Vous connaissez ce titre, bien qu’il ait été peu enregistré. Mais peut-être vous êtes-vous demandé qui était ce paladin, car ce terme désignait les Pairs de l’empereur Charlemagne, un millénaire plus tôt. El paladín est un tango d’Agustín Bardi et ne semble pas avoir de paroles. Il est donc assez difficile de savoir qui était évoqué dans ce titre. Voici trois hypothèses.
Trois paladines possibles
On pourrait remonter un siècle plus tôt, à l’époque ou Martín Miguel de Güemes, accompagné de ses gauchos, était un des héros de l’Argentine pour ses actions dans l’indépendance du pays. En illustration de l’article, je vous propose un portrait imaginaire de ce héros réalisé près d’un siècle plus tard par Manuel Prieto. Blessé d’une balle, il refusa les soins pour rester fidèle à sa cause et mourut onze jours plus tard, âgé de 36 ans. Son épouse, âgée de 25 ans, se serait laissé mourir de chagrin. Cette histoire, hautement romantique, a pu inspirer Bardi. Cela expliquerait une musique plutôt nostalgique et calme, peut-être du point de vue de la jeune épouse qui se laisse mourir de faim.
El paladín, partition pour piano. On voit manifestement un orateur, peut-être un avocat ou un politique.
La dernière possibilité est la dédicace de la partition. En effet, elle est dédicacée par Bardi à son ami Guillermo Fisher. Ce dernier est un des fondateurs de la Sociedad Nacional de Autores, Compositores y Editores de Música ce qui deviendra la SADAIC, la société des auteurs et compositeurs argentins. Cependant, je n’ai pas plus obtenu de renseignements sur cette personne.
Extrait musical
Partition et El paladín. On remarque sur la couverture un orateur, politique, avocat, défenseur de la création de la société des auteurs ? Dans ce cas, il pourrait s’agir de Guillermo Fischer…El paladín 1945-03-20 – Orquesta Osvaldo Pugliese.
Cette version semble avoir été enregistrée au moins quatre fois et deux des enregistrements de cette journée, les matrices 44645-2 et 44645-4 ont été publiées en disque 78 tours, sous le même numéro de disque 47138 (Face B). Vous allez sans doute trouver cette version assez sympathique.
El paladín 1941-12-11 – Orquesta Carlos Di Sarli.
La reprise, 12 ans plus tard par Di Sarli. Cette version est relativement proche, mais plus liée.
El paladín 1945-03-20 – Orquesta Osvaldo Pugliese.
C’est notre version du jour. Avec Pugliese, si le début semble assez semblable, on remarquera un jeu des violons dans les légatos sensiblement différent.
Francisco Gorrindo a écrit les paroles de nombreux tangos et pas des moindres, comme Ansiedad, La bruja, Mala suerte ou Paciencia. Notre tango du jour rappelle que la vie est courte et Tanturi et Castillo nous invitent à suivre ce conseil, d’une fort belle manière. Alors, les amis, carpe diem!
Extrait musical
La vida es corta 1941-02-19 – Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo.
Édition anglaise de La vida es Corta. Schellac 78 tours.
Le titre commence par quatre notes montantes de la gamme de La mineur ; Sol-la-si-do données principalement par les deux bandonéons de Tanturi (Emilio Aguirre et Francisco Ferraro), mais aussi par le piano de Tanturi lui-même, qui rajoute une ponctuation à la fin de ce court motif. Toute la partie A sera du même principe avec les quatre notes tantôt au piano ou au bandonéon avec des petits motifs des autres instruments, y compris des deux violons (Antonio Arcieri et José Pibetti).
Puisque j’ai cité cinq des musiciens du sexteto de Tanturi (Los Indios), il convient de rajouter le contrebassiste (Raúl Méndez) qui aide à marquer le rythme pour les danseurs, mais le piano de Tanturi qui marque chaque temps participe aussi de cette conservation du rythme, même quand les violons joueront leurs grandes et belles phrases legato. Pendant les parties chantées par Alberto Castillo, les instruments seront majoritairement rythmiques, ce qui est très habituel chez Tanturi, dont on considère que (presque) tous les enregistrements sont dansables. L’écoute de ce morceau, et la reconnaissance de cette particularité, qu’il partage dans une certaine mesure avec D’Arienzo, nous fait comprendre l’intérêt des danseurs pour cet orchestre, sans doute un peu plus pauvre d’un point de vue musical que d’autres de la même époque. C’est du tango de danse, efficace, avec un rythme soutenu et dynamique. Les liaisons et les appoggiatures de Castillo ne perturbent pas ce rythme marqué, sans doute même, au contraire, elles le rendent moins sec. D’ailleurs, dans ses tangos instrumentaux, Castillo les fait réaliser par ses violonistes, ce qui fait que le style de Tanturi soit si reconnaissable. La dernière particularité de Tanturi est de retarder le tout dernier accord. On reste en suspension, comme souvent chez Rodriguez, mais là, vient finalement l’accord final, libérateur qui permet aux danseurs de relâcher l’abrazo après quelques fractions de secondes de tension finale.
Paroles
A ver muchachos, quiero alegría, quiero aturdirme, para no pensar. La vida es corta y hay que vivirla, dejando a un lado la realidad. Hay que olvidarse del sacrificio, que tanto cuesta ser, tener el pan. Y en estas noches de farra y risa, ponerle al alma nuevo disfraz.
La vida es corta y hay que vivirla, en el mañana no hay que confiar. Si hoy la mentira se llama sueño, tal vez mañana sea la verdad. La vida es corta y hay que vivirla, feliz al lado de una mujer, que, aunque nos mienta, frente a sus ojos, razón de sobra hay para querer.Ricardo Tanturi Letra : Francisco Gorrindo
Voyez les gars, je veux de la joie, je veux être étourdi pour ne pas penser. La vie est courte et il faut la vivre, en laissant la réalité de côté. Il faut oublier le sacrifice, que c’est si dur d’avoir du pain. Et dans ces nuits de réjouissance (danse, musique) et de rires, se déguiser l’âme.
La vie est courte et il faut la vivre, il ne faut pas faire confiance à demain. Si aujourd’hui le mensonge s’appelle rêve, peut-être que demain ce sera la vérité. La vie est courte et il faut la vivre, heureux aux côtés d’une femme, qui même si elle nous ment à la face (sous les yeux), il y a plein de raisons d’aimer.
Ricardo Tanturi Letra : Francisco Gorrindo
Il dévoile à ses compagnons de fiesta, sa philosophie de la vie, philosophie que de nombreux tangueros dans le monde ont adoptée…
Autres versions
La vida es corta 1941-02-19 – Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo. C’est notre tango du jour.
S’il n’y a pas d’autres versions enregistrées de ce titre , il y a en revanche de nombreux enregistrements de Castillo avec Tanturi réalisés sur quelques années, de janvier 1941 à mai 1943. Une belle tanda de milonga et une autre de valse (avec variantes possibles) et une trentaine de tangos que nous entendons souvent en milonga. En revanche, La vida es corta est le seul titre à avoir été conçu par Tanturi et Gorrindo. Je vous propose d’écouter un des premiers succès de Francisco Gorrindo, Las cuarenta, un titre chanté par Hugo Del Carril dans le film Confesión dirigé par Luis José Moglia Barth et qui est sorti le 23 octobre 1940.
Las cuarenta par Hugo Del Carril dans le film Confesión dirigé par Luis José Moglia Barth (1940).
La cumparsita 1933-02-14 – Orquesta Francisco Canaro.La joyeuse troupe des amis de Gerardo Hernán Matos Rodríguez défile sur la couverture de droite. Ils sont cités en haut de la partition. À droite Gerardo Hernán Matos Rodríguez devant sa partition chez un éditeur de partitions. On notera que les joyeux fêtards sont remplacés par une femme masquée. Le masque peut évoquer le bal, mais le fait qu’il soit noir peut aussi évoquer une voilette de deuil, celui qu’évoque Gerardo Hernán Matos Rodríguez dans sa version des paroles.
Les cumparsitas de Canaro
La cumparsita 1927-02-17 – Orquesta Francisco Canaro.
Comme on peut s’y attendre avec Canaro, surtout en cette année, il s’agit d’une version bien canyengue avec de très beaux passages. À partir de 27 s des petits motifs de flûte rendent cet enregistrement plus léger. Puis, le violoncelle enchaîne un très beau solo, accompagné par les violons en pizzicati. Le chant du violon pour terminer les 30 dernières secondes est également sublime.
La cumparsita 1929-04-17 – Orquesta Francisco Canaro.
On reste dans un rythme assez lent, mais très appuyé et les fioritures de la flûte sont désormais effectuées par le bandonéon qui, à un joli solo à partir d’une minute. Même durant le solo de violon, le bandonéon virtuose continue en arrière-plan. Il faut sans doute attribuer cela a l’arrivée de Federico Scorticati et Ciriaco Ortiz dans l’orchestre.
La cumparsita 1933-02-14 – Orquesta Francisco Canaro. C’est notre tango du jour.
On retrouve le bandonéon virtuose de la version de 1929, avec les mêmes bandonéonistes et un résultat très, très proche.
La cumparsita (Si supieras) 1951-11-29 – Orquesta Francisco Canaro con Mario Alonso.
Cette version est assez tonique et brillante avec un tempo bien marqué. On notera que les fioritures sont aussi exécutées partiellement au piano et pas seulement au bandonéon et le retour de la flûte. La jolie voix, profonde de Mario Alonso apporte un final original, presque à la Caló…
La cumparsita (Si supieras) (en vivo) 1954-10-04 – Orquesta Juan Canaro con María de la Fuente.
C’est une version du frère de Canaro, Juan mais je la trouve intéressante à connaître, même si ce n’est pas une version de danse. Elle a été enregistrée au Japon, pays passionné par cette musique, comme nous le verrons avec les enregistrements de Francisco. C’est une des versions intégralement chantées (et parlée 😉 María de la Fuente chante les paroles de Contursi et Maroni que vous pouvez retrouver dans cette autre anecdote.
La cumparsita 1955-01-31 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.
Là, les musiciens semblent pressés d’arriver à la fin du morceau. Ce n’est pas vilain, mais cela donne une idée de précipitation. Je ne proposerais sans doute pas cela en bal.
Avec cette version, Canaro, corrige le tir et l’impression de précipitation a disparu. Il y a tellement de versions de la cumparsita que ce ne sera pas ma préférée, mais bon en première tanda, elle peut faire l’affaire, car elle permet de rester avec le Pirincho et de mettre des tangos sympathiques pour terminer la tanda. Cependant, ces versions me semblent moins surprenantes et riches que les premières.
La cumparsita (en vivo) 1961-12-01 – Orquesta Francisco Canaro.
Encore un enregistrement au Japon, avec les applaudissements à la fin. Là, Canaro s’approche du style martelé de D’Arienzo. Là encore le bandonéon vibrant chatouille les oreilles. Comme c’est un enregistrement public au théâtre Koma de Tokio, il y a une émotion que n’ont pas toujours les enregistrements de studio.
La cumparsita 1961-12-26 – Orquesta Francisco Canaro.
On termine avec un dernier enregistrement au Japon, cette fois, au studio Kojimachi de Tokio. Il est intéressant de comparer avec la version également enregistrée à Tokio 25 jours plus tôt. Elle me semble moins « habitée ». Le violon est plus discret et le bandonéon un peu moins lumineux. Le rythme est marqué de façon un peu plus discrète, avec un piano plus présent. J’aurais donc tendance à privilégier la version live…
Canaro mourra trois ans plus tard sans enregistrer d’autre comparsita, mais il est intéressant de voir son évolution sur 34 années. À bientôt, les amis !
J’espère que vous me pardonnerez cette petite facétie. « El día que me quieras » (Le jour où tu m’aimeras) ; vous connaissez tous ce titre pour l’avoir entendu par Gardel, que ce soit sur disque, ou dans le film du même nom. La version que je vous propose est bien plus rare et antérieure de cinq ans à celle de Gardel. En fait, j’ai saisi l’occasion de l’anniversaire de l’enregistrement de ce titre, il y a exactement 95 ans, pour évoquer cet orchestre un peu moins connu. Mais rassurez-vous, vous aurez droit au titre de Gardel et Le Pera, également, ainsi qu’à d’autres tangos du même titre…
Extrait musical
El día que me quieras 1930-02-07 – Orquesta Cayetano Puglisi con Roberto Díaz.
L’introduction est plutôt jolie et élégante. Le violon de Cayetano Puglisi domine en chantant les autres instruments plus percussifs et qui marquent le rythme, puis il cède la place à Roberto Díaz qui chante à son tour un court passage. Comme nous le verrons, ce titre est assez différent de celui de Gardel qui est bien plus connu. Le thème est cependant le même. On notera quelques passages agités des bandonéons de Federico Scorticati et Pascual Storti en double-croche qui font le contrepoint avec les violons de Cayetano Puglisi et Mauricio Mise plus suaves. Pour une musique de 1930, c’est assez bien orchestré. Cayetano Puglisi, cet excellent violoniste qui a intégré les plus fameux orchestres, comme ceux de Firpo, Canaro D’Arienzo et Maffia a également eu son propre sexteto avec lequel il a enregistré une quinzaine de titres en 1929 et 1930. Je n’ai pas cité son frère José, à la contrebasse, ni Armando Federico au piano. J’aime bien et dans une milonga où les danseurs seraient amateurs de thèmes un peu vieillots, cet enregistrement pourrait intégrer une tanda.
Paroles de Ramón C. Acevedo
Yo quisiera tenerte entre mis brazos Y besarte en tu boca sin igual, Yo quisiera prodigarte mil abrazos Mujer esquiva de rostro angelical.
Tu sonrisa altanera y orgullosa Tu mirada quisiera doblegar, Y que aun, negándome besara Con un beso, sublime y sin final. Raúl Brujis L : Ramón C. Acevedo
J’aimerais te tenir dans mes bras et t’embrasser sur ta bouche sans pareille, Je voudrais te prodiguer mille abrazos, femme insaisissable au visage angélique.
Ton regard souhaiterait faire céder ton sourire hautain et fier, et aussi, même si tu me le niais, m’embrasser, avec un baiser sublime et sans fin.
Autres versions
Il n’y a pas d’autre enregistrement de ce titre, alors je vous propose d’écouter quelques enregistrements du tango de même titre, mais écrit 4 ans plus tard par Carlos Gardel et Alfredo le Pera pour le film de la Paramount… El día que me quieras. Nous écouterons aussi d’autres thèmes ayant le même titre. Tout d’abord, réécoutons le tango du jour, qui est le plus ancien titre…
El día que me quieras 1930-02-07 – Orquesta Cayetano Puglisi con Roberto Díaz.
C’est notre tango du jour et le seul enregistrement de la composition de Raúl Brujis.
Version 2, de Víctor Pedro Donato et Miguel Gómez Bao
El día que me quieras 1930-11-05 Orquesta Ricardo Luis Brignolo con Luis Díaz.
Quelques mois après, Brignolo enregistre un tango composé par Víctor Pedro Donato avec des paroles de Miguel Gómez Bao. Ce titre est bien moins moderne que notre tango du jour. Il ressort encore d’un style canyengue très marqué.
Paroles de la version de Víctor Pedro Donato et Miguel Gómez Bao
El boliche del Turco no tendrá ni un cohete, el piberío del hueco los hará estallar, la cantina del “Beppo” abrirá los espiches y todo el “Grevanaje” en curda dormirá. La farra, el capuchino tomará el chocolate, ese día yo banco con mi felicidad y la orquesta de Chicho, pelandruna y mistonga hará un tango canyengue con la marcha nupcial.
A tu hermano el tarasca compraremos botines, al zambullo una faja de esas pa’ adelgazar, y al menor, al checato, dos docenas de anteojos y una jaula con trampa pa’ que vaya a cazar, a tu vieja diez cajas de pastillas de menta, a tu viejo toscanos para reventar, y el globo luminoso que tiene la botica a tu hermana la tuerta como ojo de cristal.
