Vous n’avez sans doute jamais dansé sur des musiques de Maderna et c’est sans doute rassurant quant aux choix des DJ. Cependant, la culture tango va au-delà de la danse et il me semble intéressant de s’intéresser à cet OVNI du tango qu’est Osmar Maderna. Je vous invite à gravir les degrés d’une gamme bleue pour découvrir ce compositeur et chef d’orchestre à part.
Extrait musical
Partition de Escalas en azul de Osmar Maderna.Escalas en azul 1950-05-17 — Orquesta Osmar Maderna
Il n’est pas très difficile de deviner d’où vient le titre. Le terme de escalas en musique peut être traduit par gammes. On notera que le piano joue tout au long de l’œuvre des gammes, c’est-à-dire des successions de notes ascendantes ou descendantes. Ce style ornemental est typique de Maderna. Le reste de l’orchestre semble dédié à l’accompagnement du piano qui voltige au-dessus des autres instruments. Le tempo est bien marqué, souligné par les bandonéons et les cordes qui effectuent des pauses précédées d’élans, un peu comme dans une ranchera. La musique est interprétée de façon virtuose qui donne une impression de très grande vitesse. Des danseurs piégés par un DJ facétieux qui se retrouveraient sur la piste pourraient s’appuyer sur cette présence du rythme pour garder une cadence raisonnable et ne pas se lancer dans des pas fébriles et ridiculement rapides. Même si on n’est pas dans un rythme ternaire de valse, une éventuelle interprétation dansée de ce titre pourrait s’apparenter à celui d’une valse. Des temps bien marqués et des mouvements tournants, toniques, mais pas vertigineux. On notera les nombreux changements de tonalité et la richesse des variations et des parties. On est plus en face d’une composition de musique classique que d’un tango traditionnel. Je ne vous encouragerai pas à danser ce titre, mais à l’écouter attentivement, assurément. Osmar Maderna
Maderna a relativement peu enregistré. Avec un peu plus d’une soixantaine d’enregistrements, c’est presque étonnant que son nom nous soit parvenu.
Des orchestres plus prolifiques sont passés aux oubliettes.
Les musiciens de Maderna
Il a commencé à enregistrer en 1946, en Uruguay, puis, la même année pour la Victor, et cela jusqu’en 1951. Les musiciens des derniers enregistrements sont un peu différents, mais je vous propose ici, ceux qui ont participé à l’enregistrement de Escalas en azul, enregistré le 17 mai 1947. Osmar Maderna (Direction et piano) Felipe Ricciardi, Eduardo Rovira, José Cambareri et Leopoldo Federico (bandonéon). Comme on peut le remarquer, des musiciens de premier plan et plutôt virtuoses. Aquiles Roggero, Haroldo Ghesagui et Angel Bodas (violon) Ariel Pedernera (contrebasse)
Une partie de ces musiciens vient, tout comme Maderna (qui avait remplacé Stamponi au piano en 1939), de l’orchestre de Miguel Caló (1941–1945), ce sont donc des estrellas (étoiles). Ces transfuges sont : Felipe Ricciardi et José Cambareri (le mage du bandonéon, connu pour ses tempos de folie). Attention, au pupitre des bandonéons de Caló, on trouve aussi un Federico, Domingo de son prénom, mais il n’est pas apparenté à Leopoldo. À la contrebasse, c’est le même Ariel Pederna qui œuvre.
Pour l’anecdote, on notera qu’il y avait un violoniste prénommé Aquiles dans les deux orchestres. Aguilar pour Caló et Roggero pour Maderna. Ce dernier, Aguilar Roggero, dirigera un orchestre en l’honneur de Maderna qui était décédé dans un accident d’avion (28/04/1951), l’orchestre Símbolo “Osmar Maderna”.
L’année suivant la mort de Maderna, l’orchestre Símbolo “Osmar Maderna” reprend une partie du répertoire et des compositions de Maderna. Orlando Tripodi remplace Osmar Maderna au piano. Aquiles Roggero, continue à tenir le violon, tout en dirigeant et établissant les arrangements de l’orchestre. Le pupitre des violons est complété par Carlos Taverna, Edmundo Baya, et Esteban Cañete. Au bandonéon, on retrouve Felipe Ricciardi, son frère Jorge, Héctor Lettera et Toto Panti pour compléter le pupitre des bandonéons. Víctor Monteleone tient la contrebasse.
L’orchestre semble avoir cessé les enregistrements après la mort de Aquiles Roggero, ce dernier étant justement mort d’une crise cardiaque lors d’une séance, en 1977. Ces enregistrements ne semblent pas avoir été publiés.
Cette version est proche de celle enregistrée en 1950, comme on peut l’entendre et même voir dans l’illustration ci-dessous. Le tempo est le même, les pauses sont synchronisées et les deux versions peuvent être jouées ensemble durant les 40 premières secondes sans problèmes notables.
En haut, en vert la version de 1950 par Osmar Maderna. En bas, en violet, la version de 1959 par la Orquesta Símbolo.
Cette similitude vraiment frappante est la preuve que l’hommage à Osmar Maderna, tragiquement disparu n’est pas seulement dans le nom de l’orchestre, mais aussi dans le respect de son style.
Ce respect est peut-être une autre explication, avec sa mort gardelienne, du fait que Maderna n’est pas tombé dans l’oubli. Les versions brillantes étaient bien adaptées aux années 60–70, années où la danse était passé au second plan.
Selección de Osmar Maderna 1968 (Potpourri) — Orquesta Símbolo “Osmar Maderna” dir. Aquiles Roggero.
Encore dix ans plus tard, une autre version de Escalas en azul. Ce potpourri comporte trois titres composés par Maderna ; Escalas en azul, Lluvia de estrellas et Concierto en la luna. Un DJ facétieux pourrait en faire une tanda… Dans ces trois titres, on reconnaît la prépondérance du piano, comme dans les enregistrements de Maderna. La tâche de Orlando Tripodi a été de continuer à faire vivre le style de jeu si particulier de Maderna.
Ce titre, comme la plupart des enregistrements de Maderna, n’est pas destiné à la danse, tout comme son célèbre vol du bourdon (El vuelo del moscardón) qu’il a adapté de l’œuvre de Nikolai Rimsky-Korsakov et que je vous propose d’écouter pour terminer ce petit hommage à Osmar Maderna.
El vuelo del moscardón 1946-05-13 — Orquesta Osmar Maderna.
Dans ce thème, le piano est le bourdon qui volette et la sensation de rapidité est encore plus vive que dans notre tango du jour. L’orchestre est moins présent pour donner tout son envol au bourdon à dents blanches et noires.
Ce titre sympathique, connu par les frères Canaro, a quelques particularités qui peuvent faire hésiter un DJ de le passer en milonga. Voyons si ces scrupules sont justifiés. Nous allons traiter en parallèle les deux enregistrements, celui de Juan et celui de Francisco, tous les deux de 1935.
Tout d’abord, la version de Juan. C’est lui l’auteur de la musique et il l’a enregistré un 3 mai, date anniversaire de cet article.
Version de Juan Canaro
Sueño de muñeca 1935-05-03 — Orquesta Juan Canaro con Alejandro Fernández (Rafael Vicente Cisca).
On est frappé par la très longue introduction, comme si l’on se préparait au sommeil et presque à une minute, le rêve démarre, s’exprimant sur un mode mineur. On remarque quelques petits sursauts qui évoquent la ranchera (ou la mazurka). L’orchestration est assez simple et la voix de Alejandro Fernández ressort bien au-dessus des instruments.
Francisco a donc enregistré sa version une semaine avant son frère.
À l’époque, les deux frères n’étaient plus aussi proches, Juan avait quitté l’orchestre de Francisco depuis cinq ans. L’introduction est encore longue avec 40 secondes. Un faux départ à 30 secondes prépare les danseurs à la « valse ». C’est une petite fantaisie proposée par Francisco. On remarque tout de suite que l’orchestration est beaucoup plus poussée chez Francisco. Les instruments, plus nombreux, sont diversifiés et différenciés. Même si on n’échappe pas au marquage pesant des temps évoquant la mazurka ou la ranchera, les dialogues entre les instruments apportent une note de variété qui enlève la monotonie. En général, cette version sera préférée à celle de Juan, même si elle accentue encore plus le caractère de la ranchera.
Paroles
En el jardín de la ilusión Dormida vi bajo el rosal, A la mujer de tentación Que presintió mi madrigal.
Tenía los cabellos de oro y sol Un cuerpo de muñeca escultural, Mejillas con colores de arrebol Diosa y flor virginal.
Por verla y admirarla me acerqué Y el hombre más dichoso me sentí, Pues viendo que soñaba la escuché Y al soñar, decía así:
Tú serás mi dulce amor El príncipe que soñé, Te brindo mi candor Y sólo para ti seré. Ven mis ansias a calmar Y en pago de tu amor, En mí, mis besos lograrás Con pasión, Te adora hasta morir Mi amante corazón. Juan Canaro Letra: Jesús Fernández Blanco
Dans le jardin de l’illusion, j’ai vu, endormi au pied du rosier, la femme de la tentation qu’avait imaginée mon madrigal.
Elle avait des cheveux d’or et de soleil, un corps de poupée sculpturale, des joues avec des couleurs de coucher de soleil (arrebol est un mot poétique désignant la couleur des nuages éclairés par le soleil couchant), déesse et fleur virginale. Pour la voir et l’admirer, je me suis approché et je me suis senti l’homme le plus heureux. Puis, voyant qu’elle rêvait, je l’ai écoutée et, dans son rêve, elle parlait ainsi : Tu seras mon doux amour, le prince dont j’ai rêvé, je t’offre ma candeur et je serai seulement à toi. Viens calmer mes désirs et, en retour de ton amour, en moi, tu obtiendras mes baisers, avec passion. Je t’adore à mourir, mon cœur aimant.
Les angoisses du DJ
Les deux versions provoquent les angoisses du DJ pour deux raisons.
Première angoisse des DJ, une introduction très longue
La version de Juan totalise 55 secondes d’introduction et celle de Francisco 40 secondes.
La version de Juan totalise 55 secondes d’introduction et celle de Francisco 40 secondes. C’est long, très long, surtout quand on fait des tandas de trois titres…
De si longues introductions sont donc assez difficiles à utiliser. Le DJ devrait prévenir les danseurs et leur indiquer la durée de l’introduction. C’est d’autant plus important que ces introductions ne permettent pas de deviner le style des musiques. En annonçant à l’avance une valse, pour un premier titre de tanda, cela laisse le temps aux danseurs de bien inviter.
Cependant, dans beaucoup de cas et toujours quand ce type de titre est placé au milieu d’une tanda, on coupera l’introduction. Pour la version de Francisco, on pourra garder le faux départ, comme un élément de jeu avec les danseurs.
Les DJ bavards peuvent profiter de ces introductions généreuses pour donner des indications. Les autres pourront assister au désarroi des danseurs qui ne savent sur quel pied ils vont devoir danser…
Seconde angoisse des DJ, un style hésitant
Vous l’aurez remarqué, les deux versions, même si elles ont bien un rythme à trois temps, présentent des petits bonds suivis de courtes pauses, typiques de la ranchera ou de la mazurka.
Cet élément n’est pas très propice à la valse, car il casse la dynamique.
Le DJ devra donc juger, en fonction des compétences des danseurs, si cela va être apprécié ou honni par les danseurs.
La quasi-totalité des bons danseurs est incapable de réaliser une valse agréable sur une ranchera très marquée. En revanche, les danseurs plus moyens pourront s’en accommoder plus facilement, car ils sont moins concernés par le respect de la musique.
Dans le cas de ces « valses », les accents de ranchera ne sont pas trop marqués et on pourra tenter de les passer. Cependant, il y a tant de valses parfaites pour cela que ce n’est pas forcément pertinent de prendre des risques.
Même si Pichuco considérait que sa véritable maison était celle de la rue Soler au 3280, c’est bien au 2937 de la rue José Antonio Cabrera qu’il est né, le 11 juillet 1914. La mère d’Aníbal n’est retournée rue Soler qu’à la mort du père de Troilo, en 1922. Cette maison a connu divers usages au cours du temps, comme en témoignent quelques photos historiques. Si j’ai décidé d’en parler aujourd’hui, c’est qu’elle vient d’être détruite pour un projet immobilier.
La maison natale de Pichuco, rue José Antonio Cabrera 2937
Aníbal Carmelo Troilo, le père, et Felisa Bagnolo, la mère, louèrent cette maison, par suite du drame de la mort de Concepción, celle qui aurait dû être la grande sœur du bandoneón mayor de Buenos Aires.
Les parents et Marcos, l’aîné, déménagèrent donc dans la maison de la rue Cabrera où naquit le petit Pichuco.
Ils y restèrent peu de temps, car, en 1922, le père mourait à son tour. La mère retourna alors dans la maison familiale de la rue Soler, celle qu’a donc le mieux connue Aníbal et qui en disait :
“Yo nací en una casa de Cabrera 2937, pero mi casa fue la de Soler 3280”.
Je suis né dans une maison de Cabrera 2937, mais ma maison fut celle de Soler 3280.
Maison natale de Troilo à différentes époques. Avant 1998, à gauche, vers 2011 (présence d’une milonga), 2024, une des dernières photos avec le bâtiment debout. Celui à sa gauche a déjà été remplacé. 2025, pendant la destruction de la semaine du 21 au 25 avril.La plaque posée en 2008 déclarant la maison comme site d’intérêt culturel. Cela n’a pas empêché sa destruction…
La maison de Soler 3280
C’est la maison familiale jusqu’en 1914 et après 1922. Celle que Pichuco considère comme la sienne.
La maison de la rue Soler au 3280. À droite, la plaque posée le 11 juillet 1976 pour l’anniversaire de la naissance, l’année suivant la mort de Pichuco.
La fausse maison de Aníbal Troilo
Au 2540 rue Carlos Calvo, il y a eu “La Casa de Aníbal Troilo”. Cet établissement de spectacle n’a pas de rapport direct avec notre gros, favori. Plus tard, le bâtiment a été réutilisé par Cacho Castaña, l’auteur de Café la Humedad, chanson qui a donné le nom à son établissement.
Attention, le Café de la Humedad de la rue Carlos Calvo n’est pas le café original. En effet, celui-ci était, comme le dit la chanson, à l’angle de Gaona y Boyaca.
L’emplacement original du Café la Humedad, à l’angle de Gaona y Boyaca.
Les paroles de la chanson de Cacho Castaña
Humedad, llovizna y frío Mi aliento empaña el vidrio azul del viejo bar No me pregunten si hace mucho que la espero Un café que ya está frío y hace varios ceniceros
Aunque sé que nunca llega Siempre que llueve voy corriendo hasta el café Y solo cuento con la compañía de un gato Que al cordón de mi zapato lo destroza con placer
Café La Humedad, billar y reunión Sábado con trampas, qué linda función Yo solamente necesito agradecerte La enseñanza de tus noches Que me alejan de la muerte
Café La Humedad, billar y reunión Sábado con trampas, qué linda función Eternamente te agradezco las poesías Que la escuela de tus noches Le enseñaron a mis días
Soledad, soledad de soltería Son treinta abriles ya cansados de soñar Por eso vuelvo hasta la esquina del boliche A buscar la barra eterna de Gaona y Boyaca
Ya son pocos los amigos que me quedan Vamos, muchachos, esta noche a recordar Una por una las hazañas de otros tiempos Y el recuerdo del boliche que llamamos La Humedad
Café La Humedad, billar y reunión Sábado con trampas, qué linda función Yo solamente necesito agradecerte La enseñanza de tus noches Que me alejan de la muerte
Café La Humedad, billar y reunión Sábado con trampas, qué linda función Eternamente te agradezco las poesías Que la escuela de tus noches Le enseñaron a mis días
L’humidité, la bruine et le froid Mon haleine embue les vitres bleues du vieux bar Ne me demandez pas si je l’attends depuis longtemps Un café déjà froid et ça fait plusieurs cendriers. Bien que je sache qu’elle ne vient jamais. Quand il pleut, je cours au café. Et je n’ai que la compagnie d’un chat. Qui détruit le lacet de ma chaussure avec plaisir Café La Humedad, billard et rencontre Samedi avec des tromperies, quel beau programme J’ai juste besoin de te remercier L’enseignement de tes nuits Qui me tiennent à l’écart de la mort Café La Humedad, billard et rencontre samedi avec des pièges, quel beau spectacle Éternellement, je te remercie pour les poèmes Que l’école de tes nuits A enseigné à mes jours Solitude, solitude du célibataire C’est trente avrils, déjà fatigué de rêver C’est pourquoi je retourne à l’angle du dancing Pour chercher l’éternelle bande de Gaona et Boyaca Il ne me reste que peu d’amis Allons‑y, les gars, ce soir, pour nous remémorer Un à un les exploits d’autrefois Et le souvenir du dancing que nous appelons La Humedad. Café La Humedad, billard et rencontre Samedi avec des tromperies, quel beau programme J’ai juste besoin de te remercier L’enseignement de tes nuits Qui me tiennent à l’écart de la mort Café La Humedad, billard et rencontre samedi avec des pièges, quel beau spectacle Éternellement, je te remercie pour les poèmes Que l’école de tes nuits A enseigné à mes jours. Cacho Castaña
Je vous propose de terminer sur la chanson nostalgique de Cacho Castaña, chanté par lui-même dans son établissement, Café la Humedad.
Café la Humedad, chanté dans le théâtre Café la Humedad par son propriétaire et auteur, Cacho Castaña.
Georges Bizet. Florindo Sassone, Othmar Klose et Rudi Luksch (adaptation en tango)
Beaucoup de tangos sont inspirés de musiques européennes. Les valses, notamment, mais pas seulement. Ces titres sont adaptés et deviennent de « vrais tangos », mais ce n’est pas toujours le cas. En France, certains danseurs de tango apprécient des titres un peu étranges, des titres qui n’ont jamais été écrits pour cette danse. On appelle généralement cela le « tango alternatif ». Un des titres les plus connus dans le genre est la reprise d’un opéra du XIXe siècle effectuée par Florindo Sassone. Le fait qu’un chef d’orchestre de tango reprenne un titre n’en fait pas un tango de danse. Cela reste donc de l’alternatif. Je vous laisse en juger avec los pescadores de perlas, les pêcheurs de perles, de Bizet et Sassone…
Écoutes
Tout d’abord, voyons l’original composé par Bizet. Je vous propose une version par un orchestre et un chanteur français, celle du ténor Roberto Alagna avec l’orchestre de Paris, qui est dirigé par Michel Plasson. Cette interprétation a été enregistrée le 9 juillet 2009 au Bassin de Neptune du château de Versailles. Ce soir-là, il chantera trois œuvres de Bizet, dont un extrait de Carmen, même si ce n’est pas la célèbre habanera qui a tant à voir avec un des rythmes de base du tango et de la milonga. Vous pouvez voir le concert en entier avec cette vidéo… https://youtu.be/Jx5CNgsw3S0. Ne vous fiez pas à la prise de son un peu médiocre du début, par la suite, cela devient excellent. Pour aller directement au but, je vous propose ici l’extrait, sublime où Alagna va à la pêche aux perles d’émotion en interprétant notre titre du jour.
