Archives de catégorie : Anécdotas de tango

Nunca más 1941-07-14 – Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré

Francisco Lomuto Letra: Oscar Lomuto

Nunca más, est comme un cri lancé. Nunca más exprime la rage, le désespoir, l’espoir. Nunca más, c’est un des plus beaux thèmes enregistrés par D’Arienzo avec Mauré. Nunca más est une œuvre de deux des frères Lomuto, Francisco qui en a fait la musique et Oscar qui a écrit les paroles. Un tango qui exprime la rage, le désespoir, l’espoir. C’est notre tango du jour.

Extrait musical

Nunca más 1941-07-14 – Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré.
Nunca más. Francisco Lomuto Letra: Oscar Lomuto.

Paroles

En una noche de falsa alegría
tus ojos claros volví a recordar
y entre los tangos, el vino y la orgía,
busqué febril tu recuerdo matar.
Recordaba mi dicha sin igual
que a vos sola mi vida consagré,
pero ingrata te fuiste y en mi mal
triste y solo, cobarde, te lloré.

Eras
la ilusión de mi vida
toda
mi alegría y mi pasión.
Mala,
yo que te quise por buena
en tus dulces labios, nena,
me he quemado el corazón.
Linda,
muñequita mimosa,
siempre,
en mi corazón estás,
Nena,
acordate de la pena
que me dio tu boca, loca,
cuando dijo: ¡Nunca más!

Entre milongas y timbas, mi vida
pasando va estas horas inquietas,
de penas lleno, el alma oprimida,
pálido el rostro como una careta.
Arrepentida, nunca vuelvas, jamás
a pedir desolada mi perdón.
¡No olvides que al decirme nunca más,
me dejaste, mujer, sin corazón!…

Francisco Lomuto Letra: Oscar Lomuto

Traduction libre

Par une nuit de joie factice, je me suis rappelé tes yeux clairs et entre les tangos, le vin et l’orgie, j’ai cherché fébrilement à tuer ton souvenir.
Je me suis souvenu de mon bonheur sans pareil d’avoir consacré ma vie à toi seul, mais ingrate, tu t’en es allée et dans mon mal triste et solitaire, lâche, je t’ai pleurée.
Tu étais l’amour (« ilusión » n’est pas « illusion ») de ma vie, toute ma joie et ma passion.
Mauvaise, moi qui t’ai aimé pour le bien sur tes douces lèvres, petite, j’ai brûlé mon cœur.
Belle, poupée câline, tu es toujours, dans mon cœur, Petite, souviens-toi du chagrin que ta bouche folle m’a donné, quand elle a dit : Plus jamais !
Entre milongas et timbas (tripot, boîtes de jeu clandestines), ma vie passe par ces heures agitées, pleines de chagrins, l’âme oppressée, le visage pâle comme un masque.
Repentante, jamais tu ne reviens, jamais à demander, désolée, mon pardon.
N’oublie pas qu’en disant plus jamais, tu m’as laissé, femme, sans cœur !… (la virgule change le sens de la phrase. Là, c’est probablement lui qui est sans cœur, même s’il est sous-entendu qu’elle a également été sans cœur de l’abandonner. J’y vois une façon subtile de la mettre en cause, mais sans l’attaquer de front, au cas où elle reviendrait…).

Autres versions

Nunca más 1924 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras).

Gardel est le premier à avoir enregistré le titre, environ deux ans après son écriture.

Nunca más 1927-07-19 – Orquesta Francisco Lomuto.

Trois ans après Gardel, Lomuto enregistre le titre conçu avec son frère. Une version bien canyengue. Pas vilain, mais à réserver aux amateurs du genre. Le bandonéon de Minotto Di Cicco est bien virtuose pour l’époque.

Nunca más 1931-08-27 – Orquesta Francisco Lomuto con Alberto Acuña y Fernando Díaz.

Une version plus tonique, qui montre mieux la colère de l’homme abandonné. Enfin, pour le début, car quand les chanteurs commencent d’une voix miaulante, tout retombe. Je ne suis pas convaincu par ce duo. Ce ne sera pas ma version préférée, mais il y en a tant d’autres que ce n’est pas un problème… Le plus étonnant est que c’est la plus diffusée. Une fois les chanteurs muets, la musique reprend, plus entraînante, c’était juste un « mauvais moment » à passer. Comme quoi, les goûts et les couleurs… On notera que Oscar Napolitano qui a remplacé un autre frère de Lomuto (Enrique) intervient de façon sympathique.

Nunca más 1931-11-10 – Alberto Gómez con acomp. de guitarras.

Gómez propose une version chantée, sans doute plus sympathique que celle de Gardel.

Nunca más 1932-01-12 – Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro.

On reste dans les versions à écouter avec Ada Falcón. Elle met au service du titre sa diction et son phrasé particulier. C’est un autre titre sympathique à écouter.

Nunca más 1941-07-14 – Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré.

C’est notre tango du jour. Il reprend le début tonique de la version de 1931 de Lomuto, mais avec la rage de D’Arienzo à pleine puissance. Une énergie fantastique se dégage de ce titre et donnera un élan irrépressible aux danseurs. Ce qui est merveilleux est que Mauré s’inscrit dans cette dynamique sans faire chuter la dynamique, même si l’orchestre se met en retrait pendant son intervention. C’est un des très grands titres de danse de D’Arienzo. Ce n’est pas par hasard que je l’ai choisi comme tango du jour…

Nunca más 1948-09-23 – Orquesta Miguel Caló con Roberto Arrieta.

On change d’univers avec Miguel Caló. On est surpris par de nombreux changements de tonalité. Même si la voix de Arrieta est belle, on aura sans doute mal à soulever l’enthousiasme des danseurs avec cette version.

Nunca más 1950-04-25 – Orquesta Francisco Lomuto con Miguel Montero.

De fin à 1949 à fin 1950, Montero a enregistré de quoi faire une tanda calme et nostalgique avec Lomuto, mais je pense que ceux qui adorent Montero sont plus des auditeurs que des danseurs.

Nunca más 1956-08-31 – Ángel Vargas y su Orquesta dirigida por Edelmiro « Toto » D’Amario.

Sans son partenaire ange, (D’Agostino), Vargas poursuit sa carrière. L’orchestre de Toto propose un accompagnement de qualité. La voix de Vargas est toujours merveilleuse. On écoutera donc sans doute ce titre avec plaisir dans un bon canapé.

Nunca más 1974-12-11 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe.

Avec son second chanteur fétiche, D’Arienzo renouvèlera-t-il le succès de la version de 1941 ? Pour moi, non. Cette version clinquante comme beaucoup d’enregistrement de cette époque a laissé de côté la qualité de la danse au profit du spectacle, voire de l’esbrouffe. Echagüe, lui-même donne trop de sensiblerie dans son interprétation. Je vous conseille de revenir au titre chanté par Mauré.

En résumé, pour moi, le DJ qui souhaite faire plaisir aux danseurs, il n’y a qu’une seule version pour une milonga de qualité, celle de 1941, même si certaines autres feront plaisir à l’écoute.

Histoire du corbeau qui dit Nunca más

Ce titre me fait penser au texte d’Edgar Allan Poe, Le corbeau (The raven).En voici la version en anglais et à la suite, la version traduite en français par Charles Baudelaire.

Nevermore (Nunca más).

Paroles

‘Once upon a midnight dreary, while I pondered, weak and weary,
Over many a quaint and curious volume of forgotten lore—
While I nodded, nearly napping, suddenly there came a tapping,
As of some one gently rapping, rapping at my chamber door.
“’Tis some visitor,” I muttered, “tapping at my chamber door—
Only this and nothing more.”

Ah, distinctly I remember it was in the bleak December;
And each separate dying ember wrought its ghost upon the floor.
Eagerly I wished the morrow; —vainly I had sought to borrow
From my books surcease of sorrow – sorrow for the lost Lenore—
For the rare and radiant maiden whom the angels name Lenore—
Nameless here for evermore.

And the silken, sad, uncertain rustling of each purple curtain
Thrilled me – filled me with fantastic terrors never felt before;
So that now, to still the beating of my heart, I stood repeating
“’Tis some visitor entreating entrance at my chamber door—
Some late visitor entreating entrance at my chamber door; —
This it is and nothing more.”

Presently my soul grew stronger; hesitating then no longer,
“Sir,” said I, “or Madam, truly your forgiveness I implore;
But the fact is I was napping, and so gently you came rapping,
And so faintly you came tapping, tapping at my chamber door,
That I scarce was sure I heard you” – here I opened wide the door; —
Darkness there and nothing more.

Deep into that darkness peering, long I stood there wondering, fearing,
Doubting, dreaming dreams no mortal ever dared to dream before;
But the silence was unbroken, and the stillness gave no token,
And the only word there spoken was the whispered word, “Lenore?”
This I whispered, and an echo murmured back the word, “Lenore!”–
Merely this and nothing more.

Back into the chamber turning, all my soul within me burning,
Soon again I heard a tapping somewhat louder than before.
“Surely,” said I, “surely that is something at my window lattice;
Let me see, then, what thereat is, and this mystery explore—
Let my heart be still a moment and this mystery explore; —
’Tis the wind and nothing more!”

Open here I flung the shutter, when, with many a flirt and flutter,
In there stepped a stately Raven of the saintly days of yore;
Not the least obeisance made he; not a minute stopped or stayed he;
But, with mien of lord or lady, perched above my chamber door—
Perched upon a bust of Pallas just above my chamber door—
Perched, and sat, and nothing more.

Then this ebony bird beguiling my sad fancy into smiling,
By the grave and stern decorum of the countenance it wore,
“Though thy crest be shorn and shaven, thou,” I said, “art sure no craven,
Ghastly grim and ancient Raven wandering from the Nightly shore—
Tell me what thy lordly name is on the Night’s Plutonian shore!”
Quoth the Raven “Nevermore.”

Much I marvelled this ungainly fowl to hear discourse so plainly,
Though its answer little meaning – little relevancy bore;
For we cannot help agreeing that no living human being
Ever yet was blessed with seeing bird above his chamber door—
Bird or beast upon the sculptured bust above his chamber door,
With such name as “Nevermore.”

But the Raven, sitting lonely on the placid bust, spoke only
That one word, as if his soul in that one word he did outpour.
Nothing farther then he uttered – not a feather then he fluttered—
Till I scarcely more than muttered “Other friends have flown before—
On the morrow he will leave me, as my Hopes have flown before.”
Then the bird said “Nevermore.”

Startled at the stillness broken by reply so aptly spoken,
“Doubtless,” said I, “what it utters is its only stock and store
Caught from some unhappy master whom unmerciful Disaster
Followed fast and followed faster till his songs one burden bore—
Till the dirges of his Hope that melancholy burden bore
Of ‘Never – nevermore’.”

But the Raven still beguiling all my fancy into smiling,
Straight I wheeled a cushioned seat in front of bird, and bust and door;
Then, upon the velvet sinking, I betook myself to linking
Fancy unto fancy, thinking what this ominous bird of yore—
What this grim, ungainly, ghastly, gaunt, and ominous bird of yore
Meant in croaking “Nevermore.”

This I sat engaged in guessing, but no syllable expressing
To the fowl whose fiery eyes now burned into my bosom’s core;
This and more I sat divining, with my head at ease reclining
On the cushion’s velvet lining that the lamp-light gloated o’er,
But whose velvet-violet lining with the lamp-light gloating o’er,
She shall press, ah, nevermore!

Then, methought, the air grew denser, perfumed from an unseen censer
Swung by Seraphim whose foot-falls tinkled on the tufted floor.
“Wretch,” I cried, “thy God hath lent thee – by these angels he hath sent thee
Respite – respite and nepenthe from thy memories of Lenore;
Quaff, oh quaff this kind nepenthe and forget this lost Lenore!”
Quoth the Raven “Nevermore.”

“Prophet!” said I, “thing of evil! – prophet still, if bird or devil! —
Whether Tempter sent, or whether tempest tossed thee here ashore,
Desolate yet all undaunted, on this desert land enchanted—
On this home by Horror haunted – tell me truly, I implore—
Is there–is there balm in Gilead? – tell me–tell me, I implore!”
Quoth the Raven “Nevermore.”

“Prophet!” said I, “thing of evil! – prophet still, if bird or devil!
By that Heaven that bends above us – by that God we both adore—
Tell this soul with sorrow laden if, within the distant Aidenn,
It shall clasp a sainted maiden whom the angels name Lenore—
Clasp a rare and radiant maiden whom the angels name Lenore.”
Quoth the Raven “Nevermore.”

“Be that word our sign of parting, bird or fiend!” I shrieked, upstarting–
“Get thee back into the tempest and the Night’s Plutonian shore!
Leave no black plume as a token of that lie thy soul hath spoken!
Leave my loneliness unbroken! – quit the bust above my door!
Take thy beak from out my heart, and take thy form from off my door!”
Quoth the Raven “Nevermore.”

And the Raven, never flitting, still is sitting, still is sitting
On the pallid bust of Pallas just above my chamber door;
And his eyes have all the seeming of a demon’s that is dreaming,
And the lamp-light o’er him streaming throws his shadow on the floor;
And my soul from out that shadow that lies floating on the floor
Shall be lifted – nevermore!’

Edgar Allan Poe, The raven.

Le corbeau (traduction en français de Charles Beaudelaire)

« Une fois, sur le minuit lugubre, pendant que je méditais, faible et fatigué, sur maint précieux et curieux volume d’une doctrine oubliée, pendant que je donnais de la tête, presque assoupi, soudain il se fit un tapotement, comme de quelqu’un frappant doucement, frappant à la porte de ma chambre. « C’est quelque visiteur, — murmurai-je, — qui frappe à la porte de ma chambre ; ce n’est que cela, et rien de plus. »
Ah ! distinctement je me souviens que c’était dans le glacial décembre, et chaque tison brodait à son tour le plancher du reflet de son agonie. Ardemment je désirais le matin ; en vain m’étais-je efforcé de tirer de mes livres un sursis à ma tristesse, ma tristesse pour ma Lénore perdue, pour la précieuse et rayonnante fille que les anges nomment Lénore, — et qu’ici on ne nommera jamais plus.
Et le soyeux, triste et vague bruissement des rideaux pourprés me pénétrait, me remplissait de terreurs fantastiques, inconnues pour moi jusqu’à ce jour ; si bien qu’enfin, pour apaiser le battement de mon cœur, je me dressai, répétant : « C’est quelque visiteur qui sollicite l’entrée à la porte de ma chambre, quelque visiteur attardé sollicitant l’entrée à la porte de ma chambre ; — c’est cela même, et rien de plus. »
Mon âme en ce moment se sentit plus forte. N’hésitant donc pas plus longtemps : « Monsieur, — dis-je, — ou madame, en vérité j’implore votre pardon ; mais le fait est que je sommeillais, et vous êtes venu frapper si doucement, si faiblement vous êtes venu taper à la porte de ma chambre, qu’à peine étais-je certain de vous avoir entendu. » Et alors j’ouvris la porte toute grande ; — les ténèbres, et rien de plus !
Scrutant profondément ces ténèbres, je me tins longtemps plein d’étonnement, de crainte, de doute, rêvant des rêves qu’aucun mortel n’a jamais osé rêver ; mais le silence ne fut pas troublé, et l’immobilité ne donna aucun signe, et le seul mot proféré fut un nom chuchoté : « Lénore ! » — C’était moi qui le chuchotais, et un écho à son tour murmura ce mot : « Lénore ! » — Purement cela, et rien de plus.
Rentrant dans ma chambre, et sentant en moi toute mon âme incendiée, j’entendis bientôt un coup un peu plus fort que le premier. « Sûrement, — dis-je, — sûrement, il y a quelque chose aux jalousies de ma fenêtre ; voyons donc ce que c’est, et explorons ce mystère. Laissons mon cœur se calmer un instant, et explorons ce mystère ; — c’est le vent, et rien de plus. »
Je poussai alors le volet, et, avec un tumultueux battement d’ailes, entra un majestueux corbeau digne des anciens jours. Il ne fit pas la moindre révérence, il ne s’arrêta pas, il n’hésita pas une minute ; mais, avec la mine d’un lord ou d’une lady, il se percha au-dessus de la porte de ma chambre ; il se percha sur un buste de Pallas juste au-dessus de la porte de ma chambre ; — il se percha, s’installa, et rien de plus.
Alors cet oiseau d’ébène, par la gravité de son maintien et la sévérité de sa physionomie, induisant ma triste imagination à sourire : « Bien que ta tête, — lui dis-je, — soit sans huppe et sans cimier, tu n’es certes pas un poltron, lugubre et ancien corbeau, voyageur parti des rivages de la nuit. Dis-moi quel est ton nom seigneurial aux rivages de la Nuit plutonienne ! » Le corbeau dit : « Jamais plus ! »
Je fus émerveillé que ce disgracieux volatile entendît si facilement la parole, bien que sa réponse n’eût pas un bien grand sens et ne me fût pas d’un grand secours ; car nous devons convenir que jamais il ne fut donné à un homme vivant de voir un oiseau au-dessus de la porte de sa chambre, un oiseau ou une bête sur un buste sculpté au-dessus de la porte de sa chambre, se nommant d’un nom tel que Jamais plus !
Mais le corbeau, perché solitairement sur le buste placide, ne proféra que ce mot unique, comme si dans ce mot unique il répandait toute son âme. Il ne prononça rien de plus ; il ne remua pas une plume, — jusqu’à ce que je me prisse à murmurer faiblement : « D’autres amis se sont déjà envolés loin de moi ; vers le matin, lui aussi, il me quittera comme mes anciennes espérances déjà envolées. » L’oiseau dit alors : « Jamais plus ! »
Tressaillant au bruit de cette réponse jetée avec tant d’à-propos : « Sans doute, — dis-je, — ce qu’il prononce est tout son bagage de savoir, qu’il a pris chez quelque maître infortuné que le Malheur impitoyable a poursuivi ardemment, sans répit, jusqu’à ce que ses chansons n’eussent plus qu’un seul refrain, jusqu’à ce que le De profundis de son Espérance eût pris ce mélancolique refrain : Jamais, jamais plus !
Mais, le corbeau induisant encore toute ma triste âme à sourire, je roulai tout de suite un siège à coussins en face de l’oiseau et du buste et de la porte ; alors, m’enfonçant dans le velours, je m’appliquai à enchaîner les idées aux idées, cherchant ce que cet augural oiseau des anciens jours, ce que ce triste, disgracieux, sinistre, maigre et augural oiseau des anciens jours voulait faire entendre en croassant son Jamais plus !
Je me tenais ainsi, rêvant, conjecturant, mais n’adressant plus une syllabe à l’oiseau, dont les yeux ardents me brûlaient maintenant jusqu’au fond du cœur ; je cherchais à deviner cela, et plus encore, ma tête reposant à l’aise sur le velours du coussin que caressait la lumière de la lampe, ce velours violet caressé par la lumière de la lampe que sa tête, à Elle, ne pressera plus, — ah ! jamais plus !
Alors il me sembla que l’air s’épaississait, parfumé par un encensoir invisible que balançaient des séraphins dont les pas frôlaient le tapis de la chambre. “Infortuné ! — m’écriai-je, — ton Dieu t’a donné par ses anges, il t’a envoyé du répit, du répit et du népenthès dans tes ressouvenirs de Lénore ! Bois, oh ! bois ce bon népenthès, et oublie cette Lénore perdue !” Le corbeau dit : “Jamais plus !”
“Prophète ! — dis-je, — être de malheur ! oiseau ou démon, mais toujours prophète ! que tu sois un envoyé du Tentateur, ou que la tempête t’ait simplement échoué, naufragé, mais encore intrépide, sur cette terre déserte, ensorcelée, dans ce logis par l’Horreur hanté, — dis-moi sincèrement, je t’en supplie, existe-t-il, existe-t-il ici un baume de Judée ? Dis, dis, je t’en supplie !” Le corbeau dit : “Jamais plus !”
“Prophète ! — dis-je, — être de malheur ! oiseau ou démon ! toujours prophète ! par ce Ciel tendu sur nos têtes, par ce Dieu que tous deux nous adorons, dis à cette âme chargée de douleur si, dans le Paradis lointain, elle pourra embrasser une fille sainte que les anges nomment Lénore, embrasser une précieuse et rayonnante fille que les anges nomment Lénore.” Le corbeau dit : “Jamais plus !”
“Que cette parole soit le signal de notre séparation, oiseau ou démon ! — hurlai-je en me redressant. — Rentre dans la tempête, retourne au rivage de la Nuit plutonienne ; ne laisse pas ici une seule plume noire comme souvenir du mensonge que ton âme a proféré ; laisse ma solitude inviolée ; quitte ce buste au-dessus de ma porte ; arrache ton bec de mon cœur et précipite ton spectre loin de ma porte !” Le corbeau dit : “Jamais plus !”
Et le corbeau, immuable, est toujours installé, toujours installé sur le buste pâle de Pallas, juste au-dessus de la porte de ma chambre ; et ses yeux ont toute la semblance des yeux d’un démon qui rêve ; et la lumière de la lampe, en ruisselant sur lui, projette son ombre sur le plancher ; et mon âme, hors du cercle de cette ombre qui gît flottante sur le plancher, ne pourra plus s’élever, — jamais plus ! »

Et voici, pour terminer, une version cinématographique de haute volée. À demain, les amis !

Los Simpson (The Simpsons) de Matt GroeningThe Raven d’Edgar Allan Poe.
Vous pouvez afficher les sous-titres dans la langue souhaitée…

Veneración 1933-07-13 – Orquesta Edgardo Donato

Osvaldo Donato Letra: Adolfo A. Vedani

Edgardo Donato a fait une double réussite en enregistrant cette valse composée par son frère. La première est d’avoir exécuté une valse magnifique, la seconde est d’avoir écarté les paroles de cet enregistrement. En effet, si les paroles nous permettent de comprendre le titre, elles sont plutôt médiocres et il est vraiment préférable que les auditeurs et danseurs imaginent leur propre histoire sur la musique.

Extrait musical

Veneración 1933-07-13 – Orquesta Edgardo Donato.
Veneración. Partition Osvaldo Donato Letra: Adolfo A. Vedani.

L’attention est attirée par les coups de « klaxon ». Cela attire aussi l’attention des danseurs qui peuvent se demander ce qui se passe et ce qui va passer. Après 25 secondes, la valse démarre, elle tourne imperturbablement, ce titre est entraînant et plait en général aux danseurs qui aiment les valses. Certains n’aiment pas les valses, tant pis pour eux…

Paroles (extrait)

Amada mía, pido en mis ruegos
Al de los cielos con gran devoción
Que te conserve fresca y lozana rosa
Temprana de mi honda pasión
Tu eres alivio de mis pesares que en otros lares
Yo conquisté pues en tus labios
Que son dos corales hallé la dulce calma que ambicioné.
Mujer amada diosa divina, con tu cariño yo soy feliz.
Si el me faltara mi vida muere
Por qué tú eres mi único amor pues con tus besos y tus caricias
Calmas las penas de mi existir
Porque en mis noches de cruel insomnio
Sabes calmarme con tu elixir

Adolfo A. Vedani

Traduction libre

On comprend pourquoi on ne trouve pas de version avec les paroles. L’intention est touchante, mais le résultat est assez pauvre et plat.Mon aimée, je demande dans mes prières vers les cieux, avec une grande dévotion, qu’il te garde fraîche et luxuriante rose.
Dès le début de ma passion profonde, tu es le soulagement de mes chagrins, plus que toute autre personne généreuse (lare signifie en lunfardo personne généreuse, ou corps…).
J’ai conquis ensuite sur tes lèvres qui sont deux coraux, j’ai trouvé le doux calme que je convoitais.
Femme aimée, déesse divine, avec ton affection, je suis heureux.
Si elle me faisait défaut, ma vie mourrait.
Parce que tu es mon seul amour et que de tes baisers et de tes caresses tu apaises les chagrins de mon existence.
Parce que dans mes nuits d’insomnie cruelle, tu sais comment me calmer avec ton élixir.
Cet extrait des paroles permet de comprendre le thème de la valse. Comme la seule version enregistrée est celle de Donato et qu’elle est instrumentale, je pense que vous pouvez oublier les paroles et ne garder que les images que vous souhaitez pour vous inspirer dans la danse…

Autres versions

Il n’y a pas d’autre version… Vous pouvez donc réécouter cette jolie valse 😉

Mais avant de nous quitter, je vous pose la question de si vous préférez cette valse avec son assez longue introduction de 25 secondes ou en entrée directe. Comme DJ, j’ai tendance à supprimer l’introduction en milieu de tanda, mais beaucoup moins en début de tanda, l’introduction étant un appel. Les danseurs peuvent terminer tranquillement les miradas/cabeceos et être sur la piste au moment où la musique démarre. J’annonce juste au micro que ce sont des valses et que ça démarre après l’introduction.

Veneración 1933-07-13 – Orquesta Edgardo Donato (avec l’introduction de 25 secondes).
Veneración 1933-07-13 – Orquesta Edgardo Donato (sans l’introduction)

Sondage

À demain, les amis !

Mi vieja linda 1941 – Orquesta Emilio Pellejero con Enalmar De María

Ernesto Céspedes Polanco (Musique et paroles)

En 2012, le thème du festival Tangopostale de Toulouse était les deux rives. À cette occasion, j’ai eu l’idée d’alterner les tandas argentines et uruguayennes. Entre les deux, une cortina réalisée pour l’occasion permettait de matérialiser le passage d’une rive à l’autre. Je me souviens de l’accueil enthousiaste pour Mi vieja linda qui était peu connue à l’époque, tout comme les versions de nombreux orchestres uruguayens qui n’étaient alors représentés que par Racciatti et Villasboas… Dix ans plus tard, le Sexteto Cristal a eu l’excellente idée de reprendre à l’identique Mi vieja linda, ce qui a permis à de nouvelles générations de danseurs de redécouvrir cette milonga festive, comme beaucoup de musiques uruguayennes.

Extrait musical

Mi vieja linda 1941 – Orquesta Emilio Pellejero con Enalmar De María.
Mi vieja linda. Partition pour quatre guitares.

Paroles

Mi vieja linda
Pensando en vos
Se me refresca
El corazón
Desde el día que te vi
Tras de la reja
En mi pecho abrió una flor
Como una luz
Y la pasión
Alumbró mi corazón
Mi vieja linda
Pensando en vos
Me siento bueno
Como el mejor
Y cuando un beso te doy
Boca con boca
Yo paladeo el sabor
De estar en vos
Que estar así
Corazón a corazón

Ernesto Céspedes Polanco

Traduction libre

Ma jolie chérie (vieja est la mère, ou la femme chérie. Vu le reste des paroles, c’est la seconde option la bonne…), en pensant à toi, mon cœur est rafraîchi.
Depuis le jour où je t’ai vu, à travers la grille, une fleur s’est ouverte dans ma poitrine, comme une lumière et la passion a illuminé mon cœur.
Ma jolie chérie, je pense à toi.
Je me sens bien, comme le meilleur et quand je te donne un baiser, bouche contre bouche, je savoure le goût d’être en toi, d’être ainsi, cœur à cœur.

Autres versions

Mi vieja linda 1941 – Orquesta Emilio Pellejero con Enalmar De María. C’est notre milonga du jour.
Mi vieja linda 2022-07-12 – Sexteto Cristal con Guillermo Rozenthuler.

Comparaison des deux versions

Vous l’aurez remarqué, les deux versions sont très semblables. Le Sexteto Cristal a reproduit exactement l’interprétation de Emilio Pellejero. Pour vous permettre de vérifier que le travail est excellent, je vous propose d’écouter les deux musiques en même temps.
Vous pourrez constater que la plupart du temps, la musique est synchronisée. Cela veut dire que les danseurs pourront danser indifféremment sur une version ou l’autre, sans différence notable.

Le Sexteto Crital a eu l’excellente idée d’interpréter « Mi vieja linda » de Ernesto Céspedes Polanco et qui était connu principalement pour la version enregistrée en 1941 par Emilio Pellejero avec la voix d’Enalmar De María. Sa reproduction de la version originale est presque parfaite comme vous le verrez dans cette vidéo. Les deux versions jouent en même temps et sont presque toujours synchronisées.

Les deux rives

L’année dernière au festival de Tarbes, il y avait le Sexteto Cristal qui a bien sûr joué son titre fétiche. J’intervenais le lendemain dans la Halle Marcadieu et j’ai pu passer la version originale de Pellejero afin de rendre à César (plutôt Emilio) ce qui était à Emilio Pellejero et je pourrais également rajouter Ernesto, Ernesto Céspedes Polanco, l’auteur de la musique et des paroles et qui a réalisé quelques titres principalement interprétés par Emilio Pellejero comme Paloma que vuelas et Quemando recuerdos, les deux avec des paroles de Fernando Silva Valdés.
Il est d’usage de dire que le tango est un enfant des deux rives du Rio de la Plata, Buenos Aires et sa Jumelle orientale, Montevideo. Le passage d’un pays à l’autre était courant pour ne pas dire constant pour les orchestres. La perméabilité entre les deux rives était donc extrême. Cependant, la plupart des artistes qui ont cherché à développer leur carrière se sont centrés sur Buenos Aires, comme Francisco Canaro, né Uruguayen et naturalisé Argentin.

À Donato Racciatti et Miguel Villasboas, on peut rajouter quelques orchestres uruguayens moins connus :
Nelson Alberti, Julio Arregui, Juan Cao, Antonio Cerviño, Roberto Cuenca, Romeo Gavioli, Álvaro Hagopián, Juan Manuel Mouro, Ángel Sica, Julio Sosa.

Durant la pandémie COVID, je diffusais une milonga hebdomadaire et le fait de passer aussi des orchestres uruguayens m’avait attiré la sympathie d’auditeurs de ce pays et j’avais reçu de nombreuses informations via Messenger. Malheureusement, la fermeture par Facebook de mon compte de l’époque m’a fait perdre toutes ces informations. Je me souviens de contacts d’enfants de musiciens et de témoignages sur les orchestres de l’époque que je n’avais pas mis au propre, par manque de temps de traiter ces informations très riches. Je comptais également enrichir ma discothèque à partir de ces sources. Si mes contacts de l’époque lisent ce blog, qu’ils n’hésitent pas à reprendre contact…

Cruzando el Rio de la Plata – Volver (Chamuyo) et bruitages DJ BYC. Une des cortinas des deux rives de Tangopostale 2012. DJ BYC Bernardo. Les effets stéréo de la traversée sont bien sur perdus à cause de la nécessité de passer les fichiers en mono pour le blog (limite de taille des fichiers à 1Mo).
Mi vieja linda 1941. Femme à la fenêtre Antoine Bourdelle.

Pour réaliser cette image, j’ai utilisé une peinture d’Antoine Bourdelle, un sculpteur génial dont on peut voir les œuvres à Buenos Aires, Toulouse et à Paris où sa maison musée est une merveille.

Antoine Bourdelle, Femme à la fenêtre, Huile sur toile, Paris, musée Bourdelle

La capilla blanca 1944-07-11 – Orquesta Carlos Di Sarli con Alberto Podestá

Carlos Di Sarli Letra : Héctor Marcó (Héctor Domingo Marcolongo)

Une grande partie des titres composés par Carlos Di Sarli ont des paroles de Héctor Marcó, comme Corazón (le premier titre de leur collaboration), Porteño y bailarín, Nido gaucho, Juan Porteño, En un beso la vida, Rosamel, Bien frappé, et la merveille d’aujourd’hui, La capilla blanca, transcendée par la voix de Alberto Podestá.

Héctor Marcó écrira les paroles de ce tango à la suite d’une expérience personnelle. Carlos Di Sarli le mettra soigneusement en musique, avec le temps nécessaire pour donner sa mesure à un sujet qui parlait à sa sensibilité. Di Sarli n’était pas un compositeur de l’instant, il savait prendre son temps…

Comme vous le découvrirez à la lecture des paroles si vous ne les connaissiez pas, ce tango pourrait être l’objet d’un fait divers, comme en relatent les journalistes, journalistes auquel ce tango est dédié.

”Existe un gremio que siempre pidió para los demás, y nunca para sí mismo. …Ese gremio, es el de los periodistas. Muy justo entonces que yo lo recuerde con cariño y dedique a todos los periodistas de la Argentina, este tango”. Carlos Di Sarli.

Dédicace inscrite sur la couverture de la partition éditée par Julio Korn.

« Il existe un syndicat qui a toujours demandé pour les autres, et jamais pour lui-même… Ce syndicat c’est celui des journalistes. C’est donc très juste que je m’en souvienne avec affection et que je dédie ce tango à tous les journalistes argentins. » Carlos Di Sarli.

Si vous souhaitez en savoir plus sur ce titre, je vous conseille cet article de l’excellent blog Tango al Bardo.

Extrait musical

La capilla blanca 1944-07-11 – Orquesta Carlos Di Sarli con Alberto Podestá.

Les propositions légères des violons sont ponctuées de lourds accords du piano de Di Sarli. La tonalité passe du mode majeur au mode mineur à diverses reprises, suggérant des émotions mêlées. À 1:20 la chaleureuse voix de Podestá reprend le motif des violons. Le passage au second thème est signalé par un point d’orgue appuyé. Il déroule ensuite le début des paroles jusqu’à l’ultime note.

La capilla blanca. À gauche, édition Korn sur laquelle on peut lire la dédicace aux journalistes. Au centre et à droite, édition brésilienne de la Partition. Le chanteur est Victor Manuel Caserta. Je n’ai malheureusement pas trouvé d’interprétation enregistrée par lui. On notera qu’il est né à Buenos Aires de parents d’origine brésilienne. Il fut également poète, mais pas auteur de textes de tango, à ma connaissance.

Paroles

En la capilla blanca
de un pueblo provinciano,
muy junto a un arroyuelo de cristal,
me hincaban a rezar
tus manos…
Tus manos que encendían
mi corazón de niño.
Y al pie de un Santo Cristo,
las aguas del cariño
me dabas de (a) beber.

Feliz nos vio la luna
bajar por la montaña,
siguiendo las estrellas,
bebiendo entre tus cabras,
un ánfora de amor…
Y hoy son aves oscuras
esas tímidas campanas
que doblan a lo lejos
el toque de oración.
Tu voz murió en el río,
y en la capilla blanca,
quedó un lugar vacío
¡Vacío como el alma
de los dos…!

En la capilla blanca
de un pueblo provinciano,
muy junto a un arroyuelo de cristal,
presiento sollozar
tus labios…
Y cuando con sus duendes
la noche se despierta
al pie de Santo Cristo,
habrá una rosa muerta,
¡que ruega por los dos!

Carlos Di Sarli Letra: Héctor Marcó

Alberto Podestá et Mario Pomar chantent seulement ce qui est en gras.

Traduction libre

Dans la chapelle blanche d’un village provincial, tout près d’un ruisseau de cristal, tes mains m’ont agenouillé pour prier…
Tes mains qui ont illuminé mon cœur d’enfant.
Et au pied d’un Saint Christ, tu m’as donné à boire les eaux de l’affection.
La lune nous a vus descendre heureux de la montagne, suivant les étoiles, buvant parmi tes chèvres, une amphore d’amour…
Et aujourd’hui, ce sont des oiseaux obscurs, ces cloches timides qui sonnent au loin l’appel à la prière.
Ta voix s’est éteinte dans la rivière, et dans la chapelle blanche, une place vide a été laissée.
Vide comme l’âme des deux… !
Dans la chapelle blanche d’un village provincial, tout près d’un ruisseau de cristal, je sens tes lèvres sangloter…
Et quand avec ses duendes (sorte de gnomes, lutins de la mythologie argentine) la nuit se réveillera au pied du Saint Christ, il y aura une rose morte,
Priez pour nous deux !

Comme vous l’aurez noté, les paroles ont une connotation religieuse marquée. C’est assez courant dans le tango, l’Argentine n’ayant pas la séparation de l’église et de l’état comme cela peut se faire en France et la religion, les religions sont beaucoup plus présentes. Par ailleurs, Di Sarli était religieux et donc ce type de traitement du sujet n’était pas pour lui déplaire.

Autres versions

La capilla blanca 1944-07-11 – Orquesta Carlos Di Sarli con Alberto Podestá.

C’est notre tango du jour et probablement la version de référence pour ce titre. Podesta ne chante que les premiers couplets.

La capilla blanca 1953-06-26 – Orquesta Carlos Di Sarli con Mario Pomar (Mario Corrales).

J’aime beaucoup Mario Pomar. Cette version est suffisamment différente de celle de 1944 pour avoir tout son intérêt. Son tempo est plus lent, plus majestueux. Je peux passer indifféremment, selon les circonstances, l’une ou l’autre de ces versions.

La capilla blanca 1973 – Roberto Rufino.

Comment dire. Rufino qui a fait de si belles choses avec Di Sarli aurait peut-être pu se dispenser de cet enregistrement. Même pour l’écoute, je ne le trouve pas satisfaisant, mais je peux me tromper.

La capilla blanca 1973 – Alberto Podestá accomp. Orquesta de Leopoldo Federico.

La capilla blanca 1973 – Alberto Podestá accomp. Orquesta de Leopoldo Federico. Podestá enregistre de nouveau son grand succès. Ici, avec l’orchestre suave et discret de Leopoldo Federico.

La capilla blanca 1986 – Alberto Podestá accomp. Orquesta de Alberto Di Paulo. Encore Podestá.
La capilla blanca 2000c – Alberto Podestá accomp. Orquesta de Leopoldo Federico.

Podestá accompagné par Federico nous propose une autre version encore plus lente.

La capilla blanca 2008 (publication 2009-09) – José Libertella (Pepe) con Adalberto Perazzo.

Pepe Libertella, le leader du Sexteto Mayor propose cette version de notre tango du jour. Adalberto Perazzo chante tous les couplets, y compris la triste fin.

La capilla blanca 2011 – Orquesta Típica Gente de Tango con Héctor Morano.
La capilla blanca 2020-07-10 – Pablo Montanelli.

Dans son interprétation au piano, Pablo Montanelli fait ressortir le rythme de habanera à la main gauche.

L’illustration de couverture

Une chapelle blanche au bord d’une rivière, ça ne se trouve pas si facilement.
J’ai pensé délirer à partir de la création de Le Corbusier, Notre dame du haut à Ronchamp.

Notre Dame du Haut à Ronchamp, architecte Le Corbusier. Le cours d’eau au premier plan est bien sûr une création de ma part…

Premier jet que je n’ai pas continué, la chapelle aussi magnifique soit elle ne me paraît pas pouvoir convenir et je ne voyais pas comment l’intégrer avec une rivière qui aurait détruit la pureté de ses lignes.

J’ai pensé ensuite à différentes petites églises vues du côté de Salta ou Jujuy, comme l’église San José de Cachi dont j’adore le graphisme épuré.

Une photo brute, avant toute intervention de la Iglesia San José de Cachi.

Cette église a également les trois cloches, comme sur la partition éditée par Julio Korn. Cependant, cela fait trop église et pas assez chapelle. Trois cloches pour une chapelle, c’est trop, même si cela a peut-être été validé par Di Sarli et Marcó comme on l’a vu sur la partition éditée par Jules Korn.
Je pense que j’aurais pu en faire un truc intéressant, type art déco ou autre stylisation.
Une autre candidate aurait pu être la chapelle mystérieuse de Rio Blanco. Elle est assez proche du Rio Rosario. Je vous la laisse découvrir en suivant ce lien…
J’ai finalement opté pour l’image que j’ai choisie. Un paysage romantique, situé quelque part dans les Andes. Pourquoi les Andes, je ne sais pas. Sans doute que c’est, car il y a mes paysages préférés d’Argentine. Et puis le texte parle de montagne, alors, autant en choisir de belles…
La montagne a été constituée à partir d’éléments pris dans les Andes, dont le merveilleux pic de El Chalten, la montagne qui fume. La chapelle est en fait un ermitage dédié à la Virgen de Fátima en Asturies (Espagne). Ce n’est pas couleur locale, mais c’est la même église que José María Otero a utilisée pour son texte sur ce tango. Pour donner un effet romantique, l’eau est en pose longue et j’ai joué d’effets dans Photoshop, pour la lumière et l’aspect vaporeux. Je trouve que le résultat, avec sa rivière meurtrière et ce contre-jour dévoilant des ombres inquiétantes, exprime bien ce que je ressens à la lecture du texte de Héctor Marcó.

La capilla blanca, dans ce montage, vous reconnaîtrez El Chalten, la montagne qui fume, cet impressionnant pic de la Patagonie. La chapelle est en fait l’ermitage de la Virgen de Fátima en Asturies (Espagne).

À demain, les amis.

En tus ojos de cielo 1944-07-10 – Orquesta Miguel Caló con Raúl Berón

Osmar Maderna (Osmar Héctor Maderna) Letra: Luis Rubistein

Curieusement, Osmar Maderna ne semble pas avoir enregistré ce titre qu’il a composé. Pourtant, dans la version de Caló, on reconnaît bien son orchestration. Si on creuse un peu la question, on se rend compte qu’il l’a enregistré, comme pianiste de Miguel Caló et entouré des musiciens exceptionnels de cet orchestre. Il était difficile de faire mieux pour mettre en musique un de plus beaux poèmes d’amour du tango.

Les musiciens de Miguel Caló

Piano : Osmar Maderna. Son style délicat et simple cadre parfaitement avec la merveilleuse déclaration d’amour que constitue ce tango. Le bon homme à la bonne place, d’autant plus qu’il est l’auteur de la musique…
Bandonéons : Domingo Federico, Armando Pontier, José Cambareri (le mage du bandonéon et sa virtuosité époustouflante) et Felipe Ricciardi.
Violons : Enrique Francini, Aquiles Aguilar, Ariol Ghesaghi et Angel Bodas.
Contrebasse : Ariel Pedernera, dont nous avons entendu la version mutilée de 9 de Julio hier…

Extrait musical

En tus ojos de cielo 1944-07-10 – Orquesta Miguel Caló con Raúl Berón
Disque Odeon 8390 Face A San souci – Partition de En tus ojos de cielo – Face B En tus ojos de cielo.

Face A du disque San souci

Comme il n’y a pas d’autres enregistrements de notre tango du jour, je vous propose la face A du disque où a été gravé En tus ojos de cielo. Il s’agit de San souci de Enrique Delfino. Ce titre a été enregistré trois jours plus tôt, le vendredi 7 juillet 1944.

Sans souci 1944-07-07 – Orquesta Miguel Caló (Enrique Delfino).

Pour ceux qui aiment faire des tandas mixtes, il est envisageable de passer les deux faces du disque dans la même tanda. En effet, dans une milonga courte (5 heures), on passe rarement deux tandas de Calo. Pour éviter d’avoir à choisir entre instrumental et chanté, on peut commencer par deux titres chantés, puis terminer par deux titres instrumentaux. Les titres instrumentaux sont souvent un peu plus toniques ce qui justifie de les placer à la fin. Par ailleurs, ils sont aussi un peu plus intéressants pour la danse avec certains orchestres, car l’orchestre est plus libre, n’étant pas au service du chanteur. Bien sûr, ce n’est pas une règle et chaque association doit se faire en fonction du moment et des danseurs. On peut même envisager une tanda instrumentale tonique qui termine de façon plus romantique, par exemple en fin de milonga.

Paroles

Je trouve que c’est un magnifique poème d’amour. Luis Rubistein a fait ici une œuvre splendide.

Como una piedra tirada en el camino,
era mi vida, sin ternuras y sin fe,
pero una noche Dios te trajo a mi destino
y entonces con tu embrujo me desperté…
Eras un sueño de estrellas y luceros,
eras un ángel con perfume celestial.
Ahora sólo soy feliz porque te quiero
y en tus ojos olvidé mi viejo mal…

En tus ojos de cielo,
sueño un mundo mejor.
En tus ojos de cielo
que son mi desvelo,
mi pena y mi amor.
En tus ojos de cielo,
azulada canción,
tengo mi alma perdida,
pupilas dormidas
en mi corazón…

Vos dijiste que, al fin, la vida es buena
cuando un cariño nos embruja el corazón,
con tu ternura, luz de sombra para mi pena,
mi sombra ya no es sombra porque es canción…
Sólo me resta decir ¡bendita seas!,
alma de mi alma, esperanza y realidad.
Ya nunca ha de arrancarme de tus brazos,
porque en ellos hay amor, luz y verdad…

Osmar Maderna (Osmar Héctor Maderna) Letra: Luis Rubistein

Traduction libre

Comme une pierre jetée sur le chemin était ma vie, sans tendresse et sans foi, mais une nuit Dieu t’a conduite à mon destin et depuis avec ton sortilège je me suis réveillé…
Tu étais un rêve d’étoiles et d’astres (lucero peut parler de Vénus et des astres plus brillants que la moyenne), tu étais un ange au parfum céleste.
Maintenant seulement, je suis heureux parce que je t’aime et que dans tes yeux j’ai oublié mon ancien mal…
Dans tes yeux de ciel, je rêve d’un monde meilleur.
Dans tes yeux de ciel, qui sont mes insomnies, ma peine et mon amour.
Dans tes yeux de ciel, une chanson bleue, j’ai mon âme perdue, des pupilles endormies dans mon cœur…
Tu as dit que, finalement, la vie est bonne quand l’affection envoûte nos cœurs, avec ta tendresse, lumière d’ombre pour mon chagrin, mon ombre désormais n’est plus une ombre, car c’est une chanson…
Il ne me reste plus qu’à dire « que tu sois bénie ! », âme de mon âme, espérance et réalité.
Maintenant, rien ne m’arrachera jamais de tes bras, parce qu’en eux il y a l’amour, la lumière et la vérité…

Dans ses yeux

Les yeux bleus

Les yeux des femmes sont un sujet de choix pour les tangos. Ici, ils sont le paradis pour l’homme qui s’y abîme.
On retrouve le même thème chez Francisco Bohigas dans El cielo en tus ojos

El cielo en tus ojos
yo vi amada mía,
y desde ese día
en tu amor confié,
el cielo en tus ojos
me habló de alegrías,
me habló de ternuras
me dió valentías,
el cielo en tus ojos
rehizo mi ser.

Francisco Bohigas, El cielo en tus ojos
El cielo en tus ojos 1941-10-03 – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino.

Le ciel dans tes yeux, je l’ai vu ma bien-aimée, et à partir de ce jour-là j’ai fait confiance en ton amour, le ciel dans tes yeux m’a parlé de joie, il m’a parlé de tendresse, il m’a donné du courage, le ciel dans tes yeux a refait mon être.

Pour d’autres, comme Homero Expósito, les yeux fussent-il couleur de ciel, ne suffisent pas à le retenir auprès de la femme :

Eran sus ojos de cielo
el ancla más linda
que ataba mis sueños;
era mi amor, pero un día
se fue de mis cosas
y entró a ser recuerdo.

Qué me van a hablar de amorHomero Expósito
Qué me van a hablar de amor 1946-07-11 – Orquesta Aníbal Troilo con Floreal Ruiz

Ses yeux de ciel étaient l’ancre la plus belle qui liait mes rêves ; elle était mon amour, mais un jour, elle s’en fut de mes affaires et est devenue un souvenir.

Les autres couleurs d’yeux et en particulier les noirs

Je n’ai évoqué que très brièvement, les yeux bleus, couleur apportée par les colons européens, notamment Italiens, Français et d’Europe de l’Est, mais il y a des textes sur toutes les couleurs, même si les yeux noirs sont sans doute majoritaires…

  • Tus ojos de trigo (blé) dans Tu casa ya no está de Virgilio et son frère Homero Expósito, valse enregistrée par Osvaldo Pugliese avec Roberto Chanel en 1944.
  • Ojos verdes (tango par Juan Canaro) et vals par Humberto Canaro Letra: Alfredo Defilpo (superbe dans son interprétation par Francisco Canaro et Francisco Amor, ainsi qu’une autre valse par Manuel López, Quiroga Miquel Letra: Salvador Federico Valverde; Rafael de León; Arias de Saavedra.
  • Tus ojos de azúcar quemada (sucre brûlé) de Pedacito de Cielo de Homero Expósito, valse enregistrée par divers orchestres dont Troilo avec Fiorentino en 1942.
    Et la longue liste des yeux noirs, rien que dans le titre…
  • Dos ojos negros de Raúl Joaquín de los Hoyos Letra: Diego Arzeno
    Ojos negros d’après un air russe repris par Vicente Greco et des paroles de José Arolas (frère aîné de Eduardo) et d’autres de Pedro Numa Córdoba, mais aussi par Rosita Montemar (musique et paroles)
  • Ojos negros que fascinan de Manuel Salina Letra: Florián Rey.
  • Muchachita de ojos negro de Tito Insausti
  • Por unos ojos negros de José Dames Letra: Horacio Sanguinetti.
  • Tus ojos negros (valse) de Osvaldo Adriani (parolier inconnu)
  • Yo vendo unos ojos negros de Pablo Ara Lucena très connu dans l’interprétation de Mercedes Simone con Juan Carlos Cambon y Su Orquesta mais qui est tiré d’une tonada chilena (chanson chilienne) dont une belle version a été enregistrée par Moreyra – Canale y su Conjunto Criollo avec des arrangements de Félix Villa.

Et un petit coup d’œil aux origines du tango

Ces histoires d’yeux m’ont fait penser à l’œil noir de Carmen, la reine de la habanera de Georges Bizet (Un œil noir te regarde…).
Mais non, je ne me suis pas perdu loin du tango. Bizet a écrit Carmen pour flatter la femme de Napoléon III d’origine espagnole (Eugenia de Montijo, Guzman). Dans son opéra, il y a une célèbre habanera (Près des remparts de Séville), rythme qui est fréquent dans les anciens tangos, les milongas et la musique de Piazzolla, car ne l’oublions pas, le premier tango est d’origine espagnole.

Georges Bizet – Carmen : «  L’amour est un oiseau rebelle » sur un rythme de habanera. 2010 – Elina Garanca – Metropolitan Opera de New York Direction, Yannick Nézet-Séguin.

Le tango est en effet né dans les théâtres et pas dans les bordels et son inspiration est andalouse.
La zarzuela (sorte d’opéra du sud de l’Espagne mêlant chant, jeu d’acteur et danse) comportait différents rythmes dont la séguedille (que l’on retrouve dans Carmen dans Près des remparts de Séville) et la habanera. Les musiciens, qu’ils soient français ou espagnols, connaissaient donc ces musiques.
En 1857 pour le spectacle (une sorte de zarzuela) El gaucho de Buenos Aires O todos rabian por casarse de Estanislao del Campo, Santiago Ramos, un musicien espagnol a écrit Tomá mate, che. Nous n’avons évidemment pas d’enregistrement de l’époque, mais il y en a deux de 1951 qui reprennent la musique avec des adaptations et un titre légèrement différent. Je vous les propose :

Tomá mate, tomá mate 1951-05-18 – Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas.
Tomá mate, tomá mate 1951-10-15 – Lorenzo Barbero y su orquesta de la argentinidad con Rodolfo Florio y Carlos del Monte.

Évidemment, presque un siècle après l’écriture, il est certain que les arrangements de Canaro ont modifié la composition originale, mais je suis content de vous avoir présenté le tango au berceau.

D’autres candidats comme Bartolo tenía una fluta, dont on n’a, semble-t-il, pas de trace, mais qui est évoqué dans un certain nombre de titres comme Bartolo toca la flauta (ranchera) Che Bartolo (tango) ou La flauta de Bartolo (milonga) l’ont suivi.
Je citerai également El queco (bordel en lunfardo d’origine quechua) de la pianiste andalouse Heloise de Silva et dont le titre originel était Kico (diminutif de Francisco. Le clarinettiste Lino Galeano l’a adapté à l’air du temps en changeant Kico pour Queco, avec des paroles vulgaires. Le titre originel invitait Kico à danser, le nouveau texte est bien moins élégant, l’invitation n’est pas à danser. On arrive donc au bordel, mais on est en 1874. Quoi qu’il en soit, Queco a obtenu du succès et fut l’un des tout premiers tangos à être largement diffusé et qui confirme les origines andalouses du tango.
Je n’oublie pas l’origine « candombéenne », on reparlera un jour de El Negro Schicoba composé en 1866 par José María Palazuelos et interprété pour la première fois par Germán Mackay avec ses paroles le 24 mai 1867.

À suivre.

À demain, les amis !

9 de Julio (Nueve de Julio) 2009 – La Tuba Tango

1908 ou 1916 José Luis Padula Letra : 1916 ou 1919 Ricardo M. Llanes 1930 – 1931 Eugenio Cárdenas 1931 Lito Bayardo (Manuel Juan García Ferrari)

Le 9 juillet pour les Argentins, c’est le 4 juillet des Étasuniens d’Amérique, le 14 juillet des Français, c’est la fête nationale de l’Argentine. Elle commémore l’indépendance vis-à-vis de l’Espagne. José Luis Padula était assez bien placé pour écrire ce titre, puisque la signature de la Déclaration d’indépendance a été effectuée à San Miguel de Tucumán, son lieu natal, le 9 juillet 1816.

Padula prétend avoir écrit ce tango en 1908, à l’âge de 15 ans, sans titre particulier et qu’il a décidé de le dédier au 9 juillet dont on allait fêter le centenaire en 1916.
Difficile de vérifier ses dires. Ce qu’on peut en revanche affirmer c’est que Roberto Firpo l’a enregistrée en 1916 et qu’on y entend les cris de joie (étranges) des signataires (argentins) du traité.

Signature de la déclaration d’indépendance au Congreso de Tucumán (San Miguel de Tucumán) le 9 juillet 1816. Aquarelle de Antonio Gonzáles Moreno (1941).
José Luis Padula 1893 – 1945. Il a débuté en jouant de l’harmonica et de la guitare dès son plus jeune âge (son père était mort quand il avait 12 ans et a donc trouvé cette activité pour gagner sa vie). L’image de gauche est une illustration, ce n’est pas Padula. Au centre, Padula vers 1931 sur une partition de 9 de Julio avec les paroles de Lito Bayardo et à droite une photo peu avant sa mort, vers 1940.

Extrait musical

Partition pour piano de 9 de Julio. L’évocation de l’indépendance est manifeste sur les deux couvertures. On notera sur celle de droite la mention de Cardenas pour les paroles.
Autre exemple de partition avec un agrandissement de la dédicace au procurador titular Señor Gervasio Rodriguez. Il n’y a pas de mention de parolier sur ces paroles.
9 de Julio (Nueve de Julio) 2009 – La Tuba Tango.

Dès les premières notes, on note la truculence du tuba et l’ambiance festive que crée cet instrument. J’ai choisi cette version pour fêter le 9 juillet, car il n’existait pas d’enregistrement intéressant du 9 juillet. C’est que c’est un jour férié et les orchestres devaient plutôt animer la fête plutôt que d’enregistrer. L’autre raison est que le tuba est associé à la fanfare, au défilé et que donc, il me semblait adapté à l’occasion. Et la dernière raison et d’encourager cet orchestre créé en 1967 et qui s’est donné pour mission de retrouver la joie des versions du début du vingtième siècle. Je trouve qu’il y répond parfaitement et vous pouvez lui donner un coup de pouce en achetant pour un prix modique ses albums sur Bandcamp.

Paroles

Vous avez sans doute remarqué que j’avais indiqué plusieurs paroliers. C’est qu’il y a en fait quatre versions. C’est beaucoup pour un titre qui a surtout été enregistré de façon instrumentale… C’est en fait un phénomène assez courant pour les titres les plus célèbres, différents auteurs ajoutent des paroles pour être inscrits et toucher les droits afférents. Dans le cas présent, les héritiers de Padula ont fait un procès, preuve que les histoires de sous existent aussi dans le monde du tango. En effet, avec trois auteurs de paroles au lieu d’un, la part de la redistribution aux héritiers de Padula était d’autant diminuée.
Je vous propose de retrouver les paroles en fin d’article pour aborder maintenant les 29 versions. La musique avant tout… Ceux qui sont intéressés pourront suivre les paroles des rares versions chantées avec la transcription correspondante en la trouvant à la fin.

Autres versions

9 de Julio (Nueve de Julio) 1916 – Orquesta Roberto Firpo.

On y entend les cris de joie des signataires, des espèces de roucoulements que je trouve étranges, mais bon, c’était peut-être la façon de manifester sa joie à l’époque. L’interprétation de la musique, malgré son antiquité, est particulièrement réussie et on ne ressent pas vraiment l’impression de monotonie des très vieux enregistrements. On entend un peu de cuivres, cuivres qui sont totalement à l’honneur dans notre tango du jour avec La Tuba Tango.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1927-06-03 – Orquesta Roberto Firpo.

Encore Firpo qui nous livre une autre belle version ancienne une décennie après la précédente. L’enregistrement électrique améliore sensiblement le confort d’écoute.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1928-10-11 – Guillermo Barbieri, José María Aguilar, José Ricardo (guitarras).

Vous aurez reconnu les guitaristes de Gardel. Cet enregistrement a été réalisé à Paris en 1928. C’est un plaisir d’entendre les guitaristes sans la voix de leur « maître ». Cela permet de constater la qualité de leur jeu.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1929-12-04 – Orquesta Francisco Canaro.

Je trouve cette version un peu pesante malgré les beaux accents du piano de Luis Riccardi. C’est un titre à réserver aux amateurs de canyengue, tout au moins les deux tiers, la dernière variation plus allègre voit les bandonéons s’illuminer. J’aurais préféré que tout le titre soit à l’aune de sa fin. Mais bon, Canaro a décidé de le jouer ainsi…

9 de Julio (Nueve de Julio) 1930-04-04 – Orquesta Luis Petrucelli.

Le décès à seulement 38 ans de Luis Petrucelli l’a certainement privé de la renommée qu’il méritait. Il était un excellent bandonéoniste, mais aussi, comme en témoigne cet enregistrement, un excellent chef d’orchestre. Je précise toutefois qu’il n’a pas enregistré après 1931 et qu’il est décédé en 1941. Ces dernières 10 années furent consacrées à sa carrière de bandonéoniste, notamment pour Fresedo.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1931 – Agustín Magaldi con orquesta.

Magaldi n’appréciant pas les paroles de Eugenio Cárdenas fit réaliser une version par Lito Bayardo.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1931-08-15 – Orquesta Típica Columbia con Ernesto Famá.

Famá chante le premier couplet de Bayardo.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1935-12-31 – Orquesta Juan D’Arienzo.

C’est une des versions les plus connues, véritable star des milongas. L’impression d’accélération continue est sans doute une des clefs de son succès.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1939-07-04 – Charlo (accordéon et guitare).

Je ne sais pas d’où vient cet ovni. Je l’avais dans ma musique, extrait d’un CD Colección para entendidos – Época de oro vol. 6 (1926-1939). Charlo était pianiste en plus d’être chanteur (et acteur). Tout comme les guitaristes de Gardel qui ont enregistré 9 de Julio sous le nom de Gardel (voir ci-dessus l’enregistrement du 11 octobre 1928), il se peut qu’il s’agisse de la même chose. Le même jour, Charlo enregistrait comme chanteur avec ses guitaristes Divagando, No hay tierra como la mía, Solamente tú et un autre titre accordéon et guitare sans chant, la valse Añorando mi tierra.
On trouve d’autres titres sous la mention Charlo avec accordéon et guitare. La cumparsita et Recuerdos de mi infancia le 12 septembre 1939, Pinta brava, Don Juan, Ausencia et La polca del renguito le 8 novembre 1940. Il faut donc certainement en conclure que Charlo jouait aussi de l’accordéon. Pour le prouver, je verserai au dossier, une version étonnante de La cumparsita qu’il a enregistrée en duo avec Sabina Olmos avec un accordéon soliste, probablement lui…

9 de Julio (Nueve de Julio) 1948 – Orquesta Héctor Stamponi.

Une jolie version avec une magnifique variation finale. On notera l’annonce, une pratique courante à l’époque où un locuteur annonçait les titres.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1950-05-15 – Orquesta Juan D’Arienzo.

D’Arienzo nous donne une autre version. Il y a de jolis passages, mais je trouve que c’est un peu plus confus que la version de 1935 qui devrait être plus satisfaisante pour les danseurs. Fulvio Salamanca relève l’ensemble avec son piano, piano qui est généralement l’épine dorsale de D’Arienzo.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1950-07-20 – Orquesta Alfredo De Angelis.

Chez De Angelis, le piano est aussi essentiel, mais c’est lui qui en joue, il est donc libre de donner son interprétation magnifique, secondé par ses excellents violonistes. Pour ceux qui n’aiment pas De Angelis, ce titre pourrait les faire changer d’avis.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1957-04-08 – Orquesta Héctor Varela.

Varela nous propose une introduction originale.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1953 – Horacio Salgán y su Orquesta Típica.

Une version sans doute pas évidente à danser.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1953-03-03 – Ariel Pedernera y su Quinteto Típico.

Une belle version, malheureusement cette copie a été massacrée par le « collectionneur ». J’espère trouver un disque pour vous proposer une version correcte en milonga, car ce thème le mérite largement.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1953-09-10 – Orquesta José Sala.

Pour l’écoute, bien sûr, mais des passages très sympas

9 de Julio (Nueve de Julio) 1954-05-13 – Orquesta Osvaldo Pugliese.

Pugliese a mis un peu de temps à enregistrer sa version du thème. C’est une superbe réalisation, mais qui alterne des passages sans doute trop variés pour les danseurs, mais je suis sûr que certains seront tentés par l’expérience.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1959 – Luis Machaco.

Une version tranquille et plutôt jolie par un orchestre oublié. Le contrepoint entre le bandonéon en staccato et les violons en legato est particulièrement réussi.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1964 – Alberto Marino con la orquesta de Osvaldo Tarantino.

Alberto Marino chante les paroles de Eugenio Cárdenas. Ce n’est bien sûr pas une version pour la danse.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1966-06-21 – Orquesta Florindo Sassone.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1966-08-03 – Orquesta Juan D’Arienzo.

Une version bien connue par D’Arienzo, dans le style souvent proposé par les orchestres contemporains. Spectaculaire, mais, y-a-t-il un mais ?

9 de Julio (Nueve de Julio) 1967-08-10 (Ranchera-Pericón) – Orquesta Enrique Rodríguez.

Second OVNI du jour, cette ranchera-Pericón nacional avec ses flonflons, bien propice à faire la fête. Peut-être une cortina pour demain (aujourd’hui pour vous qui lisez, demain pour moi qui écrit).

9 de Julio (Nueve de Julio) 1968 – Cuarteto Juan Cambareri.

Une version virtuose et enthousiasmante. Pensez à prévoir des danseurs de rechange après une tanda de Cambareri… Si cela semble lent pour du Cambareri, attendez la variation finale et vous comprendrez pourquoi Cambareri était nommé le mage du bandonéon.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1970 – Orquesta Armando Pontier.

Une version originale, mais pas forcément indispensable, malgré le beau bandonéon d’Armando Pontier.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1971 – Orquesta Donato Racciatti.