El bañao de la esquina será un lago encantado y las ranas cantantes en la noche un jazz-band, el buzón de la esquina el Pasaje Barolo, la cancel‘e tu casa, la escala celestial. El día que me quieras, pebeta de mi barrio, toditas mis ternuras pa’vos sólo serán, aunque llore a escondidas mi viejecita santa que al extrañar mis besos tendrá unas canas más. Víctor Pedro Donato et Miguel Gómez Bao
Traduction de la version de Víctor Pedro Donato et Miguel Gómez Bao
Le bazar (les pulperias faisaient office de bar, vendaient de tout et pourvoyaient des distractions, comme les jeux de boules, ou la danse) du Turc n’aura plus de fusées (feux d’artificee, les Argentins sont des fanatiques des activités pyrotechniques), les gamins du terrain vague les auront fait exploser, la cantine du« Beppo » (Beppo est un prénom d’origine italienne dérivé de Joseph) ouvrira les robinets (des tonneaux de vin, bien sûr) et tous les « Grevanaje » (je pense qu’il faut rapprocher cela de Grebano qui signifie idiot, rustre), ivres, dormiront. La fête, le cappuccino boira le chocolat, ce jour-là, je reste avec mon bonheur et l’orchestre de Chicho (je ne l’ai pas identifié), paresseux et triste jouera un tango canyengue avec la marche nuptiale.
Pour ton frère, El Tarasca , nous achèterons les bottes, au gros (zambulo, à la panse proéminente) une de ces ceintures pour perdre du poids (la faja est la ceinture qu’utilisent les gauchos. Elles sont souvent décorées de pièces de monnaie. Dans le cas présent, il peut s’agir de ceintures de toiles, également utilisées par les gauchos), et au plus jeune, le vérificateur, deux douzaines de paires de lunettes et une cage avec un piège pour qu’il puisse aller à la chasse. À ta vieille (mère), dix boîtes de bonbons à la menthe, à ton vieux (père) des cigares à éclater (faut-il y voir des cigares de farces et attrapes qui explosent quand on les fume ?), et le globe lumineux qu’a l’apothicaire pour ta sœur borgne, comme œil de verre.
Le marécage du coin sera un lac enchanté et les grenouilles chanteuses de la nuit, un groupe de jazz. La boîte aux lettres de l’angle sera le passage Barolo (plus que passage, on dirait aujourd’hui le Palais, un des hauts bâtiments luxueux du centre-ville de Buenos Aires), la porte d’entrée de ta maison (porte intérieure séparant l’entrée de la maison, sorte de sas), l’échelle céleste. Le jour où tu m’aimeras, petite (terme affectueux) de mon quartier, toutes mes tendresses seront pour toi seule, même si, de façon cachée, je verserai quelques larmes pour ma sainte petite mère qui, manquant de mes baisers, aura encore quelques cheveux blancs de plus.
Version 3, la plus célèbre, celle de Carlos Gardel et Alfredo Le Pera
El día que me quieras 1935-03-19 – Carlos Gardel con acomp. de la orquesta dir. por Terig Tucci.
Paroles de la version de Carlos Gardel et Alfredo Le Pera
Acaricia mi ensueño el suave murmullo de tu suspirar, ¡como ríe la vida si tus ojos negros me quieren mirar! Y si es mío el amparo de tu risa leve que es como un cantar, ella aquieta mi herida, ¡todo, todo se olvida!
El día que me quieras la rosa que engalana se vestirá de fiesta con su mejor color. Al viento las campanas dirán que ya eres mía y locas las fontanas me contarán tu amor. La noche que me quieras desde el azul del cielo, las estrellas celosas nos mirarán pasar y un rayo misterioso hará nido en tu pelo, luciérnaga curiosa que verá…¡que eres mi consuelo!
Recitado: El día que me quieras no habrá más que armonías, será clara la aurora y alegre el manantial. Traerá quieta la brisa rumor de melodías y nos darán las fuentes su canto de cristal. El día que me quieras endulzará sus cuerdas el pájaro cantor, florecerá la vida, no existirá el dolor…
La noche que me quieras desde el azul del cielo, las estrellas celosas nos mirarán pasar y un rayo misterioso hará nido en tu pelo, luciérnaga curiosa que verá… ¡que eres mi consuelo!
Carlos Gardel Letra: Alfredo Le Pera
Traduction de la version de Carlos Gardel et Alfredo Le Pera
Ma rêverie caresse le doux murmure de ton soupir, Comme la vie rirait si tes yeux noirs voulaient me regarder ! Comme si était mien l’abri de ton rire léger qui est comme une chanson, Elle calme ma blessure, tout, tout est oublié !
Le jour où tu m’aimeras, la rose qui orne s’habillera de fête, avec sa plus belle couleur. Au vent, les cloches diront que tu es déjà à moi, et folles, les fontaines me conteront ton amour. La nuit où tu m’aimeras depuis le bleu du ciel, Les étoiles jalouses nous regarderont passer et un mystérieux éclair se nichera dans tes cheveux, curieuse luciole qui verra… que tu es ma consolation !
Récité : Le jour où tu m’aimeras, il n’y aura plus que des harmonies, L’aube sera claire et la source joyeuse. La brise apportera le calme, le murmure des mélodies, et les fontaines nous donneront leur chant de cristal. Le jour où tu m’aimeras, l’oiseau chanteur adoucira ses cordes, La vie fleurira, la douleur n’existera pas…
La nuit où tu m’aimeras depuis le bleu du ciel, Les étoiles jalouses nous regarderont passer et un mystérieux éclair se nichera dans tes cheveux, curieuse luciole qui verra… que tu es ma consolation !
Extrait du film El día que me quieras de John Reinhardt (1934)
« El día que me quieras », dúo final Carlos Gardel y Rosita Moreno du film du même nom de 1934 dirigé par John Reinhardt. Dans ce film, Carlos Gardel chante également Sol tropical, Sus ojos se cerraron, Guitarra, guitarra mía, Volver et Suerte negra avec Lusiardo et Peluffo.
Autres versions du thème composé par Gardel
Il existe des dizaines d’enregistrements, y compris en musique classique ou de variété. Je vous propose donc une courte sélection, principalement pour l’écoute.
El día que me quieras 1948-05-11 – Orquesta Florindo Sassone con Jorge Casal.
Une version chantée par Jorge Casal qui ne démérite pas face aux interprétations de Gardel.
El día que me quieras 1955-06-30 – Orquesta Francisco Canaro con Juan Carlos Rolón.
Une version pour faire pleurer les ménagères nées après 1905…
El día que me quieras 1968 – Orquesta Típica Atilio Stampone.
Stampone, bien qu’il s’agisse d’une version instrumentale, n’a pas destiné cet enregistrement aux danseurs.
Encore une version instrumentale, mais fort intéressant à défaut d’être pour la danse par le trio Hugo Diaz… Si vous n’entendez pas l’harmonica, c’est que ce trio est celui du bandonéoniste uruguayen, Hugo Díaz, à ne pas confondre avec Victor Hugo Díaz qui est le magicien de l’harmonica, qui lui est argentin (Santiago del Estero) et sans doute bien plus connu…
El día que me quieras 1977-06-14 – Orquesta Osvaldo Pugliese.
Une version sans doute surprenante, essentiellement construite autour de solos de violon et piano.
El día que me quieras 1978 – María Amelia Baltar.
Une version expressive par la compagne de Piazzolla.
El día que me quieras 1979 – Alberto Di Paulo y su Orquesta Especial para Baile.
Bien que l’orchestre affirme être de danse, je ne suis pas convaincu que cela plaira aux danseurs de tango, mais peut-être aux amateurs de slow et boléros (dans le sens argentin qui qualifie des musiques romantiques au rythme flou et pas nécessairement de vrais boléros).
El día que me quieras 1997 – Enrique Chia con Libertad Lamarque.
Une introduction à la Mozart (Flûte enchantée) et s’élève la magnifique voix de Libertad Lamarque. C’est bien sûr une chanson et pas un tango de danse, mais c’est joli, n’est-ce pas ?
Avec cette belle version, je propose d’arrêter là, et je vous dis, à bientôt, les amis !
Qui n’a pas été ému par la voix de Roberto Rufino chantant Patotero sentimental ? Mais savez-vous que cet enregistrement suit de presque 20 ans un succès phénoménal qui obligeait Ignacio Corsini à rechanter cet air souvent plus de cinq fois à la suite. Je vous invite à vous plonger dans l’histoire de ce patotero, émouvant par ses regrets et par là-même découvrir un peu plus cet univers des cabarets, repaire des patoteros.
Je publie cet article le 26 janvier qui est la date anniversaire de la version de Di Sarli avec Mario Pomar et pas celle que je mets en avant, avec Roberto Rufino. Je triche donc un petit peu, on pourra toujours en reparler un 6 juin…
Patoteros, apaches, youth gangs…
Un patotero est le membre d’une patota, un groupe de jeunes enclins à la violence et à la délinquance. Ce phénomène de bandes de jeunes est sans doute une des conséquences de la révolution industrielle qui a jeté des générations de paysans dans les villes. Si les parents y travaillaient, les jeunes qui voyaient les conditions méprisables de vie de leurs parents trouvaient refuge dans des activités, plus ou moins lucratives à défaut d’être honnêtes. Si à Paris, les Apaches (bandes de jeunes délinquants surnommées ainsi par le journaliste Henri Fouquier en référence à la brutalité de leurs crimes qui rappelaient les romans de Fenimore Cooper colportant des idées colonialistes sur la violence des Indiens américains) étaient particulièrement violents, à Buenos Aires, les patoteros étaient un peu moins craints par la population. Pour juger de la différence, on peut s’intéresser à leurs danses, vraiment très différentes. Pour les Argentins, je ne vous propose pas de vidéo, il vous suffit d’imaginer un tango canyengue accentuant l’aspect « canaille », les fentes et autres passes (figures) inspirées du combat au couteau.
Un bal en 1900. Peut-être du tango.
Pour le côté parisien, la danse des apaches est une danse qui alterne des moments violents et des moments plus sensuels. C’est une dramatisation des relations entre femmes et hommes. Cette danse perdurera en France jusque dans les années 60. On retrouvera ses figures, reprises dans d’autres danses comme le lindy-hop, le rock acrobatique, le tango de show, voire le tango de danse sportive.
Trois présentations de valse chaloupée en 1904, 1910 et 1935. Cette danse présente des chorégraphies brutales, d’apparence machiste, même si les femmes peuvent y être également agressives. On considère que c’est une mise en scène des relations tumultueuses entre une prostituée et son souteneur. Quand on imagine le nombre de femmes « volées » à Paris et mise au travail comme prostituées en Argentine, on comprend mieux ce phénomène, fait d’alternance de moments de tensions extrêmes et de moments de passion amoureuse.
Extrait musical
Partition de patotero sentimental. Trois couvertures. Avec Manuel Jovés et Ignacio Corsini à gauche et sur la couverture de droite, Lorenzo Barbero qui l’a enregistrée en 1950 avec le chanteur Osvaldo Brizuela.Patotero sentimental 1941-06-06 – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino.
Le patotero s’avance avec des pas bien marqués qui alternent avec de longs glissandos des violons. Rufino commence à chanter, en respectant le rythme initial. Sa voix est expressive et il ne sombre pas dans le pathos que peuvent présenter d’autres chanteurs. Cette sensibilité associée à la pression constante de l’orchestre fait que les danseurs trouveront leur compte dans cette version idéale pour la danse. Le plaisir des oreilles et des jambes. Nous verrons que cet équilibre qui semble si simple et naturel dans cette version a du mal à se retrouver dans les nombreux autres enregistrements du titre, du moins dans les versions de danse, celles pour l’écoute entre dans une autre catégorie. Par exemple, le même Di Sarli, avec l’excellent Mario Pomar fait un autre enregistrement en 1954 et il est difficile d’y trouver la même dansabilité, même si bien sûr de nombreux danseurs tomberont sous le charme de cette autre version (qui est la vraie version du jour, puisqu’enregistrée un 26 janvier).
Roberto Rufino. À gauche à Mar del Plata en 1970 et à droite à Radio Belgrano en 1944.
Paroles
Patotero, rey del bailongo Patotero sentimental Escondés bajo tu risa Muchas ganas de llorar Ya los años se van pasando Y en mi pecho, no entra un querer En mi vida tuve muchas, muchas minas Pero nunca una mujer Cuando tengo dos copas de más En mi pecho comienza a surgir El recuerdo de aquella fiel mujer Que me quiso de verdad y que ingrato abandoné De su amor, me burlé sin mirar Que pudiera sentirlo después Sin pensar que los años al correr Iban crueles a amargar, a este rey del cabaret Pobrecita, cómo lloraba Cuando ciego la eche a rodar La patota me miraba, y No es de hombre el aflojar Patotero, rey del bailongo Siempre de ella te acordarás Hoy reís, pero en tu risa Solo hay ganas de llorar Manuel Jovés Letra: Manuel Romero
Traduction libre des paroles
Patotero, roi du bal Patotero sentimental Tu caches sous ton rire beaucoup d’envies de pleurer. Et les années passent et, dans ma poitrine, aucun amour n’entre. Dans ma vie, j’ai eu beaucoup, beaucoup de poulettes (chéries), mais jamais une femme. Quand j’ai deux verres de trop, dans ma poitrine commence à resurgir le souvenir de cette femme fidèle qui m’aimait vraiment et que j’ai abandonnée ingratement. De son amour, je me moquais sans voir que je pourrais le ressentir plus tard, sans penser que les années, à mesure qu’elles s’écoulaient, étaient cruelles à aigrir ce roi du cabaret. Pauvre petite, comme elle pleurait quand aveugle j’ai commencé à la larguer. La bande (patota) m’observait, et ce n’est pas à un homme de se relâcher (se laisser attendrir). Patotero, roi du bal, toujours, tu te souviendras d’elle. Aujourd’hui tu ris, mais, dans ton rire, il n’y a que l’envie de pleurer.
Autres versions
El patotero sentimental 1922-03-29 – Ignacio Corsini con Orquesta Roberto Firpo.
C’est Corsini qui a créé le titre. Nous verrons cela en fin d’article. Ce fut son premier grand succès, ce tango a lancé sa carrière.
Ignacio Corsini en 1922
La même année, Carlos Gardel décide d’enregistrer le titre. Cette vidéo de Sinfonia Maleva permet de suivre les paroles chantées par Carlos Gardel.
El patotero sentimental 1922 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras)
Submergé d’émotion Raul (Hugo Del Carril) chante Patotero sentimental quand il comprend qu’il va perdre elisa. dans le film La vida est une tango (1939)Patotero sentimental 1941-06-06 – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino. C’est notre (faux) tango du jour.Patotero sentimental 1949-11-25 – Orquesta José Basso con Oscar Ferrari.
La voix un peu acide de Ferrari ne sert pas aussi bien le thème que celle de Rufino ou de Corsini. D’un point de vue de la danse, les manières de Ferrari rendent cet enregistrement peu propice à la danse. C’est un peu dommage, car l’orchestre fait un assez joli travail.
Patotero sentimental 1950-12-28 – Lorenzo Barbero y su orquesta de la argentinidad con Osvaldo Brizuela.
Une Jolie version qui ne détrônera pas celle de Di Sarli et Rufino, mais qui se laisse écouter et qui a obtenu un certain succès à son époque, comme en témoigne la partition présentée au début de cet article.
Patotero sentimental 1952-10-16 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Héctor Pacheco.
Dans la veine des tangos à écouter il y a cette version. La voix précieuse de Pacheco est-elle réellement adaptée au rôle d’un patotero, même converti ? On a du mal à croire à cette histoire, d’autant plus que Fresedo multiplie ses fioritures, tout aussi peu propices à la danse que celles de Florindo Sasonne de la même époque.
Patotero sentimental 1954-01-26 – Orquesta Carlos Di Sarli con Mario Pomar.
J’adore Mario Pomar et son interprétation ne souffre d’aucune critique. C’est juste que le choix un peu moins tonique rend, à mon sens, le titre un peu moins agréable à danser que la version avec Rufino enregistrée 13 ans plus tôt. C’est cette version qui a été enregistrée un 26 janvier et qui devrait donc officiellement être le tango du jour.
