Impossible que vous ne connaissiez pas Barrio de tango immortalisé par Aníbal Troilo et Francisco Fiorentino. Cependant, vous connaissez peut-être moins cette très intéressante version par Miguel Caló et Jorge Ortiz. D’ailleurs, il y a quelques ponts curieux entre ces deux directeurs d’orchestre.
Extrait musical
Paroles
Un pedazo de barrio, allá en Pompeya, durmiéndose al costado del terraplén. Un farol balanceando en la barrera y el misterio de adiós que siembra el tren. Un ladrido de perros a la luna. El amor escondido en un portón. Y los sapos redoblando en la laguna y a lo lejos la voz del bandoneón.
Barrio de tango, luna y misterio, calles lejanas, ¡cómo estarán! Viejos amigos que hoy ni recuerdo, ¡qué se habrán hecho, dónde estarán! Barrio de tango, qué fue de aquella, Juana, la rubia, que tanto amé. ¡Sabrá que sufro, pensando en ella, desde la tarde que la dejé! Barrio de tango, luna y misterio, ¡desde el recuerdo te vuelvo a ver!
Un coro de silbidos allá en la esquina. El codillo llenando el almacén. Y el dramón de la pálida vecina que ya nunca salió a mirar el tren. Así evoco tus noches, barrio ‘e tango, con las chatas entrando al corralón y la luna chapaleando sobre el fango y a lo lejos la voz del bandoneón. Aníbal Troilo Letra: Homero Manzi
Un morceau de quartier, là-bas à Pompeya (quartier au sud de Buenos Aires), dormant sur le côté du talus (sans doute le terre-plein du chemin de fer qui coupe le quartier, voir plan en fin d’article). Une lanterne qui se balance sur la barrière et le mystère d’un adieu que le train sème. Un aboiement de chiens à la lune. L’amour caché dans une porte cochère. Et les crapauds redoublant dans le lac et au loin la voix du bandonéon. Quartier du tango, lune et mystère, rues lointaines, comment seront-elles ! De vieux amis dont je ne me souviens même pas aujourd’hui, qu’ont-ils fait, où sont-ils ! Quartier de Tango, qu’est-il arrivé à celle-là, Juana, la blonde, que j’ai tant aimée. Elle saura que je souffre, en pensant à elle, depuis l’après-midi où je l’ai quittée ! Quartier de tango, lune et mystère, depuis le souvenir, je te revois ! Un chœur de sifflements là-bas au coin de la rue. Le codillo (articulation, coude, voire jeu de cartes) remplissant l’entrepôt (ou le magasin). Cette phrase est donc incertaine, au moins pour moi… Et le drame de la pâle voisine qui n’est plus jamais sortie pour regarder le train. C’est ainsi que j’évoque tes nuits, barrio de tango, avec les charrettes entrant dans le dépôt et la lune éclaboussant au-dessus de la boue et au loin la voix du bandonéon.
Autres versions
Une capture à la radio, la qualité n’est pas au top, mais l’interprétation est intéressante.
Les mêmes, enfin, pas tout à fait, car au lieu du cuarteto, c’est ici, l’orchestre de Troilo qui accompagne Goyeneche.
Pompeya, barrio de tango
Ou plutôt “Nueva Pompeya”, l’ancienne ayant eu des petits problèmes avec le Vésuve est un quartier du sud de Buenos Aires bordant le Riachuelo.
Je termine notre parcours dans un barrio de tango. Un parcours rapide et qui ne sera jamais dans les programmes des guides touristiques. C’est pourtant là un des berceaux du tango. Je vous invite à consulter mon anecdote sur le Barrio de las latas pour en savoir plus.
Un des ponts entre Aníbal Troilo et Miguel Caló
Aujourd’hui, je vais juste vous parler d’un petit pont, celui qui lie certains enregistrements de Troilo avec ceux de Caló. Je m’amuse parfois à « tromper » les danseurs en leur proposant une fausse tanda de Caló qui est en fait 100 % Troilo. Je commence par un titre très proche de Caló et je dévie, ensuite, plus ou moins vers du pur Troilo. C’est un des avantages des tandas de quatre de pouvoir faire des transitions plus subtiles. Voici quelques titres enregistrés par Troilo qui peuvent, pour des oreilles peu averties, paraître proches de Caló. J’imagine que mes lecteurs qui sont des spécialistes ne vont pas adhérer à ces similitudes, mais je vous assure que l’illusion fonctionne assez bien comme j’ai pu le constater des dizaines de fois, notamment l’année du centenaire de Troilo où je passais beaucoup notre gordo favorito. Corazón no le hagas caso Lejos de Buenos Aires Tristezas de la calle Corrientes Percal Después Margarita Gauthier Cada día te extraño mas Fruta amarga De barro Gime el viento La noche que te fuiste Orquestas de mi ciudad Il y a également des similitudes dans le choix des musiques, mais la plupart sont interprétées avec un style propre qui ne prête pas à confusion. Il y a aussi quelques Caló tardifs qui pourraient passer pour des Troilo de la décennie précédente. On en reparlera…
La superbe valse Corazón de artista, écrite par Pascual de Gullo va nous permettre de découvrir un peu l’univers de Malerba, mais aussi de faire un peu de technique de DJ, sur la construction des tandas et sur d’autres aspects, comme la balance.
Extrait musical
Les bandonéons incisifs lancent le titre. Le piano assure les transitions, puis les violons se joignent pour lancer leurs phrases en legato. Le piano a ensuite de beaux passages et, le reste du temps, il assure le Poum-Tchi-Tchi de la valse (marquage des trois temps en accentuant le premier). Cette description pourrait tout à fait s’appliquer à l’orchestre de D’Arienzo. Nous sommes assez loin du Malerba, qui peut parfois être un peu mièvre. C’est donc une très belle version que l’on entend rarement. Je vous dirai pourquoi en fin d’article.
Autres versions
Cette version est assez différente des deux autres versions que je vous présente dans cette anecdote. Elle est beaucoup plus coulée, lisse. Elle tourne bien et ne fera pas rougir le DJ qui la passera en milonga.
Que D’Arienzo nous offre une version dynamique n’étonnera personne. Les violons et bandonéons à l’unisson cisaillent la musique, puis les violons lissent le tout dans de longues phrases suaves. Le piano de Biagi réalise les enchaînements avec une confiance qui commence à se voir. L’accélération finale, une fois de plus, réalisée par la subdivision des temps en doubles-croches, permet de terminer dans une valse enthousiaste, sans avoir à modifier le tempo.
Pourquoi entend-on peu cette valse par Malerba en milonga ?
Est-ce à cause de l’auteur ?
De Gullo est l’auteur principalement de valses. Certaines sont très connues, comme Lágrimas y sonrisas, et notre valse du jour.
Je vous propose ici de vous présenter des versions plus rares.
Cet admirable orchestre est curieusement négligé. On peut le comprendre pour les tangos qui sont de la vieille garde, mais moins pour les valses. Celle-ci n’est pas le meilleur exemple, mais Guido a enregistré des perles que je propose parfois en milonga. J’ai même failli le faire à Buenos Aires, cette semaine, j’étais en train de préparer la tanda et j’ai changé d’avis au dernier moment au vu de l’ambiance de la piste.
Dommage qu’elle ne puisse pas aller dans la même tanda que Corazón de artista 1935 du même Pocholo. Il faut dire que Corazón de artista est plutôt plus tonique que la vingtaine de valses enregistrées par Pocholo.
Je pense donc, qu’on ne peut pas reporter la faute sur l’auteur qui nous a proposé de belles valses, même si, en dehors de ses deux gros succè, elles ont été assez peu enregistrées. Peut-être qu’un orchestre contemporain serait bien inspiré de fouiller dans ce répertoire au lieu de ressortir toujours les dix mêmes titres.
Est-ce à cause de Malerba ?
Pour pouvoir créer une tanda cohérente, il faut trois ou quatre titres. Pour les valses, on limite assez souvent le nombre à trois titres. Donc, il nous faut trouver deux ou trois valses de Malerba qui puissent aller avec notre valse du jour. Comme il a enregistré en tout 4 valses, voyons si cela peut faire une tanda.
Il a enregistré deux valses avec Alberto Sánchez :
Cette valse magnifique a été composée par Georges van Parys avec des paroles de Jean Renoir qui a utilisé ce titre pour son film French Cancan de 1954. Le titre original de la valse est « La Complainte de la Butte ». On le connait par de nombreux chanteurs, dont bien sûr, Cora Vaucaire, qui l’a lancé, puis toujours en 1955, par André Claveau, Patachou et Marcel Mouloudji.
Ce sont donc deux valses intéressantes, mais qui ne vont pas ensemble et encore moins avec Corazón de artista. Pas de piste de tanda de ce côté. Continuons de chercher…
La dernière valse en stock a été enregistrée avec le chanteur vedette de Malerba, Orlando Medina. Est-ce enfin une piste intéressante ? Écoutons.
Je pense que nous sommes d’accord, encore une fois, cette valse est à part, et absolument pas compatible avec notre valse du jour.
En résumé, il est impossible de faire une tanda à partir de la valse Corazón de artista dans la version de Malerba.
