On se plaint parfois du prix des milongas et ce n’est pas nouveau. Quand le démon du tango nous grignote, il nous faut trouver des astuces pour pouvoir aller danser. C’est ce que nous conte ce tango composé par Victor Felice avec des paroles de Carlos Lucero. Nous verrons que cette thématique n’est pas liée à la seule ville de Buenos Aires… Les paroles nous montrent aussi le soin minutieux que mettaient les hommes de l’époque pour soigner leur tenue avant d’aller à la milonga.
Extrait musical
Bailarín de contraseña — Ángel D’Agostino con Ángel Vargas Disque Victor. Disque 60–0768, Face A. Sur la face B, Pinta blanca (Mario Perini Letra : Cátulo Castillo) enregistré le même jour.
Bailarín de contraseña 1945-08-27 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas
Victor Felice, le compositeur de ce tango, était depuis 1944 un des violonistes de D’Agostino. Parmi ses compositions, signalons “Yo soy de Parque Patricios”, un autre grand succès de D’Agostino et de Vargas.
Paroles
Sábado a la tarde, te planchás el traje Te cortás el pelo, después te afeitás Con bastante crema te hacés dar masajes Gomina y colonia, luego te peinás
Lista tu figura, llegada la noche Te vestís ligero después de cenar Con un cigarrillo prendido en los labios Sales de tu casa, te vas a bailar
Y al llegar al Sportivo Con tu silueta elegante Te detienes en la puerta Con los aires de un doctor
Está atenta tu mirada Para ver si está el amigo Que anteayer te prometiera La entradita de favor
Y mientras vas esperando Ya tenés todo planeado Si no aparece el amigo Te la sabes arreglar
Esperás el intervalo Y con tu cara risueña Le pedís la contraseña A todo aquel que se va
Victor Felice Letra: Carlos Lucero
Traduction libre
Le samedi après-midi, Tu repasses ton costume, tu te coupes les cheveux, puis tu te rases avec beaucoup de crème, tu te fais masser, gomina et eau de Cologne, puis tu te peignes. Ta silhouette est prête, à la tombée de la nuit, tu t’habilles légèrement après le dîner, une cigarette allumée aux lèvres, tu sors de la maison et tu vas danser. Et lorsque tu arrives au Sportivo (Sportivo Tango Buenos Aires, un club de football, qui fut également un centre important du tango), avec ta silhouette élégante, tu te postes à la porte avec des airs de docteur. Ton regard est attentif pour voir si l’ami qui, avant-hier, t’a promis la petite entrée de faveur est là. Et pendant que tu attends, tu as déjà tout prévu au cas où l’ami ne se présentait pas, tu sais te débrouiller. Tu attends l’entracte et, avec ton visage souriant, tu demandes le mot de passe à tous ceux qui s’en vont.
On notera que Vargas chante deux fois le dernier couplet, ce qui met l’accent sur la récupération de la fameuse contraseña.
Les systèmes de paiement et de gestion des entrées au bal
Les méthodes de paiement sont inspirées de celles qui avaient cours en Europe. On pouvait payer à l’entrée, être invité, méthodes qui sont encore d’actualité aujourd’hui. Des méthodes moins courantes étaient celle de la corde qui consistait à vider la salle en tendant une corde pour pousser les danseurs hors de la salle de danse pour les faire payer de nouveau une période de danse.
Le jeton donnant accès au bal, ou à un nombre donné de danses
J’ai réalisé la photo de couverture à partir d’un mural de la calle Oruro. Une diagonale particulièrement riche en peintures murales. On y remarque le slogan pessimiste de Diecepolo et un jeton indiquant qu’il est valable pour une tanda de trois tangos. On remarque un cartel mentionnant Casimiro Aim, le danseur qui a fait approuver le tango par le pape de l’époque.
Le paiement se faisait de préférence au moyen de jetons (fichas). Ces jetons étaient achetés à l’entrée. Pour pouvoir participer à la période suivante, il fallait donc donner son jeton (ou le présenter s’il était permanent) au propriétaire du lieu ou à l’un de ses employés.
Dans le mural on voit que le jeton dessiné donnait droit à une tanda de trois tangos.
Le jeton du mural de la calle Oruro indique une valeur de trois tangos… Il est de 1923.
On notera la mention de trois tangos. Cela peut faire penser au système actuel des tandas. Certains évoquent que ces jetons pouvait aussi être utilisé pour danser avec un taxi dancer ou une prostituée dans un bordel. Ce n’est pas impossible…
Ce système de jeton existait aussi en Europe, en voici quelques exemples :
Quelques exemples de jetons de danse. Un jeton de Buenos Aires (1880), Un jeton pour un événement particulier à l’Opéra de Paris, le bal sud-américain du 2 juin 1927. En bas, un du bal « à la Réunion » du 10 rue des Batignolles. Un jeton de bal alsacien de Mulhouse et à droite, une pièce de monnaie argentine de 5 pesos de 1913 et qui n’a plus cours aujourd’hui. Ce n’est pas un jeton de bal, mais je trouvais amusant de présenter cette pièce ici.
Le bal sud-américain du 2 juin 1927 à l’Opéra de Paris
On connaît l’importance de Paris dans l’histoire du tango. On voit que, dans cet événement mondain de haute volée, l’Argentine est bien représentée, autour d’une pièce de théâtre rocambolesque avec ses gauchos. L’orchestre de Pizarro et des danseurs, donc Casimiro Ain sont au programme. Je vous propose quelques pages du programme.
Extrait du programme du Bal sud-américain à l’Opéra de Paris du 2 juin 1927. D’autres pages dans ce fichier PDF. Je compléterai les pages lors de mon prochain passage en France où j’ai le document complet…
Comme on l’a remarqué au sujet de l’événement de l’Opéra de Paris, il peut y avoir des sorties et entrées en cours d’événement. Pour gérer cela, une méthode est de donner à celui qui sort un mot de passe, la fameuse “contraseña” que notre danseur cherche à obtenir auprès de personnes qui sortent. Ce mot de passe peut bien sûr être sous la forme d’un de ces jetons ou tout autre système à la discrétion des organisateurs.
En Argentine, il est d’usage de prendre un ticket à l’entrée dans un magasin ou une administration. Parfois, une personne sort avant d’avoir été servie et son ticket peut faire le bonheur d’un arrivé récent qui se retrouve avec un numéro proche d’être appelé…
Cela peut faire un petit phénomène en chaine. Une personne donne son ticket à une personne qui est plus loin dans la queue. Celle-ci se retrouve donc avec deux tickets. Une fois servie, elle peut donner son ticket moins favorable à un arrivant plus tardif qui se retrouvera donc surclassé. C’est un petit jeu sympa, au moins pour les gagnants…
Un petit mot du “Sportivo Tango Buenos Aires”
Le bal où se rend le héros de ce tango se trouvait au “Club Social y Sportivo Buenos Aires”. Ce club créé en 1910 et qui se destinait au football et à d’autres activités n’existe plus. Il était, à son origine, situé de l’autre côté du fameux pont de la Boca que connaissent tous les touristes qui ont visité la ville. Aujourd’hui, le lieu ne leur est pas forcément recommandé, même si la traversée avec le pont transbordeur est une activité intéressante…
Il a ensuite rejoint l’autre rive, celle de Buenos Aires, capitale fédérale. Il se peut que le tango évoque cette époque où le club était renommé pour les événements de tango qu’il organisait.
Voilà, les amis. C’est tout pour aujourd’hui. Je vous souhaite de pouvoir toujours vous procurer une entrée dans les bals qui vous intéressent et que ceux-ci ne vous décevront pas.
Qui n’a pas été ému par la voix de Roberto Rufino chantant Patotero sentimental ? Mais savez-vous que cet enregistrement suit de presque 20 ans un succès phénoménal qui obligeait Ignacio Corsini à rechanter cet air souvent plus de cinq fois à la suite. Je vous invite à vous plonger dans l’histoire de ce patotero, émouvant par ses regrets et par là-même découvrir un peu plus cet univers des cabarets, repaire des patoteros.
Je publie cet article le 26 janvier qui est la date anniversaire de la version de Di Sarli avec Mario Pomar et pas celle que je mets en avant, avec Roberto Rufino. Je triche donc un petit peu, on pourra toujours en reparler un 6 juin…
Patoteros, apaches, youth gangs…
Un patotero est le membre d’une patota, un groupe de jeunes enclins à la violence et à la délinquance. Ce phénomène de bandes de jeunes est sans doute une des conséquences de la révolution industrielle qui a jeté des générations de paysans dans les villes. Si les parents y travaillaient, les jeunes qui voyaient les conditions méprisables de vie de leurs parents trouvaient refuge dans des activités, plus ou moins lucratives à défaut d’être honnêtes. Si à Paris, les Apaches (bandes de jeunes délinquants surnommées ainsi par le journaliste Henri Fouquier en référence à la brutalité de leurs crimes qui rappelaient les romans de Fenimore Cooper colportant des idées colonialistes sur la violence des Indiens américains) étaient particulièrement violents, à Buenos Aires, les patoteros étaient un peu moins craints par la population. Pour juger de la différence, on peut s’intéresser à leurs danses, vraiment très différentes. Pour les Argentins, je ne vous propose pas de vidéo, il vous suffit d’imaginer un tango canyengue accentuant l’aspect « canaille », les fentes et autres passes (figures) inspirées du combat au couteau.
Un bal en 1900. Peut-être du tango.
Pour le côté parisien, la danse des apaches est une danse qui alterne des moments violents et des moments plus sensuels. C’est une dramatisation des relations entre femmes et hommes. Cette danse perdurera en France jusque dans les années 60. On retrouvera ses figures, reprises dans d’autres danses comme le lindy-hop, le rock acrobatique, le tango de show, voire le tango de danse sportive.
Trois présentations de valse chaloupée en 1904, 1910 et 1935. Cette danse présente des chorégraphies brutales, d’apparence machiste, même si les femmes peuvent y être également agressives. On considère que c’est une mise en scène des relations tumultueuses entre une prostituée et son souteneur. Quand on imagine le nombre de femmes « volées » à Paris et mise au travail comme prostituées en Argentine, on comprend mieux ce phénomène, fait d’alternance de moments de tensions extrêmes et de moments de passion amoureuse.
Extrait musical
Partition de patotero sentimental. Trois couvertures. Avec Manuel Jovés et Ignacio Corsini à gauche et sur la couverture de droite, Lorenzo Barbero qui l’a enregistrée en 1950 avec le chanteur Osvaldo Brizuela.Patotero sentimental 1941-06-06 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino.
Le patotero s’avance avec des pas bien marqués qui alternent avec de longs glissandos des violons. Rufino commence à chanter, en respectant le rythme initial. Sa voix est expressive et il ne sombre pas dans le pathos que peuvent présenter d’autres chanteurs. Cette sensibilité associée à la pression constante de l’orchestre fait que les danseurs trouveront leur compte dans cette version idéale pour la danse. Le plaisir des oreilles et des jambes. Nous verrons que cet équilibre qui semble si simple et naturel dans cette version a du mal à se retrouver dans les nombreux autres enregistrements du titre, du moins dans les versions de danse, celles pour l’écoute entre dans une autre catégorie. Par exemple, le même Di Sarli, avec l’excellent Mario Pomar fait un autre enregistrement en 1954 et il est difficile d’y trouver la même dansabilité, même si bien sûr de nombreux danseurs tomberont sous le charme de cette autre version (qui est la vraie version du jour, puisqu’enregistrée un 26 janvier).
Roberto Rufino. À gauche à Mar del Plata en 1970 et à droite à Radio Belgrano en 1944.
Paroles
Patotero, rey del bailongo Patotero sentimental Escondés bajo tu risa Muchas ganas de llorar Ya los años se van pasando Y en mi pecho, no entra un querer En mi vida tuve muchas, muchas minas Pero nunca una mujer Cuando tengo dos copas de más En mi pecho comienza a surgir El recuerdo de aquella fiel mujer Que me quiso de verdad y que ingrato abandoné De su amor, me burlé sin mirar Que pudiera sentirlo después Sin pensar que los años al correr Iban crueles a amargar, a este rey del cabaret Pobrecita, cómo lloraba Cuando ciego la eche a rodar La patota me miraba, y No es de hombre el aflojar Patotero, rey del bailongo Siempre de ella te acordarás Hoy reís, pero en tu risa Solo hay ganas de llorar Manuel Jovés Letra: Manuel Romero
Traduction libre des paroles
Patotero, roi du bal Patotero sentimental Tu caches sous ton rire beaucoup d’envies de pleurer. Et les années passent et, dans ma poitrine, aucun amour n’entre. Dans ma vie, j’ai eu beaucoup, beaucoup de poulettes (chéries), mais jamais une femme. Quand j’ai deux verres de trop, dans ma poitrine commence à resurgir le souvenir de cette femme fidèle qui m’aimait vraiment et que j’ai abandonnée ingratement. De son amour, je me moquais sans voir que je pourrais le ressentir plus tard, sans penser que les années, à mesure qu’elles s’écoulaient, étaient cruelles à aigrir ce roi du cabaret. Pauvre petite, comme elle pleurait quand aveugle j’ai commencé à la larguer. La bande (patota) m’observait, et ce n’est pas à un homme de se relâcher (se laisser attendrir). Patotero, roi du bal, toujours, tu te souviendras d’elle. Aujourd’hui tu ris, mais, dans ton rire, il n’y a que l’envie de pleurer.
Autres versions
El patotero sentimental 1922-03-29 — Ignacio Corsini con Orquesta Roberto Firpo.
C’est Corsini qui a créé le titre. Nous verrons cela en fin d’article. Ce fut son premier grand succès, ce tango a lancé sa carrière.
Ignacio Corsini en 1922
La même année, Carlos Gardel décide d’enregistrer le titre. Cette vidéo de Sinfonia Maleva permet de suivre les paroles chantées par Carlos Gardel.
El patotero sentimental 1922 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras)
Submergé d’émotion Raul (Hugo Del Carril) chante Patotero sentimental quand il comprend qu’il va perdre elisa. dans le film La vida est une tango (1939)Patotero sentimental 1941-06-06 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino. C’est notre (faux) tango du jour.Patotero sentimental 1949-11-25 — Orquesta José Basso con Oscar Ferrari.
La voix un peu acide de Ferrari ne sert pas aussi bien le thème que celle de Rufino ou de Corsini. D’un point de vue de la danse, les manières de Ferrari rendent cet enregistrement peu propice à la danse. C’est un peu dommage, car l’orchestre fait un assez joli travail.
Patotero sentimental 1950-12-28 — Lorenzo Barbero y su orquesta de la argentinidad con Osvaldo Brizuela.
Une Jolie version qui ne détrônera pas celle de Di Sarli et Rufino, mais qui se laisse écouter et qui a obtenu un certain succès à son époque, comme en témoigne la partition présentée au début de cet article.
Patotero sentimental 1952-10-16 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Héctor Pacheco.
Dans la veine des tangos à écouter il y a cette version. La voix précieuse de Pacheco est-elle réellement adaptée au rôle d’un patotero, même converti ? On a du mal à croire à cette histoire, d’autant plus que Fresedo multiplie ses fioritures, tout aussi peu propices à la danse que celles de Florindo Sasonne de la même époque.
Patotero sentimental 1954-01-26 — Orquesta Carlos Di Sarli con Mario Pomar.
J’adore Mario Pomar et son interprétation ne souffre d’aucune critique. C’est juste que le choix un peu moins tonique rend, à mon sens, le titre un peu moins agréable à danser que la version avec Rufino enregistrée 13 ans plus tôt. C’est cette version qui a été enregistrée un 26 janvier et qui devrait donc officiellement être le tango du jour.
Patotero sentimental 1974 — Orquesta Florindo Sassone con Oscar Macri.
J’ai parlé des bruitages de Sassone à propos de la version de 1952 de Fresedo, je pense que vous remarquerez que Sassone ne les propose pas dans cet enregistrement. C’est assez logique, car ces bruitages sont le témoignage d’une époque et qu’ils furent abandonnés par la suite. Vous noterez toutefois les moments où Sassone quelques années plus tôt aurait abusé de ces effets. Si Sassone n’est pas un pourvoyeur de tango de danse, il faut reconnaître qu’avec l’interprétation inspirée de Macri, le résultat est plutôt sympa, même si à mon avis, il ne devrait pas franchir la porte de la milonga (en tous cas pas trop souvent 😉
Patotero sentimental 1974 — Hugo Díaz.
L’harmonica d’Hugo Díaz, une voix à lui tout seul. L’ambiance jazzy donnée par le piano et la guitare ne satisfera cependant pas les danseurs qui réserveront le titre pour une écoute au coin du feu.
Patotero sentimental 1974c — Leopoldo Federico con Carlos Gari.
Le bandonéon expressif de Leopoldo Federico nous offre un duo avec Carlos Gari dont la voix puissante contraste avec tous les instruments. C’est une belle interprétation, pleine d’émotion. L’opposition, voix et instruments du début s’apaise progressivement pour nous offrir un paysage sonore parfaitement cohérent. Moi, j’aime bien, mais bien sûr, ça reste entre mon ordinateur et moi, cela ne passera pas sur les haut-parleurs de la milonga.
Patotero sentimental 1991-03 — Carlos García solo de piano.
Le piano sait souvent être expressif. Je vous laisse juger si Carlos García a su suffisamment faire parler son instrument…
Patotero sentimental 2005 — Cuarteto Guardia Vieja con Omar de Luca (ou Dario Paz ou Fabian Vidarte…). Je ne suis pas sûr de qui chante.Patotero sentimental 2006 — Aureliano Tango Club C Aureliano Marin.
Une version très différente mais pas inintéressante. Vous pouvez jeter un œil à leur site, celui d’Aureliano Marin, arrangeur, directeur et contrebassiste du trio en plus d’en être le chanteur.
Patotero sentimental 2011 — Orquesta Típica Gente de Tango con Héctor Morano.
On termine ici, avec une version plus traditionnelle.
Origine de ce tango
Comme nous l’avons vu à de nombreuses reprises, les tangos qui animent nos milongas ont souvent été créés pour des revues musicales, des pièces de théâtre ou des films. Celui-ci ne fait pas exception. Il était une des scènes de la pièce “El bailarín del cabaret” (le danseur de cabaret) qui fut lancée le 12 mai 1922 au théâtre Apolo par la compagnie de Cesar Ratti, et qui eut un succès immense, notamment pour l’interprétation par Ignacio Corsini de notre tango du jour. Les spectateurs bissaient de nombreuses fois ce titre que Corsini chantait, appuyé sur le dossier d’une chaise et avec le genou droit sur l’assise. On connait ce détail par Osvaldo Sosa Cordero dans “Historia de las varietés en Buenos Aires 1900–1925” qui nous apprend également que 800 disques de ce titre ont été gravés en 1922 et comme nous l’avons vu, Gardel s’est aussi emparé du phénomène, la même année.
Osvaldo Sosa Cordero; Historia de las varietés en Buenos Aires 1900–1925. À gauche, édition originale de 1978 et à droite, la réédition de 1999.
Il me semble intéressant de voir comment s’articulaient ces variétés.
El bailarín del cabaret — Couverture de la 4ème édition (19 août 1922 et déjà 319 représentations successives)… À droite, l’extrait du livret avec les paroles du tango chanté par Ignacio Corsini.
Dans la pièce de Manuel Romero, El bailarín del cabaret, où se trouve cette pièce, il y a 4 tableaux. L’apparition de ce tango est dans le troisième. La scène se passe dans un cabaret luxueux et tous dansent un foxtrot joué par l’orchestre dirigé par Félix Scolatti Almeyda, sauf Maria qui est triste à sa table et une famille qui découvre cet univers. Je vous reproduis ici un dialogue savoureux où un jeune homme (Troncoso) souhaite inviter la fille de la famille de visiteurs (Cayetana) et qui se termine par l’introduction de notre tango, Patotero sentimental.
Dialogues liminaires au tango Patotero sentimental
TRONCOSO.- Buenas noches. ¿ Me acompaña ese tango señorita? CAYETANA.-Yo no me comando sola. Pídale permiso a me papá. D. GAETANO.-E iñudole, cabayere. Me nena non “bala”. TRONCOSO.-¿Cómo es eso? ¿Acaso usted. no sabe que toda mujer que entra aquí está obligada a bailar? D. GAETANO.-Ma nun. diga. TRONCOSO.–Si, señor, sino va a haber tiros. CAYETANA.-Papá, vamo in casa. (Troncoso saca un revólver.) D. GAETANO.-Boeno … boeno .. . que “bale” pero no me lamprete mucho. (Bailan ridiculamente.) CATALINA.-Gaetano; roa mire como le hace co la pierna. D. GAETANO.-(Parándolo.) ¡Ah! ¡No covencito, eso no, pe la madonna! Me hija non he una melunguera cualunque. E osté, non debe hacerle cosquiyite inta la gamba, Sabe? TRONCOSO.-¿Dónde le he hecho cosquillas? D. GAETANO.-¿E me lo pregunta todavía? ¡Chancho! TRONCOSO.-¡Salí de ahí otario!(Le da un bife,y lo sacan a bofetadas hasta la calle, madre e hija van detras, la orquesta ataca un paso doble. Tumulto, risas y todos bailan.) ¿ Vamos a bailar, Marta? MARTA.-No: dejame, no quiero bailar hoy. TRONCOSO.-¿ Qué te pasa? MARTA.-Nada. Dejame. TRONCOSO.-¿Pero qué tenés vos esta noche? MARTA.-Nada. Se van a reir si lo digo. PANCHITO.-Dejala; algún metejón nuevo. MARTA.-No, nada de eso, les juro. MARGOT.-A ver, decimelo ami. Yo soy tu amiga . M‑ARTA.-¡Es qué! … Pero no, es ridículo. MARGOT.-Deci … . MARTA.-Pero no se rían. He dejado a mi nene en casa con cuarenta grados de fiebre y se me va a morir y yo no quiero que se me muera. (Llorando.) LA BEBA.-¡Já, já, já! Dejate de sentimentalismos. TRONCOSO.-¡Qué desgraciada! (Todos rien.) LORENA.-¿Por qué se ríen de ella? TRONCOSO.-A vos que te pasa? De un tiempo a esta parte el mozo se ha puesto muy sentimental. LA BEBA.-En cuanto toma dos copas se pone imposible. LORENA.-Para ustedes no hay nada respetable en la vida … TRONCOSO.-Pero hermano! Vos, el rey de los patateros, hablando asi! … LORENA.-¿ Y qué? ¿Acaso un patatero no puede tener alma? Si ustedes supieran …
Traduction des dialogues
TRONCOSO.- Bonsoir. M’accompagneriez-vous pour ce tango, mademoiselle ? CAYETANA : Je ne me commande pas. Demandez la permission à mon père. D. GAETANO.- C’est inutile jeune-homme. Ma fille ne « danse » pas. (Les guillemets soulignent l’opinion que le père a de ces danses de cabaret). TRONCOSO.- Comment cela se fait-il ? Vraiment? Ne savez-vous pas que chaque femme qui entre ici est obligée de danser ? D. GAETANO.-Mais nul me l’a dit. TRONCOSO.–Oui, monsieur, sinon il y aura des coups de feu. CAYETANA.-Papa, rentrons à la maison. (Troncoso sort un revolver.) D. GAETANO.-Bien … Bien .. . qu’ils « dansent » cette « danse » mais ne la serrez pas trop. (Ils dansent ridiculement.) CATALINA.-Gaetano ; Roa, regarde comment il fait avec sa jambe. D. GAETANO.- (L’arrêtant.) Ah ! Non jeune homme, pas ça, par la Madone ! Ma fille n’est pas une melunguera (milonguera, le père ne connait pas bien et déforme le mot) quelconque. Et il ne faut pas chatouiller la jambe, vous savez ? TRONCOSO : Où l’ai-je chatouillée ? D. GAETANO : Et vous me demandez en plus ? Cochon! TRONCOSO : Sors d’ici, otario ! (Otario, cave, naïf, idiot) (Il le gifle, et ils le sortent avec des baffes) jusqu’à la rue. La mère et la fille se glissent derrière, l’orchestre attaque un paso doble. Tumulte, rires et tout le monde danse.) On va danser, Marta ? MARTHA : Non, laisse-moi, je ne veux pas danser aujourd’hui. TRONCOSO : Que t’arrive-t-il ? MARTA.-Rien, laisse-moi. TRONCOSO : Mais qu’as-tu ce soir ? MARTA : Rien, ils vont rire si je le dis. PANCHITO : Laisse-la ; quelque chose d’une nouvelle amourette. MARTA : Non, rien de tel, je vous jure. MARGOT : Eh bien, dis-le-moi. Je suis ton amie. MARTA.-C’est que ! … Mais non, c’est ridicule. MARGOT.-Parle… . MARTA : Mais ne riez pas. J’ai laissé mon bébé à la maison avec quarante degrés de fièvre et il va mourir et je ne veux pas qu’il meure. (En pleurs.) LA BEBA.-Ah-Ah-Ah Arrête avec la sentimentalité. TRONCOSO : Quelle malchance ! (Tout le monde rit.) LORENA.-Pourquoi vous moquez-vous d’elle ? TRONCOSO : Qu’est-ce qui ne va pas chez toi ? Depuis quelque temps, le monsieur (beau jeune-homme) est devenu très sentimental. LE BÉBÉ : Dès qu’il boit deux verres il devient impossible. LORENA.-Pour vous, il n’y a rien de respectable dans la vie… TRONCOSO : Mais frère ! Toi, le roi des patateros, tu parles ainsi !… LORENA : Et alors ? Un patatero ne peut-il pas avoir une âme ? Si vous saviez…
Et là, Ignacio Corsini retourne une chaise, pose un genou sur l’assise et s’appuie au dossier avant d’entamer cette chanson qu’il reprendra de nombreuses fois à la demande des spectateurs. Lors d’une représentation, le chef de la troupe, Cesar Ratti, a essayé d’interdire les bis multiples. Finalement, il a dû céder devant la pression du public et il y a eu cinq bis. Voilà, vous en savez sans doute un peu plus sur l’histoire de ce tango et du lien entre notre musique favorite, les cabarets, théâtres et autres lieux de spectacle du début du vingtième siècle.