Patotero sentimental 1974 – Orquesta Florindo Sassone con Oscar Macri.
J’ai parlé des bruitages de Sassone à propos de la version de 1952 de Fresedo, je pense que vous remarquerez que Sassone ne les propose pas dans cet enregistrement. C’est assez logique, car ces bruitages sont le témoignage d’une époque et qu’ils furent abandonnés par la suite. Vous noterez toutefois les moments où Sassone quelques années plus tôt aurait abusé de ces effets. Si Sassone n’est pas un pourvoyeur de tango de danse, il faut reconnaître qu’avec l’interprétation inspirée de Macri, le résultat est plutôt sympa, même si à mon avis, il ne devrait pas franchir la porte de la milonga (en tous cas pas trop souvent 😉
Patotero sentimental 1974 – Hugo Díaz.
L’harmonica d’Hugo Díaz, une voix à lui tout seul. L’ambiance jazzy donnée par le piano et la guitare ne satisfera cependant pas les danseurs qui réserveront le titre pour une écoute au coin du feu.
Patotero sentimental 1974c – Leopoldo Federico con Carlos Gari.
Le bandonéon expressif de Leopoldo Federico nous offre un duo avec Carlos Gari dont la voix puissante contraste avec tous les instruments. C’est une belle interprétation, pleine d’émotion. L’opposition, voix et instruments du début s’apaise progressivement pour nous offrir un paysage sonore parfaitement cohérent. Moi, j’aime bien, mais bien sûr, ça reste entre mon ordinateur et moi, cela ne passera pas sur les haut-parleurs de la milonga.
Patotero sentimental 1991-03 – Carlos García solo de piano.
Le piano sait souvent être expressif. Je vous laisse juger si Carlos García a su suffisamment faire parler son instrument…
Patotero sentimental 2005 – Cuarteto Guardia Vieja con Omar de Luca (ou Dario Paz ou Fabian Vidarte…). Je ne suis pas sûr de qui chante.Patotero sentimental 2006 – Aureliano Tango Club C Aureliano Marin.
Une version très différente mais pas inintéressante. Vous pouvez jeter un œil à leur site, celui d’Aureliano Marin, arrangeur, directeur et contrebassiste du trio en plus d’en être le chanteur.
Patotero sentimental 2011 – Orquesta Típica Gente de Tango con Héctor Morano.
On termine ici, avec une version plus traditionnelle.
Origine de ce tango
Comme nous l’avons vu à de nombreuses reprises, les tangos qui animent nos milongas ont souvent été créés pour des revues musicales, des pièces de théâtre ou des films. Celui-ci ne fait pas exception. Il était une des scènes de la pièce « El bailarín del cabaret » (le danseur de cabaret) qui fut lancée le 12 mai 1922 au théâtre Apolo par la compagnie de Cesar Ratti, et qui eut un succès immense, notamment pour l’interprétation par Ignacio Corsini de notre tango du jour. Les spectateurs bissaient de nombreuses fois ce titre que Corsini chantait, appuyé sur le dossier d’une chaise et avec le genou droit sur l’assise. On connait ce détail par Osvaldo Sosa Cordero dans « Historia de las varietés en Buenos Aires 1900-1925 » qui nous apprend également que 800 disques de ce titre ont été gravés en 1922 et comme nous l’avons vu, Gardel s’est aussi emparé du phénomène, la même année.
Osvaldo Sosa Cordero; Historia de las varietés en Buenos Aires 1900-1925. À gauche, édition originale de 1978 et à droite, la réédition de 1999.
Il me semble intéressant de voir comment s’articulaient ces variétés.
El bailarín del cabaret – Couverture de la 4ème édition (19 août 1922 et déjà 319 représentations successives)… À droite, l’extrait du livret avec les paroles du tango chanté par Ignacio Corsini.
Dans la pièce de Manuel Romero, El bailarín del cabaret, où se trouve cette pièce, il y a 4 tableaux. L’apparition de ce tango est dans le troisième. La scène se passe dans un cabaret luxueux et tous dansent un foxtrot joué par l’orchestre dirigé par Félix Scolatti Almeyda, sauf Maria qui est triste à sa table et une famille qui découvre cet univers. Je vous reproduis ici un dialogue savoureux où un jeune homme (Troncoso) souhaite inviter la fille de la famille de visiteurs (Cayetana) et qui se termine par l’introduction de notre tango, Patotero sentimental.
Dialogues liminaires au tango Patotero sentimental
TRONCOSO.- Buenas noches. ¿ Me acompaña ese tango señorita? CAYETANA.-Yo no me comando sola. Pídale permiso a me papá. D. GAETANO.-E iñudole, cabayere. Me nena non « bala ». TRONCOSO.-¿Cómo es eso? ¿Acaso usted. no sabe que toda mujer que entra aquí está obligada a bailar? D. GAETANO.-Ma nun. diga. TRONCOSO.–Si, señor, sino va a haber tiros. CAYETANA.-Papá, vamo in casa. (Troncoso saca un revólver.) D. GAETANO.-Boeno … boeno .. . que « bale » pero no me lamprete mucho. (Bailan ridiculamente.) CATALINA.-Gaetano; roa mire como le hace co la pierna. D. GAETANO.-(Parándolo.) ¡Ah! ¡No covencito, eso no, pe la madonna! Me hija non he una melunguera cualunque. E osté, non debe hacerle cosquiyite inta la gamba, Sabe? TRONCOSO.-¿Dónde le he hecho cosquillas? D. GAETANO.-¿E me lo pregunta todavía? ¡Chancho! TRONCOSO.-¡Salí de ahí otario!(Le da un bife,y lo sacan a bofetadas hasta la calle, madre e hija van detras, la orquesta ataca un paso doble. Tumulto, risas y todos bailan.) ¿ Vamos a bailar, Marta? MARTA.-No: dejame, no quiero bailar hoy. TRONCOSO.-¿ Qué te pasa? MARTA.-Nada. Dejame. TRONCOSO.-¿Pero qué tenés vos esta noche? MARTA.-Nada. Se van a reir si lo digo. PANCHITO.-Dejala; algún metejón nuevo. MARTA.-No, nada de eso, les juro. MARGOT.-A ver, decimelo ami. Yo soy tu amiga . M-ARTA.-¡Es qué! … Pero no, es ridículo. MARGOT.-Deci … . MARTA.-Pero no se rían. He dejado a mi nene en casa con cuarenta grados de fiebre y se me va a morir y yo no quiero que se me muera. (Llorando.) LA BEBA.-¡Já, já, já! Dejate de sentimentalismos. TRONCOSO.-¡Qué desgraciada! (Todos rien.) LORENA.-¿Por qué se ríen de ella? TRONCOSO.-A vos que te pasa? De un tiempo a esta parte el mozo se ha puesto muy sentimental. LA BEBA.-En cuanto toma dos copas se pone imposible. LORENA.-Para ustedes no hay nada respetable en la vida … TRONCOSO.-Pero hermano! Vos, el rey de los patateros, hablando asi! . . . LORENA.-¿ Y qué? ¿Acaso un patatero no puede tener alma? Si ustedes supieran …
Traduction des dialogues
TRONCOSO.- Bonsoir. M’accompagneriez-vous pour ce tango, mademoiselle ? CAYETANA : Je ne me commande pas. Demandez la permission à mon père. D. GAETANO.- C’est inutile jeune-homme. Ma fille ne « danse » pas. (Les guillemets soulignent l’opinion que le père a de ces danses de cabaret). TRONCOSO.- Comment cela se fait-il ? Vraiment? Ne savez-vous pas que chaque femme qui entre ici est obligée de danser ? D. GAETANO.-Mais nul me l’a dit. TRONCOSO.–Oui, monsieur, sinon il y aura des coups de feu. CAYETANA.-Papa, rentrons à la maison. (Troncoso sort un revolver.) D. GAETANO.-Bien … Bien .. . qu’ils « dansent » cette « danse » mais ne la serrez pas trop. (Ils dansent ridiculement.) CATALINA.-Gaetano ; Roa, regarde comment il fait avec sa jambe. D. GAETANO.- (L’arrêtant.) Ah ! Non jeune homme, pas ça, par la Madone ! Ma fille n’est pas une melunguera (milonguera, le père ne connait pas bien et déforme le mot) quelconque. Et il ne faut pas chatouiller la jambe, vous savez ? TRONCOSO : Où l’ai-je chatouillée ? D. GAETANO : Et vous me demandez en plus ? Cochon! TRONCOSO : Sors d’ici, otario ! (Otario, cave, naïf, idiot) (Il le gifle, et ils le sortent avec des baffes) jusqu’à la rue. La mère et la fille se glissent derrière, l’orchestre attaque un paso doble. Tumulte, rires et tout le monde danse.) On va danser, Marta ? MARTHA : Non, laisse-moi, je ne veux pas danser aujourd’hui. TRONCOSO : Que t’arrive-t-il ? MARTA.-Rien, laisse-moi. TRONCOSO : Mais qu’as-tu ce soir ? MARTA : Rien, ils vont rire si je le dis. PANCHITO : Laisse-la ; quelque chose d’une nouvelle amourette. MARTA : Non, rien de tel, je vous jure. MARGOT : Eh bien, dis-le-moi. Je suis ton amie. MARTA.-C’est que ! … Mais non, c’est ridicule. MARGOT.-Parle… . MARTA : Mais ne riez pas. J’ai laissé mon bébé à la maison avec quarante degrés de fièvre et il va mourir et je ne veux pas qu’il meure. (En pleurs.) LA BEBA.-Ah-Ah-Ah Arrête avec la sentimentalité. TRONCOSO : Quelle malchance ! (Tout le monde rit.) LORENA.-Pourquoi vous moquez-vous d’elle ? TRONCOSO : Qu’est-ce qui ne va pas chez toi ? Depuis quelque temps, le monsieur (beau jeune-homme) est devenu très sentimental. LE BÉBÉ : Dès qu’il boit deux verres il devient impossible. LORENA.-Pour vous, il n’y a rien de respectable dans la vie… TRONCOSO : Mais frère ! Toi, le roi des patateros, tu parles ainsi !… LORENA : Et alors ? Un patatero ne peut-il pas avoir une âme ? Si vous saviez…
Et là, Ignacio Corsini retourne une chaise, pose un genou sur l’assise et s’appuie au dossier avant d’entamer cette chanson qu’il reprendra de nombreuses fois à la demande des spectateurs. Lors d’une représentation, le chef de la troupe, Cesar Ratti, a essayé d’interdire les bis multiples. Finalement, il a dû céder devant la pression du public et il y a eu cinq bis. Voilà, vous en savez sans doute un peu plus sur l’histoire de ce tango et du lien entre notre musique favorite, les cabarets, théâtres et autres lieux de spectacle du début du vingtième siècle.
Pedro Laurenz (Pedro Blanco) Letra: Manuel Andrés Meaños
Même si Pedro Laurenz et Juan Carlos Casas ont enregistré dix tangos, la plupart du temps, dans les milongas, seuls quatre de ces titres sont diffusés par les DJ. Ces titres le méritent, mais cela occulte les autres enregistrements qui peuvent permettre de faire des tandas plus intéressantes. En effet, les titres habituels sont tellement proches qu’on a l’impression de danser plusieurs fois le même titre.
Extrait musical
Partition de Puro puapo, version Laurenz et Meaños.De puro guapo 1940-01-25 – Orquesta Pedro Laurenz con Juan Carlos Casas.
Deux accords au piano d’Héctor Grané, puis l’appel qui fait se souvenir que Laurenz était bandonéoniste (ici, accompagné au bandonéon par Ángel Domínguez et Rolando Gavioli). Avec le complément de la contrebasse de Alberto Celenza, le rythme très marqué des bandonéons et du piano se continue. Il faut attendre presque une minute pour que les violons s’expriment de façon plus audible et encore, pour quelques secondes. À 1:25 un très beau motif du violoniste Mauricio Mise annonce l’intervention de Juan Carlos Casas qui débute à 1:45. La voix parfaitement déliée s’intègre dans le phrasé agressif des bandonéons qui, lorsque Casas termine le seul refrain, reprennent jusqu’au final le rythme puissant.
Paroles
Entre cortes y quebradas, suave rezongué en tu oído todo mi verbo florido que te dijo mi querer. Vos mostraste en tu sonrisa toda tu coquetería, y yo, vencida mi hombría… Yo que siempre supe vencer.
Pa’ conseguir tu cariño quiero jugarme la vida al naipe que me ha gustado… No es la primera partida en que mi resto he jugado… Y si al final copo y gano, —taura soy en la postura— hay un facón, brava mano, coraje y bravura pa’ hacerme valer.
Lo que yo quiero lo tengo, y eso por taura y por guapo… Basta que en un brazo el trapo tenga y en otro el facón… Si no bastan mis hazañas pongo mi coraje a prueba. ¡Nadie ventaja me lleva cuando está en juego tu amor! Pedro Laurenz (Pedro Blanco) Letra: Manuel Andrés Meaños
Juan Carlos Casas ne chante que le refrain (en gras).
Entre cortes y quebradas (figures de tango archaïques), J’ai doucement grommelé dans ton oreille Tout mon verbe fleuri Que t’a dit mon amour. Tu as montré avec ton sourire Toute ta coquetterie (séduction) et moi, ma virilité vaincue… Moi qui avais toujours su vaincre. Pour obtenir ton affection Je veux risquer ma vie à la carte qui m’a plu… Ce n’est pas la première partie dans lequel j’ai joué mon repos… Et si à la fin je bois et gagne, —taura (Caïd), je suis dans la posture — il y a un couteau, main vive (courageuse, prompte à tirer le couteau), Courage et bravoure pour me faire valoir. Ce que je veux, je l’ai Et cela par taura et par beau (parce que je suis un caïd et beau)… Il suffit que, dans un bras il y ait le chiffon (étoffe pour protéger. Les gauchos utilisaient leur poncho enroulé sur le bras comme protection) et dans l’autre, le couteau… Si mes exploits ne suffisent pas Je mets mon courage à l’épreuve. Personne n’a l’avantage sur moi Quand est en jeu ton amour !
Autres versions
De puro guapo 1935-07-24 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida.
On est tellement habitués à entendre la version de Laurenz et Casas, que cette version pesante de Canaro semble d’une antiquité insupportable. De fait, il semble peu intéressant de substituer cet enregistrement à notre tango du jour. Bien sûr, les amateurs de canyengue seront sans doute d’un avis contraire et c’est bien. J’aime la diversité des opinions.
De puro guapo 1935-11-26 – Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar.
Enregistré seulement quatre mois plus tard, la version de Lomuto se dégage un peu plus de la gangue de la vieille garde que la version de Canaro. Quelques libertés des instruments allègent également cet enregistrement. La sonorité est plus proche de celle que produira trois ans plus tard Laurenz.
De puro guapo 1940-01-25 – Orquesta Pedro Laurenz con Juan Carlos Casas. C’est notre tango du jour.
Les enregistrements suivants seront instrumentaux et chercheront à proposer de nouvelles directions dans l’interprétation de l’œuvre. Je vous invite à juger de la diversité.
Grela que nous avons entendu tant de fois en duo avec Troilo est ici avec Leopoldo Federico. Le bandonéon de ce dernier et la guitare de Grela nous livrent un titre très intéressant à écouter, foisonnant de créativité.
De puro guapo 1967-11-29 – Orquesta Aníbal Troilo.
La version de Troilo est assez majestueuse. Elle n’est clairement pas destinée à la danse, même si je connais certains qui me contrediront.
De puro guapo 1968 – Pedro Laurenz con su Quinteto.
Près de 30 ans plus tard, Laurenz remet son titre en jeu. Cette version un peu sautillante ne me convainc pas, mais pas du tout. On a l’impression que les musiciens s’endorment, malgré la présence de la guitare électrique… Le quintette était formé de Pedro Laurenz (bandonéon), Eduardo Walczak (violon), Rubén Ruiz (guitare électrique), José Colángelo (piano) et Luis Pereyra qui a remplacé le bandonéon par la contrebasse.
