Hier, je vous ai proposé un titre « popurrí ». C’est-à-dire qu’il était constitué par l’assemblage de plusieurs tangos. Cet exercice est pratiqué par différents orchestres. Troilo en a fait plusieurs. Notre pot-pourri du jour s’appelle Selección de tangos de Julio de Caro, il est constitué de sept compositions de… Julio de Caro, bravo, vous avez deviné.
Extrait musical
Selección de tangos de Julio de Caro 1949-07-22 – Orquesta Aníbal Troilo.
Avez-vous reconnu tous les thèmes présentés ?
Voici les titres sur des partitions qui sont bien sûr toutes des compositions de Julio de Caro. Elles datent des années 20 du vingtième siècle.
Selección de tangos de Julio de Caro. Les couvertures des partitions des compositions de De Caro utilisé dans cette sélection.
Les pièces du puzzle
Voici toutes les pièces, dans l’ordre. Le tango du jour a été enregistré en 1949. Anibal Troilo avait donc comme modèles, les versions antérieures, mais n’oublions pas que ce n’est pas parce qu’il n’y a pas d’enregistrement que les orchestres ne jouaient pas leurs titres. Troilo peut très bien avoir entendu jouer Julio de Caro au moment où il assemblait le pot-pourri. Il avait donc des références qui ne nous sont plus accessibles.
Buen Amigo
Buen amigo 1925-05-12 – Orquesta Julio De CaroBuen amigo 1930-02-26 – Orquesta Julio De CaroBuen amigo 1942-09-16 – Orquesta Julio De Caro con Agustín VolpeBuen amigo 1950-12-18 – Orquesta Julio De Caro con Orlando Verri
Mala pinta
Mala pinta (Mala estampa) 1928-08-27 – Orquesta Julio De CaroMala pinta (Mala estampa) 1951-11-16 – Orquesta Julio De Caro
Guarda vieja
Guardia vieja 1926-10-06 – Orquesta Julio De CaroGuardia vieja 1943-09-07 – Orquesta Julio De CaroGuardia vieja 1949-11-18 – Orquesta Julio De Caro
Boedo
Boedo 1928-11-16 – Orquesta Julio De CaroBoedo 1939-07-07 – Orquesta Julio De Caro con palabras de Héctor FarrelBoedo 1950-08-09 – Orquesta Julio De CaroBoedo 1952-09-17 – Orquesta Julio De Caro. J’aime beaucoup le début, mais par la suite, je trouve que ça fait un peu fouillis. Ce n’est pas pour la danse, alors je vous laisse au plaisir d’écouter ou d’écourter.
Tierra querida
Tierra querida 1927-09-12 – Orquesta Julio De CaroTierra querida 1936-12-15 – Quinteto Los Virtuosos
Francisco De Caro (piano), Pedro Maffia et Ciriaco Ortiz (bandonéon), Julio De Caro (violon à cornet), Elvino Vardaro (violon). Si Elvino Varado mérite l’épithète de virtuose, c’est un peu moins le cas pour Julio de Caro et son violon particulier (avec un cornet).
Tierra querida 1952-11-27 – Orquesta Julio De Caro
El monito 1925-07-23 — Orquesta Julio De Caro. On notera les parties sifflées.El monito 1928-07-19 — Julio De Caro y su Orquesta Típica.El monito 1939-05-23 — Orquesta Julio De Caro. Une version énergique.
On retrouve les sifflements et apparaît un dialogue « Raahhhh, Monito / Si / Quieres Café? / No / Por qué? ». C’est sans doute un souvenir du tango humoristique. On imagine que les clients devaient s’amuser lorsque l’orchestre évoquait le titre. Peut-être que l’idée vient d’un client imitant le singe et que cette scénette improvisée au départ s’est invitée dans la prestation de l’orchestre.
El monito 1949-09-29 — Orquesta Julio De Caro. Une dizaine d’années plus tard, De Caro nous offre une nouvelle version superbe. Les similitudes avec Pugliese sont encore plus marquées, notamment avec le tempo nettement plus lent et proche de celui de Pugliese. On retrouve toutefois le dialogue de la version de 1939, dans une version un plus large. “Ah, ah ah, Monito / Si / Quieres Café? / No / Por qué? / Quiero caramelo” (je veux un bonbon). Avec ces dialogues imitant la « voix » d’un singe, De Caro s’éloigne des paroles de Juan Carlos Marambio Catán en renouant avec le côté tango humoristique. Mais tous les orchestres se sont éloignés des paroles, du moins pour l’enregistrement, car toutes les versions disponibles aujourd’hui sont instrumentales (si on excepte Roberto Díaz). Ce qui est sûr est que cette version convient parfaitement à la danse, ce qui fait mentir ceux qui classe De Caro dans le définitivement indansable.
Mala junta
Mala junta 1927-09-13 – Orquesta Julio De CaroMala junta 1938-11-16 – Orquesta Julio De CaroMala junta 1949-10-10 – Orquesta Julio De Caro
Assembler le puzzle
Il y a des pots-pourris beaucoup plus simples à repérer que celui-ci. Troilo a fait œuvre de création avec des ponts (transition entre les différentes pièces du puzzle) relativement élaborés et en sélectionnant des parties pas forcément principales des œuvres citées. Vous devriez arriver à résoudre le puzzle en vérifiant les versions des titres que vous connaissez moins bien (De Caro ne passe quasiment jamais en milonga, mais ses compositions, si). Indice, parfois, c’est la partie chantée qui est utilisée. Parfois, c’est une version plus ancienne qu’il faut prendre comme référence et dans quelques cas, une version postérieure, ce qui confirme que Troilo connaissait l’état des interprétations de De Caro à l’époque, même si elles n’ont pas été enregistrées. Il se peut aussi que De Caro ait copié en reprenant les idées de Troilo. C’est le principe de l’émulation entre deux grands musiciens qui se respectaient. On peut le vérifier en constatant que Troilo a réalisé ces hommages à De Caro (les sélections) et que De Caro a composé « Aníbal Troilo » qu’il a d’ailleurs été le seul à enregistrer.
Aníbal Troilo 1949-09-29 – Orquesta Julio De Caro.
Autres versions
Anibal Troilo a réalisé plusieurs popurri (Selección). Une seule utilise les mêmes titres, la version de 1966. Vous allez pouvoir comparer les deux versions.
Selección de tangos de Julio de Caro 1949-07-22 – Orquesta Aníbal Troilo. C’est notre tango, ou notre paquet de tangos du jour.Selección de Julio de Caro 1966-12-06 – Orquesta Aníbal Troilo.
Juan Viladomat Masanas Letra: Félix Garzo (Antonio José Gaya Gardus)
On sait maintenant que fumer n’est pas bon pour la santé, mais dans la mythologie du tango, la cigarette, cigarillo, pucho, faso et sa fumée ont inspiré les créateurs quand eux-mêmes inspiraient les volutes de fumée. Notre tango du jour est à la gloire de la fumée, au point qu’il est devenu objet de propagande publicitaire. Mais nous verrons que le tango a aussi servi à lutter contre le tabac qui t’abat. Je pense que vous découvrirez quelques scoops dans cette anecdote fumante.
Extrait musical
Fumando espero 1927-07-21 — Orquesta Típica Victor — Dir. Adolfo Carabelli.
Cette très belle version souffre bien sûr de son ancienneté et du style de l’époque, mais les contrepoints sont superbes et la rythmique lourde est compensée par de jolis traits. J’aime beaucoup les passages legato des violons.
Maintenant que vous l’avez écouté, nous allons entrer dans le vif d’un sujet un peu fumeux, tout d’abord avec des couvertures de partitions.
Fumando espero. Diverses partitions.
On notera que trois des partitions annoncent la création, mais par des artistes différents… Création de Ramoncita Rovira (Partition éditée par Ildefonso Alier) à Madrid en 1925. Création de Pilar Berti pour la publication de Barcelone, DO-RE-MI qui publiait chaque semaine une partition. Mais c’est une autre Pilar (Arcos) qui l’enregistrera à diverses reprises. Tania Mexican, créatrice de ce magnifique tango, annonce cette partition. Tania aurait été la première à le chanter à Buenos Aires. Ce n’est pas impossible dans la mesure où cette Espagnole de Tolède est arrivée en Argentine en 1924. Elle fut la compagne de Enrique Santos Discépolo. Si on peut voir la mention « « « Mexican » à côté de son nom, c’est qu’elle est arrivée à Buenos Aires avec le Conjunto The Mexicans…
Après les éditions espagnoles, voici celles d’Amérique latine, plus tardives, elles ont suivi le trajet de la musique. Felix Carso au lieu de Carzo pour l’édition brésilienne de 1927. L’éditeur, Carlos Wehrs vendait aussi des pianos. Tango de Veladomato (au lieu de Veladomat (non catalan) pour l’édition chilienne. Ces cinq partitions sont de la première vague (années 20-30)
La partition éditée par las Ediciones Internacionales Fermata avec la photo de Héctor Varela en couverture date des années 50. Probablement de 1955, date de l’enregistrement par Varela de ce titre.
Paroles
Fumar es un placer genial, sensual. Fumando espero al hombre a quien yo quiero, tras los cristales de alegres ventanales. Mientras fumo, mi vida no consumo porque flotando el humo me suelo adormecer… Tendida en la chaise longue soñar y amar… Ver a mi amante solícito y galante, sentir sus labios besar con besos sabios, y el devaneo sentir con más deseos cuando sus ojos veo, sedientos de pasión. Por eso estando mi bien es mi fumar un edén.
Dame el humo de tu boca. Anda, que así me vuelvo loca. Corre que quiero enloquecer de placer, sintiendo ese calor del humo embriagador que acaba por prender la llama ardiente del amor.
Mi egipcio es especial, qué olor, señor. Tras la batalla en que el amor estalla, un cigarrillo es siempre un descansillo y aunque parece que el cuerpo languidece, tras el cigarro crece su fuerza, su vigor. La hora de inquietud con él, no es cruel, sus espirales son sueños celestiales, y forman nubes que así a la gloria suben y envuelta en ella, su chispa es una estrella que luce, clara y bella con rápido fulgor. Por eso estando mi bien es mi fumar un edén.
Fumer est un plaisir génial, sensuel. En fumant, j’attends l’homme que j’aime, derrière les vitres de fenêtres gaies. Pendant que je fume, ma vie, je ne la consomme pas parce que la fumée qui flotte me rend généralement somnolente… Allongée sur la chaise longue, rêver et aimer… (On notera que la chaise longue est indiquée en français dans le texte). Voir mon amant plein de sollicitude et galant, de sentir ses lèvres embrasser de baisers sages, et d’éprouver plus de désir quand je vois ses yeux assoiffés de passion. C’est pourquoi mon bien est de fumer une Edén (marque de cigarettes, voir ci-dessous les détails). Donne-moi la fumée de ta bouche. Allez, qu’ainsi je devienne folle. Cours, que j’ai envie de devenir folle de plaisir, en sentant cette chaleur de la fumée enivrante qui finit par allumer la flamme brûlante de l’amour. Mon égyptien (tabac égyptien) est spécial, quelle odeur, monsieur. Après la bataille dans laquelle l’amour explose, une cigarette est toujours un repos et bien qu’il semble que le corps languisse, après le cigare (en lunfardo, el cigarro est le membre viril…), sa force, sa vigueur, grandissent. L’heure de l’agitation avec lui n’est pas cruelle, ses spirales sont des rêves célestes, et forment des nuages qui s’élèvent ainsi vers la gloire et enveloppés d’elle, son étincelle est une étoile qui brille, claire et belle d’un éblouissement rapide. C’est pourquoi mon bien est de fumer une Edén.
La cigarette et le tango
Ce tango serait une bonne occasion pour parler du thème de la cigarette et du tango. Étant non-fumeur, je béni la loi 1799 (Buenos Aires) qui fait que depuis octobre 2006, il est interdit de fumer dans les lieux publics. Cela a largement amélioré la qualité de l’air dans les milongas. La loi 3718 (décembre 2010) renforce encore ces interdictions et donc depuis 5 janvier 2012, il est totalement interdit de fumer dans les lieux publics et les espaces fumeurs intérieurs sont interdits. Cependant, imaginez l’atmosphère au cours du vingtième siècle, époque où le tabac faisait des ravages. Le tango du jour peut être considéré comme une publicité pour le tabac et même une publicité pour le tabac égyptien d’une part et la marque Edén qui était une marque relativement luxueuse.
Avec Edén, allez plus vite au paradis
Dans ce tango, sont cités deux types de tabac, l’égyptien et les cigarettes à base de tabac de la Havane. Je pourrais rajouter le cigare de la Havane, mais je pense que la référence au cigare est plus coquine que relative à la fumée… Les cigarettes Edén étaient commercialisées en deux variétés, la n° 1, fabriqué avec du tabac de la Havane, coûtait 30 cents et la n° 2, avec un mélange de tabac de la Havane et de Bahia, 20 cents le paquet.
À gauche, paquet de tabac égyptien. À droite, publicité pour les cigarettes Edén (1899). Clodimiro Urtubey est le créateur de la marque
Les tangos faisant la propagande du tabac
On peut bien sûr inclure notre tango du jour (Fumando espero (1922), puisqu’il cite des marques et l’acte de fumer. Cependant, rien ne prouve que ce soient des publicités, même déguisées. La référence au tabac égyptien peut être une simple évocation du luxe, tout comme la marque Edén qui en outre rime avec bien. Par ailleurs, l’auteur de la musique, Juan Viladomat semble être un adepte des drogues dans la mesure où il a également écrit un tango qui se nomme La cocaína avec des paroles de Gerardo Alcázar.
Partition de La cocaina de Juan Viladomat avec des paroles de Gerardo Alcázar.La cocaína 1926 – Ramoncita Rovira.
La cocaína 1926 – Ramoncita Rovira. Cette pièce faisait partie du Guignol lyrique en un acte « El tango de la cocaína » composé par Juan Viladomat avec un livret de Amichatis et Gerardo Alcázar.
J’imagine donc qu’il a choisi le thème sans besoin d’avoir une motivation financière… D’autres tangos sont dans le même cas, comme : Larga el pucho (1914), Sobre el pucho (1922), Fume Compadre (ou Nubes de humo, 1923), Como el humo (1928), Cigarillo (1930), Pucho 1932, Tabaco (1944), Sombra de humo (1951), Un cigarillo y yo (1966) et bien d’autres qui parlent à un moment ou un autre, de fumée, de cigarette (cigarillo/pucho/faso) ou de tabac.
Cigarrillo 1930-07-17 – Orquesta Francisco Canaro con Luis Díaz (Adolfo Rafael Avilés Letra: Ernesto E. de la Fuente).
Attention, ne pas confondre avec le tango du même nom qui milite contre le tabac et que je présente ci-dessous… Sur le fait que Canaro n’a pas fait cela pour de l’argent, j’ai tout de même un petit doute, il avait le sens du commerce…
En revanche, d’autres tangos ont été commandités par des marques de cigarettes. Parmi ceux-ci, citons :
América (qui est une marque de cigarettes) Fumando Sudan, espero (Sudan est une marque de cigarette et Pilar Arcos a enregistré cette version publicitaire en 1928).
Paquet en distribution gratuite et vignettes de collection (1920) des cigarettes Soudan, une marque brésilienne créée par Sabbado D’Angelo en 1913.Fumando Sudan espero 1928-06-15 – Pilar Arcos Acc. Orquesta Tipica Dir. Louis Katzman.
Le nom des cigarettes ne vient pas du pays, le Soudan, mais de l’utilisation des premières lettres du nom du fondateur de la marque, S de Sabado, Um(N) de Umberto et DAN de D’Angelo… Quoi qu’il en soit, cette marque ne reculait devant aucun moyen marketing, distribution gratuite, images de collection, version chantée… Cela me fait penser à cette publicité argentine pour la première cigarette…
Publicité argentine pour la première cigarette mettant en scène un enfant… La cigarette est au premier plan à gauche. On imagine la suite.
Sello azul (qui est une marque de cigarettes).
Sello Azul de Sciammarella et Rubistein, et à droite, un paquet de ces cigarettes…
Aprovechá la bolada, Fumá Caranchos dont je vous propose ici les paroles qui sont un petit chef-d’œuvre de marketing de bas étage :
Couverture de la partition de Aprovechá la bolada – Fumá Caranchos de Francisco Bohigas
Paroles de Aprovechá la bolada, Fumá Caranchos
Che Panchito, no seas longhi, calmá un poco tu arrebato que el que tiene una papusa cual la novia que tenés, no es de ley que se suicide por el hecho de andar pato; a la suerte hay que afrontarla con bravura y altivez. Donde hay vida hay esperanza, no pifiés como un incauto. Y a tu piba no le arruines su palacio de ilusión vos querés dártela seca porque sueña con un auto, una casa y otras yerbas; yo te doy la solución. Refrán: Fumá Caranchos no seas chancleta, que en cada etiqueta se encuentra un cupón. Seguí mi consejo, prendete, che Pancho que está en Los Caranchos tu gran salvación. Fumá Caranchos, que al fin del jaleo en el gran sorteo te vas a ligar una casa posta, un buick de paseo y el sueño de tu piba se va a realizar. Ya se me hace, che Panchito, que te veo muy triunfante, dando dique a todo el mundo con un buick deslumbrador, por Florida, por Corrientes, con tu novia en el volante propietario de una casa que será nido de amor. Sin embargo, caro mio, si no entrás en la fumada, serás siempre un pobre loco que de seco no saldrá. Vos buscate tu acomodo, aprovechá la bolada, fumá Caranchos querido, que tu suerte cambiará. Fumá Caranchos, no seas chancleta que en cada etiqueta se encuentra el cupón.
Francisco Bohigas
Traduction libre de Aprovechá la bolada, Fumá Caranchos (Saute sur ta chance, fume Caranchos)
Che Panchito, ne sois pas un manche, calme un peu ton emportement, car celui qui a une poupée comme la petite amie que tu as, il n’est pas juste pour lui de se suicider, car il a fait le canard (« cada paso una cagada », le canard a la réputation de faire une crotte à chaque pas, une gaffe à chaque pas) ; la chance doit être affrontée avec bravoure et arrogance. Là où il y a de la vie, il y a de l’espoir, ne faites pas de gaffes comme un imprudent. Et ne ruine pas le palais d’illusion de ta poupée, tu te vois fauché parce qu’elle rêve d’une voiture, d’une maison et d’autres trucs ; Je vais te donner la solution. Fume Caranchos ne sois pas une mauviette, car sur chaque étiquette, se trouve un coupon. Suis mon conseil, allume, che Pancho, ton grand salut est dans les Caranchos. Fume des Caranchos, parce qu’à la fin du tirage de la grande tombola, tu vas recevoir une maison excellente, une Buick pour la balade et le rêve de ta chérie va se réaliser. Il me semble, che Panchito, que je te vois très triomphant, te pavanant devant tout le monde avec une Buick éblouissante, dans Florida, dans Corrientes, avec ta copine au volant et propriétaire d’une maison qui sera un nid d’amour. Cependant, mon cher, si tu ne te lances pas dans la fumée, tu seras toujours un pauvre fou qui ne sortira pas de la dèche. Tu trouveras ton logement, profite de la chance, fume, mon cher, Caranchos, ta chance va tourner. Fume des Caranchos, ne sois pas une mauviette, car sur chaque étiquette se trouve le coupon. On notera qu’il a fait un tango du même type Tirate un lance (tente ta chance), qui faisait la propagande d’un tirage au sort d’un vin produit par les caves Giol7. Ne pas confondre avec le tango du même titre écrit par Héctor Marcó et chanté notamment par Edmundo Rivero.
Le tango contre le tabac
Même si l’immense des tangos fait l’apologie de la cigarette, certains dénoncent ses méfaits en voici un exemple :
Paroles de Cigarrillo de Pipo Cipolatti (musique et paroles)
Tanto daño, tanto daño provocaste a toda la humanidad. Tantas vidas, tantas vidas de muchacho te fumaste… yo no sé. Apagando mi amargura en la borra del café hoy te canto, cigarrillo, mi verdad…
Cigarrillo… compañero de esas noches, de mujeres y champagne. Muerte lenta… cada faso de tabaco es un año que se va… Che, purrete, escuchá lo que te digo, no hagas caso a los demás. El tabaco es traicionero te destruye el cuerpo entero y te agrega más edad… El tabaco es traicionero, te destruye el cuerpo entero… ¡y qué! y esa tos te va a matar…
¡Ay, que lindo !… Ay, que lindo que la gente comprendiera de una vez lo difícil, lo difícil que se hace, hoy en día, el respirar. Es el humo del cilindro maquiavélico y rufián que destruye tu tejido pulmonar
Pipo Cipolatti
Traduction libre des paroles de Cigarrillo
Tant de dégâts, tant de dégâts tu as causé à toute l’humanité. Tant de vies, tant de vies d’enfants tu as fumé… Je ne sais pas. Éteignant mon amertume dans le marc de café, aujourd’hui je te chante, cigarette, ma vérité… Cigarette… Compagne de ces nuits, des femmes et de champagne. Mort lente… Chaque cigarette (faso, cigarette en lunfardo) est une année qui s’en va… Che, gamin, écoute ce que je te dis, ne fais pas attention aux autres. Le tabac est traître, il détruit le corps en entier et t’ajoute plus d’âge… Le tabac est traître, il détruit le corps entièrement… et puis ! Et cette toux va te tuer… Oh, comme ce serait bien !… Oh, comme ce serait bien que les gens comprennent une fois pour toutes combien le difficile, combien il est difficile de respirer aujourd’hui. C’est la fumée du cylindre machiavélique et voyou qui détruit ton tissu pulmonaire
Si on rajoute un autre de ses tangos Piso de soltero qui parle des relations d’un homme avec d’autres hommes et des femmes et des alcools, vous aurez un panorama des vices qu’il dénonce.
Autres versions
Il y a des dizaines de versions, alors je vais essayer d’être bref et de n’apporter au dossier que des versions intéressantes, ou qui apportent un autre éclairage. Ce que l’on sait peu, est que ce tango est espagnol, voire catalan et pas argentin… Juan Viladomat est de Barcelone et Félix Garzo de Santa Coloma de Gramenet (sur la rive opposée du río Besós de Barcelone). Le tango (en fait un cuplé, c’est-à-dire une chanson courte et légère destinée au théâtre) a été écrit pour la revue La nueva España, lancée en 1923 au teatro Victoria de Barcelona. La première chanteuse du titre en a été Ramoncita Rovira née à Fuliola (Catalogne). Je rappelle que Ramoncita a aussi lancé le tango La cocaína que l’on a écouté ci-dessus. Ramoncita, l’aurait enregistré en 1924, mais je n’ai pas ce disque. D’autres chanteuses espagnoles prendront la relève comme Pilar Arcos, puis Sara Montiel et ensuite Mary Santpere bien plus tard.
Fumando-Espero 1926-08 – Orquesta Del Maestro Lacalle.
Ce disque Columbia No.2461-X tiré de la matrice 95227 a été enregistré en août 1926 à New York où le Maestro Lacalle (la rue), d’origine espagnole, a fini sa vie (11 ans plus tard). C’est une version instrumentale, un peu répétitive. L’avantage d’avoir enregistré à New-York est d’avoir bénéficié d’une meilleure qualité sonore, grâce à l’enregistrement électrique. Le même jour, il a enregistré Langosta de Juan de Dios Filiberto, mais il en a fait une marche joyeuse qui a peu à voir avec le tango original.
Disque enregistré à New York en 1926 par El Maestro Lacalle de Fumando Espero et Langosta.
On est donc en présence d’un tango 100 % espagnol et même 100 % catalan, qui est arrivé à New York en 1926, mais ce n’est que le début des surprises.
Fumando Espero 1926-10-18 – Margarita Cueto acc. Orquesta Internacional – Dir.Eduardo Vigil Y Robles. Un autre enregistrement new-yorkais et ce ne sera pas le dernier…
Fumando espero 1926-10-29 — Orquesta Internacional – Dir. Eduardo Vigil Y Robles. Quelques jours après l’enregistrement avec Margarita Cueto, une version instrumentale.
On quitte New York pour Buenos Aires…
Fumando espero 1927-07-11 – Rosita Quiroga con orquesta.
Rosita Quiroga, la Édith Piaf de Buenos Aires, à la diction et aux manières très faubouriennes était sans doute dans son élément pour parler de la cigarette. On est toutefois loin de la version raffinée qui était celle du cuplé espagnol d’origine.
Fumando espero 1927-07-21 — Orquesta Típica Victor — Dir. Adolfo Carabelli.
C’est notre superbe version instrumentale du jour, magistralement exécutée par l’orchestre de la Victor sous la baguette de Carabelli.
Fumando espero 1927 – Sexteto Francisco Pracánico.
Une autre version instrumentale argentine. Le titre a donc été adopté à Buenos Aires, comme en témoigne la succession des versions.
Fumando espero 1927-08-20 – Orquesta Francisco Lomuto.
Une version un peu frustre à mon goût.
Fumando espero 1927-08-23 – Orquesta Roberto Firpo.
Firpo nous propose une superbe introduction et une orchestration très élaborée, assez rare pour l’époque. Même si c’est destiné à un tango un peu lourd, canyengue, cette version devrait plaire aux danseurs qui peuvent sortir du strict âge d’or.
Fumando espero 1927-09-30 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Fugazot.
Canaro ne pouvait pas rester en dehors du mouvement, d’autant plus qu’il enregistrera Cigarrillo avec Luis Díaz en 1930 (comme nous l’avons vu et écouté ci-dessus).
Fumando espero 1927-11-08 – Orquesta Osvaldo Fresedo.Fumando espero 1927-11-17 – Ignacio Corsini con guitarras de Aguilar-Pesoa-Maciel.
Une belle interprétation par ce chanteur qui aurait mérité, à mon avis, une gloire égale à celle de Gardel.
Fumando espero 1927 – Pilar Arcos Acc. The Castilians.Fumando Sudan espero 1928-06-15 – Pilar Arcos Acc. Orquesta Tipica Dir. Louis Katzman.
C’est la version publicitaire que nous avons évoquée dans le chapitre sur tabac et tango.
La source semble s’être tarie et l’on ne trouve plus de versions de Fumando espero intéressante avant les années 1950.
Fumando espero 1955-05-20 — Enrique Mora — Elsa Moreno.Fumando espero 1955-06-01 – Orquesta Héctor Varela con Argentino Ledesma.
Oui, je sais, cette version, vous la connaissez et elle a certainement aidé au renouveau du titre. C’est superbe et bien que ce type d’interprétation marque la fin du tango de danse, 97,38 % (environ), des danseurs se ruent sur la piste aux premières notes.
Fumando espero 1955-12-01 – Orquesta Donato Racciatti con Olga Delgrossi.
L’Uruguay se toque aussi pour la reprise de Fumando espero. Après Donato Racciatti et Olga Delgrossi, Nina Miranda.
Fumando espero 1956 – Orquesta Graciano Gómez con Nina Miranda.
Nina Miranda a été engagée en 1955 par Odeón. C’est Graciano Gómez qui a été chargé de l’accompagner. C’est une collaboration entre les deux rives du Rio de la Plata.
Fumando espero 1956 – Jorge Vidal con guitarras.
Une version tranquille, à la guitare.
Fumando espero 1956-02-03 – Orquesta Carlos Di Sarli con Argentino Ledesma.
Après la version à 97,38 % avec Varela, Argentino Ledesma, avec Di Sarli réalise la version pour 100 % des danseurs. Ledesma venait de quitter l’orchestre de Varela pour intégrer celui de Di Sarli. Il devient le spécialiste du titre… Ce fut un immense succès commercial au point que la Víctor décala sa fermeture pour vacances pour rééditer d’autres disques en urgence. L’enregistrement avec Varela n’avait pas obtenu le même accueil, c’est donc plutôt 1956 qui marque le renouveau explosif du titre.
Fumando espero 1956-04-03 – Orquesta Alfredo De Angelis con Carlos Dante.
J’aurais plus imaginé Larroca pour ce titre. De Angelis a choisi Dante. C’est toutefois joli, mais je trouve qu’il manque un petit quelque chose…
Popurri 1956-04-20 Fumando espero, Historia de un amor y Bailemos – José Basso C Floreal Ruiz.
Il s’agit d’un popurrí, c’est à dire du mélange dans un seul tango de plusieurs titres. Comme ce pot-pourri commence par Fumando espero, j’ai choisi de l’insérer pour que vous puissiez profiter de la superbe voix de Floreal Ruiz. À 58 secondes commence Historia de un amor et à deux minutes, vous avez pour le même prix un troisième titre, Bailemos. Les transitions sont réussies et l’ensemble est cohérent. On pourrait presque proposer cela pour la danse (avec précaution et pour un moment spécial).
Fumando espero 1956-04-26 – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Florio.
On peut se demander pourquoi Di Sarli enregistre une nouvelle version, moins de trois mois après celle de Ledesma. L’introduction est différente et l’orchestration présente quelques variantes. La plus grosse différence est la voix du chanteur. Si on décide de faire une tanda avec Florio, cet enregistrement me semble un excellent élément. Je pense que la principale raison est que Ledesma n’a enregistré que trois tangos avec Di Sarli et que donc c’est trop peu, ne serait que pour nous, DJ, pour avoir un peu de choix. Si je veux passer la version avec Ledesma, je suis obligé de faire une tanda mixte, autre chanteur et/ou titre instrumental pour obtenir les quatre titres de rigueur. Puis, entre nous, ce n’est pas indispensable d’inclure une de ces versions dans une milonga… Il y a peut-être aussi un peu de colère de la part de Di Sarli. En effet, si l’enregistrement de Ledesma avec Varela n’avait pas bien fonctionné, à la suite du succès de la version avec Di Sarli, la Columbia (la maison de disques de Varela) décide de relancer l’enregistrement de 1955. Ce fut alors un immense succès qui a décidé la Columbia a réintégrer Ledesma dans l’orchestre de Varela. Voyant que son nouveau poulain, partait en fumée, Di Sarli (ou la Víctor) a donc décidé de graver d’urgence une autre version avec un nouveau chanteur afin de ne pas laisser au catalogue un titre avec un chanteur passé à la concurrence…
Fumando espero 1956 – Los Señores Del Tango C Mario Pomar.
Un bon orchestre avec la belle voix de Mario Pomar. Agréable à écouter.
Fumando espero 1956 — Libertad Lamarque Orquesta – Dir.Victor-Buchino.
Fumando espero 1956 — Libertad Lamarque Orquesta – Dir.Victor-Buchino. L’accompagnement discret de Victor Buchino et la prestation souvent a capella de Libertad Lamarque permet de bien saisir le grain de voix magnifique de Libertad.
Fumando espero 1957 – Chola Luna y Orquesta Luis Caruso.Fumando espero 1957 – Imperio Argentina.
Si ImperioArgentina est née en Argentine, elle a fait une grande partie de sa carrière en Europe, en Espagne (où elle est arrivée, adolescente) et bien sûr en France, mais aussi en Allemagne. Elle nous permet de faire la liaison avec l’Espagne ou nous revenons pour terminer cette anecdote.
C’est le film, El Último Cuplé qui va nous permettre de fermer la boucle. Le thème redevient un cuplé et même si le théâtre a été remplacé par le cinéma, nous achèverons notre parcours avec cette scène du film ou Sara Montiel chante le cuplé.
Sara Montiel chante Fumando espero dans le film El Último Cuplé de 1957. Metteur en scène : Juan de Orduña
Vous aurez reconnu l’illustration de couverture. J’ai modifié l’ambiance pour la rendre plus noire et ajouté de la fumée, beaucoup de fumée…
À demain, les amis, et à ceux qui sont fumeurs, suivez les conseils de Pipo Cipolatti que je vous conserve longtemps. Je rédige cette anecdote le 20 juillet, Dia del amigo (jour de l’ami).
Ángel Gregorio Villoldo Letra : Carlos Pesce ; A. Timarni (Antonio Polito)
Au début des années 2000, dans une milonga en France où j’étais danseur, l’organisateur est venu me dire qu’il ne fallait pas frapper du pied, que ça ne se faisait pas en tango. Il ne savait sans doute pas qu’il reproduisait l’interdiction de Anselmo Tarana, un siècle plus tôt. Je vais donc vous raconter l’histoire frappante de El esquinazo.
Extrait musical
El esquinazo – Ángel Gregorio Villoldo Letra : Carlos Pesce ; A. Timarni (Antonio Polito). Partition pour piano et deux couvertures, dont une avec Canaro.El esquinazo 1951-07-20 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro con refrán por Francisco Canaro.
Vous aurez remarqué, dès le début, l’incitation à frapper du pied. On retrouve cette invitation sur les partitions par la mention golpes (coups).
El esquinazo – Ángel Gregorio Villoldo Letra: Carlos Pesce ; A. Timarni (Antonio Polito). Partition pour guitare (1939).
El Esquinazo, un succès à tout rompre (partie 1) anatomie du pousse-au-crime
Dès le début de la partition, on voit inscrit « Golpes » (coups).
La zone en rouge, ici au début de la partition, est la montée chromatique en triolets de double-croche et en double-croche. C’est donc un passage vif, d’autant plus que l’on remarque des appoggiatures brèves.Ce sont ces petites notes barrées qui indiquent que l’on doit (peut) jouer une note supplémentaire, une fraction de temps avant, voire en même temps que la note qu’elle complète. Ces appoggiatures augmentent donc le nombre de notes et par conséquent l’impression de vitesse. Après cette montée rapide, on s’attend à une suite, mais Villoldo nous offre une surprise, un silence (la zone verte), marqué ici par un quart de soupir pour la ligne mélodique supérieure et un demi-soupir suivi d’un soupir pour l’accompagnement. La zone bleue comporte des signes de percussion et le texte indique Golpes en el puente (coup dans le pont). Rassurez-vous, il ne s’agit pas d’un pont au sens commun, mais de la transition entre deux parties d’une musique. Ici, il est donc constitué seulement de coups, coups que faisaient les musiciens avec les talons et que bientôt le public imita de diverses manières.
Mariano Mores copiera cette structure pour son célèbre « Taquito militar ». Voici la version enregistrée en 1997 par Mariano Mores de Taquito militar. Cette version commence par le fameux motif suivi de coups.
Taquito militar 1997 – Mariano Mores.
Cette version à l’orgue Hammond est un peu particulière, mais vous pourrez entendre toutes les versions classiques dans l’article dédié à Taquito militar.
El Esquinazo, un succès à tout rompre (partie 2) les paroles
Ángel Villoldo a composé ce tango avec des paroles. Même si Villoldo était lui-même chanteur, c’est à Pepita Avellaneda (Josefa Calatti) que revint l’honneur de les inaugurer. Malheureusement, ces paroles originales semblent perdues, tout comme celles de El entrerriano qu’il avait « écrites » pour la même Pepita. J’émets l’hypothèse que les célèbres coups donnés au plancher au départ par les musiciens devaient avoir une explication dans les paroles. El esquinazo, c’est prendre la tangente dans une relation amoureuse, s’enfuir, ne plus répondre aux tendresses, prendre ses distances, poser un lapin (ne pas venir à un rendez-vous). On peut donc supposer que les premières paroles devaient exprimer d’une façon imagée cette fuite, ou la façon dont elle était ressentie par le partenaire. J’ai indiqué « écrites » au sujet des paroles, mais à l’époque, les paroles et même la musique n’étaient pas toujours écrites. Elles sont donc probablement restées orales et retrouver un témoin de l’époque est désormais impossible. Cependant, notre tango du jour nous apporte un éclairage intéressant sur l’histoire, grâce aux quelques mots que lâche Canaro après les séries de coups. En effet, dans sa version, il est plutôt question de quelqu’un qui frappe à la porte pour ne pas dormir dehors sous la pluie… Je serai assez tenté d’y voir un reflet des paroles originales qui justifieraient bien plus les coups que les paroles de Pesce et Timarni. Le désamour (esquinazo) pourrait expliquer qu’une porte reste fermée, l’occupant restant sourd aux supplications de lui (dans le Canaro) ou d’elle (dans le cas de Pepita Avellaneda).
Paroles dites par Canaro dans sa version de 1951
Les paroles prononcées par Francisco Canaro dans sa version de 1951
Canaro intervient quatre fois durant le thème pour donner des phrases, un peu énigmatiques, mais que j’aime à imaginer, tirées ou inspirées des paroles originales de Villoldo.
Frappe, qu’ils viennent t’ouvrir.
Suis là, puisque tu l’as
Ils fêtent l’esquinazo
Ouvre que je suis en train de me mouiller. Ne me fais pas dormir dehors
Ces paroles de Canaro, sont-elles inspirées directement de celles de Villoldo ? En l’absence des paroles originales, on ne le saura pas, alors, passons aux paroles postérieures, qui n’ont sans doute pas la « saveur » de celles de la première version.
Paroles
Nada me importa de tu amor, golpeá nomás… el corazón me dijo, que tu amor (cariño) fue una falsía, aunque juraste y juraste que eras mía. No llames más, no insistas más, yo te daré… el libro del recuerdo, para que guardes las flores del olvido porque vos lo has querido el esquinazo yo te doy.
Fue por tu culpa que he tomado otro camino sin tino… Vida mía. Jamás pensé que llegaría este momento que siento, la más terrible realidad… Tu ingratitud me ha hecho sufrir un desencanto si tanto… te quería. Mas no te creas que por esto guardo encono Perdono tu más injusta falsedad.
Ángel Gregorio Villoldo Letra: Carlos Pesce; A. Timarni (Antonio Polito)
Traduction libre et indications
Je me fiche de ton amour, une tocade, rien de plus (golpear, c’est donner un coup, mais aussi droguer, intoxiquer. Certains y voient la justification des coups frappés par les musiciens, mais il me semble que c’est un peu léger et que les paroles initiales devaient être plus convaincantes et certainement moins acceptables par un public de plus en plus raffiné. C’est peut-être aussi une simple évocation des coups frappés à la porte de la version chantée par Canaro, ce qui pourrait renforcer l’hypothèse que Canaro chante des bribes des paroles d’origine)… Mon cœur me disait que ton amour était un mensonge, bien que tu aies juré et juré que tu étais à moi. N’appelle plus, (le tango s’est modernisé. Si à l’origine, l’impétrant venait frapper à la porte, maintenant, il utilise le téléphone…) n’insiste plus, je te donnerai… le livre de souvenirs, pour que tu gardes les fleurs de l’oubli parce que toi tu l’as, l’esquinazo (difficile de trouver un équivalent. C’est l’abandon, la non-réponse aux sentiments, la fuite, le lapin dans le cas d’un rendez-vous…) que je te donne. C’est ta faute si j’ai pris un autre chemin sans but… (tino, peut signifier l’habileté à toucher la cible) Ma vie. Je n’ai jamais pensé que ce moment, dont je ressens la terrible réalité, arriverait… Ton ingratitude m’a fait subir un désamour si toutefois… Je t’aimais. Mais, ne crois pas que, pour cette raison, je conserve de l’amertume. Je pardonne ton mensonge le plus injuste.
El Esquinazo, un succès à tout rompre (partie 3) le succès du pousse-au-crime.
Nous avons vu dans la première partie comment était préparé le frappement du talon. Dans la seconde et avec les paroles, nous avons essayé de trouver un sens à ces frappés, à ces taquitos qui à défaut d’être militaires, sont bien tentants à imiter, comme nous l’allons voir. Le premier témoignage sur la reproduction des coups par le public est celui de Pintin Castellanos qui raconte dansEntre cortes y quebradas, candombes, milongas y tangos en su historia y comentarios. Montevideo, 1948 la fureur autour de El esquinazo. La composition de Villoldo a été un triomphe […]. L’accueil du public fut tel que, soir après soir, il grandissait et le rythme diabolique du tango susmentionné commença à rendre peu à peu tout le monde fou. Tout d’abord, et avec une certaine prudence, les clients ont accompagné la musique de « El Esquinazo » en tapant légèrement avec leurs mains sur les tables. Mais les jours passaient et l’engouement pour le tango diabolique ne cessait de croître. Les clients du Café Tarana(voir l’article sur En Lo de Laura où je donne des précisions sur Lo de Hansen/Café Tarana) ne se contentaient plus d’accompagner avec le talon et leurs mains. Les coups, en gardant le rythme, augmentèrent peu à peu et furent rejoints par des tasses, des verres, des chaises, etc. Mais cela ne s’est pas arrêté là […] Et il arriva une nuit, une nuit fatale, où se produisit ce que le propriétaire de l’établissement florissant ressentait depuis des jours. À l’annonce de l’exécution du tango déjà consacré de Villoldo, une certaine nervosité était perceptible dans le public nombreux […] l’orchestre a commencé la cadence de « El Esquinazo » et tous les assistants ont continué à suivre le rythme avec tout ce qu’ils avaient sous la main : chaises, tables, verres, bouteilles, talons, etc. […]. Patiemment, le propriétaire (Anselmo R. Tarana) a attendu la fin du tango du démon, mais le dernier accord a reçu une standing ovation de la part du public. La répétition ne se fit pas attendre ; et c’est ainsi qu’il a été exécuté un, deux, trois, cinq, sept… Finalement, de nombreuses fois et à chaque interprétation, une salve d’applaudissements ; et d’autres choses cassées […] Cette nuit inoubliable a coûté au propriétaire plusieurs centaines de pesos, irrécouvrables. Mais le problème le plus grave […] n’était pas ce qui s’était passé, mais ce qui allait continuer à se produire dans les nuits suivantes. Après mûre réflexion, le malheureux « Paganini » des « assiettes brisées » prit une résolution héroïque. Le lendemain, les clients du café Tarana ont eu la désagréable surprise de lire une pancarte qui, près de l’orchestre, disait : « Est strictement interdite l’exécution du tango el esquinazo ; La prudence est de mise à cet égard. »
Ce tango fut donc interdit dans cet établissement, mais bien sûr, il a continué sa carrière, comme le prouve le témoignage suivant.
Témoignage de Francisco García Jiménez, vers 1921
La orquesta arrancó con el tango El esquinazo, de Villoldo, que tiene en su desarrollo esos golpes regulados que los bailarines de antes marcaban a tacón limpio. En este caso, el conjunto de La Paloma hacía lo mismo en el piso del palquito, con tal fuerza, que las viejas tablas dejaban caer una nube de tierra sobre la máquina del café express, la caja registradora y el patrón. Este echaba denuestos; los de arriba seguían muy serios su tango ; y los parroquianos del cafetín se regocijaban.
Témoignage de Francisco García Jiménez
Traduction libre du témoignage de Francisco García Jiménez
L’orchestre a commencé avec le tango El esquinazo, de Villoldo, qui a dans son développement ces rythmes réglés que les danseurs d’antan marquaient d’un talon clair. Dans ce cas, le conjuntoLa Paloma a fait de même sur le sol de la tribune des musiciens, avec une telle force que les vieilles planches ont laissé tomber un nuage de saleté sur la machine à expresso, la caisse enregistreuse et le patron. Il leur fit des reproches ; Ceux d’en haut suivaient leur tango très sérieusement, et les clients du café se réjouissaient. On constate qu’en 1921, l’usage de frapper du pied chez les danseurs était moindre, voire absent. Cet argument peut venir du fait que l’interdit de Tarana a été efficace sur les danseurs, mais j’imagine tout autant que les paroles et l’interprétation originelle étaient plus propices à ces débordements. L’idée des coups frappés à une porte, comme les coups du destin dans la 5e symphonie de Ludwig Van Beethoven, ou ceux de la statue du commandeur dans Don Giovanni de Wolfgang Amadeus Mozart, me plaît bien…
Autres versions
El esquinazo 1910-03 05 — Estudiantina Centenario dirige par Vicente Abad.
Cette version ancienne est plutôt un tango qu’une milonga, comme il le deviendra par la suite. On entend les coups frappés et la mandoline. On note un petit ralentissement avant les frappés, ralentissement que l’on retrouvera amplifié dans la version de 1961 de Canaro.
El esquinazo 1913 – Moulin Rouge Orchester Berlin – Dir. Ferdinand Litschauer.
Encore une version ancienne, enregistrée à Berlin (Allemagne) en 1913, preuve que le tango était dès cette époque totalement international. Les frappés sont remplacés par de frêles percussions, mais on notera le gong au début…
Le disque de El esquinazo par l’orchestre du Moulin Rouge (allemand, malgré ce que pourrait faire penser son nom) et la version Russe du disque… On notera que les indications sont en anglais, russe et français. La International Talking Machine est la société qui a fondé Odeon… S’il en fallait une de plus, cette preuve témoigne de la mondialisation du tango à une date précoce (1913).El esquinazo 1938-01-04 – Orquesta Juan D’Arienzo.
Est-il nécessaire de présenter la version de D’Arienzo, probablement pas, car vous l’avez déjà entendu des milliers de fois. Tout l’orchestre se tait pour laisser entendre les frappés. Même Biagi renonce à ses habituelles fioritures au moment des coups. En résumé, c’est une exécution parfaite et une des milongas les plus réjouissantes du répertoire. On notera les courts passages de violons en legato qui contrastent avec le staccato général de tous les instruments.
El esquinazo 1939-03-31 – Roberto Firpo y su Cuarteto Típico.
Roberto Firpo au piano démarre la montée chromatique une octave plus grave, mais reprend ensuite sur l’octave commune. Cela crée une petite impression de surprise chez les danseurs qui connaissent. La suite est joueuse, avec peut être un petit manque de clarté qui pourra décontenancer les danseurs débutants, mais de toute façon, cette version est assez difficile à danser, mais elle ravira les bons danseurs, car elle est probablement la plus joueuse.
El esquinazo 1951-07-20 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro con refrán por Francisco Canaro.
C’est notre tango du jour. Francisco Canaro nous donne sans doute des clefs dans les quelques paroles qu’il dit. Cette version est de vitesse modérée, entre canyengue et milonga. Elle sera plus adaptée aux danseurs modestes.
El esquinazo 1958 – Los Muchachos De Antes.
Avec clarinette et guitare en vedette, cette version est très dynamique et sympathique. Ce n’est bien sûr pas le top pour la danse, mais on a d’autres versions pour cela…
El esquinazo 1960 – Orquesta Carlos Figari con Enrique Dumas.
Une version en chanson qui perd le caractère joueur de la milonga, même si quelques coups de claves rappellent les frappés fameux. En revanche, cette chanson nous présente les paroles de Carlos Pesce et A. Timarni. J’aime beaucoup, même si ce n’est pas à proposer aux danseurs.
El esquinazo 1961-12-01 – Orquesta Francisco Canaro (en vivo al Teatro Koma de Tokyo, Japón).
El esquinazo 1961-12-01 – Orquesta Francisco Canaro (en vivo al Teatro Koma de Tokyo, Japón). Cette version très joueuse commence par la célèbre invite à frapper du pied, répétée trois fois. Les deux premières sont très lentes et la troisième fois, la pause est beaucoup plus longue, ce qui provoque un effet irrésistible. C’est un exemple, bien que tardif de comment les orchestres jouaient avec les danseurs, jeux que nous avons perdus à cause des versions figées par le disque. Bien sûr, il s’agit ici d’un concert, mais un DJ taquin pourrait proposer cette version à danser, notamment à cause des pauses et de l’accélération finale qui peuvent surprendre (aussi dans le bon sens du terme), les danseurs.
El esquinazo 1962 – Los Violines De Oro Del Tango.
Une version à la limite de l’excès de vitesse, même sur autoroute. Je trouve cela très sympa, mais j’y réfléchirai à deux fois avant de diffuser en milonga…
El esquinazo 1970 – Cuarteto Juan Cambareri.
Je pense que vous avez repéré Juan Cambareri, ce bandonéoniste virtuose qui après une carrière dans différents orchestres s’est mis « à son compte » avec un orchestre, dans les années 50 et un peu plus tard (1968) dans un cuarteto composé de :
Juan Rizzo au piano, Juan Gandolfo et Felipe Escomabache aux violons et Juan Cambareri au bandonéon. Cet enregistrement date de cette période. Comme à son habitude, il imprime une cadence d’enfer que les doigts virtuoses des quatre musiciens peuvent jouer, mais qui posera des problèmes à un grand nombre de danseurs.
El esquinazo 1974 – Sexteto Tango.
Le début semble s’inspirer de la version de Canaro au Japon en 1961, mais la suite vous détrompera bien vite. C’est clairement une version de concert qui a bien sa place dans un fauteuil d’orchestre, mais qui vous donnera des sueurs froides sur la piste de danse.
El esquinazo 1976 – Di Matteo y su trio.
La version proposée par le trio Di Matteo ne rassurera pas les danseurs, mais c’est plaisant à écouter. À réserver donc pour le salon, au coin du feu (j’écris depuis Buenos Aires et ici, c’est l’hiver et cette année, il est particulièrement froid…).
El esquinazo 1983 – Orquesta José Basso.
Une assez belle version, orchestrale. Pour la milonga, on peut éventuellement lui reprocher un peu de mordant en comparaison de la version de D’Arienzo. On notera également que quelques frappés sont joués au piano et non en percussion.
El esquinazo 1991 – Los Tubatango.
Comme toujours, cet orchestre sympathique se propose de retrouver les sensations du début du vingtième siècle. Outre le tuba qui donne le nom à l’orchestre et la basse de la musique, on notera les beaux contrepoints de la flûte et du bandonéon qui discutent ensemble et en même temps comme savent si bien le faire les Argentins…
El esquinazo 2002 – Armenonville.
Une introduction presque comme une musique de la renaissance, puis la contrebasse lance la montée chromatique, des coups donnés et la musique est lancée. Elle se déroule ensuite de façon sympathique, mais pas assez structurée pour la danse. Une accélération, puis un ralentissement et l’estribillo est chanté en guise de conclusion.
El esquinazo 2007 – Esteban Morgado Cuarteto.
Une version légère et rapide pour terminer tranquillement cette anecdote du jour.
Meneca – E. Mercado ¿Por qué ? – Osvaldo Fresedo Letra : Emilio Augusto Oscar Fresedo
Les dates d’enregistrement qui me servent de base pour les anecdotes de tango ne sont pas des données immuables. J’avais prévu d’associer deux titres de Fresedo enregistrés le même jour, un 19 juillet, mais à 28 ans d’intervalle. Quand j’ai commencé à écrire, je me suis rendu compte qu’à la suite des travaux de Enrique Binda, la date de Meneca avait changé pour le 20 juillet. J’ai toutefois décidé de conserver mon idée initiale, car la comparaison des deux titres me semble intéressante, vous le comprendrez que mieux en prenant connaissance des paroles de Por qué..
Una meneca est une belle jeune femme. Pour être appelé ainsi, elle doit avoir les deux attributs. Le tango est instrumental, mais d’autres employant ce terme sont avec des paroles et il convient donc de rester avec cette signification. J’imagine que le terme étant proche de muñeca (poupée) explique qu’on l’utilise uniquement pour des jeunes femmes. Meneca désigne également une langue quasi disparue qui existe (existait) entre le Pérou et la Colombie.
Le choix dans la date de la Meneca
Enrique Binda est une ressource importante pour qui s’intéresse au tango. https://www.todotango.com/comunidad/colaboradores/colaborador.aspx?id=73 Il a étudié de nombreux catalogues et notamment pour la période acoustique (avant l’enregistrement électrique). Par conséquent, son avis fait autorité. Dans le cas présent, Fresedo a enregistré le 19 et le 20 juillet 1927, ou seulement le 19 ou seulement le 20 les quatre tangos instrumentaux suivants :
Flores (Ángel Massini) – Matrice 1037-1 (face A du disque 5159)
Mucha cancha – (Alberto Richieri) Matrice 1038 (face B du disque 5159)
Coqueta (A. Milito) – Matrice 1039 (Face A du disque 5160)
Meneca (E. Mercado) – Matrice 1040 (Face B du disque 5160)
À l’époque, les orchestres enregistrent en moyenne deux tangos à quatre tangos par jour. Tous ne vont pas au disque. On notera que l’enregistrement de Flores semble avoir été compliqué dans la mesure où il y a plusieurs prises. Meneca a le numéro de matrice le plus élevé (1040) ce qui confirme que Meneca a été enregistré en dernier et donc probablement le 20 et pas le 19 s’il y a eu deux jours, comme c’est indiqué dans le livret du disque édité par CTA, mais aussi dans la Enciclopedia del Tango de Gabriel Valiente et dans le Fresedo Project qui placent les quatre tangos à la même date, le 19 juillet 1927. Pour l’année 1927, on trouve plusieurs jours avec quatre enregistrements, on ne peut donc pas être affirmatif sur l’existence d’un second jour d’enregistrement nécessaire. Que tout soit du 19, tout du 20 ou panaché, ce n’est peut-être pas si important. Je conserve donc mon idée de mettre en relation les deux tangos, d’autant plus que je vous réserve une surprise en fin d’article sur le sujet…
Extrait musical
Meneca 1927-07-20 – Orquesta Osvaldo Fresedo.
Meneca 1927-07-20 – Orquesta Osvaldo Fresedo. Osvaldo Fresedo intervient comme bandonéoniste et on remarquera la très jolie partie de violon. Je vous présente les musiciens qui ont fait cette petite merveille. Osvaldo Fresedo et Alberto Rodríguez (bandonéonistes), José María Rizzutti (piano), Manlio Francia, Adolfo Muzzi et Juan Koller (violonistes), Humberto Constanzo (contrebassiste).
¿Por qué ? 1955-07-19 – Orquesta Osvaldo Fresedo.
Ce qui frappe dans ce titre est l’ostinato qui revient régulièrement et notamment sur les parties chantées.
Partition de ¿Por qué ? On note sur la page de gauche que c’est la version passée à la Radio Fenix. À droite, la version en ré pour les chanteurs.
LR9 Radio Fénix est une radio de Buenos Aires qui a démarré le 11 février 1927 et qui se nommera ensuite Antártida puis AM1190 América. La partition pour les chanteurs est en ré. Elle commence en ré mineur, puis continue en ré majeur pour revenir à la dernière ligne en ré mineur. C’est donc une alternance de sonorités plus tristes et plus gaies.
Paroles
¿Por qué si yo soy el mismo querés cambiar mi pilcha ‘e varón? ¿Por qué si mi pobre ajuar dio a cantar mi honda tristeza? ¿Por qué si no está en mi sangre vos me adornás p’ hacerme amargar?
Yo soy milonga sentimental. Mi nombre es macho soy el gotán. Vestí de negro con funyi claro… Y me quisieron. Me respetaron. Y fue muy pura mi vida entera y hay quien venera mi cuna de ayer.
¿Por qué quieren que me vista tan ataviao con tanto trenzao? ¿Por qué quieren verme así hecho un gil de fantasía? ¿ Por qué si he nacido tango y así latió mi gran corazón?
Osvaldo Fresedo Letra: Emilio Augusto Oscar Fresedo
Traduction libre de ¿Por qué ?
Pourquoi, si je suis le même, veux tu changer mes fringues, hein, mec ? Pourquoi, si mon pauvre trousseau donnait à chanter ma profonde tristesse ? Pourquoi, si ce n’est pas dans mon sang, me fais-tu des ornements pour me rendre amer ? Je suis milonga sentimentale. Je m’appelle macho, je suis le gotan (tango). Je suis habillé de noir avec un chapeau clair (funyi, chapeau en forme de champignon). Et ils m’aimaient. Ils me respectaient. Et toute ma vie était très pure et il y a ceux qui vénèrent mon berceau d’hier. Pourquoi veulent-ils que je revête tant de parures avec tant de galons ? Pourquoi, veulent-ils me voir comme ça, faisant un idiot de fantaisie ? Pourquoi, si je suis né tango et ainsi battait mon grand cœur.
Autres versions
Il ne semble pas y avoir d’autres enregistrements de Meneca, cependant, il est intéressant de voir ce que devient Por Qué….
Meneca 1927-07-20 – Orquesta Osvaldo Fresedo.
Un de nos deux tangos du jour, pour mémoire et comparaison…
Différents disques de ¿Por qué ? Alberto Vila, Fresedo avec Ibanez, Serpa et instrumental (33 tours avec pochette) et Pugliese avec Chanel et Moran. ¿Por qué ? 1931-08-18 – Alberto Vila accomp. Orquesta Típica Victor.
Ce premier enregistrement qui est une chanson est superbement interprétée par Alberto Vila (dont la voix est remplie de trémolos) accompagné par l’orchestre Típica Victor dirigé par Carabelli.
L’ostinato de la contrebasse est assez étonnant et il s’achève en ralentissant sur la toute fin de la musique.
¿Por qué ? 1943-01-25 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Oscar Serpa.
¿Por qué ? 1943-01-25 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Oscar Serpa. Le rythme est plus rapide et quelques sonorités de vibraphone se superposent aux instruments habituels. L’ostinato la vedette de ce thème démarre désormais le titre et est accompagné du vibraphone. L’expressivité est plus marquée. On pourrait qualifier cette version de plus romantique. Petit interlude pour vous présenter Fresedo jouant ce titre dans un film qui reste à identifier (ce n’est pas Tango comme tous l’écrivent).
¿Por qué ? – Osvaldo Fresedo y su Orquesta¿Por qué ? 1945-08-28 – Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán y Roberto Chanel.
L’ostinato que vous connaissez bien démarre le titre, come dans la version de 1943 de Fresedo, puis progressivement Pugliese déstructure le titre pour le rendre compatible avec son style. L’ostino revient de temps à autre et notamment sous la voix des chanteurs. L’effet est superbe les voix se mêlent pendant que l’ostinato s’atténue et que les violons ondulent dans un contrepoint splendide. C’est assurément un chef d’œuvre. Peut-être plus difficile à danser que les guimauves trop souvent passées dans certaines milongas, mais à tester à mon avis…
¿Por qué ? 1955-07-19 – Orquesta Osvaldo Fresedo. C’est notre autre tango du jour.
Le vibraphone prend un peu plus ses aises, libéré par l’absence du chanteur qui est représenté par le piano. Le résultat est plutôt joli, mais pas convainquant pour la danse.
¿Por qué ? 1979-10-30 – Orquesta Osvaldo Fresedo.
Le titre démarre en trombe, mais avec l’introduction que Fresedo avait abandonné depuis 1943. Les violons couvrent un peu trop l’ostinato, enlevant une partie de l’originalité de ce titre. La batterie s’est rajoutée, mais sans pour autant renforcer la dansabilité du morceau, sauf à le danser en tango musette…
¿Por qué ? – Mariano Mores y su Sexteto Rítmico Moderno.
C’est une version très originale que signe Mariano Mores. L’ostinato est assez discret et principalement donné par le piano. Les percussions sont à l’honneur. Différents motifs éclosent et donnent une impression de variété. Bien sûr, pas question de proposer cela à des danseurs, mais l’écouter de temps à autre est une activité sympa. Elle clôture la liste des versions et il est temps d’ouvrir le débat.
Faites ce que je dis et pas ce que je fais
Comme vous l’avez remarqué, les paroles du tango ¿Por qué? Des frères Fresedo semblent regretter un tango plus épuré. Ils font parler le tango qui regrette le temps où il n’était pas ridiculisé par des fioritures. Dans les interprétations de 1931 et 1943, Osvaldo Fresedo respecte ces (ses) directives. Tout comme bien sûr, dans Meneca de 1927. Par contre, dans notre tango du jour, la version de 1955 de ¿Por qué? On peut se demander s’il n’a pas un peu perdu cela de vue. D’ailleurs, cette version est instrumentale, peut-être pour éviter que les paroles mettent en valeur cette dichotomie. Pugliese, en 1945, avait peut-être commencé cette bifurcation, mais il ne me semble pas que l’on puisse l’accuser de faire de l’ornementation gratuite. D’ailleurs, il a conservé les paroles. Je l’enlèverai donc des pièces du procès… Fresedo aggrave très sensiblement son cas en 1979, avec une version constituée majoritairement de fioritures. Là, je dois le déclarer coupable. Il a déguisé le tango et renoncé à ses principes énoncés dans les années 30. Avec son goût pour les instruments originaux, il courrait certainement ce risque et il est tombé dans son propre piège. Je pense que vous avez sans doute fait le rapprochement avec le débat plus contemporain sur le tango, le néotango et autres variations. Le tango, comme les autres œuvres de l’humanité, ne résiste pas aux querelles des Anciens et des Modernes, tel que l’a vécu l’Académie française à la fin du 17e siècle. Tous les goûts sont dans la nature et le travail du DJ est à la fois de développer les goûts et de satisfaire ceux qui sont existants. C’est passionnant.
