l’enregistrera à d’autres repris­es.

Alma de bohemio 1927-07-26 — Orques­ta Rober­to Fir­po.

Treize ans plus tard, Rober­to Fir­po redonne vie à son titre, tou­jours de façon instru­men­tale.

Alma de bohemio 1929-05-18 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor.

Deux ans plus tard, la Típi­ca Vic­tor, dirigée par Adol­fo Cara­bel­li donne sa pro­pre ver­sion égale­ment instru­men­tale.

Alma de bohemio 1929-09-19 — Ada Fal­cón con acomp. de Fran­cis­co Canaro.

Ada Fal­cón avec sa voix d’une grande pureté en donne une ver­sion mag­nifique accom­pa­g­née par son cher Canaro. On notera les notes tenues, un temps impres­sion­nant, plus que ce qu’en avait don­né Corsi­ni. Dis­ons que Fal­cón lancera la course à la note tenue le plus longtemps pos­si­ble.

Le suc­cès de Corsi­ni avec les paroles de Caru­so va per­me­t­tre au titre de retourn­er dans le spec­ta­cle avec le pre­mier film par­lant argentin, Tan­go réal­isé par Luis Moglia Barth et sor­ti en 1933.

1933 Tan­go – Alma de Bohemio par Alber­to Gómez dans le film de Luis Moglia Barth, Tan­go sor­ti le 27 avril 1933.

Alber­to Gómez suiv­ra donc égale­ment les traces de Fal­cón avec de belles notes tenues.

Alma de bohemio 1930-09-05 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Fran­cis­co Canaro reste sur la voie du tan­go de concier­to avec une ver­sion très éton­nante et qui fait l’impasse sur les notes très longue­ment tenues. Je pense qu’il faut associ­er cette inter­pré­ta­tion aux recherch­es de Canaro en direc­tion du tan­go fan­ta­sia ou sym­phonique. Pour moi, il n’est pas ques­tion de pro­pos­er cela à des danseurs, mais je trou­ve cette œuvre cap­ti­vante et je suis con­tent de vous la faire décou­vrir (enfin, à ceux qui ne con­nais­saient pas).

Alma de bohemio 1935-01-23 — Trío Ciri­a­co Ortiz.

Le Trío Ciri­a­co Ortiz offre lui aus­si une ver­sion très sophis­tiquée et sur­prenante de l’œuvre. C’est bien sûr plus léger que ce qu’a fait Canaro cinq ans plus tôt, mais c’est un trio, pas une grosse machine comme celle de Canaro.

Alma de bohemio 1939-03-24 — Orques­ta Rodol­fo Bia­gi con Teó­fi­lo Ibáñez.

On peut au moins apporter au crédit de Bia­gi qu’il a essayé de faire la pre­mière ver­sion de danse. Cette ver­sion est à l’opposé de tout ce qu’on a enten­du. Le rythme soutenu et martelé est presque car­i­cat­ur­al. J’ai du mal à con­sid­ér­er cela comme joli et même si c’est éventuelle­ment dans­able, ce n’est pas la ver­sion que je passerais en milon­ga.

Alma de bohemio 1943-07-15 — Orques­ta Pedro Lau­renz con Alber­to Podestá. C’est notre tan­go du jour.

Avec cette ver­sion mise au point par Pedro Lau­renz, un immense chef d’orchestre ayant trop peu enreg­istré à mon goût, on a une bonne syn­thèse d’une ver­sion pour la danse et à écouter. Alber­to Podestá gagne claire­ment le con­cours de la note tenue la plus longue. Il sur­passe Fal­cón, Gómez et en 1949, Castil­lo ne fera pas mieux…

Alma de bohemio 1946-11-13 — Orques­ta Franci­ni-Pon­tier con Alber­to Podestá.

Alber­to Podestá s’attaque à son record de la note tenue la plus longue et je crois qu’il l’a bat­tu avec cette ver­sion. Cela con­stitue une alter­na­tive avec la ver­sion de Lau­renz.

Alma de bohemio 1947-04-02 — Orques­ta Ricar­do Tan­turi con Osval­do Ribó.

Alma de bohemio 1947-04-02 — Orques­ta Ricar­do Tan­turi con Osval­do Ribó. Avec cet enreg­istrement, Osval­do Ribó prou­ve qu’il ne manque pas d’air, lui non plus…

Alma de bohemio 1947-05-21 — Rober­to Fir­po y su Nue­vo Cuar­te­to.

Tiens, une ver­sion instru­men­tale. Fir­po ten­terait-il de tem­pér­er les ardeurs des chanteurs gon­flés ?

Alma de bohemio 1947-06-10 — Orques­ta Ángel D’Agostino con Tino Gar­cía.

La ten­ta­tive de Fir­po ne sem­ble pas avoir réus­si, Tino Gar­cía explose les comp­teurs avec cette ver­sion servie par le tem­po mod­éré de D’Agostino.

Voici Alber­to Castil­lo, pour la sec­onde ver­sion ciné­matographique de Alma de Bohemio, dans un film qui porte le nom de ce tan­go.

Alber­to Castil­lo chante Alma de bohemio (dans la sec­onde par­tie de cet extrait, à par­tir de 3 min­utes) dans le film réal­isé par Julio Saraceni (1949)

Alber­to Castil­lo chante Alma de bohemio (dans la sec­onde par­tie de cet extrait) dans le film réal­isé par Julio Saraceni à par­tir d’un scé­nario de Rodol­fo Sci­ammarel­la et Car­los A. Petit. Le film est sor­ti le 24 août 1949. L’orchestre est dirigé par Eduar­do Rovi­ra ou Ángel Con­der­curi… L’enregistrement a été réal­isé le 6 mai 1949.
Castil­lo ne dépasse pas Podestá dans le con­cours de la note tenue la plus longue, mais il se débrouille bien dans cet exer­ci­ce.

Fidel Pin­tos (à gauche) et Alber­to Castil­lo dans le film de Julio Saraceni Alma de bohemio (1949).
Alma de bohemio 1951-07-17 — Juan Cam­bareri y su Cuar­te­to Típi­co con Alber­to Casares.

Alber­to Casares fait dur­er de façon mod­érée les notes, l’originalité prin­ci­pale de cette ver­sion est l’orchestration déli­rante de Cam­bareri, avec ses traits vir­tu­os­es et d’autres élé­ments qui don­nent le sourire, à l’écoute, pour la danse, cela reste à prou­ver… Sig­nalons qu’une ver­sion avec le chanteur Hec­tor Berar­di cir­cule. Berar­di a en effet rem­placé Casares à par­tir de 1955, mais cette ver­sion est un faux. C’est celle de Casares dont on a sup­primé les pre­mières notes de l’introduction. Les édi­teurs ne recu­lent devant aucune manœu­vre pour ven­dre deux fois la même chose…

Alma de bohemio 1958-12-10 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Une ver­sion bien dif­férente et qui mar­que la maîtrise créa­tive de Pugliese. Sou­venons-nous tout de même que d’autres orchestres, y com­pris Canaro s’étaient ori­en­tés vers des ver­sions sophis­tiquées.

Alma de bohemio 1958 — Argenti­no Galván.

La ver­sion la plus courte (37 sec­on­des), extraite du disque de Argenti­no Galván que je vous ai déjà présen­té His­to­ria de la orques­ta tipi­ca.

Alma de bohemio 1959-04-29 — Quin­te­to Pir­in­cho dir. Fran­cis­co Canaro.

À la tête de son Quin­te­to Pir­in­cho, Fran­cis­co Canaro, donne une nou­velle ver­sion de l’œuvre. Rien qu’avec ses ver­sions on croise une grande diver­sité d’interprétations. De la ver­sion de 1927, canyengue, l’émouvante ver­sion avec Ada Fal­cón, celle de 1930, éton­nam­ment mod­erne et finale­ment celle-ci, légère et rel­a­tive­ment dansante. Il y a du choix chez Mon­sieur Canaro.

Alma de bohemio 1965-12-10 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Nel­ly Vázquez.

Nel­ly Vázquez prou­ve que les femmes ont aus­si du cof­fre. L’orchestre d’Aníbal Troi­lo est ici au ser­vice de la chanteuse, il ne pro­pose pas une ver­sion révo­lu­tion­naire qui aurait nuit à l’écoute de Nel­ly Vázquez. Cette inté­gra­tion fait que c’est une ver­sion superbe, à écouter les yeux fer­més.

Alma de bohemio 1967 — Astor Piaz­zol­la y su Orques­ta.

Piaz­zol­la pro­pose sans doute la ver­sion la plus éton­nante. Le chœur de voix féminines sera sans doute une sur­prise pour beau­coup. L’atmosphère inquiète avec les grands coups de cordes tran­chants, moins, car ils font par­tie du vocab­u­laire usuel d’Astor. Le thème orig­i­nal est trans­fig­uré, la plu­part du temps dif­fi­cile à retrou­ver, mais ce n’est pas un prob­lème, car il n’a servi que de pré­texte à Piaz­zol­la pour illu­min­er les nou­velles voies qu’il ouvrait dans le tan­go.

Il y a bien d’autres enreg­istrements, mais aucun ne me sem­blait pour­voir lut­ter con­tre cette ver­sion de Piaz­zol­la, aucun, peut-être pas, et je vous pro­pose de revenir à notre con­cours de la note tenue la plus longue et je pense que c’est un chanteur d’Opéra, un des plus grands chanteurs d’opéra du vingtième siè­cle, Plá­ci­do Domin­go qui nous l’offre. Écoutez comme, tran­quille­ment, il explose tous les comp­teurs avec une facil­ité appar­ente incroy­able.

Alma de bohemio 1981 — Plá­ci­do Domin­go — dir. y arr. Rober­to Pansera.

Impres­sion­nant, non ?

Vous en rede­man­dez, alors, je vous pro­pose une ver­sion un peu plus tar­dive (1987) où, en plus, il joue l’accompagnement au piano. Il défini­tive­ment meilleur chanteur que pianiste, mais quel artiste.

Alma de Bohemio 1987 — Plá­ci­do Domin­go (piano) — Avery Fish­er Hall (New York)

À demain, les amis !

En tus ojos de cielo 1944-07-10 — Orquesta Miguel Caló con Raúl Berón

Osmar Maderna (Osmar Héctor Maderna) Letra: Luis Rubistein

Curieuse­ment, Osmar Mader­na ne sem­ble pas avoir enreg­istré ce titre qu’il a com­posé. Pour­tant, dans la ver­sion de Caló, on recon­naît bien son orches­tra­tion. Si on creuse un peu la ques­tion, on se rend compte qu’il l’a enreg­istré, comme pianiste de Miguel Caló et entouré des musi­ciens excep­tion­nels de cet orchestre. Il était dif­fi­cile de faire mieux pour met­tre en musique un de plus beaux poèmes d’amour du tan­go.

Les musiciens de Miguel Caló

Piano : Osmar Mader­na. Son style déli­cat et sim­ple cadre par­faite­ment avec la mer­veilleuse déc­la­ra­tion d’amour que con­stitue ce tan­go. Le bon homme à la bonne place, d’autant plus qu’il est l’auteur de la musique…
Ban­donéons : Domin­go Fed­eri­co, Arman­do Pon­tier, José Cam­bareri (le mage du ban­donéon et sa vir­tu­osité épous­tou­flante) et Felipe Ric­cia­r­di.
Vio­lons : Enrique Franci­ni, Aquiles Aguilar, Ari­ol Ghe­saghi et Angel Bodas.
Con­tre­basse : Ariel Ped­ern­era, dont nous avons enten­du la ver­sion mutilée de 9 de Julio hier…

Extrait musical

En tus ojos de cielo 1944-07-10 — Orques­ta Miguel Caló con Raúl Berón
Disque Odeon 8390 Face A San souci — Par­ti­tion de En tus ojos de cielo — Face B En tus ojos de cielo.

Face A du disque San souci

Comme il n’y a pas d’autres enreg­istrements de notre tan­go du jour, je vous pro­pose la face A du disque où a été gravé En tus ojos de cielo. Il s’agit de San souci de Enrique Delfi­no. Ce titre a été enreg­istré trois jours plus tôt, le ven­dre­di 7 juil­let 1944.

Sans souci 1944-07-07 — Orques­ta Miguel Caló (Enrique Delfi­no).

Pour ceux qui aiment faire des tan­das mixtes, il est envis­age­able de pass­er les deux faces du disque dans la même tan­da. En effet, dans une milon­ga courte (5 heures), on passe rarement deux tan­das de Calo. Pour éviter d’avoir à choisir entre instru­men­tal et chan­té, on peut com­mencer par deux titres chan­tés, puis ter­min­er par deux titres instru­men­taux. Les titres instru­men­taux sont sou­vent un peu plus toniques ce qui jus­ti­fie de les plac­er à la fin. Par ailleurs, ils sont aus­si un peu plus intéres­sants pour la danse avec cer­tains orchestres, car l’orchestre est plus libre, n’é­tant pas au ser­vice du chanteur. Bien sûr, ce n’est pas une règle et chaque asso­ci­a­tion doit se faire en fonc­tion du moment et des danseurs. On peut même envis­ager une tan­da instru­men­tale tonique qui ter­mine de façon plus roman­tique, par exem­ple en fin de milon­ga.

Paroles

Je trou­ve que c’est un mag­nifique poème d’amour. Luis Rubis­tein a fait ici une œuvre splen­dide.

Como una piedra tira­da en el camino,
era mi vida, sin ter­nuras y sin fe,
pero una noche Dios te tra­jo a mi des­ti­no
y entonces con tu embru­jo me des­perté…
Eras un sueño de estrel­las y luceros,
eras un ángel con per­fume celes­tial.
Aho­ra sólo soy feliz porque te quiero
y en tus ojos olvidé mi viejo mal…

En tus ojos de cielo,
sueño un mun­do mejor.
En tus ojos de cielo
que son mi desvelo,
mi pena y mi amor.
En tus ojos de cielo,
azu­la­da can­ción,
ten­go mi alma per­di­da,
pupi­las dormi­das
en mi corazón…

Vos dijiste que, al fin, la vida es bue­na
cuan­do un car­iño nos embru­ja el corazón,
con tu ter­nu­ra, luz de som­bra para mi pena,
mi som­bra ya no es som­bra porque es can­ción…
Sólo me res­ta decir ¡ben­di­ta seas!,
alma de mi alma, esper­an­za y real­i­dad.
Ya nun­ca ha de arran­car­me de tus bra­zos,
porque en ellos hay amor, luz y ver­dad…

Osmar Mader­na (Osmar Héc­tor Mader­na) Letra: Luis Rubis­tein

Traduction libre

Comme une pierre jetée sur le chemin était ma vie, sans ten­dresse et sans foi, mais une nuit Dieu t’a con­duite à mon des­tin et depuis avec ton sor­tilège je me suis réveil­lé…
Tu étais un rêve d’é­toiles et d’astres (lucero peut par­ler de Vénus et des astres plus bril­lants que la moyenne), tu étais un ange au par­fum céleste.
Main­tenant seule­ment, je suis heureux parce que je t’aime et que dans tes yeux j’ai oublié mon ancien mal…
Dans tes yeux de ciel, je rêve d’un monde meilleur.
Dans tes yeux de ciel, qui sont mes insom­nies, ma peine et mon amour.
Dans tes yeux de ciel, une chan­son bleue, j’ai mon âme per­due, des pupilles endormies dans mon cœur…
Tu as dit que, finale­ment, la vie est bonne quand l’af­fec­tion envoûte nos cœurs, avec ta ten­dresse, lumière d’om­bre pour mon cha­grin, mon ombre désor­mais n’est plus une ombre, car c’est une chan­son…
Il ne me reste plus qu’à dire « que tu sois bénie ! », âme de mon âme, espérance et réal­ité.
Main­tenant, rien ne m’ar­rachera jamais de tes bras, parce qu’en eux il y a l’amour, la lumière et la vérité…

Dans ses yeux

Les yeux bleus

Les yeux des femmes sont un sujet de choix pour les tan­gos. Ici, ils sont le par­adis pour l’homme qui s’y abîme.
On retrou­ve le même thème chez Fran­cis­co Bohi­gas dans El cielo en tus ojos

El cielo en tus ojos
yo vi ama­da mía,
y des­de ese día
en tu amor con­fié,
el cielo en tus ojos
me habló de ale­grías,
me habló de ter­nuras
me dió valen­tías,
el cielo en tus ojos
rehi­zo mi ser.

Fran­cis­co Bohi­gas, El cielo en tus ojos
El cielo en tus ojos 1941-10-03 — Orques­ta Car­los Di Sar­li con Rober­to Rufi­no.

Le ciel dans tes yeux, je l’ai vu ma bien-aimée, et à par­tir de ce jour-là j’ai fait con­fi­ance en ton amour, le ciel dans tes yeux m’a par­lé de joie, il m’a par­lé de ten­dresse, il m’a don­né du courage, le ciel dans tes yeux a refait mon être.

Pour d’autres, comme Home­ro Expósi­to, les yeux fussent-il couleur de ciel, ne suff­isent pas à le retenir auprès de la femme :

Eran sus ojos de cielo
el ancla más lin­da
que ata­ba mis sueños;
era mi amor, pero un día
se fue de mis cosas
y entró a ser recuer­do.

Qué me van a hablar de amorHome­ro Expósi­to
Qué me van a hablar de amor 1946-07-11 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Flo­re­al Ruiz

Ses yeux de ciel étaient l’ancre la plus belle qui liait mes rêves ; elle était mon amour, mais un jour, elle s’en fut de mes affaires et est dev­enue un sou­venir.

Les autres couleurs d’yeux et en particulier les noirs

Je n’ai évo­qué que très briève­ment, les yeux bleus, couleur apportée par les colons européens, notam­ment Ital­iens, Français et d’Europe de l’Est, mais il y a des textes sur toutes les couleurs, même si les yeux noirs sont sans doute majori­taires…

  • Tus ojos de tri­go (blé) dans Tu casa ya no está de Vir­gilio et son frère Home­ro Expósi­to, valse enreg­istrée par Osval­do Pugliese avec Rober­to Chanel en 1944.
  • Ojos verdes (tan­go par Juan Canaro) et vals par Hum­ber­to Canaro Letra: Alfre­do Defilpo (superbe dans son inter­pré­ta­tion par Fran­cis­co Canaro et Fran­cis­co Amor, ain­si qu’une autre valse par Manuel López, Quiroga Miquel Letra: Sal­vador Fed­eri­co Valverde; Rafael de León; Arias de Saave­dra.
  • Tus ojos de azú­car que­ma­da (sucre brûlé) de Pedac­i­to de Cielo de Home­ro Expósi­to, valse enreg­istrée par divers orchestres dont Troi­lo avec Fiorenti­no en 1942.
    Et la longue liste des yeux noirs, rien que dans le titre…
  • Dos ojos negros de Raúl Joaquín de los Hoyos Letra: Diego Arzeno
    Ojos negros d’après un air russe repris par Vicente Gre­co et des paroles de José Aro­las (frère aîné de Eduar­do) et d’autres de Pedro Numa Cór­do­ba, mais aus­si par Rosi­ta Mon­temar (musique et paroles)
  • Ojos negros que fasci­nan de Manuel Sali­na Letra: Florián Rey.
  • Mucha­chi­ta de ojos negro de Tito Insausti
  • Por unos ojos negros de José Dames Letra: Hora­cio San­guinet­ti.
  • Tus ojos negros (valse) de Osval­do Adri­ani (paroli­er incon­nu)
  • Yo ven­do unos ojos negros de Pablo Ara Luce­na très con­nu dans l’interprétation de Mer­cedes Simone con Juan Car­los Cam­bon y Su Orques­ta mais qui est tiré d’une tona­da chile­na (chan­son chili­enne) dont une belle ver­sion a été enreg­istrée par Moreyra — Canale y su Con­jun­to Criol­lo avec des arrange­ments de Félix Vil­la.

Et un petit coup d’œil aux origines du tango

Ces his­toires d’yeux m’ont fait penser à l’œil noir de Car­men, la reine de la habanera de Georges Bizet (Un œil noir te regarde…).
Mais non, je ne me suis pas per­du loin du tan­go. Bizet a écrit Car­men pour flat­ter la femme de Napoléon III d’origine espag­nole (Euge­nia de Mon­ti­jo, Guz­man). Dans son opéra, il y a une célèbre habanera (Près des rem­parts de Séville), rythme qui est fréquent dans les anciens tan­gos, les milon­gas et la musique de Piaz­zol­la, car ne l’oublions pas, le pre­mier tan­go est d’origine espag­nole.

Georges Bizet — Car­men : ” L’amour est un oiseau rebelle” sur un rythme de habanera. 2010 — Eli­na Garan­ca — Met­ro­pol­i­tan Opera de New York Direc­tion, Yan­nick Nézet-Séguin.

Le tan­go est en effet né dans les théâtres et pas dans les bor­dels et son inspi­ra­tion est andalouse.
La zarzuela (sorte d’opéra du sud de l’Espagne mêlant chant, jeu d’acteur et danse) com­por­tait dif­férents rythmes dont la séguedille (que l’on retrou­ve dans Car­men dans Près des rem­parts de Séville) et la habanera. Les musi­ciens, qu’ils soient français ou espag­nols, con­nais­saient donc ces musiques.
En 1857 pour le spec­ta­cle (une sorte de zarzuela) El gau­cho de Buenos Aires O todos rabi­an por casarse de Estanis­lao del Cam­po, San­ti­a­go Ramos, un musi­cien espag­nol a écrit Tomá mate, che. Nous n’avons évidem­ment pas d’enregistrement de l’époque, mais il y en a deux de 1951 qui repren­nent la musique avec des adap­ta­tions et un titre légère­ment dif­férent. Je vous les pro­pose :

Tomá mate, tomá mate 1951-05-18 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Alber­to Are­nas.
Tomá mate, tomá mate 1951-10-15 — Loren­zo Bar­bero y su orques­ta de la argen­tinidad con Rodol­fo Flo­rio y Car­los del Monte.

Évidem­ment, presque un siè­cle après l’écriture, il est cer­tain que les arrange­ments de Canaro ont mod­i­fié la com­po­si­tion orig­i­nale, mais je suis con­tent de vous avoir présen­té le tan­go au berceau.

D’autres can­di­dats comme Bar­to­lo tenía una flu­ta, dont on n’a, sem­ble-t-il, pas de trace, mais qui est évo­qué dans un cer­tain nom­bre de titres comme Bar­to­lo toca la flau­ta (ranchera) Che Bar­to­lo (tan­go) ou La flau­ta de Bar­to­lo (milon­ga) l’ont suivi.
Je cit­erai égale­ment El que­co (bor­del en lun­far­do d’o­rig­ine quechua) de la pianiste andalouse Heloise de Sil­va et dont le titre orig­inel était Kico (diminu­tif de Fran­cis­co. Le clar­inet­tiste Lino Galeano l’a adap­té à l’air du temps en changeant Kico pour Que­co, avec des paroles vul­gaires. Le titre orig­inel invi­tait Kico à danser, le nou­veau texte est bien moins élé­gant, l’invitation n’est pas à danser. On arrive donc au bor­del, mais on est en 1874. Quoi qu’il en soit, Que­co a obtenu du suc­cès et fut l’un des tout pre­miers tan­gos à être large­ment dif­fusé et qui con­firme les orig­ines andalous­es du tan­go.
Je n’oublie pas l’origine « can­dom­béenne », on repar­lera un jour de El Negro Schico­ba com­posé en 1866 par José María Palazue­los et inter­prété pour la pre­mière fois par Ger­mán Mack­ay avec ses paroles le 24 mai 1867.

À suiv­re.

À demain, les amis !

Después 1944-07-07 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe

Hugo Gutiérrez Letra : Homero Manzi

Hugo Gutiér­rez et Home­ro Manzi ont réal­isé avec ce tan­go le dif­fi­cile exer­ci­ce de par­ler de la mort avec une émo­tion rarement atteinte dans le tan­go, sans être oppres­sants. La ver­sion de D’Arienzo et Echagüe qui est notre tan­go du jour est peut-être une des moins réussies, mais je tenais à met­tre en avant ce titre qui a à son ser­vice quelques-unes de plus belles inter­pré­ta­tions du réper­toire, de plus avec une grande var­iété. Entrons dans cette pen­sée triste qui se danse.

Extrait musical

Después 1944-07-07 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Alber­to Echagüe
À gauche, cou­ver­ture de par­ti­tion Casa Amar­il­la avec un chanteur, Jorge Novoa, oublié ? Par­ti­tion Julio Korn de Después avec en cou­ver­ture Ani­bal Troi­lo.

Paroles

Después …
La luna en san­gre y tu emo­ción,
y el anticipo del final
en un oscuro nubar­rón.
Luego …
irre­me­di­a­ble­mente,
tus ojos tan ausentes
llo­ran­do sin dolor.
Y después…
La noche enorme en el cristal,
y tu fati­ga de vivir
y mi deseo de luchar.
Luego…
tu piel como de nieve,
y en una ausen­cia leve
tu páli­do final.

Todo retor­na del recuer­do:
tu pena y tu silen­cio,
tu angus­tia y tu mis­te­rio.
Todo se abis­ma en el pasa­do:
tu nom­bre repeti­do…
tu duda y tu can­san­cio.
Som­bra más fuerte que la muerte,
gri­to per­di­do en el olvi­do,
paso que vuelve del fra­ca­so
can­ción hecha peda­zos
que aún es can­ción.

Después …
ven­drá el olvi­do o no ven­drá
y men­tiré para reír
y men­tiré para llo­rar.
Tor­pe
fan­tas­ma del pasa­do
bai­lan­do en el tinglado
tal vez para olvi­dar.
Y después,
en el silen­cio de tu voz,
se hará un dolor de soledad
y gri­taré para vivir…
como si huy­era del recuer­do
en arrepen­timien­to
para poder morir.

Hugo Gutiér­rez Letra: Home­ro Manzi

Traduction libre

Après…
La lune en sang et ton émo­tion, et l’anticipation de la fin dans un nuage som­bre.
Plus tard… irrémé­di­a­ble­ment, tes yeux si absents pleu­rant sans douleur.
Et après…
L’immense nuit dans le verre, et ta fatigue de vivre et mon envie de me bat­tre.
Plus tard… ta peau comme de la neige, et une absence légère, ta pâleur finale.
Tout me revient de mémoire :
ton cha­grin et ton silence, ton angoisse et ton mys­tère.
Tout s’abîme dans le passé : ton nom répété… ton doute et ta fatigue.
Une ombre plus forte que la mort, un cri per­du dans l’oubli, un pas qui revient de l’échec, une chan­son en miettes qui est encore une chan­son.
Après…
L’oubli vien­dra ou il ne vien­dra pas et je men­ti­rai pour rire
Et je men­ti­rai pour pleur­er.
Un fan­tôme mal­adroit du passé dansant dans le hangar (tinglado a plusieurs sens, allant d’abri, auvent, plus ou moins som­maire à hangar), peut-être pour oubli­er.
Et puis, dans le silence de ta voix, il y aura une douleur de soli­tude et je crierai pour vivre… Comme si je fuyais le sou­venir en repen­tirs pour pou­voir mourir.

Autres versions

Después 1943–1944 — Nel­ly Omar accomp. Gui­tare de José Canet.

Je com­mence par cet enreg­istrement, car Manzi a écrit Después pour elle. Il est daté de 1944, mais curieuse­ment, il est très rarement indiqué, y com­pris dans des sites générale­ment assez com­plets comme tango-dj.at ou El Reco­do. Je l’indique comme étant de 1943–1944, mais sans garantie réelle qu’il soit antérieur à celui de Miguel Caló qui est du tout début de 1944. La voix mer­veilleuse­ment chaude de Nil­da Elvi­ra Vat­tuone alias Nel­ly Omar accom­pa­g­née par la gui­tare de José Canet nous pro­pose une ver­sion fan­tas­tique, mais bien sûr à écouter et pas à danser.

Después 1944-01-10 Orques­ta Miguel Caló con Raúl Iri­arte.

Dès les pre­mières notes, l’ambiance est impres­sion­nante. On pour­rait penser à un film de sus­pens. La mag­nifique voix de Iri­arte, plus rare que celle de Berón, con­vient par­faite­ment au titre. Si vous n’aimez pas avoir des fris­sons et les poils qui se dressent, évitez cette ver­sion pro­posée par Miguel Caló et Raúl Iri­arte très émou­vante.

Después 1944-03-03 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Alber­to Mari­no.

Avec Troi­lo, on reste avec une très belle ver­sion musi­cale. Le gron­de­ment des ban­donéons me sem­ble moins émou­vant. Il y a une recherche de joliesse dans ce titre qui me sem­ble aller un peu au détri­ment de la danse. Ce ne sera donc pas ma ver­sion préférée pour la milon­ga.

Después 1944-03-15 — Lib­er­tad Lamar­que con orques­ta dirigi­da por Mario Mau­ra­no.

Después 1944-03-15 — Lib­er­tad Lamar­que con orques­ta dirigi­da por Mario Mau­ra­no. La voix de Lib­er­tad Lamar­que est très dif­férente de celle de Nel­ly Omar, mais tout aus­si cap­ti­vante. Elle béné­fi­cie en plus d’un orchestre dirigé par Mario Mau­ra­no dont le piano ressort avec beau­coup de justesse (je pré­cise que je par­le de la finesse, de la justesse de l’expression, de l’arrangement et pas du fait que le piano soit bien accordé. Celui que je vise saura que je par­le de lui…).

Después 1944-07-07 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Alber­to Echagüe. C’est notre tan­go du jour.

Después 1944-07-07 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Alber­to Echagüe. C’est notre tan­go du jour. Comme tou­jours, la ver­sion de D’Arienzo est bien marchante et dansante. C’est la cinquième ver­sion de l’année 1944, une année qui nous apporte une incroy­able diver­sité pour ce titre. Pour une œuvre de D’Arienzo, on peut la trou­ver un peu bavarde. Echagüe, met beau­coup de pres­sion. Le résul­tat est dans­able, mais il me sem­ble que d’autres titres inter­prétés par D’Arienzo le rem­placeront avan­tageuse­ment dans une tan­da de D’Arienzo et Echagüe, notam­ment ceux de la pre­mière péri­ode. Después est le pre­mier titre enreg­istré par cette com­po­si­tion après cinq années sans enreg­istrement et il me sem­ble que cette asso­ci­a­tion met­tra un peu de temps avant de retrou­ver une har­monie, l’année 1944 n’est pas la meilleure.

Después 1951-03-22 — L’orchestre Argentin Manuel Pizarro.

Después 1951-03-22 — L’orchestre Argentin Manuel Pizarro. Arrivé en France en 1920 et s’en étant absen­té de 1941 à 1950, Manuel Pizarro y revient et recom­mence à enreg­istr­er. Son Después fait par­tie de ces enreg­istrements français qui prou­vent que la dis­tance entre les deux mon­des n’est pas si grande. Notons que c’est une des rares ver­sions pure­ment instru­men­tales.

Después 1974-05-03 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Rubén Juárez (Pro­gra­ma En Hom­e­na­je a Home­ro Manzi — Con­duc­ción Anto­nio Car­ri­zo).

Cette ver­sion a été enreg­istrée lors d’une émis­sion en pub­lic en hom­mage à Home­ro Manzi décédé exacte­ment 23 ans plus tôt. Il me sem­ble que cette ver­sion Troi­lo - Juárez est plus aboutie que celle de 1944. On aurait aimé l’avoir dans une belle qual­ité sonore.

Después 1974 — Rubén Juárez Accomp. Arman­do Pon­tier.

Le même Rubén Juárez avec l’orchestre du ban­donéon­iste Arman­do Pon­tier. La prise de son est meilleure que dans l’enregistrement précé­dent et elle met donc plus en valeur la voix de Rubén Juárez. On notera qu’il est, tout comme Arman­do Pon­tier, égale­ment ban­donéon­iste. Cepen­dant, dans cette ver­sion, il se « con­tente » de chanter.

Después 1977-05-13 — Rober­to Goyeneche con la Orques­ta Típi­ca Porteña dirigi­da por Raúl Garel­lo.

Le ban­donéon de Raúl Garel­lo annonce la couleur et l’émotion qui va se dégager de cette ver­sion. El Pola­co (Rober­to Goyeneche) donne une ver­sion extrême­ment émou­vante et l’orchestre l’accompagne par­faite­ment dans les ondu­la­tions de la musique. Cette ver­sion fait ressor­tir toute la poésie de Manzi qui fut un grand poète qui déci­da de con­sacr­er sa vie à l’art pop­u­laire et nation­al du tan­go plutôt que de rechercher les hon­neurs qui aurait pu s’attacher à la car­rière de poète qu’il aurait méritée.

Je vous pro­pose d’arrêter avec ce titre très émou­vant et donc de pass­er sous silence les ver­sions de Pugliese avec Abel Cór­do­ba qui sor­tent, à mon avis, du champ du tan­go pour entr­er dans autre chose, sans doute une forme de musique clas­sique mod­erne, mais sans l’émotion que sus­cite générale­ment le tan­go.

Avant de recevoir des coups de bâtons sur la tête pour avoir osé écrire cela, je vous dis au revoir et à demain, les amis.

La rosarina 1937-07-02 — Orquesta Juan D’Arienzo

Ricardo González Alfiletegaray Letra: Antonio Polito (A. Timarni)

Les femmes de Rosario ont la répu­ta­tion d’être jolies. Plusieurs tan­gos vont dans ce sens, mais les Rosari­nas ne sont pas les seules dont la beauté est van­tée. Dans le cas présent, Ricar­do González a com­posé son titre en pen­sant à une per­son­ne en par­ti­c­uli­er, une femme de Rosario, bien sûr. Je vous don­nerai son nom en fin d’article.

Ricar­do González était ban­donéon­iste et il fut le pro­fesseur du Tigre du ban­donéon, Eduar­do Aro­las.

Extrait musical

La rosa­ri­na 1937-07-02 — Orques­ta Juan D’Arienzo.

Paroles

Je n’ai pas trou­vé d’enregistrement chan­té de ce tan­go, mais il existe bien des paroles asso­ciées et qui sont par­faite­ment en accord avec le thème. Alors, les voici.

Mujeres de tradi­ción
Naci­das en la Argenti­na,
Ningu­na de corazón
Como era ‘la rosa­ri­na’.
La bar­ra, feliz con su amor
No supo nun­ca de sins­a­bores,
Fue siem­pre gen­til y brindó
Ter­nu­ra suave, como una flor.
 
Cuan­do iba a los bai­lon­gos
Se desta­ca­ba por su pin­ta,
En el tan­go demostró, ser sin rival
Nadie la pudo igualar.
Rosa­ri­na de mi vida
Dulce recuer­do vos dejaste,
Es por eso que jamás
Te olvi­darán, has­ta morir.
 
Negri­to
Querés café.
No, mama
Que me hace mal.
Entonces
Lo qué querés
Care­ta pa’ car­naval…

Ricar­do González Alfilete­garay Letra : Anto­nio Poli­to (A. Timarni)

Traduction libre et indications

Des femmes de tra­di­tion nées en Argen­tine, aucune n’est de cœur comme l’était « la Rosa­ri­na».
La bande, heureuse de son amour, n’a jamais con­nu les ennuis, elle était tou­jours gen­tille et offrait une ten­dresse douce, comme une fleur.
Quand elle allait au bal, elle se dis­tin­guait par son allure, dans le tan­go, elle démon­trait être sans rivale, per­son­ne ne pou­vait l’égaler.
Rosa­ri­na de ma vie, tu as lais­sé de doux sou­venirs, c’est pour cela qu’ils ne t’oublieront jamais, jusqu’à la mort.

Negri­to, veux-tu du café ?
Non, maman, ça me fait mal.
Alors, que veux-tu
 ?
Un masque pour car­naval…

Le texte qui n’est pas en gras est assez étrange. Il rap­pelle cer­taines apos­tro­phes que lançaient les orchestres, voire les clients de la salle. On se sou­vient d’avoir évo­qué cela au sujet de El Moni­to avec un dia­logue sem­blable dans les ver­sions de Julio De Caro.
Negri­to, petit noir, n’est pas for­cé­ment l’expression d’un racisme, le terme s’adressant à des per­son­nes mates de peau, pas néces­saire­ment à des per­son­nes noires. On con­naît Mer­cedes Sos­sa qui était surnom­mée La Negra.
Quand au masque de Car­naval, c’est encore une occa­sion d’évoquer com­ment les car­navals ryth­maient la car­rière des musi­ciens.
Ce texte addi­tion­nel sem­ble assez curieux pour un tan­go dédié à une femme.

Autres versions

Le tan­go aurait été écrit en 1912 et le pre­mier enreg­istrement serait de 1915, mais il sem­ble introu­vable. Je sig­nale donc que Félix Cam­er­a­no l’aurait enreg­istré en 1915 avec son orchestre. Ce n’est pas du tout impos­si­ble, vu qu’il était ami avec l’auteur de la musique depuis 1898, époque où il fai­sait avec lui un duo gui­tare et ban­donéon. Quoi qu’il en soit, je n’ai pas ce disque dans mon gre­nier.

La rosa­ri­na 1928-12-15 — Alber­to Diana Lavalle.

La rosa­ri­na 1928-12-15 — Alber­to Diana Lavalle. Alber­to Diana Lavalle, nous donne une ver­sion à la gui­tare, sans chan­son. En fait, je n’ai pas trou­vé d’enregistrement avec les paroles de Anto­nio Poli­to. Peut-être que cette chan­son était inter­prétée sous cette forme lors de sa créa­tion.

Plaque en hom­mage à Alber­to Diana Lavalle offerte par les « Martes Bohemios » un an après la mort de Lavalle. La plaque est donc au cimetière de Chacari­ta.
C’est une réal­i­sa­tion du sculp­teur Orlan­do Stag­naro, qui est le frère du musi­cien et poète San­ti­a­go Stag­naro.
La rosa­ri­na 1929-11-20 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor. Dir. Adol­fo Cara­bel­li.

C’est la pre­mière ver­sion orches­trale dont on a une trace sonore.

La rosa­ri­na 1936-12-19 — Rober­to Fir­po y su Cuar­te­to Típi­co.

La rosa­ri­na 1936-12-19 — Rober­to Fir­po y su Cuar­te­to Típi­co. Rober­to Fir­po enreg­istr­era trois fois le titre, dans des ver­sions somme toute assez proches. Était-ce un intérêt pour le thème ou pour la dame ? Je n’en sais rien… Cette ver­sion est assez rapi­de et tonique, peut-être un peu brouil­lonne.

La rosa­ri­na 1937-07-02 — Orques­ta Juan D’Arienzo. C’est notre tan­go du jour.

Les petits silences et les orne­men­ta­tions de Bia­gi sont bien présents dans ce titre typ­ique de cette époque de D’Arienzo. La musique est assez joueuse, voire un peu sautil­lante. Bien dans­able, avec quelques petites sur­pris­es et un joli con­traste entre les lignes ondu­lantes des vio­lons et le reste de l’orchestre plus per­cusif.

La rosa­ri­na 1943-12-30 — Quin­te­to Pir­in­cho dir. Fran­cis­co Canaro.

Pour une fois, Canaro n’arrive pas rapi­de­ment sur le titre. Canaro était pour­tant proche de Ricar­do González, puisque ce dernier lui avait dédi­cacé son pre­mier tan­go El fulero et qu’il avait tra­vail­lé comme ban­donéon­iste dans son orchestre en France.
Il donne cet enreg­istrement avec son quin­tette. Après la ver­sion de D’Arienzo, cela peut sem­bler un peu trop calme. Il y a cepen­dant de beaux traits musi­caux, mais peut-être que les danseurs peu­vent se dis­penser de cette inter­pré­ta­tion.

La rosa­ri­na 1944-03-31 — Rober­to Fir­po y su Nue­vo Cuar­te­to.

Le retour de Fir­po sur ce titre. Huit ans plus tard, il y a beau­coup de simil­i­tudes entre les ver­sions. Le rythme est très légère­ment plus lent. L’orchestre est un peu mieux syn­chro­nisé, ce qui facilit­era la tâche des danseurs qui devront gér­er ce titre qui hésite entre la milon­ga et le tan­go, mais qui a pour lui d’être joueur.

La rosa­ri­na 1949-10-21 — Rober­to Fir­po y su Nue­vo Cuar­te­to.

Encore Fir­po, cinq ans plus tard. Cette ver­sion dif­fère des pre­mières par un tem­po beau­coup plus lent. La dédi­cataire s’est peut-être assagie avec l’âge. Le tan­go de Fir­po, c’est cer­tain.

La rosa­ri­na 1975-01-06 — Miguel Vil­las­boas, Wash­ing­ton Quin­tas Moreno.

Une ver­sion sym­pa­thique à deux pianos. Vil­las­boas hésite aus­si sou­vent entre les rythmes de milon­ga et de tan­go. Dis­ons que cette ver­sion est pour le con­cert, mais qu’elle est sym­pa­thique à écouter.

Miguel Vil­las­boas et Wish­ing­ton Quin­tas Moreno ont pro­duit plusieurs dis­ques. Le titre que vous écoutez vient de celui de gauche, mais sur celui de droite “Antolo­gia”, on peut voir les deux pianistes à l’oeu­vre.
La Rosa­ri­na 1980c — Miguel Vil­las­boas y su Orques­ta Típi­ca.

Comme Fir­po, Vil­las­boas retourne au titre, cette fois avec son orchestre. Le tem­po est un plus lent que dans la ver­sion à deux pianos. Les simil­i­tudes avec Fir­po sont tou­jours mar­quées. Ce ne sera sans doute pas le titre le plus appré­cié de la milon­ga, mais une fois de temps en temps, avec des danseurs moyen­nement portés sur la milon­ga, cela peut faire l’affaire.

Mais qui était La rosarina ?

Il est assez facile de décou­vrir que la dédi­cataire, ou pour le moins l’inspiratrice s’appelait Zule­ma Díaz. Venue voir sa sœur, selon les ver­sions dans un spec­ta­cle à Acayu­cho (env­i­ron 300 km de Buenos Aires), dans un club nom­mé Ale­gria, par suite d’une soi-dis­ant erreur d’un cocher. Quoi qu’il en soit, elle est tombée sous le regard de Ricar­do González qui dirigeait le spec­ta­cle et qui a décidé de lui écrire un tan­go. Selon le jour­nal­iste Julián Porteño, cela se serait passé en 1912. Porteño indique que la femme était très belle et qu’en plus elle dan­sait, ce qui fait que Ricar­do González (surnom­mé Mochi­la) l’a inté­grée à la revue où elle était arrivée, par erreur, ou pour voir sa sœur.

Ce qu’on ne vous dit pas, c’est que sa sœur, la danseuse de la revue menée par González s’appelait María E. Díaz et que les deux sœurs devaient être un peu déver­gondées, car le 29 juil­let 1947, elles se sont fait exclure du Club Social et Sportif Vil­la Mal­colm, pour y avoir dan­sé de façon non con­forme à ce qui était atten­du dans l’établissement.
En fait, la façon jugée incon­venante de danser était d’avoir le vis­age trop près de celui du parte­naire. Ce club Vil­la Mal­com était donc assez peu libéral et même Ani­bal Troi­lo en avait fait les frais. Il avait été ren­voyé le 25 juil­let 1942, car le 17 juil­let, cer­tains de ses musi­ciens ne se seraient pas pliés totale­ment à l’étiquette de l’établissement et qu’il aurait fait venir des gens qui n’étaient pas dans le style de l’établissement. Lucio Demare l’avait rem­placé, comme quoi le mal­heur des uns fait le bon­heur des autres.

Ricar­do González est par­ti pour la France dans les années 20. Il y a tra­vail­lé notam­ment pour Fran­cis­co Canaro qui avait insisté pour le faire revenir en France dont il était par­ti peu de temps aupar­a­vant. Si Ricar­do González avait fait une autre con­quête, une danseuse prénom­mée Bernadette, lors de son séjour en France, on ne sait pas s’il a con­tin­ué à rêver de la belle Rosa­ri­na. Tout ce qu’on sait, c’est qu’à son retour de France, il s’est retiré du tan­go et qu’on en n’a plus enten­du par­ler. J’aime à imag­in­er que c’est pour fil­er l’amour par­fait avec Zule­ma.

Voilà, j’arrive au terme de ce petit par­cours au sujet d’un tan­go dédié à une appari­tion qui a enflam­mé l’imagination d’un ban­donéon­iste qui en a fait un tan­go.

En effet, je ne crois pas que les paroles tristes de notre tan­go du jour soient reliées à cette his­toire, puisque les sœurs ont été exclues en 1947, soit 35 ans après la ren­con­tre et donc bien longtemps après que les paroles ont été écrites.

À demain, les amis.

El bulín de la calle Ayacucho 1941-06-17 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino

José Servidio ; Luis Servidio Letra: Celedonio Esteban Flores

El bulín de la calle Ayacu­cho a été écrit en 1923 par deux amis d’enfance pour décrire leur vie de bohème, un style de vie courant chez les artistes et musi­ciens. En France, on a eu Chien-Cail­lou, sobri­quet don­né à Rodolphe Bres­din par ses amis et dont Champfleury s’inspira pour sa nou­velle, « Chien-cail­lou ». Nous avons vu hier le triste des­tin de Alfre­do Gob­bi, les his­toires de bulines, sont légion dans l’imaginaire tanguero. Intéres­sons-nous donc à celui de la rue Ayacu­cho…

Extrait musical

Par­ti­tion de El bulín de la calle Ayacu­cho.
El bulín de la calle Ayacu­cho 1941-06-17 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Fran­cis­co Fiorenti­no.

