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Barrio de tango 1943-01-19 – Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz

Letra: Homero Manzi

Impossible que vous ne connaissiez pas Barrio de tango immortalisé par Aníbal Troilo et Francisco Fiorentino. Cependant, vous connaissez peut-être moins cette très intéressante version par et Jorge Ortiz. D’ailleurs, il y a quelques ponts curieux entre ces deux directeurs d’orchestre.

Extrait musical

Barrio de tango 1943-01-19 – Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz.

Paroles

Un pedazo de barrio, allá en Pompeya,
durmiéndose al costado del terraplén.
Un farol balanceando en la barrera
y el misterio de adiós que siembra el tren.
Un ladrido de perros a la luna.
El amor escondido en un portón.
Y los sapos redoblando en la laguna
y a lo lejos la voz del bandoneón.

Barrio de tango, luna y misterio,
calles lejanas, ¡cómo estarán!
Viejos amigos que hoy ni recuerdo,
¡qué se habrán hecho, dónde estarán!
Barrio de tango, qué fue de aquella,
Juana, la rubia, que tanto amé.
¡Sabrá que sufro, pensando en ella,
desde la tarde que la dejé!
Barrio de tango, luna y misterio,
¡desde el recuerdo te vuelvo a ver!

Un coro de silbidos allá en la esquina.
El codillo llenando el almacén.
Y el dramón de la pálida vecina
que ya nunca salió a mirar el tren.
Así evoco tus noches, barrio ‘e tango,
con las chatas entrando al corralón
y la luna chapaleando sobre el
y a lo lejos la voz del bandoneón.
Aníbal Troilo Letra: Homero Manzi

Traduction libre et indications

Un morceau de quartier, là-bas à Pompeya (quartier au sud de ), dormant sur le côté du talus (sans doute le terre-plein du chemin de fer qui coupe le quartier, voir plan en fin d’article).
Une lanterne qui se balance sur la barrière et le mystère d’un adieu que le train sème.
Un aboiement de chiens à la lune.
L’amour caché dans une porte cochère.
Et les crapauds redoublant dans le lac et au loin la voix du bandonéon.
Quartier du tango, lune et mystère, rues lointaines, comment seront-elles !
De vieux amis dont je ne me souviens même pas aujourd’hui, qu’ont-ils fait, où sont-ils !
Quartier de Tango, qu’est-il arrivé à celle-là, Juana, la blonde, que j’ai tant aimée.
Elle saura que je souffre, en pensant à elle, depuis l’après-midi où je l’ai quittée !
Quartier de tango, lune et mystère, depuis le souvenir, je te revois !
Un chœur de sifflements là-bas au coin de la rue.
Le codillo (articulation, coude, voire jeu de cartes) remplissant l’entrepôt (ou le magasin). Cette phrase est donc incertaine, au moins pour moi…
Et le drame de la pâle voisine qui n’est plus jamais sortie pour regarder le train.
C’est ainsi que j’évoque tes nuits, barrio de tango, avec les charrettes entrant dans le dépôt et la lune éclaboussant au-dessus de la boue et au loin la voix du bandonéon.

Autres versions

Barrio de tango 1942-12-14 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.
Francesco Fiorentino et Aníbal Troilo
Barrio de tango 1942-12-30 – Orquesta Ángel D’Agostino con .
Ángel D’Agostino et Ángel Vargas
Barrio de tango 1943-01-19 – Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz. C’est notre tango du jour.
Jorge Ortiz et Miguel Caló
Barrio de tango 1964-02-03 – Orquesta Aníbal Troilo con .
Nelly Vázquez et Aníbal Troilo
Barrio de tango 1971 – Cuarteto Aníbal Troilo con Roberto Goyeneche.

Une capture à la radio, la qualité n’est pas au top, mais l’interprétation est intéressante.

Barrio de tango 1971-05-06 – Orquesta Aníbal Troilo con Roberto Goyeneche.

Les mêmes, enfin, pas tout à fait, car au lieu du cuarteto, c’est ici, l’orchestre de Troilo qui accompagne Goyeneche.

Aníbal Troilo con Roberto Goyeneche. Te acordás… Polaco ? Disque et photo

Pompeya, barrio de tango

Ou plutôt “Nueva Pompeya”, l’ancienne ayant eu des petits problèmes avec le Vésuve est un quartier du sud de Buenos Aires bordant le .

En jaune, Nueva Pompeya. On remarque la belle courbe et sa contrecourbe verte qui correspond au talus du chemin de fer, talus évoqué dans les paroles.
Pompeya, lors des inondations de 1912 et aujourd’hui. On remarque la voie ferrée sur son talus. Des entrepôts et usines au premier plan et au nord-est de la voie ferrée, quelques habitations.
Les touristes qui restent à Recoletta ou ne voient pas forcément la misère qui est toujours présente en Argentine. Sur la photo de gauche, la limite Barracas et Nueva Pompeya. On remarquera la présence de rails, ceux qui étaient utilisés pour le train des ordures. À droite, une habitation constituée de latas (bidons d’huile ou de ), ancêtre des logements actuels qui sont également créés à partir de matériaux de récupération comme on peut le voir sur la photo de gauche.

Je termine notre parcours dans un barrio de tango. Un parcours rapide et qui ne sera jamais dans les programmes des guides touristiques. C’est pourtant là un des berceaux du tango. Je vous invite à consulter mon anecdote sur le Barrio de las latas pour en savoir plus.

Un des ponts entre Aníbal Troilo et Miguel Caló

Aujourd’hui, je vais juste vous parler d’un petit pont, celui qui lie certains enregistrements de Troilo avec ceux de Caló.
Je m’amuse parfois à « tromper » les danseurs en leur proposant une fausse tanda de Caló qui est en fait 100 % Troilo. Je commence par un titre très proche de Caló et je dévie, ensuite, plus ou moins vers du pur Troilo. C’est un des avantages des tandas de quatre de pouvoir faire des transitions plus subtiles. Voici quelques titres enregistrés par Troilo qui peuvent, pour des oreilles peu averties, paraître proches de Caló. J’imagine que mes lecteurs qui sont des spécialistes ne vont pas adhérer à ces similitudes, mais je vous assure que l’illusion fonctionne assez bien comme j’ai pu le constater des dizaines de fois, notamment l’année du centenaire de Troilo où je passais beaucoup notre gordo favorito.
Corazón no le hagas caso
Lejos de Buenos Aires
Tristezas de la calle Corrientes
Percal

Margarita Gauthier
Cada día te extraño mas
Fruta amarga
De barro
Gime el viento
La noche que te fuiste
Orquestas de mi ciudad
Il y a également des similitudes dans le choix des musiques, mais la plupart sont interprétées avec un style propre qui ne prête pas à confusion. Il y a aussi quelques Caló tardifs qui pourraient passer pour des Troilo de la décennie précédente.
On en reparlera…

À bientôt, les amis !

El choclo 1948-01-15 – Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas

Ángel Villoldo (Ángel Gregorio Villoldo Arroyo) / Casimiro Alcorta Letra: Ángel Villoldo / Juan Carlos Marambio Catán / Enrique Santos Discépolo.

Comme tous les tangos célèbres, El choclo a son lot de légendes. Je vous propose de faire un petit tour où nous verrons au moins quatre versions des paroles accréditant certaines de ces légendes. Ce titre importé par Villoldo en France y aurait remplacé l’hymne argentin (par ailleurs magnifique), car il était plus connu des orchestres français de l’époque que l’hymne officiel argentin Oid mortales du compositeur espagnol : Blas Parera i Moret avec des paroles de Vicente López y Planes (écrivain et homme politique argentin). Voyons donc l’histoire de cet hymne de substitution.

Qui a écrit El choclo ?

Le violoniste, danseur (avec sa compagne La Paulina) et compositeur Casimiro Alcorta pourrait avoir écrit la musique de El choclo en 1898. Ce fils d’esclaves noirs, mort à 73 ans dans la misère à Buenos Aires, serait, selon certains, l’auteur de nombreux tangos de la période comme Concha sucia (1884) que arrangea sous le titre Cara sucia, nettement plus élégant, mais aussi La yapa, Entrada prohibida et sans doute pas mal d’autres. À l’époque, ces musiques n’étaient pas écrites et elles appartenaient donc à ceux qui les jouaient, puis à ceux qui les éditèrent…
L’absence d’écriture empêche de savoir si, Ángel Villoldo a « emprunté » cette musique…
En 1903, Villoldo demande à son ami chef d’un orchestre classique, José Luis Roncallo, de jouer avec son orchestre cette composition dans un restaurant chic, La Americana. Celui-ci refusa, car le patron du restaurant considérait comme de la musique vulgaire (ce en quoi il est difficile de lui donner tort si on considère ce qui se faisait à l’époque). Pour éviter cela, Villoldo publia la partition le 3 novembre 1903 en indiquant qu’il s’agissait d’une danse criolla… Ce subterfuge permit de jouer le tango dans ce restaurant. Ce fut un tel succès, que l’œuvre était jouée tous les jours et que Villoldo est allé l’enregistrer à Paris, en compagnie de Alfredo Gobbi et de sa femme, Flora Rodriguez.
Par la suite, des centaines de versions ont été publiées. Celle du jour est assez intéressante. On la doit à Francisco Canaro avec Alberto Arenas. L’enregistrement est du 15 janvier 1948.

Extrait musical

Diverses partitions de El choclo. On remarquera à gauche (5ème édition), la dédicace à Roncallo qui lancera le titre.
El choclo 1948-01-15 – Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas.

On remarque tout de suite le rythme rapide. Arenas chante également rapidement, de façon saccadée et il ne se contente pas de l’habituel refrain. Il chante l’intégralité des paroles écrites l’année précédente pour Libertad Lamarque.
Ce fait est généralement caractéristique des tangos à écouter. Cependant, malgré les facéties de cet enregistrement, il me semble que l’on pourrait envisager de le proposer dans un moment délirant, une sorte de catharsis, pour toutes ces heures passées à danser sur des versions plus sages. On notera les clochettes qui donnent une légèreté, en contraste à la voix très appuyée d’Arenas.

Paroles (version de Enrique Santos Discépolo)

Ici, les paroles de la version du jour, mais reportez-vous en fin d’article pour d’autres versions…

Con este tango que es burlón y compadrito
se ató dos alas la ambición de mi suburbio;
con este tango nació el tango, y como un grito
salió del sórdido barrial buscando el cielo;
conjuro extraño de un amor hecho cadencia
que abrió caminos sin más ley que la esperanza,
mezcla de rabia, de dolor, de fe, de ausencia
llorando en la inocencia de un ritmo juguetón.

Por tu milagro de notas agoreras
nacieron, sin pensarlo, las paicas y las grelas,
luna de charcos, canyengue en las caderas
y un ansia fiera en la manera de querer…

Al evocarte, tango querido,
siento que tiemblan las baldosas de un bailongo
y oigo el rezongo de mi pasado…
Hoy, que no tengo más a mi madre,
siento que llega en punta ‘e pie para besarme
cuando tu canto nace al son de un bandoneón.

Carancanfunfa se hizo al mar con tu bandera
y en un pernó mezcló a París con Puente Alsina.
Triste compadre del gavión y de la mina
y hasta comadre del bacán y la pebeta.
Por vos shusheta, cana, reo y mishiadura
se hicieron voces al nacer con tu destino…
¡Misa de faldas, querosén, tajo y cuchillo,
que ardió en los conventillos y ardió en mi corazón.
Enrique Santos Discépolo

Traduction libre et indications de la version de Enrique Santos Discépolo

Avec ce tango moqueur et compadrito, l’ambition de ma banlieue s’est attaché deux ailes ;
Avec ce tango naquit, le tango, et, comme un cri, il sortit du quartier sordide en cherchant le ciel.
Un étrange sort d’amour fait cadence qui ouvrait des chemins sans autre loi que l’espoir, un mélange de rage, de douleur, de foi, d’absence pleurant dans l’innocence d’un rythme joueur.
Par ton miracle des notes prophétiques, les paicas et les grelas ( paicas et grelas sont les chéries des compadritos) sont nées, sans y penser, une lune de (ou de flaque d’eau), de canyengue sur les hanches et un désir farouche dans la façon d’aimer…
Quand je t’évoque, cher tango, je sens les dalles d’un dancing trembler et j’entends le murmure de mon passé…
Aujourd’hui, alors que je n’ai plus ma mère, j’ai l’impression qu’elle vient sur la pointe des pieds pour m’embrasser quand ton chant naît au son d’un bandonéon.
Carancanfunfa (danseur habile, on retrouve ce mot dans divers titres, comme les milongas Carán-Can-Fú de l’orchestre Roberto Zerrillo avec Jorge Cardozo, ou Caráncanfún de Francisco Canaro avec ) a pris la mer avec ton drapeau et en un éclair a mêlé Paris au pont Alsina (pont sur le à la Boca).
Triste compadre du gabion (mecs) et de la mina (femme) et jusqu’à la marraine du bacán (riche) et de la pebeta (gamine).
Pour toi, l’élégant, prison, accusations et misère ont parlé à la naissance avec ton destin…
Une messe de jupes, de kérosène (pétrole lampant pour l’éclairage), de lames et de couteaux, qui brûlait dans les conventillos (habitas collectifs populaires et surpeuplés) et brûlait dans mon cœur.