Enrique Pedro Delfino (Delfy) Letra : Juan Fernando Camillo Darthés
Nous avons vu dans beaucoup de tangos que le lunfardo, l’argot de Buenos Aires était très apprécié des paroliers qui ne prenaient pas tous les précautions de Juan Bautista Abad Reyes qui a écrit que « Le risque est de penser en faubourien et de concevoir les œuvres en lunfardo ». Notre tango du jour est à destination des néophytes et plus particulièrement des Français qui bénéficient d’un dictionnaire chanté par une Française qui s’est installée à Buenos Aires et qui trouve cela épatant !
Extrait musical
Buenos Aires es una papa (Buenos Aires c’est épatant) 1928-07-18 – Orquesta Francisco Canaro con Charlo.Buenos Aires es una papa (Buenos Aires, c’est épatant) – Enrique Pedro Delfino (Delfy) Letra : Juan Fernando Camillo Darthés.
L’illustration de couverture est de Roger de Valério. Le disque Odeon porte le numéro 4474. Ce tango est la face A. La face B est Talismán (1928-04-25), tango instrumental. On notera le nom de Marthe Berthy qui inaugurera cette œuvre à Paris, puis à Buenos Aires.
Paroles
Paroles de cet enregistrement
Ce tango de Delfy (Enrique Pedro Delfino) a des paroles étonnantes, car elles ont été écrites en français par un Argentin, Juan Fernando Camillo Darthés. Notre version du jour, chantée par Charlo ne vous proposera pas l’intégralité des paroles et même ne vous en donnera que des bribes. Nous verrons après les paroles « officielles », mais voici la retranscription des paroles de notre tango du jour.
Desde el pasado no encontró Ici l’amour c’est l’metejón Desde el pasar “et bien voila” À la canción de cantar
Versión de Charlo…
Oui, vous avez bien lu/entendu. C’est un texte mélangeant le français et l’espagnol.
Paroles originales (en français)
Quand je me suis embarquée pour l’Argentine, j’étais pour mes parents la p’tite Titine. Maintenant, voici, c’est drôle, j’ne comprends pas ! Tout le monde ici m’appelle « La Porotá ». Pour dire parler, maintenant je dis « chamuyo » ; au lieu de dire un franc, je dis « un grullo ». À mon fiancé je l’appelle « un gran bacán ». Oh, Buenos Aires, messieurs, c’est épatant !
C’est épatant comme nous changeons. Ici l’amour c’est l’metejón. C’est épatant et bien, voilà, en Argentine on dit comme ça.
J’ai appris cette langue à peine dans une semaine et ils m’ont changé, c’est triste, tout de même. Pour dire le lit je dis « la catrera », pour dire sortir il faut dire « espiantá ». Le pain a table je l’appelle « marroco » ; quand j’ai mal à la tête, « me duele el coco ». Je dis « la guita » au lieu de dire l’argent… Oh, Buenos Aires, messieurs, c’est épatant !
Enrique Pedro Delfino (Delfy) Letra: Juan Fernando Camillo Darthés
Paroles en espagnol
Cuando me embarqué hacia la Argentina Yo era, para mis padres, la pequeña Titine. Ahora vea usted, es gracioso, no entiendo nada: Todo el mundo aquí me llama: “la Porotá”. Para decir hablar, ahora digo “chamuyo”, En lugar de decir un franco, digo “un grullo”, A mi novio lo llamo “un gran bacán” … ¡Oh, Buenos Aires, señores, es asombroso!
Es asombroso Cómo cambiamos, Aquí el amor Es el metejón. Es asombroso Y sin embargo, En Argentina Se dice así.
Aprendí esta lengua en apenas una semana Y ellos sin embargo, me cambiaron, es triste, Para decir la cama, digo “la catrerá”, Para decir salir, hay que decir “espiantá”, Al pan sobre la mesa lo llaman “marroco”, Cuando tengo dolor de cabeza, “me duele el coco”. Digo “la guita” en lugar de decir el dinero… ¡Oh, Buenos Aires, señores, es asombroso!
Enrique Pedro Delfino (Delfy) Letra: Juan Fernando Camillo Darthés
Traduction libre et indications
Bon, ceux qui lisent cette anecdote et français ou en espagnol ne vont pas comprendre, puisque j’ai donné ci-dessus les versions en français (original) et en espagnol. Ce texte est donc destiné à ceux qui lisent dans une autre de ces langues. La difficulté est que le texte en français donne à la fois les paroles en français et en espagnol. Vous risquez de voir donc deux fois le même mot ou des trucs étranges, je vous en demande pardon par avance.
Voyons tout d’abord le titre qui est à la fois en espagnol et en français. « Buenos Aires es una papa / Buenos Aires, c’est épatant”. Le terme “épatant”, très “français”, même si un peu vieilli n’est pas la traduction littérale. En effet, la papa, c’est la pomme de terre, à ne pas confondre avec papá qui est le père en langage enfantin. Cependant, même si pour l’illustration de couverture j’ai choisi de vous présenter une pomme de terre, il faut prendre papa dans un autre sens. En effet, papa veut aussi dire que c’est facile. C’est donc facile pour elle de s’adapter à l’Argentine, ce qui n’est pas forcément l’avis de toutes les grisettes qui ont vécu de terribles histoires lors de leur arrivée en Argentine.
Quand je me suis embarquée pour l’Argentine, j’étais pour mes parents la p’tite Titine (Titine peut être le gentilé du prénom Christine, mais aussi un surnom sans relation directe avec le prénom d’origine). Maintenant, voici, c’est drôle, j’ne comprends pas ! Tout le monde ici m’appelle « La Porotá » (un surnom). Pour dire parler, maintenant je dis « chamuyo » ; au lieu de dire un franc, je dis « un grullo » (de Mangrullo, un billet d’un peso). À mon fiancé je l’appelle « un gran bacán ». Oh, Buenos Aires, messieurs, c’est épatant !
C’est épatant comme nous changeons. Ici l’amour c’est l’metejón. C’est épatant et bien, voilà, en Argentine on dit comme ça.
J’ai appris cette langue à peine dans une semaine et ils m’ont changé, c’est triste, tout de même. Pour dire le lit je dis « la catrera », pour dire sortir il faut dire « espiantá ». Le pain à table je l’appelle « marroco » ; quand j’ai mal à la tête, « me duele el coco ». Je dis « la guita » au lieu de dire l’argent… Oh, Buenos Aires, messieurs, c’est épatant !
Fin du cours de lunfardo…
On voit donc les emprunts faits par Charlo dans sa version qui est une amputation très sévère du texte d’origine…
Autres versions
Je n’ai pas d’autres versions à proposer. Dans le catalogue Odéon de 1929, on trouve un enregistrement par Delfy (l’auteur de la musique), mais je n’ai pas réussi à trouver ce disque.
Sous la référence de disque 7000 B, Delfy a enregistré un disque avec Odeón de « Buenos Aires c’est epatant » (sic).
Quand le tango va de Paris à Buenos Aires
Notre tango du jour a été inauguré à Paris par Marthe Berthy dans le spectacle « Paris aux nues », une des revues du Moulin Rouge qui fit une tournée en Amérique du Sud en 1928. Durant cette tournée, avant d’être présentée à Buenos Aires, le 15 juillet 1928 au Teatro Ópera, la revue a été présentée à Rio de Janeiro. Le journal de Rio de Janeiro, Correio da Manhã du 6 mai 1928 nous présente l’équipe du Moulin Rouge. On y apprend que la troupe composée de 90 personnes arrivées à bord du Lutecia. Un repas a été offert aux artistes, parmi lesquels on trouve : Jacques Charles, créateur de plus de 110 revues, dont « Ça c’est Paris ! » (immortalisé par Mistinguett), « Ça c’est Montmartre », « Paris aux nues » dont est tiré notre tango du jour « Oh ! Paris ! Mon Paris ! »…
Le Moulin Rouge – Simon Girard (Aimé Simon-Girard), Marthe Berthy, Marta Albaicín (Pepita García Escudero), membres principaux de la troupe du Moulin rouge durant la tournée en Amérique du Sud.
Simon Girard, acteur de cinéma (Aimé Simon-Girard a joué dans Le vert galant 1924, Fanfan-la-Tulipe 1925 et Les trois mousquetaires 1932), Marta Albaicín (Pepita García Escudero), danseuse de flamenco d’origine espagnole, Marthe Berthy, chanteuse (et danseuse, même si ce n’est pas précisé dans l’article) ayant remplacé Mistinguett au Moulin Rouge, Baldrini, chanteur déjà intervenu à Buenos Aires et beaucoup d’autres.
L’intransigeant 1927-04-03 – La revue Ça c’est Paris avec Mistinguett et Marthe Berthy.
Le journal de Rio de Janeiro, Correio da Manhã du 6 mai 1928 annonçant que le spectacle va être joué à Rio de Janeiro et à Buenos Aires.
Dans le même journal, dans l’édition du 15 juin 1928, on trouve la publicité pour le spectacle qui aura lieu le 10 juillet 1928 (cinq jours avant la représentation de Buenos Aires) au Palacio Theatro de Rio de Janeiro.
Le journal de Rio de Janeiro, Correio da Manhã du 15 juin 1928 avec la publicité pour le spectacle du Moulin Rouge au Palacio Theatro. À gauche, l’annonce complète, à droite, l’annonce découpée pour la rendre plus lisible.
On notera le titre des différentes revues présentées, Paris à la diable, Paris aux étoiles, Paris au feu, Paris aux nues (celle qui nous intéresse aujourd’hui) et Adieu Paris. Dans ce spectacle, il y avait donc diverses pièces musicales qui étaient également un prétexte pour présenter ce qui a fait le succès du Moulin Rouge. Dans « Montmartre aux nues » une des 110 revues crées par Jacques-Charles, on trouvera par exemple un tango-fox-trot Lola de Valence, Fleur du mal avec des paroles de Jacques-Charles et Ch. L. Pothier et une musique de René Mercier. Les revues parisiennes qui faisaient fureur dans le monde entier et notamment en Amérique du Nord et du Sud s’alimentaient donc également des musiques et danses des pays d’exportation. Même si on a du mal à l’imaginer aujourd’hui, le Monde du tango et du spectacle était pour le moins triangulaire, entre les Amériques et l’Europe et notamment Paris dans le cas du tango et des revues du type Moulin Rouge. En cortina, je vous propose un French Cancan, une musique qui date de la période précédant celle que nous venons d’évoquer (1890 au lieu de 1928) mais qui a toujours du succès dans les milongas en cortina…
Bande-annonce de French Cancan (29/04/1955) réalisé par Jean Renoir en 1954-55.
Notre milonga du jour est une milonga irrésistible, la milonga du souvenir Milonga del recuerdo. Le titre pourrait faire penser à la milonga campera, ces chansons un peu plaintives de l’univers des gauchos comme Milonga triste que chantait Magaldi en 1930 ou même des compositions plus récentes comme celle de Piazzolla, Milonga del ángel, ou Milonga en ay menor dans un style bien sûr très différent. Mais comme vous pouvez le constater, Milonga del recuerdo est un appel à se lancer sur la piste pour tous les danseurs. Ces derniers ne prêteront aucune attention à la nostalgie des paroles.
Ce manque d’attention est renforcé par le fait que Echagüe ne chante que le refrain et pas les couplets plus nostalgiques.
Extrait musical
Milonga del recuerdo 1939-07-17 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe.Milonga del recuerdo. Alfonso Lacueva Letra: José Pecora. À gauche la couverture de la partition, au centre la tablature des accords et à droite, le disque. RCA Victor 38767-B. La face A était Derecho viejo 1939-07 une version instrumentale.
Paroles
Qué daría por ser joven y vivir aquellos días Que se fueron alejando y no pueden más volver, Aquellos años dichosos de las fiestas transcurridas En el patio de la casa que me viera a mí, nacer. ¿Dónde está la muchachita, esa novia que besara? Con los labios temblorosos encendidos de pasión, La que tanto yo quería y siempre he recordado Porque fue el amor primero que no olvida el corazón.
¿Dónde están los corazones de la linda muchachada? ¿Dónde están las ilusiones de aquel tiempo que se fue? Mi vieja dicha perdida Hoy estás en el olvido, Y yo que tanto he querido Siempre te recordaré.
Las milongas de mi barrio al gemir de bandoneones Entre notas melodiosas de algún tango compadrón, Las pebetas sensibleras impregnadas de ilusiones Que reían y cantaban al influjo de un amor. No se ve la muchachada a la luz del farolito Comentando por las noches los idilios del lugar, Ni se escuchan los acordes de las dulces serenatas Que llenaban de emociones y nos hacían soñar.
Alfonso Lacueva Letra : José Pecora
Echagüe ne chante que le refrain, en gras.
Traduction libre
Que donnerais-je (on dirait plutôt en français : « que ne donnerais-je pas ») pour être jeune et vivre ces jours qui se sont éloignés et qui ne peuvent plus revenir, ces années heureuses des fêtes passées dans la cour de la maison qui m’a vu naître. Où est la fille, cette fiancée que j’embrassais ? Avec les lèvres tremblantes et embrasées de passion, celle que j’aimais tant et dont je me suis toujours souvenu parce que c’était le premier amour que le cœur n’oublie pas. Où sont les cœurs de la belle bande d’amis ? Où sont les illusions (émotions) de ce temps qui a disparu ? Mon ancien bonheur perdu est aujourd’hui oublié, et moi qui ai tant aimé, je me souviendrai toujours de toi. Les milongas de mon quartier au gémissement des bandonéons entre les notes mélodieuses d’un tango compagnon, les poupées sentimentales imprégnées d’illusions qui riaient et chantaient sous l’influence d’un amour. On ne voit pas la bande des gars à la lueur du lampadaire commenter la nuit les idylles du lieu ni on n’entend les accords des douces sérénades qui nous remplissaient d’émotions et nous faisaient rêver.
Autres versions
Curieusement, ce thème n’a pas été enregistré par d’autres orchestres. La magnifique version de D’Arienzo et Echagüe reste orpheline même si certains orchestres jouent cette milonga dans les bals.
Milonga del recuerdo 1939-07-17 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe
Une version intéressante par un orchestre de chambre contemporain, le Cuarteto SolTango avec des arrangements de Martin Klett.
Roberto Firpo Letra : Daniel López Barreto y Vicente Planells Del Campo ?
J’espère que vous n’avez pas le mal de mer, car nous embarquons avec un des rares tangos dédiés à la marine. C’est encore une composition de Roberto Firpo et l’histoire rappellera sans doute des souvenirs à de nombreux marins au long cours ou aux militaires engagés dans la marine.
Extrait musical
Marejada 1941-07-16 – Orquesta Carlos Di SarliMarejada Roberto Firpo Letra : Daniel López Barreto
La partition est dédicacée au distinguido señor Conrado Del Carril et non pas, comme c’est écrit partout à Bonifacio del Carril, qui fut avocat, ministre de l’Intérieur et diplomate, mais qui est né en 1911, année d’écriture de ce tango. Il fut aussi le traducteur du Petit Prince (Principito) de Antoine de Saint-Exupéry. Le marin représenté sur la couverture de gauche est Conrado del Carril, comme on peut le voir inscrit sur la bouée. En 1910, Conrado del Carril a passé les examens de seconde année d’aspirant de l’école navale militaire. Le décret qui le stipule est le n° 1397 du 8 avril 1910. Il avait donc à faire dans le domaine de la marine, contrairement à Bonifacio…
Le décret du 8 avril 1810 mentionnant Conrado del Carril surligné en jaune.
J’ai essayé de trouver le lien avec Firpo, sans succès. Il ne faut bien sûr pas chercher du côté d’Hugo del Carril qui est un pseudonyme et qui est de toute façon né en 1912. Les paroles étant plus tardives et la dédicace étant sur la partition originale, ce n’est pas non plus du côté de Daniel López Barreto qu’il faut chercher.
Paroles
Il est parfois indiqué l’intervention de Vicente Planells Del Campo, pour une première version des paroles, ou une participation à la composition, je n’en suis pas du tout sûr. Pour la composition, c’est probablement non, trop tôt. Pour les paroles, il s’agit sans doute d’une erreur du catalogue de Odeón, la partition indiquant bien Daniel López Barreto. Sauf à imaginer des paroles de Plannels Del Campo à la fin des années 20. Mais dans ce cas, on n’a pas de traces et comme de toute façon toutes les versions sont instrumentales, sauf celle de 1929, avec les paroles de Daniel López Barreto, la question n’a pas trop d’intérêt… Voici donc les paroles de Daniel López Barreto, qui, on le constatera, n’ont rien d’extraordinaire…
Cuando te dejé, tierra querida, y te di aquel triste adiós, la barra del Florida con pena sincera me despidió, parece que veo los pañuelos agitarse con dolor y entre la gente estaba muy triste y lloraba una mujer.
Yo sé que mi mirada llegó cual marejada y su almita apenada y su esperanza naufragó. Me quiso con locura, conmigo fue muy dichosa, fue buena y cariñosa y yo, insensato, la dejé.
Cuando regresé a mi patria, después de una larga ausencia, la vi una vez; ¡qué triste fue volverla a ver así ! Arrastró la marejada a su barco de ilusiones y navego sin dirección por culpa de mi amor.
Roberto Firpo Letra: Daniel López Barreto.
Teófilo Ibáñez ne chante que ce qui est gras.
Traduction libre
Quand je t’ai quittée, Terre chérie, et que je t’ai fait ce triste adieu, la bande du Florida avec une tristesse sincère m’a dit au revoir, il semble que je vois les mouchoirs s’agiter de douleur et parmi les gens il y avait, très triste, une femme qui pleurait. Je sais que mon regard s’est posé comme un raz-de-marée (la marejada est une houle modérée, mais je pense que l’image du raz-de-marée est plus parlante pour évoquer la tristesse de la femme délaissée) et que sa petite âme affligée et son espoir ont fait naufrage. Elle m’aimait à la folie, elle était très heureuse avec moi, elle était bonne et affectueuse et moi, insensé, je l’ai quittée. Quand je suis rentré dans ma patrie, après une longue absence, je l’ai vue une fois ; comme c’était triste de la revoir ainsi ! La houle m’a traîné jusqu’à son bateau d’illusions et je navigue sans direction par la faute de mon amour.
Autres versions
Marejada 1914 – Roberto Firpo (solo de piano).Marejada 1917 – Orquesta Roberto Firpo.Marejada 1929-07-04 – Orquesta Roberto Firpo con Teófilo Ibáñez.Marejada 1932-03-10 – Orquesta Roberto Firpo.Marejada 1937-01-12 – Orquesta Típica Victor, Dir. Federico Scorticati.Marejada 1941-07-16 – Orquesta Carlos Di Sarli. C’est notre tango du jour.Marejada 1950-07-06 – Orquesta Francisco Rotundo.
Marejada 1953-01-15 – Orquesta Florindo Sassone.
Marejada 1967 – Orquesta Osvaldo Pugliese.Marejada 2012 – Típica Fernández Fierro.
Honnêtement, j’ai classé cela dans la catégorie « bruit ».
La vague
Vous avez reconnu le modèle de mon illustration de couverture, La Grande Vague de Kanagawa, qui est probablement la première de la série des 36 vues du Mont Fuji réalisées vers 1830 par Hokusai. Il s’agit d’une gravure sur bois, chaque couleur est appliqué à partir d’une planche de bois gravée pour recevoir et imprimé cette couleur. L’image de cette vague m’a semblé évidente pour évoquer la houle qui fait sombrer la malheureuse.
La connexion du monde du tango avec le théâtre, puis le cinéma a toujours été naturelle. Le tango du jour, Alma de bohemio est un parfait exemple de ce phénomène. Il a été créé pour le théâtre et a été repris à au moins deux reprises par le cinéma. Devenu le morceau de choix de notre chanteur du jour, il résonnera ensuite sur les grandes scènes où Alberto Podestá l’offrait à son public. Je suis sûr que certains versions vont vous étonner, et pas qu’un peu…
Extrait musical
Alma de bohemio. Roberto Firpo Letra:Juan Andrés Caruso. Partition et à droite réédition de 1966 de notre tango du jour sur un disque 33 tours.
À gauche, la partition dédicacée à l’acteur Florencio Parravicini qui jouait la pièce dont Alma de bohemio était le titre final. L’œuvre a été étrennée en 1914 au Teatro Argentino de Buenos Aires. On notera que la couverture de la partition porte la mention Tango de concierto. Les auteurs ont donc conçu ce tango comme une pièce à écouter, ce qui est logique, vu son usage. On notera que ce même tango a été réutilisé au cinéma à au moins deux reprises, en 1933 et en 1944, nous en parlerons plus bas. À droite, la réédition en disque microsillon de 1966 de notre tango du jour. Alma de bohemio est le premier titre de la face A et a donné son nom à l’album.
Alma de bohemio 1943-07-15 – Orquesta Pedro Laurenz con Alberto Podestá.
Paroles
Peregrino y soñador, cantar quiero mi fantasía y la loca poesía que hay en mi corazón, y lleno de amor y de alegría, volcaré mi canción.
Siempre sentí la dulce ilusión, de estar viviendo mi pasión.
Si es que vivo lo que sueño, yo sueño todo lo que canto, por eso mi encanto es el amor. Mi pobre alma de bohemio quiere acariciar y como una flor perfumar.
Y en mis noches de dolor, a hablar me voy con las estrellas y las cosas más bellas, despierto he de soñar, porque le confío a ellas toda mi sed de amar.
Siempre sentí la dulce ilusión, de estar viviendo mi pasión.
Yo busco en los ojos celestes y renegridas cabelleras, pasiones sinceras, dulce emoción. Y en mi triste vida errante llena de ilusión, quiero dar todo mi corazón.
Roberto Firpo Letra: Juan Andrés Caruso
Traduction libre
Pèlerin et rêveur, je veux chanter ma fantaisie et la folle poésie qui est dans mon cœur, et plein d’amour et de joie, je déverserai ma chanson. J’ai toujours ressenti la douce sensation de vivre ma passion. Si je vis ce dont je rêve, je rêve tout ce que je chante, c’est pourquoi mon charme c’est l’amour. Ma pauvre âme de bohème veut caresser et parfumer comme une fleur. Et dans mes nuits de douleur, je vais parler avec les étoiles et les choses les plus belles, il faut rêver éveillé, car je leur confie toute ma soif d’amour. J’ai toujours ressenti la douce sensation de vivre ma passion. Je recherche dans les yeux bleus (couleur du ciel et du drapeau argentin) et les chevelures noir obscur des passions sincères, une douce émotion. Et dans ma triste vie errante et pleine d’illusions, je veux donner tout mon cœur.
Autres versions
Alma de bohemio 1914 – Orquesta Argentina Roberto Firpo.
Le tango, tel qu’il était joué dans la pièce originale, par Firpo, c’est-à-dire sans parole. Ces dernières n’ont été écrites par Caruso qu’une dizaine d’années plus tard.
Alma de bohemio 1925-12-16 – Orquesta Julio De Caro.
Là où il y a de la recherche d’originalité, De Caro s’y intéresse.
Alma de bohemio 1925 – Ignacio Corsini.
La plus ancienne version chantée avec les paroles de Caruso. Il est assez logique que Corsini soit le premier à l’avoir chanté, car il était à la fois proche de Firpo avec qui il a enregistré Patotero sentimental en 1922 et de Caruso dont il a enregistré de nombreux titres. Il était donc à la croisée des chemins pour enregistrer le premier.
Séance d’enregistrement d’Ignacio Corsini (debout) avec, de gauche à droite, ses guitaristes Rosendo Pesoa, Enrique Maciel et Armando Pagés. La photo date probablement des années 30, elle est donc moins ancienne que l’enregistrement présenté.Alma de bohemio 1927-04-26 – Orquesta Osvaldo Fresedo.
Une belle version instrumentale, relativement étonnante pour l’époque.
Alma de bohemio 1927-05-05 – Orquesta Francisco Canaro.
Une version typique de Canaro. On verra qu’il l’enregistrera à d’autres reprises.
Alma de bohemio 1927-07-26 – Orquesta Roberto Firpo.
Treize ans plus tard, Roberto Firpo redonne vie à son titre, toujours de façon instrumentale.
Alma de bohemio 1929-05-18 – Orquesta Típica Victor.
Deux ans plus tard, la Típica Victor, dirigée par Adolfo Carabelli donne sa propre version également instrumentale.
Alma de bohemio 1929-09-19 – Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro.
Ada Falcón avec sa voix d’une grande pureté en donne une version magnifique accompagnée par son cher Canaro. On notera les notes tenues, un temps impressionnant, plus que ce qu’en avait donné Corsini. Disons que Falcón lancera la course à la note tenue le plus longtemps possible.
Le succès de Corsini avec les paroles de Caruso va permettre au titre de retourner dans le spectacle avec le premier film parlant argentin, Tango réalisé par Luis MogliaBarth et sorti en 1933.
1933 Tango – Alma de Bohemio par Alberto Gómez dans le film de Luis Moglia Barth, Tango sorti le 27 avril 1933.
Alberto Gómez suivra donc également les traces de Falcón avec de belles notes tenues.
Alma de bohemio 1930-09-05 – Orquesta Francisco Canaro.
Francisco Canaro reste sur la voie du tango de concierto avec une version très étonnante et qui fait l’impasse sur les notes très longuement tenues. Je pense qu’il faut associer cette interprétation aux recherches de Canaro en direction du tango fantasia ou symphonique. Pour moi, il n’est pas question de proposer cela à des danseurs, mais je trouve cette œuvre captivante et je suis content de vous la faire découvrir (enfin, à ceux qui ne connaissaient pas).
Alma de bohemio 1935-01-23 – Trío Ciriaco Ortiz.
Le Trío Ciriaco Ortiz offre lui aussi une version très sophistiquée et surprenante de l’œuvre. C’est bien sûr plus léger que ce qu’a fait Canaro cinq ans plus tôt, mais c’est un trio, pas une grosse machine comme celle de Canaro.
Alma de bohemio 1939-03-24 – Orquesta Rodolfo Biagi con Teófilo Ibáñez.
On peut au moins apporter au crédit de Biagi qu’il a essayé de faire la première version de danse. Cette version est à l’opposé de tout ce qu’on a entendu. Le rythme soutenu et martelé est presque caricatural. J’ai du mal à considérer cela comme joli et même si c’est éventuellement dansable, ce n’est pas la version que je passerais en milonga.
Alma de bohemio 1943-07-15 – Orquesta Pedro Laurenz con Alberto Podestá. C’est notre tango du jour.
Avec cette version mise au point par Pedro Laurenz, un immense chef d’orchestre ayant trop peu enregistré à mon goût, on a une bonne synthèse d’une version pour la danse et à écouter. Alberto Podestá gagne clairement le concours de la note tenue la plus longue. Il surpasse Falcón, Gómez et en 1949, Castillo ne fera pas mieux…
Alma de bohemio 1946-11-13 – Orquesta Francini-Pontier con Alberto Podestá.
Alberto Podestá s’attaque à son record de la note tenue la plus longue et je crois qu’il l’a battu avec cette version. Cela constitue une alternative avec la version de Laurenz.
Alma de bohemio 1947-04-02 – Orquesta Ricardo Tanturi con Osvaldo Ribó.
Alma de bohemio 1947-04-02 – Orquesta Ricardo Tanturi con Osvaldo Ribó. Avec cet enregistrement, Osvaldo Ribó prouve qu’il ne manque pas d’air, lui non plus…
Alma de bohemio 1947-05-21 – Roberto Firpo y su Nuevo Cuarteto.
Tiens, une version instrumentale. Firpo tenterait-il de tempérer les ardeurs des chanteurs gonflés ?
Alma de bohemio 1947-06-10 – Orquesta Ángel D’Agostino con Tino García.
La tentative de Firpo ne semble pas avoir réussi, Tino García explose les compteurs avec cette version servie par le tempo modéré de D’Agostino.
Voici Alberto Castillo, pour la seconde version cinématographique de Alma de Bohemio, dans un film qui porte le nom de ce tango.
Alberto Castillo chante Alma de bohemio (dans la seconde partie de cet extrait) dans le film réalisé par Julio Saraceni à partir d’un scénario de Rodolfo Sciammarella et Carlos A. Petit. Le film est sorti le 24 août 1949. L’orchestre est dirigé par Eduardo Rovira ou Ángel Condercuri… L’enregistrement a été réalisé le 6 mai 1949. Castillo ne dépasse pas Podestá dans le concours de la note tenue la plus longue, mais il se débrouille bien dans cet exercice.
Fidel Pintos (à gauche) et Alberto Castillo dans le film de Julio Saraceni Alma de bohemio (1949).Alma de bohemio 1951-07-17 – Juan Cambareri y su Cuarteto Típico con Alberto Casares.
Alberto Casares fait durer de façon modérée les notes, l’originalité principale de cette version est l’orchestration délirante de Cambareri, avec ses traits virtuoses et d’autres éléments qui donnent le sourire, à l’écoute, pour la danse, cela reste à prouver… Signalons qu’une version avec le chanteur Hector Berardi circule. Berardi a en effet remplacé Casares à partir de 1955, mais cette version est un faux. C’est celle de Casares dont on a supprimé les premières notes de l’introduction. Les éditeurs ne reculent devant aucune manœuvre pour vendre deux fois la même chose…
Alma de bohemio 1958-12-10 – Orquesta Osvaldo Pugliese.
Une version bien différente et qui marque la maîtrise créative de Pugliese. Souvenons-nous tout de même que d’autres orchestres, y compris Canaro s’étaient orientés vers des versions sophistiquées.
Alma de bohemio 1958 – Argentino Galván.
La version la plus courte (37 secondes), extraite du disque de Argentino Galván que je vous ai déjà présenté Historia de la orquesta tipica.
Alma de bohemio 1959-04-29 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.
À la tête de son Quinteto Pirincho, Francisco Canaro, donne une nouvelle version de l’œuvre. Rien qu’avec ses versions on croise une grande diversité d’interprétations. De la version de 1927, canyengue, l’émouvante version avec Ada Falcón, celle de 1930, étonnamment moderne et finalement celle-ci, légère et relativement dansante. Il y a du choix chez Monsieur Canaro.
Alma de bohemio 1965-12-10 – Orquesta Aníbal Troilo con Nelly Vázquez.
Nelly Vázquez prouve que les femmes ont aussi du coffre. L’orchestre d’Aníbal Troilo est ici au service de la chanteuse, il ne propose pas une version révolutionnaire qui aurait nuit à l’écoute de Nelly Vázquez. Cette intégration fait que c’est une version superbe, à écouter les yeux fermés.
Alma de bohemio 1967 – Astor Piazzolla y su Orquesta.
Piazzolla propose sans doute la version la plus étonnante. Le chœur de voix féminines sera sans doute une surprise pour beaucoup. L’atmosphère inquiète avec les grands coups de cordes tranchants, moins, car ils font partie du vocabulaire usuel d’Astor. Le thème original est transfiguré, la plupart du temps difficile à retrouver, mais ce n’est pas un problème, car il n’a servi que de prétexte à Piazzolla pour illuminer les nouvelles voies qu’il ouvrait dans le tango.
Il y a bien d’autres enregistrements, mais aucun ne me semblait pourvoir lutter contre cette version de Piazzolla, aucun, peut-être pas, et je vous propose de revenir à notre concours de la note tenue la plus longue et je pense que c’est un chanteur d’Opéra, un des plus grands chanteurs d’opéra du vingtième siècle, Plácido Domingo qui nous l’offre. Écoutez comme, tranquillement, il explose tous les compteurs avec une facilité apparente incroyable.
Alma de bohemio 1981 — Plácido Domingo — dir. y arr. Roberto Pansera.
Impressionnant, non ?
Vous en redemandez, alors, je vous propose une version un peu plus tardive (1987) où, en plus, il joue l’accompagnement au piano. Il définitivement meilleur chanteur que pianiste, mais quel artiste.
Alma de Bohemio 1987 — Plácido Domingo (piano) — Avery Fisher Hall (New York)
Nunca más, est comme un cri lancé. Nunca más exprime la rage, le désespoir, l’espoir. Nunca más, c’est un des plus beaux thèmes enregistrés par D’Arienzo avec Mauré. Nunca más est une œuvre de deux des frères Lomuto, Francisco qui en a fait la musique et Oscar qui a écrit les paroles. Un tango qui exprime la rage, le désespoir, l’espoir. C’est notre tango du jour.
Extrait musical
Nunca más 1941-07-14 – Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré.Nunca más. Francisco Lomuto Letra: Oscar Lomuto.
Paroles
En una noche de falsa alegría tus ojos claros volví a recordar y entre los tangos, el vino y la orgía, busqué febril tu recuerdo matar. Recordaba mi dicha sin igual que a vos sola mi vida consagré, pero ingrata te fuiste y en mi mal triste y solo, cobarde, te lloré.
Eras la ilusión de mi vida toda mi alegría y mi pasión. Mala, yo que te quise por buena en tus dulces labios, nena, me he quemado el corazón. Linda, muñequita mimosa, siempre, en mi corazón estás, Nena, acordate de la pena que me dio tu boca, loca, cuando dijo: ¡Nunca más!
Entre milongas y timbas, mi vida pasando va estas horas inquietas, de penas lleno, el alma oprimida, pálido el rostro como una careta. Arrepentida, nunca vuelvas, jamás a pedir desolada mi perdón. ¡No olvides que al decirme nunca más, me dejaste, mujer, sin corazón!…
Francisco Lomuto Letra: Oscar Lomuto
Traduction libre
Par une nuit de joie factice, je me suis rappelé tes yeux clairs et entre les tangos, le vin et l’orgie, j’ai cherché fébrilement à tuer ton souvenir. Je me suis souvenu de mon bonheur sans pareil d’avoir consacré ma vie à toi seul, mais ingrate, tu t’en es allée et dans mon mal triste et solitaire, lâche, je t’ai pleurée. Tu étais l’amour (« ilusión » n’est pas « illusion ») de ma vie, toute ma joie et ma passion. Mauvaise, moi qui t’ai aimé pour le bien sur tes douces lèvres, petite, j’ai brûlé mon cœur. Belle, poupée câline, tu es toujours, dans mon cœur, Petite, souviens-toi du chagrin que ta bouche folle m’a donné, quand elle a dit : Plus jamais ! Entre milongas et timbas (tripot, boîtes de jeu clandestines), ma vie passe par ces heures agitées, pleines de chagrins, l’âme oppressée, le visage pâle comme un masque. Repentante, jamais tu ne reviens, jamais à demander, désolée, mon pardon. N’oublie pas qu’en disant plus jamais, tu m’as laissé, femme, sans cœur !… (la virgule change le sens de la phrase. Là, c’est probablement lui qui est sans cœur, même s’il est sous-entendu qu’elle a également été sans cœur de l’abandonner. J’y vois une façon subtile de la mettre en cause, mais sans l’attaquer de front, au cas où elle reviendrait…).
Autres versions
Nunca más 1924 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras).
Gardel est le premier à avoir enregistré le titre, environ deux ans après son écriture.
Nunca más 1927-07-19 – Orquesta Francisco Lomuto.
Trois ans après Gardel, Lomuto enregistre le titre conçu avec son frère. Une version bien canyengue. Pas vilain, mais à réserver aux amateurs du genre. Le bandonéon de Minotto Di Cicco est bien virtuose pour l’époque.
Nunca más 1931-08-27 – Orquesta Francisco Lomuto con Alberto Acuña y Fernando Díaz.
Une version plus tonique, qui montre mieux la colère de l’homme abandonné. Enfin, pour le début, car quand les chanteurs commencent d’une voix miaulante, tout retombe. Je ne suis pas convaincu par ce duo. Ce ne sera pas ma version préférée, mais il y en a tant d’autres que ce n’est pas un problème… Le plus étonnant est que c’est la plus diffusée. Une fois les chanteurs muets, la musique reprend, plus entraînante, c’était juste un « mauvais moment » à passer. Comme quoi, les goûts et les couleurs… On notera que Oscar Napolitano qui a remplacé un autre frère de Lomuto (Enrique) intervient de façon sympathique.
Nunca más 1931-11-10 – Alberto Gómez con acomp. de guitarras.
Gómez propose une version chantée, sans doute plus sympathique que celle de Gardel.
Nunca más 1932-01-12 – Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro.
On reste dans les versions à écouter avec Ada Falcón. Elle met au service du titre sa diction et son phrasé particulier. C’est un autre titre sympathique à écouter.
Nunca más 1941-07-14 – Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré.
C’est notre tango du jour. Il reprend le début tonique de la version de 1931 de Lomuto, mais avec la rage de D’Arienzo à pleine puissance. Une énergie fantastique se dégage de ce titre et donnera un élan irrépressible aux danseurs. Ce qui est merveilleux est que Mauré s’inscrit dans cette dynamique sans faire chuter la dynamique, même si l’orchestre se met en retrait pendant son intervention. C’est un des très grands titres de danse de D’Arienzo. Ce n’est pas par hasard que je l’ai choisi comme tango du jour…
Nunca más 1948-09-23 – Orquesta Miguel Caló con Roberto Arrieta.
On change d’univers avec Miguel Caló. On est surpris par de nombreux changements de tonalité. Même si la voix de Arrieta est belle, on aura sans doute mal à soulever l’enthousiasme des danseurs avec cette version.
Nunca más 1950-04-25 – Orquesta Francisco Lomuto con Miguel Montero.
De fin à 1949 à fin 1950, Montero a enregistré de quoi faire une tanda calme et nostalgique avec Lomuto, mais je pense que ceux qui adorent Montero sont plus des auditeurs que des danseurs.
Nunca más 1956-08-31 – Ángel Vargas y su Orquesta dirigida por Edelmiro « Toto » D’Amario.
Sans son partenaire ange, (D’Agostino), Vargas poursuit sa carrière. L’orchestre de Toto propose un accompagnement de qualité. La voix de Vargas est toujours merveilleuse. On écoutera donc sans doute ce titre avec plaisir dans un bon canapé.
Nunca más 1974-12-11 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe.
Avec son second chanteur fétiche, D’Arienzo renouvèlera-t-il le succès de la version de 1941 ? Pour moi, non. Cette version clinquante comme beaucoup d’enregistrement de cette époque a laissé de côté la qualité de la danse au profit du spectacle, voire de l’esbrouffe. Echagüe, lui-même donne trop de sensiblerie dans son interprétation. Je vous conseille de revenir au titre chanté par Mauré.
En résumé, pour moi, le DJ qui souhaite faire plaisir aux danseurs, il n’y a qu’une seule version pour une milonga de qualité, celle de 1941, même si certaines autres feront plaisir à l’écoute.
Histoire du corbeau qui dit Nunca más
Ce titre me fait penser au texte d’Edgar Allan Poe, Le corbeau (The raven).En voici la version en anglais et à la suite, la version traduite en français par Charles Baudelaire.
Nevermore (Nunca más).
Paroles
‘Once upon a midnight dreary, while I pondered, weak and weary, Over many a quaint and curious volume of forgotten lore— While I nodded, nearly napping, suddenly there came a tapping, As of some one gently rapping, rapping at my chamber door. “’Tis some visitor,” I muttered, “tapping at my chamber door— Only this and nothing more.”
Ah, distinctly I remember it was in the bleak December; And each separate dying ember wrought its ghost upon the floor. Eagerly I wished the morrow; —vainly I had sought to borrow From my books surcease of sorrow – sorrow for the lost Lenore— For the rare and radiant maiden whom the angels name Lenore— Nameless here for evermore.
And the silken, sad, uncertain rustling of each purple curtain Thrilled me – filled me with fantastic terrors never felt before; So that now, to still the beating of my heart, I stood repeating “’Tis some visitor entreating entrance at my chamber door— Some late visitor entreating entrance at my chamber door; — This it is and nothing more.”
Presently my soul grew stronger; hesitating then no longer, “Sir,” said I, “or Madam, truly your forgiveness I implore; But the fact is I was napping, and so gently you came rapping, And so faintly you came tapping, tapping at my chamber door, That I scarce was sure I heard you” – here I opened wide the door; — Darkness there and nothing more.
Deep into that darkness peering, long I stood there wondering, fearing, Doubting, dreaming dreams no mortal ever dared to dream before; But the silence was unbroken, and the stillness gave no token, And the only word there spoken was the whispered word, “Lenore?” This I whispered, and an echo murmured back the word, “Lenore!”– Merely this and nothing more.
Back into the chamber turning, all my soul within me burning, Soon again I heard a tapping somewhat louder than before. “Surely,” said I, “surely that is something at my window lattice; Let me see, then, what thereat is, and this mystery explore— Let my heart be still a moment and this mystery explore; — ’Tis the wind and nothing more!”
Open here I flung the shutter, when, with many a flirt and flutter, In there stepped a stately Raven of the saintly days of yore; Not the least obeisance made he; not a minute stopped or stayed he; But, with mien of lord or lady, perched above my chamber door— Perched upon a bust of Pallas just above my chamber door— Perched, and sat, and nothing more.
Then this ebony bird beguiling my sad fancy into smiling, By the grave and stern decorum of the countenance it wore, “Though thy crest be shorn and shaven, thou,” I said, “art sure no craven, Ghastly grim and ancient Raven wandering from the Nightly shore— Tell me what thy lordly name is on the Night’s Plutonian shore!” Quoth the Raven “Nevermore.”
Much I marvelled this ungainly fowl to hear discourse so plainly, Though its answer little meaning – little relevancy bore; For we cannot help agreeing that no living human being Ever yet was blessed with seeing bird above his chamber door— Bird or beast upon the sculptured bust above his chamber door, With such name as “Nevermore.”
But the Raven, sitting lonely on the placid bust, spoke only That one word, as if his soul in that one word he did outpour. Nothing farther then he uttered – not a feather then he fluttered— Till I scarcely more than muttered “Other friends have flown before— On the morrow he will leave me, as my Hopes have flown before.” Then the bird said “Nevermore.”
Startled at the stillness broken by reply so aptly spoken, “Doubtless,” said I, “what it utters is its only stock and store Caught from some unhappy master whom unmerciful Disaster Followed fast and followed faster till his songs one burden bore— Till the dirges of his Hope that melancholy burden bore Of ‘Never – nevermore’.”
But the Raven still beguiling all my fancy into smiling, Straight I wheeled a cushioned seat in front of bird, and bust and door; Then, upon the velvet sinking, I betook myself to linking Fancy unto fancy, thinking what this ominous bird of yore— What this grim, ungainly, ghastly, gaunt, and ominous bird of yore Meant in croaking “Nevermore.”
This I sat engaged in guessing, but no syllable expressing To the fowl whose fiery eyes now burned into my bosom’s core; This and more I sat divining, with my head at ease reclining On the cushion’s velvet lining that the lamp-light gloated o’er, But whose velvet-violet lining with the lamp-light gloating o’er, She shall press, ah, nevermore!
Then, methought, the air grew denser, perfumed from an unseen censer Swung by Seraphim whose foot-falls tinkled on the tufted floor. “Wretch,” I cried, “thy God hath lent thee – by these angels he hath sent thee Respite – respite and nepenthe from thy memories of Lenore; Quaff, oh quaff this kind nepenthe and forget this lost Lenore!” Quoth the Raven “Nevermore.”
“Prophet!” said I, “thing of evil! – prophet still, if bird or devil! — Whether Tempter sent, or whether tempest tossed thee here ashore, Desolate yet all undaunted, on this desert land enchanted— On this home by Horror haunted – tell me truly, I implore— Is there–is there balm in Gilead? – tell me–tell me, I implore!” Quoth the Raven “Nevermore.”
“Prophet!” said I, “thing of evil! – prophet still, if bird or devil! By that Heaven that bends above us – by that God we both adore— Tell this soul with sorrow laden if, within the distant Aidenn, It shall clasp a sainted maiden whom the angels name Lenore— Clasp a rare and radiant maiden whom the angels name Lenore.” Quoth the Raven “Nevermore.”
“Be that word our sign of parting, bird or fiend!” I shrieked, upstarting– “Get thee back into the tempest and the Night’s Plutonian shore! Leave no black plume as a token of that lie thy soul hath spoken! Leave my loneliness unbroken! – quit the bust above my door! Take thy beak from out my heart, and take thy form from off my door!” Quoth the Raven “Nevermore.”
And the Raven, never flitting, still is sitting, still is sitting On the pallid bust of Pallas just above my chamber door; And his eyes have all the seeming of a demon’s that is dreaming, And the lamp-light o’er him streaming throws his shadow on the floor; And my soul from out that shadow that lies floating on the floor Shall be lifted – nevermore!’
Edgar Allan Poe, The raven.
Le corbeau (traduction en français de Charles Beaudelaire)
« Une fois, sur le minuit lugubre, pendant que je méditais, faible et fatigué, sur maint précieux et curieux volume d’une doctrine oubliée, pendant que je donnais de la tête, presque assoupi, soudain il se fit un tapotement, comme de quelqu’un frappant doucement, frappant à la porte de ma chambre. « C’est quelque visiteur, — murmurai-je, — qui frappe à la porte de ma chambre ; ce n’est que cela, et rien de plus. » Ah ! distinctement je me souviens que c’était dans le glacial décembre, et chaque tison brodait à son tour le plancher du reflet de son agonie. Ardemment je désirais le matin ; en vain m’étais-je efforcé de tirer de mes livres un sursis à ma tristesse, ma tristesse pour ma Lénore perdue, pour la précieuse et rayonnante fille que les anges nomment Lénore, — et qu’ici on ne nommera jamais plus. Et le soyeux, triste et vague bruissement des rideaux pourprés me pénétrait, me remplissait de terreurs fantastiques, inconnues pour moi jusqu’à ce jour ; si bien qu’enfin, pour apaiser le battement de mon cœur, je me dressai, répétant : « C’est quelque visiteur qui sollicite l’entrée à la porte de ma chambre, quelque visiteur attardé sollicitant l’entrée à la porte de ma chambre ; — c’est cela même, et rien de plus. » Mon âme en ce moment se sentit plus forte. N’hésitant donc pas plus longtemps : « Monsieur, — dis-je, — ou madame, en vérité j’implore votre pardon ; mais le fait est que je sommeillais, et vous êtes venu frapper si doucement, si faiblement vous êtes venu taper à la porte de ma chambre, qu’à peine étais-je certain de vous avoir entendu. » Et alors j’ouvris la porte toute grande ; — les ténèbres, et rien de plus ! Scrutant profondément ces ténèbres, je me tins longtemps plein d’étonnement, de crainte, de doute, rêvant des rêves qu’aucun mortel n’a jamais osé rêver ; mais le silence ne fut pas troublé, et l’immobilité ne donna aucun signe, et le seul mot proféré fut un nom chuchoté : « Lénore ! » — C’était moi qui le chuchotais, et un écho à son tour murmura ce mot : « Lénore ! » — Purement cela, et rien de plus. Rentrant dans ma chambre, et sentant en moi toute mon âme incendiée, j’entendis bientôt un coup un peu plus fort que le premier. « Sûrement, — dis-je, — sûrement, il y a quelque chose aux jalousies de ma fenêtre ; voyons donc ce que c’est, et explorons ce mystère. Laissons mon cœur se calmer un instant, et explorons ce mystère ; — c’est le vent, et rien de plus. » Je poussai alors le volet, et, avec un tumultueux battement d’ailes, entra un majestueux corbeau digne des anciens jours. Il ne fit pas la moindre révérence, il ne s’arrêta pas, il n’hésita pas une minute ; mais, avec la mine d’un lord ou d’une lady, il se percha au-dessus de la porte de ma chambre ; il se percha sur un buste de Pallas juste au-dessus de la porte de ma chambre ; — il se percha, s’installa, et rien de plus. Alors cet oiseau d’ébène, par la gravité de son maintien et la sévérité de sa physionomie, induisant ma triste imagination à sourire : « Bien que ta tête, — lui dis-je, — soit sans huppe et sans cimier, tu n’es certes pas un poltron, lugubre et ancien corbeau, voyageur parti des rivages de la nuit. Dis-moi quel est ton nom seigneurial aux rivages de la Nuit plutonienne ! » Le corbeau dit : « Jamais plus ! » Je fus émerveillé que ce disgracieux volatile entendît si facilement la parole, bien que sa réponse n’eût pas un bien grand sens et ne me fût pas d’un grand secours ; car nous devons convenir que jamais il ne fut donné à un homme vivant de voir un oiseau au-dessus de la porte de sa chambre, un oiseau ou une bête sur un buste sculpté au-dessus de la porte de sa chambre, se nommant d’un nom tel que Jamais plus ! Mais le corbeau, perché solitairement sur le buste placide, ne proféra que ce mot unique, comme si dans ce mot unique il répandait toute son âme. Il ne prononça rien de plus ; il ne remua pas une plume, — jusqu’à ce que je me prisse à murmurer faiblement : « D’autres amis se sont déjà envolés loin de moi ; vers le matin, lui aussi, il me quittera comme mes anciennes espérances déjà envolées. » L’oiseau dit alors : « Jamais plus ! » Tressaillant au bruit de cette réponse jetée avec tant d’à-propos : « Sans doute, — dis-je, — ce qu’il prononce est tout son bagage de savoir, qu’il a pris chez quelque maître infortuné que le Malheur impitoyable a poursuivi ardemment, sans répit, jusqu’à ce que ses chansons n’eussent plus qu’un seul refrain, jusqu’à ce que le De profundis de son Espérance eût pris ce mélancolique refrain : Jamais, jamais plus ! Mais, le corbeau induisant encore toute ma triste âme à sourire, je roulai tout de suite un siège à coussins en face de l’oiseau et du buste et de la porte ; alors, m’enfonçant dans le velours, je m’appliquai à enchaîner les idées aux idées, cherchant ce que cet augural oiseau des anciens jours, ce que ce triste, disgracieux, sinistre, maigre et augural oiseau des anciens jours voulait faire entendre en croassant son Jamais plus ! Je me tenais ainsi, rêvant, conjecturant, mais n’adressant plus une syllabe à l’oiseau, dont les yeux ardents me brûlaient maintenant jusqu’au fond du cœur ; je cherchais à deviner cela, et plus encore, ma tête reposant à l’aise sur le velours du coussin que caressait la lumière de la lampe, ce velours violet caressé par la lumière de la lampe que sa tête, à Elle, ne pressera plus, — ah ! jamais plus ! Alors il me sembla que l’air s’épaississait, parfumé par un encensoir invisible que balançaient des séraphins dont les pas frôlaient le tapis de la chambre. “Infortuné ! — m’écriai-je, — ton Dieu t’a donné par ses anges, il t’a envoyé du répit, du répit et du népenthès dans tes ressouvenirs de Lénore ! Bois, oh ! bois ce bon népenthès, et oublie cette Lénore perdue !” Le corbeau dit : “Jamais plus !” “Prophète ! — dis-je, — être de malheur ! oiseau ou démon, mais toujours prophète ! que tu sois un envoyé du Tentateur, ou que la tempête t’ait simplement échoué, naufragé, mais encore intrépide, sur cette terre déserte, ensorcelée, dans ce logis par l’Horreur hanté, — dis-moi sincèrement, je t’en supplie, existe-t-il, existe-t-il ici un baume de Judée ? Dis, dis, je t’en supplie !” Le corbeau dit : “Jamais plus !” “Prophète ! — dis-je, — être de malheur ! oiseau ou démon ! toujours prophète ! par ce Ciel tendu sur nos têtes, par ce Dieu que tous deux nous adorons, dis à cette âme chargée de douleur si, dans le Paradis lointain, elle pourra embrasser une fille sainte que les anges nomment Lénore, embrasser une précieuse et rayonnante fille que les anges nomment Lénore.” Le corbeau dit : “Jamais plus !” “Que cette parole soit le signal de notre séparation, oiseau ou démon ! — hurlai-je en me redressant. — Rentre dans la tempête, retourne au rivage de la Nuit plutonienne ; ne laisse pas ici une seule plume noire comme souvenir du mensonge que ton âme a proféré ; laisse ma solitude inviolée ; quitte ce buste au-dessus de ma porte ; arrache ton bec de mon cœur et précipite ton spectre loin de ma porte !” Le corbeau dit : “Jamais plus !” Et le corbeau, immuable, est toujours installé, toujours installé sur le buste pâle de Pallas, juste au-dessus de la porte de ma chambre ; et ses yeux ont toute la semblance des yeux d’un démon qui rêve ; et la lumière de la lampe, en ruisselant sur lui, projette son ombre sur le plancher ; et mon âme, hors du cercle de cette ombre qui gît flottante sur le plancher, ne pourra plus s’élever, — jamais plus ! »
Et voici, pour terminer, une version cinématographique de haute volée. À demain, les amis !
Los Simpson (The Simpsons) de Matt Groening – The Raven d’Edgar Allan Poe. Vous pouvez afficher les sous-titres dans la langue souhaitée…
Edgardo Donato a fait une double réussite en enregistrant cette valse composée par son frère. La première est d’avoir exécuté une valse magnifique, la seconde est d’avoir écarté les paroles de cet enregistrement. En effet, si les paroles nous permettent de comprendre le titre, elles sont plutôt médiocres et il est vraiment préférable que les auditeurs et danseurs imaginent leur propre histoire sur la musique.
L’attention est attirée par les coups de « klaxon ». Cela attire aussi l’attention des danseurs qui peuvent se demander ce qui se passe et ce qui va passer. Après 25 secondes, la valse démarre, elle tourne imperturbablement, ce titre est entraînant et plait en général aux danseurs qui aiment les valses. Certains n’aiment pas les valses, tant pis pour eux…
Paroles (extrait)
Amada mía, pido en mis ruegos Al de los cielos con gran devoción Que te conserve fresca y lozana rosa Temprana de mi honda pasión Tu eres alivio de mis pesares que en otros lares Yo conquisté pues en tus labios Que son dos corales hallé la dulce calma que ambicioné. Mujer amada diosa divina, con tu cariño yo soy feliz. Si el me faltara mi vida muere Por qué tú eres mi único amor pues con tus besos y tus caricias Calmas las penas de mi existir Porque en mis noches de cruel insomnio Sabes calmarme con tu elixir
Adolfo A. Vedani
Traduction libre
On comprend pourquoi on ne trouve pas de version avec les paroles. L’intention est touchante, mais le résultat est assez pauvre et plat.Mon aimée, je demande dans mes prières vers les cieux, avec une grande dévotion, qu’il te garde fraîche et luxuriante rose. Dès le début de ma passion profonde, tu es le soulagement de mes chagrins, plus que toute autre personne généreuse (lare signifie en lunfardo personne généreuse, ou corps…). J’ai conquis ensuite sur tes lèvres qui sont deux coraux, j’ai trouvé le doux calme que je convoitais. Femme aimée, déesse divine, avec ton affection, je suis heureux. Si elle me faisait défaut, ma vie mourrait. Parce que tu es mon seul amour et que de tes baisers et de tes caresses tu apaises les chagrins de mon existence. Parce que dans mes nuits d’insomnie cruelle, tu sais comment me calmer avec ton élixir. Cet extrait des paroles permet de comprendre le thème de la valse. Comme la seule version enregistrée est celle de Donato et qu’elle est instrumentale, je pense que vous pouvez oublier les paroles et ne garder que les images que vous souhaitez pour vous inspirer dans la danse…
Autres versions
Il n’y a pas d’autre version… Vous pouvez donc réécouter cette jolie valse 😉
Mais avant de nous quitter, je vous pose la question de si vous préférez cette valse avec son assez longue introduction de 25 secondes ou en entrée directe. Comme DJ, j’ai tendance à supprimer l’introduction en milieu de tanda, mais beaucoup moins en début de tanda, l’introduction étant un appel. Les danseurs peuvent terminer tranquillement les miradas/cabeceos et être sur la piste au moment où la musique démarre. J’annonce juste au micro que ce sont des valses et que ça démarre après l’introduction.
En 2012, le thème du festival Tangopostale de Toulouse était les deux rives. À cette occasion, j’ai eu l’idée d’alterner les tandas argentines et uruguayennes. Entre les deux, une cortina réalisée pour l’occasion permettait de matérialiser le passage d’une rive à l’autre. Je me souviens de l’accueil enthousiaste pour Mi vieja linda qui était peu connue à l’époque, tout comme les versions de nombreux orchestres uruguayens qui n’étaient alors représentés que par Racciatti et Villasboas… Dix ans plus tard, le Sexteto Cristal a eu l’excellente idée de reprendre à l’identique Mi vieja linda, ce qui a permis à de nouvelles générations de danseurs de redécouvrir cette milonga festive, comme beaucoup de musiques uruguayennes.
Extrait musical
Mi vieja linda 1941 – Orquesta Emilio Pellejero con Enalmar De María.Mi vieja linda. Partition pour quatre guitares.
Paroles
Mi vieja linda Pensando en vos Se me refresca El corazón Desde el día que te vi Tras de la reja En mi pecho abrió una flor Como una luz Y la pasión Alumbró mi corazón Mi vieja linda Pensando en vos Me siento bueno Como el mejor Y cuando un beso te doy Boca con boca Yo paladeo el sabor De estar en vos Que estar así Corazón a corazón
Ernesto Céspedes Polanco
Traduction libre
Ma jolie chérie (vieja est la mère, ou la femme chérie. Vu le reste des paroles, c’est la seconde option la bonne…), en pensant à toi, mon cœur est rafraîchi. Depuis le jour où je t’ai vu, à travers la grille, une fleur s’est ouverte dans ma poitrine, comme une lumière et la passion a illuminé mon cœur. Ma jolie chérie, je pense à toi. Je me sens bien, comme le meilleur et quand je te donne un baiser, bouche contre bouche, je savoure le goût d’être en toi, d’être ainsi, cœur à cœur.
Autres versions
Mi vieja linda 1941 – Orquesta Emilio Pellejero con Enalmar De María. C’est notre milonga du jour.Mi vieja linda 2022-07-12 – Sexteto Cristal con Guillermo Rozenthuler.
Comparaison des deux versions
Vous l’aurez remarqué, les deux versions sont très semblables. Le Sexteto Cristal a reproduit exactement l’interprétation de Emilio Pellejero. Pour vous permettre de vérifier que le travail est excellent, je vous propose d’écouter les deux musiques en même temps. Vous pourrez constater que la plupart du temps, la musique est synchronisée. Cela veut dire que les danseurs pourront danser indifféremment sur une version ou l’autre, sans différence notable.
Le Sexteto Crital a eu l’excellente idée d’interpréter « Mi vieja linda » de Ernesto Céspedes Polanco et qui était connu principalement pour la version enregistrée en 1941 par Emilio Pellejero avec la voix d’Enalmar De María. Sa reproduction de la version originale est presque parfaite comme vous le verrez dans cette vidéo. Les deux versions jouent en même temps et sont presque toujours synchronisées.
Les deux rives
L’année dernière au festival de Tarbes, il y avait le Sexteto Cristal qui a bien sûr joué son titre fétiche. J’intervenais le lendemain dans la Halle Marcadieu et j’ai pu passer la version originale de Pellejero afin de rendre à César (plutôt Emilio) ce qui était à Emilio Pellejero et je pourrais également rajouter Ernesto, Ernesto Céspedes Polanco, l’auteur de la musique et des paroles et qui a réalisé quelques titres principalement interprétés par Emilio Pellejero comme Paloma que vuelas et Quemando recuerdos, les deux avec des paroles de Fernando Silva Valdés. Il est d’usage de dire que le tango est un enfant des deux rives du Rio de la Plata, Buenos Aires et sa Jumelle orientale, Montevideo. Le passage d’un pays à l’autre était courant pour ne pas dire constant pour les orchestres. La perméabilité entre les deux rives était donc extrême. Cependant, la plupart des artistes qui ont cherché à développer leur carrière se sont centrés sur Buenos Aires, comme Francisco Canaro, né Uruguayen et naturalisé Argentin.