De puro guapo 1969-09-18 – Orquesta Juan D’Arienzo.
On réveille tout le monde avec cette version de D’Arienzo. Si on reconnaît des éléments de D’Arienzo, cet enregistrement tardif manque sans doute de la puissance que peuvent manifester d’autres titres de la même époque. Les efforts de D’Arienzo pour produire un son plus « moderne » dénaturent son style et là encore, je ne défendrai pas ce titre pour constituer une tanda, même si cela reste dansable.
Après les recherches de Troilo, cette version marque une autre étape dans la recherche d’une harmonie particulière. Autant les mêmes efforts chez D’Arienzo tombaient à plat, autant le résultat de Pugliese apporte un suspens musical qui rend l’œuvre passionnante à écouter. Là encore, ce n’est pas un titre à danser, mais à écouter avec une attention soutenue pour profiter de tous ces instants subtils.
De puro guapo 1996 – Quinteto Real.
Puisqu’on a décidé de s’éloigner, au fil du temps du tango de danse, cette version du Quinteto Real s’essaye à une synthèse entre les recherches de Pugliese et l’orchestration de Laurenz. Le résultat, au regard des deux modèles opposés a du mal à convaincre, ou pour le moins à me convaincre.
La Furca essaye de maintenir la dragée haute. Il est curieux de voir que cette œuvre qui a suscité la merveilleuse version de Laurenz Casas a eu peu de descendance à la hauteur. Je vous propose de terminer ce tour du tango « De Puro Guapo » avec une petite surprise.
Un Puro guapo peut en cacher un autre
Il arrive souvent qu’on demande au DJ un morceau spécifique. C’est généralement le cas pour les démonstrations de danseurs, mais aussi pour les danseurs usuels de la milonga. Souvent (lire, tout le temps), ils sont décomposés quand je leur dis, mais quelle version ? Suit une petite écoute au casque, jusqu’à ce qu’ils trouvent la version souhaitée. À ce sujet, j’ai eu, en quelques occasions, des danseurs qui m’ont chanté le titre qu’ils voulaient pour leur démo. Là encore, trouver le titre est généralement assez facile, mais quand il y a trente versions, il faut faire preuve de perspicacité. Parfois, la difficulté vient de ce qu’un orchestre a enregistré deux tangos du même titre, mais différents. C’est par exemple le cas avec De puro guapo qui existe aussi dans une version écrite par Rafael Iriarte (Rafael Yorio) avec des paroles de Juan Carlos Fernández Díaz. Ce tango a été enregistré par plusieurs orchestres qui ont aussi enregistré la version de Laurenz, par exemple, Francisco Canaro. Mais on se rendra bien vite compte que ce n’est pas le même. Imaginez le désarroi du couple de danseurs en démonstration si le DJ met le mauvais tango. Le DJ doit savoir poser les bonnes questions et faire écouter le titre aux danseurs , si possible, et les danseurs devraient s’assurer de la version qu’ils souhaitent utiliser en donnant l’orchestre, l’éventuel chanteur et la date d’enregistrement afin d’éviter tout risque et ambiguïté. Enfin, presque tous les risques, car nous avons vu qu’un orchestre comme celui de Canaro pouvait enregistrer le même jour avec le même chanteur, le même titre, un en version de danse et un en version d’écoute…
La couverture de la version de Iriarte et Meaños. Je vous passe les paroles du tango, comme on peut s’en douter en voyant cette illustration, l’histoire est tragique, plus que celle de Laurenz à laquelle elle peut tout de même répondre…
De puro guapo 1927-11-16 – Orquesta Francisco Canaro.
On retrouve le canyengue cher à Canaro. Cette version instrumentale nous dispense de la noirceur des paroles. On remarque que le titre n’a rien à voir avec celui écrit par Laurenz.
De puro guapo 1928-01-14 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras).
Gardel avec ses guitaristes nous présente cette chanson tragique.
De puro guapo V2 1928-02-02 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Ernesto Famá.
Deux semaines après Gardel, Fresedo enregistre le titre dans une version destinée à la danse. Tout au moins la danse de l’époque…
De puro guapo 1972-12-13 – Roberto Goyeneche con Atilio Stampone y su Orquesta Típica.
Goyeneche nous donne une très belle interprétation de ce titre. Bien sûr, une chanson, bien jolie à écouter et chargée d’émotion.
Comme la version de Laurenz, la version de Iriarte a donné lieu à des interprétations très variées, mais elle n’aura sans doute pas les honneurs du bal, comme la version que Laurenz a enregistrés avec Casas et qui nous ravit à chaque fois.
Bon, laissons les puros guapos à leurs vantardises et méfaits et je vous dis, à bientôt, les amis !
“No te cases” (ne te marie pas), c’est le conseil donné par ce tango composé par Donato avec des paroles de Carlos Pesce. Ceux qui nous connaissent savent que nous n’allons pas suivre cette directive. Cependant, les complexités de l’administration argentine font que nous avons failli baisser les bras aujourd’hui même, juste avant de recevoir enfin l’information que notre mariage était confirmé après deux mois de bagarre et deux reports de date.
Extrait musical
Disque Victor 38092. No te cases est sur la face A.
No te cases 1937-01-23 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos.
Le motif sympathique des bandonéons ouvre ce titre. Il sonne comme une comptine enfantine. Se succèdent ensuite des successions de passages ordonnés et d’autres plus troublés, comme s’il y avait un débat contradictoire pesant le pour et le contre. À 59 secondes commence la chanson. Lagos chante le refrain avec quelques répliques parlées par un intervenant non identifié qui joue le rôle du futur marié. Est-ce Donato ? Ce n’est pas impossible. Canaro effectue souvent, ce type d’interventions.
Paroles
¡No te cases! ¿A qué valor ? Seguí nomás así, que sos un gran señor. ¡No te cases! ¿Que vas hacer? ¡que peligrá! Ya vas a entrar ¡Mírame a mí que bien! ¡Quien lo dirá! Gordo y feliz como un sultán Pobre de vos ¿Casarme yo? ¡Ja Ja! Si estoy muy bien así E sí… Sin complicarme con la existencia Si es un placer llegar a fin de mes. Edgardo Donato Letra: Carlos Pesce
En rouge, les répliques de l’intéressé.
Traduction libre
Ne te marie pas ! À quelle valeur ? Continue comme ça, tu es un grand seigneur. Ne te marie pas ! Que vas-tu faire ? Quel danger ! Tu vas comprendre. Regarde-moi, comme c’est bon ! Qui le dira ! Gros et heureux comme un sultan, Pauvre de toi Me marier, moi ? Ha ha ! Si je suis très bien ainsi. Et si… Sans me compliquer l’existence Si c’est un plaisir de joindre les deux bouts. (arriver à la fin du mois) Le futur marié qui intervient en réponse, pense que son copain va finalement se marier, même s’il donne le conseil contraire.
Autres versions
Il n’y a pas d’autre enregistrement de ce titre, mais…
Liborio no te cases 1931-04-10 – Orquesta Francisco Canaro con Charlo.
Un foxtrot adressé à un certain Liborio qui lui donne les mêmes conseils. Rappelons, pour la xxxxx fois, que Canaro avait aussi un orchestre de jazz et que les bals de l’époque étaient mixtes, tango et jazz. Le Liborio en question pourrait être Argentino Liborio Galván (18 ans au moment de cet enregistrement, ou le compositeur moins connu, Augusto Liborio Fistolera Mallié (32 ans au moment de cet enregistrement). Il peut s’agir également d’un tout autre Liberio, amis ou pas des auteurs, Eduardo Armani et René Cóspito (musique), Alfredo Enrique Bertonasco et Domingo L. Martignone (paroles). Le L. de Martignone est pour « Luis », pas Liborio…
No te cases 1937-01-23 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos. C’est notre tango du jour.Ya lo sabés… (No te casés) 1941-07-01 – Orquesta Francisco Canaro con Francisco Amor y coro.
Encore Canaro, qui ne voulait pas vraiment se marier avec Ada Falcón, ou plutôt, qui craignait de divorcer de la Française, sa terrible épouse… On peut donc imaginer qu’il se lance le conseil, avec un peu de retard à travers cette jolie valse composée par son frère Rafael Canaro et Oscar Sabino avec des paroles d’Aristeo Salgueiro.
17 février 2025
Ce n’est pas un événement dans l’histoire du tango, mais, ce jour, Victoria et moi nous marierons à Buenos Aires (Boedo). Si ça vous dit de nous faire un coucou, au Sede Comunal 5 ou en visio… Ce bâtiment est le premier de ce type à Buenos Aires. Il marque une volonté de redonner une empreinte verte à la ville.
Le Sede comunal 5 (boedo) avec son mur végétalisé. À droite, la structure des anciens entrepôts Tata a été conservée et utilisée pour fournir de l’ombre dans le parc.La terrasse végétalisée et le système de collecte de l’eau pour l’arrosage du parc adjacent.L’entrée du Sede comunal 5 et le parc.
Notre lieu de mariage est un petit coin de verdure dans la grande ville, à deux pas de notre maison (deux pas ou plutôt 200 mètres). Et pour les curieux d’histoire, ce lieu charmant est le fruit de la lutte des habitants pour obtenir un espace vert à la place des anciens entrepôts de la compagnie Tata.
Les anciens locaux de Tata (années 1980). C’est vraiment plus sympa maintenant.Les habitants manifestant pour obtenir la place et faire obstacle aux projets industriels pour ce lieu. Ici, ils sont avenue Boedo, à l’angle de Independencia.
Nous ne suivrons donc pas les conseils de nos précieux aînés…
À bientôt les amis !
Lors de notre dernier passage en France pour le festival Niort Tango (10/2024). Ici, à La Rochelle.
La Shunca est la cadette d’une famille. C’est également une parole affectueuse pour la fiancée. Cette valse enjouée, avec des paroles de Ernesto Cortázar, laisse planer un petit sous-entendu. Entrons dans la valse et laissons-nous bercer par les vagues de la musique qui vont nous mener assez loin des rives de l’Argentine.
Qui est la Shunca ?
Comme nous l’avons vu, la Shunca est la cadette de la famille. Ce terme est d’origine zapotèque, c’est-à-dire d’un peuple d’Amérique centrale et plus précisément du Mexique (région de Mexico), bien loin de l’Argentine. Cela pourrait paraître étonnant, mais vous vous souviendrez que nous avons souvent mis en valeur les liens entre le Mexique et l’Argentine dans d’autres anecdotes et que les musiciens voyageaient beaucoup, pour enregistrer dans des pays mieux équipés, ou pour assoir leur carrière. Les deux auteurs, Lorenzo Barcelata et Ernesto Cortázar, sont mexicains. Par ailleurs, on connaît l’engouement des Mexicains pour la valse jouée par les mariachis et que même Luis Mariano chanta avec son titre, « La valse mexicaine ». Vous avez donc l’origine de l’arrivée de la Shunca dans le répertoire du tango argentin. Nous avons d’autres exemples, comme la Zandunga. Nous verrons que ce n’est pas un hasard…
Extrait musical
La Shunca 1941-01-21 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos, Lita Morales y Romeo Gavio.
La valse est instaurée dès le début avec un rythme soutenu, alternant des passages légatos et staccatos. À 42s arrivent l’air principal. À 1:05 Romeo Gavioli commence à chanter. À 1 :41, c’est le tour de Lita Morales, puis Horacio Lagos se lance à son tour pour former un trio avec les deux autres chanteurs. Comme souvent, la fin tonique est constituée de doubles-croches qui donnent une impression de vitesse, même si le rythme est le même qu’au début.
Des duos et trios à gogo
Donato a aimé utiliser des duos et trios de chanteurs, sans doute plus que d’autres orchestres. J’ai indiqué duo+ et trio+ quand il y avait deux ou trois chanteurs identifiés et un chœur. Le (+) est car il y a plus que le duo ou le trio. Trios Horacio Lagos, Lita Morales, Romeo Gavioli : Estrellita mía, La Shunca, Luna, Volverás….pero cuándo (valses) Sinfonía de arrabal (tango). Trios+ Horacio Lagos, Lita Morales avec chœur : Mañana será la mía (valse). No se haga mala sangre (polka). Trio+ Félix Gutiérrez, Luis Díaz avec chœur : La Novena (tango) Duos Horacio Lagos, Lita Morales : Carnaval de mi barrio, Chapaleando barro, Sinsabor, Sombra gaucha (tangos) Duos Romeo Gavioli, Lita Morales : Mi serenata, Yo te amo (tangos). Duos Gavioli, Horacio Lagos : Amando en silencio, Lonjazos (tangos) Noches correntinas (valse) Repique del corazón, Sentir del corazón (milongas). Duos Antonio Maida, Randona (Armando Julio Piovani) : Amores viejos, Quien más… quien menos…, Riachuelo, Ruego, Una luz en tus ojos (tangos). Duos Horacio Lagos, Randona (Armando Julio Piovani) : Si tú supieras, Te gané de mano (tangos). Cara negra, Sacale punta (milongas) Duos Hugo del Carril et Randona (Armando Julio Piovani) : Rosa, poneme una ventosa (tango) Mi morena (paso doble) Duo Daniel Adamo et Jorge Denis : El lecherito (milonga) Duo avec Teófilo Ibáñez : Madre Patria (paso doble) Duo Roberto Morel y Raúl Ángeló : T.B.C. (tango) Duo+ Antonio Maida avec chœur : Sandía calada (ranchera) Duo+ Carlos Viván avec chœur : Mamá (tango) Duos+ Félix Gutiérrez avec chœur : La novena, Que Haces! Que Haces! (tango) Duos+ Horacio Lagos avec chœur : Hacete cartel, Hay que acomodarse (tangos) Virgencita (valse) Pierrot apasionado (marche brésilienne) Duo+ Juan Alessio avec chœur : Hola!… Qué tal?… (tango) Duo+ Lita Morales avec chœur : Triqui-trá (tango) Duos Luis Díaz avec chœur : Chau chau, Severino, El once glorioso, Felicitame hermano (tangos) Candombiando (maxixe) Ma qui fu (tarentelle) Ño Agenor (ranchera)
C’est un beau record.
Paroles
La luna se ve de noche, El sol al amanecer, Hay quienes por ver la luna Otra cosita no quieren ver.
Me dicen que soy bonita, Quién sabe porque será, Si alguno tiene la culpa Que le pregunten a mi papá.
Shunca para acá, Shunca para allá, ¡Ay!, las olas que vienen y van, Shunca para acá, Shunca para allá, ¡Ay!, cariño me vas a matar. Lorenzo Barcelata Letra: Ernesto Cortázar
La lune se voit la nuit, Le soleil à l’aube, Il y a certains qui voient la lune Une autre petite chose, ils ne veulent pas la voir.
Ils me disent que je suis jolie Qui sait pourquoi c’est le cas, Si quelqu’un en a la faute Demandez-le à mon papa. (J’imagine que le père n’est pas si beau et qu’il faut chercher ailleurs les gènes de beauté de la Shunca)
Shunca par ci, Shunca par-là, Oh, les vagues qui vont et viennent, Shunca par ici, Shunca par-là, Oh, chéri, tu vas me tuer.
Autres versions
Il n’y a pas d’autre enregistrement argentin de ce titre, je vous propose donc de compléter avec des versions mexicaines…
La Shunca 1941-01-21 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos, Lita Morales y Romeo Gavio. C’est notre valse du jour.La Shunca 1938 – Las Hermanas Padilla con Los Costeños.
Disque Vocalion 9101 de La Shunca par Las Hermanas Padilla avec Los Costeños. On notera la mention “Canción Tehuana” et le nom de Lorenzo Barcelata.
La Shunca 1998 – Marimba Hermanos Moreno García. C’est une version récente, mexicaine.
En 1937, le réalisateur Fernando de Fuentes réalisa un film de ce titre avec Lupe Vélez dans le rôle principal. Elle y chante La Shunca. La Zandunga a été arrangée par divers auteurs comme Lorenzo Barcelata et Max Urban (pour le film), Andres Gutierrez, A. Del Valle, Guillermo Posadas ou Máximo Ramó Ortiz. La Shunca attribuée à Lorenzo Barcelata et les autres titres sont indiqués au générique du film comme « inspirés » d’airs de la région.