Un épi peut en cacher un autre…

On a beaucoup glosé sur l’origine du nom de ce tango.
Tout d’abord, la plus évidente et celle que Villoldo a affirmé le plus souvent était que c’était lié à la plante comestible. Les origines très modestes des Villoldo peuvent expliquer cette dédicace. Le nord de la Province de Buenos Aires ainsi que la Pampa sont encore aujourd’hui des zones de production importante de maïs et cette plante a aidé à sustenter les pauvres. On peut même considérer que certains aiment réellement manger du maïs. En faveur de cette hypothèse, les paroles de la version chantée par lui-même, mais nous verrons que ce n’est pas si simple quand nous allons aborder les paroles…
Il s’agirait également, d’un tango à la charge d’un petit malfrat de son quartier et qui avait les cheveux blonds. C’est du moins la version donnée par Irene Villoldo, la sœur de Ángel et que rapporte Juan Carlos Marambio Catán dans une lettre écrite en 1966 à Juan Bautista Devoto. On notera que les paroles de Juan Carlos Marambio Catán confortent justement cette version.
Lorsque Libertad Lamarque doit enregistrer ce tango en 1947 pour le film « Gran Casino » de Luis Buñuel, elle fait modifier les paroles par Enrique Santos Discépolo pour lui enlever le côté violent de la seconde version et douteuse de celles de Villoldo.
Villoldo n’était pas un enfant de chœur et je pense que vous avez tous entendu parler de la dernière acception. Par la forme phallique de l’épi de maïs, il est tentant de faire ce rapprochement. N’oublions pas que les débuts du tango n’étaient pas pour les plus prudes et cette connotation sexuelle était, assurément, dans l’esprit de bien des auditeurs. Le lunfardo et certains textes de tangos aiment à jouer sur les mots. Vous vous souvenez sans doute de « El chino Pantaleón » où, sous couvert de parler musique et tango, on parlait en fait de bagarre…
Rajoutons que, comme le tango était une musique appréciée dans les bordels, il est plus que probable que le double sens ait été encouragé.
Faut-il alors rejeter le témoignage de la sœur de Villoldo ? Pas forcément, il y avait peut-être une tête d’épi dans leur entourage, mais on peut aussi supposer que, même si Irène était analphabète, elle avait la notion de la bienséance et qu’elle se devait de diffuser une version soft, version que son frère a peut-être réellement encouragée pour protéger sa sœurette.
Retenons de cela qu’au fur et à mesure que le tango a gagné ses lettres de noblesse, les poètes se sont évertués à écrire de belles paroles et pas seulement à cause des périodes de censure de certains gouvernements. Tout simplement, car le tango entrant dans le « beau monde », il devait présenter un visage plus acceptable.
Les textes ont changé, n’en déplaise à Jorge Borges, et avec eux, l’ambiance du tango.

Autres versions

Tout comme pour la Cumparsita, il n’est pas pensable de présenter toutes les versions de ce tango. Je vous propose donc une sélection très restreinte sur deux critères :
• Historique, pour connaître les différentes époques de ce thème.
• Intérêt de l’interprétation, notamment pour danser, mais aussi pour écouter.
Il ne semble pas y avoir d’enregistrement disponible de la version de 1903, si ce n’est celle de Villoldo enregistrée en 1910 avec les mêmes paroles présumées.
Mais auparavant, priorité à la datation, une version un peu différente et avec un autre type de paroles. Il s’agit d’une version dialoguée (voire criée…) sur la musique de El Choclo. Le titre en est Cariño puro, mais vous retrouverez sans problème notre tango du jour.

Cariño puro (diálogo y tango) 1907 – Los Gobbi con Los Campos.

Ce titre a été enregistré en 1907 sur un disque en carton de la compagnie Marconi. Si la qualité d’origine était bonne, ce matériau n’a pas résisté au temps et au poids des aiguilles de phonographes de l’époque. Heureusement, cette version a été réédité en disque shellac par la Columbia et vous pouvez donc entendre cette curiosité… La forme dialoguée rappelle que les musiciens faisaient beaucoup de revues et de pièces de théâtre.

À gauche, disque en carton recouvert d’acétate (procédé Marconi). Ces disques étaient de bonne qualité, mais trop fragiles. À droite, le même enregistrement en version shellac.

Paroles de Cariño puro des Gobbi

Ay mi china que tengo mucho que hablarte,
de una cosa que a vos no te va a gustar
Largá el rollo que escucho y explicate
Lo que pases no es tontera,
pues te juro que te digo la verdad.
dame un beso no me vengas con chanela (2)
dejate de tonteras, no me hagas esperar.
Decí ya sé que la otra noche
vos con un gavilán
son cuentos que te han hecho
án.
No me faltes mirá que no hay macanas
yo no vengo con ganas mi china de farrear
Pues entonces no me vengas con cuento
y escuchame un momento que te voy a explicar.
No te enojes que yo te diré lo cierto
y verás que me vas a perdonar
Pues entonces
Te diré la purísima verdad
Vamos china ya que voy a hacer las paces
a tomar un carrindango pa pasear
Y mirar de
Yo te quiero mi chinita no hagas caso
Que muy lejos querer
el esquinazo
ni golpe ni porrazo…
Ángel Villoldo

Traduction de Cariño puro des Gobbi

  • Oh, ma chérie, que j’ai beaucoup à te parler,
    D’une chose qui ne va pas te plaire
    Avoue (lâcher le rouleau) que je t’écoute et explique-toi
    Ce que tu traverses n’est pas une bêtise,
  • – Eh bien, je te jure que je te dis la vérité.
    Donne-moi un baiser Ne viens pas à moi en parlementant
  • – Arrête les bêtises, ne me fais pas attendre.
    J’ai déjà dit que je savais pour l’autre soir
    Toi avec un épervier (homme rapide en affaires)
  • – Ce sont des histoires qui t’ont été faites
    un.
    Ne détourne pas le regard, n’y a pas d’arnaque.
  • – Je ne viens pas, ma chérie, avec l’envie de rigoler.
    Aussi, ne me raconte pas d’histoires
  • – et écoute-moi un instant et, car je vais te l’expliquer.
    Ne te fâche pas, je vais te dire ce qui est sûr
    Et tu verras que tu vas me pardonner
    Puis, ensuite
    Je vais te dire la pure vérité
  • – Allez, ma chérie, car je vais faire la paix
    En prenant une voiture pour une promenade
    Et regarder Palermo
    Je t’aime ma petite chérie, ne fais pas attention
    Car je veux arrondir les angles
    ni coup ni bagarre…

On voit que ces paroles sont plutôt mignonnes, autour des tourments d’un couple, interprétés par Alfredo Gobbi et sa femme, Flora Rodriguez. Dommage que la technique où le goût de l’époque fasse tant crier, cela n’est pas bien accepté par nos oreilles modernes.

El choclo 1910 – Ángel Gregorio Villoldo con guitarra.

Cette version présente les paroles supposées originales et qui parlent effectivement du maïs. C’est donc cette version qui peut faire pencher la balance entre la plante et le sexe masculin. Voyons ce qu’il en est.

Paroles de Villoldo

De un grano nace la planta
que más tarde nos da el choclo
por eso de la garganta
dijo que estaba humilloso.
Y yo como no soy otro
más que un tanguero de fama
murmuro con alborozo
está muy de la banana.

Hay choclos que tienen
las espigas de oro
que son las que adoro
con tierna pasión,
cuando trabajando
llenito de abrojos
estoy con rastrojos
como humilde peón.

De lavada enrubia
en largas guedejas
contemplo parejas
sí es como crecer,
con esos bigotes
que la tierra virgen
al noble paisano
le suele ofrecer.

A veces el choclo
asa en los fogones
calma las pasiones
y dichas de amor,
cuando algún paisano
lo está cocinando
y otro está cebando
un buen cimarrón.

Luego que la humita
está preparada,
bajo la enramada
se oye un pericón,
y junto al alero,
de un rancho deshecho
surge de algún pecho
la alegre canción.
Ángel Villoldo

Traduction des paroles de Ángel Villoldo

D’un grain naît la plante qui nous donnera plus tard du maïs
C’est pourquoi, de la gorge (agréable au goût) je dis qu’il avait été humilié (calomnié).
Et comme je ne suis autre qu’un tanguero célèbre, je murmure de joie, il est bien de la banane (du meilleur, la banane étant également un des surnoms du sexe de l’homme).
Il y a des épis qui ont des grains d’or, ce sont ceux que j’adore avec une tendre passion, quand je les travaille plein de chardons, je suis avec du chaume comme un humble ouvrier.
De l’innocence blonde aux longues mèches, je contemple les plantes (similaires, spécimens…) si c’est comme grandir, avec ces moustaches que la terre vierge offre habituellement au noble paysan. (Un double sens n’est pas impossible, la terre cultivée n’a pas de raison particulière d’être considérée comme vierge).
Parfois, les épis de maïs sur les feux calment les passions et les joies de l’amour (les feux, sont les cuisinières, poêles. Qu’ils calment la faim, cela peut se concevoir, mais les passions et les joies de l’amour, cela procède sans doute d’un double sens marqué), quand un paysan le cuisine et qu’un autre appâte un bon cimarron (esclave noir, ou animal sauvage, mais il doit s’agir ici plutôt d’une victime d’arnaque, peut-être qu’un peu de viande avec le maïs fait un bon repas).
Une fois que la humita (ragoût de maïs) est prête, sous la tonnelle, un pericón (, danse traditionnelle) se fait entendre, et à côté des avant-toits, d’un ranch brisé, le chant joyeux surgit d’une poitrine (on peut imaginer différentes choses à propos du chant qui surgit d’une poitrine, mais c’est un peu difficile de s’imaginer que cela puisse être provoqué par la préparation d’une humita, aussi talentueux que soit le cuisinier…

Je vous laisse vous faire votre opinion, mais il me semble difficile d’exclure un double sens de ces paroles.

El choclo 1913 – Orquesta Típica Porteña dir. Eduardo Arolas.

Cette version instrumentale permet de faire une pause dans les paroles.

El choclo 1929-08-27 – Orquesta Típica Victor.

Une version instrumentale par la Típica Víctor dirigée par Carabelli. Un titre pour les amateurs du genre, mais un peu pesant pour les autres danseurs.

El choclo 1937-07-26 – Orquesta Juan D’Arienzo.

Sans doute une des versions les plus adaptées aux danseurs, avec les ornementations de Biagi au piano et le bel équilibre des instruments, principalement tous au service du rythme et donc de la danse, avec notamment l’accélération (simulée) finale.

El choclo 1937-11-15 – Quinteto Don Pancho dir. Francisco Canaro.

Cette version n’apporte pas grand-chose, mais je l’indique pour marquer le contraste avec notre version du jour, enregistrée par Canaro 11 ans plus tard.

El choclo 1940-09-29 – Roberto Firpo y su Cuarteto Típico.

Une version légère. Le doublement des notes, caractéristiques de cette œuvre, a ici une sonorité particulière, on dirait presque un bégaiement. En opposition, des passages aux violons chantants donnent du contraste. Le résultat me semble cependant un peu confus, précipité et pas destiné à donner le plus de plaisir aux danseurs.

El choclo 1941-11-13 – Orquesta con Ángel Vargas.

On retrouve une version chantée. Les paroles sont celles de Juan Carlos Marambio Catán, ou plus exactement le tout début des paroles avec la fin du couplet avec une variante.
Je vous propose ici, les paroles complètes de Catán, pour en garder le souvenir et aussi, car la partie qui n’est pas chantée par Vargas parle de ce fameux type aux cheveux couleur de maïs…

Paroles de Juan Carlos Marambio Catán

Vieja milonga que en mis horas de tristeza
traes a mi mente tu cariñoso,
encadenándome a tus notas dulcemente
siento que el alma se me encoje poco a poco.
Recuerdo triste de un pasado que en mi vida,
dejó una página de sangre escrita a mano,
y que he llevado como cruz en mi martirio
aunque su carga infame me llene de dolor.

Fue aquella noche
que todavía me aterra.
Cuando ella era mía
jugó con mi pasión.
Y en duelo a muerte
con quien robó mi vida,
mi daga gaucha
partió su corazón.
Y me llamaban
el choclo compañero;
tallé en los entreveros
seguro y fajador.
Pero una china
envenenó mi vida
y hoy lloro a solas
con mi trágico dolor.

Si alguna vuelta le toca por la vida,
en una mina poner su corazón;
recuerde siempre
que una ilusión perdida
no vuelve nunca
a dar su flor.

Besos mentidos, engaños y amarguras
rodando siempre la pena y el dolor,
y cuando un hombre entrega su ternura
cerca del lecho
lo acecha la traición.

