Archives de catégorie : Histoire du tango

El cuarteador 1941-09-08 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino

Rosendo Luna (Enrique Domingo Cadícamo) (Musique et paroles)

Rosendo Luna, de son nom complet Enrique Domingo Cadícamo a composé et écrit les paroles de notre , El cuarteador. C’est pour nous l’occasion de découvrir un métier oublié, banni de Buenos Aires en 1966 avec l’interdiction des moteurs de sang (la traction animale). El cuarteador est un cavalier muni d’une forte monture qui loue ses services aux voituriers embourbés ou en mauvaise passe.

Enrique Cadícamo a composé ce titre sur le mini piano qu’il venait d’acheter.

Schroeder, le peanuts créé par Charles M. Schulz et son mini piano.

Je me suis posé la question de savoir ce qu’était un mini piano. En fait, ce n’est probablement pas un instrument dans le genre de celui de Schroeder, mais tout simplement un piano droit, sans doute un peu moins large avec seulement cinq ou six octaves. Son instrument était de la maison John Carlitt, une maison allemande de la ville de Dresde et ce facteur faisait dans le piano traditionnel, pas dans le jouet. Cadícamo semble avoir été assez discret sur l’usage de cet instrument, il n’a sans doute pas été un véritable pianiste, son talent n’en a absolument pas souffert comme on peut l’entendre dans cette composition.
Curieusement, n’a pas composé ce titre ou un autre du même genre alors qu’il a travaillé comme cuarteador. Ce sont deux autres Ángel, D’Agostino et Vargas qui l’enregistreront à la suite de Troilo-Fiorentino et Canaro-Amor.
Attention, nous allons patauger dans la boue, dans la boue de Barracas.

Extrait musical

El cuarteador 1941-09-08 – Orquesta Aníbal Troilo con . Le titre commence par une annonce.

Paroles

Fue en un café de la Boca y allá por el ano dos, donde este tango nació. Estaba linda la fiesta. Y compadreando la orquesta de esta manera empezó.
Yo soy Prudencio Navarro,
el cuarteador de Barracas.
Tengo un pingo que en el barro
cualquier carro
tira y saca.
Overo de anca partida,
que en un trabajo de cuarta
de la zanja siempre aparta
¡Chiche!
la rueda que se ha quedao.

Yo que tanta cuarta di,
yo que a todos los prendí
a la cincha de mi percherón,
hoy, que el carro de mi amor se me encajó,
no hay uno que pa’ mi
tenga un tirón.

En la calle del querer
el amor de una mujer
en un bache hundió mi
¡Hoy, ni mi overo me saca
de este profundo zanjón!

Yo soy Prudencio Navarro,
el cuarteador de Barracas.
Cuando ve mi overo un carro
compadreando
se le atraca.

No hay carga que me lo achique,
porque mi chuzo es valiente;
yo lo llamo suavemente
¡Chiche!
Y el pingo pega el tirón.

Rosendo Luna (Enrique Domingo Cadícamo) (Musique et paroles)

libre et indications

C’était dans un café de La Boca et en l’an 2 (1902) que ce tango est né. La fête était sympa. Et l’orchestre amicalement commença de cette façon.

Je suis Prudencio Navarro, le cuarteador de Barracas.
J’ai un pingo (cheval en lunfardo) qui tire et sort de la boue n’importe quel chariot.
Overo (Cheval couleur de pêche, aubère ou alezan) avec la croupe fendue (car musclée), qui dans un travail de cuarta (travail du cuarteador qui consiste à tirer des chariots embourbés. Le nom vient du fait que l’on pliait la sangle de tirage pour la rendre quadruple et ainsi plus résistante), du fossé sort toujours, Chiche ! (Nom du cheval, ou expression pour le mobiliser) la roue qui était coincée.
Moi qui ai donné tant de cuartas, moi qui les ai tous accrochés à la sangle de mon percheron, aujourd’hui, que la voiture de mon amour s’est coincée, il n’y en a pas un qui pour moi ferait une traction.
Dans la rue de l’amour, l’amour d’une femme dans un nid-de-poule a fait sombrer mon cœur…
Aujourd’hui, même mon overo ne peut pas me sortir de ce fossé profond !
Je suis Prudencio Navarro, le cuarteador de Barracas.
Quand mon overo voit une voiture, il s’y colle (comme un amoureux qui recherche le d’une femme, jeu de mots, car c’est aussi attacher le chariot).
Il n’y a pas de fardeau qui puisse le rétrécir, parce que mon chuzo (aiguillon) est courageux ; je l’appelle doucement Chiche ! Et le pingo (cheval, mais peut aussi avoir un sens plus coquin) tire.

Autres versions

El cuarteador 1941-09-08 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino. C’est notre tango du jour.
El cuarteador 1941-10-06 – Orquesta Francisco Canaro con .
El cuarteador 1942 Orquesta Ángel D’Agostino con .

Mais Enrique Cadícamo a aussi réalisé un court métrage où on peut entendre les deux anges interpréter ce thème. Nous en avons déjà parlé à propos de Tres esquinas.

Voici la vidéo au moment où D’Agostino et Vargas entament El cuarteador de Barracas, mais je vous recommande de voir les 9 minutes du court-métrage en entier, c’est intéressant dès le début et avant El cuarteador de Barracas, il y a Tres Esquinas

El cuarteador de Barracas à 6:54 du film de Enrique Cadícamo.
Timbre uruguayen mettant en avant un cuarteador. Remarquez le harnachement du cheval.

Los cuarteadores

Nous avons vu qu’Ángel Villoldo avait exercé ce métier, mais il avait aussi été clown dans un cirque, typographe et a de fait exercer de nombreux petits métiers pour survivre.
Pour les mêmes raisons, les gauchos dont les territoires ont été rattrapés par l’urbanisation de Buenos Aires se sont adaptés et sont passés du gardiennage des vaches au sauvetage des chariots et tranvias (tramways) en péril dans la boue ou dans des déclivités trop fortes.
Pour les voyages en chariot, il était prudent de s’attacher les services d’un ou plusieurs cuarteadores pour pouvoir se tirer d’embarras dans les chemins défoncés qui servaient de routes à l’époque.

À gauche, Prudencio Navarro par Rodolfo Ramos et à droite, des voyageurs attendant les cuarteadores…

Voici comment les voyageurs , narrèrent leur traversée de la pampa entre Buenos Aires et Santa Fe.

« Après avoir attaché l’attelage à la malle-poste (diligence), sous la direction du cocher, on adjoignit quatre cuarteadores, mal vêtus, chacun sur son cheval, sans autre harnais que la sangle.
Celle-ci était attachée par une extrémité à la selle et de l’autre au timon de la voiture…
À peine avions-nous atteint les faubourgs que nous rencontrâmes un de ces terribles marécages.
Ce sont des masses de boue épaisse de trois à trois mètres et demi de profondeur et trente à cinquante de largeur (la profondeur semble exagérée, mais retenons que c’était boueux).
Les cuarteadores éclaboussèrent dans la boue, puis la deuxième équipe les suivit, et lorsque les deux équipes quittèrent le marais et, par conséquent, furent sur la terre ferme, avant que la voiture n’entre dans le bourbier, elles avaient gagné un endroit où se tenir pour développer leur force.
À coups de fouet et d’éperon, encouragés par les cris des postillons, les chevaux nous traînèrent triomphalement hors du marais.
De cette façon, nous avons traversé avec succès tous les bourbiers, marécages et ruisseaux qui séparent Buenos Aires et Santa Fe. »

La gravure du 19e siècle qui m’a servie pour réaliser l’ de l’anecdote.

On remarquera la sangle (ici qui n’est pas quadruple), entre la selle et le timon. Il s’agit d’aider dans une montée. J’ai rajouté de la boue dans ma version pour rendre l’expérience encore plus probante. Cette gravure est indiquée comme étant de Buenos Aires, mais je n’ai pas trouvé le lieu. On remarquera au premier plan à droite, un autre cuarteador se relaxant avec le pied sur la sangle de tirage posée sur la croupe du cheval. Il attend à son tour que des chariots fassent appel à ses services.
Voilà, cette anecdote tire à sa fin, vous écouterez sans doute de façon différente les belles versions de cette composition de Rosendo Luna.

Pedacito de cielo 1942-09-02 – Orquesta Miguel Caló con Alberto Podestá

; Héctor Stamponi Letra:

J’adore les valses et comme c’est le jour de me faire un cadeau, je m’en offre une enregistrée un 2 septembre. Il s’agit de « Pedacito de cielo ». Il existe beaucoup de versions de ce petit coin de ciel, de paradis perdu. Celle du jour est une des plus belles. Elle a été réalisée par con Podestá, mais nous écouterons mon autre préférée, celle enregistrée 16 jours plus tard par et Francisco Fiorentino.

Extrait musical

Pedacito de cielo 1942-09-02 – Orquesta Miguel Caló con Alberto Podestá.
Deux versions de la couverture de la partition encadrent la partition pour piano.

Si l’orchestre de Calo s’est appelé celui des étoiles, ce n’est pas un hasard, il avait sélectionné des musiciens de tout premier plan, comme Enrique Francini violoniste et Héctor Stamponi pianiste, les deux compositeurs, même si à l’époque de l’enregistrement Stamponi avait quitté l’orchestre, remplace par .
On entendra un merveilleux solo de violon par l’auteur (à 35s), Francini, et plus discret, sauf à la fin, son compère bandonéoniste Armando Pontier. Maderna, Pontier et Francini se partagent la vedette avec Podestá.

Paroles

La casa tenía una reja
pintada con quejas
y cantos de amor.
La noche llenaba de ojeras
la reja, la hiedra
y el viejo balcón…
Recuerdo que entonces reías
si yo te leía
mi verso mejor
y ahora, capricho del tiempo,
leyendo esos versos
¡lloramos los dos!

Los años de la infancia
pasaron, pasaron…
La reja está dormida de tanto
y en aquel pedacito de cielo
se quedó tu alegría y mi amor.
Los años han pasado
terribles, malvados,
dejando esa esperanza que no ha de llegar
y recuerdo tu gesto travieso
de aquel beso
robado al azar…

Tal vez se enfrió con la brisa
tu cálida risa,
tu límpida voz…
Tal vez escapó a tus ojeras
la reja, la hiedra
y el viejo balcón…
Tus ojos de azúcar quemada
tenían distancias
doradas al sol…
¡Y hoy quieres hallar como entonces
la reja de bronce
de amor!…

Enrique Francini; Héctor Stamponi Letra: Homero Expósito

Traduction libre

La maison avait une clôture peinte de plaintes et de chansons d’amour.
La nuit remplissait de cernes, la clôture, le lierre et le vieux balcon…
Je me souviens qu’à l’époque tu riais si je te lisais mes meilleurs vers et maintenant, caprice du temps, en lisant ces mêmes vers, nous pleurons tous les deux !
Les années de l’enfance sont passées, passées…
La clôture est endormie de tant de silence et dans ce petit coin de ciel sont restés ta joie et mon amour.
Les années ont passé terribles, méchantes, laissant cet espoir qui ne viendra jamais et je me souviens de ton geste espiègle après ce baiser volé au hasard…
Peut-être que ton rire chaleureux, ta voix limpide se sont refroidis avec la brise…
Peut-être que la clôture, le lierre et le vieux balcon ont échappé à tes cernes…
Tes yeux de sucre brûlé avaient des distances dorées au soleil…
Et aujourd’hui tu veux retrouver comme avant la grille de bronze tremblante d’amour !…

Autres versions

Il y a deux versions parfaites pour la danse et qui datent de l’âge d’or du tango. Les voici.

Pedacito de cielo 1942-09-02 – Orquesta Miguel Caló con Alberto Podestá. C’est notre .
Pedacito de cielo 1942-09-18 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.

Il y a beaucoup d’autres versions, sans doute pas autant que le nombre de bougies qui m’attend, mais je compléterai sans doute la liste un de ces jours…

Sachez juste qu’il y a aussi un tango du même titre qui a été composé par José Martínez et que l’on connaît surtout par la belle version de1927 par Agesilao Ferrazzano que voici :

Pedacito de cielo 1927-05-11 – Orquesta Agesilao Ferrazzano. Un petit cadeau pour ceux qui n’aiment pas les valses (les pauvres).

À bientôt, les amis.

Chapaleando barro 1939-08-31 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Lita Morales

Letra:

« Chapaleando barro » éclabousser de boue est un titre très évocateur. Même si en Argentine la plupart des villages ont la majorité de leurs rues en terre, pierre ou sable, à , le goudron a remplacé la terre salissante, mais qui a vu des jeux d’enfants, enchantés de s’éclabousser de boue. Retroussez votre bas de pantalon et partons à la recherche de ce Buenos Aires, embourbé au fond de notre mémoire collective.

Extrait musical

Chapaleando barro 1939-08-31 – Orquesta Edgardo Donato con y .
On retrouve ce sympathique couple, Horacio Lagos et Lita Morales, qui peut être laissaient jouer leurs enfants dans la boue. Hum, pas sûr…

Chapaleando barro 1939-08-31 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Lita Morales.

On retrouve ce sympathique couple, Horacio Lagos et Lita Morales, qui peut être laissaient jouer leurs enfants dans la boue. Hum, pas sûr…

Paroles

Barrio de casas bajas
Por el lado de Pompeya
Donde puso la miseria
Un brochazo de dolor
La patota de pibes
Juega al rango en el barro
Y en la esquina, hasta la masa un carro
Peludeando, se quedó
Barrio viejo de guapos y milongas
Viejo barrio mistongo, de arrabal
Si me diera la caña, la vida
Qué papa sería, volverte a encontrar
Yo conozco tu rante apología
La tristeza infinita de un hogar
La angustiosa tristeza de aquel ciego
Que el pobre Carriego, lo hiciera inmortal.

Arturo Castillo Letra: Celedonio Esteban Flores

libre

Quartier de maisons basses
Du côté de Pompeya (quartier du Sud de Buenos Aires)
Là où la misère a mis
Une touche de douleur (brochazo, coup de brosse en peinture)
La bande des gamins
Jouer au rango (saute-mouton) dans la boue
Et dans le coin, jusqu’à la pâte un chariot
Embourbé, il est resté
Vieux quartier de Guapos et Milongas
Vieux quartier triste, de faubourg
S’il m’a donné la verge, la vie
Quelle chance (la papa peut signifier génial, comme en Buenos Aires es una papa) ce serait de vous rencontrer à nouveau
Je connais votre apologie vagabonde
La tristesse infinie d’un foyer
La tristesse angoissée de cet aveugle
Que le pauvre Carriego rendrait immortelle.

(Evaristo Carriego, poète argentin 1883-1912 qui fut considéré comme le poète des faubourgs et des gens humbles et de Palermo (même si pour ces paroles, on est à l’opposé de la ville, la misère était la même, ces faubourgs n’étaient pas encore [avant 1912] le Palermo des touristes d’aujourd’hui…).

Celedonio Esteban Flores (El negro Cele)

Mort à 51 ans (1896-1947), il laisse une vaste production de plus d’une centaine de tangos.

Parmi ceux-ci, vous reconnaîtrez MargotMano a manoMala entrañaViejo cocheEl bulín de la calle AyacuchoViejo smokingPor qué canto asíMalevitoCancheroCorrientes y EsmeraldaMuchachoSentenciaPobre gallo batarazSi se salva el pibe, La mariposa et La musa mistonga

Celodonio Flores a également publié deux recueils de poèmes : Chapaleando barro (1929) et Cuando pasa el órgano (1935).
Ses tangos et ses poèmes le placent comme l’un des plus grands écrivains de poésie lunfarda (argot portègne).
Je vous propose ici, la liste des poèmes de son livre de 1929, celui qui a le même nom que notre (mais dans lequel les paroles de ce tango, ne sont pas présentes…).

Liste des poèmes de Chapaleando barro (1929)


Hermanita Buena
Novia
Señora
Musa Rea
La Musa Mistonga
Tango
Consejos Reos

Motivos del suburbio

Bailongo Arrabalero
La Muchacha fea
La Muchacha linda
Tardecita de Domingo
Acuarelita
El despertar del suburbio
Cuando la tarde se inc!Jna
E l café de mi barrio
Canillita
EJ Perro Flaco
Apronte
La Muerte de la Bacana
El Bagallo
El As de los Ases
Mimosa
Oro Viejo

Los de la barra

Batiendo un justo
Carlitos
Cantor Bacán
Y ahora yo.

Envio
A mi muchacho que se fué
Punto Alto
Tenga Mano Tallador
Acosta Viejo

Intimas

Mirá Viejo
Dedicatoria
Cuando llegue aquel da
Intima
Mirá si soy bueno
Y que Dios la bendiga
Gorriones
Si tuviera tiempo
Bohemia
Pobre Gallo

De la mala vida

Tengo miedo
Ingenuamente

Sentencia
Carta Brava
El Talla
Imitación
El Alivio
El Guapo
Nunca es tarde
Mala Entraña
Mishiadura
Margot
La Percanta aquella
Polca
Sonatina

Niños jugando a pídola 1777 – 1885. Francisco De Goya.

Chapaleando barro. Pour la photo de couverture, je suis parti de cette œuvre de Francisco de Goya, Niños jugando a pídola 1777 – 1885. La pídola, c’est le saute-mouton que les Argentins appellent Rango. Comme Goya n’a pas daigné faire jouer ses petits Espagnols dans la boue, j’ai modifié l’environnement pour le rendre plus conforme aux paroles de Celedonio Flores.

Remerciements

Je profite de la modification sur l’anecdote sur Poema liée au cadeau par André Vagnon de deux versions très rares pour faire quelques .
L’aventure des anecdotes de tango initiée il y a un peu plus de six mois a bénéficiée de l’aide de différents collègues, de sites et de livres.
La petite pause technique, un peu imposée pour les raisons déjà évoquées, me donne l’occasion de donner quelques remerciements.
Les collègues TDJ Camilo Gatica, Gabbo Fresedo, André Vagnon (Bible Tango) et Michael Sattler qui m’ont passé des musiques que je n’avais pas et Fred Alard qui par sa lecture attentive m’a fait améliorer certains articles. à Gérard Cardonnet, Anita et Philippe Constant qui m’ont également fourni des informations fort intéressantes et qui ont également écrit d’intéressants commentaires.
Je dois également citer mon infatigable correcteur, Thierry Lecoquierre qui traque mes coquilles avec une efficacité redoutable.
Un grand merci pour mes partageurs, qui chaque jour ont partagé mes anecdotes sur leurs profils, Tanguy Tango est sur la première marche du podium.
Merci à ceux qui mettent de gentils commentaires, comme Angela Cassan (première marche du podium dans cette catégorie) Jean-Philippe Kbcoo, Domi Laure,
Merci aux 600 visiteurs quotidiens du site, même si cet afflux me pose des problèmes avec la société qui héberge le site web et qui me dit que je devrais prendre un hébergement web plus cher pour éviter les coupures. “Utilisation de l’UC et des connexions simultanées excèdent régulièrement les ressources disponibles, veuillez considérez (sic) l’évolution vers une gamme supérieure de formule d’hébergement, qui inclurait alors plus de ressources.”…
Merci à tous ceux qui mettent des J’aime sur les publications et notamment leur partage dans Facebook.
Merci à tous ceux qui lisent, écoutent et me font de temps à autre un petit signe.
Merci aux merveilleux DJ de et qui sont ma référence.
Merci à ceux qui me suivent comme DJ également, ces anecdotes sont indissociables de cette activité. Mieux connaître le répertoire, c’est pouvoir offrir la bonne musique au bon moment.
Merci à ceux qui m’ont laissé de gentils commentaires dans mon livre d’or.

Bref, merci à tous (moins un qui se reconnaîtra, même si comme je l’ai fait à diverses reprises, je lui tends la main pour faire la paix, ce qu’il a à chaque fois refusé, préférant continuer la guerre qu’il a initiée).

Merci à mes principaux sites de référence :

Tango-dj.at La meilleure référence pour avoir les dates d’ et les auteurs des tangos.
TodoTango.com Une référence incontournable pour ceux qui s’intéressent au tango.
La Bible TangoUne autre référence, notamment pour le tango européen.
Milongaophelia Qui propose de nombreux articles de fond, une belle iconographie et qui est très utile pour le tango à au début du vingtième siècle.
Tangos al bardo Le site passionnant et incontournable de José María Otero
Michael Lavocah,Pour être sincère, je n’ai lu qu’un article de son site, mais il me semble être une importante ressource. Je viens de recevoir son livre de tango qui est plutôt bien fait. Je vous le recommande.

Pour les livres, cela serait un peu long

J’en ai cité quelques-uns dans mes anecdotes, mais impossible de tous les citer.
Je vous donne juste quelques petites perles en attendant :

Mis memorias (1906-1956) Mis bodas de oro con el tango (Francisco Canaro). Un des plus intéressants, car autobiographique.
Osvaldo Pugliese, une vida en el tango (Oscar del Priore). Un peu court, mais bien documenté.
Osvaldo Pugliese, de mi vida (Beba Pugliese). Par la fille de Pugliese.
Osvaldo Pugliese al Colón (Arturo M. Lozza). Merci à Denis Torres qui m’a fait parvenir une version PDF, plus facile à trimbaler que la version papier que j’utilisais. Un très bon ouvrage.
El tango en la sociedad portena 1880-1920 (Lamas Binda), qui a écrit beaucoup et dont je recommande la plupart des écrits. De plus, il est spécialiste des tangos de la vieille garde).
La historia del tango en Paris (Enrique Cadicamo).
(Francisco García Jiménez).
(Oscar del Priore y ).
El origen del tango (Roberto Selles).
Les livres de Felipe Pigna sur l’histoire argentine (Pas directement lié au tango, mais comme ces derniers s’inscrivent dans l’histoire du pays, il faut un peu de culture historique).
Et les nombreuses discographies et catalogues de maisons d’édition qui permettent de lever bien des doutes.

Encore un grand merci à tous !

Merci à tous !

Chaparrón 1946-08-26 (Milonga) Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe

Letra: Francisco García Jiménez

Un chaparrón est une averse, une pluie soudaine, de forte intensité, mais de courte durée. Cette milonga joue sur les mots, un chaparrón étant en même temps une dispute. Je vous invite donc aujourd’hui, pour la milonga du jour à découvrir ce thème magnifiquement interprété par Juan d’Arienzo et .

La musique présente l’histoire que les paroles confirment ensuite.
On entend au départ les nuages noirs de l’averse qui se prépare.
L’atmosphère s’échauffe, comme les esprits. L’homme se compare à une mouche d’orage.
La marche devient en pointillé à cause de la discussion (dispute) du couple. On imagine qu’ils font trois pas, s’arrêtent et reprennent à tour de rôle. Cette « activité » est particulièrement bien adaptée à une milonga.
Puis vient l’averse, « con agua y explicaciones, era doble el chaparrón » (avec de l’eau et des explications, l’averse était double). C’est la partie centrale. La tension qui était montée dans la première partie est en train d’exploser.
Puis, à la toute fin, la réconciliation et l’envie de reprendre ensemble.
« ¡Qué rico el olor a trébol y la reconciliación… Da ganas de andar de nuevo, seria vos y serio yo! »
(Comme est bonne l’odeur du trèfle, et la réconciliation. Ça donne envie d’avancer de nouveau). Sérieuse toi et Sérieux moi. Cet élément rythme la milonga en étant mentionné trois fois. Quatre fois dans les paroles originales, mais Echagüe ne chante pas la totalité des paroles écrites par Francisco García Jiménez.

Pintín?

Pintín Castellanos (Horacio Antonio Castellanos Alves) est l’auteur de cette milonga. Les paroles sont de Francisco García Jiménez. Pintín Castellanos, un surnom qui me fait penser à Tintin, est né à Montevideo. C’est un compositeur majeur avec environ 200 de thèmes dont la moitié ont été enregistrés. Il a également écrit les paroles d’un bon nombre de ses compositions. Il était pianiste et fut également directeur d’orchestre.

1 Pitin à gauche et à droite, Tintin dansant (illustration tirée de l’ouvrage « Nous-Tintin » publié en 1987 et présentant 36 couvertures imaginaires de Tintin

Il a été décrit comme un homme élégant et d’allure virile, sportif et amoureux de la musique.
Voici comment il se raconte : «Crecí consustanciado con el ambiente orillero… cuando repiqueteaban las lonjas de los negros candomberos en los parches de sus tambores.
Las melodías populares nacieron conmigo y con ellas convivo hace muchos años… »

« J’ai grandi dans l’ambiance des rivages (du Rio de la Plata)… quand vibraient les lonjas (paume des mains) des candomberos noirs sur les parches (bandeau de cuir masquant les goujons et le cerclage supérieur) de leurs tambours. Les mélodies populaires sont nées avec moi et j’ai vécu avec elles pendant de nombreuses années… »

Pourquoi ce surnom, de Pintín Castellanos ? Je ne sais pas. El pinto peut être l’Espagnol, Castellanos, une inspiration de la Castille ? Ce serait donc une double évocation de l’Espagne pour cet Urugayen. Pintín pourrait aussi se référer à son élégance. Bref, je ne sais pas, alors, aidez-moi si vous avez une piste.

Ses compositions

Avec une centaine de titres enregistrés, vous avez obligatoirement entendu plusieurs de ces compositions. Pour rester dans la milonga, j’évoquerai la puñalada. Un jour qu’il la jouait, il a été contraint d’accélérer, ce qui l’a transformé en milonga. C’est sous cette forme que D’Arienzo l’a enregistrée le 27 avril 1937 alors que le 12 juin de la même année, Canaro l’enregistrait encore comme un tango.

Il a écrit de nombreuses autres milongas, comme, A puño limpio, El potro, El temblor, ou Meta fierro que l’on connait dans des versions géniales par D’Arienzo. Il faudrait rajouter aussi quelques milongas candombe, comme Bronce, Candombe oriental ou Candombe rioplatense.
Je ne parle pas ici de d’Arienzo et Echagüe, j’aurais de nombreuses autres occasions de le faire…

Extrait musical

Chaparrón 1946-08-26 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe

Paroles

Las nubes eran de plomo
y era el aire de fogón.
Andábamos, no sé cómo…
¡seria vos y serio yo!
Venía un olor caliente
de la ruda y el cedrón.
Y estaba como la gente
de antipático un moscón.

La boca se resecaba,
estaqueada en mal humor.
Aquello no lo arreglaba
que un chaparrón.
de trote y carga
jineteando un nubarrón.
Tormenta de caras largas:
seria vos y serio yo.

Verano de mosca y tierra;
seco el río y el porrón.
Verano de sol en guerra
¡filo de hacha sin perdón!
Amores que se empacaban
(seria vos y serio yo).

Asuntos que se empeoraban
por tardar el chaparrón…
Andábamos a tirones
cuando el cielo se abrió en dos…
Con agua y explicaciones
era doble el chaparrón.
¡Qué rico el olor a trébol
y la reconciliación…
Da ganas de andar de nuevo
seria vos y serio yo!

Pintín Castellanos (Horacio Antonio Castellanos Alves) Letra : Francisco García Jiménez

Echagüe ne chante que les parties en italique (début et fin).

Traduction libre

Les nuages étaient de plomb, et c’était l’air d’un four (poêle).
Nous marchions, je ne sais pas comment…
Sérieuse, toi et sérieux, moi !
Il y avait une odeur chaude de rue officinale (plante à odeur forte utilisée en médecine et ayant la réputation d’éloigner les indésirables) et de verveine citronnée.
Et il y avait comme les gens antipathiques une grosse mouche.
La bouche se desséchait, piquée de mauvaise humeur.
Rien de plus qu’une averse ne pourrait arranger cela.
Tempête de trot et charge chevauchant un nuage d’orage.
Tempête de visages longs :
Sérieuse, toi et sérieux, moi.
Été de mouche et de terre ; la rivière à sec ainsi que la bouteille (porrón, bouteille de terre cuite émaillée qui sert pour la boisson et accessoirement de bouillotte…).
Été de soleil en guerre, fil de hache sans pardon !
Des amours qui s’emballèrent (Sérieuse, toi et sérieux, moi).
Des problèmes qui ont été aggravés par le retard de l’averse…
Nous étions en train de nous tirer à hue et à dia quand le ciel s’est ouvert en deux…
Avec de l’eau et des explications, l’averse a été double.
Comme est délicieuse l’odeur du trèfle et de la réconciliation…
Ça donne envie de marcher à nouveau Sérieuse, toi et sérieux, moi !

Les enregistrements de chaparrón

Cet par d’Arienzo et Echagüe est le seul…
Il existe bien un tango du même nom, composé par , mais qui n’a rien à voir, si ce n’est le titre. Le voici :

Chaparrón 1957 – con la Orquesta de Graciano Gomez

Autres titres enregistrés un 26 février

D’Arienzo a enregistré le même jour : Fuegos artificiales 1941-02-26. Un tango instrumental composé par et Eduardo Arolas. Comme beaucoup de compositions de fuergo, c’est une illustration sonore, ici de fuegos artificiales (feux d’artifice).
J’ai hésité pour le tango du jour. Ce sera peut-être pour l’an prochain à moins que je le mentionne à l’occasion d’une autre interprétation, car contrairement à Chaparrón, Fuegos artificiales a été enregistré à diverses reprises.

Fin de l’averse, después de la lluvia el buen tiempo (après la pluie, le beau temps). Le temps de la réconciliation.

1 ¡Qué rico el olor a trébol y la reconciliación… Da ganas de andar de nuevo seria vos y serio yo!…

Prisionero 1943-08-24 – Orquesta Rodolfo Biagi con Alberto Amor

Julio Carressons Letra: Carlos Bahr (Carlos Andrés Bahr)

Au sujet de cette valse bien sympathique, avec une introduction un peu plus longue que la moyenne, je pensais faire un petit encart sur le , justifié par le changement effectué à cette époque par Biagi. À cause des réactions sur le sujet, je vais me concentrer sur le diapason pour cette anecdote. Nous voilà prêts à accorder nos violons…

Extrait musical et autre version

Je vous donne ici, les deux principaux enregistrements de cette valse. Celui de Biagi qui précède de quelques mois, celui de D’Arienzo.

1943-08-24 – Orquesta Rodolfo Biagi con Alberto Amor

D’un point de vue technique, cet est sans doute le dernier enregistré avec le diapason à 435Hz. Par la suite, l’orchestre de Biagi s’accordera à 440Hz.
Pour l’enregistrement de D’Arienzo, c’est 20 jours après le premier enregistrement en 440Hz par Biagi. D’Arienzo a-t-il changé en même temps, avant, après ? Si c’est important pour vous, vous avez la réponse… Sinon, écoutons plutôt les différences stylistiques entre les deux versions, c’est plus passionnant à mon goût.

Prisionero 1943-12-27 – Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré.