Conseil aux orchestres contemporains et aux organisateurs
Je ne sais pas bien pourquoi, mais très peu d’orchestres contemporains enregistrent un nombre suffisant de valses ou de milongas pour pouvoir faire des tandas et quand ils le font, ce n’est pas toujours génial à rassembler dans une tanda. Bien souvent, si un DJ faisait la même programmation que certains orchestres, il se recevrait des tomates. Le problème est que les orchestres sont souvent composés de pièces rapportées et qu’ils répètent peu ensemble. Il n’est qu’à voir sur les festivals comment se passe la balance. Cette opération est censée permettre à l’ingénieur du son d’équilibrer les instruments et les retours des musiciens. Pour bien faire les choses, on adapte à chaque instrument le ou les microphones convenables (généralement indiqués dans la fiche technique de l’orchestre). Une fois raccordés à la console de mixage, on prépare la place des différents instruments. Il ne suffit pas de régler leurs volumes respectifs, il faut également « sculpter » leur bande de fréquence afin que le mixage soit harmonieux. Sinon, on fait une course à la puissance, sur les mêmes fréquences et la musique est totalement déséquilibrée. Quand un chanteur intervient, par exemple, un ténor, il faut que sa bande de fréquence (130 à 550 Hz) soit dégagée. Si le compositeur a bien géré les choses, il évitera de mettre un second instrument dans cette gamme de fréquences au même moment. Mais, ce n’est pas toujours le cas et vous avez certainement en tête des enregistrements où l’ingénieur du son a baissé exagérément le volume pour dégager la voix, mais cela est fait en enlevant la base musicale dont se servent les danseurs. Dans les prestations en direct, les musiciens vont demander au sonorisateur d’augmenter leur volume, car ils ne s’entendent pas alors que cela vient souvent d’un mauvais réglage des fréquences et d’un mauvais équilibre des retours. Dans un orchestre sans amplification, les musiciens ont leur place si le compositeur et/ou l’arrangeur ont bien effectué leur travail. Le chef gère juste le volume des instruments pour faire ressortir une voix plus que les autres, ou pas. Vous êtes très familiers de ce phénomène et c’est facile à constater en écoutant le même titre par différents orchestres. Même s’ils utilisent les mêmes arrangements, dans certaines versions, un instrument est au premier plan et pour un autre orchestre, c’est un autre instrument qui est mis en valeur. Un mauvais réglage des retours ou de la balance fait que de nombreuses prestations sont désastreuses pour le public. Les instrumentistes ne s’entendant pas bien, jouent plus fort, voire pousse la voix pour les chanteurs, les cordes frottées jouent faux, ce qui est parfois recherché, mais pas toujours. Bon, j’ai un peu dérapé de mon sujet. Comme DJ, il est fréquent de n’avoir que 30 secondes pour faire la balance, alors que ce serait utile de pouvoir étudier correctement la salle auparavant et d’équilibrer l’égalisation en conséquence. Combien de fois, la balance de l’orchestre prend trois heures en devenant de fait une répétition et qu’au final, le véritable travail de balance n’a pas été correctement effectué. Parfois, la balance continue alors que le public est déjà dans la salle, car ils ont passé l’heure. A minima, ce serait sympa de la part des organisateurs de faire respecter les horaires. Comme DJ, j’ai besoin de 5 minutes et, quand il y a un orchestre, c’est presque impossible de les avoir. Parois, il n’est même pas possible de tester mes tranches sur la console, car l’ingénieur du son est pris par l’orchestre. Il n’est pas non plus possible de balancer du bruit rose au volume correct quand il y a déjà le public dans la salle. Contrairement à ce que certains pensent, le travail de DJ est assez complexe, car il faut équilibrer des musiques de sources variées. Pouvoir faire une balance de qualité, c’est l’assurance que les danseurs auront un bon son sur la piste. C’est d’autant plus important quand le DJ est loin de la piste ou n’a pas de retour. S’il sort un son correct à son emplacement, cela risque de ne pas être bon pour la piste. Un retour bien réglé permet de limiter ce problème, à condition qu’il soit bien réglé et, pour bien le régler, il faut avoir les 5 minutes de préparation…
Faut-il renoncer à utiliser cette valse ?
Ma réponse est non, bien sûr. Pour cela, nous avons une tolérance qui consiste à pouvoir composer une tanda mixte, c’est-à-dire à partir de plusieurs orchestres. C’est assez rare avec les tangos, mais, beaucoup plus courant pour les milongas et les valses. Pour les milongas, cela reste assez compliqué, car il y a différents styles et que, même avec le même orchestre et la même année, on peut avoir des milongas qui ne vont pas bien ensemble. Cela demande donc un peu de réflexion au DJ. Pour les valses, c’est en revanche beaucoup plus facile. Il suffit d’associer des titres au rythme comparable, de même caractère et à la sonorité proche. Nous avons vu que la valse de Malerba avait des accents qui rappelaient D’Arienzo. Il semble donc évident que chercher à compléter une tanda de valse de D’Arienzo avec ce titre peut être une excellente idée. En tout cas, c’est la direction que j’emprunte. Il y a bien sûr d’autres possibilités. Vous pouvez donner votre avis dans les commentaires.
Le dix-neuvième siècle a vu le développement du ferroviaire et du cinéma. On se souvent que l’un des premier films, L’arrivée d’un train en gare de La Ciotat (film n° 653 de Louis Lumière), a été tourné durant l’été 1895 et présenté au public le 25 janvier 1896. Mon grand-père, né quatre ans après les faits, me contait que les spectateurs furent pris de panique. L’œuvre d’aujourd’hui est à sa manière, une glorification des deux nouveautés. Le chemin de fer argentin, le plus développé d’Amérique du Sud, et le cinéma où les orchestres proposaient la musique manquant aux films de l’époque…
L’espiante peut désigner en lunfardo une arnaque ou le départ, par exemple, pour mettre fin à une relation me tomo el espiante. Dans le cas présent, vous allez le comprendre à l’écoute, il s’agit d’un train, que nous allons prendre ensemble. En voiture !
Extrait musical
Tout commence par la cloche suivie par le sifflet du chef de gare. Le souffle bruyant des pistons aide au démarrage du train. Le voyage se déroule ensuite les sons d’imitation et ceux de l’orchestre se mélangeant. Le bruit de la vapeur suit le train sur une bonne partie du trajet. À 1:00 et 2:00, en entend l’annonce de la voiture-restaurant. Le trajet se fait par des successions de montées et descentes, et la musique poursuit son parcours, jusqu’au final où les passagers s’interpellent et où le train s’arrête dans l’annonce de la gare, Rosario… Ce titre est sans doute à classer dans la rubrique des tangos ludiques et à réserver aux amateurs de canyengue, mais d’autres passagers, pardon, danseurs peuvent le danser avec entrain.
Autres versions
Même si c’est une composition de Fresedo, le plus ancien enregistrement disponible est par Roberto Firpo. Ce n’est pas très étonnant, c’est le grand orchestre du moment et Firpo aime bien les titres aux sons réalistes. On pensera par exemple à El amanecer où il introduit des chants d’oiseaux joués au violon. Mais il a sans doute un attachement au train, également, puisqu’il écrira le tango El rápido qui évoque également le même train, celui de Rosario…
Ce titre est signalé comme tango humoristique et est donc de la même veine que celui de Fresedo. Il est ponctué de voix de « passagers ». Comme la version de Fresedo de 1932 (notre tango du jour, l’annonce finale est également « Rosario ».
On peut imaginer que Firpo répond à son compère. L’espiante et El rápido désignent également les trains. On notera qu’à l’époque, il fallait seulement trois heures pour rallier Retiro (gare de Buenos Aires) à Rosario, soit presque trois fois moins que maintenant… Firpo avait déjà enregistré ce titre en 1927 et je rappelle que Biagi a aussi enregistré, El rápido ainsi que Rodriguez, Piazzolla, Villasboas et Varella. Revenons maintenant aux espiantes, on prendra le rapide une autre fois…
Pas de bruitage de train, ce que les musiciens de l’époque auraient pu produire sans problème, car ils le faisaient pour le cinéma qui était muet à l’époque. J’imagine que cet ajout de bruitages s’est fait au fur et à mesure des concerts. Firpo n’est pas hostile à cela, bien au contraire si on écoute ce qu’il a fait dans El rápido de 1931.
Si le caractère du train qui alterne les montées poussives et les descentes de pente précipitées est bien présent, les bruitages ne sont pas encore à l’ordre du jour. Il faudra peut-être attendre le délire de Firpo en 1931 avec El rápido, pour que cela devienne une habitude chez Fresedo également. Même si on n’est pas fan du canyengue, il faut reconnaître à cette œuvre, de belles trouvailles musicales, que Fresedo exploitera tout au long de sa carrière comme ses fameuses descentes et chutes.
On pourrait confondre cette version avec la précédente, mais elle se distingue principalement de son aînée par l’absence des paroles finales et une fin différente. On notera aussi une accentuation moindre du caractère ferroviaire de cet enregistrement. Il y a tout de même le sifflet et la cloche au début, des sons de pistons (souffles à la voix) et le sifflet à environ 1:00, 2:10 et 2:30. Et un dernier souffle des pistons termine l’œuvre.