Adiós, Coco est un au revoir, ou plutôt un adieu à Rafael D’Agostino, le neveu de Ángel D’Agostino qui était pianiste, compositeur, auteur et journaliste spécialisé dans les spectacles (notamment au journal La Razón à l’Editorial Anahi et à Radio Colonia). Par son oncle et ses activités, il était membre de la grande famille du tango et sa mort tragique dans un accident de la route a secoué la communauté, comme en témoigne ce tango composé par Lázzari, bandonéoniste et arrangeur de l’orchestre de D’Arienzo et l’enregistrement par l’orchestre de ce dernier, un mois seulement, après la mort de Coco. Maintenant, il me reste à vous expliquer pourquoi un dinosaure conduit une voiture…
Extrait musical
Adiós, Coco 1972-12-14 — Orquesta Juan D’Arienzo.
Adiós, Coco s’inscrit dans la lignée des tangos tardifs enregistrés par D’Arienzo. La puissance est énorme. Les violons virtuoses et les longs breaks rendent ce style reconnaissable immédiatement. Le piano de Juan Polito est en ponctuation permanente et bien sûr, les bandonéons (instrument du compositeur, Carlos Ángel Lázzari) et la contrebasse assurent la base rythmique que reprennent les autres instruments. Dans cette version, quelques solos de violons font taire le martellement du rythme, une pointe de romantisme en l’honneur de Coco. Cet orchestre tardif de D’Arienzo, le dernier de sa carrière était composé de la façon suivante : Carlos Lázzari (bandonéoniste et arrangeur de l’orchestre. C’est lui qui reprendra la direction à la mort de D’Arienzo et qui enregistrera des titres du même type de dynamisme avec las solistas de D’Arienzo (les solistes de D’Arienzo, orchestre créé en 1973 avec l’autorisation de D’Arienzo). Voyons donc ces autres solistes : Enrique Alessio, Felipe Ricciardi et Aldo Junnissi (bandonéonistes de D’Arienzo, comme Lázzari de 1950 à 1975).
Juan D’Arienzo dans une attitude typique, anime ses bandonénistes. De gauche à droite, Enrique Alessio, Carlos Lázzari, celui de droite me semble être Aldo Junnissi plus que Felipe Ricciardi, mais je ne garantis rien… Les quatre bandonéonistes de D’Arienzo sont restés les mêmes de 1950 à 1975. Cette photo semble dater de la décennie précédente, probablement les années 60.
Juan Polito (pianiste de l’orchestre de D’Arienzo en 1929, 1938–1939, 1957–1975) Cayetano Puglisi, Blas Pensato, Jaime Ferrer et Clemente Arnaiz (violonistes de D’Arienzo depuis 1940. Cette longévité explique la merveille des violons de D’Arienzo qui était lui-même violoniste). Victorio Virgilito (contre-bassiste de D’Arienzo depuis 1950).
Cette version est instrumentale, mais je pense intéressant de présenter les chanteurs de l’époque : Osvaldo Ramos (ténor). C’est le père de Pablo Ramos qui dirige l’orchestre Los Herederos del Compás que vous pourrez entendre et voir dans ce titre en fin d’article. Alberto Echagüe et Armando Laborde (barytons) Mercedes Serrano (mezzo-soprano).
Rafael D’Agostino (Coco)
Son oncle, Ángel D’Agostino, est bien plus connu et j’ai eu à diverses reprises l’honneur de présenter certaines de ses interprétations. Je vous propose un petit éclairage sur le neveu, Coco, objet de cet hommage. L’histoire commence entre Juan D’Arienzo et Ángel D’Agostino, les D’ du tango. D’Arienzo violoniste et D’Agostino pianiste sont amis depuis l’adolescence. Lorsqu’en 1928 naquit Rafael, ce dernier est entré dans le cercle d’amitié des deux hommes qui l’ont accompagné dans son entrée dans la carrière musicale. Malgré ses capacités de pianiste, Rafael s’est dirigé vers le journalisme, notamment de spectacle. Il fut utilisateur dans ses chroniques de surnoms pour les artistes. Cette mode a été initiée par Felix Laiño, le sous-directeur du journal La Razón. Coco s’est expliqué sur cette coutume, par exemple en parlant de Tita Merello :
“Nadie puede negar que Tita Merello es lastimera; todos los días se queja de su miseria, sus años y su mala suerte, Estos apodos nacen de sus propios defectos y virtudes.”
(Personne ne peut nier que Tita Merello est pitoyable ; chaque jour elle se plaint de sa misère, de son âge et de sa malchance. Ces surnoms naissent de leurs propres défauts et vertus.)
On attribue un certain nombre d’œuvres à Coco : Pasión milonguera Vida bohemia (avec Ricardo García) Paica alegre Mis flores negras (Pas le passillo colombiano arrangé en valse que chanta Gardel) Noches de Cabaret (pas celui d’Héctor Varela avec Rodolfo Lesica) Mi covacha On voit que ces œuvres sont peu connues et celles qui le sont portent le nom d’autres auteurs. Mais j’ai gardé le meilleur pour la fin. On lui attribue également El Plesiosauro. Voyons un peu de ce côté…
El Plesiosauro
Ce sympathique animal marin, un dinosaure, aime faire des farces. En Écosse, il s’appelle Nessi et hante le Loch Ness. En Argentine, on l’appelle par son nom scientifique, El Plesiosauro, mais il porte aussi le nom de El Nahuelito, car il serait apparu au Lac Nahuel Huapi (Bariloche) ou à un autre lac bien plus au sud, el lago Epuyén. Contrairement à son cousin d’Écosse, ce dernier s’est offert le luxe d’écrire une lettre que publia le journal La Nación, en mars 1922, dont voici les termes : “El objetivo de mi carta es persuadirlos de que me dejen en paz, ya que soy un monstruo discreto y desinteresado” “L’objet de ma lettre est de vous persuader de me laisser en paix, car je suis un monstre discret et désintéressé.“ Je pense que vous commencez à penser à un canular, voici l’histoire : La première mention de cet animal date de 1910 et c’est la publication en 1922 de cette « vision » par George Garret qui donna l’idée à un Nord Américain nommé Martín Sheffield d’annoncer la présence de cet animal. Cela arriva aux oreilles du Docteur Clemente Onelli, directeur du Zoo de Buenos Aires, qui aurait bien aimé le mettre dans ses collections. Il envoya des fonds à Martín Sheffield et organisa une expédition. À son arrivée, Martín Sheffield avait disparu avec l’argent et vous vous en doutez, la quête de El Nahuelito s’est avérée vaine, malgré les descriptions qu’en ont faites les prétendus témoins. La bête aurait un long cou, la taille d’une vache et serait carnivore. Certains scientifiques y voyaient la description d’un plésiosaure, d’où le nom le plus courant à l’époque et d’autres d’un ichtyosaure. Des photos auraient été réalisées, mais où sont-elles ?
L’affaire du Plésiosaure à Bariloche. De gauche à droite.
Martin Shieffeld, l’aventurier d’Amérique du Nord. Il a quitté les lieux avec l’argent et n’a pas fait partie de l’expédition.
Docteur Clemente Onelli, le directeur du Zoo et organisateur de l’expédition.
Sur la photo centrale :
Alberto Merkle, un taxidermiste allemand qui aurait pu conserver El Nahuelito si ses collègues l’avaient abattu comme prévu.
Emilio Frey, un ingénieur, ami de Clemente Onelli qui est à droite de lui sur la photo centrale
Santiago Andueza et José Cinaghi, les chasseurs.
La photo de droite représente une reconstitution du Plésiosaure à Bariloche.
Le Plésiosaure a suscité des passions, des rires et plusieurs musiques ont exploité le filon. Parmi celles-ci, la partition attribuée à Rafael D’Agostino.
La partition attribuée à Rafael D’Agostino du Plesiosauro. Elle serait de 1922. On remarque la dédicace à Clemente Onelli, le Directeur de l’expédition, et à un Manuel Garcia que je n’ai pas identifié. Est-il de la famille de Ricardo García avec qui il a composé Vida Bohémia ?
Tous les auteurs qui parlent de ce tango mentionnent sans hésitation Coco, Rafael D’Agostino comme le compositeur du Plesiosauro. Le fait qui m’intrigue est que la partition serait datée de 1922, ce qui est logique vu que c’est l’époque des faits. Ce qui est moins logique, c’est que Rafael D’Agostino est né en 1928 (il avait 40 ans en 1968 selon une interview, et 44 à a sa mort en 1972). Un prodige comme Mozart peut écrire une œuvre à six ans, mais pas six ans avant sa naissance… Il faut donc soit considérer que la partition n’est pas de 1922, soit que c’est d’un autre Rafael D’Agostino. Le fait que Coco soit un plaisantin pourrait laisser penser qu’il aurait réalisé un faux. Dans le sens de cette hypothèse, je mettrai la réalisation assez sommaire de la couverture de la partition. Ce qui ne fait pas de doute, c’est l’expédition à Bariloche de Onelli, les documents sont suffisamment précis sur la question et ce scientifique n’aurait pas mis en jeu sa réputation pour un canular. Le fait qu’il soit cité sur la partition est un peu plus étonnant. En effet, comme il est rentré bredouille, il est peu probable qu’il ait apprécié l’attention. Avoir un tango dédicacé à son nom et qui rappelle un échec n’est sans doute pas des plus réjouissant. Cela me conforte dans l’idée du faux que j’attribuerai à Rafael D’Agostino, un drôle de coco (« drôle de coco » en français peut signifier un farceur, quelqu’un d’un peu original). Son comparse, l’auteur des paroles, serait Amílcar Morbidelli, un « poète » dont on n’a pas vraiment de traces. Est-ce aussi un élément de la blague ? Nous verrons que les paroles peuvent renforcer cette impression. L’orchestre Sciammarella tango a produit la seule version enregistrée de cette œuvre.
El Plesiosauro 2023 — Sciammarella tango.
Sciammarella aurait retrouvé la partition et exécuté l’œuvre. Est-ce une composition originale de cet orchestre ou réellement une œuvre écrite en 1922, ou un canular tardif de Coco ? Le site très sérieux et extrêmement bien documenté Todo Tango cite l’œuvre, donne Rafael D’Agostino comme compositeur et Amílcar Morbidelli comme auteur des paroles. https://www.todotango.com/musica/tema/6341/El-plesiosauro/ Cet élément peut faire pencher la balance du côté de l’œuvre authentique, dont voici les paroles.
Paroles de El Plesiosauro
Yo soy un pobre animal buscado por los ingratos y sin conciencia. Porque soy raro y también lo soy curioso (según dice la gente allí).
Dejemen solo aquí, gozando en la soledad de este lago ¿Qué es lo que haréis con sacarme si es en vano llevarme vivo de este lugar ?
¿No saben los señores que esto no es coger flores? Pretenden aquí cazarme y llevar como si nada fuera.
¡Maldito! No me nombres. Nada te debo Onelli. Deja que yo viva con igual prerrogativas como tú vives allí. Rafael D’Agostino Letra: Amílcar Morbidelli
Traduction libre et indications
Je suis un pauvre animal recherché par les ingrats et sans conscience. Parce que je suis bizarre et que je suis aussi curieux (selon ce que disent les gens de là-bas). Laissez-moi seul ici, profitant de la solitude de ce lac Que ferez-vous de me sortir, si c’est en vain que vous voulez m’enlever vivant d’ici ? (Les membres de l’expédition sont armés et deux chasseurs y participent. La présence d’une grande seringue dans l’équipement est parfois mentionnée, mais mise en doute. Ils pensaient tuer le « monstre » et l’empailler « d’où la présence d’un empailleur dans l’expédition. Ces messieurs ne savent-ils pas qu’il ne s’agit pas de cueillir des fleurs ? Ils ont l’intention de me traquer et de m’emmener comme si de rien n’était. Maudit ! Ne me nommez pas. Je ne te dois rien, Onelli. Laissez-moi, que je vive avec les mêmes prérogatives que vous là-bas.
On voit que l’auteur a pris la parole pour el Nahuelito. À moins que ce soit lui, puisqu’il avait déjà publié une lettre dans le journal La Nación. On remarquera que, si la couverture dédicace l’œuvre à Onelli, le texte n’est pas du tout à sa gloire. Cela me fait encore hésiter. Un auteur aurait-il dédicacé un tango où il traite de maudit son dédicataire ? Cela me semble bien étrange. Si on tient compte que le Plésiosaure est un dinosaure qui vit dans l’eau, on pourrait penser à un poisson d’avril, coutume qui consiste à raconter un truc incroyable que l’on retrouve dans quelques pays d’Europe et dans le Monde, mais pas en Argentine. On pourrait aussi voir dans cette histoire un rappel de la colonisation… Ces Indiens et gauchos que l’on a déplacés et massacrés sans ménagement pour conquérir leur territoire.
Autres versions de Adiós, Coco
Adiós, Coco 1972-12-14 — Orquesta Juan D’Arienzo. C’est notre tango du jour.
Du fait qu’il s’agit d’un tango tardif, il n’a pas eu le temps d’entrer dans le répertoire des orchestres. Une exception toutefois, Los Herederos del Compás, l’orchestre animé par Pablo Ramos, le fils de l’ancien chanteur de D’Arienzo, Osvaldo Ramos, et qui travaille ardemment à entretenir le souvenir de son père et de la Orquesta Del Rey del Compás. Cet orchestre joue régulièrement le thème, et je l’ai donc écouté par eux à diverses reprises avec des évolutions intéressantes.
Adiós Coco 2021 — Pablo Ramos & Los Herederos del Compás. C’est la version du disque “Que siga el encuentro de 2021”.
Mais je pense que vous serez content de voir l’une de leurs prestations. C’était l’an passé, le 8 avril 2023, à la huitième édition du festival de La Plata.
Adiós Coco 2023-04-08 — Pablo Ramos & Los Herederos del Compás, en La Plata Baila Tango (8va edición).
Avec cette vidéo, je pense que l’on peut dire Adiós Coco, au revoir, les amis. Soyez prudent sur les routes, un dinosaure pourrait traverser sans crier gare !
Cette milonga alerte, très alerte, cache cependant une nostalgie, celle du quartier de Palermo avec son tramway, ses allumeurs de réverbères et ses veilleurs de nuit. La prochaine fois que vous vous lancerez dans cette milonga endiablée, vous vous souviendrez peut-être de l’évolution de ce quartier et de sa rivière, aujourd’hui domptée.
Extrait musical
Maldonado 1943-12-09 — Orquesta Pedro Laurenz con Alberto Podestá.Partition de Maldonado. On peut remarquer que Di Sarli et Laurens sont cités, ainsi que le nom complet de Mastra (Mastracusa).
Paroles
Les voy a recordar el tiempo pasado cuando Palermo fue Maldonado y yo en la gran Nacional trabajé de mayoral. Y voy a recodar algunos detalles que sucedían siempre en la calle, cuando con su cadenero al tranvía algún carrero quería pasar.
Dale que dale, dale más ligero a ver quién sube el repecho primero y orgulloso el conductor lo pasaba al percherón. Dale que dale, dale más ligero y atrás dejaban al pobre carrero repitiendo al mayoral si le sobra deme un real.
Yo soy del Buenos Aires de ayer, compañero, cuando en las tardes el farolero con su escalera apurado la sección iba a alumbrar. Después con su pregón familiar el sereno marcaba hora tras hora el tiempo luego el boletín cantado dando así por terminado un día más.
Dale que dale, dale más ligero total ahora ya no está el carrero ni el bromista conductor ni el sereno y su pregón. Dale que dale, dale más ligero total tampoco existe el farolero dale y dale sin parar hasta que me hagas llorar. Alberto Mastra (Música y letra)
Traduction libre des paroles
Je vais vous l’évoquer le temps d’antan où Palermo était Maldonado (El Maldonado était l’un des cours d’eau de Buenos Aires) et où je travaillais comme mayoral (préposé de tramway vendant les billets) à la Gran Nacional (compagnie de tramways passée à l’électrique en 1905 en remplacement de la traction animale que l’on appelait motor de sangre, moteur de sang). Et je vais rappeler quelques détails qui se passaient toujours dans la rue, lorsqu’avec son cheval de tête un conducteur de charrette voulait dépasser le tramway. Envoie ce qu’il envoie (encouragement, en matière d’équitation ont dit envoyer, j’ai donc choisi cette traduction), envoie plus rapidement, voyons qui grimpe la pente le premier et fièrement le conducteur (du tramway) double le percheron. Envoie ce qu’il envoie, envoie plus rapidement, et ils ont laissé le pauvre conducteur de charrette derrière eux, répétant au mayoral s’il en reste, donne-moi un réal (monnaie en usage à l’époque espagnole et qui a été frappée en Argentine de 1813 à 1815 et qui n’était bien sûr plus d’usage au début du 20e siècle). Je suis du Buenos Aires d’hier, compagnon, quand, en soirée, l’allumeur de réverbères, pressé, avec son échelle, allait éclairer la section. Puis, avec sa proclamation familière, le veilleur de nuit (personne qui assurait la vigilance de nuit) marquait le temps, heure après heure, puis, avec son bulletin chanté, mettait ainsi fin à une autre journée. Envoie ce qu’il envoie, envoie plus rapidement, résultat, maintenant il n’y a plus le conducteur de charrette, ni le conducteur farceur, ni le veilleur et sa proclamation. Envoie ce qu’il envoie, envoie plus rapidement, il n’y a pas plus d’allumeurs de réverbères, envoie, envoie sans arrêt jusqu’à ce que tu me fasses pleurer.
Autres versions
Notre tango du jour est une milonga qui fut enregistrée aussi par Di Sarli avec Rufino. Mais d’autres tangos ont également été composés et enregistrés. Je vous en propose quatre, interprétés par six orchestres, mais il y en a d’autres et même des musiques sur d’autres rythmes. Mais attention, ces dernières font référence à d’autres lieux que la rivière Maldonado et le quartier de Buenos Aires.
Maldonado, milonga de Alberto Mastra
Laurenz a enregistré ce titre pour Odeón le jeudi 9 décembre. La semaine d’après, le vendredi 17, La Victor enregistre le titre avec Di Sarli. Ce sont les deux seuls enregistrements « historiques » de cette superbe milonga. On notera que Pedro Laurenz et Di Sarli mettent en avant leur instrument personnel, respectivement le bandonéon pour Laurenz et le piano pour Di Sarli.
Maldonado 1943-12-09 — Orquesta Pedro Laurenz con Alberto Podestá. C’est notre milonga du jour.Maldonado 1943-12-17 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino.
Maldonado, tango par un auteur inconnu
El maldonado 1914 — Rondalla Gaucho Relampago dir. Carlos Nasca. Un enregistrement acoustique, plutôt sympa. On aurait presque envie de le faire découvrir en milonga. J’ai écrit presque 😉
Tango de Luis Nicolás Visca Letra: Luis Rubistein
Maldonado 1928-02-07 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Ernesto FamáMaldonado 1928-02-23 — Orquesta Roberto Firpo con Teófilo IbáñezMaldonado 1928-03-13 — Orquesta Francisco Canaro con Charlo
Tango de Raúl Joaquín de los Hoyos Letra: Alberto Vacarezza
Maldonado 1929-12-10 — Orquesta Francisco Canaro con Charlo
Maldonado et le tranvia
Maldonado n’a rien à voir avec une chaîne de fastfoods américains, vous l’avez compris. C’était le nom d’un des cours d’eau de Buenos Aires. Celui-ci se jette dans le Rio de la Plata à Palermo, ce qui a valu ce nom au quartier du XVIIIe au début du XIXe siècle. On notera que les paroles évoquent un temps où Palermo s’appelait Maldonado. Au sens strict, c’était au début du XIXe siècle. Mais, comme elles parlent de réverbères, de Tranvia, c’est sans doute d’une époque postérieure qu’il est question. En effet, les premiers Tranvia ont été mis en place en 1863.
Premier tranvia de Buenos Aires à moteur de sang (hippomobile) en 1863.
La milonga nous compte une course entre un tranvia et une charrette tirée par un percheron. Il n’est pas sûr que deux chevaux attelés à un tranvia soient capables de distancer une charrette. Je pense donc, que le texte fait référence à une époque encore postérieure, à partir de 1905, date à laquelle la compagnie Gran Nacional (citée dans les paroles) est passée à la traction électrique.
Un tranvia de la compagnie La Capital. Ce tramway date environ d’après 1906, car il porte un numéro.
L’année 1905 a vu l’arrivée des premiers tramways électriques et 1906 a inauguré la numérotation des lignes, ce qui a simplifié la tâche des voyageurs… Sur la photo, le tranvia porte le numéro 45, c’était donc un des équipements de la ligne 45 qui était exploitée par La Capital. La compagnie Gran Nacional citée dans la milonga portait des numéros de 61 à 80. Dans la milonga, il semble logique de penser que la course s’effectue entre une charrette hippomobile et un tranvia électrique qui affirme facilement sa supériorité dans les montées.
El arroyo Maldonado
En ce qui concerne la rivière qui avait donné son nom au quartier (El arroyo Maldonado), vous aurez du mal à la trouver, car elle est désormais souterraine. La dernière fois qu’elle a fait parler d’elle, c’était en 2010 et j’en ai été témoin, elle a causé d’importantes inondations à Palermo. Depuis, des travaux ont été entrepris pour éviter ces problèmes.
En 1890, la rivière Maldonado était presque à sec. On voit au fond le pont de l’avenue Sante Fe.Aujourd’hui, au même endroit, le souvenir de la rivière est porté par des inscriptions sur les passages piétons…
Les danseurs reconnaissent immédiatement cette milonga qui s’annonce par un coup de clairon. Cependant, ils ne savent peut-être pas tous pourquoi cet instrument insolite s’est invité dans l’orchestre pour cette courte prestation. Je vous propose d’en découvrir la raison en nous plongeant dans l’histoire de la jeune nation argentine.
Extrait musical
Milonga de los fortines 1937-09-28 — Típica Victor con Mariano Balcarce Direction Federico Scorticati
Milonga de los fortines — Disque Victor 38285 — Face A.
Paroles
Milonga de cien reyertas templada como el valor. Grito de pampa desierta diciendo su alerta con voz de cantor. Milonga de quita penas. Nostalgia de población. Canto qu’en noche serena su rezo despena detrás del fogón.
Diana de viejas victorias en la punta del tropel, con tu vanguardia de gloria serás en la historia canción y laurel. Son de querencia querida en las noches del cuartel. Pena de china querida que al fin afligida dejó de ser fiel.
Resuenan con tus acentos, milonga del batallón, gritos de viejos sargentos cargando en el viento con el escuadrón. Y vuelven en los sonidos agudos del cornetín, ecos de mil alaridos que estaban perdidos detrás del confín.
Gime el desierto rodando sus rumores de huracán… Vienen las lanzas cargando y están aguaitando la Cruz y el Puñal. Gloria de aquel comandante que jamás volvió al cantón. Besan su barba cervuna la luz de la luna y el fuego del sol. Sebastián Piana Letra: Homero Manzi
Traduction libre et indications
Milonga de cent batailles, tempérée comme le courage. Cri de la pampa déserte disant son alerte d’une voix de chanteur. Milonga qui ôte les chagrins. Nostalgie de la population (de l’humanité commune ?). Je chante pour que dans la nuit sereine, sa prière s’achève (despenar en lunfardo, c’est achever un animal mourant, ou couper les cheveux courts…) derrière le feu. Diane des anciennes victoires à la tête de la troupe, avec ton avant-garde de gloire tu seras dans l’histoire chanson et lauriers. Vous serez très aimés les nuits de la caserne (quartier). Chagrin d’une compagne chérie qui, à la fin, affligée, a cessé d’être fidèle. Ils résonnent avec tes accents, milonga du bataillon, les cris des vieux sergents chargeant au vent avec l’escadron. Et ils reviennent aux sons aigus du cornet, échos de mille hurlements qui se sont perdus derrière les confins. Le désert gémit en roulant ses rumeurs d’ouragan… Les lances viennent en chargeant et elles arrosent la Croix et le Poignard. Gloire à ce commandant qui n’est jamais revenu au cantonnement. Ils embrassent sa barbe rousse (couleur de cerf), la lumière de la lune et le feu du soleil.
Autres versions
Milonga de los fortines 1937-09-28 — Típica Victor con Mariano Balcarce Direction Federico Scorticati.Milonga de los fortines 1981-06-23 — Nelly Omar con el conjunto de guitarras de José Canet.
Les forts (los fortines)
Cette milonga est ancrée profondément dans l’histoire de l’Argentine.
Rencontre du gouverneur Gerónimo Matorras avec le Cacique Paykin — Tomás Cabrera 1774 (Musée d’histoire de Buenos Aires). Composition complète à gauche, présentant en haut la justification religieuse des faits militaires.