On remarque tout de suite que D’Arienzo a sauté la longue introduction de Biagi. C’est classique chez D’Arienzo qui aime bien rentrer directement dans le feu de la danse.
Le rythme est en revanche plus lent. Malgré l’absence des 21 secondes d’introduction de la version de Biagi, la version de D’Arienzo fait 6 secondes de plus. S’il avait joué au même rythme que Biagi, sa version aurait totalisé 21 secondes de moins. Ce sont donc 27 secondes de différence, c’est beaucoup et beaucoup plus que le passage de 435 à 440 Hz dans la différence de sensation 😉

Petit jeu

Je me suis « amusé » à trafiquer les deux enregistrements de la façon suivante :

  • J’ai enlevé l’introduction de Biagi.
Prisionero 1943-08-24 – Orquesta Rodolfo Biagi con Alberto Amor (SIN INTRO)
  • J’ai accéléré la version de D’Arienzo pour la mettre au même rythme que celle de Biagi.
Prisionero 1943-12-27 – Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré (ACCÉLÉRÉE)

Vous pouvez donc comparer les deux versions à la même cadence. C’est bien sûr un petit sacrilège, car D’Arienzo a volontairement enregistré une version plus lente, mais cela me semble intéressant pour bien sentir les différences d’orchestrations sur la même partition.

  • Et comme je ne suis pas avare de fantaisies, je vous propose maintenant une version mixte comprenant la version de Biagi sans l’introduction dans le canal de gauche et la version de D’Arienzo accélérée dans le canal de droite. On remarquera que le mélange n’est pas si détonnant. Pour bien saisir, il est préférable d’écouter sur un système , voire au casque.
Prisionero. Comparaison des deux versions à la même vitesse et synchronisées.

Prisionero. Version de Biagi sans introduction, dans le canal de gauche. Version de D’Arienzo accélérée, dans le canal de droite.

Si vous avez apprécié le petit jeu, vous pouvez avoir un autre particulier dans le dernier chapitre de cette anecdote, sur les diapasons. Un truc qui régale certains spécialistes, ce que je ne suis pas.

Paroles

Libre es el viento
Que doma la distancia,
Baja a los valles
Y sube a las montañas.
Libre es el agua
Que se despeña y canta,
Y el pájaro fugaz
Que surge de ver
Una azul inmensidad…

Libre es el potro
Que al viento la melena,
Huele a las flores
Que es mata en la pradera.
Libre es el cóndor
Señor de su cimera,
Yo que no sé olvidar
Esclavo de un dolor
No tengo libertad…

Loco y cautivo
Cargado de cadenas,
Mi oscura cárcel
Me mata entre sus rejas.
Soy prisionero
De incurable pena,
Preso al
De mi perdido bien.

Nada me priva
De andar por donde quiero,
Pero no puedo
Librarme del dolor.
Y pese a todo
Soy prisionero,
De los
Que guarda el corazón.
Julio Carressons Letra: Carlos Bahr (Carlos Andrés Bahr)

Traduction libre

Libre est le vent qui dompte la distance, descend dans les vallées et gravit les montagnes.
Libre est l’eau qui tombe et chante, et l’oiseau fugace qui émerge de la vue d’une immensité bleue…
Libre est le poulain qui dans le vent a sa crinière, sent les fleurs qui poussent dans le pré (mata est une plante de faible hauteur, arbuste ou plus petit. J’ai traduit par pousser, mais il y a peut-être mieux à faire…).
Libre est le condor, seigneur de son sommet, moi qui ne sais pas oublier, esclave d’une douleur, je n’ai pas de liberté…
Fou et captif, chargé de chaînes, ma sombre me tue derrière les barreaux. (Mata, s’écrit de la même façon, mais ici, c’est le verbe tuer. C’est un discret jeu de mots).
Je suis prisonnier d’un chagrin incurable, emprisonné dans la mémoire de mon bien perdu.
Rien ne m’empêche de marcher où je veux, mais je n’arrive pas à me libérer de la douleur.
Et malgré tout, je suis prisonnier des que le cœur garde.

Mettons-nous au diapason…

Le diapason est la fréquence de référence qui permet que tous les musiciens d’un orchestre jouent de façon harmonieuse.
Vous avez en tête les séances d’accordage qui précèdent une prestation.
Le principe est simple. On prend pour référence l’instrument le moins accordable rapidement, par exemple le piano qui est accordé avant le concert, car avec près de 250 cordes à régler, l’opération prend du temps.
En l’absence de piano, les orchestres classiques se calent sur le hautbois, celui du « premier hautbois ». Ensuite, ses voisins, les autres instruments à vent, s’accordent sur lui, puis c’est le tour des cordes.
Je vous propose cette superbe vidéo qui met en scène le principe. On remarquera que c’est bien le hautbois qui y donne le La3.

Installation interactive « Sous-ensemble » de Thierry Fournier – Enregistrement de l’accord pour chaque instrument.

La note de référence doit pouvoir être jouée par tous les instruments. Dans les concerts où il y a des instruments anciens, on est parfois obligé d’accorder plus grave pour éviter d’avoir une tension exagérée des cordes sur des instruments fragiles.
En général, cela est défini à l’avance et on accorde le piano en conséquence avant le concert.
La note de référence est généralement un La, le La3 (situé entre la deuxième et la troisième ligne de la portée en clef de sol). Au piano, c’est celui qui tombe naturellement sous la main droite, vers le milieu du clavier. Sur les violons et altos, c’est la seconde corde, corde dont la cheville de réglage est en haut à droite en regardant le violon de face. Les musiciens jouent donc cette corde à vide, jusqu’à ce qu’elle résonne comme la note de référence émise. Les autres cordes sont accordées par l’instrumentiste lui-même par comparaison avec la corde de référence. Mais vous avez sans doute regardé la vidéo précédente et vous savez tout cela.
Dans le cas du tango, le piano est généralement la base, mais quand c’est possible, on se cale sur le bandonéon qui n’est pas accordable pour régler le piano.
En effet, la note de référence, si c’est en principe toujours le La3, n’a pas la même hauteur selon les époques et les régions.

Le débat sur le diapason musical uniforme au dix-neuvième siècle

Je vous propose trois éléments pour juger du débat qui anime toujours les musiciens d’aujourd’hui… C’est un exemple français, mais à vocation largement européenne par les éléments traités et l’accueil fait aux demandes de la commission ayant établi le rapport.

  • Un rapport établissant des conseils pour l’établissement d’un diapason musical uniforme.

Les membres de la commission étaient :
Jules Bernard Joseph Pelletier, conseiller d’État, secrétaire général du ministère d’État, président de la commission ;
Jacques Fromental Halévy, membre de l’Institut, secrétaire perpétuel de l’Académie des beaux-arts, rapporteur de la commission ;
Daniel-François-Esprit Auber, membre de l’Institut, directeur du Conservatoire impérial de musique et de déclamation (et qui a sa rue qui donne sur l’Opéra de Paris) ;
Louis Hector Berlioz, membre de l’Institut ;
Mansuete César Despretz, membre de l’Institut, professeur de physique à la Faculté des sciences.
Camille Doucet, chef de la division des théâtres au ministère d’État ;
Jules Antoine Lissajous, professeur de physique au lycée Saint-Louis, membre du conseil de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale ;
Le Général Émile Mellinet, chargé de l’organisation des musiques militaires ;
Désiré-Guillaume-Édouard Monnais, commissaire impérial près les théâtres lyriques et le Conservatoire ;
Giacomo Meyerbeer, compositeur allemand, mais vivant à Paris où il mourra en 1871 ;
Gioachino Rossini, Compositeur italien, mais vivant à Paris où il mourra en 1872 ;
Ambroise Thomas, compositeur français et membre de l’Institut.

  • Le décret mettant en place ce diapason uniforme.
  • Les critiques contre le diapason uniforme…

On voit donc que l’histoire est un éternel recommencement et que les pinaillages actuels n’en sont que la continuité…

Vous pouvez accéder à l’ensemble des textes, ici (12 pages)

Pour les plus pressés, voici un extrait sous forme de tableaux qui vous permettront de constater la variété des diapasons, leur évolution et donc la nécessité de mettre de l’ordre et notamment de freiner le mouvement vers un diapason plus aigu.
Les valeurs indiquées dans ce tableau sont en « vibrations ». Il faut donc diviser par deux pour avoir la fréquence en Hertz. Ainsi, le diapason de Paris indiqué 896 correspond à 448 Hz.

Tableau des diapasons en Europe en 1858 et tableau de l’élévation du diapason au du temps (tableau de droite). Extrait du rapport présenté à S. Exc. Le ministre d’État par la commission chargée d’établir en France un diapason musical uniforme (Arrêté du 17 juillet 1858) – Paris, le 1er février 1859.

Compléments sur le diapason

Si vous n’avez pas consulté le document de 12 pages, il est encore temps de vous y référer, il est juste au-dessus des tableaux… Vous pouvez le charger en PDF pour le lire plus facilement.

Si vous voulez entendre la différence entre le diapason à 435 Hz et celui à 440 Hz, je vous propose cette vidéo.

Diapason 435 Hz et 440 Hz.

Sur l’histoire du diapason, cet article signalé par l’ami Jean Lebrun.

https://www.radiofrance.fr/francemusique/accord-et-desaccord-la-guerre-du-la-6695782

Sur la question du diapason et de la vitesse en tango, je vous propose ce court article que j’avais écrit.

Et un article bien plus complet, mais en anglais de signalé par Angela.

Sur la question du choix du diapason au dix-neuvième siècle

Choisir le bon quand on restaure des disques anciens peut avoir son utilité. Cependant, c’est une véritable jungle et aujourd’hui encore, les DJ, éditeurs de musique et même les musiciens continuent de se quereller au sujet de ce fameux diapason.
Pour vous amuser, je vous propose d’entrer dans un qui a eu lieu en 1859…

Pour vous faciliter la lecture, vous pouvez aussi télécharger le texte intégral au format PDF (en fin de cet article).

Entrons dans le débat…

Je vous propose trois éléments pour juger du débat qui anime toujours les musiciens d’aujourd’hui… C’est un exemple français, mais à vocation largement européenne par les éléments traités et l’accueil fait aux demandes de la commission ayant établi le rapport.

  1. Un rapport établissant des conseils pour l’établissement d’un diapason musical uniforme.
  2. Le décret mettant en place ce diapason uniforme.
  3. Les critiques contre le diapason uniforme…

Rapport présenté à S. Exc. Le ministre d’État par la commission chargée d’établir en France un diapason musical uniforme

Paris, le 1er février 1859

Monsieur le ministre,

Vous avez chargé une commission « de rechercher les moyens d’établir en France un diapason musical uniforme, de déterminer un étalon sonore, qui puisse servir de type invariable, et d’indiquer les mesures à prendre pour en assurer l’adoption et la conservation.

Votre arrêté était fondé sur ces considérations :

« Que l’élévation toujours croissante du diapason présente des inconvénients dont l’art musical, les compositeurs de musique, les artistes et les fabricants d’instruments ont également à souffrir ; et que la différence qui existe entre les diapasons des divers pays, des divers établissements musicaux et des diverses maisons de facture est une source constante d’embarras pour la musique d’ensemble, et de difficultés dans les relations commerciales. »

La commission a terminé son travail. Elle vous doit compte de ses opérations, de la marche qu’elle a suivie ; elle soumet à l’appréciation de Votre Excellence le résultat auquel elle est arrivée.

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Cette commission était composée de :

Jules Bernard Joseph Pelletier, conseiller d’État, secrétaire général du ministère d’État, président de la commission ;
Jacques Fromental Halévy, membre de l’Institut, secrétaire perpétuel de l’Académie des beaux-arts, rapporteur de la commission ;
Daniel-François-Esprit Auber, membre de l’Institut, directeur du Conservatoire impérial de musique et de déclamation (et qui a sa rue qui donne sur l’Opéra de Paris) ;
Louis Hector Berlioz, membre de l’Institut ;
César-Mansuète Despretz, membre de l’Institut, professeur de physique à la Faculté des sciences.
Camille Doucet, chef de la division des théâtres au ministère d’État ;
Jules Antoine Lissajous, professeur de physique au lycée Saint-Louis, membre du conseil de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale ;
Le Général Émile Mellinet, chargé de l’organisation des musiques militaires ;
Désiré-Guillaume-Édouard Monnais, commissaire impérial près les théâtres lyriques et le Conservatoire ;
Giacomo Meyerbeer, compositeur allemand, mais vivant à Paris où il mourra en 1871 ;
Gioachino Rossini, Compositeur italien, mais vivant à Paris où il mourra en 1872 ;
Ambroise Thomas, compositeur français et membre de l’Institut.
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I

Il est certain que dans le cours d’un siècle, le diapason s’est élevé par une progression constante. Si l’étude des partitions de Gluck ne suffisait pas à démontrer, par la manière dont les voies sont disposées, que ces chefs-d’œuvre ont été écrits sous l’influence d’un diapason beaucoup moins élevé que le nôtre, le témoignage des orgues contemporaines en fournirait une preuve irrécusable. La commission a voulu d’abord se rendre compte de ce fait singulier, et de même qu’un médecin prudent s’efforce de remonter aux sources du mal ayant d’essayer de le guérir, elle a voulu rechercher, ou au moins examiner les causes qui avaient pu amener l’exhaussement du diapason. On possède les éléments nécessaires pour évaluer cet exhaussement. Les orgues dont nous avons parlé accusent une différence d’un ton au-dessous du diapason actuel. Mais ce diapason si modéré ne suffisait pas à la prudence de l’Opéra de cette époque : Rousseau, dans son dictionnaire de musique (article Ton), dit que le ton de l’Opéra à Paris était plus bas que le ton de chapelle. Par conséquent, le diapason, ou plutôt le ton de l’Opéra était, au temps de Rousseau, de plus d’un ton inférieur au diapason d’aujourd’hui.

Cependant les chanteurs de ce temps, au rapport de beaucoup d’écrivains, forçaient leur voix. Soit défaut d’études, soit défaut de goût, soit désir de plaire au public, ils criaient. Ces chanteurs, qui trouvaient moyen de crier si fort avec un diapason si bas, n’avaient aucun intérêt à demander un ton plus élevé, qui aurait exigé de plus grands efforts ; et, en général, à nulle époque, dans aucun pays, aujourd’hui comme alors, jamais le chanteur, qu’il chante bien ou mal, n’a d’intérêt à rencontrer un diapason élevé, qui altère sa voix, augmente sa fatigue, et abrège sa carrière théâtrale. Les chanteurs sont donc hors de cause, et l’élévation du diapason ne peut leur être attribuée.

Les compositeurs, quoi qu’aient pu dire ou penser des personnes qui n’ont pas des choses de la musique, une idée bien nette, ont un intérêt tout contraire à l’élévation du diapason. Trop élevé, il les gêne. Plus le diapason est haut, et plus tôt le chanteur arrive aux limites de sa voix dans les cordes aiguës ; le développement de la phrase mélodique est donc entravé plutôt que secondé. Le compositeur a dans sa tête, dans son imagination, on peut dire dans son cœur, le type naturel des voix. La phrase qu’il écrit lui est dictée par un chanteur que lui seul entend, et ce chanteur chante toujours bien. Sa voix, souple, pure, intelligente et juste, est fixée d’après un diapason modéré et vrai qui habite l’oreille du compositeur. Le compositeur a donc tout avantage à se mouvoir dans une gamme commode aux voix, qui le laisse plus libre, plus maître des effets qu’il veut produire, et seconde ainsi son inspiration. Et d’ailleurs, quel moyen possède-t-il d’élever le diapason ? Fabrique-t-il, fait-il fabriquer ces petits instruments perfides, ces boussoles qui égarent ? Est-ce lui qui vient donner le la aux orchestres et nous n’avons jamais appris ou entendu dire qu’un maestro, mécontent de la trop grande réserve d’un diapason, en ait fait fabriquer un à sa convenance, un diapason personnel, à l’effet d’élever le ton d’un orchestre tout entier. Il rencontrerait mille résistances, mille impossibilités. Non, le compositeur ne crée pas le diapason, il le subit. On ne peut donc non plus l’accuser d’avoir excité la marche ascensionnelle de la tonalité.

Remarquons que cette marche ascensionnelle, en même temps qu’elle a été constante, a été générale ; qu’elle ne s’est pas bornée à la France ; que les Alpes, les Pyrénées, l’Océan n’y ont pas fait obstacle. Il ne faut donc pas, comme nous l’avons entendu faire, en accuser spécialement la France, qu’on charge assez volontiers des méfaits qui se produisent de temps à autre dans le monde musical. Notre pays n’a eu que sa part dans cette grande invasion du diapason montant, et s’il était complice du mal, il en était en même temps victime. Les causes de cette invasion, qui agissaient partout avec suite, ensemble, persévérance, on pourrait dire avec préméditation, ne sauraient être ni accidentelles, ni particulières à un pays. Elles devaient tenir à un principe déterminant, à un intérêt. En vertu d’un axiome bien connu, il faut donc rechercher ceux qui avaient un intérêt évident à surélever ainsi le la qu’espéraient nous léguer nos ancêtres. Ceux qui fabriquent ou font fabriquer les diapasons, voilà les auteurs, les maîtres de la situation. Ce sont les facteurs d’instruments, et on comprend qu’ils ont à élever le diapason, un intérêt légitime et honorable. Plus le ton sera élevé, plus le son sera brillant. Le facteur ne fabriquera donc pas toujours ses instruments d’après le diapason ; il fera quelquefois son diapason d’après l’instrument qu’il aura jugé sonore et éclatant. Car il se passionne pour la sonorité, qui est la fin de son œuvre, et il cherche sans cesse à augmenter la force, la pureté, la transparence de voix qu’il sait créer. Le bois qu’il façonne, le métal qu’il forge, obéissant aux lois de la résonance, prendront des timbres intelligents, qu’un· artiste habile, et quelquefois inspiré, animera bientôt de son archet, de son souffle, de son doigté, léger, souple ou puissant. L’instrumentiste et le facteur sont donc deux alliés, leurs intérêts se combinent et se soutiennent. Introduits à l’orchestre, ils le dominent, ils y règnent, et l’entraînent facilement vers les hauteurs où ils se plaisent. En effet, l’orchestre est à eux, ou plutôt ils sont l’orchestre, et c’est l’instrumentiste qui, en donnant le ton, règle, sans le vouloir, les études, les efforts, les destinées du chanteur.

La grande sonorité acquise aux instruments à vent trouva bientôt une application directe, et en reçut un essor plus grand encore. La musique, qui se prête à tout et prend partout sa place, marche avec les régiments ; elle chante aux soldats ces airs qui les animent et leur rappellent la patrie. Il faut alors qu’elle résonne haut et ferme, et que sa voix retentisse au loin. Les corps de musique militaire, s’emparant du diapason pour l’élever encore, propagèrent dans toute l’Europe le mouvement qui l’entraînait sans cesse.

Mais aujourd’hui la musique militaire pourrait, sans rien craindre, descendre quelque peu de ce diapason qu’elle a surexcité. Sa fierté n’en souffrirait pas, ses fanfares ne seraient ni moins martiales, ni moins éclatantes. Le grand nombre d’instruments de cuivre dont elle dispose maintenant lui ont donné plus de corps, plus de fermeté, et un relief à la fois solide et brillant qui lui manquait autrefois. Espérons d’ailleurs que de nouveaux progrès dans la facture affranchiront bientôt certains instruments d’entraves regrettables, et leur ouvriront l’accès des riches tonalités qui leur sont interdites. L’honorable général qui représente dans la commission l’organisation des corps de musique seconderait de tous ses efforts cette amélioration désirable, ce progrès véritable, qui apporterait aux orchestres militaires des ressources nouvelles, et varierait l’éclat de leur sonorité.

Nous croyons avoir établi, monsieur le ministre, que l’élévation du diapason est due aux efforts de l’industrie et de l’exécution instrumentales ; que ni les compositeurs ni les chanteurs n’y ont participé en rien. La musique religieuse, la musique dramatique ont subi le mouvement sans pouvoir s’en défendre, ou sans chercher à s’y dérober. On pourrait donc, dans une certaine mesure, abaisser le diapason, avec la certitude de servir les véritables, les plus grands intérêts de l’art.

II

Nous avions l’assurance que ce fait de l’élévation toujours croissante du diapason ne s’était pas produit en France seulement, que le monde musical tout entier avait subi cet entraînement, mais il fallait en acquérir des preuves authentiques ; il fallait aussi savoir dans quelle mesure, à quels degrés différents s’était fait sentir cette influence dans les divers pays, dans les centres principaux. Nous avons donc pensé, monsieur le ministre, que, pour mener à bonne fin l’étude que votre Excellence nous avait confiée, il fallait commencer par nous renseigner au dehors et autour de nous, interroger les chefs des établissements importants en France et à l’étranger, prendre connaissance de l’état général du diapason, faire en un mot une sorte d’enquête. Cette conduite nous était d’ailleurs tracée par l’arrêté même qui nous institue, dans lequel vous signalez avec juste raison « la différence qui existe entre les diapasons des divers pays comme une source constante d’embarras. »

Nous nous sommes donc adressés sous vos auspices, et par l’organe de notre président, partout où il y a l’opéra, un grand établissement musical, dans les villes où l’art est cultivé avec amour, avec , pratiqué avec éclat, et qu’on peut nommer les capitales de la musique, demandant qu’on voulût bien nous renseigner sur la marche du ton, nous envoyer les diapasons en usage aujourd’hui, et d’anciens diapasons, s’il était possible, pour en mesurer exactement l’écart. En même temps, nous demandions aux hommes éclairés à qui nous nous adressions de_ nous faire connaître leur opinion, sur l’état actuel du diapason, et leurs dispositions favorables ou contraires à un abaissement. à une modération dans le ton. La musique est un art d’ensemble, une sorte de langue universelle. Toutes les nationalités disparaissent devant l’écriture musicale, puisqu’une notation unique suffit à tous les peuples, puisque des signes, partout les mêmes, représentent les sons qui dessinent la mélodie ou se groupent en accords, les rythmes qui mesurent le temps, les nuances qui colorent la pensée ; même s’écrit dans cet alphabet prévoyant. N’est-il pas désirable qu’un diapason uniforme et désormais invariable vienne ajouter un lien suprême à celte communauté intelligente, et qu’un la, toujours le même, résonnant sur toute la surface du globe avec les mêmes vibrations, facilite les relations musicales et les rende plus harmonieuses encore ?

C’est dans ce sens que nous avons écrit en Allemagne, en Angleterre, en Belgique, en Hollande, en Italie, jusqu’en Amérique, et nos correspondants nous ont envoyé des réponses consciencieuses, des renseignements utiles, des intéressants. Quelques-uns nous adressaient d’anciens diapasons âgés d’un demi-siècle, aujourd’hui dépassés ; d’autres des diapasons contemporains, variés dans leur intonation. Tous, reconnaissant et repoussant l’exagération actuelle, nous envoyaient leur cordiale adhésion. Trois d’entre eux, nos compatriotes 1, tout en partageant l’opinion générale, demandent, il est vrai, qu’on fixe le diapason à l’état actuel de celui de Paris, mais c’est pour l’arrêter dans sa progression ascendante, et eu faire un obstacle à de nouveaux envahissements : obstacle impuissant, à notre avis, qui protège le mal, l’oppose à lui-même, et le consacre au lieu de le détruire. Les autres sont unanimes à désirer un diapason moins élevé, uniforme, inaltérable, véritable diapason , autour duquel viendraient se rallier, dans un accord invariable, chanteurs, instrumentistes, facteurs de tous les pays. La plupart de nos correspondants étrangers joignent à leur approbation l’éloge de l’initiative : » Je vous dois des , nous écrit-on, pour la cause importante que vous avez entrepris de plaider : il est bien temps d’arrêter les dérèglements auxquels on se laisse emporter. »

  • J’adopte la somme entière de vos sages réflexions, nous dit un autre maître de chapelle des plus distingués, en espérant que toute l’Europe applaudira vivement à la commission instituée par S. Exc. Je ministre d’État, à l’effet d’établir un diapason uniforme. La grande élévation du diapason détruit et efface l’effet et le caractère de la musique ancienne, des chefs-d’œuvre de Mozart, Gluck, Beethoven.
  • Je ne doute pas, écrit-on encore, que la commission ne réussisse dans celle question importante. Ce sera un nouveau service rendu par votre nation à l’art et au commerce.
  • L’élévation progressive du diapason, dit un autre de nos honorables correspondants, est non seulement préjudiciable à la voix humaine, mais aussi à tous les instruments. Ce sont surtout les instruments à cordes qui ont beaucoup perdu pour le son, depuis que l’on est obligé, à cause de cette élévation, d’employer des cordes très-minces, les cordes fortes ne pouvant résister à cette tension exagérée de là, ce ton, qui au lieu de se rapprocher de la voix humaine, s’en éloigne de plus en plus. »
  • Fixer le diapason une fois pour toutes, dit un cinquième, ce serait mettre fin à bien des doutes, à une multitude d’inconvénients et même de caprices. Je vous témoigne le vif intérêt que nous portons dans toute l’Allemagne musicale à l’exécution de votre projet.
  • Vous avez bien dit, écrit-on encore, que l’Europe entière est intéressée aux recherches des moyens d’établir un diapason uniforme. Le monde musical a senti depuis longtemps la nécessité urgente d’une réforme, et il remercie la France d’avoir pris l’initiative. M. Drouet, maître de chapelle du grand-duc de Saxe-Cobourg-Gotha, nous a envoyé trois diapasons d’époque et d’élévation différentes, et une note intéressante : Enfin nous avons reçu de deux hommes très compétents, M. W Wieprecht, directeur de la musique militaire de Prusse, à Berlin, et M. le docteur Furke des mémoires où la matière est traitée avec une véritable connaissance de cause. Les auteurs s’associent entièrement à la pensée qui a institué la commission.

Ces nombreuses adhésions, émanées d’autorités si considérables, nous donnent l’assurance qu’une proposition d’abaissement dans le diapason sera bien accueillie dans toute l’Allemagne. Il faut d’ailleurs rappeler ici que déjà, en 1834, des musiciens allemands réunis à Stuttgart avaient exprimé le vœu d’un affaiblissement du diapason, et recommandé l’adoption d’un la plus sensiblement plus bas que notre la actuel. Certes, il y aura d’abord des difficultés qui naîtront surtout de la division de l’Allemagne en un si grand nombre d’États différents. C’est une opinion qui nous a été exprimée ; mais il y a lieu de penser qu’après quelques oscillations, un type invariable et commun s’établira dans ce pays, qui pèse d’un grand poids dans les destinées de l’art musical.

Nous n’avons encore reçu d’Italie qu’une seule lettre. Elle est de M. Coccia, directeur de l’académie philharmonique de Turin, maître de chapelle de la cathédrale de Novare. M. Coccia a bien voulu nous adresser le diapason usité à Turin, un peu plus bas que celui de Paris, et le plus doux (il più mite), dit M. Coccia, qu’il ait rencontré jusqu’à présent. Il en recommande l’adoption. M. Coccia est donc aussi de l’avis d’un adoucissement dans le ton, et c’est d’un bon augure pour l’opinion de l’Italie, dont il faut tenir grand compte.

Nous avons reçu de Londres une communication de MM. Broadwood, célèbres facteurs de pianos. Ils ont eu l’obligeance de nous adresser trois diapasons, employés tous les trois dans leur établissement, chacun d’eux affecté à un service spécial.

Le premier, plus bas d’un grand quart de ton que le diapason de Paris, était, il y a vingt-cinq ou trente ans, celui de la Société philharmonique de Londres. Il a été judicieusement conservé par MM. Broadwood comme plus convenable aux voix, et ils accordent, d’après le ton extrêmement modéré qu’il fournit, les pianos destinés à l’accompagnement des concerts vocaux. Le second, beaucoup plus haut, puisqu’il est plus élevé que le nôtre, est celui d’après lequel MM. Broadwood accordent, en général, leurs pianos, parce qu’il est à peu près conforme à l’accord des harmoniums, des flûtes, etc. : c’est le diapason des instrumentistes. Enfin le troisième, encore plus élevé, est celui dont se sert aujourd’hui la Société philharmonique. Cette extrême liberté du diapason doit avoir ses inconvénients, et peut bien faire courir quelques hasards à la justesse absolue. Aussi MM. Broadwood font-ils des vœux « pour la réussite de nos recherches, si intéressantes et si importantes pour tout le monde musical.

M. Bender, directeur de la musique du roi des Belges et du régiment des guides, voudrait deux diapasons, à la distance d’un demi-ton : le plus élevé, à l’usage des musiques militaires ; l’autre, destiné aux théâtres. M. Bender pratique son système ; le diapason de la musique des guides n’est pas applicable à la musique vocale. C’est le plus élevé de tous ceux que nous avons reçus.

M. Daussoigne-Méhul, directeur du Conservatoire royal de Liège, n’adresse pas de diapason, celui qu’il emploie étant semblable à celui de Paris. Il est un des trois correspondants qui concluent à l’adoption définitive de ce diapason, comme limite extrême, comme sauvegarde, et ne fut-ce, dit M. Daussoigne Méhul, que pour arrêter ses dispositions ascendantes.

M. Lubeck, directeur du Conservatoire royal de La Haye, en nous envoyant son diapason, un peu moins élevé que le nôtre, nous assure de son adhésion et de son concours. Vous voyez, monsieur le ministre, combien de sympathies et d’approbations rencontre voire désir de l’établissement d’un diapason uniforme.

Nous avions écrit en Amérique. n’a pas encore répondu. M. E. Prévost, chef d’orchestre de l’Opéra-Français de La Nouvelle-Orléans, nous a adressé une lettre d’adhésion, et un diapason qui ne nous est pas parvenu.

Nous avons reçu de quelques-unes des grandes villes de France, où la musique est en honneur, des renseignements communiqués par des artistes distingués.

Le diapason qui nous a été envoyé par M. Victor Magnien, directeur de l’Académie impériale de musique de Lille est, après celui de M. Bender et après ceux de Londres, le plus élevé des diapasons qu’on nous a adressés. Il est plus haut par conséquent que celui de Paris. Sans doute il a subi, par un procédé de bon voisinage, l’influence de la musique des guides de Bruxelles. Aussi· M. Magnien se rallie-t-il avec empressement à la demande d’un diapason plus modéré.

M. Mézerai, chef d’orchestre du grand théâtre de Bordeaux, nous a communiqué son diapason, moins élevé que celui de Paris. M. Mézerai avait d’abord adopté celui-ci, mais, nous dit-il, il fatiguait trop les chanteurs.

Le diapason de Lyon est celui de Paris, celui de Marseille est très peu plus bas. M. Georges Hainl, chef d’orchestre de Lyon, croit qu’il faut maintenir le diapason de Paris, malgré son élévation, dans la crainte d’affaiblir l’éclat de l’orchestre. M. Aug. Morel, directeur de l’École communale de Marseille, incline vers cet avis. Ces deux artistes forment, avec M. D. Méhul, le groupe que nous avons mentionné, proposant l’état actuel comme terme définitif.