Julio De Caro n’allait pas laisser ses copains s’amuser avec la musique du train sans participer. Lui aussi aime proposer des musiques descriptives. On notera que son train est plus un rapide qu’un espiante. Cette version très joueuse est sans doute dansable par les danseurs allergiques au canyengue, car elle est vraiment très sympa et le train qui n’a rien de poussif devrait les entraîner jusqu’à Rosario (ou ailleurs) sans problème.
À part un semblant de cloche, au début, les bruitages ferroviaires sont absents de cette version. L’arrivée en gare se fait avec un bandonéon nerveux, peut-être celui de Varela. En effet, en 1954, Varela est venu grossir les rangs de son orchestre comme bandonéoniste en plus de Antonio Marchese et Alberto San Miguel. Trois autres bandonéonistes s’adjoindront à l’orchestre à cette époque : Luis Pinotti, Salvador Alonso et Eduardo Otero. Le freinage final se fait au violon.
En 1955, Fresedo remet sur les rails son espiante. On retrouve dans cette version la cloche, le sifflet et la trompe du train. Cependant la musique va vers plus de joliesse. Le train semble traverser de beaux paysages, même si par moment, le rythme retrouve la respiration des pistons.
Comme dans la version de 1954, le caractère ferroviaire sous forme de bruitages est absent, mais on reste tout de même dans l’ambiance avec la musique qui évoque irrésistiblement le déplacement d’un train. L’arrivée est ici, entièrement réalisée par le bandonéon nerveux qui ne laisse pas la place au violon, comme en 1954. Varela privilégie son instrument…
En 1979, Fresedo fait partir son train avec un sifflet initial et lui fera émettre ses célèbres coups de trompes, mais on sent qu’il file comme le vent, au moins dans certains passages qui alternent avec des passages plus poussifs, rappelant le train des débuts. Comme en 1955 et sans doute encore plus, le train semble traverser d’élégants paysages. Le résultat décevra sans doute les amateurs du « vieux » Fresedo, mais ravira ceux qui aiment Sassone ou Varela. Le titre se termine par un jingle au vibraphone.
Et pour terminer notre voyage, prenons deux trains tirés par des locomotives à vapeur « Pacific 231 ». 231 pour 2 roues à l’avant (directrices), Trois grandes roues motrices et 1 dernière roue à l’arrière pour l’équilibre. 2-3-1 (4-6-2) si on envisage les deux côtés de la locomotive. La musique est celle d’Arthur Honegger, qui, comme Firpo et Fresedo, était fan des trains.
Ce court métrage magnifique fait le parallèle entre les mécanismes de la locomotive et le jeu des instruments, l’utilisation des surimpressions et des fondus enchaînés fait que la bête humaine (nom d’un film de Jean Renoir en 1938 ayant pour thème le chemin de fer à vapeur) et l’orchestre se mélangent.
L’esthétique du film de Jean Mitry est bien différente. De belles images de trains accompagnent la musique. C’est certainement beaucoup moins créatif que le film de Tsekhanovsky, mais intéressant tout de même, ne serait-ce que par l’aspect documentaire qui fait revivre ses monstres se nourrissant de charbon.
Terminus, tout le monde descend ! À bientôt, les amis !
Julio De Caro; Pedro Laurenz Letra: Juan Miguel Velich
Je suis sûr que vous avez déjà été interpellés par ce titre qui commence par des rires, voire par des sifflements. La version du jour est réalisée par un des deux auteurs, le bandonéoniste Pedro Laurenz, qui à l’époque de la composition, était dans l’orchestre de l’autre compositeur, Julio de Caro. Nous verrons que, dès 1927, cette œuvre est d’une extraordinaire modernité. Mala junta peut se traduire par mauvaise rencontre. Vous serez peut-être étonné de voir qu’elle est la mauvaise rencontre évoquée par Magaldi…
Extrait musical
Les versions de Pugliese sont bien plus connues, mais vous reconnaîtrez tout de suite le titre malgré l’absence des éclats de rire du début, ou plus exactement, c’est l’orchestre qui reproduit le thème de l’éclat de rire, instrumentalement. Le rythme est bien marqué, même s’il comporte quelques syncopes en fantaisie. On notera que Laurenz fait également l’impasse sur les sifflements. Dans son enregistrement de 1968, avec son quinteto, il omettra également ces deux éléments. On pourrait donc imaginer que ces rires et sifflements sont des fantaisies de De Caro. C’est d’autant plus probable si on se souvient que, dans El monito, il utilise les sifflements, les rires et même des phrases humoristiques. Si quelques dissonances rappellent les compositions decaréennes (de De Caro), elles ne devraient pas troubler les danseurs moins familiers de ces sonorités. Les phrases sont lancées et se terminent souvent comme jetées, précipitées. Le piano coupe ces accélérations par ses ponctuations. La musique semble se remettre en place et on recommence jusqu’à la dernière partie où le bandonéon de Laurenz s’en donne à cœur joie. Rappelez-vous que, dans la partition, toute cette partie est en doubles-croches, ce qui permet de donner une impression de vitesse, sans modifier le rythme.
Don Luis Gondra
La dédicace de ce tango a été effectuée à Luis Gondra (Luis Roque Gondra), un militant, écrivain et politique. Il fait partie des survivants du massacre de Pirovano où 200 hommes venus prêter main-forte à Hipólito Yrigoyen en prenant le train à Bahia Blanca ont été attaqués à balles et baïonnettes par des forces loyales au gouvernement de Manuel Quintana. Il est mort le 10 février 1947, soit moins d’un mois après l’enregistrement de notre tango du jour. Il est l’auteur de différents ouvrages, principalement d’histoire politique, comme des ouvrages sur Belgrano ou des cours d’économie, car il était professeur de cette matière.
Paroles, deux versions
Même si notre tango du jour est instrumental, il y a des paroles, celles enregistrées par Magaldi, qui dénoncent le tango comme la cause de la perdition et celles que l’on trouve habituellement dans les recueils de paroles de tango. Ce qui est curieux est qu’il n’y a pas de version enregistrée des paroles « canoniques ». Je commence donc par la version de Magaldi et donnerait ensuite la version « standard ».
Paroles chantées par Magaldi
Por tu mala junta te perdieron, Nena, Y causaste a tus pobres viejos, pena, Que a pesar de todos los consejos, Un mal día te engrupieron Y el gotán te encadenó…
¡Ay! ¿Dónde estás, Nenita de mirada seductora? Tan plena de poesía, cual diosa del amor… Nunca, jamás veré la Sultanita que en otrora Con sus mimos disipaba mi dolor.
Recitado: Guardo de ti recuerdo sin igual Pues fuiste para mí toda la vida. Mi corazón sufrió la desilusión Del desprecio a su querer que era su ideal.
Y con la herida Que tú me has hecho, Mi fe has desecho Y serás mi perdición.
Todo está sombrío y muy triste, alma, Y nos falta, desde que te has ido, calma, El vivir la dicha ya ha perdido Porque con tu mal viniste A enlutar mi corazón.
¿Por qué, mi amor, seguiste a esa mala consejera que, obrando con falsía, buscó tu perdición? Mientras que aquí está la madrecita que te espera Para darte su amorosa bendición.
Recitado: Dulce deidad, que fue para mi bien Un sueño de placer nunca sentido, Yo no pensé que ése, mi gran querer, Lo perdiera así nomás, siendo mi Edén.
¿Dónde te has ido mi noviecita? Tu madrecita Siempre cree que has de volver. Julio De Caro; Pedro Laurenz Letra: Juan Miguel Velich
Traduction libre des paroles de la version de Magaldi
À cause de ta mauvaise rencontre, ils t’ont perdu, Bébé, Et tu as causé à tes pauvres parents, de la peine, Que malgré tous les conseils, un mauvais jour, ils t-on trompés (dit des mensonges) et le gotan t’a enchaîné… (Et voilà le grand coupable, le tango…). Hélas! Où es-tu, petite fille au regard séducteur ? Tellement pleine de poésie, comme une déesse de l’amour… Je ne verrai jamais, jamais la sultane qui, une fois, avec ses câlins, a dissipé ma douleur. Récitatif: Je garde un souvenir inégalé de toi parce que tu as été pour moi toute ma vie. Mon cœur a souffert de la déception du mépris pour son amour, qui était son idéal. Et avec la blessure que tu m’as faite, Tu as rejeté ma foi et tu seras ma perte. Tout est lugubre et très triste, âme, et nous manquons, depuis que tu es partie, le calme, la vie du bonheur s’est déjà perdue, car avec ton mal tu es venue endeuiller mon cœur. Pourquoi, mon amour, as-tu suivi ce mauvais conseiller qui, agissant faussement, a cherché ta perte ? Alors qu’ici se trouve la petite mère qui t’attend pour te donner sa bénédiction aimante. Récitatif: Douce divinité, qui était pour mon bien un rêve de plaisir jamais ressenti, Je ne pensais pas que cela, mon grand amour, je le perdrai, étant mon Eden. Où es-tu allée, ma petite fiancée? Ta petite mère pense toujours que tu vas revenir.