Hoy que los años han blanqueado ya mis sienes
y que en mi pecho sólo anida la tristeza,
como una luz que me ilumina en el sendero
llegan tus notas de melódica belleza.
Tango querido, viejo choclo que me embarga
con las caricias de tus notas tan sentidas;
quiero morir abajo del arrullo de tus quejas
cantando mis querellas, llorando mi dolor.
Juan Carlos Marambio Catán

Traduction libre des paroles de Juan Carlos Marambio Catán

Vieille milonga. À mes heures de tristesse, tu me rappelles ton souvenir affectueux,
En m’enchaînant doucement à tes notes, je sens mon âme se rétrécir peu à peu.
Souvenir triste d’un passé qui, dans ma vie, a laissé une page de sang écrite à la main, et que j’ai porté comme une croix dans mon martyre, même si son infâme fardeau me remplit de douleur.
C’est cette nuit-là qui, encore, me terrifie.
Quand elle était à moi, elle jouait avec ma passion.
Et dans un duel à mort avec celui qui m’a volé la vie, mon poignard gaucho lui a brisé le cœur.
Et ils m’appelaient le compagnon maïs (choclo);
J’ai taillé dans les mêlées, sûr et résistant.
Mais une femme chérie a empoisonné ma vie et, aujourd’hui, je pleure tout seul avec ma douleur tragique.
S’il vous prend dans la vie de mettre votre cœur dans une chérie ; rappelez-vous toujours qu’une illusion perdue ne redonne plus jamais sa fleur.
Des baisers mensongers, trompeurs et amers roulent toujours le chagrin et la douleur, et quand un homme donne sa tendresse, près du lit, la trahison le traque.
Aujourd’hui que les années ont déjà blanchi mes tempes et que, dans ma poitrine seule se niche la tristesse, comme une lumière qui m’éclaire sur le chemin où arrivent tes notes de beauté mélodique.
Tango chéri, vieux choclo qui m’accable des caresses de tes notes si sincères ;
Je veux mourir sous la berceuse de tes plaintes, chantant mes peines, pleurant ma douleur.

El choclo 1947 – Libertad Lamarque, dans le film Gran casino de Luis Buñuel.

El choclo 1947 – Libertad Lamarque, dans le film Gran casino de Luis Buñuel.

Dans cet extrait Libertad Lamarque interprète le titre avec les paroles écrites pour elle par Discepolo. On comprend qu’elle ne voulait pas prendre le rôle de l’assassin et que les paroles adaptées sont plus convenables à une dame…
Les paroles de Enrique Santos Discépolo seront réutilisées ensuite, notamment par Canaro pour notre tango du jour.

El choclo 1948-01-15 – Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas. C’est notre tango du jour.

Comme vous vous en doutez, je pourrai vous présenter des centaines de versions de ce titre, mais cela n’a pas grand intérêt. J’ai donc choisi de vous proposer pour terminer une version très différente…

Kiss of Fire 1955 – .

En 1952, Lester Allan et Robert Hill ont adapté et sérieusement modifié la partition, mais on reconnaît parfaitement la composition originale.

Je vous propose de nous quitter là-dessus, une autre preuve de l’universalité du tango.
À bientôt, les amis.

En guise de , on pourrait mettre Pop Corn, non ?

PS : si vous avez des versions de El choclo que vous adorez, n’hésitez pas à les indiquer dans les commentaires, je rajouterais les plus demandées.

El Yacaré 1941-12-12 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Alfredo Attadía Letra: .

Ceux qui ont traversé les provinces de Entre-Rios et Corrientes ont sans doute remarqué au bord des nationales 12 et 14 les nombreuses pancartes annonçant que l’on pouvait trouver du « yacaré » à l’escabèche. Le yacaré est le nom du crocodile local et l’escabèche (esacabeche) est la sauce qui accommode ce saurien et dont sont friands les entrerianos et corientinos. Mais, notre ne vante pas un plat typique, ni même l’animal du même nom. Il nous parle d’un jockey fameux, Elías Antúnez, surnommé El Yacaré, car il est justement originaire de Corrientes.

Elías Antúnez, El Yacaré.

Chevaux et tango

De nombreux tangos font référence aux courses de chevaux.
fut l’un des promoteurs du genre, par exemple en chantant Leguisamo solo, Por una cabeza.
Si le sujet vous intéresse, je vous invite à consulter l’excellent Todo Tango sur le sujet

L’hippodrome de Palermo.

Extrait musical

El Yacaré 1941-12-12 – Orquesta .

Aujourd’hui, pas de partition, mais les accords pour les guitaristes sur chordify.net :

Paroles

Es domingo, Palermo resplandece de sol,
cada pingo en la arena llevará una ilusión.
En las cintas los puros alineados están
y a la voz de “¡!” da salida un afán.
En el medio del lote, conteniendo su acción,
hay un jockey que aguarda con serena atención,
ya se apresta a la carga… griterío infernal.
Emoción que desborda en un bravo final.

¡Arriba viejo Yacaré!
Explota el grito atronador.
Todos castigan con rigor,
pero no hay nada que hacer,
en el disco ya está Antúnez.
Sabés sacar un perdedor,
ganar un Premio Nacional…
Muñeca brava y al final
el tope del marcador
siempre es tu meta triunfal.

Un artista en las riendas, con coraje de león,
tenés toda la clase que consagra a un campeón.
Dominando la pista con certera visual
el camino del disco vos sabés encontrar.
Las tribunas admiran tu pericia y tesón
y se rinde a tu arte con intensa emoción.
Se enronquecen gargantas en un loco estallar,
cuando a taco y a lonja empezás a cargar.
Alfredo Attadía Letra: Mario Soto

Traduction libre des paroles

C’est dimanche, Palermo resplendit de soleil, chaque cheval (pingo) sur le sable (de la piste) portera un espoir.
Sur les bandes, les cigares sont alignés et la voix de « ¡Largaron ! » (on entend dans Largaron de Carlos Cubría et Juan Navarro connue par l’enregistrement de De Angelis, la cloche et le « largaron » qui annoncent le départ des chevaux) laisse place à l’empressement.
Au milieu du peloton, contenant son action, il y a un jockey qui attend avec une attention sereine, déjà, il se prépare à la charge… brouhaha infernal.
Une émotion qui déborde dans un bravo final (ou un final vaillant).
Courage, le vieux Yacaré !
Le cri tonitruant explose.
Tous cravachent vigoureusement (punissent), mais il n’y a rien à faire, Antúnez (El Yacaré) est déjà au poste d’arrivée.
Tu sais faire sortir un perdant, qu’il gagne un Prix national…
Muñeca brava (poignet vaillant, mais une Muñeca brava est aussi une femme, comme dans de Enrique Cadícamo) et, à la fin, le haut du tableau de résultat est toujours ton but, triomphal.
Un artiste aux rênes, avec le courage d’un lion, vous avez toute la classe qui consacre un champion.
Dominant la piste avec une vision précise, tu sais trouver le chemin du poste d’arrivée.
Les tribunes admirent ton savoir-faire et ta ténacité et rendent à ton art avec une émotion intense.
Les gorges s’enrouent dans une explosion folle, lorsque vous commencez à charger avec les talons et la cravache.

Autres versions

El Yacaré 1941-12-12 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas. C’est notre tango du jour.
El Yacaré 1951 – Alfredo Attadía con Armando Moreno.

Dix ans après D’Agostino et Vargas, Attadía donne sa version de sa composition. On notera toutefois qu’il est difficile de détacher cet enregistrement de celui des deux anges. Cette proximité peut se comprendre. Attadía a composé un certain nombre des de D’Agostino et notamment, composé en commun avec D’Agostino. Le résultat est agréable à écouter et même dansable.

Armando Moreno et Alfredo Attadía (El Bandoneón de Oro).
El Yacaré 2009 – con .

On regrette la disparition de cet orchestre qui valait surtout par la voix et les interprétations extraordinaires de Javier Di Ciriaco. Une version dans le style de cet orchestre, plutôt intéressante et dansable.

À bientôt les amis !

Mano Blanca 1943-12-07 – Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Emilio Balcarce

Arturo De Bassi Letra: Homero Manzi

L’excellent fileteador porteño, Gustavo Ferrari, alors que je passais ce titre dans une milonga m’a indiqué que ce titre était l’hymne des fileteadores (peintres décorateurs, spécialistes des filets décoratifs typiques de ). Comme j’adore ce tango, je le passe assez souvent, mais pas forcément dans la version du jour, celle d’ qui était également un fan de ce tango comme nous le verrons.
J’imagine que vous avez dans l’oreille l’enregistrement des deux anges, D’Agostino et Vargas. Mais, comme l’anecdote d’avant-hier était avec ces deux interprètes, il faut laisser de la place aux autres.
C’est d’autant plus important que Vargas et D’Agostino semble s’être emparé du titre, laissant peu de place à d’autres enregistrements. Pourtant, plusieurs sont intéressants.
À noter que, sur certains disques, on trouve Manoblanca, en un seul mot. J’ai unifié la présentation en , mais les deux orthographes existent

Extrait musical

Mano Blanca 1943-12-07 – Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por .

Bien que ce soit un titre plutôt destiné à l’écoute, puisque le disque mentionne que Alberto Castillo est accompagné par son orchestre dirigé par Emilio Balcarce. Cependant cet enregistrement reste tout à fait présentable dans une milonga et c’est même presque étonnant que l’on ne l’entende quasiment jamais.

Partition de Mano Blanca. Arturo De Bassi Letra: Homero Manzi et l’angle de rue où se trouve le « musée Manoblanca ».

Paroles

Dónde vas carrerito del este
castigando tu yunta de ruanos,
y mostrando en la chata celeste
las dos iniciales pintadas a mano.

Reluciendo la estrella de bronce
claveteada en la suela de cuero,
dónde vas carrerito del Once,
cruzando ligero las calles del Sur.

¡Porteñito!… ¡Manoblanca!…
Vamos ¡fuerza, que viene barranca!
¡Manoblanca!… ¡Porteñito!
¡Fuerza! ¡vamos, que falta un poquito!

¡Bueno! ¡bueno!… ¡Ya salimos!…
Ahora sigan parejo otra vez,
que esta noche me esperan sus ojos
en la Avenida Centenera y Tabaré.

Dónde vas carrerito porteño
con tu chata flamante y coqueta,
con los ojos cerrados de sueño
y un gajo de ruda detrás de la oreja.

El orgullo de ser bien querido
se adivina en tu estrella de bronce,
carrerito del barrio del Once
que vuelves trotando para el corralón.

¡Bueno! ¡bueno!… ¡Ya salimos!…
Ahora sigan parejo otra vez
mientras sueño en los ojos aquellos
de la Avenida Centenera y Tabaré.
Arturo De Bassi Letra: Homero Manzi

libre des paroles

Où vas-tu petit meneur (conducteur de chariot hippomobile) de l’est en punissant ton attelage de rouans (chevaux de couleur rouanne), et en montrant sur la charrette bleue les deux initiales peintes à la main.
Elle brille l’étoile de bronze clouée sur le harnais de cuir. Où vas-tu, petit meneur de Once, en traversant rapidement (légèrement, peut-être à vide), les rues du Sud.
Porteñito… Manoblanca… (Ce sont les noms des deux chevaux)
Allons, force, un fossé arrive !
Manoblanca… Porteñito !
Force ! Allons, il reste peu à faire !
Bien ! Bien !… Nous voilà sortis (de l’ornière, fossé)…
Maintenant, continuez ensemble à nouveau, car ce soir, ses yeux m’attendent sur l’Avenida Centenera et Tabaré. (l’angle de ces deux avenues marque “La esquina del herrero, barro y pampa » que le même Homero Manzi mentionne dans son tango « Sur ».
Où vas-tu, petit meneur portègne avec ta charrette flamboyante et coquette, avec les yeux fermés de sommeil (ou rêve) et un brin de rue (le gajo de ruda est une plante qui est censée éloigner le mal) derrière l’oreille.
La fierté d’être bien aimé se devine dans ton étoile de bronze, petit meneur du quartier de Once, car tu reviens en trottant au corralón (hangar, garage).
Bien ! Bien !… Nous voilà sortis.
Maintenant, ils continuent en couple (chevaux en harmonie) de nouveau pendant que je rêve à ces yeux de l’Avenida Centenera et de Tabaré.

Les fileteados

Les fileteados son une expression artistique typique de Buenos Aires. Elle est apparue en premier sur les chariots et s’est étendue jusqu’à aujourd’hui dans tous les domaines.

Un chariot hippomobile décoré de fileteados. Cette charrette comporte des ridelles, ce que n’avait peut-être pas celle de la chanson qui est une simple chata (fond plat et qui avait sans doute quatre roues).
Un véhicule de quatre saisons richement décoré de fileteados. La chata de la chanson devait plutôt avoir 4 roues, mais l’idée est là…

Je vous invite à regarder l’article de Wikipédia sur le sujet si vraiment vous ne connaissez pas…
https://es.wikipedia.org/wiki/Fileteado

Autres versions

Les deux premiers enregistrements, par Canaro, sont bien de a composition Arturo de Bassi, mais elles avaient été publiées à l’époque sous le titre . Cette musique était une petite pièce à l’intérieur d’un tableau intitulé Románticos fuleros, lui-même inclus dans le spectacle Copamos la banca. Les paroles apportées par Homero Manzi 15 ans plus tard, à la demande de Bassi, ont donné une autre dimension à l’œuvre et lui ont permis de passer à la postérité.