À Donato Racciatti et Miguel Villasboas, on peut rajouter quelques orchestres uruguayens moins connus : Nelson Alberti, Julio Arregui, Juan Cao, Antonio Cerviño, Roberto Cuenca, Romeo Gavioli, Álvaro Hagopián, Juan Manuel Mouro, Ángel Sica, Julio Sosa.
Durant la pandémie COVID, je diffusais une milonga hebdomadaire et le fait de passer aussi des orchestres uruguayens m’avait attiré la sympathie d’auditeurs de ce pays et j’avais reçu de nombreuses informations via Messenger. Malheureusement, la fermeture par Facebook de mon compte de l’époque m’a fait perdre toutes ces informations. Je me souviens de contacts d’enfants de musiciens et de témoignages sur les orchestres de l’époque que je n’avais pas mis au propre, par manque de temps de traiter ces informations très riches. Je comptais également enrichir ma discothèque à partir de ces sources. Si mes contacts de l’époque lisent ce blog, qu’ils n’hésitent pas à reprendre contact…
Cruzando el Rio de la Plata – Volver (Chamuyo) et bruitages DJ BYC. Une des cortinas des deux rives de Tangopostale 2012. DJ BYC Bernardo. Les effets stéréo de la traversée sont bien sur perdus à cause de la nécessité de passer les fichiers en mono pour le blog (limite de taille des fichiers à 1Mo).Mi vieja linda 1941. Femme à la fenêtre Antoine Bourdelle.
Pour réaliser cette image, j’ai utilisé une peinture d’Antoine Bourdelle, un sculpteur génial dont on peut voir les œuvres à Buenos Aires, Toulouse et à Paris où sa maison musée est une merveille.
Antoine Bourdelle, Femme à la fenêtre, Huile sur toile, Paris, musée Bourdelle
Carlos Di Sarli Letra : Héctor Marcó (Héctor Domingo Marcolongo)
Une grande partie des titres composés par Carlos Di Sarli ont des paroles de Héctor Marcó, commeCorazón (le premier titre de leur collaboration), Porteño y bailarín,Nido gaucho, Juan Porteño, En un beso la vida, Rosamel, Bien frappé, et la merveille d’aujourd’hui, La capilla blanca, transcendée par la voix de AlbertoPodestá.
Héctor Marcó écrira les paroles de ce tango à la suite d’une expérience personnelle. Carlos Di Sarli le mettra soigneusement en musique, avec le temps nécessaire pour donner sa mesure à un sujet qui parlait à sa sensibilité. Di Sarli n’était pas un compositeur de l’instant, il savait prendre son temps…
Comme vous le découvrirez à la lecture des paroles si vous ne les connaissiez pas, ce tango pourrait être l’objet d’un fait divers, comme en relatent les journalistes, journalistes auquel ce tango est dédié.
”Existe un gremio que siempre pidió para los demás, y nunca para sí mismo. …Ese gremio, es el de los periodistas. Muy justo entonces que yo lo recuerde con cariño y dedique a todos los periodistas de la Argentina, este tango”. Carlos Di Sarli.
Dédicace inscrite sur la couverture de la partition éditée par Julio Korn.
« Il existe un syndicat qui a toujours demandé pour les autres, et jamais pour lui-même… Ce syndicat c’est celui des journalistes. C’est donc très juste que je m’en souvienne avec affection et que je dédie ce tango à tous les journalistes argentins. » Carlos Di Sarli.
La capilla blanca 1944-07-11 – Orquesta Carlos Di Sarli con Alberto Podestá.
Les propositions légères des violons sont ponctuées de lourds accords du piano de Di Sarli. La tonalité passe du mode majeur au mode mineur à diverses reprises, suggérant des émotions mêlées. À 1:20 la chaleureuse voix de Podestá reprend le motif des violons. Le passage au second thème est signalé par un point d’orgue appuyé. Il déroule ensuite le début des paroles jusqu’à l’ultime note.
La capilla blanca. À gauche, édition Korn sur laquelle on peut lire la dédicace aux journalistes. Au centre et à droite, édition brésilienne de la Partition. Le chanteur est Victor Manuel Caserta. Je n’ai malheureusement pas trouvé d’interprétation enregistrée par lui. On notera qu’il est né à Buenos Aires de parents d’origine brésilienne. Il fut également poète, mais pas auteur de textes de tango, à ma connaissance.
Paroles
En la capilla blanca de un pueblo provinciano, muy junto a un arroyuelo de cristal, me hincaban a rezar tus manos… Tus manos que encendían mi corazón de niño. Y al pie de un Santo Cristo, las aguas del cariño me dabas de (a) beber.
Feliz nos vio la luna bajar por la montaña, siguiendo las estrellas, bebiendo entre tus cabras, un ánfora de amor… Y hoy son aves oscuras esas tímidas campanas que doblan a lo lejos el toque de oración. Tu voz murió en el río, y en la capilla blanca, quedó un lugar vacío ¡Vacío como el alma de los dos…!
En la capilla blanca de un pueblo provinciano, muy junto a un arroyuelo de cristal, presiento sollozar tus labios… Y cuando con sus duendes la noche se despierta al pie de Santo Cristo, habrá una rosa muerta, ¡que ruega por los dos!
Carlos Di Sarli Letra: Héctor Marcó
Alberto Podestá et Mario Pomar chantent seulement ce qui est en gras.
Traduction libre
Dans la chapelle blanche d’un village provincial, tout près d’un ruisseau de cristal, tes mains m’ont agenouillé pour prier… Tes mains qui ont illuminé mon cœur d’enfant. Et au pied d’un Saint Christ, tu m’as donné à boire les eaux de l’affection. La lune nous a vus descendre heureux de la montagne, suivant les étoiles, buvant parmi tes chèvres, une amphore d’amour… Et aujourd’hui, ce sont des oiseaux obscurs, ces cloches timides qui sonnent au loin l’appel à la prière. Ta voix s’est éteinte dans la rivière, et dans la chapelle blanche, une place vide a été laissée. Vide comme l’âme des deux… ! Dans la chapelle blanche d’un village provincial, tout près d’un ruisseau de cristal, je sens tes lèvres sangloter… Et quand avec ses duendes (sorte de gnomes, lutins de la mythologie argentine) la nuit se réveillera au pied du Saint Christ, il y aura une rose morte, Priez pour nous deux !
Comme vous l’aurez noté, les paroles ont une connotation religieuse marquée. C’est assez courant dans le tango, l’Argentine n’ayant pas la séparation de l’église et de l’état comme cela peut se faire en France et la religion, les religions sont beaucoup plus présentes. Par ailleurs, Di Sarli était religieux et donc ce type de traitement du sujet n’était pas pour lui déplaire.
Autres versions
La capilla blanca 1944-07-11 – Orquesta Carlos Di Sarli con Alberto Podestá.
C’est notre tango du jour et probablement la version de référence pour ce titre. Podesta ne chante que les premiers couplets.
La capilla blanca 1953-06-26 – Orquesta Carlos Di Sarli con Mario Pomar (Mario Corrales).
J’aime beaucoup Mario Pomar. Cette version est suffisamment différente de celle de 1944 pour avoir tout son intérêt. Son tempo est plus lent, plus majestueux. Je peux passer indifféremment, selon les circonstances, l’une ou l’autre de ces versions.
La capilla blanca 1973 – Roberto Rufino.
Comment dire. Rufino qui a fait de si belles choses avec Di Sarli aurait peut-être pu se dispenser de cet enregistrement. Même pour l’écoute, je ne le trouve pas satisfaisant, mais je peux me tromper.
La capilla blanca 1973 – Alberto Podestá accomp. Orquesta de Leopoldo Federico.
La capilla blanca 1973 – Alberto Podestá accomp. Orquesta de Leopoldo Federico. Podestá enregistre de nouveau son grand succès. Ici, avec l’orchestre suave et discret de Leopoldo Federico.
La capilla blanca 1986 – Alberto Podestá accomp. Orquesta de Alberto Di Paulo. Encore Podestá. La capilla blanca 2000c – Alberto Podestá accomp. Orquesta de Leopoldo Federico.
Podestá accompagné par Federico nous propose une autre version encore plus lente.
La capilla blanca 2008 (publication 2009-09) – José Libertella (Pepe) con Adalberto Perazzo.
Pepe Libertella, le leader du Sexteto Mayor propose cette version de notre tango du jour. Adalberto Perazzo chante tous les couplets, y compris la triste fin.
La capilla blanca 2011 – Orquesta Típica Gente de Tango con Héctor Morano.La capilla blanca 2020-07-10 – Pablo Montanelli.
Dans son interprétation au piano, Pablo Montanelli fait ressortir le rythme de habanera à la main gauche.
L’illustration de couverture
Une chapelle blanche au bord d’une rivière, ça ne se trouve pas si facilement. J’ai pensé délirer à partir de la création de Le Corbusier, Notre dame du haut à Ronchamp.
Notre Dame du Haut à Ronchamp, architecte Le Corbusier. Le cours d’eau au premier plan est bien sûr une création de ma part…
Premier jet que je n’ai pas continué, la chapelle aussi magnifique soit elle ne me paraît pas pouvoir convenir et je ne voyais pas comment l’intégrer avec une rivière qui aurait détruit la pureté de ses lignes.
J’ai pensé ensuite à différentes petites églises vues du côté de Salta ou Jujuy, comme l’église San José de Cachi dont j’adore le graphisme épuré.
Une photo brute, avant toute intervention de la Iglesia San José de Cachi.
Cette église a également les trois cloches, comme sur la partition éditée par Julio Korn. Cependant, cela fait trop église et pas assez chapelle. Trois cloches pour une chapelle, c’est trop, même si cela a peut-être été validé par Di Sarli et Marcó comme on l’a vu sur la partition éditée par Jules Korn. Je pense que j’aurais pu en faire un truc intéressant, type art déco ou autre stylisation. Une autre candidate aurait pu être la chapelle mystérieuse de Rio Blanco. Elle est assez proche du Rio Rosario. Je vous la laisse découvrir en suivant ce lien… J’ai finalement opté pour l’image que j’ai choisie. Un paysage romantique, situé quelque part dans les Andes. Pourquoi les Andes, je ne sais pas. Sans doute que c’est, car il y a mes paysages préférés d’Argentine. Et puis le texte parle de montagne, alors, autant en choisir de belles… La montagne a été constituée à partir d’éléments pris dans les Andes, dont le merveilleux pic de El Chalten, la montagne qui fume. La chapelle est en fait un ermitage dédié à la Virgen de Fátima en Asturies (Espagne). Ce n’est pas couleur locale, mais c’est la même église que José María Otero a utilisée pour son texte sur ce tango. Pour donner un effet romantique, l’eau est en pose longue et j’ai joué d’effets dans Photoshop, pour la lumière et l’aspect vaporeux. Je trouve que le résultat, avec sa rivière meurtrière et ce contre-jour dévoilant des ombres inquiétantes, exprime bien ce que je ressens à la lecture du texte de Héctor Marcó.
La capilla blanca, dans ce montage, vous reconnaîtrez El Chalten, la montagne qui fume, cet impressionnant pic de la Patagonie. La chapelle est en fait l’ermitage de la Virgen de Fátima en Asturies (Espagne).
Osmar Maderna (Osmar Héctor Maderna) Letra: Luis Rubistein
Curieusement, Osmar Maderna ne semble pas avoir enregistré ce titre qu’il a composé. Pourtant, dans la version de Caló, on reconnaît bien son orchestration. Si on creuse un peu la question, on se rend compte qu’il l’a enregistré, comme pianiste de Miguel Caló et entouré des musiciens exceptionnels de cet orchestre. Il était difficile de faire mieux pour mettre en musique un de plus beaux poèmes d’amour du tango.
Les musiciens de Miguel Caló
Piano : Osmar Maderna. Son style délicat et simple cadre parfaitement avec la merveilleuse déclaration d’amour que constitue ce tango. Le bon homme à la bonne place, d’autant plus qu’il est l’auteur de la musique… Bandonéons : Domingo Federico, Armando Pontier, José Cambareri (le mage du bandonéon et sa virtuosité époustouflante) et Felipe Ricciardi. Violons : Enrique Francini, Aquiles Aguilar, Ariol Ghesaghi et Angel Bodas. Contrebasse : Ariel Pedernera, dont nous avons entendu la version mutilée de 9 de Julio hier…
Extrait musical
En tus ojos de cielo 1944-07-10 – Orquesta Miguel Caló con Raúl BerónDisque Odeon 8390 Face A San souci – Partition de En tus ojos de cielo – Face B En tus ojos de cielo.
Face A du disque San souci
Comme il n’y a pas d’autres enregistrements de notre tango du jour, je vous propose la face A du disque où a été gravé En tus ojos de cielo. Il s’agit de San souci de Enrique Delfino. Ce titre a été enregistré trois jours plus tôt, le vendredi 7 juillet 1944.
Sans souci 1944-07-07 – Orquesta Miguel Caló (Enrique Delfino).
Pour ceux qui aiment faire des tandas mixtes, il est envisageable de passer les deux faces du disque dans la même tanda. En effet, dans une milonga courte (5 heures), on passe rarement deux tandas de Calo. Pour éviter d’avoir à choisir entre instrumental et chanté, on peut commencer par deux titres chantés, puis terminer par deux titres instrumentaux. Les titres instrumentaux sont souvent un peu plus toniques ce qui justifie de les placer à la fin. Par ailleurs, ils sont aussi un peu plus intéressants pour la danse avec certains orchestres, car l’orchestre est plus libre, n’étant pas au service du chanteur. Bien sûr, ce n’est pas une règle et chaque association doit se faire en fonction du moment et des danseurs. On peut même envisager une tanda instrumentale tonique qui termine de façon plus romantique, par exemple en fin de milonga.
Paroles
Je trouve que c’est un magnifique poème d’amour. Luis Rubistein a fait ici une œuvre splendide.
Como una piedra tirada en el camino, era mi vida, sin ternuras y sin fe, pero una noche Dios te trajo a mi destino y entonces con tu embrujo me desperté… Eras un sueño de estrellas y luceros, eras un ángel con perfume celestial. Ahora sólo soy feliz porque te quiero y en tus ojos olvidé mi viejo mal…
En tus ojos de cielo, sueño un mundo mejor. En tus ojos de cielo que son mi desvelo, mi pena y mi amor. En tus ojos de cielo, azulada canción, tengo mi alma perdida, pupilas dormidas en mi corazón…
Vos dijiste que, al fin, la vida es buena cuando un cariño nos embruja el corazón, con tu ternura, luz de sombra para mi pena, mi sombra ya no es sombra porque es canción… Sólo me resta decir ¡bendita seas!, alma de mi alma, esperanza y realidad. Ya nunca ha de arrancarme de tus brazos, porque en ellos hay amor, luz y verdad…
Osmar Maderna (Osmar Héctor Maderna) Letra: Luis Rubistein
Traduction libre
Comme une pierre jetée sur le chemin était ma vie, sans tendresse et sans foi, mais une nuit Dieu t’a conduite à mon destin et depuis avec ton sortilège je me suis réveillé… Tu étais un rêve d’étoiles et d’astres (lucero peut parler de Vénus et des astres plus brillants que la moyenne), tu étais un ange au parfum céleste. Maintenant seulement, je suis heureux parce que je t’aime et que dans tes yeux j’ai oublié mon ancien mal… Dans tes yeux de ciel, je rêve d’un monde meilleur. Dans tes yeux de ciel, qui sont mes insomnies, ma peine et mon amour. Dans tes yeux de ciel, une chanson bleue, j’ai mon âme perdue, des pupilles endormies dans mon cœur… Tu as dit que, finalement, la vie est bonne quand l’affection envoûte nos cœurs, avec ta tendresse, lumière d’ombre pour mon chagrin, mon ombre désormais n’est plus une ombre, car c’est une chanson… Il ne me reste plus qu’à dire « que tu sois bénie ! », âme de mon âme, espérance et réalité. Maintenant, rien ne m’arrachera jamais de tes bras, parce qu’en eux il y a l’amour, la lumière et la vérité…
Dans ses yeux
Les yeux bleus
Les yeux des femmes sont un sujet de choix pour les tangos. Ici, ils sont le paradis pour l’homme qui s’y abîme. On retrouve le même thème chez Francisco Bohigas dans El cielo en tus ojos
El cielo en tus ojos yo vi amada mía, y desde ese día en tu amor confié, el cielo en tus ojos me habló de alegrías, me habló de ternuras me dió valentías, el cielo en tus ojos rehizo mi ser.
Francisco Bohigas, El cielo en tus ojos
El cielo en tus ojos 1941-10-03 – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino.
Le ciel dans tes yeux, je l’ai vu ma bien-aimée, et à partir de ce jour-là j’ai fait confiance en ton amour, le ciel dans tes yeux m’a parlé de joie, il m’a parlé de tendresse, il m’a donné du courage, le ciel dans tes yeux a refait mon être.
Pour d’autres, comme Homero Expósito, les yeux fussent-il couleur de ciel, ne suffisent pas à le retenir auprès de la femme :
Eran sus ojos de cielo el ancla más linda que ataba mis sueños; era mi amor, pero un día se fue de mis cosas y entró a ser recuerdo.
Qué me van a hablar de amor – Homero Expósito
Qué me van a hablar de amor 1946-07-11 – Orquesta Aníbal Troilo con Floreal Ruiz
Ses yeux de ciel étaient l’ancre la plus belle qui liait mes rêves ; elle était mon amour, mais un jour, elle s’en fut de mes affaires et est devenue un souvenir.
Les autres couleurs d’yeux et en particulier les noirs
Je n’ai évoqué que très brièvement, les yeux bleus, couleur apportée par les colons européens, notamment Italiens, Français et d’Europe de l’Est, mais il y a des textes sur toutes les couleurs, même si les yeux noirs sont sans doute majoritaires…
Tus ojos de trigo (blé) dans Tu casa ya no está de Virgilio et son frère Homero Expósito, valse enregistrée par Osvaldo Pugliese avec Roberto Chanel en 1944.
Ojos verdes (tango par Juan Canaro) et vals par Humberto Canaro Letra: Alfredo Defilpo (superbe dans son interprétation par Francisco Canaro et Francisco Amor, ainsi qu’une autre valse par Manuel López, Quiroga Miquel Letra: Salvador Federico Valverde; Rafael de León; Arias de Saavedra.
Tus ojos de azúcar quemada (sucre brûlé) de Pedacito de Cielo de Homero Expósito, valse enregistrée par divers orchestres dont Troilo avec Fiorentino en 1942. Et la longue liste des yeux noirs, rien que dans le titre…
Dos ojos negros de Raúl Joaquín de los Hoyos Letra: Diego Arzeno Ojos negros d’après un air russe repris par Vicente Greco et des paroles de José Arolas (frère aîné de Eduardo) et d’autres de Pedro Numa Córdoba, mais aussi par Rosita Montemar (musique et paroles)
Ojos negros que fascinan de Manuel Salina Letra: Florián Rey.
Muchachita de ojos negro de Tito Insausti
Por unos ojos negros de José Dames Letra: Horacio Sanguinetti.
Tus ojos negros (valse) de Osvaldo Adriani (parolier inconnu)
Yo vendo unos ojos negros de Pablo Ara Lucena très connu dans l’interprétation de Mercedes Simone con Juan Carlos Cambon y Su Orquesta mais qui est tiré d’une tonada chilena (chanson chilienne) dont une belle version a été enregistrée par Moreyra – Canale y su Conjunto Criollo avec des arrangements de Félix Villa.
Et un petit coup d’œil aux origines du tango
Ces histoires d’yeux m’ont fait penser à l’œil noir de Carmen, la reine de la habanera de Georges Bizet (Un œil noir te regarde…). Mais non, je ne me suis pas perdu loin du tango. Bizet a écrit Carmen pour flatter la femme de Napoléon III d’origine espagnole (Eugenia de Montijo, Guzman). Dans son opéra, il y a une célèbre habanera (Près des remparts de Séville), rythme qui est fréquent dans les anciens tangos, les milongas et la musique de Piazzolla, car ne l’oublions pas, le premier tango est d’origine espagnole.
Georges Bizet – Carmen : « L’amour est un oiseau rebelle » sur un rythme de habanera. 2010 – Elina Garanca – Metropolitan Opera de New York Direction, Yannick Nézet-Séguin.
Le tango est en effet né dans les théâtres et pas dans les bordels et son inspiration est andalouse. La zarzuela (sorte d’opéra du sud de l’Espagne mêlant chant, jeu d’acteur et danse) comportait différents rythmes dont la séguedille (que l’on retrouve dans Carmen dans Près des remparts de Séville) et la habanera. Les musiciens, qu’ils soient français ou espagnols, connaissaient donc ces musiques. En 1857 pour le spectacle (une sorte de zarzuela) El gaucho de Buenos Aires O todos rabian por casarse de Estanislao del Campo, Santiago Ramos, un musicien espagnol a écrit Tomá mate, che. Nous n’avons évidemment pas d’enregistrement de l’époque, mais il y en a deux de 1951 qui reprennent la musique avec des adaptations et un titre légèrement différent. Je vous les propose :
Tomá mate, tomá mate 1951-05-18 – Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas.Tomá mate, tomá mate 1951-10-15 – Lorenzo Barbero y su orquesta de la argentinidad con Rodolfo Florio y Carlos del Monte.
Évidemment, presque un siècle après l’écriture, il est certain que les arrangements de Canaro ont modifié la composition originale, mais je suis content de vous avoir présenté le tango au berceau.
D’autres candidats comme Bartolo tenía una fluta, dont on n’a, semble-t-il, pas de trace, mais qui est évoqué dans un certain nombre de titres comme Bartolo toca la flauta (ranchera) Che Bartolo (tango) ou La flauta de Bartolo (milonga) l’ont suivi. Je citerai également El queco (bordel en lunfardo d’origine quechua) de la pianiste andalouse Heloise de Silva et dont le titre originel était Kico (diminutif de Francisco. Le clarinettiste Lino Galeano l’a adapté à l’air du temps en changeant Kico pour Queco, avec des paroles vulgaires. Le titre originel invitait Kico à danser, le nouveau texte est bien moins élégant, l’invitation n’est pas à danser. On arrive donc au bordel, mais on est en 1874. Quoi qu’il en soit, Queco a obtenu du succès et fut l’un des tout premiers tangos à être largement diffusé et qui confirme les origines andalouses du tango. Je n’oublie pas l’origine « candombéenne », on reparlera un jour de El Negro Schicoba composé en 1866 par José María Palazuelos et interprété pour la première fois par Germán Mackay avec ses paroles le 24 mai 1867.
1908 ou 1916 José Luis Padula Letra : 1916 ou 1919 Ricardo M. Llanes 1930 – 1931 Eugenio Cárdenas 1931 Lito Bayardo (Manuel Juan García Ferrari)
Le 9 juillet pour les Argentins, c’est le 4 juillet des Étasuniens d’Amérique, le 14 juillet des Français, c’est la fête nationale de l’Argentine. Elle commémore l’indépendance vis-à-vis de l’Espagne. José Luis Padula était assez bien placé pour écrire ce titre, puisque la signature de la Déclaration d’indépendance a été effectuée à San Miguel de Tucumán, son lieu natal, le 9 juillet 1816.
Padula prétend avoir écrit ce tango en 1908, à l’âge de 15 ans, sans titre particulier et qu’il a décidé de le dédier au 9 juillet dont on allait fêter le centenaire en 1916. Difficile de vérifier ses dires. Ce qu’on peut en revanche affirmer c’est que Roberto Firpo l’a enregistrée en 1916 et qu’on y entend les cris de joie (étranges) des signataires (argentins) du traité.
Signature de la déclaration d’indépendance au Congreso de Tucumán (San Miguel de Tucumán) le 9 juillet 1816. Aquarelle de Antonio Gonzáles Moreno (1941).José Luis Padula 1893 – 1945. Il a débuté en jouant de l’harmonica et de la guitare dès son plus jeune âge (son père était mort quand il avait 12 ans et a donc trouvé cette activité pour gagner sa vie). L’image de gauche est une illustration, ce n’est pas Padula. Au centre, Padula vers 1931 sur une partition de 9 de Julio avec les paroles de Lito Bayardo et à droite une photo peu avant sa mort, vers 1940.
Extrait musical
Partition pour piano de 9 de Julio. L’évocation de l’indépendance est manifeste sur les deux couvertures. On notera sur celle de droite la mention de Cardenas pour les paroles. Autre exemple de partition avec un agrandissement de la dédicace au procurador titular Señor Gervasio Rodriguez. Il n’y a pas de mention de parolier sur ces paroles.9 de Julio (Nueve de Julio) 2009 – La Tuba Tango.
Dès les premières notes, on note la truculence du tuba et l’ambiance festive que crée cet instrument. J’ai choisi cette version pour fêter le 9 juillet, car il n’existait pas d’enregistrement intéressant du 9 juillet. C’est que c’est un jour férié et les orchestres devaient plutôt animer la fête plutôt que d’enregistrer. L’autre raison est que le tuba est associé à la fanfare, au défilé et que donc, il me semblait adapté à l’occasion. Et la dernière raison et d’encourager cet orchestre créé en 1967 et qui s’est donné pour mission de retrouver la joie des versions du début du vingtième siècle. Je trouve qu’il y répond parfaitement et vous pouvez lui donner un coup de pouce en achetant pour un prix modique ses albums sur Bandcamp.
Paroles
Vous avez sans doute remarqué que j’avais indiqué plusieurs paroliers. C’est qu’il y a en fait quatre versions. C’est beaucoup pour un titre qui a surtout été enregistré de façon instrumentale… C’est en fait un phénomène assez courant pour les titres les plus célèbres, différents auteurs ajoutent des paroles pour être inscrits et toucher les droits afférents. Dans le cas présent, les héritiers de Padula ont fait un procès, preuve que les histoires de sous existent aussi dans le monde du tango. En effet, avec trois auteurs de paroles au lieu d’un, la part de la redistribution aux héritiers de Padula était d’autant diminuée. Je vous propose de retrouver les paroles en fin d’article pour aborder maintenant les 29 versions. La musique avant tout… Ceux qui sont intéressés pourront suivre les paroles des rares versions chantées avec la transcription correspondante en la trouvant à la fin.
Autres versions
9 de Julio (Nueve de Julio) 1916 – Orquesta Roberto Firpo.
On y entend les cris de joie des signataires, des espèces de roucoulements que je trouve étranges, mais bon, c’était peut-être la façon de manifester sa joie à l’époque. L’interprétation de la musique, malgré son antiquité, est particulièrement réussie et on ne ressent pas vraiment l’impression de monotonie des très vieux enregistrements. On entend un peu de cuivres, cuivres qui sont totalement à l’honneur dans notre tango du jour avec La Tuba Tango.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1927-06-03 – Orquesta Roberto Firpo.
Encore Firpo qui nous livre une autre belle version ancienne une décennie après la précédente. L’enregistrement électrique améliore sensiblement le confort d’écoute.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1928-10-11 – Guillermo Barbieri, José María Aguilar, José Ricardo (guitarras).
Vous aurez reconnu les guitaristes de Gardel. Cet enregistrement a été réalisé à Paris en 1928. C’est un plaisir d’entendre les guitaristes sans la voix de leur « maître ». Cela permet de constater la qualité de leur jeu.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1929-12-04 – Orquesta Francisco Canaro.
Je trouve cette version un peu pesante malgré les beaux accents du piano de Luis Riccardi. C’est un titre à réserver aux amateurs de canyengue, tout au moins les deux tiers, la dernière variation plus allègre voit les bandonéons s’illuminer. J’aurais préféré que tout le titre soit à l’aune de sa fin. Mais bon, Canaro a décidé de le jouer ainsi…
9 de Julio (Nueve de Julio) 1930-04-04 – Orquesta Luis Petrucelli.
Le décès à seulement 38 ans de Luis Petrucelli l’a certainement privé de la renommée qu’il méritait. Il était un excellent bandonéoniste, mais aussi, comme en témoigne cet enregistrement, un excellent chef d’orchestre. Je précise toutefois qu’il n’a pas enregistré après 1931 et qu’il est décédé en 1941. Ces dernières 10 années furent consacrées à sa carrière de bandonéoniste, notamment pour Fresedo.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1931 – Agustín Magaldi con orquesta.
Magaldi n’appréciant pas les paroles de Eugenio Cárdenas fit réaliser une version par Lito Bayardo.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1931-08-15 – Orquesta Típica Columbia con Ernesto Famá.
Famá chante le premier couplet de Bayardo.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1935-12-31 – Orquesta Juan D’Arienzo.
C’est une des versions les plus connues, véritable star des milongas. L’impression d’accélération continue est sans doute une des clefs de son succès.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1939-07-04 – Charlo (accordéon et guitare).
Je ne sais pas d’où vient cet ovni. Je l’avais dans ma musique, extrait d’un CD Colección para entendidos – Época de oro vol. 6 (1926-1939). Charlo était pianiste en plus d’être chanteur (et acteur). Tout comme les guitaristes de Gardel qui ont enregistré 9 de Julio sous le nom de Gardel (voir ci-dessus l’enregistrement du 11 octobre 1928), il se peut qu’il s’agisse de la même chose. Le même jour, Charlo enregistrait comme chanteur avec ses guitaristes Divagando, No hay tierra como la mía, Solamente tú et un autre titre accordéon et guitare sans chant, la valse Añorando mi tierra. On trouve d’autres titres sous la mention Charlo avec accordéon et guitare. La cumparsita et Recuerdos de mi infancia le 12 septembre 1939, Pinta brava, Don Juan, Ausencia et La polca del renguito le 8 novembre 1940. Il faut donc certainement en conclure que Charlo jouait aussi de l’accordéon. Pour le prouver, je verserai au dossier, une version étonnante de La cumparsita qu’il a enregistrée en duo avec Sabina Olmos avec un accordéon soliste, probablement lui…
9 de Julio (Nueve de Julio) 1948 – Orquesta Héctor Stamponi.
Une jolie version avec une magnifique variation finale. On notera l’annonce, une pratique courante à l’époque où un locuteur annonçait les titres.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1950-05-15 – Orquesta Juan D’Arienzo.
D’Arienzo nous donne une autre version. Il y a de jolis passages, mais je trouve que c’est un peu plus confus que la version de 1935 qui devrait être plus satisfaisante pour les danseurs. Fulvio Salamanca relève l’ensemble avec son piano, piano qui est généralement l’épine dorsale de D’Arienzo.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1950-07-20 – Orquesta Alfredo De Angelis.
Chez De Angelis, le piano est aussi essentiel, mais c’est lui qui en joue, il est donc libre de donner son interprétation magnifique, secondé par ses excellents violonistes. Pour ceux qui n’aiment pas De Angelis, ce titre pourrait les faire changer d’avis.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1957-04-08 – Orquesta Héctor Varela.
Varela nous propose une introduction originale.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1953 – Horacio Salgán y su Orquesta Típica.
Une version sans doute pas évidente à danser.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1953-03-03 – Ariel Pedernera y su Quinteto Típico.
Une belle version, malheureusement cette copie a été massacrée par le « collectionneur ». J’espère trouver un disque pour vous proposer une version correcte en milonga, car ce thème le mérite largement.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1953-09-10 – Orquesta José Sala.
Pour l’écoute, bien sûr, mais des passages très sympas
9 de Julio (Nueve de Julio) 1954-05-13 – Orquesta Osvaldo Pugliese.
Pugliese a mis un peu de temps à enregistrer sa version du thème. C’est une superbe réalisation, mais qui alterne des passages sans doute trop variés pour les danseurs, mais je suis sûr que certains seront tentés par l’expérience.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1959 – Luis Machaco.
Une version tranquille et plutôt jolie par un orchestre oublié. Le contrepoint entre le bandonéon en staccato et les violons en legato est particulièrement réussi.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1964 – Alberto Marino con la orquesta de Osvaldo Tarantino.
Alberto Marino chante les paroles de Eugenio Cárdenas. Ce n’est bien sûr pas une version pour la danse.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1966-06-21 – Orquesta Florindo Sassone.9 de Julio (Nueve de Julio) 1966-08-03 – Orquesta Juan D’Arienzo.
Une version bien connue par D’Arienzo, dans le style souvent proposé par les orchestres contemporains. Spectaculaire, mais, y-a-t-il un mais ?
9 de Julio (Nueve de Julio) 1967-08-10 (Ranchera-Pericón) – Orquesta Enrique Rodríguez.
Second OVNI du jour, cette ranchera-Pericón nacional avec ses flonflons, bien propice à faire la fête. Peut-être une cortina pour demain (aujourd’hui pour vous qui lisez, demain pour moi qui écrit).
9 de Julio (Nueve de Julio) 1968 – Cuarteto Juan Cambareri.
Une version virtuose et enthousiasmante. Pensez à prévoir des danseurs de rechange après une tanda de Cambareri… Si cela semble lent pour du Cambareri, attendez la variation finale et vous comprendrez pourquoi Cambareri était nommé le mage du bandonéon.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1970 – Orquesta Armando Pontier.
Une version originale, mais pas forcément indispensable, malgré le beau bandonéon d’Armando Pontier.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1971 – Orquesta Donato Racciatti.
Même si la Provincia Orientale tombait en 1916 sous la coupe du Portugal / Brésil, les Uruguayens sont sensibles à l’émancipation d’avec le vieux monde et donc, les orchestres uruguayens ont aussi proposé leurs versions du 9 juillet.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1971 – Palermo Trío.
Avec un trio, forcément, c’est plus léger. Ici, la danse n’est pas au programme.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1971-08-04 – Miguel Villasboas y su Sexteto Típico.
Dans le style hésitant de Villasboas entre tango et milonga qu’affectionnent les Uruguayens. Le type de musique qui a fait dire que le tango avait été inventé par un indécis…
9 de Julio (Nueve de Julio) 1973-11-29 – Miguel Villasboas y Wáshington Quintas Moreno (dúo de pianos).
L’autre jour, au sujet de La rosarina 1975-01-06, un lecteur a dit qu’il avait apprécié la version en duo de piano de Villasboas et Wáshington. Pour ce lecteur, voici 9 de Julio par les mêmes.
Et il est temps de clore cette longue liste avec notre orchestre du jour et dans deux versions :
9 de Julio (Nueve de Julio) 1991 – Los Tubatango.
Cet orchestre original par la présence du tuba et sa volonté de retrouver l’ambiance du tango des années 1900 a été créé par Guillermo Inchausty. C’est le même orchestre que celui de notre tango du jour qui est désormais dirigé par Lucas Kohan sous l’appellation La Tuba Tango au lieu du nom original de Los Tubatango.
9 de Julio (Nueve de Julio) 2009 – La Tuba Tango.
C’est notre tango du jour. Les musiciens en sont : Ignacio Risso (tuba), Matias Rullo (bandonéon), Gonzalo Braz (clarinette) et Lucas Kohan (Direction et guitare).
Cette longue liste de 29 titres, mais qui aurait pu être facilement deux fois plus longue montre la diversité de la production du tango. En ce qui concerne la danse, nous nous sommes habitués à danser sur un ou deux de ces titres, mais je pense que vous aurez remarqué que d’autres étaient aussi intéressants pour le bal. La question est surtout de savoir les proposer au bon moment et aux bons danseurs. C’est toute la richesse et l’intérêt du métier de DJ. Pour moi, un bon DJ n’est pas celui qui met des titres inconnus et étranges afin de recueillir les applaudissements des néophytes, mais celui qui met la bonne musique au bon moment en sachant prendre des risques mesurés afin d’aider les danseurs à magnifier leur improvisation et leur plaisir de danser.
Je reviens maintenant, comme promis aux quatre versions des paroles…
Paroles de Lito Bayardo (1931)
Sin un solo adiós dejé mi hogar cuando partí porque jamás quise sentir un sollozar por mí. Triste amanecer que nunca más he de olvidar hoy para qué rememorar todo lo que sufrí.
Lejano Nueve de Julio de una mañana divina mi corazón siempre fiel quiso cantar y por el mundo poder peregrinar, infatigable vagar de soñador marchando en pos del ideal con todo amor hasta que al fin dejé mi madre y el querer de la mujer que adoré.
Yo me prometi lleno de gloria regresar para podérsela brindar a quien yo más amé y al retornar triste, vencido y sin fe no hallé mi amor ni hallé mi hogar y con dolor lloré.
Cual vagabundo cargado de pena yo llevo en el alma la desilusión y desde entonces así me condena la angustia infinita de mi corazón ¡Qué puedo hacer si ya mis horas de alegría también se fueron desde aquel día que con las glorias de mis triunfos yo soñara, sueños lejanos de mi loca juventud!
José Luis Padula Letra: Lito Bayardo (Manuel Juan García Ferrari)
C’est la version que chante Magaldi, vu qu’il l’a demandé à Bayardo… Famá, chante également cette version, mais seulement le premier couplet.
Traduction libre des paroles de Lito Bayardo
Sans un seul au revoir, j’ai quitté ma maison quand je suis parti parce que je ne voulais jamais ressentir un sanglot pour moi. Une triste aube que je n’oublierai jamais aujourd’hui, pour qu’elle se souvienne de tout ce que j’ai souffert. Lointain 9 juillet, d’un matin divin, mon cœur toujours fidèle a voulu chanter et à travers le monde faire le pèlerinage, infatigable errance d’un rêveur marchant à la poursuite de l’idéal avec tout l’amour jusqu’à ce qu’enfin je quitte ma mère et l’amour de la femme que j’adorais. Je me suis promis une fois plein de gloire de revenir pour pouvoir l’offrir à celle que j’aimais le plus et quand je suis revenu triste, vaincu et sans foi je n’ai pas trouvé mon amour ni ma maison et avec douleur j’ai pleuré. Comme un vagabond accablé de chagrin, je porte la déception dans mon âme, et depuis lors, l’angoisse infinie de mon cœur me condamne. Que pourrais-je faire si mes heures de joie sont déjà parties depuis ce jour où j’ai rêvé des gloires de mes triomphes, rêves lointains de ma folle jeunesse ?
Paroles de Ricardo M. Llanes (1916 ou 1919)
De un conventillo mugriento y fulero, con un canflinfero te espiantaste vos ; abandonaste a tus pobres viejos que siempre te daban consejos de Dios; abandonaste a tus pobres hermanos, ¡tus hermanitos, que te querían! Abandonastes el negro laburo donde ganabas el pan con honor.
Y te espiantaste una noche escabullida en el coche donde esperaba el bacán; todo, todo el conventillo por tu espiante ha sollozado, mientras que vos te has mezclado a las farras del gotán; ¡a dónde has ido a parar! pobrecita milonguera que soñaste con la gloria de tener un buen bulín; pobre pebeta inocente que engrupida por la farra, te metiste con la barra que vive en el cafetín.
Tal vez mañana, piadoso, un hospital te dé cama, cuando no brille tu fama en el salón; cuando en el « yiro » no hagas más « sport »; cuando se canse el cafisio de tu amor ; y te espiante rechiflado del bulín; cuando te den el « olivo » los que hoy tanto te aplauden en el gran cafetín.
Entonces, triste con tu decadencia, perdida tu esencia, tu amor, tu champagne ; sólo el recuerdo quedará en tu vida de aquella perdida gloria del gotán; y entonces, ¡pobre!, con lágrimas puras, tus amarguras derramarás; y sentirás en tu noche enfermiza, la ingrata risa del primer bacán.
José Luis Padula Letra: Ricardo M. Llanes
Traduction libre des paroles de Ricardo M. Llanes
D’un immeuble (le conventillo est un système d’habitation pour les pauvres où les familles s’entassent dans une pièce desservie par un corridor qui a les seules fenêtres sur l’extérieur) sale et vilain, avec un proxénète, tu t’es enfuie ; tu as abandonné tes pauvres parents qui t’ont toujours prodigué des conseils de Dieu ; Tu as abandonné tes pauvres frères, tes petits frères, qui t’aimaient ! Tu as abandonné le travail noir où tu gagnais ton pain avec honneur. Et tu t’es enfuie une nuit en te faufilant dans la voiture où le bacán (homme qui entretient une femme) attendait ; Tout, tout l’immeuble à cause de ta fuite a sangloté, tandis que toi tu t’es mêlée aux fêtes du Gotan (Tango) ; Mais où vas-tu t’arrêter ? Pauvre milonguera qui rêvait de la gloire et d’avoir un bon logis ; Pauvre fille innocente qui, enflée par la fête, s’est acoquinée avec la bande qui vit dans le café. Peut-être que demain, pieusement, un hôpital te donnera un lit, quand ta renommée ne brillera pas dans ce salon ; quand dans le « yiro » (prostitution) vous ne faites plus de « sport » ; quand le voyou de ton amour se fatigue ; et tu t’évades folle du logis ; Quand ils te renvoient (dar el olivo = renvoyer en lunfardo), ceux qui vous applaudissent tant aujourd’hui dans le Grand Cafetín. Puis, triste avec ta décadence, perte de ton essence, de ton amour, de ton champagne ; Seul le souvenir de cette perte restera dans ta vie Gloire du Gotan ; et alors, pauvre créature, avec des larmes pures, ton amertume tu déverseras ; Et tu sentiras dans ta nuit maladive, le rire ingrat du premier Bacán.
Paroles de Eugenio Cárdenas (version 1 de 1930)
Mientras los clarines tocan diana y el vibrar de las campanas repercute en los confines, mil recuerdos a los pechos los inflama la alegría por la gloria de este día que nunca se ha de olvidar. Deja, con su música, el pampero sobre los patrios aleros una belleza que encanta. Y al conjuro de sus notas las campiñas se levantan saludando, reverentes, al sol de la Libertad.
Brota, majestuoso, el Himno de todo labio argentino. Y las almas tremulantes de emoción, a la Patria sólo saben bendecir mientras los ecos repiten la canción que dos genios han legado al porvenir. Que la hermosa canción por siempre vivirá al calor del corazón.
Los campos están de fiesta y por la floresta el sol se derrama, y a sus destellos de mágicas lumbres, el llano y la cumbre se envuelven de llamas. Mientras que un criollo patriarcal narra las horas de las campañas libertadoras, cuando los hijos de este suelo americano por justa causa demostraron su valor.
José Luis Padula Letra: Eugenio Cárdenas
C’est la version chantée par Alberto Marino en 1964.
Traduction libre des paroles de Eugenio Cárdenas (version 1 de 1930)
Tandis que les clairons sonnent le réveil et que la vibration des cloches résonne aux confins, mille souvenirs enflamment de joie les poitrines pour la gloire de ce jour qui ne sera jamais oublié. Avec sa musique, le pampero laisse sur les patriotes alliés une beauté qui enchante. Et sous le charme de ses notes, la campagne se lève avec révérence, au soleil de la Liberté. L’hymne de chaque lèvre argentine germe, majestueux. Et les âmes, tremblantes d’émotion, ne savent que bénir la Patrie tandis que les échos répètent le chant que deux génies ont légué à l’avenir. Que la belle chanson vivra à jamais dans la chaleur du cœur. Les campagnes sont en fête et le soleil se déverse à travers la forêt, et avec ses éclairs de feux magiques, la plaine et le sommet sont enveloppés de flammes. Tandis qu’un criollo patriarcal raconte les heures des campagnes de libération, lorsque les enfants de ce sol américain pour une cause juste ont démontré leur courage.
Paroles de Eugenio Cárdenas (version 2 de 1931)
Hoy siento en mí el despertar de algo feliz. Quiero evocar aquel ayer que me brindó placer, pues no he de olvidar cuando tembló mi corazón al escuchar, con emoción, esta feliz canción:
Brota, majestuoso, el Himno de todo labio argentino. Y las almas tremulantes de emoción, a la Patria sólo saben bendecir mientras los ecos repiten la canción que dos genios han legado al porvenir. Que la hermosa canción por siempre vivirá al calor del corazón.
En los ranchos hay un revivir de mocedad; los criollos ven en su pasión todo el amor llegar. Por las huellas van llenos de fe y de ilusión, los gauchos que oí cantar al resplandor lunar.
Los campos están de fiesta y por la floresta el sol se derrama, y a sus destellos de mágicas lumbres, el llano y la cumbre se envuelven de llamas. Mientras que un criollo patriarcal narra las horas de las campañas libertadoras, cuando los hijos de este suelo americano por justa causa demostraron su valor.
José Luis Padula Letra: Eugenio Cárdenas
Traduction libre des paroles de Eugenio Cárdenas (version 2 de 1931)
Aujourd’hui je sens en moi l’éveil de quelque chose d’heureux. Je veux évoquer cet hier qui m’a offert du plaisir, car je ne dois pas oublier quand mon cœur a tremblé quand j’ai entendu, avec émotion, cette chanson joyeuse : L’hymne de chaque lèvre argentine germe, majestueux. Et les âmes, tremblantes d’émotion, ne savent que bénir la Patrie tandis que les échos répètent le chant que deux génies ont légué à l’avenir. Que la belle chanson vivra à jamais dans la chaleur du cœur. Dans les baraques (maison sommaire, pas un ranch…), il y a un regain de jeunesse ; Les Criollos voient dans leur passion tout l’amour arriver. Sur les traces (empreintes de pas ou de roues), ils sont pleins de foi et d’illusion, les gauchos que j’ai entendus chanter au clair de lune. Les campagnes sont en fête et le soleil se déverse à travers la forêt, et avec ses éclairs de feux magiques, la plaine et le sommet sont enveloppés de flammes. Tandis qu’un criollo patriarcal raconte les heures des campagnes de libération, quand les enfants de ce sol américain pour une juste cause ont démontré leur courage.
Juan D’Arienzo ; Luis Rubistein Letra : Luis Rubistein
Nous avons vu il y a peu Un tango y nada másoù j’évoquais l’existence d’une vingtaine de tango contenant Nada más dans le titre. Celui-ci est le numéro 1… De plus, hier, j’ai été un peu dur avec D’Arienzo et Echagüe et je leur devais une revanche. Avec ce titre, ils marquent des points, beaucoup de points.
Extrait musical
Partition pour piano éditée par Jules Korn de Nada más.Nada más 1938-07-08 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe.
La musique se déroule en parties s’opposant, de passages martelés (bandonéons et piano) et d’autres ondoyants (violons). La voix de Echagüe se lance, pour un court passage, le refrain, en totale harmonie avec la musique qui continue en arrière-plan et reprend la main sur la même cadence et organisation jusqu’à la fin. Une version pour danseurs. On notera que les petites accentuations du piano sont un peu plus discrètes que dans les dernières versions avec Biagi au piano. Juan Polito est en train de trouver ses marques pour succéder aux mains sorcières de Rodolfo Biagi.
Paroles
No quiero nada, nada más que no me dejes, frente a frente, con la vida. Me moriré si me dejás por qué sin vos no he de saber vivir.
Y no te pido más que eso, que no me dejes sucumbir, te lo suplico por Dios no me quites el calor de tu cariño y tus besos, que, si me falta la luz de tu mirar, que es mi sol, será mi vida una cruz.
Cuánta nieve habrá en mi vida sin el fuego de tus ojos! Y mi alma, ya perdida, sangrando por la herida, se dejará morir, y en la cruz de mis anhelos llenaré de brumas mi alma, morirá el azul del cielo, sobre mi desvelo viéndote partir.
No quiero nada, nada más que la mentira de tu amor, como limosna. ¿Qué voy a hacer si me dejás con el vacío de mi decepción? No te vayas te lo ruego, no destroces mi corazón, si no lo hacés por amor hacelo por compasión pero por Dios no me dejés jamás te molestaré, seré una sombra a tus pies, tirada en algún rincón.
Juan D’Arienzo ; Luis Rubistein Letra: Luis Rubistein
Echagüe ne chante que le refrain (en gras). Roberto Maida chante ce qui est en bleu. Ada Falcón chante tout et termine en reprenant le refrain (en gras).
Traduction libre
Je ne veux rien, rien de plus que tu ne me laisses pas face à face avec la vie. Je mourrai si tu me quittes, car sans toi je ne saurai pas vivre. Et je ne te demande rien de plus, que de ne pas me laisser succomber, je te supplie pour l’amour de Dieu, de ne pas m’enlever la chaleur de ton affection et de tes baisers, car s’il me manque la lumière de ton regard, qui est mon soleil, ma vie serait une croix. Combien de neige il y aurait dans ma vie sans le feu de tes yeux ! Et mon âme, déjà perdue, saignant de la blessure, se laissera mourir, et sur la croix de mes désirs je remplirai mon âme de brouillards, le bleu du ciel mourra, sur mon insomnie en te regardant partir. Je ne veux rien, rien de plus que le mensonge de ton amour, comme une aumône. Que vais-je faire si tu me laisses avec le vide de ma déception ? Ne t’en va pas (on pense à « Ne me quittes pas de Jacques Brel), je t’en supplie, ne détruis pas mon cœur, si tu ne le fais pas par amour, fais-le par compassion, mais par Dieu, ne me quitte pas (et voilà, nous sommes avec Jacques Brel). Jamais, je ne te dérangerai, je serai une ombre à tes pieds, couché dans un coin.
Paroles de la première version dédiée à Alfredo Callejas [Callejas solo (A Alfredo Callejas)]
Une première version de la musique a été associée à des paroles, également de Rubinstein à la gloire de Alfredo Callejas surnommé « El Tigre » qui était un jockey fameux de l’hippodrome de Palermo (Buenos Aires). Son fils également prénommé Alfredo a repris sa carrière comme entraîneur et quitta l’Argentine en 1977 pour aller s’occuper des chevaux de son compatriote Robert Pérez à New York (USA). Le petit fils d’Alfredo et fils d’Alfredo, Bernardo a suivi le même chemin et a un élevage de chevaux à Belmont (USA). Les paroles évoquent Blandengues. Il me semble qu’il s’agit d’un lieu situé à Barracas, dans le Sud de Buenos Aires, peut-être où vivait ce jockey et entraîneur. Le nom est également celui d’un régiment argentin créé au 18e siècle et dissous au 19e (notons qu’un régiment de ce nom existe toujours en Uruguay). Il est donc peu probable que Alfredo soit réellement un membre de Blandengues. je propose plutôt d’y voir un hommage historique, ce jockey rejoignant les illustres défenseurs de la patrie (contre les peuples premiers), ou tout simplement son lieu d’origine, le Sud de Buenos Aires étant un lieu particulièrement propice aux exploits équestres et au tango, d’autant plus qu’il y avait à l’époque de grands espaces propices à ces exercices. Aujourd’hui encore, un grand parc subsiste, El parque Leonardo Pereyra.
Sos de Blandengues el mejor Y no hay quién tenga tu muñeca pa’ tallar, Ni se conoce un cuidador Con más carpeta pa’ poder ganar.
Y de Blandengues sos el mago Que ha conquistado más halagos, « Tigre » Callejas, no hay qué hacerle Se impone tu muñeca de gran « compositor ».
Juan D’Arienzo ; Luis Rubistein Letra : Luis Rubistein
Traduction libre de la première version dédiée à Alfredo Callejas [Callejas solo (A Alfredo Callejas)]
Tu es de Blandengues le meilleur et il n’y a personne qui a ton poignet pour dominer (tallar n’est pas à prendre dans le sens de tailler, mais de dominer, c’est du lunfardo), ni aucun soigneur connu avec plus d’habileté (carpeta en lunfardo) pour pouvoir gagner. Et de Blandengues vous êtes le magicien qui a conquis le plus d’éloges, « Tigre » Callejas, il n’y a rien à faire, votre talent (muñeca en lunfardo = habileté) de grand « compositeur » s’impose (un compositor en lunfardo est un préparateur de chevaux de course).
Autres versions
Callejas solo (A Alfredo Callejas) 1928 – Orquesta Juan D’Arienzo con Carlos Dante.
D’Arienzo et Rubinstein avaient déjà utilisé cette même musique sous le titre Callejas solo. Vous reconnaîtrez sans peine l’air, même si l’interprétation est extrêmement différente. Heureusement que Carlos Dante chante très peu, car sa voix n’est pas des plus agréable dans cet enregistrement.
Callejas solo 1930 – Orquesta Eduardo Bianco.
Même si cette version instrumentale a été publiée sous le titre de Callejas Solo, la douceur de son interprétation semble plus adaptée aux nouvelles paroles, celle de Nada más. La version française serait donc un précurseur des futures versions.
Nada más 1938-07-08 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe. C’est notre tango du jour.Nada más 1938-08-22 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida.
On remarque tout de suite que l’interprétation de Canaro est plus suave. Maida chante d’une voix caressante. On est aux antipodes de la version de D’Arienzo. Deux ambiances pour deux moments distincts de la milonga. Les deux sont parfaits pour la danse.
Nada más 1938-09-28 – Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro.
Un mois plus tard, Canaro enregistre avec sa chérie, Ada Falcón une version à écouter. C’est absolument clair. L’orchestre introduit directement le chant, puis par la suite ne sert que de ponctuation. Ada chante quasiment a capella. C’est une version très étonnante, mais passionnante.
Nada más 1958-07-10 – Orquesta Juan D’Arienzo con Jorge Valdez.
Je suis sûr qu’aucun danseur n’échangera la version de D’Arienzo avec Echagüe avec celle interprétée par Jorge Valdez. On a la guimauve, sans l’émotion d’Ada Falcón.
Nada más 1971-12-20 – Orquesta Juan D’Arienzo con Mercedes Serrano.
Treize ans plus tard, D’Arienzo enregistre sa troisième version du titre avec Mercedes Serrano. Il l’enregistrera même deux fois avec elle. Je trouve que la version avec Mercedes Serrano en 1971 est bien plus intéressante que celle avec Jorge Valdez.
Pour terminer la liste des versions, je vous propose un autre enregistrement, par les mêmes. Il s’agit d’une version enregistrée dans l’émission El Tango del Millón en 1971 (ou 1975 selon les sources). La vidéo a été colorisée par Pablo Ramos qui effectue un travail formidable, à la fois avec son orchestre Los Herederos del Compás et pour faire revivre cet orchestre dont son père était l’un des chanteurs qui remplaça, à mon avis très efficacement, Jorge Valdez.
Juan D’Arienzo con Mercedes Serrano. 1971 ou 1975.
Et Jacques Brel, dans l’affaire ?
La photo de couverture a sans doute étonné certains, je vous dois une explication, que vous avez peut-être déjà devinée en prenant connaissance des paroles. Ce n’est pas à cause de ses dents de cheval que j’ai choisi une image de Jacques Brel, même si cela pouvait être une référence au jockey Callejas, mais à cause des paroles de sa chanson immortelle « Ne me quitte pas ».
Nada más. Jacques Brel, ne me quitte pas.
En effet, elle se termine par :
« Laisse-moi devenir L’ombre de ton ombre L’ombre de ta main L’ombre de ton chien »
Jacques Brel, fin de Ne me quitte pas.
Ce qui résonne un peu comme la fin des paroles de Rubinstein :
“jamás te molestaré, seré una sombra a tus pies, tirada en algún rincón.”
Luis Rubistein, fin des paroles de Nada más.
L’idée d’être l’ombre de l’autre est une image intrigante, peut-être même inquiétante. Aimer serait devenir un non-être, une réplique sombre et fidèle de l’être aimé, un oubli de soi total. Je vous laisse méditer sur la question. Je ramasserai les copies dans deux heures. N’oubliez pas d’écrire votre nom en haut de la feuille, mais auparavant, délectez-vous de la chanson de Jacques Brel.
Ne me quitte pas, Jacques Brel
« Il n’est de grand amour qu’à l’ombre d’un grand rêve ».
Hugo Gutiérrez et Homero Manzi ont réalisé avec ce tango le difficile exercice de parler de la mort avec une émotion rarement atteinte dans le tango, sans être oppressants. La version de D’Arienzo et Echagüe qui est notre tango du jour est peut-être une des moins réussies, mais je tenais à mettre en avant ce titre qui a à son service quelques-unes de plus belles interprétations du répertoire, de plus avec une grande variété. Entrons dans cette pensée triste qui se danse.
Extrait musical
Después 1944-07-07 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto EchagüeÀ gauche, couverture de partition Casa Amarilla avec un chanteur, Jorge Novoa, oublié ? Partition Julio Korn de Después avec en couverture Anibal Troilo.
Paroles
Después … La luna en sangre y tu emoción, y el anticipo del final en un oscuro nubarrón. Luego … irremediablemente, tus ojos tan ausentes llorando sin dolor. Y después… La noche enorme en el cristal, y tu fatiga de vivir y mi deseo de luchar. Luego… tu piel como de nieve, y en una ausencia leve tu pálido final.
Todo retorna del recuerdo: tu pena y tu silencio, tu angustia y tu misterio. Todo se abisma en el pasado: tu nombre repetido… tu duda y tu cansancio. Sombra más fuerte que la muerte, grito perdido en el olvido, paso que vuelve del fracaso canción hecha pedazos que aún es canción.
Después … vendrá el olvido o no vendrá y mentiré para reír y mentiré para llorar. Torpe fantasma del pasado bailando en el tinglado tal vez para olvidar. Y después, en el silencio de tu voz, se hará un dolor de soledad y gritaré para vivir… como si huyera del recuerdo en arrepentimiento para poder morir.
Hugo Gutiérrez Letra: Homero Manzi
Traduction libre
Après… La lune en sang et ton émotion, et l’anticipation de la fin dans un nuage sombre. Plus tard… irrémédiablement, tes yeux si absents pleurant sans douleur. Et après… L’immense nuit dans le verre, et ta fatigue de vivre et mon envie de me battre. Plus tard… ta peau comme de la neige, et une absence légère, ta pâleur finale. Tout me revient de mémoire : ton chagrin et ton silence, ton angoisse et ton mystère. Tout s’abîme dans le passé : ton nom répété… ton doute et ta fatigue. Une ombre plus forte que la mort, un cri perdu dans l’oubli, un pas qui revient de l’échec, une chanson en miettes qui est encore une chanson. Après… L’oubli viendra ou il ne viendra pas et je mentirai pour rire Et je mentirai pour pleurer. Un fantôme maladroit du passé dansant dans le hangar (tinglado a plusieurs sens, allant d’abri, auvent, plus ou moins sommaire à hangar), peut-être pour oublier. Et puis, dans le silence de ta voix, il y aura une douleur de solitude et je crierai pour vivre… Comme si je fuyais le souvenir en repentirs pour pouvoir mourir.
Autres versions
Después 1943-1944 – Nelly Omar accomp. Guitare de José Canet.
Je commence par cet enregistrement, car Manzi a écrit Después pour elle. Il est daté de 1944, mais curieusement, il est très rarement indiqué, y compris dans des sites généralement assez complets comme tango-dj.at ou El Recodo. Je l’indique comme étant de 1943-1944, mais sans garantie réelle qu’il soit antérieur à celui de Miguel Caló qui est du tout début de 1944. La voix merveilleusement chaude de Nilda Elvira Vattuone alias Nelly Omar accompagnée par la guitare de José Canet nous propose une version fantastique, mais bien sûr à écouter et pas à danser.
Después 1944-01-10 Orquesta Miguel Caló con Raúl Iriarte.
Dès les premières notes, l’ambiance est impressionnante. On pourrait penser à un film de suspens. La magnifique voix de Iriarte, plus rare que celle de Berón, convient parfaitement au titre. Si vous n’aimez pas avoir des frissons et les poils qui se dressent, évitez cette version proposée par Miguel Caló et Raúl Iriarte très émouvante.
Después 1944-03-03 – Orquesta Aníbal Troilo con Alberto Marino.
Avec Troilo, on reste avec une très belle version musicale. Le grondement des bandonéons me semble moins émouvant. Il y a une recherche de joliesse dans ce titre qui me semble aller un peu au détriment de la danse. Ce ne sera donc pas ma version préférée pour la milonga.
Después 1944-03-15 – Libertad Lamarque con orquesta dirigida por Mario Maurano.
Después 1944-03-15 – Libertad Lamarque con orquesta dirigida por Mario Maurano. La voix de Libertad Lamarque est très différente de celle de Nelly Omar, mais tout aussi captivante. Elle bénéficie en plus d’un orchestre dirigé par Mario Maurano dont le piano ressort avec beaucoup de justesse (je précise que je parle de la finesse, de la justesse de l’expression, de l’arrangement et pas du fait que le piano soit bien accordé. Celui que je vise saura que je parle de lui…).
