Archives de catégorie : Histoire du tango

Escalas en azul 1950-05-17 — Orquesta Osmar Maderna

Osmar Maderna

Vous n’avez sans doute jamais dan­sé sur des musiques de Mader­na et c’est sans doute ras­sur­ant quant aux choix des DJ. Cepen­dant, la cul­ture tan­go va au-delà de la danse et il me sem­ble intéres­sant de s’in­téress­er à cet OVNI du tan­go qu’est Osmar Mader­na. Je vous invite à gravir les degrés d’une gamme bleue pour décou­vrir ce com­pos­i­teur et chef d’orchestre à part.

 Extrait musical

Par­ti­tion de Escalas en azul de Osmar Mader­na.
Escalas en azul 1950-05-17 — Orques­ta Osmar Mader­na

Il n’est pas très dif­fi­cile de devin­er d’où vient le titre. Le terme de escalas en musique peut être traduit par gammes. On notera que le piano joue tout au long de l’œu­vre des gammes, c’est-à-dire des suc­ces­sions de notes ascen­dantes ou descen­dantes. Ce style orne­men­tal est typ­ique de Mader­na.
Le reste de l’orchestre sem­ble dédié à l’ac­com­pa­g­ne­ment du piano qui voltige au-dessus des autres instru­ments.
Le tem­po est bien mar­qué, souligné par les ban­donéons et les cordes qui effectuent des paus­es précédées d’élans, un peu comme dans une ranchera.
La musique est inter­prétée de façon vir­tu­ose qui donne une impres­sion de très grande vitesse.
Des danseurs piégés par un DJ facétieux qui se retrou­veraient sur la piste pour­raient s’ap­puy­er sur cette présence du rythme pour garder une cadence raisonnable et ne pas se lancer dans des pas fébriles et ridicule­ment rapi­des.
Même si on n’est pas dans un rythme ter­naire de , une éventuelle inter­pré­ta­tion dan­sée de ce titre pour­rait s’ap­par­enter à celui d’une valse. Des temps bien mar­qués et des mou­ve­ments tour­nants, toniques, mais pas ver­tig­ineux.
On notera les nom­breux change­ments de tonal­ité et la richesse des vari­a­tions et des par­ties. On est plus en face d’une com­po­si­tion de musique clas­sique que d’un tan­go tra­di­tion­nel.
Je ne vous encour­agerai pas à danser ce titre, mais à l’é­couter atten­tive­ment, assuré­ment.
Osmar Mader­na

Mader­na a rel­a­tive­ment peu enreg­istré. Avec un peu plus d’une soix­an­taine d’en­reg­istrements, c’est presque éton­nant que son nom nous soit par­venu.

Des orchestres plus pro­lifiques sont passés aux oubli­ettes.

Les musiciens de Maderna

Il a com­mencé à enreg­istr­er en 1946, en Uruguay, puis, la même année pour la Vic­tor, et cela jusqu’en 1951. Les musi­ciens des derniers enreg­istrements sont un peu dif­férents, mais je vous pro­pose ici, ceux qui ont par­ticipé à l’en­reg­istrement de Escalas en azul, enreg­istré le 17 mai 1947.
Osmar Mader­na (Direc­tion et piano)
, Eduar­do Rovi­ra, José Cam­bareri et Leopol­do Fed­eri­co (ban­donéon). Comme on peut le remar­quer, des musi­ciens de pre­mier plan et plutôt vir­tu­os­es.
, Harol­do Ghe­sagui et (vio­lon)
(con­tre­basse)

Une par­tie de ces musi­ciens vient, tout comme Mader­na (qui avait rem­placé Stam­poni au piano en 1939), de l’orchestre de (1941–1945), ce sont donc des estrel­las (étoiles). Ces transfuges sont :
Felipe Ric­cia­r­di et José Cam­bareri (le mage du ban­donéon, con­nu pour ses tem­pos de folie). Atten­tion, au pupitre des ban­donéons de Caló, on trou­ve aus­si un Fed­eri­co, Domin­go de son prénom, mais il n’est pas appar­en­té à Leopol­do.
À la con­tre­basse, c’est le même Ariel Ped­er­na qui œuvre.

Pour l’anec­dote, on notera qu’il y avait un vio­loniste prénom­mé Aquiles dans les deux orchestres. Aguilar pour Caló et Rog­gero pour Mader­na. Ce dernier, Aguilar Rog­gero, dirig­era un orchestre en l’hon­neur de Mader­na qui était décédé dans un acci­dent d’avion (28/04/1951), l’orchestre Sím­bo­lo “Osmar Mader­na”.

La “Osmar Maderna”

L’an­née suiv­ant la mort de Mader­na, l’orchestre Sím­bo­lo “Osmar Mader­na” reprend une par­tie du réper­toire et des com­po­si­tions de Mader­na.
Orlan­do Tripo­di rem­place Osmar Mader­na au piano.
Aquiles Rog­gero, con­tin­ue à tenir le vio­lon, tout en dirigeant et étab­lis­sant les arrange­ments de l’orchestre. Le pupitre des vio­lons est com­plété par Car­los Tav­er­na, Edmun­do Baya, et Este­ban Cañete.
Au ban­donéon, on retrou­ve Felipe Ric­cia­r­di, son frère Jorge, Héc­tor Let­tera et Toto Pan­ti pour com­pléter le pupitre des ban­donéons.
Víc­tor Mon­teleone tient la con­tre­basse.

L’orchestre sem­ble avoir cessé les enreg­istrements après la mort de Aquiles Rog­gero, ce dernier étant juste­ment mort d’une crise car­diaque lors d’une séance, en 1977. Ces enreg­istrements ne sem­blent pas avoir été pub­liés.

Autres versions

Escalas en azul 1950-05-17 — Orques­ta Osmar Mader­na. C’est notre .
Escalas en azul 1959-06-17 — dir. Aquiles Rog­gero.

Un immense mer­ci au col­lègue et col­lec­tion­neur Michael Sat­tler qui m’a procuré ce titre en bonne qual­ité.

Cette ver­sion est proche de celle enreg­istrée en 1950, comme on peut l’en­ten­dre et même voir dans l’il­lus­tra­tion ci-dessous. Le tem­po est le même, les paus­es sont syn­chro­nisées et les deux ver­sions peu­vent être jouées ensem­ble durant les 40 pre­mières sec­on­des sans prob­lèmes nota­bles.

En haut, en vert la ver­sion de 1950 par Osmar Mader­na. En bas, en vio­let, la ver­sion de 1959 par la Orques­ta Sím­bo­lo.

Cette simil­i­tude vrai­ment frap­pante est la preuve que l’hom­mage à Osmar Mader­na, trag­ique­ment dis­paru n’est pas seule­ment dans le nom de l’orchestre, mais aus­si dans le respect de son style.

Ce respect est peut-être une autre expli­ca­tion, avec sa mort gardeli­enne, du fait que Mader­na n’est pas tombé dans l’ou­bli. Les ver­sions bril­lantes étaient bien adap­tées aux années 60–70, années où la danse était passé au sec­ond plan.

Selec­ción de Osmar Mader­na 1968 (Pot­pour­ri) — Orques­ta Sím­bo­lo “Osmar Mader­na” dir. Aquiles Rog­gero.

Encore dix ans plus tard, une autre ver­sion de Escalas en azul. Ce pot­pour­ri com­porte trois titres com­posés par Mader­na ; Escalas en azul, Llu­via de estrel­las et Concier­to en la luna. Un DJ facétieux pour­rait en faire une tan­da…
Dans ces trois titres, on recon­naît la prépondérance du piano, comme dans les enreg­istrements de Mader­na. La tâche de Orlan­do Tripo­di a été de con­tin­uer à faire vivre le style de jeu si par­ti­c­uli­er de Mader­na.

Ce titre, comme la plu­part des enreg­istrements de Mader­na, n’est pas des­tiné à la danse, tout comme son célèbre vol du bour­don () qu’il a adap­té de l’œu­vre de Niko­lai Rim­sky-Kor­sakov et que je vous pro­pose d’é­couter pour ter­min­er ce petit hom­mage à Osmar Mader­na.

El vue­lo del moscardón 1946-05-13 — Orques­ta Osmar Mader­na.

Dans ce thème, le piano est le bour­don qui volette et la sen­sa­tion de rapid­ité est encore plus vive que dans notre tan­go du jour. L’orchestre est moins présent pour don­ner tout son envol au bour­don à dents blanch­es et noires.

El vue­lo del moscardón

À bien­tôt, les amis !

Sueño de muñeca 1935-05-03 — Orquesta Juan Canaro con Alejandro Fernández (Rafael Vicente Cisca)

Letra:

Ce titre sym­pa­thique, con­nu par les frères Canaro, a quelques par­tic­u­lar­ités qui peu­vent faire hésiter un DJ de le pass­er en . Voyons si ces scrupules sont jus­ti­fiés. Nous allons traiter en par­al­lèle les deux enreg­istrements, celui de Juan et celui de Fran­cis­co, tous les deux de 1935.

Tout d’abord, la ver­sion de Juan. C’est lui l’au­teur de la musique et il l’a enreg­istré un 3 mai, date anniver­saire de cet arti­cle.

Version de Juan Canaro

Sueño de muñe­ca 1935-05-03 — Orques­ta Juan Canaro con Ale­jan­dro Fer­nán­dez (Rafael Vicente Cis­ca).

On est frap­pé par la très longue intro­duc­tion, comme si l’on se pré­parait au som­meil et presque à une minute, le rêve démarre, s’ex­p­ri­mant sur un mode mineur. On remar­que quelques petits sur­sauts qui évo­quent la (ou la mazur­ka).
L’orches­tra­tion est assez sim­ple et la voix de Ale­jan­dro Fer­nán­dez ressort bien au-dessus des instru­ments.

Version de

Fran­cis­co a donc enreg­istré sa ver­sion une semaine avant son frère.

À l’époque, les deux frères n’é­taient plus aus­si proches, Juan avait quit­té l’orchestre de Fran­cis­co depuis cinq ans.
L’in­tro­duc­tion est encore longue avec 40 sec­on­des. Un faux départ à 30 sec­on­des pré­pare les à la «  ». C’est une petite fan­taisie pro­posée par Fran­cis­co.
On remar­que tout de suite que l’orches­tra­tion est beau­coup plus poussée chez Fran­cis­co. Les instru­ments, plus nom­breux, sont diver­si­fiés et dif­féren­ciés. Même si on n’échappe pas au mar­quage pesant des temps évo­quant la mazur­ka ou la ranchera, les dia­logues entre les instru­ments appor­tent une note de var­iété qui enlève la monot­o­nie.
En général, cette ver­sion sera préférée à celle de Juan, même si elle accentue encore plus le car­ac­tère de la ranchera.

Paroles

En el jardín de la ilusión
Dormi­da vi bajo el ros­al,
A la mujer de tentación
Que presin­tió mi madri­gal.

Tenía los cabel­los de oro y sol
Un cuer­po de muñe­ca escul­tur­al,
Mejil­las con col­ores de arrebol
Diosa y flor vir­ginal.

Por ver­la y admi­rar­la me acerqué
Y el hom­bre más dichoso me sen­tí,
Pues vien­do que soña­ba la escuché
Y al soñar, decía así:

Tú serás mi dulce amor
El príncipe que soñé,
Te brindo mi can­dor
Y sólo para ti seré.
Ven mis ansias a cal­mar
Y en pago de tu amor,
En mí, mis besos lograrás
Con pasión,
Te ado­ra has­ta morir
Mi amante .
Juan Canaro Letra: Jesús Fer­nán­dez Blan­co

libre

Dans le jardin de l’il­lu­sion, j’ai vu, endor­mi au pied du rosier, la femme de la ten­ta­tion qu’avait imag­inée mon madri­gal.

Elle avait des cheveux d’or et de soleil, un corps de poupée sculp­turale, des joues avec des couleurs de couch­er de soleil (arrebol est un mot poé­tique désig­nant la couleur des nuages éclairés par le soleil couchant), déesse et fleur vir­ginale.
Pour la voir et l’ad­mir­er, je me suis approché et je me suis sen­ti l’homme le plus heureux. Puis, voy­ant qu’elle rêvait, je l’ai écoutée et, dans son rêve, elle par­lait ain­si :
Tu seras mon doux amour, le prince dont j’ai rêvé, je t’of­fre ma can­deur et je serai seule­ment à toi.
Viens calmer mes désirs et, en retour de ton amour, en moi, tu obtien­dras mes bais­ers, avec pas­sion. Je t’adore à mourir, mon cœur aimant.

Les angoisses du DJ

Les deux ver­sions provo­quent les angoiss­es du DJ pour deux raisons.

Première angoisse des DJ, une introduction très longue

La ver­sion de Juan totalise 55 sec­on­des d’in­tro­duc­tion et celle de Fran­cis­co 40 sec­on­des.

La ver­sion de Juan totalise 55 sec­on­des d’in­tro­duc­tion et celle de Fran­cis­co 40 sec­on­des. C’est long, très long, surtout quand on fait des tan­das de trois titres…

De si longues intro­duc­tions sont donc assez dif­fi­ciles à utilis­er. Le DJ devrait prévenir les danseurs et leur indi­quer la durée de l’in­tro­duc­tion. C’est d’au­tant plus impor­tant que ces intro­duc­tions ne per­me­t­tent pas de devin­er le style des musiques. En annonçant à l’a­vance une valse, pour un pre­mier titre de tan­da, cela laisse le temps aux danseurs de bien inviter.

Cepen­dant, dans beau­coup de cas et tou­jours quand ce type de titre est placé au milieu d’une tan­da, on coupera l’in­tro­duc­tion. Pour la ver­sion de Fran­cis­co, on pour­ra garder le faux départ, comme un élé­ment de jeu avec les danseurs.

Les DJ bavards peu­vent prof­iter de ces intro­duc­tions généreuses pour don­ner des indi­ca­tions. Les autres pour­ront assis­ter au désar­roi des danseurs qui ne savent sur quel pied ils vont devoir danser…

Seconde angoisse des DJ, un style hésitant

Vous l’au­rez remar­qué, les deux ver­sions, même si elles ont bien un rythme à trois temps, présen­tent des petits bonds suiv­is de cour­tes paus­es, typ­iques de la ranchera ou de la mazur­ka.

Cet élé­ment n’est pas très prop­ice à la valse, car il casse la dynamique.

Le DJ devra donc juger, en fonc­tion des com­pé­tences des danseurs, si cela va être appré­cié ou hon­ni par les danseurs.

La qua­si-total­ité des bons danseurs est inca­pable de réalis­er une valse agréable sur une ranchera très mar­quée. En revanche, les danseurs plus moyens pour­ront s’en accom­mod­er plus facile­ment, car ils sont moins con­cernés par le respect de la musique.

Dans le cas de ces « valses », les accents de ranchera ne sont pas trop mar­qués et on pour­ra ten­ter de les pass­er. Cepen­dant, il y a tant de valses par­faites pour cela que ce n’est pas for­cé­ment per­ti­nent de pren­dre des risques.

À vous de juger.

À bien­tôt, les amis !

Ils ont détruit la maison de Pichuco !

Même si con­sid­érait que sa véri­ta­ble mai­son était celle de la rue Sol­er au 3280, c’est bien au 2937 de la rue José Anto­nio Cabr­era qu’il est né, le 11 juil­let 1914. La mère d’Aníbal n’est retournée rue Sol­er qu’à la mort du père de Troi­lo, en 1922.
Cette mai­son a con­nu divers usages au du temps, comme en témoignent quelques pho­tos his­toriques.
Si j’ai décidé d’en par­ler aujour­d’hui, c’est qu’elle vient d’être détru­ite pour un pro­jet immo­bili­er.

La maison natale de

La mai­son natale de Pichu­co, rue José Anto­nio Cabr­era 2937

Aníbal Carme­lo Troi­lo, le père, et Felisa Bag­no­lo, la mère, louèrent cette mai­son, par suite du drame de la mort de Con­cep­ción, celle qui aurait dû être la grande sœur du ban­doneón may­or de .

Les par­ents et Mar­cos, l’aîné, démé­nagèrent donc dans la mai­son de la rue Cabr­era où naquit le petit Pichu­co.

Ils y restèrent peu de temps, car, en 1922, le père mourait à son tour. La mère retour­na alors dans la mai­son famil­iale de la rue Sol­er, celle qu’a donc le mieux con­nue Aníbal et qui en dis­ait :

“Yo nací en una casa de Cabr­era 2937, pero mi casa fue la de Sol­er 3280”.

Je suis né dans une mai­son de Cabr­era 2937, mais ma mai­son fut celle de Sol­er 3280.

Mai­son natale de Troi­lo à dif­férentes épo­ques. Avant 1998, à gauche, vers 2011 (présence d’une ), 2024, une des dernières pho­tos avec le bâti­ment debout. Celui à sa gauche a déjà été rem­placé. 2025, pen­dant la destruc­tion de la semaine du 21 au 25 avril.
La plaque posée en 2008 déclarant la mai­son comme site d’in­térêt cul­turel. Cela n’a pas empêché sa destruc­tion…

La maison de Soler 3280

C’est la mai­son famil­iale jusqu’en 1914 et après 1922. Celle que Pichu­co con­sid­ère comme la sienne.

La mai­son de la rue Sol­er au 3280. À droite, la plaque posée le 11 juil­let 1976 pour l’an­niver­saire de la nais­sance, l’an­née suiv­ant la mort de Pichu­co.

La fausse maison de Aníbal Troilo

Au 2540 rue Car­los Cal­vo, il y a eu “La Casa de Aníbal Troi­lo”. Cet étab­lisse­ment de spec­ta­cle n’a pas de rap­port direct avec notre gros, favori. Plus tard, le bâti­ment a été réu­til­isé par , l’au­teur de Café la Humedad, chan­son qui a don­né le nom à son étab­lisse­ment.

Atten­tion, le Café de la Humedad de la rue Car­los Cal­vo n’est pas le café orig­i­nal. En effet, celui-ci était, comme le dit la chan­son, à l’an­gle de Gaona y Boy­a­ca.

L’emplacement orig­i­nal du Café la Humedad, à l’an­gle de Gaona y Boy­a­ca.

Les paroles de la chanson de Cacho Castaña

Humedad, lloviz­na y
Mi alien­to empaña el vidrio azul del viejo bar
No me pre­gun­ten si hace mucho que la espero
Un café que ya está frío y hace var­ios ceniceros

Aunque sé que nun­ca lle­ga
Siem­pre que llueve voy cor­rien­do has­ta el café
Y solo cuen­to con la com­pañía de un gato
Que al cordón de mi zap­a­to lo destroza con plac­er

Café La Humedad, bil­lar y reunión
Sába­do con tram­pas, qué lin­da fun­ción
Yo sola­mente nece­si­to agrade­certe
La enseñan­za de tus noches
Que me ale­jan de la muerte

Café La Humedad, bil­lar y reunión
Sába­do con tram­pas, qué lin­da fun­ción
Eter­na­mente te agradez­co las poesías
Que la escuela de tus noches
Le enseñaron a mis días

Soledad, soledad de soltería
Son trein­ta abriles ya cansa­dos de soñar
Por eso vuel­vo has­ta la esquina del boliche
A bus­car la bar­ra eter­na de Gaona y Boy­a­ca

Ya son pocos los ami­gos que me quedan
Vamos, mucha­chos, esta noche a recor­dar
Una por una las haz­a­ñas de otros tiem­pos
Y el del boliche que lla­mamos La Humedad

Café La Humedad, bil­lar y reunión
Sába­do con tram­pas, qué lin­da fun­ción
Yo sola­mente nece­si­to agrade­certe
La enseñan­za de tus noches
Que me ale­jan de la muerte

Café La Humedad, bil­lar y reunión
Sába­do con tram­pas, qué lin­da fun­ción
Eter­na­mente te agradez­co las poesías
Que la escuela de tus noches
Le enseñaron a mis días

Cacho Cas­taña

libre

L’hu­mid­ité, la bru­ine et le froid
Mon haleine embue les vit­res bleues du vieux bar
Ne me deman­dez pas si je l’at­tends depuis longtemps
Un café déjà froid et ça fait plusieurs cen­dri­ers.
Bien que je sache qu’elle ne vient jamais.
Quand il pleut, je cours au café.
Et je n’ai que la com­pag­nie d’un chat.
Qui détru­it le lacet de ma chaus­sure avec plaisir
Café La Humedad, bil­lard et ren­con­tre
Same­di avec des tromperies, quel beau pro­gramme
J’ai juste besoin de te remerci­er
L’en­seigne­ment de tes nuits
Qui me tien­nent à l’é­cart de la mort
Café La Humedad, bil­lard et ren­con­tre
same­di avec des pièges, quel beau spec­ta­cle
Éter­nelle­ment, je te remer­cie pour les poèmes
Que l’é­cole de tes nuits
A enseigné à mes jours
Soli­tude, soli­tude du céli­bataire
C’est trente avrils, déjà fatigué de rêver
C’est pourquoi je retourne à l’an­gle du danc­ing
Pour chercher l’éter­nelle bande de Gaona et Boy­a­ca
Il ne me reste que peu d’amis
Allons‑y, les gars, ce soir, pour nous remé­mor­er
Un à un les exploits d’autre­fois
Et le sou­venir du danc­ing que nous appelons La Humedad.
Café La Humedad, bil­lard et ren­con­tre
Same­di avec des tromperies, quel beau pro­gramme
J’ai juste besoin de te remerci­er
L’en­seigne­ment de tes nuits
Qui me tien­nent à l’é­cart de la mort
Café La Humedad, bil­lard et ren­con­tre
same­di avec des pièges, quel beau spec­ta­cle
Éter­nelle­ment, je te remer­cie pour les poèmes
Que l’é­cole de tes nuits
A enseigné à mes jours.

Cacho Cas­taña

Je vous pro­pose de ter­min­er sur la chan­son de Cacho Cas­taña, chan­té par lui-même dans son étab­lisse­ment, Café la Humedad.

Café la Humedad, chan­té dans le théâtre Café la Humedad par son pro­prié­taire et auteur, Cacho Cas­taña.

La canción de los pescadores de perlas 1968-08-30 y 1971 — Orquesta Florindo Sassone

Georges Bizet. Florindo Sassone, Othmar Klose et Rudi Luksch (adaptation en tango)

Beau­coup de tan­gos sont inspirés de musiques européennes. Les valses, notam­ment, mais pas seule­ment. Ces titres sont adap­tés et devi­en­nent de « vrais tan­gos », mais ce n’est pas tou­jours le cas.
En France, cer­tains danseurs de tan­go appré­cient des titres un peu étranges, des titres qui n’ont jamais été écrits pour cette danse. On appelle générale­ment cela le « tan­go alter­natif ».
Un des titres les plus con­nus dans le genre est la reprise d’un opéra du XIXe siè­cle effec­tuée par Florindo Sas­sone. Le fait qu’un chef d’orchestre de tan­go reprenne un titre n’en fait pas un tan­go de danse. Cela reste donc de l’al­ter­natif. Je vous laisse en juger avec los pescadores de per­las, les pêcheurs de per­les, de Bizet et Sas­sone…

Écoutes

Tout d’abord, voyons l’o­rig­i­nal com­posé par Bizet. Je vous pro­pose une ver­sion par un orchestre et un chanteur français, celle du ténor Rober­to Alagna avec l’orchestre de Paris, qui est dirigé par Michel Plas­son. Cette inter­pré­ta­tion a été enreg­istrée le 9 juil­let 2009 au Bassin de Nep­tune du château de Ver­sailles. Ce soir-là, il chantera trois œuvres de Bizet, dont un extrait de Car­men, même si ce n’est pas la célèbre habanera qui a tant à voir avec un des rythmes de base du tan­go et de la milon­ga. Vous pou­vez voir le con­cert en entier avec cette vidéo…
https://youtu.be/Jx5CNgsw3S0. Ne vous fiez pas à la prise de son un peu médiocre du début, par la suite, cela devient excel­lent. Pour aller directe­ment au but, je vous pro­pose ici l’ex­trait, sub­lime où Alagna va à la pêche aux per­les d’é­mo­tion en inter­pré­tant notre titre du jour.

Rober­to Alagna et l’orchestre de Paris dirigé par Michel Plas­son dans Les Pêcheurs de Per­les de Georges Bizet. L’air de Nadir « Je crois enten­dre encore ».

Deux mots de l’opéra de Bizet

Les pêcheurs de per­les est le pre­mier opéra com­posé par Bizet, âgé de 25 ans, en 1863). L’in­trigue est sim­pliste.
L’opéra se passe sur l’île de Cey­lan, où deux amis d’en­fance, Zur­ga et Nadir, évo­quent leur pas­sion de jeunesse pour une prêtresse de Can­di nom­mé Leïla.
Pour ne pas nuire à leur ami­tié, ils avaient renon­cé à leur amour, surtout Zur­ga, car Nadir avait secrète­ment revu Leïla.
Zur­ga était mécon­tent, mais, finale­ment, il décide de sauver les deux amants en met­tant le feu au vil­lage.
L’air célèbre qui a été repris par Sas­sone est celui de Nadir, au moment où il recon­naît la voix de Leïla. En voici les paroles :

Je crois enten­dre encore,
Caché sous les palmiers,
Sa voix ten­dre et sonore
Comme un chant de rami­er !
Ô nuit enchanter­esse !
Divin ravisse­ment !
Ô sou­venir char­mant !
Folle ivresse ! Doux rêve !
Aux clartés des étoiles,
Je crois encore la voir,
Entrou­vrir ses longs voiles
Aux vents tièdes du soir !
Ô nuit enchanter­esse !
Divin ravisse­ment !
Ô sou­venir char­mant !
Folle ivresse ! Doux rêve !

Avant de pass­er aux ver­sions de Florindo Sas­sone, une ver­sion par Alfre­do Kraus, un ténor espag­nol qui chante en Ital­ien… La scène provient du film “Gayarre” de 1959 réal­isé par Domin­go Vilado­mat Pancor­bo. Ce film est un hom­mage à un autre ténor espag­nol, mais du XIXe siè­cle, Julián Gayarre (1844–1890).
La vie, ou plutôt la mort de ce chanteur, est liée à notre titre du jour, puisqu’en décem­bre 1889, Gayarre chan­ta Los pescadores de per­las mal­gré une bron­chop­neu­monie (provo­quée par l’épidémie de grippe russe qui fit 500 000 morts).
Lors de l’exé­cu­tion, qui fut aus­si la sienne, sa voix se cas­sa sur une note aigüe et il s’é­vanouit. Les effets con­jugués de la mal­adie et de la dépres­sion causée par son échec artis­tique l’emportèrent peu après, le 2 jan­vi­er 1890 ; il avait seule­ment 45 ans. Cette était suff­isante pour en faire un mythe. D’ailleurs trois films furent con­sacrés à sa vie, dont voici un extrait du sec­ond, “Gayarre” où Alfre­do Kraus inter­prète le rôle de Gayarre chan­tant la chan­son « je crois enten­dre encore » tiré des pêcheurs de per­les.

Alfre­do Kraus inter­prète le rôle de Gayarre chan­tant la chan­son « je crois enten­dre encore » tiré des pêcheurs de per­les dans le film Gayarre.

Sas­sone pou­vait donc con­naître cette œuvre, par les deux pre­miers films, “El Can­to del Ruiseñor” de 1932 et “Gayarre” de 1959 (le troisième, Roman­za final est de 1986) ou tout sim­ple­ment, car bizet fut un com­pos­i­teur influ­ent et que Les pêcheurs de Per­les est son deux­ième plus gros suc­cès der­rière Car­men.

J’en viens enfin aux versions de Sassone

1968-08-30 — Orques­ta Florindo Sas­sone.

C’est une ver­sion “adap­tée” en tan­go. Je vous laisse juger de la dans­abil­ité. Cer­tains adorent.
Dès le début la harpe apporte une ambiance par­ti­c­ulière, peut-être l’on­doiement des vagues, que ponctue le vibra­phone. L’orchestre majestueux accom­pa­g­né par des bass­es pro­fondes qui mar­quent la marche alterne les expres­sions suaves et d’autres plus autori­taires. On est dans du Sasonne typ­ique de cette péri­ode, comme on l’a vu dans d’autres anec­dotes, comme dans Féli­cia du même Sas­sone. https://dj-byc.com/WP/felicia-1966–03-11-orquesta-florindo-sassone/
La présence d’un rythme rel­a­tive­ment réguli­er, souligné par les ban­donéons, peut inspir­er cer­tains danseurs de tan­go. Pour d’autres, cela pour­rait trop rap­pel­er le rythme réguli­er du tan­go musette et au con­traire les gên­er.

Cet aspect musette est sans doute le fait d’Oth­mar Klose et Rudi Luksch qui sont inter­venus dans l’orches­tra­tion. Luksch était accordéon­iste et Klose était un des com­pos­i­teurs d’Adal­bert Lut­ter (tan­go alle­mand).

C’est cepen­dant un titre qui peut intéress­er cer­tains danseurs de spec­ta­cle par sa vari­a­tion d’ex­pres­siv­ité.

La can­ción de los pescadores de per­las 1971 — Orques­ta Florindo Sas­sone.

Trois ans plus tard, Sas­sone enreg­istre une ver­sion assez dif­férente et sans doute encore plus éloignée de la danse. Là encore, elle pour­rait trou­ver des ama­teurs…
Cette ver­sion démarre plus suave­ment. La est moins expres­sive et les vio­lons ont pris plus de présence. La con­tre­basse et le vio­lon­celle sont bien présents et don­nent le rythme. Cepen­dant, cette ver­sion est peut-être plus lisse et moins expres­sive. Quitte à pro­pos­er une musique orig­i­nale, je jouerai, plutôt le jeu de la pre­mière ver­sion, même si elle risque d’inciter cer­tains danseurs à dépass­er les lim­ites générale­ment admis­es en tan­go social.

Cette ver­sion est sou­vent datée de 1974, mais l’en­reg­istrement est bien de 1971 et a été réal­isé à Buenos Aires, dans les stu­dios ION. Los Estu­dios ION qui exis­tent tou­jours ont été des pio­nniers pour les nou­veaux tal­ents et notam­ment ceux du Rock nacional à par­tir des années 60. Le fait que Sas­sone enreg­istre chez eux pour­rait être inter­prété comme une indi­ca­tion que ce titre et l’évo­lu­tion de Sas­sone s’é­taient un peu éloigné du tan­go “tra­di­tion­nel”, mais tout autant que les maisons d’édi­tions tra­di­tion­nelles s’é­taient éloignées du tan­go. Balle au cen­tre.

Com­para­i­son des ver­sions de 1968 et 1971. On voit rapi­de­ment que la ver­sion de 1968, à gauche est mar­quée par des nuances bien plus fortes. Elle a plus de con­traste. L’autre est plus plate. Elle relève plus du genre « musique d’as­censeur » que son aînée.

Le DJ de tango est-il un chercheur de perles ?