Roberto Alagna et l’orchestre de Paris dirigé par Michel Plasson dans Les Pêcheurs de Perles de Georges Bizet. L’air de Nadir « Je crois entendre encore ».
Deux mots de l’opéra de Bizet
Les pêcheurs de perles est le premier opéra composé par Bizet, âgé de 25 ans, en 1863). L’intrigue est simpliste. L’opéra se passe sur l’île de Ceylan, où deux amis d’enfance, Zurga et Nadir, évoquent leur passion de jeunesse pour une prêtresse de Candi nommé Leïla. Pour ne pas nuire à leur amitié, ils avaient renoncé à leur amour, surtout Zurga, car Nadir avait secrètement revu Leïla. Zurga était mécontent, mais, finalement, il décide de sauver les deux amants en mettant le feu au village. L’air célèbre qui a été repris par Sassone est celui de Nadir, au moment où il reconnaît la voix de Leïla. En voici les paroles :
Je crois entendre encore, Caché sous les palmiers, Sa voix tendre et sonore Comme un chant de ramier ! Ô nuit enchanteresse ! Divin ravissement ! Ô souvenir charmant ! Folle ivresse ! Doux rêve ! Aux clartés des étoiles, Je crois encore la voir, Entrouvrir ses longs voiles Aux vents tièdes du soir ! Ô nuit enchanteresse ! Divin ravissement ! Ô souvenir charmant ! Folle ivresse ! Doux rêve !
Avant de passer aux versions de Florindo Sassone, une version par Alfredo Kraus, un ténor espagnol qui chante en Italien… La scène provient du film “Gayarre” de 1959 réalisé par Domingo Viladomat Pancorbo. Ce film est un hommage à un autre ténor espagnol, mais du XIXe siècle, Julián Gayarre (1844–1890). La vie, ou plutôt la mort de ce chanteur, est liée à notre titre du jour, puisqu’en décembre 1889, Gayarre chanta Los pescadores de perlas malgré une bronchopneumonie (provoquée par l’épidémie de grippe russe qui fit 500 000 morts). Lors de l’exécution, qui fut aussi la sienne, sa voix se cassa sur une note aigüe et il s’évanouit. Les effets conjugués de la maladie et de la dépression causée par son échec artistique l’emportèrent peu après, le 2 janvier 1890 ; il avait seulement 45 ans. Cette histoire était suffisante pour en faire un mythe. D’ailleurs trois films furent consacrés à sa vie, dont voici un extrait du second, “Gayarre” où Alfredo Kraus interprète le rôle de Gayarre chantant la chanson « je crois entendre encore » tiré des pêcheurs de perles.
Alfredo Kraus interprète le rôle de Gayarre chantant la chanson « je crois entendre encore » tiré des pêcheurs de perles dans le film Gayarre.
Sassone pouvait donc connaître cette œuvre, par les deux premiers films, “El Canto del Ruiseñor” de 1932 et “Gayarre” de 1959 (le troisième, Romanza final est de 1986) ou tout simplement, car bizet fut un compositeur influent et que Les pêcheurs de Perles est son deuxième plus gros succès derrière Carmen.
C’est une version “adaptée” en tango. Je vous laisse juger de la dansabilité. Certains adorent. Dès le début la harpe apporte une ambiance particulière, peut-être l’ondoiement des vagues, que ponctue le vibraphone. L’orchestre majestueux accompagné par des basses profondes qui marquent la marche alterne les expressions suaves et d’autres plus autoritaires. On est dans du Sasonne typique de cette période, comme on l’a vu dans d’autres anecdotes, comme dans Félicia du même Sassone. https://dj-byc.com/WP/felicia-1966–03-11-orquesta-florindo-sassone/ La présence d’un rythme relativement régulier, souligné par les bandonéons, peut inspirer certains danseurs de tango. Pour d’autres, cela pourrait trop rappeler le rythme régulier du tango musette et au contraire les gêner.
Cet aspect musette est sans doute le fait d’Othmar Klose et Rudi Luksch qui sont intervenus dans l’orchestration. Luksch était accordéoniste et Klose était un des compositeurs d’Adalbert Lutter (tango allemand).
C’est cependant un titre qui peut intéresser certains danseurs de spectacle par sa variation d’expressivité.
La canción de los pescadores de perlas 1971 — Orquesta Florindo Sassone.
Trois ans plus tard, Sassone enregistre une version assez différente et sans doute encore plus éloignée de la danse. Là encore, elle pourrait trouver des amateurs… Cette version démarre plus suavement. La harpe est moins expressive et les violons ont pris plus de présence. La contrebasse et le violoncelle sont bien présents et donnent le rythme. Cependant, cette version est peut-être plus lisse et moins expressive. Quitte à proposer une musique originale, je jouerai, plutôt le jeu de la première version, même si elle risque d’inciter certains danseurs à dépasser les limites généralement admises en tango social.
Cette version est souvent datée de 1974, mais l’enregistrement est bien de 1971 et a été réalisé à Buenos Aires, dans les studios ION. Los Estudios ION qui existent toujours ont été des pionniers pour les nouveaux talents et notamment ceux du Rock nacional à partir des années 60. Le fait que Sassone enregistre chez eux pourrait être interprété comme une indication que ce titre et l’évolution de Sassone s’étaient un peu éloigné du tango “traditionnel”, mais tout autant que les maisons d’éditions traditionnelles s’étaient éloignées du tango. Balle au centre.
Comparaison des versions de 1968 et 1971. On voit rapidement que la version de 1968, à gauche est marquée par des nuances bien plus fortes. Elle a plus de contraste. L’autre est plus plate. Elle relève plus du genre « musique d’ascenseur » que son aînée.
Le DJ de tango est-il un chercheur de perles ?
Le DJ est au service des danseurs et doit donc leur proposer des musiques qui leur donnent envie de danser. Cependant, il a également la responsabilité de conserver et faire vivre un patrimoine. Je prendrai la comparaison avec un conservateur de musée d’art pour me faire mieux comprendre. Le conservateur de musée comme son nom l’indique (au moins en français ou italien et un peu moins en espagnol ou en anglais où il se nomme respectivement curador et curator) est censé conserver les œuvres dont il a la responsabilité. Il les étudie, il les fait restaurer quand elles ont des soucis, il fait des publications et des expositions pour les mettre en valeur. Il enrichit également les collections de son institution par des acquisitions ou la réception de dons. Son travail consiste principalement à faire connaître le patrimoine et à le faire vivre sans lui porter préjudice en le préservant pour les générations futures. Le DJ fait de même. Il recherche des œuvres, les restaure (pas toujours avec talent) et les mets en valeur en les faisant écouter dans les milongas. Parfois, certains décident de jouer avec le patrimoine en passant des disques d’époque. Cela n’a aucun intérêt d’un point de vue de la qualité du son et c’est très risqué pour les disques, notamment les 78 tours qui deviennent rares et qui sont très fragiles. Si on veut vraiment faire du show, il est préférable de faire presser des disques noirs et de les passer à la place des originaux. Bon, à force d’enfiler les idées comme des perles, j’ai perdu le fil de ma canne à pêcher les nouveautés. Le DJ de tango, comme le conservateur de musée avec ses visiteurs, a le devoir de renouveler l’intérêt des danseurs en leur proposant des choses nouvelles, ou pour le moins méconnues et intéressantes. Évidemment, cela n’est pas très facile dans la mesure où trouver des titres originaux demande un peu de travail et notamment un goût assez sûr pour définir si une œuvre est bonne pour la danse, et dans quelles conditions. Enfin, ce n’est pas si difficile si on fait sauter la limite qui est de rester dans le genre tango. C’est la brèche dans laquelle se sont engouffré un très fort pourcentage de DJ, encouragés par des danseurs insuffisamment formés pour se rendre compte de la supercherie. C’est comme si un conservateur de musée d’art se mettait à afficher uniquement des œuvres sans intention artistique au détriment des œuvres ayant une valeur artistique probante. Je pense par exemple à ces productions en série que l’on trouve dans les magasins de souvenir du monde entier, ces chromos dégoulinants de couleurs ou ces « statues » en plastique ou résine. Sous prétexte que c’est facile d’abord, on pourrait espérer voir des visiteurs aussi nombreux que sur les stands des bords de plage des stations balnéaires populaires. Revenons au DJ de tango. Le parallèle est de passer des musiques de variété, des musiques appréciées par le plus grand monde, des produits marketing matraqués par les radios et les télévisions, ou des musiques de film et qui, à force d’êtres omniprésentes, sont donc devenues familières, voire constitutive des goûts des auditeurs. Je n’écris pas qu’il faut rejeter toutes les musiques, mais qu’avant de les faire entrer dans le répertoire du tango, il faut sérieusement les étudier. C’est assez facile pour les valses, car le Poum Tchi Tchi du rythme à trois temps avec le premier temps marqué est suffisamment porteur pour ne pas déstabiliser les danseurs. Bien sûr, les puristes seront outrés, mais c’est plus une (op)position de principe qu’une véritable indignation. Pour les autres rythmes, c’est moins évident. Les zambas ou les boléros dansés en tango, c’est malheureusement trop courant. Pareil pour les chamames, foxtrots et autres rythmes qui sont bougés en forme de milonga. Avec ces exemples, je suis resté dans ce qu’on peut entendre dans certaines milongas habituelles, mais, bien sûr, d’autres vont beaucoup plus loin avec des musiques n’ayant absolument aucun rapport avec l’Amérique du Sud et les rythmes qui y étaient pratiqués. Pour ma part, je cherche des perles, mais je les cherche dans des enregistrements perdus, oubliés, masqués par des versions plus connues et devenues uniques, car peu de collègues font l’effort de puiser dans des versions moins faciles d’accès. Vous aurez sans doute remarqué, si vous êtes un fidèle de mes anecdotes de tango, que je propose de nombreuses versions. Souvent avec un petit commentaire qui explique pourquoi je ne passerais pas en milonga cette version, ou au contraire, pourquoi je trouve que c’est injustement laissé de côté. Le DJ est donc, à sa façon un pêcheur de perles, mais son travail ne vaut que s’il est partagé et respectueux des particularités du tango, cette culture, riche en perles. Bon, je rentre dans ma coquille pour me protéger des réactions que cette anecdote risque de provoquer…
Ces réactions n’ont pas manqué, quelques réponses ici…
Tango ou pas tango ?
Une réaction de Jean-Philippe Kbcoo m’incite à développer un peu ce point.
“Les pêcheurs de perles” classés en alternatif !!!! Wouhaaa ! Quelle brillantissime audace ! Sur la dansabilité, je le trouve nettement plus interprétable qu’un bon Gardel, pourtant classé dans les tangos purs et durs, non ? En tout cas, merci de cet article à la phylogénétique très inattendue 🙂
Il est souvent assez difficile de faire comprendre ce qui fait la dansabilité d’une musique de tango. J’ai fait un petit article sur le sujet il y a quelques années : https://dj-byc.com/WP/les-styles-du-tango/ Il est fort possible qu’aujourd’hui, je n’écrirai pas la même chose. Cependant, Gardel n’a jamais été considéré comme étant destiné à la danse. Le tango a divers aspects et là encore, pour simplifier, il y a le tango à écouter et le tango à danser. Les deux relèvent de la culture Tango, mais si les frontières semblent floues aujourd’hui, elles étaient parfaitement claires à l’époque. C’était inscrit sur les disques… Gardel, pour y revenir, avait sur ses disques la mention : “Carlos Gardel con acomp. de guitarras” ou “con la orquesta Canaro”, par exemple. Les tangos de danse étaient indiqués : “Orquesta Juan Canaro con Ernesto Famá” Dans le cas de Gardel, qui ne faisait pas de tangos de danse, on n’a, bien sûr, pas cette mention. Cependant, pour reprendre Famá et Canaro, il y a eu aussi des enregistrements destinés à l’écoute et, dans ce cas, ils étaient notés : “Ernesto Famá con acomp. de Francisco Canaro”. Dans le cas des enregistrements de Sassone, ils sont tardifs et ces distinctions n’étaient plus de rigueur. Toutefois, le fait qu’ils aient été arrangés par des compositeurs de musette ou de tango allemand, Othmar Klose et Rudi Luksch, ce qui est très net dans la version de 1968, fait que ce n’est pas du tango argentin au sens strict, même si le tango musette est l’héritier des bébés tangos laissés par les Argentins comme les Gobi ou les Canaro en France. Je confirme donc qu’au sens strict, ces enregistrements de Sassone ne relèvent pas du répertoire traditionnel du tango et qu’ils peuvent donc être considérés comme alternatifs, car pas acceptés par les danseurs traditionnels. Bien sûr, en Europe, où la culture tango a évolué de façon différente, on pourrait placer la limite à un autre endroit. La version de 1968 n’est pas du pur musette et peut donc être plus facilement assimilée. Celle de 1971 cependant, est dans une tout autre dimension et ne présente aucun intérêt pour la danse de tango. On notera d’ailleurs que, sur le disque de 1971 réédité en CD en 1998, il y a la mention « Tango international » et que les titres sont classés en deux catégories : « Tangos europeos et norteamericanos » et « Melodias japonesas ».
Le CD de 1998 reprenant les enregistrements de 1971 est très clair sur le fait que ce n’est pas du tango argentin.
Cette mention de « Tango international » est à mettre en parallèle avec d’autres disques destinés à un public étranger et étiquetés « Tango for export ». C’est à mon avis un élément qui classe vraiment ce titre hors du champ du tango classique. Cela ne signifie pas que c’est de la mauvaise musique ou que l’on ne peut pas la danser. Certains sont capables de danser sur n’importe quoi, mais cette musique ne porte pas cette danse si particulière qu’est le tango argentin.
Cela n’empêche pas de la passer en milonga, en connaissance de cause et, car cela fait plaisir à certains danseurs. Il ne faut jamais dire jamais…
Une suggestion d’une collègue, Roselyne Deberdt
Merci à Roselyne pour cette proposition qui permet de mettre en avant une autre version française.
Les pêcheurs de perles 1936 — Tino Rossi Accompagné par l’Orchestre de Marcel Cariven. Disque Columbia France (label rouge) BF-31. Numéro de matrice CL5975‑1.
Sur la face B du disque, La berceuse de Jocelyn. Jocelyn est un opéra du compositeur français Benjamin Godard, créé en 1888 avec un livret d’Armand Sylvestre et Victor Capoul. Il est inspiré du roman en vers éponyme de Lamartine. Cependant, même si la voix de Tino est merveilleuse, ce thème n’a pas sa place en milonga, malgré ses airs de de “Petit Papa Noël”… N’oublions pas que Tino Rossi a chanté plusieurs tangos, dont le plus beau tango du monde, mais aussi :
C’est à Capri
C’était un musicien
Écris-Moi
Le tango bleu
Le tango des jours heureux
Tango de Marilou
Et le merveilleux, Vous, qu’avez-vous fait de mon amour ?, que je rajoute pour le plaisir ici :
Le Bagdad était à Paris au 168, rue du Faubourg Saint-Honoré. Miguel Orlando était un bandonéoniste argentin, importé par Francisco Canaro à Paris et grand-oncle de notre ami DJ de Buenos Aires, Mario Orlando… Le monde est petit, non ?
Vous connaissez ce titre, bien qu’il ait été peu enregistré. Mais peut-être vous êtes-vous demandé qui était ce paladin, car ce terme désignait les Pairs de l’empereur Charlemagne, un millénaire plus tôt. El paladín est un tango d’Agustín Bardi et ne semble pas avoir de paroles. Il est donc assez difficile de savoir qui était évoqué dans ce titre. Voici trois hypothèses.
Trois paladines possibles
On pourrait remonter un siècle plus tôt, à l’époque ou Martín Miguel de Güemes, accompagné de ses gauchos, était un des héros de l’Argentine pour ses actions dans l’indépendance du pays. En illustration de l’article, je vous propose un portrait imaginaire de ce héros réalisé près d’un siècle plus tard par Manuel Prieto. Blessé d’une balle, il refusa les soins pour rester fidèle à sa cause et mourut onze jours plus tard, âgé de 36 ans. Son épouse, âgée de 25 ans, se serait laissé mourir de chagrin. Cette histoire, hautement romantique, a pu inspirer Bardi. Cela expliquerait une musique plutôt nostalgique et calme, peut-être du point de vue de la jeune épouse qui se laisse mourir de faim.
El paladín, partition pour piano. On voit manifestement un orateur, peut-être un avocat ou un politique.
La dernière possibilité est la dédicace de la partition. En effet, elle est dédicacée par Bardi à son ami Guillermo Fisher. Ce dernier est un des fondateurs de la Sociedad Nacional de Autores, Compositores y Editores de Música ce qui deviendra la SADAIC, la société des auteurs et compositeurs argentins. Cependant, je n’ai pas plus obtenu de renseignements sur cette personne.
Extrait musical
Partition et El paladín. On remarque sur la couverture un orateur, politique, avocat, défenseur de la création de la société des auteurs ? Dans ce cas, il pourrait s’agir de Guillermo Fischer…El paladín 1945-03-20 — Orquesta Osvaldo Pugliese.
Cette version semble avoir été enregistrée au moins quatre fois et deux des enregistrements de cette journée, les matrices 44645–2 et 44645–4 ont été publiées en disque 78 tours, sous le même numéro de disque 47138 (Face B). Vous allez sans doute trouver cette version assez sympathique.
El paladín 1941-12-11 — Orquesta Carlos Di Sarli.
La reprise, 12 ans plus tard par Di Sarli. Cette version est relativement proche, mais plus liée.
El paladín 1945-03-20 — Orquesta Osvaldo Pugliese.
C’est notre version du jour. Avec Pugliese, si le début semble assez semblable, on remarquera un jeu des violons dans les légatos sensiblement différent.
8 mars, journée internationale (des droits) des femmes
Le 8 mars est la journée internationale (des droits) des femmes. Il me semble d’actualité, d’aborder la question des femmes dans le tango. Il faudrait plus qu’un article, qu’un livre et sans doute une véritable encyclopédie pour traiter ce sujet, aussi, je vous propose uniquement quelques petites indications qui rappellent que le tango est aussi une histoire de femmes.
“We can do it” (on peut le faire). Affiche de propagande de la société Westinghouse Electric pour motiver les femmes dans l’effort de guerre en 1943. Elle a été créée par J. Howard Miller en 1943.