Después 1944-07-07 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe. C’est notre tango du jour.
Después 1944-07-07 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe. C’est notre tango du jour. Comme toujours, la version de D’Arienzo est bien marchante et dansante. C’est la cinquième version de l’année 1944, une année qui nous apporte une incroyable diversité pour ce titre. Pour une œuvre de D’Arienzo, on peut la trouver un peu bavarde. Echagüe, met beaucoup de pression. Le résultat est dansable, mais il me semble que d’autres titres interprétés par D’Arienzo le remplaceront avantageusement dans une tanda de D’Arienzo et Echagüe, notamment ceux de la première période. Después est le premier titre enregistré par cette composition après cinq années sans enregistrement et il me semble que cette association mettra un peu de temps avant de retrouver une harmonie, l’année 1944 n’est pas la meilleure.
Después 1951-03-22 – L’orchestre Argentin Manuel Pizarro.
Después 1951-03-22 – L’orchestre Argentin Manuel Pizarro. Arrivé en France en 1920 et s’en étant absenté de 1941 à 1950, Manuel Pizarro y revient et recommence à enregistrer. Son Después fait partie de ces enregistrements français qui prouvent que la distance entre les deux mondes n’est pas si grande. Notons que c’est une des rares versions purement instrumentales.
Después 1974-05-03 – Orquesta Aníbal Troilo con Rubén Juárez (Programa En Homenaje a Homero Manzi – Conducción Antonio Carrizo).
Cette version a été enregistrée lors d’une émission en public en hommage à Homero Manzi décédé exactement 23 ans plus tôt. Il me semble que cette version Troilo– Juárez est plus aboutie que celle de 1944. On aurait aimé l’avoir dans une belle qualité sonore.
Después 1974 – Rubén Juárez Accomp. Armando Pontier.
Le même Rubén Juárez avec l’orchestre du bandonéoniste Armando Pontier. La prise de son est meilleure que dans l’enregistrement précédent et elle met donc plus en valeur la voix de Rubén Juárez. On notera qu’il est, tout comme Armando Pontier, également bandonéoniste. Cependant, dans cette version, il se « contente » de chanter.
Después 1977-05-13 – Roberto Goyeneche con la Orquesta Típica Porteña dirigida por Raúl Garello.
Le bandonéon de Raúl Garello annonce la couleur et l’émotion qui va se dégager de cette version. El Polaco (Roberto Goyeneche) donne une version extrêmement émouvante et l’orchestre l’accompagne parfaitement dans les ondulations de la musique. Cette version fait ressortir toute la poésie de Manzi qui fut un grand poète qui décida de consacrer sa vie à l’art populaire et national du tango plutôt que de rechercher les honneurs qui aurait pu s’attacher à la carrière de poète qu’il aurait méritée.
Je vous propose d’arrêter avec ce titre très émouvant et donc de passer sous silence les versions de Pugliese avec Abel Córdoba qui sortent, à mon avis, du champ du tango pour entrer dans autre chose, sans doute une forme de musique classique moderne, mais sans l’émotion que suscite généralement le tango.
Avant de recevoir des coups de bâtons sur la tête pour avoir osé écrire cela, je vous dis au revoir et à demain, les amis.
Je t’ai gagné, je t’ai battu haut la main ou « Te gané de mano » comme il est dit dans ce tango exprime la joie de quelqu’un qui a gagné. C’est une expression utilisée par les joueurs de cartes. Mais est-ce si sûr qu’il a vraiment gagné cet homme triomphant ? J’ai retranscrit, avec un peu de difficulté, les paroles chantées par Horacio Lagos et accessoirement, Randona. Je vous laisse découvrir le dernier mot de cette histoire.
Extrait musical
Te gané de mano 1938-07-06 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Randona (Armando Julio Piovani).
La musique démarre, assurée, comme quelqu’un qui marche en confiance. Par moment, la musique est presque sautillante, assurément on parle d’un vainqueur. C’est alors que la voix d’Horacio Lagos lance avec force des paroles qui ne respirent pas tellement la joie. Que se passe-t-il ? C’est alors que Randona (Armando Julio Piovani), fait son entrée et en duo avec Horacio Lagos nous raconte la fin de l’histoire. Je vous laisse découvrir les paroles, telles qu’elles sont chantées dans cette version. N’ayant pas trouvé de version originale, et ce titre n’ayant pas été enregistré par d’autres orchestres, il s’agit de la retranscription de ce que chantent Lagos et Randona. Il y a peut-être et même sûrement d’autres couplets, mais ils restent à découvrir. Ceux qui restent nos en disent toutefois suffisamment, les voici.
Paroles (retranscription aussi peu maladroite que possible)
Te gané de mano Perdóname nena Si él te dijo planto Primero fui yo. Despertaste al indio Que estaba dormido Y el indio está claro, se te reveló Como yo era bueno Me cristó un disenso Y ese fue el comienzo de mi perdición Si al final ya asumo con tanta discuta Vos lo haces segura Y yo el pobre sifón.
Sé qué haces ahora la Magdalena Que anda cimentando que te engañado No digas eso, no vale la pena Qué me desarma de rui y malvado Sé que mi cariño No te interesa porque me le ha dicho Más de una vez No haga la otaria Qué se te manya ese amor proprio que padeces.
Edgardo Donato Letra: Juan Bautista Abad Reyes
Traduction libre et indications
J’ai gagné haut la main, pardonne-moi, petite. Si lui te laissa en plan, je fus le premier. Tu as réveillé l’indien qui était endormi et l’indien, c’est clair, tu l’as révélé (El indio, le sentiment intérieur, différent chez lui et chez elle). Comme moi, j’étais bon, cette faille me brisa et ce fut le commencement de ma perte. Si finalement j’assume avec tant de discussions, tu le fais assurément et moi, suis le pauvre mec (sifón = grand nez, mais je ne suis pas sûr d’entendre bien sifón).
Je sais que tu fais maintenant la Madeleine (la pleureuse) Qui va, cimentant le fait que je t’ai trompée. (Lagos chante « cimentando », mais on pourrait dire aussi « sementando », semant) Ne dis pas ça, ça n’en vaut pas la peine Ce qui me désarme de colère et de mauvaiseté C’est que je sais que mon amour ne t’intéresse pas, parce que tu me l’as dit plus d’une fois. Ne fais pas l’andouille. Que tu te manges cet amour propre dont tu souffres.
On se demande à la fin, s’il a vraiment gagné ou s’il joue à l’indifférent ou au vainqueur factice pour surmonter sa peine.
Juan Bautista Abad Reyes (1892-1965)
On doit à Juan Bautista Abad Reyes les paroles de quelques tangos, dont celui du jour. Son parcours est intéressant et j’ai donc décidé de vous en dire deux mots. Il est né et mort en Argentine, mais est devenu citoyen et même député uruguayen entre les deux. En 1919, il a gagné un concours d’œuvres théâtrales organisé par le journal La Noche (La Nuit) de Montevidéo et il travailla 20 ans comme rédacteur en chef du journal El Día (Le Jour), également de Montevideo… Il a écrit les paroles de tangos, chansons, rancheras, pasodobles et autres et composé quelques titres. En voici un court extrait.
C = Compositeur / A = Auteur (parolier) / Compo. = Date probable de composition / Première interprétation, en italique. Date de la création publique, mais a priori, sans enregistrement / Premier enregistrement, plus ancien enregistrement existant (pour le moment).
C
A
Compo.
Titre
Premières interprétations et enregistrements
X
1926
Como luces de Bengala
1926-04-07 Rosita Quiroga
X
1926
Musiquita
1926 Rosita Quiroga/1926-09-14 Típica Víctor
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1928
Caña amarga
1928-05-26 Alberto Vila
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1928
Te fuiste ja… ja…
1928 Alberto Vila
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1928
Arco iris
1928-09-03 Francisco Canaro
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1929
Alma cuyana
1929-05-29 Alberto Gómez; Augusto « Tito » Vila
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1929
Falló la paica
1929 Alberto Gómez
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1930
Caminito del olvido
1930-01-21 Luis Petrucelli
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1930
El idolo roto
1930 Azucena Maizani
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1930c
Envidias
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1930
Goya (pasodoble)
1930 Libertad Lamarque
X
X
1930
Mentiras (tonada salteña)
1930-11 Libertad Lamarque/1931-01-10 Edgardo Donato con Luis Díaz
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1930
No seas malo
1930 Azucena Maizani
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1930c
Noviecita de otros tiempos
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1930
Remigio (ranchera)
1930 Orquesta Tipica Ricardo L. Brignolo
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1930
Ya sé tú historia, pebeta
1930 Azucena Maizani
X
X
1931
Sinverguenza alabancioso
1931-09-07 Orquesta Adolfo Carabelli con Mercedes Simone
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1934
Confidencia
1934-04-11 Orquesta Típica Victor C Hugo Gutiérrez
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1950
Paisaje
1950-12-14 Roberto Carlés /1951-08-09 Osvaldo Fresedo con Armando Garrido
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1951
Ternura Muchacho
1951 Lorenzo Barbero Y Su Orquesta De La Argentinidad
X
¿ ?
Mirame bien a los ojos
En dehors de cela, il est surtout connu pour ses créations radiophoniques, il travaillera en effet dans diverses radios où il proposera des chroniques ou des œuvres théâtro-radiophoniques.
Philosophie de Juan Bautista Abad Reyes
Sa philosophie pour les paroles de ses tangos est la suivante :
“Yo no vitupero el malevaje en el tango, ni el léxico arrabalero. Al contrario, lo estimo como expresión de color local y lo encuentro lleno de atractivos dramáticos en manos de los verdaderos poetas. Lo peligroso es pensar en arrabalero, concebir las obras en lunfardo”.
Revista Femenil, 1930
Revista Femenil, 1930.
Traduction de la philosophie de Juan Bautista Abad Reyes
Je ne vilipende pas la «malveillance» dans le tango, ni le lexique des faubourgs. Au contraire, je les estime comme une expression de la couleur locale et je les trouve pleins d’attraits dramatiques entre les mains de vrais poètes. Le risque est de penser en faubourien et de concevoir les œuvres en lunfardo.
Sur ces bonnes paroles, je vous dis, à demain les amis !
Deux Bahienses sont à l’origine de notre tango du jour. Un pour la composition et l’autre pour l’interprétation. Pour être précis, un seul des compositeurs, Armando Lacava est de Bahía Blanca. Juan Pomati est né pour sa part en Italie, à Milan. Quoi qu’il en soit, Di Sarli a enregistré ce tango, tout juste composé.
Les pianistes bahienses et les autres…
Carlos Di Sarli et Armando Lacava, les deux pianistes de Bahía Blanca.
La mise en avant des pianistes de Bahía Blanca ne devrait pas faire passer à l’arrière-plan la contribution de Juan Pomati, le bandonéoniste qui a co-composé avec Lacava. Il était en effet un copiste très recherché à une époque où il n’existait pas de photocopieuses et a de son côté composé un certain nombre de titres dont une bonne part co-signée avec Tití Rossi dont il était un des bandonéonistes de l’orchestre. Impossible d’avoir une photo de lui, ce récent arrivée d’Italie est resté trop discret.
En revanche, j’ai une photo de l’auteur des paroles, Carlos Waiss.
Carlos Waiss
Extrait musical
Un tango y nada más 1945-07-05 – Orquesta Carlos Di Sarli con Jorge Durán.
Dès les premières notes, le piano de Di Sarli fait merveille. Il marque le tempo et donne un parfait contrepoint aux violons qui se balancent au-dessus. Tout s’enchaîne, s’harmonise. La voix de Durán lance les paroles avec un rubato qui donnera de l’élan au danseur, un balancement qui dynamisera la créativité de l’improvisation. Le tango se termine avec un tutti incluant la voix de Durán et qui se perd dans le silence.
Paroles
Un tango más, un gorrión de barrio viejo llega moliendo su cruel desilusión. Rodando van los recuerdos de mi vida, mi vida gris que no tiene ya canción. Dónde estarán los que fueron compañeros, mi amor primero de un claro anochecer, y ese silbido llamando de la esquina hacia el calor de aquel viejo café.
Quién sabe dónde está lo que perdí, loco de afán. Del tiempo que pasó sólo quedó un tango más. Tan sólo un tango más que trae fracaso de no ser, cansancio de mi andar. La vida que al rodar, sólo dejó, un tango y nada más.
Un tango más, un gorrión de barrio viejo tiembla en la sombra doliente del ayer. Un tango más, y el juguete de la luna vuelve a mentir en el triste anochecer. Mi juventud la quemé en la cruz viajera en la quimera de andar, siempre de andar. Buscan mis ansias calor de primavera y sólo hay un tango y nada más.
Armando Lacava ; Juan Pomati Letra: Carlos Waiss
Durán chante ce qui est en gras et termine en chantant de nouveau ce qui est en bleu.
Julio Martel chante également ce qui est en gras, mais il reprend ce qui est en rouge, puis ce qui est en bleu pour terminer. Aucun des deux ne chante le dernier couplet.
Eduardo Borda chante en plus de Julio Martel, la fin du dernier couplet (ce qui est en vert).
Traduction libre et indications
Un tango de plus, un moineau du vieux quartier arrive, ruminant sa cruelle désillusion (un gorrión en plus d’être un moineau est un profiteur, un pique-assiette). Les souvenirs de ma vie, ma vie grise qui n’a plus de chanson. Où seront ceux qui étaient des compagnons, mon premier amour d’une soirée claire, et ce sifflement invitant depuis l’angle de la rue à la chaleur de ce vieux café. Qui sait où est ce que j’ai perdu, fou d’impatience. Du temps qui s’est écoulé, il ne restait plus qu’un tango. Juste un tango de plus qui apporte l’échec de ne pas être, la fatigue de ma marche. La vie qui en roulant n’a laissé qu’un tango et rien de plus. Un tango de plus, un moineau du vieux quartier tremble dans l’ombre souffrante d’hier. Un tango de plus, et le jouet de la lune recommence à mentir dans le triste crépuscule. J’ai brûlé ma jeunesse sur la croix de voyage dans la chimère de la marche, toujours de la marche. Ils cherchent mon désir de chaleur printanière et il n’y a qu’un tango et rien de plus.
Autres versions
Pas beaucoup d’enregistrement pour ce thème, mais il faut dire que la merveille de Di Sarli et Durán ne laissait pas beaucoup d’autres options aux autres orchestres.
Un tango y nada más 1945-07-05 – Orquesta Carlos Di Sarli con Jorge Durán. C’est notre tango du jour.Un tango y nada más 1945-07-17 — Orquesta Alfredo De Angelis con Julio Martel.
De Angelis enregistre le titre 12 jours après Di Sarli. Ce n’est pas vilain et relativement dansant, mais sans doute pas aussi satisfaisant que la version de Di Sarli avec Durán.
Un tango y nada más 1986 – Orquesta José Basso con Eduardo Borda.
Cette version tardive date d’une époque où le tango de danse n’avait pas encore complètement retrouvé sa place. La jolie voix chaude de Borda donne plaisir à écouter ce titre, mais les danseurs n’y trouveront pas leur compte.
Un tango y nada más 2013-11-01 — Ariel Ardit. Ariel Ardit donne sa vision de l’œuvre.
Comme pour Borda, je n’irai pas proposer cela à des danseurs.
On pourrait continuer avec des tangos avec « nada más » dans le titre, il y en a près d’une vingtaine avec au moins un enregistrement… Mais ce sera pour une autre fois.
Si on ne doit se souvenir que d’une composition de Mario Melfi, c’est sans conteste de Poema. Mais si on doit se souvenir de deux, alors, Remembranza, notre tango du jour est assurément dans la liste. Ce qui en revanche est curieux est que l’on associe très peu ces deux titres, très semblables. Mais peut-être qu’il y a une ou plusieurs solutions…
Tandas mixtes
Hier, dans un groupe de DJ, une question très étrange a été posée. Combien de tandas mixtes peuvent être passées dans une milonga ? J’avoue que j’ai relu deux fois la question pour voir de quoi il s’agissait. Il arrive en effet, que l’on mélange dans la même tanda, des orchestres différents. C’est assez fréquent pour les milongas et les valses et je le fais parfois, par exemple pour associer des enregistrements de Carabelli avec son propre orchestre et de la Típica Victor, dirigée par lui. Je le fais également quand il y a un titre orphelin, qui n’a pas de tango compatible par le même orchestre et qu’un autre orchestre à quelque chose qui peut bien se combiner avec. L’étrangeté de la question vient de « combien de tandas mixtes »… Je n’ai pas répondu au groupe, mais ma réponse aurait pu être, le DJ fait ce qu’il veut dans la mesure où les danseurs sont contents. Faire de bonnes tandas mixtes est difficile, faire 100 % de tandas mixtes serait un défi très difficile à relever… Poema est associé à l’enregistrement de Canaro et Maida de 1935. Remembranza a plusieurs points d’accroche. Notre enregistrement du jour avec Pugliese et Maciel est sans doute le plus connu. 21 ans séparent ces deux enregistrements, un écart encore plus grand existe entre les styles des orchestres, ce qui rend bien évidemment ces deux enregistrements totalement incompatibles dans une même tanda. Cependant, la structure des morceaux est tout à fait compatible, on trouve même des extraits de phrases musicales comparables entre les deux œuvres. Remembranza aurait été enregistré par Canaro et Maida, ou Poema par Pugliese et Maciel et on aurait deux piliers solides pour une tanda. Ce rêve existe cependant. Je vous le présenterai en fin d’article…
Extrait musical
Remembranza 1956-07-04 – Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge MacielPartition argentine de Remembranza.
Paroles
Cómo son largas las semanas cuando no estás cerca de mí no sé qué fuerzas sobrehumanas me dan valor lejos de ti. Muerta la luz de mi esperanza soy como un náufrago en el mar, sé que me pierdo en lontananza mas no me puedo resignar. ¡Ah ¡qué triste es recordar después de tanto amar, esa dicha que pasó… Flor de una ilusión nuestra pasión se marchitó. ¡Ah ¡olvida mi desdén, retorna dulce bien, a nuestro amor, y volverá a florecer nuestro querer como aquella flor. En nuestro cuarto tibio y rosa todo quedó como otra vez y en cada adorno, en cada cosa te sigo viendo como ayer. Tu foto sobre la mesita que es credencial de mi dolor, y aquella hortensia ya marchita que fue el cantar de nuestro amor.
Mario Melfi Letra : Mario Battistella
Autres versions
Les versions françaises
Je pense vous surprendre en vous indiquant que les deux premiers enregistrements de ce titre ont été chantés en français. En effet, Melfi et Battistella étaient à Paris à l’époque. Mario Melfi a même fait l’essentiel de sa carrière en France où il est mort en 1970. Le titre en français est Ressouvenance, un terme aujourd’hui tombé en désuétude… C’est donc Mario Melfi qui ouvre le bal des versions avec un enregistrement de 1934, chanté, donc en français, par Marcel Véran et appelé donc Ressouvenance et pas Remembranza.
Ressouvenance 1934 — Mario Melfi Chant Marcel Véran (en français). Paroles de Robert Chamfleury et Henry Lemarchand.
C’est le plus ancien enregistrement, de plus, réalisé par l’auteur de la musique, Mario Melfi. En ce qui concerne les paroles en français, on se rend compte qu’elles sont proches de celles de Battistella. On peut donc penser que Battistella est bien l’auteur original, puisqu’il était à Paris et que Robert Chamfleury et Henry Lemarchand ont adapté (avec plus de talent que moi) les paroles en français. Vous pourrez en trouver la transcription après le chapitre autres versions.
Ressouvenance 1934 — Auguste Jean Pesenti et son Orchestre Tango Chant Guy Berry (en français).
Couverture de la partition de 1934. On voit que Berry a créé le tango et les paroliers sont uniquement les deux français. On notera également que Melfi est crédité de son succès de Poema.Ressouvenance 1934-12-13 — Orlando et son orchestre Chant Jean Clément (en français).Remembranza 1944 — Ramón Mendizabal. Remembranza a été gravé sur la face B du disque, la face A étant réservée à Obsession.
Avec cet enregistrement, j’arrête la liste des versions « françaises » (même si la dernière n’est pas chantée). Et je vous propose maintenant les versions « Argentines ».
Les versions argentines
Remembranza 1937-05-11 — Héctor Palacios con guitarras.
Après les versions françaises avec orchestres, les guitares de Héctor Palacios ne font pas tout à fait le poids. Cependant, ce titre est compatible avec ce type de version intime et si le résultat n’a rien à faire en milonga, il est plutôt agréable à écouter.
Remembranza 1943-02-12 — Orquesta Ricardo Malerba con Orlando Medina.
Une jolie version, dans le style de Malerba et Medina qui a sa sonorité particulière.
Remembranza 1947-05-09 — Orquesta Ricardo Tanturi con Osvaldo Ribó.
Si les versions précédentes avec orchestre, y compris les versions françaises étaient harmonieuses, je trouve que celle-ci souffre d’un manque de cohérence entre la voix de Ribó et l’orchestre de Ricardo Tanturi. Le talent des deux n’est pas en cause, Osvaldo Ribó avec un orchestre plus présent aurait donné une très belle version et inversement.
Remembranza 1948-09-08 — Orquesta Alfredo Gobbi con Jorge Maciel.
La voix travaillée de Maciel n’a peut-être pas trouvé l’orchestre idéal pour sa mise en valeur. On sent Gobbi un peu réservé, là encore, le résultat ne me convînt pas totalement.
Remembranza 1952-05-23 — Lorenzo Barbero y su orquesta típica con Carlos del Monte.
Encore une version qui ne va pas provoquer des ondes d’enthousiasme. De plus, elle n’est pas destinée à la danse, mais c’est intéressant de temps à autre de présenter un de ces deux-cent d’orchestres qui ont œuvré à l’âge d’or et qui n’ont pas eu droit à la reconnaissance de la postérité.
Remembranza 1954-12-28 — Orquesta Alfredo De Angelis con Carlos Dante.
On arrive dans des versions un peu plus travaillées. On remarquera l’introduction très particulière de cette version de De Angelis.
Mais attendez la suite, les choses sérieuses commencent.
Remembranza 1956-07-04 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel. C’est notre tango du jour.
Les essais de voix plus travaillées entendus précédemment trouvent un meilleur terrain avec l’orchestre de Pugliese. Le mariage de la voix de Jorge Maciel avec l’orchestre est bien plus abouti dans cette version que dans celle de Gobbi, 8 ans plus tôt.
Remembranza 1963 — Orquesta Juan Canaro con Susy Leiva.
J’aurais présenté les choses à l’envers, Susy Leiva accompagnée par l’orchestre de Juan Canaro. C’est une version à écouter, la voix de Susy Leiva est expressive et a de l’émotion. Mais bon, revenons à nos piliers.
Remembranzas 1964-09-25 — Orquesta Juan D’Arienzo con Jorge Valdez.
Avec Jorge Valdez, D’Arienzo a un peu mis de côté le tango de danse pour suivre la mode de l’époque qui était plus radiophonique ou télévisuelle que dansante. D’Arienzo interprète le titre dans ses concerts, comme ici à Montevideo en 1968.
Remembranzas 1968 — Orquesta Juan D’Arienzo con Osvaldo Ramos. Cet enregistrement a été réalisé à Montevideo (Uruguay).
On revient avec Jorge Valdez qui gagne la palme du chanteur qui a le plus enregistré Remembranza, encore une émission de télévision.
Jorge Valdez en Grandes Valores (une émission des années 70).
Paroles de la version chantée en français par Guy Berry, Marcel Véran, Jean Clément et autres chanteurs français
Combien est longue une journée Quand tu n’es pas auprès de moi. Comment ai-je pu deux années Vivre sans entendre ta voix ? Je n’ai pour consoler ma peine Que les doux rêves du passé, Car ni les jours ni les semaines N’ont jamais pu les effacer… Ah !… Qu’il est troublant, chéri(e), D’évoquer, comme on prie, Ce bonheur, hélas trop court. Rien n’a pu ternir Le souvenir de ces beaux jours. Ah !… Pardonne à ma folie. Reviens je t’en supplie À notre amour. Rien ne pourra me griser Que tes baisers, Comme aux anciens jours. Dans notre chambre tiède et rose, Tout est resté comme autrefois. Et chaque objet et chaque chose Ne me semble attendre que toi. Ton portrait sur la cheminée Semble sourire à mon espoir. Dans un livre, une fleur fanée Rappelle nos serments d’un soir…
Mario Melfi Letra : Mario Battistella (adapté en français par Robert Chamfleury et Henry Lemarchand)
Remembranza et Poema unis dans une tanda idéale
Nous avons vu en début d’article qu’il n’y avait pas d’enregistrement compatible de ces deux titres à l’âge d’or du tango. C’est une grande frustration pour les DJ et sans doute les danseurs. En fait, ce n’est pas tout à fait vrai, car les Pesenti ont enregistré Poema et Ressouvenance, mais ce ne sont sans doute pas des versions suffisantes pour les danseurs avancés. Je vous laisse en juger.
Poema 1933 – Orquesta Típica Auguste Jean Pesenti du Coliséum de Paris con Nena Sainz.Ressouvenance 1934 — Auguste Jean Pesenti et son Orchestre Tango Chant Guy Berry (en français).Poema 1937 – René Pesenti et son Orchestre de Tango con Alberto.
Je rajoute cette version de Poema par le frère de Auguste Jean, René Pesenti. Elle est compatible et présente l’avantage d’être chantée par un homme (Alberto), ce qui peut être préféré par certains qui n’aiment pas trop les mélanges dans une tanda.
Si vous avez estimé que ces versions n’étaient pas à la hauteur, il nous faut chercher ailleurs. Je pense que l’orchestre qui va nous donner ce plaisir est la Romantica Milonguera. Il a enregistré les deux titres dans des versions compatibles et de belle qualité, presque équivalentes à la version de Canaro et Maida. Je vous présente ces deux enregistrements en vidéo. Une belle façon de terminer cette anecdote du jour, non ?
Orquesta Romantica Milonguera — Poema
Orquesta Romantica Milonguera — Remembranza
Merci à la Romantica Milonguera et à demain, les amis !
Encore un portrait de femme dans un tango. Celle-ci se prénommait Rosalinda. Cette valse relativement rare, bien que sympathique est interprétée par Donato et chantée par Juan Alessio. Ce chanteur n’a enregistré qu’avec Donato et sur une période très brève, un mois entre juin et juillet 1935. Il est donc probable que vous ne le connaissiez pas. Je vous propose donc cette petite rencontre avec un chanteur de qualité.
Juan Alessio
Juan Alessio est difficile à cerner, car il est resté discret. Par ailleurs, il ne semble avoir enregistré qu’avec Donato et seulement les cinq titres que voici :
El día que me quieras 1935-06-13 (Carlos Gardel Letra: Alfredo Le Pera)
Dios lo sabe 1935-06-13 (Antonio Polito)
Rosalinda 1935-07-03 (Edgardo Donato Letra: Maximo José Orsi)
Picaflor 1935-07-03 (Edgardo Donato Letra: Maximo José Orsi, les mêmes auteurs que notre valse du jour).
Hola!… Qué tal?… 1935-07-17 (Osvaldo Donato Letra: Sandalio C. Gómez)
L’autre difficulté est qu’il n’a enregistré qu’une seule valse et que cette dernière est assez différente des valses les plus appréciées de Donato. De 1930 à 1936, il y a des valses compatibles, mais faire une tanda avec ce type de valse risque de ne pas plaire. Comme DJ, il se peut donc que je ne passe jamais cette valse, sauf pour une occasion particulière, comme l’anniversaire d’une Rosalinde ou d’une Rosalinda… Je continuerais ensuite avec les valses les plus appréciées de Donato.
En toute fin d’article, je vous proposerai une autre option 😉
Extrait musical
Rosalinda 1935-07-03 — Orquesta Edgardo Donato con Juan Alessio
Comme vous pouvez le constater, c’est une valse particulièrement lente. Elle peut donc être difficile à danser, notamment pour les danseurs débutants. Les plus avancés pourront capter les petits ornements pour varier la danse, mais sans les élans habituels de la valse, il faudra faire preuve d’un bon sens de l’équilibre et bien respecter les axes pour en tirer tout le plaisir possible. Là encore, rendez-vous en fin d’article pour un joker.
Paroles
Je n’ai pas trouvé les paroles de Maximo José Orsi, je retranscris donc uniquement ce que chante Juan Alessio, tout du moins ce que j’ai cru entendre.
En mi vida sos la linda Tu carita feliz En tus ojos hay fulgores Con aurora de ilusión Junto a ti Rosalinda El amor sembrando pasa Como el beso de los vientos Y entre el sol se devolvió
Edgardo Donato Letra : Máxi
Autres versions
Il y a une seule valse enregistrée avec ce titre.
Rosalinda 1935-07-03 — Orquesta Edgardo Donato con Juan Alessio
Mais il y a aussi une ranchera du même titre, mais avec des auteurs différents. On notera que la valse de Donato est à la limite de la ranchera.
Rosalinda (Ranchera) 1955-04-14 — Trío Ciriaco OrtizTrío Ciriaco Ortiz (au centre avec le bandonéon), Ramón Andrés Menéndez (à gauche) et Vicente Spina (à droite)
Máximo José Orsi
L’auteur des paroles, Máximo José Orsi, était acteur et parolier. Il est indirectement et contre son gré, à l’origine du succès de Piana, Milonga sentimental. En effet, Orsi demanda à Sebastián Piana une musique pour une des chansons d’un spectacle de Arturo De Bassi où il était acteur. Le résultat plut à De Bassi qui lui commanda un autre titre, ce fut Milonga sentimental.
Qui était Rosalinda ?
Il est difficile de dire qui était la Rosalinda, car ce prénom d’origine germanique est très répandu en Amérique du Sud au point qu’une revue mensuelle argentine des années 30 à 50 portait ce nom. C’était une édition de J. Hays Bell & Cia.
Le premier numéro de cette revue pour la femme et le foyer est paru en 1931, preuve que le prénom était à la mode à l’époque où Donato écrivit sa valse.
Par ailleurs, différents films portent ce titre, par exemple :
Rosalinda (1914) de Ricardo de Baños et Alberto Marro (Espagne)
Rosalinda (1941) de Lamberto V. Avellana (Philippines)
Rosalinda (1945) de Rolando Aguilar (Mexique)
C’est également le titre de télénovelas (les feuilletons à l’eau de rose), la plus récente étant de 2009 (Philippines) et la plus connue, celle de 1999 (Mexique) avec la chanson de Thalía. En résumé, vous pouvez imaginer la Rosalinda que vous voulez, de la guerrière germanique avec des étincelles dans les yeux, jusqu’à la plus mièvre des héroïnes de télénovelas.
Rosalinda, quelques couvertures de la revue Rosalinda, de 1940,1942 et 1944.
La petite surprise
Comme DJ, on a le privilège de pouvoir modifier la musique. C’est l’avantage d’utiliser un logiciel spécifique et pas iTunes ou autre logiciel grand public pour la diffusion. Comme un orchestre avant de commencer jouer, le DJ peut décider du tempo de la musique. Il ne dit pas 1 – 2 et 1 2 3 comme les musiciens, mais il peut ajuster le rythme, par exemple pour varier l’ordre des morceaux dans une tanda, voire en cours de route (avec un logiciel performant et bien maîtrisé). J’avoue recourir souvent à cet artifice qui me permet de coller toujours le plus possible aux capacités et/ou envies des danseurs présents. Donc, cette valse, sans doute trop lente pour de nombreuses occasions peut se voir offrir une chance en lui donnant un peu d’élan. Je vous propose un résultat à comparer à la version enregistrée. Sur quelle version préféreriez-vous danser dans une milonga ordinaire ?
Rosalinda 1935-07-03 — Orquesta Edgardo Donato con Juan Alessio. Version accélérée.Rosalinda 1935-07-03 — Orquesta Edgardo Donato con Juan Alessio
Bien sûr, l’exercice va faire râler les ronchonchons et c’est tant mieux. Le DJ a pour but de donner du plaisir aux danseurs. La milonga n’est pas un musée, mais un lieu de divertissement. Que la musique soit un peu plus rapide, un peu plus lente, un peu plus aiguë ou grave, cela ne va rien changer.
Oui, mais le bandonéon de untel était accordé à 430 Hz, jusqu’en septembre et en octobre à 440 Hz. Tu ne peux donc pas passer les deux dans la même tanda, dit le Ronchonchon.
Tu es capable d’entendre la différence ? Demande le DJ, amusé.
J’ai l’oreille absolue, réplique le Ronchonchon.
Je te plains, dit le DJ compréhensif. Alors, tu as sans doute remarqué que j’ai passé la deuxième prise du 16 juillet 1952 et pas l’habituelle. Le bandonéon de Xyzxyz a eu un problème et il a emprunté celui d’un collègue accordé en 440 Hz.
Oui, bien sûr, j’avais remarqué qu’il y avait quelque chose de bizarre.
Ben, en fait, il n’a pas de seconde version et j’ai passé la version de TangoTunes (ou TTT) qui est au bon diapason, dit le DJ, mort de rire.
Je pourrai continuer, ce petit conte avec toutes ces anecdotes de « spécialistes », mais j’avoue que je m’occupe plus des danseurs que de ces DJ jaloux. Alors, dans la milonga, chers danseurs, prenez votre bonne humeur, affichez votre plus beau sourire et laissez-vous porter par la musique. Imaginez que vous êtes en plein âge d’or du tango et qu’un orchestre sur scène vous présente ses nouveautés, essaye de nouveaux arrangements, joue un titre à la mode plutôt connu par un autre orchestre. Aujourd’hui, la diversité des expériences et limitée par ce qui a été enregistré, un petit bout d’iceberg, tout le reste s’étant perdu faute d’avoir été enregistré et ne sera jamais retrouvé.
Des orchestres contemporains essayent de faire revivre des titres oubliés, de trouver de nouveaux arrangements. Tout cela devrait raviver le plaisir de la découverte chez les danseurs. Donc, si un DJ dans mon genre vous fait de petites surprises, prenez-le bien, c’est un jeu, le tango n’est pas une langue morte. Asinus asinum non fricat.
Ricardo González Alfiletegaray Letra: Antonio Polito (A. Timarni)
Les femmes de Rosario ont la réputation d’être jolies. Plusieurs tangos vont dans ce sens, mais les Rosarinas ne sont pas les seules dont la beauté est vantée. Dans le cas présent, Ricardo González a composé son titre en pensant à une personne en particulier, une femme de Rosario, bien sûr. Je vous donnerai son nom en fin d’article.
Ricardo González était bandonéoniste et il fut le professeur du Tigre du bandonéon, Eduardo Arolas.
Extrait musical
La rosarina 1937-07-02 — Orquesta Juan D’Arienzo.
Paroles
Je n’ai pas trouvé d’enregistrement chanté de ce tango, mais il existe bien des paroles associées et qui sont parfaitement en accord avec le thème. Alors, les voici.
Mujeres de tradición Nacidas en la Argentina, Ninguna de corazón Como era ‘la rosarina’. La barra, feliz con su amor No supo nunca de sinsabores, Fue siempre gentil y brindó Ternura suave, como una flor.
Cuando iba a los bailongos Se destacaba por su pinta, En el tango demostró, ser sin rival Nadie la pudo igualar. Rosarina de mi vida Dulce recuerdo vos dejaste, Es por eso que jamás Te olvidarán, hasta morir.
Negrito Querés café. No, mama Que me hace mal. Entonces Lo qué querés Careta pa’ carnaval…
Ricardo González Alfiletegaray Letra : Antonio Polito (A. Timarni)
Traduction libre et indications
Des femmes de tradition nées en Argentine, aucune n’est de cœur comme l’était « la Rosarina». La bande, heureuse de son amour, n’a jamais connu les ennuis, elle était toujours gentille et offrait une tendresse douce, comme une fleur. Quand elle allait au bal, elle se distinguait par son allure, dans le tango, elle démontrait être sans rivale, personne ne pouvait l’égaler. Rosarina de ma vie, tu as laissé de doux souvenirs, c’est pour cela qu’ils ne t’oublieront jamais, jusqu’à la mort.
Negrito, veux-tu du café ? Non, maman, ça me fait mal. Alors, que veux-tu ? Un masque pour carnaval…
Le texte qui n’est pas en gras est assez étrange. Il rappelle certaines apostrophes que lançaient les orchestres, voire les clients de la salle. On se souvient d’avoir évoqué cela au sujet de El Monito avec un dialogue semblable dans les versions de Julio De Caro. Negrito, petit noir, n’est pas forcément l’expression d’un racisme, le terme s’adressant à des personnes mates de peau, pas nécessairement à des personnes noires. On connaît Mercedes Sossa qui était surnommée La Negra. Quand au masque de Carnaval, c’est encore une occasion d’évoquer comment les carnavals rythmaient la carrière des musiciens. Ce texte additionnel semble assez curieux pour un tango dédié à une femme.
Autres versions
Le tango aurait été écrit en 1912 et le premier enregistrement serait de 1915, mais il semble introuvable. Je signale donc que Félix Camerano l’aurait enregistré en 1915 avec son orchestre. Ce n’est pas du tout impossible, vu qu’il était ami avec l’auteur de la musique depuis 1898, époque où il faisait avec lui un duo guitare et bandonéon. Quoi qu’il en soit, je n’ai pas ce disque dans mon grenier.
La rosarina 1928-12-15 — Alberto Diana Lavalle.
La rosarina 1928-12-15 — Alberto Diana Lavalle. Alberto Diana Lavalle, nous donne une version à la guitare, sans chanson. En fait, je n’ai pas trouvé d’enregistrement avec les paroles de Antonio Polito. Peut-être que cette chanson était interprétée sous cette forme lors de sa création.
Plaque en hommage à Alberto Diana Lavalle offerte par les « Martes Bohemios » un an après la mort de Lavalle. La plaque est donc au cimetière de Chacarita. C’est une réalisation du sculpteur Orlando Stagnaro, qui est le frère du musicien et poète Santiago Stagnaro.La rosarina 1929-11-20 — Orquesta Típica Victor. Dir. Adolfo Carabelli.
C’est la première version orchestrale dont on a une trace sonore.
La rosarina 1936-12-19 — Roberto Firpo y su Cuarteto Típico.
La rosarina 1936-12-19 — Roberto Firpo y su Cuarteto Típico. Roberto Firpo enregistrera trois fois le titre, dans des versions somme toute assez proches. Était-ce un intérêt pour le thème ou pour la dame ? Je n’en sais rien… Cette version est assez rapide et tonique, peut-être un peu brouillonne.
La rosarina 1937-07-02 — Orquesta Juan D’Arienzo. C’est notre tango du jour.
Les petits silences et les ornementations de Biagi sont bien présents dans ce titre typique de cette époque de D’Arienzo. La musique est assez joueuse, voire un peu sautillante. Bien dansable, avec quelques petites surprises et un joli contraste entre les lignes ondulantes des violons et le reste de l’orchestre plus percusif.
La rosarina 1943-12-30 — Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.
Pour une fois, Canaro n’arrive pas rapidement sur le titre. Canaro était pourtant proche de Ricardo González, puisque ce dernier lui avait dédicacé son premier tango El fulero et qu’il avait travaillé comme bandonéoniste dans son orchestre en France. Il donne cet enregistrement avec son quintette. Après la version de D’Arienzo, cela peut sembler un peu trop calme. Il y a cependant de beaux traits musicaux, mais peut-être que les danseurs peuvent se dispenser de cette interprétation.
La rosarina 1944-03-31 — Roberto Firpo y su Nuevo Cuarteto.
Le retour de Firpo sur ce titre. Huit ans plus tard, il y a beaucoup de similitudes entre les versions. Le rythme est très légèrement plus lent. L’orchestre est un peu mieux synchronisé, ce qui facilitera la tâche des danseurs qui devront gérer ce titre qui hésite entre la milonga et le tango, mais qui a pour lui d’être joueur.
La rosarina 1949-10-21 — Roberto Firpo y su Nuevo Cuarteto.
Encore Firpo, cinq ans plus tard. Cette version diffère des premières par un tempo beaucoup plus lent. La dédicataire s’est peut-être assagie avec l’âge. Le tango de Firpo, c’est certain.
La rosarina 1975-01-06 — Miguel Villasboas, Washington Quintas Moreno.
Une version sympathique à deux pianos. Villasboas hésite aussi souvent entre les rythmes de milonga et de tango. Disons que cette version est pour le concert, mais qu’elle est sympathique à écouter.
Miguel Villasboas et Wishington Quintas Moreno ont produit plusieurs disques. Le titre que vous écoutez vient de celui de gauche, mais sur celui de droite « Antologia », on peut voir les deux pianistes à l’oeuvre.La Rosarina 1980c — Miguel Villasboas y su Orquesta Típica.
Comme Firpo, Villasboas retourne au titre, cette fois avec son orchestre. Le tempo est un plus lent que dans la version à deux pianos. Les similitudes avec Firpo sont toujours marquées. Ce ne sera sans doute pas le titre le plus apprécié de la milonga, mais une fois de temps en temps, avec des danseurs moyennement portés sur la milonga, cela peut faire l’affaire.
Mais qui était La rosarina ?
Il est assez facile de découvrir que la dédicataire, ou pour le moins l’inspiratrice s’appelait Zulema Díaz. Venue voir sa sœur, selon les versions dans un spectacle à Acayucho (environ 300 km de Buenos Aires), dans un club nommé Alegria, par suite d’une soi-disant erreur d’un cocher. Quoi qu’il en soit, elle est tombée sous le regard de Ricardo González qui dirigeait le spectacle et qui a décidé de lui écrire un tango. Selon le journaliste Julián Porteño, cela se serait passé en 1912. Porteño indique que la femme était très belle et qu’en plus elle dansait, ce qui fait que Ricardo González (surnommé Mochila) l’a intégrée à la revue où elle était arrivée, par erreur, ou pour voir sa sœur.
Ce qu’on ne vous dit pas, c’est que sa sœur, la danseuse de la revue menée par González s’appelait María E. Díaz et que les deux sœurs devaient être un peu dévergondées, car le 29 juillet 1947, elles se sont fait exclure du Club Social et Sportif Villa Malcolm, pour y avoir dansé de façon non conforme à ce qui était attendu dans l’établissement. En fait, la façon jugée inconvenante de danser était d’avoir le visage trop près de celui du partenaire. Ce club Villa Malcom était donc assez peu libéral et même Anibal Troilo en avait fait les frais. Il avait été renvoyé le 25 juillet 1942, car le 17 juillet, certains de ses musiciens ne se seraient pas pliés totalement à l’étiquette de l’établissement et qu’il aurait fait venir des gens qui n’étaient pas dans le style de l’établissement. Lucio Demare l’avait remplacé, comme quoi le malheur des uns fait le bonheur des autres.
Ricardo González est parti pour la France dans les années 20. Il y a travaillé notamment pour Francisco Canaro qui avait insisté pour le faire revenir en France dont il était parti peu de temps auparavant. Si Ricardo González avait fait une autre conquête, une danseuse prénommée Bernadette, lors de son séjour en France, on ne sait pas s’il a continué à rêver de la belle Rosarina. Tout ce qu’on sait, c’est qu’à son retour de France, il s’est retiré du tango et qu’on en n’a plus entendu parler. J’aime à imaginer que c’est pour filer l’amour parfait avec Zulema.
Voilà, j’arrive au terme de ce petit parcours au sujet d’un tango dédié à une apparition qui a enflammé l’imagination d’un bandonéoniste qui en a fait un tango.
En effet, je ne crois pas que les paroles tristes de notre tango du jour soient reliées à cette histoire, puisque les sœurs ont été exclues en 1947, soit 35 ans après la rencontre et donc bien longtemps après que les paroles ont été écrites.
La valse d’aujourd’hui, Corazón de oro, créée par Francisco Canaro est un immense succès, mais la version du jour va sans doute vous étonner. Si elle ne vous plait pas, je me rattraperai avec les nombreuses versions de Canaro. Mais comme je sais que vous avez un cœur en or, vous me pardonnerez de vous infliger une version de Alfredo De Angelis, bien étrange.
Extrait musical
Corazón de oro 1980-07-01 — Orquesta De Angelis.
L’introduction est réduite en étant jouée plus rapidement (les descentes chromatiques sont jouées en croches et pas en noires, donc deux fois plus rapidement. Ce qui vous surprendra rapidement, ce sont les sonorités, au piano de De Angelis, aux superbes violons, aux bandonéons virtuoses, s’ajoute un orgue électronique, à partir de 45 secondes. Celui chante la mélodie, puis les autres se mélangent de nouveau. Le résultat manque un peu de clarté et je ne suis pas convaincu qu’il soit totalement apprécié par les danseurs qui risquent de regretter les versions de Canaro que vous allez pouvoir apprécier à la suite de cet article.
Corazón de oro — Francisco Canaro Letra: Jesús Fernández Blanco.
La partition demande trois pages, contre deux généralement à cause de la très longue introduction, vraiment très longue dans certaines versions, même si ce n’est pas le cas pour notre valse du jour par De Angelis qui ne fait « que » 15 secondes.
Paroles
Con su amor mi madre me enseñó a reír y soñar, y con besos me alentó a sufrir sin llorar… En mi pecho nunca tengo hiel, en el alma, canta la ilusión, y es mi vida alegre cascabel. ¡Con oro se forjó mi corazón!… Siempre he sido noble en el amor, el placer, la amistad; mi cariño no causó dolor, mi querer fue verdad… Cuando siento el filo de un puñal que me clava a veces la traición, no enmudece el pájaro ideal, ¡porque yo tengo de oro el corazón!…
Entre amor florecí y el dolor huyó de mí. Sé curar mi aflicción sin llorar, ¡tengo de oro el corazón!…
¡Los ruiseñores de mi alegría van por mi vida cantando a coro y en las campanas del alma mía resuena el oro del corazón!…
Yo pagué la negra ingratitud con gentil compasión, y jamás dejó mi juventud de entonar su canción… Al sentir el alma enardecer y apurar con ansia mi pasión, no me da dolores el placer, ¡pues tengo de oro puro el corazón!… Entre risas pasa mi vivir, siempre amé, no sé odiar, y convierto en trinos mi sufrir porque sé perdonar… Mi existencia quiero embellecer, pues al ver que muere una ilusión, otras bellas siento renacer, ¡mi madre me hizo de oro el corazón!…
Francisco Canaro Letra: Jesús Fernández Blanco
Traduction libre
Avec son amour, ma mère m’a appris à rire et à rêver, et avec des baisers, elle m’a encouragé à souffrir sans pleurer… Dans mon cœur je n’ai jamais de fiel, dans mon âme l’illusion chante, et ma vie est un joyeux carillon (cascabel = grelot, j’ai un peu interprété et surtout, il ne faut pas prendre cascabel pour une de ses significations en lunfardo). Mon cœur s’est forgé avec de l’or… J’ai toujours été noble en amour, en plaisir, en amitié ; mon affection ne causait pas de douleur, mon amour était vrai… Quand je sens le tranchant d’un poignard qui me transperce parfois de trahison, l’oiseau idéal ne se tait pas, car mon cœur est fait d’or… entouré d’amour, je fleurissais et la douleur me fuyait. Je sais guérir mon affliction sans pleurer, j’ai un cœur en or… Les rossignols de ma joie traversent ma vie en chantant en chœur et dans les cloches de mon âme résonne l’or du cœur… J’ai payé l’ingratitude noire avec une douce compassion, et ma jeunesse n’a jamais cessé de chanter sa chanson… Quand je sens mon âme enflammer et animer avec ardeur ma passion, le plaisir ne me cause pas de douleur, car mon cœur est fait d’or pur… Entre les rires ma vie passe, j’ai toujours aimé, je ne sais pas haïr, et je transforme ma souffrance en trilles parce que je sais pardonner… Je veux embellir mon existence, car quand je vois qu’une illusion (un sentiment amoureux) meurt, j’en sens d’autres, belles, renaître, ma mère a fait mon cœur en or…
Autres versions
Corazón de Oro par Canaro
La composition est de Canaro et c’est donc lui qui se taille la part du lion des enregistrements. Je vous propose de commencer par lui et de revenir ensuite avec des enregistrements intermédiaires d’autres orchestres.
Corazón de oro 1928-05-19 — Orquesta Francisco Canaro.
Une introduction qui prend son temps, très lente. La valse ne commence qu’après 50 secondes, ce qui est beaucoup pour la patience des danseurs d’aujourd’hui. On peut éventuellement la placer en début de tanda, ou couper l’introduction. Les violons émettent des miaulements étonnants. Bien que d’une durée respectable (près de 5 minutes), cette valse n’est pas monotone et pourra satisfaire les danseurs. Elle est très rarement passée en milonga. Il faut dire qu’elle a plein de copines du même Canaro qui sont intéressantes. Jetons-y un œil.
Corazón de oro 1928-08-07 – Orquesta Francisco Canaro con Charlo.
L’introduction est relativement longue, mais plus rapide que pour la version de mai de la même année. De plus, elle tourne un peu, annonçant plus la valse qui va suivre. Elle est plus rapide et Charlo, intervient pour chanter le refrain à près de deux minutes. C’est une version qui tourne bien et qui donc a toute sa place en milonga.
Corazón de oro 1929-12-17 – Orquesta Francisco Canaro.
C’est déjà le troisième enregistrement de cette valse par Canaro. L’introduction est du type long, mais moins lente que dans la première version de 1928. Le ralentissement de la fin est sympathique.
Corazón de oro 1930-06-11 – Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro.
L’introduction avec ses 25 secondes peut être laissée. Elle laisse immédiatement la place à la voix magnifique de Ada Falcón. Ce n’est pas une version de danse, mais elle est si jolie que je pense qu’une bonne partie des danseurs pardonneront aux DJ qui la passera en milonga. Pour ma part, j’adore.
Corazón de oro 1938-03-24 – Orquesta Francisco Canaro.
Décidément Canaro enchaîne les enregistrements de sa valse. J’ai l’impression que c’est la version qui passe le plus souvent en milonga. Elle démarre sans longue introduction et le rythme est bien marqué. L’équilibre entre les bandonéons avec les violons en contrepoint est magnifique. C’est donc logiquement que les danseurs l’apprécient d’autant que certains passages plus énergiques réveillent l’attention. La flûte et la trompette bouchée, qui rappellent que Canaro donne aussi dans le jazz donne une sonorité originale à cette version qui n’est pas monotone malgré sa durée respectable de 3:13 minutes. Sa fin dynamique permet de l’envisager en fin de tanda.
Corazón de oro 1951-11-26 – Orquesta Francisco Canaro.
Canaro a laissé quelques années de côté sa valse pour la ressortir dans une version remaniée. C’est la version qui servira de modèle à Lalo Schifrin pour la musique du film Tango de Carlos Saura. La présence de chœur chantant la mélodie sans paroles est aussi une originalité, également reprise par Lalo Schifrin. Cette version bénéficie aussi de la fin tonique qui en fait une bonne candidate de fin de tanda.
Corazón de oro 1961-12-26 — Orquesta Francisco Canaro con coro.
La dernière version enregistrée par Canaro, trois ans avant sa mort. Cet enregistrement a été effectué au Japon. Les Japonais sont passionnés de tango et le succès des tournées des artistes argentins en témoigne. Canaro renoue avec l’introduction longue et lente de la première version qui atteint 50 secondes. Le résultat est encore une valse qui dépasse les 4 minutes, ce qui peut pousser les DJ à couper l’introduction, d’autant plus qu’elle n’est pas dansante. C’est très joli, mais peut-être pas la version la plus touchante pour les danseurs. Comme dans la version de la décennie précédente le chœur apporte sa note d’originalité, mais c’est sans doute la fin qui est le plus remarquable, après un passage extrêmement lent, une fin, explosive. En milonga, ça passe, ou ça casse. Soit les danseurs adorent, soit ils s’arrêtent de danser avant la fin. Il faut donc bien juger de son public avant de passer cette version.
On continue avec le Quinteto Pirincho qui a prolongé l’héritage de Canaro après sa mort avec deux enregistrements.
Corazón de oro 1978 — Quinteto Pirincho dir. Oscar Bassil.
Cette version, souvent étiquetée Canaro, car il s’agit du Quinteto Pirincho a été enregistré 14 ans après la mort de Canaro… C’est Oscar Bassil (bandonéoniste) qui dirigeait le Quinteto à cette époque.
Corazón de oro 1996 — Quinteto Pirincho Dir. Antonio D’Alessandro.
Autre version du Pirincho, dans la version lente. Cette fois dirigée par Antonio D’Alessandro.
Contrairement à Bassil, D’Alessandro reprend la tradition de l’introduction lente qui dure dans le cas présent près de 40 secondes. Les premiers temps de la valse sont très accentués par moments ce qui peut paraître manquer de subtilité. Cette version me semble moins aboutie que celle de Bassil et le chœur a une voix que je trouve horrible, voire presque lugubre. Certainement pas ma version préférée si je souhaite faire plaisir aux danseurs, ce qui est en général mon objectif premier…
Corazón de oro par d’autres orchestres
Passons à d’autres orchestres maintenant.
Corazón de oro 1950-04-11 — Juan Cambareri y su Cuarteto Típico.
Encore une version de Cambareri à une vitesse de fou furieux. C’est plus de l’essorage de linge que de la valse à une telle vitesse. Je me demande ce qu’il avait dans la tête pour donner des interprétations à une telle vitesse. On est aux antipodes de Canaro qui était plutôt calme, voire très calme dans toutes ses versions.
Corazón de oro 1954-11-05 — Orquesta Juan Sánchez Gorio.
Une version calme, bien dansante, sans doute entendue trop rarement en milonga. Il faut dire qu’avec le choix que propose Canaro, on peut hésiter à sortir des sentiers battus. Les contrepoints du piano sont particulièrement originaux. J’aime beaucoup et en général, les danseurs aussi (c’est la moindre des choses pour un DJ que de passer des choses qui donnent envie de danser…).
Corazón de oro 1955-06-13 — Orquesta Francini-Pontier.
Une version intéressante, destructurée et avec des artistes virtuoses, que ce soit le violon de Francini ou le piano de Angel Scichetti. J’avoue que je n’irai pas la proposer en milonga, mais cette version vaut tout de même une écoute attentive.
Corazón de oro 1959 — Juan Cambareri y su Cuarteto de Ayer.
Non, Cambareri ne s’est pas calmé, ou alors, très peu. Cette version est quasiment aussi rapide que celle de 1950.
Corazón de oro 1959 — Los Violines De Oro Del Tango.
Une version plutôt orientée musique classique, mais pas inintéressante.
Corazón de oro 1979 — Nelly Omar con el conjunto de guitarras de José Canet.
La voix chaleureuse de Nelly Omar donne une version originale de cette valse. Il y a peu de versions chantées, il est donc intéressant d’en avoir une de plus, même si ce n’est pas pour danser. On notera qu’elle utilise de façon personnelle les paroles, mais après tout, pourquoi pas.
Corazón de oro 1980-07-01 — Orquesta De Angelis. C’est notre valse du jour.
Je vous propose de terminer avec cette version, on pourrait sinon continuer à se perdre dans les versions pendant des heures, tant ce titre a été enregistré.
Canaro et De Angelis
Un des derniers disques de De Angelis s’appelle Bodas de Oro con el Tango. Le livre de mémoires de Canaro est également sous-titré Mis Bodas de Oro con el Tango. J’ai trouvé amusante cette coïncidence.
Las bodas de oro de Canaro y De Angelis. Le disque et la cassette édités en 1982 et le livre de Canaro édité en 1956. On notera la présence de Gigi De Angelis, la fille de De Angelis, chanteuse.
Alfredo De Angelis a enregistré 17 titres de Canaro. Notre valse du jour n’est pas sur ce disque, mais sur un disque intitulé Al colorado de Banfield (1985), le colorado (le rouquin), c’est De Angelis, qui était fan du club de football de Banfield. Il a d’ailleurs écrit un tango « El Taladro », El Taladro étant le surnom du club de Banfield.
L’album s’appelle Al Colorado de Banfield à cause du tango composé par Ernesto Baffa et Roberto Pérez Prechi en l’honneur de De Angelis. Il a été publié en 1985, mais il comporte des enregistrements de 1980 (comme notre valse du jour), jusqu’à 1985. C’est son dernier disque.
Canaro et De Angelis ont leurs partisans et leurs opposants. Aucun des deux n’a pu entrer dans le saint des saints des 4 piliers, réservé à Pugliese, Troilo, D’Arienzo et Di Sarli, mais ils ont créé tous les deux suffisamment de titres intéressants pour avoir une bonne place dans le panthéon du tango et tant pis pour les ronchonchons qui n’aiment pas.
Que ce soit dans les bals musettes de France, dans les milongas du Monde entier ou dans des lieux plus étonnants, cette superbe valse a fait tourner des danseurs et des têtes. Généralement, on dit que c’est une valse péruvienne, mais cela peut faire hurler les Argentins, car les papas de cette merveille sont tous Argentins.
Une valse bien née
La musique est de Ángel Cabral (Ángel Amato). Ce guitariste est né en 1911 à Buenos Aires. Très jeune, il jouait dans des trios de guitares. À l’époque de l’écriture de Que nadie sepa mi sufrir, le trio était composé de Ángel Cabral, Juan José Riverol (né à Buenos Aires et fils du guitariste de Carlos Gardel) et Alfredo Lucero Palacios (né à Rosario, Argentine). Il était ami de Enrique Dizeo (né à Buenos Aires), l’auteur des paroles, avec José Riverol, trois fanatiques des courses de chevaux et tous les trois nés à Buenos Aires. L’auteur de la musique et des paroles est Ángel Cabral. Enrique Dizeo aurait joué un rôle secondaire d’améliorations du texte de Cabral. Ce thème aurait écrit vers 1936 (d’aucuns disent 1927) et interprété en 1936 par Hugo Del Carril (né à Buenos Aires). Certains affirment que Hugo Del Carril aurait enregistré cette valse, mais cela semble faux ou pour le moins il n’existe pas d’enregistrement déclaré, ni de film dans lequel il aurait interprété ce titre. Par ailleurs, si la date de 1927 était vraie, ce serait le premier titre de Cabral en solo. Le plus ancien titre enregistré datant de 1930 et était une collaboration, La Brava, une ranchera composée avec Hérmes Romulo Peressini. Dans les années 1940, il écrit tous les autres titres avec la participation de ses collègues guitaristes du trio. Il s’agit de corridos et de milongas. La première ranchera de 1930 n’est peut-être pas de lui, mais de Martín Valentín Cabral, auteur de nombreuses rancheras. Le fait que sur la partition de Que nadie sepa mi sufrir, il y ait la photo des trois guitaristes de l’époque, et pas du trio des années 30, me semble devoir confirmé que le titre date plutôt de la fin des années 40 ou du début des années 50. Si quelqu’un pouvait sortir une véritable preuve que Hugo Del Carril a chanté le titre en 1936, ce serait intéressant.
C’est le trio qui est présenté sur la partition, ce qui m’incite à penser que le titre date plutôt de la fin des années 40, début des années 50.
Quoi qu’il en soit, on voit donc que toutes les personnes ayant participé de près ou de loin à ce titre sont Argentines. Alors, pourquoi dire que c’est une valse péruvienne ? En fait, le terme de valse péruvienne désignait un rythme de valse plutôt lent que d’ailleurs Cabral a utilisé pour la plupart de ses valses des années 50 et 60. Je pense qu’il souhaitait surfer sur le succès de Que nadie sepa mi sufrir qui a connu son véritable succès dans ces années, plus que dans les années 20 ou 30 si les sources plus ou moins fantaisistes faisant remonter la création à cette époque sont exactes. Cette valse « péruvienne » a donc connu beaucoup de succès, mais en attendant, je vous propose d’écouter une version enregistrée il y a exactement 69 ans. C’est une des meilleures versions, mais plusieurs se battent pour le podium et ça va être une véritable course pour savoir qui sera le premier. Mais comme les auteurs sont turfistes, les courses, ils connaissent.