La zandunga 1939-03-30 – Orquesta Francisco Canaro con Francisco Amor.
Dans ces extraits du film La Zandunga, vous pourrez entendre premièrement, La Shunca, puis voir danser la Zandunga. J’ai ajouté le générique du début où vous pourrez de nouveau entendre la Zandunga.
3 extraits de la Zandunga 1937 du réalisateur Fernando de Fuentes avec Lupe Vélez dans le rôle principal. Elle y chante la Shunca.
Je pense que vous avez découvert le chemin emprunté par ce titre. Lorenzo Barcelata a arrangé des airs de son pays pour un film et avec la diffusion du film et des disques, l’air est arrivé en Argentine où Donato a décidé de l’enregistrer. Voici donc, un autre exemple de pont, ici entre le Mexique et l’Argentine.
Impossible que vous ne connaissiez pas Barrio de tango immortalisé par Aníbal Troilo et Francisco Fiorentino. Cependant, vous connaissez peut-être moins cette très intéressante version par Miguel Caló et Jorge Ortiz. D’ailleurs, il y a quelques ponts curieux entre ces deux directeurs d’orchestre.
Extrait musical
Barrio de tango 1943-01-19 – Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz.
Paroles
Un pedazo de barrio, allá en Pompeya, durmiéndose al costado del terraplén. Un farol balanceando en la barrera y el misterio de adiós que siembra el tren. Un ladrido de perros a la luna. El amor escondido en un portón. Y los sapos redoblando en la laguna y a lo lejos la voz del bandoneón.
Barrio de tango, luna y misterio, calles lejanas, ¡cómo estarán! Viejos amigos que hoy ni recuerdo, ¡qué se habrán hecho, dónde estarán! Barrio de tango, qué fue de aquella, Juana, la rubia, que tanto amé. ¡Sabrá que sufro, pensando en ella, desde la tarde que la dejé! Barrio de tango, luna y misterio, ¡desde el recuerdo te vuelvo a ver!
Un coro de silbidos allá en la esquina. El codillo llenando el almacén. Y el dramón de la pálida vecina que ya nunca salió a mirar el tren. Así evoco tus noches, barrio ‘e tango, con las chatas entrando al corralón y la luna chapaleando sobre el fango y a lo lejos la voz del bandoneón. Aníbal Troilo Letra: Homero Manzi
Traduction libre et indications
Un morceau de quartier, là-bas à Pompeya (quartier au sud de Buenos Aires), dormant sur le côté du talus (sans doute le terre-plein du chemin de fer qui coupe le quartier, voir plan en fin d’article). Une lanterne qui se balance sur la barrière et le mystère d’un adieu que le train sème. Un aboiement de chiens à la lune. L’amour caché dans une porte cochère. Et les crapauds redoublant dans le lac et au loin la voix du bandonéon. Quartier du tango, lune et mystère, rues lointaines, comment seront-elles ! De vieux amis dont je ne me souviens même pas aujourd’hui, qu’ont-ils fait, où sont-ils ! Quartier de Tango, qu’est-il arrivé à celle-là, Juana, la blonde, que j’ai tant aimée. Elle saura que je souffre, en pensant à elle, depuis l’après-midi où je l’ai quittée ! Quartier de tango, lune et mystère, depuis le souvenir, je te revois ! Un chœur de sifflements là-bas au coin de la rue. Le codillo (articulation, coude, voire jeu de cartes) remplissant l’entrepôt (ou le magasin). Cette phrase est donc incertaine, au moins pour moi… Et le drame de la pâle voisine qui n’est plus jamais sortie pour regarder le train. C’est ainsi que j’évoque tes nuits, barrio de tango, avec les charrettes entrant dans le dépôt et la lune éclaboussant au-dessus de la boue et au loin la voix du bandonéon.
Autres versions
Barrio de tango 1942-12-14 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.
Francesco Fiorentino et Aníbal Troilo
Barrio de tango 1942-12-30 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas.
Ángel D’Agostino et Ángel Vargas
Barrio de tango 1943-01-19 – Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz. C’est notre tango du jour.
Jorge Ortiz et Miguel Caló
Barrio de tango 1964-02-03 – Orquesta Aníbal Troilo con Nelly Vázquez.
Nelly Vázquez et Aníbal Troilo
Barrio de tango 1971 – Cuarteto Aníbal Troilo con Roberto Goyeneche.
Une capture à la radio, la qualité n’est pas au top, mais l’interprétation est intéressante.
Barrio de tango 1971-05-06 – Orquesta Aníbal Troilo con Roberto Goyeneche.
Les mêmes, enfin, pas tout à fait, car au lieu du cuarteto, c’est ici, l’orchestre de Troilo qui accompagne Goyeneche.
Aníbal Troilo con Roberto Goyeneche. Te acordás… Polaco ? Disque et photo
Pompeya, barrio de tango
Ou plutôt “Nueva Pompeya”, l’ancienne ayant eu des petits problèmes avec le Vésuve est un quartier du sud de Buenos Aires bordant le Riachuelo.
En jaune, Nueva Pompeya. On remarque la belle courbe et sa contrecourbe verte qui correspond au talus du chemin de fer, talus évoqué dans les paroles.Pompeya, lors des inondations de 1912 et aujourd’hui. On remarque la voie ferrée sur son talus. Des entrepôts et usines au premier plan et au nord-est de la voie ferrée, quelques habitations.Les touristes qui restent à Recoletta ou Palermo ne voient pas forcément la misère qui est toujours présente en Argentine. Sur la photo de gauche, la limite Barracas et Nueva Pompeya. On remarquera la présence de rails, ceux qui étaient utilisés pour le train des ordures. À droite, une habitation constituée de latas (bidons d’huile ou de pétrole lampant), ancêtre des logements actuels qui sont également créés à partir de matériaux de récupération comme on peut le voir sur la photo de gauche.
Je termine notre parcours dans un barrio de tango. Un parcours rapide et qui ne sera jamais dans les programmes des guides touristiques. C’est pourtant là un des berceaux du tango. Je vous invite à consulter mon anecdote sur le Barrio de las latas pour en savoir plus.
Un des ponts entre Aníbal Troilo et Miguel Caló
Aujourd’hui, je vais juste vous parler d’un petit pont, celui qui lie certains enregistrements de Troilo avec ceux de Caló. Je m’amuse parfois à « tromper » les danseurs en leur proposant une fausse tanda de Caló qui est en fait 100 % Troilo. Je commence par un titre très proche de Caló et je dévie, ensuite, plus ou moins vers du pur Troilo. C’est un des avantages des tandas de quatre de pouvoir faire des transitions plus subtiles. Voici quelques titres enregistrés par Troilo qui peuvent, pour des oreilles peu averties, paraître proches de Caló. J’imagine que mes lecteurs qui sont des spécialistes ne vont pas adhérer à ces similitudes, mais je vous assure que l’illusion fonctionne assez bien comme j’ai pu le constater des dizaines de fois, notamment l’année du centenaire de Troilo où je passais beaucoup notre gordo favorito. Corazón no le hagas caso Lejos de Buenos Aires Tristezas de la calle Corrientes Percal Después Margarita Gauthier Cada día te extraño mas Fruta amarga De barro Gime el viento La noche que te fuiste Orquestas de mi ciudad Il y a également des similitudes dans le choix des musiques, mais la plupart sont interprétées avec un style propre qui ne prête pas à confusion. Il y a aussi quelques Caló tardifs qui pourraient passer pour des Troilo de la décennie précédente. On en reparlera…
Le dix-neuvième siècle a vu le développement du ferroviaire et du cinéma. On se souvent que l’un des premier films, L’arrivée d’un train en gare de La Ciotat (film n° 653 de Louis Lumière), a été tourné durant l’été 1895 et présenté au public le 25 janvier 1896. Mon grand-père, né quatre ans après les faits, me contait que les spectateurs furent pris de panique. L’œuvre d’aujourd’hui est à sa manière, une glorification des deux nouveautés. Le chemin de fer argentin, le plus développé d’Amérique du Sud, et le cinéma où les orchestres proposaient la musique manquant aux films de l’époque…
L’arrivée d’un train en gare de La Ciotat (film n° 653 de Louis Lumière) – Musique el Espiante 1932-01-17 Osvaldo Fresedo.
L’espiante peut désigner en lunfardo une arnaque ou le départ, par exemple, pour mettre fin à une relation me tomo el espiante. Dans le cas présent, vous allez le comprendre à l’écoute, il s’agit d’un train, que nous allons prendre ensemble. En voiture !
Extrait musical
Partitions de El espiante. On notera que l’on ne voit pas de train. Peut-être que le couple se fait l’espiante en sortant d’une milonga ennuyeuse…El espiante 1932-01-17 – Orquesta Osvaldo Fresedo con canto.
Tout commence par la cloche suivie par le sifflet du chef de gare. Le souffle bruyant des pistons aide au démarrage du train. Le voyage se déroule ensuite les sons d’imitation et ceux de l’orchestre se mélangeant. Le bruit de la vapeur suit le train sur une bonne partie du trajet. À 1:00 et 2:00, en entend l’annonce de la voiture-restaurant. Le trajet se fait par des successions de montées et descentes, et la musique poursuit son parcours, jusqu’au final où les passagers s’interpellent et où le train s’arrête dans l’annonce de la gare, Rosario… Ce titre est sans doute à classer dans la rubrique des tangos ludiques et à réserver aux amateurs de canyengue, mais d’autres passagers, pardon, danseurs peuvent le danser avec entrain.
Autres versions
Même si c’est une composition de Fresedo, le plus ancien enregistrement disponible est par Roberto Firpo. Ce n’est pas très étonnant, c’est le grand orchestre du moment et Firpo aime bien les titres aux sons réalistes. On pensera par exemple à El amanecer où il introduit des chants d’oiseaux joués au violon. Mais il a sans doute un attachement au train, également, puisqu’il écrira le tangoEl rápido qui évoque également le même train, celui de Rosario…
El rápido 1931-08-27 – Orquesta Roberto Firpo con estribillo coreado.
Ce titre est signalé comme tango humoristique et est donc de la même veine que celui de Fresedo. Il est ponctué de voix de « passagers ». Comme la version de Fresedo de 1932 (notre tango du jour, l’annonce finale est également « Rosario ».
On peut imaginer que Firpo répond à son compère. L’espiante et El rápido désignent également les trains. On notera qu’à l’époque, il fallait seulement trois heures pour rallier Retiro (gare de Buenos Aires) à Rosario, soit presque trois fois moins que maintenant… Firpo avait déjà enregistré ce titre en 1927 et je rappelle que Biagi a aussi enregistré, El rápido ainsi que Rodriguez, Piazzolla, Villasboas et Varella. Revenons maintenant aux espiantes, on prendra le rapide une autre fois…
El espiante 1916 – Sexteto Roberto Firpo. Il s’agit d’un enregistrement acoustique.
Pas de bruitage de train, ce que les musiciens de l’époque auraient pu produire sans problème, car ils le faisaient pour le cinéma qui était muet à l’époque. J’imagine que cet ajout de bruitages s’est fait au fur et à mesure des concerts. Firpo n’est pas hostile à cela, bien au contraire si on écoute ce qu’il a fait dans El rápido de 1931.
El espiante 1927-12-01 – Orquesta Osvaldo Fresedo.
Si le caractère du train qui alterne les montées poussives et les descentes de pente précipitées est bien présent, les bruitages ne sont pas encore à l’ordre du jour. Il faudra peut-être attendre le délire de Firpo en 1931 avec El rápido, pour que cela devienne une habitude chez Fresedo également. Même si on n’est pas fan du canyengue, il faut reconnaître à cette œuvre, de belles trouvailles musicales, que Fresedo exploitera tout au long de sa carrière comme ses fameuses descentes et chutes.
El espiante 1932-01-17 – Orquesta Osvaldo Fresedo con canto (Rosario). C’est notre tango du jour.El espiante 1933-03-16 – Orquesta Osvaldo Fresedo.
On pourrait confondre cette version avec la précédente, mais elle se distingue principalement de son aînée par l’absence des paroles finales et une fin différente. On notera aussi une accentuation moindre du caractère ferroviaire de cet enregistrement. Il y a tout de même le sifflet et la cloche au début, des sons de pistons (souffles à la voix) et le sifflet à environ 1:00, 2:10 et 2:30. Et un dernier souffle des pistons termine l’œuvre.
El espiante 1939-07-07 – Orquesta Julio De Caro.
Julio De Caro n’allait pas laisser ses copains s’amuser avec la musique du train sans participer. Lui aussi aime proposer des musiques descriptives. On notera que son train est plus un rapide qu’un espiante. Cette version très joueuse est sans doute dansable par les danseurs allergiques au canyengue, car elle est vraiment très sympa et le train qui n’a rien de poussif devrait les entraîner jusqu’à Rosario (ou ailleurs) sans problème.
El espiante 1954-11-25 – Orquesta Héctor Varela.
À part un semblant de cloche, au début, les bruitages ferroviaires sont absents de cette version. L’arrivée en gare se fait avec un bandonéon nerveux, peut-être celui de Varela. En effet, en 1954, Varela est venu grossir les rangs de son orchestre comme bandonéoniste en plus de Antonio Marchese et Alberto San Miguel. Trois autres bandonéonistes s’adjoindront à l’orchestre à cette époque : Luis Pinotti, Salvador Alonso et Eduardo Otero. Le freinage final se fait au violon.
El espiante 1955-12-29 – Orquesta Osvaldo Fresedo.
En 1955, Fresedo remet sur les rails son espiante. On retrouve dans cette version la cloche, le sifflet et la trompe du train. Cependant la musique va vers plus de joliesse. Le train semble traverser de beaux paysages, même si par moment, le rythme retrouve la respiration des pistons.
El espiante 1974 – Orquesta Héctor Varela.
Comme dans la version de 1954, le caractère ferroviaire sous forme de bruitages est absent, mais on reste tout de même dans l’ambiance avec la musique qui évoque irrésistiblement le déplacement d’un train. L’arrivée est ici, entièrement réalisée par le bandonéon nerveux qui ne laisse pas la place au violon, comme en 1954. Varela privilégie son instrument…
El espiante 1979-11-06 – Orquesta Osvaldo Fresedo.
En 1979, Fresedo fait partir son train avec un sifflet initial et lui fera émettre ses célèbres coups de trompes, mais on sent qu’il file comme le vent, au moins dans certains passages qui alternent avec des passages plus poussifs, rappelant le train des débuts. Comme en 1955 et sans doute encore plus, le train semble traverser d’élégants paysages. Le résultat décevra sans doute les amateurs du « vieux » Fresedo, mais ravira ceux qui aiment Sassone ou Varela. Le titre se termine par un jingle au vibraphone.
Et pour terminer notre voyage, prenons deux trains tirés par des locomotives à vapeur « Pacific 231 ». 231 pour 2 roues à l’avant (directrices), Trois grandes roues motrices et 1 dernière roue à l’arrière pour l’équilibre. 2-3-1 (4-6-2) si on envisage les deux côtés de la locomotive. La musique est celle d’Arthur Honegger, qui, comme Firpo et Fresedo, était fan des trains.
Ce court métrage magnifique fait le parallèle entre les mécanismes de la locomotive et le jeu des instruments, l’utilisation des surimpressions et des fondus enchaînés fait que la bête humaine (nom d’un film de Jean Renoir en 1938 ayant pour thème le chemin de fer à vapeur) et l’orchestre se mélangent.
Pacific 231 1949 – Jean Mitry – Arthur Honegger (film français).
L’esthétique du film de Jean Mitry est bien différente. De belles images de trains accompagnent la musique. C’est certainement beaucoup moins créatif que le film de Tsekhanovsky, mais intéressant tout de même, ne serait-ce que par l’aspect documentaire qui fait revivre ses monstres se nourrissant de charbon.
Terminus, tout le monde descend ! À bientôt, les amis !