El romántico fulero 1924 – Orquesta Francisco Canaro.

C’est un , donc, d’une qualité sonore un peu compliquée, mais on reconnaît parfaitement le thème du tango du jour.

El romántico fulero 1926-09 – con acomp. de Francisco Canaro.

Le même Canaro enregistre, cette fois en enregistrement électrique le titre avec des paroles de .

Paroles de Carlos Schaefer Gallo

Manyeme que’l bacán no la embroca,
parleme que’l boton no la juna
y en la noche que pinta la luna
la punga de un beso le tiró en la boca.
Aquí estoy en la calle desierta
como un gil pa’ mirar su hermosura
campaneando que me abra la puerta
pa’ darle a escondidas un beso de amor.

Se lo juro que no hablo al cohete
y que le pongo pa’usté cacho e cielo
un cotorro que ni Marcelo
lo tiene puesto con más firulete.
Si usté quiere la pianto ahora
si usté lo quiere digamelo,
será mi piba mi nena la aurora,
en esta sombra que’n el alma cayó.

Le pondré garçonnière a la gurda
y tendrá vuaturé limusine,
y la noche que nos cache curda
veremos al chorro Tom Mix en el cine.
Berretín que me das esperanza
que proteje la noche,
piantaremos en auto o en coche
como unos punguistas que fanan amor.
Carlos Schaefer Gallo

Honnêtement, ces paroles en lunfardo pour un divertissement populaire d’entrée de gamme ne méritent pas vraiment de passer à la postérité. Je ne vous en donnerai donc pas la traduction. On notera toutefois que le texte fait référence au président de l’époque, Marcelo Torcuato de Alvear et à Tom Mix, un héros de western… L’auteur n’a reculé devant rien pour recueillir l’assentiment du public.

Mano Blanca 1943-12-07 – Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Emilio Balcarce. C’est notre tango du jour.
Mano Blanca 1944-03-09 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas.

C’est la version de référence, une merveille absolue. Magnifique piano et voix des deux anges.

Mano Blanca 1960 – Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. y arr. por Osvaldo Requena.

Cette version, très différente de celle que Castillo a enregistrée en 1944, est clairement une chanson. Pas question de la passer en bal. Il me semble que Castillo surjoue un peu le titre, mais on peut apprécier.

Mano Blanca 1976 – José Canet con Nelly Omar.

Toujours la belle association entre la guitare de José Canet et la voix de Nelly Omar.

Mano Blanca c2010 – Miguel Ángel Báccola.

Une version en chanson que j’ai trouvée dans ma collection, sans savoir d’où j’avais acheté ce disque.

Mano Blanca 2013, Juan Carlos « Tata » Cedrón.

J’ai un petit faible pour « Tata » que j’ai connu adolescent (moi, pas lui). Cet enregistrement en studio montre qu’il a toujours le tango dans les veines. Cette vidéo vient de l’excellente chaine culturelle argentine « encuentro ».
À bientôt, les amis, je monte sur mon petit chariot et je pars sur les rues du Sud, au rythme de mes petits chevaux rouans.

Yo soy de Parque Patricios 1944-12-05 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Victor Felice Letra: Carlos Lucero

La nostalgie et l’orgueil pour la pauvreté de da jeunesse est un thème fréquent dans le tango. « Yo soy de Parque Patricios » est de cette veine…
Je vous invite à faire quelques pas dans la boue, les souvenirs et un passé à la fois lointain et tant proche, que les deux anges, D’Agostino et Vargas nous évoquent de si belle façon.
Nous découvrirons l’origine du nom et verrons quelques images de ce quartier qui a toujours un charme certain et que je peux voir de mon balcon.

Extrait musical

Yo soy de Parque Patricios 1944-12-05 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas.
Partition de Yo soy de Parque Patricios de Victor Felice et Carlos Lucero.

Quelques notes de piano, égrenées, comme jetées au hasard, démarrent le titre. L’orchestre reprend d’un rythme bien marqué avec des alternances de piano, des passages puissants et d’autres plus rêveurs chantés par les violons.
Un peu avant la moitié du titre, Ángel Vargas commence à chanter, presque a capela. Il annonce qu’il est de ce quartier et qu’il y est né.
La séance de nostalgie démarre, ponctuée de variations marquées par l’orchestre, tantôt marchant et rythmique, tantôt glissant et suave.
Comme toujours chez ce « couple » des anges, une parfaite réalisation, à la fois dansante, prenante et d’une grande simplicité dans l’expression des sentiments.
En l’écoutant, on pense aux autres titres comme qui, si le début est constitué de longs glissandos des violons, procèdent de la même construction par opposition.
On remarquera dans les deux titres, comme dans de nombreux autres, de cette association qui enregistra près d’une centaine de titres (93 ?), ces petites échappées musicales qui libèrent la pression de la voix de Vargas, ces petites notes qui s’échappent au piano, violon ou bandonéon et qui montent légèrement dans un parcours sinueux et rapide.

Paroles

Yo soy de Parque Patricios
he nacido en ese barrio,
con sus chatas, con su barro…
En la humildad de sus calles
con cercos de madreselvas
aprendí a enfrentar la vida…
En aquellos lindos tiempos
del percal y agua florida,
con guitarras en sus noches
y organitos en sus tardes.
Yo soy de Parque Patricios
vieja barriada de ayer…

Barrio mío… tiempo viejo…
Farol, chata, luna llena,
viejas rejas, trenzas negras
y un suspiro en un balcón…
Mayorales… cuarteadores…
muchachadas de mis horas,
hoy retornan al recuerdo
que me quema el corazón.

Hoy todo, todo ha cambiado
en el barrio, caras nuevas
y yo estoy avejentado…

(Mil nostalgias en el alma)
Mis cabellos flor de nieve
y en el alma mil nostalgias
soy una sombra que vive…
Recordando aquellos tiempos
que su ausencia me revive,
de mi cita en cinco esquinas…
y de aquellos ojos claros.
Yo soy de Parque Patricios
evocación de mi ayer…

Victor Felice Letra: Carlos Lucero

Vargas change ce qui est en gras. La phrase en rouge remplace la plus grande partie du dernier couplet. Elle n’est pas dans le texte original de Carlos Lucero.

Traduction libre

Je suis de Parque Patricios, je suis né dans ce quartier, avec ses chariots, avec sa boue…
Dans l’humilité de ses rues aux haies de chèvrefeuille, j’ai appris à affronter la vie…
En ces beaux temps de percale et d’eau de Cologne (agua florida), avec des guitares dans leurs nuits et des organitos (orgues ambulants) dans leurs après-midis.
Je viens de Parque Patricios, vieux quartier d’hier…
Mon quartier… le bon vieux temps…
Réverbère, chariots, pleine lune, vieux bars, tresses noires et un soupir sur un balcon…
Les mayorales (préposé aux billets du tramway)… cuarteadores (cavaliers aidant à sortir de la boue les chariots embourbés)… Les bandes de mes heures, aujourd’hui, elles reviennent à la mémoire qui me brûle le cœur.
Aujourd’hui, tout, tout a changé dans le quartier, de nouveaux visages et je suis vieux…
Mes cheveux, fleur de neige et dans mon âme mille nostalgies, je suis une ombre qui vit…
Me souvenir de ces moments que son absence ravive, de mon rendez-vous aux cinq angles (de rues)… et de ces yeux clairs.
(Ce passage n’est pas chanté par Vargas qui fait donc l’impasse sur l’ d’amour perdue).
Je suis de Parque Patricios évocation de mon passé…

Autres versions

La version de Vargas et D’Agostino n’a pas d’enregistrement par d’autres orchestres, mais le quartier de Parque Patricios a suscité des nostalgies et plusieurs titres en témoignent.

Yo soy de Parque Patricios 1944-12-05 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas. C’est notre .

Voici quelques titres qui parlent du quartier :

Parque Patricios de

Parque Patricios 1928-09-12 – Orquesta Francisco Canaro con Charlo (Antonio Oscar Arona (Música y letra)

Paroles de la version de Oscar Arona

Cada esquina de este barrio es un recuerdo
de lo mágica y risueña adolescencia;
cada calle que descubre mi presencia,
me está hablando de las cosas del ayer…
¡Viejo barrio! … Yo que vengo del asfalto
te prefiero con tus calles empedradas
y el hechizo de tus noches estrelladas
que en el centro no se sabe comprender.

¡Parque Patricios!…
Calles queridas
hondas heridas
vengo a curar…

Sonreís de mañanita
por los labios de las mozas
que en bandadas rumorosas
van camino al taller;
sos romántico en las puertas
y en las ventanas con rejas
en el dulce atardecer;
que se adornan de parejas
te ponés triste y sombrío
cuando algún muchacho bueno
traga en silencio el veneno
que destila la traición
y llorás amargamente
cuando en una musiquita
el alma de Milonguita
cruzó el barrio en que nació.

¡Viejo Parque!… Yo no sé qué airada racha
me alejó de aquella novia dulce y buena
que ahuyentaba de mi lado toda pena
con lo magia incomparable de su amor…
Otros barrios marchitaron sus ensueños…
¡Otros ojos y otras bocas me engañaron
el tesoro de ilusiones me robaron
hoy mi vida, encadenado está al dolor!…

Oscar Arona

Traduction libre de la version de Oscar Arona

Chaque recoin de ce quartier est un rappel de l’adolescence magique et souriante ;
Chaque rue que découvre ma présence me parle des choses d’hier…
Vieux quartier… Moi, qui viens de l’asphalte, je vous préfère avec vos rues pavées et le charme de vos nuits étoilées qu’au centre-ville, ils ne peuvent pas comprendre.
Parque Patricios…
Chères rues, blessures profondes, je viens guérir…
Tu souris dès l’aube sur les lèvres des filles qui, en troupeaux bruyants, se rendent à l’atelier ;
Tu es romantique dans les portes et dans les fenêtres avec des barreaux dans le doux coucher de soleil ; qui se parent de couples. Tu deviens triste et sombre quand un bon garçon avale en silence le poison que la trahison distille et tu pleures amèrement quand, dans une petite musique, l’âme de Milonguita a traversé le quartier où elle est née.
Vieux parc (Parque Patricios)… Je ne sais pas quelle trainée de colère m’a éloigné de cette douce et bonne petite amie qui avait chassé tout chagrin de mon côté avec la magie incomparable de son amour…
D’autres quartiers ont flétri ses rêves…
D’autres yeux et d’autres bouches m’ont trompé, ils m’ont volé le trésor des illusions, ma vie, enchaîné, c’est la douleur…

Barrio Patricio de Juan Pecci

Barrio Patricio 1934 – Orchestre Argentin Eduardo Bianco (Juan Pecci).

Honnêtement, je ne suis pas certain que ce tango ait pour thème le même quartier, en l’absence de paroles. Cependant, Juan Pecci est né dans le Sud du quartier San Cristobal à deux cuadras du quartier de Parque Patricios, l’attribution est donc probable. Pecci était violoniste de Bianco avec qui il avait fait une tournée en Europe.

Barrio porteño (Parque Patricios) de Ernesto Natividad de la Cruz et Héctor Romualdo Demattei)

Barrio porteño (Parque Patricios) 1942-08-07 – Y Oscar Serpa
(Ernesto Natividad de la Cruz Letra: Héctor Romualdo Demattei).

Fresedo est plutôt de la Paternal, un quartier situé bien plus au Nord, mais il enregistre également ce tango sur Parque Patricios.
Après le départ de Ricardo Ruiz, l’orchestre de Fresedo semble avoir cherché sa voie et sa voix. Je ne suis pas sûr qu’Oscar Serpa soit le meilleur choix pour le tango de danse, mais l’assemblage n’est pas mauvais si on tient en compte que l’orchestration de Fresedo est également renouvelée et sans doute bien moins propice à la danse que ses prestations de la décennie précédente. Il a voulu innover, mais cela lui a sans doute fait perdre un peu de son âme et la décennie suivante et accélèrera cet éloignement du tango de danse. Fresedo avait la réputation d’être un peu élitiste, disons qu’il s’est adapté à un public plus « raffiné », mais moins versé sur le collé-serré des milongueros.

Paroles de la version de Ernesto Natividad de la Cruz et Héctor Romualdo Demattei

Perdoná barrio porteño
Que al correr tu vista tanto,
Voy vencido por la vida
Y en angustias sé soñar.
Vuelvo atrás y tú en mis sienes
Marcarás las asechanzas,
De esta noche tormentosa
De mi loco caminar.

Han pasado muchos años
Y es amargura infinita,
La que traigo dentro del pecho
Desangrado el corazón.
Apagada para siempre
De su cielo, mi estrellita,
El regreso es un sollozo
Y una profunda emoción.

Mi acento ya no tiene
Tus tauras expresiones,
Con que cantaba al barrio
En horas del ayer.
Por eso mi guitarra
Silencia su armonía,
En esta noche ingrata
De mi triste volver.