Paroles de la version standard
Por tu mala junta te perdiste, nena y nos causa tu extravío, llantos, ¡pena!… De un vivir risueño te han hablado y al final… ¡te has olvidado de tu vieja y de mi amor!… En la fiebre loca de mentidas galas se quemaron tus divinas, ¡níveas alas!… En tu afán de lujos y de orgías recubriste de agonías ¡a mi vida y a tu hogar!…
Fuiste el ángel de mis horas de bohemia, el bien de mi esperanza, tierno sueño encantador; y no puedo sofocar mis neurastenias cuando pienso en la mudanza ¡de tu cruel amor!…
(recitado) ¡Pobre de mí… que a cuestas con mi gran cruz rodando he de marchar por mi oscura senda; ¡sin el calor de aquella fulgente luz que tu mirar dispersó en mi corazón!
(canto) Sueños de gloria que truncos quedaron y herido me dejaron entre brumas de dolor…
Por tu mala junta te perdiste, nena, y nos causa tu extravío llantos, ¡pena!… Por seguir tus necias ambiciones mis doradas ilusiones ¡para siempre las perdí!… Una santa madre delirante clama y con ella mi cariño, ruega, ¡llama!… El perdón te espera con un beso sí nos traes con tu regreso ¡la alegría de vivir!…
Tus recuerdos se amontonan en mi mente, tu imagen me obsesiona, te contemplo en mi ansiedad; y te nombro suspirando tristemente, pero en vano… ¡no reacciona tu alma sin piedad!…
Y como el cisne que muere cantando así se irá esfumando ¡mi doliente juventud!… Julio De Caro; Pedro Laurenz Letra: Juan Miguel Velich
Traduction libre des paroles de la version standard
À cause de ta mauvaise rencontre, tu t’es perdue, bébé et ta perte nous cause, des larmes, du chagrin… On t’a parlé d’une vie souriante et à la fin… tu as oublié ta mère et mon amour… Dans la fièvre folle, des parures mensongères se brûlèrent tes ailes divines et neigeuses… Dans ton avidité de luxe et d’orgies, tu as couvert d’agonies (amertumes, douleurs, chagrins) ma vie et ta maison… Tu étais l’ange de mes heures de bohème, le bien de mon espérance, le rêve tendre et enchanteur ; et je ne puis étouffer ma neurasthénie quand je pense au changement de ton amour cruel… (récitatif) Pauvre de moi… que sur mes épaules, avec ma grande croix, errant, je dois marcher le long de mon obscur sentier ; Sans la chaleur de cette lumière éclatante que ton regard a dispersée dans mon cœur ! (chant) Des rêves de gloire qui resteront tronqués et me laissèrent blessé dans des brouillards de douleur… À cause de ta mauvaise rencontre, tu t’es perdue, bébé et ta perte nous cause, des larmes, du chagrin… Pour suivre tes folles ambitions, mes illusions dorées, pour toujours, je les ai perdues… Une sainte mère en délire crie et, avec elle, mon affection, supplie, appelle… Le pardon t’attend avec un baiser si tu nous ramènes avec ton retour, la joie de vivre… Tes souvenirs s’accumulent dans mon esprit, ton image m’obsède, je te contemple dans mon angoisse ; Et je te nomme en soupirant tristement, mais en vain… ton âme sans pitié ne réagit pas… Et comme le cygne qui meurt en chantant ainsi s’évanouira, ma douloureuse jeunesse…
On voit les différences entre les deux versions des paroles. Il se peut que les deux soient de Juan Miguel Velich, à moins que Magaldi ait adapté les paroles à son goût. C’est un petit mystère, mais cela me semble très marginal dans la mesure où l’intérêt principal de cette composition est dans la musique.
Autres versions
Cette version permet de retrouver les deux compositeurs avec Julio de Caro au violon (son violon à cornet) et Pedro Laurenz au bandonéon. Ce dernier avait intégré l’orchestre de De Caro en 1924 en remplacement de Luis Petrucelli. On notera, après les rires, le début sifflé. Cette version, la plus ancienne enregistrée en notre possession, a déjà tous les éléments de modernité que l’on attribuera deux ou trois décennies plus tard à Osvaldo Pugliese qui se considérait comme l’humble héritier de De Caro. Voici la composition du sexteto pour cet enregistrement :
Comme nous l’avons vu, Magaldi chante des paroles différentes, mais l’histoire est la même. C’est bien sûr un enregistrement destiné à l’écoute, à la limite de la pièce de théâtre.
Le titre commence avec les sifflets, mais sans les rires. Cette version comporte un passage avec une scie musicale. Finalement, ce n’est pas vilain, mais sans doute plus curieux que captivant.
Quelqu’un a-t-il réussi à se procurer la matrice D 19172 et à en faire une copie sous le numéro de matrice bidon N300028 ? La moins bonne qualité de la copie pirate peut aussi laisser penser qu’elle a été réalisée à partir d’un disque édité. Bien sûr, il est difficile de juger, car il faudrait plusieurs copies de la version pirate, pour vérifier que cela vient de la fabrication et pas de l’usure du disque.
Même enregistrement, mais ici, la copie pirate d’Omnia (Disque X27251 – Matrice N300028). La qualité est sensiblement plus faible, est-ce le fait de la copie d’un disque original ou tout simplement de l’usure plus importante de ce disque ? Petit rappel. Les disques sont réalisés à partir d’une matrice, elle-même issue de l’enregistrement sur une galette de cire. La cire était directement gravée par la pression acoustique (pour les premiers enregistrements) et par le déplacement d’un burin soumis aux vibrations obtenues par voie électrique (microphone à charbon, par exemple). Cette cire servait à réaliser un contretype, la matrice qui servait ensuite à réaliser les disques par pressage. Sans cette matrice, il faut partir d’un disque déjà pressé, ce qui engendre à la fois la perte de détails qui avaient été déjà atténués à cause de l’impression originale, mais cela peut également ajouter les défauts du disque s’il a été utilisé auparavant. La copie pirate est donc obligatoirement de moins bonne qualité dans ce cas, d’autant plus que le matériau du disque peut également être choisi de moins bonne qualité, ce qui engendrera plus de bruit de fond, mais ce qui permettra de réduire le prix de fabrication de cette arnaque. On notera que, de nos jours, les éditeurs partent souvent de disques qui sont eux-mêmes des copies et qu’ils ajoutent des traitements numériques supposés de redonner une jeunesse à leurs produits. Le résultat est souvent monstrueux et se détecte par la mention « remastered » sur le disque. Malheureusement, cela tend à devenir la norme dans les milongas, malgré les sonorités horribles que ces traitements mal exécutés produisent.
Le principal intérêt de cette version est qu’elle ouvre une seconde période d’enregistrements, une décennie plus tard. On peut cependant ne pas être emballé par le résultat, sans doute trop confus.
De Caro réenregistre sa création, cette fois, les rires et les sifflements sont reportés à la seconde partie. Cela permet de mettre en valeur la composition musicale assez complexe. Cette complexité même qui fera que ce titre, malgré sa beauté, aura du mal à rendre les danseurs heureux. On le réservera donc à l’écoute.
Contrairement à son modèle, Pugliese a conservé les rires en début d’œuvre, mais a également supprimé les sifflements qui n’interviendront que dans la seconde partie. L’interprétation est d’une grande régularité et avant le solo du dernier tiers de l’œuvre, on pourra trouver que l’interprétation manque d’originalité, ce n’est en effet que dans la dernière partie que Pugliese déchaîne son orchestre avec des bandonéons excités survolés par le violon tranquille. Au crédit de cet enregistrement, on pourra indiquer qu’il est dansable et que la fin énergique pourra faire oublier un début manquant un peu d’expression.
De Caro, après la version de Pugliese et celle de Laurenz, son coauteur, enregistre une version différente. Comme pour celle de 1938, il ne conserve pas les rires et sifflets initiaux. C’est encore plus abouti musicalement, mais toujours plus pour l’écoute que pour la danse. Conservons cela en tête pour découvrir, la réponse de Pugliese…
Toujours les rires, sans sifflements au début de cet enregistrement et dans la seconde partie, ce sont les sifflements qui remplacent les rires. L’affirmation de la Yumba dans l’interprétation et la structure de cette orchestration nous propose un Pugliese bien formé et « typique » qui devrait plaire à beaucoup de danseurs, car l’improvisation y est facilitée, même si la richesse peut rendre difficile la tâche à des danseurs peu expérimentés.
Disons-le clairement, j’ai un peu honte de vous présenter cette version après celle de Pugliese. Cette version sautillante ne me semble pas adaptée au thème. Je ne tenterai donc pas de la proposer en milonga. Je ne verrai donc jamais les danseurs transformés en petits duendes (lutins) gambadants comme je l’imagine à l’écoute.
Pedro Laurenz enregistre une dernière version de sa création. Il y a de jolis passages, mais je ne suis pas pour ma part très convaincu du résultat. On a l’impression que les instruments jouent chacun dans leur coin, sans trop s’occuper de ce que font les autres. Attention, je ne parle pas d’instrumentistes médiocres qui ne jouent pas ensemble, mais du lancement de traits juxtaposés et superposés qui semblent être lâchés sans cohérence. Si cela peut plaire à l’oreille de certains, c’est sûr que cela posera des difficultés aux danseurs qui souhaitent danser la musique et pas seulement faire des pas sur la musique.