Julio De Caro; Pedro Laurenz Letra: Juan Miguel Velich
Je suis sûr que vous avez déjà été interpellés par ce titre qui commence par des rires, voire par des sifflements. La version du jour est réalisée par un des deux auteurs, le bandonéoniste Pedro Laurenz, qui à l’époque de la composition, était dans l’orchestre de l’autre compositeur, Julio de Caro. Nous verrons que, dès 1927, cette œuvre est d’une extraordinaire modernité. Mala junta peut se traduire par mauvaise rencontre. Vous serez peut-être étonné de voir qu’elle est la mauvaise rencontre évoquée par Magaldi…
Extrait musical
Partitions de Mala junta. Elles sont dédicacées « Al distinguido y apreciado Señor Don Luis Gondra y familia ». Première des 26 pages de la partition complète et début de la partie finale avec la mise en valeur du bandonéon. Partition réalisée par Lucas Alcides Caceres.Mala junta 1947-01-16 – Orquesta Pedro Laurenz.
Les versions de Pugliese sont bien plus connues, mais vous reconnaîtrez tout de suite le titre malgré l’absence des éclats de rire du début, ou plus exactement, c’est l’orchestre qui reproduit le thème de l’éclat de rire, instrumentalement. Le rythme est bien marqué, même s’il comporte quelques syncopes en fantaisie. On notera que Laurenz fait également l’impasse sur les sifflements. Dans son enregistrement de 1968, avec son quinteto, il omettra également ces deux éléments. On pourrait donc imaginer que ces rires et sifflements sont des fantaisies de De Caro. C’est d’autant plus probable si on se souvient que, dans El monito, il utilise les sifflements, les rires et même des phrases humoristiques. Si quelques dissonances rappellent les compositions decaréennes (de De Caro), elles ne devraient pas troubler les danseurs moins familiers de ces sonorités. Les phrases sont lancées et se terminent souvent comme jetées, précipitées. Le piano coupe ces accélérations par ses ponctuations. La musique semble se remettre en place et on recommence jusqu’à la dernière partie où le bandonéon de Laurenz s’en donne à cœur joie. Rappelez-vous que, dans la partition, toute cette partie est en doubles-croches, ce qui permet de donner une impression de vitesse, sans modifier le rythme.
Disque Odeón 7644 Face A avec Mala junta interprété par Pedro Laurenz.
Don Luis Gondra
Luis Gondra a deux époques et une caricature dans la Revue Caras y Caretas de 1923, qui rappelle qu’il était également avocat.
La dédicace de ce tango a été effectuée à Luis Gondra (Luis Roque Gondra), un militant, écrivain et politique. Il fait partie des survivants du massacre de Pirovano où 200 hommes venus prêter main-forte à Hipólito Yrigoyen en prenant le train à Bahia Blanca ont été attaqués à balles et baïonnettes par des forces loyales au gouvernement de Manuel Quintana. Il est mort le 10 février 1947, soit moins d’un mois après l’enregistrement de notre tango du jour. Il est l’auteur de différents ouvrages, principalement d’histoire politique, comme des ouvrages sur Belgrano ou des cours d’économie, car il était professeur de cette matière.
Un ouvrage à la gloire de Belgrano, un cours d’économie politique et sociale et un livre sur les idées économiques de Belgrano. Cela donne le profil du dédicataire de ce tango.
Paroles, deux versions
Même si notre tango du jour est instrumental, il y a des paroles, celles enregistrées par Magaldi, qui dénoncent le tango comme la cause de la perdition et celles que l’on trouve habituellement dans les recueils de paroles de tango. Ce qui est curieux est qu’il n’y a pas de version enregistrée des paroles « canoniques ». Je commence donc par la version de Magaldi et donnerait ensuite la version « standard ».
Paroles chantées par Magaldi
Por tu mala junta te perdieron, Nena, Y causaste a tus pobres viejos, pena, Que a pesar de todos los consejos, Un mal día te engrupieron Y el gotán te encadenó…
¡Ay! ¿Dónde estás, Nenita de mirada seductora? Tan plena de poesía, cual diosa del amor… Nunca, jamás veré la Sultanita que en otrora Con sus mimos disipaba mi dolor.
Recitado: Guardo de ti recuerdo sin igual Pues fuiste para mí toda la vida. Mi corazón sufrió la desilusión Del desprecio a su querer que era su ideal.
Y con la herida Que tú me has hecho, Mi fe has desecho Y serás mi perdición.
Todo está sombrío y muy triste, alma, Y nos falta, desde que te has ido, calma, El vivir la dicha ya ha perdido Porque con tu mal viniste A enlutar mi corazón.
¿Por qué, mi amor, seguiste a esa mala consejera que, obrando con falsía, buscó tu perdición? Mientras que aquí está la madrecita que te espera Para darte su amorosa bendición.
Recitado: Dulce deidad, que fue para mi bien Un sueño de placer nunca sentido, Yo no pensé que ése, mi gran querer, Lo perdiera así nomás, siendo mi Edén.
¿Dónde te has ido mi noviecita? Tu madrecita Siempre cree que has de volver. Julio De Caro; Pedro Laurenz Letra: Juan Miguel Velich
Traduction libre des paroles de la version de Magaldi
À cause de ta mauvaise rencontre, ils t’ont perdu, Bébé, Et tu as causé à tes pauvres parents, de la peine, Que malgré tous les conseils, un mauvais jour, ils t-on trompés (dit des mensonges) et le gotan t’a enchaîné… (Et voilà le grand coupable, le tango…). Hélas! Où es-tu, petite fille au regard séducteur ? Tellement pleine de poésie, comme une déesse de l’amour… Je ne verrai jamais, jamais la sultane qui, une fois, avec ses câlins, a dissipé ma douleur. Récitatif: Je garde un souvenir inégalé de toi parce que tu as été pour moi toute ma vie. Mon cœur a souffert de la déception du mépris pour son amour, qui était son idéal. Et avec la blessure que tu m’as faite, Tu as rejeté ma foi et tu seras ma perte. Tout est lugubre et très triste, âme, et nous manquons, depuis que tu es partie, le calme, la vie du bonheur s’est déjà perdue, car avec ton mal tu es venue endeuiller mon cœur. Pourquoi, mon amour, as-tu suivi ce mauvais conseiller qui, agissant faussement, a cherché ta perte ? Alors qu’ici se trouve la petite mère qui t’attend pour te donner sa bénédiction aimante. Récitatif: Douce divinité, qui était pour mon bien un rêve de plaisir jamais ressenti, Je ne pensais pas que cela, mon grand amour, je le perdrai, étant mon Eden. Où es-tu allée, ma petite fiancée? Ta petite mère pense toujours que tu vas revenir.
Paroles de la version standard
Por tu mala junta te perdiste, nena y nos causa tu extravío, llantos, ¡pena!… De un vivir risueño te han hablado y al final… ¡te has olvidado de tu vieja y de mi amor!… En la fiebre loca de mentidas galas se quemaron tus divinas, ¡níveas alas!… En tu afán de lujos y de orgías recubriste de agonías ¡a mi vida y a tu hogar!…
Fuiste el ángel de mis horas de bohemia, el bien de mi esperanza, tierno sueño encantador; y no puedo sofocar mis neurastenias cuando pienso en la mudanza ¡de tu cruel amor!…
(recitado) ¡Pobre de mí… que a cuestas con mi gran cruz rodando he de marchar por mi oscura senda; ¡sin el calor de aquella fulgente luz que tu mirar dispersó en mi corazón!
(canto) Sueños de gloria que truncos quedaron y herido me dejaron entre brumas de dolor…
Por tu mala junta te perdiste, nena, y nos causa tu extravío llantos, ¡pena!… Por seguir tus necias ambiciones mis doradas ilusiones ¡para siempre las perdí!… Una santa madre delirante clama y con ella mi cariño, ruega, ¡llama!… El perdón te espera con un beso sí nos traes con tu regreso ¡la alegría de vivir!…
Tus recuerdos se amontonan en mi mente, tu imagen me obsesiona, te contemplo en mi ansiedad; y te nombro suspirando tristemente, pero en vano… ¡no reacciona tu alma sin piedad!…
Y como el cisne que muere cantando así se irá esfumando ¡mi doliente juventud!… Julio De Caro; Pedro Laurenz Letra: Juan Miguel Velich
Traduction libre des paroles de la version standard
À cause de ta mauvaise rencontre, tu t’es perdue, bébé et ta perte nous cause, des larmes, du chagrin… On t’a parlé d’une vie souriante et à la fin… tu as oublié ta mère et mon amour… Dans la fièvre folle, des parures mensongères se brûlèrent tes ailes divines et neigeuses… Dans ton avidité de luxe et d’orgies, tu as couvert d’agonies (amertumes, douleurs, chagrins) ma vie et ta maison… Tu étais l’ange de mes heures de bohème, le bien de mon espérance, le rêve tendre et enchanteur ; et je ne puis étouffer ma neurasthénie quand je pense au changement de ton amour cruel… (récitatif) Pauvre de moi… que sur mes épaules, avec ma grande croix, errant, je dois marcher le long de mon obscur sentier ; Sans la chaleur de cette lumière éclatante que ton regard a dispersée dans mon cœur ! (chant) Des rêves de gloire qui resteront tronqués et me laissèrent blessé dans des brouillards de douleur… À cause de ta mauvaise rencontre, tu t’es perdue, bébé et ta perte nous cause, des larmes, du chagrin… Pour suivre tes folles ambitions, mes illusions dorées, pour toujours, je les ai perdues… Une sainte mère en délire crie et, avec elle, mon affection, supplie, appelle… Le pardon t’attend avec un baiser si tu nous ramènes avec ton retour, la joie de vivre… Tes souvenirs s’accumulent dans mon esprit, ton image m’obsède, je te contemple dans mon angoisse ; Et je te nomme en soupirant tristement, mais en vain… ton âme sans pitié ne réagit pas… Et comme le cygne qui meurt en chantant ainsi s’évanouira, ma douloureuse jeunesse…
On voit les différences entre les deux versions des paroles. Il se peut que les deux soient de Juan Miguel Velich, à moins que Magaldi ait adapté les paroles à son goût. C’est un petit mystère, mais cela me semble très marginal dans la mesure où l’intérêt principal de cette composition est dans la musique.
Autres versions
Mala junta 1927-09-13 – Orquesta Julio De Caro.
Cette version permet de retrouver les deux compositeurs avec Julio de Caro au violon (son violon à cornet) et Pedro Laurenz au bandonéon. Ce dernier avait intégré l’orchestre de De Caro en 1924 en remplacement de Luis Petrucelli. On notera, après les rires, le début sifflé. Cette version, la plus ancienne enregistrée en notre possession, a déjà tous les éléments de modernité que l’on attribuera deux ou trois décennies plus tard à Osvaldo Pugliese qui se considérait comme l’humble héritier de De Caro. Voici la composition du sexteto pour cet enregistrement :
Disque Victor de la version enregistrée par De Caro en 1927.
Mala junta 1928-06-18 – Agustín Magaldi con orquesta.
Comme nous l’avons vu, Magaldi chante des paroles différentes, mais l’histoire est la même. C’est bien sûr un enregistrement destiné à l’écoute, à la limite de la pièce de théâtre.
Mala junta 1928-12 – Orquesta Típica Brodman-Alfaro. Original Columbia L 1349-1 Matrice D 19172.
Le titre commence avec les sifflets, mais sans les rires. Cette version comporte un passage avec une scie musicale. Finalement, ce n’est pas vilain, mais sans doute plus curieux que captivant.
À gauche, le disque officiel édité par la Columbia en 1929 (enregistrement de décembre 1928). À droite, un disque pirate du même enregistrement réalisé dans le courant de 1929.
Quelqu’un a-t-il réussi à se procurer la matrice D 19172 et à en faire une copie sous le numéro de matrice bidon N300028 ? La moins bonne qualité de la copie pirate peut aussi laisser penser qu’elle a été réalisée à partir d’un disque édité. Bien sûr, il est difficile de juger, car il faudrait plusieurs copies de la version pirate, pour vérifier que cela vient de la fabrication et pas de l’usure du disque.
Même enregistrement, mais ici, la copie pirate d’Omnia (Disque X27251 – Matrice N300028). La qualité est sensiblement plus faible, est-ce le fait de la copie d’un disque original ou tout simplement de l’usure plus importante de ce disque ? Petit rappel. Les disques sont réalisés à partir d’une matrice, elle-même issue de l’enregistrement sur une galette de cire. La cire était directement gravée par la pression acoustique (pour les premiers enregistrements) et par le déplacement d’un burin soumis aux vibrations obtenues par voie électrique (microphone à charbon, par exemple). Cette cire servait à réaliser un contretype, la matrice qui servait ensuite à réaliser les disques par pressage. Sans cette matrice, il faut partir d’un disque déjà pressé, ce qui engendre à la fois la perte de détails qui avaient été déjà atténués à cause de l’impression originale, mais cela peut également ajouter les défauts du disque s’il a été utilisé auparavant. La copie pirate est donc obligatoirement de moins bonne qualité dans ce cas, d’autant plus que le matériau du disque peut également être choisi de moins bonne qualité, ce qui engendrera plus de bruit de fond, mais ce qui permettra de réduire le prix de fabrication de cette arnaque. On notera que, de nos jours, les éditeurs partent souvent de disques qui sont eux-mêmes des copies et qu’ils ajoutent des traitements numériques supposés de redonner une jeunesse à leurs produits. Le résultat est souvent monstrueux et se détecte par la mention « remastered » sur le disque. Malheureusement, cela tend à devenir la norme dans les milongas, malgré les sonorités horribles que ces traitements mal exécutés produisent.
Le principal intérêt de cette version est qu’elle ouvre une seconde période d’enregistrements, une décennie plus tard. On peut cependant ne pas être emballé par le résultat, sans doute trop confus.
Mala junta 1938-11-16 – Orquesta Julio De Caro.
De Caro réenregistre sa création, cette fois, les rires et les sifflements sont reportés à la seconde partie. Cela permet de mettre en valeur la composition musicale assez complexe. Cette complexité même qui fera que ce titre, malgré sa beauté, aura du mal à rendre les danseurs heureux. On le réservera donc à l’écoute.
Mala junta 1943-08-27- Orquesta Osvaldo Pugliese.
Contrairement à son modèle, Pugliese a conservé les rires en début d’œuvre, mais a également supprimé les sifflements qui n’interviendront que dans la seconde partie. L’interprétation est d’une grande régularité et avant le solo du dernier tiers de l’œuvre, on pourra trouver que l’interprétation manque d’originalité, ce n’est en effet que dans la dernière partie que Pugliese déchaîne son orchestre avec des bandonéons excités survolés par le violon tranquille. Au crédit de cet enregistrement, on pourra indiquer qu’il est dansable et que la fin énergique pourra faire oublier un début manquant un peu d’expression.
Mala junta 1947-01-16 – Orquesta Pedro Laurenz. C’est notre tango du Jour.Mala junta 1949-10-10 – Orquesta Julio De Caro.
De Caro, après la version de Pugliese et celle de Laurenz, son coauteur, enregistre une version différente. Comme pour celle de 1938, il ne conserve pas les rires et sifflets initiaux. C’est encore plus abouti musicalement, mais toujours plus pour l’écoute que pour la danse. Conservons cela en tête pour découvrir, la réponse de Pugliese…
Mala junta 1952-11-29 – Orquesta Osvaldo Pugliese.
Toujours les rires, sans sifflements au début de cet enregistrement et dans la seconde partie, ce sont les sifflements qui remplacent les rires. L’affirmation de la Yumba dans l’interprétation et la structure de cette orchestration nous propose un Pugliese bien formé et « typique » qui devrait plaire à beaucoup de danseurs, car l’improvisation y est facilitée, même si la richesse peut rendre difficile la tâche à des danseurs peu expérimentés.
La version de 1952 a été éditée en disque 33 tours. Mala junta est la première plage de la face A du disque LDS 103.
Disons-le clairement, j’ai un peu honte de vous présenter cette version après celle de Pugliese. Cette version sautillante ne me semble pas adaptée au thème. Je ne tenterai donc pas de la proposer en milonga. Je ne verrai donc jamais les danseurs transformés en petits duendes (lutins) gambadants comme je l’imagine à l’écoute.