En 1774, un accord a été trouvé entre les Mocovies et les Espagnols, ce que représente l’œuvre de Tomás Cabrera. Cependant, l’expansion des Européens ne va pas laisser les choses ainsi et il fut décrété une conquête du désert (Conquista del Desierto). Le terme de désert a été choisi pour nier l’existence de peuples premiers sur les territoires. On connaît mieux l’histoire Nord-américaine, notamment par les centaines de « westerns » et Lucky Luke, mais il est facile d’imaginer que les exactions furent les mêmes en Argentine. Pour consolider leurs avancés et se protéger des populations indiennes qui souhaitaient conserver la jouissance de leurs espaces, les militaires ont monté des forts, constructions sommaires qui se sont par la suite renforcées et qui sont aujourd’hui des villes.
Évolution des forts. En haut, simples palissades et baraquements en bois. Au centre, le fort Codihue. En bas, des constructions en dur apparaissent. En bas à droite, c’est la maison des commandants du fort « Général Roca ».Campaña del Desierto 1879 — Par Antonio Pozzo. Un siècle plus tard, les problèmes avec les Indiens sont toujours au cœur des préoccupation de certains comme le Général Roca qui prônait l’extermination de tous les peuples premiers.La vuelta del malón 1892 — Angel Della Valle. Les peuples premiers sont présentés comme des sauvages qui raptent les femmes et les objets saints. Ce type de peinture que l’on trouve au musée des Beaux-Arts de Buenos Aires sert de justification aux exactions visant à exterminer les peuples premiers.
Nous arrivons au bout de ce petit parcours historique, pas forcément en faveur de la fierté de l’Argentine, mais quel peuple colonisateur n’a pas commis son lot d’horreurs ?
La prochaine fois que vous entendez le clairon, vous aurez peut-être une pensée pour ces indiens décimés et vous danserez une milonga endiablée en hommage à leurs souffrances.
Lucky Luke de Morris, ici sur le couvercle d’une boîte contenant le fort Canyon en bois (1985, Comansi, Dargaud).
Difficile de ne pas faire le lien entre l’Amérique du Nord et celle du Sud. James Huth s’est sans doute fait la même réflexion, car c’est en Argentine (Mendoza, Salta et Jujuy), qu’il a tourné le film Lucky Luke.
N’oublions pas également que René Goscinny, le scénariste de Lucky Luke (et Astérix) a également vécu en Argentine de 1928 à 1945.
À bientôt, les amis, je m’en vais sur mon blanc cheval, musicaliser une milonga où je passerai peut-être la Milonga de los fortines.
I’m a poor lonesome cowboy (Lucky Luke Theme) 1971 — Claude Bolling. Générique du dessin animé sorti en 1971.
Quand on pense à Osvaldo Pugliese, deux souvenirs reviennent forcément en mémoire. La yumba et le concert au Teatro Colón du 26 décembre 1985. Ces deux éléments distants de 40 ans sont intimement liés, nous allons voir comment.
Extrait musical
La yumba 1946-08-21 — Orquesta Osvaldo Pugliese Partition de La yumba (Osvaldo Pugliese).
Naissance d’un mythe
Lorsque Pugliese a lancé La yumba, cela a été immédiatement un succès. Mais il est intéressant de connaître le parcours. Vous lirez peut-être que cela vient du bruit du bandonéon quand il s’ouvre et se ferme ou d’autres choses plus ou moins fantaisistes. Je préfère, comme toujours, me raccrocher aux sources et donc, dans le cas présent à Osvaldo Pugliese.
Je lui laisse la parole à Osvaldo Pugliese à travers une entrevue avec Arturo Marcos Lozza :
Osvaldo Puglise — Al Colón — Arturo Marcos Lozza (1985)
Nosotros partimos de la etapa de Julio De Caro. Yo, de joven, viví esa etapa. No la viví escuchándola, la viví practicándola. Se deduce que tenía que haber una superación, no porque yo me lo hubiera impuesto, no. Vino solo, vino por necesidad específica, también por necesidad interna, espiritual. Y fuimos impulsando poco a poco una superación, una línea que cristalizó en “La yumba”.
En esa partitura, en esa interpretación, usted apela a un ritmo que tiene un sello muy especial…
Le he dado una marcación percusiva. Por ejemplo, los norteamericanos en el jazz hacen una marcación dinámica, mecánica, regular, monocorde. Para mi concepto, la batería no corre en el tango. Ya han hecho experiencias Canaro, Fresedo y qué sé yo cuántos, pero para mí la batería es un elemento que golpea. El tango, en cambio, tiene una característica procedente de la influencia del folclore pampeano, que es el arrastre, muy aplicado por la escuela de Julio De Caro, por Di Sarli y por nosotros también. Y después viene la marcación que Julio De Caro acentuó en el primer y tercer tiempo, en algunos casos con arrastre. Y nosotros hemos hecho la combinación de las dos cosas: la marcación del primer tiempo y del tercero, y el arrastre percusivo y que sacude.
Y esa combinación de marcación percusiva y de arrastre le da al tango una fuerza que es incapaz de dársela una batería.
No, no, la batería no se la puede dar, arruina. No quiero usar ni batería, ni pistón, ni trombones. Lo único que me llama la atención, y que en algún momento lo voy a incorporar, como se lo dije un día al finado Lipesker, es el clarinete bajo, un clarinete que Lipesker ya tocaba en la orquesta de Pedro Maffia y que le sacaba lindo color, oscuro y sedoso. Bueno, con la flauta y un clarinete bajo yo completaría una orquesta típica.
[…]
Le dimos una particularidad a nuestra interpretación y la gente reaccionaba gritándonos “¡no se mueran nunca!”, “¡viva la sinfónica!”, “¡al Colón, al Colón!”. Bueno, esas son cosas que expresan un sentimiento, pero son exageraciones: ni somos una sinfónica, ni nada por el estilo.
Eso sí, cuando tocamos, ponemos todo.
Ponen pólvora, ponen yumba, hay polenta en la interpretación. ¡Cuántos al escuchar a la típica del maestro, terminan con la piel de gallina por la emoción!
Y bueno, yo no sé. Para mí, sentir eso es una satisfacción. Pero me digo a mí mismo: “quédate ahí nomás, Osvaldo, no te fanfarronees y seguí trabajando siempre con la cabeza fría”.
Arturo Marcos Lozza ; Osvaldo Pugliese al Colón.
Traduction libre de la l’entrevue entre Osvaldo Pugliese et Arturo Lozza
Nous sommes partis de l’étape de Julio De Caro. Moi, en tant que jeune homme, j’ai vécu cette étape. Je ne l’ai pas vécue en l’écoutant, je l’ai vécue en le pratiquant. Il s’ensuit qu’il devait y avoir une amélioration, non pas parce que je me l’étais imposée, non. Elle est venue seule, elle est venue d’un besoin spécifique, aussi d’un besoin intérieur, spirituel. Et nous avons progressivement promu une amélioration, une ligne qui s’est cristallisée dans « La yumba ».
Dans cette partition, dans cette interprétation, vous faites appel à un rythme qui a un cachet très particulier…
Je lui ai donné une marque percussive. Par exemple, les Nord-Américains dans le jazz font un marquage dynamique, mécanique, régulier, monotone. Pour mon concept, la batterie ne va pas dans le tango. Canaro, Fresedo et je ne sais pas combien ont déjà fait des expériences, mais pour moi la batterie est un élément qui frappe. Le tango, d’autre part, a une caractéristique issue de l’influence du folklore de la pampa, qui est l’arrastre (traîner), très utilisé par l’école de Julio De Caro, par Di Sarli et par nous également. Et puis vient le marquage que Julio De Caro a accentué au premier et troisième temps, dans certains cas avec des arrastres. Et nous avons fait la combinaison des deux choses : le marquage du premier et du troisième temps, et l’arrastre percussive et tremblante.
Et cette combinaison de marquage percussif et d’arrastre donne au tango une force qu’une batterie est incapable de lui donner.
Non, non, la batterie ne peut pas la donner, elle ruine. Je ne veux pas utiliser de batterie, ni de pistons, ni de trombones. La seule chose qui attire mon attention, et qu’à un moment donné je vais incorporer, comme je l’ai dit un jour au regretté Lipesker, c’est la clarinette basse, une clarinette que Lipesker jouait déjà dans l’orchestre de Pedro Maffia et qui lui a donné une belle couleur sombre et soyeuse. Eh bien, avec la flûte et une clarinette basse, je compléterais un orchestre typique.
[…]
Nous avons donné une particularité à notre interprétation et les gens ont réagi en criant « ne meurs jamais ! », « Vive le symphonique ! », « au Colón, au Colón ! ». Eh bien, ce sont des choses qui expriment un sentiment, mais ce sont des exagérations : nous ne sommes pas un symphonique, ou quelque chose comme ça.
Bien sûr, quand nous jouons, nous y mettons tout ce qu’il faut.
Ils ont mis de la poudre à canon, ils ont mis de la yumba, il y a de la polenta (puissance, énergie) dans l’interprétation. Combien en écoutant la Típica du maître finissent par avoir la chair de poule à cause de l’émotion !
Et bien, je ne sais pas. Pour moi, ressentir cela est une satisfaction. Mais je me dis : « reste où tu es, sans plus, Osvaldo, ne te vante pas et continue de travailler, toujours avec la tête froide. »
On voit dans cet extrait la modestie de Pugliese et son attachement à De Caro.
Autres versions
Il existe des dizaines d’enregistrements de La yumba, mais je vous propose de rester dans un cercle très restreint, celui d’Osvaldo Pugliese lui-même.
La yumba 1946-08-21 — Orquesta Osvaldo Pugliese. C’est notre tango du jour.
Elle allie l’originalité musicale, sans perdre sa dansabilité. Sans doute la meilleure des versions pour la danse avec celle de 1948, mais dont la qualité sonore est moins bonne, car tirée d’un film.
Pugliese jouant la Yumba en 1948 !
La yumba en 1948. Le film “Mis cinco hijos” (mes cinq enfants), nous donne l’occasion de voir Osvaldo Pugliese à l’époque du lancement de La yumba.
Extrait du film “Mis cinco hijos” dirigé par Orestes Caviglia et Bernardo Spoliansky sur un scénario de Nathan Pinzón et Ricardo Setaro. Il est sorti le 2 septembre 1948. Ici, Osvaldo Pugliese interprète La yumba avec son orchestre. On peut voir à la fin de l’extrait le succès qu’il rencontre “Al Colón!”
La version de 1952
La yumba 1952-11-13 — Orquesta Osvaldo Pugliese.
Une version magnifique. Peut-être celle qui est le plus passée en Europe. On pourra la trouver un peu moins dansante. Cependant, comme cette version est très connue, les danseurs arrivent en général à s’y retrouver.
Le très, très célèbre concert du 26 décembre 1985, où Pugliese arrive enfin Al Colón comme le proclamaient les fans de Pugliese en 1946 (et dans le film de 1948).
1985-12-26, Osvaldo Pugliese Al Colón. La yumba Version courte (seulement la yumba)
Version longue avec la présentation des musiciens. C’est celle que je vous conseille si vous avez un peu plus de temps.
Osvaldo Pugliese avec Atilio Stampone en 1987.
1987, Une interprétation de La yumba à deux pianos, celui de Osvaldo Pugliese et celui de Atilio Stampone.
Le 26 juin 1989, Astor Piazzolla se joint à l’orchestre de Osvaldo Pugliese. Ils interprètent au Théâtre Carre d’Amsterdam (Pays-Bas), La yumba et Adiós nonino.
Le 26 juin 1989, Astor Piazzolla se joint à l’orchestre de Osvaldo Pugliese. Ils interprètent au Théâtre Carre d’Amsterdam (Pays-Bas), La yumba et Adiós nonino.
Dans le documentaire « San Pugliese », un des musiciens témoigne que les musiciens étaient assez réservés sur l’intervention de Astor Piazzolla. Osvaldo Pugliese, en revanche, considérait cela comme un honneur. Un grand homme, jusqu’au bout.
Pugliese au Japon
La yumba 1989-11 — Orquesta Osvaldo Pugliese.
La yumba 1989-11 — Orquesta Osvaldo Pugliese. Le dernier enregistrement de La yumba par San Pugliese, au Japon (Nagoya) en novembre 1989. Si vous écoutez jusqu’à la fin, au début des applaudissements, vous pourrez entendre une petite fantaisie au piano par Osvaldo Pugliese.
Je vous laisse sur ce petit jeu de notre cher maître, à la fois sérieux et facétieux.
La yumba — À partir d’un pochoir mural dans le quartier de Palermo. La ronde d’india, est inspirée par ma fantaisie à l’évocation de Yumba…
Fruta, Fruto, qui se frotte à ces deux mots, peut être étonné. En fait, les deux termes sont interchangeables en Argentine, sauf peut-être pour les botanistes. Dans la vie courante, on peut aller dans un mercado de frutos pour acheter des frutas ou l’inverse. Quoiqu’il en soit, vous vous demandez peut-être en quoi une scie peut avoir un rapport avec un fruit défendu. Je vais vous le faire entendre, avec ce vieux tango, bien canyengue.
Extrait musical
Fruta prohibida 1930-08-05 — Orquesta Típica Brunswick dir. Juan Polito.
Pas besoin de l’écouter en entier pour identifier qu’il correspond à ce que l’on appelle maintenant le style canyengue. Un style que certains continuent de pratiquer, même à Buenos Aires, où on ne passe en général pas ce type de musique. Les aficionados le font sur un Canaro ou un Lomuto un peu plan-plan, par exemple, mais qui n’est pas du canyengue pur et dur comme on peut en entendre en Europe. Vous remarquez les sonorités un peu étranges de la scie musicale (serrucho) de 1:05 à 1:37. Je vous en dirai plus sur cet instrument en fin d’article. Je ne sais pas qui en joue. Peut-être le frère de Juan Polito, Salvador. Il est violoniste (et parolier). Il est envisageable de réduire le pupitre des violons pour y placer la scie musicale qui joue 30 secondes.
Un peu plus d’incertitudes sur ce tango
Ce tango composé par B. Nortoni est probablement le seul de ce compositeur qui nous soit parvenu sous forme de disque. En revanche, j’ai trouvé un tango du même titre, publié à Madrid en 1927, mais attribué à d’autres auteurs.
La mention du tango Fruta probibida dans le journal espagnol “El Debate” du 13 novembre 1927. En bas à gauche, la couverture de la partition.
Dans le journal El Debate daté du 13 novembre 1927, on trouve la mention d’un tango de Enrique Bregel (1893–1981) et Samuel Herrera (?-1985) appelé Fruta prohibida. J’ai trouvé la couverture de la partition sur laquelle il y a une femme, peut être le fruit défendu ? Les paroles de Manuel Feijoó (1904–1938) et Vincente Moro (?-1947) pourraient nous aider à en savoir plus. Pour savoir si la musique est la même que celle du tango attribué à B. Nortoni, il faudrait pouvoir trouver un enregistrement ou la partition. Je n’ai pas trouvé d’enregistrement et malheureusement, la partition n’est pas consultable depuis Buenos Aires, seulement sur les ordinateurs de la Bibliothèque Nationale Espagnole à Madrid. “Esta obra es de acceso restringido. Puede acceder a ella en ordenadores específicos de las instalaciones de la BNE / Restricted access to this document. It is only available on specific computers at BNE facilities.” Ce ne serait pas la première fois qu’une œuvre espagnole se retrouve sous la bannière argentine. B. Nortoni a‑t-il signé trois ans plus tard, un tango écrit en Espagne ? Est-ce simplement une coïncidence. Difficile de le confirmer sans accès à la partition. Si quelqu’un de Madrid peut aller à la BNE pour obtenir cette partition…
Une scie musicale
En français, une scie désigne également une œuvre un peu répétitive et peu enthousiasmante. Mais la scie musicale est un instrument de musique.
À gauche, Marlene Dietrich jouant da la scie musicale pour les soldats américains. Dominique Pinon, à droite, joue de la scie musicale dans le film de Caro et Jeunet « Delicatessen » (1991). Au centre, une scie musicale française de 1930.
La scie musicale est un instrument idiophone, c’est-à-dire que le son est produit par le matériau de l’instrument. L’instrument ressemble à une scie égoïne, sans les dents et avec une poignée plus grande, car elle est destinée à être maintenue entre les cuisses. L’autre extrémité est maintenue entre le pouce et l’index ou mieux maintenue par une manette de flexion qui permet de maintenir la torsion de la lame avec moins d’effort. On utilise un archet (de violon, alto ou autre) pour mettre en résonance la lame métallique. Francisco Canaro a découvert cet instrument en France et a payé des cours à son petit frère, Rafael, pour qu’il complète la liste de ses instruments (contrebasse et guitare) par la scie musicale que les Argentins appellent serrucho (scie). D’autres orchestres que ceux des Canaro l’ont utilisée, comme José Maria Lucchesi, Eduardo Bianco et Bachicha(Juan Bautista Deambrogio) et bien sûr, la Típica Brunswick.
Autres versions
Il n’y a pas d’autres versions, alors je vous propose d’autres titres avec serrucho, par ordre chronologique…
El serrucho 1924 – Orquesta Francisco Canaro.
Malgré le nom de l’œuvre, la scie musicale n’est pas mise en valeur. Elle est présente, mais n’a pas de partie en solo.
La sulamita 1924 (Shimmy) — Jazz Band Francisco Canaro.
Dans son Jazz Band, Canaro a aussi intégré la scie musicale. Comme pour El serrucho, la présence est tout de même discrète.
Taita 1926-11 — Orquesta Bianco-Bachicha.
On note l’arrivée de la scie musicale dès le début (6 secondes).
Quasimodo 1928-01 — Orchestre Sud-Américain José Maria Lucchesi.
Un titre très original, La scie musicale entre en scène avec puissance à 1:06.
La cumparsita 1928-01-28 — Orquesta Bianco-Bachicha.
La scie musicale entre en scène à 2:09.
Fruta prohibida 1930-08-05 — Orquesta Típica Brunswick dir. Juan Polito. C’est notre tango du jour.La cumparsita 1930-08-05 — Orquesta Típica Brunswick dir. Juan Polito.
Une cumparsita enregistrée le même jour que Fruta prohibida par Juan Polito et la Típica Brunswick. Il faut passer l’impressionnante et très longue introduction (1:15) pour entrer dans l’œuvre. La scie musicale n’entre en fonction qu’à 2:14 pour un bref solo.
Voilà, vous saurez maintenant repérer cet instrument original. Vous pouvez aussi vous reporter à l’anecdote du 24 avril 2024 sur Danzarín 1963–04-25pour d’autres informations sur des instruments plus rares. À demain, les amis !
Notre tango du jour n’est pas un tango. Notre tango du jour est un tango. C’est un tango, ou ce n’est pas un tango, il faudrait savoir ! Disons que c’est un tango, mais que ce n’est pas un tango. Le tango sait chanter l’amour, mais il n’est pas le seul. Son copain le boléro le fait sans doute tout aussi bien et sans doute mieux. Alors, nous allons décortiquer le mécanisme de l’horloge, celle qui dit oui, qui dit non, dans le salon.
Boléro y tango
Je vous raconterai en fin d’anecdote l’histoire qui a donné naissance à ce boléro. Oui, ce titre est né boléro. En Argentine, certains tangos un peu mielleux et hyper romantiques sont surnommés boléros par les tangueros et ce n’est pas forcément un compliment. Quelqu’un comme Borges aurait pu sortir le facón (couteau de gaucho) pour faire un sort au musicien qui aurait osé proposer ce type de tango, pas assez viril à son goût. Mais le boléro est aussi un genre musical originaire de Cuba, qui, comme le tango, s’est exporté avec succès en Europe au point d’être une des pièces indispensables des bals de village. On notera toutefois que les danseurs « musette » le dansent exactement comme le tango, avec le même anapeste, le fameux lent-vite-vite-lent des cours de danse de société, alors que celui du boléro serait plutôt du type vite-vite-lent. Les deux danses sont d’ailleurs du type 4/4, même si dans le cas du tango, on aime à parler de 2/4 (dos por cuatro). Attention, il me semble qu’il faut préciser que le boléro d’Amérique du Sud n’est pas le boléro espagnol qui est lui de rythme ternaire et qui est un dérivé des séguedilles. Il fut très populaire durant tout le dix-neuvième siècle, jusqu’au terrible « Boléro » de Maurice Ravel en 1928, qui en est une légère variante, mais dans lequel on reconnaît bien le rythme ternaire (3/4). Les Européens se sont jetés sur le boléro d’origine sud-américaine dans les années 30 en s’approvisionnant aux deux principales sources de l’époque, Cuba et le Mexique, ce qui leur a permis d’oublier l’insupportable Boléro de Maurice Ravel. La diffusion était bien sûr la radio et le disque, mais aussi les bals et tout comme le tango de danse a été codifié en Europe, le boléro l’a été. En Argentine, le boléro a aussi fait son apparition, mais le tango était bien en place et c’est un peu plus tardivement, notamment dans les années 50, qu’il est devenu très important. Notre tango du jour appartient justement à cette époque. Auréolé de son succès, ce boléro écrit et chanté par García Roberto Cantoral (avec son trio mexicain Los 3 Caballeros) est arrivé jusqu’aux oreilles de Juan D’Arienzo qui a décidé de l’adapter à sa musique, en le transformant en tango.
Comparaison du chant boléro et tango
Je me suis livré à une petite expérience. Roberto Cantoral chante plus lentement que Jorge Valdez. C’est logique, il n’a pas la fusée D’Arienzo pour le pousser et c’est un boléro… J’ai donc accéléré son enregistrement pour le placer à la même vitesse que celui de D’Arienzo. Dans ce premier montage, on va entendre un extrait des deux versions en même temps. C’est un peu fouillis, mais on voit tout de même des analogies.
El reloj — D’Arienzo Valdez et Roberto Cantoral. On entend les deux en même temps sur un extrait, le début de la partie chantée.El reloj — Cantoral Puis D’Arienzo Valdez.
Le début de la version chantée par Cantoral, un petit pont par D’Arienzo puis Jorge Valdez. On notera que même si le rythme de l’orchestre est différent, les chanteurs ne sont pas si différents. On remarquera l’arrastre de Cantoral, bien plus marqué que chez Valdez. De plus, si vous prenez en compte que j’ai accéléré l’enregistrement de Cantoral pour qu’il soit au compas de celui de D’Arienzo, on comprendra que la même partition peut donner lieu à des interprétations très différentes. Vous pourrez entendre la version de Cantoral en entier dans la partie « Autres versions ». Pour interpréter son tango qui n’est pas un boléro, mais qui est romantique comme un boléro, Juan D’Arienzo a fait appel à Jorge Valdez, son chanteur romantique et voici le résultat…
Extrait musical
El reloj Roberto Cantoral. Partition de boléro pour piano au centre et partition pour chanteur à droite. Cantoral et Valdez chantent sensiblement la même partition. La différence de rythme vient de l’orchestre.El reloj 1957-08-02 — Orquesta Juan D’Arienzo con Jorge Valdez.
Comme vous pouvez l’entendre, cette version n’a rien de boléro dans le rythme. Les accents suaves du boléro d’origine sont découpés par des passages martelés au piano et au bandonéon. Un petit motif léger au piano évoque un carillon de salon et Jorge Valdez commence à chanter. Je ne suis en général pas fan de Valdez pour la danse, mais curieusement et malgré l’origine en boléro, le résultat reste acceptable pour la danse en tango et cela bien que Valdez chante la totalité des paroles et par conséquent plus de la moitié du tango. Peut-être que la beauté des paroles aide. Je vous laisse en juger.
Paroles
Reloj, no marques las horas Porque voy a enloquecer Ella se irá para siempre Cuando amanezca otra vez Nomás nos queda esta noche Para vivir nuestro amor Y tú tic-tac me recuerda Mi irremediable dolor Reloj, detén tu camino Porque mi vida se apaga Ella es la estrella que alumbra mi ser Yo sin su amor no soy nada Detén el tiempo en tus manos Haz esta noche perpetua Para que nunca se vaya de mí Para que nunca amanezca Reloj, detén tu camino Porque mi vida se apaga Ella es la estrella que alumbra mi ser Yo sin su amor no soy nada Detén el tiempo en tus manos Haz esta noche perpetua Para que nunca se vaya de mí Para que nunca amanezca.
García Roberto Cantoral (MyL)
Traduction libre
Horloge, ne marque pas les heures parce que je vais devenir fou. Elle disparaîtra pour toujours lorsque le soleil se lèvera à nouveau. Nous n’avons que cette nuit pour vivre notre amour et ton tic-tac me rappelle ma douleur irrémédiable. Horloge, arrête ton chemin parce que ma vie s’arrête. Elle est l’étoile qui illumine mon être. Sans son amour, je ne suis rien. Arrête le temps entre tes mains. Rends cette nuit perpétuelle pour qu’elle ne me quitte jamais, pour que l’aube n’arrive jamais. Horloge, arrête ton chemin, car ma vie s’éteint. Elle est l’étoile qui illumine mon être. Sans son amour, je ne suis rien. Arrête le temps entre tes mains. Rends cette nuit perpétuelle, pour qu’elle ne me quitte jamais, pour que l’aube ne se lève jamais.
Une histoire romantique
Roberto Cantoral aurait composé ce titre alors qu’il était en tournée avec Los 3 caballeros, le trio de guitaristes chanteurs (les trios de guitaristes chanteurs sont une spécialité mexicaine) qu’il avait formé avec Chamin Correa et Leonel Gálvez.