Ernesto Natividad de la Cruz Letra: Héctor Romualdo Dematte

Traduction libre de la version de Ernesto Natividad de la Cruz et Héctor Romualdo Demattei

Pardonne-moi quartier portègne (de ) de courir autant à ta vue, je vais vaincu par la vie et dans l’angoisse je sais rêver.
Je reviens et toi, dans mes tempes, tu marqueras les pièges, de cette nuit d’orage, de ma folle marche.
De nombreuses années ont passé et c’est une amertume infinie, celle que je porte dans ma poitrine saignant mon cœur.
Éteinte à jamais de son ciel, ma petite étoile, le retour est un sanglot et une émotion profonde.
Mon accent n’a plus tes expressions bravaches, avec lesquelles je chantais au quartier aux heures d’hier.
C’est pourquoi ma guitare fait taire son harmonie, en cette nuit ingrate de mon triste retour.

Parque Patricios de et Francisco Laino ()

Cette géniale milonga est une star des bals. Deux versions se partagent la vedette, celle de Canaro avec Famá et celle, contemporaine de l’autre Francisco, Lomuto avec Díaz. Pour ma part, je n’arrive pas à les départager, les deux portent parfaitement l’improvisation en milonga, comportent des cuivres pour une sonorité originale et si on n’est sans doute un peu plus accoutumés à la voix de Famá, celle de Díaz ne démérite pas.

Parque Patricios 1940-10-03 – Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá (Antonio Radicci y Francisco Laino, Música y letra).
Parque Patricios 1941-06-27 – Orquesta con Fernando Díaz (Antonio Radicci y Francisco Laino, Música y letra)

Paroles de la version en milonga de Antonio Radicci et Francisco Laino

Mi viejo Parque Patricios
querido rincón porteño,
barriada de mis ensueños
refugio de mi niñez.
El progreso te ha cambiado
con su rara arquitectura,
llevándose la hermosura
de tu bondad y sencillez.
Cuántas noches de alegría
al son de una ,
en tus casitas de lata
se vio encender el farol.
Y al sonar de las vigüelas
el taita de ronco acento,
hilvanaba su lamento
sintiéndose payador (trovador en la versión de Famá).

Antonio Radicci Letra: Francisco Laino

Traduction libre de la version de Antonio Radicci et Francisco Laino

Mon vieux Parque Patricios, cher recoin de Buenos Aires, quartier de mes rêves, refuge de mon enfance.
Le progrès t’a changé avec son architecture étrange, t’enlevant la beauté de la bonté et de ta simplicité.
Combien de nuits de joie au son d’une sérénade, dans tes petites maisons de tôle se voyait allumer la lanterne.
Et au son des vigüelas [sortes de guitares] le taita [caïd] avec un accent rauque, tissait sa complainte en se sentant payador.

Viejo Parque Patricios de Santos Bazilotti et Antonio Macchia

Viejo Parque Patricios 1952 – Orquesta Puglia-Pedroza (Santos Bazilotti Letra: Antonio Macchia).

Une version plutôt jolie, mais qui ne devrait pas satisfaire les danseurs. Contentons-nous de l’écouter. On pourra s’intéresser à la jolie prestation au bandoneón de Edgardo Pedroza.

Viejo Parque Patricios 1955-04-15 – Gerónimo Bongioni y su Auténtico Cuarteto « Los Ases » (Santos Bazilotti Letra: Antonio Macchia)

La version proposée par Bongioni est bien différente de celle de Pugli et Pedroza. On y retrouvera une inspiration de Firpo et des Uruguayens comme Racciatti et Villasboas). Même si c’est très joueur, à la limite de la milonga, le résultat est sans doute assez difficile à danser par la plupart des danseurs.

Paroles de la version de Santos Bazilotti et Antonio Macchia

Bien que les deux enregistrements soient instrumentaux, il y a des paroles qui ne semblent cependant pas avoir été gravées. Les voici tout de même.

Por los corrales de ayer
Mis años yo pasé,
Barrio florido
Yo fui el primero
Que te canté.
En Alcorta y Labardén,
Caseros y Arena,
Bordé mi nido de amor.
Y en una cuadrera
Supe ser buen ganador,
El Pibe, El Chueco y El Inglés
Por una mujer,
Se trenzaron en más de una vez
Con este cantor.

Porteño soy
De las tres esquinas,
Pinta cantora
Para un querer.
Nací en el Parque Patricios
Sobre los viejos corrales de ayer.
Porteño soy
De las tres esquinas,
Y en mi juventud florida
El lecherito del arrabal,
Y como también
Un bailarín sin rival.
Santos Bazilotti Letra: Antonio Macchia

Traduction libre de la version de Santos Bazilotti et Antonio Macchia

À travers les corrales d’hier. Mes années j’ai passé. Quartier fleuri, j’ai été le premier qui t’a chanté.
À Alcorta et Labardén, Caseros et Arena, j’ai brodé mon nid d’amour.
Et dans une course de chevaux (peut-être aussi écurie), j’ai su être un bon gagnant. El Pibe, El Chueco et El Inglés, pour une femme, ils se sont crêpés plus d’une fois avec ce chanteur (l’auteur du texte).
Je suis Porteño, des Tres Esquinas, L’allure chantante pour un amour.
Je suis né à Parque Patricios sur les anciens corrales d’hier.
Porteño je suis, des Tres esquinas, et, dans ma jeunesse fleurie, le petit laitier des faubourgs, et aussi bien, un danseur sans rival.

Parque Patricios de Mateo Villalba et Maura Sebastián

Et pour terminer avec les versions, Parque Patricio 2008 (Valse) par le Cuarteto de MateoVillalba avec la voix de Maura Sebastián. C’est une composition de Martina Iñíguez et de Mateo Villalba. C’est une version légère, doucement valsée et chantée avec des paroles différentes.

Parque Patricio 2008 (Valse) par le Cuarteto de MateoVillalba avec la voix de Maura Sebastián


El Parque de los Patricios

Ce quartier porte le nom d’un parc créé en 1902 par un paysagiste français, Charles Thays.
Né à Paris en 1849, cet architecte, naturaliste, paysagiste, urbaniste, écrivain et journaliste français a déroulé l’essentiel de sa carrière en Argentine, notamment en dessinant et aménageant la plupart des espaces verts de Buenos Aires, mais aussi d’autres lieux d’Amérique du Sud. Il fut à l’origine du second parc naturel argentin, celui d’Iguazú, et il participa également à l’amélioration de la culture industrielle de yerba mate (germination), cet arbuste qui fait que l’Uruguay et l’Argentine ne seraient pas pareils sans lui.

Le Parque Patricios tel qu’il a été créé à l’origine. Dessin de 1902.

Mais avant le parc, cette zone avait une tout autre destination. Nous en avons parlé à diverses reprises. C’étaient les abattoirs et la décharge d’ordures.
Beaucoup y voient le berceau du tango, voire de Buenos Aires. En fait, tout le territoire actuel de la « Comuna 4 » constitue le Sud (Sur), zone particulièrement propice à la nostalgie et notamment chez D’Agostino et Vargas, qui ont produit plusieurs titres évoquant les quartiers de cette commune.
Le nom de Parque Patricios ou Parque de los Patricios a été donné au parc par l’Intendant Bulrich en l’honneur des Patricios, ce prestigieux bataillon de l’armée argentine.

Les Patricios continuent aujourd’hui à animer la vie argentine, même si leur dernier engagement a été pour les Malouines. À droite, l’uniforme au début du régiment (1806-1807). À l’extrême droite, un officier.
La commune 4 de Buenos Aires, correspond sensiblement au Sur « mythique » avec les quartiers très populaires de Parque Patricios, Nueva Pompeya, Barracas et La Boca. On pourrait rajouter la zone inférieure de Boedo qui appartient à la commune 5, cette zone chère à Homero Manzi.

Cette zone a été chantée dans de nombreux tangos dont nous avons déjà parlé comme :
Del barrio de las latas
Mano blanca
Tres Esquinas
El cuarteador de Barracas
En lo de Laura
Sur
La tablada

Voici à quoi ressemblait le quartier de Parque Patricios au début du 20e siècle. On comprend son surnom de barrio de las latas évoqué dans le tango dont nous avons déjà parlé.

Mais outre cet habitat particulièrement pauvre, la zone était également une immense décharge à ciel ouvert, où, toute la journée, on brûlait les détritus de Buenos Aires.
Les ordures étaient transportées avec un petit train à voie métrique « El tren de la basura », le train des ordures.

Un mural reproduisant le parcours du train des ordures rue Oruro 1400.
El tren de la basura.

L’autre spécialité de la zone était les abattoirs, Los Corrales, qui à la suite de la construction de nouveaux abattoirs à Abasto, sont devenus Los Corrales Viejos…

Corrales viejos matadero. Voir l’anecdote sur La tablada pour en savoir plus.

À bientôt les amis !

Deux détails du mural du train des ordures de la rue Oruro. On remarquera que de véritables « détritus » ont été utilisés, mais avec une intention artistique évidente.

Shusheta (El aristócrata) 1940-10-08 – Orquesta Carlos Di Sarli

Juan Carlos Cobián Letra: Enrique Cadícamo

Shusheta ou sa variante shushetín désigne un dandy, un jeune homme élégant, avec une nuance qui peut aussi qualifier un mouchard. Les Dictateurs de la Décennie infâme ne s’y sont pas trompés et l’histoire des paroles en témoigne. Ce portrait de ce shusheta, peint crûment par Cadícamo sur la musique de Cobián n’est pas si flatteur.

Extrait musical

1940-10-08 – Orquesta
Partition de Shusheta « Gran tango de salón para piano ».

Paroles usuelles (1938)

a été écrit en 1920 et était donc instrumental, jusqu’à ce que Cadícamo accède à la demande de son ami de lui écrire des paroles pour ce titre. Il le fit en 1934, mais la version habituelle est celle déposée à la en 1938.

Toda la calle Florida lo vio
con sus polainas, galera y bastón…

Dicen que fue, allá por su juventud,
un gran Don Juan del Buenos Aires de ayer.
Engalanó la puerta (las fiestas) del Jockey Club
y en el ojal siempre llevaba un clavel.

Toda la calle Florida lo vio
con sus polainas, chambergo (galera) y bastón.

Apellido distinguido,
gran señor en las reuniones,
por las damas suspiraba
y conquistaba
sus corazones.
Y en las tardes de Palermo
en su coche se paseaba
y en procura de un encuentro
iba el porteño
conquistador.

Ah, tiempos del Petit Salón…
Cuánta locura juvenil…
Ah, tiempo de la
sección Champán Tango
del « « .

Todo pasó como un fugaz
instante lleno de emoción…
Hoy sólo quedan
de tu corazón…

Toda la calle Florida lo vio
con sus polainas, galera y bastón.
Juan Carlos Cobián Letra: Enrique Cadícamo

Vargas ne chante pas ce qui est en bleu. Cette partie des paroles est peut-être un peu plus faible et de toute façon, cela aurait été trop long pour un tango de danse.
En gras les mots chantés par Vargas à la place de ceux de Cadícamo.

Traduction libre des paroles usuelles et indications

Toute la rue Florida l’a vu avec ses guêtres, son chapeau et sa canne… (Polainas, c’est aussi contrariété, revers, déception, Galera, c’est aussi la ou la boîte à gâteau des fils de bonne famille. On peut donc avoir deux lectures des paroles, ce que confirme la version, originale, plus noire. Précisons toutefois que la partition déposée à la SADAIC indique chambergo, chapeau. Ce serait donc Vargas qui aurait adapté les paroles).
On dit qu’il était, dans sa jeunesse, un grand Don Juan du Buenos Aires d’antan.
Il décorait la porte (Vargas chante les fêtes) du Jockey Club et portait toujours un œillet à la boutonnière.
Toute la rue Florida l’a vu avec ses guêtres, son chapeau et sa canne.
Un nom de famille distingué, un grand seigneur dans les réunions, il soupirait pour les dames et conquérait leurs cœurs.
Et les après-midi de Palermo, il se promenait dans sa voiture à la recherche d’un rendez-vous, ainsi allait le porteño conquérant.
Ah, l’époque du Petit Salón… (Deux tangos s’appellent Petit Salón, dont un de Villodo [mort en 1919]. L’autre est de Vicente Demarco né en 1912 et qui n’a sans doute pas connu le Petit Salón).

Combien de folie juvénile…
Ah, c’est l’heure du Tango Champagne de l’Armenonville.
Tout s’est passé comme un instant fugace et plein d’émotion…
Aujourd’hui, il ne reste que des souvenirs de ton cœur…
Toute la rue Florida l’a vu avec ses guêtres, son chapeau et sa canne

Premières paroles (1934)

Ces paroles n’ont semble-t-il jamais été éditées. Selon Juan Ángel Russo, Cadícamo les aurait écrites en 1934.
Cette version n’a été enregistrée que par accompagné à la guitare par Hugo Rivas.
On notera qu’elles mentionnent shusheta, ce que ne fait pas la version de 1938 :

Pobre shusheta, tu triunfo de ayer
hoy es la causa de tu padecer…
Te has apagao como se apaga un candil
y de shacao sólo te queda el perfil,
hoy la vejez el armazón te ha aflojao
y parecés un bandoneón desinflao.
Pobre shusheta, tu triunfo de ayer
hoy es la causa de tu padecer.