Toulouse nous a adressé deux diapasons : celui du théâtre, moins élevé que le nôtre, presque semblable à celui de Bordeaux, et le diapason de l’École de musique, plus bas d’environ un quart de ton ; différence remarquable, qu’il importe d’autant plus de constater, que Toulouse· est une de ces villes à l’instinct musical, où le chant est populaire, où l’harmonie abonde, et qui, de tout temps, a fourni à nos théâtres des artistes à la voix mélodieuse et sonore.

Le diapason de l’École de Toulouse est, avec celui du théâtre grand-ducal de Carlsruhe (sic), dont il ne diffère que de quatre vibrations, le plus bas de tous les diapasons qui nous ont été communiqués. Celui de la musique des guides de Bruxelles, qui compte neuf cent onze vibrations par seconde, est, à l’aigu, le terme extrême de ces diapasons ; celui de Carlsruhe, qui ne fait que huit cent soixante-dix vibrations, en est le terme au grave. Entre cet écart, qui n’est pas beaucoup moindre d’un demi-ton, se meuvent les diapasons en usage aujourd’hui, et, par conséquent, les orchestres, les corps de musique, les ensembles de voix dont ils sont la règle et la loi, et dont ils résument pour ainsi dire l’expression.

Ainsi la France compte à ses deux extrémités un des diapasons les plus élevés, celui de Lille, un des diapasons les plus graves, celui de l’École de Toulouse. On peut suivre sur la carte la route que suit en France le diapason ; il s’élève et s’abaisse avec la latitude. De Paris à Lille, il monte ; il descend de Paris à Toulouse. Nous voyons le nord soumis évidemment au , à la prédominance de l’art instrumental, tandis que le midi reste fidèle aux convenances et deux bonnes traditions des études vocales.

Nous vous avons présenté, monsieur le ministre, le résumé fidèle des informations qui nous ont été transmises : nous vous avons fait connaître les impressions que nous en avons reçues. En présence des opinions presque unanimes exprimées pour une modération dans le ton, et des opinions unanimes pour l’adoption d’un diapason uniforme, c’est-à-dire pour un nivellement général du diapason, librement consenti ; en présence des différences remarquables qui existent entre les divers diapasons que nous avons pu comparer, différences mesurées avec toute la précision de la science en nombre de vibrations, el consignées dans un des tableaux annexés à ce rapport, la commission, après avoir discuté, a adopté en principe, et à l’unanimité des voix ; les deux propositions suivantes :

Il est désirable que le diapason soit abaissé.

Il est désirable que le diapason abaissé soit adopté généralement comme régulateur invariable.

III

Il restait à déterminer la quantité dont le diapason pourrait être abaissé, en lui ménageant les meilleures chances probables d’une adoption générale comme régulateur invariable.

Il était évident que le plus grand abaissement possible était d’un demi-ton, qu’un écart plus considérable n’était ni praticable ni nécessaire ; et sur ce point, la commission se montrait unanime. Mais le demi-ton rencontra des adversaires, et trois systèmes se trouvèrent en présence : abaissement d’un demi-ton, abaissement d’un quart de ton, abaissement moindre que ce dernier.

Un seul membre proposait l’abaissement moindre que le quart de ton. Craignant surtout de voir les relations commerciales troublées, il proposait un abaissement très modéré, et qui devait tout au plus, dans sa plus grande amplitude, atteindre un demi-quart de ton.

La question des relations commerciales est assez importante pour qu’on s’y arrête un instant. D’ailleurs, monsieur le ministre, en nous instituant, vous l’avez signalée à notre attention.

Parmi les documents qui nous ont été remis, figure une lettre signée de nos principaux, de nos plus célèbres facteurs d’instruments de tout genre. Dans cette lettre, adressée à Votre Excellence, sont exposés tous les embarras résultants de l’élévation toujours croissante du diapason et de la différence des diapasons. On vous demande de mettre un terme à ces embarras en établissant un système uniforme de diapason. “Il appartient à Votre Excellence, disent les signataires, de faire cesser cette sorte d’anarchie, et de rendre au monde musical un service aussi important que celui rendu autrefois au monde industriel par la création d’un système uniforme de mesures.” La commission prend en haute considération les intérêts de notre grande fabrication d’instruments, c’est une des richesses de la France, une industrie intelligente dans ses produits, heureuse dans ses résultats. Les hommes habiles qui la dirigent et l’ont élevée au premier rang ne peuvent douter de notre sollicitude ; ils savent que nous sommes amis de celte industrie qui fournit à quelques-uns des membres de la commission de précieux et charmants auxiliaires. Mais si, parmi ces maîtres facteurs qui ont si bien signalé à Votre Excellence “les embarras” résultant de la divergence et de l’élévation toujours croissante, » quelques-uns, comme il nous a été dit, craignent maintenant « les embarras » résultant des mesures qu’on veut prendre pour les contenter, que faudrait-il faire ? Puisqu’ils ont demandé, avec tout le monde musical, un diapason uniforme, comment le choix d’un diapason, destiné dans nos espérances et dans les leurs à devenir· uniforme, peut-il troubler « les relations commerciales » déjà troublées, à leur avis, par la divergence des diapasons ? L’établissement d’un diapason uniforme implique nécessairement le choix d’un diapason, d’un seul. Or, nous avons reçu, entendu, comparé, mesuré, vingt-cinq diapasons différents, tous en activité, tous usités aujourd’hui. De tant de la, lequel choisir ? Le nôtre apparemment.

Mais pourquoi ? De ces vingt-cinq diapasons, aucun ne demande à monter, beaucoup aspirent à descendre, et quinze sont plus bas que celui de Paris. De quel droit dirions-nous à ces quinze diapasons, montez jusqu’à nous ? N’est-ce pas alors que les relations commerciales courraient grand risque d’être troublées ! N’est-il pas plus logique, plus raisonnable, plus sage, dans l’intérêt de la grande conciliation, que nous voulions tenter, de descendre vers cette majorité, et n’est-ce pas ainsi que nous avons la plus grande chance d’être écoutés des artistes étrangers dont nous avons réclamé le concours, et que nous remercions ici d’avoir répondu à notre appel avec tant de cordialité et de sympathie ?

Pour donner à l’industrie instrumentale un témoignage de sa sollicitude, la commission convoqua les principaux facteurs, ceux qui avaient obtenu les premières récompenses à l’Exposition universelle de 1855, c’est-à-dire ceux mêmes qui avaient écrit à Votre Excellence, et ce n’est qu’après avoir conféré avec eux et plusieurs de nos chefs d’orchestre, que la commission délibéra sur la quantité dont pourrait être abaissé le diapason.

Dans cette discussion, l’abaissement du quart de ton a réuni la grande majorité des suffrages ; apportant une modération sensible aux études et aux travaux des chanteurs, sans jeter une trop grande perturbation dans les habitudes, il s’insinuerait pour ainsi dire incognito en présence du public ; il rendrait plus facile l’exécution des anciens chefs-d’œuvre ; il nous ramènerait au diapason employé il y a environ trente ans, époque de la production d’ouvrages restés pour la plupart au répertoire, lesquels se retrouveraient dans leurs conditions premières de composition et de représentation. Il serait plus facilement accepté à l’étranger que l’abaissement du demi-ton. Ainsi amendé, le diapason se rapprocherait beaucoup du diapason élu, en 1834 à Stuttgart. Il avait déjà pour lui l’avantage d’une pratique restreinte, il est vrai, mais dont on peut apprécier les résultats.

La commission a donc l’honneur de proposer à Votre Excellence d’instituer un diapason uniforme pour tous les établissements musicaux de France ; et de décider que ce diapason, donnant le la, sera fixé à 870 vibrations par seconde.

Quant aux mesures à prendre pour assurer l’adoption et la conservation du nouveau diapason, la commission a pensé, monsieur le ministre, qu’il conviendrait :

  1. Qu’un diapason type, exécutant 870 vibrations par seconde à la température de 15 degrés centigrades, fût construit sous la direction d’hommes compétents, désignés par Votre Excellence.
  2. Que Votre Excellence déterminât, pour Paris et les départements, une époque à partir de laquelle le nouveau diapason deviendrait obligatoire.
  3. Que l’état des diapasons et instruments dans tous les théâtres, écoles et autres établissements musicaux, fût constamment soumis à des vérifications administratives.

Nous espérons que vous voudrez bien, monsieur le ministre, dans l’intérêt de l’unité du diapason, pour compléter autant que possible l’ensemble de ces mesures, intervenir auprès de S. Exc. le ministre de la guerre, pour l’adoption du diapason ainsi amendé dans les régiments ; auprès de S. Exc. le ministre du Commerce pour qu’à l’avenir, aux expositions de l’industrie, les instruments de musique conformes à ce diapason soient seuls admis à concourir pour les récompenses ; nous sollicitons aussi l’intervention de Votre Excellence pour qu’il soit seul autorisé et employé dans toutes les écoles communales de la France où l’on enseigne la musique.

Enfin, la commission vous demande encore, monsieur le ministre, de vouloir bien intervenir auprès de S. Exc. le ministre de l’Instruction publique et des Cultes, pour qu’à l’avenir les orgues, dont il ordonnera la construction ou la réparation, soient mises au ton du nouveau diapason.

Telles sont, monsieur le ministre, les mesures qui paraissent nécessaires à la commission pour assurer et consolider le succès du changement que l’adoption d’un diapason uniforme introduirait dans nos mœurs musicales. L’ordre et la régularité s’établiraient où règnent parfois le hasard, le caprice ou l’insouciance ; l’étude du chant s’accomplirait dans des conditions plus favorables ; la voix humaine, dont l’ambition serait moins excitée, serait soumise à de moins rudes épreuves. L’industrie des instruments, en s’associant à ces mesures, trouverait peut-être le moyen de perfectionner encore ses produits déjà si recherchés. Il n’est pas indigne du Gouvernement d’une grande nation de s’occuper de ces questions qui peuvent paraître futiles, mais qui ont leur importance réelle. L’art n’est pas indifférent aux soins qu’on a de lui ; il a besoin qu’on l’aime pour fructifier, s’étendre, élever les cœurs et les esprits. Tout le monde sait avec quel amour, avec quelle inquiétude ardente et rigoureuse les Grecs, qu’animait un sentiment de l’art si vif et si profond, veillaient au maintien des lois de leur musique. En se préoccupant des dangers que peut faire courir à l’art musical l’amour excessif de la sonorité, en cherchant à établir une règle, une mesure, un principe, Votre Excellence a donné une preuve nouvelle de l’intérêt éclairé qu’elle porte aux beaux-arts. Les amis de la musique vous remercient, monsieur le ministre, ceux qui lui ont donné leur vie entière, et ceux qui lui donnent leurs loisirs ; ceux qui parlent la langue harmonieuse des sons, et ceux qui en comprennent les beautés.

Nous avons l’honneur d’être avec respect,

Monsieur le ministre,

De Votre Excellence

Les très humbles et très dévoués serviteurs.

J. PELLETIER, président ; F. HALÉVY, rapporteur ; AUBER, BERLIOZ, DESPRETZ, CAMILLE DOUCET, LISSAJOUS, GÉNÉRAL MELLINET, MEYERBEER, Ed. MONNAIS, ROSSINI, AMBROISE THOMASTABLEAUX ANNEXÉS AU RAPPORT.

Tableau des diapasons en Europe en 1858 et tableau de l’élévation du diapason au cours du temps (tableau de droite). Extrait du rapport présenté à S. Exc. Le ministre d’État par la commission chargée d’établir en France un diapason musical uniforme (Arrêté du 17 juillet 1858) – Paris, le 1er février 1859.

Arrêté du 16 février 1859

Vu l’arrêté en date du 17 juillet 1858 qui a institué une commission chargée de rechercher les moyens d’établir en France un diapason musical uniforme, de déterminer un étalon sonore qui puisse servir de type invariable, et d’indiquer les mesures à prendre pour en assurer l’adoption et la conservation ;

Vu le rapport de la commission en date du 1er février 1859,

Arrête :

Art. 1er. Il est institué un diapason uniforme pour tous les établissements musicaux de France, théâtres impériaux el autres de Paris et des départements, conservatoires, écoles, succursales et concerts publics autorisés par l’État.

Art. 2. Ce diapason, donnant le la adopté pour l’accord des instruments, est fixé à huit cent soixante-dix vibrations par seconde ; il prendra le titre de diapason normal.

Art. 3. L’étalon prototype du diapason normal sera déposé au Conservatoire impérial de musique et de déclamation.

Art. 4. Tous les établissements musicaux autorisés par l’État devront être pourvus d’un diapason vérifié et poinçonné, conforme à l’étalon prototype.

Art. 5. Le diapason normal sera mis en vigueur à Paris le 1er juillet prochain, et le 1er décembre suivant dans les départements.

À partir de ces époques, ne seront admis dans les établissements musicaux ci-dessus mentionnés que les instruments au diapason normal, vérifiés et poinçonnés.

Art. 6. L’état des diapasons et des instruments sera régulièrement soumis à des vérifications administratives.

Art. 7. Le présent arrêté sera déposé au secrétariat général, pour être notifié à qui de droit.

Paris, le 16 février 1859

ACHILLE FOULD.

Les critiques du rapport et de l’arrêté…

Le rapport et l’arrêté ministériel précédents, lui ordonne l’établissement d’un diapason modèle pour tous les théâtres et les établissements, lyriques de Paris et de la France, ont soulevé de nombreuses réclamations. Les constructeurs d’orgues, les fabricants d’instruments, les artistes qui se voient forcés de renouveler la flûte, le basson, le hautbois, etc., etc., dont ils se servent depuis longtemps ont fait aux conclusions pratiques contenues dans le rapport de la commission de telles objections, que l’arrêté ministériel n’a pas encore reçu d’exécution dans aucun théâtre de Paris. Un écrivain laborieux et très-versé dans les matières qui touchent à la fabrication des orgues et des autres instruments, M. Adrien de La Fage a publié un opuscule intéressant sous le titre de l’unité tonale, où il examine, tant au point de vue historique que sous le rapport praticable de nos jours, les idées qui ont déterminé la commission à s’arrêter au nombre de 870 vibrations par seconde pour le diapason normal de la France.

Il ne paraît pas, dit M. de La Fage, que les peuples anciens qui nous sont le mieux connus n’ont jamais songé à établir un son fixe qui servit de régulateur aux voix et aux instruments. Les plus anciennes opérations relatives au calcul des sons sont celles qu’on attribue à Pythagore qui vivait cinq cents ans avant l’ère vulgaire. Il semble résulter des recherches qu’on a faites dans l’ des Chinois qu’ils ont été les premiers à posséder un système musical d’une certaine régularité. C’est sous le règne de l’empereur Hoang-ti, 2600 avant Jésus-Christ, qu’aurait eu lieu la grande réforme de la musique chinoise, sous la direction d’un ministre tout-puissant, Ling-lun. Au moyen âge, les idées exactes étaient trop rares pour que l’on s’occupât d’une opération aussi délicate que la fixation d’un son régulateur. Les instruments s’accordaient à peu près au hasard et c’est à peine si l’on sait quelle était la dimension des gros tuyaux des principales orgues de l’Europe. Il faut arriver jusqu’aux premières années du dix-septième siècle, pour trouver quelques renseignements précis sur l’objet qui nous occupe.

En effet, c’est en 1615 que Salomon de Caus publia le premier ouvrage qui ait été écrit sur la construction des orgues ; mais c’est au P, Mersenne, dit M. de La Fage, que l’on doit la fixation exacte d’un son modèle et régulateur. Le P. Mersenne, qui était un très savant homme, avait parfaitement conscience de l’utilité de son opération, car il dit : « Tous les musiciens du monde feront chanter une même pièce de musique selon l’intention du compositeur, c’est-à-dire, au ton qu’il veut qu’elle se chante, pourvu qu’il connaisse la nature du son. » Le P. Mersenne, remarque M. de La Fage, ne peut s’empêcher d’admirer son idée, car il ajoute : « Celte proposition est l’une des plus belles de la musique pratique, car si l’on envoyait une pièce de musique de Paris à Constantinople, en Perse, en Chine, encore que ceux qui entendent les notes et qui savent la composition ordinaire le puissent faire chanter en gardant la mesure, néanmoins ils ne peuvent savoir à quel ton chaque partie doit commencer, etc. » Ainsi donc, comme l’observe fort judicieusement M. de La Fage, le principe de la fixation scientifique d’un son modèle aurait pu être appliqué dès la première moitié du dix-septième siècle ; mais le besoin ne s’en fit pas sentir, parce que la musique vocale était renfermée alors dans une portion assez restreinte de l’échelle sonore.

L’invention du diapason tel que nous le connaissons de nos jours, dit M. de La Fage, est due à un sergent-trompette de la maison royale d’Angleterre, nommé John Shore. Il étudia la trompette avec tant de persévérance qu’il était parvenu à en tirer des sons aussi doux que ceux du hautbois. John Shore faisait partie de la bande des trompettes royaux depuis 1711. À l’entrée de Georges 1er, en 1741, il remplissait les fonctions de sergent, montant, à la tête de sa petite troupe, un cheval richement caparaçonné. Le 8 août 1715, le personnel de la chapelle ayant été augmenté, il y fut admis en qualité de luthiste. Il avait toujours avec lui le diapason dont il était inventeur ; il s’en servait pour accorder son luth. Le diapason eut dès lors la forme qu’il a maintenant, et il se nommait en anglais tuning-fork, c’est-à-dire, fourchette d’accord. Il fut adopté par toute l’Angleterre, d’où il se propagea en Italie sous le nom de corista. (La corista vient en fait de choriste, un autre type de diapason constitué d’un sifflet avec un piston permettant de faire varier la fréquence de référence.)  Il fut admis en France sous le nom grec de diapason. La différence des diapasons admis dans les divers pays de l’Europe était souvent très considérable…

M. de La Fage a pu constater qu’on rencontrait en Italie deux diapasons qui offraient l’énorme différence d’une tierce majeure. Le diapason de la Lombardie et de l’État vénitien était plus haut, et celui de Rome plus bas. À cette même époque, le diapason en usage à Paris était plus haut que celui de Rome et de la Lombardie.

D’après l’opinion de M. de La Fage, qui diffère de celle émise par la commission, ce seraient les instruments à cordes qui seraient la cause de l’ascension toujours croissante du diapason. Je pense, dit l’auteur de la brochure que nous analysons, que c’est la facilité qu’ont les instruments à cordes de modifier leur accord et de l’avantage qu’ils trouvent à le hausser, qu’est résulté l’ascension progressive du diapason. C’est dire que je ne partage pas en ceci l’opinion de M. Lissajous, qui croit que ce résultat a été produit par les instruments à vent. Chaque fois qu’un artiste nouveau en remplace un ancien dans un orchestre, dit M. Lissajous, il substitue un instrument plus récent qui influe, pour sa part, sur le mouvement ascensionnel du ton d’orchestre. Cet effet, insensible d’un jour à l’autre, se traduit, au bout d’un certain temps, par une différence notable.

Que ce soient les instruments à cordes ou les instruments à vent qui sont la cause de cette élévation où est arrivé le diapason moderne, ce qu’il fallait avant tout, c’est d’en arrêter l’ascension. II est évident, comme le dit M. de La Fage, que ce ne sont pas les chanteurs qui ont contribué à l’élévation toujours progressive du diapason dont ils sont les premières victimes. L’auteur ajoute : « Si tant de voix perdent aujourd’hui promptement leur fraîcheur primitive, ce n’est pas au diapason qu’il faut s’en prendre, mais aux compositeurs, qui sont les maîtres d’écrire dans la véritable étendue de chaque voix. »

Qui les force à placer le centre vocal dans la partie la plus élevée de l’échelle ? Non, ajoute M. de La Fage, ce n’est pas l’élévation du diapason qui empêche les voix de se produire, et qui altère celles qui se produisent ; ce sont les mauvais maîtres de chant, les mauvais compositeurs ; c’est eux qu’il faut accuser, c’est eux qu’il faut poursuivre ; et qu’on se hâte, car bientôt il faudrait accuser et poursuivre tout le monde ; toutes ces choses réunies peuvent avoir contribué au mal dont on se plaint ; l’essentiel, c’est d’y porter remède.

Dans le dix-neuvième article de sa brochure, M. de La Fage donne l’analyse d’un instrument curieux de

M. Lissajous pour faire apprécier à l’œil le nombre de vibrations que produit la tension d’une corde. Le but que se propose l’auteur, dit-il, est d’imposer une méthode optique propre à l’étude des mouvements vibratoires. Cette méthode, fondée sur la persistance des sensations usuelles et sur la composition de deux ou plusieurs mouvements vibratoires simultanés,

permet d’étudier, sans le secours de l’oreille, toute espèce de mouvements vibratoires, et, par suite, toute espèce de sons. « Quoique M. Lissajous n’ait pas encore développé expérimentalement toutes les conséquences de cette méthode, il pense qu’elle présentera une utilité réelle pour la fabrication des instruments de musique… M. de La Fage termine sa brochure par des conclusions qui semblent contraires aux principes émis dans le rapport de la commission, et il serait d’avis qu’on eût fixé un diapason, mais en laissant à chacun la liberté de s’y conformer. Nous ne saurions partager cette manière de voir, et nous pensons qu’après de vaines résistances de la part de certains fabricants d’instruments, on se soumettra au diapason légal, et que l’arrêté ministériel aura sa pleine et salutaire exécution.

Les questions d’érudition, d’investigation et d’utilité pratique sont à l’ordre du jour, et viennent, de plus en plus, solliciter l’attention de la critique. Nous avons sous les yeux une réponse de M. Vincent, membre de l’Institut, au mémoire de M. Fétis sur l’existence de l’harmonie simultanée des sons de la musique des Grecs, dont nous avons parlé dans le chapitre sixième de ce volume. Le titre de la brochure de M. Vincent qui vient de paraître tout récemment est : Réponse à M. Pétis et réfutation de son mémoire· sur cette question : Les Grecs et les Romains ont-ils connu l’harmonie simultanée des sons ? Sans entrer dans le fond du débat, nous sommes heureux de reconnaître que les conclusions, qui ressortent du travail très-serré et très-savant de M. Vincent, sont conformes à celles que nous avons émises en examinant le mémoire de M. Fétis. M. Vincent dit avec une haute raison (page 50 de sa brochure) : « Il est certain que les tierces, quoiqu’elles ne fussent pas prises théoriquement pour des consonances, étaient considérées comme telles dans la pratique des artistes. » À la bonne heure, donc, voilà de la science qui ne contredit pas le sens commun. M. Vincent ajoute un· peu après : « Or, dans les beaux-arts, les règles ne s’établissent pas a priori : c’est la pratique qui les dicte, la théorie ne fait que les enregistrer. » Page 63, nous lisons encore ce passage concluant : a Comment en définitive connaître toutes les ressources d’un système d’harmonie pratiqué suivant des règles que nous ignorons complètement, et qui étaient certainement très différentes des nôtres ? que ces règles fussent infiniment moins complexes et moins savantes que celles de nos jours, c’est un fait incontestable ; mais cela ne suffit pas pour se refuser à reconnaître ici l’existence d’une certaine harmonie, quelle qu’elle fût… Pour appuyer celle idée fort juste, M. Vincent ajoute, page 6 : Quand on a vu de rustiques montagnards, qui n’avaient certainement reçu les leçons d’aucun Conservatoire, ameuter tout Paris sur les places publiques, rien qu’avec un chalumeau et une cornemuse, on a peine à concevoir que des hommes intelligents persistent à dénier à un peuple splendidement doué pour tout le reste, jusqu’aux plus simples éléments d’un art qui possède, plus que tout autre, la puissance d’émouvoir certaines organisations privilégiées. En résumé, que réclamons-nous ? la connaissance des procédés, des finesses, des délicatesses de la science moderne ? Nullement : que l’on nous accorde un simple duo soutenu par un ou deux pédales, voilà toutes nos prétentions… Tout cela nous paraît trop raisonnable, trop fondé sur la nature des choses pour que M. Fétis n’en reconnaisse pas la vérité. La brochure de M. Vincent, écrite avec une extrême vivacité de paroles, est suivie de quelques planches qui la rendent d’autant plus curieuse à consulter.

Le siècle que nous traversons, et qui a déjà fourni plus de la moitié de sa carrière peut se diviser en deux époques dont chacune semble destinée à remplir une tâche différente. La première qui commence à la Révolution française a été une période de mouvement, de spontanéité et de création dans toutes les directions de la pensée, dans tous les faits soumis à la volonté de l’homme. La période qui va s’accomplissant sous nos yeux paraît devoir être, au contraire, une époque d’investigation, d’études et d’appréciation historique. La musique a largement participé au mouvement créateur de la première époque, car elle a produit Beethoven, Rossini, Weber et tout un monde d’idées nouvelles. Il faut nous résigner maintenant à partager le sort commun, à étudier le passé, à en pénétrer l’esprit jusqu’à ce que Dieu nous envoie un de ces révélateurs inspirés qui changent le cours des choses et viennent inaugurer, dans l’art, un nouvel idéal.

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Mano a mano 1987-08-22 – Roberto Goyeneche con la Orquesta de Osvaldo Pugliese

Carlos Gardel, Letra:

Hier, en fouillant dans les de La yumba, sans doute l’œuvre où on a le plus de vues de Pugliese jouant et dirigeant son orchestre, une vidéo a attiré mon attention. Il s’agit d’un concert donné en 1987 où a été accompagné par l’orchestre de Osvaldo Pugliese. Cette rencontre au sommet entre ces deux idoles du tango a donc été filmée et j’ai pensé que je devais vous partager ce morceau d’anthologie qui a été enregistré il y a exactement 37 ans, jour pour jour.
Je pourrai rajouter que les auteurs sont eux aussi plutôt fameux, puisqu’il s’agit de Carlos Gardel et José Razzano pour la composition et Celedonio Esteban Flores pour les paroles.

, Osvaldo Pugliese et Roberto Goyeneche

Partition de Mano a mano de Carlos Gardel et José Razzano avec des paroles de Celedonio Flores.
Mano a mano – Roberto Goyeneche con Osvaldo Pugliese y su orquesta. Enregistrement public au Teatro Opera de Buenos Aires (Avenida Corrientes 860) le 22 août 1987

Je pense que vous serez d’accord pour dire que cette vidéo est un monument d’amitié, de respect et d’émotion. Un très grand moment du tango.

Paroles

Rechiflado en mi tristeza, te evoco y veo que has sido
en mi pobre vida paria sólo una buena mujer.
Tu presencia de bacana puso calor en mi nido,
fuiste buena, consecuente, y yo sé que me has querido
cómo no quisiste a nadie, como no podrás querer.

Se dio el juego de remanye cuando vos, pobre percanta,
gambeteabas la pobreza en la casa de pensión.
Hoy sos toda una bacana, la vida te ríe y canta,
Los morlacos del otario los jugás a la marchanta
como juega el gato maula con el mísero ratón.

Hoy tenés el mate lleno de infelices ilusiones,
te engrupieron los otarios, las amigas y el gavión;
la milonga, entre magnates, con sus locas tentaciones,
donde triunfan y claudican milongueras pretensiones,
se te ha entrado muy adentro en tu pobre corazón.

Nada debo agradecerte, mano a mano hemos quedado;
no me importa lo que has hecho, lo que hacés ni lo que harás…
Los favores recibidos creo habértelos pagado
y, si alguna deuda chica sin querer se me ha olvidado,
en la cuenta del otario que tenés se la cargás.

Mientras tanto, que tus triunfos, pobres triunfos pasajeros,
sean una larga fila de riquezas y placer;
que el bacán que te acámala tenga pesos duraderos,
que te abrás de las paradas con cafishos milongueros
y que digan los muchachos: Es una buena mujer.
Y mañana, cuando seas descolado mueble viejo
y no tengas esperanzas en tu pobre corazón,
sí precisás una ayuda, si te hace falta un consejo,
acordate de este amigo que ha de jugarse el pellejo
pa’ayudarte en lo que pueda cuando llegue la ocasión.
Carlos Gardel, José Razzano Letra: Celedonio Esteban Flores

Traduction libre et indications

Entravé (rechiflado peut signifier amoureux, enthousiaste, fou…) dans ma tristesse, je t’évoque et je vois que tu as été dans ma pauvre vie de paria seulement une femme bonne.
Ta présence de femme (multitude d’acceptions allant de tenancière de bordel à concubine en passant par amante d’un homme riche) a mis de la chaleur dans mon nid, tu étais bonne, conséquente, et je sais que tu m’as aimé comme tu n’as aimé personne, comme tu ne pourras pas aimer.
Il y avait un jeu de soupçon quand toi, pauvre femme (amante, concubine), tu dribblais (essayer d’esquiver, comme au football) la pauvreté dans la pension.
Aujourd’hui, tu as une femme établie (probablement tenancière de maison close), la vie rit et chante pour toi, les morlacos (pesos, argent) de l’otario (idiot, niais, cave) tu les joues à la marchanta (action de jeter des pièces à des personnes pauvres pour qu’elles se jettent dessus en se battant) comme le chat joue avec la misérable souris.
Aujourd’hui, tu as le mate plein d’illusions malheureuses, tu as été gonflé par les otarios, les amis et le chéri (fiancé…) ; La milonga, chez les magnats, avec ses folles tentations, où les milongueras triomphent et chutent, est entrée profondément dans ton pauvre cœur.
Je n’ai rien que je doive te remercier, main dans la main nous sommes restés ; peu importe ce que tu as fait, ce que tu fais ou ce que tu feras…
Je crois t’avoir payé les faveurs que j’ai reçues, et si j’ai oublié par hasard quelque petite dette, tu la chargeras sur le compte de l’otario que tu as.
En attendant que tes triomphes, pauvres triomphes éphémères, soient une longue lignée de richesses et de plaisirs ; que le bacán (riche), qui t’a dans son lit, ait des pesos durables, que tu t’ouvres des parades avec des proxénètes milongueros et que les garçons disent : c’est une femme bonne.
Et demain, quand tu seras défraîchie (passée de mode), un vieux meuble et que tu n’auras plus d’espoir dans ton pauvre cœur, si tu as besoin d’aide, si tu as besoin de conseils, souviens-toi de cet ami qui risquera sa peau pour t’aider de toutes les manières possibles lorsque l’occasion se présentera.

Autres versions

Il y a des centaines d’autres versions, à commencer par celles de Gardel, lui-même, mais aujourd’hui j’avais plutôt envie de vous faire partager la formidable camaraderie des gens de tango.
Ce sera donc pour une autre fois… Je vais à la place vous dire quelques mots sur le chanteur, Roberto Goyeneche.