Je vous propose de terminer avec Pugliese, qui est incontestablement celui qui a le plus concouru à faire connaitre ce titre. Je vous propose une vidéo réalisée au théâtre Colón de Buenos Aires, point d’orgue de la carrière du maître qui rappelle que ses fans criaient « Al Colón » quand ils l’écoutaient. Finalement, Pugliese est arrivé au Colón et cette vidéo en témoigne…
Il y a d’autres versions, y compris par Pugliese, notamment réalisées au cours de différents voyages, mais je pense que l’essentiel est dit et, pour ma part, je reste sur la version de 1952 pour la danse, tout en ayant un faible pour version tant novatrice (pour l’époque) de 1927 de De Caro et la version intéressante de Laurenz, qui constitue notre tango du jour.
C’est sympa de faire des rêves, mais parfois le retour à la réalité est terrible. C’est ce qui arrive au héros de cette magnifique valse, sans doute un peu trop rare dans les milongas. Ciriaco Ortiz, à la tête de l’orchestre Los Provincianos, l’a enregistrée, il y a exactement 93 ans…
Dès le début on remarque que le titre est conçu sous forme de questions-réponses. L’orchestre lance une question et un soliste donne la réponse. Si les violons avec Elvino Vardaro sont majoritairement les solistes, les bandonéons, dont celui de Ciriaco Ortiz et peut-être celui du jeune Aníbal Troilo ont également leurs réparties. Pour les danseurs, ces dialogues sont très intéressants, car cela leur permet de varier l’improvisation. La répétitivité de la structure permet de préparer une « réponse » au cas où les premiers dialogues auraient été loupés dans l’improvisation. Pour les danseurs moins avancés, les premiers temps de chaque mesure sont marqués par la contrebasse de Manfredo Liberatore. C’est le Poum du Poum-Tchi-Tchi de la valse (Temps fort-Temps faible-Temps faible). On n’entend pas vraiment le piano, en revanche, on a l’impression qu’une caisse claire sonne les temps faibles. C’est donc une valse facile pour les danseurs qui ont besoin d’un repère temporel bien marqué. À 1:58, Carlos Lafuente chante le refrain. Sa voix peut un peu surprendre, mais, comme l’intervention est courte, cela ne devrait pas trop perturber les danseurs. On remarquera que l’orchestre fait la place au chanteur en l’accompagnant en sourdine par un discret Poum-Tchi-Tchi, ce qui permet aux danseurs de garder le rythme. On remarquera la complexité modale de l’œuvre, avec de nombreux changements de tonalité, ce qui peut parfois donner une impression de dissonance si on reste sur l’élan de la tonalité précédente.
Il est difficile d’authentifier les instrumentistes de l’orchestre, car les orchestres de la Victor étaient à géométrie variable. Comme ces orchestres se limitaient aux enregistrements, ils se construisaient à chaque session avec des musiciens de premier plan, disponibles. On considère généralement que les principaux musiciens de Los Provincianos dirigés par Ciriaco Ortiz étaient : Ciriaco Ortiz, Aníbal Troilo, Horacio Gollino (bandonéonistes) Orlando Carabelli (pianiste) Elvino Vardaro, Manuel Núñez, Antonio Rossi (violonistes) Manfredo Liberatore (contrebassiste)
Cette photo généralement légendée comme étant de Los Provincianos, sans doute à cause de la présence de Ciriaco Ortiz. Cependant, Mercedes Simone n’est pas intervenue dans cet orchestre. Il me semble donc qu’il faut plutôt considérer que c’est une composition mixte, notamment avec l’orchestre Típica Victor de Carabelli dont Ciriaco Ortiz était également membre. On notera la présence du jeune Aníbal Troilo. Sur la droite, le violoniste Benjamín Holgado Barrio qui est à l’origine de la première scission de l’orchestre de D’Agostino. Il réclamait 17 pesos, pour lui et les autres membres de l’orchestre, au lieu des 15 pesos qui étaient octroyés pour les enregistrements, et D’Agostino a viré tout l’orchestre, Vargas compris. Celui-ci est revenu un peu plus tard, mais la magie fut un peu brisée. Je propose pour cette photo, la date du 13 août 1931, car c’est celle qui permet de réunir le plus de protagonistes. Mercedes Simone a enregistré ce jour Circo criollo avec la Tipica Victor (Carabelli). Sur cette photo, il manque Carabelli et, Lesende, qui n’a jamais enregistré avec la Victor est plutôt un intrus. En effet, il enregistrait à l’époque avec deux compagnies concurrentes de la Victor, la Brunswick (avec la Orquesta Típica Brunswick) et avec la Columbia (avec l’orchestre de Antonio Bonavena). Horacio Gollino est généralement indiqué comme ayant fait partie des premiers bandonéonistes de Los Provincianos. Il était né le 5 février 1911, il aurait donc eu quasi 20 ans, ce qui semble correspondre à l’âge du troisième bandonéoniste de la photo. José María Otero, qui est toujours très bien documenté, indique que ce serait en fait Toto (Juan Miguel Rodríguez). Si on observe la photo suivante, représentant l’orchestre de Troilo en 1941, il semblerait que l’on puisse valider l’hypothèse de Toto.
Cependant, selon Toto Tango qui est également une source de haute qualité, Toto serait né en 1919. Il aurait donc eu 12 ans si ma datation de la photo est bonne, ce qui semble tout de même un peu jeune et ne correspond pas à l’image. Si on regarde l’âge probable des différents musiciens de la première photo, la date de 1931 est fort plausible ; Troilo fait vraiment jeune (il est né en 1914 et aurait donc 17 ans), sur la seconde, il a 27 ans, il semble difficile de considérer qu’il y a beaucoup moins de 10 ans entre les photos. Je propose donc d’identifier Horacio Gollino sur cette photo, ce qui nous permettra d’avoir enfin un visage à mettre sur ce musicien de grande qualité, qui termina sa vie en donnant des cours de musique sans pouvoir pratiquer le bandonéon à cause de la paralysie d’un de ses bras.
Paroles
Que sueño aquel tan hondo y cruel Me vi en la gloria de tu pecho amante Y a al instante todo se acabo Fue mi Sueño imaginado Nada más que un soplo de placer Que se fumó y una ilusión hecha canción que se apagó Cieto Minocchio Letra: Francisco Brancatti
Quel rêve si profond et cruel. Je me suis vu dans la gloire de ta poitrine aimante et, instantanément, tout fut terminé. C’était mon rêve imaginé, rien de plus qu’un souffle de plaisir qui partit en fumée et une illusion faite chanson qui s’éteignait.
Autres versions…
Il n’y a pas d’autre version enregistrée de cette valse, même si le titre a inspiré de nombreux auteurs de tous types de musique. Je vous propose donc de terminer en réécoutant cette valse.
À bientôt, les amis. Faîtes de beaux rêves qui se réaliseront.
J’ai reçu ce matin un message d’un organisateur de milonga me demandant quelle valse proposer pour un anniversaire, avec la contrainte que ce soit une valse du mois de janvier vu que l’anniversaire était aujourd’hui. J’ai proposé cette valse, Mentías, pour deux raisons. La première est que c’est une valse qui correspond bien à l’occasion et la seconde est que sa date d’enregistrement coïncide avec la date de naissance de la danseuse à fêter. Je te dédicace donc, Martine de Saint-Pierre (La Réunion), cette valse, en te souhaitant un excellent anniversaire.
Extrait musical
Cette valse commence sur un rythme rapide, avec une introduction au piano par Rodolfo Biagi, qui proposera de nombreuses ponctuations et transitions légères (comme la première à 13s). Durant toute la première partie (jusqu’à 28s), tous les instruments sont au service du rythme. Ensuite, les bandonéons s’individualisent pour la partie B et ensuite cèdent le pas aux magnifiques violons. À 1:50, la variation apporte une impression de vitesse, sans toutefois changer le tempo, simplement, comme le fait presque systématiquement D’Arienzo, en subdivisant les temps en employant des double-croches au lieu de croches. Le rythme rapide, mais sans exagération et la fin somme toute tranquille, laisse la place à des titres plus énergiques pour terminer la tanda dans une explosion. Ce titre est un bon premier titre, ce qui renforce ma conviction qu’il peut faire l’affaire pour un anniversaire.
Paroles
Mis ojos te grabaron en mi mente Bajaste de la mente al corazón, La flor del corazón se abrió en latidos ¡Latidos que acunaron nuestro amor! Amor que florecía con tus besos Tus besos encubrían la traición, Traición que me valió la cruz del llanto ¡Y el llanto por mis ojos te arrojó!
¡Mentías…! Con caricias… estudiadas… ¡Cinismo…! Del cariño desleal… Jurabas Por tu dios y por tu madre… ¡Mira si no es criminal! Los seres Que han matado y se redimen, Merecen el olvido y el perdón… Cien vidas No podrán borrar tu crimen ¡Asesinar la ilusión!