Yo me acuerdo cuando entonces,
al influjo de tus guiyes,
te mimaban las minusas,
las más papusas
de Armenonville.
Con tu smoking reluciente
y tu pinta de alto rango,
eras rey bailando el tango
tenías patente de gigoló.

Madam Giorget te supo dar
su gran amor de gigolet,
la Ñata Inés te hizo soñar…
¡y te empeñó la vuaturé !
Y te acordás cuando a Renée
le regalaste un reló
y al otro día
la fulería
se paró.
Juan Carlos Cobián Letra: Enrique Cadícamo

Traduction libre de la première version de 1934

Pauvre shusheta (un shusheta est un jeune vêtu à la mode en lunfardo, voire un « petit maître »), ton triomphe d’hier est aujourd’hui la cause de tes souffrances…
Tu t’es éteint comme s’éteint une chandelle et de shacao (je n’ai pas trouvé la référence) il ne te reste que le profil, aujourd’hui la vieillesse t’a relâché le squelette et tu ressembles à un bandonéon dégonflé.
Pauvre shusheta, ton triomphe d’hier est aujourd’hui la cause de ta souffrance.
Je me souviens qu’alors, sous l’influence de tes guiyes (gilles, copains ?), tu étais choyé par les minusas (les filles), les plus papusas (poupées, filles) d’Armenonville.
Avec ton smoking brillant et ton look de haut rang, tu étais le roi en dansant le tango, tu tenais un brevet de gigolo.
Madame Giorget a su vous donner son grand amour de gigolette, Ñata Inés vous a fait rêver… (le salon de Ñata Inés était un établissement de Santiago, au Chili, apprécié par Pablo Neruda) et a mis ta décapotable (vuaturé est une voiture avec capote rabattable à deux portes. Prononciation à la française.) en gage !
Et tu te souviens quand tu as offert une montre à Renée (sans doute une Française…) et que le lendemain les choses se sont arrêtées.

Dans El misterio de la Ñata Inés, Luis Sánchez Latorre dans le journal chilien Las Últimas Noticias du 15 juillet 2006, s’interroge sur ce qu’était réellement la Ñata Inés. Sans doute un établissement mixte pouvant aller de la scène à la prostitution, comme les établissements de ce type en Argentine.

D’Agostino et la censure

Vous l’aurez compris, le terme Shusheta qui peut qualifier un « mouchard » a fait que le tango a été censuré et qu’il a dû changer de nom.
En effet, pour éviter la censure, D’Agostino a demandé à Cadícamo une version expurgée que je vous propose ci-dessous.
On notera toutefois que la version chantée en 1945 par Vargas prend les paroles habituelles, celles de 1938, mais débarrassée du titre polémique au profit du plus neutre El aristócrata. C’est la raison pour laquelle, les versions d’avant 1944 (la censure a commencé à s’exercer en 1943) s’appellent Shusheta et les postérieures El aristócrata. Aujourd’hui, on donne souvent les deux titres, ensemble ou indifféremment. On trouve aussi parfois El elegante.

Paroles de El aristócrata, version validée par la censure en 1944

Toda la calle Florida te vio
con tus polainas, galera y bastón.

Hoy quien te ve…
en falsa escuadra y chacao,
tomando sol con un nietito a tu lao.
Vos, que una vez rompiste un cabaré,
hoy, retirao… ni amor, ni guerra querés.

Toda la calle Florida te vio
con tus polainas, galera y bastón.

Te apodaban el shusheta
por lo bien que te vestías.
Peleador y calavera
a tu manera te divertías…
Y hecho un dandy, medio en copas,
en los altos del Casino
la patota te aclamaba
sí milongueabas un buen gotán.

Ah, tiempo del Petit Salón,
cuánta locura juvenil…
Ah, tiempo aquel de la Sección
Champán-Tango de Armenonvil.
Todo pasó como un fugaz
instante lleno de emoción.
Hoy solo quedan
recuerdos en tu corazón.

Toda la calle Florida te vio
con tus polainas, galera y bastón.

Traduction libre de la version de 1944

Toute la rue Florida t’a vu avec tes guêtres, ton chapeau et ta canne.
Aujourd’hui, qui te voit…
Avec une pochette factice et chacao (???), prenant le soleil avec un petit-fils à tes côtés.
Toi, qui as autrefois dévasté un cabaret, tu prends aujourd’hui ta retraite… Tu ne veux ni amour ni guerre.
Toute la rue Florida t’a vu avec tes guêtres, ton chapeau et ta canne.
On te surnommait le shusheta à cause de la façon dont tu t’habillais.
Bagarreur et crâneur, à ta manière, tu t’es amusé…
Et fait un dandy, les coupes à moitié bues, depuis les hauteurs (galeries) du Casino, la bande t’encouragerait si tu milonguéais un bon gotan (Tango en verlan).
Ah, cette époque du Petit Salon, que de folie juvénile…
Ah, cette époque de la section Champagne-Tango de l’Armenonville.
Tout est passé comme un instant fugace et plein d’émotion.
Aujourd’hui, il ne reste que des souvenirs dans ton cœur.
Toute la rue Florida t’a vu avec tes guêtres, ton chapeau et ta canne.

Autres versions

Shusheta 1923-03-27 – Orquesta Juan Carlos Cobián.

Le premier enregistrement, par le compositeur, Juan Carlos Cobián. C’est bien sûr une version instrumentale, puisque les paroles n’ont été écrites que onze ans plus tard.

Shusheta (El aristócrata) 1940-10-08 – Orquesta Carlos Di Sarli. C’est notre tango du jour.
El aristócrata (El Shusheta) 1945-04-05 – Orquesta con Ángel Vargas.

Cette version, sans doute la plus connue, utilise les paroles non censurées de 1938. Le titre a été modifié pour éviter la censure. Il est vrai qu’en dehors de Shusheta qui pouvait irriter un censeur très suspicieux, le texte n’était pas si subversif. J’imagine que D’Agostino qui avait envie d’enregistrer le titre avec Vargas a demandé les paroles censurées, puis y a renoncé, peut-être en ayant acquis la certitude que la censure n’interdirait pas ce titre. Vargas a apporté de très légères modifications au texte, mais sans que cela soit pour des raisons de censure, ces modifications étant anodines.

Shusheta 1951-05-30 – Horacio Salgán y su Orquesta Típica.

Une version étonnante, pour l’auditeur, mais encore plus pour le danseur qui pourrait bien se venger d’un DJ qui la diffuserait en milonga. Je n’ai pas dit qu’il fallait jeter cet enregistrement, juste le réserver pour l’écoute.

El aristócrata (Shusheta) 1952 – Juan Polito y su Orquesta Típica.

L’ancien complice de D’Arienzo a ses débuts et de nouveau, quand il a remplacé Biaggi qui venait de se faire virer, propose une version nerveuse et ma foi sympathique de Shusheta. La rythmique pourrait déconcentrer des très habitués à d’autres versions, mais on peut s’amuser, lorsque l’on connaît un peu le titre avec les facéties de Polito au piano. On se souvient que quand il avait remplacé Biagi, il avait continué les fioritures de son prédécesseur. Là, ces ornementations sont bien personnelles et ne doivent rien à Biagi.

Shusheta (El aristócrata) 1957-08-30 – Ángel Vargas y su Orquesta dirigida por Edelmiro « Toto » D’Amario.

Vargas fait cavalier seul, sans D’Agostino. Je vous conseille de vous souvenir plutôt de la version de 1945.

Shusheta (El Elegante) 1970 – Osvaldo Pugliese con cuerdas arreglos de Mauricio Marcelli.

Une version destinée à l’écoute, au concert.

Shusheta 2019-08-28 ou 29 – Sexteto Cristal.

Je vous propose d’arrêter là, il existe bien d’autres versions, mais rien qui puisse faire oublier les merveilleuses versions de D’Agostino et Vargas et celle de Di Sarli.

El cuarteador 1941-09-08 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino

Rosendo Luna (Enrique Domingo Cadícamo) (Musique et paroles)

Rosendo Luna, de son nom complet Enrique Domingo Cadícamo a composé et écrit les paroles de notre tango du jour, . C’est pour nous l’occasion de découvrir un métier oublié, banni de en 1966 avec l’interdiction des moteurs de sang (la traction animale). El cuarteador est un cavalier muni d’une forte monture qui loue ses services aux voituriers embourbés ou en mauvaise passe.

Enrique Cadícamo a composé ce titre sur le mini piano qu’il venait d’acheter.

Schroeder, le peanuts créé par Charles M. Schulz et son mini piano.

Je me suis posé la question de savoir ce qu’était un mini piano. En fait, ce n’est probablement pas un instrument dans le genre de celui de Schroeder, mais tout simplement un piano droit, sans doute un peu moins large avec seulement cinq ou six octaves. Son instrument était de la maison John Carlitt, une maison allemande de la ville de Dresde et ce facteur faisait dans le piano traditionnel, pas dans le jouet. Cadícamo semble avoir été assez discret sur l’usage de cet instrument, il n’a sans doute pas été un véritable pianiste, son talent n’en a absolument pas souffert comme on peut l’entendre dans cette composition.
Curieusement, Ángel Villodo n’a pas composé ce titre ou un autre du même genre alors qu’il a travaillé comme cuarteador. Ce sont deux autres Ángel, D’Agostino et Vargas qui l’enregistreront à la suite de Troilo-Fiorentino et Canaro-Amor.
Attention, nous allons patauger dans la boue, dans la boue de Barracas.

Extrait musical

El cuarteador 1941-09-08 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino. Le titre commence par une annonce.

Paroles

Fue en un café de la Boca y allá por el ano dos, donde este tango nació. Estaba linda la fiesta. Y compadreando la orquesta de esta manera empezó.
Yo soy Prudencio Navarro,
.
Tengo un pingo que en el barro
cualquier carro
tira y saca.
Overo de anca partida,
que en un trabajo de cuarta
de la zanja siempre aparta
¡Chiche!
la rueda que se ha quedao.

Yo que tanta cuarta di,
yo que a todos los prendí
a la cincha de mi percherón,
hoy, que el carro de mi amor se me encajó,
no hay uno que pa’ mi
tenga un tirón.

En la calle del querer
el amor de una mujer
en un bache hundió mi corazón…
¡Hoy, ni mi overo me saca
de este profundo zanjón!

Yo soy Prudencio Navarro,
el cuarteador de Barracas.
Cuando ve mi overo un carro
compadreando
se le atraca.

No hay carga que me lo achique,
porque mi chuzo es valiente;
yo lo llamo suavemente
¡Chiche!
Y el pingo pega el tirón.

Rosendo Luna (Enrique Domingo Cadícamo) (Musique et paroles)

libre et indications

C’était dans un café de La Boca et en l’an 2 (1902) que ce tango est né. La fête était sympa. Et l’orchestre amicalement commença de cette façon.

Je suis Prudencio Navarro, le cuarteador de Barracas.
J’ai un pingo (cheval en ) qui tire et sort de la boue n’importe quel chariot.
Overo (Cheval couleur de pêche, aubère ou alezan) avec la croupe fendue (car musclée), qui dans un travail de cuarta (travail du cuarteador qui consiste à tirer des chariots embourbés. Le nom vient du fait que l’on pliait la sangle de tirage pour la rendre quadruple et ainsi plus résistante), du fossé sort toujours, Chiche ! (Nom du cheval, ou expression pour le mobiliser) la roue qui était coincée.
Moi qui ai donné tant de cuartas, moi qui les ai tous accrochés à la sangle de mon percheron, aujourd’hui, que la voiture de mon amour s’est coincée, il n’y en a pas un qui pour moi ferait une traction.
Dans la rue de l’amour, l’amour d’une femme dans un nid-de-poule a fait sombrer mon cœur…
Aujourd’hui, même mon overo ne peut pas me sortir de ce fossé profond !
Je suis Prudencio Navarro, le cuarteador de Barracas.
Quand mon overo voit une voiture, il s’y colle (comme un amoureux qui recherche le contact d’une femme, jeu de mots, car c’est aussi attacher le chariot).
Il n’y a pas de fardeau qui puisse le rétrécir, parce que mon chuzo (aiguillon) est courageux ; je l’appelle doucement Chiche ! Et le pingo (cheval, mais peut aussi avoir un sens plus coquin) tire.

Autres versions

El cuarteador 1941-09-08 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino. C’est notre tango du jour.
El cuarteador 1941-10-06 – Orquesta Francisco Canaro con Francisco Amor.
El cuarteador 1942 Orquesta .

Mais Enrique Cadícamo a aussi réalisé un court métrage où on peut entendre les deux anges interpréter ce thème. Nous en avons déjà parlé à propos de .