Même si la Provincia Orientale tombait en 1916 sous la coupe du Portugal / Brésil, les Uruguayens sont sensibles à l’émancipation d’avec le vieux monde et donc, les orchestres uruguayens ont aussi proposé leurs versions du 9 juillet.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1971 – Palermo Trío.

Avec un trio, forcément, c’est plus léger. Ici, la danse n’est pas au programme.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1971-08-04 – Miguel Villasboas y su Sexteto Típico.

Dans le style hésitant de Villasboas entre tango et milonga qu’affectionnent les Uruguayens. Le type de musique qui a fait dire que le tango avait été inventé par un indécis…

9 de Julio (Nueve de Julio) 1973-11-29 – Miguel Villasboas y Wáshington Quintas Moreno (dúo de pianos).

L’autre jour, au sujet de La rosarina 1975-01-06, un lecteur a dit qu’il avait apprécié la version en duo de piano de Villasboas et Wáshington. Pour ce lecteur, voici 9 de Julio par les mêmes.

Et il est temps de clore cette longue liste avec notre orchestre du jour et dans deux versions :

9 de Julio (Nueve de Julio) 1991 – Los Tubatango.

Cet orchestre original par la présence du tuba et sa volonté de retrouver l’ambiance du tango des années 1900 a été créé par Guillermo Inchausty. C’est le même orchestre que celui de notre tango du jour qui est désormais dirigé par Lucas Kohan sous l’appellation La Tuba Tango au lieu du nom original de Los Tubatango.

9 de Julio (Nueve de Julio) 2009 – La Tuba Tango.

C’est notre tango du jour. Les musiciens en sont : Ignacio Risso (tuba), Matias Rullo (bandonéon), Gonzalo Braz (clarinette) et Lucas Kohan (Direction et guitare).

Cette longue liste de 29 titres, mais qui aurait pu être facilement deux fois plus longue montre la diversité de la production du tango.
En ce qui concerne la danse, nous nous sommes habitués à danser sur un ou deux de ces titres, mais je pense que vous aurez remarqué que d’autres étaient aussi intéressants pour le bal. La question est surtout de savoir les proposer au bon moment et aux bons danseurs. C’est toute la richesse et l’intérêt du métier de DJ.
Pour moi, un bon DJ n’est pas celui qui met des titres inconnus et étranges afin de recueillir les applaudissements des néophytes, mais celui qui met la bonne musique au bon moment en sachant prendre des risques mesurés afin d’aider les danseurs à magnifier leur improvisation et leur plaisir de danser.

Je reviens maintenant, comme promis aux quatre versions des paroles…

Paroles de Lito Bayardo (1931)

Sin un solo adiós
dejé mi hogar cuando partí
porque jamás quise sentir
un sollozar por mí.
Triste amanecer
que nunca más he de olvidar
hoy para qué rememorar
todo lo que sufrí.

Lejano Nueve de Julio
de una mañana divina
mi corazón siempre fiel quiso cantar
y por el mundo poder peregrinar,
infatigable vagar de soñador
marchando en pos del ideal con todo amor
hasta que al fin dejé
mi madre y el querer
de la mujer que adoré.

Yo me prometi
lleno de gloria regresar
para podérsela brindar
a quien yo más amé
y al retornar
triste, vencido y sin fe
no hallé mi amor ni hallé mi hogar
y con dolor lloré.

Cual vagabundo cargado de pena
yo llevo en el alma la desilusión
y desde entonces así me condena
la angustia infinita de mi corazón
¡Qué puedo hacer si ya mis horas de alegría
también se fueron desde aquel día
que con las glorias de mis triunfos yo soñara,
sueños lejanos de mi loca juventud!

José Luis Padula Letra: Lito Bayardo (Manuel Juan García Ferrari)

C’est la version que chante Magaldi, vu qu’il l’a demandé à Bayardo
Famá, chante également cette version, mais seulement le premier couplet.

Traduction libre des paroles de Lito Bayardo

Sans un seul au revoir, j’ai quitté ma maison quand je suis parti parce que je ne voulais jamais ressentir un sanglot pour moi.
Une triste aube que je n’oublierai jamais aujourd’hui, pour qu’elle se souvienne de tout ce que j’ai souffert.
Lointain 9 juillet, d’un matin divin, mon cœur toujours fidèle a voulu chanter et à travers le monde faire le pèlerinage,
infatigable errance d’un rêveur marchant à la poursuite de l’idéal avec tout l’amour jusqu’à ce qu’enfin je quitte ma mère et l’amour de la femme que j’adorais.
Je me suis promis une fois plein de gloire de revenir pour pouvoir l’offrir à celle que j’aimais le plus et quand je suis revenu triste, vaincu et sans foi je n’ai pas trouvé mon amour ni ma maison et avec douleur j’ai pleuré.
Comme un vagabond accablé de chagrin, je porte la déception dans mon âme, et depuis lors, l’angoisse infinie de mon cœur me condamne.
Que pourrais-je faire si mes heures de joie sont déjà parties depuis ce jour où j’ai rêvé des gloires de mes triomphes, rêves lointains de ma folle jeunesse ?

Paroles de Ricardo M. Llanes (1916 ou 1919)

De un conventillo mugriento y fulero,
con un canflinfero
te espiantaste vos ;
abandonaste a tus pobres viejos
que siempre te daban
consejos de Dios;
abandonaste a tus pobres hermanos,
¡tus hermanitos,
que te querían!
Abandonastes el negro laburo
donde ganabas el pan con honor.

Y te espiantaste una noche
escabullida en el coche
donde esperaba el bacán;
todo, todo el conventillo
por tu espiante ha sollozado,
mientras que vos te has mezclado
a las farras del gotán;
¡a dónde has ido a parar!
pobrecita milonguera
que soñaste con la gloria
de tener un buen bulín;
pobre pebeta inocente
que engrupida por la farra,
te metiste con la barra
que vive en el cafetín.

Tal vez mañana, piadoso,
un hospital te dé cama,
cuando no brille tu fama
en el salón;
cuando en el « yiro » no hagas
más « sport »;
cuando se canse el cafisio
de tu amor ;
y te espiante rechiflado
del bulín;
cuando te den el « olivo »
los que hoy tanto te aplauden
en el gran cafetín.

Entonces, triste con tu decadencia,
perdida tu esencia,
tu amor, tu champagne ;
sólo el recuerdo quedará en tu vida
de aquella perdida
gloria del gotán;
y entonces, ¡pobre!, con lágrimas puras,
tus amarguras
derramarás;
y sentirás en tu noche enfermiza,
la ingrata risa
del primer bacán.

José Luis Padula Letra: Ricardo M. Llanes

Traduction libre des paroles de Ricardo M. Llanes

D’un immeuble (le conventillo est un système d’habitation pour les pauvres où les familles s’entassent dans une pièce desservie par un corridor qui a les seules fenêtres sur l’extérieur) sale et vilain, avec un proxénète, tu t’es enfuie ;
tu as abandonné tes pauvres parents qui t’ont toujours prodigué des conseils de Dieu ;
Tu as abandonné tes pauvres frères, tes petits frères, qui t’aimaient !
Tu as abandonné le travail noir où tu gagnais ton pain avec honneur.
Et tu t’es enfuie une nuit en te faufilant dans la voiture où le bacán (homme qui entretient une femme) attendait ;
Tout, tout l’immeuble à cause de ta fuite a sangloté, tandis que toi tu t’es mêlée aux fêtes du Gotan (Tango) ;
Mais où vas-tu t’arrêter ?
Pauvre milonguera qui rêvait de la gloire et d’avoir un bon logis ;
Pauvre fille innocente qui, enflée par la fête, s’est acoquinée avec la bande qui vit dans le café.
Peut-être que demain, pieusement, un hôpital te donnera un lit, quand ta renommée ne brillera pas dans ce salon ;
quand dans le « yiro » (prostitution) vous ne faites plus de « sport » ;
quand le voyou de ton amour se fatigue ;
et tu t’évades folle du logis ;
Quand ils te renvoient (dar el olivo = renvoyer en lunfardo), ceux qui vous applaudissent tant aujourd’hui dans le Grand Cafetín.
Puis, triste avec ta décadence, perte de ton essence, de ton amour, de ton champagne ;
Seul le souvenir de cette perte restera dans ta vie
Gloire du Gotan ;
et alors, pauvre créature, avec des larmes pures, ton amertume tu déverseras ;
Et tu sentiras dans ta nuit maladive, le rire ingrat du premier Bacán.

Paroles de Eugenio Cárdenas (version 1 de 1930)

Mientras los clarines tocan diana
y el vibrar de las campanas
repercute en los confines,
mil recuerdos a los pechos
los inflama la alegría
por la gloria de este día
que nunca se ha de olvidar.
Deja, con su música, el pampero
sobre los patrios aleros
una belleza que encanta.
Y al conjuro de sus notas
las campiñas se levantan
saludando, reverentes,
al sol de la Libertad.

Brota, majestuoso, el Himno
de todo labio argentino.
Y las almas tremulantes de emoción,
a la Patria sólo saben bendecir
mientras los ecos repiten la canción
que dos genios han legado al porvenir.
Que la hermosa canción
por siempre vivirá
al calor del corazón.

Los campos están de fiesta
y por la floresta
el sol se derrama,
y a sus destellos de mágicas lumbres,
el llano y la cumbre
se envuelven de llamas.
Mientras que un criollo patriarcal
narra las horas
de las campañas
libertadoras,
cuando los hijos de este suelo
americano
por justa causa
demostraron
su valor.

José Luis Padula Letra: Eugenio Cárdenas

C’est la version chantée par Alberto Marino en 1964.

Traduction libre des paroles de Eugenio Cárdenas (version 1 de 1930)

Tandis que les clairons sonnent le réveil et que la vibration des cloches résonne aux confins,
mille souvenirs enflamment de joie les poitrines pour la gloire de ce jour qui ne sera jamais oublié.
Avec sa musique, le pampero laisse sur les patriotes alliés une beauté qui enchante.
Et sous le charme de ses notes, la campagne se lève avec révérence, au soleil de la Liberté.
L’hymne de chaque lèvre argentine germe, majestueux.
Et les âmes, tremblantes d’émotion, ne savent que bénir la Patrie tandis que les échos répètent le chant que deux génies ont légué à l’avenir.
Que la belle chanson vivra à jamais dans la chaleur du cœur.
Les campagnes sont en fête et le soleil se déverse à travers la forêt, et avec ses éclairs de feux magiques, la plaine et le sommet sont enveloppés de flammes.
Tandis qu’un criollo patriarcal raconte les heures des campagnes de libération, lorsque les enfants de ce sol américain pour une cause juste ont démontré leur courage.

Paroles de Eugenio Cárdenas (version 2 de 1931)

Hoy siento en mí
el despertar de algo feliz.
Quiero evocar aquel ayer
que me brindó placer,
pues no he de olvidar
cuando tembló mi corazón
al escuchar, con emoción,
esta feliz canción:

Brota, majestuoso, el Himno
de todo labio argentino.
Y las almas tremulantes de emoción,
a la Patria sólo saben bendecir
mientras los ecos repiten la canción
que dos genios han legado al porvenir.
Que la hermosa canción
por siempre vivirá
al calor del corazón.

En los ranchos hay
un revivir de mocedad;
los criollos ven en su
pasión
todo el amor llegar.
Por las huellas van
llenos de fe y de ilusión,
los gauchos que oí cantar
al resplandor lunar.

Los campos están de fiesta
y por la floresta
el sol se derrama,
y a sus destellos de mágicas lumbres,
el llano y la cumbre
se envuelven de llamas.
Mientras que un criollo patriarcal
narra las horas
de las campañas
libertadoras,
cuando los hijos de este suelo
americano
por justa causa
demostraron
su valor.

José Luis Padula Letra: Eugenio Cárdenas

Traduction libre des paroles de Eugenio Cárdenas (version 2 de 1931)

Aujourd’hui je sens en moi l’éveil de quelque chose d’heureux.
Je veux évoquer cet hier qui m’a offert du plaisir, car je ne dois pas oublier quand mon cœur a tremblé quand j’ai entendu, avec émotion, cette chanson joyeuse :
L’hymne de chaque lèvre argentine germe, majestueux.
Et les âmes, tremblantes d’émotion, ne savent que bénir la Patrie tandis que les échos répètent le chant que deux génies ont légué à l’avenir.
Que la belle chanson vivra à jamais dans la chaleur du cœur.
Dans les baraques (maison sommaire, pas un ranch…), il y a un regain de jeunesse ;
Les Criollos voient dans leur passion tout l’amour arriver.
Sur les traces (empreintes de pas ou de roues), ils sont pleins de foi et d’illusion, les gauchos que j’ai entendus chanter au clair de lune.
Les campagnes sont en fête et le soleil se déverse à travers la forêt, et avec ses éclairs de feux magiques, la plaine et le sommet sont enveloppés de flammes.
Tandis qu’un criollo patriarcal raconte les heures des campagnes de libération, quand les enfants de ce sol américain pour une juste cause ont démontré leur courage.

Vous êtes encore là ? Alors, à demain, les amis !

Nada más 1938-07-08 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe

Juan D’Arienzo ; Luis Rubistein Letra : Luis Rubistein

Nous avons vu il y a peu Un tango y nada más où j’évoquais l’existence d’une vingtaine de tango contenant Nada más dans le titre. Celui-ci est le numéro 1… De plus, hier, j’ai été un peu dur avec D’Arienzo et Echagüe et je leur devais une revanche. Avec ce titre, ils marquent des points, beaucoup de points.

Extrait musical

Partition pour piano éditée par Jules Korn de Nada más.
Nada más 1938-07-08 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe.

La musique se déroule en parties s’opposant, de passages martelés (bandonéons et piano) et d’autres ondoyants (violons). La voix de Echagüe se lance, pour un court passage, le refrain, en totale harmonie avec la musique qui continue en arrière-plan et reprend la main sur la même cadence et organisation jusqu’à la fin. Une version pour danseurs. On notera que les petites accentuations du piano sont un peu plus discrètes que dans les dernières versions avec Biagi au piano. Juan Polito est en train de trouver ses marques pour succéder aux mains sorcières de Rodolfo Biagi.

Paroles

No quiero nada, nada más
que no me dejes, frente a frente, con la vida.
Me moriré si me dejás
por qué sin vos no he de saber vivir.

Y no te pido más que eso,
que no me dejes sucumbir,
te lo suplico por Dios
no me quites el calor
de tu cariño y tus besos,
que, si me falta la luz
de tu mirar, que es mi sol,
será mi vida una cruz.

Cuánta nieve habrá en mi vida
sin el fuego de tus ojos!
Y mi alma, ya perdida,
sangrando por la herida,
se dejará morir,
y en la cruz de mis anhelos
llenaré de brumas mi alma,
morirá el azul del cielo,
sobre mi desvelo
viéndote partir.

No quiero nada, nada más
que la mentira de tu amor, como limosna.
¿Qué voy a hacer si me dejás
con el vacío de mi decepción?
No te vayas te lo ruego,
no destroces mi corazón,
si no lo hacés por amor
hacelo por compasión
pero por Dios no me dejés
jamás te molestaré,
seré una sombra a tus pies,
tirada en algún rincón.

Juan D’Arienzo ; Luis Rubistein Letra: Luis Rubistein

Echagüe ne chante que le refrain (en gras).
Roberto Maida chante ce qui est en bleu.
Ada Falcón chante tout et termine en reprenant le refrain (en gras).

Traduction libre

Je ne veux rien, rien de plus que tu ne me laisses pas face à face avec la vie.
Je mourrai si tu me quittes, car sans toi je ne saurai pas vivre.
Et je ne te demande rien de plus, que de ne pas me laisser succomber, je te supplie pour l’amour de Dieu, de ne pas m’enlever la chaleur de ton affection et de tes baisers, car s’il me manque la lumière de ton regard, qui est mon soleil, ma vie serait une croix.
Combien de neige il y aurait dans ma vie sans le feu de tes yeux !
Et mon âme, déjà perdue, saignant de la blessure, se laissera mourir, et sur la croix de mes désirs je remplirai mon âme de brouillards, le bleu du ciel mourra, sur mon insomnie en te regardant partir.
Je ne veux rien, rien de plus que le mensonge de ton amour, comme une aumône.
Que vais-je faire si tu me laisses avec le vide de ma déception ?
Ne t’en va pas (on pense à « Ne me quittes pas de Jacques Brel), je t’en supplie, ne détruis pas mon cœur, si tu ne le fais pas par amour, fais-le par compassion, mais par Dieu, ne me quitte pas (et voilà, nous sommes avec Jacques Brel). Jamais, je ne te dérangerai, je serai une ombre à tes pieds, couché dans un coin.

Paroles de la première version dédiée à Alfredo Callejas [Callejas solo (A Alfredo Callejas)]

Une première version de la musique a été associée à des paroles, également de Rubinstein à la gloire de Alfredo Callejas surnommé « El Tigre » qui était un jockey fameux de l’hippodrome de Palermo (Buenos Aires). Son fils également prénommé Alfredo a repris sa carrière comme entraîneur et quitta l’Argentine en 1977 pour aller s’occuper des chevaux de son compatriote Robert Pérez à New York (USA). Le petit fils d’Alfredo et fils d’Alfredo, Bernardo a suivi le même chemin et a un élevage de chevaux à Belmont (USA).
Les paroles évoquent Blandengues. Il me semble qu’il s’agit d’un lieu situé à Barracas, dans le Sud de Buenos Aires, peut-être où vivait ce jockey et entraîneur.
Le nom est également celui d’un régiment argentin créé au 18e siècle et dissous au 19e (notons qu’un régiment de ce nom existe toujours en Uruguay). Il est donc peu probable que Alfredo soit réellement un membre de Blandengues. je propose plutôt d’y voir un hommage historique, ce jockey rejoignant les illustres défenseurs de la patrie (contre les peuples premiers), ou tout simplement son lieu d’origine, le Sud de Buenos Aires étant un lieu particulièrement propice aux exploits équestres et au tango, d’autant plus qu’il y avait à l’époque de grands espaces propices à ces exercices. Aujourd’hui encore, un grand parc subsiste, El parque Leonardo Pereyra.

Sos de Blandengues el mejor
Y no hay quién tenga tu muñeca pa’ tallar,
Ni se conoce un cuidador
Con más carpeta pa’ poder ganar.

Y de Blandengues sos el mago
Que ha conquistado más halagos,
« Tigre » Callejas, no hay qué hacerle
Se impone tu muñeca de gran « compositor ».

Juan D’Arienzo ; Luis Rubistein Letra : Luis Rubistein

Traduction libre de la première version dédiée à Alfredo Callejas [Callejas solo (A Alfredo Callejas)]

Tu es de Blandengues le meilleur et il n’y a personne qui a ton poignet pour dominer (tallar n’est pas à prendre dans le sens de tailler, mais de dominer, c’est du lunfardo), ni aucun soigneur connu avec plus d’habileté (carpeta en lunfardo) pour pouvoir gagner.
Et de Blandengues vous êtes le magicien qui a conquis le plus d’éloges, « Tigre » Callejas, il n’y a rien à faire, votre talent (muñeca en lunfardo = habileté) de grand « compositeur » s’impose (un compositor en lunfardo est un préparateur de chevaux de course).

Autres versions

Callejas solo (A Alfredo Callejas) 1928 – Orquesta Juan D’Arienzo con Carlos Dante.

D’Arienzo et Rubinstein avaient déjà utilisé cette même musique sous le titre Callejas solo. Vous reconnaîtrez sans peine l’air, même si l’interprétation est extrêmement différente. Heureusement que Carlos Dante chante très peu, car sa voix n’est pas des plus agréable dans cet enregistrement.

Callejas solo 1930 – Orquesta Eduardo Bianco.

Même si cette version instrumentale a été publiée sous le titre de Callejas Solo, la douceur de son interprétation semble plus adaptée aux nouvelles paroles, celle de Nada más. La version française serait donc un précurseur des futures versions.

Nada más 1938-07-08 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe. C’est notre tango du jour.
Nada más 1938-08-22 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida.

On remarque tout de suite que l’interprétation de Canaro est plus suave. Maida chante d’une voix caressante. On est aux antipodes de la version de D’Arienzo. Deux ambiances pour deux moments distincts de la milonga. Les deux sont parfaits pour la danse.

Nada más 1938-09-28 – Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro.

Un mois plus tard, Canaro enregistre avec sa chérie, Ada Falcón une version à écouter. C’est absolument clair. L’orchestre introduit directement le chant, puis par la suite ne sert que de ponctuation. Ada chante quasiment a capella. C’est une version très étonnante, mais passionnante.

Nada más 1958-07-10 – Orquesta Juan D’Arienzo con Jorge Valdez.

Je suis sûr qu’aucun danseur n’échangera la version de D’Arienzo avec Echagüe avec celle interprétée par Jorge Valdez. On a la guimauve, sans l’émotion d’Ada Falcón.

Nada más 1971-12-20 – Orquesta Juan D’Arienzo con Mercedes Serrano.

Treize ans plus tard, D’Arienzo enregistre sa troisième version du titre avec Mercedes Serrano. Il l’enregistrera même deux fois avec elle. Je trouve que la version avec Mercedes Serrano en 1971 est bien plus intéressante que celle avec Jorge Valdez.

Pour terminer la liste des versions, je vous propose un autre enregistrement, par les mêmes. Il s’agit d’une version enregistrée dans l’émission El Tango del Millón en 1971 (ou 1975 selon les sources). La vidéo a été colorisée par Pablo Ramos qui effectue un travail formidable, à la fois avec son orchestre Los Herederos del Compás et pour faire revivre cet orchestre dont son père était l’un des chanteurs qui remplaça, à mon avis très efficacement, Jorge Valdez.

Juan D’Arienzo con Mercedes Serrano. 1971 ou 1975.

Et Jacques Brel, dans l’affaire ?

La photo de couverture a sans doute étonné certains, je vous dois une explication, que vous avez peut-être déjà devinée en prenant connaissance des paroles.
Ce n’est pas à cause de ses dents de cheval que j’ai choisi une image de Jacques Brel, même si cela pouvait être une référence au jockey Callejas, mais à cause des paroles de sa chanson immortelle « Ne me quitte pas ».

Nada más. Jacques Brel, ne me quitte pas.

En effet, elle se termine par :

« Laisse-moi devenir
L’ombre de ton ombre
L’ombre de ta main
L’ombre de ton chien
 »

Jacques Brel, fin de Ne me quitte pas.

Ce qui résonne un peu comme la fin des paroles de Rubinstein :

“jamás te molestaré,
seré una sombra a tus pies,
tirada en algún rincón.”

Luis Rubistein, fin des paroles de Nada más.

L’idée d’être l’ombre de l’autre est une image intrigante, peut-être même inquiétante. Aimer serait devenir un non-être, une réplique sombre et fidèle de l’être aimé, un oubli de soi total. Je vous laisse méditer sur la question. Je ramasserai les copies dans deux heures. N’oubliez pas d’écrire votre nom en haut de la feuille, mais auparavant, délectez-vous de la chanson de Jacques Brel.

Ne me quitte pas, Jacques Brel

« Il n’est de grand amour qu’à l’ombre d’un grand rêve ».

Edmond Rostand (Cyrano de Bergerac)

À demain, les amis !

Después 1944-07-07 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe

Hugo Gutiérrez Letra : Homero Manzi

Hugo Gutiérrez et Homero Manzi ont réalisé avec ce tango le difficile exercice de parler de la mort avec une émotion rarement atteinte dans le tango, sans être oppressants. La version de D’Arienzo et Echagüe qui est notre tango du jour est peut-être une des moins réussies, mais je tenais à mettre en avant ce titre qui a à son service quelques-unes de plus belles interprétations du répertoire, de plus avec une grande variété. Entrons dans cette pensée triste qui se danse.

Extrait musical

Después 1944-07-07 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe
À gauche, couverture de partition Casa Amarilla avec un chanteur, Jorge Novoa, oublié ? Partition Julio Korn de Después avec en couverture Anibal Troilo.

Paroles

Después …
La luna en sangre y tu emoción,
y el anticipo del final
en un oscuro nubarrón.
Luego …
irremediablemente,
tus ojos tan ausentes
llorando sin dolor.
Y después…
La noche enorme en el cristal,
y tu fatiga de vivir
y mi deseo de luchar.
Luego…
tu piel como de nieve,
y en una ausencia leve
tu pálido final.

Todo retorna del recuerdo:
tu pena y tu silencio,
tu angustia y tu misterio.
Todo se abisma en el pasado:
tu nombre repetido…
tu duda y tu cansancio.
Sombra más fuerte que la muerte,
grito perdido en el olvido,
paso que vuelve del fracaso
canción hecha pedazos
que aún es canción.

Después …
vendrá el olvido o no vendrá
y mentiré para reír
y mentiré para llorar.
Torpe
fantasma del pasado
bailando en el tinglado
tal vez para olvidar.
Y después,
en el silencio de tu voz,
se hará un dolor de soledad
y gritaré para vivir…
como si huyera del recuerdo
en arrepentimiento
para poder morir.

Hugo Gutiérrez Letra: Homero Manzi

Traduction libre

Après…
La lune en sang et ton émotion, et l’anticipation de la fin dans un nuage sombre.
Plus tard… irrémédiablement, tes yeux si absents pleurant sans douleur.
Et après…
L’immense nuit dans le verre, et ta fatigue de vivre et mon envie de me battre.
Plus tard… ta peau comme de la neige, et une absence légère, ta pâleur finale.
Tout me revient de mémoire :
ton chagrin et ton silence, ton angoisse et ton mystère.
Tout s’abîme dans le passé : ton nom répété… ton doute et ta fatigue.
Une ombre plus forte que la mort, un cri perdu dans l’oubli, un pas qui revient de l’échec, une chanson en miettes qui est encore une chanson.
Après…
L’oubli viendra ou il ne viendra pas et je mentirai pour rire
Et je mentirai pour pleurer.
Un fantôme maladroit du passé dansant dans le hangar (tinglado a plusieurs sens, allant d’abri, auvent, plus ou moins sommaire à hangar), peut-être pour oublier.
Et puis, dans le silence de ta voix, il y aura une douleur de solitude et je crierai pour vivre… Comme si je fuyais le souvenir en repentirs pour pouvoir mourir.

Autres versions

Después 1943-1944 – Nelly Omar accomp. Guitare de José Canet.

Je commence par cet enregistrement, car Manzi a écrit Después pour elle. Il est daté de 1944, mais curieusement, il est très rarement indiqué, y compris dans des sites généralement assez complets comme tango-dj.at ou El Recodo. Je l’indique comme étant de 1943-1944, mais sans garantie réelle qu’il soit antérieur à celui de Miguel Caló qui est du tout début de 1944. La voix merveilleusement chaude de Nilda Elvira Vattuone alias Nelly Omar accompagnée par la guitare de José Canet nous propose une version fantastique, mais bien sûr à écouter et pas à danser.

Después 1944-01-10 Orquesta Miguel Caló con Raúl Iriarte.

Dès les premières notes, l’ambiance est impressionnante. On pourrait penser à un film de suspens. La magnifique voix de Iriarte, plus rare que celle de Berón, convient parfaitement au titre. Si vous n’aimez pas avoir des frissons et les poils qui se dressent, évitez cette version proposée par Miguel Caló et Raúl Iriarte très émouvante.

Después 1944-03-03 – Orquesta Aníbal Troilo con Alberto Marino.

Avec Troilo, on reste avec une très belle version musicale. Le grondement des bandonéons me semble moins émouvant. Il y a une recherche de joliesse dans ce titre qui me semble aller un peu au détriment de la danse. Ce ne sera donc pas ma version préférée pour la milonga.

Después 1944-03-15 – Libertad Lamarque con orquesta dirigida por Mario Maurano.

Después 1944-03-15 – Libertad Lamarque con orquesta dirigida por Mario Maurano. La voix de Libertad Lamarque est très différente de celle de Nelly Omar, mais tout aussi captivante. Elle bénéficie en plus d’un orchestre dirigé par Mario Maurano dont le piano ressort avec beaucoup de justesse (je précise que je parle de la finesse, de la justesse de l’expression, de l’arrangement et pas du fait que le piano soit bien accordé. Celui que je vise saura que je parle de lui…).

Después 1944-07-07 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe. C’est notre tango du jour.

Después 1944-07-07 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe. C’est notre tango du jour. Comme toujours, la version de D’Arienzo est bien marchante et dansante. C’est la cinquième version de l’année 1944, une année qui nous apporte une incroyable diversité pour ce titre. Pour une œuvre de D’Arienzo, on peut la trouver un peu bavarde. Echagüe, met beaucoup de pression. Le résultat est dansable, mais il me semble que d’autres titres interprétés par D’Arienzo le remplaceront avantageusement dans une tanda de D’Arienzo et Echagüe, notamment ceux de la première période. Después est le premier titre enregistré par cette composition après cinq années sans enregistrement et il me semble que cette association mettra un peu de temps avant de retrouver une harmonie, l’année 1944 n’est pas la meilleure.

Después 1951-03-22 – L’orchestre Argentin Manuel Pizarro.

Después 1951-03-22 – L’orchestre Argentin Manuel Pizarro. Arrivé en France en 1920 et s’en étant absenté de 1941 à 1950, Manuel Pizarro y revient et recommence à enregistrer. Son Después fait partie de ces enregistrements français qui prouvent que la distance entre les deux mondes n’est pas si grande. Notons que c’est une des rares versions purement instrumentales.

Después 1974-05-03 – Orquesta Aníbal Troilo con Rubén Juárez (Programa En Homenaje a Homero Manzi – Conducción Antonio Carrizo).

Cette version a été enregistrée lors d’une émission en public en hommage à Homero Manzi décédé exactement 23 ans plus tôt. Il me semble que cette version Troilo – Juárez est plus aboutie que celle de 1944. On aurait aimé l’avoir dans une belle qualité sonore.

Después 1974 – Rubén Juárez Accomp. Armando Pontier.

Le même Rubén Juárez avec l’orchestre du bandonéoniste Armando Pontier. La prise de son est meilleure que dans l’enregistrement précédent et elle met donc plus en valeur la voix de Rubén Juárez. On notera qu’il est, tout comme Armando Pontier, également bandonéoniste. Cependant, dans cette version, il se « contente » de chanter.

Después 1977-05-13 – Roberto Goyeneche con la Orquesta Típica Porteña dirigida por Raúl Garello.

Le bandonéon de Raúl Garello annonce la couleur et l’émotion qui va se dégager de cette version. El Polaco (Roberto Goyeneche) donne une version extrêmement émouvante et l’orchestre l’accompagne parfaitement dans les ondulations de la musique. Cette version fait ressortir toute la poésie de Manzi qui fut un grand poète qui décida de consacrer sa vie à l’art populaire et national du tango plutôt que de rechercher les honneurs qui aurait pu s’attacher à la carrière de poète qu’il aurait méritée.

Je vous propose d’arrêter avec ce titre très émouvant et donc de passer sous silence les versions de Pugliese avec Abel Córdoba qui sortent, à mon avis, du champ du tango pour entrer dans autre chose, sans doute une forme de musique classique moderne, mais sans l’émotion que suscite généralement le tango.

Avant de recevoir des coups de bâtons sur la tête pour avoir osé écrire cela, je vous dis au revoir et à demain, les amis.

Te gané de mano 1938-07-06 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Randona

Edgardo Donato Letra: Juan Bautista Abad Reyes

Je t’ai gagné, je t’ai battu haut la main ou « Te gané de mano » comme il est dit dans ce tango exprime la joie de quelqu’un qui a gagné. C’est une expression utilisée par les joueurs de cartes. Mais est-ce si sûr qu’il a vraiment gagné cet homme triomphant ? J’ai retranscrit, avec un peu de difficulté, les paroles chantées par Horacio Lagos et accessoirement, Randona. Je vous laisse découvrir le dernier mot de cette histoire.

Extrait musical

Te gané de mano 1938-07-06 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Randona (Armando Julio Piovani).

La musique démarre, assurée, comme quelqu’un qui marche en confiance. Par moment, la musique est presque sautillante, assurément on parle d’un vainqueur.
C’est alors que la voix d’Horacio Lagos lance avec force des paroles qui ne respirent pas tellement la joie. Que se passe-t-il ?
C’est alors que Randona (Armando Julio Piovani), fait son entrée et en duo avec Horacio Lagos nous raconte la fin de l’histoire. Je vous laisse découvrir les paroles, telles qu’elles sont chantées dans cette version. N’ayant pas trouvé de version originale, et ce titre n’ayant pas été enregistré par d’autres orchestres, il s’agit de la retranscription de ce que chantent Lagos et Randona. Il y a peut-être et même sûrement d’autres couplets, mais ils restent à découvrir. Ceux qui restent nos en disent toutefois suffisamment, les voici.

Paroles (retranscription aussi peu maladroite que possible)

Te gané de mano
Perdóname nena
Si él te dijo planto
Primero fui yo.
Despertaste al indio
Que estaba dormido
Y el indio está claro, se te reveló
Como yo era bueno
Me cristó un disenso
Y ese fue el comienzo de mi perdición
Si al final ya asumo con tanta discuta
Vos lo haces segura
Y yo el pobre sifón.

Sé qué haces ahora la Magdalena
Que anda cimentando que te engañado
No digas eso, no vale la pena
Qué me desarma de rui y malvado
Sé que mi cariño
No te interesa porque me le ha dicho
Más de una vez
No haga la otaria
Qué se te manya ese amor proprio que padeces.

Edgardo Donato Letra: Juan Bautista Abad Reyes

Traduction libre et indications

J’ai gagné haut la main, pardonne-moi, petite.
Si lui te laissa en plan, je fus le premier.
Tu as réveillé l’indien qui était endormi et l’indien, c’est clair, tu l’as révélé (El indio, le sentiment intérieur, différent chez lui et chez elle).
Comme moi, j’étais bon, cette faille me brisa et ce fut le commencement de ma perte.
Si finalement j’assume avec tant de discussions, tu le fais assurément et moi, suis le pauvre mec (sifón = grand nez, mais je ne suis pas sûr d’entendre bien sifón).

Je sais que tu fais maintenant la Madeleine (la pleureuse)
Qui va, cimentant le fait que je t’ai trompée. (Lagos chante « cimentando », mais on pourrait dire aussi « sementando », semant)
Ne dis pas ça, ça n’en vaut pas la peine
Ce qui me désarme de colère et de mauvaiseté
C’est que je sais que mon amour ne t’intéresse pas, parce que tu me l’as dit plus d’une fois.
Ne fais pas l’andouille.
Que tu te manges cet amour propre dont tu souffres.

On se demande à la fin, s’il a vraiment gagné ou s’il joue à l’indifférent ou au vainqueur factice pour surmonter sa peine.

Juan Bautista Abad Reyes (1892-1965)

On doit à Juan Bautista Abad Reyes les paroles de quelques tangos, dont celui du jour.
Son parcours est intéressant et j’ai donc décidé de vous en dire deux mots.
Il est né et mort en Argentine, mais est devenu citoyen et même député uruguayen entre les deux.
En 1919, il a gagné un concours d’œuvres théâtrales organisé par le journal La Noche (La Nuit) de Montevidéo et il travailla 20 ans comme rédacteur en chef du journal El Día (Le Jour), également de Montevideo…
Il a écrit les paroles de tangos, chansons, rancheras, pasodobles et autres et composé quelques titres. En voici un court extrait.

C = Compositeur / A = Auteur (parolier) / Compo. = Date probable de composition / Première interprétation, en italique. Date de la création publique, mais a priori, sans enregistrement / Premier enregistrement, plus ancien enregistrement existant (pour le moment).
CACompo.TitrePremières interprétations et enregistrements
 X1926Como luces de Bengala1926-04-07 Rosita Quiroga
X 1926Musiquita1926 Rosita Quiroga/1926-09-14 Típica Víctor
 X1928Caña amarga1928-05-26 Alberto Vila
 X1928Te fuiste ja… ja…1928 Alberto Vila
 X1928Arco iris1928-09-03 Francisco Canaro
 X1929Alma cuyana1929-05-29 Alberto Gómez; Augusto « Tito » Vila
 X1929Falló la paica1929 Alberto Gómez
 X1930Caminito del olvido1930-01-21 Luis Petrucelli
 X1930El idolo roto1930 Azucena Maizani
 X1930cEnvidias 
 X1930Goya (pasodoble)1930 Libertad Lamarque
XX1930Mentiras (tonada salteña)1930-11 Libertad Lamarque/1931-01-10 Edgardo Donato con Luis Díaz
 X1930No seas malo1930 Azucena Maizani
 X1930cNoviecita de otros tiempos 
 X1930Remigio (ranchera)1930 Orquesta Tipica Ricardo L. Brignolo
 X1930Ya sé tú historia, pebeta1930 Azucena Maizani
XX1931Sinverguenza alabancioso1931-09-07 Orquesta Adolfo Carabelli con Mercedes Simone
 X1934Confidencia1934-04-11 Orquesta Típica Victor C Hugo Gutiérrez
 X1950Paisaje1950-12-14 Roberto Carlés /1951-08-09 Osvaldo Fresedo con Armando Garrido
 X1951Ternura Muchacho1951 Lorenzo Barbero Y Su Orquesta De La Argentinidad
 X¿ ?Mirame bien a los ojos 

En dehors de cela, il est surtout connu pour ses créations radiophoniques, il travaillera en effet dans diverses radios où il proposera des chroniques ou des œuvres théâtro-radiophoniques.

Philosophie de Juan Bautista Abad Reyes

Sa philosophie pour les paroles de ses tangos est la suivante :

“Yo no vitupero el malevaje en el tango, ni el léxico arrabalero. Al contrario, lo estimo como expresión de color local y lo encuentro lleno de atractivos dramáticos en manos de los verdaderos poetas. Lo peligroso es pensar en arrabalero, concebir las obras en lunfardo”.

Revista Femenil, 1930
Revista Femenil, 1930.

Traduction de la philosophie de Juan Bautista Abad Reyes

Je ne vilipende pas la «malveillance» dans le tango, ni le lexique des faubourgs. Au contraire, je les estime comme une expression de la couleur locale et je les trouve pleins d’attraits dramatiques entre les mains de vrais poètes. Le risque est de penser en faubourien et de concevoir les œuvres en lunfardo.

Sur ces bonnes paroles, je vous dis, à demain les amis !

Un tango y nada más 1945-07-05 — Orquesta Carlos Di Sarli con Jorge Durán

Armando Lacava ; Juan Pomati Letra: Carlos Waiss

Deux Bahienses sont à l’origine de notre tango du jour. Un pour la composition et l’autre pour l’interprétation. Pour être précis, un seul des compositeurs, Armando Lacava est de Bahía Blanca. Juan Pomati est né pour sa part en Italie, à Milan. Quoi qu’il en soit, Di Sarli a enregistré ce tango, tout juste composé.

Les pianistes bahienses et les autres…

Carlos Di Sarli et Armando Lacava, les deux pianistes de Bahía Blanca.

La mise en avant des pianistes de Bahía Blanca ne devrait pas faire passer à l’arrière-plan la contribution de Juan Pomati, le bandonéoniste qui a co-composé avec Lacava. Il était en effet un copiste très recherché à une époque où il n’existait pas de photocopieuses et a de son côté composé un certain nombre de titres dont une bonne part co-signée avec Tití Rossi dont il était un des bandonéonistes de l’orchestre. Impossible d’avoir une photo de lui, ce récent arrivée d’Italie est resté trop discret.

En revanche, j’ai une photo de l’auteur des paroles, Carlos Waiss.

Carlos Waiss

Extrait musical

Un tango y nada más 1945-07-05 – Orquesta Carlos Di Sarli con Jorge Durán.

Dès les premières notes, le piano de Di Sarli fait merveille. Il marque le tempo et donne un parfait contrepoint aux violons qui se balancent au-dessus. Tout s’enchaîne, s’harmonise. La voix de Durán lance les paroles avec un rubato qui donnera de l’élan au danseur, un balancement qui dynamisera la créativité de l’improvisation.
Le tango se termine avec un tutti incluant la voix de Durán et qui se perd dans le silence.

Paroles

Un tango más, un gorrión de barrio viejo
llega moliendo su cruel desilusión.
Rodando van los recuerdos de mi vida,
mi vida gris que no tiene ya canción.
Dónde estarán los que fueron compañeros,
mi amor primero de un claro anochecer,
y ese silbido llamando de la esquina
hacia el calor de aquel viejo café.

Quién sabe dónde está
lo que perdí, loco de afán.
Del tiempo que pasó
sólo quedó un tango más.

Tan sólo un tango más que trae
fracaso de no ser,
cansancio de mi andar.
La vida que al rodar, sólo dejó,
un tango y nada más
.

Un tango más, un gorrión de barrio viejo
tiembla en la sombra doliente del ayer.
Un tango más, y el juguete de la luna
vuelve a mentir en el triste anochecer.
Mi juventud la quemé en la cruz viajera
en la quimera de andar, siempre de andar.
Buscan mis ansias calor de primavera
y sólo hay un tango y nada más.

Armando Lacava ; Juan Pomati Letra: Carlos Waiss

Durán chante ce qui est en gras et termine en chantant de nouveau ce qui est en bleu.

Julio Martel chante également ce qui est en gras, mais il reprend ce qui est en rouge, puis ce qui est en bleu pour terminer. Aucun des deux ne chante le dernier couplet.

Eduardo Borda chante en plus de Julio Martel, la fin du dernier couplet (ce qui est en vert).

Traduction libre et indications

Un tango de plus, un moineau du vieux quartier arrive, ruminant sa cruelle désillusion (un gorrión en plus d’être un moineau est un profiteur, un pique-assiette).
Les souvenirs de ma vie, ma vie grise qui n’a plus de chanson.
Où seront ceux qui étaient des compagnons, mon premier amour d’une soirée claire, et ce sifflement invitant depuis l’angle de la rue à la chaleur de ce vieux café.
Qui sait où est ce que j’ai perdu, fou d’impatience.
Du temps qui s’est écoulé, il ne restait plus qu’un tango.
Juste un tango de plus qui apporte l’échec de ne pas être, la fatigue de ma marche.
La vie qui en roulant n’a laissé qu’un tango et rien de plus.
Un tango de plus, un moineau du vieux quartier tremble dans l’ombre souffrante d’hier.
Un tango de plus, et le jouet de la lune recommence à mentir dans le triste crépuscule.
J’ai brûlé ma jeunesse sur la croix de voyage dans la chimère de la marche, toujours de la marche.
Ils cherchent mon désir de chaleur printanière et il n’y a qu’un tango et rien de plus.

Autres versions

Pas beaucoup d’enregistrement pour ce thème, mais il faut dire que la merveille de Di Sarli et Durán ne laissait pas beaucoup d’autres options aux autres orchestres.

Un tango y nada más 1945-07-05 – Orquesta Carlos Di Sarli con Jorge Durán. C’est notre tango du jour.
Un tango y nada más 1945-07-17 — Orquesta Alfredo De Angelis con Julio Martel.

De Angelis enregistre le titre 12 jours après Di Sarli. Ce n’est pas vilain et relativement dansant, mais sans doute pas aussi satisfaisant que la version de Di Sarli avec Durán.

Un tango y nada más 1986 – Orquesta José Basso con Eduardo Borda.

Cette version tardive date d’une époque où le tango de danse n’avait pas encore complètement retrouvé sa place. La jolie voix chaude de Borda donne plaisir à écouter ce titre, mais les danseurs n’y trouveront pas leur compte.

Un tango y nada más 2013-11-01 — Ariel Ardit. Ariel Ardit donne sa vision de l’œuvre.

Comme pour Borda, je n’irai pas proposer cela à des danseurs.

On pourrait continuer avec des tangos avec « nada más » dans le titre, il y en a près d’une vingtaine avec au moins un enregistrement… Mais ce sera pour une autre fois.

À demain les amis !

Remembranza 1956-07-04 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel

Mario Melfi Letra: Mario Battistella

Si on ne doit se souvenir que d’une composition de Mario Melfi, c’est sans conteste de Poema. Mais si on doit se souvenir de deux, alors, Remembranza, notre tango du jour est assurément dans la liste. Ce qui en revanche est curieux est que l’on associe très peu ces deux titres, très semblables. Mais peut-être qu’il y a une ou plusieurs solutions…

Tandas mixtes

Hier, dans un groupe de DJ, une question très étrange a été posée. Combien de tandas mixtes peuvent être passées dans une milonga ?
J’avoue que j’ai relu deux fois la question pour voir de quoi il s’agissait. Il arrive en effet, que l’on mélange dans la même tanda, des orchestres différents. C’est assez fréquent pour les milongas et les valses et je le fais parfois, par exemple pour associer des enregistrements de Carabelli avec son propre orchestre et de la Típica Victor, dirigée par lui. Je le fais également quand il y a un titre orphelin, qui n’a pas de tango compatible par le même orchestre et qu’un autre orchestre à quelque chose qui peut bien se combiner avec. L’étrangeté de la question vient de « combien de tandas mixtes »…
Je n’ai pas répondu au groupe, mais ma réponse aurait pu être, le DJ fait ce qu’il veut dans la mesure où les danseurs sont contents. Faire de bonnes tandas mixtes est difficile, faire 100 % de tandas mixtes serait un défi très difficile à relever…
Poema est associé à l’enregistrement de Canaro et Maida de 1935. Remembranza a plusieurs points d’accroche. Notre enregistrement du jour avec Pugliese et Maciel est sans doute le plus connu. 21 ans séparent ces deux enregistrements, un écart encore plus grand existe entre les styles des orchestres, ce qui rend bien évidemment ces deux enregistrements totalement incompatibles dans une même tanda.
Cependant, la structure des morceaux est tout à fait compatible, on trouve même des extraits de phrases musicales comparables entre les deux œuvres. Remembranza aurait été enregistré par Canaro et Maida, ou Poema par Pugliese et Maciel et on aurait deux piliers solides pour une tanda.
Ce rêve existe cependant. Je vous le présenterai en fin d’article…

Extrait musical

Remembranza 1956-07-04 – Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel
Partition argentine de Remembranza.

Paroles

Cómo son largas las semanas
cuando no estás cerca de mí
no sé qué fuerzas sobrehumanas
me dan valor lejos de ti.
Muerta la luz de mi esperanza
soy como un náufrago en el mar,
sé que me pierdo en lontananza
mas no me puedo resignar.
¡Ah
¡qué triste es recordar
después de tanto amar,
esa dicha que pasó…
Flor de una ilusión
nuestra pasión se marchitó.
¡Ah
¡olvida mi desdén,
retorna dulce bien,
a nuestro amor,
y volverá a florecer
nuestro querer
como aquella flor.
En nuestro cuarto tibio y rosa
todo quedó como otra vez
y en cada adorno, en cada cosa
te sigo viendo como ayer.
Tu foto sobre la mesita
que es credencial de mi dolor,
y aquella hortensia ya marchita
que fue el cantar de nuestro amor.

Mario Melfi Letra : Mario Battistella

Autres versions

Les versions françaises

Je pense vous surprendre en vous indiquant que les deux premiers enregistrements de ce titre ont été chantés en français. En effet, Melfi et Battistella étaient à Paris à l’époque. Mario Melfi a même fait l’essentiel de sa carrière en France où il est mort en 1970. Le titre en français est Ressouvenance, un terme aujourd’hui tombé en désuétude…
C’est donc Mario Melfi qui ouvre le bal des versions avec un enregistrement de 1934, chanté, donc en français, par Marcel Véran et appelé donc Ressouvenance et pas Remembranza.

Ressouvenance 1934 — Mario Melfi Chant Marcel Véran (en français). Paroles de Robert Chamfleury et Henry Lemarchand.

C’est le plus ancien enregistrement, de plus, réalisé par l’auteur de la musique, Mario Melfi. En ce qui concerne les paroles en français, on se rend compte qu’elles sont proches de celles de Battistella. On peut donc penser que Battistella est bien l’auteur original, puisqu’il était à Paris et que Robert Chamfleury et Henry Lemarchand ont adapté (avec plus de talent que moi) les paroles en français. Vous pourrez en trouver la transcription après le chapitre autres versions.

Ressouvenance 1934 — Auguste Jean Pesenti et son Orchestre Tango Chant Guy Berry (en français).

Merci à mon collègue Michael Sattler qui m’a fourni une meilleure version de ce titre. Si c’est le second enregistrement, il semblerait que Guy Berry fut le premier à chanter le titre.

Couverture de la partition de 1934. On voit que Berry a créé le tango et les paroliers sont uniquement les deux français. On notera également que Melfi est crédité de son succès de Poema.
Ressouvenance 1934-12-13 — Orlando et son orchestre Chant Jean Clément (en français).
Remembranza 1944 — Ramón Mendizabal. Remembranza a été gravé sur la face B du disque, la face A étant réservée à Obsession.

Avec cet enregistrement, j’arrête la liste des versions « françaises » (même si la dernière n’est pas chantée). Et je vous propose maintenant les versions « Argentines ».

Les versions argentines

Remembranza 1937-05-11 — Héctor Palacios con guitarras.

Après les versions françaises avec orchestres, les guitares de Héctor Palacios ne font pas tout à fait le poids. Cependant, ce titre est compatible avec ce type de version intime et si le résultat n’a rien à faire en milonga, il est plutôt agréable à écouter.

Remembranza 1943-02-12 — Orquesta Ricardo Malerba con Orlando Medina.

Une jolie version, dans le style de Malerba et Medina qui a sa sonorité particulière.

Remembranza 1947-05-09 — Orquesta Ricardo Tanturi con Osvaldo Ribó.

Si les versions précédentes avec orchestre, y compris les versions françaises étaient harmonieuses, je trouve que celle-ci souffre d’un manque de cohérence entre la voix de Ribó et l’orchestre de Ricardo Tanturi. Le talent des deux n’est pas en cause, Osvaldo Ribó avec un orchestre plus présent aurait donné une très belle version et inversement.

Remembranza 1948-09-08 — Orquesta Alfredo Gobbi con Jorge Maciel.

La voix travaillée de Maciel n’a peut-être pas trouvé l’orchestre idéal pour sa mise en valeur. On sent Gobbi un peu réservé, là encore, le résultat ne me convînt pas totalement.

Remembranza 1952-05-23 — Lorenzo Barbero y su orquesta típica con Carlos del Monte.

Encore une version qui ne va pas provoquer des ondes d’enthousiasme. De plus, elle n’est pas destinée à la danse, mais c’est intéressant de temps à autre de présenter un de ces deux-cent d’orchestres qui ont œuvré à l’âge d’or et qui n’ont pas eu droit à la reconnaissance de la postérité.

Remembranza 1954-12-28 — Orquesta Alfredo De Angelis con Carlos Dante.

On arrive dans des versions un peu plus travaillées. On remarquera l’introduction très particulière de cette version de De Angelis.

Mais attendez la suite, les choses sérieuses commencent.

Remembranza 1956-07-04 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel. C’est notre tango du jour.

Les essais de voix plus travaillées entendus précédemment trouvent un meilleur terrain avec l’orchestre de Pugliese. Le mariage de la voix de Jorge Maciel avec l’orchestre est bien plus abouti dans cette version que dans celle de Gobbi, 8 ans plus tôt.

Remembranza 1963 — Orquesta Juan Canaro con Susy Leiva.

J’aurais présenté les choses à l’envers, Susy Leiva accompagnée par l’orchestre de Juan Canaro. C’est une version à écouter, la voix de Susy Leiva est expressive et a de l’émotion. Mais bon, revenons à nos piliers.

Remembranzas 1964-09-25 — Orquesta Juan D’Arienzo con Jorge Valdez.

Avec Jorge Valdez, D’Arienzo a un peu mis de côté le tango de danse pour suivre la mode de l’époque qui était plus radiophonique ou télévisuelle que dansante.
D’Arienzo interprète le titre dans ses concerts, comme ici à Montevideo en 1968.

Remembranzas 1968 — Orquesta Juan D’Arienzo con Osvaldo Ramos. Cet enregistrement a été réalisé à Montevideo (Uruguay).

On revient avec Jorge Valdez qui gagne la palme du chanteur qui a le plus enregistré Remembranza, encore une émission de télévision.

Jorge Valdez en Grandes Valores (une émission des années 70).

Paroles de la version chantée en français par Guy Berry, Marcel Véran, Jean Clément et autres chanteurs français

Combien est longue une journée
Quand tu n’es pas auprès de moi.
Comment ai-je pu deux années
Vivre sans entendre ta voix ?
Je n’ai pour consoler ma peine
Que les doux rêves du passé,
Car ni les jours ni les semaines
N’ont jamais pu les effacer…
Ah !… Qu’il est troublant, chéri(e),
D’évoquer, comme on prie,
Ce bonheur, hélas trop court.
Rien n’a pu ternir
Le souvenir de ces beaux jours.
Ah !… Pardonne à ma folie.
Reviens je t’en supplie
À notre amour.
Rien ne pourra me griser
Que tes baisers,
Comme aux anciens jours.
Dans notre chambre tiède et rose,
Tout est resté comme autrefois.
Et chaque objet et chaque chose
Ne me semble attendre que toi.
Ton portrait sur la cheminée
Semble sourire à mon espoir.
Dans un livre, une fleur fanée
Rappelle nos serments d’un soir…

Mario Melfi Letra : Mario Battistella (adapté en français par Robert Chamfleury et Henry Lemarchand)

Remembranza et Poema unis dans une tanda idéale

Nous avons vu en début d’article qu’il n’y avait pas d’enregistrement compatible de ces deux titres à l’âge d’or du tango. C’est une grande frustration pour les DJ et sans doute les danseurs.
En fait, ce n’est pas tout à fait vrai, car les Pesenti ont enregistré Poema et Ressouvenance, mais ce ne sont sans doute pas des versions suffisantes pour les danseurs avancés. Je vous laisse en juger.

Poema 1933 – Orquesta Típica Auguste Jean Pesenti du Coliséum de Paris con Nena Sainz.
Ressouvenance 1934 — Auguste Jean Pesenti et son Orchestre Tango Chant Guy Berry (en français).
Poema 1937 – René Pesenti et son Orchestre de Tango con Alberto.

Je rajoute cette version de Poema par le frère de Auguste Jean, René Pesenti. Elle est compatible et présente l’avantage d’être chantée par un homme (Alberto), ce qui peut être préféré par certains qui n’aiment pas trop les mélanges dans une tanda.

Si vous avez estimé que ces versions n’étaient pas à la hauteur, il nous faut chercher ailleurs. Je pense que l’orchestre qui va nous donner ce plaisir est la Romantica Milonguera. Il a enregistré les deux titres dans des versions compatibles et de belle qualité, presque équivalentes à la version de Canaro et Maida.
Je vous présente ces deux enregistrements en vidéo. Une belle façon de terminer cette anecdote du jour, non ?

Orquesta Romantica Milonguera — Poema
Orquesta Romantica Milonguera — Remembranza

Merci à la Romantica Milonguera et à demain, les amis !

Rosalinda 1935-07-03 – Orquesta Edgardo Donato con Juan Alessio

Edgardo Donato Letra : Máximo José Orsi

Encore un portrait de femme dans un tango. Celle-ci se prénommait Rosalinda. Cette valse relativement rare, bien que sympathique est interprétée par Donato et chantée par Juan Alessio.
Ce chanteur n’a enregistré qu’avec Donato et sur une période très brève, un mois entre juin et juillet 1935. Il est donc probable que vous ne le connaissiez pas. Je vous propose donc cette petite rencontre avec un chanteur de qualité.

Juan Alessio

Juan Alessio est difficile à cerner, car il est resté discret. Par ailleurs, il ne semble avoir enregistré qu’avec Donato et seulement les cinq titres que voici :

  • El día que me quieras 1935-06-13 (Carlos Gardel Letra: Alfredo Le Pera)
  • Dios lo sabe 1935-06-13 (Antonio Polito)
  • Rosalinda 1935-07-03 (Edgardo Donato Letra: Maximo José Orsi)
  • Picaflor 1935-07-03 (Edgardo Donato Letra: Maximo José Orsi, les mêmes auteurs que notre valse du jour).
  • Hola!… Qué tal?… 1935-07-17 (Osvaldo Donato Letra: Sandalio C. Gómez)

L’autre difficulté est qu’il n’a enregistré qu’une seule valse et que cette dernière est assez différente des valses les plus appréciées de Donato. De 1930 à 1936, il y a des valses compatibles, mais faire une tanda avec ce type de valse risque de ne pas plaire.
Comme DJ, il se peut donc que je ne passe jamais cette valse, sauf pour une occasion particulière, comme l’anniversaire d’une Rosalinde ou d’une Rosalinda… Je continuerais ensuite avec les valses les plus appréciées de Donato.

En toute fin d’article, je vous proposerai une autre option 😉

Extrait musical

Rosalinda 1935-07-03 — Orquesta Edgardo Donato con Juan Alessio

Comme vous pouvez le constater, c’est une valse particulièrement lente. Elle peut donc être difficile à danser, notamment pour les danseurs débutants. Les plus avancés pourront capter les petits ornements pour varier la danse, mais sans les élans habituels de la valse, il faudra faire preuve d’un bon sens de l’équilibre et bien respecter les axes pour en tirer tout le plaisir possible. Là encore, rendez-vous en fin d’article pour un joker.

Paroles

Je n’ai pas trouvé les paroles de Maximo José Orsi, je retranscris donc uniquement ce que chante Juan Alessio, tout du moins ce que j’ai cru entendre.

En mi vida sos la linda
Tu carita feliz
En tus ojos hay fulgores
Con aurora de ilusión
Junto a ti Rosalinda
El amor sembrando pasa
Como el beso de los vientos
Y entre el sol se devolvió

Edgardo Donato Letra : Máxi

Autres versions

Il y a une seule valse enregistrée avec ce titre.

Rosalinda 1935-07-03 — Orquesta Edgardo Donato con Juan Alessio

Mais il y a aussi une ranchera du même titre, mais avec des auteurs différents. On notera que la valse de Donato est à la limite de la ranchera.

Rosalinda (Ranchera) 1955-04-14 — Trío Ciriaco Ortiz
Trío Ciriaco Ortiz (au centre avec le bandonéon), Ramón Andrés Menéndez (à gauche) et Vicente Spina (à droite)

Máximo José Orsi

L’auteur des paroles, Máximo José Orsi, était acteur et parolier. Il est indirectement et contre son gré, à l’origine du succès de Piana, Milonga sentimental. En effet, Orsi demanda à Sebastián Piana une musique pour une des chansons d’un spectacle de Arturo De Bassi où il était acteur. Le résultat plut à De Bassi qui lui commanda un autre titre, ce fut Milonga sentimental.

Qui était Rosalinda ?

Il est difficile de dire qui était la Rosalinda, car ce prénom d’origine germanique est très répandu en Amérique du Sud au point qu’une revue mensuelle argentine des années 30 à 50 portait ce nom. C’était une édition de J. Hays Bell & Cia.

Le premier numéro de cette revue pour la femme et le foyer est paru en 1931, preuve que le prénom était à la mode à l’époque où Donato écrivit sa valse.

Par ailleurs, différents films portent ce titre, par exemple :

  • Rosalinda (1914) de Ricardo de Baños et Alberto Marro (Espagne)
  • Rosalinda (1941) de Lamberto V. Avellana (Philippines)
  • Rosalinda (1945) de Rolando Aguilar (Mexique)

C’est également le titre de télénovelas (les feuilletons à l’eau de rose), la plus récente étant de 2009 (Philippines) et la plus connue, celle de 1999 (Mexique) avec la chanson de Thalía.
En résumé, vous pouvez imaginer la Rosalinda que vous voulez, de la guerrière germanique avec des étincelles dans les yeux, jusqu’à la plus mièvre des héroïnes de télénovelas.

Rosalinda, quelques couvertures de la revue Rosalinda, de 1940,1942 et 1944.

La petite surprise

Comme DJ, on a le privilège de pouvoir modifier la musique. C’est l’avantage d’utiliser un logiciel spécifique et pas iTunes ou autre logiciel grand public pour la diffusion.
Comme un orchestre avant de commencer jouer, le DJ peut décider du tempo de la musique. Il ne dit pas 1 – 2 et 1 2 3 comme les musiciens, mais il peut ajuster le rythme, par exemple pour varier l’ordre des morceaux dans une tanda, voire en cours de route (avec un logiciel performant et bien maîtrisé). J’avoue recourir souvent à cet artifice qui me permet de coller toujours le plus possible aux capacités et/ou envies des danseurs présents.
Donc, cette valse, sans doute trop lente pour de nombreuses occasions peut se voir offrir une chance en lui donnant un peu d’élan.
Je vous propose un résultat à comparer à la version enregistrée. Sur quelle version préféreriez-vous danser dans une milonga ordinaire ?

Rosalinda 1935-07-03 — Orquesta Edgardo Donato con Juan Alessio. Version accélérée.
Rosalinda 1935-07-03 — Orquesta Edgardo Donato con Juan Alessio

Bien sûr, l’exercice va faire râler les ronchonchons et c’est tant mieux. Le DJ a pour but de donner du plaisir aux danseurs. La milonga n’est pas un musée, mais un lieu de divertissement. Que la musique soit un peu plus rapide, un peu plus lente, un peu plus aiguë ou grave, cela ne va rien changer.

  • Oui, mais le bandonéon de untel était accordé à 430 Hz, jusqu’en septembre et en octobre à 440 Hz. Tu ne peux donc pas passer les deux dans la même tanda, dit le Ronchonchon.
  • Tu es capable d’entendre la différence ? Demande le DJ, amusé.
  • J’ai l’oreille absolue, réplique le Ronchonchon.
  • Je te plains, dit le DJ compréhensif. Alors, tu as sans doute remarqué que j’ai passé la deuxième prise du 16 juillet 1952 et pas l’habituelle. Le bandonéon de Xyzxyz a eu un problème et il a emprunté celui d’un collègue accordé en 440 Hz.
  • Oui, bien sûr, j’avais remarqué qu’il y avait quelque chose de bizarre.
  • Ben, en fait, il n’a pas de seconde version et j’ai passé la version de TangoTunes (ou TTT) qui est au bon diapason, dit le DJ, mort de rire.

Je pourrai continuer, ce petit conte avec toutes ces anecdotes de « spécialistes », mais j’avoue que je m’occupe plus des danseurs que de ces DJ jaloux. Alors, dans la milonga, chers danseurs, prenez votre bonne humeur, affichez votre plus beau sourire et laissez-vous porter par la musique. Imaginez que vous êtes en plein âge d’or du tango et qu’un orchestre sur scène vous présente ses nouveautés, essaye de nouveaux arrangements, joue un titre à la mode plutôt connu par un autre orchestre. Aujourd’hui, la diversité des expériences et limitée par ce qui a été enregistré, un petit bout d’iceberg, tout le reste s’étant perdu faute d’avoir été enregistré et ne sera jamais retrouvé.