Le DJ est au ser­vice des danseurs et doit donc leur pro­pos­er des musiques qui leur don­nent envie de danser. Cepen­dant, il a égale­ment la respon­s­abil­ité de con­serv­er et faire vivre un pat­ri­moine.
Je prendrai la com­para­i­son avec un con­ser­va­teur de musée d’art pour me faire mieux com­pren­dre.
Le con­ser­va­teur de musée comme son nom l’indique (au moins en français ou ital­ien et un peu moins en espag­nol ou en anglais où il se nomme respec­tive­ment curador et cura­tor) est cen­sé con­serv­er les œuvres dont il a la respon­s­abil­ité. Il les étudie, il les fait restau­r­er quand elles ont des soucis, il fait des pub­li­ca­tions et des expo­si­tions pour les met­tre en valeur. Il enri­chit égale­ment les col­lec­tions de son insti­tu­tion par des acqui­si­tions ou la récep­tion de dons.
Son tra­vail con­siste prin­ci­pale­ment à faire con­naître le pat­ri­moine et à le faire vivre sans lui porter préju­dice en le préser­vant pour les généra­tions futures.
Le DJ fait de même. Il recherche des œuvres, les restau­re (pas tou­jours avec tal­ent) et les mets en valeur en les faisant écouter dans les milon­gas.
Par­fois, cer­tains déci­dent de jouer avec le pat­ri­moine en pas­sant des dis­ques d’époque. Cela n’a aucun intérêt d’un point de vue de la qual­ité du son et c’est très risqué pour les dis­ques, notam­ment les 78 tours qui devi­en­nent rares et qui sont très frag­iles. Si on veut vrai­ment faire du show, il est préférable de faire press­er des dis­ques noirs et de les pass­er à la place des orig­in­aux.
Bon, à force d’en­fil­er les idées comme des per­les, j’ai per­du le fil de ma canne à pêch­er les nou­veautés. Le DJ de tan­go, comme le con­ser­va­teur de musée avec ses vis­i­teurs, a le devoir de renou­vel­er l’in­térêt des danseurs en leur pro­posant des choses nou­velles, ou pour le moins mécon­nues et intéres­santes.
Évidem­ment, cela n’est pas très facile dans la mesure où trou­ver des titres orig­in­aux demande un peu de tra­vail et notam­ment un goût assez sûr pour définir si une œuvre est bonne pour la danse, et dans quelles con­di­tions.
Enfin, ce n’est pas si dif­fi­cile si on fait sauter la lim­ite qui est de rester dans le genre tan­go. C’est la brèche dans laque­lle se sont engouf­fré un très fort pour­cent­age de DJ, encour­agés par des danseurs insuff­isam­ment for­més pour se ren­dre compte de la supercherie.
C’est comme si un con­ser­va­teur de musée d’art se met­tait à affich­er unique­ment des œuvres sans inten­tion artis­tique au détri­ment des œuvres ayant une valeur artis­tique probante.
Je pense par exem­ple à ces pro­duc­tions en série que l’on trou­ve dans les mag­a­sins de sou­venir du monde entier, ces chro­mos dégouli­nants de couleurs ou ces « stat­ues » en plas­tique ou résine. Sous pré­texte que c’est facile d’abord, on pour­rait espér­er voir des vis­i­teurs aus­si nom­breux que sur les stands des bor­ds de plage des sta­tions bal­néaires pop­u­laires.
Revenons au DJ de tan­go. Le par­al­lèle est de pass­er des musiques de var­iété, des musiques appré­ciées par le plus grand monde, des pro­duits mar­ket­ing matraqués par les radios et les télévi­sions, ou des musiques de film et qui, à force d’êtres omniprésentes, sont donc dev­enues famil­ières, voire con­sti­tu­tive des goûts des audi­teurs.
Je n’écris pas qu’il faut rejeter toutes les musiques, mais qu’a­vant de les faire entr­er dans le réper­toire du tan­go, il faut sérieuse­ment les étudi­er.
C’est assez facile pour les valses, car le Poum Tchi Tchi du rythme à trois temps avec le pre­mier temps mar­qué est suff­isam­ment por­teur pour ne pas désta­bilis­er les danseurs. Bien sûr, les puristes seront out­rés, mais c’est plus une (op)position de principe qu’une véri­ta­ble indig­na­tion.
Pour les autres rythmes, c’est moins évi­dent. Les zam­bas ou les boléros dan­sés en tan­go, c’est mal­heureuse­ment trop courant. Pareil pour les chamames, fox­trots et autres rythmes qui sont bougés en forme de milon­ga. Avec ces exem­ples, je suis resté dans ce qu’on peut enten­dre dans cer­taines milon­gas habituelles, mais, bien sûr, d’autres vont beau­coup plus loin avec des musiques n’ayant absol­u­ment aucun rap­port avec l’Amérique du Sud et les rythmes qui y étaient pra­tiqués.
Pour ma part, je cherche des per­les, mais je les cherche dans des enreg­istrements per­dus, oubliés, masqués par des ver­sions plus con­nues et dev­enues uniques, car peu de col­lègues font l’ef­fort de puis­er dans des ver­sions moins faciles d’ac­cès.
Vous aurez sans doute remar­qué, si vous êtes un fidèle de mes anec­dotes de tan­go, que je pro­pose de nom­breuses ver­sions. Sou­vent avec un petit com­men­taire qui explique pourquoi je ne passerais pas en milon­ga cette ver­sion, ou au con­traire, pourquoi je trou­ve que c’est injuste­ment lais­sé de côté.
Le DJ est donc, à sa façon un pêcheur de per­les, mais son tra­vail ne vaut que s’il est partagé et respectueux des par­tic­u­lar­ités du tan­go, cette cul­ture, riche en per­les.
Bon, je ren­tre dans ma coquille pour me pro­téger des réac­tions que cette anec­dote risque de provo­quer…

Ces réac­tions n’ont pas man­qué, quelques répons­es ici…

Tango ou pas tango ?

Une réac­tion de Jean-Philippe Kbcoo m’incite à dévelop­per un peu ce point.

“Les pêcheurs de per­les” classés en alter­natif !!!! Wouhaaa ! Quelle bril­lan­tis­sime audace ! Sur la dans­abil­ité, je le trou­ve net­te­ment plus inter­prétable qu’un bon Gardel, pour­tant classé dans les tan­gos purs et durs, non ? En tout cas, mer­ci de cet arti­cle à la phy­logéné­tique très inat­ten­due 🙂

Il est sou­vent assez dif­fi­cile de faire com­pren­dre ce qui fait la dans­abil­ité d’une musique de tan­go.
J’ai fait un petit arti­cle sur le sujet il y a quelques années : https://dj-byc.com/WP/les-styles-du-tango/
Il est fort pos­si­ble qu’au­jour­d’hui, je n’écrirai pas la même chose. Cepen­dant, Gardel n’a jamais été con­sid­éré comme étant des­tiné à la danse. Le tan­go a divers aspects et là encore, pour sim­pli­fi­er, il y a le tan­go à écouter et le tan­go à danser.
Les deux relèvent de la cul­ture Tan­go, mais si les fron­tières sem­blent floues aujour­d’hui, elles étaient par­faite­ment claires à l’époque. C’é­tait inscrit sur les dis­ques…
Gardel, pour y revenir, avait sur ses dis­ques la men­tion :
con acomp. de gui­tar­ras” ou “con la orques­ta Canaro”, par exem­ple.
Les tan­gos de danse étaient indiqués :
“Orques­ta con Ernesto Famá”
Dans le cas de Gardel, qui ne fai­sait pas de tan­gos de danse, on n’a, bien sûr, pas cette men­tion. Cepen­dant, pour repren­dre Famá et Canaro, il y a eu aus­si des enreg­istrements des­tinés à l’é­coute et, dans ce cas, ils étaient notés :
“Ernesto Famá con acomp. de ”.
Dans le cas des enreg­istrements de Sas­sone, ils sont tardifs et ces dis­tinc­tions n’é­taient plus de rigueur.
Toute­fois, le fait qu’ils aient été arrangés par des com­pos­i­teurs de musette ou de tan­go alle­mand, Oth­mar Klose et Rudi Luksch, ce qui est très net dans la ver­sion de 1968, fait que ce n’est pas du tan­go argentin au sens strict, même si le tan­go musette est l’héri­ti­er des bébés tan­gos lais­sés par les Argentins comme les Gobi ou les Canaro en France.
Je con­firme donc qu’au sens strict, ces enreg­istrements de Sas­sone ne relèvent pas du réper­toire tra­di­tion­nel du tan­go et qu’ils peu­vent donc être con­sid­érés comme alter­nat­ifs, car pas accep­tés par les danseurs tra­di­tion­nels.
Bien sûr, en Europe, où la cul­ture tan­go a évolué de façon dif­férente, on pour­rait plac­er la lim­ite à un autre endroit. La ver­sion de 1968 n’est pas du pur musette et peut donc être plus facile­ment assim­ilée. Celle de 1971 cepen­dant, est dans une tout autre dimen­sion et ne présente aucun intérêt pour la danse de tan­go.
On notera d’ailleurs que, sur le disque de 1971 réédité en CD en 1998, il y a la men­tion « Tan­go inter­na­tion­al » et que les titres sont classés en deux caté­gories :
« Tan­gos europeos et norteam­er­i­canos » et « Melo­dias japone­sas ».

Le CD de 1998 reprenant les enreg­istrements de 1971 est très clair sur le fait que ce n’est pas du tan­go argentin.

Cette men­tion de « Tan­go inter­na­tion­al » est à met­tre en par­al­lèle avec d’autres dis­ques des­tinés à un pub­lic étranger et éti­quetés « Tan­go for export ». C’est à mon avis un élé­ment qui classe vrai­ment ce titre hors du champ du tan­go clas­sique.
Cela ne sig­ni­fie pas que c’est de la mau­vaise musique ou que l’on ne peut pas la danser. Cer­tains sont capa­bles de danser sur n’im­porte quoi, mais cette musique ne porte pas cette danse si par­ti­c­ulière qu’est le tan­go argentin.

Cela n’empêche pas de la pass­er en milon­ga, en con­nais­sance de cause et, car cela fait plaisir à cer­tains danseurs. Il ne faut jamais dire jamais…

Une suggestion d’une collègue, Roselyne Deberdt

Mer­ci à Rose­lyne pour cette propo­si­tion qui per­met de met­tre en avant une autre ver­sion française.

Les pêcheurs de per­les 1936 — Tino Rossi Accom­pa­g­né par l’Orchestre de Mar­cel Cariv­en. Disque Colum­bia France (label rouge) BF-31. Numéro de matrice CL5975‑1.

Sur la face B du disque, La berceuse de Joce­lyn. Joce­lyn est un opéra du com­pos­i­teur français Ben­jamin Godard, créé en 1888 avec un livret d’Ar­mand Sylvestre et Vic­tor Capoul. Il est inspiré du roman en vers éponyme de Lamar­tine. Cepen­dant, même si la voix de Tino est mer­veilleuse, ce thème n’a pas sa place en milon­ga, mal­gré ses airs de de “Petit Papa Noël”…
N’ou­blions pas que Tino Rossi a chan­té plusieurs tan­gos, dont le , mais aus­si :

  • C’est à Capri
  • C’é­tait un musi­cien
  • Écris-Moi
  • Le tan­go bleu
  • Le tan­go des jours heureux
  • Tan­go de Mar­ilou

Et le mer­veilleux, Vous, qu’avez-vous fait de mon amour ?, que je rajoute pour le plaisir ici :

Vous, qu’avez-vous fait de mon amour ? 1933-11-09 — Tino Rossi Accomp. et son .

Le Bag­dad était à Paris au 168, rue du Faubourg Saint-Hon­oré. Miguel était un ban­donéon­iste argentin, importé par Fran­cis­co Canaro à Paris et grand-oncle de notre ami DJ de Buenos Aires, Mario Orlan­do… Le monde est petit, non ?

El paladín 1945-03-20 — Orquesta Osvaldo Pugliese

Vous con­nais­sez ce titre, bien qu’il ait été peu enreg­istré. Mais peut-être vous êtes-vous demandé qui était ce pal­adin, car ce terme désig­nait les Pairs de l’empereur Charle­magne, un mil­lé­naire plus tôt.
El pal­adín est un tan­go d’A­gustín Bar­di et ne sem­ble pas avoir de paroles. Il est donc assez dif­fi­cile de savoir qui était évo­qué dans ce titre. Voici trois hypothès­es.

Trois paladines possibles

On pour­rait remon­ter un siè­cle plus tôt, à l’époque ou Martín Miguel de Güemes, accom­pa­g­né de ses gau­chos, était un des héros de l’Ar­gen­tine pour ses actions dans l’indépen­dance du pays. En de l’ar­ti­cle, je vous pro­pose un por­trait imag­i­naire de ce héros réal­isé près d’un siè­cle plus tard par Manuel Pri­eto. Blessé d’une balle, il refusa les soins pour rester fidèle à sa cause et mou­rut onze jours plus tard, âgé de 36 ans. Son épouse, âgée de 25 ans, se serait lais­sé mourir de cha­grin. Cette , haute­ment roman­tique, a pu inspir­er Bar­di. Cela expli­querait une musique plutôt et calme, peut-être du point de vue de la jeune épouse qui se laisse mourir de faim.

El pal­adín, par­ti­tion pour piano. On voit man­i­feste­ment un ora­teur, peut-être un avo­cat ou un poli­tique.

La dernière pos­si­bil­ité est la de la par­ti­tion. En effet, elle est dédi­cacée par Bar­di à son ami Guiller­mo Fish­er. Ce dernier est un des fon­da­teurs de la Sociedad Nacional de Autores, Com­pos­i­tores y Edi­tores de Músi­ca ce qui devien­dra la , la société des auteurs et com­pos­i­teurs argentins. Cepen­dant, je n’ai pas plus obtenu de ren­seigne­ments sur cette per­son­ne.

Extrait musical

Par­ti­tion et El pal­adín. On remar­que sur la cou­ver­ture un ora­teur, poli­tique, avo­cat, défenseur de la créa­tion de la société des auteurs ? Dans ce cas, il pour­rait s’a­gir de Guiller­mo Fis­ch­er…
El pal­adín 1945-03-20 — Orques­ta .

Autres versions

El pal­adín 1929-07-11 — Sex­te­to .

Cette ver­sion sem­ble avoir été enreg­istrée au moins qua­tre fois et deux des enreg­istrements de cette journée, les matri­ces 44645–2 et 44645–4 ont été pub­liées en disque 78 tours, sous le même numéro de disque 47138 (Face B). Vous allez sans doute trou­ver cette ver­sion assez sym­pa­thique.

El pal­adín 1941-12-11 — Orques­ta Car­los Di Sar­li.

La reprise, 12 ans plus tard par Di Sar­li. Cette ver­sion est rel­a­tive­ment proche, mais plus liée.

El pal­adín 1945-03-20 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

C’est notre ver­sion du jour. Avec Pugliese, si le début sem­ble assez sem­blable, on remar­quera un jeu des vio­lons dans les légatos sen­si­ble­ment dif­férent.

Les femmes et le tango

8 mars, journée internationale (des droits) des femmes

Le 8 mars est la journée inter­na­tionale (des droits) des femmes. Il me sem­ble d’ac­tu­al­ité, d’abor­der la ques­tion des femmes dans le tan­go. Il faudrait plus qu’un arti­cle, qu’un livre et sans doute une véri­ta­ble ency­clopédie pour traiter ce sujet, aus­si, je vous pro­pose unique­ment quelques petites indi­ca­tions qui rap­pel­lent que le tan­go est aus­si une his­toire de femmes.

“We can do it” (on peut le faire). Affiche de pro­pa­gande de la société West­ing­house Elec­tric pour motiv­er les femmes dans l’ef­fort de guerre en 1943. Elle a été créée par J. Howard Miller en 1943.

Cette affiche rap­pelle, mal­gré elle, que la journée du 8 mars était au début la journée des femmes tra­vailleuses, journée créée en mémoire des 129 ouvrières tuées dans l’in­cendie de leur man­u­fac­ture le 8 mars 1908. Ce sont les pro­pres pro­prié­taires de cette usine, la Cot­ton Tex­tile Fac­to­ry, qui ont mis le feu pour régler le prob­lème avec leurs employées qui récla­maient de meilleurs salaires et con­di­tions de vie avec le slo­gan « du pain et des ros­es »…

Du pain et des ros­es, un slo­gan qui coûtera la vie de 129 ouvrières du tex­tile le 8 mars 1908 à New York.

On se sou­vient en Argen­tine de faits sem­blables, lors de la semaine trag­ique de jan­vi­er 1919 où des cen­taines d’ou­vri­ers furent assas­s­inés, faits qui se renou­vèleront deux ans plus tard en Patag­o­nie où plus de 1000 ouvri­ers grévistes ont été tués.
Aujour­d’hui, la journée des femmes cherche plutôt à établir l’é­gal­ité de traite­ment entre les sex­es, ce qui est un autre type de lutte, mais qui ren­con­tre, notam­ment dans l’Ar­gen­tine d’au­jour­d’hui, une oppo­si­tion farouche du gou­verne­ment.

Une petite musique de fond pour la lecture de cette anecdote…

Las mujeres y el amor () 1934-08-16 – Orques­ta Osval­do Frese­do con Rober­to Ray.

Il s’ag­it d’une ranchera écrite par Eduar­do Vet­ere avec des paroles de Manuel R. López. Le thème (les femmes et l’amour) me sem­blait bien se prêter à notre thème du jour).

Les origines du tango et les femmes

Je passerai sous silence les affir­ma­tions dis­ant que le tan­go se dan­sait ini­tiale­ment entre hommes, car, si, on a quelques pho­tos mon­trant des hommes dansant de façon plus ou moins grotesque, cela relève plus de la charge, de la moquerie, que du désir de pra­ti­quer l’art de la danse.
Le tan­go a divers­es orig­ines. Par­mi celles-ci, le monde du spec­ta­cle, de la scène, du moins pour ses par­tic­u­lar­ités musi­cales. Dans les spec­ta­cles qui étaient joués dans la sec­onde moitié du dix-neu­vième siè­cle, il y avait des femmes sur scène. Elles chan­taient, dan­saient. Elles étaient actri­ces. Les thèmes de ces spec­ta­cles étaient les mêmes qu’en Europe et sou­vent inspirés par les pro­duc­tions du Vieux Con­ti­nent. Elles étaient des­tinées à ceux qui pou­vaient pay­er, et donc à une cer­taine élite. Je ferai le par­al­lèle avec Car­men de Jorge Bizet, pas à cause de la habanera, mais pour mon­tr­er à quoi pou­vait ressem­bler une des pro­duc­tions de l’époque. Des his­toires, sou­vent sen­ti­men­tales, des fig­u­rants et dif­férents tableaux qui se suc­cé­daient. La plu­part du temps, ces spec­ta­cles relèvent du genre « vaude­ville ». Les femmes, comme Car­men, étaient sou­vent les héroïnes et a min­i­ma, elles étaient indis­pens­ables et présentes. Au vingtième siè­cle, lorsque le tan­go a mûri, on retrou­ve le même principe dans le théâtre ( est la ville du Monde qui compte le plus de théâtres), mais aus­si dans le ciné­ma. Je pense que vous aurez remar­qué à la lec­ture de mes anec­dotes qu’une part impor­tante des tan­gos provient de films et de pièces de théâtre.
Une autre orig­ine tourne autour des faubourgs de Buenos Aires, du mal-être d’hommes en manque de com­pag­nie fémi­nine. Dans ce monde dur, où les couteaux sor­taient facile­ment, où on tra­vail­lait dans des usines, aux abat­toirs ou aux travaux agri­coles et notam­ment l’él­e­vage, les femmes étaient rares et con­voitées. Cela don­nait lieu à des bagar­res et on se sou­vient que le tan­go canyengue évo­quait par ses pass­es des fig­ures de com­bat au couteau. Les hommes qui avaient la pos­si­bil­ité de danser avec une femme d’ac­cès facile jouaient une sorte de comédie pour les com­pagnons qui regar­daient, cher­chant à se met­tre en valeur, se lançant, comme en témoignent les paroles des tan­gos, dans des fig­ures auda­cieuses et com­bat­ives, comme les fentes. La pénurie de femmes, mal­gré les impor­ta­tions à grande échelle de grisettes français­es et de pau­vres hères d’autres par­ties de l’Eu­rope, fait que c’est dans les bor­dels qu’il était le plus facile de les abor­der. Dans ces maisons, clos­es, il y avait une par­tie de spec­ta­cle, de déco­rum et la danse pou­vait être un moyen de con­tact. Il suff­i­sait de pay­er une petite somme, comme on l’a vu, par exem­ple pour Lo de Lau­ra. Dans cet univers, le tan­go tour­nait autour des femmes, comme en témoigne la très grande majorité des paroles, et ce sont des femmes, dans les meilleurs quartiers qui tenaient les « maisons ». Dans les faubourgs, c’é­tait plutôt le cabareti­er qui favori­sait les activ­ités pour que les clients de sa pulpe­ria passe du temps et con­somme.
Une dernière orig­ine du tan­go, notam­ment en Uruguay est l’im­mi­gra­tion (for­cée) d’Afrique noire. Ces esclaves, puis affran­chis, tout comme ce fut le cas dans le Sud des USA, ont dévelop­pé un art musi­cal et choré­graphique pour exprimer leur peine et enjo­liv­er leur vie pénible. Là encore, les femmes sont omniprésentes. Elles dan­saient et chan­taient. Elles étaient cepen­dant absentes comme instru­men­tiste, les tam­bours du can­dombe étaient plutôt frap­pés par des hommes, mais ce n’est pas une par­tic­u­lar­ité de la branche noire du tan­go.

Les femmes comme source d’inspiration

Si on décidait de se priv­er des tan­gos par­lant des femmes, il n’en resterait sans doute pas beau­coup. Que ces dernières soient une étoile inac­ces­si­ble, une traitresse infidèle, une com­pagne aimante, une femme de pas­sage entre­vue et per­due ou une mère. En effet, le thème de la mère est forte­ment présent dans le tan­go. Même les mau­vais gar­ne­ments, comme Gardel, n’ont qu’une seule mère.

Madre hay una sola 1930-12-10 — con acomp. de Fran­cis­co Canaro ( Letra : José de la Vega).

Je vous pro­pose une ver­sion chan­tée par une femme, la maîtresse mal­heureuse de Fran­cis­co Canaro, Ada Fal­cón.

Je ne ferai pas le tour du thème des femmes inspi­ra­tri­ces, car vous le retrou­verez dans la plu­part de mes anec­dotes de tan­go.

Les femmes danseuses

Je n’abor­derai pas non plus le thème des femmes danseuses, mais il me sem­ble impor­tant de les men­tion­ner, car, comme je l’indi­quais au début de cet arti­cle, c’est aus­si pour approcher les femmes que les hommes se con­ver­tis­sent en danseurs…

Car­menci­ta Calderón et Ben­i­to Bian­quet (El Cachafaz) dansent de Ansel­mo , dans le film « Tan­go » (1933) de Luis Moglia Barth.

Les femmes et la musique

La musique en Europe était surtout une affaire d’hommes si on se réfère à la com­po­si­tion ou à la direc­tion d’orchestre. Les femmes tenaient des rôles plus dis­crets, comme vio­lonistes dans un orchestre, ou, plus sûre­ment, elles jouaient du piano famil­ial. Le manque de femmes dans la com­po­si­tion et la direc­tion d’orchestre n’est donc pas un phénomène pro­pre au tan­go. C’est plutôt un tra­vers de la société patri­ar­cale ou la femme reste à la mai­son et développe une cul­ture artis­tique des­tinée à l’a­gré­ment de sa famille et des invités du « maître » de mai­son.
Cepen­dant, quelques femmes ont su domin­er le tabou et se faire un nom dans ce domaine.

Les femmes musiciennes

Aujour­d’hui, on trou­ve des orchestres de femmes, mais il faut recon­naître que les femmes ont tenu peu de pupitres à l’âge d’or du tan­go.
Fran­cis­ca Bernar­do, plus con­nue sous son de Paqui­ta Bernar­do, est la pio­nnière des ban­donéon­istes femmes.

Paqui­ta Bernar­do (1900–1925) , pre­mière femme con­nue pour jouer du ban­donéon, un instru­ment réservé aux hommes aupar­a­vant.

Morte à 25 ans, elle n’a pas eu le temps de laiss­er une mar­que pro­fonde dans l’his­toire du tan­go, car elle n’a pas enreg­istré de disque. Cepen­dant on con­naît ses tal­ents de com­positrice à tra­vers quelques œuvres qui nous sont par­v­enues comme Flo­re­al, un titre enreg­istré en 1923 par Juan Car­los Cobián.

Flo­re­al 1923-08-14 — Orques­ta Juan Car­los Cobián.

L’en­reg­istrement acous­tique ne rend pas vrai­ment jus­tice à la com­positrice. C’est un autre incon­vénient que d’être décédé avant l’ap­pari­tion de l’en­reg­istrement élec­trique…

Je vous pro­pose égale­ment deux autres de ses com­po­si­tions enreg­istrées par Car­los Gardel, mal­heureuse­ment encore, tou­jours à l’ère de l’en­reg­istrement acous­tique.

La enmas­cara­da 1924 — Car­los Gardel con acomp. de Guiller­mo Bar­bi­eri, José Ricar­do (gui­tar­ras), avec des paroles de .
Soñan­do 1925 — Car­los Gardel con acomp. de Guiller­mo Bar­bi­eri, José Ricar­do (gui­tar­ras), avec des paroles de Euge­nio Cár­de­nas.

Mais d’autres femmes furent com­positri­ces.

Les femmes compositrices

L’ex­em­ple de musique com­posée par une femme le plus célèbre est sans doute la mer­veilleuse valse, « Des­de el alma » com­posée par Rosa Clotilde Mele Luciano, con­nue comme Rosi­ta Melo. Cette pianiste uruguayenne a une page offi­cielle où vous pour­rez trou­ver de nom­breux élé­ments.

Rosi­ta Melo, com­positrice de Des­de el Alma.
Des­de el alma (Valse) 1947-10-22 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Nel­ly Omar.

Je vous pro­pose une des plus belles ver­sions, chan­tée par l’in­croy­able Nel­ly Omar (qui vécut 102 ans).

Là encore, c’est une courte cita­tion et une femme un peu par­ti­c­ulière va me per­me­t­tre de faire la tran­si­tion avec les auteures de paroles de tan­go. Il s’ag­it de María Luisa Gar­nel­li.

Les femmes auteures

María Luisa Gar­nel­li est à la fois com­positrice et auteure. J’ai par­lé d’elle au sujet d’une de ses com­po­si­tions, La naran­ja nacio verde.

María Luisa Gar­nel­li, alias Luis Mario et Mario Cas­tro.

Retenons qu’elle a pris divers pseu­do­nymes mas­culins, comme Luis Mario ou Mario Cas­tro, ce qui lui per­mit d’écrire des paroles de tan­go en lun­far­do, sans que sa famille bour­geoise le sache… Elle fut égale­ment jour­nal­iste et cor­re­spon­dante de guerre…
Je vous pro­pose d’é­couter un autre des titres dont elle a écrit les paroles, El male­vo, sur une musique de . Ici, une ver­sion chan­tée par une femme, Rosi­ta Quiroga.

El male­vo 1928 — Rosi­ta Quiroga con gui­tar­ras.

Si vous souhaitez en con­naître plus sur sa tra­jec­toire par­ti­c­ulière, vous pou­vez con­sul­ter une biogra­phie écrite par Nél­i­da Beat­riz Cirigliano dans Buenos Aires His­to­ria.

Les femmes chanteuses

Je ne me lancerai pas dans la liste des chanteuses de tan­go, mais je vous pro­pose une petite galerie de pho­tos. Elle est très loin d’être exhaus­tive, mais je vous encour­age à décou­vrir celles que vous pour­riez ne pas con­naître.
Je vous pro­pose d’é­couter une ver­sion de par Mer­cedes Simone pour nous quit­ter en musique en regar­dant quelques por­traits de chanteuses de tan­go.

La cumpar­si­ta (Si supieras) 1966 — Mer­cedes Simone accom­pa­g­née par l’orchestre d’Emilio Brameri.

Dédicace

Je dédi­cace cette anec­dote à Vic­to­ria, ma femme, à ma fille, à ma mère et à mes grand-mères, mais aus­si à Thier­ry qui m’a pro­posé de faire une anec­dote sur ce sujet. Il est aus­si le cor­recteur de mes anec­dotes.
À bien­tôt, les amis !

La vida es corta 1941-02-19 — Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo

Letra: Francisco Gorrindo

Fran­cis­co Gor­rindo a écrit les paroles de nom­breux tan­gos et pas des moin­dres, comme Ansiedad, La bru­ja, Mala suerte ou . Notre rap­pelle que la vie est courte et Tan­turi et Castil­lo nous invi­tent à suiv­re ce con­seil, d’une fort belle manière. Alors, les amis, carpe diem!

Extrait musical

1941-02-19 — Orques­ta Ricar­do Tan­turi con .
Édi­tion anglaise de La vida es Cor­ta. Schel­lac 78 tours.

Le titre com­mence par qua­tre notes mon­tantes de la gamme de La mineur ; Sol-la-si-do don­nées prin­ci­pale­ment par les deux ban­donéons de Tan­turi (Emilio Aguirre et Fran­cis­co Fer­raro), mais aus­si par le piano de Tan­turi lui-même, qui rajoute une ponc­tu­a­tion à la fin de ce court motif. Toute la par­tie A sera du même principe avec les qua­tre notes tan­tôt au piano ou au ban­donéon avec des petits motifs des autres instru­ments, y com­pris des deux vio­lons (Anto­nio Arcieri et José Pibet­ti).

Puisque j’ai cité cinq des musi­ciens du sex­te­to de Tan­turi (Los Indios), il con­vient de rajouter le con­tre­bassiste (Raúl Mén­dez) qui aide à mar­quer le rythme pour les danseurs, mais le piano de Tan­turi qui mar­que chaque temps par­ticipe aus­si de cette con­ser­va­tion du rythme, même quand les vio­lons joueront leurs grandes et belles phras­es lega­to.
Pen­dant les par­ties chan­tées par Castil­lo, les instru­ments seront majori­taire­ment ryth­miques, ce qui est très habituel chez Tan­turi, dont on con­sid­ère que (presque) tous les enreg­istrements sont dans­ables. L’é­coute de ce morceau, et la recon­nais­sance de cette par­tic­u­lar­ité, qu’il partage dans une cer­taine mesure avec D’Arien­zo, nous fait com­pren­dre l’in­térêt des danseurs pour cet orchestre, sans doute un peu plus pau­vre d’un point de vue musi­cal que d’autres de la même époque. C’est du tan­go de danse, effi­cace, avec un rythme soutenu et dynamique.
Les liaisons et les appog­gia­tures de Castil­lo ne per­turbent pas ce rythme mar­qué, sans doute même, au con­traire, elles le ren­dent moins sec. D’ailleurs, dans ses tan­gos instru­men­taux, Castil­lo les fait réalis­er par ses vio­lonistes, ce qui fait que le style de Tan­turi soit si recon­naiss­able.
La dernière par­tic­u­lar­ité de Tan­turi est de retarder le tout dernier accord. On reste en sus­pen­sion, comme sou­vent chez Rodriguez, mais là, vient finale­ment l’ac­cord final, libéra­teur qui per­met aux danseurs de relâch­er l’abra­zo après quelques frac­tions de sec­on­des de ten­sion finale.

Paroles

A ver mucha­chos, quiero ale­gría,
quiero atur­dirme, para no pen­sar.
La vida es cor­ta y hay que vivir­la,
dejan­do a un lado la real­i­dad.
Hay que olvi­darse del sac­ri­fi­cio,
que tan­to cues­ta ser, ten­er el pan.
Y en estas noches de far­ra y risa,
pon­er­le al alma nue­vo dis­fraz.

La vida es cor­ta y hay que vivir­la,
en el mañana no hay que con­fi­ar.
Si hoy la men­ti­ra se lla­ma sueño,
tal vez mañana sea la ver­dad.
La vida es cor­ta y hay que vivir­la,
feliz al lado de una mujer,
que, aunque nos mien­ta, frente a sus ojos,
razón de sobra hay para querer.Ricardo Tan­turi Letra : Fran­cis­co Gor­rindo

Ricar­do Tan­turi Letra : Fran­cis­co Gor­rindo

Traduction libre

Voyez les gars, je veux de la joie, je veux être étour­di pour ne pas penser.
La vie est courte et il faut la vivre, en lais­sant la réal­ité de côté.
Il faut oubli­er le sac­ri­fice, que c’est si dur d’avoir du pain.
Et dans ces nuits de réjouis­sance (danse, musique) et de rires, se déguis­er l’âme.

La vie est courte et il faut la vivre, il ne faut pas faire con­fi­ance à demain.
Si aujour­d’hui le men­songe s’ap­pelle rêve, peut-être que demain ce sera la vérité.
La vie est courte et il faut la vivre, heureux aux côtés d’une femme, qui même si elle nous ment à la face (sous les yeux), il y a plein de raisons d’aimer.

Ricar­do Tan­turi Letra : Fran­cis­co Gor­rindo

Il dévoile à ses com­pagnons de fies­ta, sa philoso­phie de la vie, philoso­phie que de nom­breux tangueros dans le monde ont adop­tée…

Autres versions

La vida es cor­ta 1941-02-19 — Orques­ta Ricar­do Tan­turi con Alber­to Castil­lo. C’est notre tan­go du jour.