Même si on ne com­prend rien aux paroles, ce qui ne sera pas votre cas après avoir lu cette anec­dote, on ne peut qu’admirer ce chef‑d’œuvre dont la qual­ité tient avant tout à la sim­plic­ité, la flu­id­ité, l’harmonie entre la voix et la musique.
Le rythme est soutenu, la musique avance avec déci­sion, aucun danseur ne peut résis­ter à envahir la piste. Quand après une minute, Fiorenti­no com­mence à chanter, la magie aug­mente encore, les cordes et ban­donéons con­tin­u­ent de mar­quer la cadence, sans flanch­er et la voix de Fiore lie le tout avant de laiss­er la parole au piano et on se sur­prend à être sur­pris par l’arrivée de la fin, tant on aimerait que cela dure un peu plus longtemps.

Paroles

El bulín de la calle ayacu­cho,
Que en mis tiem­pos de rana alquil­a­ba,
El bulín que la bar­ra bus­ca­ba
Pa caer por la noche a tim­bear,
El bulín donde tan­tos mucha­chos,
En su racha de vida fulera,
Encon­traron mar­ro­co y catr­era
Rechi­fla­do, parece llo­rar.

El primus no me fal­la­ba
Con su car­ga de aguar­di­ente
Y habi­en­do agua caliente
El mate era allí señor.
No falta­ba la gui­tar­ra
Bien encor­da­da y lus­trosa
Ni el bacán de voz gan­gosa
Con berretín de can­tor.

El bulín de la calle Ayacu­cho
Ha queda­do mis­ton­go y fulero:
Ya no se oye el can­tor milonguero,
Engrupi­do, su musa entonar.
Y en el primus no bulle la pava
Que a la bar­ra con­tenta reunía
Y el bacán de la rante ale­gría
Está seco de tan­to llo­rar.

Cada cosa era un recuer­do
Que la vida me amar­ga­ba :
Por eso me la pasa­ba
Fulero, rante y tristón.

Los mucha­chos se cor­taron
Al verme tan afligi­do
Y yo me quedé en el nido
Empol­lan­do mi aflic­ción.

Cotor­ri­to mis­ton­go, tira­do
En el fon­do de aquel con­ven­til­lo,
Sin alfom­bras, sin lujo y sin bril­lo,
¡Cuán­tos días felices pasé,
Al calor del quer­er de una piba
Que fue mía, mimosa y sin­cer­al…
¡Y una noche de invier­no, fulera,
Has­ta el cielo de un vue­lo se fue!

José Ser­vidio ; Luis Ser­vidio Letra : Cele­do­nio Este­ban Flo­res

Fiorenti­no avec Troi­lo chante ce qui est en gras.
Fiorenti­no avec Bas­so chante ce qui est en bleu.
Rodol­fo Lesi­ca chante ce qui est en gras, plus le dernier cou­plet sur lequel il ter­mine.

Traduction libre et indications

Huile sur toile non signée. Une pava (sorte de bouil­loire) sur un réchauf­feur à alcool, Primus. Sur le plateau un mate (en cale­basse) et une bom­bil­la (paille ser­vant à aspir­er la bois­son). Dans l’assiette, la yer­ba (les feuilles broyées ser­vant à pré­par­er le mate). Tout le néces­saire pour le mate, en somme. En Argen­tine et pays voisins, le mate est aus­si une céré­monie ami­cale. Le mate passe de main en main, un seul pour toute l’assemblée.

La piaule (dans un con­ven­til­lo, habi­tat pop­u­laire, c’est une pièce où vivait, s’entassait, une famille. Cette pièce don­nait directe­ment sur un couloir qui lui don­nait du jour, le bulín n’ayant en général pas d’autre ouver­ture que la porte don­nant sur le couloir) de la rue Ayacu­cho, que je louais à l’époque (pour être pré­cis, son loge­ment était prêté par l’éditeur Jules Korn, pas loué…) où j’étais dans la dèche (rana, a plusieurs sens, astu­cieux, je pense que là il faut com­pren­dre les temps heureux de la démerde, pau­vre mais heureux), le bulín dans lequel la bande cher­chait à se réfugi­er (tomber, au sens de point de chute, abri) la nuit pour jouer (tim­bear, c’est jouer de l’argent en principe), le bulín où tant de mecs, dans leur ligne de vie (racha = suc­ces­sions de faits, bons ou mau­vais) quel­conque, trou­vaient mar­ro­co (pain) et litière. (chi­fla­do = cinglé, rechi­fla­do, plus que cinglé. Il faut com­pren­dre que le bulín était un lieu de folie), sem­ble pleur­er.
Le primus (réchauf­feur à alcool, voir illus­tra­tion ci-dessus) ne me fai­sait pas défaut avec sa pro­vi­sion d’alcool (aguar­di­ente est plutôt une eau-de-vie, mais je pense qu’ici on par­le du com­bustible du petit réchaud) fai­sait de l’eau chaude, le mate était roi là-bas (on dirait plutôt, ici, mais là-bas souligne que c’est loin dans le passé. J’ai traduit señor par roi, pour les Argentins pau­vres, le maté est par­fois la seule nour­ri­t­ure d’un repas. D’ailleurs, aujourd’hui avec la crise, beau­coup d’Argentins revi­en­nent à ce régime, encour­agé par le gou­verne­ment qui dit qu’un seul repars par jour suf­fit. Les plus pau­vres se fond du mate coci­do, le mate des enfants, car en infu­sion, cela demande moins de yer­ba, d’herbe à mate).
La gui­tare ne fai­sait pas défaut, bien accordée et lus­trée, ni l’important (bacán, il s’agit de l’auteur des paroles, Cele qui se tourne en déri­sion) à la voix à la voix nasil­larde avec la voca­tion de chanteur. (Berretín, nous l’avons vu est le loisir).
Le bulín de la rue Ayacu­cho est resté mis­érable et quel­conque :
Le chanteur milonguero pré­ten­tieux ne s’entend plus taquin­er sa muse en chan­tant.
Et sur le primus, la pava ne chauffe plus, elle qui réu­nis­sait la bande joyeuse et le bacán à la bohème (rante de ator­rante, clochard) allè­gre est sec de tant pleur­er.
Chaque chose était un sou­venir que la vie me rendait amer :
C’est pourquoi j’ai passé un bon moment, errant (quel­conque, clochard…) et triste.
Les copains se tirèrent quand ils me virent si affligé et je suis resté dans le nid à rumin­er mon afflic­tion.
Petite piaule mis­érable (cotor­ri­to est un syn­onyme de bulín), retirée au fond de ce con­ven­til­lo, sans tapis, sans luxe et sans éclat.
Com­bi­en de jours heureux j’ai passés, dans la chaleur de l’amour d’une fille qui était mienne, câline et sincère…
Et une nuit d’hiver, quel­conque, jusqu’au ciel d’un vol, s’en fut !

La censure

Cette his­toire de jeunes fauchés qui fai­saient de la musique dans une cham­bre en buvant du mate n’eut pas l’heur de plaire aux mil­i­taires qui avaient pris le pou­voir en 1943. De nom­breux tan­gos, comme nous l’avons déjà vu (ple­garia) ont été inter­dits, ou mod­i­fiés pour avoir des paroles plus respecta­bles. Ce fut le cas de celui-ci. Voici les paroles mod­i­fiées :

La version des paroles après censure

Mi cuar­ti­to feliz y coque­to
Que en la calle Ayacu­cho alquil­a­ba
mi cuar­ti­to feliz que alber­ga­ba
un romance sin­cero de amor
Mi cuar­ti­to feliz donde siem­pre
una mano cor­dial me tendía
y una lin­da cari­ta ponía
con bon­dad su son­risa mejor…

Ver­sion accep­tée par la cen­sure de la dic­tature mil­i­taire de 1943

Traduction de la version après censure

Ma petite cham­bre joyeuse et coquette que je louais dans la rue Ayacu­cho.
Ma petite cham­bre heureuse qui hébergeait une romance amoureuse sincère.
Ma petite cham­bre heureuse où tou­jours une main cor­diale se tendait.
Et un joli petit vis­age posait avec gen­til­lesse son meilleur sourire…
Il doit être dif­fi­cile de faire plus cucu. Les mil­i­taires sont de grands roman­tiques…

Les admin­is­tra­teurs de la SADAIC ont demandé une entre­vue au général Perón, nou­veau prési­dent pour faire tomber cette ridicule cen­sure sur les paroles de tan­go. Le 25 mars 1949, ce dernier qui dis­ait ne pas être au courant de cette cen­sure a don­né droit à leur requête. Les tan­gos pou­vaient désor­mais retrou­ver les paroles qu’ils souhaitaient.

El bulín de la calle Ayacu­cho 1925-12-27 — Car­los Gardel con acomp. de José Ricar­do. Cette pre­mière ver­sion a été enreg­istrée à Barcelone (Espagne).
El bulín de la calle Ayacu­cho 1926 — Car­los Gardel con acomp. de Guiller­mo Bar­bi­eri, José Ricar­do. Cette ver­sion a été enreg­istrée à Buenos Aires.
El bulín de la calle Ayacu­cho 1941-06-17 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Fran­cis­co Fiorenti­no. C’est notre tan­go du jour.
El bulín de la calle Ayacu­cho 1949-04-07 — Orques­ta José Bas­so con Fran­cis­co Fiorenti­no.

La presta­tion de l’orchestre est très dif­férente de celle de Troi­lo, sans doute un peu grandil­o­quente. On sent que Bas­so a voulu se mesur­er à Troi­lo, mais je trou­ve que ce qu’il a ajouté n’apporte rien au thème. Fiorenti­no chante tou­jours superbe­ment, cepen­dant l’orchestre se marie moins bien avec le chant. Il se met en retrait, ce qui met en avant la voix, il n’y a pas la même har­monie. FIorenti­no chante plus dans cette ver­sion.

El bulín de la calle Ayacu­cho 1951-07-17 — Orques­ta Héc­tor Varela con Rodol­fo Lesi­ca.

Un grand chanteur, peut-être un peu trop roman­tique et lisse pour ce titre. Je pense qu’on a du mal à accrocher.

El bulín de la calle Ayacu­cho 1956 — Arman­do Pon­tier con Julio Sosa.

Une superbe ver­sion en vivo. Dom­mage que ce soit un enreg­istrement de piètre qual­ité, réal­isé lors des Car­navales de Huracán de 1956. Julio Sosa chante toutes les paroles (un peu en désor­dre).

El bulín de la calle Ayacu­cho 1961-09-08 — Jorge Vidal con acomp. de gui­tar­ras, cel­lo y con­tra­ba­jo.

Le vio­lon­celle qui débute et accom­pa­gne Vidal tout au long est l’autre vedette de ce titre. On souhait­erait presque avoir une ver­sion pure­ment instru­men­tale pour mieux l’écouter. On retrou­ve la tra­di­tion de Gardel, pour un tan­go à écouter, mais pas à danser.

Edmun­do Rivero l’a égale­ment inter­prété. En voici une ver­sion avec vidéo. La ver­sion disque est de 1967.

Edmun­do Rivero chante El bulín de la calle Ayacu­cho
El bulín de la calle Ayacu­cho 2018-02 — Tan­go Bar­do con Osval­do Pere­do.

Cette ver­sion a sans doute peu de chance de con­va­in­cre les danseurs. Il con­vient toute­fois d’encourager les orchestres con­tem­po­rains à faire revivre les grands titres.

El bulín de la calle Ayacucho

Ce con­ven­til­lo et la cham­bre étaient situés au 1443 de la rue Ayacu­cho.

Calle Ayacu­cho 1443. L’immeuble n’existe plus. On notera tout de même sur l’immeuble de droite, le beau bas-relief et à gauche, une autre mai­son anci­enne.

Comment José Servidio décrit la chambre de Cele, celle qui lui a inspiré, ce titre

En 1923 com­puse « El bulín de la calle Ayacu­cho ». Gardel lo grabó en ese mis­mo año. Yo vivía entonces en Aguirre 1061, donde aún vive mi famil­ia. Cele­do­nio me tra­jo al café A.B.C. la letra ya hecha. Era para la pri­mav­era de 1923.
Nosotros éramos ami­gos des­de la infan­cia, él vivía en la calle Velaz­co entre Mal­abia y Can­ning. Com­puse el tan­go en un par de días, en el ban­doneón. La primera frase me sal­ió ensegui­da. El bulín de la calle Ayacu­cho exis­tió real­mente. Qued­a­ba en Ayacu­cho 1443. El dueño del bulín era Julio Korn, que se lo prestó a Cele­do­nio Flo­res. 
Era una piecita en la que ni los ratones falta­ban. Con­cur­rentes infalta­bles a las reuniones de todos los viernes, eran Juan Fulgini­ti, el can­tor Mar­ti­no, el can­tor Pagani­ni (del dúo Pagani­ni-Cia­cia); Nun­zi­at­ta, tam­bién can­tor, del dúo Cicarel­li-Nun­zi­at­ta; el fla­co Sola, can­tor, gui­tar­rista y gar­gan­ta priv­i­le­gia­da para la caña; yo, en fin…
Cia­cia, que forma­ba dúo con Pagani­ni, era el que cocin­a­ba siem­pre un buen puchero. En el bulín, del bar­rio de Reco­le­ta, había una sartén y una moro­chi­ta.
Se toma­ba mate, se char­la­ba. Como le decía, has­ta algún ratón merode­a­ba por allí. Las reuniones en el bulín de la calle Ayacu­cho duraron más o menos has­ta fines de 1921. Cuan­do Cele se puso de novio ter­mi­naron. Ya han muer­to casi todos los que nos reuníamos allí.
El tan­go lo editó un mae­stro de escuela, de apel­li­do Lami, que puso edi­to­r­i­al en Paraguay al 4200. Después se fal­si­ficó la edi­ción. El bulín de la calle Ayacu­cho lo estrenó el dúo Torel­li-Man­dari­no, en el teatro Soleil. Canataro acom­paña­ba con su gui­tar­ra al dúo.

José Gob­el­lo et Jorge Alber­to Bossio. Tan­gos, letras y letris­tas tomo 1. Pages 82 à 89.

Traduction libre du témoignage de José Servidio et indications.

En 1923, j’ai com­posé « El bulín de la calle Ayacu­cho ». Gardel l’a enreg­istré la même année. Je vivais à l’époque au 1061 de la rue Aguirre, où ma famille vit tou­jours. Cele­do­nio m’a apporté les paroles déjà écrites au café ABC. C’était pour le print­emps 1923.
Nous nous étions amis depuis l’enfance. Lui vivait rue Velaz­co entre Mal­abia et Can­ning (aujourd’hui Scal­ib­ri­ni Ortiz).
J’ai com­posé la musique en une paire de jours. Le bulín exis­tait réelle­ment dans la rue Ayacu­cho au 1443. Le pro­prié­taire en était Julio Korn (édi­teur de musique dont nous avons déjà par­lé au sujet des suc­cès de la radio en 1937), qui le prê­tait à Cele­do­nio Flo­res.
C’était une petite pièce dans laque­lle même les souris ne man­quaient pas.
Les par­tic­i­pants inévita­bles aux réu­nions tous les ven­dredis étaient Juan Fulgini­ti, le chanteur Mar­ti­no, le chanteur Pagani­ni (du duo Pagani­ni-Cia­cia) ; Nun­zi­at­ta, égale­ment chanteur (du duo Cicarel­li-Nun­zi­at­ta) ; le Fla­co Sola (fla­co = mai­gre), chanteur, gui­tariste et gosier priv­ilégié pour la cuite (caña, ivresse) ; Moi, enfin…
Cia­cia pré­parait tou­jours un ragoût. Dans le bulín, il y avait une poêle et une moro­chi­ta (mar­mite pat­inée).
On pre­nait le mate et on bavar­dait.
Comme je le dis­ais, même une souris rôdait dans les par­ages.
Les réu­nions dans le bulín de la rue Ayacu­cho ont duré plus ou moins jusqu’à la fin de 1921. Quand Cele (Cele­do­nio Este­ban Flo­res) s’est fiancé, ça s’est arrêté.
Presque tous ceux d’entre nous qui se sont ren­con­trés là-bas sont déjà morts.
Le tan­go a été édité par un maître d’école, nom­mé Lami, qui a créé une mai­son d’édition rue Paraguay au 4200. Plus tard, l’édition a été fal­si­fiée. Le bulín de la calle Ayacu­cho a été créé par le duo Torel­li-Man­dari­no, au Teatro Soleil. Canataro a accom­pa­g­né le duo avec sa gui­tare.
On notera que le nar­ra­teur est le com­pos­i­teur. Son frère, Luis, sem­ble avoir eu un rôle mineur dans cette com­po­si­tion. Ils avaient l’habitude de cosign­er, mais les par­tic­i­pa­tions étaient vari­ables selon les œuvres.

El bulín de la calle Ayacu­cho. J’avoue m’être inspiré de Van Gogh, mais il y a plusieurs dif­férences. Il n’y a pas de fenêtre, c’est un bulín, pas une cham­bre à Arles. Il y a une gui­tare et un pava sur le primus, prête pour le mate. Un petit change­ment dans les cadres pour per­son­nalis­er l’intérieur de la cham­brette de Cele dont on peut voir le por­trait dans le cadre en haut à droite.
Les calques util­isés pour créer cette image.

El engobbiao 1957-06-18 Orquesta Alfredo Gobbi

Eduardo Rovira

Ne cherchez pas dans le dic­tio­n­naire le mot Engob­biao, vous ne le trou­verez pas. C’est une créa­tion de Eduar­do Rovi­ra en l’honneur de… Si, vous allez trou­ver ; G — O — B — B — I. Bra­vo !
Il y a trois
Gob­bi fameux dans l’histoire du tan­go, Flo­ra, Alfre­do et Alfre­do. Oui, deux Alfre­do. Essayons d’y voir plus clair.

Extrait musical

Tout d’abord écou­tons ce titre sur­prenant que Rovi­ra écrira en l’honneur du chef de l’orchestre où il était ban­donéon­iste.

El engob­biao 1957-06-18 Orques­ta Alfre­do Gob­bi
Par­ti­tion de El eng­gob­iao

Les Gobbi

Nous avons déjà évo­qué et à plusieurs repris­es les Gob­bi, mari et femme, pio­nniers du tan­go et indis­cutable­ment prop­a­ga­teur du genre en France après l’avoir fait en Argen­tine.
Flo­ra, la femme et Alfre­do, donc, le mari ont plusieurs enreg­istrements, par­mi les plus anciens qui nous soient par­venus. Les pau­vres, la tech­nique d’enregistrement de l’époque n’a pas ren­du jus­tice à la qual­ité de leurs inter­pré­ta­tions, oblig­és qu’ils étaient plus à crier qu’à chanter pour que quelque chose se grave sur le disque.

El criol­lo fal­si­fi­ca­do (Los criol­los) 1906 – Dúo Los Gob­bi (Flo­ra et Alfre­do Gob­bi).

Vous aurez recon­nu ce thème que l’on con­naît désor­mais sous le titre El porteñi­to.

Le troisième Gob­bi, se prénom­mant aus­si Alfre­do et voici son état-civ­il com­plet : Alfre­do Julio Floro Gob­bi.
Le Gob­bi du début de siè­cle s’appelait au com­plet : Alfre­do Euse­bio Gob­bi Chi­a­pa­pi­etra. On a donc l’habitude de l’appeler Alfre­do Euse­bio Gob­bi pour le dis­tinguer, bien inutile­ment, de Alfre­do Julio Gob­bi. Les deux sig­naient Alfre­do Gob­bi et per­son­ne ne peut con­fon­dre une com­po­si­tion ou une inter­pré­ta­tion de l’un avec celle de l’autre… Pour en finir avec les noms, pré­cisons que la femme de Gob­bi (je ne vous dit pas lequel) s’appelait Flo­ra Rodríguez de Gob­bi et était d’origine chili­enne.
En fait, je vous ai présen­té toute la famille, le père, Alfre­do, la mère, Flo­ra et le fis­ton, encore Alfre­do, né à Paris en 1912. Sig­nalons que son par­rain était Ángel Vil­lol­do. Le pau­vre avait donc de grandes chances de tomber dans le tan­go, d’autant plus qu’en 1913, il était instal­lé à Buenos Aires. Ce point de chute des Gob­bi est bien sûr dic­té par le tan­go, car la mère était chili­enne et le père uruguayen. D’ailleurs, le petit Gob­bi appren­dra le piano (qui sera aus­si son dernier instru­ment à la fin triste de sa vie), puis le vio­lon et dès l’âge de 13 ans il jouera dans un trio avec ses amis, Orlan­do Goñi (pianiste) et Domin­go Triguero (ban­donéon­iste).
À la mort de son ami Orlan­do Goñi, en 1945, Alfre­do écrira A Orlan­do Goñi, dont nous avons son enreg­istrement en 1949.

A Orlan­do Goñi 1949-03-24 — Orques­ta Alfre­do Gob­bi.

L’hommage de Gob­bi à son ami Goñi. C’est un de ses titres les plus con­nus et que l’on entend par­fois en milon­ga.
Troi­lo et Pugliese qui étaient dans le même cer­cle l’enregistrèrent égale­ment.

Alfre­do Gob­bi, le vio­lon roman­tique et le pianiste en fin de vie, à droite

Si Alfre­do Gob­bi a com­mencé l’étude du piano à 6 ans, c’est comme vio­loniste prodi­ge qu’il a fait sa car­rière. À la fin de sa courte vie, il est retourné au piano pour jouer dans des bars de nuit afin de gag­n­er sa pitance. Quelle triste fin pour cet artiste, ami­cal et généreux comme en témoignent les hom­mages après sa mort, en 1965 à seule­ment 53 ans.
Ses amis, cher­chèrent à récupér­er son vio­lon auprès de son logeur qui le gar­dait en gage pour les loy­ers en retard. Lorsqu’ils demandèrent à Troi­lo de par­ticiper, celui-ci s’exclama, « mais pourquoi ne m’avez-vous pas demandé en pre­mier ? » Troi­lo avait d’ailleurs dédi­cacé son tan­go Milonguero triste à son ami.

Ani­bal Troi­lo joue Milonguero triste, sa com­po­si­tion dédi­cacée à son ami Alfre­do Gob­bi avec son cuar­te­to. Les mem­bres du quar­tette sont José Colán­ge­lo au piano, Ani­bal Troi­lo au ban­donéon, Aníbal Arias à la gui­tare et Rafael Del Bag­no à la con­tre­basse.
Un disque posthume de Alfre­do Gob­bi nom­mé Milonguero triste (mais ne com­por­tant pas ce titre que Alfre­do Gob­bi n’a pas enreg­istré. Troi­lo l’a enreg­istré moins de cinq mois avant la mort de son ami.

Il con­vient de rajouter à la liste des dédi­caces à Alfre­do Gob­bi, Alfre­de­an­do enreg­istré en 1987 par Pugliese et qui a été com­posé par le ban­donéon­iste Nés­tor Mar­coni.

Alfre­de­an­do 1987-12-12 Orques­ta Osval­do Pugliese

De Rovira à Piazzolla

Eduar­do Rovi­ra était ban­donéon­iste dans l’orchestre de Alfre­do Gob­bi. Il lui a dédié deux thèmes. Notre tan­go du jour, Engob­biao et A Don Alfre­do Gob­bi qui ter­min­era notre par­cours des avant-gardes autour de Gob­bi.

Eduar­do Rovi­ra
El engob­biao 1957-06-18 Orques­ta Alfre­do Gob­bi. C’est notre tan­go du jour.

On notera l’étonnante moder­nité de ce titre.
L’année d’après, Rovi­ra pro­duit cette ver­sion éton­nante de Febril avec l’orchestre du pianiste Osval­do Manzi dont il est mem­bre, comme ban­donéon­iste.

Febril 1958-12-18 — Orques­ta Osval­do Manzi. Com­po­si­tion de Eduar­do Rovi­ra.

On peut con­stater comme en un an, Rovi­ra est allé encore plus loin.

A don Alfre­do Gob­bi 1968 – Eduar­do Rovi­ra y su agru­pación de tan­go mod­er­no.

On est à l’arrivée de l’évolution de Rovi­ra. Dif­fi­cile d’y voir du tan­go, mal­gré un début en habanera et des accents de folk­lore. L’évocation de son ami, décédé en 1965, Alfre­do Gob­bi se fait par un pas­sage vir­tu­ose au vio­lon, mêlé à son ban­donéon qui aura le dernier mot dans un curieux halète­ment final.
Vous avez sans doute remar­qué la présence, dès les pre­mières notes, d’une gui­tare élec­trique. C’est celle de Sal­vador Druck­er.

Le disque Son­i­co de Eduar­do Rovi­ra y su agru­pación de tan­go mod­er­no

La bande de copains, Gob­bi, Rovi­ra, Goñi, s’était adjoint à d’autres nova­teurs, comme Troi­lo et Pugliese (voir par exem­ple Patéti­co de Jorge Cal­dara qui avait fait entr­er la musique nova­trice de Rovi­ra dans l’orchestre de Pugliese), mais aus­si, Astor Pan­talón Piaz­zol­la. Ce dernier écrira égale­ment un hom­mage à Gob­bi, un por­trait dont voici une de ses inter­pré­ta­tions.

Retra­to de Alfre­do Gob­bi 1970 — Astor Piaz­zol­la y su Quin­te­to.

Le quin­tette de Piaz­zol­la était com­posé de Astor Piaz­zol­la (ban­donéon), Osval­do Manzi (piano), Anto­nio Agri (vio­lon), Kicho Díaz (con­tre­basse) et Cacho Tirao (gui­tare élec­trique). Oui, comme Rovi­ra, Piaz­zol­la utilise la gui­tare élec­trique dans son orchestre.
Cet autre hom­mage à Gob­bi, par Piaz­zol­la, après Rovi­ra est sans doute une autre expli­ca­tion du fait que les danseurs ne sont pas fans (euphémisme) de Gob­bi. Sa musique a évolué et en fait très peu de ses titres sont réelle­ment pour la danse. Sans détester les danseurs comme se plai­sait à le faire savoir Piaz­zol­la, il avait d’autres préoc­cu­pa­tions, tout comme ses com­pagnons et le fidèle Rovi­ra, le nova­teur.
Gob­bi n’écrivit pas un tan­go pour Rovi­ra, mais Fer­nan­do Romano joua un hom­e­na­je a Eduar­do Rovi­ra.

Hom­e­na­je a Eduar­do Rovi­ra – Pájaro del alma, Melood­í­ka, Mefis­to com­pra almas, La casa de las chi­nas, Pasos en la noche – Orques­ta Fer­nan­do Romano.

Il s’agit d’une suite avec dif­férentes musiques jouées par l’orchestre de Eduar­do Rovi­ra enchaînées, par exem­ple le mag­nifique Pasos en la noche, une suite de bal­let com­posée par Fer­nan­do Guib­ert.

Pasos en la Noche 1962 — Eduar­do Rovi­ra (Fer­nan­do Guib­ert com­pos­i­teur)

Vous l’avez remar­qué, on n’est pas dans le tan­go, mais ces témoignages per­me­t­tent de ren­dre un peu de sa place à Rovi­ra, éclip­sé, pas for­cé­ment avec per­ti­nence par Piaz­zol­la. Les deux ont leur place au pan­théon de la musique d’inspiration tanguera de la fin du vingtième siè­cle.

Autres versions

El engob­biao 1957-06-18 Orques­ta Alfre­do Gob­bi. C’est notre tan­go du jour.
El engob­biao 1993 — Sex­te­to Tan­go. Une ver­sion très dif­férente, enreg­istrée par les anciens musi­ciens de Pugliese.

Voilà, les amis. C’est tout pour aujourd’hui. Si vous n’aimez pas Gob­bi comme musi­cien pour la danse, vous devriez l’aimer comme homme et nova­teur, lui qui était le Milonguero triste.

El monito 1945-06-12 — Orquesta Osvaldo Pugliese

Julio De Caro Letra : Juan Carlos Marambio Catán

Ne sont-ils pas mignons ces deux-là ? El moni­to, le petit singe est en fait un texte plein de ten­dresse et de regrets. Par­fois, les hommes com­met­tent des erreurs qu’ils regret­tent. Ne les sin­geons pas et con­tentons-nous d’apprécier ce que nous avons, ici, cette mag­nifique musique decari­enne inter­prétée par Pugliese. Cette anec­dote nous per­me­t­tra d’approfondir la liai­son entre ces deux grands musi­ciens, De Caro et Pugliese.

Extrait musical

Par­ti­tion pour piano El moni­to de Julio De Caro Letra: Juan Car­los Maram­bio Catán.
El moni­to 1945-06-12 — Orques­ta Osval­do Pugliese.
El moni­to, Julio de Caro, Disque Vic­tor 79569 face A, enreg­istrement du 23 juil­let 1925.

Sur le disque du pre­mier enreg­istrement du titre, on remar­que deux choses. Il est indiqué « Tan­go humoris­ti­co ». Ce titre se veut donc drôle. L’autre chose est la men­tion « orques­ta « reper­to­rio nacional » ; cela indique que l’orchestre joue de la musique argen­tine.

Paroles

“Mi moni­toz” me llamó
la piba de mi amor,
la que mi corazón robó y que,
en mi pobre bulín,
me amó con berretín
sin cono­cer dolor.
El bulín fue nido fiel
de mi primer amor,
donde gocé su gran pasión de amar.
Y fue mi fiel mujer
ponien­do en mí su fe,
su puro corazón.

La piba can­tábame así:
Si yo quiero vivir
jun­ti­to a tu amor,
tu amor,
que curó mi dolor.
¿Por qué
me dejás corazón?
Sin ti,
morirá mi pasión.
Así,
mi pebe­ta can­tó,
mi pebe­ta can­tó su can­ción.
¡Qué ingra­ta pasó
su fugaz ilusión!

Mi moni­to no dirá,
Moni­to de mi amor.
Mi corazón hoy la buscó en su afán
sin poder ya gozar
la luz de su mirar,
la miel de su pasión.
Mi pebe­ta ya se fue
y nun­ca volverá.
Talvez irá rodan­do al cabaret,
bus­can­do en su dolor,
aliv­io al cham­pán,
olvi­do a mi des­dén.

Julio De Caro Letra : Juan Car­los Maram­bio Catán

Traduction libre

« Mon petit singe » m’appelait la fille de mon amour, celle qui a volée mon cœur et qui, dans mon pau­vre logis, m’a aimée avec pas­sion sans con­naître de douleur.
Le logis a été le nid fidèle de mon pre­mier amour, où j’ai appré­cié sa grande pas­sion pour aimer.
Et elle fut ma femme fidèle qui met­tait en moi sa foi, son cœur pur.

La fille m’a chan­té ceci :
Si je veux vivre avec ton amour, ton amour, qui a guéri ma douleur.
Pourquoi me quittes-tu mon cœur ?
Sans toi, ma pas­sion mour­ra.
Ain­si ma poupée a chan­té, ma poupée a chan­té sa chan­son.
Comme, en ingrate, pas­sa ton illu­sion fugace !

Mon petit singe elle ne dira plus, petit singe de mon amour.
Mon cœur aujourd’hui la cherche dans son empresse­ment sans pou­voir goûter son regard, le miel de sa pas­sion.
Ma poupée main­tenant est par­tie et ne revien­dra jamais.
Peut-être ira-t-elle roder jusqu’au cabaret, cher­chant dans sa douleur le soulage­ment du cham­pagne, l’oubli de mon dédain.

Autres versions

El moni­to 1925-07-23 — Orques­ta Julio De Caro.

Julio de Caro, auteur, ouvre le bal. On notera les par­ties sif­flées.

El moni­to 1926 — Rober­to Díaz con gui­tar­ras.

On regrette le son assez prim­i­tif qui ne rend pas grâce à la qual­ité de cette inter­pré­ta­tion par un excel­lent chanteur. C’est la seule ver­sion avec les paroles.

El moni­to 1928-07-19 — Julio De Caro y su Orques­ta Típi­ca.

Sur le disque, la men­tion tan­go humoris­tique a dis­paru. Même s’il reste les sif­fle­ments, cette ver­sion est plus sérieuse. Elle béné­fi­cie de l’enregistrement élec­trique qui améliore con­sid­érable­ment la qual­ité sonore et même si De Caro con­tin­ue à jouer avec son vio­lon à cor­net, le titre est d’une grande qual­ité musi­cale. De Caro n’est pas réputé pour la danse, mais là, il me sem­ble qu’ici, on peut en avoir pour ses oreilles et ses pieds.

Le disque de 1929. L’indication de tan­go humoris­tique a dis­paru.
El moni­to 1939-05-23 — Orques­ta Julio De Caro.

Une ver­sion énergique.
On retrou­ve les sif­fle­ments et appa­raît un dia­logue “Raah­h­hh, Moni­to / Si / Quieres Café? / No / Por qué?”. C’est sans doute un sou­venir du tan­go humoris­tique. On imag­ine que les clients devaient s’amuser lorsque l’orchestre évo­quait le titre. Peut-être que l’idée vient d’un client imi­tant le singe et que cette scénette impro­visée au départ s’est invitée dans la presta­tion de l’orchestre.
On retrou­ve dans cette inter­pré­ta­tion de De Caro, des car­ac­tères, comme les sif­fle­ments puis­sants des vio­lons, que l’on retrou­vera chez Pugliese. N’oublions pas que ce dernier était un grand admi­ra­teur de De Caro. Avec sa mod­estie, il se voulait un sim­ple con­ser­va­teur de la mémoire du maître. On sait qu’il a fait bien plus, comme en témoigne notre tan­go du jour.

El moni­to 1945-06-12 — Orques­ta Osval­do Pugliese. C’est notre tan­go du jour.

La par­en­té avec de De Caro est sen­si­ble, mais Pugliese a son style pro­pre qui influ­encera sans doute aus­si un peu De Caro, dans un jeu d’aller-retour.

El moni­to 1949-09-29 — Orques­ta Julio De Caro.

Une dizaine d’années plus tard, De Caro nous offre une nou­velle ver­sion superbe. Les simil­i­tudes avec Pugliese sont encore plus mar­quées, notam­ment avec le tem­po net­te­ment plus lent et proche de celui de Pugliese. On retrou­ve toute­fois le dia­logue de la ver­sion de 1939, dans une ver­sion un plus large. “Ah, ah ah, Moni­to / Si / Quieres Café? / No / Por qué? / Quiero carame­lo” (je veux un bon­bon). Avec ces dia­logues imi­tant la « voix » d’un singe, De Caro s’éloigne des paroles de Juan Car­los Maram­bio Catán en renouant avec le côté tan­go humoris­tique. Mais tous les orchestres se sont éloignés des paroles, du moins pour l’enregistrement, car toutes les ver­sions disponibles aujourd’hui sont instru­men­tales (si on excepte Rober­to Díaz).
Ce qui est sûr est que cette ver­sion con­vient par­faite­ment à la danse, ce qui fait men­tir ceux qui classe De Caro dans le défini­tive­ment indans­able.

El moni­to 1953 — Orques­ta Aníbal Troi­lo arr. de Astor Piaz­zol­la.

Comme on s’en doute, Troi­lo avec Piaz­zol­la ne vont pas don­ner dans la gau­dri­ole et pas de risque d’entendre un signe refuser un café dans cette ver­sion qui a per­du tout ce qui fait le car­ac­tère d’un tan­go de danse, mais qui a gag­né une richesse musi­cale incroy­able, pleine de rebondisse­ments. Cette ver­sion nous racon­te une his­toire, qua­si une épopée, de quoi rester à bout de souf­fle, même en restant tran­quille­ment dans son fau­teuil à l’écouter.

Il y a bien sûr d’autres enreg­istrements postérieurs, mais je préfère vous laiss­er sur ce point cul­mi­nant.

À demain les amis !

Cristal 1944-06-07 — Orquesta Aníbal Troilo con Alberto Marino

Mariano Mores Letra : José María Contursi

La musique de Cristal est de celles qui mar­quent les esprits et les cœurs. La force de l’écriture fait que la plu­part des ver­sions con­ser­vent l’ambiance du thème orig­i­nal. Cepen­dant, nous aurons des petites sur­pris­es. Je vous présente, Cristal de Mar­i­ano Mores avec des paroles de Con­tur­si, mais pas que…

Extrait musical

Cristal 1944-06-07 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Alber­to Mari­no.

Une très jolie descente répétée lance cette ver­sion. Les notes devi­en­nent de plus en plus graves en suiv­ant une gamme mineure. Cela donne une imposante présence au thème. L’introduction se développe, puis après 30 sec­on­des se développe le thème prin­ci­pal. Celui que Alber­to Mari­no chantera à par­tir de 1’20.

Paroles

Ten­go el corazón hecho peda­zos,
rota mi emo­ción en este día…
Noches y más noches sin des­can­so
y esta desazón del alma mía…
¡Cuán­tos, cuán­tos años han pasa­do,
gris­es mis cabel­los y mi vida!
Loco… casi muer­to… destroza­do,
con mi espíritu amar­ra­do
a nues­tra juven­tud.

Más frágil que el cristal
fue mi amor
jun­to a ti…
Cristal tu corazón, tu mirar, tu reír…
Tus sueños y mi voz
y nues­tra timidez
tem­b­lan­do suave­mente en tu bal­cón…
Y aho­ra sólo se
que todo se perdió
la tarde de mi ausen­cia.
Ya nun­ca volveré, lo sé, lo sé bien, ¡nun­ca más!
Tal vez me esper­arás, jun­to a Dios, ¡más allá!

Todo para mí se ha ter­mi­na­do,
todo para mí se tor­na olvi­do.
¡Trág­i­ca enseñan­za me dejaron
esas horas negras que he vivi­do!
¡Cuán­tos, cuán­tos años han pasa­do,
gris­es mis cabel­los y mi vida!
Solo, siem­pre solo y olvi­da­do,
con mi espíritu amar­ra­do
a nues­tra juven­tud…

Mar­i­ano Mores Letra: José María Con­tur­si

Traduction libre

Mon cœur est en morceaux, mon émo­tion est brisée en ce jour…
Des nuits et encore des nuits sans repos et ce malaise de mon âme…
Com­bi­en, com­bi­en d’années se sont écoulées, grison­nant mes cheveux et ma vie !
Fou… presque mort… détru­it, avec mon esprit amar­ré à notre jeunesse.

Plus frag­ile que le verre était mon amour avec toi…
De cristal, ton cœur, ton regard, ton rire…
Tes rêves et ma voix et notre timid­ité trem­blant douce­ment sur ton bal­con…
Et seule­ment main­tenant, je sais que tout a été per­du l’après-midi de mon absence.
Je n’y retourn­erai jamais, je sais, je le sais bien, plus jamais !
Peut-être m’attendrez-vous, à côté de Dieu, au-delà !

Tout pour moi est fini, tout pour moi devient oubli.
Trag­ique enseigne­ment que m’ont lais­sé ces heures som­bres que j’ai vécues !
Com­bi­en, com­bi­en d’années se sont écoulées, grison­nant mes cheveux et ma vie !
Seul, tou­jours seul et oublié, avec mon esprit amar­ré à notre jeunesse…

Autres versions

Cristal 1944-06-03 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Car­los Roldán.

Canaro ouvre le bal avec une ver­sion tonique et assez rapi­de. Le début spec­tac­u­laire que nous avons vu dans la ver­sion de Troi­lo est bien présent. On remar­quera la présence de l’Orgue Ham­mond et sa sonorité par­ti­c­ulière, juste avant que chante Car­los Roldán. Ce dernier est par moment accom­pa­g­né par le vibra­phone.

Cristal 1944-06-07 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Alber­to Mari­no. C’est notre tan­go du jour.
Cristal 1944-06-30 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Oscar Ser­pa.

Frese­do ne pou­vait pas pass­er à côté de ce thème qui sem­ble avoir été écrit pour lui. La struc­ture est très proche de celles de Canaro et Troi­lo, mais avec sa sonorité. La voix de Ser­pa, plus tran­chante que celle de Ray et Ruiz, donne un car­ac­tère toute­fois un peu dif­férent à cette inter­pré­ta­tion de Frese­do.

Cristal 1957 — Dal­va de Oliveira con acomp. de orques­ta.

L’introduction est rac­cour­cie et Dal­va de Oliveu­ra chante qua­si­ment tout de suite. Vous aurez sans doute remar­qué que cette ver­sion était chan­tée en Por­tu­gais avec quelques vari­antes. Vous trou­verez le texte en fin d’article. L’orchestre peut être celui de Fran­cis­co Canaro, car elle a enreg­istrée en 1957 avec lui, mais ce n’est pas sûr.

Cristal 1957-02-01 — Orques­ta Mar­i­ano Mores con Enrique Lucero.

Mar­i­ano Mores enreg­istre sa créa­tion. Mar­i­ano Mores se passe de sa spec­tac­u­laire intro­duc­tion pour jouer directe­ment son thème prin­ci­pal. Le piano fait le lien entre les dif­férents instru­ments, puis Enrique Lucero entre scène. Lucero a une belle voix, mais manque un peu de présence, asso­cié à un orchestre léger et sans doute trop poussé à des fan­taisies qui fait que cette ver­sion perd un peu de force dra­ma­tique. On ver­ra avec des ver­sions suiv­antes que Mores cor­rig­era le tir, du côté chant, mais pas for­cé­ment du côté orches­tral.

Cristal 1958 — Albert­in­ho For­tu­na com Alexan­dre Gnat­tali e a sua orques­tra.

Là encore, voir en fin d’article le texte en por­tu­gais brésilien.

Cristal 1961 — Astor Piaz­zol­la Y Su Quin­te­to Con Nel­ly Vázquez.

Piaz­zol­la enreg­istre à plusieurs repris­es le titre. Ici, une ver­sion avec Nel­ly Vázquez. On est dans autre chose.

Cristal 1962-04-27 — Orques­ta Arman­do Pon­tier con Héc­tor Dario.

Arman­do Pon­tier nous livre une ver­sion sym­pa­thique, avec un Héc­tor Dario qui lance avec énergie le thème.

Cristal 1965 — Ranko Fuji­sawa. Avec l’orchestre japon­ais de son mari,

Ranko nous prou­ve que le tan­go est vrai­ment inter­na­tion­al. Elle chante avec émo­tion.

Cristal 1978-08-01 — Rober­to Goyeneche con Orques­ta Típi­ca Porteña arr. y dir. Raúl Garel­lo.

Goyeneche a enreg­istré de nom­breuses fois ce titre, y com­pris avec Piaz­zol­la. Voici une de ses ver­sions, je vous en présen­terai une autre en vidéo en fin d’article. On voit que Piaz­zol­la est passé par là, avec quelques petites références dans l’orchestration.

Cristal 1984c — Clau­dia Mores con la Orques­ta de Mar­i­ano Mores.

Mar­i­ano revient à la charge avec Clau­dia, sa belle-fille. En effet, elle était mar­iée à Nico, le fils de Mar­i­ano. On retrou­ve l’orgue Ham­mond de Canaro dans cette ver­sion. Si elle est moins con­nue que son mari, il faut lui recon­naître une jolie voix et une remar­quables expres­siv­ité.

Cristal 1986 — Mar­i­ano Mores y su Orques­ta con Vik­ki Carr.

Une ren­con­tre entre Vik­ki Carr qui a habituelle­ment un réper­toire dif­férent. On notera que l’orchestre est plus sobre que dans d’autres ver­sions, même, si Mores ne peut pas s’empêcher quelques fan­taisies.

Cristal 1994 — Orques­ta Mar­i­ano Mores con Mer­cedes Sosa.

Atten­tion, pure émo­tion quand la Negra se lance dans Cristal. Sa voix si par­ti­c­ulière, habituée au folk­lore s’adapte par­faite­ment à ce thème. Atten­tion, il y a un break (silence) très long, ne perdez pas la fin en coupant trop vite. Avec cette ver­sion, on peut dire que Mores, avec ces trois femmes, a don­né de superbes ver­sions de sa com­po­si­tion, d’un car­ac­tère assez dif­férent de ce qu’ont don­né les autres orchestres, si on excepte Piaz­zol­la et ce qui va suiv­re.

Cristal 1994 — Susana Rinal­di con acomp. de orques­ta.

La même année encore une femme qui donne une superbe ver­sion du thème de Mores. Là, c’est la voix qui est essen­tielle. Une ver­sion étince­lante qui pour­rait rap­pel­er Piaf dans le vibra­to de la voix.

Cristal 1998 — Orques­ta Nés­tor Mar­coni con Adri­ana Varela.

Oui, encore une femme, une voix dif­férente. L’empreinte de Piaz­zol­la est encore présente. Nés­tor Mar­coni pro­pose un par­fait accom­pa­g­ne­ment avec son ban­donéon. Vous le ver­rez de façon encore plus spec­tac­u­laire dans la vidéo en fin d’article.

Cristal 2010c — Aure­liano Tan­go Club. Une intro­duc­tion très orig­i­nale à la con­tre­basse.

On notera aus­si la présence de la bat­terie qui éloigne totale­ment cette ver­sion du tan­go tra­di­tion­nel.

Versions en portugais

Voici le texte des deux ver­sions en por­tu­gais que je vous ai présen­tées.

