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Y todavía te quiero 1956-06-21 – Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel

Luciano Leocata Letra: Abel Mariano Aznar

Voici le type même du tango qui rendait fou Jorge Luis Borges. Du sentimental à haute dose, pour lui qui ne voyait dans le tango que des affaires de compadritos, des histoires d’hommes virils dans les zones interlopes des bas quartiers de Buenos Aires. Il vouait une haine féroce à Gardel, l’accusant d’avoir dénaturé le tango en le rendant niais. Mais comme le mal est fait, plongeons-nous avec délice, ou horreur, dans la guimauve du sentimentalisme.

Extrait musical

Y todavía te quiero 1956-06-21 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel
Partition des éditions Julio Korn avec Pacheco en couverture.

Paroles

C’est le genre de tango où les Argentins s’exclament « ¡Que letra, por Dios! »

Cada vez que te tengo en mis brazos,
que miro tus ojos, que escucho tu voz,
y que pienso en mi vida en pedazos
el pago de todo lo que hago por vos,
me pregunto: ¿por qué no termino
con tanta amargura, con tanto dolor?…
Si a tu lado no tengo destino…
¿Por qué no me arranco del pecho este amor?

¿Por qué…
sí mentís una vez,
sí mentís otra vez
y volvés a mentir?…

¿Por qué…
yo te vuelvo a abrazar,
yo te vuelvo a besar
aunque me hagas sufrir?

Yo sé
que es tu amor una herida,
que es la cruz de mi vida,
y mi perdición…

¿Por qué
me atormento por vos
y mi angustia por vos
es peor cada vez?…

¿Y por qué,
con el alma en pedazos,
me abrazo a tus brazos,
si no me querés ?

Yo no puedo vivir como vivo…
Lo sé, lo comprendo con toda razón,
sí a tu lado tan sólo recibo
la amarga caricia de tu compasión…

Sin embargo… ¿Por qué yo no grito
que es toda mentira, mentira tu amor
y por qué de tu amor necesito,
sí en él sólo encuentro martirio y dolor?

Luciano Leocata Letra: Abel Mariano Aznar

Traduction libre et indications

Chaque fois que je te tiens dans mes bras, que je regarde tes yeux, que j’écoute ta voix, et que je pense à ma vie en miettes, au prix de tout ce que je fais pour toi, je me demande :
Pourquoi je n’arrête pas avec tant d’amertume, avec tant de douleur ?…
Si à tes côtés, je n’ai pas d’avenir…
Pourquoi est-ce que je n’arrache pas cet amour de ma poitrine ?
Pourquoi…
si vous mentez une fois, si vous mentez encore recommencez à mentir ?… (là, on passe au vouvoiement, ce qui n’est pas habituel en Argentine. Est-ce une façon de prendre ses distances ?).
Pourquoi…
Je te reprends dans mes bras, je t’embrasse à nouveau bien que tu me fasses souffrir ?
Je sais que ton amour est une blessure, qu’il est la croix de ma vie, et ma perte…
Pourquoi est-ce que je me tourmente pour toi et que mon angoisse pour toi est pire chaque fois ?…
Et pourquoi, avec mon âme en morceaux, je me serre dans tes bras, si tu ne m’aimes pas ?
Je ne peux pas vivre comme je vis… je le sais, je le comprends avec toute ma raison, si je ne reçois à tes côtés que l’amère caresse de ta compassion…
Cependant… Pourquoi je ne crie pas que tout est mensonge, mensonge ton amour et pourquoi ai-je besoin de ton amour, si je n’y trouve que le martyre et la douleur ?

Autres versions

L’année de la sortie de ce titre, en 1956 le succès fut immense et tous les orchestres ayant une fibre sentimentale, ou pas, ont essayé de l’enregistrer. Pas moins de 11 enregistrements en cette année 1956, sans doute un record pour un titre.
Prenez votre mouchoir, on retourne en 1956, année romantique.

Y todavía te quiero 1956 — Héctor Pacheco y su Orquesta dir. por Carlos García. Avec les clochettes du début, une version kitch à souhait.

C’est peut-être la première version, car il travailla étroitement avec Leocata à partir de cette époque. On trouve également son portrait sur la partition éditée par Julio Korn.

Y todavía te quiero 1956-02-17 – Orquesta Argentino Galván con Jorge Casal.

Jorge Casal est aussi un bon candidat pour être le premier, pour les mêmes raisons que Pacheco, sauf la photo sur la partition.

Y todavía te quiero 1956-03-22 – Orquesta Símbolo « Osmar Maderna » dir. Aquiles Roggero con Horacio Casares
Y todavía te quiero 1956-05-18 – Orquesta Alfredo De Angelis con Oscar Larroca
Y todavía te quiero 1956-06-11 – Orquesta José Basso con Floreal Ruiz
Y todavía te quiero 1956-06-21 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel. C’est notre tango du jour.
Y todavía te quiero 1956-06-29 – Orquesta Domingo Federico con Armando Moreno
Y todavía te quiero 1956-07-24 – Orquesta Héctor Varela con Rodolfo Lesica
Y todavía te quiero 1956-07-25 – Alberto Morán con acomp. de Orquesta dir. Armando Cupo
Y todavía te quiero 1956-10-19 – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Florio
Y todavía te quiero 1956-12-10 — Orquesta Juan D’Arienzo con Libertad Lamarque

Et un enregistrement qui a raté la fenêtre en arrivant l’année suivante…

Y todavía te quiero 1957 — Los Señores Del Tango con Oscar Serpa

Par la suite, d’autres orchestres ont enregistré, mais je vous propose pour terminer et les encourager Los Caballeros del Tango qui est un orchestre de jeunes Colombiens. La chanteuse est Nathalie Giraldo (Nagica).

Los Caballeros del Tango interprètent Y todavia te quiero (2022).

Cela fait plaisir de voir que la génération Z continue de s’intéresser au tango. Attendons qu’ils prennent un peu d’assurance pour qu’ils assurent la relève.

Histoire de « Y »

Non, je ne vais pas vous parler de la génération Y, celle qui a succédé aux X, V Baby-boomers, mais plutôt de la lettre Y qui précède le titre de ce tango. Y en espagnol, c’est et. En voici l’histoire, telle qu’on la raconte généralement dans le petit monde du tango.

La SADAIC est l’organisme qui enregistre les morceaux de musique en Argentine et qui distribue les droits d’auteurs en fonction des mérites respectifs de chacun des auteurs (je sais, c’est purement théorique ; —).
Donc, quand Luciano Leocota a voulu déposer la musique du tango « Volvemos a querernos » le 13 mai 1948, il n’a pas pu le faire, car ce titre était déjà pris.
J’ai voulu savoir quel était ce Volvemos a querernos initial. J’ai donc consulté le registre de la SADAIC et il y a bien deux musiques avec un titre proche. Mais la surprise est à venir :

Sous le numéro 333294, on trouve une œuvre enregistrée en 1988, soit 40 ans après la soi-disant date de collision des titres.

Registrada el 01/12/1988
T | VOLVAMOS A QUERERNOS OTRA
SANCHEZ NESTOR FERNANDO / BELLATO MARIA GABRIELA

On notera que le titre est VolvAmos a querernos et pas VolvEmos a querernos.
Mais il y a une deuxième surprise lorsque l’on vérifie l’enregistrement du tango déposé par Leocota et Aznar :

4772 | ISWC T0370051196
Registrada el 13/05/1948
T | Y VOLVEMOS A QUERERNOS (C’est le titre que nous connaissons)
S | VOLVAMOS A QUERERNOS (Avec VolvAmos), le sous-titre apporte une autre variante.
S | CHANTER LEOCATA AZNAR
S | Y VOLVAMOS A QUERERNOS LEOCATA AZ
AZNAR MARIANO ABEL
LEOCATA LUCIANO

Il se peut donc que ce titre ait été enregistré ailleurs qu’en Argentine et je me suis tourné vers Leo Marini, un chanteur Argentin parti en 1950 à Cuba, Che. Justement, celui-ci a enregistré un boléro nommé « Volvamos a querernos ». Je le propose donc comme candidat pour la collision.
Cependant, j’ai un autre candidat…
Il s’agit de Y no te voy a llorar.

1200 | ISWC T0370013629
Registrada el 16/03/1948
T | NO TE VOY A LLORAR
CALO MIGUEL/NIEVAS ROBERTO HIGINIO

L’intrus est dans ce cas une composition de Miguel Calo déposée en mars.

# 28897 | ISWC T0370310761
Registrada el 31/08/1953
T | Y NO TE VOY A LLORAR
S | NO TE VOY A LLORAR
AZNAR MARIANO ABEL
LEOCATA LUCIANO

Ce dépôt est postérieur à celui de Y Volvemos a querernos, et il n’est donc sans doute pas le premier.
Je ne suis pas certain d’avoir trouvé le « gêneur », ni même si cette histoire est vraie. ET vous allez me faire remarquer que je parle d’un tango différent et vous avez tout à fait raison. Je reviens donc au Y.
Si Y Volvemos a querernos est le premier de la série des compositions de Leocata à être précédé d’un Y, beaucoup de ses compositions (environ 1/3) subiront le même sort. C’est devenu sa marque de fabrique.

Œuvres avec enregistrement disponible

  • Y volvemos a querernos 1949 (déposé à la SADAIC le 13 mai 1948)
  • Y mientes todavía 1950 (Déposé à la SADAIC le 23 octobre 1950)
  • Y no te voy a llorar 1953 (déposé à la SADAIC le 16 mars 1948) avec la collision de noms avec un titre de Miguel Calo).
  • Y todavía te quiero 1956 (notre titre du jour, déposé à la SADAIC le 18 janvier 1956). Il y a 22 thèmes avec un titre similaire, voire exactement le même. La règle de ne pas avoir deux œuvres du même nom semble avoir sauté… Le plus ancien semble être notre tango, car si plusieurs enregistrements ne sont pas datés, celui-ci a le numéro le plus petit.
  • Y te tengo que esperar 1957 (déposé à la SADAIC le 8 mars 1957)

Œuvres probablement sans enregistrement disponible.

  • Y a mi me gusta el tango (déposé à la SADAIC le 19 mai 1981)
  • Y deshojando el tiempo (déposé à la SADAIC le 13/03/1992)
  • Y el invierno queda atrás (déposé à la SADAIC le 8 juillet 2003)
  • Y esperando tu regreso (déposé à la SADAIC le 20 octobre 2005)
  • Y estás desesperado (déposé à la SADAIC le 6 novembre 1978)
  • Y este es el amor (déposé à la SADAIC le 15 décembre 1995)
  • Y fue en aquel mes de mayo (déposé à la SADAIC le 18 mars 1998)
  • Y fue tan solo por amor (déposé à la SADAIC le 14 mars 1990)
  • Y fue un sueño imposible (déposé à la SADAIC le 6 avril 1976)
  • Y hoy vuelvo a revivir (déposé à la SADAIC le 17 novembre 1989)
  • Y la quise con locura (déposé à la SADAIC le 17 septembre 1981)
  • Y la vida sigue igual (déposé à la SADAIC le 27 mai 2002)
  • Y le canto a mi ciudad (déposé à la SADAIC le 8 avril 1991)
  • Y mentira fue tu amor (déposé à la SADAIC le 6 mai 1971)
  • Y no fue sin querer (déposé à la SADAIC le 22 mai 1989)
  • Y no me cuentes tu tristeza (déposé à la SADAIC le 1er août 1984)
  • Y no pudieron separarnos. Ce titre mentionné par Anamaria Blasseti n’est pas dans le listing de la SADAIC. J’ai vérifié les œuvres déposées par le co-auteur mentionné, Félix Arena (Rosario), la seule œuvre avec Y est Y mentira fue tu amor de 1971 et aucune autre de ses productions a un titre approchant.
  • Y no puedo vivir sin vos (déposé à la SADAIC le 27 mai 2002)
  • Y no te creo (déposé à la SADAIC le 17 mai 1955)
  • Y para qué seguir fingiendo (déposé à la SADAIC le 15 décembre 1993)
  • Y pretendes que empecemos otra vez (déposé à la SADAIC le 24 février 1982)
  • Y quiero estar a tu lado (déposé à la SADAIC le 27 mai 2002)
  • Y quiero que vuelvas a mí (déposé à la SADAIC le 14 mars 1990)
  • Y rogaré por vos (déposé à la SADAIC le 6 février 1975)
  • Y te acordás que fue una tarde (déposé à la SADAIC le 27 mai 2002)
  • Y te deje partir (déposé à la SADAIC le 19 avril 2005)
  • Y todo es mentira (déposé à la SADAIC le31 janvier 1958)
  • Y uniremos nuestro amor (déposé à la SADAIC le 27 mai 2002)
  • Y vivamos nuestro carnaval (déposé à la SADAIC le 15 décembre 1980)
  • Y vuelvo a ser felix (déposé à la SADAIC le 27 mai 2002)
  • Y yo tenía quince años (déposé à la SADAIC le 27 mai 2002)

Cela fait une belle liste. À ma connaissance, seuls les titres où j’ai indiqué la date ont été enregistrés (j’ai mentionné la date du plus ancien enregistrement connu).

À demain, les amis !

Milonguero viejo 1955-06-20 – Orquesta Carlos Di Sarli

Carlos Di Sarli Letra: Enrique Carrera Sotelo

On considère parfois, que les premières versions sont les meilleures et que par la suite, les enregistrements suivants vont en déclinant. Come toute généralisation hâtive, c’est discutable. Dans le cas de Di Sarli, même si on se place dans le rôle du danseur, cette théorie n’est pas forcément pertinente. Il y a une évolution, mais toutes les versions, si différentes soient-elles, ont de l’intérêt. Voyons cela.

Extrait musical

Milonguero viejo 1955-06-20 – Orquesta Carlos Di Sarli.

C’est la quatrième version proposée par Di Sarli au disque. Nous verrons l’évolution en fin d’article avec l’écoute des trois premières versions.

Paroles

Les versions de Di Sarli sont toutes instrumentales, mais il y a des paroles, que voici :

El barrio duerme y sueña
al arrullo de un triste tango llorón;
en el silencio tiembla
la voz milonguera de un mozo cantor.
La última esperanza flota en su canción,
en su canción maleva
y en el canto dulce eleva
toda la dulzura de su humilde amor.

Linda pebeta de mis sueños,
en este tango llorón
mi amor mistongo va cantando
su milonga de dolor,
y entre el rezongo de los fuelles
y el canyengue de mi voz,
ilusionado y tembloroso
vibra humilde el corazón.

Sos la paica más linda del pobre arrabal,
sos la musa maleva de mi inspiración;
y en los tangos del Pibe de La Paternal
sos el alma criolla que llora de amor.
Sin berretines mi musa mistonguera
chamuya en verso su dolor;
tu almita loca, sencilla y milonguera
ha enloquecido mi pobre corazón.

El barrio duerme y sueña
al arrullo del triste tango llorón;
en el silencio tiembla
la voz milonguera del mozo cantor;
la última esperanza flota en su canción,
en su canción maleva
y el viento que pasa lleva
toda la dulzura de su corazón.

Carlos Di Sarli Letra: Enrique Carrera Sotelo

Traduction libre et indications

Le quartier dort et rêve au roucoulement d’un triste tango larmoyant ; dans le silence tremble la voix milonguera d’un charmant chanteur.
La dernière espérance flotte dans sa chanson, dans sa chanson maleva (en lunfardo, c’est l’apocope de malévolo au féminin. La chanson est donc mal intentionnée, mauvaise, par son sens, pas par manque de qualité) et dans la douce chanson, il élève toute la douceur de son humble amour.
Belle poupée de mes rêves, dans ce tango larmoyant mon amour triste chante sa milonga de douleur, et entre le grognement des bandonéons et le canyengue de ma voix, amoureux et tremblant, le cœur vibre humblement.
Tu es la plus jolie fille (la paica est la compagne d’un compadrito et par extension, l’amante ou tout simplement la compagne) des faubourgs pauvres, tu es la muse malveillante de mon inspiration ; et dans les tangos du Pibe de La Paternal (surnom d’Osvaldo Fresedo, ce qui explique qu’il fut le premier à l’enregistrer…) vous êtes l’âme criolla (de tradition argentine) qui pleure d’amour.
Sans repos (el berretín peut être le loisir comme dans Los tres berretines, une idée fixe, un caprice), ma triste muse exprime en vers, sa douleur ; ta petite âme folle, simple et milonguera a rendu fou mon pauvre cœur.
Le quartier dort et rêve au roucoulement d’un triste tango larmoyant ; dans le silence tremble la voix milonguera d’un charmant chanteur.
La dernière espérance flotte dans sa chanson, dans sa chanson maleva et le vent qui passe emporte toute la douceur de son cœur.

Autres versions

Milonguero viejo 1928-02-24 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Ernesto Famá.

Il ne faut pas juger trop sévérement cette version, elle est de 1928 et donc dans le jus de son époque. Disons juste qu’elle n’est pas de la meilleure période de Fresedo. Manque de chance, il le réenregistrera en fin de carrière, une autre version qui n’est pas dans sa meilleure période… On doit cependant mettre à son crédit un tempo assez lent, comme celui des Di Sarli des années 50, mais le pesant canyengue, détruit toute la joliesse du titre. Une version pour des piétineurs qui ne seraient pas gênés par la voix de Famá.

Milonguero viejo 1928-02-29 – Ignacio Corsini con guitarras de Aguilar-Pesoa-Maciel.

Remarquez l’alternance de voix de gorge et de tête.

Milonguero viejo 1928-04-02 – Orquesta Juan Maglio « Pacho » con Carlos Viván.

C’est la dernière version chantée. Les enregistrements suivants seront instrumentaux. Le style un peu trop vieillot manque sans doute de charme pour nos milongas modernes, même si dans l’interprétation, l’écriture de Di Sarli est reconnaissable. N’oublions pas qu’à cette époque, Di Sarli jouait avec son sexteto dans un style semblable.

A Milonguero viejo 1940-07-04 – Orquesta Carlos Di Sarli.

Un tempo un peu soutenu, peut-être trop pour le thème. Mais comme c’est une version instrumentale, les danseurs ne sont pas supposés savoir que c’est triste… 128BPM

B Milonguero viejo 1944-07-11 – Orquesta Carlos Di Sarli.

Milonguero viejo 1944-07-11 – Orquesta Carlos Di Sarli. Quatre ans après, Di Sarli corrige le tir avec un rythme plus calme. 122 BPM, mais quand on dans l’oreille, les versions des années 50, on pourra le trouver un tout petit peu trop rapide. On notera qu’au début, Di Sarli a ajoutée une montée de gamme pour introduire le thème. La version de 1940 et celles des autres orchestres qui n’ont pas adopté cet ajout paraissent plus abruptes dans la mise en œuvre.

C Milonguero viejo 1951-09-26 – Orquesta Carlos di Sarli.

Di Sarli ralenti encore le tempo. La musique sonne plus majestueuse. Je trouve que cela convient mieux au thème du vieux milonguero, même si c’est un enregistrement instrumental. 115 BPM. Comme j’ai placé un sondage à la fin de l’article, je ne vais pas écrire que c’est ma version préférée pour ne pas vous influencer.

Milonguero viejo 1954 – Orquesta Lucio Demare.

L’ordre chronologique des enregistrements place cet enregistrements au milieu des versions de Di Sarli. La comparaison n’est pas à l’avantage de Demare.

D Milonguero viejo 1955-06-20 – Orquesta Carlos Di Sarli.

C’est notre tango du jour. Il est à la vitesse que la version de 1951, 115 BPM. Avec la version de 1951, peut-être encore meilleure, cette version prouve que l’adage de plus c’est vieux, mieux c’est ne fonctionne pas. Les versions de 1950, pour ce titre, surpassent largement celles des années 40.

Milonguero viejo 1957 – Horacio Salgán y su Orquesta Típica.

Entrée directe sans introduction au piano. Les variations imprévisibles, rendent le titre indansable.

Face 2 – 01 Milonguero viejo 1958 – Argentino Galván.

La version la plus courte. Elle fait partie du disque de Argentino Galván que je vous ai présenté en deux fois et dont j’ai promis une étude de la pochette, un jour…

Milonguero viejo 1959-04-06 Orquesta Osvaldo Fresedo.

Vous étiez prévenu, même si Fresedo a enregistré deux fois, Milonguero viejo, aucune de ses versions ne soulèvera d’enthousiasme. Pour un titre qui le cite, il aurait pu s’appliquer et enregistrer avec Ray ou Ruiz, une belle version.

Milonguero viejo 1983 c – Alberto Di Paulo.

Entrée direct dans le thème, sans l’introduction de piano. En revanche, le tempo est lent, comme les derniers enregistrements de Di Sarli. Pour la danse il manque peut êre un peu de tonus et l’orchestre n’est pas assez incisif, les danseurs risquent de s’endormir.

Milonguero viejo 2010 – Las Bordonas.

Avec un tempo irrégulier de près de 150BPM, ne me semble pas très en phase avec les paroles, chantées avec une alternance de voix de gorge et de tête, un peu comme le faisait Corsini. Si les guitaristes sont Javier Amoretti, Nacho Cedrún et Martín Creixell et le contrebassiste Popo Gómez, je ne sais pas qui chante, peut-être les guitaristes.

E Milonguero viejo 2011 – Orquesta Típica Gente de Tango.

Pour cette dernière version, je vous propose leur partition en PDF. Comme vous avez pu l’entendre, c’est un arrangement à partir de Di Sarli. Ils ont également conservé l’ajout du piano en introduction des versions de 1944 et ultérieures de Di Sarli.

Partition Gente de tango (PDF)

Sondage

Después del carnaval 1941-06-19 Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz

José Antonio Amunchástegui Keen (Paroles et musique)

Emportée par la foule, la célèbre chanson d’Edith Piaf pourrait être la sœur de notre tango du jour. Les deux nous comptent un amour éphémère, séparé par la foule dans le cas d’Edith et par le cortège de Carnaval dans celui de Ricardo Ruiz. Le carnaval était au vingtième siècle un événement pour les orchestres de tango.

Extrait musical

Después del carnaval 1941-06-19 Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz

Paroles

Se fueron las horas
de algarabía
que Momo brindara
con alegría…
Callaron las risas
de Colombina…
Pierrot agoniza
entre serpertinas.
Murió carnaval y su cortejo
de alegre y loca bullanguería….
Cornetas y gritos se escuchan lejos,
vibrando las almas, al recordar…

Recordé que una noche
el amor me brindó
dos labios plenos de pasión
y ardor….
Fue una noche que
lloraban los violines
un triste vals de
promesas olvidadas…
mientras la luna plateaba los jardines
un beso ardiente en la noche palpitó.

Mas el encanto
de aquellas horas,
al morir Momo
se diluyó.
Y con mi dolor
a solas
lloré la muerte
de mi ilusión.

Hoy solo escucho
los tristes ecos
de aquella alegría
y de aquel beso…
Mientras en las calles
las serpertinas
en llamas de fuego
se ven quemar!
Y entre cenizas carnavalescas
aún quedan ardientes mis ilusiones…
mi ensueño, el beso y las promesas
prendieron la llama, ¡de aquel soñar!…

Mas no fue solo un sueño
de amor que brilló;
trajo también el placer
dolor…
Pues la ilusión también
dejó su huella triste,
al ausentarse entre el
cortejo que marchaba…
llevándose con su alegre mascarada
mi último sueño de amor que allí tejí…

Pues ya soñaba, que fuera eterna
la breve dicha, que ayer viví…
Y con mi pesar, yo ruego
que vuelva pronto otro Carnaval.

José Antonio Amunchástegui Keen (Paroles et musique)

Traduction libre et indications

Les heures de vacarme où le Roi Momo trinquait avec joie sont révolues. (La algarabía, c’est le bruit que l’on entend entre les morceaux dans les milongas de Buenos Aires, quand les gens parlent tous en même temps, c’est le brouhaha. Le Roi Momo était la figure emblématique du carnaval, inspiré du Dieu Momos ou Momus des Grecs anciens, repris par les Romains dans leurs saturnales. Le carnaval a été diffusé en Amérique du Sud, avec le succès que l’on sait, notamment en Colombie et au Brésil. En Argentine, et Uruguay, le carnaval est également un élément important de l’année et cela depuis le début du vingtième siècle.)
Les rires de Colombine se sont tus…
Pierrot agonise au milieu des serpentins.
Carnaval est mort (Le Roi Momo, comme le Bonhomme Carnaval en France, termine généralement assez mal, noyé, brûlé…) et son cortège de bruit joyeux et fou tintamarre (bullanguería est un synonyme de algarabía)
Des cornets (comme ceux du tranvia, tramway) et des cris se font entendre au loin, faisant frissonner les âmes au souvenir…
Je me suis souvenu qu’une nuit l’amour m’a donné deux lèvres pleines de passion et d’ardeur… C’était une nuit où les violons pleuraient, une triste valse de promesses oubliées… Alors que la lune argentait les jardins, un baiser ardent dans la nuit palpitait.
Mais le charme de ces heures, où Momo mourut, se dilua. Et avec ma seule douleur, j’ai pleuré la mort de mon illusion (illusion est comme toujours un sentiment d’amour).
Aujourd’hui, je n’entends que les tristes échos de cette joie et de ce baiser…
Alors que dans les rues, on voit brûler les serpentins en flammes de feu et parmi les cendres carnavalesques, mes illusions brûlent encore… Mon rêve, le baiser et les promesses ont allumé la flamme de ce rêve…
Mais ce n’était pas seulement un rêve d’amour qui brillait, il apportait aussi du plaisir et de la douleur.
Puis, l’illusion a aussi laissé son empreinte triste, lorsqu’elle s’est éclipsée entre le cortège en marche… emportant avec sa joyeuse mascarade mon dernier rêve d’amour que j’y ai tissé…
Enfin, j’avais déjà rêvé que ce bref bonheur que j’ai vécu hier serait éternel… Et avec mon regret, je prie pour que revienne bientôt un autre carnaval.

Carnaval

Quand on pense, Amérique du Sud et Carnaval, c’est bien sûr Rio de Janeiro qui a la vedette. Mais en fait, les colons européens ont apporté le carnaval dans toute l’Amérique du Sud et l’Argentine et l’Uruguay l’ont également adopté, au début du vingtième siècle. Les percussions de la murga font un fond sonore puissant, mais la danse étant au programme, les orchestres sont mobilisés et plusieurs orchestres se sont formés pour ces occasions, de façon éphémère ou plus durable. Hier, nous avons vu l’orchestre Firpo-Canaro qui avait animé le carnaval à Rosario, il y en a beaucoup d’autres, comme Polito-D’Arienzo pour le carnaval de 1929 ou le Greco-Canaro pour les carnavals de 1914 – 1915.
On se souviendra aussi de Alfredo Bigeschi qui écrivit son premier tango pour le carnaval de la Boca.

Mural de Benito Quinquela Martín Le carnaval de la Boca — 1936.
Le carnaval de la Boca. La bande « Juventud Bar Oriente ».

La bande « Juventud Bar Oriente » est née à la fin de 1952 (comme en témoigne son étendard). Elle représentait son quartier. Cette bande s’était organisée en club social et avait son siège près de la bombonera, le stade de Boca Junior.

Un film que nous avons déjà évoqué Carnaval de Antaño (1940), présente des images reconstituant le carnaval de 1912.

Carnaval de antaño. Reconstitution du carnaval de 1912 — Les chars, les défilés et un bal dans le film de Manuel Romero, Carnaval de Antaño (1940).
À partir de 1936, Canaro inaugure les bals au Luna Park, la grande salle de spectacle de Buenos Aires. Sur cette image, on peut voir la propagande pour Coca Cola et la quantité incroyable de danseurs sur la piste.

Dans ses mémoires, Canaro cite ses différentes prestations pour des carnavals, de Rosario à Montevideo en passant par Buenos Aires. L’apothéose est sans doute constituée par les bals géants qu’il animait au Luna Park.

Autres versions

Después del carnaval 1941-06-19 Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz. C’est notre tango du jour. La version la plus diffusée en Europe.
Después del carnaval 1958-05-28 — Orquesta José Basso con Floreal Ruiz.

Avec un autre Ruiz qui n’est pas le frère du premier. En effet, les deux frères de Floreal s’appellaient, Fraternidad et Libertario. Voilà ce que c’est que d’avoir un père anarchiste…

Después de carnaval 1958-08-20 — Héctor Pacheco y su Orquesta dir. por Carlos García.

Hector Pacheco l’enregistre avec son orchestre. C’est bien sûr une version à écouter. On notera que le titre est ; Después de carnaval et non pas Después del carnaval comme dans toutes les autres versions.

Después del carnaval 1959-01-12 Orquesta Osvaldo Fresedo con Hugo Marcel.

Fresedo nous propose une version très différente où les bandonéons staccatos contrastent avec les violons legatos. Ce Fresedo tardif comporte cependant des fioritures qui n’ont pas bien vieilli et l’on se contentera, pour nos milongas, de la version de 1941.

En 1986, José Basso enregistre de nouveau ce titre avec Eduardo Borda y Quique Ojeda. Je vous propose ici une version télévisée.

José Basso con Eduardo Borda y Quique Ojeda dans Después del carnaval.

 On n’est pas dans la danse, mais en 1986, c’était à peine le début du renouveau du tango dansé à Buenos Aires.

Deux versions par Di Paulo

Después del carnaval – Orquesta Alberto di Paulo V1.
Después del carnaval – Orquesta Alberto di Paulo V2.

Pour nous réconcilier avec la danse, une version contemporaine, par le Sexteto Cristal.

Despues del carnaval — Sexteto Cristal con Guillermo Rozenthuler.

Ce sexteto a le mérite de ressortir des titres un peu oubliés malgré leur qualité. Il garde les arrangements d’origine, ici, ceux de Fresedo avec Ruiz. Le résultat est donc tout à fait dansable, bien plus que les derniers titres de ma petite liste…

À demain, les amis !

Canaro 1935-06-18 Orquesta Francisco Canaro

José Martínez

On connaît tous Francisco Canaro, le plus prolifique des enregistreurs de tango avec près de 4000 enregistrements sur disque, mais aussi de la musique de film et des enregistrements à la radio. Même si son caractère était un peu fort, il a trouvé des admirateurs qui lui ont dédié des tangos. On connaît parfaitement «Canaro en Paris» de Alejandro Scarpino et Juan Caldarella, mais peut-être un peu moins Canaro, juste Canaro de José Martínez. C’est notre tango du jour, nous allons pallier cette éventuelle lacune.

José Martínez était un pianiste et compositeur qui travailla avec Canaro à ses débuts. C’était au café Los loros (le loro est une sorte de perroquet très commun à Buenos Aires. Il vit en liberté, mais aussi en cage où il sert s’avertisseur en cas d’intrusion dans la maison). Canaro remplaça temporairement le violoniste Julio Doutry d’un trio qu’il formait avec Augusto Berto (bandonéon). Jusqu’au retour de Doutry, Canaro était donc avec Berto et Martínez.
Martínez resta avec cette formation, une fois Canaro parti.
Ils se retrouvent peu après dans un quatuor, « MartínezCanaro, au côté de Fresedo (bandonéon). En 1915, Canaro forme son orchestre et Martínez en assure la partie de piano.
C’est probablement durant cette période que Martínez écrivit le tango Canaro, car ce dernier l’enregistra en 1915 avec son tout nouvel orchestre.
En 1917, Firpo et Canaro collaboreront pour le carnaval de 1917. On voit sur l’affiche la présence de Martínez comme pianiste.

Orchestre Firpo-Canaro, Teatro Colón de Rosario, Carnaval 1917.

En commençant en haut à gauche et dans le sens inverse des aiguilles d’une montre :

Osvaldo Fresedo (Bandonéon), Agesilao Ferrazzano (Violon), Pedro Polito (Bandonéon), Alejandro Michetti (Flûte), Julio Doutry (Violon), Leopoldo Thompson (Contrebasse, Juan Carlos Bazan (Clarinette, Juan D’Ambrogio « Bachicha » (Bandonéon), Tito David Rocatagliata (Violon), José Martínez (Piano). Au centre, Roberto Firpo, Francisco Canaro et Eduardo Arolas (Bandonéon).
C’était à Rosario au Teatro Colón de Rosario, inauguré en 1904 et démoli en 1958…

Teatro Colón de Rosario, inauguré en 1904 et démoli en 1958…

Extrait musical

Partition de Canaro par José Martínez avec la dédicace à son estimé ami et auteur national, Francisco Canaro.
Canaro 1935-06-18 Orquesta Francisco Canaro
Partition pour piano de Canaro par José Martínez.

Autres versions

Deux des enregistrements de Canaro par Canaro…À gauche une édition espagnole de 1918 de l’enregistrement de 1915 et à droite, l’édition portugaise de notre tango du jour, la version de Canaro de 1935…

Canaro et d’autres orchestres enregistreront le titre à d’autres moments. Nous allons voir cela.

Canaro 1915 — Orquesta Francisco Canaro.

C’est la première version datant de l’époque de la composition. L’air assez vif et joyeux. La flûte est très présente. Bien sûr, l’enregistrement acoustique et la coutume de jouer chaque fois la musique sans réelles variations, peut rendre le résultat monotone. Cependant, le second thème est assez joli.

Canaro 1927-07-29 — Orquesta Francisco Canaro.

Canaro enregistre à nouveau son titre avec la nouvelle technologie de l’enregistrement électrique. Canaro un rythme, beaucoup plus lent et bien pesant. En 12 ans, il a pris de l’assurance et du poids.

Canaro 1935-06-18 Orquesta Francisco Canaro. C’est notre tango du jour.

Le rythme est un peu plus rapide que dans la version de 1927, sans atteindre la vitesse de 1905. Cela suffit tout de même pour rendre le thème plus joyeux. Les instrumentistes sont excellents comme peut l’indiquer la liste des artistes qui ont participé sur la période :
Federico Scorticati, Angel Ramos, Ciriaco Ortiz, Horacio Golino, Juan Canaro et Ernesto Di Cicco (bandonéonistes) Luis Riccardi (pianiste) Cayetano Puglisi, Mauricio Mise, Bernardo Stalman, Samuel Reznik et Juan Ríos (violonistes) et Olindo Sinibaldi (contrebassiste).

Canaro 1941-07-14 — Orquesta Juan D’Arienzo.

Un petit clin d’œil à son concurrent. Une version bien dans l’esprit de D’Arienzo, bien rythmée, avec des petites facéties joueuses. Une danse qui devrait plaire à beaucoup de danseurs.

Canaro 1952-10-08 — Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.

On reste dans le registre joueur, nouveau pour Canaro. Pour les mêmes raisons que la version de D’Arienzo, celle-ci devrait plaire aux danseurs.

Juan et Mario avec leur Sexteto Juan y Mario Canaro ont également enregistré le titre en 1953. Ce sont aussi des Canaro après tout. Je ne peux pas vous faire écouter, n’ayant pas le disque avec moi au moment où j’écris et ne l’ayant pas numérisé, mais je m’en occupe en rentrant à Buenos Aires. Je vous en attendant un extrait tiré de l’excellent site de référence, tango-dj.at. Non seulement il est très complet, mais en plus, quand il y a une imprécision, il accepte très volontiers les remarques et en tient compte, ce qui n’est pas le cas d’autres sites plus grand public qui disent qu’on a tort et qui corrigent en catimini…

Canaro 1953 — Sexteto Juan y Mario Canaro (EXTRAIT).

Un extrait, donc de la base de données de Tango-dj.at.

Canaro 1953 — Sexteto Ciriaco Ortiz.

Après avoir participé à la version de 1935 dans l’orchestre de Canaro, Ciriaco Ortiz, donne une version très personnelle.

Canaro 1956-02-29 — Orquesta Florindo Sassone.

Comme souvent chez Sassone, la recherche de « joliesse » laisse peu de place à la danse. On notera l’utilisation de la harpe et du vibraphone.

Canaro 1958 — Los Muchachos de Antes.

Avec leur flûte et la guitare et la guitare, les Muchachos de Antes, essayent de faire revivre le tango du début du vingtième siècle. Ce n’est pas du tout vilain et même sympathique. Peut-être pour une despedida délirante avec des danseurs prêts à tout.

Canaro 1962 — Orquesta Rodolfo Biagi.

En 1962, Biagi n’est plus que l’ombre de lui-même. Je cite cette version pour mémoire, mais elle n’apportera pas grand-chose, plusieurs la surpassent largement.

Canaro 1968 — Mariano Mores.

Mariano Mores qui est un rigolo, nous propose une version très différente de toutes les autres. Je ne dis pas que c’est pour les danseurs, mais ça peut aider à déclencher des sourires, lors d’un moment d’écoute.

Voilà, les amis. Je ne vous parle pas aujourd’hui de Canaro à Paris, que Canaro a souvent gravé dans les mêmes périodes que Canaro. Mais promis, à la première occasion, je le mettrai sur la sellette, d’autant plus qu’il y a beaucoup à dire.

Don Juan 1948-06-15 – Juan D’Arienzo

Ernesto Ponzio Letra: Alfredo Eusebio Gobbi, Ricardo Podestá et anonyme.

Pas besoin d’être un grand détective pour savoir qui est le Don Juan dont parle ce tango. Dans un des trois versions connues des paroles, il y a le nom et presque l’adresse de ce Don Juan. Ce que vous ne savez peut-être pas, c’est que l’auteur en est un gamin de 13 (ou 15 ans).

Extrait musical

Partition pour piano de Don Juan de Ernesto Ponzio.
Don Juan 1948-06-15 – Juan D’Arienzo

Paroles de Alfredo Eusebio Gobbi (Mozos guapos)

Al compás de una marchita
muy marcada y compadrona,
a casa de ’ña Ramona
me fui un ratito a bailar.
Por distraer las muchachas
empecé a soltar tiritos
y al ver esto los mocitos
ya empezaron, ya empezaron a roncar.

Si en los presentes
hay mozos guapos,
que peguen naco,
que vengan a mí.
Que aunque sean muchos
yo les daré palos
porque soy más malo
que el cumbarí.

Yo que no soy nada lerdo
ni nada hay que yo no vea,
comprendiendo que pelea
se me trataba de armar,
salí al patio y envolviendo
al brazo el poncho de guerra
hice una raya en la tierra
y me le puse, me puse a cantar.

Salió el dueño de la casa,
’ña Ramona y los parientes,
“Perdonate por decente,
mucho respeto y admiro”.
Cuando uno haciendo rollo
rascándose la cadera
sacó un revólver de afuera
dijo si me le pegó, le pegó un tiro.

Yo que estaba con el ojo
bien clavado en el mocito,
me largué sobre el maldito
y el revólver le quité.
Y después mirando a todos,
y haciéndoles la pat’ ancha,
les grité ¡ábranme cancha!,
y enseguida, enseguida les canté.

Ernesto Ponzio Letra: Alfredo Eusebio Gobbi

Traduction libre des paroles de Alfredo Eusebio Gobbi

Au rythme d’une petite marche bien rythmée et compadrona, je suis allé un petit moment à la casa de la Ramona pour danser un petit moment.
Pour distraire les filles, j’ai commencé à libérer des frissons et quand ils ont vu cela, les morveux ont commencé, à grogner.

S’il y a de beaux gosses ici, qui frappent dur, qu’ils viennent à moi.
Que même s’il y en a beaucoup, je les battrai parce que je suis pire que le cumbarí. (Sorte de piment appelé en argot putaparió, fils de pute).

Moi, qui ne suis en rien terne et qu’il n’y a rien que je ne voie pas, comprenant qu’ils essayaient de m’entraîner, je suis sorti dans la cour et enroulant le poncho de guerre autour de mon bras, j’ai fait une ligne sur le sol et je me mis, je me mis à chanter.

La patrone de la maison, La Ramona et les parents, sont sortis : « Excusez-moi d’être décent, beaucoup de respect et d’admiration. »
Quand l’un d’eux s’est raclé la hanche et a sorti un revolver, j’ai dit de dehors que s’il me touchait, je lui enverrai un tir. (Les paroles semblent évoquer l’histoire personnelle de Ponzio qui un peu plus tard tuera par accident le voisin de la personne qu’il voulait intimider et fut condamné à 20 ans de prison. Il était peut-être attiré par la personnalité des tauras et des compadritos au point d’en devenir un lui-même).
Moi, qui avais l’œil fermement fixé sur le morveux, je me jetai sur ce maudit homme et lui ai pris le revolver.
Et puis en regardant tout le monde, et en faisant toute une histoire, je leur ai crié : « Ouvrez-moi le champ ! », et immédiatement, immédiatement je leur ai chanté.

Paroles de Ricardo Podestá (El taita del barrio)

En el tango soy tan taura
que cuando hago un doble corte
corre la voz por el Norte,
si es que me encuentro en el Sud.
Y pa bailar la Yuyeta
si es que me visto a la moda
la gente me dice toda
Dios le dé, Dios le dé, vida y salud.

Calá, che, calá.
Siga el piano, che,
dése cuenta usted
y después dirá
si con este taita
podrán por el Norte
calá che, qué corte,
calá, che, calá.

No hay teatro que no conozca
pues hasta soy medio artista
y luego tengo una vista
que hasta dicen que soy luz.
Y la forma de mi cuerpo
arreglada a mi vestido
me hacen mozo muy querido,
lo juro, lo juro por esta cruz.

Yo soy el taita del barrio,
pregúnteselo a cualquiera.
No es esta la vez primera
en que me han de conocer.
Yo vivo por San Cristóbal,
me llaman Don Juan Cabello,
anóteselo en el cuello
y ahí va, y ahí va, así me quieren ver.

Ernesto Ponzio Letra: Ricardo Podestá

Traduction libre des paroles de Ricardo Podestá

Au tango, je suis tellement taura (caïd, baron du lieu) que quand je fais un double corte (figure de tango) la nouvelle se répand dans le Nord, si je me trouve dans le Sud.
Et pour danser la Yuyeta (probablement une orthographe populaire de shusheta qui signifie élégant, déloyal ou qui ne peut pas garder un secret. On connait le tango EL aristócrata dont le sous-titre est shusheta, mais quel est le lien avec la danse ?), si je m’habille à la mode, les gens me disent que Dieu lui donne tout, Dieu lui donne, la vie et la santé.

Calá, che, calá. (???)
Suivez le piano, che, vous vous en rendez compte et puis vous direz si avec ce taita ils pourront aller vers le nord
Calá che, quelle coupe,
Calá, che, calá.

Il n’y a pas de théâtre que je ne connaisse, car je suis à moitié un artiste et que j’ai une vue qui dit témoigne que je suis rapide, brillant.
Et la forme de mon corps arrangée avec mes vêtements (aujourd’hui, un vestido est une robe…) fait de moi un bel homme apprécié, je le jure, je jure par cette croix.

Je suis le caïd du quartier, demandez à n’importe qui.
Ce n’est pas la première fois que vous devez me rencontrer.
J’habite à San Cristóbal (quartier de Buenos Aires), ils m’appellent Don Juan Cabello (Cabello, cheveux. On a son adresse, enfin, son quartier, mais si on le croit, il ne doit pas être difficile à trouver), écrivez-le sur ton col (on prenait parfois des notes sur le col amovible de la chemise, faute de papier sous la main) et voilà, et voilà, c’est comme ça qu’ils veulent me voir.

Histoire du thème

Ernesto Ponzio, se serait inspiré d’un air joué plus ou moins traditionnel, joué par un pianiste, qu’il a délogé pour continuer la composition avec sa création.

De fait, le thème de Don Juan s’écoute dans différents tangos, plus ou moins métamorphosés. Pour que cela soit pertinent, il ne faudrait prendre que des thèmes composés avant la création de Ernesto Ponzio, c’est-à-dire 1898 ou 1900.

Qué polvo con tanto viento 1890 par Pedro M. Quijano

On n’a pas d’enregistrement de l’époque de Qué polvo con tanto viento, mais deux reconstitutions modernes. Dans les deux cas on reconnaît le thème de Don Juan au début (ou pour le moins, quelque chose de semblable).

Qué polvo con tanto viento 1980 – Cuarteto de tango antiguo.

Une reconstitución par un quartette composé de Oscar Bozzarelli (bandonéon), Rafael Lavecchia (flute), Jose Romano Yalour (violon) et Maximo Hernandez (guitare). Ce quatuor tentait de reproduire les musiques perdues des premières années du tango.

Que polvo con tanto viento – Lecture midi du thème réécrit dans un logiciel de composition musicale par Tío Lavandina (Oncle la Javel, sûr que c’est un pseudo).

Soy Tremendo

Soy tremendo 1909-10 – Orquesta Heyberger con Angel Villoldo.

Angel Villoldo “chante” et est aussi l’auteur de ce tango. On reconnaît le thème de Don Juan dans la première partie. Il se peut que ce thème soit antérieur à la composition de Ponzio, mais ce n’est pas sûr. Disons que c’est que l’air était dans… l’air du temps.

El rana

El rana 1909c – Arturo A Mathón y F Raias. Composé par Arturo Mathón.

El rana 1909c – Arturo A Mathón y F Raias. Composé par Arturo Mathón. Joué et chanté par lui-même à la guitare, avec un accompagnement de bandonéon, par F. Raias. Au début et à 0:54, on entend le thème de Don Juan, mais c’est tellement moche que ça ne donne pas envie de l’écouter… Heureusement qu’il a écrit El apache argentino et que c’est Canaro avec son Pirincho qui l’a fait passer à la postérité… Vu que c’est probablement plus récent que Don Juan de Ponzio, cela peut aussi être une inspiration basée sur le thème de Ponzio. On notera que le titre devrait être « La rana », rana étant féminin. D’ailleurs plus loin, il chante sapo (crapaud) et le tango parle d’un gars, alors, c’est finalement logique.

El rana 1909c – Arturo A Mathón y F Raias. Le bandonéon n’était pas encore très fréquent. La Colubia n’a donc pas relevé l’erreur Mandoneon au lieu de bandoneón sur le disque…

On trouve un petit bout de cet air dans différents tangos, mais rien de bien pertinent et qui permettent de garantir que la source d’inspiration est le thème anonyme ou celui de Ponzio.
Quoi qu’il en soit, le gamin Ponzio a commencé très jeune a fréquenté les lieux de « perdition ».

Autres versions

Don Juan Tango 1927-11 – Orquesta Argentina Victor.

On ne regrette pas de ne pas avoir de versions plus anciennes à l’écoute des vieilleries que je viens de vous présenter.

Don Juan 1928-03-06 – Orquesta Osvaldo Fresedo.
Don Juan 1929-08-02 – Orquesta Francisco Canaro.
Orquesta Típica Victor con Alberto Gómez.

Autre version par un orchestre Victor, cette fois, chanté par Alberto Gómez avec une partie des paroles de Ricardo Podestá (avec variantes).

Don Juan 1936-09-29 – Orquesta Juan D’Arienzo.

Pour moi, c’est la première version qui donne envie de danser. On y trouve les premières facéties de Biagi au piano, de beaux violons des bandonéons énergiques, le tout avec un tempo tout aussi bien marqué que pour les versions précédentes, mais plus rapide.

Don Juan 1940-11-08 – Charlo solo de acordeón con guitarras.

Une version très originale. Dommage que le son laisse à désirer. Il me faudra trouver un disque en meilleur état. Une guitare vraiment virtuose, non ?

Don Juan 1941-10-03 – Orquesta Di Sarli.
Don Juan 1947-10-22 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.
Don Juan 1948-06-15 – Juan D’Arienzo. C’est notre tango du jour.

Très proche de l’enregistrement suivant du 1950-12-28.

Don Juan 1948-08-14 – Juan Cambareri y su Gran Cuarteto Típico « Ayer y hoy ».

Toujours le train d’enfer et virtuose de Cambareri. Une curiosité, mais pas trop pour la danse. Il l’enregistrera encore en 1956, dans un rythme comparable…

Don Juan 1950-12-28 – Juan D’Arienzo.
Don Juan 1951-12-06 – Orquesta Carlos Di Sarli.
Don Juan 1951-05-09 – Roberto Firpo y su Nuevo Cuarteto.

Comme la version de Canaro de 1947, cette version donne le sourire, tout au moins à celui qui l’écoute, pour le danseur, c’est moins sûr.

Don Juan 1955-01-31 – Orquesta Carlos Di Sarli.
Don Juan 1961 – Astor Piazzolla y su Quinteto. Comme d’habitude avec Piazzolla, on est dans un autre univers, très loin des danseurs… de tango.

Il y a bien sûr beaucoup d’autres enregistrements de ce thème qui bien qu’un de plus anciens continue de passer les siècles, du dix-neuvième à nos jours, mais après la version de Piazzolla, il me semble sage de réécouter une des versions de danse, par exemple notre tango du jour, une autre version de D’Arienzo ou une de Di Sarli…

Ou peut-être ce tout dernier exemple avec des paroles anonymes, qui n’ont d’ailleurs aucun intérêt, un petit couplet sur le tango ; du remplissage, en somme.

Don Juan 1965-09-07 – Orquesta Alfredo De Angelis con Carlos Aguirre.

À demain les amis !

Zorro plateado 1943-06-14 – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino

Charlo (Carlos José Pérez de la Riestra) Letra: Enrique Cadícamo (Domingo Enrique Cadícamo)

Nous avons déjà parlé de Zorro gris (Renard gris), ici, nous évoquerons el Zorro plateado (Renard argenté). Les biologistes ne verront pas la différence, car ce sont deux dénominations pour le même animal de couleur gris-argenté. Mais ici, les deux content deux histoires totalement différentes et pour ainsi dire, complémentaires.

Extrait musical

Zorro plateado 1943-06-14 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino

Paroles

Zorro plateao
te defendés y ya tenés cuarenta y cinco y un quemao.
Zorro plateao todavía tallás
y trabajás de enamorao…
Zorro plateao
si hay que correr en el campito del amor
de punta a punta… vos ganás.
Parecés el negro Acosta
por lo bien que te apilás.

Si vas siguiendo un tango rezongón
con una piba taura pa’bailar,
porque te sobra fibra y corazón,
rendida en tus brazos la llevás…
Y así bebiendo el último compás
del tango que se acaba en el salón.

Zorro plateado, vos mintiento otra ilusión…
Zorro plateado,
conozco bien la causa porque llegaste a solterón.
Zorro plateado, por un querer
hoy ha cerrado tu corazón…
Pero pa’ vos
la vida está brindándote
siempre la última ilusión… ¡Zorro plateado!
¡Aunque también por dentro
vos llevés tu precesión!

Charlo (Carlos José Pérez de la Riestra) Letra: Enrique Cadícamo (Domingo Enrique Cadícamo)

Traduction libre et indications

Renard argenté, tu te défends et tu as déjà quarante-cinq ans bien sonnés (quemado, brûlé, pour dire que c’est plus que 45…).
Renard argenté tu te lances et tu t’actives toujours en amour…
Renard argenté, si tu devais courir dans le petit champ de l’amour de bout en bout… tu gagnerais.
Tu ressembles au negro Acosta à cause de la façon dont tu te comportes. (Le negro Acosta (ou le singe [El mono] était Máximo Acosta, un jockey fameux qui en 1940 fut le jockey ayant gagné le plus de courses en une année avec 149 victoires. En 1942, il gagna six courses sur six à l’Hipódromo Argentino [Buenos Aires, quartier de Palermo]. Je vous laisse mesurer la comparaison… Héctor Wilde a écrit un tango nommé Máximo Acosta).

Si tu suis un tango plaintif avec une fille de première pour danser, parce que tu as beaucoup de fibres et de cœur, abandonnée dans tes bras, tu la porteras… et ainsi, buvant la dernière mesure du tango qui se termine dans le salon.

Renard argenté, tu feins une autre illusion…
Renard argenté, je connais bien la raison pour laquelle tu es devenu célibataire.
Renard argenté, pour un amour, aujourd’hui tu as fermé ton cœur…
Mais pour toi, la vie est de toujours célébrer la dernière illusion…
Renard argenté !
Même si tu portes aussi en toi tes non-dits !
Si dans Zorro gris, la femme était une prostituée ou assimilée, dont la seule richesse et consolation était son manteau en renard gris. Ici, on parle d’un homme, qui se donne les moyens de partir à la conquête des femmes qu’il convoite. Ce personnage pourrait paraître odieux, mais Enrique Cadícamo décrit avec pudeur les causes de son « instabilité ». Ce n’est certes pas une excuse, mais un début d’explication.

Máximo Acosta, le jockey cité dans les paroles.

Autres versions

Contrairement à Zorro gris, ce tango n’a pas suscité beaucoup d’enregistrements. Je vous en propose deux.

Zorro plateado 1943-01-13 — José García y su Orquesta « Los Zorros Grises » con Alfredo Rojas.

Évidemment, quand son orchestre s’appelle les renards gris (Los zorros grises), on ne peut pas passer à côté du titre… Cela dit, il n’a pas enregistré Zorro gris, comme quoi, nul n’est parfait.

Zorro plateado 1943-06-14 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino. C’est notre tango du jour

Et comme vous savez que je suis farceur, je vous propose un dernier renard avec un autre Garcia.

Zorro y el Sargento García – Zorro et le sergent Garcia.

À demain les amis…

El monito 1945-06-12 — Orquesta Osvaldo Pugliese

Julio De Caro Letra : Juan Carlos Marambio Catán

Ne sont-ils pas mignons ces deux-là ? El monito, le petit singe est en fait un texte plein de tendresse et de regrets. Parfois, les hommes commettent des erreurs qu’ils regrettent. Ne les singeons pas et contentons-nous d’apprécier ce que nous avons, ici, cette magnifique musique decarienne interprétée par Pugliese. Cette anecdote nous permettra d’approfondir la liaison entre ces deux grands musiciens, De Caro et Pugliese.

Extrait musical

Partition pour piano El monito de Julio De Caro Letra: Juan Carlos Marambio Catán.
El monito 1945-06-12 — Orquesta Osvaldo Pugliese.
El monito, Julio de Caro, Disque Victor 79569 face A, enregistrement du 23 juillet 1925.

Sur le disque du premier enregistrement du titre, on remarque deux choses. Il est indiqué « Tango humoristico ». Ce titre se veut donc drôle. L’autre chose est la mention « orquesta « repertorio nacional » ; cela indique que l’orchestre joue de la musique argentine.

Paroles

“Mi monitoz” me llamó
la piba de mi amor,
la que mi corazón robó y que,
en mi pobre bulín,
me amó con berretín
sin conocer dolor.
El bulín fue nido fiel
de mi primer amor,
donde gocé su gran pasión de amar.
Y fue mi fiel mujer
poniendo en mí su fe,
su puro corazón.

La piba cantábame así:
Si yo quiero vivir
juntito a tu amor,
tu amor,
que curó mi dolor.
¿Por qué
me dejás corazón?
Sin ti,
morirá mi pasión.
Así,
mi pebeta cantó,
mi pebeta cantó su canción.
¡Qué ingrata pasó
su fugaz ilusión!

Mi monito no dirá,
Monito de mi amor.
Mi corazón hoy la buscó en su afán
sin poder ya gozar
la luz de su mirar,
la miel de su pasión.
Mi pebeta ya se fue
y nunca volverá.
Talvez irá rodando al cabaret,
buscando en su dolor,
alivio al champán,
olvido a mi desdén.

Julio De Caro Letra : Juan Carlos Marambio Catán

Traduction libre

« Mon petit singe » m’appelait la fille de mon amour, celle qui a volée mon cœur et qui, dans mon pauvre logis, m’a aimée avec passion sans connaître de douleur.
Le logis a été le nid fidèle de mon premier amour, où j’ai apprécié sa grande passion pour aimer.
Et elle fut ma femme fidèle qui mettait en moi sa foi, son cœur pur.

La fille m’a chanté ceci :
Si je veux vivre avec ton amour, ton amour, qui a guéri ma douleur.
Pourquoi me quittes-tu mon cœur ?
Sans toi, ma passion mourra.
Ainsi ma poupée a chanté, ma poupée a chanté sa chanson.
Comme, en ingrate, passa ton illusion fugace !

Mon petit singe elle ne dira plus, petit singe de mon amour.
Mon cœur aujourd’hui la cherche dans son empressement sans pouvoir goûter son regard, le miel de sa passion.
Ma poupée maintenant est partie et ne reviendra jamais.
Peut-être ira-t-elle roder jusqu’au cabaret, cherchant dans sa douleur le soulagement du champagne, l’oubli de mon dédain.

Autres versions

El monito 1925-07-23 — Orquesta Julio De Caro.

Julio de Caro, auteur, ouvre le bal. On notera les parties sifflées.

El monito 1926 — Roberto Díaz con guitarras.

On regrette le son assez primitif qui ne rend pas grâce à la qualité de cette interprétation par un excellent chanteur. C’est la seule version avec les paroles.

El monito 1928-07-19 — Julio De Caro y su Orquesta Típica.

Sur le disque, la mention tango humoristique a disparu. Même s’il reste les sifflements, cette version est plus sérieuse. Elle bénéficie de l’enregistrement électrique qui améliore considérablement la qualité sonore et même si De Caro continue à jouer avec son violon à cornet, le titre est d’une grande qualité musicale. De Caro n’est pas réputé pour la danse, mais là, il me semble qu’ici, on peut en avoir pour ses oreilles et ses pieds.

Le disque de 1929. L’indication de tango humoristique a disparu.
El monito 1939-05-23 — Orquesta Julio De Caro.

Une version énergique.
On retrouve les sifflements et apparaît un dialogue « Raahhhh, Monito / Si / Quieres Café? / No / Por qué? ». C’est sans doute un souvenir du tango humoristique. On imagine que les clients devaient s’amuser lorsque l’orchestre évoquait le titre. Peut-être que l’idée vient d’un client imitant le singe et que cette scénette improvisée au départ s’est invitée dans la prestation de l’orchestre.
On retrouve dans cette interprétation de De Caro, des caractères, comme les sifflements puissants des violons, que l’on retrouvera chez Pugliese. N’oublions pas que ce dernier était un grand admirateur de De Caro. Avec sa modestie, il se voulait un simple conservateur de la mémoire du maître. On sait qu’il a fait bien plus, comme en témoigne notre tango du jour.

El monito 1945-06-12 — Orquesta Osvaldo Pugliese. C’est notre tango du jour.

La parenté avec de De Caro est sensible, mais Pugliese a son style propre qui influencera sans doute aussi un peu De Caro, dans un jeu d’aller-retour.

El monito 1949-09-29 — Orquesta Julio De Caro.

Une dizaine d’années plus tard, De Caro nous offre une nouvelle version superbe. Les similitudes avec Pugliese sont encore plus marquées, notamment avec le tempo nettement plus lent et proche de celui de Pugliese. On retrouve toutefois le dialogue de la version de 1939, dans une version un plus large. “Ah, ah ah, Monito / Si / Quieres Café? / No / Por qué? / Quiero caramelo” (je veux un bonbon). Avec ces dialogues imitant la « voix » d’un singe, De Caro s’éloigne des paroles de Juan Carlos Marambio Catán en renouant avec le côté tango humoristique. Mais tous les orchestres se sont éloignés des paroles, du moins pour l’enregistrement, car toutes les versions disponibles aujourd’hui sont instrumentales (si on excepte Roberto Díaz).
Ce qui est sûr est que cette version convient parfaitement à la danse, ce qui fait mentir ceux qui classe De Caro dans le définitivement indansable.

El monito 1953 — Orquesta Aníbal Troilo arr. de Astor Piazzolla.

Comme on s’en doute, Troilo avec Piazzolla ne vont pas donner dans la gaudriole et pas de risque d’entendre un signe refuser un café dans cette version qui a perdu tout ce qui fait le caractère d’un tango de danse, mais qui a gagné une richesse musicale incroyable, pleine de rebondissements. Cette version nous raconte une histoire, quasi une épopée, de quoi rester à bout de souffle, même en restant tranquillement dans son fauteuil à l’écouter.

Il y a bien sûr d’autres enregistrements postérieurs, mais je préfère vous laisser sur ce point culminant.

À demain les amis !

Poema 1935-06-11 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida

Antonio Mario Melfi ? Letra : Eduardo Vicente Bianco

Poema par Canaro et Maida est le type même du tango que l’on ne peut pas facilement proposer dans une autre version. Amis DJ, si vous tentez l’expérience, on vous fait les gros yeux. Pourtant, il existe d’autres versions qui ne déméritent pas. Analysons un peu ce tango, qui est, selon un sondage réalisé il y a une dizaine d’années, le préféré dans le monde. Nous présenterons également une enquête pour savoir qui est le compositeur de ce chef-d’œuvre.