Cette affiche rappelle, malgré elle, que la journée du 8 mars était au début la journée des femmes travailleuses, journée créée en mémoire des 129 ouvrières tuées dans l’incendie de leur manufacture le 8 mars 1908. Ce sont les propres propriétaires de cette usine, la Cotton Textile Factory, qui ont mis le feu pour régler le problème avec leurs employées qui réclamaient de meilleurs salaires et conditions de vie avec le slogan « du pain et des roses »…
Du pain et des roses, un slogan qui coûtera la vie de 129 ouvrières du textile le 8 mars 1908 à New York.
On se souvient en Argentine de faits semblables, lors de la semaine tragique de janvier 1919 où des centaines d’ouvriers furent assassinés, faits qui se renouvèleront deux ans plus tard en Patagonie où plus de 1000 ouvriers grévistes ont été tués. Aujourd’hui, la journée des femmes cherche plutôt à établir l’égalité de traitement entre les sexes, ce qui est un autre type de lutte, mais qui rencontre, notamment dans l’Argentine d’aujourd’hui, une opposition farouche du gouvernement.
Une petite musique de fond pour la lecture de cette anecdote…
Las mujeres y el amor (Ranchera) 1934-08-16 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray.
Il s’agit d’une ranchera écrite par Eduardo Vetere avec des paroles de Manuel R. López. Le thème (les femmes et l’amour) me semblait bien se prêter à notre thème du jour).
Les origines du tango et les femmes
Je passerai sous silence les affirmations disant que le tango se dansait initialement entre hommes, car, si, on a quelques photos montrant des hommes dansant de façon plus ou moins grotesque, cela relève plus de la charge, de la moquerie, que du désir de pratiquer l’art de la danse. Le tango a diverses origines. Parmi celles-ci, le monde du spectacle, de la scène, du moins pour ses particularités musicales. Dans les spectacles qui étaient joués dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle, il y avait des femmes sur scène. Elles chantaient, dansaient. Elles étaient actrices. Les thèmes de ces spectacles étaient les mêmes qu’en Europe et souvent inspirés par les productions du Vieux Continent. Elles étaient destinées à ceux qui pouvaient payer, et donc à une certaine élite. Je ferai le parallèle avec Carmen de Jorge Bizet, pas à cause de la habanera, mais pour montrer à quoi pouvait ressembler une des productions de l’époque. Des histoires, souvent sentimentales, des figurants et différents tableaux qui se succédaient. La plupart du temps, ces spectacles relèvent du genre « vaudeville ». Les femmes, comme Carmen, étaient souvent les héroïnes et a minima, elles étaient indispensables et présentes. Au vingtième siècle, lorsque le tango a mûri, on retrouve le même principe dans le théâtre (Buenos Aires est la ville du Monde qui compte le plus de théâtres), mais aussi dans le cinéma. Je pense que vous aurez remarqué à la lecture de mes anecdotes qu’une part importante des tangos provient de films et de pièces de théâtre. Une autre origine tourne autour des faubourgs de Buenos Aires, du mal-être d’hommes en manque de compagnie féminine. Dans ce monde dur, où les couteaux sortaient facilement, où on travaillait dans des usines, aux abattoirs ou aux travaux agricoles et notamment l’élevage, les femmes étaient rares et convoitées. Cela donnait lieu à des bagarres et on se souvient que le tango canyengue évoquait par ses passes des figures de combat au couteau. Les hommes qui avaient la possibilité de danser avec une femme d’accès facile jouaient une sorte de comédie pour les compagnons qui regardaient, cherchant à se mettre en valeur, se lançant, comme en témoignent les paroles des tangos, dans des figures audacieuses et combatives, comme les fentes. La pénurie de femmes, malgré les importations à grande échelle de grisettes françaises et de pauvres hères d’autres parties de l’Europe, fait que c’est dans les bordels qu’il était le plus facile de les aborder. Dans ces maisons, closes, il y avait une partie de spectacle, de décorum et la danse pouvait être un moyen de contact. Il suffisait de payer une petite somme, comme on l’a vu, par exemple pour Lo de Laura. Dans cet univers, le tango tournait autour des femmes, comme en témoigne la très grande majorité des paroles, et ce sont des femmes, dans les meilleurs quartiers qui tenaient les « maisons ». Dans les faubourgs, c’était plutôt le cabaretier qui favorisait les activités pour que les clients de sa pulperia passe du temps et consomme. Une dernière origine du tango, notamment en Uruguay est l’immigration (forcée) d’Afrique noire. Ces esclaves, puis affranchis, tout comme ce fut le cas dans le Sud des USA, ont développé un art musical et chorégraphique pour exprimer leur peine et enjoliver leur vie pénible. Là encore, les femmes sont omniprésentes. Elles dansaient et chantaient. Elles étaient cependant absentes comme instrumentiste, les tambours du candombe étaient plutôt frappés par des hommes, mais ce n’est pas une particularité de la branche noire du tango.
Les femmes comme source d’inspiration
Si on décidait de se priver des tangos parlant des femmes, il n’en resterait sans doute pas beaucoup. Que ces dernières soient une étoile inaccessible, une traitresse infidèle, une compagne aimante, une femme de passage entrevue et perdue ou une mère. En effet, le thème de la mère est fortement présent dans le tango. Même les mauvais garnements, comme Gardel, n’ont qu’une seule mère.
Madre hay una sola 1930-12-10 — Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro (Agustín Bardi Letra : José de la Vega).
Je vous propose une version chantée par une femme, la maîtresse malheureuse de Francisco Canaro, Ada Falcón.
Je ne ferai pas le tour du thème des femmes inspiratrices, car vous le retrouverez dans la plupart de mes anecdotes de tango.
Les femmes danseuses
Je n’aborderai pas non plus le thème des femmes danseuses, mais il me semble important de les mentionner, car, comme je l’indiquais au début de cet article, c’est aussi pour approcher les femmes que les hommes se convertissent en danseurs…
Carmencita Calderón et Benito Bianquet (El Cachafaz) dansent El Entrerriano de Anselmo Rosendo Mendizábal, dans le film « Tango » (1933) de Luis Moglia Barth.
Les femmes et la musique
La musique en Europe était surtout une affaire d’hommes si on se réfère à la composition ou à la direction d’orchestre. Les femmes tenaient des rôles plus discrets, comme violonistes dans un orchestre, ou, plus sûrement, elles jouaient du piano familial. Le manque de femmes dans la composition et la direction d’orchestre n’est donc pas un phénomène propre au tango. C’est plutôt un travers de la société patriarcale ou la femme reste à la maison et développe une culture artistique destinée à l’agrément de sa famille et des invités du « maître » de maison. Cependant, quelques femmes ont su dominer le tabou et se faire un nom dans ce domaine.
Les femmes musiciennes
Aujourd’hui, on trouve des orchestres de femmes, mais il faut reconnaître que les femmes ont tenu peu de pupitres à l’âge d’or du tango. Francisca Bernardo, plus connue sous son pseudonyme de Paquita Bernardo, est la pionnière des bandonéonistes femmes.
Paquita Bernardo (1900–1925) , première femme connue pour jouer du bandonéon, un instrument réservé aux hommes auparavant.
Morte à 25 ans, elle n’a pas eu le temps de laisser une marque profonde dans l’histoire du tango, car elle n’a pas enregistré de disque. Cependant on connaît ses talents de compositrice à travers quelques œuvres qui nous sont parvenues comme Floreal, un titre enregistré en 1923 par Juan Carlos Cobián.
Floreal 1923-08-14 — Orquesta Juan Carlos Cobián.
L’enregistrement acoustique ne rend pas vraiment justice à la compositrice. C’est un autre inconvénient que d’être décédé avant l’apparition de l’enregistrement électrique…
Je vous propose également deux autres de ses compositions enregistrées par Carlos Gardel, malheureusement encore, toujours à l’ère de l’enregistrement acoustique.
La enmascarada 1924 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras), avec des paroles de Francisco García Jiménez.Soñando 1925 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras), avec des paroles de Eugenio Cárdenas.
Desde el alma (Valse) 1947-10-22 — Orquesta Francisco Canaro con Nelly Omar.
Je vous propose une des plus belles versions, chantée par l’incroyable Nelly Omar (qui vécut 102 ans).
Là encore, c’est une courte citation et une femme un peu particulière va me permettre de faire la transition avec les auteures de paroles de tango. Il s’agit de María Luisa Garnelli.
Les femmes auteures
María Luisa Garnelli est à la fois compositrice et auteure. J’ai parlé d’elle au sujet d’une de ses compositions, La naranja nacio verde.
María Luisa Garnelli, alias Luis Mario et Mario Castro.
Retenons qu’elle a pris divers pseudonymes masculins, comme Luis Mario ou Mario Castro, ce qui lui permit d’écrire des paroles de tango en lunfardo, sans que sa famille bourgeoise le sache… Elle fut également journaliste et correspondante de guerre… Je vous propose d’écouter un autre des titres dont elle a écrit les paroles, El malevo, sur une musique de Julio de Caro. Ici, une version chantée par une femme, Rosita Quiroga.
El malevo 1928 — Rosita Quiroga con guitarras.
Je ne me lancerai pas dans la liste des chanteuses de tango, mais je vous propose une petite galerie de photos. Elle est très loin d’être exhaustive, mais je vous encourage à découvrir celles que vous pourriez ne pas connaître. Je vous propose d’écouter une version de la cumparsita par Mercedes Simone pour nous quitter en musique en regardant quelques portraits de chanteuses de tango.
La cumparsita (Si supieras) 1966 — Mercedes Simone accompagnée par l’orchestre d’Emilio Brameri.
Ada Falcón 1905–2002
Amanda Ledesma 1911–2000 à la fois actrice et chanteuse
Anita Palmero 1902–1987
Azucena Maizani 1902–1970
Dorita Davis 1906–1980
Eladia Blázquez 1931–2005
Elba Berón 1930–1994 (à gauche) et Rosita Berón 1933–2001 (Las Hermanas Berón en 1954)
Flora Gobbi Flora Hortensia Rodríguez de Gobbi 1883–1952 Ici avec son mari
Imperio Argentina 19102003
Libertad Lamarque 1908–2000 Chanteuse et actrice dans une vingtaine de films
Linda Thelma Ermelinda Spinelli 1879–1939
Lita Morales enregistrements entre 1937 et 1956
Maruja Pacheco Huergo 1916–1983
Mercedes Simone 1904–1990
Nelly Omar 19011–2013 une belle longévité avec plus de 100 années de vie
Nina Miranda 1925–2012
Olga Delgrossi 1932-
Rosita Quiroga Rosa Rodríguez Quiroga de Capiello née entre 1896 et 1901–1984
Sabina Olmos 1913–1999
Sofía Bozán 1904–1958
Susana Rinaldi 1935-
Tania 1908–1999 Chanteurse et actrice
Tita Merello 1904–2002
Virginia Luque 1927–2014
Dédicace
Je dédicace cette anecdote à Victoria, ma femme, à ma fille, à ma mère et à mes grand-mères, mais aussi à Thierry qui m’a proposé de faire une anecdote sur ce sujet. Il est aussi le correcteur de mes anecdotes. À bientôt, les amis !
Francisco Gorrindo a écrit les paroles de nombreux tangos et pas des moindres, comme Ansiedad, La bruja, Mala suerte ou Paciencia. Notre tango du jour rappelle que la vie est courte et Tanturi et Castillo nous invitent à suivre ce conseil, d’une fort belle manière. Alors, les amis, carpe diem!
Édition anglaise de La vida es Corta. Schellac 78 tours.
Le titre commence par quatre notes montantes de la gamme de La mineur ; Sol-la-si-do données principalement par les deux bandonéons de Tanturi (Emilio Aguirre et Francisco Ferraro), mais aussi par le piano de Tanturi lui-même, qui rajoute une ponctuation à la fin de ce court motif. Toute la partie A sera du même principe avec les quatre notes tantôt au piano ou au bandonéon avec des petits motifs des autres instruments, y compris des deux violons (Antonio Arcieri et José Pibetti).
Puisque j’ai cité cinq des musiciens du sexteto de Tanturi (Los Indios), il convient de rajouter le contrebassiste (Raúl Méndez) qui aide à marquer le rythme pour les danseurs, mais le piano de Tanturi qui marque chaque temps participe aussi de cette conservation du rythme, même quand les violons joueront leurs grandes et belles phrases legato. Pendant les parties chantées par Alberto Castillo, les instruments seront majoritairement rythmiques, ce qui est très habituel chez Tanturi, dont on considère que (presque) tous les enregistrements sont dansables. L’écoute de ce morceau, et la reconnaissance de cette particularité, qu’il partage dans une certaine mesure avec D’Arienzo, nous fait comprendre l’intérêt des danseurs pour cet orchestre, sans doute un peu plus pauvre d’un point de vue musical que d’autres de la même époque. C’est du tango de danse, efficace, avec un rythme soutenu et dynamique. Les liaisons et les appoggiatures de Castillo ne perturbent pas ce rythme marqué, sans doute même, au contraire, elles le rendent moins sec. D’ailleurs, dans ses tangos instrumentaux, Castillo les fait réaliser par ses violonistes, ce qui fait que le style de Tanturi soit si reconnaissable. La dernière particularité de Tanturi est de retarder le tout dernier accord. On reste en suspension, comme souvent chez Rodriguez, mais là, vient finalement l’accord final, libérateur qui permet aux danseurs de relâcher l’abrazo après quelques fractions de secondes de tension finale.
Paroles
A ver muchachos, quiero alegría, quiero aturdirme, para no pensar. La vida es corta y hay que vivirla, dejando a un lado la realidad. Hay que olvidarse del sacrificio, que tanto cuesta ser, tener el pan. Y en estas noches de farra y risa, ponerle al alma nuevo disfraz.
La vida es corta y hay que vivirla, en el mañana no hay que confiar. Si hoy la mentira se llama sueño, tal vez mañana sea la verdad. La vida es corta y hay que vivirla, feliz al lado de una mujer, que, aunque nos mienta, frente a sus ojos, razón de sobra hay para querer.Ricardo Tanturi Letra : Francisco Gorrindo
Ricardo Tanturi Letra : Francisco Gorrindo
Traduction libre
Voyez les gars, je veux de la joie, je veux être étourdi pour ne pas penser. La vie est courte et il faut la vivre, en laissant la réalité de côté. Il faut oublier le sacrifice, que c’est si dur d’avoir du pain. Et dans ces nuits de réjouissance (danse, musique) et de rires, se déguiser l’âme.
La vie est courte et il faut la vivre, il ne faut pas faire confiance à demain. Si aujourd’hui le mensonge s’appelle rêve, peut-être que demain ce sera la vérité. La vie est courte et il faut la vivre, heureux aux côtés d’une femme, qui même si elle nous ment à la face (sous les yeux), il y a plein de raisons d’aimer.
Ricardo Tanturi Letra : Francisco Gorrindo
Il dévoile à ses compagnons de fiesta, sa philosophie de la vie, philosophie que de nombreux tangueros dans le monde ont adoptée…
Autres versions
La vida es corta 1941-02-19 — Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo. C’est notre tango du jour.
S’il n’y a pas d’autres versions enregistrées de ce titre , il y a en revanche de nombreux enregistrements de Castillo avec Tanturi réalisés sur quelques années, de janvier 1941 à mai 1943. Une belle tanda de milonga et une autre de valse (avec variantes possibles) et une trentaine de tangos que nous entendons souvent en milonga. En revanche, La vida es corta est le seul titre à avoir été conçu par Tanturi et Gorrindo. Je vous propose d’écouter un des premiers succès de Francisco Gorrindo, Las cuarenta, un titre chanté par Hugo Del Carril dans le film Confesión dirigé par Luis José Moglia Barth et qui est sorti le 23 octobre 1940.
Las cuarenta par Hugo Del Carril dans le film Confesión dirigé par Luis José Moglia Barth (1940).
La cumparsita 1933-02-14 — Orquesta Francisco Canaro.La joyeuse troupe des amis de Gerardo Hernán Matos Rodríguez défile sur la couverture de droite. Ils sont cités en haut de la partition. À droite Gerardo Hernán Matos Rodríguez devant sa partition chez un éditeur de partitions. On notera que les joyeux fêtards sont remplacés par une femme masquée. Le masque peut évoquer le bal, mais le fait qu’il soit noir peut aussi évoquer une voilette de deuil, celui qu’évoque Gerardo Hernán Matos Rodríguez dans sa version des paroles.
Les cumparsitas de Canaro
La cumparsita 1927-02-17 — Orquesta Francisco Canaro.
Comme on peut s’y attendre avec Canaro, surtout en cette année, il s’agit d’une version bien canyengue avec de très beaux passages. À partir de 27 s des petits motifs de flûte rendent cet enregistrement plus léger. Puis, le violoncelle enchaîne un très beau solo, accompagné par les violons en pizzicati. Le chant du violon pour terminer les 30 dernières secondes est également sublime.
La cumparsita 1929-04-17 — Orquesta Francisco Canaro.
On reste dans un rythme assez lent, mais très appuyé et les fioritures de la flûte sont désormais effectuées par le bandonéon qui, à un joli solo à partir d’une minute. Même durant le solo de violon, le bandonéon virtuose continue en arrière-plan. Il faut sans doute attribuer cela a l’arrivée de Federico Scorticati et Ciriaco Ortiz dans l’orchestre.
La cumparsita 1933-02-14 — Orquesta Francisco Canaro. C’est notre tango du jour.
On retrouve le bandonéon virtuose de la version de 1929, avec les mêmes bandonéonistes et un résultat très, très proche.
La cumparsita (Si supieras) 1951-11-29 — Orquesta Francisco Canaro con Mario Alonso.
Cette version est assez tonique et brillante avec un tempo bien marqué. On notera que les fioritures sont aussi exécutées partiellement au piano et pas seulement au bandonéon et le retour de la flûte. La jolie voix, profonde de Mario Alonso apporte un final original, presque à la Caló…
La cumparsita (Si supieras) (en vivo) 1954-10-04 — Orquesta Juan Canaro con María de la Fuente.
C’est une version du frère de Canaro, Juan mais je la trouve intéressante à connaître, même si ce n’est pas une version de danse. Elle a été enregistrée au Japon, pays passionné par cette musique, comme nous le verrons avec les enregistrements de Francisco. C’est une des versions intégralement chantées (et parlée 😉 María de la Fuente chante les paroles de Contursi et Maroni que vous pouvez retrouver dans cette autre anecdote.
Là, les musiciens semblent pressés d’arriver à la fin du morceau. Ce n’est pas vilain, mais cela donne une idée de précipitation. Je ne proposerais sans doute pas cela en bal.
La cumparsita 1959-04-29 — Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.
Avec cette version, Canaro, corrige le tir et l’impression de précipitation a disparu. Il y a tellement de versions de la cumparsita que ce ne sera pas ma préférée, mais bon en première tanda, elle peut faire l’affaire, car elle permet de rester avec le Pirincho et de mettre des tangos sympathiques pour terminer la tanda. Cependant, ces versions me semblent moins surprenantes et riches que les premières.