Extrait musical
Que nadie sepa mi sufrir 1955-06-30 — Orquesta Alfredo Gobbi con Alfredo Del Río y Tito Landó. Que nadie sepa mi sufrir. Ángel Cabral Letra: Enrique Dizeo. Éditions Julio Korn.
En photo, les membres du trio de guitariste dont était membre Cabral à l’époque de l’écriture de cette valse (dans mon hypothèse qu’elle date des alentours de 1950).
Paroles
No te asombres si te digo lo que fuiste Una ingrata con mi pobre corazón Porque el fuego de tus lindos ojos negros Alumbraron el camino de otro amor Porque el fuego de tus lindos ojos negros Alumbraron el camino de otro amor Amor de mis amores, reina mía, ¿qué me hiciste? Que no puedo conformarme sin poderte contemplar Ya que pagaste mal, mi cariño tan sincero Lo que conseguirás, que no te nombre nunca más Amor de mis amores, si dejaste de quererme No hay cuidado, que la gente de eso no se enterará ¿Qué gano con decir que una mujer cambió mi suerte? Se burlarán de mí, que nadie sepa mi sufrir Y pensar que te adoraba ciegamente Que a tu lado como nunca me sentí Y por esas cosas raras de la vida Sin el beso de tu boca, yo me vi Y por esas cosas raras de la vida Sin el beso de tu boca, yo me vi Amor de mis amores, reina mía, ¿qué me hiciste? Que no puedo conformarme sin poderte contemplar Ya que pagaste mal, mi cariño tan sincero Lo que conseguirás, que no te nombre nunca más Amor de mis amores, si dejaste de quererme No hay cuidado, que la gente de eso no se enterará ¿Qué gano con decir que una mujer cambió mi suerte? Se burlarán de mí, que nadie sepa mi sufrir
Ángel Cabral Letra : Enrique Dizeo
Traduction libre
Ne t’étonne pas si je te dis combien tu as été ingrate avec mon pauvre cœur. Parce que le feu de tes beaux yeux noirs a illuminé le chemin d’un autre amour. Parce que le feu de tes beaux yeux noirs a éclairé le chemin d’un autre amour Amour de mes amours, ma reine, que m’as-tu fait ? Que je ne peux pas être satisfait sans pouvoir te contempler puisque tu as mal payé, mon affection si sincère. Ce que tu obtiendras, c’est que je ne t’appellerai plus jamais amour de mes amours, si tu cesses de m’aimer. Ne t’inquiète pas, les gens ne s’en rendront pas compte. Qu’est-ce que je gagne à dire qu’une femme a changé ma chance ? Ils se moqueront de moi, personne ne connaîtra ma souffrance et ils penseront que je t’ai adoré aveuglément, qu’à tes côtés comme si jamais je ne l’avais ressenti. Et à cause de ces choses étranges de la vie sans le baiser de ta bouche, je me suis vu. Et pour ces choses étranges de la vie, sans le baiser de ta bouche, je me suis vu Amour de mes amours, ma reine, que m’as-tu fait ? Que je ne puis être satisfait sans pouvoir te contempler puisque tu as mal payé, mon affection si sincère. Ce que tu obtiendras, c’est que je ne t’appellerai plus jamais amour de mes amours, si tu cesses de m’aimer. Ne t’inquiète pas, les gens ne s’en rendront pas compte. Qu’est-ce que je gagne à dire qu’une femme a changé ma chance ? Ils se moqueront de moi, personne ne connaîtra ma souffrance.
Autres versions
Que nadie sepa mi sufrir 1953-10-28 — Alberto Castillo — Orq Dir Ángel Condercuri.
Que nadie sepa mi sufrir 1953-10-28 — Alberto Castillo — Orq Dir Ángel Condercuri. Certains attribuent à Jorge Dragone la Direction de l’orchestre. C’est à mon avis une erreur, car Dragone dirigeait l’orchestre de Ledesma et les premiers enregistrements sont de 1957. Castillo, après avoir chanté pour l’orchestre de Tanturi jusqu’en 1943 a monté son orchestre, dirigé par Emilio Balcarce de fin 1943 à août 1944, puis par Enrique Alessio. En 1948, après un bref passage par l’orchestre de Troilo, Castillo confie la direction de son orchestre à Ángel Condercuri et César Zagnoli, puis en 1949 à Eduardo Rovira. En 1951 Ángel Condercuri, revient, seul à la direction de l’orchestre jusqu’en 1959. Signalons toutefois quelques enregistrements par Raúl Bianchi sur la période, donc si on peut avoir un doute sur Condercuri, c’est du côté de Bianchi qu’il faudrait regarder, pas du côté de Dragone. Dans les années 60 et 70, Osvaldo Requena et Condercuri vont diriger à tour de rôle l’orchestre. Aucune mention de Jorge Dragone dans la littérature sérieuse sur la question. J’ai même trouvé un CD où l’orchestre était mentionné comme étant celui de Tanturi… Mais il reste quelque chose de très important à signaler sur cette interprétation. Ce serait celle qu’aurait entendu Edith Piaf et qui en aurait fait La foule avec les paroles de Michel Rivgauche.
Que nadie sepa mi sufrir 1953-12-18 — Alfredo De Angelis con Carlos Dante.
Moins de deux mois après Castillo, Alfredo De Angelis donne sa version avec Carlos Dante. C’est une très belle version qui souffre seulement du mépris de certains pour De Angelis et de ce que ce titre met en avant les sonorités criollas ce qui fait dire avec dédain à certains que c’est du folklore et pas du tango.
Que nadie sepa mi sufrir 1954-11-09 — Alberto Marino.
Si j’étais un DJ taquin, je mettrais cette version dans une milonga (si, au fait, je suis un DJ taquin, je pourrais le faire en Europe…). Le célesta donne le ton, on est dans quelque chose d’original. La guitare joue une très belle partition accompagnée par la contrebasse qui donne la base. Il y aurait un accordéon, mais il est tellement discret qu’on ne le remarque pas.
Le célesta, comment ça marche ? Par Catherine Cournot. Pour tout connaître sur le célesta, cet instrument original.Que nadie sepa mi sufrir 1955-06-30 — Alfredo Gobbi Con Alfredo Del Rio y Tito Lando.
C’est notre valse du jour. Le rythme est plus posé que dans les versions de De Angelis et Castillo, on est ainsi plus proche de ce qu’est censée être une valse péruvienne. Le duo Alfredo Del Rio et Tito Lando fonctionne parfaitement. Même si Gobbi n’est pas en odeur de sainteté dans toutes les milongas, c’est une version qui pourrait faire le bonheur des danseurs. Pour moi, c’est une très belle réalisation.
Que nadie sepa mi sufrir 1956 — Agustín Irusta.
Une version chanson, sympa, sauf pour la danse. Une introduction originale annonce aussi une orchestration différente.
Voilà la version que vous attendiez, celle d’Edith Piaf… Ici, vous avez en prime les paroles affichées en espagnol.
La foule 1957-02-28 — Edith Piaf (paroles de Michel Rivgauche).
On remarque l’introduction qui diffère un peu des autres versions (en fait, presque toutes les introductions ont des variantes).
Paroles de La foule d’Edith Piaf (écrites par Michel Rivgauche)
Paroles de La foule Je revois la ville en fête et en délire Suffoquant sous le soleil et sous la joie Et j’entends dans la musique les cris, les rires Qui éclatent et rebondissent autour de moi Et perdue parmi ces gens qui me bousculent Étourdie, désemparée, je reste là Quand soudain, je me retourne, il se recule Et la foule vient me jeter entre ses bras Emportés par la foule qui nous traîne Nous entraîne Écrasés l’un contre l’autre Nous ne formons qu’un seul corps Et le flot sans effort Nous pousse, enchaînés l’un et l’autre Et nous laisse tous deux Épanouis, enivrés et heureux Entraînés par la foule qui s’élance Et qui danse Une folle farandole Nos deux mains restent soudées Et parfois soulevés Nos deux corps enlacés s’envolent Et retombent tous deux Épanouis, enivrés et heureux Et la joie éclaboussée par son sourire Me transperce et rejaillit au fond de moi Mais soudain je pousse un cri parmi les rires Quand la foule vient l’arracher d’entre mes bras Emportés par la foule qui nous traîne Nous entraîne Nous éloigne l’un de l’autre Je lutte et je me débats Mais le son de ma voix S’étouffe dans les rires des autres Et je crie de douleur, de fureur et de rage Et je pleure Entraînée par la foule qui s’élance Et qui danse Une folle farandole Je suis emportée au loin Et je crispe mes poings, maudissant la foule qui me vole L’homme qu’elle m’avait donné Et que je n’ai jamais retrouvé
Paroles de Michel Rivgauche
Je vous propose d’arrêter là. J’avais sélectionné une quarantaine de versions, y compris dans d’autres rythmes, ce sera pour une autre fois et terminer avec Piaf, c’est tout de même une belle envolée, non ?
Juan Rodríguez Letra: Juan Miguel Velich; Francisco Brancatti
Mandria, encore un grand tango, adoré par les danseurs. Si ce sont les versions de D’Arienzo qui sont les plus connues, il y a d’autres versions intéressantes et que je vous propose ici. Attention, on entre dans l’univers hostiles des gauchos, mandrias, s’abstenir.
Extrait musical
Mandria 1957-06-29 – Orquesta Juan D’Arienzo con Mario BustosPartition de Mandria. On voit le combat avec les rebenques.
Paroles
Tome mi poncho… No se aflija… ¡Si hasta el cuchillo se lo presto! Cite, que en la cancha que usté elija he de dir y en fija no pondré mal gesto.
Yo con el cabo ‘e mi rebenque tengo ‘e sobra pa’ cobrarme… Nunca he sido un maula, ¡se lo juro! y en ningún apuro me sabré achicar.
Por la mujer, creamé, no lo busqué… Es la acción que le viché al varón que en mi rancho cobijé… Es su maldad la que hoy me hace sufrir : Pa’ matar o pa’ morir vine a pelear y el hombre ha de cumplir.
Pa’ los sotretas de su laya tengo güen brazo y estoy listo… Tome… Abaraje si es de agaya, que el varón que taya debe estar previsto. Esta es mi marca y me asujeto. ¡Pa’ qué pelear a un hombre mandria ! Váyase con ella, la cobarde… Dígale que es tarde pero me cobré.
Juan Rodríguez Letra: Juan Miguel Velich ; Francisco Brancatti
Traduction libre et indications
Prenez mon poncho… Ne vous affligez pas… Et jusqu’au couteau, je vous le prête ! Racontez, que dans le lieu (terrain pour le duel, se dit aussi du terrain de foot) que vous choisissez, il faut dire et assurément (fija en lunfardo, chose sûre), je n’aurai pas de mauvais geste. Moi, avec la tête de mon fouet j’ai largement pour me couvrir (protéger)…
Cabo de rebenque (tête de fouet de gaucho). On voit la dragonne qui permet de le tenir fermement au poignet et la boule de métal qui devait donner de forts mots de tête quand elle entrait en contact avec le crâne de l’adversaire…
Je n’ai jamais été un lâche, je vous le jure ! Et sans aucune urgence je saurais me faire petit. Pour la femme, croyez-moi, je ne l’ai pas cherché… C’est l’action que j’ai vue de l’homme que j’ai hébergé dans mon ranch… C’est sa méchanceté qui aujourd’hui me fait souffrir : Pour tuer ou pour mourir, je suis venu me battre et l’homme doit s’y conformer. Pour un malotru de ce type, j’ai un bon bras et je suis prêt… Prenez… Abattu s’il est fait de galle, (agaya = agalla = excroissance qui se forme sur un arbre à cause de la piqûre d’un insecte) que le mec qui a parlé doit être prévenu. C’est ma devise et je m’y tiens. Pourquoi combattre un homme pleutre ! Allez avec elle, la lâche… Dites-lui qu’il est tard, mais que j’ai été payé.
J’ai quelques doutes sur l’interprétation, est-ce qu’au final il a mis une raclée avec son fouet au type qui était allé avec sa femme et qu’il chasse les deux, ou qu’il ne prend pas la peine de s’attaquer au pleutre (mandria) et qu’il le chasse avec la femme infidèle.
Autres versions
Mandria 1927-03-17 — Rosita Quiroga con guitarras.
Mandria 1927-03-17 — Rosita Quiroga con guitarras. Les prestations de Rosita, l’artiste à la mode remportèrent beaucoup de succès au théâtre et à la radio, ce qui lança le titre comment en témoignent les autres enregistrements réalisés dans les deux mois qui suivirent. Dans cet enregistrement, elle est accompagnée de trois guitaristes. Sa voix, marquée de souffrance l’avait fait surnommée, la toujours blessé (La eterna herida) ou la muse pauvre (La musa mistonga), car elle était un produit des faubourgs dont elle avait la diction et la gouaille. En 1927, elle était au fait de sa gloire et l’année précédente, Antonio Polito et Celedonio Flores pour les paroles, lui avaient écrit un tango La musa mistonga.
Rosita Quiroga, La musa mistongaMandría 1927-03-25 — Orquesta Roberto Firpo.
Une Jolie version, assez lente et bien dansable.
Mandría 1927-05-10 – Orquesta Osvaldo Fresedo
La version de Fresedo a des points communs avec celle de Firpo.
Mandria 1927-05-19 – Orquesta Francisco Canaro con Agustín Irusta
Encore une version assez proche, un tempo plus marqué, mais bien sûr, la grande différence est le refrain chanté par Agustín Irusta.
Avec Canaro se terminent les enregistrements de la première vague. Quatre en deux mois, c’est un beau succès pour le titre, mais attendez la suite…
Mandria 1939-08-09 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe.
Après une pause de douze ans, une nouvelle version de notre titre du jour. C’est sans doute la version la plus célèbre. Contrairement aux versions de la décennie précédente on est face à un titre énergique, brillant, qui donne envie de danser.
Mandria 1954-04-22 — Orquesta Eduardo Del Piano con Mario Bustos.
Une version chantée avec une voix un peu recherchée. Pas forcément la version préférée des danseurs.
Mandria 1957-06-29 – Orquesta Juan D’Arienzo con Mario Bustos. C’est notre tango du jour.
Trois ans plus tard, Bustos enregistre le thème avec D’Arienzo qui lui est aussi avec sa deuxième version, la première étant de 18 ans plus ancienne, avec Echagüe. Il est intéressant de comparer la version de Del Piano avec celle de D’Arienzo, elles sont proches en date et c’est le même chanteur. Del Piano a laissé plus de liberté à Bustos et même si D’Arienzo laisse Bustos chanter toutes les paroles, il reste dans le cadre de la danse, ce qui n’est aps toujours le cas d’autres orchestre de l’époque qui augmentent aussi fortement la part chantée des tangos.
Mandria 1970 — Orquesta Juan Cambareri con Héctor Berardi.Mandria 1980c — Los Mancifesta con Carlos Tejeda.
Mandria 2022 – El Cachivache Quinteto.
El rebenque
On a déjà parlé de l’armement des gauchos, notamment du facón (couteau) et du poncho (enroulé autour du bras en protection).
L’arme d’aujourd’hui est le rebenque. C’est une sorte de cravache ou de fouet court. D’un côté, il y a la poignée (cabo) et de l’autre, la queue.
À gauche, un rebenque entier avec au premier plan el cabo en métal.
La tenue du rebenque avec la dragonne au poignet.
Combat au rebenque selon une illustration de Molina. Le poncho enroulé sur le bras sert à se protéger.
Rebenque et facón, deux armes redoutables, dessins de Mario Lopez Osornio Ici, il tient le rebenque par la queue. On imagine donc le résultat de la fappe du cabo sur l’adversaire. Dans le combat, le rebenque sert également à désarmer l’adversaire de son couteau.
Feliciano Brunelli (Feliciano Juan Brunelli) Letra: Carlos Bahr (Carlos Andrés Bahr)
L’illustration ne va pas spécialement vous aider à trouver le thème de cette milonga. C’est une milonga et la fleur, pourrait être la danseuse. Mais, l’expression « de mi flor » a un autre sens qui semble plus adapté à cette milonga qui dispose de deux versions de paroles. Écoutons et voyons cela.
Extrait musical
Milonga de mi flor 1940-06-28 — Orquesta Pedro Laurenz con Juan Carlos CasasMilonga de mi flor (à droite) avec sur la gauche, Un amor, un des titres du film « Cita en la frontera » avec Libertad Lamarque
Paroles de la version chantée par Juan Carlos Casas
Con revuelos de percales las mozas la bailaron en las floridas tardes del viejo Montserrat.
“Venga, vea este corte” pregonaba algún taura al mandarse un redoble sobre el piso de tablas.
Dedicando a la reunión como una flor, su compadrada, retador en la intención de deslumbrar con sus hazañas Lindos tiempos aquellos, del fandango ligero al compás de un milongón que para más, puede mi flor.
Feliciano Brunelli Letra: Carlos Bahr
Traduction libre de la version chantée par Juan Carlos Casas
Avec des envolées de percale (calicot, étoffe légère et bon marché), les belles filles la dansaient dans les après-midi fleuris du vieux Montserrat. « Venez, voyez ce corte » proclama un des tauras (caïd, personnage « important ») en envoyant un martèlement sur le parquet. Dédiant à la réunion comme une fleur, sa compagne, provocateur dans l’intention d’éblouir par ses exploits. Ce sont de beaux moments, du fandango léger au rythme d’un milongón que pour plus, peut ma fleur.
Autres versions
Cela va aller assez vite, il n’y a que deux enregistrements, réalisés à moins de six mois d’intervalle.
Milonga de mi flor 1940-06-28 — Orquesta Pedro Laurenz con Juan Carlos Casas. C’est notre milonga du jour.Milonga de mi flor 1940-12-03 – Orquesta Julio De Caro con Héctor Farrel
Paroles de la version chantée par Héctor Farrel
La florearon las guitarras Trenzando bordoneos, En las tenidas bravas Por el noventa y dos.
Repicando tacones Con redoble compadre, Desde el sud hasta el norte Se jugó en un alarde. Fue la flor del arrabal Para el ojal de los cantores, Y en la voz del mayoral Por la ciudad, bordó primores.
Fue canción de vereda Y patrón de trastienda, Porque tuvo un corazón Que entreveró, rencor y amor.
Feliciano Brunelli Letra: Carlos Bahr
Traduction libre de la version chantée par Héctor Farrel
Les guitares l’ont fleurie de bordoneos tressés (jeu sur les trois cordes graves de la guitare), dans les lieux vaillants pour une quatre-vingt-douze.
Une 92 (pièce de 2 centavos de 1892).
Claquant des talons en roulement de tambour joint, du sud au nord, il se jouait en fanfaronnade. C’était la fleur des faubourgs pour la boutonnière des chanteurs, et dans la voix du mayoral (celui qui faisait payer le billet dans le tramway) à travers la ville, il brodait des motifs de première.
C’était une chanson du trottoir et un motif d’arrière-boutique, parce qu’il avait un cœur qui s’entremêlait, ressentiment et amour.
Pourquoi ce titre ?
De mi flor signifie quelque chose d’excellent. En français, on parle de « fleur de l’âge ». Vous avez compris que le narrateur, dans chacune des versions, est un fanfaron qui se vante de danser comme un ____________ (complétez avec le terme de votre choix).
Milonga et milongón
Je rajouterai un titre très proche Milongón de mi flor composé par José Vázquez Vigo et interprété par Francisco Canaro, la même année.
Milongón de mi flor 1940-04-18 — Quinteto Don Pancho dir. Francisco Canaro.
Un milongón, c’est à la fois un style de milonga d’origine uruguayenne que Canaro a essayé de lancer, sans grand succès, mais c’est aussi un bal populaire ; un désordre bruyant voire une bagarre. Je vous laisse danser ces trois milongas et vous dit, à demain les amis, depuis ma ville chérie, Buenos Aires.
Cristino Tapia (musique et paroles), arrangements de Roberto Pepe
Peut-être que certains se sont demandé d’où venait ce nom étrange. La Yumba, Beba, Zum (de Piazzolla) et maintenant Tupungatina (de Tapia) sont dans le lexique étonnant des œuvres jouées par Pugliese. Je pourrais vous dire que ça vient de la petite localité de Tupungato, du département de Tupungato, célèbre pour son volcan du même nom. La Tupugatina est une habitante de ce lieu. Ce serait donc une banale chanson en l’honneur d’une femme, mais vous vous en doutez, il y a une surprise que nous découvrirons en fin d’article.
Extrait musical
La tupungatina 1952-06-27 — Orquesta Osvaldo PuglieseLa tupungatina, Partition originale nous donnant des informations que nous allons distiller en fin de notice…
Paroles
Ya me voy para los campos que añoro a buscar yerba de olvido y dejarte, a ver si con esta ausencia pudiera en relación a otro tiempo olvidarte, a ver si con esta ausencia pudiera en relación a otro tiempo olvidarte.
He vivido tolerando martirios, y jamás pienso mostrarme cobarde, arrastrando una cadena tan fuerte hasta que mi triste vida, se acabe, arrastrando una cadena tan fuerte hasta que mi triste vida, se acabe.
Cuando le he enseñado al tiempo mis penas no hay mal que por bien no venga, aunque escarche cuando no haya tierra, ni agua, ni cielo se acabarán mis tormentos cobardes, cuando no haya tierra, ni agua, ni cielo se acabarán mis tormentos cobardes.
Cristino Tapia (musique et paroles), arrangements de Roberto Pepe
Traduction libre et indications
Je m’en vais par les champs qui me manquaient pour chercher l’herbe de l’oubli et te laisser, pour voir si avec cette absence je pourrais par rapport à un autre temps, t’oublier, pour voir si avec cette absence je pourrais par rapport à un autre temps, t’oublier. J’ai vécu en tolérant des martyres, et je n’ai jamais eu l’intention de me montrer lâche, en traînant une chaîne si forte jusqu’à ce que ma triste vie s’achève, en traînant une chaîne si forte jusqu’à ce que ma triste vie s’achève. Quand j’ai appris au temps, mes peines, il n’y a pas de mal qui ne vienne pour le bien, même s’il gèle, quand il n’y aura plus de terre, plus d’eau, plus de ciel, mes lâches tourments finiront, quand il n’y aura plus de terre, plus d’eau, plus de ciel, mes lâches tourments finiront. (L’auteur est des Andes et donc il peut évoquer le froid de l’hiver, avec le gel, la neige et le brouillard qui fait perdre les repères, la terre, l’eau et le ciel).
Autres versions
Je vous avais promis une surprise, la voici. Il s’agit de la version originale de ce titre qui était à l’origine une zamba (danse traditionnelle argentine qui se danse avec des mouchoirs. Voir l’anecdote sur la 7 de april).
La Tupungatina 1950 C (Zamba) — Dúo Moreyra-Canale.
L’enregistrement est tardif, mais il restitue la composition originale dont on n’a pas d’enregistrement d’époque. C’est donc la première surprise, que Pugliese, s’intéresse à une zamba.
Sueños 1920c — Dúo Tapia-Almada.
Ce titre n’est pas celui du jour, mais il permet d’entendre chanter le Dúo Tapia-Almada.
La tupungatina 1921 (Tonada) Carlos Gardel y José Razzano con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras).
On peut faire la relation de style avec le Dúo Tapia-Almada.
Cristino Tapia, à gauche, au centre, Carlos Gardel et à droite, Guillermo Barbieri (el negro)La tupungatina, Partition de 1921.
Parmi les informations que l’on peut tirer de cette partition :
Elle est dédicacée par Cristino Tapia à une disciple de Elisa Orellana nommée Carmen D. de Gramajo. Je n’ai pas d’information sur cette dernière, mais Elisa Orellana est sa femme, avec qui il fera par la suite un duo, comme il l’a fait avec Francisco Almada (ils sont en photo sur la couverture), auparavant avec son frère José María, puis par la suite avec Cartos, Llanes, et enfin sa femme avec qui il a enregistré plus d’une centaine d’albums de 1925 à 1930.
On voit que le Duo de Gardel avec José Razzano interprétant ce titre a obtenu un grand succès à Buenos Aires.
Il est indiqué « Tonada » qui est une forme de chanson et non plus Zamba. Gardel était passé par là. Ce dernier a enregistré une vingtaine de titres de Tapia. C’était donc une collaboration régulière.
Cristino Tapia, à gauche, au centre, Carlos Gardel et à droite, Guillermo Barbieri (el negro)
Puis le thème semble avoir été oublié du domaine du tango. Il a continué à vivre sa vie chez les chanteurs de folklore, sous forme de tonada ou de zamba. En 1952, Pugliese enregistre le titre, à sa sauce, ou plutôt à la sauce d’un de ses bandonéonistes, Roberto Pepe. À sa mort, le 29 novembre 1955, son collègue Esteban Enrique Gilardi dédiera un tango qui sera enregistré le 20 mars 1956 par Pugliese.
A Roberto Peppe 1956-03-20 – Osvaldo Pugliese.
L’hommage rendu par Gilardi à son collègue récemment disparu. Bien sûr, ce n’est pas le thème du jour. Cela permet de rappeler que les musiciens de Pugliese étaient généralement aussi arrangeurs, voire compositeurs et qu’ils formaient un groupe assez solidaire autour de leur chef. Écoutons maintenant la magie de Pepe qui transforma une zamba/tonada en un chef-d’œuvre du tango.
La tupungatina 1952-06-27 — Orquesta Osvaldo Pugliese. C’est notre tango du jour.La tupungatina 1952-11-13 — Orquesta Osvaldo Pugliese.
Le petit frère de notre tango du jour, né la même année, moins de cinq mois plus tard, quasi des jumeaux. Le petit frère est un peu plus long, près de quatre minutes contre un peu plus de trois minutes trente pour la première version.
S’il ne semble pas y avoir d’enregistrements notables du titre par la suite, les chanteurs de folklore continuent de l’utiliser comme en témoigne cette superbe version de Jorge Cafrune.
La tupungatina 1965 — Jorge Cafrune.
Une magnifique interprétation de ce grand du folklore argentin. C’est une zamba, mais pas si évidente à danser de par l’interprétation particulière.
Voici une version hors du temps qui pourrait rappeler les polyphonies corses…
La tupungatina 1976 — Chango Farías Gómez — Grupo Vocal Argentino.
Et pour terminer, on retourne avec un orchestre de tango, Solo Tango qui nous propose une version énergique et dansable. C’est, bien sûr, sur une base des arrangements de Roberto Pepe.
Encore une milonga qui fait se jeter les danseurs sur la piste. Pourtant, elle a différentes personnalités selon les orchestres qui l’interprètent. Je vous invite à découvrir certains de ses visages. Le premier enregistrement est celui de Canaro, c’est notre tango milonga du jour. Elle fête ses 87 ans et exprime la nostalgie de la ville qui change.
Extrait musical
Milonga de mis amores 1937-05-26 — Orquesta Francisco CanaroMilonga de mis amores. Partition piano et voix.
Paroles
Oigo tu voz engarzada en los acordes de una Iírica guitarra… Sos milonga de otros tiempos… Yo te vi crecer prendida en las polleras de un bailongo guapo y rompedor como jamás ha de volver.
Nadie, tal vez, comprendió mejor las penas y el sentir de mi barriada… Sin embargo te olvidaron y en el callejón tan sólo una guitarra te recuerda, criolla como vos, y en su gemir tiembla mi ser.
Vuelvo cansado de todo y en mi corazón lloran los años… Mi vida busca tan sólo la tranquilidad del viejo barrio… Y encuentro todo cambiado menos tu canción, milonga mía… El progreso ha destrozado toda la emoción de mi arrabal.
Quiero olvidar y tus notas van llenando de tristeza el alma mía… He cruzado tantas veces ese callejón, llevando entre los labios un silbido alegre y tu cantar emborrachando el corazón.
Era feliz entregado a las caricias de la única sincera que acunó una primavera que no floreció… Milonga, ya no puedo continuar… El llanto me venció… Quiero olvidar… y pienso más.
Pedro Laurenz José María Contursi (hijo)
Traduction libre et indications
J’entends ta voix enlacée dans les accords d’une guitare lyrique… Tu es une milonga d’un autre temps… Je t’ai vu grandir accrochée aux jupes dans des bals déchaînés (destructeurs) comme il n’en reviendra jamais. Personne, peut-être, ne comprenait mieux les chagrins et les sentiments de mon taudis… Cependant, ils t’ont oublié et dans la ruelle seule une guitare se souvient de toi, criolla comme toi, et dans ses gémissements mon être tremble. Je reviens fatigué de tout et dans mon cœur les années pleurent… Ma vie ne cherche que la tranquillité du vieux quartier… Et je trouve que tout a changé sauf ta chanson, ma milonga… Le progrès a détruit toute l’excitation de mon faubourg. J’ai envie d’oublier et tes notes remplissent mon âme de tristesse… J’ai traversé cette ruelle tant de fois, portant aux lèvres un sifflement joyeux et ton chant qui enivrait mon cœur. C’était heureux de s’abandonner aux caresses de la seule sincère qui berçait un printemps qui ne fleurissait pas… Milonga, je ne peux plus continuer… Les pleurs m’ont submergé… Je veux oublier… Et je pense encore plus.
Autres versions
Milonga de mis amores 1937-05-26 — Orquesta Francisco Canaro
C’est notre milonga du jour. Canaro a été le premier à enregistrer le titre de Laurenz. Comme généralement à cette époque, le rythme est plutôt lent, presque canyengue.
Milonga de mis amores 1937-07-14 — Pedro Laurenz C Hector Farel.
Laurenz arrive après Canaro pour donner sa version. Le rythme est bien plus rapide et Hector Farel chante quelques mots (ce qui est en gras dans les paroles, rappelant ainsi que Contursi, fils, a créé des paroles pour cette milonga.
Milonga de mis amores 1944-01-14 Orquesta Pedro Laurenz.
Sept ans plus tard, Laurenz revoit sa copie, purement instrumentale. Le rythme est encore plus soutenu.
Milonga de mis amores 1968 — Pedro Laurenz con su Quinteto.
En 1968, Laurenz a réduit la voilure et c’est son quintette qui interprète le titre. Le rythme est plus lent, mais ce qui frappe, c’est la légèreté de la musique. Le quintette ne rivalise pas avec l’orchestre, le résultat me semble un peu anecdotique, charmant, mais sans plus…
Milonga de mis amores — 1970-12-16 — Orquesta Juan D’Arienzo.
Deux ans plus tard, D’Arienzo balance toute la sauce avec cette milonga énervée qui ravira les danseurs les plus énergiques et achèvera les autres.
Milonga de mis amores 1973-05-04 — Juan Cambareri y su Cuarteto Típico.
Fidèle à son vice, Cambareri nous libre une version en excès de vitesse. Je suis à peu près sûr que lui et ses musiciens mettent de la boisson énergisante dans leur café. Même les danseurs les plus énergiques regarderont les notes passer sans essayer de les attraper. Quand c’est trop, c’est trop, d’autant plus que cela manque un peu de clarté.
Milonga de mis amores 1993-11-08 – Alberto Marino con orquesta.
Cette version a le mérite de nous présenter les paroles de Contursi, fils.
Milonga de mis amores 2005 – Hyperion.
Une belle version, bien énergique, dans l’esprit de D’Arienzo.
Milonga de mis amores 2011 – Trio Garufa.
Une version légère, qui démarre comme un train à vapeur, puis qui trouve son rythme. Intéressant, mais est-ce suffisant pour les danseurs, pas sûr.
Milonga de mis amores 2013 – Chamuyo – Cuarteto de saxos.
Milonga de mis Amores par Roxana Fontán accompagnée à la flûte par Ravind Sangha et un guitariste…
Edgardo Donato Letra: Juan Carlos Thorry (José Antonio Torrontegui)
Mi serenata est un superbe tango chanson, écrit par Edgardo Donato. Il l’a enregistré à deux reprises, les deux fois avec des duos (et il ne sera pas le seul). Je vous propose aujourd’hui la seconde version, moins connue que celle réalisée 12 ans plus tôt. C’est le soir, laissez-vous bercer par cette sérénade et soyez sympas, répondez aux chanteurs, pas comme la pimbêche de ce tango.
Les rues de Buenos Aires et des alentours regorgeaient d’âmes seules et de musiciens, chanteurs, toujours prêts à pousser la chansonnette, notamment pour conquérir une belle. La sérénade, favorisée par les nuits généralement clémentes de la région, faisait donc flores. Le tango témoigne de cet engouement, avec au moins une trentaine de titres contenant Serenata. Ce sont majoritairement des tangos et des valses, mais en dehors de notre univers tanguero, il pouvait s’agir aussi de habaneras ou boléros. Le cérémonial de la sérénade passait par la chanson sous le balcon, de l’autre côté de la clôture, comme dans la version d’aujourd’hui, par fois sur le balcon, comme dans Serenata que nous avons déjà évoqué… Normalement, la femme devait allumer une lumière pour signaler qu’elle était à l’écoute et si tout se passait bien, le chanteur pouvait espérer aller un peu plus loin, c’est-à-dire, selon les cas, grimper au balcon de façon acrobatique, sauter la barrière, ou recevoir l’accueil suspicieux du père de la belle.
Extrait musical
Mi serenata 1952-06-25 – Orquesta Edgardo Donato con Carlos Almada y Alberto Podestá.
La voix grave de Almada et la plus aigüe de Podestá forment un assez bel ensemble.
Mi serenata, Partition avec Donato et Gavioli en photo
Vous remarquerez qu’il est indiqué « Tango canción » (tango chanson). Il est écrit également que les palabras (paroles) sont de Juan C. Thorry, que la musique est de Edgardo Donato et que c’est une création de Romeo Gavio. Cela nous indique certainement qu’avant de l’enregistrer, il l’a chanté sur une des scènes de Buenos Aires. La partition est dédicacée par Donato à José Lectoure et Ismaël Pace. Comme il se peut que vous ne connaissiez pas ces deux individus, voici leur photo et leur CV.
Ismael Pace et José Lectoure en compagnie de techniciens de la construction du Stadium Luna Park dont ils sont les propriétaires (photo de 1932).
Je suis sûr que vous n’aviez pas deviné qui étaient réellement les dédicataires… Le Luna Park est une immense salle de spectacle de Buenos Aires, on se souvient que Canaro l’a utilisée pour les carnavals à partir de 1936, voir par exemple Después del carnaval 1941-06-19 Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz. C’est aussi une salle où des combats de boxe sont donnés, tout aussi violents que les meetings politiques qui s’y déroulent encore aujourd’hui. On peut s’étonner de la dédicace. Ils étaient amis de Donato, mais le thème de ce tango ne semble pas totalement adapté aux personnages. On les imagine difficilement grattant une guitare sous un balcon, mais qui sait ?
Paroles
Niña de mi corazón brindarte quiero un cantar que sea el reflejo fiel de cariño sin par, niña de mi ilusión.
A tu reja llegué una estrella guiñó y aquel día forjé mi primera ilusión. Serenata que allí para ti improvisó mi amor, tu promesa de amor, tu mirada, un clavel, dieron premio a mi canción.
Hoy que ya el tiempo pasó, vine a tu reja a cantar, silencio fue el responder a este triste dolor que tu ausencia dejó.
Edgardo Donato Letra: Juan Carlos Thorry (José Antonio Torrontegui)
Traduction libre et indications
Fille de mon cœur, je veux t’offrir une chanson qui soit le reflet fidèle d’une affection sans pareille, fille de mon sentiment amoureux (ilusión, n’est pas une illusion…). À ta clôture, une étoile venue faire un clin d’œil, et ce jour-là, j’ai forgé mes premiers sentiments. Une sérénade que là, pour toi, j’ai improvisé mon amour, ta promesse d’amour, ton regard, un œillet, ont donné un prix (récompense) à ma chanson. Aujourd’hui que ce temps est déjà passé, je suis venu à ta clôture pour chanter, le silence a été la réponse à cette triste douleur que ton absence a laissée.
Autres versions
Mi serenata 1940-01-11 — Orquesta Edgardo Donato con Romeo Gavio y Lita Morales.
C’est la première version, enregistrée par l’auteur, avec le duo gagnant Lita Morales et Romeo Gavioli. Qui d’autre que Roméo pouvait lancer la sérénade à Juliette, pardon, à Lita ? N’oublions pas qu’ils étaient un couple discret comme nous l’avons évoqué lors de notre anecdote sur El adios. C’est sans doute la version préférée de la plupart des danseurs et elle le mérite.
Mi serenata 1952-06-25 – Orquesta Edgardo Donato con Carlos Almada y Alberto Podestá. C’est notre tango du jour.Mi serenata 1955-09-02 – Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel y Miguel Montero.Mi serenata 1973 – Los Solistas de D’Arienzo con Osvaldo Ramos y Alberto EchagüeMi serenata 1980 – Orquesta Donato Racciatti con Marcelo Biondini y Gabriel Reynal.
Il s’appelle aussi Donato, mais c’est son prénom et le résultat n’est pas forcément convaincant.
Mi Serenata 2022-06 – El Cachivache Quinteto. Sans doute la palme de l’originalité pour cette version.
Et pour terminer, une belle version de la Romantica Milonguera en video. C’est de 2017, donc logiquement après la version de El Cachivache, mais je trouve plus sympa de terminer ainsi. C’est de nouveau un duo, homme femme, comme la première version de 1940 par Donato. La boucle est fermée.
Orquesta Romantica Milonguera avec Roberto Minondi et Marisol Martinez en duo – « Mi serenata »
Le bateau à voiles, el bajel et ses compagnons plus tardifs à charbon, ont été les instruments de la découverte des Amériques par les Européens. Notre tango du jour lui rend hommage. C’est un tango plutôt rare, écrit par deux des frères De Caro. Si les deux sont nés à Buenos Aires, leurs parents José De Caro et Mariana Ricciardi sont nés en Italie et donc venus en bateau. Mais peut-être ne savez-vous pas qu’on vous mène en bateau quand on vous vante les qualités de compositeur et de novateur de Julio De Caro. Nous allons lever le voile et hisser les voiles pour nous lancer à a découverte de notre tango du jour.
Ce week-end, j’ai animé une milonga organisée par un capitaine de bateau. Je lui dédie cette anecdote. Michel, c’est pour toi et pour Delphine, que vous puissiez voguer, comme les pionniers à la rencontre des merveilles que recèlent la mer et les terres lointaines au compas y al compás de un tango.
Sexteto de Julio De Caro vers 1927.
Au premier plan à gauche, Émilio de Caro au violon, Armando Blasco, bandonéon, Vincent Sciarretta, Contrebasse, Francisco De Caro, piano; Julio De Caro, violin à Cornet et Pedro Laurenz au bandonéon. Emilio est le plus jeune et Francisco le plus âgé des trois frères présents dans le sexteto. Julio avec son violon à cornet domine l’orchestre
Extrait musical
Partition de El bajel signée Francisco et Julio De Caro… Notez qu’il est désigné par le terme “Tango de Salon » et qu’il est dédicacé à Pedro Maffia et Luis Consenza.El bajel 1948-06-24 — Orquesta Osmar Maderna.
Ce n’est assurément pas un tango de danse. Il est d’ailleurs annoncé comme tango de salon. Contrairement aux tangos de danse où la structure est claire, par exemple du type A+B, ou A+A+B ou autre, ici, on est devant un déploiement musical comme on en trouve en musique classique. Pour des danseurs, il manque le repère de la première annonce du thème, puis celle de la reprise. Ici, le développement est continu et donc il est impossible de deviner ce qui va suivre, sauf à connaître déjà l’œuvre. C’est une des caractéristiques qui permet de montrer que la part de Francisco et bien plus grande que celle de son petit frère dans l’affaire, ce dernier étant plus traditionnel, comme nous le verrons ci-dessous, par exemple dans le tango 1937 qui est de conception « normale ». Entrée musicale, chanteur qui reprend le thème avec le refrain…
Autres versions
El bajel 1948-06-24 — Orquesta Osmar Maderna. C’est notre tango du jour.El bajel Horacio Salgán au piano. C’est un enregistrement de la radio, la qualité est médiocre et de plus, le public était enrhumé.El bajel — Horacio Salgán (piano) et Ubaldo De Lío (guitare). Une version de bonne qualité sonore avec en plus la guitare de Ubaldo De Lío.El bajel 2013 — Orquesta Típica Sans Souci.
L’orchestre Sans Souci sort de sa zone de confort qui est de jouer dans le style de Miguel Caló. Le résultat fait que c’est le seul tango de notre sélection qui soit à peu près dansable. On notera en fin de musique, le petit chapelet de notes qui est la signature de Miguel Caló, mais que l’on avait également dans l’enregistrement de Maderna…
El bajel 2007 — Trio Peter Breiner, Boris Lenko y Stano Palúch.
Une version tirant fortement du côté de la musique classique. Mais c’est une tendance de beaucoup de musiciens que de tirer vers le classique qu’ils trouvent parfois plus intéressant à jouer que les arrangements plus sommaires du tango de bal.
Julio ou Francisco ?
Si le prénom de Julio a été retenu dans les histoires de tango, c’est qu’il était, comme Canaro, un entrepreneur, un homme d’affaires qui savait faire marcher sa boutique et se mettre en avant. Son frère Francisco, aîné d’un an, n’avait pas ce talent et est resté toute sa vie au second plan, malgré ses qualités exceptionnelles de pianiste et compositeur. Il a failli créer un sexteto avec Clausi, mais le projet n’a pas abouti, justement, par manque de capacité entrepreneuriale. Nous évoquerons en fin d’article un autre sexteto dont il est à l’origine, sans lui avoir donné son prénom. En tango comme ailleurs, ce n’est pas tout que de bien faire, encore faut-il le faire savoir. C’est dommage, mais ceux qui tirent les marrons du feu ne sont pas toujours ceux qui les mangent. Julio, était donc un homme avec un caractère plutôt fort et il savait mener sa barque, ou son bajel dans le cas présent. Il a su utiliser les talents de son grand frère pour faire marcher sa boutique. Francisco est mort pauvre et Pedro Laurenz qui, comme Francisco a beaucoup donné à Julio, a aussi connu une fin économiquement difficile. Julio a signé ou cosigné des titres avec Maffia, Francisco (son frère) et Laurenz, sans toujours faire la part des participations respectives, qui pouvaient être nulles dans certains cas, malgré son nom en vedette. Par exemple ; El arranque, Boedo ou Tierra querida sont signés par Julio Caro alors qu’ils sont de Pedro Laurenz qui n’est même pas mentionné.
Sexteto De Caro – Julio de Caro (violoniste et directeur d’orchestre, Emilio De Caro (violoniste), Pedro Maffia (bandonéoniste), Leopoldo Thompson (contrebassiste), Francisco De Caro (pianiste), Pedro Laurenz (bandonéoniste).
Sur cette image tirée de la couverture d’une partition de La revancha de Pedro Laurenz on trouve l’équipe de compositeurs associée à Julio De Caro :
Emilio De Caro, le petit frère qui a composé une dizaine de titres joués par l’orchestre de Julio.
Francisco De Caro, le grand frère qui est probablement le compositeur principal de l’orchestre de Julio, que ce soit sous son nom, en collaboration de Julio ou comme compositeur « caché ».
Pedro Maffia, qui « donna » quelques titres à Julio quand il travaillait pour le sexteto
Pedro Laurenz, qui fut également un fournisseur de titres pour l’orchestre.
Je pourrais rajouter Ruperto Leopoldo Thompson (le contrebassiste) qui a donné Catita enregistré par l’orchestre de Julio de Caro en 1932. Contrairement aux compositions des frères de Julio, de Maffia et de Laurenz, c’est un tango traditionnel, pas du tout novateur.
Quelques indices proposés à l’écoute
Avancer que Julio De Caro n’est pas forcément la tête pensante de l’évolution decarienne, mérite tout de même quelques preuves. Je vous propose de le faire en musique. Voici quelques titres interprétés, quand ils existent, par l’orchestre de Julio de Caro pour ne pas fausser la comparaison… Vous en reconnaîtrez certains qui ont eu des versions prestigieuses, notamment par Pugliese.
Tangos écrits par Julio de Caro seul :
Viña del mar 1936-12-13 – Orquesta Julio De Caro con Pedro Lauga.
Après l’annonce, le thème qui sera repris ensuite par le chanteur, Pedro Lauga. Une composition classique de tango.
1937 (Mil novecientos treinta y siete) 1938-01-10 – Orquesta Julio de Caro con Luis Díaz.
Le tango est encore composé de façon très traditionnelle, sans les innovations que son frère apporte, comme dans Flores negras que vous pourrez entendre ci-dessous.
Ja, ja, ja 1951-06-01 – Orquesta Julio De Caro con Orlando Verri. Des rires que l’on retrouvera dans Mala junta.
Je vous laisse méditer sur l’intérêt de ces enregistrements.
Attention, pour ces titres, comme pour les suivants, il ne s’agit pas de musique de danse. Ce n’est donc pas l’aune de la dansabilité qu’il faut les apprécier, mais plutôt sur leur apport à l’évolution du genre musical, ce qui permet de voir que l’apport de Julio dans ce sens n’est peut-être pas aussi important que ce qu’il est convenu de considérer.
Tangos cosignés avec Francisco De Caro (en réalité écrits par Francisco)
Mala pinta (Mala estampa) 1928-08-27 — Orquesta Julio De Caro.
Si on considère que c’est un enregistrement de 1928, on mesure bien la modernité de cette composition. Pugliese l’enregistrera en 1944.
La mazorca 1931-01-07 — Orquesta Julio De CaroEl bajel 1948-06-24 — Orquesta Osmar Maderna. C’est notre tango du jour,
Tangos écrits seulement par Francisco De Caro
Sueño azul 1926-11-29 — Orquesta Julio De Caro.
On pensera à la magnifique version de Osvaldo Fresedo (celle de 1961, bien sûr, pas celle de 1937 écrite par Tibor Barczy (T. Baresi) avec des paroles de Tibor Barczy et Roberto Zerrillo et qu’a si merveilleusement interprété Roberto Ray. La version de 1961 n’est pas pour la danse, c’est plutôt une œuvre « symphonique » et qui s’inscrit dans la lignée de Francisco De Caro, objet de mon article. Merci à Fred, TDJ, qui m’incite à donner cette précision que j’aurais dû faire, d’autant plus que l’univers de De Caro est souvent moins connu, voire méprisé par les danseurs.
Flores negras 1927-09-13 — Orquesta Julio De Caro.
S’il fallait une seule preuve du talent de Francisco, je convoquerai à la barre ce titre. On peut entendre comment commence le titre, avec ces élans des cordes que l’on retrouvera chez Pugliese bien plus tard, tout comme les sols de pianos de Francisco seront ressuscités par Pugliese en son temps. La contrebasse de Thompson marque le compas, mais avec des éclipses, tout comme le fera Pugliese dans ces alternances de passages rythmées et d’autres glissés. Si vous faites attention, vous pourrez distinguer la différence entre le violon d’Emilio et celui de son grand frère Julio qui utilise encore le cornet de l’époque acoustique. Cette différence de sonorité permet d’attribuer avec certitude les traits plus virtuoses à Emilio. Même si on n’est pas vraiment dans la danse, ce titre pourra curieusement plaire aux amateurs des tangos de Pugliese des années 50, ce qui démontre l’avancée de Francisco par rapport à ses contemporains. Par rapport à notre tango du jour, il reste un peu de la structure traditionnelle, mais avec de telles variations que cela rendrait la tâche des danseurs très compliquée s’ils leur prenaient l’envie de le danser en improvisation. Cette magnifique mélodie fait partie de la bande-son du film La puta y la ballena (2004). De Angelis, et Fresedo en ont des versions intéressantes et fort différentes. Celle de De Angelis est même tout à fait dansante.
Je rajoute un enregistrement de qualité très moyenne, mais qui est un excellent témoignage de l’admiration d’Osvaldo Pugliese pour Francisco De Caro.
Flores negras — Osvaldo Pugliese (solo de piano).
Encore une version enregistrée à la radio et avec un public enrhumé.
Loca bohemia 1928-09-14 — Orquesta Julio De CaroUn poema 1930-01-08 Sexteto Julio De Caro.
Si on compare avec une composition de Julio, même plus tardive, comme Viña del mar (1936), on voit bien qui est le novateur des deux.
Tangos cosignés par Francisco De Caro et Pedro Laurenz
Esquelas 1932-04-07 — Orquesta Julio De Caro con Luis Díaz
Tangos écrits par Pedro Laurenz et signés Julio De Caro
Tierra querida 1927-09-12 — Orquesta Julio De CaroBoedo 1928-11-16 — Orquesta Julio De Caro
Boedo, une composition de Pedro Laurenz, signée Julio de Caro et interprété par son orchestre en novembre 1928.
Sur les disques, c’est le nom de l’orchestre qui prime. S’il c’étaiSur les disques, c’est le nom de l’orchestre qui prime. S’il c’était appelé Hermanos De Caro ou tout simplement De Caro, peut-être que la contribution majeure de Francisco De Caro serait plus connue aujourd’hui. Sur le disque, seul le nom de Julio De Caro apparaît pour la composition, alors que c’est une œuvre de Pedro Laurenz. On comprend qu’à un moment ce dernier ait également quitté l’orchestre.
El arranque 1934-01-04 — Orquesta Julio De Caro
Tango cosigné avec Pedro Laurenz (avec apports de Laurenz majoritaires, voire totaux)
Orgullo criollo 1928-09-17 — Orquesta Julio De CaroMala junta 1927-09-13 — Orquesta Julio De Caro
Tangos cosignés avec Pedro Maffia (en réalité écrits par Maffia)
Chiclana 1936-12-15 — Quinteto Los Virtuosos.
Quinteto Los Virtuosos (Francisco De Caro (piano), Pedro Maffia et Ciriaco Ortiz (bandonéon), Julio De Caro et Elvino Vardaro (violon)
Tiny 1945-12-18 Orquesta Osvaldo Pugliese.
Pas de version enregistrée par Julio de Caro.
Tangos co-écrits avec Maffia et Laurenz mais signés par Julio de Caro
Buen amigo 1925-05-12 — Orquesta Julio De Caro.
On pensera aux versions de Troilo ou Pugliese pour se rendre compte de la modernité de la composition de Maffia et Laurenz. L’enregistrement acoustique rend toutefois difficile l’appréciation de la subtilité de la composition.
Photographiés en 1927, de gauche à droite : Francisco De Caro, Manlio Francia, Julio De Caro et Pedro Laurenz.
Le violoniste Manlio Francia composa deux tangos qui furent joués par l’orchestre de Julio De Carro, Fantasias (1929) et Pasionaria (1927).
Mais alors, pourquoi on parle de Julio et pas de Francisco ?
J’ai évoqué la personnalité forte de Julio. En fait, l’orchestre initial a été formé par Francisco qui a demandé à ses deux frères de se joindre à son sexteto, en décembre 1923. Le succès aidant, l’orchestre a obtenu différents contrats permettant à l’orchestre de grossir, notamment pour le carnaval (oui, encore le carnaval) jusqu’à devenir une composition monstrueuse d’une vingtaine de musiciens. Ceci explique que le sexteto est généralement appelé orquesta típica, même si ce terme est généralement réservé aux compositions ayant plus d’instrumentistes (bandonéonistes et violonistes). Au départ, cet orchestre monté par Francisco n’ayant pas de nom, il s’annonçait juste « sous la direction de Julio De Caro. Mais un jour, dans une publicité du club Vogue ou se produisait l’orchestre, l’orchestre était annoncé comme l’orchestre « Julio De Caro. Cela n’a pas plut à Maffia et Petrucelli qui décidèrent alors d’abandonner l’orchestre ne supportant plus le caractère, fort, de Julio et sa volonté de dominer. Ceux qui connaissent les Daltons penseront sans doute à la personnalité de Joe Dalton pour la comparer à celle de Julio De Caro.
Joe, c’est assurément Julio. Francisco était-il Averell ?
Plus tard, Gabriel Clausi et Pedro Laurenz quitteront l’orchestre à cause du caractère de Julio. Ces derniers ont gardé des attaches avec Francisco et lorsque Osvaldo Pugliese s’est chargé de faire passer à la postérité l’héritage des frères De Caro, c’est à Francisco qu’il se référait. Donc, ce qui était clair à l’époque, est un peu tombé dans l’oubli, notamment à cause des disques qui portent uniquement le nom de Julio De Caro, puisque tous les orchestres étaient à son nom, ce dernier ayant toujours refusé le partage, Maffia-De Caro ou De Caro-Laurenz, même pas en rêve pour lui.
Orchestre De Caro sur un bateau ?
Cette photo est en général étiquetée comme étant l’orchestre de Julio De Caro en route pour l’Europe en mars 1931. Cependant on reconnaît Thompson, mort en août 1925. La photo est donc à dater entre 1924 et cette date si c’est l’orchestre De Caro. Je propose de placer cette photo sur un bateau se rendant en Uruguay ou qui en revient. Julio de Caro avait, à diverses reprises, travaillé en Uruguay, avec Eduardo Arolas, Enrique Delfino et Minotto Di Cicco (dans l’orchestre duquel Francisco était pianiste). Comme Thomson était avec Juan Carlos Cobián en 1923 et auparavant avec Osvaldo Fresedo, cela confirme que cette photo est au plus tôt de décembre 1923. Lorsque Francisco du monter son orchestre (qui prit le prénom de son frère), il fit appel outre à ses frères, Emilio et Julio, à Thompson, Luis Petrucelli (bandonéon) puis Pedro Láurenz en septembre 1924 Pedro Maffia (bandonéon) remplacé en 1926 par Armando Blasco et Alfredo Citro (violon). Il y a peu de photos des artistes en 1924 et les portraits que j’ai trouvés ne permettent pas de garantir les noms des autres personnes présentes. Quoi qu’il en soit, je termine cette anecdote avec une photo prise sur un bateau, même si ce n’est probablement pas un bajel…
Rafael Eulogio Tuegols Letra: Armando José María Tagini
La gayola, je suis sûr que certains ont l’habitude de l’apprécier par Rodriguez et Moreno. Mon célèbre esprit de contradiction et la date du jour fait que je vous propose une version moins connue, mais tout à fait intéressante. Elle a été enregistrée deux semaines plus tard par Francisco Lomuto et Fernando Díaz.
Extrait musical
La gayola 1941-06-23 – Orquesta Francisco Lomuto con Fernando Díaz.
Le staccato initial de l’orchestre donne le ton. C’est une version énergique. Cependant, elle alterne avec des passages plus doux. C’est une interprétation en contraste, sans monotonie et qui reste dansable de bout en bout.
Éditée par Julio Korn, dont nous avons parlé à diverses reprises, La gayola, partition pour piano avec Rodriguez en couverture.
Paroles
¡No te asustes ni me huyas !… No he venido pa’ vengarme si mañana, justamente, yo me voy pa’ no volver… He venido a despedirme y el gustazo quiero darme de mirarte frente a frente y en tus ojos contemplarme, silenciosa, largamente, como me miraba ayer…
He venido pa’que juntos recordemos el pasado como dos buenos amigos que hace rato no se ven; a acordarme de aquel tiempo en que yo era un hombre honrado y el cariño de mi madre era un poncho que había echado sobre mi alma noble y buena contra el frío del desdén.
Una noche fue la muerte quien vistió mi alma de duelo a mi buena (tierna) madrecita la llamó a su lado Dios… Y en mis sueños parecía que la pobre, desde el cielo, me decía que eras buena, que confiara siempre en vos.
Pero me jugaste sucio y, sediento de venganza… mi cuchillo en un mal rato envainé en un corazón… y, más tarde, ya sereno, muerta mi única esperanza, unas lágrimas rebeldes(amargas)las sequé en un bodegón.
Me encerraron muchos años en la sórdida gayola y una tarde me libraron… pa’ mi bien…o pa’ mi mal… Fui sin rumbo por las calles y rodé como una bola; Por la gracia de un mendrugo, ¡cuántas veces hice cola! las auroras me encontraron largo a largo en un umbral.
Hoy ya no me queda nada; ni un refugio… ¡Estoy tan pobre! Solamente vine a verte pa’ dejarte mi perdón… Te lo juro; estoy contento que la dicha a vos te sobre… Voy a trabajar muy lejos…a juntar algunos cobres pa’ que no me falten flores cuando esté dentro ‘el cajón.
Rafael Eulogio Tuegols Letra: Armando José MaríaTagini
Fernando Díaz chante tout ce qui est en gras. Armando Moreno chante ce qui est en bleu. (Entre parenthèses, des variantes des paroles). Gardel chante encore d’autres variantes que je ne reproduis pas ici.
Traduction libre et indications
N’aie pas peur et ne me fuis pas… Je ne suis pas venu me venger si demain, justement, je pars pour ne plus revenir… Je suis venu te dire au revoir et je veux me donner le plaisir de te regarder face à face et dans tes yeux me contempler, en silence, pendant un long moment, comme tu me regardais autrefois (ayer est hier, ou le passé, comme ici)… Je suis venu pour qu’ensemble nous puissions nous souvenir du passé comme deux bons amis qui ne se sont pas vus depuis longtemps ; de me souvenir de cette époque où j’étais un homme honnête et où l’affection de ma mère était un poncho que j’avais jeté sur ma noble et bonne âme contre le froid du dédain. Une nuit, c’est la mort qui a revêtu mon âme de deuil, ma tendre petite mère l’a appelée à ses côtés, Dieu… Et dans mes rêves, il me semblait que la pauvre créature, du ciel, me disait que tu étais bonne, que je devais toujours te faire confiance. Mais tu m’as joué salement et, assoiffé de vengeance… mon couteau dans un mauvais moment, je l’ai fourré dans un cœur… Et, plus tard, déjà serein, mon seul espoir mort, j’ai séché quelques larmes amères dans un bodegón (restaurant populaire). Ils m’ont enfermé pendant de nombreuses années dans la sordide geôle et une après-midi ils m’ont libéré… pour mon bien… ou pour mon mal… J’errais sans but dans les rues et roulais comme une balle ; par la grâce d’un quignon de pain, combien de fois j’ai fait la queue ! Les aurores me trouvèrent bien souvent sur un pas de porte. Aujourd’hui, il ne me reste rien ; pas un refuge… Je suis si pauvre ! Je suis seulement venu te voir que pour te laisser mon pardon… Je te jure ; je suis heureux que le bonheur te sourie… Je vais travailler très loin… pour récolter quelques piécettes (cobres, pièces de menue monnaie en cuivre) afin de ne pas manquer de fleurs quand je serai dans le cercueil.
Autres versions
La gayola 1927-05-19 – Orquesta Francisco Canaro. Cette première version est instrumentale. La gayola 1927-08-20 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras). La gayola 1941-06-09 – Enrique Rodriguez con Armando Moreno.La gayola 1941-06-23 – Orquesta Francisco Lomuto con Fernando Díaz. C’est notre tango du jour.
Et on termine par quatre versions à écouter.
La gayola 1957-07-22 — Armando Pontier con Julio Sosa.
Peu de temps après, Julio Sosa se détachera de l’orchestre de Pontier pour faire carrière solo et il se rapprochera de l’orchestre de Federico qui l’accompagnera jusqu’à sa mort.
La gayola — Edmudo Rivero accomp. Guitare.La gayola — Edmundo Rivero accomp. Horacio Salgan.
Il est intéressant d’écouter deux versions, une à la guitare et l’autre avec un orchestre.
On termine par Julio Sosa en vidéo. Moins d’un an plus tard, il trouvait la mort dans un accident de la route, juste après avoir chanté ce titre avec l’orchestre de Leopoldo Federico. En effet, c’était sa « cumparsita ». Il terminait toujours ses prestations par La gayola. Esto es mi homenaje al Varón del tango.
Julio Sosa chante la gayola avec l’orchestre de Leopoldo Federico.La gayola.
La gayola, la geôle, la prison. Remarquez le numéro sur la porte… Cela vous rappelle un autre tango ?
Juan José Visciglio Letra : Nolo López ; Julio Alberto Cantuarias
Pensalo bien, pense-le bien, ce titre est quasi indissociable de la version du jour par Juan D’Arienzo et Alberto Echagüe. Nous nous ferons donc un plaisir d’écouter ce titre qui fête aujourd’hui ses 86 ans, sans une ride. Il faut dire qu’il est bien né avec le trio D’Arienzo, Biagi et Echagüe.