Paroles

Ten­ho o coração feito em pedaços
Tra­go esfar­ra­pa­da a alma inteira
Noites e mais noites de cansaço
Min­ha vida, em som­bras, pri­sioneira
Quan­tos, quan­tos anos são pas­sa­dos
Meus cabe­los bran­cos, fim da vida
Lou­ca, quase mor­ta, der­ro­ta­da
No crepús­cu­lo apa­ga­do lem­bran­do a juven­tude
Mais frágil que o cristal
Foi o amor, nos­so amor
Cristal, teu coração, teu olhar, teu calor
Car­in­hos juve­nis, jura­men­tos febris
Tro­camos, doce­mente em teu portão
Mais tarde com­preen­di
Que alguém bem jun­to a ti
Man­cha­va a min­ha ausên­cia
Jamais eu voltarei, nun­ca mais, sabes bem
Talvez te esper­arei, jun­to a Deus, mais além

Harol­do Bar­bosa

À propos de la version d’Haroldo Barbosa

Le thème des paroles d’Haroldo Bar­bosa est sem­blable, mais ce n’est pas une sim­ple tra­duc­tion. Si la plu­part des images sont sem­blables, on trou­ve une dif­férence sen­si­ble dans le texte que j’ai repro­duis en gras.
« Plus tard, j’ai réal­isé que quelqu’un juste à côté de toi avait souil­lé mon absence.
 Je ne reviendrai jamais, plus jamais, tu sais. Peut-être que je t’attendrai, avec Dieu, dans l’au-delà ».
Con­traire­ment à la ver­sion de Con­tur­si, on a une cause de la sépa­ra­tion dif­férente et là, c’est lui qui atten­dra auprès de Dieu et non, elle qui atten­dra peut-être.

Roberto Goyeneche et Néstor Marconi, Cristal

Et pour ter­min­er, la vidéo promise de Goyeneche et Mar­coni. Cette vidéo mon­tre par­faite­ment le jeu de Mar­coni. Hier, nous avions Troi­lo à ses tout débuts, là, c’est un autre géant, dans la matu­rité.

Rober­to Goyeneche Nés­tor Mar­coni et Ángel Ridolfi (con­tre­basse) dans Cristal de Mar­i­ano Mores et José María Con­tur­si. Buenos Aires, 1987.

À demain, les amis!

Araca la cana 1933-06-06 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray

Enrique Delfino Letra: Mario Fernando Rada

Voici un des gros suc­cès des encuen­tros milongueros. Mais les danseurs qui se jet­tent sur ce titre ne savent peut-être pas que Troi­lo est le pre­mier à l’avoir enreg­istré, oui, mon­sieur, oui, madame, avant Frese­do… De plus, je peux même vous mon­tr­er le film où il joue ce titre. N’hésitez pas à la ten­ta­tion de voir le jeune Pichu­co à l’œuvre avec son ban­donéon en fin d’article.

L’expression Ara­ca la cana peut sem­bler mys­térieuse. Je vous don­nerai sa sig­ni­fi­ca­tion dans la tra­duc­tion des paroles.
Je vous pro­pose d’écouter main­tenant notre tan­go du jour.

Extrait musical

Ara­ca la cana 1933-06-06 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Rober­to Ray

Paroles

¡Ara­ca la cana!
Ya estoy engriyao…
Un par de ojos negros me han engay­olao.
Oja­zos pro­fun­dos, oscuros y bravos,
tajantes y fieros hieren al mirar,
con bril­los de acero que van a matar.
De miedo al mirar­los el cuor me ha fayao.
¡Ara­ca la cana! ya estoy engriyao.

Yo que anduve entreverao
en mil y una ocasión
y en todas he gua­peao
yo que al bar­do me he jugao
entero el corazón
sin asco ni cuidao.
Como un gil ven­go a ensar­tarme
en esta daga que va a matarme
si es pa’ creer que es cosa’e Dios
que al guapo más capaz
le faye el corazón.

Enrique Delfi­no Letra : Mario Fer­nan­do Rada

Traduction libre et indications

Ara­ca la cana ! (En français, on dirait, 22 ou 22 voilà les flics, la police. C’est un cri d’alarme sig­nalant un dan­ger). Je suis déjà der­rière les bar­reaux (en prison)
Une paire d’yeux noirs m’a empris­on­né. Des yeux pro­fonds, som­bres et féro­ces, vifs et féro­ces, qui blessent quand ont les regarde, avec des éclairs d’acier qui vont tuer.
De peur, en les regar­dant, le cœur m’a man­qué.
Ara­ca la cana ! Je suis déjà engril­lagé. Moi qui ai été impliqué en mille et une occa­sions et dans toutes, j’ai affron­té, moi, qui naturelle­ment ai misé tout mon cœur sans répug­nance ni pré­cau­tion.
Comme un cave (type quel­conque, ne con­nais­sant pas le milieu, la pègre), je viens m’embrocher sur ce poignard qui me tuera si c’est pour croire que c’est la chose de Dieu qu’au plus beau et plus capa­ble, le cœur lui manque (fait défaut).

Autres versions

Nous ver­rons les deux pre­mières ver­sions en fin d’article, car elles sont dans le film Los tres berretines.

Ara­ca la cana 1933-06-06 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Rober­to Ray. C’est notre tan­go du jour.
Ara­ca la cana 1933-06-12 — Car­los Gardel con acomp. de Guiller­mo Bar­bi­eri, Domin­go Riverol, Domin­go Julio Vivas, Hora­cio Pet­torossi (gui­tar­ras).

Un tout petit peu après Frese­do, Gardel enreg­istre sa ver­sion.

Ara­ca la cana 1933-06-16 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Ernesto Famá.

Canaro n’est jamais en retard quand il s’agit d’enregistrer un suc­cès. Voici donc sa ver­sion. Avec des pas­sages doux et lyriques, pas si fréquents dans cette péri­ode de son orchestre. Peut-être l’influence de Frese­do dont la ver­sion dans le film était sor­tie le mois précé­dent.

Ara­ca la cana 1951 — Edmun­do Rivero con orques­ta dir. por Vic­tor M. Buchi­no.

Une ver­sion qui n’est prob­a­ble­ment pas pour les car­diaques. En effet, le démar­rage de Edmun­do Rivero après une intro­duc­tion longue sur­prend. Bien sûr, ce n’est pas une ver­sion de danse.

Bébé Troilo

Le film annon­cé en début d’article, s’apppelle Los tres berretines. Berretin a plusieurs sens qui vont de caprice, loisir, caprice amoureux à pas­sion… Dans le cas du film, ce sont les trois pas­sions des Portègnes, à savoir, le ciné, le foot­ball et… le tan­go. Pour être pré­cis, dans la pièce de théâtre antérieure, c’était le tan­go, le foot­ball et… la radio. Mais pour faire un film, c’était mieux de met­tre le ciné­ma au cœur de l’action.
C’est le deux­ième film sonore argentin, sor­ti le 19 de mai 1933, soit une semaine après Tan­go que nous avons déjà évo­qué à propo de El Cachafaz et presque un mois avant l’enregistrement de notre tan­go du jour par Frese­do et Ray.
Il a été dirigé par Enrique Telé­ma­co Susi­ni à par­tir d’un scé­nario de Arnal­do Mal­fat­ti et Nicolás de las Llan­deras. L’extrait que je vais vous présen­ter présente le tan­go du jour, inter­prété par un orchestre imag­i­naire, EL Con­jun­to Nacional Foc­cile Marafiot­ti. Vous recon­naîtrez sans mal le jeune ban­donéon­iste, alors âgé de 18 ans, Aníbal Troi­lo. Il s’agit du sec­ond plus ancien enreg­istrement de lui dont nous dis­posons, le plus ancien étant avec Car­los Gardel (La que nun­ca tuvo novio de 1931).
Osval­do Frese­do fai­sait aus­si par­tie de l’équipe du film, il était donc par­faite­ment légitime pour enreg­istr­er ce titre.
L’intrigue du film est autour des pas­sions des enfants d’un quin­cail­li­er. Les affaires de la quin­cail­lerie ne sont pas bril­lantes et le père se dés­espère de voir ses enfants délaiss­er l’entreprise famil­iale pour leurs pas­sions. Nous nous intéres­sons à la par­tie tan­go du film avec un des fils, joué par Luis San­dri­ni qui veut devenir com­pos­i­teur de tan­go.

Extraits du film Los tres berretines

Affiche du film Los tres berretines. Elle annonce que c’est le pre­mier film par­lant, mais c’est en fait le sec­ond, tan­go étant sor­ti la semaine d’avant.

Troi­lo, qui a donc l’honneur, à 18 ans, de jouer dans le sec­ond film sonore argentin appa­raît jouant à la moitié du film qui dure moins d’une heure. Je vous pro­pose plusieurs extraits per­me­t­tant de voir com­ment était com­posé et lancé un tan­go au début de l’âge d’or.
Dans le pre­mier extrait, Aníbal Troi­lo joue avec le vio­loniste Vicente Tagli­a­coz­zo. José María Rizut­ti, le pianiste s’entend, mais ne se voit pas.
Pour cor­riger cette injus­tice, je vous pro­pose un autre extrait où on le voit jouer Ara­ca la cana, ou plutôt ce qui va le devenir, au piano. Il le joue sous la dic­tée sif­flée de Luis San­dri­ni. (qui ressem­ble à Enrique Delfi­no, l’auteur du tan­go du jour).
La nais­sance d’un tan­go, c’est aus­si l’écriture des paroles. Ici, on voit un poète (qui n’est pas joué par Mario Fer­nan­do Rada l’auteur des paroles). La tasse de café au lait devant le poète, c’est le prix payé pour les paroles. La tran­scrip­tion de la musique ayant été payée 5 pesos un peu plus tôt dans le film à José María Rizut­ti qui avait joué sous la dic­tée sif­flée par Luis San­dri­ni dans la scène du piano.
Dès les paroles ter­minées, les musi­ciens et le chanteur (Luis Díaz) se ruent au bal­con réservé aux orchestres. On peut ain­si enten­dre la pre­mière ver­sion de Ara­ca la Cana avec Aníbal Troi­lo (ban­donéon) Vicente Tagli­a­coz­zo (vio­lon) José María Rizut­ti (piano) et Luis Díaz (chant).
Le dernier extrait, c’est l’orchestre de Osval­do Frese­do jouant le titre sur la scène d’un bal et la scène finale du film. Le berretin « tan­go » aura ain­si aidé à sauver l’entreprise famil­iale.

Extraits choi­sis par DJ BYC Bernar­do du film Los tres berretines.

Racing Club 1930-06-03 – Sexteto Carlos Di Sarli

Vicente Greco Letra : Carlos Pesce

Les Argentins sont toqués de foot­ball, comme peu d’autres peu­ples. Cha­cun est hin­cha (fan) d’un club. Il était donc naturel que cela se retrou­ve dans l’autre pas­sion de cer­tains Argentins, le tan­go. Notre tan­go du jour ne brille pas for­cé­ment par ses paroles, mais la musique de Vicente Gre­co est intéres­sante et comme toutes les ver­sions enreg­istrées sont instru­men­tales, on peut danser, même si on déteste le foot­ball.

Extrait musical

Par­ti­tion pour piano de Rac­ing Club. On voit que sur la cou­ver­ture de la par­ti­tion, la dédi­cace aux affil­iés au Rac­ing Club et la men­tion « Tan­go Foot­bal­lis­ti­co ». L’orthographe est plus proche de l’anglais que l’orthographe actulle, les Argentins écrivent désor­mais Fut­bol.
Rac­ing Club 1930-06-03 – Sex­te­to Car­los Di Sar­li.

On con­naît bien l’entrée en matière énergique. Cette ver­sion se dis­tingue de bien des enreg­istrements de l’époque, par un bel étage­ment des instru­ments, avec un motif de vio­lon qui lie le tout et quelques relances de piano ou de ban­donéon. Cette ver­sion est assez mod­erne et pour­rait prob­a­ble­ment pass­er en milon­ga, notam­ment, s’il y a beau­coup de piétineurs dans les par­tic­i­pants.
Pour cet enreg­istrement, le sex­te­to est com­posé des musi­ciens suiv­ants :
César Gin­zo et Tito Landó (ban­donéons) Car­los Di Sar­li (piano) Rober­to Guisa­do et Héc­tor Lefalle (vio­lons) et Domin­go Capurro à la con­tre­basse.

Paroles

Rac­ing Club de Avel­lane­da
club de mi pueblo queri­do,
yo que admiro con car­iño
tu valiente batal­lar
en esas horas glo­riosas
para el deporte argenti­no,
fuiste campeón gen­uino
de la masa pop­u­lar.

Rac­ing Club, vos que diste
acad­e­mia en la Améri­ca del Sur
gran campeón de los tiem­pos viejos de oro
del fut­bol de mi Nación,
yo quisiera ver tri­un­far a tus col­ores,
que son los de mi ban­dera
porque aún seguís sien­do para todos
el glo­rioso Rac­ing Club.

Noble club con gran car­iño
te sigue la muchacha­da
la que tan entu­si­as­ma­da
te sabrá siem­pre alen­tar,
porque sos vos Rac­ing Club
la glo­ria del tiem­po de oro
como el Alum­ni que añoro
y jamás volverá.

Vicente Gre­co Letra: Car­los Pesce

Traduction libre et indications

Rac­ing Club de Avel­lane­da, club de mon vil­lage bien-aimé, moi qui admire avec affec­tion ta courageuse bataille en ces heures glo­rieuses pour le sport argentin, tu as été un véri­ta­ble cham­pi­on des mass­es pop­u­laires.
Rac­ing Club, toi qui as don­né académie en Amérique du Sud, grand cham­pi­on de l’ancien âge d’or du foot­ball dans ma nation, je voudrais voir tri­om­pher tes couleurs, qui sont celles de mon dra­peau, car tu es tou­jours pour nous tous, le glo­rieux Rac­ing Club.
Noble club, avec beau­coup d’affection te suit la foule, celle qui avec tant d’enthousiasme saura tou­jours t’encourager, car tu es, toi,
Rac­ing Club, la gloire de l’âge d’or, comme L’Alum­ni (club de foot­ball des élèves de l’école Willis High School, dis­paru en 1913) qui me manque et jamais ne revien­dra.
Les fans de foot pour­ront regarder cette courte vidéo présen­tant l’histoire du club Alum­ni.

https://youtu.be/R5Nr6FKgJ6k

His­toire du club Alum­ni en vidéo. Les mail­lots ont des rayures comme celles du Rac­ing Club, mais rouges et blanch­es au lieu de célestes et blanch­es.

Pour les super­fans qui s’intéressent à l’histoire des stades, je pro­pose ce doc­u­ment, seule­ment en espag­nol, mais bien doc­u­men­té sur la vie des stades, notam­ment à par­tir d’exemples portègnes. El ciclo de vida de los esta­dios porteños (PDF).

Autres versions

Rac­ing Club 1916 – Orques­ta Típi­ca Fer­rer (Orques­ta Típi­ca Argenti­na Celesti­no).

Je pense que vous êtes désor­mais habitué à ce son linéaire. La prise de son acous­tique ne rend sans doute pas une grande jus­tice à la presta­tion. Les nuances sont impos­si­bles. Jouer moins fort, c’est pren­dre le risque que la musique dis­paraisse dans le bruit de fond du disque. On entend cepen­dant de jolis motifs, comme les « twitwiti­tis » de la flûte, en arrière-plan. Comme avec la plu­part des tan­gos de l’époque, on peut trou­ver le résul­tat monot­o­ne, les dif­férentes par­ties étant très sim­i­laires, pour ne pas dire iden­tiques.

Rac­ing Club 1930-06-03 – Sex­te­to Car­los Di Sar­li. C’est notre tan­go du jour.
Rac­ing Club 1940-07-04 – Orques­ta Car­los Di Sar­li.

Avec son orchestre, Di Sar­li enreg­istre de nou­veau le titre. Une ver­sion vrai­ment très dif­férente de la ver­sion de 1930 qui per­met de mesur­er son évo­lu­tion et recon­naître ses évo­lu­tions futures. Rober­to Guisa­do (vio­lon) et Car­los Di Sar­li (piano), sont les seuls musi­ciens ayant par­ticipé au sex­te­to.

Rac­ing Club 1942 – Orques­ta Aníbal Troi­lo.

Bien que ce ne soit pas son club de cœur, il était de Riv­er, Troi­lo a enreg­istré le titre. La qual­ité sonore est médiocre, car c’est un enreg­istrement en acé­tate réal­isé lors d’une presta­tion à la radio, c’est dom­mage, avec un enreg­istrement cor­rect, on aurait eu une ver­sion ani­mée pour les milon­gas.

Rac­ing Club 1946-03-29 – Orques­ta Ángel D’Agostino.

On ne s’attend sans doute pas à trou­ver cet enreg­istrement de la part de D’Agostino. Mais c’est sans doute qu’on priv­ilégie les enreg­istrements avec Ángel Var­gas qui pousse d’Agostino à plus de douceur et de roman­tisme. On notera un appel en début de morceau, au ban­donéon, dif­férents des ver­sions précé­dentes.

Rac­ing Club 1949-10-13 – Orques­ta Alfre­do Gob­bi.

Le moins qu’on puisse dire est que Gob­bi n’est pas très apprécié/passé en milon­ga, mais si on le passe, c’est avec Rac­ing Club et Orlan­do Goñi, La viru­ta et bien sûr Inde­pen­di­ente Club qui est le pen­dant par­fait de Rac­ing Club, puisque c’est un club con­cur­rent. Peu de DJ s’aventurent beau­coup plus loin et c’est sans doute mieux ain­si, car il est dif­fi­cile de faire une belle tan­da, homogène, avec le reste de ses enreg­istrements… Gob­bi utilise le même appel au ban­donéon que D’Agostino.

Rac­ing Club 1950-09-13 – Orques­ta Rodol­fo Bia­gi.

Rac­ing Club 1950-09-13 – Orques­ta Rodol­fo Bia­gi. Bon, c’est du Bia­gi. Cela se recon­naît dès le début, Bia­gi entre directe­ment dans le « Tchang – Tchang » qui lui est cher. Ceux qui n’ont pas recon­nu, le fer­ont au bout des quinze pre­mières sec­on­des, lors de la pre­mière vir­gule (la petite fior­i­t­ure) de Bia­gi au piano. Même si Bia­gi a de nom­breux fans, il est dif­fi­cile de met­tre plus de deux tan­das de cet orchestre dans une milon­ga si on veut pro­pos­er un éven­tail de sen­sa­tions plus large. Mais cer­tains sont prêts à danser toute la nuit avec Bia­gi, alors, ojo comme on dit en Argen­tine, atten­tion, DJ, on t’a à l’œil, ou plutôt à l’oreille).

Rac­ing Club 1966-10-07 – Los Siete Del Tan­go dir. y arr. Luis Sta­zo y Orlan­do Trípo­di.

Pour ter­min­er, cette liste qui pour­rait bien sûr être plus longue, cette ver­sion par les anciens musi­ciens de Pugliese, Los Siete Del Tan­go (les 7 du tan­go). On n’est plus dans la danse, mais c’est de la belle ouvrage. On notera que le début est celui de D’Agosti­no, mais revu. Il est plus lent et annonce une pause avant le début du morceau.

Pour réconcilier les footeux et les tangueros et faire plaisir à ceux qui sont les deux

Je vous pro­pose cette vidéo avec comme musique, Que­jas de ban­doneón par Aníbal Troi­lo, dan­sé à San Tel­mo (quarti­er de buenos Aires) par un cou­ple vir­tu­ose du bal­lon rond. Petite fan­taisie, Troi­lo était hin­cha de Riv­er Plate (Les anglo-sax­ons par­lent de Riv­er Plate pour le Río de la Pla­ta), pas du Rac­ing, mais comme fana­tique de foot­ball, il me par­don­nera sans doute, d’autant plus qu’il a enreg­istré Rac­ing Club…
Pour le Rac­ing, il faudrait plutôt choisir Atilio Stam­pone qui était hin­cha de ce club, mais il n’a pas enreg­istré le titre…

Réal­isé pour la coupe du Monde de 2018, ce film était dans le cadre de la cam­pagne fut­bol deporte nacional (Foot­ball, Sport Nation­al).

Allez, un dernier truc, une playlist pour hin­chas de Rac­ing sur Spo­ti­fy… ATTENTION, cela n’a rien de tan­go, c’est juste pour vous aider à pren­dre la dimen­sion du phénomène foot­ball en Argen­tine.

Del barrio de las latas, Tita Merello y la cuna del tango

Raúl Joaquín de los Hoyos Letra: Emilio Augusto Oscar Fresedo

Je n’étais pas totale­ment inspiré par les tan­gos enreg­istré un pre­mier juin, alors j’ai décidé de vous par­ler d’un tan­go qui a été étren­né un pre­mier juin. Il s’agit de Del bar­rio de la latas (du quarti­er des bar­ils) que Tita Merel­lo inter­pré­ta sur scène pour la pre­mière fois le pre­mier juin de 1926 au théâtre Maipo. Le quarti­er décrit ne dura que trente ans et est, du moins pour cer­tains, le berceau du tan­go.

Le quartier des bidons

Le pét­role lam­pant, avant de servir aux avions d’aujourd’hui sous le nom de kérosène, était util­isé pour l’éclairage, d’où son nom. Les plus jeunes n’ont sans doute pas con­nu cela, mais je me sou­viens de la magie, quand j’étais gamin de la lampe à pét­role dont on fai­sait sor­tir la mèche en tour­nant une vis. J’ai encore la sen­sa­tion de cette vis moletée sur mes doigts et la vision de la mèche de coton qui sor­tait mirac­uleuse­ment et per­me­t­tait de régler la lumi­nosité. La réserve de la mèche qui trem­pait dans le pét­role parais­sait un ser­pent et sa présence me gênait, car elle assom­bris­sait la trans­parence du verre.

Je n’ai plus les lam­pes à pét­role de mon enfance, mais je me sou­viens qu’elles avaient une corolle en verre. Impos­si­ble d’en trou­ver en illus­tra­tion, toutes ont le tube blanc seul. J’imagine que les corolles ont été réu­til­isées pour faire des lus­tres élec­triques. Je me suis donc fab­riqué une lampe à pét­role, telle que je m’en sou­viens, celle de gauche. En fait, le verre était mul­ti­col­ore. J’ai fait au plus sim­ple, mais sans le génie des arti­sans du XIXe siè­cle qui avaient créé ces mer­veilles. J’ai finale­ment trou­vé une lampe com­plète (à droite). Je l’ai rajoutée à mon illus­tra­tion. Le verre est plus trans­par­ent, ceux de mon enfance étaient plus proches de celui de gauche et les couleurs étaient bien plus jolies, mais cela prou­ve que l’on peut encore trou­ver des lam­pes com­plètes.

Vous aurez com­pris que ces lam­pes étaient des­tinées aux familles aisées, pas aux pau­vres émi­grés qui traî­naient aux alen­tours du port. Ces derniers cepen­dant « béné­fi­ci­aient » de l’industrie du pét­role lam­pant en récupérant les bidons vides.
La ville qui s’est ain­si mon­tée de façon anar­chique est exacte­ment ce qu’on appelle un bidonville. Mais ici, il s’agit d’un quarti­er, bar­rio de latas boîtes de con­serve, bidons…

Une masure con­sti­tuée de bidons d’huile et de pét­role lam­pant du quarti­er de las latas

Arrê­tons-nous un instant sur cette pho­togra­phie. On recon­naît bien la forme des bidons par­al­lélépipédiques qui ser­vaient à con­tenir l’huile et le pét­role lam­pant. On sait qu’ils étaient rem­plis de terre par l’auteur de l’ouvrage William Jacob Hol­land (1848–1932) rela­tant l’expédition sci­en­tifique envoyée par le Carnegie Muse­um. L’ouvrage a été pub­lié en 1913, preuve qu’il restait des élé­ments de ce type de con­struc­tion à l’époque. En fait, il y en a tou­jours de nos jours.
Voici un extrait du livre par­lant de ce loge­ment.

La page 164 et un inter­calaire (situé entre les pages 164 et 165) avec des pho­togra­phies. On notera le con­traste entre le Teatro Colón et la masure faite de bidons d’huile et de pét­role lam­pant.

To the River Plate and back (page 162)

The Argen­tines are a plea­sure-lov­ing peo­ple, as is attest­ed by the num­ber of places of amuse­ment which are to be found. The Colon The­ater is the largest opera-house in South Amer­i­ca and in fact in the world, sur­pass­ing in size and in the splen­dor of its inte­ri­or dec­o­ra­tion the great Opera-house in Paris. To it come most of the great oper­at­ic artists of the day, and to suc­ceed upon the stage in Buenos Aires is a pass­port to suc­cess in Madrid, Lon­don, and New York.

In con­trast with the Colon The­atre may be put a hut which was found in the sub­urbs made out of old oil-cans, res­cued from a dump­ing-place close at hand. The cans had been filled with earth and then piled up one upon the oth­er to form four low walls. The edi­fice was then cov­ered over with old roof­ing-tin, which like­wise had been picked up upon the dump. The struc­ture formed the sleep­ing apart­ment of an immi­grant labor­er, whose resource­ful­ness exceed­ed his resources. His kitchen had the sky for a roof; his pantry con­sist­ed of a cou­ple of pails cov­ered with pieces of board. Who can pre­dict the future of this new cit­i­zen?

William Jacob Hol­land; To the Riv­er Plate and back. The nar­ra­tive of a sci­en­tif­ic mis­sion to South Amer­i­ca, with obser­va­tions upon things seen and sug­gest­ed. Page 162.

Traduction de l’extrait du livre de William Jacob Holland

Les Argentins sont un peu­ple qui aime les plaisirs, comme l’atteste le nom­bre de lieux de diver­tisse­ment qu’on y trou­ve. Le théâtre Colon est le plus grand opéra d’Amérique du Sud et même du monde, sur­pas­sant par la taille et la splen­deur de sa déco­ra­tion intérieure le grand opéra de Paris. C’est là que vien­nent la plu­part des grands artistes lyriques de l’époque, et réus­sir sur la scène de Buenos Aires est un passe­port pour le suc­cès à Madrid, à Lon­dres et à New York.

En con­traste avec le théâtre de Colon, on peut met­tre une cabane qui a été trou­vée dans les faubourgs, faite de vieux bidons d’huile, sauvés d’une décharge à prox­im­ité. Les boîtes avaient été rem­plies de terre puis empilées les unes sur les autres pour for­mer qua­tre murets. L’édifice fut alors recou­vert de vieilles plaques de tôle de toi­ture, qui avaient égale­ment été ramassées sur la décharge. La struc­ture for­mait l’appartement de som­meil d’un tra­vailleur immi­gré, dont l’ingéniosité dépas­sait les ressources. Sa cui­sine avait le ciel pour toi ; son garde-manger se com­po­sait de deux seaux recou­verts de morceaux de planche. Qui peut prédire l’avenir de ce nou­veau citoyen ?

William Jacob Hol­land ; Vers le Rio de la Pla­ta et retour. Le réc­it d’une mis­sion sci­en­tifique en Amérique du Sud, avec des obser­va­tions sur les choses vues et sug­gérées.

Et un autre paragraphe sur les femmes à Buenos Aires, toujours dans le même ouvrage

La demi-réclu­sion du beau sexe, qui est val­able en Espagne, pré­vaut dans tous les pays d’Amérique du Sud, qui ont hérité de l’Espagne leurs cou­tumes et leurs tra­di­tions. Les dames appa­rais­sent dans les rues plus ou moins étroite­ment voilées, très rarement sans escorte, et jamais sans escorte après le couch­er du soleil. Pour une femme, paraître seule dans les rues, ou voy­ager sans escorte, c’est tôt ou tard s’exposer à l’embarras. Le mélange libre mais respectueux des sex­es qui se pro­duit dans les ter­res nordiques est incon­nu ici. Les vête­ments de deuil sem­blent être très affec­tés par les femmes des pays d’Amérique latine. Je dis à l’une de mes con­nais­sances, alors que nous étions assis et regar­dions la foule des pas­sants sur l’une des artères bondées : «Il doit y avoir une mor­tal­ité effroy­able dans cette ville, à en juger par le nom­bre de per­son­nes en grand deuil. Il sourit et répon­dit : « Les femmes regar­dent les vête­ments noirs avec faveur comme déclen­chant leurs charmes, et se pré­cip­i­tent dans le deuil au moin­dre pré­texte. La ville est raisonnable­ment saine. Ne vous y trompez pas. »

On est vrai­ment loin de l’atmosphère que respirent les tan­gos du début du vingtième siè­cle. L’auteur, d’ailleurs, ne s’intéresse pas du tout à cette pra­tique et ne men­tionne pas le tan­go dans les 387 pages de l’ouvrage…

Extrait musical

Bon, il est temps de par­ler musique. Bien sûr, on n’a pas l’enregistrement de la presta­tion de Tita Merel­lo le pre­mier juin 1929. En revanche, on a un enreg­istrement bien pus tardif puisqu’il est de 1964. C’est donc lui qui servi­ra de tan­go du jour.
L’autre avan­tage de choisir cette ver­sion est que l’on a les paroles com­plètes.

Del bar­rio de las latas 1964 Tita Merel­lo con acomp. de Car­los Figari y su con­jun­to.

Bon, c’est un tan­go à écouter, je passe tout de suite aux paroles qui sont plus au cœur de notre anec­dote du jour.

Paroles

Del bar­rio de las latas
se vino pa’ Cor­ri­entes
con un par de alpar­gatas
y pilchas inde­centes.
La suerte tan mis­ton­ga
un tiem­po lo trató,
has­ta que al fin, un día,
Bel­trán se aco­modó.

Y hoy lo vemos por las calles
de Cor­ri­entes y Esmer­al­da,
estriban­do unas polainas
que dan mucho dique al pan­talón.
No se acuer­da que en Boe­do
arregla­ba cancha’e bochas,
ni de aque­l­la vie­ja chocha,
por él, que mil veces lo ayudó.

Y allá, de tarde en tarde,
hacien­do comen­tar­ios,
las vie­jas, con los chismes
revuel­ven todo el bar­rio.
Y dicen en voz baja,
al ver­lo un gran señor:
“¿Tal vez algún des­cui­do
que el mozo aprovechó?”

Pero yo que sé la his­to­ria
de la vida del mucha­cho,
que del bar­rio de los tachos
llegó por su pin­ta has­ta el salón,
ase­guro que fue un lance
que que­bró su mala racha,
una vie­ja muy ricacha
con quien el mucha­cho se casó.

Raúl Joaquín de los Hoyos Metra: Emilio Augus­to Oscar Frese­do

Traduction libre et indications

Depuis le bidonville, il s’en vint par Cor­ri­entes avec une paire d’espadrilles et des vête­ments indé­cents.
La chance si pin­gre un cer­tain temps l’a bal­lot­té, jusqu’à ce qu’un jour, Bel­tran s’installe.
Et aujourd’hui, nous le voyons dans Cor­ri­entes et Esmer­al­da, por­tant des guêtres qui don­nent beau­coup d’allure au pan­talon.
Il ne se sou­vient pas qu’à Boe­do, il réparait le ter­rain de boules ni de cette vieille rado­teuse, selon lui, qui mille fois l’a aidé.
Et là, de temps à autre, faisant des com­men­taires, les vieilles femmes, avec leurs com­mérages, remuent tout le quarti­er.
Et elles dis­ent à voix basse en le voy­ant en grand mon­sieur :
« Peut-être quelque nég­li­gence dont le beau gosse a prof­ité ? »
Mais moi qui con­nais l’histoire de la vie du garçon qui est venu du quarti­er des poubelles et qui par son allure parvint jusqu’au salon, je vous assure que c’est un coup de chance qui a brisé sa mau­vaise série, une vieille femme très riche avec qui le garçon s’est mar­ié.

Autres versions

Del bar­rio de las latas 1926 — Car­los Gardel con acomp. de Guiller­mo Bar­bi­eri, José Ricar­do (gui­tar­ras).

Le plus ancien enreg­istrement, du tout début de l’enregistrement élec­trique.

Del bar­rio de las latas 1926-11-16 — Sex­te­to Osval­do Frese­do.

Une ver­sion bien piéti­nante pour les ama­teurs du genre. Pas vilain, mais un peu monot­o­ne et peu prop­ice à l’improvisation. Son frère n’a pas encore écrit les paroles.

Del bar­rio de las latas 1926-11-21 — Orques­ta Juan Maglio Pacho.

Pour les mêmes. Cela fait du bien quand ça s’arrête 😉

Del bar­rio de las latas 1927-01-19 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Les piétineurs, je vous gâte. Cette ver­sion a en plus un con­tre­point très sym­pa. On pour­rait se laiss­er ten­ter, dis­ons que c’est la pre­mière ver­sion que l’on pour­rait envis­ager en milon­ga.

Del bar­rio de las latas 1954-04-21 — Orques­ta Car­los Di Sar­li con Mario Pomar.

On fait un bond dans le temps, 27 ans plus tard, Di Sar­li enreg­istre avec Pomar la pre­mière ver­sion géniale à danser, pour une tan­da roman­tique, mais pas sopori­fique.

Del bar­rio de las latas 1964 Tita Merel­lo con acomp. de Car­los Figari y su con­jun­to. C’est notre tan­go du jour.

Pas pour la danse, mais comme déjà évo­qué, il nous rap­pelle que c’est Tita qui a inau­guré le titre, 35 ans plus tôt.

Del bar­rio de las latas 1968-06-05 — Cuar­te­to Aníbal Troi­lo.

Pour ter­min­er notre par­cours musi­cal dans le bidonville. Je vous pro­pose cette superbe ver­sion par le cuar­te­to de Aníbal Troi­lo.
La rel­a­tive dis­cré­tion des trois autres musi­ciens per­met d’apprécier toute la sci­ence de Troi­lo avec son ban­donéon. Il s’agit d’un cuar­te­to nou­veau pour l’occasion et qui dans cette com­po­si­tion ne sera act­if qu’en 1968. Il était com­posé de :
Aníbal Troi­lo (ban­donéon), Osval­do Berlingieri (piano), Ubal­do De Lío (gui­tare) et Rafael Del Bag­no (con­tre­basse).

La cuna del tango – Le berceau du tango

Le titre de l’article du jour par­le de berceau du tan­go, mais on n’a rien vu de tel pour l’instant. Je ne vais pas vous bercer d’illusions et voici donc pourquoi ce quarti­er de bidons serait le berceau du tan­go.

Où se trouvait ce quartier

Nous avons déjà évo­qué l’importance du Sud de Buenos Aires pour le tan­go. Avec Sur, bien sûr, mais aus­si avec En lo de Lau­ra (en fin d’ar­ti­cle).

À cause de la peste de 1871, les plus rich­es qui vivaient dans cette zone se sont expa­triés dans le Nord et les pau­vres ont con­tin­ué de s’amasser dans le sud de Buenos Aires, autour des points d’arrivée des bateaux.
La même année, Sarmien­to con­fir­ma que la zone était la décharge d’ordures de Buenos Aires. Le vol­ume des immondices accu­mulées à cet endroit était de l’ordre de 600 000m3. Une épais­seur de 2 mètres sur une sur­face de 3km². On com­prend que les pau­vres se fab­riquent des abris avec les matéri­aux récupérés dans cette décharge.

El tren de la basura (le train des ordures)

Le train des ordures. El tren de la basura qui appor­tait les ordures à prox­im­ité du bar­rio de las latas.

Pour ali­menter cette immense décharge, un train a été mis en place pour y trans­porter les ordures. Il par­tait de Once de sep­tiem­bre (la gare) et allait jusqu’à la Que­ma lieu où on brûlait les ordures (Que­mar en espag­nol est brûler).
L’année dernière, les habi­tants du quarti­er où pas­sait ce train ont réal­isé la  fresque qui retrace l’histoire de ce train.

Pein­ture murale du train des ordures, calle Oruro (elle est représen­tée à gauche avec le petit train qui va pass­er sur le pont rouge).
His­toire du train de la basura qui a com­mencé à fonc­tion­ner le 30 mai 1873.
La mon­tagne d’or­dures. Dans la pein­ture murale, des élé­ments réels ont été insérés. Il y a le nom des deux pein­tres et de ceux qui ont don­né des “ordures” pour l’œu­vre.

ET le berceau du tango ?

Ah oui, je m’égare. Dans la zone de la décharge, il y avait donc de l’espace qui n’était pas con­voité par les rich­es, à cause bien sûr des odeurs et des fumées. Même le pas­sage du train était une nui­sance. S’est rassem­blée dans ces lieux la foule inter­lope qui sera le ter­reau pré­sumé du tan­go.
Il faut rajouter dans le coin les abat­toirs, des abat­toirs qui feraient frémir aujourd’hui, tant l’hygiène y était ignorée.

Los Cor­rales Viejos (situé à Par­que Patri­cios),  les abat­toirs et le lieu de la dernière bataille, le 22 juin 1880, des guer­res civiles argen­tines. Elle a vu la vic­toire des forces nationales et donc la défaite des rebelles de la province de Buenos Aires.

Extrait de La Pishuca (anonyme)

Anoche en lo de Tran­queli
Bailé con la Bolado­ra
Y esta­ba la par­da Flo­ra
Que en cuan­to me vio estriló,
Que una vez en los Cor­rales
En un cafetín que esta­ba,
Le tuve que dar la bia­ba
Porque se me rever­só.

Anonyme

Traduction de la La Pishuca

Hier soir à lo de Tran­queli, j’ai dan­sé avec la Bolado­ra. Il y avait la Par­da Flo­ra (Uruguayenne mulâtresse ayant tra­vail­lé à Lo de Lau­ra et danseuse réputée). Quand elle m’a vu, elle s’est mise en colère, car aux Cor­rales dans un café où elle était, j’avais dû lui don­ner une bran­lée, car j’étais retourné.

Il y a donc une per­méa­bil­ité entre les deux mon­des.

Sur l’origine du tan­go, nous avons d’autres sources qui se rap­por­tent à cette zone. Par exem­ple ce poème de Fran­cis­co Gar­cía Jiménez (qui a par ailleurs don­né les paroles de nom­breux tan­gos) :

Poème de Francisco García Jiménez (en lunfardo)

La cosa jué por el sur,
y acon­te­ció n’el ochen­ta
ayá en los Cor­rales Viejos,
por la caye de la Are­na.

Sal­ga el sol, sal­ga la luna,
sal­ga la estreya may­or.
La cita es en La Blan­quia­da;
naide falte a la riu­nión…

Los hom­bres den­traron serios
y cayao el mujerío:
siem­pre se yega a un bai­lon­go
como al cruce del des­ti­no.

Tocaron tres musi­cantes
hacien­do pun­t’al fes­te­jo:
con flau­ta, gui­tar­ra y arpa,
un rubio, un par­do y un negro.

Salieron los bailar­ines
por valse, mazur­ca y pol­ca;
y entre medio, una pare­ja
sal­ió bai­lan­do otra cosa.

El era un güen cuchiyero,
pero de genio pru­dente.
Eya una chi­na pin­tona,
mejo­ran­do lo pre­sente.

Eya se llam­a­ba Flo­ra
y él se apel­l­id­a­ba Tre­jo:
con cortes y con que­bradas
lo firma­ban en el sue­lo.

No lo hacían de com­padres
¡y com­padrea­ban sin güelta!
Al final bail­a­ban solos
pa’­con­tener a la rue­da.

Bailaron una mes­tu­ra
que no era pa’­matur­ran­gos,
de habanera con can­dombe,
de milon­ga con fan­dan­go.

Jué un domin­go, en los Cor­rales
cuan­do inven­taron el tan­go.

Fran­cis­co Gar­cía Jiménez

Traduction libre du poème de Francisco García Jiménez

Cela s’est passé vers le sud, et cela s’est passé dans les années qua­tre-vingt dans les Cor­rales viejos, le long de la Calle de la Are­na (la rue de sable, en Argen­tine, beau­coup de villes ont encore de nos jours des rues en sable ou en terre. En 1880, la zone, l’actuel Par­que Patri­cios, était rurale).
Que le soleil se lève, que la lune se lève, que l’étoile majeure se lève.
Le ren­dez-vous est à La Blan­quia­da ; per­son­ne ne manque la réu­nion…

La Blan­quia­da (Blan­quea­da, était une pulpería (mag­a­sin d’al­i­men­ta­tion, café, lieu de diver­tisse­ments). On y jouais aux boules (comme évo­qué dans notre tan­go du jour), mais on y dan­sait aus­si, comme le con­te cette his­toire.

Les hommes entrèrent grave­ment et le coureur de jupons se tut.
On arrive tou­jours à une danse comme si on était à la croisée des chemins du des­tin.
Trois musi­ciens ont joué au point cul­mi­nant de la fête avec flûte, gui­tare et harpe, un blond, un brun et un noir. (On pour­rait penser à Pagés-Pesoa-Maciel, Enrique Maciel étant noir (et était un grand ami du paroli­er Blomberg, grand et blond).
Les danseurs sont sor­tis pour la valse, la mazur­ka et la pol­ka ; et entre les deux, un cou­ple est sor­ti en dansant autre chose.
C’était un bon couteau (adroit avec le couteau), mais d’un tem­péra­ment pru­dent.
Elle était une femme fardée, amélio­rant le présent.
Elle s’appelait Flo­ra, (prob­a­ble­ment la Flo­ra Par­da dont nous avons par­lé dans En Lo de Lau­ra) et lui s’appelait Tre­jo (est-ce Neme­sio Tre­jo qui aurait été âgé de 20 ans ? Je ne le crois pas, mais ce n’est pas impos­si­ble, même s’il est plus con­nu comme paroli­er et payador que comme danseur) : avec des cortes et des fentes, ils le sig­naient dans le sol.
Ils ne l’ont pas fait en tant que cama­rades, et ils l’ont fait sans bon­té !
À la fin, ils dan­sèrent seuls pour con­tenir la ronde.
Ils dan­saient une mesure qui n’était pas pour de matur­ran­gos (mau­vais cav­a­liers), d’habanera avec can­dombe, de milon­ga avec fan­dan­go.
C’était un dimanche, dans les Cor­rales quand ils ont inven­té le tan­go.
Fran­cis­co Gar­cía Jiménez étant né en 1899, soit 17 ans après les faits, il ne peut pas en être un témoin direct.

Un autre texte sur la naissance du tango de Miguel Andrés Camino

Je cite donc à la barre, un autre auteur, plus âgé. Miguel Andrés Camino, né à Buenos Aires en 1877. Il aurait donc eu cinq ans, ce qui est un peu jeune, mais il peut avoir eu des infor­ma­tions par des par­ents témoins de la scène.

El tango par Miguel Andrés Camino

Nació en los Cor­rales Viejos,
allá por el año ochen­ta.
Hijo fue de una milon­ga
y un pesao del arra­bal.
Lo apadrinó la cor­ne­ta
del may­oral del tran­vía,
y los due­los a cuchil­lo
le ensañaron a bailar.
Así en el ocho
y en la sen­ta­da,
la media luna,
y el paso atrás
puso el refle­jo
de la embesti­da
y las cuerpeadas
del que la jue­ga
con su puñal.
Después requin­tó el cham­ber­go
usó mele­na enrula­da, pan­talones con tren­cil­la
y botines de charol.
Fondeó en los peringundines,
bode­gones y… posadas
y en el cuer­po de las chi­nas
sus vir­tudes enroscó.
En la cor­ri­da
y el aban­i­co.
el medio cor­to
y el paso atrás,
puso las cur­vas
de sus deseos
de mozo guapo
que por la hem­bra
se hace matar.
Tam­bién vagó por las calles
con un clav­el en la ore­ja;
Lució botín a lo mil­i­tar.
Se adueñó del con­ven­til­lo,
enga­tusó a las sirvien­tas
y por él no quedó jeta
que no aprendiera a chi­flar.
Y des­de entonces
se vio al male­vo
pre­so de hon­da
sen­su­al­i­dad
robar las cur­vas
de las caderas,
pechos y pier­nas
de las chiruzas
de la ciu­dad.
Y así que los vig­i­lantes
lo espi­antaron de la esquina,
se largó pa’ las Uropas,
de donde volvió señor.
Volvió lleno de gom­i­na,
usan­do tra­je de cola
y en las mur­gas y pianolas
has­ta los rulos perdió.
Y hoy que es un jaife
tristón y fla­co,
que al ir bai­lan­do
dur­mien­do va;
y su tran­quito
ya se ase­me­ja
al del matun­go
de algún Mateo
que va a largar.

Miguel Andrés Camino

Traduction libre et indications sur le poème de Miguel Andrés Camino

Il est né dans les Cor­rales Viejos, dans les années qua­tre-vingt.
Il était le fils d’une milon­ga et d’un bagar­reur des faubourgs.
Il était par­rainé par le cor du con­duc­teur du tramway, et les duels au couteau lui apprirent à danser. Ain­si, dans le huit (ocho) et dans la sen­ta­da (fig­ure où la femme est assise sur les cuiss­es de l’homme, voir, par exem­ple Taquito mil­li­tar), la demi-lune et le pas en arrière, le reflet de l’as­saut et les atti­tudes de celui qui la joue avec son poignard.
Il por­tait des cheveux bouclés, des pan­talons tressés et des bot­tines en cuir verni.
Il a jeté l’an­cre dans les bor­dels, bars et… et dans le corps des femmes faciles, ses ver­tus s’en­roulaient.
Dans la cor­ri­da et l’éven­tail, le demi-corte et le pas en arrière, il a mis les courbes de ses désirs de beau jeune homme qui se fait tuer pour la femelle.
Il traî­nait aus­si dans les rues avec un œil­let à l’or­eille ; les bot­tines bril­lantes comme celles des mil­i­taires.
Il s’empara du con­ven­til­lo (habi­ta­tion col­lec­tive pour les pau­vres), luti­na les ser­vantes, et il n’y avait pas une tasse qu’il n’apprendrait pas à sif­fler (boire, jeu de mots lour­dingue et grav­eleux).
Et depuis lors, se vit pris­on­nier le mau­vais d’une pro­fonde sen­su­al­ité a été vu en train de vol­er les courbes des hanch­es, des seins et des jambes des chiruzas (femmes vul­gaires) de la ville.
Et dès que les gardes l’aperçurent du coin, il se ren­dit chez les Européens, d’où il revint, mon­sieur.
Il est revenu plein de gom­i­na, vêtu d’un queue-de-pie et dans les mur­gas et les pianolas, il a même per­du ses boucles.
Et aujour­d’hui, c’est un pré­somptueux, triste et mai­gre, qui va danser en dor­mant ; et son calme ressem­ble déjà à celui du matun­go  (cheval faible ou inutile) d’un Mateo (coche, taxi, à chevaux) qui va par­tir.