Ajout de deux versions le 29 août 2024, une en letton et une en arabe
(Cadeau d’André Vagnon de la Bible Tango).

Extrait musical

Tout d’abord, on ne se refuse pas d’écouter encore une fois Poema par Canaro. Peut-être plus attentivement 😉

Partition pour piano Poema de Antonio Mario Melfi Letra : Eduardo Vicente Bianco.
Poema 1935-06-11 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida.

Paroles

Fue un ensueño de dulce amor,
horas de dicha y de querer.
Fue el poema de ayer,
que yo soñé de dorado color.
Vanas quimeras que el corazón
no logrará descifrar jamás.
¡Nido tan fugaz,
fue un sueño de amor,
de adoración!…

Cuando las flores de tu rosal
vuelvan más bellas a florecer,
recordarás mi querer
y has de saber
todo mi intenso mal…

De aquel poema embriagador
ya nada queda entre los dos.
¡Con mi triste adiós
sentirás la emoción
de mi dolor !…

Antonio Mario Melfi Letra : Eduardo Vicente Bianco

Traduction libre

Ce fut un rêve de doux amour, des heures de joie et d’amour.
Ce fut le poème d’hier, dont je rêvais en couleur dorée.
Vaines chimères que le cœur ne pourra jamais déchiffrer.
Nid si fugace, ce fut un rêve d’amour, d’adoration…

Lorsque les fleurs de ton rosier refleuriront plus belles, tu te souviendras de mon amour et tu devras connaître tout de mon mal intense…

De ce poème enivrant, il ne reste rien entre les deux.
Avec mon triste adieu, vous ressentirez l’émotion de ma douleur…

Qui est le compositeur de Poema ?

Vous pensez que la réponse est simple, mais ce n’est pas si certain, car il y a trois hypothèses.

La version traditionnelle

Antonio Mario Melfi pour la musique et Eduardo Vicente Bianco pour les paroles.

Partitions avec attributions traditionnelles. Partition espagnole avec Bianco en photo. Partition française (Garzon) avec Bianco et Melfi en photo. Disque Columbia Londres écrit en français de Pesenti et Nena Sainz. Partition Bianco (avec photo de Rosita Montenegro). Partition italienne, avec en plus le nom du traducteur U. Bertini.

Les partitions, en général, indiquent les deux noms et les mérites respectifs des auteurs. Remarquez le disque central. Il sera aussi, dans une autre édition, dans l’argument pour la variante…

Une variante :

Antonio Mario Melfi et Eduardo Vicente Bianco en collaboration pour les deux.

En faveur de cet argument, Melfi est compositeur et a écrit les paroles de certains tangos, notamment les siens. On peut donc le classer également comme parolier. Il a composé Volve muchacha qui a clairement des liens de parenté avec Poema.
Bianco est connu comme parolier et comme musicien. Certains de ces titres peuvent concorder avec celui de Poema, stylistiquement, bien que moins réussis. Par exemple Corazón (dont il existe quatre enregistrements par Bianco de 1929 à 1942). Je ne parle que de la composition, pas de l’interprétation, Canaro n’ayant pas enregistré d’autre tango composé par Bianco, on doit comparer avec les enregistrements de Bianco.
En faveur de cet argument, on a les disques qui ne différencient pas les deux contributions. En voici quelques exemples.

La majorité des disques ne distinguent pas les fonctions. À gauche, deux disques Brunswick du même enregistrement de Bianco (1937). Le premier indique les deux noms, sans différentiation et le second n’indique que Bianco… Au centre, notre Canaro de référence dans une édition argentine. Ensuite, Imperio Argentino et la mention des deux sans distinction de fonction et enfin à l’extrême droite, l’enregistrement de Pesenti et Nena Sainz, mais ici, sans le nom de la chanteuse et avec les auteurs sans attribution.

On voit donc qu’il est assez courant, que les auteurs ne soient pas précisément crédités. Le détail amusant est le disque de Pesenti et Nena Sainz qui entre dans les deux catégories.

Une version iconoclaste

Dans l’excellent site de référence « Bible tango », on peut lire :
« Selon Marcel Pasquier, qui ne cite pas sa source et ne s’en souvient plus, Melfi aurait acheté la musique à Boris Sarbek, le véritable compositeur, pour 50 francs français de l’époque. Et cette mélodie serait un thème traditionnel biélorusse. »
50 francs de l’époque, selon le calculateur de l’INSEE (Institut National de Statistiques France), cela correspondrait à 33,16 euros. Pour référence, un kilo de pain coûtait 2,15 francs en 1930. En gros, il aurait vendu sa création pour la valeur de 15 kilos de pain. Cela peut sembler peu, mais souvenez-vous que pour le prix d’un café, Mario Fernando Rada aurait écrit les paroles de Araca la cana si on en croit l’anecdote présentée dans le film Los tres berretines.
L’affirmation mérite d’être vérifiée. Boris Sarbek étant probablement un homme d’honneur, n’a probablement pas divulgué la vente de sa création qui d’ailleurs n’aurait été qu’une retranscription d’un thème traditionnel.
Il convient donc de s’intéresser à ce compositeur pour essayer d’en savoir plus.
Boris Sarbek (1897-1966) s’appelait en réalité Boris Saarbekoff et utilisait souvent le pseudonyme Oswaldo Bercas.
Voyons un peu ses prestations dans le domaine de la musique pour voir s’il est un candidat crédible.

Des musiques composées par Sarbek

Par ordre alphabétique. En bleu, les éléments allant dans le sens de l’hypothèse de Sarbek, auteur de Poema.
Compositions :
Ce soir mon cœur est lourd 1947
Concerto de minuit, classé comme musique légère
Czardas Divertimento 1959
Déception (avec Mario Melfi). C’est donc une preuve que les deux se connaissaient suffisamment pour travailler ensemble.
El Fanfarrón 1963
El queño
Furtiva lagrima 1962
Gaucho negro
Intermezzo de tango 1952
Je n’ai plus personne
Le tango que l’on danse
Linda brunita
Manuska
Mon cœur attendra 1948
Oro de la sierra
Où es-tu mon Espagne ?
Pourquoi je t’aime 1943
Près de toi ma Youka 1948
Rêvons ensemble 1947
Souffrir pour toi 1947
Tango d’amour
Tango maudit
Tendrement 1948

Des musiques arrangées par Sarbek

Bacanal 1961
C’est la samba d’amour 1950
Dis-moi je t’aime
Elia 1942
En forêt 1942
Gipsy fire 1958
Je suis près de vous 1943
Les yeux noirs (chanson traditionnelle russe). Si Poema est une musique biélorusse, cela témoigne de son intérêt pour ce répertoire.
Meditación 1963
Nuages
One kiss
Pampa linda 1956
Puentecito 1959
Rose avril 1947
Tango marcato 1963
Un roi à New York 1957 Il a réalisé les arrangements musicaux du film Un roi à New York de, et avec Charles Chaplin (Charlot). Chaplin a tout fait dans ce film, l’acteur, le metteur en scène et il a écrit la musique qu’a arrangée Sarbek. Ce dernier a aussi dirigé son grand orchestre pour la musique du film.
Valse minuit
Vivre avec toi 1950

Sarbek pianiste

Il est intervenu à la fois dans son orchestre, mais aussi pour différents groupes comme Tony Murena, Gus Viseur (l’accordéoniste), mais, car il était le pianiste de l’orchestre musette Victor.

Melfi récupérateur ?

Je place cela ici, car ce serait un argument si Mefli était coutumier de la récupération.
Reviens mon amour a été arrangé par Mario Melfi sur l’air de « Tristesse » de Frédéric Chopin.
Il a donc au moins une autre fois utilisé une mélodie dont il n’était pas à l’origine, mais il n’est pas le seul, les exemples fourmillent dans le domaine du tango.
Donc, Melfi n’est pas un récupérateur habituel.

Sarbek interprète de Poema

S’il est l’auteur, il est probable qu’il ait enregistré ce titre. C’est effectivement le cas.
Un enregistrement de Poema signé Boris Sarbek, ou plus exactement de son pseudonyme Oswaldo Bercas, circule avec la date de 1930. Si c’était vrai, ce serait probablement une preuve, Sarbek aurait enregistré deux ans avant les autres.
Je vous propose de l’écouter.

Poema – Oswaldo Bercas et son Ensemble Tipique (sic).

Pensez-vous que cela soit une musique des années 1930 ?
Pour en avoir le cœur net, je vous propose l’autre face du disque qui comporte une composition de Horacio G. Pettorossi, Angustia.

Angustia — Oswaldo Bercas et son Ensemble Tipique (sic).

Voici les photos des deux faces du disque.

Les numéros de matrice sont 2825-1 ACP pour Poema et 2829-1 ACP pour Ausencia.

Comme vous avez pu l’entendre et comme le confirment les numéros de matrice, les deux œuvres sont similaires et ne peuvent pas avoir un écart temporel de plus de vingt ans.
C’est au moins un argument qui tombe, nous n’avons pas d’enregistrement de 1930 de Sarbek et encore moins de Poema.

Un argument musical

N’était pas spécialiste de musique biélorusse, je ne pourrai pas mener une étude approfondie de la question.
Cependant, vous avez certainement noté, vers 1:18 du Poema de Sarbek, un thème qui n’est pas dans le Poema habituel et qui sonne assez musique slave. Est-ce un extrait du thème de référence que n’aurait pas conservé Melfi ?
Dans les autres portions de Poema, on est tellement habitué à l’entendre qu’il n’est pas sûr qu’on puisse encore y trouver des origines slaves. Cependant le fait que ce titre sonne un peu différemment des autres Canaro contemporains pourrait indiquer un élément hétérogène. En effet, il n’y a pas de Canaro avec Maida qui s’assemble parfaitement avec Poema. Canaro a sans doute sauté sur le succès international de cette œuvre pour l’enregistrer.
Au sujet d’international, il y a une version polonaise que nous entendrons ci-dessous. Les Polonais aurait pu être sensibles à la musique, mais ce n’est pas sûr, car à l’époque ils étaient sous la domination russe et ils n’en étaient pas particulièrement heureux…
J’ai un dernier témoin à faire venir à la barre, la première version enregistrée par Bianco, en 1932. Écoutez-bien, vers 1:34, vous reconnaîtrez sans doute un instrument étrange. Cet enregistrement est le premier de la rubrique « Autres versions » ci-dessous.

Autres versions

La tâche du DJ est vraiment difficile. Comment proposer des alternatives à ce que la plupart des danseurs considèrent comme un chef-d’œuvre absolu. Si vous êtes un fan de la Joconde, en accepteriez-vous une copie, même si elle est du même Leonardo Da Vinci ? À voir.

Poema 1932 – Orquesta Eduardo Bianco con Manuel Bianco.

Cette version commence par des cymbales, puis des violons très cinématographiques, puis un bandonéon qui gazouille. L’introduction dure au total plus d’une minute et le piano annonce comme si on ouvrait le rideau de la scène le morceau. Une fois « digérée » cette étonnante et longue introduction, on entre dans un Poema relativement classique. Avez-vous identifié l’instrument qui apparaît à 1:23, 1:31, 1:40, 1: 44 et à d’autres reprises comme 2: 44 avant le chant et en accompagnement de celui-ci ?

Vladimir Garodkin joue le canon en ré majeur de Johann Pachelbel. Tien à voir avec le tango, mais c’est pour vous faire entendre le tsimbaly

Le tsimbaly, pas courant dans le tango, pourrait être un argument pour l’hypothèse de l’origine biélorusse.

Poema 1933 – Imperio Argentina acomp. de guitarras, piano y violin.

Le violon domine l’introduction, puis laisse la place à la voix accompagnée par la guitare et quelques ponctuations du piano. Le violon reprend la parole et de très belle manière pour la reprise du thème et Imperio Argentina reprend la voix jusqu’à la fin. Je suis sûr que vous allez trouver cette version magnifique, jusqu’à l’arpège final au violon.

Poema 1933 – Orquesta Típica Auguste Jean Pesenti du Coliséum de Paris con Nena Sainz.

Une version plus marchante, moins charmante. Auguste Jean Pesenti a déjà adopté des codes qui deviendront les caractéristiques du tango musette. Je suis moins convaincu que par l’autre version féminine d’Imperio Argentino. À noter la partie récitée, qui était assez fréquente à l’époque, mais que nous acceptons moins maintenant.

Poema 1933-12 – Orchestre Argentin Eduardo Bianco con Manuel Bianco.

Une autre version de Bianco avec son frère, Manuel. Elle est beaucoup plus proche de la version de Canaro, en dehors de l’introduction des violons qui jouent un peu en pizzicati à la tzigane. La contrebasse marque fortement le tempo, tout en restant musicale et en jouant certaines phrases. C’est très différent de la version de Canaro et Maida, mais pas vilain, même si la contrebasse sera plus appréciée par les danseurs de tango musette, qu’argentin.

Comme une chanson d’amour (Σαν τραγουδάκι ερωτικό) 1933 — Orchestre Parlophon, dirigé par G. Vitalis, chant Petros Epitropakis (Πέτρος Επιτροπάκης).

Une version grecque, preuve que le titre s’est rapidement répandu. Il y aura même une version arabe chantée par Fayrouz et l’orchestre de Bianco enregistré en 1951. Malheureusement, ce titre n’existe pas dans les quelques disques que j’ai de cette merveilleuse chanteuse libanaise.

Poema 1934 – Stefan Witas.

Une version polonaise qui fait tirer du côté des origines des pays de l’Est, même si comme je l’ai souligné, les Polonais n’étaient pas forcément russophiles à l’époque.

Poema 1935-06-11 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida. C’est notre tango du jour.

On notera que Canaro entre directement dans le thème, sans introduction.

Poema 1937 – René Pesenti et son Orchestre de Tango con Alberto.

Un autre Pesenti. Est-ce le frère d’Auguste Jean Pesenti ?

Deux autres preuves du succès mondial de Poema que je peux vous proposer grâce à la gentillesse d’André Vagnon de la Bible Tango qui me les a fait parvenir.

Poema 1938 – Orchestre Arpad Tchegledy con Pauls Sakss, en Letton. Cadeau d’André Vagnon.

(Ajouté le 29 août 2024)

Poema 1951 (Men Hona Hobbona marra) – Orquesta Eduardo Bianco con Fairuz (en arabe). Cadeau d’André Vagnon.

(Ajouté le 29 août 2024)

Poema 1954c – Oswaldo Bercas (Boris Sarbek) et son Ensemble Tipique (sic).

Oswaldo Bercas est peut-être l’auteur, ou tout au moins le collecteur de la musique traditionnelle à l’origine de Poema. Si cette hypothèse est juste, il est donc intéressant de voir ce qu’il en a fait. Nous l’avons déjà écouté, lorsque certains essayaient de faire passer cet enregistrement pour une réalisation de 1930. À comparer à la version de Melfi enregistrée quelques mois plus tard.

Poema 1957 – Mario Melfi.

Qu’il soit l’auteur, pas l’auteur ou coauteur, ici, Melfi présente sa lecture de l’œuvre. C’est une version très originale, mais il faut tenir compte qu’elle est de 1957, il est donc impossible de la comparer aux versions des années 30. Cependant, la comparaison avec la version à peine antérieure de Sarbek est pertinente…

Poema (Tango insólito impro 22 Un poema romántico by Solo Tango Orchestra).

Avec cet orchestre russe, on est peut-être dans un retour dans cet univers dont est originaire, ou pas, la musique.
Pour terminer, une autre version actuelle, par la Romantica Milonguera qui a essayé de renouveler, un peu, le thème.

Poema par l’orchestre Romantica Milonguera. Chanteuse, Marisol Martinez.

La Romantica Milonguera commence directement sur le thème, sans l’introduction, comme Canaro.

À demain, les amis !

La endiablada 1955-06-10 — Orquesta Juan D’Arienzo

Pintín Castellanos (Horacio Antonio Castellanos Alves)

Pintín Castellanos fut un grand pourvoyeur de succès pour Juan D’Arienzo. La endiablada est un des témoignages de cette association. Cette milonga est instrumentale et il n’y a pas de paroles. Vous pouvez donc imaginer tout ce que vous voulez pour cette endiablada qui va vous entraîner sur la piste de danse à un rythme endiablé.

Extrait musical

La endiablada 1955-06-10 — Orquesta Juan D’Arienzo.

Même si elle alterne des moments de traspie et des moments de lisa, cette milonga peut s’avérer un peu fatigante à danser. Elle est probablement à réserver aux danseurs joueurs. C’est une des treize milongas écrites par Pintín Castellanos et jouées par D’Arienzo. De quoi faire au moins deux tandas de milonga…

Pas d’autre version, mais une belle collaboration entre Pintín y Juan

Comme D’Arienzo est le seul à avoir enregistré cette milonga, je vous propose un petit listing des œuvres de Pintín Castellanos interprétées par D’Arienzo.
Ce n’est pas bien compliqué à faire, d’ailleurs un disque 33 tours a été publié et regroupe ces titres.

Le disque « La puñalada, Homenaje a Pintín Castellano ». Ici, c’est la version équatorienne (Vik – 353007) mais il en existe une autre identique, mais éditée en Argentine (RCA Camden – CAL-3276).
  • A1 Don Horacio 1947-12-17 (tango)
  • A2 Peringundín 1953-09-18 — Alberto Echagüe
  • A3 El Potro 1949-12-19 (milonga)
  • A4 Barrio De Guapos 1958-06-12 (tango) — Jorge Valdez. Ce tango est aussi connu sons son autre titre, Nyanzas y malevos.
  • A5 Chaparron 1946-08-26 (milonga) — Alberto Echagüe.
  • A6 A Puño Limpio 1950-12-27 (milonga) — Alberto Echagüe
  • B1 La Puñalada 1951-09-12 (milonga). Il y a deux autres versions en 1937 et 1943 que nous avons déjà évoquées.
  • B2 Candombe Oriental 1941-04-28 (milonga) — Alberto Reynal
  • B3 El Temblor 1938-06-08 (milonga) — Alberto Echagüe
  • B4 La Endiablada 1955-06-10 (milonga). C’est notre milonga du jour.
  • B5 Me Gusta Bailar 1944-12-26 (milonga) — Alberto Echagüe. Le disque indique 1946 et coupe le titre qui est Me gusta bailar milonga.
  • B6 Meta Fierro 1939-03-03 (milonga) — Alberto Echagüe

Sur le disque, il manque trois titres, oubliés (volontairement, ou involontairement… :

  • Cajita de música 1940-06-07 (milonga) – Alberto Reynal
  • Candombe rioplatense 1943-12-27 (milonga) — Juan Carlos Lamas
  • Tirando a matar 1942-08-12 (milonga) — Héctor Mauré

On se rend compte que sur 15 titres, 13 sont des milongas

Voici comment Chicho et Juana l’ont dansée

Pour terminer avec un peu de mouvement, voici une interprétation de La endiablada par Mariano Chicho Frumboli et Juana Sepulveda. Vous allez voir que ce n’est pas si compliqué de danser la milonga 😉

Mariano Chicho Frumboli et Juana Sepulveda dansent La endiablada (2015-10-31). International Tango Festival PLANETANGO de Moscou (Russie).

La payanca 1936-06-09 — Orquesta Juan D’Arienzo

Augusto Pedro Berto Letra: Juan Andrés Caruso (V1) — Jesús Fernández Blanco (V2)

La payanca par D’Arienzo dans la version de 1936 est un des très gros succès des milongas. Peut-être vous-êtes-vous demandé d’où venait le nom de ce tango ? Si ce n’est pas le cas, laissez-moi vous l’indiquer t vous faire découvrir une vingtaine de versions et vous présenter quelques détails sur ce titre.

Extrait musical

Partition pour piano de la Payanca. Couverture originale à gauche et Partition de piano à droite avec les paroles de Jesús Fernández Blanco (les plus récentes).
La payanca 1936-06-09 — Orquesta Juan D’Arienzo.

C’est un des premiers enregistrements où Biagi se lâche. Le contrebassiste, Rodolfo Duclós marque un rythme à la « Yumba » qui deviendra une caractéristique de Pugliese. Les violons de Alfredo Mazzeo, León Zibaico, Domingo Mancuso et Francisco Mancini font des merveilles. Une version énergique, euphorisante, sans doute la toute première à utiliser pour faire plaisir aux danseurs.
On remarque qu’il est indiqué « Sobre motivos populares ». En effet, on reconnaîtra des thèmes traditionnels, notamment de gato (une sorte de chacarera), mais modifié en tango.
On remarquera également qu’il est indiqué « Tango Milonga », ce qui signifie que c’est un tango pour danser. Cependant, nous verrons que ce thème a également été basculé franchement du côté de la milonga pure et dure dans d’autres enregistrements.

Trois versions de couverture de la partition. À gauche, la plus ancienne, sans auteur de paroles. Au centre, avec les paroles de Caruso et à droite, avec les paroles de Blanco.

Origine du titre

Dans son livre, Así nacieron los tangos, Francisco García Jiménez, raconte que le tango est né lors d’une fête à la campagne en l’honneur d’une personnalité locale qui venait d’être élue triomphalement, des musiciens avaient joué des airs de l’intérieur, dont un gato (sorte de chararera) duquel il restait : « Laraira laralaila; laira laraira… ». Il est impossible de retrouver le gato à partir de cette simple indication, car laraira… c’est comme tralala. C’est ce que chantent les payadors quand ils cherchent leurs mots (ils chantaient en inventant les paroles à la volée). Certains textes de ces musiques ont été fixés et écrits par la suite et nombre d’entre eux comportent Laraira laralaila; laira laraira ou équivalent :

  • La,lara,laira,laira,la dans Pago viejo (chacarera, mais le rythme est proche du gato),
  • Lara lara laira larai ñarai lá dans Corazón alegre (bailecito)
  • Trala lará larala lará larala lará lará dans El pala pala (danse, danza)
  • Lará, larará, laraira, Lará, larará, laraira, dans Cabeza colorada
  • La ra lara la ra la la ra la ra la ra la dans La Sanlorencina (Cuenca)
  • La lalara la la la la la la La la lara la la la la la la La la lara la la lara la la dans Dios a la una (chanson).
  • Tra lara lara lara tra lara lero dans Que se vengan los chicos (Bailecito)
  • La lara la la la la La lara la la la la dans La chararera del adios (chacarera)
  • Larala larala lara lara lara lara lara dans Amigazo pa’ sufrir (huella)
  • La lara lara larará… lara lara larará… lara lara larará… dans Cantar de coya (Carnavalito)
  • Lara lara lara lara dans Muchacha de mayo (Chanson).

Je n’ai pas trouvé de gato avec l’indication, mais il est fort probable que Berto ait entendu une improvisation, le lara lara étant une façon de meubler quand les paroles ne viennent pas.
Donc Berto a entendu ce gato ou gato polqueado et il eut l’idée de l’adapter en tango. Lui à la guitare et Durand à la flûte l’ont adapté et joué. Ce titre a tout de suite été un succès et comme souvent à l’époque, il est resté sans être édité pendant onze années. Comme la plupart des orchestres jouaient le titre, il était très connu et les danseurs et divers paroliers lui ont donné des paroles, plus ou moins recommandables. N’oublions pas où évoluait le tango à cette époque.
Deux de ces paroles nous sont parvenues, celles de Caruso et celles de Blanco. Les secondes sont plus osées et correspondent assez bien à cet univers.
Il reste à préciser pourquoi il s’appelle payanca. Selon Jiménez, Berto aurait dit tout de go que ce tango s’appelait ainsi quand il fut sommé de donner un titre. Il semblerait que Berto ait donné sa propre version de l’histoire, en affirmant que le titre serait venu en voyant des gamins jouer avec un lasso à attraper des poules. Un adulte leur aurait crié « ¡Pialala de payanca!« , c’est-à-dire tire la avec un mouvement de payanca. Il indiquait ainsi la meilleure façon d’attraper la poule avec le lasso.
L’idée du lasso me semble assez bonne dans la mesure où les trois partitions qui nous sont parvenues illustrent ce thème.
Voici une vidéo qui montre la technique de la Payanca qui est une forme particulière de lancer du lasso pour attraper un animal qui court en le faisant choir.

Dans cette vidéo, on voit un pial (lancement du lasso) pour attraper un bovidé à l’aide de la technique « Payanca ». Elle consiste à lancer le lasso (sans le faire tourner) de façon à entraver les antérieurs de l’animal pour le déséquilibrer et le faire tomber. Âmes sensibles s’abstenir, mais c’est la vie du gaucho. Ici, un joli coup par le gaucho Milton Mariano Pino.

Pour être moins incomplet, je pourrai préciser que la payanca ou payana ou payanga ou payaya est un jeu qui se joue avec cinq pierres et qui est très proches au jeu des osselets. L’idée de ramasser les pierres en quechua se dit pallay, ce qui signifie collectionner, ramasser du sol. Que ce soit attraper au lasso ou ramasser, le titre joue sur l’analogie et dans les deux cas, le principe est de capturer la belle, comme en témoignent les paroles.

Paroles de Juan Andrés Caruso

¡Ay!, una payanca io
quiero arrojar
para enlazar
tu corazón
¡Qué va cha che!
¡Qué va cha che !
Esa payanca será
certera
y ha de aprisonar
todo tu amor
¡Qué va cha che !
¡Qué va cha che !
Por que yo quiero tener
todo entero tu querer.

Mira que mi cariño es un tesoro.
Mira que mi cariño es un tesoro.
Y que pior que un niño po’ ella « yoro »…
Y que pior que un niño po’ ella « yoro »…

Payanca de mi vida, ay, io te imploro.
Payanca de mi vida, ay, io te imploro,
que enlaces para siempre a la que adoro…
que enlaces para siempre a la que adoro…
Augusto Pedro Berto Letra: Juan Andrés Caruso

Augusto Pedro Berto Letra: Juan Andrés Caruso

Traduction libre des paroles de Juan Andrés Caruso

Yeh ! une payanca (payanca attraper au lasso). Moi, (Io pour yo = je), je veux lancer pour enlacer (enlacer du lasso…) ton cœur.
Que vas-tu faire ! (¿Qué va cha ché ? ou Qué vachaché Est aussi un tango écrit par Enrique Santos Discépolo)
Que vas-tu faire !
Cette payanca sera parfaite et emprisonnera tout ton amour.
Que vas-tu faire ?
Que vas-tu faire ?
Parce que je veux avoir tout ton amour.

Regarde, mon affection est un trésor.
Regarde, mon affection est un trésor.
Et quoi de pire qu’un enfant qui pleure pour elle…
Et quoi de pire qu’un enfant qui pleure pour elle…

Payanca de ma vie, oui, je t’en supplie (il parle à son coup de lasso pour attraper le cœur de sa belle).
Payanca de ma vie, oui, je t’en supplie,
que tu enlaces pour toujours celle que j’adore…
que tu enlaces pour toujours celle que j’adore…
La métaphore rurale et gauchesque est poussée à son extrémité. Il compare la capture du cœur de sa belle à une passe de lasso. Dans le genre galant, c’est moyen, mais cela rappelle que la vie du gaucho est une source d’inspiration pour le tango et en cela, je ne partage pas l’avis de Jorges Luis Borges pour quoi le tango est uniquement urbain et violent.

Paroles de Jesús Fernández Blanco

Con mi payanca de amor,
siempre mimao por la mujer,
pude enlazar su corazón…
¡Su corazón !
Mil bocas como una flor
de juventud, supe besar,
hasta saciar mi sed de amor…
¡Mi sed de amor !

Ninguna pudo escuchar
los trinos de mi canción,
sin ofrecerse a brindar
sus besos por mi pasión…
¡Ay, quién pudiera volver
a ser mocito y cantar,
y en brazos de la mujer
la vida feliz pasar !

Payanca, payanquita
de mis amores,
mi vida la llenaste
de resplandores…
¡Payanca, payanquita
ya te he perdido
y sólo tu recuerdo
fiel me ha seguido!

Con mi payanca logré
a la mujer que me gustó,
y del rival siempre triunfé.
¡Siempre triunfé!
El fuego del corazón
en mi cantar supe poner,
por eso fui rey del amor…
¡Rey del amor!

Jesús Fernández Blanco

Traduction, libre des paroles de Jesús Fernández Blanco

Avec ma payanca d’amour (je ne sais pas quoi en penser, admettons que c’est son coup de lasso, mais il peut s’agir d’un autre attribut du galant), toujours choyée par les femmes, j’ai pu enlacer ton cœur…
Ton cœur !
Mille bouches comme une fleur de jouvence, j’ai su embrasser, jusqu’à étancher ma soif d’amour…
Ma soif d’amour !

Aucune ne pouvait entendre les trilles de ma chanson, sans offrir ses baisers à ma passion…
Yeh, qui pourrait redevenir un petit garçon et chanter, et passer dans les bras de la femme, la vie heureuse !

Payanca, payanquita de mes amours (Payanca, petite payanca, on ne sait toujours pas ce que c’est…), tu as rempli ma vie de brillances…
Payanca, payanquita Je t’ai déjà perdue et seul ton souvenir fidèle m’a suivi !

Avec ma payanca, j’ai eu la femme que j’aimais, et du rival, j’ai toujours triomphé.
J’ai toujours triomphé !
J’ai su mettre le feu du cœur dans ma chanson (la payanca pourrait être sa chanson, sa façon de chanter), c’est pourquoi j’étais le roi de l’amour…
Le roi de l’amour !

Autres versions

La payanca 1917-05-15 — Orq. Eduardo Arolas con Pancho Cuevas (Francisco Nicolás Bianco).

Probablement la plus ancienne version enregistrée qui nous soit parvenue. Il y a un petit doute avec la version de Celestino Ferrer, mais cela ne change pas grand-chose. Pancho Cueva à la guitare et au chant et le tigre du Bandonéon (Eduardo Arolas) avec son instrument favori. On notera que si le tango fut composé vers 1906, sans paroles, il en avait en 1917, celles de Juan Andrés Caruso.

La payanca 1918-03-25 (ou 1917-03-12) — Orquesta Típica Ferrer (Orquesta Típica Argentina Celestino).

Le plus ancien enregistrement ou le second, car il y a en fait deux dates, 1917-03-12 et 1918-03-25. Je pense cependant que cette seconde date correspond à l’édition réalisée à New York ou Camdem, New Jersey. On remarquera que l’orchestre comporte une guitare, celle de Celestino Ferrer qui est aussi le chef d’orchestre, une flûte, jouée par E. Santeramo et un accordéon par Carlos Güerino Filipotto. Deux violons complètent l’orchestre, Gary Busto et L. San Martín. Le piano est tenu par une femme, Carla Ferrara. C’est une version purement instrumentale. Après avoir été un des pionniers du tango en France, Celestino Ferrer s’est rendu aux USA où il a enregistré de nombreux titres, dont celui-ci.

La payanca 1926-12-13 — Orquesta Típica Victor, direction Adolfo Carabelli.

Une version un peu plus moderne qui bénéficie de l’enregistrement électrique. Mais on peut mieux faire, comme on va le voir bientôt.

La payanca 1936-06-09 — Orquesta Juan D’Arienzo. C’est notre tango du jour.

J’ai déjà dit tout le bien que je pensais de cette version, à mon avis, insurpassée, y compris par D’Arienzo lui-même…

Trío de Guitarras (Iriarte-Pagés-Pesoa).

Le trio de guitares de Iriarte, Pagés et Pesoa ne joue pas dans la même catégorie que D’Arienzo. C’est joli, pas pour la danse, un petit moment de suspension.

La payanca 1946-10-21 — Roberto Firpo y su Nuevo Cuarteto.

Pour revenir au tango de danse, après la version de D’Arienzo, cette version paraît fragile, notamment, car c’est un quartetto et que donc il ne fait pas le poids face à la machine de D’Arienzo. On notera tout de même une très belle partie de bandonéon. La transition avec le trio de guitares a permis de limiter le choc entre les versions.

La payanca 1949-04-06 — Orquesta Juan D’Arienzo.

On retrouve la grosse machine D’Arienzo, mais cette version est plus anecdotique. Cela peut passer en milonga, mais si je dois choisir entre la version de 1936 et 1949, je n’hésite pas une seconde.

La payanca 1952-10-01 — Enrique Mora y su Cuarteto Típico.

Encore un quartetto qui passe après D’Arienzo. Si cette version n’est pas pour la danse, elle n’est pas désagréable à écouter, sans toutefois provoquer d’enthousiasme délirant… Le final est assez sympa.

La payanca 1954-11-10 — Orquesta Juan D’Arienzo.

Eh oui, encore D’Arienzo qui décidément a apprécié ce titre. Ce n’est assurément pas un grand D’Arienzo. Je ne sais pas si c’est meilleur que la version de 49. Par certains côtés, oui, mais par d’autres, non. Dans le doute, je m’abstiendrai de proposer l’une comme l’autre.

La payanca 1957-04-12 — Orquesta Héctor Varela.

On est dans tout autre chose. Mais cela change sans être un titre de danse à ne pas oublier. On perd la dimension énergique du gaucho qui conquiert sa belle avec son lasso pour plonger dans un romantisme plus appuyé. Cependant, cette version n’est pas niaise, le bandonéon dans la dernière variation vaut à lui seul que l’on s’intéresse à ce titre.

La payanca 1958 — Los Muchachos de antes.

Avec la guitare et la flûte, cette petite composition peut donner une idée de ce qu’aurait pu être les versions du début du vingtième siècle, si elles n’avaient pas été bridées par les capacités de l’enregistrement. On notera que cette version est la plus proche d’un rythme de milonga et qu’elle pourrait remplir son office dans une milonga avec des danseurs intimidés par ce rythme.

La payanca 1959 — Miguel Villasboas y su Quinteto Típico.

Les Uruguayens sont restés très fanatiques du tango milonga. En voici une jolie preuve avec Miguel Villasboas.

La payanca 1959-03-23 — Donato Racciatti y sus Tangueros del 900.

Oui, ce tango inspire les Uruguayens. Racciatti en donne également sa version la même année.

La payanga 1964 — Orquesta Osvaldo Pugliese.

Pas évident de reconnaître notre thème du jour dans la version de Pugliese. C’est une version perdue pour les danseurs, mais qu’il convient d’apprécier sur un bon système sonore.

La payanca 1964-07-29 — Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.

De la même année que l’enregistrement de Pugliese, on mesure la divergence d’évolution entre Pugliese et Canaro. Cependant, pour les danseurs, la version du Quinteto pirincho, dirigé pour une des toutes dernières fois par Canaro sera la préférée des deux…

La payanca 1966-07-25 — Orquesta Juan D’Arienzo.

D’Arienzo se situe entre Pugliese et Canaro pour cet enregistrement quasiment contemporain, mais bien sûr bien plus proche de Canaro. Ce n’est pas vraiment un titre de danse, mais il y a des éléments intéressants. Définitivement, je l’avoue, je reste avec la version de 1936.

La payanga 1984 — Orquesta Alberto Nery con Quique Ojeda y Víctor Renda.

Alberto Nery fut pianiste d’Edith Piaf en 1953. Ici, il nous propose une des rares versions chantées, avec les paroles de Jesús Fernández Blanco. Vous aurez donc les deux versions à écouter. Honnêtement, ce n’est pas beaucoup plus intéressant que l’enregistrement de Eduardo Arolas et Pancho Cuevas antérieur de près de 70 ans. On notera toutefois le duo final qui relève un peu l’ensemble.

La payanca 2005 — Cuarteto Guardia Vieja.

Pour terminer en fermant la boucle avec une version à la saveur début du vingtième siècle, je vous propose une version par le Cuarteto Guardia Vieja.

À demain, les amis !

Ilusión azul 1945-06-08 — Orquesta Alfredo De Angelis con Carlos Dante

Arquímedes Arci, paroles et musique

Hier, nous étions dans les éclats de cristal, aujourd’hui, dans l’illusion bleue. Les deux thèmes sont proches. En valse, les choses passent mieux, mais les paroles que propose Arquímedes Arcidiacono (Arci) sur sa propre musique méritent qu’on s’y attarde. On notera le très gros succès de ce titre, même en dehors de la petite sphère du tango.

De Arquímedes Arcidiacono (Arci) se connaissent deux compositions dont il est à la fois compositeur et parolier, Ilusión azul et Consejo de oro qui comme notre valse du jour a été inauguré par Agustín Magaldi.
Consejo de oro fut enregistrée par la suite par Pugliese et Ilusión azul a fait carrière avec De Angelis, mais de très nombreuses versions bien au-delà de la petite sphère du tango témoignent de l’engouement pour ce titre particulièrement réussi.
Ces deux seules œuvres connues dont il assure les deux rôles, de compositeur et d’auteur, témoignent de son grand talent. Ses paroles sont à la hauteur de sa musique.
De Arquímedes, on sait très peu pour ne pas dire rien. On connaît juste la date de sa mort, le 5 avril 1938, et c’est tout.

Extrait musical

Ilusión azul 1945-06-08 — Orquesta Alfredo De Angelis con Carlos Dante.

C’est le premier des deux enregistrements de De Angelis. Une valse rapide, avec des reprises d’énergie. Une valse irrésistible.

Partition pour piano de Ilusión azul de Arquímedes Arci.

On remarque que sur la partition, il est indiqué vals criollo. Ce n’est pas tout à fait un synonyme de valse et cette indication a de l’importance. Tout d’abord, pour le musicien, qui sait que cela signifie un type d’accompagnement particulier. Pour les guitaristes, cela s’effectue par deux mouvements vers le bas et un vers le haut de la main droite, ce qui rend tout à fait différemment de l’accompagnement classique de la valse. Ceux qui connaissent le folklore pourront ressentir l’envie de frapper dans les mains, car cela rappelle l’introduction de la chacarera (par exemple). Attention, je n’ai pas dit que c’était le même rythme, seulement que c’est la même sensation de pseudo syncope…
L’autre point est que cette indication fait verser le titre dans le domaine du folklore. Ce n’est pas une obligation, mais les joueurs, notamment de guitare folklorique, vont s’emparer plus facilement de cette partition et cela explique sans doute le destin de cette valse, comme nous allons le voir avec les autres versions.

Paroles

Altiva y soberbia, cual diosa pagana,
pasaste a mi lado mostrando el rencor
y desde aquel día yo sé que he perdido,
la gloria inefable de un sueño de amor.
No extraño tus besos que fueron fingidos,
ni extraño tus labios de raro dulzor…
ni me sorprende tu enorme falsía,
porque son hermanas: mujer y traición.

Yo tan sólo siento
de todo tu enojo,
el traidor embrujo
que tienen tus ojos.
Ojos que fueron estrellas que guiaron mi alma,
que me roban calma si me niegan crueles
cuando ansioso busco su mirar de amor.
Ojos que fueron las redes donde prisionero,
te adoré sincero y me han hecho esclavo,
al poner en mi alma la azul ilusión.
Pero tu alma, desdeñosa y fría,
no sabía de amores para mi dolor.
Fueron tus ojos los que me mintieron
tan engañadores, como aquel fulgor.
Y ahora arrastro la cadena
del recuerdo triste
del pasado hermoso,
al vivir dichoso
en los dorados brazos
de aquella ilusión.

Amores fingidos son, cual mariposa,
como ella engañosa que igual que una flor
nos mienten cariño, nos hieren el alma,
se llevan la esencia y nos dejan dolor.
Pero yo no siento el dolor de la herida
que abrió dentro mi alma tu negra traición,
tan sólo me duele el fulgor de tus ojos,
que ayer me miraron con tierna pasión.

Arquímedes Arci, paroles et musique

Traduction libre

Hautaine et arrogante, comme une déesse païenne, tu es passée à côté de moi en montrant du ressentiment et depuis ce jour je sais que j’ai perdu la gloire ineffable d’un rêve d’amour.
Je ne regrette pas tes baisers qui étaient feints, je ne regrette pas tes lèvres d’une rare douceur… et je ne suis pas surpris par ton énorme mensonge, parce qu’elles sont sœurs : femme et trahison. (je précise que je ne suis pas solidaire de ce qui est écrit ici)

Je ressens seulement ta colère, le traître sortilège qu’ont tes yeux.
Des yeux qui furent des étoiles qui guidaient mon âme, qui me volaient le calme quand ils se refusaient cruellement quand je cherchais anxieusement leur regard d’amour.
Des yeux qui étaient les filets où j’étais prisonnier, je t’ai adoré sincèrement et me suis fait esclave, en mettant dans mon âme l’illusion bleue.
Mais ton âme, dédaigneuse et froide, ne connaissait pas d’amour pour ma douleur.
Ce sont tes yeux, ceux qui m’ont menti, aussi trompeurs que cette lueur éblouissante.
Et maintenant, je traîne la chaîne du triste souvenir du beau passé, vivant heureux dans les bras dorés de cette illusion.

Ce sont des amours feints, comme un papillon, comme elle, trompeuse, qui, comme une fleur, nous illusionnent d’affection, blessent notre âme, nous enlèvent l’essence et nous laissent de la douleur.
Mais je ne sens pas la douleur de la blessure qu’a ouverte dans mon âme ta noire trahison, je suis seulement peiné par l’éclat de tes yeux, qui hier me regardaient avec une tendre passion.

Autres versions

Ilusión azul 1933-08-07 — Dúo Agustín Magaldi y Pedro Noda con guitarras.

Le duo de chanteurs vedettes interprète ce titre avec brio. Ils inaugurent une typologie qui sera reprise par de nombreux orchestres de folklore argentin, mais pas que. Nous en verrons quelques exemples.

Ilusión azul 1945-06-08 — Orquesta Alfredo De Angelis con Carlos Dante. C’est notre valse du jour.
Ilusión azul 1964-04 — Orquesta Alfredo De Angelis con Juan Carlos Godoy y Roberto Mancini.

Une superbe version qui reprend le duo, comme Magaladi et Noda. Petite anecdote, jusqu’à il y a 25 ans, j’avais les deux versions, mais celle de 1964 n’avait pas la totalité de son intro. J’avais donc fait un montage en modifiant la sonorité de la version de 1945, pour insérer les secondes qui manquaient. Je viens de réécouter cette chimère. Ce n’est pas si mal, mais je suis content d’avoir désormais une version intégrale de 1964.
C’est intéressant pour étudier l’évolution du style de De Angelis en une dizaine d’années.

Ilusión azul 1974 — Los Cantores del Alba.

Quand je vous annonçais la récupération par le domaine du folklore, en voici un premier exemple. Les puristes et les grognons diront que ce n’est pas du tango et que ce n’est pas dansable. Pour une fois, je suis un peu d’accord, mais à cause de la pause intermédiaire qui peut poser des problèmes aux danseurs…

Ilusión azul 1985c — Arboleda y Valencia.

Ce duo colombien est surtout connu pour leur grand succès, la valse El Camino de la vida (1991).

Ilusión azul — Diana Maria y Luz Aida.

Deux sœurs colombiennes qui chantent ensemble. On peut également entendre leur frère, Oscar Ivan. Encore un exemple du courant colombien qui porta cette valse. Attention, il ne faudrait pas confondre, cette Luz Aida, avec la célèbre actrice argentine qui intervient, par exemple dans Loco lindo (1936) et qui enregistra quelques tangos.

Ilusión azul 1962c — Lalo Martel accompagné de Osvaldo Requena y Los Reyes del Tango.

Lalo est le frère de Julio Martel. Leur style est assez proche.
Erratum, 2024-06-12
Dans la V1 de cet article, j’avais reproduit deux fois ce titre. Une fois sous le nom de Julio Martel et une autre avec la mention Cuarteto Palais de Glace. Les deux datés de 1962c. Voici l’explication de mon erreur. Merci à Fred Alard TDJ et Gérard Cardonnet d’avoir attiré mon attention sur ce titre.
En fait, j’avais les deux identifications dans ma discothèque. Une bien labelisée, avec Lalo Martel et une que j’avais numérisé il y a trente ans à partir d’un disque vinyle du Cuarteto Palais de Glace. Lors de l’opération, il m’avait échappé les petits caractères qui indiquaient :

En el lado B, tema 2, Ilusión azul (Vals) no fue interpretado por el Cuarteto Palais de Glace sino por Lalo Martel acompañado por Osvaldo Requena y Los reyes del tango.

Sur la face B, le deuxième titre, Ilusión azul (Valse) n’a pas été interprété par le Quartette Palais de Glace, mais par Lalo Martel accompagné de Osvaldo Requena y Los Reyes del Tango.
Désolé de l’erreur, pendant des années, j’ai annoncé Palais de Glace dans les milongas alors que c’était Los Reyes del Tango.
Détail amusant, personne n’avait remarqué que le titre était présenté deux fois et les commentaires élogieux sur cette musique s’adressaient à la version étiquetée Palais de Glace et aucun à celle, totalement identique, étiquetée Lalo Martel

Ilusión azul 1984c — Hernan y Jose Arbey.

Encore un duo, encore des Colombiens.

Ilusión azul 1985c — Los Romanceros de America.

Encore des Colombiens. Quatre guitares. Ils ont enregistré suffisamment de valses pour faire une belle tanda, pour les danseurs qui aiment sortir des sentiers battus.

Ilusión azul 1985c — Los Patuma.

Je vous laisse deviner de quel pays ils viennent…

La Colombie, bravo, vous avez trouvé…

Ilusión azul 1985c — Los Cantores del Sur.

Perdu, ils sont Chiliens….

Ilusión azul 1991c — Los Cantores de Antaño.

Une version très typée années 90 de la musique de variété, avec la batterie et les sons étranges de l’orgue électronique. Je le propose plus pour la curiosité et parce qu’ils renforcent mon équipe colombienne…

Ilusión azul 2010c — Los Gentiles y Grupo Transparencias.

Je ne vous demande pas d’où ils sont, car vous avez déjà deviné. Ils sont colombiens.

Ilusión azul 2010-10 — Fabio Hager Sexteto.

Une version instrumentale, type musique classique. La qualité des musiciens permet de voir la qualité d’écriture du titre, mais bien sûr, les danseurs préféreront une des versions traditionnelles.

Ilusión azul 2015c – Trio Quitasueño.

Encore un orchestre… colombien.  Leur nom est amusant. Ils quittent le sommeil. Dans ce contexte, j’imagine que c’est leur musique qui empêche de dormir… Le terme quitasueño s’utilise aussi quand des soucis empêchent de dormir.

Ilusión azul 2021c — Full Circle Trio.

Pour terminer avec la version la plus originale et la question les plus difficiles :
1 Quel est l’instrument principal de cette version ?
2 De quel pays sont les musiciens ?

Réponses…

Si vous avez répondu le Marimba ou quelque chose d’approchant, bravo, vous ferez un bon danseur voire un bon DJ.
Si vous avez répondu Colombie, vous êtes un bon lecteur, mais vous avez perdu, c’est USA…

Full Circle Trio, avec Jack Van Geem (marimba), Robert Wright (contrebasse) et Raymond Froelich (percussions).

À noter qu’ils ont fait un disque de tango. Peut-être à recommander à ceux qui ont du mal à repérer quand poser les pieds 😉

À demain, les amis.

Cristal 1944-06-07 — Orquesta Aníbal Troilo con Alberto Marino

Mariano Mores Letra : José María Contursi

La musique de Cristal est de celles qui marquent les esprits et les cœurs. La force de l’écriture fait que la plupart des versions conservent l’ambiance du thème original. Cependant, nous aurons des petites surprises. Je vous présente, Cristal de Mariano Mores avec des paroles de Contursi, mais pas que…

Extrait musical

Cristal 1944-06-07 — Orquesta Aníbal Troilo con Alberto Marino.

Une très jolie descente répétée lance cette version. Les notes deviennent de plus en plus graves en suivant une gamme mineure. Cela donne une imposante présence au thème. L’introduction se développe, puis après 30 secondes se développe le thème principal. Celui que Alberto Marino chantera à partir de 1’20.

Paroles

Tengo el corazón hecho pedazos,
rota mi emoción en este día…
Noches y más noches sin descanso
y esta desazón del alma mía…
¡Cuántos, cuántos años han pasado,
grises mis cabellos y mi vida!
Loco… casi muerto… destrozado,
con mi espíritu amarrado
a nuestra juventud.

Más frágil que el cristal
fue mi amor
junto a ti…
Cristal tu corazón, tu mirar, tu reír…
Tus sueños y mi voz
y nuestra timidez
temblando suavemente en tu balcón…
Y ahora sólo se
que todo se perdió
la tarde de mi ausencia.
Ya nunca volveré, lo sé, lo sé bien, ¡nunca más!
Tal vez me esperarás, junto a Dios, ¡más allá!

Todo para mí se ha terminado,
todo para mí se torna olvido.
¡Trágica enseñanza me dejaron
esas horas negras que he vivido!
¡Cuántos, cuántos años han pasado,
grises mis cabellos y mi vida!
Solo, siempre solo y olvidado,
con mi espíritu amarrado
a nuestra juventud…

Mariano Mores Letra: José María Contursi

Traduction libre

Mon cœur est en morceaux, mon émotion est brisée en ce jour…
Des nuits et encore des nuits sans repos et ce malaise de mon âme…
Combien, combien d’années se sont écoulées, grisonnant mes cheveux et ma vie !
Fou… presque mort… détruit, avec mon esprit amarré à notre jeunesse.

Plus fragile que le verre était mon amour avec toi…
De cristal, ton cœur, ton regard, ton rire…
Tes rêves et ma voix et notre timidité tremblant doucement sur ton balcon…
Et seulement maintenant, je sais que tout a été perdu l’après-midi de mon absence.
Je n’y retournerai jamais, je sais, je le sais bien, plus jamais !
Peut-être m’attendrez-vous, à côté de Dieu, au-delà !

Tout pour moi est fini, tout pour moi devient oubli.
Tragique enseignement que m’ont laissé ces heures sombres que j’ai vécues !
Combien, combien d’années se sont écoulées, grisonnant mes cheveux et ma vie !
Seul, toujours seul et oublié, avec mon esprit amarré à notre jeunesse…

Autres versions

Cristal 1944-06-03 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán.

Canaro ouvre le bal avec une version tonique et assez rapide. Le début spectaculaire que nous avons vu dans la version de Troilo est bien présent. On remarquera la présence de l’Orgue Hammond et sa sonorité particulière, juste avant que chante Carlos Roldán. Ce dernier est par moment accompagné par le vibraphone.

Cristal 1944-06-07 — Orquesta Aníbal Troilo con Alberto Marino. C’est notre tango du jour.
Cristal 1944-06-30 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Oscar Serpa.

Fresedo ne pouvait pas passer à côté de ce thème qui semble avoir été écrit pour lui. La structure est très proche de celles de Canaro et Troilo, mais avec sa sonorité. La voix de Serpa, plus tranchante que celle de Ray et Ruiz, donne un caractère toutefois un peu différent à cette interprétation de Fresedo.

Cristal 1957 — Dalva de Oliveira con acomp. de orquesta.

L’introduction est raccourcie et Dalva de Oliveura chante quasiment tout de suite. Vous aurez sans doute remarqué que cette version était chantée en Portugais avec quelques variantes. Vous trouverez le texte en fin d’article. L’orchestre peut être celui de Francisco Canaro, car elle a enregistrée en 1957 avec lui, mais ce n’est pas sûr.

Cristal 1957-02-01 — Orquesta Mariano Mores con Enrique Lucero.

Mariano Mores enregistre sa création. Mariano Mores se passe de sa spectaculaire introduction pour jouer directement son thème principal. Le piano fait le lien entre les différents instruments, puis Enrique Lucero entre scène. Lucero a une belle voix, mais manque un peu de présence, associé à un orchestre léger et sans doute trop poussé à des fantaisies qui fait que cette version perd un peu de force dramatique. On verra avec des versions suivantes que Mores corrigera le tir, du côté chant, mais pas forcément du côté orchestral.

Cristal 1958 — Albertinho Fortuna com Alexandre Gnattali e a sua orquestra.

Là encore, voir en fin d’article le texte en portugais brésilien.

Cristal 1961 — Astor Piazzolla Y Su Quinteto Con Nelly Vázquez.

Piazzolla enregistre à plusieurs reprises le titre. Ici, une version avec Nelly Vázquez. On est dans autre chose.

Cristal 1962-04-27 — Orquesta Armando Pontier con Héctor Dario.

Armando Pontier nous livre une version sympathique, avec un Héctor Dario qui lance avec énergie le thème.

Cristal 1965 — Ranko Fujisawa. Avec l’orchestre japonais de son mari,

Ranko nous prouve que le tango est vraiment international. Elle chante avec émotion.

Cristal 1978-08-01 — Roberto Goyeneche con Orquesta Típica Porteña arr. y dir. Raúl Garello.

Goyeneche a enregistré de nombreuses fois ce titre, y compris avec Piazzolla. Voici une de ses versions, je vous en présenterai une autre en vidéo en fin d’article. On voit que Piazzolla est passé par là, avec quelques petites références dans l’orchestration.

Cristal 1984c — Claudia Mores con la Orquesta de Mariano Mores.

Mariano revient à la charge avec Claudia, sa belle-fille. En effet, elle était mariée à Nico, le fils de Mariano. On retrouve l’orgue Hammond de Canaro dans cette version. Si elle est moins connue que son mari, il faut lui reconnaître une jolie voix et une remarquables expressivité.

Cristal 1986 — Mariano Mores y su Orquesta con Vikki Carr.

Une rencontre entre Vikki Carr qui a habituellement un répertoire différent. On notera que l’orchestre est plus sobre que dans d’autres versions, même, si Mores ne peut pas s’empêcher quelques fantaisies.

Cristal 1994 — Orquesta Mariano Mores con Mercedes Sosa.

Attention, pure émotion quand la Negra se lance dans Cristal. Sa voix si particulière, habituée au folklore s’adapte parfaitement à ce thème. Attention, il y a un break (silence) très long, ne perdez pas la fin en coupant trop vite. Avec cette version, on peut dire que Mores, avec ces trois femmes, a donné de superbes versions de sa composition, d’un caractère assez différent de ce qu’ont donné les autres orchestres, si on excepte Piazzolla et ce qui va suivre.

Cristal 1994 — Susana Rinaldi con acomp. de orquesta.

La même année encore une femme qui donne une superbe version du thème de Mores. Là, c’est la voix qui est essentielle. Une version étincelante qui pourrait rappeler Piaf dans le vibrato de la voix.

Cristal 1998 — Orquesta Néstor Marconi con Adriana Varela.

Oui, encore une femme, une voix différente. L’empreinte de Piazzolla est encore présente. Néstor Marconi propose un parfait accompagnement avec son bandonéon. Vous le verrez de façon encore plus spectaculaire dans la vidéo en fin d’article.

Cristal 2010c — Aureliano Tango Club. Une introduction très originale à la contrebasse.

On notera aussi la présence de la batterie qui éloigne totalement cette version du tango traditionnel.

Versions en portugais

Voici le texte des deux versions en portugais que je vous ai présentées.

Paroles

Tenho o coração feito em pedaços
Trago esfarrapada a alma inteira
Noites e mais noites de cansaço
Minha vida, em sombras, prisioneira
Quantos, quantos anos são passados
Meus cabelos brancos, fim da vida
Louca, quase morta, derrotada
No crepúsculo apagado lembrando a juventude
Mais frágil que o cristal
Foi o amor, nosso amor
Cristal, teu coração, teu olhar, teu calor
Carinhos juvenis, juramentos febris
Trocamos, docemente em teu portão
Mais tarde compreendi
Que alguém bem junto a ti
Manchava a minha ausência
Jamais eu voltarei, nunca mais, sabes bem
Talvez te esperarei, junto a Deus, mais além

Haroldo Barbosa

À propos de la version d’Haroldo Barbosa

Le thème des paroles d’Haroldo Barbosa est semblable, mais ce n’est pas une simple traduction. Si la plupart des images sont semblables, on trouve une différence sensible dans le texte que j’ai reproduis en gras.
« Plus tard, j’ai réalisé que quelqu’un juste à côté de toi avait souillé mon absence.
 Je ne reviendrai jamais, plus jamais, tu sais. Peut-être que je t’attendrai, avec Dieu, dans l’au-delà ».
Contrairement à la version de Contursi, on a une cause de la séparation différente et là, c’est lui qui attendra auprès de Dieu et non, elle qui attendra peut-être.

Roberto Goyeneche et Néstor Marconi, Cristal

Et pour terminer, la vidéo promise de Goyeneche et Marconi. Cette vidéo montre parfaitement le jeu de Marconi. Hier, nous avions Troilo à ses tout débuts, là, c’est un autre géant, dans la maturité.

Roberto Goyeneche Néstor Marconi et Ángel Ridolfi (contrebasse) dans Cristal de Mariano Mores et José María Contursi. Buenos Aires, 1987.

À demain, les amis!

Araca la cana 1933-06-06 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray

Enrique Delfino Letra: Mario Fernando Rada

Voici un des gros succès des encuentros milongueros. Mais les danseurs qui se jettent sur ce titre ne savent peut-être pas que Troilo est le premier à l’avoir enregistré, oui, monsieur, oui, madame, avant Fresedo… De plus, je peux même vous montrer le film où il joue ce titre. N’hésitez pas à la tentation de voir le jeune Pichuco à l’œuvre avec son bandonéon en fin d’article.

L’expression Araca la cana peut sembler mystérieuse. Je vous donnerai sa signification dans la traduction des paroles.
Je vous propose d’écouter maintenant notre tango du jour.

Extrait musical

Araca la cana 1933-06-06 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray

Paroles

¡Araca la cana!
Ya estoy engriyao…
Un par de ojos negros me han engayolao.
Ojazos profundos, oscuros y bravos,
tajantes y fieros hieren al mirar,
con brillos de acero que van a matar.
De miedo al mirarlos el cuor me ha fayao.
¡Araca la cana! ya estoy engriyao.

Yo que anduve entreverao
en mil y una ocasión
y en todas he guapeao
yo que al bardo me he jugao
entero el corazón
sin asco ni cuidao.
Como un gil vengo a ensartarme
en esta daga que va a matarme
si es pa’ creer que es cosa’e Dios
que al guapo más capaz
le faye el corazón.

Enrique Delfino Letra : Mario Fernando Rada

Traduction libre et indications

Araca la cana ! (En français, on dirait, 22 ou 22 voilà les flics, la police. C’est un cri d’alarme signalant un danger). Je suis déjà derrière les barreaux (en prison)
Une paire d’yeux noirs m’a emprisonné. Des yeux profonds, sombres et féroces, vifs et féroces, qui blessent quand ont les regarde, avec des éclairs d’acier qui vont tuer.
De peur, en les regardant, le cœur m’a manqué.
Araca la cana ! Je suis déjà engrillagé. Moi qui ai été impliqué en mille et une occasions et dans toutes, j’ai affronté, moi, qui naturellement ai misé tout mon cœur sans répugnance ni précaution.
Comme un cave (type quelconque, ne connaissant pas le milieu, la pègre), je viens m’embrocher sur ce poignard qui me tuera si c’est pour croire que c’est la chose de Dieu qu’au plus beau et plus capable, le cœur lui manque (fait défaut).

Autres versions

Nous verrons les deux premières versions en fin d’article, car elles sont dans le film Los tres berretines.

Araca la cana 1933-06-06 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray. C’est notre tango du jour.
Araca la cana 1933-06-12 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, Domingo Riverol, Domingo Julio Vivas, Horacio Pettorossi (guitarras).

Un tout petit peu après Fresedo, Gardel enregistre sa version.

Araca la cana 1933-06-16 – Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá.

Canaro n’est jamais en retard quand il s’agit d’enregistrer un succès. Voici donc sa version. Avec des passages doux et lyriques, pas si fréquents dans cette période de son orchestre. Peut-être l’influence de Fresedo dont la version dans le film était sortie le mois précédent.

Araca la cana 1951 – Edmundo Rivero con orquesta dir. por Victor M. Buchino.

Une version qui n’est probablement pas pour les cardiaques. En effet, le démarrage de Edmundo Rivero après une introduction longue surprend. Bien sûr, ce n’est pas une version de danse.