La cumparsita (en vivo) 1961-12-01 — Orquesta Francisco Canaro.
Encore un enregistrement au Japon, avec les applaudissements à la fin. Là, Canaro s’approche du style martelé de D’Arienzo. Là encore le bandonéon vibrant chatouille les oreilles. Comme c’est un enregistrement public au théâtre Koma de Tokio, il y a une émotion que n’ont pas toujours les enregistrements de studio.
La cumparsita 1961-12-26 — Orquesta Francisco Canaro.
On termine avec un dernier enregistrement au Japon, cette fois, au studio Kojimachi de Tokio. Il est intéressant de comparer avec la version également enregistrée à Tokio 25 jours plus tôt. Elle me semble moins « habitée ». Le violon est plus discret et le bandonéon un peu moins lumineux. Le rythme est marqué de façon un peu plus discrète, avec un piano plus présent. J’aurais donc tendance à privilégier la version live…
Canaro mourra trois ans plus tard sans enregistrer d’autre comparsita, mais il est intéressant de voir son évolution sur 34 années. À bientôt, les amis !
J’espère que vous me pardonnerez cette petite facétie. “El día que me quieras” (Le jour où tu m’aimeras) ; vous connaissez tous ce titre pour l’avoir entendu par Gardel, que ce soit sur disque, ou dans le film du même nom. La version que je vous propose est bien plus rare et antérieure de cinq ans à celle de Gardel. En fait, j’ai saisi l’occasion de l’anniversaire de l’enregistrement de ce titre, il y a exactement 95 ans, pour évoquer cet orchestre un peu moins connu. Mais rassurez-vous, vous aurez droit au titre de Gardel et Le Pera, également, ainsi qu’à d’autres tangos du même titre…
Extrait musical
El día que me quieras 1930-02-07 — Orquesta Cayetano Puglisi con Roberto Díaz.
L’introduction est plutôt jolie et élégante. Le violon de Cayetano Puglisi domine en chantant les autres instruments plus percussifs et qui marquent le rythme, puis il cède la place à Roberto Díaz qui chante à son tour un court passage. Comme nous le verrons, ce titre est assez différent de celui de Gardel qui est bien plus connu. Le thème est cependant le même. On notera quelques passages agités des bandonéons de Federico Scorticati et Pascual Storti en double-croche qui font le contrepoint avec les violons de Cayetano Puglisi et Mauricio Mise plus suaves. Pour une musique de 1930, c’est assez bien orchestré. Cayetano Puglisi, cet excellent violoniste qui a intégré les plus fameux orchestres, comme ceux de Firpo, Canaro D’Arienzo et Maffia a également eu son propre sexteto avec lequel il a enregistré une quinzaine de titres en 1929 et 1930. Je n’ai pas cité son frère José, à la contrebasse, ni Armando Federico au piano. J’aime bien et dans une milonga où les danseurs seraient amateurs de thèmes un peu vieillots, cet enregistrement pourrait intégrer une tanda.
Paroles de Ramón C. Acevedo
Yo quisiera tenerte entre mis brazos Y besarte en tu boca sin igual, Yo quisiera prodigarte mil abrazos Mujer esquiva de rostro angelical.
Tu sonrisa altanera y orgullosa Tu mirada quisiera doblegar, Y que aun, negándome besara Con un beso, sublime y sin final. Raúl Brujis L : Ramón C. Acevedo
Traduction des paroles de Ramón C. Acevedo
J’aimerais te tenir dans mes bras et t’embrasser sur ta bouche sans pareille, Je voudrais te prodiguer mille abrazos, femme insaisissable au visage angélique.
Ton regard souhaiterait faire céder ton sourire hautain et fier, et aussi, même si tu me le niais, m’embrasser, avec un baiser sublime et sans fin.
Autres versions
Il n’y a pas d’autre enregistrement de ce titre, alors je vous propose d’écouter quelques enregistrements du tango de même titre, mais écrit 4 ans plus tard par Carlos Gardel et Alfredo le Pera pour le film de la Paramount… El día que me quieras. Nous écouterons aussi d’autres thèmes ayant le même titre. Tout d’abord, réécoutons le tango du jour, qui est le plus ancien titre…
El día que me quieras 1930-02-07 — Orquesta Cayetano Puglisi con Roberto Díaz.
C’est notre tango du jour et le seul enregistrement de la composition de Raúl Brujis.
Version 2, de Víctor Pedro Donato et Miguel Gómez Bao
El día que me quieras 1930-11-05 Orquesta Ricardo Luis Brignolo con Luis Díaz.
Quelques mois après, Brignolo enregistre un tango composé par Víctor Pedro Donato avec des paroles de Miguel Gómez Bao. Ce titre est bien moins moderne que notre tango du jour. Il ressort encore d’un style canyengue très marqué.
Paroles de la version de Víctor Pedro Donato et Miguel Gómez Bao
El boliche del Turco no tendrá ni un cohete, el piberío del hueco los hará estallar, la cantina del “Beppo” abrirá los espiches y todo el “Grevanaje” en curda dormirá. La farra, el capuchino tomará el chocolate, ese día yo banco con mi felicidad y la orquesta de Chicho, pelandruna y mistonga hará un tango canyengue con la marcha nupcial.
A tu hermano el tarasca compraremos botines, al zambullo una faja de esas pa’ adelgazar, y al menor, al checato, dos docenas de anteojos y una jaula con trampa pa’ que vaya a cazar, a tu vieja diez cajas de pastillas de menta, a tu viejo toscanos para reventar, y el globo luminoso que tiene la botica a tu hermana la tuerta como ojo de cristal.
El bañao de la esquina será un lago encantado y las ranas cantantes en la noche un jazz-band, el buzón de la esquina el Pasaje Barolo, la cancel‘e tu casa, la escala celestial. El día que me quieras, pebeta de mi barrio, toditas mis ternuras pa’vos sólo serán, aunque llore a escondidas mi viejecita santa que al extrañar mis besos tendrá unas canas más. Víctor Pedro Donato et Miguel Gómez Bao
Traduction de la version de Víctor Pedro Donato et Miguel Gómez Bao
Le bazar (les pulperias faisaient office de bar, vendaient de tout et pourvoyaient des distractions, comme les jeux de boules, ou la danse) du Turc n’aura plus de fusées (feux d’artificee, les Argentins sont des fanatiques des activités pyrotechniques), les gamins du terrain vague les auront fait exploser, la cantine du« Beppo » (Beppo est un prénom d’origine italienne dérivé de Joseph) ouvrira les robinets (des tonneaux de vin, bien sûr) et tous les « Grevanaje » (je pense qu’il faut rapprocher cela de Grebano qui signifie idiot, rustre), ivres, dormiront. La fête, le cappuccino boira le chocolat, ce jour-là, je reste avec mon bonheur et l’orchestre de Chicho (je ne l’ai pas identifié), paresseux et triste jouera un tango canyengue avec la marche nuptiale.
Pour ton frère, El Tarasca , nous achèterons les bottes, au gros (zambulo, à la panse proéminente) une de ces ceintures pour perdre du poids (la faja est la ceinture qu’utilisent les gauchos. Elles sont souvent décorées de pièces de monnaie. Dans le cas présent, il peut s’agir de ceintures de toiles, également utilisées par les gauchos), et au plus jeune, le vérificateur, deux douzaines de paires de lunettes et une cage avec un piège pour qu’il puisse aller à la chasse. À ta vieille (mère), dix boîtes de bonbons à la menthe, à ton vieux (père) des cigares à éclater (faut-il y voir des cigares de farces et attrapes qui explosent quand on les fume ?), et le globe lumineux qu’a l’apothicaire pour ta sœur borgne, comme œil de verre.
Le marécage du coin sera un lac enchanté et les grenouilles chanteuses de la nuit, un groupe de jazz. La boîte aux lettres de l’angle sera le passage Barolo (plus que passage, on dirait aujourd’hui le Palais, un des hauts bâtiments luxueux du centre-ville de Buenos Aires), la porte d’entrée de ta maison (porte intérieure séparant l’entrée de la maison, sorte de sas), l’échelle céleste. Le jour où tu m’aimeras, petite (terme affectueux) de mon quartier, toutes mes tendresses seront pour toi seule, même si, de façon cachée, je verserai quelques larmes pour ma sainte petite mère qui, manquant de mes baisers, aura encore quelques cheveux blancs de plus.
Version 3, la plus célèbre, celle de Carlos Gardel et Alfredo Le Pera
El día que me quieras 1935-03-19 — Carlos Gardel con acomp. de la orquesta dir. por Terig Tucci.
Paroles de la version de Carlos Gardel et Alfredo Le Pera
Acaricia mi ensueño el suave murmullo de tu suspirar, ¡como ríe la vida si tus ojos negros me quieren mirar! Y si es mío el amparo de tu risa leve que es como un cantar, ella aquieta mi herida, ¡todo, todo se olvida!
El día que me quieras la rosa que engalana se vestirá de fiesta con su mejor color. Al viento las campanas dirán que ya eres mía y locas las fontanas me contarán tu amor. La noche que me quieras desde el azul del cielo, las estrellas celosas nos mirarán pasar y un rayo misterioso hará nido en tu pelo, luciérnaga curiosa que verá…¡que eres mi consuelo!
Recitado: El día que me quieras no habrá más que armonías, será clara la aurora y alegre el manantial. Traerá quieta la brisa rumor de melodías y nos darán las fuentes su canto de cristal. El día que me quieras endulzará sus cuerdas el pájaro cantor, florecerá la vida, no existirá el dolor…
La noche que me quieras desde el azul del cielo, las estrellas celosas nos mirarán pasar y un rayo misterioso hará nido en tu pelo, luciérnaga curiosa que verá… ¡que eres mi consuelo!
Carlos Gardel Letra: Alfredo Le Pera
Traduction de la version de Carlos Gardel et Alfredo Le Pera
Ma rêverie caresse le doux murmure de ton soupir, Comme la vie rirait si tes yeux noirs voulaient me regarder ! Comme si était mien l’abri de ton rire léger qui est comme une chanson, Elle calme ma blessure, tout, tout est oublié !
Le jour où tu m’aimeras, la rose qui orne s’habillera de fête, avec sa plus belle couleur. Au vent, les cloches diront que tu es déjà à moi, et folles, les fontaines me conteront ton amour. La nuit où tu m’aimeras depuis le bleu du ciel, Les étoiles jalouses nous regarderont passer et un mystérieux éclair se nichera dans tes cheveux, curieuse luciole qui verra… que tu es ma consolation !
Récité : Le jour où tu m’aimeras, il n’y aura plus que des harmonies, L’aube sera claire et la source joyeuse. La brise apportera le calme, le murmure des mélodies, et les fontaines nous donneront leur chant de cristal. Le jour où tu m’aimeras, l’oiseau chanteur adoucira ses cordes, La vie fleurira, la douleur n’existera pas…
La nuit où tu m’aimeras depuis le bleu du ciel, Les étoiles jalouses nous regarderont passer et un mystérieux éclair se nichera dans tes cheveux, curieuse luciole qui verra… que tu es ma consolation !
Extrait du film El día que me quieras de John Reinhardt (1934)
“El día que me quieras”, dúo final Carlos Gardel y Rosita Moreno du film du même nom de 1934 dirigé par John Reinhardt. Dans ce film, Carlos Gardel chante également Sol tropical, Sus ojos se cerraron, Guitarra, guitarra mía, Volver et Suerte negra avec Lusiardo et Peluffo.
Autres versions du thème composé par Gardel
Il existe des dizaines d’enregistrements, y compris en musique classique ou de variété. Je vous propose donc une courte sélection, principalement pour l’écoute.
El día que me quieras 1948-05-11 — Orquesta Florindo Sassone con Jorge Casal.
Une version chantée par Jorge Casal qui ne démérite pas face aux interprétations de Gardel.
El día que me quieras 1955-06-30 — Orquesta Francisco Canaro con Juan Carlos Rolón.
Une version pour faire pleurer les ménagères nées après 1905…
El día que me quieras 1968 — Orquesta Típica Atilio Stampone.
Stampone, bien qu’il s’agisse d’une version instrumentale, n’a pas destiné cet enregistrement aux danseurs.
Encore une version instrumentale, mais fort intéressant à défaut d’être pour la danse par le trio Hugo Diaz… Si vous n’entendez pas l’harmonica, c’est que ce trio est celui du bandonéoniste uruguayen, Hugo Díaz, à ne pas confondre avec Victor Hugo Díaz qui est le magicien de l’harmonica, qui lui est argentin (Santiago del Estero) et sans doute bien plus connu…
El día que me quieras 1977-06-14 — Orquesta Osvaldo Pugliese.
Une version sans doute surprenante, essentiellement construite autour de solos de violon et piano.
El día que me quieras 1978 — María Amelia Baltar.
Une version expressive par la compagne de Piazzolla.
El día que me quieras 1979 — Alberto Di Paulo y su Orquesta Especial para Baile.
Bien que l’orchestre affirme être de danse, je ne suis pas convaincu que cela plaira aux danseurs de tango, mais peut-être aux amateurs de slow et boléros (dans le sens argentin qui qualifie des musiques romantiques au rythme flou et pas nécessairement de vrais boléros).
El día que me quieras 1997 — Enrique Chia con Libertad Lamarque.
Une introduction à la Mozart (Flûte enchantée) et s’élève la magnifique voix de Libertad Lamarque. C’est bien sûr une chanson et pas un tango de danse, mais c’est joli, n’est-ce pas ?
Avec cette belle version, je propose d’arrêter là, et je vous dis, à bientôt, les amis !
Qui n’a pas été ému par la voix de Roberto Rufino chantant Patotero sentimental ? Mais savez-vous que cet enregistrement suit de presque 20 ans un succès phénoménal qui obligeait Ignacio Corsini à rechanter cet air souvent plus de cinq fois à la suite. Je vous invite à vous plonger dans l’histoire de ce patotero, émouvant par ses regrets et par là-même découvrir un peu plus cet univers des cabarets, repaire des patoteros.
Je publie cet article le 26 janvier qui est la date anniversaire de la version de Di Sarli avec Mario Pomar et pas celle que je mets en avant, avec Roberto Rufino. Je triche donc un petit peu, on pourra toujours en reparler un 6 juin…
Patoteros, apaches, youth gangs…
Un patotero est le membre d’une patota, un groupe de jeunes enclins à la violence et à la délinquance. Ce phénomène de bandes de jeunes est sans doute une des conséquences de la révolution industrielle qui a jeté des générations de paysans dans les villes. Si les parents y travaillaient, les jeunes qui voyaient les conditions méprisables de vie de leurs parents trouvaient refuge dans des activités, plus ou moins lucratives à défaut d’être honnêtes. Si à Paris, les Apaches (bandes de jeunes délinquants surnommées ainsi par le journaliste Henri Fouquier en référence à la brutalité de leurs crimes qui rappelaient les romans de Fenimore Cooper colportant des idées colonialistes sur la violence des Indiens américains) étaient particulièrement violents, à Buenos Aires, les patoteros étaient un peu moins craints par la population. Pour juger de la différence, on peut s’intéresser à leurs danses, vraiment très différentes. Pour les Argentins, je ne vous propose pas de vidéo, il vous suffit d’imaginer un tango canyengue accentuant l’aspect « canaille », les fentes et autres passes (figures) inspirées du combat au couteau.
Un bal en 1900. Peut-être du tango.
Pour le côté parisien, la danse des apaches est une danse qui alterne des moments violents et des moments plus sensuels. C’est une dramatisation des relations entre femmes et hommes. Cette danse perdurera en France jusque dans les années 60. On retrouvera ses figures, reprises dans d’autres danses comme le lindy-hop, le rock acrobatique, le tango de show, voire le tango de danse sportive.
Trois présentations de valse chaloupée en 1904, 1910 et 1935. Cette danse présente des chorégraphies brutales, d’apparence machiste, même si les femmes peuvent y être également agressives. On considère que c’est une mise en scène des relations tumultueuses entre une prostituée et son souteneur. Quand on imagine le nombre de femmes « volées » à Paris et mise au travail comme prostituées en Argentine, on comprend mieux ce phénomène, fait d’alternance de moments de tensions extrêmes et de moments de passion amoureuse.
Extrait musical
Partition de patotero sentimental. Trois couvertures. Avec Manuel Jovés et Ignacio Corsini à gauche et sur la couverture de droite, Lorenzo Barbero qui l’a enregistrée en 1950 avec le chanteur Osvaldo Brizuela.Patotero sentimental 1941-06-06 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino.
Le patotero s’avance avec des pas bien marqués qui alternent avec de longs glissandos des violons. Rufino commence à chanter, en respectant le rythme initial. Sa voix est expressive et il ne sombre pas dans le pathos que peuvent présenter d’autres chanteurs. Cette sensibilité associée à la pression constante de l’orchestre fait que les danseurs trouveront leur compte dans cette version idéale pour la danse. Le plaisir des oreilles et des jambes. Nous verrons que cet équilibre qui semble si simple et naturel dans cette version a du mal à se retrouver dans les nombreux autres enregistrements du titre, du moins dans les versions de danse, celles pour l’écoute entre dans une autre catégorie. Par exemple, le même Di Sarli, avec l’excellent Mario Pomar fait un autre enregistrement en 1954 et il est difficile d’y trouver la même dansabilité, même si bien sûr de nombreux danseurs tomberont sous le charme de cette autre version (qui est la vraie version du jour, puisqu’enregistrée un 26 janvier).
Roberto Rufino. À gauche à Mar del Plata en 1970 et à droite à Radio Belgrano en 1944.
Paroles
Patotero, rey del bailongo Patotero sentimental Escondés bajo tu risa Muchas ganas de llorar Ya los años se van pasando Y en mi pecho, no entra un querer En mi vida tuve muchas, muchas minas Pero nunca una mujer Cuando tengo dos copas de más En mi pecho comienza a surgir El recuerdo de aquella fiel mujer Que me quiso de verdad y que ingrato abandoné De su amor, me burlé sin mirar Que pudiera sentirlo después Sin pensar que los años al correr Iban crueles a amargar, a este rey del cabaret Pobrecita, cómo lloraba Cuando ciego la eche a rodar La patota me miraba, y No es de hombre el aflojar Patotero, rey del bailongo Siempre de ella te acordarás Hoy reís, pero en tu risa Solo hay ganas de llorar Manuel Jovés Letra: Manuel Romero
Patotero, roi du bal Patotero sentimental Tu caches sous ton rire beaucoup d’envies de pleurer. Et les années passent et, dans ma poitrine, aucun amour n’entre. Dans ma vie, j’ai eu beaucoup, beaucoup de poulettes (chéries), mais jamais une femme. Quand j’ai deux verres de trop, dans ma poitrine commence à resurgir le souvenir de cette femme fidèle qui m’aimait vraiment et que j’ai abandonnée ingratement. De son amour, je me moquais sans voir que je pourrais le ressentir plus tard, sans penser que les années, à mesure qu’elles s’écoulaient, étaient cruelles à aigrir ce roi du cabaret. Pauvre petite, comme elle pleurait quand aveugle j’ai commencé à la larguer. La bande (patota) m’observait, et ce n’est pas à un homme de se relâcher (se laisser attendrir). Patotero, roi du bal, toujours, tu te souviendras d’elle. Aujourd’hui tu ris, mais, dans ton rire, il n’y a que l’envie de pleurer.