S’il n’y a pas d’autres ver­sions enreg­istrées de ce titre , il y a en revanche de nom­breux enreg­istrements de Castil­lo avec Tan­turi réal­isés sur quelques années, de jan­vi­er 1941 à mai 1943. Une belle tan­da de et une autre de (avec vari­antes pos­si­bles) et une trentaine de tan­gos que nous enten­dons sou­vent en milon­ga. En revanche, La vida es cor­ta est le seul titre à avoir été conçu par Tan­turi et Gor­rindo.
Je vous pro­pose d’é­couter un des pre­miers de Fran­cis­co Gor­rindo, Las cuarenta, un titre chan­té par dans le film Con­fe­sión dirigé par Luis José Moglia Barth et qui est sor­ti le 23 octo­bre 1940.

Las cuarenta par Hugo Del Car­ril dans le film Con­fe­sión dirigé par Luis José Moglia Barth (1940).

À bien­tôt, les amis !

La cumparsita 1933-02-14 — Orquesta Francisco Canaro

; () Letra :  ;

J’ai présen­té, dans une autre anec­dote, de D’Arien­zo de 1951. J’ai env­i­ron 800 enreg­istrements de la cumpar­si­ta et il n’est pas ques­tion de faire une anec­dote pour cha­cune d’elles.
Je vous pro­pose aujour­d’hui d’é­couter l’ensem­ble des ver­sions de Canaro et en par­ti­c­uli­er celle qui fête ce jour son 92e anniver­saire.
Je vous invite à vous reporter à l’anec­dote sur La cumpar­si­ta 1951-09-12 — Orques­ta Juan D’Arien­zo pour avoir les dif­férentes paroles et des détails sur l’his­toire de ce titre.

Extrait musical

La cumpar­si­ta 1933-02-14 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.
La joyeuse troupe des amis de Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez défile sur la cou­ver­ture de droite. Ils sont cités en haut de la par­ti­tion. À droite Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez devant sa par­ti­tion chez un édi­teur de par­ti­tions. On notera que les joyeux fêtards sont rem­placés par une femme masquée. Le masque peut évo­quer le bal, mais le fait qu’il soit noir peut aus­si évo­quer une voi­lette de deuil, celui qu’évoque Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez dans sa ver­sion des paroles.

Les cumparsitas de Canaro

La cumpar­si­ta 1927-02-17 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Comme on peut s’y atten­dre avec Canaro, surtout en cette année, il s’ag­it d’une ver­sion bien canyengue avec de très beaux pas­sages. À par­tir de 27 s des petits motifs de flûte ren­dent cet plus léger. Puis, le vio­lon­celle enchaîne un très beau solo, accom­pa­g­né par les vio­lons en pizzi­cati. Le chant du vio­lon pour ter­min­er les 30 dernières sec­on­des est égale­ment sub­lime.

La cumpar­si­ta 1929-04-17 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

On reste dans un rythme assez lent, mais très appuyé et les fior­i­t­ures de la flûte sont désor­mais effec­tuées par le ban­donéon qui, à un joli solo à par­tir d’une minute. Même durant le solo de vio­lon, le ban­donéon vir­tu­ose con­tin­ue en arrière-plan. Il faut sans doute attribuer cela a l’ar­rivée de Fed­eri­co Scor­ti­cati et Ciri­a­co Ortiz dans l’orchestre.

La cumpar­si­ta 1933-02-14 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro. C’est notre .

On retrou­ve le ban­donéon vir­tu­ose de la ver­sion de 1929, avec les mêmes ban­donéon­istes et un résul­tat très, très proche.

La cumpar­si­ta (Si supieras) 1951-11-29 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Mario Alon­so.

Cette ver­sion est assez tonique et bril­lante avec un tem­po bien mar­qué. On notera que les fior­i­t­ures sont aus­si exé­cutées par­tielle­ment au piano et pas seule­ment au ban­donéon et le retour de la flûte. La jolie voix, pro­fonde de Mario Alon­so apporte un final orig­i­nal, presque à la Caló…

La cumpar­si­ta (Si supieras) (en vivo) 1954-10-04 — Orques­ta con María de la Fuente.

C’est une ver­sion du frère de Canaro, Juan mais je la trou­ve intéres­sante à con­naître, même si ce n’est pas une ver­sion de danse. Elle a été enreg­istrée au Japon, pays pas­sion­né par cette musique, comme nous le ver­rons avec les enreg­istrements de Fran­cis­co. C’est une des ver­sions inté­grale­ment chan­tées (et par­lée 😉 María de la Fuente chante les paroles de Con­tur­si et Maroni que vous pou­vez retrou­ver dans cette autre anec­dote.

La cumpar­si­ta 1955-01-31 — dir. Fran­cis­co Canaro.

Là, les musi­ciens sem­blent pressés d’ar­riv­er à la fin du morceau. Ce n’est pas vilain, mais cela donne une idée de pré­cip­i­ta­tion. Je ne pro­poserais sans doute pas cela en bal.

La cumpar­si­ta 1959-04-29 — Quin­te­to dir. Fran­cis­co Canaro.

Avec cette ver­sion, Canaro, cor­rige le tir et l’im­pres­sion de pré­cip­i­ta­tion a dis­paru. Il y a telle­ment de ver­sions de la cumpar­si­ta que ce ne sera pas ma préférée, mais bon en pre­mière tan­da, elle peut faire l’af­faire, car elle per­met de rester avec le Pir­in­cho et de met­tre des tan­gos sym­pa­thiques pour ter­min­er la tan­da. Cepen­dant, ces ver­sions me sem­blent moins sur­prenantes et rich­es que les pre­mières.

La cumpar­si­ta (en vivo) 1961-12-01 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Encore un enreg­istrement au Japon, avec les applaud­isse­ments à la fin. Là, Canaro s’ap­proche du style martelé de D’Arien­zo. Là encore le ban­donéon vibrant cha­touille les oreilles. Comme c’est un enreg­istrement pub­lic au théâtre Koma de Tokio, il y a une émo­tion que n’ont pas tou­jours les enreg­istrements de stu­dio.

La cumpar­si­ta 1961-12-26 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

On ter­mine avec un dernier enreg­istrement au Japon, cette fois, au stu­dio Koji­machi de Tokio. Il est intéres­sant de com­par­er avec la ver­sion égale­ment enreg­istrée à Tokio 25 jours plus tôt. Elle me sem­ble moins « habitée ». Le vio­lon est plus dis­cret et le ban­donéon un peu moins lumineux. Le rythme est mar­qué de façon un peu plus dis­crète, avec un piano plus présent. J’au­rais donc ten­dance à priv­ilégi­er la ver­sion live…

Canaro mour­ra trois ans plus tard sans enreg­istr­er d’autre com­par­si­ta, mais il est intéres­sant de voir son évo­lu­tion sur 34 années.
À bien­tôt, les amis !

El día que me quieras 1930-02-07 — Orquesta Cayetano Puglisi con Roberto Díaz

Raúl Brujis Letra: Ramón C. Acevedo

J’e­spère que vous me par­don­nerez cette petite facétie. “El día que me quieras” (Le jour où tu m’aimeras) ; vous con­nais­sez tous ce titre pour l’avoir enten­du par Gardel, que ce soit sur disque, ou dans le film du même nom. La ver­sion que je vous pro­pose est bien plus rare et antérieure de cinq ans à celle de Gardel. En fait, j’ai saisi l’oc­ca­sion de l’an­niver­saire de l’en­reg­istrement de ce titre, il y a exacte­ment 95 ans, pour évo­quer cet orchestre un peu moins con­nu. Mais ras­surez-vous, vous aurez droit au titre de Gardel et Le Pera, égale­ment, ain­si qu’à d’autres tan­gos du même titre…

Extrait musical

El día que me quieras 1930-02-07 — Orques­ta Cayetano Puglisi con .

L’in­tro­duc­tion est plutôt jolie et élé­gante. Le vio­lon de Cayetano Puglisi domine en chan­tant les autres instru­ments plus per­cus­sifs et qui mar­quent le rythme, puis il cède la place à Rober­to Díaz qui chante à son tour un court pas­sage. Comme nous le ver­rons, ce titre est assez dif­férent de celui de Gardel qui est bien plus con­nu. Le thème est cepen­dant le même.
On notera quelques pas­sages agités des ban­donéons de Fed­eri­co Scor­ti­cati et Pas­cual Stor­ti en dou­ble-croche qui font le con­tre­point avec les vio­lons de Cayetano Puglisi et Mauri­cio Mise plus suaves. Pour une musique de 1930, c’est assez bien orchestré. Cayetano Puglisi, cet excel­lent vio­loniste qui a inté­gré les plus fameux orchestres, comme ceux de Fir­po, Canaro D’Arien­zo et Maf­fia a égale­ment eu son pro­pre sex­te­to avec lequel il a enreg­istré une quin­zaine de titres en 1929 et 1930. Je n’ai pas cité son frère José, à la con­tre­basse, ni au piano.
J’aime bien et dans une milon­ga où les danseurs seraient ama­teurs de thèmes un peu vieil­lots, cet enreg­istrement pour­rait inté­gr­er une tan­da.

Paroles de Ramón C. Acevedo

Yo quisiera ten­erte entre mis bra­zos
Y besarte en tu boca sin igual,
Yo quisiera prodi­garte mil abra­zos
Mujer esqui­va de ros­tro angel­i­cal.

Tu son­risa altan­e­ra y orgul­losa
Tu mira­da quisiera doble­gar,
Y que aun, negán­dome besara
Con un beso, sub­lime y sin final.
Raúl Bru­jis L : Ramón C. Aceve­do

Traduction des paroles de Ramón C. Acevedo

J’aimerais te tenir dans mes bras et t’embrasser sur ta bouche sans pareille,
Je voudrais te prodiguer mille abra­zos, femme insai­siss­able au vis­age angélique.

Ton regard souhait­erait faire céder ton sourire hau­tain et fier, et aus­si, même si tu me le niais, m’embrasser, avec un bais­er sub­lime et sans fin.

Autres versions

Il n’y a pas d’autre enreg­istrement de ce titre, alors je vous pro­pose d’é­couter quelques enreg­istrements du tan­go de même titre, mais écrit 4 ans plus tard par et Alfre­do le Pera pour le film de la Para­mount… El día que me quieras. Nous écouterons aus­si d’autres thèmes ayant le même titre.
Tout d’abord, réé­cou­tons du jour, qui est le plus ancien titre…

El día que me quieras 1930-02-07 — Orques­ta Cayetano Puglisi con Rober­to Díaz.

C’est notre tan­go du jour et le seul enreg­istrement de la com­po­si­tion de Raúl Bru­jis.

Version 2, de Víctor Pedro Donato et Miguel Gómez Bao

El día que me quieras 1930-11-05 Orques­ta Ricar­do Luis Brig­no­lo con Luis Díaz.

Quelques mois après, Brig­no­lo enreg­istre un tan­go com­posé par Víc­tor Pedro Dona­to avec des paroles de Miguel Gómez Bao. Ce titre est bien moins mod­erne que notre tan­go du jour. Il ressort encore d’un style très mar­qué.

Paroles de la version de Víctor Pedro Donato et Miguel Gómez Bao

El boliche del Tur­co no ten­drá ni un cohete,
el piberío del hue­co los hará estal­lar,
la can­ti­na del “Bep­po” abrirá los espich­es
y todo el “Gre­vana­je” en cur­da dormirá.
La far­ra, el capuchi­no tomará el choco­late,
ese día yo ban­co con mi feli­ci­dad
y la orques­ta de Chi­cho, pelandruna y mis­ton­ga
hará un tan­go canyengue con la mar­cha nup­cial.

A tu her­mano el taras­ca com­praremos botines,
al zam­bul­lo una faja de esas pa’ adel­gazar,
y al menor, al checa­to, dos doce­nas de anteo­jos
y una jaula con tram­pa pa’ que vaya a cazar,
a tu vie­ja diez cajas de pastil­las de men­ta,
a tu viejo toscanos para reven­tar,
y el globo lumi­noso que tiene la bot­i­ca
a tu her­mana la tuer­ta como ojo de .

El bañao de la esquina será un lago encan­ta­do
y las ranas can­tantes en la noche un jazz-band,
el buzón de la esquina el Pasaje Baro­lo,
la cancel‘e tu casa, la escala celes­tial.
El día que me quieras, pebe­ta de mi bar­rio,
todi­tas mis ter­nuras pa’vos sólo serán,
aunque llore a escon­di­das mi viejecita san­ta
que al extrañar mis besos ten­drá unas canas más.
Víc­tor Pedro Dona­to et Miguel Gómez Bao

Traduction de la version de Víctor Pedro Donato et Miguel Gómez Bao

Le bazar (les pulpe­rias fai­saient office de bar, vendaient de tout et pour­voy­aient des dis­trac­tions, comme les jeux de boules, ou la danse) du Turc n’au­ra plus de fusées (feux d’ar­ti­ficee, les Argentins sont des fana­tiques des activ­ités pyrotech­niques), les gamins du ter­rain vague les auront fait explos­er,
la can­tine du« Bep­po » (Bep­po est un prénom d’o­rig­ine ital­i­enne dérivé de Joseph) ouvri­ra les robi­nets (des ton­neaux de vin, bien sûr) et tous les « Gre­vana­je » (je pense qu’il faut rap­procher cela de Gre­bano qui sig­ni­fie idiot, rus­tre), ivres, dormiront.
La fête, le cap­puc­ci­no boira le choco­lat, ce jour-là, je reste avec mon bon­heur et l’orchestre de Chi­cho (je ne l’ai pas iden­ti­fié), paresseux et triste jouera un tan­go canyengue avec la marche nup­tiale.

Pour ton frère, El Taras­ca , nous achèterons les bottes, au gros (zam­bu­lo, à la panse proémi­nente) une de ces cein­tures pour per­dre du poids (la faja est la cein­ture qu’u­tilisent les gau­chos. Elles sont sou­vent décorées de pièces de mon­naie. Dans le cas présent, il peut s’a­gir de cein­tures de toiles, égale­ment util­isées par les gau­chos), et au plus jeune, le vérifi­ca­teur, deux douzaines de paires de lunettes et une cage avec un piège pour qu’il puisse aller à la chas­se. À ta vieille (mère), dix boîtes de bon­bons à la men­the, à ton vieux (père) des cig­a­res à éclater (faut-il y voir des cig­a­res de farces et attrapes qui explosent quand on les fume ?), et le globe lumineux qu’a l’apoth­icaire pour ta sœur borgne, comme œil de verre.

Le marécage du coin sera un lac enchan­té et les grenouilles chanteuses de la nuit, un groupe de jazz. La boîte aux let­tres de l’an­gle sera le pas­sage Baro­lo (plus que pas­sage, on dirait aujour­d’hui le Palais, un des hauts bâti­ments lux­ueux du cen­tre-ville de Buenos Aires), la porte d’en­trée de ta mai­son (porte intérieure séparant l’en­trée de la mai­son, sorte de sas), l’échelle céleste.
Le jour où tu m’aimeras, petite (terme affectueux) de mon quarti­er, toutes mes ten­dress­es seront pour toi seule, même si, de façon cachée, je verserai quelques larmes pour ma sainte petite mère qui, man­quant de mes bais­ers, aura encore quelques cheveux blancs de plus.

Version 3, la plus célèbre, celle de Carlos Gardel et Alfredo Le Pera

El día que me quieras 1935-03-19 — Car­los Gardel con acomp. de la orques­ta dir. por Terig Tuc­ci.

Paroles de la version de Carlos Gardel et Alfredo Le Pera

Acari­cia mi ensueño
el suave mur­mul­lo de tu sus­pi­rar,
¡como ríe la vida
si tus ojos negros me quieren mirar!
Y si es mío el amparo
de tu risa leve que es como un can­tar,
ella aqui­eta mi heri­da,
¡todo, todo se olvi­da!

El día que me quieras
la rosa que engalana
se vestirá de fies­ta
con su mejor col­or.
Al vien­to las cam­panas
dirán que ya eres mía
y locas las fontanas
me con­tarán tu amor.
La noche que me quieras
des­de el azul del cielo,
las estrel­las celosas
nos mirarán pasar
y un rayo mis­te­rioso
hará nido en tu pelo,
luciér­na­ga curiosa
que verá…¡que eres mi con­sue­lo!

Recita­do:
El día que me quieras
no habrá más que armonías,
será clara la auro­ra
y ale­gre el man­an­tial.
Traerá qui­eta la brisa
rumor de melodías
y nos darán las fuentes
su can­to de cristal.
El día que me quieras
endulzará sus cuer­das
el pájaro can­tor,
flo­re­cerá la vida,
no exi­s­tirá el dolor…

La noche que me quieras
des­de el azul del cielo,
las estrel­las celosas
nos mirarán pasar
y un rayo mis­te­rioso
hará nido en tu pelo,
luciér­na­ga curiosa
que verá… ¡que eres mi con­sue­lo!

Car­los Gardel Letra: Alfre­do Le Pera

Traduction de la version de Carlos Gardel et Alfredo Le Pera

Ma rêver­ie caresse le doux mur­mure de ton soupir,
Comme la vie rirait si tes yeux noirs voulaient me regarder !
Comme si était mien l’abri de ton rire léger qui est comme une chan­son,
Elle calme ma blessure, tout, tout est oublié !

Le jour où tu m’aimeras, la rose qui orne s’ha­billera de fête, avec sa plus belle couleur.
Au vent, les cloches diront que tu es déjà à moi, et folles, les fontaines me con­teront ton amour.
La nuit où tu m’aimeras depuis le bleu du ciel,
Les étoiles jalous­es nous regarderont pass­er et un mys­térieux éclair se nichera dans tes cheveux,
curieuse luci­ole qui ver­ra… que tu es ma con­so­la­tion !

Réc­ité :
Le jour où tu m’aimeras, il n’y aura plus que des har­monies,
L’aube sera claire et la source joyeuse.
La brise apportera le calme, le mur­mure des mélodies, et les fontaines nous don­neront leur chant de cristal.
Le jour où tu m’aimeras, l’oiseau chanteur adouci­ra ses cordes,
La vie fleuri­ra, la douleur n’ex­is­tera pas…

La nuit où tu m’aimeras depuis le bleu du ciel,
Les étoiles jalous­es nous regarderont pass­er et un mys­térieux éclair se nichera dans tes cheveux,
curieuse luci­ole qui ver­ra… que tu es ma con­so­la­tion !

Extrait du film El día que me quieras de John Reinhardt (1934)

“El día que me quieras”, dúo final Car­los Gardel y Moreno du film du même nom de 1934 dirigé par John Rein­hardt. Dans ce film, Car­los Gardel chante égale­ment Sol trop­i­cal, Sus ojos se cer­raron, Gui­tar­ra, gui­tar­ra mía, Volver et Suerte negra avec Lusiar­do et Peluffo.

Autres versions du thème composé par Gardel

Il existe des dizaines d’en­reg­istrements, y com­pris en musique clas­sique ou de var­iété. Je vous pro­pose donc une courte sélec­tion, prin­ci­pale­ment pour l’é­coute.

El día que me quieras 1948-05-11 — Orques­ta Florindo Sas­sone con Jorge Casal.

Une ver­sion chan­tée par Jorge Casal qui ne démérite pas face aux inter­pré­ta­tions de Gardel.

El día que me quieras 1955-06-30 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Juan Car­los Rolón.

Une ver­sion pour faire pleur­er les ménagères nées après 1905…

El día que me quieras 1968 — Orques­ta Típi­ca Atilio Stam­pone.

Stam­pone, bien qu’il s’agisse d’une ver­sion instru­men­tale, n’a pas des­tiné cet enreg­istrement aux danseurs.

El día que me quieras 1972 – Trio .

Encore une ver­sion instru­men­tale, mais fort intéres­sant à défaut d’être pour la danse par le trio Hugo Diaz… Si vous n’en­ten­dez pas l’, c’est que ce trio est celui du ban­donéon­iste uruguayen, Hugo Díaz, à ne pas con­fon­dre avec Vic­tor Hugo Díaz qui est le magi­cien de l’har­mon­i­ca, qui lui est argentin (San­ti­a­go del Estero) et sans doute bien plus con­nu…

El día que me quieras 1977-06-14 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Une ver­sion sans doute sur­prenante, essen­tielle­ment con­stru­ite autour de solos de vio­lon et piano.

El día que me quieras 1978 — María Amelia Bal­tar.

Une ver­sion expres­sive par la com­pagne de Piaz­zol­la.

El día que me quieras 1979 — Di Paulo y su Orques­ta Espe­cial para Baile.

Bien que l’orchestre affirme être de danse, je ne suis pas con­va­in­cu que cela plaira aux danseurs de tan­go, mais peut-être aux ama­teurs de slow et boléros (dans le sens argentin qui qual­i­fie des musiques roman­tiques au rythme flou et pas néces­saire­ment de vrais boléros).

El día que me quieras 1997 — Enrique Chia con Lib­er­tad Lamar­que.

Une intro­duc­tion à la Mozart (Flûte enchan­tée) et s’élève la mag­nifique voix de Lib­er­tad Lamar­que. C’est bien sûr une chan­son et pas un tan­go de danse, mais c’est joli, n’est-ce pas ?

Avec cette belle ver­sion, je pro­pose d’ar­rêter là, et je vous dis, à bien­tôt, les amis !

Patotero sentimental 1941-06-06 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino

Manuel Jovés Letra: Manuel Romero

Qui n’a pas été ému par la voix de Rober­to Rufi­no chan­tant Patotero sen­ti­men­tal ? Mais savez-vous que cet enreg­istrement suit de presque 20 ans un suc­cès phénomé­nal qui oblig­eait Igna­cio Corsi­ni à rechanter cet air sou­vent plus de cinq fois à la suite. Je vous invite à vous plonger dans l’his­toire de ce patotero, émou­vant par ses regrets et par là-même décou­vrir un peu plus cet univers des cabarets, repaire des patoteros.

Je pub­lie cet arti­cle le 26 jan­vi­er qui est la date anniver­saire de la ver­sion de Di Sar­li avec Mario Pomar et pas celle que je mets en avant, avec Rober­to Rufi­no. Je triche donc un petit peu, on pour­ra tou­jours en repar­ler un 6 juin…

Patoteros, apaches, youth gangs…

Un patotero est le mem­bre d’une pato­ta, un groupe de jeunes enclins à la vio­lence et à la délin­quance. Ce phénomène de ban­des de jeunes est sans doute une des con­séquences de la révo­lu­tion indus­trielle qui a jeté des généra­tions de paysans dans les villes. Si les par­ents y tra­vail­laient, les jeunes qui voy­aient les con­di­tions mépris­ables de vie de leurs par­ents trou­vaient refuge dans des activ­ités, plus ou moins lucra­tives à défaut d’être hon­nêtes.
Si à Paris, les Apach­es (ban­des de jeunes délin­quants surnom­mées ain­si par le jour­nal­iste Hen­ri Fouquier en référence à la bru­tal­ité de leurs crimes qui rap­pelaient les romans de Fen­i­more Coop­er col­por­tant des idées colo­nial­istes sur la vio­lence des Indi­ens améri­cains) étaient par­ti­c­ulière­ment vio­lents, à , les patoteros étaient un peu moins craints par la pop­u­la­tion. Pour juger de la dif­férence, on peut s’in­téress­er à leurs dans­es, vrai­ment très dif­férentes.
Pour les Argentins, je ne vous pro­pose pas de vidéo, il vous suf­fit d’imag­in­er un tan­go canyengue accen­tu­ant l’aspect « canaille », les fentes et autres pass­es (fig­ures) inspirées du com­bat au couteau.

Un bal en 1900. Peut-être du tan­go.

Pour le côté parisien, la danse des apach­es est une danse qui alterne des moments vio­lents et des moments plus sen­suels. C’est une drama­ti­sa­tion des rela­tions entre femmes et hommes. Cette danse per­dur­era en France jusque dans les années 60. On retrou­vera ses fig­ures, repris­es dans d’autres dans­es comme le lindy-hop, le rock acro­ba­tique, le tan­go de show, voire le tan­go de danse sportive.

Trois présen­ta­tions de valse chaloupée en 1904, 1910 et 1935. Cette danse présente des choré­gra­phies bru­tales, d’ap­parence machiste, même si les femmes peu­vent y être égale­ment agres­sives. On con­sid­ère que c’est une mise en scène des rela­tions tumultueuses entre une pros­ti­tuée et son souteneur. Quand on imag­ine le nom­bre de femmes « volées » à Paris et mise au tra­vail comme pros­ti­tuées en Argen­tine, on com­prend mieux ce phénomène, fait d’al­ter­nance de moments de ten­sions extrêmes et de moments de pas­sion amoureuse.

Extrait musical

Par­ti­tion de patotero sen­ti­men­tal. Trois cou­ver­tures. Avec Manuel Jovés et Igna­cio Corsi­ni à gauche et sur la cou­ver­ture de droite, Loren­zo Bar­bero qui l’a enreg­istrée en 1950 avec le chanteur .
Patotero sen­ti­men­tal 1941-06-06 — Orques­ta Car­los Di Sar­li con Rober­to Rufi­no.

Le patotero s’a­vance avec des pas bien mar­qués qui alter­nent avec de longs glis­san­dos des vio­lons.
Rufi­no com­mence à chanter, en respec­tant le rythme ini­tial. Sa voix est expres­sive et il ne som­bre pas dans le pathos que peu­vent présen­ter d’autres chanteurs. Cette sen­si­bil­ité asso­ciée à la pres­sion con­stante de l’orchestre fait que les trou­veront leur compte dans cette ver­sion idéale pour la danse. Le plaisir des oreilles et des jambes.
Nous ver­rons que cet équili­bre qui sem­ble si sim­ple et naturel dans cette ver­sion a du mal à se retrou­ver dans les nom­breux autres enreg­istrements du titre, du moins dans les ver­sions de danse, celles pour l’é­coute entre dans une autre caté­gorie. Par exem­ple, le même Di Sar­li, avec l’ex­cel­lent Mario Pomar fait un autre enreg­istrement en 1954 et il est dif­fi­cile d’y trou­ver la même dans­abil­ité, même si bien sûr de nom­breux danseurs tomberont sous le charme de cette autre ver­sion (qui est la vraie ver­sion du jour, puisqu’en­reg­istrée un 26 jan­vi­er).

Rober­to Rufi­no. À gauche à Mar del Pla­ta en 1970 et à droite à Radio Bel­gra­no en 1944.

Paroles

Patotero, rey del bai­lon­go
Patotero sen­ti­men­tal
Escondés bajo tu risa
Muchas ganas de llo­rar
Ya los años se van pasan­do
Y en mi pecho, no entra un quer­er
En mi vida tuve muchas, muchas minas
Pero nun­ca una mujer
Cuan­do ten­go dos copas de más
En mi pecho comien­za a sur­gir
El recuer­do de aque­l­la fiel mujer
Que me quiso de ver­dad y que ingra­to aban­doné
De su amor, me burlé sin mirar
Que pudiera sen­tir­lo
Sin pen­sar que los años al cor­rer
Iban cru­eles a amar­gar, a este rey del cabaret
Pobrecita, cómo llora­ba
Cuan­do ciego la eche a rodar
La pato­ta me mira­ba, y
No es de hom­bre el aflo­jar
Patotero, rey del bai­lon­go
Siem­pre de ella te acor­darás
Hoy reís, pero en tu risa
Solo hay ganas de llo­rar
Manuel Jovés Letra: Manuel Romero

libre des paroles

Patotero, roi du bal
Patotero sen­ti­men­tal
Tu caches sous ton rire beau­coup d’en­vies de pleur­er.
Et les années passent et, dans ma poitrine, aucun amour n’en­tre.
Dans ma vie, j’ai eu beau­coup, beau­coup de poulettes (chéries), mais jamais une femme.
Quand j’ai deux ver­res de trop, dans ma poitrine com­mence à resur­gir le sou­venir de cette femme fidèle qui m’aimait vrai­ment et que j’ai aban­don­née ingrate­ment.
De son amour, je me moquais sans voir que je pour­rais le ressen­tir plus tard, sans penser que les années, à mesure qu’elles s’é­coulaient, étaient cru­elles à aigrir ce roi du cabaret.
Pau­vre petite, comme elle pleu­rait quand aveu­gle j’ai com­mencé à la larguer.
La bande (pato­ta) m’ob­ser­vait, et ce n’est pas à un homme de se relâch­er (se laiss­er atten­drir).
Patotero, roi du bal, tou­jours, tu te sou­vien­dras d’elle.
Aujour­d’hui tu ris, mais, dans ton rire, il n’y a que l’en­vie de pleur­er.

Autres versions

El patotero sen­ti­men­tal 1922-03-29 — Igna­cio Corsi­ni con Orques­ta Rober­to Fir­po.

C’est Corsi­ni qui a créé le titre. Nous ver­rons cela en fin d’ar­ti­cle. Ce fut son pre­mier grand suc­cès, ce tan­go a lancé sa car­rière.

Igna­cio Corsi­ni en 1922

La même année, Car­los Gardel décide d’en­reg­istr­er le titre. Cette vidéo de Sin­fo­nia Mal­e­va per­met de suiv­re les paroles chan­tées par Car­los Gardel.

El patotero sen­ti­men­tal 1922 — Car­los Gardel con acomp. de Guiller­mo Bar­bi­eri, José Ricar­do (gui­tar­ras)
Sub­mergé d’é­mo­tion Raul () chante Patotero sen­ti­men­tal quand il com­prend qu’il va per­dre elisa. dans le film La vida est une tan­go (1939)
Patotero sen­ti­men­tal 1941-06-06 — Orques­ta Car­los Di Sar­li con Rober­to Rufi­no. C’est notre (faux) tan­go du jour.
Patotero sen­ti­men­tal 1949-11-25 — Orques­ta José Bas­so con Oscar Fer­rari.

La voix un peu acide de Fer­rari ne sert pas aus­si bien le thème que celle de Rufi­no ou de Corsi­ni. D’un point de vue de la danse, les manières de Fer­rari ren­dent cet enreg­istrement peu prop­ice à la danse. C’est un peu dom­mage, car l’orchestre fait un assez joli tra­vail.

Patotero sen­ti­men­tal 1950-12-28 — Loren­zo Bar­bero y su orques­ta de la argen­tinidad con Osval­do Brizuela.

Une Jolie ver­sion qui ne détrôn­era pas celle de Di Sar­li et Rufi­no, mais qui se laisse écouter et qui a obtenu un cer­tain suc­cès à son époque, comme en témoigne la par­ti­tion présen­tée au début de cet arti­cle.

Patotero sen­ti­men­tal 1952-10-16 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Héc­tor Pacheco.

Dans la veine des tan­gos à écouter il y a cette ver­sion. La voix pré­cieuse de Pacheco est-elle réelle­ment adap­tée au rôle d’un patotero, même con­ver­ti ? On a du mal à croire à cette his­toire, d’au­tant plus que Frese­do mul­ti­plie ses fior­i­t­ures, tout aus­si peu prop­ices à la danse que celles de Florindo Sasonne de la même époque.

Patotero sen­ti­men­tal 1954-01-26 — Orques­ta Car­los Di Sar­li con Mario Pomar.

J’adore Mario Pomar et son inter­pré­ta­tion ne souf­fre d’au­cune cri­tique. C’est juste que le choix un peu moins tonique rend, à mon sens, le titre un peu moins agréable à danser que la ver­sion avec Rufi­no enreg­istrée 13 ans plus tôt. C’est cette ver­sion qui a été enreg­istrée un 26 jan­vi­er et qui devrait donc offi­cielle­ment être le tan­go du jour.

Patotero sen­ti­men­tal 1974 — Orques­ta con Oscar Macri.

J’ai par­lé des bruitages de Sas­sone à pro­pos de la ver­sion de 1952 de Frese­do, je pense que vous remar­querez que Sas­sone ne les pro­pose pas dans cet enreg­istrement. C’est assez logique, car ces bruitages sont le témoignage d’une époque et qu’ils furent aban­don­nés par la suite. Vous noterez toute­fois les moments où Sas­sone quelques années plus tôt aurait abusé de ces effets. Si Sas­sone n’est pas un pour­voyeur de tan­go de danse, il faut recon­naître qu’avec l’in­ter­pré­ta­tion inspirée de Macri, le résul­tat est plutôt sym­pa, même si à mon avis, il ne devrait pas franchir la porte de la milon­ga (en tous cas pas trop sou­vent 😉

Patotero sen­ti­men­tal 1974 — .

L’har­mon­i­ca d’Hugo Díaz, une voix à lui tout seul. L’am­biance jazzy don­née par le piano et la gui­tare ne sat­is­fera cepen­dant pas les danseurs qui réserveront le titre pour une écoute au coin du feu.