Los tres caballeros. De gauche à droite, Leonel Gálvez, Roberto Cantoral, et Chamin Correa.
Il aurait eu à cette occasion une histoire d’amour avec une des femmes de la tournée, une danseuse. La chanson conterait donc cette dernière nuit où lui devait revenir au Mexique et elle à New York. Cette histoire est tellement plausible, qu’elle est quasi officielle. On peut juste se demander pourquoi il écrivait un boléro au lieu de profiter de ses derniers moments et pourquoi imaginait-il que cette histoire était terminée ? Engagement de la belle dans une autre histoire ? Il était marié et il ne voulait pas quitter sa femme.
Une histoire encore plus romantique
S’il était marié, c’est le thème de la seconde histoire. La femme de Roberto était gravement malade et le boléro a été composé alors qu’il la veillait à l’hôpital Beneficencia Española de Tampico. Les médecins avaient livré un sombre pronostic et il n’était pas du tout certain que son épouse « passerait la nuit ». D’après un journaliste signant lctl dans El Heraldo de México du 10 février 2021, la femme aurait survécu. Si cette histoire est véridique, alors, elle est bien romantique également. Mais j’ai un doute sur cette histoire dans la mesure où Roberto Cantoral a vécu une autre aventure romantique… et que s’il chérissait tellement sa femme, il est peu probable qu’il se lance dans l’aventure que je vais exposer, mais avant, un détail. Je n’ai pas évoqué les débuts de Roberto avec son frère aîné Antonio en 1950–1955 (Los Hermanos Cantoral). Antonio a créé ensuite aussi son groupe, Los Plateados de México. Contrairement à son petit frère, il était marié à l’époque de l’écriture de El reloj, amoureux et sa femme mourut jeune, en 1960. Peut-être que le séjour à l’hôpital était celui de la femme d’Antonio et pas d’une hypothétique femme de Roberto. Et voici la troisième histoire…
Une histoire encore plus et plus romantique
Dans le domaine du boléro, plus c’est romantique et mieux c’est. En 1962 à Viña del Mar (Chili), Roberto était en tournée. Il y rencontra une trapéziste argentine qui était également en tournée. Cette trapéziste s’appelait Itatí Zucchi Desiderio, elle était également championne de judo, actrice et danseuse contemporaine. La partie romantique de l’histoire est qu’il se marièrent 9 jours après leur rencontre et qu’ils restèrent unis jusqu’à leur mort, 2010 pour lui, 2020 pour elle qui déclarait : « Je suis la femme d’un seul homme, car quand l’amour est pur et le couple a un bon cœur, il ne peut pas se changer comme des chaussures. Il se garde pour toujours dans l’âme » Si cette histoire, qui contrairement aux deux autres, est sûre si j’en crois mes croisements de sources, il faudrait que d’époux inquiet en 1956–1957, il devienne divorcé ou veuf cinq ans plus tard, condition nécessaire pour contracter en neuf jours le mariage. Par ailleurs, je n’ai pas trouvé de trace d’un premier mariage. En 1956–57, il était en tournée, il avait 21 ans et en plein essor artistique. Ce ne sont pas les données idéales pour confirmer un mariage. Avec Itatí Zucchi, ils ont eu quatre enfants, trois garçons et une fille, qui a pris le prénom et le nom de sa mère et le nom de son père… Itatí Cantoral Zucchi. Elle est actrice et chanteuse.
Roberto Cantoral, Itatí Zucchi et Itatí Zucchi (fille)
Je vous laisse donc choisir l’histoire qui vous semble la plus crédible et vous propose de regarder maintenant les autres versions.
Autres versions
Comme le titre est avant tout un boléro, malgré l’usage qu’en a fait D’Arienzo, je vais vous proposer surtout des boléros.
El reloj 1957 – Los 3 caballeros.
C’est la première version proposée par Roberto Cantoral, Chamin Correa et Leonel Gálvez, Los 3 Caballeros. Le style est celui du boléro mexicain.
El reloj 1957-08-02 — Orquesta Juan D’Arienzo con Jorge Valdez.
C’est donc au début du succès du titre que D’Arienzo s’est lancé dans sa version.
El reloj 1958 — Trio Los Panchos.
El reloj 1958 — Trio Los Panchos. Un début avec des claquements évoquant l’horloge. Le boléro se déroule ensuite de belle façon, appuyé par une percussion légère de clave, très cubaine. Cependant, aucun des trois n’est cubain, Chucho Navarro et Alfredo Gil sont mexicains et Hernando Avilés est portoricain.
El reloj 1960 — Roberto Cantoral.
À partir de 1960, Roberto Cantoral entame sa carrière de soliste. Le style n’est plus mexicanisant.
El reloj 1960c Alberto Oscar Gentile con Alfredo Montalbán.
Ce tango est daté 1950 dans tango.info, ce qui semble impossible si le boléro a été écrit en 1956. Le début au vibraphone évoque le tintement de Big Ben, suivi d’un petit motif horaire rappelant le son d’un carillon de salon. Puis le titre continue, sous une forme qui pourrait s’apparenter au tango.
El reloj 1961 — Antonio Prieto.
Une version en boléro par le chanteur chilien, Antonio Prieto.
El reloj 1981 — José José.
Comme pour le tango, il y a des boléros de danse et d’autres plus pour écouter. C’est ce dernier usage qui est recommandé pour celui-ci, enfin pas tout à fait, il est utilisable en slow pour danser « bolero », mais pas le bolero.
El reloj 1997 — Luis Miguel.
Même motif, même punition pour cette version en boléro, très célèbre par Luis Miguel.
El reloj 2012 — Il Volo… Takes Flight – Detroit Opera House.Ce trio de jeunes Italiens avait enregistré ce titre dès leur premier album sorti le 30 novembre 2010.
Ces jeunes chanteurs italiens peuvent rappeler Roberto Cantoral et son frère Antonio qui se lancèrent, mineurs, dans les tournées.
El reloj 2018-11-20 – Romántica Milonguera con Marisol Martinez y Roberto Minondi.
Pour terminer, place au tango avec cette excellente version de la Romántica Milongera et ses deux chanteurs, Marisol Martinez et Roberto Minondi.
Finalement, ce boléro a donné vie à au moins deux belles exécutions en tango, celle de D’Arienzo et celle de la Romántica Milongera.
Roberto Cantoral, compositeur du boléro qui donna notre tango du jour.
Juan Viladomat Masanas Letra: Félix Garzo (Antonio José Gaya Gardus)
On sait maintenant que fumer n’est pas bon pour la santé, mais dans la mythologie du tango, la cigarette, cigarillo, pucho, faso et sa fumée ont inspiré les créateurs quand eux-mêmes inspiraient les volutes de fumée. Notre tango du jour est à la gloire de la fumée, au point qu’il est devenu objet de propagande publicitaire. Mais nous verrons que le tango a aussi servi à lutter contre le tabac qui t’abat. Je pense que vous découvrirez quelques scoops dans cette anecdote fumante.
Extrait musical
Fumando espero 1927-07-21 — Orquesta Típica Victor — Dir. Adolfo Carabelli.
Cette très belle version souffre bien sûr de son ancienneté et du style de l’époque, mais les contrepoints sont superbes et la rythmique lourde est compensée par de jolis traits. J’aime beaucoup les passages legato des violons.
Maintenant que vous l’avez écouté, nous allons entrer dans le vif d’un sujet un peu fumeux, tout d’abord avec des couvertures de partitions.
Fumando espero. Diverses partitions.
On notera que trois des partitions annoncent la création, mais par des artistes différents… Création de Ramoncita Rovira (Partition éditée par Ildefonso Alier) à Madrid en 1925. Création de Pilar Berti pour la publication de Barcelone, DO-RE-MI qui publiait chaque semaine une partition. Mais c’est une autre Pilar (Arcos) qui l’enregistrera à diverses reprises. Tania Mexican, créatrice de ce magnifique tango, annonce cette partition. Tania aurait été la première à le chanter à Buenos Aires. Ce n’est pas impossible dans la mesure où cette Espagnole de Tolède est arrivée en Argentine en 1924. Elle fut la compagne de Enrique Santos Discépolo. Si on peut voir la mention « « « Mexican » à côté de son nom, c’est qu’elle est arrivée à Buenos Aires avec le Conjunto The Mexicans…
Après les éditions espagnoles, voici celles d’Amérique latine, plus tardives, elles ont suivi le trajet de la musique. Felix Carso au lieu de Carzo pour l’édition brésilienne de 1927. L’éditeur, Carlos Wehrs vendait aussi des pianos. Tango de Veladomato (au lieu de Veladomat (non catalan) pour l’édition chilienne. Ces cinq partitions sont de la première vague (années 20–30)
La partition éditée par las Ediciones Internacionales Fermata avec la photo de Héctor Varela en couverture date des années 50. Probablement de 1955, date de l’enregistrement par Varela de ce titre.
Paroles
Fumar es un placer genial, sensual. Fumando espero al hombre a quien yo quiero, tras los cristales de alegres ventanales. Mientras fumo, mi vida no consumo porque flotando el humo me suelo adormecer… Tendida en la chaise longue soñar y amar… Ver a mi amante solícito y galante, sentir sus labios besar con besos sabios, y el devaneo sentir con más deseos cuando sus ojos veo, sedientos de pasión. Por eso estando mi bien es mi fumar un edén.
Dame el humo de tu boca. Anda, que así me vuelvo loca. Corre que quiero enloquecer de placer, sintiendo ese calor del humo embriagador que acaba por prender la llama ardiente del amor.
Mi egipcio es especial, qué olor, señor. Tras la batalla en que el amor estalla, un cigarrillo es siempre un descansillo y aunque parece que el cuerpo languidece, tras el cigarro crece su fuerza, su vigor. La hora de inquietud con él, no es cruel, sus espirales son sueños celestiales, y forman nubes que así a la gloria suben y envuelta en ella, su chispa es una estrella que luce, clara y bella con rápido fulgor. Por eso estando mi bien es mi fumar un edén.
Fumer est un plaisir génial, sensuel. En fumant, j’attends l’homme que j’aime, derrière les vitres de fenêtres gaies. Pendant que je fume, ma vie, je ne la consomme pas parce que la fumée qui flotte me rend généralement somnolente… Allongée sur la chaise longue, rêver et aimer… (On notera que la chaise longue est indiquée en français dans le texte). Voir mon amant plein de sollicitude et galant, de sentir ses lèvres embrasser de baisers sages, et d’éprouver plus de désir quand je vois ses yeux assoiffés de passion. C’est pourquoi mon bien est de fumer une Edén (marque de cigarettes, voir ci-dessous les détails). Donne-moi la fumée de ta bouche. Allez, qu’ainsi je devienne folle. Cours, que j’ai envie de devenir folle de plaisir, en sentant cette chaleur de la fumée enivrante qui finit par allumer la flamme brûlante de l’amour. Mon égyptien (tabac égyptien) est spécial, quelle odeur, monsieur. Après la bataille dans laquelle l’amour explose, une cigarette est toujours un repos et bien qu’il semble que le corps languisse, après le cigare (en lunfardo, el cigarro est le membre viril…), sa force, sa vigueur, grandissent. L’heure de l’agitation avec lui n’est pas cruelle, ses spirales sont des rêves célestes, et forment des nuages qui s’élèvent ainsi vers la gloire et enveloppés d’elle, son étincelle est une étoile qui brille, claire et belle d’un éblouissement rapide. C’est pourquoi mon bien est de fumer une Edén.
La cigarette et le tango
Ce tango serait une bonne occasion pour parler du thème de la cigarette et du tango. Étant non-fumeur, je béni la loi 1799 (Buenos Aires) qui fait que depuis octobre 2006, il est interdit de fumer dans les lieux publics. Cela a largement amélioré la qualité de l’air dans les milongas. La loi 3718 (décembre 2010) renforce encore ces interdictions et donc depuis 5 janvier 2012, il est totalement interdit de fumer dans les lieux publics et les espaces fumeurs intérieurs sont interdits. Cependant, imaginez l’atmosphère au cours du vingtième siècle, époque où le tabac faisait des ravages. Le tango du jour peut être considéré comme une publicité pour le tabac et même une publicité pour le tabac égyptien d’une part et la marque Edén qui était une marque relativement luxueuse.
Avec Edén, allez plus vite au paradis
Dans ce tango, sont cités deux types de tabac, l’égyptien et les cigarettes à base de tabac de la Havane. Je pourrais rajouter le cigare de la Havane, mais je pense que la référence au cigare est plus coquine que relative à la fumée… Les cigarettes Edén étaient commercialisées en deux variétés, la n° 1, fabriqué avec du tabac de la Havane, coûtait 30 cents et la n° 2, avec un mélange de tabac de la Havane et de Bahia, 20 cents le paquet.
À gauche, paquet de tabac égyptien. À droite, publicité pour les cigarettes Edén (1899). Clodimiro Urtubey est le créateur de la marque
Les tangos faisant la propagande du tabac
On peut bien sûr inclure notre tango du jour (Fumando espero (1922), puisqu’il cite des marques et l’acte de fumer. Cependant, rien ne prouve que ce soient des publicités, même déguisées. La référence au tabac égyptien peut être une simple évocation du luxe, tout comme la marque Edén qui en outre rime avec bien. Par ailleurs, l’auteur de la musique, Juan Viladomat semble être un adepte des drogues dans la mesure où il a également écrit un tango qui se nomme La cocaína avec des paroles de Gerardo Alcázar.
Partition de La cocaina de Juan Viladomat avec des paroles de Gerardo Alcázar.La cocaína 1926 — Ramoncita Rovira.
La cocaína 1926 — Ramoncita Rovira. Cette pièce faisait partie du Guignol lyrique en un acte « El tango de la cocaína » composé par Juan Viladomat avec un livret de Amichatis et Gerardo Alcázar.
J’imagine donc qu’il a choisi le thème sans besoin d’avoir une motivation financière… D’autres tangos sont dans le même cas, comme : Larga el pucho (1914), Sobre el pucho (1922), Fume Compadre (ou Nubes de humo, 1923), Como el humo (1928), Cigarillo (1930), Pucho 1932, Tabaco (1944), Sombra de humo (1951), Un cigarillo y yo (1966) et bien d’autres qui parlent à un moment ou un autre, de fumée, de cigarette (cigarillo/pucho/faso) ou de tabac.
Cigarrillo 1930-07-17 — Orquesta Francisco Canaro con Luis Díaz (Adolfo Rafael Avilés Letra: Ernesto E. de la Fuente).
Attention, ne pas confondre avec le tango du même nom qui milite contre le tabac et que je présente ci-dessous… Sur le fait que Canaro n’a pas fait cela pour de l’argent, j’ai tout de même un petit doute, il avait le sens du commerce…
En revanche, d’autres tangos ont été commandités par des marques de cigarettes. Parmi ceux-ci, citons :
América (qui est une marque de cigarettes) Fumando Sudan, espero (Sudan est une marque de cigarette et Pilar Arcos a enregistré cette version publicitaire en 1928).
Paquet en distribution gratuite et vignettes de collection (1920) des cigarettes Soudan, une marque brésilienne créée par Sabbado D’Angelo en 1913.Fumando Sudan espero 1928-06-15 — Pilar Arcos Acc. Orquesta Tipica Dir. Louis Katzman.
Le nom des cigarettes ne vient pas du pays, le Soudan, mais de l’utilisation des premières lettres du nom du fondateur de la marque, S de Sabado, Um(N) de Umberto et DAN de D’Angelo… Quoi qu’il en soit, cette marque ne reculait devant aucun moyen marketing, distribution gratuite, images de collection, version chantée… Cela me fait penser à cette publicité argentine pour la première cigarette…
Publicité argentine pour la première cigarette mettant en scène un enfant… La cigarette est au premier plan à gauche. On imagine la suite.
Sello azul (qui est une marque de cigarettes).
Sello Azul de Sciammarella et Rubistein, et à droite, un paquet de ces cigarettes…
Aprovechá la bolada, Fumá Caranchos dont je vous propose ici les paroles qui sont un petit chef‑d’œuvre de marketing de bas étage :
Couverture de la partition de Aprovechá la bolada — Fumá Caranchos de Francisco Bohigas
Paroles de Aprovechá la bolada, Fumá Caranchos
Che Panchito, no seas longhi, calmá un poco tu arrebato que el que tiene una papusa cual la novia que tenés, no es de ley que se suicide por el hecho de andar pato; a la suerte hay que afrontarla con bravura y altivez. Donde hay vida hay esperanza, no pifiés como un incauto. Y a tu piba no le arruines su palacio de ilusión vos querés dártela seca porque sueña con un auto, una casa y otras yerbas; yo te doy la solución. Refrán: Fumá Caranchos no seas chancleta, que en cada etiqueta se encuentra un cupón. Seguí mi consejo, prendete, che Pancho que está en Los Caranchos tu gran salvación. Fumá Caranchos, que al fin del jaleo en el gran sorteo te vas a ligar una casa posta, un buick de paseo y el sueño de tu piba se va a realizar. Ya se me hace, che Panchito, que te veo muy triunfante, dando dique a todo el mundo con un buick deslumbrador, por Florida, por Corrientes, con tu novia en el volante propietario de una casa que será nido de amor. Sin embargo, caro mio, si no entrás en la fumada, serás siempre un pobre loco que de seco no saldrá. Vos buscate tu acomodo, aprovechá la bolada, fumá Caranchos querido, que tu suerte cambiará. Fumá Caranchos, no seas chancleta que en cada etiqueta se encuentra el cupón.
Francisco Bohigas
Traduction libre de Aprovechá la bolada, Fumá Caranchos (Saute sur ta chance, fume Caranchos)
Che Panchito, ne sois pas un manche, calme un peu ton emportement, car celui qui a une poupée comme la petite amie que tu as, il n’est pas juste pour lui de se suicider, car il a fait le canard (« cada paso una cagada », le canard a la réputation de faire une crotte à chaque pas, une gaffe à chaque pas) ; la chance doit être affrontée avec bravoure et arrogance. Là où il y a de la vie, il y a de l’espoir, ne faites pas de gaffes comme un imprudent. Et ne ruine pas le palais d’illusion de ta poupée, tu te vois fauché parce qu’elle rêve d’une voiture, d’une maison et d’autres trucs ; Je vais te donner la solution. Fume Caranchos ne sois pas une mauviette, car sur chaque étiquette, se trouve un coupon. Suis mon conseil, allume, che Pancho, ton grand salut est dans les Caranchos. Fume des Caranchos, parce qu’à la fin du tirage de la grande tombola, tu vas recevoir une maison excellente, une Buick pour la balade et le rêve de ta chérie va se réaliser. Il me semble, che Panchito, que je te vois très triomphant, te pavanant devant tout le monde avec une Buick éblouissante, dans Florida, dans Corrientes, avec ta copine au volant et propriétaire d’une maison qui sera un nid d’amour. Cependant, mon cher, si tu ne te lances pas dans la fumée, tu seras toujours un pauvre fou qui ne sortira pas de la dèche. Tu trouveras ton logement, profite de la chance, fume, mon cher, Caranchos, ta chance va tourner. Fume des Caranchos, ne sois pas une mauviette, car sur chaque étiquette se trouve le coupon. On notera qu’il a fait un tango du même type Tirate un lance (tente ta chance), qui faisait la propagande d’un tirage au sort d’un vin produit par les caves Giol7. Ne pas confondre avec le tango du même titre écrit par Héctor Marcó et chanté notamment par Edmundo Rivero.
Le tango contre le tabac
Même si l’immense des tangos fait l’apologie de la cigarette, certains dénoncent ses méfaits en voici un exemple :
Paroles de Cigarrillo de Pipo Cipolatti (musique et paroles)
Tanto daño, tanto daño provocaste a toda la humanidad. Tantas vidas, tantas vidas de muchacho te fumaste… yo no sé. Apagando mi amargura en la borra del café hoy te canto, cigarrillo, mi verdad…
Cigarrillo… compañero de esas noches, de mujeres y champagne. Muerte lenta… cada faso de tabaco es un año que se va… Che, purrete, escuchá lo que te digo, no hagas caso a los demás. El tabaco es traicionero te destruye el cuerpo entero y te agrega más edad… El tabaco es traicionero, te destruye el cuerpo entero… ¡y qué! y esa tos te va a matar…
¡Ay, que lindo !… Ay, que lindo que la gente comprendiera de una vez lo difícil, lo difícil que se hace, hoy en día, el respirar. Es el humo del cilindro maquiavélico y rufián que destruye tu tejido pulmonar
Pipo Cipolatti
Traduction libre des paroles de Cigarrillo
Tant de dégâts, tant de dégâts tu as causé à toute l’humanité. Tant de vies, tant de vies d’enfants tu as fumé… Je ne sais pas. Éteignant mon amertume dans le marc de café, aujourd’hui je te chante, cigarette, ma vérité… Cigarette… Compagne de ces nuits, des femmes et de champagne. Mort lente… Chaque cigarette (faso, cigarette en lunfardo) est une année qui s’en va… Che, gamin, écoute ce que je te dis, ne fais pas attention aux autres. Le tabac est traître, il détruit le corps en entier et t’ajoute plus d’âge… Le tabac est traître, il détruit le corps entièrement… et puis ! Et cette toux va te tuer… Oh, comme ce serait bien !… Oh, comme ce serait bien que les gens comprennent une fois pour toutes combien le difficile, combien il est difficile de respirer aujourd’hui. C’est la fumée du cylindre machiavélique et voyou qui détruit ton tissu pulmonaire
Si on rajoute un autre de ses tangos Piso de soltero qui parle des relations d’un homme avec d’autres hommes et des femmes et des alcools, vous aurez un panorama des vices qu’il dénonce.
Autres versions
Il y a des dizaines de versions, alors je vais essayer d’être bref et de n’apporter au dossier que des versions intéressantes, ou qui apportent un autre éclairage. Ce que l’on sait peu, est que ce tango est espagnol, voire catalan et pas argentin… Juan Viladomat est de Barcelone et Félix Garzo de Santa Coloma de Gramenet (sur la rive opposée du río Besós de Barcelone). Le tango (en fait un cuplé, c’est-à-dire une chanson courte et légère destinée au théâtre) a été écrit pour la revue La nueva España, lancée en 1923 au teatro Victoria de Barcelona. La première chanteuse du titre en a été Ramoncita Rovira née à Fuliola (Catalogne). Je rappelle que Ramoncita a aussi lancé le tango La cocaína que l’on a écouté ci-dessus. Ramoncita, l’aurait enregistré en 1924, mais je n’ai pas ce disque. D’autres chanteuses espagnoles prendront la relève comme Pilar Arcos, puis Sara Montiel et ensuite Mary Santpere bien plus tard.
Fumando-Espero 1926-08 – Orquesta Del Maestro Lacalle.
Ce disque Columbia No.2461‑X tiré de la matrice 95227 a été enregistré en août 1926 à New York où le Maestro Lacalle (la rue), d’origine espagnole, a fini sa vie (11 ans plus tard). C’est une version instrumentale, un peu répétitive. L’avantage d’avoir enregistré à New-York est d’avoir bénéficié d’une meilleure qualité sonore, grâce à l’enregistrement électrique. Le même jour, il a enregistré Langosta de Juan de Dios Filiberto, mais il en a fait une marche joyeuse qui a peu à voir avec le tango original.
Disque enregistré à New York en 1926 par El Maestro Lacalle de Fumando Espero et Langosta.
On est donc en présence d’un tango 100 % espagnol et même 100 % catalan, qui est arrivé à New York en 1926, mais ce n’est que le début des surprises.
Fumando Espero 1926-10-18 — Margarita Cueto acc. Orquesta Internacional — Dir.Eduardo Vigil Y Robles. Un autre enregistrement new-yorkais et ce ne sera pas le dernier…
Fumando espero 1926-10-29 — Orquesta Internacional — Dir. Eduardo Vigil Y Robles. Quelques jours après l’enregistrement avec Margarita Cueto, une version instrumentale.
On quitte New York pour Buenos Aires…
Fumando espero 1927-07-11 — Rosita Quiroga con orquesta.
Rosita Quiroga, la Édith Piaf de Buenos Aires, à la diction et aux manières très faubouriennes était sans doute dans son élément pour parler de la cigarette. On est toutefois loin de la version raffinée qui était celle du cuplé espagnol d’origine.
Fumando espero 1927-07-21 — Orquesta Típica Victor — Dir. Adolfo Carabelli.
C’est notre superbe version instrumentale du jour, magistralement exécutée par l’orchestre de la Victor sous la baguette de Carabelli.
Fumando espero 1927 — Sexteto Francisco Pracánico.
Une autre version instrumentale argentine. Le titre a donc été adopté à Buenos Aires, comme en témoigne la succession des versions.
Fumando espero 1927-08-20 – Orquesta Francisco Lomuto.
Une version un peu frustre à mon goût.
Fumando espero 1927-08-23 – Orquesta Roberto Firpo.
Firpo nous propose une superbe introduction et une orchestration très élaborée, assez rare pour l’époque. Même si c’est destiné à un tango un peu lourd, canyengue, cette version devrait plaire aux danseurs qui peuvent sortir du strict âge d’or.
Fumando espero 1927-09-30 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Fugazot.
Canaro ne pouvait pas rester en dehors du mouvement, d’autant plus qu’il enregistrera Cigarrillo avec Luis Díaz en 1930 (comme nous l’avons vu et écouté ci-dessus).
Fumando espero 1927-11-08 — Orquesta Osvaldo Fresedo.Fumando espero 1927-11-17 — Ignacio Corsini con guitarras de Aguilar-Pesoa-Maciel.