Y ahora que mi vida está vacía Anclada en un silencio sin dolor, Golpea el aldabón de tu recuerdo Las puertas de mi pobre corazón… Ya es tarde para unir idilios rotos Miremos cara a cara la verdad, No vuelvas a rondar por mi cariño ¡Que el sueño que se fue no torna más! Juan Carlos Casaretto Letra: Alfredo Navarrine
Traduction libre des paroles
Mes yeux t’ont gravé dans mon esprit, tu es descendue de l’esprit au cœur, la fleur du cœur s’est ouverte en palpitant. Des battements de cœur qui ont bercé notre amour ! L’amour qui s’est épanoui avec tes baisers. Tes baisers ont couvert la trahison, la trahison qui m’a valu la croix des pleurs. Et les larmes à travers mes yeux t’ont rejetée !
Mensonges…! Avec des caresses… Étudiées… Cynisme…! D’affection déloyale… Tu as juré par ton dieu et par ta mère… Vois si ce n’est pas criminel ! Les êtres qui ont tué et se sont rachetés méritent l’oubli et le pardon… Cent vies ne pourront pas effacer ton crime Tuer l’illusion !
Et maintenant que ma vie est vide, ancrée dans un silence indolore, le heurtoir de ton souvenir frappe les portes de mon pauvre cœur… Il est trop tard pour unir des idylles brisées. Regardons la vérité face à face, ne reviens pas à chercher mon amour. Car le rêve qui est parti ne revient pas !
On notera que les paroles sont très moyennement adaptées à une fête d’anniversaire. Cependant, cela ne dérange pas, car elles ne sont pas enregistrées et la musique les dément totalement.
Juan Carlos Casaretto y Alfredo Navarrine
Le compositeur de cette valse, Juan Carlos Casaretto n’est connu que pour un seul autre titre, un tango, Chiclana y Boedo (avec J. Treviño, encore plus inconnu). Il en existe un enregistrement tardif par Enrique Rodriguez et Roberto Flores, mais ce n’est pas pour la danse. Alfredo Navarrine (Pigmeo), en revanche, est à la tête d’une riche production. Avec son frère, Julio Plácido Navarrine, il a fourni bon nombre de titres de tango.
Des frères Alfredo et Julio Navarrine :
Alaridos 1942
Juana 1958
Mil novecientos treinta y siete 1937 (plus José Domingo Pécora)
Lechuza 1928
Oiga amigo 1933
Sos de Chiclana 1947 (plus Rafael Rossa)
Trilla e recuerdos
De Julio Navarrine :
A la luz del candil 1927
Barcos amarrados
Catorce primaveras
El anillito de plata
El vinacho Milonga
La piba de los jazmines
Oiga amigo
Oro muerto (Jirón porteño) 1926
Por qué no has venido 1926
Qué quieren yo soy así Milonga
Trago amargo 1925
De Alfredo Navarrine :
Agüita e luna
Ayer y hoy 1939
Bandoneones en la noche
Barrio reo 1927
Brindis de olvido 1945
Canción del reloj
Canto estrellero 1943
Cielito del porteño 1950
Como una flor 1947
Con licencia 1955
Corazón en sombras 1943
Curiosa
Desvíos
Escarmiento 1940
Escúcheme, gringo amigo 1944
Esmeralda
Estampa rea 1953
Este amor 1938
Falsedad 1955
Fea 1925
Gajito de cedrón 1973 Canción criolla
Galleguita 1925
He perdido un beso 1940
Humildad 1938
La condición 1946
La Federal
Latido porteño
Luna pampa 1951
Mentías 1941 (Notre valse du jour)
Milonga de un argentino 1972
No nos veremos más 1939
Noche de plata 1930 (Vals)
Nocturno inútil 1941
Ojos en el corazón 1945
Ojos tristes 1939
Pajarada 1945
Qué linda es la vida
Rancheriando
Resignación
Ronda de sueños 1944
Rosas negras 1942
Sangre porteña 1946
Sé hombre
Señor Juez 1941
Señuelo 1977
Serenidad 1946
Tamal 1975
Tango lindo
Tango para un mal amor 1948
Tata Dios 1931
Torcacita
Tucumana (Zamba)
Tucumano 1961
Vidalita
Yo era un corazón 1939
Yunque 1953
Autres versions
Il n’y a pas d’autre version de notre valse du jour, Il est assez curieux de voir la frilosité des orchestres contemporains pour enregistrer des valses. Ils nous donnent des dizaines de versions de quelques tangos, mais très peu de valses ou de milongas. Si cette valse n’a pas été enregistrée par la suite, nous avons un tango du même titre composé par Juan de Dios Filiberto avec des paroles de Milon E. Mujica. Je vous propose deux enregistrements de celui-ci et on terminera par la valse du jour.
Un enregistrement acoustique. Bien sûr on réserve cela pour l’écoute et pas pour le bal.
Une jolie version. C’est assez léger et pas trop marqué en canyengue intense… Cela reste cependant un peu monotone, mais le joli violon de Cayetano Puglisi, délicieusement larmoyant, fait pardonner cela.
Mentías 1937-04-01 (vals) – Orquesta Juan D’Arienzo. C’est notre valse du jour. On termine avec énergie.
La tradition de la valse d’anniversaire
Il est des traditions dont on ne connaît pas vraiment l’origine. La valse d’anniversaire dans les milongas en fait sans doute partie. Il se peut aussi que ce soit une ignorance de ma part. Voici ce qui me semble à peu près vérifiable.
La valse des mariés
Un peu partout dans le monde, les nouveaux mariés ouvrent le bal, par une valse, ce qui assure à certains professeurs de danse une petite rente. Ils mettent en scène une petite chorégraphie, les mariés l’apprennent par cœur et le jour de la noce, ils émerveillent les invités et la famille, soigneusement anesthésiés au préalable par la richesse du repas et des alcools servis.
La valse des 15 ans
Plus spécifiquement en Amérique latine, il y a la tradition des 15 ans des jeunes filles/femmes. Cette cérémonie, peut-être issue des cultures précolombiennes, perdure de nos jours avec des formes, souvent très élaborées. Il existe des boutiques de robes spéciales pour les 15 ans, des maîtres de cérémonie et des vidéastes spécialisés. Ce sont des fêtes fort coûteuses et les familles s’endettent bien plus pour les quinze ans que pour le mariage. Cette tradition évolue, mais en général, la jeune femme est présentée par le père (ou parrain) et effectue avec lui une valse, puis, les amis d’enfance, éventuels prétendants et autres, dansent avec la quinceañera (jeune femme de 15 ans). Voir l’article de Wikipédia pour des éléments plus concrets. En Europe, chez les puissants, on peut trouver une cérémonie parallèle, le bal des débutantes.
La valse d’anniversaire des tangueros
Vous avez reconnu l’organisation de la valse d’anniversaire telle qu’elle se pratique dans les milongas. À ce sujet, il existe plusieurs façons de faire et beaucoup d’organisateurs ne souhaitent pas qu’on « perde » du temps à cette manifestation. D’autres, comme celui qui m’a commandé la valse ce matin, marquent plus d’attention pour cette tradition. En Argentine, les amis tangueros fêtent l’anniversaire à la milonga. Ils réservent une table et c’est une des occasions où il est autorisé d’apporter de la nourriture de l’extérieur. En général, un gâteau qui ferait tomber en syncope un nutritionniste, il n’y a jamais trop de crème et de sucre. Le « champagne » local, qui lui est celui vendu dans la milonga, participe à la fête, ainsi que souvent, des déguisements et autres fantaisies. En Europe, cela se fait moins, on pense que le temps pris pour fêter l’anniversaire est du temps perdu pour les danseurs. C’est un peu vrai, mais c’est aussi oublier la dimension sociale du tango. Nous sommes une communauté et c’est important de la renforcer par des marques d’amitié. Le tango n’est pas un club de gym où on fait son entraînement avec des écouteurs sur les oreilles. On parle, on chante et on partage. Comme DJ, il est important d’aider à trouver l’équilibre. Si l’organisateur refuse que l’on fête un anniversaire, je me contente d’une dédicace avant la tanda de valse. Libre aux danseurs qui le souhaitent d’organiser un moment convivial. Lorsque c’est l’organisateur qui le demande, il y a plusieurs possibilités. Parfois, tous les danseurs/danseuses veulent danser avec la personne qui fête son anniversaire. Dans ce cas, il se forme une immense file et ils refuseront d’aller danser avec quelqu’un d’autre tant qu’ils n’auront pas réussi à partager quelques secondes de valse. Parfois, cela dure toute la tanda. Cela peut être effectivement frustrant pour ceux qui ne danseront pas avec la personne dont c’est l’anniversaire (les femmes, si c’est une femme qui fête son anniversaire, ou les hommes dans le cas contraire). Cela risque de faire baisser l’énergie dans le bal et à moins que l’ambiance soit très amicale, je pense que cette organisation est à éviter. Plus intéressante est la mise en place d’un double parcours. On invite le héros de soirée à se placer au centre de la piste et les partenaires intéressés s’alignent. Les autres danseurs peuvent les entourer en dansant autour. Je trouve cela assez sympathique et cela ne frustre ni les stakhanovistes du bal ni les amis qui souhaitent partager quelques secondes de danse avec la personne qui fête son anniversaire. Il me semble qu’il est intéressant de proposer cette organisation, ce que peut faire le DJ avec l’accord de l’organisateur, ou l’organisateur, de son propre chef. Pour bien mettre en valeur l’anniversaire, on peut réserver une partie du premier thème au seul anniversaire et remplir progressivement la piste. S’il y a beaucoup de prétendants, cela peut impliquer de réserver tout le premier titre de la tanda à la personne qui fête son anniversaire. Comme DJ qui aime proposer des valses, je propose, en plus de la valse d’anniversaire, une tanda complète. Cela permet aux danseurs qui ont participé au manège de danser avec un autre partenaire. La tanda fera donc au moins quatre valses, voire cinq, si je suis sur un régime de tandas de 4 et que le premier titre a été entièrement utilisé pour souhaiter l’anniversaire. Les danseurs qui vont inviter la personne dont c’est l’anniversaire ne doivent pas hésiter à faire un peu de spectacle. Pas dans la façon de danser (ils doivent au contraire, être aux petits soins pour le partenaire), mais dans la manière de prendre son tour (ou de le donner). Cela apporte une distraction à ceux qui ne participent pas. Dans mon ancien profil Facebook, malheureusement fermé pour d’obscures raisons, j’avais réalisé une vidéo en direct où les danseurs qui s’étaient mis en file indienne se sont mis à se balancer en rythme d’un pied sur l’autre. Ce fut un superbe moment, tous les hommes de l’événement se balançant d’une même cadence, dans l’attente de partager quelques secondes de bal.