Pour ce qui est de la participation de Rodolfo Biagi à la réalisation de ce chef-d’œuvre, c’était juste, car c’est le tout dernier enregistrement de Biagi avec D’Arienzo. Pour être précis, c’est l’avant-dernier, car le même jour, D’Arienzo enregistre Champagne tango qui porte le numéro de matrice suivant (12 364 contre 12 363 pour Pensalo bien). Les enregistrements suivants se feront avec Juan Polito, D’Arienzo ayant mis à la porte Biagi, car il ne voulait pas deux vedettes dans son orchestre.
Extrait musical
Penbsalo bien. Juan José Visciglio Letra: Nolo López; Julio Alberto Cantuarias. Arrangement de Charles Gorczynski. Il est indiqué Calvera sur la partition au lieu de Visciglio, mais c’est bien la partition de la version de Visciglio… À droite, une application intéressante, Chordify, qui permet d’avoir les accords qui s’affichent en même temps que la lecture de la musique.Pensalo bien 1938-06-22 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe.
Le début staccato des bandonéons, suivi de tous les instruments en appui, lance le titre. Pas d’introduction, nous sommes directement dans le dur de la danse. C’est du D’Arienzo efficace. Des phrases des violons adoucissent et contrastent ce marquage appuyé du rythme. Le thème principal apparaît à 30 secondes. L’ensemble de l’orchestre le joue avec des contrepoints du piano. À 1:25, Echagüe reprend le thème avec sa voix ferme. Il ne chante que 25 secondes… Heureusement qu’il y a eu deux prises de ce titre le même jour, cela lui a permis de chanter 50 secondes…. À partir de 1:51, les bandonéons explosent la cadence en passant à des staccatos en doubles croches. La vitesse n’a pas changé, mais l’impression de vitesse, si. C’est simple, efficace, dansant. Du bon tango de danse, le fait que son succès ne se démente pas 86 ans plus tard le prouve. Tant qu’il y aura des danseurs pour sauter sur la piste aux premières notes de ce thème, le tango vivra.
Paroles
No te pido explicaciones No me gustan las escenas, ¿Decís que vas a dejarme? Andá, qué le voy a hacer. Si es cierto que has de marcharte Me causará mucha pena, Mas prefiero esa franqueza A un innoble proceder. No me explico por qué causa Decidiste dar tal paso, Si ayer mismo me juraste: “Sos el dueño de mi amor.” ¿Te ha cansado la pobreza ? ¿Ya no me quieres, acaso? O encontraste quien te quiera Con más cariño y fervor.
Pensalo bien Antes de dar ese paso, Que tal vez mañana acaso No puedas retroceder. Pensalo bien, Ya que tanto te he querido, Y lo has echado al olvido Tal vez por otro querer.
Te agradezco los momentos Más felices de mi vida, Yo sé que vos me trajiste La luz en mi soledad. Ya ciego corrí a tu encuentro A descansar en tus brazos, Y mis noches angustiosas Con tu paz, las borré. Es por eso que te imploro De rodillas : « No te vayas. » Más que nunca yo preciso Las caricias de tu amor. Escuchame… te suplico Por mi viejita querida, ¡No te vayas!, Acordate Que vos juraste por Dios.
Juan José Visciglio Letra: Nolo López ; Julio Alberto Cantuarias
Echagüe ne chante que ce qui est gras. 25 secondes qui restent dans l’oreille, une merveille.
Les paroles du refrain dites par Fernando Serrano.
Traduction libre
Je ne te demande pas d’explications, je n’aime pas les scènes. Tu dis que tu vas me quitter ? Va. Qu’est-ce que je vais faire ? S’il est vrai que tu dois partir, cela me causera beaucoup de chagrin. Mais je préfère cette franchise à un ignoble procédé. Je ne comprends pas pourquoi vous avez décidé de franchir un tel pas, si hier tu me jurais : « Tu es le propriétaire de mon amour. » La pauvreté t’a fatiguée ? Tu ne m’aimes plus, peut-être ? Ou tu as rencontré quelqu’un qui t’aime avec plus d’affection et de ferveur.
Réfléchi bien avant de franchir ce pas, que peut-être demain tu ne pourras pas revenir en arrière. Pense-le bien. Puisque je t’ai tant aimée et que tu l’as jeté à l’oubli, peut-être pour un autre amour.
Je te remercie pour les moments les plus heureux de ma vie. Je sais que tu m’as apporté de la lumière dans ma solitude. Alors aveugle, j’ai couru à ta rencontre pour me reposer dans tes bras. Et mes nuits angoissées, avec ta paix, je les avais effacées. C’est pourquoi je t’implore à genoux : « Ne t’en va pas. » Plus que jamais j’ai besoin des caresses de ton amour. Écoute-moi… Je t’en supplie pour ma chère mère. Ne pars pas ! Rappelle-toi que tu as juré par Dieu.
Autres versions
Il existe trois tangos portant le titre Pensalo Bien, mais un seul enregistrement nous restitue la création de Juan José Visciglio, Nolo López et Julio Alberto Cantuarias à l’époque de l’âge d’or du tango de danse. On ne s’en plaint pas, c’est notre tango du jour. Bien sûr, des orchestres contemporains se sont depuis lancés sur ce titre, je vous en propose deux.
Mais auparavant, je vais vous présenter les « faux » Pensalo bien.
Les « faux » Pensalo bien
Évidemment, ils ne sont pas faux. Ils ont juste le même titre et n’ont pas connu le même succès que notre tango du jour.
Pensalo bien composé par Edgardo Donato
Pensalo bien 1926-12-14 — Orquesta Osvaldo Fresedo.
Cette version instrumentale a été composée par Edgardo Donato. Dès les premières secondes, on se rend compte que ce titre n’a rien à voir et comme il est instrumental, personne ne pourra penser qu’il a le même titre que notre tango du jour.
Pensalo bien composé par Alberto Calvera avec des paroles de Enrique López
C’est la version étiquetée par erreur dans la partition publiée par Charles Gorczynski. On remarquera tout de suite que cette version n’a rien à voir avec la partition présentée qui est bien celle de la version de Juan José Visciglio (notre tango du jour).
Pensalo bien 1929-10-10 — Orquesta Roberto Firpo con Teófilo Ibáñez. Pensalo bien 1929-10-23 — Orquesta Francisco Canaro con Charlo.Pensalo bien 1929-12-17 — Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro.
Comme bien souvent, Canaro enregistre une version de danse et une version chanson. Cette dernière avec Ada Falcón.
Pensalo bien 1959-09-21 — Orquesta Fulvio Salamanca con Luis Correa.
30 ans plus tard, Salamanca propose cette version qui, je le reconnais, aurait pu ne pas faire partie de ma sélection…
Le « vrai » Pensalo bien
Pensalo bien 1938-06-22 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe. C’est notre tango du jour. Pensalo Bien — Sexteto Milonguero con Javier di Ciriaco.
Pensalo Bien — Sexteto Milonguero con Javier di Ciriaco. Ce sexteto, aujourd’hui disparu, avait proposé des versions personnelles des grands succès du tango. Ici, Pensalo Bien, chanté par son leader, Javier Di Ciriaco. L’orchestre est un peu léger, ce n’est qu’un sexteto et de la part de cet orchestre, on pourrait attendre une version un peu plus énergique, mais c’est sympathique tout de même.
Pour terminer, une version un peu « cabotine » de Fernando Serrano…
Pensalo bien 2020, Fernando Serrano
C’est dansable et si tout comme la version du Sexteto Milonguero, ça ne peut pas faire oublier l’interprétation de D’Arienzo et Echagüe, c’est tout à fait recevable danse une milonga. L’avantage de cette vidéo, c’est qu’elle montre les deux instrumentistes (pianiste et bandonéoniste) à l’œuvre.
Voici le type même du tango qui rendait fou Jorge Luis Borges. Du sentimental à haute dose, pour lui qui ne voyait dans le tango que des affaires de compadritos, des histoires d’hommes virils dans les zones interlopes des bas quartiers de Buenos Aires. Il vouait une haine féroce à Gardel, l’accusant d’avoir dénaturé le tango en le rendant niais. Mais comme le mal est fait, plongeons-nous avec délice, ou horreur, dans la guimauve du sentimentalisme.
Extrait musical
Y todavía te quiero 1956-06-21 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge MacielPartition des éditions Julio Korn avec Pacheco en couverture.
Paroles
C’est le genre de tango où les Argentins s’exclament « ¡Que letra, por Dios! »
Cada vez que te tengo en mis brazos, que miro tus ojos, que escucho tu voz, y que pienso en mi vida en pedazos el pago de todo lo que hago por vos, me pregunto: ¿por qué no termino con tanta amargura, con tanto dolor?… Si a tu lado no tengo destino… ¿Por qué no me arranco del pecho este amor?
¿Por qué… sí mentís una vez, sí mentís otra vez y volvés a mentir?…
¿Por qué… yo te vuelvo a abrazar, yo te vuelvo a besar aunque me hagas sufrir?
Yo sé que es tu amor una herida, que es la cruz de mi vida, y mi perdición…
¿Por qué me atormento por vos y mi angustia por vos es peor cada vez?…
¿Y por qué, con el alma en pedazos, me abrazo a tus brazos, si no me querés ?
Yo no puedo vivir como vivo… Lo sé, lo comprendo con toda razón, sí a tu lado tan sólo recibo la amarga caricia de tu compasión…
Sin embargo… ¿Por qué yo no grito que es toda mentira, mentira tu amor y por qué de tu amor necesito, sí en él sólo encuentro martirio y dolor?
Luciano Leocata Letra: Abel Mariano Aznar
Traduction libre et indications
Chaque fois que je te tiens dans mes bras, que je regarde tes yeux, que j’écoute ta voix, et que je pense à ma vie en miettes, au prix de tout ce que je fais pour toi, je me demande : Pourquoi je n’arrête pas avec tant d’amertume, avec tant de douleur ?… Si à tes côtés, je n’ai pas d’avenir… Pourquoi est-ce que je n’arrache pas cet amour de ma poitrine ? Pourquoi… si vous mentez une fois, si vous mentez encore recommencez à mentir ?… (là, on passe au vouvoiement, ce qui n’est pas habituel en Argentine. Est-ce une façon de prendre ses distances ?). Pourquoi… Je te reprends dans mes bras, je t’embrasse à nouveau bien que tu me fasses souffrir ? Je sais que ton amour est une blessure, qu’il est la croix de ma vie, et ma perte… Pourquoi est-ce que je me tourmente pour toi et que mon angoisse pour toi est pire chaque fois ?… Et pourquoi, avec mon âme en morceaux, je me serre dans tes bras, si tu ne m’aimes pas ? Je ne peux pas vivre comme je vis… je le sais, je le comprends avec toute ma raison, si je ne reçois à tes côtés que l’amère caresse de ta compassion… Cependant… Pourquoi je ne crie pas que tout est mensonge, mensonge ton amour et pourquoi ai-je besoin de ton amour, si je n’y trouve que le martyre et la douleur ?
Autres versions
L’année de la sortie de ce titre, en 1956 le succès fut immense et tous les orchestres ayant une fibre sentimentale, ou pas, ont essayé de l’enregistrer. Pas moins de 11 enregistrements en cette année 1956, sans doute un record pour un titre. Prenez votre mouchoir, on retourne en 1956, année romantique.
Y todavía te quiero 1956 — Héctor Pacheco y su Orquesta dir. por Carlos García. Avec les clochettes du début, une version kitch à souhait.
C’est peut-être la première version, car il travailla étroitement avec Leocata à partir de cette époque. On trouve également son portrait sur la partition éditée par Julio Korn.
Y todavía te quiero 1956-02-17 – Orquesta Argentino Galván con Jorge Casal.
Jorge Casal est aussi un bon candidat pour être le premier, pour les mêmes raisons que Pacheco, sauf la photo sur la partition.
Y todavía te quiero 1956-03-22 – Orquesta Símbolo « Osmar Maderna » dir. Aquiles Roggero con Horacio CasaresY todavía te quiero 1956-05-18 – Orquesta Alfredo De Angelis con Oscar LarrocaY todavía te quiero 1956-06-11 – Orquesta José Basso con Floreal RuizY todavía te quiero 1956-06-21 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel. C’est notre tango du jour.Y todavía te quiero 1956-06-29 – Orquesta Domingo Federico con Armando MorenoY todavía te quiero 1956-07-24 – Orquesta Héctor Varela con Rodolfo LesicaY todavía te quiero 1956-07-25 – Alberto Morán con acomp. de Orquesta dir. Armando CupoY todavía te quiero 1956-10-19 – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto FlorioY todavía te quiero 1956-12-10 — Orquesta Juan D’Arienzo con Libertad Lamarque
Et un enregistrement qui a raté la fenêtre en arrivant l’année suivante…
Y todavía te quiero 1957 — Los Señores Del Tango con Oscar Serpa
Par la suite, d’autres orchestres ont enregistré, mais je vous propose pour terminer et les encourager Los Caballeros del Tango qui est un orchestre de jeunes Colombiens. La chanteuse est Nathalie Giraldo (Nagica).
Los Caballeros del Tango interprètent Y todavia te quiero (2022).
Cela fait plaisir de voir que la génération Z continue de s’intéresser au tango. Attendons qu’ils prennent un peu d’assurance pour qu’ils assurent la relève.
Histoire de « Y »
Non, je ne vais pas vous parler de la génération Y, celle qui a succédé aux X, V Baby-boomers, mais plutôt de la lettre Y qui précède le titre de ce tango. Y en espagnol, c’est et. En voici l’histoire, telle qu’on la raconte généralement dans le petit monde du tango.
La SADAIC est l’organisme qui enregistre les morceaux de musique en Argentine et qui distribue les droits d’auteurs en fonction des mérites respectifs de chacun des auteurs (je sais, c’est purement théorique ; —). Donc, quand Luciano Leocota a voulu déposer la musique du tango « Volvemos a querernos » le 13 mai 1948, il n’a pas pu le faire, car ce titre était déjà pris. J’ai voulu savoir quel était ce Volvemos a querernos initial. J’ai donc consulté le registre de la SADAIC et il y a bien deux musiques avec un titre proche. Mais la surprise est à venir :
Sous le numéro 333294, on trouve une œuvre enregistrée en 1988, soit 40 ans après la soi-disant date de collision des titres.
Registrada el 01/12/1988 T | VOLVAMOS A QUERERNOS OTRA SANCHEZ NESTOR FERNANDO / BELLATO MARIA GABRIELA
On notera que le titre est VolvAmos a querernos et pas VolvEmos a querernos. Mais il y a une deuxième surprise lorsque l’on vérifie l’enregistrement du tango déposé par Leocota et Aznar :
4772 | ISWC T0370051196 Registrada el 13/05/1948 T | Y VOLVEMOS A QUERERNOS (C’est le titre que nous connaissons) S | VOLVAMOS A QUERERNOS (Avec VolvAmos), le sous-titre apporte une autre variante. S | CHANTER LEOCATA AZNAR S | Y VOLVAMOS A QUERERNOS LEOCATA AZ AZNAR MARIANO ABEL LEOCATA LUCIANO
Il se peut donc que ce titre ait été enregistré ailleurs qu’en Argentine et je me suis tourné vers Leo Marini, un chanteur Argentin parti en 1950 à Cuba, Che. Justement, celui-ci a enregistré un boléro nommé « Volvamos a querernos ». Je le propose donc comme candidat pour la collision. Cependant, j’ai un autre candidat… Il s’agit de Y no te voy a llorar.
1200 | ISWC T0370013629 Registrada el 16/03/1948 T | NO TE VOY A LLORAR CALO MIGUEL/NIEVAS ROBERTO HIGINIO
L’intrus est dans ce cas une composition de Miguel Calo déposée en mars.
# 28897 | ISWC T0370310761 Registrada el 31/08/1953 T | Y NO TE VOY A LLORAR S | NO TE VOY A LLORAR AZNAR MARIANO ABEL LEOCATA LUCIANO
Ce dépôt est postérieur à celui de Y Volvemos a querernos, et il n’est donc sans doute pas le premier. Je ne suis pas certain d’avoir trouvé le « gêneur », ni même si cette histoire est vraie. ET vous allez me faire remarquer que je parle d’un tango différent et vous avez tout à fait raison. Je reviens donc au Y. Si Y Volvemos a querernos est le premier de la série des compositions de Leocata à être précédé d’un Y, beaucoup de ses compositions (environ 1/3) subiront le même sort. C’est devenu sa marque de fabrique.
Œuvres avec enregistrement disponible
Y volvemos a querernos 1949 (déposé à la SADAIC le 13 mai 1948)
Y mientes todavía 1950 (Déposé à la SADAIC le 23 octobre 1950)
Y no te voy a llorar 1953 (déposé à la SADAIC le 16 mars 1948) avec la collision de noms avec un titre de Miguel Calo).
Y todavía te quiero 1956 (notre titre du jour, déposé à la SADAIC le 18 janvier 1956). Il y a 22 thèmes avec un titre similaire, voire exactement le même. La règle de ne pas avoir deux œuvres du même nom semble avoir sauté… Le plus ancien semble être notre tango, car si plusieurs enregistrements ne sont pas datés, celui-ci a le numéro le plus petit.
Y te tengo que esperar 1957 (déposé à la SADAIC le 8 mars 1957)
Œuvres probablement sans enregistrement disponible.
Y a mi me gusta el tango (déposé à la SADAIC le 19 mai 1981)
Y deshojando el tiempo (déposé à la SADAIC le 13/03/1992)
Y el invierno queda atrás (déposé à la SADAIC le 8 juillet 2003)
Y esperando tu regreso (déposé à la SADAIC le 20 octobre 2005)
Y estás desesperado (déposé à la SADAIC le 6 novembre 1978)
Y este es el amor (déposé à la SADAIC le 15 décembre 1995)
Y fue en aquel mes de mayo (déposé à la SADAIC le 18 mars 1998)
Y fue tan solo por amor (déposé à la SADAIC le 14 mars 1990)
Y fue un sueño imposible (déposé à la SADAIC le 6 avril 1976)
Y hoy vuelvo a revivir (déposé à la SADAIC le 17 novembre 1989)
Y la quise con locura (déposé à la SADAIC le 17 septembre 1981)
Y la vida sigue igual (déposé à la SADAIC le 27 mai 2002)
Y le canto a mi ciudad (déposé à la SADAIC le 8 avril 1991)
Y mentira fue tu amor (déposé à la SADAIC le 6 mai 1971)
Y no fue sin querer (déposé à la SADAIC le 22 mai 1989)
Y no me cuentes tu tristeza (déposé à la SADAIC le 1er août 1984)
Y no pudieron separarnos. Ce titre mentionné par Anamaria Blasseti n’est pas dans le listing de la SADAIC. J’ai vérifié les œuvres déposées par le co-auteur mentionné, Félix Arena (Rosario), la seule œuvre avec Y est Y mentira fue tu amor de 1971 et aucune autre de ses productions a un titre approchant.
Y no puedo vivir sin vos (déposé à la SADAIC le 27 mai 2002)
Y no te creo (déposé à la SADAIC le 17 mai 1955)
Y para qué seguir fingiendo (déposé à la SADAIC le 15 décembre 1993)
Y pretendes que empecemos otra vez (déposé à la SADAIC le 24 février 1982)
Y quiero estar a tu lado (déposé à la SADAIC le 27 mai 2002)
Y quiero que vuelvas a mí (déposé à la SADAIC le 14 mars 1990)
Y rogaré por vos (déposé à la SADAIC le 6 février 1975)
Y te acordás que fue una tarde (déposé à la SADAIC le 27 mai 2002)
Y te deje partir (déposé à la SADAIC le 19 avril 2005)
Y todo es mentira (déposé à la SADAIC le31 janvier 1958)
Y uniremos nuestro amor (déposé à la SADAIC le 27 mai 2002)
Y vivamos nuestro carnaval (déposé à la SADAIC le 15 décembre 1980)
Y vuelvo a ser felix (déposé à la SADAIC le 27 mai 2002)
Y yo tenía quince años (déposé à la SADAIC le 27 mai 2002)
Cela fait une belle liste. À ma connaissance, seuls les titres où j’ai indiqué la date ont été enregistrés (j’ai mentionné la date du plus ancien enregistrement connu).
On considère parfois, que les premières versions sont les meilleures et que par la suite, les enregistrements suivants vont en déclinant. Come toute généralisation hâtive, c’est discutable. Dans le cas de Di Sarli, même si on se place dans le rôle du danseur, cette théorie n’est pas forcément pertinente. Il y a une évolution, mais toutes les versions, si différentes soient-elles, ont de l’intérêt. Voyons cela.
Extrait musical
Milonguero viejo 1955-06-20 – Orquesta Carlos Di Sarli.
C’est la quatrième version proposée par Di Sarli au disque. Nous verrons l’évolution en fin d’article avec l’écoute des trois premières versions.
Paroles
Les versions de Di Sarli sont toutes instrumentales, mais il y a des paroles, que voici :
El barrio duerme y sueña al arrullo de un triste tango llorón; en el silencio tiembla la voz milonguera de un mozo cantor. La última esperanza flota en su canción, en su canción maleva y en el canto dulce eleva toda la dulzura de su humilde amor.
Linda pebeta de mis sueños, en este tango llorón mi amor mistongo va cantando su milonga de dolor, y entre el rezongo de los fuelles y el canyengue de mi voz, ilusionado y tembloroso vibra humilde el corazón.
Sos la paica más linda del pobre arrabal, sos la musa maleva de mi inspiración; y en los tangos del Pibe de La Paternal sos el alma criolla que llora de amor. Sin berretines mi musa mistonguera chamuya en verso su dolor; tu almita loca, sencilla y milonguera ha enloquecido mi pobre corazón.
El barrio duerme y sueña al arrullo del triste tango llorón; en el silencio tiembla la voz milonguera del mozo cantor; la última esperanza flota en su canción, en su canción maleva y el viento que pasa lleva toda la dulzura de su corazón.
Carlos Di Sarli Letra: Enrique Carrera Sotelo
Traduction libre et indications
Le quartier dort et rêve au roucoulement d’un triste tango larmoyant ; dans le silence tremble la voix milonguera d’un charmant chanteur. La dernière espérance flotte dans sa chanson, dans sa chanson maleva (en lunfardo, c’est l’apocope de malévolo au féminin. La chanson est donc mal intentionnée, mauvaise, par son sens, pas par manque de qualité) et dans la douce chanson, il élève toute la douceur de son humble amour. Belle poupée de mes rêves, dans ce tango larmoyant mon amour triste chante sa milonga de douleur, et entre le grognement des bandonéons et le canyengue de ma voix, amoureux et tremblant, le cœur vibre humblement. Tu es la plus jolie fille (la paica est la compagne d’un compadrito et par extension, l’amante ou tout simplement la compagne) des faubourgs pauvres, tu es la muse malveillante de mon inspiration ; et dans les tangos du Pibe de La Paternal (surnom d’Osvaldo Fresedo, ce qui explique qu’il fut le premier à l’enregistrer…) vous êtes l’âme criolla (de tradition argentine) qui pleure d’amour. Sans repos (el berretín peut être le loisir comme dans Los tres berretines, une idée fixe, un caprice), ma triste muse exprime en vers, sa douleur ; ta petite âme folle, simple et milonguera a rendu fou mon pauvre cœur. Le quartier dort et rêve au roucoulement d’un triste tango larmoyant ; dans le silence tremble la voix milonguera d’un charmant chanteur. La dernière espérance flotte dans sa chanson, dans sa chanson maleva et le vent qui passe emporte toute la douceur de son cœur.
Autres versions
Milonguero viejo 1928-02-24 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Ernesto Famá.
Il ne faut pas juger trop sévérement cette version, elle est de 1928 et donc dans le jus de son époque. Disons juste qu’elle n’est pas de la meilleure période de Fresedo. Manque de chance, il le réenregistrera en fin de carrière, une autre version qui n’est pas dans sa meilleure période… On doit cependant mettre à son crédit un tempo assez lent, comme celui des Di Sarli des années 50, mais le pesant canyengue, détruit toute la joliesse du titre. Une version pour des piétineurs qui ne seraient pas gênés par la voix de Famá.
Milonguero viejo 1928-02-29 – Ignacio Corsini con guitarras de Aguilar-Pesoa-Maciel.
Remarquez l’alternance de voix de gorge et de tête.
Milonguero viejo 1928-04-02 – Orquesta Juan Maglio « Pacho » con Carlos Viván.
C’est la dernière version chantée. Les enregistrements suivants seront instrumentaux. Le style un peu trop vieillot manque sans doute de charme pour nos milongas modernes, même si dans l’interprétation, l’écriture de Di Sarli est reconnaissable. N’oublions pas qu’à cette époque, Di Sarli jouait avec son sexteto dans un style semblable.
A Milonguero viejo 1940-07-04 – Orquesta Carlos Di Sarli.
Un tempo un peu soutenu, peut-être trop pour le thème. Mais comme c’est une version instrumentale, les danseurs ne sont pas supposés savoir que c’est triste… 128BPM
B Milonguero viejo 1944-07-11 – Orquesta Carlos Di Sarli.
Milonguero viejo 1944-07-11 – Orquesta Carlos Di Sarli. Quatre ans après, Di Sarli corrige le tir avec un rythme plus calme. 122 BPM, mais quand on dans l’oreille, les versions des années 50, on pourra le trouver un tout petit peu trop rapide. On notera qu’au début, Di Sarli a ajoutée une montée de gamme pour introduire le thème. La version de 1940 et celles des autres orchestres qui n’ont pas adopté cet ajout paraissent plus abruptes dans la mise en œuvre.
C Milonguero viejo 1951-09-26 – Orquesta Carlos di Sarli.
Di Sarli ralenti encore le tempo. La musique sonne plus majestueuse. Je trouve que cela convient mieux au thème du vieux milonguero, même si c’est un enregistrement instrumental. 115 BPM. Comme j’ai placé un sondage à la fin de l’article, je ne vais pas écrire que c’est ma version préférée pour ne pas vous influencer.
Milonguero viejo 1954 – Orquesta Lucio Demare.
L’ordre chronologique des enregistrements place cet enregistrements au milieu des versions de Di Sarli. La comparaison n’est pas à l’avantage de Demare.
D Milonguero viejo 1955-06-20 – Orquesta Carlos Di Sarli.
C’est notre tango du jour. Il est à la vitesse que la version de 1951, 115 BPM. Avec la version de 1951, peut-être encore meilleure, cette version prouve que l’adage de plus c’est vieux, mieux c’est ne fonctionne pas. Les versions de 1950, pour ce titre, surpassent largement celles des années 40.
Milonguero viejo 1957 – Horacio Salgán y su Orquesta Típica.
Entrée directe sans introduction au piano. Les variations imprévisibles, rendent le titre indansable.
Face 2 – 01 Milonguero viejo 1958 – Argentino Galván.
La version la plus courte. Elle fait partie du disque de Argentino Galván que je vous ai présenté en deux fois et dont j’ai promis une étude de la pochette, un jour…
Vous étiez prévenu, même si Fresedo a enregistré deux fois, Milonguero viejo, aucune de ses versions ne soulèvera d’enthousiasme. Pour un titre qui le cite, il aurait pu s’appliquer et enregistrer avec Ray ou Ruiz, une belle version.
Milonguero viejo 1983 c – Alberto Di Paulo.
Entrée direct dans le thème, sans l’introduction de piano. En revanche, le tempo est lent, comme les derniers enregistrements de Di Sarli. Pour la danse il manque peut êre un peu de tonus et l’orchestre n’est pas assez incisif, les danseurs risquent de s’endormir.
Milonguero viejo 2010 – Las Bordonas.
Avec un tempo irrégulier de près de 150BPM, ne me semble pas très en phase avec les paroles, chantées avec une alternance de voix de gorge et de tête, un peu comme le faisait Corsini. Si les guitaristes sont Javier Amoretti, Nacho Cedrún et Martín Creixell et le contrebassiste Popo Gómez, je ne sais pas qui chante, peut-être les guitaristes.
E Milonguero viejo 2011 – Orquesta Típica Gente de Tango.
Pour cette dernière version, je vous propose leur partition en PDF. Comme vous avez pu l’entendre, c’est un arrangement à partir de Di Sarli. Ils ont également conservé l’ajout du piano en introduction des versions de 1944 et ultérieures de Di Sarli.
José Antonio Amunchástegui Keen (Paroles et musique)
Emportée par la foule, la célèbre chanson d’Edith Piaf pourrait être la sœur de notre tango du jour. Les deux nous comptent un amour éphémère, séparé par la foule dans le cas d’Edith et par le cortège de Carnaval dans celui de Ricardo Ruiz. Le carnaval était au vingtième siècle un événement pour les orchestres de tango.
Extrait musical
Después del carnaval 1941-06-19 Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz
Paroles
Se fueron las horas de algarabía que Momo brindara con alegría… Callaron las risas de Colombina… Pierrot agoniza entre serpertinas. Murió carnaval y su cortejo de alegre y loca bullanguería…. Cornetas y gritos se escuchan lejos, vibrando las almas, al recordar…
Recordé que una noche el amor me brindó dos labios plenos de pasión y ardor…. Fue una noche que lloraban los violines un triste vals de promesas olvidadas… mientras la luna plateaba los jardines un beso ardiente en la noche palpitó.
Mas el encanto de aquellas horas, al morir Momo se diluyó. Y con mi dolor a solas lloré la muerte de mi ilusión.
Hoy solo escucho los tristes ecos de aquella alegría y de aquel beso… Mientras en las calles las serpertinas en llamas de fuego se ven quemar! Y entre cenizas carnavalescas aún quedan ardientes mis ilusiones… mi ensueño, el beso y las promesas prendieron la llama, ¡de aquel soñar!…
Mas no fue solo un sueño de amor que brilló; trajo también el placer dolor… Pues la ilusión también dejó su huella triste, al ausentarse entre el cortejo que marchaba… llevándose con su alegre mascarada mi último sueño de amor que allí tejí…
Pues ya soñaba, que fuera eterna la breve dicha, que ayer viví… Y con mi pesar, yo ruego que vuelva pronto otro Carnaval.
José Antonio Amunchástegui Keen (Paroles et musique)
Traduction libre et indications
Les heures de vacarme où le Roi Momo trinquait avec joie sont révolues. (La algarabía, c’est le bruit que l’on entend entre les morceaux dans les milongas de Buenos Aires, quand les gens parlent tous en même temps, c’est le brouhaha. Le Roi Momo était la figure emblématique du carnaval, inspiré du Dieu Momos ou Momus des Grecs anciens, repris par les Romains dans leurs saturnales. Le carnaval a été diffusé en Amérique du Sud, avec le succès que l’on sait, notamment en Colombie et au Brésil. En Argentine, et Uruguay, le carnaval est également un élément important de l’année et cela depuis le début du vingtième siècle.)… Les rires de Colombine se sont tus… Pierrot agonise au milieu des serpentins. Carnaval est mort (Le Roi Momo, comme le Bonhomme Carnaval en France, termine généralement assez mal, noyé, brûlé…) et son cortège de bruit joyeux et fou tintamarre (bullanguería est un synonyme de algarabía)… Des cornets (comme ceux du tranvia, tramway) et des cris se font entendre au loin, faisant frissonner les âmes au souvenir… Je me suis souvenu qu’une nuit l’amour m’a donné deux lèvres pleines de passion et d’ardeur… C’était une nuit où les violons pleuraient, une triste valse de promesses oubliées… Alors que la lune argentait les jardins, un baiser ardent dans la nuit palpitait. Mais le charme de ces heures, où Momo mourut, se dilua. Et avec ma seule douleur, j’ai pleuré la mort de mon illusion (illusion est comme toujours un sentiment d’amour). Aujourd’hui, je n’entends que les tristes échos de cette joie et de ce baiser… Alors que dans les rues, on voit brûler les serpentins en flammes de feu et parmi les cendres carnavalesques, mes illusions brûlent encore… Mon rêve, le baiser et les promesses ont allumé la flamme de ce rêve… Mais ce n’était pas seulement un rêve d’amour qui brillait, il apportait aussi du plaisir et de la douleur. Puis, l’illusion a aussi laissé son empreinte triste, lorsqu’elle s’est éclipsée entre le cortège en marche… emportant avec sa joyeuse mascarade mon dernier rêve d’amour que j’y ai tissé… Enfin, j’avais déjà rêvé que ce bref bonheur que j’ai vécu hier serait éternel… Et avec mon regret, je prie pour que revienne bientôt un autre carnaval.
Carnaval
Quand on pense, Amérique du Sud et Carnaval, c’est bien sûr Rio de Janeiro qui a la vedette. Mais en fait, les colons européens ont apporté le carnaval dans toute l’Amérique du Sud et l’Argentine et l’Uruguay l’ont également adopté, au début du vingtième siècle. Les percussions de la murga font un fond sonore puissant, mais la danse étant au programme, les orchestres sont mobilisés et plusieurs orchestres se sont formés pour ces occasions, de façon éphémère ou plus durable. Hier, nous avons vu l’orchestre Firpo-Canaro qui avait animé le carnaval à Rosario, il y en a beaucoup d’autres, comme Polito-D’Arienzo pour le carnaval de 1929 ou le Greco-Canaro pour les carnavals de 1914 – 1915. On se souviendra aussi de Alfredo Bigeschi qui écrivit son premier tango pour le carnaval de la Boca.
Mural de Benito Quinquela Martín Le carnaval de la Boca — 1936.Le carnaval de la Boca. La bande « Juventud Bar Oriente ».
La bande « Juventud Bar Oriente » est née à la fin de 1952 (comme en témoigne son étendard). Elle représentait son quartier. Cette bande s’était organisée en club social et avait son siège près de la bombonera, le stade de Boca Junior.
Un film que nous avons déjà évoqué Carnaval de Antaño (1940), présente des images reconstituant le carnaval de 1912.
Carnaval de antaño. Reconstitution du carnaval de 1912 — Les chars, les défilés et un bal dans le film de Manuel Romero, Carnaval de Antaño (1940).À partir de 1936, Canaro inaugure les bals au Luna Park, la grande salle de spectacle de Buenos Aires. Sur cette image, on peut voir la propagande pour Coca Cola et la quantité incroyable de danseurs sur la piste.
Dans ses mémoires, Canaro cite ses différentes prestations pour des carnavals, de Rosario à Montevideo en passant par Buenos Aires. L’apothéose est sans doute constituée par les bals géants qu’il animait au Luna Park.
Autres versions
Después del carnaval 1941-06-19 Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz. C’est notre tango du jour. La version la plus diffusée en Europe. Después del carnaval 1958-05-28 — Orquesta José Basso con Floreal Ruiz.
Avec un autre Ruiz qui n’est pas le frère du premier. En effet, les deux frères de Floreal s’appellaient, Fraternidad et Libertario. Voilà ce que c’est que d’avoir un père anarchiste…
Después de carnaval 1958-08-20 — Héctor Pacheco y su Orquesta dir. por Carlos García.
Hector Pacheco l’enregistre avec son orchestre. C’est bien sûr une version à écouter. On notera que le titre est ; Después de carnaval et non pas Después del carnaval comme dans toutes les autres versions.
Después del carnaval 1959-01-12 Orquesta Osvaldo Fresedo con Hugo Marcel.
Fresedo nous propose une version très différente où les bandonéons staccatos contrastent avec les violons legatos. Ce Fresedo tardif comporte cependant des fioritures qui n’ont pas bien vieilli et l’on se contentera, pour nos milongas, de la version de 1941.
En 1986, José Basso enregistre de nouveau ce titre avec Eduardo Borda y Quique Ojeda. Je vous propose ici une version télévisée.
José Basso con Eduardo Borda y Quique Ojeda dans Después del carnaval.
On n’est pas dans la danse, mais en 1986, c’était à peine le début du renouveau du tango dansé à Buenos Aires.
Deux versions par Di Paulo
Después del carnaval – Orquesta Alberto di Paulo V1.Después del carnaval – Orquesta Alberto di Paulo V2.
Pour nous réconcilier avec la danse, une version contemporaine, par le Sexteto Cristal.
Despues del carnaval — Sexteto Cristal con Guillermo Rozenthuler.
Ce sexteto a le mérite de ressortir des titres un peu oubliés malgré leur qualité. Il garde les arrangements d’origine, ici, ceux de Fresedo avec Ruiz. Le résultat est donc tout à fait dansable, bien plus que les derniers titres de ma petite liste…
On connaît tous Francisco Canaro, le plus prolifique des enregistreurs de tango avec près de 4000 enregistrements sur disque, mais aussi de la musique de film et des enregistrements à la radio. Même si son caractère était un peu fort, il a trouvé des admirateurs qui lui ont dédié des tangos. On connaît parfaitement «Canaro en Paris» de Alejandro Scarpino et Juan Caldarella, mais peut-être un peu moins Canaro, juste Canaro de José Martínez. C’est notre tango du jour, nous allons pallier cette éventuelle lacune.
José Martínez était un pianiste et compositeur qui travailla avec Canaro à ses débuts. C’était au café Los loros (le loro est une sorte de perroquet très commun à Buenos Aires. Il vit en liberté, mais aussi en cage où il sert s’avertisseur en cas d’intrusion dans la maison). Canaro remplaça temporairement le violoniste Julio Doutry d’un trio qu’il formait avec Augusto Berto (bandonéon). Jusqu’au retour de Doutry, Canaro était donc avec Berto et Martínez. Martínez resta avec cette formation, une fois Canaro parti. Ils se retrouvent peu après dans un quatuor, « Martínez — Canaro, au côté de Fresedo (bandonéon). En 1915, Canaro forme son orchestre et Martínez en assure la partie de piano. C’est probablement durant cette période que Martínez écrivit le tango Canaro, car ce dernier l’enregistra en 1915 avec son tout nouvel orchestre. En 1917, Firpo et Canaro collaboreront pour le carnaval de 1917. On voit sur l’affiche la présence de Martínez comme pianiste.
Orchestre Firpo-Canaro, Teatro Colón de Rosario, Carnaval 1917.
En commençant en haut à gauche et dans le sens inverse des aiguilles d’une montre :
Osvaldo Fresedo (Bandonéon), Agesilao Ferrazzano (Violon), Pedro Polito (Bandonéon), Alejandro Michetti (Flûte), Julio Doutry (Violon), Leopoldo Thompson (Contrebasse, Juan Carlos Bazan (Clarinette, Juan D’Ambrogio « Bachicha » (Bandonéon), Tito David Rocatagliata (Violon), José Martínez (Piano). Au centre, Roberto Firpo, Francisco Canaro et Eduardo Arolas (Bandonéon). C’était à Rosario au Teatro Colón de Rosario, inauguré en 1904 et démoli en 1958…
Teatro Colón de Rosario, inauguré en 1904 et démoli en 1958…
Extrait musical
Partition de Canaro par José Martínez avec la dédicace à son estimé ami et auteur national, Francisco Canaro.Canaro 1935-06-18 Orquesta Francisco CanaroPartition pour piano de Canaro par José Martínez.
Autres versions
Deux des enregistrements de Canaro par Canaro…À gauche une édition espagnole de 1918 de l’enregistrement de 1915 et à droite, l’édition portugaise de notre tango du jour, la version de Canaro de 1935…
Canaro et d’autres orchestres enregistreront le titre à d’autres moments. Nous allons voir cela.
Canaro 1915 — Orquesta Francisco Canaro.
C’est la première version datant de l’époque de la composition. L’air assez vif et joyeux. La flûte est très présente. Bien sûr, l’enregistrement acoustique et la coutume de jouer chaque fois la musique sans réelles variations, peut rendre le résultat monotone. Cependant, le second thème est assez joli.
Canaro 1927-07-29 — Orquesta Francisco Canaro.
Canaro enregistre à nouveau son titre avec la nouvelle technologie de l’enregistrement électrique. Canaro un rythme, beaucoup plus lent et bien pesant. En 12 ans, il a pris de l’assurance et du poids.
Canaro 1935-06-18 Orquesta Francisco Canaro. C’est notre tango du jour.
Le rythme est un peu plus rapide que dans la version de 1927, sans atteindre la vitesse de 1905. Cela suffit tout de même pour rendre le thème plus joyeux. Les instrumentistes sont excellents comme peut l’indiquer la liste des artistes qui ont participé sur la période : Federico Scorticati, Angel Ramos, Ciriaco Ortiz, Horacio Golino, Juan Canaro et Ernesto Di Cicco (bandonéonistes) Luis Riccardi (pianiste) Cayetano Puglisi, Mauricio Mise, Bernardo Stalman, Samuel Reznik et Juan Ríos (violonistes) et Olindo Sinibaldi (contrebassiste).
Canaro 1941-07-14 — Orquesta Juan D’Arienzo.
Un petit clin d’œil à son concurrent. Une version bien dans l’esprit de D’Arienzo, bien rythmée, avec des petites facéties joueuses. Une danse qui devrait plaire à beaucoup de danseurs.
Canaro 1952-10-08 — Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.
On reste dans le registre joueur, nouveau pour Canaro. Pour les mêmes raisons que la version de D’Arienzo, celle-ci devrait plaire aux danseurs.
Juan et Mario avec leur Sexteto Juan y Mario Canaro ont également enregistré le titre en 1953. Ce sont aussi des Canaro après tout. Je ne peux pas vous faire écouter, n’ayant pas le disque avec moi au moment où j’écris et ne l’ayant pas numérisé, mais je m’en occupe en rentrant à Buenos Aires. Je vous en attendant un extrait tiré de l’excellent site de référence, tango-dj.at. Non seulement il est très complet, mais en plus, quand il y a une imprécision, il accepte très volontiers les remarques et en tient compte, ce qui n’est pas le cas d’autres sites plus grand public qui disent qu’on a tort et qui corrigent en catimini…
Canaro 1953 — Sexteto Juan y Mario Canaro (EXTRAIT).
Un extrait, donc de la base de données de Tango-dj.at.
Canaro 1953 — Sexteto Ciriaco Ortiz.
Après avoir participé à la version de 1935 dans l’orchestre de Canaro, Ciriaco Ortiz, donne une version très personnelle.
Canaro 1956-02-29 — Orquesta Florindo Sassone.
Comme souvent chez Sassone, la recherche de « joliesse » laisse peu de place à la danse. On notera l’utilisation de la harpe et du vibraphone.
Canaro 1958 — Los Muchachos de Antes.
Avec leur flûte et la guitare et la guitare, les Muchachos de Antes, essayent de faire revivre le tango du début du vingtième siècle. Ce n’est pas du tout vilain et même sympathique. Peut-être pour une despedida délirante avec des danseurs prêts à tout.
Canaro 1962 — Orquesta Rodolfo Biagi.
En 1962, Biagi n’est plus que l’ombre de lui-même. Je cite cette version pour mémoire, mais elle n’apportera pas grand-chose, plusieurs la surpassent largement.
Canaro 1968 — Mariano Mores.
Mariano Mores qui est un rigolo, nous propose une version très différente de toutes les autres. Je ne dis pas que c’est pour les danseurs, mais ça peut aider à déclencher des sourires, lors d’un moment d’écoute.
Voilà, les amis. Je ne vous parle pas aujourd’hui de Canaro à Paris, que Canaro a souvent gravé dans les mêmes périodes que Canaro. Mais promis, à la première occasion, je le mettrai sur la sellette, d’autant plus qu’il y a beaucoup à dire.
José Servidio ; Luis Servidio Letra: Celedonio Esteban Flores
El bulín de la calle Ayacucho a été écrit en 1923 par deux amis d’enfance pour décrire leur vie de bohème, un style de vie courant chez les artistes et musiciens. En France, on a eu Chien-Caillou, sobriquet donné à Rodolphe Bresdin par ses amis et dont Champfleury s’inspira pour sa nouvelle, « Chien-caillou ». Nous avons vu hier le triste destin de Alfredo Gobbi, les histoires de bulines, sont légion dans l’imaginaire tanguero. Intéressons-nous donc à celui de la rue Ayacucho…
Extrait musical
Partition de El bulín de la calle Ayacucho.El bulín de la calle Ayacucho 1941-06-17 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.
Même si on ne comprend rien aux paroles, ce qui ne sera pas votre cas après avoir lu cette anecdote, on ne peut qu’admirer ce chef-d’œuvre dont la qualité tient avant tout à la simplicité, la fluidité, l’harmonie entre la voix et la musique. Le rythme est soutenu, la musique avance avec décision, aucun danseur ne peut résister à envahir la piste. Quand après une minute, Fiorentino commence à chanter, la magie augmente encore, les cordes et bandonéons continuent de marquer la cadence, sans flancher et la voix de Fiore lie le tout avant de laisser la parole au piano et on se surprend à être surpris par l’arrivée de la fin, tant on aimerait que cela dure un peu plus longtemps.
Paroles
El bulín de la calle ayacucho, Que en mis tiempos de rana alquilaba, El bulín que la barra buscaba Pa caer por la noche a timbear, El bulín donde tantos muchachos, En su racha de vida fulera, Encontraron marroco y catrera Rechiflado, parece llorar.
El primus no me fallaba Con su carga de aguardiente Y habiendo agua caliente El mate era allí señor. No faltaba la guitarra Bien encordada y lustrosa Ni el bacán de voz gangosa Con berretín de cantor.
El bulín de la calle Ayacucho Ha quedado mistongo y fulero: Ya no se oye el cantor milonguero, Engrupido, su musa entonar. Y en el primus no bulle la pava Que a la barra contenta reunía Y el bacán de la rante alegría Está seco de tanto llorar.
Cada cosa era un recuerdo Que la vida me amargaba : Por eso me la pasaba Fulero, rante y tristón.
Los muchachos se cortaron Al verme tan afligido Y yo me quedé en el nido Empollando mi aflicción.
Cotorrito mistongo, tirado En el fondo de aquel conventillo, Sin alfombras, sin lujo y sin brillo, ¡Cuántos días felices pasé, Al calor del querer de una piba Que fue mía, mimosa y sinceral… ¡Y una noche de invierno, fulera, Hasta el cielo de un vuelo se fue!
José Servidio ; Luis Servidio Letra : Celedonio Esteban Flores
Fiorentino avec Troilo chante ce qui est en gras. Fiorentino avec Basso chante ce qui est en bleu. Rodolfo Lesica chante ce qui est en gras, plus le dernier couplet sur lequel il termine.
Traduction libre et indications
Huile sur toile non signée. Une pava (sorte de bouilloire) sur un réchauffeur à alcool, Primus. Sur le plateau un mate (en calebasse) et une bombilla (paille servant à aspirer la boisson). Dans l’assiette, la yerba (les feuilles broyées servant à préparer le mate). Tout le nécessaire pour le mate, en somme. En Argentine et pays voisins, le mate est aussi une cérémonie amicale. Le mate passe de main en main, un seul pour toute l’assemblée.
La piaule (dans un conventillo, habitat populaire, c’est une pièce où vivait, s’entassait, une famille. Cette pièce donnait directement sur un couloir qui lui donnait du jour, le bulín n’ayant en général pas d’autre ouverture que la porte donnant sur le couloir) de la rue Ayacucho, que je louais à l’époque (pour être précis, son logement était prêté par l’éditeur Jules Korn, pas loué…) où j’étais dans la dèche (rana, a plusieurs sens, astucieux, je pense que là il faut comprendre les temps heureux de la démerde, pauvre mais heureux), le bulín dans lequel la bande cherchait à se réfugier (tomber, au sens de point de chute, abri) la nuit pour jouer (timbear, c’est jouer de l’argent en principe), le bulín où tant de mecs, dans leur ligne de vie (racha = successions de faits, bons ou mauvais) quelconque, trouvaient marroco (pain) et litière. (chiflado = cinglé, rechiflado, plus que cinglé. Il faut comprendre que le bulín était un lieu de folie), semble pleurer. Le primus (réchauffeur à alcool, voir illustration ci-dessus) ne me faisait pas défaut avec sa provision d’alcool (aguardiente est plutôt une eau-de-vie, mais je pense qu’ici on parle du combustible du petit réchaud) faisait de l’eau chaude, le mate était roi là-bas (on dirait plutôt, ici, mais là-bas souligne que c’est loin dans le passé. J’ai traduit señor par roi, pour les Argentins pauvres, le maté est parfois la seule nourriture d’un repas. D’ailleurs, aujourd’hui avec la crise, beaucoup d’Argentins reviennent à ce régime, encouragé par le gouvernement qui dit qu’un seul repars par jour suffit. Les plus pauvres se fond du mate cocido, le mate des enfants, car en infusion, cela demande moins de yerba, d’herbe à mate). La guitare ne faisait pas défaut, bien accordée et lustrée, ni l’important (bacán, il s’agit de l’auteur des paroles, Cele qui se tourne en dérision) à la voix à la voix nasillarde avec la vocation de chanteur. (Berretín, nous l’avons vu est le loisir). Le bulín de la rue Ayacucho est resté misérable et quelconque : Le chanteur milonguero prétentieux ne s’entend plus taquiner sa muse en chantant. Et sur le primus, la pava ne chauffe plus, elle qui réunissait la bande joyeuse et le bacán à la bohème (rante de atorrante, clochard) allègre est sec de tant pleurer. Chaque chose était un souvenir que la vie me rendait amer : C’est pourquoi j’ai passé un bon moment, errant (quelconque, clochard…) et triste. Les copains se tirèrent quand ils me virent si affligé et je suis resté dans le nid à ruminer mon affliction. Petite piaule misérable (cotorrito est un synonyme de bulín), retirée au fond de ce conventillo, sans tapis, sans luxe et sans éclat. Combien de jours heureux j’ai passés, dans la chaleur de l’amour d’une fille qui était mienne, câline et sincère… Et une nuit d’hiver, quelconque, jusqu’au ciel d’un vol, s’en fut !
La censure
Cette histoire de jeunes fauchés qui faisaient de la musique dans une chambre en buvant du mate n’eut pas l’heur de plaire aux militaires qui avaient pris le pouvoir en 1943. De nombreux tangos, comme nous l’avons déjà vu (plegaria) ont été interdits, ou modifiés pour avoir des paroles plus respectables. Ce fut le cas de celui-ci. Voici les paroles modifiées :
La version des paroles après censure
Mi cuartito feliz y coqueto Que en la calle Ayacucho alquilaba mi cuartito feliz que albergaba un romance sincero de amor Mi cuartito feliz donde siempre una mano cordial me tendía y una linda carita ponía con bondad su sonrisa mejor…
Version acceptée par la censure de la dictature militaire de 1943
Traduction de la version après censure
Ma petite chambre joyeuse et coquette que je louais dans la rue Ayacucho. Ma petite chambre heureuse qui hébergeait une romance amoureuse sincère. Ma petite chambre heureuse où toujours une main cordiale se tendait. Et un joli petit visage posait avec gentillesse son meilleur sourire… Il doit être difficile de faire plus cucu. Les militaires sont de grands romantiques…
Les administrateurs de la SADAIC ont demandé une entrevue au général Perón, nouveau président pour faire tomber cette ridicule censure sur les paroles de tango. Le 25 mars 1949, ce dernier qui disait ne pas être au courant de cette censure a donné droit à leur requête. Les tangos pouvaient désormais retrouver les paroles qu’ils souhaitaient.
El bulín de la calle Ayacucho 1925-12-27 — Carlos Gardel con acomp. de José Ricardo. Cette première version a été enregistrée à Barcelone (Espagne).El bulín de la calle Ayacucho 1926 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo. Cette version a été enregistrée à Buenos Aires. El bulín de la calle Ayacucho 1941-06-17 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino. C’est notre tango du jour. El bulín de la calle Ayacucho 1949-04-07 — Orquesta José Basso con Francisco Fiorentino.
La prestation de l’orchestre est très différente de celle de Troilo, sans doute un peu grandiloquente. On sent que Basso a voulu se mesurer à Troilo, mais je trouve que ce qu’il a ajouté n’apporte rien au thème. Fiorentino chante toujours superbement, cependant l’orchestre se marie moins bien avec le chant. Il se met en retrait, ce qui met en avant la voix, il n’y a pas la même harmonie. FIorentino chante plus dans cette version.
El bulín de la calle Ayacucho 1951-07-17 — Orquesta Héctor Varela con Rodolfo Lesica.
Un grand chanteur, peut-être un peu trop romantique et lisse pour ce titre. Je pense qu’on a du mal à accrocher.
El bulín de la calle Ayacucho 1956 — Armando Pontier con Julio Sosa.
Une superbe version en vivo. Dommage que ce soit un enregistrement de piètre qualité, réalisé lors des Carnavales de Huracán de 1956. Julio Sosa chante toutes les paroles (un peu en désordre).
El bulín de la calle Ayacucho 1961-09-08 — Jorge Vidal con acomp. de guitarras, cello y contrabajo.
Le violoncelle qui débute et accompagne Vidal tout au long est l’autre vedette de ce titre. On souhaiterait presque avoir une version purement instrumentale pour mieux l’écouter. On retrouve la tradition de Gardel, pour un tango à écouter, mais pas à danser.
Edmundo Rivero l’a également interprété. En voici une version avec vidéo. La version disque est de 1967.
Edmundo Rivero chante El bulín de la calle AyacuchoEl bulín de la calle Ayacucho 2018-02 — Tango Bardo con Osvaldo Peredo.
Cette version a sans doute peu de chance de convaincre les danseurs. Il convient toutefois d’encourager les orchestres contemporains à faire revivre les grands titres.
El bulín de la calle Ayacucho
Ce conventillo et la chambre étaient situés au 1443 de la rue Ayacucho.
Calle Ayacucho 1443. L’immeuble n’existe plus. On notera tout de même sur l’immeuble de droite, le beau bas-relief et à gauche, une autre maison ancienne.
Comment José Servidio décrit la chambre de Cele, celle qui lui a inspiré, ce titre
En 1923 compuse « El bulín de la calle Ayacucho ». Gardel lo grabó en ese mismo año. Yo vivía entonces en Aguirre 1061, donde aún vive mi familia. Celedonio me trajo al café A.B.C. la letra ya hecha. Era para la primavera de 1923. Nosotros éramos amigos desde la infancia, él vivía en la calle Velazco entre Malabia y Canning. Compuse el tango en un par de días, en el bandoneón. La primera frase me salió enseguida. El bulín de la calle Ayacucho existió realmente. Quedaba en Ayacucho 1443. El dueño del bulín era Julio Korn, que se lo prestó a Celedonio Flores. Era una piecita en la que ni los ratones faltaban. Concurrentes infaltables a las reuniones de todos los viernes, eran Juan Fulginiti, el cantor Martino, el cantor Paganini (del dúo Paganini-Ciacia); Nunziatta, también cantor, del dúo Cicarelli-Nunziatta; el flaco Sola, cantor, guitarrista y garganta privilegiada para la caña; yo, en fin… Ciacia, que formaba dúo con Paganini, era el que cocinaba siempre un buen puchero. En el bulín, del barrio de Recoleta, había una sartén y una morochita. Se tomaba mate, se charlaba. Como le decía, hasta algún ratón merodeaba por allí. Las reuniones en el bulín de la calle Ayacucho duraron más o menos hasta fines de 1921. Cuando Cele se puso de novio terminaron. Ya han muerto casi todos los que nos reuníamos allí. El tango lo editó un maestro de escuela, de apellido Lami, que puso editorial en Paraguay al 4200. Después se falsificó la edición. El bulín de la calle Ayacucho lo estrenó el dúo Torelli-Mandarino, en el teatro Soleil. Canataro acompañaba con su guitarra al dúo.
José Gobello et Jorge Alberto Bossio. Tangos, letras y letristas tomo 1. Pages 82 à 89.
Traduction libre du témoignage de José Servidio et indications.
En 1923, j’ai composé « El bulín de la calle Ayacucho ». Gardel l’a enregistré la même année. Je vivais à l’époque au 1061 de la rue Aguirre, où ma famille vit toujours. Celedonio m’a apporté les paroles déjà écrites au café ABC. C’était pour le printemps 1923. Nous nous étions amis depuis l’enfance. Lui vivait rue Velazco entre Malabia et Canning (aujourd’hui Scalibrini Ortiz). J’ai composé la musique en une paire de jours. Le bulín existait réellement dans la rue Ayacucho au 1443. Le propriétaire en était Julio Korn (éditeur de musique dont nous avons déjà parlé au sujet des succès de la radio en 1937), qui le prêtait à Celedonio Flores. C’était une petite pièce dans laquelle même les souris ne manquaient pas. Les participants inévitables aux réunions tous les vendredis étaient Juan Fulginiti, le chanteur Martino, le chanteur Paganini (du duo Paganini-Ciacia) ; Nunziatta, également chanteur (du duo Cicarelli-Nunziatta) ; le Flaco Sola(flaco = maigre), chanteur, guitariste et gosier privilégié pour la cuite (caña, ivresse) ; Moi, enfin… Ciacia préparait toujours un ragoût. Dans le bulín, il y avait une poêle et une morochita (marmite patinée). On prenait le mate et on bavardait. Comme je le disais, même une souris rôdait dans les parages. Les réunions dans le bulín de la rue Ayacucho ont duré plus ou moins jusqu’à la fin de 1921. Quand Cele (Celedonio Esteban Flores) s’est fiancé, ça s’est arrêté. Presque tous ceux d’entre nous qui se sont rencontrés là-bas sont déjà morts. Le tango a été édité par un maître d’école, nommé Lami, qui a créé une maison d’édition rue Paraguay au 4200. Plus tard, l’édition a été falsifiée. Le bulín de la calle Ayacucho a été créé par le duo Torelli-Mandarino, au Teatro Soleil. Canataro a accompagné le duo avec sa guitare. On notera que le narrateur est le compositeur. Son frère, Luis, semble avoir eu un rôle mineur dans cette composition. Ils avaient l’habitude de cosigner, mais les participations étaient variables selon les œuvres.
El bulín de la calle Ayacucho. J’avoue m’être inspiré de Van Gogh, mais il y a plusieurs différences. Il n’y a pas de fenêtre, c’est un bulín, pas une chambre à Arles. Il y a une guitare et un pava sur le primus, prête pour le mate. Un petit changement dans les cadres pour personnaliser l’intérieur de la chambrette de Cele dont on peut voir le portrait dans le cadre en haut à droite.Les calques utilisés pour créer cette image.
Ne cherchez pas dans le dictionnaire le mot Engobbiao, vous ne le trouverez pas. C’est une création de Eduardo Rovira en l’honneur de… Si, vous allez trouver ; G — O — B — B — I. Bravo ! Il y a trois Gobbi fameux dans l’histoire du tango, Flora, Alfredo et Alfredo. Oui, deux Alfredo. Essayons d’y voir plus clair.
Extrait musical
Tout d’abord écoutons ce titre surprenant que Rovira écrira en l’honneur du chef de l’orchestre où il était bandonéoniste.
El engobbiao 1957-06-18 Orquesta Alfredo GobbiPartition de El enggobiao
Les Gobbi
Nous avons déjà évoqué et à plusieurs reprises les Gobbi, mari et femme, pionniers du tango et indiscutablement propagateur du genre en France après l’avoir fait en Argentine. Flora, la femme et Alfredo, donc, le mari ont plusieurs enregistrements, parmi les plus anciens qui nous soient parvenus. Les pauvres, la technique d’enregistrement de l’époque n’a pas rendu justice à la qualité de leurs interprétations, obligés qu’ils étaient plus à crier qu’à chanter pour que quelque chose se grave sur le disque.
El criollo falsificado (Los criollos) 1906 – Dúo Los Gobbi (Flora et Alfredo Gobbi).
Vous aurez reconnu ce thème que l’on connaît désormais sous le titre El porteñito.