Une belle interprétation par ce chanteur qui aurait mérité, à mon avis, une gloire égale à celle de Gardel.
Fumando espero 1927 — Pilar Arcos Acc. The Castilians.Fumando Sudan espero 1928-06-15 — Pilar Arcos Acc. Orquesta Tipica Dir. Louis Katzman.
C’est la version publicitaire que nous avons évoquée dans le chapitre sur tabac et tango.
La source semble s’être tarie et l’on ne trouve plus de versions de Fumando espero intéressante avant les années 1950.
Fumando espero 1955-05-20 — Enrique Mora — Elsa Moreno.Fumando espero 1955-06-01 — Orquesta Héctor Varela con Argentino Ledesma.
Oui, je sais, cette version, vous la connaissez et elle a certainement aidé au renouveau du titre. C’est superbe et bien que ce type d’interprétation marque la fin du tango de danse, 97,38 % (environ), des danseurs se ruent sur la piste aux premières notes.
Fumando espero 1955-12-01 — Orquesta Donato Racciatti con Olga Delgrossi.
L’Uruguay se toque aussi pour la reprise de Fumando espero. Après Donato Racciatti et Olga Delgrossi, Nina Miranda.
Fumando espero 1956 — Orquesta Graciano Gómez con Nina Miranda.
Nina Miranda a été engagée en 1955 par Odeón. C’est Graciano Gómez qui a été chargé de l’accompagner. C’est une collaboration entre les deux rives du Rio de la Plata.
Fumando espero 1956 — Jorge Vidal con guitarras.
Une version tranquille, à la guitare.
Fumando espero 1956-02-03 — Orquesta Carlos Di Sarli con Argentino Ledesma.
Après la version à 97,38 % avec Varela, Argentino Ledesma, avec Di Sarli réalise la version pour 100 % des danseurs. Ledesma venait de quitter l’orchestre de Varela pour intégrer celui de Di Sarli. Il devient le spécialiste du titre… Ce fut un immense succès commercial au point que la Víctor décala sa fermeture pour vacances pour rééditer d’autres disques en urgence. L’enregistrement avec Varela n’avait pas obtenu le même accueil, c’est donc plutôt 1956 qui marque le renouveau explosif du titre.
Fumando espero 1956-04-03 — Orquesta Alfredo De Angelis con Carlos Dante.
J’aurais plus imaginé Larroca pour ce titre. De Angelis a choisi Dante. C’est toutefois joli, mais je trouve qu’il manque un petit quelque chose…
Popurri 1956-04-20 Fumando espero, Historia de un amor y Bailemos — José Basso C Floreal Ruiz.
Il s’agit d’un popurrí, c’est à dire du mélange dans un seul tango de plusieurs titres. Comme ce pot-pourri commence par Fumando espero, j’ai choisi de l’insérer pour que vous puissiez profiter de la superbe voix de Floreal Ruiz. À 58 secondes commence Historia de un amor et à deux minutes, vous avez pour le même prix un troisième titre, Bailemos. Les transitions sont réussies et l’ensemble est cohérent. On pourrait presque proposer cela pour la danse (avec précaution et pour un moment spécial).
Fumando espero 1956-04-26 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Florio.
On peut se demander pourquoi Di Sarli enregistre une nouvelle version, moins de trois mois après celle de Ledesma. L’introduction est différente et l’orchestration présente quelques variantes. La plus grosse différence est la voix du chanteur. Si on décide de faire une tanda avec Florio, cet enregistrement me semble un excellent élément. Je pense que la principale raison est que Ledesma n’a enregistré que trois tangos avec Di Sarli et que donc c’est trop peu, ne serait que pour nous, DJ, pour avoir un peu de choix. Si je veux passer la version avec Ledesma, je suis obligé de faire une tanda mixte, autre chanteur et/ou titre instrumental pour obtenir les quatre titres de rigueur. Puis, entre nous, ce n’est pas indispensable d’inclure une de ces versions dans une milonga… Il y a peut-être aussi un peu de colère de la part de Di Sarli. En effet, si l’enregistrement de Ledesma avec Varela n’avait pas bien fonctionné, à la suite du succès de la version avec Di Sarli, la Columbia (la maison de disques de Varela) décide de relancer l’enregistrement de 1955. Ce fut alors un immense succès qui a décidé la Columbia a réintégrer Ledesma dans l’orchestre de Varela. Voyant que son nouveau poulain, partait en fumée, Di Sarli (ou la Víctor) a donc décidé de graver d’urgence une autre version avec un nouveau chanteur afin de ne pas laisser au catalogue un titre avec un chanteur passé à la concurrence…
Fumando espero 1956 — Los Señores Del Tango C Mario Pomar.
Un bon orchestre avec la belle voix de Mario Pomar. Agréable à écouter.
Fumando espero 1956 — Libertad Lamarque Orquesta — Dir.Victor-Buchino.
Fumando espero 1956 — Libertad Lamarque Orquesta — Dir.Victor-Buchino. L’accompagnement discret de Victor Buchino et la prestation souvent a capella de Libertad Lamarque permet de bien saisir le grain de voix magnifique de Libertad.
Fumando espero 1957 — Chola Luna y Orquesta Luis Caruso.Fumando espero 1957 — Imperio Argentina.
Si ImperioArgentina est née en Argentine, elle a fait une grande partie de sa carrière en Europe, en Espagne (où elle est arrivée, adolescente) et bien sûr en France, mais aussi en Allemagne. Elle nous permet de faire la liaison avec l’Espagne ou nous revenons pour terminer cette anecdote.
C’est le film, El Último Cuplé qui va nous permettre de fermer la boucle. Le thème redevient un cuplé et même si le théâtre a été remplacé par le cinéma, nous achèverons notre parcours avec cette scène du film ou Sara Montiel chante le cuplé.
Sara Montiel chante Fumando espero dans le film El Último Cuplé de 1957. Metteur en scène : Juan de Orduña
Vous aurez reconnu l’illustration de couverture. J’ai modifié l’ambiance pour la rendre plus noire et ajouté de la fumée, beaucoup de fumée…
À demain, les amis, et à ceux qui sont fumeurs, suivez les conseils de Pipo Cipolatti que je vous conserve longtemps. Je rédige cette anecdote le 20 juillet, Dia del amigo (jour de l’ami).
1908 ou 1916 José Luis Padula Letra : 1916 ou 1919 Ricardo M. Llanes 1930 — 1931 Eugenio Cárdenas 1931 Lito Bayardo (Manuel Juan García Ferrari)
Le 9 juillet pour les Argentins, c’est le 4 juillet des Étasuniens d’Amérique, le 14 juillet des Français, c’est la fête nationale de l’Argentine. Elle commémore l’indépendance vis-à-vis de l’Espagne. José Luis Padula était assez bien placé pour écrire ce titre, puisque la signature de la Déclaration d’indépendance a été effectuée à San Miguel de Tucumán, son lieu natal, le 9 juillet 1816.
Padula prétend avoir écrit ce tango en 1908, à l’âge de 15 ans, sans titre particulier et qu’il a décidé de le dédier au 9 juillet dont on allait fêter le centenaire en 1916. Difficile de vérifier ses dires. Ce qu’on peut en revanche affirmer c’est que Roberto Firpo l’a enregistrée en 1916 et qu’on y entend les cris de joie (étranges) des signataires (argentins) du traité.
Signature de la déclaration d’indépendance au Congreso de Tucumán (San Miguel de Tucumán) le 9 juillet 1816. Aquarelle de Antonio Gonzáles Moreno (1941).José Luis Padula 1893 – 1945. Il a débuté en jouant de l’harmonica et de la guitare dès son plus jeune âge (son père était mort quand il avait 12 ans et a donc trouvé cette activité pour gagner sa vie). L’image de gauche est une illustration, ce n’est pas Padula. Au centre, Padula vers 1931 sur une partition de 9 de Julio avec les paroles de Lito Bayardo et à droite une photo peu avant sa mort, vers 1940.
Extrait musical
Partition pour piano de 9 de Julio. L’évocation de l’indépendance est manifeste sur les deux couvertures. On notera sur celle de droite la mention de Cardenas pour les paroles. Autre exemple de partition avec un agrandissement de la dédicace au procurador titular Señor Gervasio Rodriguez. Il n’y a pas de mention de parolier sur ces paroles.9 de Julio (Nueve de Julio) 2009 — La Tuba Tango.
Dès les premières notes, on note la truculence du tuba et l’ambiance festive que crée cet instrument. J’ai choisi cette version pour fêter le 9 juillet, car il n’existait pas d’enregistrement intéressant du 9 juillet. C’est que c’est un jour férié et les orchestres devaient plutôt animer la fête plutôt que d’enregistrer. L’autre raison est que le tuba est associé à la fanfare, au défilé et que donc, il me semblait adapté à l’occasion. Et la dernière raison et d’encourager cet orchestre créé en 1967 et qui s’est donné pour mission de retrouver la joie des versions du début du vingtième siècle. Je trouve qu’il y répond parfaitement et vous pouvez lui donner un coup de pouce en achetant pour un prix modique ses albums sur Bandcamp.
Paroles
Vous avez sans doute remarqué que j’avais indiqué plusieurs paroliers. C’est qu’il y a en fait quatre versions. C’est beaucoup pour un titre qui a surtout été enregistré de façon instrumentale… C’est en fait un phénomène assez courant pour les titres les plus célèbres, différents auteurs ajoutent des paroles pour être inscrits et toucher les droits afférents. Dans le cas présent, les héritiers de Padula ont fait un procès, preuve que les histoires de sous existent aussi dans le monde du tango. En effet, avec trois auteurs de paroles au lieu d’un, la part de la redistribution aux héritiers de Padula était d’autant diminuée. Je vous propose de retrouver les paroles en fin d’article pour aborder maintenant les 29 versions. La musique avant tout… Ceux qui sont intéressés pourront suivre les paroles des rares versions chantées avec la transcription correspondante en la trouvant à la fin.
Autres versions
9 de Julio (Nueve de Julio) 1916 — Orquesta Roberto Firpo.
On y entend les cris de joie des signataires, des espèces de roucoulements que je trouve étranges, mais bon, c’était peut-être la façon de manifester sa joie à l’époque. L’interprétation de la musique, malgré son antiquité, est particulièrement réussie et on ne ressent pas vraiment l’impression de monotonie des très vieux enregistrements. On entend un peu de cuivres, cuivres qui sont totalement à l’honneur dans notre tango du jour avec La Tuba Tango.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1927-06-03 — Orquesta Roberto Firpo.
Encore Firpo qui nous livre une autre belle version ancienne une décennie après la précédente. L’enregistrement électrique améliore sensiblement le confort d’écoute.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1928-10-11 — Guillermo Barbieri, José María Aguilar, José Ricardo (guitarras).
Vous aurez reconnu les guitaristes de Gardel. Cet enregistrement a été réalisé à Paris en 1928. C’est un plaisir d’entendre les guitaristes sans la voix de leur « maître ». Cela permet de constater la qualité de leur jeu.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1929-12-04 — Orquesta Francisco Canaro.
Je trouve cette version un peu pesante malgré les beaux accents du piano de Luis Riccardi. C’est un titre à réserver aux amateurs de canyengue, tout au moins les deux tiers, la dernière variation plus allègre voit les bandonéons s’illuminer. J’aurais préféré que tout le titre soit à l’aune de sa fin. Mais bon, Canaro a décidé de le jouer ainsi…
9 de Julio (Nueve de Julio) 1930-04-04 — Orquesta Luis Petrucelli.
Le décès à seulement 38 ans de Luis Petrucelli l’a certainement privé de la renommée qu’il méritait. Il était un excellent bandonéoniste, mais aussi, comme en témoigne cet enregistrement, un excellent chef d’orchestre. Je précise toutefois qu’il n’a pas enregistré après 1931 et qu’il est décédé en 1941. Ces dernières 10 années furent consacrées à sa carrière de bandonéoniste, notamment pour Fresedo.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1931 — Agustín Magaldi con orquesta.
Magaldi n’appréciant pas les paroles de Eugenio Cárdenas fit réaliser une version par Lito Bayardo.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1931-08-15 — Orquesta Típica Columbia con Ernesto Famá.
Famá chante le premier couplet de Bayardo.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1935-12-31 — Orquesta Juan D’Arienzo.
C’est une des versions les plus connues, véritable star des milongas. L’impression d’accélération continue est sans doute une des clefs de son succès.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1939-07-04 – Charlo (accordéon et guitare).
Je ne sais pas d’où vient cet ovni. Je l’avais dans ma musique, extrait d’un CD Colección para entendidos – Época de oro vol. 6 (1926–1939). Charlo était pianiste en plus d’être chanteur (et acteur). Tout comme les guitaristes de Gardel qui ont enregistré 9 de Julio sous le nom de Gardel (voir ci-dessus l’enregistrement du 11 octobre 1928), il se peut qu’il s’agisse de la même chose. Le même jour, Charlo enregistrait comme chanteur avec ses guitaristes Divagando, No hay tierra como la mía, Solamente tú et un autre titre accordéon et guitare sans chant, la valse Añorando mi tierra. On trouve d’autres titres sous la mention Charlo avec accordéon et guitare. La cumparsita et Recuerdos de mi infancia le 12 septembre 1939, Pinta brava, Don Juan, Ausencia et La polca del renguito le 8 novembre 1940. Il faut donc certainement en conclure que Charlo jouait aussi de l’accordéon. Pour le prouver, je verserai au dossier, une version étonnante de La cumparsita qu’il a enregistrée en duo avec Sabina Olmos avec un accordéon soliste, probablement lui…
9 de Julio (Nueve de Julio) 1948 — Orquesta Héctor Stamponi.
Une jolie version avec une magnifique variation finale. On notera l’annonce, une pratique courante à l’époque où un locuteur annonçait les titres.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1950-05-15 — Orquesta Juan D’Arienzo.
D’Arienzo nous donne une autre version. Il y a de jolis passages, mais je trouve que c’est un peu plus confus que la version de 1935 qui devrait être plus satisfaisante pour les danseurs. Fulvio Salamanca relève l’ensemble avec son piano, piano qui est généralement l’épine dorsale de D’Arienzo.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1950-07-20 — Orquesta Alfredo De Angelis.
Chez De Angelis, le piano est aussi essentiel, mais c’est lui qui en joue, il est donc libre de donner son interprétation magnifique, secondé par ses excellents violonistes. Pour ceux qui n’aiment pas De Angelis, ce titre pourrait les faire changer d’avis.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1957-04-08 — Orquesta Héctor Varela.
Varela nous propose une introduction originale.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1953 — Horacio Salgán y su Orquesta Típica.
Une version sans doute pas évidente à danser.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1953-03-03 — Ariel Pedernera y su Quinteto Típico.
Une belle version, malheureusement cette copie a été massacrée par le « collectionneur ». J’espère trouver un disque pour vous proposer une version correcte en milonga, car ce thème le mérite largement.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1953-09-10 — Orquesta José Sala.
Pour l’écoute, bien sûr, mais des passages très sympas
9 de Julio (Nueve de Julio) 1954-05-13 — Orquesta Osvaldo Pugliese.
Pugliese a mis un peu de temps à enregistrer sa version du thème. C’est une superbe réalisation, mais qui alterne des passages sans doute trop variés pour les danseurs, mais je suis sûr que certains seront tentés par l’expérience.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1959 — Luis Machaco.
Une version tranquille et plutôt jolie par un orchestre oublié. Le contrepoint entre le bandonéon en staccato et les violons en legato est particulièrement réussi.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1964 — Alberto Marino con la orquesta de Osvaldo Tarantino.
Alberto Marino chante les paroles de Eugenio Cárdenas. Ce n’est bien sûr pas une version pour la danse.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1966-06-21 — Orquesta Florindo Sassone.9 de Julio (Nueve de Julio) 1966-08-03 — Orquesta Juan D’Arienzo.
Une version bien connue par D’Arienzo, dans le style souvent proposé par les orchestres contemporains. Spectaculaire, mais, y‑a-t-il un mais ?
9 de Julio (Nueve de Julio) 1967-08-10 (Ranchera-Pericón) — Orquesta Enrique Rodríguez.
Second OVNI du jour, cette ranchera-Pericón nacional avec ses flonflons, bien propice à faire la fête. Peut-être une cortina pour demain (aujourd’hui pour vous qui lisez, demain pour moi qui écrit).
9 de Julio (Nueve de Julio) 1968 — Cuarteto Juan Cambareri.
Une version virtuose et enthousiasmante. Pensez à prévoir des danseurs de rechange après une tanda de Cambareri… Si cela semble lent pour du Cambareri, attendez la variation finale et vous comprendrez pourquoi Cambareri était nommé le mage du bandonéon.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1970 — Orquesta Armando Pontier.
Une version originale, mais pas forcément indispensable, malgré le beau bandonéon d’Armando Pontier.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1971 — Orquesta Donato Racciatti.
Même si la Provincia Orientale tombait en 1916 sous la coupe du Portugal / Brésil, les Uruguayens sont sensibles à l’émancipation d’avec le vieux monde et donc, les orchestres uruguayens ont aussi proposé leurs versions du 9 juillet.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1971 — Palermo Trío.
Avec un trio, forcément, c’est plus léger. Ici, la danse n’est pas au programme.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1971-08-04 — Miguel Villasboas y su Sexteto Típico.
Dans le style hésitant de Villasboas entre tango et milonga qu’affectionnent les Uruguayens. Le type de musique qui a fait dire que le tango avait été inventé par un indécis…
9 de Julio (Nueve de Julio) 1973-11-29 — Miguel Villasboas y Wáshington Quintas Moreno (dúo de pianos).
L’autre jour, au sujet de La rosarina 1975-01-06, un lecteur a dit qu’il avait apprécié la version en duo de piano de Villasboas et Wáshington. Pour ce lecteur, voici 9 de Julio par les mêmes.
Et il est temps de clore cette longue liste avec notre orchestre du jour et dans deux versions :
9 de Julio (Nueve de Julio) 1991 — Los Tubatango.
Cet orchestre original par la présence du tuba et sa volonté de retrouver l’ambiance du tango des années 1900 a été créé par Guillermo Inchausty. C’est le même orchestre que celui de notre tango du jour qui est désormais dirigé par Lucas Kohan sous l’appellation La Tuba Tango au lieu du nom original de Los Tubatango.
9 de Julio (Nueve de Julio) 2009 — La Tuba Tango.
C’est notre tango du jour. Les musiciens en sont : Ignacio Risso (tuba), Matias Rullo (bandonéon), Gonzalo Braz (clarinette) et Lucas Kohan (Direction et guitare).
Cette longue liste de 29 titres, mais qui aurait pu être facilement deux fois plus longue montre la diversité de la production du tango. En ce qui concerne la danse, nous nous sommes habitués à danser sur un ou deux de ces titres, mais je pense que vous aurez remarqué que d’autres étaient aussi intéressants pour le bal. La question est surtout de savoir les proposer au bon moment et aux bons danseurs. C’est toute la richesse et l’intérêt du métier de DJ. Pour moi, un bon DJ n’est pas celui qui met des titres inconnus et étranges afin de recueillir les applaudissements des néophytes, mais celui qui met la bonne musique au bon moment en sachant prendre des risques mesurés afin d’aider les danseurs à magnifier leur improvisation et leur plaisir de danser.
Je reviens maintenant, comme promis aux quatre versions des paroles…
Paroles de Lito Bayardo (1931)
Sin un solo adiós dejé mi hogar cuando partí porque jamás quise sentir un sollozar por mí. Triste amanecer que nunca más he de olvidar hoy para qué rememorar todo lo que sufrí.
Lejano Nueve de Julio de una mañana divina mi corazón siempre fiel quiso cantar y por el mundo poder peregrinar, infatigable vagar de soñador marchando en pos del ideal con todo amor hasta que al fin dejé mi madre y el querer de la mujer que adoré.
Yo me prometi lleno de gloria regresar para podérsela brindar a quien yo más amé y al retornar triste, vencido y sin fe no hallé mi amor ni hallé mi hogar y con dolor lloré.
Cual vagabundo cargado de pena yo llevo en el alma la desilusión y desde entonces así me condena la angustia infinita de mi corazón ¡Qué puedo hacer si ya mis horas de alegría también se fueron desde aquel día que con las glorias de mis triunfos yo soñara, sueños lejanos de mi loca juventud!
José Luis Padula Letra: Lito Bayardo (Manuel Juan García Ferrari)
C’est la version que chante Magaldi, vu qu’il l’a demandé à Bayardo… Famá, chante également cette version, mais seulement le premier couplet.
Traduction libre des paroles de Lito Bayardo
Sans un seul au revoir, j’ai quitté ma maison quand je suis parti parce que je ne voulais jamais ressentir un sanglot pour moi. Une triste aube que je n’oublierai jamais aujourd’hui, pour qu’elle se souvienne de tout ce que j’ai souffert. Lointain 9 juillet, d’un matin divin, mon cœur toujours fidèle a voulu chanter et à travers le monde faire le pèlerinage, infatigable errance d’un rêveur marchant à la poursuite de l’idéal avec tout l’amour jusqu’à ce qu’enfin je quitte ma mère et l’amour de la femme que j’adorais. Je me suis promis une fois plein de gloire de revenir pour pouvoir l’offrir à celle que j’aimais le plus et quand je suis revenu triste, vaincu et sans foi je n’ai pas trouvé mon amour ni ma maison et avec douleur j’ai pleuré. Comme un vagabond accablé de chagrin, je porte la déception dans mon âme, et depuis lors, l’angoisse infinie de mon cœur me condamne. Que pourrais-je faire si mes heures de joie sont déjà parties depuis ce jour où j’ai rêvé des gloires de mes triomphes, rêves lointains de ma folle jeunesse ?
Paroles de Ricardo M. Llanes (1916 ou 1919)
De un conventillo mugriento y fulero, con un canflinfero te espiantaste vos ; abandonaste a tus pobres viejos que siempre te daban consejos de Dios; abandonaste a tus pobres hermanos, ¡tus hermanitos, que te querían! Abandonastes el negro laburo donde ganabas el pan con honor.
Y te espiantaste una noche escabullida en el coche donde esperaba el bacán; todo, todo el conventillo por tu espiante ha sollozado, mientras que vos te has mezclado a las farras del gotán; ¡a dónde has ido a parar! pobrecita milonguera que soñaste con la gloria de tener un buen bulín; pobre pebeta inocente que engrupida por la farra, te metiste con la barra que vive en el cafetín.
Tal vez mañana, piadoso, un hospital te dé cama, cuando no brille tu fama en el salón; cuando en el “yiro” no hagas más “sport”; cuando se canse el cafisio de tu amor ; y te espiante rechiflado del bulín; cuando te den el “olivo“ los que hoy tanto te aplauden en el gran cafetín.
Entonces, triste con tu decadencia, perdida tu esencia, tu amor, tu champagne ; sólo el recuerdo quedará en tu vida de aquella perdida gloria del gotán; y entonces, ¡pobre!, con lágrimas puras, tus amarguras derramarás; y sentirás en tu noche enfermiza, la ingrata risa del primer bacán.
José Luis Padula Letra: Ricardo M. Llanes
Traduction libre des paroles de Ricardo M. Llanes
D’un immeuble (le conventillo est un système d’habitation pour les pauvres où les familles s’entassent dans une pièce desservie par un corridor qui a les seules fenêtres sur l’extérieur) sale et vilain, avec un proxénète, tu t’es enfuie ; tu as abandonné tes pauvres parents qui t’ont toujours prodigué des conseils de Dieu ; Tu as abandonné tes pauvres frères, tes petits frères, qui t’aimaient ! Tu as abandonné le travail noir où tu gagnais ton pain avec honneur. Et tu t’es enfuie une nuit en te faufilant dans la voiture où le bacán (homme qui entretient une femme) attendait ; Tout, tout l’immeuble à cause de ta fuite a sangloté, tandis que toi tu t’es mêlée aux fêtes du Gotan (Tango) ; Mais où vas-tu t’arrêter ? Pauvre milonguera qui rêvait de la gloire et d’avoir un bon logis ; Pauvre fille innocente qui, enflée par la fête, s’est acoquinée avec la bande qui vit dans le café. Peut-être que demain, pieusement, un hôpital te donnera un lit, quand ta renommée ne brillera pas dans ce salon ; quand dans le « yiro » (prostitution) vous ne faites plus de « sport » ; quand le voyou de ton amour se fatigue ; et tu t’évades folle du logis ; Quand ils te renvoient (dar el olivo = renvoyer en lunfardo), ceux qui vous applaudissent tant aujourd’hui dans le Grand Cafetín. Puis, triste avec ta décadence, perte de ton essence, de ton amour, de ton champagne ; Seul le souvenir de cette perte restera dans ta vie Gloire du Gotan ; et alors, pauvre créature, avec des larmes pures, ton amertume tu déverseras ; Et tu sentiras dans ta nuit maladive, le rire ingrat du premier Bacán.
Paroles de Eugenio Cárdenas (version 1 de 1930)
Mientras los clarines tocan diana y el vibrar de las campanas repercute en los confines, mil recuerdos a los pechos los inflama la alegría por la gloria de este día que nunca se ha de olvidar. Deja, con su música, el pampero sobre los patrios aleros una belleza que encanta. Y al conjuro de sus notas las campiñas se levantan saludando, reverentes, al sol de la Libertad.
Brota, majestuoso, el Himno de todo labio argentino. Y las almas tremulantes de emoción, a la Patria sólo saben bendecir mientras los ecos repiten la canción que dos genios han legado al porvenir. Que la hermosa canción por siempre vivirá al calor del corazón.