On com­prend dans ce poème dont on ne cite générale­ment que le début qu’il par­le du tan­go qui, né dans les faubourgs bagar­reurs, s’est abâ­tar­di en allant en Europe. Cela date donc le poème des années 1910–1920 et si le texte reflète une tra­di­tion, voire une légende, il ne peut être util­isé pour avoir une cer­ti­tude.

Nous sommes bien avancés. Nous avons donc plusieurs textes qui rela­tent des idées sem­blables, mais qui ne nous don­nent pas l’assurance que le berceau du tan­go est bien à Par­que Patri­cios, Cor­rales Viejos.

Faut-il en douter comme Borges qui avait des idées pour­tant très sem­blables à celles de Miguel Andrés Camino ? Peu importe. Cette légende, même si elle est fausse a ense­mencé le tan­go, par exem­ple El ciru­ja de De Ange­lis. On dirait plutôt aujourd’hui El car­toniero. Les car­tonieros sont des per­son­nages indis­so­cia­bles des grandes villes argen­tines. Avec leur char­rette à bras chargée de tout ce qu’ils ont trou­vé dans les poubelles, ils risquent leur vie au milieu de la cir­cu­la­tion trép­i­dante pour déplac­er leurs dérisoires tré­sors vers les lieux de recy­clage. Cette com­mu­nauté souf­fre beau­coup en ce moment, les restau­rants sol­idaires (soupes pop­u­laires) ne reçoivent plus d’aide de l’état et pire, ce dernier laisse se périmer des tonnes de nour­ri­t­ures achetées pour cet usage par le gou­verne­ment précé­dent.

Espérons que ces per­son­nages mis­éreux qu’on appelle par­fois les grenouilles (ranas), car dans le quarti­er des bidons, il y avait sou­vent des inon­da­tions et que les habi­tants fai­saient preuve d’imagination et de débrouil­lardise pour sur­vivre. Grenouille n’est donc pas péjo­ratif, c’est plutôt l’équivalent de rusé, astu­cieux. Le Bel­trán de notre tan­go du jour est une décès grenouilles qui s’est trans­for­mée en prince char­mant, au moins pour une vieille femme, très riche 😉

Je vous présente Bel­trán et sa femme. C’est beau l’amour.

Una lágrima tuya 1949-05-27 — Orquesta José Basso con Francisco Fiorentino y Ricardo Ruiz

Mariano Mores Letra: Homero Manzi

Nous restons avec Mar­i­ano Mores qui nous avait don­né Uno hier pour une autre mer­veille, Una lágri­ma tuya. Les paroles sont d’Home­ro Manzi, on reste dans le très haut du reg­istre. Comme Uno, ce titre a été créé pour un film, Cor­ri­entes, calle de ensueños. Je pense que vous allez être très sur­pris par ce tan­go, mais est-ce vrai­ment un tan­go?

Fiorentino — Ruiz?

Pour cette œuvre un peu hors norme, José Bas­so s’est adjoint deux chanteurs de pre­mier plan, Fran­cis­co Fiorenti­no et Ricar­do Ruiz.
On est habitué à associ­er Fran­cis­co Fiorenti­no à Troi­lo, mais en 1944, Fiore avait mis les bouts pour créer son pro­pre orchestre dont il con­fia la direc­tion à Astor Piaz­zol­la. Ce dernier par­tant à son tour, Fiorenti­no ira en 1948 chanter pour deux ans avec Bas­so.
De son côté Ricar­do Ruiz est asso­cié à Frese­do. Cepen­dant, il avait quit­té cet orchestre en 1942 et depuis 1947, il tra­vaille avec Bas­so. En 1949, il est donc logique de trou­ver ces deux chanteurs en duo dans l’orchestre de José Bas­so.

Extrait musical

Una lágri­ma tuya 1949-05-27 — Orques­ta José Bas­so con Fran­cis­co Fiorenti­no y Ricar­do Ruiz.
Avec la pho­to de Mar­i­ano Mores, la par­ti­tion de Una lagri­ma tuya.

Je pense que dès les pre­mières mesures, vous avez été sur­pris par le rythme de cette œuvre. Les con­nais­seurs auront recon­nu le rythme du malam­bo.
Vous con­nais­sez sans doute le malam­bo sans le savoir, car son élé­ment essen­tiel est le zap­ateo, ces jeux de jambes et de pieds que les hommes font durant la chacar­era.
C’est une démon­stra­tion d’agilité, un défi que se lançaient les gau­chos au XIXe siè­cle. C’est devenu aujourd’hui un élé­ment de folk­lore et les groupes de dans­es tra­di­tion­nelles présen­tent cette danse si ent­hou­si­as­mante à pra­ti­quer.
Comme il s’agit d’un défi, les hommes ont un regard sérieux pour ne pas dire « méchant ». Il ne s’agit pas de petites frappes au sol avec un grand sourire comme on peut le voir dans nos milon­gas, ou de petits bat­te­ments de pieds, légers qui sem­blent caress­er le sol.
Il n’y a pas à pro­pre­ment par­ler de choré­gra­phie, chaque « danseur » (je mets danseur entre guillemets, car il s’agit plutôt d’un duel­liste) fait preuve d’imagination et de créa­tiv­ité pour effectuer les fig­ures les plus auda­cieuses. Le gag­nant du duel est celui qui reste, le per­dant part, épuisé ou dégoûté par les capac­ités de son adver­saire.
La chacar­era offre une forme « civil­isée » du malam­bo. Pas ques­tion de se livr­er à des exubérances, il s’agit de con­quérir la femme, pas de lui faire peur. Par ailleurs, la chacar­era est une danse de groupe et un peu d’harmonie dans l’ensemble est de rigueur.

Cette vidéo présente un duel de malam­bo effec­tué par deux ado­les­cents. Vous recon­naîtrez la musique ini­tiale qui est celle de notre « tan­go » du jour. C’est une créa­tion de Canal Encuen­tro, une mer­veilleuse chaîne cul­turelle argen­tine, mal­heureuse­ment men­acée, car la cul­ture n’entre pas dans les pri­or­ités du nou­veau prési­dent argentin, Javier Milei.

Dans la sec­onde par­tie de la musique, on retrou­ve une autre musique tra­di­tion­nelle, la huel­la (à par­tir de 1 h 30). Vous con­nais­sez cer­taine­ment cette musique pop­u­lar­isée par Ariel Ramírez dans sa Misa criol­la.

Pour faire d’une pierre, deux coups, vous pou­vez enten­dre ici une inter­pré­ta­tion de La Pere­gri­nación (huel­la pam­peana) faisant par­tie de la Misa Criol­la. Il s’agit ici d’une danse choré­graphiée par un groupe de danse tra­di­tion­nelle, mais on peut se ren­dre compte qu’il y a des simil­i­tudes avec la chacar­era (vueltas et zap­ateos, par exem­ple).

Avec une référence au malam­bo norteño et à la huel­la pam­peana sureña, Mores évoque le Nord et le Sud de l’Argentine.

Paroles

Una lágri­ma tuya
me moja el alma,
mien­tras rue­da la luna
por la mon­taña.

Yo no sé si has llo­rado
sobre un pañue­lo
nom­brán­dome,
nom­brán­dome,
con descon­sue­lo.

La voz triste y sen­ti­da
de tu can­ción,
des­de otra vida
me dice adiós.

La voz de tu can­ción
que en el tem­blor de las cam­panas
me hace evo­car el cielo azul
de tus mañanas llenas de sol.

Una lágri­ma tuya
me moja el alma
mien­tras gimen
las cuer­das de mi gui­tar­ra.

Ya no can­tan mis labios
jun­to a tu pelo,
dicién­dote,
dicién­dote,
lo que te quiero.

Tal vez con este can­to
puedas saber
que de tu llan­to
no me olvidé,
no me olvidé.

Mar­i­ano Mores Letra: Home­ro Manzi

Traduction libre

Une de tes larmes mouille mon âme, tan­dis que la lune roule sur la mon­tagne.
Je ne sais pas si tu as pleuré sur un mou­choir en me nom­mant, incon­solable.
La voix triste et sincère de ta chan­son, d’une autre vie,
me dit adieu.
La voix de ta chan­son qui dans le trem­ble­ment des cloches me fait évo­quer le ciel bleu de tes mat­inées pleines de soleil.
Une de tes larmes mouille mon âme alors que les cordes de ma gui­tare gémis­sent.
Mes lèvres ne chantent plus, col­lées à tes cheveux, te dis­ant, te dis­ant, com­bi­en je t’aime.
Peut-être qu’avec cette chan­son, tu pour­ras savoir que je n’ai pas oublié tes pleurs, je n’ai pas oublié.

Mariano Mores et le folklore

Ce n’est pas la seule fois où Mar­i­ano Mores fait référence au folk­lore dans ses com­po­si­tions., par exem­ple :
Adiós, pam­pa mía qui incor­pore des rythmes de per­icón nacional et de esti­lo.
El estrellero (cheval qui lève la tête con­tin­uelle­ment, ce qui gêne le cav­a­lier) avec rythme de estil­lo.
Lors de ses tournées inter­na­tionales, il était tou­jours accom­pa­g­né de bal­lets de folk­lore, car, il ne lais­sait jamais de côté les dans­es folk­loriques.

Autres versions

Una lagri­ma tuya 1948 — Orques­ta Juan Deam­brog­gio Bachicha con José Duarte.

Ce titre a été enreg­istré en France et édité par Luis Gar­zon qui a par ailleurs pub­lié sa pro­pre ver­sion dans les années 60 (à écouter plus bas). La date de 1948 sem­ble bien pré­coce. J’ai con­tac­té les édi­tions Luis Gar­zon, si j’obtiens des infor­ma­tions j’adapterai la date, si néces­saire.

Una lágri­ma tuya 1949-03-30 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Edmun­do Rivero y Aldo Calderón.

Cette ver­sion a con­nu le suc­cès dès son lance­ment sur disque et à la radio. C’est la pre­mière ver­sion avec les paroles défini­tives de Manzi.

Una lágri­ma tuya 1949-05-27 — Orques­ta José Bas­so con Fran­cis­co Fiorenti­no y Ricar­do Ruiz. C’est notre ver­sion du jour.
Una lágri­ma tuya 1949-10-13 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Mario Alon­so.

Canaro sort sa ver­sion, sans duo, un mois après la sor­tie du film dans lequel il est inter­venu. Pour une fois, il n’est pas dans les pre­miers à avoir enreg­istré (sauf si on tient compte de la ver­sion du film enreg­istrée en août 1948).

Una lágri­ma tuya 1949 — Orques­ta Atilio Bruni con Hugo Del Car­ril.

Una lágri­ma tuya 1949 — Orques­ta Atilio Bruni con Hugo Del Car­ril. Une ver­sion bien adap­tée au zap­ateo dans sa pre­mière par­tie (malam­bo), avec la belle voix chaude de Del Car­ril. Mar­i­ano Mores aurait aimé que De Car­ril chante dans le film, mais ce fut son frère qui chan­ta.

Una lágri­ma tuya (en vivo con glosas) 1951 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Jorge Casal y Raúl Berón.

La qual­ité de cet enreg­istrement est très mau­vaise, car c’est un enreg­istrement acé­tate, un sup­port peu durable. Il a été réal­isé en pub­lic lors d’un con­cert à San Pablo au Brasil et a été retrans­mis par Radio Ban­deirantes. On peste con­tre ce son effroy­able, mais quelle presta­tion ! On notera l’accent brésilien du présen­ta­teur qui annonce le titre, évo­quant le malam­bo.

Una lágri­ma tuya char­lo 1951-12-18 – Char­lo y su orques­ta.

Une belle ver­sion avec la voix qui domine un orchestre dont l’orchestration est orig­i­nale.

Una lágri­ma tuya 1953 — Cristóbal Her­rero y su orques­ta típi­ca Buenos Aires con Rodol­fo Díaz y Beat­riz Masel­li.

Una lágri­ma tuya 1953 — Cristóbal Her­rero y su orques­ta típi­ca Buenos Aires con Rodol­fo Díaz y Beat­riz Masel­li. Pas éton­nant que Her­rero enreg­istre ce titre, car il avait été cat­a­logué par Odeon du côté du folk­lore et ils lui fai­saient enreg­istr­er cela plutôt que du tan­go. Il était donc un spé­cial­iste des deux gen­res, mais aurait préféré enreg­istr­er du tan­go. Cet enreg­istrement est donc une revanche, car il a coupé l’introduction en malam­bo. Il n’a gardé que les accords fin­aux, typ­iques du malam­bo. On retrou­ve la marche, mar­quée par le ban­donéon, mais guère plus que les autres ver­sions, celle-ci est adap­tée aux danseurs exigeants. L’autre orig­i­nal­ité du titre est que c’est un duo homme-femme. J’aime bien.

Una lágri­ma tuya (En vivo) 1954-10-04 — Orques­ta Juan Canaro con Héc­tor Insúa.

Le Japon s’est toqué du tan­go et les tournées des orchestres argentins ont été des suc­cès for­mi­da­bles.

Una lágri­ma tuya 1954 — Luis Tue­bols et son Orchestre typ­ique argentin.

Oui, comme je l’ai men­tion­né à divers­es repris­es, l’histoire du tan­go n’est pas qu’en Argen­tine et Uruguay. Luis Tue­bols a con­tin­ué à pro­mou­voir le tan­go en France, notam­ment en enreg­is­trant avec Riv­iera, puis Bar­clay. Cet enreg­istrement fait par­tie des enreg­istrements avec Riv­iera en 78 tours. Il sera réédité en 33 tours en 1956 par Bar­clay.

Una lágri­ma tuya 1957-04-30 – Orques­ta Mar­i­ano Mores con Enrique Lucero.

Voici com­ment Mar­i­ano Mores inter­prète sa créa­tion. On remar­quera la voix pro­fonde de son frère, Enrique Lucero. Ce dernier est celui qui chante dans le film avec Canaro (enreg­istrement du 31 août 1948 au teatro Maipo). Mar­i­ano joue le même thème, mais au piano solo. Vous pour­rez voir cette vidéo à la fin de cet arti­cle.

Una lagri­ma tuya 1959 c — Pri­mo Corchia y su Orques­ta.

Pri­mo Corchia, encore un exem­ple français du tan­go (même s’il est né en Ital­ie, il a fait toute sa car­rière en France).

Una lágri­ma tuya 1961-05-05 — Orques­ta José Bas­so.

Un autre enreg­istrement de José Bas­so, instru­men­tal celui-ci. Il assume par­faite­ment son affil­i­a­tion au folk­lore. Le rythme est plus rapi­de que dans la ver­sion de 1949. J’espère que ce petit coup de pro­jecteur sur ce musi­cien trop sou­vent nég­ligé, José Bas­so vous don­nera envie d’en écouter, voire danser, plus.

Et pour ter­min­er cette liste bien incom­plète, je vous pro­pose deux curiosités :

Una lagri­ma tuya 1961 c— Orchestre Luis Gar­zon.

C’est celui qui aurait pub­lié dès 1948 l’enregistrement de Bachicha. Cette ver­sion est pure­ment musette. Le beau rythme de marche du malam­bo du départ, se com­mue en ryth­mique de tan­go musette, mais pas tout le temps. J’imagine que c’est une des raisons du suc­cès de ce tan­go en France, la marche très mar­quée écrite par Mores s’adapte par­faite­ment au style musette. Le terme musette, vient de l’instrument à vent, de la famille des corne­mus­es, util­isé dans les bals pop­u­laires en France. Con­traire­ment aux instru­ments des Écos­sais, la musette appelée cabrette dans le Mas­sif-Cen­tral se rem­plit à l’aide d’un souf­flet et non pas en souf­flant dans une embouchure. Le joueur de musette peut donc chanter en jouant.

Una lagri­ma tuya y Adiós Pam­pa mía 1994 – Rober­to Gal­lar­do y su gran orques­ta con Beat­riz Suarez Paz y Oscar Lar­ro­ca (hijo).

Deux titres de Mar­i­ano Mores ayant trait au folk­lore, enchaînés, Una lágri­ma tuya et Adiós Pam­pa mía. Le nom du chanteur vous dit cer­taine­ment quelque chose, c’est le fils du chanteur des mêmes nom et prénom qui chan­ta si bien, par exem­ple avec De Ange­lis.
Encore un petit mot sur le film pour lequel Mores a écrit ce thème.

Corrientes, calle de ensueños, le film

Cor­ri­entes, calle de ensueños est un film de Román Viñoly Bar­reto sur un scé­nario de Luis Saslavsky sor­ti le 29 sep­tem­bre 1949.

Une pub­lic­ité pour le film Cor­ri­entes, calle de ensueños. Cette rue a une his­toire et je dois la con­ter.

Home­ro Manzi, peu de temps avant sa mort, regret­tait de ne pas avoir tra­vail­lé en col­lab­o­ra­tion avec Mar­i­ano Mores. Oscar Del Pri­ore et Irene Amuchástegui racon­tent dans Cien tan­gos fun­da­men­tales (Mar­i­ano Mores a d’ailleurs écrit le pro­logue de ce livre…) que Mores de vis­ite chez Manzi, joue ce thème au piano et peu après, Manzi fait savoir à Mores qu’il a des paroles à lui pro­pos­er pour sa musique. En réal­ité, les paroles défini­tives évolueront, jusqu’à la ver­sion que don­nera Canaro avec Alon­so en 1949, quelque temps avant le lance­ment du film.
Canaro était bien placé pour con­naître cette œuvre, puisqu’il l’interprète, juste­ment à la fin du film, mais ce n’est pas cet extrait que je vais vous présen­ter. Par­mi les acteurs, Mar­i­ano Mores, lui-même, dans son pre­mier rôle au ciné­ma. Dans cet extrait du début du film, il joue le titre au piano. De quoi bien ter­min­er cette chronique.

Mar­i­ano Mores joue Una lágri­ma tuya au piano au début du film Cor­ri­entes, calle de ensueños

La bordona 1958-05-06 — Orquesta Aníbal Troilo

Emilio Balcarce

Le bour­don est une corde ou une hanche qui donne tou­jours la même note. C’est très courant sur les instru­ments tra­di­tion­nels comme la vielle à roue ou les corne­mus­es. Emilio Bal­carce a voulu don­ner un air «cham­pêtre à cette com­po­si­tion et a donc pro­posé un bour­don, bien sûr, beau­coup plus sophis­tiqué, mais qui a don­né sa couleur à la musique. Le vio­lon­celle démarre la musique sur sa corde basse, qui se nomme bor­dona. Le titre du tan­go nous l’annonçait.

Sig­nalons que bor­dona a d’autres accep­tions. C’est la corde grave, voire les trois cordes les plus graves de la gui­tare. C’est aus­si la fille cadette d’une famille…

Extrait musical

La bor­dona 1958-05-06 — Orques­ta Aníbal Troi­lo.

Le vio­lon­celle lance la mélodie sur ses cordes graves. Ce ron­ron­nement car­ac­téris­tique se retrou­vera à plusieurs repris­es dans l’œuvre. C’est cette phrase mélodique dans les graves qui a inspiré son nom.

Une par­ti­tion avec tous les pupitres.

La pre­mière page de la par­ti­tion (au cen­tre) mon­tre que seuls le vio­lon­celle et le piano entrent en scène. La page de droite mon­tre un pas­sage ultérieur où tous les instru­ments sont mobil­isés, puis le début du solo de ban­donéon. Par­ti­tion pro­posée par le site https://tangosinfin.org.ar/.

Autres versions

La bor­dona 1958-05-06 — Orques­ta Aníbal Troi­lo. C’est notre tan­go du jour.
La bor­dona 1958-08-06 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Pugliese com­mence avec un piano, son piano plus présent. Le ron­ron­nement grave est moins présent. L’atmosphère est dif­férente, moins chaude.

La bor­dona 1962-01-09 — Orques­ta Aníbal Troi­lo.

Moins de 4 ans plus tard, Troi­lo pro­pose une ver­sion très dif­férente. La nou­velle entrée en matière est per­cu­tante avec un arpège au piano. Comme chez Pugliese, le ron­ron­nement est un peu masqué et le piano a pris de l’ampleur. L’ensemble reste cohérent avec une bonne dis­tri­b­u­tion des vari­a­tions. Ce n’est pas à met­tre entre les pattes de tous les danseurs, mais il y a des élé­ments de sup­ports à l’improvisation qui peu­vent intéress­er cer­tains. Ce me sem­ble cepen­dant la lim­ite max­i­male pour une propo­si­tion de danse et je ne m’y aven­tur­erai qu’avec un pub­lic par­ti­c­ulière­ment gour­mand de ce type d’interprétations.

La bor­dona 1963-04-25 — Orques­ta Aníbal Troi­lo.

Un an plus tard, cette nou­velle ver­sion met en avant les capac­ités de l’enregistrement stéréo (vous ne pou­vez pas l’entendre dans les anec­dotes à cause de la taille admis­si­ble des fichiers sur le site, ces derniers sont en basse déf­i­ni­tion et en mono… Cherchez donc le titre dans votre dis­cothèque pour en appréci­er les effets spa­ti­aux. Cette ver­sion est plus mélodique, prob­a­ble­ment moins dansante, même si ce titre n’est pas un titre totale­ment des­tiné à la danse, quelle que soit la ver­sion. On notera que l’in­tro­duc­tion en arpège de la ver­sion de 1962 ajoute les accords de l’orchestre aux arpèges du piano.

La bor­dona 1993 — Sex­te­to Tan­go.

Ce sex­te­to issu de l’orchestre de Pugliese pro­pose une ver­sion intéres­sante avec de jolis pizzi­cati au début e tune intro inspirée de celles de Troi­lo 62/63, mais dif­férente. On s’éloigne encore un peu plus du tan­go de danse. Elle manque peut-être un peu d’allant et elle me sem­ble un peu décousue, les par­ties ne s’enchaînent pas de façon aus­si har­monieuse que dans d’autres ver­sions.

La bor­dona 1996 — Orques­ta Col­or Tan­go.

Cette ver­sion démarre avec une intro­duc­tion très som­bre, presque inquié­tante. J’aime beau­coup. La suite est peut-être un peu moins réussie. Elle ne démérite pas, mais elle n’est pas à la hau­teur de l’introduction. Le par­ti pris de tem­po assez lent et les sur­pris­es éloignent pour moi totale­ment cette ver­sion du champ de la danse. Sa fin plus tonique avec sa courte cita­tion de habanera est intéres­sante.

La bor­dona 2000-09 — Orques­ta El Arranque.

El Arranque intro­duit la gui­tare, instru­ment légitime dans la mesure où ses cordes graves sont des bor­donas… Cette ver­sion est plus légère que les précé­dentes et doit pou­voir sus­citer l’intérêt, même si pour la danse, je pense qu’il est plus raisonnable de rester chez Troi­lo.
Et pour ter­min­er, une ver­sion à la gui­tare.
Ani­bal Arias — La Bor­dona. On voit dans la vidéo les trois cordes graves (celles du dessus) que l’on appelle bor­donas sur une gui­tare. Une ver­sion pour gui­tare est donc tout à fait légitime, même si elle n’a pas l’ampleur de celles avec les grands orchestres.  

El entrerriano 1944-04-26 — Orquesta Osvaldo Fresedo

Anselmo Rosendo Mendizábal Letra : Ernesto Temes (Julián Porteño), Homero Expósito, H. Semino, S. Retondaro, Vicente Planells del Campo y Oscar Amor, Ángel Villoldo.

Voici une chose bien curieuse que ce tan­go qui ne dis­pose pas d’enregistrement de ver­sion chan­tée intéres­sante dis­pose de tant de paroles. Pas moins de cinq ver­sions… Quoi qu’il en soit, ce tan­go écrit en 1897 par Rosendo Men­dizábal est fameux, et il fut le pre­mier à avoir une par­ti­tion…

Un tango célèbre

Ce tan­go est fameux. C’est pour cela, prob­a­ble­ment qu’il dis­pose de plusieurs paroles, ces dernières étant util­isées pour flat­ter un com­man­di­taire poten­tiel.
J’ai racon­té dans Sacale pun­ta com­ment Rosendo l’a dédi­cacé à Ricar­do Segovia et a gag­né ain­si 100 pesos… Il venait de le jouer à de mul­ti­ples repris­es à la demande du pub­lic en Lo de María la Vas­ca, dont il était le pianiste attitré.
Comme preuve de notoriété, out­re l’abondance de paroliers, je pour­rais men­tion­ner qu’il est chan­té par Gardel dans Tan­go argenti­no 1929-12-11.

«De tus buenos tiem­pos aún hay pal­pi­tan
El choclo, Pelele’, El tai­ta, El cabu­re
La morocha, El catre y La cumpar­si­ta
Aquel Entr­erri­ano y el Saba­do ingles»

La dernière preuve est le nom­bre incroy­able de ver­sions de ce titre. Les 100 pesos de Ricar­do Segovia furent un bon investisse­ment.

Extrait musical

El entr­erri­ano 1944-04-26 — Orques­ta Osval­do Frese­do.

On com­prend l’enthousiasme des pre­miers audi­teurs de El entr­erri­ano qui ne s’appelait pas ain­si quand il fut joué pour la pre­mière fois en Lo de María la Vas­ca. À l’époque Rosendo l’avait joué au piano et sans doute émulé par la bonne récep­tion par les par­tic­i­pants s’était peut-être lancé dans quelque chose un peu plus jouer et spon­tané que les ver­sions de l’époque. Ce qui est sûr, c’est que Frese­do a su sor­tir de sa zone de con­fort pour nous éblouir avec cette ver­sion joyeuse.

Les paroles

J’ai men­tion­né cinq ver­sions. Je n’en ai retrou­vé que qua­tre, celle de Ángel Vil­lol­do sem­ble per­due.
Les qua­tre restantes sont du même type, elle racon­te la gloire, la glo­ri­ole d’un type. Rien de bien intéres­sant et orig­i­nal. Je vous les cite donc par ordre chronologique et ne traduirai que la plus récente, celle de Home­ro Expósi­to.

Letra de Ángel Villoldo

Ángel Vil­lol­do a dédié une ver­sion à Pepi­ta Avel­lane­da. Pour cela il a écrit des paroles qui sem­blent per­dues pour le moment.
Atten­tion à ne pas con­fon­dre la chanteuse Pepi­ta Avel­lane­da et Pepi­to Avel­lane­da, pseu­do­nyme du danseur José Domin­go Mon­teleone. Ce dernier a pris ce surnom, car il était né à Avel­lane­da. Pepi­to, je ne sais pas pourquoi il l’a choisi quand il fut obligé de pren­dre un pseu­do­nyme pour atténuer son orig­ine ital­i­enne afin de faciliter ses tournées européennes et le fait qu’il était d’une famille de piz­zaio­los de province (Avel­lane­da).
D’ailleurs Pepi­ta Avel­lane­da était égale­ment un pseu­do­nyme, la chanteuse, qui était aus­si danseuse s’appelait en fait Jose­fa Calat­ti… C’est elle qui avait étren­né El esquina­zo de Vil­lol­do, avec des paroles égale­ment dis­parues…
Vil­lol­do a cepen­dant écrit les paroles d’un autre tan­go qu’il a égale­ment com­posé : Desafío de un entr­erri­ano (défi d’un entr­erri­ano).
Il se peut qu’une par­tie des paroles soit proche de celles de la ver­sion per­due, à la dif­férence qu’il s’agissait d’une femme, prob­a­ble­ment uruguayenne dans le pre­mier cas, mais à l’époque, l’Uruguay et Entre Rios sont très proche et la fron­tière de la Province de l’Est per­méable.
On remar­quera qu’elles sont de la même eau que celles des­tinées à El enter­ri­ano, ce qui con­firme la des­ti­na­tion de ces paroles, la flat­terie, voire la flagorner­ie…
On ne con­naît pas la data­tion pré­cise de l’écriture de ce tan­go, mais comme il a été pub­lié en 1907 dans Caras y Careteras, il est au plus tard de cette époque, soit tout au plus, cinq ans après la ver­sion per­due. Il ne sem­ble pas exis­ter d’enregistrement de ce tan­go. Voici donc les paroles de Desafío de un entr­erri­ano :

Ángel Vil­lol­doDesafío de un entr­erri­ano 
Aquí viene el entr­erri­ano
El criol­lo más respeta­do,
Por una milon­ga, un esti­lo,
O un tan­gui­to reque­bra­do.
En cuan­to yo me pre­sen­to
No hay quién se atre­va a ron­car,
Al cohete son los can­di­ales…
Me tienen que respetar.

¿Vamos a ver quién se atreve?
¿No hay ninguno que ya ladré?
¿Dónde está ese mozo pier­na
que la ech­a­ba de com­padre?
Vayan salien­do al momen­to
Ya que lle­ga la ocasión,
Que eso es lo que a mí me gus­ta
Pa´ dar­les un revol­cón.

¿Quién le ron­ca al entr­erri­ano?
¿No hay quién cope la para­da?,
Vamos a ver, pues, los taitas
Aprovechen la bola­da.
Miren que ocasión como esta
No se les va a pre­sen­tar…
¿De ande yer­ba?… Tienen miedo
Que los vaya a abatatar.

Ya veo que no hay ninguno
Que resuelle por la heri­da,
Y me gano la car­rera
Mucho antes de la par­ti­da.
Aquí con­cluyo y salu­do
Con car­iño fra­ter­nal,
A todos los con­cur­rentes
Y al pabel­lón nacional…


Letra de A. Semi­no y S. Reton­daro
Tú el entr­erri­ano un criol­la­zo
De nobleza e hidal­guía
Que cap­tó la sim­patía
De todo el que lo trató.
Porque siem­pre demostró
Ser hom­bre sin­cero y fiel
Y como macho de Ley
La muchacha­da lo apre­ció.

Como varón se com­portó
Su pecho noble supo expon­er
Para el débil defend­er
Y así librar­lo del mal
Pero una noche som­bría.
Que fue, ¡ay !, su desven­tu­ra
En su alma la amar­gu­ra
Echó su man­to fatal
Por haber sido tan leal
Hal­ló su cru­el perdi­ción …!
El entr­erri­ano lloró
Su triste desilusión.

Una noche en un calle­jón
Al ami­go más fiel vio caer,
Bajo el puñal de un matón
Que de traición lo hir­ió cru­el
Y vibran­do de indi­gnación
El criol­la­zo atro­pel­ló
Y en la faz del matón
Un bar­bi­jo mar­có.

Y al cor­rer de los años
Lib­er­tao ’e las cade­nas
Con el peso de su pena,
Pa’l viejo bar­rio volvió
Y amar­ga­do lagrimeó
Al hal­larse sin abri­go
Y has­ta aquél… el más ami­go,
El amparo le negó.


Letra de Vicente Planells del Cam­po y Oscar Amor
Mi apo­do es
El Entr­erri­ano y soy
de aque­l­los tiem­pos hero­icos de ayer,
el de los patios del farol y el par­ral,
con per­fume a madre­sel­va y clav­el.
Soy aquel tan­go que no tuvo rival
en las bron­cas y entreveros.
Pero fui sen­ti­men­tal
jun­to al calor
del vesti­do de per­cal.

Soy aquel que no aflo­jó jamás,
el que luchó con su val­or
por man­ten­er este com­pás
y con él
me sen­tí muy feliz
al poder tri­un­far con mi val­or
lejos de aquí, allá en París.
Y después
de recor­rer tri­un­fal,
la vuelta pegué para volver
jun­to al calor de mi arra­bal
y hoy al ver
que soy retru­co y flor
quiero agrade­cer este favor
al bailarín como al can­tor.

Entr­erri­ano soy
de pura cepa y no hay
a pesar de ser tan viejo, varón
ni quien me pise los talones pues soy
el com­pás de meta y pon­ga y fui
de la que­bra­da y el corte el rey
en lo de Hansen y el Tam­bito.
Y en las tren­zadas de amor
primero yo
por bohemio y picaflor.


Letra de Julián Porteño
En el bar­rio de San Tel­mo
yo soy
picaflor afor­tu­nao en amor
un pun­to bra­vo pa’l chamuyo flo­re­ao
buen ami­go en cualquier ocasión
caudil­lo firme de juga­do val­or
pa’ copar una para­da
y afir­mar mi bien proba­da
leal­tad con el doc­tor.

Calá este varón
cuan­do con un gesto
man­do en el resto
pa’ ganar una elec­ción.
Calá este varón
en bai­lon­gos bien mis­ton­gos
con­qui­s­tan­do un fiel corazón.
Calá este varón
en salones dis­tin­gui­dos
todo pre­sum­i­do
de “doc­tor”.
Calá este varón
mozo atre­v­i­do
siem­pre can­to flor, envi­do
en el amor.

Naipe y mujeres
son mi úni­ca pasión,
sí señor,
éstas me dicen que sí
aquél me dice que no.
Pero no le hace
mel­la a mi condi­ción
de varón,
soy entr­erri­ano, señor
y ten­go firme el corazón.


Letra de Home­ro Expósi­to
Sabrán que soy el Entr­erri­ano,
que soy
milonguero y provin­ciano,
que soy tam­bién
un poquito com­padri­to
y aguan­to el tren
de los gua­pos con taji­tos.
Y en el vaivén
de algún tan­go de fan­dan­go,
como el quer­er
voy metién­dome has­ta el man­go,
que pa’l baile y pa’l amor
sabrán que soy
siem­pre el mejor.

¿Ven, no ven lo que es bailar así,
lleván­dola jun­ti­to a mí
como apre­tan­do el corazón?…
¿Ven, no ven lo que es lle­varse bien
en las cor­tadas del quer­er
y en la milon­ga del amor?…

Todo corazón para el amor
me dio la vida
y algu­na heri­da
de vez en vez,
para saber lo peor.
Todo corazón para bailar
hacien­do cortes
y al Sur y al Norte
sulen gri­tar
que el Entr­erri­ano es el gotán.

Traduction libre de la version de Homero Expósito

Ils sauront que je suis l’Entrerriano, (celui de la Povince d’Entre Rios) que je suis un milonguero et un provin­cial, que je suis aus­si un peu com­padri­to et je tiens la dégaine du guapo (beau) avec des cica­tri­ces (taji­to, petites entailles).
Et dans le bal­ance­ment d’un tan­go fan­dan­go, (Un siè­cle avant le tan­go, le fan­dan­go a fait scan­dale, car jugé las­cif. Avec le tan­go, l’histoire se répète… N’oublions pas que ce tan­go s’est inau­guré dans une mai­son de plaisir…)

avec volon­té je me lance à fond, afin qu’ils sachent que pour la danse et pour l’amour je suis tou­jours le meilleur.
Vois-tu, ne vois-tu pas ce que c’est que de danser comme cela, de l’amener à moi comme pour écras­er le cœur ?…
Voyez, ne voyez pas ce qu’est de s’entendre bien dans les cor­tadas du désir et dans la milon­ga de l’amour ?…
Tout cœur pour l’amour m’a don­né la vie et une blessure de temps en temps, pour con­naître le pire.
Tout le cœur pour danser en faisant des cortes (fig­ure de tan­go) et au Sud et au Nord, ils vont crier que l’Entrerriano est le gotan (tan­go en ver­lan, mais vous le saviez…).

Les versions

El entr­erri­ano 1910-03-05 Estu­di­anti­na Cen­te­nario dir. Vicente Abad
El entr­erri­ano 1913 — Eduar­do Aro­las y su Orques­ta Típi­ca.

Une ver­sion par le tigre du ban­donéon. Il existe peu d’enregistrements de Aro­las, sans doute, moins de 20 et tous de la péri­ode de l’enregistrement acous­tique. Ils ne ren­dent sans doute pas jus­tice aux presta­tions réelles de cet artiste du ban­donéon et de son orchestre.

El entr­erri­ano 1914 — Quin­te­to Criol­lo Tano Genaro.
El entr­erri­ano 1917 Orques­ta Rober­to Fir­po. Avec les moyens et le style de l’époque.
El entr­erri­ano 1927-02-24 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Une ver­sion calme et tran­quille à la Canaro des années 20, mais avec de beaux pas­sages guidés par le piano comme après 50 s.

El entr­erri­ano 1927-03-20 — Orques­ta Osval­do Frese­do.

Une ver­sion avec des bruits étranges, on entend les ani­maux de la ferme (notam­ment à par­tir de 30 s). Le dédi­cataire est en effet un riche pro­prié­taire ter­rien et j’imagine que Frese­do s’est amusé à ce petit jeu de recréer une basse-cour avec son orchestre.

El entr­erri­ano 1937-03-29 ou 1940-08-29 — Rober­to Fir­po y su Cuar­te­to Típi­co.

Une ver­sion à toute vitesse. Avec man­do­line. Je ne sais pas si elle était des­tinée à la danse. J’ai plutôt l’impression que c’était une démon­stra­tion de vir­tu­osité.

El entr­erri­ano 1940-11-06 — Orques­ta Radio Vic­tor Argenti­na.

On dirait que Fir­po a passé le virus à Scor­ti­cati qui dirigeait la Vic­tor à cette époque. On peut imag­in­er sa joie de faire raison­ner le « Pin-Pon-Pin » du ban­donéon comme une ponc­tu­a­tion tout au long de l’interprétation. On sent que l’orchestre, y com­pris la trompette, s’amuse et nous, DJ ou danseurs, avec.

El entr­erri­ano 1944-04-26 — Orques­ta Osval­do Frese­do. C’est notre tan­go du jour.

On dirait que Fir­po et Scor­ti­cati ont passé le virus à Frese­do qui pro­duit à son tour une ver­sion très rapi­de. Il fal­lait sans doute ces deux con­t­a­m­i­na­tions pour l’inciter à pro­duire cette ver­sion tonique et rapi­de. Le ban­donéon fait encore un « Pin-Pon-Pin » encore plus con­va­in­cant. Cepen­dant, adieu veaux, vach­es, cou­vées par rap­port à la ver­sion précé­dente de 1927. Chaque instru­ment a son tour de gloire et le résul­tat est prenant, jusqu’au clas­sique dou­ble accord final de Frese­do. C’est notre tan­go du jour.

J’ai passé sous silence les ver­sions de 1941 de Troi­lo (c’était l’époque où il avait des enreg­istrements pour­ris, car les maisons de dis­ques ne voulaient pas con­cur­rencer leurs poulains) et celle de Bia­gi, qui est du Bia­gi comme il y en a tant. Du bon Bia­gi, mais que du Bia­gi, sans valeur ajoutée au titre lui-même.

El entr­erri­ano 1944-06-27 — Orques­ta Aníbal Troi­lo.

Pas la ver­sion de 1941 qui était une ver­sion plutôt rapi­de, mais celle de 1944, bien mieux enreg­istrée. On voit que l’ambiance est bien dif­férente de tout ce qui s’est fait avant, plus grave, calme, musi­cale, moins dans la sur­prise. On remar­quera les pleurs du ban­donéon à 2 : 46, le mer­veilleux jeu de Troi­lo. Une ver­sion pour une danse bien dif­férente, Troi­lo com­mence à mon­tr­er le bout de son nez nova­teur.

El entr­erri­ano 1954-04-29 — Orques­ta Juan D’Arienzo.

Du bon D’Arienzo qui cogne, tout en restant joueur. De quoi réveiller l’ambiance d’une milon­ga qui som­nole (il paraît que ça existe), mais cer­tains des titres précé­dents sont égale­ment effi­caces pour cet usage…

El entr­erri­ano 1979-10-31 — Orques­ta Osval­do Frese­do.

Frese­do a encore enreg­istré le titre en 1979. Hon­nête­ment, cet enreg­istrement n’a rien d’exceptionnel et je vous pro­pose de boule­vers­er la chronolo­gie pour ter­min­er cette anec­dote avec une ver­sion éton­nante, par Varela…

El entr­erri­ano 1957-03-29 — Orques­ta Héc­tor Varela.

C’est le dernier titre que je vous pro­pose aujourd’hui. Il débute avec le « Pin-Pon-Pin », mais très solen­nel, suivi d’une cita­tion des paroles de Tiem­pos viejos (Fran­cis­co Canaro Letra: Manuel Romero) « ¿Te acordás, her­mano, qué tiem­pos aque­l­los? » puis « Oí si » et une phrase de Mi noche triste (Samuel Cas­tri­o­ta Letra: Pas­cual Con­tur­si) « me dan ganas de llo­rar ».

Voilà, je ter­mine avec cela. Quel par­cours effec­tué depuis 1897 par ce tan­go excep­tion­nel !

À demain les amis !

Danzarín 1963-04-25 — Orquesta Aníbal Troilo arr. de Julián Plaza

Julián Plaza

On me demande par­fois ce tan­go en dis­ant, ce tan­go de Piaz­zol­la, ou de Pugliese. Ben, il est en fait de Plaza et c’est De Ange­lis qui l’a inter­prété pour la pre­mière fois et c’est Troi­lo qui l’a ren­du célèbre. Analysons ce chef d’œuvre qui annonce un tour­nant impor­tant dans le micro­cosme tan­go à la fin des années 50.

On date sou­vent l’apparition du tan­go nue­vo de Piaz­zol­la et des années 60. Mais comme tou­jours, c’est bien plus com­pliqué que cela.
Dans les années 30, Fran­cis­co Canaro était déjà à la recherche de nou­veaux styles de tan­go, mais en fait, les prin­ci­paux orchestres ont cher­ché à innover en ajoutant des instru­ments et en en enl­e­vant d’autres. La flûte a été rem­placée par le ban­donéon, le piano a fait son appari­tion, la harpe a été rem­placée par la gui­tare, puis est rev­enue et repar­tie, puis des instru­ments plus ou moins étranges comme la scie musi­cale (ser­ru­cho) par­fois rem­placée par le therem­ine qui donne un son très proche bien que pure­ment élec­tron­ique. Par­mi les joueurs de scie musi­cale, on pour­rait citer Rafael Canaro ou Juan Cal­darel­la.

On entend la scie musi­cale dans la Cumpar­si­ta de Rober­to Fir­po en 1916 et dans de nom­breuses com­po­si­tions. Les sons un peu étranges et planants ne datent pas d’aujourd’hui…
 Pour le therem­ine, voici un exem­ple de jeu sur une pièce clas­sique, le cygne de Saint-Saëns.

Dans les années 40, Canaro, tou­jours lui, fut un des pre­miers à utilis­er l’Orgue Ham­mond. Un instru­ment élec­tromé­canique, pro­duisant des sons à l’aide de roues phoniques. Le principe en est sim­ple. Une roue por­tant des aimants tourne. Elle déclenche un micro­phone élec­tro­mag­né­tique lors de sa rota­tion (du même type que ceux des gui­tares élec­triques). Si un aimant passe devant le micro­phone 100 fois par sec­onde, un son de 100 Hz est émis. Il y a plusieurs roues dont le nom­bre d’aimants est dif­férent. Avec le dou­ble d’aiment, à vitesse de rota­tion égale, le son est deux fois plus aigu.
En faisant vari­er la vitesse de rota­tion, on change la hau­teur du son de façon con­tin­ue.
On peut enten­dre l’orgue Ham­mond dans Cristal (1944–06-03) de Fran­cis­co Canaro (à par­tir de 1 minute, ou dans Gar­ras (1945–03-15) à par­tir de 32 sec­on­des. Si vous écoutez ces titres, écoutez-les en entier pour prof­iter de la jolie inter­pré­ta­tion du chanteur, Car­los Roldán.

Gar­ras 1945-03-15 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Car­los Roldán. Finale­ment, je vous pro­pose gar­ras, peut-être moins con­nu que Cristal que je vous invite à écouter de votre côté pour repér­er les cloches, autre instru­ment orig­i­nal…

Piaz­zol­la intro­duit la gui­tare élec­trique qui utilise donc les mêmes micro­phones que l’orgue Ham­mond, une décen­nie plus tard. C’est un nou­v­el instru­ment, mais il est loin d’être le pre­mier à l’avoir fait.
J’arrête là la liste des inno­va­tions, il y en a trop. C’était juste pour vous démon­tr­er que les nou­veautés en tan­go, c’est vieux. Sinon, on serait tou­jours au tan­go des Gob­bi et autres joyeusetés.

Extrait musical

Voici enfin le titre que vous souhaitez écouter… C’est égale­ment une inno­va­tion, dans l’orchestration et le ren­du de la musique. C’est égale­ment un tan­go nou­veau, une marche dans l’évolution du tan­go.
Plaza l’a écrit pour la danse, dis­ons pour la danse de scène. Il souhaitait inclure dans sa com­po­si­tion des motifs per­me­t­tant de pra­ti­quer toutes les fig­ures pos­si­bles pour un dan­zarín, un excel­lent danseur.

Dan­zarín 1963-04-25 — Orques­ta Aníbal Troi­lo arr. de Julián Plaza.