Roberto Goyeneche

Goyeneche, le Polonais (El Polaco), arrive un peu après la bataille, puisqu’il ne commence sa carrière qu’en 1944. Il était alors âgé de 18 ans, son retard dans le mouvement du tango est donc plutôt de la faute de ses parents 😉
En revanche, il compense cela par une diction ferme et un phrasé très particulier qui font que l’on tombe obligatoirement sous son charme.
Arriver tard, n’est pas forcément une mauvaise chose dans la mesure où à partir des années 50, le tango devient surtout une activité de concert, plus que de danse. La radio, les disques et la télévision étaient friands de ces chanteurs expressifs et Goyeneche a su créer l’engouement dans le public.
Dans les années 40, un de ses collègues de l’orchestre de Horacio Salgán, le chanteur Ángel Díaz, lui donna son surnom de Polaco (Polonais).
Son passage dans l’orchestre de affermit sa gloire naissante, mais le fait qu’il donne une vision personnelle des grands titres du répertoire a également attiré la sympathie du public. Il a su ainsi personnaliser son répertoire, en renouvelant des titres qui étaient déjà fameux par d’autres chanteurs.
Par exemple, notre tango du jour avait été particulièrement apprécié, notamment par Carlos Gardel (son auteur), Charlo, , Héctor Palacios, Roberto Maida, Carlos Dante et même Nina Miranda (en duo avec Roberto Líster), et Julio Sosa, el Varon del tango. Il convenait donc de se démarquer et Goyeneche sut le faire, faisant souvent oublier les versions antérieures pour que le public ne retienne que la sienne, celle du chanteur avec la voix de sable, garganta con arena (gorge avec du sable). Cacho Castaña a d’ailleurs fait une chanson hommage au Polaco, Garganta con arena.

Garganta con arena

Je vous propose de terminer avec la chanson de Cacho Castaña en l’honneur de Roberto Goyeneche. Cacho a composé cette chanson, quelques mois avant la mort de Roberto. Ce dernier en entendant la chanson fredonnée dans la loge par Cacho Castaña s’est écrié, « Mais je suis encore vivant, che! » et il a demandé à Adriana Varela qui était également présente de l’enregistrer, ce qui fut fait, elle a enregistré la chanson, avant Cacho.
Seize ans plus tard, Cacho et Adriana chantent le titre en duo. C’est la vidéo que je vous propose de voir maintenant.

Garganta con arena, la chanson de Cacho Castaña en l’honneur de Roberto Goyeneche, ici, en 2010 chanté par Cacho Castaña et Adriana Varela.

Paroles

Ya ves, el día no amanece
Polaco Goyeneche, cántame un tango más
Ya ves, la noche se hace larga
Tu vida tiene un karma: Cantar, siempre cantar

Tu voz, que al tango lo emociona
Diciendo el punto y coma que nadie le cantó
Tu voz, con duendes y fantasmas
Respira con el asma de un viejo bandoneón

Canta, garganta con arena
Tu voz tiene la pena que no cantó
Canta, que Juárez te condena
Al lastimar tu pena con su blanco bandoneón

Canta, la gente está aplaudiendo
Y aunque te estés muriendo, no conocen tu dolor
Canta, que Troilo desde el cielo
Debajo de tu almohada, un verso te dejó

Cantor de un tango algo insolente
Hiciste que a la gente le duela, le duela tu dolor
Cantor de un tango equilibrista
Más que cantor, artista con vicios de cantor

Ya ves, a mí y a Buenos Aires
Nos falta siempre el aire cuando no está tu voz
A vos, que tanto me enseñaste
El día que cantaste conmigo una canción

Canta, garganta con arena
Tu voz tiene la pena que Malena no cantó
Canta, que Juárez te condena
Al lastimar tu pena con su blanco bandoneón

Canta, la gente está aplaudiendo
Y aunque te estés muriendo, no conocen tu dolor
Canta, que Troilo desde el cielo
Debajo de tu almohada, un verso te dejó
Cacho Castaña

Traduction libre de Garganta con arena

Tu vois, le jour ne se lève pas.
Polaco Goyeneche, chante-moi encore un tango.
Tu vois, la nuit se fait longue.
Ta vie a du karma : Chante, chante toujours
Ta voix, qui émeut le tango, disant le point-virgule que personne jamais n’a chanté.
Ta voix, avec des lutins (duendes, sorte de gnomes de la mythologie espagnole et argentine) et des fantômes, respirez avec l’asthme d’un vieux bandonéon.

Chante, gorge avec du sable.
Ta voix a le chagrin que Malena n’a pas chanté.
Chante, que Juárez te condamne en blessant ton chagrin avec son bandonéon blanc. ( était un jeune chanteur de 21 ans de moins que Goyeneche, qui s’accompagnait au bandonéon, ce qui est très rare. Troilo, lui-même, chantait parfois quelques instants, mais jamais une véritable partie de chanteur. Goyeneche a dit de Juárez : « Dans un an, on parlera beaucoup de ce gamin ; dans deux ans, il nous coupera la tête à tous.»).
Chante, les gens applaudissent.
Et même si tu te meurs, ils ne connaissent pas ta douleur. Chante, que Troilo depuis le ciel, sous ton oreiller, un couplet, il t’a laissé.

Chanteur d’un tango un peu insolent, tu as fait que les gens aient mal, que ta douleur fasse mal.
Chanteur d’un tango équilibriste, plus qu’un chanteur, un artiste avec des vices de chanteur.
Tu vois, à moi et à Buenos Aires, nous manquons toujours d’air quand ta voix n’est pas là.
À toi, qui m’as tant appris le jour où tu as chanté une chanson avec moi.

Au revoir, les amis, au revoir Monsieur Goyeneche.

La yumba 1946-08-21 – Orquesta Osvaldo Pugliese

Osvaldo Pugliese

Quand on pense à Osvaldo Pugliese, deux souvenirs reviennent forcément en mémoire. et le concert au Teatro Colón du 26 décembre 1985. Ces deux éléments distants de 40 ans sont intimement liés, nous allons voir comment.

Extrait musical

La yumba 1946-08-21 – Orquesta Osvaldo Pugliese
Partition de La yumba (Osvaldo Pugliese).

Naissance d’un mythe

Lorsque Pugliese a lancé La yumba, cela a été immédiatement un succès. Mais il est intéressant de connaître le parcours. Vous lirez peut-être que cela vient du bruit du bandonéon quand il s’ouvre et se ferme ou d’autres choses plus ou moins fantaisistes. Je préfère, comme toujours, me raccrocher aux sources et donc, dans le cas présent à Osvaldo Pugliese.

Je lui laisse la parole à Osvaldo Pugliese à travers une entrevue avec Arturo Marcos Lozza :

Osvaldo Puglise – Al Colón – (1985)

Nosotros partimos de la etapa de Julio De Caro. Yo, de joven, viví esa etapa. No la viví escuchándola, la viví practicándola. Se deduce que tenía que haber una superación, no porque yo me lo hubiera impuesto, no. Vino solo, vino por necesidad específica, también por necesidad interna, espiritual. Y fuimos impulsando poco a poco una superación, una línea que cristalizó en “La yumba”.

  • En esa partitura, en esa interpretación, usted apela a un ritmo que tiene un sello muy especial…

Le he dado una marcación percusiva. Por ejemplo, los norteamericanos en el jazz hacen una marcación dinámica, mecánica, regular, monocorde. Para mi concepto, la batería no corre en el tango. Ya han hecho experiencias Canaro, Fresedo y qué sé yo cuántos, pero para mí la batería es un elemento que golpea. El tango, en cambio, tiene una característica procedente de la influencia del folclore pampeano, que es el arrastre, muy aplicado por la escuela de Julio De Caro, por Di Sarli y por nosotros también. Y después viene la marcación que Julio De Caro acentuó en el primer y tercer tiempo, en algunos casos con arrastre. Y nosotros hemos hecho la combinación de las dos cosas: la marcación del primer tiempo y del tercero, y el arrastre percusivo y que sacude.

  • Y esa combinación de marcación percusiva y de arrastre le da al tango una fuerza que es incapaz de dársela una batería.

No, no, la batería no se la puede dar, arruina. No quiero usar ni batería, ni pistón, ni trombones. Lo único que me llama la atención, y que en algún momento lo voy a incorporar, como se lo dije un día al finado Lipesker, es el clarinete bajo, un clarinete que Lipesker ya tocaba en la orquesta de Pedro Maffia y que le sacaba lindo color, oscuro y sedoso. Bueno, con la flauta y un clarinete bajo yo completaría una orquesta típica.

[…]

Le dimos una particularidad a nuestra interpretación y la gente reaccionaba gritándonos « ¡no se mueran nunca!”, “¡viva la sinfónica!”, « ¡al Colón, al Colón!”. Bueno, esas son cosas que expresan un sentimiento, pero son exageraciones: ni somos una sinfónica, ni nada por el estilo.

Eso sí, cuando tocamos, ponemos todo.

  • Ponen pólvora, ponen yumba, hay polenta en la interpretación. ¡Cuántos al escuchar a la típica del maestro, terminan con la piel de gallina por la emoción!

Y bueno, yo no sé. Para mí, sentir eso es una satisfacción. Pero me digo a mí mismo: « quédate ahí nomás, Osvaldo, no te fanfarronees y seguí trabajando siempre con la cabeza fría”.

Arturo Marcos Lozza ; Osvaldo Pugliese al Colón.

Traduction libre de la l’entrevue entre Osvaldo Pugliese et Arturo Lozza

Nous sommes partis de l’étape de Julio De Caro. Moi, en tant que jeune homme, j’ai vécu cette étape. Je ne l’ai pas vécue en l’écoutant, je l’ai vécue en le pratiquant. Il s’ensuit qu’il devait y avoir une amélioration, non pas parce que je me l’étais imposée, non. Elle est venue seule, elle est venue d’un besoin spécifique, aussi d’un besoin intérieur, spirituel. Et nous avons progressivement promu une amélioration, une ligne qui s’est cristallisée dans « La yumba ».

  • Dans cette partition, dans cette interprétation, vous faites appel à un rythme qui a un cachet très particulier…

Je lui ai donné une marque percussive. Par exemple, les Nord-Américains dans le jazz font un marquage dynamique, mécanique, régulier, monotone. Pour mon concept, la batterie ne va pas dans . Canaro, Fresedo et je ne sais pas combien ont déjà fait des expériences, mais pour moi la batterie est un élément qui frappe. Le tango, d’autre part, a une caractéristique issue de l’influence du folklore de la , qui est l’), très utilisé par l’école de Julio De Caro, par Di Sarli et par nous également. Et puis vient le marquage que Julio De Caro a accentué au premier et troisième temps, dans certains cas avec des arrastres. Et nous avons fait la combinaison des deux choses : le marquage du premier et du troisième temps, et l’arrastre percussive et tremblante.

  • Et cette combinaison de marquage percussif et d’arrastre donne au tango une force qu’une batterie est incapable de lui donner.

Non, non, la batterie ne peut pas la donner, elle ruine. Je ne veux pas utiliser de batterie, ni de pistons, ni de trombones. La seule chose qui attire mon attention, et qu’à un moment donné je vais incorporer, comme je l’ai dit un jour au regretté Lipesker, c’est la clarinette basse, une clarinette que Lipesker jouait déjà dans l’orchestre de Pedro Maffia et qui lui a donné une belle couleur sombre et soyeuse. Eh bien, avec la flûte et une clarinette basse, je compléterais un orchestre typique.

[…]

Nous avons donné une particularité à notre interprétation et les gens ont réagi en criant « ne meurs jamais ! », « Vive le symphonique ! », « au Colón, au Colón ! ». Eh bien, ce sont des choses qui expriment un sentiment, mais ce sont des exagérations : nous ne sommes pas un symphonique, ou quelque chose comme ça.

Bien sûr, quand nous jouons, nous y mettons tout ce qu’il faut.

  • Ils ont mis de la poudre à canon, ils ont mis de la yumba, il y a de la polenta (puissance, énergie) dans l’interprétation. Combien en écoutant la Típica du maître finissent par avoir la chair de poule à cause de l’émotion !

Et bien, je ne sais pas. Pour moi, ressentir cela est une satisfaction. Mais je me dis : « reste où tu es, sans plus, Osvaldo, ne te vante pas et continue de travailler, toujours avec la tête froide. »

On voit dans cet extrait la modestie de Pugliese et son attachement à De Caro.

Autres versions

Il existe des dizaines d’enregistrements de La yumba, mais je vous propose de rester dans un cercle très restreint, celui d’Osvaldo Pugliese lui-même.

La yumba 1946-08-21 – Orquesta Osvaldo Pugliese. C’est notre .

Elle allie l’originalité musicale, sans perdre sa dansabilité. Sans doute la meilleure des versions pour la danse avec celle de 1948, mais dont la qualité sonore est moins bonne, car tirée d’un film.

Pugliese jouant la Yumba en 1948 !

La yumba en 1948. Le film “Mis cinco hijos” (mes cinq enfants), nous donne l’occasion de voir Osvaldo Pugliese à l’époque du lancement de La yumba.

Extrait du film « Mis cinco hijos » dirigé par Orestes Caviglia et Bernardo Spoliansky sur un scénario de Nathan Pinzón et Ricardo Setaro. Il est sorti le 2 septembre 1948. Ici, Osvaldo Pugliese interprète La yumba avec son orchestre. On peut voir à la fin de l’extrait le succès qu’il rencontre « Al Colón!« 

La version de 1952

La yumba 1952-11-13 – Orquesta Osvaldo Pugliese.

Une version magnifique. Peut-être celle qui est le plus passée en Europe. On pourra la trouver un peu moins dansante. Cependant, comme cette version est très connue, les arrivent en général à s’y retrouver.

Le très, très célèbre concert du 26 décembre 1985, où Pugliese arrive enfin Al Colón comme le proclamaient les fans de Pugliese en 1946 (et dans le film de 1948).

1985-12-26, Osvaldo Pugliese Al Colón. La yumba
Version courte (seulement la yumba)
Version longue avec la présentation des musiciens. C’est celle que je vous conseille si vous avez un peu plus de temps.

Osvaldo Pugliese avec en 1987.

1987, Une interprétation de La yumba à deux pianos, celui de Osvaldo Pugliese et celui de Atilio Stampone.

Le 26 juin 1989, Astor Piazzolla se joint à l’orchestre de Osvaldo Pugliese. Ils interprètent au Théâtre Carre d’Amsterdam (Pays-Bas), La yumba et Adiós nonino.

Le 26 juin 1989, Astor Piazzolla se joint à l’orchestre de Osvaldo Pugliese. Ils interprètent au Théâtre Carre d’Amsterdam (Pays-Bas), La yumba et Adiós nonino.

Dans le documentaire « San Pugliese », un des musiciens témoigne que les musiciens étaient assez réservés sur l’intervention de Astor Piazzolla. Osvaldo Pugliese, en revanche, considérait cela comme un honneur. Un grand homme, jusqu’au bout.

Pugliese au

La yumba 1989-11 – Orquesta Osvaldo Pugliese.

La yumba 1989-11 – Orquesta Osvaldo Pugliese. Le dernier de La yumba par San Pugliese, au Japon (Nagoya) en novembre 1989. Si vous écoutez jusqu’à la fin, au début des applaudissements, vous pourrez entendre une petite fantaisie au piano par Osvaldo Pugliese.

Je vous laisse sur ce petit jeu de notre cher maître, à la fois sérieux et facétieux.

La yumba – À partir d’un pochoir mural dans le quartier de Palermo. La ronde d’india, est inspirée par ma fantaisie à l’évocation de Yumba…

Cómo se pianta la vida 1940-08-20 – Orquesta Enrique Rodríguez con Armando Moreno

Carlos Viván (Miguel Rice Treacy), paroles et musique

Carlos Viván, l’auteur et le compositeur de ce tango fut un bon vivant et ce tango touche de très près sa vie qui fut clairement parmi les plus instables possibles. Le seul point étonnant est qu’il l’a écrit à 26 ans et pas, comme on peut le supposer, à la fin de sa vie tourmentée… L’abondance des versions à l’âge d’or et par la suite, prouve que ce sujet touchait la sensibilité des Argentins ; et la vôtre ?

Extrait musical

Cómo se pianta la vida 1940-08-20 -Orquesta con Armando Moreno
Partitions de Cómo se pianta la vida de Carlos Viván (paroles et musique)

Paroles

Berretines locos
De muchacho rana
Me arrastraron ciegos
En mi juventud
En milongas, timbas
Y en otras macanas
Donde fui palmando
Toda mi salud

Mi copa bohemia
De rubia
Brindando amoríos
Borracho la alze
Mi vida fue un barco
Cargado de hazañas
Que juntó a las playas
Del mar lo encalle

Cómo se pianta la vida
Cómo rezongan los años
Cuando fieros
Nos van abriendo una herida
Es triste la primavera
Si se vive desteñida

Cómo se pianta la vida
De muchacho calavera

Los veinte abriles cantaron un día
la triste de mi berretín
y en la contradanza de esa algarabía
al trompo de mi alma le faltó piolín.
Hoy estoy pagando aquellas ranadas
Final de los vivos
Que siempre se da
Me encuentro sin chance
En esta jugada
La muerte sin grupo
Ya ha entrado a tallar

Cómo se pianta la vida
De muchacho calavera
Carlos Viván — 1929 — Paroles et musique

Traduction libre

Les folles lubies d’un gars débrouillard m’ont entraîné à l’aveuglette dans ma jeunesse, dans les milongas (Carlos Viván était un grand danseur de tango), les timbas (salle de jeu) et autres clubs où j’ai ruiné toute ma santé.
Mon verre bohème de champagne blond, trinquant aux amours, ivre, je l’ai levé (Carlos Viván était plutôt amateur de Whisky, sans doute à cause de ses origines irlandaises).
Ma vie a été un navire plein d’exploits, qui rejoignit les plages marines et s’échoua.
Comme la vie se perd (piantar, c’est en , s’enfuir), comme les années grognent quand de féroces déceptions nous ouvrent une blessure.
Le printemps est triste s’il se vit déteint.
Comment se perd la vie d’un gars débauché.
Les vingt avrils (même si « Avril » en Argentine tombe en automne, c’est l’équivalent de l’expression « Printemps » pour marquer les années. Dans le vers précédent, il parlait d’ailleurs de printemps) ont chanté un jour la milonga triste de ma lubie et dans la contredanse de ce brouhaha, Il me manquait au plus profond de mon âme une innocence (piolín, verlan de limpio, propre, personne sans casier judiciaire…).
Aujourd’hui, je paie pour ces méfaits.
Le final des canailles arrive toujours.
Je me retrouve sans chance dans ce jeu dangereux.
La mort sans mentir est déjà entrée pour tailler.
Comme se perd la vie, d’un garçon débauché.

Autres versions

Voici une petite sélection de versions illustrant le succès du thème pendant plus de 50 ans.

Cómo se pianta la vida 1930-03-18 – con conjunto
Cómo se pianta la vida 1930-03-21 – Alberto Vila con guitarras
Cómo se pianta la vida 1930-03-27 – Orquesta Luis Petrucelli con Roberto Díaz
Cómo se pianta la vida 1930-04-02 – Orquesta Pedro Maffia con Carlos Viván.

Carlos Viván chante sa composition. Il a 27 ans au moment de l’.

Cómo se pianta la vida 1930 – acomp. de Orquesta Alberto Castellano.

Roberto Maida avant Francisco Canaro

Cómo se pianta la vida 1930 – Tania acomp. de Orquesta Alberto Castellano.

Tania avec le même orchestre que Roberto Maida.

Cómo se pianta la vida 1932 – Orquesta Típica Auguste-Jean Pesenti du Coliseum de Paris.

En France aussi, la vie des tangueros est un peu dissolue…

Cómo se pianta la vida 1940-08-20 – Orquesta Enrique Rodríguez con Armando Moreno. C’est notre tango du jour.
Cómo se pianta la vida 1942-09-15 – Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo.
Cómo se pianta la vida 1950-12-26 – Orquesta Edgardo Donato con Carlos Almada.
Cómo se pianta la vida 1959c – Héctor Mauré con guitarras y bandoneon
Cómo se pianta la vida 1963-04-30 – Orquesta Aníbal Troilo con arr. de Julián Plaza.

On notera le début impressionnant proposé par Troilo et Plaza qui offre un tremplin pour Goyeneche pour lancer le titre d’une façon particulièrement expressive. Une version que je trouve convaincante et touchante. Pas de danse possible, mais un régal à écouter.

Cómo se pianta la vida 1981-07-08 – Orquesta Osvaldo Pugliese con .

C’est la plus originale et travaillée, un cran au-dessus de celle de Troilo, mais il faut être vraiment fan de Córdoba pour être enchanté par cette version. Je préfère les versions de danse ou celle de Troilo avec Goyeneche, mais la beauté du tango est qu’on a le choix et chacun pourra trouver son bonheur dans la très grande variété de ces enregistrements.

Invierno 1937-08-19 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida

Horacio Gemignani Pettorossi Letra:

Invierno est sans doute un des tangos préférés des danseurs qui aiment Canaro. Avec un nom pareil, on se doute qu’on va parler de froid, d’hiver, en somme, mais avez-vous fait attention aux émouvantes paroles de Cadícamo ? Je vous offre en prime le texte complet de Cadícamo. Prenez votre manteau et votre écharpe et entrons au cœur de l’hiver.

Extrait musical

Invierno 1937-08-19 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida
Disque et partition de Invierno

Il n’est pas sûr, qu’il soit nécessaire de décrire cet enregistrement tant il est connu. On notera l’intervention des instruments à vent (cuivres) typiques de Canaro. Le rythme est appuyé, comme un celui d’un homme marchant dans une neige épaisse.
La voix de Maida, survole l’orchestre qui atténue ses pas lourds pour laisser la place au chanteur. C’est du Canaro typique et efficace. D’ailleurs, les orchestres contemporains qui reprendront le titre s’inspireront assez fortement de cette version pour faire leurs propres versions. Nous en verrons quelques-unes en fin d’article.

Paroles

Desde aquel balcón
Baja una canción,
Que es como un jirón
De una esperanza…
Su intención es la desesperanza cruel
Que me arrincona más
En esta soledad.
Desde aquel balcón
Rueda una canción,
Que en la noche negra
Dice así:

Volvió…
El invierno con su blanco ajuar,
Ya la escarcha comenzó a brillar
En mi vida sin amor.
Profundo padecer
Que me hace comprender,
Que hallarse solo, es un horror.

Y al ver…
Cómo soplan en mi ,
Vientos fríos de desolación
Quiero llorar.
Porque mi alma lleva
Brumas de un invierno,
Que hoy no puedo disipar…

En aquel balcón
Cesa la canción,
Pero igual la escuchan mis oídos
Y es que por el eco perseguido estoy.
Y todo su dolor
Embarga el corazón.
Para qué querré
Esta vida yo,
Cuando no me queda juventud…
Horacio Gemignani Pettorossi Letra: Enrique Domingo Cadícamo

Roberto Maida chante uniquement ce qui est en gras, c’est-à-dire le texte annoncé comme étant la chanson écoutée par le narrateur.

Traduction libre

Depuis ce balcon, une chanson descend, qui est comme un lambeau d’espoir…
Son sujet est le désespoir cruel qui m’enfonce davantage dans cette solitude.
Depuis ce balcon roule une chanson qui, dans la nuit noire, dit ceci :
Il est revenu…
L’hiver avec ses atours blancs,
Déjà le givre a commencé à briller dans ma vie sans amour.
Une souffrance profonde qui me fait comprendre qu’être seul, c’est une horreur.
Et quand je vois…
Comme ils soufflent dans mon cœur, les vents froids de la désolation, j’ai envie de pleurer.
Parce que mon âme porte les brumes d’un hiver, qu’aujourd’hui je ne peux pas dissiper…

Sur ce balcon, la chanson s’arrête, mais mes oreilles l’entendent encore, car l’écho me poursuit.
Et toute sa douleur paralyse le cœur.
Pourquoi, moi, voudrais-je cette vie, alors que je n’ai plus de jeunesse…

Autres versions

Je serai tenté de dire qu’il n’y a pas d’autre version, mais ce ne serait pas sympathique pour les orchestres contemporains qui ont remis le titre à la mode.
Je signale tout de même qu’il existe au moins deux autres tangos qui s’appellent Invierno, composés par Arturo Bettoni avec des paroles de Ramón Abellá (Rafael Jorge Abellá) pour le premier et avec Araujo (paroles et musique) pour le second.
Je vous propose seulement ici, les versions issues de Horacio Gemignani Pettorossi et Enrique Domingo Cadícamo.

Invierno 1937-08-19 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida. C’est notre .
Invierno 2013-11-30 – con Rubén Peloni
Invierno 2015 – Cuarteto Mulenga con Maximiliano Agüero
Invierno 2015 – con
Invierno 2015c – Orquesta
Invierno 2017-10 – Orquesta Romántica Milonguera con y Roberto Minondi.

 Une orchestration originale et un duo, homme femme, comment résister à cette version ?

Invierno 2018 – Orquesta Típica Misteriosa con

De nouveau la Misteriosa dans une autre version, cette fois chantée par une femme, Eliana Sosa. Merci à Thierry, mon, talentueux correcteur qui détecte les coquille et a remarqué que j’avais mis deux fois la même version de Invierno par la Típica Misteriosa. Maintenant, vous avez bien ici Eliana Sosa qui a également enregistré avec Juan Pablo Gallardo et a réalisé deux disques, Sinergia tanguera et De donde vengo (dans lequel elle chante également ses propres compositions).

Et pour terminer en vidéo, un enregistrement de 2017 du Cuarteto Mulenga à la milonga Parakultural.

Homenajes

Aujourd’hui, nous allons nous intéresser aux hommages. C’est en effet un thème récurrent du tango. On célèbre l’ami, le maître, le grand homme ou la grande femme, la mère, souvent. Voici quelques hommages et le dernier va sans doute vous étonner.

Je n’évoquerai pas les dédicaces que l’on trouve notamment sur les partitions. Ce ne sont pas toujours à proprement parler des hommages, car souvent les personnes payaient pour être mentionnées. Je n’évoquerai pas non plus les disques d’hommage à…, puisqu’il s’agit de compilations et pas de titres créés spécialement.
J’évoque donc ici, les thèmes musicaux et les paroles qui rendent hommage, évoquent, citent, des personnes, au sens large.

Hommage avec le nom dans le titre

Une première forme est de tout simplement déclarer dans le titre le nom de la personne à qui on souhaite rendre hommage.
Attention toutefois à ne pas commettre d’erreurs. En effet, les noms de personnalités publiques font le plus souvent référence à un lieu, à une rue, et pas au personnage qui a donné son nom à cet endroit. Par exemple, Rodriguez Peña ou Te espero en Rodriguez Peña ne parlent pas du président argentin, mais de la rue et plus particulièrement du salon qui y était fameux.
Très souvent, ces hommages commencent par A pour indiquer la dédicace, mais ce n’est pas toujours le cas. Voici une petite liste, bien sûr très incomplète, notamment, je n’évoque pas les tangos qui n’ont pas l’objet dans le titre, ou ceux dont le titre vient d’une dédicace postérieure, comme El Entrerriano.

  • A Alfredo Belusi
  • A Ángel Amadeo Labruna
  • A Belisario Roldán
  • A Don Agustín Bardi
  • A Don Guillermo
  • A Don Javier
  • A Don Juan Manuel
  • A Don Nicanor Paredes
  • A Don Pedro Maffia
  • A Don Pedro Santillán
  • A Don Pirincho Canaro
  • A Ernesto Sábato
  • A Firpo
  • A Francini-Pontier
  • A Francisco
  • A Francisco de Caro
  • A Gabino Sosa
  • A Homero
  • A Homero Manzi
  • A Horacio Salgan
  • A Goñi
  • A Ireneo Leguisamo
  • A Juan Carlos Copes,
  • A
  • A Lo Pirincho
  • A Lucina y Joe
  • A Luis Luchi
  • A Magaldi
  • A Mancuso
  • A Marta Rosa
  • A Martin Fierro
  • A Mercedes
  • A Natalio Pescia
  • A Orlando Goñi (Orlando Goñi)
  • A Pedro Maffia
  • A Quinquela Martin
  • A Raúl Berón
  • A Ricardo Catena
  • A Roberto Ari
  • A Roberto Grela
  • A Roberto Peppe
  • A Roberto Perfumo
  • A Rosalía
  • A Salvador Allende
  • Adiós Arolas (Se llamaba Eduardo Arolas)
  • Ángel Vargas (El ruiseñor)
  • Aníbal Troilo
  • Arolas
  • Callejas solo (A Alfredo Callejas)
  • Celedonio
  • Con T de Troilo
  • Cumbrera (Carlos Gardel)
  • D’Arienzo vos sos el rey
  • D’Arienzo y Palito
  • Discos de Gardel
  • Don José Maria
  • Don Juan
  • Don Orlando
  • El fueye de Arolas
  • El pollo Ricardo
  • El
  • Gardel
  • Gardel que estas en los cielos
  • Gardel – Razzano (El morocho y el Oriental)
  • Gerardo Matos Rodriguez
  • Gricel
  • La negrita María
  • Luís maría
  • Margo
  • Margot
  • María
  • María Barriento
  • María Cristina
  • María de
  • María Del Carmen
  • María Dolores
  • María Esther
  • María Lando
  • María Remedios
  • María Trinia
  • Mariana
  • Mariángel
  • Marianito
  • Madame Ivone
  • Mi Ana María
  • Mi maría Rosa
  • Mi Marianela
  • Milonga para Gardel
  • Negra María
  • Para Eduardo Arolas
  • Pericon por María
  • Pirincho (Canaro)
  • Que le parece Dona María
  • Retrato de Alfredo Gobbi
  • Rincón por María
    Tango a Pugliese
  • Un ADN a Gardel
  • Violín
  • Zorro plateado (Máximo Acosta)

Personnes difficiles à identifier

On parle d’une personne précise, mais il est difficile d’être sûr de la personne évoquée, il s’agit parfois d’un être imaginé à partir de plusieurs personnes, comme Zorro Gris.

  • A lo Magdalena
  • A lo Megata
  • A mi mariucho
  • Griseta
  • La Marianella
  • María celosa
  • María la del portón
  • María morena
  • Mariposa (papillon)
  • Otario que andas penando
  • Pobre Margot
  • Señorita María
  • Tu nombre es María
  • Yo soy María
  • Zorro gris

Dédicaces génériques

Elles peuvent être utilisées pour différentes personnes, par exemple, les mères en général

  • A la mujer argentina
  • A los amigos
  • A los artistas plásticos
  • A los maestros
  • A los míos
  • A los muchachos
  • A los obreros gráficos
  • A los payadores
  • A los que se fueron
  • A mi esposa
  • A mi
  • A mi madrecita
  • A mi padre
  • A mi vieja
  • A mis compañeros
  • A mis tíos
  • A mis viejos
  • A su memoria
  • A un semejante
  • El ingeniero (ingénieurs diplômés dans les universités argentines).