Voici la vidéo au moment où D’Agostino et Vargas entament El cuarteador de Barracas, mais je vous recommande de voir les 9 minutes du court-métrage en entier, c’est intéressant dès le début et avant El cuarteador de Barracas, il y a Tres Esquinas

El cuarteador de Barracas à 6:54 du film de Enrique Cadícamo.
Timbre uruguayen mettant en avant un cuarteador. Remarquez le harnachement du cheval.

Los cuarteadores

Nous avons vu qu’Ángel Villoldo avait exercé ce métier, mais il avait aussi été clown dans un cirque, typographe et a de fait exercer de nombreux petits métiers pour survivre.
Pour les mêmes raisons, les gauchos dont les territoires ont été rattrapés par l’urbanisation de Buenos Aires se sont adaptés et sont passés du gardiennage des vaches au sauvetage des chariots et tranvias (tramways) en péril dans la boue ou dans des déclivités trop fortes.
Pour les voyages en chariot, il était prudent de s’attacher les services d’un ou plusieurs cuarteadores pour pouvoir se tirer d’embarras dans les chemins défoncés qui servaient de routes à l’époque.

À gauche, Prudencio Navarro par Rodolfo Ramos et à droite, des voyageurs attendant les cuarteadores…

Voici comment les voyageurs , narrèrent leur traversée de la entre Buenos Aires et Santa Fe.

« Après avoir attaché l’attelage à la malle-poste (diligence), sous la direction du cocher, on adjoignit quatre cuarteadores, mal vêtus, chacun sur son cheval, sans autre harnais que la sangle.
Celle-ci était attachée par une extrémité à la selle et de l’autre au timon de la voiture…
À peine avions-nous atteint les faubourgs que nous rencontrâmes un de ces terribles marécages.
Ce sont des masses de boue épaisse de trois à trois mètres et demi de profondeur et trente à cinquante de largeur (la profondeur semble exagérée, mais retenons que c’était boueux).
Les cuarteadores éclaboussèrent dans la boue, puis la deuxième équipe les suivit, et lorsque les deux équipes quittèrent le marais et, par conséquent, furent sur la terre ferme, avant que la voiture n’entre dans le bourbier, elles avaient gagné un endroit où se tenir pour développer leur force.
À coups de fouet et d’éperon, encouragés par les cris des postillons, les chevaux nous traînèrent triomphalement hors du marais.
De cette façon, nous avons traversé avec tous les bourbiers, marécages et ruisseaux qui séparent Buenos Aires et Santa Fe. »

La gravure du 19e siècle qui m’a servie pour réaliser l’illustration de l’anecdote.

On remarquera la sangle (ici qui n’est pas quadruple), entre la selle et le timon. Il s’agit d’aider dans une montée. J’ai rajouté de la boue dans ma version pour rendre l’expérience encore plus probante. Cette gravure est indiquée comme étant de Buenos Aires, mais je n’ai pas trouvé le lieu. On remarquera au premier plan à droite, un autre cuarteador se relaxant avec le pied sur la sangle de tirage posée sur la croupe du cheval. Il attend à son tour que des chariots fassent appel à ses services.
Voilà, cette anecdote tire à sa fin, vous écouterez sans doute de façon différente les belles versions de cette composition de Rosendo Luna.

Tres Esquinas 1941-07-24 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Ángel D’Agostino y Alfredo Attadía Letra: Enrique Cadícamo

Je suis aux anges de vous parler aujourd’hui de Tres Esquinas (trois coins de rue), car ce merveilleux tango immortalisé par les deux angelitos (D’Agostino et Vargas) parle à tous les . C’est une composition de Ángel D’Agostino et Alfredo Attadía, Enrique Cadícamo lui a donné ses paroles et son nom. Partons en train jusqu’à Tres Esquinas à la découverte du berceau de ce tango.

Naissance de Tres Esquinas

En 1920, Ángel D’Agostino a composé ce titre dans une version sommaire pour une saynète nommée « Armenonville » montée par Luis Arata, Leopoldo Simari et . Comme on peut s’en douter, cette pièce parlait de la vie des pauvres filles du cabaret Armenonville.
Ángel D’Agostino jouait cette composition au piano sous le titre, Pobre Piba (Pauvre gamine).

Arata-Simari-Franco

Une vingtaine d’années plus tard selon la légende () D’Agostino fredonnait le titre que reprit Vargas à la sortie de la salle où ils venaient d’intervenir. Cadícamo imagina le premier vers « Yo soy del barrio de Tres Esquinas ». Alfredo Attadía qui était le premier bandonéon et l’arrangeur de l’orchestre de D’Agostino s’occupa des arrangements. Il doit cependant d’avoir son nom à la partition par son apport sur le phrasé des bandonéons, phrasé inspiré par la façon de chanter de Vargas qui devrait donc à ce double titre avoir aussi son nom sur la partition 😉

Extrait musical

Commençons par écouter cette merveille pour se mettre dans l’humeur propice à notre découverte.

Tres Esquinas 1941-07-24 – Orquesta Ángel D’Agostino con .
Tres Esquinas. Ángel D’Agostino y Alfredo Attadía Letra: Enrique Cadícamo. À gauche, deux couvertures, puis partition et accords guitare et disque.

Je pense que vous avez remarqué ce fameux phrasé dès le début. On y tellement habitué maintenant que l’on pense que cela a toujours existé… Lorsque Vargas chante, le bandonéon se fait discret, se contentant au même titre que les autres instruments de marquer le rythme et de proposer quelques ornements pour les ponts. On notera le superbe solo de violon de Holgado Barrio après la voix de Vargas et la reprise du bandonéon (vers 2:20). Vargas a le dernier mot et termine le titre.

Je n’ai pas trouvé d’enregistrement de Pobre piba pour juger de l’apport de Attadia, mais il y a fort à parier que ce titre éphémère, lié à une pièce qui n’a pas accédé à une gloire intemporelle n’a pas inspiré les maisons de disque.

Paroles

Yo soy del barrio de Tres Esquinas,
viejo baluarte de un arrabal
donde florecen como glicinas
las lindas pibas de delantal.
Donde en la noche tibia y serena
su antiguo aroma vuelca el malvón
y bajo el cielo de luna llena
duermen las chatas del corralón.

Soy de ese barrio de humilde rango,
yo soy el tango sentimental.
Soy de ese barrio que toma mate
bajo la sombra que da el parrral.
En sus ochavas compadrié de mozo,
tiré la daga por un loco amor,
quemé en los ojos de una maleva
la ardiente ceba de mi pasión.

Nada hay más lindo ni más compadre
que mi suburbio murmurador,
con los chimentos de las comadres
y los piropos del Picaflor.
Vieja barriada que fue estandarte
de mis arrojos de juventud…
Yo soy del barrio que vive aparte
en este siglo de Neo-Lux.

Ángel D’Agostino y Alfredo Attadía Letra: Enrique Cadícamo

Traduction libre des paroles

Je suis du quartier de Tres Esquinas (plus un village qu’un quartier au sens actuel), un ancien bastion d’une banlieue où les jolies filles en tablier fleurissent comme des glycines (Il s’agit des travailleuses des usines locales).
Où dans la nuit chaude et sereine le géranium déverse son arôme ancien et sous le ciel de la pleine lune dorment les logis du corralón (le corralón est un habitat collectif, le pendant du conventillo, mais à la campagne. Au lieu de donner sur un couloir, les pièces qui accueillent les familles donnent sur un balcon. Au pluriel, cela peut aussi désigner le lieu où on parque le bétail et tout l’attirail de la traction animale. Je pense plutôt au logement dans ce cas à cause des géraniums qui me font plus penser à un habitat, même si les corralones étaient proches. Les géraniums éloignent les mouches qui devaient pulluler à cause de la proximité du bétail).
Je viens de ce quartier de rang modeste, je suis le tango sentimental.
Je suis de ce quartier qui boit du maté à l’ombre de la vigne.
Dans ses ochavas (la est la découpe des angles des rues qui au lieu d’être vifs à 90 % présentent un petit pan de façade oblique) j’étais un jeune homme, j’ai jeté le poignard pour un amour fou, j’ai brûlé dans les yeux d’une mauvaise l’appât brûlant de ma passion.
Il n’y a rien de plus beau ni de plus compadre que mon faubourg murmurant, avec les commérages des commères et les compliments du Picaflor (les piropos sont des compliments pour séduire et un picaflor [oiseau-mouche] est un homme qui butine de femme en femme).
Un vieux quartier qui fut l’étendard de mon audace de jeunesse…
Je suis du quartier qui vit à part en ce siècle de Néo-Lux.

Autres versions

Comme souvent, les versions immenses semblent intimider les suiveurs et il n’existe pas d’enregistrement remarquable de l’époque, si on exclut à la guitare et notre surprise du jour, mais patience…

Tres Esquinas 1941-07-24 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas. C’est notre tango du jour.
Tres Esquinas 1942-05-07 – Hugo Del Carril con guitarras.

Il me semble difficile de s’attacher à cette version une fois que l’on a découvert celle des deux anges. On retrouve l’ambiance de Gardel, mais cet enregistrement ne sera normalement jamais proposé dans une milonga.

Tres Esquinas 2010 – con .

Tres Esquinas 2010 – Sexteto Milonguero con Javier Di Ciriaco. J’ai eu le bonheur de découvrir cet orchestre à ses débuts à Buenos Aires où il mettait une ambiance de folie. Je l’ai fait venir à Tangopostale (Toulouse France) où il a suscité un enthousiasme délirant. Il nous reste le disque pour nous souvenir de ces moments intenses magnifiés par la voix de Javier Di Ciriaco.

Le jeune relève toutefois le défi et propose plusieurs versions électrisantes de ce titre. Voici un enregistrement public en vidéo datant de 2010.

Ariel Ardit interprète Tres Esquinas en 2010.

Ce n’est pas non plus pour la danse (du moins dans sa forme traditionnelle), mais c’est une magnifique version avec une grande richesse des contrepoints. Ariel Ardit donne beaucoup d’expression et l’orchestre n’est pas en reste. On comprend l’approbation du public.

SURPRISE : il reste une version en réserve à découvrir à la fin de cette anecdote, vous ne pouvez pas vous la perdre ! Avis pour Thierry, mon talentueux correcteur, ce n’est pas une coquille, mais une formulation calquée sur l’espagnol…

Un petit mot sur Tres Esquinas

Il faut imaginer un lieu relativement rural qui comportait des espaces de terrains vagues, des usines, des maisons pour les pauvres (corralones) et des cafés, dont un qui se nommait Tres Esquinas du nom de ce quartier qui disposait toutefois d’une station ferroviaire du même nom… Voici de quoi vous repérer. Attention, cette zone n’est pas trop à recommander aux touristes, mais on y organise des peñas magnifiques ! Pas des peñas pour touristes dans un café plus ou moins branché, mais des hangars remplis de centaines de danseurs qui s’éclatent sur des orchestres fabuleux en dansant, chacareras, gatos, zambas et une bonne dizaine d’autres titres. Ce qui est le plus surprenant est que quand l’orchestre enchaîne deux titres, les danseurs adoptent automatiquement le style de la nouvelle danse en moins de deux secondes. Si vous avez lu mes conseils pour la chacarera, vous savez déjà reconnaître celles à 6 et 8 compases et les dobles, c’est la partie fondue de l’iceberg du folklore argentin.

Le café Tres Esquinas est ici cerclé de rouge.

On voit qu’on est au bord de l’eau (Riachuelo) qui marque la limite sud de la ville de Buenos Aires (Vue Google). Comme on peut le voir, le quartier est d’usines, de terrains vagues et est maintenant bordé par l’autoroute qui va à La Plata (la capitale de la Province de Buenos Aires). Le café proprement dit n’est plus que l’ombre de lui-même. Notez toutefois la ochava  qui coupe l’angle de l’immeuble et qui marque l’entrée de ce qui était ce café historique.
La station de train portait aussi logiquement le nom du quartier.

À gauche la gare de Tres Esquinas vers 1909. À droite, une vue aérienne de Google.

Le cercle rouge est le café Tres Esquinas. Le cercle jaune marque la zone où était située la gare de Tres Esquinas détruite en 1955. L’autoroute qui a été créée en 1994-1996 a coupé en deux le quartier et probablement mis un peu de désordre dans les baraquements de latas (voir Del barrio de las latas, le berceau du tango pour en savoir plus sur ce type de construction)

Et pour terminer, un court-métrage reconstituant l’ambiance d’un bar comme celui de Tres Esquinas, réalisée par Enrique Cadícamo en 1943.

Voici la vidéo au moment où D’Agostino et Vargas entament Tres Esquinas, mais je vous recommande de voir les 9 minutes du court-métrage en entier, c’est intéressant dès le début et après Tres Esquinas, il y a El cuarteador de Barracas

Court-métrage sur un scénario et sous la direction de Enrique Cadícamo où l’on voit des scènes de café, pittoresques et l’interprétation de Tres esquinas et de El cuarteador de Barracas par et Ángel Vargas.

À demain, les amis !