Des orchestres contemporains essayent de faire revivre des titres oubliés, de trouver de nouveaux arrangements. Tout cela devrait raviver le plaisir de la découverte chez les danseurs. Donc, si un DJ dans mon genre vous fait de petites surprises, prenez-le bien, c’est un jeu, le tango n’est pas une langue morte. Asinus asinum non fricat.

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La rosarina 1937-07-02 — Orquesta Juan D’Arienzo

Ricardo González Alfiletegaray Letra: Antonio Polito (A. Timarni)

Les femmes de Rosario ont la réputation d’être jolies. Plusieurs tangos vont dans ce sens, mais les Rosarinas ne sont pas les seules dont la beauté est vantée. Dans le cas présent, Ricardo González a composé son titre en pensant à une personne en particulier, une femme de Rosario, bien sûr. Je vous donnerai son nom en fin d’article.

Ricardo González était bandonéoniste et il fut le professeur du Tigre du bandonéon, Eduardo Arolas.

Extrait musical

La rosarina 1937-07-02 — Orquesta Juan D’Arienzo.

Paroles

Je n’ai pas trouvé d’enregistrement chanté de ce tango, mais il existe bien des paroles associées et qui sont parfaitement en accord avec le thème. Alors, les voici.

Mujeres de tradición
Nacidas en la Argentina,
Ninguna de corazón
Como era ‘la rosarina’.
La barra, feliz con su amor
No supo nunca de sinsabores,
Fue siempre gentil y brindó
Ternura suave, como una flor.
 
Cuando iba a los bailongos
Se destacaba por su pinta,
En el tango demostró, ser sin rival
Nadie la pudo igualar.
Rosarina de mi vida
Dulce recuerdo vos dejaste,
Es por eso que jamás
Te olvidarán, hasta morir.
 
Negrito
Querés café.
No, mama
Que me hace mal.
Entonces
Lo qué querés
Careta pa’ carnaval…

Ricardo González Alfiletegaray Letra : Antonio Polito (A. Timarni)

Traduction libre et indications

Des femmes de tradition nées en Argentine, aucune n’est de cœur comme l’était « la Rosarina».
La bande, heureuse de son amour, n’a jamais connu les ennuis, elle était toujours gentille et offrait une tendresse douce, comme une fleur.
Quand elle allait au bal, elle se distinguait par son allure, dans le tango, elle démontrait être sans rivale, personne ne pouvait l’égaler.
Rosarina de ma vie, tu as laissé de doux souvenirs, c’est pour cela qu’ils ne t’oublieront jamais, jusqu’à la mort.

Negrito, veux-tu du café ?
Non, maman, ça me fait mal.
Alors, que veux-tu
 ?
Un masque pour carnaval…

Le texte qui n’est pas en gras est assez étrange. Il rappelle certaines apostrophes que lançaient les orchestres, voire les clients de la salle. On se souvient d’avoir évoqué cela au sujet de El Monito avec un dialogue semblable dans les versions de Julio De Caro.
Negrito, petit noir, n’est pas forcément l’expression d’un racisme, le terme s’adressant à des personnes mates de peau, pas nécessairement à des personnes noires. On connaît Mercedes Sossa qui était surnommée La Negra.
Quand au masque de Carnaval, c’est encore une occasion d’évoquer comment les carnavals rythmaient la carrière des musiciens.
Ce texte additionnel semble assez curieux pour un tango dédié à une femme.

Autres versions

Le tango aurait été écrit en 1912 et le premier enregistrement serait de 1915, mais il semble introuvable. Je signale donc que Félix Camerano l’aurait enregistré en 1915 avec son orchestre. Ce n’est pas du tout impossible, vu qu’il était ami avec l’auteur de la musique depuis 1898, époque où il faisait avec lui un duo guitare et bandonéon. Quoi qu’il en soit, je n’ai pas ce disque dans mon grenier.

La rosarina 1928-12-15 — Alberto Diana Lavalle.

La rosarina 1928-12-15 — Alberto Diana Lavalle. Alberto Diana Lavalle, nous donne une version à la guitare, sans chanson. En fait, je n’ai pas trouvé d’enregistrement avec les paroles de Antonio Polito. Peut-être que cette chanson était interprétée sous cette forme lors de sa création.

Plaque en hommage à Alberto Diana Lavalle offerte par les « Martes Bohemios » un an après la mort de Lavalle. La plaque est donc au cimetière de Chacarita.
C’est une réalisation du sculpteur Orlando Stagnaro, qui est le frère du musicien et poète Santiago Stagnaro.
La rosarina 1929-11-20 — Orquesta Típica Victor. Dir. Adolfo Carabelli.

C’est la première version orchestrale dont on a une trace sonore.

La rosarina 1936-12-19 — Roberto Firpo y su Cuarteto Típico.

La rosarina 1936-12-19 — Roberto Firpo y su Cuarteto Típico. Roberto Firpo enregistrera trois fois le titre, dans des versions somme toute assez proches. Était-ce un intérêt pour le thème ou pour la dame ? Je n’en sais rien… Cette version est assez rapide et tonique, peut-être un peu brouillonne.

La rosarina 1937-07-02 — Orquesta Juan D’Arienzo. C’est notre tango du jour.

Les petits silences et les ornementations de Biagi sont bien présents dans ce titre typique de cette époque de D’Arienzo. La musique est assez joueuse, voire un peu sautillante. Bien dansable, avec quelques petites surprises et un joli contraste entre les lignes ondulantes des violons et le reste de l’orchestre plus percusif.

La rosarina 1943-12-30 — Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.

Pour une fois, Canaro n’arrive pas rapidement sur le titre. Canaro était pourtant proche de Ricardo González, puisque ce dernier lui avait dédicacé son premier tango El fulero et qu’il avait travaillé comme bandonéoniste dans son orchestre en France.
Il donne cet enregistrement avec son quintette. Après la version de D’Arienzo, cela peut sembler un peu trop calme. Il y a cependant de beaux traits musicaux, mais peut-être que les danseurs peuvent se dispenser de cette interprétation.

La rosarina 1944-03-31 — Roberto Firpo y su Nuevo Cuarteto.

Le retour de Firpo sur ce titre. Huit ans plus tard, il y a beaucoup de similitudes entre les versions. Le rythme est très légèrement plus lent. L’orchestre est un peu mieux synchronisé, ce qui facilitera la tâche des danseurs qui devront gérer ce titre qui hésite entre la milonga et le tango, mais qui a pour lui d’être joueur.

La rosarina 1949-10-21 — Roberto Firpo y su Nuevo Cuarteto.

Encore Firpo, cinq ans plus tard. Cette version diffère des premières par un tempo beaucoup plus lent. La dédicataire s’est peut-être assagie avec l’âge. Le tango de Firpo, c’est certain.

La rosarina 1975-01-06 — Miguel Villasboas, Washington Quintas Moreno.

Une version sympathique à deux pianos. Villasboas hésite aussi souvent entre les rythmes de milonga et de tango. Disons que cette version est pour le concert, mais qu’elle est sympathique à écouter.

Miguel Villasboas et Wishington Quintas Moreno ont produit plusieurs disques. Le titre que vous écoutez vient de celui de gauche, mais sur celui de droite « Antologia », on peut voir les deux pianistes à l’oeuvre.
La Rosarina 1980c — Miguel Villasboas y su Orquesta Típica.

Comme Firpo, Villasboas retourne au titre, cette fois avec son orchestre. Le tempo est un plus lent que dans la version à deux pianos. Les similitudes avec Firpo sont toujours marquées. Ce ne sera sans doute pas le titre le plus apprécié de la milonga, mais une fois de temps en temps, avec des danseurs moyennement portés sur la milonga, cela peut faire l’affaire.

Mais qui était La rosarina ?

Il est assez facile de découvrir que la dédicataire, ou pour le moins l’inspiratrice s’appelait Zulema Díaz. Venue voir sa sœur, selon les versions dans un spectacle à Acayucho (environ 300 km de Buenos Aires), dans un club nommé Alegria, par suite d’une soi-disant erreur d’un cocher. Quoi qu’il en soit, elle est tombée sous le regard de Ricardo González qui dirigeait le spectacle et qui a décidé de lui écrire un tango. Selon le journaliste Julián Porteño, cela se serait passé en 1912. Porteño indique que la femme était très belle et qu’en plus elle dansait, ce qui fait que Ricardo González (surnommé Mochila) l’a intégrée à la revue où elle était arrivée, par erreur, ou pour voir sa sœur.

Ce qu’on ne vous dit pas, c’est que sa sœur, la danseuse de la revue menée par González s’appelait María E. Díaz et que les deux sœurs devaient être un peu dévergondées, car le 29 juillet 1947, elles se sont fait exclure du Club Social et Sportif Villa Malcolm, pour y avoir dansé de façon non conforme à ce qui était attendu dans l’établissement.
En fait, la façon jugée inconvenante de danser était d’avoir le visage trop près de celui du partenaire. Ce club Villa Malcom était donc assez peu libéral et même Anibal Troilo en avait fait les frais. Il avait été renvoyé le 25 juillet 1942, car le 17 juillet, certains de ses musiciens ne se seraient pas pliés totalement à l’étiquette de l’établissement et qu’il aurait fait venir des gens qui n’étaient pas dans le style de l’établissement. Lucio Demare l’avait remplacé, comme quoi le malheur des uns fait le bonheur des autres.

Ricardo González est parti pour la France dans les années 20. Il y a travaillé notamment pour Francisco Canaro qui avait insisté pour le faire revenir en France dont il était parti peu de temps auparavant. Si Ricardo González avait fait une autre conquête, une danseuse prénommée Bernadette, lors de son séjour en France, on ne sait pas s’il a continué à rêver de la belle Rosarina. Tout ce qu’on sait, c’est qu’à son retour de France, il s’est retiré du tango et qu’on en n’a plus entendu parler. J’aime à imaginer que c’est pour filer l’amour parfait avec Zulema.

Voilà, j’arrive au terme de ce petit parcours au sujet d’un tango dédié à une apparition qui a enflammé l’imagination d’un bandonéoniste qui en a fait un tango.

En effet, je ne crois pas que les paroles tristes de notre tango du jour soient reliées à cette histoire, puisque les sœurs ont été exclues en 1947, soit 35 ans après la rencontre et donc bien longtemps après que les paroles ont été écrites.

À demain, les amis.

Corazón de oro 1980-07-01 — Orquesta Alfredo De Angelis

Francisco Canaro Letra: Jesús Fernández Blanco

La valse d’aujourd’hui, Corazón de oro, créée par Francisco Canaro est un immense succès, mais la version du jour va sans doute vous étonner. Si elle ne vous plait pas, je me rattraperai avec les nombreuses versions de Canaro. Mais comme je sais que vous avez un cœur en or, vous me pardonnerez de vous infliger une version de Alfredo De Angelis, bien étrange.

Extrait musical

Corazón de oro 1980-07-01 — Orquesta De Angelis.

L’introduction est réduite en étant jouée plus rapidement (les descentes chromatiques sont jouées en croches et pas en noires, donc deux fois plus rapidement.
Ce qui vous surprendra rapidement, ce sont les sonorités, au piano de De Angelis, aux superbes violons, aux bandonéons virtuoses, s’ajoute un orgue électronique, à partir de 45 secondes.
Celui chante la mélodie, puis les autres se mélangent de nouveau. Le résultat manque un peu de clarté et je ne suis pas convaincu qu’il soit totalement apprécié par les danseurs qui risquent de regretter les versions de Canaro que vous allez pouvoir apprécier à la suite de cet article.

Corazón de oro — Francisco Canaro Letra: Jesús Fernández Blanco.

La partition demande trois pages, contre deux généralement à cause de la très longue introduction, vraiment très longue dans certaines versions, même si ce n’est pas le cas pour notre valse du jour par De Angelis qui ne fait « que » 15 secondes.

Paroles

Con su amor mi madre me enseñó
a reír y soñar,
y con besos me alentó
a sufrir sin llorar…
En mi pecho nunca tengo hiel,
en el alma, canta la ilusión,
y es mi vida alegre cascabel.
¡Con oro se forjó mi corazón!…
Siempre he sido noble en el amor,
el placer, la amistad;
mi cariño no causó dolor,
mi querer fue verdad…
Cuando siento el filo de un puñal
que me clava a veces la traición,
no enmudece el pájaro ideal,
¡porque yo tengo de oro el corazón!…

Entre amor
florecí
y el dolor
huyó de mí.
Sé curar
mi aflicción
sin llorar,
¡tengo de oro el corazón!…

¡Los ruiseñores de mi alegría
van por mi vida cantando a coro
y en las campanas del alma mía
resuena el oro del corazón!…

Yo pagué la negra ingratitud
con gentil compasión,
y jamás dejó mi juventud
de entonar su canción…
Al sentir el alma enardecer
y apurar con ansia mi pasión,
no me da dolores el placer,
¡pues tengo de oro puro el corazón!…
Entre risas pasa mi vivir,
siempre amé, no sé odiar,
y convierto en trinos mi sufrir
porque sé perdonar…
Mi existencia quiero embellecer,
pues al ver que muere una ilusión,
otras bellas siento renacer,
¡mi madre me hizo de oro el corazón!…

Francisco Canaro Letra: Jesús Fernández Blanco

Traduction libre

Avec son amour, ma mère m’a appris à rire et à rêver, et avec des baisers, elle m’a encouragé à souffrir sans pleurer…
Dans mon cœur je n’ai jamais de fiel, dans mon âme l’illusion chante, et ma vie est un joyeux carillon (cascabel = grelot, j’ai un peu interprété et surtout, il ne faut pas prendre cascabel pour une de ses significations en lunfardo).
Mon cœur s’est forgé avec de l’or…
J’ai toujours été noble en amour, en plaisir, en amitié ; mon affection ne causait pas de douleur, mon amour était vrai…
Quand je sens le tranchant d’un poignard qui me transperce parfois de trahison, l’oiseau idéal ne se tait pas, car mon cœur est fait d’or…
entouré d’amour, je fleurissais et la douleur me fuyait.
Je sais guérir mon affliction sans pleurer, j’ai un cœur en or…
Les rossignols de ma joie traversent ma vie en chantant en chœur et dans les cloches de mon âme résonne l’or du cœur…
J’ai payé l’ingratitude noire avec une douce compassion, et ma jeunesse n’a jamais cessé de chanter sa chanson…
Quand je sens mon âme enflammer et animer avec ardeur ma passion, le plaisir ne me cause pas de douleur, car mon cœur est fait d’or pur…
Entre les rires ma vie passe, j’ai toujours aimé, je ne sais pas haïr, et je transforme ma souffrance en trilles parce que je sais pardonner…
Je veux embellir mon existence, car quand je vois qu’une illusion (un sentiment amoureux) meurt, j’en sens d’autres, belles, renaître, ma mère a fait mon cœur en or…

Autres versions

Corazón de Oro par Canaro

La composition est de Canaro et c’est donc lui qui se taille la part du lion des enregistrements. Je vous propose de commencer par lui et de revenir ensuite avec des enregistrements intermédiaires d’autres orchestres.

Corazón de oro 1928-05-19 — Orquesta Francisco Canaro.

Une introduction qui prend son temps, très lente. La valse ne commence qu’après 50 secondes, ce qui est beaucoup pour la patience des danseurs d’aujourd’hui. On peut éventuellement la placer en début de tanda, ou couper l’introduction. Les violons émettent des miaulements étonnants. Bien que d’une durée respectable (près de 5 minutes), cette valse n’est pas monotone et pourra satisfaire les danseurs. Elle est très rarement passée en milonga. Il faut dire qu’elle a plein de copines du même Canaro qui sont intéressantes. Jetons-y un œil.

Corazón de oro 1928-08-07 – Orquesta Francisco Canaro con Charlo.

L’introduction est relativement longue, mais plus rapide que pour la version de mai de la même année. De plus, elle tourne un peu, annonçant plus la valse qui va suivre. Elle est plus rapide et Charlo, intervient pour chanter le refrain à près de deux minutes. C’est une version qui tourne bien et qui donc a toute sa place en milonga.

Corazón de oro 1929-12-17 – Orquesta Francisco Canaro.

C’est déjà le troisième enregistrement de cette valse par Canaro. L’introduction est du type long, mais moins lente que dans la première version de 1928. Le ralentissement de la fin est sympathique.

Corazón de oro 1930-06-11 – Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro.

L’introduction avec ses 25 secondes peut être laissée. Elle laisse immédiatement la place à la voix magnifique de Ada Falcón. Ce n’est pas une version de danse, mais elle est si jolie que je pense qu’une bonne partie des danseurs pardonneront aux DJ qui la passera en milonga. Pour ma part, j’adore.

Corazón de oro 1938-03-24 – Orquesta Francisco Canaro.

Décidément Canaro enchaîne les enregistrements de sa valse. J’ai l’impression que c’est la version qui passe le plus souvent en milonga. Elle démarre sans longue introduction et le rythme est bien marqué. L’équilibre entre les bandonéons avec les violons en contrepoint est magnifique. C’est donc logiquement que les danseurs l’apprécient d’autant que certains passages plus énergiques réveillent l’attention. La flûte et la trompette bouchée, qui rappellent que Canaro donne aussi dans le jazz donne une sonorité originale à cette version qui n’est pas monotone malgré sa durée respectable de 3:13 minutes. Sa fin dynamique permet de l’envisager en fin de tanda.

Corazón de oro 1951-11-26 – Orquesta Francisco Canaro.

Canaro a laissé quelques années de côté sa valse pour la ressortir dans une version remaniée. C’est la version qui servira de modèle à Lalo Schifrin pour la musique du film Tango de Carlos Saura. La présence de chœur chantant la mélodie sans paroles est aussi une originalité, également reprise par Lalo Schifrin. Cette version bénéficie aussi de la fin tonique qui en fait une bonne candidate de fin de tanda.

Corazón de oro 1961-12-26 — Orquesta Francisco Canaro con coro.

La dernière version enregistrée par Canaro, trois ans avant sa mort. Cet enregistrement a été effectué au Japon. Les Japonais sont passionnés de tango et le succès des tournées des artistes argentins en témoigne.
Canaro renoue avec l’introduction longue et lente de la première version qui atteint 50 secondes. Le résultat est encore une valse qui dépasse les 4 minutes, ce qui peut pousser les DJ à couper l’introduction, d’autant plus qu’elle n’est pas dansante. C’est très joli, mais peut-être pas la version la plus touchante pour les danseurs. Comme dans la version de la décennie précédente le chœur apporte sa note d’originalité, mais c’est sans doute la fin qui est le plus remarquable, après un passage extrêmement lent, une fin, explosive. En milonga, ça passe, ou ça casse. Soit les danseurs adorent, soit ils s’arrêtent de danser avant la fin. Il faut donc bien juger de son public avant de passer cette version.

On continue avec le Quinteto Pirincho qui a prolongé l’héritage de Canaro après sa mort avec deux enregistrements.

Corazón de oro 1978 — Quinteto Pirincho dir. Oscar Bassil.

Cette version, souvent étiquetée Canaro, car il s’agit du Quinteto Pirincho a été enregistré 14 ans après la mort de Canaro… C’est Oscar Bassil (bandonéoniste) qui dirigeait le Quinteto à cette époque.

Corazón de oro 1996 — Quinteto Pirincho Dir. Antonio D’Alessandro.

Autre version du Pirincho, dans la version lente. Cette fois dirigée par Antonio D’Alessandro.

Contrairement à Bassil, D’Alessandro reprend la tradition de l’introduction lente qui dure dans le cas présent près de 40 secondes. Les premiers temps de la valse sont très accentués par moments ce qui peut paraître manquer de subtilité. Cette version me semble moins aboutie que celle de Bassil et le chœur a une voix que je trouve horrible, voire presque lugubre. Certainement pas ma version préférée si je souhaite faire plaisir aux danseurs, ce qui est en général mon objectif premier…

Corazón de oro par d’autres orchestres

Passons à d’autres orchestres maintenant.

Corazón de oro 1950-04-11 — Juan Cambareri y su Cuarteto Típico.

Encore une version de Cambareri à une vitesse de fou furieux. C’est plus de l’essorage de linge que de la valse à une telle vitesse. Je me demande ce qu’il avait dans la tête pour donner des interprétations à une telle vitesse. On est aux antipodes de Canaro qui était plutôt calme, voire très calme dans toutes ses versions.

Corazón de oro 1954-11-05 — Orquesta Juan Sánchez Gorio.

Une version calme, bien dansante, sans doute entendue trop rarement en milonga. Il faut dire qu’avec le choix que propose Canaro, on peut hésiter à sortir des sentiers battus. Les contrepoints du piano sont particulièrement originaux. J’aime beaucoup et en général, les danseurs aussi (c’est la moindre des choses pour un DJ que de passer des choses qui donnent envie de danser…).

Corazón de oro 1955-06-13 — Orquesta Francini-Pontier.

Une version intéressante, destructurée et avec des artistes virtuoses, que ce soit le violon de Francini ou le piano de Angel Scichetti. J’avoue que je n’irai pas la proposer en milonga, mais cette version vaut tout de même une écoute attentive.

Corazón de oro 1959 — Juan Cambareri y su Cuarteto de Ayer.

Non, Cambareri ne s’est pas calmé, ou alors, très peu. Cette version est quasiment aussi rapide que celle de 1950.

Corazón de oro 1959 — Los Violines De Oro Del Tango.

Une version plutôt orientée musique classique, mais pas inintéressante.

Corazón de oro 1979 — Nelly Omar con el conjunto de guitarras de José Canet.

La voix chaleureuse de Nelly Omar donne une version originale de cette valse. Il y a peu de versions chantées, il est donc intéressant d’en avoir une de plus, même si ce n’est pas pour danser. On notera qu’elle utilise de façon personnelle les paroles, mais après tout, pourquoi pas.

Corazón de oro 1980-07-01 — Orquesta De Angelis. C’est notre valse du jour.

Je vous propose de terminer avec cette version, on pourrait sinon continuer à se perdre dans les versions pendant des heures, tant ce titre a été enregistré.

Canaro et De Angelis

Un des derniers disques de De Angelis s’appelle Bodas de Oro con el Tango. Le livre de mémoires de Canaro est également sous-titré Mis Bodas de Oro con el Tango. J’ai trouvé amusante cette coïncidence.

Las bodas de oro de Canaro y De Angelis. Le disque et la cassette édités en 1982 et le livre de Canaro édité en 1956. On notera la présence de Gigi De Angelis, la fille de De Angelis, chanteuse.

Alfredo De Angelis a enregistré 17 titres de Canaro. Notre valse du jour n’est pas sur ce disque, mais sur un disque intitulé Al colorado de Banfield (1985), le colorado (le rouquin), c’est De Angelis, qui était fan du club de football de Banfield. Il a d’ailleurs écrit un tango « El Taladro », El Taladro étant le surnom du club de Banfield.

L’album s’appelle Al Colorado de Banfield à cause du tango composé par Ernesto Baffa et Roberto Pérez Prechi en l’honneur de De Angelis.
Il a été publié en 1985, mais il comporte des enregistrements de 1980 (comme notre valse du jour), jusqu’à 1985. C’est son dernier disque.

Canaro et De Angelis ont leurs partisans et leurs opposants. Aucun des deux n’a pu entrer dans le saint des saints des 4 piliers, réservé à Pugliese, Troilo, D’Arienzo et Di Sarli, mais ils ont créé tous les deux suffisamment de titres intéressants pour avoir une bonne place dans le panthéon du tango et tant pis pour les ronchonchons qui n’aiment pas.

À demain les amis !

Que nadie sepa mi sufrir 1955-06-30 — Orquesta Alfredo Gobbi con Alfredo Del Río y Tito Landó

Ángel Cabral Letra: Enrique Dizeo

Que ce soit dans les bals musettes de France, dans les milongas du Monde entier ou dans des lieux plus étonnants, cette superbe valse a fait tourner des danseurs et des têtes.
Généralement, on dit que c’est une valse péruvienne, mais cela peut faire hurler les Argentins, car les papas de cette merveille sont tous Argentins.

Une valse bien née

La musique est de Ángel Cabral (Ángel Amato). Ce guitariste est né en 1911 à Buenos Aires. Très jeune, il jouait dans des trios de guitares. À l’époque de l’écriture de Que nadie sepa mi sufrir, le trio était composé de Ángel Cabral, Juan José Riverol (né à Buenos Aires et fils du guitariste de Carlos Gardel) et Alfredo Lucero Palacios (né à Rosario, Argentine).
Il était ami de Enrique Dizeo (né à Buenos Aires), l’auteur des paroles, avec José Riverol, trois fanatiques des courses de chevaux et tous les trois nés à Buenos Aires.
L’auteur de la musique et des paroles est Ángel Cabral. Enrique Dizeo aurait joué un rôle secondaire d’améliorations du texte de Cabral.
Ce thème aurait écrit vers 1936 (d’aucuns disent 1927) et interprété en 1936 par Hugo Del Carril (né à Buenos Aires). Certains affirment que Hugo Del Carril aurait enregistré cette valse, mais cela semble faux ou pour le moins il n’existe pas d’enregistrement déclaré, ni de film dans lequel il aurait interprété ce titre.
Par ailleurs, si la date de 1927 était vraie, ce serait le premier titre de Cabral en solo. Le plus ancien titre enregistré datant de 1930 et était une collaboration, La Brava, une ranchera composée avec Hérmes Romulo Peressini.
Dans les années 1940, il écrit tous les autres titres avec la participation de ses collègues guitaristes du trio. Il s’agit de corridos et de milongas. La première ranchera de 1930 n’est peut-être pas de lui, mais de Martín Valentín Cabral, auteur de nombreuses rancheras.
Le fait que sur la partition de Que nadie sepa mi sufrir, il y ait la photo des trois guitaristes de l’époque, et pas du trio des années 30, me semble devoir confirmé que le titre date plutôt de la fin des années 40 ou du début des années 50. Si quelqu’un pouvait sortir une véritable preuve que Hugo Del Carril a chanté le titre en 1936, ce serait intéressant.

C’est le trio qui est présenté sur la partition, ce qui m’incite à penser que le titre date plutôt de la fin des années 40, début des années 50.

Quoi qu’il en soit, on voit donc que toutes les personnes ayant participé de près ou de loin à ce titre sont Argentines. Alors, pourquoi dire que c’est une valse péruvienne ?
En fait, le terme de valse péruvienne désignait un rythme de valse plutôt lent que d’ailleurs Cabral a utilisé pour la plupart de ses valses des années 50 et 60. Je pense qu’il souhaitait surfer sur le succès de Que nadie sepa mi sufrir qui a connu son véritable succès dans ces années, plus que dans les années 20 ou 30 si les sources plus ou moins fantaisistes faisant remonter la création à cette époque sont exactes.
Cette valse « péruvienne » a donc connu beaucoup de succès, mais en attendant, je vous propose d’écouter une version enregistrée il y a exactement 69 ans. C’est une des meilleures versions, mais plusieurs se battent pour le podium et ça va être une véritable course pour savoir qui sera le premier. Mais comme les auteurs sont turfistes, les courses, ils connaissent.

Extrait musical

Que nadie sepa mi sufrir 1955-06-30 — Orquesta Alfredo Gobbi con Alfredo Del Río y Tito Landó.
Que nadie sepa mi sufrir. Ángel Cabral Letra: Enrique Dizeo. Éditions Julio Korn.

En photo, les membres du trio de guitariste dont était membre Cabral à l’époque de l’écriture de cette valse (dans mon hypothèse qu’elle date des alentours de 1950).

Paroles

No te asombres si te digo lo que fuiste
Una ingrata con mi pobre corazón
Porque el fuego de tus lindos ojos negros
Alumbraron el camino de otro amor
Porque el fuego de tus lindos ojos negros
Alumbraron el camino de otro amor
Amor de mis amores, reina mía, ¿qué me hiciste?
Que no puedo conformarme sin poderte contemplar
Ya que pagaste mal, mi cariño tan sincero
Lo que conseguirás, que no te nombre nunca más
Amor de mis amores, si dejaste de quererme
No hay cuidado, que la gente de eso no se enterará
¿Qué gano con decir que una mujer cambió mi suerte?
Se burlarán de mí, que nadie sepa mi sufrir
Y pensar que te adoraba ciegamente
Que a tu lado como nunca me sentí
Y por esas cosas raras de la vida
Sin el beso de tu boca, yo me vi
Y por esas cosas raras de la vida
Sin el beso de tu boca, yo me vi
Amor de mis amores, reina mía, ¿qué me hiciste?
Que no puedo conformarme sin poderte contemplar
Ya que pagaste mal, mi cariño tan sincero
Lo que conseguirás, que no te nombre nunca más
Amor de mis amores, si dejaste de quererme
No hay cuidado, que la gente de eso no se enterará
¿Qué gano con decir que una mujer cambió mi suerte?
Se burlarán de mí, que nadie sepa mi sufrir

Ángel Cabral Letra : Enrique Dizeo

Traduction libre

Ne t’étonne pas si je te dis combien tu as été ingrate avec mon pauvre cœur.
Parce que le feu de tes beaux yeux noirs a illuminé le chemin d’un autre amour.
Parce que le feu de tes beaux yeux noirs a éclairé le chemin d’un autre amour
Amour de mes amours, ma reine, que m’as-tu fait ?
Que je ne peux pas être satisfait sans pouvoir te contempler puisque tu as mal payé, mon affection si sincère.
Ce que tu obtiendras, c’est que je ne t’appellerai plus jamais amour de mes amours, si tu cesses de m’aimer.
Ne t’inquiète pas, les gens ne s’en rendront pas compte.
Qu’est-ce que je gagne à dire qu’une femme a changé ma chance ?
Ils se moqueront de moi, personne ne connaîtra ma souffrance et ils penseront que je t’ai adoré aveuglément, qu’à tes côtés comme si jamais je ne l’avais ressenti.
Et à cause de ces choses étranges de la vie sans le baiser de ta bouche, je me suis vu.
Et pour ces choses étranges de la vie, sans le baiser de ta bouche, je me suis vu
Amour de mes amours, ma reine, que m’as-tu fait ?
Que je ne puis être satisfait sans pouvoir te contempler puisque tu as mal payé, mon affection si sincère.
Ce que tu obtiendras, c’est que je ne t’appellerai plus jamais amour de mes amours, si tu cesses de m’aimer.
Ne t’inquiète pas, les gens ne s’en rendront pas compte.
Qu’est-ce que je gagne à dire qu’une femme a changé ma chance ?
Ils se moqueront de moi, personne ne connaîtra ma souffrance.

Autres versions

Que nadie sepa mi sufrir 1953-10-28 — Alberto Castillo — Orq Dir Ángel Condercuri.

Que nadie sepa mi sufrir 1953-10-28 — Alberto Castillo — Orq Dir Ángel Condercuri. Certains attribuent à Jorge Dragone la Direction de l’orchestre. C’est à mon avis une erreur, car Dragone dirigeait l’orchestre de Ledesma et les premiers enregistrements sont de 1957.
Castillo, après avoir chanté pour l’orchestre de Tanturi jusqu’en 1943 a monté son orchestre, dirigé par Emilio Balcarce de fin 1943 à août 1944, puis par Enrique Alessio. En 1948, après un bref passage par l’orchestre de Troilo, Castillo confie la direction de son orchestre à Ángel Condercuri et César Zagnoli, puis en 1949 à Eduardo Rovira. En 1951 Ángel Condercuri, revient, seul à la direction de l’orchestre jusqu’en 1959. Signalons toutefois quelques enregistrements par Raúl Bianchi sur la période, donc si on peut avoir un doute sur Condercuri, c’est du côté de Bianchi qu’il faudrait regarder, pas du côté de Dragone. Dans les années 60 et 70, Osvaldo Requena et Condercuri vont diriger à tour de rôle l’orchestre. Aucune mention de Jorge Dragone dans la littérature sérieuse sur la question. J’ai même trouvé un CD où l’orchestre était mentionné comme étant celui de Tanturi…
Mais il reste quelque chose de très important à signaler sur cette interprétation. Ce serait celle qu’aurait entendu Edith Piaf et qui en aurait fait La foule avec les paroles de Michel Rivgauche.

Que nadie sepa mi sufrir 1953-12-18 — Alfredo De Angelis con Carlos Dante.

Moins de deux mois après Castillo, Alfredo De Angelis donne sa version avec Carlos Dante. C’est une très belle version qui souffre seulement du mépris de certains pour De Angelis et de ce que ce titre met en avant les sonorités criollas ce qui fait dire avec dédain à certains que c’est du folklore et pas du tango.

Que nadie sepa mi sufrir 1954-11-09 — Alberto Marino.

Si j’étais un DJ taquin, je mettrais cette version dans une milonga (si, au fait, je suis un DJ taquin, je pourrais le faire en Europe…). Le célesta donne le ton, on est dans quelque chose d’original. La guitare joue une très belle partition accompagnée par la contrebasse qui donne la base. Il y aurait un accordéon, mais il est tellement discret qu’on ne le remarque pas.

Le célesta, comment ça marche ? Par Catherine Cournot. Pour tout connaître sur le célesta, cet instrument original.
Que nadie sepa mi sufrir 1955-06-30 — Alfredo Gobbi Con Alfredo Del Rio y Tito Lando.

C’est notre valse du jour. Le rythme est plus posé que dans les versions de De Angelis et Castillo, on est ainsi plus proche de ce qu’est censée être une valse péruvienne. Le duo Alfredo Del Rio et Tito Lando fonctionne parfaitement. Même si Gobbi n’est pas en odeur de sainteté dans toutes les milongas, c’est une version qui pourrait faire le bonheur des danseurs. Pour moi, c’est une très belle réalisation.

Que nadie sepa mi sufrir 1956 — Agustín Irusta.

Une version chanson, sympa, sauf pour la danse. Une introduction originale annonce aussi une orchestration différente.

Voilà la version que vous attendiez, celle d’Edith Piaf… Ici, vous avez en prime les paroles affichées en espagnol.

La foule 1957-02-28 — Edith Piaf (paroles de Michel Rivgauche).

On remarque l’introduction qui diffère un peu des autres versions (en fait, presque toutes les introductions ont des variantes).

Paroles de La foule d’Edith Piaf (écrites par Michel Rivgauche)

Paroles de La foule
Je revois la ville en fête et en délire
Suffoquant sous le soleil et sous la joie
Et j’entends dans la musique les cris, les rires
Qui éclatent et rebondissent autour de moi
Et perdue parmi ces gens qui me bousculent
Étourdie, désemparée, je reste là
Quand soudain, je me retourne, il se recule
Et la foule vient me jeter entre ses bras
Emportés par la foule qui nous traîne
Nous entraîne
Écrasés l’un contre l’autre
Nous ne formons qu’un seul corps
Et le flot sans effort
Nous pousse, enchaînés l’un et l’autre
Et nous laisse tous deux
Épanouis, enivrés et heureux
Entraînés par la foule qui s’élance
Et qui danse
Une folle farandole
Nos deux mains restent soudées
Et parfois soulevés
Nos deux corps enlacés s’envolent
Et retombent tous deux
Épanouis, enivrés et heureux
Et la joie éclaboussée par son sourire
Me transperce et rejaillit au fond de moi
Mais soudain je pousse un cri parmi les rires
Quand la foule vient l’arracher d’entre mes bras
Emportés par la foule qui nous traîne
Nous entraîne
Nous éloigne l’un de l’autre
Je lutte et je me débats
Mais le son de ma voix
S’étouffe dans les rires des autres
Et je crie de douleur, de fureur et de rage
Et je pleure
Entraînée par la foule qui s’élance
Et qui danse
Une folle farandole
Je suis emportée au loin
Et je crispe mes poings, maudissant la foule qui me vole
L’homme qu’elle m’avait donné
Et que je n’ai jamais retrouvé

Paroles de Michel Rivgauche

Je vous propose d’arrêter là. J’avais sélectionné une quarantaine de versions, y compris dans d’autres rythmes, ce sera pour une autre fois et terminer avec Piaf, c’est tout de même une belle envolée, non ?

À demain, les amis !

Mandria 1957-06-29 – Orquesta Juan D’Arienzo con Mario Bustos

Juan Rodríguez Letra: Juan Miguel Velich; Francisco Brancatti

Mandria, encore un grand tango, adoré par les danseurs. Si ce sont les versions de D’Arienzo qui sont les plus connues, il y a d’autres versions intéressantes et que je vous propose ici. Attention, on entre dans l’univers hostiles des gauchos, mandrias, s’abstenir.

Extrait musical

Mandria 1957-06-29 – Orquesta Juan D’Arienzo con Mario Bustos
Partition de Mandria. On voit le combat avec les rebenques.

Paroles

Tome mi poncho… No se aflija…
¡Si hasta el cuchillo se lo presto!
Cite, que en la cancha que usté elija
he de dir y en fija
no pondré mal gesto.

Yo con el cabo ‘e mi rebenque
tengo ‘e sobra pa’ cobrarme…
Nunca he sido un maula, ¡se lo juro!
y en ningún apuro
me sabré achicar.

Por la mujer,
creamé, no lo busqué…
Es la acción
que le viché
al varón
que en mi rancho cobijé…
Es su maldad
la que hoy me hace sufrir :
Pa’ matar
o pa’ morir
vine a pelear
y el hombre ha de cumplir.

Pa’ los sotretas de su laya
tengo güen brazo y estoy listo…
Tome… Abaraje si es de agaya,
que el varón que taya
debe estar previsto.
Esta es mi marca y me asujeto.
¡Pa’ qué pelear a un hombre mandria !
Váyase con ella, la cobarde…
Dígale que es tarde
pero me cobré.

Juan Rodríguez Letra: Juan Miguel Velich ; Francisco Brancatti

Traduction libre et indications

Prenez mon poncho… Ne vous affligez pas…
Et jusqu’au couteau, je vous le prête !
Racontez, que dans le lieu (terrain pour le duel, se dit aussi du terrain de foot) que vous choisissez, il faut dire et assurément (fija en lunfardo, chose sûre), je n’aurai pas de mauvais geste.
Moi, avec la tête de mon fouet j’ai largement pour me couvrir (protéger)…

Cabo de rebenque (tête de fouet de gaucho). On voit la dragonne qui permet de le tenir fermement au poignet et la boule de métal qui devait donner de forts mots de tête quand elle entrait en contact avec le crâne de l’adversaire…

Je n’ai jamais été un lâche, je vous le jure !
Et sans aucune urgence je saurais me faire petit.
Pour la femme, croyez-moi, je ne l’ai pas cherché…
C’est l’action que j’ai vue de l’homme que j’ai hébergé dans mon ranch…
C’est sa méchanceté qui aujourd’hui me fait souffrir :
Pour tuer ou pour mourir, je suis venu me battre et l’homme doit s’y conformer.
Pour un malotru de ce type, j’ai un bon bras et je suis prêt…
Prenez… Abattu s’il est fait de galle, (agaya = agalla = excroissance qui se forme sur un arbre à cause de la piqûre d’un insecte) que le mec qui a parlé doit être prévenu.
C’est ma devise et je m’y tiens.
Pourquoi combattre un homme pleutre !
Allez avec elle, la lâche…
Dites-lui qu’il est tard, mais que j’ai été payé.

J’ai quelques doutes sur l’interprétation, est-ce qu’au final il a mis une raclée avec son fouet au type qui était allé avec sa femme et qu’il chasse les deux, ou qu’il ne prend pas la peine de s’attaquer au pleutre (mandria) et qu’il le chasse avec la femme infidèle.

Autres versions

Mandria 1927-03-17 — Rosita Quiroga con guitarras.

Mandria 1927-03-17 — Rosita Quiroga con guitarras. Les prestations de Rosita, l’artiste à la mode remportèrent beaucoup de succès au théâtre et à la radio, ce qui lança le titre comment en témoignent les autres enregistrements réalisés dans les deux mois qui suivirent. Dans cet enregistrement, elle est accompagnée de trois guitaristes. Sa voix, marquée de souffrance l’avait fait surnommée, la toujours blessé (La eterna herida) ou la muse pauvre (La musa mistonga), car elle était un produit des faubourgs dont elle avait la diction et la gouaille. En 1927, elle était au fait de sa gloire et l’année précédente, Antonio Polito et Celedonio Flores pour les paroles, lui avaient écrit un tango La musa mistonga.

Rosita Quiroga, La musa mistonga
Mandría 1927-03-25 — Orquesta Roberto Firpo.

Une Jolie version, assez lente et bien dansable.

Mandría 1927-05-10 – Orquesta Osvaldo Fresedo

La version de Fresedo a des points communs avec celle de Firpo.

Mandria 1927-05-19 – Orquesta Francisco Canaro con Agustín Irusta

Encore une version assez proche, un tempo plus marqué, mais bien sûr, la grande différence est le refrain chanté par Agustín Irusta.

Avec Canaro se terminent les enregistrements de la première vague. Quatre en deux mois, c’est un beau succès pour le titre, mais attendez la suite…

Mandria 1939-08-09 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe.

Après une pause de douze ans, une nouvelle version de notre titre du jour. C’est sans doute la version la plus célèbre. Contrairement aux versions de la décennie précédente on est face à un titre énergique, brillant, qui donne envie de danser.

Mandria 1954-04-22 — Orquesta Eduardo Del Piano con Mario Bustos.

Une version chantée avec une voix un peu recherchée. Pas forcément la version préférée des danseurs.

Mandria 1957-06-29 – Orquesta Juan D’Arienzo con Mario Bustos. C’est notre tango du jour.

Trois ans plus tard, Bustos enregistre le thème avec D’Arienzo qui lui est aussi avec sa deuxième version, la première étant de 18 ans plus ancienne, avec Echagüe.
Il est intéressant de comparer la version de Del Piano avec celle de D’Arienzo, elles sont proches en date et c’est le même chanteur. Del Piano a laissé plus de liberté à Bustos et même si D’Arienzo laisse Bustos chanter toutes les paroles, il reste dans le cadre de la danse, ce qui n’est aps toujours le cas d’autres orchestre de l’époque qui augmentent aussi fortement la part chantée des tangos.

Mandria 1970 — Orquesta Juan Cambareri con Héctor Berardi.
Mandria 1980c — Los Mancifesta con Carlos Tejeda.
Mandria 2022 – El Cachivache Quinteto.

El rebenque

On a déjà parlé de l’armement des gauchos, notamment du facón (couteau) et du poncho (enroulé autour du bras en protection).

L’arme d’aujourd’hui est le rebenque. C’est une sorte de cravache ou de fouet court. D’un côté, il y a la poignée (cabo) et de l’autre, la queue.

À gauche, un rebenque entier avec au premier plan el cabo en métal. La tenue du rebenque avec la dragonne au poignet. Combat au rebenque selon une illustration de Molina. Le poncho enroulé sur le bras sert à se protéger. Rebenque et facón, deux armes redoutables, dessins de Mario Lopez Osornio Ici, il tient le rebenque par la queue. On imagine donc le résultat de la fappe du cabo sur l’adversaire. Dans le combat, le rebenque sert également à désarmer l’adversaire de son couteau.

Milonga de mi flor 1940-06-28 — Orquesta Pedro Laurenz con Juan Carlos Casas

Feliciano Brunelli (Feliciano Juan Brunelli) Letra: Carlos Bahr (Carlos Andrés Bahr)

L’illustration ne va pas spécialement vous aider à trouver le thème de cette milonga. C’est une milonga et la fleur, pourrait être la danseuse. Mais, l’expression « de mi flor » a un autre sens qui semble plus adapté à cette milonga qui dispose de deux versions de paroles. Écoutons et voyons cela.

Extrait musical

Milonga de mi flor 1940-06-28 — Orquesta Pedro Laurenz con Juan Carlos Casas
Milonga de mi flor (à droite) avec sur la gauche, Un amor, un des titres du film « Cita en la frontera » avec Libertad Lamarque

Paroles de la version chantée par Juan Carlos Casas

Con revuelos de percales
las mozas la bailaron
en las floridas tardes
del viejo Montserrat.

“Venga, vea este corte”
pregonaba algún taura
al mandarse un redoble
sobre el piso de tablas.

Dedicando a la reunión
como una flor, su compadrada,
retador en la intención
de deslumbrar con sus hazañas
Lindos tiempos aquellos,
del fandango ligero
al compás de un milongón
que para más, puede mi flor.

Feliciano Brunelli Letra: Carlos Bahr

Traduction libre de la version chantée par Juan Carlos Casas

Avec des envolées de percale (calicot, étoffe légère et bon marché), les belles filles la dansaient dans les après-midi fleuris du vieux Montserrat.
« Venez, voyez ce corte » proclama un des tauras (caïd, personnage « important ») en envoyant un martèlement sur le parquet.
Dédiant à la réunion comme une fleur, sa compagne, provocateur dans l’intention d’éblouir par ses exploits.
Ce sont de beaux moments, du fandango léger au rythme d’un milongón que pour plus, peut ma fleur.

Autres versions

Cela va aller assez vite, il n’y a que deux enregistrements, réalisés à moins de six mois d’intervalle.

Milonga de mi flor 1940-06-28 — Orquesta Pedro Laurenz con Juan Carlos Casas. C’est notre milonga du jour.
Milonga de mi flor 1940-12-03 – Orquesta Julio De Caro con Héctor Farrel

Paroles de la version chantée par Héctor Farrel

La florearon las guitarras
Trenzando bordoneos,
En las tenidas bravas
Por el noventa y dos.

Repicando tacones
Con redoble compadre,
Desde el sud hasta el norte
Se jugó en un alarde.
Fue la flor del arrabal
Para el ojal de los cantores,
Y en la voz del mayoral
Por la ciudad, bordó primores.

Fue canción de vereda
Y patrón de trastienda,
Porque tuvo un corazón
Que entreveró, rencor y amor.

Feliciano Brunelli Letra: Carlos Bahr

Traduction libre de la version chantée par Héctor Farrel

Les guitares l’ont fleurie de bordoneos tressés (jeu sur les trois cordes graves de la guitare), dans les lieux vaillants pour une quatre-vingt-douze.

Une 92 (pièce de 2 centavos de 1892).

Claquant des talons en roulement de tambour joint, du sud au nord, il se jouait en fanfaronnade.
C’était la fleur des faubourgs pour la boutonnière des chanteurs, et dans la voix du mayoral (celui qui faisait payer le billet dans le tramway) à travers la ville, il brodait des motifs de première.

C’était une chanson du trottoir et un motif d’arrière-boutique, parce qu’il avait un cœur qui s’entremêlait, ressentiment et amour.

Pourquoi ce titre ?

De mi flor signifie quelque chose d’excellent. En français, on parle de « fleur de l’âge ».
Vous avez compris que le narrateur, dans chacune des versions, est un fanfaron qui se vante de danser comme un ____________ (complétez avec le terme de votre choix).

Milonga et milongón

Je rajouterai un titre très proche Milongón de mi flor composé par José Vázquez Vigo et interprété par Francisco Canaro, la même année.

Milongón de mi flor 1940-04-18 — Quinteto Don Pancho dir. Francisco Canaro.

Un milongón, c’est à la fois un style de milonga d’origine uruguayenne que Canaro a essayé de lancer, sans grand succès, mais c’est aussi un bal populaire ; un désordre bruyant voire une bagarre.
Je vous laisse danser ces trois milongas et vous dit, à demain les amis, depuis ma ville chérie, Buenos Aires.

La tupungatina 1952-06-27 — Orquesta Osvaldo Pugliese

Cristino Tapia (musique et paroles), arrangements de Roberto Pepe

Peut-être que certains se sont demandé d’où venait ce nom étrange. La Yumba, Beba, Zum (de Piazzolla) et maintenant Tupungatina (de Tapia) sont dans le lexique étonnant des œuvres jouées par Pugliese. Je pourrais vous dire que ça vient de la petite localité de Tupungato, du département de Tupungato, célèbre pour son volcan du même nom. La Tupugatina est une habitante de ce lieu. Ce serait donc une banale chanson en l’honneur d’une femme, mais vous vous en doutez, il y a une surprise que nous découvrirons en fin d’article.

Extrait musical

La tupungatina 1952-06-27 — Orquesta Osvaldo Pugliese
La tupungatina, Partition originale nous donnant des informations que nous allons distiller en fin de notice…

Paroles

Ya me voy para los campos que añoro
a buscar yerba de olvido y dejarte,
a ver si con esta ausencia pudiera
en relación a otro tiempo olvidarte,
a ver si con esta ausencia pudiera
en relación a otro tiempo olvidarte.

He vivido tolerando martirios,
y jamás pienso mostrarme cobarde,
arrastrando una cadena tan fuerte
hasta que mi triste vida, se acabe,
arrastrando una cadena tan fuerte
hasta que mi triste vida, se acabe.

Cuando le he enseñado al tiempo mis penas
no hay mal que por bien no venga, aunque escarche
cuando no haya tierra, ni agua, ni cielo
se acabarán mis tormentos cobardes,
cuando no haya tierra, ni agua, ni cielo
se acabarán mis tormentos cobardes.

Cristino Tapia (musique et paroles), arrangements de Roberto Pepe

Traduction libre et indications

Je m’en vais par les champs qui me manquaient pour chercher l’herbe de l’oubli et te laisser, pour voir si avec cette absence je pourrais par rapport à un autre temps, t’oublier, pour voir si avec cette absence je pourrais par rapport à un autre temps, t’oublier.
J’ai vécu en tolérant des martyres, et je n’ai jamais eu l’intention de me montrer lâche, en traînant une chaîne si forte jusqu’à ce que ma triste vie s’achève, en traînant une chaîne si forte jusqu’à ce que ma triste vie s’achève.
Quand j’ai appris au temps, mes peines, il n’y a pas de mal qui ne vienne pour le bien, même s’il gèle, quand il n’y aura plus de terre, plus d’eau, plus de ciel, mes lâches tourments finiront, quand il n’y aura plus de terre, plus d’eau, plus de ciel, mes lâches tourments finiront. (L’auteur est des Andes et donc il peut évoquer le froid de l’hiver, avec le gel, la neige et le brouillard qui fait perdre les repères, la terre, l’eau et le ciel).

Autres versions

Je vous avais promis une surprise, la voici. Il s’agit de la version originale de ce titre qui était à l’origine une zamba (danse traditionnelle argentine qui se danse avec des mouchoirs. Voir l’anecdote sur la 7 de april).

La Tupungatina 1950 C (Zamba) — Dúo Moreyra-Canale.

L’enregistrement est tardif, mais il restitue la composition originale dont on n’a pas d’enregistrement d’époque. C’est donc la première surprise, que Pugliese, s’intéresse à une zamba.

Sueños 1920c — Dúo Tapia-Almada.

Ce titre n’est pas celui du jour, mais il permet d’entendre chanter le Dúo Tapia-Almada.

La tupungatina 1921 (Tonada) Carlos Gardel y José Razzano con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras).

On peut faire la relation de style avec le Dúo Tapia-Almada.

Cristino Tapia, à gauche, au centre, Carlos Gardel et à droite, Guillermo Barbieri (el negro)
La tupungatina, Partition de 1921.

Parmi les informations que l’on peut tirer de cette partition :

  • Elle est dédicacée par Cristino Tapia à une disciple de Elisa Orellana nommée Carmen D. de Gramajo. Je n’ai pas d’information sur cette dernière, mais Elisa Orellana est sa femme, avec qui il fera par la suite un duo, comme il l’a fait avec Francisco Almada (ils sont en photo sur la couverture), auparavant avec son frère José María, puis par la suite avec Cartos, Llanes, et enfin sa femme avec qui il a enregistré plus d’une centaine d’albums de 1925 à 1930.
  • On voit que le Duo de Gardel avec José Razzano interprétant ce titre a obtenu un grand succès à Buenos Aires.
  • Il est indiqué « Tonada » qui est une forme de chanson et non plus Zamba. Gardel était passé par là. Ce dernier a enregistré une vingtaine de titres de Tapia. C’était donc une collaboration régulière.
Cristino Tapia, à gauche, au centre, Carlos Gardel et à droite, Guillermo Barbieri (el negro)

Puis le thème semble avoir été oublié du domaine du tango. Il a continué à vivre sa vie chez les chanteurs de folklore, sous forme de tonada ou de zamba.
En 1952, Pugliese enregistre le titre, à sa sauce, ou plutôt à la sauce d’un de ses bandonéonistes, Roberto Pepe. À sa mort, le 29 novembre 1955, son collègue Esteban Enrique Gilardi dédiera un tango qui sera enregistré le 20 mars 1956 par Pugliese.

A Roberto Peppe 1956-03-20 – Osvaldo Pugliese.

L’hommage rendu par Gilardi à son collègue récemment disparu. Bien sûr, ce n’est pas le thème du jour.
Cela permet de rappeler que les musiciens de Pugliese étaient généralement aussi arrangeurs, voire compositeurs et qu’ils formaient un groupe assez solidaire autour de leur chef.
Écoutons maintenant la magie de Pepe qui transforma une zamba/tonada en un chef-d’œuvre du tango.

La tupungatina 1952-06-27 — Orquesta Osvaldo Pugliese. C’est notre tango du jour.
La tupungatina 1952-11-13 — Orquesta Osvaldo Pugliese.

Le petit frère de notre tango du jour, né la même année, moins de cinq mois plus tard, quasi des jumeaux. Le petit frère est un peu plus long, près de quatre minutes contre un peu plus de trois minutes trente pour la première version.

S’il ne semble pas y avoir d’enregistrements notables du titre par la suite, les chanteurs de folklore continuent de l’utiliser comme en témoigne cette superbe version de Jorge Cafrune.

La tupungatina 1965 — Jorge Cafrune.

Une magnifique interprétation de ce grand du folklore argentin. C’est une zamba, mais pas si évidente à danser de par l’interprétation particulière.

Voici une version hors du temps qui pourrait rappeler les polyphonies corses…

La tupungatina 1976 — Chango Farías Gómez — Grupo Vocal Argentino.

Et pour terminer, on retourne avec un orchestre de tango, Solo Tango qui nous propose une version énergique et dansable. C’est, bien sûr, sur une base des arrangements de Roberto Pepe.

La tupungatina 2021 — Solo tango.

À demain les amis…

Milonga de mis amores 1937-05-26 – Orquesta Francisco Canaro

Pedro Laurenz Letra : José María Contursi (Hijo)

Encore une milonga qui fait se jeter les danseurs sur la piste. Pourtant, elle a différentes personnalités selon les orchestres qui l’interprètent. Je vous invite à découvrir certains de ses visages. Le premier enregistrement est celui de Canaro, c’est notre tango milonga du jour. Elle fête ses 87 ans et exprime la nostalgie de la ville qui change.

Extrait musical

Milonga de mis amores 1937-05-26 — Orquesta Francisco Canaro
Milonga de mis amores. Partition piano et voix.

Paroles

Oigo tu voz
engarzada en los acordes de una Iírica guitarra…
Sos milonga de otros tiempos… Yo te vi crecer
prendida en las polleras de un bailongo guapo y rompedor
como jamás ha de volver.

Nadie, tal vez,
comprendió mejor las penas y el sentir de mi barriada…
Sin embargo te olvidaron y en el callejón
tan sólo una guitarra te recuerda, criolla como vos,
y en su gemir tiembla mi ser.

Vuelvo cansado de todo
y en mi corazón lloran los años…
Mi vida busca tan sólo
la tranquilidad del viejo barrio…
Y encuentro todo cambiado menos tu canción, milonga mía…
El progreso ha destrozado toda la emoción
de mi arrabal.

Quiero olvidar
y tus notas van llenando de tristeza el alma mía…
He cruzado tantas veces ese callejón,
llevando entre los labios un silbido alegre y tu cantar
emborrachando el corazón.

Era feliz
entregado a las caricias de la única sincera
que acunó una primavera que no floreció…
Milonga, ya no puedo continuar… El llanto me venció…
Quiero olvidar… y pienso más.

Pedro Laurenz José María Contursi (hijo)

Traduction libre et indications

J’entends ta voix enlacée dans les accords d’une guitare lyrique…
Tu es une milonga d’un autre temps… Je t’ai vu grandir accrochée aux jupes dans des bals déchaînés (destructeurs) comme il n’en reviendra jamais.
Personne, peut-être, ne comprenait mieux les chagrins et les sentiments de mon taudis…
Cependant, ils t’ont oublié et dans la ruelle seule une guitare se souvient de toi, criolla comme toi, et dans ses gémissements mon être tremble.
Je reviens fatigué de tout et dans mon cœur les années pleurent…
Ma vie ne cherche que la tranquillité du vieux quartier…
Et je trouve que tout a changé sauf ta chanson, ma milonga…
Le progrès a détruit toute l’excitation de mon faubourg.
J’ai envie d’oublier et tes notes remplissent mon âme de tristesse…
J’ai traversé cette ruelle tant de fois, portant aux lèvres un sifflement joyeux et ton chant qui enivrait mon cœur.
C’était heureux de s’abandonner aux caresses de la seule sincère qui berçait un printemps qui ne fleurissait pas…
Milonga, je ne peux plus continuer… Les pleurs m’ont submergé…
Je veux oublier… Et je pense encore plus.

Autres versions

Milonga de mis amores 1937-05-26 — Orquesta Francisco Canaro

C’est notre milonga du jour. Canaro a été le premier à enregistrer le titre de Laurenz. Comme généralement à cette époque, le rythme est plutôt lent, presque canyengue.

Milonga de mis amores 1937-07-14 — Pedro Laurenz C Hector Farel.

Laurenz arrive après Canaro pour donner sa version. Le rythme est bien plus rapide et Hector Farel chante quelques mots (ce qui est en gras dans les paroles, rappelant ainsi que Contursi, fils, a créé des paroles pour cette milonga.

Milonga de mis amores 1944-01-14 Orquesta Pedro Laurenz.

Sept ans plus tard, Laurenz revoit sa copie, purement instrumentale. Le rythme est encore plus soutenu.

Milonga de mis amores 1968 — Pedro Laurenz con su Quinteto.

En 1968, Laurenz a réduit la voilure et c’est son quintette qui interprète le titre. Le rythme est plus lent, mais ce qui frappe, c’est la légèreté de la musique. Le quintette ne rivalise pas avec l’orchestre, le résultat me semble un peu anecdotique, charmant, mais sans plus…

Milonga de mis amores — 1970-12-16 — Orquesta Juan D’Arienzo.

Deux ans plus tard, D’Arienzo balance toute la sauce avec cette milonga énervée qui ravira les danseurs les plus énergiques et achèvera les autres.

Milonga de mis amores 1973-05-04 — Juan Cambareri y su Cuarteto Típico.

Fidèle à son vice, Cambareri nous libre une version en excès de vitesse. Je suis à peu près sûr que lui et ses musiciens mettent de la boisson énergisante dans leur café. Même les danseurs les plus énergiques regarderont les notes passer sans essayer de les attraper. Quand c’est trop, c’est trop, d’autant plus que cela manque un peu de clarté.

Milonga de mis amores 1993-11-08 – Alberto Marino con orquesta.

Cette version a le mérite de nous présenter les paroles de Contursi, fils.

Milonga de mis amores 2005 – Hyperion.

Une belle version, bien énergique, dans l’esprit de D’Arienzo.

Milonga de mis amores 2011 – Trio Garufa.

Une version légère, qui démarre comme un train à vapeur, puis qui trouve son rythme. Intéressant, mais est-ce suffisant pour les danseurs, pas sûr.

Milonga de mis amores 2013 – Chamuyo – Cuarteto de saxos.

Milonga de mis Amores par Roxana Fontán accompagnée à la flûte par Ravind Sangha et un guitariste…

Mi serenata 1952-06-25 – Orquesta Edgardo Donato con Carlos Almada y Alberto Podestá

Edgardo Donato Letra: Juan Carlos Thorry (José Antonio Torrontegui)

Mi serenata est un superbe tango chanson, écrit par Edgardo Donato. Il l’a enregistré à deux reprises, les deux fois avec des duos (et il ne sera pas le seul). Je vous propose aujourd’hui la seconde version, moins connue que celle réalisée 12 ans plus tôt. C’est le soir, laissez-vous bercer par cette sérénade et soyez sympas, répondez aux chanteurs, pas comme la pimbêche de ce tango.

Les rues de Buenos Aires et des alentours regorgeaient d’âmes seules et de musiciens, chanteurs, toujours prêts à pousser la chansonnette, notamment pour conquérir une belle.
La sérénade, favorisée par les nuits généralement clémentes de la région, faisait donc flores.
Le tango témoigne de cet engouement, avec au moins une trentaine de titres contenant Serenata. Ce sont majoritairement des tangos et des valses, mais en dehors de notre univers tanguero, il pouvait s’agir aussi de habaneras ou boléros.
Le cérémonial de la sérénade passait par la chanson sous le balcon, de l’autre côté de la clôture, comme dans la version d’aujourd’hui, par fois sur le balcon, comme dans Serenata que nous avons déjà évoqué… Normalement, la femme devait allumer une lumière pour signaler qu’elle était à l’écoute et si tout se passait bien, le chanteur pouvait espérer aller un peu plus loin, c’est-à-dire, selon les cas, grimper au balcon de façon acrobatique, sauter la barrière, ou recevoir l’accueil suspicieux du père de la belle.

Extrait musical

Mi serenata 1952-06-25 – Orquesta Edgardo Donato con Carlos Almada y Alberto Podestá.

La voix grave de Almada et la plus aigüe de Podestá forment un assez bel ensemble.

Mi serenata, Partition avec Donato et Gavioli en photo

Vous remarquerez qu’il est indiqué « Tango canción » (tango chanson). Il est écrit également que les palabras (paroles) sont de Juan C. Thorry, que la musique est de Edgardo Donato et que c’est une création de Romeo Gavio. Cela nous indique certainement qu’avant de l’enregistrer, il l’a chanté sur une des scènes de Buenos Aires.
La partition est dédicacée par Donato à José Lectoure et Ismaël Pace. Comme il se peut que vous ne connaissiez pas ces deux individus, voici leur photo et leur CV.

Ismael Pace et José Lectoure en compagnie de techniciens de la construction du Stadium Luna Park dont ils sont les propriétaires (photo de 1932).

Je suis sûr que vous n’aviez pas deviné qui étaient réellement les dédicataires… Le Luna Park est une immense salle de spectacle de Buenos Aires, on se souvient que Canaro l’a utilisée pour les carnavals à partir de 1936, voir par exemple Después del carnaval 1941-06-19 Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz. C’est aussi une salle où des combats de boxe sont donnés, tout aussi violents que les meetings politiques qui s’y déroulent encore aujourd’hui.
On peut s’étonner de la dédicace. Ils étaient amis de Donato, mais le thème de ce tango ne semble pas totalement adapté aux personnages. On les imagine difficilement grattant une guitare sous un balcon, mais qui sait ?

Paroles

Niña de mi corazón
brindarte quiero un cantar
que sea el reflejo fiel
de cariño sin par,
niña de mi ilusión.