Bébé Troilo

Le film annoncé en début d’article, s’apppelle Los tres berretines. Berretin a plusieurs sens qui vont de caprice, loisir, caprice amoureux à passion… Dans le cas du film, ce sont les trois passions des Portègnes, à savoir, le ciné, le football et… le tango. Pour être précis, dans la pièce de théâtre antérieure, c’était le tango, le football et… la radio. Mais pour faire un film, c’était mieux de mettre le cinéma au cœur de l’action.
C’est le deuxième film sonore argentin, sorti le 19 de mai 1933, soit une semaine après Tango que nous avons déjà évoqué à propo de El Cachafaz et presque un mois avant l’enregistrement de notre tango du jour par Fresedo et Ray.
Il a été dirigé par Enrique Telémaco Susini à partir d’un scénario de Arnaldo Malfatti et Nicolás de las Llanderas. L’extrait que je vais vous présenter présente le tango du jour, interprété par un orchestre imaginaire, EL Conjunto Nacional Foccile Marafiotti. Vous reconnaîtrez sans mal le jeune bandonéoniste, alors âgé de 18 ans, Aníbal Troilo. Il s’agit du second plus ancien enregistrement de lui dont nous disposons, le plus ancien étant avec Carlos Gardel (La que nunca tuvo novio de 1931).
Osvaldo Fresedo faisait aussi partie de l’équipe du film, il était donc parfaitement légitime pour enregistrer ce titre.
L’intrigue du film est autour des passions des enfants d’un quincaillier. Les affaires de la quincaillerie ne sont pas brillantes et le père se désespère de voir ses enfants délaisser l’entreprise familiale pour leurs passions. Nous nous intéressons à la partie tango du film avec un des fils, joué par Luis Sandrini qui veut devenir compositeur de tango.

Extraits du film Los tres berretines

Affiche du film Los tres berretines. Elle annonce que c’est le premier film parlant, mais c’est en fait le second, tango étant sorti la semaine d’avant.

Troilo, qui a donc l’honneur, à 18 ans, de jouer dans le second film sonore argentin apparaît jouant à la moitié du film qui dure moins d’une heure. Je vous propose plusieurs extraits permettant de voir comment était composé et lancé un tango au début de l’âge d’or.
Dans le premier extrait, Aníbal Troilo joue avec le violoniste Vicente Tagliacozzo. José María Rizutti, le pianiste s’entend, mais ne se voit pas.
Pour corriger cette injustice, je vous propose un autre extrait où on le voit jouer Araca la cana, ou plutôt ce qui va le devenir, au piano. Il le joue sous la dictée sifflée de Luis Sandrini. (qui ressemble à Enrique Delfino, l’auteur du tango du jour).
La naissance d’un tango, c’est aussi l’écriture des paroles. Ici, on voit un poète (qui n’est pas joué par Mario Fernando Rada l’auteur des paroles). La tasse de café au lait devant le poète, c’est le prix payé pour les paroles. La transcription de la musique ayant été payée 5 pesos un peu plus tôt dans le film à José María Rizutti qui avait joué sous la dictée sifflée par Luis Sandrini dans la scène du piano.
Dès les paroles terminées, les musiciens et le chanteur (Luis Díaz) se ruent au balcon réservé aux orchestres. On peut ainsi entendre la première version de Araca la Cana avec Aníbal Troilo (bandonéon) Vicente Tagliacozzo (violon) José María Rizutti (piano) et Luis Díaz (chant).
Le dernier extrait, c’est l’orchestre de Osvaldo Fresedo jouant le titre sur la scène d’un bal et la scène finale du film. Le berretin « tango » aura ainsi aidé à sauver l’entreprise familiale.

Extraits choisis par DJ BYC Bernardo du film Los tres berretines.

Sinsabor 1939-06-05 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Lita Morales

Ascanio Ernesto Donato Letra : Adolfo Antonio Vedani

Il y a quelques semaines, je suis tombé sur un article qui disait que Tita Merello avec «Yo soy así», avait donné une place aux femmes dans le tango. Il me semble que c’est aller un peu vite en besogne, car les femmes en sont des interprètes de la première heure, Flora Gobbi, Rosita Quirogan, Ada Falcón, Anita Palmero, Azucena Maizani, Nelly Omar, Mercedes Simone, Lita Morales, Libertad Lamarque, Tania, María Graña, Susana Rinaldi, Virginia Luque, Eladia Blázquez, Nina Miranda, Impreio Argentina, Olga Delgrossi et bien sûr et pas des moindres, Tita Merello. Aujourd’hui, c’est Lita qui nous parle de tango.

Pourquoi cette impression que les femmes ne sont pas dans l’univers du tango ?

Je pense que cette vision a trois causes. La première est que les femmes ont eu une place importante comme chanteuses, mais pas réellement comme chefs d’orchestre ou musiciennes. Aujourd’hui, beaucoup de danseurs connaissent et reconnaissent les orchestres, mais très peu, les chanteurs et quand ils le font, c’est souvent, car ce sont des « couples » que l’on est habitué à associer à un orchestre, comme D’Agostino-Vargas, Troilo-Fiorentino ou Rodriguez-Moreno. S’ils entendent Fiorentino avec un autre orchestre, pas sûr qu’ils le reconnaissent.

Les femmes ont plus souvent chanté des versions à écouter que des versions à danser. Je n’ai pas d’explication sur cette raison, d’autant plus que la voix de femme dans un registre plus aiguë laisse de la place aux instruments plus graves qui marquent généralement la pulsation, Main gauche au piano, contrebasse, bandonéon… La preuve est que des versions chantées de bout en bout par des femmes sont parfaitement dansables alors que par le même orchestre et à la même époque, une version chantée par un homme n’est qu’à écouter. Voir par exemple les enregistrements de Canaro qui a de nombreux exemples de titres enregistrées deux ou trois fois, pour l’écoute et pour la danse, par un homme ou une femme.

Une autre cause vient sans doute d’un excès de machisme dans le domaine. Les hommes ont occupé la place, laissant peu de places aux femmes en dehors des thèmes des tangos. Là, elles n’ont pas toujours le beau rôle, comme en témoigne notre tango du jour.

Dans l’idée de lever un coin du voile et vous montrer qu’il y a de nombreuses femmes dans l’univers de tango, je vous propose aujourd’hui quelques chanteuses, mais pour l’instant, concentrons-nous sur le phénomène Lita Morales.
Avant d’écouter notre tango du jour, sachez qu’il existe un autre tango du même titre, Sin sabor joué par Tito Francia qui en est le compositeur avec des paroles de Pedro Tusoli. Je ne pourrai pas vous le faire écouter, n’ayant pas le disque…

Extrait musical

Sinsabor 1939-06-05 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Lita Morales.

Je pense que nous sommes nombreux à aimer ce duo magnifique, cette musique entraînante. La tristesse des paroles passe très bien et n’entame pas la bonne humeur des danseurs. Une valeur sûre pour les milongas. La musique est en mode majeur. L’orchestre expose le thème, puis Horacio Lagos prend la parole. Lita Morales le rejoint ensuite pour former un duo et finalement, l’orchestre termine le tango. La structure est très simple, comme l’orchestration. C’est une belle version qui brille par sa simplicité et sa légèreté.

Paroles

Llevando mi pesar
Como una maldición
Sin rumbo fui
Buscando de olvidar
El fuego de ese amor
Que te imploré
Y allá en la soledad
Del desamparo cruel
Tratando de olvidarte recordé
Con la ansiedad febril
Del día que te di
Todo mi ser
Y al ver la realidad
De toda tu crueldad
Yo maldecí
La luz de tu mirar
En que me encandilé
Llevado en mi ansiedad de amar
Besos impregnados de amargura
Tuve de tu boca en su frialdad
Tu alma no sintió mi fiel ternura
Y me brindó con su rigor, maldad
Quiero disipar toda mi pena
Busco de calmar mi sinsabor
Siento inaguantable esta cadena
Que me ceñí al implorar tu amor

Ascanio Ernesto Donato Letra : Adolfo Antonio Vedani

Horacio Lagos chante le début, seul, puis Lita Morales se rajoute pour chanter en duo ce qui est en gras.

Traduction libre et indications

Portant mon chagrin comme une malédiction, sans but, j’ai cherché à oublier.
Le feu de cet amour que j’implorais de toi et là, dans la solitude d’un cruel abandon.
Essayant de t’oublier, je me suis souvenu de l’anxiété fébrile du jour où je t’ai donné tout mon être et voyant la réalité de toute ta cruauté, j’ai maudit.
La lumière de ton regard, qui m’a aveuglé (dans laquelle j’étais ébloui), emporté par mon anxiété d’aimer.
Des baisers imprégnés d’amertume, je les ai obtenus de ta bouche dans sa froideur.
Ton âme n’a pas senti ma tendresse fidèle, et m’a offert, avec sa rigueur, la méchanceté.
Je veux dissiper toute ma douleur, je cherche à apaiser ma détresse (sinsabor, de sin sabor [sans saveur] signifie regret, malaise moral, tristesse).
Je sens insupportable cette chaîne, que je me suis attachée quand j’ai imploré ton amour.

De gauche à droite, Lita Morales, Edgardo Donato et Horacio Lagos, l’équipe qui nous offre le tango du jour.

Sur cette photo, Lita Morales et Horacio Lagos ne semblent pas être le couple ayant donné le sujet de ce tango… Il se dit qu’ils se seraient mariés, mais rien ne le prouve. Ce couple, si c’était un couple, était très discret et mystérieux. Un indice, les deux ont commencé par enregistrer du folklore, lui un peu avant et ils ont tous les deux arrêté rapidement la carrière (1935-1942 pour Horacio, 1937-1941 pour Lita, avec un petit retour en 1955-1956). Peut-être l’arrêt en 1941 était pour cause de naissance, Lita aurait été enceinte. Ceci pourrait expliquer son retour tardif, lorsque son enfant est devenu plus autonome.

Autres versions

Le tango du jour est a priori, la plus ancienne version enregistrée et la seule avant une date assez récente.

Sinsabor 1939-06-05 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Lita Morales. C’est notre tango du jour.

Le Cuarteto Mulenga l’a enregistré vers 2008, avec le chanteur Maximilliano Agüero.

Sinsabor 2008c — Carteto Mulenga Con Maximilliano Agüero.

Je vous laisse penser ce que vous voulez de cette version, mais elle a du mal à faire oublier celle de Donato, à mon avis.
C’est toutefois un bel effort pour faire revivre ce titre, mais l’essai n’est pas totalement transformé. En revanche, la Romantica Milonguera nous en a donné plusieurs versions intéressantes.

Sinsabor 2017-10 — Orquesta Romántica Milonguera con Marisol Martínez y Roberto Minondi (Sur l’album Romantica Milonguera de 2017).
Sinsabor 2018 — Orquesta Romántica Milonguera con Marisol Martínez y Roberto Minondi (sur l’album Duo de 2018). Cette, nouvelle version est plus tonique.
Sinsabor 2019 — Orquesta Romántica Milonguera con Marisol Martínez y Roberto Minondi (sur le single Sin sabor — Quizas, quizas, quizás, Nuevas versiones de 2019).

Roberto Minondi est un magnifique chanteur, mais Marisol Martínez, sur scène, lui vole la vedette par son jeu d’actrice remarquable.

Elle me permet d’introduire la dernière partie de l’anecdote du jour, une petite liste de chanteuses de tango. Combien en connaissez-vous ?

Quelques chanteuses de tango

Je vous propose une petite galerie de portraits. Elle est très incomplète, mais j’aurai l’occasion de revenir sur le sujet.

Combien de chanteuses reconnaissez-vous ? Passez la souris sur l’image pour faire apparaitre le nom de la chanteuse.

On notera que beaucoup de ces chanteuses ont aussi fait du cinéma. Le lien entre cinéma et tango est très fort, beaucoup de tangos fameux ont été composés pour les films et même à l’époque des films muets, les musiciens jouaient dans la salle en direct.

En prime, je vous propose la première joueuse de bandonéon professionnelle, je vous parlerai une autre fois des musiciennes, des auteurs et compositrices, il y a énormément à dire sur ce sujet également. Alors, les femmes et le tango, c’est une histoire ancienne et toujours vivante. Voir par exemple cet article…

Paquita Bernardo, Bandonéoniste (1900-1925).

Elle fut la première bandonéoniste, mais sa vie fut trop brève. Elle n’a pas laissé d’enregistrement, cependant, Gardel et Juan Carlos Cobián ont enregistré ses compositions.

Paquita Bernardo (1900-1925) Bandonéoniste

En la buena y en la mala 1940-06-04 – Orquesta Enrique Rodríguez con Armando Moreno

Enrique Rodríguez Letra: Enrique Cadícamo (Domingo Enrique Cadícamo)

Certains adorent, d’autres moins, Enrique Rodriguez. Cependant, notamment avec le chanteur Armando Moreno (el muñeco) a graver de joies choses, comme ce titre magnifié par les paroles de Enrique Cadícamo. Je vous invite à écouter ce titre qui a toujours beaucoup de succès en milonga, car il est dansant, entraînant, même si le héros de l’histoire n’est pas le plus heureux des hommes.

El muñeco, peut signifier, celui qui ne travaille pas et qui touche tout de même son salaire, car son contremaitre le déclare présent. Bien sûr, ce n’était pas le cas de Moreno qui effectuait son travail. Ce surnom lui aurait été attribué, car il était toujours souriant, par analogie avec les poupées qui ont un sourire peint sur le visage (Poupée se dit muñeca en espagnol, muñeco serait donc le masculin). Par ailleurs, il a commencé à travailler pour Rodriguez à l’âge de 19 ans, soit relativement jeune et pourrait donc être un petit jeune, mais comme il était de grande taille, notamment par rapport à Rodriguez, cela est moins probable que ce soit l’origine de son surnom.

Dédicace à l’ami Christian, qui se reconnaîtra. Quand il débarque à Buenos Aires, je lui dédie toujours une tanda de Rodriguez pour saluer son arrivée.

Enrique Rodríguez y Armando Moreno

Extrait musical

Partition pour piano de En la buena y en la mala. Le tango est dédicacé par les auteurs à leur bon ami, Carlos Garcia (Pianiste, chef d’orchestre et compositeur).
En la buena y en la mala 1940-06-04 — Orquesta Enrique Rodríguez con Armando Moreno.

Paroles

En la “buena” te encontré
en la “mala” te perdí…
Fue tu amor luz de bengala,
de azul y breves galas.
Mi cartera fue el imán que a tu ambición
le hizo hacer un simulacro de pasión…
Vampiresa de mis noches de champán
nunca te olvides de que:
En la “buena” te encontré
en la “mala” te perdí
y jamás un mal recuerdo
tendrás de mí.

Cayó el telón… sobre tu simulación…
Difunto ayer… de mentira y placer…
Te di esplendor… mis billetes y mi amor…
Fui sin querer… un juguete, mujer…
Y porque fui pa’vos
un hombre bueno, sí,
hoy sin preocupación
puedo decir:

Que nn la “buena” te encontré
en la “mala” te perdí…
Fue tan blanca mi inocencia
y negra tu inconciencia…
Te escapaste de mi lado sin saber
que en el fondo de mi pecho había un querer…
Y hoy, te juro, siento ganas de llorar
porque me duele pensar:
En la “buena” te encontré
en la “mala” te perdí…
y al final me siento solo
lejos de ti…

(Final)
Que en la “buena” te encontré
en la “mala” te perdí…
y al final me siento solo
lejos de ti…

Enrique Rodríguez Letra: Enrique Cadícamo (Domingo Enrique Cadícamo)

Traduction libre et indications

 

Dans le « bon », je t’ai trouvée et dans le « mauvais », je t’ai perdue…
C’était ton amour, feu de Bengale, d’atours bleus et brefs.
Mon portefeuille a été l’aimant qui a fait faire à ton ambition un simulacre de passion…
Vampire de mes soirées champagne, n’oublie jamais que :
Dans le « bon », je t’ai trouvée, dans le « mauvais », je t’ai perdue et tu n’auras jamais un mauvais souvenir de moi.
Le rideau est tombé… sur ta simulation…
Il mourut hier… de mensonges et de plaisir…
Je t’ai donné la splendeur… Mes billets et mon amour…
Je fus sans le vouloir… un jouet, femme…
Et parce que j’étais pour toi un homme bon, oui, aujourd’hui je peux dire sans souci :
Que dans le « bon » je t’ai trouvée, et dans le « mauvais », je t’ai perdue…
Mon innocence était si blanche, et noire ton inconscience…
Tu t’es échappée de mon côté sans savoir qu’au fond de ma poitrine il y avait un amour…
Et aujourd’hui, je te jure, j’ai envie de pleurer parce que ça me fait mal de penser :
Que dans le « bon », je t’ai trouvée et dans le « mauvais », je t’ai perdue…
Et à la fin, je me sens seul loin de toi…
(Final)
Que dans le « bon », je t’ai trouvée et dans le « mauvais », je t’ai perdue…
Et à la fin, je me sens seul loin de toi…

Autres enregistrements du même jour

Pas d’autres versions de ce titre que celle enregistrée par Rodriguez et Moreno. En revanche, ils ont enregistré une valse dite « festive », le même jour, cette valse est par les mêmes auteurs, Enrique Rodríguez et Enrique Cadícamo. Comme quoi ils pouvaient faire preuve d’une grande diversité.

En la buena y en la mala 1940-06-04 — Orquesta Enrique Rodríguez con Armando Moreno. C’est notre tango du jour.
Por aquí… por allá… 1940-06-04 — Orquesta Enrique Rodríguez con Armando Moreno y coro. Il s’agit d’une valse festive (Vals festivo). Por aquí… por allá…, comme son œuvre sœur, n’a pas été enregistré par un autre orchestre.
Couverture de la partition de Por aquí por allá.

Voilà, c’est tout pour aujourd’hui. À demain les amis !

Enrique Rodríguez.

Racing Club 1930-06-03 – Sexteto Carlos Di Sarli

Vicente Greco Letra : Carlos Pesce

Les Argentins sont toqués de football, comme peu d’autres peuples. Chacun est hincha (fan) d’un club. Il était donc naturel que cela se retrouve dans l’autre passion de certains Argentins, le tango. Notre tango du jour ne brille pas forcément par ses paroles, mais la musique de Vicente Greco est intéressante et comme toutes les versions enregistrées sont instrumentales, on peut danser, même si on déteste le football.

Extrait musical

Partition pour piano de Racing Club. On voit que sur la couverture de la partition, la dédicace aux affiliés au Racing Club et la mention « Tango Footballistico ». L’orthographe est plus proche de l’anglais que l’orthographe actulle, les Argentins écrivent désormais Futbol.
Racing Club 1930-06-03 – Sexteto Carlos Di Sarli.

On connaît bien l’entrée en matière énergique. Cette version se distingue de bien des enregistrements de l’époque, par un bel étagement des instruments, avec un motif de violon qui lie le tout et quelques relances de piano ou de bandonéon. Cette version est assez moderne et pourrait probablement passer en milonga, notamment, s’il y a beaucoup de piétineurs dans les participants.
Pour cet enregistrement, le sexteto est composé des musiciens suivants :
César Ginzo et Tito Landó (bandonéons) Carlos Di Sarli (piano) Roberto Guisado et Héctor Lefalle (violons) et Domingo Capurro à la contrebasse.

Paroles

Racing Club de Avellaneda
club de mi pueblo querido,
yo que admiro con cariño
tu valiente batallar
en esas horas gloriosas
para el deporte argentino,
fuiste campeón genuino
de la masa popular.

Racing Club, vos que diste
academia en la América del Sur
gran campeón de los tiempos viejos de oro
del futbol de mi Nación,
yo quisiera ver triunfar a tus colores,
que son los de mi bandera
porque aún seguís siendo para todos
el glorioso Racing Club.

Noble club con gran cariño
te sigue la muchachada
la que tan entusiasmada
te sabrá siempre alentar,
porque sos vos Racing Club
la gloria del tiempo de oro
como el Alumni que añoro
y jamás volverá.

Vicente Greco Letra: Carlos Pesce

Traduction libre et indications

Racing Club de Avellaneda, club de mon village bien-aimé, moi qui admire avec affection ta courageuse bataille en ces heures glorieuses pour le sport argentin, tu as été un véritable champion des masses populaires.
Racing Club, toi qui as donné académie en Amérique du Sud, grand champion de l’ancien âge d’or du football dans ma nation, je voudrais voir triompher tes couleurs, qui sont celles de mon drapeau, car tu es toujours pour nous tous, le glorieux Racing Club.
Noble club, avec beaucoup d’affection te suit la foule, celle qui avec tant d’enthousiasme saura toujours t’encourager, car tu es, toi,
Racing Club, la gloire de l’âge d’or, comme L’Alumni (club de football des élèves de l’école Willis High School, disparu en 1913) qui me manque et jamais ne reviendra.
Les fans de foot pourront regarder cette courte vidéo présentant l’histoire du club Alumni.

https://youtu.be/R5Nr6FKgJ6k

Histoire du club Alumni en vidéo. Les maillots ont des rayures comme celles du Racing Club, mais rouges et blanches au lieu de célestes et blanches.

Pour les superfans qui s’intéressent à l’histoire des stades, je propose ce document, seulement en espagnol, mais bien documenté sur la vie des stades, notamment à partir d’exemples portègnes. El ciclo de vida de los estadios porteños (PDF).

Autres versions

Racing Club 1916 – Orquesta Típica Ferrer (Orquesta Típica Argentina Celestino).

Je pense que vous êtes désormais habitué à ce son linéaire. La prise de son acoustique ne rend sans doute pas une grande justice à la prestation. Les nuances sont impossibles. Jouer moins fort, c’est prendre le risque que la musique disparaisse dans le bruit de fond du disque. On entend cependant de jolis motifs, comme les « twitwititis » de la flûte, en arrière-plan. Comme avec la plupart des tangos de l’époque, on peut trouver le résultat monotone, les différentes parties étant très similaires, pour ne pas dire identiques.

Racing Club 1930-06-03 – Sexteto Carlos Di Sarli. C’est notre tango du jour.
Racing Club 1940-07-04 – Orquesta Carlos Di Sarli.

Avec son orchestre, Di Sarli enregistre de nouveau le titre. Une version vraiment très différente de la version de 1930 qui permet de mesurer son évolution et reconnaître ses évolutions futures. Roberto Guisado (violon) et Carlos Di Sarli (piano), sont les seuls musiciens ayant participé au sexteto.

Racing Club 1942 – Orquesta Aníbal Troilo.

Bien que ce ne soit pas son club de cœur, il était de River, Troilo a enregistré le titre. La qualité sonore est médiocre, car c’est un enregistrement en acétate réalisé lors d’une prestation à la radio, c’est dommage, avec un enregistrement correct, on aurait eu une version animée pour les milongas.

Racing Club 1946-03-29 – Orquesta Ángel D’Agostino.

On ne s’attend sans doute pas à trouver cet enregistrement de la part de D’Agostino. Mais c’est sans doute qu’on privilégie les enregistrements avec Ángel Vargas qui pousse d’Agostino à plus de douceur et de romantisme. On notera un appel en début de morceau, au bandonéon, différents des versions précédentes.

Racing Club 1949-10-13 – Orquesta Alfredo Gobbi.

Le moins qu’on puisse dire est que Gobbi n’est pas très apprécié/passé en milonga, mais si on le passe, c’est avec Racing Club et Orlando Goñi, La viruta et bien sûr Independiente Club qui est le pendant parfait de Racing Club, puisque c’est un club concurrent. Peu de DJ s’aventurent beaucoup plus loin et c’est sans doute mieux ainsi, car il est difficile de faire une belle tanda, homogène, avec le reste de ses enregistrements… Gobbi utilise le même appel au bandonéon que D’Agostino.

Racing Club 1950-09-13 – Orquesta Rodolfo Biagi.

Racing Club 1950-09-13 – Orquesta Rodolfo Biagi. Bon, c’est du Biagi. Cela se reconnaît dès le début, Biagi entre directement dans le « Tchang – Tchang » qui lui est cher. Ceux qui n’ont pas reconnu, le feront au bout des quinze premières secondes, lors de la première virgule (la petite fioriture) de Biagi au piano. Même si Biagi a de nombreux fans, il est difficile de mettre plus de deux tandas de cet orchestre dans une milonga si on veut proposer un éventail de sensations plus large. Mais certains sont prêts à danser toute la nuit avec Biagi, alors, ojo comme on dit en Argentine, attention, DJ, on t’a à l’œil, ou plutôt à l’oreille).

Racing Club 1966-10-07 – Los Siete Del Tango dir. y arr. Luis Stazo y Orlando Trípodi.

Pour terminer, cette liste qui pourrait bien sûr être plus longue, cette version par les anciens musiciens de Pugliese, Los Siete Del Tango (les 7 du tango). On n’est plus dans la danse, mais c’est de la belle ouvrage. On notera que le début est celui de D’Agostino, mais revu. Il est plus lent et annonce une pause avant le début du morceau.

Pour réconcilier les footeux et les tangueros et faire plaisir à ceux qui sont les deux

Je vous propose cette vidéo avec comme musique, Quejas de bandoneón par Aníbal Troilo, dansé à San Telmo (quartier de buenos Aires) par un couple virtuose du ballon rond. Petite fantaisie, Troilo était hincha de River Plate (Les anglo-saxons parlent de River Plate pour le Río de la Plata), pas du Racing, mais comme fanatique de football, il me pardonnera sans doute, d’autant plus qu’il a enregistré Racing Club…
Pour le Racing, il faudrait plutôt choisir Atilio Stampone qui était hincha de ce club, mais il n’a pas enregistré le titre…

Réalisé pour la coupe du Monde de 2018, ce film était dans le cadre de la campagne futbol deporte nacional (Football, Sport National).

Allez, un dernier truc, une playlist pour hinchas de Racing sur Spotify… ATTENTION, cela n’a rien de tango, c’est juste pour vous aider à prendre la dimension du phénomène football en Argentine.

El Cachafaz 1937-06-02 – Orquesta Juan D’Arienzo

Manuel Aróstegui (Manuel Gregorio Aroztegui) Letra: Ángel Villoldo

Si vous vous intéressez à la danse du tango, vous avez forcément entendu parler de El Cachafaz . C’était un danseur réputé, mais était-il réellement apprécié pour ses qualités humaines ? D’un côté, il a un tango qui lui est dédié, mais les paroles ne le décrivent pas à son avantage. D’autre part, si la version de D’Arienzo qui est notre tango du jour est remarquable, les autres interprétations ne sont pas si agréables que cela, comme si les orchestres avaient eu une réticence à l’évoquer. Je vous invite aujourd’hui à découvrir un peu plus de qui était el Cachafaz, la canaille.

Extrait musical

Partition pour piano de El Cachafáz
El Cachafaz 1937-06-02 – Orquesta Juan D’Arienzo.

La musique commence par le cornet du tranvia (tramway). Le piano de Biagi, prend tous les intervalles libres, mais le bandonéon et les violons ne méritent pas. C’est du très bon D’Arienzo. On a l’impression que El Cachafaz se promène, salué par les tramways. On peut imaginer qu’il danse, d’ailleurs ce titre est tout à fait dansable…

Paroles

Toutes les versions que je vous propose aujourd’hui sont instrumentales, mais les paroles nous sont très utiles pour cerner le personnage. Mentionnons tout de même que la musique a été écrite en 1912 et était destiné à l’acteur Florencio Parravicini. Cependant, les paroles de Ángel Villoldo s’adressent bien au danseur.

El Cachafaz es un tipo
de vestir muy elegante
y en su presencia arrogante
se destaca un gran señor.
El Cachafaz, donde quiera,
lo han de encontrar muy tranquilo
y si saca algún filo
se convierte en picaflor.

El Cachafaz, bien lo saben,
que es famoso bailarín
y anda en busca de un festín
para así, florearse más.
El Cachafaz cae a un baile
recelan los prometidos,
y tiemblan los maridos
cuando cae el Cachafaz.

El Cachafaz, cuando cae a un bailecito
se larga; pero muy de parada
y no respeta ni a casada;
y si es soltera, mejor.
Con mil promesas de ternura
les oferta, como todos, un mundo de grandezas
y nadie sabe que la pieza no ha pagado
y anda en busca afligido, el acreedor.

Manuel Aróstegui (Manuel Gregorio Aroztegui) Letra: Ángel Villoldo

Traduction libre et indications

Le Cachafaz est un type vêtu très élégamment et dans sa présence arrogante se distingue un grand seigneur.
Le Cachafaz, où qu’il soit, doit être trouvé très calme et s’il trouve une ouverture (filo se dit chez les délinquants pour parler d’une opportunité), il devient un picaflor (colibri, ou plutôt homme allant butiner de femme en femme).
Le Cachafaz, comme vous le savez bien, est un danseur célèbre et cherche un festin afin de s’épanouir davantage.
Quand le Cachafaz débarque (caer, tomber en espagnol, est ici en lunfardo et signifie être présent dans un lieu) dans un bal, les fiancés sont méfiants et les maris tremblent quand le Cachafaz arrive.
Le Cachafaz, lorsqu’il débarque dans un petit bal, se lâche ; mais, il est très prétentieux (de nariz parada, le nez redressé comme savent le faire les personnes prétentieuses) et ne respecte ni les femmes mariées ni les célibataires, c’est mieux (il préfère les célibataires).
Avec mille promesses de tendresse, il leur offre, comme tous, un monde de grandeur et personne ne sait que la chambre n’est pas payée et que va, affligé, à sa recherche, le créancier.

Et voici El Cachafaz

Maintenant que j’ai dressé son portrait à travers les paroles, essayons de nous intéresser au personnage réel.
El Cachafaz (Ovidio José Bianquet), Buenos Aires, 1885-02-14-Mar del Plata, 1942-02-07.
El Cachafaz était grand, laid, grêlé de vérole, il avait un air maladif.

Sa danse

El Cachafaz a dansé dans une dizaine de films et notamment Tango (1933) et Carnaval de antaño (1940), extraits que je vais vous présenter ici.

C’est un extrait du film « Tango » (1933) de Luis Moglia Barth qui est le premier film parlant argentin. On y voit El Cachafaz (José Ovidio Bianquet) danser avec Carmencita Calderón, El Entrerriano de Anselmo Rosendo Mendizábal.

À ce moment, il est âgé de 48 ans et sa partenaire Carmencita Calderón 28 ans. Je donne cette précision, car certains affirment que sa partenaire n’a pas encore 20 ans. Il dansera avec elle dans deux autres films en 1939 « Giácomo » et « Variedades« . Ce sera aussi sa compagne de vie jusqu’à sa mort et à part une prestation avec Sofía Bozán, sa partenaire de danse. Carmencita Calderón est morte centenaire, en 2005. Une preuve que le tango conserve.

Voyons-le danser un peu plus tard, en 1940, avec Sofía Bozán

C’est un extrait du film “Carnaval de antaño” (1940) de Manuel Romero. C’est deux ans avant la mort de El Cachafaz. Il a 55 ans dans cette prestation.

On notera que le rôle principal est tenu par Florencio Parravicini qui aurait été lé dédicataire en 1912 de la musique de Manuel Aróstegui. Les deux Cachafaz dans le même film.

Ses principales partenaires :

Eloise Gabbi. Elle fit avec lui une tournée aux USA en 1911. En fait, c’est plutôt l’inverse si on consdère que El Cachafaz était désigné comme « an Argentine indian » (Un indien argentin). Il faut dire qu’il devait encore avoir à l’époque la stature faubourienne qu’il améliorera, comme Bertrán, dans le tango Del barrio de las latas.

Emma Bóveda, Elsa O’Connor puis Isabel San Miguel qui furent aussi ses compagnes, jusqu’à ce qu’il rencotre Carmencita Calderón (Carmen Micaela Risso de Cancellieri) (1905-02-10 – 200510-31. Carmencita danse avec lui dans Tango (1933), Giácomo » (1939) et « Variedades (1939).
Sofía Bozán (Sofía Isabel Bergero) 1904-11-05 – 1958-07-09. Pour le film Carnaval de antaño, mais il reste avec Carmencita, jusqu’à sa mort en 1942, Carmencita qui lui survivra 63 ans…

La photo dont je suis parti pour faire celle de couverture de l’article… El Cachafaz avec sa compagne, Carmencita Calderón. C’est une photo posée et retouchée pour ce qui est du visage de El Cachafaz.

Voici ce qu’en dit Canaro (pages 79-81 de Mis memorias)

Mis memorias 1906-1956 – Francisco Canaro. Même si le livre est centrée sur Canaro, c’est une mine de renseignements sur le tango de l’époque. C’est assez curieux qu’il soit si peu cité.

“Concurría: con suma frecuencia a los bailes del « Olimpo » un personaje que ya gozaba de cierta popularidad: Benito Bianquet (« El Cachafaz« ); a quien no se le cobraba la entrada, porque era una verdadera atracción; cuando él bailaba la concurrencia entusiasmada le formaba rueda y él se floreaba a gusto haciendo derroche en las figuras del típico tango de arrabal.

Puede decirse, sin temor a hipérbole, que « El Cachafaz » fué indiscutiblemente el mejor y más completo bailarín de tango de su tiempo. No tuvo maestro de baile; su propia intuición fué la mejor escuela de su estilo. Era perfecto en su porte, elegante y justo en sus movimientos, el de mejor compás; en una palabra, « El Cachafaz« , en el tango, fué lo que Carlitos Gardel coma cantor: un creador; y ambos no han tenido sucesores, sino imitadores, que no es lo mismo. « El Cachafaz » siempre iba acompañado de su inseparable amigo « El Paisanito« , muchacho que tenía fama de guapo y que, para su defensa, usaba una daga de unos sesenta a setenta, centímetros de largo; se la ponía debajo del brazo izquierdo calzándola por entre la abertura del chaleco, y la punta daba más abajo del cinturón rozándole la pierna. Para sacarla lo hacía en tres tiempos y con gran rapidez cuando las circunstancias lo exigían. No obstante, « El Paisanito » era un buen muchacho y un leal amigo. […]

Precisamente, recuerdo que una noche hallándose en una mesa « El Cachafaz » con « El Paisanito » y otros amigos, apareció otro famoso Bailarín de tango, « El Rengo Cotongo« , guapo el hombre y según decían de averías y de mal vivir; lo acompañaban otros sujetos de pinta no muy recomendable, quienes se ubicaron en una mesa próxima a la de « El Cachafaz« . « El Rengo Cotongo » traía también su compañera de baile. Empezaron a beber en ambas mesas, y entre baile y baile lanzaban indirectas alusivas a « El Cachafaz« , y se originó un desafió. Querían dilucidar y dejar sentado cuál de los dos era mejor bailarín de tango. Se concretó la apuesta y el primera en salir a bailar fué « El Rengo Cotongo« , quien pidió que tocasen « El Entrerriano« . El apodo le venía porque rengueaba de una pierna al andar, pero ello no fué obstáculo para llegar a conquistar cartel de buen bailarín, pues en realidad bailando no se le notaba la renguera, al igual que a los tartamudos, que cantando dejan de serlo. salió el famoso « Rengo » hacienda filigranas, aclamado por la barra que lo acompañaba y por los contertulios que simpatizaban con él, y terminé la pieza entre grandes aplausos. Y le tocó a « El Cachafaz« , quien pidió que tomasen El Choclo. Salió con su garbo varonil y con su postura elegante haciendo con los pies tan maravillosas « fiorituras » que sólo faltaba que pusiera su nombre; pero dibujó sus iniciales entre atronadores aplausos y «¡vivas! » a « El Cachafaz« . Al verse « El Rengo » y sus compinches desairados en su desafió, ahí nomas empezaron a menudear los tiros y se armó la de San Quintín. En media del barullo nosotros no sentíamos más que « ¡pim-paf, pum! » … y las balas pegaban en la chapa de hierro que cubría la baranda del palco donde nosotros tocábamos, viéndonos obligados a echar cuerpo a tierra hasta que amainó el escándalo con la presencia de la policía, que arreó con todo el mundo a la comisaria. Y el salón quedó clausurado por largo tiempo.”

Francisco Canaro – Mis memorias 1906-1956

Traduction libre du texte de Canaro

Très fréquemment aux bals de l' »Olimpo » se trouvait un personnage qui jouissait déjà d’une certaine popularité : Benito Bianquet (« El Cachafaz ») ; qui ne payait pas l’entrée, parce que c’était une véritable attraction ; Quand il dansait, la foule enthousiaste formait un cercle et il s’épanouissait à l’aise, se répandant dans les figures du tango typique des faubourgs.

On peut dire, sans crainte de l’hyperbole, que « El Cachafaz » était incontestablement le meilleur et le plus complet danseur de tango de son temps. Il n’avait pas de professeur de danse ; Sa propre intuition fut la meilleure école de son style. Il était parfait dans son maintien, élégant et juste dans ses mouvements, le meilleur compás; en un mot, « El Cachafaz », en tango, était ce que Carlitos Gardel est comme chanteur : un créateur ; Et les deux n’ont pas eu de successeurs, mais des imitateurs, ce qui n’est pas la même chose. « El Cachafaz » était toujours accompagné de son inséparable ami « El Paisanito », un garçon qui avait la réputation d’être beau et qui, pour sa défense, utilisait un poignard d’environ soixante à soixante-dix centimètres de long ; Il le plaçait sous son bras gauche, l’insérant dans l’ouverture du gilet, et la pointe était au-dessous de la ceinture et lui effleurait la jambe. Pour le sortir, il le faisait en trois temps et avec une grande rapidité lorsque les circonstances l’exigeaient. Néanmoins, « El Paisanito » était un bon garçon et un ami fidèle. […]

Précisément, je me souviens qu’un soir où « El Cachafaz » était à une table avec « El Paisanito » et d’autres amis, un autre danseur de tango célèbre est apparu, « El Rengo Cotongo », bel homme et, comme on disait, de dépressions et de mauvaise vie ; il était accompagné d’autres sujets d’apparence peu recommandable, qui étaient assis à une table près de celle d’El Cachafaz. El Rengo Cotongo » a également amené sa partenaire de danse. Ils commencèrent à boire aux deux tables, et entre les danses, ils lançaient des allusions à « El Cachafaz », et un défi s’ensuivit. Ils voulaient élucider et établir lequel des deux était le meilleur danseur de tango. Le pari a été fait et le premier à aller danser a été « El Rengo Cotongo », qui nous a demandé de jouer « El Entrerriano ». Le surnom lui venait du fait qu’il boitait d’une jambe lorsqu’il marchait, mais ce n’était pas un obstacle pour conquérir l’affiche d’un bon danseur, car en réalité en dansant, ce n’était pas perceptible, ainsi que les bègues, qui en chantant cessent de l’être. Le fameux « Rengo » est sorti, en exécutant des filigranes, acclamé par la bande qui l’accompagnait et par les participants qui sympathisaient avec lui, et j’ai terminé la pièce au milieu de grands applaudissements. Et ce fut au tour d’« El Cachafaz », qui nous a demandé de prendre El Choclo. Il entra avec sa grâce virile et son attitude élégante, faisant de si merveilleuses « fiorituras » avec ses pieds qu’il ne lui restait plus qu’à mettre son nom ; mais il a dessiné ses initiales au milieu d’un tonnerre d’applaudissements et de « vivas ! » à « El Cachafaz ». A contrario, « El Rengo » et ses acolytes ont été snobés dans leur défi, aussi, sans façon, les coups de feu ont commencé à être tirés et la de San Quintín a été mise en place (cela signifie un scandale ou une très grande bagarre, en référence à la bataille de San Quentin qui a eu lieu à l’époque de Philippe II (XVIe siècle) entre l’Espagne et la France, autour du royaume de Naples. Au milieu du brouhaha, nous n’avons rien ressenti d’autre que « pim-paf, bam ! » et les balles se logeaient dans la plaque de fer qui couvrait la balustrade de la loge où nous jouions, et nous avons été forcés de nous jeter à terre jusqu’à ce que le scandale s’éteigne avec la présence de la police, qui a rassemblé tout le monde au commissariat. Et le salon a été fermé pendant longtemps.

El Cachafaz évoqué par Miguel Eusebio Bucino

Le tango Bailarín compadrito de Miguel Eusebio Bucino parle justement de El Cachafaz.

Vestido como dandy, peina’o a la gomina
Y dueño de una mina más linda que una flor
Bailás en la milonga con aire de importancia
Luciendo la elegancia y haciendo exhibición
Cualquiera iba a decirte, ¡che!, reo de otros días
Que un día llegarías a rey de cabaret
Que pa’ enseñar tus cortes pondrías academia
Al taura siempre premia la suerte, que es mujer
Bailarín compadrito
Que floreaste tus cortes primero
En el viejo bailongo orillero
De Barracas, al sur
Bailarín compadrito
Que querías probar otra vida
Y al lucir tu famosa corrida
Te viniste al Maipú
Araca, cuando a veces oís « La Cumparsita »
Yo sé cómo palpita tu cuore al recordar
Que un día lo bailaste de lengue y sin un mango
Y ahora el mismo tango bailás hecho un bacán
Pero algo vos darías por ser por un ratito
El mismo compadrito del tiempo que se fue
Pues cansa tanta gloria y un poco triste y viejo
Te ves en el espejo del loco cabaret
Bailarín compadrito
Que querías probar otra vida
Y al lucir tu famosa corrida
Te viniste al Maipú
Miguel Eusebio Bucino

Miguel Eusebio Bucino

Traduction libre de Bailarín compadrito

Habillé en dandy, les cheveux peignés et propriétaire d’une fille plus belle qu’une fleur, vous dansez dans la milonga avec un air d’importance, faisant étalage d’élégance et faisant une exhibition n’importe qui allait vous dire, che ! prisonnier d’un autre temps, qu’un jour vous deviendriez roi du cabaret que pour enseigner tes cortes tu ferras académie au taura sourit toujours la chance, qui est une femme.
Danseur voyou qui a fait fleurir tes premiers cortes dans l’ancien bal à la périphérie de Barracas, au sud.
Danseur voyou qui voulait essayer une autre vie et qui, quand tu as montré ta fameuse corrida, tu es venu au Maipú.
Mon vieux (gardien), quand tu entends parfois « La Cumparsita », je sais comment ton cœur bat quand tu te souviens qu’un jour tu l’as dansé avec un foulard (on le voit dans le film Tango de 1933) et sans un sou et maintenant le même tango fait de toi un bacán (un fortuné).
Mais tu donnerais quelque chose pour être pendant un petit moment le même voyou de l’époque qui s’en est allé, parce que tant de gloire est fatigante et que vous vous voyez dans le miroir du cabaret fou.
Danseur voyou, qui voulait essayer une autre vie et qui en montrant sa fameuse corrida, tu es venu au Maipú.
On voit que ces paroles correspondent à celles de Villodo, ce qui me permet de valider le fait que ce tango est bien adressé à El Cachafaz, du moins dans ses paroles.

Autres versions

Toutes les versions sont instrumentales. L’écoute ne permet probablement pas de distinguer les versions qui étaient plutôt destinées à l’acteur et celles destinées au danseur. On note toutefois, que la plupart ne sont pas géniales pour la danse. Est-ce une façon de les départager ? Je suis partagé sur la question.

El Cachafaz 1912 – Cuarteto Juan Maglio « Pacho ».

Cet enregistrement Antique commence avec le cornet du tranvia et qui résonne à différentes reprises, arrêtant le bal. Des pauses, un peu comme les breaks que D’Arienzo mettra en place bien plus tard dans ses interprétations.

El Cachafaz 1937-06-02 – Orquesta Juan D’Arienzo.

La musique commence par le cornet du tranvia (tramway). Le piano de Biagi, prend tous les intervalles libres, mais le bandonéon et les violons ne méritent pas. C’est du très bon D’Arienzo. On a l’impression que El Cachafaz se promène, salué par les tramways. On peut imaginer qu’il danse, d’ailleurs ce titre est tout à fait dansable…

El Cachafaz 1950-12-27 – Ricardo Pedevilla y su Orquesta Típica.

Passer après D’Arienzo, n’est pas évident. Un petit coup de Cornet pour débuter et ensuite de jolis passages, mais à mon avis pas avec le même intérêt pour le danseur que la version de D’Arienzo. Cependant, cette version reste tout à fait dansable et si elle ne va probablement pas soulever des enthousiasme délirants, elle ne devrait pas susciter de tollé mémorables et se terminer à la de San Quintín.

El Cachafaz 1953-05-22 – Orquesta Eduardo Del Piano.

Le Cornet initial est peu reconnaissable. Le tango est tout à fait différent. Il a des accents un peu sombres. Del Piano est dans une recherche musicale qui l’a éloigné de la danse. Un comble si le tango est lié à un danseur si célèbre.

El Cachafaz 1954-01-26 – Orquesta Carlos Di Sarli.

Di Sarli rétabli le cornet initial, mais son interprétation est assez décousue. Pour le danseur il est difficile de prévoir ce qui va se passer. Sans doute un essai de renouvellement de la part de Di Sarli, mais je ne suis pas tant convaincu que les danseurs trouvent le terrain calme et favorable à l’improvisation auquel Di Sarli les a habitué. Pour moi, c’est un des rares Di Sarli de cette époque que je ne passerai pas.

El Cachafaz 1958 – Los Muchachos De Antes.

On retrouve avec cette version, la flûte qui fait le cornet du tranvia. L’association guitare, flute, donne un résultat très léger et agréable. La guitare, marque bien la cadence et les danseurs pourront aller en sécurité avec cette version qui oscille entre la milonga et le tango. Les muchachos ont recréé une ambiance début de siècle très convaincante. Ils méritent leur nom.

Voilà les amis, c’est tout pour aujourd’hui. Je vous souhaite de danser comme El Cachafaz et Carmencita.

Del barrio de las latas, Tita Merello y la cuna del tango

Raúl Joaquín de los Hoyos Letra: Emilio Augusto Oscar Fresedo

Je n’étais pas totalement inspiré par les tangos enregistré un premier juin, alors j’ai décidé de vous parler d’un tango qui a été étrenné un premier juin. Il s’agit de Del barrio de la latas (du quartier des barils) que Tita Merello interpréta sur scène pour la première fois le premier juin de 1926 au théâtre Maipo. Le quartier décrit ne dura que trente ans et est, du moins pour certains, le berceau du tango.

Le quartier des bidons

Le pétrole lampant, avant de servir aux avions d’aujourd’hui sous le nom de kérosène, était utilisé pour l’éclairage, d’où son nom. Les plus jeunes n’ont sans doute pas connu cela, mais je me souviens de la magie, quand j’étais gamin de la lampe à pétrole dont on faisait sortir la mèche en tournant une vis. J’ai encore la sensation de cette vis moletée sur mes doigts et la vision de la mèche de coton qui sortait miraculeusement et permettait de régler la luminosité. La réserve de la mèche qui trempait dans le pétrole paraissait un serpent et sa présence me gênait, car elle assombrissait la transparence du verre.

Je n’ai plus les lampes à pétrole de mon enfance, mais je me souviens qu’elles avaient une corolle en verre. Impossible d’en trouver en illustration, toutes ont le tube blanc seul. J’imagine que les corolles ont été réutilisées pour faire des lustres électriques. Je me suis donc fabriqué une lampe à pétrole, telle que je m’en souviens, celle de gauche. En fait, le verre était multicolore. J’ai fait au plus simple, mais sans le génie des artisans du XIXe siècle qui avaient créé ces merveilles. J’ai finalement trouvé une lampe complète (à droite). Je l’ai rajoutée à mon illustration. Le verre est plus transparent, ceux de mon enfance étaient plus proches de celui de gauche et les couleurs étaient bien plus jolies, mais cela prouve que l’on peut encore trouver des lampes complètes.

Vous aurez compris que ces lampes étaient destinées aux familles aisées, pas aux pauvres émigrés qui traînaient aux alentours du port. Ces derniers cependant « bénéficiaient » de l’industrie du pétrole lampant en récupérant les bidons vides.
La ville qui s’est ainsi montée de façon anarchique est exactement ce qu’on appelle un bidonville. Mais ici, il s’agit d’un quartier, barrio de latas boîtes de conserve, bidons…

Une masure constituée de bidons d’huile et de pétrole lampant du quartier de las latas

Arrêtons-nous un instant sur cette photographie. On reconnaît bien la forme des bidons parallélépipédiques qui servaient à contenir l’huile et le pétrole lampant. On sait qu’ils étaient remplis de terre par l’auteur de l’ouvrage William Jacob Holland (1848-1932) relatant l’expédition scientifique envoyée par le Carnegie Museum. L’ouvrage a été publié en 1913, preuve qu’il restait des éléments de ce type de construction à l’époque. En fait, il y en a toujours de nos jours.
Voici un extrait du livre parlant de ce logement.

La page 164 et un intercalaire (situé entre les pages 164 et 165) avec des photographies. On notera le contraste entre le Teatro Colón et la masure faite de bidons d’huile et de pétrole lampant.

To the River Plate and back (page 162)

The Argentines are a pleasure-loving people, as is attested by the number of places of amusement which are to be found. The Colon Theater is the largest opera-house in South America and in fact in the world, surpassing in size and in the splendor of its interior decoration the great Opera-house in Paris. To it come most of the great operatic artists of the day, and to succeed upon the stage in Buenos Aires is a passport to success in Madrid, London, and New York.

In contrast with the Colon Theatre may be put a hut which was found in the suburbs made out of old oil-cans, rescued from a dumping-place close at hand. The cans had been filled with earth and then piled up one upon the other to form four low walls. The edifice was then covered over with old roofing-tin, which likewise had been picked up upon the dump. The structure formed the sleeping apartment of an immigrant laborer, whose resourcefulness exceeded his resources. His kitchen had the sky for a roof; his pantry consisted of a couple of pails covered with pieces of board. Who can predict the future of this new citizen?

William Jacob Holland; To the River Plate and back. The narrative of a scientific mission to South America, with observations upon things seen and suggested. Page 162.

Traduction de l’extrait du livre de William Jacob Holland

Les Argentins sont un peuple qui aime les plaisirs, comme l’atteste le nombre de lieux de divertissement qu’on y trouve. Le théâtre Colon est le plus grand opéra d’Amérique du Sud et même du monde, surpassant par la taille et la splendeur de sa décoration intérieure le grand opéra de Paris. C’est là que viennent la plupart des grands artistes lyriques de l’époque, et réussir sur la scène de Buenos Aires est un passeport pour le succès à Madrid, à Londres et à New York.

En contraste avec le théâtre de Colon, on peut mettre une cabane qui a été trouvée dans les faubourgs, faite de vieux bidons d’huile, sauvés d’une décharge à proximité. Les boîtes avaient été remplies de terre puis empilées les unes sur les autres pour former quatre murets. L’édifice fut alors recouvert de vieilles plaques de tôle de toiture, qui avaient également été ramassées sur la décharge. La structure formait l’appartement de sommeil d’un travailleur immigré, dont l’ingéniosité dépassait les ressources. Sa cuisine avait le ciel pour toi ; son garde-manger se composait de deux seaux recouverts de morceaux de planche. Qui peut prédire l’avenir de ce nouveau citoyen ?

William Jacob Holland ; Vers le Rio de la Plata et retour. Le récit d’une mission scientifique en Amérique du Sud, avec des observations sur les choses vues et suggérées.

Et un autre paragraphe sur les femmes à Buenos Aires, toujours dans le même ouvrage

La demi-réclusion du beau sexe, qui est valable en Espagne, prévaut dans tous les pays d’Amérique du Sud, qui ont hérité de l’Espagne leurs coutumes et leurs traditions. Les dames apparaissent dans les rues plus ou moins étroitement voilées, très rarement sans escorte, et jamais sans escorte après le coucher du soleil. Pour une femme, paraître seule dans les rues, ou voyager sans escorte, c’est tôt ou tard s’exposer à l’embarras. Le mélange libre mais respectueux des sexes qui se produit dans les terres nordiques est inconnu ici. Les vêtements de deuil semblent être très affectés par les femmes des pays d’Amérique latine. Je dis à l’une de mes connaissances, alors que nous étions assis et regardions la foule des passants sur l’une des artères bondées : «Il doit y avoir une mortalité effroyable dans cette ville, à en juger par le nombre de personnes en grand deuil. Il sourit et répondit : « Les femmes regardent les vêtements noirs avec faveur comme déclenchant leurs charmes, et se précipitent dans le deuil au moindre prétexte. La ville est raisonnablement saine. Ne vous y trompez pas. »

On est vraiment loin de l’atmosphère que respirent les tangos du début du vingtième siècle. L’auteur, d’ailleurs, ne s’intéresse pas du tout à cette pratique et ne mentionne pas le tango dans les 387 pages de l’ouvrage…

Extrait musical

Bon, il est temps de parler musique. Bien sûr, on n’a pas l’enregistrement de la prestation de Tita Merello le premier juin 1929. En revanche, on a un enregistrement bien pus tardif puisqu’il est de 1964. C’est donc lui qui servira de tango du jour.
L’autre avantage de choisir cette version est que l’on a les paroles complètes.

Del barrio de las latas 1964 Tita Merello con acomp. de Carlos Figari y su conjunto.

Bon, c’est un tango à écouter, je passe tout de suite aux paroles qui sont plus au cœur de notre anecdote du jour.

Paroles

Del barrio de las latas
se vino pa’ Corrientes
con un par de alpargatas
y pilchas indecentes.
La suerte tan mistonga
un tiempo lo trató,
hasta que al fin, un día,
Beltrán se acomodó.

Y hoy lo vemos por las calles
de Corrientes y Esmeralda,
estribando unas polainas
que dan mucho dique al pantalón.
No se acuerda que en Boedo
arreglaba cancha’e bochas,
ni de aquella vieja chocha,
por él, que mil veces lo ayudó.

Y allá, de tarde en tarde,
haciendo comentarios,
las viejas, con los chismes
revuelven todo el barrio.
Y dicen en voz baja,
al verlo un gran señor:
“¿Tal vez algún descuido
que el mozo aprovechó?”

Pero yo que sé la historia
de la vida del muchacho,
que del barrio de los tachos
llegó por su pinta hasta el salón,
aseguro que fue un lance
que quebró su mala racha,
una vieja muy ricacha
con quien el muchacho se casó.

Raúl Joaquín de los Hoyos Metra: Emilio Augusto Oscar Fresedo

Traduction libre et indications

Depuis le bidonville, il s’en vint par Corrientes avec une paire d’espadrilles et des vêtements indécents.
La chance si pingre un certain temps l’a ballotté, jusqu’à ce qu’un jour, Beltran s’installe.
Et aujourd’hui, nous le voyons dans Corrientes et Esmeralda, portant des guêtres qui donnent beaucoup d’allure au pantalon.
Il ne se souvient pas qu’à Boedo, il réparait le terrain de boules ni de cette vieille radoteuse, selon lui, qui mille fois l’a aidé.
Et là, de temps à autre, faisant des commentaires, les vieilles femmes, avec leurs commérages, remuent tout le quartier.
Et elles disent à voix basse en le voyant en grand monsieur :
« Peut-être quelque négligence dont le beau gosse a profité ? »
Mais moi qui connais l’histoire de la vie du garçon qui est venu du quartier des poubelles et qui par son allure parvint jusqu’au salon, je vous assure que c’est un coup de chance qui a brisé sa mauvaise série, une vieille femme très riche avec qui le garçon s’est marié.

Autres versions

Del barrio de las latas 1926 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras).

Le plus ancien enregistrement, du tout début de l’enregistrement électrique.

Del barrio de las latas 1926-11-16 – Sexteto Osvaldo Fresedo.

Une version bien piétinante pour les amateurs du genre. Pas vilain, mais un peu monotone et peu propice à l’improvisation. Son frère n’a pas encore écrit les paroles.

Del barrio de las latas 1926-11-21 – Orquesta Juan Maglio Pacho.

Pour les mêmes. Cela fait du bien quand ça s’arrête 😉

Del barrio de las latas 1927-01-19 – Orquesta Francisco Canaro.

Les piétineurs, je vous gâte. Cette version a en plus un contrepoint très sympa. On pourrait se laisser tenter, disons que c’est la première version que l’on pourrait envisager en milonga.

Del barrio de las latas 1954-04-21 – Orquesta Carlos Di Sarli con Mario Pomar.

On fait un bond dans le temps, 27 ans plus tard, Di Sarli enregistre avec Pomar la première version géniale à danser, pour une tanda romantique, mais pas soporifique.

Del barrio de las latas 1964 Tita Merello con acomp. de Carlos Figari y su conjunto. C’est notre tango du jour.

Pas pour la danse, mais comme déjà évoqué, il nous rappelle que c’est Tita qui a inauguré le titre, 35 ans plus tôt.

Del barrio de las latas 1968-06-05 – Cuarteto Aníbal Troilo.

Pour terminer notre parcours musical dans le bidonville. Je vous propose cette superbe version par le cuarteto de Aníbal Troilo.
La relative discrétion des trois autres musiciens permet d’apprécier toute la science de Troilo avec son bandonéon. Il s’agit d’un cuarteto nouveau pour l’occasion et qui dans cette composition ne sera actif qu’en 1968. Il était composé de :
Aníbal Troilo (bandonéon), Osvaldo Berlingieri (piano), Ubaldo De Lío (guitare) et Rafael Del Bagno (contrebasse).

La cuna del tango – Le berceau du tango

Le titre de l’article du jour parle de berceau du tango, mais on n’a rien vu de tel pour l’instant. Je ne vais pas vous bercer d’illusions et voici donc pourquoi ce quartier de bidons serait le berceau du tango.

Où se trouvait ce quartier

Nous avons déjà évoqué l’importance du Sud de Buenos Aires pour le tango. Avec Sur, bien sûr, mais aussi avec En lo de Laura (en fin d’article).

À cause de la peste de 1871, les plus riches qui vivaient dans cette zone se sont expatriés dans le Nord et les pauvres ont continué de s’amasser dans le sud de Buenos Aires, autour des points d’arrivée des bateaux.
La même année, Sarmiento confirma que la zone était la décharge d’ordures de Buenos Aires. Le volume des immondices accumulées à cet endroit était de l’ordre de 600 000m3. Une épaisseur de 2 mètres sur une surface de 3km². On comprend que les pauvres se fabriquent des abris avec les matériaux récupérés dans cette décharge.

El tren de la basura (le train des ordures)

Le train des ordures. El tren de la basura qui apportait les ordures à proximité du barrio de las latas.

Pour alimenter cette immense décharge, un train a été mis en place pour y transporter les ordures. Il partait de Once de septiembre (la gare) et allait jusqu’à la Quema lieu où on brûlait les ordures (Quemar en espagnol est brûler).
L’année dernière, les habitants du quartier où passait ce train ont réalisé la  fresque qui retrace l’histoire de ce train.

Peinture murale du train des ordures, calle Oruro (elle est représentée à gauche avec le petit train qui va passer sur le pont rouge).
Histoire du train de la basura qui a commencé à fonctionner le 30 mai 1873.
La montagne d’ordures. Dans la peinture murale, des éléments réels ont été insérés. Il y a le nom des deux peintres et de ceux qui ont donné des « ordures » pour l’œuvre.

ET le berceau du tango ?

Ah oui, je m’égare. Dans la zone de la décharge, il y avait donc de l’espace qui n’était pas convoité par les riches, à cause bien sûr des odeurs et des fumées. Même le passage du train était une nuisance. S’est rassemblée dans ces lieux la foule interlope qui sera le terreau présumé du tango.
Il faut rajouter dans le coin les abattoirs, des abattoirs qui feraient frémir aujourd’hui, tant l’hygiène y était ignorée.

Los Corrales Viejos (situé à Parque Patricios),  les abattoirs et le lieu de la dernière bataille, le 22 juin 1880, des guerres civiles argentines. Elle a vu la victoire des forces nationales et donc la défaite des rebelles de la province de Buenos Aires.

Extrait de La Pishuca (anonyme)

Anoche en lo de Tranqueli
Bailé con la Boladora
Y estaba la parda Flora
Que en cuanto me vio estriló,
Que una vez en los Corrales
En un cafetín que estaba,
Le tuve que dar la biaba
Porque se me reversó.

Anonyme

Traduction de la La Pishuca

Hier soir à lo de Tranqueli, j’ai dansé avec la Boladora. Il y avait la Parda Flora (Uruguayenne mulâtresse ayant travaillé à Lo de Laura et danseuse réputée). Quand elle m’a vu, elle s’est mise en colère, car aux Corrales dans un café où elle était, j’avais dû lui donner une branlée, car j’étais retourné.

Il y a donc une perméabilité entre les deux mondes.

Sur l’origine du tango, nous avons d’autres sources qui se rapportent à cette zone. Par exemple ce poème de Francisco García Jiménez (qui a par ailleurs donné les paroles de nombreux tangos) :

Poème de Francisco García Jiménez (en lunfardo)

La cosa jué por el sur,
y aconteció n’el ochenta
ayá en los Corrales Viejos,
por la caye de la Arena.