Vous aurez noté qu’il y a ajouté arr. de Julián Plaza pour arrange­ment de Julián Plaza. Même s’il est l’auteur du titre, il l’a retra­vail­lé pour Troi­lo. Nous ver­rons cepen­dant la lim­ite de cette inter­ven­tion un peu plus loin dans cette anec­dote…
N’oublions pas que c’est De Ange­lis qui l’a joué en pre­mier, en 1956, mais sans l’enregistrer. Cela peut sem­bler éton­nant. Il est cer­tain que le résul­tat devait être très dif­férent de celui du pre­mier enreg­istrement par Troi­lo en 1958. Sans doute pour aller plus loin, Troi­lo a demandé à Plaza de revoir sa par­ti­tion pour l’adapter encore plus à son orchestre.

Autres versions

Il y a des cen­taines d’enregistrements de Dan­zarin. Faute de pou­voir pro­duire la ver­sion de De Ange­lis, je vais me con­tenter des deux enreg­istrements de Troi­lo. En effet, la très grande majorité des enreg­istrements postérieurs ont pris la ver­sion de Troi­lo comme mod­èle et elles n’apportent donc pas grand-chose à l’histoire. La grande époque du tan­go est ter­minée, les orchestres cherchent à per­dur­er, en pro­posant de nou­velles pistes pour l’écoute et les nou­veaux orchestres restent dans les pas des aînés.

Dan­zarín 1958-12-15 — Orques­ta Aníbal Troi­lo.
Dan­zarín 1963-04-25 — Orques­ta Aníbal Troi­lo arr. de Julián Plaza. C’est notre tan­go du jour.

La sonorité est très dif­férente entre les deux enreg­istrements.
Pour com­pren­dre ce qui se passe, regar­dons l’analyse du spec­tre :

La stéréo de la ver­sion de 1963 donne une impres­sion d’espace. Les instru­ments sont aus­si séparés spa­tiale­ment. Cela ne change pas grand-chose pour la danse, car dans une milon­ga on est obligé de lim­iter la stéréo pour que la répar­ti­tion soit cor­recte dans toute la salle. En revanche, pour l’écoute, c’est plus agréable.
La pre­mière util­i­sa­tion de la stéréo­phonie date de 1881 et c’est une inven­tion du papa de l’avion, Clé­ment Ader qui a eu l’idée de dif­fuser le son de l’opéra Gar­nier de Paris à l’aide d’un réseau de câbles élec­triques reliés d’un côté à deux micro­phones et de l’autre à deux écou­teurs (un par oreille, donc en stéréo). Il a appelé cela le théâtro­phone.
En 1931, Alan Blum­lein, va plus loin en pro­posant un procédé d’enregistrement et de relec­ture sur piste unique qui sera qua­si­ment iden­tique à celui qui sera mis en œuvre à la fin des années 50.
Pour la musique, Dis­ney en 1940 a fait du mul­ti­p­iste pour son film musi­cal Fan­ta­sia. Mal­heureuse­ment, les salles ne se sont pas équipées et le son du ciné­ma est resté glob­ale­ment mono­phonique jusque dans les années 60.
Pour revenir au disque, c’est à par­tir de 1958 que la stéréo­phonie est apparue.
Cela implique que tout le tan­go de l’âge d’or est pure­ment mono­phonique.
Troi­lo qui a un peu souf­fert d’éditeurs médiocres au début de sa car­rière cherche à refaire son enreg­istrement avec le nou­veau procédé et c’est le résul­tat que l’on peut enten­dre dans la ver­sion de 1963. Mal­heureuse­ment, pour des ques­tions de taille de fichi­er, il m’est impos­si­ble de vous le faire écouter ici en entier [mon fichi­er orig­i­nal fait 71 Mo]. Voici donc un court extrait, de plus réduit en MP3 (ce que cer­tains DJ con­sid­èrent comme un for­mat accept­able en milon­ga…).

Dan­zarín 1963-04-25 — Orques­ta Aníbal Troi­lo

Dans ce court extrait, on entend tout de même l’effet stéréo qui est bien mar­qué :
0 s : les vio­lons débu­tent à gauche,
3 s : le piano attaque plutôt au cen­tre et les ban­donéons se rajoutent à droite comme un écho du piano.
15 s : le piano monte des arpèges, les aigus sont plus à droite. Il est donc enreg­istré avec deux micro­phones en stéréo.
19 s : tous les pupitres jouent en même temps, emplis­sant tout l’espace sonore de gauche à droite.
34 s : les ban­donéons et les vio­lons sont des deux côtés. Le piano est plus au cen­tre.
49 s : les instru­ments retrou­vent leur latéral­ité, les vio­lons plus à gauche et les ban­donéons plus à droite. Si vous avez le disque, essayez de l’écouter dans de bonnes con­di­tions, la qual­ité sonore en vaut la peine.

Différences entre les deux versions

L’histoire de la stéréo est réglée. Voyons s’il y a d’autres élé­ments que l’on peut déduire des audio­grammes.

Glob­ale­ment le spec­tre est bien rem­pli dans les deux cas (par­tie inférieure en rouge). Il y a des fréquences jusqu’à env­i­ron 20 kHz, on est en présence de deux enreg­istrements de qual­ité. En 1958, comme on est en mono, les deux canaux sont absol­u­ment iden­tiques. À droite, on remar­que que le canal de droite (situé en bas) présente des « trous » alors que le gauche est plein. C’est ce qu’on a enten­du dans le court extrait en stéréo, les vio­lons com­men­cent à gauche (donc en haut), puis le piano au cen­tre et enfin les ban­donéons à droite (donc en bas). À la moitié du morceau, cet effet est encore plus mar­qué.

On con­state que si la ver­sion de 1963 est glob­ale­ment plus lente, ce n’est pas vrai partout. La ver­sion de 1958, allongée devrait coïn­cider avec celles de 1963 pour la « pause » cen­trale. Ce n’est pas le cas, elle arrive plus tard.
Le début est plus rapi­de dans la ver­sion de 1958, mais quand on cale les deux morceaux à la même durée, tout est fort sem­blable jusqu’à 40 sec­on­des, puis la ver­sion de 63 est plus rapi­de. Elle prend de l’avance. À 1 : 15, la ver­sion de 1958 3 sec­on­des de retard.
La « pause » cen­trale arrive à 1 : 42 dans la ver­sion de 1963 et à 1 : 50, les deux sont de nou­veau syn­chro­nisés pour le solo de vio­lon­celle. La ver­sion de 1963 avait accéléré, puis avant la pause, beau­coup ralen­ti, ce qui a per­mis à la fin de la pause de resyn­chro­nis­er le vio­lon­celle. Je rap­pelle que c’est en temps relatif, car j’ai aug­men­té le temps de la ver­sion de 1958 afin qu’elle représente 100 % de la durée de celle de 1963.
À 2 : 28, la ver­sion de 1963 accélère de nou­veau, devançant celle de 1958, exacte­ment comme elle l’avait fait lors de la pre­mière fois. Ain­si, le solo de vio­lon­celle est de nou­veau syn­chro­nisé à 1 : 54 et ain­si de suite.

Attention, expérience sensorielle perturbante

Quand je musi­calise, j’écoute tou­jours la musique qui passe sur la piste, mais je pré­pare aus­si la tan­da suiv­ante et je cherche une corti­na con­ven­able. Ceci fait que j’ai sou­vent deux, voire trois musiques en même temps à l’écoute dans le casque et en direct.
Je vais vous pro­pos­er une ver­sion sim­pli­fiée de cela en vous présen­tant un morceau con­sti­tué à gauche de la ver­sion de 1958 et à droite, de la ver­sion de 1963. Ce sera plus sim­ple si vous pou­vez l’écouter au casque, ou a min­i­ma avec un équipement stéréo bien équili­bré.
Cela va vous per­me­t­tre de con­stater tout ce que j’indiquais ci-dessus avec vos oreilles, à vous…

Dan­zarin Gauche 1958 Droite 1963 Troi­lo.

Si vous n’avez pas la tête à l’envers à la fin de l’écoute, vous pour­riez être DJ ; -)

Vous aurez remar­qué, sans doute, qu’il n’y a pas de dif­férence notable dans l’orches­tra­tion. Je ne com­prends donc pas pourquoi on rajoute sur ce titre qu’il a béné­fi­cié des arrange­ments de Plaza. Peut-être que c’é­tait le cas aus­si de la ver­sion de 1958. Comme on n’a pas d’en­reg­istrement de De Ange­lis, il est impos­si­ble de faire la dif­férence.

NB : Cette dernière archive sonore n’est pas un essai de tan­go nue­vo…

La vi llegar 1944-04-19 — Orquesta Miguel Caló con Raúl Iriarte

Enrique Mario Francini Letra Julián Centeya

«La vi lle­gar», je l’ai vue venir, ne racon­te pas l’arrivée espérée d’une femme, même si j’ai choisi dans mes illus­tra­tions de pren­dre le texte au pied de la let­tre, je vais ici don­ner le véri­ta­ble sens aux paroles de ce mag­nifique tan­go dont les paroles de Julián Centeya sont ici toute en finesse, je dirai même que tout le thème est un jeu de mots.

Extrait musical

La vi lle­gar 1944-04-19 — Orques­ta Miguel Caló con Raúl Iri­arte.

Paroles

La vi lle­gar…
¡Cari­cia de su mano breve!
La vi lle­gar…
¡Alon­dra que azotó la nieve
 !
Tu amor ‑pude decir­le- se funde en el mis­te­rio
de un tan­go acari­ciante que gime por los dos.

Y el ban­doneón
-¡rezon­go amar­go en el olvi­do!-
lloró su voz,
que se que­bró en la den­sa bru­ma.
Y en la deses­per­an­za,
tan cru­el como ningu­na,
la vi par­tir sin la pal­abra del adiós.

Era mi mun­do de ilusión…
Lo supo el corazón,
que aún recuer­da siem­pre su extravío?.
Era mi mun­do de ilusión
y se perdió de mí,
sumán­dome en la som­bra del dolor.
Hay un fan­tas­ma en la noche inter­minable.
Hay un fan­tas­ma que ron­da en mi silen­cio.
Es el recuer­do de su voz,
latir de su can­ción,
la noche de su olvi­do y su ren­cor.

La vi lle­gar…
¡Mur­mul­lo de su paso leve
 !
La vi lle­gar…
¡Auro­ra que bor­ró la nieve!
Per­di­do en la tiniebla, mi paso vac­ilante
la bus­ca en mi ter­ri­ble carni­no de dolor.

Y el ban­doneón
dice su nom­bre en su gemi­do,
con esa voz
que la llamó des­de el olvi­do.
Y en este des­en­can­to bru­tal que me con­de­na
la vi par­tir, sin la pal­abra del adiós…

Enrique Mario Franci­ni Letra: Julián Centeya

Traduction libre et indications

Je l’ai vue venir… (À pren­dre comme « je t’ai vu venir avec tes gros sabots ». Il a dev­iné que quelque chose clochait)
Caresse de sa main furtive ! (Elle l’effleure avec sa main, mais elle n’ose pas le touch­er franche­ment).
Je l’ai vue venir…
Alou­ette qui fou­et­tait la neige ! (La tra­duc­tion est dif­fi­cile. Dis­ons qu’il com­pare la main à une alou­ette qui jet­terait de la neige, du froid sur le cœur de l’homme).
Ton amour, pour­rais-je lui dire, se fond dans le mys­tère d’un tan­go cares­sant qui gémit pour nous deux. (La femme cherche ses mots pour annon­cer la mau­vaise nou­velle).

Et le ban­donéon
— grog­nait amère­ment dans le désamour ! — (Olvi­do est à pren­dre ici dans son sens sec­ond, plus rare, comme la fin de l’affection et pas comme l’oubli).
Sa voix pleu­rait, en se brisant dans la brume épaisse.
Et dans un dés­espoir, plus cru­el qu’aucun autre, ce fut sans un mot d’adieu…

C’était mon monde d’illusions…
Le cœur le savait, lui qui se sou­vient tou­jours de sa perte.
C’était mon monde d’illusion qui fut per­du pour moi, me plongeant dans l’ombre de la douleur.
Il y a un fan­tôme dans la nuit inter­minable.
Il y a un fan­tôme qui rôde dans mon silence.
C’est le sou­venir de sa voix, le bat­te­ment de sa chan­son, la nuit de son désamour et de son ressen­ti­ment.

Je l’ai vue venir…
Le mur­mure de son pas léger !
Je l’ai vue venir…
Aurore qui a envoyé la neige !
Per­du dans les ténèbres, mon pas vac­il­lant la cherche sur mon ter­ri­ble chemin de douleur.

Et le ban­donéon prononce son nom dans son gémisse­ment, de cette voix qui l’appelait depuis le désamour.
Et dans ce désen­chante­ment bru­tal qui me con­damne, je l’ai vue par­tir, sans un mot d’adieu…
Et le ban­donéon prononce son nom dans son gémisse­ment, de cette voix qui invo­quait le désamour.
Et dans ce désen­chante­ment bru­tal qui me con­damne, je l’ai vue par­tir, sans un mot d’adieu…

Je l’ai vue venir

On emploie sou­vent cette expres­sion quand dire que la per­son­ne qui nous par­le ne va pas directe­ment au but, mais que l’on a dev­iné bien avant qu’il le dise où il voulait aller.
Les paroles de ce tan­go alter­nent donc avec « je l’ai vue venir » en prenant la métaphore de l’arrivée avec la neige pour mon­tr­er qu’elle lance un froid et « je l’ai vue par­tir », sans un mot d’adieu. Là, on n’est pas dans le fig­uré, elle est vrai­ment par­tie.

Autres versions

La vi lle­gar 1944-04-19 — Orques­ta Miguel Caló con Raúl Iri­arte. C’est notre tan­go du jour
La vi lle­gar 1944-06-27 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Alber­to Mari­no.

Con­traire­ment à Caló, Troi­lo ne donne pas la vedette aux vio­lons et dès le début, les ban­donéons les accom­pa­g­nent et les dif­férents solos sont courts et avec un accom­pa­g­ne­ment très présent. Franci­ni est vio­loniste, mais Troi­lo est ban­donéon­iste…

Une ver­sion au ciné­ma extraite du film Los Pérez Gar­cía (1950). Orques­ta Franci­ni-Pon­tier con Alber­to Podestá.

La vi lle­gar 1949–50 — Orques­ta Enrique Mario Franci­ni y Arman­do Pon­tier Con Alber­to Podestá. Extrait du film Los Pérez Gar­cía sor­ti le pre­mier févri­er 1950.

Extrait du film Los Pérez Gar­cía sor­ti le pre­mier févri­er 1950. Comme il n’y a pas de véri­ta­ble enreg­istrement de ce titre par son com­pos­i­teur, on est con­tent de l’avoir dans ce film. Petit gag, Arman­do Pon­tier sem­ble avoir un prob­lème avec son ban­donéon au début de l’in­ter­pré­ta­tion. On peut aus­si voir Enrique Mario Franci­ni au vio­lon, jouant sa com­po­si­tion. On peut juste regret­ter de ne pas avoir un disque de cette presta­tion. Peut-être qu’un jour on retrou­vera les enreg­istrements de stu­dio qui ont été exploités pour le film. Tout est pos­si­ble en Argen­tine. C’est même là que l’on a retrou­vé les par­ties per­dues du chef d’œu­vre de Fritz Lang, Metrop­o­lis.
Met­teur en scène ; Fer­nan­do Bolín y Don Napy, scé­nario Oscar Luis Mas­sa, Anto­nio Cor­ma y Don Napy. Le film est tiré du feuil­leton radio­phonique du même nom et met en scène plus ou moins les mêmes acteurs.

A los ami­gos, La vi lle­gar 1958 — Franci­ni-Pon­tier, Orques­ta Típi­ca — Direc­ción Argenti­no Galván.

C’est le 28e morceau du disque. Bien qu’il y ait deux titres enchaînés, la pièce est courte (1:50). La vi lle­gar qui est le thème le plus intéres­sant notam­ment grâce au vio­lon solo de Franci­ni com­mence à 45 s. Julio Ahu­ma­da (ban­donéon et Jaime Gosis (piano) com­plè­tent l’orchestre. Ci-dessous, la cou­ver­ture du disque.

C’est un 33 tours (long play) qui com­porte 34 titres qui ont la par­tic­u­lar­ité (sauf un), d’être joués par dif­férents orchestres, mais tous dirigés par le même chef, Argenti­no Galván. J’ai pro­posé sur Face­book un jeu sur cette cou­ver­ture, de décou­vrir tous les lieux, et clins d’œil au tan­go qu’elle men­tionne.

La vi lle­gar 1961 — Orques­ta Osval­do Pugliese con Jorge Maciel.

Pour ceux qui aiment la voix pleu­rante de Maciel dans les années 60, ça devrait plaire. J’imagine même que cer­tains le danseraient.

La vi lle­gar 1966 — Octe­to Tibid­abo dir. Atilio Stam­pone.

Seule ver­sion instru­men­tale de ma sélec­tion. Le piano de Stam­pone en fait une ver­sion intéres­sante. J’ai aus­si mis cette ver­sion, car Tibida­do est présent sur la cou­ver­ture du disque de 1960 dirigé par Argenti­no Galván. Le Tibid­abo était un cabaret situé sur Cor­ri­entes au 1244. Il a fonc­tion­né de 1942 à 1955. Aníbal Troi­lo en était un des piliers.

La vi lle­gar 1970-05-07 — Rober­to Goyeneche Orques­ta Típi­ca Porteña dir. y arreg­los Raúl Garel­lo y Osval­do Berlingieri.

Une ver­sion émou­vante et impres­sion­nante. Bien sûr, pas pour la danse, mais elle vaut l’écoute, assuré­ment.

À propos des illustrations

On aura bien com­pris que la neige que j’ai représen­té dans les deux images était « virtuelle ». C’est le froid qu’a lais­sé le désamour.
La pre­mière image est « Je l’ai vue venir ». Ici, au sens pro­pre alors que c’est plutôt fig­uré dans la chan­son.

Elle arrive pour rompre, elle est triste.

Puis, elle est par­tie. Sans parole d’adieu. Là, elle n’a pas de valise. Je trou­vais que cela aurait alour­di cette image que je voulais toute légère. Elle part vers la lumière et lui reste dans l’ombre et le froid. J’avais fait au départ une ombre plus mar­quée en bas qui par­tait de celle de la femme qui part, mais je n’arrivai pas à cadr­er ça dans un for­mat 16/9e. Alors, il n’y a plus d’ombre.
À demain les amis, pour un thème, beau­coup plus glaçant. En effet, la neige d’aujourd’hui était virtuelle, mais demain, je vais jeter un froid.

Maipo 1939-04-18 — Orquesta Juan D’Arienzo

Eduardo Arolas Letra Gabriel Clausi

Le théâtre Maipo est un célèbre théâtre de Buenos Aires. En plus de sa grande salle, il dis­pose de plusieurs étages où il est pos­si­ble d’assister à des spec­ta­cles en prenant une petite merien­da (goûter) pen­dant le spec­ta­cle. Plusieurs orchestres y ont joué, dont celui de Fir­po qui fut un des pre­miers à enreg­istr­er ce titre, en 1918. Mais êtes-vous sûr que ce tan­go par­le bien de ce théâtre ?

Brève histoire du théâtre Maipo de Buenos Aires

Si on en croit l’historique dévelop­pé sur le site du théâtre, voici quelques dates :

  • 1908-05-07, il a été inau­guré sous le nom de Scala.
  • 1915-09-30, il est renom­mé en Esmer­al­da (il est d’ailleurs rue Esmer­al­da au 443).
  • 1922-08-15, il prend le nom actuel de Maipo.

Ce tan­go ne devrait donc pas être antérieur à 1922. Cepen­dant, Rober­to Fir­po y a joué en 1920 et il a enreg­istré le tan­go Maipo en 1918, ce qui est logique. Je vous don­nerai l’explication plus loin…
Pour chang­er, je vous pro­pose de voir un doc­u­men­taire sur son his­toire.
Il est en espag­nol, mais il y a des sous-titres mul­ti­lingues…

Extrait musical

Maipo 1939-04-18 — Orques­ta Juan D’Arienzo. C’est notre tan­go du jour.

Paroles

Les paroles ne sont pas con­tem­po­raines de la musique. Elles témoignent en fait d’un change­ment de dédi­cace du tan­go.
En effet, le tan­go écrit par Aro­las fêtait le cen­te­naire de la bataille de Maipo ou Maipú, une bataille gag­née con­tre les Espag­nols dans les guer­res d’indépendance.
1918, c’est aus­si l’année de la créa­tion de la ban­dera, le dra­peau argentin avec le soleil de Mai.
Cette gravure de Géri­cault existe aus­si en couleur avec une ban­dera argenti­na… Je ne me suis donc pas fait prier pour en met­tre dans mon illus­tra­tion de cou­ver­ture. J’ai voulu jouer sur les deux tableaux, le théâtre Maipo et le théâtre des opéra­tions mil­i­taires, mais ce n’est pas très réus­si…

Vuelve a mí, recuer­do del ayer
con el bril­lar de luces en esce­na;
siem­pre el mis­mo ful­gor,
las vie­jas can­dile­jas
son como estrel­las…
Otra vez, vibra en la noche aquel
sueño de amor y can­to del pasa­do;
som­bras que cor­retean
por este viejo tabla­do de ayer.

Mar­quesinas de mis sueños,
mil destel­los de col­ores,
fig­uras escul­tur­ales,
nom­bres que están olvi­da­dos…
corre el tiem­po y el recuer­do
se entre­laza con la pena…
el sabor de cosas de antes
guardadas con tan­to amor…

El viejo Maipo nos vio bajo sus luces
aque­l­los días tan llenos de ter­nuras
soñar amores que fueron embe­le­so…
con toda el alma, con toda la ilusión,
con estas notas, con este tan­go triste,
quiero con­tarte teatro de mi pueblo
aque­l­lo que guardé en mi corazón,
tal como lo viví… tan lleno de emo­ción.

Eduar­do Aro­las (Avant 1918 Letra de Gabriel Clausi plus tar­dive 1953 ?)

Traduction libre et indications

Cela me revient, un sou­venir d’hier avec le scin­tille­ment des lumières sur la scène ; tou­jours la même lumi­nosité, les vieilles lam­pes sont comme des étoiles…
De nou­veau, le rêve d’amour et le chant du passé vibrent dans la nuit ; des ombres qui courent autour de cette vieille scène d’hier.

Des ver­rières de mes rêves, mille éclats de couleurs, des fig­ures sculp­turales, des noms oubliés… Le temps passe et le sou­venir se mêle au cha­grin… le goût des choses du passé gardées avec tant d’amour…


Le vieux Maipo nous voy­ait sous ses lumières, ces jours si pleins de ten­dresse, rêvant d’amours ravies… De toute mon âme, de toute mon illu­sion, avec ces notes, avec ce triste tan­go, j’ai envie de te dire, théâtre de mon vil­lage, ce que j’ai gardé dans mon cœur, comme je l’ai vécu… telle­ment plein d’émotion.

Autres versions

Maipo 1918 — Orques­ta Rober­to Fir­po.

Une ver­sion com­mé­mora­tive de la bataille de Maipo ou Maipú ou Maïpu. Fir­po jouera juste­ment cette œuvre dans ce théâtre en 1920, alors qu’il s’appelle encore Esper­al­da, du nom de la rue où il est. Il ne pren­dra le nom de Maipo, qu’en 1922. J’imagine que Maipo qui est équiv­a­lent à Maipú peut venir du nom de la rue de la même man­zana (bloc urbain de 100mx100m encadré par 4 rues). Le théâtre appar­tient au bloc délim­ité par l’avenue Cor­ri­entes et les rues Esmer­al­da (où il a sa porte prin­ci­pale), Maipù et Lavalle.

Maipo 1928-03-28 — Orques­ta Julio De Caro.

Une ver­sion un peu nos­tal­gique, qui pour­rait coller aux paroles, mais en 1928, le théâtre n’était pas un « vieux théâtre ». Il a subi un incendie en 1928, mais c’était en novem­bre, en mars, les paroles ne pou­vaient pas le regret­ter.

Maipo 1936-07-24 — Orques­ta Pedro Maf­fia.

Huit ans plus tard, un thème très nos­tal­gique. Une ver­sion douce et jolie, avec des vents et un piano agile. Une belle ver­sion qui entraîne bien.

Maipo 1939-04-18 — Orques­ta Juan D’Arienzo. C’est notre tan­go du jour.
Maipo 1941-09-02 — Orques­ta Julio De Caro.

Jolis vio­lons, sur­volant le piano et l’orchestre plus per­cus­sif. Cette ver­sion, plus tonique que celle de 1928, s’accommode plus d’un thème mil­i­taire ou fes­tif (évo­ca­tion des spec­ta­cles du théâtre) que nos­tal­gique.

Maipo 1953-04-10 — Orques­ta Julio De Caro.

Une ver­sion un peu étrange. Com­pat­i­ble avec le thème du théâtre. Gabriel Clausi dont on ne con­naît pas la date d’écriture des paroles pour­rait aus­si l’avoir écrit en 1953, à son retour de dix ans au Chili. Il retrou­ve le théâtre et la nos­tal­gie fait le reste.

Maipo 1962-09-13 — Cuar­te­to Troi­lo-Grela.

Avec Aníbal Troi­lo (ban­donéon), Rober­to Grela (gui­tar­ra), Ernesto Báez (gui­tar­rón), Euge­nio Pro (con­tra­ba­jo). Une très belle ver­sion, à écouter.

Maipo 1964 — Orques­ta Ful­vio Sala­man­ca
Maipo 2024-01-12 — Orques­ta Roman­ti­ca Milonguera.

La toute dernière ver­sion, une ver­sion orig­i­nale comme sait en faire cet orchestre.

Finale­ment, peu de ver­sions col­lent aux paroles. La musique est plutôt tonique et pas nos­tal­gique dans la plu­part des ver­sions.
Elle peut être tonique pour évo­quer la bataille de Maipo, mais aus­si pour présen­ter les spec­ta­cles qui se déroulaient dans la salle.
Je vous laisse donc en plan. Si vous trou­vez la réponse et notam­ment la date d’écriture des paroles par Gabriel Clausi, je suis pre­neur.

À demain, les amis !

Te aconsejo que me olvides 1941-04-16 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino

Pedro Mario Maffia Letra : Jorge Curi

Il est des cour­ri­ers qu’on n’aime pas recevoir. C’est ce qui est arrivé à Fran­cis­co Fiorenti­no qui a reçu un cour­ri­er défini­tif, mais qui réag­it en homme. L’interprétation qu’il en fait avec le mer­veilleux orchestre d’Aníbal Troi­lo est telle­ment prodigieuse, que ce titre est désor­mais hors de portée de tous les autres orchestres et chanteurs, même de Fiorenti­no lui-même et j’en apporte la preuve.

Extrait musical

Te acon­se­jo que me olvides 1941-04-16 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Fran­cis­co Fiorenti­no.

Dès le début, la mon­tée piquée au ban­donéon donne le rythme. Puis les vio­lons annon­cent le thème, puis on inverse et enfin explose la voix de Fiorenti­no. Sa dic­tion est par­faite, un léger ruba­to ani­me sa par­ti­tion. Il exploite com­plète­ment, le con­traste des nuances. L’orchestre l’accompagne, le relaye. Tout se fond mer­veilleuse­ment. La mon­tée piquée revient régulière­ment pour relancer le mou­ve­ment. Aucun risque de monot­o­nie. Du très grand art, jusqu’à la dernière note. Fiorenti­no ter­mine et l’orchestre ponctue par un accord de dom­i­nante suivi par un accord de tonique, atténué.

Les paroles

Recibí tu últi­ma car­ta,
en la cual tú me decías:
“Te acon­se­jo que me olvides,
todo ha muer­to entre los dos.
Sólo pido mi retra­to
y todas las car­tas mías,
ya lo sabes que no es jus­to
que aún eso con­serves vos”.
Hoy recono­ces la fal­ta,
tienes miedo que yo diga…
que le cuente
al que tú sabes (a tu mari­do)
nues­tra ínti­ma amis­tad;
¡Soy muy hom­bre, no te ven­do,
no soy capaz de una intri­ga!
Lo com­pren­do que, si hablara,
quiebro tu feli­ci­dad.

Pero no vas a negar
que cuan­do vos fuiste mía,
dijiste que me querías,
que no me ibas a olvi­dar;
y que cie­ga de car­iño
me besabas en la boca,
como si estu­vieras loca…
Sedi­en­ta, nena, de amar.

Yo no ten­go incon­ve­niente
en enviarte todo eso,
sin embar­go, aunque no quieras,
algo tuyo ha de quedar.
El vacío que dejaste
y el calor de aque­l­los besos
bien lo sabes que no puedo
devolvérte­los jamás.
Yo lo hago en bien tuyo
evi­tan­do un com­pro­miso,
sac­ri­fi­co mi car­iño
por tu apel­li­do y tu hon­or ;
me con­for­mo con mi suerte,
ya que así el des­ti­no quiso
pero acuér­date bien mío,
¡que esto lo hago por tu amor!

Pedro Mario Maf­fia Letra : Jorge Curi

On notera que tous, sauf Gardel chantent « a tu mari­do » au lieu de « al que tú sabes».

Traduction libre

J’ai reçu ta dernière let­tre, dans laque­lle tu me dis­ais : « Je te con­seille de m’oublier, tout est mort entre nous deux. Je ne demande que mon por­trait et toutes mes let­tres, tu sais qu’il n’est pas juste que tu gardes même cela. Aujourd’hui tu recon­nais la faute, tu as peur que je dise… que je racon­te à qui tu sais, notre ami­tié intime ; je suis bien un homme, je ne te vends pas, je ne suis pas capa­ble d’intriguer ! Je com­prends que, si je par­lais, je bris­erais ton bon­heur.
Mais tu ne vas pas nier que quand tu étais à moi, tu m’as dit que tu m’aimais, que tu n’allais pas m’oublier ; et qu’aveugle de ten­dresse, tu m’as embrassée sur la bouche, comme si tu étais folle… assoif­fée, petite, d’aimer.
Je n’ai pas d’objection à t’envoyer tout ça, cepen­dant, même si tu ne le veux pas, quelque chose de toi doit rester. Le vide que tu as lais­sé et la chaleur de ces bais­ers, tu sais que je ne pour­rai jamais te les ren­dre. Je le fais pour ton bien, en évi­tant un engage­ment, je sac­ri­fie mon affec­tion à ton nom et à ton hon­neur ; je me con­tente de mon sort, car c’est ce que le des­tin a voulu, mais sou­viens-toi bien du mien, que je fais cela pour ton amour !

Autres versions

Pour moi, il n’y a pas d’autre ver­sion que celle de Troi­lo et Fiorenti­no…
On peut essay­er Fiorenti­no sans Troi­lo, par exem­ple avec Alber­to Man­cione, ça ne va pas.
On peut essay­er des noms pres­tigieux, comme Gardel, Pugliese, voire Canaro et Lomu­to. Rien n’arrive à la cheville de la ver­sion épous­tou­flante de Troi­lo et Fiorenti­no.
Voici tout de même une petite sélec­tion. Vous avez le droit d’y trou­ver des per­les qui m’auraient échap­pé, mais je serai éton­né que vous y trou­viez mieux que Troi­lo et Fiorenti­no…

Te acon­se­jo que me olvides 1928-09-17 — Char­lo con acomp. de Fran­cis­co Canaro.

Une chan­son, rien pour la danse, mais l’histoire, c’est l’histoire. On peut regret­ter le début dif­férent de notre ver­sion de référence par Troi­lo et Fiorenti­no.

Te acon­se­jo que me olvides 1928-09-25 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Une semaine plus tard, Canaro remet le cou­vert, mais sans Char­lo. Cette fois, il n’omet pas le début si spec­tac­u­laire dans la ver­sion de Troi­lo.

Te acon­se­jo que me olvides 1928-10-11 — Car­los Gardel con acomp. de Guiller­mo Bar­bi­eri, José María Aguilar, José Ricar­do (gui­tar­ras).

Quelques jours après Canaro, Gardel donne sa ver­sion avec ses gui­taristes. Comme pour la ver­sion avec Char­lo, on regrette aus­si le début. Mais on n’est pas là pour danser.

Te acon­se­jo que me olvides 1928-10-15 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to.

Si vous trou­viez la ver­sion de Canaro un peu plan­plan et sopori­fique, n’écoutez pas celle-ci. L’autre Fran­cis­co a réus­si à faire… pire. Après tout, vous avez le droit d’aimer.

Te acon­se­jo que me olvides 1941-04-16 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Fran­cis­co Fiorenti­no.

C’est notre tan­go du jour. Pour ma part, j’ai envie de l’écouter après chaque ver­sion dif­férente…

Te acon­se­jo que me olvides 1950-12-29 — Orques­ta Alber­to Man­cione con Fran­cis­co Fiorenti­no.

Neuf ans plus tard, Fran­cis­co Fiorenti­no enreg­istre de nou­veau le thème, mais cette fois avec Alber­to Man­cione. Je ne sais pas s’il faut pleur­er, crier ou tout sim­ple­ment se tass­er dans un coin avec des bou­chons dans les oreilles, mais cette ver­sion ne me sem­ble pas du tout une réus­site. Mais là encore, vous avez le droit d’aimer.

Te acon­se­jo que me olvides 1951-10-30 — Juan Cam­bareri y su Cuar­te­to Típi­co con Alber­to Casares.

Tou­jours très orig­i­nal, Cam­bareri. Le ban­donéon énervé n’arrive pas à faire chang­er le rythme de Casares, on échappe ain­si à une des ver­sions express de Cam­bareri. Le résul­tat est mignon, sans plus.

Te acon­se­jo que me olvides 1954-05-13 — Orques­ta Osval­do Pugliese con Juan Car­los Cobos.

El Negro Cobos qui a rem­placé Vidal dans l’orchestre de Pugliese dis­pose d’un imposant organe vocal. Il met bien en valeur le thème. Le résul­tat est très Pugliese. Dès les pre­mières mesures San Pugliese a mar­qué son empreinte. Pas un tan­go de danse, même si je sais que cer­tains le passeront tout de même. C’est un très bel enreg­istrement que l’on écoutera avec grand plaisir, mais comme je l’annonçais au début, rien n’égale pour la danse la mer­veille de Troi­lo et Fiorenti­no. En tous cas, c’est mon avis.

Te aconsejo que no le olvidas

(Je te con­seille de ne pas l’oublier)

Un petit mot sur l’illustration de cou­ver­ture. Le tan­go des années 20, on par­le de let­tre, l’homme qui pleure au cen­tre me parais­sait logique. Seule­ment, le sujet de ce tan­go est de tous les temps. J’ai pen­sé aux sig­naux de fumée, mais c’était com­pliqué à dessin­er et à faire com­pren­dre. Je suis donc resté à un moyen de com­mu­ni­ca­tion moins ancien, le télé­graphe Chappe. Celui-ci était dans une tour placée sur une église de Mont­martre. Les postrévo­lu­tion­naires ne s’embarrassaient pas de con­sid­éra­tion de ce qui en d’autres temps aurait pu paraître un sac­rilège. À droite, un télé­phone portable, pas de la toute dernière généra­tion, mais qui annonce le même fatidique mes­sage. Je con­nais une église qui a une antenne de télé­phonie accolée à son clocher. Ce n’est moins respectueux que le coup du télé­graphe Chappe à la fin de la Révo­lu­tion française.

Taquito militar 1957-04-15 — Orquesta Mariano Mores (Milonga candombe)

Mariano Mores Letra : Dante Gilardoni

Mar­i­ano Mores vous invite à danser la milon­ga Can­dombe avec Taquito mil­i­tar, notre anec­dote du jour. Les paroles de Gilar­doni et le film de Demiche­li vous don­nent même les con­seils pour bien la danser. Alors, pourquoi s’en priv­er?

Histoire de Taquito militar

Inau­guré au théâtre Colon en 1952, ce titre a été util­isé dans le film La voz de mi ciu­dad, un film de Tulio Demiche­li en 1953. Cepen­dant, Mar­i­ano Mores a une his­toire à racon­ter sur la créa­tion de ce titre. Voici ce que cite l’excellent site : Tan­gos al bar­do :

« Dis­cépo­lo, Tania y yo, con mi Orques­ta de Cámara del Tan­go, habíamos sido invi­ta­dos a un acto en el Min­is­te­rio (de Guer­ra), con la pres­en­cia del Gen­er­al Perón. Al ter­mi­nar mi actuación se acer­có un señor a quien no conocía, para pedirme que tocáramos algo más. Como solo quedábamos en el salón dos de los músi­cos, Pepe Cor­ri­ale y Ubal­do De Lío, impro­visamos los tres un tema. Al final el mis­mo señor me solic­itó una pieza más. Entonces me puse a impro­vis­ar sobre un moti­vo de milon­ga que tenía en mente : en esa impro­visación se fue desar­rol­lan­do “Taquito mil­i­tar”. Fue tal el entu­si­as­mo de este señor ‑de quien después supe que era el Gen­er­al Franklin Lucero, min­istro de Guerra‑, que tuvi­mos que repe­tir­la tres veces esa mis­ma noche. Después, plas­mé la for­ma defin­i­ti­va y pasó el tiem­po. »

Tan­gos al bar­do

Traduction :

Dis­cépo­lo, Tania et moi, avec mon Orchestre de Cham­bre de Tan­go, avions été invités à un événe­ment au Min­istère (de la Guerre), en présence du général Perón. À la fin de ma presta­tion, un homme que je ne con­nais­sais pas s’est approché de moi pour me deman­der de jouer autre chose. Comme il ne restait que deux musi­ciens dans la salle, Pepe Cor­ri­ale et Ubal­do De Lío, nous avons impro­visé un air tous les trois. Finale­ment, le même homme m’a demandé un morceau sup­plé­men­taire. Alors j’ai com­mencé à impro­vis­er sur un motif de milon­ga que j’avais en tête : dans cette impro­vi­sa­tion s’est dévelop­pé « Taquito mil­i­tar ». L’enthousiasme de cet homme — dont j’ai appris plus tard qu’il s’agissait du général Franklin Lucero, min­istre de la Guerre — était tel que nous avons dû le répéter trois fois dans la même nuit. Ensuite, j’ai fixé la forme finale et le temps a passé.

Extrait musical

Taquito mil­i­tar 1957-04-15 — Orques­ta Mar­i­ano Mores. Cette milon­ga can­dombe encour­age à frap­per du pied.

Les paroles

Le tan­go du jour est instru­men­tal, mais il y a des paroles ajoutées postérieure­ment par Gilar­doni et qui décrivent la danse, telle qu’elle est présen­tée dans le film « La voz de Buenos Aires ». Les voici :

Para bailar esta milon­ga,
hay que ten­er primera­mente
una bue­na com­pañera
que sien­ta en el alma
el rit­mo de fuego así…

Hay que jun­tar las cabezas miran­do hacia el sue­lo
pen­di­entes de su com­pás,
dejar libres los zap­atos que vayan y ven­gan
en repi­que­teo sin fin,
y que mue­va la mujer las caderas
al rit­mo caliente que da el tam­bor,
olvi­darse de la vida y del amor
para bailar…

Porque en este baile insin­u­ante
hay que ten­er,
des­de el corazón pal­pi­tante
has­ta los pies,
el repi­quetear del taquito
se hace obsesión,
has­ta que se funde en el rit­mo
del corazón…

Al com­pás de esta milon­ga
vuel­vo a ver igual que ayer
un baile de meta y pon­ga
y un vivir para quer­er…
Un pasito atrás por aquí,
otro avance más por allá,
la sen­ta­da limpia y después
viene el taco­neo final…
El can­dombe está en lo mejor
y la moza vibra al com­pás,
y siem­pre que esta milon­ga
vuel­vo a bailar, me gus­ta más…

Para bailar,
se nece­si­ta más que nada amar la vida,
porque es vida todo aque­l­lo
que se agi­ta en los com­pas­es
de un can­dombe de mi flor y
de mi amor

Mar­i­ano Mores Letra : Dante Gilar­doni

Traduction libre

Pour danser cette milon­ga, il faut d’abord avoir une bonne parte­naire qui ressent dans l’âme le rythme du feu, comme ça…

Il faut join­dre les têtes en regar­dant le sol, sus­pendu à son rythme, laiss­er ses chaus­sures libres d’aller et venir dans des claque­ments sans fin, et que la femme bouge ses hanch­es au rythme tor­ride que mar­que le tam­bour, oubli­er de la vie et de l’amour pour danser…

Parce que dans cette danse insin­u­ante, il faut avoir, du cœur pal­pi­tant jusqu’aux pieds, les claque­ments du talon qui devi­en­nent une obses­sion, jusqu’à ce qu’ils se fondent dans le rythme du cœur…

Au rythme de cette milon­ga je revois, comme hier, une danse sans fin (meta y pon­ga, c’est de forme con­tin­ue, sans per­dre le rythme de la marche, refaire…) et vivre pour aimer…

Un petit pas en arrière par-ci, un autre pas en avant par-là, la sen­ta­da (fig­ure de tan­go où l’homme fait asseoir la danseuse sur sa cuisse) et puis vient le frap­per de talon final.

Le can­dombe est à son meilleur et la fille (serveuse) vibre en rythme, et chaque fois que je danse cette milon­ga, elle me plaît plus…

Pour danser, il faut plus que tout aimer la vie, car tout ce qui s’agite dans les bat­te­ments d’un can­dombe de ma fleur (référence prob­a­ble au can­dombe « Milon­ga de mi flor » de Feli­ciano Brunel­li avec des paroles de Car­los Bahr de 1940. Gilar­doni arrive au moins 13 ans plus tard, il peut donc y faire par­faite­ment référence) et de mon amour, c’est la vie.

Autres versions

La plus anci­enne ver­sion dont nous avons une trace est l’enthousiasmante ver­sion de Mar­i­ano Mores lui-même dans le film de Tulio Demiche­li ; La voz de mi ciu­dad, sor­ti le 15 jan­vi­er 1953.

La voz de mi ciu­dad 1953-01-15 (film argentin dirigé par Tulio Demiche­li). Extrait présen­tant le Taquito mil­i­tar.
Taquito mil­i­tar 1953-12-07 — Orques­ta Franci­ni-Pon­tier.

En fin d’année, Franci­ni-Pon­tier don­nent une belle ver­sion, la plus anci­enne en qual­ité « disque » et qui com­mence par les tam­bours du can­dombe.

Taquito mil­i­tar 1954 Orques­ta Rober­to Caló. Oui, vous avez bien lu Calo.

C’est un des petits frères de Miguel. Ils étaient six frères : Miguel [1907–1972], Juan [1910–1984], Rober­to [1913–1985], Sal­vador, surnom­mé Fredy [1916— ????], Anto­nio [1918— ????] y Arman­do surnom­mé Key­la [1922— ????] et tous étaient musi­ciens…

Taquito mil­i­tar 1957-04-15 — Orques­ta Mar­i­ano Mores.

Taquito mil­i­tar 1957-04-15 — Orques­ta Mar­i­ano Mores, c’est le tan­go du jour. Plus de qua­tre ans après la ver­sion du film, enfin disponible en disque.

Taquito mil­i­tar 1954-09-06 — Orques­ta Aníbal Troi­lo arr. de Ismaël Spi­tal­nik.
Taquito mil­i­tar 1954-05-28 — Quin­te­to Pir­in­cho dir. Fran­cis­co Canaro.

À chaque fois, Canaro s’enregistre une ver­sion des suc­cès du moment. Pas éton­nant qu’il soit le chef d’orchestre avec le plus d’enregistrements au comp­teur…

Taquito mil­i­tar 1955-01-10 — Héc­tor Lomu­to.

Une ver­sion en jazz argenti­no (rum­ba). Sur­prenant, non ? J’ai bien écrit Héc­tor Lomu­to [1914–1968]. C’est le petit frère de Fran­cis­co. Les autres frères étaient Hec­tor, Oscar, Enrique et Vic­tor).

Taquito mil­i­tar 1959 Los Vio­lines De Oro Del Tan­go. Une ver­sion assez orig­i­nale. Je ne vous épargne rien aujourd’hui…
Taquito mil­i­tar 1972 — Orques­ta Dona­to Rac­ciat­ti.
Taquito mil­i­tar 1976 — Hora­cio Sal­gán y Ubal­do De Lio.

Ubal­do de Lio était, si vous vous en sou­venez, présent lors de « l’invention » de ce titre au min­istère de la Guerre. Les deux en fer­ont d’autres enreg­istrements, comme celui de 1981. Cette ver­sion est un peu folle, non ?

Taquito mil­i­tar 1997 — Mar­i­ano Mores. Cette ver­sion est par­ti­c­ulière à cause de l’u­til­i­sa­tion de l’orgue Ham­mond.

J’ai com­mencé par un film, je ter­mine donc par un film. Le pre­mier film avait pour vedette Mar­i­ano Mores. Le dernier a pour vedette… Mar­i­ano Mores.

Il s’agit de la séquence finale du doc­u­men­taire « Café de los mae­stros » réal­isé en 2008 par Miguel Kohan. Petite nos­tal­gie, dans cette séquence finale, on voit plein de vis­ages qui ne sont plus aujourd’hui. Une page du tan­go a été défini­tive­ment tournée.