A tu reja llegué
una estrella guiñó
y aquel día forjé
mi primera ilusión.
Serenata que allí
para ti improvisó mi amor,
tu promesa de amor,
tu mirada, un clavel,
dieron premio a mi canción.

Hoy que ya el tiempo pasó,
vine a tu reja a cantar,
silencio fue el responder
a este triste dolor
que tu ausencia dejó.

Edgardo Donato Letra: Juan Carlos Thorry (José Antonio Torrontegui)

Traduction libre et indications

Fille de mon cœur, je veux t’offrir une chanson qui soit le reflet fidèle d’une affection sans pareille, fille de mon sentiment amoureux (ilusión, n’est pas une illusion…).
À ta clôture, une étoile venue faire un clin d’œil, et ce jour-là, j’ai forgé mes premiers sentiments.
Une sérénade que là, pour toi, j’ai improvisé mon amour, ta promesse d’amour, ton regard, un œillet, ont donné un prix (récompense) à ma chanson.
Aujourd’hui que ce temps est déjà passé, je suis venu à ta clôture pour chanter, le silence a été la réponse à cette triste douleur que ton absence a laissée.

Autres versions

Mi serenata 1940-01-11 — Orquesta Edgardo Donato con Romeo Gavio y Lita Morales.

C’est la première version, enregistrée par l’auteur, avec le duo gagnant Lita Morales et Romeo Gavioli. Qui d’autre que Roméo pouvait lancer la sérénade à Juliette, pardon, à Lita ? N’oublions pas qu’ils étaient un couple discret comme nous l’avons évoqué lors de notre anecdote sur El adios.
C’est sans doute la version préférée de la plupart des danseurs et elle le mérite.

Mi serenata 1952-06-25 – Orquesta Edgardo Donato con Carlos Almada y Alberto Podestá. C’est notre tango du jour.
Mi serenata 1955-09-02 – Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel y Miguel Montero.
Mi serenata 1973 – Los Solistas de D’Arienzo con Osvaldo Ramos y Alberto Echagüe
Mi serenata 1980 – Orquesta Donato Racciatti con Marcelo Biondini y Gabriel Reynal.

Il s’appelle aussi Donato, mais c’est son prénom et le résultat n’est pas forcément convaincant.

Mi Serenata 2022-06 – El Cachivache Quinteto. Sans doute la palme de l’originalité pour cette version.

Et pour terminer, une belle version de la Romantica Milonguera en video. C’est de 2017, donc logiquement après la version de El Cachivache, mais je trouve plus sympa de terminer ainsi.
C’est de nouveau un duo, homme femme, comme la première version de 1940 par Donato. La boucle est fermée.

Orquesta Romantica Milonguera avec Roberto Minondi et Marisol Martinez en duo – « Mi serenata »

À demain les amis !

El bajel 1948-06-24 – Orquesta Osmar Maderna

Francisco De Caro; Julio De Caro

Le bateau à voiles, el bajel et ses compagnons plus tardifs à charbon, ont été les instruments de la découverte des Amériques par les Européens. Notre tango du jour lui rend hommage. C’est un tango plutôt rare, écrit par deux des frères De Caro. Si les deux sont nés à Buenos Aires, leurs parents José De Caro et Mariana Ricciardi sont nés en Italie et donc venus en bateau. Mais peut-être ne savez-vous pas qu’on vous mène en bateau quand on vous vante les qualités de compositeur et de novateur de Julio De Caro. Nous allons lever le voile et hisser les voiles pour nous lancer à a découverte de notre tango du jour.

Ce week-end, j’ai animé une milonga organisée par un capitaine de bateau. Je lui dédie cette anecdote. Michel, c’est pour toi et pour Delphine, que vous puissiez voguer, comme les pionniers à la rencontre des merveilles que recèlent la mer et les terres lointaines au compas y al compás de un tango.

Sexteto de Julio De Caro vers 1927.

Au premier plan à gauche, Émilio de Caro au violon, Armando Blasco, bandonéon, Vincent Sciarretta, Contrebasse, Francisco De Caro, piano; Julio De Caro, violin à Cornet et Pedro Laurenz au bandonéon. Emilio est le plus jeune et Francisco le plus âgé des trois frères présents dans le sexteto. Julio avec son violon à cornet domine l’orchestre

Extrait musical

Partition de El bajel signée Francisco et Julio De Caro… Notez qu’il est désigné par le terme “Tango de Salon » et qu’il est dédicacé à Pedro Maffia et Luis Consenza.
El bajel 1948-06-24 — Orquesta Osmar Maderna.

Ce n’est assurément pas un tango de danse. Il est d’ailleurs annoncé comme tango de salon. Contrairement aux tangos de danse où la structure est claire, par exemple du type A+B, ou A+A+B ou autre, ici, on est devant un déploiement musical comme on en trouve en musique classique. Pour des danseurs, il manque le repère de la première annonce du thème, puis celle de la reprise. Ici, le développement est continu et donc il est impossible de deviner ce qui va suivre, sauf à connaître déjà l’œuvre.
C’est une des caractéristiques qui permet de montrer que la part de Francisco et bien plus grande que celle de son petit frère dans l’affaire, ce dernier étant plus traditionnel, comme nous le verrons ci-dessous, par exemple dans le tango 1937 qui est de conception « normale ». Entrée musicale, chanteur qui reprend le thème avec le refrain…

Autres versions

El bajel 1948-06-24 — Orquesta Osmar Maderna. C’est notre tango du jour.
El bajel Horacio Salgán au piano. C’est un enregistrement de la radio, la qualité est médiocre et de plus, le public était enrhumé.
El bajel — Horacio Salgán (piano) et Ubaldo De Lío (guitare). Une version de bonne qualité sonore avec en plus la guitare de Ubaldo De Lío.
El bajel 2013 — Orquesta Típica Sans Souci.

L’orchestre Sans Souci sort de sa zone de confort qui est de jouer dans le style de Miguel Caló. Le résultat fait que c’est le seul tango de notre sélection qui soit à peu près dansable. On notera en fin de musique, le petit chapelet de notes qui est la signature de Miguel Caló, mais que l’on avait également dans l’enregistrement de Maderna…

El bajel 2007 — Trio Peter Breiner, Boris Lenko y Stano Palúch.

Une version tirant fortement du côté de la musique classique. Mais c’est une tendance de beaucoup de musiciens que de tirer vers le classique qu’ils trouvent parfois plus intéressant à jouer que les arrangements plus sommaires du tango de bal.

Julio ou Francisco ?

Si le prénom de Julio a été retenu dans les histoires de tango, c’est qu’il était, comme Canaro, un entrepreneur, un homme d’affaires qui savait faire marcher sa boutique et se mettre en avant. Son frère Francisco, aîné d’un an, n’avait pas ce talent et est resté toute sa vie au second plan, malgré ses qualités exceptionnelles de pianiste et compositeur. Il a failli créer un sexteto avec Clausi, mais le projet n’a pas abouti, justement, par manque de capacité entrepreneuriale. Nous évoquerons en fin d’article un autre sexteto dont il est à l’origine, sans lui avoir donné son prénom.
En tango comme ailleurs, ce n’est pas tout que de bien faire, encore faut-il le faire savoir. C’est dommage, mais ceux qui tirent les marrons du feu ne sont pas toujours ceux qui les mangent.
Julio, était donc un homme avec un caractère plutôt fort et il savait mener sa barque, ou son bajel dans le cas présent. Il a su utiliser les talents de son grand frère pour faire marcher sa boutique.
Francisco est mort pauvre et Pedro Laurenz qui, comme Francisco a beaucoup donné à Julio, a aussi connu une fin économiquement difficile.
Julio a signé ou cosigné des titres avec Maffia, Francisco (son frère) et Laurenz, sans toujours faire la part des participations respectives, qui pouvaient être nulles dans certains cas, malgré son nom en vedette.
Par exemple ; El arranque, Boedo ou Tierra querida sont signés par Julio Caro alors qu’ils sont de Pedro Laurenz qui n’est même pas mentionné.

Sexteto De Caro – Julio de Caro (violoniste et directeur d’orchestre, Emilio De Caro (violoniste), Pedro Maffia (bandonéoniste), Leopoldo Thompson (contrebassiste), Francisco De Caro (pianiste), Pedro Laurenz (bandonéoniste).

Sur cette image tirée de la couverture d’une partition de La revancha de Pedro Laurenz on trouve l’équipe de compositeurs associée à Julio De Caro :

  • Emilio De Caro, le petit frère qui a composé une dizaine de titres joués par l’orchestre de Julio.
  • Francisco De Caro, le grand frère qui est probablement le compositeur principal de l’orchestre de Julio, que ce soit sous son nom, en collaboration de Julio ou comme compositeur « caché ».
  • Pedro Maffia, qui « donna » quelques titres à Julio quand il travaillait pour le sexteto
  • Pedro Laurenz, qui fut également un fournisseur de titres pour l’orchestre.
  • Je pourrais rajouter Ruperto Leopoldo Thompson (le contrebassiste) qui a donné Catita enregistré par l’orchestre de Julio de Caro en 1932. Contrairement aux compositions des frères de Julio, de Maffia et de Laurenz, c’est un tango traditionnel, pas du tout novateur.

Quelques indices proposés à l’écoute

Avancer que Julio De Caro n’est pas forcément la tête pensante de l’évolution decarienne, mérite tout de même quelques preuves. Je vous propose de le faire en musique. Voici quelques titres interprétés, quand ils existent, par l’orchestre de Julio de Caro pour ne pas fausser la comparaison… Vous en reconnaîtrez certains qui ont eu des versions prestigieuses, notamment par Pugliese.

Tangos écrits par Julio de Caro seul :

Viña del mar 1936-12-13 – Orquesta Julio De Caro con Pedro Lauga.

Après l’annonce, le thème qui sera repris ensuite par le chanteur, Pedro Lauga. Une composition classique de tango.

1937 (Mil novecientos treinta y siete) 1938-01-10 – Orquesta Julio de Caro con Luis Díaz.

Le tango est encore composé de façon très traditionnelle, sans les innovations que son frère apporte, comme dans Flores negras que vous pourrez entendre ci-dessous.

Ja, ja, ja 1951-06-01 – Orquesta Julio De Caro con Orlando Verri. Des rires que l’on retrouvera dans Mala junta.

Je vous laisse méditer sur l’intérêt de ces enregistrements.

Attention, pour ces titres, comme pour les suivants, il ne s’agit pas de musique de danse. Ce n’est donc pas l’aune de la dansabilité qu’il faut les apprécier, mais plutôt sur leur apport à l’évolution du genre musical, ce qui permet de voir que l’apport de Julio dans ce sens n’est peut-être pas aussi important que ce qu’il est convenu de considérer.

Tangos cosignés avec Francisco De Caro (en réalité écrits par Francisco)

Mala pinta (Mala estampa) 1928-08-27 — Orquesta Julio De Caro.

Si on considère que c’est un enregistrement de 1928, on mesure bien la modernité de cette composition. Pugliese l’enregistrera en 1944.

La mazorca 1931-01-07 — Orquesta Julio De Caro
El bajel 1948-06-24 — Orquesta Osmar Maderna. C’est notre tango du jour,

Tangos écrits seulement par Francisco De Caro

Sueño azul 1926-11-29 — Orquesta Julio De Caro.

On pensera à la magnifique version de Osvaldo Fresedo (celle de 1961, bien sûr, pas celle de 1937 écrite par Tibor Barczy (T. Baresi) avec des paroles de Tibor Barczy et Roberto Zerrillo et qu’a si merveilleusement interprété Roberto Ray.
La version de 1961 n’est pas pour la danse, c’est plutôt une œuvre « symphonique » et qui s’inscrit dans la lignée de Francisco De Caro, objet de mon article. Merci à Fred, TDJ, qui m’incite à donner cette précision que j’aurais dû faire, d’autant plus que l’univers de De Caro est souvent moins connu, voire méprisé par les danseurs.

Flores negras 1927-09-13 — Orquesta Julio De Caro.

S’il fallait une seule preuve du talent de Francisco, je convoquerai à la barre ce titre. On peut entendre comment commence le titre, avec ces élans des cordes que l’on retrouvera chez Pugliese bien plus tard, tout comme les sols de pianos de Francisco seront ressuscités par Pugliese en son temps. La contrebasse de Thompson marque le compas, mais avec des éclipses, tout comme le fera Pugliese dans ces alternances de passages rythmées et d’autres glissés. Si vous faites attention, vous pourrez distinguer la différence entre le violon d’Emilio et celui de son grand frère Julio qui utilise encore le cornet de l’époque acoustique.
Cette différence de sonorité permet d’attribuer avec certitude les traits plus virtuoses à Emilio. Même si on n’est pas vraiment dans la danse, ce titre pourra curieusement plaire aux amateurs des tangos de Pugliese des années 50, ce qui démontre l’avancée de Francisco par rapport à ses contemporains.
Par rapport à notre tango du jour, il reste un peu de la structure traditionnelle, mais avec de telles variations que cela rendrait la tâche des danseurs très compliquée s’ils leur prenaient l’envie de le danser en improvisation.
Cette magnifique mélodie fait partie de la bande-son du film La puta y la ballena (2004). De Angelis, et Fresedo en ont des versions intéressantes et fort différentes. Celle de De Angelis est même tout à fait dansante.

Je rajoute un enregistrement de qualité très moyenne, mais qui est un excellent témoignage de l’admiration d’Osvaldo Pugliese pour Francisco De Caro.

Flores negras — Osvaldo Pugliese (solo de piano).

Encore une version enregistrée à la radio et avec un public enrhumé.

Loca bohemia 1928-09-14 — Orquesta Julio De Caro
Un poema 1930-01-08 Sexteto Julio De Caro.

Si on compare avec une composition de Julio, même plus tardive, comme Viña del mar (1936), on voit bien qui est le novateur des deux.

Tangos cosignés par Francisco De Caro et Pedro Laurenz

Esquelas 1932-04-07 — Orquesta Julio De Caro con Luis Díaz

Tangos écrits par Pedro Laurenz et signés Julio De Caro

Tierra querida 1927-09-12 — Orquesta Julio De Caro
Boedo 1928-11-16 — Orquesta Julio De Caro
Boedo, une composition de Pedro Laurenz, signée Julio de Caro et interprété par son orchestre en novembre 1928.

Sur les disques, c’est le nom de l’orchestre qui prime. S’il c’étaiSur les disques, c’est le nom de l’orchestre qui prime. S’il c’était appelé Hermanos De Caro ou tout simplement De Caro, peut-être que la contribution majeure de Francisco De Caro serait plus connue aujourd’hui. Sur le disque, seul le nom de Julio De Caro apparaît pour la composition, alors que c’est une œuvre de Pedro Laurenz. On comprend qu’à un moment ce dernier ait également quitté l’orchestre.

El arranque 1934-01-04 — Orquesta Julio De Caro

Tango cosigné avec Pedro Laurenz (avec apports de Laurenz majoritaires, voire totaux)

Orgullo criollo 1928-09-17 — Orquesta Julio De Caro
Mala junta 1927-09-13 — Orquesta Julio De Caro

Tangos cosignés avec Pedro Maffia (en réalité écrits par Maffia)

Chiclana 1936-12-15 — Quinteto Los Virtuosos.

Quinteto Los Virtuosos (Francisco De Caro (piano), Pedro Maffia et Ciriaco Ortiz (bandonéon), Julio De Caro et Elvino Vardaro (violon)

Tiny 1945-12-18 Orquesta Osvaldo Pugliese.

Pas de version enregistrée par Julio de Caro.

Tangos co-écrits avec Maffia et Laurenz mais signés par Julio de Caro

Buen amigo 1925-05-12 — Orquesta Julio De Caro.

On pensera aux versions de Troilo ou Pugliese pour se rendre compte de la modernité de la composition de Maffia et Laurenz. L’enregistrement acoustique rend toutefois difficile l’appréciation de la subtilité de la composition.

Photographiés en 1927, de gauche à droite : Francisco De Caro, Manlio Francia, Julio De Caro et Pedro Laurenz.

Le violoniste Manlio Francia composa deux tangos qui furent joués par l’orchestre de Julio De Carro, Fantasias (1929) et Pasionaria (1927).

Mais alors, pourquoi on parle de Julio et pas de Francisco ?

J’ai évoqué la personnalité forte de Julio. En fait, l’orchestre initial a été formé par Francisco qui a demandé à ses deux frères de se joindre à son sexteto, en décembre 1923. Le succès aidant, l’orchestre a obtenu différents contrats permettant à l’orchestre de grossir, notamment pour le carnaval (oui, encore le carnaval) jusqu’à devenir une composition monstrueuse d’une vingtaine de musiciens. Ceci explique que le sexteto est généralement appelé orquesta típica, même si ce terme est généralement réservé aux compositions ayant plus d’instrumentistes (bandonéonistes et violonistes).
Au départ, cet orchestre monté par Francisco n’ayant pas de nom, il s’annonçait juste « sous la direction de Julio De Caro. Mais un jour, dans une publicité du club Vogue ou se produisait l’orchestre, l’orchestre était annoncé comme l’orchestre « Julio De Caro. Cela n’a pas plut à Maffia et Petrucelli qui décidèrent alors d’abandonner l’orchestre ne supportant plus le caractère, fort, de Julio et sa volonté de dominer.
Ceux qui connaissent les Daltons penseront sans doute à la personnalité de Joe Dalton pour la comparer à celle de Julio De Caro.

Joe, c’est assurément Julio. Francisco était-il Averell ?

Plus tard, Gabriel Clausi et Pedro Laurenz quitteront l’orchestre à cause du caractère de Julio. Ces derniers ont gardé des attaches avec Francisco et lorsque Osvaldo Pugliese s’est chargé de faire passer à la postérité l’héritage des frères De Caro, c’est à Francisco qu’il se référait.
Donc, ce qui était clair à l’époque, est un peu tombé dans l’oubli, notamment à cause des disques qui portent uniquement le nom de Julio De Caro, puisque tous les orchestres étaient à son nom, ce dernier ayant toujours refusé le partage, Maffia-De Caro ou De Caro-Laurenz, même pas en rêve pour lui.

Orchestre De Caro sur un bateau ?

Cette photo est en général étiquetée comme étant l’orchestre de Julio De Caro en route pour l’Europe en mars 1931. Cependant on reconnaît Thompson, mort en août 1925.
La photo est donc à dater entre 1924 et cette date si c’est l’orchestre De Caro.
Je propose de placer cette photo sur un bateau se rendant en Uruguay ou qui en revient. Julio de Caro avait, à diverses reprises, travaillé en Uruguay, avec Eduardo Arolas, Enrique Delfino et Minotto Di Cicco (dans l’orchestre duquel Francisco était pianiste).
Comme Thomson était avec Juan Carlos Cobián en 1923 et auparavant avec Osvaldo Fresedo, cela confirme que cette photo est au plus tôt de décembre 1923.
Lorsque Francisco du monter son orchestre (qui prit le prénom de son frère), il fit appel outre à ses frères, Emilio et Julio, à Thompson, Luis Petrucelli (bandonéon) puis Pedro Láurenz en septembre 1924 Pedro Maffia (bandonéon) remplacé en 1926 par Armando Blasco et Alfredo Citro (violon). Il y a peu de photos des artistes en 1924 et les portraits que j’ai trouvés ne permettent pas de garantir les noms des autres personnes présentes.
Quoi qu’il en soit, je termine cette anecdote avec une photo prise sur un bateau, même si ce n’est probablement pas un bajel…

La gayola 1941-06-23 — Orquesta Francisco Lomuto con Fernando Díaz

Rafael Eulogio Tuegols Letra: Armando José María Tagini

La gayola, je suis sûr que certains ont l’habitude de l’apprécier par Rodriguez et Moreno. Mon célèbre esprit de contradiction et la date du jour fait que je vous propose une version moins connue, mais tout à fait intéressante. Elle a été enregistrée deux semaines plus tard par Francisco Lomuto et Fernando Díaz.

Extrait musical

La gayola 1941-06-23 – Orquesta Francisco Lomuto con Fernando Díaz.

Le staccato initial de l’orchestre donne le ton. C’est une version énergique. Cependant, elle alterne avec des passages plus doux. C’est une interprétation en contraste, sans monotonie et qui reste dansable de bout en bout.

Éditée par Julio Korn, dont nous avons parlé à diverses reprises, La gayola, partition pour piano avec Rodriguez en couverture.

Paroles

¡No te asustes ni me huyas !… No he venido pa’ vengarme
si mañana, justamente, yo me voy pa’ no volver…
He venido a despedirme y el gustazo quiero darme
de mirarte frente a frente y en tus ojos contemplarme,
silenciosa, largamente, como me miraba ayer…

He venido pa’que juntos recordemos el pasado
como dos buenos amigos que hace rato no se ven;
a acordarme de aquel tiempo en que yo era un hombre honrado
y el cariño de mi madre era un poncho que había echado
sobre mi alma noble y buena contra el frío del desdén.

Una noche fue la muerte quien vistió mi alma de duelo
a mi buena
(tierna) madrecita la llamó a su lado Dios…
Y en mis sueños parecía que la pobre, desde el cielo,
me decía que eras buena, que confiara siempre en vos.

Pero me jugaste sucio y, sediento de venganza…
mi cuchillo en un mal rato envainé en un corazón…
y, más tarde, ya sereno, muerta mi única esperanza,
unas lágrimas rebeldes
(amargas) las sequé en un bodegón.

Me encerraron muchos años en la sórdida gayola
y una tarde me libraron… pa’ mi bien…o pa’ mi mal…
Fui sin rumbo por las calles y rodé como una bola;
Por la gracia de un mendrugo, ¡cuántas veces hice cola!
las auroras me encontraron largo a largo en un umbral.

Hoy ya no me queda nada; ni un refugio… ¡Estoy tan pobre!
Solamente vine a verte pa’ dejarte mi perdón…
Te lo juro; estoy contento que la dicha a vos te sobre…
Voy a trabajar muy lejos…a juntar algunos cobres
pa’ que no me falten flores cuando esté dentro ‘el cajón.

Rafael Eulogio Tuegols Letra: Armando José MaríaTagini

Fernando Díaz chante tout ce qui est en gras.
Armando Moreno chante ce qui est en bleu.
(Entre parenthèses, des variantes des paroles).
Gardel chante encore d’autres variantes que je ne reproduis pas ici.

Traduction libre et indications

N’aie pas peur et ne me fuis pas… Je ne suis pas venu me venger si demain, justement, je pars pour ne plus revenir…
Je suis venu te dire au revoir et je veux me donner le plaisir de te regarder face à face et dans tes yeux me contempler, en silence, pendant un long moment, comme tu me regardais autrefois (ayer est hier, ou le passé, comme ici)
Je suis venu pour qu’ensemble nous puissions nous souvenir du passé comme deux bons amis qui ne se sont pas vus depuis longtemps ; de me souvenir de cette époque où j’étais un homme honnête et où l’affection de ma mère était un poncho que j’avais jeté sur ma noble et bonne âme contre le froid du dédain.
Une nuit, c’est la mort qui a revêtu mon âme de deuil, ma tendre petite mère l’a appelée à ses côtés, Dieu…
Et dans mes rêves, il me semblait que la pauvre créature, du ciel, me disait que tu étais bonne, que je devais toujours te faire confiance.
Mais tu m’as joué salement et, assoiffé de vengeance…
mon couteau dans un mauvais moment, je l’ai fourré dans un cœur…
Et, plus tard, déjà serein, mon seul espoir mort, j’ai séché quelques larmes amères dans un bodegón (restaurant populaire).
Ils m’ont enfermé pendant de nombreuses années dans la sordide geôle et une après-midi ils m’ont libéré… pour mon bien… ou pour mon mal…
J’errais sans but dans les rues et roulais comme une balle ; par la grâce d’un quignon de pain, combien de fois j’ai fait la queue !
Les aurores me trouvèrent bien souvent sur un pas de porte.
Aujourd’hui, il ne me reste rien ; pas un refuge… Je suis si pauvre !
Je suis seulement venu te voir que pour te laisser mon pardon…
Je te jure ; je suis heureux que le bonheur te sourie…
Je vais travailler très loin… pour récolter quelques piécettes (cobres, pièces de menue monnaie en cuivre) afin de ne pas manquer de fleurs quand je serai dans le cercueil.

Autres versions

La gayola 1927-05-19 – Orquesta Francisco Canaro. Cette première version est instrumentale.
La gayola 1927-08-20 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras).
La gayola 1941-06-09 – Enrique Rodriguez con Armando Moreno.
La gayola 1941-06-23 – Orquesta Francisco Lomuto con Fernando Díaz. C’est notre tango du jour.

Et on termine par quatre versions à écouter.

La gayola 1957-07-22 — Armando Pontier con Julio Sosa.

Peu de temps après, Julio Sosa se détachera de l’orchestre de Pontier pour faire carrière solo et il se rapprochera de l’orchestre de Federico qui l’accompagnera jusqu’à sa mort.

La gayola — Edmudo Rivero accomp. Guitare.
La gayola — Edmundo Rivero accomp. Horacio Salgan.

Il est intéressant d’écouter deux versions, une à la guitare et l’autre avec un orchestre.

On termine par Julio Sosa en vidéo. Moins d’un an plus tard, il trouvait la mort dans un accident de la route, juste après avoir chanté ce titre avec l’orchestre de Leopoldo Federico. En effet, c’était sa « cumparsita ». Il terminait toujours ses prestations par La gayola.
Esto es mi homenaje al Varón del tango.

Julio Sosa chante la gayola avec l’orchestre de Leopoldo Federico.
La gayola.

La gayola, la geôle, la prison. Remarquez le numéro sur la porte… Cela vous rappelle un autre tango ?

Pensalo bien 1938-06-22 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe

Juan José Visciglio Letra : Nolo López ; Julio Alberto Cantuarias

Pensalo bien, pense-le bien, ce titre est quasi indissociable de la version du jour par Juan D’Arienzo et Alberto Echagüe. Nous nous ferons donc un plaisir d’écouter ce titre qui fête aujourd’hui ses 86 ans, sans une ride. Il faut dire qu’il est bien né avec le trio D’Arienzo, Biagi et Echagüe.

Pour ce qui est de la participation de Rodolfo Biagi à la réalisation de ce chef-d’œuvre, c’était juste, car c’est le tout dernier enregistrement de Biagi avec D’Arienzo. Pour être précis, c’est l’avant-dernier, car le même jour, D’Arienzo enregistre Champagne tango qui porte le numéro de matrice suivant (12 364 contre 12 363 pour Pensalo bien). Les enregistrements suivants se feront avec Juan Polito, D’Arienzo ayant mis à la porte Biagi, car il ne voulait pas deux vedettes dans son orchestre.

Extrait musical

Penbsalo bien. Juan José Visciglio Letra: Nolo López; Julio Alberto Cantuarias. Arrangement de Charles Gorczynski. Il est indiqué Calvera sur la partition au lieu de Visciglio, mais c’est bien la partition de la version de Visciglio… À droite, une application intéressante, Chordify, qui permet d’avoir les accords qui s’affichent en même temps que la lecture de la musique.
Pensalo bien 1938-06-22 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe.

Le début staccato des bandonéons, suivi de tous les instruments en appui, lance le titre. Pas d’introduction, nous sommes directement dans le dur de la danse. C’est du D’Arienzo efficace. Des phrases des violons adoucissent et contrastent ce marquage appuyé du rythme.
Le thème principal apparaît à 30 secondes. L’ensemble de l’orchestre le joue avec des contrepoints du piano. À 1:25, Echagüe reprend le thème avec sa voix ferme. Il ne chante que 25 secondes… Heureusement qu’il y a eu deux prises de ce titre le même jour, cela lui a permis de chanter 50 secondes…. À partir de 1:51, les bandonéons explosent la cadence en passant à des staccatos en doubles croches. La vitesse n’a pas changé, mais l’impression de vitesse, si.
C’est simple, efficace, dansant. Du bon tango de danse, le fait que son succès ne se démente pas 86 ans plus tard le prouve. Tant qu’il y aura des danseurs pour sauter sur la piste aux premières notes de ce thème, le tango vivra.

Paroles

No te pido explicaciones
No me gustan las escenas,
¿Decís que vas a dejarme?
Andá, qué le voy a hacer.
Si es cierto que has de marcharte
Me causará mucha pena,
Mas prefiero esa franqueza
A un innoble proceder.
No me explico por qué causa
Decidiste dar tal paso,
Si ayer mismo me juraste:
“Sos el dueño de mi amor.”
¿Te ha cansado la pobreza ?
¿Ya no me quieres, acaso?
O encontraste quien te quiera
Con más cariño y fervor.

Pensalo bien
Antes de dar ese paso,
Que tal vez mañana acaso
No puedas retroceder.
Pensalo bien,
Ya que tanto te he querido,
Y lo has echado al olvido
Tal vez por otro querer.

Te agradezco los momentos
Más felices de mi vida,
Yo sé que vos me trajiste
La luz en mi soledad.
Ya ciego corrí a tu encuentro
A descansar en tus brazos,
Y mis noches angustiosas
Con tu paz, las borré.
Es por eso que te imploro
De rodillas : « No te vayas. »
Más que nunca yo preciso
Las caricias de tu amor.
Escuchame… te suplico
Por mi viejita querida,
¡No te vayas!, Acordate
Que vos juraste por Dios.

Juan José Visciglio Letra: Nolo López ; Julio Alberto Cantuarias

Echagüe ne chante que ce qui est gras. 25 secondes qui restent dans l’oreille, une merveille.

Les paroles du refrain dites par Fernando Serrano.

Traduction libre

Je ne te demande pas d’explications, je n’aime pas les scènes.
Tu dis que tu vas me quitter ?
Va. Qu’est-ce que je vais faire ?
S’il est vrai que tu dois partir, cela me causera beaucoup de chagrin.
Mais je préfère cette franchise à un ignoble procédé.
Je ne comprends pas pourquoi vous avez décidé de franchir un tel pas, si hier tu me jurais :
« Tu es le propriétaire de mon amour. »
La pauvreté t’a fatiguée ?
Tu ne m’aimes plus, peut-être ?
Ou tu as rencontré quelqu’un qui t’aime avec plus d’affection et de ferveur.

Réfléchi bien avant de franchir ce pas, que peut-être demain tu ne pourras pas revenir en arrière.
Pense-le bien.
Puisque je t’ai tant aimée et que tu l’as jeté à l’oubli, peut-être pour un autre amour.

Je te remercie pour les moments les plus heureux de ma vie.
Je sais que tu m’as apporté de la lumière dans ma solitude.
Alors aveugle, j’ai couru à ta rencontre pour me reposer dans tes bras.
Et mes nuits angoissées, avec ta paix, je les avais effacées.
C’est pourquoi je t’implore à genoux : « Ne t’en va pas. »
Plus que jamais j’ai besoin des caresses de ton amour.
Écoute-moi… Je t’en supplie pour ma chère mère.
Ne pars pas !
Rappelle-toi que tu as juré par Dieu.

Autres versions

Il existe trois tangos portant le titre Pensalo Bien, mais un seul enregistrement nous restitue la création de Juan José Visciglio, Nolo López et Julio Alberto Cantuarias à l’époque de l’âge d’or du tango de danse. On ne s’en plaint pas, c’est notre tango du jour. Bien sûr, des orchestres contemporains se sont depuis lancés sur ce titre, je vous en propose deux.

Mais auparavant, je vais vous présenter les « faux » Pensalo bien.

Les « faux » Pensalo bien

Évidemment, ils ne sont pas faux. Ils ont juste le même titre et n’ont pas connu le même succès que notre tango du jour.

Pensalo bien composé par Edgardo Donato

Pensalo bien 1926-12-14 — Orquesta Osvaldo Fresedo.

Cette version instrumentale a été composée par Edgardo Donato. Dès les premières secondes, on se rend compte que ce titre n’a rien à voir et comme il est instrumental, personne ne pourra penser qu’il a le même titre que notre tango du jour.

Pensalo bien composé par Alberto Calvera avec des paroles de Enrique López

C’est la version étiquetée par erreur dans la partition publiée par Charles Gorczynski. On remarquera tout de suite que cette version n’a rien à voir avec la partition présentée qui est bien celle de la version de Juan José Visciglio (notre tango du jour).

Pensalo bien 1929-10-10 — Orquesta Roberto Firpo con Teófilo Ibáñez.
Pensalo bien 1929-10-23 — Orquesta Francisco Canaro con Charlo.
Pensalo bien 1929-12-17 — Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro.

Comme bien souvent, Canaro enregistre une version de danse et une version chanson. Cette dernière avec Ada Falcón.

Pensalo bien 1959-09-21 — Orquesta Fulvio Salamanca con Luis Correa.

30 ans plus tard, Salamanca propose cette version qui, je le reconnais, aurait pu ne pas faire partie de ma sélection…

Le « vrai » Pensalo bien

Pensalo bien 1938-06-22 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe. C’est notre tango du jour.
Pensalo Bien — Sexteto Milonguero con Javier di Ciriaco.

Pensalo Bien — Sexteto Milonguero con Javier di Ciriaco. Ce sexteto, aujourd’hui disparu, avait proposé des versions personnelles des grands succès du tango. Ici, Pensalo Bien, chanté par son leader, Javier Di Ciriaco. L’orchestre est un peu léger, ce n’est qu’un sexteto et de la part de cet orchestre, on pourrait attendre une version un peu plus énergique, mais c’est sympathique tout de même.

Pour terminer, une version un peu « cabotine » de Fernando Serrano… 

Pensalo bien 2020, Fernando Serrano

C’est dansable et si tout comme la version du Sexteto Milonguero, ça ne peut pas faire oublier l’interprétation de D’Arienzo et Echagüe, c’est tout à fait recevable danse une milonga. L’avantage de cette vidéo, c’est qu’elle montre les deux instrumentistes (pianiste et bandonéoniste) à l’œuvre.

Pensez-y bien, et à demain les amis !

Y todavía te quiero 1956-06-21 – Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel

Luciano Leocata Letra: Abel Mariano Aznar

Voici le type même du tango qui rendait fou Jorge Luis Borges. Du sentimental à haute dose, pour lui qui ne voyait dans le tango que des affaires de compadritos, des histoires d’hommes virils dans les zones interlopes des bas quartiers de Buenos Aires. Il vouait une haine féroce à Gardel, l’accusant d’avoir dénaturé le tango en le rendant niais. Mais comme le mal est fait, plongeons-nous avec délice, ou horreur, dans la guimauve du sentimentalisme.

Extrait musical

Y todavía te quiero 1956-06-21 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel
Partition des éditions Julio Korn avec Pacheco en couverture.

Paroles

C’est le genre de tango où les Argentins s’exclament « ¡Que letra, por Dios! »

Cada vez que te tengo en mis brazos,
que miro tus ojos, que escucho tu voz,
y que pienso en mi vida en pedazos
el pago de todo lo que hago por vos,
me pregunto: ¿por qué no termino
con tanta amargura, con tanto dolor?…
Si a tu lado no tengo destino…
¿Por qué no me arranco del pecho este amor?

¿Por qué…
sí mentís una vez,
sí mentís otra vez
y volvés a mentir?…

¿Por qué…
yo te vuelvo a abrazar,
yo te vuelvo a besar
aunque me hagas sufrir?

Yo sé
que es tu amor una herida,
que es la cruz de mi vida,
y mi perdición…

¿Por qué
me atormento por vos
y mi angustia por vos
es peor cada vez?…

¿Y por qué,
con el alma en pedazos,
me abrazo a tus brazos,
si no me querés ?

Yo no puedo vivir como vivo…
Lo sé, lo comprendo con toda razón,
sí a tu lado tan sólo recibo
la amarga caricia de tu compasión…

Sin embargo… ¿Por qué yo no grito
que es toda mentira, mentira tu amor
y por qué de tu amor necesito,
sí en él sólo encuentro martirio y dolor?

Luciano Leocata Letra: Abel Mariano Aznar

Traduction libre et indications

Chaque fois que je te tiens dans mes bras, que je regarde tes yeux, que j’écoute ta voix, et que je pense à ma vie en miettes, au prix de tout ce que je fais pour toi, je me demande :
Pourquoi je n’arrête pas avec tant d’amertume, avec tant de douleur ?…
Si à tes côtés, je n’ai pas d’avenir…
Pourquoi est-ce que je n’arrache pas cet amour de ma poitrine ?
Pourquoi…
si vous mentez une fois, si vous mentez encore recommencez à mentir ?… (là, on passe au vouvoiement, ce qui n’est pas habituel en Argentine. Est-ce une façon de prendre ses distances ?).
Pourquoi…
Je te reprends dans mes bras, je t’embrasse à nouveau bien que tu me fasses souffrir ?
Je sais que ton amour est une blessure, qu’il est la croix de ma vie, et ma perte…
Pourquoi est-ce que je me tourmente pour toi et que mon angoisse pour toi est pire chaque fois ?…
Et pourquoi, avec mon âme en morceaux, je me serre dans tes bras, si tu ne m’aimes pas ?
Je ne peux pas vivre comme je vis… je le sais, je le comprends avec toute ma raison, si je ne reçois à tes côtés que l’amère caresse de ta compassion…
Cependant… Pourquoi je ne crie pas que tout est mensonge, mensonge ton amour et pourquoi ai-je besoin de ton amour, si je n’y trouve que le martyre et la douleur ?

Autres versions

L’année de la sortie de ce titre, en 1956 le succès fut immense et tous les orchestres ayant une fibre sentimentale, ou pas, ont essayé de l’enregistrer. Pas moins de 11 enregistrements en cette année 1956, sans doute un record pour un titre.
Prenez votre mouchoir, on retourne en 1956, année romantique.

Y todavía te quiero 1956 — Héctor Pacheco y su Orquesta dir. por Carlos García. Avec les clochettes du début, une version kitch à souhait.

C’est peut-être la première version, car il travailla étroitement avec Leocata à partir de cette époque. On trouve également son portrait sur la partition éditée par Julio Korn.

Y todavía te quiero 1956-02-17 – Orquesta Argentino Galván con Jorge Casal.

Jorge Casal est aussi un bon candidat pour être le premier, pour les mêmes raisons que Pacheco, sauf la photo sur la partition.

Y todavía te quiero 1956-03-22 – Orquesta Símbolo « Osmar Maderna » dir. Aquiles Roggero con Horacio Casares
Y todavía te quiero 1956-05-18 – Orquesta Alfredo De Angelis con Oscar Larroca
Y todavía te quiero 1956-06-11 – Orquesta José Basso con Floreal Ruiz
Y todavía te quiero 1956-06-21 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel. C’est notre tango du jour.
Y todavía te quiero 1956-06-29 – Orquesta Domingo Federico con Armando Moreno
Y todavía te quiero 1956-07-24 – Orquesta Héctor Varela con Rodolfo Lesica
Y todavía te quiero 1956-07-25 – Alberto Morán con acomp. de Orquesta dir. Armando Cupo
Y todavía te quiero 1956-10-19 – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Florio
Y todavía te quiero 1956-12-10 — Orquesta Juan D’Arienzo con Libertad Lamarque

Et un enregistrement qui a raté la fenêtre en arrivant l’année suivante…

Y todavía te quiero 1957 — Los Señores Del Tango con Oscar Serpa

Par la suite, d’autres orchestres ont enregistré, mais je vous propose pour terminer et les encourager Los Caballeros del Tango qui est un orchestre de jeunes Colombiens. La chanteuse est Nathalie Giraldo (Nagica).

Los Caballeros del Tango interprètent Y todavia te quiero (2022).

Cela fait plaisir de voir que la génération Z continue de s’intéresser au tango. Attendons qu’ils prennent un peu d’assurance pour qu’ils assurent la relève.

Histoire de « Y »

Non, je ne vais pas vous parler de la génération Y, celle qui a succédé aux X, V Baby-boomers, mais plutôt de la lettre Y qui précède le titre de ce tango. Y en espagnol, c’est et. En voici l’histoire, telle qu’on la raconte généralement dans le petit monde du tango.

La SADAIC est l’organisme qui enregistre les morceaux de musique en Argentine et qui distribue les droits d’auteurs en fonction des mérites respectifs de chacun des auteurs (je sais, c’est purement théorique ; —).
Donc, quand Luciano Leocota a voulu déposer la musique du tango « Volvemos a querernos » le 13 mai 1948, il n’a pas pu le faire, car ce titre était déjà pris.
J’ai voulu savoir quel était ce Volvemos a querernos initial. J’ai donc consulté le registre de la SADAIC et il y a bien deux musiques avec un titre proche. Mais la surprise est à venir :

Sous le numéro 333294, on trouve une œuvre enregistrée en 1988, soit 40 ans après la soi-disant date de collision des titres.

Registrada el 01/12/1988
T | VOLVAMOS A QUERERNOS OTRA
SANCHEZ NESTOR FERNANDO / BELLATO MARIA GABRIELA

On notera que le titre est VolvAmos a querernos et pas VolvEmos a querernos.
Mais il y a une deuxième surprise lorsque l’on vérifie l’enregistrement du tango déposé par Leocota et Aznar :

4772 | ISWC T0370051196
Registrada el 13/05/1948
T | Y VOLVEMOS A QUERERNOS (C’est le titre que nous connaissons)
S | VOLVAMOS A QUERERNOS (Avec VolvAmos), le sous-titre apporte une autre variante.
S | CHANTER LEOCATA AZNAR
S | Y VOLVAMOS A QUERERNOS LEOCATA AZ
AZNAR MARIANO ABEL
LEOCATA LUCIANO

Il se peut donc que ce titre ait été enregistré ailleurs qu’en Argentine et je me suis tourné vers Leo Marini, un chanteur Argentin parti en 1950 à Cuba, Che. Justement, celui-ci a enregistré un boléro nommé « Volvamos a querernos ». Je le propose donc comme candidat pour la collision.
Cependant, j’ai un autre candidat…
Il s’agit de Y no te voy a llorar.

1200 | ISWC T0370013629
Registrada el 16/03/1948
T | NO TE VOY A LLORAR
CALO MIGUEL/NIEVAS ROBERTO HIGINIO

L’intrus est dans ce cas une composition de Miguel Calo déposée en mars.

# 28897 | ISWC T0370310761
Registrada el 31/08/1953
T | Y NO TE VOY A LLORAR
S | NO TE VOY A LLORAR
AZNAR MARIANO ABEL
LEOCATA LUCIANO

Ce dépôt est postérieur à celui de Y Volvemos a querernos, et il n’est donc sans doute pas le premier.
Je ne suis pas certain d’avoir trouvé le « gêneur », ni même si cette histoire est vraie. ET vous allez me faire remarquer que je parle d’un tango différent et vous avez tout à fait raison. Je reviens donc au Y.
Si Y Volvemos a querernos est le premier de la série des compositions de Leocata à être précédé d’un Y, beaucoup de ses compositions (environ 1/3) subiront le même sort. C’est devenu sa marque de fabrique.

Œuvres avec enregistrement disponible

  • Y volvemos a querernos 1949 (déposé à la SADAIC le 13 mai 1948)
  • Y mientes todavía 1950 (Déposé à la SADAIC le 23 octobre 1950)
  • Y no te voy a llorar 1953 (déposé à la SADAIC le 16 mars 1948) avec la collision de noms avec un titre de Miguel Calo).
  • Y todavía te quiero 1956 (notre titre du jour, déposé à la SADAIC le 18 janvier 1956). Il y a 22 thèmes avec un titre similaire, voire exactement le même. La règle de ne pas avoir deux œuvres du même nom semble avoir sauté… Le plus ancien semble être notre tango, car si plusieurs enregistrements ne sont pas datés, celui-ci a le numéro le plus petit.
  • Y te tengo que esperar 1957 (déposé à la SADAIC le 8 mars 1957)

Œuvres probablement sans enregistrement disponible.

  • Y a mi me gusta el tango (déposé à la SADAIC le 19 mai 1981)
  • Y deshojando el tiempo (déposé à la SADAIC le 13/03/1992)
  • Y el invierno queda atrás (déposé à la SADAIC le 8 juillet 2003)
  • Y esperando tu regreso (déposé à la SADAIC le 20 octobre 2005)
  • Y estás desesperado (déposé à la SADAIC le 6 novembre 1978)
  • Y este es el amor (déposé à la SADAIC le 15 décembre 1995)
  • Y fue en aquel mes de mayo (déposé à la SADAIC le 18 mars 1998)
  • Y fue tan solo por amor (déposé à la SADAIC le 14 mars 1990)
  • Y fue un sueño imposible (déposé à la SADAIC le 6 avril 1976)
  • Y hoy vuelvo a revivir (déposé à la SADAIC le 17 novembre 1989)
  • Y la quise con locura (déposé à la SADAIC le 17 septembre 1981)
  • Y la vida sigue igual (déposé à la SADAIC le 27 mai 2002)
  • Y le canto a mi ciudad (déposé à la SADAIC le 8 avril 1991)
  • Y mentira fue tu amor (déposé à la SADAIC le 6 mai 1971)
  • Y no fue sin querer (déposé à la SADAIC le 22 mai 1989)
  • Y no me cuentes tu tristeza (déposé à la SADAIC le 1er août 1984)
  • Y no pudieron separarnos. Ce titre mentionné par Anamaria Blasseti n’est pas dans le listing de la SADAIC. J’ai vérifié les œuvres déposées par le co-auteur mentionné, Félix Arena (Rosario), la seule œuvre avec Y est Y mentira fue tu amor de 1971 et aucune autre de ses productions a un titre approchant.
  • Y no puedo vivir sin vos (déposé à la SADAIC le 27 mai 2002)
  • Y no te creo (déposé à la SADAIC le 17 mai 1955)
  • Y para qué seguir fingiendo (déposé à la SADAIC le 15 décembre 1993)
  • Y pretendes que empecemos otra vez (déposé à la SADAIC le 24 février 1982)
  • Y quiero estar a tu lado (déposé à la SADAIC le 27 mai 2002)
  • Y quiero que vuelvas a mí (déposé à la SADAIC le 14 mars 1990)
  • Y rogaré por vos (déposé à la SADAIC le 6 février 1975)
  • Y te acordás que fue una tarde (déposé à la SADAIC le 27 mai 2002)
  • Y te deje partir (déposé à la SADAIC le 19 avril 2005)
  • Y todo es mentira (déposé à la SADAIC le31 janvier 1958)
  • Y uniremos nuestro amor (déposé à la SADAIC le 27 mai 2002)
  • Y vivamos nuestro carnaval (déposé à la SADAIC le 15 décembre 1980)
  • Y vuelvo a ser felix (déposé à la SADAIC le 27 mai 2002)
  • Y yo tenía quince años (déposé à la SADAIC le 27 mai 2002)

Cela fait une belle liste. À ma connaissance, seuls les titres où j’ai indiqué la date ont été enregistrés (j’ai mentionné la date du plus ancien enregistrement connu).

À demain, les amis !

Milonguero viejo 1955-06-20 – Orquesta Carlos Di Sarli

Carlos Di Sarli Letra: Enrique Carrera Sotelo

On considère parfois, que les premières versions sont les meilleures et que par la suite, les enregistrements suivants vont en déclinant. Come toute généralisation hâtive, c’est discutable. Dans le cas de Di Sarli, même si on se place dans le rôle du danseur, cette théorie n’est pas forcément pertinente. Il y a une évolution, mais toutes les versions, si différentes soient-elles, ont de l’intérêt. Voyons cela.

Extrait musical

Milonguero viejo 1955-06-20 – Orquesta Carlos Di Sarli.

C’est la quatrième version proposée par Di Sarli au disque. Nous verrons l’évolution en fin d’article avec l’écoute des trois premières versions.

Paroles

Les versions de Di Sarli sont toutes instrumentales, mais il y a des paroles, que voici :

El barrio duerme y sueña
al arrullo de un triste tango llorón;
en el silencio tiembla
la voz milonguera de un mozo cantor.
La última esperanza flota en su canción,
en su canción maleva
y en el canto dulce eleva
toda la dulzura de su humilde amor.

Linda pebeta de mis sueños,
en este tango llorón
mi amor mistongo va cantando
su milonga de dolor,
y entre el rezongo de los fuelles
y el canyengue de mi voz,
ilusionado y tembloroso
vibra humilde el corazón.

Sos la paica más linda del pobre arrabal,
sos la musa maleva de mi inspiración;
y en los tangos del Pibe de La Paternal
sos el alma criolla que llora de amor.
Sin berretines mi musa mistonguera
chamuya en verso su dolor;
tu almita loca, sencilla y milonguera
ha enloquecido mi pobre corazón.

El barrio duerme y sueña
al arrullo del triste tango llorón;
en el silencio tiembla
la voz milonguera del mozo cantor;
la última esperanza flota en su canción,
en su canción maleva
y el viento que pasa lleva
toda la dulzura de su corazón.

Carlos Di Sarli Letra: Enrique Carrera Sotelo

Traduction libre et indications

Le quartier dort et rêve au roucoulement d’un triste tango larmoyant ; dans le silence tremble la voix milonguera d’un charmant chanteur.
La dernière espérance flotte dans sa chanson, dans sa chanson maleva (en lunfardo, c’est l’apocope de malévolo au féminin. La chanson est donc mal intentionnée, mauvaise, par son sens, pas par manque de qualité) et dans la douce chanson, il élève toute la douceur de son humble amour.
Belle poupée de mes rêves, dans ce tango larmoyant mon amour triste chante sa milonga de douleur, et entre le grognement des bandonéons et le canyengue de ma voix, amoureux et tremblant, le cœur vibre humblement.
Tu es la plus jolie fille (la paica est la compagne d’un compadrito et par extension, l’amante ou tout simplement la compagne) des faubourgs pauvres, tu es la muse malveillante de mon inspiration ; et dans les tangos du Pibe de La Paternal (surnom d’Osvaldo Fresedo, ce qui explique qu’il fut le premier à l’enregistrer…) vous êtes l’âme criolla (de tradition argentine) qui pleure d’amour.
Sans repos (el berretín peut être le loisir comme dans Los tres berretines, une idée fixe, un caprice), ma triste muse exprime en vers, sa douleur ; ta petite âme folle, simple et milonguera a rendu fou mon pauvre cœur.
Le quartier dort et rêve au roucoulement d’un triste tango larmoyant ; dans le silence tremble la voix milonguera d’un charmant chanteur.
La dernière espérance flotte dans sa chanson, dans sa chanson maleva et le vent qui passe emporte toute la douceur de son cœur.

Autres versions

Milonguero viejo 1928-02-24 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Ernesto Famá.

Il ne faut pas juger trop sévérement cette version, elle est de 1928 et donc dans le jus de son époque. Disons juste qu’elle n’est pas de la meilleure période de Fresedo. Manque de chance, il le réenregistrera en fin de carrière, une autre version qui n’est pas dans sa meilleure période… On doit cependant mettre à son crédit un tempo assez lent, comme celui des Di Sarli des années 50, mais le pesant canyengue, détruit toute la joliesse du titre. Une version pour des piétineurs qui ne seraient pas gênés par la voix de Famá.

Milonguero viejo 1928-02-29 – Ignacio Corsini con guitarras de Aguilar-Pesoa-Maciel.

Remarquez l’alternance de voix de gorge et de tête.

Milonguero viejo 1928-04-02 – Orquesta Juan Maglio « Pacho » con Carlos Viván.

C’est la dernière version chantée. Les enregistrements suivants seront instrumentaux. Le style un peu trop vieillot manque sans doute de charme pour nos milongas modernes, même si dans l’interprétation, l’écriture de Di Sarli est reconnaissable. N’oublions pas qu’à cette époque, Di Sarli jouait avec son sexteto dans un style semblable.

A Milonguero viejo 1940-07-04 – Orquesta Carlos Di Sarli.

Un tempo un peu soutenu, peut-être trop pour le thème. Mais comme c’est une version instrumentale, les danseurs ne sont pas supposés savoir que c’est triste… 128BPM

B Milonguero viejo 1944-07-11 – Orquesta Carlos Di Sarli.

Milonguero viejo 1944-07-11 – Orquesta Carlos Di Sarli. Quatre ans après, Di Sarli corrige le tir avec un rythme plus calme. 122 BPM, mais quand on dans l’oreille, les versions des années 50, on pourra le trouver un tout petit peu trop rapide. On notera qu’au début, Di Sarli a ajoutée une montée de gamme pour introduire le thème. La version de 1940 et celles des autres orchestres qui n’ont pas adopté cet ajout paraissent plus abruptes dans la mise en œuvre.

C Milonguero viejo 1951-09-26 – Orquesta Carlos di Sarli.

Di Sarli ralenti encore le tempo. La musique sonne plus majestueuse. Je trouve que cela convient mieux au thème du vieux milonguero, même si c’est un enregistrement instrumental. 115 BPM. Comme j’ai placé un sondage à la fin de l’article, je ne vais pas écrire que c’est ma version préférée pour ne pas vous influencer.

Milonguero viejo 1954 – Orquesta Lucio Demare.

L’ordre chronologique des enregistrements place cet enregistrements au milieu des versions de Di Sarli. La comparaison n’est pas à l’avantage de Demare.

D Milonguero viejo 1955-06-20 – Orquesta Carlos Di Sarli.

C’est notre tango du jour. Il est à la vitesse que la version de 1951, 115 BPM. Avec la version de 1951, peut-être encore meilleure, cette version prouve que l’adage de plus c’est vieux, mieux c’est ne fonctionne pas. Les versions de 1950, pour ce titre, surpassent largement celles des années 40.

Milonguero viejo 1957 – Horacio Salgán y su Orquesta Típica.

Entrée directe sans introduction au piano. Les variations imprévisibles, rendent le titre indansable.

Face 2 – 01 Milonguero viejo 1958 – Argentino Galván.

La version la plus courte. Elle fait partie du disque de Argentino Galván que je vous ai présenté en deux fois et dont j’ai promis une étude de la pochette, un jour…

Milonguero viejo 1959-04-06 Orquesta Osvaldo Fresedo.

Vous étiez prévenu, même si Fresedo a enregistré deux fois, Milonguero viejo, aucune de ses versions ne soulèvera d’enthousiasme. Pour un titre qui le cite, il aurait pu s’appliquer et enregistrer avec Ray ou Ruiz, une belle version.

Milonguero viejo 1983 c – Alberto Di Paulo.

Entrée direct dans le thème, sans l’introduction de piano. En revanche, le tempo est lent, comme les derniers enregistrements de Di Sarli. Pour la danse il manque peut êre un peu de tonus et l’orchestre n’est pas assez incisif, les danseurs risquent de s’endormir.

Milonguero viejo 2010 – Las Bordonas.

Avec un tempo irrégulier de près de 150BPM, ne me semble pas très en phase avec les paroles, chantées avec une alternance de voix de gorge et de tête, un peu comme le faisait Corsini. Si les guitaristes sont Javier Amoretti, Nacho Cedrún et Martín Creixell et le contrebassiste Popo Gómez, je ne sais pas qui chante, peut-être les guitaristes.

E Milonguero viejo 2011 – Orquesta Típica Gente de Tango.

Pour cette dernière version, je vous propose leur partition en PDF. Comme vous avez pu l’entendre, c’est un arrangement à partir de Di Sarli. Ils ont également conservé l’ajout du piano en introduction des versions de 1944 et ultérieures de Di Sarli.

Partition Gente de tango (PDF)

Sondage

Después del carnaval 1941-06-19 Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz

José Antonio Amunchástegui Keen (Paroles et musique)

Emportée par la foule, la célèbre chanson d’Edith Piaf pourrait être la sœur de notre tango du jour. Les deux nous comptent un amour éphémère, séparé par la foule dans le cas d’Edith et par le cortège de Carnaval dans celui de Ricardo Ruiz. Le carnaval était au vingtième siècle un événement pour les orchestres de tango.

Extrait musical

Después del carnaval 1941-06-19 Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz

Paroles

Se fueron las horas
de algarabía
que Momo brindara
con alegría…
Callaron las risas
de Colombina…
Pierrot agoniza
entre serpertinas.
Murió carnaval y su cortejo
de alegre y loca bullanguería….
Cornetas y gritos se escuchan lejos,
vibrando las almas, al recordar…

Recordé que una noche
el amor me brindó
dos labios plenos de pasión
y ardor….
Fue una noche que
lloraban los violines
un triste vals de
promesas olvidadas…
mientras la luna plateaba los jardines
un beso ardiente en la noche palpitó.

Mas el encanto
de aquellas horas,
al morir Momo
se diluyó.
Y con mi dolor
a solas
lloré la muerte
de mi ilusión.

Hoy solo escucho
los tristes ecos
de aquella alegría
y de aquel beso…
Mientras en las calles
las serpertinas
en llamas de fuego
se ven quemar!
Y entre cenizas carnavalescas
aún quedan ardientes mis ilusiones…
mi ensueño, el beso y las promesas
prendieron la llama, ¡de aquel soñar!…

Mas no fue solo un sueño
de amor que brilló;
trajo también el placer
dolor…
Pues la ilusión también
dejó su huella triste,
al ausentarse entre el
cortejo que marchaba…
llevándose con su alegre mascarada
mi último sueño de amor que allí tejí…

Pues ya soñaba, que fuera eterna
la breve dicha, que ayer viví…
Y con mi pesar, yo ruego
que vuelva pronto otro Carnaval.

José Antonio Amunchástegui Keen (Paroles et musique)

Traduction libre et indications

Les heures de vacarme où le Roi Momo trinquait avec joie sont révolues. (La algarabía, c’est le bruit que l’on entend entre les morceaux dans les milongas de Buenos Aires, quand les gens parlent tous en même temps, c’est le brouhaha. Le Roi Momo était la figure emblématique du carnaval, inspiré du Dieu Momos ou Momus des Grecs anciens, repris par les Romains dans leurs saturnales. Le carnaval a été diffusé en Amérique du Sud, avec le succès que l’on sait, notamment en Colombie et au Brésil. En Argentine, et Uruguay, le carnaval est également un élément important de l’année et cela depuis le début du vingtième siècle.)
Les rires de Colombine se sont tus…
Pierrot agonise au milieu des serpentins.
Carnaval est mort (Le Roi Momo, comme le Bonhomme Carnaval en France, termine généralement assez mal, noyé, brûlé…) et son cortège de bruit joyeux et fou tintamarre (bullanguería est un synonyme de algarabía)
Des cornets (comme ceux du tranvia, tramway) et des cris se font entendre au loin, faisant frissonner les âmes au souvenir…
Je me suis souvenu qu’une nuit l’amour m’a donné deux lèvres pleines de passion et d’ardeur… C’était une nuit où les violons pleuraient, une triste valse de promesses oubliées… Alors que la lune argentait les jardins, un baiser ardent dans la nuit palpitait.
Mais le charme de ces heures, où Momo mourut, se dilua. Et avec ma seule douleur, j’ai pleuré la mort de mon illusion (illusion est comme toujours un sentiment d’amour).
Aujourd’hui, je n’entends que les tristes échos de cette joie et de ce baiser…
Alors que dans les rues, on voit brûler les serpentins en flammes de feu et parmi les cendres carnavalesques, mes illusions brûlent encore… Mon rêve, le baiser et les promesses ont allumé la flamme de ce rêve…
Mais ce n’était pas seulement un rêve d’amour qui brillait, il apportait aussi du plaisir et de la douleur.
Puis, l’illusion a aussi laissé son empreinte triste, lorsqu’elle s’est éclipsée entre le cortège en marche… emportant avec sa joyeuse mascarade mon dernier rêve d’amour que j’y ai tissé…
Enfin, j’avais déjà rêvé que ce bref bonheur que j’ai vécu hier serait éternel… Et avec mon regret, je prie pour que revienne bientôt un autre carnaval.

Carnaval

Quand on pense, Amérique du Sud et Carnaval, c’est bien sûr Rio de Janeiro qui a la vedette. Mais en fait, les colons européens ont apporté le carnaval dans toute l’Amérique du Sud et l’Argentine et l’Uruguay l’ont également adopté, au début du vingtième siècle. Les percussions de la murga font un fond sonore puissant, mais la danse étant au programme, les orchestres sont mobilisés et plusieurs orchestres se sont formés pour ces occasions, de façon éphémère ou plus durable. Hier, nous avons vu l’orchestre Firpo-Canaro qui avait animé le carnaval à Rosario, il y en a beaucoup d’autres, comme Polito-D’Arienzo pour le carnaval de 1929 ou le Greco-Canaro pour les carnavals de 1914 – 1915.
On se souviendra aussi de Alfredo Bigeschi qui écrivit son premier tango pour le carnaval de la Boca.

Mural de Benito Quinquela Martín Le carnaval de la Boca — 1936.
Le carnaval de la Boca. La bande « Juventud Bar Oriente ».

La bande « Juventud Bar Oriente » est née à la fin de 1952 (comme en témoigne son étendard). Elle représentait son quartier. Cette bande s’était organisée en club social et avait son siège près de la bombonera, le stade de Boca Junior.

Un film que nous avons déjà évoqué Carnaval de Antaño (1940), présente des images reconstituant le carnaval de 1912.

Carnaval de antaño. Reconstitution du carnaval de 1912 — Les chars, les défilés et un bal dans le film de Manuel Romero, Carnaval de Antaño (1940).
À partir de 1936, Canaro inaugure les bals au Luna Park, la grande salle de spectacle de Buenos Aires. Sur cette image, on peut voir la propagande pour Coca Cola et la quantité incroyable de danseurs sur la piste.

Dans ses mémoires, Canaro cite ses différentes prestations pour des carnavals, de Rosario à Montevideo en passant par Buenos Aires. L’apothéose est sans doute constituée par les bals géants qu’il animait au Luna Park.

Autres versions

Después del carnaval 1941-06-19 Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz. C’est notre tango du jour. La version la plus diffusée en Europe.
Después del carnaval 1958-05-28 — Orquesta José Basso con Floreal Ruiz.

Avec un autre Ruiz qui n’est pas le frère du premier. En effet, les deux frères de Floreal s’appellaient, Fraternidad et Libertario. Voilà ce que c’est que d’avoir un père anarchiste…

Después de carnaval 1958-08-20 — Héctor Pacheco y su Orquesta dir. por Carlos García.

Hector Pacheco l’enregistre avec son orchestre. C’est bien sûr une version à écouter. On notera que le titre est ; Después de carnaval et non pas Después del carnaval comme dans toutes les autres versions.

Después del carnaval 1959-01-12 Orquesta Osvaldo Fresedo con Hugo Marcel.

Fresedo nous propose une version très différente où les bandonéons staccatos contrastent avec les violons legatos. Ce Fresedo tardif comporte cependant des fioritures qui n’ont pas bien vieilli et l’on se contentera, pour nos milongas, de la version de 1941.

En 1986, José Basso enregistre de nouveau ce titre avec Eduardo Borda y Quique Ojeda. Je vous propose ici une version télévisée.