Le troisième Gobbi, se prénommant aussi Alfredo et voici son état-civil complet : Alfredo Julio Floro Gobbi. Le Gobbi du début de siècle s’appelait au complet : Alfredo Eusebio Gobbi Chiapapietra. On a donc l’habitude de l’appeler Alfredo Eusebio Gobbi pour le distinguer, bien inutilement, de Alfredo Julio Gobbi. Les deux signaient Alfredo Gobbi et personne ne peut confondre une composition ou une interprétation de l’un avec celle de l’autre… Pour en finir avec les noms, précisons que la femme de Gobbi (je ne vous dit pas lequel) s’appelait Flora Rodríguez de Gobbi et était d’origine chilienne. En fait, je vous ai présenté toute la famille, le père, Alfredo, la mère, Flora et le fiston, encore Alfredo, né à Paris en 1912. Signalons que son parrain était Ángel Villoldo. Le pauvre avait donc de grandes chances de tomber dans le tango, d’autant plus qu’en 1913, il était installé à Buenos Aires. Ce point de chute des Gobbi est bien sûr dicté par le tango, car la mère était chilienne et le père uruguayen. D’ailleurs, le petit Gobbi apprendra le piano (qui sera aussi son dernier instrument à la fin triste de sa vie), puis le violon et dès l’âge de 13 ans il jouera dans un trio avec ses amis, Orlando Goñi (pianiste) et Domingo Triguero (bandonéoniste). À la mort de son ami Orlando Goñi, en 1945, Alfredo écrira A Orlando Goñi, dont nous avons son enregistrement en 1949.
A Orlando Goñi 1949-03-24 — Orquesta Alfredo Gobbi.
L’hommage de Gobbi à son ami Goñi. C’est un de ses titres les plus connus et que l’on entend parfois en milonga. Troilo et Pugliese qui étaient dans le même cercle l’enregistrèrent également.
Alfredo Gobbi, le violon romantique et le pianiste en fin de vie, à droite
Si Alfredo Gobbi a commencé l’étude du piano à 6 ans, c’est comme violoniste prodige qu’il a fait sa carrière. À la fin de sa courte vie, il est retourné au piano pour jouer dans des bars de nuit afin de gagner sa pitance. Quelle triste fin pour cet artiste, amical et généreux comme en témoignent les hommages après sa mort, en 1965 à seulement 53 ans. Ses amis, cherchèrent à récupérer son violon auprès de son logeur qui le gardait en gage pour les loyers en retard. Lorsqu’ils demandèrent à Troilo de participer, celui-ci s’exclama, « mais pourquoi ne m’avez-vous pas demandé en premier ? » Troilo avait d’ailleurs dédicacé son tango Milonguero triste à son ami.
Anibal Troilo joue Milonguero triste, sa composition dédicacée à son ami Alfredo Gobbi avec son cuarteto. Les membres du quartette sont José Colángelo au piano, Anibal Troilo au bandonéon, Aníbal Arias à la guitare et Rafael Del Bagno à la contrebasse.Un disque posthume de Alfredo Gobbi nommé Milonguero triste (mais ne comportant pas ce titre que Alfredo Gobbi n’a pas enregistré. Troilo l’a enregistré moins de cinq mois avant la mort de son ami.
Il convient de rajouter à la liste des dédicaces à Alfredo Gobbi, Alfredeando enregistré en 1987 par Pugliese et qui a été composé par le bandonéoniste Néstor Marconi.
Alfredeando 1987-12-12 Orquesta Osvaldo Pugliese
De Rovira à Piazzolla
Eduardo Rovira était bandonéoniste dans l’orchestre de Alfredo Gobbi. Il lui a dédié deux thèmes. Notre tango du jour, Engobbiao et A Don Alfredo Gobbi qui terminera notre parcours des avant-gardes autour de Gobbi.
On notera l’étonnante modernité de ce titre. L’année d’après, Rovira produit cette version étonnante de Febril avec l’orchestre du pianiste Osvaldo Manzi dont il est membre, comme bandonéoniste.
Febril 1958-12-18 — Orquesta Osvaldo Manzi. Composition de Eduardo Rovira.
On peut constater comme en un an, Rovira est allé encore plus loin.
A don Alfredo Gobbi 1968 – Eduardo Rovira y su agrupación de tango moderno.
On est à l’arrivée de l’évolution de Rovira. Difficile d’y voir du tango, malgré un début en habanera et des accents de folklore. L’évocation de son ami, décédé en 1965, Alfredo Gobbi se fait par un passage virtuose au violon, mêlé à son bandonéon qui aura le dernier mot dans un curieux halètement final. Vous avez sans doute remarqué la présence, dès les premières notes, d’une guitare électrique. C’est celle de Salvador Drucker.
Le disque Sonico de Eduardo Rovira y su agrupación de tango moderno
La bande de copains, Gobbi, Rovira, Goñi, s’était adjoint à d’autres novateurs, comme Troilo et Pugliese (voir par exemple Patético de Jorge Caldara qui avait fait entrer la musique novatrice de Rovira dans l’orchestre de Pugliese), mais aussi, Astor Pantalón Piazzolla. Ce dernier écrira également un hommage à Gobbi, un portrait dont voici une de ses interprétations.
Retrato de Alfredo Gobbi 1970 — Astor Piazzolla y su Quinteto.
Le quintette de Piazzolla était composé de Astor Piazzolla (bandonéon), Osvaldo Manzi (piano), Antonio Agri (violon), Kicho Díaz (contrebasse) et Cacho Tirao (guitare électrique). Oui, comme Rovira, Piazzolla utilise la guitare électrique dans son orchestre. Cet autre hommage à Gobbi, par Piazzolla, après Rovira est sans doute une autre explication du fait que les danseurs ne sont pas fans (euphémisme) de Gobbi. Sa musique a évolué et en fait très peu de ses titres sont réellement pour la danse. Sans détester les danseurs comme se plaisait à le faire savoir Piazzolla, il avait d’autres préoccupations, tout comme ses compagnons et le fidèle Rovira, le novateur. Gobbi n’écrivit pas un tango pour Rovira, mais Fernando Romano joua un homenaje a Eduardo Rovira.
Homenaje a Eduardo Rovira – Pájaro del alma, Meloodíka, Mefisto compra almas, La casa de las chinas, Pasos en la noche – Orquesta Fernando Romano.
Il s’agit d’une suite avec différentes musiques jouées par l’orchestre de Eduardo Rovira enchaînées, par exemple le magnifique Pasos en la noche, une suite de ballet composée par Fernando Guibert.
Pasos en la Noche 1962 – Eduardo Rovira (Fernando Guibert compositeur)
Vous l’avez remarqué, on n’est pas dans le tango, mais ces témoignages permettent de rendre un peu de sa place à Rovira, éclipsé, pas forcément avec pertinence par Piazzolla. Les deux ont leur place au panthéon de la musique d’inspiration tanguera de la fin du vingtième siècle.
Autres versions
El engobbiao 1957-06-18 Orquesta Alfredo Gobbi. C’est notre tango du jour.El engobbiao 1993 — Sexteto Tango. Une version très différente, enregistrée par les anciens musiciens de Pugliese.
Voilà, les amis. C’est tout pour aujourd’hui. Si vous n’aimez pas Gobbi comme musicien pour la danse, vous devriez l’aimer comme homme et novateur, lui qui était le Milonguero triste.
Ernesto Ponzio Letra: Alfredo Eusebio Gobbi, Ricardo Podestá et anonyme.
Pas besoin d’être un grand détective pour savoir qui est le Don Juan dont parle ce tango. Dans un des trois versions connues des paroles, il y a le nom et presque l’adresse de ce Don Juan. Ce que vous ne savez peut-être pas, c’est que l’auteur en est un gamin de 13 (ou 15 ans).
Extrait musical
Partition pour piano de Don Juan de Ernesto Ponzio.Don Juan 1948-06-15 – Juan D’Arienzo
Paroles de Alfredo Eusebio Gobbi (Mozos guapos)
Al compás de una marchita muy marcada y compadrona, a casa de ’ña Ramona me fui un ratito a bailar. Por distraer las muchachas empecé a soltar tiritos y al ver esto los mocitos ya empezaron, ya empezaron a roncar.
Si en los presentes hay mozos guapos, que peguen naco, que vengan a mí. Que aunque sean muchos yo les daré palos porque soy más malo que el cumbarí.
Yo que no soy nada lerdo ni nada hay que yo no vea, comprendiendo que pelea se me trataba de armar, salí al patio y envolviendo al brazo el poncho de guerra hice una raya en la tierra y me le puse, me puse a cantar.
Salió el dueño de la casa, ’ña Ramona y los parientes, “Perdonate por decente, mucho respeto y admiro”. Cuando uno haciendo rollo rascándose la cadera sacó un revólver de afuera dijo si me le pegó, le pegó un tiro.
Yo que estaba con el ojo bien clavado en el mocito, me largué sobre el maldito y el revólver le quité. Y después mirando a todos, y haciéndoles la pat’ ancha, les grité ¡ábranme cancha!, y enseguida, enseguida les canté.
Ernesto Ponzio Letra: Alfredo Eusebio Gobbi
Traduction libre des paroles de Alfredo Eusebio Gobbi
Au rythme d’une petite marche bien rythmée et compadrona, je suis allé un petit moment à la casa de la Ramona pour danser un petit moment. Pour distraire les filles, j’ai commencé à libérer des frissons et quand ils ont vu cela, les morveux ont commencé, à grogner.
S’il y a de beaux gosses ici, qui frappent dur, qu’ils viennent à moi. Que même s’il y en a beaucoup, je les battrai parce que je suis pire que le cumbarí. (Sorte de piment appelé en argot putaparió, fils de pute).
Moi, qui ne suis en rien terne et qu’il n’y a rien que je ne voie pas, comprenant qu’ils essayaient de m’entraîner, je suis sorti dans la cour et enroulant le poncho de guerre autour de mon bras, j’ai fait une ligne sur le sol et je me mis, je me mis à chanter.
La patrone de la maison, La Ramona et les parents, sont sortis : « Excusez-moi d’être décent, beaucoup de respect et d’admiration. » Quand l’un d’eux s’est raclé la hanche et a sorti un revolver, j’ai dit de dehors que s’il me touchait, je lui enverrai un tir. (Les paroles semblent évoquer l’histoire personnelle de Ponzio qui un peu plus tard tuera par accident le voisin de la personne qu’il voulait intimider et fut condamné à 20 ans de prison. Il était peut-être attiré par la personnalité des tauras et des compadritos au point d’en devenir un lui-même). Moi, qui avais l’œil fermement fixé sur le morveux, je me jetai sur ce maudit homme et lui ai pris le revolver. Et puis en regardant tout le monde, et en faisant toute une histoire, je leur ai crié : « Ouvrez-moi le champ ! », et immédiatement, immédiatement je leur ai chanté.
Paroles de Ricardo Podestá (El taita del barrio)
En el tango soy tan taura que cuando hago un doble corte corre la voz por el Norte, si es que me encuentro en el Sud. Y pa bailar la Yuyeta si es que me visto a la moda la gente me dice toda Dios le dé, Dios le dé, vida y salud.
Calá, che, calá. Siga el piano, che, dése cuenta usted y después dirá si con este taita podrán por el Norte calá che, qué corte, calá, che, calá.
No hay teatro que no conozca pues hasta soy medio artista y luego tengo una vista que hasta dicen que soy luz. Y la forma de mi cuerpo arreglada a mi vestido me hacen mozo muy querido, lo juro, lo juro por esta cruz.
Yo soy el taita del barrio, pregúnteselo a cualquiera. No es esta la vez primera en que me han de conocer. Yo vivo por San Cristóbal, me llaman Don Juan Cabello, anóteselo en el cuello y ahí va, y ahí va, así me quieren ver.
Ernesto Ponzio Letra: Ricardo Podestá
Traduction libre des paroles de Ricardo Podestá
Au tango, je suis tellement taura (caïd, baron du lieu) que quand je fais un double corte (figure de tango) la nouvelle se répand dans le Nord, si je me trouve dans le Sud. Et pour danser la Yuyeta (probablement une orthographe populaire de shusheta qui signifie élégant, déloyal ou qui ne peut pas garder un secret. On connait le tango EL aristócrata dont le sous-titre est shusheta, mais quel est le lien avec la danse ?), si je m’habille à la mode, les gens me disent que Dieu lui donne tout, Dieu lui donne, la vie et la santé.
Calá, che, calá. (???) Suivez le piano, che, vous vous en rendez compte et puis vous direz si avec ce taita ils pourront aller vers le nord Calá che, quelle coupe, Calá, che, calá.
Il n’y a pas de théâtre que je ne connaisse, car je suis à moitié un artiste et que j’ai une vue qui dit témoigne que je suis rapide, brillant. Et la forme de mon corps arrangée avec mes vêtements (aujourd’hui, un vestido est une robe…) fait de moi un bel homme apprécié, je le jure, je jure par cette croix.
Je suis le caïd du quartier, demandez à n’importe qui. Ce n’est pas la première fois que vous devez me rencontrer. J’habite à San Cristóbal (quartier de Buenos Aires), ils m’appellent Don Juan Cabello (Cabello, cheveux. On a son adresse, enfin, son quartier, mais si on le croit, il ne doit pas être difficile à trouver), écrivez-le sur ton col (on prenait parfois des notes sur le col amovible de la chemise, faute de papier sous la main) et voilà, et voilà, c’est comme ça qu’ils veulent me voir.
Histoire du thème
Ernesto Ponzio, se serait inspiré d’un air joué plus ou moins traditionnel, joué par un pianiste, qu’il a délogé pour continuer la composition avec sa création.
De fait, le thème de Don Juan s’écoute dans différents tangos, plus ou moins métamorphosés. Pour que cela soit pertinent, il ne faudrait prendre que des thèmes composés avant la création de Ernesto Ponzio, c’est-à-dire 1898 ou 1900.
Qué polvo con tanto viento 1890 par Pedro M. Quijano
On n’a pas d’enregistrement de l’époque de Qué polvo con tanto viento, mais deux reconstitutions modernes. Dans les deux cas on reconnaît le thème de Don Juan au début (ou pour le moins, quelque chose de semblable).
Qué polvo con tanto viento 1980 – Cuarteto de tango antiguo.
Une reconstitución par un quartette composé de Oscar Bozzarelli (bandonéon), Rafael Lavecchia (flute), Jose Romano Yalour (violon) et Maximo Hernandez (guitare). Ce quatuor tentait de reproduire les musiques perdues des premières années du tango.
Que polvo con tanto viento – Lecture midi du thème réécrit dans un logiciel de composition musicale par Tío Lavandina (Oncle la Javel, sûr que c’est un pseudo).
Soy Tremendo
Soy tremendo 1909-10 – Orquesta Heyberger con Angel Villoldo.
Angel Villoldo “chante” et est aussi l’auteur de ce tango. On reconnaît le thème de Don Juan dans la première partie. Il se peut que ce thème soit antérieur à la composition de Ponzio, mais ce n’est pas sûr. Disons que c’est que l’air était dans… l’air du temps.
El rana
El rana 1909c – Arturo A Mathón y F Raias. Composé par Arturo Mathón.
El rana 1909c – Arturo A Mathón y F Raias. Composé par Arturo Mathón. Joué et chanté par lui-même à la guitare, avec un accompagnement de bandonéon, par F. Raias. Au début et à 0:54, on entend le thème de Don Juan, mais c’est tellement moche que ça ne donne pas envie de l’écouter… Heureusement qu’il a écrit El apache argentino et que c’est Canaro avec son Pirincho qui l’a fait passer à la postérité… Vu que c’est probablement plus récent que Don Juan de Ponzio, cela peut aussi être une inspiration basée sur le thème de Ponzio. On notera que le titre devrait être « La rana », rana étant féminin. D’ailleurs plus loin, il chante sapo (crapaud) et le tango parle d’un gars, alors, c’est finalement logique.
El rana 1909c – Arturo A Mathón y F Raias. Le bandonéon n’était pas encore très fréquent. La Colubia n’a donc pas relevé l’erreur Mandoneon au lieu de bandoneón sur le disque…
On trouve un petit bout de cet air dans différents tangos, mais rien de bien pertinent et qui permettent de garantir que la source d’inspiration est le thème anonyme ou celui de Ponzio. Quoi qu’il en soit, le gamin Ponzio a commencé très jeune a fréquenté les lieux de « perdition ».
Autres versions
Don Juan Tango 1927-11 – Orquesta Argentina Victor.
On ne regrette pas de ne pas avoir de versions plus anciennes à l’écoute des vieilleries que je viens de vous présenter.
Don Juan 1928-03-06 – Orquesta Osvaldo Fresedo. Don Juan 1929-08-02 – Orquesta Francisco Canaro.Orquesta Típica Victor con Alberto Gómez.
Autre version par un orchestre Victor, cette fois, chanté par Alberto Gómez avec une partie des paroles de Ricardo Podestá (avec variantes).
Don Juan 1936-09-29 – Orquesta Juan D’Arienzo.
Pour moi, c’est la première version qui donne envie de danser. On y trouve les premières facéties de Biagi au piano, de beaux violons des bandonéons énergiques, le tout avec un tempo tout aussi bien marqué que pour les versions précédentes, mais plus rapide.
Don Juan 1940-11-08 – Charlo solo de acordeón con guitarras.
Une version très originale. Dommage que le son laisse à désirer. Il me faudra trouver un disque en meilleur état. Une guitare vraiment virtuose, non ?
Don Juan 1941-10-03 – Orquesta Di Sarli.Don Juan 1947-10-22 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.Don Juan 1948-06-15 – Juan D’Arienzo. C’est notre tango du jour.
Très proche de l’enregistrement suivant du 1950-12-28.
Don Juan 1948-08-14 – Juan Cambareri y su Gran Cuarteto Típico « Ayer y hoy ».
Toujours le train d’enfer et virtuose de Cambareri. Une curiosité, mais pas trop pour la danse. Il l’enregistrera encore en 1956, dans un rythme comparable…
Don Juan 1950-12-28 – Juan D’Arienzo.Don Juan 1951-12-06 – Orquesta Carlos Di Sarli.Don Juan 1951-05-09 – Roberto Firpo y su Nuevo Cuarteto.
Comme la version de Canaro de 1947, cette version donne le sourire, tout au moins à celui qui l’écoute, pour le danseur, c’est moins sûr.
Don Juan 1955-01-31 – Orquesta Carlos Di Sarli.Don Juan 1961 – Astor Piazzolla y su Quinteto. Comme d’habitude avec Piazzolla, on est dans un autre univers, très loin des danseurs… de tango.
Il y a bien sûr beaucoup d’autres enregistrements de ce thème qui bien qu’un de plus anciens continue de passer les siècles, du dix-neuvième à nos jours, mais après la version de Piazzolla, il me semble sage de réécouter une des versions de danse, par exemple notre tango du jour, une autre version de D’Arienzo ou une de Di Sarli…
Ou peut-être ce tout dernier exemple avec des paroles anonymes, qui n’ont d’ailleurs aucun intérêt, un petit couplet sur le tango ; du remplissage, en somme.
Don Juan 1965-09-07 – Orquesta Alfredo De Angelis con Carlos Aguirre.
Charlo (Carlos José Pérez de la Riestra) Letra: Enrique Cadícamo (Domingo Enrique Cadícamo)
Nous avons déjà parlé de Zorro gris (Renard gris), ici, nous évoquerons el Zorro plateado (Renard argenté). Les biologistes ne verront pas la différence, car ce sont deux dénominations pour le même animal de couleur gris-argenté. Mais ici, les deux content deux histoires totalement différentes et pour ainsi dire, complémentaires.
Extrait musical
Zorro plateado 1943-06-14 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino
Paroles
Zorro plateao te defendés y ya tenés cuarenta y cinco y un quemao. Zorro plateao todavía tallás y trabajás de enamorao… Zorro plateao si hay que correr en el campito del amor de punta a punta… vos ganás. Parecés el negro Acosta por lo bien que te apilás.
Si vas siguiendo un tango rezongón con una piba taura pa’bailar, porque te sobra fibra y corazón, rendida en tus brazos la llevás… Y así bebiendo el último compás del tango que se acaba en el salón.
Zorro plateado, vos mintiento otra ilusión… Zorro plateado, conozco bien la causa porque llegaste a solterón. Zorro plateado, por un querer hoy ha cerrado tu corazón… Pero pa’ vos la vida está brindándote siempre la última ilusión… ¡Zorro plateado! ¡Aunque también por dentro vos llevés tu precesión!
Charlo (Carlos José Pérez de la Riestra) Letra: Enrique Cadícamo (Domingo Enrique Cadícamo)
Traduction libre et indications
Renard argenté, tu te défends et tu as déjà quarante-cinq ans bien sonnés (quemado, brûlé, pour dire que c’est plus que 45…). Renard argenté tu te lances et tu t’actives toujours en amour… Renard argenté, si tu devais courir dans le petit champ de l’amour de bout en bout… tu gagnerais. Tu ressembles au negro Acosta à cause de la façon dont tu te comportes. (Le negro Acosta (ou le singe [El mono] était Máximo Acosta, un jockey fameux qui en 1940 fut le jockey ayant gagné le plus de courses en une année avec 149 victoires. En 1942, il gagna six courses sur six à l’Hipódromo Argentino [Buenos Aires, quartier de Palermo]. Je vous laisse mesurer la comparaison… Héctor Wilde a écrit un tango nommé Máximo Acosta).
Si tu suis un tango plaintif avec une fille de première pour danser, parce que tu as beaucoup de fibres et de cœur, abandonnée dans tes bras, tu la porteras… et ainsi, buvant la dernière mesure du tango qui se termine dans le salon.
Renard argenté, tu feins une autre illusion… Renard argenté, je connais bien la raison pour laquelle tu es devenu célibataire. Renard argenté, pour un amour, aujourd’hui tu as fermé ton cœur… Mais pour toi, la vie est de toujours célébrer la dernière illusion… Renard argenté ! Même si tu portes aussi en toi tes non-dits ! Si dans Zorro gris, la femme était une prostituée ou assimilée, dont la seule richesse et consolation était son manteau en renard gris. Ici, on parle d’un homme, qui se donne les moyens de partir à la conquête des femmes qu’il convoite. Ce personnage pourrait paraître odieux, mais Enrique Cadícamo décrit avec pudeur les causes de son « instabilité ». Ce n’est certes pas une excuse, mais un début d’explication.
Máximo Acosta, le jockey cité dans les paroles.
Autres versions
Contrairement à Zorro gris, ce tango n’a pas suscité beaucoup d’enregistrements. Je vous en propose deux.
Zorro plateado 1943-01-13 — José García y su Orquesta « Los Zorros Grises » con Alfredo Rojas.
Évidemment, quand son orchestre s’appelle les renards gris (Los zorros grises), on ne peut pas passer à côté du titre… Cela dit, il n’a pas enregistré Zorro gris, comme quoi, nul n’est parfait.
Zorro plateado 1943-06-14 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino. C’est notre tango du jour
Et comme vous savez que je suis farceur, je vous propose un dernier renard avec un autre Garcia.
Zorro y el Sargento García – Zorro et le sergent Garcia.
Sueño florido est une jolie valse, principalement connue par un enregistrement de Juan D’Arienzo. Elle a été écrite par Roberto Firpo et enregistrée en premier par Cayetano Puglisi. Il ne faut pas confondre avec le tango du même titre, écrit par Cayetano Puglisi et joué par Roberto Firpo… Je vous amène faire quelques tours avec cette valse.
Extrait musical
1Partition pour piano de Sueño florido tirée du Jornal das Moças (Journal des jeunes femmes) qui était un magazine illustré, hebdomadaire ou bimensuel selon les époques, édité au Brésil. On peut consulter les numéros de 1914 à 1961 en ligne, ce qui est une source précieuse sur les mœurs et points d’intérêt de l’époque, du moins ceux des jeunes femmes brésiliennes de l’époque.Sueño florido 1929-06-13 — Sexteto Cayetano Puglisi.
Comme pour beaucoup de valses de l’époque, une longue introduction (28 secondes) débute le morceau. Comme DJ, on peut la laisser ou débuter après l’introduction, directement dans le feu de l’action. En général, on laisse l’introduction pour le premier thème d’une tanda, cela laisse le temps aux danseurs d’inviter. En revanche, il faut annoncer que ce sont des valses, sinon, les danseurs peuvent se regarder avec des airs inquiets si c’est un air qui ne leur est pas familier, comme celui-ci. Pour revenir à l’écoute de cette valse, on notera la présence somptueuse du violon de Cayetano Puglisi, les bandonéons, la contrebasse et le piano étant utilisé pour le marquer le rythme. Vous remarquerez également la sensation d’accélération finale, qui sera également la marque de fabrique des valses de Juan D’Arienzo. Rappelons que c’est un artifice, pas une réalité. On s’en rendra compte en remarquant que les violons continuent au même rythme. Ce sont, dans le cas présent, les bandonéons qui provoquent l’illusion en jouent trois croches (triolets) sur chaque temps, au lieu de deux croches ou d’une noire. La partition est en mesure 6/8, 6 croches dans une mesure. Puisque j’ai parlé des instruments, je vous propose de citer la composition de l’orchestre : Cayetano Puglisi et Mauricio Mise (violons), Federico Scorticati et Pascual Storti (ou Domingo Triguero) (bandonéons), Armando Federico (piano) et José Puglisi (contrebasse).
Le Sexteto de Cayetano Puglisi au centre (direction et violon), Federico Scorticati (bandonéon), Armando Federico (piano), Domingo Triguero (bandonéon) en échange de Pascual Storti, José Puglisi (contrebasse), Mauricio Miserizky (Mise) (violon).
Les trois frères Puglisi
Comme Pugliese, les Puglisi sont originaires du sud de L’Italie. Leur nom de famille évoque les Pouilles et parfois, certains confondent Puglisi et Pugliese… Non, je ne donnerai pas de nom, mais c’est assez courant 😉 Les trois frères Puglisi sont nés en Italie et sont venus avec leurs parents en Argentine, en 1909.
Cayetano, Emilio et José Puglisi
Le grand frère, Cayetano, est né en 1902 à Messine (Sicile). Il était violoniste, compositeur et chef d’orchestre. Il avait donc environ sept ans à son arrivée en Argentine.
Cayetano était un violoniste très doué, comme vous avez pu l’entendre. Tout jeune, il s’est orienté vers la musique classique sous l’impulsion de son professeur, Osvaldo Pessina, qui avait détecté ses talents. À la suite d’un concert, il s’est vu offert par le journal La Prensa, une bourse pour approfondir ses études musicales en Europe. La chance, pour le tango, est que la Guerre de 1914-1918 l’empêcha de se rendre en Europe. Il monta un trio avec deux autres gamins (12 à 13 ans), Carlos Marcucci (bandonéon) et Pedro Almirón puis Julián ou LuisRobledo (piano). Roberto Firpo le remarqua et le fit entrer comme second violon dans son orchestre. Mais le plus important est que Firpo guida Cayetano vers le tango pour l’aider à être le musicien qu’il fut dans ce domaine. Un coup de pouce de Firpo quand on a à peine 14 ans, c’est une chance.
Deux portraits de Cayetano Puglisi.
Le cadet des trois frères, Emilio, est né en 1905 et était violoniste et compositeur. Il avait environ 4 ans à son arrivée. Il était en 1928, dans le Sexteto de Juan Bautista Guido, notamment pour jouer dans les cinémas. Peu après, il remplaça son frère, probablement jusqu’en 1933 dans l’orchestre de Pedro Maffia, au côté d’Elvino Vardaro. Dans les années 40, il était violoniste dans l’orchestre de Francisco Canaro. Le benjamin, José, né en 1908, était donc bébé lors de son arrivée en Argentine en 1909. Contrairement à ses frères, il a choisi des instruments à cordes plus imposants puisqu’il jouait du violoncelle et de la contrebasse. Hormis une collaboration avec son frère, notamment en 1923 où ils jouaient dans les cinémas, José travaillera dans la musique classique, notamment au théâtre Colón où il fit carrière.
Autres versions
La première version est notre valse du jour.
Sueño florido 1929-06-13 — Sexteto Cayetano Puglisi. C’est notre valse du jour.Sueño florido 1936-01-31 — Orquesta Juan D’Arienzo.
C’est la version la plus connue, régulièrement passée en milonga.
Sueño florido 1939-04-05 — Roberto Firpo y su Cuarteto Típico.
Finalement, Firpo se décide à enregistrer sa composition…
L’autre Sueño florido
Ce titre qui est un tango a été composé par Cayetano Puglisi et Luis Elías Cosenza. Il existe des paroles par Dante A. Linyera (Francisco Bautista Rímoli). Ce n’est pas vraiment un retour à l’envoyeur, car Firpo a enregistré le sueno florido de Cayetano Puglisi avant que ce dernier enregistre le sien… N’oublions pas que Firpo avait pris sous son aile le très jeune Cayetano et cet échange est donc très logique. C’est un témoignage de leur amitié.
Sueño florido (Tristeza de barrio) 1928-08-03 — Orquesta Francisco Canaro con Charlo.
Charlo chante les paroles de Dante A. Linyera.
Sueño florido (Tristeza de barrio) 1928-10-11 – Orquesta Roberto Firpo.
Ne sont-ils pas mignons ces deux-là ? El monito, le petit singe est en fait un texte plein de tendresse et de regrets. Parfois, les hommes commettent des erreurs qu’ils regrettent. Ne les singeons pas et contentons-nous d’apprécier ce que nous avons, ici, cette magnifique musique decarienne interprétée par Pugliese. Cette anecdote nous permettra d’approfondir la liaison entre ces deux grands musiciens, De Caro et Pugliese.
Extrait musical
Partition pour piano El monito de Julio De Caro Letra: Juan Carlos Marambio Catán.El monito 1945-06-12 — Orquesta Osvaldo Pugliese.
El monito, Julio de Caro, Disque Victor 79569 face A, enregistrement du 23 juillet 1925.
Sur le disque du premier enregistrement du titre, on remarque deux choses. Il est indiqué « Tango humoristico ». Ce titre se veut donc drôle. L’autre chose est la mention « orquesta « repertorio nacional » ; cela indique que l’orchestre joue de la musique argentine.
Paroles
“Mi monitoz” me llamó la piba de mi amor, la que mi corazón robó y que, en mi pobre bulín, me amó con berretín sin conocer dolor. El bulín fue nido fiel de mi primer amor, donde gocé su gran pasión de amar. Y fue mi fiel mujer poniendo en mí su fe, su puro corazón.
La piba cantábame así: Si yo quiero vivir juntito a tu amor, tu amor, que curó mi dolor. ¿Por qué me dejás corazón? Sin ti, morirá mi pasión. Así, mi pebeta cantó, mi pebeta cantó su canción. ¡Qué ingrata pasó su fugaz ilusión!
Mi monito no dirá, Monito de mi amor. Mi corazón hoy la buscó en su afán sin poder ya gozar la luz de su mirar, la miel de su pasión. Mi pebeta ya se fue y nunca volverá. Talvez irá rodando al cabaret, buscando en su dolor, alivio al champán, olvido a mi desdén.
Julio De Caro Letra : Juan Carlos Marambio Catán
Traduction libre
« Mon petit singe » m’appelait la fille de mon amour, celle qui a volée mon cœur et qui, dans mon pauvre logis, m’a aimée avec passion sans connaître de douleur. Le logis a été le nid fidèle de mon premier amour, où j’ai apprécié sa grande passion pour aimer. Et elle fut ma femme fidèle qui mettait en moi sa foi, son cœur pur.
La fille m’a chanté ceci : Si je veux vivre avec ton amour, ton amour, qui a guéri ma douleur. Pourquoi me quittes-tu mon cœur ? Sans toi, ma passion mourra. Ainsi ma poupée a chanté, ma poupée a chanté sa chanson. Comme, en ingrate, passa ton illusion fugace !
Mon petit singe elle ne dira plus, petit singe de mon amour. Mon cœur aujourd’hui la cherche dans son empressement sans pouvoir goûter son regard, le miel de sa passion. Ma poupée maintenant est partie et ne reviendra jamais. Peut-être ira-t-elle roder jusqu’au cabaret, cherchant dans sa douleur le soulagement du champagne, l’oubli de mon dédain.
Autres versions
El monito 1925-07-23 — Orquesta Julio De Caro.
Julio de Caro, auteur, ouvre le bal. On notera les parties sifflées.
El monito 1926 — Roberto Díaz con guitarras.
On regrette le son assez primitif qui ne rend pas grâce à la qualité de cette interprétation par un excellent chanteur. C’est la seule version avec les paroles.
El monito 1928-07-19 — Julio De Caro y su Orquesta Típica.
Sur le disque, la mention tango humoristique a disparu. Même s’il reste les sifflements, cette version est plus sérieuse. Elle bénéficie de l’enregistrement électrique qui améliore considérablement la qualité sonore et même si De Caro continue à jouer avec son violon à cornet, le titre est d’une grande qualité musicale. De Caro n’est pas réputé pour la danse, mais là, il me semble qu’ici, on peut en avoir pour ses oreilles et ses pieds.
Le disque de 1929. L’indication de tango humoristique a disparu.
El monito 1939-05-23 — Orquesta Julio De Caro.
Une version énergique. On retrouve les sifflements et apparaît un dialogue « Raahhhh, Monito / Si / Quieres Café? / No / Por qué? ». C’est sans doute un souvenir du tango humoristique. On imagine que les clients devaient s’amuser lorsque l’orchestre évoquait le titre. Peut-être que l’idée vient d’un client imitant le singe et que cette scénette improvisée au départ s’est invitée dans la prestation de l’orchestre. On retrouve dans cette interprétation de De Caro, des caractères, comme les sifflements puissants des violons, que l’on retrouvera chez Pugliese. N’oublions pas que ce dernier était un grand admirateur de De Caro. Avec sa modestie, il se voulait un simple conservateur de la mémoire du maître. On sait qu’il a fait bien plus, comme en témoigne notre tango du jour.
El monito 1945-06-12 — Orquesta Osvaldo Pugliese. C’est notre tango du jour.
La parenté avec de De Caro est sensible, mais Pugliese a son style propre qui influencera sans doute aussi un peu De Caro, dans un jeu d’aller-retour.
El monito 1949-09-29 — Orquesta Julio De Caro.
Une dizaine d’années plus tard, De Caro nous offre une nouvelle version superbe. Les similitudes avec Pugliese sont encore plus marquées, notamment avec le tempo nettement plus lent et proche de celui de Pugliese. On retrouve toutefois le dialogue de la version de 1939, dans une version un plus large. “Ah, ah ah, Monito / Si / Quieres Café? / No / Por qué? / Quiero caramelo” (je veux un bonbon). Avec ces dialogues imitant la « voix » d’un singe, De Caro s’éloigne des paroles de Juan Carlos Marambio Catán en renouant avec le côté tango humoristique. Mais tous les orchestres se sont éloignés des paroles, du moins pour l’enregistrement, car toutes les versions disponibles aujourd’hui sont instrumentales (si on excepte Roberto Díaz). Ce qui est sûr est que cette version convient parfaitement à la danse, ce qui fait mentir ceux qui classe De Caro dans le définitivement indansable.
El monito 1953 — Orquesta Aníbal Troilo arr. de Astor Piazzolla.
Comme on s’en doute, Troilo avec Piazzolla ne vont pas donner dans la gaudriole et pas de risque d’entendre un signe refuser un café dans cette version qui a perdu tout ce qui fait le caractère d’un tango de danse, mais qui a gagné une richesse musicale incroyable, pleine de rebondissements. Cette version nous raconte une histoire, quasi une épopée, de quoi rester à bout de souffle, même en restant tranquillement dans son fauteuil à l’écouter.
Il y a bien sûr d’autres enregistrements postérieurs, mais je préfère vous laisser sur ce point culminant.
Antonio Mario Melfi ? Letra : Eduardo Vicente Bianco
Poema par Canaro et Maida est le type même du tango que l’on ne peut pas facilement proposer dans une autre version. Amis DJ, si vous tentez l’expérience, on vous fait les gros yeux. Pourtant, il existe d’autres versions qui ne déméritent pas. Analysons un peu ce tango, qui est, selon un sondage réalisé il y a une dizaine d’années, le préféré dans le monde. Nous présenterons également une enquête pour savoir qui est le compositeur de ce chef-d’œuvre.
Tout d’abord, on ne se refuse pas d’écouter encore une fois Poema par Canaro. Peut-être plus attentivement 😉
Partition pour piano Poema de Antonio Mario Melfi Letra : Eduardo Vicente Bianco.Poema 1935-06-11 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida.
Paroles
Fue un ensueño de dulce amor, horas de dicha y de querer. Fue el poema de ayer, que yo soñé de dorado color. Vanas quimeras que el corazón no logrará descifrar jamás. ¡Nido tan fugaz, fue un sueño de amor, de adoración!…
Cuando las flores de tu rosal vuelvan más bellas a florecer, recordarás mi querer y has de saber todo mi intenso mal…
De aquel poema embriagador ya nada queda entre los dos. ¡Con mi triste adiós sentirás la emoción de mi dolor !…
Antonio Mario Melfi Letra : Eduardo Vicente Bianco
Traduction libre
Ce fut un rêve de doux amour, des heures de joie et d’amour. Ce fut le poème d’hier, dont je rêvais en couleur dorée. Vaines chimères que le cœur ne pourra jamais déchiffrer. Nid si fugace, ce fut un rêve d’amour, d’adoration…
Lorsque les fleurs de ton rosier refleuriront plus belles, tu te souviendras de mon amour et tu devras connaître tout de mon mal intense…
De ce poème enivrant, il ne reste rien entre les deux. Avec mon triste adieu, vous ressentirez l’émotion de ma douleur…
Qui est le compositeur de Poema ?
Vous pensez que la réponse est simple, mais ce n’est pas si certain, car il y a trois hypothèses.
La version traditionnelle
Antonio Mario Melfi pour la musique et Eduardo Vicente Bianco pour les paroles.
Partitions avec attributions traditionnelles. Partition espagnole avec Bianco en photo. Partition française (Garzon) avec Bianco et Melfi en photo. Disque Columbia Londres écrit en français de Pesenti et Nena Sainz. Partition Bianco (avec photo de Rosita Montenegro). Partition italienne, avec en plus le nom du traducteur U. Bertini.
Les partitions, en général, indiquent les deux noms et les mérites respectifs des auteurs. Remarquez le disque central. Il sera aussi, dans une autre édition, dans l’argument pour la variante…
Une variante :
Antonio Mario Melfi et Eduardo Vicente Bianco en collaboration pour les deux.
En faveur de cet argument, Melfi est compositeur et a écrit les paroles de certains tangos, notamment les siens. On peut donc le classer également comme parolier. Il a composé Volve muchacha qui a clairement des liens de parenté avec Poema. Bianco est connu comme parolier et comme musicien. Certains de ces titres peuvent concorder avec celui de Poema, stylistiquement, bien que moins réussis. Par exemple Corazón (dont il existe quatre enregistrements par Bianco de 1929 à 1942). Je ne parle que de la composition, pas de l’interprétation, Canaro n’ayant pas enregistré d’autre tango composé par Bianco, on doit comparer avec les enregistrements de Bianco. En faveur de cet argument, on a les disques qui ne différencient pas les deux contributions. En voici quelques exemples.
La majorité des disques ne distinguent pas les fonctions. À gauche, deux disques Brunswick du même enregistrement de Bianco (1937). Le premier indique les deux noms, sans différentiation et le second n’indique que Bianco… Au centre, notre Canaro de référence dans une édition argentine. Ensuite, Imperio Argentino et la mention des deux sans distinction de fonction et enfin à l’extrême droite, l’enregistrement de Pesenti et Nena Sainz, mais ici, sans le nom de la chanteuse et avec les auteurs sans attribution.
On voit donc qu’il est assez courant, que les auteurs ne soient pas précisément crédités. Le détail amusant est le disque de Pesenti et Nena Sainz qui entre dans les deux catégories.
Une version iconoclaste
Dans l’excellent site de référence « Bible tango », on peut lire : « Selon Marcel Pasquier, qui ne cite pas sa source et ne s’en souvient plus, Melfi aurait acheté la musique à Boris Sarbek, le véritable compositeur, pour 50 francs français de l’époque. Et cette mélodie serait un thème traditionnel biélorusse. » 50 francs de l’époque, selon le calculateur de l’INSEE (Institut National de Statistiques France), cela correspondrait à 33,16 euros. Pour référence, un kilo de pain coûtait 2,15 francs en 1930. En gros, il aurait vendu sa création pour la valeur de 15 kilos de pain. Cela peut sembler peu, mais souvenez-vous que pour le prix d’un café, Mario Fernando Rada aurait écrit les paroles de Araca la cana si on en croit l’anecdote présentée dans le film Los tres berretines. L’affirmation mérite d’être vérifiée. Boris Sarbek étant probablement un homme d’honneur, n’a probablement pas divulgué la vente de sa création qui d’ailleurs n’aurait été qu’une retranscription d’un thème traditionnel. Il convient donc de s’intéresser à ce compositeur pour essayer d’en savoir plus. Boris Sarbek (1897-1966) s’appelait en réalité Boris Saarbekoff et utilisait souvent le pseudonyme Oswaldo Bercas. Voyons un peu ses prestations dans le domaine de la musique pour voir s’il est un candidat crédible.
Des musiques composées par Sarbek
Par ordre alphabétique. En bleu, les éléments allant dans le sens de l’hypothèse de Sarbek, auteur de Poema. Compositions : Ce soir mon cœur est lourd 1947 Concerto de minuit, classé comme musique légère Czardas Divertimento 1959 Déception (avec Mario Melfi). C’est donc une preuve que les deux se connaissaient suffisamment pour travailler ensemble. El Fanfarrón 1963 El queño Furtiva lagrima 1962 Gaucho negro Intermezzo de tango 1952 Je n’ai plus personne Le tango que l’on danse Linda brunita Manuska Mon cœur attendra 1948 Oro de la sierra Où es-tu mon Espagne ? Pourquoi je t’aime 1943 Près de toi ma Youka 1948 Rêvons ensemble 1947 Souffrir pour toi 1947 Tango d’amour Tango maudit Tendrement 1948
Des musiques arrangées par Sarbek
Bacanal 1961 C’est la samba d’amour 1950 Dis-moi je t’aime Elia 1942 En forêt 1942 Gipsy fire 1958 Je suis près de vous 1943 Les yeux noirs (chanson traditionnelle russe). Si Poema est une musique biélorusse, cela témoigne de son intérêt pour ce répertoire. Meditación 1963 Nuages One kiss Pampa linda 1956 Puentecito 1959 Rose avril 1947 Tango marcato 1963 Un roi à New York 1957 Il a réalisé les arrangements musicaux du film Un roi à New York de, et avec Charles Chaplin (Charlot). Chaplin a tout fait dans ce film, l’acteur, le metteur en scène et il a écrit la musique qu’a arrangée Sarbek. Ce dernier a aussi dirigé son grand orchestre pour la musique du film. Valse minuit Vivre avec toi 1950
Sarbek pianiste
Il est intervenu à la fois dans son orchestre, mais aussi pour différents groupes comme Tony Murena, Gus Viseur (l’accordéoniste), mais, car il était le pianiste de l’orchestre musette Victor.
Melfi récupérateur ?
Je place cela ici, car ce serait un argument si Mefli était coutumier de la récupération. Reviens mon amour a été arrangé par Mario Melfi sur l’air de « Tristesse » de Frédéric Chopin. Il a donc au moins une autre fois utilisé une mélodie dont il n’était pas à l’origine, mais il n’est pas le seul, les exemples fourmillent dans le domaine du tango. Donc, Melfi n’est pas un récupérateur habituel.
Sarbek interprète de Poema
S’il est l’auteur, il est probable qu’il ait enregistré ce titre. C’est effectivement le cas. Un enregistrement de Poema signé Boris Sarbek, ou plus exactement de son pseudonyme Oswaldo Bercas, circule avec la date de 1930. Si c’était vrai, ce serait probablement une preuve, Sarbek aurait enregistré deux ans avant les autres. Je vous propose de l’écouter.
Poema – Oswaldo Bercas et son Ensemble Tipique (sic).
Pensez-vous que cela soit une musique des années 1930 ? Pour en avoir le cœur net, je vous propose l’autre face du disque qui comporte une composition de Horacio G. Pettorossi, Angustia.
Angustia — Oswaldo Bercas et son Ensemble Tipique (sic).
Voici les photos des deux faces du disque.
Les numéros de matrice sont 2825-1 ACP pour Poema et 2829-1 ACP pour Ausencia.
Comme vous avez pu l’entendre et comme le confirment les numéros de matrice, les deux œuvres sont similaires et ne peuvent pas avoir un écart temporel de plus de vingt ans. C’est au moins un argument qui tombe, nous n’avons pas d’enregistrement de 1930 de Sarbek et encore moins de Poema.
Un argument musical
N’était pas spécialiste de musique biélorusse, je ne pourrai pas mener une étude approfondie de la question. Cependant, vous avez certainement noté, vers 1:18 du Poema de Sarbek, un thème qui n’est pas dans le Poema habituel et qui sonne assez musique slave. Est-ce un extrait du thème de référence que n’aurait pas conservé Melfi ? Dans les autres portions de Poema, on est tellement habitué à l’entendre qu’il n’est pas sûr qu’on puisse encore y trouver des origines slaves. Cependant le fait que ce titre sonne un peu différemment des autres Canaro contemporains pourrait indiquer un élément hétérogène. En effet, il n’y a pas de Canaro avec Maida qui s’assemble parfaitement avec Poema. Canaro a sans doute sauté sur le succès international de cette œuvre pour l’enregistrer. Au sujet d’international, il y a une version polonaise que nous entendrons ci-dessous. Les Polonais aurait pu être sensibles à la musique, mais ce n’est pas sûr, car à l’époque ils étaient sous la domination russe et ils n’en étaient pas particulièrement heureux… J’ai un dernier témoin à faire venir à la barre, la première version enregistrée par Bianco, en 1932. Écoutez-bien, vers 1:34, vous reconnaîtrez sans doute un instrument étrange. Cet enregistrement est le premier de la rubrique « Autres versions » ci-dessous.
Autres versions
La tâche du DJ est vraiment difficile. Comment proposer des alternatives à ce que la plupart des danseurs considèrent comme un chef-d’œuvre absolu. Si vous êtes un fan de la Joconde, en accepteriez-vous une copie, même si elle est du même Leonardo Da Vinci ? À voir.
Poema 1932 – Orquesta Eduardo Bianco con Manuel Bianco.
Cette version commence par des cymbales, puis des violons très cinématographiques, puis un bandonéon qui gazouille. L’introduction dure au total plus d’une minute et le piano annonce comme si on ouvrait le rideau de la scène le morceau. Une fois « digérée » cette étonnante et longue introduction, on entre dans un Poema relativement classique. Avez-vous identifié l’instrument qui apparaît à 1:23, 1:31, 1:40, 1: 44 et à d’autres reprises comme 2: 44 avant le chant et en accompagnement de celui-ci ?
Vladimir Garodkin joue le canon en ré majeur de Johann Pachelbel. Tien à voir avec le tango, mais c’est pour vous faire entendre le tsimbaly…
Le tsimbaly, pas courant dans le tango, pourrait être un argument pour l’hypothèse de l’origine biélorusse.
Poema 1933 – Imperio Argentina acomp. de guitarras, piano y violin.
Le violon domine l’introduction, puis laisse la place à la voix accompagnée par la guitare et quelques ponctuations du piano. Le violon reprend la parole et de très belle manière pour la reprise du thème et Imperio Argentina reprend la voix jusqu’à la fin. Je suis sûr que vous allez trouver cette version magnifique, jusqu’à l’arpège final au violon.
Poema 1933 – Orquesta Típica Auguste Jean Pesenti du Coliséum de Paris con Nena Sainz.
Une version plus marchante, moins charmante. Auguste Jean Pesenti a déjà adopté des codes qui deviendront les caractéristiques du tango musette. Je suis moins convaincu que par l’autre version féminine d’Imperio Argentino. À noter la partie récitée, qui était assez fréquente à l’époque, mais que nous acceptons moins maintenant.
Poema 1933-12 – Orchestre Argentin Eduardo Bianco con Manuel Bianco.
Une autre version de Bianco avec son frère, Manuel. Elle est beaucoup plus proche de la version de Canaro, en dehors de l’introduction des violons qui jouent un peu en pizzicati à la tzigane. La contrebasse marque fortement le tempo, tout en restant musicale et en jouant certaines phrases. C’est très différent de la version de Canaro et Maida, mais pas vilain, même si la contrebasse sera plus appréciée par les danseurs de tango musette, qu’argentin.
Comme une chanson d’amour (Σαν τραγουδάκι ερωτικό) 1933 — Orchestre Parlophon, dirigé par G. Vitalis, chant Petros Epitropakis (Πέτρος Επιτροπάκης).
Une version grecque, preuve que le titre s’est rapidement répandu. Il y aura même une version arabe chantée par Fayrouz et l’orchestre de Bianco enregistré en 1951. Malheureusement, ce titre n’existe pas dans les quelques disques que j’ai de cette merveilleuse chanteuse libanaise.
Poema 1934 – Stefan Witas.
Une version polonaise qui fait tirer du côté des origines des pays de l’Est, même si comme je l’ai souligné, les Polonais n’étaient pas forcément russophiles à l’époque.
Poema 1935-06-11 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida. C’est notre tango du jour.
On notera que Canaro entre directement dans le thème, sans introduction.
Poema 1937 – René Pesenti et son Orchestre de Tango con Alberto.
Un autre Pesenti. Est-ce le frère d’Auguste Jean Pesenti ?
Deux autres preuves du succès mondial de Poema que je peux vous proposer grâce à la gentillesse d’André Vagnon de la Bible Tango qui me les a fait parvenir.
Poema 1938 – Orchestre Arpad Tchegledy con Pauls Sakss, en Letton. Cadeau d’André Vagnon.
(Ajouté le 29 août 2024)
Poema 1951 (Men Hona Hobbona marra) – Orquesta Eduardo Bianco con Fairuz (en arabe). Cadeau d’André Vagnon.
(Ajouté le 29 août 2024)
Poema 1954c – Oswaldo Bercas (Boris Sarbek) et son Ensemble Tipique (sic).
Oswaldo Bercas est peut-être l’auteur, ou tout au moins le collecteur de la musique traditionnelle à l’origine de Poema. Si cette hypothèse est juste, il est donc intéressant de voir ce qu’il en a fait. Nous l’avons déjà écouté, lorsque certains essayaient de faire passer cet enregistrement pour une réalisation de 1930. À comparer à la version de Melfi enregistrée quelques mois plus tard.
Poema 1957 – Mario Melfi.
Qu’il soit l’auteur, pas l’auteur ou coauteur, ici, Melfi présente sa lecture de l’œuvre. C’est une version très originale, mais il faut tenir compte qu’elle est de 1957, il est donc impossible de la comparer aux versions des années 30. Cependant, la comparaison avec la version à peine antérieure de Sarbek est pertinente…
Poema (Tango insólito impro 22 Un poema romántico by Solo Tango Orchestra).
Avec cet orchestre russe, on est peut-être dans un retour dans cet univers dont est originaire, ou pas, la musique. Pour terminer, une autre version actuelle, par la Romantica Milonguera qui a essayé de renouveler, un peu, le thème.
Poema par l’orchestre Romantica Milonguera. Chanteuse, Marisol Martinez.
La Romantica Milonguera commence directement sur le thème, sans l’introduction, comme Canaro.
Pintín Castellanos (Horacio Antonio Castellanos Alves)
Pintín Castellanos fut un grand pourvoyeur de succès pour Juan D’Arienzo. La endiablada est un des témoignages de cette association. Cette milonga est instrumentale et il n’y a pas de paroles. Vous pouvez donc imaginer tout ce que vous voulez pour cette endiablada qui va vous entraîner sur la piste de danse à un rythme endiablé.
Extrait musical
La endiablada 1955-06-10 — Orquesta Juan D’Arienzo.
Même si elle alterne des moments de traspie et des moments de lisa, cette milonga peut s’avérer un peu fatigante à danser. Elle est probablement à réserver aux danseurs joueurs. C’est une des treize milongas écrites par Pintín Castellanos et jouées par D’Arienzo. De quoi faire au moins deux tandas de milonga…
Pas d’autre version, mais une belle collaboration entre Pintín y Juan
Comme D’Arienzo est le seul à avoir enregistré cette milonga, je vous propose un petit listing des œuvres de Pintín Castellanos interprétées par D’Arienzo. Ce n’est pas bien compliqué à faire, d’ailleurs un disque 33 tours a été publié et regroupe ces titres.
Le disque « La puñalada, Homenaje a Pintín Castellano ». Ici, c’est la version équatorienne (Vik – 353007) mais il en existe une autre identique, mais éditée en Argentine (RCA Camden – CAL-3276).
A1 Don Horacio 1947-12-17 (tango)
A2 Peringundín 1953-09-18 — Alberto Echagüe
A3 El Potro 1949-12-19 (milonga)
A4 Barrio De Guapos 1958-06-12 (tango) — Jorge Valdez. Ce tango est aussi connu sons son autre titre, Nyanzas y malevos.
A5 Chaparron 1946-08-26 (milonga) — Alberto Echagüe.
A6 A Puño Limpio 1950-12-27 (milonga) — Alberto Echagüe
B2 Candombe Oriental 1941-04-28 (milonga) — Alberto Reynal
B3 El Temblor 1938-06-08 (milonga) — Alberto Echagüe
B4 La Endiablada 1955-06-10 (milonga). C’est notre milonga du jour.
B5 Me Gusta Bailar 1944-12-26 (milonga) — Alberto Echagüe. Le disque indique 1946 et coupe le titre qui est Me gusta bailar milonga.
B6 Meta Fierro 1939-03-03 (milonga) — Alberto Echagüe
Sur le disque, il manque trois titres, oubliés (volontairement, ou involontairement… :
Cajita de música 1940-06-07 (milonga) – Alberto Reynal
Candombe rioplatense 1943-12-27 (milonga) — Juan Carlos Lamas
Tirando a matar 1942-08-12 (milonga) — Héctor Mauré
On se rend compte que sur 15 titres, 13 sont des milongas…
Voici comment Chicho et Juana l’ont dansée
Pour terminer avec un peu de mouvement, voici une interprétation de La endiablada par Mariano Chicho Frumboli et Juana Sepulveda. Vous allez voir que ce n’est pas si compliqué de danser la milonga 😉
Mariano Chicho Frumboli et Juana Sepulveda dansent La endiablada (2015-10-31). International Tango Festival PLANETANGO de Moscou (Russie).
Augusto Pedro Berto Letra: Juan Andrés Caruso (V1) — Jesús Fernández Blanco (V2)
La payanca par D’Arienzo dans la version de 1936 est un des très gros succès des milongas. Peut-être vous-êtes-vous demandé d’où venait le nom de ce tango ? Si ce n’est pas le cas, laissez-moi vous l’indiquer t vous faire découvrir une vingtaine de versions et vous présenter quelques détails sur ce titre.
Extrait musical
Partition pour piano de la Payanca. Couverture originale à gauche et Partition de piano à droite avec les paroles de Jesús Fernández Blanco (les plus récentes).La payanca 1936-06-09 — Orquesta Juan D’Arienzo.
C’est un des premiers enregistrements où Biagi se lâche. Le contrebassiste, Rodolfo Duclós marque un rythme à la « Yumba » qui deviendra une caractéristique de Pugliese. Les violons de Alfredo Mazzeo, León Zibaico, Domingo Mancuso et Francisco Mancini font des merveilles. Une version énergique, euphorisante, sans doute la toute première à utiliser pour faire plaisir aux danseurs. On remarque qu’il est indiqué « Sobre motivos populares ». En effet, on reconnaîtra des thèmes traditionnels, notamment de gato (une sorte de chacarera), mais modifié en tango. On remarquera également qu’il est indiqué « Tango Milonga », ce qui signifie que c’est un tango pour danser. Cependant, nous verrons que ce thème a également été basculé franchement du côté de la milonga pure et dure dans d’autres enregistrements.
Trois versions de couverture de la partition. À gauche, la plus ancienne, sans auteur de paroles. Au centre, avec les paroles de Caruso et à droite, avec les paroles de Blanco.
Origine du titre
Dans son livre, Así nacieron los tangos, Francisco García Jiménez, raconte que le tango est né lors d’une fête à la campagne en l’honneur d’une personnalité locale qui venait d’être élue triomphalement, des musiciens avaient joué des airs de l’intérieur, dont un gato (sorte de chararera) duquel il restait : « Laraira laralaila; laira laraira… ». Il est impossible de retrouver le gato à partir de cette simple indication, car laraira… c’est comme tralala. C’est ce que chantent les payadors quand ils cherchent leurs mots (ils chantaient en inventant les paroles à la volée). Certains textes de ces musiques ont été fixés et écrits par la suite et nombre d’entre eux comportent Laraira laralaila; laira laraira ou équivalent :
La,lara,laira,laira,la dans Pago viejo (chacarera, mais le rythme est proche du gato),
Lara lara laira larai ñarai lá dans Corazón alegre (bailecito)
Trala lará larala lará larala lará lará dans El pala pala (danse, danza)
Lará, larará, laraira, Lará, larará, laraira, dans Cabeza colorada
La ra lara la ra la la ra la ra la ra la dans La Sanlorencina (Cuenca)
La lalara la la la la la la La la lara la la la la la la La la lara la la lara la la dans Dios a la una (chanson).
Tra lara lara lara tra lara lero dans Que se vengan los chicos (Bailecito)
La lara la la la la La lara la la la la dans La chararera del adios (chacarera)
La lara lara larará… lara lara larará… lara lara larará… dans Cantar de coya (Carnavalito)
Lara lara lara lara dans Muchacha de mayo (Chanson).
Je n’ai pas trouvé de gato avec l’indication, mais il est fort probable que Berto ait entendu une improvisation, le lara lara étant une façon de meubler quand les paroles ne viennent pas. Donc Berto a entendu ce gato ou gato polqueado et il eut l’idée de l’adapter en tango. Lui à la guitare et Durand à la flûte l’ont adapté et joué. Ce titre a tout de suite été un succès et comme souvent à l’époque, il est resté sans être édité pendant onze années. Comme la plupart des orchestres jouaient le titre, il était très connu et les danseurs et divers paroliers lui ont donné des paroles, plus ou moins recommandables. N’oublions pas où évoluait le tango à cette époque. Deux de ces paroles nous sont parvenues, celles de Caruso et celles de Blanco. Les secondes sont plus osées et correspondent assez bien à cet univers. Il reste à préciser pourquoi il s’appelle payanca. Selon Jiménez, Berto aurait dit tout de go que ce tango s’appelait ainsi quand il fut sommé de donner un titre. Il semblerait que Berto ait donné sa propre version de l’histoire, en affirmant que le titre serait venu en voyant des gamins jouer avec un lasso à attraper des poules. Un adulte leur aurait crié « ¡Pialala de payanca!« , c’est-à-dire tire la avec un mouvement de payanca. Il indiquait ainsi la meilleure façon d’attraper la poule avec le lasso. L’idée du lasso me semble assez bonne dans la mesure où les trois partitions qui nous sont parvenues illustrent ce thème. Voici une vidéo qui montre la technique de la Payanca qui est une forme particulière de lancer du lasso pour attraper un animal qui court en le faisant choir.
Dans cette vidéo, on voit un pial (lancement du lasso) pour attraper un bovidé à l’aide de la technique « Payanca ». Elle consiste à lancer le lasso (sans le faire tourner) de façon à entraver les antérieurs de l’animal pour le déséquilibrer et le faire tomber. Âmes sensibles s’abstenir, mais c’est la vie du gaucho. Ici, un joli coup par le gaucho Milton Mariano Pino.
Pour être moins incomplet, je pourrai préciser que la payanca ou payana ou payanga ou payaya est un jeu qui se joue avec cinq pierres et qui est très proches au jeu des osselets. L’idée de ramasser les pierres en quechua se dit pallay, ce qui signifie collectionner, ramasser du sol. Que ce soit attraper au lasso ou ramasser, le titre joue sur l’analogie et dans les deux cas, le principe est de capturer la belle, comme en témoignent les paroles.
Paroles de Juan Andrés Caruso
¡Ay!, una payanca io quiero arrojar para enlazar tu corazón ¡Qué va cha che! ¡Qué va cha che ! Esa payanca será certera y ha de aprisonar todo tu amor ¡Qué va cha che ! ¡Qué va cha che ! Por que yo quiero tener todo entero tu querer.