Les dédicaces à Canaro

  • A Don Pirincho Canaro (déjà cité)
  • A lo Pirincho
  • Canaro
  • Canaro en Córdoba
  • Canaro en Japón
  • Canaro en
  • Pirincho

Les sélections

Les selecciones sont des titres qui mélangent plusieurs morceaux. On les appelle aussi Popurri (Pots-pourris).
Il en existe de différents auteurs et/ou compositeurs, par exemple Arolas, Canaro, De Caro, Delfino, Di Sarli, Discepolo, Gardel, , Piazzolla, Troilo… C’est une forme d’hommage qui consiste à mettre en valeur des compositions ou textes d’un compositeur ou auteur particulier.
Sans le titre seleccion ou popurri, on trouve également

  • Homenaje a Carlos Gardel
  • Recordando a Discepolo
  • Homenaje a Eduardo Rovira

Les à la manière de

Il s’agit d’œuvres où on imite le style de la personne à qui on souhaite rendre hommage. Je parle de compositions, pas des orchestres qui jouent à la manière de…

  • Engobbiao (Alfredo Gobbi)
  • Pichuqueando (Canaro)
  • Puglieseando  (Pugliese)
  • Tango a Pugliese (Pugliese)

San Pugliese

Vous vous êtes peut-être demandé pourquoi on disait « San Pugliese », ce qui veut dire Saint Pugliese.
Don Osvaldo était athée, communiste de surcroît et donc, difficilement canonisable, du moins par le Vatican, même avec un Pape d’origine argentine.
Mais les Argentins ont de la ressource et l’idée de créer une image « pieuse » (Estampita) à l’image de Pugliese est venue à Carlos Villaba à la vue des images pieuses qui se distribuent dans les églises.
Il confia le texte à Alberto Muñoz qui souhaita garder l’anonymat et c’est pour cette raison qu’il n’est pas signé. Ce qui est amusant, c’est que plusieurs personnes ont revendiqué l’écriture, ce qui, pour Alberto était la preuve que cela fonctionnait.
L’image d’origine est constituée d’une photo de Pugliese sur laquelle un œillet a été ajouté. C’est l’œillet qui était placé sur le piano quand Pugliese était absent (généralement en …) lors des concerts.

San Pugliese. À gauche, Recto et verso de l’image « pieuse » originale (estampita). À droite, trois versions plus récentes.

La mention « San Pugliese », reprend le principe des images pieuses, comme celle de San Expedito, le saint des causes justes et urgentes…

Une image pieuse dédiée à San Exposito.

Un documentaire est sorti il y a quelques mois sur San Pugliese. Je vous invite à le voir, si vous en avez l’occasion, il est passionnant.

Bande annonce de San Pugliese

https://filmfreeway.com/SanPugliese
Le site et la bande annonce de San Pugliese.

https://www.facebook.com/sanpugliesedocumental
La page Facebook est également intéressante

Texte de la prière à Saint Pugliese

Protégenos de todo aquel que no escucha. Ampáranos de la mufa de los que insisten con la patita de pollo nacional. Ayúdanos a entrar en la armonía e ilumínanos para que no sea la desgracia la única acción cooperativa. Llévanos con tu misterio hacia una pasión que no parta los huesos y no nos deje en silencio mirando un bandoneón sobre una silla

libre de la prière à Saint Pugliese

« Protège-nous tous ceux qui n’écoutent pas. Protège-nous de la mufa (mauvaise humeur) de ceux qui insistent avec la cuisse de poulet nationale. Aide-nous à entrer en harmonie et éclaire-nous afin que le malheur ne soit pas la seule action coopérative. Emmène-nous avec ton mystère vers une passion qui ne brise pas les os et ne nous laisse pas en silence regardant un bandonéon sur une chaise ».

Comment utiliser la prière à San Pugliese

Les musiciens argentins, même ceux qui n’ont rien à voir avec le tango respectent San Pugliese et l’invoquent pour que tout se passe bien. Sur les scènes, on peut voir des images de San Pugliese et quand tout ne se passe pas pour le mieux, il convient de conjurer le mauvais sort en criant Pugliese – Pugliese – Pugliese. Ne croyez pas que c’est une superstition, cela fonctionne et beaucoup d’artistes et de techniciens ont la Estampita dans leur portefeuille, placée sur la console ou sur leur instrument.

Clin d’œil final…

Le principe des images pieuses détournées continue d’être utilisée en Argentine et je vous présente pour terminer une image qui me fait mourir de rire. Le nom de l’homme politique Santoro a été découpé en faire San Toro. Jajaja.

Santoro (en un seul mot) est un homme politique argentin, enseignant de formation. La prière demande à ce que les enfants puissent avoir une plave (vancante) à l’école publique.

Y suma y sigue… 1952-08-13 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe

Juan D’Arienzo ; (Fulvio Werfil Salamanca); Carlos Bahr (Carlos Andrés Bahr)

Quand les auteurs de tango se lancent dans la philosophie de la vie, cela donne cela ; des conseils pour naviguer entre les canailles et les giles. Juan D’Arienzo et son pianiste de l’époque, Fulvio Salamanca se sont associés avec Carlos Bahr pour élaborer la musique et les paroles. Pour les , la philosophie est simple, sauter sur la piste aux premières notes et s’éclater à danser ce titre énergique servi par l’orchestre de D’Arienzo et la voix prenante de Echagüe.

La bande des auteurs

Généralement, on attribue à D’Arienzo et Salamanca la musique et à Carlos Bahr les paroles, mais l’ à la (Société des auteurs argentins) donne la paternité aux trois pour les deux éléments.

Registre de la SADAIC indiquant l’enregistrement de l’œuvre le 20 avril 1953.

On notera que pour les trois, la mention est auteur et compositeur. Les pourcentages pour chacun des trois ne sont pas déterminés. C’est qu’ils estimaient avoir collaboré de façon comparable et qu’ils devraient donc recevoir à parts égales les droits afférents.
On notera au passage les pseudonymes de Salamanca et Bahr. Tony Cayena pour le premier et Alfas et Luke J Y C pour le second.

Carlos Bahr, Juan D’Arienzo et Fulvio Salamanca, les trois auteurs, compositeurs du tango du jour.

Ce travail à trois n’est pas étonnant dans la mesure où Salamanca et Bahr étaient des amis proches et que D’Arienzo aimait mettre en musique les textes de Bahr. Ce trio a d’ailleurs réalisé dans les mêmes conditions d’autres titres joués par l’orchestre de D’Arienzo, comme : Ganzúa, La sonrisa de mamá, Sin balurdo, Tomá estas monedas!, Trampa et notre tango du jour, Y suma y sigue…
D’autres titres ont été composés par D’Arienzo et Salamanca avec un texte de Bahr comme : Hoy me vas a escuchar, Necesito tu cariño et Se-Pe-Ño-Po-Ri-Py-Ta-Pa et d’autres, enfin, ont été créé par Bahr (texte) et Salamanca (musique) sans l’apport de D’Arienzo, comme : Amarga sospecha, Aqui he venido a cantar, Dale dale, caballito, Desde aquella noche et Eterna.

De gauche à droite, debout : Héctor Varela, Juan D’Arienzo, Armando Laborde, Alberto Echagüe et Fulvio Salamanca au piano.

Y suma y sigue

Le titre peut interroger. Ce terme venant des livres comptables invite à tourner la page pour consulter la suite d’un compte, mais il a plusieurs autres significations.

  • Expression indiquant en bas de page, que le calcul va se continuer sur la page suivante.
  • Équivalent de etc. du latín et cetera, pour indiquer que la liste pourrait continuer (et le reste, et les autres choses).
  • Indique que ça va continuer à augmenter.
  • Indique que quelque chose se répète.

Je vous laisse choisir votre interprétation à la présentation des paroles ci-dessous.

Extrait musical

Y suma y sigue… 1952-08-13 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe.
Partition de Suma y sigue…

Paroles

No me gusta andar con vivos y a los giles les doy pase
a los otros si es preciso los atiendo y se acabó.
Si la mala se encabrita me la aguanto hasta que amanse
y aunque siempre hay un amigo, curo a solas mi dolor.
Me enseñó la mala racha que la suerte es mina ilusa,
Que, al final, se queda siempre con aquel que está grillao.
Y aprendí en los desencantos, que si afloja el de la zurda,
es mejor que te amasijes porque al fin irás palmao.

Aunque seas bien derecho si andas seco te dan pifia.
Trabajando sos cualquiera y afanando sos señor.
Porque, al fin, hasta la grela que comparte tu cobija
cuando ve mangos en fila solo piensa « ¿cuántos son? ».
Además, nadie pregunta de que « lao » llegó la buena,
la importancia está en los mangos aunque salgan de lo peor.
Y aprendes al triste precio de tu credo en esta feria
que ni tiñe la vergüenza, ni la guita tiene honor.

Me enseñaron los amigos que estas firme si hay rebusque,
aprendí de los extraños que hay que abrirse del favor.
Y la vez, que por humano le di cuarta a un gil « cualunque »,
me dejó en la puerca vía sin confianza y sin colchón.
Los demás te ven sacando por la pinta, como al naipe,
y al marcarte « gil en puerta », pregonando que hay amor,
te saquean hasta el alma y después te dan el raje…
¡Pero nadie mira nunca que tenés un !
Juan D’Arienzo ; Fulvio Salamanca (Fulvio Werfil Salamanca); Carlos Bahr (Carlos Andrés Bahr)

libre

Je n’aime pas aller avec les canailles et aux giles (XXXX voir anecdote sur le sujet) je donne un laissez-passer, quant aux autres si nécessaire, je m’occupe d’eux et c’est tout.
Si le mauvais se déchaîne, je le supporte jusqu’à ce qu’il se lève et bien qu’il y ait toujours un ami, je guéris ma douleur seul.
La mauvaise série m’a appris que la chance est une gamine illusoire, qu’à la fin, elle reste toujours avec celui qui est grillé.
Et j’ai appris dans les déceptions, que si le sincère se détend, cela vaut mieux que de se pétrir (de coups), car à la fin vous finissez dans les pommes (palmao de palmado est endormir en ).
Même si tu es très droit, si tu es sec, ils se moquent de toi.
En travaillant, tu es quelconque et en trompant (arnaquant, volant), tu es un Monsieur.
Parce qu’en fin de compte, même la gonzesse (femme) qui partage votre couverture (lit) quand elle voit des biffetons (billets de 1 peso) alignés elle pense uniquement à « combien il y en a ? ».
D’ailleurs, personne ne demande de quel côté vient le bon, l’important ce sont les billets même s’ils sortent du pire.
Et tu apprends au triste prix de ton credo dans cette foire qui ni la honte tache, ni le flouze (l’argent) n’a d’honneur.
Les amis m’ont appris à être ferme s’il y a une petite occasion (rebusque est un petit travail supplémentaire, voire un amour passager), j’ai appris d’inconnus qu’il faut s’ouvrir à la faveur (peut aussi signifier profiter sexuellement).
Et la fois, que pour être humain, j’ai porté assistance à un gil quelconque, il m’a laissé des scrofules, sans confiance et sans matelas (je ne suis pas sûr du sens).
Les autres te voient venir pour l’allure, comme aux cartes, et dès qu’ils te marquent « gil à la porte », proclamant qu’il y a de l’amour, ils te pillent jusqu’à l’âme et ensuite ils te jettent dehors…
Mais personne ne voit jamais que tu as un cœur !
Ces conseils de vie, se terminent par Mais personne ne voit jamais que tu as un cœur ! Les conseils cachent en fait un regard critique et désabusé sur le monde contemporain, sur les relations humaines. En cela, ce tango rejoint d’autres tangos comme cambalache, tormenta et tant d’autres qui dénoncent les injustices et les abus.

Autres versions

Il n’y a pas d’autre enregistrement de ce titre, mais D’Arienzo et Echagüe ont enregistré plusieurs tangos faisant appel au lunfardo. En 1964, RCA a édité une sélection de 12 de ces tangos dans un disque 33 tours.

Academia del lunfardo (1964). 12 tangos avec des paroles en lunfardo par D’Arienzo et Echagüe. Notre tango du jour est le premier titre de la face 2.
Joyas del Lunfardo (1996) reprend les 12 titres de 1964 et en rajoute 8.

Voici la liste des 20 titres du CD. Ceux qui sont en gras étaient dans le CD de 1964

1 Cartón junao (Juan D`Arienzo/Héctor Varela/)
2 Chichipía(Juan (D`Arienzo / Héctor Varela / Carlos Waiss)
3 Bien pulenta (Carlos Waiss)
4 El nene del Abasto (Eladio Blanco/Raúl Hormaza)
5 Sarampión (Eladio Blanco/Raúl Hormaza)
6 Cambalache ()
7 Pituca (Enrique Cadícamo/José Ferreyra)

8 El raje (Juan D`Arienzo/Héctor Varela)
9 Amarroto (Miguel Bucino / Juan Cao)
10 Barajando (Eduardo Escaris Mendez)
11 Don Juan Mondiola (Antonio Oscar Arona)
12 Farabute (Joaquín Barreiro / Antonio Casciani)
13 Corrientes y Esmeralda (Celedonio Flores / Francisco Pracánico)
14 Y suma y sigue (Carlos Bahr / Juan D`Arienzo / Fulvio Salamanca)
15 Che existencialista (Mario Landi / Rodolfo Martincho)
16 Pan comido ()
17 Las cuarenta (Froilán Gorrindo)
18 Que mufa che (Jorge Sturla (Tito Pueblo) / Luis Zambaldi)
19 Mi querida Sisebuta (Armando Gatti / Carlos Lázzari / Antonio Polito)
20 Peringundín (Pintín Castellanos)

Voilà, les amis, c’est tout pour aujourd’hui.

Je ne vous dis pas à demain, car je vais faire une pause dans les anecdotes, notamment pour essayer de résoudre les problèmes avec Facebook que cela énerve, mais aussi, car le site sature et que mon hébergeur me fait aussi les gros yeux.

Un abrazo énorme, desde Buenos Aires où il fait encore bien froid…

Dos amores 1932-08-12 – Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá

Antonio Sureda Letra: Gerónimo Sureda

Les frères Sureda étaient complémentaires. Antonio, bandonéoniste et compositeur et Gerónimo, poète. Notre est un des fruits de leur collaboration. Ceux qui pensent que le tango est une histoire de cocus et de trahison ne s’y retrouveront pas, mais tous les autres adoreront ce très beau thème que les frères Sureda ont peut-être dédié à leur mère…

Parmi leurs collaborations, nous pouvons citer en plus de notre tango du jour Ilusión marina qui est le premier titre de son frère sur lequel Gerónimo a mis des paroles.
Voici d’autres titres que vous connaissez sans doute, car nous en possédons des enregistrements. Ils sont par ordre alphabétique :

  • A oscuras (Gerónimo est aussi crédité de la composition en compagnie de son frère pour ce titre).
  • Adiós juventud
  • Barreras de amor
  • Cacareando
  • Decime adiós
  • Juanillo (pasodoble)
  • Mala suerte
  • Nunca es tarde
  • Parece que fue ayer
  • Ronda del querer
  • Si alguna vez
  • Te quiero mucho más
  • Volvió la princesita
  • Yo quiero que sepas

Finalement Antonio a fait appel à son frère pour la majorité de ses compositions, mais signalons tout de même qu’un petit quart est aussi issu de la collaboration avec , le reste étant anecdotique.

Extrait musical

Dos amores 1932-08-12 – Orquesta con .

Un tango appuyé et marchant tout à fait typique de Canaro. Contrairement à ce que faisaient certains orchestres contemporains, l’orchestration de Canaro se démarque par de beaux contrepoints qui sont souvent surprenants, mais qui donnent de l’intérêt et cassent tout risque de monotonie. Le long passage en pizzicati des violons qui commence à 1:45 après l’ de Famá et le recours aux instruments en cuivre donne une sonorité particulière.
On notera également l’intéressante variation finale qui anime les dernières secondes.

Paroles

Escuche viejecita… yo quiero que se entere
Desde hace mucho tiempo, que tengo ya otro amor,
Si viera qué bonita, qué buena es la muchacha
Hay en sus ojazos más fuego que el sol.
Yo quiero que la quiera con su cariño santo
Con fuerza, con vehemencia, de todo ,
Ella hace mucho tiempo que quiere conocerla
Para llamarla madre… como lo llamo yo.

Fue cerquita del barranco
Donde una tarde la vi,
Y en la tranquera ´e su rancho
El primer beso le di,
Desde entonces mi guitarra
Tiene una cinta ´e color,
Que la prendieron sus manos
Como prueba de su amor.

¿Que pasa?…viejita venga, por qué se pone triste
Acaso no se alegra al ver que soy feliz,
O cree que el cariño de la mujer que amo
Me hará olvidar lo mucho que usted sufrió por mí.
Yo quiero que la quiera con su cariño santo
Con fuerza, con vehemencia, de todo corazón,
Ella hace mucho tiempo que quiere conocerla
Para llamarla madre, como la llamo yo.
Letra:

Traduction libre et indications

Écoutez, ma petite mère (ma petite vieille est un terme affectueux, le texte est un mélange de familiarité et de vouvoiement respectueux). Je veux que vous sachiez que ça fait longtemps déjà que j’ai un autre amour.
Si vous voyez comme elle est jolie, comme elle est bonne la fille.
Il y a plus de feu dans ses grands yeux que dans le soleil.
Je veux que vous l’aimiez de votre sainte affection, avec force, avec véhémence, de tout votre cœur.
Elle, cela fait longtemps qu’elle veut vous connaître, pour vous appeler mère… comme je vous appelle, moi.
C’est près de la tranchée qu’un après-midi je l’ai vue, et à la porte de son ranch, je lui ai donné le premier baiser, depuis lors ma guitare a un ruban de couleur, que ses mains ont attaché comme preuve de son amour.
Que se passe-t-il ?… Ma petite mère, venez, pourquoi êtes-vous triste ?
Peut-être n’êtes-vous pas heureux de voir que je suis heureux, ou pensez-vous que l’affection de la femme que j’aime me fera oublier combien vous avez souffert pour moi.
Je veux que vous l’aimiez de votre sainte affection, avec force, avec véhémence, de tout votre cœur.
Elle, cela fait longtemps qu’elle veut vous connaître, pour vous appeler mère… comme je vous appelle, moi.

Autres versions

Dos amores. À gauche, Canaro chez Odeón, au centre, D’Arienzo chez RCA Victor et à droite, Pugliese chez Philips (Dos amores est la plage 2 de la face 1 du disque LP 33 tours).
Dos amores 1932-08-12 – Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá. C’est notre tango du jour.
Dos amores 1932-09-09 – Santiago Devin con Trio Antonio Sureda.

Santiago Devin est un chanteur relativement rare, mais il avait du dans les années 30. On le connaît surtout avec le Sexteto de Carlos Di Sarli, où il ne chantait que l’estribillo. Il nous propose ici accompagné par le trio Antonio Sureda pour Odeón, une version en chanson, plus à classer du côté de Gardel, Magaldi ou Corsini que du côté du tango de bal. Vu que Santiago Devin enregistre avec le compositeur, on peut penser que Antonio Sureda cautionne cette jolie version. Le trio était composé, en plus de Antonio Sureda au bandonéon, de Oscar Valpreda au violon et de Alpredi au piano.

Dos amores 1947-05-13 – Orquesta Juan D’Arienzo con .

Le tempérament fougueux de D’Arienzo pourrait paraître un contre-emploi, mais la voix travaillée de Laborde fait que cela passe, mais si cela peut se danser, c’est un peu un cran en dessous en matière de romantisme.

Dos amores 1961 – Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel.

Dos amores 1961 – Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel. Pugliese sait faire des versions très personnelles et empreintes de romantisme. Nous en avons là, un exemple. Les 55 premières secondes préparent la venue du chanteur, Jorge Maciel qui prendra ensuite l’essentiel de la présence. L’utilisation par Maciel du port de voix (liaison des notes en glissando), de l’arrastre (laisser traîner) fait que ce titre sera un peu moyen pour la danse, même si je sais que certains adorent. Cette version est cependant bien adaptée à l’expression des sentiments d’amour évoqués par le tango.

Sur ces beaux sentiments, je vous dis, à demain, les amis !

T.B.C. 1953-08-11 – Orquesta Edgardo Donato con Roberto Morel y Raúl Ángeló

Ascanio Ernesto Donato Letra: ; Víctor Soliño

Nous vivons dans un monde de fous et le poids d’un baiser volé est sans doute tellement lourd aujourd’hui que l’on n’oserait plus écrire des paroles comparables à celles de notre tango du jour. Les initiales T.B.C. signifient Te bese (je t’ai embrassé). Mais nous verrons d’autres significations possibles pour les premières versions.

Ascanio

Ascanio Ernesto Donato

Ascanio Donato (14 octobre 1903 – 31 décembre 1971) est un des 8 frères de Edgardo Donato, l’interprète de notre tango du jour. Contrairement à son grand frère, Edgardo (violoniste) ou même son petit frère, Osvaldo (pianiste), Ascanio est peu connu. Le site TodoTango, qui est en général une bonne source, l’indique comme violoniste, alors qu’il était violoncelliste.
Sa fiche dans le répertoire des auteurs uruguayens est plus que sommaire : https://autores.uy/autor/4231. Avec seulement la date de naissance et un seul de ses prénoms et pas de date de décès. En effet, contrairement à son aîné, Edgardo qui est né à Buenos Aires, Ascanio est né à Montevideo.
L’œuvre a été déposée le 22 janvier 1929 (n° 40855) sous le nom de A.E. Donato (Ascanio Ernesto Donato). À l’époque, il était déjà violoncelliste avec ses frères, Osvaldo au piano et Edgardo à la direction et au violon. On notera que le dépôt a eu lieu en 1929, mais que le tango a été enregistré pour la première fois en 1927.
Un autre dépôt a été effectué en Argentine le 19 décembre 1940 (# 2535 | ISWC T0370028060) et cette fois, le dépôt est au nom d’Edgardo. Cependant, les premiers disques mentionnent A. Donato.

Différents disques de T.B.C.

Les premiers disques indiquent bien A. Donato. Celui de Veiga réalisé à New York indique E Donato et pas les auteurs du texte, chanté. Celui de Rafael Canaro réalisé en indique juste Donato. Celui de De Angelis indique E. Donato et celui du quintette du pianiste Oscar Sabino, de nouveau, A. Donato… On notera que le premier disque, celui de à gauche ne mentionne pas les auteurs des paroles, l’œuvre étant instrumentale.

Je propose de conserver l’attribution à Ascanio, d’autant plus que je verse au dossier une partition qui lui attribue l’œuvre…

Extrait musical

Partition de T.B.C. indiquant A.E. Donato, donc, sans ambiguïté, Ascanio Ernesto Donato.
T.B.C. (Te bese) 1953-08-11 – Orquesta Edgardo Donato con Roberto Morel y Raúl Ángeló

Paroles

Les paroles semblent avoir été ajoutées postérieurement. Nous y reviendrons.

Te besé
y te cabriaste
de tal manera
que te pusiste
hecha una fiera.
Y hasta quisiste,
sin más motivo,
darme el olivo
por ser audaz.

Total
no es para tanto,
no ves
que estaba « colo ».
Pensá
que fue uno sólo
y al fin
te va a gustar.
No digas que no,
que cuando sepas,
besar
dando la vida
serás
tu quien me pida
y sé
qué me dirás.

Bésame,
que no me enojo,
bésame,
como en el cine.
Un beso de pasión,
que al no poder respirar,
me detenga el corazón.
Bésame,
Negro querido,
el alma
dame en un beso
que me haga estremecer
la sensación
de ese placer.
Ascanio Donato Letra: Roberto Fontaina; Víctor Soliño

Traduction libre

Je t’ai embrassée et tu t’es tellement fâchée que tu es devenue une bête sauvage. Et tu voulais même, sans plus de raison, t’enfuir (Dar el olivo, c’est partir, fuir) pour avoir été audacieux.
Quoi qu’il en soit, ce n’est pas si mal, ne vois-tu pas que c’était « colo » (Loco, fou en verlan).
J’ai pensé que ce serait un seul et qu’au final tu aimerais. Ne dis pas non, que quand tu sais, embrasser en donnant la vie, tu seras celle qui me demandera et je sais ce que tu me diras :
« Embrasse-moi, que je ne me fâche pas, embrasse-moi, comme au cinéma. Un baiser de passion, que de ne plus pouvoir respirer, mon cœur s’arrête.
Embrasse-moi, mon chéri (Negro est un surnom affectueux qui peut être donné à quelqu’un qui n’est pas noir), donne-moi un baiser à l’âme qui me fasse secouer la sensation de ce plaisir.« 

Comme pour beaucoup de paroles de tango, il convient de faire des hypothèses quant à la signification exacte. Le fait que des femmes et des hommes l’aient chanté permet de relativiser l’affaire, ce ne sont pas d’horribles machistes qui violentent des femmes non consentantes.
Certains voient dans le tango des histoires de bordels, mais dans la grande majorité, les histoires sont plutôt sentimentales, c’est-à-dire qu’elles parlent de sentiments. Que ce soit l’illusion, l’amour fou, la détresse de l’abandon, le repentir, le regret. En dehors de l’époque des prototangos et des premiers tangos qui avaient des paroles assez crues et où les mecs faisaient les bravaches, la plupart des titres est plutôt romantique.
Je veux voir dans le texte de ce tango une idylle naissante, peut-être entre des adolescents, pas le cas d’un taita qui s’impose à une mina désemparée, d’autant plus que le texte peut être vu des deux points de vue, comme le prouvent les versions que je vous propose.
Pour la traduction, j’ai choisi de faire parler un homme, puisque ce sont des hommes qui chantent notre tango du jour et le dernier couplet pourrait-être la réponse de la femme qui se rend aux arguments, à la sollicitation de l’homme. Mais on peut totalement inverser les rôles.
Les premiers enregistrements sont instrumentaux. T.B.C. peut dans ce cas signifier Te Bese, ou TBC (sans les points) qui désigne la tuberculose… TBC est aussi un club nautique de Tigre (près de Buenos Aires) TBC pour Tigre Boat Club. De nombreux tangos font référence à un établissement, ou un club. Mais le fait qu’il soit à Tigre et pas à Montevideo limite la portée de cette hypothèse.
L’excellent site bibletango.com indique que le titre serait inspiré par un club assez spécial de Montevideo, mais sans autre précision. Si on excepte l’acception TBC=Tuberculose, je ne trouve pas de club en relation avec T.B.C. à Montevideo.

Avec les paroles de Roberto Fontaina et Víctor Soliño, le doute n’est plus permis, c’est bien Te bese qu’il faut comprendre.
Roberto Fontaina et Víctor Soliño travaillaient à Montevideo. Ce qui confirme l’origine uruguayenne de ce titre.

Autres versions

Ce tango a été enregistré à diverses reprises et en deux vagues, à la fin des années 20 et dans les années 50.
Les enregistrements de 1927 et 1928 sont instrumentaux.

T.B.C. 1927-11-28 – Orquesta .

Premier , instrumental.

T.B.C. 1928-11-26 – Sexteto Carlos Di Sarli. Une version instrumentale.

Une autre version instrumentale.

Quiroga nous propose la première version chantée.

T.B.C. 1929-01-22 – Rosita Quiroga con guitarras y silbidos.

Je trouve cette version fraîche et délicieuse. Toute simple et qui exprime bien le texte. Remarquez les sifflements.

T.B.C. (Te bese) 1929-06-19 – Genaro Veiga – .

Cette version a été enregistrée à New York, ce qui une fois de plus prouve la diffusion rapide des œuvres. On n’est pas obligé d’apprécier la voix un peu traînante de Veiga.

T.B.C. (Te bese) 1930 Orquesta Rafael Canaro con Carlos Dante y Rafael Canaro.

Rafael se joint à Carlos Dante pour le refrain dans un duo sympathique. Cette version a été enregistrée en Espagne, par le plus français des Canaro.

T.B.C. (Te bese) 1952-12-05 – Florindo Sassone con Roberto Chanel.

Une version typique de Sassone qui remet au goût du jour ce thème. C’est un peu trop grandiloquent à mon goût. Roberto Chanel, semble rire au début, sans doute pour dédramatiser sa demande. En revanche, l’orchestre passe au second plan et cela permet de profiter de la belle voix de Chanel.

T.B.C. (Te bese) 1953-08-11 – Orquesta Edgardo Donato con Roberto Morel y Raúl Ángeló. C’est notre tango du jour.

Après l’écoute de Sassone, on trouvera l’interprétation beaucoup plus sèche et nerveuse. Pour le premier disque de ce tango de son frère (ou de lui…), c’est un peu tardif, mais c’est plutôt joli. Cela reste dansable. Comme dans la version de Rafael Canaro qui initie le premier duo, le refrain est chanté par Morel et Ángeló.

T.B.C. (Te bese) 1957-07-17 – con orquesta.

À comparer à la version de Rosita Quiroga de 28 années antérieure. On peut trouver que c’est un peu trop dit et pas assez chanté. Je préfère la version de Rosita.

T.B.C. (Te bese) 1960-10-19 – con Lalo Martel.

Lalo Martel, reprend le style décontracté et un peu gouailleur de ses prédécesseurs.

T.B.C. (Te bese) 1990 C – Los Tubatango.

Et on ferme la boucle avec une version instrumentale avec un orchestre qui s’inspire des premiers orchestres de tango…

T.B.C. Inspiré de Psyché ranimée par le baiser de l’Amour – Antonio Canova.

J’ai utilisé un des baisers les plus célèbres de l’ de l’art, celui immortalisé dans le marbre par Antonio Canova et que vous pouvez admirer au Musée du Louvre (Paris, France) pour l’image de couverture.

Gil a rayas 1953-08-10 – Orquesta Ángel D’Agostino

Letra:

Le 1er janvier 2018, à la milonga à Gricel (), un danseur âgé est venu me demander de passer Gil a rayas. Cela correspondait à un souvenir. Je lui ai demandé s’il avait une version de préférence, il me répondit que non. Comme je suis un DJ qui aime faire plaisir, j’ai cherché un moment favorable. Ce n’était pas si évident pour moi, car je ne passe pas de D’Agostino instrumental. Je vous dirai la version choisie et expliquerai son intégration dans la tanda en fin d’article.

Un gil ?

Un gil est un idiot, quelqu’un facile à berner. Ici, il est à rayures. N’ayant pas le support des paroles (probablement perdues), il est difficile d’imaginer le sens de l’expression complète, l’idiot à rayures. Peut-être cela fait référence à son style vestimentaire, les rayures ajoutant, ou pas à son imbécillité. On notera qu’un , (Gil à carreaux) est encore plus bête que le Gil simple.

Gilles, Antoine Watteau 1719c.

Même si ce gil, Gilles, n’a pas de rayures, il représente assez bien l’idée du personnage un peu niais ou pour le moins naïf.
En fait, ce tableau que l’on a longtemps appelé Gilles est désormais appelé Pierrot, mais cela ne change pas l’histoire, Pierrot étant le naïf de la Commedia dell’Arte. Le tableau ayant été recadré, il manque la partie gauche, la partie sombre du tableau où se trouve l’homme sur l’âne (le docteur ignare) pouvait révéler à l’origine d’autres personnages inquiétants…
L’homme en rouge est le Capitaine, le militaire fanfaron. Les personnages en costume clairs sont « les amoureux ». Le buste sur la droite qui évoque le profil du docteur, en symétrie, a un regard inquiétant. Les différents éléments semblent donc vouloir se jouer du candide Pierrot, Gilles, gil. Je vous propose d’écouter notre en regardant ce tableau. Vous y découvrirez peut-être la même histoire.