José Basso con Eduardo Borda y Quique Ojeda dans Después del carnaval.

 On n’est pas dans la danse, mais en 1986, c’était à peine le début du renouveau du tango dansé à Buenos Aires.

Deux versions par Di Paulo

Después del carnaval – Orquesta Alberto di Paulo V1.
Después del carnaval – Orquesta Alberto di Paulo V2.

Pour nous réconcilier avec la danse, une version contemporaine, par le Sexteto Cristal.

Despues del carnaval — Sexteto Cristal con Guillermo Rozenthuler.

Ce sexteto a le mérite de ressortir des titres un peu oubliés malgré leur qualité. Il garde les arrangements d’origine, ici, ceux de Fresedo avec Ruiz. Le résultat est donc tout à fait dansable, bien plus que les derniers titres de ma petite liste…

À demain, les amis !

Canaro 1935-06-18 Orquesta Francisco Canaro

José Martínez

On connaît tous Francisco Canaro, le plus prolifique des enregistreurs de tango avec près de 4000 enregistrements sur disque, mais aussi de la musique de film et des enregistrements à la radio. Même si son caractère était un peu fort, il a trouvé des admirateurs qui lui ont dédié des tangos. On connaît parfaitement «Canaro en Paris» de Alejandro Scarpino et Juan Caldarella, mais peut-être un peu moins Canaro, juste Canaro de José Martínez. C’est notre tango du jour, nous allons pallier cette éventuelle lacune.

José Martínez était un pianiste et compositeur qui travailla avec Canaro à ses débuts. C’était au café Los loros (le loro est une sorte de perroquet très commun à Buenos Aires. Il vit en liberté, mais aussi en cage où il sert s’avertisseur en cas d’intrusion dans la maison). Canaro remplaça temporairement le violoniste Julio Doutry d’un trio qu’il formait avec Augusto Berto (bandonéon). Jusqu’au retour de Doutry, Canaro était donc avec Berto et Martínez.
Martínez resta avec cette formation, une fois Canaro parti.
Ils se retrouvent peu après dans un quatuor, « MartínezCanaro, au côté de Fresedo (bandonéon). En 1915, Canaro forme son orchestre et Martínez en assure la partie de piano.
C’est probablement durant cette période que Martínez écrivit le tango Canaro, car ce dernier l’enregistra en 1915 avec son tout nouvel orchestre.
En 1917, Firpo et Canaro collaboreront pour le carnaval de 1917. On voit sur l’affiche la présence de Martínez comme pianiste.

Orchestre Firpo-Canaro, Teatro Colón de Rosario, Carnaval 1917.

En commençant en haut à gauche et dans le sens inverse des aiguilles d’une montre :

Osvaldo Fresedo (Bandonéon), Agesilao Ferrazzano (Violon), Pedro Polito (Bandonéon), Alejandro Michetti (Flûte), Julio Doutry (Violon), Leopoldo Thompson (Contrebasse, Juan Carlos Bazan (Clarinette, Juan D’Ambrogio « Bachicha » (Bandonéon), Tito David Rocatagliata (Violon), José Martínez (Piano). Au centre, Roberto Firpo, Francisco Canaro et Eduardo Arolas (Bandonéon).
C’était à Rosario au Teatro Colón de Rosario, inauguré en 1904 et démoli en 1958…

Teatro Colón de Rosario, inauguré en 1904 et démoli en 1958…

Extrait musical

Partition de Canaro par José Martínez avec la dédicace à son estimé ami et auteur national, Francisco Canaro.
Canaro 1935-06-18 Orquesta Francisco Canaro
Partition pour piano de Canaro par José Martínez.

Autres versions

Deux des enregistrements de Canaro par Canaro…À gauche une édition espagnole de 1918 de l’enregistrement de 1915 et à droite, l’édition portugaise de notre tango du jour, la version de Canaro de 1935…

Canaro et d’autres orchestres enregistreront le titre à d’autres moments. Nous allons voir cela.

Canaro 1915 — Orquesta Francisco Canaro.

C’est la première version datant de l’époque de la composition. L’air assez vif et joyeux. La flûte est très présente. Bien sûr, l’enregistrement acoustique et la coutume de jouer chaque fois la musique sans réelles variations, peut rendre le résultat monotone. Cependant, le second thème est assez joli.

Canaro 1927-07-29 — Orquesta Francisco Canaro.

Canaro enregistre à nouveau son titre avec la nouvelle technologie de l’enregistrement électrique. Canaro un rythme, beaucoup plus lent et bien pesant. En 12 ans, il a pris de l’assurance et du poids.

Canaro 1935-06-18 Orquesta Francisco Canaro. C’est notre tango du jour.

Le rythme est un peu plus rapide que dans la version de 1927, sans atteindre la vitesse de 1905. Cela suffit tout de même pour rendre le thème plus joyeux. Les instrumentistes sont excellents comme peut l’indiquer la liste des artistes qui ont participé sur la période :
Federico Scorticati, Angel Ramos, Ciriaco Ortiz, Horacio Golino, Juan Canaro et Ernesto Di Cicco (bandonéonistes) Luis Riccardi (pianiste) Cayetano Puglisi, Mauricio Mise, Bernardo Stalman, Samuel Reznik et Juan Ríos (violonistes) et Olindo Sinibaldi (contrebassiste).

Canaro 1941-07-14 — Orquesta Juan D’Arienzo.

Un petit clin d’œil à son concurrent. Une version bien dans l’esprit de D’Arienzo, bien rythmée, avec des petites facéties joueuses. Une danse qui devrait plaire à beaucoup de danseurs.

Canaro 1952-10-08 — Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.

On reste dans le registre joueur, nouveau pour Canaro. Pour les mêmes raisons que la version de D’Arienzo, celle-ci devrait plaire aux danseurs.

Juan et Mario avec leur Sexteto Juan y Mario Canaro ont également enregistré le titre en 1953. Ce sont aussi des Canaro après tout. Je ne peux pas vous faire écouter, n’ayant pas le disque avec moi au moment où j’écris et ne l’ayant pas numérisé, mais je m’en occupe en rentrant à Buenos Aires. Je vous en attendant un extrait tiré de l’excellent site de référence, tango-dj.at. Non seulement il est très complet, mais en plus, quand il y a une imprécision, il accepte très volontiers les remarques et en tient compte, ce qui n’est pas le cas d’autres sites plus grand public qui disent qu’on a tort et qui corrigent en catimini…

Canaro 1953 — Sexteto Juan y Mario Canaro (EXTRAIT).

Un extrait, donc de la base de données de Tango-dj.at.

Canaro 1953 — Sexteto Ciriaco Ortiz.

Après avoir participé à la version de 1935 dans l’orchestre de Canaro, Ciriaco Ortiz, donne une version très personnelle.

Canaro 1956-02-29 — Orquesta Florindo Sassone.

Comme souvent chez Sassone, la recherche de « joliesse » laisse peu de place à la danse. On notera l’utilisation de la harpe et du vibraphone.

Canaro 1958 — Los Muchachos de Antes.

Avec leur flûte et la guitare et la guitare, les Muchachos de Antes, essayent de faire revivre le tango du début du vingtième siècle. Ce n’est pas du tout vilain et même sympathique. Peut-être pour une despedida délirante avec des danseurs prêts à tout.

Canaro 1962 — Orquesta Rodolfo Biagi.

En 1962, Biagi n’est plus que l’ombre de lui-même. Je cite cette version pour mémoire, mais elle n’apportera pas grand-chose, plusieurs la surpassent largement.

Canaro 1968 — Mariano Mores.

Mariano Mores qui est un rigolo, nous propose une version très différente de toutes les autres. Je ne dis pas que c’est pour les danseurs, mais ça peut aider à déclencher des sourires, lors d’un moment d’écoute.

Voilà, les amis. Je ne vous parle pas aujourd’hui de Canaro à Paris, que Canaro a souvent gravé dans les mêmes périodes que Canaro. Mais promis, à la première occasion, je le mettrai sur la sellette, d’autant plus qu’il y a beaucoup à dire.

El bulín de la calle Ayacucho 1941-06-17 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino

José Servidio ; Luis Servidio Letra: Celedonio Esteban Flores

El bulín de la calle Ayacucho a été écrit en 1923 par deux amis d’enfance pour décrire leur vie de bohème, un style de vie courant chez les artistes et musiciens. En France, on a eu Chien-Caillou, sobriquet donné à Rodolphe Bresdin par ses amis et dont Champfleury s’inspira pour sa nouvelle, « Chien-caillou ». Nous avons vu hier le triste destin de Alfredo Gobbi, les histoires de bulines, sont légion dans l’imaginaire tanguero. Intéressons-nous donc à celui de la rue Ayacucho…

Extrait musical

Partition de El bulín de la calle Ayacucho.
El bulín de la calle Ayacucho 1941-06-17 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.

Même si on ne comprend rien aux paroles, ce qui ne sera pas votre cas après avoir lu cette anecdote, on ne peut qu’admirer ce chef-d’œuvre dont la qualité tient avant tout à la simplicité, la fluidité, l’harmonie entre la voix et la musique.
Le rythme est soutenu, la musique avance avec décision, aucun danseur ne peut résister à envahir la piste. Quand après une minute, Fiorentino commence à chanter, la magie augmente encore, les cordes et bandonéons continuent de marquer la cadence, sans flancher et la voix de Fiore lie le tout avant de laisser la parole au piano et on se surprend à être surpris par l’arrivée de la fin, tant on aimerait que cela dure un peu plus longtemps.

Paroles

El bulín de la calle ayacucho,
Que en mis tiempos de rana alquilaba,
El bulín que la barra buscaba
Pa caer por la noche a timbear,
El bulín donde tantos muchachos,
En su racha de vida fulera,
Encontraron marroco y catrera
Rechiflado, parece llorar.

El primus no me fallaba
Con su carga de aguardiente
Y habiendo agua caliente
El mate era allí señor.
No faltaba la guitarra
Bien encordada y lustrosa
Ni el bacán de voz gangosa
Con berretín de cantor.

El bulín de la calle Ayacucho
Ha quedado mistongo y fulero:
Ya no se oye el cantor milonguero,
Engrupido, su musa entonar.
Y en el primus no bulle la pava
Que a la barra contenta reunía
Y el bacán de la rante alegría
Está seco de tanto llorar.

Cada cosa era un recuerdo
Que la vida me amargaba :
Por eso me la pasaba
Fulero, rante y tristón.

Los muchachos se cortaron
Al verme tan afligido
Y yo me quedé en el nido
Empollando mi aflicción.

Cotorrito mistongo, tirado
En el fondo de aquel conventillo,
Sin alfombras, sin lujo y sin brillo,
¡Cuántos días felices pasé,
Al calor del querer de una piba
Que fue mía, mimosa y sinceral…
¡Y una noche de invierno, fulera,
Hasta el cielo de un vuelo se fue!

José Servidio ; Luis Servidio Letra : Celedonio Esteban Flores

Fiorentino avec Troilo chante ce qui est en gras.
Fiorentino avec Basso chante ce qui est en bleu.
Rodolfo Lesica chante ce qui est en gras, plus le dernier couplet sur lequel il termine.

Traduction libre et indications

Huile sur toile non signée. Une pava (sorte de bouilloire) sur un réchauffeur à alcool, Primus. Sur le plateau un mate (en calebasse) et une bombilla (paille servant à aspirer la boisson). Dans l’assiette, la yerba (les feuilles broyées servant à préparer le mate). Tout le nécessaire pour le mate, en somme. En Argentine et pays voisins, le mate est aussi une cérémonie amicale. Le mate passe de main en main, un seul pour toute l’assemblée.

La piaule (dans un conventillo, habitat populaire, c’est une pièce où vivait, s’entassait, une famille. Cette pièce donnait directement sur un couloir qui lui donnait du jour, le bulín n’ayant en général pas d’autre ouverture que la porte donnant sur le couloir) de la rue Ayacucho, que je louais à l’époque (pour être précis, son logement était prêté par l’éditeur Jules Korn, pas loué…) où j’étais dans la dèche (rana, a plusieurs sens, astucieux, je pense que là il faut comprendre les temps heureux de la démerde, pauvre mais heureux), le bulín dans lequel la bande cherchait à se réfugier (tomber, au sens de point de chute, abri) la nuit pour jouer (timbear, c’est jouer de l’argent en principe), le bulín où tant de mecs, dans leur ligne de vie (racha = successions de faits, bons ou mauvais) quelconque, trouvaient marroco (pain) et litière. (chiflado = cinglé, rechiflado, plus que cinglé. Il faut comprendre que le bulín était un lieu de folie), semble pleurer.
Le primus (réchauffeur à alcool, voir illustration ci-dessus) ne me faisait pas défaut avec sa provision d’alcool (aguardiente est plutôt une eau-de-vie, mais je pense qu’ici on parle du combustible du petit réchaud) faisait de l’eau chaude, le mate était roi là-bas (on dirait plutôt, ici, mais là-bas souligne que c’est loin dans le passé. J’ai traduit señor par roi, pour les Argentins pauvres, le maté est parfois la seule nourriture d’un repas. D’ailleurs, aujourd’hui avec la crise, beaucoup d’Argentins reviennent à ce régime, encouragé par le gouvernement qui dit qu’un seul repars par jour suffit. Les plus pauvres se fond du mate cocido, le mate des enfants, car en infusion, cela demande moins de yerba, d’herbe à mate).
La guitare ne faisait pas défaut, bien accordée et lustrée, ni l’important (bacán, il s’agit de l’auteur des paroles, Cele qui se tourne en dérision) à la voix à la voix nasillarde avec la vocation de chanteur. (Berretín, nous l’avons vu est le loisir).
Le bulín de la rue Ayacucho est resté misérable et quelconque :
Le chanteur milonguero prétentieux ne s’entend plus taquiner sa muse en chantant.
Et sur le primus, la pava ne chauffe plus, elle qui réunissait la bande joyeuse et le bacán à la bohème (rante de atorrante, clochard) allègre est sec de tant pleurer.
Chaque chose était un souvenir que la vie me rendait amer :
C’est pourquoi j’ai passé un bon moment, errant (quelconque, clochard…) et triste.
Les copains se tirèrent quand ils me virent si affligé et je suis resté dans le nid à ruminer mon affliction.
Petite piaule misérable (cotorrito est un synonyme de bulín), retirée au fond de ce conventillo, sans tapis, sans luxe et sans éclat.
Combien de jours heureux j’ai passés, dans la chaleur de l’amour d’une fille qui était mienne, câline et sincère…
Et une nuit d’hiver, quelconque, jusqu’au ciel d’un vol, s’en fut !

La censure

Cette histoire de jeunes fauchés qui faisaient de la musique dans une chambre en buvant du mate n’eut pas l’heur de plaire aux militaires qui avaient pris le pouvoir en 1943. De nombreux tangos, comme nous l’avons déjà vu (plegaria) ont été interdits, ou modifiés pour avoir des paroles plus respectables. Ce fut le cas de celui-ci. Voici les paroles modifiées :

La version des paroles après censure

Mi cuartito feliz y coqueto
Que en la calle Ayacucho alquilaba
mi cuartito feliz que albergaba
un romance sincero de amor
Mi cuartito feliz donde siempre
una mano cordial me tendía
y una linda carita ponía
con bondad su sonrisa mejor…

Version acceptée par la censure de la dictature militaire de 1943

Traduction de la version après censure

Ma petite chambre joyeuse et coquette que je louais dans la rue Ayacucho.
Ma petite chambre heureuse qui hébergeait une romance amoureuse sincère.
Ma petite chambre heureuse où toujours une main cordiale se tendait.
Et un joli petit visage posait avec gentillesse son meilleur sourire…
Il doit être difficile de faire plus cucu. Les militaires sont de grands romantiques…

Les administrateurs de la SADAIC ont demandé une entrevue au général Perón, nouveau président pour faire tomber cette ridicule censure sur les paroles de tango. Le 25 mars 1949, ce dernier qui disait ne pas être au courant de cette censure a donné droit à leur requête. Les tangos pouvaient désormais retrouver les paroles qu’ils souhaitaient.

El bulín de la calle Ayacucho 1925-12-27 — Carlos Gardel con acomp. de José Ricardo. Cette première version a été enregistrée à Barcelone (Espagne).
El bulín de la calle Ayacucho 1926 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo. Cette version a été enregistrée à Buenos Aires.
El bulín de la calle Ayacucho 1941-06-17 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino. C’est notre tango du jour.
El bulín de la calle Ayacucho 1949-04-07 — Orquesta José Basso con Francisco Fiorentino.

La prestation de l’orchestre est très différente de celle de Troilo, sans doute un peu grandiloquente. On sent que Basso a voulu se mesurer à Troilo, mais je trouve que ce qu’il a ajouté n’apporte rien au thème. Fiorentino chante toujours superbement, cependant l’orchestre se marie moins bien avec le chant. Il se met en retrait, ce qui met en avant la voix, il n’y a pas la même harmonie. FIorentino chante plus dans cette version.

El bulín de la calle Ayacucho 1951-07-17 — Orquesta Héctor Varela con Rodolfo Lesica.

Un grand chanteur, peut-être un peu trop romantique et lisse pour ce titre. Je pense qu’on a du mal à accrocher.

El bulín de la calle Ayacucho 1956 — Armando Pontier con Julio Sosa.

Une superbe version en vivo. Dommage que ce soit un enregistrement de piètre qualité, réalisé lors des Carnavales de Huracán de 1956. Julio Sosa chante toutes les paroles (un peu en désordre).

El bulín de la calle Ayacucho 1961-09-08 — Jorge Vidal con acomp. de guitarras, cello y contrabajo.

Le violoncelle qui débute et accompagne Vidal tout au long est l’autre vedette de ce titre. On souhaiterait presque avoir une version purement instrumentale pour mieux l’écouter. On retrouve la tradition de Gardel, pour un tango à écouter, mais pas à danser.

Edmundo Rivero l’a également interprété. En voici une version avec vidéo. La version disque est de 1967.

Edmundo Rivero chante El bulín de la calle Ayacucho
El bulín de la calle Ayacucho 2018-02 — Tango Bardo con Osvaldo Peredo.

Cette version a sans doute peu de chance de convaincre les danseurs. Il convient toutefois d’encourager les orchestres contemporains à faire revivre les grands titres.

El bulín de la calle Ayacucho

Ce conventillo et la chambre étaient situés au 1443 de la rue Ayacucho.

Calle Ayacucho 1443. L’immeuble n’existe plus. On notera tout de même sur l’immeuble de droite, le beau bas-relief et à gauche, une autre maison ancienne.

Comment José Servidio décrit la chambre de Cele, celle qui lui a inspiré, ce titre

En 1923 compuse « El bulín de la calle Ayacucho ». Gardel lo grabó en ese mismo año. Yo vivía entonces en Aguirre 1061, donde aún vive mi familia. Celedonio me trajo al café A.B.C. la letra ya hecha. Era para la primavera de 1923.
Nosotros éramos amigos desde la infancia, él vivía en la calle Velazco entre Malabia y Canning. Compuse el tango en un par de días, en el bandoneón. La primera frase me salió enseguida. El bulín de la calle Ayacucho existió realmente. Quedaba en Ayacucho 1443. El dueño del bulín era Julio Korn, que se lo prestó a Celedonio Flores. 
Era una piecita en la que ni los ratones faltaban. Concurrentes infaltables a las reuniones de todos los viernes, eran Juan Fulginiti, el cantor Martino, el cantor Paganini (del dúo Paganini-Ciacia); Nunziatta, también cantor, del dúo Cicarelli-Nunziatta; el flaco Sola, cantor, guitarrista y garganta privilegiada para la caña; yo, en fin…
Ciacia, que formaba dúo con Paganini, era el que cocinaba siempre un buen puchero. En el bulín, del barrio de Recoleta, había una sartén y una morochita.
Se tomaba mate, se charlaba. Como le decía, hasta algún ratón merodeaba por allí. Las reuniones en el bulín de la calle Ayacucho duraron más o menos hasta fines de 1921. Cuando Cele se puso de novio terminaron. Ya han muerto casi todos los que nos reuníamos allí.
El tango lo editó un maestro de escuela, de apellido Lami, que puso editorial en Paraguay al 4200. Después se falsificó la edición. El bulín de la calle Ayacucho lo estrenó el dúo Torelli-Mandarino, en el teatro Soleil. Canataro acompañaba con su guitarra al dúo.

José Gobello et Jorge Alberto Bossio. Tangos, letras y letristas tomo 1. Pages 82 à 89.

Traduction libre du témoignage de José Servidio et indications.

En 1923, j’ai composé « El bulín de la calle Ayacucho ». Gardel l’a enregistré la même année. Je vivais à l’époque au 1061 de la rue Aguirre, où ma famille vit toujours. Celedonio m’a apporté les paroles déjà écrites au café ABC. C’était pour le printemps 1923.
Nous nous étions amis depuis l’enfance. Lui vivait rue Velazco entre Malabia et Canning (aujourd’hui Scalibrini Ortiz).
J’ai composé la musique en une paire de jours. Le bulín existait réellement dans la rue Ayacucho au 1443. Le propriétaire en était Julio Korn (éditeur de musique dont nous avons déjà parlé au sujet des succès de la radio en 1937), qui le prêtait à Celedonio Flores.
C’était une petite pièce dans laquelle même les souris ne manquaient pas.
Les participants inévitables aux réunions tous les vendredis étaient Juan Fulginiti, le chanteur Martino, le chanteur Paganini (du duo Paganini-Ciacia) ; Nunziatta, également chanteur (du duo Cicarelli-Nunziatta) ; le Flaco Sola (flaco = maigre), chanteur, guitariste et gosier privilégié pour la cuite (caña, ivresse) ; Moi, enfin…
Ciacia préparait toujours un ragoût. Dans le bulín, il y avait une poêle et une morochita (marmite patinée).
On prenait le mate et on bavardait.
Comme je le disais, même une souris rôdait dans les parages.
Les réunions dans le bulín de la rue Ayacucho ont duré plus ou moins jusqu’à la fin de 1921. Quand Cele (Celedonio Esteban Flores) s’est fiancé, ça s’est arrêté.
Presque tous ceux d’entre nous qui se sont rencontrés là-bas sont déjà morts.
Le tango a été édité par un maître d’école, nommé Lami, qui a créé une maison d’édition rue Paraguay au 4200. Plus tard, l’édition a été falsifiée. Le bulín de la calle Ayacucho a été créé par le duo Torelli-Mandarino, au Teatro Soleil. Canataro a accompagné le duo avec sa guitare.
On notera que le narrateur est le compositeur. Son frère, Luis, semble avoir eu un rôle mineur dans cette composition. Ils avaient l’habitude de cosigner, mais les participations étaient variables selon les œuvres.

El bulín de la calle Ayacucho. J’avoue m’être inspiré de Van Gogh, mais il y a plusieurs différences. Il n’y a pas de fenêtre, c’est un bulín, pas une chambre à Arles. Il y a une guitare et un pava sur le primus, prête pour le mate. Un petit changement dans les cadres pour personnaliser l’intérieur de la chambrette de Cele dont on peut voir le portrait dans le cadre en haut à droite.
Les calques utilisés pour créer cette image.

El engobbiao 1957-06-18 Orquesta Alfredo Gobbi

Eduardo Rovira

Ne cherchez pas dans le dictionnaire le mot Engobbiao, vous ne le trouverez pas. C’est une création de Eduardo Rovira en l’honneur de… Si, vous allez trouver ; G — O — B — B — I. Bravo !
Il y a trois
Gobbi fameux dans l’histoire du tango, Flora, Alfredo et Alfredo. Oui, deux Alfredo. Essayons d’y voir plus clair.

Extrait musical

Tout d’abord écoutons ce titre surprenant que Rovira écrira en l’honneur du chef de l’orchestre où il était bandonéoniste.

El engobbiao 1957-06-18 Orquesta Alfredo Gobbi
Partition de El enggobiao

Les Gobbi

Nous avons déjà évoqué et à plusieurs reprises les Gobbi, mari et femme, pionniers du tango et indiscutablement propagateur du genre en France après l’avoir fait en Argentine.
Flora, la femme et Alfredo, donc, le mari ont plusieurs enregistrements, parmi les plus anciens qui nous soient parvenus. Les pauvres, la technique d’enregistrement de l’époque n’a pas rendu justice à la qualité de leurs interprétations, obligés qu’ils étaient plus à crier qu’à chanter pour que quelque chose se grave sur le disque.

El criollo falsificado (Los criollos) 1906 – Dúo Los Gobbi (Flora et Alfredo Gobbi).

Vous aurez reconnu ce thème que l’on connaît désormais sous le titre El porteñito.

Le troisième Gobbi, se prénommant aussi Alfredo et voici son état-civil complet : Alfredo Julio Floro Gobbi.
Le Gobbi du début de siècle s’appelait au complet : Alfredo Eusebio Gobbi Chiapapietra. On a donc l’habitude de l’appeler Alfredo Eusebio Gobbi pour le distinguer, bien inutilement, de Alfredo Julio Gobbi. Les deux signaient Alfredo Gobbi et personne ne peut confondre une composition ou une interprétation de l’un avec celle de l’autre… Pour en finir avec les noms, précisons que la femme de Gobbi (je ne vous dit pas lequel) s’appelait Flora Rodríguez de Gobbi et était d’origine chilienne.
En fait, je vous ai présenté toute la famille, le père, Alfredo, la mère, Flora et le fiston, encore Alfredo, né à Paris en 1912. Signalons que son parrain était Ángel Villoldo. Le pauvre avait donc de grandes chances de tomber dans le tango, d’autant plus qu’en 1913, il était installé à Buenos Aires. Ce point de chute des Gobbi est bien sûr dicté par le tango, car la mère était chilienne et le père uruguayen. D’ailleurs, le petit Gobbi apprendra le piano (qui sera aussi son dernier instrument à la fin triste de sa vie), puis le violon et dès l’âge de 13 ans il jouera dans un trio avec ses amis, Orlando Goñi (pianiste) et Domingo Triguero (bandonéoniste).
À la mort de son ami Orlando Goñi, en 1945, Alfredo écrira A Orlando Goñi, dont nous avons son enregistrement en 1949.

A Orlando Goñi 1949-03-24 — Orquesta Alfredo Gobbi.

L’hommage de Gobbi à son ami Goñi. C’est un de ses titres les plus connus et que l’on entend parfois en milonga.
Troilo et Pugliese qui étaient dans le même cercle l’enregistrèrent également.

Alfredo Gobbi, le violon romantique et le pianiste en fin de vie, à droite

Si Alfredo Gobbi a commencé l’étude du piano à 6 ans, c’est comme violoniste prodige qu’il a fait sa carrière. À la fin de sa courte vie, il est retourné au piano pour jouer dans des bars de nuit afin de gagner sa pitance. Quelle triste fin pour cet artiste, amical et généreux comme en témoignent les hommages après sa mort, en 1965 à seulement 53 ans.
Ses amis, cherchèrent à récupérer son violon auprès de son logeur qui le gardait en gage pour les loyers en retard. Lorsqu’ils demandèrent à Troilo de participer, celui-ci s’exclama, « mais pourquoi ne m’avez-vous pas demandé en premier ? » Troilo avait d’ailleurs dédicacé son tango Milonguero triste à son ami.

Anibal Troilo joue Milonguero triste, sa composition dédicacée à son ami Alfredo Gobbi avec son cuarteto. Les membres du quartette sont José Colángelo au piano, Anibal Troilo au bandonéon, Aníbal Arias à la guitare et Rafael Del Bagno à la contrebasse.
Un disque posthume de Alfredo Gobbi nommé Milonguero triste (mais ne comportant pas ce titre que Alfredo Gobbi n’a pas enregistré. Troilo l’a enregistré moins de cinq mois avant la mort de son ami.

Il convient de rajouter à la liste des dédicaces à Alfredo Gobbi, Alfredeando enregistré en 1987 par Pugliese et qui a été composé par le bandonéoniste Néstor Marconi.

Alfredeando 1987-12-12 Orquesta Osvaldo Pugliese

De Rovira à Piazzolla

Eduardo Rovira était bandonéoniste dans l’orchestre de Alfredo Gobbi. Il lui a dédié deux thèmes. Notre tango du jour, Engobbiao et A Don Alfredo Gobbi qui terminera notre parcours des avant-gardes autour de Gobbi.

Eduardo Rovira
El engobbiao 1957-06-18 Orquesta Alfredo Gobbi. C’est notre tango du jour.

On notera l’étonnante modernité de ce titre.
L’année d’après, Rovira produit cette version étonnante de Febril avec l’orchestre du pianiste Osvaldo Manzi dont il est membre, comme bandonéoniste.

Febril 1958-12-18 — Orquesta Osvaldo Manzi. Composition de Eduardo Rovira.

On peut constater comme en un an, Rovira est allé encore plus loin.

A don Alfredo Gobbi 1968 – Eduardo Rovira y su agrupación de tango moderno.

On est à l’arrivée de l’évolution de Rovira. Difficile d’y voir du tango, malgré un début en habanera et des accents de folklore. L’évocation de son ami, décédé en 1965, Alfredo Gobbi se fait par un passage virtuose au violon, mêlé à son bandonéon qui aura le dernier mot dans un curieux halètement final.
Vous avez sans doute remarqué la présence, dès les premières notes, d’une guitare électrique. C’est celle de Salvador Drucker.

Le disque Sonico de Eduardo Rovira y su agrupación de tango moderno

La bande de copains, Gobbi, Rovira, Goñi, s’était adjoint à d’autres novateurs, comme Troilo et Pugliese (voir par exemple Patético de Jorge Caldara qui avait fait entrer la musique novatrice de Rovira dans l’orchestre de Pugliese), mais aussi, Astor Pantalón Piazzolla. Ce dernier écrira également un hommage à Gobbi, un portrait dont voici une de ses interprétations.

Retrato de Alfredo Gobbi 1970 — Astor Piazzolla y su Quinteto.

Le quintette de Piazzolla était composé de Astor Piazzolla (bandonéon), Osvaldo Manzi (piano), Antonio Agri (violon), Kicho Díaz (contrebasse) et Cacho Tirao (guitare électrique). Oui, comme Rovira, Piazzolla utilise la guitare électrique dans son orchestre.
Cet autre hommage à Gobbi, par Piazzolla, après Rovira est sans doute une autre explication du fait que les danseurs ne sont pas fans (euphémisme) de Gobbi. Sa musique a évolué et en fait très peu de ses titres sont réellement pour la danse. Sans détester les danseurs comme se plaisait à le faire savoir Piazzolla, il avait d’autres préoccupations, tout comme ses compagnons et le fidèle Rovira, le novateur.
Gobbi n’écrivit pas un tango pour Rovira, mais Fernando Romano joua un homenaje a Eduardo Rovira.

Homenaje a Eduardo Rovira – Pájaro del alma, Meloodíka, Mefisto compra almas, La casa de las chinas, Pasos en la noche – Orquesta Fernando Romano.

Il s’agit d’une suite avec différentes musiques jouées par l’orchestre de Eduardo Rovira enchaînées, par exemple le magnifique Pasos en la noche, une suite de ballet composée par Fernando Guibert.

Pasos en la Noche 1962 – Eduardo Rovira (Fernando Guibert compositeur)

Vous l’avez remarqué, on n’est pas dans le tango, mais ces témoignages permettent de rendre un peu de sa place à Rovira, éclipsé, pas forcément avec pertinence par Piazzolla. Les deux ont leur place au panthéon de la musique d’inspiration tanguera de la fin du vingtième siècle.

Autres versions

El engobbiao 1957-06-18 Orquesta Alfredo Gobbi. C’est notre tango du jour.
El engobbiao 1993 — Sexteto Tango. Une version très différente, enregistrée par les anciens musiciens de Pugliese.

Voilà, les amis. C’est tout pour aujourd’hui. Si vous n’aimez pas Gobbi comme musicien pour la danse, vous devriez l’aimer comme homme et novateur, lui qui était le Milonguero triste.

Don Juan 1948-06-15 – Juan D’Arienzo

Ernesto Ponzio Letra: Alfredo Eusebio Gobbi, Ricardo Podestá et anonyme.

Pas besoin d’être un grand détective pour savoir qui est le Don Juan dont parle ce tango. Dans un des trois versions connues des paroles, il y a le nom et presque l’adresse de ce Don Juan. Ce que vous ne savez peut-être pas, c’est que l’auteur en est un gamin de 13 (ou 15 ans).

Extrait musical

Partition pour piano de Don Juan de Ernesto Ponzio.
Don Juan 1948-06-15 – Juan D’Arienzo

Paroles de Alfredo Eusebio Gobbi (Mozos guapos)

Al compás de una marchita
muy marcada y compadrona,
a casa de ’ña Ramona
me fui un ratito a bailar.
Por distraer las muchachas
empecé a soltar tiritos
y al ver esto los mocitos
ya empezaron, ya empezaron a roncar.

Si en los presentes
hay mozos guapos,
que peguen naco,
que vengan a mí.
Que aunque sean muchos
yo les daré palos
porque soy más malo
que el cumbarí.

Yo que no soy nada lerdo
ni nada hay que yo no vea,
comprendiendo que pelea
se me trataba de armar,
salí al patio y envolviendo
al brazo el poncho de guerra
hice una raya en la tierra
y me le puse, me puse a cantar.

Salió el dueño de la casa,
’ña Ramona y los parientes,
“Perdonate por decente,
mucho respeto y admiro”.
Cuando uno haciendo rollo
rascándose la cadera
sacó un revólver de afuera
dijo si me le pegó, le pegó un tiro.

Yo que estaba con el ojo
bien clavado en el mocito,
me largué sobre el maldito
y el revólver le quité.
Y después mirando a todos,
y haciéndoles la pat’ ancha,
les grité ¡ábranme cancha!,
y enseguida, enseguida les canté.

Ernesto Ponzio Letra: Alfredo Eusebio Gobbi

Traduction libre des paroles de Alfredo Eusebio Gobbi

Au rythme d’une petite marche bien rythmée et compadrona, je suis allé un petit moment à la casa de la Ramona pour danser un petit moment.
Pour distraire les filles, j’ai commencé à libérer des frissons et quand ils ont vu cela, les morveux ont commencé, à grogner.

S’il y a de beaux gosses ici, qui frappent dur, qu’ils viennent à moi.
Que même s’il y en a beaucoup, je les battrai parce que je suis pire que le cumbarí. (Sorte de piment appelé en argot putaparió, fils de pute).

Moi, qui ne suis en rien terne et qu’il n’y a rien que je ne voie pas, comprenant qu’ils essayaient de m’entraîner, je suis sorti dans la cour et enroulant le poncho de guerre autour de mon bras, j’ai fait une ligne sur le sol et je me mis, je me mis à chanter.

La patrone de la maison, La Ramona et les parents, sont sortis : « Excusez-moi d’être décent, beaucoup de respect et d’admiration. »
Quand l’un d’eux s’est raclé la hanche et a sorti un revolver, j’ai dit de dehors que s’il me touchait, je lui enverrai un tir. (Les paroles semblent évoquer l’histoire personnelle de Ponzio qui un peu plus tard tuera par accident le voisin de la personne qu’il voulait intimider et fut condamné à 20 ans de prison. Il était peut-être attiré par la personnalité des tauras et des compadritos au point d’en devenir un lui-même).
Moi, qui avais l’œil fermement fixé sur le morveux, je me jetai sur ce maudit homme et lui ai pris le revolver.
Et puis en regardant tout le monde, et en faisant toute une histoire, je leur ai crié : « Ouvrez-moi le champ ! », et immédiatement, immédiatement je leur ai chanté.

Paroles de Ricardo Podestá (El taita del barrio)

En el tango soy tan taura
que cuando hago un doble corte
corre la voz por el Norte,
si es que me encuentro en el Sud.
Y pa bailar la Yuyeta
si es que me visto a la moda
la gente me dice toda
Dios le dé, Dios le dé, vida y salud.

Calá, che, calá.
Siga el piano, che,
dése cuenta usted
y después dirá
si con este taita
podrán por el Norte
calá che, qué corte,
calá, che, calá.

No hay teatro que no conozca
pues hasta soy medio artista
y luego tengo una vista
que hasta dicen que soy luz.
Y la forma de mi cuerpo
arreglada a mi vestido
me hacen mozo muy querido,
lo juro, lo juro por esta cruz.

Yo soy el taita del barrio,
pregúnteselo a cualquiera.
No es esta la vez primera
en que me han de conocer.
Yo vivo por San Cristóbal,
me llaman Don Juan Cabello,
anóteselo en el cuello
y ahí va, y ahí va, así me quieren ver.

Ernesto Ponzio Letra: Ricardo Podestá

Traduction libre des paroles de Ricardo Podestá

Au tango, je suis tellement taura (caïd, baron du lieu) que quand je fais un double corte (figure de tango) la nouvelle se répand dans le Nord, si je me trouve dans le Sud.
Et pour danser la Yuyeta (probablement une orthographe populaire de shusheta qui signifie élégant, déloyal ou qui ne peut pas garder un secret. On connait le tango EL aristócrata dont le sous-titre est shusheta, mais quel est le lien avec la danse ?), si je m’habille à la mode, les gens me disent que Dieu lui donne tout, Dieu lui donne, la vie et la santé.

Calá, che, calá. (???)
Suivez le piano, che, vous vous en rendez compte et puis vous direz si avec ce taita ils pourront aller vers le nord
Calá che, quelle coupe,
Calá, che, calá.

Il n’y a pas de théâtre que je ne connaisse, car je suis à moitié un artiste et que j’ai une vue qui dit témoigne que je suis rapide, brillant.
Et la forme de mon corps arrangée avec mes vêtements (aujourd’hui, un vestido est une robe…) fait de moi un bel homme apprécié, je le jure, je jure par cette croix.

Je suis le caïd du quartier, demandez à n’importe qui.
Ce n’est pas la première fois que vous devez me rencontrer.
J’habite à San Cristóbal (quartier de Buenos Aires), ils m’appellent Don Juan Cabello (Cabello, cheveux. On a son adresse, enfin, son quartier, mais si on le croit, il ne doit pas être difficile à trouver), écrivez-le sur ton col (on prenait parfois des notes sur le col amovible de la chemise, faute de papier sous la main) et voilà, et voilà, c’est comme ça qu’ils veulent me voir.

Histoire du thème

Ernesto Ponzio, se serait inspiré d’un air joué plus ou moins traditionnel, joué par un pianiste, qu’il a délogé pour continuer la composition avec sa création.

De fait, le thème de Don Juan s’écoute dans différents tangos, plus ou moins métamorphosés. Pour que cela soit pertinent, il ne faudrait prendre que des thèmes composés avant la création de Ernesto Ponzio, c’est-à-dire 1898 ou 1900.

Qué polvo con tanto viento 1890 par Pedro M. Quijano

On n’a pas d’enregistrement de l’époque de Qué polvo con tanto viento, mais deux reconstitutions modernes. Dans les deux cas on reconnaît le thème de Don Juan au début (ou pour le moins, quelque chose de semblable).

Qué polvo con tanto viento 1980 – Cuarteto de tango antiguo.

Une reconstitución par un quartette composé de Oscar Bozzarelli (bandonéon), Rafael Lavecchia (flute), Jose Romano Yalour (violon) et Maximo Hernandez (guitare). Ce quatuor tentait de reproduire les musiques perdues des premières années du tango.

Que polvo con tanto viento – Lecture midi du thème réécrit dans un logiciel de composition musicale par Tío Lavandina (Oncle la Javel, sûr que c’est un pseudo).

Soy Tremendo

Soy tremendo 1909-10 – Orquesta Heyberger con Angel Villoldo.

Angel Villoldo “chante” et est aussi l’auteur de ce tango. On reconnaît le thème de Don Juan dans la première partie. Il se peut que ce thème soit antérieur à la composition de Ponzio, mais ce n’est pas sûr. Disons que c’est que l’air était dans… l’air du temps.

El rana

El rana 1909c – Arturo A Mathón y F Raias. Composé par Arturo Mathón.

El rana 1909c – Arturo A Mathón y F Raias. Composé par Arturo Mathón. Joué et chanté par lui-même à la guitare, avec un accompagnement de bandonéon, par F. Raias. Au début et à 0:54, on entend le thème de Don Juan, mais c’est tellement moche que ça ne donne pas envie de l’écouter… Heureusement qu’il a écrit El apache argentino et que c’est Canaro avec son Pirincho qui l’a fait passer à la postérité… Vu que c’est probablement plus récent que Don Juan de Ponzio, cela peut aussi être une inspiration basée sur le thème de Ponzio. On notera que le titre devrait être « La rana », rana étant féminin. D’ailleurs plus loin, il chante sapo (crapaud) et le tango parle d’un gars, alors, c’est finalement logique.

El rana 1909c – Arturo A Mathón y F Raias. Le bandonéon n’était pas encore très fréquent. La Colubia n’a donc pas relevé l’erreur Mandoneon au lieu de bandoneón sur le disque…

On trouve un petit bout de cet air dans différents tangos, mais rien de bien pertinent et qui permettent de garantir que la source d’inspiration est le thème anonyme ou celui de Ponzio.
Quoi qu’il en soit, le gamin Ponzio a commencé très jeune a fréquenté les lieux de « perdition ».

Autres versions

Don Juan Tango 1927-11 – Orquesta Argentina Victor.

On ne regrette pas de ne pas avoir de versions plus anciennes à l’écoute des vieilleries que je viens de vous présenter.

Don Juan 1928-03-06 – Orquesta Osvaldo Fresedo.
Don Juan 1929-08-02 – Orquesta Francisco Canaro.
Orquesta Típica Victor con Alberto Gómez.

Autre version par un orchestre Victor, cette fois, chanté par Alberto Gómez avec une partie des paroles de Ricardo Podestá (avec variantes).

Don Juan 1936-09-29 – Orquesta Juan D’Arienzo.

Pour moi, c’est la première version qui donne envie de danser. On y trouve les premières facéties de Biagi au piano, de beaux violons des bandonéons énergiques, le tout avec un tempo tout aussi bien marqué que pour les versions précédentes, mais plus rapide.

Don Juan 1940-11-08 – Charlo solo de acordeón con guitarras.

Une version très originale. Dommage que le son laisse à désirer. Il me faudra trouver un disque en meilleur état. Une guitare vraiment virtuose, non ?

Don Juan 1941-10-03 – Orquesta Di Sarli.
Don Juan 1947-10-22 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.
Don Juan 1948-06-15 – Juan D’Arienzo. C’est notre tango du jour.

Très proche de l’enregistrement suivant du 1950-12-28.

Don Juan 1948-08-14 – Juan Cambareri y su Gran Cuarteto Típico « Ayer y hoy ».

Toujours le train d’enfer et virtuose de Cambareri. Une curiosité, mais pas trop pour la danse. Il l’enregistrera encore en 1956, dans un rythme comparable…

Don Juan 1950-12-28 – Juan D’Arienzo.
Don Juan 1951-12-06 – Orquesta Carlos Di Sarli.
Don Juan 1951-05-09 – Roberto Firpo y su Nuevo Cuarteto.

Comme la version de Canaro de 1947, cette version donne le sourire, tout au moins à celui qui l’écoute, pour le danseur, c’est moins sûr.

Don Juan 1955-01-31 – Orquesta Carlos Di Sarli.
Don Juan 1961 – Astor Piazzolla y su Quinteto. Comme d’habitude avec Piazzolla, on est dans un autre univers, très loin des danseurs… de tango.

Il y a bien sûr beaucoup d’autres enregistrements de ce thème qui bien qu’un de plus anciens continue de passer les siècles, du dix-neuvième à nos jours, mais après la version de Piazzolla, il me semble sage de réécouter une des versions de danse, par exemple notre tango du jour, une autre version de D’Arienzo ou une de Di Sarli…

Ou peut-être ce tout dernier exemple avec des paroles anonymes, qui n’ont d’ailleurs aucun intérêt, un petit couplet sur le tango ; du remplissage, en somme.

Don Juan 1965-09-07 – Orquesta Alfredo De Angelis con Carlos Aguirre.

À demain les amis !

Zorro plateado 1943-06-14 – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino

Charlo (Carlos José Pérez de la Riestra) Letra: Enrique Cadícamo (Domingo Enrique Cadícamo)

Nous avons déjà parlé de Zorro gris (Renard gris), ici, nous évoquerons el Zorro plateado (Renard argenté). Les biologistes ne verront pas la différence, car ce sont deux dénominations pour le même animal de couleur gris-argenté. Mais ici, les deux content deux histoires totalement différentes et pour ainsi dire, complémentaires.

Extrait musical

Zorro plateado 1943-06-14 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino

Paroles

Zorro plateao
te defendés y ya tenés cuarenta y cinco y un quemao.
Zorro plateao todavía tallás
y trabajás de enamorao…
Zorro plateao
si hay que correr en el campito del amor
de punta a punta… vos ganás.
Parecés el negro Acosta
por lo bien que te apilás.

Si vas siguiendo un tango rezongón
con una piba taura pa’bailar,
porque te sobra fibra y corazón,
rendida en tus brazos la llevás…
Y así bebiendo el último compás
del tango que se acaba en el salón.

Zorro plateado, vos mintiento otra ilusión…
Zorro plateado,
conozco bien la causa porque llegaste a solterón.
Zorro plateado, por un querer
hoy ha cerrado tu corazón…
Pero pa’ vos
la vida está brindándote
siempre la última ilusión… ¡Zorro plateado!
¡Aunque también por dentro
vos llevés tu precesión!

Charlo (Carlos José Pérez de la Riestra) Letra: Enrique Cadícamo (Domingo Enrique Cadícamo)

Traduction libre et indications

Renard argenté, tu te défends et tu as déjà quarante-cinq ans bien sonnés (quemado, brûlé, pour dire que c’est plus que 45…).
Renard argenté tu te lances et tu t’actives toujours en amour…
Renard argenté, si tu devais courir dans le petit champ de l’amour de bout en bout… tu gagnerais.
Tu ressembles au negro Acosta à cause de la façon dont tu te comportes. (Le negro Acosta (ou le singe [El mono] était Máximo Acosta, un jockey fameux qui en 1940 fut le jockey ayant gagné le plus de courses en une année avec 149 victoires. En 1942, il gagna six courses sur six à l’Hipódromo Argentino [Buenos Aires, quartier de Palermo]. Je vous laisse mesurer la comparaison… Héctor Wilde a écrit un tango nommé Máximo Acosta).

Si tu suis un tango plaintif avec une fille de première pour danser, parce que tu as beaucoup de fibres et de cœur, abandonnée dans tes bras, tu la porteras… et ainsi, buvant la dernière mesure du tango qui se termine dans le salon.

Renard argenté, tu feins une autre illusion…
Renard argenté, je connais bien la raison pour laquelle tu es devenu célibataire.
Renard argenté, pour un amour, aujourd’hui tu as fermé ton cœur…
Mais pour toi, la vie est de toujours célébrer la dernière illusion…
Renard argenté !
Même si tu portes aussi en toi tes non-dits !
Si dans Zorro gris, la femme était une prostituée ou assimilée, dont la seule richesse et consolation était son manteau en renard gris. Ici, on parle d’un homme, qui se donne les moyens de partir à la conquête des femmes qu’il convoite. Ce personnage pourrait paraître odieux, mais Enrique Cadícamo décrit avec pudeur les causes de son « instabilité ». Ce n’est certes pas une excuse, mais un début d’explication.

Máximo Acosta, le jockey cité dans les paroles.

Autres versions

Contrairement à Zorro gris, ce tango n’a pas suscité beaucoup d’enregistrements. Je vous en propose deux.

Zorro plateado 1943-01-13 — José García y su Orquesta « Los Zorros Grises » con Alfredo Rojas.

Évidemment, quand son orchestre s’appelle les renards gris (Los zorros grises), on ne peut pas passer à côté du titre… Cela dit, il n’a pas enregistré Zorro gris, comme quoi, nul n’est parfait.

Zorro plateado 1943-06-14 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino. C’est notre tango du jour

Et comme vous savez que je suis farceur, je vous propose un dernier renard avec un autre Garcia.

Zorro y el Sargento García – Zorro et le sergent Garcia.

À demain les amis…

Sueño florido 1929-06-13 – Orquesta Cayetano Puglisi

Roberto Firpo

Sueño florido est une jolie valse, principalement connue par un enregistrement de Juan D’Arienzo. Elle a été écrite par Roberto Firpo et enregistrée en premier par Cayetano Puglisi. Il ne faut pas confondre avec le tango du même titre, écrit par Cayetano Puglisi et joué par Roberto Firpo… Je vous amène faire quelques tours avec cette valse.

Extrait musical

1Partition pour piano de Sueño florido tirée du Jornal das Moças (Journal des jeunes femmes) qui était un magazine illustré, hebdomadaire ou bimensuel selon les époques, édité au Brésil. On peut consulter les numéros de 1914 à 1961 en ligne, ce qui est une source précieuse sur les mœurs et points d’intérêt de l’époque, du moins ceux des jeunes femmes brésiliennes de l’époque.
Sueño florido 1929-06-13 — Sexteto Cayetano Puglisi.

Comme pour beaucoup de valses de l’époque, une longue introduction (28 secondes) débute le morceau. Comme DJ, on peut la laisser ou débuter après l’introduction, directement dans le feu de l’action. En général, on laisse l’introduction pour le premier thème d’une tanda, cela laisse le temps aux danseurs d’inviter. En revanche, il faut annoncer que ce sont des valses, sinon, les danseurs peuvent se regarder avec des airs inquiets si c’est un air qui ne leur est pas familier, comme celui-ci. 
Pour revenir à l’écoute de cette valse, on notera la présence somptueuse du violon de Cayetano Puglisi, les bandonéons, la contrebasse et le piano étant utilisé pour le marquer le rythme. Vous remarquerez également la sensation d’accélération finale, qui sera également la marque de fabrique des valses de Juan D’Arienzo. Rappelons que c’est un artifice, pas une réalité. On s’en rendra compte en remarquant que les violons continuent au même rythme. Ce sont, dans le cas présent, les bandonéons qui provoquent l’illusion en jouent trois croches (triolets) sur chaque temps, au lieu de deux croches ou d’une noire. La partition est en mesure 6/8, 6 croches dans une mesure.
Puisque j’ai parlé des instruments, je vous propose de citer la composition de l’orchestre :
Cayetano Puglisi et Mauricio Mise (violons), Federico Scorticati et Pascual Storti (ou Domingo Triguero) (bandonéons), Armando Federico (piano) et José Puglisi (contrebasse).

Le Sexteto de Cayetano Puglisi au centre (direction et violon), Federico Scorticati (bandonéon), Armando Federico (piano), Domingo Triguero (bandonéon) en échange de Pascual Storti, José Puglisi (contrebasse), Mauricio Miserizky (Mise) (violon).

Les trois frères Puglisi

Comme Pugliese, les Puglisi sont originaires du sud de L’Italie. Leur nom de famille évoque les Pouilles et parfois, certains confondent Puglisi et Pugliese… Non, je ne donnerai pas de nom, mais c’est assez courant 😉
Les trois frères Puglisi sont nés en Italie et sont venus avec leurs parents en Argentine, en 1909.

Cayetano, Emilio et José Puglisi

Le grand frère, Cayetano, est né en 1902 à Messine (Sicile). Il était violoniste, compositeur et chef d’orchestre. Il avait donc environ sept ans à son arrivée en Argentine.

Cayetano était un violoniste très doué, comme vous avez pu l’entendre. Tout jeune, il s’est orienté vers la musique classique sous l’impulsion de son professeur, Osvaldo Pessina, qui avait détecté ses talents. À la suite d’un concert, il s’est vu offert par le journal La Prensa, une bourse pour approfondir ses études musicales en Europe.
La chance, pour le tango, est que la Guerre de 1914-1918 l’empêcha de se rendre en Europe. Il monta un trio avec deux autres gamins (12 à 13 ans), Carlos Marcucci (bandonéon) et Pedro Almirón puis Julián ou Luis Robledo (piano).
Roberto Firpo le remarqua et le fit entrer comme second violon dans son orchestre. Mais le plus important est que Firpo guida Cayetano vers le tango pour l’aider à être le musicien qu’il fut dans ce domaine. Un coup de pouce de Firpo quand on a à peine 14 ans, c’est une chance.

Deux portraits de Cayetano Puglisi.

Le cadet des trois frères, Emilio, est né en 1905 et était violoniste et compositeur. Il avait environ 4 ans à son arrivée.
Il était en 1928, dans le Sexteto de Juan Bautista Guido, notamment pour jouer dans les cinémas. Peu après, il remplaça son frère, probablement jusqu’en 1933 dans l’orchestre de Pedro Maffia, au côté d’Elvino Vardaro.
Dans les années 40, il était violoniste dans l’orchestre de Francisco Canaro.
Le benjamin, José, né en 1908, était donc bébé lors de son arrivée en Argentine en 1909.
Contrairement à ses frères, il a choisi des instruments à cordes plus imposants puisqu’il jouait du violoncelle et de la contrebasse. Hormis une collaboration avec son frère, notamment en 1923 où ils jouaient dans les cinémas, José travaillera dans la musique classique, notamment au théâtre Colón où il fit carrière.

Autres versions

La première version est notre valse du jour.

Sueño florido 1929-06-13 — Sexteto Cayetano Puglisi. C’est notre valse du jour.
Sueño florido 1936-01-31 — Orquesta Juan D’Arienzo.

C’est la version la plus connue, régulièrement passée en milonga.

Sueño florido 1939-04-05 — Roberto Firpo y su Cuarteto Típico.

Finalement, Firpo se décide à enregistrer sa composition…

L’autre Sueño florido

Ce titre qui est un tango a été composé par Cayetano Puglisi et Luis Elías Cosenza. Il existe des paroles par Dante A. Linyera (Francisco Bautista Rímoli).
Ce n’est pas vraiment un retour à l’envoyeur, car Firpo a enregistré le sueno florido de Cayetano Puglisi avant que ce dernier enregistre le sien… N’oublions pas que Firpo avait pris sous son aile le très jeune Cayetano et cet échange est donc très logique. C’est un témoignage de leur amitié.

Sueño florido (Tristeza de barrio) 1928-08-03 — Orquesta Francisco Canaro con Charlo.

Charlo chante les paroles de Dante A. Linyera.

Sueño florido (Tristeza de barrio) 1928-10-11 – Orquesta Roberto Firpo.

Le symétrique de notre valse du jour.

Voilà, c’est tout pour aujourd’hui.

À demain les amis !

El monito 1945-06-12 — Orquesta Osvaldo Pugliese

Julio De Caro Letra : Juan Carlos Marambio Catán

Ne sont-ils pas mignons ces deux-là ? El monito, le petit singe est en fait un texte plein de tendresse et de regrets. Parfois, les hommes commettent des erreurs qu’ils regrettent. Ne les singeons pas et contentons-nous d’apprécier ce que nous avons, ici, cette magnifique musique decarienne interprétée par Pugliese. Cette anecdote nous permettra d’approfondir la liaison entre ces deux grands musiciens, De Caro et Pugliese.

Extrait musical

Partition pour piano El monito de Julio De Caro Letra: Juan Carlos Marambio Catán.
El monito 1945-06-12 — Orquesta Osvaldo Pugliese.
El monito, Julio de Caro, Disque Victor 79569 face A, enregistrement du 23 juillet 1925.

Sur le disque du premier enregistrement du titre, on remarque deux choses. Il est indiqué « Tango humoristico ». Ce titre se veut donc drôle. L’autre chose est la mention « orquesta « repertorio nacional » ; cela indique que l’orchestre joue de la musique argentine.

Paroles

“Mi monitoz” me llamó
la piba de mi amor,
la que mi corazón robó y que,
en mi pobre bulín,
me amó con berretín
sin conocer dolor.
El bulín fue nido fiel
de mi primer amor,
donde gocé su gran pasión de amar.
Y fue mi fiel mujer
poniendo en mí su fe,
su puro corazón.

La piba cantábame así:
Si yo quiero vivir
juntito a tu amor,
tu amor,
que curó mi dolor.
¿Por qué
me dejás corazón?
Sin ti,
morirá mi pasión.
Así,
mi pebeta cantó,
mi pebeta cantó su canción.
¡Qué ingrata pasó
su fugaz ilusión!

Mi monito no dirá,
Monito de mi amor.
Mi corazón hoy la buscó en su afán
sin poder ya gozar
la luz de su mirar,
la miel de su pasión.
Mi pebeta ya se fue
y nunca volverá.
Talvez irá rodando al cabaret,
buscando en su dolor,
alivio al champán,
olvido a mi desdén.

Julio De Caro Letra : Juan Carlos Marambio Catán

Traduction libre

« Mon petit singe » m’appelait la fille de mon amour, celle qui a volée mon cœur et qui, dans mon pauvre logis, m’a aimée avec passion sans connaître de douleur.
Le logis a été le nid fidèle de mon premier amour, où j’ai apprécié sa grande passion pour aimer.
Et elle fut ma femme fidèle qui mettait en moi sa foi, son cœur pur.

La fille m’a chanté ceci :
Si je veux vivre avec ton amour, ton amour, qui a guéri ma douleur.
Pourquoi me quittes-tu mon cœur ?
Sans toi, ma passion mourra.
Ainsi ma poupée a chanté, ma poupée a chanté sa chanson.
Comme, en ingrate, passa ton illusion fugace !

Mon petit singe elle ne dira plus, petit singe de mon amour.
Mon cœur aujourd’hui la cherche dans son empressement sans pouvoir goûter son regard, le miel de sa passion.
Ma poupée maintenant est partie et ne reviendra jamais.
Peut-être ira-t-elle roder jusqu’au cabaret, cherchant dans sa douleur le soulagement du champagne, l’oubli de mon dédain.

Autres versions

El monito 1925-07-23 — Orquesta Julio De Caro.

Julio de Caro, auteur, ouvre le bal. On notera les parties sifflées.

El monito 1926 — Roberto Díaz con guitarras.

On regrette le son assez primitif qui ne rend pas grâce à la qualité de cette interprétation par un excellent chanteur. C’est la seule version avec les paroles.

El monito 1928-07-19 — Julio De Caro y su Orquesta Típica.

Sur le disque, la mention tango humoristique a disparu. Même s’il reste les sifflements, cette version est plus sérieuse. Elle bénéficie de l’enregistrement électrique qui améliore considérablement la qualité sonore et même si De Caro continue à jouer avec son violon à cornet, le titre est d’une grande qualité musicale. De Caro n’est pas réputé pour la danse, mais là, il me semble qu’ici, on peut en avoir pour ses oreilles et ses pieds.

Le disque de 1929. L’indication de tango humoristique a disparu.
El monito 1939-05-23 — Orquesta Julio De Caro.

Une version énergique.
On retrouve les sifflements et apparaît un dialogue « Raahhhh, Monito / Si / Quieres Café? / No / Por qué? ». C’est sans doute un souvenir du tango humoristique. On imagine que les clients devaient s’amuser lorsque l’orchestre évoquait le titre. Peut-être que l’idée vient d’un client imitant le singe et que cette scénette improvisée au départ s’est invitée dans la prestation de l’orchestre.
On retrouve dans cette interprétation de De Caro, des caractères, comme les sifflements puissants des violons, que l’on retrouvera chez Pugliese. N’oublions pas que ce dernier était un grand admirateur de De Caro. Avec sa modestie, il se voulait un simple conservateur de la mémoire du maître. On sait qu’il a fait bien plus, comme en témoigne notre tango du jour.

El monito 1945-06-12 — Orquesta Osvaldo Pugliese. C’est notre tango du jour.

La parenté avec de De Caro est sensible, mais Pugliese a son style propre qui influencera sans doute aussi un peu De Caro, dans un jeu d’aller-retour.

El monito 1949-09-29 — Orquesta Julio De Caro.

Une dizaine d’années plus tard, De Caro nous offre une nouvelle version superbe. Les similitudes avec Pugliese sont encore plus marquées, notamment avec le tempo nettement plus lent et proche de celui de Pugliese. On retrouve toutefois le dialogue de la version de 1939, dans une version un plus large. “Ah, ah ah, Monito / Si / Quieres Café? / No / Por qué? / Quiero caramelo” (je veux un bonbon). Avec ces dialogues imitant la « voix » d’un singe, De Caro s’éloigne des paroles de Juan Carlos Marambio Catán en renouant avec le côté tango humoristique. Mais tous les orchestres se sont éloignés des paroles, du moins pour l’enregistrement, car toutes les versions disponibles aujourd’hui sont instrumentales (si on excepte Roberto Díaz).
Ce qui est sûr est que cette version convient parfaitement à la danse, ce qui fait mentir ceux qui classe De Caro dans le définitivement indansable.

El monito 1953 — Orquesta Aníbal Troilo arr. de Astor Piazzolla.

Comme on s’en doute, Troilo avec Piazzolla ne vont pas donner dans la gaudriole et pas de risque d’entendre un signe refuser un café dans cette version qui a perdu tout ce qui fait le caractère d’un tango de danse, mais qui a gagné une richesse musicale incroyable, pleine de rebondissements. Cette version nous raconte une histoire, quasi une épopée, de quoi rester à bout de souffle, même en restant tranquillement dans son fauteuil à l’écouter.

Il y a bien sûr d’autres enregistrements postérieurs, mais je préfère vous laisser sur ce point culminant.

À demain les amis !

Poema 1935-06-11 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida

Antonio Mario Melfi ? Letra : Eduardo Vicente Bianco

Poema par Canaro et Maida est le type même du tango que l’on ne peut pas facilement proposer dans une autre version. Amis DJ, si vous tentez l’expérience, on vous fait les gros yeux. Pourtant, il existe d’autres versions qui ne déméritent pas. Analysons un peu ce tango, qui est, selon un sondage réalisé il y a une dizaine d’années, le préféré dans le monde. Nous présenterons également une enquête pour savoir qui est le compositeur de ce chef-d’œuvre.

Ajout de deux versions le 29 août 2024, une en letton et une en arabe
(Cadeau d’André Vagnon de la Bible Tango).

Extrait musical

Tout d’abord, on ne se refuse pas d’écouter encore une fois Poema par Canaro. Peut-être plus attentivement 😉

Partition pour piano Poema de Antonio Mario Melfi Letra : Eduardo Vicente Bianco.
Poema 1935-06-11 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida.