Salga el sol, salga la luna,
salga la estreya mayor.
La cita es en La Blanquiada;
naide falte a la riunión…

Los hombres dentraron serios
y cayao el mujerío:
siempre se yega a un bailongo
como al cruce del destino.

Tocaron tres musicantes
haciendo punt’al festejo:
con flauta, guitarra y arpa,
un rubio, un pardo y un negro.

Salieron los bailarines
por valse, mazurca y polca;
y entre medio, una pareja
salió bailando otra cosa.

El era un güen cuchiyero,
pero de genio prudente.
Eya una china pintona,
mejorando lo presente.

Eya se llamaba Flora
y él se apellidaba Trejo:
con cortes y con quebradas
lo firmaban en el suelo.

No lo hacían de compadres
¡y compadreaban sin güelta!
Al final bailaban solos
pa’contener a la rueda.

Bailaron una mestura
que no era pa’maturrangos,
de habanera con candombe,
de milonga con fandango.

Jué un domingo, en los Corrales
cuando inventaron el tango.

Francisco García Jiménez

Traduction libre du poème de Francisco García Jiménez

Cela s’est passé vers le sud, et cela s’est passé dans les années quatre-vingt dans les Corrales viejos, le long de la Calle de la Arena (la rue de sable, en Argentine, beaucoup de villes ont encore de nos jours des rues en sable ou en terre. En 1880, la zone, l’actuel Parque Patricios, était rurale).
Que le soleil se lève, que la lune se lève, que l’étoile majeure se lève.
Le rendez-vous est à La Blanquiada ; personne ne manque la réunion…

La Blanquiada (Blanqueada, était une pulpería (magasin d’alimentation, café, lieu de divertissements). On y jouais aux boules (comme évoqué dans notre tango du jour), mais on y dansait aussi, comme le conte cette histoire.

Les hommes entrèrent gravement et le coureur de jupons se tut.
On arrive toujours à une danse comme si on était à la croisée des chemins du destin.
Trois musiciens ont joué au point culminant de la fête avec flûte, guitare et harpe, un blond, un brun et un noir. (On pourrait penser à Pagés-Pesoa-Maciel, Enrique Maciel étant noir (et était un grand ami du parolier Blomberg, grand et blond).
Les danseurs sont sortis pour la valse, la mazurka et la polka ; et entre les deux, un couple est sorti en dansant autre chose.
C’était un bon couteau (adroit avec le couteau), mais d’un tempérament prudent.
Elle était une femme fardée, améliorant le présent.
Elle s’appelait Flora, (probablement la Flora Parda dont nous avons parlé dans En Lo de Laura) et lui s’appelait Trejo (est-ce Nemesio Trejo qui aurait été âgé de 20 ans ? Je ne le crois pas, mais ce n’est pas impossible, même s’il est plus connu comme parolier et payador que comme danseur) : avec des cortes et des fentes, ils le signaient dans le sol.
Ils ne l’ont pas fait en tant que camarades, et ils l’ont fait sans bonté !
À la fin, ils dansèrent seuls pour contenir la ronde.
Ils dansaient une mesure qui n’était pas pour de maturrangos (mauvais cavaliers), d’habanera avec candombe, de milonga avec fandango.
C’était un dimanche, dans les Corrales quand ils ont inventé le tango.
Francisco García Jiménez étant né en 1899, soit 17 ans après les faits, il ne peut pas en être un témoin direct.

Un autre texte sur la naissance du tango de Miguel Andrés Camino

Je cite donc à la barre, un autre auteur, plus âgé. Miguel Andrés Camino, né à Buenos Aires en 1877. Il aurait donc eu cinq ans, ce qui est un peu jeune, mais il peut avoir eu des informations par des parents témoins de la scène.

El tango par Miguel Andrés Camino

Nació en los Corrales Viejos,
allá por el año ochenta.
Hijo fue de una milonga
y un pesao del arrabal.
Lo apadrinó la corneta
del mayoral del tranvía,
y los duelos a cuchillo
le ensañaron a bailar.
Así en el ocho
y en la sentada,
la media luna,
y el paso atrás
puso el reflejo
de la embestida
y las cuerpeadas
del que la juega
con su puñal.
Después requintó el chambergo
usó melena enrulada, pantalones con trencilla
y botines de charol.
Fondeó en los peringundines,
bodegones y… posadas
y en el cuerpo de las chinas
sus virtudes enroscó.
En la corrida
y el abanico.
el medio corto
y el paso atrás,
puso las curvas
de sus deseos
de mozo guapo
que por la hembra
se hace matar.
También vagó por las calles
con un clavel en la oreja;
Lució botín a lo militar.
Se adueñó del conventillo,
engatusó a las sirvientas
y por él no quedó jeta
que no aprendiera a chiflar.
Y desde entonces
se vio al malevo
preso de honda
sensualidad
robar las curvas
de las caderas,
pechos y piernas
de las chiruzas
de la ciudad.
Y así que los vigilantes
lo espiantaron de la esquina,
se largó pa’ las Uropas,
de donde volvió señor.
Volvió lleno de gomina,
usando traje de cola
y en las murgas y pianolas
hasta los rulos perdió.
Y hoy que es un jaife
tristón y flaco,
que al ir bailando
durmiendo va;
y su tranquito
ya se asemeja
al del matungo
de algún Mateo
que va a largar.

Miguel Andrés Camino

Traduction libre et indications sur le poème de Miguel Andrés Camino

Il est né dans les Corrales Viejos, dans les années quatre-vingt.
Il était le fils d’une milonga et d’un bagarreur des faubourgs.
Il était parrainé par le cor du conducteur du tramway, et les duels au couteau lui apprirent à danser. Ainsi, dans le huit (ocho) et dans la sentada (figure où la femme est assise sur les cuisses de l’homme, voir, par exemple Taquito millitar), la demi-lune et le pas en arrière, le reflet de l’assaut et les attitudes de celui qui la joue avec son poignard.
Il portait des cheveux bouclés, des pantalons tressés et des bottines en cuir verni.
Il a jeté l’ancre dans les bordels, bars et… et dans le corps des femmes faciles, ses vertus s’enroulaient.
Dans la corrida et l’éventail, le demi-corte et le pas en arrière, il a mis les courbes de ses désirs de beau jeune homme qui se fait tuer pour la femelle.
Il traînait aussi dans les rues avec un œillet à l’oreille ; les bottines brillantes comme celles des militaires.
Il s’empara du conventillo (habitation collective pour les pauvres), lutina les servantes, et il n’y avait pas une tasse qu’il n’apprendrait pas à siffler (boire, jeu de mots lourdingue et graveleux).
Et depuis lors, se vit prisonnier le mauvais d’une profonde sensualité a été vu en train de voler les courbes des hanches, des seins et des jambes des chiruzas (femmes vulgaires) de la ville.
Et dès que les gardes l’aperçurent du coin, il se rendit chez les Européens, d’où il revint, monsieur.
Il est revenu plein de gomina, vêtu d’un queue-de-pie et dans les murgas et les pianolas, il a même perdu ses boucles.
Et aujourd’hui, c’est un présomptueux, triste et maigre, qui va danser en dormant ; et son calme ressemble déjà à celui du matungo  (cheval faible ou inutile) d’un Mateo (coche, taxi, à chevaux) qui va partir.

On comprend dans ce poème dont on ne cite généralement que le début qu’il parle du tango qui, né dans les faubourgs bagarreurs, s’est abâtardi en allant en Europe. Cela date donc le poème des années 1910-1920 et si le texte reflète une tradition, voire une légende, il ne peut être utilisé pour avoir une certitude.

Nous sommes bien avancés. Nous avons donc plusieurs textes qui relatent des idées semblables, mais qui ne nous donnent pas l’assurance que le berceau du tango est bien à Parque Patricios, Corrales Viejos.

Faut-il en douter comme Borges qui avait des idées pourtant très semblables à celles de Miguel Andrés Camino ? Peu importe. Cette légende, même si elle est fausse a ensemencé le tango, par exemple El ciruja de De Angelis. On dirait plutôt aujourd’hui El cartoniero. Les cartonieros sont des personnages indissociables des grandes villes argentines. Avec leur charrette à bras chargée de tout ce qu’ils ont trouvé dans les poubelles, ils risquent leur vie au milieu de la circulation trépidante pour déplacer leurs dérisoires trésors vers les lieux de recyclage. Cette communauté souffre beaucoup en ce moment, les restaurants solidaires (soupes populaires) ne reçoivent plus d’aide de l’état et pire, ce dernier laisse se périmer des tonnes de nourritures achetées pour cet usage par le gouvernement précédent.

Espérons que ces personnages miséreux qu’on appelle parfois les grenouilles (ranas), car dans le quartier des bidons, il y avait souvent des inondations et que les habitants faisaient preuve d’imagination et de débrouillardise pour survivre. Grenouille n’est donc pas péjoratif, c’est plutôt l’équivalent de rusé, astucieux. Le Beltrán de notre tango du jour est une décès grenouilles qui s’est transformée en prince charmant, au moins pour une vieille femme, très riche 😉

Je vous présente Beltrán et sa femme. C’est beau l’amour.

Maestrita de mis pagos 1955-05-31 – Orquesta Juan Sánchez Gorio con Osvaldo Bazán

Miguel Roberto Abrodos Letra: Eugenio Majul

La valse du jour a été écrite par deux auteurs dont vous connaissez au moins une autre valse, Hermana par De Angelis et Godoy. Maestrita de mis pagos est une autre valse, sans doute très rare, mais joliment interprétée par Gorio et Bazán. Elle mérite donc qu’on s’y arrête, d’autant plus que le texte s’adresse à un personnage peu évoqué dans le tango, la maîtresse… d’école.
En effet, maestrita de mis pagos signifie, la petite maîtresse (petite marque l’affection) de mon village (l’expression « mis pagos » est surtout utilisé à la campagne).

Extrait musical

Maestrita de mis pagos 1955-05-31 – Orquesta Juan Sánchez Gorio con Osvaldo Bazán.

La valse démarre tout de suite, l’alternance entre le piano et l’orchestre est ravissante. À 1 :30 Osvaldo Bazán commence à chanter et à dire le récitatif. On notera qu’il ne dit pas le premier récitatif.

Paroles

Recitado:
Ya ves… no te olvido, maestrita lejana
Estás en mis versos y estás en mi voz…
Como cuando el lirio de tus blancas canas
Perfumó mi beso, que te dijo adiós…

Tus manos queridas, cercadas ahora
Por ese recuerdo tan tibio y fugaz,
Mi pelo acaricia, venciendo las horas
Maestrita sufrida que no he de ver más.

Qué lejos quedose tu beso más tierno
Y esa lagrimita qué lejos también,
Esa que llorabas, nerviosa en invierno
Porque mis ropitas no abrigaban bien.

Hoy te evoco, maestrita de mis pagos
Madrecita encanecida, estás en mí,
Quién pudiera revivir viejos halagos
Balbuceando una lección muy junto a ti.
O siguiendo con su trazo un lápiz rojo
Con un sol de un “visto bueno” junto a él,
Encontrar tu mano blanca ante mis ojos
En un sueño de alboradas y de miel.

Recitado:
Qué distinto el mundo que soñé a tu lado
Sobre el fondo blanco de tu delantal,
Rondita del patio, pizarrón amado
Cuánta nieve el tiempo, derramó en mi mal.

Volver un instante a los días risueños
Sería sin duda, volverte a escuchar,
Cerrando los ojos, maestrita, entre sueños
Quizá hasta te oyera, feliz, deletrear.

Vería a la humilde y cordial campanita
Llamando a recreo, quebrada su voz,
Los campos linderos, sus mil margaritas
Y todo un paisaje, mirando hacia Dios.

Miguel Roberto Abrodos Letra: Eugenio Majul
Il y a deux récitatifs (indiqués en bleu) et 5 couplets.

Miguel Roberto Abrodos Letra: Eugenio Majul

Miguel Roberto Abrodos Letra: Eugenio Majul
Il y a deux récitatifs (indiqués en bleu) et 5 couplets.
Il y a deux récitatifs (indiqués en bleu) et 5 couplets.
Osvaldo Bazán chante ou dit tout ce qui est en gras.
Dante Ressia chante ou dit, tout et termine en reprenant ce qui est en rouge.

Traduction libre et indications

Eugenio Majul est avant tout un poète. Cela se remarque déjà par la construction de son texte, en dodécasyllabes avec coupe à l’hémistiche pour certains vers, ce qui en fait quasiment des alexandrins. Les rimes sont en bonne partie riches. C’est donc un texte très travaillé, mais aussi très long. Ce qui fait que la partie chantée de ces deux versions est très importante en proportion. Même si on sort de la période de l’âge d’or de la danse de tango, cette valse, notamment dans la version de Gorio, reste dansable. Intéressons-nous maintenant au texte que malheureusement, je ne saurais pas transmettre dans son essence poétique.

Petite maîtresse d’école de mon village

Récitatif
Là, tu vois… Je ne t’oublie pas, lointaine maîtresse, tu es dans mes vers et tu es dans ma voix…
Comme quand le lys de tes cheveux blancs a parfumé mon baiser, qui t’a dit au revoir…
Vos chères mains, fermées maintenant, de ce souvenir si chaud et fugace, caressaient mes cheveux, gagnant les heures, maîtresse souffrante que je ne verrai plus.
Comme est loin ton baiser le plus tendre et cette petite larme si lointaine aussi, celle que tu as pleurée, nerveuse en hiver parce que mes vêtements ne m’abritaient pas bien.
Aujourd’hui je t’évoque, maîtresse de mon village, petite mère aux cheveux gris, tu es en moi, qui pourrais raviver de vieux encouragements, moi, balbutiant une leçon tout contre toi.
Ou suivant avec son tracé, un crayon rouge, avec un soleil d’approbation à côté, découvrir ta main blanche devant mes yeux dans un rêve d’aube et de miel.
Récitatif
Comme le monde est différent de ce que je rêvais à ton côté, sur le fond blanc de ton tablier, une ronde dans la cour, un tableau noir bien-aimé, combien de neige le temps a déversé sur mon mal.
Revenir un instant aux jours souriants serait sans doute, t’écouter de nouveau, en fermant les yeux, petite maîtresse, dans mes rêves peut-être même irais-je jusqu’à t’entendre, heureux, épeler.
Je verrais la petite cloche humble et cordiale appeler à la récréation, sa voix brisée, les champs voisins, leurs mille marguerites et tout un paysage, regardant vers Dieu.
Ce texte est donc une ode funèbre à son enseignante de primaire. Le rythme de la valse fait passer le message sans tristesse particulière.

Autres versions

Cela va aller vite, il n’y a que deux enregistrements Notre valse du jour et une version par un chanteur plus rare, Dante Ressia. Les deux enregistrements se sont faits à 12 jours d’écart.

Maestrita de mis pagos 1955-05-19 – Dante Ressia.

Cette valse en chanson renoue avec la tradition des payadores, ces chanteurs improvisateurs qui s’accompagnaient à la guitare. Pas d’improvisation dans ce cas, puisque le texte est écrit par le poète Eugenio Majul.

Maestrita de mis pagos 1955-05-31 – Orquesta Juan Sánchez Gorio con Osvaldo Bazán. C’est notre valse du jour.

Osvaldo Bazán, chante beaucoup, mais cela va bien dans la musique et cette valse est tout à fait dansante. Peut-être à passer le 11 septembre, jour des Maestros et des Maestras en Argentine. À ce sujet, le terme de maestro indique un enseignant d’école primaire…

Un petit cadeau pour mieux connaître les auteurs

Je vous propose deux valses écrites par la même équipe, Miguel Roberto Abrodos et Eugenio Majul ; Feliz cumpleaños mamá et Hermana.

Feliz cumpleaños mamá 1954-11-05 – Orquesta Juan Sánchez Gorio con Osvaldo Bazán.

Même compositeur, même parolier, même orchestre et même chanteur. Cela ne suffit pas pour faire une tanda, mais pour compléter, on pourra piocher dans une des dix autres valses de Gorio avec Bazán, avec Luis Mendoza, avec le duo Mendoza- Bazán ou dans les valses instrumentales. Par exemple, avec A mi madre (à ma mère) pour compléter la valse d’anniversaire…

Pour continuer avec la famille, voici l’autre valse écrite par l’équipe et que vous connaissez forcément. Il s’agit d’Hermana (sœur) :

Hermana 1958-09-26 – Orquesta Alfredo De Angelis con Juan Carlos Godoy.

Et pour terminer une petite information. Roberto Abrotos avait 8 frères et avec deux d’entre eux (Manuel et José), il a enregistré 600 titres de folklore, vous les trouvez sur leurs nombreux disques (78 tours) sous le nom de Los hermanos Abrodos.

Si vous voulez en savoir plus sur ces pionniers du folklore, je vous conseille cet article réalisé à partir de reproduction d’articles tirés de la revue Revista folklore.

Et pour les écouter, leur canal YouTube ou une bonne partie de leur discographie est proposée…

Molina Campos, escuelita criolla (petite école de champagne en Argentine). Probablement le type de celle dont parle la valse, mais avec une maîtresse plus avenante…
Intérprétation de Molina Campos, escuelita criolla. J’ai essayé de donner une tête plus humaine à la maîtresse…

Serenata 1944-05-30 – Orquesta Francisco Lomuto con Carlos Galarce

Juan Polito Letra : Luis Rubistein

Hier, nous parlions de El amanecer (le lever de soleil), aujourd’hui, je vous propose d’aller à la fin du jour, pour Serenata. Mais attention, si serenata peut se traduire par sérénade, un concert en soirée donné en l’honneur, notamment, d’une belle à conquérir, le mot a un autre sens en lunfardo qui signifie fou, voire dément. La milonga du jour a des paroles propices à une sérénade romantique, mais a une folie dans sa musique.

D’autres tangos ou comme ici, milongas s’appellent serenata ou contiennent ce mot dans leur titre. Notre milonga du jour est plutôt rare. Elle ne dispose que de trois enregistrements, mais les trois sont excellents. Alors, ne la confondez pas avec les autres titres semblables.

Extrait musical

Serenata 1944-05-30 — Orquesta Francisco Lomuto con Carlos Galarce.

Lomuto et Galarce inaugurent le titre pour l’enregistrement. Le piano lance le motif initial que reprend ensuite le bandonéon. Cela permet de bien comparer les mérites respectifs de ces deux instruments. Le piano léger et délié et l’accordéon plein et plus « lourd ».
Le dialogue ou les « chœurs » s’enchaînent jusqu’à ce que Carlos Galarce reprenne le thème, tel qui a été présenté par les instruments.
La structure est donc celle-ci :
0:00 Motif d’introduction — Piano puis bandonéon
0:09 Thème principal, milonga traspié (2 phrases semblables, mais la seconde prépare le deuxième thème).
0:26 Second thème (milonga lisa).
0:53 Début de la seconde partie. Reprise du motif d’introduction au piano, puis au bandonéon.
1:00 Reprise du thème principal par Caros Galarce. Le traspié est un peu plus difficile à suivre, car le chanteur prend le dessus. Les danseurs qui aiment agiter les gambettes suivront sans doute l’orchestre et ceux qui souhaitent un peu plus de calme se caleront sur Galarce.
1:19 Le thème en milonga lisa correspond aux paroles « Amor, amor […] Mi corazón.
1:28 Suite du chant avec le second couplé en milonga traspie.
1:45, reprise de la milonga lisa, mais cette fois, Galarce ne chante pas Amor, amor, c’est l’orchestre qui reprend le thème.

Paroles

Canción de amor de una serenata
Luna y farol con color de plata,
Y un guitarrear que al brotar desata
La dulce voz del payador.
El cielo azul con su luna mansa
Volcó su luz como una esperanza,
Y en el balcón de malvones rojos
Dejó la voz esta canción:

Amor, amor
Te dejo aquí,
Con mi voz
Mi corazón.

Yo traigo a tus trenzas doradas
Mis sueños cubiertos de noche callada,
Amor que se viene de lejos
Blanqueando de luna tu boca pintada.
Cantando, mi bien y soñando
Que noche tras noche me estés esperando,
Por eso aquí, en tu balcón
Esta noche otra vez, dejaré el corazón…

Allí, detrás de esas margaritas
Un corazón de mujer palpita,
Un corazón que soñando espera
La dulce voz del payador.
Amor, amor… luna con estrellas
En la emoción de ilusiones bellas,
Ensoñación que en la noche mansa
Bordó en la voz esta canción:

Amor, amor
Te dejo aquí
Con mi voz
Mi corazón.

Juan Polito Letra : Luis Rubistein

Carlos Galarce ne chante que ce qui est en gras.
Carlos Roldán et Raúl Figueroa chantent la même chose, mais terminent le titre en reprenant ce qui est en bleu.

Traduction libre et indications

Chanson d’amour d’une sérénade.
Lune et lanterne couleur d’argent, et une guitare qui, lorsqu’elle surgit, libère la douce voix du payador (chanteur improvisateur s’accompagnant généralement d’une guitare).
Le ciel bleu avec sa douce lune répandait sa lumière comme une espérance, et sur le balcon des géraniums rouges laissait la voix de ce chant :
Amour, amour
Je te laisse ici,
Avec ma voix,
Mon cœur.
J’apporte à tes tresses dorées mes rêves couverts d’une nuit silencieuse, l’amour qui vient de loin, blanchissant ta bouche peinte de lune.
Chantant, mon bien et rêvant que nuit après nuit tu m’attendras, c’est pourquoi, ici, sur ton balcon encore ce soir, j’abandonnerai mon cœur…
Là, derrière ces marguerites (des marguerites ou des géraniums ? Il faudrait savoir…), bat un cœur de femme, un cœur qui rêve et attend la douce voix du payador.
Amour, amour… Lune avec des étoiles dans l’émotion de belles illusions, rêverie qui dans la douce nuit brodait dans la voix cette chanson :
Amour, amour
Je vous laisse ici
Avec ma voix,
Mon cœur.

Autres versions

Serenata 1944-05-30 — Orquesta Francisco Lomuto con Carlos Galarce. C’est notre milonga du jour.
Serenata 1944-06-14 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán.

Au début, Canaro supprime une des deux phrases d’introduction qu’il fait jouer à tout l’orchestre. On entre plus vite dans le vif du sujet. Il utilise pour le reste la même stucture, mais le traspie est un peu plus présent. La façon de chanter de Roldán va également dans ce sens. La fin de la seconde partie est assez différente, sans doute plus joueuse que la version de Lomuto et Carlos Roldán qui reprend la fin du second couplet en guise de conclusion.

Serenata 1952 — Juan Polito y su Orquesta Típica con Raúl Figueroa.

Polito, connu pour être le pianiste qui succéda à Biagi dans l’orchestre de D’Arienzo en 1938, était déjà associé avec lui, par exemple en 1929, ils formèrent un orchestre Polito-D’Arienzo pour le carnaval (c’est promis, un de ces jours on va en parler de ces carnavals). Il retournera encore une fois avec D’Arienzo en 1950, en remplacement de Salamanca… Lors du remplacement de Biagi, il s’était coulé dans le style de ce dernier. Ici, son piano est bien intégré à l’orchestre. Sa virtuosité se remarque, mais sans que le piano prenne la vedette à l’orchestre ou au chanteur. Le début est amusant, la première mesure est jouée très lentement, puis accélère au tempo du reste de l’interprétation, comme si le démarrage était lourd. Il faut dire que c’est une version au rythme soutenu, sans doute un peu folle, le type de milonga qui vous vaut des regards reconnaissants ou noirs, des danseurs selon qu’ils ont maîtrisé ou pas la cadence…
Polito joue la double phrase de départ à l’orchestre, sans l’accélération la seconde fois. Ainsi, dans les trois versions, on a eu un démarrage différent ; changement d’instrument pour Lomuto, suppression de la reprise pour Canaro et démarrage progressif pour Polito.

Comme Carlos Roldán et Carlos Galarce, Raúl Figueroa ne chante pas le dernier couplet. Il faut dire que pour une milonga interprétée à ce rythme, rallonger la durée par un couplet aurait fait basculer plus de danseurs du côté des regards noirs…

À propos de l’illustration de couverture

Serenata. D’après une gravure sur bois de 1885.

Je pensais faire de la gravure, l’illustration de couverture. J’ai mis un peu de couleurs, rajouté des géraniums et donné une atmosphère plus lunaire. La dame est désormais blonde. Autre différence avec le thème, le chanteur est au pied du balcon et pas sur le balcon.
J’ai donc proposé une version plus moderne (années 40), et qui correspond un peu mieux à la description de la chanson, mais rien ne vous empêche de garder celle-ci dans l’œil.

La gravure sur bois, originale. Elle est datée de 1885.
Serenata. Sur le balcon entouré de géraniums, ils se content fleurette.

Derecho viejo 1945-05-28 — Orquesta Osvaldo Pugliese

Eduardo Arolas Letra : Andrés Baldesari (V1) – Gabriel Clausi (V2)

Derecho viejo, le vieux droit, le droit ancien est une expression argentine qui signifie que quelque chose doit être fait sans délai, sans détours. Ce tango Derecho viejo a été dédicacé par Arolas au Centre des Étudiants en Droit. Il a été enregistré, depuis les années 1910, énormément de fois, mais une seule fois par Pugliese. C’est notre version du jour.

Je dédie cet article à mes deux grands amis, trop tôt disparus, Juan Lencina y Daniel Rezk, créateurs de la milonga Derecho Viejo de Buenos Aires.

Je dédie cet article à mes deux grands amis, trop tôt disparus, Juan Lencina y Daniel Rezk, créateurs de la milonga Derecho Viejo de Buenos Aires.
Les locaux du centre de droit à l’époque de l’écriture de Derecho Viejo. C’était à Moreno 350 et c’est aujourd’hui le Musée Ethnographique.

Extrait musical

Derecho viejo 1945-05-28 — Orquesta Osvaldo Pugliese.
Partition de Derecho Viejo

Derecho viejo est instrumental. Cependant, il existe plusieurs paroles. J’en reproduis ici deux. Celles de Baldesari, les plus anciennes et qui correspondent au titre, à travers une histoire larmoyante dans laquelle l’expression Derecho viejo est utilisée. Les autres, celles de Clausi, plus récentes sont une ode au tango, ce qui n’est pas si mal, mais elles ont peu à voir avec le titre.

Paroles

Oiga usted compañero… si me quiere escuchar…
no crea que soy, amigo, un cuentero:
yo quiero confiarle… a usted… compañero
mi inmenso y cruel dolor…
Quiero desahogar mis penas… siéntese nomás…
y pida algún trago si tiene voluntad…
y preste atención, que ahí va la crueldad
de aquel infiel amor…

Usted sabrá
que cuando el amor
comienza a taconear
sentimos en el pecho
la dulce tentación;
¡sentimos sed de amar
de amar de corazón !…
Y yo también
amé con gran pasión,
amé con gran delirio
y coseché martirios
porque un padecer
me brindó esa mujer,
¡que fue mi perdición!…

Con el alma la quería… y ella fue
siempre mi única ilusión…
pero por otro hombre… como a mí…
¡a su hija abandonó!
Esa hijita tan querida… compañero,
ayer tarde se murió…
¡pero antes de morir, de este modo,
ella me habló!…

¡Padre! … Si la llega a encontrar, dele mi perdón
y dígale también, que aunque ella nos dejó,
¡yo siempre la querré, con todo el corazón
y bésela por mí!
¡Hoy la encontró, compañero… no pude perdonar…
me fui Derecho Viejo… y ahí, a esa vaga,
en nombre de mi hija… la punta de mi daga
besó su corazón!…

Eduardo Arolas Letra: Andrés Baldesari

En gras, les paroles chantées par Teófilo Ibáñez dans la version de 1934 de la Orquesta Típica Victor.

Traduction libre des paroles de Andrés Baldesari

Entendez, camarade… Si vous voulez m’écouter… Ne croyez pas que je suis, mon ami, un conteur :
je veux vous faire confiance…à vous… camarade, mon immense et cruelle douleur…
Je veux évacuer mes chagrins… Asseyez-vous sans façon… et demandez à boire si vous en avez envie… Et prêtez attention, car là va la cruauté de cet amour infidèle…
Vous saurez que lorsque l’amour commence à taper du pied, nous sentons dans notre poitrine la douce tentation, nous avons soif d’aimer, d’aimer du fond du cœur…
Et moi aussi j’ai aimé avec grande passion, j’ai aimé avec un grand délire, et j’ai récolté le martyre parce que cette femme m’a fait souffrir, qu’elle fut ma perte…
Je l’aimais de toute mon âme… Et elle a toujours été ma seule illusion… mais, pour un autre homme… Comme moi, elle a abandonné sa fille !
Cette petite fille tant aimée… Camarade, elle est morte hier soir, mais avant de mourir, elle m’a parlé de cette façon…
Père !… Si tu la trouves, donne-lui mon pardon et dis-lui aussi que même si elle nous a quittés, je l’aimerai toujours, de tout mon cœur et tu l’embrasseras pour moi !
Aujourd’hui, je l’ai trouvée, mon ami… Je n’ai pas pu pardonner… Je suis allé droit au but (Derecho viejo)… Et là, à cette cloche (vaurienne), au nom de ma fille… La pointe de mon poignard embrassa son cœur…

Paroles

Tango de mi ciudad, malevo y sensual,
canyengue y tristón, color de arrabal.
Señor de salón, tenés emoción
de noche porteña.
Vuelve para surgir en danza triunfal
canción sin igual que hace sentir
con tanta pasión en el corazón
su abrazo de amor.

Oigo el cantar de un triste bandoneón,
que llora en su canción la pena de un amor
que nunca pudo ser, por causa de creer
en locos berretines.
Todo pasó, no quiero recordar
el tiempo que se fue,
ya nunca volverá la dicha de tu amor
para poder soñar con vos en mi arrabal.

Qué dulzura hay en tu voz,
che, bandoneón, con tu chamuyo reo.
Tango lindo y querendón, nobleza de arrabal,
amores de otros tiempos…
Sigue, sigue tu canción
para alegrar esta velada linda,
suena, suena bandoneón, que siempre tu canción
está en el corazón.

Eduardo Arolas Letra: Gabriel Clausi

Traduction libre de la version des paroles de Gabriel Clausi

Tango de ma cité, malveillant et sensuel, canyengue (forme de danse ou du faubourg en lunfardo) et triste, couleur de faubourg.
Monsieur de salon, tu as l’excitation de la nuit portègne.
Une chanson sans égale surgit pour émerger dans une danse triomphante qui fait sentir avec tant de passion au cœur, son étreinte d’amour.
J’entends le chant d’un bandonéon triste, qui pleure dans sa chanson la douleur d’un amour qui ne put jamais être, à cause de croire en des caprices fous.
Tout est fini, je ne veux pas me souvenir du temps qui s’est écoulé, la joie de ton amour ne reviendra jamais pour que je puisse rêver de toi dans mon faubourg.
Quelle douceur il y a dans ta voix, che, bandonéon, avec ton bavardage royal.
Tango beau et affectueux, noblesse des faubourgs, amours d’autrefois…
Continue, continue ta chanson pour égayer cette belle soirée, sonne, sonne bandonéon, que toujours ta chanson soit dans le cœur.

Autres versions

Pas question de donner toutes les versions. Mon propos est de vous montrer comment on est passé de la version de la version d’Arolas à celle de Pugliese, 34 ans plus tard.
Top chrono :

Derecho viejo 1917 — Orquesta Roberto Firpo. Une version rapide, joueuse. Elle correspond à l’idée d’étudiants qui font faire la fête.

Une version rapide, joueuse. Elle correspond à l’idée d’étudiants qui font faire la fête.

Derecho viejo 1926-08-04 — Orquesta Julio De Caro.

Le rythme est plus lent et solennel, mais De Caro incorpore plein de bruits étranges, comme des fusées de feu d’artifice ou des grincements.

Derecho viejo 1927 — Sexteto Francisco Pracánico.

Une version bien canyenge, avec un violon qui vole au-dessus. Les fusées se retrouvent et se terminent par un « POUM ». Une version cependant un peu monotone, avant les variations de la dernière minute.

Derecho viejo 1927-04-16 — Orquesta Francisco Canaro.

Le rythme bien pesant et marqué de Canaro, mais décoré avec de petites fioritures. La montée des « fusées » est transformée en montées en pizzicati (qui ne sont pas suivis de descente et donc pas de « Poum » non plus, sauf dans la dernière minute où les montées sont toute en vibrato et les Poums bien présents.

Derecho viejo 1927-04-19 — Orquesta Osvaldo Fresedo.

La version de Fresedo est moins martelée, plus coulée, mais les montées qu’il adore sont suivies de descentes et de gros Poums aux timbales. Il explore aussi la montée en pizzicati de Canaro et les montées en « vrille ». Un véritable feu d’artifice.

Derecho viejo 1934-06-01 — Orquesta Típica Victor con Teófilo Ibáñez.

C’est la première version chantée de ma sélection. Montée en pizzicati et descente en vrille, suivie de Poum. Teófilo Ibáñez chante le refrain des paroles de Andrés Baldesari.

Derecho viejo 1936-08-10 — Orquesta Julio De Caro.

On retrouve De Caro avec une version pleine d’encore plus de bruits incongrus, dont des cuivres tonitruants.

Derecho viejo 1938-03-15 — Quinteto Don Pancho dir. Francisco Canaro.

Une version qui marche bien avec une orchestration originale. Du bon Canaro, nettement plus dynamique que sa version de 1927…

Derecho viejo 1939-07-17 — Orquesta Juan D’Arienzo.

D’Arienzo évite toutes les montées et descentes glissées qu’offrent la plupart des versions. Son interprétation plus sèche, même quand le motif de violon surnage, sur l’orchestre, ce dernier ne perd pas la marcacion et on n’a pas d’autre choix que d’y aller derecho viejo (sans hésiter).

Derecho viejo 1941-12-30 — Orquesta Osvaldo Fresedo.

On retrouve Fresedo qui se régale avec les montées et descentes de ses fusées et les gros poums. C’est vraiment son truc.

Derecho viejo 1945-05-28 — Orquesta Osvaldo Pugliese. C’est notre tango du jour.

Dès la deuxième mesure, l’ambiance change avec Pugliese. Même la fusée qui ne fait qu’une descente en vrille a un autre caractère. La yumba pointe son nez. Les passages, sans marcación aucune, pourront déstabiliser les danseurs qui aiment l’exercice de la marche à pas cadencé. Dans la dernière minute, les audaces harmoniques et les variations de rythme, typiques de Pugliese donneront du fil à retordre aux danseurs novices.
Le titre continuera par la suite, avec notamment des évolutions de Fresedo et Firpo, mais je souhaite rester sur Pugliese et cet enregistrement qu’il ne renouvellera pas de Derecho Viejo.

Eduardo Arolas, le tigre du bandonéon en film.

La composition de Eduardo Arolas a donc eu beaucoup de succès. Presque tous les orchestres ont gardé les grandes cascades que Fresedo a beaucoup utilisées dans ses interprétations par la suite. Certains les ont presque, adaptées, comme Pugliese, voire supprimé comme D’Arienzo qui n’en garde que l’amorce et nous laisse donc sur notre faim. À propos de fin, je vous propose de voir un extrait du film Derecho viejo réalisé en 1950 par Manuel Romero sur un scénario de Alfredo Ruanova. Le film est sorti le 4 janvier 1951. Le film retrace la vie d’Eduardo Arolas. Juan José Míguez jouant le rôle du Tigre du bandonéon.
Dans cet extrait, on voit le tenancier récolter la monnaie pour payer Arolas. À 15 secondes de mon extrait, on voit une femme qui dit à sa mère que l’on va danser sur un Tangazo (tango de première qualité) aujourd’hui. Lorsque « Arolas » joue, accompagné à la guitare on voit des couples danser, dans un style qui se veut reproduire celui du début du siècle

Una lágrima tuya 1949-05-27 – Orquesta José Basso con Francisco Fiorentino y Ricardo Ruiz

Mariano Mores Letra: Homero Manzi

Nous restons avec Mariano Mores qui nous avait donné Uno hier pour une autre merveille, Una lágrima tuya. Les paroles sont d’Homero Manzi, on reste dans le très haut du registre. Comme Uno, ce titre a été créé pour un film, Corrientes, calle de ensueños. Je pense que vous allez être très surpris par ce tango, mais est-ce vraiment un tango?

Fiorentino — Ruiz?

Pour cette œuvre un peu hors norme, José Basso s’est adjoint deux chanteurs de premier plan, Francisco Fiorentino et Ricardo Ruiz.
On est habitué à associer Francisco Fiorentino à Troilo, mais en 1944, Fiore avait mis les bouts pour créer son propre orchestre dont il confia la direction à Astor Piazzolla. Ce dernier partant à son tour, Fiorentino ira en 1948 chanter pour deux ans avec Basso.
De son côté Ricardo Ruiz est associé à Fresedo. Cependant, il avait quitté cet orchestre en 1942 et depuis 1947, il travaille avec Basso. En 1949, il est donc logique de trouver ces deux chanteurs en duo dans l’orchestre de José Basso.

Extrait musical

Una lágrima tuya 1949-05-27 — Orquesta José Basso con Francisco Fiorentino y Ricardo Ruiz.
Avec la photo de Mariano Mores, la partition de Una lagrima tuya.

Je pense que dès les premières mesures, vous avez été surpris par le rythme de cette œuvre. Les connaisseurs auront reconnu le rythme du malambo.
Vous connaissez sans doute le malambo sans le savoir, car son élément essentiel est le zapateo, ces jeux de jambes et de pieds que les hommes font durant la chacarera.
C’est une démonstration d’agilité, un défi que se lançaient les gauchos au XIXe siècle. C’est devenu aujourd’hui un élément de folklore et les groupes de danses traditionnelles présentent cette danse si enthousiasmante à pratiquer.
Comme il s’agit d’un défi, les hommes ont un regard sérieux pour ne pas dire « méchant ». Il ne s’agit pas de petites frappes au sol avec un grand sourire comme on peut le voir dans nos milongas, ou de petits battements de pieds, légers qui semblent caresser le sol.
Il n’y a pas à proprement parler de chorégraphie, chaque « danseur » (je mets danseur entre guillemets, car il s’agit plutôt d’un duelliste) fait preuve d’imagination et de créativité pour effectuer les figures les plus audacieuses. Le gagnant du duel est celui qui reste, le perdant part, épuisé ou dégoûté par les capacités de son adversaire.
La chacarera offre une forme « civilisée » du malambo. Pas question de se livrer à des exubérances, il s’agit de conquérir la femme, pas de lui faire peur. Par ailleurs, la chacarera est une danse de groupe et un peu d’harmonie dans l’ensemble est de rigueur.

Cette vidéo présente un duel de malambo effectué par deux adolescents. Vous reconnaîtrez la musique initiale qui est celle de notre « tango » du jour. C’est une création de Canal Encuentro, une merveilleuse chaîne culturelle argentine, malheureusement menacée, car la culture n’entre pas dans les priorités du nouveau président argentin, Javier Milei.

Dans la seconde partie de la musique, on retrouve une autre musique traditionnelle, la huella (à partir de 1 h 30). Vous connaissez certainement cette musique popularisée par Ariel Ramírez dans sa Misa criolla.

Pour faire d’une pierre, deux coups, vous pouvez entendre ici une interprétation de La Peregrinación (huella pampeana) faisant partie de la Misa Criolla. Il s’agit ici d’une danse chorégraphiée par un groupe de danse traditionnelle, mais on peut se rendre compte qu’il y a des similitudes avec la chacarera (vueltas et zapateos, par exemple).

Avec une référence au malambo norteño et à la huella pampeana sureña, Mores évoque le Nord et le Sud de l’Argentine.

Paroles

Una lágrima tuya
me moja el alma,
mientras rueda la luna
por la montaña.

Yo no sé si has llorado
sobre un pañuelo
nombrándome,
nombrándome,
con desconsuelo.

La voz triste y sentida
de tu canción,
desde otra vida
me dice adiós.

La voz de tu canción
que en el temblor de las campanas
me hace evocar el cielo azul
de tus mañanas llenas de sol.

Una lágrima tuya
me moja el alma
mientras gimen
las cuerdas de mi guitarra.

Ya no cantan mis labios
junto a tu pelo,
diciéndote,
diciéndote,
lo que te quiero.

Tal vez con este canto
puedas saber
que de tu llanto
no me olvidé,
no me olvidé.

Mariano Mores Letra: Homero Manzi

Traduction libre

Une de tes larmes mouille mon âme, tandis que la lune roule sur la montagne.
Je ne sais pas si tu as pleuré sur un mouchoir en me nommant, inconsolable.
La voix triste et sincère de ta chanson, d’une autre vie,
me dit adieu.
La voix de ta chanson qui dans le tremblement des cloches me fait évoquer le ciel bleu de tes matinées pleines de soleil.
Une de tes larmes mouille mon âme alors que les cordes de ma guitare gémissent.
Mes lèvres ne chantent plus, collées à tes cheveux, te disant, te disant, combien je t’aime.
Peut-être qu’avec cette chanson, tu pourras savoir que je n’ai pas oublié tes pleurs, je n’ai pas oublié.

Mariano Mores et le folklore

Ce n’est pas la seule fois où Mariano Mores fait référence au folklore dans ses compositions., par exemple :
Adiós, pampa mía qui incorpore des rythmes de pericón nacional et de estilo.
El estrellero (cheval qui lève la tête continuellement, ce qui gêne le cavalier) avec rythme de estillo.
Lors de ses tournées internationales, il était toujours accompagné de ballets de folklore, car, il ne laissait jamais de côté les danses folkloriques.

Autres versions

Una lagrima tuya 1948 — Orquesta Juan Deambroggio Bachicha con José Duarte.

Ce titre a été enregistré en France et édité par Luis Garzon qui a par ailleurs publié sa propre version dans les années 60 (à écouter plus bas). La date de 1948 semble bien précoce. J’ai contacté les éditions Luis Garzon, si j’obtiens des informations j’adapterai la date, si nécessaire.

Una lágrima tuya 1949-03-30 — Orquesta Aníbal Troilo con Edmundo Rivero y Aldo Calderón.

Cette version a connu le succès dès son lancement sur disque et à la radio. C’est la première version avec les paroles définitives de Manzi.

Una lágrima tuya 1949-05-27 — Orquesta José Basso con Francisco Fiorentino y Ricardo Ruiz. C’est notre version du jour.
Una lágrima tuya 1949-10-13 — Orquesta Francisco Canaro con Mario Alonso.

Canaro sort sa version, sans duo, un mois après la sortie du film dans lequel il est intervenu. Pour une fois, il n’est pas dans les premiers à avoir enregistré (sauf si on tient compte de la version du film enregistrée en août 1948).

Una lágrima tuya 1949 — Orquesta Atilio Bruni con Hugo Del Carril.

Una lágrima tuya 1949 — Orquesta Atilio Bruni con Hugo Del Carril. Une version bien adaptée au zapateo dans sa première partie (malambo), avec la belle voix chaude de Del Carril. Mariano Mores aurait aimé que De Carril chante dans le film, mais ce fut son frère qui chanta.

Una lágrima tuya (en vivo con glosas) 1951 — Orquesta Aníbal Troilo con Jorge Casal y Raúl Berón.

La qualité de cet enregistrement est très mauvaise, car c’est un enregistrement acétate, un support peu durable. Il a été réalisé en public lors d’un concert à San Pablo au Brasil et a été retransmis par Radio Bandeirantes. On peste contre ce son effroyable, mais quelle prestation ! On notera l’accent brésilien du présentateur qui annonce le titre, évoquant le malambo.

Una lágrima tuya charlo 1951-12-18 – Charlo y su orquesta.

Une belle version avec la voix qui domine un orchestre dont l’orchestration est originale.

Una lágrima tuya 1953 — Cristóbal Herrero y su orquesta típica Buenos Aires con Rodolfo Díaz y Beatriz Maselli.

Una lágrima tuya 1953 — Cristóbal Herrero y su orquesta típica Buenos Aires con Rodolfo Díaz y Beatriz Maselli. Pas étonnant que Herrero enregistre ce titre, car il avait été catalogué par Odeon du côté du folklore et ils lui faisaient enregistrer cela plutôt que du tango. Il était donc un spécialiste des deux genres, mais aurait préféré enregistrer du tango. Cet enregistrement est donc une revanche, car il a coupé l’introduction en malambo. Il n’a gardé que les accords finaux, typiques du malambo. On retrouve la marche, marquée par le bandonéon, mais guère plus que les autres versions, celle-ci est adaptée aux danseurs exigeants. L’autre originalité du titre est que c’est un duo homme-femme. J’aime bien.

Una lágrima tuya (En vivo) 1954-10-04 — Orquesta Juan Canaro con Héctor Insúa.

Le Japon s’est toqué du tango et les tournées des orchestres argentins ont été des succès formidables.

Una lágrima tuya 1954 — Luis Tuebols et son Orchestre typique argentin.

Oui, comme je l’ai mentionné à diverses reprises, l’histoire du tango n’est pas qu’en Argentine et Uruguay. Luis Tuebols a continué à promouvoir le tango en France, notamment en enregistrant avec Riviera, puis Barclay. Cet enregistrement fait partie des enregistrements avec Riviera en 78 tours. Il sera réédité en 33 tours en 1956 par Barclay.

Una lágrima tuya 1957-04-30 – Orquesta Mariano Mores con Enrique Lucero.

Voici comment Mariano Mores interprète sa création. On remarquera la voix profonde de son frère, Enrique Lucero. Ce dernier est celui qui chante dans le film avec Canaro (enregistrement du 31 août 1948 au teatro Maipo). Mariano joue le même thème, mais au piano solo. Vous pourrez voir cette vidéo à la fin de cet article.

Una lagrima tuya 1959 c — Primo Corchia y su Orquesta.

Primo Corchia, encore un exemple français du tango (même s’il est né en Italie, il a fait toute sa carrière en France).

Una lágrima tuya 1961-05-05 — Orquesta José Basso.

Un autre enregistrement de José Basso, instrumental celui-ci. Il assume parfaitement son affiliation au folklore. Le rythme est plus rapide que dans la version de 1949. J’espère que ce petit coup de projecteur sur ce musicien trop souvent négligé, José Basso vous donnera envie d’en écouter, voire danser, plus.

Et pour terminer cette liste bien incomplète, je vous propose deux curiosités :

Una lagrima tuya 1961 c— Orchestre Luis Garzon.

C’est celui qui aurait publié dès 1948 l’enregistrement de Bachicha. Cette version est purement musette. Le beau rythme de marche du malambo du départ, se commue en rythmique de tango musette, mais pas tout le temps. J’imagine que c’est une des raisons du succès de ce tango en France, la marche très marquée écrite par Mores s’adapte parfaitement au style musette. Le terme musette, vient de l’instrument à vent, de la famille des cornemuses, utilisé dans les bals populaires en France. Contrairement aux instruments des Écossais, la musette appelée cabrette dans le Massif-Central se remplit à l’aide d’un soufflet et non pas en soufflant dans une embouchure. Le joueur de musette peut donc chanter en jouant.

Una lagrima tuya y Adiós Pampa mía 1994 – Roberto Gallardo y su gran orquesta con Beatriz Suarez Paz y Oscar Larroca (hijo).

Deux titres de Mariano Mores ayant trait au folklore, enchaînés, Una lágrima tuya et Adiós Pampa mía. Le nom du chanteur vous dit certainement quelque chose, c’est le fils du chanteur des mêmes nom et prénom qui chanta si bien, par exemple avec De Angelis.
Encore un petit mot sur le film pour lequel Mores a écrit ce thème.

Corrientes, calle de ensueños, le film

Corrientes, calle de ensueños est un film de Román Viñoly Barreto sur un scénario de Luis Saslavsky sorti le 29 septembre 1949.

Une publicité pour le film Corrientes, calle de ensueños. Cette rue a une histoire et je dois la conter.

Homero Manzi, peu de temps avant sa mort, regrettait de ne pas avoir travaillé en collaboration avec Mariano Mores. Oscar Del Priore et Irene Amuchástegui racontent dans Cien tangos fundamentales (Mariano Mores a d’ailleurs écrit le prologue de ce livre…) que Mores de visite chez Manzi, joue ce thème au piano et peu après, Manzi fait savoir à Mores qu’il a des paroles à lui proposer pour sa musique. En réalité, les paroles définitives évolueront, jusqu’à la version que donnera Canaro avec Alonso en 1949, quelque temps avant le lancement du film.
Canaro était bien placé pour connaître cette œuvre, puisqu’il l’interprète, justement à la fin du film, mais ce n’est pas cet extrait que je vais vous présenter. Parmi les acteurs, Mariano Mores, lui-même, dans son premier rôle au cinéma. Dans cet extrait du début du film, il joue le titre au piano. De quoi bien terminer cette chronique.

Mariano Mores joue Una lágrima tuya au piano au début du film Corrientes, calle de ensueños

Uno 1943-05-26 – Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán

Mariano Mores Letra: Enrique Santos Discépolo

Le tango du jour s’appelle UNO, (un), mais vous aurez le droit à une belle addition de « uns ». Attention, les huns, pardon, les uns débarquent 1+1+1+1+1+…= un des plus beaux tangos du répertoire, écrit par Mariano Mores avec des paroles de Enrique Santos Discépolo. Préparez-vous à l’écoute, mais aussi à voir, j’ai une surprise pour vous…

Extrait musical

Uno 1943-05-26 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán

Paroles

Uno busca lleno de esperanzas
El camino que los sueños prometieron a sus ansias
Sabe que la lucha es cruel y es mucha
Pero lucha y se desangra por la fe que lo empecina
Uno va arrastrándose entre espinas
Y en su afán de dar su amor
Sufre y se destroza hasta entender
Que uno se quedó sin corazón
Precio de castigo que uno entrega
Por un beso que no llega
O un amor que lo engañó
Vacío ya de amar y de llorar
Tanta traición
Si yo tuviera el corazón
El corazón que dí
Si yo pudiera, como ayer
Querer sin presentir
Es posible que a tus ojos que me gritan su cariño
Los cerrara con mil besos
Sin pensar que eran como esos
Otros ojos, los perversos
Los que hundieron mi vivir
Si yo tuviera el corazón
El mismo que perdí
Si olvidara a la que ayer lo destrozó
Y pudiera amarte
Me abrazaría a tu ilusión
Para llorar tu amor
Si yo tuviera el corazón
El mismo que perdí
Si olvidara a la que ayer lo destrozó
Y pudiera amarte
Me abrazaría a tu ilusión
Para llorar tu amor

Mariano Mores Letra: Enrique Santos Discépolo

Traduction libre

Chacun cherche, plein d’espoir, le chemin que les rêves ont promis à ses désirs.Chacun sait que la lutte est cruelle et qu’elle est grande, mais il se bat et saigne pour la foi qui l’obsède.
Chacun rampe parmi les épines et dans son empressement à donner son amour, il souffre et se détruit jusqu’à ce qu’il comprenne que chacun se retrouve sans cœur, le prix de la punition que chacun donne pour un baiser qui ne vient pas, ou un amour qui l’a trompé.
Vide d’aimer et de pleurer tant de trahisons.
Si j’avais le cœur, le cœur que j’ai donné.
Si je pouvais, comme hier, aimer sans crainte, il est possible que tes yeux qui me crient leur affection, je les refermerais de mille baisers, sans penser qu’ils sont comme ces autres yeux, les pervers, ceux qui ont coulé ma vie.
Si j’avais le cœur, le même que j’ai perdu.
Si j’oubliais celle qui l’a détruit hier et que je pouvais t’aimer, j’embrasserais ton illusion pour pleurer ton amour.

Autres versions

Comme annoncé, ce titre a été enregistré de très nombreuses fois. Impossible de tout vous proposer, alors, voici une sélection pour vous faire découvrir la variété et les points communs de ces versions en commençant par notre tango du jour, qui est le premier à avoir été enregistré.

Uno 1943-05-26 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán. C’est notre tango du jour.
Uno 1943-05-28 — Libertad Lamarque con orquesta dirigida por Mario Maurano.

Deux jours après Canaro, Libertad Lamarque enregistre le disque.
C’est là qu’on remarque, une fois de plus, que Canaro est toujours au fait de l’actualité. En effet, ce titre est destiné à un film, El fin de la noche, réalisé par Alberto de Zavalía. Le tournage ne commencera qu’en août 1943 et le film ne sortira en Argentine que le premier novembre 1944, car le gouvernement argentin a tardé à donner l’autorisation de diffusion, notamment à cause du sujet qui mettait en cause le gouvernement allemand…

Affiche du film El fin de la noche, réalisé par Alberto de Zavalía avec Libertad Lamarque.

En effet, l’intrigue est totalement liée à l’actualité de l’époque, ce qui prouve que l’information circulait. Lola Morel (Libertad Lamarque), une chanteuse Sud-Américaine qui vit à Paris a été bloquée à Paris par la guerre (La plupart des Argentins avaient quitté la France en 1939, tout comme les frères Canaro et notamment Rafael qui fut le dernier à quitter la France). Elle souhaite revenir en Amérique du Sud avec sa fille. Pour obtenir des passeports, elle se voit proposé d’espionner la résistance.
Ce film confirme que les Argentins ne se désintéressaient pas de la situation en Europe durant la seconde guerre mondiale.
Mais la merveille, c’est de voir Libertad Lamarque chantant. C’est une des plus émouvantes prises disponibles, jugez-en.

Libertad Lamarque canta el tango UNO, en la película “El fin de la noche”, dirigida por Alberto de Zavalía. On voit dans cet extrait, par ordre d’apparition : Florence Marly… Pilar, Jorge Villoldo… Caissier du bar et Libertad Lamarque… Lola Morel qui chante UNO. Cette scène a lieu à 1h08 du début du film.

Difficile de revenir sur terre après cette version, alors autant rester dans les nuages avec Troilo et Marino.

Uno 1943-06-30 — Orquesta Aníbal Troilo con Alberto Marino arr. de Astor Piazzolla.

C’est peut-être la version la plus connue. Il faut dire qu’elle est parfaite, à chaque écoute, elle provoque la même émotion.

Uno 1943-10-27 — Tania acomp. de Orquesta.

Quelques mois après Libertad, Tania donne sa version. À qui va votre préférence ? Tania enregistrera une autre version avec Donato Racciatti en 1959.

Avant de passer à D’Arienzo, un petit point « technique ». Les disques de l’époque étaient prévus pour être utilisé à 78 tours par minute. C’est une vitesse précise. Ce n’est pas 77 ou 79 tours.
Donc, ces disques joués à 78 tours par minute donnent la bonne restitution, celle qui a été décidée par l’orchestre et l’éditeur.
Le résultat peut être différent de ce qui a été joué. Par exemple, pour paraître plus virtuose, on peut graver la matrice à une vitesse plus lente. Ainsi, lorsque le disque qui sera pressé à partir d’elle sera joué à 78 tours, le son sera plus rapide et plus aigu.
Dans des groupes de DJ qui n’ont sans doute que cela à faire, on disserte longuement de la valeur du diapason, notamment du bandonéon et de la vitesse exacte de jeu d’une musique. À moins d’avoir une oreille absolue, ce qui est une horreur, on ne remarquera pas d’une milonga sur l’autre qu’un titre est joué un tout petit peu plus aigu ou grave. Pour moi, l’important est donc d’avoir la bonne vitesse des 78 tours et c’est tout. Si d’Arienzo ou son éditeur a modifié la vitesse, c’est la décision de l’époque.
En revanche, je suis moins indulgent sur les rééditions des 78 tours en 33 tours. Ces transcriptions ont donné lieu à différents abus (pas forcément tous sur tous les disques) :

  • L’ajout de réverbération pour donner un « effet stéréo », mais qui perturbe grandement la lisibilité de la musique, ce qui est dommageable pour la danse également.
  • La coupure de l’introduction ou des notes finales. Le bruit étant jugé gênant pour un disque « neuf », beaucoup d’éditeurs ont supprimé les notes finales faibles, lorsqu’ils ont produit des 33 tours à partir de 78 tours usagés. Biagi est une des principales victimes de ce phénomène et Tanturi, le moins touché. Cela tient, bien sûr, à leur façon de terminer les morceaux…
  • Le filtrage de fréquences pour diminuer le bruit du disque original. Les moyens de l’époque font que cette suppression filtre le bruit du disque, mais aussi la musique qui est dans la même gamme de fréquences.
  • Le changement de vitesse. Si le disque tourne plus vite, on a l’impression que les musiciens jouent plus vite. Si aujourd’hui on peut varier la vitesse sans toucher à la tonalité, à l’époque, c’était impossible. Un disque accéléré est donc plus aigu. Ce n’est pas gênant en soi, si le résultat est convaincant et seuls les possesseurs de la fameuse oreille absolue s’en rendront compte si cela est fait dans des proportions raisonnables.

Après ce long propos liminaire, voici enfin la version de D’Arienzo et Maure. En premier, un enregistrement à partir du 78 tours original. La vitesse est donc celle proposée par D’Arienzo et la société Víctor.

Uno 1943-11-23 — Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré. Version tirée du 78 tours de la Víctor.

Et maintenant la version accélérée éditée en 33 tours et reprise depuis par différents éditeurs, y compris contemporains, ce qui prouve qu’ils sont partis du 33 tours et pas du 78 tours, ou mieux de la matrice originale…

Uno 1943-11-23 — Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré.

Édition accélérée, sans écouter la première version, vous seriez-vous rendu compte de la différence ? Probablement, car cela fait précipité, notamment en comparaison des versions déjà écoutées qui durent parfois près de 3:30 minutes, ce qui est exceptionnel en tango.

Uno 1943-12-01 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Oscar Serpa.

Une version sans doute moins connue, mais que je trouve très jolie également. Dommage que l’on ne passe pas en général le même titre dans une milonga. Cependant, les événements de plusieurs jours, ou les très longues milongas (10 h ou plus), permettent ces fantaisies…

Uno 1944 Alberto Gómez con Adolfo Guzmán y su conjunto.

Alberto Gómez commence a capela tout au plus soutenu par quelques accords au piano. Progressivement, ce soutien est proposé par d’autres instruments, mais ce n’est qu’à 58 secondes que l’orchestre prend progressivement une place plus importante, sans toutefois perdre de vue qu’il n’est que l’accompagnement du chanteur. Cette version à écouter suscite de la mention, malgré la voix un peu forcée de Gómez que l’on sans doute mieux appréciée, moins appuyée, comme il sait le faire dans certains passages de ce thème.

Uno 1944-04-11 — Orquesta Rodolfo Biagi con Carlos Acuña.

On change complètement de style avec Biagi. Une version rythmée, un peu pressée. Même pour la danse, on sent une pression qui empêche d’entrer complètement dans le thème. Ce n’est pas une critique de la qualité musicale, mais je trouve que cette fois Biagi est passé un peu à côté de la danse, du moins pour les danseurs qui interprètent la musique. Pour les autres, ils retrouveront le tempo bien marqué qui leur convient pour poser leurs patounes en rythme.

Uno 1946 — Trío Argentino (Irusta, Fugazot, Demare) y su Orquesta Típica Argentina con Agustín Irusta.

Les subtilités de la chronologie nous offrent ici, une interprétation à l’opposé de la précédente, par Biagi. Elle est à classer dans la lignée Lamarque, Tania et Gómez. Je pense que vous préférez cette version à celle de l’autre homme de la sélection de tango à écouter. Ici, il s’agit presque d’un duo avec le piano de Lucio Demare. Ce dernier est un merveilleux pianiste pour la musique intime. Vous pourrez vous en convaincre en écoutant ses formidables enregistrements de tango au piano, sur trois époques (1930, 1952-1953 et 1968). C’est le seul grand à s’être livré à cet exercice.

Uno 1951-12-18 — Charlo y su orquesta.

Encore une version à rajouter à la lignée des chansons. La qualité d’enregistrement des années 50 rend mieux justice à la voix de Charlo que ceux de 1925. On a même du mal à être sûr que c’est la même voix quand il chantait avec Canaro ou Lomuto. Essayez d’écouter ses enregistrements avec orchestre ou guitare des années 50 pour vous en rendre compte. Cette métamorphose, en grande partie causée par la technique, nous faire prendre conscience de ce que nous avons perdu en n’étant pas dans la salle dans les années 20.