Patético 1948-04-06 — Orquesta Osvaldo Pugliese

Jorge Caldara

Pour bien com­pren­dre pourquoi cette ver­sion de Patéti­co inter­prétée par Osval­do Pugliese est géniale, il faut la com­par­er aux deux autres enreg­istrements con­tem­po­rains, par Ani­bal Troi­lo et Juan Deam­brog­gio « Bachicha »… Mais surtout, il faut nous intéress­er à son com­pos­i­teur, Jorge Cal­dara, un génie mort trop jeune. Pugliese a enreg­istré Patéti­co il y a jour pour jour 76 ans.

Extrait musical

Patéti­co 1948-04-06 — Orques­ta Osval­do Pugliese

Je vous laisse écouter cette mer­veilleuse ver­sion, sans com­men­taire. Vous les trou­verez cepen­dant ci-dessous, en com­para­i­son avec deux autres ver­sions con­tem­po­raines.

Autres versions

Il me sem­ble intéres­sant de com­par­er les trois ver­sions enreg­istrées à quelques mois d’intervalle. Je com­mence par le tan­go du jour, celle de Pugliese, puis une ver­sion de Bachicha mal datée, mais prob­a­ble­ment légère­ment postérieure à celle de Pugliese dans la mesure où Jorge Cal­adara était ban­donéon­iste dans l’orchestre d’Osvaldo à ce moment.
La troisième ver­sion est celle de Troi­lo, enreg­istrée presque un an après celle de Pugliese.

Je vous invite à remar­quer comme la ver­sion de Pugliese est dif­férente dès les pre­mières sec­on­des.

Patéti­co 1948-04-06 — Orques­ta Osval­do Pugliese
Patéti­co 1948 — Orques­ta Juan Deam­brog­gio « Bachicha »
Patéti­co 1949-03-30 — Orques­ta Aníbal Troi­lo

Intéres­sons-nous main­tenant à la vision d’ensemble des trois inter­pré­ta­tions.

La par­tie verte représente le vol­ume de la musique.
La par­tie à dom­i­nante rouge représente la hau­teur du son. En bas (en jaune), ce sont les bass­es et en haut, les aigus.
On se rend compte à l’oreille et à l’œil que la ver­sion de Pugliese est un peu plus sourde (moins d’aigus que celle de Troi­lo. Celle de Bachicha a des aigus, mais ce sont prin­ci­pale­ment les bruits du disque…
Cela étant dit, il con­vient de remar­quer la struc­ture très dif­férente des trois morceaux. Celui de Pugliese présente des par­ties for­tis­si­mo et des par­ties piano. Vous remar­querez par exem­ple la par­tie où est le curseur (ligne rouge ver­ti­cale et fine) qui cor­re­spond à une par­tie pianis­si­mo (bas niveau sonore).
Dans la ver­sion de Troi­lo, les alter­nances de for­tis­si­mi et piani sont plus fréquentes et moins mar­quées.
La ver­sion de Bachicha est plus homogène. On peut imag­in­er que la musique sera un peu moins expres­sive que dans les deux autres ver­sions.
Sur les bass­es (par­tie inférieure en jaune), Pugliese les mar­que notam­ment avec ses cordes (con­tre­basse, par exem­ple).
Troi­lo les réalise avec les cordes, mais aus­si avec le piano. Les instru­ments per­cu­tant en même temps.
1 : 05 Pugliese ne met pas le long trait de vio­lon qui était si orig­i­nal au début. Au con­traire, c’est presque silen­cieux, ce qui crée un manque, un appel, une inter­ro­ga­tion chez l’auditeur. Pour le danseur qui n’avait pas pu danser le pre­mier, car tout au début, c’est une frus­tra­tion pos­si­ble. Il s’attendait à faire un truc « super » sur ce motif…Puisqu’on par­le de cette par­tie, Bachicha, que ce soit au début ou au milieu (1 : 08) rem­plit le vide par un motif ascen­dant au piano. Ce n’est pas une inven­tion de sa part, il est écrit ans la par­ti­tion de Cal­dara. Pugliese a pour sa part, décidé de le sup­primer totale­ment (lui qui est pour­tant pianiste).Quant à Troi­lo, il pro­pose au con­traire un motif de piano descen­dant et une petite fior­i­t­ure au piano pour com­penser, mais seule­ment dans la par­tie du milieu, vers 1 : 15.
Je vous laisse écouter les dif­férences.
Pour véri­fi­er que vous suiv­ez bien le moment sur l’audiogramme, voici un petit jeu. Écoutez le morceau en suiv­ant de gauche à droite la zone verte. Si vous arrivez à vous repér­er pour être en phase avec les vari­a­tions de vol­ume, c’est très bien. A min­i­ma, essayez de ter­min­er votre lec­ture visuelle en même temps que la musique.

Pour ter­min­er cette courte étude des inter­pré­ta­tions, allons à la fin du morceau. Écoutez la fin de Bachicha. Il déroule tran­quille­ment la par­ti­tion, sans créer d’effet de sur­prise. Les deux accords fin­aux (dom­i­nante et tonique) sont joués avec qua­si­ment le même vol­ume. Un véri­ta­ble « tsoin tsoin » final. J’ai une anec­dote à ce sujet, mais je vous la con­terai une autre fois. Main­tenant, bon, OK. J’étais habitué à dire « tsoin tsoin » à la fin des morceaux. Ce tsoin-tsoin était cou­vert par les applaud­isse­ments. Cepen­dant, un jour, nous avons inter­prété un choral de Bach durant une messe. Le prob­lème est que dans ce type d’endroit, les gens n’applaudissent pas et que mon tsoin-tsoin a réson­né dans toute l’église. Vais-je dire que j’ai encore honte, tant d’années après. Peut-être, mais en tous cas, cela a exac­er­bé ma sen­si­bil­ité sur les fins de morceaux et les orchestres de tan­go sont un régal pour cela, cha­cun cher­chant à don­ner sa sig­na­ture.
Revenons à nos mou­tons, ou plutôt à Troi­lo et Pugliese afin d’écouter leurs sig­na­tures.
Troi­lo reprend le motif du départ (qui n’est pas dans la par­ti­tion orig­i­nale) et ter­mine avec un glis­san­do énorme du piano pour lancer finale­ment les deux accords fin­aux, dom­i­nante for­tis­si­mo et le dernier plus faible. C’est une fin superbe, il faut en con­venir.
La fin pro­posée par Pugliese. Le rap­pel du motif ini­tial est presque absent, si ce n’est quelques « coups » de vol­ume de tous les instru­ments avec une fin qui s’estompe, comme un rêve qui se ter­mine. Le pathé­tique devenu insignifi­ant après s’être tant gon­flé dis­paraît d’une pich­enette et retombe sur l’accord final comme une bau­druche dégon­flée.

Jorge Caldara (17 septembre 1924 — 24 août 1967)

Le com­pos­i­teur du tan­go du jour est un jeune prodi­ge. Tout gosse, il voulait devenir pianiste, mais son père un tanguero un peu pin­gre rabat­tit ses ambi­tions au ban­donéon.
Cela ne découragea pas Jorge qui com­mença à jouer dans des orchestres à l’âge de 14 ans et à 15 ans, il créa son pro­pre orchestre, la Orques­ta Juve­nil Buenos Aires. (l’orchestre de jeunes de Buenos Aires) qui joua en alter­nance avec l’orchestre d’Ani­bal Troi­lo les mardis au Café Ger­mi­nal (Aveni­da Cor­ri­entes au 942, au côté du Café Nacional, aujourd’hui théâtre Nacional San­cor Seguros). C’était un lieu pres­tigieux, voisin du café Nacional avec qui il tra­vail­lait en dou­blette et en face des 36 Bil­lares. De toute façon, chaque mètre de l’avenue Cor­ri­entes dans ces envi­rons a des sou­venirs de tan­go. Donc, avoir son orchestre à 15 ans et jouer dans la cour des grands, cela prou­ve le tal­ent du bon­homme.
Évidem­ment, il a été remar­qué et Alber­to Pugliese l’a fait entr­er dans son orchestre comme bandéon­iste, jusqu’en 1944, date où il a dû effectuer son ser­vice mil­i­taire.
À la fin de son ser­vice, il intè­gre l’orchestre du petit frère d’Alberto, Osval­do Pugliese.
Cal­dara pren­dra une place impor­tante dans l’orchestre de Pugliese, toutes pro­por­tions gardées, comme Bia­gi avec D’Arienzo, grâce à son ban­donéon énergique qui mar­quait la cadence tout en dévelop­pant la mélodie. Cal­dara était sen­si­ble à un tan­go mod­erne, notam­ment à celui d’Eduar­do Rovi­ra et je pense que cela l’a influ­encé pour ses créa­tions à l’époque de Pugliese, celui-ci pour­tant nova­teur, n’a pris la dimen­sion de Rovi­ra que bien plus tard, notam­ment avec sa mag­nifique ver­sion de A Evaris­to Car­riego qu’il n’a enreg­istré qu’en 1969… Je pense même que Troi­lo auquel Cal­dara était égale­ment sen­si­ble avait de l’avance dans ce domaine par rap­port à Pugliese, notam­ment sur l’utilisation des chanteurs.
J’ai une théorie per­son­nelle sur la ques­tion, mais je pense que la Yum­ba doit un peu à la façon de jouer de Cal­dara, même si Pugliese affirme qu’il l’a choisi, car il pou­vait s’intégrer par­mi sa ligne de ban­donéon­istes déjà en place.

Osval­do recon­nut égale­ment ses tal­ents de com­pos­i­teurs, car il lui doit plusieurs de ses suc­cès comme Patéti­co 1948, notre tan­go du jour, Pas­toral 1950, Pasion­al 1951 (avec Alber­to Morán) et Por pecado­ra 1952 (avec Alber­to Morán).
Le jeune Jorge Cal­adra vouait une dévo­tion à son nou­veau chef d’orchestre et lui dédi­cac­era un tan­go Pugliese­an­do, qui est une mer­veille et que je vous pro­pose d’écouter tout de suite :

Puglieseando

Pugliese­an­do 1958-08-13 — Jorge Cal­dara

Le début rap­pelle Ríe, paya­so de Vir­gilio Car­mona, notam­ment la ver­sion de D’Arienzo avec Bus­tos de 1959 qui pos­sède un tem­po proche, a con­trario de celle de 1940 (avec Car­los Casares) qui a un tem­po beau­coup plus rapi­de. Jorge con­nais­sait ce titre, car il l’a enreg­istré.
0 : 17 La Yum­ba chère à Pugliese appa­raît.
0 : 50 remar­quez son ban­donéon sen­si­ble et expres­sif qui lui per­met de mar­quer le con­traste avec les pas­sages plus énergiques. Cal­dara était ban­donéon­iste.
Comme chez l’objet de son hom­mage, les par­ties avec un tem­po mar­qué alter­nent avec les par­ties glis­sées et suaves, notam­ment dess­inées par les vio­lons, le piano et les ban­donéons plus stac­catos con­trastent, jusqu’à ce que à…
2 : 30 les répons­es se fassent de plus en plus rap­prochés, les change­ments de tonal­ité, font grimper la ten­sion qui s’apaise dans une coda plus lente et un gros accord sur la dom­i­nante, suivi par un léger rebond sur la tonique, dans un style com­plète­ment pugliesien.

Pasional

Si je vous dis que c’est aus­si Jorge Cal­dara qui a com­posé Pasion­al, un des plus gros suc­cès de Pugliese, vous avez pris la dimen­sion de ce musi­cien. Voici sa ver­sion enreg­istrée avec l’immense chanteur Rodol­fo Lesi­ca sur des paroles de Mario Soto.

Pasion­al 1964 — Jorge Cal­dara — Rodol­fo Lesi­ca, sa com­po­si­tion qu’a ren­du célèbre Osval­do Pugliese, mais ici par son com­pos­i­teur et chan­tée par le grand Lesi­ca.

Il a donc com­mencé très jeune, mais il est mort après moins de 30 ans de car­rière et surtout, ses pre­miers enreg­istrements comme chef d’orchestre ne datent que de la fin des années 50, péri­ode où le rock’n’roll et autres fan­taisies avaient pris le pas sur le tan­go.

Principales compositions de Jorge Caldara

Ses tangos instrumentaux

  • Bam­ba, dédi­cacé à sa fille,
  • Con T de Troi­lo,
  • Cuan­do habla el ban­doneón, en col­lab­o­ra­tion avec Luis Sta­zo,
  • Mi ban­doneón y yo (Crec­i­mos jun­tos),
  • Papili­no, dédi­cacé à son fils,
  • Pas­toral,
  • Patéti­co,
  • Patri­ar­ca,
  • Pugliese­an­do,
  • Sen­ti­do en col­lab­o­ra­tion avec Daniel Lomu­to,
  • Tan­go 05, dédi­cacé à la Fuerza Aérea Argenti­na (armée de l’air argen­tine)

Ses tangos chantés

  • Pasion­al, avec des paroles de Mario Soto
  • Por pecado­ra, avec des paroles de Mario Soto
  • Mucha­chi­ta de bar­rio, avec des paroles de Mario Soto
  • Pro­fun­da­mente, avec des paroles de Mario Soto
  • Pater­nal, avec des paroles de Nor­ber­to Samon­ta
  • No ves que nos quer­e­mos, avec des paroles de Abel Aznar
  • Estés donde estés, avec des paroles de Martínez
  • Gor­rión de bar­rio, son pre­mier tan­go (il était lui-même très jeune et donc comme un petit moineau de quarti­er).
  • Solo Dios vos y yo, dédi­cacé à son épouse, avec des paroles de Rodol­fo Aiel­lo

Jorge Caldara et ses orchestres

On a vu qu’il a fondé son pre­mier orchestre à quinze ans avant d’intégrer dif­férents grands orchestres dont pour finir celui d’Osvaldo Pugliese, mais son par­cours ne s’arrête pas là, il reprend à plusieurs mil­liers de kilo­mètres de Buenos Aires, au
Jorge Cal­dara a en effet passé un an au Japon. La fameuse chanteuse Ranko Fuji­sawa l’ayant enten­du jouer dans l’orchestre d’Osval­do Pugliese à Buenos Aires, l’a invité à venir créer son pro­pre orchestre au Japon.
Fidèle à son directeur, il n’a pas relevé l’invitation, mais un peu plus tard, Ranko est rev­enue à la charge et Jorge déci­da de quit­ter l’orchestre d’Osvaldo à la fin de 1954 et a démé­nagé avec sa famille.
Il y est resté un an et y a gravé ses pre­miers dis­ques avec un orchestre com­posé avec des musi­ciens japon­ais qu’il avait recrutés, mais aus­si avec ceux de la Típi­ca Tokio dirigée par le mari de Ranko…
Il fut donc l’un des tout pre­miers, après Juan Canaro, à faire le saut vers le Japon. J’y vois encore une preuve de la qual­ité de cet artiste.
Par­mi les titres gravés au Japon, je vous pro­pose Recuer­do de Buenos Aires enreg­istré en 1955 et chan­té par… vous aurez dev­iné, Ranko Fuji­sawa.

Recuer­do de Buenos Aires 1955 — orques­ta de Jorge Cal­dara con Ranko Fuji­sawa

De retour à Buenos Aires, il monte un orchestre.

Par­mi les titres enreg­istrés avec cet orchestre, je vous pro­pose main­tenant deux curiosités, mais le plus intéres­sant sera pour la fin de cet arti­cle…

La Pena de James Dean 1958-11-13 — Jorge Cal­dara Con Miguel Mar­ti­no. Une chan­son com­posée par Enrique Juan Munné avec des paroles de Lina Fer­ro de Bahr) par­lant de James Dean, cet acteur mort en 1955 à l’âge de 24 ans dans un acci­dent de voiture.
La fulana (milon­ga) 1957-07-29 — Jorge Cal­dara Con Car­los Mon­tal­vo avec des paroles et la musique de Alber­to Mas­tra et Luis Rafael Caru­so.

En par­al­lèle, Jorge joue dans un cuar­te­to. Cette dimen­sion d’orchestre s’adapte mieux à cette époque où le tan­go est en perte de vitesse.

La tabla­da 1960-01-29 Estrel­las de Buenos Aires

Un exem­ple de ce que donne ce cuar­te­to nom­mé Las estrel­las de Buenos Aires (les Étoiles de Buenos Aires). Dans ce titre, on entend bien séparé­ment les qua­tre instru­ments. Vous pou­vez donc repér­er par ordre d’apparition : le ban­donéon de Jorge, le piano d’Armando Cupo et le vio­lon d’Hugo Bar­alis puis la con­tre­basse de Kicho Díaz. Vous remar­querez que la ver­sion pro­posée par ce cuar­te­to est bien orig­i­nale et qu’elle valait le coup de lire jusqu’ici.

Et une dernière surprise, un de ses derniers enregistrements

Mais ce n’est pas fini, je reviens à l’orchestre avec qui il a con­tin­ué d’enregistrer dans les années 60 avec un titre incroy­able. C’est une des com­po­si­tions les plus célèbres d’Osvaldo Pugliese, ici dans une ver­sion fort éton­nante que nous pro­pose Jorge Cal­dara et son orchestre.

La Yum­ba 1964 — Jorge Cal­dara — La Yum­ba 1964 — Jorge Cal­dara.

On voit bien que c’est Cal­dara qui pous­sait Pugliese, plutôt que l’inverse, non ?

On ne peut que regret­ter que ce tal­entueux musi­cien soit mort jeune, sa car­rière com­mencée à 14 ans n’a pas duré 30 ans (26 ans). Les trois/quatre dernières années de sa vie furent per­dues à cause du can­cer qui l’emporta. Ses enreg­istrements de 1964 sont les derniers.

Un placer 1936-04-03 — Orquesta Juan D’Arienzo con Walter Cabral

Vicente Romeo Letra : Juan Andrés Caruso

Aujourd’hui, une valse pour déclar­er son amour à une jolie femme. Pour cela, qua­tre hommes se sont attelés à la tâche, Vicente Romeo, Juan Andrés Caru­so, Juan d’Arienzo et Wal­ter Cabral. Nous appellerons égale­ment à la rescousse, d’autres grands du tan­go pour vous don­ner les argu­ments néces­saires pour séduire une femme papil­lon.

Avec D’Arienzo à la baguette et Bia­gi, on a l’assurance d’avoir une valse dans­able.
En, ce qui con­cerne le chanteur, Wal­ter Obdulio Cabral (27/10/1917 – 1993), celui col­la­bor­era un peu plus d’un an avec D’Arienzo, le temps d’enregistrer trois valses : Un Plac­er, Tu Olvi­do et Irene et une milon­ga orphe­line Silue­ta Porteña.

Extrait musical

Un plac­er 1936-04-03 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Wal­ter Cabral.

Je vous laisse l’é­couter. On en repar­lera en com­para­i­son avec les autres ver­sions de ce titre.

Les paroles

Lin­da mari­posa
tú eres mi ale­gría
y tus col­ores de rosa
te hacen tan her­mosa
que en el alma mía
tu ima­gen quedó.

Por eso a tu reja
hoy ven­go a can­tarte,
para decirte, mi diosa,
que eres muy her­mosa
y no puedo olvi­darte
que antes de dejarte
pre­fiero la muerte
que sólo con verte
es para mí un plac­er.

Sin tu amor ya no puedo vivir.
¡Oh! ven pron­to no me hagas penar.
De tus labios yo quiero sen­tir
el plac­er que se siente al besar.
Y por eso en mi can­to te ruego
que apagues el fuego
que hay den­tro de mí.

Oye ama­da mía
tuyo es mi quer­er,
que tuya es el alma mía
toda mi poesía
mis ale­gres días,
her­mosa mujer.

Sale a tu ven­tana
que quiero admi­rarte.
Sale mi rosa tem­prana,
her­mosa galana,
que yo quiero hablarte
y quiero robarte
tu quer­er que es san­to
porque te amo tan­to
que no puedo más.

Y si el des­ti­no
de ti me sep­a­ra
nun­ca podre ser feliz
y antes pre­fiero morir.
Porque tu car­iño
es mi vida entera.
Tú has de ser la postr­era,
la dulce com­pañera que ayer soñé.

Vicente Romeo Letra : Juan Andrés Caru­so

Traduction libre

Joli papil­lon, tu es ma joie et tes couleurs de rose te ren­dent si belle que dans mon âme ton image est restée.


C’est pourquoi à ta grille, aujourd’hui je viens chanter, pour te dire, ma déesse, que tu es très belle, que je ne peux pas t’oublier et que plutôt que de te quit­ter je préfère la mort. Que rien que te voir est un plaisir pour moi.

Sans ton amour, je ne peux pas vivre. Oh ! Viens vite, ne me fais pas de peine. De tes lèvres, je veux sen­tir le plaisir que l’on ressent en embras­sant et c’est pourquoi dans ma chan­son je te sup­plie que tu éteignes le feu qu’il y a en moi.

Entend ma bien-aimée, que tu es mon désir, mon âme est tienne, toute ma poésie, mes jours heureux ; mer­veilleuse femme.

Sort à ta fenêtre que je veux t’admirer. Sors ma rose pré­coce, belle galante, car je veux te par­ler et te vol­er ton amour qui est saint parce que je t’aime tant que je n’en peux plus.

Et si le des­tin me séparait de toi, je ne pour­rais jamais être heureux et préfér­erais mourir. Parce que ta ten­dresse est toute ma vie. Tu seras la dernière, la douce com­pagne dont j’ai rêvé hier.

Autres versions

Un plac­er 1931-04-23 — Orques­ta Juan Maglio Pacho.

Un tem­po très lent, qui peut désta­bilis­er cer­tains danseurs. C’est une ver­sion instru­men­tale, avec sans doute un peu de monot­o­nie mal­gré des vari­a­tions de rythme. Pour ma part, j’éviterai de la pro­pos­er à mes danseurs.

Un plac­er 1933-04-11 — Orques­ta Típi­ca Los Provin­cianos (dir. Ciri­a­co Ortiz) con Car­los Lafuente.

Avec la voix un peu aigre de Car­los Lafuente, mais un joli orchestre pour une valse entraî­nante. La fin donne l’impression d’accélération, ce qui rav­it en général les danseurs, surtout en fin de tan­da. On est claire­ment mon­té d’un cran dans le plaisir de la danse avec cette ver­sion. L’orchestre est Los provin­cianos, mais il s’agit d’un orchestre Vic­tor dirigé par Ciri­a­co Ortiz. Ce qui fait que vous pou­vez trou­ver le même enreg­istrement sous les trois formes : Los Provin­cianos, Típi­ca Vic­tor ou Ciri­a­co Ortiz, voire un mix­age des trois, mais tout cela se réfère à cet enreg­istrement du 11 avril 1933.

Un plac­er 1936-04-03 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Wal­ter Cabral. C’est le tan­go du jour.

La voix de Wal­ter Cabral rap­pelle celle de Car­los Lafuente, une voix de ténor un peu nasil­larde, mais comme dans le cas de Lafuente, ce n’est pas si gênant, car ce n’est que pour une petite par­tie de la valse. L’impression d’accélération ressen­tie avec la ver­sion de Ciri­a­co Ortiz est présente, mais c’est une con­stante chez d’Arienzo. BIa­gi qui a inté­gré l’orchestre il y a cinq mois est rel­a­tive­ment dis­cret. Il se détache sur quelques ponc­tu­a­tions lâchées sur les temps de res­pi­ra­tion de l’orchestre. Il n’a pas encore com­plète­ment trou­vé sa place, place qui lui coûtera la sienne deux ans plus tard…

Un plac­er 1942-06-12 — Orques­ta Aníbal Troi­lo.

Ici pas de voix aigre ou nasil­larde, les par­ties sont chan­tées par les vio­lons, ou par le chœur des instru­ments, avec bien sûr le dernier mot au ban­donéon de Troi­lo qui ter­mine divine­ment cette ver­sion élé­gante et dansante.

Un plac­er 1949-02 — Fran­cis­co Lau­ro con su Sex­te­to Los Men­do­ci­nos y Argenti­no Olivi­er.

Une ver­sion un peu faible à mon goût. Le sex­te­to manque de présence et Argenti­no Olivi­er, déroule les paroles, sans provo­quer une émo­tion irré­press­ible. Une ver­sion que je ne recom­man­derai pas, mais qui a son intérêt his­torique et qui après tout peut avoir ses fana­tiques.

Un plac­er 1949-08-04 — Orques­ta José Bas­so con Fran­cis­co Fiorenti­no y Ricar­do Ruiz.

Une ver­sion très jolie, avec piano, vio­lons et ban­donéons expres­sifs. L’originalité est la presta­tion en Duo, de deux mag­nifiques chanteurs, Fran­cis­co Fiorenti­no y Ricar­do Ruiz. On peut ressen­tir un léger éton­nement en écoutant les paroles, les deux sem­blent se répon­dre. C’est une jolie ver­sion, mais peut-être pas la pre­mière à pro­pos­er en milon­ga.

Un plac­er 1954 — Cuar­te­to Troi­lo-Grela.

Une mag­nifique ver­sion dans le dia­logue entre le ban­donéon et la gui­tare. La musique est riche en nuances. Le ban­donéon démarre tris­te­ment, puis la gui­tare donne le rythme de la valse et le ban­donéon alter­nent des moments où les notes sont piquées à la main droite, et d’autres où le plein jeu de la main gauche donne du corps à sa musique. À 1 : 30 et 1 : 50, à 2 : 02, le ban­donéon s’estompe, comme s’il s’éloignait. À 2 : 10, la réver­béra­tion du ban­donéon peut être causée par un éloigne­ment physique impor­tant du ban­donéon par rap­port au micro­phone, ou bien à un ajout ponctuel de réver­béra­tion sur ce pas­sage. Je ne suis pas sûr que cet arti­fice provo­qué par l’enregistrement apporte beau­coup au jeu de Troi­lo. Il faut toute­fois par­don­ner à l’ingénieur du son de l’époque. C’est le début d’une nou­velle ère tech­nique et il a sans doute eu envie de jouer avec les bou­tons…

Un plac­er 1958-10-07 — Orques­ta José Bas­so con Alfre­do Belusi y Flo­re­al Ruiz.

José Bas­so refait le coup du duo, mais cette fois avec Alfre­do Belusi et Ricar­do Ruiz. À mon avis, cela fonc­tionne moins bien que la ver­sion de 1949.

Un plac­er 1979 — Sex­te­to May­or.

Pour ter­min­er, une ver­sion assez orig­i­nale, dès l’introduction. Je vous laisse la décou­vrir. Étant lim­ité à 1 Mo par morceau sur le site, vous ne pou­vez pas enten­dre la stéréo vrai­ment exagérée de ce morceau, car tous les titres sont passés en basse qual­ité et en mono pour tenir dans la lim­ite de 1 Mo. C’est une peine pour moi, car la musique que j’utilise en milon­ga demande entre 30 et 60 Mo par morceau… Sur la stéréo en milon­ga, c’est à lim­iter, surtout avec des titres comme celui-ci, car les danseurs auraient d’un côté de la salle un instru­ment et de l’autre un autre. Donc, si j’ai un titre de ce type à pass­er (c’est fréquent dans les démos), je lim­ite l’effet stéréo en réglant le panoramique proche du cen­tre. Une salle de bal n’est pas un audi­to­ri­um…

Mini tanda en cadeau

Cabral n’a enreg­istré que trois valses avec D’Arienzo. Je vous pro­pose d’écouter et surtout danser cette mini tan­da de seule­ment trois titres. Peut-être apprécierez-vous à la fin de la tan­da la voix un peu sur­prenante de Cabral.

Cerise sur la tan­da. Par­don, le gâteau, les trois titres for­ment une his­toire. Il décou­vre son amour, elle s’appelle Irene et… Ça se ter­mine mal…

Un plac­er 1936-04-03 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Wal­ter Cabral. C’est le tan­go du jour.
Irene 1936-06-09 – Orques­ta Juan D’Arienzo con Wal­ter Cabral
Tu olvi­do 1936-05-08 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Wal­ter Cabral

Vida y obra de Walter Cabral

Vous pour­rez trou­ver sur ce site, une biogra­phie com­plète de ce chanteur.

Recuerdo, 1944-03-31 — Orquesta Osvaldo Pugliese

Adolfo et/ou Osvaldo Pugliese Letra : Eduardo Moreno

Recuer­do serait le pre­mier tan­go écrit par Osval­do Pugliese. Ayant été édité en 1924, cela voudrait dire qu’il l’aurait écrit avant l’âge de 19 ans. Rien d’étonnant de la part d’un génie, mais ce qui est éton­nant, c’est le titre, Recuer­do (sou­venir), sem­ble plus le titre d’une per­son­ne d’âge mûr que d’un tout jeune homme, surtout pour une pre­mière œuvre. Essayons d’y voir plus clair en regroupant nos sou­venirs…

La famille Pugliese, une famille de musiciens

Osval­do est né en 1905, le 2 décem­bre. Bien que d’une famille mod­este, son père lui offre un vio­lon à l’âge de neuf ans, mais Osval­do préféra le piano.
Je vais vous présen­ter sa famille, tout d’abord avec un arbre généalogique, puis nous entrerons dans les détails en présen­tant les musi­ciens.

Adolfo Pugliese (1876–06-24 — 1945-02-09), le père, flûtiste, compositeur (?) et éditeur de musique

Comme com­pos­i­teur, on lui attribue :

Ausen­cia (Tan­go mío) (Tan­go de 1931), mais nous ver­rons, à la fin de cet arti­cle, qu’il y en a peut-être un autre, ou pas…
La légende veut qu’il soit un mod­este ouvri­er du cuir, comme son père qui était cor­don­nier, mais il était aus­si édi­teur de musique et flûtiste. Il avait donc plusieurs cordes à son arc.
De plus, quand son fils Osval­do a souhaité faire du piano, cela ne sem­ble pas avoir posé de prob­lème alors qu’il venait de lui fournir un vio­lon (qui pou­vait être partagé avec son frère aîné, cepen­dant). Les familles qui ont un piano ne sont pas les plus dému­nies…
Même si Adol­fo a écrit, sem­ble-t-il, écrit peu (ou pas) de tan­go, il en a en revanche édité, notam­ment ceux de ses enfants…
Voici deux exem­ples de par­ti­tion qu’il édi­tait. À droite, celle de Recuer­co, notre tan­go du jour. On remar­quera qu’il indique « musique d’Adolfo Pugliese » et la sec­onde de « Por una car­ta », une com­po­si­tion de son fils Alber­to, frère d’Osvaldo, donc.

Sur la cou­ver­ture de Recuer­do, le nom des musi­ciens de Julio de Caro, à savoir : Julio de Caro, recon­naiss­able à son vio­lon avec cor­net qui est égale­ment le directeur de l’orchestre., puis de gauche à droite, Fran­cis­co de Caro au piano, Pedro Maf­fia au ban­donéon (que l’on retrou­ve sur la par­ti­tion de Por una car­ta), Enrike Krauss à la con­tre­basse, Pedro Lau­renz au ban­donéon et Emilio de Caro, le 3e De Caro de l’orchestre…
Sur la par­ti­tion de Por una car­ta, les sig­na­tures des mem­bres de l’orchestre de Pedro Maf­fia : Elvi­no Var­daro, le mer­veilleux vio­loniste, Osval­do Pugliese au piano, Pedro Maf­fia au ban­donéon et directeur de l’orchestre, Fran­cis­co De Loren­zo à la con­tre­basse, Alfre­do De Fran­co au ban­donéon et Emilio Puglisi au vio­lon.

On voir qu’Adolfo gérait ses affaires et que donc l’idée d’un Osval­do Pugliese né dans un milieu déshérité est bien exagérée. Cela n’a pas empêché Osval­do d’avoir des idées généreuses comme en témoignent son engage­ment au par­ti com­mu­niste argentin et sa con­cep­tion de la répar­ti­tion des gains avec son orchestre. Il divi­sait les émol­u­ments en por­tions égales à cha­cun des mem­bres de l’orchestre, ce qui n’était pas la façon de faire d’autres orchestres ou le leader était le mieux payé…

Antonio Pugliese (1878–11-21— ????), oncle d’Osvaldo. Musicien et compositeur d’au moins un tango

Ce tan­go d’Antonio est : Qué mal hiciste avec des paroles d’Andrés Gaos (fils). Il fut enreg­istré en 1930 par Anto­nio Bonave­na. Je n’ai pas de pho­to du ton­ton, alors je vous pro­pose d’écouter son tan­go dans cette ver­sion instru­men­tale.

Que mal hiciste 1930 Orques­ta Anto­nio Bonave­na (ver­sion instru­men­tale)

Alberto Pugliese (1901–01-29- 1965-05-15), frère d’Osvaldo. Violoniste et compositeur

Curieuse­ment, les grands frères d’Osvaldo sont peu cités dans les textes sur le tan­go. Alber­to a pour­tant réal­isé des com­po­si­tions sym­pa­thiques, par­mi lesquelles on pour­rait citer :

  • Ado­ración (Tan­go) enreg­istré Orques­ta Juan Maglio « Pacho » avec Car­los Viván (1930–03-28).
  • Cabecitas blan­cas (Tan­go) enreg­istré par Osval­do et Chanel (1947–10-14)
  • Car­iño gau­cho (Milon­ga)
  • El char­quero (Tan­go de 1964)
  • El remate (Tan­go) dont son petit frère a fait une mag­nifique ver­sion (1944–06-01). Mais de nom­breux autres orchestres l’ont égale­ment enreg­istré.
  • Espinas (Tan­go) Enreg­istré par Fir­po (1927–02-27)
  • Milon­ga de mi tier­ra (Milon­ga) enreg­istrée par Osval­do et Jorge Rubi­no (1943–10-21)
  • Por una car­ta (Tan­go) enreg­istré par la Típi­ca Vic­tor (1928–06-26)
  • Soñan­do el Charleston (Charleston) enreg­istré par Adol­fo Cara­bel­li Jazz Band (1926–12-02).

Il en a cer­taine­ment écrit d’autres, mais elles sont encore à iden­ti­fi­er et à faire jouer par un orchestre qui les enreg­istr­era…
On notera que sa petite fille, Marcela est chanteuse de tan­go. Les gènes ont aus­si été trans­mis à la descen­dance d’Alberto.

Adolfo Vicente (Fito) Pugliese (1899— ????), frère d’Osvaldo. Violoniste et compositeur

Adol­fo Vicente (surnom­mé Fito pour mieux le dis­tinguer de son père Adol­fo, Adolfito devient Fito) ne sem­ble pas avoir écrit ou enreg­istré sous son nom. Ce n’est en revanche pas si sûr. En effet, il était un bril­lant vio­loniste et étant le plus âgé des garçons, c’est un peu lui qui fai­sait tourn­er la bou­tique quand son père se livrait à ses frasques (il buvait et courait les femmes).
Cepen­dant, la mésen­tente avec le père a fini par le faire par­tir de Buenos Aires et il est allé s’installer à Mar del Pla­ta où il a délais­sé la musique et le vio­lon, ce qui explique que l’on perde sa trace par la suite.

Beba (Lucela Delma) Pugliese (1936— …), pianiste, chef d’orchestre et compositrice

C’est la fille d’Osvaldo et de María Con­cep­ción Flo­rio et donc la petite fille d’Adolfo, le flûtiste et édi­teur.
Par­mi ses com­po­si­tions, Catire et Chichar­ri­ta qu’elle a joué avec son quin­te­to…

Carla Pugliese (María Carla Novelli) Pugliese (1977— …), Pianiste et compositrice

Petite fille d’Osvaldo et fille de Beba, la tra­di­tion famil­iale con­tin­ue de nos jours, même si Car­la s’oriente vers d’autres musiques.
Si vous voulez en savoir plus sur ce jeune tal­ent :

https://www.todotango.com/creadores/biografia/1505/Carla-Pugliese/ (en espag­nol)

https://www.todotango.com/english/artists/biography/1505/Carla-Pugliese/ (en anglais)

Les grands-parents de Pugliese

Je ne sais pas s’ils étaient musi­ciens. Le père était zap­a­tero (cor­don­nier). Ce sont eux qui ont fait le voy­age en Argen­tine où sont nés leurs 5 enfants. Ce sont deux par­mi les mil­liers d’Européens qui ont émi­gré vers l’Argentine, comme le fit la mère de Car­los Gardel quelques années plus tard.

Roque PUGLIESE Padula

Né le 5 octo­bre 1853 — Tri­cari­co, Mat­era, Basil­i­ca­ta, Ital­ie
Zap­a­tero. C’est de lui que vient le nom de Pugliese qu’il a cer­taine­ment adop­té en sou­venir de sa terre natale.

Filomena Vulcano

Née en 1852 — Rossano, Cosen­za, Cal­abria, Ital­ie
Ils se sont mar­iés le 28 novem­bre 1896, dans l’église Nues­tra Seño­ra de la Piedad, de Buenos Aires.
Leurs enfants :

  • Adol­fo Juan PUGLIESE Vul­cano 1876–1943 (Père d’Osvaldo, com­pos­i­teur, édi­teur et flûtiste)
  • Anto­nio PUGLIESE Vul­cano 1878 (Musi­cien et com­pos­i­teur)
  • Luisa María Mar­gari­ta PUGLIESE Vul­cano 1881
  • Luisa María PUGLIESE Vul­cano 1883
  • Con­cep­ción María Ana PUGLIESE Vul­cano 1885

Extrait musical

Recuer­do, 1944-03-31 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Dans cette ver­sion il y a déjà tout le Pugliese à venir. Les ver­sions enreg­istrées aupar­a­vant avaient déjà pour cer­taines des into­na­tions proches. On peut donc penser que la puis­sance de l’écriture de Pugliese a influ­encé les orchestres qui ont inter­prété son œuvre. À l’écoute on se pose la ques­tion de la pater­nité de la com­po­si­tion. Alfre­do, Osval­do ou un autre ? Nous y revien­drons.

Les paroles

Ayer can­taron las poet­as
y llo­raron las orques­tas
en las suaves noches del ambi­ente del plac­er.
Donde la bohemia y la frágil juven­tud
apri­sion­adas a un encan­to de mujer
se mar­chi­taron en el bar del bar­rio sud,
murien­do de ilusión
murien­do su can­ción.

Mujer
de mi poe­ma mejor.
¡Mujer!
Yo nun­ca tuve un amor.
¡Perdón!
Si eres mi glo­ria ide­al
Perdón,
serás mi ver­so ini­cial.

Y la voz en el bar
para siem­pre se apagó
su moti­vo sin par
nun­ca más se oyó.

Embria­ga­da Mimí,
que llegó de París,
sigu­ien­do tus pasos
la glo­ria se fue
de aque­l­los mucha­chos
del viejo café.

Quedó su nom­bre graba­do
por la mano del pasa­do
en la vie­ja mesa del café del bar­rio sur,
donde anoche mis­mo una som­bra de ayer,
por el recuer­do de su frágil juven­tud
y por la cul­pa de un olvi­do de mujer
dur­mióse sin quer­er
en el Café Con­cert.

Adol­fo et/ou Osval­do Pugliese Letra : Eduar­do Moreno

Dans la ver­sion de la Típi­ca Vic­tor de 1930, Rober­to Díaz ne chante que la par­tie en gras. Rosi­ta Mon­temar chante deux fois tout ce qui est en bleu.

Traduction libre et indications

Hier, les poètes ont chan­té et les orchestres ont pleuré dans les douces nuits de l’atmosphère de plaisir.
Où la bohème et la jeunesse frag­ile pris­on­nière du charme d’une femme se flétris­saient dans le bar du quarti­er sud, mourant d’illusion et mourant de leur chan­son.
Femme de mon meilleur poème.

Femme !
Je n’ai jamais eu d’amour.
Par­don !
Si tu es ma gloire idéale
Désolé, tu seras mon cou­plet d’ouverture.

Et la voix dans le bar s’éteignit à jamais, son motif sans pareil ne fut plus jamais enten­du.
Mimì ivre, qui venait de Paris, suiv­ant tes traces, la gloire s’en est allée à ces garçons du vieux café.

Son nom était gravé par la main du passé sur la vieille table du café du quarti­er sud, où hier soir une ombre d’hier, par le sou­venir de sa jeunesse frag­ile et par la faute de l’oubli d’une femme, s’est endormie involon­taire­ment dans le Café-Con­cert.

Dans ce tan­go, on voit l’importance du sud de Buenos Aires.

Autres versions

Recuer­do, 1926-12-09 — Orques­ta Julio De Caro. C’est l’orchestre qui est sur la cou­ver­ture de la par­ti­tion éditée avec le nom d’Adolfo. Remar­quez que dès cette ver­sion, la vari­a­tion finale si célèbre est déjà présente.
Recuer­do 1927 — Rosi­ta Mon­temar con orques­ta. Une ver­sion chan­son. Juste pour l’intérêt his­torique et pour avoir les paroles chan­tées…
Recuer­do, 1928-01-28 — Orques­ta Bian­co-Bachicha. On trou­ve dans cette ver­sion enreg­istrée à Paris, quelques accents qui seront mieux dévelop­pés dans les enreg­istrements de Pugliese. Ce n’est pas inin­téres­sant. Cela reste cepen­dant dif­fi­cile de pass­er à la place de « La référence ».
Recuer­do, 1930-04-23 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor con Rober­to Díaz. Une des rares ver­sions chan­tées et seule­ment sur le refrain (en gras dans les paroles ci-dessus). Un bas­son apporte une sonorité éton­nante à cette ver­sion. On l’entend par­ti­c­ulière­ment après le pas­sage chan­té.
Recuer­do, 1941-08-08 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to. Une ver­sion très intéres­sante. Que je pour­rais éventuelle­ment pass­er en bal.
Recuer­do 1941 Orques­ta Aníbal Troi­lo. La prise de son qui a été réal­isée à Mon­te­v­ideo est sur acé­tate, donc le son est mau­vais. Elle n’est là que pour la référence.
Recuer­do, 1942-11-04 — Orques­ta Ricar­do Tan­turi. Une ver­sion sur­prenante pour du Tan­turi et pas si loin de ce que fera Pugliese, deux ans plus tard. Heureuse­ment qu’il y a la fin typ­ique de Tan­turi, une dom­i­nante suiv­ie bien plus tard par la tonique pour nous cer­ti­fi­er que c’est bien Tan­turi 😉
Recuer­do, 1944-03-31 — Orques­ta Osval­do Pugliese. C’est le tan­go du jour. Il est intéres­sant de voir com­ment cette ver­sion avait été annon­cée par quelques inter­pré­ta­tions antérieures. On se pose tou­jours la ques­tion ; Alfre­do ou Osval­do ? Sus­pens…
Recuer­do, 1952-09-17 — Orques­ta Julio De Caro. De Caro enreg­istre 26 ans plus tard le titre qu’il a lancé. L’évolution est très nette. L’utilisation d’un orchestre au lieu du sex­te­to, donne de l’ampleur à la musique.
Recuer­do 1966-09 — Orques­ta Osval­do Pugliese con Jorge Maciel. On retrou­ve Pugliese, 22 ans après son pre­mier enreg­istrement. Cette fois, la voix de Maciel. Celui-ci chante les paroles, mais avec beau­coup de mod­i­fi­ca­tions. Je ne sais pas quoi en penser pour la danse. C’est sûr qu’en Europe, cela fait un mal­heur. L’interprétation de Maciel ne se prête pas à la danse, mais c’est telle­ment joli que l’on pour­rait s’arrêter de danser pour écouter.

En 1985, on a au moins trois ver­sions de Rucuer­do par Pugliese. Celle de « Grandes Val­ores », une émis­sion de télévi­sion, mais avec un son moyen, mais une vidéo. Alors, je vous la présente.

Recuer­do par Osval­do Pugliese dans l’émission Grandes Val­ores de 1985.

Puisqu’on est dans les films, je vous pro­pose aus­si la ver­sion au théâtre Colon, cette salle de spec­ta­cle fameuse de Buenos Aires.

Recuer­do par Osval­do Pugliese au Théa­tre Colon, le 12 décem­bre 1985.

Pour ter­min­er, tou­jours de 1985, l’enregistrement en stu­dio du 25 avril.

Recuer­do, 1985-04-25 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Pugliese a con­tin­ué à jouer à de nom­breuses repris­es sa pre­mière œuvre. Vous pou­vez écouter les dif­férentes ver­sions, mais elles sont glob­ale­ment sem­blables et je vous pro­pose d’arrêter là notre par­cours, pour traiter de notre fil rouge. Qui est le com­pos­i­teur de Recuer­do ?

Qui est le compositeur de Recuerdo ?

On a vu que la par­ti­tion éditée en 1926 par Adol­fo Pugliese men­tionne son nom comme auteur. Cepen­dant, la tra­di­tion veut que ce soit la pre­mière com­po­si­tion d’Osvaldo.
Écou­tons le seul tan­go qui soit éti­queté Adol­fo :
Ausen­cia, 1926-09-16 — José Bohr y su Orques­ta Típi­ca. C’est mignon, mais c’est loin d’avoir la puis­sance de Recuer­do.
On notera toute­fois que la réédi­tion de cette par­ti­tion est signée Adol­fo et Osval­do. La seule com­po­si­tion d’Adolfo serait-elle en fait de son fils ? C’est à mon avis très prob­a­ble. Le père et sa vie peu équili­brée et n’ayant pas don­né d’autres com­po­si­tions, con­traire­ment à ses garçons, pour­rait ne pas être com­pos­i­teur, en fait.

Pour cer­tains, c’est, car Osval­do était mineur, que son père a édité la par­ti­tion à son nom. Le prob­lème est que plusieurs tan­gos d’Osvaldo avaient été antérieure­ment édités à son nom. Donc, l’argument ne tient pas.