Extrait musical

Gil a rayas 1953-08-10 – Orquesta Ángel D’Agostino.

Le titre a été enregistré (inscrit dans les registres) à la le 20 mai 1958 sous la référence #40535 | ISWC T0370436660. Les auteurs sont mentionnés pour cette seule œuvre et ils restent assez mystérieux. D’où viennent ces giles ? Pardon, ces auteurs ? Je ne vous donnerai pas la réponse, mais je suis intéressé si vous l’avez…

Autres versions

Tout d’abord, je tiens à saluer mes regrettés amis et Juan Lencina pour la confiance de m’avoir confié à de nombreuses reprises la musicalisation de la milonga Derecho Viejo.
Je reviens donc à ce 1er janvier 2018 dans le beau Salón Gricel (je crois qu’à cette époque c’était encore l’ancien décor). Un danseur est donc venu me demander Gil a rayas. Voici les 5 choix qui s’offraient à moi et pourquoi j’ai choisi la version que j’ai diffusée.

Gil a rayas 1922 – Enrique Delfino (solo de piano).

Je la mentionne ici, car c’est un élément historique, mais un enregistrement acoustique ne se diffuse pas en milonga et de plus, c’est une version au piano. Cet enregistrement nous permet toutefois d’entendre Delfy dans une de ses nombreuses facettes, celle du pianiste.

Gil a rayas 1927-10-28 – Orquesta .

Je ne l’ai pas envisagé une seconde, il est très rare de passer la vieille garde à Buenos Aires. Ce n’est pas vilain, mais pas au goût des portègnes.
Il restait donc trois versions, toutes par D’Agostino et toutes les trois instrumentales. S’il y a un nom d’auteur, Rafael Herraiz, il n’y a apparemment pas de version chantée enregistrée.
Voici les trois versions de D’Agostino :

Gil a rayas 1942-08-11 – Orquesta Ángel D’Agostino.

Cette version est assez classique et elle a l’avantage d’être au cœur de l’activité de D’Agostino et donc de pouvoir être incorporée facilement dans une tanda.

Gil a rayas 1953-08-10 – Orquesta Ángel D’Agostino. C’est notre version du jour.

Elle présente l’intérêt d’être à peu près compatible avec Café Dominguez, le gros tube du D’Agostino tardif qui est aussi instrumental. Mais on se retrouve dans le même cas que pour Café Dominguez, difficile de constituer une tanda harmonieuse.

Gil a rayas 1962-05-06 – Orquesta Ángel D’Agostino.

l’esprit pour être diffusée. Elle est trop plan-plan et inerte pour que j’envisage de la proposer.
Vous trouverez sans doute une version datée de 1963-05-06, mais c’est la même que celle de 1962 (même matrice et même numéro de disque), c’est donc une coquille de l’éditeur.
Il restait donc deux titres possibles ; la version de 42 et celle de 53.

Que choisir ? Le dilemme du DJ

Le DJ est là pour faire plaisir aux danseurs. Il doit donc sans cesse estimer ce dont « ils ont besoin, envie ». Là, il y avait une commande. Comme D’Agostino est généralement plutôt calme, il peut bien convenir après une tanda de milonga. C’est l’option que j’ai choisie.
J’avoue avoir beaucoup hésité entre deux possibilités.

  1. Jouer le plus sûr avec la version de 1953, précédée ou suivie de Café Dominguez et deux tangos chantés par Vargas de la décennie antérieure. C’est un peu monstrueux d’un point de vue de l’harmonie de la tanda, mais sans trop de risque, car chaque titre individuellement sera accepté par les danseurs.
  2. Mettre la meilleure version pour la danse à Buenos Aires, celles de 1942 et la compléter par trois titres de la même époque.

C’est l’option 2 que j’ai choisie, car j’aime bien faire des tandas harmonieuses. Ayant un doute sur l’accueil de Gil a rayas par les danseurs, j’avais prévu en cas de problème trois titres avec Vargas en continuation.
Cependant, comme Gil a rayas a été bien accueilli, j’ai continué avec un autre instrumental :

Gran muñeca 1943-12-05 – Orquesta Ángel D’Agostino.

Gran muñeca 1943-12-05 – Orquesta Ángel D’Agostino.

Là, il restait un choix à faire. Continuer en instrumental, avec des titres peu connus ou basculer sur Vargas.
Comme la piste était pleine, je suis resté sur de l’instrumental, non sans avoir le cœur battant à 90…

De pura cepa 1943-12-05 – Orquesta Ángel D’Agostino.

Au moins ce titre est en harmonie avec le précédent et a même été enregistré le même jour.
Là, il n’était plus vraiment question d’aller caser un Vargas. La piste était pleine et les danseurs ne semblaient pas regarder dans ma direction avec des poignards dans les yeux. J’ai donc mis un quatrième instrumental… La musique tranquille semblait leur convenir. D’ailleurs à Buenos Aires, il me semble que la musique est plus calme qu’en Europe. Je pense qu’on y recherche plus la subtilité que l’énergie.

De corte criollo 1945-05-21 – Orquesta Ángel D’Agostino.

Pourquoi ce titre qui est un peu différent des autres. Le piano y est assez présent, rappelez-vous, il dialoguait beaucoup dans la version de Gil a rayas de 1942, le premier titre de la tanda. Certains passages sont un peu plus toniques, notamment ceux où le piano est au premier plan, d’autres sont presque joueurs. Ce titre convient donc assez bien pour des couples qui ont eu trois autres titres pour s’apprivoiser. De plus, il présente une variation finale au bandonéon qui permet de terminer la tanda d’une façon relativement tonique.
La tanda étant une tanda calme après les milongas, cette proposition pouvait bien passer dans ce cadre et ce fut le cas. Peut-être qu’en Europe je ne l’aurai pas proposée, mais en Europe, personne ne m’aurait demandé Gil a rayas
Je crois que c’est la seule tanda instrumentale de D’Agostino que j’ai passée dans ma carrière alors que je passe quasi systématiquement une tanda chantée, notamment par Vargas, ou au pire une tanda mixte, notamment quand il y a Café Dominguez (qui est instrumental) en début de tanda et que je poursuis avec Vargas.

Voilà, les amis, à demain !

Gil a rayas. Rowan Atkinson (Mister Bean) pourrait jouer le rôle d’un gil, non ?

Una vez 1943-08-09 – Orquesta Típica Victor dir. Mario Maurano con Ortega Del Cerro

Letra: Lito Bayardo

Même si le titre de notre est Una vez (Une fois), il peut y avoir deux fois le même titre pour des tangos des années 40. La version du jour est celle de la Típica Victor beaucoup moins connue que celle composée par Pugliese un peu plus tard, mais qui est également un succès des milongas, sans doute un peu plus traditionnelles.
Ne vous inquiétez-pas, je vous propose les deux à l’écoute…

Carlos Marcucci 30/10/1903 – 31/05/1957

Carlos Marcucci, le compositeur de notre tango du jour, et son bandonéon ont traversé tout l’âge d’or du tango et l’Atlantique, Canaro l’ayant enjoint de venir travailler dans son orchestre en France.
On lui doit d’autres compositions comme Mi Dolor ce sublime tango enregistré par quasiment tous les orchestres, Esta noche qui aussi un succès d’enregistrement et Aquí me pongo a cantar, la milonga phare de l’orchestre de Francisco Lomuto.
Il est l’oncle de Alfredo Marcucci (14/09/1929 – 12/06/2010), à qui il a passé sa passion pour l’instrument. Alfredo raconte que quand il allait voir son oncle et qu’il n’entendait pas le bandonéon, c’est qu’il était absent.

AlfredoMarcucci (à gauche) et son oncle Carlos Marcucci. Deux des fameux bandonéonistes du vingtième siècle.

Comme son oncle, Alfredo est passé par les grands orchestres de son époque, comme le dernier de Di Sarli, mais aussi par des orchestres plus contemporains comme la .

Bandonéon de Alfredo Marcucci. C’est un Doble Aa (Alfred Arnold) fabriqué vers 1929 à Carlsfeld, en Allemagne.

À sa mort, le bandonéon d’Alfredo Marcucci a été offert par l’Argentine au Musée des instruments de Musique (MIM) de Bruxelles, en Belgique, le pays où on dit tout le temps « Une fois » (Una vez).

Extrait musical

Una vez 1943-08-09 – Orquesta Típica Victor dir. con .

Les orchestres Víctor sont des orchestres conçus pour enregistrer des disques de danse. Cela s’entend dès les premières notes où le rythme est bien marqué. Cependant, Marcucci propose un motif très original, à partir de 30 secondes, qui consiste en une phrase à l’accordéon à laquelle répond le piano. Cela peut ravir les danseurs en les incitant à sortir de la marche pour improviser sur les temps de réponse du piano en contraste avec le bandonéon. Si on rajoute les tutti de l’orchestre, les danseurs ont au moins trois univers différents à explorer avant le début du chant.
Le chant, c’est Ortega Del Cerro, qui reprend la structure de la première partie en assumant la partie des bandonéons et les cordes reprennent les réponses du piano legato ou en pizzicati selon les moments. C’est vraiment du bel ouvrage.

Paroles

Morir en los rayos de sol
La niebla de un día sin luz.
Y luego en la tarde serena
Congelo mi y mi pena.

Soñaba aquella tarde
Sentíame feliz con tu regreso.
Y al verte de nuevo ante mí
Cantaba en mis sueños así:
Una vez, sólo te vi una vez
Y te amé, sólo bastó una vez.
Hoy no sé si me faltará tu cariño
¡Ay de mí, que estoy solo sin ti!

Sólo tú me sabes comprender
Siempre tú, para poder vencer.
Nunca más, yo te lo juro vida mía
Nunca más podré vivir sin ti.
Carlos Marcucci Letra: Lito Bayardo

libre

Mourir dans les rayons du soleil
Le brouillard d’une journée sans lumière.
Et puis dans l’après-midi serein, mon angoisse et mon chagrin ont gelé.
J’ai rêvé cet après-midi de tes baisers, je me sentais heureux avec ton retour.
Et à te revoir en face de moi, je chantais dans mes rêves ainsi :
Une fois, je ne t’ai vue qu’une fois, et je t’ai aimée.
Une seule fois a suffi.
Aujourd’hui, je ne sais pas si ton amour va me manquer, pauvre de moi, que je suis seul sans toi !
Seulement toi sais me comprendre, toujours toi, pour pouvoir vaincre.
Plus jamais, je te le jure, ma vie, plus jamais, je ne pourrai vivre sans toi.

Autres versions

Il n’y a pas d’autre enregistrement de cette composition de Carlos Marcucci, je vous propose une version quasi contemporaine d’un tango du même titre composé par Osvaldo Pugliese.

Una vez 1943-08-09 – Orquesta Típica Victor dir. Mario Maurano con Ortega Del Cerro. C’est notre tango du jour.
Una vez 1946-11-08 – Orquesta Osvaldo Pugliese con (Osvaldo Pugliese Letra : ).

Un premier appel est lancé par les bandonéons, qui est repris par les cordes et le piano. Rapidement, les cordes passent en pizzicati et Morán lance sa voix charmeuse et caressante. On retrouve donc un peu le principe de la version de Marcucci avec la voix en contrepoint avec les cordes. L’harmonie est cependant plus complexe, avec un enchevêtrement des parties plus complexe. Le soliste laisse parfois la place aux instruments qui donnent le motif avec leur voix propre. On notera que Morán chante durant toute la durée du morceau, ce qui n’était pas si courant à l’époque pour les tangos de danse. On pourrait en déduire qu’il était plus conçu pour l’écoute, mais aujourd’hui, les danseurs sont tellement habitués à ce type de composition qu’ils seraient bien frustrés si le DJ se les interdisait.

Il y a de nombreuses autres versions de la composition de Pugliese. Je vous propose d’en parler le 8 novembre, jour anniversaire de l’enregistrement par Pugliese.
Nous avons écouté deux tangos réunis sous un même titre, exprimant un sentiment romantique puissant, et qui se révèlent tous deux de belles pièces pour la danse. Alors, vous croiserez sans doute une fois, deux fois ou bien plus, ces chefs-d’œuvre dans votre vie de danseur.

Voilà, c’est tout pour aujourd’hui. À demain, les amis !

Luz y sombra 1956-08-08 – Orquesta Alfredo De Angelis con Carlos Dante y Oscar Larroca

Alfredo De Angelis Letra: Gervasio López

Luz y sombra, de lumière et d’ombre, de Angelis, Larroca et Dante peignent un tableau ravissant que je vais vous présenter. Les ombres sont uniquement présentes pour donner du relief à la lumière. Cette paisible, mais entraînante, nous fait découvrir un aspect du tango, bien loin de la seule tristesse qu’y voient certains. Mettons cela en lumière.

Extrait musical

Luz y sombra 1956-08-08 – con Carlos Dante y .

Dès les premières notes, la gaîté du morceau apparaît, les premiers temps de la valse sont bien marqués. Après 50 secondes, Oscar Larroca commence de sa voix de baryton, suivi de peu par la voix de ténor de Carlos Dante. Les deux voix vont se mêler ainsi jusqu’à la dernière mesure. On sent bien qu’il ne se déroule pas un drame dans cette valse. Les paroles vont nous le confirmer.

Paroles

Los trinos se derraman
Y emergen los arrullos
Ese jardín florido
Que tienen por mansión
Jilgueros y gorriones
Alondras y zorzales
Que entonan himnos bellos
Como una bendición
Viajeras golondrinas
Saludan a su pasó
Y como gentileza
Contesta el ruiseñor
Elabora el hornero
Su rústica morada
Y un pavo rearrumbroso
Critica constructor

Concierto de perfume
De cantos y de alegrías
De la naturaleza
Ofrece al soñador
Maleta de colores
Enjambre delicioso
Que alucinó llevado
Jamás algún pintor

Y cuando cae la tarde
Los pájaros palmeros
Retornan a sus nidos
En busca de calor
Entornan las camelias
Sus pétalos celosos
Por miedo que el rocío
Les quite su esplendor

Enmudece el ambiente
La noche se aproxima
Ensaya un grillo el canto
Monótono y tristón
Palidecen las rosas
Se esfuma la alegría
Y llora la cigarra
Porque se ha puesto el Sol
Y llora la cigarra
Porque se ha puesto el Sol
Alfredo De Angelis Letra: Gervasio López

libre et indications

Les trilles se répandent et les roucoulements émergent.
Ce jardin fleuri qui est le manoir des chardonnerets et des moineaux, des alouettes et des grives qui chantent de beaux hymnes comme une bénédiction.
Les hirondelles voyageuses les saluent au passage et, par courtoisie, le rossignol répond, le hornero élabore sa demeure rustique et une dinde revêche critique le constructeur.
Un concert de parfums, de chants et de joies, offre la nature au rêveur, une mallette de couleurs, un délicieux essaim qui a halluciné et que n’a jamais porté un peintre. (la mallette, on pourrait dire la palette de couleurs est si riche qu’aucun peintre n’en a jamais eu de pareille).
Et quand tombe le soir, les oiseaux de palmiers retournent à leurs nids à la recherche de chaleur.
Les camélias enveloppent jalousement leurs pétales de peur que la rosée ne leur enlève leur splendeur.
L’ambiance est muette, la nuit approche, un grillon répète le chant monotone et triste, les roses pâlissent et la joie s’évanouit et la cigale pleure parce que le soleil s’est couché.
Et la cigale pleure parce que le soleil s’est couché.

Les duos et trios de chanteurs de De Angelis

Si plusieurs orchestres, j’hésite à dire beaucoup, ont réalisé des duos de chanteurs, De Angelis a eu une prédilection pour le genre. Nous avons vu hier que Edgardo Donato avait enregistré de nombreux chanteurs et avait profité de la profusion pour enregistrer même des trios.

Les duos de chanteurs de De Angelis

De Angelis a fait de même en enregistrant beaucoup de duos et même un quatuor… Voici une liste des associations qu’il a utilisées pour ses enregistrements. D’autres ont existé, mais sans avoir été immortalisée par le disque :

  • Carlos Aguirre et Alberto Cuello
  • Carlos Aguirre et
  • Carlos Dante et (sans doute le duo le plus connu de De Angelis)
  • Carlos Dante et Oscar Larroca (c’est celui de notre valse du jour)
  • Juan Carlos Godoy et Oscar Larroca
  • Juan Carlos Godoy et
  • Juan Carlos Godoy et Roberto Mancini
  • Isabel « Gigí » De Angelis et Carlos Boledi (Gigi est la fille de De Angelis)
  • Isabel « Gigí » De Angelis et Ricardo « Chiqui » Pereyra (Exercice de prononciation Gigi y Chiqui).
  • Rubén Linares et

Sur la composition des duos. En général, les orchestres essayaient d’avoir deux chanteurs. Un qui jouait le rôle de l’Espagnol (Oscar Larroca pour cette valse) et un qui jouait le rôle de l’Italien (Carlos Dante pour cette valse). Il y avait aussi la nécessité d’association de voix compatibles et généralement de registres différents (ténor et baryton, par exemple). De Angelis ou Troilo ont particulièrement bien réussi leurs « mariages », d’autres chefs ont eu du mal à contracter les voix qui vont bien ensemble, comme Di Sarli ou D’Arienzo.
Une autre raison qui fait que De Angelis a utilisé des duos est que c’est une caractéristique de la musique traditionnelle et De Angelis a, par exemple, enregistré pas mal de vals criollos. Pour Troilo, il me semble que c’est plus son goût pour les voix, même s’il a aussi investigué du côté du folklore.

Le quatuor de chanteur de De Angelis

  • Ricardo « Chiqui » Pereyra, Jorge Guillermo, Marcelo Biondini et Isabel « Gigí » De Angelis

Comme les quatuors de chanteurs sont tout de même assez rares en tango, je vais vous faire écouter celui-ci dans un titre qui va faire rire certains. La calesita (le manège).

La calesita 1981 – Orquesta Alfredo De Angelis con Ricardo « Chiqui » Pereyra, Jorge Guillermo, Marcelo Biondini y Isabel « Gigí » De Angelis (Mariano Mores Letra: Cátulo Castillo).

Avec La calesita, on est assez loin du tango auquel nous a habitué De Angelis, mais le titre vaut une explication.
La calesita, c’est le manège. Celui qu’aiment les enfants. À Buenos Aires, ils étaient mus par des moteurs de sang (des chevaux) avant de passer à des motorisations moins cruelles pour les animaux.
Certains qualifiaient De Angelis de , orchestre pour les manèges. Mais contrairement au dédain qu’affichent ceux qui l’affublent de ce nom, ce n’est pas à cause d’un manque de qualité, bien au contraire. Si De Angelis était si joué dans les manèges, c’était que sa musique attirait les femmes qui décidaient de placer leur progéniture sur la machine tournante afin de pouvoir savourer la musique de De Angelis. Les femmes n’étaient pas les seules à être attirées par la musique, certains danseurs profitaient de cette musique « gratuite » pour danser autour du manège. Peut-être que le manège était également propice pour se mettre en ménage (jeu de mot en français, je suis désolé pour ceux qui lisent dans une autre langue).

Autres versions

La valse enregistrée par De Angelis est unique, mais le titre avait auparavant été utilisé pour d’autres œuvres.

Luz y sombra 1930-09-11 – Orquesta Julio De Caro con Luis Díaz (Alfredo Oscar Gentile; Atilio Supparo, musique et paroles).

Bon, ce n’est pas vilain, mais cela manque tout de même d’un peu d’euphorie et d’intérêt pour la danse. Je vous propose de mettre ce titre de côté.

Luz y sombra 1955 – Astor Piazzolla y su Orquesta Típica (Astor Piazzolla).

De l’excellent Piazzolla, mais à 1000 lieues de ce qu’enregistrera l’année suivante, De Angelis. La musique de Piazzolla est relativement descriptive. On peut assez facilement identifier les alternances de lumière et d’ombre. De la musique à écouter, dans l’ombre d’un salon cossu.

Luz y sombra 1993-12 – Georges Rabol (Astor Piazzolla).

Luz y sombra 1993-12 – Georges Rabol (Astor Piazzolla). Une interprétation impressionnante, au piano, de Luz y sombra de Piazzolla. Le piano est un merveilleux instrument, capable, comme le prouve Georges Rabol, de remplacer un orchestre.
Nous sommes en 1993, mais rassurez-vous, je vous propose maintenant, pour vous divertir, la version de Luz y sombra de De Angelis, notre valse du jour qui est nettement antérieure de 37 années.

Luz y sombra 1956-08-08 – Orquesta Alfredo De Angelis con Carlos Dante y Oscar Larroca.

Notre valse du jour est le seul de cette anecdote passable dans une milonga, mais sa bonne humeur permet de compenser cela.

La nuit est en train de tomber sur ce joli jardin.

On remarquera le hornero et sa maison faîte de boue qui lui vaut le titre d’architecte. Le chardonneret élégant, cité dans la chanson, est également présent. Les camélias et les roses pâlissantes. C’est ce beau jardin que j’imagine en entendant cette valse. En passant l’arche, on trouvera un espace dégagé pour danser la valse.

Alors, valsons jusqu’à demain, les amis !

Tic tac 1941-08-07 – Orquesta Enrique Rodríguez con Armando Moreno

Enrique Cadícamo (Musique et paroles)

Si je dis Tic-Tac, vous penserez tout de suite à l’horloge, à la montre et au-delà, au temps qui passe. Les trois minutes d’un tango peuvent passer très vite, trop vite, ou donner l’impression de s’éterniser. du jour nous parle du temps. Sa tristesse est compensée par le savoir-faire de Moreno et Rodriguez, mais il est temps de vous faire écouter ce tango. Nous remontons le temps, jusqu’en 1941, il y a exactement 727 070 heures, quand Rodriguez et Moreno enregistraient le tango Tic Tac.

Extrait musical

Tic tac 1941-08-07 – Orquesta Enrique Rodríguez con .

Tic tac 1941-08-07 – Orquesta Enrique Rodríguez con Armando Moreno. Les 30 premières secondes sont classiques pour du Rodriguez. La musique est bien cadencée et marquée de façon un peu (beaucoup) appuyée.
À 30 secondes, donc, Rodriguez nous donne la première information horlogère. Puis il reprend le cours normal de la musique. Les peuvent penser avoir rêvé ce Tic-Tac, mais 20 secondes plus tard, le Tic-Tac réapparaît.
À une minute, Moreno lance deux fois Amor, mais avant d’aller plus loin, voici les paroles.

Paroles

Amor, amor… novela triste
Amor, amor… tú ya no existes.
Solo, sin tu cariño,
Soy como un niño
Que siente miedo.
Solo, solo en la casa,
La noche pasa
Por .

Tic tac, tic tac, tic tac…
Oigo en las sombras, este latido.
Tic tac, tic tac, tic tac…
Como un martillo suena en mi oído.
Es el reloj que va pasando
Y nuestras vidas va contando.
Tic tac, tic tac, tic tac…
Y su recuerdo, se hace dolor.

Letra y música:

libre et indications

L’amour, l’amour… Roman triste
L’amour, l’amour… Tu n’existes plus. (La triste nouvelle est annoncée)
Seul, sans ton affection, je suis comme un enfant qui éprouve la peur.
Seul, seul dans la maison, la nuit passe par l’horloge.
Tic-tac, tic-tac, tic-tac… (À 1:30 Moreno déclare Tic-Tac, levant toute ambiguïté et l’orchestre renforce le son d’horloge).
J’entends dans l’ombre, ce battement (de cœur).
Tic-tac, tic-tac, tic-tac… (Retour du Tic-Tac)
Comme un marteau, il résonne dans mon oreille.
C’est l’horloge qui tourne et nos vies vont comptant.
Tic-tac, tic-tac, tic-tac… (Encore le Tic-Tac)
Et son souvenir se fait douleur.

Abandon ou mort, quoiqu’il en soit, l’horloge marque le temps désormais inutile dans l’être aimé. C’est une façon assez originale de marquer le poids du temps sur la peine. Enrique Cadícamo, l’un des auteurs les plus prolifiques est ici le compositeur et le parolier, cette œuvre lui est donc totalement redevable et prouve la richesse de son univers.
Il fallait sans doute Rodriguez et sa légèreté (dans les thèmes, pas la musique) pour passer en douceur ce message.

Autres versions

Ce tango est encore un orphelin. Il y a bien sûr d’autres tangos qui parlent du temps, voire même de l’horloge. Nous avons évoqué El Reloj (L’horloge) il y a quelques jours, mais pas d’autre de Tic Tac. Je vais cependant lui proposer un ami…

Tic tac 1941-08-07 – Orquesta Enrique Rodríguez con Armando Moreno. Notre tango du jour, orphelin.

Le copain que je lui propose est une musique klezmer. Cela peut sembler curieux, mais le en France avait coutume de proposer comme dernier thème ce titre. J’avoue ne pas en connaître la raison pour laquelle ils ont troqué la cumparsita pour le titre que je vous propose d’écouter maintenant.
Il s’agit de Time par le trio Kroke, un trio polonais dont le nom, Kroke, est celui de la ville polonaise de Cracovie, exprimé en Yidiish (langue des juifs d’Europe centrale).

Time 1998-05 – Kroke (Tomasz Lato).

Le trio Kroke est composé de Tomasz Kukurba au violon alto, Tomasz Lato à la contrebasse et Jerzy Bawoł à l’accordéon diatonique.
Ce titre a été enregistré en mai 1998 a été publié pour la première fois en 1999 sur l’album The Sounds of the Vanishing World.
Pour les masochistes, il existe une version longue de plus de 8 minutes, Tomasz Kukurba ayant complété l’original de Tomasz Lato
Certains seront assez étonnés d’apprendre que des danseurs essayent de danser le tango sur ce titre, mais d’autres adorent cet exercice qui consiste à croire danser le tango sur n’importe quelle musique. C’est génial, mais ce n’est pas du tango.

Bon, j’ai perdu les lecteurs fans de NeoTango. J’espère qu’ils reviendront quand ils sauront que j’ai musicalisé des événements de NeoTango, car pour un DJ, cela permet une très grande créativité dans le choix des musiques, mais aussi dans le mixage, ce qu’on ne fait pas en tango traditionnel. Par exemple, on peut commencer avec un titre, continuer avec un autre, rajouter des samples, voire des éléments synthétisés, revenir au thème initial, varier , hauteur, sonorité, ce que l’on ne peut guère faire dans une .

L’angoisse du DJ qui est en train de se demander s’il peut associer deux titres dans la même tanda. Vuelta al futuro (1985)

Il est l’heure de vous laisser, à demain, les amis.

Un libro 1941-08-06 Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos

Letra: Ricardo Olcese

Les Argentins sont de grands lecteurs. Il n’est qu’à voir les centaines de mètres de queue pour visiter le Salon du livre et le nombre de librairies pour s’en rendre compte.
Notre tango du jour s’appelle Un libro (un livre) a été enregistré par Edgardo Donato avec Horacio Lagos il y a 83 ans.

Extrait musical

Un libro 1941-08-06 Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos.

Donato était un homme distrait, il pouvait oublier sa femme dans le tramway ou attendre le chanteur pour un alors qu’il était en face de lui. Sa musique lui va bien. Le thème commence comme une promenade guillerette. Puis arrive la voix sans égale de Horacio Lagos.

Paroles

Con el alma herida, casi derrotado
Ancló mi esperanza en tu dulce amor,
Me diste un aliento que ya no aguardaba
Mi vida lisiada por tanto dolor.

Todo mi tormento, se fue por encanto
Y tu gran alivio fue mi salvación,
Entonces de nuevo vi al sol de mi vida
Rehaciendo el coraje de mi corazón.

Un libro como hay tantos en la vida
Que (se) leía en mi errante rodar,
Desahuciado por la suerte
Dando tumbos sin cesar.
Un libro de placer interminable
De incesante sinsabor,
Salpicado en tus páginas de oro
Por un lodo maldito y traidor.
Osvaldo Donato Letra : Ricardo Olcese

Traduction libre

Avec l’âme blessée, presque vaincue, j’ancre mon espérance dans ton doux amour.
Tu m’as donné un souffle auquel je ne m’attendais plus, ma vie paralysée par tant de douleurs.
Tous mes tourments ont disparu par magie et ton grand soulagement a été mon salut.
Puis, j’ai de nouveau vu le soleil de ma vie, restaurant le courage de mon cœur.
Un livre comme il y en a tant dans la vie que j’ai lu dans mon errant vagabondage, désespéré par la chance, trébuchant sans cesse.
(J’entends Que leía, mais un lecteur, Philippe Constant entend Se leía, ce qui pourrait modifier un peu le sens. Si vous avez un avis sur la question, laissez un commentaire…).
Un livre de plaisir sans fin d’insipidité incessante, éclaboussé sur tes pages dorées par une boue maudite et traîtresse.

Ricardo Olcese a écrit les paroles de quelques
autres tangos comme :
Mirá lo que soy, Tu engaño et, en collaboration avec Nestor Rodi, de ayer et Che pebeta.

Autres versions

Il n’y a pas d’autres versions de ce tango. Je vous propose donc d’écouter un autre enregistrement du même jour de Donato…

Un libro 1941-08-06 Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos. C’est notre tango du jour.

Pour le second enregistrement de la journée, se joint à Horacio Lagos pour chanter :

1941-08-06 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Lita Morales y coro.

Demain tu seras mienne. Le titre est parfaitement adapté à la relation entre les deux chanteurs de cette valse…

Au centre Edgardo Donato et à droite Horacio Lagos que regarde avec attention, Lita Morales.

Il se dit que Lita Morales et Horacio Lagos se seraient mariés, mais rien ne le prouve. Ce couple, si c’était un couple, était très discret et mystérieux. Le regard que Lita envoie à Horacio me fait penser qu’ils ont a minima eut une idylle.
Sur le plan artistique, ils ont tous les deux commencé par enregistrer du et ont arrêté rapidement la carrière (1935-1942 pour Horacio, 1937-1941 pour Lita, avec un petit retour en 1955-1956). Peut-être que l’arrêt de Lita en 1941 était pour cause de naissance, il se disait que Lita était enceinte lors de son premier arrêt. Ceci pourrait expliquer son retour tardif, elle a repris, lorsque son (leur) enfant était devenu plus autonome.
On avait déjà parlé de cela à propos de Sinsabor.

L’orchestre de Donato de 1932 à 1945

L’orchestre de Donato reste stable sur une grande période. Ses deux frères sont respectivement pianiste (Osvaldo) et violoncelliste (Ascanio Ernesto). On notera le nombre impressionnant de chanteurs ayant participé avec l’orchestre.

L’orchestre de Donato.