Je ne veux pas vous faire passer un amer Noël, mais, curieusement, les tangos enregistrés le 24 décembre ne sont pas d’une grande gaieté. J’ai choisi un des moins désespérants, Sin un adiós que Donato et Ibáñez enregistrèrent la veille de Noël 1931.
Extrait musical
Ce titre est assez original à cause du solo de piano de son frère, Osvaldo. Le jeu est un peu jazzy. Vous pouvez l’entendre à partir de 35 secondes. C’est la partie B. À 1’10 » la reprise de la partie A est presque un soulagement de retrouver une orchestration plus habituelle, pour les danseurs. La reprise de la partie B sera effectuée par Teófilo Ibáñez, qui restera accompagné par tout l’orchestre, marquant le rythme. Je reviens sur ce surprenant solo de piano. Est-ce que Edgardo a voulu faire une fleur à son frère en cette veille de Noël ? Seize ans plus tard, Osvaldo créera son propre orchestre en embarquant les musiciens de son frère, dont il avait quitté le poste de pianiste l’année précédente. Osvaldo (pianiste) et Ascanio (violoncelliste) sont plus discrets que leur frère Edgardo (violoniste). Ce solo de piano permet de mettre Osvaldo en lumière, une trentaine de secondes.
Paroles
Errante voy sin fe y sin esperanza Buscando alivio a mi dolor Con su visión se pierde en lontananza Y muerta está, en mi alma, la ilusión.
Ya no volveré a verla más, ni alcanzan Todas mis cuitas y mi pasión Se marchó y llorando su tardanza Aún está mi pobre corazón. J. Navarrete Letra: Francisco Antonio Lío
Errant, je vais sans foi et sans espoir, cherchant un soulagement à ma douleur. Avec sa vision qui se perd dans le lointain et morte est dans mon âme, l’illusion (sentiment amoureux). Je ne la reverrai jamais, et tous mes désirs et ma passion n’y arriveront pas. Elle est partie et pleurant son retard, toujours est mon pauvre cœur.
Autres versions
Il n’y a pas d’autre version de ce thème, même si le titre a été utilisé à de très nombreuses reprises, en tango et dans d’autres rythmes, mais ce sont des créations d’autres auteurs. Je vous propose donc un parcours musical autour des titres enregistrés par Donato et dans lesquels il y a le mot « adiós« .
Sur le disque, il est indiqué que c’est un Corrido. Je n’en suis pas totalement convaincu. Quoi qu’il en soit, Horacio Lagos chante le refrain composé et écrit par Rafael Hernández en l’honneur de Gardel, mort en 1935.
Les amateurs de vieux tangos apprécient l’association de Edgardo Donato et Roberto Zerrillo. Comme c’est Noël, je leur offre cet enregistrement…
Je n’étais pas très enthousiaste avec les autres titres proposés, mais là, on est devant un chef-d’œuvre. Alors, quoi de mieux pour vous dire à bientôt, les amis, et Joyeux Noël !
De floreo de Julio Carrasco est l’élément central d’une trilogie de trois tangos. Flor de tango (1945), De floreo (1950) et Mi lamento (1954). De floreo peut avoir différentes significations allant d’un bavardage inutile ou léger, par exemple, un piropo (compliment à une femme que l’on cherche à conquérir) à une danse parfaitement maîtrisée. Pour ma part, j’ai choisi une autre acception, celle du musicien épanoui qui domine son instrument. Il n’est qu’à écouter le solo de violon de Enrique Camerano pour se conforter dans cette idée.
Extrait musical
Les bandonéons lancent un rythme très marqué, lié par quelques glissandos des violons. Puis à 0 h 35 les violons prennent le dessus dans le staccato avec de légers motifs de piano de Pugliese. Comme il est habituel à cette époque pour Pugliese, l’œuvre est construite par des touches successives en legato et staccato. Cette organisation semble indiquer aux danseurs quoi faire. Encore faut-il que les danseurs soient attentifs aux changements d’expression, car une écoute trop légère ferait manquer les transitions et danser à contrecourant. C’est ce qui peut rendre certains titres de Pugliese si passionnants, mais parfois difficiles à danser. Contrairement à ce qui est généralement exprimé, je ne pense pas que Pugliese soit à réserver aux excellents danseurs. Certains y voient une musique romantique et tranquille, à danser avec une personne de cœur. D’autres se déchaînent dans des envolées incompréhensibles, pensant révolutionner l’art de la danse et laisser un public ébloui à la limite de l’évanouissement devant tant de génie. Entre ces deux extrêmes, il y a les danseurs qui écoutent la musique et qui savent adapter leur danse aux évolutions de la musique, tout en respectant les autres danseurs. Il n’y a donc pas besoin d’être un excellent danseur, seulement un excellent auditeur. Bien sûr, ceux qui peuvent être les deux existent, mais dans un beau bal, avec des danseurs qui dansent en musique, il y a une vibration particulière sur la piste durant les tandas de Pugliese. À 1:40 commence le passage que l’on ne peut pas louper et danser mal, le sublime solo de violon de Enrique Camerano qui se dilue ensuite dans les accords nerveux des bandonéons, puis des autres instruments. Le thème du solo de violon ressurgit ensuite jusqu’au final et l’interprétation se termine par les deux accords traditionnels chez beaucoup d’orchestres, dont celui de Pugliese.
Autres versions
On retrouvera bien sûr des accents de Pugliese dans cette version de Color Tango. Son créateur, Roberto Álvarez, était l’un des arrangeurs de Pugliese (même si dans son orchestre, la plupart des musiciens étaient aussi arrangeurs). J’en profite pour rappeler qu’il y a eu deux et même trois orchestres Color Tango, tous héritiers de Pugliese. L’orchestre originel « Color Tango » créé par Roberto Álvarez (bandonéoniste de Pugliese), Amílcar Tolosa (violoniste de Pugliese) et Fernando Rodríguez (contrebassiste de Pugliese). À la suite d’un désaccord, l’orchestre se scinda en deux parties égales et Roberto Álvarez et Amílcar Tolosa dirigèrent chacun un orchestre « Color Tango ». Comme les deux orchestres avaient les mêmes droits à porter ce nom, ce fut un peu compliqué, mais un accord a été trouvé et les deux orchestres ont coexisté avec le nom de leur directeur accolé. Color Tango de Roberto Álvarez et Color Tango de Amílcar Tolosa. À ce sujet, une petite remarque. Les orchestres ne restent pas tous immuables et au fil du temps, des musiciens sont remplacés. Aujourd’hui, la situation est encore plus marquée. Les orchestres voyageant à travers le monde, ils ont souvent recours à des musiciens différents suivant les lieux de la tournée ou suivant les engagements déjà pris avec un autre orchestre par un instrumentiste. La séparation de l’orchestre avec le même nom n’est donc pas si surprenante, mais c’est bien que le nom les différencie, même si la plupart des éditions restent vagues sur le sujet. Un Color Tango peut en cacher un autre.
Voici une version en vidéo par Martin Klett & Ensemble.
La trilogie de Julio Carrasco
Comme indiqué ci-dessus, De floreo fait partie d’une trilogie composée par Julio Carrasco. Voici les trois titres à l’écoute. Je pense qu’il est intéressant de noter l’évolution et les similitudes sur la décennie de cette trilogie.
La musique est sans doute un peu trop déstructurée pour les danseurs d’aujourd’hui. L’alternance des légatos et staccatos, par exemple, peut surprendre. On est dans l’héritage de De Caro, cet orchestre qu’admirait Pugliese. Cela rend donc l’œuvre plus difficile à danser pour les danseurs contemporains qui sont moins habitués à l’improvisation, car dansant sur des enregistrements connus par cœur. À l’âge d’or, les danseurs découvraient « en direct » les nouveautés et ils devaient donc être plus attentifs à la musique. En résumé, je ne passerai ce titre en milonga qu’avec des danseurs bien familiarisés avec cette façon de danser, d’autant plus que le mode mineur adopté peut donner une pincée de tristesse qui pourrait s’ajouter aux hésitations provoquées par les surprises (richesses) de la musique et faire que le moment ne soit pas aussi agréable que possible. On notera toutefois la beauté de la musique avec le beau solo de violon à 1:30 et la variation virtuose des bandonéons en final.