Pour ren­dre la chose plus com­plexe, il faut pren­dre en compte l’histoire de son frère aîné
Adol­fo (Fito). Ce dernier était un bril­lant vio­loniste et com­pos­i­teur.
Pedro Lau­renz, alors Ban­donéiste dans l’orchestre de Julio De Caro, indique qu’il était avec Eduar­do Moreno quand un vio­loniste Emilio Marchi­ano serait venu lui deman­der d’aller chercher ce tan­go chez Fito pour lui ajouter des paroles.
Marchi­ano tra­vail­lait alors au café ABC, comme l’indique Osval­do qui était ami avec le ban­donéon­iste Enrique Pol­let (France­si­to) et qui aurait recom­mandé les deux titres mar­qués Adol­fo (Ausen­cia et Recuer­do).
On est sur le fil avec ces deux his­toires avec les mêmes acteurs. Dans un cas, l’auteur serait Adolfi­to qui don­nerait la musique pour qu’elle soit jouée par De Caro et dans l’autre, ce serait Pol­let qui aurait fait la pro­mo­tion des com­po­si­tions qui seraient toutes deux d’Osvaldo et pas de son père, ni de son grand frère.
Pour expli­quer que le nom de son père soit sur les par­ti­tions de ces deux œuvres, je donne la parole à Osval­do qui indique qu’il est bien l’auteur de ces tan­gos, et notam­ment de Recuer­do qu’il aurait don­né à son père, car ce dernier, flûtiste avait du mal à trou­ver du tra­vail et qu’il avait décidé de se recon­ver­tir comme édi­teur de par­ti­tion. En effet, la flûte, très présente dans la vieille garde n’était plus guère util­isée dans les nou­veaux orchestres. Cette anec­dote est par Oscar del Pri­ore et Irene Amuchástegui dans Cien tan­gos fun­da­men­tales.
Tou­jours selon Pedro Lau­renz, la vari­a­tion finale, qui donne cette touche magis­trale à la pièce, serait d’Enrique Pol­let, alias El Francés, (1901–1973) le ban­donéon­iste qui tra­vail­lait avec Eduar­do Moreno au moment de l’adaptation de l’œuvre aux paroles.
Cepen­dant, la ver­sion de 1927 chan­tée par Rosi­ta Mon­temar ne con­tient pas la vari­a­tion finale alors que l’enregistrement de 1926 par De Caro, si. Plus grave, la ver­sion de 1957, chan­tée par Maciel ne com­porte pas non plus cette vari­a­tion. On pour­rait donc presque dire que pour adapter au chant Recuer­do, on a sup­primé la vari­a­tion finale.

Et en conclusion ?

Ben, il y a plein d’hypothèses et toutes ne sont pas fauss­es. Pour ma part, je pense que l’on a min­imisé le rôle Fito et qu’Adolfo le père n’a pas d’autre mérite que d’avoir don­né le goût de la musique à ses enfants. Il sem­ble avoir été un père moins par­fait sur d’autres plans, comme en témoigne l’exil d’Adolfito (Vicente).
Mais finale­ment, ce qui compte, c’est que cette œuvre mer­veilleuse nous soit par­v­enue dans tant de ver­sions pas­sion­nantes et qu’elle ver­ra sans doute régulière­ment de nou­velles ver­sions pour le plus grand plaisir de nos oreilles, voire de nos pieds.
Recuer­do restera un sou­venir vivant.

Temblando 1944-03-30 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino

Alberto Hilarion Acuña Letra : Charrúa (Gualberto Márquez)

Qui ne s’est jamais lais­sé emporter dans le tour­bil­lon de cette valse chan­tée par Fran­cis­co Fiorenti­no et le ban­donéon d’Anibal Troi­lo. Mais peut-être n’avez-vous pas fait atten­tion au ten­dre sujet que nous dévoilent les paroles d’un amour de jeunesse, en trem­blant.

Troilo et Fiore (Francesco Fiorentino)

Troi­lo et Fiorenti­no ont enreg­istré 73 titres, dont 4 en duo avec Alber­to Mari­no.
Ce sont qua­si­ment tous des suc­cès au point que cer­tains DJ ne passent pour les Troi­lo chan­tés, que des ver­sions avec Fiore.
Ce n’est pas mon cas et dans les anec­dotes de tan­go de ces derniers jours, vous avez pu lire les arti­cles ayant pour thème :
Sur 1948-02-23 — Ani­bal Troi­lo C Edmun­do Rivero, Yuyo verde 1945-02-28 Orques­ta Aníbal Troi­lo con Flo­re­al Ruiz et, je l’avoue une autre jolie valse qui a été enreg­istré par Troi­lo et Fiorenti­no, cinq jours plus tôt que celle-ci, Valsecito ami­go 1943-03-25 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Fran­cis­co Fiorenti­no.

Alberto Hilarion Acuña et Charrúa (Gualberto Márquez)

Alber­to Hilar­i­on Acuña est né en 1896 à Lomas de Zamo­ra, ou plus pré­cisé­ment à Pueblo de la Paz puisque c’était le nom du vil­lage à l’époque de la nais­sance d’Alberto. Main­tenant, c’est englobé au sud-ouest du grand Buenos Aires. Un milieu plutôt rur­al à l’époque et cela a sans doute influ­encé ses choix musi­caux, sou­vent ori­en­tés vers ce que l’on appelle main­tenant le folk­lore, la valse du jour est en effet un vals criol­lo (vals est mas­culin en espag­nol). Il a écrit en plus des tan­gos, des gatos, des chacar­eras, comme La choy­ana que Gardel a chan­té avec Raz­zano, mais aus­si des can­dom­bés comme Ser­afín enreg­istré par exem­ple en 1998 et 2003 par Juan Car­los Cáceres.
En 1924, il forme un duo avec René Ruiz. Ce duo sera fameux et à l’époque, on le com­para­it à celui de Gardel et Raz­zano. Ain­si la revue El Can­ta Claro (le chante-clair) du 19 avril 1929 indi­quait : « Depuis que s’est désagrégé le duo insur­pass­able Gardel-Raz­zano, le meilleur qui reste pour inter­préter notre muse sen­ti­men­tale et pop­u­laire est indis­cutable­ment l’exquis Ruiz-Acuña ».
Quant à l’auteur des paroles, Char­rúa (Gual­ber­to Gre­go­rio Márquez), il est né uruguayen. Son surnom, Char­rúa, vient du peu­ple Char­rúa qui vivait en Uruguay, dans la province d’Entre-Rios (frontal­ière avec l’Uruguay) et au Brésil.
Ses pen­chants pour la rural­ité peu­vent sans doute trou­ver leur orig­ine dans son ter­ri­toire de nais­sance, mais aus­si dans son activ­ité dans le « civ­il », il était admin­is­tra­teur d’établissements agri­coles du côté de Gen­er­al Las Heras (zone à l’époque rurale dans le Ouest-Sud-Ouest de Buenos Aires).
Son surnom et ses orig­ines uruguayennes par son père (sa mère était portègne) ne l’empêchent pas de revendi­quer d’être Argentin comme il l’a écrit dans un de ses poèmes. Lo que soy (ce que je suis) :
« Je suis d’origine uruguayenne, cepen­dant, ma mère étant orig­i­naire de Buenos Aires, mon mot d’ordre est “25 de Mayo” ; je regarde de face et non de côté ce sol divin, je défends ce qui est authen­tique, ce qui est tra­di­tion­nel, ce que je veux, c’est pourquoi je m’engage pleine­ment à être le meilleur Argentin. »
Son engage­ment pour ce qui est tra­di­tion­nel s’est mon­tré par ses sujets de poésie, par le fait qu’il a écrit des Esti­lo (chan­sons folk­loriques typ­iques de la pam­pa, ce qui explique le pon­cho dont il sera ques­tion dans la valse du jour) et bien sûr les paroles cham­pêtres de la valse du jour.

Extrait musical

Tem­b­lan­do 1944-03-30 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Fran­cis­co Fiorenti­no. C’est la valse du jour.

Le ban­donéon lance le début de l’introduction comme un démar­rage dif­fi­cile. Puis à 0 : 15 com­mence le thème par les vio­lons, puis à 0 : 45 ; le piano entre dans la danse, et ain­si de suite, s’alternent les instru­ments jusqu’à ce que le vio­lon freine et relance à 1 : 05 à la fin de son solo. À 1 : 28, Fiorenti­no reprend le thème. Il accentue de nom­breux pre­miers temps en les pointant (la note dure ½ en plus de sa durée nor­male). Cela donne l’impression de ralen­tisse­ment que con­tred­it ½ temps plus tard la reprise du rythme nor­mal de la valse. Un peu comme un homme qui tourn­erait la maniv­elle d’une voiture anci­enne pour démar­rer le moteur. C’est le même principe que le démar­rage ini­tial du ban­donéon en intro­duc­tion. Cet élé­ment styl­is­tique s’apparente dans une cer­taine mesure à la valse vien­noise, mais aus­si au vals crio­lo où le ralen­tisse­ment est encore plus mar­qué et le rythme sort com­plète­ment de la régu­lar­ité des trois temps de la valse, comme on peut l’entendre par exem­ple chez Corsi­ni (voir ci-dessous dans les autres ver­sions).

Les paroles

Lin­da esta­ba la tarde en que la vide,
el patio de su ran­cho aco­modan­do
y aunque (muy) guapo pa’to­do me sen­tía, (y aunque guapo muy guapo me sen­tía)
no pude hablar­la y me quedé tem­b­lan­do.

Esta­ba como nun­ca la había vis­to,
vesti­do livian­i­to de zaraza,
con el pelo vol­ca­do sobre los hom­bros
era una vir­gen que encon­tré en la casa.

Ni ella ni yo, ninguno dijo nada,
con sus oja­zos me sigu­ió que­man­do,
dejó la esco­ba que tenía en la mano,
me quiso hablar y se quedó tem­b­lan­do.

Era el recuer­do del amor primero,
amor naci­do en una edad tem­prana,
como esas flo­res rús­ti­cas del cam­po
que nacen de la noche a la mañana.

Amor que está ocul­to en los adobes
de su ran­cho pater­no tan sen­cil­lo
y en la corteza del ombú del patio
escrito con la pun­ta del cuchil­lo.

Me di vuelta pisan­do despaci­to,
como quien descon­fía de una tram­pa,
envolvien­do recuer­dos y emo­ciones
entre las lis­tas de mi pon­cho pam­pa.

No sé qué me pasó, mon­té a cabal­lo
y me fui (sali) galo­pe­an­do a rien­da suelta,
con todos los recuer­dos y emo­ciones
que en las lis­tas del pon­cho saqué envueltas.

Lin­da esta­ba la tarde en que la vide,
el patio de su ran­cho aco­modan­do.
Y aunque (muy) guapo pa’to­do me sen­tía, (y aunque guapo muy guapo me sen­tía)
no pude hablar­la y me quedé tem­b­lan­do.

Alber­to Hilar­i­on Acuña Letra: Char­rúa (Gual­ber­to Márquez)

Fiorenti­no et Bermúdez chantent ce qui est en gras et ter­mi­nent en reprenant le cou­plet qui est en rouge. En bleu, la vari­ante de Car­men Idal qui chante, comme Corsi­ni, l’intégralité des paroles.

Traduction libre et indications

L’après-midi où je l’ai vue était belle, la cour de son ranch bien ordon­née et même si je me sen­tais beau en tous points, je ne parvins pas à lui par­ler et je restais trem­blant.
Elle était comme je ne l’avais jamais vue aupar­a­vant, une robe légère de zaraza, les cheveux retombant sur les épaules, c’était une vierge que j’avais ren­con­trée dans la mai­son. (Zaraza est une sorte de Per­cal. Un tan­go de Ben­jamin et Alfon­so Tagle Lara porte ce nom. Et Bia­gi avec Ortiz en a don­né une des meilleures ver­sions en 1941. Acuña l’auteur de la valse du jour l’a égale­ment chan­té en duo avec Ruiz).
Ni elle, ni moi, ni l’un ni l’autre n’avons par­lé, avec ses yeux immenses qui me suiv­aient en me brûlant, elle a délais­sé le bal­ai qu’elle tenait à la main, elle voulait me par­ler et elle est restée trem­blante.
C’était le sou­venir du pre­mier amour, amour né dans notre jeune âge, comme ces fleurs rus­tiques des champs qui nais­sent du jour au lende­main (de la nuit au matin).
Amour qui était caché dans les adobes du ranch de son père, tout sim­ple et grâce à la cour­toisie d’un ombú de la cour, j’ai écrit à la pointe d’un couteau. (l’ombú, c’est le belom­bra ou raisinier dioïque, un arbre d’Amérique du Sud faisant une belle ombre, d’où son nom de bel ombra)
Je me retour­nai d’un pas lent, comme quelqu’un qui se méfie d’un piège, envelop­pant sou­venirs et émo­tions entre les plis de mon pon­cho de la pam­pa. (Lista, c’est la liste blanche sur le chan­frein des chevaux. Il enveloppe donc ses émo­tions dans les ban­des blanch­es donc, les rayures de son pon­cho).
Je ne sais pas ce qui m’est arrivé, je suis mon­té à cheval et j’ai galopé à bride abattue, avec tous les sou­venirs et les émo­tions que j’avais envelop­pés dans les listes de pon­chos.
L’après-midi où je l’ai vue était belle, la cour de son ranch bien ordon­née et même si je me sen­tais beau en tous points, je ne parvins pas à lui par­ler et je restais trem­blant.
Un doc­u­men­taire intéres­sant pour con­naître le pon­cho.

Autres versions

Tem­b­lan­do 1933-09-28 — Igna­cio Corsi­ni con gui­tar­ras de Pagés-Pesoa-Maciel (Vals Criol­lo). Une belle inter­pré­ta­tion pour ce type de valses folk­loriques.
Tem­b­lan­do 1944 Orques­ta Gabriel Chu­la Clausi con Car­men Idal.

Une jolie ver­sion, chan­tée et presque dans­able. Il est à not­er qu’elle chante les paroles de l’homme. Avec de petites vari­a­tions, comme cela arrive sou­vent, les chanteurs pren­nent de petites lib­ertés pour mieux coller à leur dic­tion, à l’arrangement de la musique, à leur style ou pour actu­alis­er un texte.

Tem­b­lan­do 1944-03-30 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Fran­cis­co Fiorenti­no. C’est la valse du jour.
Tem­b­lan­do 1944-04-26 — Orques­ta Pedro Lau­renz con Car­los Bermúdez.

Comme la ver­sion de Troi­lo, celle de Loren­zo com­mence par un ban­donéon qui « démarre ». Les arrange­ments sont assez proches de ceux de Troi­lo. À 1 : 19 com­mence Bermúdez, sa voix est mag­nifique, plus chaude que celle de Fiorenti­no, c’est une superbe ver­sion, injuste­ment estom­pée, à mon avis par celle de Troi­lo qui ne lui est pas sen­si­ble­ment supérieure. À 2 : 25, vous noterez le change­ment de tonal­ité et même de mode, la musique passe en mode mineur (voir le petit cours de musique à pro­pos de Lágri­mas y son­risas).

Par la suite, le thème a été repris à dif­férentes repris­es, par des chanteurs plutôt ver­sés du côté folk­lore, ou par d’autres du côté chan­son, mais l’aspect dans n’a plus été mis en valeur par des ver­sions équiv­a­lentes à celles de Troi­lo ou de Lau­renz. J’en cite cepen­dant quelques-unes, intéres­santes par dif­férents aspects.

Tem­b­lan­do 1976 Rubén Juárez.

Des petits moments de rap­pel de vals criol­lo, au milieu d’une inter­pré­ta­tion sous forme de chan­son. Comme beau­coup de chan­sons en valse, cette ver­sion reste dans­able, au moins pour les danseurs qui ne sont pas trop puristes.

Tem­b­lan­do 1976 — Rubén Juárez (a Capela).

Le mêmechanteur, mais cette fois dans le périlleux exer­ci­ce du chant a capela. Là, pas du tout ques­tion de danser…

Tem­b­lan­do 1995 — Can­ta Luis Cardei.

Pour ter­min­er en douceur, une ver­sion d’inspiration criol­la. Mal­gré sa très courte car­rière (6 ans, Luis Cardei a pro­duit trois dis­ques et chan­té dans le film La Nube (1998) de Fer­nan­do Solanas, basé sur la pièce de théâtre Rojos glo­bos rojos d’Eduar­do Pavlovsky. Le film débute sur des vues de Buenos Aires où tout va à l’envers (les voitures et les pié­tons, sauf un, recu­lent, la suite est peut-être moins intéres­sante, à tous les points de vue, sauf pour les fans de Solanas…).

Valsecito amigo 1943-03-25 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino

Aníbal Carmelo Troilo Letra José María Contursi

Si comme moi vous adorez les valses, vous devez avoir le titre du jour, Valsecito ami­go bien au chaud dans votre cœur. Ce titre est né sous tous les bons aus­pices avec la musique de Troi­lo, les paroles de Con­tur­si et la voix de Fiorenti­no. Vous en aviez rêvé, Pichu­co l’a fait pour vous.

Aníbal Carmelo Troilo y Marcos

Pichu­co, el Gor­do, el ban­doneón may­or de Buenos Aires et autres appel­la­tions témoignent de l’affection que por­tent les Portègnes à Troi­lo.

Il util­i­sait son nom véri­ta­ble, tout comme son grand frère Mar­cos, égale­ment ban­donéiste et qui tra­vail­la d’ailleurs dans l’orchestre de son frère de 1941 à 1947.

Le chouchou de Buenos Aires

À Buenos Aires, Troi­lo est lit­térale­ment adoré. C’était net­te­ment moins le cas en Europe et je me sou­viens qu’en 2014, en France, pour le cen­te­naire de sa nais­sance, cer­tains danseurs fai­saient la moue quand j’annonçais une tan­da de Troi­lo. J’ai cepen­dant insisté et je pense que désor­mais, Troi­lo est unanime­ment appré­cié, même s’il y a quelques semaines, je recueil­lais les con­fi­dences d’un danseur qui m’indiquait qu’il avait du mal à danser sur Troi­lo.
Ce n’est pas le lieu d’entrer dans le débat ici, mais Troi­lo a fait du tan­go pour la danse et du tan­go à écouter. Par ailleurs, il ado­rait les chanteurs et leur a don­né un peu plus de présence. Cela a donc influé sur la dans­abil­ité de ses titres. Il con­vient donc de choisir les Troi­lo que l’on pro­pose en milon­ga et l’on peut don­ner énor­mé­ment de bon­heur aux danseurs, même en sor­tant de la liste d’une quin­zaine de titres à laque­lle se lim­i­tent la plu­part des DJ.
Avec cette valse, pas de risque de décep­tion, sauf bien sûr pour les rares danseurs qui n’aiment pas les valses (bisous, Hen­ri et Cather­ine).

Les débuts de Pichuco contés par son frère, Marcos

Je vous pro­pose cette archive datant de 1969, dans laque­lle son grand frère, Mar­cos, par­le des débuts de son fameux frère. L’en­tre­vue est menée par Pipo Mancera (José Nicolás Mancera)

Mar­cos Troi­lo habla de Ani­bal 1969-07-12 — Sába­dos cir­cu­lares de Pipo Mancera

Transcription partielle, mais pas partiale.

Pipo hablan­do a Aníbal: Pichu­co, No, no te voy a pedir nada, se lo voy a pre­gun­tar a Troi­lo, pero no a vos, se lo voy a pre­gun­tar a tu her­mano.
Pipo a Mar­cos: Si ust­ed fuera tan amable, ade­lante señor Troi­lo.
Pipo al públi­co: Mar­cos Troi­lo, her­mano may­or de Aníbal Troi­lo.
Pipo a Mar­cos: Como era su her­mano cuan­do era chico?
Mar­cos: Bueno mi her­mano cuan­do chico ya deja­ba entr­ev­er que iba a ser un poquito gordi­to […] que esta­ban en una época de los 10 a los 12 años 13 años bueno.
Pipo a Mar­cos: Señor Troi­lo cuan­do se despierte en Pichu­co su amor por la músi­ca?
Mar­cos: Bueno, Pichu­co, hace muchísi­mos años, tenía la edad de 10, 11 años y nosotros fre­cuen­tábamos un club que se llamó la Fan­far­ria (La Fan­far­ria esta­ba en los ter­renos del antiguo Hipó­dro­mo Nacional, aho­ra, lugar de la can­cha de Riv­er Plate, el club de Aníbal…) en las cuales los socios aporta­ban sem­anal­mente uno o dos pesos y todas las sem­anas los mis­mos socios hacían una pequeña juga­da en la cual si se lle­ga­ba a ganar se aporta­ba para hac­er un pic­nic o una fies­ta o un baile.
Pipo: Qué lin­do
Mar­cos: Entonces es ahí donde empezó la vocación de Pichu pues esa cosa que se le des­pertó a él. Y yo recuer­do muy bien en los pic­nics cuan­do se encon­tra­ba con los ban­do­neones que actu­a­ban en esa fies­ta que fes­te­ja­ban eso que nosotros estábamos ahí que se senta­ba siem­pre al lado de uno de los ban­do­neones y lo mira­ba muy aten­ta­mente.
Entonces llegó un día de que esos pic­nics se hacían con mucha fre­cuen­cia y un día le dijo a mi madre que le com­prara un ban­doneón. Esta vez así que en una opor­tu­nidad yo regresa­ba a casa y me dijo mi madre dice mira dice lo que hay arri­ba de esa cama. Y era un ban­doneón que le había com­pra­do en una casa de la calle Cór­do­ba, a un señor que lo recuer­do como si fuera aho­ra, se llam­a­ba “Estein­guar” (o Esten­guar, apel­li­do a ver­i­ficar)
Pipo: Si como es este mis­mo (El ban­doneón que está usan­do Aníbal)
Aníbal: Cuarenta y tres años.
Pipo: El fueye que le com­pro su madre.
Mar­cos: y creo que le costó 140 pesos […]
Pipo: 140 pesos
Aníbal: A pagar 10 pesos por mes.
Hay una anéc­do­ta curiosísi­ma. A los cua­tro meses, no vinieron a cobrar. El tipo se había muer­to. Así que me costó 40 pesos.
Pipo a Mar­cos: Pero me has dado un dato que para mí es muy impor­tante […] (Pipo pido el fuye a Ani­bal, tratan­do de hac­er tocar a Mar­cos…) ust­ed aprendió a tocar el fueye porque sabía que su her­mano iba a ser famoso.
Mar­cos: No sim­ple­mente porque me con­tag­ió el entu­si­as­mo que él tenía y un día decidí prac­ticar y empecé a tocar una cosi­ta de acá otra cosi­ta de acá agre­gan­do y empecé a tocar un valsecito con éxi­to.
Pipo: Cuán­tos años hace que no toca el ban­doneón?
Mar­cos: Bueno en hon­or de la ver­dad creo que hace del año 48 a fines del 48 (Mar­cos tocó en la orques­ta de su her­mano has­ta 1947).
Pipo: Qué es lo que mejor recuer­da que toca­ba en ban­doneón… Un valsecito, un tan­gui­to?
Mar­cos: Creo que era un tan­go de Char­lo. Este tan­go pre­cioso. No recuer­do bien el nom­bre aho­ra, pero, que Pichu­co me lo puede hac­er recor­dar. […]

Mar­cos Troi­lo habla de Ani­bal 1969-07-12 — Sába­dos cir­cu­lares de Pipo Mancera. En azul mis comen­tar­ios.

Traduction libre de l’entrevue avec Marcos Troilo

Pipo s’adressant à Aníbal : Pichu­co, non, je ne vais rien te deman­der, je vais deman­der à Troi­lo, mais pas à toi, je vais deman­der à ton frère.
Pipo à Mar­cos : Si vous voulez bien le faire, venez, M. Troi­lo.
Pipo au pub­lic : Mar­cos Troi­lo, le frère aîné d’Aníbal Troi­lo.
Pipo à Mar­cos : Com­ment était ton frère quand il était enfant ?
Mar­cos : Eh bien, quand il était enfant, mon frère avait déjà lais­sé enten­dre qu’il allait être un peu potelé […] C’était au moment où il avait 10 à 12 ans, 13 ans.
Pipo à Mar­cos : M. Troi­lo, quand l’amour pour la musique s’éveille-t-il chez Pichu­co ?
Mar­cos : Eh bien, Pichu­co, il y a de nom­breuses années, il avait 10 ou 11 ans et nous fréquen­tions un club appelé la Fan­far­ria (la Fan­fare, qui était sur le ter­rain de l’ancien hip­po­drome nation­al, aujourd’hui l’endroit où se trou­ve le ter­rain de Riv­er Plate, le club d’Aníbal…) dans lequel les mem­bres con­tribuaient à hau­teur d’un ou deux pesos par semaine et chaque semaine, les mem­bres eux-mêmes fai­saient une petite pièce dans laque­lle s’ils gag­naient, c’était un apport pour faire un pique-nique, une fête ou une danse.
Pipo : C’est mignon.
Mar­cos : C’est donc là que la voca­tion de Pichu a com­mencé, cette chose qui s’est éveil­lée en lui. Et je me sou­viens très bien que lors des pique-niques, lorsqu’il ren­con­trait les ban­donéon­istes qui jouaient à cette fête. Il s’asseyait tou­jours à côté de l’un des ban­donéon­istes et le regar­dait très atten­tive­ment.
Puis il y a eu un jour où ces pique-niques étaient très fréquents et un jour il a dit à ma mère de lui acheter un ban­donéon. Une fois que je ren­trais à la mai­son, ma mère m’a dit, regarde ce qu’il y a sur ce lit. Et c’était un ban­donéon qu’elle avait acheté dans une mai­son de la rue Cor­do­ba, à un homme dont je me sou­viens comme si c’était main­tenant, son nom était « Estein­guar » (ou Esten­guar, nom de famille à véri­fi­er)
Pipo : Oui, c’est celui-ci. (Le ban­donéon qu’utilise Troi­lo est celui acheté par sa mère)
Han­ni­bal : Quar­ante-trois ans.
Pipo : Le fueye que votre mère lui a acheté.
Mar­cos : Et je pense que ça lui a coûté 140 pesos […]
Pipo : 140 pesos
Aníbal : À pay­er 10 pesos par mois.
Il y a une anec­dote très curieuse. Au bout de qua­tre mois, ils ne sont pas venus réclamer leur dû. Le gars était mort. Cela m’a donc coûté 40 pesos.
Pipo à Mar­cos : Mais tu m’as com­mu­niqué une infor­ma­tion qui est très impor­tante pour moi […] (Pipo emprunte le ban­donéon à Ani­bal et essaye d’en faire jouer son frère, Mar­cos) tu as appris à jouer du ban­donéon parce que tu savais que ton frère allait devenir célèbre ?
Mar­cos : Non, sim­ple­ment parce que j’ai été con­t­a­m­iné par l’enthousiasme qu’il avait et qu’un jour j’ai décidé de m’entraîner et j’ai com­mencé à jouer une petite chose d’ici, une autre petite chose par-là, et j’ai com­mencé à jouer une valse avec suc­cès.
Pipo : Com­bi­en d’années se sont-elles écoulées depuis que vous n’avez pas joué du ban­donéon ?
Mar­cos : Eh bien, pour être hon­nête, je pense que c’était en 1948 à la fin de 1948 (Mar­cos a effec­tive­ment joué dans l’orchestre de son frère jusqu’en 1947).
Pipo : De quoi te sou­viens-tu le mieux quand tu jouais du ban­donéon ? Une valse, un tan­go ?
Mar­cos : Je crois que c’était un tan­go de Char­lo. Un beau tan­go. Je ne me sou­viens plus très bien du nom, mais Pichu­co peut me le rap­pel­er. […]

Extrait musical

Écou­tons main­tenant le tan­go du jour, qui est cette mer­veilleuse valse, Val­cesi­to ami­go.

Valsecito ami­go 1943-03-25 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Fran­cis­co Fiorenti­no.

Les paroles

Vals sen­ti­men­tal de nues­tras vie­jas horas,
¡nun­ca te escuché tan triste como aho­ra!
Lle­gas has­ta mi para aumen­tar mi que­ja,
tiene tu rondín sabor a cosa vie­ja…
Vals sen­ti­men­tal, ingen­uo y ondu­lante,
vuel­vo a recor­dar aque­l­los tiem­pos de antes.
Una voz lejana me acusa en tu can­ción,
¡val­cesi­to!… ¡y envuelve mi emo­ción!

Vuel­ca tu nos­tal­gia febril,
tu musiq­ui­ta sen­su­al,
se que no es posi­ble seguir
oyén­dote sin llo­rar.
Val­cesi­to ami­go, no ves
esta incer­tidum­bre tenaz
que no hace más
que remover y con­mover
mi soledad…
Unos ojos verdes de mar
más grandes que su ilusión,
unas ansias grandes de amar…
después… llo­ran­do una voz…
Val­cesi­to ami­go, no ves
que tu musiq­ui­ta sen­su­al
no sabe más
que ator­men­tar y ator­men­tar
mi corazón…

Cuan­do llegue el fin de mi oración postr­era,
quiero imag­i­narla así, como ella era…
Jun­taré mi voz a aque­l­los labios suyos,
mien­tras tu can­ción nos servirá de arrul­lo.
Vals sen­ti­men­tal de nues­tras horas,
ya no me verán tan triste como aho­ra.
Lenta­mente tus notas ami­gas can­taré,
valsecito… ¡y entonces moriré!

Ani­bal Troi­lo Letra: José María Con­tur­si

Traduction libre

Petite valse ami­cale

Valse sen­ti­men­tale de nos heures anci­ennes, jamais en t’écoutant je n’ai eu tant de peine.
Tu ne viens à moi que pour me tour­menter. Tes notes ont la saveur des choses passées…
Valse sen­ti­men­tale, ingénue et ondu­lante, de ces temps d’autrefois tu fais revenir le sou­venir.
Une voix loin­taine m’accuse dans ta chan­son, petite valse, et enserre mon émo­tion.

Tu vers­es ta nos­tal­gie fébrile, ta petite musique sen­suelle, tu sais que je ne peux pas con­tin­uer de t’entendre sans pleur­er. Petite valse amie, ne vois-tu pas cette incer­ti­tude tenace, qui ne fait rien que remuer et aviv­er ma soli­tude ?
Des yeux verts de mer, plus grands que ton illu­sion, une fringale immense d’aimer…
Puis… Une voix qui pleure…
Valse ami­cale, ne vois-tu pas que ta petite musique sen­suelle ne sait rien faire d’autre que tour­menter et tour­menter mon cœur…

Quand arrivera la fin de ma dernière prière, je veux l’imaginer ain­si, comme elle était…
Je joindrai ma voix aux siennes lèvres, pen­dant que ta chan­son nous servi­ra de roucoule­ment.
Valse sen­ti­men­tale de nos heures ; jamais me virent si triste comme main­tenant. Lente­ment, je chanterai tes notes ami­cales, petite valse… et ensuite, je mour­rai !

Pour une autre tra­duc­tion en français, vous pou­vez con­sul­ter celle de Fab­rice Hatem, sur son site.

Les versions

Valsecito ami­go 1943-03-25 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Fran­cis­co Fiorenti­no.

C’est le tan­go du jour. Troi­lo est sur son ter­rain, car il en est le com­pos­i­teur.
La pre­mière minute fait mon­ter la ten­sion afin de pré­par­er l’intervention de Fiorenti­no. Le mode mineur adop­té donne un peu de nos­tal­gie à la musique, mais le rythme soutenu entraîne les danseurs dans une valse énergique. Les instru­ments, vio­lons et ban­donéon, mais aus­si la voix relance l’énergie à chaque mesure. Le pre­mier temps est mar­qué de façon sen­si­ble mais sans bru­tal­ité, toute en sub­til­ité. Troi­lo a trou­vé une façon de mar­quer les trois temps de la valse avec un style par­ti­c­ulière­ment flu­ide, que préserve Fiorenti­no. Impos­si­ble de résis­ter à l’élan sans cesse renou­velé. Même Fiorentin ne sem­ble pas devoir repren­dre son souf­fle, pour ne pas couper la dynamique mal­gré une dic­tion par­faite et rapi­de.

Valsecito ami­go 1943-08-17 Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Eduar­do Adrián.

Enreg­istrée cinq mois plus tard, la ver­sion de Canaro mar­que bien la dif­férence de style. Troi­lo a une moder­nité nais­sante bien dif­férente de la ver­sion plus tra­di­tion­nelle de Canaro. Cepen­dant, il ne faudrait pas jeter la mag­nifique presta­tion de Canaro et l’émotion que sus­cite Eduar­do Adrián.
Canaro qui est égale­ment à la tête d’un orchestre de jazz utilise des instru­ments plus rares dans les típi­cas de tan­go, comme la trompette bouchée ou la clar­inette.
Les instru­ments se répon­dent, des motifs répon­dent à l’in­stru­ment prin­ci­pal qui peut être la voix. Ces petits accents sont comme des fior­i­t­ures que peu­vent observ­er les danseurs pour sor­tir du rythme réguli­er et puis­sant bien que d’un tem­po plus mod­éré. Canaro donne la parole suc­ces­sive­ment à chaque instru­ment ce qui évite la monot­o­nie, chaque reprise a une couleur dif­férente.
Canaro a sa sonorité pro­pre, facile­ment recon­naiss­able et le résul­tat est aus­si fan­tas­tique que la ver­sion de Troi­lo et Fiorenti­no. Sur l’île déserte, il faut absol­u­ment emporter les deux.

S’il existe bien sûr d’autres enreg­istrements, il n’y a rien de bien pas­sion­nant qui puisse faire pass­er au sec­ond plan les ver­sions de Troi­lo et Canaro.
On dirait que les mer­veilles réal­isées par ces deux mon­stres sacrés ont fait peur aux suiveurs.
Cepen­dant, un enreg­istrement mod­erne me sem­ble intéres­sant, peut-être, car il me rap­pelle le Cuar­te­to Cedrón qui fut un des orchestres qui berça mon enfance avec la voix si par­ti­c­ulière de Juan.

Valsecito ami­go 2010-10-22 La Típi­ca Orques­ta de Tan­go con Juan Tata Cedrón (voz y direc­ción).

À voir

Pour mieux con­naître Pichu­co, vous pou­vez con­sul­ter ce film doc­u­men­taire sur ceux qui font vivre l’héritage de Pichu­co. Il a été réal­isé en 2014 à l’occasion du cen­te­naire de sa nais­sance.

Un recor­ri­do musi­cal por la obra de Aníbal ¨Pichu­co¨ Troi­lo, uno de los per­son­ajes fun­da­men­tales de la his­to­ria del Tan­go y la músi­ca Argenti­na. Direc­tor: Martín Turnes. 2014. https://play.cine.ar/INCAA/produccion/1451

Il faut un compte pour voir le film, mais c’est gra­tu­it et cela vous ouvri­ra la porte des mer­veilleuses ressources de l’INCAA.

Adiós, los Troilos

Mar­cos est décédé le 7 avril 1975 et un peu plus d’un mois plus tard, Ani­bal l’a rejoint.
Le poète Adrián Desider­a­to écriv­it à cette triste occa­sion :
« Fue un 18 de mayo, ese día al ban­doneón, se le cayó Pichu­co de las manos ».
Ce fut un 18 mai, ce jour du ban­donéon, qu’il tom­ba des mains de Pichu­co.
Depuis l’âge de dix ans, l’instrument n’a pas quit­té Ani­bal. On a donc décidé de faire du 18 mai le jour du ban­donéon. Le seul hic, c’est qu’il y a un doute réel sur la date de décès d’Anibal, 18 ou 19 mai  ?
Je vous laisse méditer, comme le héros de cette valse, inter­prété par Fiorenti­no, Adrián et Cedrón.

Cornetín 1943-03-05 Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino

Pedro Maffia Letra : Homero Manzi ; Cátulo Castillo

Le tan­go du jour, Cor­netín, évoque le cor­net autre­fois util­isé par les « con­duc­tors» del tran­vía a motor de san­gre (les chargés de clien­tèle des tramways à moteur de sang, c’est-à-dire à trac­tion ani­male). Il a été enreg­istré il y a exacte­ment 81 ans.

Éléments d’histoire du tranvía, le tramway de Buenos Aires)

Les pre­miers tramways étaient donc à trac­tion ani­male. Vous aurez noté que les Argentins dis­ent à moteur de sang pour ce qui est trac­tion humaine et ani­male. Cela peut paraître étrange, mais quand on pense au prix que payaient les chevaux qui tiraient les tran­vías de Buenos Aires, l’expression est assez par­lante.

Tran­vías a motor de san­gre en la Boca (Puente Puyrre­don)

En effet, à Buenos Aires, les chevaux étaient dure­ment exploités et avaient une durée d’utilisation d’environ deux ans avant d’être hors d’usage con­tre une dizaine d’années en Europe, région où le cheval coû­tait cher et était donc un peu plus préservé.
Nous avons déjà vu les cale­si­tas qui étaient ani­mées par un cheval, jusqu’à ce que ce soit inter­dit, tout comme, il n’y a que très peu d’années, les car­toneros de Buenos Aires n’aient plus le droit d’utiliser des chevaux. L’ironie de l’histoire est que l’arrêt de l’utilisation des chevaux a été édic­té pour éviter la cru­auté envers les ani­maux, mais main­tenant, ce sont des hommes qui tirent les char­rettes de ce qu’ils ont récupéré dans les poubelles.
Dans la Province de Buenos Aires, le pas­sage de la trac­tion ani­male à la trac­tion élec­trique s’est fait autour de 1915, sauf pour quelques com­pag­nies résis­tantes à ce change­ment et qui ont con­tin­ué jusqu’à la fin des années 20.
Il faut aus­si not­er que la réti­cence des pas­sagers à la trac­tion élec­trique, avec la peur d’être élec­tro­cuté, est aus­si allée dans ce sens. Il faut dire que les étin­celles et le tin­te­ment des roues de métal sur les rails pou­vaient paraître inquié­tants. Je me sou­viens que quand j’étais gamin, j’aimais regarder le con­duc­teur du métro, fasciné par les nuées d’étincelles qui explo­saient dans son habita­cle. Je me sou­viens égale­ment d’un con­duc­teur qui don­nait des coups avec une bat­te en bois sur je ne sais quel équipement élec­trique, situé à la gauche de la cab­ine. C’était le temps des voitures de métro en bois, elles avaient leur charme.

Retour au cornetín

Celui qui tenait le cor­netín, c’est le con­duc­tor. Atten­tion, il n’est pas celui qui mène l’attelage ou qui con­duit les tramways élec­triques, c’est celui qui s’occupe des pas­sagers. Le nom peut effec­tive­ment porter à con­fu­sion. Le con­duc­teur, c’est le may­oral que l’on retrou­ve égale­ment, héros de dif­férents tan­gos que je présen­terai en fin d’article.
Le cor­netín ser­vait à la com­mu­ni­ca­tion entre le may­oral (à l’avant) et le con­duc­tor à l’arrière). Le pre­mier avait une cloche pour indi­quer qu’il allait don­ner le départ et le sec­ond un cor­net qui ser­vait à aver­tir le con­duc­teur qu’il devait s’arrêter à la suite d’un prob­lème de pas­sager. Le con­duc­teur abu­sait par­fois de son instru­ment pour présen­ter ses hom­mages à de jolies pas­santes.
C’est l’histoire de ce tan­go.

Extrait musical

Cor­netín 1943-03-05 — Orques­ta Car­los Di Sar­li con Rober­to Rufi­no

Les paroles

Tarí, Tarí.
Lo apelan Roque Barul­lo
con­duc­tor del Nacional.

Con su tramway, sin cuar­ta ni cinchón,
sabe cruzar el bar­rancón de Cuyo (al sur).
El cor­netín, col­ga­do de un piolín,
y en el ojal un medal­lón de yuyo.

Tarí, tarí.
y el cuer­no lis­to al arrul­lo
si hay per­cal en un zaguán.

Calá, que lin­da está la moza,
calá, bar­rien­do la vere­da,
Mirá, mirá que bien le que­da,
mirá, la pol­leri­ta rosa.
Frená, que va a subir la vie­ja,
frená porque se que­ja,
si está en movimien­to.
Calá, calá que sopla el vien­to,
calá, calá calami­dad.

Tarí, tarí,
tro­ta la yun­ta,
palo­mas cha­pale­an­do en el bar­ri­al.

Talán, tilín,
resue­na el cam­panín
del may­oral
pican­do en son de bro­ma
y el con­duc­tor
cas­ti­ga sin parar
para pasar
sin papelón la loma
Tarí, tarí,
que a lo mejor se le aso­ma,
cualquier moza de un por­tal

Qué lin­da esta la moza,
bar­rien­do la vere­da,
mirá que bien le que­da,
la pol­leri­ta rosa.
Frená, que va a subir la vie­ja,
Frená porque se que­ja
si está en movimien­to,
calá, calá que sopla el vien­to,
calá, calá calami­dad.

Tarí, Tarí.
Con­duce Roque Barul­lo
de la línea Nacional.

Pedro Maf­fia Letra : Home­ro Manzi ; Cátu­lo Castil­lo

Par­mi les détails amu­sants :

On notera le nom du con­duc­teur du tran­vía, Barul­lo, qui en lun­far­do veut dire bagar­reur. Encore un tan­go qui fait le por­trait d’un com­padri­to d’opérette. Celui-ci fait ralen­tir le tran­vía pour faciliter la mon­tée d’une anci­enne ou d’une belle ou tout sim­ple­ment admir­er une serveuse sur le trot­toir.

Le Tarí, Tarí, ou Tará, Tarí est bien sûr le son du cor­netín.

“sabe cruzar el bar­rancón de Cuyo” – El bar­rancón de Cuyo est un ravin, comme si le tran­vía allait s’y ris­quer. Cela a dû paraître extrav­a­gant, car dans cer­taines ver­sions, c’est tout sim­ple­ment rem­placé par el sur (dans le même sens que le Sur de la chan­son de ce nom qui est d’ailleurs écrite par le même Home­ro Manzi. D’ailleurs la ligne “nacionale” pou­vait s’adresser à celle de Lacroze qui allait effec­tive­ment dans le sud.

Tangos sur le tranvía

Cornetín (le thème du jour de Pedro Maffia Letra : Homero Manzi; Cátulo Castillo)

El cor­netín (Cor­netín) 1942-12-29 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Car­los Roldán.

C’est le pre­mier de la série à être enreg­istré.

Cor­netín 1943-03-05 — Orques­ta Car­los Di Sar­li con Rober­to Rufi­no. C’est le tan­go du jour.

Cor­netín 1943-04-05 — Lib­er­tad Lamar­que con orques­ta dirigi­da por Mario Mau­ra­no.

Cor­netín 1943-04-05 — Lib­er­tad Lamar­que con orques­ta dirigi­da por Mario Mau­ra­no.

Cette chan­son a été enreg­istrée un mois, jour pour jour, après la ver­sion de Di Sar­li. Cette ver­sion, plutôt chan­son est tout de même dan­sée dans le film Eclipse de sol de Luis Saslavsky d’après un scé­nario d’Homero Manzi tiré de l’œuvre d’Enrique Gar­cía Vel­loso. Le film est sor­ti le 1er juil­let 1943.
Cet extrait nous per­met de voir com­ment était organ­isé un tran­vía a motor de san­gre, avec son may­oral à l’avant, con­duisant les chevaux et son con­duc­tor, à l’arrière, armé de son cor­netín.

Cor­netín 1950-07-28 Nel­ly Omar con el con­jun­to de gui­tar­ras de Rober­to Grela.

Après une courte intro sur un rythme à trois temps, Nel­ly Omar chante sur un rythme d’habanera. Le résul­tat est très sym­pa, l’équilibre entre la voix de Nel­ly et la gui­tare de Rober­to Grela et ses fior­i­t­ures est agréable.

  • Je vous dis­pense de la ver­sion de De Ange­lis de 1976…

Autres titres parlant du tranvía

El cochero del tran­vía 1908 Los Gob­bi (Alfre­do Gob­bi y Flo­ra Gob­bi) — Ángel Gre­go­rio Vil­lol­do (MyL).

Le son est pénible à écouter, c’est un des tout pre­miers enreg­istrements et c’est plus un dia­logue qu’une chan­son. C’est pour l’intérêt his­torique, je ne vous en voudrai pas si vous ne l’écoutez pas en entier.

El cor­netín del tran­vía 1938-06-09 – Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to con Jorge Omar / Anto­nio Oscar Arona Letra : Arman­do Tagi­ni. Une belle ver­sion de ce titre.
El may­oral 1946-04-24 (milon­ga can­dombe) — Orques­ta Domin­go Fed­eri­co con Oscar Larroca.mp 3/José Vázquez Vigo Letra: Joaquín Gómez Bas.

Au début, les annonces du départ et le adios final, vrai­ment théâ­tral. Sans doute pas le meilleur de Laroc­ca.

El may­oral del tran­vía (milon­ga) 1946-04-26 Orques­ta Alfre­do De Ange­lis con Julio Mar­tel / Fran­cis­co Laino; Car­los Mayel (MyL)
Milon­ga del may­oral 1953 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Jorge Casal y Raúl Berón arrange­ments d’Astor Piazzolla/Aníbal Troi­lo Letra: Cátu­lo Castil­lo

Un tango qui est plus une nostalgie de l’époque des tranvías

En effet, les tran­vías ont ter­miné leur car­rière à Buenos Aires en 1962, soit env­i­ron un siè­cle après le début de l’aventure.