Paroles

Fue un ensueño de dulce amor,
horas de dicha y de querer.
Fue el poema de ayer,
que yo soñé de dorado color.
Vanas quimeras que el corazón
no logrará descifrar jamás.
¡Nido tan fugaz,
fue un sueño de amor,
de adoración!…

Cuando las flores de tu rosal
vuelvan más bellas a florecer,
recordarás mi querer
y has de saber
todo mi intenso mal…

De aquel poema embriagador
ya nada queda entre los dos.
¡Con mi triste adiós
sentirás la emoción
de mi dolor !…

Antonio Mario Melfi Letra : Eduardo Vicente Bianco

Traduction libre

Ce fut un rêve de doux amour, des heures de joie et d’amour.
Ce fut le poème d’hier, dont je rêvais en couleur dorée.
Vaines chimères que le cœur ne pourra jamais déchiffrer.
Nid si fugace, ce fut un rêve d’amour, d’adoration…

Lorsque les fleurs de ton rosier refleuriront plus belles, tu te souviendras de mon amour et tu devras connaître tout de mon mal intense…

De ce poème enivrant, il ne reste rien entre les deux.
Avec mon triste adieu, vous ressentirez l’émotion de ma douleur…

Qui est le compositeur de Poema ?

Vous pensez que la réponse est simple, mais ce n’est pas si certain, car il y a trois hypothèses.

La version traditionnelle

Antonio Mario Melfi pour la musique et Eduardo Vicente Bianco pour les paroles.

Partitions avec attributions traditionnelles. Partition espagnole avec Bianco en photo. Partition française (Garzon) avec Bianco et Melfi en photo. Disque Columbia Londres écrit en français de Pesenti et Nena Sainz. Partition Bianco (avec photo de Rosita Montenegro). Partition italienne, avec en plus le nom du traducteur U. Bertini.

Les partitions, en général, indiquent les deux noms et les mérites respectifs des auteurs. Remarquez le disque central. Il sera aussi, dans une autre édition, dans l’argument pour la variante…

Une variante :

Antonio Mario Melfi et Eduardo Vicente Bianco en collaboration pour les deux.

En faveur de cet argument, Melfi est compositeur et a écrit les paroles de certains tangos, notamment les siens. On peut donc le classer également comme parolier. Il a composé Volve muchacha qui a clairement des liens de parenté avec Poema.
Bianco est connu comme parolier et comme musicien. Certains de ces titres peuvent concorder avec celui de Poema, stylistiquement, bien que moins réussis. Par exemple Corazón (dont il existe quatre enregistrements par Bianco de 1929 à 1942). Je ne parle que de la composition, pas de l’interprétation, Canaro n’ayant pas enregistré d’autre tango composé par Bianco, on doit comparer avec les enregistrements de Bianco.
En faveur de cet argument, on a les disques qui ne différencient pas les deux contributions. En voici quelques exemples.

La majorité des disques ne distinguent pas les fonctions. À gauche, deux disques Brunswick du même enregistrement de Bianco (1937). Le premier indique les deux noms, sans différentiation et le second n’indique que Bianco… Au centre, notre Canaro de référence dans une édition argentine. Ensuite, Imperio Argentino et la mention des deux sans distinction de fonction et enfin à l’extrême droite, l’enregistrement de Pesenti et Nena Sainz, mais ici, sans le nom de la chanteuse et avec les auteurs sans attribution.

On voit donc qu’il est assez courant, que les auteurs ne soient pas précisément crédités. Le détail amusant est le disque de Pesenti et Nena Sainz qui entre dans les deux catégories.

Une version iconoclaste

Dans l’excellent site de référence « Bible tango », on peut lire :
« Selon Marcel Pasquier, qui ne cite pas sa source et ne s’en souvient plus, Melfi aurait acheté la musique à Boris Sarbek, le véritable compositeur, pour 50 francs français de l’époque. Et cette mélodie serait un thème traditionnel biélorusse. »
50 francs de l’époque, selon le calculateur de l’INSEE (Institut National de Statistiques France), cela correspondrait à 33,16 euros. Pour référence, un kilo de pain coûtait 2,15 francs en 1930. En gros, il aurait vendu sa création pour la valeur de 15 kilos de pain. Cela peut sembler peu, mais souvenez-vous que pour le prix d’un café, Mario Fernando Rada aurait écrit les paroles de Araca la cana si on en croit l’anecdote présentée dans le film Los tres berretines.
L’affirmation mérite d’être vérifiée. Boris Sarbek étant probablement un homme d’honneur, n’a probablement pas divulgué la vente de sa création qui d’ailleurs n’aurait été qu’une retranscription d’un thème traditionnel.
Il convient donc de s’intéresser à ce compositeur pour essayer d’en savoir plus.
Boris Sarbek (1897-1966) s’appelait en réalité Boris Saarbekoff et utilisait souvent le pseudonyme Oswaldo Bercas.
Voyons un peu ses prestations dans le domaine de la musique pour voir s’il est un candidat crédible.

Des musiques composées par Sarbek

Par ordre alphabétique. En bleu, les éléments allant dans le sens de l’hypothèse de Sarbek, auteur de Poema.
Compositions :
Ce soir mon cœur est lourd 1947
Concerto de minuit, classé comme musique légère
Czardas Divertimento 1959
Déception (avec Mario Melfi). C’est donc une preuve que les deux se connaissaient suffisamment pour travailler ensemble.
El Fanfarrón 1963
El queño
Furtiva lagrima 1962
Gaucho negro
Intermezzo de tango 1952
Je n’ai plus personne
Le tango que l’on danse
Linda brunita
Manuska
Mon cœur attendra 1948
Oro de la sierra
Où es-tu mon Espagne ?
Pourquoi je t’aime 1943
Près de toi ma Youka 1948
Rêvons ensemble 1947
Souffrir pour toi 1947
Tango d’amour
Tango maudit
Tendrement 1948

Des musiques arrangées par Sarbek

Bacanal 1961
C’est la samba d’amour 1950
Dis-moi je t’aime
Elia 1942
En forêt 1942
Gipsy fire 1958
Je suis près de vous 1943
Les yeux noirs (chanson traditionnelle russe). Si Poema est une musique biélorusse, cela témoigne de son intérêt pour ce répertoire.
Meditación 1963
Nuages
One kiss
Pampa linda 1956
Puentecito 1959
Rose avril 1947
Tango marcato 1963
Un roi à New York 1957 Il a réalisé les arrangements musicaux du film Un roi à New York de, et avec Charles Chaplin (Charlot). Chaplin a tout fait dans ce film, l’acteur, le metteur en scène et il a écrit la musique qu’a arrangée Sarbek. Ce dernier a aussi dirigé son grand orchestre pour la musique du film.
Valse minuit
Vivre avec toi 1950

Sarbek pianiste

Il est intervenu à la fois dans son orchestre, mais aussi pour différents groupes comme Tony Murena, Gus Viseur (l’accordéoniste), mais, car il était le pianiste de l’orchestre musette Victor.

Melfi récupérateur ?

Je place cela ici, car ce serait un argument si Mefli était coutumier de la récupération.
Reviens mon amour a été arrangé par Mario Melfi sur l’air de « Tristesse » de Frédéric Chopin.
Il a donc au moins une autre fois utilisé une mélodie dont il n’était pas à l’origine, mais il n’est pas le seul, les exemples fourmillent dans le domaine du tango.
Donc, Melfi n’est pas un récupérateur habituel.

Sarbek interprète de Poema

S’il est l’auteur, il est probable qu’il ait enregistré ce titre. C’est effectivement le cas.
Un enregistrement de Poema signé Boris Sarbek, ou plus exactement de son pseudonyme Oswaldo Bercas, circule avec la date de 1930. Si c’était vrai, ce serait probablement une preuve, Sarbek aurait enregistré deux ans avant les autres.
Je vous propose de l’écouter.

Poema – Oswaldo Bercas et son Ensemble Tipique (sic).

Pensez-vous que cela soit une musique des années 1930 ?
Pour en avoir le cœur net, je vous propose l’autre face du disque qui comporte une composition de Horacio G. Pettorossi, Angustia.

Angustia — Oswaldo Bercas et son Ensemble Tipique (sic).

Voici les photos des deux faces du disque.

Les numéros de matrice sont 2825-1 ACP pour Poema et 2829-1 ACP pour Ausencia.

Comme vous avez pu l’entendre et comme le confirment les numéros de matrice, les deux œuvres sont similaires et ne peuvent pas avoir un écart temporel de plus de vingt ans.
C’est au moins un argument qui tombe, nous n’avons pas d’enregistrement de 1930 de Sarbek et encore moins de Poema.

Un argument musical

N’était pas spécialiste de musique biélorusse, je ne pourrai pas mener une étude approfondie de la question.
Cependant, vous avez certainement noté, vers 1:18 du Poema de Sarbek, un thème qui n’est pas dans le Poema habituel et qui sonne assez musique slave. Est-ce un extrait du thème de référence que n’aurait pas conservé Melfi ?
Dans les autres portions de Poema, on est tellement habitué à l’entendre qu’il n’est pas sûr qu’on puisse encore y trouver des origines slaves. Cependant le fait que ce titre sonne un peu différemment des autres Canaro contemporains pourrait indiquer un élément hétérogène. En effet, il n’y a pas de Canaro avec Maida qui s’assemble parfaitement avec Poema. Canaro a sans doute sauté sur le succès international de cette œuvre pour l’enregistrer.
Au sujet d’international, il y a une version polonaise que nous entendrons ci-dessous. Les Polonais aurait pu être sensibles à la musique, mais ce n’est pas sûr, car à l’époque ils étaient sous la domination russe et ils n’en étaient pas particulièrement heureux…
J’ai un dernier témoin à faire venir à la barre, la première version enregistrée par Bianco, en 1932. Écoutez-bien, vers 1:34, vous reconnaîtrez sans doute un instrument étrange. Cet enregistrement est le premier de la rubrique « Autres versions » ci-dessous.

Autres versions

La tâche du DJ est vraiment difficile. Comment proposer des alternatives à ce que la plupart des danseurs considèrent comme un chef-d’œuvre absolu. Si vous êtes un fan de la Joconde, en accepteriez-vous une copie, même si elle est du même Leonardo Da Vinci ? À voir.

Poema 1932 – Orquesta Eduardo Bianco con Manuel Bianco.

Cette version commence par des cymbales, puis des violons très cinématographiques, puis un bandonéon qui gazouille. L’introduction dure au total plus d’une minute et le piano annonce comme si on ouvrait le rideau de la scène le morceau. Une fois « digérée » cette étonnante et longue introduction, on entre dans un Poema relativement classique. Avez-vous identifié l’instrument qui apparaît à 1:23, 1:31, 1:40, 1: 44 et à d’autres reprises comme 2: 44 avant le chant et en accompagnement de celui-ci ?

Vladimir Garodkin joue le canon en ré majeur de Johann Pachelbel. Tien à voir avec le tango, mais c’est pour vous faire entendre le tsimbaly

Le tsimbaly, pas courant dans le tango, pourrait être un argument pour l’hypothèse de l’origine biélorusse.

Poema 1933 – Imperio Argentina acomp. de guitarras, piano y violin.

Le violon domine l’introduction, puis laisse la place à la voix accompagnée par la guitare et quelques ponctuations du piano. Le violon reprend la parole et de très belle manière pour la reprise du thème et Imperio Argentina reprend la voix jusqu’à la fin. Je suis sûr que vous allez trouver cette version magnifique, jusqu’à l’arpège final au violon.

Poema 1933 – Orquesta Típica Auguste Jean Pesenti du Coliséum de Paris con Nena Sainz.

Une version plus marchante, moins charmante. Auguste Jean Pesenti a déjà adopté des codes qui deviendront les caractéristiques du tango musette. Je suis moins convaincu que par l’autre version féminine d’Imperio Argentino. À noter la partie récitée, qui était assez fréquente à l’époque, mais que nous acceptons moins maintenant.

Poema 1933-12 – Orchestre Argentin Eduardo Bianco con Manuel Bianco.

Une autre version de Bianco avec son frère, Manuel. Elle est beaucoup plus proche de la version de Canaro, en dehors de l’introduction des violons qui jouent un peu en pizzicati à la tzigane. La contrebasse marque fortement le tempo, tout en restant musicale et en jouant certaines phrases. C’est très différent de la version de Canaro et Maida, mais pas vilain, même si la contrebasse sera plus appréciée par les danseurs de tango musette, qu’argentin.

Comme une chanson d’amour (Σαν τραγουδάκι ερωτικό) 1933 — Orchestre Parlophon, dirigé par G. Vitalis, chant Petros Epitropakis (Πέτρος Επιτροπάκης).

Une version grecque, preuve que le titre s’est rapidement répandu. Il y aura même une version arabe chantée par Fayrouz et l’orchestre de Bianco enregistré en 1951. Malheureusement, ce titre n’existe pas dans les quelques disques que j’ai de cette merveilleuse chanteuse libanaise.

Poema 1934 – Stefan Witas.

Une version polonaise qui fait tirer du côté des origines des pays de l’Est, même si comme je l’ai souligné, les Polonais n’étaient pas forcément russophiles à l’époque.

Poema 1935-06-11 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida. C’est notre tango du jour.

On notera que Canaro entre directement dans le thème, sans introduction.

Poema 1937 – René Pesenti et son Orchestre de Tango con Alberto.

Un autre Pesenti. Est-ce le frère d’Auguste Jean Pesenti ?

Deux autres preuves du succès mondial de Poema que je peux vous proposer grâce à la gentillesse d’André Vagnon de la Bible Tango qui me les a fait parvenir.

Poema 1938 – Orchestre Arpad Tchegledy con Pauls Sakss, en Letton. Cadeau d’André Vagnon.

(Ajouté le 29 août 2024)

Poema 1951 (Men Hona Hobbona marra) – Orquesta Eduardo Bianco con Fairuz (en arabe). Cadeau d’André Vagnon.

(Ajouté le 29 août 2024)

Poema 1954c – Oswaldo Bercas (Boris Sarbek) et son Ensemble Tipique (sic).

Oswaldo Bercas est peut-être l’auteur, ou tout au moins le collecteur de la musique traditionnelle à l’origine de Poema. Si cette hypothèse est juste, il est donc intéressant de voir ce qu’il en a fait. Nous l’avons déjà écouté, lorsque certains essayaient de faire passer cet enregistrement pour une réalisation de 1930. À comparer à la version de Melfi enregistrée quelques mois plus tard.

Poema 1957 – Mario Melfi.

Qu’il soit l’auteur, pas l’auteur ou coauteur, ici, Melfi présente sa lecture de l’œuvre. C’est une version très originale, mais il faut tenir compte qu’elle est de 1957, il est donc impossible de la comparer aux versions des années 30. Cependant, la comparaison avec la version à peine antérieure de Sarbek est pertinente…

Poema (Tango insólito impro 22 Un poema romántico by Solo Tango Orchestra).

Avec cet orchestre russe, on est peut-être dans un retour dans cet univers dont est originaire, ou pas, la musique.
Pour terminer, une autre version actuelle, par la Romantica Milonguera qui a essayé de renouveler, un peu, le thème.

Poema par l’orchestre Romantica Milonguera. Chanteuse, Marisol Martinez.

La Romantica Milonguera commence directement sur le thème, sans l’introduction, comme Canaro.

À demain, les amis !

La endiablada 1955-06-10 — Orquesta Juan D’Arienzo

Pintín Castellanos (Horacio Antonio Castellanos Alves)

Pintín Castellanos fut un grand pourvoyeur de succès pour Juan D’Arienzo. La endiablada est un des témoignages de cette association. Cette milonga est instrumentale et il n’y a pas de paroles. Vous pouvez donc imaginer tout ce que vous voulez pour cette endiablada qui va vous entraîner sur la piste de danse à un rythme endiablé.

Extrait musical

La endiablada 1955-06-10 — Orquesta Juan D’Arienzo.

Même si elle alterne des moments de traspie et des moments de lisa, cette milonga peut s’avérer un peu fatigante à danser. Elle est probablement à réserver aux danseurs joueurs. C’est une des treize milongas écrites par Pintín Castellanos et jouées par D’Arienzo. De quoi faire au moins deux tandas de milonga…

Pas d’autre version, mais une belle collaboration entre Pintín y Juan

Comme D’Arienzo est le seul à avoir enregistré cette milonga, je vous propose un petit listing des œuvres de Pintín Castellanos interprétées par D’Arienzo.
Ce n’est pas bien compliqué à faire, d’ailleurs un disque 33 tours a été publié et regroupe ces titres.

Le disque « La puñalada, Homenaje a Pintín Castellano ». Ici, c’est la version équatorienne (Vik – 353007) mais il en existe une autre identique, mais éditée en Argentine (RCA Camden – CAL-3276).
  • A1 Don Horacio 1947-12-17 (tango)
  • A2 Peringundín 1953-09-18 — Alberto Echagüe
  • A3 El Potro 1949-12-19 (milonga)
  • A4 Barrio De Guapos 1958-06-12 (tango) — Jorge Valdez. Ce tango est aussi connu sons son autre titre, Nyanzas y malevos.
  • A5 Chaparron 1946-08-26 (milonga) — Alberto Echagüe.
  • A6 A Puño Limpio 1950-12-27 (milonga) — Alberto Echagüe
  • B1 La Puñalada 1951-09-12 (milonga). Il y a deux autres versions en 1937 et 1943 que nous avons déjà évoquées.
  • B2 Candombe Oriental 1941-04-28 (milonga) — Alberto Reynal
  • B3 El Temblor 1938-06-08 (milonga) — Alberto Echagüe
  • B4 La Endiablada 1955-06-10 (milonga). C’est notre milonga du jour.
  • B5 Me Gusta Bailar 1944-12-26 (milonga) — Alberto Echagüe. Le disque indique 1946 et coupe le titre qui est Me gusta bailar milonga.
  • B6 Meta Fierro 1939-03-03 (milonga) — Alberto Echagüe

Sur le disque, il manque trois titres, oubliés (volontairement, ou involontairement… :

  • Cajita de música 1940-06-07 (milonga) – Alberto Reynal
  • Candombe rioplatense 1943-12-27 (milonga) — Juan Carlos Lamas
  • Tirando a matar 1942-08-12 (milonga) — Héctor Mauré

On se rend compte que sur 15 titres, 13 sont des milongas

Voici comment Chicho et Juana l’ont dansée

Pour terminer avec un peu de mouvement, voici une interprétation de La endiablada par Mariano Chicho Frumboli et Juana Sepulveda. Vous allez voir que ce n’est pas si compliqué de danser la milonga 😉

Mariano Chicho Frumboli et Juana Sepulveda dansent La endiablada (2015-10-31). International Tango Festival PLANETANGO de Moscou (Russie).

La payanca 1936-06-09 — Orquesta Juan D’Arienzo

Augusto Pedro Berto Letra: Juan Andrés Caruso (V1) — Jesús Fernández Blanco (V2)

La payanca par D’Arienzo dans la version de 1936 est un des très gros succès des milongas. Peut-être vous-êtes-vous demandé d’où venait le nom de ce tango ? Si ce n’est pas le cas, laissez-moi vous l’indiquer t vous faire découvrir une vingtaine de versions et vous présenter quelques détails sur ce titre.

Extrait musical

Partition pour piano de la Payanca. Couverture originale à gauche et Partition de piano à droite avec les paroles de Jesús Fernández Blanco (les plus récentes).
La payanca 1936-06-09 — Orquesta Juan D’Arienzo.

C’est un des premiers enregistrements où Biagi se lâche. Le contrebassiste, Rodolfo Duclós marque un rythme à la « Yumba » qui deviendra une caractéristique de Pugliese. Les violons de Alfredo Mazzeo, León Zibaico, Domingo Mancuso et Francisco Mancini font des merveilles. Une version énergique, euphorisante, sans doute la toute première à utiliser pour faire plaisir aux danseurs.
On remarque qu’il est indiqué « Sobre motivos populares ». En effet, on reconnaîtra des thèmes traditionnels, notamment de gato (une sorte de chacarera), mais modifié en tango.
On remarquera également qu’il est indiqué « Tango Milonga », ce qui signifie que c’est un tango pour danser. Cependant, nous verrons que ce thème a également été basculé franchement du côté de la milonga pure et dure dans d’autres enregistrements.

Trois versions de couverture de la partition. À gauche, la plus ancienne, sans auteur de paroles. Au centre, avec les paroles de Caruso et à droite, avec les paroles de Blanco.

Origine du titre

Dans son livre, Así nacieron los tangos, Francisco García Jiménez, raconte que le tango est né lors d’une fête à la campagne en l’honneur d’une personnalité locale qui venait d’être élue triomphalement, des musiciens avaient joué des airs de l’intérieur, dont un gato (sorte de chararera) duquel il restait : « Laraira laralaila; laira laraira… ». Il est impossible de retrouver le gato à partir de cette simple indication, car laraira… c’est comme tralala. C’est ce que chantent les payadors quand ils cherchent leurs mots (ils chantaient en inventant les paroles à la volée). Certains textes de ces musiques ont été fixés et écrits par la suite et nombre d’entre eux comportent Laraira laralaila; laira laraira ou équivalent :

  • La,lara,laira,laira,la dans Pago viejo (chacarera, mais le rythme est proche du gato),
  • Lara lara laira larai ñarai lá dans Corazón alegre (bailecito)
  • Trala lará larala lará larala lará lará dans El pala pala (danse, danza)
  • Lará, larará, laraira, Lará, larará, laraira, dans Cabeza colorada
  • La ra lara la ra la la ra la ra la ra la dans La Sanlorencina (Cuenca)
  • La lalara la la la la la la La la lara la la la la la la La la lara la la lara la la dans Dios a la una (chanson).
  • Tra lara lara lara tra lara lero dans Que se vengan los chicos (Bailecito)
  • La lara la la la la La lara la la la la dans La chararera del adios (chacarera)
  • Larala larala lara lara lara lara lara dans Amigazo pa’ sufrir (huella)
  • La lara lara larará… lara lara larará… lara lara larará… dans Cantar de coya (Carnavalito)
  • Lara lara lara lara dans Muchacha de mayo (Chanson).

Je n’ai pas trouvé de gato avec l’indication, mais il est fort probable que Berto ait entendu une improvisation, le lara lara étant une façon de meubler quand les paroles ne viennent pas.
Donc Berto a entendu ce gato ou gato polqueado et il eut l’idée de l’adapter en tango. Lui à la guitare et Durand à la flûte l’ont adapté et joué. Ce titre a tout de suite été un succès et comme souvent à l’époque, il est resté sans être édité pendant onze années. Comme la plupart des orchestres jouaient le titre, il était très connu et les danseurs et divers paroliers lui ont donné des paroles, plus ou moins recommandables. N’oublions pas où évoluait le tango à cette époque.
Deux de ces paroles nous sont parvenues, celles de Caruso et celles de Blanco. Les secondes sont plus osées et correspondent assez bien à cet univers.
Il reste à préciser pourquoi il s’appelle payanca. Selon Jiménez, Berto aurait dit tout de go que ce tango s’appelait ainsi quand il fut sommé de donner un titre. Il semblerait que Berto ait donné sa propre version de l’histoire, en affirmant que le titre serait venu en voyant des gamins jouer avec un lasso à attraper des poules. Un adulte leur aurait crié « ¡Pialala de payanca!« , c’est-à-dire tire la avec un mouvement de payanca. Il indiquait ainsi la meilleure façon d’attraper la poule avec le lasso.
L’idée du lasso me semble assez bonne dans la mesure où les trois partitions qui nous sont parvenues illustrent ce thème.
Voici une vidéo qui montre la technique de la Payanca qui est une forme particulière de lancer du lasso pour attraper un animal qui court en le faisant choir.

Dans cette vidéo, on voit un pial (lancement du lasso) pour attraper un bovidé à l’aide de la technique « Payanca ». Elle consiste à lancer le lasso (sans le faire tourner) de façon à entraver les antérieurs de l’animal pour le déséquilibrer et le faire tomber. Âmes sensibles s’abstenir, mais c’est la vie du gaucho. Ici, un joli coup par le gaucho Milton Mariano Pino.

Pour être moins incomplet, je pourrai préciser que la payanca ou payana ou payanga ou payaya est un jeu qui se joue avec cinq pierres et qui est très proches au jeu des osselets. L’idée de ramasser les pierres en quechua se dit pallay, ce qui signifie collectionner, ramasser du sol. Que ce soit attraper au lasso ou ramasser, le titre joue sur l’analogie et dans les deux cas, le principe est de capturer la belle, comme en témoignent les paroles.

Paroles de Juan Andrés Caruso

¡Ay!, una payanca io
quiero arrojar
para enlazar
tu corazón
¡Qué va cha che!
¡Qué va cha che !
Esa payanca será
certera
y ha de aprisonar
todo tu amor
¡Qué va cha che !
¡Qué va cha che !
Por que yo quiero tener
todo entero tu querer.

Mira que mi cariño es un tesoro.
Mira que mi cariño es un tesoro.
Y que pior que un niño po’ ella « yoro »…
Y que pior que un niño po’ ella « yoro »…

Payanca de mi vida, ay, io te imploro.
Payanca de mi vida, ay, io te imploro,
que enlaces para siempre a la que adoro…
que enlaces para siempre a la que adoro…
Augusto Pedro Berto Letra: Juan Andrés Caruso

Augusto Pedro Berto Letra: Juan Andrés Caruso

Traduction libre des paroles de Juan Andrés Caruso

Yeh ! une payanca (payanca attraper au lasso). Moi, (Io pour yo = je), je veux lancer pour enlacer (enlacer du lasso…) ton cœur.
Que vas-tu faire ! (¿Qué va cha ché ? ou Qué vachaché Est aussi un tango écrit par Enrique Santos Discépolo)
Que vas-tu faire !
Cette payanca sera parfaite et emprisonnera tout ton amour.
Que vas-tu faire ?
Que vas-tu faire ?
Parce que je veux avoir tout ton amour.

Regarde, mon affection est un trésor.
Regarde, mon affection est un trésor.
Et quoi de pire qu’un enfant qui pleure pour elle…
Et quoi de pire qu’un enfant qui pleure pour elle…

Payanca de ma vie, oui, je t’en supplie (il parle à son coup de lasso pour attraper le cœur de sa belle).
Payanca de ma vie, oui, je t’en supplie,
que tu enlaces pour toujours celle que j’adore…
que tu enlaces pour toujours celle que j’adore…
La métaphore rurale et gauchesque est poussée à son extrémité. Il compare la capture du cœur de sa belle à une passe de lasso. Dans le genre galant, c’est moyen, mais cela rappelle que la vie du gaucho est une source d’inspiration pour le tango et en cela, je ne partage pas l’avis de Jorges Luis Borges pour quoi le tango est uniquement urbain et violent.

Paroles de Jesús Fernández Blanco

Con mi payanca de amor,
siempre mimao por la mujer,
pude enlazar su corazón…
¡Su corazón !
Mil bocas como una flor
de juventud, supe besar,
hasta saciar mi sed de amor…
¡Mi sed de amor !

Ninguna pudo escuchar
los trinos de mi canción,
sin ofrecerse a brindar
sus besos por mi pasión…
¡Ay, quién pudiera volver
a ser mocito y cantar,
y en brazos de la mujer
la vida feliz pasar !

Payanca, payanquita
de mis amores,
mi vida la llenaste
de resplandores…
¡Payanca, payanquita
ya te he perdido
y sólo tu recuerdo
fiel me ha seguido!

Con mi payanca logré
a la mujer que me gustó,
y del rival siempre triunfé.
¡Siempre triunfé!
El fuego del corazón
en mi cantar supe poner,
por eso fui rey del amor…
¡Rey del amor!

Jesús Fernández Blanco

Traduction, libre des paroles de Jesús Fernández Blanco

Avec ma payanca d’amour (je ne sais pas quoi en penser, admettons que c’est son coup de lasso, mais il peut s’agir d’un autre attribut du galant), toujours choyée par les femmes, j’ai pu enlacer ton cœur…
Ton cœur !
Mille bouches comme une fleur de jouvence, j’ai su embrasser, jusqu’à étancher ma soif d’amour…
Ma soif d’amour !

Aucune ne pouvait entendre les trilles de ma chanson, sans offrir ses baisers à ma passion…
Yeh, qui pourrait redevenir un petit garçon et chanter, et passer dans les bras de la femme, la vie heureuse !

Payanca, payanquita de mes amours (Payanca, petite payanca, on ne sait toujours pas ce que c’est…), tu as rempli ma vie de brillances…
Payanca, payanquita Je t’ai déjà perdue et seul ton souvenir fidèle m’a suivi !

Avec ma payanca, j’ai eu la femme que j’aimais, et du rival, j’ai toujours triomphé.
J’ai toujours triomphé !
J’ai su mettre le feu du cœur dans ma chanson (la payanca pourrait être sa chanson, sa façon de chanter), c’est pourquoi j’étais le roi de l’amour…
Le roi de l’amour !

Autres versions

La payanca 1917-05-15 — Orq. Eduardo Arolas con Pancho Cuevas (Francisco Nicolás Bianco).

Probablement la plus ancienne version enregistrée qui nous soit parvenue. Il y a un petit doute avec la version de Celestino Ferrer, mais cela ne change pas grand-chose. Pancho Cueva à la guitare et au chant et le tigre du Bandonéon (Eduardo Arolas) avec son instrument favori. On notera que si le tango fut composé vers 1906, sans paroles, il en avait en 1917, celles de Juan Andrés Caruso.

La payanca 1918-03-25 (ou 1917-03-12) — Orquesta Típica Ferrer (Orquesta Típica Argentina Celestino).

Le plus ancien enregistrement ou le second, car il y a en fait deux dates, 1917-03-12 et 1918-03-25. Je pense cependant que cette seconde date correspond à l’édition réalisée à New York ou Camdem, New Jersey. On remarquera que l’orchestre comporte une guitare, celle de Celestino Ferrer qui est aussi le chef d’orchestre, une flûte, jouée par E. Santeramo et un accordéon par Carlos Güerino Filipotto. Deux violons complètent l’orchestre, Gary Busto et L. San Martín. Le piano est tenu par une femme, Carla Ferrara. C’est une version purement instrumentale. Après avoir été un des pionniers du tango en France, Celestino Ferrer s’est rendu aux USA où il a enregistré de nombreux titres, dont celui-ci.

La payanca 1926-12-13 — Orquesta Típica Victor, direction Adolfo Carabelli.

Une version un peu plus moderne qui bénéficie de l’enregistrement électrique. Mais on peut mieux faire, comme on va le voir bientôt.

La payanca 1936-06-09 — Orquesta Juan D’Arienzo. C’est notre tango du jour.

J’ai déjà dit tout le bien que je pensais de cette version, à mon avis, insurpassée, y compris par D’Arienzo lui-même…

Trío de Guitarras (Iriarte-Pagés-Pesoa).

Le trio de guitares de Iriarte, Pagés et Pesoa ne joue pas dans la même catégorie que D’Arienzo. C’est joli, pas pour la danse, un petit moment de suspension.

La payanca 1946-10-21 — Roberto Firpo y su Nuevo Cuarteto.

Pour revenir au tango de danse, après la version de D’Arienzo, cette version paraît fragile, notamment, car c’est un quartetto et que donc il ne fait pas le poids face à la machine de D’Arienzo. On notera tout de même une très belle partie de bandonéon. La transition avec le trio de guitares a permis de limiter le choc entre les versions.

La payanca 1949-04-06 — Orquesta Juan D’Arienzo.

On retrouve la grosse machine D’Arienzo, mais cette version est plus anecdotique. Cela peut passer en milonga, mais si je dois choisir entre la version de 1936 et 1949, je n’hésite pas une seconde.

La payanca 1952-10-01 — Enrique Mora y su Cuarteto Típico.

Encore un quartetto qui passe après D’Arienzo. Si cette version n’est pas pour la danse, elle n’est pas désagréable à écouter, sans toutefois provoquer d’enthousiasme délirant… Le final est assez sympa.

La payanca 1954-11-10 — Orquesta Juan D’Arienzo.

Eh oui, encore D’Arienzo qui décidément a apprécié ce titre. Ce n’est assurément pas un grand D’Arienzo. Je ne sais pas si c’est meilleur que la version de 49. Par certains côtés, oui, mais par d’autres, non. Dans le doute, je m’abstiendrai de proposer l’une comme l’autre.

La payanca 1957-04-12 — Orquesta Héctor Varela.

On est dans tout autre chose. Mais cela change sans être un titre de danse à ne pas oublier. On perd la dimension énergique du gaucho qui conquiert sa belle avec son lasso pour plonger dans un romantisme plus appuyé. Cependant, cette version n’est pas niaise, le bandonéon dans la dernière variation vaut à lui seul que l’on s’intéresse à ce titre.

La payanca 1958 — Los Muchachos de antes.

Avec la guitare et la flûte, cette petite composition peut donner une idée de ce qu’aurait pu être les versions du début du vingtième siècle, si elles n’avaient pas été bridées par les capacités de l’enregistrement. On notera que cette version est la plus proche d’un rythme de milonga et qu’elle pourrait remplir son office dans une milonga avec des danseurs intimidés par ce rythme.

La payanca 1959 — Miguel Villasboas y su Quinteto Típico.

Les Uruguayens sont restés très fanatiques du tango milonga. En voici une jolie preuve avec Miguel Villasboas.

La payanca 1959-03-23 — Donato Racciatti y sus Tangueros del 900.

Oui, ce tango inspire les Uruguayens. Racciatti en donne également sa version la même année.

La payanga 1964 — Orquesta Osvaldo Pugliese.

Pas évident de reconnaître notre thème du jour dans la version de Pugliese. C’est une version perdue pour les danseurs, mais qu’il convient d’apprécier sur un bon système sonore.

La payanca 1964-07-29 — Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.

De la même année que l’enregistrement de Pugliese, on mesure la divergence d’évolution entre Pugliese et Canaro. Cependant, pour les danseurs, la version du Quinteto pirincho, dirigé pour une des toutes dernières fois par Canaro sera la préférée des deux…

La payanca 1966-07-25 — Orquesta Juan D’Arienzo.

D’Arienzo se situe entre Pugliese et Canaro pour cet enregistrement quasiment contemporain, mais bien sûr bien plus proche de Canaro. Ce n’est pas vraiment un titre de danse, mais il y a des éléments intéressants. Définitivement, je l’avoue, je reste avec la version de 1936.

La payanga 1984 — Orquesta Alberto Nery con Quique Ojeda y Víctor Renda.

Alberto Nery fut pianiste d’Edith Piaf en 1953. Ici, il nous propose une des rares versions chantées, avec les paroles de Jesús Fernández Blanco. Vous aurez donc les deux versions à écouter. Honnêtement, ce n’est pas beaucoup plus intéressant que l’enregistrement de Eduardo Arolas et Pancho Cuevas antérieur de près de 70 ans. On notera toutefois le duo final qui relève un peu l’ensemble.

La payanca 2005 — Cuarteto Guardia Vieja.

Pour terminer en fermant la boucle avec une version à la saveur début du vingtième siècle, je vous propose une version par le Cuarteto Guardia Vieja.

À demain, les amis !

Ilusión azul 1945-06-08 — Orquesta Alfredo De Angelis con Carlos Dante

Arquímedes Arci, paroles et musique

Hier, nous étions dans les éclats de cristal, aujourd’hui, dans l’illusion bleue. Les deux thèmes sont proches. En valse, les choses passent mieux, mais les paroles que propose Arquímedes Arcidiacono (Arci) sur sa propre musique méritent qu’on s’y attarde. On notera le très gros succès de ce titre, même en dehors de la petite sphère du tango.

De Arquímedes Arcidiacono (Arci) se connaissent deux compositions dont il est à la fois compositeur et parolier, Ilusión azul et Consejo de oro qui comme notre valse du jour a été inauguré par Agustín Magaldi.
Consejo de oro fut enregistrée par la suite par Pugliese et Ilusión azul a fait carrière avec De Angelis, mais de très nombreuses versions bien au-delà de la petite sphère du tango témoignent de l’engouement pour ce titre particulièrement réussi.
Ces deux seules œuvres connues dont il assure les deux rôles, de compositeur et d’auteur, témoignent de son grand talent. Ses paroles sont à la hauteur de sa musique.
De Arquímedes, on sait très peu pour ne pas dire rien. On connaît juste la date de sa mort, le 5 avril 1938, et c’est tout.

Extrait musical

Ilusión azul 1945-06-08 — Orquesta Alfredo De Angelis con Carlos Dante.

C’est le premier des deux enregistrements de De Angelis. Une valse rapide, avec des reprises d’énergie. Une valse irrésistible.

Partition pour piano de Ilusión azul de Arquímedes Arci.

On remarque que sur la partition, il est indiqué vals criollo. Ce n’est pas tout à fait un synonyme de valse et cette indication a de l’importance. Tout d’abord, pour le musicien, qui sait que cela signifie un type d’accompagnement particulier. Pour les guitaristes, cela s’effectue par deux mouvements vers le bas et un vers le haut de la main droite, ce qui rend tout à fait différemment de l’accompagnement classique de la valse. Ceux qui connaissent le folklore pourront ressentir l’envie de frapper dans les mains, car cela rappelle l’introduction de la chacarera (par exemple). Attention, je n’ai pas dit que c’était le même rythme, seulement que c’est la même sensation de pseudo syncope…
L’autre point est que cette indication fait verser le titre dans le domaine du folklore. Ce n’est pas une obligation, mais les joueurs, notamment de guitare folklorique, vont s’emparer plus facilement de cette partition et cela explique sans doute le destin de cette valse, comme nous allons le voir avec les autres versions.

Paroles

Altiva y soberbia, cual diosa pagana,
pasaste a mi lado mostrando el rencor
y desde aquel día yo sé que he perdido,
la gloria inefable de un sueño de amor.
No extraño tus besos que fueron fingidos,
ni extraño tus labios de raro dulzor…
ni me sorprende tu enorme falsía,
porque son hermanas: mujer y traición.

Yo tan sólo siento
de todo tu enojo,
el traidor embrujo
que tienen tus ojos.
Ojos que fueron estrellas que guiaron mi alma,
que me roban calma si me niegan crueles
cuando ansioso busco su mirar de amor.
Ojos que fueron las redes donde prisionero,
te adoré sincero y me han hecho esclavo,
al poner en mi alma la azul ilusión.
Pero tu alma, desdeñosa y fría,
no sabía de amores para mi dolor.
Fueron tus ojos los que me mintieron
tan engañadores, como aquel fulgor.
Y ahora arrastro la cadena
del recuerdo triste
del pasado hermoso,
al vivir dichoso
en los dorados brazos
de aquella ilusión.

Amores fingidos son, cual mariposa,
como ella engañosa que igual que una flor
nos mienten cariño, nos hieren el alma,
se llevan la esencia y nos dejan dolor.
Pero yo no siento el dolor de la herida
que abrió dentro mi alma tu negra traición,
tan sólo me duele el fulgor de tus ojos,
que ayer me miraron con tierna pasión.

Arquímedes Arci, paroles et musique

Traduction libre

Hautaine et arrogante, comme une déesse païenne, tu es passée à côté de moi en montrant du ressentiment et depuis ce jour je sais que j’ai perdu la gloire ineffable d’un rêve d’amour.
Je ne regrette pas tes baisers qui étaient feints, je ne regrette pas tes lèvres d’une rare douceur… et je ne suis pas surpris par ton énorme mensonge, parce qu’elles sont sœurs : femme et trahison. (je précise que je ne suis pas solidaire de ce qui est écrit ici)

Je ressens seulement ta colère, le traître sortilège qu’ont tes yeux.
Des yeux qui furent des étoiles qui guidaient mon âme, qui me volaient le calme quand ils se refusaient cruellement quand je cherchais anxieusement leur regard d’amour.
Des yeux qui étaient les filets où j’étais prisonnier, je t’ai adoré sincèrement et me suis fait esclave, en mettant dans mon âme l’illusion bleue.
Mais ton âme, dédaigneuse et froide, ne connaissait pas d’amour pour ma douleur.
Ce sont tes yeux, ceux qui m’ont menti, aussi trompeurs que cette lueur éblouissante.
Et maintenant, je traîne la chaîne du triste souvenir du beau passé, vivant heureux dans les bras dorés de cette illusion.

Ce sont des amours feints, comme un papillon, comme elle, trompeuse, qui, comme une fleur, nous illusionnent d’affection, blessent notre âme, nous enlèvent l’essence et nous laissent de la douleur.
Mais je ne sens pas la douleur de la blessure qu’a ouverte dans mon âme ta noire trahison, je suis seulement peiné par l’éclat de tes yeux, qui hier me regardaient avec une tendre passion.

Autres versions

Ilusión azul 1933-08-07 — Dúo Agustín Magaldi y Pedro Noda con guitarras.

Le duo de chanteurs vedettes interprète ce titre avec brio. Ils inaugurent une typologie qui sera reprise par de nombreux orchestres de folklore argentin, mais pas que. Nous en verrons quelques exemples.

Ilusión azul 1945-06-08 — Orquesta Alfredo De Angelis con Carlos Dante. C’est notre valse du jour.
Ilusión azul 1964-04 — Orquesta Alfredo De Angelis con Juan Carlos Godoy y Roberto Mancini.

Une superbe version qui reprend le duo, comme Magaladi et Noda. Petite anecdote, jusqu’à il y a 25 ans, j’avais les deux versions, mais celle de 1964 n’avait pas la totalité de son intro. J’avais donc fait un montage en modifiant la sonorité de la version de 1945, pour insérer les secondes qui manquaient. Je viens de réécouter cette chimère. Ce n’est pas si mal, mais je suis content d’avoir désormais une version intégrale de 1964.
C’est intéressant pour étudier l’évolution du style de De Angelis en une dizaine d’années.

Ilusión azul 1974 — Los Cantores del Alba.

Quand je vous annonçais la récupération par le domaine du folklore, en voici un premier exemple. Les puristes et les grognons diront que ce n’est pas du tango et que ce n’est pas dansable. Pour une fois, je suis un peu d’accord, mais à cause de la pause intermédiaire qui peut poser des problèmes aux danseurs…

Ilusión azul 1985c — Arboleda y Valencia.

Ce duo colombien est surtout connu pour leur grand succès, la valse El Camino de la vida (1991).

Ilusión azul — Diana Maria y Luz Aida.

Deux sœurs colombiennes qui chantent ensemble. On peut également entendre leur frère, Oscar Ivan. Encore un exemple du courant colombien qui porta cette valse. Attention, il ne faudrait pas confondre, cette Luz Aida, avec la célèbre actrice argentine qui intervient, par exemple dans Loco lindo (1936) et qui enregistra quelques tangos.

Ilusión azul 1962c — Lalo Martel accompagné de Osvaldo Requena y Los Reyes del Tango.

Lalo est le frère de Julio Martel. Leur style est assez proche.
Erratum, 2024-06-12
Dans la V1 de cet article, j’avais reproduit deux fois ce titre. Une fois sous le nom de Julio Martel et une autre avec la mention Cuarteto Palais de Glace. Les deux datés de 1962c. Voici l’explication de mon erreur. Merci à Fred Alard TDJ et Gérard Cardonnet d’avoir attiré mon attention sur ce titre.
En fait, j’avais les deux identifications dans ma discothèque. Une bien labelisée, avec Lalo Martel et une que j’avais numérisé il y a trente ans à partir d’un disque vinyle du Cuarteto Palais de Glace. Lors de l’opération, il m’avait échappé les petits caractères qui indiquaient :

En el lado B, tema 2, Ilusión azul (Vals) no fue interpretado por el Cuarteto Palais de Glace sino por Lalo Martel acompañado por Osvaldo Requena y Los reyes del tango.

Sur la face B, le deuxième titre, Ilusión azul (Valse) n’a pas été interprété par le Quartette Palais de Glace, mais par Lalo Martel accompagné de Osvaldo Requena y Los Reyes del Tango.
Désolé de l’erreur, pendant des années, j’ai annoncé Palais de Glace dans les milongas alors que c’était Los Reyes del Tango.
Détail amusant, personne n’avait remarqué que le titre était présenté deux fois et les commentaires élogieux sur cette musique s’adressaient à la version étiquetée Palais de Glace et aucun à celle, totalement identique, étiquetée Lalo Martel

Ilusión azul 1984c — Hernan y Jose Arbey.

Encore un duo, encore des Colombiens.

Ilusión azul 1985c — Los Romanceros de America.

Encore des Colombiens. Quatre guitares. Ils ont enregistré suffisamment de valses pour faire une belle tanda, pour les danseurs qui aiment sortir des sentiers battus.

Ilusión azul 1985c — Los Patuma.

Je vous laisse deviner de quel pays ils viennent…

La Colombie, bravo, vous avez trouvé…

Ilusión azul 1985c — Los Cantores del Sur.

Perdu, ils sont Chiliens….

Ilusión azul 1991c — Los Cantores de Antaño.

Une version très typée années 90 de la musique de variété, avec la batterie et les sons étranges de l’orgue électronique. Je le propose plus pour la curiosité et parce qu’ils renforcent mon équipe colombienne…

Ilusión azul 2010c — Los Gentiles y Grupo Transparencias.

Je ne vous demande pas d’où ils sont, car vous avez déjà deviné. Ils sont colombiens.

Ilusión azul 2010-10 — Fabio Hager Sexteto.

Une version instrumentale, type musique classique. La qualité des musiciens permet de voir la qualité d’écriture du titre, mais bien sûr, les danseurs préféreront une des versions traditionnelles.

Ilusión azul 2015c – Trio Quitasueño.

Encore un orchestre… colombien.  Leur nom est amusant. Ils quittent le sommeil. Dans ce contexte, j’imagine que c’est leur musique qui empêche de dormir… Le terme quitasueño s’utilise aussi quand des soucis empêchent de dormir.

Ilusión azul 2021c — Full Circle Trio.

Pour terminer avec la version la plus originale et la question les plus difficiles :
1 Quel est l’instrument principal de cette version ?
2 De quel pays sont les musiciens ?

Réponses…

Si vous avez répondu le Marimba ou quelque chose d’approchant, bravo, vous ferez un bon danseur voire un bon DJ.
Si vous avez répondu Colombie, vous êtes un bon lecteur, mais vous avez perdu, c’est USA…

Full Circle Trio, avec Jack Van Geem (marimba), Robert Wright (contrebasse) et Raymond Froelich (percussions).

À noter qu’ils ont fait un disque de tango. Peut-être à recommander à ceux qui ont du mal à repérer quand poser les pieds 😉

À demain, les amis.

Cristal 1944-06-07 — Orquesta Aníbal Troilo con Alberto Marino

Mariano Mores Letra : José María Contursi

La musique de Cristal est de celles qui marquent les esprits et les cœurs. La force de l’écriture fait que la plupart des versions conservent l’ambiance du thème original. Cependant, nous aurons des petites surprises. Je vous présente, Cristal de Mariano Mores avec des paroles de Contursi, mais pas que…

Extrait musical

Cristal 1944-06-07 — Orquesta Aníbal Troilo con Alberto Marino.

Une très jolie descente répétée lance cette version. Les notes deviennent de plus en plus graves en suivant une gamme mineure. Cela donne une imposante présence au thème. L’introduction se développe, puis après 30 secondes se développe le thème principal. Celui que Alberto Marino chantera à partir de 1’20.

Paroles

Tengo el corazón hecho pedazos,
rota mi emoción en este día…
Noches y más noches sin descanso
y esta desazón del alma mía…
¡Cuántos, cuántos años han pasado,
grises mis cabellos y mi vida!
Loco… casi muerto… destrozado,
con mi espíritu amarrado
a nuestra juventud.

Más frágil que el cristal
fue mi amor
junto a ti…
Cristal tu corazón, tu mirar, tu reír…
Tus sueños y mi voz
y nuestra timidez
temblando suavemente en tu balcón…
Y ahora sólo se
que todo se perdió
la tarde de mi ausencia.
Ya nunca volveré, lo sé, lo sé bien, ¡nunca más!
Tal vez me esperarás, junto a Dios, ¡más allá!

Todo para mí se ha terminado,
todo para mí se torna olvido.
¡Trágica enseñanza me dejaron
esas horas negras que he vivido!
¡Cuántos, cuántos años han pasado,
grises mis cabellos y mi vida!
Solo, siempre solo y olvidado,
con mi espíritu amarrado
a nuestra juventud…

Mariano Mores Letra: José María Contursi

Traduction libre

Mon cœur est en morceaux, mon émotion est brisée en ce jour…
Des nuits et encore des nuits sans repos et ce malaise de mon âme…
Combien, combien d’années se sont écoulées, grisonnant mes cheveux et ma vie !
Fou… presque mort… détruit, avec mon esprit amarré à notre jeunesse.

Plus fragile que le verre était mon amour avec toi…
De cristal, ton cœur, ton regard, ton rire…
Tes rêves et ma voix et notre timidité tremblant doucement sur ton balcon…
Et seulement maintenant, je sais que tout a été perdu l’après-midi de mon absence.
Je n’y retournerai jamais, je sais, je le sais bien, plus jamais !
Peut-être m’attendrez-vous, à côté de Dieu, au-delà !

Tout pour moi est fini, tout pour moi devient oubli.
Tragique enseignement que m’ont laissé ces heures sombres que j’ai vécues !
Combien, combien d’années se sont écoulées, grisonnant mes cheveux et ma vie !
Seul, toujours seul et oublié, avec mon esprit amarré à notre jeunesse…

Autres versions

Cristal 1944-06-03 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán.

Canaro ouvre le bal avec une version tonique et assez rapide. Le début spectaculaire que nous avons vu dans la version de Troilo est bien présent. On remarquera la présence de l’Orgue Hammond et sa sonorité particulière, juste avant que chante Carlos Roldán. Ce dernier est par moment accompagné par le vibraphone.

Cristal 1944-06-07 — Orquesta Aníbal Troilo con Alberto Marino. C’est notre tango du jour.
Cristal 1944-06-30 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Oscar Serpa.

Fresedo ne pouvait pas passer à côté de ce thème qui semble avoir été écrit pour lui. La structure est très proche de celles de Canaro et Troilo, mais avec sa sonorité. La voix de Serpa, plus tranchante que celle de Ray et Ruiz, donne un caractère toutefois un peu différent à cette interprétation de Fresedo.

Cristal 1957 — Dalva de Oliveira con acomp. de orquesta.

L’introduction est raccourcie et Dalva de Oliveura chante quasiment tout de suite. Vous aurez sans doute remarqué que cette version était chantée en Portugais avec quelques variantes. Vous trouverez le texte en fin d’article. L’orchestre peut être celui de Francisco Canaro, car elle a enregistrée en 1957 avec lui, mais ce n’est pas sûr.

Cristal 1957-02-01 — Orquesta Mariano Mores con Enrique Lucero.

Mariano Mores enregistre sa création. Mariano Mores se passe de sa spectaculaire introduction pour jouer directement son thème principal. Le piano fait le lien entre les différents instruments, puis Enrique Lucero entre scène. Lucero a une belle voix, mais manque un peu de présence, associé à un orchestre léger et sans doute trop poussé à des fantaisies qui fait que cette version perd un peu de force dramatique. On verra avec des versions suivantes que Mores corrigera le tir, du côté chant, mais pas forcément du côté orchestral.

Cristal 1958 — Albertinho Fortuna com Alexandre Gnattali e a sua orquestra.

Là encore, voir en fin d’article le texte en portugais brésilien.

Cristal 1961 — Astor Piazzolla Y Su Quinteto Con Nelly Vázquez.

Piazzolla enregistre à plusieurs reprises le titre. Ici, une version avec Nelly Vázquez. On est dans autre chose.

Cristal 1962-04-27 — Orquesta Armando Pontier con Héctor Dario.

Armando Pontier nous livre une version sympathique, avec un Héctor Dario qui lance avec énergie le thème.

Cristal 1965 — Ranko Fujisawa. Avec l’orchestre japonais de son mari,

Ranko nous prouve que le tango est vraiment international. Elle chante avec émotion.

Cristal 1978-08-01 — Roberto Goyeneche con Orquesta Típica Porteña arr. y dir. Raúl Garello.

Goyeneche a enregistré de nombreuses fois ce titre, y compris avec Piazzolla. Voici une de ses versions, je vous en présenterai une autre en vidéo en fin d’article. On voit que Piazzolla est passé par là, avec quelques petites références dans l’orchestration.

Cristal 1984c — Claudia Mores con la Orquesta de Mariano Mores.

Mariano revient à la charge avec Claudia, sa belle-fille. En effet, elle était mariée à Nico, le fils de Mariano. On retrouve l’orgue Hammond de Canaro dans cette version. Si elle est moins connue que son mari, il faut lui reconnaître une jolie voix et une remarquables expressivité.

Cristal 1986 — Mariano Mores y su Orquesta con Vikki Carr.

Une rencontre entre Vikki Carr qui a habituellement un répertoire différent. On notera que l’orchestre est plus sobre que dans d’autres versions, même, si Mores ne peut pas s’empêcher quelques fantaisies.

Cristal 1994 — Orquesta Mariano Mores con Mercedes Sosa.

Attention, pure émotion quand la Negra se lance dans Cristal. Sa voix si particulière, habituée au folklore s’adapte parfaitement à ce thème. Attention, il y a un break (silence) très long, ne perdez pas la fin en coupant trop vite. Avec cette version, on peut dire que Mores, avec ces trois femmes, a donné de superbes versions de sa composition, d’un caractère assez différent de ce qu’ont donné les autres orchestres, si on excepte Piazzolla et ce qui va suivre.

Cristal 1994 — Susana Rinaldi con acomp. de orquesta.

La même année encore une femme qui donne une superbe version du thème de Mores. Là, c’est la voix qui est essentielle. Une version étincelante qui pourrait rappeler Piaf dans le vibrato de la voix.

Cristal 1998 — Orquesta Néstor Marconi con Adriana Varela.

Oui, encore une femme, une voix différente. L’empreinte de Piazzolla est encore présente. Néstor Marconi propose un parfait accompagnement avec son bandonéon. Vous le verrez de façon encore plus spectaculaire dans la vidéo en fin d’article.

Cristal 2010c — Aureliano Tango Club. Une introduction très originale à la contrebasse.

On notera aussi la présence de la batterie qui éloigne totalement cette version du tango traditionnel.

Versions en portugais

Voici le texte des deux versions en portugais que je vous ai présentées.

Paroles

Tenho o coração feito em pedaços
Trago esfarrapada a alma inteira
Noites e mais noites de cansaço
Minha vida, em sombras, prisioneira
Quantos, quantos anos são passados
Meus cabelos brancos, fim da vida
Louca, quase morta, derrotada
No crepúsculo apagado lembrando a juventude
Mais frágil que o cristal
Foi o amor, nosso amor
Cristal, teu coração, teu olhar, teu calor
Carinhos juvenis, juramentos febris
Trocamos, docemente em teu portão
Mais tarde compreendi
Que alguém bem junto a ti
Manchava a minha ausência
Jamais eu voltarei, nunca mais, sabes bem
Talvez te esperarei, junto a Deus, mais além

Haroldo Barbosa

À propos de la version d’Haroldo Barbosa

Le thème des paroles d’Haroldo Barbosa est semblable, mais ce n’est pas une simple traduction. Si la plupart des images sont semblables, on trouve une différence sensible dans le texte que j’ai reproduis en gras.
« Plus tard, j’ai réalisé que quelqu’un juste à côté de toi avait souillé mon absence.
 Je ne reviendrai jamais, plus jamais, tu sais. Peut-être que je t’attendrai, avec Dieu, dans l’au-delà ».
Contrairement à la version de Contursi, on a une cause de la séparation différente et là, c’est lui qui attendra auprès de Dieu et non, elle qui attendra peut-être.

Roberto Goyeneche et Néstor Marconi, Cristal

Et pour terminer, la vidéo promise de Goyeneche et Marconi. Cette vidéo montre parfaitement le jeu de Marconi. Hier, nous avions Troilo à ses tout débuts, là, c’est un autre géant, dans la maturité.

Roberto Goyeneche Néstor Marconi et Ángel Ridolfi (contrebasse) dans Cristal de Mariano Mores et José María Contursi. Buenos Aires, 1987.

À demain, les amis!

Araca la cana 1933-06-06 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray

Enrique Delfino Letra: Mario Fernando Rada

Voici un des gros succès des encuentros milongueros. Mais les danseurs qui se jettent sur ce titre ne savent peut-être pas que Troilo est le premier à l’avoir enregistré, oui, monsieur, oui, madame, avant Fresedo… De plus, je peux même vous montrer le film où il joue ce titre. N’hésitez pas à la tentation de voir le jeune Pichuco à l’œuvre avec son bandonéon en fin d’article.

L’expression Araca la cana peut sembler mystérieuse. Je vous donnerai sa signification dans la traduction des paroles.
Je vous propose d’écouter maintenant notre tango du jour.

Extrait musical

Araca la cana 1933-06-06 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray

Paroles

¡Araca la cana!
Ya estoy engriyao…
Un par de ojos negros me han engayolao.
Ojazos profundos, oscuros y bravos,
tajantes y fieros hieren al mirar,
con brillos de acero que van a matar.
De miedo al mirarlos el cuor me ha fayao.
¡Araca la cana! ya estoy engriyao.

Yo que anduve entreverao
en mil y una ocasión
y en todas he guapeao
yo que al bardo me he jugao
entero el corazón
sin asco ni cuidao.
Como un gil vengo a ensartarme
en esta daga que va a matarme
si es pa’ creer que es cosa’e Dios
que al guapo más capaz
le faye el corazón.

Enrique Delfino Letra : Mario Fernando Rada

Traduction libre et indications

Araca la cana ! (En français, on dirait, 22 ou 22 voilà les flics, la police. C’est un cri d’alarme signalant un danger). Je suis déjà derrière les barreaux (en prison)
Une paire d’yeux noirs m’a emprisonné. Des yeux profonds, sombres et féroces, vifs et féroces, qui blessent quand ont les regarde, avec des éclairs d’acier qui vont tuer.
De peur, en les regardant, le cœur m’a manqué.
Araca la cana ! Je suis déjà engrillagé. Moi qui ai été impliqué en mille et une occasions et dans toutes, j’ai affronté, moi, qui naturellement ai misé tout mon cœur sans répugnance ni précaution.
Comme un cave (type quelconque, ne connaissant pas le milieu, la pègre), je viens m’embrocher sur ce poignard qui me tuera si c’est pour croire que c’est la chose de Dieu qu’au plus beau et plus capable, le cœur lui manque (fait défaut).

Autres versions

Nous verrons les deux premières versions en fin d’article, car elles sont dans le film Los tres berretines.

Araca la cana 1933-06-06 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray. C’est notre tango du jour.
Araca la cana 1933-06-12 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, Domingo Riverol, Domingo Julio Vivas, Horacio Pettorossi (guitarras).

Un tout petit peu après Fresedo, Gardel enregistre sa version.

Araca la cana 1933-06-16 – Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá.

Canaro n’est jamais en retard quand il s’agit d’enregistrer un succès. Voici donc sa version. Avec des passages doux et lyriques, pas si fréquents dans cette période de son orchestre. Peut-être l’influence de Fresedo dont la version dans le film était sortie le mois précédent.

Araca la cana 1951 – Edmundo Rivero con orquesta dir. por Victor M. Buchino.

Une version qui n’est probablement pas pour les cardiaques. En effet, le démarrage de Edmundo Rivero après une introduction longue surprend. Bien sûr, ce n’est pas une version de danse.

Bébé Troilo

Le film annoncé en début d’article, s’apppelle Los tres berretines. Berretin a plusieurs sens qui vont de caprice, loisir, caprice amoureux à passion… Dans le cas du film, ce sont les trois passions des Portègnes, à savoir, le ciné, le football et… le tango. Pour être précis, dans la pièce de théâtre antérieure, c’était le tango, le football et… la radio. Mais pour faire un film, c’était mieux de mettre le cinéma au cœur de l’action.
C’est le deuxième film sonore argentin, sorti le 19 de mai 1933, soit une semaine après Tango que nous avons déjà évoqué à propo de El Cachafaz et presque un mois avant l’enregistrement de notre tango du jour par Fresedo et Ray.
Il a été dirigé par Enrique Telémaco Susini à partir d’un scénario de Arnaldo Malfatti et Nicolás de las Llanderas. L’extrait que je vais vous présenter présente le tango du jour, interprété par un orchestre imaginaire, EL Conjunto Nacional Foccile Marafiotti. Vous reconnaîtrez sans mal le jeune bandonéoniste, alors âgé de 18 ans, Aníbal Troilo. Il s’agit du second plus ancien enregistrement de lui dont nous disposons, le plus ancien étant avec Carlos Gardel (La que nunca tuvo novio de 1931).
Osvaldo Fresedo faisait aussi partie de l’équipe du film, il était donc parfaitement légitime pour enregistrer ce titre.
L’intrigue du film est autour des passions des enfants d’un quincaillier. Les affaires de la quincaillerie ne sont pas brillantes et le père se désespère de voir ses enfants délaisser l’entreprise familiale pour leurs passions. Nous nous intéressons à la partie tango du film avec un des fils, joué par Luis Sandrini qui veut devenir compositeur de tango.

Extraits du film Los tres berretines

Affiche du film Los tres berretines. Elle annonce que c’est le premier film parlant, mais c’est en fait le second, tango étant sorti la semaine d’avant.

Troilo, qui a donc l’honneur, à 18 ans, de jouer dans le second film sonore argentin apparaît jouant à la moitié du film qui dure moins d’une heure. Je vous propose plusieurs extraits permettant de voir comment était composé et lancé un tango au début de l’âge d’or.
Dans le premier extrait, Aníbal Troilo joue avec le violoniste Vicente Tagliacozzo. José María Rizutti, le pianiste s’entend, mais ne se voit pas.
Pour corriger cette injustice, je vous propose un autre extrait où on le voit jouer Araca la cana, ou plutôt ce qui va le devenir, au piano. Il le joue sous la dictée sifflée de Luis Sandrini. (qui ressemble à Enrique Delfino, l’auteur du tango du jour).
La naissance d’un tango, c’est aussi l’écriture des paroles. Ici, on voit un poète (qui n’est pas joué par Mario Fernando Rada l’auteur des paroles). La tasse de café au lait devant le poète, c’est le prix payé pour les paroles. La transcription de la musique ayant été payée 5 pesos un peu plus tôt dans le film à José María Rizutti qui avait joué sous la dictée sifflée par Luis Sandrini dans la scène du piano.
Dès les paroles terminées, les musiciens et le chanteur (Luis Díaz) se ruent au balcon réservé aux orchestres. On peut ainsi entendre la première version de Araca la Cana avec Aníbal Troilo (bandonéon) Vicente Tagliacozzo (violon) José María Rizutti (piano) et Luis Díaz (chant).
Le dernier extrait, c’est l’orchestre de Osvaldo Fresedo jouant le titre sur la scène d’un bal et la scène finale du film. Le berretin « tango » aura ainsi aidé à sauver l’entreprise familiale.

Extraits choisis par DJ BYC Bernardo du film Los tres berretines.