Uno 1952 — Orquesta Aníbal Troilo con Jorge Casal.

Avec Troilo et Casal, on revient vers le tango de danse. Bien sûr, vous comparerez cette version avec celle de 1943 avec Marino. Les deux sont formidables. L’orchestre est éventuellement moins facile à suivre pour les danseurs, les DJ réserveront certainement cette version aux meilleurs pratiquants.

Uno 1957-09-25 — Orquesta Armando Pontier con Julio Sosa.

Avec Julio Sosa et l’orchestre Armando Pontier, nous sommes plus avancés dans les années 50 et l’importance de faire du tango de danse est perdue. Cela n’enlève pas de la beauté à cette version, mais ça nous fait regretter que le rock et autres rythmes aient supplanté le tango à cette époque en Argentine…

Uno 1961-05-18 — Orquesta José Basso.

José Basso nous donne une des rares versions qui se prive des paroles de Discépolo. Pour ma part, je trouve que la voix manque, même si à tour de rôle et les violons chantent plutôt bien et que le piano de José Basso ne démérite pas. On reste dans l’attente de la voix et c’est un beau final qui nous coupe les illusions.

Uno 1963 — Argentino Ledesma y su orquesta.

De la part de Ledesma, on attend une belle version et on n’est pas déçu.

Uno 1965 – Orquesta Jorge Caldara con Rodolfo Lesica.

On retrouve Caldara, cet ancien bandonéoniste de Pugliese avec Lesica. Une belle association. L’introduction avec le superbe violoncelle de José Federighi prouve s’il en était besoin les qualités de ce musicien et arrangeur d’une grande modestie.
Je vous propose de terminer cette longue liste avec l’auteur Mariano Mores et son petit-fils, Gabriel Mores.

N’oubliez pas de cliquer sur ce dernier lien pour consulter l’album de Mariano Mores en écoutant une toute dernière version d’Uno, même si c’est loin d’être la meilleure. Vous y découvrez la vie de cet artiste qui est resté sur scène jusqu’à l’âge de 94 ans, après 80 années d’activité. Sans doute un des records de longévité.

https://es.moresproject.com/mariano-mores

Au revoir, Mariano, et à demain, les amis !

Tu melodía 1945-05-25 – Orquesta Rodolfo Biagi con Jorge Ortiz / Tu melodía 1944-12-27 – Orquesta Domingo Federico con Carlos Vidal

Alberto Suárez Villanueva Letra: Oscar Rubens (Oscar Rubistein)

Tu melodía est un superbe titre que deux orchestres ont enregistré à 5 mois d’intervalle. Je vous invite donc à écouter non pas une, mais deux versions. Je pense que certains auront une surprise en comparant les deux titres… Puis nous nous lancerons dans un sujet polémique, la SACEM à propos des paroles en français de ce tango.

Extraits musicaux

Si c’est aujourd’hui l’anniversaire de la version de Biagi qui fête ses 79 ans, je vous propose de commencer par sa grande sœur enregistrée par Domingo Federico, le 27 décembre 1944.

Tu melodía 1944-12-27 — Orquesta Domingo Federico con Carlos Vidal.

Le tango par des bandonéons incisifs puis les violons s’ajoutent, beaucoup plus suaves, et très rapidement la voix de Carlos Vidal (dès 20 secondes, ce qui est très tôt et exceptionnel pour un tango de danse). Ensuite, c’est une alternance du chanteur et des instruments qui reprennent l’air en solo. C’est donc un tango de danse avec une présence particulièrement importante du chanteur, ce qui n’était pas fréquent avant que Troilo s’en mêle.

Tu melodía 1945-05-25 — Orquesta Rodolfo Biagi con Jorge Ortiz.

Je pense que dès les premières secondes vous aurez remarqué qu’il s’agissait d’une valse. En effet, Biagi interprète ainsi la composition de Suárez Villanueva. Là on est moins en présence d’une alternance, les violons chantent en harmonie avec Ortiz. Le piano, Biagi n’a pas de raison de s’en priver, car c’est lui le chef, a son solo en plus de ses habituelles ponctuations de 2:03 2:33. Vous remarquerez les notes doublées dans la seconde partie de son solo. Comme avec Federico et Vidal, le chanteur va jusqu’aux dernières notes.

Paroles

Tu melodía siempre la escucho,
Y donde vaya, me persigue noche y día…

Buscándote, amor, amor
Ansiosa está el alma mía,
Y dónde voy oyendo estoy,
Tu dulce voz, tu melodía.

Cada lugar que recorrí
Me habló de ti, de tu emoción,
Por eso siempre te está buscando
Confiando hallarte mi corazón.

Tu melodía,
Siempre la escucho
Y donde vaya
Me persigue noche y día.

Tu melodía
Vive en mi alma,

Y al evocarla
Me devuelve tu visión.

Alberto Suárez Villanueva Letra: Oscar Rubens (Oscar Rubistein)

Vidal commence par ce qui est en couleur (bleu, rouge). Puis il repart du début et chante tout jusqu’à la fin et reprend même les deux vers en rouge et gras…
Dans le cas de Ortiz on est dans une structure plus classique. La mélodie est présentée une fois par les violons avant d’être confiée au chant. Ortiz chante tout ce qui est en gras. Il omet donc les deux premiers vers.

Traduction libre

Ta mélodie, je l’entends toujours, et partout où je vais, elle me hante nuit et jour…
En te cherchant, amour, amour anxieux jusqu’à l’âme, et où que j’aille, j’entends, ta douce voix, ta mélodie.
Chaque endroit que j’ai visité m’a parlé de toi, de ton émotion, c’est pourquoi, toujours, je te cherche, en espérant te trouver, mon cœur.
Ta mélodie, je l’entends toujours et partout où je vais, elle me hante nuit et jour…
Ta mélodie vit dans mon âme, et quand je l’évoque, elle me rend ta vision.

Histoire de droits d’auteurs

Tout d’abord, une autre version des paroles. Par Framique (Eugénie Micsunesco) (1896-1991). Elle était l’épouse de Francis Salabert, éditeur et auteur-compositeur de nombreux titres que l’on peut voir sur le site de la BNF (Bibliothèque Nationale de France) et on la trouve donc aussi sur le site de la BNF avec la liste de ses œuvres. Tu melodía n’est pas dans cette liste, mais on la trouve dans celle de son pseudonyme, Framique sur le site de la BNF.
Cette version a été éditée par son mari, à Paris, en 1948, comme on peut le voir sur la fiche de l’œuvre sur le site de la BNF. Sur la même fiche, on peut trouver l’incipit que voilà :

1.1.1 C’est le plus beau des chants d’amour
2.1.1. Bus-candote amor amor

Dans le Catalog of copyright entries Third Series, on trouve dans le volume 3, Part 5 A, Number 1 de janvier à juin 1949 de la Library of Congress, la précision de la date, le 10 septembre 1948. Dans ce registre est également consigné le nom de Suarez Villanueva en référence à la version originale. On remarque le copyright des éditions Salabert, celles du mari de Framique.

Dans cet extrait du registre des copyrights, on trouve la précision du 10 septembre 1948

Il y a donc des paroles françaises de ce tango ou valse, écrites par Framique et éditées par son mari. On touche ici du doigt le monde de l’édition musicale. Imprimer une partition, peut-être une source de revenus non négligeable, cela donnera des idées au cours du temps, comme nous allons l’évoquer maintenant à propos de la société des Auteurs, Compositeurs et Éditeurs de musique, la SACEM.

La SACEM et les droits d’auteur

Les organisateurs de manifestation tango râlent souvent en France à cause des coûts énormes de la SACEM qui grèvent les budgets de leurs événements. La SACEM est une société de collecte des droits d’auteurs et « avoisinants ». Société des Auteurs, Compositeurs et Éditeurs de Musique.
Ce serait un moindre mal si l’argent collecté servait réellement aux ayants droit, mais on va voir que c’est un peu moins rose que cela…


Prenons l’exemple de la Cumparsita.
Gerardo Matos Rodriguez en est considéré comme l’auteur. Il est mort en 1948. Donc, depuis 2018 (la protection court jusqu’à 70 ans après la mort de l’auteur pour la France), la Cumparsita est tombée dans le domaine public. Elle ne devrait donc plus faire l’objet de prélèvements. Pour éviter cela, la SACEM et les sociétés affiliées ont inventé de nouveaux droits permettant aux éditeurs de continuer à toucher des sommes conséquentes même pour les œuvres tombées dans le domaine public.

Les « revenus » de la SACEM :

La SACEM ne connecte pas seulement les sommes qui vont permettre aux pauvres compositeurs de manger. Cette activité est même marginale et plus qu’insignifiante en volume. Voici le panorama de ce que gère la SACEM…

  • La SACEM récupère les droits d’auteurs des compositeurs et auteurs de musique, mais aussi des éditeurs de musique (le E de SACEM).
  • Elle collecte la rémunération pour copie privée (taxe prélevée sur tous les supports d’enregistrements vierges, même s’ils ne servent pas à la musique (Loi du 3 juillet 1985, dite Loi Lang).
  • Elle collecte pour SESAM, sur les œuvres multimédias (Société du droit d’auteur dans l’univers multimédia et internet)
  • Elle collecte pour SDRM, les droits de reproduction mécaniques des auteurs, compositeurs, éditeurs, réalisateurs et doubleurs, sous-titreurs.
  • La SPRÉ, la rémunération équitable au profit des musiciens interprètes et des producteurs phonographiques.

J’ai mis en gras ceux qui recevaient la plus grosse part du gâteau, après bien sûr le « prélèvement » de la SACEM. Il s’agit, vous vous en seriez douté, des éditeurs et producteurs. Rien que pour les droits d’auteur, la clef de répartition est en théorie de 25 % pour l(es) auteur(s) 25 % pour le(s) compositeur(s) 50 % pour l(es) éditeur(s).
Donc, quand vous écoutez la Cumparsita dans une milonga, vous pouvez penser que c’est une musique « libre de droits ».
En fait, non. Les éditeurs de musique existent toujours, les producteurs de disques, également et phénomène intéressant de nouveaux ayants droit se greffent sur les œuvres à succès. J’ai compilé ci-dessous la liste des ayants droit pour la Cumparsita que l’on trouve dans les registres de la SACEM.
Vous allez y découvrir bien plus que les trois auteurs communément cités dans le domaine du tango, mais surtout, vous allez voir une liste d’éditeurs et de sous-éditeurs, qui sont donc des ayants droit, juste, car ils ont imprimé, au moins une fois La Cumparsita et qu’ils l’ont déclaré à la SACEM ou à une société affiliée.
La SPRÉ étant destinée aux interprètes, la liste de ces derniers devient très longue. Donc, même si vous jouez une Cumparsita dans une version où tous les membres de l’orchestre sont morts avant 1954, il y a des droits à payer. N’oublions pas que la SPRÉ n’est pas essentiellement destinée aux musiciens, mais aux éditeurs…
Je vous laisse méditer sur les ayants droit de la SACEM à partir de son registre, mais avant, je tiens à vous communiquer une information.
La SADAIC, l’équivalent argentin de la SACEM, reçoit des sommes forfaitaires de la France, mais rien de particulier en matière de tango. En effet, cette musique est considérée comme marginale en termes de droits d’auteurs par la SADAIC et il n’y a pas de revendication particulière.
Je pense que vous comprenez que quand vous déclarez à la SACEM la musique d’un événement, même si le DJ dresse une liste avec le nom des compositeurs et que vous la transmettez, cela n’a aucune incidence sur les flux entre la France et l’Argentine. Ce n’est pas géré.
L’argent qui reste après que ce soit servi la SACEM, les éditeurs et les producteurs, va aux musiciens et aux auteurs, mais vous allez le voir, d’une façon assez étrange.
Si vous êtes une grosse vedette du top 50, vous allez recevoir votre dû et même bien plus, car les sommes qui ne sont pas distribuées sont réparties à l’ensemble des auteurs inscrits (à noter que l’inscription d’un auteur à la SACEM n’est pas obligatoire) La SACEM est une société, pas un organisme public, officiel.
Ainsi, Tartempion Glinglin, qui s’est inscrit à la SACEM, recevra un petit quelque chose, proportionnellement à son statut. Les gros reçoivent beaucoup, les petits, très peu. Pour la France, le plus gros, c’est Jean-Jacques Goldman. Quand vous organisez une milonga, vous enrichissez Jean-Jacques Goldman et des éditeurs et producteurs, mais pas Rodriguez ou ses petits-enfants éventuels.
Mais ce n’est pas la seule surprise. Je vous propose de regarder maintenant le répertoire de la SACEM pour La Cumparsita. Cette œuvre étant très connue et beaucoup jouée, elle attire la convoitise de ceux qui vivent des subsides de la SACEM.

LE RÉPERTOIRE DE LA SACEM

LA CUMPARSITA

Compositeur : ARCH DAVID GWYN, BERNARD DEWAGTERE, Cyprien KATSARIS, GARANCE MICHELE, GERARDO MATOS RODRIGUEZ, Giulio Gd D’AGOSTINO, JEFE E L, PUBLIC DOMAIN, TRAD.

Compositeur-Auteur : Augustin CASTELLON CAMPOS, CALANDRELLI JORGE M, DP, GERARDO MATOS RODRIGUEZ, GONZALO FI, Igor OUTKINE, INCONNU COMPOSITEUR AUTEUR, KALETH JAMES PATRICK, MAX BRONCO, Public DOMAINE, ROGERS MILTON (US 1), Roland Martin ROBERTS, ROSE DAVID D, Sammy WETSTEIN, TERRANO ANDREA.

Auteur : BEYTELMANN GUSTAVO, CONNER DAVID A, David John HOWELL, Fabien PACKO, LLOYD JACK, LOVE GEOFFREY, Marie-Stéphane VAUGIEN, MARONI ENRIQUE PEDRO, Pascual CONTURSI, PASERO STEVAN, RUNSWICK DARYL BERNARD, STAZO LUIS ANTONIO.

Arrangeur : ARCH DAVID GWYN, Robert DUGUET.

Interprète : Alain MUSICHINI, Andre BROCOLETTI, Armand PAOLI, Arnaud THORETTE, Astor PIAZZOLLA, BARIMAR, BASSO JOSE HIPOLITO, Bernard MARLY, BERTRAND DE KERMADEC, BONAZ FERNAND, BRUNELLI FELICIANO, CAHAN JACQUES, CANARO FRANCISCO, CARLOS RODRIGUEZ LUNA, CARRIL HUGO (DEL), CHABLOZ MARTIN, Charly OLEG, Christopher FRONTIER, CLEMENT DOUCET, CO FRANCO ERNESTO FRANCIS, CORENZO ALFREDO, Corinne ROUSSELET, CUGAT XAVIER, D ARIENZO JUAN, Daniel COLIN, DELERUE GEORGES, DELPHINE LEMOINE, DI SARLI CARLOS, Eduardo BIANCO, Eduardo Oscar ROVIRA, Eric BOUVELLE, Eric CERBELLAUD, Etienne LORIN, EVEN JO, Fabien PACKO, FABRICE PELUSO, FARRART VINCENT, FEDERICO DOMINGO S, FERNANDEZ JOSE ESTEBAN, FIESCHI JOSE, Franck POURCEL, GARANCE MICHELE, GARCIA DIGNO, GARDEL CARLOS, Georges RABOL, Gilbert DIAS, Hervé DESARBRE, HIRSCHFELDER DAVID, HORNER YVETTE, James GRANGEREAU, Jean HARDUIN, JEAN VILLETORTE, JEROME RICHARD, Joseph PERON, Juan CARRASCO, JULIO IGLESIAS, KAASE CHRISTOPHER, KALLISTE EDITIONS MUSICALES, LANDER MONICA, LAZZARI CARLOS ANGEL, LO MANTOVANI ANNUNZIO PAO, LOMUTO FRANCISCO J, Louis CAMBLOR, Louis CORCHIA, Luis (louis) TUEBOLS, MAGALI PERRIER, MAHJUN JEAN LOUIS, MALANDO DANNY, Marcel AZZOLA, MARCEL DUVAL, MARCELLO JOSE, Mario CAVALLERO, Martial COHEN-SOLAL, Maurice LARCANCHE, Michel FUGAIN, MICHEL PRUVOST, Michel PRUVOT, MORINO JACQUES, NEUMAN ALBERTO, Olivier MANOURY, Olivier MARTEL, OMAR KHORCHID, Pascal TERRIBLE, Patrick BELLAIZE, PIERRE BOUIX, Pierre PARACHINI, PIZARRO MANUEL, PONSERME JACQUES, Primo CORCHIA, Ramon Alberto GONZALES, Raymond BOISSERIE, RENAUD LINE, RIVERO EDMUNDO, Robert TRABUCCO, Roberto ALAGNA, ROMERO PEPE, ROSSI TINO, S FRESEDO OSVALDO NICOLA, SCALA TANI, SCHIFRIN LALO, SEMINO ROSSI, SEVILLA LUIS MIGUEL, SONY JO, STEPHANE REBEYROL, Tapio KARI, Thierry BONNEFOUS, Thierry CAENS, TIRAO CACHO, TONY MURENA PRODUCTIONS, TROILO ANIBAL CARMELO, TROVESI GIANLUIGI, VERCHUREN ANDRE, VINCENT INCHINGOLO, WUNDERLICH KLAUS, Yvan CASSAR.

Réalisateur : Julien BLOCH.

Éditeur : AUSTRALIAN MUSIC EXAMINATIONS BOARD LTD, BMG RICORDI EX RICORDI G C SPA, CALA TUENT MUSIC, CALANDRELLI MUSIC, CD BABY BETA, D A MUSIC LTD, DAVAL MUSIC COMPANY, GD SEVENTY-EIGHT MUSIC, LA PALMERA EDICIONES INH MATTHIAS MOEBIUS, MORRO MUSIC, NEN MUSIC, PATTERDALE MUSIC LTD, PRIMARY WAVE ROSE, RUECKBANK MUSIKVERLAG MARK CHUNG EK, SCHOTT MUSIC GMBH CO KG, SESAME STREET INC, SHUTTERSTOCK MUSIC CANADA ULC, SONY ATV MILENE MUSIC, SWEET CITY SONGS LTD, TUNECORE DIGITAL MUSIC, ZONE MUSIC PUBLISHING LLP.

Sous Éditeur : BECAUSE EDITIONS, BMG RIGHTS MANAGEMENT (FRANCE), BUDDE MUSIC FRANCE, DAVID PLATZ MUSIC EDITIONS, EDITIONS DURAND, KOBALT MUSIC PUBLISHING FRANCE, MUSICJAG, PARIGO, PEERMUSIC FRANCE, PREMIERE MUSIC GROUP, RDB CONSEIL RIGHTS MANAGEMENT, SCHOTT MUSIC, SENTRIC MUSIC LIMITED, SONY MUSIC PUBLISHING (FRANCE), ST MUSIC INTERNATIONAL INC, UNIVERSAL MUSIC PUBLISHING, WARNER CHAPPELL MUSIC FRANCE.

Cela fait beaucoup de personnes que nous n’aurions pas soupçonnées d’être liées à la Cumparsita.

Extrait de l’entrée Cumparsita dans les registres de la SACEM. En gras ceux qui sont légitimes, plus domaine public ou inconnu.

La Cumparsita tombera réellement dans le domaine public quand le dernier des petits malins qui a fait inscrire son nom sera mort depuis plus de 70 ans. Mais rassurez-vous, les maisons d’édition et producteurs trouveront une astuce et cela n’arrivera donc jamais.
De toute façon, la SPRÉ court toujours, car il y a toujours des musiciens qui jouent la Cumparsita. C’est une tactique bien ficelée et la SACEM a encore de beaux jours pour continuer de prospérer, car si même des musiciens décident de ne pas adhérer, de publier de la musique libre de droits, la SACEM vous réclamera une somme forfaitaire, à moins que vous puissiez prouver que vous ne passez que de la musique libre de droits (on a vu que c’était impossible avec le répertoire argentin).

Sondage

Tu melodía, tango ou valse ? J’hésite…

Llueve otra vez — ¡Vamos! 1944-05-24 – Orquesta Carlos Di Sarli con Alberto Podestá

Juan José Guichandut (Paroles et musique)Feliciano Brunelli Letra : Rodolfo Sciammarella

Hier, dans Desde el alma, on s’adressait à l’âme, aujourd’hui c’est au cœur que l’on adresse sa supplique. C’est un intéressant parallèle entre des titres qui content une histoire proche, celle de la nécessité d’oublier et d’aller de l’avant. Les deux thèmes du jour sont Llueve otra vez et ¡VAMOS !

Convergence de thèmes

J’ai regroupé deux tangos, non seulement, car ils ont été enregistrés le même jour par les mêmes artistes, mais aussi, car ils avaient le même thème, thème qu’ils partagent avec la valse d’hier, Desde el alma. Ayons à cœur d’explorer de toute notre âme, ce thème.
Dans Desde el alma, le conseil, dans la version d’Homero Manzi, est donné à l’âme. Je vous le remémore : Avec la douleur qui ouvre une plaie vient la vie apportant un autre amour.
Les deux tangos du jour ne s’adressent donc pas à l’âme, mais au cœur.
Dans Lluve otra vez, le conseil est N’espère pas, cœur ! Ne te peine pas pour son amour ! Demain, lorsque le soleil radieux percera à la chaleur d’autres amours, tu oublieras.
Le conseil dans Vamos est très proche : Abandonne-la et en avant, en avant, cœur !

Extraits musicaux

Llueve otra vez 1944-05-24 — Orquesta Carlos Di Sarli
Vamos 1944-05-24 – Orquesta Carlos Di Sarli

Paroles de Lluve otra vez

Escucha corazón
el eco de su voz…
Escucha, corazón, está lloviendo
y la lluvia va tejiendo
los recuerdos de su amor.
¡Qué pena, corazón!
No es ella, ni es su voz.
Tan sólo es la obsesión que me domina,
el recuerdo que castiga
desde su adiós.

Llueve…
y un látigo de luz me azota,
relámpago de fiebre loca.
La lluvia, sin cesar,
golpeando en el cristal,
renueva la emoción perdida.
Y entre la bruma creo ver su imagen,
igual que entonces, diciendo adiós.
Llueve…
y el cielo se llenó de sombras,
lo mismo que mi corazón.

Tristeza que dejó
el eco de su voz.
Tristeza de esperar inútilmente
y creer que nuevamente
con la lluvia volverá.
¡No esperes, corazón!
¡ No penes por su amor!
Mañana cuando el sol radiante asome
al calor de otros amores,
olvidarás.

Juan José Guichandut (Paroles et musique)

Traduction libre de Lluve otra vez

Écoute cœur, l’écho de sa voix…
Écoute, cœur, il pleut et la pluie tisse les souvenirs de son amour.
Quelle tristesse, cœur !
Ce n’est pas elle ni c’est sa voix.
C’est juste l’obsession qui me domine, le souvenir qui punit depuis son adieu.

Il pleut…
Et un fouet de lumière me fouette, un éclair de fièvre folle.
La pluie, sans cesse, battant sur la vitre, renouvelle l’émotion perdue.
Et dans la brume, je crois voir son image, pareille qu’à l’époque, disant au revoir.
Il pleut…
Et le ciel était rempli d’ombres, tout comme mon cœur.

Tristesse qui a laissé l’écho de sa voix.
Tristesse d’attendre en vain et de croire qu’à nouveau avec la pluie elle reviendra.
N’espère pas, cœur !
Ne te peine pas pour son amour !
Demain, lorsque le soleil radieux percera à la chaleur d’autres amours, tu oublieras.

Paroles de Vamos

Del fondo de mis lágrimas
y penas, pido a Dios,
que escuche mi implorar
y mi lamentación.
Que alivie este sufrir
que hay en mi vivir.
Y pueda darme la resignación
de amor.

Con este sentimiento,
que se ha hecho una pasión,
no quiere comprender
mi pobre corazón,
que de seguir así,
tendremos que vivir
con la vergüenza
de una humillación.
Ayer te dije,
igual que hoy igual que siempre,
¡Vamos, vamos corazón!
Y no quisiste hacerme caso
y fue el fracaso
de estar llorando
para siempre tu ilusión.

Hoy no estarías corazón abandonado,
hoy no estarías corazón arrinconado
ayer te dije, igual que hoy,
igual que siempre,
¡Dejala y vamos, vamos corazón!

Feliciano Brunelli Letra: Rodolfo Sciammarella

Traduction libre de Vamos

Du fond de mes larmes et de mes douleurs, je demande à Dieu d’écouter mes supplications et mes lamentations.
Qu’il allège cette souffrance qu’il y a dans ma vie.
Et qu’il puisse me donner la résignation de l’amour.
Avec ce sentiment, qui se mua en passion, mon pauvre cœur ne veut pas comprendre que si cela continue ainsi, nous devrons vivre avec la honte d’une humiliation.
Hier, je te l’ai dit, pareil qu’aujourd’hui, pareil que toujours, en avant, en avant, cœur ! (Cœur ne s’adresse pas à sa chérie, mais à son cœur, siège de ses émotions).
Et tu ne voulus pas me prêter attention et ce fus l’échec de pleurer pour toujours, ton illusion.
Aujourd’hui tu ne serais pas abandonné, aujourd’hui tu ne serais pas acculé, cœur, hier je te l’ai dit, pareil qu’aujourd’hui, pareil que toujours,
abandonne-la et en avant, en avant, cœur !

Bon, les amis, en avant, bonne journée et à demain !

¡Vamos!

Desde el alma 1940-05-23 — Orquesta Francisco Canaro

Rosita Melo Letra : Víctor Piuma Vélez (V1) et Homero Manzi (V2)

Que celui ou celle qui ne s’est pas inquiété, aux premières notes de Desde el alma, de trouver un ou une partenaire pour se ruer sur la piste me jette la première pierre. Cette valse de Rosita Melo, quasiment sa seule composition, est sans doute la plus connue des valses. Une belle réussite pour cette petite Uruguayenne de 14 ans qui est passée à la postérité pour cette seule œuvre, mais quelle œuvre!

Pour être complet, il faudrait indiquer que la valse composée par Rosita est une valse Boston, comme l’indique la couverture de la partition. C’est Roberto Firpo qui l’a adapté en valse argentine et avec quel succès…
La mention de son mari, Víctor Piuma Vélez correspond à la première version des paroles. Lorsque Homero Manzi adapte l’œuvre pour son film Pobre mi madre querida qui sortir en 1948, il créa de nouvelles paroles. Rosita Melo a demandé que le nom de son mari soit associé à cette nouvelle version des paroles.

Extrait musical

Desde el alma 1940-05-23 — Orquesta Francisco Canaro.
Partition de Desde el alma.

Paroles de Víctor Piuma Vélez

Yo también desde el alma
te entregué mi cariño
humilde y pobre
pero santo y bueno
como el de una madre
cómo se ama a Dios.

Porque tú eres mi vida
porque tú eres mi sueño
porque las penas
que en el alma tuve
tú las disipaste
con tu amor.

Después de tanto dolor
tu santo amor
me hizo olvidar
de la amargura
que hasta ayer guardé
dentro del alma y corazón.

Perdona madre mía
sí me olvidé un instante
de tus caricias
de tus tiernos besos
de todos tus ruegos
¡Ay, perdóname!

Pero si supieras
la buena virgencita
que hoy me consuela
que me da alegrías
en las horas tristes
cuando pienso en ti.

Perdona madre
sí un instante te olvidé
perdóname, perdona madre
que tu recuerdo
nunca borraré.

Rosita Melo Letra : Víctor Piuma Vélez

Traduction libre des paroles de Víctor Piuma Vélez

Moi aussi, de toute mon âme, je vous ai donné mon affection, humble et pauvre, mais sainte et bonne, comme celle d’une mère, comme on aime Dieu.
Parce que tu es ma vie, parce que tu es mon rêve, parce que les chagrins que j’avais dans mon âme ont été dissipés par ton amour.
Après tant de douleur, ton saint amour m’a fait oublier l’amertume que je gardais jusqu’à hier dans mon cœur et mon âme.
Pardonne-moi, ma mère, si j’ai oublié un instant tes caresses, tes tendres baisers, toutes tes prières.
Mais si vous saviez la bonne petite vierge qui me console aujourd’hui, qui me donne de la joie dans les heures tristes où je pense à vous.
Pardonne-moi, mère, si un instant, je t’ai oubliée, pardonne-moi, pardonne-moi, mère, je n’effacerai jamais ton souvenir.

Paroles de Homero Manzi

Alma, si tanto te han herido,
¿por qué te niegas al olvido?
¿Por qué prefieres
llorar lo que has perdido,
buscar lo que has querido,
llamar lo que murió?

Vives inútilmente triste
y sé que nunca mereciste
pagar con penas
la culpa de ser buena,
tan buena como fuiste
por amor.

Fue lo que empezó una vez,
lo que después dejó de ser.
Lo que al final
por culpa de un error
fue noche amarga del corazón.

¡Deja esas cartas!
¡Vuelve a tu antigua ilusión!
Junto al dolor
que abre una herida
llega la vida
trayendo otro amor.

Alma, no entornes tu ventana
al sol feliz de la mañana.
No desesperes,
que el sueño más querido
es el que más nos hiere,
es el que duele más.

Vives inútilmente triste
y sé que nunca mereciste
pagar con penas
la culpa de ser buena,
tan buena como fuiste
por amor.

Rosita Melo Letra: Homero Manzi (le nom de Víctor Piuma Vélez est ajouté à la demande de sa femme, Rosita Melo, mais il n’a pas écrit cette version).

Traduction libre des paroles de Homero Manzi

Âme, si tu as été si blessée, pourquoi tu refuses d’oublier ?
Pourquoi préfères-tu pleurer ce que tu as perdu, chercher ce que tu as aimé, appeler ce qui est mort ?
Tu vis inutilement triste et je sais que tu n’as jamais mérité de payer de chagrin la culpabilité d’être bonne, aussi bonne que tu l’étais par amour.
Ce fut ce qui avait commencé une fois, ce qui avait ensuite cessé d’être.
Ce qui, à la fin, à cause d’une erreur, a été une nuit amère du cœur.
Laisse ces cartes !
Retourne à ton antique illusion !
Avec la douleur qui ouvre une plaie, vient la vie apportant un autre amour.
Âme, ne ferme pas ta fenêtre au soleil heureux du matin.
Ne désespère pas, car le rêve le plus cher est celui qui nous blesse le plus, c’est celui qui fait le plus mal.
Tu vis inutilement triste et je sais que tu n’as jamais mérité de payer de chagrin la culpabilité d’être bonne, aussi bonne que tu l’étais par amour.

Autres versions

Non, vous n’aurez pas une liste intégrale des versions de Desde el alma. Ce serait une tâche impossible pour vous que de les écouter. Je vous propose donc un petit florilège, des éclairages différents. Entrons dans la valse avec la plus ancienne version enregistrée, celle de Roberto Firpo.

Desde el alma 1920 — Orquesta Roberto Firpo.

Un enregistrement acoustique. Bien sûr, la qualité lui ferme la porte de la milonga, mais 7 ans plus tard, Firpo a récidivé avec une version superbe.

Desde el alma 1927-10-20 — Orquesta Roberto Firpo.

Firpo nous livre cette version instrumentale. Tout en douceur. Elle correspond parfaitement au thème. On peut éventuellement lui reprocher d’avoir peu de variations, mais c’est moins gênant dans une valse que dans un tango. Elle est sans doute trop rare dans les milongas, je suis donc content de vous la faire écouter. Firpo enregistrera une dernière version en 1947. Vous la trouverez ici, à sa place chronologique.

Desde el alma 1935-07-02 — Orquesta Juan D’Arienzo.

Un rythme soutenu qui vous entraîne de façon irrésistible. C’est enregistré quelques mois avant l’arrivée de Biagi de l’orchestre. Cela nous permet d’écouter le beau piano de Lidio Fasoli. Beaucoup plus léger et discret que celui de Biagi. Il nous propose de jolies cascades. Notez aussi les beaux accents de Alfredo Mazzeo au violon et la fin typique de D’Arienzo qui donne une impression d’accélération et vous aurez les ingrédients du succès de cette version. D’Arienzo n’en enregistrera pas d’autre version, mais ce n’est pas grave, on se contente très bien de celle-ci. Après sa mort, ses solistes l’ont enregistrée, mais disons que leur version n’apporte rien de bien nouveau.

Desde el alma 1940-05-23 — Orquesta Francisco Canaro.

C’est notre valse du jour. Canaro démarre sans introduction. Le rythme est bien marqué avec un magnifique dialogue entre les instruments qui parlent chacun à leur tour, puis se lancent dans de longues phrases. À 1 h 32, la trompette bouchée rappelle que Canaro avait aussi un orchestre Jazz.

Desde el alma 1944-08-28 — Orquesta Ricardo Tanturi.

Une belle version instrumentale par Tanturi, sans doute éclipsée par ses valses chantées, comme Recuerdo, Tu olvido, Mi romance, La serenata (mi amor), Con los amigos (A mi madre) ou Al pasar.

Desde el alma 1947-05-21 — Roberto Firpo y su Nuevo Cuarteto.

On retrouve Firpo avec une troisième version. C’est sans doute la plus connue des trois. Elle est dansante et elle ne pas être confondue avec aucune version d’un autre orchestre, tant elle respire le pur Firpo.  On notera l’ajout d’une introduction de 20 secondes.

Desde el alma 1947-10-22 — Orquesta Francisco Canaro con Nelly Omar.

Cette version dévoile la version qui sortira l’année suivante dans le film d’Homero Manzi et Ralph Pappier Pobre mi madre querida (1948).

Homero Manzi a écrit le scénario et a réécrit de nouvelles paroles pour la valse. Si le nom du mari de Rosita apparaît toujours, c’est à la suite d’une demande de sa part. Dans cet extrait du film, on voit Aída Luz et Hugo Del Carril danser la valse. L’orchestre est celui de Alejandro Gutiérrez del Barrio et le chanteur, Hugo Del Carril

Desde el alma de la película Pobre mi madre querida (1948)
Desde el alma 1948-08-10 — Juan Cambareri y su Gran Cuarteto Típico « Ayer y hoy ».

Une fois de plus Cambareri, le magicien du bandonéon prouve sa virtuosité et celle de tous ses musiciens. Son tempo infernal a plus à voir avec le musette, la valse Boston des origines est bien loin. Mais avec des danseurs déchaînés, je me sens capable de leur proposer cela un jour, ou à défaut sa version de 1953, un peu plus calme…

Desde el alma 1950-10-10 — Carlos De María y su Orquesta Típica con Roberto Cortés.

Desde el alma 1950-10-10 — Carlos De María y su Orquesta Típica con Roberto Cortés. Carlos De María (Juan Esteban Fernández) est sans doute un peu oublié. Il a beaucoup travaillé comme bandonéoniste, notamment avec Pedro Maffia et il n’a commencé à enregistrer qu’en 1950. Il nous offre ici, avec son frère Roberto Cortés, une belle version de notre valse du jour.

Desde el alma 1952-07-15 — Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.

Avec son quinteto Pirincho, Canaro nous offre une version légère et entraînante, que vous avez certainement entendu à de très nombreuses reprises.

Desde el alma 1953 — Orquesta Horacio Salgán.

Horacio Salgán nous propose une version déstructurée, avec les parties qui se mélangent. Le résultat est assez étonnant, probablement pas ce qui se fait de mieux pour danser, mais vaut au moins une écoute.

Desde el alma 1979-12-27 — Orquesta Osvaldo Pugliese.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que Pugliese a pris son temps pour enregistrer cette valse, mais quelle version. Je pense que pour beaucoup de danseurs, c’est devenu la version de référence. Il l’enregistrera encore en 1989 et Color Tango reprendra le flambeau avec la même orchestration.

Desde el alma 1988 — Nelly Omar.

On retrouve Nelly Omar, pour une version toute simple, à la guitare. Elle chante également les paroles de Homero Manzi. La valse démarre en même temps que le chant après une intro relativement longue (14 secondes) et originale.

Desde el alma 2011-05-10 — Octeto Erica Di Salvo.

Une version clairement à écouter, mais pas vilaine du tout.

Voilà, il resterait des dizaines de versions à vous proposer, mais comme il faut une fin, je vous dis, à demain les amis !

Desde el alma, inspiration Gustav Klimt. C’était également mon idée pour la photo de couverture.

Esquinas porteñas 1942-05-22 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Sebastián Piana Letra: Homero Manzi

Manzi est le chantre de Buenos Aires. Il nous parle de son vécu, dans sa ville et des personnages de la vie quotidienne à travers ses textes de tango comme : Barrio de tango, El ultimo organito, El pescante, Manoblanca et bien sûr, Sur. Notre valse du jour, Esquinas porteñas, est de cette veine. Ses esquinas (angles de rues) et ses ruelles sont chargées de l’émotion si finement exprimée par Vargas.

 On ne présente plus l’association des deux anges, Ángel D’Agostino et Ángel Vargas. C’est une de ces combinaisons magiques qui de 1940 à 1946 nous a proposé près d’une centaine de merveilles enregistrées.
Cette association fonctionne si bien, qu’il est très rare que l’on propose un D’Agostino avec un autre chanteur ou instrumental. La seule exception, bien sûr, Café Domínguez qui est un casse-tête pour les DJ. Soit on reste cohérent sur le style avec des tangos de la même époque et le résultat est moyen, soit on fait un bond en changeant de style pour continuer la tanda avec un des merveilleux titres enregistrés avec Vargas. La plupart des DJ font ce choix.

Extrait musical

Esquinas porteñas 1942-05-22 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas.
Esquinas porteñas, Sebastián Piana Letra: Homero Manzi

Paroles

Esquina de barrio porteño
te pintan los muros la luna y el sol.
Te lloran las lluvias de invierno
en las acuarelas de mi evocación.
Treinta lunas conocen mi herida
y cien callecitas nos vieron pasar.
Se cruzaron tu vida y mi vida,
tomaste la senda que no vuelve más.

Calles, donde la vida mansa
perdió las esperanzas,
la pasión y la fe.
Calles, sí sé que ya está muerta,
golpeando en cada puerta
por qué la buscaré.
Callecitas, sombreadas de poesía,
nos vieron ir un día
felices los dos.
Compañera del sol y las estrellas,
se fue la tarde aquella
camino de Dios.

Los vientos murmuran mi pena.
Las sombras me dicen que ya se marchó.
Y escrito en las noches serenas
encuentro su nombre como una obsesión.
Esquinita de barrio porteño,
con muros pintados de luna y de sol,
que al llorar con tus lluvias de invierno
manchás el paisaje de mi evocación.

Sebastián Piana Letra : Homero Manzi

Fernando Díaz chante ce qui est en gras et bleu
Ernesto Famá chante tout ce qui est en gras (bleu et noir).
Ignacio Corsini et Mercedes Simone chante tout et reprend ce qui est en gras et bleu.
Ángel Vargas chante ce qui est en gras et reprend ce qui est en gras et bleu.
Rubén Cané chante tout ce qui est en gras, continue avec la première partie du dernier couplet (ce qui est souligné) et reprend la fin du premier couplet, ce qui est en gras et souligné.

Traduction libre et indications

Angle de rues (esquina, c’est le coin de rue. Je garde esquina pour la suite, car c’est plus joli) d’un quartier de Buenos Aires (porteño, du port. Une des rares villes portuaires, dont les habitants s’appellent selon cette caractéristique, plus que d’après le nom de la ville), la lune et le soleil peignent tes murs.
Les pluies d’hiver te pleurent dans les aquarelles de mon évocation.
Trente lunes connaissent ma blessure et cent petites rues nous virent passer.
Ta vie et ma vie se sont croisées, tu as pris le chemin qui ne revient jamais.

Rues, où la vie douce perdait les espérances, la passion et la foi.
Rues, si je sais qu’elle est déjà morte, pourquoi je la chercherais en frappant à toutes les portes ?
Les ruelles, ombragées de poésie, nous ont vus un jour, heureux tous les deux.
Compagne du soleil et des étoiles, elle est partie cette après-midi-là, sur le chemin de Dieu.

Les vents murmurent ma peine.
Les ombres me disent qu’elle est déjà fanée.
Et j’ai écrit dans les nuits sereines, trouvant son nom comme une obsession.
Esquina de barrio porteño, aux murs peints par la lune et le soleil, qui, lorsque tu pleures avec tes pluies hivernales, tu taches le paysage avec mon évocation.

Autres versions

Esquinas porteñas 1934-03-23 – Orquesta Francisco Lomuto con Fernando Díaz.

La plus ancienne version enregistrée, relativement lente.

Esquinas porteñas 1934-03-27 – Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá.

Dans le rythme très lent que Canaro semble affectionner. On peut remarquer une belle introduction que l’on ne retrouve pas dans la version enregistrée par son « jumeau » quatre jours plus tôt. L’interprétation a un caractère un peu ranchera. Cela tourne vraiment très tranquillement, un peu pesamment.

Esquinas porteñas 1934-04-05 — Ignacio Corsini con guitarras de Pagés-Pesoa-Maciel.

Une version un peu plaintive où Corsini chante l’intégralité des paroles.

Esquinas porteñas 1934-04-25 — Mercedes Simone con orquesta.

Même si c’est une version a priori à écouter, cette superbe version mérite à mon avis d’être dansée. Le rythme est beaucoup plus rapide. L’orchestre est en retrait pour laisser la place à Mercedes, mais la structure de la valse est toujours perceptible, ce qui facilitera la danse. On pourra en outre la comparer à l’enregistrement de 1966 que je vous propose également ci-dessous…

Esquinas porteñas 1942-05-22 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas. C’est notre valse du jour.

Il fallait au moins les deux anges pour rester au niveau de la version de Mercedes Simone. Défi relevé. Là encore le rythme est rapide. On retrouve la belle sonorité de D’Arienzo qui recherche en plus a être toujours efficace pour les danseurs, tout du moins dans les années 40.

Esquinas porteñas 1953-02-02 — Orquesta Ángel D’Agostino con Rubén Cané.

En 1953, D’Agostino essaye de relancer son titre avec le chanteur qui a remplacé Vargas, Rubén Cané. Je vous laisse juger du résultat. Je trouve l’orchestre un peu sirupeux, moins incisif. Cela reste dansant, mais c’est sans doute moins efficace pour faire se lancer les danseurs sur la piste.

Esquinas porteñas 1966 — Mercedes Simone con acomp. de Emilio Brameri.

La voix de Mercedes Simone est plus mûre, mais elle transmet toujours de l’émotion. J’aime bien l’introduction et les transitions de l’orchestre entre les phrases chantées par Mercedes, sont assez originales. De la très belle ouvrage de la part de l’orchestre Brameri, encore un orchestre qui n’a pas tout à fait passer la porte de la postérité. Brameri était pianiste, violoniste, accordéoniste, compositeur et directeur d’orchestre…

Il y a bien sûr d’autres enregistrements postérieurs de cette magnifique valse, mais je trouve bien de terminer avec elle, d’autant plus que la fin un peu spectaculaire laisse clairement apparaître « FIN », comme au cinéma. Et toc…

Esquinas porteñas.

Mi cantar 1943-05-21 – Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz

Héctor Stamponi (Luciano Héctor Stamponi) Letra: Homero Expósito (Homero Aldo Expósito)

On associe souvent Raúl Berón à Miguel Caló et on n’a pas tort. Berón commence vraiment sa carrière avec Caló et la termine avec lui. Cependant, il y a eu quelques séparations, notamment en 1943, date de notre tango du jour. Dans cet intervalle s’est glissé le talentueux Jorge Ortiz, un ténor alors que Caló privilégiait des voix plus graves de barytons. Je vous propose d’écouter Mi cantar par l’intérimaire de talent, Jorge Ortiz.

Extrait musical

Mi cantar 1943-05-21 — Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz [Héctor Stamponi (Luciano Héctor Stamponi) Letra: Homero Expósito (Homero Aldo Expósito)].

Paroles

Mi cantar
es un canto de esperanza,
flor de yuyo, rabia mansa,
soledad.

Mi cantar
lo robé de las estrellas
en las horas de tristeza
que tu adiós me dejó.
Callejón
de caricias y sonidos
que, llegando del olvido
dan motivo a mi canción.

Mi cantar
es un canto de esperanza,
es un grito de dolor.
Un ayer de perfumes
y de flor,
y un adiós sin motivo,
y el rencor de esperar
y de esperar
escribió con olvido.

Mi cantar
gracia plena del fracaso,
con mi angustia, con tu acaso,
con tu adiós.

Mi cantar
cofre azul de lo imposible,
noche siempre, noche horrible,
noche así, como yo.
Corazón,
tú qué sabes de la angustia
de mi voz cansada y mustia,
no pretendas despertar.

Mi cantar
es la gracia del fracaso,
es el no saber llorar.

Héctor Stamponi (Luciano Héctor Stamponi) Letra: Homero Expósito (Homero Aldo Expósito)

Traduction libre

Ma chanson est une chanson d’espoir, une fleur sauvage (fleur de mauvaise herbe, voir Yuyo verde), une douce rage, une solitude.
J’ai volé mon chant aux étoiles dans les heures de tristesse que ton adieu m’a laissées.
Une ruelle de caresses et de sons qui, venus de l’oubli,
donnent raison à ma chanson.
Ma chanson est une chanson d’espoir, c’est un cri de douleur.
Un hier de parfums et de fleurs, et un adieu sans raison, et la rancœur de l’attente et de l’attente écrites dans l’oubli.
Mon chant de toute la grâce de l’échec, avec mon angoisse, avec tes hésitations, avec tes adieux.
Ma chanson, coffre bleu de l’impossible, nuit de toujours, nuit horrible, nuit ainsi, comme moi.
Mon cœur, toi qui connais l’angoisse de ma voix fatiguée et fanée (se dit aussi d’une fleur), n’essaye pas de te réveiller.
Mon chant est la grâce de l’échec, celui de ne savoir pas pleurer.

L’orchestre de Miguel Caló en 1943

Ce n’est pas pour rien que l’orchestre de Miguel Caló était appelé les Étoiles (Las Estrellas). Il avait monté un orchestre exceptionnel. Presque chaque exécutant pourrait faire l’objet d’une notice.
Bandonéons : Domingo Federico, Armando Pontier, José Cambareri, Felipe Ricciardi
Piano : Osmar Maderna
Violons : Enrique Francini, Aquiles Aguilar, Ariol Ghesaghi, Angel Bodas
Contrebasse : Ariel Pedernera
Chanteurs : Jorge Ortiz (ténor, celui de ce titre), Raúl Iriarte et Alberto Podestá (barytons). Signalons aussi pour mémoire Raúl Berón, un autre baryton qui est indissociable de l’orchestre de Miguel Caló. C’est qu’en 1943, Raúl Berón était avec l’orchestre de Lucio Demare. Il est retourné avec Caló seulement en 1944. Il y a donc un trou dans l’association avec Berón qui a duré de 1942 à 1963 (avec quelques trous, dont un grand en ce qui concerne les enregistrements entre 1950 et 1963…

Jorge Ortiz avec Miguel Caló

Curieusement, ce titre est encore un orphelin. Personne n’a, semble-t-il, eu l’idée de l’enregistrer à la suite de Caló et Ortiz.
Pour terminer en musique, je vous propose donc quelques exemples de tangos chantés par Jorge Ortiz avec l’orchestre de Calo :
La première session d’enregistrement, sur deux jours a donné trois titres parfaits :

Barrio de tango 1943-01-19 — Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz (Aníbal Troilo Letra: Homero Manzi).
Pa’ qué seguir 1943-01-19 – Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz (Francisco Fiorentino Letra: Pedro Lloret).
A las siete en el café 1943-01-20 — Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz (Armando Baliotti Letra: Santiago Luis D. Adamini).

C’est une version bien plus intéressante que celle de Ángel D’agostino et Raúl Aldao, de la même année.
Cela commençait bien, non ?
Un mois plus tard, ils enregistrent :

Ya sale el tren 1943-02-25 — Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz (Luis Rubistein, Musique et paroles).

Une des plus impressionnantes introductions liées au monde ferroviaire. Je vous laisse découvrir si vous ne connaissez pas.

De barro 1943-05-21 — Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz (Sebastián Piana Letra: Homero Manzi).

Pour moi, c’est un ovni, une soucoupe volante que l’on aura bien du mal à caser dans une tanda de Caló.

Mi cantar 1943-05-21 — Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz [Héctor Stamponi (Luciano Héctor Stamponi) Letra: Homero Expósito (Homero Aldo Expósito)].

C’est notre tango du jour. Il me rassure sur l’association de Caló et Ortiz.
Le dernier titre enregistré par ces deux-là, c’est une milonga candombe :

Pobre negra 1943-06-10 — Enrique Mario Francini; Héctor Stamponi [Héctor Luciano Stamponi) Letra: Homero Expósito (Homero Aldo Expósito)]

Le DJ qui veut faire une tanda Calo Ortiz a 6 titres au choix (la milonga est orpheline). Si on considère que De barro est à terre, il reste 5 titres… Pour une tanda de quatre, il faut en éliminer un et pour une tanda de trois, deux. C’est une des raisons où je trouve que les tandas de quatre sont plus intéressantes, car elles permettent de faire des parcours plus subtils que des tandas de trois. Mais c’est un autre débat. Voir mon article Tanda 5-4-3-2-1.

Mi cantar

El once (A divertirse) 1953-05-20 – Orquesta Osvaldo Fresedo

Osvaldo Fresedo (Osvaldo Nicolás Fresedo) Letra : Emilio Fresedo (Emilio Augusto Oscar Fresedo)

Vous savez tous que « El once », en espagnol, signifie le 11. Mais peut-être ne connaissez-vous pas la raison de ce nom. Ceux qui connaissent Buenos Aires, pourront penser à la place Once de Septiembre 1852 que l’on appelle simplement Once. On lit parfois que c’est le numéro 11 dans une course de chevaux, voire le 11 au football. Je pense que vous avez compris que j’allais vous proposer une autre explication…

El once

S’il existe des tangos sur le quartier de Once (Barrio Once), ses habitants (Muñeca del Once), le train de onze heures (El tren de las once), la messe de onze heures (Misa de once), une adresse (Callao 11), ou une équipe de football (El once glorioso) qui célèbre l’équipe d’Uruguay qui a gagné la première coupe du Monde en 1930.

À gauche, les capitaines d’Argentine et Uruguay se saluent avant la finale. À droite, après la victoire de l’Uruguay, les journaux argentins se déchaînent, accusant les Uruguayens d’avoir été brutaux…

Carlos Enrique (musique) et Luis César Amadori (paroles), écrivent El once glorioso en l’honneur de l’équipe gagnante. Les paroles sont dignes des chants des inchas (supporters) d’aujourd’hui :

Ra ! Ra ! Ra !
Le football uruguayen !
Ra ! Ra ! Ra !
Le Championnat du monde !

Une autre piste peut se trouver dans les courses. Leguisamo avait un cheval nommé Once, je vous invite à consulter l’excellent blog de José María Otero pour en savoir plus
Mais, ce n’est toujours pas la bonne explication.
Une première indication est le sous-titre « a divertirse » (pour s’amuser). Cela correspond peu aux différents thèmes évoqués ci-dessus. Cela incite à creuser dans une autre direction.
Nous allons donc interroger la musique du jour, puis les paroles pour voir si nous pouvons en savoir plus.

Extrait musical

El once (A divertirse) 1953-05-20 – Orquesta Osvaldo Fresedo.

On a l’impression d’une balade. Tout est tranquille. Difficile d’avoir une indication utile pour résoudre notre énigme. Heureusement, si notre version est instrumentale, Emilio Fresedo, le frère de Osvaldo a écrit des paroles.

Paroles

No deje que sus penas
se vayan al viento
porque serán ajenas
al que oye lo cierto.
No espere que una mano
le afloje el dolor,
sólo le dirán pobre
y después se acabó.
Por eso me divierto,
no quiero sentirlas,
no quiero oír lamentos
que amarguen la vida;
prefiero que se pierdan
y llegue el olvido
que todo remedia,
que es lo mejor.

Si busca consuelo no vaya a llorar,
aprenda a ser fuerte y mate el pesar.
Sonría llevando a su boca el licor,
que baile su almita esperando un amor.
El humo de un puro, la luz del lugar,
las notas que vagan le harán olvidar.
Quién sabe a su lado los que irán así
con los corazones para divertir.

A divertirse todos
rompiendo el silencio
para cantar en coro
siquiera un momento.
Recuerden que en la vida
si algo hay de valor
es de aquel que lleva
pasándola mejor.
Alegre su mirada
no piense en lo malo,
no deje que su cara
se arrugue temprano.
Deje que todo corra,
no apure sus años
que a nadie le importa
lo que sintió.

Osvaldo Fresedo (Osvaldo Nicolás Fresedo) Letra : Emilio Fresedo (Emilio Augusto Oscar Fresedo)

En gras le refrain que chantent Teófilo Ibáñez et Roberto Ray.

Traduction libre

Ne laisse pas tes chagrins s’envoler au vent, car ils seront étrangers à celui qui entend la vérité.
N’attends pas qu’une main soulage la douleur ; ils te diront seulement, le pauvre, et puis c’est tout.
C’est pour cela que je m’amuse, je ne veux pas les sentir, je ne veux pas entendre des lamentations qui aigrissent la vie ; je préfère qu’ils se perdent
et qu’arrive l’oubli qui remédie à tout, c’est le mieux.
Si tu cherches du réconfort, ne pleures pas, apprends à être fort et tuer le chagrin.
Sourire en portant la liqueur à ta bouche, laisse ton âme danser en attendant l’amour.
La fumée d’un joint (puro est sans doute mis pour porro, cigarette de marijuana, à moins que ce soit un cigare), la lumière du lieu, les notes vagabondes te feront oublier.
Qui sait, à ton côté, ceux qui iront ainsi avec à cœur de s’amuser.
Amusons-nous tous, en rompant le silence pour chanter en chœur, ne serait-ce qu’un instant.
N’oublie pas que dans la vie, si quelque chose a de la valeur, c’est d’avoir passé le meilleur moment.
Rends joyeux ton regard, ne pense pas au mal, ne laisse pas ton visage se froisser prématurément.
Laisse tout couler, ne précipite pas tes années parce que personne ne se soucie de ce que tu ressens.

C’est donc une invitation à oublier ses problèmes en faisant la fête. C’est assez proche du Amusez-vous immortalisé par Henri Garat (1933) et Albert Préjean (1934)
Je vous le proposerai en fin d’article. Ça n’a rien à voir avec notre propos, mais c’est euphorisant 😉

Autres versions par Fresedo

Bien sûr, pour un titre aussi célèbre, il y a forcément énormément d’autres versions.
Je vous propose dans un premier temps d’écouter les versions de l’auteur, Fresedo. Ce dernier devait être fier de lui, car il a enregistré à de nombreuses reprises.

El once 1924 – Sexteto Osvaldo Fresedo

Merci à mes collègues Camilo Gatica et Gabbo Fresedo (quand Gabbo vient au secours d’Osvaldo et Emilio…) qui m’ont fourni cet enregistrement qui me manquait).
Remarquez les superbes solos de violon notamment à 1:05,1:52, 2:24 et 2:56. Cette version est assez allègre. Notez bien ce point, il nous servira à déterminer l’usage de ce titre et donc son nom.

El once (A divertirse) 1927 – Sexteto Osvaldo Fresedo.

Je trouve intéressant de comparer cette version avec celle de 1924. Pour moi représente un recul. Le rythme est beaucoup plus lent, pesant. C’est un exemple du « retour à l’ordre » des années 20, dont Canaro est un des moteurs. Vous pourrez le constater dans sa version de 1925 ci-dessous.

El once (A divertirse) 1931-11-14 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Teófilo Ibáñez.

Osvaldo a fini par enregistrer les paroles de son frère, Emilio (Gardel l’avait fait en 1925). On reste dans le tempo anémique de 1927. On a du mal à voir comment cette version, comme la précédente, d’ailleurs peut appeler à se divertir… Il est vrai qu’il ne chante que le refrain qui n’est pas la partie la plus allègre du titre.

El once (A divertirse) 1935-04-05 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray.

Cette fois, Fresedo retrouve une version un peu plus dynamique qui peut mieux correspondre à l’idée du divertissement. On pourrait presque voir des personnes gambader.
C’est un des premiers enregistrements où l’on remarque la propension de Fresedo à rajouter des bruits bizarres qui deviendront sa marque de fabrique dans ses dernières années, même si Sassone fait la même chose.

El once 1945-11-13 – Osvaldo Fresedo.

Fresedo va encore plus loin que dans la version de 1935 dans l’ajout de bruits. C’est dansable, mais pas totalement satisfaisant à mon goût.

El once (A divertirse) 1953-05-20 – Orquesta Osvaldo Fresedo.

C’est notre tango du jour. Comme déjà évoqué, on pense à une promenade. Les bruits sont un peu plus fondus dans la musique. Mais on ne peut pas dire que c’est un tango de danse fabuleux. Je trouve que ça manque un peu de fête. On retrouve quelques grosses chutes qui ont fait la notoriété de Fresedo dans les années 1930. Fresedo se souvient peut-être un peu trop de ses origines de la haute société pour une musique de danse qui se veut souvent plus populaire.

El Once (A divertirse) 1979-10-30 – Orquesta Osvaldo Fresedo.

En 1979, Fresedo enregistre pour la septième fois son titre fétiche. On y retrouve presque tous ses éléments, comme les bruits bizarres, de jolis passages de violon, une élégance aristocratique, manquent seulement les grosses chutes. Cela reste tranquille, dansable une après-midi chaude juste avant de prendre le thé, avec la pointe d’ennui « chic » qui convient.

Pourquoi « El once »

Il est impossible de deviner la raison du titre à partir des versions de Fresedo, sauf peut-être avec celle de 1924. Je vais donc vous donner l’explication.
Les internes en médecine de Buenos Aires ont décidé en 1914 de faire un bal destiné à se divertir. Musique, alcool, femmes compréhensives, le cocktail parfait pour ces jeunes gens qui devaient beaucoup étudier et devaient donc avoir besoin de relâcher la pression.
Si on regarde les paroles sous ce jour, on comprend mieux.
Reste à expliquer pourquoi El once (le 11). L’explication est simple. Le premier événement a eu lieu en 1914 et ensuite, chaque année, un autre a été mis en place. Celui de 1924 est donc le… onzième (je vois que vous êtes forts en calcul). Les frères Fresedo ont donc nommé ce tango, le 11 ; El once.
De 1914 à 1923 inclus, c’était Canaro qui officiait à cette occasion. Les frères Fresedo fêtaient donc aussi leur entrée dans cette manifestation dont la première a eu lieu au « Palais de glace » un lieu qu’un tango de ce nom des années 40 évoque avec des paroles et une musique d’Enrique Domingo Cadícamo.
Vous trouverez quelques précisions sur cette histoire dans un article d’Isaac Otero.

Autres versions

El Once (A divertirse) 1925 – Orquesta Francisco Canaro.

L’année précédente, Fresedo a grillé la place à Canaro qui animait ce bal depuis 10 ans. Canaro enregistre tout ce qu’il peut, alors, malgré sans doute une petite déception, il enregistre aussi El once, lui qui a fait de uno a diez (1 à 10)

El once (A divertirse) 1925 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitares).

Le petit Français 😉 donne sa version avec toutes les paroles de Emilio, contrairement à Ibáñez et Ray qui ne chantaient que le refrain.

El once (A divertirse) 1943-01-13 – José García y su Orquesta Los Zorros Grises.

Et les Zorros sont arrivés ! C’est une version entraînante, avec plusieurs passages originaux. Un petit florilège des « trucs » qu’on peut faire pour jouer un tango. Le résultat n’a rien de monotone et est suffisamment festif pour convaincre des internes décidés à faire la fête. C’est sans doute une version qui mériterait de passer plus souvent en milonga, même si quelques ronchons pourraient trouver que ce n’est pas un tango convenable. J’ai envie de leur dire d’écouter les conseils de ce tango et de se divertir. Le tango est après tout une pensée allègre qui peut se danser.

El once (A divertirse) 1946-10-21 – Roberto Firpo y su Nuevo Cuarteto.

Cette version particulièrement gaie est sans doute une de celles qui conviendraient le mieux à une fête d’internes. On retrouve les sautillements chers à Firpo. Elle trouvera sans doute encore plus de ronchons que la précédente, mais je réagirai de la même façon.