Mala junta 1968 – Pedro Laurenz con su Quinteto.
Pedro Laurenz enregistre une dernière version de sa création. Il y a de jolis passages, mais je ne suis pas pour ma part très convaincu du résultat. On a l’impression que les instruments jouent chacun dans leur coin, sans trop s’occuper de ce que font les autres. Attention, je ne parle pas d’instrumentistes médiocres qui ne jouent pas ensemble, mais du lancement de traits juxtaposés et superposés qui semblent être lâchés sans cohérence. Si cela peut plaire à l’oreille de certains, c’est sûr que cela posera des difficultés aux danseurs qui souhaitent danser la musique et pas seulement faire des pas sur la musique.
Je vous propose de terminer avec Pugliese, qui est incontestablement celui qui a le plus concouru à faire connaitre ce titre. Je vous propose une vidéo réalisée au théâtre Colón de Buenos Aires, point d’orgue de la carrière du maître qui rappelle que ses fans criaient « Al Colón » quand ils l’écoutaient. Finalement, Pugliese est arrivé au Colón et cette vidéo en témoigne…
Mala junta – Osvaldo Pugliese – Teatro Colón 1985.
Il y a d’autres versions, y compris par Pugliese, notamment réalisées au cours de différents voyages, mais je pense que l’essentiel est dit et, pour ma part, je reste sur la version de 1952 pour la danse, tout en ayant un faible pour version tant novatrice (pour l’époque) de 1927 de De Caro et la version intéressante de Laurenz, qui constitue notre tango du jour.
Comme tous les tangos célèbres, El choclo a son lot de légendes. Je vous propose de faire un petit tour où nous verrons au moins quatre versions des paroles accréditant certaines de ces légendes. Ce titre importé par Villoldo en France y aurait remplacé l’hymne argentin (par ailleurs magnifique), car il était plus connu des orchestres français de l’époque que l’hymne officiel argentin Oid mortales du compositeur espagnol : Blas Parera i Moret avec des paroles de Vicente López y Planes (écrivain et homme politique argentin). Voyons donc l’histoire de cet hymne de substitution.
Qui a écrit El choclo ?
Le violoniste, danseur (avec sa compagne La Paulina) et compositeur Casimiro Alcorta pourrait avoir écrit la musique de El choclo en 1898. Ce fils d’esclaves noirs, mort à 73 ans dans la misère à Buenos Aires, serait, selon certains, l’auteur de nombreux tangos de la période comme Concha sucia (1884) que Francisco Canaro arrangea sous le titre Cara sucia, nettement plus élégant, mais aussi La yapa, Entrada prohibida et sans doute pas mal d’autres. À l’époque, ces musiques n’étaient pas écrites et elles appartenaient donc à ceux qui les jouaient, puis à ceux qui les éditèrent… L’absence d’écriture empêche de savoir si, Ángel Villoldo a « emprunté » cette musique… En 1903, Villoldo demande à son ami chef d’un orchestre classique, José Luis Roncallo, de jouer avec son orchestre cette composition dans un restaurant chic, La Americana. Celui-ci refusa, car le patron du restaurant considérait le tango comme de la musique vulgaire (ce en quoi il est difficile de lui donner tort si on considère ce qui se faisait à l’époque). Pour éviter cela, Villoldo publia la partition le 3 novembre 1903 en indiquant qu’il s’agissait d’une danse criolla… Ce subterfuge permit de jouer le tango dans ce restaurant. Ce fut un tel succès, que l’œuvre était jouée tous les jours et que Villoldo est allé l’enregistrer à Paris, en compagnie de Alfredo Gobbi et de sa femme, Flora Rodriguez. Par la suite, des centaines de versions ont été publiées. Celle du jour est assez intéressante. On la doit à Francisco Canaro avec Alberto Arenas. L’enregistrement est du 15 janvier 1948.
Extrait musical
Diverses partitions de El choclo. On remarquera à gauche (5ème édition), la dédicace à Roncallo qui lancera le titre. El choclo 1948-01-15 – Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas.
On remarque tout de suite le rythme rapide. Arenas chante également rapidement, de façon saccadée et il ne se contente pas de l’habituel refrain. Il chante l’intégralité des paroles écrites l’année précédente pour Libertad Lamarque. Ce fait est généralement caractéristique des tangos à écouter. Cependant, malgré les facéties de cet enregistrement, il me semble que l’on pourrait envisager de le proposer dans un moment délirant, une sorte de catharsis, pour toutes ces heures passées à danser sur des versions plus sages. On notera les clochettes qui donnent une légèreté, en contraste à la voix très appuyée d’Arenas.
Paroles (version de Enrique Santos Discépolo)
Ici, les paroles de la version du jour, mais reportez-vous en fin d’article pour d’autres versions…
Con este tango que es burlón y compadrito se ató dos alas la ambición de mi suburbio; con este tango nació el tango, y como un grito salió del sórdido barrial buscando el cielo; conjuro extraño de un amor hecho cadencia que abrió caminos sin más ley que la esperanza, mezcla de rabia, de dolor, de fe, de ausencia llorando en la inocencia de un ritmo juguetón.
Por tu milagro de notas agoreras nacieron, sin pensarlo, las paicas y las grelas, luna de charcos, canyengue en las caderas y un ansia fiera en la manera de querer…
Al evocarte, tango querido, siento que tiemblan las baldosas de un bailongo y oigo el rezongo de mi pasado… Hoy, que no tengo más a mi madre, siento que llega en punta ‘e pie para besarme cuando tu canto nace al son de un bandoneón.
Carancanfunfa se hizo al mar con tu bandera y en un pernó mezcló a París con Puente Alsina. Triste compadre del gavión y de la mina y hasta comadre del bacán y la pebeta. Por vos shusheta, cana, reo y mishiadura se hicieron voces al nacer con tu destino… ¡Misa de faldas, querosén, tajo y cuchillo, que ardió en los conventillos y ardió en mi corazón. Enrique Santos Discépolo
Traduction libre et indications de la version de Enrique Santos Discépolo
Avec ce tango moqueur et compadrito, l’ambition de ma banlieue s’est attaché deux ailes ; Avec ce tango naquit, le tango, et, comme un cri, il sortit du quartier sordide en cherchant le ciel. Un étrange sort d’amour fait cadence qui ouvrait des chemins sans autre loi que l’espoir, un mélange de rage, de douleur, de foi, d’absence pleurant dans l’innocence d’un rythme joueur. Par ton miracle des notes prophétiques, les paicas et les grelas ( paicas et grelas sont les chéries des compadritos) sont nées, sans y penser, une lune de (ou de flaque d’eau), de canyengue sur les hanches et un désir farouche dans la façon d’aimer… Quand je t’évoque, cher tango, je sens les dalles d’un dancing trembler et j’entends le murmure de mon passé… Aujourd’hui, alors que je n’ai plus ma mère, j’ai l’impression qu’elle vient sur la pointe des pieds pour m’embrasser quand ton chant naît au son d’un bandonéon. Carancanfunfa (danseur habile, on retrouve ce mot dans divers titres, comme les milongas Carán-Can-Fú de l’orchestre Roberto Zerrillo avec Jorge Cardozo, ou Caráncanfún de Francisco Canaro avec Carlos Roldán) a pris la mer avec ton drapeau et en un éclair a mêlé Paris au pont Alsina (pont sur le Riachuelo à la Boca). Triste compadre du gabion (mecs) et de la mina (femme) et jusqu’à la marraine du bacán (riche) et de la pebeta (gamine). Pour toi, l’élégant, prison, accusations et misère ont parlé à la naissance avec ton destin… Une messe de jupes, de kérosène (pétrole lampant pour l’éclairage), de lames et de couteaux, qui brûlait dans les conventillos (habitas collectifs populaires et surpeuplés) et brûlait dans mon cœur.
Un épi peut en cacher un autre…
On a beaucoup glosé sur l’origine du nom de ce tango. Tout d’abord, la plus évidente et celle que Villoldo a affirmé le plus souvent était que c’était lié à la plante comestible. Les origines très modestes des Villoldo peuvent expliquer cette dédicace. Le nord de la Province de Buenos Aires ainsi que la Pampa sont encore aujourd’hui des zones de production importante de maïs et cette plante a aidé à sustenter les pauvres. On peut même considérer que certains aiment réellement manger du maïs. En faveur de cette hypothèse, les paroles de la version chantée par lui-même, mais nous verrons que ce n’est pas si simple quand nous allons aborder les paroles… Il s’agirait également, d’un tango à la charge d’un petit malfrat de son quartier et qui avait les cheveux blonds. C’est du moins la version donnée par Irene Villoldo, la sœur de Ángel et que rapporte Juan Carlos Marambio Catán dans une lettre écrite en 1966 à Juan Bautista Devoto. On notera que les paroles de Juan Carlos Marambio Catán confortent justement cette version. Lorsque Libertad Lamarque doit enregistrer ce tango en 1947 pour le film « Gran Casino » de Luis Buñuel, elle fait modifier les paroles par Enrique Santos Discépolo pour lui enlever le côté violent de la seconde version et douteuse de celles de Villoldo. Villoldo n’était pas un enfant de chœur et je pense que vous avez tous entendu parler de la dernière acception. Par la forme phallique de l’épi de maïs, il est tentant de faire ce rapprochement. N’oublions pas que les débuts du tango n’étaient pas pour les plus prudes et cette connotation sexuelle était, assurément, dans l’esprit de bien des auditeurs. Le lunfardo et certains textes de tangos aiment à jouer sur les mots. Vous vous souvenez sans doute de « El chino Pantaleón » où, sous couvert de parler musique et tango, on parlait en fait de bagarre… Rajoutons que, comme le tango était une musique appréciée dans les bordels, il est plus que probable que le double sens ait été encouragé. Faut-il alors rejeter le témoignage de la sœur de Villoldo ? Pas forcément, il y avait peut-être une tête d’épi dans leur entourage, mais on peut aussi supposer que, même si Irène était analphabète, elle avait la notion de la bienséance et qu’elle se devait de diffuser une version soft, version que son frère a peut-être réellement encouragée pour protéger sa sœurette. Retenons de cela qu’au fur et à mesure que le tango a gagné ses lettres de noblesse, les poètes se sont évertués à écrire de belles paroles et pas seulement à cause des périodes de censure de certains gouvernements. Tout simplement, car le tango entrant dans le « beau monde », il devait présenter un visage plus acceptable. Les textes ont changé, n’en déplaise à Jorge Borges, et avec eux, l’ambiance du tango.
Autres versions
Tout comme pour la Cumparsita, il n’est pas pensable de présenter toutes les versions de ce tango. Je vous propose donc une sélection très restreinte sur deux critères : • Historique, pour connaître les différentes époques de ce thème. • Intérêt de l’interprétation, notamment pour danser, mais aussi pour écouter. Il ne semble pas y avoir d’enregistrement disponible de la version de 1903, si ce n’est celle de Villoldo enregistrée en 1910 avec les mêmes paroles présumées. Mais auparavant, priorité à la datation, une version un peu différente et avec un autre type de paroles. Il s’agit d’une version dialoguée (voire criée…) sur la musique de El Choclo. Le titre en est Cariño puro, mais vous retrouverez sans problème notre tango du jour.
Cariño puro (diálogo y tango) 1907 – Los Gobbi con Los Campos.
Ce titre a été enregistré en 1907 sur un disque en carton de la compagnie Marconi. Si la qualité d’origine était bonne, ce matériau n’a pas résisté au temps et au poids des aiguilles de phonographes de l’époque. Heureusement, cette version a été réédité en disque shellac par la Columbia et vous pouvez donc entendre cette curiosité… La forme dialoguée rappelle que les musiciens faisaient beaucoup de revues et de pièces de théâtre.
À gauche, disque en carton recouvert d’acétate (procédé Marconi). Ces disques étaient de bonne qualité, mais trop fragiles. À droite, le même enregistrement en version shellac.
Paroles de Cariño puro des Gobbi
Ay mi china que tengo mucho que hablarte, de una cosa que a vos no te va a gustar Largá el rollo que escucho y explicate Lo que pases no es tontera, pues te juro que te digo la verdad. dame un beso no me vengas con chanela (2) dejate de tonteras, no me hagas esperar. Decí ya sé que la otra noche vos con un gavilán son cuentos que te han hecho án. No me faltes mirá que no hay macanas yo no vengo con ganas mi china de farrear Pues entonces no me vengas con cuento y escuchame un momento que te voy a explicar. No te enojes que yo te diré lo cierto y verás que me vas a perdonar Pues entonces Te diré la purísima verdad Vamos china ya que voy a hacer las paces a tomar un carrindango pa pasear Y mirar de Palermo Yo te quiero mi chinita no hagas caso Que muy lejos querer el esquinazo ni golpe ni porrazo… Ángel Villoldo
Traduction de Cariño puro des Gobbi
Oh, ma chérie, que j’ai beaucoup à te parler, D’une chose qui ne va pas te plaire Avoue (lâcher le rouleau) que je t’écoute et explique-toi Ce que tu traverses n’est pas une bêtise,
– Eh bien, je te jure que je te dis la vérité. Donne-moi un baiser Ne viens pas à moi en parlementant
– Arrête les bêtises, ne me fais pas attendre. J’ai déjà dit que je savais pour l’autre soir Toi avec un épervier (homme rapide en affaires)
– Ce sont des histoires qui t’ont été faites un. Ne détourne pas le regard, n’y a pas d’arnaque.
– Je ne viens pas, ma chérie, avec l’envie de rigoler. Aussi, ne me raconte pas d’histoires
– et écoute-moi un instant et, car je vais te l’expliquer. Ne te fâche pas, je vais te dire ce qui est sûr Et tu verras que tu vas me pardonner Puis, ensuite Je vais te dire la pure vérité
– Allez, ma chérie, car je vais faire la paix En prenant une voiture pour une promenade Et regarder Palermo Je t’aime ma petite chérie, ne fais pas attention Car je veux arrondir les angles ni coup ni bagarre…
On voit que ces paroles sont plutôt mignonnes, autour des tourments d’un couple, interprétés par Alfredo Gobbi et sa femme, Flora Rodriguez. Dommage que la technique où le goût de l’époque fasse tant crier, cela n’est pas bien accepté par nos oreilles modernes.
El choclo 1910 – Ángel Gregorio Villoldo con guitarra.
Cette version présente les paroles supposées originales et qui parlent effectivement du maïs. C’est donc cette version qui peut faire pencher la balance entre la plante et le sexe masculin. Voyons ce qu’il en est.
Paroles de Villoldo
De un grano nace la planta que más tarde nos da el choclo por eso de la garganta dijo que estaba humilloso. Y yo como no soy otro más que un tanguero de fama murmuro con alborozo está muy de la banana.
Hay choclos que tienen las espigas de oro que son las que adoro con tierna pasión, cuando trabajando llenito de abrojos estoy con rastrojos como humilde peón.
De lavada enrubia en largas guedejas contemplo parejas sí es como crecer, con esos bigotes que la tierra virgen al noble paisano le suele ofrecer.
A veces el choclo asa en los fogones calma las pasiones y dichas de amor, cuando algún paisano lo está cocinando y otro está cebando un buen cimarrón.