Los campos están de fiesta y por la floresta el sol se derrama, y a sus destellos de mágicas lumbres, el llano y la cumbre se envuelven de llamas. Mientras que un criollo patriarcal narra las horas de las campañas libertadoras, cuando los hijos de este suelo americano por justa causa demostraron su valor.
José Luis Padula Letra: Eugenio Cárdenas
C’est la version chantée par Alberto Marino en 1964.
Traduction libre des paroles de Eugenio Cárdenas (version 1 de 1930)
Tandis que les clairons sonnent le réveil et que la vibration des cloches résonne aux confins, mille souvenirs enflamment de joie les poitrines pour la gloire de ce jour qui ne sera jamais oublié. Avec sa musique, le pampero laisse sur les patriotes alliés une beauté qui enchante. Et sous le charme de ses notes, la campagne se lève avec révérence, au soleil de la Liberté. L’hymne de chaque lèvre argentine germe, majestueux. Et les âmes, tremblantes d’émotion, ne savent que bénir la Patrie tandis que les échos répètent le chant que deux génies ont légué à l’avenir. Que la belle chanson vivra à jamais dans la chaleur du cœur. Les campagnes sont en fête et le soleil se déverse à travers la forêt, et avec ses éclairs de feux magiques, la plaine et le sommet sont enveloppés de flammes. Tandis qu’un criollo patriarcal raconte les heures des campagnes de libération, lorsque les enfants de ce sol américain pour une cause juste ont démontré leur courage.
Paroles de Eugenio Cárdenas (version 2 de 1931)
Hoy siento en mí el despertar de algo feliz. Quiero evocar aquel ayer que me brindó placer, pues no he de olvidar cuando tembló mi corazón al escuchar, con emoción, esta feliz canción:
Brota, majestuoso, el Himno de todo labio argentino. Y las almas tremulantes de emoción, a la Patria sólo saben bendecir mientras los ecos repiten la canción que dos genios han legado al porvenir. Que la hermosa canción por siempre vivirá al calor del corazón.
En los ranchos hay un revivir de mocedad; los criollos ven en su pasión todo el amor llegar. Por las huellas van llenos de fe y de ilusión, los gauchos que oí cantar al resplandor lunar.
Los campos están de fiesta y por la floresta el sol se derrama, y a sus destellos de mágicas lumbres, el llano y la cumbre se envuelven de llamas. Mientras que un criollo patriarcal narra las horas de las campañas libertadoras, cuando los hijos de este suelo americano por justa causa demostraron su valor.
José Luis Padula Letra: Eugenio Cárdenas
Traduction libre des paroles de Eugenio Cárdenas (version 2 de 1931)
Aujourd’hui je sens en moi l’éveil de quelque chose d’heureux. Je veux évoquer cet hier qui m’a offert du plaisir, car je ne dois pas oublier quand mon cœur a tremblé quand j’ai entendu, avec émotion, cette chanson joyeuse : L’hymne de chaque lèvre argentine germe, majestueux. Et les âmes, tremblantes d’émotion, ne savent que bénir la Patrie tandis que les échos répètent le chant que deux génies ont légué à l’avenir. Que la belle chanson vivra à jamais dans la chaleur du cœur. Dans les baraques (maison sommaire, pas un ranch…), il y a un regain de jeunesse ; Les Criollos voient dans leur passion tout l’amour arriver. Sur les traces (empreintes de pas ou de roues), ils sont pleins de foi et d’illusion, les gauchos que j’ai entendus chanter au clair de lune. Les campagnes sont en fête et le soleil se déverse à travers la forêt, et avec ses éclairs de feux magiques, la plaine et le sommet sont enveloppés de flammes. Tandis qu’un criollo patriarcal raconte les heures des campagnes de libération, quand les enfants de ce sol américain pour une juste cause ont démontré leur courage.
Le tango du jour s’appelle UNO, (un), mais vous aurez le droit à une belle addition de “uns”. Attention, les huns, pardon, les uns débarquent 1+1+1+1+1+…= un des plus beaux tangos du répertoire, écrit par Mariano Mores avec des paroles de Enrique Santos Discépolo. Préparez-vous à l’écoute, mais aussi à voir, j’ai une surprise pour vous…
Extrait musical
Uno 1943-05-26 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán
Paroles
Uno busca lleno de esperanzas El camino que los sueños prometieron a sus ansias Sabe que la lucha es cruel y es mucha Pero lucha y se desangra por la fe que lo empecina Uno va arrastrándose entre espinas Y en su afán de dar su amor Sufre y se destroza hasta entender Que uno se quedó sin corazón Precio de castigo que uno entrega Por un beso que no llega O un amor que lo engañó Vacío ya de amar y de llorar Tanta traición Si yo tuviera el corazón El corazón que dí Si yo pudiera, como ayer Querer sin presentir Es posible que a tus ojos que me gritan su cariño Los cerrara con mil besos Sin pensar que eran como esos Otros ojos, los perversos Los que hundieron mi vivir Si yo tuviera el corazón El mismo que perdí Si olvidara a la que ayer lo destrozó Y pudiera amarte Me abrazaría a tu ilusión Para llorar tu amor Si yo tuviera el corazón El mismo que perdí Si olvidara a la que ayer lo destrozó Y pudiera amarte Me abrazaría a tu ilusión Para llorar tu amor
Mariano Mores Letra: Enrique Santos Discépolo
Traduction libre
Chacun cherche, plein d’espoir, le chemin que les rêves ont promis à ses désirs.Chacun sait que la lutte est cruelle et qu’elle est grande, mais il se bat et saigne pour la foi qui l’obsède. Chacun rampe parmi les épines et dans son empressement à donner son amour, il souffre et se détruit jusqu’à ce qu’il comprenne que chacun se retrouve sans cœur, le prix de la punition que chacun donne pour un baiser qui ne vient pas, ou un amour qui l’a trompé. Vide d’aimer et de pleurer tant de trahisons. Si j’avais le cœur, le cœur que j’ai donné. Si je pouvais, comme hier, aimer sans crainte, il est possible que tes yeux qui me crient leur affection, je les refermerais de mille baisers, sans penser qu’ils sont comme ces autres yeux, les pervers, ceux qui ont coulé ma vie. Si j’avais le cœur, le même que j’ai perdu. Si j’oubliais celle qui l’a détruit hier et que je pouvais t’aimer, j’embrasserais ton illusion pour pleurer ton amour.
Autres versions
Comme annoncé, ce titre a été enregistré de très nombreuses fois. Impossible de tout vous proposer, alors, voici une sélection pour vous faire découvrir la variété et les points communs de ces versions en commençant par notre tango du jour, qui est le premier à avoir été enregistré.
Uno 1943-05-26 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán. C’est notre tango du jour.Uno 1943-05-28 — Libertad Lamarque con orquesta dirigida por Mario Maurano.
Deux jours après Canaro, Libertad Lamarque enregistre le disque. C’est là qu’on remarque, une fois de plus, que Canaro est toujours au fait de l’actualité. En effet, ce titre est destiné à un film, El fin de la noche, réalisé par Alberto de Zavalía. Le tournage ne commencera qu’en août 1943 et le film ne sortira en Argentine que le premier novembre 1944, car le gouvernement argentin a tardé à donner l’autorisation de diffusion, notamment à cause du sujet qui mettait en cause le gouvernement allemand…
Affiche du film El fin de la noche, réalisé par Alberto de Zavalía avec Libertad Lamarque.
En effet, l’intrigue est totalement liée à l’actualité de l’époque, ce qui prouve que l’information circulait. Lola Morel (Libertad Lamarque), une chanteuse Sud-Américaine qui vit à Paris a été bloquée à Paris par la guerre (La plupart des Argentins avaient quitté la France en 1939, tout comme les frères Canaro et notamment Rafael qui fut le dernier à quitter la France). Elle souhaite revenir en Amérique du Sud avec sa fille. Pour obtenir des passeports, elle se voit proposé d’espionner la résistance. Ce film confirme que les Argentins ne se désintéressaient pas de la situation en Europe durant la seconde guerre mondiale. Mais la merveille, c’est de voir Libertad Lamarque chantant. C’est une des plus émouvantes prises disponibles, jugez-en.
Libertad Lamarque canta el tango UNO, en la película “El fin de la noche”, dirigida por Alberto de Zavalía. On voit dans cet extrait, par ordre d’apparition : Florence Marly… Pilar, Jorge Villoldo… Caissier du bar et Libertad Lamarque… Lola Morel qui chante UNO. Cette scène a lieu à 1h08 du début du film.
Difficile de revenir sur terre après cette version, alors autant rester dans les nuages avec Troilo et Marino.
Uno 1943-06-30 — Orquesta Aníbal Troilo con Alberto Marino arr. de Astor Piazzolla.
C’est peut-être la version la plus connue. Il faut dire qu’elle est parfaite, à chaque écoute, elle provoque la même émotion.
Uno 1943-10-27 — Tania acomp. de Orquesta.
Quelques mois après Libertad, Tania donne sa version. À qui va votre préférence ? Tania enregistrera une autre version avec Donato Racciatti en 1959.
Avant de passer à D’Arienzo, un petit point « technique ». Les disques de l’époque étaient prévus pour être utilisé à 78 tours par minute. C’est une vitesse précise. Ce n’est pas 77 ou 79 tours. Donc, ces disques joués à 78 tours par minute donnent la bonne restitution, celle qui a été décidée par l’orchestre et l’éditeur. Le résultat peut être différent de ce qui a été joué. Par exemple, pour paraître plus virtuose, on peut graver la matrice à une vitesse plus lente. Ainsi, lorsque le disque qui sera pressé à partir d’elle sera joué à 78 tours, le son sera plus rapide et plus aigu. Dans des groupes de DJ qui n’ont sans doute que cela à faire, on disserte longuement de la valeur du diapason, notamment du bandonéon et de la vitesse exacte de jeu d’une musique. À moins d’avoir une oreille absolue, ce qui est une horreur, on ne remarquera pas d’une milonga sur l’autre qu’un titre est joué un tout petit peu plus aigu ou grave. Pour moi, l’important est donc d’avoir la bonne vitesse des 78 tours et c’est tout. Si d’Arienzo ou son éditeur a modifié la vitesse, c’est la décision de l’époque. En revanche, je suis moins indulgent sur les rééditions des 78 tours en 33 tours. Ces transcriptions ont donné lieu à différents abus (pas forcément tous sur tous les disques) :
L’ajout de réverbération pour donner un « effet stéréo », mais qui perturbe grandement la lisibilité de la musique, ce qui est dommageable pour la danse également.
La coupure de l’introduction ou des notes finales. Le bruit étant jugé gênant pour un disque « neuf », beaucoup d’éditeurs ont supprimé les notes finales faibles, lorsqu’ils ont produit des 33 tours à partir de 78 tours usagés. Biagi est une des principales victimes de ce phénomène et Tanturi, le moins touché. Cela tient, bien sûr, à leur façon de terminer les morceaux…
Le filtrage de fréquences pour diminuer le bruit du disque original. Les moyens de l’époque font que cette suppression filtre le bruit du disque, mais aussi la musique qui est dans la même gamme de fréquences.
Le changement de vitesse. Si le disque tourne plus vite, on a l’impression que les musiciens jouent plus vite. Si aujourd’hui on peut varier la vitesse sans toucher à la tonalité, à l’époque, c’était impossible. Un disque accéléré est donc plus aigu. Ce n’est pas gênant en soi, si le résultat est convaincant et seuls les possesseurs de la fameuse oreille absolue s’en rendront compte si cela est fait dans des proportions raisonnables.
Après ce long propos liminaire, voici enfin la version de D’Arienzo et Maure. En premier, un enregistrement à partir du 78 tours original. La vitesse est donc celle proposée par D’Arienzo et la société Víctor.
Uno 1943-11-23 — Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré. Version tirée du 78 tours de la Víctor.
Et maintenant la version accélérée éditée en 33 tours et reprise depuis par différents éditeurs, y compris contemporains, ce qui prouve qu’ils sont partis du 33 tours et pas du 78 tours, ou mieux de la matrice originale…
Uno 1943-11-23 — Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré.
Édition accélérée, sans écouter la première version, vous seriez-vous rendu compte de la différence ? Probablement, car cela fait précipité, notamment en comparaison des versions déjà écoutées qui durent parfois près de 3:30 minutes, ce qui est exceptionnel en tango.
Uno 1943-12-01 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Oscar Serpa.
Une version sans doute moins connue, mais que je trouve très jolie également. Dommage que l’on ne passe pas en général le même titre dans une milonga. Cependant, les événements de plusieurs jours, ou les très longues milongas (10 h ou plus), permettent ces fantaisies…
Uno 1944 Alberto Gómez con Adolfo Guzmán y su conjunto.
Alberto Gómez commence a capela tout au plus soutenu par quelques accords au piano. Progressivement, ce soutien est proposé par d’autres instruments, mais ce n’est qu’à 58 secondes que l’orchestre prend progressivement une place plus importante, sans toutefois perdre de vue qu’il n’est que l’accompagnement du chanteur. Cette version à écouter suscite de la mention, malgré la voix un peu forcée de Gómez que l’on sans doute mieux appréciée, moins appuyée, comme il sait le faire dans certains passages de ce thème.
Uno 1944-04-11 — Orquesta Rodolfo Biagi con Carlos Acuña.
On change complètement de style avec Biagi. Une version rythmée, un peu pressée. Même pour la danse, on sent une pression qui empêche d’entrer complètement dans le thème. Ce n’est pas une critique de la qualité musicale, mais je trouve que cette fois Biagi est passé un peu à côté de la danse, du moins pour les danseurs qui interprètent la musique. Pour les autres, ils retrouveront le tempo bien marqué qui leur convient pour poser leurs patounes en rythme.
Uno 1946 — Trío Argentino (Irusta, Fugazot, Demare) y su Orquesta Típica Argentina con Agustín Irusta.
Les subtilités de la chronologie nous offrent ici, une interprétation à l’opposé de la précédente, par Biagi. Elle est à classer dans la lignée Lamarque, Tania et Gómez. Je pense que vous préférez cette version à celle de l’autre homme de la sélection de tango à écouter. Ici, il s’agit presque d’un duo avec le piano de Lucio Demare. Ce dernier est un merveilleux pianiste pour la musique intime. Vous pourrez vous en convaincre en écoutant ses formidables enregistrements de tango au piano, sur trois époques (1930, 1952–1953 et 1968). C’est le seul grand à s’être livré à cet exercice.
Uno 1951-12-18 — Charlo y su orquesta.
Encore une version à rajouter à la lignée des chansons. La qualité d’enregistrement des années 50 rend mieux justice à la voix de Charlo que ceux de 1925. On a même du mal à être sûr que c’est la même voix quand il chantait avec Canaro ou Lomuto. Essayez d’écouter ses enregistrements avec orchestre ou guitare des années 50 pour vous en rendre compte. Cette métamorphose, en grande partie causée par la technique, nous faire prendre conscience de ce que nous avons perdu en n’étant pas dans la salle dans les années 20.
Uno 1952 — Orquesta Aníbal Troilo con Jorge Casal.
Avec Troilo et Casal, on revient vers le tango de danse. Bien sûr, vous comparerez cette version avec celle de 1943 avec Marino. Les deux sont formidables. L’orchestre est éventuellement moins facile à suivre pour les danseurs, les DJ réserveront certainement cette version aux meilleurs pratiquants.
Uno 1957-09-25 — Orquesta Armando Pontier con Julio Sosa.
Avec Julio Sosa et l’orchestre Armando Pontier, nous sommes plus avancés dans les années 50 et l’importance de faire du tango de danse est perdue. Cela n’enlève pas de la beauté à cette version, mais ça nous fait regretter que le rock et autres rythmes aient supplanté le tango à cette époque en Argentine…
Uno 1961-05-18 — Orquesta José Basso.
José Basso nous donne une des rares versions qui se prive des paroles de Discépolo. Pour ma part, je trouve que la voix manque, même si à tour de rôle et les violons chantent plutôt bien et que le piano de José Basso ne démérite pas. On reste dans l’attente de la voix et c’est un beau final qui nous coupe les illusions.
Uno 1963 — Argentino Ledesma y su orquesta.
De la part de Ledesma, on attend une belle version et on n’est pas déçu.
Uno 1965 — Orquesta Jorge Caldara con Rodolfo Lesica.
On retrouve Caldara, cet ancien bandonéoniste de Pugliese avec Lesica. Une belle association. L’introduction avec le superbe violoncelle de José Federighi prouve s’il en était besoin les qualités de ce musicien et arrangeur d’une grande modestie. Je vous propose de terminer cette longue liste avec l’auteur Mariano Mores et son petit-fils, Gabriel Mores.
N’oubliez pas de cliquer sur ce dernier lien pour consulter l’album de Mariano Mores en écoutant une toute dernière version d’Uno, même si c’est loin d’être la meilleure. Vous y découvrez la vie de cet artiste qui est resté sur scène jusqu’à l’âge de 94 ans, après 80 années d’activité. Sans doute un des records de longévité.
Cette valse si agréable à danser, notamment dans la version qu’en donne Castillo avec son orchestre a failli ne pas voir de succès. Lançons-nous à la rencontre de la pulpera de la pulpería.
La pulpera de Santa Lucía
Tout d’abord, un peu de vocabulaire. Une pulpera, est une employée, ou une propriétaire de pulpería. Le « í » est donc important. La chanson parle d’une femme, pas de son établissement.
La pulpera n’est pas simplement une épicerie. On peut aussi y boire, puis progressivement, y écouter de la musique, c’est donc devenu un lieu de divertissement. Le patron (ou la patronne) a tout intérêt à ce que les gens restent et donc il propose des animations, prête des guitares, aménage un terrain de bochas (jeu de boule similaire à la pétanque). Et finalement, on y danse, ce qui pourrait avoir donné le nom de boliche aux bals argentins.
Mais alors qui est cette femme et où était cet établissement?
Héctor Pedro Blomberg décrit une blonde aux yeux bleus. Elle pourrait être inventée à l’image de son pays d’origine (son grand-père paternel était un marin norvégien). En fait, même s’il y a plusieurs hypothèses, la plus probable est que cette femme était la fille d’un monsieur Miranda qui tenait un lieu de ce type. À sa mort pour une histoire politique, on verra dans les paroles que De Rosas n’est pas loin, sa femme et sa fille ont repris l’établissement qui était fameux. Il est décrit comme étant à l’angle de Caseros et Martin Garcia. Malheureusement, ce sont deux avenues, donc parallèles. Je propose donc plutôt l’angle de Martin Garcia et Montes de Oca, justement le bâtiment qui touche l’église de Santa Lucía… La blonde aux yeux bleus s’appelait peut-être Dionisia Miranda si ces hypothèses ne sont pas trop fausses…
Emplacement possible pour la pulpería. On voit la paroisse Santa Lucía, un peu cachée à droite de l’image.
Évidemment, l’histoire se passe au milieu du XIXe siècle et donc, ce bâtiment n’existait pas. À l’époque, l’église devait être isolée dans un environnement rural et les gauchos devaient passer une bonne partie de leurs journées à la pulpería.
Extrait musical
Partition de La Pulpera de Santa Lucía rappelant l’immense succès de Corsini avec ce titre.La pulpera de Santa Lucía 1945-04-24 — Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Enrique Alessio.
Pour une version de chanteur, c’est tout à fait dansable. C’est même une superbe valse. Je pense que vous éprouverez beaucoup de plaisir à la danser, malgré les regrets exprimés dans les paroles.
Paroles
Era rubia y sus ojos celestes reflejaban la gloria del día y cantaba como una calandria la pulpera de Santa Lucía.
Era flor de la vieja parroquia. ¿Quién fue el gaucho que no la quería? Los soldados de cuatro cuarteles suspiraban en la pulpería.
Le cantó el payador mazorquero con un dulce gemir de vihuelas en la reja que olía a jazmines, en el patio que olía a diamelas.
« Con el alma te quiero, pulpera, y algún día tendrás que ser mía, mientras llenan las noches del barrio las guitarras de Santa Lucía ».
La llevó un payador de Lavalle cuando el año cuarenta moría; ya no alumbran sus ojos celestes la parroquia de Santa Lucía.
No volvieron los trompas de Rosas a cantarle vidalas y cielos. En la reja de la pulpería los jazmines lloraban de celos.
Y volvió el payador mazorquero a cantar en el patio vacío la doliente y postrer serenata que llevábase el viento del río:
¿Dónde estás con tus ojos celestes, oh pulpera que no fuiste mía?” ¡Cómo lloran por ti las guitarras, las guitarras de Santa Lucía!
Enrique Maciel Letra: Héctor Pedro Blomberg
Traduction libre et indications
Elle était blonde et ses yeux bleu clair (célestes, couleur du drapeau argentin) reflétaient la gloire du jour et elle chantait comme une calandre (oiseau chanteur) la pulpera (la femme) de Santa Lucia. Elle était la fleur de l’ancienne paroisse. Quel gaucho ne voudrait pas d’elle ? Les soldats de quatre casernes soupiraient dans la pulpería (l’établissement). Le payador mazorquero (chanteur partisan de Rosas, militaire, gouverneur et putschiste) lui chantait avec un doux gémissement de vihuelas (instrument de musique apparenté à la guitare) sur la clôture qui sentait le jasmin, dans la cour qui sentait le diamelas (sorte de jasmin). « Pulpera, je t’aime de toute mon âme, et un jour tu devras être mienne, quand les nuits du quartier sont remplies des guitares de Santa Lucia. » Un payador de Lavalle (c’est aussi le titre d’une ranchera de Brignolo) l’a enlevée à la mort de l’année quarante ; déjà, ses yeux bleus n’éclairent plus la paroisse de Santa Lucia. Les trompettes de Rosas ne revinrent pas lui chanter des vidalas et des cielos (danses). Sur la clôture de l’épicerie, les jasmins pleuraient de jalousie. Et le payador de Rosas revint chanter dans la cour videla sérénade plaintive et tardive qu’apportait le vent de la rivière : Où es-tu avec tes yeux célestes, ô pulpera qui ne fut pas mienne ? Comment, pour toi pleurent les guitares, les guitares de Santa Lucía !
Cette valse nous parle donc d’un temps ou le quartier était rural et où De Rosas gérait d’une main de fer la Province de Buenos Aires, l’époque Rosistas.
Autres versions
La pulpera de Santa Lucía 1929-06-19 — Ignacio Corsini con guitarras de Pagés-Pesoa-Maciel.
Cette version est importante, car Corsini est celui qui a lancé cette valse écrite par un de ces guitaristes, Enrique Maciel… C’était à la radio, en 1928 et le succès a été tel que les auditeurs ont demandé un bis par téléphone. Ceux qui avaient refusé le titre ont dû s’en mordre les doigts.
Une fois lancée, Canaro, comme à son habitude, l’a enregistrée…
La pulpera de Santa Lucía 1929-07-03 — Orquesta Francisco Canaro.
C’est une version lente avec l’originalité de la présence d’une guitare hawaïenne. Canaro utilisera cet instrument dans d’autres œuvres, dont justement une valse composée par William H. Heagney, tout aussi lente que celle-ci et qui se nomme… Bells of Hawaii (enregistrée le 9 novembre de la même année).
Bells of Hawaii 1929-11-09 — Orquesta Francisco Canaro (William H. Heagney)
(Ce n’est bien sûr pas une version de la pulpera, c’est juste pour vous faire entendre une valse similaire avec de la guitare hawaïenne).
La pulpera de Santa Lucía 1930 — Orquesta Rafael Canaro con Carlos Dante.
Le frère de Francisco s’y colle ensuite avec Carlos Dante. Une version très rapide, plutôt chanson avec une forte présence de la guitare qui fait penser à Corsini.
La pulpera de Santa Lucía 1945-04-24 — Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Enrique Alessio. La pulpera de Santa Lucía 1945-04-24 — Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Enrique Alessio. C’est notre merveille de valse du jour.La pulpera de Santa Lucía 1974 — Hugo Díaz.
Une version très étonnante avec ses dissonances plaquées sur l’introduction. L’harmonica particulièrement expressif d’Hugo Díaz se promène par-dessus la guitare qui donne le rythme et permet de rendre dansable cette version assez particulière. Même si vous ne la dansez pas, il faut la connaître pour l’harmonica qui lui imprime son caractère si puissant.
La pulpera de Santa Lucía 1977 Nelly Omar con guitarras — Jose Canet.
Une version sympathique, chantée par une femme et quelle chanteuse. Je pense que vous apprécierez son écoute.
La pulpera de Santa Lucía 1983 — Miguel Villasboas y su Orquesta Típica.
Pour terminer, une version de l’autre rive. Bien dansante et amusante comme c’est le faire Villasboas avec son piano bien rythmé et ses violons qui flottent avec une sonorité si particulière. On notera également le magnifique solo du bandonéon. Tous n’aiment pas, mais moi, j’aime bien et c’est assez festif pour terminer ce tour des versions de la Pulpera de Santa Lucía.
Un « couple » étonnant
Enrique Maciel et Héctor Pedro Blomberg sont deux amis très différents. Enrique est petit et noir et Héctor est un grand blond aux yeux bleus. Cela ne les a pas de collaborer à de nombreux titres dont notre valse du jour.
Dans la milonga d’hier, j’abordai les origines noires du tango. Enrique Maciel, El Negro Maciel est effectivement d’origine noire et plus précisément noire américaine. Il est descendant d’esclaves du Sud des États-Unis. C’est son grand-père paternel, dont le nom de famille était Marshall qui a immigré en Argentine. Maciel fait plus Argentin que Marshall, j’imagine la scène à l’immigration « c’est quoi ton nom ? Marshall, Maciel ?