Patotero sen­ti­men­tal 1974c — Leopol­do Fed­eri­co con Car­los Gari.

Le ban­donéon expres­sif de Leopol­do Fed­eri­co nous offre un duo avec Car­los Gari dont la voix puis­sante con­traste avec tous les instru­ments. C’est une belle inter­pré­ta­tion, pleine d’é­mo­tion. L’op­po­si­tion, voix et instru­ments du début s’a­paise pro­gres­sive­ment pour nous offrir un paysage sonore par­faite­ment cohérent. Moi, j’aime bien, mais bien sûr, ça reste entre mon ordi­na­teur et moi, cela ne passera pas sur les haut-par­leurs de la milon­ga.

Patotero sen­ti­men­tal 1991-03 — Car­los Gar­cía solo de piano.

Le piano sait sou­vent être expres­sif. Je vous laisse juger si Car­los Gar­cía a su suff­isam­ment faire par­ler son instru­ment…

Patotero sen­ti­men­tal 2005 — Cuar­te­to Guardia Vie­ja con Omar de Luca (ou Dario Paz ou Fabi­an Vidarte…). Je ne suis pas sûr de qui chante.
Patotero sen­ti­men­tal 2006 — Aure­liano Tan­go Club C .

Une ver­sion très dif­férente mais pas inin­téres­sante. Vous pou­vez jeter un œil à leur site, celui d’Au­re­liano Marin, arrangeur, directeur et con­tre­bassiste du trio en plus d’en être le chanteur.

Patotero sen­ti­men­tal 2011 — Orques­ta Típi­ca Gente de Tan­go con Héc­tor Mora­no.

On ter­mine ici, avec une ver­sion plus tra­di­tion­nelle.

Origine de ce tango

Comme nous l’avons vu à de nom­breuses repris­es, les tan­gos qui ani­ment nos milon­gas ont sou­vent été créés pour des revues musi­cales, des pièces de théâtre ou des films. Celui-ci ne fait pas excep­tion. Il était une des scènes de la pièce “El bailarín del cabaret” (le danseur de cabaret) qui fut lancée le 12 mai 1922 au théâtre Apo­lo par la com­pag­nie de Cesar Rat­ti, et qui eut un suc­cès immense, notam­ment pour l’in­ter­pré­ta­tion par Igna­cio Corsi­ni de notre tan­go du jour.
Les spec­ta­teurs bis­saient de nom­breuses fois ce titre que Corsi­ni chan­tait, appuyé sur le dossier d’une chaise et avec le genou droit sur l’as­sise. On con­nait ce détail par dans “His­to­ria de las vari­etés en Buenos Aires 1900–1925” qui nous apprend égale­ment que 800 dis­ques de ce titre ont été gravés en 1922 et comme nous l’avons vu, Gardel s’est aus­si emparé du phénomène, la même année.

Osval­do Sosa Cordero; His­to­ria de las vari­etés en Buenos Aires 1900–1925. À gauche, édi­tion orig­i­nale de 1978 et à droite, la réédi­tion de 1999.

Il me sem­ble intéres­sant de voir com­ment s’ar­tic­u­laient ces var­iétés.

El bailarín del cabaret — Cou­ver­ture de la 4ème édi­tion (19 août 1922 et déjà 319 représen­ta­tions suc­ces­sives)… À droite, l’ex­trait du livret avec les paroles du tan­go chan­té par Igna­cio Corsi­ni.

Dans la pièce de Manuel Romero, El bailarín del cabaret, où se trou­ve cette pièce, il y a 4 tableaux. L’ap­pari­tion de ce tan­go est dans le troisième.
La scène se passe dans un cabaret lux­ueux et tous dansent un fox­trot joué par l’orchestre dirigé par Félix Sco­lat­ti Almey­da, sauf Maria qui est triste à sa table et une famille qui décou­vre cet univers.
Je vous repro­duis ici un dia­logue savoureux où un jeune homme (Tron­coso) souhaite inviter la fille de la famille de vis­i­teurs (Cayetana) et qui se ter­mine par l’in­tro­duc­tion de notre tan­go, Patotero sen­ti­men­tal.

Dialogues liminaires au tango Patotero sentimental

TRONCOSO.- Bue­nas noches. ¿ Me acom­paña ese tan­go señori­ta?
CAYETANA.-Yo no me coman­do sola. Pídale per­miso a me papá.
D. GAETANO.-E iñu­dole, cabayere. Me nena non “bala”.
TRONCOSO.-¿Cómo es eso? ¿Aca­so ust­ed. no sabe que toda mujer que entra aquí está oblig­a­da a bailar?
D. GAETANO.-Ma nun. diga.
TRONCOSO.–Si, señor, sino va a haber tiros.
CAYETANA.-Papá, vamo in casa. (Tron­coso saca un revólver.)
D. GAETANO.-Boeno … boeno .. . que “bale” pero no me lam­prete mucho. (Bailan ridic­u­la­mente.)
CATALINA.-Gaetano; roa mire como le hace co la pier­na.
D. GAETANO.-(Parándolo.) ¡Ah! ¡No covenci­to, eso no, pe la madon­na!
Me hija non he una melunguera cualunque. E osté, non debe hac­er­le cosquiyite inta la gam­ba, Sabe?
TRONCOSO.-¿Dónde le he hecho cosquil­las?
D. GAETANO.-¿E me lo pre­gun­ta todavía? ¡Chan­cho!
TRONCOSO.-¡Salí de ahí otario!(Le da un bife,y lo sacan a bofe­tadas
has­ta la calle, madre e hija van detras, la orques­ta ata­ca un paso doble. Tumul­to, risas y todos bailan.) ¿ Vamos a bailar, Mar­ta?
MARTA.-No: dejame, no quiero bailar hoy.
TRONCOSO.-¿ Qué te pasa?
MARTA.-Nada. Dejame.
TRONCOSO.-¿Pero qué tenés vos esta noche?
MARTA.-Nada. Se van a reir si lo digo.
PANCHITO.-Dejala; algún mete­jón nue­vo.
MARTA.-No, nada de eso, les juro.
MARGOT.-A ver, dec­ime­lo ami. Yo soy tu ami­ga .
M‑ARTA.-¡Es qué! … Pero no, es ridícu­lo.
MARGOT.-Deci … .
MARTA.-Pero no se rían. He deja­do a mi nene en casa con cuarenta
gra­dos de fiebre y se me va a morir y yo no quiero que se me muera. (Llo­ran­do.)
LA BEBA.-¡Já, já, já! Dejate de sen­ti­men­tal­is­mos.
TRONCOSO.-¡Qué des­gra­ci­a­da! (Todos rien.)
LORENA.-¿Por qué se ríen de ella?
TRONCOSO.-A vos que te pasa? De un tiem­po a esta parte el mozo se ha puesto muy sen­ti­men­tal.
LA BEBA.-En cuan­to toma dos copas se pone imposi­ble.
LORENA.-Para ust­edes no hay nada respetable en la vida …
TRONCOSO.-Pero her­mano! Vos, el rey de los patateros, hablan­do asi! …
LORENA.-¿ Y qué? ¿Aca­so un patatero no puede ten­er alma? Si ust­edes supier­an …

Traduction des dialogues

TRONCOSO.- Bon­soir. M’ac­com­pa­g­ner­iez-vous pour ce tan­go, made­moi­selle ?
CAYETANA : Je ne me com­mande pas. Deman­dez la per­mis­sion à mon père.
D. GAETANO.- C’est inutile jeune-homme. Ma fille ne « danse » pas.
(Les guillemets soulig­nent l’opin­ion que le père a de ces dans­es de cabaret).
TRONCOSO.- Com­ment cela se fait-il ? Vrai­ment? Ne savez-vous pas que chaque femme qui entre ici est oblig­ée de danser ?
D. GAETANO.-Mais nul me l’a dit.
TRONCOSO.–Oui, mon­sieur, sinon il y aura des coups de feu.
CAYETANA.-Papa, ren­trons à la mai­son. (Tron­coso sort un revolver.)
D. GAETANO.-Bien … Bien .. . qu’ils « dansent » cette « danse » mais ne la ser­rez pas trop. (Ils dansent ridicule­ment.)
CATALINA.-Gaetano ; Roa, regarde com­ment il fait avec sa jambe.
D. GAETANO.- (L’ar­rê­tant.) Ah ! Non jeune homme, pas ça, par la Madone !
Ma fille n’est pas une melunguera (milonguera, le père ne con­nait pas bien et déforme le mot) quel­conque. Et il ne faut pas cha­touiller la jambe, vous savez ?
TRONCOSO : Où l’ai-je cha­touil­lée ?
D. GAETANO : Et vous me deman­dez en plus ? Cochon!
TRONCOSO : Sors d’i­ci, otario !
(Otario, cave, naïf, idiot) (Il le gifle, et ils le sor­tent avec des baffes) jusqu’à la rue. La mère et la fille se glis­sent der­rière, l’orchestre attaque un paso doble. Tumulte, rires et tout le monde danse.) On va danser, Mar­ta ?
MARTHA : Non, laisse-moi, je ne veux pas danser aujour­d’hui.
TRONCOSO : Que t’ar­rive-t-il ?
MARTA.-Rien, laisse-moi.
TRONCOSO : Mais qu’as-tu ce soir ?
MARTA : Rien, ils vont rire si je le dis.
PANCHITO : Laisse-la ; quelque chose d’une nou­velle amourette.
MARTA : Non, rien de tel, je vous jure.
MARGOT : Eh bien, dis-le-moi. Je suis ton amie.
MARTA.-C’est que ! … Mais non, c’est ridicule.
MARGOT.-Parle… .
MARTA : Mais ne riez pas. J’ai lais­sé mon bébé à la mai­son avec quar­ante degrés de fièvre et il va mourir et je ne veux pas qu’il meure. (En pleurs.)
LA BEBA.-Ah-Ah-Ah Arrête avec la sen­ti­men­tal­ité.
TRONCOSO : Quelle malchance ! (Tout le monde rit.)
LORENA.-Pourquoi vous moquez-vous d’elle ?
TRONCOSO : Qu’est-ce qui ne va pas chez toi ? Depuis quelque temps, le mon­sieur (beau jeune-homme) est devenu très sen­ti­men­tal.
LE BÉBÉ : Dès qu’il boit deux ver­res il devient impos­si­ble.
LORENA.-Pour vous, il n’y a rien de respectable dans la vie…
TRONCOSO : Mais frère ! Toi, le roi des patateros, tu par­les ain­si !…
LORENA : Et alors ? Un patatero ne peut-il pas avoir une âme ? Si vous saviez…

Et là, Igna­cio Corsi­ni retourne une chaise, pose un genou sur l’as­sise et s’ap­puie au dossier avant d’en­tamer cette chan­son qu’il repren­dra de nom­breuses fois à la demande des spec­ta­teurs.
Lors d’une représen­ta­tion, le chef de la troupe, Cesar Rat­ti, a essayé d’in­ter­dire les bis mul­ti­ples. Finale­ment, il a dû céder devant la pres­sion du pub­lic et il y a eu cinq bis.
Voilà, vous en savez sans doute un peu plus sur l’his­toire de ce tan­go et du lien entre notre musique favorite, les cabarets, théâtres et autres lieux de spec­ta­cle du début du vingtième siè­cle.

À bien­tôt, les amis !

De puro guapo 1940-01-25 — Orquesta Pedro Laurenz con Juan Carlos Casas

Pedro Laurenz (Pedro Blanco) Letra: Manuel Andrés Meaños

Même si Pedro Lau­renz et Juan Car­los Casas ont enreg­istré dix tan­gos, la plu­part du temps, dans les milon­gas, seuls qua­tre de ces titres sont dif­fusés par les DJ. Ces titres le méri­tent, mais cela occulte les autres enreg­istrements qui peu­vent per­me­t­tre de faire des tan­das plus intéres­santes. En effet, les titres habituels sont telle­ment proches qu’on a l’im­pres­sion de danser plusieurs fois le même titre.

Extrait musical

Par­ti­tion de Puro puapo, ver­sion Lau­renz et Meaños.
De puro guapo 1940-01-25 — Orques­ta Pedro Lau­renz con Juan Car­los Casas.

Deux accords au piano d’Héc­tor Grané, puis l’ap­pel qui fait se sou­venir que Lau­renz était ban­donéon­iste (ici, accom­pa­g­né au ban­donéon par Ángel Domínguez et Rolan­do Gavi­o­li). Avec le com­plé­ment de la con­tre­basse de Alber­to Celen­za, le rythme très mar­qué des ban­donéons et du piano se con­tin­ue. Il faut atten­dre presque une minute pour que les vio­lons s’ex­pri­ment de façon plus audi­ble et encore, pour quelques sec­on­des. À 1:25 un très beau motif du vio­loniste Mauri­cio Mise annonce l’in­ter­ven­tion de Juan Car­los Casas qui débute à 1:45. La voix par­faite­ment déliée s’in­tè­gre dans le phrasé agres­sif des ban­donéons qui, lorsque Casas ter­mine le seul refrain, repren­nent jusqu’au final le rythme puis­sant.

Paroles

Entre cortes y que­bradas,
suave rezongué en tu oído
todo mi ver­bo flori­do
que te dijo mi quer­er.
Vos mostraste en tu son­risa
toda tu coquetería,
y yo, ven­ci­da mi hom­bría…
Yo que siem­pre supe vencer.

Pa’ con­seguir tu car­iño
quiero jugarme la vida
al naipe que me ha gus­ta­do…
No es la primera par­ti­da
en que mi resto he juga­do…
Y si al final copo y gano,
—tau­ra soy en la pos­tu­ra—
hay un , bra­va mano,
cora­je y bravu­ra
pa’ hac­erme valer.

Lo que yo quiero lo ten­go,
y eso por tau­ra y por guapo…
Bas­ta que en un bra­zo el trapo
ten­ga y en otro el facón…
Si no bas­tan mis haz­a­ñas
pon­go mi cora­je a prue­ba.
¡Nadie ven­ta­ja me lle­va
cuan­do está en juego tu amor!
Pedro Lau­renz (Pedro Blan­co) Letra: Manuel Andrés Meaños

Juan Car­los Casas ne chante que le refrain (en gras).

Traduction libre

Entre cortes y que­bradas (fig­ures de tan­go archaïques),
J’ai douce­ment grom­melé dans ton oreille
Tout mon verbe fleuri
Que t’a dit mon amour.
Tu as mon­tré avec ton sourire
Toute ta coquet­terie (séduc­tion)
et moi, ma viril­ité vain­cue…
Moi qui avais tou­jours su vain­cre.
Pour obtenir ton affec­tion
Je veux ris­quer ma vie
à la carte qui m’a plu…
Ce n’est pas la pre­mière par­tie
dans lequel j’ai joué mon repos…
Et si à la fin je bois et gagne,
—tau­ra (Caïd), je suis dans la pos­ture —
il y a un couteau, main vive (courageuse, prompte à tir­er le couteau),
Courage et bravoure
pour me faire val­oir.
Ce que je veux, je l’ai
Et cela par tau­ra et par beau (parce que je suis un caïd et beau)…
Il suf­fit que, dans un bras il y ait le chif­fon (étoffe pour pro­téger. Les gau­chos util­i­saient leur pon­cho enroulé sur le bras comme pro­tec­tion)
et dans l’autre, le couteau…
Si mes exploits ne suff­isent pas
Je mets mon courage à l’épreuve.
Per­son­ne n’a l’a­van­tage sur moi
Quand est en jeu ton amour !

Autres versions

De puro guapo 1935-07-24 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Rober­to Mai­da.

On est telle­ment habitués à enten­dre la ver­sion de Lau­renz et Casas, que cette ver­sion pesante de Canaro sem­ble d’une antiq­ui­té insup­port­able. De fait, il sem­ble peu intéres­sant de sub­stituer cet à notre tan­go du jour. Bien sûr, les ama­teurs de seront sans doute d’un avis con­traire et c’est bien. J’aime la diver­sité des opin­ions.

De puro guapo 1935-11-26 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to con Jorge Omar.

Enreg­istré seule­ment qua­tre mois plus tard, la ver­sion de Lomu­to se dégage un peu plus de la gangue de la vieille garde que la ver­sion de Canaro. Quelques lib­ertés des instru­ments allè­gent égale­ment cet enreg­istrement. La sonorité est plus proche de celle que pro­duira trois ans plus tard Lau­renz.

De puro guapo 1940-01-25 — Orques­ta Pedro Lau­renz con Juan Car­los Casas. C’est notre tan­go du jour.

Les enreg­istrements suiv­ants seront instru­men­taux et chercheront à pro­pos­er de nou­velles direc­tions dans l’in­ter­pré­ta­tion de l’œu­vre. Je vous invite à juger de la diver­sité.

De puro guapo 1966 — Leopol­do Fed­eri­co y Rober­to Grela.

Grela que nous avons enten­du tant de fois en duo avec Troi­lo est ici avec Leopol­do Fed­eri­co. Le ban­donéon de ce dernier et la gui­tare de Grela nous livrent un titre très intéres­sant à écouter, foi­son­nant de créa­tiv­ité.

De puro guapo 1967-11-29 — Orques­ta Aníbal Troi­lo.

La ver­sion de Troi­lo est assez majestueuse. Elle n’est claire­ment pas des­tinée à la danse, même si je con­nais cer­tains qui me con­trediront.

De puro guapo 1968 — Pedro Lau­renz con su Quin­te­to.

Près de 30 ans plus tard, Lau­renz remet son titre en jeu. Cette ver­sion un peu sautil­lante ne me con­va­inc pas, mais pas du tout. On a l’im­pres­sion que les musi­ciens s’en­dor­ment, mal­gré la présence de la gui­tare élec­trique…
Le quin­tette était for­mé de Pedro Lau­renz (ban­donéon), Eduar­do Wal­czak (vio­lon), Rubén Ruiz (gui­tare élec­trique), (piano) et Luis Pereyra qui a rem­placé le ban­donéon par la con­tre­basse.

De puro guapo 1969-09-18 — Orques­ta Juan D’Arien­zo.

On réveille tout le monde avec cette ver­sion de D’Arien­zo. Si on recon­naît des élé­ments de D’Arien­zo, cet enreg­istrement tardif manque sans doute de la puis­sance que peu­vent man­i­fester d’autres titres de la même époque. Les efforts de D’Arien­zo pour pro­duire un son plus « mod­erne » déna­turent son style et là encore, je ne défendrai pas ce titre pour con­stituer une tan­da, même si cela reste dans­able.

De puro guapo 1972-11-10 — Orques­ta .

Après les recherch­es de Troi­lo, cette ver­sion mar­que une autre étape dans la recherche d’une har­monie par­ti­c­ulière. Autant les mêmes efforts chez D’Arien­zo tombaient à plat, autant le résul­tat de Pugliese apporte un sus­pens musi­cal qui rend l’œu­vre pas­sion­nante à écouter. Là encore, ce n’est pas un titre à danser, mais à écouter avec une atten­tion soutenue pour prof­iter de tous ces instants sub­tils.

De puro guapo 1996 — Quin­te­to Real.

Puisqu’on a décidé de s’éloign­er, au fil du temps du tan­go de danse, cette ver­sion du Quin­te­to Real s’es­saye à une syn­thèse entre les recherch­es de Pugliese et l’orches­tra­tion de Lau­renz. Le résul­tat, au regard des deux mod­èles opposés a du mal à con­va­in­cre, ou pour le moins à me con­va­in­cre.

De puro guapo 2002 — .

La Fur­ca essaye de main­tenir la dragée haute. Il est curieux de voir que cette œuvre qui a sus­cité la mer­veilleuse ver­sion de Lau­renz Casas a eu peu de descen­dance à la hau­teur.
Je vous pro­pose de ter­min­er ce tour du tan­go « De Puro Guapo » avec une petite sur­prise.

Un Puro guapo peut en cacher un autre

Il arrive sou­vent qu’on demande au DJ un morceau spé­ci­fique. C’est générale­ment le cas pour les démon­stra­tions de , mais aus­si pour les danseurs usuels de la milon­ga. Sou­vent (lire, tout le temps), ils sont décom­posés quand je leur dis, mais quelle ver­sion ? Suit une petite écoute au casque, jusqu’à ce qu’ils trou­vent la ver­sion souhaitée.
À ce sujet, j’ai eu, en quelques occa­sions, des danseurs qui m’ont chan­té le titre qu’ils voulaient pour leur démo. Là encore, trou­ver le titre est générale­ment assez facile, mais quand il y a trente ver­sions, il faut faire preuve de per­spi­cac­ité.
Par­fois, la dif­fi­culté vient de ce qu’un orchestre a enreg­istré deux tan­gos du même titre, mais dif­férents. C’est par exem­ple le cas avec De puro guapo qui existe aus­si dans une ver­sion écrite par Rafael Iri­arte (Rafael Yorio) avec des paroles de Juan Car­los Fer­nán­dez Díaz.
Ce tan­go a été enreg­istré par plusieurs orchestres qui ont aus­si enreg­istré la ver­sion de Lau­renz, par exem­ple, Fran­cis­co Canaro. Mais on se ren­dra bien vite compte que ce n’est pas le même. Imag­inez le désar­roi du cou­ple de danseurs en démon­stra­tion si le DJ met le mau­vais tan­go. Le DJ doit savoir pos­er les bonnes ques­tions et faire écouter le titre aux danseurs , si pos­si­ble, et les danseurs devraient s’as­sur­er de la ver­sion qu’ils souhait­ent utilis­er en don­nant l’orchestre, l’éventuel chanteur et la date d’en­reg­istrement afin d’éviter tout risque et ambiguïté. Enfin, presque tous les risques, car nous avons vu qu’un orchestre comme celui de Canaro pou­vait enreg­istr­er le même jour avec le même chanteur, le même titre, un en ver­sion de danse et un en ver­sion d’é­coute…

La cou­ver­ture de la ver­sion de Iri­arte et Meaños. Je vous passe les paroles du tan­go, comme on peut s’en douter en voy­ant cette illus­tra­tion, l’his­toire est trag­ique, plus que celle de Lau­renz à laque­lle elle peut tout de même répon­dre…
De puro guapo 1927-11-16 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

On retrou­ve le canyengue cher à Canaro. Cette ver­sion instru­men­tale nous dis­pense de la noirceur des paroles. On remar­que que le titre n’a rien à voir avec celui écrit par Lau­renz.

De puro guapo 1928-01-14 — Car­los Gardel con acomp. de , (gui­tar­ras).

Gardel avec ses gui­taristes nous présente cette chan­son trag­ique.

De puro guapo V2 1928-02-02 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Ernesto Famá.

Deux semaines après Gardel, Frese­do enreg­istre le titre dans une ver­sion des­tinée à la danse. Tout au moins la danse de l’époque…

De puro guapo 1972-12-13 — Rober­to Goyeneche con y su Orques­ta Típi­ca.

Goyeneche nous donne une très belle inter­pré­ta­tion de ce titre. Bien sûr, une chan­son, bien jolie à écouter et chargée d’é­mo­tion.

Comme la ver­sion de Lau­renz, la ver­sion de Iri­arte a don­né lieu à des inter­pré­ta­tions très var­iées, mais elle n’au­ra sans doute pas les hon­neurs du bal, comme la ver­sion que Lau­renz a enreg­istrés avec Casas et qui nous rav­it à chaque fois.

Bon, lais­sons les puros gua­pos à leurs van­tardis­es et méfaits et je vous dis, à bien­tôt, les amis !

No te cases 1937-01-23 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos

Edgardo Donato Letra: Carlos Pesce

“No te cas­es” (ne te marie pas), c’est le con­seil don­né par ce tan­go com­posé par Dona­to avec des paroles de Car­los Pesce. Ceux qui nous con­nais­sent savent que nous n’al­lons pas suiv­re cette direc­tive. Cepen­dant, les com­plex­ités de l’ad­min­is­tra­tion argen­tine font que nous avons fail­li baiss­er les bras aujour­d’hui même, juste avant de recevoir enfin l’in­for­ma­tion que notre mariage était con­fir­mé après deux mois de bagarre et deux reports de date.

Extrait musical

Disque Vic­tor 38092. No te cas­es est sur la face A.
No te cas­es 1937-01-23 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos.

Le motif sym­pa­thique des ban­donéons ouvre ce titre. Il sonne comme une comp­tine enfan­tine. Se suc­cè­dent ensuite des suc­ces­sions de pas­sages ordon­nés et d’autres plus trou­blés, comme s’il y avait un con­tra­dic­toire pesant le pour et le con­tre.
À 59 sec­on­des com­mence la chan­son. Lagos chante le refrain avec quelques répliques par­lées par un inter­venant non iden­ti­fié qui joue le rôle du futur mar­ié.
Est-ce Dona­to ? Ce n’est pas impos­si­ble. Canaro effectue sou­vent, ce type d’in­ter­ven­tions.

Paroles

¡No te cas­es! ¿A qué val­or ?
Seguí nomás así, que sos un gran señor.
¡No te cas­es! ¿Que vas hac­er? ¡que peli­grá! Ya vas a entrar
¡Mírame a mí que bien! ¡Quien lo dirá!
Gor­do y feliz como un sultán Pobre de vos
¿Casarme yo? ¡Ja Ja! Si estoy muy bien así E sí…
Sin com­pli­carme con la exis­ten­cia
Si es un plac­er lle­gar a fin de mes.
Edgar­do Dona­to Letra: Car­los Pesce

En rouge, les répliques de l’in­téressé.

libre

Ne te marie pas ! À quelle valeur ?
Con­tin­ue comme ça, tu es un grand seigneur.
Ne te marie pas ! Que vas-tu faire ? Quel dan­ger ! Tu vas com­pren­dre.
Regarde-moi, comme c’est bon ! Qui le dira !
Gros et heureux comme un sul­tan, Pau­vre de toi
Me mari­er, moi ? Ha ha ! Si je suis très bien ain­si. Et si…
Sans me com­pli­quer l’ex­is­tence
Si c’est un plaisir de join­dre les deux bouts. (arriv­er à la fin du mois)

Le futur mar­ié qui inter­vient en réponse, pense que son copain va finale­ment se mari­er, même s’il donne le con­seil con­traire.

Autres versions

Il n’y a pas d’autre enreg­istrement de ce titre, mais…

Libo­rio no te cas­es 1931-04-10 — Orques­ta con Char­lo.

Un fox­trot adressé à un cer­tain Libo­rio qui lui donne les mêmes con­seils. Rap­pelons, pour la xxxxx fois, que Canaro avait aus­si un orchestre de jazz et que les bals de l’époque étaient mixtes, tan­go et jazz.
Le Libo­rio en ques­tion pour­rait être Argenti­no Libo­rio Galván (18 ans au moment de cet enreg­istrement, ou le com­pos­i­teur moins con­nu, Augus­to Libo­rio Fis­tol­era Mallié (32 ans au moment de cet enreg­istrement). Il peut s’a­gir égale­ment d’un tout autre Liberio, amis ou pas des auteurs, Eduar­do Armani et (musique), Alfre­do Enrique Bertonasco et Domin­go L. Mar­tignone (paroles). Le L. de Mar­tignone est pour “Luis”, pas Libo­rio…

No te cas­es 1937-01-23 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos. C’est notre .
Ya lo sabés… (No te casés) 1941-07-01 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con y coro.

Encore Canaro, qui ne voulait pas vrai­ment se mari­er avec Ada Fal­cón, ou plutôt, qui craig­nait de divorcer de la Française, sa ter­ri­ble épouse… On peut donc imag­in­er qu’il se lance le con­seil, avec un peu de retard à tra­vers cette jolie valse com­posée par son frère et avec des paroles d’Aris­teo Salgueiro.

17 février 2025

Ce n’est pas un événe­ment dans l’, mais, ce jour, Vic­to­ria et moi nous marierons à (Boe­do). Si ça vous dit de nous faire un coucou, au Sede Comu­nal 5 ou en visio…
Ce bâti­ment est le pre­mier de ce type à Buenos Aires. Il mar­que une volon­té de redonner une empreinte verte à la ville.

Le Sede comu­nal 5 (boe­do) avec son mur végé­tal­isé. À droite, la struc­ture des anciens entre­pôts Tata a été con­servée et util­isée pour fournir de l’om­bre dans le parc.
La ter­rasse végé­tal­isée et le sys­tème de col­lecte de l’eau pour l’ar­rosage du parc adja­cent.
L’en­trée du Sede comu­nal 5 et le parc.

Notre lieu de mariage est un petit coin de ver­dure dans la grande ville, à deux pas de notre mai­son (deux pas ou plutôt 200 mètres).
Et pour les curieux d’his­toire, ce lieu char­mant est le fruit de la lutte des habi­tants pour obtenir un espace vert à la place des anciens entre­pôts de la com­pag­nie Tata.

Les anciens locaux de Tata (années 1980). C’est vrai­ment plus sym­pa main­tenant.
Les habi­tants man­i­fes­tant pour obtenir la place et faire obsta­cle aux pro­jets indus­triels pour ce lieu. Ici, ils sont avenue Boe­do, à l’an­gle de Inde­pen­den­cia.

Nous ne suiv­rons donc pas les con­seils de nos pré­cieux aînés…

À bien­tôt les amis !

Lors de notre dernier pas­sage en France pour le fes­ti­val Niort Tan­go (10/2024). Ici, à La Rochelle.

La Shunca 1941-01-21 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos, Lita Morales y Romeo Gavio

Barcelata Letra: Ernesto Cortázar

La Shun­ca est la cadette d’une famille. C’est égale­ment une parole affectueuse pour la fiancée. Cette valse enjouée, avec des paroles de Ernesto Cortázar, laisse plan­er un petit sous-enten­du. Entrons dans la valse et lais­sons-nous bercer par les vagues de la musique qui vont nous men­er assez loin des rives de l’Ar­gen­tine.

Qui est la Shunca ?

Comme nous l’avons vu, la Shun­ca est la cadette de la famille. Ce terme est d’o­rig­ine zapotèque, c’est-à-dire d’un peu­ple d’Amérique cen­trale et plus pré­cisé­ment du Mex­ique (région de Mex­i­co), bien loin de l’Ar­gen­tine. Cela pour­rait paraître éton­nant, mais vous vous sou­vien­drez que nous avons sou­vent mis en valeur les liens entre le Mex­ique et l’Ar­gen­tine dans d’autres anec­dotes et que les musi­ciens voy­ageaient beau­coup, pour enreg­istr­er dans des pays mieux équipés, ou pour assoir leur car­rière.
Les deux auteurs, Loren­zo Barce­la­ta et Ernesto Cortázar, sont mex­i­cains. Par ailleurs, on con­naît l’en­goue­ment des Mex­i­cains pour la valse jouée par les mari­achis et que même Luis Mar­i­ano chan­ta avec son titre, « La valse mex­i­caine ». Vous avez donc l’o­rig­ine de l’ar­rivée de la Shun­ca dans le réper­toire du tan­go argentin. Nous avons d’autres exem­ples, comme la Zan­dun­ga. Nous ver­rons que ce n’est pas un hasard…

Extrait musical

La Shun­ca 1941-01-21 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con , Lita Morales y Romeo Gavio.

La valse est instau­rée dès le début avec un rythme soutenu, alter­nant des pas­sages légatos et stac­catos. À 42s arrivent l’air prin­ci­pal. À 1:05 Romeo Gavi­o­li com­mence à chanter. À 1 :41, c’est le tour de Lita Morales, puis Hora­cio Lagos se lance à son tour pour for­mer un trio avec les deux autres chanteurs. Comme sou­vent, la fin tonique est con­sti­tuée de dou­bles-croches qui don­nent une impres­sion de vitesse, même si le rythme est le même qu’au début.