Luego que la humita está preparada, bajo la enramada se oye un pericón, y junto al alero, de un rancho deshecho surge de algún pecho la alegre canción. Ángel Villoldo
Traduction des paroles de Ángel Villoldo
D’un grain naît la plante qui nous donnera plus tard du maïs C’est pourquoi, de la gorge (agréable au goût) je dis qu’il avait été humilié (calomnié). Et comme je ne suis autre qu’un tanguero célèbre, je murmure de joie, il est bien de la banane (du meilleur, la banane étant également un des surnoms du sexe de l’homme). Il y a des épis qui ont des grains d’or, ce sont ceux que j’adore avec une tendre passion, quand je les travaille plein de chardons, je suis avec du chaume comme un humble ouvrier. De l’innocence blonde aux longues mèches, je contemple les plantes (similaires, spécimens…) si c’est comme grandir, avec ces moustaches que la terre vierge offre habituellement au noble paysan. (Un double sens n’est pas impossible, la terre cultivée n’a pas de raison particulière d’être considérée comme vierge). Parfois, les épis de maïs sur les feux calment les passions et les joies de l’amour (les feux, sont les cuisinières, poêles. Qu’ils calment la faim, cela peut se concevoir, mais les passions et les joies de l’amour, cela procède sans doute d’un double sens marqué), quand un paysan le cuisine et qu’un autre appâte un bon cimarron (esclave noir, ou animal sauvage, mais il doit s’agir ici plutôt d’une victime d’arnaque, peut-être qu’un peu de viande avec le maïs fait un bon repas). Une fois que la humita (ragoût de maïs) est prête, sous la tonnelle, un pericón (pericón nacional, danse traditionnelle) se fait entendre, et à côté des avant-toits, d’un ranch brisé, le chant joyeux surgit d’une poitrine (on peut imaginer différentes choses à propos du chant qui surgit d’une poitrine, mais c’est un peu difficile de s’imaginer que cela puisse être provoqué par la préparation d’une humita, aussi talentueux que soit le cuisinier…
Je vous laisse vous faire votre opinion, mais il me semble difficile d’exclure un double sens de ces paroles.
Cette version instrumentale permet de faire une pause dans les paroles.
El choclo 1929-08-27 – Orquesta Típica Victor.
Une version instrumentale par la Típica Víctor dirigée par Carabelli. Un titre pour les amateurs du genre, mais un peu pesant pour les autres danseurs.
El choclo 1937-07-26 – Orquesta Juan D’Arienzo.
Sans doute une des versions les plus adaptées aux danseurs, avec les ornementations de Biagi au piano et le bel équilibre des instruments, principalement tous au service du rythme et donc de la danse, avec notamment l’accélération (simulée) finale.
Cette version n’apporte pas grand-chose, mais je l’indique pour marquer le contraste avec notre version du jour, enregistrée par Canaro 11 ans plus tard.
El choclo 1940-09-29 – Roberto Firpo y su Cuarteto Típico.
Une version légère. Le doublement des notes, caractéristiques de cette œuvre, a ici une sonorité particulière, on dirait presque un bégaiement. En opposition, des passages aux violons chantants donnent du contraste. Le résultat me semble cependant un peu confus, précipité et pas destiné à donner le plus de plaisir aux danseurs.
El choclo 1941-11-13 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas.
On retrouve une version chantée. Les paroles sont celles de Juan Carlos Marambio Catán, ou plus exactement le tout début des paroles avec la fin du couplet avec une variante. Je vous propose ici, les paroles complètes de Catán, pour en garder le souvenir et aussi, car la partie qui n’est pas chantée par Vargas parle de ce fameux type aux cheveux couleur de maïs…
Paroles de Juan Carlos Marambio Catán
Vieja milonga que en mis horas de tristeza traes a mi mente tu recuerdo cariñoso, encadenándome a tus notas dulcemente siento que el alma se me encoje poco a poco. Recuerdo triste de un pasado que en mi vida, dejó una página de sangre escrita a mano, y que he llevado como cruz en mi martirio aunque su carga infame me llene de dolor.
Fue aquella noche que todavía me aterra. Cuando ella era mía jugó con mi pasión. Y en duelo a muerte con quien robó mi vida, mi daga gaucha partió su corazón. Y me llamaban el choclo compañero; tallé en los entreveros seguro y fajador. Pero una china envenenó mi vida y hoy lloro a solas con mi trágico dolor.
Si alguna vuelta le toca por la vida, en una mina poner su corazón; recuerde siempre que una ilusión perdida no vuelve nunca a dar su flor.
Besos mentidos, engaños y amarguras rodando siempre la pena y el dolor, y cuando un hombre entrega su ternura cerca del lecho lo acecha la traición.
Hoy que los años han blanqueado ya mis sienes y que en mi pecho sólo anida la tristeza, como una luz que me ilumina en el sendero llegan tus notas de melódica belleza. Tango querido, viejo choclo que me embarga con las caricias de tus notas tan sentidas; quiero morir abajo del arrullo de tus quejas cantando mis querellas, llorando mi dolor. Juan Carlos Marambio Catán
Traduction libre des paroles de Juan Carlos Marambio Catán
Vieille milonga. À mes heures de tristesse, tu me rappelles ton souvenir affectueux, En m’enchaînant doucement à tes notes, je sens mon âme se rétrécir peu à peu. Souvenir triste d’un passé qui, dans ma vie, a laissé une page de sang écrite à la main, et que j’ai porté comme une croix dans mon martyre, même si son infâme fardeau me remplit de douleur. C’est cette nuit-là qui, encore, me terrifie. Quand elle était à moi, elle jouait avec ma passion. Et dans un duel à mort avec celui qui m’a volé la vie, mon poignard gaucho lui a brisé le cœur. Et ils m’appelaient le compagnon maïs (choclo); J’ai taillé dans les mêlées, sûr et résistant. Mais une femme chérie a empoisonné ma vie et, aujourd’hui, je pleure tout seul avec ma douleur tragique. S’il vous prend dans la vie de mettre votre cœur dans une chérie ; rappelez-vous toujours qu’une illusion perdue ne redonne plus jamais sa fleur. Des baisers mensongers, trompeurs et amers roulent toujours le chagrin et la douleur, et quand un homme donne sa tendresse, près du lit, la trahison le traque. Aujourd’hui que les années ont déjà blanchi mes tempes et que, dans ma poitrine seule se niche la tristesse, comme une lumière qui m’éclaire sur le chemin où arrivent tes notes de beauté mélodique. Tango chéri, vieux choclo qui m’accable des caresses de tes notes si sincères ; Je veux mourir sous la berceuse de tes plaintes, chantant mes peines, pleurant ma douleur.
El choclo 1947 – Libertad Lamarque, dans le film Gran casino de Luis Buñuel.
El choclo 1947 – Libertad Lamarque, dans le film Gran casino de Luis Buñuel.
Dans cet extrait Libertad Lamarque interprète le titre avec les paroles écrites pour elle par Discepolo. On comprend qu’elle ne voulait pas prendre le rôle de l’assassin et que les paroles adaptées sont plus convenables à une dame… Les paroles de Enrique Santos Discépolo seront réutilisées ensuite, notamment par Canaro pour notre tango du jour.
El choclo 1948-01-15 – Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas. C’est notre tango du jour.
Comme vous vous en doutez, je pourrai vous présenter des centaines de versions de ce titre, mais cela n’a pas grand intérêt. J’ai donc choisi de vous proposer pour terminer une version très différente…
Kiss of Fire 1955 – Louis Armstrong.
En 1952, Lester Allan et Robert Hill ont adapté et sérieusement modifié la partition, mais on reconnaît parfaitement la composition originale.
Je vous propose de nous quitter là-dessus, une autre preuve de l’universalité du tango. À bientôt, les amis.
En guise de cortina, on pourrait mettre Pop Corn, non ?
PS : si vous avez des versions de El choclo que vous adorez, n’hésitez pas à les indiquer dans les commentaires, je rajouterais les plus demandées.
Le prénom Pantaleón est bien connu dans le domaine du tango à cause de Piazzolla qui l’avait en second prénom. Chino ,me fait penser au génial Chino Laborde, que je vais d’ailleurs aller écouter avec La Mucha Tango jeudi à Nuevo Chique. En combinant les deux, on obtient notre titre du jour, écrit par Francisco Canaro. Cette « milonga » fait partie de ces titres à la limite du lunfardo qui jouent sur les mots, mélangeant tango et castagne.
Extrait musical
El chino Pantaleón 1942-01-13 – Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán.Disque Odeón 55157. El Chino Pantaleón est sur la face A et Y… No la puedo olvidar, sur la face B.
Le rythme de cette composition est un peu atypique et il rend difficile de la classer, milongua tangueanda, milonga candombe. Ce n’est peut-être pas de tout premier choix pour le bal… La voix de Carlos Roldán est sympa. On notera la fin abrupte, très originale, comme si la musique avait été mise KO.
Paroles
Caballeros milongueros, la milonga está formada y el que cope la parada que se juegue todo entero, si es que tiene compañero, la guitarra bien templada pa’ aguantar cualquier trenzada con razón o sin razón, cara a cara, frente a frente, corazón a corazón.
Era el Chino Pantaleón milonguero y cachafaz, que al sonar de un bandoneón viboreaba en su compás. Era un taura pa’ copar y de ley como el mejor; si lo entraban a apurar era capaz de cantar « La violeta » o « Trovador ».
Caballeros milongueros, vayan saliendo a la cancha porque el que hace la « patancha » es señal que le da el cuero; siempre el que pega primero lleva la mayor ventaja; no le ponen la mortaja al que tira sin errar; no es de vivo, compañero, el dejarse madrugar. Francisco Canaro (paroles et musique)
Traduction libre et indications
Messieurs les milongueros (dans le sens de bagarreurs), l’affaire est formée (milonga a ici le sens d’affaire douteuse, désordre) et celui qui prend position doit tout jouer, s’il a un partenaire (un partenaire. Cela confirme que l’on est plus dans le domaine de la rixe que celui de la danse). La guitare (peut aussi faire allusion à l’argent) bien accordée pour résister à toute bagarre avec raison ou sans raison, Face à face, front à front, cœur à cœur. C’était le Chino Pantaleón milonguero et insolent (cachafaz comme était surnommé Ovidio José Bianquet, qui travailla avec Canaro pour ses revues musicales), qui, lorsque sonnait un bandonéon (Bandonéon n’est pas ici l’instrument, mais l’action de gêner l’autre en faisant du bruit), vibrait à son rythme. Il était un taura (généreux) à boire et de ley (loyal, véritable comme dans milonguero de ley) comme le meilleur ; s’ils le cherchaient (se jetaient sur lui, l’obligeaient), il pouvait chanter « La violeta » (tango de Cátulo Castillo avec des paroles de Nicolás Olivari, chanté par Maida et Gardel, puis, par Troilo avec Casal puis Goyeneche) ou « Trovador » (valse de Carlos Alcaraz avec des paroles de Carlos Pesce). Je pense que ces titres sont plutôt donnés pour indiquer que le type a du répondant dans la bagarre. Messieurs les milongueros, sortez sur le terrain, car celui qui fait le « patancha » (pata ancha, la grosse patte, le courageux) est un signe que le cuir lui donne ; Celui qui frappe le premier a toujours le meilleur avantage ; Ils ne mettent pas le linceul à celui qui tire sans se perdre (perdre de temps, sans errer) ; Il n’est pas vivant, camarade, de se laisser devancer (madrugar peut signifier, devancer, gagner du temps, attaquer le premier). On voit que les paroles riches de lunfardo, jouent sur les mots. Avec le vocabulaire de la milonga, on parle bel et bien de bagarre.
Autres versions
Notre premier titre est un fox-trot, qui n’a que seul point commun, le prénom Pantaleón…
Pantaleón 1930-05-28 (Fox-trot) – Orquesta Francisco Canaro con Charlo. (Eleuterio Iribarren Letra: Francisco Antonio Bastardi).El chino Pantaleón 1942-01-13 – Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán. C’est notre milonga du jour.El chino Pantaleón 1942-06-17 – Orquesta Francisco Lomuto con Fernando Díaz.
Parfois, Lomuto fait des choses plus intéressantes que Canaro. C’est sans doute le cas de cet enregistrement que je trouve plus sympa à danser. On remarquera, dès le début, une utilisation différente des instruments, ce ne sont pas les mêmes éléments qui sont mis en valeur. En ce qui concerne la voix, on peut préférer Roldán à Díaz, mais je trouve que cette milonga est relativement joueuse et qu’elle pourrait trouver sa place dans une milonga. Sa fin est en revanche plus classique avec les deux accords finaux, habituels.
El chino Pantaleón 1953-03-25 – Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas y Mario Alonso.
Canaro reprend sa composition pour l’enregistrer en duo. On pourrait presque dire en trio, tant le piano qui s’amuse est présent. C’est toujours Mariano Mores, mais il a pris plus de place dans l’orchestre qu’à son arrivée en 1940. La version ne se prête pas plus et peut-être moins encore à la danse que la version de 1942, notamment à cause de ses dialogues et des pauses dans la musique.
Qui est Pantaleón ?
Je n’ai pas d’autre version de cette milonga en stock. Cependant, il reste un autre titre parlant d’un Pantaleón et ce prénom est accompagné d’un nom de famille, Lucero. Écoutons ce titre.
Yo Soy Pantaleón Lucero 1979 – Ricardo Daniel Pereyra (« Chiqui »). (Fausto Frontera Letra: Celedonio Flores)
Ce titre composé au début du vingtième siècle par Fausto Frontera avec des paroles de Celedonio Flores a été enregistré par Chiqui en 1979. Il ne semble pas y avoir d’autres versions enregistrées.
Ricardo Daniel Pereyra (« Chiqui »). Avec Roberto Goyeneche sur la photo de gauche.
Paroles de Yo Soy Pantaleón Lucero
Yo soy Pantaleón Lucero de profesión mayoral, cumplo cuarenta en enero aunque algunos me dan más. Nací por el Barrio Norte y me crié por el sur, tal vez no tenga dinero, pero me sobra salud.
Si me quieren, también quiero si no me quieren, también, soy querendón y sincero porque soy hombre de fe. Amigo que sale malo yo lo olvido y terminó, pero no puedo olvidarla a la que a mí me olvidó.
Yo soy Pantaleón Lucero no sé si recordarán, decidor y refranero y criollo a carta cabal. Matear amargo es mi vicio mi desdicha, enamorar, qué alegría, cantar siempre así las penas se van.
(Coda) Yo soy Pantaleón Lucero, pa’ lo que guste mandar. Fausto Frontera Letra: Celedonio Flores
Traduction libre des paroles de Yo Soy Pantaleón Lucero
Je suis Pantaleón Lucero, mayoral (préposé aux billets du Tramway) de profession, J’aurai quarante ans en janvier, bien que certains m’en donnent plus. Je suis né dans le Barrio Norte et j’ai grandi dans le sud. Peut-être que je n’ai pas d’argent, mais j’ai beaucoup de santé. S’ils m’aiment, j’aime aussi. S’ils ne m’aiment pas, également. Je suis aimant et sincère parce que je suis un homme de foi. L’ami qui devient mauvais, je l’oublie et c’est fini, mais je ne peux pas oublier celle qui m’a oublié. Je suis Pantaleón Lucero, je ne sais pas si vous vous en souvenez, un décideur et un diseur et un créole absolument (l’expression a carta cabal signifie, pleinement). Boire le mate amer est mon vice, ma misère, tomber amoureux, quelle joie, toujours chanter, ainsi les chagrins s’en vont. (Coda) Je suis Pantaleón Lucero, pour tout ce que vous souhaitez demander.
En savons-nous plus sur Pantaleón ?
Nous avons maintenant trois portraits d’un Pantaleón.
• Celui du Fox-trot, dont les paroles ne nous révèlent guère que son prénom.
S’il est difficile de savoir si les deux Pantaleón de Canaro correspondent au même personnage. En revanche, il est peu probable que le mayoral, qui semble un être paisible soit le même que celui de la milonga de Canaro. Je propose donc de laisser la question en suspens et en compensation, une petite remarque. Le chanteur Enrique Martínez, le petit frère de Mariano Mores, le pianiste de Canaro, avait choisi comme nom de scène, Enrique Lucero. Mais je pense que c’est plus en référence à Vénus (Lucero del alba, l’étoile de l’aube), qu’en l’honneur d’un distributeur de billets dans un tramway… De nos jours, le terme chino est plutôt réservé aux Chinois. Cependant, en lunfardo, la china est la chérie, et, dans une moindre mesure chino est également utilisable pour chéri. Le terme « chino » définit également des métisses d’Indiens et de Noirs. Cela expliquerait le choix d’une musique proche du canyengue pour ce titre. Je fais donc l’hypothèse que El chino Pantaleón est un personnage sombre de peau, bagarreur, un des nombreux compadritos qui hantaient les faubourgs de Buenos Aires.