Autres versions
El patotero sentimental 1922-03-29 — Ignacio Corsini con Orquesta Roberto Firpo.
C’est Corsini qui a créé le titre. Nous verrons cela en fin d’article. Ce fut son premier grand succès, ce tango a lancé sa carrière.
Ignacio Corsini en 1922
La même année, Carlos Gardel décide d’enregistrer le titre. Cette vidéo de Sinfonia Maleva permet de suivre les paroles chantées par Carlos Gardel.
El patotero sentimental 1922 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras)
Submergé d’émotion Raul (Hugo Del Carril) chante Patotero sentimental quand il comprend qu’il va perdre elisa. dans le film La vida est une tango (1939)Patotero sentimental 1941-06-06 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino. C’est notre (faux) tango du jour.Patotero sentimental 1949-11-25 — Orquesta José Basso con Oscar Ferrari.
La voix un peu acide de Ferrari ne sert pas aussi bien le thème que celle de Rufino ou de Corsini. D’un point de vue de la danse, les manières de Ferrari rendent cet enregistrement peu propice à la danse. C’est un peu dommage, car l’orchestre fait un assez joli travail.
Patotero sentimental 1950-12-28 — Lorenzo Barbero y su orquesta de la argentinidad con Osvaldo Brizuela.
Une Jolie version qui ne détrônera pas celle de Di Sarli et Rufino, mais qui se laisse écouter et qui a obtenu un certain succès à son époque, comme en témoigne la partition présentée au début de cet article.
Patotero sentimental 1952-10-16 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Héctor Pacheco.
Dans la veine des tangos à écouter il y a cette version. La voix précieuse de Pacheco est-elle réellement adaptée au rôle d’un patotero, même converti ? On a du mal à croire à cette histoire, d’autant plus que Fresedo multiplie ses fioritures, tout aussi peu propices à la danse que celles de Florindo Sasonne de la même époque.
Patotero sentimental 1954-01-26 — Orquesta Carlos Di Sarli con Mario Pomar.
J’adore Mario Pomar et son interprétation ne souffre d’aucune critique. C’est juste que le choix un peu moins tonique rend, à mon sens, le titre un peu moins agréable à danser que la version avec Rufino enregistrée 13 ans plus tôt. C’est cette version qui a été enregistrée un 26 janvier et qui devrait donc officiellement être le tango du jour.
Patotero sentimental 1974 — Orquesta Florindo Sassone con Oscar Macri.
J’ai parlé des bruitages de Sassone à propos de la version de 1952 de Fresedo, je pense que vous remarquerez que Sassone ne les propose pas dans cet enregistrement. C’est assez logique, car ces bruitages sont le témoignage d’une époque et qu’ils furent abandonnés par la suite. Vous noterez toutefois les moments où Sassone quelques années plus tôt aurait abusé de ces effets. Si Sassone n’est pas un pourvoyeur de tango de danse, il faut reconnaître qu’avec l’interprétation inspirée de Macri, le résultat est plutôt sympa, même si à mon avis, il ne devrait pas franchir la porte de la milonga (en tous cas pas trop souvent 😉
L’harmonica d’Hugo Díaz, une voix à lui tout seul. L’ambiance jazzy donnée par le piano et la guitare ne satisfera cependant pas les danseurs qui réserveront le titre pour une écoute au coin du feu.
Patotero sentimental 1974c — Leopoldo Federico con Carlos Gari.
Le bandonéon expressif de Leopoldo Federico nous offre un duo avec Carlos Gari dont la voix puissante contraste avec tous les instruments. C’est une belle interprétation, pleine d’émotion. L’opposition, voix et instruments du début s’apaise progressivement pour nous offrir un paysage sonore parfaitement cohérent. Moi, j’aime bien, mais bien sûr, ça reste entre mon ordinateur et moi, cela ne passera pas sur les haut-parleurs de la milonga.
Patotero sentimental 1991-03 — Carlos García solo de piano.
Le piano sait souvent être expressif. Je vous laisse juger si Carlos García a su suffisamment faire parler son instrument…
Patotero sentimental 2005 — Cuarteto Guardia Vieja con Omar de Luca (ou Dario Paz ou Fabian Vidarte…). Je ne suis pas sûr de qui chante.Patotero sentimental 2006 — Aureliano Tango Club C Aureliano Marin.
Une version très différente mais pas inintéressante. Vous pouvez jeter un œil à leur site, celui d’Aureliano Marin, arrangeur, directeur et contrebassiste du trio en plus d’en être le chanteur.
Patotero sentimental 2011 — Orquesta Típica Gente de Tango con Héctor Morano.
On termine ici, avec une version plus traditionnelle.
Origine de ce tango
Comme nous l’avons vu à de nombreuses reprises, les tangos qui animent nos milongas ont souvent été créés pour des revues musicales, des pièces de théâtre ou des films. Celui-ci ne fait pas exception. Il était une des scènes de la pièce “El bailarín del cabaret” (le danseur de cabaret) qui fut lancée le 12 mai 1922 au théâtre Apolo par la compagnie de Cesar Ratti, et qui eut un succès immense, notamment pour l’interprétation par Ignacio Corsini de notre tango du jour. Les spectateurs bissaient de nombreuses fois ce titre que Corsini chantait, appuyé sur le dossier d’une chaise et avec le genou droit sur l’assise. On connait ce détail par Osvaldo Sosa Cordero dans “Historia de las varietés en Buenos Aires 1900–1925” qui nous apprend également que 800 disques de ce titre ont été gravés en 1922 et comme nous l’avons vu, Gardel s’est aussi emparé du phénomène, la même année.
Osvaldo Sosa Cordero; Historia de las varietés en Buenos Aires 1900–1925. À gauche, édition originale de 1978 et à droite, la réédition de 1999.
Il me semble intéressant de voir comment s’articulaient ces variétés.
El bailarín del cabaret — Couverture de la 4ème édition (19 août 1922 et déjà 319 représentations successives)… À droite, l’extrait du livret avec les paroles du tango chanté par Ignacio Corsini.
Dans la pièce de Manuel Romero, El bailarín del cabaret, où se trouve cette pièce, il y a 4 tableaux. L’apparition de ce tango est dans le troisième. La scène se passe dans un cabaret luxueux et tous dansent un foxtrot joué par l’orchestre dirigé par Félix Scolatti Almeyda, sauf Maria qui est triste à sa table et une famille qui découvre cet univers. Je vous reproduis ici un dialogue savoureux où un jeune homme (Troncoso) souhaite inviter la fille de la famille de visiteurs (Cayetana) et qui se termine par l’introduction de notre tango, Patotero sentimental.
Dialogues liminaires au tango Patotero sentimental
TRONCOSO.- Buenas noches. ¿ Me acompaña ese tango señorita? CAYETANA.-Yo no me comando sola. Pídale permiso a me papá. D. GAETANO.-E iñudole, cabayere. Me nena non “bala”. TRONCOSO.-¿Cómo es eso? ¿Acaso usted. no sabe que toda mujer que entra aquí está obligada a bailar? D. GAETANO.-Ma nun. diga. TRONCOSO.–Si, señor, sino va a haber tiros. CAYETANA.-Papá, vamo in casa. (Troncoso saca un revólver.) D. GAETANO.-Boeno … boeno .. . que “bale” pero no me lamprete mucho. (Bailan ridiculamente.) CATALINA.-Gaetano; roa mire como le hace co la pierna. D. GAETANO.-(Parándolo.) ¡Ah! ¡No covencito, eso no, pe la madonna! Me hija non he una melunguera cualunque. E osté, non debe hacerle cosquiyite inta la gamba, Sabe? TRONCOSO.-¿Dónde le he hecho cosquillas? D. GAETANO.-¿E me lo pregunta todavía? ¡Chancho! TRONCOSO.-¡Salí de ahí otario!(Le da un bife,y lo sacan a bofetadas hasta la calle, madre e hija van detras, la orquesta ataca un paso doble. Tumulto, risas y todos bailan.) ¿ Vamos a bailar, Marta? MARTA.-No: dejame, no quiero bailar hoy. TRONCOSO.-¿ Qué te pasa? MARTA.-Nada. Dejame. TRONCOSO.-¿Pero qué tenés vos esta noche? MARTA.-Nada. Se van a reir si lo digo. PANCHITO.-Dejala; algún metejón nuevo. MARTA.-No, nada de eso, les juro. MARGOT.-A ver, decimelo ami. Yo soy tu amiga . M‑ARTA.-¡Es qué! … Pero no, es ridículo. MARGOT.-Deci … . MARTA.-Pero no se rían. He dejado a mi nene en casa con cuarenta grados de fiebre y se me va a morir y yo no quiero que se me muera. (Llorando.) LA BEBA.-¡Já, já, já! Dejate de sentimentalismos. TRONCOSO.-¡Qué desgraciada! (Todos rien.) LORENA.-¿Por qué se ríen de ella? TRONCOSO.-A vos que te pasa? De un tiempo a esta parte el mozo se ha puesto muy sentimental. LA BEBA.-En cuanto toma dos copas se pone imposible. LORENA.-Para ustedes no hay nada respetable en la vida … TRONCOSO.-Pero hermano! Vos, el rey de los patateros, hablando asi! … LORENA.-¿ Y qué? ¿Acaso un patatero no puede tener alma? Si ustedes supieran …
Traduction des dialogues
TRONCOSO.- Bonsoir. M’accompagneriez-vous pour ce tango, mademoiselle ? CAYETANA : Je ne me commande pas. Demandez la permission à mon père. D. GAETANO.- C’est inutile jeune-homme. Ma fille ne « danse » pas. (Les guillemets soulignent l’opinion que le père a de ces danses de cabaret). TRONCOSO.- Comment cela se fait-il ? Vraiment? Ne savez-vous pas que chaque femme qui entre ici est obligée de danser ? D. GAETANO.-Mais nul me l’a dit. TRONCOSO.–Oui, monsieur, sinon il y aura des coups de feu. CAYETANA.-Papa, rentrons à la maison. (Troncoso sort un revolver.) D. GAETANO.-Bien … Bien .. . qu’ils « dansent » cette « danse » mais ne la serrez pas trop. (Ils dansent ridiculement.) CATALINA.-Gaetano ; Roa, regarde comment il fait avec sa jambe. D. GAETANO.- (L’arrêtant.) Ah ! Non jeune homme, pas ça, par la Madone ! Ma fille n’est pas une melunguera (milonguera, le père ne connait pas bien et déforme le mot) quelconque. Et il ne faut pas chatouiller la jambe, vous savez ? TRONCOSO : Où l’ai-je chatouillée ? D. GAETANO : Et vous me demandez en plus ? Cochon! TRONCOSO : Sors d’ici, otario ! (Otario, cave, naïf, idiot) (Il le gifle, et ils le sortent avec des baffes) jusqu’à la rue. La mère et la fille se glissent derrière, l’orchestre attaque un paso doble. Tumulte, rires et tout le monde danse.) On va danser, Marta ? MARTHA : Non, laisse-moi, je ne veux pas danser aujourd’hui. TRONCOSO : Que t’arrive-t-il ? MARTA.-Rien, laisse-moi. TRONCOSO : Mais qu’as-tu ce soir ? MARTA : Rien, ils vont rire si je le dis. PANCHITO : Laisse-la ; quelque chose d’une nouvelle amourette. MARTA : Non, rien de tel, je vous jure. MARGOT : Eh bien, dis-le-moi. Je suis ton amie. MARTA.-C’est que ! … Mais non, c’est ridicule. MARGOT.-Parle… . MARTA : Mais ne riez pas. J’ai laissé mon bébé à la maison avec quarante degrés de fièvre et il va mourir et je ne veux pas qu’il meure. (En pleurs.) LA BEBA.-Ah-Ah-Ah Arrête avec la sentimentalité. TRONCOSO : Quelle malchance ! (Tout le monde rit.) LORENA.-Pourquoi vous moquez-vous d’elle ? TRONCOSO : Qu’est-ce qui ne va pas chez toi ? Depuis quelque temps, le monsieur (beau jeune-homme) est devenu très sentimental. LE BÉBÉ : Dès qu’il boit deux verres il devient impossible. LORENA.-Pour vous, il n’y a rien de respectable dans la vie… TRONCOSO : Mais frère ! Toi, le roi des patateros, tu parles ainsi !… LORENA : Et alors ? Un patatero ne peut-il pas avoir une âme ? Si vous saviez…
Et là, Ignacio Corsini retourne une chaise, pose un genou sur l’assise et s’appuie au dossier avant d’entamer cette chanson qu’il reprendra de nombreuses fois à la demande des spectateurs. Lors d’une représentation, le chef de la troupe, Cesar Ratti, a essayé d’interdire les bis multiples. Finalement, il a dû céder devant la pression du public et il y a eu cinq bis. Voilà, vous en savez sans doute un peu plus sur l’histoire de ce tango et du lien entre notre musique favorite, les cabarets, théâtres et autres lieux de spectacle du début du vingtième siècle.
Pedro Laurenz (Pedro Blanco) Letra: Manuel Andrés Meaños
Même si Pedro Laurenz et Juan Carlos Casas ont enregistré dix tangos, la plupart du temps, dans les milongas, seuls quatre de ces titres sont diffusés par les DJ. Ces titres le méritent, mais cela occulte les autres enregistrements qui peuvent permettre de faire des tandas plus intéressantes. En effet, les titres habituels sont tellement proches qu’on a l’impression de danser plusieurs fois le même titre.
Extrait musical
Partition de Puro puapo, version Laurenz et Meaños.De puro guapo 1940-01-25 — Orquesta Pedro Laurenz con Juan Carlos Casas.
Deux accords au piano d’Héctor Grané, puis l’appel qui fait se souvenir que Laurenz était bandonéoniste (ici, accompagné au bandonéon par Ángel Domínguez et Rolando Gavioli). Avec le complément de la contrebasse de Alberto Celenza, le rythme très marqué des bandonéons et du piano se continue. Il faut attendre presque une minute pour que les violons s’expriment de façon plus audible et encore, pour quelques secondes. À 1:25 un très beau motif du violoniste Mauricio Mise annonce l’intervention de Juan Carlos Casas qui débute à 1:45. La voix parfaitement déliée s’intègre dans le phrasé agressif des bandonéons qui, lorsque Casas termine le seul refrain, reprennent jusqu’au final le rythme puissant.
Paroles
Entre cortes y quebradas, suave rezongué en tu oído todo mi verbo florido que te dijo mi querer. Vos mostraste en tu sonrisa toda tu coquetería, y yo, vencida mi hombría… Yo que siempre supe vencer.
Pa’ conseguir tu cariño quiero jugarme la vida al naipe que me ha gustado… No es la primera partida en que mi resto he jugado… Y si al final copo y gano, —taura soy en la postura— hay un facón, brava mano, coraje y bravura pa’ hacerme valer.
Lo que yo quiero lo tengo, y eso por taura y por guapo… Basta que en un brazo el trapo tenga y en otro el facón… Si no bastan mis hazañas pongo mi coraje a prueba. ¡Nadie ventaja me lleva cuando está en juego tu amor! Pedro Laurenz (Pedro Blanco) Letra: Manuel Andrés Meaños
Juan Carlos Casas ne chante que le refrain (en gras).
Traduction libre
Entre cortes y quebradas (figures de tango archaïques), J’ai doucement grommelé dans ton oreille Tout mon verbe fleuri Que t’a dit mon amour. Tu as montré avec ton sourire Toute ta coquetterie (séduction) et moi, ma virilité vaincue… Moi qui avais toujours su vaincre. Pour obtenir ton affection Je veux risquer ma vie à la carte qui m’a plu… Ce n’est pas la première partie dans lequel j’ai joué mon repos… Et si à la fin je bois et gagne, —taura (Caïd), je suis dans la posture — il y a un couteau, main vive (courageuse, prompte à tirer le couteau), Courage et bravoure pour me faire valoir. Ce que je veux, je l’ai Et cela par taura et par beau (parce que je suis un caïd et beau)… Il suffit que, dans un bras il y ait le chiffon (étoffe pour protéger. Les gauchos utilisaient leur poncho enroulé sur le bras comme protection) et dans l’autre, le couteau… Si mes exploits ne suffisent pas Je mets mon courage à l’épreuve. Personne n’a l’avantage sur moi Quand est en jeu ton amour !
Autres versions
De puro guapo 1935-07-24 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida.
On est tellement habitués à entendre la version de Laurenz et Casas, que cette version pesante de Canaro semble d’une antiquité insupportable. De fait, il semble peu intéressant de substituer cet enregistrement à notre tango du jour. Bien sûr, les amateurs de canyengue seront sans doute d’un avis contraire et c’est bien. J’aime la diversité des opinions.
De puro guapo 1935-11-26 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar.
Enregistré seulement quatre mois plus tard, la version de Lomuto se dégage un peu plus de la gangue de la vieille garde que la version de Canaro. Quelques libertés des instruments allègent également cet enregistrement. La sonorité est plus proche de celle que produira trois ans plus tard Laurenz.
De puro guapo 1940-01-25 — Orquesta Pedro Laurenz con Juan Carlos Casas. C’est notre tango du jour.
Les enregistrements suivants seront instrumentaux et chercheront à proposer de nouvelles directions dans l’interprétation de l’œuvre. Je vous invite à juger de la diversité.
De puro guapo 1966 — Leopoldo Federico y Roberto Grela.
Grela que nous avons entendu tant de fois en duo avec Troilo est ici avec Leopoldo Federico. Le bandonéon de ce dernier et la guitare de Grela nous livrent un titre très intéressant à écouter, foisonnant de créativité.
De puro guapo 1967-11-29 — Orquesta Aníbal Troilo.
La version de Troilo est assez majestueuse. Elle n’est clairement pas destinée à la danse, même si je connais certains qui me contrediront.
De puro guapo 1968 — Pedro Laurenz con su Quinteto.
Près de 30 ans plus tard, Laurenz remet son titre en jeu. Cette version un peu sautillante ne me convainc pas, mais pas du tout. On a l’impression que les musiciens s’endorment, malgré la présence de la guitare électrique… Le quintette était formé de Pedro Laurenz (bandonéon), Eduardo Walczak (violon), Rubén Ruiz (guitare électrique), José Colángelo (piano) et Luis Pereyra qui a remplacé le bandonéon par la contrebasse.
De puro guapo 1969-09-18 — Orquesta Juan D’Arienzo.