El once (A divertirse) 1946-12-05 – Orquesta Carlos Di Sarli.

Avec cette version, on retrouve la maîtrise de Di Sarli qui nous propose une version élégante, parfaite pour la danse. C’est sûr que là, il n’y aura pas de ronchons. Alors, pourquoi s’en priver ?

El once (A divertirse) 1951-10-23 – Orquesta Carlos Di Sarli.

Je préfère la version de 1946, mais cette interprétation est également parfaite pour la danse. Elle aura toute sa place dans une tanda de cette époque.

El once (A divertirse) 1951 – Oswaldo Bercas et son orchestre.

De son vrai nom, Boris Saarbecoof a travaillé en France et a produit quelques titres intéressants. On a des enregistrements de sa part de 1938 à 1956. C’est un des 200 orchestres de l’âge d’or dont on ne parle plus beaucoup aujourd’hui. Il a également produit de la musique classique.

El once (A divertirse) 1952-11-14 – orquesta Alfredo De Angelis.

C’est sans doute une des versions que l’on entend le plus. Son entrain et sa fin tonique permettent de bien terminer une tanda instrumentale de De Angelis.

El once (A divertirse) 1954-11-16 – Orquesta Carlos Di Sarli.

On retrouve Di Sarli avec des violons sublimes, notamment à 1:42. Je préfère cette version à celle de 1951. Je la passerai donc assez volontiers, comme celle de 1946 qui est ma chouchoute.

El once (A divertirse) 1955-10-25 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.

Francisco Canaro qui n’est pas rancunier (???) enregistre de nouveau le titre des Fresedo avec son quinteto Pirincho. C’est une version bien rythmée avec de beaux passages, comme le solo de bandonéon à 1:02. Une version guillerette qui pourra servir dans une milonga un peu informelle où les danseurs ont envie de se divertir (celles où il n’y a pas de ronchons).

El once (A divertirse) 1956-10-30 – Orquesta Enrique Rodríguez.

Un Rodríguez tardif qui reste léger et qui sera apprécié par les fans de cet orchestre.

El once (A divertirse) 1958 – Argentino Galván.

Je cite cette version ultracourte, car je l’ai évoquée dans Historia de la orquesta típica — Face 1. Pas question de la placer dans une tanda, bien sûr à cause de sa durée réduite à 33 secondes…

El once (A divertirse) 1960c – Juan Cambareri y su Cuarteto de Ayer.

Juan Cambareri, le mage du bandonéon (El Mago del Bandoneón) fournit la plupart des temps des versions virtuoses, souvent trop rapides pour être géniales à danser, mais dans le cas présent, je trouve le résultat très réussi. On notera également que d’autres instrumentistes sont virtuoses dans son orchestre. C’est une version à faire péter de rage les ronchons…
Un grand merci à Michael Sattler qui m’a fourni une meilleure version que celle que j’avais (disque 33 tours en mauvais état).

El once (A divertirse) 1965-07-28 – Orquesta Enrique Mora.

Une version intéressante, mais qui ne bouleverse pas le paysage de tout ce que nous avons déjà évoqué.

El once (A divertirse) 1966-08-03 – Orquesta Juan D’Arienzo.

Finalement D’Arienzo se décide à enregistrer ce titre qui manquait à son répertoire. J’adore le jeu de la contrebasse de Victorio Virgilito.

Amusez-vous ! 1934 — W. Heymans — Sacha Guitry — Albert Willemetz

Ce titre faisait partie de l’opérette de Sacha Guitry, Florestan Ier prince de Monaco.
Le titre a été créé par Henri Garat.

Amusez-vous 1933 — Henri Garat

L’année suivante, Albert Préjean l’enregistre à son tour. C’est la version la plus connue.

Amusez-vous 1934 — Albert Préjean.

Et c’est sur cette musique entraînante que se termine l’anecdote du jour. À mes amis ronchons qui ont envie de dire que ce n’est pas du tango, je répondrai que c’est une cortina et qu’il faut prendre la vie par le bon bout.

Les paroles de Amusez-vous

Amusez-vous, foutez-vous d’tout
La vie entre nous est si brève
Amusez-vous, comme des fous
La vie est si courte, après tout.
Car l’on n’est pas ici
Pour se faire du souci
On n’est pas ici-bas
Pour se faire du tracas.
Amusez-vous, foutez-vous d’tout
La vie passera comme un rêve
Faites les cent coups, dépensez tout
Prenez la vie par le bon bout.
Et zou

Amusez-vous, foutez-vous d’tout
La vie entre nous est si brève
Amusez-vous, comme des fous
La vie est si courte, après tout.
Car l’on n’est pas ici
Pour se faire du souci
On n’est pas ici-bas
Pour se faire du tracas.
Amusez-vous, foutez-vous d’tout
La vie passera comme un rêve
Faites les cent coups, dépensez tout
Prenez la vie par le bon bout.
Et zou

Pour que la vie soit toujours belle
Ha, que j’aimerais un quotidien
Qui n’annoncerait qu’de bonnes nouvelles
Et vous dirait que tout va bien
Pour ne montrer qu’les avantages
Au lieu d’apprendre les décès
On apprendrait les héritages
C’est la même chose et c’est plus gai
Pour remplacer les journaux tristes
Que ça serait consolateur
De lancer un journal optimiste
Qui dirait à tous ses lecteurs :

Amusez-vous, foutez-vous d’tout
La vie entre nous est si brève
Amusez-vous, comme des fous
La vie est si courte, après tout.
Car l’on n’est pas ici
Pour se faire du souci
On n’est pas ici-bas
Pour se faire du tracas.
Amusez-vous, foutez-vous d’tout
La vie passera comme un rêve
Faites les cent coups, dépensez tout
Prenez la vie par le bon bout.
Et zou

Amusez-vous, foutez-vous d’tout
La vie passera comme un rêve
Faites les cent coups, dépensez tout
Prenez la vie par le bon bout.
Et zou

W. Heymans — Sacha Guitry — Albert Willemetz
Amusez-vous, comme des fous.

Fueron tres años 1956-05-18 — Orquesta Héctor Varela con Argentino Ledesma

Juan Pablo Marín (musique et paroles)

Lorsque Varela lance les quatre notes initiales, tous les danseurs réagissent. Elles raisonnent comme le pom pom pom pom de la 5e symphonie de Beethoven. Le destin des danseurs est fixé, ils doivent danser ce titre. Cette fascination date des premiers temps de ce titre qui a été enregistré, il n’y a pas trois ans, mais 68 ans et il nous parle toujours.

Le pom pom pom pom de Varela dans la version avec Ledesma.

Même si la partition ne comporte que les notes en rouge pour les trois premières notes, Varela fait jouer une double croche à la place de la croche du début de la seconde mesure à ses violons. C’est relativement discret. Je l’ai indiqué en plaçant deux points rouges avec un petit point bleu au centre. Varela fait jouer les deux petits points à la place de la croche qu’ils encadrent. Cela correspond aux paroles (me/ha), Ledesma chantant deux syllabes sur une seule note ; Varela demande à ses violons de faire pareil, par un très léger accent. On se retrouve donc avec environ trois double croches (No-me-ha), puis la croche pointée (las). On notera que les violons, comme Ledesma, chantent le (las) sur la note supérieure de l’accord (dernière note en rouge).
Cela atténue la syncope initiale que devrait provoquer l’anacrouse avec la double croche initiale suivie d’une croche. L’interprétation est plus proche de trois doubles croches, ce qui est semblable aux coups du destin dans la cinquième symphonie de Beethoven. Trois coups brefs suivi d’un plus long. Varela utilise une montée à la quinte, alors que Beethoven utilise une descente à la tierce. Ce démarrage est différent suivant les orchestres et si Varela l’utilise pour la version de 1973, il ne le fait pas pour la version chantée par Mauré enregistrée la même année (1956).
À la fin de la croche pointée rouge, on trouve (te-so-ro-mi) sur trois double croches et une croche qui fait durer le double de temps le (mi), puis le (o) qui dispose de toute une noire et qui dure donc quatre fois plus longtemps que les trois premières notes bleues.

Juan Pablo Marín

Juan Pablo Marín était guitariste et a écrit trois titres un peu connus. Fueron tres años, notre tango du jour en 1956, et l’année suivante, Reflexionemos qui a été enregistré trois fois en 1957, par Mauré, Gobbi et Nina Miranda et Serenata mía enregistré par Carlos Di Sarli avec le duo de Roberto Florio et Jorge Durán. Ces deux titres de 1957 ne sont pas comparables avec Fueron tres años ce qui explique un peu leur oubli. Je les laisse donc tranquillement dormir pour vous offrir notre tango du jour.

Extrait musical

Fueron tres años 1956-05-18 — Orquesta Héctor Varela con Argentino Ledesma.
Partition de Fueron tres años

Paroles

No me hablas, tesoro mío,
no me hablas ni me has mirado.
Fueron tres años, mi vida,
tres años muy lejos de tu corazón.
¡Háblame, rompe el silencio!
¿No ves que me estoy muriendo?
Y quítame este tormento,
porque tu silencio ya me dice adiós.

¡Qué cosas que tiene la vida!
¡Qué cosas tener que llorar!
¡Qué cosas que tiene el destino!
Será mi camino sufrir y penar.
Pero deja que bese tus labios,
un solo momento, y después me voy;
y quítame este tormento,
porque tu silencio ya me dice adiós.

Aún tengo fuego en los labios,
del beso de despedida.
¿Cómo pensar que mentías,
sí tus negros ojos lloraban por mí?
¡Háblame, rompe el silencio!
¿No ves que me estoy muriendo?
Y quítame este tormento,
porque tu silencio ya me dice adiós.

Juan Pablo Marín (musique et paroles)

Traduction libre

Tu ne me parles pas, mon trésor,
Tu ne me parles pas ni ne m’as regardé.
Ce furent trois ans, ma vie,
trois ans très loin de ton cœur.
Parle-moi, rompt le silence !
Ne vois-tu pas que je suis en train de mourir ?
Et ôte-moi ce tourment,
car ton silence, déjà, me dit adieu.

Que de choses tient la vie !
Que de choses à tenir pour pleurer !
Que de choses tient le destin !
Ce sera mon chemin, souffrir et être peiné.
Mais laisse-moi baiser tes lèvres,
un seul instant, et ensuite je m’en vais ;
Et enlève-moi ce tourment,
car ton silence, déjà, me dit adieu.

J’ai encore du feu sur les lèvres,
du baiser d’adieu.
Comment penser que tu mentais,
quand tes yeux noirs pleuraient pour moi ?
Parle-moi, rompt le silence !
Ne vois-tu pas que je suis en train de mourir ?
Et ôte-moi ce tourment,
car ton silence, déjà, me dit adieu.

Autres versions

Seules les deux versions de Varela avec Ledesma et Falcón sont courantes, pourtant d’autres méritent d’être écoutées, voire dansées.

Fueron tres años 1956 — Héctor Mauré con acomp. de Orquesta Héctor Varela.

Cette version n’est pas précisément datée. Elle est peut-être postérieure à celle avec Ledesma, mais j’ai souhaité la mettre en premier pour la mettre en valeur. Même si ce n’est pas une version de danse, elle est magnifique et je pense que vous aurez plaisir à l’écouter. On notera que le début est différent. On peut l’attribuer au fait que Ledesma chante durant tout le titre et que par conséquent, faire un premier passage instrumental aurait été trop long. Varela l’a donc raccourci et il n’y a pas le pom pom pom pom initial.

Fueron tres años 1956-05-18 — Orquesta Héctor Varela con Argentino Ledesma. C’est notre tango du jour.
Fueron tres años 1956-06-18 – Orquesta Graciano Gómez con Nina Miranda.

Le pom pom pom pom est remplacée une montée des cordes et bandonéons. Cela donne un départ assez spectaculaire et très différent. On connait Nina Miranda, une des grandes chanteuses uruguayennes. C’est vif et enlevé, mais ça manque sans doute de l’émotion que l’on trouve dans les versions de Varela.

Fueron tres años 1956-06-25 – Jorge Vidal con guitarras.

Un mois après la version enregistrée par Varela avec Ledesma, Jorge Vidal propose une version en chanson accompagnée par des guitares. On est dans un tout autre registre. Je trouve que l’on perd, là aussi un peu d’émotion.

Fueron tres años 1956-07-18 – Orquesta Símbolo ‘Osmar Maderna’ dir. Aquiles Roggero con Jorge Hidalgo.

Roggero choisit la même option que Gómez, un debut lié, mais plus doux.

Fueron tres años 1956-07-27 – Orquesta Enrique Mario Francini con Alberto Podestá.

Des nuances sans doute un peu exagérées démarrent le thème, avec des violons énervés. Podestá qui fait un peu de même ne me semble pas totalement convaincant. C’est de toute façon une version d’écoute et j’ai donc une excuse pour ne pas la passer en milonga…

Fueron tres años 1956-08-06 — Orquesta Donato Racciatti con Olga Delgrossi

On trouve pour la même année, 1956, une version de Rodriguez avec Moreno, mais j’ai un gros doute, car je n’y reconnais ni l’un ni l’autre dans cette interprétation qui de toute façon n’a rien de génial. Je préfère m’abstenir… Il y a donc au moins huit versions et peut-être plus enregistrées sur la seule année 1956.
Il faudra attendre 1973, pour que Varela relance la machine à tubes (pour les non-francophones, machine à succès). Cette fois avec Jorge Falcón.

Fueron tres años 1973 — Orquesta Héctor Varela con Jorge Falcón.

C’est une autre sublime version, bravo, Monsieur Varela, trois versions merveilleuses du même thème, chapeau bas !

Fueron tres años 1974 — Orquesta Jorge Dragone Con Diego Solis.

Ce n’est pas inintéressant. Nous n’aurions pas les versions de Varela, on s’en contenterait peut-être. Ces artistes méritent cependant une écoute et comme ils ont enregistré dans un répertoire proche, on peut même faire une tanda pour accompagner ce titre.

Fueron tres años 2014 — Sexteto Milonguero con Javier Di Ciriaco.

C’est dommage que cet orchestre ne soit plus. Il avait une sympathique dynamique impulsée par son chanteur et directeur. On en a peut-être abusé, mais c’était un des orchestres qui avait un style qui n’était pas qu’une copie de ceux du passé. Je les avais fait venir au festival Tangopostale de Toulouse lorsque j’étais en charge des orchestres de bals et ils furent époustouflants et en plus, ils faisaient du tropical génial qu’il est dommage de ne pas plus avoir dans leurs disques, tournés sur le tango.

Fueron tres años 2016-12 — Orquesta Romántica Milonguera con Roberto Minondi.

Un autre orchestre qui a cherché un style propre et qui l’a trouvé. La très belle voix de Roberto Minondi et la sonorité particulière de l’orchestre donne une autre teinte au titre.

Fueron tres años 2018 — Cuarteto Mulenga con Maximiliano Agüero.

L’orchestre marque son originalité en déplaçant la syncope initiale du désormais fameux pom pom pom pom…

Fueron tres años 2023 — Conjuncto Berretin con Megan Yvonne.

La version la plus récente en ma possession de ce titre. Si vous aimez, vous pouvez acquérir une version en haute qualité sur BandCamp https://tangoberretin.bandcamp.com/album/tangos-del-berretin.

Même si j’ai un faible pour les versions de Varela, je pense que vous avez écouté des choses qui vous plaisent dans ce tango tardif, puisque né après l’âge d’or du tango de danse. Si vous n’aimez rien de tous ces titres, je vous propose quelque chose de très différent qui prouve le succès majeur de ce thème écrit il y a 68 ans…

Fueron tres años — Los Rangers De Venezuela.

Aïe, ne me tapez pas sur la tête ! Vous avez la preuve que ce n’est pas nécessaire… C’est la cortina…
Je vous propose de retrouver tout de suite votre titre préféré dans la liste qui précède.

À demain les amis !

Hablame, rompe silencio.

Ana María y Lilián 1944-05-17 – Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré

Fulvio Salamanca – Nolo López y Héctor Varela – Luis Rafael Caruso

Certains ont dû faire des bonds en voyant le titre de l’anecdote du jour. Quoi, un tango que je ne connais pas ? J’espère qu’ils ne se sont pas cognés au plafond. En effet, aujourd’hui, je vais vous parler de deux titres enregistrés le même jour et par les mêmes artistes. J’ai donc créé cette amitié entre Ana María, la noire et Lilián la blonde qui dure depuis 80 ans.
Le 17 mai 1944, Juan D’Arienzo enregistre quatre thèmes très différents, dont trois avec Héctor Mauré. J’ai choisi deux d’entre eux, car ce sont des portraits de femmes, des femmes très différentes, mais aux destins parallèles.
Vous aurez tout de même droit aux deux autres titres, dont l’un qui va vous faire dresser les cheveux sur la tête.

Extraits musicaux

Lilián 1944-05-17 – Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré (Musique Héctor Varela, paroles de Luis Rafael Caruso).

Lilián est un titre souvent passé. C’est un D’Arienzo plutôt calme, mais très expressif. On notera l’utilisation de Lilián en leitmotiv, en évocation et son remplacement finalement par amor. Comme on le verra avec les paroles, il s’agit ici, espoir de reprise d’une relation d’une nuit.

Ana María 1944-05-17 – Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré (Musique de Fulvio Salamanca, paroles de Nolo López [Manuel Norberto López]).

Il s’agit, ici, d’une milonga candombé. Comme nous le verrons, les paroles vont également dans ce sens. C’est presque un poncif, lorsque l’on parle de personnes noires, c’est souvent à travers une milonga candombé. C’est une des raisons pour lesquels certains revendiquent une origine noire pour le tango, par exemple Juan Carlos Caceres qui fait des milongas candombe, même s’il les nomme « tango », comme Tango negro, Tocá Tangó, Tango retango, ou Cumtango

Paroles de Ana María

Ana María, la rosa mulata
Bajo su bata esconde un dolor,
Nació con luna de plata
Por los Cuarteles del sol.

Novia querida de aquel tamborero
Un entrerriano de corazón,
Los dos colmaron sus sueños
Con un romance de amor.

Cuántos pardos se sintieron
Prisioneros por su amor,
Dos mulatos la quisieron
Pero ella dijo: No.
A sus ojos, un poeta
Le cantó su madrigal,
Florecía la morena
Entre rosas de un rosal.

Fulvio Salamanca –  Nolo López (Manuel Norberto López)

Traduction libre de Ana María

Ana Maria, la rose noire (mulata désigne des femmes d’origine noire, ou métisse de noirs, contrairement à Negra, qui signifie simplement à la peau plus sombre et qui peut témoigner d’origines des peuples premiers d’Argentine), cache une douleur sous son peignoir.
Elle est née avec une lune d’argent près de la caserne du Soleil.

Petite amie bien-aimée de ce tamborero (joueur de tambour. On connaît l’affection des Uruguayens pour les percussions), un entrerriano (de la province d’Entre Rios) de cœur.
Les deux ont réalisé leurs rêves avec une romance amoureuse.

Combien de noirs se sentaient, prisonniers de son amour.
Deux mulâtres l’aimaient, mais elle a dit : « Non ».
Dans ses yeux, un poète lui chantait son madrigal.
La noire fleurissait parmi les roses d’un rosier.

Paroles de Lilián

Lilián,
rubia y dulce, Lilián.
Pasión,
de un romance casual…
Esa noche yo estaba tan solo
y tú llenaste mi soledad.
Lilián,
rubia y dulce, Lilián.
No estás.
Esta noche no estás.
Y me siento más solo que nunca
sin el azul de tus ojos, Lilián.

Que tristeza hay en mi cuarto.
Que amargura en mi interior.
He llegado a amarte tanto,
que no vivo sin tu amor.
Con el beso siempre joven,
mi querer te esperará
y a la luz de tus canciones,
mis ilusiones revivirán.
Porque hay algo que me dice,
que no olvidaste, mi amor, Lilián…

Lilián,
rubia y dulce, Lilián.
Amor.
Que hizo triste un adiós,
cuando todo era un canto a la vida,
la misma vida nos separó.

Lilián,
rubia y dulce, Lilián.
Mi amor,
esperándote está,
y esperando me ven las auroras,
sin el azul de tus ojos, Lilián.

Héctor Varela – Luis Rafael Caruso

Mauré ne chante pas ce qui est en orange.

Traduction libre de Lilián

Lilián, blonde et douce, Lilián.
Passion, d’une romance occasionnelle…
Cette nuit-là, j’étais si seul et tu as comblé ma solitude.
Lilián, blonde et douce, Lilián.
Tu n’es pas là.
Ce soir, tu n’es pas ici.
Et je me sens plus seul que jamais sans le bleu de tes yeux, Lilián.

Quelle tristesse il y a dans ma chambre !
Quelle amertume en moi !
J’en suis venu à t’aimer tellement que je ne peux pas vivre sans ton amour.
Avec le baiser toujours jeune, mon amour t’attendra et à la lumière de tes chants, mes illusions seront ravivées.
Parce qu’il y a quelque chose qui me dit que tu n’as pas oublié mon amour, Lilián…

Lilián, blonde et douce, Lilián.
Amour.
Comme fut triste un adieu, alors que tout était un hymne à la vie, la même vie nous sépara.
Lilián, blonde et douce, Lilián.
Mon amour t’attend, et les aurores me voient attendre, sans le bleu de tes yeux, Lilián.

Les enregistrements de D’Arienzo du 17 mai 1944

El apache argentino 1944-05-17 – Orquesta Juan D’Arienzo (Musique Manuel Gregorio Aróztegui).

C’est un tango instrumental. Les Apaches, sont, en Argentine, aussi, des déliquants, membres de bandes souvent violentes. Ils n’ont rien de commun avec les Indiens des USA. D’Arienzo avait étrenné ce tango en 1930, lors du carnaval. On reparlera un jour des carnavals, car ce sont des événements très importants pour les orchestres de tango…

Las doce 1944-05-17 – Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré (Musique Juan D’Arienzo, paroles de Nolo López [Manuel Norberto López]).

Cette musique commence par une citation du célèbre chant de Noël Jingle bells. On imagine quelques flocons de neige, un hiver qui débute. Bien sûr, Buenos Aires étant dans l’hémisphère sud, les Noëls sont chauds. Je pense que c’est surtout pour apporter une note « enfantine » au thème qui commence donc très légèrement. Nous allons avoir avec les paroles que cela se gâte rapidement :

Paroles de Las doce

Llueve y hace frío
Crudo es el invierno
Crujen los portales
Silba el vendaval

Pasa pregonando
El viejo diarero
Carreras y fobal
La guerra mundial

Tiemblan los cristales
De un café nocturno
Suena la pianola
Un bonito vals

Mientras en mí cuarto
Mi lecho sin mantas
Me acosa el invierno
Aumenta mi mal

Las doce, medianoche
Don Mateo con su coche
Va camino al corralón
Las doce
Y la lluvia
Arrimándose a su paso
El perfume del malvón
Las doce se agiganta
Y va extendiendo su manto
En los vidrios de un farol

Juan D’Arienzo Letra : Nolo López (Manuel Norberto López)

Traduction libre de Las doce (âmes sensibles s’abstenir)

Minuit (12 heures)

Il pleut et il fait froid. L’hiver est rude. Les portails grincent. La bise siffle. (Rien d’étonnant jusque-là, on s’imagine avec Jingle bells que l’on est en hiver de l’hémisphère nord).

Passe en annonçant, le vieux vendeur de journaux, courses et football (fobal est la forme de Fútbol en lunfardo), la guerre mondiale (Là, l’évocation du conflit mondial jette un autre froid, la fable du tango de Noël commence à se fendiller. On pense parfois que l’Argentine était loin de la guerre, en fait, même si elle est restée neutre, le sort des familles qui n’avaient pas émigré faisait que les Argentins se sentaient concernés).

Les fenêtres d’un café de nuit tremblent, le pianola joue une belle valse (le pianola est un piano qui peut jouer seul des airs à l’aide d’un mécanisme lisant des cartes perforées. Nous l’avons déjà évoqué à propos de Lorenzo. Là, si l’histoire de la guerre nous a échappé, on se rassure, on s’imagine danser la valse dans le bistroquet).

Dans ma chambre, ma litière sans couvertures, l’hiver m’assaille, il augmente mon mal. (Là, nouveau coup de froid, le tango n’a plus l’air d’un conte de Noël, tout au plus on pourrait penser à la petite marchande d’allumettes d’Andersen).

12 heures, minuit. (12 heures, en fait, 24 h ou 0 h, minuit, l’heure du crime selon le dicton).

Don Mateo (Il existe au moins deux tangos nommés Don Mateo, dont un avec des paroles de José Ponzio, dénonçant un criminel ayant tué 6 personnes de sa famille et 2 employés de ferme. Il s’agit en fait d’un notable, propriétaire terrien, Mateo Banks. C’était un fils d’émigrés irlandais, qui ayant perdu aux jeux, arnaque sa famille et les tue pour obtenir leur argent. La scène décrite dans ce tango doit donc se dérouler le 18 avril 1822, date des faits) avec sa voiture va au corralón (ce terme est polysémique, ici, cela peut être un endroit où on entrepose des matériaux de construction, un des lieux de ses crimes).

Minuit et la pluie. S’accroche à ses pas, le parfum de l’homme mauvais. (Non seulement il tue huit personnes et devient donc le premier serial killer argentin, mais il essaye de faire accuser un de ses péones, employés de ferme. Il est condamné à perpétuité, mais sort finalement de prison. L’ironie de cette histoire est qu’il se tue en glissant sur une savonnette en se cognant la tête sur sa baignoire. Je vous avais prévenu, l’histoire est terrible).
Minuit s’agrandit et étend son manteau sur les vitres d’un lampadaire. (On a fait mieux en matière de conte de Noël).


Avec Ironie, D’Arienzo qui a fait chanter l’intégralité de l’histoire à Mauré reprend avec le motif de Jingle bells, comme s’il ne s’était rien passé qu’une petite chanson de Noël.
Je crois que ce tango est assez rare, sans doute à cause de l’évocation de Mateo Banks. Cependant, si les danseurs n’écoutent pas avec attention les paroles, il doit être utilisable. C’est un titre qui peut faire un milieu de tanda satisfaisant.
Si vous voulez en savoir plus sur cette histoire, je vous propose deux sites :
La macabra historia del estanciero argentino que mató a sangre fría a toda su familia para quedarse con su fortuna – Infobae qui vous donnera des détails sur les faits.
https://web.archive.org/web/20200813025004/https://ana-turon.blogspot.com/2016/05/el-tango-en-la-provincia-de-buenos-aires.html Je vous propose la version archivée en 2020, car le site a depuis été corrompu. Vous y trouverez notamment des textes de tango ou chansons parlant du crime.

Et nos deux titres du jour

Pour revenir à des sujets plus sympathiques, je vous propose de terminer par nos deux titres du jour. D’abord Lilián, puis Ana María pour finir dans un rythme plus joueur et nous laver la tête de l’horreur des crimes de Don Mateo.

Lilián 1944-05-17 – Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré (Musique Héctor Varela, paroles de Luis Rafael Caruso). Un de nos titres du jour.
Ana María 1944-05-17 – Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré (Musique de Fulvio Salamanca, paroles de Nolo López [Manuel Norberto López]). Un de nos titres du jour.

Ces quatre œuvres, fort différentes montrer la diversité dont peuvent être capables les grands orchestres de l’âge d’or.

À demain les amis !

Ana María y Lilián. Deux destins de femmes.

El cisne 1950-05-15 (Vals) – Orquesta Juan D’Arienzo

Antonio Anselmi (Musique et paroles)

Un cygne peut en cacher un autre. Celui que nous allons évoquer aujourd’hui, s’est fait faire une toilette par D’Arienzo, le 15 mai 1950, il y a 74 ans. Mais il avait déjà adopté un autre cygne, 12 ans plus tôt, presque jour pour jour. Allons faire un tour avec les vilains petits canards, canards que l’orchestre ne fait pas.

Une petite précision pour les lecteurs qui sont en version traduite, en français, un canard est une fausse note. Juan D’Arienzo fait donc tout pour éviter que ses musiciens en fassent.

Extrait musical

La partition de El cisne, dans la version d’Antonio Anselmi. La dédicace semble étonnante. En effet elle est adressée à José Gomez, qui était justement un ami de Jose Maria Rizzuti, l’auteur d’un autre « El cisne », mais en tango. Il peut toutefois s’agir d’un homonyme, mais la coïncidence est amusante…
El cisne 1950-05-15 — Orquesta Juan D’Arienzo.

Une valse entraînante, mais D’Arienzo sait-il en faire d’un autre type ? Au piano, Fulvio Salamanca, intervient toujours selon le principe négocié avec Biagi quinze ans. Comme c’est de coutume, la fin paraît s’accélérer, mais c’est toujours la même méthode. Le tempo reste stable, mais les notes sont doublées, ce qui entraîne les danseurs dans un galop final effréné.
Il est presque impossible, voire complètement impossible de deviner les paroles en entendant la musique de cette valse. Mais il est temps d’en parler.

Paroles

La version de D’Arienzo est instrumentale. Cependant Antonio Anselmi a également écrit les paroles que voici :

En un lago cristalino
hacia la orilla costando
un blanco cisne nadando
del lago dueño y señor,
llega hacia el bosque vecino
a saturarse de arome
porque espera a su paloma
para una cita de amor.

Como hace rato que espera
ya la impaciencia lo inquieta
por la paloma coqueta
que a la cita no llegó
y abriendo sus blancas alas
medita el cisne arrogante
¿será verdad que otro amante
su cariño me robó?

Pero después de un momento
desde la vecina loma
se ve llegar la paloma
en un vuelo señorial;
y como el cisne pregunta:
¿dónde te has entretenido?,
contesta: Con mi querido
a la sombra de un sauzal.

Que es lo que has dicho, paloma,
que bien no lo he comprendido,
has hablado de un querido
y te olvidas quién soy yo.
De pronto el cisne celoso,
muy enceguecido acaso
de un terrible picotazo
a su paloma mató.

Cargo a su presa en el pico
y allá en el lugar más hondo
fue a sumergirse hasta el fondo
del lago, dueño y señor.
Desde entonces en la noche
cuando todo está dormido
se oye del cisne un gemido
porque llora de amor.

Antonio Anselmi (Musique et paroles)

Traduction libre

Dans un lac cristallin, vers la rive voisine, un cygne blanc nage, du lac maître et seigneur. Il arrive à la forêt voisine pour se saturer d’arome, car il attend sa colombe pour un rendez-vous amoureux.
Comme ça fait un moment qu’il attend, l’impatience l’inquiète pour la colombe coquette qui n’est pas arrivée au rendez-vous et ouvrant ses ailes blanches, le cygne arrogant médite. Serait-il vrai qu’un autre amant m’aurait volé son affection ?
Mais au bout d’un moment, de la colline voisine, on voit la colombe venir d’un vol majestueux ; et comme le cygne demande : « Où vous êtes-vous amusée ? » elle répond : « Avec mon chéri à l’ombre de saules pleureurs. »

Qu’as-tu dit, colombe, que je n’ai pas bien compris ? Tu as parlé d’un être cher et tu oublies qui je suis. Aussitôt, le cygne jaloux, peut-être très aveuglé, d’un terrible coup de bec sur sa colombe, la tua. Il chargea sa proie sur le bec et là, dans l’endroit le plus profond, il alla plonger jusqu’au fond du lac, maître et seigneur. Depuis cela, la nuit, quand tout dort, on entend le cygne gémir parce qu’il pleure d’amour.

Autres versions

Si vous entendez cette valse, il est fort probable qu’elle soit interprétée par Juan D’Arienzo, car il n’en existe pas d’autres enregistrements historiques, pas même une petite chanson pour entendre comment les paroles s’harmonisent avec la musique.
En revanche, vous pouvez entendre el Cisne sous forme de tango. Par D’Arienzo et par Fresedo.
Attention, ce cygne n’est pas composé par Antonio Anselmi, mais par Jose Maria Rizzuti. C’est donc une œuvre qui n’a de commun que le titre.

La partition avec sa couverture de El cisne, mais cette fois par Jose Maria Rizzuti. Un tango sans paroles.

Avant de retrouver D’Arienzo, une petite pépite. Un enregistrement de 1922. Il y a donc plus d’un siècle que Fresedo l’a enregistré.

El cisne 1922-08-25 — Orquesta Osvaldo Fresedo.

Malgré un enregistrement acoustique, ancien, la musique est plutôt magnifique. Un très beau Fresedo, que l’on serait presque tenté de passer en milonga.
Pour terminer, on retrouve D’Arienzo, avec le cygne en tango sur une musique de Rizzuti.

El cisne 1938-05-06 — Orquesta Juan D’Arienzo.

C’est un des derniers enregistrements de Biagi dans l’orchestre de D’Arienzo. Sa place est bien établie. Il a toutes les petites pauses pour ajouter ses petites fioritures. Il surnage par moment sur l’orchestre et s’il n’a pas de partie en soliste, contrairement aux violons, il est toujours présent et ponctue le compas. Je trouve amusant de constater que 15 ans plus tard, la façon de faire de Biagi a continué d’être utilisée par D’Arienzo et ses pianistes, comme nous l’avons constatée pour notre valse du jour, que du coup, je vous replace ici. Quand on aime, on ne compte pas.

El cisne 1950-05-15 — Orquesta Juan D’Arienzo. C’est notre valse du jour.

À demain, les amis !

El cisne. Mon histoire est pliée pour aujourd’hui.

Les succès de la radio en 1937

Ediciones musicales Julio Korn

Lorsque nous avons parlé de la partition de No quiero verte llorar, nous avions remarqué que la quatrième de couverture présentait les plus grands succès radiophoniques du moment. J’ai trouvé amusant de vous faire écouter ce que les Argentins aimaient en 1937…

Sur cette publicité, les 12 succès des éditions Julio Korn. Évidemment, ils ne parlent pas des succès édités par d’autres maisons d’édition…

Les éditions Julio Korn

Julio Korn (1906​-07-19 – 1983-04-18) était à la tête d’un empire de la presse. Il publiait en 1937, six hebdomadaires, Radiolandia, Antena, Goles, Vosotras, TV Guía et Anteojito. Son seul concurrent sérieux était Héctor García qui publiait Así. Il était donc en situation de quasi-monopole.

« Mi intención fue siempre llegar a la gran masa del pueblo, sin pretender instruirla sino entretenerla »

«Mon intention a toujours été d’atteindre la grande masse du peuple, sans prétendre l’instruire, mais pour la divertir». Devise que les Citizen Kane d’aujourd’hui perpétuent.

Julio Korn est le prototype du self-made man. Orphelin à 9 ans, il travaille dans une imprimerie ce qui lui permet de sauver de l’asile son jeune frère. À 15 ans (1921), il se rend à Montevideo pour proposer à Edgardo Donato de devenir son éditeur musical. Il devait être du genre convaincant, car il remporta l’affaire et obtint un prêt pour s’acheter la presse destinée à imprimer les partitions. Huit ans plus tard, il avait imprimé 35 000 partitions.
En 1924, il avait créé une revue musicale, La Canción Moderna, dont il était également le rédacteur en chef.

À gauche, le numéro du 30 juin 1936 de Radiolanda (La Canción Moderna) où est annoncée la saga Gardel. La couverture du 6 juin 1936 avec Gardel et le premier des articles sur les confidences de Berta sur la vie de son fils.

En juin 1936, La Canción Moderna qui est devenu Radiolandia publie la vie de Carlos Gardel qui était mort l’année précédente en exploitant le côté sentimental du témoignage de Berta Gardes, la mère de Gardel qui a d’ailleurs cédé gratuitement les droits de reproduction. Et pan dans les dents de la thèse uruguayenne de l’origine de Carlos Gardel qui prétend que Berta se serait déclaré sa mère pour toucher l’héritage en établissant de faux papiers… Gardel enfant de France.
Cet article est un bon exemple de la littérature populaire des revues de Julio Korn.
Mais revenons à la partition de No quiero verte llorar et à sa quatrième de couverture.

Partition de No Quiero Verte Llorar des Éditions Julio Korn.

Lorsque nous avons parlé de la partition de No quiero verte llorar, nous avions remarqué que la quatrième de couverture présentait les plus grands succès radiophoniques du moment. J’ai trouvé amusant de vous faire écouter ce que les Argentins aimaient en 1937…

Les succès de la radio en 1937

Les succès de la radio 01

Milonga triste (Sebastián Piana Letra: Homero Manzi)

Milonga triste 1937-02-19 — Mercedes Simone con acomp. de su Trío Típico
Milonga triste 1937-08-10 — Orquesta Francisco Canaro

Amor (Carlos Gardel Letra Luis Rubistein)

Amor 1936-07-14 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida. Avec des airs de Silencio, du même Gardel.

Milagro (Luis Rubistein, paroles et musique)

Milagro 1936-11-27 — Mercedes Simone con acomp. de su Trío Típico
Milagro 1937-02-19 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida

Arrepentido (Rodolfo Sciammarella, paroles et musique)

Arrepentido 1937-05-26 — Libertad Lamarque con orquesta. Comme il est précisé « Tango chanson », il s’agit probablement de cette version qui avait du succès à la radio.

Comme il est précisé « Tango chanson », il s’agit probablement de cette version qui avait du succès à la radio. Cependant, l’année précédente, il y a eu deux enregistrements qui peuvent très bien passer à la radio et participer au succès de la composition de Sciammarella :

Arrepentido 1936-09- 18 – Orquesta Roberto Firpo con Carlos Varela.

Carlos Varela que nous avions entendu avec Firpo dans No quiero verte llorar.

Arrepentido 1936-09-04 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar
Les succès de la radio 02
Las perlas de tu boca 1935-10-08 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar.

Il est indiqué Boléro sur la partition, mais il s’agit ici d’un enregistrement en rumba. Ce titre a été beaucoup enregistré, bien sûr en boléro, mais aussi en Danzón (par Rey Cabrera). Difficile de savoir quel enregistrement était la référence. Il peut aussi tout simplement s’agir d’une erreur, en effet le terme boléro comme le terme Jazz est générique et peut éventuellement ne pas différencier deux types de danse.
Je vous propose tout de même un exemple, par le chanteur d’opéra, mexicain, Alfonso Ortiz Tirado.

Las perlas de tu boca 1934 — Alfonso Ortiz Tirado. C’est un enregistrement RCA Victor réalisé à Buenos Aires.

Por el camino adelante (Lucio Demare ; Roberto Fugazot ; Agustín Irusta Letra: Joaquín Dicenta (Joaquín Dicenta Alonso)

Por el camino adelante 1930 – Agustín Irusta y Roberto Fugazot con acomp. de piano por Lucio Demare.

Por el camino adelante 1930 – Agustín Irusta y Roberto Fugazot con acomp. de piano por Lucio Demare. Avec cette chanson on est plutôt dans le domaine du folklore, mais après tout, le tango n’est pas la seule musique qui passe à la radio. Je n’ai pas trouvé d’enregistrement de 1936 ou 1937. Il se peut donc que ce soit une autre version qui avait du succès en 1937.

Rosa de otoño [Guillermo Desiderio Barbieri Letra: José Rial, hijo]

Rosa de otoño 1930-12-05 — Carlos Gardel con acomp. de la orquesta de Francisco Canaro.

Rosa de otoño 1930-12-05 — Carlos Gardel con acomp. de la orquesta de Francisco Canaro. Encore un enregistrement un peu ancien, mais la mort de Gardel deux ans plus tôt a sans doute relancé ses interprétations. On est là encore à la limite du tant avec un vals criollo. C’est Di Sarli en 1942 qui fera sortir cette valse du domaine folklorique, mais c’est une autre histoire…

Les succès de la radio 03

En blanco y negro [Néstor Feria Letra: Fernán Silva Valdéz]

En blanco y negro 1936-05-06 — Alberto Gómez con acomp. de su Cuarteto de Guitarras

Une milonga, mais une milonga criolla. Décidément le folklore avait la côte…

Falsedad [Héctor María Artola Letra: Alfredo Navarrine]

Falsedad 1936-10-25 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida.

On revient dans le domaine du tango avec ce très beau titre, sans doute un peu oublié dans les milongas d’aujourd’hui, même dans celles qui abusent de la vieille garde ; -)

Monotonía (Hugo Gutiérrez Letra : Andrés Carlos Bahr)

Monotonía 1936-12-03 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar.

Encore Lomuto et Omar en vedette avec ce tango de Hugo Gutiérrez et Andrés Carlos Bahr. Le titre ne donne pas très envie de danser, la musique non plus. Cela devait être plus agréable de vaquer dans son appartement avec cette musique de fond à la radio.

Pienso en ti (Julio De Caro Letra : Jesús Fernández Blanco)

Pienso en ti 1936-08-10 — Orquesta Julio De Caro con Violeta y Lidia Desmond (Las hermanas Desmond).

Las hermanas Desmond (les sœurs Desmond) nous offrent une fin enjouée. Une valse pas trop tango. Elle est indiquée comme valse chanson et son auteur pourrait vous surprendre, car il s’agit de Julio de Caro, comme quoi il ne faut pas trop vite mettre les compositeurs et musiciens dans des tiroirs.

En guise de conclusion

Comme nous l’avons vu, les éditions de Julio Korn ne sont pas le seul éditeur de musique. On peut légitimement penser qu’ils mettent en avant leurs poulains et passent sous silence les artistes qui font éditer leurs partitions chez des concurrents.
Un autre biais est que les orchestres ne jouent pas forcément des tangos qui viennent d’être écrits. S’ils jouent un titre qui a dix ou vingt ans, voire plus, il ne sera pas nécessairement réédité.
Le dernier biais et qu’il s’agit des titres qui passent à la radio. La qualité sonore de la radio à l’époque était assez médiocre, la FM n’était pas encore de mise et les danseurs pouvaient rencontrer leurs orchestres favoris toutes les semaines. Les programmes étaient donc plutôt destinés à la vie de famille et une diffusion régulière et sans trop de relief était sans doute mieux adaptée à cet usage.
En résumé, il ne faut pas tirer la conclusion que les succès mentionnés ici sont des succès absolus, notamment du point de vue des danseurs. On peut juste affirmer qu’à côté d’autres styles, le tango avait sa place dans le quotidien des Argentins, comme c’est toujours le cas où des airs de tango ayant près d’un siècle continuent de s’élever dans le bon air de Buenos Aires. On n’imagine pas dans tous les pays la population écouter des disques aussi anciens, sauf peut-être dans le domaine de la musique classique.
Pour estimer le succès des titres du point de vue des danseurs, je pense que la présence de nombreux enregistrements du même titre à quelques semaines d’intervalle est un bon indice. Certains tangos ont 20, 30 ou beaucoup plus d’enregistrements pour des monstres comme la Cumparsita, et d’autres sont fils uniques. Ces fils uniques qui ont raté leur lancement à l’époque sont parfois rattrapés, comme c’est le cas de la milonga Mi vieja linda (Ernesto Céspedes Polanco, musique et paroles), qui avant qu’elle soit reprise par le Sexteto Cristal était inconnue de la majorité des danseurs, bien qu’il en existe une belle version par la Orquesta Emilio Pellejero con Enalmar De María

Mi vieja linda 1941 — Orquesta Emilio Pellejero con Enalmar De María
Mi vieja linda 2018-05-01 — Sexteto Cristal con Guillermo Rozenthuler

Mon travail de DJ est aussi de réveiller, révéler, des merveilles qui dorment dans quelque pochette de disque de pâte.

À propos de l’illustration de couverture

Voici la photo originale qui m’a servi pour réaliser l’illustration de couverture. Vous pouvez vous livrer au jeu des sept erreurs, mais il y a bien plus que sept différences entre les deux images 😉

Une radio portable (on voit la poignée près de la main droite de Gardel). Il s’agit d’un modèle « Mendez », copie du Mc Michael anglais.

Dans la partie droite, les deux boutons rotatifs permettant la syntonisation (choix de la station de radio). Le haut-parleur (dans la partie gauche est protégé pendant le transport, par la partie de droite qui se replie dessus. On voit les verrous qui maintiennent la mallette fermée de part et d’autre de l’appareil.
Vous aurez reconnu les personnages dès la photo de couverture, qui est un montage de ma part avec une fausse radio, je trouvais celle d’origine manquant un peu de classe.
Au cas où vous auriez un doute, je vous présente la fine équipe qui entoure le poste de radio, de gauche à droite :
José Maria Aguilar, Guillermo Barbieri, José Ricardo, les trois guitaristes de Gardel, et Carlos Gardel. La photo date de 1928, soit 8 ans avant la mort de Gardel et 9 ans avant la partition de No quiero verte llorar faisant la publicité pour les succès de l’année 1937. Cette image et la couverture ne sont donc pas tout à fait d’actualité, mais comme 1937 est l’année où l’éditeur Julio Korn fait son gros coup sur Gardel, je pense que cela peut se justifier.
De plus, on notera que dans les succès de 1937, il y a un tango écrit par Gardel, Amor et un vals criollo, Rosa de otoño, chanté par lui.

À demain les amis !

Voici la couverture pour ceux qui veulent jouer au jeu des sept erreurs…

Pata ancha 1957-05-13 — Orquesta Osvaldo Pugliese

Mario Demarco

Pata ancha en lunfardo signifie courage, mais en espagnol courant, cela peut aussi signifier gros pied. Pugliese fut un lutteur. Il lutta avec acharnement pour défendre ses idées politiques et paya le prix en effectuant de nombreux séjours en prison. Pata ancha a été enregistré par Odéon, lors d’une de ses «absences». Sur le piano, un œillet ou une rose rouge évoquaient le maître absent.

Extrait musical et histoire de prisons

Pata ancha 1957-05-13 — Orquesta Osvaldo Pugliese.

San pugliese étant emprisonné dans le cadre de la « operación cardenal ».
Les détenus après un séjour à la Penitenciaria Nacional ont été transférés dans un bateau nommé « Paris ». C’est la raison pour laquelle Agosti a appelé son article dans les Cuadernos de Cultura (Cahiers de la Culture) Meditaciones desde el “París” Méditations depuis le Paris.
C’est le pianiste Osvaldo Manzi qui le remplaça, comme ce fut le cas pour d’autres enregistrements comme La novia del suburbio enregistré le même jour que Pata ancha (1957-05-13), Yunta de oro et No me hablen de ella (1957-10-25), Corazoneando et Gente amiga (1958-01-02), La bordona et Qué pinturita (1958-08-06). Il y a certainement eu d’autres enregistrements dans ce cas, Pugliese ayant fait l’objet de nombreux emprisonnements ou interdictions de jouer.

Dans le journal communiste « La Hora » du 18 décembre 1948, l’annonce de l’interdiction de trois artistes, Osvaldo Pugliese, Atahulpa Yupanqui et Ken Hamilton. C’est neuf ans avant l’enregistrement de Pata ancha, sous Peron, qui fera également emprisonner Pugliese à Devoto en 1955. Cela explique les apparitions en pointillé de Pugliese.

Il reste un petit mot à dire sur le compositeur. Il s’agit de Mario Demarco, celui qui a remplacé Jorge Caldara au bandonéon quand Caldara, sur la pression de sa femme, a quitté l’orchestre pour faire une virée au Japon. On peut comprendre les inquiétudes de sa femme vu les multiples emprisonnements du leader de l’orchestre…

Pata ancha

Hacer pata ancha (faire le gros pied), c’est résister bravement. Ce terme était utilisé en escrime créole, le combat au couteau des gauchos argentins.

Combat au facón et à la dague de gauchos. On remarque le poncho qui servait à se protéger. Le poncho est l’accessoire primordial de tout gaucho. Photo mise en scène par Frank G. Carpenter (1855-1924). Public domain (Library of Congress).

Sarmiento a fustigé cette coutume des gauchos dans son Facundo Quiroga, pour marquer l’absence de « civilisation » de cette population fière, mais plutôt marginale, une critique à peine déguisée à De Rosas.
On l’appelle parfois, la esgrima criolla (escrime créole). Elle s’est développée durant la guerre d’indépendance argentine (1810).
Si vous voulez en savoir plus sur cette lutte qui est encore pratiquée, notamment dans les bandes de délinquants d’aujourd’hui, vous pouvez consulter ce site…

Les facones, ces couteaux redoutables qui peuplent les paroles de tango, mais qui étaient plutôt les attributs des gauchos.

Les facones sont des couteaux redoutables. S’ils sont évoqués dans les tangos à propos de personnages un peu fanfarons, ils étaient utilisés par les gauchos dans des combats au sang, voire parfois à mort.
Les facones du tango étaient plus souvent des couteaux courts, plus faciles à dissimuler et un adage argentin dit, « ne sors pas le couteau si tu ne comptes pas l’utiliser ».
Pugliese à sa façon a fait preuve d’un grand courage pour défendre ses idées. Il est resté ferme et a fait la pata ancha et que ce soit Osvaldo Manzi qui effectue le solo de piano à 1 : 20 n’est pas très important dans un orchestre où chaque musicien était un membre à parts égales. Contrairement à d’autres orchestres dont le chef était un tyran, dans l’orchestre de Pugliese, il s’agissait d’une gestion collective, d’une communauté, ce qui explique la fidélité de plupart de ses musiciens qui étaient d’ailleurs payés en fonction de leurs interventions, sur les mêmes bases que Pugliese lui-même, ce qui aurait été impensable pour Canaro…
Si Demarco et Caldara ont quitté l’orchestre, c’était dans les deux cas en raison de leurs femmes ; craintive pour l’avenir de son mari à cause des idées de Pugliese pour Caldara et pour raison de maladie dans le cas de Demarco, sa femme était malade et il a donc décidé de ne pas faire la tournée en Russie avec l’orchestre.

Autres versions

Pata ancha 1957-05-13 — Orquesta Osvaldo Pugliese.

C’est notre tango du jour. La yumba est particulièrement forte dans cette interprétation. Peut-être que les musiciens souhaitaient évoquer leur leader absent. On sait par ailleurs que quand Pugliese était « empêché » au dernier moment, en plus de la rose ou de l’œillet sur le piano, les musiciens marquaient fortement le rythme au pied pour que la yumba habite la représentation.
Je me force un peu pour vous proposer d’autres versions, faute d’une version avec Pugliese au piano.

Pata ancha 1997 — Color tango de Roberto Álvarez.

Cet enregistrement a été effectué au « Estudio 24 » de Buenos Aires. Roberto Álvarez à la mort de Pugliese a repris la suite du maître. D’aucuns lui reprochent d’avoir utilisé les arrangements de Pugliese pour son orchestre, Color tango. En fait, de nombreux orchestres ont fait de même à la disparition de leur leader, comme los Solistas de D’Arienzo, le Quinteto Pirincho (Canaro) ou le Conjuncto Don Rodolfo. Écoutons donc le résultat, sans arrière-pensée.

Pata ancha 2000 — Orquesta Escuela de Tango Dir. Emilio Balcarce.

Une version aux accents de Pugliese.

Et pour terminer, Pata ancha par Tango Bardo a écouter, voire à acheter sur BandCamp
https://tangobardo.bandcamp.com/track/pata-ancha
Une version moins proche de Pugliese.

La rose sur le clavier du piano quand San Osvaldo ne pouvait pas venir (interdiction ou prison).

No quiero verte llorar 1937-05-12 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray

Agustín Magaldi Letra : Rodolfo Sciammarella

Osvaldo Fresedo, un vieux de la vieille, mais qui a eu une carrière très longue (60 ans) avec une évolution remarquable de son style, a produit dans les années 30, notamment avec Roberto Ray des chefs d’œuvres dont notre tango du jour est un parfait exemple. Avec Fresedo, on est dans un tango élégant, loin des faubourgs bagarreurs et interlopes (idée reçue?).

Osvaldo Fresedo et Roberto Ray

Osvaldo Fresedo a fait ses premiers enregistrements en 1920 et les derniers en 1980. 60 ans de disque, c’est un des records des orchestres de tango.
Pendant près de 10 ans, Fresedo et Ray ont collaboré (1931-1939). Mais Ray n’est pas le premier chanteur de Fresedo. Rien que par le disque, on peut prouver qu’il a enregistré avec Ernesto Famá, Luis Diaz, Teófilo Ibáñez, Juan Carlos Thorry, Antonio Buglione, Agustín Magaldi, Carlos Viván (pour le jazz) et même Ada Falcón.
Cependant, l’arrivée de Ray en 1931 va marquer une transition pour les tangos chantés de Fresedo, lui qui avait essentiellement enregistré de l’instrumenta auparavant.
Pour bien comprendre la transition entre la première vague de chanteurs et l’arrivée de Roberto Ray, il suffit de s’intéresser au 23 février 1932. Ce jour, Fresedo réalise un enregistrement avec son « ancien » chanteur Teófilo Ibáñez et un autre avec le nouveau, Roberto Ray.
Voici les deux enregistrements :

Desengaños 1932-02-23 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Teófilo Ibáñez (Ramón Gutiérrez Del Barrio Letra: Gustavo Durval Gogiose)

La voix de Ibáñez sans être vulgaire a une pointe d’accent populaire, est plus agressive et les effets de voix sont marqués.

El rebelde 1932-02-23 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray (Juan José Riverol Letra : Francisco Antonio Loiácono)

Il faut patienter, comme de coutume avec les tangos de danse, chantés pour entendre la voix de Ray. Elle n’arrive qu’à 1 : 40… Mais la différence explose immédiatement. Pourtant, les paroles n’ont rien de la joliesse apparente que semble exprimer Ray. Il en effet curieux d’avoir choisi un texte en lunfardo pour lancer son nouveau chanteur raffiné.

Se murió el vago Amargura,
está en cana Langalay
y a tu rante arquitectura
la están tirando a matar.
Te dio la biaba el progreso
un rasccielo bacán
dejó como cinco ‘e queso
a una casita terrán

En gras les mots argotiques, mais l’organisation du texte en entier est pour le moins populaire. Rien n’est raffiné dans ce texte qui regrette le temps passé, ou le paresseux est désormais remplacé par le tireur de charrette de Langalay (entreprise de transport) et où les masures des clochards ont été détruites.
Ray dit, chante le texte, comme si c’était un poème de la pléiade.
Ce qui es sûr est que ceux qui pense que Fresedo est tout lisse, un orchestre pour marquises dans leur salon vont être un peu décoiffés s’ils comprennent les paroles.
Remarquez aussi le magnifique violon (probablement Adolfo Muzzi), qui comme la voix de Ray est raffiné.
Puisque l’on est entre amis, une petite digression, le même titre chanté par une femme qui balance toutes les paroles de lunfardo. C’est Mercedes Carné accompagnée par Di Sarli…

Rebelde 1931- Mercedes Carné acomp. de Sexteto Carlos Di Sarli.

Roberto Ray se lance ensuite comme soliste et il ne reviendra que très brièvement en 1948-1950 avec Fresedo, mais à cette époque, le style de Fresedo a complètement changé et la magie n’est plus là.
D’ailleurs, les puristes ne voient de Fresedo que la période « Roberto Ray ». Son second chanteur le plus emblématique, Ricardo Ruiz avec qui il collaborait à la même époque pour le jazz et qui a pris la relève en 1939 avec des résultats divers, a donné de très belles choses comme Viejo farolito, Mi gitana, Si no me engaña el corazón, Inquietud, Cuartito azul, Vida querida, Alas ou Buscándote.

Extrait musical

Ne pleurez plus, voici enfin le tango du jour.

No quiero verte llorar 1937-05-12 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray

Ray commence à chanter à 1 :39 et nous sommes là en présence du plus beau « NO » de l’histoire du tango. La façon dont Ray lance son « NO » et comment il poursuit piano est osée et géniale. On retrouve un peu cela dans d’autres versions, mais à mon avis avec une intensité bien moindre. Je dois avouer que je suis fan et que pour moi c’est très difficile de ne pas chanter en même temps que Ray.

No quiero verte llorar. Partition pour piano.

En photo, sur la couverture, Agustin Magaldi. Remarquez les pubs en 4e de couverture pour les grands succès de la radio. Nous y reviendrons…

Paroles

Antes era yo el que torturaba tu existencia
con mis celos y no te dejaba en paz.
Yo escuchaba tus protestas
sin poderlo remediar.
Antes era yo el que te seguía y no tenia
la alegría de un minuto en mi vivir.
Hoy que logré felicidad al tenerte fe,
dudas de mí.

No,
no quiero verte sufrir.
No,
no quiero verte llorar.
No quiero que haya dudas,
no quiero que haya sombras
que empañen los encantos
de nuestro dulce hogar.
No,
no quiero verte llorar.
No,
no quiero verte sufrir.
Amor mío,
debes tener confianza,
vos sos toda mi esperanza,
mi alegría de vivir.

Quiero repetirte las palabras que vos antes
me decías cuando me encontraba así.
Por nuestro amor te lo pido.
No debes dudar de mí.
Yo que sé las noches de tortura que es vivir
obsesionado por los celos del amor,
quiero evitarte de una vez tanto pesar,
tanto dolor.

Agustín Magaldi Letra: Rodolfo Sciammarella

En gras, le refrain chanté par Roberto Ray

Traduction libre

Avant, j’étais celui qui torturait ton existence avec ma jalousie et ne te laissais pas tranquille.
J’ai écouté tes protestations sans pouvoir m’en empêcher.
Avant, j’étais celui qui te suivait et je n’avais pas une minute de joie dans ma vie.
Maintenant que j’ai atteint le bonheur en ayant foi en toi, tu doutes de moi.

Non, je ne veux pas te voir souffrir.
Non, je ne veux pas te voir pleurer.
Je ne veux pas qu’il y ait de doutes, je ne veux pas qu’il y ait des ombres qui ternissent les charmes de notre doux foyer.
Non, je ne veux pas te voir pleurer.
Non, je ne veux pas te voir souffrir.
Mon amour, tu dois avoir confiance, tu es toute mon espérance, ma joie de vivre
.

Je peux te répéter les mots que tu me disais quand j’étais comme ainsi.
Pour notre amour, je te le demande.
Tu ne dois pas douter de moi.
Je sais les nuits de torture que c’est de vivre obsédé par la jalousie de l’amour, je veux t’épargner d’un coup, tant de chagrin, tant de douleur.

Autres versions

No quiero verte llorar 1937-05-12 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray

C’est notre tango du jour. J’en pense le plus grand bien…

No quiero verte llorar 1937-06-03 – Agustín Magaldi con orquesta.

C’est la version par l’auteur de la musique, enregistrée moins d’un mois après celle de Fresedo et Ray. On ne peut pas dire que ce soit vilain. La mandoline donne un air original à ce tango, la voix de Magaldi, n’est pas désagréable, mais elle ne sort pas victorieuse de la confrontation avec celle de Roberto Ray. Comme le résultat n’est pas fameux pour la danse non plus, il y a de fortes chances que cette version retourne dans l’ombre d’où je l’ai extirpée. Remercions tout de même Magaldi d’avoir écrit ce titre…

No quiero verte llorar 1937-06-11 Orquesta Roberto Firpo con Carlos Varela.

Sans le « modèle » de Fresedo et Ray, cette version pourrait bien faire le bonheur des danseurs. Carlos Varela a fait l’essentiel de sa carrière de chanteur avec Firpo et il ne semble pas avoir enregistré avec les autres orchestres, comme celui de José García avec qui il travaillait à la fin des années 40.

No quiero verte llorar 1937-06-17 – Mercedes Simone con acomp. de su Trío Típico.

Mercedes Simone effectue une magnifique prestation. Difficile de ne pas être très ému par son interprétation. Bien sûr, c’est une chanson, pas un tango de danse, mais votre discothèque sera honorée d’accueillir cette magnifique chanson.

Il faut savoir arrêter

Vous l’aurez compris, ma version préférée est notre tango du jour enregistré par Fresedo et Ray en 1937, comme tous les autres titres.

Je vous ai prévenu, n’écoutez pas les titres qui suivent…

Passé l’année 1937, on n’entend plus parler du titre, du moins pour l’enregistrement. C’est souvent le cas quand un orchestre fait une version de référence. Les autres n’osent pas s’y coller. Dans notre cas, Magaldi et Simone ont donné les versions chanson avec un résultat tout à fait satisfaisant dans ce but. Pour la danse, Firpo n’a pas démérité, mais Fresedo lui dame le pion.
Il faut attendre plus de 40 ans pour trouver une nouvelle version enregistrée. C’est celle d’Osvaldo Ribó accompagné par les guitares d’Hugo Rivas et Roberto Grela.