Esquinas porteñas 1942-05-22 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Sebastián Piana Letra: Homero Manzi

Manzi est le chantre de Buenos Aires. Il nous parle de son vécu, dans sa ville et des personnages de la vie quotidienne à travers ses de tango comme : , El ultimo organito, El pescante, Manoblanca et bien sûr, Sur. Notre du jour, Esquinas porteñas, est de cette veine. Ses esquinas (angles de rues) et ses ruelles sont chargées de l’émotion si finement exprimée par Vargas.

 On ne présente plus l’association des deux anges, et Ángel Vargas. C’est une de ces combinaisons magiques qui de 1940 à 1946 nous a proposé près d’une centaine de merveilles enregistrées.
Cette association fonctionne si bien, qu’il est très rare que l’on propose un D’Agostino avec un autre chanteur ou instrumental. La seule exception, bien sûr, qui est un casse-tête pour les DJ. Soit on reste cohérent sur le style avec des tangos de la même époque et le résultat est moyen, soit on fait un bond en changeant de style pour continuer la tanda avec un des merveilleux titres enregistrés avec Vargas. La plupart des DJ font ce choix.

Extrait musical

Esquinas porteñas 1942-05-22 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas.
Esquinas porteñas, Sebastián Piana Letra: Homero Manzi

Paroles

Esquina de barrio porteño
te pintan los muros la luna y el sol.
Te lloran las lluvias de invierno
en las acuarelas de mi evocación.
Treinta lunas conocen mi herida
y cien callecitas nos vieron pasar.
Se cruzaron tu vida y mi vida,
tomaste la senda que no vuelve más.

Calles, donde la vida mansa
perdió las esperanzas,
la pasión y la fe.
Calles, sí sé que ya está muerta,
golpeando en cada puerta
por qué la buscaré.
Callecitas, sombreadas de poesía,
nos vieron ir un día
felices los dos.
Compañera del sol y las estrellas,
se fue la tarde aquella
camino de Dios.

Los vientos murmuran mi pena.
Las sombras me dicen que ya se marchó.
Y escrito en las noches serenas
encuentro su nombre como una obsesión.
Esquinita de barrio porteño,
con muros pintados de luna y de sol,
que al llorar con tus lluvias de invierno
manchás el paisaje de mi evocación.

Sebastián Piana Letra : Homero Manzi

chante ce qui est en gras et bleu
chante tout ce qui est en gras (bleu et noir).
et Mercedes Simone chante tout et reprend ce qui est en gras et bleu.
Ángel Vargas chante ce qui est en gras et reprend ce qui est en gras et bleu.
Rubén Cané chante tout ce qui est en gras, continue avec la première partie du dernier couplet (ce qui est souligné) et reprend la fin du premier couplet, ce qui est en gras et souligné.

libre et indications

Angle de rues (esquina, c’est le coin de rue. Je garde esquina pour la suite, car c’est plus joli) d’un quartier de Buenos Aires (porteño, du port. Une des rares villes portuaires, dont les habitants s’appellent selon cette caractéristique, plus que d’après le nom de la ville), la lune et le soleil peignent tes murs.
Les pluies d’hiver te pleurent dans les aquarelles de mon évocation.
Trente lunes connaissent ma blessure et cent petites rues nous virent passer.
Ta vie et ma vie se sont croisées, tu as pris le chemin qui ne revient jamais.

Rues, où la vie douce perdait les espérances, la passion et la foi.
Rues, si je sais qu’elle est déjà morte, pourquoi je la chercherais en frappant à toutes les portes ?
Les ruelles, ombragées de poésie, nous ont vus un jour, heureux tous les deux.
Compagne du soleil et des étoiles, elle est partie cette après-midi-là, sur le chemin de Dieu.

Les vents murmurent ma peine.
Les ombres me disent qu’elle est déjà fanée.
Et j’ai écrit dans les nuits sereines, trouvant son nom comme une obsession.
Esquina de barrio porteño, aux murs peints par la lune et le soleil, qui, lorsque tu pleures avec tes pluies hivernales, tu taches le paysage avec mon évocation.

Autres versions

Esquinas porteñas 1934-03-23 – Orquesta Francisco Lomuto con Fernando Díaz.

La plus ancienne version enregistrée, relativement lente.

Esquinas porteñas 1934-03-27 – Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá.

Dans le rythme très lent que Canaro semble affectionner. On peut remarquer une belle introduction que l’on ne retrouve pas dans la version enregistrée par son « jumeau » quatre jours plus tôt. L’interprétation a un caractère un peu ranchera. Cela tourne vraiment très tranquillement, un peu pesamment.

Esquinas porteñas 1934-04-05 — Ignacio Corsini con guitarras de Pagés-Pesoa-Maciel.

Une version un peu plaintive où Corsini chante l’intégralité des paroles.

Esquinas porteñas 1934-04-25 — Mercedes Simone con orquesta.

Même si c’est une version a priori à écouter, cette superbe version mérite à mon avis d’être dansée. Le rythme est beaucoup plus rapide. L’orchestre est en retrait pour laisser la place à Mercedes, mais la structure de la valse est toujours perceptible, ce qui facilitera la danse. On pourra en outre la comparer à l’ de 1966 que je vous propose également ci-dessous…

Esquinas porteñas 1942-05-22 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas. C’est notre valse du jour.

Il fallait au moins les deux anges pour rester au niveau de la version de Mercedes Simone. Défi relevé. Là encore le rythme est rapide. On retrouve la belle sonorité de D’Arienzo qui recherche en plus a être toujours efficace pour les danseurs, tout du moins dans les années 40.

Esquinas porteñas 1953-02-02 — Orquesta Ángel D’Agostino con Rubén Cané.

En 1953, D’Agostino essaye de relancer son titre avec le chanteur qui a remplacé Vargas, Rubén Cané. Je vous laisse juger du résultat. Je trouve l’orchestre un peu sirupeux, moins incisif. Cela reste dansant, mais c’est sans doute moins efficace pour faire se lancer les danseurs sur la piste.

Esquinas porteñas 1966 — Mercedes Simone con acomp. de Emilio Brameri.

La voix de Mercedes Simone est plus mûre, mais elle transmet toujours de l’émotion. J’aime bien l’introduction et les transitions de l’orchestre entre les phrases chantées par Mercedes, sont assez originales. De la très belle ouvrage de la part de l’orchestre Brameri, encore un orchestre qui n’a pas tout à fait passer la porte de la postérité. Brameri était pianiste, violoniste, accordéoniste, compositeur et directeur d’orchestre…

Il y a bien sûr d’autres enregistrements postérieurs de cette magnifique valse, mais je trouve bien de terminer avec elle, d’autant plus que la fin un peu spectaculaire laisse clairement apparaître « FIN », comme au cinéma. Et toc…

Esquinas porteñas.

Caricias 1937-05-07 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar

Juan Martí Letra : Alfredo Bigeschi

Caricias (caresses). Le titre de ce tango est plein de promesses, mais vous vous en doutez, il s’agit plus de souvenirs que d’avenir. Découvrons ce titre dont la version du jour fête aujourd’hui son 87e anniversaire. La musique est de Juan Martí, les paroles d’Alfredo Bigeshi et l’ a été effectué par Francisco Lumuto et Jorge Omar.

Alfredo Bigeschi (Portoferraio, Île d’Elbe, Italie 1908-12-18 — 1980-03-25), violoniste, auteur et compositeur

Alfredo Bigeschi (Portoferraio, Île d’Elbe, Italie 1908-12-18 — Buenos Aires 1980-03-25), violoniste, auteur et compositeur

Alfredo a débarqué d’Italie avec ses parents à l’âge de 12 ans. À 15 ans, il écrivait pour le carnaval de La Boca où la famille vivait et l’année suivante, en 1924, il publiait son premier tango, « Tenorios de mi barrio » œuvre probablement perdue et sans enregistrement et dont le titre est un peu étonnant pour un jeune de 16 ans (coureurs de jupons/favoris de jeunes prostituées). Mais il en composera et/ou écrira les paroles d’environ 300 autres, dont notre tango du jour, Caricias.

Juan Martí (Jacobo Montecof) 1911-01-15 – 1967-06-25) compositeur.

Juan Martí est pour sa part moins prolifique. On pourrait citer en plus de Caricias qui est son plus grand et seul succès, Mis (attention à ne pas confondre avec le tango du même nom de Ángel Maffia et Enrique Cadícamo), Nunca nunca, Si tú te vas ou Todo está demás. Ces œuvres n’ont pas été enregistrées ou les enregistrements sont restés confidentiels.

Extrait musical

Caricias 1937-05-07 — Orquesta con Jorge Omar

C’est la plus ancienne version qui nous soit parvenue.
D’autres tangos plus anciens portent ce nom, comme celui chanté en 1925 par Gardel, mais ils ont d’autres auteurs et n’ont de commun avec notre tango du jour, que le titre.
Dans ce titre, on remarquera, une fois de plus que Francisco Lomuto n’a pas que le prénom en commun avec Francisco Canaro. Le style est relativement proche. Lomuto ne peut pas être considéré comme un novateur pour continuer ce style « Vieille garde » en 1937.

Paroles

La soledad
que me envuelve el corazón,
va encendiendo en mi alma
el fuego de tu amor lejano.
En las brumas de tu olvido
viaja mi ilusión,
gritando tu nombre en vano.

Pero no estás
y en mi cruel desolación
es un fantasma el
de lo que se fue.
Percibo tu sombra y mi amor te nombra
pidiéndote aquellas caricias de ayer.

No vendrás
y sin embargo te espera mi amor.
Quiero olvidarte y no puedo olvidar
porque sos toda mi ilusión.
No vendrás
y yo esperándote estoy, mi bien,
con la fe del que ama como yo.
Y añora de ti, caricias de ayer
anhelante mi buen corazón.

En la ansiedad
de tenerte junto a mí
mis manos en el vacío
te andan buscando,
y en medio de este silencio
atroz mi alma febril,
para sí, te está llamando.

Juan Martí Letra: Alfredo Bigeschi

Traduction libre

La solitude qui enveloppe mon cœur allume dans mon âme le feu de ton amour lointain.
Dans les brumes de ton oubli voyage mon illusion, criant ton nom en vain.
Mais tu n’y es pas et dans ma cruelle désolation, le souvenir de ce qui s’en est allé n’est plus qu’un fantôme.
Je perçois ton ombre et mon amour te nomme, te demandant ces caresses d’hier.
Tu ne viendras pas, et pourtant mon amour t’attend.
Je veux t’oublier et je ne peux pas oublier parce que tu es toute mon illusion.
Tu ne viendras pas, et je t’attends, ma bonne, avec la foi de celui qui aime comme moi.
Je suis en manque de toi, de caresses d’hier désirées par mon bon cœur.
Dans l’anxiété de t’avoir près de moi, mes mains dans le vide te cherchent, et au milieu de cet atroce silence, mon âme fiévreuse, pour elle-même, t’appelle.

Autres versions

Caricias 1937-05-07 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar
C’est notre tango du jour.
Caricias 1938-03-28 — con acomp. de su Trío Típico.

Une superbe version en chanson. Le tempo est très lent. Mercedes met toute son émotion dans son interprétation, ce qui en fait une version à considérer, pas pour la milonga, bien sûr, mais pour une écoute, un jour gris.

Caricias 1945-08-07 — Orquesta con Ángel Vargas.

Première version bien dansante de notre sélection, même si la version de Lomuto charmera les fanatiques de la vieille garde. On connaît la merveilleuse association des deux anges. Vargas et D’Agostino signent, ici, un de leurs innombrables chefs-d’œuvre.

Caricias 1951-07-30 — Orquesta con Carlos Heredia.

Biagi commence dans une sonorité étouffée qui ne lui est pas si courante. L’orchestre continuera ainsi avec discrétion, juste en appui de la voix de Carlos Heredia.
On regrette un peu que cette version ne soit pas un Biagi plus typique. Mais une surprise nous attend avec la version suivante…

Caricias — Conjunto Don Rodolfo con .

Cet orchestre joue à la manière de Biagi. On le trouve sous trois noms. Conjunto Don Rodolfo (nom du quand Duval chante), comme ici, mais aussi Trio Yumba et Rodolfo Biaggi (avec deux « G »). En revanche, Hugo Duval est le même que celui qui chantait pour Biagi avec un seul G. D’ailleurs sur ses disques, il joue de l’ambigüité et je suis sûr que de nombreux acheteurs de ses disques ont pensé acheter des « vrais » Biagi. En fait, je connais même des DJ qui se trompent… Mais est-ce si important ?

Hugo Duval est cité, mais c’est la photo de Rodolfo Biagi qui est présente, que les disques soient du Trio Yumba, Rodolfo BiaGGi, ou de Don Rodolfo (Trio Yumba avec Duval). Disons que c’est un hommage et pas une tentative d’escroquerie, Biagi est en mort en 1969, tous les enregistrement postérieurs qui portent les mentions Trio Yumba, Rodolfo Biaggi ou Don Rodolfo sont posthumes.

Et pour terminer une version chantée à la guitare par Juan Villarreal.

Voilà, c’est la fin de ce petit parcours.
À demain, les amis !