On réveille tout le monde avec cette version de D’Arienzo. Si on reconnaît des éléments de D’Arienzo, cet enregistrement tardif manque sans doute de la puissance que peuvent manifester d’autres titres de la même époque. Les efforts de D’Arienzo pour produire un son plus « moderne » dénaturent son style et là encore, je ne défendrai pas ce titre pour constituer une tanda, même si cela reste dansable.
Après les recherches de Troilo, cette version marque une autre étape dans la recherche d’une harmonie particulière. Autant les mêmes efforts chez D’Arienzo tombaient à plat, autant le résultat de Pugliese apporte un suspens musical qui rend l’œuvre passionnante à écouter. Là encore, ce n’est pas un titre à danser, mais à écouter avec une attention soutenue pour profiter de tous ces instants subtils.
De puro guapo 1996 — Quinteto Real.
Puisqu’on a décidé de s’éloigner, au fil du temps du tango de danse, cette version du Quinteto Real s’essaye à une synthèse entre les recherches de Pugliese et l’orchestration de Laurenz. Le résultat, au regard des deux modèles opposés a du mal à convaincre, ou pour le moins à me convaincre.
La Furca essaye de maintenir la dragée haute. Il est curieux de voir que cette œuvre qui a suscité la merveilleuse version de Laurenz Casas a eu peu de descendance à la hauteur. Je vous propose de terminer ce tour du tango « De Puro Guapo » avec une petite surprise.
Un Puro guapo peut en cacher un autre
Il arrive souvent qu’on demande au DJ un morceau spécifique. C’est généralement le cas pour les démonstrations de danseurs, mais aussi pour les danseurs usuels de la milonga. Souvent (lire, tout le temps), ils sont décomposés quand je leur dis, mais quelle version ? Suit une petite écoute au casque, jusqu’à ce qu’ils trouvent la version souhaitée. À ce sujet, j’ai eu, en quelques occasions, des danseurs qui m’ont chanté le titre qu’ils voulaient pour leur démo. Là encore, trouver le titre est généralement assez facile, mais quand il y a trente versions, il faut faire preuve de perspicacité. Parfois, la difficulté vient de ce qu’un orchestre a enregistré deux tangos du même titre, mais différents. C’est par exemple le cas avec De puro guapo qui existe aussi dans une version écrite par Rafael Iriarte (Rafael Yorio) avec des paroles de Juan Carlos Fernández Díaz. Ce tango a été enregistré par plusieurs orchestres qui ont aussi enregistré la version de Laurenz, par exemple, Francisco Canaro. Mais on se rendra bien vite compte que ce n’est pas le même. Imaginez le désarroi du couple de danseurs en démonstration si le DJ met le mauvais tango. Le DJ doit savoir poser les bonnes questions et faire écouter le titre aux danseurs , si possible, et les danseurs devraient s’assurer de la version qu’ils souhaitent utiliser en donnant l’orchestre, l’éventuel chanteur et la date d’enregistrement afin d’éviter tout risque et ambiguïté. Enfin, presque tous les risques, car nous avons vu qu’un orchestre comme celui de Canaro pouvait enregistrer le même jour avec le même chanteur, le même titre, un en version de danse et un en version d’écoute…
La couverture de la version de Iriarte et Meaños. Je vous passe les paroles du tango, comme on peut s’en douter en voyant cette illustration, l’histoire est tragique, plus que celle de Laurenz à laquelle elle peut tout de même répondre…
De puro guapo 1927-11-16 — Orquesta Francisco Canaro.
On retrouve le canyengue cher à Canaro. Cette version instrumentale nous dispense de la noirceur des paroles. On remarque que le titre n’a rien à voir avec celui écrit par Laurenz.
Gardel avec ses guitaristes nous présente cette chanson tragique.
De puro guapo V2 1928-02-02 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Ernesto Famá.
Deux semaines après Gardel, Fresedo enregistre le titre dans une version destinée à la danse. Tout au moins la danse de l’époque…
De puro guapo 1972-12-13 — Roberto Goyeneche con Atilio Stampone y su Orquesta Típica.
Goyeneche nous donne une très belle interprétation de ce titre. Bien sûr, une chanson, bien jolie à écouter et chargée d’émotion.
Comme la version de Laurenz, la version de Iriarte a donné lieu à des interprétations très variées, mais elle n’aura sans doute pas les honneurs du bal, comme la version que Laurenz a enregistrés avec Casas et qui nous ravit à chaque fois.
Bon, laissons les puros guapos à leurs vantardises et méfaits et je vous dis, à bientôt, les amis !
“No te cases” (ne te marie pas), c’est le conseil donné par ce tango composé par Donato avec des paroles de Carlos Pesce. Ceux qui nous connaissent savent que nous n’allons pas suivre cette directive. Cependant, les complexités de l’administration argentine font que nous avons failli baisser les bras aujourd’hui même, juste avant de recevoir enfin l’information que notre mariage était confirmé après deux mois de bagarre et deux reports de date.
Extrait musical
Disque Victor 38092. No te cases est sur la face A.
No te cases 1937-01-23 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos.
Le motif sympathique des bandonéons ouvre ce titre. Il sonne comme une comptine enfantine. Se succèdent ensuite des successions de passages ordonnés et d’autres plus troublés, comme s’il y avait un débat contradictoire pesant le pour et le contre. À 59 secondes commence la chanson. Lagos chante le refrain avec quelques répliques parlées par un intervenant non identifié qui joue le rôle du futur marié. Est-ce Donato ? Ce n’est pas impossible. Canaro effectue souvent, ce type d’interventions.
Paroles
¡No te cases! ¿A qué valor ? Seguí nomás así, que sos un gran señor. ¡No te cases! ¿Que vas hacer? ¡que peligrá! Ya vas a entrar ¡Mírame a mí que bien! ¡Quien lo dirá! Gordo y feliz como un sultán Pobre de vos ¿Casarme yo? ¡Ja Ja! Si estoy muy bien así E sí… Sin complicarme con la existencia Si es un placer llegar a fin de mes. Edgardo Donato Letra: Carlos Pesce
Ne te marie pas ! À quelle valeur ? Continue comme ça, tu es un grand seigneur. Ne te marie pas ! Que vas-tu faire ? Quel danger ! Tu vas comprendre. Regarde-moi, comme c’est bon ! Qui le dira ! Gros et heureux comme un sultan, Pauvre de toi Me marier, moi ? Ha ha ! Si je suis très bien ainsi. Et si… Sans me compliquer l’existence Si c’est un plaisir de joindre les deux bouts. (arriver à la fin du mois) Le futur marié qui intervient en réponse, pense que son copain va finalement se marier, même s’il donne le conseil contraire.
Autres versions
Il n’y a pas d’autre enregistrement de ce titre, mais…
Liborio no te cases 1931-04-10 — Orquesta Francisco Canaro con Charlo.
Un foxtrot adressé à un certain Liborio qui lui donne les mêmes conseils. Rappelons, pour la xxxxx fois, que Canaro avait aussi un orchestre de jazz et que les bals de l’époque étaient mixtes, tango et jazz. Le Liborio en question pourrait être Argentino Liborio Galván (18 ans au moment de cet enregistrement, ou le compositeur moins connu, Augusto Liborio Fistolera Mallié (32 ans au moment de cet enregistrement). Il peut s’agir également d’un tout autre Liberio, amis ou pas des auteurs, Eduardo Armani et René Cóspito (musique), Alfredo Enrique Bertonasco et Domingo L. Martignone (paroles). Le L. de Martignone est pour “Luis”, pas Liborio…
No te cases 1937-01-23 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos. C’est notre tango du jour.Ya lo sabés… (No te casés) 1941-07-01 — Orquesta Francisco Canaro con Francisco Amor y coro.
Encore Canaro, qui ne voulait pas vraiment se marier avec Ada Falcón, ou plutôt, qui craignait de divorcer de la Française, sa terrible épouse… On peut donc imaginer qu’il se lance le conseil, avec un peu de retard à travers cette jolie valse composée par son frère Rafael Canaro et Oscar Sabino avec des paroles d’Aristeo Salgueiro.
17 février 2025
Ce n’est pas un événement dans l’histoire du tango, mais, ce jour, Victoria et moi nous marierons à Buenos Aires (Boedo). Si ça vous dit de nous faire un coucou, au Sede Comunal 5 ou en visio… Ce bâtiment est le premier de ce type à Buenos Aires. Il marque une volonté de redonner une empreinte verte à la ville.
Le Sede comunal 5 (boedo) avec son mur végétalisé. À droite, la structure des anciens entrepôts Tata a été conservée et utilisée pour fournir de l’ombre dans le parc.La terrasse végétalisée et le système de collecte de l’eau pour l’arrosage du parc adjacent.L’entrée du Sede comunal 5 et le parc.
Notre lieu de mariage est un petit coin de verdure dans la grande ville, à deux pas de notre maison (deux pas ou plutôt 200 mètres). Et pour les curieux d’histoire, ce lieu charmant est le fruit de la lutte des habitants pour obtenir un espace vert à la place des anciens entrepôts de la compagnie Tata.
Les anciens locaux de Tata (années 1980). C’est vraiment plus sympa maintenant.Les habitants manifestant pour obtenir la place et faire obstacle aux projets industriels pour ce lieu. Ici, ils sont avenue Boedo, à l’angle de Independencia.
Nous ne suivrons donc pas les conseils de nos précieux aînés…
À bientôt les amis !
Lors de notre dernier passage en France pour le festival Niort Tango (10/2024). Ici, à La Rochelle.
La Shunca est la cadette d’une famille. C’est également une parole affectueuse pour la fiancée. Cette valse enjouée, avec des paroles de Ernesto Cortázar, laisse planer un petit sous-entendu. Entrons dans la valse et laissons-nous bercer par les vagues de la musique qui vont nous mener assez loin des rives de l’Argentine.
Qui est la Shunca ?
Comme nous l’avons vu, la Shunca est la cadette de la famille. Ce terme est d’origine zapotèque, c’est-à-dire d’un peuple d’Amérique centrale et plus précisément du Mexique (région de Mexico), bien loin de l’Argentine. Cela pourrait paraître étonnant, mais vous vous souviendrez que nous avons souvent mis en valeur les liens entre le Mexique et l’Argentine dans d’autres anecdotes et que les musiciens voyageaient beaucoup, pour enregistrer dans des pays mieux équipés, ou pour assoir leur carrière. Les deux auteurs, Lorenzo Barcelata et Ernesto Cortázar, sont mexicains. Par ailleurs, on connaît l’engouement des Mexicains pour la valse jouée par les mariachis et que même Luis Mariano chanta avec son titre, « La valse mexicaine ». Vous avez donc l’origine de l’arrivée de la Shunca dans le répertoire du tango argentin. Nous avons d’autres exemples, comme la Zandunga. Nous verrons que ce n’est pas un hasard…
Extrait musical
La Shunca 1941-01-21 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos, Lita Morales y Romeo Gavio.
La valse est instaurée dès le début avec un rythme soutenu, alternant des passages légatos et staccatos. À 42s arrivent l’air principal. À 1:05 Romeo Gavioli commence à chanter. À 1 :41, c’est le tour de Lita Morales, puis Horacio Lagos se lance à son tour pour former un trio avec les deux autres chanteurs. Comme souvent, la fin tonique est constituée de doubles-croches qui donnent une impression de vitesse, même si le rythme est le même qu’au début.
Des duos et trios à gogo
Donato a aimé utiliser des duos et trios de chanteurs, sans doute plus que d’autres orchestres. J’ai indiqué duo+ et trio+ quand il y avait deux ou trois chanteurs identifiés et un chœur. Le (+) est car il y a plus que le duo ou le trio. Trios Horacio Lagos, Lita Morales, Romeo Gavioli : Estrellita mía, La Shunca, Luna, Volverás….pero cuándo (valses) Sinfonía de arrabal (tango). Trios+ Horacio Lagos, Lita Morales avec chœur : Mañana será la mía (valse). No se haga mala sangre (polka). Trio+ Félix Gutiérrez, Luis Díaz avec chœur : La Novena (tango) Duos Horacio Lagos, Lita Morales : Carnaval de mi barrio, Chapaleando barro, Sinsabor, Sombra gaucha (tangos) Duos Romeo Gavioli, Lita Morales : Mi serenata, Yo te amo (tangos). Duos Gavioli, Horacio Lagos : Amando en silencio, Lonjazos (tangos) Noches correntinas (valse) Repique del corazón, Sentir del corazón (milongas). Duos Antonio Maida, Randona (Armando Julio Piovani) : Amores viejos, Quien más… quien menos…, Riachuelo, Ruego, Una luz en tus ojos (tangos). Duos Horacio Lagos, Randona (Armando Julio Piovani) : Si tú supieras, Te gané de mano (tangos). Cara negra, Sacale punta (milongas) Duos Hugo del Carril et Randona (Armando Julio Piovani) : Rosa, poneme una ventosa (tango) Mi morena (paso doble) Duo Daniel Adamo et Jorge Denis : El lecherito (milonga) Duo avec Teófilo Ibáñez : Madre Patria (paso doble) Duo Roberto Morel y Raúl Ángeló : T.B.C. (tango) Duo+ Antonio Maida avec chœur : Sandía calada (ranchera) Duo+ Carlos Viván avec chœur : Mamá (tango) Duos+ Félix Gutiérrez avec chœur : La novena, Que Haces! Que Haces! (tango) Duos+ Horacio Lagos avec chœur : Hacete cartel, Hay que acomodarse (tangos) Virgencita (valse) Pierrot apasionado (marche brésilienne) Duo+ Juan Alessio avec chœur : Hola!… Qué tal?… (tango) Duo+ Lita Morales avec chœur : Triqui-trá (tango) Duos Luis Díaz avec chœur : Chau chau, Severino, El once glorioso, Felicitame hermano (tangos) Candombiando (maxixe) Ma qui fu (tarentelle) Ño Agenor (ranchera)
C’est un beau record.
Paroles
La luna se ve de noche, El sol al amanecer, Hay quienes por ver la luna Otra cosita no quieren ver.
Me dicen que soy bonita, Quién sabe porque será, Si alguno tiene la culpa Que le pregunten a mi papá.
Shunca para acá, Shunca para allá, ¡Ay!, las olas que vienen y van, Shunca para acá, Shunca para allá, ¡Ay!, cariño me vas a matar. Lorenzo Barcelata Letra: Ernesto Cortázar
Traduction libre et indications
La lune se voit la nuit, Le soleil à l’aube, Il y a certains qui voient la lune Une autre petite chose, ils ne veulent pas la voir.
Ils me disent que je suis jolie Qui sait pourquoi c’est le cas, Si quelqu’un en a la faute Demandez-le à mon papa. (J’imagine que le père n’est pas si beau et qu’il faut chercher ailleurs les gènes de beauté de la Shunca)
Shunca par ci, Shunca par-là, Oh, les vagues qui vont et viennent, Shunca par ici, Shunca par-là, Oh, chéri, tu vas me tuer.
Autres versions
Il n’y a pas d’autre enregistrement argentin de ce titre, je vous propose donc de compléter avec des versions mexicaines…
La Shunca 1941-01-21 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos, Lita Morales y Romeo Gavio. C’est notre valse du jour.La Shunca 1938 – Las Hermanas Padilla con Los Costeños.
Disque Vocalion 9101 de La Shunca par Las Hermanas Padilla avec Los Costeños. On notera la mention “Canción Tehuana” et le nom de Lorenzo Barcelata.
La Shunca 1998 — Marimba Hermanos Moreno García. C’est une version récente, mexicaine.
En 1937, le réalisateur Fernando de Fuentes réalisa un film de ce titre avec Lupe Vélez dans le rôle principal. Elle y chante La Shunca. La Zandunga a été arrangée par divers auteurs comme Lorenzo Barcelata et Max Urban (pour le film), Andres Gutierrez, A. Del Valle, Guillermo Posadas ou Máximo Ramó Ortiz. La Shunca attribuée à Lorenzo Barcelata et les autres titres sont indiqués au générique du film comme « inspirés » d’airs de la région.
La zandunga 1939-03-30 — Orquesta Francisco Canaro con Francisco Amor.
Dans ces extraits du film La Zandunga, vous pourrez entendre premièrement, La Shunca, puis voir danser la Zandunga. J’ai ajouté le générique du début où vous pourrez de nouveau entendre la Zandunga.
3 extraits de la Zandunga 1937 du réalisateur Fernando de Fuentes avec Lupe Vélez dans le rôle principal. Elle y chante la Shunca.
Je pense que vous avez découvert le chemin emprunté par ce titre. Lorenzo Barcelata a arrangé des airs de son pays pour un film et avec la diffusion du film et des disques, l’air est arrivé en Argentine où Donato a décidé de l’enregistrer. Voici donc, un autre exemple de pont, ici entre le Mexique et l’Argentine.
Impossible que vous ne connaissiez pas Barrio de tango immortalisé par Aníbal Troilo et Francisco Fiorentino. Cependant, vous connaissez peut-être moins cette très intéressante version par Miguel Caló et Jorge Ortiz. D’ailleurs, il y a quelques ponts curieux entre ces deux directeurs d’orchestre.
Extrait musical
Barrio de tango 1943-01-19 — Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz.
Paroles
Un pedazo de barrio, allá en Pompeya, durmiéndose al costado del terraplén. Un farol balanceando en la barrera y el misterio de adiós que siembra el tren. Un ladrido de perros a la luna. El amor escondido en un portón. Y los sapos redoblando en la laguna y a lo lejos la voz del bandoneón.
Barrio de tango, luna y misterio, calles lejanas, ¡cómo estarán! Viejos amigos que hoy ni recuerdo, ¡qué se habrán hecho, dónde estarán! Barrio de tango, qué fue de aquella, Juana, la rubia, que tanto amé. ¡Sabrá que sufro, pensando en ella, desde la tarde que la dejé! Barrio de tango, luna y misterio, ¡desde el recuerdo te vuelvo a ver!
Un coro de silbidos allá en la esquina. El codillo llenando el almacén. Y el dramón de la pálida vecina que ya nunca salió a mirar el tren. Así evoco tus noches, barrio ‘e tango, con las chatas entrando al corralón y la luna chapaleando sobre el fango y a lo lejos la voz del bandoneón. Aníbal Troilo Letra: Homero Manzi
Un morceau de quartier, là-bas à Pompeya (quartier au sud de Buenos Aires), dormant sur le côté du talus (sans doute le terre-plein du chemin de fer qui coupe le quartier, voir plan en fin d’article). Une lanterne qui se balance sur la barrière et le mystère d’un adieu que le train sème. Un aboiement de chiens à la lune. L’amour caché dans une porte cochère. Et les crapauds redoublant dans le lac et au loin la voix du bandonéon. Quartier du tango, lune et mystère, rues lointaines, comment seront-elles ! De vieux amis dont je ne me souviens même pas aujourd’hui, qu’ont-ils fait, où sont-ils ! Quartier de Tango, qu’est-il arrivé à celle-là, Juana, la blonde, que j’ai tant aimée. Elle saura que je souffre, en pensant à elle, depuis l’après-midi où je l’ai quittée ! Quartier de tango, lune et mystère, depuis le souvenir, je te revois ! Un chœur de sifflements là-bas au coin de la rue. Le codillo (articulation, coude, voire jeu de cartes) remplissant l’entrepôt (ou le magasin). Cette phrase est donc incertaine, au moins pour moi… Et le drame de la pâle voisine qui n’est plus jamais sortie pour regarder le train. C’est ainsi que j’évoque tes nuits, barrio de tango, avec les charrettes entrant dans le dépôt et la lune éclaboussant au-dessus de la boue et au loin la voix du bandonéon.