Des duos et trios à gogo

Dona­to a aimé utilis­er des duos et trios de chanteurs, sans doute plus que d’autres orchestres. J’ai indiqué duo+ et trio+ quand il y avait deux ou trois chanteurs iden­ti­fiés et un chœur. Le (+) est car il y a plus que le duo ou le trio.
Trios Hora­cio Lagos, Lita Morales, Romeo Gavi­o­li :
Estrel­li­ta mía, La Shun­ca, Luna, Volverás….pero cuán­do (valses)
Sin­fonía de arra­bal (tan­go).
Trios+ Hora­cio Lagos, Lita Morales avec chœur :
(valse).
No se haga mala san­gre (pol­ka).
Trio+ Félix Gutiér­rez, Luis Díaz avec chœur :
La Nove­na (tan­go)
Duos Hora­cio Lagos, Lita Morales :
Car­naval de mi bar­rio, Cha­pale­an­do bar­ro, Sins­a­bor, Som­bra gaucha (tan­gos)
Duos Romeo Gavi­o­li, Lita Morales :
Mi , Yo te amo (tan­gos).
Duos Gavi­o­li, Hora­cio Lagos :
Aman­do en silen­cio, Lon­ja­zos (tan­gos)
Noches cor­renti­nas (valse)
Repique del corazón, Sen­tir del corazón (milon­gas).
Duos , Ran­dona (Arman­do Julio Pio­vani) :
Amores viejos, Quien más… quien menos…, , Ruego, Una luz en tus ojos (tan­gos).
Duos Hora­cio Lagos, Ran­dona (Arman­do Julio Pio­vani) :
Si tú supieras, Te gané de mano (tan­gos).
Cara negra, (milon­gas)
Duos Hugo del Car­ril et Ran­dona (Arman­do Julio Pio­vani) :
Rosa, poneme una ven­tosa (tan­go)
Mi more­na (paso doble)
Duo Daniel Adamo et Jorge Denis :
El lecher­i­to (milon­ga)
Duo avec Teó­fi­lo Ibáñez :
Madre Patria (paso doble)
Duo y Raúl Ángeló :
T.B.C. (tan­go)
Duo+ Anto­nio Mai­da avec chœur :
Sandía cal­a­da (ranchera)
Duo+ avec chœur :
Mamá (tan­go)
Duos+ Félix Gutiér­rez avec chœur :
La nove­na, Que Haces! Que Haces! (tan­go)
Duos+ Hora­cio Lagos avec chœur :
Hacete car­tel, Hay que aco­modarse (tan­gos)
Vir­genci­ta (valse)
Pier­rot apa­sion­a­do (marche brésili­enne)
Duo+ Juan Alessio avec chœur :
Hola!… Qué tal?… (tan­go)
Duo+ Lita Morales avec chœur :
Triqui-trá (tan­go)
Duos Luis Díaz avec chœur :
Chau chau, Sev­eri­no, , Felici­ta­me her­mano (tan­gos)
Can­dom­bian­do (max­ixe)
Ma qui fu (tar­entelle)
Ño Agenor (ranchera)

C’est un beau record.

Paroles

La luna se ve de noche,
El sol al amanecer,
Hay quienes por ver la luna
Otra cosi­ta no quieren ver.

Me dicen que soy boni­ta,
Quién sabe porque será,
Si alguno tiene la cul­pa
Que le pre­gun­ten a mi papá.

Shun­ca para acá, Shun­ca para allá,
¡Ay!, las olas que vienen y van,
Shun­ca para acá, Shun­ca para allá,
¡Ay!, car­iño me vas a matar.
Loren­zo Barce­la­ta Letra: Ernesto Cortázar

Traduction libre et indications

La lune se voit la nuit,
Le soleil à l’aube,
Il y a cer­tains qui voient la lune
Une autre petite chose, ils ne veu­lent pas la voir.

Ils me dis­ent que je suis jolie
Qui sait pourquoi c’est le cas,
Si quelqu’un en a la faute
Deman­dez-le à mon papa. (J’imag­ine que le père n’est pas si beau et qu’il faut chercher ailleurs les gènes de beauté de la Shun­ca)

Shun­ca par ci, Shun­ca par-là,
Oh, les vagues qui vont et vien­nent,
Shun­ca par ici, Shun­ca par-là,
Oh, chéri, tu vas me tuer.

Autres versions

Il n’y a pas d’autre enreg­istrement argentin de ce titre, je vous pro­pose donc de com­pléter avec des ver­sions mex­i­caines…

La Shun­ca 1941-01-21 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos, Lita Morales y Romeo Gavio. C’est notre valse du jour.
La Shun­ca 1938 – Las Her­manas Padil­la con Los Costeños.
Disque Vocalion 9101 de La Shun­ca par Las Her­manas Padil­la avec Los Costeños. On notera la men­tion “Can­ción Tehua­na” et le nom de Loren­zo Barce­la­ta.
La Shun­ca 1998 — Marim­ba Her­manos Moreno Gar­cía. C’est une ver­sion récente, mex­i­caine.

Shunca et Zandunga, hasard ?

Ben, non. La Zan­dun­ga est un air espag­nol orig­i­naire d’An­dalousie (jaleo andaluz) qui est devenu l’hymne de l’Isthme de Tehuan­te­pec que nous avons déjà évo­qué à pro­pos de Tehua­na.

En 1937, le réal­isa­teur Fer­nan­do de Fuentes réal­isa un film de ce titre avec Lupe Vélez dans le rôle prin­ci­pal. Elle y chante La Shun­ca.
La Zan­dun­ga a été arrangée par divers auteurs comme Loren­zo Barce­la­ta et Max Urban (pour le film), Andres Gutier­rez, A. Del Valle, Guiller­mo Posadas ou Máx­i­mo Ramó Ortiz.
La Shun­ca attribuée à Loren­zo Barce­la­ta et les autres titres sont indiqués au générique du film comme « inspirés » d’airs de la région.

La zan­dun­ga 1939-03-30 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Fran­cis­co Amor.

Dans ces extraits du film La Zan­dun­ga, vous pour­rez enten­dre pre­mière­ment, La Shun­ca, puis voir danser la Zan­dun­ga. J’ai ajouté le générique du début où vous pour­rez de nou­veau enten­dre la Zan­dun­ga.

3 extraits de la Zan­dun­ga 1937 du réal­isa­teur Fer­nan­do de Fuentes avec Lupe Vélez dans le rôle prin­ci­pal. Elle y chante la Shun­ca.

Je pense que vous avez décou­vert le chemin emprun­té par ce titre. Loren­zo Barce­la­ta a arrangé des airs de son pays pour un film et avec la dif­fu­sion du film et des dis­ques, l’air est arrivé en Argen­tine où Dona­to a décidé de l’en­reg­istr­er. Voici donc, un autre exem­ple de pont, ici entre le Mex­ique et l’Ar­gen­tine.

À bien­tôt les amis !

Barrio de tango 1943-01-19 — Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz

Letra: Homero Manzi

Impos­si­ble que vous ne con­naissiez pas Bar­rio de tan­go immor­tal­isé par Aníbal Troi­lo et Fran­cis­co Fiorenti­no. Cepen­dant, vous con­nais­sez peut-être moins cette très intéres­sante ver­sion par et Jorge Ortiz. D’ailleurs, il y a quelques ponts curieux entre ces deux directeurs d’orchestre.

Extrait musical

Bar­rio de tan­go 1943-01-19 — Orques­ta Miguel Caló con Jorge Ortiz.

Paroles

Un peda­zo de bar­rio, allá en Pom­peya,
dur­mién­dose al costa­do del ter­raplén.
Un farol bal­ance­an­do en la bar­rera
y el mis­te­rio de adiós que siem­bra el tren.
Un ladri­do de per­ros a la luna.
El amor escon­di­do en un portón.
Y los sapos redob­lan­do en la lagu­na
y a lo lejos la voz del ban­doneón.

Bar­rio de tan­go, luna y mis­te­rio,
calles lejanas, ¡cómo estarán!
Viejos ami­gos que hoy ni ,
¡qué se habrán hecho, dónde estarán!
Bar­rio de tan­go, qué fue de aque­l­la,
Jua­na, la rubia, que tan­to amé.
¡Sabrá que sufro, pen­san­do en ella,
des­de la tarde que la dejé!
Bar­rio de tan­go, luna y mis­te­rio,
¡des­de el recuer­do te vuel­vo a ver!

Un coro de sil­bidos allá en la esquina.
El codil­lo llenan­do el almacén.
Y el dramón de la pál­i­da veci­na
que ya nun­ca sal­ió a mirar el tren.
Así evo­co tus noches, bar­rio ‘e tan­go,
con las chatas entran­do al cor­ralón
y la luna cha­pale­an­do sobre el fan­go
y a lo lejos la voz del ban­doneón.
Aníbal Troi­lo Letra: Home­ro Manzi

libre et indications

Un morceau de quarti­er, là-bas à Pom­peya (quarti­er au sud de ), dor­mant sur le côté du talus (sans doute le terre-plein du chemin de fer qui coupe le quarti­er, voir plan en fin d’ar­ti­cle).
Une lanterne qui se bal­ance sur la bar­rière et le mys­tère d’un adieu que le train sème.
Un aboiement de chiens à la lune.
L’amour caché dans une porte cochère.
Et les cra­pauds redou­blant dans le lac et au loin la voix du ban­donéon.
Quarti­er du tan­go, lune et mys­tère, rues loin­taines, com­ment seront-elles !
De vieux amis dont je ne me sou­viens même pas aujour­d’hui, qu’ont-ils fait, où sont-ils !
Quarti­er de Tan­go, qu’est-il arrivé à celle-là, Jua­na, la blonde, que j’ai tant aimée.
Elle saura que je souf­fre, en pen­sant à elle, depuis l’après-midi où je l’ai quit­tée !
Quarti­er de tan­go, lune et mys­tère, depuis le sou­venir, je te revois !
Un chœur de sif­fle­ments là-bas au coin de la rue.
Le codil­lo (artic­u­la­tion, coude, voire jeu de cartes) rem­plis­sant l’en­tre­pôt (ou le mag­a­sin). Cette phrase est donc incer­taine, au moins pour moi…
Et le drame de la pâle voi­sine qui n’est plus jamais sor­tie pour regarder le train.
C’est ain­si que j’évoque tes nuits, bar­rio de tan­go, avec les char­rettes entrant dans le dépôt et la lune éclabous­sant au-dessus de la boue et au loin la voix du ban­donéon.

Autres versions

Bar­rio de tan­go 1942-12-14 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Fran­cis­co Fiorenti­no.
Francesco Fiorenti­no et Aníbal Troi­lo
Bar­rio de tan­go 1942-12-30 — Orques­ta Ángel D’Agosti­no con .
Ángel D’Agosti­no et Ángel Var­gas
Bar­rio de tan­go 1943-01-19 — Orques­ta Miguel Caló con Jorge Ortiz. C’est notre tan­go du jour.
Jorge Ortiz et Miguel Caló
Bar­rio de tan­go 1964-02-03 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Nel­ly Vázquez.
Nel­ly Vázquez et Aníbal Troi­lo
Bar­rio de tan­go 1971 — Cuar­te­to Aníbal Troi­lo con Rober­to Goyeneche.

Une cap­ture à la radio, la qual­ité n’est pas au top, mais l’in­ter­pré­ta­tion est intéres­sante.

Bar­rio de tan­go 1971-05-06 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Rober­to Goyeneche.

Les mêmes, enfin, pas tout à fait, car au lieu du cuar­te­to, c’est ici, l’orchestre de Troi­lo qui accom­pa­gne Goyeneche.

Aníbal Troi­lo con Rober­to Goyeneche. Te acordás… Pola­co ? Disque et pho­to

Pompeya, barrio de tango

Ou plutôt “Nue­va Pom­peya”, l’an­ci­enne ayant eu des petits prob­lèmes avec le Vésuve est un quarti­er du sud de Buenos Aires bor­dant le .

En jaune, Nue­va Pom­peya. On remar­que la belle courbe et sa con­tre­courbe verte qui cor­re­spond au talus du chemin de fer, talus évo­qué dans les paroles.
Pom­peya, lors des inon­da­tions de 1912 et aujour­d’hui. On remar­que la voie fer­rée sur son talus. Des entre­pôts et usines au pre­mier plan et au nord-est de la voie fer­rée, quelques habi­ta­tions.
Les touristes qui restent à Reco­let­ta ou ne voient pas for­cé­ment la mis­ère qui est tou­jours présente en Argen­tine. Sur la pho­to de gauche, la lim­ite Bar­ra­cas et Nue­va Pom­peya. On remar­quera la présence de rails, ceux qui étaient util­isés pour le train des ordures. À droite, une habi­ta­tion con­sti­tuée de latas (bidons d’huile ou de ), ancêtre des loge­ments actuels qui sont égale­ment créés à par­tir de matéri­aux de récupéra­tion comme on peut le voir sur la pho­to de gauche.

Je ter­mine notre par­cours dans un bar­rio de tan­go. Un par­cours rapi­de et qui ne sera jamais dans les pro­grammes des guides touris­tiques. C’est pour­tant là un des berceaux du tan­go. Je vous invite à con­sul­ter mon anec­dote sur le Bar­rio de las latas pour en savoir plus.

Un des ponts entre Aníbal Troilo et Miguel Caló

Aujour­d’hui, je vais juste vous par­ler d’un petit pont, celui qui lie cer­tains enreg­istrements de Troi­lo avec ceux de Caló.
Je m’a­muse par­fois à « tromper » les danseurs en leur pro­posant une fausse tan­da de Caló qui est en fait 100 % Troi­lo. Je com­mence par un titre très proche de Caló et je dévie, ensuite, plus ou moins vers du pur Troi­lo. C’est un des avan­tages des tan­das de qua­tre de pou­voir faire des tran­si­tions plus sub­tiles. Voici quelques titres enreg­istrés par Troi­lo qui peu­vent, pour des oreilles peu aver­ties, paraître proches de Caló. J’imag­ine que mes lecteurs qui sont des spé­cial­istes ne vont pas adhér­er à ces simil­i­tudes, mais je vous assure que l’il­lu­sion fonc­tionne assez bien comme j’ai pu le con­stater des dizaines de fois, notam­ment l’an­née du cen­te­naire de Troi­lo où je pas­sais beau­coup notre gor­do favorito.
Corazón no le hagas caso
Lejos de Buenos Aires
Tris­tezas de la calle Cor­ri­entes
Per­cal

Mar­gari­ta Gau­thi­er
Cada día te extraño mas
Fru­ta amar­ga
De bar­ro
Gime el vien­to
La noche que te fuiste
Orques­tas de mi ciu­dad
Il y a égale­ment des simil­i­tudes dans le choix des musiques, mais la plu­part sont inter­prétées avec un style pro­pre qui ne prête pas à con­fu­sion. Il y a aus­si quelques Caló tardifs qui pour­raient pass­er pour des Troi­lo de la décen­nie précé­dente.
On en repar­lera…

À bien­tôt, les amis !

Corazón de artista 1943-01-18 — Orquesta Ricardo Malerba

Francisco Gullo (Pascual De Gullo)

La superbe valse de artista, écrite par Pas­cual de Gul­lo va nous per­me­t­tre de décou­vrir un peu l’u­nivers de Maler­ba, mais aus­si de faire un peu de tech­nique de DJ, sur la con­struc­tion des tan­das et sur d’autres aspects, comme la bal­ance.

Extrait musical

Corazón de artista 1943-01-18 — Orques­ta Ricar­do Maler­ba.

Les ban­donéons incisifs lan­cent le titre. Le piano assure les tran­si­tions, puis les vio­lons se joignent pour lancer leurs phras­es en lega­to.
Le piano a ensuite de beaux pas­sages et, le reste du temps, il assure le Poum-Tchi-Tchi de la valse (mar­quage des trois temps en accen­tu­ant le pre­mier).
Cette descrip­tion pour­rait tout à fait s’ap­pli­quer à l’orchestre de D’Arien­zo. Nous sommes assez loin du Maler­ba, qui peut par­fois être un peu mièvre.
C’est donc une très belle ver­sion que l’on entend rarement. Je vous dirai pourquoi en fin d’ar­ti­cle.

Autres versions

Corazón de artista 1935-04-16 — Orques­ta .

Cette ver­sion est assez dif­férente des deux autres ver­sions que je vous présente dans cette anec­dote. Elle est beau­coup plus coulée, lisse. Elle tourne bien et ne fera pas rou­gir le DJ qui la passera en milon­ga.

Corazón de artista 1936-11-27 — Orques­ta .

Que D’Arien­zo nous offre une ver­sion dynamique n’é­ton­nera per­son­ne. Les vio­lons et ban­donéons à l’u­nis­son cisail­lent la musique, puis les vio­lons lis­sent le tout dans de longues phras­es suaves. Le piano de Bia­gi réalise les enchaîne­ments avec une con­fi­ance qui com­mence à se voir.
L’ac­céléra­tion finale, une fois de plus, réal­isée par la sub­di­vi­sion des temps en dou­bles-croches, per­met de ter­min­er dans une valse ent­hou­si­aste, sans avoir à mod­i­fi­er le tem­po.

Corazón de artista 1943-01-18 — Orques­ta Ricar­do Maler­ba. C’est notre valse du jour.

Pourquoi entend-on peu cette valse par Malerba en milonga ?

Est-ce à cause de l’auteur ?

De Gul­lo est l’au­teur prin­ci­pale­ment de valses. Cer­taines sont très con­nues, comme Lágri­mas y son­risas, et notre valse du jour.

Quelques cou­ver­tures de par­ti­tions de valses de Pas­cual De Gul­lo.

Je vous pro­pose ici de vous présen­ter des ver­sions plus rares.

Amorosa 1930-09-17 — Orques­ta Juan Gui­do.

Cet admirable orchestre est curieuse­ment nég­ligé. On peut le com­pren­dre pour les tan­gos qui sont de la vieille garde, mais moins pour les valses. Celle-ci n’est pas le meilleur exem­ple, mais Gui­do a enreg­istré des per­les que je pro­pose par­fois en milon­ga. J’ai même fail­li le faire à , cette semaine, j’é­tais en train de pré­par­er la tan­da et j’ai changé d’avis au dernier moment au vu de l’am­biance de la piste.

Lágri­mas y son­risas 1934-10-20 — Orques­ta Adol­fo Pocho­lo Pérez.

Dom­mage qu’elle ne puisse pas aller dans la même tan­da que Corazón de artista 1935 du même Pocho­lo. Il faut dire que Corazón de artista est plutôt plus tonique que la ving­taine de valses enreg­istrées par Pocho­lo.

Sueño de vir­gen 1943-12-30 — dir. .

Je pense donc, qu’on ne peut pas reporter la faute sur l’au­teur qui nous a pro­posé de belles valses, même si, en dehors de ses deux gros suc­cè, elles ont été assez peu enreg­istrées. Peut-être qu’un orchestre con­tem­po­rain serait bien inspiré de fouiller dans ce réper­toire au lieu de ressor­tir tou­jours les dix mêmes titres.

Est-ce à cause de Malerba ?

Pour pou­voir créer une tan­da cohérente, il faut trois ou qua­tre titres. Pour les valses, on lim­ite assez sou­vent le nom­bre à trois titres.
Donc, il nous faut trou­ver deux ou trois valses de Maler­ba qui puis­sent aller avec notre valse du jour. Comme il a enreg­istré en tout 4 valses, voyons si cela peut faire une tan­da.

Il a enreg­istré deux valses avec :

Aris­toc­ra­cia 1956-06-01 — Orques­ta Ricar­do Maler­ba con Alber­to Sánchez.
Que­jas de Mont­martre 1956-03-16 — Orques­ta Ricar­do Maler­ba con Alber­to Sánchez.

Cette valse mag­nifique a été com­posée par Georges van Parys avec des paroles de Jean Renoir qui a util­isé ce titre pour son film French Can­can de 1954. Le titre orig­i­nal de la valse est « La Com­plainte de la Butte ». On le con­nait par de nom­breux chanteurs, dont bien sûr, Cora Vau­caire, qui l’a lancé, puis tou­jours en 1955, par André Claveau, Pat­a­chou et Mar­cel Mouloud­ji.

La com­plainte de la butte dans le film French Can­can de Jean Renoir (1954). Musique de Georges Van Parys et paroles de Jean-Renoir. En deux­ième par­tie, la dou­blure-voix de Anna Amen­dola, Cora Vau­caire (La Dame blanche) sur scène en 1956.

Ce sont donc deux valses intéres­santes, mais qui ne vont pas ensem­ble et encore moins avec Corazón de artista. Pas de piste de tan­da de ce côté. Con­tin­uons de chercher…

La dernière valse en stock a été enreg­istrée avec le chanteur vedette de Maler­ba, . Est-ce enfin une piste intéres­sante ? Écou­tons.

Cuan­do flo­rez­can las rosas 1943-06-10 — Orques­ta Ricar­do Maler­ba con Orlan­do Med­i­na (Ricar­do Maler­ba — Dante Smur­ra Julio Jorge Nel­son).

Je pense que nous sommes d’ac­cord, encore une fois, cette valse est à part, et absol­u­ment pas com­pat­i­ble avec notre valse du jour.

En résumé, il est impos­si­ble de faire une tan­da à par­tir de la valse Corazón de artista dans la ver­sion de Maler­ba.

Conseil aux orchestres contemporains et aux organisateurs

Je ne sais pas bien pourquoi, mais très peu d’orchestres con­tem­po­rains enreg­istrent un nom­bre suff­isant de valses ou de milon­gas pour pou­voir faire des tan­das et quand ils le font, ce n’est pas tou­jours génial à rassem­bler dans une tan­da. Bien sou­vent, si un DJ fai­sait la même pro­gram­ma­tion que cer­tains orchestres, il se recevrait des tomates.
Le prob­lème est que les orchestres sont sou­vent com­posés de pièces rap­portées et qu’ils répè­tent peu ensem­ble. Il n’est qu’à voir sur les fes­ti­vals com­ment se passe la bal­ance. Cette opéra­tion est cen­sée per­me­t­tre à l’ du son d’équili­br­er les instru­ments et les retours des musi­ciens.
Pour bien faire les choses, on adapte à chaque instru­ment le ou les micro­phones con­ven­ables (générale­ment indiqués dans la fiche tech­nique de l’orchestre). Une fois rac­cordés à la con­sole de mix­age, on pré­pare la place des dif­férents instru­ments. Il ne suf­fit pas de régler leurs vol­umes respec­tifs, il faut égale­ment « sculpter » leur bande de fréquence afin que le mix­age soit har­monieux. Sinon, on fait une course à la puis­sance, sur les mêmes fréquences et la musique est totale­ment déséquili­brée.
Quand un chanteur inter­vient, par exem­ple, un ténor, il faut que sa bande de fréquence (130 à 550 Hz) soit dégagée. Si le com­pos­i­teur a bien géré les choses, il évit­era de met­tre un sec­ond instru­ment dans cette gamme de fréquences au même moment. Mais, ce n’est pas tou­jours le cas et vous avez cer­taine­ment en tête des enreg­istrements où l’ingénieur du son a bais­sé exagéré­ment le vol­ume pour dégager la voix, mais cela est fait en enl­e­vant la base musi­cale dont se ser­vent les . Dans les presta­tions en direct, les musi­ciens vont deman­der au sonorisa­teur d’aug­menter leur vol­ume, car ils ne s’en­ten­dent pas alors que cela vient sou­vent d’un mau­vais réglage des fréquences et d’un mau­vais équili­bre des retours.
Dans un orchestre sans ampli­fi­ca­tion, les musi­ciens ont leur place si le com­pos­i­teur et/ou l’arrangeur ont bien effec­tué leur tra­vail. Le chef gère juste le vol­ume des instru­ments pour faire ressor­tir une voix plus que les autres, ou pas.
Vous êtes très fam­i­liers de ce phénomène et c’est facile à con­stater en écoutant le même titre par dif­férents orchestres. Même s’ils utilisent les mêmes arrange­ments, dans cer­taines ver­sions, un instru­ment est au pre­mier plan et pour un autre orchestre, c’est un autre instru­ment qui est mis en valeur.
Un mau­vais réglage des retours ou de la bal­ance fait que de nom­breuses presta­tions sont désas­treuses pour le pub­lic. Les instru­men­tistes ne s’en­ten­dant pas bien, jouent plus fort, voire pousse la voix pour les chanteurs, les cordes frot­tées jouent faux, ce qui est par­fois recher­ché, mais pas tou­jours.
Bon, j’ai un peu dérapé de mon sujet. Comme DJ, il est fréquent de n’avoir que 30 sec­on­des pour faire la bal­ance, alors que ce serait utile de pou­voir étudi­er cor­recte­ment la salle aupar­a­vant et d’équili­br­er l’é­gal­i­sa­tion en con­séquence. Com­bi­en de fois, la bal­ance de l’orchestre prend trois heures en devenant de fait une répéti­tion et qu’au final, le véri­ta­ble tra­vail de bal­ance n’a pas été cor­recte­ment effec­tué. Par­fois, la bal­ance con­tin­ue alors que le pub­lic est déjà dans la salle, car ils ont passé l’heure.
A min­i­ma, ce serait sym­pa de la part des organ­isa­teurs de faire respecter les horaires. Comme DJ, j’ai besoin de 5 min­utes et, quand il y a un orchestre, c’est presque impos­si­ble de les avoir. Parois, il n’est même pas pos­si­ble de tester mes tranch­es sur la con­sole, car l’ingénieur du son est pris par l’orchestre. Il n’est pas non plus pos­si­ble de bal­ancer du bruit rose au vol­ume cor­rect quand il y a déjà le pub­lic dans la salle.
Con­traire­ment à ce que cer­tains pensent, le tra­vail de DJ est assez com­plexe, car il faut équili­br­er des musiques de sources var­iées. Pou­voir faire une bal­ance de qual­ité, c’est l’as­sur­ance que les danseurs auront un bon son sur la piste. C’est d’au­tant plus impor­tant quand le DJ est loin de la piste ou n’a pas de retour. S’il sort un son cor­rect à son emplace­ment, cela risque de ne pas être bon pour la piste. Un retour bien réglé per­met de lim­iter ce prob­lème, à con­di­tion qu’il soit bien réglé et, pour bien le régler, il faut avoir les 5 min­utes de pré­pa­ra­tion…

Faut-il renoncer à utiliser cette valse ?

Ma réponse est non, bien sûr. Pour cela, nous avons une tolérance qui con­siste à pou­voir com­pos­er une tan­da mixte, c’est-à-dire à par­tir de plusieurs orchestres. C’est assez rare avec les tan­gos, mais, beau­coup plus courant pour les milon­gas et les valses. Pour les milon­gas, cela reste assez com­pliqué, car il y a dif­férents styles et que, même avec le même orchestre et la même année, on peut avoir des milon­gas qui ne vont pas bien ensem­ble. Cela demande donc un peu de réflex­ion au DJ. Pour les valses, c’est en revanche beau­coup plus facile. Il suf­fit d’as­soci­er des titres au rythme com­pa­ra­ble, de même car­ac­tère et à la sonorité proche. Nous avons vu que la valse de Maler­ba avait des accents qui rap­pelaient D’Arien­zo. Il sem­ble donc évi­dent que chercher à com­pléter une tan­da de valse de D’Arien­zo avec ce titre peut être une excel­lente idée. En tout cas, c’est la direc­tion que j’emprunte. Il y a bien sûr d’autres pos­si­bil­ités. Vous pou­vez don­ner votre avis dans les com­men­taires.

À bien­tôt les amis !

Mala junta 1947-01-16 — Orquesta Pedro Laurenz

; Pedro Laurenz Letra: Juan Miguel Velich

Je suis sûr que vous avez déjà été inter­pel­lés par ce titre qui com­mence par des rires, voire par des sif­fle­ments. La ver­sion du jour est réal­isée par un des deux auteurs, le ban­donéon­iste Pedro Lau­renz, qui à l’époque de la com­po­si­tion, était dans l’orchestre de l’autre com­pos­i­teur, Julio de Caro. Nous ver­rons que, dès 1927, cette œuvre est d’une extra­or­di­naire moder­nité.
Mala jun­ta peut se traduire par mau­vaise ren­con­tre. Vous serez peut-être éton­né de voir qu’elle est la mau­vaise ren­con­tre évo­quée par Mag­a­l­di…

Extrait musical

Par­ti­tions de Mala jun­ta. Elles sont dédi­cacées “Al dis­tin­gui­do y apre­ci­a­do Señor Don Luis Gondra y famil­ia”. Pre­mière des 26 pages de la par­ti­tion com­plète et début de la par­tie finale avec la mise en valeur du ban­donéon. Par­ti­tion réal­isée par Lucas Alcides Cac­eres.
Mala jun­ta 1947-01-16 — Orques­ta Pedro Lau­renz.

Les ver­sions de Pugliese sont bien plus con­nues, mais vous recon­naîtrez tout de suite le titre mal­gré l’ab­sence des éclats de rire du début, ou plus exacte­ment, c’est l’orchestre qui repro­duit le thème de l’é­clat de rire, instru­men­tale­ment. Le rythme est bien mar­qué, même s’il com­porte quelques syn­copes en fan­taisie.
On notera que Lau­renz fait égale­ment l’im­passe sur les sif­fle­ments. Dans son de 1968, avec son quin­te­to, il omet­tra égale­ment ces deux élé­ments. On pour­rait donc imag­in­er que ces rires et sif­fle­ments sont des fan­taisies de De Caro. C’est d’au­tant plus prob­a­ble si on se sou­vient que, dans El moni­to, il utilise les sif­fle­ments, les rires et même des phras­es humoris­tiques.
Si quelques dis­so­nances rap­pel­lent les com­po­si­tions decaréennes (de De Caro), elles ne devraient pas trou­bler les moins fam­i­liers de ces sonorités.
Les phras­es sont lancées et se ter­mi­nent sou­vent comme jetées, pré­cip­itées. Le piano coupe ces accéléra­tions par ses ponc­tu­a­tions. La musique sem­ble se remet­tre en place et on recom­mence jusqu’à la dernière par­tie où le ban­donéon de Lau­renz s’en donne à cœur joie. Rap­pelez-vous que, dans la par­ti­tion, toute cette par­tie est en dou­bles-croches, ce qui per­met de don­ner une impres­sion de , sans mod­i­fi­er le rythme.

Disque Odeón 7644 Face A avec Mala jun­ta inter­prété par Pedro Lau­renz.

Don Luis Gondra

Luis Gondra a deux épo­ques et une car­i­ca­ture dans la Revue Caras y Care­tas de 1923, qui rap­pelle qu’il était égale­ment avo­cat.

La de ce tan­go a été effec­tuée à Luis Gondra (Luis Roque Gondra), un mil­i­tant, écrivain et poli­tique. Il fait par­tie des sur­vivants du mas­sacre de Pirovano où 200 hommes venus prêter main-forte à Hipól­i­to Yrigoyen en prenant le train à Bahia Blan­ca ont été attaqués à balles et baïon­nettes par des forces loyales au gou­verne­ment de Manuel Quin­tana.
Il est mort le 10 févri­er 1947, soit moins d’un mois après l’en­reg­istrement de notre tan­go du jour. Il est l’au­teur de dif­férents ouvrages, prin­ci­pale­ment d’his­toire poli­tique, comme des ouvrages sur Bel­gra­no ou des cours d’é­conomie, car il était pro­fesseur de cette matière.

Un ouvrage à la gloire de Bel­gra­no, un cours d’é­conomie poli­tique et sociale et un livre sur les idées économiques de Bel­gra­no. Cela donne le pro­fil du dédi­cataire de ce tan­go.

Paroles, deux versions

Même si notre tan­go du jour est instru­men­tal, il y a des paroles, celles enreg­istrées par Mag­a­l­di, qui dénon­cent le tan­go comme la cause de la perdi­tion et celles que l’on trou­ve habituelle­ment dans les recueils de paroles de tan­go. Ce qui est curieux est qu’il n’y a pas de ver­sion enreg­istrée des paroles « canon­iques ».
Je com­mence donc par la ver­sion de Mag­a­l­di et don­nerait ensuite la ver­sion « stan­dard ».

Paroles chantées par Magaldi

Por tu mala jun­ta te perdieron, Nena,
Y causaste a tus pobres viejos, pena,
Que a pesar de todos los con­se­jos,
Un mal día te engrupieron
Y el gotán te enca­denó…

¡Ay! ¿Dónde estás, Neni­ta de mira­da seduc­to­ra?
Tan ple­na de poesía, cual diosa del amor…
Nun­ca, jamás veré la Sul­tani­ta que en otro­ra
Con sus mimos disi­pa­ba mi dolor.

Recita­do:
Guar­do de ti recuer­do sin igual
Pues fuiste para mí toda la vida.
Mi corazón sufrió la desilusión
Del des­pre­cio a su quer­er que era su ide­al.

Y con la heri­da
Que tú me has hecho,
Mi fe has dese­cho
Y serás mi perdi­ción.

Todo está som­brío y muy triste, alma,
Y nos fal­ta, des­de que te has ido, cal­ma,
El vivir la dicha ya ha per­di­do
Porque con tu mal vin­iste
A enlu­tar mi corazón.