Sinsabor 1939-06-05 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Lita Morales

Ascanio Ernesto Donato Letra : Adolfo Antonio Vedani

Il y a quelques semaines, je suis tombé sur un article qui disait que Tita Merello avec «Yo soy así», avait donné une place aux femmes dans le tango. Il me semble que c’est aller un peu vite en besogne, car les femmes en sont des interprètes de la première heure, Flora Gobbi, Rosita Quirogan, Ada Falcón, Anita Palmero, Azucena Maizani, Nelly Omar, Mercedes Simone, Lita Morales, Libertad Lamarque, Tania, María Graña, Susana Rinaldi, Virginia Luque, Eladia Blázquez, Nina Miranda, Impreio Argentina, Olga Delgrossi et bien sûr et pas des moindres, Tita Merello. Aujourd’hui, c’est Lita qui nous parle de tango.

Pourquoi cette impression que les femmes ne sont pas dans l’univers du tango ?

Je pense que cette vision a trois causes. La première est que les femmes ont eu une place importante comme chanteuses, mais pas réellement comme chefs d’orchestre ou musiciennes. Aujourd’hui, beaucoup de danseurs connaissent et reconnaissent les orchestres, mais très peu, les chanteurs et quand ils le font, c’est souvent, car ce sont des « couples » que l’on est habitué à associer à un orchestre, comme D’Agostino-Vargas, Troilo-Fiorentino ou Rodriguez-Moreno. S’ils entendent Fiorentino avec un autre orchestre, pas sûr qu’ils le reconnaissent.

Les femmes ont plus souvent chanté des versions à écouter que des versions à danser. Je n’ai pas d’explication sur cette raison, d’autant plus que la voix de femme dans un registre plus aiguë laisse de la place aux instruments plus graves qui marquent généralement la pulsation, Main gauche au piano, contrebasse, bandonéon… La preuve est que des versions chantées de bout en bout par des femmes sont parfaitement dansables alors que par le même orchestre et à la même époque, une version chantée par un homme n’est qu’à écouter. Voir par exemple les enregistrements de Canaro qui a de nombreux exemples de titres enregistrées deux ou trois fois, pour l’écoute et pour la danse, par un homme ou une femme.

Une autre cause vient sans doute d’un excès de machisme dans le domaine. Les hommes ont occupé la place, laissant peu de places aux femmes en dehors des thèmes des tangos. Là, elles n’ont pas toujours le beau rôle, comme en témoigne notre tango du jour.

Dans l’idée de lever un coin du voile et vous montrer qu’il y a de nombreuses femmes dans l’univers de tango, je vous propose aujourd’hui quelques chanteuses, mais pour l’instant, concentrons-nous sur le phénomène Lita Morales.
Avant d’écouter notre tango du jour, sachez qu’il existe un autre tango du même titre, Sin sabor joué par Tito Francia qui en est le compositeur avec des paroles de Pedro Tusoli. Je ne pourrai pas vous le faire écouter, n’ayant pas le disque…

Extrait musical

Sinsabor 1939-06-05 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Lita Morales.

Je pense que nous sommes nombreux à aimer ce duo magnifique, cette musique entraînante. La tristesse des paroles passe très bien et n’entame pas la bonne humeur des danseurs. Une valeur sûre pour les milongas. La musique est en mode majeur. L’orchestre expose le thème, puis Horacio Lagos prend la parole. Lita Morales le rejoint ensuite pour former un duo et finalement, l’orchestre termine le tango. La structure est très simple, comme l’orchestration. C’est une belle version qui brille par sa simplicité et sa légèreté.

Paroles

Llevando mi pesar
Como una maldición
Sin rumbo fui
Buscando de olvidar
El fuego de ese amor
Que te imploré
Y allá en la soledad
Del desamparo cruel
Tratando de olvidarte recordé
Con la ansiedad febril
Del día que te di
Todo mi ser
Y al ver la realidad
De toda tu crueldad
Yo maldecí
La luz de tu mirar
En que me encandilé
Llevado en mi ansiedad de amar
Besos impregnados de amargura
Tuve de tu boca en su frialdad
Tu alma no sintió mi fiel ternura
Y me brindó con su rigor, maldad
Quiero disipar toda mi pena
Busco de calmar mi sinsabor
Siento inaguantable esta cadena
Que me ceñí al implorar tu amor

Ascanio Ernesto Donato Letra : Adolfo Antonio Vedani

Horacio Lagos chante le début, seul, puis Lita Morales se rajoute pour chanter en duo ce qui est en gras.

Traduction libre et indications

Portant mon chagrin comme une malédiction, sans but, j’ai cherché à oublier.
Le feu de cet amour que j’implorais de toi et là, dans la solitude d’un cruel abandon.
Essayant de t’oublier, je me suis souvenu de l’anxiété fébrile du jour où je t’ai donné tout mon être et voyant la réalité de toute ta cruauté, j’ai maudit.
La lumière de ton regard, qui m’a aveuglé (dans laquelle j’étais ébloui), emporté par mon anxiété d’aimer.
Des baisers imprégnés d’amertume, je les ai obtenus de ta bouche dans sa froideur.
Ton âme n’a pas senti ma tendresse fidèle, et m’a offert, avec sa rigueur, la méchanceté.
Je veux dissiper toute ma douleur, je cherche à apaiser ma détresse (sinsabor, de sin sabor [sans saveur] signifie regret, malaise moral, tristesse).
Je sens insupportable cette chaîne, que je me suis attachée quand j’ai imploré ton amour.

De gauche à droite, Lita Morales, Edgardo Donato et Horacio Lagos, l’équipe qui nous offre le tango du jour.

Sur cette photo, Lita Morales et Horacio Lagos ne semblent pas être le couple ayant donné le sujet de ce tango… Il se dit qu’ils se seraient mariés, mais rien ne le prouve. Ce couple, si c’était un couple, était très discret et mystérieux. Un indice, les deux ont commencé par enregistrer du folklore, lui un peu avant et ils ont tous les deux arrêté rapidement la carrière (1935-1942 pour Horacio, 1937-1941 pour Lita, avec un petit retour en 1955-1956). Peut-être l’arrêt en 1941 était pour cause de naissance, Lita aurait été enceinte. Ceci pourrait expliquer son retour tardif, lorsque son enfant est devenu plus autonome.

Autres versions

Le tango du jour est a priori, la plus ancienne version enregistrée et la seule avant une date assez récente.

Sinsabor 1939-06-05 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Lita Morales. C’est notre tango du jour.

Le Cuarteto Mulenga l’a enregistré vers 2008, avec le chanteur Maximilliano Agüero.

Sinsabor 2008c — Carteto Mulenga Con Maximilliano Agüero.

Je vous laisse penser ce que vous voulez de cette version, mais elle a du mal à faire oublier celle de Donato, à mon avis.
C’est toutefois un bel effort pour faire revivre ce titre, mais l’essai n’est pas totalement transformé. En revanche, la Romantica Milonguera nous en a donné plusieurs versions intéressantes.

Sinsabor 2017-10 — Orquesta Romántica Milonguera con Marisol Martínez y Roberto Minondi (Sur l’album Romantica Milonguera de 2017).
Sinsabor 2018 — Orquesta Romántica Milonguera con Marisol Martínez y Roberto Minondi (sur l’album Duo de 2018). Cette, nouvelle version est plus tonique.
Sinsabor 2019 — Orquesta Romántica Milonguera con Marisol Martínez y Roberto Minondi (sur le single Sin sabor — Quizas, quizas, quizás, Nuevas versiones de 2019).

Roberto Minondi est un magnifique chanteur, mais Marisol Martínez, sur scène, lui vole la vedette par son jeu d’actrice remarquable.

Elle me permet d’introduire la dernière partie de l’anecdote du jour, une petite liste de chanteuses de tango. Combien en connaissez-vous ?

Quelques chanteuses de tango

Je vous propose une petite galerie de portraits. Elle est très incomplète, mais j’aurai l’occasion de revenir sur le sujet.

Combien de chanteuses reconnaissez-vous ? Passez la souris sur l’image pour faire apparaitre le nom de la chanteuse.

On notera que beaucoup de ces chanteuses ont aussi fait du cinéma. Le lien entre cinéma et tango est très fort, beaucoup de tangos fameux ont été composés pour les films et même à l’époque des films muets, les musiciens jouaient dans la salle en direct.

En prime, je vous propose la première joueuse de bandonéon professionnelle, je vous parlerai une autre fois des musiciennes, des auteurs et compositrices, il y a énormément à dire sur ce sujet également. Alors, les femmes et le tango, c’est une histoire ancienne et toujours vivante. Voir par exemple cet article…

Paquita Bernardo, Bandonéoniste (1900-1925).

Elle fut la première bandonéoniste, mais sa vie fut trop brève. Elle n’a pas laissé d’enregistrement, cependant, Gardel et Juan Carlos Cobián ont enregistré ses compositions.

Paquita Bernardo (1900-1925) Bandonéoniste

En la buena y en la mala 1940-06-04 – Orquesta Enrique Rodríguez con Armando Moreno

Enrique Rodríguez Letra: Enrique Cadícamo (Domingo Enrique Cadícamo)

Certains adorent, d’autres moins, Enrique Rodriguez. Cependant, notamment avec le chanteur Armando Moreno (el muñeco) a graver de joies choses, comme ce titre magnifié par les paroles de Enrique Cadícamo. Je vous invite à écouter ce titre qui a toujours beaucoup de succès en milonga, car il est dansant, entraînant, même si le héros de l’histoire n’est pas le plus heureux des hommes.

El muñeco, peut signifier, celui qui ne travaille pas et qui touche tout de même son salaire, car son contremaitre le déclare présent. Bien sûr, ce n’était pas le cas de Moreno qui effectuait son travail. Ce surnom lui aurait été attribué, car il était toujours souriant, par analogie avec les poupées qui ont un sourire peint sur le visage (Poupée se dit muñeca en espagnol, muñeco serait donc le masculin). Par ailleurs, il a commencé à travailler pour Rodriguez à l’âge de 19 ans, soit relativement jeune et pourrait donc être un petit jeune, mais comme il était de grande taille, notamment par rapport à Rodriguez, cela est moins probable que ce soit l’origine de son surnom.

Dédicace à l’ami Christian, qui se reconnaîtra. Quand il débarque à Buenos Aires, je lui dédie toujours une tanda de Rodriguez pour saluer son arrivée.

Enrique Rodríguez y Armando Moreno

Extrait musical

Partition pour piano de En la buena y en la mala. Le tango est dédicacé par les auteurs à leur bon ami, Carlos Garcia (Pianiste, chef d’orchestre et compositeur).
En la buena y en la mala 1940-06-04 — Orquesta Enrique Rodríguez con Armando Moreno.

Paroles

En la “buena” te encontré
en la “mala” te perdí…
Fue tu amor luz de bengala,
de azul y breves galas.
Mi cartera fue el imán que a tu ambición
le hizo hacer un simulacro de pasión…
Vampiresa de mis noches de champán
nunca te olvides de que:
En la “buena” te encontré
en la “mala” te perdí
y jamás un mal recuerdo
tendrás de mí.

Cayó el telón… sobre tu simulación…
Difunto ayer… de mentira y placer…
Te di esplendor… mis billetes y mi amor…
Fui sin querer… un juguete, mujer…
Y porque fui pa’vos
un hombre bueno, sí,
hoy sin preocupación
puedo decir:

Que nn la “buena” te encontré
en la “mala” te perdí…
Fue tan blanca mi inocencia
y negra tu inconciencia…
Te escapaste de mi lado sin saber
que en el fondo de mi pecho había un querer…
Y hoy, te juro, siento ganas de llorar
porque me duele pensar:
En la “buena” te encontré
en la “mala” te perdí…
y al final me siento solo
lejos de ti…

(Final)
Que en la “buena” te encontré
en la “mala” te perdí…
y al final me siento solo
lejos de ti…

Enrique Rodríguez Letra: Enrique Cadícamo (Domingo Enrique Cadícamo)

Traduction libre et indications

 

Dans le « bon », je t’ai trouvée et dans le « mauvais », je t’ai perdue…
C’était ton amour, feu de Bengale, d’atours bleus et brefs.
Mon portefeuille a été l’aimant qui a fait faire à ton ambition un simulacre de passion…
Vampire de mes soirées champagne, n’oublie jamais que :
Dans le « bon », je t’ai trouvée, dans le « mauvais », je t’ai perdue et tu n’auras jamais un mauvais souvenir de moi.
Le rideau est tombé… sur ta simulation…
Il mourut hier… de mensonges et de plaisir…
Je t’ai donné la splendeur… Mes billets et mon amour…
Je fus sans le vouloir… un jouet, femme…
Et parce que j’étais pour toi un homme bon, oui, aujourd’hui je peux dire sans souci :
Que dans le « bon » je t’ai trouvée, et dans le « mauvais », je t’ai perdue…
Mon innocence était si blanche, et noire ton inconscience…
Tu t’es échappée de mon côté sans savoir qu’au fond de ma poitrine il y avait un amour…
Et aujourd’hui, je te jure, j’ai envie de pleurer parce que ça me fait mal de penser :
Que dans le « bon », je t’ai trouvée et dans le « mauvais », je t’ai perdue…
Et à la fin, je me sens seul loin de toi…
(Final)
Que dans le « bon », je t’ai trouvée et dans le « mauvais », je t’ai perdue…
Et à la fin, je me sens seul loin de toi…

Autres enregistrements du même jour

Pas d’autres versions de ce titre que celle enregistrée par Rodriguez et Moreno. En revanche, ils ont enregistré une valse dite « festive », le même jour, cette valse est par les mêmes auteurs, Enrique Rodríguez et Enrique Cadícamo. Comme quoi ils pouvaient faire preuve d’une grande diversité.

En la buena y en la mala 1940-06-04 — Orquesta Enrique Rodríguez con Armando Moreno. C’est notre tango du jour.
Por aquí… por allá… 1940-06-04 — Orquesta Enrique Rodríguez con Armando Moreno y coro. Il s’agit d’une valse festive (Vals festivo). Por aquí… por allá…, comme son œuvre sœur, n’a pas été enregistré par un autre orchestre.
Couverture de la partition de Por aquí por allá.

Voilà, c’est tout pour aujourd’hui. À demain les amis !

Enrique Rodríguez.

Racing Club 1930-06-03 – Sexteto Carlos Di Sarli

Vicente Greco Letra : Carlos Pesce

Les Argentins sont toqués de football, comme peu d’autres peuples. Chacun est hincha (fan) d’un club. Il était donc naturel que cela se retrouve dans l’autre passion de certains Argentins, le tango. Notre tango du jour ne brille pas forcément par ses paroles, mais la musique de Vicente Greco est intéressante et comme toutes les versions enregistrées sont instrumentales, on peut danser, même si on déteste le football.

Extrait musical

Partition pour piano de Racing Club. On voit que sur la couverture de la partition, la dédicace aux affiliés au Racing Club et la mention « Tango Footballistico ». L’orthographe est plus proche de l’anglais que l’orthographe actulle, les Argentins écrivent désormais Futbol.
Racing Club 1930-06-03 – Sexteto Carlos Di Sarli.

On connaît bien l’entrée en matière énergique. Cette version se distingue de bien des enregistrements de l’époque, par un bel étagement des instruments, avec un motif de violon qui lie le tout et quelques relances de piano ou de bandonéon. Cette version est assez moderne et pourrait probablement passer en milonga, notamment, s’il y a beaucoup de piétineurs dans les participants.
Pour cet enregistrement, le sexteto est composé des musiciens suivants :
César Ginzo et Tito Landó (bandonéons) Carlos Di Sarli (piano) Roberto Guisado et Héctor Lefalle (violons) et Domingo Capurro à la contrebasse.

Paroles

Racing Club de Avellaneda
club de mi pueblo querido,
yo que admiro con cariño
tu valiente batallar
en esas horas gloriosas
para el deporte argentino,
fuiste campeón genuino
de la masa popular.

Racing Club, vos que diste
academia en la América del Sur
gran campeón de los tiempos viejos de oro
del futbol de mi Nación,
yo quisiera ver triunfar a tus colores,
que son los de mi bandera
porque aún seguís siendo para todos
el glorioso Racing Club.

Noble club con gran cariño
te sigue la muchachada
la que tan entusiasmada
te sabrá siempre alentar,
porque sos vos Racing Club
la gloria del tiempo de oro
como el Alumni que añoro
y jamás volverá.

Vicente Greco Letra: Carlos Pesce

Traduction libre et indications

Racing Club de Avellaneda, club de mon village bien-aimé, moi qui admire avec affection ta courageuse bataille en ces heures glorieuses pour le sport argentin, tu as été un véritable champion des masses populaires.
Racing Club, toi qui as donné académie en Amérique du Sud, grand champion de l’ancien âge d’or du football dans ma nation, je voudrais voir triompher tes couleurs, qui sont celles de mon drapeau, car tu es toujours pour nous tous, le glorieux Racing Club.
Noble club, avec beaucoup d’affection te suit la foule, celle qui avec tant d’enthousiasme saura toujours t’encourager, car tu es, toi,
Racing Club, la gloire de l’âge d’or, comme L’Alumni (club de football des élèves de l’école Willis High School, disparu en 1913) qui me manque et jamais ne reviendra.
Les fans de foot pourront regarder cette courte vidéo présentant l’histoire du club Alumni.

https://youtu.be/R5Nr6FKgJ6k

Histoire du club Alumni en vidéo. Les maillots ont des rayures comme celles du Racing Club, mais rouges et blanches au lieu de célestes et blanches.

Pour les superfans qui s’intéressent à l’histoire des stades, je propose ce document, seulement en espagnol, mais bien documenté sur la vie des stades, notamment à partir d’exemples portègnes. El ciclo de vida de los estadios porteños (PDF).

Autres versions

Racing Club 1916 – Orquesta Típica Ferrer (Orquesta Típica Argentina Celestino).

Je pense que vous êtes désormais habitué à ce son linéaire. La prise de son acoustique ne rend sans doute pas une grande justice à la prestation. Les nuances sont impossibles. Jouer moins fort, c’est prendre le risque que la musique disparaisse dans le bruit de fond du disque. On entend cependant de jolis motifs, comme les « twitwititis » de la flûte, en arrière-plan. Comme avec la plupart des tangos de l’époque, on peut trouver le résultat monotone, les différentes parties étant très similaires, pour ne pas dire identiques.

Racing Club 1930-06-03 – Sexteto Carlos Di Sarli. C’est notre tango du jour.
Racing Club 1940-07-04 – Orquesta Carlos Di Sarli.

Avec son orchestre, Di Sarli enregistre de nouveau le titre. Une version vraiment très différente de la version de 1930 qui permet de mesurer son évolution et reconnaître ses évolutions futures. Roberto Guisado (violon) et Carlos Di Sarli (piano), sont les seuls musiciens ayant participé au sexteto.

Racing Club 1942 – Orquesta Aníbal Troilo.

Bien que ce ne soit pas son club de cœur, il était de River, Troilo a enregistré le titre. La qualité sonore est médiocre, car c’est un enregistrement en acétate réalisé lors d’une prestation à la radio, c’est dommage, avec un enregistrement correct, on aurait eu une version animée pour les milongas.

Racing Club 1946-03-29 – Orquesta Ángel D’Agostino.

On ne s’attend sans doute pas à trouver cet enregistrement de la part de D’Agostino. Mais c’est sans doute qu’on privilégie les enregistrements avec Ángel Vargas qui pousse d’Agostino à plus de douceur et de romantisme. On notera un appel en début de morceau, au bandonéon, différents des versions précédentes.

Racing Club 1949-10-13 – Orquesta Alfredo Gobbi.

Le moins qu’on puisse dire est que Gobbi n’est pas très apprécié/passé en milonga, mais si on le passe, c’est avec Racing Club et Orlando Goñi, La viruta et bien sûr Independiente Club qui est le pendant parfait de Racing Club, puisque c’est un club concurrent. Peu de DJ s’aventurent beaucoup plus loin et c’est sans doute mieux ainsi, car il est difficile de faire une belle tanda, homogène, avec le reste de ses enregistrements… Gobbi utilise le même appel au bandonéon que D’Agostino.

Racing Club 1950-09-13 – Orquesta Rodolfo Biagi.

Racing Club 1950-09-13 – Orquesta Rodolfo Biagi. Bon, c’est du Biagi. Cela se reconnaît dès le début, Biagi entre directement dans le « Tchang – Tchang » qui lui est cher. Ceux qui n’ont pas reconnu, le feront au bout des quinze premières secondes, lors de la première virgule (la petite fioriture) de Biagi au piano. Même si Biagi a de nombreux fans, il est difficile de mettre plus de deux tandas de cet orchestre dans une milonga si on veut proposer un éventail de sensations plus large. Mais certains sont prêts à danser toute la nuit avec Biagi, alors, ojo comme on dit en Argentine, attention, DJ, on t’a à l’œil, ou plutôt à l’oreille).

Racing Club 1966-10-07 – Los Siete Del Tango dir. y arr. Luis Stazo y Orlando Trípodi.

Pour terminer, cette liste qui pourrait bien sûr être plus longue, cette version par les anciens musiciens de Pugliese, Los Siete Del Tango (les 7 du tango). On n’est plus dans la danse, mais c’est de la belle ouvrage. On notera que le début est celui de D’Agostino, mais revu. Il est plus lent et annonce une pause avant le début du morceau.

Pour réconcilier les footeux et les tangueros et faire plaisir à ceux qui sont les deux

Je vous propose cette vidéo avec comme musique, Quejas de bandoneón par Aníbal Troilo, dansé à San Telmo (quartier de buenos Aires) par un couple virtuose du ballon rond. Petite fantaisie, Troilo était hincha de River Plate (Les anglo-saxons parlent de River Plate pour le Río de la Plata), pas du Racing, mais comme fanatique de football, il me pardonnera sans doute, d’autant plus qu’il a enregistré Racing Club…
Pour le Racing, il faudrait plutôt choisir Atilio Stampone qui était hincha de ce club, mais il n’a pas enregistré le titre…

Réalisé pour la coupe du Monde de 2018, ce film était dans le cadre de la campagne futbol deporte nacional (Football, Sport National).

Allez, un dernier truc, une playlist pour hinchas de Racing sur Spotify… ATTENTION, cela n’a rien de tango, c’est juste pour vous aider à prendre la dimension du phénomène football en Argentine.

El Cachafaz 1937-06-02 – Orquesta Juan D’Arienzo

Manuel Aróstegui (Manuel Gregorio Aroztegui) Letra: Ángel Villoldo

Si vous vous intéressez à la danse du tango, vous avez forcément entendu parler de El Cachafaz . C’était un danseur réputé, mais était-il réellement apprécié pour ses qualités humaines ? D’un côté, il a un tango qui lui est dédié, mais les paroles ne le décrivent pas à son avantage. D’autre part, si la version de D’Arienzo qui est notre tango du jour est remarquable, les autres interprétations ne sont pas si agréables que cela, comme si les orchestres avaient eu une réticence à l’évoquer. Je vous invite aujourd’hui à découvrir un peu plus de qui était el Cachafaz, la canaille.

Extrait musical

Partition pour piano de El Cachafáz
El Cachafaz 1937-06-02 – Orquesta Juan D’Arienzo.

La musique commence par le cornet du tranvia (tramway). Le piano de Biagi, prend tous les intervalles libres, mais le bandonéon et les violons ne méritent pas. C’est du très bon D’Arienzo. On a l’impression que El Cachafaz se promène, salué par les tramways. On peut imaginer qu’il danse, d’ailleurs ce titre est tout à fait dansable…

Paroles

Toutes les versions que je vous propose aujourd’hui sont instrumentales, mais les paroles nous sont très utiles pour cerner le personnage. Mentionnons tout de même que la musique a été écrite en 1912 et était destiné à l’acteur Florencio Parravicini. Cependant, les paroles de Ángel Villoldo s’adressent bien au danseur.

El Cachafaz es un tipo
de vestir muy elegante
y en su presencia arrogante
se destaca un gran señor.
El Cachafaz, donde quiera,
lo han de encontrar muy tranquilo
y si saca algún filo
se convierte en picaflor.

El Cachafaz, bien lo saben,
que es famoso bailarín
y anda en busca de un festín
para así, florearse más.
El Cachafaz cae a un baile
recelan los prometidos,
y tiemblan los maridos
cuando cae el Cachafaz.

El Cachafaz, cuando cae a un bailecito
se larga; pero muy de parada
y no respeta ni a casada;
y si es soltera, mejor.
Con mil promesas de ternura
les oferta, como todos, un mundo de grandezas
y nadie sabe que la pieza no ha pagado
y anda en busca afligido, el acreedor.

Manuel Aróstegui (Manuel Gregorio Aroztegui) Letra: Ángel Villoldo

Traduction libre et indications

Le Cachafaz est un type vêtu très élégamment et dans sa présence arrogante se distingue un grand seigneur.
Le Cachafaz, où qu’il soit, doit être trouvé très calme et s’il trouve une ouverture (filo se dit chez les délinquants pour parler d’une opportunité), il devient un picaflor (colibri, ou plutôt homme allant butiner de femme en femme).
Le Cachafaz, comme vous le savez bien, est un danseur célèbre et cherche un festin afin de s’épanouir davantage.
Quand le Cachafaz débarque (caer, tomber en espagnol, est ici en lunfardo et signifie être présent dans un lieu) dans un bal, les fiancés sont méfiants et les maris tremblent quand le Cachafaz arrive.
Le Cachafaz, lorsqu’il débarque dans un petit bal, se lâche ; mais, il est très prétentieux (de nariz parada, le nez redressé comme savent le faire les personnes prétentieuses) et ne respecte ni les femmes mariées ni les célibataires, c’est mieux (il préfère les célibataires).
Avec mille promesses de tendresse, il leur offre, comme tous, un monde de grandeur et personne ne sait que la chambre n’est pas payée et que va, affligé, à sa recherche, le créancier.

Et voici El Cachafaz

Maintenant que j’ai dressé son portrait à travers les paroles, essayons de nous intéresser au personnage réel.
El Cachafaz (Ovidio José Bianquet), Buenos Aires, 1885-02-14-Mar del Plata, 1942-02-07.
El Cachafaz était grand, laid, grêlé de vérole, il avait un air maladif.

Sa danse

El Cachafaz a dansé dans une dizaine de films et notamment Tango (1933) et Carnaval de antaño (1940), extraits que je vais vous présenter ici.

C’est un extrait du film « Tango » (1933) de Luis Moglia Barth qui est le premier film parlant argentin. On y voit El Cachafaz (José Ovidio Bianquet) danser avec Carmencita Calderón, El Entrerriano de Anselmo Rosendo Mendizábal.

À ce moment, il est âgé de 48 ans et sa partenaire Carmencita Calderón 28 ans. Je donne cette précision, car certains affirment que sa partenaire n’a pas encore 20 ans. Il dansera avec elle dans deux autres films en 1939 « Giácomo » et « Variedades« . Ce sera aussi sa compagne de vie jusqu’à sa mort et à part une prestation avec Sofía Bozán, sa partenaire de danse. Carmencita Calderón est morte centenaire, en 2005. Une preuve que le tango conserve.

Voyons-le danser un peu plus tard, en 1940, avec Sofía Bozán

C’est un extrait du film “Carnaval de antaño” (1940) de Manuel Romero. C’est deux ans avant la mort de El Cachafaz. Il a 55 ans dans cette prestation.

On notera que le rôle principal est tenu par Florencio Parravicini qui aurait été lé dédicataire en 1912 de la musique de Manuel Aróstegui. Les deux Cachafaz dans le même film.

Ses principales partenaires :

Eloise Gabbi. Elle fit avec lui une tournée aux USA en 1911. En fait, c’est plutôt l’inverse si on consdère que El Cachafaz était désigné comme « an Argentine indian » (Un indien argentin). Il faut dire qu’il devait encore avoir à l’époque la stature faubourienne qu’il améliorera, comme Bertrán, dans le tango Del barrio de las latas.

Emma Bóveda, Elsa O’Connor puis Isabel San Miguel qui furent aussi ses compagnes, jusqu’à ce qu’il rencotre Carmencita Calderón (Carmen Micaela Risso de Cancellieri) (1905-02-10 – 200510-31. Carmencita danse avec lui dans Tango (1933), Giácomo » (1939) et « Variedades (1939).
Sofía Bozán (Sofía Isabel Bergero) 1904-11-05 – 1958-07-09. Pour le film Carnaval de antaño, mais il reste avec Carmencita, jusqu’à sa mort en 1942, Carmencita qui lui survivra 63 ans…

La photo dont je suis parti pour faire celle de couverture de l’article… El Cachafaz avec sa compagne, Carmencita Calderón. C’est une photo posée et retouchée pour ce qui est du visage de El Cachafaz.

Voici ce qu’en dit Canaro (pages 79-81 de Mis memorias)

Mis memorias 1906-1956 – Francisco Canaro. Même si le livre est centrée sur Canaro, c’est une mine de renseignements sur le tango de l’époque. C’est assez curieux qu’il soit si peu cité.

“Concurría: con suma frecuencia a los bailes del « Olimpo » un personaje que ya gozaba de cierta popularidad: Benito Bianquet (« El Cachafaz« ); a quien no se le cobraba la entrada, porque era una verdadera atracción; cuando él bailaba la concurrencia entusiasmada le formaba rueda y él se floreaba a gusto haciendo derroche en las figuras del típico tango de arrabal.

Puede decirse, sin temor a hipérbole, que « El Cachafaz » fué indiscutiblemente el mejor y más completo bailarín de tango de su tiempo. No tuvo maestro de baile; su propia intuición fué la mejor escuela de su estilo. Era perfecto en su porte, elegante y justo en sus movimientos, el de mejor compás; en una palabra, « El Cachafaz« , en el tango, fué lo que Carlitos Gardel coma cantor: un creador; y ambos no han tenido sucesores, sino imitadores, que no es lo mismo. « El Cachafaz » siempre iba acompañado de su inseparable amigo « El Paisanito« , muchacho que tenía fama de guapo y que, para su defensa, usaba una daga de unos sesenta a setenta, centímetros de largo; se la ponía debajo del brazo izquierdo calzándola por entre la abertura del chaleco, y la punta daba más abajo del cinturón rozándole la pierna. Para sacarla lo hacía en tres tiempos y con gran rapidez cuando las circunstancias lo exigían. No obstante, « El Paisanito » era un buen muchacho y un leal amigo. […]

Precisamente, recuerdo que una noche hallándose en una mesa « El Cachafaz » con « El Paisanito » y otros amigos, apareció otro famoso Bailarín de tango, « El Rengo Cotongo« , guapo el hombre y según decían de averías y de mal vivir; lo acompañaban otros sujetos de pinta no muy recomendable, quienes se ubicaron en una mesa próxima a la de « El Cachafaz« . « El Rengo Cotongo » traía también su compañera de baile. Empezaron a beber en ambas mesas, y entre baile y baile lanzaban indirectas alusivas a « El Cachafaz« , y se originó un desafió. Querían dilucidar y dejar sentado cuál de los dos era mejor bailarín de tango. Se concretó la apuesta y el primera en salir a bailar fué « El Rengo Cotongo« , quien pidió que tocasen « El Entrerriano« . El apodo le venía porque rengueaba de una pierna al andar, pero ello no fué obstáculo para llegar a conquistar cartel de buen bailarín, pues en realidad bailando no se le notaba la renguera, al igual que a los tartamudos, que cantando dejan de serlo. salió el famoso « Rengo » hacienda filigranas, aclamado por la barra que lo acompañaba y por los contertulios que simpatizaban con él, y terminé la pieza entre grandes aplausos. Y le tocó a « El Cachafaz« , quien pidió que tomasen El Choclo. Salió con su garbo varonil y con su postura elegante haciendo con los pies tan maravillosas « fiorituras » que sólo faltaba que pusiera su nombre; pero dibujó sus iniciales entre atronadores aplausos y «¡vivas! » a « El Cachafaz« . Al verse « El Rengo » y sus compinches desairados en su desafió, ahí nomas empezaron a menudear los tiros y se armó la de San Quintín. En media del barullo nosotros no sentíamos más que « ¡pim-paf, pum! » … y las balas pegaban en la chapa de hierro que cubría la baranda del palco donde nosotros tocábamos, viéndonos obligados a echar cuerpo a tierra hasta que amainó el escándalo con la presencia de la policía, que arreó con todo el mundo a la comisaria. Y el salón quedó clausurado por largo tiempo.”

Francisco Canaro – Mis memorias 1906-1956

Traduction libre du texte de Canaro

Très fréquemment aux bals de l' »Olimpo » se trouvait un personnage qui jouissait déjà d’une certaine popularité : Benito Bianquet (« El Cachafaz ») ; qui ne payait pas l’entrée, parce que c’était une véritable attraction ; Quand il dansait, la foule enthousiaste formait un cercle et il s’épanouissait à l’aise, se répandant dans les figures du tango typique des faubourgs.

On peut dire, sans crainte de l’hyperbole, que « El Cachafaz » était incontestablement le meilleur et le plus complet danseur de tango de son temps. Il n’avait pas de professeur de danse ; Sa propre intuition fut la meilleure école de son style. Il était parfait dans son maintien, élégant et juste dans ses mouvements, le meilleur compás; en un mot, « El Cachafaz », en tango, était ce que Carlitos Gardel est comme chanteur : un créateur ; Et les deux n’ont pas eu de successeurs, mais des imitateurs, ce qui n’est pas la même chose. « El Cachafaz » était toujours accompagné de son inséparable ami « El Paisanito », un garçon qui avait la réputation d’être beau et qui, pour sa défense, utilisait un poignard d’environ soixante à soixante-dix centimètres de long ; Il le plaçait sous son bras gauche, l’insérant dans l’ouverture du gilet, et la pointe était au-dessous de la ceinture et lui effleurait la jambe. Pour le sortir, il le faisait en trois temps et avec une grande rapidité lorsque les circonstances l’exigeaient. Néanmoins, « El Paisanito » était un bon garçon et un ami fidèle. […]

Précisément, je me souviens qu’un soir où « El Cachafaz » était à une table avec « El Paisanito » et d’autres amis, un autre danseur de tango célèbre est apparu, « El Rengo Cotongo », bel homme et, comme on disait, de dépressions et de mauvaise vie ; il était accompagné d’autres sujets d’apparence peu recommandable, qui étaient assis à une table près de celle d’El Cachafaz. El Rengo Cotongo » a également amené sa partenaire de danse. Ils commencèrent à boire aux deux tables, et entre les danses, ils lançaient des allusions à « El Cachafaz », et un défi s’ensuivit. Ils voulaient élucider et établir lequel des deux était le meilleur danseur de tango. Le pari a été fait et le premier à aller danser a été « El Rengo Cotongo », qui nous a demandé de jouer « El Entrerriano ». Le surnom lui venait du fait qu’il boitait d’une jambe lorsqu’il marchait, mais ce n’était pas un obstacle pour conquérir l’affiche d’un bon danseur, car en réalité en dansant, ce n’était pas perceptible, ainsi que les bègues, qui en chantant cessent de l’être. Le fameux « Rengo » est sorti, en exécutant des filigranes, acclamé par la bande qui l’accompagnait et par les participants qui sympathisaient avec lui, et j’ai terminé la pièce au milieu de grands applaudissements. Et ce fut au tour d’« El Cachafaz », qui nous a demandé de prendre El Choclo. Il entra avec sa grâce virile et son attitude élégante, faisant de si merveilleuses « fiorituras » avec ses pieds qu’il ne lui restait plus qu’à mettre son nom ; mais il a dessiné ses initiales au milieu d’un tonnerre d’applaudissements et de « vivas ! » à « El Cachafaz ». A contrario, « El Rengo » et ses acolytes ont été snobés dans leur défi, aussi, sans façon, les coups de feu ont commencé à être tirés et la de San Quintín a été mise en place (cela signifie un scandale ou une très grande bagarre, en référence à la bataille de San Quentin qui a eu lieu à l’époque de Philippe II (XVIe siècle) entre l’Espagne et la France, autour du royaume de Naples. Au milieu du brouhaha, nous n’avons rien ressenti d’autre que « pim-paf, bam ! » et les balles se logeaient dans la plaque de fer qui couvrait la balustrade de la loge où nous jouions, et nous avons été forcés de nous jeter à terre jusqu’à ce que le scandale s’éteigne avec la présence de la police, qui a rassemblé tout le monde au commissariat. Et le salon a été fermé pendant longtemps.

El Cachafaz évoqué par Miguel Eusebio Bucino

Le tango Bailarín compadrito de Miguel Eusebio Bucino parle justement de El Cachafaz.

Vestido como dandy, peina’o a la gomina
Y dueño de una mina más linda que una flor
Bailás en la milonga con aire de importancia
Luciendo la elegancia y haciendo exhibición
Cualquiera iba a decirte, ¡che!, reo de otros días
Que un día llegarías a rey de cabaret
Que pa’ enseñar tus cortes pondrías academia
Al taura siempre premia la suerte, que es mujer
Bailarín compadrito
Que floreaste tus cortes primero
En el viejo bailongo orillero
De Barracas, al sur
Bailarín compadrito
Que querías probar otra vida
Y al lucir tu famosa corrida
Te viniste al Maipú
Araca, cuando a veces oís « La Cumparsita »
Yo sé cómo palpita tu cuore al recordar
Que un día lo bailaste de lengue y sin un mango
Y ahora el mismo tango bailás hecho un bacán
Pero algo vos darías por ser por un ratito
El mismo compadrito del tiempo que se fue
Pues cansa tanta gloria y un poco triste y viejo
Te ves en el espejo del loco cabaret
Bailarín compadrito
Que querías probar otra vida
Y al lucir tu famosa corrida
Te viniste al Maipú
Miguel Eusebio Bucino

Miguel Eusebio Bucino

Traduction libre de Bailarín compadrito

Habillé en dandy, les cheveux peignés et propriétaire d’une fille plus belle qu’une fleur, vous dansez dans la milonga avec un air d’importance, faisant étalage d’élégance et faisant une exhibition n’importe qui allait vous dire, che ! prisonnier d’un autre temps, qu’un jour vous deviendriez roi du cabaret que pour enseigner tes cortes tu ferras académie au taura sourit toujours la chance, qui est une femme.
Danseur voyou qui a fait fleurir tes premiers cortes dans l’ancien bal à la périphérie de Barracas, au sud.
Danseur voyou qui voulait essayer une autre vie et qui, quand tu as montré ta fameuse corrida, tu es venu au Maipú.
Mon vieux (gardien), quand tu entends parfois « La Cumparsita », je sais comment ton cœur bat quand tu te souviens qu’un jour tu l’as dansé avec un foulard (on le voit dans le film Tango de 1933) et sans un sou et maintenant le même tango fait de toi un bacán (un fortuné).
Mais tu donnerais quelque chose pour être pendant un petit moment le même voyou de l’époque qui s’en est allé, parce que tant de gloire est fatigante et que vous vous voyez dans le miroir du cabaret fou.
Danseur voyou, qui voulait essayer une autre vie et qui en montrant sa fameuse corrida, tu es venu au Maipú.
On voit que ces paroles correspondent à celles de Villodo, ce qui me permet de valider le fait que ce tango est bien adressé à El Cachafaz, du moins dans ses paroles.

Autres versions

Toutes les versions sont instrumentales. L’écoute ne permet probablement pas de distinguer les versions qui étaient plutôt destinées à l’acteur et celles destinées au danseur. On note toutefois, que la plupart ne sont pas géniales pour la danse. Est-ce une façon de les départager ? Je suis partagé sur la question.

El Cachafaz 1912 – Cuarteto Juan Maglio « Pacho ».

Cet enregistrement Antique commence avec le cornet du tranvia et qui résonne à différentes reprises, arrêtant le bal. Des pauses, un peu comme les breaks que D’Arienzo mettra en place bien plus tard dans ses interprétations.

El Cachafaz 1937-06-02 – Orquesta Juan D’Arienzo.

La musique commence par le cornet du tranvia (tramway). Le piano de Biagi, prend tous les intervalles libres, mais le bandonéon et les violons ne méritent pas. C’est du très bon D’Arienzo. On a l’impression que El Cachafaz se promène, salué par les tramways. On peut imaginer qu’il danse, d’ailleurs ce titre est tout à fait dansable…

El Cachafaz 1950-12-27 – Ricardo Pedevilla y su Orquesta Típica.

Passer après D’Arienzo, n’est pas évident. Un petit coup de Cornet pour débuter et ensuite de jolis passages, mais à mon avis pas avec le même intérêt pour le danseur que la version de D’Arienzo. Cependant, cette version reste tout à fait dansable et si elle ne va probablement pas soulever des enthousiasme délirants, elle ne devrait pas susciter de tollé mémorables et se terminer à la de San Quintín.

El Cachafaz 1953-05-22 – Orquesta Eduardo Del Piano.

Le Cornet initial est peu reconnaissable. Le tango est tout à fait différent. Il a des accents un peu sombres. Del Piano est dans une recherche musicale qui l’a éloigné de la danse. Un comble si le tango est lié à un danseur si célèbre.

El Cachafaz 1954-01-26 – Orquesta Carlos Di Sarli.

Di Sarli rétabli le cornet initial, mais son interprétation est assez décousue. Pour le danseur il est difficile de prévoir ce qui va se passer. Sans doute un essai de renouvellement de la part de Di Sarli, mais je ne suis pas tant convaincu que les danseurs trouvent le terrain calme et favorable à l’improvisation auquel Di Sarli les a habitué. Pour moi, c’est un des rares Di Sarli de cette époque que je ne passerai pas.

El Cachafaz 1958 – Los Muchachos De Antes.

On retrouve avec cette version, la flûte qui fait le cornet du tranvia. L’association guitare, flute, donne un résultat très léger et agréable. La guitare, marque bien la cadence et les danseurs pourront aller en sécurité avec cette version qui oscille entre la milonga et le tango. Les muchachos ont recréé une ambiance début de siècle très convaincante. Ils méritent leur nom.

Voilà les amis, c’est tout pour aujourd’hui. Je vous souhaite de danser comme El Cachafaz et Carmencita.

Del barrio de las latas, Tita Merello y la cuna del tango

Raúl Joaquín de los Hoyos Letra: Emilio Augusto Oscar Fresedo

Je n’étais pas totalement inspiré par les tangos enregistré un premier juin, alors j’ai décidé de vous parler d’un tango qui a été étrenné un premier juin. Il s’agit de Del barrio de la latas (du quartier des barils) que Tita Merello interpréta sur scène pour la première fois le premier juin de 1926 au théâtre Maipo. Le quartier décrit ne dura que trente ans et est, du moins pour certains, le berceau du tango.

Le quartier des bidons

Le pétrole lampant, avant de servir aux avions d’aujourd’hui sous le nom de kérosène, était utilisé pour l’éclairage, d’où son nom. Les plus jeunes n’ont sans doute pas connu cela, mais je me souviens de la magie, quand j’étais gamin de la lampe à pétrole dont on faisait sortir la mèche en tournant une vis. J’ai encore la sensation de cette vis moletée sur mes doigts et la vision de la mèche de coton qui sortait miraculeusement et permettait de régler la luminosité. La réserve de la mèche qui trempait dans le pétrole paraissait un serpent et sa présence me gênait, car elle assombrissait la transparence du verre.

Je n’ai plus les lampes à pétrole de mon enfance, mais je me souviens qu’elles avaient une corolle en verre. Impossible d’en trouver en illustration, toutes ont le tube blanc seul. J’imagine que les corolles ont été réutilisées pour faire des lustres électriques. Je me suis donc fabriqué une lampe à pétrole, telle que je m’en souviens, celle de gauche. En fait, le verre était multicolore. J’ai fait au plus simple, mais sans le génie des artisans du XIXe siècle qui avaient créé ces merveilles. J’ai finalement trouvé une lampe complète (à droite). Je l’ai rajoutée à mon illustration. Le verre est plus transparent, ceux de mon enfance étaient plus proches de celui de gauche et les couleurs étaient bien plus jolies, mais cela prouve que l’on peut encore trouver des lampes complètes.

Vous aurez compris que ces lampes étaient destinées aux familles aisées, pas aux pauvres émigrés qui traînaient aux alentours du port. Ces derniers cependant « bénéficiaient » de l’industrie du pétrole lampant en récupérant les bidons vides.
La ville qui s’est ainsi montée de façon anarchique est exactement ce qu’on appelle un bidonville. Mais ici, il s’agit d’un quartier, barrio de latas boîtes de conserve, bidons…

Une masure constituée de bidons d’huile et de pétrole lampant du quartier de las latas

Arrêtons-nous un instant sur cette photographie. On reconnaît bien la forme des bidons parallélépipédiques qui servaient à contenir l’huile et le pétrole lampant. On sait qu’ils étaient remplis de terre par l’auteur de l’ouvrage William Jacob Holland (1848-1932) relatant l’expédition scientifique envoyée par le Carnegie Museum. L’ouvrage a été publié en 1913, preuve qu’il restait des éléments de ce type de construction à l’époque. En fait, il y en a toujours de nos jours.
Voici un extrait du livre parlant de ce logement.

La page 164 et un intercalaire (situé entre les pages 164 et 165) avec des photographies. On notera le contraste entre le Teatro Colón et la masure faite de bidons d’huile et de pétrole lampant.

To the River Plate and back (page 162)

The Argentines are a pleasure-loving people, as is attested by the number of places of amusement which are to be found. The Colon Theater is the largest opera-house in South America and in fact in the world, surpassing in size and in the splendor of its interior decoration the great Opera-house in Paris. To it come most of the great operatic artists of the day, and to succeed upon the stage in Buenos Aires is a passport to success in Madrid, London, and New York.

In contrast with the Colon Theatre may be put a hut which was found in the suburbs made out of old oil-cans, rescued from a dumping-place close at hand. The cans had been filled with earth and then piled up one upon the other to form four low walls. The edifice was then covered over with old roofing-tin, which likewise had been picked up upon the dump. The structure formed the sleeping apartment of an immigrant laborer, whose resourcefulness exceeded his resources. His kitchen had the sky for a roof; his pantry consisted of a couple of pails covered with pieces of board. Who can predict the future of this new citizen?

William Jacob Holland; To the River Plate and back. The narrative of a scientific mission to South America, with observations upon things seen and suggested. Page 162.

Traduction de l’extrait du livre de William Jacob Holland

Les Argentins sont un peuple qui aime les plaisirs, comme l’atteste le nombre de lieux de divertissement qu’on y trouve. Le théâtre Colon est le plus grand opéra d’Amérique du Sud et même du monde, surpassant par la taille et la splendeur de sa décoration intérieure le grand opéra de Paris. C’est là que viennent la plupart des grands artistes lyriques de l’époque, et réussir sur la scène de Buenos Aires est un passeport pour le succès à Madrid, à Londres et à New York.

En contraste avec le théâtre de Colon, on peut mettre une cabane qui a été trouvée dans les faubourgs, faite de vieux bidons d’huile, sauvés d’une décharge à proximité. Les boîtes avaient été remplies de terre puis empilées les unes sur les autres pour former quatre murets. L’édifice fut alors recouvert de vieilles plaques de tôle de toiture, qui avaient également été ramassées sur la décharge. La structure formait l’appartement de sommeil d’un travailleur immigré, dont l’ingéniosité dépassait les ressources. Sa cuisine avait le ciel pour toi ; son garde-manger se composait de deux seaux recouverts de morceaux de planche. Qui peut prédire l’avenir de ce nouveau citoyen ?

William Jacob Holland ; Vers le Rio de la Plata et retour. Le récit d’une mission scientifique en Amérique du Sud, avec des observations sur les choses vues et suggérées.

Et un autre paragraphe sur les femmes à Buenos Aires, toujours dans le même ouvrage

La demi-réclusion du beau sexe, qui est valable en Espagne, prévaut dans tous les pays d’Amérique du Sud, qui ont hérité de l’Espagne leurs coutumes et leurs traditions. Les dames apparaissent dans les rues plus ou moins étroitement voilées, très rarement sans escorte, et jamais sans escorte après le coucher du soleil. Pour une femme, paraître seule dans les rues, ou voyager sans escorte, c’est tôt ou tard s’exposer à l’embarras. Le mélange libre mais respectueux des sexes qui se produit dans les terres nordiques est inconnu ici. Les vêtements de deuil semblent être très affectés par les femmes des pays d’Amérique latine. Je dis à l’une de mes connaissances, alors que nous étions assis et regardions la foule des passants sur l’une des artères bondées : «Il doit y avoir une mortalité effroyable dans cette ville, à en juger par le nombre de personnes en grand deuil. Il sourit et répondit : « Les femmes regardent les vêtements noirs avec faveur comme déclenchant leurs charmes, et se précipitent dans le deuil au moindre prétexte. La ville est raisonnablement saine. Ne vous y trompez pas. »

On est vraiment loin de l’atmosphère que respirent les tangos du début du vingtième siècle. L’auteur, d’ailleurs, ne s’intéresse pas du tout à cette pratique et ne mentionne pas le tango dans les 387 pages de l’ouvrage…

Extrait musical

Bon, il est temps de parler musique. Bien sûr, on n’a pas l’enregistrement de la prestation de Tita Merello le premier juin 1929. En revanche, on a un enregistrement bien pus tardif puisqu’il est de 1964. C’est donc lui qui servira de tango du jour.
L’autre avantage de choisir cette version est que l’on a les paroles complètes.

Del barrio de las latas 1964 Tita Merello con acomp. de Carlos Figari y su conjunto.

Bon, c’est un tango à écouter, je passe tout de suite aux paroles qui sont plus au cœur de notre anecdote du jour.

Paroles

Del barrio de las latas
se vino pa’ Corrientes
con un par de alpargatas
y pilchas indecentes.
La suerte tan mistonga
un tiempo lo trató,
hasta que al fin, un día,
Beltrán se acomodó.

Y hoy lo vemos por las calles
de Corrientes y Esmeralda,
estribando unas polainas
que dan mucho dique al pantalón.
No se acuerda que en Boedo
arreglaba cancha’e bochas,
ni de aquella vieja chocha,
por él, que mil veces lo ayudó.

Y allá, de tarde en tarde,
haciendo comentarios,
las viejas, con los chismes
revuelven todo el barrio.
Y dicen en voz baja,
al verlo un gran señor:
“¿Tal vez algún descuido
que el mozo aprovechó?”

Pero yo que sé la historia
de la vida del muchacho,
que del barrio de los tachos
llegó por su pinta hasta el salón,
aseguro que fue un lance
que quebró su mala racha,
una vieja muy ricacha
con quien el muchacho se casó.

Raúl Joaquín de los Hoyos Metra: Emilio Augusto Oscar Fresedo

Traduction libre et indications

Depuis le bidonville, il s’en vint par Corrientes avec une paire d’espadrilles et des vêtements indécents.
La chance si pingre un certain temps l’a ballotté, jusqu’à ce qu’un jour, Beltran s’installe.
Et aujourd’hui, nous le voyons dans Corrientes et Esmeralda, portant des guêtres qui donnent beaucoup d’allure au pantalon.
Il ne se souvient pas qu’à Boedo, il réparait le terrain de boules ni de cette vieille radoteuse, selon lui, qui mille fois l’a aidé.
Et là, de temps à autre, faisant des commentaires, les vieilles femmes, avec leurs commérages, remuent tout le quartier.
Et elles disent à voix basse en le voyant en grand monsieur :
« Peut-être quelque négligence dont le beau gosse a profité ? »
Mais moi qui connais l’histoire de la vie du garçon qui est venu du quartier des poubelles et qui par son allure parvint jusqu’au salon, je vous assure que c’est un coup de chance qui a brisé sa mauvaise série, une vieille femme très riche avec qui le garçon s’est marié.

Autres versions

Del barrio de las latas 1926 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras).

Le plus ancien enregistrement, du tout début de l’enregistrement électrique.

Del barrio de las latas 1926-11-16 – Sexteto Osvaldo Fresedo.

Une version bien piétinante pour les amateurs du genre. Pas vilain, mais un peu monotone et peu propice à l’improvisation. Son frère n’a pas encore écrit les paroles.

Del barrio de las latas 1926-11-21 – Orquesta Juan Maglio Pacho.

Pour les mêmes. Cela fait du bien quand ça s’arrête 😉

Del barrio de las latas 1927-01-19 – Orquesta Francisco Canaro.

Les piétineurs, je vous gâte. Cette version a en plus un contrepoint très sympa. On pourrait se laisser tenter, disons que c’est la première version que l’on pourrait envisager en milonga.

Del barrio de las latas 1954-04-21 – Orquesta Carlos Di Sarli con Mario Pomar.

On fait un bond dans le temps, 27 ans plus tard, Di Sarli enregistre avec Pomar la première version géniale à danser, pour une tanda romantique, mais pas soporifique.

Del barrio de las latas 1964 Tita Merello con acomp. de Carlos Figari y su conjunto. C’est notre tango du jour.

Pas pour la danse, mais comme déjà évoqué, il nous rappelle que c’est Tita qui a inauguré le titre, 35 ans plus tôt.

Del barrio de las latas 1968-06-05 – Cuarteto Aníbal Troilo.

Pour terminer notre parcours musical dans le bidonville. Je vous propose cette superbe version par le cuarteto de Aníbal Troilo.
La relative discrétion des trois autres musiciens permet d’apprécier toute la science de Troilo avec son bandonéon. Il s’agit d’un cuarteto nouveau pour l’occasion et qui dans cette composition ne sera actif qu’en 1968. Il était composé de :
Aníbal Troilo (bandonéon), Osvaldo Berlingieri (piano), Ubaldo De Lío (guitare) et Rafael Del Bagno (contrebasse).

La cuna del tango – Le berceau du tango

Le titre de l’article du jour parle de berceau du tango, mais on n’a rien vu de tel pour l’instant. Je ne vais pas vous bercer d’illusions et voici donc pourquoi ce quartier de bidons serait le berceau du tango.

Où se trouvait ce quartier

Nous avons déjà évoqué l’importance du Sud de Buenos Aires pour le tango. Avec Sur, bien sûr, mais aussi avec En lo de Laura (en fin d’article).

À cause de la peste de 1871, les plus riches qui vivaient dans cette zone se sont expatriés dans le Nord et les pauvres ont continué de s’amasser dans le sud de Buenos Aires, autour des points d’arrivée des bateaux.
La même année, Sarmiento confirma que la zone était la décharge d’ordures de Buenos Aires. Le volume des immondices accumulées à cet endroit était de l’ordre de 600 000m3. Une épaisseur de 2 mètres sur une surface de 3km². On comprend que les pauvres se fabriquent des abris avec les matériaux récupérés dans cette décharge.

El tren de la basura (le train des ordures)

Le train des ordures. El tren de la basura qui apportait les ordures à proximité du barrio de las latas.

Pour alimenter cette immense décharge, un train a été mis en place pour y transporter les ordures. Il partait de Once de septiembre (la gare) et allait jusqu’à la Quema lieu où on brûlait les ordures (Quemar en espagnol est brûler).
L’année dernière, les habitants du quartier où passait ce train ont réalisé la  fresque qui retrace l’histoire de ce train.

Peinture murale du train des ordures, calle Oruro (elle est représentée à gauche avec le petit train qui va passer sur le pont rouge).
Histoire du train de la basura qui a commencé à fonctionner le 30 mai 1873.
La montagne d’ordures. Dans la peinture murale, des éléments réels ont été insérés. Il y a le nom des deux peintres et de ceux qui ont donné des « ordures » pour l’œuvre.

ET le berceau du tango ?

Ah oui, je m’égare. Dans la zone de la décharge, il y avait donc de l’espace qui n’était pas convoité par les riches, à cause bien sûr des odeurs et des fumées. Même le passage du train était une nuisance. S’est rassemblée dans ces lieux la foule interlope qui sera le terreau présumé du tango.
Il faut rajouter dans le coin les abattoirs, des abattoirs qui feraient frémir aujourd’hui, tant l’hygiène y était ignorée.

Los Corrales Viejos (situé à Parque Patricios),  les abattoirs et le lieu de la dernière bataille, le 22 juin 1880, des guerres civiles argentines. Elle a vu la victoire des forces nationales et donc la défaite des rebelles de la province de Buenos Aires.

Extrait de La Pishuca (anonyme)

Anoche en lo de Tranqueli
Bailé con la Boladora
Y estaba la parda Flora
Que en cuanto me vio estriló,
Que una vez en los Corrales
En un cafetín que estaba,
Le tuve que dar la biaba
Porque se me reversó.

Anonyme

Traduction de la La Pishuca

Hier soir à lo de Tranqueli, j’ai dansé avec la Boladora. Il y avait la Parda Flora (Uruguayenne mulâtresse ayant travaillé à Lo de Laura et danseuse réputée). Quand elle m’a vu, elle s’est mise en colère, car aux Corrales dans un café où elle était, j’avais dû lui donner une branlée, car j’étais retourné.

Il y a donc une perméabilité entre les deux mondes.

Sur l’origine du tango, nous avons d’autres sources qui se rapportent à cette zone. Par exemple ce poème de Francisco García Jiménez (qui a par ailleurs donné les paroles de nombreux tangos) :

Poème de Francisco García Jiménez (en lunfardo)

La cosa jué por el sur,
y aconteció n’el ochenta
ayá en los Corrales Viejos,
por la caye de la Arena.

Salga el sol, salga la luna,
salga la estreya mayor.
La cita es en La Blanquiada;
naide falte a la riunión…

Los hombres dentraron serios
y cayao el mujerío:
siempre se yega a un bailongo
como al cruce del destino.

Tocaron tres musicantes
haciendo punt’al festejo:
con flauta, guitarra y arpa,
un rubio, un pardo y un negro.

Salieron los bailarines
por valse, mazurca y polca;
y entre medio, una pareja
salió bailando otra cosa.

El era un güen cuchiyero,
pero de genio prudente.
Eya una china pintona,
mejorando lo presente.

Eya se llamaba Flora
y él se apellidaba Trejo:
con cortes y con quebradas
lo firmaban en el suelo.

No lo hacían de compadres
¡y compadreaban sin güelta!
Al final bailaban solos
pa’contener a la rueda.

Bailaron una mestura
que no era pa’maturrangos,
de habanera con candombe,
de milonga con fandango.

Jué un domingo, en los Corrales
cuando inventaron el tango.

Francisco García Jiménez

Traduction libre du poème de Francisco García Jiménez

Cela s’est passé vers le sud, et cela s’est passé dans les années quatre-vingt dans les Corrales viejos, le long de la Calle de la Arena (la rue de sable, en Argentine, beaucoup de villes ont encore de nos jours des rues en sable ou en terre. En 1880, la zone, l’actuel Parque Patricios, était rurale).
Que le soleil se lève, que la lune se lève, que l’étoile majeure se lève.
Le rendez-vous est à La Blanquiada ; personne ne manque la réunion…

La Blanquiada (Blanqueada, était une pulpería (magasin d’alimentation, café, lieu de divertissements). On y jouais aux boules (comme évoqué dans notre tango du jour), mais on y dansait aussi, comme le conte cette histoire.

Les hommes entrèrent gravement et le coureur de jupons se tut.
On arrive toujours à une danse comme si on était à la croisée des chemins du destin.
Trois musiciens ont joué au point culminant de la fête avec flûte, guitare et harpe, un blond, un brun et un noir. (On pourrait penser à Pagés-Pesoa-Maciel, Enrique Maciel étant noir (et était un grand ami du parolier Blomberg, grand et blond).
Les danseurs sont sortis pour la valse, la mazurka et la polka ; et entre les deux, un couple est sorti en dansant autre chose.
C’était un bon couteau (adroit avec le couteau), mais d’un tempérament prudent.
Elle était une femme fardée, améliorant le présent.
Elle s’appelait Flora, (probablement la Flora Parda dont nous avons parlé dans En Lo de Laura) et lui s’appelait Trejo (est-ce Nemesio Trejo qui aurait été âgé de 20 ans ? Je ne le crois pas, mais ce n’est pas impossible, même s’il est plus connu comme parolier et payador que comme danseur) : avec des cortes et des fentes, ils le signaient dans le sol.
Ils ne l’ont pas fait en tant que camarades, et ils l’ont fait sans bonté !
À la fin, ils dansèrent seuls pour contenir la ronde.
Ils dansaient une mesure qui n’était pas pour de maturrangos (mauvais cavaliers), d’habanera avec candombe, de milonga avec fandango.
C’était un dimanche, dans les Corrales quand ils ont inventé le tango.
Francisco García Jiménez étant né en 1899, soit 17 ans après les faits, il ne peut pas en être un témoin direct.

Un autre texte sur la naissance du tango de Miguel Andrés Camino

Je cite donc à la barre, un autre auteur, plus âgé. Miguel Andrés Camino, né à Buenos Aires en 1877. Il aurait donc eu cinq ans, ce qui est un peu jeune, mais il peut avoir eu des informations par des parents témoins de la scène.

El tango par Miguel Andrés Camino

Nació en los Corrales Viejos,
allá por el año ochenta.
Hijo fue de una milonga
y un pesao del arrabal.
Lo apadrinó la corneta
del mayoral del tranvía,
y los duelos a cuchillo
le ensañaron a bailar.
Así en el ocho
y en la sentada,
la media luna,
y el paso atrás
puso el reflejo
de la embestida
y las cuerpeadas
del que la juega
con su puñal.
Después requintó el chambergo
usó melena enrulada, pantalones con trencilla
y botines de charol.
Fondeó en los peringundines,
bodegones y… posadas
y en el cuerpo de las chinas
sus virtudes enroscó.
En la corrida
y el abanico.
el medio corto
y el paso atrás,
puso las curvas
de sus deseos
de mozo guapo
que por la hembra
se hace matar.
También vagó por las calles
con un clavel en la oreja;
Lució botín a lo militar.
Se adueñó del conventillo,
engatusó a las sirvientas
y por él no quedó jeta
que no aprendiera a chiflar.
Y desde entonces
se vio al malevo
preso de honda
sensualidad
robar las curvas
de las caderas,
pechos y piernas
de las chiruzas
de la ciudad.
Y así que los vigilantes
lo espiantaron de la esquina,
se largó pa’ las Uropas,
de donde volvió señor.
Volvió lleno de gomina,
usando traje de cola
y en las murgas y pianolas
hasta los rulos perdió.
Y hoy que es un jaife
tristón y flaco,
que al ir bailando
durmiendo va;
y su tranquito
ya se asemeja
al del matungo
de algún Mateo
que va a largar.