Autres versions
Barrio de tango 1942-12-14 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.
Francesco Fiorentino et Aníbal Troilo
Barrio de tango 1942-12-30 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas.
Ángel D’Agostino et Ángel Vargas
Barrio de tango 1943-01-19 — Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz. C’est notre tango du jour.
Jorge Ortiz et Miguel Caló
Barrio de tango 1964-02-03 — Orquesta Aníbal Troilo con Nelly Vázquez.
Nelly Vázquez et Aníbal Troilo
Barrio de tango 1971 — Cuarteto Aníbal Troilo con Roberto Goyeneche.
Une capture à la radio, la qualité n’est pas au top, mais l’interprétation est intéressante.
Barrio de tango 1971-05-06 — Orquesta Aníbal Troilo con Roberto Goyeneche.
Les mêmes, enfin, pas tout à fait, car au lieu du cuarteto, c’est ici, l’orchestre de Troilo qui accompagne Goyeneche.
Aníbal Troilo con Roberto Goyeneche. Te acordás… Polaco ? Disque et photo
Pompeya, barrio de tango
Ou plutôt “Nueva Pompeya”, l’ancienne ayant eu des petits problèmes avec le Vésuve est un quartier du sud de Buenos Aires bordant le Riachuelo.
En jaune, Nueva Pompeya. On remarque la belle courbe et sa contrecourbe verte qui correspond au talus du chemin de fer, talus évoqué dans les paroles.Pompeya, lors des inondations de 1912 et aujourd’hui. On remarque la voie ferrée sur son talus. Des entrepôts et usines au premier plan et au nord-est de la voie ferrée, quelques habitations.Les touristes qui restent à Recoletta ou Palermo ne voient pas forcément la misère qui est toujours présente en Argentine. Sur la photo de gauche, la limite Barracas et Nueva Pompeya. On remarquera la présence de rails, ceux qui étaient utilisés pour le train des ordures. À droite, une habitation constituée de latas (bidons d’huile ou de pétrole lampant), ancêtre des logements actuels qui sont également créés à partir de matériaux de récupération comme on peut le voir sur la photo de gauche.
Je termine notre parcours dans un barrio de tango. Un parcours rapide et qui ne sera jamais dans les programmes des guides touristiques. C’est pourtant là un des berceaux du tango. Je vous invite à consulter mon anecdote sur le Barrio de las latas pour en savoir plus.
Un des ponts entre Aníbal Troilo et Miguel Caló
Aujourd’hui, je vais juste vous parler d’un petit pont, celui qui lie certains enregistrements de Troilo avec ceux de Caló. Je m’amuse parfois à « tromper » les danseurs en leur proposant une fausse tanda de Caló qui est en fait 100 % Troilo. Je commence par un titre très proche de Caló et je dévie, ensuite, plus ou moins vers du pur Troilo. C’est un des avantages des tandas de quatre de pouvoir faire des transitions plus subtiles. Voici quelques titres enregistrés par Troilo qui peuvent, pour des oreilles peu averties, paraître proches de Caló. J’imagine que mes lecteurs qui sont des spécialistes ne vont pas adhérer à ces similitudes, mais je vous assure que l’illusion fonctionne assez bien comme j’ai pu le constater des dizaines de fois, notamment l’année du centenaire de Troilo où je passais beaucoup notre gordo favorito. Corazón no le hagas caso Lejos de Buenos Aires Tristezas de la calle Corrientes Percal Después Margarita Gauthier Cada día te extraño mas Fruta amarga De barro Gime el viento La noche que te fuiste Orquestas de mi ciudad Il y a également des similitudes dans le choix des musiques, mais la plupart sont interprétées avec un style propre qui ne prête pas à confusion. Il y a aussi quelques Caló tardifs qui pourraient passer pour des Troilo de la décennie précédente. On en reparlera…
La superbe valse Corazón de artista, écrite par Pascual de Gullo va nous permettre de découvrir un peu l’univers de Malerba, mais aussi de faire un peu de technique de DJ, sur la construction des tandas et sur d’autres aspects, comme la balance.
Extrait musical
Corazón de artista 1943-01-18 — Orquesta Ricardo Malerba.
Les bandonéons incisifs lancent le titre. Le piano assure les transitions, puis les violons se joignent pour lancer leurs phrases en legato. Le piano a ensuite de beaux passages et, le reste du temps, il assure le Poum-Tchi-Tchi de la valse (marquage des trois temps en accentuant le premier). Cette description pourrait tout à fait s’appliquer à l’orchestre de D’Arienzo. Nous sommes assez loin du Malerba, qui peut parfois être un peu mièvre. C’est donc une très belle version que l’on entend rarement. Je vous dirai pourquoi en fin d’article.
Cette version est assez différente des deux autres versions que je vous présente dans cette anecdote. Elle est beaucoup plus coulée, lisse. Elle tourne bien et ne fera pas rougir le DJ qui la passera en milonga.
Que D’Arienzo nous offre une version dynamique n’étonnera personne. Les violons et bandonéons à l’unisson cisaillent la musique, puis les violons lissent le tout dans de longues phrases suaves. Le piano de Biagi réalise les enchaînements avec une confiance qui commence à se voir. L’accélération finale, une fois de plus, réalisée par la subdivision des temps en doubles-croches, permet de terminer dans une valse enthousiaste, sans avoir à modifier le tempo.
Corazón de artista 1943-01-18 — Orquesta Ricardo Malerba. C’est notre valse du jour.
Pourquoi entend-on peu cette valse par Malerba en milonga ?
Est-ce à cause de l’auteur ?
De Gullo est l’auteur principalement de valses. Certaines sont très connues, comme Lágrimas y sonrisas, et notre valse du jour.
Quelques couvertures de partitions de valses de Pascual De Gullo.
Je vous propose ici de vous présenter des versions plus rares.
Amorosa 1930-09-17 — Orquesta Juan Guido.
Cet admirable orchestre est curieusement négligé. On peut le comprendre pour les tangos qui sont de la vieille garde, mais moins pour les valses. Celle-ci n’est pas le meilleur exemple, mais Guido a enregistré des perles que je propose parfois en milonga. J’ai même failli le faire à Buenos Aires, cette semaine, j’étais en train de préparer la tanda et j’ai changé d’avis au dernier moment au vu de l’ambiance de la piste.
Lágrimas y sonrisas 1934-10-20 — Orquesta Adolfo Pocholo Pérez.
Dommage qu’elle ne puisse pas aller dans la même tanda que Corazón de artista 1935 du même Pocholo. Il faut dire que Corazón de artista est plutôt plus tonique que la vingtaine de valses enregistrées par Pocholo.
Je pense donc, qu’on ne peut pas reporter la faute sur l’auteur qui nous a proposé de belles valses, même si, en dehors de ses deux gros succè, elles ont été assez peu enregistrées. Peut-être qu’un orchestre contemporain serait bien inspiré de fouiller dans ce répertoire au lieu de ressortir toujours les dix mêmes titres.
Est-ce à cause de Malerba ?
Pour pouvoir créer une tanda cohérente, il faut trois ou quatre titres. Pour les valses, on limite assez souvent le nombre à trois titres. Donc, il nous faut trouver deux ou trois valses de Malerba qui puissent aller avec notre valse du jour. Comme il a enregistré en tout 4 valses, voyons si cela peut faire une tanda.
Aristocracia 1956-06-01 — Orquesta Ricardo Malerba con Alberto Sánchez.Quejas de Montmartre 1956-03-16 — Orquesta Ricardo Malerba con Alberto Sánchez.
Cette valse magnifique a été composée par Georges van Parys avec des paroles de Jean Renoir qui a utilisé ce titre pour son film French Cancan de 1954. Le titre original de la valse est « La Complainte de la Butte ». On le connait par de nombreux chanteurs, dont bien sûr, Cora Vaucaire, qui l’a lancé, puis toujours en 1955, par André Claveau, Patachou et Marcel Mouloudji.
La complainte de la butte dans le film French Cancan de Jean Renoir (1954). Musique de Georges Van Parys et paroles de Jean-Renoir. En deuxième partie, la doublure-voix de Anna Amendola, Cora Vaucaire (La Dame blanche) sur scène en 1956.
Ce sont donc deux valses intéressantes, mais qui ne vont pas ensemble et encore moins avec Corazón de artista. Pas de piste de tanda de ce côté. Continuons de chercher…
La dernière valse en stock a été enregistrée avec le chanteur vedette de Malerba, Orlando Medina. Est-ce enfin une piste intéressante ? Écoutons.
Cuando florezcan las rosas 1943-06-10 — Orquesta Ricardo Malerba con Orlando Medina (Ricardo Malerba — Dante Smurra Julio Jorge Nelson).
Je pense que nous sommes d’accord, encore une fois, cette valse est à part, et absolument pas compatible avec notre valse du jour.
En résumé, il est impossible de faire une tanda à partir de la valse Corazón de artista dans la version de Malerba.
Conseil aux orchestres contemporains et aux organisateurs
Je ne sais pas bien pourquoi, mais très peu d’orchestres contemporains enregistrent un nombre suffisant de valses ou de milongas pour pouvoir faire des tandas et quand ils le font, ce n’est pas toujours génial à rassembler dans une tanda. Bien souvent, si un DJ faisait la même programmation que certains orchestres, il se recevrait des tomates. Le problème est que les orchestres sont souvent composés de pièces rapportées et qu’ils répètent peu ensemble. Il n’est qu’à voir sur les festivals comment se passe la balance. Cette opération est censée permettre à l’ingénieur du son d’équilibrer les instruments et les retours des musiciens. Pour bien faire les choses, on adapte à chaque instrument le ou les microphones convenables (généralement indiqués dans la fiche technique de l’orchestre). Une fois raccordés à la console de mixage, on prépare la place des différents instruments. Il ne suffit pas de régler leurs volumes respectifs, il faut également « sculpter » leur bande de fréquence afin que le mixage soit harmonieux. Sinon, on fait une course à la puissance, sur les mêmes fréquences et la musique est totalement déséquilibrée. Quand un chanteur intervient, par exemple, un ténor, il faut que sa bande de fréquence (130 à 550 Hz) soit dégagée. Si le compositeur a bien géré les choses, il évitera de mettre un second instrument dans cette gamme de fréquences au même moment. Mais, ce n’est pas toujours le cas et vous avez certainement en tête des enregistrements où l’ingénieur du son a baissé exagérément le volume pour dégager la voix, mais cela est fait en enlevant la base musicale dont se servent les danseurs. Dans les prestations en direct, les musiciens vont demander au sonorisateur d’augmenter leur volume, car ils ne s’entendent pas alors que cela vient souvent d’un mauvais réglage des fréquences et d’un mauvais équilibre des retours. Dans un orchestre sans amplification, les musiciens ont leur place si le compositeur et/ou l’arrangeur ont bien effectué leur travail. Le chef gère juste le volume des instruments pour faire ressortir une voix plus que les autres, ou pas. Vous êtes très familiers de ce phénomène et c’est facile à constater en écoutant le même titre par différents orchestres. Même s’ils utilisent les mêmes arrangements, dans certaines versions, un instrument est au premier plan et pour un autre orchestre, c’est un autre instrument qui est mis en valeur. Un mauvais réglage des retours ou de la balance fait que de nombreuses prestations sont désastreuses pour le public. Les instrumentistes ne s’entendant pas bien, jouent plus fort, voire pousse la voix pour les chanteurs, les cordes frottées jouent faux, ce qui est parfois recherché, mais pas toujours. Bon, j’ai un peu dérapé de mon sujet. Comme DJ, il est fréquent de n’avoir que 30 secondes pour faire la balance, alors que ce serait utile de pouvoir étudier correctement la salle auparavant et d’équilibrer l’égalisation en conséquence. Combien de fois, la balance de l’orchestre prend trois heures en devenant de fait une répétition et qu’au final, le véritable travail de balance n’a pas été correctement effectué. Parfois, la balance continue alors que le public est déjà dans la salle, car ils ont passé l’heure. A minima, ce serait sympa de la part des organisateurs de faire respecter les horaires. Comme DJ, j’ai besoin de 5 minutes et, quand il y a un orchestre, c’est presque impossible de les avoir. Parois, il n’est même pas possible de tester mes tranches sur la console, car l’ingénieur du son est pris par l’orchestre. Il n’est pas non plus possible de balancer du bruit rose au volume correct quand il y a déjà le public dans la salle. Contrairement à ce que certains pensent, le travail de DJ est assez complexe, car il faut équilibrer des musiques de sources variées. Pouvoir faire une balance de qualité, c’est l’assurance que les danseurs auront un bon son sur la piste. C’est d’autant plus important quand le DJ est loin de la piste ou n’a pas de retour. S’il sort un son correct à son emplacement, cela risque de ne pas être bon pour la piste. Un retour bien réglé permet de limiter ce problème, à condition qu’il soit bien réglé et, pour bien le régler, il faut avoir les 5 minutes de préparation…
Faut-il renoncer à utiliser cette valse ?
Ma réponse est non, bien sûr. Pour cela, nous avons une tolérance qui consiste à pouvoir composer une tanda mixte, c’est-à-dire à partir de plusieurs orchestres. C’est assez rare avec les tangos, mais, beaucoup plus courant pour les milongas et les valses. Pour les milongas, cela reste assez compliqué, car il y a différents styles et que, même avec le même orchestre et la même année, on peut avoir des milongas qui ne vont pas bien ensemble. Cela demande donc un peu de réflexion au DJ. Pour les valses, c’est en revanche beaucoup plus facile. Il suffit d’associer des titres au rythme comparable, de même caractère et à la sonorité proche. Nous avons vu que la valse de Malerba avait des accents qui rappelaient D’Arienzo. Il semble donc évident que chercher à compléter une tanda de valse de D’Arienzo avec ce titre peut être une excellente idée. En tout cas, c’est la direction que j’emprunte. Il y a bien sûr d’autres possibilités. Vous pouvez donner votre avis dans les commentaires.
Julio De Caro; Pedro Laurenz Letra: Juan Miguel Velich
Je suis sûr que vous avez déjà été interpellés par ce titre qui commence par des rires, voire par des sifflements. La version du jour est réalisée par un des deux auteurs, le bandonéoniste Pedro Laurenz, qui à l’époque de la composition, était dans l’orchestre de l’autre compositeur, Julio de Caro. Nous verrons que, dès 1927, cette œuvre est d’une extraordinaire modernité. Mala junta peut se traduire par mauvaise rencontre. Vous serez peut-être étonné de voir qu’elle est la mauvaise rencontre évoquée par Magaldi…
Extrait musical
Partitions de Mala junta. Elles sont dédicacées “Al distinguido y apreciado Señor Don Luis Gondra y familia”. Première des 26 pages de la partition complète et début de la partie finale avec la mise en valeur du bandonéon. Partition réalisée par Lucas Alcides Caceres.Mala junta 1947-01-16 — Orquesta Pedro Laurenz.
Les versions de Pugliese sont bien plus connues, mais vous reconnaîtrez tout de suite le titre malgré l’absence des éclats de rire du début, ou plus exactement, c’est l’orchestre qui reproduit le thème de l’éclat de rire, instrumentalement. Le rythme est bien marqué, même s’il comporte quelques syncopes en fantaisie. On notera que Laurenz fait également l’impasse sur les sifflements. Dans son enregistrement de 1968, avec son quinteto, il omettra également ces deux éléments. On pourrait donc imaginer que ces rires et sifflements sont des fantaisies de De Caro. C’est d’autant plus probable si on se souvient que, dans El monito, il utilise les sifflements, les rires et même des phrases humoristiques. Si quelques dissonances rappellent les compositions decaréennes (de De Caro), elles ne devraient pas troubler les danseurs moins familiers de ces sonorités. Les phrases sont lancées et se terminent souvent comme jetées, précipitées. Le piano coupe ces accélérations par ses ponctuations. La musique semble se remettre en place et on recommence jusqu’à la dernière partie où le bandonéon de Laurenz s’en donne à cœur joie. Rappelez-vous que, dans la partition, toute cette partie est en doubles-croches, ce qui permet de donner une impression de vitesse, sans modifier le rythme.
Disque Odeón 7644 Face A avec Mala junta interprété par Pedro Laurenz.
Don Luis Gondra
Luis Gondra a deux époques et une caricature dans la Revue Caras y Caretas de 1923, qui rappelle qu’il était également avocat.
La dédicace de ce tango a été effectuée à Luis Gondra (Luis Roque Gondra), un militant, écrivain et politique. Il fait partie des survivants du massacre de Pirovano où 200 hommes venus prêter main-forte à Hipólito Yrigoyen en prenant le train à Bahia Blanca ont été attaqués à balles et baïonnettes par des forces loyales au gouvernement de Manuel Quintana. Il est mort le 10 février 1947, soit moins d’un mois après l’enregistrement de notre tango du jour. Il est l’auteur de différents ouvrages, principalement d’histoire politique, comme des ouvrages sur Belgrano ou des cours d’économie, car il était professeur de cette matière.
Un ouvrage à la gloire de Belgrano, un cours d’économie politique et sociale et un livre sur les idées économiques de Belgrano. Cela donne le profil du dédicataire de ce tango.
Paroles, deux versions
Même si notre tango du jour est instrumental, il y a des paroles, celles enregistrées par Magaldi, qui dénoncent le tango comme la cause de la perdition et celles que l’on trouve habituellement dans les recueils de paroles de tango. Ce qui est curieux est qu’il n’y a pas de version enregistrée des paroles « canoniques ». Je commence donc par la version de Magaldi et donnerait ensuite la version « standard ».
Paroles chantées par Magaldi
Por tu mala junta te perdieron, Nena, Y causaste a tus pobres viejos, pena, Que a pesar de todos los consejos, Un mal día te engrupieron Y el gotán te encadenó…
¡Ay! ¿Dónde estás, Nenita de mirada seductora? Tan plena de poesía, cual diosa del amor… Nunca, jamás veré la Sultanita que en otrora Con sus mimos disipaba mi dolor.
Recitado: Guardo de ti recuerdo sin igual Pues fuiste para mí toda la vida. Mi corazón sufrió la desilusión Del desprecio a su querer que era su ideal.
Y con la herida Que tú me has hecho, Mi fe has desecho Y serás mi perdición.