Recueil de nouvelles de Héctor Pedro Blomberg incluant La pulpera de Santa Lucía.
Son partenaire dans la composition de ce tango est Héctor Pedro Blomberg qui comme son nom le suggère était Norvégien d’origine. Là encore, c’est son grand-père paternel qui s’est fixé après avoir épousé une Paraguayenne, elle-même auteure. En 1911, il embarque sur un navire pour… la Norvège où il reste deux ans. Durant son voyage il écrivit des articles pour les revues de l’époque. Par chance, on peut les lire sans retrouver toutes les revues, car ils ont été publiés en 1920 dans un ouvrage Las Puertas de Babel. Le préfacier, Manuel Gálvez, nous en explique le titre. Je reproduis cet extrait ici, car il est très évocateur du Buenos Aires des origines du tango :
«Los puertos de Buenos Aires, y los barrios que los rodean: La Boca, El Dock Sur, El Paseo de Julio, son las puertas de Babel. Por ellos se entra en la ciudad monstruosa e inquietante donde todos los idiomas del mundo y todas las razas se confunden y mezclan. Arriba está la ciudad rica y poderosa. Abajo, es decir en las puertas de Babel, se aglomera la caravana de los parias, la turba sucia y doliente que arrastra por los puertos y los mares su desolación et su miseria.
Multitud de lamentables figurillas humanas desfilan. Marineros ingleses, borrachos y brutales, pasan juntos a suaves y contemplativos chinos. Holandeses et italianos codéense en los antros del Paseo de Julio con árabes melancólicos que invocan a Alá, y añoran las amadas de Argel. Mujeres de todas las razas — las cigarras del hambre — cantan y danzan en los cabarets siniestros: andaluzas de Cádiz y de Málaga, griegas de Salónica, mulatas martiniqueñas, inglesas de Liverpool u de Swansea. Todos los barrios trágicos de tierra son evocados en las puertas de Babel: el Bund, de Changai; el Solbrero Rojo, de Marsella; las callejuelas sucias de los barrios que circundan los grandes puertos. Y todas las canciones de la tierra dilúyense en los ámbitos de Babel: coplas de Sorrento, que hacen soñar con el mar azul, fados portugueses, sensuales y lánguidos; canrates desolados de los archipiélagos, oídos en las radas de Oceanía; baladas cándidas, y fragantes que evocan las márgenes del Yang-Tse-Kiang; viejas guajiras de Cuba ; lúgubres coplas andaluzas.Y todas aquellas gentes van pasando bajo las arcadas del Paseo de Julio, o por las calles de la Boca o del Dock Sur, o se amontonan en los antros, en los cabarets, en las hamadas, en los fumaderos de opio. Y la tragedia estalla a cada paso, allí en las puertas de Babel. Hombres tatuados se apuñalean por alguna de aquellas cigarras del hambre, “gaviotas de todos los puertos”, como también las llama Blomberg. »
Préface de Las Puertas de Babel parManuel Gálvez.
Traduction libre
« Les ports de Buenos Aires, et les quartiers qui les entourent : La Boca, El Dock Sur, El Paseo de Julio, sont les portes de Babel. C’est par eux que vous entrez dans la ville monstrueuse et inquiétante où toutes les langues du monde et toutes les races sont confondues et mélangées. Au-dessus se trouve la ville riche et puissante. En bas, c’est-à-dire aux portes de Babel, se rassemble la caravane des proscrits, la foule immonde et triste qui traîne sa désolation et sa misère à travers les ports et les mers. Une multitude de pitoyables figurines humaines défilent. Les marins anglais, ivres et brutaux, passent avec des Chinois doux et contemplatifs. Néerlandais et Italiens se côtoient dans les clubs du Paseo de Julio avec des Arabes mélancoliques qui invoquent Allah et se languissent des bien-aimés d’Alger. Des femmes de toutes les races, les cigales de la faim, chantent et dansent dans les sinistres cabarets : Andalouses de Cadix et de Malaga, Grecques de Thessalonique, mulâtres martiniquaises, Anglaises de Liverpool ou de Swansea. Tous les quartiers tragiques de la terre sont évoqués aux portes de Babel : le Bund, à Changai ; le chapeau rouge de Marseille (le nom vient du chapeau que portaient les cochers des messageries Royales et qui a donné le nom à nombre de relais de poste, auberges…) ; les ruelles sales des quartiers qui entourent les grands ports. Et tous les chants de la terre se diluent dans les lambeaux de Babel : les couplets de Sorrente, qui font rêver la mer bleue, le fado portugais, sensuel et langoureux ; les canrates désolés des archipels (probablement Canaries), entendus dans les rades de l’Océanie ; des ballades candides et parfumées qui évoquent les rives du Yang-Tsé-Kiang ; vieilles guajiras de Cuba ; Lugubres couplets andalous. Et tous ces gens-là passent sous les arcades du Paseo de Julio, ou dans les rues de La Boca ou du Dock Sur, ou s’entassent dans les clubs, dans les cabarets, dans les hamadas, dans les fumeries d’opium (on en parlait à propos de El opio de Canaro). Et la tragédie éclate à chaque tournant, là-bas, aux portes de Babel. Des hommes tatoués sont poignardés pour l’une de ces cigales de la faim, « mouettes de tous les ports », comme les appelle aussi Blomberg. »
Un petit documentaire pour terminer
Un documentaire réalisé par El Vecinal – Réseau social de Misiones. C’est en espagnol, mais des informations complémentaires sont proposés, notamment sur De Rosas.
Un documentaire réalisé par El Vecinal – Réseau social de MisionesLa payada (chanson improvisée) ici par un chanteur et guitariste noir. Ce pourrait être El Negro Maciel dans la pulperia de Dionisa. Cette œuvre est d’Enrique Mc Grech.
Metteur en scène : Louis Joseph Gasnier Scénario Alfredo Le Pera.
Melodía de arrabal, c’est le retour de Carlos Gardel au cinéma dans un film réalisé par le réalisateur français, Louis Joseph Gasnier. Comment un film français, réalisé en France, nous apprend ce qui se passait dans le milieu du tango argentin au début du vingtième siècle.
Bien sûr, ce film n’est pas un documentaire et on pourrait considérer qu’il exploite des clichés sur le tango portègne. Cependant, ces mêmes clichés sont ceux qui nourrissent les paroles et l’imaginaire des tangos, imaginaire où des jeunes gens un peu hâbleurs et bagarreurs séduisent de belles ingénues, ingénues qui se révèlent avoir du caractère ou d’autres aspirations. À ceux qui peuvent s’étonner qu’un film sur Buenos Aires soit tourné à Paris, avec des acteurs argentins ou espagnols par une société américaine (Paramount), je répondrai que c’est une preuve de l’internationalisation rapide du tango. Je vous propose aujourd’hui quelques éléments de la romance de Buenos Aires autour de ce film sorti au cinéma le 5 avril 1933.
Les acteurs
Carlos Gardel (Roberto Ramírez), Imperio Argentina (Alina), Vicente Padula (Gutiérrez), Jaime Devesa (Rancales, le truand), Helena D’Algy (Marga), Felipe Sassone (Empresario), Manuel París (Maldonado), José Argüelles (Julián), Josita Hernán.
Carlos Gardel et Imperio Argentino à l’époque du tournage du film (fin 1932).
L’intrigue
Roberto Ramírez, interprété par Carlos Gardel, est un vaurien qui vit dans les cafés de la banlieue de Buenos Aires. Il est tricheur et se pique de chanter le tango. Alina (jouée par Imperio Argentina) qui est professeur de chant l’entend chanter et lui conseille de se lancer dans le métier. Roberto Ramírez (Gardel) décide de suivre ses conseils et d’améliorer sa vie. Malheureusement, il tue accidentellement un truand qui menaçait de dévoiler ses mauvais penchants à Alina, qui croit que c’est un brave gars (ce qui n’est pas faux). Si on passe les péripéties de l’enquête policière (dont le rebondissement final est amusant), on notera qu’Alina cherche à faire entendre Roberto, son protégé à un producteur joué par Felipe Sassone. Ce n’est pas si facile, car Gardel ne souhaite pas se dévoiler en public, mais le producteur sous le charme d’Alina accepte d’écouter Gardel dans une soirée privée chez lui. Lors de cette soirée, le producteur fait chanter Alina, puis celle-ci enjoint à Gardel de chanter. Si on me permet cette audace, c’est aussi lors de cette soirée que le truand Rancales essaye également de faire chanter Gardel, mais d’une autre façon et qu’il terminera mort dans une scène à la Agatha Christie. C’est un succès, le producteur fait venir Gardel, pardon, Roberto dans son théâtre et l’y fait chanter. C’est là qu’il va chanter Silencio avec beaucoup de succès. C’est nettement le temps fort du film. On comprendra pourquoi en lisant ma notice sur Silencio… La version du film que je propose enchaîne de façon étrange sur Melodía de arrabal. Est-ce le même jour, pas sûr. Les ellipses dans ce film sont moyennes. Par exemple, quand Rancales, le truand joué par Jaime Devesa sort de prison, on risque de ne pas capter qu’il s’est passé un an. Un an sans voir Alina, qui lui avait proposé de l’aider à chanter. On le sait uniquement par un dialogue de Gardel un peu plus tard. Dans le cas présent, je pense que le changement de costume est censé nous renseigner. Le film se termine en parfait retour arrière avec le début du film avec le disque 78 tours de Roberto (Melodía de arrabal) tournant sur un gramophone et la caméra qui se lance dans un long traveling arrière symétrique du traveling du début. On voit les badauds s’agglutiner à la devanture du magasin de disque. Le mot « fin » apparaît sur le sol. Gardel, (Roberto) est devenu chanteur de tango…
Quelques points de repère et moments forts du film
Cliquez sur les vidéos, vous irez directement au moment sélectionné. Ne vous fiez pas à l’image qui est toujours la même, vous irez bien au point indiqué en cliquant sur l’image.
Le film commence après un panoramique sur un long traveling avant qui suit Carlos Gardel (Roberto) jusqu’à un magasin de disques. Quelques personnes sont autour d’un phonographe qui passe une version instrumentale de Melodía de arrabal. Gardel qui est entré y rencontre Imperia (Alina). Il lui propose de lui offrir le disque. Celle-ci refuse, mais Roberto lui promet de lui chanter à chaque fois qu’il la croisera. https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=47
3 : 08 pour voir un peu de danse et l’ambiance reconstitué dans un studio de la région parisienne des lieux portègnes du début du vingtième siècle. https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=188
37 : 15 No sé porqué, une habanera chantée par Imperio Argentina et Carlos Gardel en Duo. Une perle ! José Sentis, l’auteur des paroles et de la musique était un pianiste et compositeur né en Espagne. Il fut un des pionniers du tango à Paris. Ce titre témoigne de ses origines. https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=2234
46:28 Le barman utilise un shaker comme des maracas, les danseurs dansent Jazz. N’oublions pas que les bals de l’époque étaient mixtes, tango et jazz. Continuez de regarder pour voir les gens danser et voir la fin de la danse quand… à 47 : 10, le maître de maison (le producteur) arrête la musique sur laquelle les gens dansaient pour annoncer l’intermède. On voit donc un bal privé utilisant des disques. À la suite chante donc Imperio Argentina qui s’accompagne au piano. https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=2788
50 : 09 Cuando tú no estás, une chanson chantée par Carlos Gardel accompagné au piano par Imperio Argentina. (Carlos Gardel et Marcel Lattés pour la musique et Alfredo Le Pera et Mario Battistella pour les paroles). https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=3006
1 :11 :15 Silencio, par Carlos Gardel (Musique Carlos Gardel et Horacio G. Pettorossi, paroles Alfredo Le Pera et Horacio G. Pettorossi). Nous avons présenté ce merveilleux titre dans une anecdote du jour Silencio. Remarquez à l’arrière-plan la Orquesta típica Argentina de Juan Cruz Mateo. https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=4256
Reprise finale, pour la troisième fois de Melodía de arrabal, cette fois sur le disque qu’il a enregistré. C’est la fin du film. https://youtu.be/VIiBfGUavoA?t=4872
Quelques affiches et pochettes de DVD…
Vous pouvez les regarder en écoutant, deux versions très différentes.
Melodía de arrabal 1933-04-17 — Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá. Canaro, comme il l’avait fait pour Silencio, publie “la musique du film” dans sa version. Un bon marketing, c’est toujours utile, non ? En plus, c’est une version de danse, alors, on ne va pas bouder son plaisir.Melodía de arrabal 1965 — Orquesta Miguel Caló con Raúl del Mar y glosas de Héctor Gagliardi J’aime bien la glose initiale. Et cette version est sympathique.
Juan Antonio Collazo Letra : Roberto Fontaina ; Víctor Soliño
Un Niño bien est un jeune homme de bonne famille, élégant et un peu précieux. Cependant, le tango du jour parle d’un autre Niño bien. Enrique Mora et Elsa Moreno vous invitent à découvrir le personnage avec une caricature légère et entraînante. C’est aussi pour moi, l’occasion de vous faire souvenir d’un orchestre un peu oublié.
Même dans le monde du tango, il y a des personnes qui aiment paraître, qui ont la « nariz parada » (le nez relevé par la fierté), qui souhaitent péter plus haut que leur cul. Ce tango, dont les paroles qui sont de Roberto Fontaina et Víctor Soliño, parlent d’un de ces personnages de banlieue qui joue à être de la haute (société). Ce tango a été enregistré à diverses reprises, en deux vagues. La plus ancienne version est une version chantée par Alberto Vila, accompagné à la guitare en 1927. L’année suivante, la Típica Victor enregistre une version instrumentale et en 1930 Irusta le chante avec Lucio Demare (piano) et Samul Reznik (violon). Puis le titre reste dans l’ombre, jusqu’en 1948. Nous écouterons certains de ces enregistrements.
À propos de Niño bien
Niño bien a donné son nom à une milonga du jeudi à Buenos Aires qui était fameuse mais qui a malheureusement disparu, comme tant d’autres.
Cette milonga était suffisamment fameuse pour que Brian Winter donne son nom à un de ses livres (Bien après minuit à la Niño bien). Une autre milonga fameuse qui elle aussi a disparu, Thunderland est l’autre héroïne parmi les milongas citées dans ce livre.
La captivante quête d’une Américaine dans les milongas portègnes pour retrouver le bel Argentin dont elle est tombée amoureuse dans une milonga aux USA. Pour le retrouver, elle devra découvrir tous les aspects du tango. Ce livre permet de se remémorer des lieux qui n’existent plus, dont la fameuse milonga Niño Bien évoquée ci-dessus. Je ne vous en dis pas plus pour ne pas vous gâcher le plaisir de lire ce livre paru en 2008, mais qui place l’histoire en 1999.
Enrique Mora y su Cuarteto Típico con Elsa Moreno
Enrique Fausta Mora (8 février 1915 – 14 juillet 2003)
Enrique (Fausta) Mora (8 février 1915 – 14 juillet 2003) est sans doute injustement oublié, Il était un brillant pianiste, chef d’orchestre et compositeur de tangos comme Este es tu tango, connu par les enregistrements de Ricardo Tanturi avec Roberto Videla ou Enrique Rodriguez avec Armando Moreno. J’imagine que son oubli vient en particulier du fait qu’il n’a enregistré que dans les années 50, un moment où le tango de danse était en régression. Il n’a donc pas été réédité aussi rapidement que les monstres sacrés. Je suis donc content de lui redonner justice, comme j’avais ressorti de l’oubli Donato Racciatti il y a une vingtaine d’années (en France). D’ailleurs, à l’écoute, on retrouvera une similitude entre Mora, Racciatti et Firpo, jusqu’à la façon de chanter d’Elsa Moreno qui peut évoquer Nina Miranda ou Olga Delgrossi, voire Tita Merello qui a aussi chanté ce titre. Elsa Moreno a enregistré une douzaine de titres avec le cuarteto d’Enrique Mora entre 1953 et 1956. Niño bien est le premier de la série.
Extrait musical
Niño bien 1953-03-08 — Enrique Mora y su Cuarteto Típico con Elsa Moreno
Couverture du numéro 40 de la revue hebdomadaire El tango de Moda (1929). Cette revue a été publiée d’octobre 1928, jusqu’en 1934.
Les paroles
Niño bien, pretencioso y engrupido, que tenés berretín de figurar; niño bien que llevás dos apellidos y que usás de escritorio el Petit Bar; pelandrún que la vas de distinguido y siempre hablás de la estancia de papá, mientras tu viejo, pa’ ganarse el puchero, todos los días sale a vender fainá.
Vos te creés que porque hablás de ti, fumás tabaco inglés paseás por Sarandí, y te cortás las patillas a lo Rodolfo sos un fifí. Porque usás la corbata carmín y allá en el Chantecler la vas de bailarín, y te mandás la biaba de gomina, te creés que sos un rana y sos un pobre gil.
Niño bien, que naciste en el suburbio de un bulín alumbrao a querosén, que tenés pedigrée bastante turbio y decís que sos de familia bien, no manyás que estás mostrando la hilacha y al caminar con aire triunfador se ve bien claro que tenés mucha clase para lucirte detrás de un mostrador.
Juan Antonio Collazo Letra: Roberto Fontaina; Víctor Soliño
Traduction
Niño bien (enfant de « bonne famille »), prétentieux et vaniteux, qui a pour but (loisir), le paraître ; Un Niño bien qui porte deux noms de famille et qui utilise le Petit Bar comme bureau ; Pelandrún (personne oisive et paresseuse) qui se meut de façon distinguée et qui parle toujours de l’estancia (ferme de gros propriétaire terrien) de papa, bien que ton vieux (père), pour gagner sa vie, sort tous les jours pour vendre des fainás (pains plats à base de farine de pois chiches, aliment pour les pauvres, mais que vendent aussi les pizzerias argentines). Tu crois que, parce-ce que tu parles de toi, que tu fumes du tabac anglais, que tu te promènes dans Sarandí et que tu coupes tes favoris comme Rodolfo, tu es un fifi (éphèbe qui suit la mode). Parce que tu portes la cravate carmin et que tu vas comme danseur au Chantecler et que tu t’envoies biaba de gomina (coiffure avec une quantité exagérée de gomina), tu te prends pour une rana (grenouille, personne avisée) et tu es un pauvre gil (imbécile, médiocre, cave). Niño bien, qui est né dans les faubourgs, dans un bordel éclairé au pétrole (kérosène), qui a un pedigree plutôt trouble et tu dis que tu descends d’une bonne famille, Tu ne soupçonnes pas que tu montres le fil et, lorsque tu marches d’un air triomphant, il est très clair que tu as beaucoup de classe pour briller derrière un comptoir.
La photo de couverture
Pour cette image, je ne suis pas parti de photos. Je vais vous expliquer la démarche, à la lueur des paroles du tango.
Siempre hablás de la estancia de papá, mientras tu viejo, pa’ ganarse el puchero, todos los días sale a vender fainá. [Tu parles toujours du domaine de ton papa, cependant ton vieux, pour gagner la pitance, sort tous les jours pour vendre des fainás (Galettes à base de farine de pois chiches)].
Au couplet suivant : « te cortás las patillas a lo Rodolfo, sos un fifí. » Tu te tailles les pattes à la Rudoph (Valentino), tu es un efféminé.
La fainá est une galette à base de farine de pois chiches. C’est une sorte de pizza du pauvre, que l’on trouve encore aujourd’hui dans les pizzerias portègnes. À l’époque, elles étaient vendues par des vendeurs ambulants.
Pour l’image, je suis parti de l’idée d’avoir le Niño Bien au premier plan et à l’arrière-plan, son vieux père qui vend des fainás. Pour le le niño bien, j’ai choisi de partir de son modèle, à savoir Rudolph Valentino, cet acteur de l’époque du cinéma muet qui était considéré comme particulièrement beau. Pour le père, j’ai décidé de mettre en avant (ou plutôt à l’arrière dans le cas présent) un véritable vendeur de fainás. Il s’agit ici de galettes de farine de pois chiches, cuites au four à pizza, à la poêle, ou sur des installations plus sommaires, comme on peut le voir sur la photo. Voici les images originales :
À gauche, Rudolph Valentino. Il y a un logo en bas à droite, mais je n’ai pas identifié le studio (photo ou cinéma). À droite, le « père » est en fait Ricardo Ravadero, un vendeur ambulant de Buenos Aires dans les années 20 sur cette photo).
Autres versions
Niño bien 1927-12-03 — Alberto Vila con guitarras.
Une jolie et simple version par Alberto Vila accompagnée par la guitare. Les trémolos de la voix d’Alberto, sont peut-être un peu trop appuyés, mais c’est le témoignage d’une époque et d’une forme de chant qui eut ses émules.
Niño bien 1928-04-09 — Orquesta Típica Victor.
Cette version instrumentale. Sous ses airs de marche militaire, exprime bien la fierté de notre niño bien marchant d’un pas triomphant dans la rue Sarandí…
Après la première vague des années 20–30, la relance du titre vient de la sortie du film d’Homero Manzi e Ralph Pappier « Pobre mi madre querida », sorti le 28 avril 1948. Hugo del Carril y chante ce titre en se moquant d’un autre type, ce qui va se terminer en bagarre…
Nino bien 1948-04-28 (sortie du film) — Hugo del Carril. Extrait du film « Pobre mi madre querida » de Homero Manzi y Ralph Pappier Niño bien 1953-03-08 — Enrique Mora y su Cuarteto Típico con Elsa Moreno. C’est le tango du jour.Niño bien 1955-03-22 — Orquesta Juan Sánchez Gorio con Luis Mendoza. Avec de la réverbération. On peut préférer la version de 1953…Niño bien 1955-03-22 — Orquesta Juan Sánchez Gorio con Luis Mendoza. Avec de la réverbération. On peut préférer la version de 1953…Niño bien 1956-06-14 — Tita Merello accompagnée par Francisco Canaro.
La gouaille incroyable de Tita Merello, fait de cette version un morceau d’anthologie. Pas garanti pour le bal, c’est d’ailleurs présenté comme une chanson, mais à ne pas rater.
Niño bien 1965c – Cuarteto Los porteñitos.
Un jour, il faudra que je vous parle un peu de ce talentueux musicien qui a réussi dans tous les genres, du jazz au tango, Santos Lipesker (frère de Félix). Ici, il a formé un cuarteto avec Estaban Ubaldo De Lío et Héctor Davis à la guitare, Roberto Tierrita Guisado, qui était le premier violon de l’orchestre de Di Sarli (on connaît l’importance du violon pour les interprétations de Di Sarli). Lui-même, Santos Lipesker tient le bandonéon, mais il jouait d’autres instruments à vent comme le saxophone ou la clarinette. Ce cuarteto n’a enregistré, semble-t-il que deux cassettes. C’est sans doute dommage, car c’est plutôt réussi, même si ce n’est sans doute pas ce qui sera le plus apprécié dans les bals…
Niño bien, 1975c — Elba Berón accomp. Cuarteto A Puro Tango, dirigé par Miguel Nijensohn.
Avec Elba, on retrouve la gouaille de Tita, avec un accompagnement plus simple privilégiant la guitare, comme dans la première version que je vous ai proposée, celle d’Alberto Vila.
Cette anecdote publiée initialement le 8 mars 2024 a été complétée le 7 mars 2025 (traductions et nouvelles interprétations).
Le Niño Bien semble détonner dans le magasin et les clients le regardent avec un air étonné.
Il semble que tout a été dit sur les styles de tango. Je vous propose cependant un petit point, vu essentiellement sur l’aspect du tango de danse.
Ce qu’il convient de prendre en compte, c’est que les périodes généralement admises sont en fait toutes relatives.
Les orchestres ont, selon les cas, continué un style qui leur réussissait au-delà d’autres orchestres et a contrario, d’autres ont innové bien avant les autres, voire, sont revenus en arrière, remettant en avant des éléments disparus depuis plusieurs décennies.
On peut donc avoir deux enregistrements contemporains appartenant à des courants forts différents. C’est particulièrement sensible à partir des années 50, où la baisse de la pratique de danse a incité les orchestres à développer de nouveaux horizons, souvent en réchauffant des plats plus anciens.
Les origines (avant le tango)
Il ne s’agit pas ici de trancher dans un des nombreux débats entre spécialistes des origines. Du strict point de vue de la danse, les premiers tangos sont proche du style habanero et par conséquent, c’est plus du côté des habaneras qu’il convient de trouver la forme de danse.
La habanera
Vous connaissez ce rythme. DaaaTadaTaDaaa
Pour ceux qui ne sont pas lecteurs de la musique, les barres rouges (croches pointées) correspondent à 3 unités temporelles relatives (double croche), les barres bleues à une unité temporelle (double croche) et les barres vertes à deux unités temporelles (croche). Les barres sont donc proportionnelles à la durée des notes. Au début de la portée, il y a l’indication 2/4. Cela signifie qu’il y a deux noires par mesure (espace entre deux barres verticales). Les croches valent la moitié d’une noire en durée et les doubles croches la moitié d’une croche. Voilà, vous connaissez la lecture du rythme en musique (ou pas…).Rythme de la habanera au piano. retrouvez le DaaaTadaTaDaaa…
La habanera porte ce nom, car c’est une restitution d’un rythme cubain. L’inventeur du genre est Sebastián de Iradier qui a composé El arreglito (le petit arrangement) où il joue avec ce rythme. En voici un extrait et je suis sûr que cela va vous rappeler quelque chose.