Tiem­po de tran­vías 1981-07-01 Orques­ta Osval­do Pugliese con Abel Cór­do­ba / Raúl Miguel Garel­lo Letra : Héc­tor Negro.

Un truc qui peut plaire à cer­tains, mais qui n’a aucune chance de pass­er dans une de mes milon­gas. L’intro de 20 sec­on­des, sif­flée, est assez orig­i­nale. On croirait du Mor­ri­cone, mais dans le cas présent, c’est un tran­vía, pas un train qui passe.

Tiem­po de tran­vías 2012 — Nel­son Pino accom­pa­g­ne­ment musi­cal Quin­te­to Nés­tor Vaz / Raúl Miguel Garel­lo Letra : Héc­tor Negro.

Petits plus

« Los cocheros y may­orales ebrios, en ser­vi­cio, serán cas­ti­ga­dos con una mul­ta de cin­co pesos mon­e­da nacional, que se hará efec­ti­va por medio de la empre­sa ». Les cochers et con­duc­teurs (plus tard, on dira les

On appelle sou­vent les colec­tivos de Buenos Aires « Bondis ». Ce nom vient du nom brésilien des tramways, « Bonde ». Sans doute une autre preuve de la nos­tal­gie du tran­vía per­du.

Quelques sources

Tran­vías a motor de san­gre en la Boca (Puente Puyrre­don)
Un des pre­miers tramways élec­triques à avoir une grille pour sauver les pié­tons qui seraient per­cutés par le tramway. Cette grille pou­vait se relever à l’aide d’une chaîne dont l’ex­trémité est dans la cab­ine de con­duite.
Motor­man lev­ant la rejil­la 1948 (Doc­u­ment Archives générales de la nation Argen­tine)

5 Coches del Tran­vía eléc­tri­co de la calle Las Heras, doble pisos.

Coches del Tran­vía eléc­tri­co de la calle Las Heras, doble pisos.
Recon­sti­tu­tion du tran­vía du film “Eclipse de sol”, car il n’ap­pa­rait pas en entier dans le film, car la scène est trop petite.
À l’époque de notre tan­go (ici en 1938, donc 3 ans avant), c’est ce type de tramway qui cir­cule. on com­prend la nos­tal­gie des temps anciens.
Traf­ic com­pliqué sur la Plaza de Mayo en 1934. À l’arrière-plan, les colonnes de la cathé­drale. Trois tran­vías élec­triques essayent de se fray­er un pas­sage. On remar­que la grille des­tinée à éviter aux pié­tons de pass­er sous le tramway en cas de col­li­sion.

Yuyo verde 1945-02-28 Orquesta Aníbal Troilo con Floreal Ruiz

Domin­go Fed­eri­co (Domin­go Ser­afín Fed­eri­co) Letra: Home­ro Aldo Expósi­to

Le tan­go du jour, Yuyo verde, a été enreg­istré le 28 févri­er 1945 par Aníbal Troi­lo et Flo­re­al Ruiz. C’est encore un mag­nifique thème écrit par l’équipe Fed­eri­co et Expósi­to, les auteurs de Per­cal. Le yuyo verde est une herbe verte qui peut être soit une mau­vaise herbe, soit une herbe médic­i­nale. Je vous laisse forg­er votre inter­pré­ta­tion à la lec­ture de cet arti­cle.

Extrait musical

Yuyo verde 1945-02-28 Orques­ta Aníbal Troi­lo con Flo­re­al Ruiz

Les paroles

Calle­jón… calle­jón…
lejano… lejano…
íbamos per­di­dos de la mano
bajo un cielo de ver­a­no
soñan­do en vano…
Un farol… un portón…
-igual que en un tan­go-
y los dos per­di­dos de la mano
bajo el cielo de ver­a­no
que par­tió…

Déjame que llore cruda­mente
con el llan­to viejo adiós…
adonde el calle­jón se pierde
brotó ese yuyo verde
del perdón…
Déjame que llore y te recuerde
-tren­zas que me anudan al portón-
De tu país ya no se vuelve
ni con el yuyo verde
del perdón…

¿Dónde estás?… ¿Dónde estás?…
¿Adónde te has ido?…
¿Dónde están las plumas de mi nido,
la emo­ción de haber vivi­do
y aquel car­iño?…
Un farol… un portón…
-igual que un tan­go-
y este llan­to mío entre mis manos
y ese cielo de ver­a­no
que par­tió…

Domin­go Fed­eri­co Letra: Home­ro Expósi­to

Traduction

Ruelle… ruelle…
loin­taine… loin­taine…
Nous étions per­dus main dans la main sous un ciel d’été rêvant en vain…
Un lam­padaire… un por­tail (une porte cochère)…
-Comme dans un tan­go-

et les deux, per­dus, main dans la main sous le ciel d’été qui s’en est allé…

Laisse-moi pleur­er mon soûl avec les larmes d’un vieil adieu…
Là où la ruelle se perd, cette herbe verte du par­don a ger­mé…
Laisse-moi pleur­er et me sou­venir de toi

-tress­es qui m’at­tachent à la porte-
De ton pays, on ne revient pas, pas même avec l’herbe verte du par­don…

Où es-tu ?… Où es-tu ?…
Où es-tu allée ?…
Où sont les plumes de mon nid, l’é­mo­tion d’avoir vécu une telle affec­tion ?…
Un lam­padaire… un por­tail…
-tout comme un tan­go-
et ces pleurs qui sont miens entre mes mains et ce ciel d’été qui s’en est allé…

Autres versions

Ce tan­go, mag­nifique a don­né lieu à des cen­taines de ver­sions.

Yuyo verde 1944-09-12 — Orques­ta Domin­go Fed­eri­co con Car­los Vidal. La ver­sion orig­i­nale par l’auteur de la musique. C’est une jolie ver­sion.
Yuyo verde (Calle­jón) 1945-01-24 — Orques­ta Rodol­fo Bia­gi con Jorge Ortiz. Un bia­gi typ­ique, bien énergique. À not­er le sous-titre, Calle­jón, la ruelle, qui com­mence les paroles en étant chan­tée deux fois.
Yuyo verde 1945-01-25 — Orques­ta Osval­do Pugliese con Alber­to Morán. Une inter­pré­ta­tion de Morán un peu lar­moy­ante. Rien à voir avec la ver­sion enreg­istrée la veille par Bia­gi et Ortiz. La mer­veilleuse diver­sité des orchestres de l’âge d’or du tan­go.
Yuyo verde 1945-02-28 Orques­ta Aníbal Troi­lo con Flo­re­al Ruiz. C’est le tan­go du jour. Pour moi, c’est un des meilleurs équili­bres entre dans­abil­ité et sen­si­bil­ité.
Yuyo verde 1945-05-08 — Tania y su Orques­ta Típi­ca dir. Miguel Nijen­son. Si l’enregistrement de Troi­lo et Morán fai­sait un peu chan­son, cette inter­pré­ta­tion par Tania est claire­ment une chan­son. L’indication que c’est Tania et son orchestre, dirigé par Miguel Mijen­son con­firme que l’intention de Tania était bien d’en faire une chan­son.

Avec ces cinq ver­sions, on a donc une vision intéres­sante du poten­tiel de ce titre. En 1958, Fed­eri­co a enreg­istré de nou­veau ce titre, avec son Trío Salu­dos et les chanteurs Rubén Maciel et Rubén Sánchez. Je vous fais grâce de cette ver­sion kitch.
Comme il est l’auteur de la musique, je cit­erai aus­si son enreg­istrement réal­isé à Rosario avec la Orques­ta Juve­nil De La Uni­ver­si­dad Nacional De Rosario con Héc­tor Gatá­neo. J’ai déjà évo­qué ce chanteur et cet orchestre à pro­pos de Per­cal dont Fed­eri­co est égale­ment l’auteur.
Il y a des cen­taines d’interprétations par la suite, mais rel­a­tive­ment peu pour la danse. Les aspects chan­son ou musique clas­sique ont plutôt été les sources d’inspiration.
Pour ter­min­er cet arti­cle sur une note sym­pa­thique, une ver­sion en vidéo par un orchestre qui a cher­ché son style pro­pre, la Román­ti­ca Milonguera. Ici avec Rober­to Minon­di. Un enreg­istrement effec­tué en Uruguay, un des trois pays du tan­go ; en mars 2019.

Yuyo verde 2019-03 — Orques­ta Roman­ti­ca Milonguera con Rober­to Minon­di.

Clin d’œil

Un cuar­te­to organ­isé autour du gui­tariste Diego Tros­man et du bandéon­iste Fer­nan­do Magu­na avait pris le nom de Yuyo Verde en 2003. Ce cuar­te­to avait d’ailleurs par­ticipé en 2004 au fes­ti­val que j’organisais alors à Saint-Geniez d’Olt (Avey­ron, France). Ils nous avaient fait par­venir une maque­tte dont je tire cette superbe inter­pré­ta­tion de la milon­ga La Tram­pera. Ce n’est pas Yuyo Verde, mais c’est une com­po­si­tion d’Ani­bal Troi­lo, on reste dans le thème du jour.

La tram­pera 2004 — Yuyo Verde (Maque­tte)

Deux des affich­es que j’avais réal­isées pour mon fes­ti­val de tan­go. Le site inter­net était hébergé par mon site per­so de l’époque (byc.ch) et sur l’affiche de droite, les plus obser­va­teurs pour­ront remar­quer mon logo de l’époque. C’était il y a 20 ans…

Petite his­toire, ce fes­ti­val de tan­go qui existe tou­jours, avec d’autres organ­isa­teurs, avait au départ une par­tie sal­sa, car mon coor­gan­isa­teur croy­ait plutôt en cette danse. C’est la rai­son pour laque­lle j’avais don­né le nom de Tan­go lati­no (tan­go y lati­no), pour faire appa­raître ces deux facettes. La milon­ga du same­di soir était ani­mée par Yuyo Verde et Corine d’Alès, une pio­nnière du DJing de tan­go que je salue ici…

Fuegos artificiales 1941-02-26 (Tango) — Orquesta Juan D’Arienzo

Rober­to Fir­po ; Eduar­do Aro­las

Le tan­go d’aujourd’hui a été enreg­istré par Juan D’Arienzo, le 26 févri­er 1941, il y a exacte­ment 83 ans. Los fue­gos arti­fi­ciales sont les feux d’artifice. Nous ver­rons dans cet arti­cle qu’on peut les voir réelle­ment dans la musique.

Ceux qui con­nais­sent un peu l’Argentine savent qu’ils sont fans d’expériences pyrotech­niques. Cepen­dant, con­traire­ment à la France, ce ne sont pas les com­munes qui les pro­posent, ce sont les Argentins eux-mêmes qui rivalisent avec leurs voisins pour pro­pos­er le plus beau spec­ta­cle. Rober­to Fir­po et Eduar­do Aro­las se sont donc inspirés de ces feux d’artifice pour pro­pos­er un tan­go descrip­tif où se voient et s’entendent les fusées.

Roberto Firpo

Rober­to Fir­po, un des auteurs de cette musique, a sou­vent com­posé des tan­gos imagés, c’est-à-dire où la musique cherche à imiter des sons de la vie réelle. On con­naît, par exem­ple :
El amanecer (l’aube) avec ses oiseaux qui accueil­lent le soleil ; El bur­ri­to (l’âne) un pasodoble où on entend quelques facéties d’un âne ; El rápi­do (tan­go) imi­ta­tion du train avec dans cer­taines ver­sions des annonces du type (sec­ond ser­vice du restau­rant). Bia­gi et Piaz­zol­la par exem­ple, reprend ce thème de façon plus musi­cale, pour la danse dans le cas de Bia­gi et pour l’écoute en ce qui con­cerne Piaz­zol­la, mais dans tous les cas on recon­naît bien le train ; La car­ca­ja­da le rire.

Fue­gos arti­fi­ciales est donc dans cette lignée et il n’est pas dif­fi­cile d’imaginer la tra­jec­toire des cohetes (fusées) en écoutant les dif­férentes ver­sions de cette œuvre.

Rober­to Fir­po a com­posé énor­mé­ment. Il n’est pas un chef d’orchestre de pre­mier plan, mais tous les danseurs de tan­go ont dan­sé, par­fois sans le savoir, bon nom­bre de ses créa­tions inter­prétées par d’autres orchestres.
En plus d’El amanecer, on pour­rait citer, Alma de bohemio dont il existe des dizaines de ver­sions, dont celle très excep­tion­nelle de Pedro Lau­renz chan­tée par Alber­to Podestá qui tient la note pen­dant une durée incroy­able, Argañaraz (Aque­l­las far­ras), Didi, El apronte ou Viviani.

Extrait musical

Fue­gos arti­fi­ciales 1941-02-26 — Orques­ta Juan D’Arienzo.mp3. C’est le pre­mier enreg­istrement de ce thème par D’Arienzo et celui qui fait l’objet de cet arti­cle.

Les paroles… la musique en images

Comme il s’agit d’un tan­go instru­men­tal et que per­son­ne n’a eu l’idée d’y met­tre des paroles. Je vous pro­pose de voir les fusées du feu d’artifice dans la musique.
En effet, pour tra­vailler la musique, les logi­ciels spé­cial­isés pro­posent dif­férents out­ils. Un que j’aime bien est la représen­ta­tion de la fréquence spec­trale.
Le principe est sim­ple. Plus un son est grave et plus il est représen­té en bas du spec­tro­gramme. Mais ici, ce n’est pas la tech­nique qui nous intéresse, mais ce qu’on peut voir avec cet out­il. Nous allons voir trois ver­sions. Celle de Fir­po (le com­pos­i­teur) en 1927, puis en 1928 et enfin celle qui fait l’objet de la com­po­si­tion du jour, celle de D’Arienzo de 1941.

Spec­tro­gramme de la ver­sion de 1927 de Fir­po. Observez les lignes obliques qui indiquent, de gauche à droite, une descente chro­ma­tique, une remon­tée chro­ma­tique (on dirait un V, vis­i­ble dans la pre­mière moitié) puis une descente vers le spec­tre grave vibrée dans la sec­onde moitié. Ce sont les fusées du feu d’artifice qui mon­tent et descen­dent.
Fue­gos arti­fi­ciales 1927-11-04 — Orques­ta Rober­to Fir­po. La par­tie cor­re­spon­dant à l’image ci-dessus se trou­ve entre 1 h 28 et 1 h 36.
Ver­sion de 1928 de Fir­po. Elle est sen­si­ble­ment dif­férente de celle de 1927. La mon­tée chro­ma­tique est effec­tuée par tout l’orchestre et la descente par les seuls vio­lons. Le motif en V de la ver­sion de 1927 a dis­paru, cer­tains élé­ments de la descente chro­ma­tique qui précé­dait se retrou­vent désor­mais dans la mon­tée, beau­coup plus puis­sante et par con­séquent presque invis­i­bles.
Fue­gos arti­fi­ciales 1928-05-28 — Orques­ta Rober­to Fir­po. La par­tie cor­re­spon­dant à l’image ci-dessus se trou­ve entre 1 h 25 et 1 h 35. C’est la même que dans la ver­sion 1927.
La même par­tie de la musique, mais d’un aspect totale­ment dif­férent. Les mon­tées et descentes se font en escalier. Les glis­san­dos de vio­lons ont dis­paru.
Fue­gos arti­fi­ciales 1941-02-26 — Orques­ta Juan D’Arienzo. Dans le même pas­sage (1 : 29, à 1 : 36) les glis­san­dos des vio­lons ont dis­paru. Les notes en marche d’escalier sont typ­iques de D’Arienzo.
Tout l’orchestre et notam­ment les ban­donéons et le piano mon­tent chro­ma­tique­ment par sac­cades, puis le piano en solo entame une descente chro­ma­tique qu’il enchaîne avec une remon­tée, accom­pa­g­né par l’orchestre.

Le motif est donc très dif­férent de celui de Fir­po et ne sug­gère que loin­taine­ment le feu d’artifice.

Pour le retrou­ver, il faut choisir un autre pas­sage.

Ici, c’est le début de la ver­sion de D’Arienzo, dans une par­tie dif­férente. À gauche, une mon­tée chro­ma­tique sac­cadée au piano, suivi d’un silence (zone som­bre au milieu). Ce silence accueille des coups fer­mes du ban­donéon, puis enfin, une nou­velle mon­tée chro­ma­tique, cette fois en glis­san­do par les vio­lons. C’est une évo­ca­tion de la mon­tée des fusées.

Mais là, on est loin de la descrip­tion des ver­sions de Fir­po. Même la mon­tée chro­ma­tique des cordes est courte et peu expres­sive, comme si D’Arienzo voulait faire oubli­er qu’il s’agissait d’un feu d’artifice. En effet, il en fait une pièce instru­men­tale, beau­coup moins imagée.
Cepen­dant, D’Arienzo n’a pas hésité à faire quelques tan­gos imagés, comme El Hipo où Echagüe a le hoquet (hipo), accom­pa­g­né par de courts glis­san­dos de vio­lon, mais ce n’est pas le meilleur de sa pro­duc­tion…

En obser­vant les spec­tro­grammes, on peut tir­er des idées sur la façon dont le musi­cien organ­ise sa musique et sa com­po­si­tion.

Les enregistrements de Fuegos artificiales

Par Juan D’Arienzo

D’Arienzo a enreg­istré à deux repris­es ce titre. . C’est la ver­sion pro­posée d’aujourd’hui.

Fue­gos arti­fi­ciales 1941-02-26 — Orques­ta Juan D’Arienzo.
Fue­gos arti­fi­ciales 1946 — Orques­ta Juan D’Arienzo. Une ver­sion plus rare. La prise de son un peu brouil­lonne rend la danse moins intéres­sante. Cette ver­sion ne man­quera donc pas en milon­ga.

On trou­ve deux ou trois autres enreg­istrements sou­vent attribués à d’Arienzo, mais ils ont été réal­isés après la mort de celui-ci. Ce sont les mêmes musi­ciens qui ont repris les thèmes sous la direc­tion du bandéon­iste arrangeur de D’Arienzo, Car­los Laz­zari. On peut donc presque con­sid­ér­er que c’est du D’Arienzo tardif. Le plus ancien est de 1977, un autre a été enreg­istré au Japon, mais est qua­si­ment iden­tique à celui de 1987 que je pro­pose ici :

Fue­gos Arti­fi­ciales 1987 — Los Solis­tas de D’Arienzo dir. Car­los Laz­zari.

Par d’autres orchestres

Fue­gos arti­fi­ciales 1927-11-04 — Orques­ta Rober­to Fir­po. C’est le plus ancien enreg­istrement, par l’auteur de la par­ti­tion. Une ver­sion bien canyengue, mais très expres­sive et descrip­tive. On aimerait sans doute un peu plus de vitesse pour ren­dre le spec­ta­cle plus dynamique. Nous en avons par­lé ci-dessus.
Fue­gos arti­fi­ciales 1928-05-28 — Orques­ta Rober­to Fir­po. Fir­po s’est ren­du compte qu’il pou­vait accélér­er son titre. Elle a égale­ment été présen­tée visuelle­ment ci-dessus.
Fue­gos arti­fi­ciales 1945-05-29 — Orques­ta Aníbal Troi­lo. Comme dans la ver­sion de 1941 de DArien­zo, la par­tie descrip­tive est atténuée. Con­traire­ment à D’Arienzo, la musique est plus coulée, sans les sac­cades et on a un peu l’impression de voir les explo­sions de lumière au loin, les instru­ments se mêlant comme se mêlent les étoiles d’un feu d’artifice. C’est une très belle ver­sion alter­nant les moments de ten­sion et ceux de relâche­ment, mais avec un enchaîne­ment, sans rup­ture. La musique est plus coulée. Pour la danse, cela peut man­quer un peu de clarté pour des danseurs qui ne maîtrisent pas les sub­til­ités de Troi­lo, mais ils pour­ront se rac­crocher à la mar­ca­tion la plu­part du temps bien présente.

En 1952, Troi­lo enreg­istr­era une autre ver­sion bien plus spec­tac­u­laire et évo­quant les prémices du tan­go nue­vo.

Fue­gos arti­fi­ciales 1952 — Orques­ta Aníbal Troi­lo. Ver­sion plus spec­tac­u­laire que celle de 1945, annonçant les futurs suc­cès de Troi­lo vers le tan­go dit nue­vo.

On pour­rait mul­ti­pli­er les exem­ples, mais main­tenant vous saurez être atten­tifs aux élé­ments de feu d’artifice, par exem­ple chez Dona­to, Varela ou De Ange­lis qui en ont tiré égale­ment des ver­sions intéres­santes.

Feux d’artifice et pau­vreté, mis­ère et arti­fices.

Percal 1943-02-25 (Tango) — Orquesta Miguel Caló con Alberto Podestá

Domin­go Fed­eri­co (Domin­go Ser­afín Fed­eri­co) Letra: Home­ro Aldo Expósi­to

Ne me dites pas que la voix chaude d’Alberto Podestá quand il lance le pre­mier « Per­cal » ne vous émeut pas, je ne vous croirais pas. Mais avant le thème créé par Domin­go Fed­eri­co et magis­trale­ment pro­posé par l’orchestre de Caló a instau­ré une ambiance de mys­tère.

Je ne sais pas pourquoi, mais les pre­mières notes m’ont tou­jours fait penser aux mille et une nuit. L’évocation de la per­cale qui est un tis­su de qual­ité en France pour­rait ren­forcer cette impres­sion de luxe.
Cepen­dant, le per­cal qui est mas­culin en espag­nol, est une étoffe mod­este des­tinée aux femmes pau­vres. Vous le décou­vrirez plus large­ment avec les paroles, ci-dessous.

Podestá a com­mencé à chanter pour Caló à 15 ans. Il a passé une audi­tion dans l’après-midi et le soir-même il com­mençait avec l’orchestre. Miguel Caló savait décel­er les tal­ents…

Extrait musical

Qué tiem­po aquel 1938-02-24 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to con Jorge Omar

Les paroles

Per­cal…
¿Te acuer­das del per­cal?
Tenías quince abriles,
Anh­e­los de sufrir y amar,
De ir al cen­tro, tri­un­far
Y olvi­dar el per­cal.
Per­cal…
Camino del per­cal,
Te fuiste de tu casa…
Tal vez nos enter­amos mal.
Solo sé que al final
Te olvi­daste el per­cal.

La juven­tud se fue…
Tu casa ya no está…
Y en el ayer tira­dos
Se han queda­do
Aco­bar­da­dos
Tu per­cal y mi pasa­do.
La juven­tud se fue…
Yo ya no espero más…
Mejor dejar per­di­dos
Los anh­e­los que no han sido
Y el vesti­do de per­cal.

Llo­rar…
¿Por qué vas a llo­rar?…
¿Aca­so no has vivi­do,
Aca­so no aprendiste a amar,
A sufrir, a esper­ar,
Y tam­bién a callar?
Per­cal…
Son cosas del per­cal…
Saber que estás sufrien­do
Saber que sufrirás aún más
Y saber que al final
No olvi­daste el per­cal.
Per­cal…
Tris­tezas del per­cal.

Domin­go Fed­eri­co (Domin­go Ser­afín Fed­eri­co) Letra: Home­ro Aldo Expósi­to

Parlons chiffons

Per­cal est men­tion­né sept fois dans les paroles de ce tan­go d’Home­ro Expósi­to. Il est donc très impor­tant de ne pas faire un con­tre­sens sur la sig­ni­fi­ca­tion de ce mot.
Wikipé­dia nous dit que : « La per­cale est un tis­su de coton de qual­ité supérieure fait de fil fin ser­ré à plat. Elle est appré­ciée en literie pour son touch­er lisse, doux, et sa résis­tance ».
Vous aurez com­pris qu’il ne faut pas en rester là, car une fois de plus, c’est le lun­far­do, l’argot argentin qu’il faut inter­roger pour com­pren­dre.
En lun­far­do, il s’agit d’un tis­su de coton util­isé pour les robes des femmes de con­di­tion mod­este. On retrou­ve dans cette déri­va­tion du mot en lun­far­do, la déri­sion de la mode de la haute société qui se piquait d’être à la française. Nom­mer une toile mod­este du nom d’une toile pres­tigieuse était une façon de se moquer de sa con­di­tion de mis­ère.
En français, on dirait donc plutôt « cal­i­cot » que per­cale pour ce type de tis­su de basse qual­ité.
Voici ce qu’a écrit Athos Espín­dola dans son « Dic­cionario del lun­far­do » :

Per­cal. l. p. Tela de mod­es­ta cal­i­dad que se emplea­ba para vesti­dos de mujer, la más común entre la gente humilde. Fue lle­va­da por el can­to, la poesía y el teatro pop­u­lares a con­ver­tirse en sím­bo­lo de sen­cillez y pureza que rep­re­senta­ba a la mujer de bar­rio entre­ga­da a su hog­ar y a la obr­era que sucum­bía doce horas diarias en el taller de plan­cha­do o en la fábri­ca para lle­var unos míseros pesos a la pobreza de su famil­ia. A esa que luego, a la tardecita, salía con su vesti­do de per­cal a la puer­ta de su casa a echar a volar sueños e ilu­siones. Pero tam­bién fue sím­bo­lo dis­crim­i­na­to­rio prop­i­cio para que las grandes seño­ras de seda y de petit-gris tuvier­an otro moti­vo descal­i­fi­ca­to­rio para esa pobreza ofen­si­va e insul­tante que, afor­tu­nada­mente, esta­ba tan allá, en aque­l­los bar­rios adonde no alcan­z­a­ban sus miradas. ¿Cómo iba a deten­erse a con­ver­sar con una mujer que viste de per­cal?

Athos Espín­dola, Dic­cionario del lun­far­do

Ce tan­go évoque donc la malé­dic­tion de celles qui sont nées pau­vres et qui ne sor­tiront pas de l’univers des tis­sus de basse qual­ité, con­traire­ment à celles qui vivent dans la soie et le petit-gris.
Pour infor­ma­tion, le petit-gris est appar­en­té au vair des chaus­sures de Cen­drillon, le vair étant une four­rure à base de peaux d’écureuils. Le petit-gris, c’est pire dans le domaine de la cru­auté, car il faut le dou­ble d’écureuils. Au lieu d’utiliser le dos et le ven­tre, on n’utilise que le dos des écureuils pour avoir une four­rure de couleur unie et non pas en dami­er comme le vair.

Tenías quince abriles, en français on emploi sou­vent l’expression avoir quinze print­emps pour dire quinze ans. En Argen­tine, les quinze ans sont un âge tout par­ti­c­uli­er pour les femmes. Les familles mod­estes s’endettent pour offrir une robe de fête pour leur fille, pour cet anniver­saire le plus spec­tac­u­laire de leur vie. Le fait que la robe de la chan­son soit dans un tis­sus hum­ble, accentue l’idée de pau­vreté.
Il existe d’ailleurs des valses de quinz­ième anniver­saire et pas pour les autres années.
Dans les milon­gas, la tra­di­tion de fêter les anniver­saires en valse vient de là.

El vals de los quince años pour l’an­niver­saire de Quique Camar­go par Los Reyes del Tan­go.
Milon­ga Camar­go Tan­go — El Beso — Buenos Aires — 2024-02-17. .
Parole et musique Agustín Car­los Minot­ti.
Grabación DJ BYC Bernar­do

Les enregistrements de Percal

Per­cal 1943-02-25 — Orques­ta Miguel Caló con Alber­to Podestá. C’est le tan­go du jour.
Per­cal 1943-03-25 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Fran­cis­co Fiorenti­no.

Enreg­istrée un mois, jour pour jour après celle de Calo, cette ver­sion est superbe. Cepen­dant, il me sem­ble que la voix de Fiorenti­no et en par­ti­c­uli­er sa pre­mière attaque de « Per­cal » sont en deçà de ce qu’ont pro­posé Caló et Podestá. Mais bien sûr, ce titre est égale­ment mer­veilleux à danser.

Per­cal 1943-05-13 Hugo Del Car­ril accom­pa­g­né par Tito Ribero.

Cette chan­son, ce n’est pas un tan­go de danse, com­mence avec une musique très par­ti­c­ulière et Hugo Del Car­ril démarre très rapi­de­ment (nor­mal, c’est une chan­son) le thème d’une voix très chaude et vibrante.

Per­cal 1947 ou 1948 — Fran­cis­co González et son Orchestre typ­ique argentin con Rober­to Rodríguez.

Je n’ai pas cette musique dans ma col­lec­tion. Le cat­a­logue de la Bib­lio­thèque nationale de France (Notice FRBNF38023941) l’indique de 1948 sous la bonne référence du disque : Selmer ST3003. La bible Tan­go l’indique de 1947 et avec le numéro de matrice 3728.

Per­cal 1952-08-25 — Orques­ta Domin­go Fed­eri­co con Arman­do Moreno et réc­i­tatif por Julia de Alba.

Il est intéres­sant d’écouter cette ver­sion enreg­istrée par l’auteur de la musique, même si c’est plus tardif. En plus des paroles chan­tées par Arman­do Moreno, il y a un réc­i­tatif dit par Julia de Alba, une célébrité de la radio. Son inter­ven­tion ren­force le thème du tan­go en évo­quant le chemin de per­cale, la des­tinée que lui prédi­s­ait sa mère et qui s’est avérée la réal­ité. Elle l’a com­pris plus tard, pleu­rant les bais­ers de sa mère qui ne peut plus l’embrasser.

Per­cal 1969 — Orques­ta Domin­go Fed­eri­co con Car­los Vidal.
Per­cal 1969-09-24 — Domin­go Fed­eri­co (ban­donéon) Oscar Bron­del (gui­tare) con Rubén Maciel.

La par­tic­u­lar­ité de cet enreg­istrement est qu’il est chan­té en esperan­to par Rubén Maciel. Fed­eri­co était un mil­i­tant de l’esperanto, ce lan­gage des­tin­er à unir les hommes dans une grande fra­ter­nité. Le même jour, ils ont aus­si enreg­istré une ver­sion de la cumpar­si­ta, tou­jours en esperan­to.

Per­cal 1990-12 — Orques­ta Juve­nil de Tan­go de la U.N.R. dir Domin­go Fed­eri­co con Héc­tor Gatá­neo.

Vous pou­vez acheter ce titre ou tout l’album sur Band­Camp, y com­pris dans des for­mats sans perte (ALAC, FLAC…). Pour mémoire, les fichiers que je pro­pose ici sont en très basse qual­ité pour être autorisé sur le serveur (lim­ite 1 Mo par fichi­er).

Autre titre enregistré un 25 février

Ya sale el tren 1943-02-25 — Orques­ta Miguel Caló con Jorge Ortiz. Musique et paroles de Luis Rubis­tein.

Ce tan­go a été enreg­istré le même jour que Per­cal, mais avec un chanteur dif­férent, Jorge Ortiz. On entend la cloche du train au début.

Ya sale el tren 1943-02-25 — Orques­ta Miguel Caló con Jorge Ortiz. Musique et paroles de Luis Rubis­tein. Ce tan­go a été enreg­istré le même jour que Per­cal, mais avec un chanteur dif­férent, Jorge Ortiz. On entend la cloche du train au début.

Sur 1948-02-23 — Orquesta Aníbal Troilo con Edmundo Rivero

Aníbal Troilo (arrangement de Argentino Glaván) Letra : Homero Manzi

Il y a 76 ans, Aníbal Troi­lo enreg­is­trait avec Edmun­do Rivero, un des tan­gos avec le titre le plus court, « Sur ». Sur, en espag­nol, c’est le Sud. Pour ceux qui sont nés dans l’hémisphère Nord, le Sud, c’est la chaleur. En Argen­tine, c’est l’inverse, mais le Sud chan­té par Rivero n’est ni l’un ni l’autre. C’est ce Sud, que je vous invite à décou­vrir avec ce tan­go du jour aux paroles écrites par Home­ro Manzi.

<- Aníbal Troi­lo et Home­ro Manzi par Sabat.

Ce tan­go n’est pas un tan­go de bal, mais c’est un mon­u­ment du tan­go. La musique est d’Anibal Troi­lo et les paroles, celles qui mar­quent le cœur de tous les tangueros sont d’Homero Manzi.
Ernesto Saba­to aurait déclaré qu’il don­nerait toute la lit­téra­ture qu’il avait écrite en échange d’être l’auteur de « Sur ». Intéres­sons-nous donc à ces deux mon­stres sacrés du tan­go, Home­ro et Sur.

Homero

Les deux se prénom­ment Home­ro, les deux sont fans de Buenos Aires, mais un seul est Manzi. Saurez-vous décou­vrir lequel ?

Home­ro Manzi est un provin­cial, arrivé à Buenos Aires à l’âge de neuf ans. Il a vécu enfant et ado­les­cent dans le quarti­er de Pom­peya, au sud de Boe­do, donc, dans le Sud de Buenos Aires.
Les paroles nos­tal­giques de ce tan­go évo­quent les sou­venirs de cette enfance et les regrets des points de repère évanouis, mais en par­al­lèle de sa vie amoureuse avec un bais­er échangé et qui ne s’est trans­for­mé qu’en sou­venir.
Les lieux qu’il indique peu­vent être par­tielle­ment retrou­vés. Le plus facile est l’angle de Boe­do et San Juan. C’est l’endroit où Home­ro Manzi a écrit Sur. Il abrite désor­mais l’Esquina Manzi, un lieu prisé par les touristes.

L’angle entre Boe­do et San Juan où se trou­ve désor­mais l’Esquina Manzi. À gauche en 1948, à droite en 2015, avec les car­i­ca­tures de Sabat, enlevées depuis et rem­placées par des écrans qui les dif­fusent. La moder­nité. À l’in­térieur, elles sont encore vis­i­bles.

« Pom­peya y más allá la inun­dación ». Buenos Aires est régulière­ment vic­time d’inondations. Cette année encore, mais la pire fut sans doute celle de 1912, celle qui toucha Pom­peya, le quarti­er de Manzi.

En 1912, une voiture hip­po­mo­bile trans­porte des rescapés sur l’Avenida Sáenz, recou­verte d’eau. Ils vien­nent de zones encore plus inondées, le Riachue­lo avait débor­dé.

On imag­ine l’impact de cet événe­ment chez un enfant de 5 ans qui venait juste de quit­ter sa province de San­ti­a­go del Estero pour arriv­er avec sa mère à Buenos Aires. Par­mi ces autres sou­venirs, ce tan­go men­tionne La esquina del her­rero, bar­ro y pam­pa. Cer­tains y voient l’angle de Del Bar­co Cen­ten­era et de Tabaré, deux avenues que Manzi cite dans son tan­go, Mano Blan­ca, un autre de ses tan­gos emblé­ma­tiques.

Mano Blan­ca (letra de Home­ro Manzi) par Ángel D’Agosti­no et Ángel Vargas.(1944)

D’ailleurs un « musée » a été instal­lé sur cet emplace­ment, en l’honneur de ce titre immor­tal­isé par D’Agosti­no et Var­gas.

Le petit char­i­ot de Porten­i­to et Mano Blan­ca avec les ini­tiales peintes à la main et qui font que ce tan­go est le tan­go des fileteadores.
Sur le trot­toir d’en face le musée Mano Blan­ca, le bar el Buzón nom­mé ain­si à cause de la boîte aux let­tres rouge qui occupe le trot­toir devant l’établissement.

Extrait musical

Sur 1948-02-23 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Edmun­do Rivero

Les paroles

Vous trou­verez tous les enreg­istrements à écouter, en fin d’article.

San Juan y Boe­do antigua, y todo el cielo,
Pom­peya y más allá la inun­dación.
Tu mele­na de novia en el recuer­do
Y tu nom­bre flo­ran­do en el adiós.
La esquina del her­rero, bar­ro y pam­pa,
Tú casa, tu vere­da y el zan­jón,
Y un per­fume de yuyos y de alfal­fa
Que me llena de nue­vo el corazón.

Sur,
Paredón y después…
Sur,
Una luz de almacén…
Ya nun­ca me verás como me vieras,
Recosta­do en la vidri­era
Y esperán­dote.
Ya nun­ca alum­braré con las estrel­las
Nues­tra mar­cha sin querel­las
Por las noches de Pom­peya…
Las calles y las lunas sub­ur­banas,
Y mi amor y tu ven­tana
Todo ha muer­to, ya lo sé…


San Juan y Boe­do antiguo, cielo per­di­do,
Pom­peya y al lle­gar al ter­raplén,
Tus veinte años tem­b­lan­do de car­iño
Bajo el beso que entonces te robé.
Nos­tal­gias de las cosas que han pasa­do,
Are­na que la vida se llevó
Pesad­um­bre de bar­rios que han cam­bi­a­do
Y amar­gu­ra del sueño que murió.

Aníbal Troi­lo (arrange­ment de Argenti­no Glaván) Letra : Home­ro Manzi

Les enregistrements de Sur

Les enreg­istrements Sur, par Troi­lo

Sur 1948-02-23 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Edmun­do Rivero, l’enregistrement, objet de cet arti­cle. Le plus ancien, à moins qu’un petit Français, lui ait brûlé la politesse. Voir le chapitre suiv­ant…
Sur 1953-09-21 (En vivo) — Ranko Fuji­sawa con Aníbal Troi­lo y Rober­to Grela. Enreg­istrement par Radio Tokio d’un con­cert au Teatro Dis­cépo­lo de Buenos Aires. Ban­donéon (Troi­lo), Gui­tare (Grela) et voix (Omar).
Sur 1956-08-08 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Edmun­do Rivero arr. de Argenti­no Glaván. À com­par­er par la ver­sion de 1948 par les mêmes.
Sur 1971-04-26 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Rober­to Goyeneche. Encore un qui a sa place au pan­théon du tan­go. La par­tie instru­men­tale est par­ti­c­ulière­ment expres­sive, notam­ment, grâce aux pleurs du ban­donéon de Troi­lo.
Sur 1974-05 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Susana Rinal­di. Le dernier enreg­istrement de Sur par Troi­lo a été effec­tué en pub­lic avec Susana Rinal­di dans un pro­gramme en hom­mage à Home­ro Manzi effec­tué par Anto­nio Car­ri­zo, el caballero de la radio.

Cette ver­sion est pleine d’émotion. Impos­si­ble de ne pas essuy­er une larme à son écoute notam­ment, lorsqu’elle chante pour la sec­onde fois, la fin du refrain. « Ya lo sé ».

Autres enregistrements de Sur

Là, il faut dis­cuter un peu, Nel­ly Omar serait la pre­mière à avoir chan­té ce tan­go.
C’est ce qu’indique la Bible du Tan­go, qui a sou­vent d’excellentes infor­ma­tions. Mal­heureuse­ment, sans référence pré­cise et prob­a­ble­ment sans enreg­istrement, cela reste dif­fi­cile à con­firmer.
Cepen­dant, si on se sou­vient que Nel­ly fut la muse d’Home­ro, celle qui lui inspi­ra la chan­son Male­na lors de son exil au Mex­ique et qu’ils ont eu une rela­tion mou­ve­men­tée, cela n’a rien d’im­pos­si­ble.
Comme Sur est un tan­go à écouter, je vous invite à voir Nel­ly Omar le chanter. J’ai choisi cette ver­sion, car c’est une de ses dernières ver­sions enreg­istrées. Elle a par­cou­ru toutes les épo­ques du tan­go, depuis les années 1920 jusqu’au 21e siè­cle. La « Gardel en jupe » est une des étoiles indéboulonnables au fir­ma­ment du tan­go.

Je ne peux pas con­firmer la date, de cet enreg­istrement. La voix sem­ble plus assurée que dans son dernier con­cert au Luna Park, à près de 100 ans. Je dat­erai donc cette vidéo de la pre­mière décen­nie des années 2000.

Plus éton­nant, serait un enreg­istrement par Quintin Ver­du en 1947, soit plusieurs mois avant Troi­lo. On peut facile­ment imag­in­er qu’un tan­go soit chan­té avant d’être enreg­istré, car c’est le proces­sus nor­mal. En revanche, qu’il soit enreg­istré en France avant d’avoir été joué en Argen­tine alors qu’il est créé par deux Argentins qui étaient à Buenos Aires à l’époque est plus éton­nant.
En revanche, il existe bien un enreg­istrement de Sur par Quintin Ver­du, avec le chanteur Agustín Duarte. C’est un enreg­istrement Pathé, mal­heureuse­ment pas daté et ses références ne m’ont pas per­mis d’en valid­er la date : PA 2617 — CPT 7021.
Cepen­dant, comme tout ce qu’a réal­isé Ver­du, la musique est excel­lente et vaut la peine d’être écoutée. Duarte chante unique­ment le refrain, dont il reprend la sec­onde par­tie comme final.

Sur 1947 ? — Orchestre Quintin Verdú con Agustín Duarte. Superbe, non ?
Sur 1948 — Orques­ta Luis Rafael Caru­so con Julio Sosa. La même année que Troi­lo, Julio Sosa enreg­istre Sur, dans une des rares ver­sions qui peu­vent se danser de façon agréable en tan­go.

C’est le moment de dire un petit mot sur ce chef d’orchestre, Luis Caru­so, né à Buenos Aires en 1916, mais qui à l’âge de vingt ans s’est instal­lé à Mon­te­v­ideo où il con­tin­uera sa car­rière artis­tique. C’est pour cela qu’il est un peu moins con­nu aujourd’hui, mais il lui reste le titre de gloire d’avoir enreg­istré les cinq pre­miers titres avec Julio Sosa qui était au début de sa car­rière (il venait de gag­n­er un con­cours dont un lot était d’enregistrer 5 titres avec Son­dor).
Les cinq titres étaient : Sur 1948, Una y mil noches 1948, Mas­cari­ta 1949-01-31, La últi­ma copa 1948 (Valse) et un can­dombe (nous sommes en Uruguay…) San Domin­go 1948.
À cette époque, le cuar­te­to de Caruo com­pre­nait, en plus de lui qui dirigeait et jouait le ban­donéon, Rubén Pocho Pérez au piano, Rober­to Smith à la con­tre­basse et Mirabel­lo Don­di au vio­lon.

Pour ter­min­er cette liste qui pour­rait être bien plus longue, je vous pro­pose un extrait du film fran­co-argentin Sur qui débute par cette chan­son inter­prétée par Rober­to Goyeneche qui joue le rôle d’Amado. Ce film de 1988 a été dirigé par Fer­nan­do “Pino” Solanas qui a obtenu le pre­mier pour cela au Fes­ti­val de Cannes. Il a pour sujet, la dic­tature mil­i­taire qui s’est achevée 5 ans plus tôt.
La musique qui a été enreg­istrée au stu­dio Ion de Buenos Aires est jouée par un quatuor com­posé de Nestor Mar­coni au ban­donéon, Raul Luzzi à la gui­tare, Car­los Gaivi­ron­sky au vio­lon et Hum­ber­to Ridolfi à la con­tre­basse et chan­tée par Rober­to Goyeneche. Plusieurs notice indiquent que la musique est de Piaz­zol­la, vous aurez com­pris que c’est une erreur et on voit par­faite­ment dans le film qu’il ne joue pas le ban­donéon dans cette inter­pré­ta­tion et s’il a éventuelle­ment arrangé la musique, il n’en est ni l’au­teur ni l’in­ter­prête.
Je vous pro­pose donc cet extrait du film qui sera égale­ment la fin du chapitre sur les enreg­istrements de Sur…

Au début du film Sur, on voit les musi­ciens arriv­er et s’installer, puis arrive Goyeneche.
Les musi­ciens sont : Nestor Mar­coni au ban­donéon, Raul Luzzi à la gui­tare, Car­los Gaivi­ron­sky au vio­lon et Hum­ber­to Ridolfi à la con­tre­basse.
Le café Sur qui accueille le quatuor au début du film existe tou­jours. C’est l’Al­ma­cen Sur, à l’an­gle de Juan Dar­quier y Vil­lar­i­no, juste en face de la sta­tion Hipól­i­to Yrigoyen de la ligne fer­rovi­aire Roca.

Autres titres enregistrés un 23 février

Il y avait beau­coup de per­les à piocher pour le 23 févri­er. En voici quelques-unes qui pour­ront faire l’objet d’articles dans les années à venir…

El rebelde 1932-02-23 — Osval­do Frese­do C Rober­to Ray. On a évo­qué cet orchestre hier avec le mer­veilleux Sol­lo­zos. Ce titre de 5 ans exacte­ment antérieur n’a pas la même matu­rité.
De todo te olvi­das (Cabeza de novia) 1948-02-23 — Ani­bal Troi­lo C Flo­re­al Ruiz. Le même jour, Troi­lo a aus­si enreg­istré avec un autre chanteur, Flo­re­al Ruiz. Ce titre est entré dans le lan­gage com­mun, cabeza de novia), pour par­ler d’étourderies, d’oublis.
El jagüel 1956-02-23 — Orques­ta Car­los Di Sar­li. Comme DJ, j’aurais sans doute dû choisir ce titre ou Rodriguez Peña (prési­dent argentin), qui sont deux titres éminem­ment dans­ables par le seigneur du tan­go, Car­los Di Sar­li. Ce sera pour une prochaine année 😉
Rodriguez Peña 1956-02-23 — Orques­ta Car­los Di Sar­li. Enreg­istré le même jour que El Jagüel, un best of du tan­go dan­sé.
Home­ro Manzi dans Pom­peya, entre le sou­venir lumineux de l’enfance et la dés­espéra­tion de l’avenir. Inspiré du style de Ben­i­to Quin­quela Martín, le voisin de la Boca. Manzi sem­ble marcher dans l’eau, sou­venir des inon­da­tions qui l’ont accueil­li à son arrivée à Buenos Aires en 1912.