Directeur : Edgardo Donato

Les musiciens

Violonistes : (Edgardo Donato), Domingo Milillo, Armando Piovani et José Pollicita.
Bandonéonistes : Juan Turturiello, Vicente Vilardi et Miguel Bonano.
Pianiste : Osvaldo Donato
Violoncelliste : Ascanio Donato
Contrebassiste : José Campesi

Les chanteurs

Sopranos : Lita Morales
Ténors : Horacio Lagos, Romeo Gavioli, Félix Gutiérrez, Gómez, Armando Piovani, Juan Alessio, Daniel Adamo et Pablo Lozano.
Barytons : , , Jorge Denis, et Roberto Beltrán.

En 1936, Donato était à la tête d’un orchestre énorme.

Violonistes : Armando Julio Piovani, Domingo Mirillo et José Pollicita
Bandonéonistes : José Roque Turturiello, Vicente Vilardi, Eliseo Marchesse et José Budano.
Accordéoniste : Washington Bertolini (Osvaldo Bertoni) qui était également pianiste. Il jouait du piano avec et sans bretelles (en France, l’accordéon est surnommé « piano à bretelles »).
Pianiste : Osvaldo Donato
Violoncelliste : Ascanio Donato
Contrebassiste : José Campesi

Sur la photo, on les trouve :
De gauche à droite et au premier plan.
Debout, Edgardo Donato et Horacio Lagos.
Assis au piano, Osvaldo Donato.
Deux bandonéonistes, José Budano et Vicente Vilardi.
Puis Washington Bertolini avec son accordéon.
Et deux autres bandonéonistes, José Roque Turturiello et Eliseo Marchesse.
À l’arrière, de gauche à droite, un violoniste Domingo Mirillo.
Un violoncelliste, Ascanio Donato
Deux violonistes José Pollicita et Armando Julio Piovani.
Un contrebassiste, José Campesi.
Voilà, je vous laisse jouer au jeu des sept erreurs pour identifier les changements dans l’orchestre entre ces deux photos. Ce n’est pas si difficile.

À demain, les amis !

Fruta prohibida 1930-08-05 – Orquesta Típica Brunswick dirigée par Juan Polito

B. Nortoni

Fruta, Fruto, qui se frotte à ces deux mots, peut être étonné. En fait, les deux termes sont interchangeables en Argentine, sauf peut-être pour les botanistes. Dans la vie courante, on peut aller dans un mercado de frutos pour acheter des frutas ou l’inverse. Quoiqu’il en soit, vous vous demandez peut-être en quoi une scie peut avoir un rapport avec un fruit défendu. Je vais vous le faire entendre, avec ce vieux tango, bien .

Extrait musical

Fruta prohibida 1930-08-05 – Orquesta dir. .

Pas besoin de l’écouter en entier pour identifier qu’il correspond à ce que l’on appelle maintenant le style canyengue. Un style que certains continuent de pratiquer, même à Buenos Aires, où on ne passe en général pas ce type de musique. Les aficionados le font sur un Canaro ou un Lomuto un peu plan-plan, par exemple, mais qui n’est pas du canyengue pur et dur comme on peut en entendre en Europe.
Vous remarquez les sonorités un peu étranges de la scie musicale (serrucho) de 1:05 à 1:37. Je vous en dirai plus sur cet instrument en fin d’article.
Je ne sais pas qui en joue. Peut-être le frère de Juan Polito, Salvador. Il est violoniste (et parolier). Il est envisageable de réduire le pupitre des violons pour y placer la scie musicale qui joue 30 secondes.

Un peu plus d’incertitudes sur ce tango

Ce tango composé par est probablement le seul de ce compositeur qui nous soit parvenu sous forme de disque.
En revanche, j’ai trouvé un tango du même titre, publié à Madrid en 1927, mais attribué à d’autres auteurs.

La mention du tango Fruta probibida dans le journal espagnol « El Debate » du 13 novembre 1927. En bas à gauche, la couverture de la partition.

Dans le journal El Debate daté du 13 novembre 1927, on trouve la mention d’un tango de Enrique Bregel (1893-1981) et Samuel Herrera (?-1985) appelé Fruta prohibida.
J’ai trouvé la couverture de la partition sur laquelle il y a une femme, peut être le fruit défendu ? Les paroles de Manuel Feijoó (1904-1938) et Vincente Moro (?-1947) pourraient nous aider à en savoir plus.
Pour savoir si la musique est la même que celle du tango attribué à B. Nortoni, il faudrait pouvoir trouver un enregistrement ou la partition. Je n’ai pas trouvé d’enregistrement et malheureusement, la partition n’est pas consultable depuis Buenos Aires, seulement sur les ordinateurs de la à Madrid.
“Esta obra es de acceso restringido. Puede acceder a ella en ordenadores específicos de las instalaciones de la BNE / Restricted access to this document. It is only available on specific computers at BNE facilities.”
Ce ne serait pas la première fois qu’une œuvre espagnole se retrouve sous la bannière argentine. B. Nortoni a-t-il signé trois ans plus tard, un tango écrit en Espagne ? Est-ce simplement une coïncidence. Difficile de le confirmer sans accès à la partition. Si quelqu’un de Madrid peut aller à la BNE pour obtenir cette partition…

Une scie musicale

En français, une scie désigne également une œuvre un peu répétitive et peu enthousiasmante. Mais la scie musicale est un instrument de musique.

À gauche, Marlene Dietrich jouant da la scie musicale pour les soldats américains. Dominique Pinon, à droite, joue de la scie musicale dans le film de Caro et Jeunet « Delicatessen » (1991). Au centre, une scie musicale française de 1930.

La scie musicale est un instrument idiophone, c’est-à-dire que le son est produit par le matériau de l’instrument. L’instrument ressemble à une scie égoïne, sans les dents et avec une poignée plus grande, car elle est destinée à être maintenue entre les cuisses. L’autre extrémité est maintenue entre le pouce et l’index ou mieux maintenue par une manette de flexion qui permet de maintenir la torsion de la lame avec moins d’effort.
On utilise un archet (de violon, alto ou autre) pour mettre en résonance la lame métallique.
a découvert cet instrument en France et a payé des cours à son petit frère, Rafael, pour qu’il complète la liste de ses instruments (contrebasse et guitare) par la scie musicale que les Argentins appellent serrucho (scie).
D’autres orchestres que ceux des Canaro l’ont utilisée, comme José Maria Lucchesi, et Bachicha (Juan Bautista Deambrogio) et bien sûr, la Típica Brunswick.

Autres versions

Il n’y a pas d’autres versions, alors je vous propose d’autres titres avec serrucho, par ordre chronologique…

El serrucho 1924 – Orquesta Francisco Canaro.

Malgré le nom de l’œuvre, la scie musicale n’est pas mise en valeur. Elle est présente, mais n’a pas de partie en solo.

La sulamita 1924 (Shimmy) – Jazz Band Francisco Canaro.

Dans son Jazz Band, Canaro a aussi intégré la scie musicale. Comme pour El serrucho, la présence est tout de même discrète.

Taita 1926-11 – Orquesta .

On note l’arrivée de la scie musicale dès le début (6 secondes).

Quasimodo 1928-01 – Orchestre Sud-Américain José Maria Lucchesi.

Un titre très original, La scie musicale entre en scène avec puissance à 1:06.

1928-01-28 – Orquesta Bianco-Bachicha.

La scie musicale entre en scène à 2:09.

Fruta prohibida 1930-08-05 – Orquesta Típica Brunswick dir. Juan Polito. C’est notre .
La cumparsita 1930-08-05 – Orquesta Típica Brunswick dir. Juan Polito.

Une cumparsita enregistrée le même jour que Fruta prohibida par Juan Polito et la Típica Brunswick. Il faut passer l’impressionnante et très longue introduction (1:15) pour entrer dans l’œuvre. La scie musicale n’entre en fonction qu’à 2:14 pour un bref solo.

Voilà, vous saurez maintenant repérer cet instrument original. Vous pouvez aussi vous reporter à l’anecdote du 24 avril 2024 sur Danzarín 1963-04-25pour d’autres informations sur des instruments plus rares.
À demain, les amis !

Viviré con tu recuerdo 1942-08-04 – Ada Falcón con acomp. de Roberto Garza

Letra: Ivo Pelay

Notre tango du jour est une chanson sur un rythme de valse. Ce n’est donc pas un pour la danse, mais l’histoire qui la sous-tend vaut d’être contée. C’est une histoire d’amour et ici, c’est la réponse de la bergère au berger.
Mais rassurez-vous, il y a aussi de belles versions de danse au programme…

Francisco Canaro et

Extrait musical

Viviré con tu recuerdo 1942-08-04 – Ada Falcón con acomp. de .

Paroles

Recordaré de tu pasión la inmensidad.
Recordaré la imagen fiel que me adoró.
Evocaré de tu mirar la suavidad
y soñaré que aquel ayer no se alejó.

Recordaré la noche azul en que te vi
en el jardín primaveral de la ilusión.
Recordaré que hoy, al partir, me estremecí
cuando miré las rosas de mi amor temblando en tu balcón.

El recuerdo de tus ojos,
tus sonrisas y tus besos,
han de ser en mi camino
brillantísimo fulgor.
Si me alejan de tu lado
viviré con tu recuerdo.
Viviré acariciando tu nombre
entre vagos rumores y ensueños.
Viviré de las horas pasadas
mi sublime novela de amor.

Recordaré de tu querer la inmensidad,
recordaré de tu besar la ensoñación,
y al evocar de tu reír la claridad
me cubrirá un velo gris de desazón.

Recordaré que suave luz te iluminó
cuando besé, ebrio de amor, tu boca en flor.
Recordaré el madrigal que te brindó
mi inspiración, al ver tu hermosa faz teñida de rubor.
Francisco Canaro Letra: Ivo Pelay

Traduction libre

Je me souviendrai de l’immensité de ta passion.
Je me souviendrai de l’image fidèle qui m’adorait.
J’évoquerai de ton regard la douceur et je rêverai que cet hier n’a pas disparu.
Je me souviendrai de la nuit bleue quand je t’ai vu dans le jardin printanier de l’illusion.
Je me souviendrai qu’aujourd’hui, en partant, j’ai frissonné en regardant les roses de mon amour trembler sur ton balcon.
Le souvenir de tes yeux, tes sourires et tes baisers doivent être un éclat des plus brillants sur mon chemin.
S’ils m’emportent loin de toi, je vivrai avec ton souvenir.
Je vivrai en caressant ton nom au milieu de vagues rumeurs et de rêves.
Je vivrai des heures passées, mon sublime roman d’amour.
Je me souviendrai de l’immensité de ton amour, je me souviendrai du rêve de ton baiser, et quand j’évoquerai la clarté de ton rire, il me couvrira d’un voile gris de malaise.
Je me souviendrai de la douce lumière qui t’illuminait quand j’embrassais, ivre d’amour, ta bouche en fleurs.
Je me souviendrai du madrigal que t’a donné mon inspiration, quand j’ai vu ton beau visage teinté de rougissement.

Une histoire

Maintenant que vous avez pris connaissance des paroles, vous comprendrez pourquoi cette valse n’est pas aussi entraînante que d’autres. On peut se demander ce qui se passe, si l’être aimé est mourant ou mort, si la séparation est définitive par la volonté de l’un des deux.
Pour répondre à cela, il convient d’entrer dans la vie de Francisco Canaro et Ada Falcón.
Aída Elsa Ada Falcone avait deux demi-sœurs, elles aussi chanteuses, Amanda, et Adhelma.

Amanda, Adhelma et Ada Falcón. Elles ont au moins en commun de lever le regard…

Amanda Falcón (1901-1998)

Amanda qui n’a pas enregistré a eu un début de carrière intéressant, faisant notamment partie de la Compañía Argentina de Grandes Espectáculos de Ivo Pelay (l’auteur des paroles de notre valse du jour). Elle a joué également avec Gardel, même si l’accueil de la critique ne fut pas à la hauteur de ses espérances. Sa carrière semble s’être arrêtée en 1934 et on la retrouve à Hollywood, mais apparemment sans événement majeur dans sa vie artistique.

Adhelma Falcón (1902-1987),

Je vous propose de découvrir Adhelma avec l’un de ses enregistrements :

Cortando camino 1930 – Adhelma Falcón con guitarras

Adhelma prouve par cet enregistrement qu’elle avait une voix qui pouvait rivaliser avec celle de sa demi-sœur. Elle était en plus compositrice et auteure, de quoi lui assurer la gloire, mais cela a été pour la petite Ada, la plus jeune des trois. Elle a arrêté sa carrière en 1946, peu après Ada.
En 1989 Ada a accusé son aînée de s’être fait passer pour elle dans des tournées et de signer des autographes en son nom. Cinquante ans après les faits supposés, on peut s’étonner de cette révélation.
Cela confirme toutefois la qualité de chanteuse d’Adhelma et sa beauté. En 1934, elle a devancé Ada dans un concours organisé par la revue Sintonía. Le but de ce concours était d’élire la plus belle Miss Radio (ce qui peut sembler étonnant vu qu’à la radio on ne voit pas les visages… La gagnante fut Libertad Lamarque, mais Adhelma a obtenu beaucoup plus de voix (votes) que Ada.
Peut-être que ces points expliquent la brouille entre les deux femmes, mais une autre histoire court selon laquelle Canaro aurait été infidèle à Ada avec Adhelma

Ada Falcón

Ada est née elle-même d’une infidélité de sa mère avec un estanciero de Junín… Elle est donc la demi-sœur de Amanda et Adhelma.
Elle a suivi le chemin des deux aînées, mais semble-t-il avec plus de succès. Cela tient peut-être dans le fait que Ada a rencontré Canaro. Et c’est cette rencontre qui marquera la vie des deux.

Ada y Francisco

La romance entre Canaro et Ada est bien connue. Ada qui a commencé à travailler très jeune et après un passage dans l’orchestre de Fresedo et le trio de Delfino avec qui elle a enregistré jusqu’au 20 juillet 1929 et 4 jours plus tard, elle enregistrait avec Canaro.
La majorité des titres sont mentionnés comme étant de Ada Falcón accompagnée par Francisco Canaro. Elle était la vedette. Par ailleurs, beaucoup des titres qu’elle a chantés ont été composés par Canaro avec des thèmes pouvant coïncider avec leur histoire d’amour. Le plus célèbre et le premier est .

Yo no sé qué me han hecho tus ojos 1930-09-17 – Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro.

Paroles et musiques de Francisco Canaro. Une déclaration d’amour à Ada.
Cette histoire eu comme fin le refus de Canaro de divorcer de La Francesa, son épouse. Dans ses mémoires, Canaro le conte de façon un peu différente, Ada aurait répondu à un appel de Dieu, pas tout à fait sincère le Francisco.
La réalité semble plus prosaïque. Les avocats de Canaro auraient affirmé qu’il aurait dû donner la moitié de ses biens à sa femme en cas de divorce, ce à quoi, étant né pauvre, il s’est refusé.
Le refus fut sans doute très mal pris par Ada qui avait son caractère, mais le point final fut soit l’histoire avec sa demi-sœur Adhelma contée ci-dessus, soit le fait que La Francesa soit venue dans la loge et surprenant Ada sur les genoux de Francisco aurait menacé de les tuer avec le pistolet qu’elle avait apporté.
Quoi qu’il en soit, cela a mis fin à leur relation professionnelle, mais leur amour est resté en filigrane. Ainsi, leur dernière séance d’enregistrement a eu lieu le 28 septembre 1938 et les deux derniers thèmes ont été Nada más et No mientas, (Plus jamais et Ne mens pas).
Quatre ans plus tard, Francisco Canaro enregistre la valse Viviré con tu recuerdo avec .
Au bout de quatre mois, Ada donnera sa réponse en enregistrant pour la dernière fois de sa vie, la même valse, Viviré con tu recuerdo (Je vivrai avec ton souvenir) et encadenado (cœur enchaîné), un autre thème composé par Canaro et qui peut être considéré comme une autre preuve de l’amour d’Ada pour Francisco. Ce dernier enregistrement est un adieu, un adieu à Canaro, mais aussi à la vie séculaire, puisqu’elle se retira dans un couvent.
Pour clore cette histoire, je vous propose la fin du documentaire sur Ada Falcón, de Lorena Muñoz et Sergio Wolf « Yo no sé qué me han hecho tus ojos » (Argentina – 2003).

20 secondes d’émotion quand le journaliste demande à Ada Falcón qui fut son grand amour et qu’elle répondit en pleurant, je ne me souviens pas. Allí se le preguntó quién había sido su gran amor”, « No recuerdo« .

Autres versions

Il n’y a que trois enregistrements valables de ce thème et les trois impliquent au moins un des protagonistes de la chanson.
J’ai d’autres versions, mais elles sont suffisamment moches pour que je ne vous les propose pas. Je ne voulais pas gâcher cette histoire d’amour avec des versions moyennes.

Viviré con tu recuerdo 1942-04-24 – Orquesta Francisco Canaro con Eduardo Adrián.

C’est le premier enregistrement du thème de Canaro par Canaro. C’est clairement un message adressé à Ada avec l’aide de son complice, Ivo Pelay, qui était également un proche des sœurs Falcón.

Viviré con tu recuerdo 1942-08-04 – Ada Falcón con acomp. de Roberto Garza.

Viviré con tu recuerdo 1942-08-04 – Ada Falcón con acomp. de Roberto Garza. La réponse de la bergère, Ada, au berger Francisco.
Roberto Garza ( López), le bandonéoniste qui accompagne avec ses musiciens Ada Falcón n’est pas un chef habituel. Il a réalisé entre 1941, quelques enregistrements en accompagnement de et enregistré deux titres avec Ignacio Corsini. Le double enregistrement du 4 août 1942 est donc motivé par le besoin d’Ada de répondre à Francisco. Ce sont ses adieux à Canaro et au monde.

Viviré con tu recuerdo 1954-11-17 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.

Viviré con tu recuerdo 1954-11-17 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro. Douze ans plus tard, Canaro, à la tête de son Quinteto Pirincho enregistre une version instrumentale, comme un écho, comme pour dire à Ada, je pense toujours à toi.

À propos des « éditeurs » de disques

J’ai une collection musicale plutôt riche (plus de 100 000 titres, pas seulement de tango), mais je fais de la veille, notamment pour découvrir des versions par de nouveaux orchestres. J’ai donc jeté un œil à Spotify, un service de musique grand public, d’une grande médiocrité, car il ne vérifie pas les éléments qu’ils publient. Curieusement beaucoup de DJ de tango l’utilisent, parfois même en direct…
Je ne parle pas de la qualité sonore proposée par la plateforme, elle est techniquement suffisante pour passer de la musique de tango ancienne, mais de la qualité des versions qu’ils diffusent, s’approvisionnant auprès d’éditeurs peu scrupuleux, voire crapuleux. Ces derniers proposent des versions très mal numérisées et souvent horriblement retouchées, voire tronquées.

Presque toutes les mentions sont fausses. Une seule est complète et juste.

Voici une copie d’écran de Spotify. Le seul enregistrement correctement indiqué est notre tango du jour. Les autres sont soit incomplets (mention de l’orchestre sans le chanteur, mention du chanteur sans l’orchestre), soit carrément faux, comme une version de Mercedes Simone qui est en fait celle de Ada Falcón passée un peu plus vite. 90 % d’erreur, ce n’est pas très honorable.
Non seulement c’est une preuve de médiocrité, mais en plus, c’est ne rien comprendre à l’histoire. Indiquer que Ada Falcón a enregistré avec Canaro en 1942, c’est méconnaître l’histoire et ne pas regarder les étiquettes des disques.
Les éditeurs se contentent de piquer des musiques dans leur fonds, sans se soucier de la qualité, de l’exactitude de ce qu’ils publient. Ils prennent n’importe quel CD, réalisé d’après n’importe quel disque vinyle ayant massacré le disque 78 tours d’origine, en rajoutant une couche de destruction avec le Remasterizado ».
C’est tout simplement scandaleux. Quand je pense que les éditeurs de musique se goinfrent sur le dos des organisateurs d’événements en ayant détourné la raison d’être de la , ce qui est un comble quand on pense que Canaro était un des précurseurs des droits d’auteurs en Argentine avec la création de la SADAIC.

Francisco Canaro et Ada Falcón

Voilà, on se quitte avec la photo de nos deux amoureux tragiques.

À demain, les amis !

El marajá 1951-08-03 – Orquesta Domingo Federico

Francisco Federico

Notre tango du Jour est très original, par son titre, par sonorité et par sa rareté. Un marajá (maharajá) est bien sûr un maharadjah qui pour l’époque qui nous intéresse est un des princes feudataires de l’Inde. La sonorité de la musique le confirme rapidement si on avait un doute.

Un Federico peut en cacher un autre

Quatre âges de Domingo Federico.

Domingo Federico (1916-2000) avait une petite sœur, Nélida Cristina Federico (1920-2007). Bandonéoniste, (1920-2007). Cette dernière indique que son père, Federico était violoniste et même professeur de violon selon son frère, Domingo et c’est là que les problèmes commencent.
Un Francisco Federico, on en a un en stock, mais il était contrebassiste, notamment dans l’orchestre de Miguel Caló. Il était également compositeur, par exemple de dont on parle aujourd’hui.
Selon Nélida, c’est son père et Domingo qui l’ont initié à la musique. Il est donc fort probable que le Francisco auteur de ce tango soit le père de Nélida et Domingo, sinon, pourquoi ne pas parler de son autre frère qui comme compositeur et contrebassiste aurait pu aussi contribuer à la formation musicale de la jeune femme ?
Une autre indication est le fait que le tango Saludos est cosigné Domingo et Francisco Federico et qu’à cette époque, Francisco Federico était contrebassiste dans l’orchestre de Miguel Caló.
Sur le fait de jouer plusieurs instruments, c’était une particularité de la famille et de nombreux autres musiciens de tango. Nélida aurait commencé à étudier le violon, puis serait passé au piano et au bandonéon.
En effet, le premier janvier 1931, avec son frère Domingo, elle jouait au Café Tokyo de Junín en compagnie de son frère âgé de 14 ans (elle devait donc avoir environ 11 ans). Lui au bandonéon et elle au piano. Le clou du spectacle est qu’ils échangèrent les rôles, lui au piano et elle au bandonéon, le père étant le conseiller musical du duo qui fut appelé, le Duo Federico.
J’avais donc monté l’hypothèse que le Francisco de Saludos et de El marajá était le père ou sinon le frère de Nélida et Domingo. Pour lever cette ambiguïté, j’ai é des collègues et l’excellent Camilo Gatica m’a orienté vers une source que j’avais consultée, mais dans une version inaccessible pour moi.
Cette source complète confirme toutes mes hypothèses, je cite donc la conclusion de Camilo (avec des ajouts entre parenthèses) : « Ainsi, Francisco était pianiste, bandonéoniste, violoniste (et même professeur de violon selon son fils), contrebassiste (dans l’orchestre de Miguel Calo) et avait des connaissances en musique. Il était le père de Domingo et Nélida ».

Domingo et Nélida Federico avant…
Domingo et Nélida après une vie d’artiste (Nélida avait abandonné le bandonéon pour la peinture, mais est revenue ensuite au bandonéon).

Extrait musical

El marajá 1951-08-03 – Orquesta Domingo Federico.
El marajá 1951-08-03 – Orquesta Domingo Federico.

Un motif très léger de flûte ethnique commence l’œuvre. La mélodie principale a des caractéristiques qui la rapprochent de la musique orientale. On ne peut donc à aucun moment écarter la volonté de référence à un orient.
On notera la grande richesse des contrepoints, les instruments se lançant à tour de rôle de dans de belles phrases qui s’enlacent et s’enchevêtre, tout en gardant une grande clarté.
Les motifs, plus typiquement orientaux, reviennent régulièrement pour rappeler le thème.
Étant ignorant en musique indienne, je ne peux pas vous proposer d’œuvres de comparaison qui permettraient de définir la source d’inspiration de Francisco Federico. Cependant, ceux qui connaissent Ravi Shankar ou George Harrison (le guitariste des Beatles)verront toute de suite des analogies, même si Francisco et Domingo Federico ne font pas appel au sitar. Que ce soit un orient de fantaisie ou savant, cela évoque l’Inde et l’un de ses princes, un maharajá.

Mais qui est ce mahârâjah – maharajá – marajá ?

Le fait que le père de Domingo soit l’auteur de ce tango est important, car en 1925, un mahârâjah est venu en Argentine et a été reçu en grande pompe, au point que le Président Alvear a dû sortir de sa poche une partie du financement, car l’enveloppe de dépense avait explosé.
Le voyageur était le mahârâjah de Kapurthala, Jagatjit Singh Sahib Bahadur. Ce prince indien était fortement européanisé et parlait français, ce qui était courant dans la haute société argentine de l’époque. Il effectua son voyage en habits européens, sans son turban.

Le maharajah (au centre de face) en compagnie du président argentin Alvear (au centre, de profil avec la canne) et du Prince de Galles (le deuxième à partir de la gauche).

Le maharajah relate son périple dans son journal :
My Tour in South, Central, and North America (1926). On y apprend qu’il faisait froid à son arrivée à en provenance d’Uruguay et que Buenos Aires est le lieu qui lui a le plus plu de son voyage. On peut le croire quand on constate qu’un quart de son livre est consacré à son passage dans la province. Parmi ses visites, en plus du théâtre Colon et les réceptions habituelles, il est allé à Tigre et dans un site insolite que j’ai choisi de mettre en fond de la photo de couverture.
Il s’agit du château situé à 200 km de Buenos Aires, dans la . Il passa deux jours dans ce château imitant le style français Louis XIII appartenant à doña .

Quelques vues du château estancia Huetel construit par l’architecte franco-suisse . Né à Genève, Jacques Dunant fit ses études d’architecte aux Beaux-Arts de Paris. Pour l’exposition universelle de 1889 (celle où a été construite la Tour Eiffel), il travailla au pavillon de l’Argentine. En 1995, il fut appelé à Buenos Aires pour juger du concours pour l’attribution de la construction du Congresso. Il se fixa en Argentine et y réalisa de nombreux édifices (ainsi qu’en Uruguay). La construction de l’estancia Huetel a commencé en 1906.

Au programme, un concert de . Un chanteur d’origine française, dans un château de style français par un architecte français, il n’en fallait pas plus pour ravir le mahârâjah francophile.
Pour être précis, Gardel n’était pas seul. Il était accompagné de Razzano et de leurs guitaristes Ricardo et Barbieri et d’un instrumentiste impromptu…
Gardel et Razzano commencèrent à interpréter Linda provincianita, Galleguita, Claveles mendocinos, La pastora et . Alors, Le Prince de Galles qui était également invité est parti dans sa suite chercher un ukulélé et il se mit à en jouer y compris sur les chansons de Gardel et Razzano.
Jagatjit Singh Sahib Bahadur (le maharajah) raconte dans son journal que l’accueil de la population argentine a été enthousiaste dans tous les points de son voyage dans le pays et qu’on l’accueillait aux cris de « Viva el Maharajá », y compris aux haltes du train qui le mena par la suite vers le Chili.

My Tour in South, Central, and North America (1926). Sur la photo du maharajah de Kapurthala, Jagatjit Singh Sahib Bahadur, en costume traditionnel, on peut voir un fauteuil qui lui avait été offert à La Plata par le gouverneur Cantillo en août 1925.

La visite d’un prince venu de si loin semble avoir impressionné la population et j’imagine que c’est bien cette visite qui a donné l’idée à Francisco Federico d’écrire ce titre.

Autres versions

Il n’y a pas d’autre version de ce tango, je vous propose de le réécouter.

El marajá 1951-08-03 – Orquesta Domingo Federico.

Domingo Federico est sans doute un musicien un peu oublié. Sa retraite à Rosario l’éloignant de Buenos Aires a peut-être limité sa visibilité. Je suis donc content, une fois de plus, de lui redonner un peu de présence.

À propos de l’image de couverture

J’ai assemblé deux images. Une vue de l’estancia Huetel et au premier plan, un portrait du maharajah de Kapurthala, Jagatjit Singh Sahib Bahadur. Ce portrait n’est pas d’époque, mais je tenais à présenter un maharajah avec son turban.

El marajá (mahârâjah) de Kapurthala, Jagatjit Singh Sahib Bahadur.

El reloj 1957-08-02 – Orquesta Juan D’Arienzo con Jorge Valdez

(MyL)

Notre n’est pas un tango. Notre tango du jour est un tango. C’est un tango, ou ce n’est pas un tango, il faudrait savoir ! Disons que c’est un tango, mais que ce n’est pas un tango. Le tango sait chanter l’amour, mais il n’est pas le seul. Son copain le boléro le fait sans doute tout aussi bien et sans doute mieux. Alors, nous allons décortiquer le mécanisme de l’horloge, celle qui dit oui, qui dit non, dans le salon.

Boléro y tango

Je vous raconterai en fin d’anecdote l’histoire qui a donné naissance à ce boléro. Oui, ce titre est né boléro.
En Argentine, certains tangos un peu mielleux et hyper romantiques sont surnommés boléros par les tangueros et ce n’est pas forcément un compliment. Quelqu’un comme Borges aurait pu sortir le facón (couteau de gaucho) pour faire un sort au musicien qui aurait osé proposer ce type de tango, pas assez viril à son goût.
Mais le boléro est aussi un genre musical originaire de Cuba, qui, comme le tango, s’est exporté avec en Europe au point d’être une des pièces indispensables des bals de village. On notera toutefois que les « musette » le dansent exactement comme le tango, avec le même anapeste, le fameux lent-vite-vite-lent des cours de danse de société, alors que celui du boléro serait plutôt du type vite-vite-lent. Les deux danses sont d’ailleurs du type 4/4, même si dans le cas du tango, on aime à parler de 2/4 (dos por cuatro).
Attention, il me semble qu’il faut préciser que le boléro d’Amérique du Sud n’est pas le boléro espagnol qui est lui de rythme ternaire et qui est un dérivé des séguedilles. Il fut très populaire durant tout le dix-neuvième siècle, jusqu’au terrible « Boléro » de Maurice Ravel en 1928, qui en est une légère variante, mais dans lequel on reconnaît bien le rythme ternaire (3/4).
Les Européens se sont jetés sur le boléro d’origine sud-américaine dans les années 30 en s’approvisionnant aux deux principales sources de l’époque, Cuba et le Mexique, ce qui leur a permis d’oublier l’insupportable Boléro de Maurice Ravel. La diffusion était bien sûr la radio et le disque, mais aussi les bals et tout comme le tango de danse a été codifié en Europe, le boléro l’a été.
En Argentine, le boléro a aussi fait son apparition, mais le tango était bien en place et c’est un peu plus tardivement, notamment dans les années 50, qu’il est devenu très important.
Notre tango du jour appartient justement à cette époque. Auréolé de son succès, ce boléro écrit et chanté par García Roberto Cantoral (avec son trio mexicain Los 3 Caballeros) est arrivé jusqu’aux oreilles de Juan D’Arienzo qui a décidé de l’adapter à sa musique, en le transformant en tango.