¿Por qué, mi amor, seguiste a esa mala con­se­jera
que, obran­do con fal­sía, buscó tu perdi­ción?
Mien­tras que aquí está la madrecita que te espera
Para darte su amorosa ben­di­ción.

Recita­do:
Dulce dei­dad, que fue para mi bien
Un sueño de plac­er nun­ca sen­ti­do,
Yo no pen­sé que ése, mi gran quer­er,
Lo perdiera así nomás, sien­do mi Edén.

¿Dónde te has ido
mi noviecita?
Tu madrecita
Siem­pre cree que has de volver.
Julio De Caro; Pedro Lau­renz Letra: Juan Miguel Velich

Traduction libre des paroles de la version de Magaldi

À cause de ta mau­vaise ren­con­tre, ils t’ont per­du, Bébé,
Et tu as causé à tes pau­vres par­ents, de la peine,
Que mal­gré tous les con­seils, un mau­vais jour, ils t‑on trompés (dit des men­songes) et le gotan t’a enchaîné… (Et voilà le grand coupable, le tan­go…).
Hélas! Où es-tu, petite fille au regard séduc­teur ?
Telle­ment pleine de poésie, comme une déesse de l’amour…
Je ne ver­rai jamais, jamais la sul­tane qui, une fois, avec ses câlins, a dis­sipé ma douleur.
Réc­i­tatif:
Je garde un sou­venir iné­galé de toi parce que tu as été pour moi toute ma vie.
Mon cœur a souf­fert de la décep­tion du mépris pour son amour, qui était son idéal.
Et avec la blessure que tu m’as faite,
Tu as rejeté ma foi et tu seras ma perte.
Tout est lugubre et très triste, âme, et nous man­quons, depuis que tu es par­tie, le calme, la vie du bon­heur s’est déjà per­due, car avec ton mal tu es venue endeuiller mon cœur.
Pourquoi, mon amour, as-tu suivi ce mau­vais con­seiller qui, agis­sant fausse­ment, a cher­ché ta perte ?
Alors qu’i­ci se trou­ve la petite mère qui t’at­tend pour te don­ner sa béné­dic­tion aimante.
Réc­i­tatif:
Douce divinité, qui était pour mon bien un rêve de plaisir jamais ressen­ti,
Je ne pen­sais pas que cela, mon grand amour, je le perdrai, étant mon Eden.
Où es-tu allée, ma petite fiancée?
Ta petite mère pense tou­jours que tu vas revenir.

Paroles de la version standard

Por tu mala jun­ta te perdiste, nena
y nos causa tu extravío, llan­tos, ¡pena!…
De un vivir risueño te han habla­do
y al final… ¡te has olvi­da­do
de tu vie­ja y de mi amor!…
En la fiebre loca de men­ti­das galas
se que­maron tus div­inas, ¡níveas alas!…
En tu afán de lujos y de orgías
recubriste de agonías
¡a mi vida y a tu hog­ar!…

Fuiste el ángel de mis horas de bohemia,
el bien de mi esper­an­za,
tier­no sueño encan­ta­dor;
y no puedo sofo­car mis neuras­te­nias
cuan­do pien­so en la mudan­za
¡de tu cru­el amor!…

(recita­do)
¡Pobre de mí… que a cues­tas con mi gran cruz
rodan­do he de mar­char por mi oscu­ra sen­da;
¡sin el calor de aque­l­la ful­gente luz
que tu mirar dis­per­só en mi corazón!

(can­to)
Sueños de glo­ria
que trun­cos quedaron
y heri­do me dejaron
entre bru­mas de dolor…

Por tu mala jun­ta te perdiste, nena,
y nos causa tu extravío llan­tos, ¡pena!…
Por seguir tus necias ambi­ciones
mis doradas ilu­siones
¡para siem­pre las perdí!…
Una san­ta madre deli­rante cla­ma
y con ella mi car­iño, rue­ga, ¡lla­ma!…
El perdón te espera con un beso
sí nos traes con tu regre­so
¡la ale­gría de vivir!…

Tus recuer­dos se amon­to­nan en mi mente,
tu ima­gen me obse­siona,
te con­tem­p­lo en mi ansiedad;
y te nom­bro sus­pi­ran­do tris­te­mente,
pero en vano… ¡no reac­ciona
tu alma sin piedad!…

Y como
que muere can­tan­do
así se irá esfu­man­do
¡mi doliente juven­tud!…
Julio De Caro; Pedro Lau­renz Letra: Juan Miguel Velich

Traduction libre des paroles de la version standard

À cause de ta mau­vaise ren­con­tre, tu t’es per­due, bébé et ta perte nous cause, des larmes, du cha­grin…
On t’a par­lé d’une vie souri­ante et à la fin… tu as oublié ta mère et mon amour…
Dans la fièvre folle, des parures men­songères se brûlèrent tes ailes divines et neigeuses…
Dans ton avid­ité de luxe et d’or­gies, tu as cou­vert d’ag­o­nies (amer­tumes, douleurs, cha­grins) ma vie et ta mai­son…
Tu étais l’ange de mes heures de bohème, le bien de mon espérance, le rêve ten­dre et enchanteur ;
et je ne puis étouf­fer ma neurasthénie quand je pense au change­ment de ton amour cru­el…
(réc­i­tatif)
Pau­vre de moi… que sur mes épaules, avec ma grande croix, errant, je dois marcher le long de mon obscur sen­tier ;
Sans la chaleur de cette lumière écla­tante que ton regard a dis­per­sée dans mon cœur !
(chant)
Des rêves de gloire qui res­teront tron­qués et me lais­sèrent blessé dans des brouil­lards de douleur…
À cause de ta mau­vaise ren­con­tre, tu t’es per­due, bébé et ta perte nous cause, des larmes, du cha­grin…
Pour suiv­re tes folles ambi­tions, mes illu­sions dorées, pour tou­jours, je les ai per­dues…
Une sainte mère en délire crie et, avec elle, mon affec­tion, sup­plie, appelle…
Le par­don t’at­tend avec un bais­er si tu nous ramènes avec ton retour, la joie de vivre…
Tes sou­venirs s’ac­cu­mu­lent dans mon esprit, ton image m’ob­sède, je te con­tem­ple dans mon angoisse ;
Et je te nomme en soupi­rant tris­te­ment, mais en vain… ton âme sans pitié ne réag­it pas…
Et comme le cygne qui meurt en chan­tant ain­si s’é­vanouira, ma douloureuse jeunesse…

On voit les dif­férences entre les deux ver­sions des paroles. Il se peut que les deux soient de Juan Miguel Velich, à moins que Mag­a­l­di ait adap­té les paroles à son goût. C’est un petit mys­tère, mais cela me sem­ble très mar­gin­al dans la mesure où l’in­térêt prin­ci­pal de cette com­po­si­tion est dans la musique.

Autres versions

Mala jun­ta 1927-09-13 — Orques­ta Julio De Caro.

Cette ver­sion per­met de retrou­ver les deux com­pos­i­teurs avec Julio de Caro au vio­lon (son vio­lon à cor­net) et Pedro Lau­renz au ban­donéon. Ce dernier avait inté­gré l’orchestre de De Caro en 1924 en rem­place­ment de Luis Petru­cel­li.
On notera, après les rires, le début sif­flé. Cette ver­sion, la plus anci­enne enreg­istrée en notre pos­ses­sion, a déjà tous les élé­ments de moder­nité que l’on attribuera deux ou trois décen­nies plus tard à Osval­do Pugliese qui se con­sid­érait comme l’hum­ble héri­ti­er de De Caro.
Voici la com­po­si­tion du sex­te­to pour cet enreg­istrement :

  • Pedro Lau­renz et Arman­do Blas­co au ban­donéon.
  • Fran­cis­co De Caro au piano.
  • Julio De Caro et Alfre­do Cit­ro au vio­lon.
  • Enrique Krauss à la con­tre­basse.
Disque Vic­tor de la ver­sion enreg­istrée par De Caro en 1927.
Mala jun­ta 1928-06-18 — Agustín Mag­a­l­di con orques­ta.

Comme nous l’avons vu, Mag­a­l­di chante des paroles dif­férentes, mais l’his­toire est la même. C’est bien sûr un enreg­istrement des­tiné à l’é­coute, à la lim­ite de la pièce de théâtre.

Mala jun­ta 1928-12 — Orques­ta . Orig­i­nal Colum­bia L 1349–1 Matrice D 19172.

Le titre com­mence avec les sif­flets, mais sans les rires. Cette ver­sion com­porte un pas­sage avec une scie musi­cale. Finale­ment, ce n’est pas vilain, mais sans doute plus curieux que cap­ti­vant.

À gauche, le disque offi­ciel édité par la Colum­bia en 1929 (enreg­istrement de décem­bre 1928). À droite, un disque pirate du même enreg­istrement réal­isé dans le courant de 1929.

Quelqu’un a‑t-il réus­si à se pro­cur­er la matrice D 19172 et à en faire une copie sous le numéro de matrice bidon N300028 ?
La moins bonne qual­ité de la copie pirate peut aus­si laiss­er penser qu’elle a été réal­isée à par­tir d’un disque édité. Bien sûr, il est dif­fi­cile de juger, car il faudrait plusieurs copies de la ver­sion pirate, pour véri­fi­er que cela vient de la fab­ri­ca­tion et pas de l’usure du disque.

Mala Jun­ta 1928-12 — Orques­ta Tipi­ca Brod­man Alfaro. Copie pirate d’Om­nia (Disque X27251 — Matrice N300028).

Même enreg­istrement, mais ici, la copie pirate d’Om­nia (Disque X27251 — Matrice N300028). La qual­ité est sen­si­ble­ment plus faible, est-ce le fait de la copie d’un disque orig­i­nal ou tout sim­ple­ment de l’usure plus impor­tante de ce disque ? Petit rap­pel. Les dis­ques sont réal­isés à par­tir d’une matrice, elle-même issue de l’en­reg­istrement sur une galette de cire. La cire était directe­ment gravée par la pres­sion acous­tique (pour les pre­miers enreg­istrements) et par le déplace­ment d’un burin soumis aux vibra­tions obtenues par voie élec­trique (micro­phone à char­bon, par exem­ple). Cette cire ser­vait à réalis­er un con­tre­type, la matrice qui ser­vait ensuite à réalis­er les dis­ques par pres­sage. Sans cette matrice, il faut par­tir d’un disque déjà pressé, ce qui engen­dre à la fois la perte de détails qui avaient été déjà atténués à cause de l’im­pres­sion orig­i­nale, mais cela peut égale­ment ajouter les défauts du disque s’il a été util­isé aupar­a­vant. La copie pirate est donc oblig­a­toire­ment de moins bonne qual­ité dans ce cas, d’au­tant plus que le matéri­au du disque peut égale­ment être choisi de moins bonne qual­ité, ce qui engen­dr­era plus de bruit de fond, mais ce qui per­me­t­tra de réduire le prix de fab­ri­ca­tion de cette arnaque.
On notera que, de nos jours, les édi­teurs par­tent sou­vent de dis­ques qui sont eux-mêmes des copies et qu’ils ajoutent des traite­ments numériques sup­posés de redonner une jeunesse à leurs pro­duits. Le résul­tat est sou­vent mon­strueux et se détecte par la men­tion « remas­tered » sur le disque. Mal­heureuse­ment, cela tend à devenir la norme dans les milon­gas, mal­gré les sonorités hor­ri­bles que ces traite­ments mal exé­cutés pro­duisent.

Mala jun­ta 1938-07-11 — Orques­ta Típi­ca Bernar­do Ale­many.

Le prin­ci­pal intérêt de cette ver­sion est qu’elle ouvre une sec­onde péri­ode d’en­reg­istrements, une décen­nie plus tard. On peut cepen­dant ne pas être embal­lé par le résul­tat, sans doute trop con­fus.

Mala jun­ta 1938-11-16 — Orques­ta Julio De Caro.

De Caro réen­reg­istre sa créa­tion, cette fois, les rires et les sif­fle­ments sont reportés à la sec­onde par­tie. Cela per­met de met­tre en valeur la com­po­si­tion musi­cale assez com­plexe. Cette com­plex­ité même qui fera que ce titre, mal­gré sa beauté, aura du mal à ren­dre les danseurs heureux. On le réservera donc à l’é­coute.

Mala jun­ta 1943–08-27- Orques­ta Osval­do Pugliese.

Con­traire­ment à son mod­èle, Pugliese a con­servé les rires en début d’œu­vre, mais a égale­ment sup­primé les sif­fle­ments qui n’in­ter­vien­dront que dans la sec­onde par­tie. L’in­ter­pré­ta­tion est d’une grande régu­lar­ité et avant le solo du dernier tiers de l’œu­vre, on pour­ra trou­ver que l’in­ter­pré­ta­tion manque d’o­rig­i­nal­ité, ce n’est en effet que dans la dernière par­tie que Pugliese déchaîne son orchestre avec des ban­donéons excités sur­volés par le vio­lon tran­quille. Au crédit de cet enreg­istrement, on pour­ra indi­quer qu’il est dans­able et que la fin énergique pour­ra faire oubli­er un début man­quant un peu d’ex­pres­sion.

Mala jun­ta 1947-01-16 — Orques­ta Pedro Lau­renz. C’est notre tan­go du Jour.
Mala jun­ta 1949-10-10 — Orques­ta Julio De Caro.

De Caro, après la ver­sion de Pugliese et celle de Lau­renz, son coau­teur, enreg­istre une ver­sion dif­férente. Comme pour celle de 1938, il ne con­serve pas les rires et sif­flets ini­ti­aux. C’est encore plus abouti musi­cale­ment, mais tou­jours plus pour l’é­coute que pour la danse. Conser­vons cela en tête pour décou­vrir, la réponse de Pugliese…

Mala jun­ta 1952-11-29 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Tou­jours les rires, sans sif­fle­ments au début de cet enreg­istrement et dans la sec­onde par­tie, ce sont les sif­fle­ments qui rem­pla­cent les rires. L’af­fir­ma­tion de dans l’in­ter­pré­ta­tion et la struc­ture de cette orches­tra­tion nous pro­pose un Pugliese bien for­mé et « typ­ique » qui devrait plaire à beau­coup de danseurs, car l’im­pro­vi­sa­tion y est facil­itée, même si la richesse peut ren­dre dif­fi­cile la tâche à des danseurs peu expéri­men­tés.

La ver­sion de 1952 a été éditée en disque 33 tours. Mala jun­ta est la pre­mière plage de la face A du disque LDS 103.
Mala jun­ta 1957-09-02 — Quin­te­to Pir­in­cho dir. .

Dis­ons-le claire­ment, j’ai un peu honte de vous présen­ter cette ver­sion après celle de Pugliese. Cette ver­sion sautil­lante ne me sem­ble pas adap­tée au thème. Je ne ten­terai donc pas de la pro­pos­er en . Je ne ver­rai donc jamais les danseurs trans­for­més en petits duen­des (lutins) gam­badants comme je l’imag­ine à l’é­coute.

Mala jun­ta 1968 — Pedro Lau­renz con su Quin­te­to.

Pedro Lau­renz enreg­istre une dernière ver­sion de sa créa­tion. Il y a de jolis pas­sages, mais je ne suis pas pour ma part très con­va­in­cu du résul­tat.
On a l’im­pres­sion que les instru­ments jouent cha­cun dans leur coin, sans trop s’oc­cu­per de ce que font les autres. Atten­tion, je ne par­le pas d’in­stru­men­tistes médiocres qui ne jouent pas ensem­ble, mais du lance­ment de traits jux­ta­posés et super­posés qui sem­blent être lâchés sans cohérence. Si cela peut plaire à l’or­eille de cer­tains, c’est sûr que cela posera des dif­fi­cultés aux danseurs qui souhait­ent danser la musique et pas seule­ment faire des pas sur la musique.

Je vous pro­pose de ter­min­er avec Pugliese, qui est incon­testable­ment celui qui a le plus con­cou­ru à faire con­naitre ce titre. Je vous pro­pose une vidéo réal­isée au théâtre Colón de Buenos Aires, point d’orgue de la car­rière du maître qui rap­pelle que ses fans cri­aient « Al Colón » quand ils l’é­coutaient. Finale­ment, Pugliese est arrivé au Colón et cette vidéo en témoigne…

Mala jun­ta — Osval­do Pugliese — Teatro Colón 1985.

Il y a d’autres ver­sions, y com­pris par Pugliese, notam­ment réal­isées au cours de dif­férents voy­ages, mais je pense que l’essen­tiel est dit et, pour ma part, je reste sur la ver­sion de 1952 pour la danse, tout en ayant un faible pour ver­sion tant nova­trice (pour l’époque) de 1927 de De Caro et la ver­sion intéres­sante de Lau­renz, qui con­stitue notre tan­go du jour.

À bien­tôt, les amis !

El choclo 1948-01-15 — Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas

Ángel Villoldo (Ángel Gregorio Villoldo Arroyo) / Casimiro Alcorta Letra: Ángel Villoldo / Juan Carlos Marambio Catán / Enrique Santos Discépolo.

Comme tous les tan­gos célèbres, El choclo a son lot de légen­des. Je vous pro­pose de faire un petit tour où nous ver­rons au moins qua­tre ver­sions des paroles accrédi­tant cer­taines de ces légen­des. Ce titre importé par Vil­lol­do en France y aurait rem­placé l’hymne argentin (par ailleurs mag­nifique), car il était plus con­nu des orchestres français de l’époque que l’hymne offi­ciel argentin Oid mor­tales du com­pos­i­teur espag­nol : Blas Par­era i Moret avec des paroles de Vicente López y Planes (écrivain et homme poli­tique argentin). Voyons donc l’his­toire de cet hymne de sub­sti­tu­tion.

Qui a écrit El choclo ?

Le vio­loniste, danseur (avec sa com­pagne La Pauli­na) et com­pos­i­teur Casimiro Alcor­ta pour­rait avoir écrit la musique de El choclo en 1898. Ce fils d’esclaves noirs, mort à 73 ans dans la mis­ère à , serait, selon cer­tains, l’au­teur de nom­breux tan­gos de la péri­ode comme Con­cha sucia (1884) que Fran­cis­co Canaro arrangea sous le titre Cara sucia, net­te­ment plus élé­gant, mais aus­si La yapa, Entra­da pro­hibi­da et sans doute pas mal d’autres. À l’époque, ces musiques n’é­taient pas écrites et elles apparte­naient donc à ceux qui les jouaient, puis à ceux qui les éditèrent…
L’ab­sence d’écri­t­ure empêche de savoir si, Ángel Vil­lol­do a « emprun­té » cette musique…
En 1903, Vil­lol­do demande à son ami chef d’un orchestre clas­sique, José Luis Ron­cal­lo, de jouer avec son orchestre cette com­po­si­tion dans un restau­rant chic, La Amer­i­cana. Celui-ci refusa, car le patron du restau­rant con­sid­érait le tan­go comme de la musique vul­gaire (ce en quoi il est dif­fi­cile de lui don­ner tort si on con­sid­ère ce qui se fai­sait à l’époque). Pour éviter cela, Vil­lol­do pub­lia la par­ti­tion le 3 novem­bre 1903 en indi­quant qu’il s’agis­sait d’une danse criol­la… Ce sub­terfuge per­mit de jouer le tan­go dans ce restau­rant. Ce fut un tel suc­cès, que l’œu­vre était jouée tous les jours et que Vil­lol­do est allé l’en­reg­istr­er à Paris, en com­pag­nie de Alfre­do Gob­bi et de sa femme, Flo­ra Rodriguez.
Par la suite, des cen­taines de ver­sions ont été pub­liées. Celle du jour est assez intéres­sante. On la doit à Fran­cis­co Canaro avec Alber­to Are­nas. L’en­reg­istrement est du 15 jan­vi­er 1948.

Extrait musical

Divers­es par­ti­tions de El choclo. On remar­quera à gauche (5ème édi­tion), la à Ron­cal­lo qui lancera le titre.
El choclo 1948-01-15 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Alber­to Are­nas.

On remar­que tout de suite le rythme rapi­de. Are­nas chante égale­ment rapi­de­ment, de façon sac­cadée et il ne se con­tente pas de l’habituel refrain. Il chante l’in­té­gral­ité des paroles écrites l’an­née précé­dente pour Lib­er­tad Lamar­que.
Ce fait est générale­ment car­ac­téris­tique des tan­gos à écouter. Cepen­dant, mal­gré les facéties de cet enreg­istrement, il me sem­ble que l’on pour­rait envis­ager de le pro­pos­er dans un moment déli­rant, une sorte de cathar­sis, pour toutes ces heures passées à danser sur des ver­sions plus sages. On notera les clo­chettes qui don­nent une légèreté, en con­traste à la voix très appuyée d’Are­nas.

Paroles (version de Enrique Santos Discépolo)

Ici, les paroles de la ver­sion du jour, mais reportez-vous en fin d’ar­ti­cle pour d’autres ver­sions…

Con este tan­go que es burlón y com­padri­to
se ató dos alas la ambi­ción de mi sub­ur­bio;
con este tan­go nació el tan­go, y como un gri­to
sal­ió del sór­di­do bar­ri­al bus­can­do el cielo;
con­juro extraño de un amor hecho caden­cia
que abrió caminos sin más ley que la esper­an­za,
mez­cla de rabia, de dolor, de fe, de ausen­cia
llo­ran­do en la inocen­cia de un rit­mo juguetón.

Por tu de notas agor­eras
nacieron, sin pen­sar­lo, las paicas y las gre­las,
luna de char­cos, canyengue en las caderas
y un ansia fiera en la man­era de quer­er…

Al evo­carte, tan­go queri­do,
sien­to que tiem­blan las bal­dosas de un bai­lon­go
y oigo el rezon­go de mi pasa­do…
Hoy, que no ten­go más a mi madre,
sien­to que lle­ga en pun­ta ‘e pie para besarme
cuan­do tu can­to nace al son de un ban­doneón.

Caran­can­fun­fa se hizo al mar con tu ban­dera
y en un pernó mez­cló a París con Puente Alsi­na.
Triste com­padre del gav­ión y de la mina
y has­ta comadre del bacán y la pebe­ta.
Por vos shusheta, cana, reo y mishiadu­ra
se hicieron voces al nac­er con tu des­ti­no…
¡Misa de fal­das, querosén, tajo y cuchil­lo,
que ardió en los con­ven­til­los y ardió en mi corazón.
Enrique San­tos Dis­cépo­lo

libre et indications de la version de Enrique Santos Discépolo

Avec ce tan­go moqueur et com­padri­to, l’am­bi­tion de ma ban­lieue s’est attaché deux ailes ;
Avec ce tan­go naquit, le tan­go, et, comme un cri, il sor­tit du quarti­er sor­dide en cher­chant le ciel.
Un étrange sort d’amour fait cadence qui ouvrait des chemins sans autre loi que l’e­spoir, un mélange de rage, de douleur, de foi, d’ab­sence pleu­rant dans l’in­no­cence d’un rythme joueur.
Par ton mir­a­cle des notes prophé­tiques, les paicas et les gre­las ( paicas et gre­las sont les chéries des com­padri­tos) sont nées, sans y penser, une lune de (ou de flaque d’eau), de canyengue sur les hanch­es et un désir farouche dans la façon d’aimer…
Quand je t’évoque, cher tan­go, je sens les dalles d’un danc­ing trem­bler et j’en­tends le mur­mure de mon passé…
Aujour­d’hui, alors que je n’ai plus ma mère, j’ai l’im­pres­sion qu’elle vient sur la pointe des pieds pour m’embrasser quand ton chant naît au son d’un ban­donéon.
Caran­can­fun­fa (danseur habile, on retrou­ve ce mot dans divers titres, comme les milon­gas Carán-Can-Fú de l’orchestre Rober­to Zer­ril­lo avec Jorge Car­do­zo, ou Carán­can­fún de Fran­cis­co Canaro avec Car­los Roldán) a pris la mer avec ton dra­peau et en un éclair a mêlé Paris au pont Alsi­na (pont sur le Riachue­lo à la Boca).
Triste com­padre du gabion (mecs) et de la mina (femme) et jusqu’à la mar­raine du bacán (riche) et de la pebe­ta (gamine).
Pour toi, l’élé­gant, prison, accu­sa­tions et mis­ère ont par­lé à la nais­sance avec ton des­tin…
Une messe de jupes, de (pét­role lam­pant pour l’é­clairage), de lames et de couteaux, qui brûlait dans les con­ven­til­los (habitas col­lec­tifs pop­u­laires et surpe­u­plés) et brûlait dans mon cœur.

Un épi peut en cacher un autre…

On a beau­coup glosé sur l’o­rig­ine du nom de ce tan­go.
Tout d’abord, la plus évi­dente et celle que Vil­lol­do a affir­mé le plus sou­vent était que c’é­tait lié à la plante comestible. Les orig­ines très mod­estes des Vil­lol­do peu­vent expli­quer cette dédi­cace. Le nord de la Province de Buenos Aires ain­si que la Pam­pa sont encore aujour­d’hui des zones de pro­duc­tion impor­tante de maïs et cette plante a aidé à sus­ten­ter les pau­vres. On peut même con­sid­ér­er que cer­tains aiment réelle­ment manger du maïs. En faveur de cette hypothèse, les paroles de la ver­sion chan­tée par lui-même, mais nous ver­rons que ce n’est pas si sim­ple quand nous allons abor­der les paroles…
Il s’a­gi­rait égale­ment, d’un tan­go à la charge d’un petit mal­frat de son quarti­er et qui avait les cheveux blonds. C’est du moins la ver­sion don­née par Irene Vil­lol­do, la sœur de Ángel et que rap­porte Juan Car­los Maram­bio Catán dans une let­tre écrite en 1966 à Juan Bautista Devo­to. On notera que les paroles de Juan Car­los Maram­bio Catán con­for­tent juste­ment cette ver­sion.
Lorsque Lib­er­tad Lamar­que doit enreg­istr­er ce tan­go en 1947 pour le film « Gran Casi­no » de Luis Buñuel, elle fait mod­i­fi­er les paroles par Enrique San­tos Dis­cépo­lo pour lui enlever le côté vio­lent de la sec­onde ver­sion et dou­teuse de celles de Vil­lol­do.
Vil­lol­do n’é­tait pas un enfant de chœur et je pense que vous avez tous enten­du par­ler de la dernière accep­tion. Par la forme phallique de l’épi de maïs, il est ten­tant de faire ce rap­proche­ment. N’ou­blions pas que les débuts du tan­go n’é­taient pas pour les plus prudes et cette con­no­ta­tion sex­uelle était, assuré­ment, dans l’e­sprit de bien des audi­teurs. Le lun­far­do et cer­tains de tan­gos aiment à jouer sur les mots. Vous vous sou­venez sans doute de « El chi­no Pan­taleón » où, sous cou­vert de par­ler musique et tan­go, on par­lait en fait de bagarre…
Rajou­tons que, comme le tan­go était une musique appré­ciée dans les bor­dels, il est plus que prob­a­ble que le dou­ble sens ait été encour­agé.
Faut-il alors rejeter le témoignage de la sœur de Vil­lol­do ? Pas for­cé­ment, il y avait peut-être une tête d’épi dans leur entourage, mais on peut aus­si sup­pos­er que, même si Irène était anal­phabète, elle avait la notion de la bien­séance et qu’elle se devait de dif­fuser une ver­sion soft, ver­sion que son frère a peut-être réelle­ment encour­agée pour pro­téger sa sœurette.
Retenons de cela qu’au fur et à mesure que le tan­go a gag­né ses let­tres de noblesse, les poètes se sont éver­tués à écrire de belles paroles et pas seule­ment à cause des péri­odes de cen­sure de cer­tains gou­verne­ments. Tout sim­ple­ment, car le tan­go entrant dans le « beau monde », il devait présen­ter un vis­age plus accept­able.
Les textes ont changé, n’en déplaise à Jorge Borges, et avec eux, l’am­biance du tan­go.

Autres versions

Tout comme pour la Cumpar­si­ta, il n’est pas pens­able de présen­ter toutes les ver­sions de ce tan­go. Je vous pro­pose donc une sélec­tion très restreinte sur deux critères :
• His­torique, pour con­naître les dif­férentes épo­ques de ce thème.
• Intérêt de l’in­ter­pré­ta­tion, notam­ment pour danser, mais aus­si pour écouter.
Il ne sem­ble pas y avoir d’en­reg­istrement disponible de la ver­sion de 1903, si ce n’est celle de Vil­lol­do enreg­istrée en 1910 avec les mêmes paroles pré­sumées.
Mais aupar­a­vant, pri­or­ité à la data­tion, une ver­sion un peu dif­férente et avec un autre type de paroles. Il s’ag­it d’une ver­sion dia­loguée (voire criée…) sur la musique de El Choclo. Le titre en est Car­iño puro, mais vous retrou­verez sans prob­lème notre .

Car­iño puro (diál­o­go y tan­go) 1907 – Los Gob­bi con Los Cam­pos.

Ce titre a été enreg­istré en 1907 sur un disque en car­ton de la com­pag­nie Mar­coni. Si la qual­ité d’o­rig­ine était bonne, ce matéri­au n’a pas résisté au temps et au poids des aigu­illes de phono­graphes de l’époque. Heureuse­ment, cette ver­sion a été réédité en disque shel­lac par la Colum­bia et vous pou­vez donc enten­dre cette curiosité… La forme dia­loguée rap­pelle que les musi­ciens fai­saient beau­coup de revues et de pièces de théâtre.

À gauche, disque en car­ton recou­vert d’acé­tate (procédé Mar­coni). Ces dis­ques étaient de bonne qual­ité, mais trop frag­iles. À droite, le même enreg­istrement en ver­sion shel­lac.

Paroles de Cariño puro des Gobbi

Ay mi chi­na que ten­go mucho que hablarte,
de una cosa que a vos no te va a gus­tar
Largá el rol­lo que escu­cho y expli­cate
Lo que pas­es no es ton­tera,
pues te juro que te digo la ver­dad.
dame un beso no me ven­gas con chanela (2)
dejate de ton­teras, no me hagas esper­ar.
Decí ya sé que la otra noche
vos con un gav­ilán
son cuen­tos que te han hecho
án.
No me faltes mirá que no hay macanas
yo no ven­go con ganas mi chi­na de far­rear
Pues entonces no me ven­gas con cuen­to
y escuchame un momen­to que te voy a explicar.
No te eno­jes que yo te diré lo cier­to
y verás que me vas a per­donar
Pues entonces
Te diré la purísi­ma ver­dad
Vamos chi­na ya que voy a hac­er las paces
a tomar un car­rin­dan­go pa pasear
Y mirar de Paler­mo
Yo te quiero mi chini­ta no hagas caso
Que muy lejos quer­er
el esquina­zo
ni golpe ni por­ra­zo…
Ángel Vil­lol­do

Traduction de Cariño puro des Gobbi

  • Oh, ma chérie, que j’ai beau­coup à te par­ler,
    D’une chose qui ne va pas te plaire
    Avoue (lâch­er le rouleau) que je t’é­coute et explique-toi
    Ce que tu tra­vers­es n’est pas une bêtise,
  • - Eh bien, je te jure que je te dis la vérité.
    Donne-moi un bais­er Ne viens pas à moi en par­lemen­tant
  • - Arrête les bêtis­es, ne me fais pas atten­dre.
    J’ai déjà dit que je savais pour l’autre soir
    Toi avec un éper­vi­er (homme rapi­de en affaires)
  • - Ce sont des his­toires qui t’ont été faites
    un.
    Ne détourne pas le regard, n’y a pas d’ar­naque.
  • - Je ne viens pas, ma chérie, avec l’en­vie de rigol­er.
    Aus­si, ne me racon­te pas d’his­toires
  • - et écoute-moi un instant et, car je vais te l’ex­pli­quer.
    Ne te fâche pas, je vais te dire ce qui est sûr
    Et tu ver­ras que tu vas me par­don­ner
    Puis, ensuite
    Je vais te dire la pure vérité
  • - Allez, ma chérie, car je vais faire la paix
    En prenant une voiture pour une prom­e­nade
    Et regarder Paler­mo
    Je t’aime ma petite chérie, ne fais pas atten­tion
    Car je veux arrondir les angles
    ni coup ni bagarre…

On voit que ces paroles sont plutôt mignonnes, autour des tour­ments d’un cou­ple, inter­prétés par Alfre­do Gob­bi et sa femme, Flo­ra Rodriguez. Dom­mage que la tech­nique où le goût de l’époque fasse tant crier, cela n’est pas bien accep­té par nos oreilles mod­ernes.