Miguel Andrés Camino

Traduction libre et indications sur le poème de Miguel Andrés Camino

Il est né dans les Corrales Viejos, dans les années quatre-vingt.
Il était le fils d’une milonga et d’un bagarreur des faubourgs.
Il était parrainé par le cor du conducteur du tramway, et les duels au couteau lui apprirent à danser. Ainsi, dans le huit (ocho) et dans la sentada (figure où la femme est assise sur les cuisses de l’homme, voir, par exemple Taquito millitar), la demi-lune et le pas en arrière, le reflet de l’assaut et les attitudes de celui qui la joue avec son poignard.
Il portait des cheveux bouclés, des pantalons tressés et des bottines en cuir verni.
Il a jeté l’ancre dans les bordels, bars et… et dans le corps des femmes faciles, ses vertus s’enroulaient.
Dans la corrida et l’éventail, le demi-corte et le pas en arrière, il a mis les courbes de ses désirs de beau jeune homme qui se fait tuer pour la femelle.
Il traînait aussi dans les rues avec un œillet à l’oreille ; les bottines brillantes comme celles des militaires.
Il s’empara du conventillo (habitation collective pour les pauvres), lutina les servantes, et il n’y avait pas une tasse qu’il n’apprendrait pas à siffler (boire, jeu de mots lourdingue et graveleux).
Et depuis lors, se vit prisonnier le mauvais d’une profonde sensualité a été vu en train de voler les courbes des hanches, des seins et des jambes des chiruzas (femmes vulgaires) de la ville.
Et dès que les gardes l’aperçurent du coin, il se rendit chez les Européens, d’où il revint, monsieur.
Il est revenu plein de gomina, vêtu d’un queue-de-pie et dans les murgas et les pianolas, il a même perdu ses boucles.
Et aujourd’hui, c’est un présomptueux, triste et maigre, qui va danser en dormant ; et son calme ressemble déjà à celui du matungo  (cheval faible ou inutile) d’un Mateo (coche, taxi, à chevaux) qui va partir.

On comprend dans ce poème dont on ne cite généralement que le début qu’il parle du tango qui, né dans les faubourgs bagarreurs, s’est abâtardi en allant en Europe. Cela date donc le poème des années 1910-1920 et si le texte reflète une tradition, voire une légende, il ne peut être utilisé pour avoir une certitude.

Nous sommes bien avancés. Nous avons donc plusieurs textes qui relatent des idées semblables, mais qui ne nous donnent pas l’assurance que le berceau du tango est bien à Parque Patricios, Corrales Viejos.

Faut-il en douter comme Borges qui avait des idées pourtant très semblables à celles de Miguel Andrés Camino ? Peu importe. Cette légende, même si elle est fausse a ensemencé le tango, par exemple El ciruja de De Angelis. On dirait plutôt aujourd’hui El cartoniero. Les cartonieros sont des personnages indissociables des grandes villes argentines. Avec leur charrette à bras chargée de tout ce qu’ils ont trouvé dans les poubelles, ils risquent leur vie au milieu de la circulation trépidante pour déplacer leurs dérisoires trésors vers les lieux de recyclage. Cette communauté souffre beaucoup en ce moment, les restaurants solidaires (soupes populaires) ne reçoivent plus d’aide de l’état et pire, ce dernier laisse se périmer des tonnes de nourritures achetées pour cet usage par le gouvernement précédent.

Espérons que ces personnages miséreux qu’on appelle parfois les grenouilles (ranas), car dans le quartier des bidons, il y avait souvent des inondations et que les habitants faisaient preuve d’imagination et de débrouillardise pour survivre. Grenouille n’est donc pas péjoratif, c’est plutôt l’équivalent de rusé, astucieux. Le Beltrán de notre tango du jour est une décès grenouilles qui s’est transformée en prince charmant, au moins pour une vieille femme, très riche 😉

Je vous présente Beltrán et sa femme. C’est beau l’amour.

Maestrita de mis pagos 1955-05-31 – Orquesta Juan Sánchez Gorio con Osvaldo Bazán

Miguel Roberto Abrodos Letra: Eugenio Majul

La valse du jour a été écrite par deux auteurs dont vous connaissez au moins une autre valse, Hermana par De Angelis et Godoy. Maestrita de mis pagos est une autre valse, sans doute très rare, mais joliment interprétée par Gorio et Bazán. Elle mérite donc qu’on s’y arrête, d’autant plus que le texte s’adresse à un personnage peu évoqué dans le tango, la maîtresse… d’école.
En effet, maestrita de mis pagos signifie, la petite maîtresse (petite marque l’affection) de mon village (l’expression « mis pagos » est surtout utilisé à la campagne).

Extrait musical

Maestrita de mis pagos 1955-05-31 – Orquesta Juan Sánchez Gorio con Osvaldo Bazán.

La valse démarre tout de suite, l’alternance entre le piano et l’orchestre est ravissante. À 1 :30 Osvaldo Bazán commence à chanter et à dire le récitatif. On notera qu’il ne dit pas le premier récitatif.

Paroles

Recitado:
Ya ves… no te olvido, maestrita lejana
Estás en mis versos y estás en mi voz…
Como cuando el lirio de tus blancas canas
Perfumó mi beso, que te dijo adiós…

Tus manos queridas, cercadas ahora
Por ese recuerdo tan tibio y fugaz,
Mi pelo acaricia, venciendo las horas
Maestrita sufrida que no he de ver más.

Qué lejos quedose tu beso más tierno
Y esa lagrimita qué lejos también,
Esa que llorabas, nerviosa en invierno
Porque mis ropitas no abrigaban bien.

Hoy te evoco, maestrita de mis pagos
Madrecita encanecida, estás en mí,
Quién pudiera revivir viejos halagos
Balbuceando una lección muy junto a ti.
O siguiendo con su trazo un lápiz rojo
Con un sol de un “visto bueno” junto a él,
Encontrar tu mano blanca ante mis ojos
En un sueño de alboradas y de miel.

Recitado:
Qué distinto el mundo que soñé a tu lado
Sobre el fondo blanco de tu delantal,
Rondita del patio, pizarrón amado
Cuánta nieve el tiempo, derramó en mi mal.

Volver un instante a los días risueños
Sería sin duda, volverte a escuchar,
Cerrando los ojos, maestrita, entre sueños
Quizá hasta te oyera, feliz, deletrear.

Vería a la humilde y cordial campanita
Llamando a recreo, quebrada su voz,
Los campos linderos, sus mil margaritas
Y todo un paisaje, mirando hacia Dios.

Miguel Roberto Abrodos Letra: Eugenio Majul
Il y a deux récitatifs (indiqués en bleu) et 5 couplets.

Miguel Roberto Abrodos Letra: Eugenio Majul

Miguel Roberto Abrodos Letra: Eugenio Majul
Il y a deux récitatifs (indiqués en bleu) et 5 couplets.
Il y a deux récitatifs (indiqués en bleu) et 5 couplets.
Osvaldo Bazán chante ou dit tout ce qui est en gras.
Dante Ressia chante ou dit, tout et termine en reprenant ce qui est en rouge.

Traduction libre et indications

Eugenio Majul est avant tout un poète. Cela se remarque déjà par la construction de son texte, en dodécasyllabes avec coupe à l’hémistiche pour certains vers, ce qui en fait quasiment des alexandrins. Les rimes sont en bonne partie riches. C’est donc un texte très travaillé, mais aussi très long. Ce qui fait que la partie chantée de ces deux versions est très importante en proportion. Même si on sort de la période de l’âge d’or de la danse de tango, cette valse, notamment dans la version de Gorio, reste dansable. Intéressons-nous maintenant au texte que malheureusement, je ne saurais pas transmettre dans son essence poétique.

Petite maîtresse d’école de mon village

Récitatif
Là, tu vois… Je ne t’oublie pas, lointaine maîtresse, tu es dans mes vers et tu es dans ma voix…
Comme quand le lys de tes cheveux blancs a parfumé mon baiser, qui t’a dit au revoir…
Vos chères mains, fermées maintenant, de ce souvenir si chaud et fugace, caressaient mes cheveux, gagnant les heures, maîtresse souffrante que je ne verrai plus.
Comme est loin ton baiser le plus tendre et cette petite larme si lointaine aussi, celle que tu as pleurée, nerveuse en hiver parce que mes vêtements ne m’abritaient pas bien.
Aujourd’hui je t’évoque, maîtresse de mon village, petite mère aux cheveux gris, tu es en moi, qui pourrais raviver de vieux encouragements, moi, balbutiant une leçon tout contre toi.
Ou suivant avec son tracé, un crayon rouge, avec un soleil d’approbation à côté, découvrir ta main blanche devant mes yeux dans un rêve d’aube et de miel.
Récitatif
Comme le monde est différent de ce que je rêvais à ton côté, sur le fond blanc de ton tablier, une ronde dans la cour, un tableau noir bien-aimé, combien de neige le temps a déversé sur mon mal.
Revenir un instant aux jours souriants serait sans doute, t’écouter de nouveau, en fermant les yeux, petite maîtresse, dans mes rêves peut-être même irais-je jusqu’à t’entendre, heureux, épeler.
Je verrais la petite cloche humble et cordiale appeler à la récréation, sa voix brisée, les champs voisins, leurs mille marguerites et tout un paysage, regardant vers Dieu.
Ce texte est donc une ode funèbre à son enseignante de primaire. Le rythme de la valse fait passer le message sans tristesse particulière.

Autres versions

Cela va aller vite, il n’y a que deux enregistrements Notre valse du jour et une version par un chanteur plus rare, Dante Ressia. Les deux enregistrements se sont faits à 12 jours d’écart.

Maestrita de mis pagos 1955-05-19 – Dante Ressia.

Cette valse en chanson renoue avec la tradition des payadores, ces chanteurs improvisateurs qui s’accompagnaient à la guitare. Pas d’improvisation dans ce cas, puisque le texte est écrit par le poète Eugenio Majul.

Maestrita de mis pagos 1955-05-31 – Orquesta Juan Sánchez Gorio con Osvaldo Bazán. C’est notre valse du jour.

Osvaldo Bazán, chante beaucoup, mais cela va bien dans la musique et cette valse est tout à fait dansante. Peut-être à passer le 11 septembre, jour des Maestros et des Maestras en Argentine. À ce sujet, le terme de maestro indique un enseignant d’école primaire…

Un petit cadeau pour mieux connaître les auteurs

Je vous propose deux valses écrites par la même équipe, Miguel Roberto Abrodos et Eugenio Majul ; Feliz cumpleaños mamá et Hermana.

Feliz cumpleaños mamá 1954-11-05 – Orquesta Juan Sánchez Gorio con Osvaldo Bazán.

Même compositeur, même parolier, même orchestre et même chanteur. Cela ne suffit pas pour faire une tanda, mais pour compléter, on pourra piocher dans une des dix autres valses de Gorio avec Bazán, avec Luis Mendoza, avec le duo Mendoza- Bazán ou dans les valses instrumentales. Par exemple, avec A mi madre (à ma mère) pour compléter la valse d’anniversaire…

Pour continuer avec la famille, voici l’autre valse écrite par l’équipe et que vous connaissez forcément. Il s’agit d’Hermana (sœur) :

Hermana 1958-09-26 – Orquesta Alfredo De Angelis con Juan Carlos Godoy.

Et pour terminer une petite information. Roberto Abrotos avait 8 frères et avec deux d’entre eux (Manuel et José), il a enregistré 600 titres de folklore, vous les trouvez sur leurs nombreux disques (78 tours) sous le nom de Los hermanos Abrodos.

Si vous voulez en savoir plus sur ces pionniers du folklore, je vous conseille cet article réalisé à partir de reproduction d’articles tirés de la revue Revista folklore.

Et pour les écouter, leur canal YouTube ou une bonne partie de leur discographie est proposée…

Molina Campos, escuelita criolla (petite école de champagne en Argentine). Probablement le type de celle dont parle la valse, mais avec une maîtresse plus avenante…
Intérprétation de Molina Campos, escuelita criolla. J’ai essayé de donner une tête plus humaine à la maîtresse…

Serenata 1944-05-30 – Orquesta Francisco Lomuto con Carlos Galarce

Juan Polito Letra : Luis Rubistein

Hier, nous parlions de El amanecer (le lever de soleil), aujourd’hui, je vous propose d’aller à la fin du jour, pour Serenata. Mais attention, si serenata peut se traduire par sérénade, un concert en soirée donné en l’honneur, notamment, d’une belle à conquérir, le mot a un autre sens en lunfardo qui signifie fou, voire dément. La milonga du jour a des paroles propices à une sérénade romantique, mais a une folie dans sa musique.

D’autres tangos ou comme ici, milongas s’appellent serenata ou contiennent ce mot dans leur titre. Notre milonga du jour est plutôt rare. Elle ne dispose que de trois enregistrements, mais les trois sont excellents. Alors, ne la confondez pas avec les autres titres semblables.

Extrait musical

Serenata 1944-05-30 — Orquesta Francisco Lomuto con Carlos Galarce.

Lomuto et Galarce inaugurent le titre pour l’enregistrement. Le piano lance le motif initial que reprend ensuite le bandonéon. Cela permet de bien comparer les mérites respectifs de ces deux instruments. Le piano léger et délié et l’accordéon plein et plus « lourd ».
Le dialogue ou les « chœurs » s’enchaînent jusqu’à ce que Carlos Galarce reprenne le thème, tel qui a été présenté par les instruments.
La structure est donc celle-ci :
0:00 Motif d’introduction — Piano puis bandonéon
0:09 Thème principal, milonga traspié (2 phrases semblables, mais la seconde prépare le deuxième thème).
0:26 Second thème (milonga lisa).
0:53 Début de la seconde partie. Reprise du motif d’introduction au piano, puis au bandonéon.
1:00 Reprise du thème principal par Caros Galarce. Le traspié est un peu plus difficile à suivre, car le chanteur prend le dessus. Les danseurs qui aiment agiter les gambettes suivront sans doute l’orchestre et ceux qui souhaitent un peu plus de calme se caleront sur Galarce.
1:19 Le thème en milonga lisa correspond aux paroles « Amor, amor […] Mi corazón.
1:28 Suite du chant avec le second couplé en milonga traspie.
1:45, reprise de la milonga lisa, mais cette fois, Galarce ne chante pas Amor, amor, c’est l’orchestre qui reprend le thème.

Paroles

Canción de amor de una serenata
Luna y farol con color de plata,
Y un guitarrear que al brotar desata
La dulce voz del payador.
El cielo azul con su luna mansa
Volcó su luz como una esperanza,
Y en el balcón de malvones rojos
Dejó la voz esta canción:

Amor, amor
Te dejo aquí,
Con mi voz
Mi corazón.

Yo traigo a tus trenzas doradas
Mis sueños cubiertos de noche callada,
Amor que se viene de lejos
Blanqueando de luna tu boca pintada.
Cantando, mi bien y soñando
Que noche tras noche me estés esperando,
Por eso aquí, en tu balcón
Esta noche otra vez, dejaré el corazón…

Allí, detrás de esas margaritas
Un corazón de mujer palpita,
Un corazón que soñando espera
La dulce voz del payador.
Amor, amor… luna con estrellas
En la emoción de ilusiones bellas,
Ensoñación que en la noche mansa
Bordó en la voz esta canción:

Amor, amor
Te dejo aquí
Con mi voz
Mi corazón.

Juan Polito Letra : Luis Rubistein

Carlos Galarce ne chante que ce qui est en gras.
Carlos Roldán et Raúl Figueroa chantent la même chose, mais terminent le titre en reprenant ce qui est en bleu.

Traduction libre et indications

Chanson d’amour d’une sérénade.
Lune et lanterne couleur d’argent, et une guitare qui, lorsqu’elle surgit, libère la douce voix du payador (chanteur improvisateur s’accompagnant généralement d’une guitare).
Le ciel bleu avec sa douce lune répandait sa lumière comme une espérance, et sur le balcon des géraniums rouges laissait la voix de ce chant :
Amour, amour
Je te laisse ici,
Avec ma voix,
Mon cœur.
J’apporte à tes tresses dorées mes rêves couverts d’une nuit silencieuse, l’amour qui vient de loin, blanchissant ta bouche peinte de lune.
Chantant, mon bien et rêvant que nuit après nuit tu m’attendras, c’est pourquoi, ici, sur ton balcon encore ce soir, j’abandonnerai mon cœur…
Là, derrière ces marguerites (des marguerites ou des géraniums ? Il faudrait savoir…), bat un cœur de femme, un cœur qui rêve et attend la douce voix du payador.
Amour, amour… Lune avec des étoiles dans l’émotion de belles illusions, rêverie qui dans la douce nuit brodait dans la voix cette chanson :
Amour, amour
Je vous laisse ici
Avec ma voix,
Mon cœur.

Autres versions

Serenata 1944-05-30 — Orquesta Francisco Lomuto con Carlos Galarce. C’est notre milonga du jour.
Serenata 1944-06-14 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán.

Au début, Canaro supprime une des deux phrases d’introduction qu’il fait jouer à tout l’orchestre. On entre plus vite dans le vif du sujet. Il utilise pour le reste la même stucture, mais le traspie est un peu plus présent. La façon de chanter de Roldán va également dans ce sens. La fin de la seconde partie est assez différente, sans doute plus joueuse que la version de Lomuto et Carlos Roldán qui reprend la fin du second couplet en guise de conclusion.

Serenata 1952 — Juan Polito y su Orquesta Típica con Raúl Figueroa.

Polito, connu pour être le pianiste qui succéda à Biagi dans l’orchestre de D’Arienzo en 1938, était déjà associé avec lui, par exemple en 1929, ils formèrent un orchestre Polito-D’Arienzo pour le carnaval (c’est promis, un de ces jours on va en parler de ces carnavals). Il retournera encore une fois avec D’Arienzo en 1950, en remplacement de Salamanca… Lors du remplacement de Biagi, il s’était coulé dans le style de ce dernier. Ici, son piano est bien intégré à l’orchestre. Sa virtuosité se remarque, mais sans que le piano prenne la vedette à l’orchestre ou au chanteur. Le début est amusant, la première mesure est jouée très lentement, puis accélère au tempo du reste de l’interprétation, comme si le démarrage était lourd. Il faut dire que c’est une version au rythme soutenu, sans doute un peu folle, le type de milonga qui vous vaut des regards reconnaissants ou noirs, des danseurs selon qu’ils ont maîtrisé ou pas la cadence…
Polito joue la double phrase de départ à l’orchestre, sans l’accélération la seconde fois. Ainsi, dans les trois versions, on a eu un démarrage différent ; changement d’instrument pour Lomuto, suppression de la reprise pour Canaro et démarrage progressif pour Polito.

Comme Carlos Roldán et Carlos Galarce, Raúl Figueroa ne chante pas le dernier couplet. Il faut dire que pour une milonga interprétée à ce rythme, rallonger la durée par un couplet aurait fait basculer plus de danseurs du côté des regards noirs…

À propos de l’illustration de couverture

Serenata. D’après une gravure sur bois de 1885.

Je pensais faire de la gravure, l’illustration de couverture. J’ai mis un peu de couleurs, rajouté des géraniums et donné une atmosphère plus lunaire. La dame est désormais blonde. Autre différence avec le thème, le chanteur est au pied du balcon et pas sur le balcon.
J’ai donc proposé une version plus moderne (années 40), et qui correspond un peu mieux à la description de la chanson, mais rien ne vous empêche de garder celle-ci dans l’œil.

La gravure sur bois, originale. Elle est datée de 1885.
Serenata. Sur le balcon entouré de géraniums, ils se content fleurette.

El amanecer 1950-05-29 – Orquesta Domingo Federico

Roberto Firpo

El amanecer (l’aube) est un thème très, très souvent passé en milonga, notamment quand celles-ci durent jusqu’à l’aube. En effet, quoi de plus agréable que d’entendre le chant des oiseaux aux premiers rayons du soleil? Firpo qui adore évoquer des sons réalistes nous a fait cadeau de cette belle composition et Federico va éveiller nos sens avec une version méconnue et sublime.

On oublie parfois que l’un des filons pour les musiciens de tango au début du XXe siècle était de jouer en direct dans les cinémas à l’époque où les films étaient muets. Certains ont donc développé des talents de bruiteurs et imiter des sons de la nature ou autre est un petit jeu que pratiquent de nombreux musiciens. Ici, l’objet de l’imitation, ce sont les oiseaux. Avec ce thème et le talent des orchestres, de nombreuses milongas se sont transformées en volières.
Envolons-nous sur les ailes de l’aube.

Extrait musical

El amanecer 1950-05-29 – Orquesta Domingo Federico.

J’imagine que vous avez dans l’oreille une des versions de Di Sarli ou de Firpo. Cette version est assez différente, mais on retrouve des éléments communs. Je vous propose de les identifier en écoutant quelques-unes des autres versions.

Partition pour violon et piano de El amanecer de Roberto Firpo

Autres versions

À tout seigneur, tout honneur, commençons par l’auteur, Roberto Firpo, le compositeur de l’œuvre.

El amanecer 1913 – Sexteto Roberto Firpo.

Quelques temps (1 à 3 ans) après la composition, Firpo l’enregistre.

El amanecer 1928-05-28 (ou 31) – Orquesta Roberto Firpo.

Des claquements, probablement sensés représenter quelque chose, mais quoi ? D’après Firpo, il se serait inspiré de la ligne 43 de tranvia (tramway) qu’il prenait pour rentrer chez lui après une nuit de travail. Puis, arrivé, il était émerveillé par les chants des oiseaux. Les violons de Cayetano Puglisi et Octavio Scaglione sont totalement sublimes. Les oiseaux sont très discrets au début, mais s’exposent joliment en seconde partie.

El amanecer 1937-08-14 – Orquesta Típica Victor.

L’orchestre est alors dirigé par Federico Scorticati. Remarquez l’intervention dès le début « d’oiseaux » très réalistes.

El amanecer 1938-01-04 – Orquesta Roberto Firpo.

Les oiseaux arrivent aussi dès le début, c’est une version magnifique, pleine de poésie, mais avec de la vigueur, une alternance des instruments, dont un très beau solo de violoncelle.

El amanecer 1942-06-23 – Orquesta Carlos Di Sarli.

Une version en tous points, superbe. Du grand Di Sarli. Les oiseaux sont réalisés par Roberto Guisado, au violon.

El amanecer 1945-09-14 – Roberto Firpo y su hijo (Dúo de piano).

Le fils ayant le même prénom que le père, on l’identifie par un H pour Hijo, qui veut dire fils. Là, le fiston joue avec son papa. Des trilles et d’impressionnants arpèges à la fin de l’œuvre essayent de recréer les oiseaux. C’est moins réaliste que les violons, mais c’est intéressant à écouter.

El amanecer 1948-08-10 – Juan Cambareri y su Gran Cuarteto Típico Ayer y hoy.

S’il vous prend de mettre ce thème en réveil, c’est sûr que vous allez vous réveiller en un instant. Fidèle à son style (vice ?) nous propose une version en vitesse débridée. On a un peu de mal à imaginer une douce aube qui s’élève.

Encore Firpo, encore El Amanecer. Là, il s’agit de El Cantor Del Pueblo, un film de 1948 réalisé par Antonio Ber Ciani. Roberto Firpo joue sa composition, El amanecer, avec son cuarteto.

Roberto Firpo joue sa composition, El amanecer, avec son cuarteto dans El Cantor Del Pueblo, un film de 1948 réalisé par Antonio Ber Ciani.
El amanecer 1950 – Orquesta Joaquín Do Reyes.

Cet orchestre plus rare nous offre une version classique. Une belle présence de la contrebasse devrait faciliter la tâche des danseurs.

El amanecer 1950-05-29 – Orquesta Domingo Federico. C’est notre tango du jour.

Avec les exemples précédents, je pense que vous avez cerné la construction de cette œuvre et que l’originalité de l’interprétation de Federico vous sera perceptible.
Les violons du début font penser à Vivaldi. Toujours les violons, dans les pizzicati, sont légers et précis. Le piano est toujours présent et avec la contrebasse, donne le compas. À 1:30, un passage particulièrement tonique. Probablement une évocation du tramway. Puis, les oiseaux nous enchantent. La fin ralentit, comme si le tramway freinait. Une version originale, magnifique et qui devrait ravir certains danseurs et faire râler, les ronchons. Ne vous étonnez donc pas si un jour, je vous la passe.

El amanecer 1950-11-28 – Orquesta Ricardo Pedevilla.

Encore une belle version, avec les oiseaux qui arrivent en seconde partie.

El amanecer 1951-09-26 – Orquesta Carlos Di Sarli.

Pas de surprise, vous avez déjà usé vos chaussures dans la rosée de cette aube de Di Sarlienne, mais si c’est peut-être moins que dans la version suivante.

El amanecer 1953-12-11 – Roberto Firpo y su Nuevo Cuarteto.

Vous reprendrez bien un petit peu de Firpo, non ? Le voici de nouveau, quarante ans après son premier enregistrement.

El amanecer 1954-08-31 – Orquesta Carlos Di Sarli.

C’est sans doute la version que vous avez la plus dansée, mais maintenant, vous allez peut-être l’écouter différemment.

El amanecer 1964 – Orquesta Osvaldo Pugliese.

Je suis presque sûr que vous n’avez jamais dansé cette version. Il n’y a de toute façon aucune raison de le faire en milonga.

Depuis 1913, quel parcours pour les lève-tôt ou couche très tard, comme Firpo.

Pour terminer avec une version à peu près dansante et venue de l’autre côté du Rio. Je vous propose cette vidéo avec Miguel Villasboas. Elle est un peu précipitée, mais elle présente l’intérêt de voir l’orchestre de Villasboas à l’œuvre, d’autant plus que vous pourrez voir comment le violoniste Pedro Severino fait chanter son violon avec des oiseaux et d’autres animaux, de quoi commencer la journée avec le sourire.

À demain, les amis !

 Pedro Severino fait chanter son violon avec des oiseaux et d’autres animaux

Derecho viejo 1945-05-28 — Orquesta Osvaldo Pugliese

Eduardo Arolas Letra : Andrés Baldesari (V1) – Gabriel Clausi (V2)

Derecho viejo, le vieux droit, le droit ancien est une expression argentine qui signifie que quelque chose doit être fait sans délai, sans détours. Ce tango Derecho viejo a été dédicacé par Arolas au Centre des Étudiants en Droit. Il a été enregistré, depuis les années 1910, énormément de fois, mais une seule fois par Pugliese. C’est notre version du jour.

Je dédie cet article à mes deux grands amis, trop tôt disparus, Juan Lencina y Daniel Rezk, créateurs de la milonga Derecho Viejo de Buenos Aires.

Je dédie cet article à mes deux grands amis, trop tôt disparus, Juan Lencina y Daniel Rezk, créateurs de la milonga Derecho Viejo de Buenos Aires.
Les locaux du centre de droit à l’époque de l’écriture de Derecho Viejo. C’était à Moreno 350 et c’est aujourd’hui le Musée Ethnographique.

Extrait musical

Derecho viejo 1945-05-28 — Orquesta Osvaldo Pugliese.
Partition de Derecho Viejo

Derecho viejo est instrumental. Cependant, il existe plusieurs paroles. J’en reproduis ici deux. Celles de Baldesari, les plus anciennes et qui correspondent au titre, à travers une histoire larmoyante dans laquelle l’expression Derecho viejo est utilisée. Les autres, celles de Clausi, plus récentes sont une ode au tango, ce qui n’est pas si mal, mais elles ont peu à voir avec le titre.

Paroles

Oiga usted compañero… si me quiere escuchar…
no crea que soy, amigo, un cuentero:
yo quiero confiarle… a usted… compañero
mi inmenso y cruel dolor…
Quiero desahogar mis penas… siéntese nomás…
y pida algún trago si tiene voluntad…
y preste atención, que ahí va la crueldad
de aquel infiel amor…

Usted sabrá
que cuando el amor
comienza a taconear
sentimos en el pecho
la dulce tentación;
¡sentimos sed de amar
de amar de corazón !…
Y yo también
amé con gran pasión,
amé con gran delirio
y coseché martirios
porque un padecer
me brindó esa mujer,
¡que fue mi perdición!…

Con el alma la quería… y ella fue
siempre mi única ilusión…
pero por otro hombre… como a mí…
¡a su hija abandonó!
Esa hijita tan querida… compañero,
ayer tarde se murió…
¡pero antes de morir, de este modo,
ella me habló!…

¡Padre! … Si la llega a encontrar, dele mi perdón
y dígale también, que aunque ella nos dejó,
¡yo siempre la querré, con todo el corazón
y bésela por mí!
¡Hoy la encontró, compañero… no pude perdonar…
me fui Derecho Viejo… y ahí, a esa vaga,
en nombre de mi hija… la punta de mi daga
besó su corazón!…

Eduardo Arolas Letra: Andrés Baldesari

En gras, les paroles chantées par Teófilo Ibáñez dans la version de 1934 de la Orquesta Típica Victor.

Traduction libre des paroles de Andrés Baldesari

Entendez, camarade… Si vous voulez m’écouter… Ne croyez pas que je suis, mon ami, un conteur :
je veux vous faire confiance…à vous… camarade, mon immense et cruelle douleur…
Je veux évacuer mes chagrins… Asseyez-vous sans façon… et demandez à boire si vous en avez envie… Et prêtez attention, car là va la cruauté de cet amour infidèle…
Vous saurez que lorsque l’amour commence à taper du pied, nous sentons dans notre poitrine la douce tentation, nous avons soif d’aimer, d’aimer du fond du cœur…
Et moi aussi j’ai aimé avec grande passion, j’ai aimé avec un grand délire, et j’ai récolté le martyre parce que cette femme m’a fait souffrir, qu’elle fut ma perte…
Je l’aimais de toute mon âme… Et elle a toujours été ma seule illusion… mais, pour un autre homme… Comme moi, elle a abandonné sa fille !
Cette petite fille tant aimée… Camarade, elle est morte hier soir, mais avant de mourir, elle m’a parlé de cette façon…
Père !… Si tu la trouves, donne-lui mon pardon et dis-lui aussi que même si elle nous a quittés, je l’aimerai toujours, de tout mon cœur et tu l’embrasseras pour moi !
Aujourd’hui, je l’ai trouvée, mon ami… Je n’ai pas pu pardonner… Je suis allé droit au but (Derecho viejo)… Et là, à cette cloche (vaurienne), au nom de ma fille… La pointe de mon poignard embrassa son cœur…

Paroles

Tango de mi ciudad, malevo y sensual,
canyengue y tristón, color de arrabal.
Señor de salón, tenés emoción
de noche porteña.
Vuelve para surgir en danza triunfal
canción sin igual que hace sentir
con tanta pasión en el corazón
su abrazo de amor.

Oigo el cantar de un triste bandoneón,
que llora en su canción la pena de un amor
que nunca pudo ser, por causa de creer
en locos berretines.
Todo pasó, no quiero recordar
el tiempo que se fue,
ya nunca volverá la dicha de tu amor
para poder soñar con vos en mi arrabal.

Qué dulzura hay en tu voz,
che, bandoneón, con tu chamuyo reo.
Tango lindo y querendón, nobleza de arrabal,
amores de otros tiempos…
Sigue, sigue tu canción
para alegrar esta velada linda,
suena, suena bandoneón, que siempre tu canción
está en el corazón.

Eduardo Arolas Letra: Gabriel Clausi

Traduction libre de la version des paroles de Gabriel Clausi

Tango de ma cité, malveillant et sensuel, canyengue (forme de danse ou du faubourg en lunfardo) et triste, couleur de faubourg.
Monsieur de salon, tu as l’excitation de la nuit portègne.
Une chanson sans égale surgit pour émerger dans une danse triomphante qui fait sentir avec tant de passion au cœur, son étreinte d’amour.
J’entends le chant d’un bandonéon triste, qui pleure dans sa chanson la douleur d’un amour qui ne put jamais être, à cause de croire en des caprices fous.
Tout est fini, je ne veux pas me souvenir du temps qui s’est écoulé, la joie de ton amour ne reviendra jamais pour que je puisse rêver de toi dans mon faubourg.
Quelle douceur il y a dans ta voix, che, bandonéon, avec ton bavardage royal.
Tango beau et affectueux, noblesse des faubourgs, amours d’autrefois…
Continue, continue ta chanson pour égayer cette belle soirée, sonne, sonne bandonéon, que toujours ta chanson soit dans le cœur.

Autres versions

Pas question de donner toutes les versions. Mon propos est de vous montrer comment on est passé de la version de la version d’Arolas à celle de Pugliese, 34 ans plus tard.
Top chrono :

Derecho viejo 1917 — Orquesta Roberto Firpo. Une version rapide, joueuse. Elle correspond à l’idée d’étudiants qui font faire la fête.

Une version rapide, joueuse. Elle correspond à l’idée d’étudiants qui font faire la fête.

Derecho viejo 1926-08-04 — Orquesta Julio De Caro.

Le rythme est plus lent et solennel, mais De Caro incorpore plein de bruits étranges, comme des fusées de feu d’artifice ou des grincements.

Derecho viejo 1927 — Sexteto Francisco Pracánico.

Une version bien canyenge, avec un violon qui vole au-dessus. Les fusées se retrouvent et se terminent par un « POUM ». Une version cependant un peu monotone, avant les variations de la dernière minute.

Derecho viejo 1927-04-16 — Orquesta Francisco Canaro.

Le rythme bien pesant et marqué de Canaro, mais décoré avec de petites fioritures. La montée des « fusées » est transformée en montées en pizzicati (qui ne sont pas suivis de descente et donc pas de « Poum » non plus, sauf dans la dernière minute où les montées sont toute en vibrato et les Poums bien présents.

Derecho viejo 1927-04-19 — Orquesta Osvaldo Fresedo.

La version de Fresedo est moins martelée, plus coulée, mais les montées qu’il adore sont suivies de descentes et de gros Poums aux timbales. Il explore aussi la montée en pizzicati de Canaro et les montées en « vrille ». Un véritable feu d’artifice.

Derecho viejo 1934-06-01 — Orquesta Típica Victor con Teófilo Ibáñez.

C’est la première version chantée de ma sélection. Montée en pizzicati et descente en vrille, suivie de Poum. Teófilo Ibáñez chante le refrain des paroles de Andrés Baldesari.

Derecho viejo 1936-08-10 — Orquesta Julio De Caro.

On retrouve De Caro avec une version pleine d’encore plus de bruits incongrus, dont des cuivres tonitruants.

Derecho viejo 1938-03-15 — Quinteto Don Pancho dir. Francisco Canaro.

Une version qui marche bien avec une orchestration originale. Du bon Canaro, nettement plus dynamique que sa version de 1927…

Derecho viejo 1939-07-17 — Orquesta Juan D’Arienzo.

D’Arienzo évite toutes les montées et descentes glissées qu’offrent la plupart des versions. Son interprétation plus sèche, même quand le motif de violon surnage, sur l’orchestre, ce dernier ne perd pas la marcacion et on n’a pas d’autre choix que d’y aller derecho viejo (sans hésiter).

Derecho viejo 1941-12-30 — Orquesta Osvaldo Fresedo.

On retrouve Fresedo qui se régale avec les montées et descentes de ses fusées et les gros poums. C’est vraiment son truc.

Derecho viejo 1945-05-28 — Orquesta Osvaldo Pugliese. C’est notre tango du jour.

Dès la deuxième mesure, l’ambiance change avec Pugliese. Même la fusée qui ne fait qu’une descente en vrille a un autre caractère. La yumba pointe son nez. Les passages, sans marcación aucune, pourront déstabiliser les danseurs qui aiment l’exercice de la marche à pas cadencé. Dans la dernière minute, les audaces harmoniques et les variations de rythme, typiques de Pugliese donneront du fil à retordre aux danseurs novices.
Le titre continuera par la suite, avec notamment des évolutions de Fresedo et Firpo, mais je souhaite rester sur Pugliese et cet enregistrement qu’il ne renouvellera pas de Derecho Viejo.

Eduardo Arolas, le tigre du bandonéon en film.

La composition de Eduardo Arolas a donc eu beaucoup de succès. Presque tous les orchestres ont gardé les grandes cascades que Fresedo a beaucoup utilisées dans ses interprétations par la suite. Certains les ont presque, adaptées, comme Pugliese, voire supprimé comme D’Arienzo qui n’en garde que l’amorce et nous laisse donc sur notre faim. À propos de fin, je vous propose de voir un extrait du film Derecho viejo réalisé en 1950 par Manuel Romero sur un scénario de Alfredo Ruanova. Le film est sorti le 4 janvier 1951. Le film retrace la vie d’Eduardo Arolas. Juan José Míguez jouant le rôle du Tigre du bandonéon.
Dans cet extrait, on voit le tenancier récolter la monnaie pour payer Arolas. À 15 secondes de mon extrait, on voit une femme qui dit à sa mère que l’on va danser sur un Tangazo (tango de première qualité) aujourd’hui. Lorsque « Arolas » joue, accompagné à la guitare on voit des couples danser, dans un style qui se veut reproduire celui du début du siècle

Una lágrima tuya 1949-05-27 – Orquesta José Basso con Francisco Fiorentino y Ricardo Ruiz

Mariano Mores Letra: Homero Manzi

Nous restons avec Mariano Mores qui nous avait donné Uno hier pour une autre merveille, Una lágrima tuya. Les paroles sont d’Homero Manzi, on reste dans le très haut du registre. Comme Uno, ce titre a été créé pour un film, Corrientes, calle de ensueños. Je pense que vous allez être très surpris par ce tango, mais est-ce vraiment un tango?

Fiorentino — Ruiz?

Pour cette œuvre un peu hors norme, José Basso s’est adjoint deux chanteurs de premier plan, Francisco Fiorentino et Ricardo Ruiz.
On est habitué à associer Francisco Fiorentino à Troilo, mais en 1944, Fiore avait mis les bouts pour créer son propre orchestre dont il confia la direction à Astor Piazzolla. Ce dernier partant à son tour, Fiorentino ira en 1948 chanter pour deux ans avec Basso.
De son côté Ricardo Ruiz est associé à Fresedo. Cependant, il avait quitté cet orchestre en 1942 et depuis 1947, il travaille avec Basso. En 1949, il est donc logique de trouver ces deux chanteurs en duo dans l’orchestre de José Basso.

Extrait musical

Una lágrima tuya 1949-05-27 — Orquesta José Basso con Francisco Fiorentino y Ricardo Ruiz.
Avec la photo de Mariano Mores, la partition de Una lagrima tuya.

Je pense que dès les premières mesures, vous avez été surpris par le rythme de cette œuvre. Les connaisseurs auront reconnu le rythme du malambo.
Vous connaissez sans doute le malambo sans le savoir, car son élément essentiel est le zapateo, ces jeux de jambes et de pieds que les hommes font durant la chacarera.
C’est une démonstration d’agilité, un défi que se lançaient les gauchos au XIXe siècle. C’est devenu aujourd’hui un élément de folklore et les groupes de danses traditionnelles présentent cette danse si enthousiasmante à pratiquer.
Comme il s’agit d’un défi, les hommes ont un regard sérieux pour ne pas dire « méchant ». Il ne s’agit pas de petites frappes au sol avec un grand sourire comme on peut le voir dans nos milongas, ou de petits battements de pieds, légers qui semblent caresser le sol.
Il n’y a pas à proprement parler de chorégraphie, chaque « danseur » (je mets danseur entre guillemets, car il s’agit plutôt d’un duelliste) fait preuve d’imagination et de créativité pour effectuer les figures les plus audacieuses. Le gagnant du duel est celui qui reste, le perdant part, épuisé ou dégoûté par les capacités de son adversaire.
La chacarera offre une forme « civilisée » du malambo. Pas question de se livrer à des exubérances, il s’agit de conquérir la femme, pas de lui faire peur. Par ailleurs, la chacarera est une danse de groupe et un peu d’harmonie dans l’ensemble est de rigueur.

Cette vidéo présente un duel de malambo effectué par deux adolescents. Vous reconnaîtrez la musique initiale qui est celle de notre « tango » du jour. C’est une création de Canal Encuentro, une merveilleuse chaîne culturelle argentine, malheureusement menacée, car la culture n’entre pas dans les priorités du nouveau président argentin, Javier Milei.

Dans la seconde partie de la musique, on retrouve une autre musique traditionnelle, la huella (à partir de 1 h 30). Vous connaissez certainement cette musique popularisée par Ariel Ramírez dans sa Misa criolla.

Pour faire d’une pierre, deux coups, vous pouvez entendre ici une interprétation de La Peregrinación (huella pampeana) faisant partie de la Misa Criolla. Il s’agit ici d’une danse chorégraphiée par un groupe de danse traditionnelle, mais on peut se rendre compte qu’il y a des similitudes avec la chacarera (vueltas et zapateos, par exemple).

Avec une référence au malambo norteño et à la huella pampeana sureña, Mores évoque le Nord et le Sud de l’Argentine.

Paroles

Una lágrima tuya
me moja el alma,
mientras rueda la luna
por la montaña.

Yo no sé si has llorado
sobre un pañuelo
nombrándome,
nombrándome,
con desconsuelo.

La voz triste y sentida
de tu canción,
desde otra vida
me dice adiós.

La voz de tu canción
que en el temblor de las campanas
me hace evocar el cielo azul
de tus mañanas llenas de sol.

Una lágrima tuya
me moja el alma
mientras gimen
las cuerdas de mi guitarra.

Ya no cantan mis labios
junto a tu pelo,
diciéndote,
diciéndote,
lo que te quiero.

Tal vez con este canto
puedas saber
que de tu llanto
no me olvidé,
no me olvidé.

Mariano Mores Letra: Homero Manzi

Traduction libre

Une de tes larmes mouille mon âme, tandis que la lune roule sur la montagne.
Je ne sais pas si tu as pleuré sur un mouchoir en me nommant, inconsolable.
La voix triste et sincère de ta chanson, d’une autre vie,
me dit adieu.
La voix de ta chanson qui dans le tremblement des cloches me fait évoquer le ciel bleu de tes matinées pleines de soleil.
Une de tes larmes mouille mon âme alors que les cordes de ma guitare gémissent.
Mes lèvres ne chantent plus, collées à tes cheveux, te disant, te disant, combien je t’aime.
Peut-être qu’avec cette chanson, tu pourras savoir que je n’ai pas oublié tes pleurs, je n’ai pas oublié.

Mariano Mores et le folklore

Ce n’est pas la seule fois où Mariano Mores fait référence au folklore dans ses compositions., par exemple :
Adiós, pampa mía qui incorpore des rythmes de pericón nacional et de estilo.
El estrellero (cheval qui lève la tête continuellement, ce qui gêne le cavalier) avec rythme de estillo.
Lors de ses tournées internationales, il était toujours accompagné de ballets de folklore, car, il ne laissait jamais de côté les danses folkloriques.

Autres versions

Una lagrima tuya 1948 — Orquesta Juan Deambroggio Bachicha con José Duarte.

Ce titre a été enregistré en France et édité par Luis Garzon qui a par ailleurs publié sa propre version dans les années 60 (à écouter plus bas). La date de 1948 semble bien précoce. J’ai contacté les éditions Luis Garzon, si j’obtiens des informations j’adapterai la date, si nécessaire.

Una lágrima tuya 1949-03-30 — Orquesta Aníbal Troilo con Edmundo Rivero y Aldo Calderón.

Cette version a connu le succès dès son lancement sur disque et à la radio. C’est la première version avec les paroles définitives de Manzi.

Una lágrima tuya 1949-05-27 — Orquesta José Basso con Francisco Fiorentino y Ricardo Ruiz. C’est notre version du jour.
Una lágrima tuya 1949-10-13 — Orquesta Francisco Canaro con Mario Alonso.

Canaro sort sa version, sans duo, un mois après la sortie du film dans lequel il est intervenu. Pour une fois, il n’est pas dans les premiers à avoir enregistré (sauf si on tient compte de la version du film enregistrée en août 1948).

Una lágrima tuya 1949 — Orquesta Atilio Bruni con Hugo Del Carril.

Una lágrima tuya 1949 — Orquesta Atilio Bruni con Hugo Del Carril. Une version bien adaptée au zapateo dans sa première partie (malambo), avec la belle voix chaude de Del Carril. Mariano Mores aurait aimé que De Carril chante dans le film, mais ce fut son frère qui chanta.

Una lágrima tuya (en vivo con glosas) 1951 — Orquesta Aníbal Troilo con Jorge Casal y Raúl Berón.

La qualité de cet enregistrement est très mauvaise, car c’est un enregistrement acétate, un support peu durable. Il a été réalisé en public lors d’un concert à San Pablo au Brasil et a été retransmis par Radio Bandeirantes. On peste contre ce son effroyable, mais quelle prestation ! On notera l’accent brésilien du présentateur qui annonce le titre, évoquant le malambo.

Una lágrima tuya charlo 1951-12-18 – Charlo y su orquesta.

Une belle version avec la voix qui domine un orchestre dont l’orchestration est originale.

Una lágrima tuya 1953 — Cristóbal Herrero y su orquesta típica Buenos Aires con Rodolfo Díaz y Beatriz Maselli.

Una lágrima tuya 1953 — Cristóbal Herrero y su orquesta típica Buenos Aires con Rodolfo Díaz y Beatriz Maselli. Pas étonnant que Herrero enregistre ce titre, car il avait été catalogué par Odeon du côté du folklore et ils lui faisaient enregistrer cela plutôt que du tango. Il était donc un spécialiste des deux genres, mais aurait préféré enregistrer du tango. Cet enregistrement est donc une revanche, car il a coupé l’introduction en malambo. Il n’a gardé que les accords finaux, typiques du malambo. On retrouve la marche, marquée par le bandonéon, mais guère plus que les autres versions, celle-ci est adaptée aux danseurs exigeants. L’autre originalité du titre est que c’est un duo homme-femme. J’aime bien.

Una lágrima tuya (En vivo) 1954-10-04 — Orquesta Juan Canaro con Héctor Insúa.

Le Japon s’est toqué du tango et les tournées des orchestres argentins ont été des succès formidables.

Una lágrima tuya 1954 — Luis Tuebols et son Orchestre typique argentin.

Oui, comme je l’ai mentionné à diverses reprises, l’histoire du tango n’est pas qu’en Argentine et Uruguay. Luis Tuebols a continué à promouvoir le tango en France, notamment en enregistrant avec Riviera, puis Barclay. Cet enregistrement fait partie des enregistrements avec Riviera en 78 tours. Il sera réédité en 33 tours en 1956 par Barclay.

Una lágrima tuya 1957-04-30 – Orquesta Mariano Mores con Enrique Lucero.

Voici comment Mariano Mores interprète sa création. On remarquera la voix profonde de son frère, Enrique Lucero. Ce dernier est celui qui chante dans le film avec Canaro (enregistrement du 31 août 1948 au teatro Maipo). Mariano joue le même thème, mais au piano solo. Vous pourrez voir cette vidéo à la fin de cet article.

Una lagrima tuya 1959 c — Primo Corchia y su Orquesta.

Primo Corchia, encore un exemple français du tango (même s’il est né en Italie, il a fait toute sa carrière en France).

Una lágrima tuya 1961-05-05 — Orquesta José Basso.

Un autre enregistrement de José Basso, instrumental celui-ci. Il assume parfaitement son affiliation au folklore. Le rythme est plus rapide que dans la version de 1949. J’espère que ce petit coup de projecteur sur ce musicien trop souvent négligé, José Basso vous donnera envie d’en écouter, voire danser, plus.

Et pour terminer cette liste bien incomplète, je vous propose deux curiosités :

Una lagrima tuya 1961 c— Orchestre Luis Garzon.

C’est celui qui aurait publié dès 1948 l’enregistrement de Bachicha. Cette version est purement musette. Le beau rythme de marche du malambo du départ, se commue en rythmique de tango musette, mais pas tout le temps. J’imagine que c’est une des raisons du succès de ce tango en France, la marche très marquée écrite par Mores s’adapte parfaitement au style musette. Le terme musette, vient de l’instrument à vent, de la famille des cornemuses, utilisé dans les bals populaires en France. Contrairement aux instruments des Écossais, la musette appelée cabrette dans le Massif-Central se remplit à l’aide d’un soufflet et non pas en soufflant dans une embouchure. Le joueur de musette peut donc chanter en jouant.

Una lagrima tuya y Adiós Pampa mía 1994 – Roberto Gallardo y su gran orquesta con Beatriz Suarez Paz y Oscar Larroca (hijo).

Deux titres de Mariano Mores ayant trait au folklore, enchaînés, Una lágrima tuya et Adiós Pampa mía. Le nom du chanteur vous dit certainement quelque chose, c’est le fils du chanteur des mêmes nom et prénom qui chanta si bien, par exemple avec De Angelis.
Encore un petit mot sur le film pour lequel Mores a écrit ce thème.

Corrientes, calle de ensueños, le film

Corrientes, calle de ensueños est un film de Román Viñoly Barreto sur un scénario de Luis Saslavsky sorti le 29 septembre 1949.

Une publicité pour le film Corrientes, calle de ensueños. Cette rue a une histoire et je dois la conter.

Homero Manzi, peu de temps avant sa mort, regrettait de ne pas avoir travaillé en collaboration avec Mariano Mores. Oscar Del Priore et Irene Amuchástegui racontent dans Cien tangos fundamentales (Mariano Mores a d’ailleurs écrit le prologue de ce livre…) que Mores de visite chez Manzi, joue ce thème au piano et peu après, Manzi fait savoir à Mores qu’il a des paroles à lui proposer pour sa musique. En réalité, les paroles définitives évolueront, jusqu’à la version que donnera Canaro avec Alonso en 1949, quelque temps avant le lancement du film.
Canaro était bien placé pour connaître cette œuvre, puisqu’il l’interprète, justement à la fin du film, mais ce n’est pas cet extrait que je vais vous présenter. Parmi les acteurs, Mariano Mores, lui-même, dans son premier rôle au cinéma. Dans cet extrait du début du film, il joue le titre au piano. De quoi bien terminer cette chronique.

Mariano Mores joue Una lágrima tuya au piano au début du film Corrientes, calle de ensueños

Uno 1943-05-26 – Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán

Mariano Mores Letra: Enrique Santos Discépolo

Le tango du jour s’appelle UNO, (un), mais vous aurez le droit à une belle addition de « uns ». Attention, les huns, pardon, les uns débarquent 1+1+1+1+1+…= un des plus beaux tangos du répertoire, écrit par Mariano Mores avec des paroles de Enrique Santos Discépolo. Préparez-vous à l’écoute, mais aussi à voir, j’ai une surprise pour vous…

Extrait musical

Uno 1943-05-26 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán

Paroles

Uno busca lleno de esperanzas
El camino que los sueños prometieron a sus ansias
Sabe que la lucha es cruel y es mucha
Pero lucha y se desangra por la fe que lo empecina
Uno va arrastrándose entre espinas
Y en su afán de dar su amor
Sufre y se destroza hasta entender
Que uno se quedó sin corazón
Precio de castigo que uno entrega
Por un beso que no llega
O un amor que lo engañó
Vacío ya de amar y de llorar
Tanta traición
Si yo tuviera el corazón
El corazón que dí
Si yo pudiera, como ayer
Querer sin presentir
Es posible que a tus ojos que me gritan su cariño
Los cerrara con mil besos
Sin pensar que eran como esos
Otros ojos, los perversos
Los que hundieron mi vivir
Si yo tuviera el corazón
El mismo que perdí
Si olvidara a la que ayer lo destrozó
Y pudiera amarte
Me abrazaría a tu ilusión
Para llorar tu amor
Si yo tuviera el corazón
El mismo que perdí
Si olvidara a la que ayer lo destrozó
Y pudiera amarte
Me abrazaría a tu ilusión
Para llorar tu amor

Mariano Mores Letra: Enrique Santos Discépolo

Traduction libre

Chacun cherche, plein d’espoir, le chemin que les rêves ont promis à ses désirs.Chacun sait que la lutte est cruelle et qu’elle est grande, mais il se bat et saigne pour la foi qui l’obsède.
Chacun rampe parmi les épines et dans son empressement à donner son amour, il souffre et se détruit jusqu’à ce qu’il comprenne que chacun se retrouve sans cœur, le prix de la punition que chacun donne pour un baiser qui ne vient pas, ou un amour qui l’a trompé.
Vide d’aimer et de pleurer tant de trahisons.
Si j’avais le cœur, le cœur que j’ai donné.
Si je pouvais, comme hier, aimer sans crainte, il est possible que tes yeux qui me crient leur affection, je les refermerais de mille baisers, sans penser qu’ils sont comme ces autres yeux, les pervers, ceux qui ont coulé ma vie.
Si j’avais le cœur, le même que j’ai perdu.
Si j’oubliais celle qui l’a détruit hier et que je pouvais t’aimer, j’embrasserais ton illusion pour pleurer ton amour.

Autres versions

Comme annoncé, ce titre a été enregistré de très nombreuses fois. Impossible de tout vous proposer, alors, voici une sélection pour vous faire découvrir la variété et les points communs de ces versions en commençant par notre tango du jour, qui est le premier à avoir été enregistré.

Uno 1943-05-26 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán. C’est notre tango du jour.
Uno 1943-05-28 — Libertad Lamarque con orquesta dirigida por Mario Maurano.

Deux jours après Canaro, Libertad Lamarque enregistre le disque.
C’est là qu’on remarque, une fois de plus, que Canaro est toujours au fait de l’actualité. En effet, ce titre est destiné à un film, El fin de la noche, réalisé par Alberto de Zavalía. Le tournage ne commencera qu’en août 1943 et le film ne sortira en Argentine que le premier novembre 1944, car le gouvernement argentin a tardé à donner l’autorisation de diffusion, notamment à cause du sujet qui mettait en cause le gouvernement allemand…

Affiche du film El fin de la noche, réalisé par Alberto de Zavalía avec Libertad Lamarque.

En effet, l’intrigue est totalement liée à l’actualité de l’époque, ce qui prouve que l’information circulait. Lola Morel (Libertad Lamarque), une chanteuse Sud-Américaine qui vit à Paris a été bloquée à Paris par la guerre (La plupart des Argentins avaient quitté la France en 1939, tout comme les frères Canaro et notamment Rafael qui fut le dernier à quitter la France). Elle souhaite revenir en Amérique du Sud avec sa fille. Pour obtenir des passeports, elle se voit proposé d’espionner la résistance.
Ce film confirme que les Argentins ne se désintéressaient pas de la situation en Europe durant la seconde guerre mondiale.
Mais la merveille, c’est de voir Libertad Lamarque chantant. C’est une des plus émouvantes prises disponibles, jugez-en.

Libertad Lamarque canta el tango UNO, en la película “El fin de la noche”, dirigida por Alberto de Zavalía. On voit dans cet extrait, par ordre d’apparition : Florence Marly… Pilar, Jorge Villoldo… Caissier du bar et Libertad Lamarque… Lola Morel qui chante UNO. Cette scène a lieu à 1h08 du début du film.

Difficile de revenir sur terre après cette version, alors autant rester dans les nuages avec Troilo et Marino.

Uno 1943-06-30 — Orquesta Aníbal Troilo con Alberto Marino arr. de Astor Piazzolla.

C’est peut-être la version la plus connue. Il faut dire qu’elle est parfaite, à chaque écoute, elle provoque la même émotion.

Uno 1943-10-27 — Tania acomp. de Orquesta.

Quelques mois après Libertad, Tania donne sa version. À qui va votre préférence ? Tania enregistrera une autre version avec Donato Racciatti en 1959.

Avant de passer à D’Arienzo, un petit point « technique ». Les disques de l’époque étaient prévus pour être utilisé à 78 tours par minute. C’est une vitesse précise. Ce n’est pas 77 ou 79 tours.
Donc, ces disques joués à 78 tours par minute donnent la bonne restitution, celle qui a été décidée par l’orchestre et l’éditeur.
Le résultat peut être différent de ce qui a été joué. Par exemple, pour paraître plus virtuose, on peut graver la matrice à une vitesse plus lente. Ainsi, lorsque le disque qui sera pressé à partir d’elle sera joué à 78 tours, le son sera plus rapide et plus aigu.
Dans des groupes de DJ qui n’ont sans doute que cela à faire, on disserte longuement de la valeur du diapason, notamment du bandonéon et de la vitesse exacte de jeu d’une musique. À moins d’avoir une oreille absolue, ce qui est une horreur, on ne remarquera pas d’une milonga sur l’autre qu’un titre est joué un tout petit peu plus aigu ou grave. Pour moi, l’important est donc d’avoir la bonne vitesse des 78 tours et c’est tout. Si d’Arienzo ou son éditeur a modifié la vitesse, c’est la décision de l’époque.
En revanche, je suis moins indulgent sur les rééditions des 78 tours en 33 tours. Ces transcriptions ont donné lieu à différents abus (pas forcément tous sur tous les disques) :

  • L’ajout de réverbération pour donner un « effet stéréo », mais qui perturbe grandement la lisibilité de la musique, ce qui est dommageable pour la danse également.
  • La coupure de l’introduction ou des notes finales. Le bruit étant jugé gênant pour un disque « neuf », beaucoup d’éditeurs ont supprimé les notes finales faibles, lorsqu’ils ont produit des 33 tours à partir de 78 tours usagés. Biagi est une des principales victimes de ce phénomène et Tanturi, le moins touché. Cela tient, bien sûr, à leur façon de terminer les morceaux…
  • Le filtrage de fréquences pour diminuer le bruit du disque original. Les moyens de l’époque font que cette suppression filtre le bruit du disque, mais aussi la musique qui est dans la même gamme de fréquences.
  • Le changement de vitesse. Si le disque tourne plus vite, on a l’impression que les musiciens jouent plus vite. Si aujourd’hui on peut varier la vitesse sans toucher à la tonalité, à l’époque, c’était impossible. Un disque accéléré est donc plus aigu. Ce n’est pas gênant en soi, si le résultat est convaincant et seuls les possesseurs de la fameuse oreille absolue s’en rendront compte si cela est fait dans des proportions raisonnables.

Après ce long propos liminaire, voici enfin la version de D’Arienzo et Maure. En premier, un enregistrement à partir du 78 tours original. La vitesse est donc celle proposée par D’Arienzo et la société Víctor.

Uno 1943-11-23 — Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré. Version tirée du 78 tours de la Víctor.

Et maintenant la version accélérée éditée en 33 tours et reprise depuis par différents éditeurs, y compris contemporains, ce qui prouve qu’ils sont partis du 33 tours et pas du 78 tours, ou mieux de la matrice originale…

Uno 1943-11-23 — Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré.

Édition accélérée, sans écouter la première version, vous seriez-vous rendu compte de la différence ? Probablement, car cela fait précipité, notamment en comparaison des versions déjà écoutées qui durent parfois près de 3:30 minutes, ce qui est exceptionnel en tango.

Uno 1943-12-01 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Oscar Serpa.

Une version sans doute moins connue, mais que je trouve très jolie également. Dommage que l’on ne passe pas en général le même titre dans une milonga. Cependant, les événements de plusieurs jours, ou les très longues milongas (10 h ou plus), permettent ces fantaisies…

Uno 1944 Alberto Gómez con Adolfo Guzmán y su conjunto.

Alberto Gómez commence a capela tout au plus soutenu par quelques accords au piano. Progressivement, ce soutien est proposé par d’autres instruments, mais ce n’est qu’à 58 secondes que l’orchestre prend progressivement une place plus importante, sans toutefois perdre de vue qu’il n’est que l’accompagnement du chanteur. Cette version à écouter suscite de la mention, malgré la voix un peu forcée de Gómez que l’on sans doute mieux appréciée, moins appuyée, comme il sait le faire dans certains passages de ce thème.

Uno 1944-04-11 — Orquesta Rodolfo Biagi con Carlos Acuña.

On change complètement de style avec Biagi. Une version rythmée, un peu pressée. Même pour la danse, on sent une pression qui empêche d’entrer complètement dans le thème. Ce n’est pas une critique de la qualité musicale, mais je trouve que cette fois Biagi est passé un peu à côté de la danse, du moins pour les danseurs qui interprètent la musique. Pour les autres, ils retrouveront le tempo bien marqué qui leur convient pour poser leurs patounes en rythme.

Uno 1946 — Trío Argentino (Irusta, Fugazot, Demare) y su Orquesta Típica Argentina con Agustín Irusta.

Les subtilités de la chronologie nous offrent ici, une interprétation à l’opposé de la précédente, par Biagi. Elle est à classer dans la lignée Lamarque, Tania et Gómez. Je pense que vous préférez cette version à celle de l’autre homme de la sélection de tango à écouter. Ici, il s’agit presque d’un duo avec le piano de Lucio Demare. Ce dernier est un merveilleux pianiste pour la musique intime. Vous pourrez vous en convaincre en écoutant ses formidables enregistrements de tango au piano, sur trois époques (1930, 1952-1953 et 1968). C’est le seul grand à s’être livré à cet exercice.

Uno 1951-12-18 — Charlo y su orquesta.

Encore une version à rajouter à la lignée des chansons. La qualité d’enregistrement des années 50 rend mieux justice à la voix de Charlo que ceux de 1925. On a même du mal à être sûr que c’est la même voix quand il chantait avec Canaro ou Lomuto. Essayez d’écouter ses enregistrements avec orchestre ou guitare des années 50 pour vous en rendre compte. Cette métamorphose, en grande partie causée par la technique, nous faire prendre conscience de ce que nous avons perdu en n’étant pas dans la salle dans les années 20.

Uno 1952 — Orquesta Aníbal Troilo con Jorge Casal.

Avec Troilo et Casal, on revient vers le tango de danse. Bien sûr, vous comparerez cette version avec celle de 1943 avec Marino. Les deux sont formidables. L’orchestre est éventuellement moins facile à suivre pour les danseurs, les DJ réserveront certainement cette version aux meilleurs pratiquants.

Uno 1957-09-25 — Orquesta Armando Pontier con Julio Sosa.

Avec Julio Sosa et l’orchestre Armando Pontier, nous sommes plus avancés dans les années 50 et l’importance de faire du tango de danse est perdue. Cela n’enlève pas de la beauté à cette version, mais ça nous fait regretter que le rock et autres rythmes aient supplanté le tango à cette époque en Argentine…

Uno 1961-05-18 — Orquesta José Basso.

José Basso nous donne une des rares versions qui se prive des paroles de Discépolo. Pour ma part, je trouve que la voix manque, même si à tour de rôle et les violons chantent plutôt bien et que le piano de José Basso ne démérite pas. On reste dans l’attente de la voix et c’est un beau final qui nous coupe les illusions.

Uno 1963 — Argentino Ledesma y su orquesta.

De la part de Ledesma, on attend une belle version et on n’est pas déçu.

Uno 1965 – Orquesta Jorge Caldara con Rodolfo Lesica.

On retrouve Caldara, cet ancien bandonéoniste de Pugliese avec Lesica. Une belle association. L’introduction avec le superbe violoncelle de José Federighi prouve s’il en était besoin les qualités de ce musicien et arrangeur d’une grande modestie.
Je vous propose de terminer cette longue liste avec l’auteur Mariano Mores et son petit-fils, Gabriel Mores.

N’oubliez pas de cliquer sur ce dernier lien pour consulter l’album de Mariano Mores en écoutant une toute dernière version d’Uno, même si c’est loin d’être la meilleure. Vous y découvrez la vie de cet artiste qui est resté sur scène jusqu’à l’âge de 94 ans, après 80 années d’activité. Sans doute un des records de longévité.

https://es.moresproject.com/mariano-mores

Au revoir, Mariano, et à demain, les amis !