No quiero verte llorar 1978 – Osvaldo Ribó con Hugo Rivas y Roberto Grela (guitares).

Cette version est intéressante, même si elle n’apporte pas grand-chose de plus autres versions en chanson, par Magaldi et Simone.

No quiero verte llorar 1997 – Orquesta Alberto Di Paulo con Osvaldo Rivas.

Là, j’ai vraiment un doute. Est-ce que l’on va dans le sens du progrès ? Le moins que l’on puisse dire est que je n’aime pas cette version. Je suis peut-être un peu trop délicat et d’autres se toqueront pour elle.
Quoi qu’il en soit, je vous propose de vous laver les oreilles et réécoutant la version du jour…

No quiero verte llorar 1937-05-12 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray

À demain, les amis!

No quiero verte llorar

Princesa del fango 1951-05-11 – Orquesta Francini-Pontier con Julio Sosa

Enrique Mario Francini Letra : Horacio Sanguinetti (Horacio Basterra)

Nous avons découvert, à l’occasion de Porteña linda Rosita, l’amour malheureux d’Horacio Sanguinetti. Dans ce tango interprété par Julio Sosa, Sanguinetti nous parle d’elle et de son amour. Sortez vos mouchoirs.

Rosita

Rosita, telle que la décrit Beba Pugliese était grande, blonde. Elle avait les cheveux coiffés en arrière et elle fumait. C’était le grand amour de Sanguineti. Malheureusement, celle-ci est partie avec un autre, mais on peut trouver son portrait en filigrane dans différentes compositions de Sanguinetti et notamment dans Princesa del fango.
En effet, Rosita était une travailleuse de la nuit et elle était donc de la fange, la fange morale qui ternit les âmes.

Rosita, alias : Princesa del fango. Rosita, que j’imagine un peu à la Evita était une femme de la nuit, une princesse de la fange, une femme « moderne ».

Extrait musical

Partition pour piano de Princesa del fango avec en couverture, Francini et Pontier.
Princesa del fango 1951-05-11 – Orquesta Francini-Pontier con Julio Sosa

L’orchestre et Julio Sosa sont au service de la nostalgie triste de Sanguinetti. Cette version qui est la seule enregistrée ne sera pas destinée à la danse, mais c’est une belle chanson, émotionnante.

Paroles

(recitado)
Se alargan las graves cadencias de un tango,
un místico soplo recorre el salón…
Y rezan las tristes princesas del fango
plegarias que se alzan desde un bandoneón.


Mi copa es tu copa, bebamos, amiga,
el bello topacio del mágico alcohol.
La sed que yo tengo me quema la vida,
bebiendo descansa mi enorme dolor.
Tu rubio cabello, tu piel de azucena,
tu largo vestido de seda y de tul,
me alegran los ojos, me borran las penas,
me envuelven el alma en un sueño azul.

Princesa del fango,
bailemos un tango…
¿No ves que estoy triste,
que llora mi voz?
Princesa del fango,
hermosa y coqueta…
yo soy un poeta
que muere de amor.

Me siento esta noche más triste que nunca
me ronda un oscuro fantasma de amor
por eso es que quiero matar su recuerdo
ahogando mi angustia, con tangos y alcohol.
Yo sé que si miente tu boca pintada,
esconde un amargo cansancio fatal.
Tu alma y mi alma están amarradas
lloramos el mismo dolor de arrabal.

Enrique Mario Francini Letra: Horacio Sanguinetti (Horacio Basterra)

Princesa del fango (traduction libre)

(Récitatif)
Les cadences graves d’un tango s’allongent, un souffle mystique parcourt la pièce…
Et les tristes princesses de la boue récitent des prières qui s’élèvent d’un bandonéon.
Mon verre est ton verre, buvons, mon amie, la belle topaze de l’alcool magique.

La soif que j’ai brûle ma vie, boire repose mon énorme douleur.
Tes cheveux blonds, ta peau de lys, ta longue robe de soie et de tulle réjouissent mes yeux, effacent mes peines, enveloppent mon âme dans un rêve bleu.
Princesse de la boue, dansons un tango…

Ne vois-tu pas que je suis triste, que ma voix pleure ? Princesse de la boue, belle et coquette… Je suis un poète qui se meurt d’amour.
Je me sens plus triste que jamais ce soir, un sombre fantôme d’amour me hante, c’est pourquoi je veux tuer son souvenir en noyant mon angoisse avec des tangos et de l’alcool.

Je sais que si ta bouche peinte ment, elle cache une fatigue amère et fatale.
Ton âme et la mienne sont liées. Nous pleurons la même douleur des faubourgs.

Autres versions

Ce titre n’a pas de frères, mais des cousins. La fange, el fango a inspiré plusieurs compositeurs, paroliers et orchestre. Voici donc un petit bain de boue…

Cuna de tango (Francisco Canaro Musique et paroles)

Cuna de fango 1952-08-11 – Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas y Coro.

Un titre contemporain de notre tango du jour. Le thème de la fange était à la mode. Ici, c’est le berceau qui fait l’objet de cette chanson à caractère de milonga.
Au début, Alberto Arenas, dans son récitatif initial, dit :

A este tango, flor de tango
Quieren cambiarlo de rango,
Pobre tango, flor de tango
Mecido en cuna de fango.

De ce tango, fleur du tango
Ils veulent changer le rang,
Pauvre tango, fleur du tango
Bercé dans le berceau de la fange.

Rango, Fango et Tango sont des rimes riches. Canaro, l’auteur, joue donc avec les mots. Avec cette déclaration liminaire, il affirme une position semblable à celle de Borges qui considère que le tango est affaire de bordel et qu’il aurait dû se cantonner à cet univers « viril »

Flor de tango (Augusto A. Gentile Letra: Pascual Contursi)

Peut-être le Flor de tango évoqué par Cuna de tango…

Flor de fango 1918 — Carlos Gardel con acomp. de José Ricardo (guitare).

On est à l’opposé de la milonga précédente. Carlos Gardel est dans le charme, ce qui avait l’effet d’énerver Borges. Ce sont deux visions opposées du tango qui s’affirment. Gardel et Borges, ennemis à vie. Rien de tango brutal et rugueux dans cette chanson du charmeur Gardel.

Flor de fango 1926-10-25 — Orquesta Típica Victor dir. Carabelli.

Une version vieille garde. Suffisamment marchante et énergique pour ne pas déplaire à Canaro (dont Carabelli n’est pas si loin dans cette version) et à Borges.

Flor de fango 1940-04-25 — Roberto Firpo y su Cuarteto Típico.

Roberto Firpo dans son style sautillant. Sûr que ça va éclabousser. Je ne sais pas comment a réagit Borges à cette version sympathique mais manquant tout de même un peu de charpente.

Flor de fango 1960-02-12 — Miguel Villasboas y su Quinteto Bravo del 900.

Et on continue à éclabousser avec Villasboas qui reprend le style sautillant de Firpo.

Hijo de fango (Francisco Pracánico ; C. Franzino Letra : Carlos Pesce)

Dans la famille Fango, après la fleur, je voudrais le fils.

Hijo del fango 1931-07-08 — Orquesta Típica Los Provincianos con Carlos Lafuente.

Le fils de la fange que chante Lafuente est empreint de tristesse et nostalgie. On est loin de la fleur sautillante de Firpo et Villasboas.

Flor de fango y flor de tango

Revenons pour terminer avec notre orchestre du jour. Francini-Pontier. Voici un titre qui a une lettre près aurait été de la même famille… Fango Tango, Triste flor de tango. La musique est du même Enrique Francini, mais cette fois les paroles sont de Carlos Bahr.
Le chanteur n’est plus le Varon del Tango, Julio Sosa, mais le moins connu Pablo Moreno. Ce chanteur né en Italie et établi à Montevideo (Uruguay) était ami de Julio Sosa, ce qui est une autre raison pour que j’associe cet enregistrement à notre tango du jour.

Pablo Moreno, le baryton italo-uruguayen
Triste flor de tango 1953-09-22 — Orquesta Francini-Pontier con Pablo Moreno.

Lorsque Francini et Pontier quittèrent l’orchestre de Miguel Caló, ils formèrent cet orchestre pour exploiter leur style et leurs talents de violoniste (Francini) et bandonéoniste (Pontier). Leur style, comme on peut l’entendre ici, est nettement moins dansant que celui de Caló… Reste que la voix de baryton de Moreno est chaude et pleine et qu’il aurait peut-être fait des merveilles s’il avait eu une carrière plus soutenue et plus portègne. Pour moi sa version de Manos adoradas surpasse les versions de Roberto Rufino et celles de Caló et si la version de Pugliese avec Alberto Morán est peut-être supérieure, elle le doit aussi au génie de San Pugliese et à son rythme plus soutenu et enivrant pour la valse.
Nous restons avec Francini, Montier et Moreno pour la valse Manos adoradas, histoire d’utiliser la force centrifuge pour éjecter toute la boue accumulée…

Manos adoradas 1952-12-10 — Orquesta Francini-Pontier con Pablo Moreno
Princesa del fango.

Temo 1940-05-10 – Orquesta Típica Victor con Mario Pomar (Mario Celestino Corrales)

Aguariguay (Mario Luis Rafaelli) Letra: Atilio Gálvez (Atilio Manuel Perasso)

Temo (j’ai peur), est une valse merveilleuse qui depuis une quinzaine d’années fait partie des valses les plus passées en milonga. Lorsque les premières notes retentissent, les danseurs se ruent sur la piste.

Une équipe de choc

Certains danseurs pensent que l’orchestre Típica Victor est un orchestre comme un autre. Il s’agit en fait d’un orchestre destiné aux enregistrements. Il ne se produisait pas sur scène.
Son autre particularité est qu’il a changé de chef au cours du temps. Le premier Carabelli n’est plus dans l’orchestre au moment de l’enregistrement de Temo. C’est le bandonéoniste Federico Scorticati qui dirige l’orchestre à ce moment. Cet excellent bandonéoniste, encore un enfant prodige a joué pour les plus grands orchestres et malgré sa discrétion, la compagnie Victor lui confia la direction de l’orchestre, de 1935 à 1941. Il était modeste, mais excellent.
La Victor savait choisir ses musiciens, voici la liste de ceux qui travaillaient pour l’orchestre au moment de l’enregistrement de notre valse du jour :
Federico Scorticati (direction et bandonéon) Eduardo Del Piano (bandonéon), Horacio Gollino (bandonéon), Domingo Triguero (bandonéon), Héctor Stamponi (piano), Elvino Vardaro (violon), Víctor Felice (violon), Víctor Braña (violon), Abraham Gosis (violon), Emilio González (violon), Humberto Di Tata (contrebasse) et au chant, Mario Pomar. Que l’on semble plus désormais appeler par son nom réel, Corrales, je ne connais pas la raison de cette mode.

Extrait musical

Temo 1940-05-10 — Orquesta Típica Victor con Mario Pomar. Je vous laisse écouter cette merveille. On en reparlera plus bas…

Paroles

Porque tus ojos me huyen
Acaso no me amas ya…
Dime que lo haces tan sólo
Por ver si te quiero más…
Dilo, no ves que mi alma
Espera escuchar tu voz…
Entre canciones de besos
Me dices: “Te quiero, mi vida…”

Temo que ya no me quieras
Que ya no me quieras más…
Y es cruel tortura el pensar
Que no me amas, que a otro amás…
Dime que es fiel tu cariño
Dime que es mío, muy mío,
Que sólo me huyen tus ojos
Por verme sufrir.

Aguariguay (Mario Luis Rafaelli) Letra: Atilio Gálvez (Atilio Manuel Perasso)

Traduction libre

Pourquoi tes yeux me fuient-ils ? Peut-être que tu ne m’aimes plus ?
Dis-moi que tu le fais juste pour voir si je t’aime encore plus…
Dis-le, ne vois-tu pas que mon âme attend d’entendre ta voix, entre deux chansons de baisers me dire : « Je t’aime, ma vie… »
 J’ai peur que tu ne m’aimes pas, que désormais tu ne m’aimes plus et c’est une cruelle torture de penser que tu ne m’aimes pas, que tu aimes un autre…
Dites-moi que ton affection est fidèle, dis-moi que tu es mienne, bien mienne, que tes yeux se détournent seulement, car ils me voient souffrir.

Autres versions

Le succès de cette valse est lié uniquement à la version de la Típica Victor. Donc, pas vraiment d’autres versions à vous proposer. Signalons toutefois que l’orchestre Hypérion l’a à son répertoire et la joue régulièrement. Malheureusement les versions disques ne sont pas géniales et il vaut mieux écouter l’orchestre en direct.
Je vous propose donc un autre exercice, une tanda de valse de la Típica Victor

Une tanda de valses

Faire une tanda de la Típica Victor n’est pas si facile. Il y a pourtant près de 50 valses par cet orchestre, mais comme nous l’avons vu, cet orchestre a des styles très différents selon les époques et les directeurs qui se sont succédé.
Le but de la Victor était d’enregistrer les gros succès de l’époque, pas de faire des tandas homogènes. N’oublions pas qu’il ne s’agit pas d’un orchestre de bal, seulement d’un orchestre de disques.

Construction d’une tanda avec Mario Pomar au chant

En général, on s’arrange pour placer dans une tanda des titres du même orchestre. S’il y a un chanteur, on reste souvent avec le même chanteur, dans la même période et le même style.
Avec la Victor, autour de la valse Temo, si on suit ce principe, on n’a que trois autres valses à proposer. Les voici par ordre chronologique avec Temo pour terminer :

Vuelve otra vez 1939-05-08 — Orquesta Típica Victor con Mario Pomar.

Ce titre démarre d’une façon assez rapide. Il a contre lui de ne pas être beaucoup joué. Pour un premier titre, il y a donc le risque que ça ne se lève pas assez vite. Il a un autre point faible, lorsque Pomar commence à chanter, le rythme a un peu ralenti. L’ingénieur du son a de plus nettement baissé le volume de l’orchestre pour favoriser la voix, ce qui peut faire perdre le pas aux danseurs. N’oublions pas le conseil de Adolfo Pugliese, à son fils, Osvaldo : « regarde les pieds des danseurs. S’ils perdent la musique, c’est de ta faute ». Sur une tanda de trois, je ne mettrais pas ce titre.

Noche de estrellas 1939-10-04 — Orquesta Típica Victor con Mario Pomar.

En revanche Noche de estrellas est suffisamment connu pour faire un premier titre et même s’il n’est pas plus rapide que la précédente, ses jeux de violons et bandonéons la rende moins monotone. Pomar chante également de façon plus tonique. Sur une tanda de trois, c’est un excellent premier titre.

Anita 1939-12-12 — Orquesta Típica Victor con Mario Pomar.

Anita a un rythme plus rapide. Elle est entraînante. Le style est cependant différent des deux premières valses. Pour ma part, cela me gêne. En revanche, la fin est entraînante. Le changement de tonalité vers un son plus aigu donne l’impression d’accélération. La fin est donc très satisfaisante pour les danseurs.

Temo 1940-05-10 — Orquesta Típica Victor con Mario Pomar.

On arrive à notre valse du jour, la vedette des enregistrements avec Pomar. Aucun problème pour terminer la tanda, avec cette valse, car le titre est consensuel. Cependant, si on a passé avant Anita, on peut trouver que la fin manque d’élan
Dans ce cas on pourrait imaginer de passer Anita en dernier. Mais c’est un peu comme terminer un repas en reprenant du fromage après le dessert. C’est là que l’observation des danseurs est très importante. En effet, selon le moment de la milonga, selon ce qu’on va mettre ensuite, on ne fera pas le même choix. Il est sûr que les deux premiers titres iront au début d’une tanda de quatre et que les deux derniers iront à la fin d’une tanda de quatre. Si on fait une tanda de trois, ce qui commence à devenir courant, notamment pour les valses, même à Buenos Aires. On pourrait donc avoir :

Noche de Estrellas — Anita — Temo ou Noche de Estrellas — Temo — Anita.

Je pencherai plutôt pour la seconde solution, car la petite déception d’avoir Anita après Temo sera absorbée par la fin plus tonique, mais c’est le type de cas où je prends la décision dans les 20 secondes qui précèdent l’avant-dernier titre…

Exploration d’autres tandas à partir de Temo

Il y a d’autres possibilités que de se cantonner aux quatre valses de Pomar.

Prendre une ou des valses de la Típica Victor, instrumentales ou par un autre chanteur.

C’est souvent ce qu’on fait quand on veut faire une tanda des grands hits. Dans ce cas, on va placer les valses les plus fameuses de cet orchestre, comme Sin rumbo fijo (chantée par Ángel Vargas).

Sin rumbo fijo 1938-04-18 — Orquesta Típica Victor con Ángel Vargas.

La voix est moyennement compatible, mais la musique, si, et après tout, le chanteur ne chante qu’une toute petite partie, ce qui fait que les danseurs auront oublié la différence de voix.
Attention, certains chanteurs ne vont pas du tout ensemble. Par exemple, Carlos Lafuente qui chante un mois avant Pomar la valse Íntima risque d’être très gênant.

Íntima 1940-04-11 — Orquesta Típica Victor con Carlos Lafuente.

Toutefois, on peut faire pire en prenant une valse d’un caractère totalement différent, ici, toujours par Lafuente, Lamentos de mujer :

Lamentos de mujer 1933-05-24 — Orquesta Típica Victor con Carlos Lafuente.

Dans ce cas extrême, les deux valses par Lafuente ne vont même pas ensemble. On notera que l’introduction très longue (40 secondes) devra être coupée pour un passage en cours de tanda afin d’éviter que les danseurs, même les plus bavards, s’ennuient.
Si on ne veut pas prendre de risque de mélanger des voix incompatibles, on peut mixer avec de l’instrumental, par exemple en choisissant la valse Novia mía :

Novia mía 1938-01-07 — Orquesta Típica Victor.

Prendre des titres célèbres pour faire une super tanda est une excellente solution. Son seul inconvénient pour des milongas de très longue durée (8 heures ou plus comme j’en fais souvent), c’est que l’on grille toutes ses cartouches dans une tanda. Si on veut faire une autre tanda semblable quelques heures plus tard, on a moins de choix de morceaux phares. C’est aussi le même problème dans les événements où se succèdent plusieurs DJ qui ne s’écoutent pas (ou qui travaillent avec des playlists immuables), on peut avoir deux fois de suite les mêmes morceaux. À Buenos Aires où les milongas durent souvent longtemps, il arrive qu’il y ait deux DJ. Lors de la passation de « pouvoir », on indique au collègue ce qu’on a passé pour qu’il évite les répétitions. Cela lui permet aussi de boucher les éventuels trous, les orchestres qui ne sont pas passés, par exemple. Pour ma part quand je passe après d’autres DJ, j’évite les répétitions et si j’anime tout un week-end (5 ou 6 milongas), je garde des tangazos (tangos très appréciés) pour chaque orchestre afin de pouvoir proposer une variété, sans épuiser les titres incontournables trop rapidement.

Prendre un titre par un autre orchestre

Pour les enregistrements anciens de la Típica Victor, avec Carabelli, il est assez logique de marier les tandas avec des titres de Carabelli dirigeant son orchestre personnel. Dans le cas de Scorticati, c’est impossible, il n’a pas enregistré avec ses propres orchestres qui étaient par ailleurs temporaires et plus de circonstance que la volonté de ce bandonéoniste d’avoir son orchestre. Cela se fait très peu en tango. En revanche, cela se pratique assez souvent en milonga et en valse. Cela peut être une bonne solution. Encore faut-il que le DJ le fasse avec goût. Rien de plus frustrant pour un danseur de s’élancer sur la piste avec un thème qui lui plaît et de se retrouver ensuite avec un titre qui ne l’inspire pas.
Voici une suggestion, un peu limite, mais qui peut passer avec Temo, du moins à mon avis.

Con tus besos 1938-04-02 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos.

Con tus besos pourrait faire un bon début de tanda.

Pourquoi tu as peur, mon gars ?

Champagne tango 1938-05-09 – Quinteto Don Pancho dir. Francisco Canaro

Manuel Gregorio Aróztegui Letra : Pascual Contursi

S’il fallait prouver un lien entre la France et le tango, il suffirait de mentionner le champagne, breuvage typiquement français qui fut inventé par le moine bénédictin, DOM Pierre Pérignon et imité par tous les viticulteurs du Monde et notamment d’Argentine qui produisent le « champagne » des milongas portègnes.

Le succès du champagne vient du fait que les musiciens argentins, dès 1906, sont venus à Paris pour enregistrer leurs disques. À partir de 1910, cela devient une véritable ruée, renforcée par la folie des Parisiens pour cette musique et la danse associée.
Même si le syndicat des musiciens français imposait aux Argentins de jouer en costume traditionnel de leur pays, les musiciens argentins ont fait recette. Canaro qui a enregistré en 1938 notre tango du jour ne nous contredira pas, lui qui ainsi que ses frères fut un habitué des cabarets parisiens.
Ces cabarets se sont exportés à Buenos Aires, y compris dans les noms. Les paroles de Contursi mentionnent le Pigall, l’un des plus réputés. Cabaret et champagne, Chapô au lieu de sombrero. Le ton est donné, les Portègnes s’amusent à être à Paris.
Je vous invite à consommer sans modération, Champagne tango.

Extrait musical

Champagne tango 1938-05-09 — Quinteto Don Pancho dir. Francisco Canaro

Fidèle à son style « marchant » Canaro à la tête de son Quinteto Don Pancho nous propose une version qui se déroule sans encombre. Ceux qui sont habitués aux versions de Di Sarli seront sans doute très dépaysés, mais cette version avec ses petites fioritures au violon est bien sympathique. Une version assez légère qui s’envole comme les bulles du champagne.

Paroles

Il faut se lever de bonne heure pour trouver une version chantée de Champagne tango… Vraiment de très bonne heure, car je n’en ai pas trouvé.

Esas minas veteranas
que siempre se conformaban,
que nunca la protestaban
aunque picara el buyón,
viviendo así en su cotorro
pasando vida pibera
en una pobre catrera
que le faltaba el colchón.

¡Cuántas veces a mate amargo
el estómago engrupía
y pasaban muchos días
sin tener para morfar!
La catrera era el consuelo
de esos ratos de amargura
que, culpa « e la mishiadura
no tenía pa » morfar.

Se acabaron esas minas
que siempre se conformaban
con lo que el bacán les daba
sí era bacán de verdad.
Hoy sólo quieren vestidos
y riquísimas alhajas,
coches de capota baja
pa’ pasear por la ciudad.

Nadie quiere conventillo
ni ser pobre costurera,
ni tampoco andar fulera…
Sólo quieren aparentar
ser amigo de fulano
y que tenga mucho vento
que alquile departamento
y que la lleve al Pigall.

Tener un coche,
tener mucama
y gran « chapó »
y pa’ las farras
un gigoló;
pieza alfombrada
de gran parada,
tener sirvienta
y… ¡qué se yo !
Y así…
de esta manera
en donde quiera
« champán tangó ».

Manuel Gregorio Aróztegui Letra : Pascual Contursi

Traduction libre et indications

Ces filles vétéranes qui s’adaptaient toujours, qui ne protestaient jamais même si elles tiraient le diable par la queue, vivant ainsi dans son gourbi (cotorro, garçonnière, chambre de solitaire, chambre de prostituée) une vie de pauvre fille dans un pauvre lit auquel il manquait le matelas.
Combien de fois l’estomac s’est-il contenté de mate amargo (Mate, la boisson d’Uruguay, Paraguay et Argentine qui se boit sans sucre, amère) et beaucoup de jours se sont écoulés sans rien avoir à manger !
Le lit était la consolation de ces moments d’amertumes où, par la faute de la misère, il n’y avait rien à manger.
C’est fini, les filles qui se contentaient toujours de ce que le mec leur donnait s’il était un vrai bacán (qui entretient une fille).
Aujourd’hui, elles ne veulent que des robes et des bijoux somptueux, des voitures décapotables pour se promener dans la ville.
Personne n’a envie de conventillo (habitation collective des pauvres de Buenos Aires) ou d’être une pauvre couturière, ni d’aller inconnue (fulera est une personne quelconque, sans prestige. La Fulera est aussi la mort, mais pas dans ce contexte)
Elles veulent juste paraître être amis avec untel ayant beaucoup d’argent, qu’il loue un appartement et qu’il l’emmène au Pigall (le cabaret/Casino Pigall appartient à ce phénomène de mode où se copient les mœurs parisiennes, Pigalle étant un quartier animé de Paris).
Avoir une voiture, avoir une femme de ménage et un grand « chapó » (chapeau, autre mode, parler avec des mots de français, voire en français) et d’avoir un gigolo pour les fêtes, une pièce recouverte de tapis luxueux (gran parada est à prendre dans le sens français de parade), d’avoir une servante et… que sais-je !
Et ainsi… de cette façon, elle veut « Champagne et Tango ».

Autres versions

Champagne tango 1914 Orquesta Roberto Firpo.

Cette version acoustique, desservie par la technique d’enregistrement, permet tout de même de prendre connaissance de l’interprétation de Firpo qui nous proposera 32 ans plus tard, un autre enregistrement que nous pourrons comparer. La flûte (jouée par Alejandro Michetti) qui vit ses dernières années dans les orchestres de tango est ici bien présente.

Champagne tango 1929 – Orquesta Victor Popular.

Une version un peu vieillotte. La clarinette joue avec les violons. Ce n’est pas vilain, mais un peu monotone et ce disque est en mauvais état.

Champagne tango 1938-05-09 — Quinteto Don Pancho dir. Francisco Canaro. C’est notre tango du jour.
Champagne tango 1938-06-22 — Orquesta Juan D’Arienzo.

C’est le tout dernier enregistrement avec Biagi au piano, avant qu’il se fasse virer pour avoir pris la vedette à D’Arienzo. L’orchestre est dans un intense dialogue avec le piano qui est effectivement la vedette, le soliste.
Quand on voit l’évolution du piano pendant les trois années où Biagi a officié dans l’orchestre de D’Arienzo, on peut se demander ce qu’aurait donné l’évolution de l’orchestre de D’Arienzo avec Biagi si el Rey del Compás avait été un peu moins susceptible…

Champagne tango 1944-07-28 — Orquesta Carlos Di Sarli.

Qui n’a jamais entendu Champagne tango par Di Sarli n’a jamais pris de cours de tango. Même si Di Sarli en propose trois enregistrements, cette version bien rythmée est la préférée des professeurs qui pensent que leurs élèves doivent avoir un tempo bien marqué et suffisamment lent pour que leurs élèves puissent mettre en pratique les figures compliquées qu’ils viennent de leur apprendre.
Relativement peu de surprise dans cette version. Les danseurs peuvent être en confiance.

Champagne Tango 1946-09-25 — Roberto Firpo y su Nuevo Cuarteto.

32 ans plus tard, Firpo qui essaye de se refaire une santé financière s’est remis au tango. Son interprétation est très originale et inspirera des orchestres uruguayens, comme nous le verrons ci-dessous.
L’attaque des cordes des violons par des coups d’archet brefs ou des pizzicati donne une version pétillante comme des bulles de champagne.

Champagne tango 1952-09-19 — Orquesta Héctor Varela.

Je sais que certains essayeront de ne pas écouter cette version à cause du nom de Varela. Cependant cette version est plutôt sympathique. Elle est énergique et sensible. Elle convient à la danse et est dépourvue des poncifs fatigants de Varela. Alors, allez-y en confiance et laissez-vous enivrer par Varela.

Champagne tango 1952-10-27 — Orquesta Carlos Di Sarli.

Encore Di Sarli. La musique est beaucoup plus glissée. Les violons ondoyants alternent avec des passages plus martelés. Cette version est plus contrastée que celle de 1944. C’est un Di Sarli typique, un incontournable des milongas.

Champagne tango 1958-11 — Orquesta Carlos Di Sarli.

Encore, encore Di Sarli qui a enregistré de nombreux titres à deux reprises durant la décennie des années 50. C’est un développement de la version précédente. Elle est bien fluide. On sent le disque qui tourne, imperturbable. On peut préférer les autres versions, mais celle-ci a aussi ses fanatiques. Sur l’île déserte, il faut emporter tout le champagne de Di Sarli

Champagne Tango 1959-03-23 — Donato Racciatti y sus Tangueros del 900.

Le retour de la flûte (et pas seulement de champagne) et d’un style de jeu qui plaît à Borges qui n’a jamais digéré que le tango sorte des bordels et de sa fange pour se « dénaturer » avec la guimauve sentimentale. Racciatti nous propose une version légère et qui pourrait être une réminiscence des années 1910, époque où la guitare et la flûte le disputaient encore au piano et au bandonéon.

Champagne tango 1959-12-07 — Miguel Villasboas y Su Quinteto Bravo del 900.

On reste sur la rive uruguayenne. Le style entraînant de Villasboas et sa sonorité particulière sont en général bien appréciés. On retrouvera des similarités avec Firpo. Une version joueuse. Villasboas n’a pas le champagne triste.

Champagne tango 1970 — Quinteto Añoranzas.

Le Quinteto Añoranzas nous propose une autre version avec un ensemble réduit. Il semblerait que le champagne se prête bien aux petites formations. Là encore _une flûte présente, mais qui partage la vedette avec le bandonéon et le violon. Cette version est cependant un peu terne. On désirerait un peu plus de mouvement (Añoramos a más movimiento 😉

Champagne tango 1979-09 — Miguel Villasboas y su Sexteto.

Vingt ans après, Villasboas nous livre une autre version. Pour ma part, je trouve la réverbération exagérée. Cela rend confuse l’écoute et perturbe la sérénité des danseurs. J’éviterais donc de vous passer cette version.Miguel Villasboas y su Sexteto. Vingt ans après, Villasboas nous livre une autre version.
Notons que trois versions par des orchestres uruguayens, c’est peut-être un signe de chauvinisme, Aróztegui étant lui aussi Uruguayen…

Champagne tango 1996 — Quinteto Francisco Canaro dir. Antonio D’Alessandro.

Peut-être que les musiciens ont un peu abusé de la divine boisson. La pièce est un peu assoupie. C’est peut-être pour exprimer la nostalgie des paroles, mais en tous cas, cela ne donne pas envie de la danser.

Le coup de l’étrier (La copa de la despedida)

Je ne pouvais pas vous laisser sur la version du Quinteto Canaro. Je vous propose donc un autre titre, venu d’un autre univers, mais qui parle aussi de champagne. Il s’agit de Champagne bubbles par Jose-M.Lucchesi. Ce musicien passionné de tango argentin n’a pas toujours été reconnu à sa juste valeur, notamment à cause d’une certaine jalousie des musiciens argentins qui voyaient en lui un talentueux concurrent. D’origine corse (France), mais né au Brésil, il fait l’essentiel de sa carrière en France, comme compositeur et chef d’orchestre. Il se fera d’ailleurs naturaliser Français.

Champagne-bubbles 1935 Jose-Maria Lucchesi.
Champagne Bubbles (composé par Jose-Maria Lucchesi, un titre en anglais et des indications en allemand pour cette production réalisée par Electrola à Berlin (Allemagne). Ceci montre la diffusion du tango… et du champagne. 1935, on est dans la période où les nazis encourageaient le tango plutôt que le jazz, musiques de noirs qu’ils méprisaient.

Pour en savoir plus sur Lucchesi, vous pouvez reporter à l’excellent site Milonga Ophelia.

Tu olvido 1936-05-08 — Orquesta Juan D’Arienzo con Walter Cabral

Vicente Spina (Paroles et musique)

Encore une histoire qui sent la rose. Il faut dire que quand on s’appelle Spina (épine en italien), la rose est une source d’inspiration naturelle. La version enregistrée par D’Arienzo et Cabral est une des fleurs qui ont éclos aux sons de cette magnifique valse, il y a exactement 88 ans.

Extrait musical

Tu olvido 1936-05-08 — Orquesta Juan D’Arienzo con Walter Cabral.

La valse démarre au quart de tour, comme sur un coup de manivelle. On est bien au début de la période Biagi dans l’orchestre de D’Arienzo, mais le piano est bien discret. Tout juste quelques ponctuations comme à 1 : 17 entre deux phrases chantées par Cabral. Le violon, l’instrument de D’Arienzo est plus mis en vedette, en compagnie de la voix un peu aigre de Cabral. La valse qui avait démarré semble se lancer à toute vitesse sur la fin. C’est une illusion donnée notamment par les notes doublées du piano. Cette façon de terminer dans l’euphorie est typique des valses de D’Arienzo. On en viendrait à oublier totalement que les paroles sont un peu tristes. Cependant, Cabral n’en chante qu’un tout petit bout, alors on ne s’en rend pas compte, emporté par la frénésie tourbillonnante de cette valse.

La partition de la valse nous révèle que c’est un vals criollo. Ce détail a son importance comme nous le verrons avec les autres versions.

Paroles

Han brotado otra vez los rosales
junto al muro en el viejo jardín,
donde tu alma selló un juramento,
amor de un momento
que hoy lloro su fin.
Tierno llanto de amor fuera el tuyo
que en tus ojos divinos bebí.
Ojos falsos que así me engañaron
al ver que lloraron los míos por ti.

Mas los años al pasar me hicieron
comprender la triste realidad.
Que tan solo es ilusión,
lo que amamos de verdad.
Sin embargo cuando en los rosales
renacen las flores
los viejos amores
con sus madrigales
tornan como entonces a mi corazón.

Cuando vuelvan las noches de invierno
y se cubra de nieve el jardín,
si estás triste sabrás acordarte
de aquel que al amarte
no supo mentir.
No es mi canto un reproche a tu olvido,
ni un consuelo te vengo a pedir,
sólo al ver el rosal florecido:
el sueño perdido lo vuelvo a vivir.

Vicente Spina (Paroles et musique)

Walter Cabral ne chante que la partie en gras

Traduction libre

Les rosiers ont repoussé le long du mur du vieux jardin, où ton âme a scellé un serment, l’amour d’un moment qui aujourd’hui a pleuré sa fin.
De tendres larmes d’amour étaient tiennes que j’ai bues dans tes yeux divins.
Des yeux faux qui m’ont trompé quand ils ont vu que les miens pleuraient pour toi.

Mais les années qui ont passé m’ont fait comprendre la triste réalité.
Que ce n’est qu’une illusion, ce que nous aimons vraiment.
Cependant, lorsque sur les rosiers renaissent les fleurs,
les vieux amours avec leurs madrigaux reviennent, comme ils le faisaient alors, dans mon cœur.

Quand les nuits d’hiver reviendront et que le jardin sera couvert de neige, si tu es triste tu sauras te souvenir de celui qui n’a pas su mentir quand il t’aimait.
Mon chant n’est pas un reproche à ton oubli ni une consolation que je viens te demander, seulement quand je vois le rosier fleurir : le rêve perd, je le revis.

Autres versions

Tu olvido 1932-06-02 — Alberto Gómez y Augusto « Tito » Vila con acomp. de guitares.

Cette version est la plus ancienne. Le duo Gómez et « Tito » Vila chante à la tierce la totalité des paroles en reprenant le second couplet. On retrouve dans cette version les sonorités du vals criollo.

Tu olvido 1936-05-08 — Orquesta Juan D’Arienzo con Walter Cabral. C’est notre valse du jour.
Tu olvido 1946-12-19 — Orquesta Ricardo Tanturi con Osvaldo Ribó y Roberto Videla.

Tanturi abandonne le principe d’introduction de D’Arienzo et Gómez avec « Tito » Vila. La valse tourne avec énergie. Contrairement à Gómez et « Tito » Vila, le duo est aussi en dialogue en plus d’être en phase, à la tierce. La fin est une lente éclosion. En résumé, une belle version, très différente de celle de D’Arienzo, mais tout aussi géniale à danser.

Tu olvido 1951c — Andres Falgas Con Orquesta Roberto Pansera.

La sonorité de Pansera est un peu légère. Le Duo chante de nouveau à la tierce. Les voix sont les vedettes de cette version où l’orchestre est très discret.

Tu olvido 1952-04-25 — Orquesta Eduardo Del Piano con Mario Bustos y Héctor De Rosas.

Encore un duo servi par un orchestre, cette fois plus expressif, avec un bien piano présent. Des ponctuations de l’orchestre marquent les moments de pause des chanteurs. Cette version sans doute plus rare reste dansable et peut aider à renouveler le plaisir des oreilles des danseurs. La fin est aussi en ralentissement, l’opposé de D’Arienzo, mais moins ralentie que la version de Tanturi. Chaque orchestre imprime sa marque au titre.

Tu olvido 1960 c — Orquesta Eliseo Marchese con Agustín y Marión Copelli.

L’orchestre Eliseo Marchese sert l’accompagnement au couple des Copelli. Ici, femme et homme chantent à la dixième (octave plus tierce). Cela se laisse écouter, mais je ne le proposerai sans doute pas en milonga, malgré l’étonnante fin en cascade.

Tu olvido 1969 — Trio Ciriaco Ortiz. Le folklore s’inspire et inspire.

Ici, cette version par le trio de Ciriaco Ortiz est clairement destinée à la danse, mais plutôt dans un mouvement folklorique, voire musette. La version est sans doute un peu monotone et rapide pour en faire une valse de tango argentin.

Tu olvido 1981 — Orquesta Leopoldo Federico con Carlos Gari.

Avec cette valse signée par Federico, on est l’opposé du folklore. Une recherche d’élégance change totalement le caractère de cette valse, qui n’est probablement plus du tout à proposer pour la danse. Écoutons-là donc.

Tu olvido 1999-04-05 — Los Visconti. Encore une version folklorique.

Avec un caractère évoquant la ranchera. Les danseurs de folklore ont une autre version à choisir. Le rythme est plus lent que la version de Ciriaco Ortiz. On n’est plus dans le musette.

Tu olvido 2002 — Armenonville. Armenonville renoue avec la tradition de la flûte et de la guitare.

Le bandonéon et le violon sont également exploités de façon légère, ce que confirme le chant. Une version qui se laisse écouter, mais qui ne devrait pas provoquer de réactions passionnées chez les danseurs…

Pour terminer une version en vidéo avec les deux Albertos, Alberto Podestá et Alberto Marino. Cette prestation a été enregistrée en 2011 dans l’émission El Tangazo. Les chaînes argentines entretiennent fidèlement la nostalgie en mettant en valeur notre musique de tango.

Alberto Podesta y Alberto Marino en duo, dans l’émission El Tangazo, 2011 sur Cronica TV. Un grand moment.

Tu olvido. Quand l’amour ne fait pas son boulot…

Caricias 1937-05-07 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar

Juan Martí Letra : Alfredo Bigeschi

Caricias (caresses). Le titre de ce tango est plein de promesses, mais vous vous en doutez, il s’agit plus de souvenirs que d’avenir. Découvrons ce titre dont la version du jour fête aujourd’hui son 87e anniversaire. La musique est de Juan Martí, les paroles d’Alfredo Bigeshi et l’enregistrement a été effectué par Francisco Lumuto et Jorge Omar.

Alfredo Bigeschi (Portoferraio, Île d’Elbe, Italie 1908-12-18 — Buenos Aires 1980-03-25), violoniste, auteur et compositeur

Alfredo Bigeschi (Portoferraio, Île d’Elbe, Italie 1908-12-18 — Buenos Aires 1980-03-25), violoniste, auteur et compositeur

Alfredo a débarqué d’Italie avec ses parents à l’âge de 12 ans. À 15 ans, il écrivait pour le carnaval de La Boca où la famille vivait et l’année suivante, en 1924, il publiait son premier tango, « Tenorios de mi barrio » œuvre probablement perdue et sans enregistrement et dont le titre est un peu étonnant pour un jeune de 16 ans (coureurs de jupons/favoris de jeunes prostituées). Mais il en composera et/ou écrira les paroles d’environ 300 autres, dont notre tango du jour, Caricias.

Juan Martí (Jacobo Montecof) 1911-01-15 – 1967-06-25) compositeur.

Juan Martí est pour sa part moins prolifique. On pourrait citer en plus de Caricias qui est son plus grand et seul succès, Mis lágrimas (attention à ne pas confondre avec le tango du même nom de Ángel Maffia et Enrique Cadícamo), Nunca nunca, Si tú te vas ou Todo está demás. Ces œuvres n’ont pas été enregistrées ou les enregistrements sont restés confidentiels.

Extrait musical

Caricias 1937-05-07 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar

C’est la plus ancienne version qui nous soit parvenue.
D’autres tangos plus anciens portent ce nom, comme celui chanté en 1925 par Gardel, mais ils ont d’autres auteurs et n’ont de commun avec notre tango du jour, que le titre.
Dans ce titre, on remarquera, une fois de plus que Francisco Lomuto n’a pas que le prénom en commun avec Francisco Canaro. Le style est relativement proche. Lomuto ne peut pas être considéré comme un novateur pour continuer ce style « Vieille garde » en 1937.

Paroles

La soledad
que me envuelve el corazón,
va encendiendo en mi alma
el fuego de tu amor lejano.
En las brumas de tu olvido
viaja mi ilusión,
gritando tu nombre en vano.

Pero no estás
y en mi cruel desolación
es un fantasma el recuerdo
de lo que se fue.
Percibo tu sombra y mi amor te nombra
pidiéndote aquellas caricias de ayer.

No vendrás
y sin embargo te espera mi amor.
Quiero olvidarte y no puedo olvidar
porque sos toda mi ilusión.
No vendrás
y yo esperándote estoy, mi bien,
con la fe del que ama como yo.
Y añora de ti, caricias de ayer
anhelante mi buen corazón.

En la ansiedad
de tenerte junto a mí
mis manos en el vacío
te andan buscando,
y en medio de este silencio
atroz mi alma febril,
para sí, te está llamando.

Juan Martí Letra: Alfredo Bigeschi

Traduction libre

La solitude qui enveloppe mon cœur allume dans mon âme le feu de ton amour lointain.
Dans les brumes de ton oubli voyage mon illusion, criant ton nom en vain.
Mais tu n’y es pas et dans ma cruelle désolation, le souvenir de ce qui s’en est allé n’est plus qu’un fantôme.
Je perçois ton ombre et mon amour te nomme, te demandant ces caresses d’hier.
Tu ne viendras pas, et pourtant mon amour t’attend.
Je veux t’oublier et je ne peux pas oublier parce que tu es toute mon illusion.
Tu ne viendras pas, et je t’attends, ma bonne, avec la foi de celui qui aime comme moi.
Je suis en manque de toi, de caresses d’hier désirées par mon bon cœur.
Dans l’anxiété de t’avoir près de moi, mes mains dans le vide te cherchent, et au milieu de cet atroce silence, mon âme fiévreuse, pour elle-même, t’appelle.

Autres versions

Caricias 1937-05-07 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar
C’est notre tango du jour.
Caricias 1938-03-28 — Mercedes Simone con acomp. de su Trío Típico.

Une superbe version en chanson. Le tempo est très lent. Mercedes met toute son émotion dans son interprétation, ce qui en fait une version à considérer, pas pour la milonga, bien sûr, mais pour une écoute, un jour gris.

Caricias 1945-08-07 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas.

Première version bien dansante de notre sélection, même si la version de Lomuto charmera les fanatiques de la vieille garde. On connaît la merveilleuse association des deux anges. Vargas et D’Agostino signent, ici, un de leurs innombrables chefs-d’œuvre.

Caricias 1951-07-30 — Orquesta Rodolfo Biagi con Carlos Heredia.

Biagi commence dans une sonorité étouffée qui ne lui est pas si courante. L’orchestre continuera ainsi avec discrétion, juste en appui de la voix de Carlos Heredia.
On regrette un peu que cette version ne soit pas un Biagi plus typique. Mais une surprise nous attend avec la version suivante…

Caricias — Conjunto Don Rodolfo con Hugo Duval.

Cet orchestre joue à la manière de Biagi. On le trouve sous trois noms. Conjunto Don Rodolfo (nom du trio Yumba quand Duval chante), comme ici, mais aussi Trio Yumba et Rodolfo Biaggi (avec deux « G »). En revanche, Hugo Duval est le même que celui qui chantait pour Biagi avec un seul G. D’ailleurs sur ses disques, il joue de l’ambigüité et je suis sûr que de nombreux acheteurs de ses disques ont pensé acheter des « vrais » Biagi. En fait, je connais même des DJ qui se trompent… Mais est-ce si important ?

Hugo Duval est cité, mais c’est la photo de Rodolfo Biagi qui est présente, que les disques soient du Trio Yumba, Rodolfo BiaGGi, ou de Don Rodolfo (Trio Yumba avec Duval). Disons que c’est un hommage et pas une tentative d’escroquerie, Biagi est en mort en 1969, tous les enregistrement postérieurs qui portent les mentions Trio Yumba, Rodolfo Biaggi ou Don Rodolfo sont posthumes.

Et pour terminer une version chantée à la guitare par Juan Villarreal.

Voilà, c’est la fin de ce petit parcours.
À demain, les amis !

La bordona 1958-05-06 — Orquesta Aníbal Troilo

Emilio Balcarce

Le bourdon est une corde ou une hanche qui donne toujours la même note. C’est très courant sur les instruments traditionnels comme la vielle à roue ou les cornemuses. Emilio Balcarce a voulu donner un air «champêtre à cette composition et a donc proposé un bourdon, bien sûr, beaucoup plus sophistiqué, mais qui a donné sa couleur à la musique. Le violoncelle démarre la musique sur sa corde basse, qui se nomme bordona. Le titre du tango nous l’annonçait.

Signalons que bordona a d’autres acceptions. C’est la corde grave, voire les trois cordes les plus graves de la guitare. C’est aussi la fille cadette d’une famille…

Extrait musical

La bordona 1958-05-06 — Orquesta Aníbal Troilo.

Le violoncelle lance la mélodie sur ses cordes graves. Ce ronronnement caractéristique se retrouvera à plusieurs reprises dans l’œuvre. C’est cette phrase mélodique dans les graves qui a inspiré son nom.

Une partition avec tous les pupitres.

La première page de la partition (au centre) montre que seuls le violoncelle et le piano entrent en scène. La page de droite montre un passage ultérieur où tous les instruments sont mobilisés, puis le début du solo de bandonéon. Partition proposée par le site https://tangosinfin.org.ar/.

Autres versions

La bordona 1958-05-06 — Orquesta Aníbal Troilo. C’est notre tango du jour.
La bordona 1958-08-06 — Orquesta Osvaldo Pugliese.

Pugliese commence avec un piano, son piano plus présent. Le ronronnement grave est moins présent. L’atmosphère est différente, moins chaude.

La bordona 1962-01-09 — Orquesta Aníbal Troilo.

Moins de 4 ans plus tard, Troilo propose une version très différente. La nouvelle entrée en matière est percutante avec un arpège au piano. Comme chez Pugliese, le ronronnement est un peu masqué et le piano a pris de l’ampleur. L’ensemble reste cohérent avec une bonne distribution des variations. Ce n’est pas à mettre entre les pattes de tous les danseurs, mais il y a des éléments de supports à l’improvisation qui peuvent intéresser certains. Ce me semble cependant la limite maximale pour une proposition de danse et je ne m’y aventurerai qu’avec un public particulièrement gourmand de ce type d’interprétations.

La bordona 1963-04-25 — Orquesta Aníbal Troilo.

Un an plus tard, cette nouvelle version met en avant les capacités de l’enregistrement stéréo (vous ne pouvez pas l’entendre dans les anecdotes à cause de la taille admissible des fichiers sur le site, ces derniers sont en basse définition et en mono… Cherchez donc le titre dans votre discothèque pour en apprécier les effets spatiaux. Cette version est plus mélodique, probablement moins dansante, même si ce titre n’est pas un titre totalement destiné à la danse, quelle que soit la version. On notera que l’introduction en arpège de la version de 1962 ajoute les accords de l’orchestre aux arpèges du piano.

La bordona 1993 — Sexteto Tango.

Ce sexteto issu de l’orchestre de Pugliese propose une version intéressante avec de jolis pizzicati au début e tune intro inspirée de celles de Troilo 62/63, mais différente. On s’éloigne encore un peu plus du tango de danse. Elle manque peut-être un peu d’allant et elle me semble un peu décousue, les parties ne s’enchaînent pas de façon aussi harmonieuse que dans d’autres versions.

La bordona 1996 — Orquesta Color Tango.

Cette version démarre avec une introduction très sombre, presque inquiétante. J’aime beaucoup. La suite est peut-être un peu moins réussie. Elle ne démérite pas, mais elle n’est pas à la hauteur de l’introduction. Le parti pris de tempo assez lent et les surprises éloignent pour moi totalement cette version du champ de la danse. Sa fin plus tonique avec sa courte citation de habanera est intéressante.

La bordona 2000-09 — Orquesta El Arranque.

El Arranque introduit la guitare, instrument légitime dans la mesure où ses cordes graves sont des bordonas… Cette version est plus légère que les précédentes et doit pouvoir susciter l’intérêt, même si pour la danse, je pense qu’il est plus raisonnable de rester chez Troilo.
Et pour terminer, une version à la guitare.
Anibal Arias — La Bordona. On voit dans la vidéo les trois cordes graves (celles du dessus) que l’on appelle bordonas sur une guitare. Une version pour guitare est donc tout à fait légitime, même si elle n’a pas l’ampleur de celles avec les grands orchestres.  

Ríe, payaso 1952-05-05 – Ángel Vargas con su orquesta dirigida por Armando Lacava

Virgilio Carmona Letra: Emilio Luis Ramón Falero

Certains aiment les clowns, d’autres en ont peur. On appelle cela la coulrophobie (rien que le nom donne des angoisses). Ángel Vargas dans cette superbe version de Ríe, payaso (Ris, clown) transmets l’émotion. Cette version est sans doute moins connue que celle de Casares et D’Arienzo, mais c’est le tango du jour et je pense que vous allez l’aimer.

Extrait musical

Ríe, payaso. Un essai d’animation du visage.
Ríe, payaso 1952-05-05 — Ángel Vargas con su orquesta dirigida por Armando Lacava.

J’aime beaucoup cette version, car la voix de Vargas donne sans doute la plus belle interprétation de ce thème. Pour la danse, on est sans doute en retrait par rapport à celle de 1940 de D’Arienzo. Vous pourrez en juger avec les nombreuses versions que je vous propose.

Paroles

El payaso con sus muecas
y su risa exagerada,
nos invita, camaradas,
a gozar del carnaval;
no notáis en esa risa
una pena disfrazada,
que su cara almidonada,
nos oculta una verdad.

Ven payaso, yo te invito,
compañero de tristezas,
ven y siéntate a mi mesa
si te quieres embriagar ;
que si tú tienes tus penas
yo también tengo las mías
y el champagne hace olvidar.

Ríe, tu risa me contagia
con la divina magia
de tu gracia sin par.
Bebamos mucho, bebamos porque quiero,
con todo este dinero
hacer mi carnaval.

Lloras, payaso buen amigo.
No llores que hay testigos
que ignoran tu pesar;
seca tu llanto y ríe con alborozo,
a ver, pronto, ¡che mozo,
tráigame más champagne !

Yo, también, como el payaso
de la triste carcajada,
tengo el alma destrozada
y también quiero olvidar;
embriagarme de placeres
en orgías desenfrenadas
con mujeres alquiladas
entre música y champagne.

Hace uno año, justamente,
era muy de madrugada,
regresaba a mi morada
con deseos de descansar;
al llegar vi luz prendida
en el cuarto de mi amada…
es mejor no recordar.

Virgilio Carmona Letra: Emilio Luis Ramón Falero

Traduction libre

Le clown avec ses grimaces et ses rires exagérés nous invite, camarades, à profiter du carnaval.
Tu ne remarqueras pas dans ce rire, une tristesse déguisée que sa face amidonnée, nous cache une vérité.

Viens, clown, je t’invite, compagnon de tristesse.
Viens à ma table si tu veux te saouler.
Que si tu as tes peines, j’ai aussi les miennes et le champagne fait oublier.

Ris, ton rire est contagieux avec la magie divine de ta grâce hors pair, buvons beaucoup, buvons parce que je veux faire de tout cet argent, mon carnaval.

Pleure, bon ami clown.
Ne pleure pas, car il y a des témoins qui ignorent ta peine.
Sèche tes larmes et ris avec joie.
Que rapidement, ce serveur m’apporte plus de champagne.

Moi aussi comme le clown au rire triste, j’ai l’âme brisée et je veux aussi oublier.
M’enivrer de plaisirs dans des orgies effrénées entre musique et champagne

Il y a tout juste un an, je rentrais dans chez moi avec l’idée de me reposer.
Quand je suis arrivé, j’ai vu une lumière allumée dans la chambre de ma bien-aimée, il vaut mieux ne pas se souvenir.

Pleure, bon ami clown.
Ne pleure pas, car il y a des témoins qui ignorent ta peine.
Sèche tes larmes et ris avec joie.
Que rapidement, ce serveur m’apporte plus de champagne.

Ríe, payaso. Marcelino Orbés, essai d’animation.

Autres versions

Ríe, payaso 1929-02-06 — Orquesta Roberto Firpo.

Une version instrumentale tout à fait dansable pour ceux qui aiment la vieille garde.

Ríe, payaso 1929-08-26 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José María Aguilar (guitarras).

On ne parle pas de danse, mais c’est Gardel et c’est une référence à toujours avoir en tête.

Ríe, payaso 1940-08-22 — Orquesta Juan D’Arienzo con Carlos Casares.

Une version tonique. Il ne reste rien de la tristesse du clown, mais quel bonheur de danser cette version explosive. Ma voix de Casares s’intègre bien sans gêner la danse. Une version pour les DJ qui aiment faire plaisir à leurs danseurs.

Ríe, payaso 1945 — Roberto Quiroga con guitarras.

Une chanson accompagnée à la guitare, à comparer avec celle de Gardel.

Ríe, payaso 1949-12-21 — Orquesta Florindo Sassone con Roberto Chanel.

Une version emphatique et sans doute un peu trop appuyée pour être agréable à écouter. Trop de pathos nuit au pathos.

Ríe, payaso 1950-05-17 — Orquesta Enrique Alessio con Hugo Soler.

Une autre version un peu trop appuyée. Alessio et Soler n’ont pas fait beaucoup d’enregistrements, c’était l’occasion de vous en faire écouter un…

Ríe, payaso 1952-05-05 — Ángel Vargas con su orquesta dirigida por Armando Lacava.C’est notre tango du jour.
Ríe, payaso 1957 — Héctor Mauré y su Conjunto dir. Carlos Demaría.

Une version à écouter, mais une très jolie version, nostalgique et émouvante à souhait.

Ríe, payaso 1959-11-12 — Orquesta Juan D’Arienzo con Mario Bustos.

Toujours de l’énergie. On est chez D’Arienzo. Le rendu est pourtant très différent de la version de 1940. Pour moi, c’est moins intéressant à danser, mais ça reste proposable à des danseurs tolérants.

Ríe, payaso 1964 — Tipica Tokyo con Ikuo Abo.

Une curiosité destinée à l’écoute. La diction de Ikuo Abo a un peu de mal à suivre la métrique de la musique.

Ríe, payaso 1976 — Orquesta Típica Florida con Mauricio Pitich.

Pour mémoire, car la prise de son est vraiment très mauvaise.

Ríe, payaso 2009 — Tango Madame.

Une version toute légère par cet orchestre français.

Ríe, payaso 2010 — Orquesta Típica El Afronte.

Une version originale, mais trop décousue pour la danse.

Ríe, payaso 2017-11 — Hyperion Ensemble con Rubén Peloni.

Une version assez tonique et légère.

Ríe, payaso 2018 — Orquesta Silbando Con Sebastian Rossi.

Des bruits étonnants au début. Sans doute trop de réverbération, mauvaise prise de son ou choix artistique discutable. Cela nuit à la clarté et donc à la dansabilité, d’autant que le tempo est très rapide.

Ríe, payaso 2019 — Sexteto Cristal Con Guillermo Rozenthuler.

Une des plus récentes versions qui prouve qu’un siècle après, les clowns sont toujours sujets de tango.

Sortez les clowns !

Attention, tous les payasos ne sont pas de ce titre. Il y a une dizaine de thèmes qui parlent de payaso. Il en est un dont le titre est très proche comme « Ríe payaso, ríe », mais qui est une valse de Ted Fiorito et Mercedes Simone avec des paroles de Mercedes Simone et Jacinto Font.
En voici deux exemples, dont le premier avec l’auteure, Mercedes Simone et l’autre par l’incontournable Canaro…

Ríe payaso, ríe 1929-09-27 (Vals) — Mercedes Simone
Ríe payaso, ríe 1929-11-13 (Vals) — Orquesta Francisco Canaro con Charlo

Marcelino

Un DJ est parfois un clown qui doit faire s’amuser les danseurs, même s’il est triste, déprimé ou tout simplement fatigué.
C’est un métier de spectacle, mais les plus méritants, ce sont bien sûr les clowns, qui, quand ils ne sont pas de dangereux psychopathes, doivent faire rire à tout prix leur public.
Même si, une fois de plus, je sors complètement du sujet, je vous présente ce livre de Víctor Casanova Abós qui traite de la mort et de la vie du clown Marcelino, Marcelino Orbés. Ce gamin vendu par ses parents à un cirque, qui trouva la gloire comme payaso (clown) à Londres et New York et la mort dans son suicide.

Couverture du livre de Víctor Casanova Abós qui traite de la mort et de la vie du clown Marcelino, Marcelino Orbés

Décidément, ces clowns me donnent des pensées tristes qui peuvent se danser…

Ríe, payaso.

Para ti madre 1932-05-04 – Orquesta Francisco Canaro con Agustín Irusta

José Mocciola Letra : Venancio Clauso

¡Madre hay una sola! chantait Gardel dans le tango du même nom. La valse du jour est une valse pour les mères que l’on fête en Argentine le 3dimanche d’octobre. Ce n’est donc pas tout de suite que les Argentins vont passer cette valse à leur maman, en revanche, dans beaucoup d’autres pays, cela se fête en mai. Certains vont donc pouvoir l’utiliser bientôt…

Extrait musical

Partition de Para ti, Madre.
Para ti madre 1932-05-04 — Orquesta Francisco Canaro con Agustín Irusta. Près de 30 secondes d’introduction, le temps d’aller chercher sa mère pour la faire danser.

Paroles

Este mundo, donde todo es leve humo,
mentira, hojarasca,
por sobre toda pequeñez humana,
por sobre toda grandeza vacua,
como un beso de dios, hecho materia,
un simbolo, la madre se levanta

Dichoso tiempo aquel de la niñez maravillosa,
infancia de oro y miel, bendita edad de ingenuidad,
el mundo era un edén en donde el bien reinaba
y lleno de ilusión era feliz el corazón.
Caricia maternal, mano leal y generosa,
ternura sin igual, mundo ideal, color de rosa.
Del venturoso ayer sólo quedó el recuerdo,
la vida dura y cruel ya me enseñó lo que es dolor.

Mi corazón sangrante tengo
en el pesar más cruel sumido,
extraña el buen calor del nido
y en la canción
se derrama su emoción.
Evocación del bien perdido
es para ti la canción
y a acariciar tus oídos
irán los latidos
de mi corazón.

Ahora que no estás, te siento más hondo en el alma
y nadie ha de poder borrar, jamás, tu imagen fiel.
Ahora que no estás es tan tenaz la angustia
de haber sido, quizás, alguna vez un poco cruel.
El eco de tu voz, que es voz de Dios, vibra en mi oído
y es soplo alentador que da valor al abatido.
Tu beso inmaterial pasa mi sien rozando
y aunque no estás aquí, muy maternal, velas por mí.

José Mocciola Letra : Venancio Clauso

Agustín Irusta ne chante que ce qui est en gras, c’est-à-dire que le plus triste de la chanson n’est pas évoqué. C’est mieux pour le chanter à sa mère si vous avez la chance de l’avoir encore en vie…
En bleu, ce qui est dit ou chanté selon les versions par Echagüe et seulement par lui, dans les années 70.
Carlos Dante et Ada Falcón chantent toutes les paroles (sauf ce qui est bleu, qui n’appartient qu’à Echagüe).