Mira que mi cariño es un tesoro. Mira que mi cariño es un tesoro. Y que pior que un niño po’ ella « yoro »… Y que pior que un niño po’ ella « yoro »…
Payanca de mi vida, ay, io te imploro. Payanca de mi vida, ay, io te imploro, que enlaces para siempre a la que adoro… que enlaces para siempre a la que adoro… Augusto Pedro Berto Letra: Juan Andrés Caruso
Traduction libre des paroles de Juan Andrés Caruso
Yeh ! une payanca (payanca attraper au lasso). Moi, (Io pour yo = je), je veux lancer pour enlacer (enlacer du lasso…) ton cœur. Que vas-tu faire ! (¿Qué va cha ché ? ou Qué vachaché Est aussi un tango écrit par Enrique Santos Discépolo) Que vas-tu faire ! Cette payanca sera parfaite et emprisonnera tout ton amour. Que vas-tu faire ? Que vas-tu faire ? Parce que je veux avoir tout ton amour.
Regarde, mon affection est un trésor. Regarde, mon affection est un trésor. Et quoi de pire qu’un enfant qui pleure pour elle… Et quoi de pire qu’un enfant qui pleure pour elle…
Payanca de ma vie, oui, je t’en supplie (il parle à son coup de lasso pour attraper le cœur de sa belle). Payanca de ma vie, oui, je t’en supplie, que tu enlaces pour toujours celle que j’adore… que tu enlaces pour toujours celle que j’adore… La métaphore rurale et gauchesque est poussée à son extrémité. Il compare la capture du cœur de sa belle à une passe de lasso. Dans le genre galant, c’est moyen, mais cela rappelle que la vie du gaucho est une source d’inspiration pour le tango et en cela, je ne partage pas l’avis de Jorges Luis Borges pour quoi le tango est uniquement urbain et violent.
Paroles de Jesús Fernández Blanco
Con mi payanca de amor, siempre mimao por la mujer, pude enlazar su corazón… ¡Su corazón ! Mil bocas como una flor de juventud, supe besar, hasta saciar mi sed de amor… ¡Mi sed de amor !
Ninguna pudo escuchar los trinos de mi canción, sin ofrecerse a brindar sus besos por mi pasión… ¡Ay, quién pudiera volver a ser mocito y cantar, y en brazos de la mujer la vida feliz pasar !
Payanca, payanquita de mis amores, mi vida la llenaste de resplandores… ¡Payanca, payanquita ya te he perdido y sólo tu recuerdo fiel me ha seguido!
Con mi payanca logré a la mujer que me gustó, y del rival siempre triunfé. ¡Siempre triunfé! El fuego del corazón en mi cantar supe poner, por eso fui rey del amor… ¡Rey del amor!
Jesús Fernández Blanco
Traduction, libre des paroles de Jesús Fernández Blanco
Avec ma payanca d’amour (je ne sais pas quoi en penser, admettons que c’est son coup de lasso, mais il peut s’agir d’un autre attribut du galant), toujours choyée par les femmes, j’ai pu enlacer ton cœur… Ton cœur ! Mille bouches comme une fleur de jouvence, j’ai su embrasser, jusqu’à étancher ma soif d’amour… Ma soif d’amour !
Aucune ne pouvait entendre les trilles de ma chanson, sans offrir ses baisers à ma passion… Yeh, qui pourrait redevenir un petit garçon et chanter, et passer dans les bras de la femme, la vie heureuse !
Payanca, payanquita de mes amours (Payanca, petite payanca, on ne sait toujours pas ce que c’est…), tu as rempli ma vie de brillances… Payanca, payanquita Je t’ai déjà perdue et seul ton souvenir fidèle m’a suivi !
Avec ma payanca, j’ai eu la femme que j’aimais, et du rival, j’ai toujours triomphé. J’ai toujours triomphé ! J’ai su mettre le feu du cœur dans ma chanson (la payanca pourrait être sa chanson, sa façon de chanter), c’est pourquoi j’étais le roi de l’amour… Le roi de l’amour !
Autres versions
La payanca 1917-05-15 — Orq. Eduardo Arolas con Pancho Cuevas (Francisco Nicolás Bianco).
Probablement la plus ancienne version enregistrée qui nous soit parvenue. Il y a un petit doute avec la version de Celestino Ferrer, mais cela ne change pas grand-chose. Pancho Cueva à la guitare et au chant et le tigre du Bandonéon (Eduardo Arolas) avec son instrument favori. On notera que si le tango fut composé vers 1906, sans paroles, il en avait en 1917, celles de Juan Andrés Caruso.
La payanca 1918-03-25 (ou 1917-03-12) — Orquesta Típica Ferrer (Orquesta Típica Argentina Celestino).
Le plus ancien enregistrement ou le second, car il y a en fait deux dates, 1917-03-12 et 1918-03-25. Je pense cependant que cette seconde date correspond à l’édition réalisée à New York ou Camdem, New Jersey. On remarquera que l’orchestre comporte une guitare, celle de Celestino Ferrer qui est aussi le chef d’orchestre, une flûte, jouée par E. Santeramo et un accordéon par Carlos Güerino Filipotto. Deux violons complètent l’orchestre, Gary Busto et L. San Martín. Le piano est tenu par une femme, Carla Ferrara. C’est une version purement instrumentale. Après avoir été un des pionniers du tango en France, Celestino Ferrer s’est rendu aux USA où il a enregistré de nombreux titres, dont celui-ci.
La payanca 1926-12-13 — Orquesta Típica Victor, direction Adolfo Carabelli.
Une version un peu plus moderne qui bénéficie de l’enregistrement électrique. Mais on peut mieux faire, comme on va le voir bientôt.
La payanca 1936-06-09 — Orquesta Juan D’Arienzo. C’est notre tango du jour.
J’ai déjà dit tout le bien que je pensais de cette version, à mon avis, insurpassée, y compris par D’Arienzo lui-même…
Trío de Guitarras (Iriarte-Pagés-Pesoa).
Le trio de guitares de Iriarte, Pagés et Pesoa ne joue pas dans la même catégorie que D’Arienzo. C’est joli, pas pour la danse, un petit moment de suspension.
La payanca 1946-10-21 — Roberto Firpo y su Nuevo Cuarteto.
Pour revenir au tango de danse, après la version de D’Arienzo, cette version paraît fragile, notamment, car c’est un quartetto et que donc il ne fait pas le poids face à la machine de D’Arienzo. On notera tout de même une très belle partie de bandonéon. La transition avec le trio de guitares a permis de limiter le choc entre les versions.
La payanca 1949-04-06 — Orquesta Juan D’Arienzo.
On retrouve la grosse machine D’Arienzo, mais cette version est plus anecdotique. Cela peut passer en milonga, mais si je dois choisir entre la version de 1936 et 1949, je n’hésite pas une seconde.
La payanca 1952-10-01 — Enrique Mora y su Cuarteto Típico.
Encore un quartetto qui passe après D’Arienzo. Si cette version n’est pas pour la danse, elle n’est pas désagréable à écouter, sans toutefois provoquer d’enthousiasme délirant… Le final est assez sympa.
La payanca 1954-11-10 — Orquesta Juan D’Arienzo.
Eh oui, encore D’Arienzo qui décidément a apprécié ce titre. Ce n’est assurément pas un grand D’Arienzo. Je ne sais pas si c’est meilleur que la version de 49. Par certains côtés, oui, mais par d’autres, non. Dans le doute, je m’abstiendrai de proposer l’une comme l’autre.
La payanca 1957-04-12 — Orquesta Héctor Varela.
On est dans tout autre chose. Mais cela change sans être un titre de danse à ne pas oublier. On perd la dimension énergique du gaucho qui conquiert sa belle avec son lasso pour plonger dans un romantisme plus appuyé. Cependant, cette version n’est pas niaise, le bandonéon dans la dernière variation vaut à lui seul que l’on s’intéresse à ce titre.
La payanca 1958 — Los Muchachos de antes.
Avec la guitare et la flûte, cette petite composition peut donner une idée de ce qu’aurait pu être les versions du début du vingtième siècle, si elles n’avaient pas été bridées par les capacités de l’enregistrement. On notera que cette version est la plus proche d’un rythme de milonga et qu’elle pourrait remplir son office dans une milonga avec des danseurs intimidés par ce rythme.
La payanca 1959 — Miguel Villasboas y su Quinteto Típico.
Les Uruguayens sont restés très fanatiques du tango milonga. En voici une jolie preuve avec Miguel Villasboas.
La payanca 1959-03-23 — Donato Racciatti y sus Tangueros del 900.
Oui, ce tango inspire les Uruguayens. Racciatti en donne également sa version la même année.
La payanga 1964 — Orquesta Osvaldo Pugliese.
Pas évident de reconnaître notre thème du jour dans la version de Pugliese. C’est une version perdue pour les danseurs, mais qu’il convient d’apprécier sur un bon système sonore.
La payanca 1964-07-29 — Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.
De la même année que l’enregistrement de Pugliese, on mesure la divergence d’évolution entre Pugliese et Canaro. Cependant, pour les danseurs, la version du Quinteto pirincho, dirigé pour une des toutes dernières fois par Canaro sera la préférée des deux…
La payanca 1966-07-25 — Orquesta Juan D’Arienzo.
D’Arienzo se situe entre Pugliese et Canaro pour cet enregistrement quasiment contemporain, mais bien sûr bien plus proche de Canaro. Ce n’est pas vraiment un titre de danse, mais il y a des éléments intéressants. Définitivement, je l’avoue, je reste avec la version de 1936.
La payanga 1984 — Orquesta Alberto Nery con Quique Ojeda y Víctor Renda.
Alberto Nery fut pianiste d’Edith Piaf en 1953. Ici, il nous propose une des rares versions chantées, avec les paroles de Jesús Fernández Blanco. Vous aurez donc les deux versions à écouter. Honnêtement, ce n’est pas beaucoup plus intéressant que l’enregistrement de Eduardo Arolas et Pancho Cuevas antérieur de près de 70 ans. On notera toutefois le duo final qui relève un peu l’ensemble.
La payanca 2005 — Cuarteto Guardia Vieja.
Pour terminer en fermant la boucle avec une version à la saveur début du vingtième siècle, je vous propose une version par le Cuarteto Guardia Vieja.
Hier, nous étions dans les éclats de cristal, aujourd’hui, dans l’illusion bleue. Les deux thèmes sont proches. En valse, les choses passent mieux, mais les paroles que propose Arquímedes Arcidiacono (Arci) sur sa propre musique méritent qu’on s’y attarde. On notera le très gros succès de ce titre, même en dehors de la petite sphère du tango.
De Arquímedes Arcidiacono (Arci) se connaissent deux compositions dont il est à la fois compositeur et parolier, Ilusión azul et Consejo de oro qui comme notre valse du jour a été inauguré par Agustín Magaldi. Consejo de oro fut enregistrée par la suite par Pugliese et Ilusión azul a fait carrière avec De Angelis, mais de très nombreuses versions bien au-delà de la petite sphère du tango témoignent de l’engouement pour ce titre particulièrement réussi. Ces deux seules œuvres connues dont il assure les deux rôles, de compositeur et d’auteur, témoignent de son grand talent. Ses paroles sont à la hauteur de sa musique. De Arquímedes, on sait très peu pour ne pas dire rien. On connaît juste la date de sa mort, le 5 avril 1938, et c’est tout.
Extrait musical
Ilusión azul 1945-06-08 — Orquesta Alfredo De Angelis con Carlos Dante.
C’est le premier des deux enregistrements de De Angelis. Une valse rapide, avec des reprises d’énergie. Une valse irrésistible.
Partition pour piano de Ilusión azul de Arquímedes Arci.
On remarque que sur la partition, il est indiqué vals criollo. Ce n’est pas tout à fait un synonyme de valse et cette indication a de l’importance. Tout d’abord, pour le musicien, qui sait que cela signifie un type d’accompagnement particulier. Pour les guitaristes, cela s’effectue par deux mouvements vers le bas et un vers le haut de la main droite, ce qui rend tout à fait différemment de l’accompagnement classique de la valse. Ceux qui connaissent le folklore pourront ressentir l’envie de frapper dans les mains, car cela rappelle l’introduction de la chacarera (par exemple). Attention, je n’ai pas dit que c’était le même rythme, seulement que c’est la même sensation de pseudo syncope… L’autre point est que cette indication fait verser le titre dans le domaine du folklore. Ce n’est pas une obligation, mais les joueurs, notamment de guitare folklorique, vont s’emparer plus facilement de cette partition et cela explique sans doute le destin de cette valse, comme nous allons le voir avec les autres versions.
Paroles
Altiva y soberbia, cual diosa pagana, pasaste a mi lado mostrando el rencor y desde aquel día yo sé que he perdido, la gloria inefable de un sueño de amor. No extraño tus besos que fueron fingidos, ni extraño tus labios de raro dulzor… ni me sorprende tu enorme falsía, porque son hermanas: mujer y traición.
Yo tan sólo siento de todo tu enojo, el traidor embrujo que tienen tus ojos. Ojos que fueron estrellas que guiaron mi alma, que me roban calma si me niegan crueles cuando ansioso busco su mirar de amor. Ojos que fueron las redes donde prisionero, te adoré sincero y me han hecho esclavo, al poner en mi alma la azul ilusión. Pero tu alma, desdeñosa y fría, no sabía de amores para mi dolor. Fueron tus ojos los que me mintieron tan engañadores, como aquel fulgor. Y ahora arrastro la cadena del recuerdo triste del pasado hermoso, al vivir dichoso en los dorados brazos de aquella ilusión.
Amores fingidos son, cual mariposa, como ella engañosa que igual que una flor nos mienten cariño, nos hieren el alma, se llevan la esencia y nos dejan dolor. Pero yo no siento el dolor de la herida que abrió dentro mi alma tu negra traición, tan sólo me duele el fulgor de tus ojos, que ayer me miraron con tierna pasión.
Arquímedes Arci, paroles et musique
Traduction libre
Hautaine et arrogante, comme une déesse païenne, tu es passée à côté de moi en montrant du ressentiment et depuis ce jour je sais que j’ai perdu la gloire ineffable d’un rêve d’amour. Je ne regrette pas tes baisers qui étaient feints, je ne regrette pas tes lèvres d’une rare douceur… et je ne suis pas surpris par ton énorme mensonge, parce qu’elles sont sœurs : femme et trahison. (je précise que je ne suis pas solidaire de ce qui est écrit ici)
Je ressens seulement ta colère, le traître sortilège qu’ont tes yeux. Des yeux qui furent des étoiles qui guidaient mon âme, qui me volaient le calme quand ils se refusaient cruellement quand je cherchais anxieusement leur regard d’amour. Des yeux qui étaient les filets où j’étais prisonnier, je t’ai adoré sincèrement et me suis fait esclave, en mettant dans mon âme l’illusion bleue. Mais ton âme, dédaigneuse et froide, ne connaissait pas d’amour pour ma douleur. Ce sont tes yeux, ceux qui m’ont menti, aussi trompeurs que cette lueur éblouissante. Et maintenant, je traîne la chaîne du triste souvenir du beau passé, vivant heureux dans les bras dorés de cette illusion.
Ce sont des amours feints, comme un papillon, comme elle, trompeuse, qui, comme une fleur, nous illusionnent d’affection, blessent notre âme, nous enlèvent l’essence et nous laissent de la douleur. Mais je ne sens pas la douleur de la blessure qu’a ouverte dans mon âme ta noire trahison, je suis seulement peiné par l’éclat de tes yeux, qui hier me regardaient avec une tendre passion.
Autres versions
Ilusión azul 1933-08-07 — Dúo Agustín Magaldi y Pedro Noda con guitarras.
Le duo de chanteurs vedettes interprète ce titre avec brio. Ils inaugurent une typologie qui sera reprise par de nombreux orchestres de folklore argentin, mais pas que. Nous en verrons quelques exemples.
Ilusión azul 1945-06-08 — Orquesta Alfredo De Angelis con Carlos Dante. C’est notre valse du jour.Ilusión azul 1964-04 — Orquesta Alfredo De Angelis con Juan Carlos Godoy y Roberto Mancini.
Une superbe version qui reprend le duo, comme Magaladi et Noda. Petite anecdote, jusqu’à il y a 25 ans, j’avais les deux versions, mais celle de 1964 n’avait pas la totalité de son intro. J’avais donc fait un montage en modifiant la sonorité de la version de 1945, pour insérer les secondes qui manquaient. Je viens de réécouter cette chimère. Ce n’est pas si mal, mais je suis content d’avoir désormais une version intégrale de 1964. C’est intéressant pour étudier l’évolution du style de De Angelis en une dizaine d’années.
Ilusión azul 1974 — Los Cantores del Alba.
Quand je vous annonçais la récupération par le domaine du folklore, en voici un premier exemple. Les puristes et les grognons diront que ce n’est pas du tango et que ce n’est pas dansable. Pour une fois, je suis un peu d’accord, mais à cause de la pause intermédiaire qui peut poser des problèmes aux danseurs…
Ilusión azul 1985c — Arboleda y Valencia.
Ce duo colombien est surtout connu pour leur grand succès, la valse El Camino de la vida (1991).
Ilusión azul — Diana Maria y Luz Aida.
Deux sœurs colombiennes qui chantent ensemble. On peut également entendre leur frère, Oscar Ivan. Encore un exemple du courant colombien qui porta cette valse. Attention, il ne faudrait pas confondre, cette Luz Aida, avec la célèbre actrice argentine qui intervient, par exemple dans Loco lindo (1936) et qui enregistra quelques tangos.
Ilusión azul 1962c — Lalo Martel accompagné de Osvaldo Requena y Los Reyes del Tango.
Lalo est le frère de Julio Martel. Leur style est assez proche. Erratum, 2024-06-12 Dans la V1 de cet article, j’avais reproduit deux fois ce titre. Une fois sous le nom de Julio Martel et une autre avec la mention Cuarteto Palais de Glace. Les deux datés de 1962c. Voici l’explication de mon erreur. Merci à Fred Alard TDJ et Gérard Cardonnet d’avoir attiré mon attention sur ce titre. En fait, j’avais les deux identifications dans ma discothèque. Une bien labelisée, avec Lalo Martel et une que j’avais numérisé il y a trente ans à partir d’un disque vinyle du Cuarteto Palais de Glace. Lors de l’opération, il m’avait échappé les petits caractères qui indiquaient :
En el lado B, tema 2, Ilusión azul (Vals) no fue interpretado por el Cuarteto Palais de Glace sino por Lalo Martel acompañado por Osvaldo Requena y Los reyes del tango.
Sur la face B, le deuxième titre, Ilusión azul (Valse) n’a pas été interprété par le Quartette Palais de Glace, mais par Lalo Martel accompagné de Osvaldo Requena y Los Reyes del Tango. Désolé de l’erreur, pendant des années, j’ai annoncé Palais de Glace dans les milongas alors que c’était Los Reyes del Tango. Détail amusant, personne n’avait remarqué que le titre était présenté deux fois et les commentaires élogieux sur cette musique s’adressaient à la version étiquetée Palais de Glace et aucun à celle, totalement identique, étiquetée Lalo Martel…
Ilusión azul 1984c — Hernan y Jose Arbey.
Encore un duo, encore des Colombiens.
Ilusión azul 1985c — Los Romanceros de America.
Encore des Colombiens. Quatre guitares. Ils ont enregistré suffisamment de valses pour faire une belle tanda, pour les danseurs qui aiment sortir des sentiers battus.
Ilusión azul 1985c — Los Patuma.
Je vous laisse deviner de quel pays ils viennent…
La Colombie, bravo, vous avez trouvé…
Ilusión azul 1985c — Los Cantores del Sur.
Perdu, ils sont Chiliens….
Ilusión azul 1991c — Los Cantores de Antaño.
Une version très typée années 90 de la musique de variété, avec la batterie et les sons étranges de l’orgue électronique. Je le propose plus pour la curiosité et parce qu’ils renforcent mon équipe colombienne…
Ilusión azul 2010c — Los Gentiles y Grupo Transparencias.
Je ne vous demande pas d’où ils sont, car vous avez déjà deviné. Ils sont colombiens.
Ilusión azul 2010-10 — Fabio Hager Sexteto.
Une version instrumentale, type musique classique. La qualité des musiciens permet de voir la qualité d’écriture du titre, mais bien sûr, les danseurs préféreront une des versions traditionnelles.
Ilusión azul 2015c – Trio Quitasueño.
Encore un orchestre… colombien. Leur nom est amusant. Ils quittent le sommeil. Dans ce contexte, j’imagine que c’est leur musique qui empêche de dormir… Le terme quitasueño s’utilise aussi quand des soucis empêchent de dormir.
Ilusión azul 2021c — Full Circle Trio.
Pour terminer avec la version la plus originale et la question les plus difficiles : 1 Quel est l’instrument principal de cette version ? 2 De quel pays sont les musiciens ?
Réponses…
Si vous avez répondu le Marimba ou quelque chose d’approchant, bravo, vous ferez un bon danseur voire un bon DJ. Si vous avez répondu Colombie, vous êtes un bon lecteur, mais vous avez perdu, c’est USA…
Full Circle Trio, avec Jack Van Geem (marimba), Robert Wright (contrebasse) et Raymond Froelich (percussions).
À noter qu’ils ont fait un disque de tango. Peut-être à recommander à ceux qui ont du mal à repérer quand poser les pieds 😉
La musique de Cristal est de celles qui marquent les esprits et les cœurs. La force de l’écriture fait que la plupart des versions conservent l’ambiance du thème original. Cependant, nous aurons des petites surprises. Je vous présente, Cristal de Mariano Mores avec des paroles de Contursi, mais pas que…
Extrait musical
Cristal 1944-06-07 — Orquesta Aníbal Troilo con Alberto Marino.
Une très jolie descente répétée lance cette version. Les notes deviennent de plus en plus graves en suivant une gamme mineure. Cela donne une imposante présence au thème. L’introduction se développe, puis après 30 secondes se développe le thème principal. Celui que Alberto Marino chantera à partir de 1’20.
Paroles
Tengo el corazón hecho pedazos, rota mi emoción en este día… Noches y más noches sin descanso y esta desazón del alma mía… ¡Cuántos, cuántos años han pasado, grises mis cabellos y mi vida! Loco… casi muerto… destrozado, con mi espíritu amarrado a nuestra juventud.
Más frágil que el cristal fue mi amor junto a ti… Cristal tu corazón, tu mirar, tu reír… Tus sueños y mi voz y nuestra timidez temblando suavemente en tu balcón… Y ahora sólo se que todo se perdió la tarde de mi ausencia. Ya nunca volveré, lo sé, lo sé bien, ¡nunca más! Tal vez me esperarás, junto a Dios, ¡más allá!
Todo para mí se ha terminado, todo para mí se torna olvido. ¡Trágica enseñanza me dejaron esas horas negras que he vivido! ¡Cuántos, cuántos años han pasado, grises mis cabellos y mi vida! Solo, siempre solo y olvidado, con mi espíritu amarrado a nuestra juventud…
Mariano Mores Letra: José María Contursi
Traduction libre
Mon cœur est en morceaux, mon émotion est brisée en ce jour… Des nuits et encore des nuits sans repos et ce malaise de mon âme… Combien, combien d’années se sont écoulées, grisonnant mes cheveux et ma vie ! Fou… presque mort… détruit, avec mon esprit amarré à notre jeunesse.
Plus fragile que le verre était mon amour avec toi… De cristal, ton cœur, ton regard, ton rire… Tes rêves et ma voix et notre timidité tremblant doucement sur ton balcon… Et seulement maintenant, je sais que tout a été perdu l’après-midi de mon absence. Je n’y retournerai jamais, je sais, je le sais bien, plus jamais ! Peut-être m’attendrez-vous, à côté de Dieu, au-delà !
Tout pour moi est fini, tout pour moi devient oubli. Tragique enseignement que m’ont laissé ces heures sombres que j’ai vécues ! Combien, combien d’années se sont écoulées, grisonnant mes cheveux et ma vie ! Seul, toujours seul et oublié, avec mon esprit amarré à notre jeunesse…
Autres versions
Cristal 1944-06-03 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán.
Canaro ouvre le bal avec une version tonique et assez rapide. Le début spectaculaire que nous avons vu dans la version de Troilo est bien présent. On remarquera la présence de l’Orgue Hammond et sa sonorité particulière, juste avant que chante Carlos Roldán. Ce dernier est par moment accompagné par le vibraphone.
Cristal 1944-06-07 — Orquesta Aníbal Troilo con Alberto Marino. C’est notre tango du jour.Cristal 1944-06-30 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Oscar Serpa.
Fresedo ne pouvait pas passer à côté de ce thème qui semble avoir été écrit pour lui. La structure est très proche de celles de Canaro et Troilo, mais avec sa sonorité. La voix de Serpa, plus tranchante que celle de Ray et Ruiz, donne un caractère toutefois un peu différent à cette interprétation de Fresedo.
Cristal 1957 — Dalva de Oliveira con acomp. de orquesta.
L’introduction est raccourcie et Dalva de Oliveura chante quasiment tout de suite. Vous aurez sans doute remarqué que cette version était chantée en Portugais avec quelques variantes. Vous trouverez le texte en fin d’article. L’orchestre peut être celui de Francisco Canaro, car elle a enregistrée en 1957 avec lui, mais ce n’est pas sûr.
Cristal 1957-02-01 — Orquesta Mariano Mores con Enrique Lucero.
Mariano Mores enregistre sa création. Mariano Mores se passe de sa spectaculaire introduction pour jouer directement son thème principal. Le piano fait le lien entre les différents instruments, puis Enrique Lucero entre scène. Lucero a une belle voix, mais manque un peu de présence, associé à un orchestre léger et sans doute trop poussé à des fantaisies qui fait que cette version perd un peu de force dramatique. On verra avec des versions suivantes que Mores corrigera le tir, du côté chant, mais pas forcément du côté orchestral.
Cristal 1958 — Albertinho Fortuna com Alexandre Gnattali e a sua orquestra.
Là encore, voir en fin d’article le texte en portugais brésilien.
Cristal 1961 — Astor Piazzolla Y Su Quinteto Con Nelly Vázquez.
Piazzolla enregistre à plusieurs reprises le titre. Ici, une version avec Nelly Vázquez. On est dans autre chose.
Cristal 1962-04-27 — Orquesta Armando Pontier con Héctor Dario.
Armando Pontier nous livre une version sympathique, avec un Héctor Dario qui lance avec énergie le thème.
Cristal 1965 — Ranko Fujisawa. Avec l’orchestre japonais de son mari,
Ranko nous prouve que le tango est vraiment international. Elle chante avec émotion.
Cristal 1978-08-01 — Roberto Goyeneche con Orquesta Típica Porteña arr. y dir. Raúl Garello.
Goyeneche a enregistré de nombreuses fois ce titre, y compris avec Piazzolla. Voici une de ses versions, je vous en présenterai une autre en vidéo en fin d’article. On voit que Piazzolla est passé par là, avec quelques petites références dans l’orchestration.
Cristal 1984c — Claudia Mores con la Orquesta de Mariano Mores.
Mariano revient à la charge avec Claudia, sa belle-fille. En effet, elle était mariée à Nico, le fils de Mariano. On retrouve l’orgue Hammond de Canaro dans cette version. Si elle est moins connue que son mari, il faut lui reconnaître une jolie voix et une remarquables expressivité.
Cristal 1986 — Mariano Mores y su Orquesta con Vikki Carr.
Une rencontre entre Vikki Carr qui a habituellement un répertoire différent. On notera que l’orchestre est plus sobre que dans d’autres versions, même, si Mores ne peut pas s’empêcher quelques fantaisies.
Cristal 1994 — Orquesta Mariano Mores con Mercedes Sosa.
Attention, pure émotion quand la Negra se lance dans Cristal. Sa voix si particulière, habituée au folklore s’adapte parfaitement à ce thème. Attention, il y a un break (silence) très long, ne perdez pas la fin en coupant trop vite. Avec cette version, on peut dire que Mores, avec ces trois femmes, a donné de superbes versions de sa composition, d’un caractère assez différent de ce qu’ont donné les autres orchestres, si on excepte Piazzolla et ce qui va suivre.
Cristal 1994 — Susana Rinaldi con acomp. de orquesta.
La même année encore une femme qui donne une superbe version du thème de Mores. Là, c’est la voix qui est essentielle. Une version étincelante qui pourrait rappeler Piaf dans le vibrato de la voix.
Cristal 1998 — Orquesta Néstor Marconi con Adriana Varela.
Oui, encore une femme, une voix différente. L’empreinte de Piazzolla est encore présente. Néstor Marconi propose un parfait accompagnement avec son bandonéon. Vous le verrez de façon encore plus spectaculaire dans la vidéo en fin d’article.
Cristal 2010c — Aureliano Tango Club. Une introduction très originale à la contrebasse.
On notera aussi la présence de la batterie qui éloigne totalement cette version du tango traditionnel.
Versions en portugais
Voici le texte des deux versions en portugais que je vous ai présentées.
Paroles
Tenho o coração feito em pedaços Trago esfarrapada a alma inteira Noites e mais noites de cansaço Minha vida, em sombras, prisioneira Quantos, quantos anos são passados Meus cabelos brancos, fim da vida Louca, quase morta, derrotada No crepúsculo apagado lembrando a juventude Mais frágil que o cristal Foi o amor, nosso amor Cristal, teu coração, teu olhar, teu calor Carinhos juvenis, juramentos febris Trocamos, docemente em teu portão Mais tarde compreendi Que alguém bem junto a ti Manchava a minha ausência Jamais eu voltarei, nunca mais, sabes bem Talvez te esperarei, junto a Deus, mais além
Haroldo Barbosa
À propos de la version d’Haroldo Barbosa
Le thème des paroles d’Haroldo Barbosa est semblable, mais ce n’est pas une simple traduction. Si la plupart des images sont semblables, on trouve une différence sensible dans le texte que j’ai reproduis en gras. « Plus tard, j’ai réalisé que quelqu’un juste à côté de toi avait souillé mon absence. Je ne reviendrai jamais, plus jamais, tu sais. Peut-être que je t’attendrai, avec Dieu, dans l’au-delà ». Contrairement à la version de Contursi, on a une cause de la séparation différente et là, c’est lui qui attendra auprès de Dieu et non, elle qui attendra peut-être.
Roberto Goyeneche et Néstor Marconi, Cristal
Et pour terminer, la vidéo promise de Goyeneche et Marconi. Cette vidéo montre parfaitement le jeu de Marconi. Hier, nous avions Troilo à ses tout débuts, là, c’est un autre géant, dans la maturité.
Roberto Goyeneche Néstor Marconi et Ángel Ridolfi (contrebasse) dans Cristal de Mariano Mores et José María Contursi. Buenos Aires, 1987.
Voici un des gros succès des encuentros milongueros. Mais les danseurs qui se jettent sur ce titre ne savent peut-être pas que Troilo est le premier à l’avoir enregistré, oui, monsieur, oui, madame, avant Fresedo… De plus, je peux même vous montrer le film où il joue ce titre. N’hésitez pas à la tentation de voir le jeune Pichuco à l’œuvre avec son bandonéon en fin d’article.
L’expression Araca la cana peut sembler mystérieuse. Je vous donnerai sa signification dans la traduction des paroles. Je vous propose d’écouter maintenant notre tango du jour.
Extrait musical
Araca la cana 1933-06-06 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray
Paroles
¡Araca la cana! Ya estoy engriyao… Un par de ojos negros me han engayolao. Ojazos profundos, oscuros y bravos, tajantes y fieros hieren al mirar, con brillos de acero que van a matar. De miedo al mirarlos el cuor me ha fayao. ¡Araca la cana! ya estoy engriyao.
Yo que anduve entreverao en mil y una ocasión y en todas he guapeao yo que al bardo me he jugao entero el corazón sin asco ni cuidao. Como un gil vengo a ensartarme en esta daga que va a matarme si es pa’ creer que es cosa’e Dios que al guapo más capaz le faye el corazón.
Enrique Delfino Letra : Mario Fernando Rada
Traduction libre et indications
Araca la cana ! (En français, on dirait, 22 ou 22 voilà les flics, la police. C’est un cri d’alarme signalant un danger). Je suis déjà derrière les barreaux (en prison)… Une paire d’yeux noirs m’a emprisonné. Des yeux profonds, sombres et féroces, vifs et féroces, qui blessent quand ont les regarde, avec des éclairs d’acier qui vont tuer. De peur, en les regardant, le cœur m’a manqué. Araca la cana ! Je suis déjà engrillagé. Moi qui ai été impliqué en mille et une occasions et dans toutes, j’ai affronté, moi, qui naturellement ai misé tout mon cœur sans répugnance ni précaution. Comme un cave (type quelconque, ne connaissant pas le milieu, la pègre), je viens m’embrocher sur ce poignard qui me tuera si c’est pour croire que c’est la chose de Dieu qu’au plus beau et plus capable, le cœur lui manque (fait défaut).
Autres versions
Nous verrons les deux premières versions en fin d’article, car elles sont dans le film Los tres berretines.
Araca la cana 1933-06-06 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray. C’est notre tango du jour.Araca la cana 1933-06-12 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, Domingo Riverol, Domingo Julio Vivas, Horacio Pettorossi (guitarras).
Un tout petit peu après Fresedo, Gardel enregistre sa version.
Araca la cana 1933-06-16 – Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá.
Canaro n’est jamais en retard quand il s’agit d’enregistrer un succès. Voici donc sa version. Avec des passages doux et lyriques, pas si fréquents dans cette période de son orchestre. Peut-être l’influence de Fresedo dont la version dans le film était sortie le mois précédent.
Araca la cana 1951 – Edmundo Rivero con orquesta dir. por Victor M. Buchino.
Une version qui n’est probablement pas pour les cardiaques. En effet, le démarrage de Edmundo Rivero après une introduction longue surprend. Bien sûr, ce n’est pas une version de danse.
Bébé Troilo
Le film annoncé en début d’article, s’apppelle Los tres berretines. Berretin a plusieurs sens qui vont de caprice, loisir, caprice amoureux à passion… Dans le cas du film, ce sont les trois passions des Portègnes, à savoir, le ciné, le football et… le tango. Pour être précis, dans la pièce de théâtre antérieure, c’était le tango, le football et… la radio. Mais pour faire un film, c’était mieux de mettre le cinéma au cœur de l’action. C’est le deuxième film sonore argentin, sorti le 19 de mai 1933, soit une semaine après Tango que nous avons déjà évoqué à propo de El Cachafaz et presque un mois avant l’enregistrement de notre tango du jour par Fresedo et Ray. Il a été dirigé par Enrique Telémaco Susini à partir d’un scénario de Arnaldo Malfatti et Nicolás de las Llanderas. L’extrait que je vais vous présenter présente le tango du jour, interprété par un orchestre imaginaire, EL Conjunto Nacional Foccile Marafiotti. Vous reconnaîtrez sans mal le jeune bandonéoniste, alors âgé de 18 ans, Aníbal Troilo. Il s’agit du second plus ancien enregistrement de lui dont nous disposons, le plus ancien étant avec Carlos Gardel (La que nunca tuvo novio de 1931). Osvaldo Fresedo faisait aussi partie de l’équipe du film, il était donc parfaitement légitime pour enregistrer ce titre. L’intrigue du film est autour des passions des enfants d’un quincaillier. Les affaires de la quincaillerie ne sont pas brillantes et le père se désespère de voir ses enfants délaisser l’entreprise familiale pour leurs passions. Nous nous intéressons à la partie tango du film avec un des fils, joué par Luis Sandrini qui veut devenir compositeur de tango.
Extraits du film Los tres berretines
Affiche du film Los tres berretines. Elle annonce que c’est le premier film parlant, mais c’est en fait le second, tango étant sorti la semaine d’avant.
Troilo, qui a donc l’honneur, à 18 ans, de jouer dans le second film sonore argentin apparaît jouant à la moitié du film qui dure moins d’une heure. Je vous propose plusieurs extraits permettant de voir comment était composé et lancé un tango au début de l’âge d’or. Dans le premier extrait, Aníbal Troilo joue avec le violoniste Vicente Tagliacozzo. José María Rizutti, le pianiste s’entend, mais ne se voit pas. Pour corriger cette injustice, je vous propose un autre extrait où on le voit jouer Araca la cana, ou plutôt ce qui va le devenir, au piano. Il le joue sous la dictée sifflée de Luis Sandrini. (qui ressemble à Enrique Delfino, l’auteur du tango du jour). La naissance d’un tango, c’est aussi l’écriture des paroles. Ici, on voit un poète (qui n’est pas joué par Mario Fernando Rada l’auteur des paroles). La tasse de café au lait devant le poète, c’est le prix payé pour les paroles. La transcription de la musique ayant été payée 5 pesos un peu plus tôt dans le film à José María Rizutti qui avait joué sous la dictée sifflée par Luis Sandrini dans la scène du piano. Dès les paroles terminées, les musiciens et le chanteur (Luis Díaz) se ruent au balcon réservé aux orchestres. On peut ainsi entendre la première version de Araca la Cana avec Aníbal Troilo (bandonéon) Vicente Tagliacozzo (violon) José María Rizutti (piano) et Luis Díaz (chant). Le dernier extrait, c’est l’orchestre de Osvaldo Fresedo jouant le titre sur la scène d’un bal et la scène finale du film. Le berretin « tango » aura ainsi aidé à sauver l’entreprise familiale.
Extraits choisis par DJ BYC Bernardo du film Los tres berretines.
Ascanio Ernesto Donato Letra : Adolfo Antonio Vedani
Il y a quelques semaines, je suis tombé sur un article qui disait que Tita Merello avec «Yo soy así», avait donné une place aux femmes dans le tango. Il me semble que c’est aller un peu vite en besogne, car les femmes en sont des interprètes de la première heure, Flora Gobbi, Rosita Quirogan, Ada Falcón, Anita Palmero, Azucena Maizani, Nelly Omar, Mercedes Simone, Lita Morales, Libertad Lamarque, Tania, María Graña, Susana Rinaldi,Virginia Luque, Eladia Blázquez, Nina Miranda, Impreio Argentina, Olga Delgrossi et bien sûr et pas des moindres, Tita Merello. Aujourd’hui, c’est Lita qui nous parle de tango.
Pourquoi cette impression que les femmes ne sont pas dans l’univers du tango ?
Je pense que cette vision a trois causes. La première est que les femmes ont eu une place importante comme chanteuses, mais pas réellement comme chefs d’orchestre ou musiciennes. Aujourd’hui, beaucoup de danseurs connaissent et reconnaissent les orchestres, mais très peu, les chanteurs et quand ils le font, c’est souvent, car ce sont des « couples » que l’on est habitué à associer à un orchestre, comme D’Agostino-Vargas, Troilo-Fiorentino ou Rodriguez-Moreno. S’ils entendent Fiorentino avec un autre orchestre, pas sûr qu’ils le reconnaissent.
Les femmes ont plus souvent chanté des versions à écouter que des versions à danser. Je n’ai pas d’explication sur cette raison, d’autant plus que la voix de femme dans un registre plus aiguë laisse de la place aux instruments plus graves qui marquent généralement la pulsation, Main gauche au piano, contrebasse, bandonéon… La preuve est que des versions chantées de bout en bout par des femmes sont parfaitement dansables alors que par le même orchestre et à la même époque, une version chantée par un homme n’est qu’à écouter. Voir par exemple les enregistrements de Canaro qui a de nombreux exemples de titres enregistrées deux ou trois fois, pour l’écoute et pour la danse, par un homme ou une femme.
Une autre cause vient sans doute d’un excès de machisme dans le domaine. Les hommes ont occupé la place, laissant peu de places aux femmes en dehors des thèmes des tangos. Là, elles n’ont pas toujours le beau rôle, comme en témoigne notre tango du jour.
Dans l’idée de lever un coin du voile et vous montrer qu’il y a de nombreuses femmes dans l’univers de tango, je vous propose aujourd’hui quelques chanteuses, mais pour l’instant, concentrons-nous sur le phénomène Lita Morales. Avant d’écouter notre tango du jour, sachez qu’il existe un autre tango du même titre, Sin sabor joué par Tito Francia qui en est le compositeur avec des paroles de Pedro Tusoli. Je ne pourrai pas vous le faire écouter, n’ayant pas le disque…
Extrait musical
Sinsabor 1939-06-05 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Lita Morales.
Je pense que nous sommes nombreux à aimer ce duo magnifique, cette musique entraînante. La tristesse des paroles passe très bien et n’entame pas la bonne humeur des danseurs. Une valeur sûre pour les milongas. La musique est en mode majeur. L’orchestre expose le thème, puis Horacio Lagos prend la parole. Lita Morales le rejoint ensuite pour former un duo et finalement, l’orchestre termine le tango. La structure est très simple, comme l’orchestration. C’est une belle version qui brille par sa simplicité et sa légèreté.
Paroles
Llevando mi pesar Como una maldición Sin rumbo fui Buscando de olvidar El fuego de ese amor Que te imploré Y allá en la soledad Del desamparo cruel Tratando de olvidarte recordé Con la ansiedad febril Del día que te di Todo mi ser Y al ver la realidad De toda tu crueldad Yo maldecí La luz de tu mirar En que me encandilé Llevado en mi ansiedad de amar Besos impregnados de amargura Tuve de tu boca en su frialdad Tu alma no sintió mi fiel ternura Y me brindó con su rigor, maldad Quiero disipar toda mi pena Busco de calmar mi sinsabor Siento inaguantable esta cadena Que me ceñí al implorar tu amor
Ascanio Ernesto Donato Letra : Adolfo Antonio Vedani
Horacio Lagos chante le début, seul, puis Lita Morales se rajoute pour chanter en duo ce qui est en gras.
Traduction libre et indications
Portant mon chagrin comme une malédiction, sans but, j’ai cherché à oublier. Le feu de cet amour que j’implorais de toi et là, dans la solitude d’un cruel abandon. Essayant de t’oublier, je me suis souvenu de l’anxiété fébrile du jour où je t’ai donné tout mon être et voyant la réalité de toute ta cruauté, j’ai maudit. La lumière de ton regard, qui m’a aveuglé (dans laquelle j’étais ébloui), emporté par mon anxiété d’aimer. Des baisers imprégnés d’amertume, je les ai obtenus de ta bouche dans sa froideur. Ton âme n’a pas senti ma tendresse fidèle, et m’a offert, avec sa rigueur, la méchanceté. Je veux dissiper toute ma douleur, je cherche à apaiser ma détresse (sinsabor, de sin sabor [sans saveur] signifie regret, malaise moral, tristesse). Je sens insupportable cette chaîne, que je me suis attachée quand j’ai imploré ton amour.
De gauche à droite, Lita Morales, Edgardo Donato et Horacio Lagos, l’équipe qui nous offre le tango du jour.
Sur cette photo, Lita Morales et Horacio Lagos ne semblent pas être le couple ayant donné le sujet de ce tango… Il se dit qu’ils se seraient mariés, mais rien ne le prouve. Ce couple, si c’était un couple, était très discret et mystérieux. Un indice, les deux ont commencé par enregistrer du folklore, lui un peu avant et ils ont tous les deux arrêté rapidement la carrière (1935-1942 pour Horacio, 1937-1941 pour Lita, avec un petit retour en 1955-1956). Peut-être l’arrêt en 1941 était pour cause de naissance, Lita aurait été enceinte. Ceci pourrait expliquer son retour tardif, lorsque son enfant est devenu plus autonome.
Autres versions
Le tango du jour est a priori, la plus ancienne version enregistrée et la seule avant une date assez récente.
Sinsabor 1939-06-05 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Lita Morales. C’est notre tango du jour.
Le Cuarteto Mulenga l’a enregistré vers 2008, avec le chanteur Maximilliano Agüero.
Sinsabor 2008c — Carteto Mulenga Con Maximilliano Agüero.
Je vous laisse penser ce que vous voulez de cette version, mais elle a du mal à faire oublier celle de Donato, à mon avis. C’est toutefois un bel effort pour faire revivre ce titre, mais l’essai n’est pas totalement transformé. En revanche, la Romantica Milonguera nous en a donné plusieurs versions intéressantes.
Sinsabor 2017-10 — Orquesta Romántica Milonguera con Marisol Martínez y Roberto Minondi (Sur l’album Romantica Milonguera de 2017).Sinsabor 2018 — Orquesta Romántica Milonguera con Marisol Martínez y Roberto Minondi (sur l’album Duo de 2018). Cette, nouvelle version est plus tonique.Sinsabor 2019 — Orquesta Romántica Milonguera con Marisol Martínez y Roberto Minondi (sur le single Sin sabor — Quizas, quizas, quizás, Nuevas versiones de 2019).
Roberto Minondi est un magnifique chanteur, mais Marisol Martínez, sur scène, lui vole la vedette par son jeu d’actrice remarquable.
Elle me permet d’introduire la dernière partie de l’anecdote du jour, une petite liste de chanteuses de tango. Combien en connaissez-vous ?
Quelques chanteuses de tango
Je vous propose une petite galerie de portraits. Elle est très incomplète, mais j’aurai l’occasion de revenir sur le sujet.
Combien de chanteuses reconnaissez-vous ? Passez la souris sur l’image pour faire apparaitre le nom de la chanteuse.
Ada Falcón 1905-2002
Amanda Ledesma 1911-2000 à la fois actrice et chanteuse
Anita Palmero 1902-1987
Azucena Maizani 1902-1970
Dorita Davis 1906-1980
Eladia Blázquez 1931-2005
Elba Berón 1930-1994 (à gauche) et Rosita Berón 1933-2001 (Las Hermanas Berón en 1954)
Flora Gobbi Flora Hortensia Rodríguez de Gobbi 1883-1952 Ici avec son mari
Imperio Argentina 19102003
Libertad Lamarque 1908-2000 Chanteuse et actrice dans une vingtaine de films
Linda Thelma Ermelinda Spinelli 1879-1939
Lita Morales enregistrements entre 1937 et 1956
Maruja Pacheco Huergo 1916-1983
Mercedes Simone 1904-1990
Nelly Omar 19011-2013 une belle longévité avec plus de 100 années de vie
Nina Miranda 1925-2012
Olga Delgrossi 1932-
Rosita Quiroga Rosa Rodríguez Quiroga de Capiello née entre 1896 et 1901-1984
Sabina Olmos 1913-1999
Sofía Bozán 1904-1958
Susana Rinaldi 1935-
Tania 1908-1999 Chanteurse et actrice
Tita Merello 1904-2002
Virginia Luque 1927-2014
On notera que beaucoup de ces chanteuses ont aussi fait du cinéma. Le lien entre cinéma et tango est très fort, beaucoup de tangos fameux ont été composés pour les films et même à l’époque des films muets, les musiciens jouaient dans la salle en direct.
En prime, je vous propose la première joueuse de bandonéon professionnelle, je vous parlerai une autre fois des musiciennes, des auteurs et compositrices, il y a énormément à dire sur ce sujet également. Alors, les femmes et le tango, c’est une histoire ancienne et toujours vivante. Voir par exemple cet article…
Paquita Bernardo, Bandonéoniste (1900-1925).
Elle fut la première bandonéoniste, mais sa vie fut trop brève. Elle n’a pas laissé d’enregistrement, cependant, Gardel et Juan Carlos Cobián ont enregistré ses compositions.
Certains adorent, d’autres moins, Enrique Rodriguez. Cependant, notamment avec le chanteur Armando Moreno (el muñeco) a graver de joies choses, comme ce titre magnifié par les paroles de Enrique Cadícamo. Je vous invite à écouter ce titre qui a toujours beaucoup de succès en milonga, car il est dansant, entraînant, même si le héros de l’histoire n’est pas le plus heureux des hommes.
El muñeco, peut signifier, celui qui ne travaille pas et qui touche tout de même son salaire, car son contremaitre le déclare présent. Bien sûr, ce n’était pas le cas de Moreno qui effectuait son travail. Ce surnom lui aurait été attribué, car il était toujours souriant, par analogie avec les poupées qui ont un sourire peint sur le visage (Poupée se dit muñeca en espagnol, muñeco serait donc le masculin). Par ailleurs, il a commencé à travailler pour Rodriguez à l’âge de 19 ans, soit relativement jeune et pourrait donc être un petit jeune, mais comme il était de grande taille, notamment par rapport à Rodriguez, cela est moins probable que ce soit l’origine de son surnom.
Dédicace à l’ami Christian, qui se reconnaîtra. Quand il débarque à Buenos Aires, je lui dédie toujours une tanda de Rodriguez pour saluer son arrivée.
Enrique Rodríguez y Armando Moreno
Extrait musical
Partition pour piano de En la buena y en la mala. Le tango est dédicacé par les auteurs à leur bon ami, Carlos Garcia (Pianiste, chef d’orchestre et compositeur).En la buena y en la mala 1940-06-04 — Orquesta Enrique Rodríguez con Armando Moreno.
Paroles
En la “buena” te encontré en la “mala” te perdí… Fue tu amor luz de bengala, de azul y breves galas. Mi cartera fue el imán que a tu ambición le hizo hacer un simulacro de pasión… Vampiresa de mis noches de champán nunca te olvides de que: En la “buena” te encontré en la “mala” te perdí y jamás un mal recuerdo tendrás de mí.
Cayó el telón… sobre tu simulación… Difunto ayer… de mentira y placer… Te di esplendor… mis billetes y mi amor… Fui sin querer… un juguete, mujer… Y porque fui pa’vos un hombre bueno, sí, hoy sin preocupación puedo decir:
Que nn la “buena” te encontré en la “mala” te perdí… Fue tan blanca mi inocencia y negra tu inconciencia… Te escapaste de mi lado sin saber que en el fondo de mi pecho había un querer… Y hoy, te juro, siento ganas de llorar porque me duele pensar: En la “buena” te encontré en la “mala” te perdí… y al final me siento solo lejos de ti…
(Final) Que en la “buena” te encontré en la “mala” te perdí… y al final me siento solo lejos de ti…
Dans le « bon », je t’ai trouvée et dans le « mauvais », je t’ai perdue… C’était ton amour, feu de Bengale, d’atours bleus et brefs. Mon portefeuille a été l’aimant qui a fait faire à ton ambition un simulacre de passion… Vampire de mes soirées champagne, n’oublie jamais que : Dans le « bon », je t’ai trouvée, dans le « mauvais », je t’ai perdue et tu n’auras jamais un mauvais souvenir de moi. Le rideau est tombé… sur ta simulation… Il mourut hier… de mensonges et de plaisir… Je t’ai donné la splendeur… Mes billets et mon amour… Je fus sans le vouloir… un jouet, femme… Et parce que j’étais pour toi un homme bon, oui, aujourd’hui je peux dire sans souci : Que dans le « bon » je t’ai trouvée, et dans le « mauvais », je t’ai perdue… Mon innocence était si blanche, et noire ton inconscience… Tu t’es échappée de mon côté sans savoir qu’au fond de ma poitrine il y avait un amour… Et aujourd’hui, je te jure, j’ai envie de pleurer parce que ça me fait mal de penser : Que dans le « bon », je t’ai trouvée et dans le « mauvais », je t’ai perdue… Et à la fin, je me sens seul loin de toi… (Final) Que dans le « bon », je t’ai trouvée et dans le « mauvais », je t’ai perdue… Et à la fin, je me sens seul loin de toi…
Autres enregistrements du même jour
Pas d’autres versions de ce titre que celle enregistrée par Rodriguez et Moreno. En revanche, ils ont enregistré une valse dite « festive », le même jour, cette valse est par les mêmes auteurs, Enrique Rodríguez et Enrique Cadícamo. Comme quoi ils pouvaient faire preuve d’une grande diversité.
En la buena y en la mala 1940-06-04 — Orquesta Enrique Rodríguez con Armando Moreno. C’est notre tango du jour.Por aquí… por allá… 1940-06-04 — Orquesta Enrique Rodríguez con Armando Moreno y coro. Il s’agit d’une valse festive (Vals festivo). Por aquí… por allá…, comme son œuvre sœur, n’a pas été enregistré par un autre orchestre.
Couverture de la partition de Por aquí por allá.
Voilà, c’est tout pour aujourd’hui. À demain les amis !
Les Argentins sont toqués de football, comme peu d’autres peuples. Chacun est hincha (fan) d’un club. Il était donc naturel que cela se retrouve dans l’autre passion de certains Argentins, le tango. Notre tango du jour ne brille pas forcément par ses paroles, mais la musique de Vicente Greco est intéressante et comme toutes les versions enregistrées sont instrumentales, on peut danser, même si on déteste le football.
Extrait musical
Partition pour piano de Racing Club. On voit que sur la couverture de la partition, la dédicace aux affiliés au Racing Club et la mention « Tango Footballistico ». L’orthographe est plus proche de l’anglais que l’orthographe actulle, les Argentins écrivent désormais Futbol.Racing Club 1930-06-03 – Sexteto Carlos Di Sarli.
On connaît bien l’entrée en matière énergique. Cette version se distingue de bien des enregistrements de l’époque, par un bel étagement des instruments, avec un motif de violon qui lie le tout et quelques relances de piano ou de bandonéon. Cette version est assez moderne et pourrait probablement passer en milonga, notamment, s’il y a beaucoup de piétineurs dans les participants. Pour cet enregistrement, le sexteto est composé des musiciens suivants : César Ginzo et Tito Landó (bandonéons) Carlos Di Sarli (piano) Roberto Guisado et Héctor Lefalle (violons) et Domingo Capurro à la contrebasse.
Paroles
Racing Club de Avellaneda club de mi pueblo querido, yo que admiro con cariño tu valiente batallar en esas horas gloriosas para el deporte argentino, fuiste campeón genuino de la masa popular.
Racing Club, vos que diste academia en la América del Sur gran campeón de los tiempos viejos de oro del futbol de mi Nación, yo quisiera ver triunfar a tus colores, que son los de mi bandera porque aún seguís siendo para todos el glorioso Racing Club.
Noble club con gran cariño te sigue la muchachada la que tan entusiasmada te sabrá siempre alentar, porque sos vos Racing Club la gloria del tiempo de oro como el Alumni que añoro y jamás volverá.
Vicente Greco Letra: Carlos Pesce
Traduction libre et indications
Racing Club de Avellaneda, club de mon village bien-aimé, moi qui admire avec affection ta courageuse bataille en ces heures glorieuses pour le sport argentin, tu as été un véritable champion des masses populaires. Racing Club, toi qui as donné académie en Amérique du Sud, grand champion de l’ancien âge d’or du football dans ma nation, je voudrais voir triompher tes couleurs, qui sont celles de mon drapeau, car tu es toujours pour nous tous, le glorieux Racing Club. Noble club, avec beaucoup d’affection te suit la foule, celle qui avec tant d’enthousiasme saura toujours t’encourager, car tu es, toi, Racing Club, la gloire de l’âge d’or, comme L’Alumni (club de football des élèves de l’école Willis High School, disparu en 1913) qui me manque et jamais ne reviendra. Les fans de foot pourront regarder cette courte vidéo présentant l’histoire du club Alumni.
https://youtu.be/R5Nr6FKgJ6k
Histoire du club Alumni en vidéo. Les maillots ont des rayures comme celles du Racing Club, mais rouges et blanches au lieu de célestes et blanches.
Pour les superfans qui s’intéressent à l’histoire des stades, je propose ce document, seulement en espagnol, mais bien documenté sur la vie des stades, notamment à partir d’exemples portègnes. El ciclo de vida de los estadios porteños (PDF).
Autres versions
Racing Club 1916 – Orquesta Típica Ferrer (Orquesta Típica Argentina Celestino).
Je pense que vous êtes désormais habitué à ce son linéaire. La prise de son acoustique ne rend sans doute pas une grande justice à la prestation. Les nuances sont impossibles. Jouer moins fort, c’est prendre le risque que la musique disparaisse dans le bruit de fond du disque. On entend cependant de jolis motifs, comme les « twitwititis » de la flûte, en arrière-plan. Comme avec la plupart des tangos de l’époque, on peut trouver le résultat monotone, les différentes parties étant très similaires, pour ne pas dire identiques.
Racing Club 1930-06-03 – Sexteto Carlos Di Sarli. C’est notre tango du jour. Racing Club 1940-07-04 – Orquesta Carlos Di Sarli.
Avec son orchestre, Di Sarli enregistre de nouveau le titre. Une version vraiment très différente de la version de 1930 qui permet de mesurer son évolution et reconnaître ses évolutions futures. Roberto Guisado (violon) et Carlos Di Sarli (piano), sont les seuls musiciens ayant participé au sexteto.
Racing Club 1942 – Orquesta Aníbal Troilo.
Bien que ce ne soit pas son club de cœur, il était de River, Troilo a enregistré le titre. La qualité sonore est médiocre, car c’est un enregistrement en acétate réalisé lors d’une prestation à la radio, c’est dommage, avec un enregistrement correct, on aurait eu une version animée pour les milongas.
Racing Club 1946-03-29 – Orquesta Ángel D’Agostino.
On ne s’attend sans doute pas à trouver cet enregistrement de la part de D’Agostino. Mais c’est sans doute qu’on privilégie les enregistrements avec Ángel Vargas qui pousse d’Agostino à plus de douceur et de romantisme. On notera un appel en début de morceau, au bandonéon, différents des versions précédentes.
Racing Club 1949-10-13 – Orquesta Alfredo Gobbi.
Le moins qu’on puisse dire est que Gobbi n’est pas très apprécié/passé en milonga, mais si on le passe, c’est avec Racing Club et Orlando Goñi, La viruta et bien sûr Independiente Club qui est le pendant parfait de Racing Club, puisque c’est un club concurrent. Peu de DJ s’aventurent beaucoup plus loin et c’est sans doute mieux ainsi, car il est difficile de faire une belle tanda, homogène, avec le reste de ses enregistrements… Gobbi utilise le même appel au bandonéon que D’Agostino.
Racing Club 1950-09-13 – Orquesta Rodolfo Biagi.
Racing Club 1950-09-13 – Orquesta Rodolfo Biagi. Bon, c’est du Biagi. Cela se reconnaît dès le début, Biagi entre directement dans le « Tchang – Tchang » qui lui est cher. Ceux qui n’ont pas reconnu, le feront au bout des quinze premières secondes, lors de la première virgule (la petite fioriture) de Biagi au piano. Même si Biagi a de nombreux fans, il est difficile de mettre plus de deux tandas de cet orchestre dans une milonga si on veut proposer un éventail de sensations plus large. Mais certains sont prêts à danser toute la nuit avec Biagi, alors, ojo comme on dit en Argentine, attention, DJ, on t’a à l’œil, ou plutôt à l’oreille).
Racing Club 1966-10-07 – Los Siete Del Tango dir. y arr. Luis Stazo y Orlando Trípodi.
Pour terminer, cette liste qui pourrait bien sûr être plus longue, cette version par les anciens musiciens de Pugliese, Los Siete Del Tango (les 7 du tango). On n’est plus dans la danse, mais c’est de la belle ouvrage. On notera que le début est celui de D’Agostino, mais revu. Il est plus lent et annonce une pause avant le début du morceau.
Pour réconcilier les footeux et les tangueros et faire plaisir à ceux qui sont les deux
Je vous propose cette vidéo avec comme musique, Quejas de bandoneón par Aníbal Troilo, dansé à SanTelmo (quartier de buenos Aires) par un couple virtuose du ballon rond. Petite fantaisie, Troilo était hincha de River Plate (Les anglo-saxons parlent de River Plate pour le Río de la Plata), pas du Racing, mais comme fanatique de football, il me pardonnera sans doute, d’autant plus qu’il a enregistré Racing Club… Pour le Racing, il faudrait plutôt choisir Atilio Stampone qui était hincha de ce club, mais il n’a pas enregistré le titre…
Réalisé pour la coupe du Monde de 2018, ce film était dans le cadre de la campagne futbol deporte nacional (Football, Sport National).
Allez, un dernier truc, une playlist pour hinchas de Racing sur Spotify… ATTENTION, cela n’a rien de tango, c’est juste pour vous aider à prendre la dimension du phénomène football en Argentine.
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