Pour rester dans la dansabilité. On remarquera que la présence d’un rythme bien marqué au début inspire la confiance des danseurs. Les phrases musicales sont plus claires et les transitions de danse plus faciles à prévoir. Certains motifs peuvent susciter de belles improvisations ou a minima des fioritures élégantes, permettant ainsi de danser de floreo… Et le solo de violon devrait faire fondre les danseurs à coup sûr et donc participer au succès de la danse.
Mi lamento démarre avec une rythmique appuyée qui sécurise les danseurs, mais, par la suite, on retrouve des éléments d’insécurité, comme avec Flor de tango dont il partage la tonalité de Fa # mineur. Certains passages comme à 1:35, sans doute un peu trop calmes, peuvent enlever un peu d’énergie aux danseurs. Cela n’empêche pas de le passer, mais il convient de bien juger de l’atmosphère du bal pour le passer à bon escient en étant prêt à relancer la machine si l’on sent que les danseurs ne suivent pas cette proposition.
Comme dans les deux œuvres précédentes, on retrouve le solo de violon à 1:50. Après tout Julio Carrasco et il est donc logique qu’il mette en valeur son instrument. Là encore, c’est Enrique Camerano qui interprète en sa qualité de premier violon le solo qui sera évoqué jusqu’à la fin, comme pour De floreo et contrairement à Flor de tango, où il est effacé par les bandonéons à la fin. La réputation de Julio Carrasco aurait pu lui ouvrir la carrière de premier violon dans l’orchestre de Pugliese, mais celui-ci a décliné l’invitation lors du départ de l’orchestre de Enrique Camerano. Cette évolution va donc d’une musique très decaréenne (de De Caro) a une musique au rythme plus appuyé, plus facile à danser. Les solos de violons sont tous les trois intéressants, mais celui de De floreo a sans doute ma préférence et comme il est sur le titre le plus dansable des trois, je passerai De floreo en priorité.
Et s’il fallait faire une tanda avec De floreo
Je propose cet exercice qui consiste à faire une tanda de Pugliese un peu moins consensuelle. Dans une milonga courte, je ne m’y risquerai sans doute pas et je resterai avec la vingtaine de titres validés par les danseurs. Mais admettons que je sois en présence de danseurs curieux, n’ayant pas peur de se mettre en « danger ». Dans cette tanda, je ne passerai probablement pas deux des titres de la trilogie, sauf si je vois que l’accueil est très bon et seulement pour des tandas de quatre titres et pas de trois comme cela se fait de plus en plus (difficile de passer un de ces titres en premier et en dernier, il en faut donc a minima un avant et un après). Pour donner un peu de variété à la tanda en gardant un esprit un peu decaréen, je pourrais proposer.
Une composition de De Caro, assez connue et qui peut donc rassurer en premier thème.
2) De floreo en deuxième, car pas suffisamment connu pour bien faire lever les danseurs. Ce titre servira d’aiguillage. Si je vois qu’il est parfaitement adopté, je pourrai envisager de passer Mi lamento en 3e titre. Si je sens que c’est passable, sans plus, je reviendrais à un peu plus facile avec, par exemple :
Pas trop difficile à danser et avec un beau solo de violon pour rester dans l’esprit de De floreo.
Avec des passages très « yumba ». Ce titre très connu, plus facile à danser, pourrait terminer la tanda.
Si je vois qu’il faut raccrocher les wagons, je pourrais passer à Canaro à Paris en troisième titre de la tanda, qui est plus rassurant pour les danseurs et qui comporte de magnifiques solos de bandonéon et de violoncelle.
Le 4e titre pourra être un titre « phare de Pugliese », même si cela nuit un peu à l’harmonie de la tanda. Sinon, La Cachila pourra faire l’affaire.
Si je vois que Boedo ne passe pas très bien (tous les danseurs ne sont pas sur la piste), j’activerai l’aiguillage plus tôt et je basculerai vers les grands standards, en ne passant donc pas De floreo et autres. Passer une tanda de Pugliese avec des titres peu connus donne des sueurs froides au DJ. Pour cette raison, il est indispensable, lorsque l’on ne connaît pas le public, d’être prêt à tout changer à la volée et c’est un bon exemple de l’impossibilité de faire des playlists à l’avance, sauf si on est DJ résident et que l’on passe la musique toutes les semaines dans le même lieu, car, dans ce cas, on apprivoise les danseurs en formant leur goût. C’est d’ailleurs une responsabilité du DJ résident, car à routiner les danseurs sur un style de musique, on risque de les éloigner de la communauté tanguera. Par exemple, dans certaines milongas, le DJ résident met beaucoup de tango alternatif ou des titres peu typiques. Les danseurs s’y habituent et ont ensuite du mal à aller dans des milongas « normales ». Ouvrir les oreilles et les horizons, c’est bien, mais il ne faut pas oublier le cœur du tango. À bientôt les amis !
Ceux qui ont traversé les provinces de Entre-Rios et Corrientes ont sans doute remarqué au bord des nationales 12 et 14 les nombreuses pancartes annonçant que l’on pouvait trouver du « yacaré » à l’escabèche. Le yacaré est le nom du crocodile local et l’escabèche (esacabeche) est la sauce qui accommode ce saurien et dont sont friands les entrerianos et corientinos. Mais, notre tango du jour ne vante pas un plat typique, ni même l’animal du même nom. Il nous parle d’un jockey fameux, Elías Antúnez, surnommé El Yacaré, car il est justement originaire de Corrientes.
Chevaux et tango
De nombreux tangos font référence aux courses de chevaux. Carlos Gardel fut l’un des promoteurs du genre, par exemple en chantant Leguisamo solo, Por una cabeza. Si le sujet vous intéresse, je vous invite à consulter l’excellent Todo Tango sur le sujet…
Extrait musical
Aujourd’hui, pas de partition, mais les accords pour les guitaristes sur chordify.net :
Paroles
Es domingo, Palermo resplandece de sol, cada pingo en la arena llevará una ilusión. En las cintas los puros alineados están y a la voz de “¡Largaron!” da salida un afán. En el medio del lote, conteniendo su acción, hay un jockey que aguarda con serena atención, ya se apresta a la carga… griterío infernal. Emoción que desborda en un bravo final.
¡Arriba viejo Yacaré! Explota el grito atronador. Todos castigan con rigor, pero no hay nada que hacer, en el disco ya está Antúnez. Sabés sacar un perdedor, ganar un Premio Nacional… Muñeca brava y al final el tope del marcador siempre es tu meta triunfal.
Un artista en las riendas, con coraje de león, tenés toda la clase que consagra a un campeón. Dominando la pista con certera visual el camino del disco vos sabés encontrar. Las tribunas admiran tu pericia y tesón y se rinde a tu arte con intensa emoción. Se enronquecen gargantas en un loco estallar, cuando a taco y a lonja empezás a cargar. Alfredo Attadía Letra: Mario Soto
Traduction libre des paroles
C’est dimanche, Palermo resplendit de soleil, chaque cheval (pingo) sur le sable (de la piste) portera un espoir. Sur les bandes, les cigares sont alignés et la voix de « ¡Largaron ! » (on entend dans Largaron de Carlos Cubría et Juan Navarro connue par l’enregistrement de De Angelis, la cloche et le « largaron » qui annoncent le départ des chevaux) laisse place à l’empressement. Au milieu du peloton, contenant son action, il y a un jockey qui attend avec une attention sereine, déjà, il se prépare à la charge… brouhaha infernal. Une émotion qui déborde dans un bravo final (ou un final vaillant). Courage, le vieux Yacaré ! Le cri tonitruant explose. Tous cravachent vigoureusement (punissent), mais il n’y a rien à faire, Antúnez (El Yacaré) est déjà au poste d’arrivée. Tu sais faire sortir un perdant, qu’il gagne un Prix national… Muñeca brava (poignet vaillant, mais une Muñeca brava est aussi une femme, comme dans le tango de Enrique Cadícamo) et, à la fin, le haut du tableau de résultat est toujours ton but, triomphal. Un artiste aux rênes, avec le courage d’un lion, vous avez toute la classe qui consacre un champion. Dominant la piste avec une vision précise, tu sais trouver le chemin du poste d’arrivée. Les tribunes admirent ton savoir-faire et ta ténacité et rendent à ton art avec une émotion intense. Les gorges s’enrouent dans une explosion folle, lorsque vous commencez à charger avec les talons et la cravache.
Autres versions
Dix ans après D’Agostino et Vargas, Attadía donne sa version de sa composition. On notera toutefois qu’il est difficile de détacher cet enregistrement de celui des deux anges. Cette proximité peut se comprendre. Attadía a composé un certain nombre des succès de D’Agostino et notamment, Tres esquinas composé en commun avec D’Agostino. Le résultat est agréable à écouter et même dansable.
On regrette la disparition de cet orchestre qui valait surtout par la voix et les interprétations extraordinaires de Javier Di Ciriaco. Une version dans le style de cet orchestre, plutôt intéressante et dansable.