Comparaison du chant boléro et tango

Je me suis livré à une petite expérience. Roberto Cantoral chante plus lentement que . C’est logique, il n’a pas la fusée D’Arienzo pour le pousser et c’est un boléro…
J’ai donc accéléré son enregistrement pour le placer à la même vitesse que celui de D’Arienzo. Dans ce premier montage, on va entendre un extrait des deux versions en même temps. C’est un peu fouillis, mais on voit tout de même des analogies.

El reloj – D’Arienzo Valdez et Roberto Cantoral. On entend les deux en même temps sur un extrait, le début de la partie chantée.
El reloj – Cantoral Puis D’Arienzo Valdez.

Le début de la version chantée par Cantoral, un petit pont par D’Arienzo puis Jorge Valdez. On notera que même si le rythme de l’orchestre est différent, les chanteurs ne sont pas si différents.
On remarquera l’arrastre de Cantoral, bien plus marqué que chez Valdez. De plus, si vous prenez en compte que j’ai accéléré l’enregistrement de Cantoral pour qu’il soit au compas de celui de D’Arienzo, on comprendra que la même partition peut donner lieu à des interprétations très différentes.
Vous pourrez entendre la version de Cantoral en entier dans la partie « Autres versions ».
Pour interpréter son tango qui n’est pas un boléro, mais qui est romantique comme un boléro, Juan D’Arienzo a fait appel à Jorge Valdez, son chanteur romantique et voici le résultat…

Extrait musical

El reloj Roberto Cantoral. Partition de boléro pour piano au centre et partition pour chanteur à droite. Cantoral et Valdez chantent sensiblement la même partition. La différence de rythme vient de l’orchestre.
El reloj 1957-08-02 – Orquesta Juan D’Arienzo con Jorge Valdez.

Comme vous pouvez l’entendre, cette version n’a rien de boléro dans le rythme. Les accents suaves du boléro d’origine sont découpés par des passages martelés au piano et au bandonéon. Un petit motif léger au piano évoque un carillon de salon et Jorge Valdez commence à chanter. Je ne suis en général pas fan de Valdez pour la danse, mais curieusement et malgré l’origine en boléro, le résultat reste acceptable pour la danse en tango et cela bien que Valdez chante la totalité des paroles et par conséquent plus de la moitié du tango. Peut-être que la beauté des paroles aide. Je vous laisse en juger.

Paroles

Reloj, no marques las horas
Porque voy a enloquecer
Ella se irá para siempre
Cuando amanezca otra vez
Nomás nos queda esta noche
Para vivir nuestro amor
Y tú tic-tac me recuerda
Mi irremediable dolor
Reloj, detén tu camino
Porque mi vida se apaga
Ella es la estrella que alumbra mi ser
Yo sin su amor no soy nada
Detén el tiempo en tus manos
Haz esta noche perpetua
Para que nunca se vaya de mí
Para que nunca amanezca
Reloj, detén tu camino
Porque mi vida se apaga
Ella es la estrella que alumbra mi ser
Yo sin su amor no soy nada
Detén el tiempo en tus manos
Haz esta noche perpetua
Para que nunca se vaya de mí
Para que nunca amanezca.

García Roberto Cantoral (MyL)

Traduction libre

Horloge, ne marque pas les heures parce que je vais devenir fou.
Elle disparaîtra pour toujours lorsque le soleil se lèvera à nouveau.
Nous n’avons que cette nuit pour vivre notre amour et ton tic-tac me rappelle ma douleur irrémédiable.
Horloge, arrête ton chemin parce que ma vie s’arrête.
Elle est l’étoile qui illumine mon être.
Sans son amour, je ne suis rien.
Arrête le temps entre tes mains.
Rends cette nuit perpétuelle pour qu’elle ne me quitte jamais, pour que l’aube n’arrive jamais.
Horloge, arrête ton chemin, car ma vie s’éteint.
Elle est l’étoile qui illumine mon être.
Sans son amour, je ne suis rien.
Arrête le temps entre tes mains.
Rends cette nuit perpétuelle, pour qu’elle ne me quitte jamais, pour que l’aube ne se lève jamais.

Une histoire romantique

Roberto Cantoral aurait composé ce titre alors qu’il était en tournée avec Los 3 caballeros, le trio de guitaristes chanteurs (les trios de guitaristes chanteurs sont une spécialité mexicaine) qu’il avait formé avec Chamin Correa et .

Los tres caballeros. De gauche à droite, Leonel Gálvez, Roberto Cantoral, et Chamin Correa.

Il aurait eu à cette occasion une histoire d’amour avec une des femmes de la tournée, une danseuse.
La chanson conterait donc cette dernière nuit où lui devait revenir au Mexique et elle à New York.
Cette histoire est tellement plausible, qu’elle est quasi officielle. On peut juste se demander pourquoi il écrivait un boléro au lieu de profiter de ses derniers moments et pourquoi imaginait-il que cette histoire était terminée ? Engagement de la belle dans une autre histoire ? Il était marié et il ne voulait pas quitter sa femme.

Une histoire encore plus romantique

S’il était marié, c’est le thème de la seconde histoire. La femme de Roberto était gravement malade et le boléro a été composé alors qu’il la veillait à l’hôpital Beneficencia Española de Tampico. Les médecins avaient livré un sombre pronostic et il n’était pas du tout certain que son épouse « passerait la nuit ». D’après un journaliste signant lctl dans El Heraldo de México du 10 février 2021, la femme aurait survécu.
Si cette histoire est véridique, alors, elle est bien romantique également. Mais j’ai un doute sur cette histoire dans la mesure où Roberto Cantoral a vécu une autre aventure romantique… et que s’il chérissait tellement sa femme, il est peu probable qu’il se lance dans l’aventure que je vais exposer, mais avant, un détail.
Je n’ai pas évoqué les débuts de Roberto avec son frère aîné Antonio en 1950-1955 (Los Hermanos Cantoral). Antonio a créé ensuite aussi son groupe, Los Plateados de México. Contrairement à son petit frère, il était marié à l’époque de l’écriture de El reloj, amoureux et sa femme mourut jeune, en 1960. Peut-être que le séjour à l’hôpital était celui de la femme d’Antonio et pas d’une hypothétique femme de Roberto.
Et voici la troisième histoire…

Une histoire encore plus et plus romantique

Dans le domaine du boléro, plus c’est romantique et mieux c’est. En 1962 à Viña del Mar (Chili), Roberto était en tournée. Il y rencontra une trapéziste argentine qui était également en tournée. Cette trapéziste s’appelait Itatí Zucchi Desiderio, elle était également championne de judo, actrice et danseuse contemporaine. La partie romantique de l’histoire est qu’il se marièrent 9 jours après leur rencontre et qu’ils restèrent unis jusqu’à leur mort, 2010 pour lui, 2020 pour elle qui déclarait :
« Je suis la femme d’un seul homme, car quand l’amour est pur et le couple a un bon cœur, il ne peut pas se changer comme des chaussures. Il se garde pour toujours dans l’âme »
Si cette histoire, qui contrairement aux deux autres, est sûre si j’en crois mes croisements de sources, il faudrait que d’époux inquiet en 1956-1957, il devienne divorcé ou veuf cinq ans plus tard, condition nécessaire pour contracter en neuf jours le mariage. Par ailleurs, je n’ai pas trouvé de trace d’un premier mariage.
En 1956-57, il était en tournée, il avait 21 ans et en plein essor artistique. Ce ne sont pas les données idéales pour confirmer un mariage.
Avec Itatí Zucchi, ils ont eu quatre enfants, trois garçons et une fille, qui a pris le prénom et le nom de sa mère et le nom de son père… Itatí Cantoral Zucchi. Elle est actrice et chanteuse.

Roberto Cantoral, Itatí Zucchi et Itatí Zucchi (fille)

Je vous laisse donc choisir l’histoire qui vous semble la plus crédible et vous propose de regarder maintenant les autres versions.

Autres versions

Comme le titre est avant tout un boléro, malgré l’usage qu’en a fait D’Arienzo, je vais vous proposer surtout des boléros.

El reloj 1957 – Los 3 caballeros.

C’est la première version proposée par Roberto Cantoral, Chamin Correa et Leonel Gálvez, Los 3 Caballeros. Le style est celui du boléro mexicain.

El reloj 1957-08-02 – Orquesta Juan D’Arienzo con Jorge Valdez.

C’est donc au début du succès du titre que D’Arienzo s’est lancé dans sa version.

El reloj 1958 – Trio Los Panchos.

El reloj 1958 – Trio Los Panchos. Un début avec des claquements évoquant l’horloge. Le boléro se déroule ensuite de belle façon, appuyé par une percussion légère de clave, très cubaine. Cependant, aucun des trois n’est cubain, Chucho Navarro et Alfredo Gil sont mexicains et Hernando Avilés est portoricain.

El reloj 1960 – Roberto Cantoral.

À partir de 1960, Roberto Cantoral entame sa carrière de soliste. Le style n’est plus mexicanisant.

El reloj 1960c Alberto Oscar Gentile con Alfredo Montalbán.

Ce tango est daté 1950 dans tango.info, ce qui semble impossible si le boléro a été écrit en 1956. Le début au vibraphone évoque le tintement de Big Ben, suivi d’un petit motif horaire rappelant le son d’un carillon de salon. Puis le titre continue, sous une forme qui pourrait s’apparenter au tango.

El reloj 1961 – .

Une version en boléro par le chanteur chilien, Antonio Prieto.

El reloj 1981 – José José.

Comme pour le tango, il y a des boléros de danse et d’autres plus pour écouter. C’est ce dernier usage qui est recommandé pour celui-ci, enfin pas tout à fait, il est utilisable en slow pour danser « bolero », mais pas le bolero.

El reloj 1997 – Luis Miguel.

Même motif, même punition pour cette version en boléro, très célèbre par Luis Miguel.

El reloj 2012 – Il Volo… Takes Flight – Detroit Opera House.
Ce trio de jeunes Italiens avait enregistré ce titre dès leur premier album sorti le 30 novembre 2010.

Ces jeunes chanteurs italiens peuvent rappeler Roberto Cantoral et son frère Antonio qui se lancèrent, mineurs, dans les tournées.

El reloj 2018-11-20 – con y .

Pour terminer, place au tango avec cette excellente version de la Romántica Milongera et ses deux chanteurs, Marisol Martinez et Roberto Minondi.

Finalement, ce boléro a donné vie à au moins deux belles exécutions en tango, celle de D’Arienzo et celle de la Romántica Milongera.

Roberto Cantoral, compositeur du boléro qui donna notre tango du jour.

À demain, les amis !

Malena 1942-01-08 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino

Lucio Demare Letra : Homero Manzi

Malena chante comme personne et cela se sait depuis au moins 1941, date à laquelle a composé ce tango qui sera inséré dans le film de son frère, Lucas, El Viejo Hucha. Ce magnifique tango qui a bénéficié du talent de Lucio Demare pour la musique et de Homero Manzi pour les paroles a eu, a et sans doute aura longtemps un gros succès.

Lucio Demare, à gauche, Homero Manzi, à droite. Manzi a écrit le texte, l’a donné à Demare qui a composé hyper rapidement la musique. C’est l’effet Malena.

Extrait musical

Malena, Lucio Demare et Homero Manzi. Partition de Jules Korn. Au centre, une partition que j’ai créée pour expliquer dans mes cours le fonctionnement des parties au tango et comme c’est justement à propos de Malena…
Malena 1942-01-08 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino

Paroles

Malena canta el tango como ninguna
y en cada verso pone su .
A yuyo del suburbio su voz perfuma,
Malena tiene pena de bandoneón.
Tal vez allá en la infancia su voz de alondra
tomó ese tono oscuro de callejón,
o acaso aquel romance que sólo nombra
cuando se pone triste con el alcohol.
Malena canta el tango con voz de sombra,
Malena tiene pena de bandoneón.

Tu canción
tiene el frío del último encuentro.
Tu canción
se hace amarga en la sal del recuerdo.
Yo no sé
si tu voz es la flor de una pena,
só1o sé que al rumor de tus tangos, Malena,
te siento más buena,
más buena que yo.

Tus ojos son oscuros como el olvido,
tus labios apretados como el rencor,
tus manos dos palomas que sienten frío,
tus venas tienen sangre de bandoneón.
Tus tangos son criaturas abandonadas
que cruzan sobre el barro del callejón,
cuando todas las puertas están cerradas
y ladran los fantasmas de la canción.
Malena canta el tango con voz quebrada,
Malena tiene pena de bandoneón.

Lucio Demare Letra: Homero Manzi

Traduction libre

Les paroles sublimes de Manzi se suffisent à elles-mêmes. Je vous en laisse savourer la poésie à travers ma traduction (ou celle de Google, pour ceux qui lisent dans une autre langue que l’espagnol ou le français).

Malena chante le tango comme personne et dans chaque couplet, met son cœur.
À l’herbe des banlieues, sa voix parfume, Malena a une peine de bandonéon.
Peut-être que dans son enfance, sa voix d’alouette a pris ce ton obscur de ruelle, ou peut-être cette romance qu’elle ne nomme que lorsqu’elle est triste avec l’alcool.
Malena chante le tango d’une voix d’ombre, Malena a une peine de bandonéon.
Ta chanson a le froid de la dernière rencontre.
Ta chanson devient amère dans le sel de la mémoire.
Je ne sais pas si ta voix est la fleur d’un chagrin, je sais seulement qu’à la rumeur de tes tangos, Malena, je te sens meilleure, meilleure que moi.
Tes yeux sont sombres comme l’oubli, tes lèvres sont serrées comme le ressentiment, tes mains sont deux colombes qui ont froid, tes veines ont du sang de bandonéon.
Tes tangos sont des créatures abandonnées qui traversent la boue de la ruelle, lorsque toutes les portes sont fermées et que les fantômes de la chanson aboient.
Malena chante le tango d’une voix cassée, Malena a une peine de bandonéon.

Autres versions

On considère généralement que c’est Troilo qui a lancé le titre. Ce n’est pas faux, mais en fait Demare l’interprétait avec Juan Carlos Miranda, dès 1941 au .

Le cabaret Novelty où jouait Lucio Demare et où il inaugura Malena avec Juan Carlos Miranda. Photo de 1938 (3 ans plus tôt).

D’accord, il le jouait, mais il ne l’a pas enregistré alors c’est bien Troilo le premier. Que non, mon ami. Lucio Demare l’a enregistré avec Juan Carlos Miranda à la fin de 1941, mais cette version est restée « secrète » jusqu’au 29 avril 1942.
Il s’agit de la version enregistrée pour le film El Viejo Hucha, réalisé par Lucas Demare, son frère et avec Osvaldo Miranda faisant le phonomimétisme (play-back) sur la voix enregistrée de Juan Carlos Miranda.
Et voici donc la première version enregistrée qui est bien de Lucio Demare avec Juan Carlos Miranda. Juan Carlos Miranda qui chante dans l’enregistrement est remplacé dans le film par OsvaldoMiranda, mais rien à voir avec l’autre Miranda, car Juan Carlos s’appelait en fait Rafael Miguel SciorraOsvaldo a également chanté, mais pas dans ce film, à ses débuts avant de devenir acteur. Il était ami avec Manzi (que le monde est petit…).

Osvaldo Miranda faisant le phonomimétisme (play-back) sur la voix enregistrée de Juan Carlos Miranda qui chante Malena dans le film El Viejo Hucha.
Malena 1942-01-08 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino. C’est notre .

C’est le vrai faux premier enregistrement et le premier sorti en disque.

Malena 1942-01-23 – Orquesta Lucio Demare con Juan Carlos Miranda.

Une autre version de Demare et Miranda (le vrai), en disque, 15 jours après Troilo.

Malena 1950-12-12 – et son Orchestre con Lucio Lamberto.

Cet attachant orchestre français propose sa version de Malena.

Malena 1951-09-20 – Orquesta Lucio Demare con .

Le compositeur enregistre sa troisième version du titre. Le chanteur, Alvarado âgé alors de 25 ans, est le seul chanteur de l’orchestre à l’époque. Demare l’a engagé l’année précédente. Sa voix correspond bien au style de l’orchestre, on comprend donc le choix de Lucio.

Malena 1951 – Orquesta José Puglia – Edgardo Pedroza con Francisco Fiorentino.

L’orchestre Puglia-Pedroza est assez rare, mais ils ont recruté un bon chanteur pour cet enregistrement. La partie orchestrale de l’introduction est un peu trop appuyée, avec des nuances exagérées. Si la voix de Fiorentino crée rapidement son cocon, la transition avec l’introduction est un peu rude. Par la suite, l’orchestre sera plus raisonnable et plus en accompagnement. Une version qui aurait pu être meilleure, mais qui vaut d’être écouté tout de même.

Malena 1952 – Orquesta Aníbal Troilo con Raúl Berón arr. de Héctor Artola.

Aníbal remet sur disque le titre, cette fois avec des arrangements de Artola, un arrangeur très réputé, qui après avoir été pianiste et bandonéoniste s’est concentré sur la direction d’orchestre et les arrangements. Il composa aussi quelques titres.

Malena 1955-08-02 – Orquesta Francisco Canaro con Juan Carlos Rolón.

Cela faisait un petit moment que Canaro n’avait pas pointé son nez. Le voici, avec une version assez différente, avec un rythme bien marqué. Disons que c’est une tentative de replacer le titre du côté de la danse. L’interprétation de Rolón, s’accommode toutefois de la rigueur de l’orchestre, mais je trouve qu’il reste quelques aspérités qui font que l’œuvre ne coule pas de façon parfaitement fluide.

Malena 1961 – con orquesta.

Une version puissante par Rivero.

Malena 1963c – Astor Piazzolla con Héctor de Rosas.

Un Piazzolla, à écouter, mais il vous réserve une autre version 4 ans plus tard qui décoiffe plus.

Malena 1965 – Orquesta con Roberto Luque.

J’ai un peu de mal à accrocher avec cette version. Je ne la proposerai pas en milonga.

Malena 1965 – Orquesta Miguel Caló con Raúl del Mar y glosas de Héctor Gagliardi.

Le fait que Gagliardi parle assez longtemps rend le titre peu propice à la danse. Mais de toute façon, Caló ne sera vraiment pas mon choix pour faire danser avec Malena.

Malena 1967 – Astor Piazzolla y su Orquesta con voz de mujer.

Une autre interprétation, plus innovante. Avec Astor, on est à peu près sûr de ne pas être dans le champ de la danse, alors, on écoute, tranquillement ou anxieusement cette version foisonnante ou de temps à autre le thème de Malena vient distiller sa sérénité relative. La voix de femme « céleste » qui termine comme une sirène mourante et les claquements terminent le titre de façon inquiétante.

Malena 1974-12-11 – Orquesta Osvaldo Pugliese.

Pour beaucoup, c’est la Malena de l’île déserte, la version qu’il faut emporter. Il faut dire que Pugliese nous livre ici un exceptionnel. Malgré sa grande puissance expressive, il pourra être considéré comme dansable par les danseurs les moins farouches. Si on a entendu ci-dessus, des versions décousues, manquant d’harmonie ou de cohérence, ici, c’est une surprise, chaque mesure suscite l’étonnement, tout en laissant suffisamment de repères pour que ce soit relativement dansable. Ceux qui trouvent que c’est difficile, vu que c’est le tango de l’île déserte, ils auront tout le temps de s’approprier la musique pour la danser parfaitement.

Qui est Malena ?

Il y a six prétendantes sérieuses au titre et sans doute bien d’autres.

6 des Malena potentielles. Si vous lisez les articles ci-dessous, vous pourrez savoir qui elles sont et élire celle qui vous parait la plus vraisemblable…

Ceux qui veulent savoir qui était Malena peuvent jeter un œil sur l’article de TodoTango
https://www.todotango.com/historias/cronica/89/Malena-Quien-es-Malena
Ou sur celui de la Nacion avec des photos de prétendantes
https://www.lanacion.com.ar/lifestyle/quien-fue-malena-mitos-y-verdades-sobre-la-leyenda-del-tango-que-inspiro-a-homero-manzi-y-cantaba-nid26042022
Ou encore : https://rauldeloshoyos.com/el-dia-de-malena-manzi-demare/
mais j’ai plein d’autres propositions et je trouve qu’au fond, ce n’est pas si important. C’est à chacun de mettre l’image de sa Malena sur ce tango.

À demain, les amis !

Pasional 1951-07-31 – Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán

Jorge Caldara Letra : Mario Soto

Tous les danseurs n’apprécient pas ce type de musique de Pugliese et d’autres adorent. Ce qui est sûr est que Jorge Caldara a une fois de plus montré ses talents de compositeur et que les paroles de Mario Soto sont d’une puissance extrême. Il fallait bien ça pour le titre ambitieux de ce tango, Pasional (passionné). Je vous présenterai en fin d’anecdote qui a inspiré ce merveilleux texte d’amour.

Autour du piano de Pugliese que l’on reconnaît, au centre, l’équipe de Pugliese.

De gauche à droite, Emilio Balcarcé (violoniste), (le chanteur de notre tango du jour), Mario Soto (locuteur et l’auteur des paroles du tango du jour), Osvaldo Pugliese (pianiste et « chef »), Osvaldo Ruggiero (bandonéoniste), Oscar Herrero (violoniste) et enfin Jorge Caldara (bandonéoniste et compositeur du tango du jour).

Extrait musical

Pasional, Jorge Caldara Letra : Mario Soto.

À gauche, le disque de notre tango du jour. Au centre la partition éditée par , avec la au Docteur O. Nusdeo qui était chirurgien à l’hôpital Rawson de Buenos Aires. À droite, la couverture de la partition avec Osvaldo Pugliese, puis celle avec , la chanteuse japonaise qui avait incité Jorge Caldara à aller au .

Pasional 1951-07-31 – Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán.

Paroles

No sabrás… nunca sabrás
lo que es morir mil veces de ansiedad.
No podrás… nunca entender
lo que es amar y enloquecer.
Tus labios que queman… tus besos que embriagan
y que torturan mi razón.
Sed… que me hace arder
y que me enciende el pecho de pasión.

Estás clavada en mí… te siento en el latir
abrasador de mis sienes.
Te adoro cuando estás… y te amo mucho más
cuando estás lejos de mí.

Así te quiero dulce vida de mi vida.
Así te siento… solo mía… siempre mía.

Tengo miedo de perderte…
de pensar que no he de verte.
¿Por qué esa duda brutal?
¿Por qué me habré de sangrar
sí en cada beso te siento desmayar?
Sin embargo me atormento
porque en la sangre te llevo.
Y en cada instante… febril y amante
quiero tus labios besar.

¿Qué tendrás en tu mirar
que cuando a mí tus ojos levantás
siento arder en mi interior
una voraz llama de amor?
Tus manos desatan… caricias que me atan
a tus encantos de mujer.
Sé que
podré arrancar del pecho este querer.

Te quiero siempre así… estás clavada en mí
como una daga en la carne.
Y ardiente y pasional… temblando de ansiedad
quiero en tus brazos morir.

Jorge Caldara Letra: Mario Soto

Traduction libre

Tu ne sauras pas… Tu ne sauras jamais ce que c’est que de mourir mille fois d’anxiété.
Tu ne pourras pas… jamais, comprendre ce que c’est que d’aimer et de devenir fou.
Tes lèvres qui brûlent… tes baisers qui enivrent et qui torturent ma raison.
Soif… qui me brûle et qui enflamme ma poitrine de passion.
Tu es cloué en moi… Je te sens dans le battement brûlant de mes tempes.
Je t’adore quand tu es là… Et je t’aime tellement plus quand tu es loin de moi.
Alors je t’aime, douce vie de ma vie.
Ainsi je te sens… seulement mienne… toujours mienne.
J’ai peur de te perdre…
de penser que je ne te verrai pas.
Pourquoi ce doute brutal ?
Pourquoi devrais-je saigner si dans chaque baiser je te sens défaillir ?
Cependant, je me tourmente parce que je te porte dans mon sang.
Et à chaque instant… fiévreux et aimant, je veux embrasser tes lèvres.
Qu’as-tu dans ton regard pour que, lorsque tu lèves les yeux sur moi, je sente brûler en moi une flamme vorace d’amour ?
Tes mains délient… caresses qui me lient à tes charmes de femme.
Je sais que jamais plus je pourrai arracher cet amour de ma poitrine.
Je t’aime toujours ainsi… Tu es fichée en moi comme un poignard dans la chair.
Et ardent et passionné… tremblant d’angoisse, je veux dans tes bras, mourir.

Autres versions

Ce titre a eu un immense succès et dès sa création en 1951, de nombreux orchestres l’ont mis à leur répertoire. En voici quelques exemples.

Des disques de Pasional, de Calo, Pugliese 1951, De Angelis, Pugliese 52, Caldara 1966 en faux 45 tours (petite taille, mais 33 tours) et une réédition du même enregistrement chez Music Hall, en disque LP 33 tours, où Pasional est le premier titre de la face A.
Pasional 1951-05-23 – Orquesta Miguel Caló con Juan Carlos Fabri.

Le plus ancien enregistrement. Il nous fait découvrir un Caló moins courant, tout d’abord par le chanteur, Juan Carlos Fabri, mais aussi par l’interprétation, une concession marquée de Caló aux nouvelles orientations du tango. Il fut sans doute subjugué par la composition de Caldara au point de sortir de sa zone de confort. Je me demande pourquoi il a enregistré avant Pugliese qui avait sous la main, l’auteur des paroles, le compositeur et les musiciens. J’imagine qu’il devait encore être en prison. Le problème de vivre entre deux continents est que j’ai une partie de ma bibliothèque des deux côtés et pas la partie qui concerne les déboires politiques de Pugliese de ce côté…

Pasional 1951-07-31 – Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán. C’est notre tango du jour.

Les deux auteurs, Jorge Caldara et Mario Soto sont de l’équipe de Pugliese. Caldara est bandonéoniste, compositeur et arrangeur et Mario Soto est présentateur. En effet, les orchestres de l’époque se faisaient présenter au public. On entend cela dans quelques enregistrements où cette présentation a été conservée. Je ne fais pas partie des DJ qui mettent volontiers ce type de tango, mais si je sais qu’il y a des fans dans le salon de danse, je peux le proposer.

Pasional 1951-10-08 – Mario Demarco y su Orquesta Típica con Raúl Quiroz.

Une version pour écouter au salon, de la maison, pas de bal. Mario Demarco fut l’un des bandonéonistes de Pugliese au départ de Jorge Caldara. Il faut noter qu’il a enregistré ce titre quatre ans avant d’intégrer l’orchestre de Pugliese. Il était proche de son collègue, Caldara.

Pasional 1951-11-03 – Orquesta Alfredo De Angelis con Oscar Larroca.

Oscar Larroca est sans doute un excellent choix pour des paroles aussi romantiques. Si De Angelis évite la guimauve qui pourrait produire ce titre, on peut penser qu’il est tombé dans l’excès inverse en étant un peu trop tonique pour le thème. Cela facilitera le travail des danseurs, on ne va bouder.

Pasional 1952-11-24 – Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán.
Pasional 1952 – Orquesta Típica Tokio con Ranko Fujisawa.

On retrouve Pugliese et Morán, je vous laisse mesurer l’évolution entre les deux interprétations. Jorge Caldara est toujours dans l’orchestre, mais Mario Soto était parti Il n’est pas étonnant de trouver ce titre au répertoire de Ranko Fujisawa et de l’orchestre dirigé par son mari. En effet, Ranko est celle qui a insisté très fortement et avec constance pour que Jorge Caldara aille au Japon. Elle appréciait beaucoup ce jeune bandonéoniste et compositeur.

Pasional 1954-11 – Tucho Pavón con acomp. de Carlos García.

Avec ce titre, il est difficile de dire ce qui est de danse et pour l’écoute, là, c’est clair, ce n’est pas pour la danse. Enfin, je crois (humour ; -)

Pasional 1954 – Ranko Fujisawa con guitarras.

Ce second enregistrement par Ranko prouve qu’elle était vraiment intéressée par les qualités musicales de Caldara.

Pasional 1955-11-08 – Alberto Morán con acomp. de Orquesta dir. .

Troisième enregistrement du thème par Morán.

Pasional 1956-06-13 – Aida Denis.

Aida Denis donne du sentiment. C’est intéressant à écouter.

Pasional 1964 – Orquesta Jorge Caldara con Rodolfo Lesica.

Rodolfo Lesica nous propose une version expressive, mais qui se combine bien avec l’orchestre du compositeur, Jorge Caldara. Pas pour la danse, mais il est intéressant de voir comment Caldara met en œuvre sa création.

Pasional 1980c – Jorge Falcón acomp. de Orquesta.

Une proposition plus légère, après celle de Caldara, on vire presque à la variété.

Pasional 2010 – Francis Andreu.

Cette version simple, accompagnée à la guitare proposée par l’Uruguayenne Francis Andreu, est une belle réalisation.

Pasional 2010c – Caio Rodriguez acomp. Aneta Pajek (bandonéon) et Javier Tucat Moreno (piano).

Les musiciens du Hamburg Tango Quintet se mettent au service de la voix de Caio Rodriguez. Une production atypique, tirant vers la musique classique, mais c’est également une évolution du tango à prendre en compte.

Pasional 2014-10-27 – Marcelo Boccanera.

Une version assez poétique, pas prévue pour la danse, mais qui s’écoute avec plaisir.

Pasional 2024-01-14 – .

Un enregistrement tout récent qui montre que l’œuvre continue de susciter de l’intérêt.

Naissance d’un chef-d’œuvre

Jorge Caldara et Mario Soto travaillaient pour l’orchestre de Pugliese. Jorge Caldara comme bandonéoniste, arrangeur et compositeur (voir mon anecdote sur Patético où je dévoile un peu son rôle de moteur d’innovation dans l’orchestre de Pugliese) et Mario Soto comme présentateur et même un peu plus si on le croit quand il dit qu’il faisait également le programme de l’orchestre.
Dans l’édition du 9 janvier 1994 du journal HOY (aujourd’hui) de La Plata (Capitale de la Province de Buenos Aires, située au sud-est de la capitale fédérale) Mario Soto raconte dans une interview au journaliste Acquaforte comment est né Pasional.
« J’ai été inspiré pour composer (c’est en fait une co-création avec Caldara) ce tango par deux sœurs petites et laides qui assistaient à tous les bals de Pugliese dans la zone sud, dans les clubs de Quilmes, et Domínico. Elles étaient timides, insignifiantes et “repassaient” (planchar, c’est repasser, mais pour les danseuses, c’est faire banquette, ne pas être invitées) toute la nuit.
J’ai ressenti quelque chose comme de la compassion et j’ai recréé silencieusement la chanson, basée sur ces deux petites souris transformées en une terrible « wamp ».

Oscar Blotta. de l’histoire de Pasional.

Dans cette illustration, on reconnaît Mario Soto, appuyé au lampadaire, le bandonéoniste lunaire, c’est bien sûr Jorge Caldara et les deux sœurs timides sont seules sur leur chaise. On notera l’emprunt que j’ai fait à Oscar Blotta pour l’illustration de couverture de cette anecdote.

Chers amis, je vous souhaite de ne pas plancher (faire banquette), lors de votre prochaine milonga et je vous dis, à demain !