El choclo 1910 — Ángel Gre­go­rio Vil­lol­do con gui­tar­ra.

Cette ver­sion présente les paroles sup­posées orig­i­nales et qui par­lent effec­tive­ment du maïs. C’est donc cette ver­sion qui peut faire pencher la bal­ance entre la plante et le sexe mas­culin. Voyons ce qu’il en est.

Paroles de Villoldo

De un gra­no nace la plan­ta
que más tarde nos da el choclo
por eso de la gar­gan­ta
dijo que esta­ba humil­loso.
Y yo como no soy otro
más que un tanguero de fama
mur­muro con alboro­zo
está muy de la banana.

Hay choc­los que tienen
las espi­gas de oro
que son las que adoro
con tier­na pasión,
cuan­do tra­ba­jan­do
llen­i­to de abro­jos
estoy con ras­tro­jos
como humilde peón.

De lava­da enrubia
en largas guede­jas
con­tem­p­lo pare­jas
sí es como cre­cer,
con esos big­otes
que la tier­ra vir­gen
al noble paisano
le suele ofre­cer.

A veces el choclo
asa en los fogones
cal­ma las pasiones
y dichas de amor,
cuan­do algún paisano
lo está coci­nan­do
y otro está ceban­do
un buen cimar­rón.

Luego que la humi­ta
está prepara­da,
bajo la enra­ma­da
se oye un per­icón,
y jun­to al alero,
de un ran­cho deshe­cho
surge de algún pecho
la ale­gre can­ción.
Ángel Vil­lol­do

Traduction des paroles de Ángel Villoldo

D’un grain naît la plante qui nous don­nera plus tard du maïs
C’est pourquoi, de la gorge (agréable au goût) je dis qu’il avait été humil­ié (calom­nié).
Et comme je ne suis autre qu’un tanguero célèbre, je mur­mure de joie, il est bien de la banane (du meilleur, la banane étant égale­ment un des surnoms du sexe de l’homme).
Il y a des épis qui ont des grains d’or, ce sont ceux que j’adore avec une ten­dre pas­sion, quand je les tra­vaille plein de chardons, je suis avec du chaume comme un hum­ble ouvri­er.
De l’in­no­cence blonde aux longues mèch­es, je con­tem­ple les plantes (sim­i­laires, spéci­mens…) si c’est comme grandir, avec ces mous­tach­es que la terre vierge offre habituelle­ment au noble paysan. (Un dou­ble sens n’est pas impos­si­ble, la terre cul­tivée n’a pas de rai­son par­ti­c­ulière d’être con­sid­érée comme vierge).
Par­fois, les épis de maïs sur les feux cal­ment les pas­sions et les joies de l’amour (les feux, sont les cuisinières, poêles. Qu’ils cal­ment la faim, cela peut se con­cevoir, mais les pas­sions et les joies de l’amour, cela procède sans doute d’un dou­ble sens mar­qué), quand un paysan le cui­sine et qu’un autre appâte un bon cimar­ron (esclave noir, ou ani­mal sauvage, mais il doit s’a­gir ici plutôt d’une vic­time d’ar­naque, peut-être qu’un peu de viande avec le maïs fait un bon repas).
Une fois que la humi­ta (ragoût de maïs) est prête, sous la ton­nelle, un per­icón (per­icón nacional, danse tra­di­tion­nelle) se fait enten­dre, et à côté des avant-toits, d’un ranch brisé, le chant joyeux sur­git d’une poitrine (on peut imag­in­er dif­férentes choses à pro­pos du chant qui sur­git d’une poitrine, mais c’est un peu dif­fi­cile de s’imag­in­er que cela puisse être provo­qué par la pré­pa­ra­tion d’une humi­ta, aus­si tal­entueux que soit le cuisinier…

Je vous laisse vous faire votre opin­ion, mais il me sem­ble dif­fi­cile d’ex­clure un dou­ble sens de ces paroles.

El choclo 1913 — Orques­ta Típi­ca Porteña dir. Eduar­do Aro­las.

Cette ver­sion instru­men­tale per­met de faire une pause dans les paroles.

El choclo 1929-08-27 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor.

Une ver­sion instru­men­tale par la Típi­ca Víc­tor dirigée par Cara­bel­li. Un titre pour les ama­teurs du genre, mais un peu pesant pour les autres danseurs.

El choclo 1937-07-26 — Orques­ta Juan D’Arien­zo.

Sans doute une des ver­sions les plus adap­tées aux danseurs, avec les orne­men­ta­tions de Bia­gi au piano et le bel équili­bre des instru­ments, prin­ci­pale­ment tous au ser­vice du rythme et donc de la danse, avec notam­ment l’ac­céléra­tion (simulée) finale.

El choclo 1937-11-15 — Quin­te­to Don Pan­cho dir. Fran­cis­co Canaro.

Cette ver­sion n’ap­porte pas grand-chose, mais je l’indique pour mar­quer le con­traste avec notre ver­sion du jour, enreg­istrée par Canaro 11 ans plus tard.

El choclo 1940-09-29 — y su .

Une ver­sion légère. Le dou­ble­ment des notes, car­ac­téris­tiques de cette œuvre, a ici une sonorité par­ti­c­ulière, on dirait presque un bégaiement. En oppo­si­tion, des pas­sages aux vio­lons chan­tants don­nent du con­traste. Le résul­tat me sem­ble cepen­dant un peu con­fus, pré­cip­ité et pas des­tiné à don­ner le plus de plaisir aux danseurs.

El choclo 1941-11-13 — Orques­ta .

On retrou­ve une ver­sion chan­tée. Les paroles sont celles de Juan Car­los Maram­bio Catán, ou plus exacte­ment le tout début des paroles avec la fin du cou­plet avec une vari­ante.
Je vous pro­pose ici, les paroles com­plètes de Catán, pour en garder le sou­venir et aus­si, car la par­tie qui n’est pas chan­tée par Var­gas par­le de ce fameux type aux cheveux couleur de maïs…

Paroles de Juan Carlos Marambio Catán

Vie­ja milon­ga que en mis horas de tris­teza
traes a mi mente tu recuer­do car­iñoso,
enca­denán­dome a tus notas dul­cemente
sien­to que el alma se me enco­je poco a poco.
Recuer­do triste de un pasa­do que en mi vida,
dejó una pági­na de san­gre escri­ta a mano,
y que he lle­va­do como cruz en mi mar­tirio
aunque su car­ga infame me llene de dolor.

Fue aque­l­la noche
que todavía me ater­ra.
Cuan­do ella era mía
jugó con mi pasión.
Y en due­lo a muerte
con quien robó mi vida,
mi daga gaucha
par­tió su corazón.
Y me llam­a­ban
el choclo com­pañero;
tal­lé en los entreveros
seguro y fajador.
Pero una chi­na
enve­nenó mi vida
y hoy lloro a solas
con mi trági­co dolor.

Si algu­na vuelta le toca por la vida,
en una mina pon­er su corazón;
recuerde siem­pre
que una ilusión per­di­da
no vuelve nun­ca
a dar su flor.

Besos men­ti­dos, engaños y amar­guras
rodan­do siem­pre la pena y el dolor,
y cuan­do un hom­bre entre­ga su ter­nu­ra
cer­ca del lecho
lo acecha la traición.

Hoy que los años han blan­quea­do ya mis sienes
y que en mi pecho sólo ani­da la tris­teza,
como una luz que me ilu­mi­na en el sendero
lle­gan tus notas de melódi­ca belleza.
Tan­go queri­do, viejo choclo que me embar­ga
con las cari­cias de tus notas tan sen­ti­das;
quiero morir aba­jo del arrul­lo de tus que­jas
can­tan­do mis querel­las, llo­ran­do mi dolor.
Juan Car­los Maram­bio Catán

Traduction libre des paroles de Juan Carlos Marambio Catán

Vieille milon­ga. À mes heures de tristesse, tu me rap­pelles ton sou­venir affectueux,
En m’en­chaî­nant douce­ment à tes notes, je sens mon âme se rétré­cir peu à peu.
Sou­venir triste d’un passé qui, dans ma vie, a lais­sé une page de sang écrite à la main, et que j’ai porté comme une croix dans mon mar­tyre, même si son infâme fardeau me rem­plit de douleur.
C’est cette nuit-là qui, encore, me ter­ri­fie.
Quand elle était à moi, elle jouait avec ma pas­sion.
Et dans un duel à mort avec celui qui m’a volé la vie, mon poignard gau­cho lui a brisé le cœur.
Et ils m’ap­pelaient le com­pagnon maïs (choclo);
J’ai tail­lé dans les mêlées, sûr et résis­tant.
Mais une femme chérie a empoi­son­né ma vie et, aujour­d’hui, je pleure tout seul avec ma douleur trag­ique.
S’il vous prend dans la vie de met­tre votre cœur dans une chérie ; rap­pelez-vous tou­jours qu’une illu­sion per­due ne redonne plus jamais sa fleur.
Des bais­ers men­songers, trompeurs et amers roulent tou­jours le cha­grin et la douleur, et quand un homme donne sa ten­dresse, près du lit, la trahi­son le traque.
Aujour­d’hui que les années ont déjà blanchi mes tem­pes et que, dans ma poitrine seule se niche la tristesse, comme une lumière qui m’é­claire sur le chemin où arrivent tes notes de beauté mélodique.
Tan­go chéri, vieux choclo qui m’ac­ca­ble des caress­es de tes notes si sincères ;
Je veux mourir sous la berceuse de tes plaintes, chan­tant mes peines, pleu­rant ma douleur.

El choclo 1947 – Lib­er­tad Lamar­que, dans le film Gran casi­no de Luis Buñuel.

El choclo 1947 – Lib­er­tad Lamar­que, dans le film Gran casi­no de Luis Buñuel.

Dans cet extrait Lib­er­tad Lamar­que inter­prète le titre avec les paroles écrites pour elle par Dis­ce­po­lo. On com­prend qu’elle ne voulait pas pren­dre le rôle de l’as­sas­sin et que les paroles adap­tées sont plus con­ven­ables à une dame…
Les paroles de Enrique San­tos Dis­cépo­lo seront réu­til­isées ensuite, notam­ment par Canaro pour notre tan­go du jour.

El choclo 1948-01-15 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Alber­to Are­nas. C’est notre tan­go du jour.

Comme vous vous en doutez, je pour­rai vous présen­ter des cen­taines de ver­sions de ce titre, mais cela n’a pas grand intérêt. J’ai donc choisi de vous pro­pos­er pour ter­min­er une ver­sion très dif­férente…

Kiss of Fire 1955 — Louis Arm­strong.

En 1952, Lester Allan et Robert Hill ont adap­té et sérieuse­ment mod­i­fié la par­ti­tion, mais on recon­naît par­faite­ment la com­po­si­tion orig­i­nale.

Je vous pro­pose de nous quit­ter là-dessus, une autre preuve de l’u­ni­ver­sal­ité du tan­go.
À bien­tôt, les amis.

En guise de corti­na, on pour­rait met­tre Pop Corn, non ?

PS : si vous avez des ver­sions de El choclo que vous adorez, n’hésitez pas à les indi­quer dans les com­men­taires, je rajouterais les plus demandées.

El chino Pantaleón 1942-01-13 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán

Francisco Canaro (paroles et musique)

Le prénom Pan­taleón est bien con­nu dans le domaine du tan­go à cause de Piaz­zol­la qui l’avait en sec­ond prénom. Chi­no ‚me fait penser au génial Chi­no Labor­de, que je vais d’ailleurs aller écouter avec La Mucha Tan­go jeu­di à Nue­vo Chique. En com­bi­nant les deux, on obtient notre titre du jour, écrit par Fran­cis­co Canaro. Cette « milon­ga » fait par­tie de ces titres à la lim­ite du lun­far­do qui jouent sur les mots, mélangeant tan­go et castagne.

Extrait musical

El chi­no Pan­taleón 1942-01-13 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con .
Disque Odeón 55157. El Chi­no Pan­taleón est sur la face A et Y… No la puedo olvi­dar, sur la face B.

Le rythme de cette com­po­si­tion est un peu atyp­ique et il rend dif­fi­cile de la class­er, milongua tangue­an­da, . Ce n’est peut-être pas de tout pre­mier choix pour le bal…
La voix de Car­los Roldán est sym­pa.
On notera la fin abrupte, très orig­i­nale, comme si la musique avait été mise KO.

Paroles

Caballeros milongueros,
la milon­ga está for­ma­da
y el que cope la para­da
que se juegue todo entero,
si es que tiene com­pañero,
la gui­tar­ra bien tem­pla­da
pa’ aguan­tar cualquier tren­za­da
con razón o sin razón,
cara a cara, frente a frente,
corazón a corazón.

Era el Chi­no Pan­taleón
milonguero y cachafaz,
que al sonar de un ban­doneón
vibore­a­ba en su com­pás.
Era un tau­ra pa’ copar
y de ley como el mejor;
si lo entra­ban a apu­rar
era capaz de can­tar
“La vio­le­ta” o “Trovador”.

Caballeros milongueros,
vayan salien­do a la can­cha
porque el que hace la “patan­cha“
es señal que le da el cuero;
siem­pre el que pega primero
lle­va la may­or ven­ta­ja;
no le ponen la mor­ta­ja
al que tira sin errar;
no es de vivo, com­pañero,
el dejarse madru­gar.
Fran­cis­co Canaro (paroles et musique)

Traduction libre et indications

Messieurs les milongueros (dans le sens de bagar­reurs), l’af­faire est for­mée (milon­ga a ici le sens d’af­faire dou­teuse, désor­dre) et celui qui prend posi­tion doit tout jouer, s’il a un parte­naire (un parte­naire. Cela con­firme que l’on est plus dans le domaine de la rixe que celui de la danse).
La gui­tare (peut aus­si faire allu­sion à l’ar­gent) bien accordée pour résis­ter à toute bagarre avec rai­son ou sans rai­son,
Face à face, front à front, cœur à cœur.
C’é­tait le Chi­no Pan­taleón milonguero et inso­lent (cachafaz comme était surnom­mé Ovidio José Bian­quet, qui tra­vail­la avec Canaro pour ses revues musi­cales), qui, lorsque son­nait un ban­donéon (Ban­donéon n’est pas ici l’in­stru­ment, mais l’ac­tion de gên­er l’autre en faisant du bruit), vibrait à son rythme.
Il était un tau­ra (généreux) à boire et de ley (loy­al, véri­ta­ble comme dans milonguero de ley) comme le meilleur ;
s’ils le cher­chaient (se jetaient sur lui, l’oblig­eaient), il pou­vait chanter « La vio­le­ta » (tan­go de avec des paroles de , chan­té par Mai­da et Gardel, puis, par Troi­lo avec Casal puis Goyeneche) ou « Trovador » (valse de Car­los Alcaraz avec des paroles de Car­los Pesce). Je pense que ces titres sont plutôt don­nés pour indi­quer que le type a du répon­dant dans la bagarre.
Messieurs les milongueros, sortez sur le ter­rain, car celui qui fait le « patan­cha » (, la grosse pat­te, le courageux) est un signe que le cuir lui donne ;
Celui qui frappe le pre­mier a tou­jours le meilleur avan­tage ;
Ils ne met­tent pas le linceul à celui qui tire sans se per­dre (per­dre de temps, sans errer) ;
Il n’est pas vivant, cama­rade, de se laiss­er devancer (madru­gar peut sig­ni­fi­er, devancer, gag­n­er du temps, atta­quer le pre­mier).
On voit que les paroles rich­es de lun­far­do, jouent sur les mots. Avec le vocab­u­laire de la milon­ga, on par­le bel et bien de bagarre.

Autres versions

Notre pre­mier titre est un fox-trot, qui n’a que seul point com­mun, le prénom Pan­taleón…

Pan­taleón 1930-05-28 (Fox-trot) — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Char­lo. ( Letra: Fran­cis­co Anto­nio Bas­tar­di).
El chi­no Pan­taleón 1942-01-13 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Car­los Roldán. C’est notre milon­ga du jour.
El chi­no Pan­taleón 1942-06-17 — Orques­ta con Fer­nan­do Díaz.

Par­fois, Lomu­to fait des choses plus intéres­santes que Canaro. C’est sans doute le cas de cet enreg­istrement que je trou­ve plus sym­pa à danser. On remar­quera, dès le début, une util­i­sa­tion dif­férente des instru­ments, ce ne sont pas les mêmes élé­ments qui sont mis en valeur. En ce qui con­cerne la voix, on peut préfér­er Roldán à Díaz, mais je trou­ve que cette milon­ga est rel­a­tive­ment joueuse et qu’elle pour­rait trou­ver sa place dans une milon­ga. Sa fin est en revanche plus clas­sique avec les deux accords fin­aux, habituels.

El chi­no Pan­taleón 1953-03-25 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Are­nas y Mario Alon­so.

Canaro reprend sa com­po­si­tion pour l’en­reg­istr­er en duo. On pour­rait presque dire en trio, tant le piano qui s’a­muse est présent. C’est tou­jours Mar­i­ano Mores, mais il a pris plus de place dans l’orchestre qu’à son arrivée en 1940.
La ver­sion ne se prête pas plus et peut-être moins encore à la danse que la ver­sion de 1942, notam­ment à cause de ses dia­logues et des paus­es dans la musique.

Qui est Pantaleón ?

Je n’ai pas d’autre ver­sion de cette milon­ga en stock. Cepen­dant, il reste un autre titre par­lant d’un Pan­taleón et ce prénom est accom­pa­g­né d’un nom de famille, Lucero.
Écou­tons ce titre.

Yo Soy Pan­taleón Lucero 1979 — . (Faus­to Fron­tera Letra: Cele­do­nio Flo­res)

Ce titre com­posé au début du vingtième siè­cle par Faus­to Fron­tera avec des paroles de Cele­do­nio Flo­res a été enreg­istré par Chiqui en 1979. Il ne sem­ble pas y avoir d’autres ver­sions enreg­istrées.

Ricar­do Daniel Pereyra (“Chiqui”). Avec Rober­to Goyeneche sur la pho­to de gauche.

Paroles de Yo Soy Pantaleón Lucero

Yo soy Pan­taleón Lucero
de pro­fe­sión may­oral,
cump­lo cuarenta en enero
aunque algunos me dan más.
Nací por el Bar­rio Norte
y me crié por el sur,
tal vez no ten­ga dinero,
pero me sobra salud.

Si me quieren, tam­bién quiero
si no me quieren, tam­bién,
soy querendón y sin­cero
porque soy hom­bre de fe.
Ami­go que sale malo
yo lo olvi­do y ter­minó,
pero no puedo olvi­dar­la
a la que a mí me olvidó.

Yo soy Pan­taleón Lucero
no sé si recor­darán,
deci­dor y refranero
y criol­lo a car­ta cabal.
Matear amar­go es mi vicio
mi des­dicha, enam­orar,
qué ale­gría, can­tar siem­pre
así las penas se van.

(Coda)
Yo soy Pan­taleón Lucero,
pa’ lo que guste man­dar.
Faus­to Fron­tera Letra: Cele­do­nio Flo­res

Traduction libre des paroles de Yo Soy Pantaleón Lucero

Je suis Pan­taleón Lucero, may­oral (pré­posé aux bil­lets du Tramway) de pro­fes­sion,
J’au­rai quar­ante ans en jan­vi­er, bien que cer­tains m’en don­nent plus.
Je suis né dans le Bar­rio Norte et j’ai gran­di dans le sud. Peut-être que je n’ai pas d’ar­gent, mais j’ai beau­coup de san­té.
S’ils m’ai­ment, j’aime aus­si. S’ils ne m’ai­ment pas, égale­ment. Je suis aimant et sincère parce que je suis un homme de foi.
L’a­mi qui devient mau­vais, je l’ou­blie et c’est fini, mais je ne peux pas oubli­er celle qui m’a oublié.
Je suis Pan­taleón Lucero, je ne sais pas si vous vous en sou­venez, un décideur et un diseur et un créole absol­u­ment (l’ex­pres­sion a car­ta cabal sig­ni­fie, pleine­ment).
Boire le mate amer est mon vice, ma mis­ère, tomber amoureux, quelle joie, tou­jours chanter, ain­si les cha­grins s’en vont.
(Coda)
Je suis Pan­taleón Lucero, pour tout ce que vous souhaitez deman­der.

En savons-nous plus sur Pantaleón ?

Nous avons main­tenant trois por­traits d’un Pan­taleón.

S’il est dif­fi­cile de savoir si les deux Pan­taleón de Canaro cor­re­spon­dent au même per­son­nage. En revanche, il est peu prob­a­ble que le may­oral, qui sem­ble un être pais­i­ble soit le même que celui de la milon­ga de Canaro.
Je pro­pose donc de laiss­er la ques­tion en sus­pens et en com­pen­sa­tion, une petite remar­que.
Le chanteur Enrique Martínez, le petit frère de Mar­i­ano Mores, le pianiste de Canaro, avait choisi comme nom de scène, Enrique Lucero. Mais je pense que c’est plus en référence à Vénus (Lucero del alba, l’é­toile de l’aube), qu’en l’hon­neur d’un dis­trib­u­teur de bil­lets dans un tramway…
De nos jours, le terme chi­no est plutôt réservé aux Chi­nois.
Cepen­dant, en lun­far­do, la chi­na est la chérie, et, dans une moin­dre mesure chi­no est égale­ment util­is­able pour chéri.
Le terme « chi­no » définit égale­ment des métiss­es d’In­di­ens et de Noirs. Cela expli­querait le choix d’une musique proche du pour ce titre.
Je fais donc l’hy­pothèse que El chi­no Pan­taleón est un per­son­nage som­bre de peau, bagar­reur, un des nom­breux com­padri­tos qui han­taient les faubourgs de Buenos Aires.

À bien­tôt les amis !

Amor, amor vení 1941-01-09 — Orquesta Francisco Canaro con Francisco Amor

Mariano Ramiro Ochoa Induráin (paroles et musique)

Cette jolie est une des pre­mières que je met­tais régulière­ment à mes débuts de DJ de tan­go. Je m’en sou­viens, car la cor­re­spon­dance des prénoms, du nom et du titre m’avait frap­pé. Deux Fran­cis­co, Amor et Canaro et L’Amor de Fran­cis­co Amor et le dou­ble amor du titre, répété 6 fois dans les paroles et auquel il faut rajouter un amo. L’autre point, plus objec­tif, qui fait que j’aimais bien ce titre, est qu’il est essen­tielle­ment en mode majeur, d’un rythme soutenu et qu’il évite la monot­o­nie en vari­ant les instru­ments et que Fran­cis­co Amor a une belle voix.

Extrait musical

Amor, amor vení 1941-01-09 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Fran­cis­co Amor.

On note dès le début le rythme bien accen­tué, typ­ique de Canaro. Cer­tains diront un peu lourd, mais cela plait aux Européens qui se sont habitués à ce fait, comme en témoigne l’évo­lu­tion du tan­go en Europe, où la bat­terie rythme les bals de vil­lage même pour les tan­gos.
On notera que le piano mar­que tous les temps à l’aide d’ac­cords. On le remar­que moins sur les pre­miers temps, juste­ment à cause de l’u­til­i­sa­tion appuyée de la con­tre­basse d’ Krauss sur les pre­miers temps, mais aus­si des autres instru­ments et notam­ment des vio­lons, du vio­lon­celle et des ban­donéons, qui évolueront durant toute la durée entre des par­ties ryth­miques et des pas­sages mélodiques, en alter­nance afin que le rythme ne se perde pas et que ce soit con­fort­able pour les danseurs.
Le piano se libère pro­gres­sive­ment de cet en lâchant quelques fior­i­t­ures en fin de phrase. Le piano est tenu par Mar­i­ano Mores qui rem­plaça qui était dans l’orchestre de Canaro depuis 1928 et dont la mal­adie l’a obligé à aban­don­ner la car­rière.
À 21 s se remar­que la clar­inette qui rap­pelle qu’a­vant les ban­donéons, les flûtes fai­saient par­tie des instru­ments du tan­go et que Canaro a égale­ment un orchestre de jazz. On retrou­vera égale­ment la clar­inette en con­tre­point du chanteur un peu plus tard.
À 28 s, com­mence la par­tie B qui se dis­tingue par des allers-retours entre l’orchestre et le piano. À 56 s, Fran­cis­co Amor com­mence à chanter avec les vio­lons en con­tre-chant et les ponc­tu­a­tions du piano, la con­tre­basse con­tin­u­ant d’aider les danseurs en mar­quant les pre­miers temps. Les ban­donéons s’oc­cu­pant de mar­quer tous les temps, comme le fai­sait le piano au début.
Je pense qu’en l’ayant écoutée atten­tive­ment, vous com­pren­drez pourquoi je trou­ve que c’est une mer­veille, sim­ple et élé­gante.

Paroles

Amor, amor vení
No me hagas más penar,
Que mi vida está en peli­gro
Siem­pre que no tardes más.

Amor, amor vení
Ya no puedo repe­tir,
Porque me fal­ta el alien­to
Y fuerzas para vivir.

Camini­to del cole­gio
Que de ahí te conocí,
Me mirabas como a un hom­bre
Y mi amor fue para ti.

Ten­go veinte y tú tam­bién
Y mi amor tam­bién cre­ció,
No sé si me com­prendiste
Y por eso te amo yo.
Mar­i­ano Ramiro Ochoa Induráin (paroles et musique)

Traduction libre

Amour, amour vient (amour = chérie)
Ne m’in­flige pas plus de cha­grin, car ma vie est tou­jours en dan­ger, aus­si, ne tarde pas davan­tage.
Amour, amour vient
Je ne peux plus le répéter, parce que me font défaut le souf­fle et les forces pour vivre.
Sur le chemin de l’é­cole où je t’ai ren­con­trée, tu m’as regardé comme un homme et mon amour fut pour toi.
J’ai vingt ans, et toi aus­si, et mon amour a égale­ment gran­di, je ne sais pas si tu m’as com­pris, et c’est pourquoi, moi, je t’aime.

Bredouille

Dif­fi­cile de trou­ver des élé­ments sur cette valse. Son auteur est incon­nu. On ne lui doit aucun autre titre et la SADAIC ne dis­pose d’au­cune don­née dans son enreg­istrement cor­re­spon­dant, #195 009, pas même le nom du com­pos­i­teur et paroli­er, Mar­i­ano Ramiro Ochoa Induráin.
Du côté des deux Fran­cis­co, l’hori­zon s’é­claircit. Je ne vais pas vous par­ler de Canaro, mais vous dire quelques mots de Amor.
S’il a com­mencé dans l’orchestre de Florindo Sas­sone, ce natif de Bahia Bian­ca, comme Di Sar­li, n’a enreg­istré qu’avec Canaro.
Son image a toute­fois été enreg­istré dans divers films comme :
Vien­to norte 1937 de Mario Sof­fi­ci où il tient le rôle du sol­dat chanteur… Musique et chan­sons de Andres R. Domenech et .

Fran­cis­co Amor en Vien­to norte 1937. Un film de Mario Sof­fi­ci. Dans cet extrait, Fran­cis­co Amor chante deux chan­sons et on peut voir à la fin un Gato et un inter­prété par les sol­dats.

y cielo 1938 de Raúl Gur­rucha­ga dans lequel il chante notam­ment « No te cas­es » (ne te marie pas).

No te cas­es 1937 (Vals) — Fran­cis­co Amor con la Orques­ta de Fran­cis­co Canaro

Mandin­ga en la sier­ra 1939 de Isidoro Navar­ro.
Napoleón 1941 de Luis César Amadori.
can­ta 1947 de Anto­nio Solano. Comme le titre peut le sug­gér­er, plusieurs chanteurs sont à l’af­fiche et en plus de Fran­cis­co Amor, citons, , . On peut aus­si y écouter Oscar Ale­man, l’orchestre le plus en vogue lors de la déca­dence du tan­go au prof­it du jazz.

Autres versions

Les Fran­cis­co ont enreg­istré ensem­ble une ving­taine de valses. Cepen­dant, il n’y a pas de ver­sion enreg­istrée de cette valse par un autre orchestre. Je vous pro­pose donc de ter­min­er en la réé­coutant.

Amor, amor vení 1941-01-09 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Fran­cis­co Amor.

Je vous laisse avec les 76 mots chan­tés par Amor, qui dira son nom de famille (il s’ap­pelait réelle­ment Amor et même Igle­sias Amor, c’est-à-dire « Église Amour »…) six fois.

Sur ces bonnes… paroles, je vous dis à bien­tôt, les amis !

Sueño imaginado 1932-01-05 — Orquesta Típica Los Provincianos con Carlos Lafuente. Dir. Ciriaco Ortiz

Cieto Minocchio Letra: Francisco Brancatti

C’est sym­pa de faire des rêves, mais par­fois le retour à la réal­ité est ter­ri­ble. C’est ce qui arrive au héros de cette mag­nifique valse, sans doute un peu trop rare dans les milon­gas. Ciri­a­co Ortiz, à la tête de l’orchestre Los Provin­cianos, l’a enreg­istrée, il y a exacte­ment 93 ans…

Sueño imag­i­na­do 1932-01-05 — Orques­ta Típi­ca Los Provin­cianos con Car­los Lafuente. Dir. Ciri­a­co Ortiz.

Dès le début on remar­que que le titre est conçu sous forme de ques­tions-répons­es. L’orchestre lance une ques­tion et un soliste donne la réponse.
Si les vio­lons avec sont majori­taire­ment les solistes, les ban­donéons, dont celui de Ciri­a­co Ortiz et peut-être celui du jeune Aníbal Troi­lo ont égale­ment leurs répar­ties. Pour les danseurs, ces dia­logues sont très intéres­sants, car cela leur per­met de vari­er l’im­pro­vi­sa­tion. La répéti­tiv­ité de la struc­ture per­met de pré­par­er une « réponse » au cas où les pre­miers dia­logues auraient été loupés dans l’im­pro­vi­sa­tion.
Pour les danseurs moins avancés, les pre­miers temps de chaque mesure sont mar­qués par la con­tre­basse de . C’est le Poum du Poum-Tchi-Tchi de la valse (Temps fort-Temps faible-Temps faible). On n’en­tend pas vrai­ment le piano, en revanche, on a l’im­pres­sion qu’une caisse claire sonne les temps faibles.
C’est donc une valse facile pour les danseurs qui ont besoin d’un repère tem­porel bien mar­qué.
À 1:58, Car­los Lafuente chante le refrain. Sa voix peut un peu sur­pren­dre, mais, comme l’in­ter­ven­tion est courte, cela ne devrait pas trop per­turber les danseurs. On remar­quera que l’orchestre fait la place au chanteur en l’ac­com­pa­g­nant en sour­dine par un dis­cret Poum-Tchi-Tchi, ce qui per­met aux danseurs de garder le rythme.
On remar­quera la com­plex­ité modale de l’œu­vre, avec de nom­breux change­ments de tonal­ité, ce qui peut par­fois don­ner une impres­sion de dis­so­nance si on reste sur l’élan de la tonal­ité précé­dente.