Traduction libre

Temps bienheureux de l’enfance merveilleuse, une enfance d’or et de miel, une époque bénie de naïveté. Le monde était un Éden où le bien régnait et où le cœur était heureux et plein d’illusions.
Caresse maternelle, main loyale et généreuse, tendresse sans pareille, monde idéal, couleur de rose. Du passé heureux, il ne reste que le souvenir, la vie dure et cruelle m’a déjà appris ce que c’est que la douleur.
Mon cœur saignant est submergé par les regrets les plus cruels, il manque de la bonne chaleur du nid et dans le chant se déverse son émotion.
Une évocation du bien perdu, la chanson est pour toi, et en caressant tes oreilles, viendront les battements de mon cœur.
Maintenant que tu n’es plus, je te sens au plus profond de mon âme et personne ne pourra jamais effacer ton image fidèle.
Maintenant que tu es partie, l’angoisse d’avoir été, peut-être, parfois un peu cruel est si tenace.
L’écho de ta voix, qui est la voix de Dieu, vibre à mon oreille et est un souffle encourageant qui donne du courage à celui qui est abattu.
Ton baiser immatériel effleure ma tempe et même si tu n’es pas là, tu veilles sur moi d’une manière si maternelle.

Autres versions

Quelques-uns des disques présentés, de gauche à droite : Canaro Irusta, Canaro Falcon, De Angelis Dante, Maderna Datila, Corrales et à droite, la pochette d’un 33 tours de Canaro reprenant la version de 1932.
Para ti madre 1932-05-04 — Orquesta Francisco Canaro con Agustín Irusta. C’est notre valse du jour.
Para ti madre 1932-07-18 — Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro.

Fidèle à ses habitudes, Canaro réalise dans la foulée une version en chanson. Celle-ci, respectueuse des paroles, est donc plus triste. Cependant la jolie voix d’Ada fait que ce titre, bien accompagné par Canaro est agréable à écouter.

Para ti madre 1948-07-23 — Orquesta Alfredo De Angelis con Carlos Dante.

Si votre mère est cardiaque ou un peu bancale, évitez de la faire valser sur cette version très rapide proposée par De Angelis et Dante.

Para ti madre 1949-01-26 — Orquesta Osmar Maderna con Pedro Dátila y Mario Corrales (Pomar).

Une version qui pourrait être sympa si elle n’avait pas été massacrée par un ingénieur du son, fou. Les grands coups de potentiomètres pour augmenter les nuances sont ridicules. Avec un peu de boulot, on peut rétablir un semblant de normalité dans cette valse, mais quel gâchis.

Para ti madre 1972 — Alberto Echagüe con orquesta de Jorge Dragone.

Mais qu’est-ce qui a pris à Echagüe de s’associer avec Dragone pour enregistrer cette version sinistre ? Même si on arrive à supporter l’orgue électronique, la tristesse de l’introduction et l’ambiance de cette valse rendent définitivement impassable à une mère un tant soit peu aimée… Peut-être que j’ai une petite dent contre l’orgue électronique, car quand j’étais adolescent et que je jouais sur l’un d’entre eux, celui-ci a décidé de prendre feu, chose qui n’arrive pas avec les bons vieux Steinway Bossendörfer ou Yamaha…
Echagüe dit la première strophe, cela donne un air un peu sinistre.
Pour le reste, il chante les paroles avec de légères variantes.

Para ti madre (1972 ? Le disque est sorti le 14 janvier 1974) — Los Solistas de D’Arienzo con Alberto Echagüe.

Echagüe se rachète avec cette version enregistrée avec les anciens musiciens de D’Arienzo. Carlos Lázzari (Bandonéon, arrangements et directeur), Normando Lázara (Piano), Milo Dojman (Violín), Enrique Amadeo Guerra (Contrabajo) et Alberto Echagüe au chant.
Echagüe change ce qu’il disait dans la version de Dragone, ce qui enlève un peu de sinistre. Le rythme plus rapide fait que la valse passe mieux.

Si rien ne vous convient, vous trouverez des dizaines de titres en cherchant avec Mamá, Madre et Madrecita. Beaucoup sont des valses, forme qui se prête particulièrement aux anniversaires et fêtes en tout genre.
Et si tout cela ne vous suffit pas, pour terminer avec un genre différent, je vous propose, Para ti madrecita par le chanteur équatorien Julio Jaramillo sur une musique et des paroles de Sergio Bedoya.

Para ti madrecita — Julio Jaramillo, El Ruiseñor de América.
Para ti madre.

Para qué te quiero tanto 1946-05-03 – Orquesta Carlos Di Sarli con Jorge Durán

Juan Larenza Letra : Cátulo Castillo

Para qué te quiero tanto. Ce joli thème a été enregistré quatre fois en moins d’un an. Les quatre versions sont différentes, émouvantes et dansantes. Quatre belles réussites dont la quatrième fête ses 78 ans aujourd’hui.

Cátulo Castillo (Ovidio Cátulo González Castillo) et Juan Larenza

On doit à Catulo Castillo des centaines de tangos (paroles, musiques ou les deux). Citons simplement :

  • Organito de la tarde (musique)
  • Silbando (musique avec Sebastián Piana)
  • El último café (paroles)
  • Caserón de tejas (paroles)
  • Una vez (paroles)

On doit aussi la musique de quelques titres à Juan Larenza, dont Guapeando, Flores del alma et Milonga querida. On pourrait aussi citer la zamba Mamá vieja que De Angelis a adapté en valse…
Le moins que l’on puisse dire est que cette combinaison est particulièrement réussie, comme en témoigne la qualité des quatre enregistrements réalisés.
Cette association a donné lieu à d’autres œuvres, comme :
Están sonando las ocho, mais qui n’a été enregistré que par Lucio Demare avec Horacio Quintana.
Más allá todavía, enregistré par Orquesta Osmar Maderna avec Orlando Verri.
No vuelvas María, une valse géniale et entraînante enregistrée par Alfredo De Angelis avec Carlos Dante y Julio Martel. C’est la seule composition commune qui sort du lot en dehors, bien sûr de Para qué te quiero tanto.
Patrona, une milonga un peu bavarde, enregistrée par Alfredo De Angelis avec Carlos Dante.
Somos los dos, une bluette enregistrée par Alfredo De Angelis avec Julián Rosales.

Extrait musical

Para qué te quiero tanto 1946-05-03 — Orquesta Carlos Di Sarli con Jorge Durán.

Paroles

Fue tu sombra oscura…
Fue el castigo de tu adiós…
Fue esta ausencia de ternura
que me amarra a la tortura
de tu voz…
Qué fatal encanto
me encadena a tu desdén,
cuando grito hasta el quebranto…
¿Para qué te quiero tanto,
para qué?

Para qué te quiero tanto
si no puedo ser feliz,
si vivir es un espanto…
si al morir te llevo en mí.
¡Tu amor !… ¡Tu amor !…
traidor que una vez
dejó entre mis cenizas
sus brasas y se fue…
¡Tu amor !… ¡Tu amor !…
Que clamo desde aquí,
cuando oigo que tus risas
se burlan de mí…

¡Cuánto mal me hiciste !…
Llueve siempre en el ayer,
con la lluvia mansa y triste
de la tarde en que te fuiste
sin volver…
Fue tu sombra oscura…
Fue el castigo de tu adiós…
Y es la hiel de esta amargura
que me amarra a la tortura
de tu voz.

Juan Larenza Letra: Cátulo Castillo

Traduction libre

C’est ton ombre noire…
C’est la punition de ton adieu…
C’est cette absence de tendresse qui me lie à la torture de ta voix…
Quel charme fatal m’enchaîne à ton dédain, quand je crie jusqu’à la rupture (des cordes vocales)…
Pourquoi je t’aime tant, pourquoi ?

Pourquoi est-ce que je t’aime tant si je ne peux pas être heureux, si vivre est terrifiant…
si jusqu’à la mort, je te porte en moi.
Ton amour !… Ton amour !… Ce traître qui a laissé ses braises dans mes cendres et s’est enfui…
Ton amour !… Ton amour !…
Que je crie d’ici, quand j’entends tes rires se moquer de moi…

Que de mal tu m’as fait !…
Il pleut toujours sur le passé, avec la pluie douce et triste de l’après-midi où tu es partie sans retour…
C’est ton ombre noire…
C’est la punition de ton adieu…
Et c’est le fiel de cette amertume qui me lie à la torture de ta voix.

Autres versions

En moins d’un an, quatre versions ont été enregistrées et les quatre sont superbes et différentes.

Sonogrammes des quatre versions de Por qué te quiero tanto.
Para qué te quiero tanto 1945-07-19 — Orquesta Domingo Federico con Carlos Vidal.

On voit nettement des alternances de fortes et de pianos. Le compas est bien marqué avec des alternances plus lisses et des nuances assez fortes. Cela rend la musique très expressive.

Para qué te quiero tanto 1945-11-13 — Orquesta Alfredo De Angelis con Carlos Dante.

Dans la première partie, on retrouve les variations de nuances de Federico, puis la partie chantée par Dante est plus régulière. Le style est assez différent, mais le résultat est très agréable, même si l’expression est moins accentuée.

Para qué te quiero tanto 1946 — Orquesta Gabriel « Chula » Clausi con Raúl Garces.

Les transitions de nuances sont plus estompées. Mais contrairement à De Angelis, on les retrouve dans la partie chantée. Cet orchestre moins connu réalise une version tout à fait satisfaisante pour l’écoute et la danse. Reste au DJ de trouver trois autres titres pour en faire une tanda.

Para qué te quiero tanto 1946-05-03 — Orquesta Carlos Di Sarli con Jorge Durán. C’est notre tango du jour.

Les nuances sont surtout marquées par les moments de pauses. La sonorité typique de l’orchestre permet de le distinguer des autres. Le piano de Di Sarli est plus présent que dans les autres versions. L’orchestre pousse derrière le chanteur. Il lui laisse moins de place, l’orchestre et Durán sont entrelacés. Le résultat est très différent des autres.

Para qué te quiero tanto. Disque 45 tours – Federico – 78 tours De Angelis et Di Sarli.

Une valse du même nom

Augusto Rojas Llerena a composé une valse du même nom.
Elle a été interprétée par l’orquesta Coltrinari y Rullo avec Roberto Tello (1951) et plus récemment par Lucha Reyes, la Morena de Oro del Perú, dans un rythme un peu différent. Je vous propose cette version pour nous quitter. À demain les amis !

Para Qué Te Quiero Tanto 1997 – Lucha Reyes

Horas de pasión 1956-05-02 — Roberto Firpo y su Cuarteto Típico

Roberto Firpo Letra : José A. Bugliot ; Rafael José De Rosa

Le tango est une passion, mais la passion est aussi objet de tango. Cette jolie valse a été écrite par Firpo qui l’a enregistrée à deux reprises. Je vous invite donc à entrer dans la valse horas de pasión (Heures de passion). Un sujet léger, à la limite du mystique.

Cette valse a été écrite par Roberto Firpo pour la comédie lyrique Hoy te llaman milonguita qui a été interprétée au Teatro Apolo de Buenos Aires durant l’année 1932.
Les protagonistes, acteurs et chanteurs, membres de la compagnie Olinda Bozán, étaient les suivants :
Olinda Bozán (qui assurait aussi la mise en scène), Eloy Alvarez, Rosita Arrieta, Francisco Charmiello, Pedro Fiorito, Tita Galatro, Miguel Ligero, Carlos Morales, Chola Osés, Leonor Rinaldi, Aída Sportelli, Susana Vargas. Principe Azul (Herberto Emiliano Costa) qui a enregistré le titre sur disque semble aussi avoir fait partie du spectacle.
Roberto Firpo a écrit et dirige la musique.

À gauche, le théâtre Apolo en 1949, 17 ans après la représentation de « Hoy te llaman Milonguita ». On remarquera que Olindan Bozan est toujours à l’affiche… En haut à droite, le théâtre dans les années 30 et en bas à droite, la représentation de « Hoy te llaman Milonguita » en 1932.

Extrait musical

Horas de pasión 1956-05-02 — Roberto Firpo y su Cuarteto Típico.

Paroles

Fiebre del amor que ignoraba mi corazón
nubes de ilusión de un ensueño arrobador,
yo seré la fuente de tu noble inspiración
donde volcarse tus alegrías y tu dolor.
Si mi lirismo es tu fe
tu poesía es mi religión.

(recitado)
Noches de ilusión de un ensueño arrobador.

Del inmortal Dios amor
tal es el gran poder,
que nos conduce al placer
en brazos del dolor.

(recitado)
Sueños, placeres, dolor,
sigue cantando mi bien,
que la canción es también
caricia para el amor

En la noche larga de mi honda desolación
me llegó una vez que a la esperanza me despertó
de tan celestial como campana de nuevo son
la divina voz de Jesucristo me pareció,
Me descubriste al amor…
¡Y yo bendigo tu aparición!

(recitado)
Me llegó una voz que a la esperanza me despertó.

Roberto Firpo Letra: José A. Bugliot ; Rafael José De Rosa

Principe Azul ne chante et dit que ce qui est en gras. Il est probable que dans le spectacle, la partie chantée était plus longue. Faute d’enregistrement, on ne le saura pas…

Traduction libre

Fièvre de l’amour que mon cœur a ignorée, nuages d’illusion d’un rêve enchanteur, je serai la source de ta noble inspiration où déverser tes joies et ta douleur.
Si mon lyrisme est ta foi, ta poésie est ma religion.
(récitatif)
Nuits d’illusion d’un rêve enchanteur.
De l’immortel Dieu Amour, tant est grand le pouvoir, qu’il nous mène au plaisir dans les bras de la douleur.
(récitatif)
Rêves, plaisirs, douleurs, continue à chanter ma bonne, car la chanson est aussi, caresse pour l’amour.
Dans la longue nuit de ma profonde désolation, une fois que la voix divine de Jésus-Christ m’a semblé m’éveiller à l’espérance, aussi céleste que le son de la cloche, tu m’as ouvert à l’amour…
Et je bénis ton apparition!
(récitatif)
Une voix m’est parvenue qui m’a éveillé à l’espoir.

Autres versions et pièces complémentaires

Horas de pasión 1932-09-27 – Orquesta Roberto Firpo con Príncipe Azul.

C’est la version de la comédie lyrique « Hoy te llaman Milonguita”. Principe Azul ne chante que l’estribillo et dit un récitatif (en gras dans les paroles). Cette forme est un intermédiaire entre la version théâtrale et la version de danse.

On notera, comme pour beaucoup d’œuvres de l’époque, une introduction assez longue. Comme DJ, on les coupe ou on les raccourcit souvent, sauf parfois en début de tanda ou de longues introductions permettent aux danseurs d’aller tranquillement sur la piste.
Vous vous êtes peut-être demandé quelle mouche piquait les compositeurs pour faire des introductions qui duraient parfois une minute. Si oui, vous avez peut-être déjà la réponse. Sinon, voici la mienne. Ces compositions étant destinées à la scène ou au cinéma, elles s’inscrivent dans la continuité de l’action et il convient donc « d’amener » la partie musicale de façon harmonieuse. Les acteurs/chanteurs se mettent en place, on change l’ambiance par rapport à la scène précédente. Ceux qui pratiquent l’opéra connaissent ce principe.
Lorsque l’on souhaite adapter ce type de composition à une milonga, il nous faut couper l’introduction. Les logiciels spécialisés pour les DJ le permettent facilement en permettant de repérer le début souhaité (c’est une des raisons des écoutes au casque, pour caler les musiques). On place des « Points CUE » qui permettent d’accéder directement à la partie souhaitée. Si le titre a été préparé à l’avance, on peut avoir supprimé directement l’introduction. C’est ce que font les « DJ » qui utilisent des playlists, car ils ne peuvent pas intervenir sur les points d’entrée à partir des logiciels pour playlist (type iTunes).

Hoy te llaman milonguita 1932-09-27 — Orquesta Roberto Firpo con Príncipe Azul.

Le nom de ce tango, qui est celui de la comédie lyrique où elle a été créée, vient bien sûr des paroles de « Milonguita » (paroles de Samuel Linning, sur une musique d’Enrique Pedro Delfino). Cette œuvre contient des motifs de « Cabaret de Cristal », comme vous pourrez en juger vous-même.

Cabaret de cristal 1932-09-15 — Orquesta Roberto Firpo.

Il s’agit d’un tango sinfónico, donc a priori, pas destiné à la danse, mais il est tout de même sympa et je pense que certains danseurs apprécieront.  Bien sûr, la très longue introduction de 45 secondes devra être amputée pour éviter que les danseurs s’endorment sur la piste.

Horas de pasión 1956-05-02 — Roberto Firpo y su Cuarteto Típico.

La reprise du titre par le Cuarteto de Firpo, 24 ans plus tard. C’est notre valse du jour. L’introduction qui faisait 22 secondes est ici réduite à une dizaine de secondes, ce qui la rend compatible avec les milongas actuelles.
Voici maintenant, Milonguita, qui a inspiré les paroliers de la comédie lyrique. Ici en version instrumentale, par Firpo en 1920. La première à avoir chanté le titre était María Esther Podesta, de la famille qui possédait le théâtre Apolo… C’était le 12 mai 1920 avec le guitariste José Ricardo, le disque de Firpo doit donc être un peu postérieur, comme les autres de la même année, qui prouvent que ce tango (surnommé également Esthercita) a eu beaucoup de succès.

Une petite fantaisie

Pour terminer cette histoire d’amour, deux autres titres totalement différents et qui ne sont liés à notre valse du jour que par le titre. Il s’agit du pasillo ecuatoriano, Horas de pasión composé par Francisco Paredes Herrera (Équateur) avec des paroles de Juan de Dioz Peza (Mexique).
Il a été enregistré par le Dúo Benítez-Valencia.

Horas de pasión – Dúo Benítez-Valencia.

Mais surtout, je vous propose la magnifique version de Julio Jaramillo (Équateur) avec en prime les paroles en karaoké.

Horas de pasión – Julio Jaramillo

Fin du cours accéléré d’espagnol…
À demain, les amis !

Primero de mayo (premier mai)

En Argentine, le premier mai est férié. Tous les magasins sont fermés et seuls quelques services jugés essentiels fonctionnent. Tout au plus quelques bars ouvrent dans la soirée. Les maisons de disques fermant aussi, il ne semble pas y avoir de tangos enregistrés pour le jour des travailleurs et travailleuses (Día Internacional del trabajador y la trabajadora comme on dit en Argentine). Mais il y a des choses à dire sur le sujet…

Haragán

Enrique Pedro Delfino Letra: Manuel Romero, Luis Bayón Herrera

Extrait musical

Haragán, partition pour piano. Superbe illustration de couverture par Sandro

Il y a de très nombreuses versions de Haragán et bien sûr, aucune n’est du premier mai. J’en ai donc choisi une, mais vous avez beacoup d’autres à écouter après la présentation des paroles. J’ai choisi celle de Rafael Canaro car elle est sympa et qu’on l’entend moins que son frangin, Francisco qui a aussi donné sa version du thème, une version que j’aime bien car elle est amusante. Mais le thème de Haragán est amusant, comme en témoigne l’illustration de la partition…

Haragán 1929 – Orquesta Rafael Canaro con Carlos Dante

Paroles de Haragán

Sofia Bozán a été la première à chanter Haragán. C’était en 1928, au théâtre Sarmiento. Malheureusement, il ne semble pas y avoir d’enregistrements de cette prestation.

¡La pucha que sos reo y enemigo de yugarla!
La esquena se te frunce si tenés que laburarla…
Del orre batallón vos sos el capitán;
vos creés que naciste pa’ ser un sultán.
Te gusta meditarla panza arriba, en la catrera
y oír las campanadas del reló de Balvanera.
¡Salí de tu letargo! ¡Ganate tu pan!
Si no, yo te largo… ¡Sos muy haragán!

Haragán,
sí encontrás al inventor
del laburo, lo fajás…
Haragán, si seguís en ese tren
yo te amuro, Cachafaz
Grandulón,
prototipo de atorrante
robusto, gran bacán;
despertá, si dormido estás,
pedazo de haragán.

El día del casorio dijo el tipo ‘e la sotana:
«El coso debe siempre mantener a su fulana».
Y vos interpretás las cosas al revés:
¡que yo te mantenga es lo que querés!
Al campo a cachar giles que el amor no da pa’ tanto.
A ver si te entreveras porque yo ya no te aguanto…
Si en tren de cara rota pensás continuar,
« Primero de Mayo » te van a llamar.

Enrique Pedro Delfino Letra: Manuel Romero, Luis Bayón Herrera

Traduction libre de Haragán

Putain ! (c’est en fait une exclamation de surprise, de dégoût, pas la désignation d’une pute au sens strict) tu es condamné et ennemi du travail ! (yugar ou yugarla – travail)
Ton dos se tord s’il te faut travailler…
Du bataillon des condamnés (orre est reo en verlan), tu es le capitaine ;
Tu crois être né pour être un sultan.
Tu aimes méditer le ventre à l’air, sur le lit (catrera = lit en lunfardo)
et entendre les cloches de l’horloge de Balvanera.
Sors de ta léthargie ! Gagne ton pain !
Sinon, je te jette dehors… Tu es trop paresseux !

Paresseux,
Si tu croises l’inventeur du travail, tu le roue de coups…
Paresseux, si tu continues ainsi (dans ce train), je t’abandonne (amuro en lunfardo a différentes significations, dont celle de quitter pour un autre), Cachafaz (il ne s’agit pas bien sûr de El Cachafaz, mais du terme lunfardo qui signifie paresseux, coquin, voyou, sans vergogne et autres choses peu aimables).
Grand gaillard,
Prototype de l’oisif (attorante) robuste, grand profiteur (un bacan, est un individu qui jouit de la vie. En général un bacan a de l’argent, il entretient une courtisane, mais là, il n’en a que les façons, pas le portefeuille) ;
Réveille-toi, si tu es endormi gros tas (pedazo est un amoncellement) fainéant.

Le jour du mariage, le type en soutane a dit :
« Le mec doit toujours entretenir sa moitié. »
Et tu interprètes les choses à l’envers :
Que je t’entretienne, c’est ce que tu veux !
À la campagne pour attraper des idiots pour l’amour ne donne pas pour si cher.
Voyons si tu vas t’emmêler les pinceaux (là, ce serait plutôt se remuer qu’emmêler) parce que là, je ne te supporte plus…
Si tu prévois de continuer sur un train en panne
« Primero de Mayo », ils vont te nommer (en lunfardo, un primero de mayo est un fainéant qui fait de chaque jour un 1er mai, jour férié).

Autres versions

Haragán 1928-08-31 — Orquesta Francisco Canaro con Charlo.

Cette version fait un peu musique de dessin animé. Charlo chante un paresseux qui semble content de l’être.

Haragán 1928-08-31 — Orquesta Francisco Lomuto.

Le même jour que Canaro, Lomuto produit une version instrumentale. Comme souvent, cette version peut faire penser à Canaro, mais elle est un peu moins imaginative. La concordance de date fait qu’il est amusant de comparer les deux versions.

Haragán 1928 – Enrique Delfino (piano y canto) y Manuel Parada (guitarra).

Une version par l’auteur de la musique au piano, je vous en présenterai deux autres…

Haragán 1928-09-11 — Azucena Maizani con acomp. de Dúo Enrique Delfino (piano) y Manuel Parada (guitare).

Les mêmes musiciens, avec le renfort d’Azucena…

Haragán 1928-09-25 — Orquesta Osvaldo Fresedo.

C’est une version instrumentale, mais on entend bien la « fatigue » du paresseux.

1928-09-28 – Orquesta Juan Maglio Pacho (version instrumentale).
Haragán 1928-09-28 – Orquesta Juan Maglio Pacho – Disco-Nacional-Odeon-No.7591-A-Matriz-e-3264
Haragán 1929-06-21 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José María Aguilar (guitarras)
Haragán 1929 – Ignacio Corsini acomp. de guitares. L’autre Gardel…
Haragán 1929 – Orquesta Rafael Canaro con Carlos Dante
Haragán 1929 — Enrique Delfino (piano) y Antonio Rodio (violin).

Une version instrumentale très sympa. Dommage que le son ne soit pas de bonne qualité…

Haragán 1929 — Alina de Silva (acomp. accordéon et piano). Un enregistrement français de chez Pathé)
Haragán 1929 — Alina de Silva (acomp. accordéon et piano). Un enregistrement français de chez Pathé).

Pas d’enregistrement notable du titre dans les années 30, il faut attendre 1947 et… Astor Piazzolla, pour le retrouver sur un disque.

Haragán 1947-04-15 – Astor Piazzolla y su Orquesta Típica con Aldo Campoamor
Haragán 1955-12-14 — Enrique Mora y su Cuarteto Típico con Elsa Moreno.

Une version tonique, une chanson mais quasiment dansable. Un résultat dans la lignée de cambalache ou des enregistrements de Tita Merello (qui a d’ailleurs enregistré aussi cambalache…).

Haragán 1958-07-29 — Diana Durán con acomp. de Oscar Savino.

Une version chantée par une femme énergique. Notre Haragán n’a qu’à bien se tenir.

Haragán 2013 — Stella Milano.

Une des plus récentes versions de ce thème qui est toujours d’actualité…

Autres musiques

D’autres musiques pourraient convenir pour un premier mai, par exemple :

Al pie de la Santa Cruz 1933-09-18 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, Domingo Riverol, Domingo Julio Vivas, Horacio Pettorossi.

Ce tango a été interdit, car il parle de grève…

Trabajar, nunca 1930-06-11 — Tita Merello con orquesta (Juan Carlos Bazán Letra : Enrique Carrera Sotelo).

Un tango humoristique qui pourrait être la réponse du Haragán a sa femme, sous forme de bonnes résolutions pour l’année nouvelle et qui se termine par, « j’accepte tout en ton nom, mais le travail, ça, non ! » L’argot utilisé dans ce tango est similaire à celui de Haragán.

Seguí mi consejo 1929-06-21 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José María Aguilar (Salvador Merico Letra: Eduardo Salvador Trongé).

Encore un tango qui donne de bons conseils pour ne rien faire… Un véritable manuel du haragán.

Seguí mi consejo 1947-01-29 — Orquesta Enrique Rodríguez con Ricardo Herrera.

Une version dansable de ce titre. Sans doute à passer un premier mai, ou pour se moquer d’un danseur un peu paresseux…

1° de mayo — Osvaldo Jiménez y Luis García Montero (Tango).

Oui, oui, j’ai bien trouvé un tango qui portait la date du jour. Osvaldo Jiménez à la guitare et au chant a mis en musique le poème 1° de mayo de Luis García Montero… Bon, ce n’est pas le tango du siècle, mais ça montre que le tango est toujours en phase de création et que l’association entre les poètes et les musiciens fonctionne toujours.

1° de mayo — Osvaldo Jiménez y Luis García Montero (Tango).
La photo de couverture est un mural intérieur, peint à l’huile, de 4,5x6m de Ricardo Carpani appelé 1ero de Mayo. Il se trouve au Sindicato de Obreros del Vestido, rue Tucumán au 737. Il a été réalisé en 1963 et pas en 1964 comme le disent presque toutes les sources. J’ai rajouté la signature (Carpani).

Si vous souhaitez en savoir plus sur cet artiste : http://www.relats.org/documentos/TAC.Muralismo.Soneira.60y70.pdf

Haragán – Primero de mayo (premier mai)

Enrique Pedro Delfino Letra: Manuel Romero, Luis Bayón Herrera

En Argentine, le premier mai est férié. Tous les magasins sont fermés et seuls quelques services jugés essentiels fonctionnent. Tout au plus quelques bars ouvrent dans la soirée. Les maisons de disques fermant aussi, il ne semble pas y avoir de tangos enregistrés pour le jour des travailleurs et travailleuses (Día Internacional del trabajador y la trabajadora comme on dit en Argentine). Mais il y a des choses à dire sur le sujet…

Faute d’enregistrement un premier mai, j’ai cherché des tangos qui parlent du premier mai et de ces questions.
Le plus connu est bien sûr Haragán. C’est donc lui qui va faire office de tango du jour… Ce tango ne parle pas précisément du premier mai, mais le type fainéant qui se fait disputer par sa femme est ce qu’on appelle en Argentine un Primero de Mayo (un premier mai), à cause de son allergie au travail.

Extrait musical

Haragán, partition pour piano. Superbe illustration de couverture par Sandro

Il y a de très nombreuses versions de Haragán et bien sûr, aucune n’est du premier mai. J’en ai donc choisi une, mais vous avez beaucoup d’autres à écouter après la présentation des paroles. J’ai choisi celle de Rafael Canaro car elle est sympa et qu’on l’entend moins que son frangin, Francisco qui a aussi donné sa version du thème, une version que j’aime bien car elle est amusante. Mais le thème de Haragán est amusant, comme en témoigne l’illustration de la partition…

Haragán 1929 – Orquesta Rafael Canaro con Carlos Dante

Paroles de Haragán

Sofia Bozán a été la première à chanter Haragán. C’était en 1928, au théâtre Sarmiento. Malheureusement, il ne semble pas y avoir d’enregistrements de cette prestation.

¡La pucha que sos reo y enemigo de yugarla!
La esquena se te frunce si tenés que laburarla…
Del orre batallón vos sos el capitán;
vos creés que naciste pa’ ser un sultán.
Te gusta meditarla panza arriba, en la catrera
y oír las campanadas del reló de Balvanera.
¡Salí de tu letargo! ¡Ganate tu pan!
Si no, yo te largo… ¡Sos muy haragán!

Haragán,
sí encontrás al inventor
del laburo, lo fajás…
Haragán, si seguís en ese tren
yo te amuro, Cachafaz
Grandulón,
prototipo de atorrante
robusto, gran bacán;
despertá, si dormido estás,
pedazo de haragán.

El día del casorio dijo el tipo ‘e la sotana:
«El coso debe siempre mantener a su fulana».
Y vos interpretás las cosas al revés:
¡que yo te mantenga es lo que querés!
Al campo a cachar giles que el amor no da pa’ tanto.
A ver si te entreveras porque yo ya no te aguanto…
Si en tren de cara rota pensás continuar,
« Primero de Mayo » te van a llamar.

Enrique Pedro Delfino Letra: Manuel Romero, Luis Bayón Herrera

Traduction libre de Haragán

Putain ! (c’est en fait une exclamation de surprise, de dégoût, pas la désignation d’une pute au sens strict) tu es condamné et ennemi du travail ! (yugar ou yugarla – travail)
Ton dos se tord s’il te faut travailler…
Du bataillon des condamnés (orre est reo en verlan), tu es le capitaine ;
Tu crois être né pour être un sultan.
Tu aimes méditer le ventre à l’air, sur le lit (catrera = lit en lunfardo)
et entendre les cloches de l’horloge de Balvanera.
Sors de ta léthargie ! Gagne ton pain !
Sinon, je te jette dehors… Tu es trop paresseux !

Paresseux,
Si tu croises l’inventeur du travail, tu le roues de coups…
Paresseux, si tu continues ainsi (dans ce train), je t’abandonne (amuro en lunfardo a différentes significations, dont celle de quitter pour un autre), Cachafaz (il ne s’agit pas bien sûr de El Cachafaz, mais du terme lunfardo qui signifie paresseux, coquin, voyou, sans vergogne et autres choses peu aimables).
Grand gaillard,
Prototype de l’oisif (attorante) robuste, grand profiteur (un bacan, est un individu qui jouit de la vie. En général un bacan a de l’argent, il entretient une courtisane, mais là, il n’en a que les façons, pas le portefeuille) ;
Réveille-toi, si tu es endormi gros tas (pedazo est un amoncellement) fainéant.

Le jour du mariage, le type en soutane a dit :
« Le mec doit toujours entretenir sa moitié. »
Et tu interprètes les choses à l’envers :
Que je t’entretienne, c’est ce que tu veux !
À la campagne pour attraper des idiots pour l’amour ne donne pas pour si cher.
Voyons si tu vas t’emmêler les pinceaux (là, ce serait plutôt se remuer qu’emmêler) parce que là, je ne te supporte plus…
Si tu prévois de continuer sur un train en panne
« Primero de Mayo », ils vont te nommer (en lunfardo, un primero de mayo est un fainéant qui fait de chaque jour un 1er mai, jour férié).

Autres versions

Haragán 1928-08-31 — Orquesta Francisco Canaro con Charlo.

Cette version fait un peu musique de dessin animé. Charlo chante un paresseux qui semble content de l’être.

Haragán 1928-08-31 — Orquesta Francisco Lomuto.

Le même jour que Canaro, Lomuto produit une version instrumentale. Comme souvent, cette version peut faire penser à Canaro, mais elle est un peu moins imaginative. La concordance de date fait qu’il est amusant de comparer les deux versions.

Haragán 1928 – Enrique Delfino (piano y canto) y Manuel Parada (guitarra).

Une version par l’auteur de la musique au piano, je vous en présenterai deux autres…

Haragán 1928-09-11 — Azucena Maizani con acomp. de Dúo Enrique Delfino (piano) y Manuel Parada (guitare).

Les mêmes musiciens, avec le renfort d’Azucena…

Haragán 1928-09-25 — Orquesta Osvaldo Fresedo.

C’est une version instrumentale, mais on entend bien la « fatigue » du paresseux.

1928-09-28 – Orquesta Juan Maglio Pacho (version instrumentale).
Haragán 1928-09-28 – Orquesta Juan Maglio Pacho – Disco-Nacional-Odeon-No.7591-A-Matriz-e-3264
Haragán 1929-06-21 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José María Aguilar (guitarras)
Haragán 1929 – Ignacio Corsini acomp. de guitares. L’autre Gardel…
Haragán 1929 – Orquesta Rafael Canaro con Carlos Dante
Haragán 1929 — Enrique Delfino (piano) y Antonio Rodio (violin).

Une version instrumentale très sympa. Dommage que le son ne soit pas de bonne qualité…

Haragán 1929 — Alina de Silva (acomp. accordéon et piano). Un enregistrement français de chez Pathé)
Haragán 1929 — Alina de Silva (acomp. accordéon et piano). Un enregistrement français de chez Pathé).

Pas d’enregistrement notable du titre dans les années 30, il faut attendre 1947 et… Astor Piazzolla, pour le retrouver sur un disque.

Haragán 1947-04-15 – Astor Piazzolla y su Orquesta Típica con Aldo Campoamor
Haragán 1955-12-14 — Enrique Mora y su Cuarteto Típico con Elsa Moreno.

Une version tonique, une chanson mais quasiment dansable. Un résultat dans la lignée de cambalache ou des enregistrements de Tita Merello (qui a d’ailleurs enregistré aussi cambalache…).

Haragán 1958-07-29 — Diana Durán con acomp. de Oscar Savino.

Une version chantée par une femme énergique. Notre Haragán n’a qu’à bien se tenir.

Haragán 2013 — Stella Milano.

Une des plus récentes versions de ce thème qui est toujours d’actualité…

Autres musiques

D’autres musiques pourraient convenir pour un premier mai, par exemple :

Al pie de la Santa Cruz 1933-09-18 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, Domingo Riverol, Domingo Julio Vivas, Horacio Pettorossi.

Ce tango a été interdit, car il parle de grève…

Trabajar, nunca 1930-06-11 — Tita Merello con orquesta (Juan Carlos Bazán Letra : Enrique Carrera Sotelo).

Un tango humoristique qui pourrait être la réponse du Haragán a sa femme, sous forme de bonnes résolutions pour l’année nouvelle et qui se termine par, « j’accepte tout en ton nom, mais le travail, ça, non ! » L’argot utilisé dans ce tango est similaire à celui de Haragán.

Seguí mi consejo 1929-06-21 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José María Aguilar (Salvador Merico Letra: Eduardo Salvador Trongé).

Encore un tango qui donne de bons conseils pour ne rien faire… Un véritable manuel du haragán.

Seguí mi consejo 1947-01-29 — Orquesta Enrique Rodríguez con Ricardo Herrera.

Une version dansable de ce titre. Sans doute à passer un premier mai, ou pour se moquer d’un danseur un peu paresseux…

1° de mayo — Osvaldo Jiménez y Luis García Montero (Tango).

Oui, oui, j’ai bien trouvé un tango qui portait la date du jour. Osvaldo Jiménez à la guitare et au chant a mis en musique le poème 1° de mayo de Luis García Montero… Bon, ce n’est pas le tango du siècle, mais ça montre que le tango est toujours en phase de création et que l’association entre les poètes et les musiciens fonctionne toujours.

1° de mayo — Osvaldo Jiménez y Luis García Montero (Tango).
La photo de couverture est un mural intérieur, peint à l’huile, de 4,5x6m de Ricardo Carpani appelé 1ero de Mayo. Il se trouve au Sindicato de Obreros del Vestido, rue Tucumán au 737. Il a été réalisé en 1963 et pas en 1964 comme le disent presque toutes les sources. J’ai rajouté la signature (Carpani).

Si vous souhaitez en savoir plus sur cet artiste : http://www.relats.org/documentos/TAC.Muralismo.Soneira.60y70.pdf

Porteña linda 1940-04-30 – Orquesta Edgardo Donato y sus muchachos con Horacio Lagos (Milonga)

Edgardo Donato (Edgardo Felipe Valerio Donato) Letra: Horacio Sanguinetti (Horacio Basterra)

Les tangos parlent souvent des jolies femmes. Celles-ci sont de Buenos Aires, mais d’autres villes ont droit à la mise en valeur de leurs femmes. Aujourd’hui, nous ferons un jeu et découvrirons une femme qui est sans doute une des inspiratrices de cette milonga pour Horacio Sanguinetti, l’auteur des paroles.

Jeu des sept erreurs

Un petit jeu pour commencer. Voici une image avec une couverture de partition de Porteña linda et un disque de la firme Victor, également avec Porteña linda. Cherchez, non pas nécessairement les erreurs, mais ce qui est différent (il y a moins de sept différences à trouver). Réponse après les paroles et avant la découverte de Rosita…

Extrait musical

À gauche, couverture de la partition pour piano et voix de Porteña linda et à droite, disque de Porteña linda.
Porteña linda 1940-04-30 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos (Milonga)

Hier, je vous avais proposé une vingtaine de versions. Pour ce titre, seul Donato a enregistré sa composition, mais de si belle manière que cela compense…

Les paroles

Buenos Aires tiene
De noche y de día,
Mujeres tan lindas
Que no las cambiaría.

Sin hablar de más
Ni despreciar a las inglesas,
Y sin humillar
Por las francesas.

Buenos Aires tiene
Mujeres tan lindas,
Que uno ya pierde la razón
Y da el corazón.

Soy el canyengue
De esta milonga,
Porteña linda
No hay quién te pise el poncho,
Ayer creí que por Maipú y Tucumán
Iba a morir de amor.

Edgardo Donato (Edgardo Felipe Valerio Donato) Letra: Horacio Sanguinetti (Horacio Basterra)

Traduction libre et indications

Buenos Aires a, nuit et jour, des femmes si belles que je ne les changerais pas. 
Sans en dire plus, ni déprécier les Anglaises, et sans humilier les Françaises. Buenos Aires a de si belles femmes que vous perdez la tête et donnez votre cœur. 
Je suis le compadre de cette milonga, Porteña linda (belle habitante de Buenos Aires) il n’y a personne pour te provoquer (Pisar el poncho en lunfardo signifie chercher des noises. Les gauchos posaient leur poncho au sol et l’adversaire, s’il acceptait le combat le piétinait), hier j’ai cru qu’à l’angle de Maipú et Tucumán j’allais mourir d’amour. (Maipú et Tucumán est l’intersection de ces deux rues de Buenos Aires. Il y avait là un bar célèbre, car c’est ici que Carlos Di Sarli a commandé les paroles du tango « Corazón ». à Héctor Marcó).

Réponse au jeu des sept erreurs

Voici la réponse à notre petit jeu.

À gauche, couverture de la partition pour piano et voix de Porteña linda et à droite, disque de Porteña linda.

Si le titre est le même, ce n’est pas la même œuvre. La partition est une production espagnole avec un compositeur et un parolier différent de la version de notre milonga du jour qui est une œuvre argentino-uruguayenne.

Couverture de partitionDisque
TitrePorteña lindaPorteña linda
TypeTango canciónMilonga tangueada
CompositeurJoaquina Marti MiraEdgardo Donato
ParolierHilario Omedes (y Hernández)Horacio Sanguinetti
Date1934Avant avril 1940
Lieu de productionMadrid – EspagneBuenos Aires – Argentine

Joaquina Marti Mira, Hilario Omedes et Hernández

Dans la Gaceta de Madrid n°126 du 6 mai 1935, on peut lire :
“70.657.— Porteña linda, tango canción; por Hilario Omedes y Hernández, de la letra, y Joaquina Martí Mira, de la música, Madrid. Lit. Sucs. de Durán, 1934.— Folio con dos hojas. (44.872.)”.
On notera donc que cette œuvre a été publiée en 1934 et qu’un auteur supplémentaire est indiqué, Hernández.
En ce qui concerne Hilario Omedes, cet auteur ne semble pas avoir été prolifique. On connait de lui cette pièce de théâtre ¡Histérica! Plutôt du niveau du comique troupier. En voici un court extrait que je vous ai traduit de l’espagnol :

« – Marie : Que dîtes-vous ? Fernando s’en va ? Il part de Madrid ? (Elle pleure) […] Laissez-moi seule !
Doncella : (Bouleversée) Mais ne pleurez pas mademoiselle… Oui… Je m’en vais ; mais ne pleurez pas… Comme si un homme méritait autant !
(En aparte) Perdre un fiancé officiel, passe encore, mais tout un bataillon… Ji… i… Ji… i ; (Elle sort en pleurant, essuyant ses larmes avec son tablier). »

Hernández, l’autre auteur cité par la Gaceta de Madrid est peut-être Guillermo Hernández Mir. Celui-ci est un peu plus prolifique. Il a écrit, des livres, nouvelles, mais aussi pour le théâtre. Si vous voulez un exemple, La Feria (1915) : disponible en téléchargement gratuit…

Quant à la compositrice, Joaquina Martí Mira, elle a aussi composé au moins un paso doble, également cité dans la Gaceta de Madrid,
57.152.—De los Ardales, pasodoble, por “Martimira” y “Mignon”, seudónimos de doña Joaquina Martí Mira y D. Antonio Grau ; Dauset.  » Ejemplar manuscrito.-—4.® apaisado con dos hojas. (36.562.)

N’ayant pas trouvé un enregistrement de son tango Portena linda, je vous propose Perdónalo qu’elle a signé de son pseudonyme Martimira y Mignon. Antonio Grau Dauset a écrit les paroles. L’orchestre n’est pas identifié. La chanteuse est Paquita Alfonso. L’enregistrement est au catalogue de Juillet 1930 de « La Voz de Su Amo » (éditeur musical de Barcelone), il est donc antérieur.

Perdónalo 1930c – Martimira y Mignon (Joaquina Martí Mira) Letra: Antonio Grau Dauset.
Heraldo de Barcelona, vers 1930 (rubrique théâtrale en page 9. Paquita Alfonso qui chante le titre de Joaquina Marti Mira est connue. Faut-il en déduire une certaine notoriété pour la compositrice de porteña Linda made in spain ?

Rosita

J’ai déjà parlé du destin tragique de Sanguinetti, ou plutôt d’Horacio Basterra qui est retourné dans son pays après avoir tué le militaire qui maltraitait sa sœur. Sa fuite rocambolesque en Uruguay depuis Tigre avec l’aide d’Osvaldo Pugliese et de Cátulo Castillo pourrait faire l’objet d’un roman.
Mais sa vie, courte et tragique lui a permis d’écrire au moins 155 titres (enregistrés à la SADAIC). Nous le retrouverons donc à d’autres reprise dans les anecdotes de tango.
Aujourd’hui, je vais juste évoquer Rosita, son grand amour.
Rosita, telle que la décrit Beba Pugliese était grande, blonde. Elle avait les cheveux coiffés en arrière et elle fumait.
On peut trouver son portrait en filigrane dans différentes compositions de Sanguinetti. Dans notre milonga du jour, par exemple, mais peut-être encore plus dans Princesa del fango.

Princesa del fango 1951-05-11 – Orquesta Francini-Pontier con Julio Sosa.
Enrique Mario Francini Letra: Horacio Sanguinetti (Horacio Basterra)

Je reviendrai sur ce titre le 11 mai, jour anniversaire de son enregistrement par Julio Sosa.

Rosita, que j’imagine un peu à la Evita était une femme de la nuit, une princesse de la fange.

La última copa 1943-04-29 – Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo

Francisco Canaro Letra : Juan Andrés Caruso

Ceux qui fréquentent les milongas portègnes ont sans doute été étonnés de voir la quantité de bouteilles de champagne qui peuplent les tables. Ce breuvage a même des tangos à son nom. Toutes les boissons ne peuvent pas en dire autant. La última copa, le dernier verre, n’est donc pas le dernier pour tout le monde. Voyons ce que nous conte ce tango.

Il y a champagne et champagne

L’Argentine est un grand pays de viticulture et de vin. Elle propose des vins somptueux, curieusement presque tous nommés du nom du raisin qui les composent. On va prendre un Merlot, un Cabernet, une Syrah, un Chardonnay…
Le champagne que l’on trouve sur les tables des milongas n’a de champagne que le nom, tout comme le Roquefort. Il est produit sur place, notamment à Mendoza et en Patagonie.
Progressivement, sous la pression des viticulteurs français, le nom change pour laisser apparaître « méthode champenoise » ou autre indication laissant penser que c’est du Champagne, sans le dire vraiment. J’imagine que les viticulteurs français de Champagne ne tiennent pas en grande estime ces vins, bien que certains se vendent en Argentine bien plus cher que les « vrais » champagnes de supermarché français. Cependant, dans les milongas, c’est bien un mousseux standard qui vous sera servi comme champagne.
Revenons à notre última copa. Je vous propose de l’écouter… dans une vingtaine de versions…

Extrait musical

La última copa 1943-04-29 — Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo.

C’est une version bien rythmée, avec une accentuation forte des temps. Tanturi est considéré comme un orchestre facile à danser. Pour cette raison, on le rencontre souvent dans les encuentros. Ici, c’est la voix de Castillo qui déclame les paroles, tout au moins les deux premiers couplets et deux fois le refrain. Le chant commence à 1 minute, après la présentation par les bandonéons et les violons du thème, le violon travaillant surtout en ponctuation. À 2 : 05 Castillo laisse la place à l’orchestre, puis reprend le refrain pour terminer, juste avant les deux traditionnels accords de Tanturi (accord sur dominante, temps de silence, accord sur tonique, tardif).

Les paroles

Eche, amigo, nomás, écheme y llene
Hasta el borde la copa de champagne
Que esta noche de farra y de alegría
El dolor que hay en mi alma quiero ahogar

Es la última farra de mi vida
De mi vida, muchachos, que se va
Mejor dicho, se ha ido tras de aquella
Que no supo mi amor nunca apreciar

Yo la quise, muchachos y la quiero
Y jamás yo la podré olvidar
Yo me emborracho por ella
¿Y ella, quién sabe qué hará?

Eche, mozo, más champagne
Que todo mi dolor bebiendo lo he de ahogar
Y si la ven, amigos, díganle
Que ha sido por su amor que mi vida ya se fue

Y brindemos, nomás, la última copa
Que, tal vez, también ella ahora estará
Ofreciendo en algún brindis su boca
Y otra boca, feliz, la besará

Eche amigo, nomás, écheme y llene
Hasta el borde la copa de champagne
Que mi vida se ha ido tras de aquella
Que no supo mi amor nunca apreciar

Yo la quise, muchachos, y la quiero
Y jamás yo la podré olvidar
Yo me emborracho por ella
¿Y ella, quién sabe qué hará?

Eche, mozo, más champagne
Que todo mi dolor bebiendo lo he de ahogar
Y si la ven, amigos, díganle
Que ha sido por su amor que mi vida ya se fue

Francisco Canaro Letra: Juan Andrés Caruso

Castillo chante ce qui est en gras.

Traduction libre

Verse, mon ami, sans façon, verse et remplis à ras bord la coupe de champagne, car en cette nuit de réjouissances et de joie, je veux noyer la douleur qui est dans mon âme.
C’est la dernière fête de ma vie, de ma vie, les gars, qui s’en va… Ou plutôt, elle est partie avec celle que mon amour n’a jamais su apprécier.

Je l’ai aimée, les gars, et je l’aime, et jamais je ne pourrai l’oublier, je vais m’enivrer pour elle et qui sait ce qu’elle fera.
Verse, mozo (garçon, serveur) plus de champagne, que toute ma peine, en le buvant, je la noierai ; et si vous la voyez, les gars, dites-lui que c’est pour son amour que ma vie s’en est allée.

Et trinquons sans façon, le dernier verre, que peut-être, elle aussi, en ce moment, lors d’un toast, elle offrira sa bouche et une autre bouche heureuse l’embrassera.
Verse, mon ami, sans façon, verse et remplis à ras bord la coupe de champagne, car ma vie s’en est allée après celle que mon amour n’a jamais su apprécier.

Pour ceux qui disent que le tango raconte des histoires de cocus, ce texte, triste, il est vrai, parle plutôt d’un repentir, repentir de ne pas avoir porté d’intérêt à une femme qui l’aimait, jusqu’à ce qu’il soit trop tard. En parallèle de la détresse « théâtrale » du conteur, il y a eu auparavant la tristesse de la femme négligée.
Le champagne est le témoin de l’amitié, de la fête, mais aussi de la tristesse. C’est un compagnon supplémentaire qui a arrosé les tangueros depuis plus d’un siècle, depuis, pour le moins, que le tango s’est énivré du breuvage français dans les établissements parisiens au début du vingtième siècle.
Canaro est le compositeur de la musique. Caruso et Canaro furent amis, lorsque Caruso fut de retour d’exil, vers 1910. Caruso a eu une vie plutôt triste et courte (mort à 40 ans). Il a écrit ce joli texte, plein d’émotion, tout comme Mi noche triste et plus de 80 autres thèmes dont beaucoup ont été joués par Canaro.

Les versions

Canaro a été le premier à avoir enregistré le titre et il l’a fait à de nombreuses reprises. C’est lui qui commence la liste des versions.

La última copa 1926 — Orquesta Francisco Canaro.

La plus ancienne version enregistrée, par Canaro, sans les paroles de son ami Caruso. Le son est médiocre, aussi vous n’entendrez pas ce titre en milonga. Mais rassurez-vous, Canaro a mis le paquet et vous avez d’autres versions de son cru… Je pense que l’enregistrement est plutôt de 1925, voire antérieur.

La última copa 1927-03-23 — Orquesta Francisco Canaro con Agustín Irusta.

Irusta, l’année suivante chante les paroles de Caruso. C’est la première version chantée et l’enregistrement électrique rend le titre plus agréable à écouter.

La última copa 1927-06-14 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras).

Une version en chanson. On la comparera avec celle d’Héctor Mauré de 1954.

La última copa 1931-04-22 — Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro.

Canaro nous offre avec sa chérie, une version chanson du thème.

La última copa 1931-05-13 — Orquesta Francisco Canaro con Charlo.

Une version de danse, chantée par Charlo, chanteur de estribillo.

La última copa 1943-04-29 — Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo. C’est le tango du jour.
La última copa 1948-01-15 — Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas.

Une très belle version, mais pas forcément parfaite pour la danse. Les danseurs pourraient toutefois pardonner cela au DJ, car elle est superbe.

La última copa 1948 — Orquesta Luis Rafael Caruso con Julio Sosa. Valse.

Une version originale en valse. Sosa avait gagné un prix en Uruguay qui consistait à enregistrer des disques. Le son n’est pas parfait, mais cette version originale mérite l’écoute, voire la danse.

La última copa 1953-10-06 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán.

Comme souvent, la rencontre Pugliese et Morán, donne un tango un peu délicat à danser. Certains apprécient la voix, il en faut pour tous les goûts.

La última copa 1954 — Héctor Mauré con acomp. de guitarras.

Mauré reprend la tradition gardélienne. Le résultat est à comparer avec celui de son modèle.

La última copa 1956-09-25 — Orquesta Francisco Canaro con Guillermo Rico (Coral).

Une version dansable avec en prime la voix de Coral, sans doute assez rare dans les milongas.

La última copa 1957-05-20 — Dalva de Oliveira con acomp. de Francisco Canaro.

Avec ce septième enregistrement, Canaro a fait le tour. Ici une version à écouter par Dalva de Oliveira, à comparer avec celle d’Ada Falcón enregistrée 26 ans plus tôt.

La última copa 1958-04-17 — Orquesta Alfredo De Angelis con Juan Carlos Godoy.

Un De Angelis et Godoy classique. Bien dansable, enregistré par l’orchestre des calesitas.

La última copa 1965 — Orquesta Miguel Caló con Raúl del Mar y glosas de Héctor Gagliardi.

Une version sans doute plus pour l’écoute que pour la danse, mais intéressante

La última copa 1966-03-11 — Orquesta Florindo Sassone con Mario Bustos.

L’orchestre sert bien la voix de Bustos. Je ne proposerai pas pour la danse, mais c’est intéressant.

La última copa 1968-10-18 — Sexteto Tango con Jorge Maciel.

Le Sexteto Tango héritier de Pugliese donne sa version sans renier son modèle. Voir N… N…. Une version pour l’écoute avec une belle intro, une caractéristique de cet orchestre.

La última copa 1974 — Orquesta Florindo Sassone con Oscar Macri.

Une voix de ténor bien différente de celle de Mario Bustos. Je pense cette version moins intéressante que la précédente de Sassone.

La última copa 1987 — Los Solistas de D’Arienzo dir. par Carlos Lazzari con Walter Gutiérrez.

Souvent présenté comme étant un enregistrement de D’Arienzo, c’est en fait un enregistrement réalisé par ses solistes dirigés par Lazzari, qui était un de ses bandonéonistes et arrangeur, 11 après la mort du chef historique. Une version tonique, mais plus dans le style chanson que tango chanté. Cependant, elle est dansable, même si ce titre ne porte vraiment l’improvisation.

La última copa 2003 — Orquesta Mancifesta con Miguel Ángel Herrera.

Cet orchestre a commencé sa carrière à la fin de la vague Tango (1953). On lui doit cependant des enregistrements intéressants, comme celui-ci. Le disque est de 2003, l’enregistrement peut être antérieur. Cet orchestre, rarement passé en milonga, mériterait d’être plus entendu, même s’il n’est pas à la hauteur des plus grands orchestres. N’oublions pas que certains danseurs aiment être surpris par des versions inconnues.

N… N… 1947-04-28 — Orquesta Osvaldo Pugliese

Osvaldo Ruggiero.

La de los dos Osvaldos est un des surnoms de l’orchestre d’Osvaldo Pugliese. En effet, Osvaldo Ruggiero, l’auteur du tango du jour «N… N…» entra avant ses 17 ans dans l’orchestre de Pugliese et y resta 20 ans. Cette symbiose des deux Osvaldo a donné différents tangos comme «A mis compañeros», «Catuzo», «Rezongo tanguero», «Yunta de oro» et donc N… N…, notre tango du jour. Connaissez-vous la signification du titre de ce tango? Vous la découvrirez en fin d’article.

Osvaldo Lino Ruggiero (23 septembre 1922 – 31 mai 1994)

Fils d’émigrés italiens (de la région de Naples), el Tano Ruggiero est un bandonéoniste et compositeur. Comme beaucoup de ceux qui ont fait l’histoire du tango, ce dernier a commencé jeune, car à 17 ans, il intégrait déjà l’orchestre d’un autre Osvaldo, Osvaldo Pugliese.
Son père, Sabatino Ruggiero, lui a donné le goût de la musique et notamment celui du bandonéon dont il jouait également. Ce fut d’ailleurs lui qui fut son seul professeur, un professeur motivé, car il apprit le solfège uniquement pour pouvoir assurer une bonne éducation musicale à son fils.
Cette formation à base autodidactique lui a permis d’avoir un style un peu particulier qu’il a affiné aux côtés de Pugliese qui lui disait, « S’il faut travailler, alors, travaille ».
Il restera donc fidèle à l’orchestre de Pugliese, jusqu’à la création du Sexteto Tango, qu’il a accompagné et animé lors d’une tournée au Japon, Osvaldo Pugliese étant retenu en Argentine pour des questions de santé. Vous pourrez entendre sa version de N… N… enregistrée lors de cette tournée dans la partie « les versions ».
Ce musicien discret est un peu méconnu, car il n’a jamais souhaité se mettre en avant et avoir un orchestre à son nom, mais ses compositions et les disques de Pugliese et du Sexteto Tango parlent pour lui.
Si vous voulez en savoir plus sur cet artiste attachant, je vous invite à consulter ses « confidences » sur l’excellent site Todo Tango.
Ou son interview réalisée par Daniel Pedercini le 11 juillet 1993.

Interview d’Osvaldo Ruggiero réalisée par Daniel Pedercini le 11 juillet 1993.

Extrait musical

N… N… 1947-04-28 — Orquesta Osvaldo Pugliese. C’est le tango du jour.

Les versions

Osvaldo Pugliese a enregistré deux fois ce titre. En 1947, le tango du jour et en 1952. Je vous laisse comparer les deux versions, très proches. Je vous propose d’écouter ces deux versions, car les titres partagés sur les plateformes comme Spotify ou Apple Music sont truffées d’erreurs sur les versions. YouTube n’est pas mieux et un DJ qui a publié de très nombreux tango a plus de 50% d’erreurs dans ses attributions de dates. La seule solution, partir du disque original et vérifier dans le catalogue la date avec le numéro de matrice…
La version de l’auteur, Osvaldo Ruggiero avec son Sexteto Tango est très différente de celles de Pugliese. Bien sûr, elle a été réalisée 16 ans plus tard que la dernière de Pugliese, mais elle est très intéressante.

N… N… 1947-04-28 — Orquesta Osvaldo Pugliese. C’est le tango du jour.
N… N… 1952-11-13 — Orquesta Osvaldo Pugliese.

Une version très proche de la première, au point que plusieurs CD proposent celle de 1947 au lieu de celle de 1952. Plus graves, certains DJ qui partagent des musiques sur YouTube font cette erreur.

N… N… 1968-10 — Sexteto Tango.

Une version proposée par l’orchestre du compositeur. Ruggiero étant l’un des arrangeurs et le leader discret de la formation.

D’où vient le nom du tango N… N… ?

Je n’ai pas trouvé la source du nom, alors je vous propose plusieurs hypothèses.
Tout d’abord, N. N. est une abréviation courante pour « Ningún Nombre », pas de nom.
Cette formulation est utilisée depuis l’époque romaine. Il y a plus de 2000 ans, elle était destinée aux vagabonds, les sans nom, les innommables… Cette dénomination est toujours utilisée par exemple dans le cas de victimes non identifiées.
On peut donc penser que Ruggiero n’avait pas d’idée pour donner un titre à son tango, mais ce serait sans doute un peu léger. Beaucoup de tangos portent des noms qui n’ont rien à voir avec la musique, que ce soit à cause des besoins d’une dédicace, de la fantaisie d’un parolier, ou tout simplement, car la musique de tango n’est pas toujours descriptive, notamment dans ses versions modernes. La nécessité de mettre un nom sur une musique n’est pas absolue. En musique classique, la majorité des œuvres ne portent pas de nom descriptif. Elles portent l’indication de leur forme (symphonie, sonate…) et un numéro, le nom étant secondaire et très souvent absent. Il aurait été donc possible, surtout au sein d’un orchestre comme celui de Pugliese, tant collaboratif, un nom à apposer à ce tango.
Je vais donc avancer une autre hypothèse. Ce tango est daté de 1947. On trouve parfois l’indication de 1942 sur certains disques de création récente, mais je pense qu’il s’agit d’erreurs, ces versions étant absolument identiques à celles référencées en 1947. À cette époque (1947), on connaissait les horreurs commises par les nazis et les millions de « no name » qu’ils avaient faits. Floris B. Bakels, dans « Nacht und Nebel » (nuit et brouillard) décrit le sort des déportés qui étaient signés des lettres N N par les nazis. En effet, le décret N N « Nacht und Nebel » (permettait de déporter des personnes sous couvert d’anonymat. Ainsi, elles ne gonflaient pas les statistiques et les prisonniers qui portaient ces lettres sur leurs vêtements n’étaient pas considérés comme des humains ayant droit à un nom.

Je pense que mon hypothèse est probable, dans la mesure où quelques années plus tard, la dictature argentine a repris la même formulation pour pouvoir mettre du flou sur les disparitions. On connaît bien cette partie de l’histoire argentine et le trafic des enfants de ces N N., car le gouvernement argentin a mis en place une structure pour identifier ces exactions et on connaît également l’immense courage des mères de la Place de Mayo.