Axivil Criollo — El Arreglito — Compositeur Sebastián de Iradier vers 1840.
Avez-vous trouvé ?
Oui, vous avez trouvé. Ce cher Georges Bizet a piqué la musique de Sebastián de Iradier.
Teresa Berganza chante la Habanera de Carmen de Bizet (le copieur 😉
Ce rythme, très présent dans les premiers tangos, est devenu plus discret, sauf pour les milongas qui l’ont largement exploité.
Dans la milonga criolla (ici par l’orchestre de Francisco Canaro 1936-10-06), on reconnait parfaitement le rythme de la habanera qui a été accélérée et est devenue une des pierres de construction des milongas.
Lorsque le tango de danse a perdu de son élan, les orchestres sont revenus à ces formes traditionnelles, au point que les compositeurs l’on réintroduit très largement.
Autres apports
En parallèle, des formes chantées, notamment par les payadors et des danses, traditionnelles, voire tribales, ont influencé ces prémices, donnant une grande richesse à ce qui deviendra le tango, notamment à travers ses trois formes dansées, le tango, la milonga et la valse.
Les payadors
On lit parfois que Gardel était un payador. Cependant, même s’il était ami de José Bettinotti, il n’a pas été directement l’un de ces chanteurs qui s’accompagnaient à la guitare en improvisant. Cependant, l’influence des payadors est indéniable pour le tango, comme vous pouvez en juger. Par cet extrait, qui avec ses relents d’habanera pourrait s’approcher d’une milonga lente ou d’un canyengue.
José Bettinotti, El cabrero circa 1913
Exemple d’influence africaine
Parmi les sources, on met en avant des origines africaines. Même si l’Argentine n’a pas été une terre d’esclavage très marquée, contrairement à beaucoup d’autres payés du continent américain, il y a eu une communauté d’origine africaine relativement importante au XIXe siècle. Celle-ci s’est atténuée par l’émigration, les mariages avec des populations d’autre origines et quelques faits guerriers où ils ont servi de chair à canon.
Même si l’Argentine a absorbé des éléments, c’est plutôt la province de l’Est, l’Uruguay qui a le plus été influencé par ces musiques, notamment les percussions.
Candombe solo para Uruguayos — Hugo Fattoruso — “Caminando” , Toma de Sonido Dario Ribeiro
Le candombe et la milonga candombe se retrouvent à la mode dans les années 50, bien avant que Juan Carlos Cacéres relance la mode.
Siga el baile 1953-10-28 — Alberto Castillo y su Orquesta Típica dirigé par Ángel Condercuri.
La dénomination “tango” est souvent associée à la déformation de “tambo” et désignait des lieux ou la communauté noire dansait. Il faut voir un jugement négatif par la bonne société blanche. Le terme est devenu synonyme de bamboche, de débauche, ou pour le moins de moeurs légères. La musique des faubourgs, même si elle n’était pas issue des Africains a hérité de ce vocable péjoratif, lorsque le tango s’est développé dans les bordels et autres lieux choquants pour la bonne société.
Les origines européennes
L’immigration européenne a apporté sa musique. Pour el vals, même criollo, on est très proche de la valse et des artistes comme Canaro ont même adopté des valses viennoises.
Pour la milonga, c”est un peu moins évident de retrouver des sources européennes, si ce n’est que la mode de la habanera en Europe et les échanges dans le monde latinoaméricain ont favorisé sa diffusion. La habanera symbolisait le marin pour l’Europe. La milonga, on devrait même écrire les milongas sont une salsa, un mélange d’influences.
Les débuts du tango dans les faubourgs et les milieux interlopes ont conduit celui-ci à des formes assez populaires, voire outrées que le canyengue d’aujourd’hui a du mal à retraduire en totalité.
La naissance européenne
Disons-le, tout bonnement, ce tango d’avant le tango n’est pas au sens strict du tango. À cela se rajoute que les rares enregistrements de l’époque ont été réalisés par voie acoustique et qu’ils ne sont donc pas du tout adaptés à nos oreilles contemporaines.
Vu les lieux où le tango était joué et malgré la fréquentation par des ninos bien (jeunes hommes de bonne famille), le tango ne s’est pas fait une place importante en Argentine avant d’acquérir ses lettres de noblesse en Europe et notamment en France. Il y a une théorie différente qui se base sur un film réalisé en 1900 à Buenos Aires par Eugene Py. Le problème est que si Py a bien réalise un film, on ne l’a pas retrouvé. Un film est considéré par certains comme le film de Py qui aurait été retrouvé.
Dans ce film, on voit deux danseurs dans un décor pratiquer une forme de tango. Ce film est parfois qualifié de premier film de tango qui correspondrait à un film enregistré en 1900 par Eugène Py. La qualité de l’image, le vêtement de la femme, le style de danse font plutôt dater ce film des années 1920. Les partisans de l’attribution à Eugène Py indique que le film original a été réalisé en extérieur, sur la terrasse de l’entreprise Casa Lepage À Buenos Aires. On peut voir qu’ici, il s’agit d’un décor qui peut avoir été placé en extérieur pour faire croire a un intérieur. Cela semble un peu exagéré pour ce type de film. En admettant que ce soit le cas, les danseurs seraient des gens de la haute société. Aussi, pourquoi serviraient-ils de figurants ? Il est plus simple d’imaginer que ce sont des danseurs qui jouent un rôle. Donc, si ce film est de 1900 (ce dont je doute), il peut s’agir de danseurs figurants. Si le film est de 1920, il peut s’agir de personnes plus fortunées qui présentent leurs performances de danse. Je propose donc de rester sur les témoignages écrits et nombreux et de ne pas suivre l’hypothèse qui ferait de ce film la preuve que le tango était dansé dans la haute société dès 1900.
Le style du tango, avant le tango… (Prototango)
Avant 1926, date des premiers enregistrements électriques, pas d’enregistrements utilisables en danse.
Comme vous pouvez vous en rendre compte, le style sommaire et monotone de la musique est renforcé par l’obligation de jouer de façon assez forte et peu nuancée pour que le pavillon puisse graver le support d’enregistrement. On retrouve cependant certains éléments « Canyengue » que l’on connaît par les enregistrements électriques.
Je vous propose à titre d’exemple, Zorro gris un enregistrement électrique de 1927 par Francisco Canaro.
Gobbi et Canaro, dans la première partie de leur carrière, sont des représentants de ce que l’on a nommé la vieille garde. On ne peut pas réduire cela au canyengue, car dès les années 20 des rythmes différents avaient vu le jour. Se détachant progressivement du style claudicant du canyengue, les orchestres abandonnent la habanera, accélèrent le rythme. Des titres en canyengue deviennent des milongas, comme par exemple : Milonga de mis amores, ici dans la version de Canaro en 1937 et qui a encore des accents de canyengue :
Extrait de Milonga de mis amores 1937-05-26, Francisco Canaro
contrairement à la version de la même année par Pedro Laurenz :
Extrait de Milonga de mis amores 1937-07-14, Pedro Laurenz canta Héctor Farrel
Ou celle du même de 1944 :
Extrait de Milonga de mis amores 1944-01-14, Pedro Laurenz
Des orchestres anciens évoluent, comme Di Sarli ou d’Arienzo, notamment à l’arrivée de Biagi dans l’orchestre et on arrive à la grande période du tango, l’âge d’or.
L’âge d’or (Edad de oro)
C’est la période considérée comme la plus adaptée au tango de danse. C’est logique, car à l’époque, le tango était une danse à la mode et chaque semaine, plusieurs orchestres se produisaient.
El Mundo du dimanche 1er octobre de 1944. En rouge, les 4 piliers se produisent le même jour (Hoy). En bleu des orchestres de second plan, tout à fait dansables et en vert, des orchestres un peu moins pertinents pour la danse.
On voit l’énorme choix qui s’adressait aux danseurs. Les musiciens jouaient ensemble plusieurs fois par semaine et il y avait un climat d’émulation pour ne pas dire de compétition entre les orchestres.
On remarquera qu’en face de chacun des orchestres de tango, il y a un orchestre de « Jazz ». En effet, les bals de l’époque jouaient des genres variés et les orchestres se spécialisaient.
Certains comme Canaro avaient deux orchestres, ce qui lui permettait d’assurer les deux aspects de la soirée. D’ailleurs, Canaro utilise des cuivres dans son orchestre de tango, il jouait donc de la limite entre les deux formations. Vous avez pu écouter cela dans l’extrait de Milonga de mis amores, ci-dessus.
Chaque orchestre se distinguait par un style propre. Certains étaient plus intellectuels, comme Pugliese ou De Caro, d’autres plus joueurs, comme Rodriguez ou D’Arienzo, d’autres plus romantiques, comme Di Sarli ou Fresedo et d’autres plus urbains, comme Troilo.
Aujourd’hui, dans les milongas, le DJ s’arrange pour proposer ces quatre orientations pour éviter la monotonie et contenter les différentes sensibilités des danseurs.
Même si la production de l’époque est essentiellement tournée vers la danse, il y a également une production pour l’écoute.
Sur les disques de l’époque, il est facile de faire la différence, notamment pour les tangos avec chanteur. En effet, un tango à danser est indiqué : Nom de l’orchestrecanta ou estribillo cantado porNom du chanteur. Un tango à écouter est indiqué Nom du chanteury su orquesta dirigido por ou con (avec) Nom de l’orchestre.
Nous n’entrerons pas dans les détails en ce qui concerne les styles des orchestres de l’âge d’or, cela fait l’objet d’un de mes cycles de cours/conférence (mini 3 h, voire 6 h). Il convient seulement de savoir reconnaître le tango de danse et de savoir apprécier les différences de style entre les orchestres.
Pour les DJ, il est important de tenir compte de l’évolution des styles du même orchestre. Il est souvent moins grave de mélanger deux orchestres enregistrés à la même époque que de mélanger deux enregistrements d’époques stylistiquement différentes du même orchestre.
Tango Nuevo
C’est celui initié par De Caro, repris ensuite par Troilo, Pugliese et Piazzolla, par exemple. Il est encore très vivant, notamment chez les orchestres de concert.
À noter que Pugliese et Troilo sont bien sûr des piliers du tango de bal et que leurs incursions nuevos, pas toujours pour la danse, ne doivent pas masquer leur importance dans le bal traditionnel.
N’oublions pas que Pugliese a aussi bien enregistré du canyengue, que du tango classique avant de faire du Nuevo… Curieusement, le tango dit nuevo reprend souvent des motifs les plus anciens, notamment la habanera des tout premiers titres du XIXe siècle.
Tango Electronico
Style Gotan Project. Il se caractérise principalement par une batterie et l’utilisation d’instruments électroniques. Curieusement, il est parfois assez proche, d’un point de vue rythmique, du tango musette qui est l’évolution européenne et notamment franco-italienne, du tango du début du XXe siècle.
Comme DJ, j’évite et en tout cas je n’en abuse pas, car cette musique est très répétitive et ne convient pas aux danseurs avancés. Cependant, il faut reconnaître que cette musique a fait venir de nouveaux adeptes au tango.
Tango alternatif (neotango)
Le tango alternatif consiste à danser avec des repères « tango » sur des musiques qui ne sont absolument pas conçues comme telles.
Par exemple, la Colegiala de Ramirez est un tango alternatif, puisqu’on le danse en “milonga” alors que c’est un fox-trot.
Certains DJ européens placent des zambas que les danseurs dansent en tango. Quel dommage quand on sait la beauté de la danse.
N’oublions pas la dynamique « néotango » qui consiste à danser sur toute musique, chanson, de tout style et de toute époque. Cela ouvre des horizons immenses, car la très grande majorité de la musique actuelle est à 4 temps et permet donc de marcher sur les temps.
Ce qui manque souvent à cette musique, c’est le support à l’improvisation. On peut lui reconnaître une forme de créativité dans la mesure où elle permet / oblige de sortir des repères et donc d’innover. Mais est-t-il vraiment possible d’innover en tango ? C’est un autre débat.
Pourquoi l’âge d’or est bien adapté à la danse
Si on étudie un tango de l’âge d’or, on y découvrira plusieurs qualités favorisant la danse :
La musique a plusieurs plans sonores. On peut choisir de danser sur un instrument (dont le chanteur), puis passer à un autre. On peut aussi choisir de danser uniquement la marcation (tempo). Les instruments se répondent. On peut ainsi se répartir les rôles avec les partenaires en reconstituant le dialogue en le dansant.
La musique se répète plusieurs fois, mais avec des variations. Cela permet de découvrir le tango au cas où il ne serait pas connu et la seconde fois, l’oreille est plus familière et l’improvisation est plus confortable. Cette reprise est en général différente de la première exposition, mais reste tout à fait comparable. Par exemple, la première fois le thème est joué au violon ou au bandonéon et la seconde fois, c’est le rôle du chanteur ou d’un autre instrument. Si c’est le même instrument, il y aura de légères différences dans l’orchestration qui rendra l’écoute moins monotone.
Les changements de rythme, phrases, parties, sont annoncés. Un danseur musicien ou exercé sait reconnaître les parties et peut « deviner » ce qui va suivre, ce qui lui permet d’improviser plus facilement sans dérouter sa partenaire. Je devrais plutôt mettre cela au pluriel, car les deux membres du couple participent à l’improvisation. Si la personne guidée a envie d’appuyer, de marquer un élément qui va arriver, elle a le temps d’alerter le guideur pour qu’il lui laisse un espace. Les musiques alternatives ou des musiques d’inspiration pus classiques, comme certaines compositions de Piazzolla » proposent souvent des surprises qui font qu’elles ne permettent pas de deviner la suite, ou au contraire, sont tellement répétitives, que quand revient le même thème de façon identique et mécanique, les danseurs n’ont pas de nouvelles idées et finissent par tomber dans une routine. Évidemment, les danseurs qui n’écoutent pas la musique et qui se contentent de dérouler des chorégraphies ne verront pas de différences entre les différents types de tango. Ceci explique le succès des pratiques neotango auprès des débutants, même si ces bals ont aussi du succès auprès de danseurs plus affirmés. En revanche, on ne fera jamais danser, même sous la menace, un Portègne sur ce type de musique, en tout cas, en tango…
Ne faut-il danser que sur des tangos de l’âge d’or ?
Non, bien sûr que non. Les canyengues et la vieille garde comportent des titres sublimes et très amusants ou intéressants à danser. Certains danseurs sont prêts à danser plusieurs heures d’affilée sur ces rythmes. Cependant, un DJ qui passerait ce genre de musique de façon un peu soutenue à Buenos Aires se ferait écharper…
Quelques musiques modernes donnent des idées agréables à danser. Pour ma part, je propose souvent une tanda de valses « originales ». Le rythme à trois temps de la valse reste le même que pour les tangos traditionnels et le besoin d’improvisation est moins important, car il s’agit surtout de… tourner.
Même si les danseurs avancés aiment moins danser sur les d’Arienzo des années 50 ou postérieures, ils n’y rechignent pas toujours et l’énergie de ces musiques plaît à de très nombreux danseurs. C’est donc un domaine à proposer aux danseurs. D’ailleurs, les orchestres qui font à la manière de du d’Arienzo sont particulièrement nombreux. C’est bien le signe que c’est toujours dans l’air du temps.
Pour terminer, je précise que je suis DJ et que par conséquent, mon travail est de rendre les danseurs heureux. J’adapte donc la musique à leur sensibilité.
Pour un DJ résident, en revanche, il est important d’ouvrir les oreilles des habitués. Dans certains endroits, le DJ met toujours le même type de musique, pas forcément de la meilleure qualité pour la danse. Le problème est qu’il habitue les danseurs à ce type de musique et que quand ces derniers vont aller dans un autre endroit, ils vont être déroutés par la musique.
L’innovation, c’est bien, mais il me semble qu’il faut toujours garder un fond de culture « authentique » pour que le tango reste du tango.
« Il faut du travail, mais aussi de la sensibilité, sans doute la capacité à sortir des sentiers battus tout en guidant son public, une capacité de connexion avec le groupe, du sens psychologique, de la générosité… quelles sont pour toi les qualités d’un bon DJ ? ».
Sonia, je vais répondre sur chacun des points avec le code couleur que j’ai utilisé pour mettre en valeur ta question :
Il faut du travail
Moins qu’avant, car la musique est largement disponible, bien mieux classée et de meilleure qualité qu’il y a vingt ans ou trente ans.
L’ordinateur permet de gagner beaucoup de temps pour le classement, la facilité d’écoute et la recherche des musiques.
Les choses ont tellement été simplifiées sur ces plans que toute personne ayant mis la main sur une playlist de tango et ayant un ordinateur se déclare DJ.
Si c’était si simple, cela ferait longtemps que l’on aurait créé la « playlist idéale » et qu’on la passerait dans toutes les milongas du monde.
Les humains étant versatiles, différents, les conditions de bal, les cultures, les habitudes et autres différant d’un lieu à l’autre et d’un jour à l’autre, cette fameuse playlist idéale sera obsolète dès sa deuxième tentative d’utilisation.
Tout au plus, dans des milongas régulières, on peut se permettre de passer le même type de playlist chaque semaine.
Si on intervient sur un événement différent de sa zone habituelle, les ennuis vont être bien plus importants pour ces pseudo-DJ, car ils vont se confronter à d’autres goûts et attitudes.
Ils devront donc être capables de repérer le plus rapidement possible ce qui va rencontrer le public.
La sensibilité, une capacité de connexion avec le groupe, du sens psychologique, de la générosité
Pour déterminer les goûts des danseurs, il faut savoir observer, faire preuve d’empathie. Un DJ qui ferait cela pour sa « pomme » sera difficilement un excellent DJ, car il fera préférentiellement passer ses goûts avant ceux de son public, en admettant même qu’il s’en soucie…
La sensibilité, c’est aussi avoir une culture musicale permettant de se repérer dans les époques, les styles afin de pouvoir varier les musiques et éviter les « tunnels » (succession de tandas semblables qui génèrent l’ennui).
La connexion avec le groupe, cela dépend de la personnalité du DJ. Certains sont en retrait, ne cherchent pas l’interaction avec les danseurs, mais sont très attentifs à eux. C’est le cas d’un des meilleurs DJ de Buenos Aires, Daniel Borelli.
Un autre, très différent, est Marcelo Rojas (également de Buenos Aires, mais qui tourne dans le monde entier) qui va parler à son public et se tenir majoritairement debout.
Ceux qui me connaissent savent que j’abuse parfois de cette recherche de complicité avec les danseurs. Ceux qui préfèrent les DJ inertes ne me font pas venir ou me demandent d’être discret, ce que je peux faire, bien qu’avec difficulté 😉 Jeudi prochain, je serai DJ dans une milonga très traditionnelle de Buenos Aires et je serai discret, si, si…
Les goûts des danseurs sont différents et avoir un éventail de personnalités de DJ est intéressant.
En ce qui concerne le sens psychologique, je parlerai plutôt de sens de l’observation. Remarquer la hauteur des talons, les âges, les proportions de danseurs et danseuses, leurs capacités d’écoute de la musique, comment les gens sont entre eux, s’ils se connaissent, s’ils sont plutôt joyeux ou introvertis (le but peut être de les faire changer d’attitude s’ils sont un peu trop compassés ; —)
La capacité à sortir des sentiers battus tout en guidant son public
Une fois qu’on a mis en place les éléments précédents, c’est-à-dire que l’on a :
Une bonne diversité de musique en stock et bien sûr, tous les « incontournables »
Une excellente connaissance de sa base de musique
Une bonne détermination des goûts et attentes des danseurs
Une connexion intéressante avec le groupe
On peut alors essayer de sortir des sentiers battus. Cependant, il me semble qu’il faut développer ce point avant d’aller plus loin.
Le tango est une danse assez particulière, basée sur l’improvisation. Les couples évoluent sur la musique, sans aucune chorégraphie préalable et dans une construction mutuelle de la danse. Ils doivent également tenir compte des contraintes du lieu, des déplacements des autres couples et d’autres critères pouvant aller d’un trou dans le plancher à une personne assise avec les pieds qui traînent sur la piste en passant par le serveur qui passe avec un plateau chargé de verrerie.
Toutes ces « contraintes » sont en fait des enrichissements qui permettent d’innover, d’improviser sans avoir l’impression de faire toujours la même chose. Mais les plus grandes aides à l’improvisation sont bien sûr la musique et le (la) partenaire.
Le partenaire n’est pas du ressort du DJ, sauf s’il propose des tandas roses, américaines, des femmes, des bonbons ou d’autres suggestions et encouragements à ne pas être trop strict sur les règles d’invitation et acceptation de l’invitation. Ce levier est aussi aux mains de l’organisateur.
Tout cela pour en venir à la sortie des sentiers battus. Le DJ peut apporter une note de fantaisie, mais il me semble qu’il a également la responsabilité de conduire les danseurs vers « le tango » et pas vers une danse « créative », mais qui aurait perdu les caractères de la danse originale.
Je n’ai rien contre les milongas alternatives, j’en ai même musicalisé, cependant, je suis certain qu’il est quasiment impossible de danser le tango sur ces musiques. On peut faire des « figures » de tango, adopter un abrazo milonguero ou salón, mais il manquera l’impulsion, la variété compréhensible qui rend la musique propice à l’improvisation pour que les danseurs se sentent en sécurité avec la musique.
Si la musique est hyper connue, les danseurs pourront improviser. Si la musique n’est pas connue, il faudra que les danseurs soient capables de deviner la suite, de la pressentir. C’est la limite que devra s’imposer le DJ pour ne pas déstabiliser les danseurs et leur ouvrir de nouveaux horizons.
La plupart des musiques actuelles sont à quatre temps. On peut donc avoir l’impression qu’elles sont adaptées au tango. Ce n’est malheureusement pas souvent (jamais) le cas. C’est sans doute pour cela que les danseurs de Buenos Aires sont si « traditionnels ». Ils ne trouvent pas dans des musiques trop éloignées de leur zone de confort, ce qu’ils recherchent pour construire leur danse.
Avec des danseurs moins connaisseurs, les musiques alternatives ou les tangos plus « originaux » passent relativement bien, car très peu dansent la musique. Ils peuvent danser sur la musique, mais pas la musique.
Danser sur la musique, c’est poser les pieds sur les temps et faire des pauses quand la musique en fait. Danser la musique, c’est en avoir une écoute attentive pour danser tantôt sur un instrument, tantôt sur un autre (les tangos de danse proposent d’eux-mêmes une diversité d’interprétation dans les différentes reprises du même thème). C’est prévoir les variations de rythme pour préparer sa partenaire (ou se préparer si on préfère être suiveur.
Donc, sortir des sentiers battus, ça peut tout aussi bien être de proposer un tango traditionnel, mais plus rare ou proposer une musique qui n’est pas de tango, mais qui sera à la portée des danseurs. Dans ce dernier cas, on remarquera que le plus les danseurs sont familiers avec le tango et plus ils auront du mal à s’adapter à une musique trop « étrange ».
Sortir des sentiers battus, c’est cependant une responsabilité du DJ d’un lieu donné. Dans des communautés où il y a peu de diversité dans l’offre, il arrive qu’un DJ « forme » le goût des danseurs en leur proposant un type de musique atypique. Ces danseurs seront donc habitués à d’autres sentiers et le jour où ils iront dans une milonga plus classique, ils seront déroutés et perdront ce qui fait une des grandes richesses du tango, pouvoir danser avec n’importe qui dans le monde à condition de savoir guider et suivre. On pourrait dire la même chose des « professeurs », d’ailleurs.
Pour reprendre le chemin de la question initiale, un DJ invité devra à la fois se couler dans les habitudes du lieu, mais aussi apporter sa voix/voie originale. S’il passe la même musique que le DJ résident, quel est l’intérêt de le faire venir ? Il devra donc guider les danseurs vers son univers en créant un climat de confiance. À la limite, lorsque les blancs en neige auront pris, il pourra renverser le saladier, en faisant danser sur des musiques qui ne seraient pas venues à l’esprit des danseurs.
Sonia, j’aime ton dernier point « tout en guidant son public ». Le DJ est avant tout un animateur. Il provoque des envies, qu’il retarde pour mieux les satisfaire. Il construit ses tandas pour que les danseurs se séparent comblés. Par exemple, une des règles de base qui consiste à alterner les styles est une forme très simplifiée de « donner envie ».
Après une tanda énergique, comme une tanda de milongas, il est courant de proposer une tanda plus calme, voire romantique. Si on propose une tanda tonique à la place de cette tanda calme, il faudra qu’elle soit irrésistible. Les danseurs se jetteront alors sur la piste et le moment de calme sera repoussé à la tanda suivante. Ils ne l’apprécieront que mieux.
La construction de la tanda suscite aussi l’envie. C’est d’ailleurs pour cela qu’il est plus facile de faire des tandas de quatre que de trois, car on a plus de graduation pour guider les danseurs. On peut commencer calme et terminer avec beaucoup d’énergie. Dans une tanda de trois, les transitions risquent d’être plus heurtées ou il faudra se limiter dans la progression.
En résumé, il y a tellement de facteurs à prendre en compte que toutes les qualités possibles seront utiles au DJ de tango qui n’est pas un créateur comme le DJ de boîte de nuit. Il est celui qui propose avec empathie, avec le seul but de faire passer une excellente soirée aux danseurs.
Un dernier point, il doit aussi être masochiste, car la responsabilité du DJ rend le travail très stressant et il est frustrant de ne pas pouvoir danser avec les danseurs quand le bal est magnifique.