Il est dif­fi­cile d’au­then­ti­fi­er les instru­men­tistes de l’orchestre, car les orchestres de la Vic­tor étaient à géométrie vari­able. Comme ces orchestres se lim­i­taient aux enreg­istrements, ils se con­stru­i­saient à chaque ses­sion avec des musi­ciens de pre­mier plan, disponibles.
On con­sid­ère générale­ment que les prin­ci­paux musi­ciens de Los Provin­cianos dirigés par Ciri­a­co Ortiz étaient :
Ciri­a­co Ortiz, Aníbal Troi­lo, Hora­cio Golli­no (ban­donéon­istes)
Cara­bel­li (pianiste)
Elvi­no Var­daro, , (vio­lonistes)
Man­fre­do Lib­er­a­tore (con­tre­bassiste)

Un des orchestres de la Vic­tor

Cette pho­to générale­ment légendée comme étant de Los Provin­cianos, sans doute à cause de la présence de Ciri­a­co Ortiz. Cepen­dant, n’est pas inter­v­enue dans cet orchestre. Il me sem­ble donc qu’il faut plutôt con­sid­ér­er que c’est une com­po­si­tion mixte, notam­ment avec l’orchestre Típi­ca Vic­tor de Cara­bel­li dont Ciri­a­co Ortiz était égale­ment mem­bre. On notera la présence du jeune Aníbal Troi­lo. Sur la droite, le vio­loniste Ben­jamín Hol­ga­do Bar­rio qui est à l’o­rig­ine de la pre­mière scis­sion de l’orchestre de D’Agosti­no. Il récla­mait 17 pesos, pour lui et les autres mem­bres de l’orchestre, au lieu des 15 pesos qui étaient octroyés pour les enreg­istrements, et D’Agosti­no a viré tout l’orchestre, Var­gas com­pris. Celui-ci est revenu un peu plus tard, mais la magie fut un peu brisée.
Je pro­pose pour cette pho­to, la date du 13 août 1931, car c’est celle qui per­met de réu­nir le plus de pro­tag­o­nistes. Mer­cedes Simone a enreg­istré ce jour avec la Tipi­ca Vic­tor (Cara­bel­li). Sur cette pho­to, il manque Cara­bel­li et, Lesende, qui n’a jamais enreg­istré avec la Vic­tor est plutôt un intrus. En effet, il enreg­is­trait à l’époque avec deux com­pag­nies con­cur­rentes de la Vic­tor, la Brunswick (avec la Orques­ta ) et avec la Colum­bia (avec l’orchestre de Anto­nio Bonave­na).
Hora­cio Golli­no est générale­ment indiqué comme ayant fait par­tie des pre­miers ban­donéon­istes de Los Provin­cianos. Il était né le 5 févri­er 1911, il aurait donc eu qua­si 20 ans, ce qui sem­ble cor­re­spon­dre à l’âge du troisième ban­donéon­iste de la pho­to.
José María Otero, qui est tou­jours très bien doc­u­men­té, indique que ce serait en fait Toto (Juan Miguel Rodríguez). Si on observe la pho­to suiv­ante, représen­tant l’orchestre de Troi­lo en 1941, il sem­blerait que l’on puisse valid­er l’hy­pothèse de Toto.

De gauche à droite, en bas : David Díaz, Toto (Juan Miguel Rodríguez), Ani­bal Troi­lo, Eduar­do Mari­no et . À l’ar­rière : Pedro Sapoc­hnik, Orlan­do Goñi, Fran­cis­co Fiorenti­no, Kicho Díaz et Astor Piaz­zol­la (qui fit le forc­ing auprès de Troi­lo pour rem­plac­er Toto qui était malade). Hugo Bar­alis a appuyé sa can­di­da­ture…

Cepen­dant, selon Toto Tan­go qui est égale­ment une source de haute qual­ité, Toto serait né en 1919. Il aurait donc eu 12 ans si ma data­tion de la pho­to est bonne, ce qui sem­ble tout de même un peu jeune et ne cor­re­spond pas à l’im­age. Si on regarde l’âge prob­a­ble des dif­férents musi­ciens de la pre­mière pho­to, la date de 1931 est fort plau­si­ble ; Troi­lo fait vrai­ment jeune (il est né en 1914 et aurait donc 17 ans), sur la sec­onde, il a 27 ans, il sem­ble dif­fi­cile de con­sid­ér­er qu’il y a beau­coup moins de 10 ans entre les pho­tos.
Je pro­pose donc d’i­den­ti­fi­er Hora­cio Golli­no sur cette pho­to, ce qui nous per­me­t­tra d’avoir enfin un vis­age à met­tre sur ce musi­cien de grande qual­ité, qui ter­mi­na sa vie en don­nant des cours de musique sans pou­voir pra­ti­quer le ban­donéon à cause de la paralysie d’un de ses bras.

Paroles

Que sueño aquel tan hon­do y cru­el
Me vi en la glo­ria de tu pecho amante
Y a al instante todo se acabo
Fue mi Sueño imag­i­na­do
Nada más que un sop­lo de plac­er
Que se fumó y una ilusión hecha can­ción que se apagó
Cieto Minoc­chio Letra: Fran­cis­co Bran­cat­ti

libre

Quel rêve si pro­fond et cru­el.
Je me suis vu dans la gloire de ta poitrine aimante et, instan­ta­né­ment, tout fut ter­miné.
C’é­tait mon rêve imag­iné,
rien de plus qu’un souf­fle de plaisir
qui par­tit en fumée et une illu­sion faite chan­son qui s’éteignait.

Autres versions…

Il n’y a pas d’autre ver­sion enreg­istrée de cette valse, même si le titre a inspiré de nom­breux auteurs de tous types de musique. Je vous pro­pose donc de ter­min­er en réé­coutant cette valse.

Sueño imag­i­na­do 1932-01-05 — Orques­ta Típi­ca Los Provin­cianos con Car­los Lafuente. Dir. Ciri­a­co Ortiz. C’est notre valse du jour.

À bien­tôt, les amis. Faîtes de beaux rêves qui se réalis­eront.

Mentías (vals) 1937-04-01 — Orquesta Juan D’Arienzo

Letra: Alfredo Navarrine

J’ai reçu ce matin un mes­sage d’un organ­isa­teur de me deman­dant quelle valse pro­pos­er pour un anniver­saire, avec la con­trainte que ce soit une valse du mois de jan­vi­er vu que l’an­niver­saire était aujour­d’hui. J’ai pro­posé cette valse, Men­tías, pour deux raisons. La pre­mière est que c’est une valse qui cor­re­spond bien à l’oc­ca­sion et la sec­onde est que sa date d’en­reg­istrement coïn­cide avec la date de nais­sance de la danseuse à fêter. Je te dédi­cace donc, Mar­tine de Saint-Pierre (La Réu­nion), cette valse, en te souhai­tant un excel­lent anniver­saire.

Extrait musical

Disque RCA Vic­tor (38 138 face B) de Men­tías… Le numéro de matrice 93549 est indiqué à gauche de l’axe. Sur la face A (38 138‑A) il y a , enreg­istré juste avant, le même jour, avec le numéro de matrice 93548–1.
Men­tías 1937-04-01 — Orques­ta .

Cette valse com­mence sur un rythme rapi­de, avec une intro­duc­tion au piano par Rodol­fo Bia­gi, qui pro­posera de nom­breuses ponc­tu­a­tions et tran­si­tions légères (comme la pre­mière à 13s).
Durant toute la pre­mière par­tie (jusqu’à 28s), tous les instru­ments sont au ser­vice du rythme.
Ensuite, les ban­donéons s’in­di­vid­u­alisent pour la par­tie B et ensuite cèdent le pas aux mag­nifiques vio­lons.
À 1:50, la vari­a­tion apporte une impres­sion de , sans toute­fois chang­er le tem­po, sim­ple­ment, comme le fait presque sys­té­ma­tique­ment D’Arien­zo, en sub­di­visant les temps en employ­ant des dou­ble-croches au lieu de croches.
Le rythme rapi­de, mais sans exagéra­tion et la fin somme toute tran­quille, laisse la place à des titres plus énergiques pour ter­min­er la tan­da dans une explo­sion.
Ce titre est un bon pre­mier titre, ce qui ren­force ma con­vic­tion qu’il peut faire l’af­faire pour un anniver­saire.

Paroles

Mis ojos te grabaron en mi mente
Bajaste de la mente al corazón,
La flor del corazón se abrió en lati­dos
¡Lati­dos que acu­naron nue­stro amor!
Amor que flo­recía con tus besos
Tus besos encubrían la traición,
Traición que me val­ió la cruz del llan­to
¡Y el llan­to por mis ojos te arro­jó!

¡Men­tías…!
Con cari­cias… estu­di­adas…
¡Cin­is­mo…!
Del car­iño desleal…
Jurabas
Por tu dios y por tu madre…
¡Mira si no es crim­i­nal!
Los seres
Que han mata­do y se red­i­men,
Mere­cen el olvi­do y el perdón…
Cien vidas
No podrán bor­rar tu crimen
¡Asesinar la ilusión!

Y aho­ra que mi vida está vacía
Ancla­da en un silen­cio sin dolor,
Gol­pea el ald­abón de tu recuer­do
Las puer­tas de mi pobre corazón…
Ya es tarde para unir idil­ios rotos
Mire­mos cara a cara la ver­dad,
No vuel­vas a ron­dar por mi car­iño
¡Que el sueño que se fue no tor­na más!
Juan Car­los Casaret­to Letra: Alfre­do Navar­rine

libre des paroles

Mes yeux t’ont gravé dans mon esprit, tu es descen­due de l’e­sprit au cœur, la fleur du cœur s’est ouverte en pal­pi­tant.
Des bat­te­ments de cœur qui ont bercé notre amour !
L’amour qui s’est épanoui avec tes bais­ers. Tes bais­ers ont cou­vert la trahi­son, la trahi­son qui m’a valu la croix des pleurs.
Et les larmes à tra­vers mes yeux t’ont rejetée !

Men­songes…!
Avec des caress­es… Étudiées…
Cynisme…!
D’af­fec­tion déloyale…
Tu as juré par ton dieu et par ta mère…
Vois si ce n’est pas crim­inel !
Les êtres qui ont tué et se sont rachetés méri­tent l’ou­bli et le par­don…
Cent vies ne pour­ront pas effac­er ton crime
Tuer l’il­lu­sion !

Et main­tenant que ma vie est vide, ancrée dans un silence indo­lore, le heur­toir de ton sou­venir frappe les portes de mon pau­vre cœur…
Il est trop tard pour unir des idylles brisées. Regar­dons la vérité face à face, ne reviens pas à chercher mon amour.
Car le rêve qui est par­ti ne revient pas !

On notera que les paroles sont très moyen­nement adap­tées à une fête d’an­niver­saire. Cepen­dant, cela ne dérange pas, car elles ne sont pas enreg­istrées et la musique les dément totale­ment.

Juan Carlos Casaretto y Alfredo Navarrine

Le com­pos­i­teur de cette valse, Juan Car­los Casaret­to n’est con­nu que pour un seul autre titre, un tan­go, Chi­clana y (avec J. Tre­viño, encore plus incon­nu). Il en existe un enreg­istrement tardif par Enrique Rodriguez et Rober­to Flo­res, mais ce n’est pas pour la danse.
Alfre­do Navar­rine (Pig­meo), en revanche, est à la tête d’une riche pro­duc­tion. Avec son frère, Julio Plá­ci­do Navar­rine, il a fourni bon nom­bre de titres de tan­go.

Des frères Alfredo et Julio Navarrine :

  • Alar­i­dos 1942
  • Jua­na 1958
  • Mil nove­cien­tos trein­ta y siete 1937 (plus José Domin­go Péco­ra)
  • Lechuza 1928
  • Oiga ami­go 1933
  • Sos de Chi­clana 1947 (plus Rafael Rossa)
  • Tril­la e recuer­dos

De Julio Navarrine :

  • A la luz del can­dil 1927
  • Bar­cos amar­ra­dos
  • Catorce pri­mav­eras
  • El anil­li­to de pla­ta
  • El vina­cho Milon­ga
  • La piba de los jazmines
  • Oiga ami­go
  • Oro muer­to (Jirón porteño) 1926
  • Por qué no has venido 1926
  • Qué quieren yo soy así Milon­ga
  • Tra­go amar­go 1925

De Alfredo Navarrine :

  • Agüi­ta e luna
  • Ayer y hoy 1939
  • Ban­do­neones en la noche
  • Bar­rio reo 1927
  • Brindis de olvi­do 1945
  • Can­ción del reloj
  • Can­to estrellero 1943
  • Cieli­to del porteño 1950
  • Como una flor 1947
  • Con licen­cia 1955
  • Corazón en som­bras 1943
  • Curiosa
  • Desvíos
  • Escarmien­to 1940
  • Escúcheme, gringo ami­go 1944
  • Esmer­al­da
  • Estam­pa rea 1953
  • Este amor 1938
  • Falsedad 1955
  • Fea 1925
  • Gaji­to de cedrón 1973 Can­ción criol­la
  • Gal­le­gui­ta 1925
  • He per­di­do un beso 1940
  • Humil­dad 1938
  • La condi­ción 1946
  • La Fed­er­al
  • Lati­do porteño
  • Luna pam­pa 1951
  • Men­tías 1941 (Notre valse du jour)
  • Milon­ga de un argenti­no 1972
  • No nos ver­e­mos más 1939
  • Noche de pla­ta 1930 (Vals)
  • Noc­turno inútil 1941
  • Ojos en el corazón 1945
  • Ojos tristes 1939
  • Pajara­da 1945
  • Qué lin­da es la vida
  • Rancherian­do
  • Res­i­gnación
  • Ron­da de sueños 1944
  • Rosas negras 1942
  • San­gre porteña 1946
  • Sé hom­bre
  • Señor Juez 1941
  • Señue­lo 1977
  • Serenidad 1946
  • Tamal 1975
  • Tan­go lin­do
  • Tan­go para un mal amor 1948
  • Tata Dios 1931
  • Tor­caci­ta
  • Tucumana (Zam­ba)
  • Tucumano 1961
  • Vidali­ta
  • Yo era un corazón 1939
  • Yunque 1953

Autres versions

Il n’y a pas d’autre ver­sion de notre valse du jour, Il est assez curieux de voir la frilosité des orchestres con­tem­po­rains pour enreg­istr­er des valses. Ils nous don­nent des dizaines de ver­sions de quelques tan­gos, mais très peu de valses ou de milon­gas.
Si cette valse n’a pas été enreg­istrée par la suite, nous avons un tan­go du même titre com­posé par Juan de Dios Fil­ib­er­to avec des paroles de .
Je vous pro­pose deux enreg­istrements de celui-ci et on ter­min­era par la valse du jour.

Men­tías 1923 — con acomp. de Guiller­mo Bar­bi­eri, José Ricar­do (gui­tar­ras).

Un enreg­istrement acous­tique. Bien sûr on réserve cela pour l’é­coute et pas pour le bal.

Men­tías 1927-10-20 — Orques­ta Rober­to Fir­po.

Une jolie ver­sion. C’est assez léger et pas trop mar­qué en canyengue intense… Cela reste cepen­dant un peu monot­o­ne, mais le joli vio­lon de , déli­cieuse­ment lar­moy­ant, fait par­don­ner cela.

Men­tías 1937-04-01 — Orques­ta Juan D’Arien­zo.

Men­tías 1937-04-01 (vals) — Orques­ta Juan D’Arien­zo. C’est notre valse du jour. On ter­mine avec énergie.

La tradition de la valse d’anniversaire

Il est des tra­di­tions dont on ne con­naît pas vrai­ment l’o­rig­ine. La valse d’an­niver­saire dans les milon­gas en fait sans doute par­tie. Il se peut aus­si que ce soit une igno­rance de ma part.
Voici ce qui me sem­ble à peu près véri­fi­able.

La valse des mariés

Un peu partout dans le monde, les nou­veaux mar­iés ouvrent le bal, par une valse, ce qui assure à cer­tains pro­fesseurs de danse une petite rente. Ils met­tent en scène une petite choré­gra­phie, les mar­iés l’ap­pren­nent par cœur et le jour de la noce, ils émer­veil­lent les invités et la famille, soigneuse­ment anesthésiés au préal­able par la richesse du repas et des alcools servis.

La valse des 15 ans

Plus spé­ci­fique­ment en Amérique latine, il y a la tra­di­tion des 15 ans des jeunes filles/femmes.
Cette céré­monie, peut-être issue des cul­tures pré­colom­bi­ennes, per­dure de nos jours avec des formes, sou­vent très élaborées. Il existe des bou­tiques de robes spé­ciales pour les 15 ans, des maîtres de céré­monie et des vidéastes spé­cial­isés.
Ce sont des fêtes fort coû­teuses et les familles s’en­det­tent bien plus pour les quinze ans que pour le mariage.
Cette tra­di­tion évolue, mais en général, la jeune femme est présen­tée par le père (ou par­rain) et effectue avec lui une valse, puis, les amis d’en­fance, éventuels pré­ten­dants et autres, dansent avec la quinceañera (jeune femme de 15 ans). Voir l’ar­ti­cle de Wikipé­dia pour des élé­ments plus con­crets.
En Europe, chez les puis­sants, on peut trou­ver une céré­monie par­al­lèle, le bal des débu­tantes.

La valse d’anniversaire des tangueros

Vous avez recon­nu l’or­gan­i­sa­tion de la valse d’an­niver­saire telle qu’elle se pra­tique dans les milon­gas.
À ce sujet, il existe plusieurs façons de faire et beau­coup d’or­gan­isa­teurs ne souhait­ent pas qu’on « perde » du temps à cette man­i­fes­ta­tion. D’autres, comme celui qui m’a com­mandé la valse ce matin, mar­quent plus d’at­ten­tion pour cette tra­di­tion.
En Argen­tine, les amis tangueros fêtent l’an­niver­saire à la milon­ga. Ils réser­vent une table et c’est une des occa­sions où il est autorisé d’ap­porter de la nour­ri­t­ure de l’ex­térieur. En général, un gâteau qui ferait tomber en syn­cope un nutri­tion­niste, il n’y a jamais trop de crème et de sucre. Le « cham­pagne » local, qui lui est celui ven­du dans la milon­ga, par­ticipe à la fête, ain­si que sou­vent, des déguise­ments et autres fan­taisies.
En Europe, cela se fait moins, on pense que le temps pris pour fêter l’an­niver­saire est du temps per­du pour les danseurs. C’est un peu vrai, mais c’est aus­si oubli­er la dimen­sion sociale du tan­go. Nous sommes une com­mu­nauté et c’est impor­tant de la ren­forcer par des mar­ques d’ami­tié. Le tan­go n’est pas un club de gym où on fait son entraîne­ment avec des écou­teurs sur les oreilles. On par­le, on chante et on partage.
Comme DJ, il est impor­tant d’aider à trou­ver l’équili­bre. Si l’or­gan­isa­teur refuse que l’on fête un anniver­saire, je me con­tente d’une dédi­cace avant la tan­da de valse. Libre aux danseurs qui le souhait­ent d’or­gan­is­er un moment con­vivial.
Lorsque c’est l’or­gan­isa­teur qui le demande, il y a plusieurs pos­si­bil­ités. Par­fois, tous les danseurs/danseuses veu­lent danser avec la per­son­ne qui fête son anniver­saire. Dans ce cas, il se forme une immense file et ils refuseront d’aller danser avec quelqu’un d’autre tant qu’ils n’au­ront pas réus­si à partager quelques sec­on­des de valse. Par­fois, cela dure toute la tan­da.
Cela peut être effec­tive­ment frus­trant pour ceux qui ne danseront pas avec la per­son­ne dont c’est l’an­niver­saire (les femmes, si c’est une femme qui fête son anniver­saire, ou les hommes dans le cas con­traire). Cela risque de faire baiss­er l’én­ergie dans le bal et à moins que l’am­biance soit très ami­cale, je pense que cette organ­i­sa­tion est à éviter.
Plus intéres­sante est la mise en place d’un dou­ble par­cours. On invite le héros de soirée à se plac­er au cen­tre de la piste et les parte­naires intéressés s’alig­nent. Les autres danseurs peu­vent les entour­er en dansant autour. Je trou­ve cela assez sym­pa­thique et cela ne frus­tre ni les stakhanovistes du bal ni les amis qui souhait­ent partager quelques sec­on­des de danse avec la per­son­ne qui fête son anniver­saire.
Il me sem­ble qu’il est intéres­sant de pro­pos­er cette organ­i­sa­tion, ce que peut faire le DJ avec l’ac­cord de l’or­gan­isa­teur, ou l’or­gan­isa­teur, de son pro­pre chef. Pour bien met­tre en valeur l’an­niver­saire, on peut réserv­er une par­tie du pre­mier thème au seul anniver­saire et rem­plir pro­gres­sive­ment la piste. S’il y a beau­coup de pré­ten­dants, cela peut impli­quer de réserv­er tout le pre­mier titre de la tan­da à la per­son­ne qui fête son anniver­saire.
Comme DJ qui aime pro­pos­er des valses, je pro­pose, en plus de la valse d’an­niver­saire, une tan­da com­plète. Cela per­met aux danseurs qui ont par­ticipé au manège de danser avec un autre parte­naire. La tan­da fera donc au moins qua­tre valses, voire cinq, si je suis sur un régime de tan­das de 4 et que le pre­mier titre a été entière­ment util­isé pour souhaiter l’an­niver­saire.
Les danseurs qui vont inviter la per­son­ne dont c’est l’an­niver­saire ne doivent pas hésiter à faire un peu de spec­ta­cle. Pas dans la façon de danser (ils doivent au con­traire, être aux petits soins pour le parte­naire), mais dans la manière de pren­dre son tour (ou de le don­ner). Cela apporte une dis­trac­tion à ceux qui ne par­ticipent pas.
Dans mon ancien pro­fil Face­book, mal­heureuse­ment fer­mé pour d’ob­scures raisons, j’avais réal­isé une vidéo en direct où les danseurs qui s’é­taient mis en file indi­enne se sont mis à se bal­ancer en rythme d’un pied sur l’autre. Ce fut un superbe moment, tous les hommes de l’événe­ment se bal­ançant d’une même cadence, dans l’at­tente de partager quelques sec­on­des de bal.

Men­tías. L’il­lus­tra­tion n’est pas exacte­ment fidèle au texte, mais plutôt à la musique et surtout, elle évoque l’u­til­i­sa­tion que j’en pro­pose, une valse d’an­niver­saire.

Heureux anniver­saire Mar­tine !

À bien­tôt les amis !

Otra vez carnaval (Noche de carnaval) 1942-01-03 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino

Carlos Di Sarli Letra:

Le était, chaque année, un moment clef pour les orchestres de tan­go. À cette occa­sion, des orchestres se regroupaient pour pro­pos­er des orchestres immenses et des mil­liers de “tan­guaient” sur les pistes plus ou moins impro­visées, dans les rues, les places ou les salles de con­cert, , c’é­tait bien plus que le seul tan­go. C’é­tait un moment de libéra­tion dans une vie sou­vent dif­fi­cile et par­fois, l’oc­ca­sion de ren­con­tres, comme celle que nous narre ce tan­go de Di Sar­li.

Extrait musical

Otra vez car­naval (Noche de car­naval) 1942-01-03 — Orques­ta Car­los Di Sar­li con .
Par­ti­tion de piano de Otra vez car­naval de Di Sar­li et Jiménez.

Paroles

En los ojos llev­a­ba la noche
y el amor en la boca…
Car­naval en su coche
la pasea­ba tri­un­fal.
Ser­penti­na de mági­co vue­lo
fue su amor de una noche;
ser­penti­na que luego arras­tró mi dolor
enreda­da en las ruedas de un coche
cuan­do el cor­so en la som­bra quedó…

Otra vez, Car­naval,
en tu noche me cita
la mis­ma boni­ta
y audaz mas­cari­ta…
Otra vez, Car­naval,
otra vez, como ayer,
sus locos amores
le vuel­vo a creer.
Y aca­so la llore
mañana otra vez…

Fugi­ti­vas se irán en la auro­ra
la ven­tu­ra y la risa…
¡Ten­drán todas mis horas
una gris soledad!
En mis labios habrá la ceniza
de su nue­vo desaire;
y despo­jos del sueño tan sólo serán,
un per­fume ron­dan­do en el aire
y en el sue­lo un pequeño antifaz…
Car­los Di Sar­li Letra: Fran­cis­co Gar­cía Jiménez

libre

Dans ses yeux, elle por­tait la nuit et l’amour à la bouche…
Car­naval dans son char la fai­sait défil­er tri­om­phale­ment.
Un ser­pentin de vol mag­ique fut son amour d’une nuit ;
ser­pentin qui ensuite traî­na ma douleur empêtrée dans les roues d’une voiture lorsque le char dans l’om­bre s’im­mo­bil­isa…

Encore une fois, Car­naval, dans ta nuit, me don­na ren­dez-vous, la même belle et auda­cieuse, masquée…
Encore une fois, Car­naval, encore une fois, comme hier, ses amours folles, je reviens à les croire.
Et peut-être que je la pleur­erai demain, encore une fois…

Les fugi­tives s’en iront dans l’au­rore, la for­tune et les rires…
Toutes mes heures auront une soli­tude grise !
Sur mes lèvres res­teront les cen­dres de son nou­veau cam­ou­flet ;
et les restes du rêve ne seront plus qu’un par­fum planant dans l’air et sur le sol un petit masque…

Autres versions

Otra vez car­naval (Noche de car­naval) 1942-01-03 — Orques­ta Car­los Di Sar­li con Rober­to Rufi­no. C’est notre tan­go du jour.
Otra vez car­naval (Noche de car­naval) 1947-01-14 — Orques­ta Car­los Di Sar­li con . Cinq ans plus tard, nou­veau chanteur. Di Sar­li réen­reg­istre sa com­po­si­tion.
Otra vez car­naval 1981-08-12 — con Orques­ta Típi­ca Porteña. Une ver­sion à écouter.

Carnaval

Les fes­tiv­ités de Car­naval se sont vues à plusieurs repris­es inter­dites en Argen­tine. Il faut dire qu’au XIXe siè­cle, cela don­nait sou­vent lieu à des débor­de­ments.
Il s’agis­sait de man­i­fes­ta­tions plutôt spon­tanées jusqu’au dix-neu­vième siè­cle, elles furent inter­dites ou lim­itées à cer­tains lieux, notam­ment dans le cadre de la lim­i­ta­tion des pop­u­la­tions d’o­rig­ine africaines.

1869, l’état autorise le carnaval et l’organise

C’est Sarmien­to, de retour d’un voy­age en Ital­ie où il avait assisté aux fes­tiv­ités de Car­naval, qui les a rétablies offi­cielle­ment en 1869 sous la forme du défilé.

Défilé en 1931, 1940 et de nos jours (Gualeguay­chú, province de Entre Ríos).

Tango et carnaval

Les orchestres étaient mis à con­tri­bu­tion et, durant les décen­nies tan­go, les orchestres de tan­go fai­saient danser plusieurs mil­liers de cou­ples. Pas seule­ment à Buenos Aires, mais aus­si à Mon­te­v­ideo et , notam­ment.

Affich­es de car­navals. 1917 Fir­po et Canaro — 1940 (Jazz), Canaro, Frese­do et D’Arien­zo (voir le petit jeu en fin d’ar­ti­cle). Ensuite, Di Sar­li et enfin une affiche de 1950 avec Troi­lo et De Ange­lis.

Exemple de règlement mis en place durant la dictature militaire (Cordoba, 1976/02/23)

La plus récente pro­hi­bi­tion fut par­tielle. C’é­tait pen­dant la dernière dic­tature du vingtième siè­cle. Le Car­naval n’avait pas été aboli, mais deux con­di­tions avaient été posées :
“Se pro­híbe el uso de dis­fraces que aten­ten con­tra la moral y la decen­cia públi­cas: uni­formes mil­itares, poli­ciales, vestiduras sac­er­do­tales y los que ridi­culi­cen a las autori­dades del Esta­do u otras naciones.
-Está per­mi­ti­do de 9 a 19, jugar con agua en bue­nas condi­ciones de higiene, glo­bitos y pomos.”
« L’u­til­i­sa­tion de cos­tumes qui vio­lent la moral­ité publique et la décence est inter­dite : uni­formes mil­i­taires, uni­formes de police, vête­ments sac­er­do­taux et ceux qui ridi­culisent les autorités de l’É­tat ou d’autres nations. (On notera que la lec­ture peut être à dou­ble niveau et que l’on pour­rait y con­sid­ér­er les vête­ments mil­i­taires et sac­er­do­taux comme indé­cents…)
-Il est per­mis de 9 h à 19 h de jouer avec l’eau dans de bonnes con­di­tions d’hy­giène, les bal­lons et les pom­meaux. » (Les jeux d’eau sont en effet courants, il faut dire que l’époque du car­naval cor­re­spond au plein été en Argen­tine).

Les jeux avec l’eau sont restés per­mis pen­dant la dic­tature.

Cepen­dant, durant la Dic­tature, il n’y a pas eu de Car­naval pro­pre­ment dit, pas de défilés et de grandes fêtes pop­u­laires.

La fin de la dictature et le retour du Carnaval

Lorsque Alfon­sin fut élu en 1983, il mit en œuvre son pro­gramme « Avec la démoc­ra­tie on mange, on se soigne et on s’é­duque ». L’an­née suiv­ante, le car­naval de nou­veau libéré a pris une saveur par­ti­c­ulière et, peu à peu, les ten­ta­tives de coup d’É­tat se sont espacées et la démoc­ra­tie s’est implan­tée pour une quar­an­taine d’an­nées.

Le car­naval de 1984 est impor­tant, car il fête le retour de la démoc­ra­tie et, par la même, le retour du Car­naval sous sa forme habituelle.

En 2023, le con­grès por­tait des ban­deroles 40 ans de démoc­ra­tie, en sou­venir de cette époque.

Le gou­verne­ment précé­dent avait fait plac­er deux ban­deroles, de part et d’autre de l’en­trée des députés au Con­grès (Con­gre­so). J’ai pris cette pho­to, peu de temps après le change­ment de gou­verne­ment. Une des ban­deroles avait dis­paru. On remar­quera une scène éton­nante, ce livreur qui dort sur la chaussée (emplace­ment réservé aux voitures offi­cielles). Il ne reste bien sûr plus de ban­de­role aujour­d’hui et les indi­gents sont priés de dormir hors de la ville. Les mate­las de for­tune et les mai­gres pos­ses­sions de ces per­son­nes sont brûlés. Cela sem­ble fonc­tion­ner, on ren­con­tre beau­coup moins de per­son­nes dor­mant dehors main­tenant. Mais il suf­fit de franchir les lim­ites de la ville pour con­stater que ce n’est pas une amélio­ra­tion de la sit­u­a­tion des plus pau­vres, mais un sim­ple « net­toy­age ».

Petit jeu (très facile)

Observez cette affiche et attribuez à chaque chef d’orchestre son ou ses chanteurs…

Affiche de la Radio El Mun­do de Buenos Aires pour le Car­naval de 1940.
À gauche les orchestres et à droite les chanteurs…

Réponse au petit jeu

J’imag­ine que vous n’avez pas trop eu de dif­fi­culté pour ce qui est de rac­corder les orchestres avec leurs chanteurs de tan­go.
Il restait ensuite deux noms, Eddie Kay et Rudy Green, qu’il sem­ble donc logique d’as­soci­er, car ils sont moins con­nus.
Eddie Kay, pianiste né en Ital­ie et qui est passé aupar­a­vant par les États-Unis pour sa for­ma­tion musi­cale avant de retourn­er en Ital­ie, puis de s’in­staller en Argen­tine.
Étant don­né son passé en Amérique du Nord, il est ten­tant d’en faire un musi­cien de jazz. On n’au­rait pas tort, mais sa ren­con­tre avec Gardel, qui se trans­for­ma en ami­tié, a fait qu’il a élar­gi ses hori­zons et a égale­ment com­posé des tan­gos. Cepen­dant, en ce qui con­cerne l’af­fiche de notre jeu, il inter­ve­nait bien comme orchestre de jazz (Fox­trots, valses et dans­es importées d’Amérique du Nord). Son groupe Alaba­ma Jazz, a un nom qui mar­que bien les ambi­tions de cet orchestre, tout comme le pseu­do­nyme Eddie Kay car son nom véri­ta­ble était Edmun­do Tul­li, ce qui fait net­te­ment moins, jazzman.
Il reste Rudy Green. Là, je n’ai pas trou­vé trace du bon­homme. Il y a bien un Rudy Green, mais celui-ci était noir et avait com­mencé sa car­rière en 1946 à Nashville alors qu’il avait 14 ans. Il s’ag­it donc for­cé­ment d’un autre Rudy Green, le type sur l’af­fiche n’a pas une tête de gamin noir de 8 ans…
Je ne sais donc pas si ce chanteur était asso­cié à Eddie Kay, mais, par son nom ou pseu­do­nyme, on peut penser qu’il grav­i­tait égale­ment autour du Jazz. Peut-être qu’un jour la lumière se fera sur ce point et alors, je vous en avis­erai.

Les répons­es. Le lien entre Eddie Kay et Rudy Green est une hypothèse, fort prob­a­ble, mais sans garantie…

Un petit cadeau

J’ai mon­té quelques images fix­es et ani­mées de Car­naval. Cela vous per­me­t­tra de vous faire une idée du phénomène.

Quelques images de Car­naval de 1889 à nos jours.

À bien­tôt, les amis !