Todo está sombrío y muy triste, alma, Y nos falta, desde que te has ido, calma, El vivir la dicha ya ha perdido Porque con tu mal viniste A enlutar mi corazón.
¿Por qué, mi amor, seguiste a esa mala consejera que, obrando con falsía, buscó tu perdición? Mientras que aquí está la madrecita que te espera Para darte su amorosa bendición.
Recitado: Dulce deidad, que fue para mi bien Un sueño de placer nunca sentido, Yo no pensé que ése, mi gran querer, Lo perdiera así nomás, siendo mi Edén.
¿Dónde te has ido mi noviecita? Tu madrecita Siempre cree que has de volver. Julio De Caro; Pedro Laurenz Letra: Juan Miguel Velich
Traduction libre des paroles de la version de Magaldi
À cause de ta mauvaise rencontre, ils t’ont perdu, Bébé, Et tu as causé à tes pauvres parents, de la peine, Que malgré tous les conseils, un mauvais jour, ils t‑on trompés (dit des mensonges) et le gotan t’a enchaîné… (Et voilà le grand coupable, le tango…). Hélas! Où es-tu, petite fille au regard séducteur ? Tellement pleine de poésie, comme une déesse de l’amour… Je ne verrai jamais, jamais la sultane qui, une fois, avec ses câlins, a dissipé ma douleur. Récitatif: Je garde un souvenir inégalé de toi parce que tu as été pour moi toute ma vie. Mon cœur a souffert de la déception du mépris pour son amour, qui était son idéal. Et avec la blessure que tu m’as faite, Tu as rejeté ma foi et tu seras ma perte. Tout est lugubre et très triste, âme, et nous manquons, depuis que tu es partie, le calme, la vie du bonheur s’est déjà perdue, car avec ton mal tu es venue endeuiller mon cœur. Pourquoi, mon amour, as-tu suivi ce mauvais conseiller qui, agissant faussement, a cherché ta perte ? Alors qu’ici se trouve la petite mère qui t’attend pour te donner sa bénédiction aimante. Récitatif: Douce divinité, qui était pour mon bien un rêve de plaisir jamais ressenti, Je ne pensais pas que cela, mon grand amour, je le perdrai, étant mon Eden. Où es-tu allée, ma petite fiancée? Ta petite mère pense toujours que tu vas revenir.
Paroles de la version standard
Por tu mala junta te perdiste, nena y nos causa tu extravío, llantos, ¡pena!… De un vivir risueño te han hablado y al final… ¡te has olvidado de tu vieja y de mi amor!… En la fiebre loca de mentidas galas se quemaron tus divinas, ¡níveas alas!… En tu afán de lujos y de orgías recubriste de agonías ¡a mi vida y a tu hogar!…
Fuiste el ángel de mis horas de bohemia, el bien de mi esperanza, tierno sueño encantador; y no puedo sofocar mis neurastenias cuando pienso en la mudanza ¡de tu cruel amor!…
(recitado) ¡Pobre de mí… que a cuestas con mi gran cruz rodando he de marchar por mi oscura senda; ¡sin el calor de aquella fulgente luz que tu mirar dispersó en mi corazón!
(canto) Sueños de gloria que truncos quedaron y herido me dejaron entre brumas de dolor…
Por tu mala junta te perdiste, nena, y nos causa tu extravío llantos, ¡pena!… Por seguir tus necias ambiciones mis doradas ilusiones ¡para siempre las perdí!… Una santa madre delirante clama y con ella mi cariño, ruega, ¡llama!… El perdón te espera con un beso sí nos traes con tu regreso ¡la alegría de vivir!…
Tus recuerdos se amontonan en mi mente, tu imagen me obsesiona, te contemplo en mi ansiedad; y te nombro suspirando tristemente, pero en vano… ¡no reacciona tu alma sin piedad!…
Y como el cisne que muere cantando así se irá esfumando ¡mi doliente juventud!… Julio De Caro; Pedro Laurenz Letra: Juan Miguel Velich
Traduction libre des paroles de la version standard
À cause de ta mauvaise rencontre, tu t’es perdue, bébé et ta perte nous cause, des larmes, du chagrin… On t’a parlé d’une vie souriante et à la fin… tu as oublié ta mère et mon amour… Dans la fièvre folle, des parures mensongères se brûlèrent tes ailes divines et neigeuses… Dans ton avidité de luxe et d’orgies, tu as couvert d’agonies (amertumes, douleurs, chagrins) ma vie et ta maison… Tu étais l’ange de mes heures de bohème, le bien de mon espérance, le rêve tendre et enchanteur ; et je ne puis étouffer ma neurasthénie quand je pense au changement de ton amour cruel… (récitatif) Pauvre de moi… que sur mes épaules, avec ma grande croix, errant, je dois marcher le long de mon obscur sentier ; Sans la chaleur de cette lumière éclatante que ton regard a dispersée dans mon cœur ! (chant) Des rêves de gloire qui resteront tronqués et me laissèrent blessé dans des brouillards de douleur… À cause de ta mauvaise rencontre, tu t’es perdue, bébé et ta perte nous cause, des larmes, du chagrin… Pour suivre tes folles ambitions, mes illusions dorées, pour toujours, je les ai perdues… Une sainte mère en délire crie et, avec elle, mon affection, supplie, appelle… Le pardon t’attend avec un baiser si tu nous ramènes avec ton retour, la joie de vivre… Tes souvenirs s’accumulent dans mon esprit, ton image m’obsède, je te contemple dans mon angoisse ; Et je te nomme en soupirant tristement, mais en vain… ton âme sans pitié ne réagit pas… Et comme le cygne qui meurt en chantant ainsi s’évanouira, ma douloureuse jeunesse…
On voit les différences entre les deux versions des paroles. Il se peut que les deux soient de Juan Miguel Velich, à moins que Magaldi ait adapté les paroles à son goût. C’est un petit mystère, mais cela me semble très marginal dans la mesure où l’intérêt principal de cette composition est dans la musique.
Autres versions
Mala junta 1927-09-13 — Orquesta Julio De Caro.
Cette version permet de retrouver les deux compositeurs avec Julio de Caro au violon (son violon à cornet) et Pedro Laurenz au bandonéon. Ce dernier avait intégré l’orchestre de De Caro en 1924 en remplacement de Luis Petrucelli. On notera, après les rires, le début sifflé. Cette version, la plus ancienne enregistrée en notre possession, a déjà tous les éléments de modernité que l’on attribuera deux ou trois décennies plus tard à Osvaldo Pugliese qui se considérait comme l’humble héritier de De Caro. Voici la composition du sexteto pour cet enregistrement :
Pedro Laurenz et Armando Blasco au bandonéon.
Francisco De Caro au piano.
Julio De Caro et Alfredo Citro au violon.
Enrique Krauss à la contrebasse.
Disque Victor de la version enregistrée par De Caro en 1927.
Mala junta 1928-06-18 — Agustín Magaldi con orquesta.
Comme nous l’avons vu, Magaldi chante des paroles différentes, mais l’histoire est la même. C’est bien sûr un enregistrement destiné à l’écoute, à la limite de la pièce de théâtre.
Mala junta 1928-12 — Orquesta Típica Brodman-Alfaro. Original Columbia L 1349–1 Matrice D 19172.
Le titre commence avec les sifflets, mais sans les rires. Cette version comporte un passage avec une scie musicale. Finalement, ce n’est pas vilain, mais sans doute plus curieux que captivant.
À gauche, le disque officiel édité par la Columbia en 1929 (enregistrement de décembre 1928). À droite, un disque pirate du même enregistrement réalisé dans le courant de 1929.
Quelqu’un a‑t-il réussi à se procurer la matrice D 19172 et à en faire une copie sous le numéro de matrice bidon N300028 ? La moins bonne qualité de la copie pirate peut aussi laisser penser qu’elle a été réalisée à partir d’un disque édité. Bien sûr, il est difficile de juger, car il faudrait plusieurs copies de la version pirate, pour vérifier que cela vient de la fabrication et pas de l’usure du disque.
Même enregistrement, mais ici, la copie pirate d’Omnia (Disque X27251 — Matrice N300028). La qualité est sensiblement plus faible, est-ce le fait de la copie d’un disque original ou tout simplement de l’usure plus importante de ce disque ? Petit rappel. Les disques sont réalisés à partir d’une matrice, elle-même issue de l’enregistrement sur une galette de cire. La cire était directement gravée par la pression acoustique (pour les premiers enregistrements) et par le déplacement d’un burin soumis aux vibrations obtenues par voie électrique (microphone à charbon, par exemple). Cette cire servait à réaliser un contretype, la matrice qui servait ensuite à réaliser les disques par pressage. Sans cette matrice, il faut partir d’un disque déjà pressé, ce qui engendre à la fois la perte de détails qui avaient été déjà atténués à cause de l’impression originale, mais cela peut également ajouter les défauts du disque s’il a été utilisé auparavant. La copie pirate est donc obligatoirement de moins bonne qualité dans ce cas, d’autant plus que le matériau du disque peut également être choisi de moins bonne qualité, ce qui engendrera plus de bruit de fond, mais ce qui permettra de réduire le prix de fabrication de cette arnaque. On notera que, de nos jours, les éditeurs partent souvent de disques qui sont eux-mêmes des copies et qu’ils ajoutent des traitements numériques supposés de redonner une jeunesse à leurs produits. Le résultat est souvent monstrueux et se détecte par la mention « remastered » sur le disque. Malheureusement, cela tend à devenir la norme dans les milongas, malgré les sonorités horribles que ces traitements mal exécutés produisent.
Mala junta 1938-07-11 — Orquesta Típica Bernardo Alemany.
Le principal intérêt de cette version est qu’elle ouvre une seconde période d’enregistrements, une décennie plus tard. On peut cependant ne pas être emballé par le résultat, sans doute trop confus.
Mala junta 1938-11-16 — Orquesta Julio De Caro.
De Caro réenregistre sa création, cette fois, les rires et les sifflements sont reportés à la seconde partie. Cela permet de mettre en valeur la composition musicale assez complexe. Cette complexité même qui fera que ce titre, malgré sa beauté, aura du mal à rendre les danseurs heureux. On le réservera donc à l’écoute.
Mala junta 1943–08-27- Orquesta Osvaldo Pugliese.
Contrairement à son modèle, Pugliese a conservé les rires en début d’œuvre, mais a également supprimé les sifflements qui n’interviendront que dans la seconde partie. L’interprétation est d’une grande régularité et avant le solo du dernier tiers de l’œuvre, on pourra trouver que l’interprétation manque d’originalité, ce n’est en effet que dans la dernière partie que Pugliese déchaîne son orchestre avec des bandonéons excités survolés par le violon tranquille. Au crédit de cet enregistrement, on pourra indiquer qu’il est dansable et que la fin énergique pourra faire oublier un début manquant un peu d’expression.
Mala junta 1947-01-16 — Orquesta Pedro Laurenz. C’est notre tango du Jour.Mala junta 1949-10-10 — Orquesta Julio De Caro.
De Caro, après la version de Pugliese et celle de Laurenz, son coauteur, enregistre une version différente. Comme pour celle de 1938, il ne conserve pas les rires et sifflets initiaux. C’est encore plus abouti musicalement, mais toujours plus pour l’écoute que pour la danse. Conservons cela en tête pour découvrir, la réponse de Pugliese…
Mala junta 1952-11-29 — Orquesta Osvaldo Pugliese.
Toujours les rires, sans sifflements au début de cet enregistrement et dans la seconde partie, ce sont les sifflements qui remplacent les rires. L’affirmation de la Yumba dans l’interprétation et la structure de cette orchestration nous propose un Pugliese bien formé et « typique » qui devrait plaire à beaucoup de danseurs, car l’improvisation y est facilitée, même si la richesse peut rendre difficile la tâche à des danseurs peu expérimentés.
La version de 1952 a été éditée en disque 33 tours. Mala junta est la première plage de la face A du disque LDS 103.
Disons-le clairement, j’ai un peu honte de vous présenter cette version après celle de Pugliese. Cette version sautillante ne me semble pas adaptée au thème. Je ne tenterai donc pas de la proposer en milonga. Je ne verrai donc jamais les danseurs transformés en petits duendes (lutins) gambadants comme je l’imagine à l’écoute.
Mala junta 1968 — Pedro Laurenz con su Quinteto.
Pedro Laurenz enregistre une dernière version de sa création. Il y a de jolis passages, mais je ne suis pas pour ma part très convaincu du résultat. On a l’impression que les instruments jouent chacun dans leur coin, sans trop s’occuper de ce que font les autres. Attention, je ne parle pas d’instrumentistes médiocres qui ne jouent pas ensemble, mais du lancement de traits juxtaposés et superposés qui semblent être lâchés sans cohérence. Si cela peut plaire à l’oreille de certains, c’est sûr que cela posera des difficultés aux danseurs qui souhaitent danser la musique et pas seulement faire des pas sur la musique.
Je vous propose de terminer avec Pugliese, qui est incontestablement celui qui a le plus concouru à faire connaitre ce titre. Je vous propose une vidéo réalisée au théâtre Colón de Buenos Aires, point d’orgue de la carrière du maître qui rappelle que ses fans criaient « Al Colón » quand ils l’écoutaient. Finalement, Pugliese est arrivé au Colón et cette vidéo en témoigne…
Mala junta — Osvaldo Pugliese — Teatro Colón 1985.
Il y a d’autres versions, y compris par Pugliese, notamment réalisées au cours de différents voyages, mais je pense que l’essentiel est dit et, pour ma part, je reste sur la version de 1952 pour la danse, tout en ayant un faible pour version tant novatrice (pour l’époque) de 1927 de De Caro et la version intéressante de Laurenz, qui constitue notre tango du jour.
Comme tous les tangos célèbres, El choclo a son lot de légendes. Je vous propose de faire un petit tour où nous verrons au moins quatre versions des paroles accréditant certaines de ces légendes. Ce titre importé par Villoldo en France y aurait remplacé l’hymne argentin (par ailleurs magnifique), car il était plus connu des orchestres français de l’époque que l’hymne officiel argentin Oid mortales du compositeur espagnol : Blas Parera i Moret avec des paroles de Vicente López y Planes (écrivain et homme politique argentin). Voyons donc l’histoire de cet hymne de substitution.
Qui a écrit El choclo ?
Le violoniste, danseur (avec sa compagne La Paulina) et compositeur Casimiro Alcorta pourrait avoir écrit la musique de El choclo en 1898. Ce fils d’esclaves noirs, mort à 73 ans dans la misère à Buenos Aires, serait, selon certains, l’auteur de nombreux tangos de la période comme Concha sucia (1884) que Francisco Canaro arrangea sous le titre Cara sucia, nettement plus élégant, mais aussi La yapa, Entrada prohibida et sans doute pas mal d’autres. À l’époque, ces musiques n’étaient pas écrites et elles appartenaient donc à ceux qui les jouaient, puis à ceux qui les éditèrent… L’absence d’écriture empêche de savoir si, Ángel Villoldo a « emprunté » cette musique… En 1903, Villoldo demande à son ami chef d’un orchestre classique, José Luis Roncallo, de jouer avec son orchestre cette composition dans un restaurant chic, La Americana. Celui-ci refusa, car le patron du restaurant considérait le tango comme de la musique vulgaire (ce en quoi il est difficile de lui donner tort si on considère ce qui se faisait à l’époque). Pour éviter cela, Villoldo publia la partition le 3 novembre 1903 en indiquant qu’il s’agissait d’une danse criolla… Ce subterfuge permit de jouer le tango dans ce restaurant. Ce fut un tel succès, que l’œuvre était jouée tous les jours et que Villoldo est allé l’enregistrer à Paris, en compagnie de Alfredo Gobbi et de sa femme, Flora Rodriguez. Par la suite, des centaines de versions ont été publiées. Celle du jour est assez intéressante. On la doit à Francisco Canaro avec Alberto Arenas. L’enregistrement est du 15 janvier 1948.
Extrait musical
Diverses partitions de El choclo. On remarquera à gauche (5ème édition), la dédicace à Roncallo qui lancera le titre. El choclo 1948-01-15 — Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas.
On remarque tout de suite le rythme rapide. Arenas chante également rapidement, de façon saccadée et il ne se contente pas de l’habituel refrain. Il chante l’intégralité des paroles écrites l’année précédente pour Libertad Lamarque. Ce fait est généralement caractéristique des tangos à écouter. Cependant, malgré les facéties de cet enregistrement, il me semble que l’on pourrait envisager de le proposer dans un moment délirant, une sorte de catharsis, pour toutes ces heures passées à danser sur des versions plus sages. On notera les clochettes qui donnent une légèreté, en contraste à la voix très appuyée d’Arenas.
Paroles (version de Enrique Santos Discépolo)
Ici, les paroles de la version du jour, mais reportez-vous en fin d’article pour d’autres versions…
Con este tango que es burlón y compadrito se ató dos alas la ambición de mi suburbio; con este tango nació el tango, y como un grito salió del sórdido barrial buscando el cielo; conjuro extraño de un amor hecho cadencia que abrió caminos sin más ley que la esperanza, mezcla de rabia, de dolor, de fe, de ausencia llorando en la inocencia de un ritmo juguetón.
Por tu milagro de notas agoreras nacieron, sin pensarlo, las paicas y las grelas, luna de charcos, canyengue en las caderas y un ansia fiera en la manera de querer…
Al evocarte, tango querido, siento que tiemblan las baldosas de un bailongo y oigo el rezongo de mi pasado… Hoy, que no tengo más a mi madre, siento que llega en punta ‘e pie para besarme cuando tu canto nace al son de un bandoneón.
Carancanfunfa se hizo al mar con tu bandera y en un pernó mezcló a París con Puente Alsina. Triste compadre del gavión y de la mina y hasta comadre del bacán y la pebeta. Por vos shusheta, cana, reo y mishiadura se hicieron voces al nacer con tu destino… ¡Misa de faldas, querosén, tajo y cuchillo, que ardió en los conventillos y ardió en mi corazón. Enrique Santos Discépolo
Traduction libre et indications de la version de Enrique Santos Discépolo
Avec ce tango moqueur et compadrito, l’ambition de ma banlieue s’est attaché deux ailes ; Avec ce tango naquit, le tango, et, comme un cri, il sortit du quartier sordide en cherchant le ciel. Un étrange sort d’amour fait cadence qui ouvrait des chemins sans autre loi que l’espoir, un mélange de rage, de douleur, de foi, d’absence pleurant dans l’innocence d’un rythme joueur. Par ton miracle des notes prophétiques, les paicas et les grelas ( paicas et grelas sont les chéries des compadritos) sont nées, sans y penser, une lune de (ou de flaque d’eau), de canyengue sur les hanches et un désir farouche dans la façon d’aimer… Quand je t’évoque, cher tango, je sens les dalles d’un dancing trembler et j’entends le murmure de mon passé… Aujourd’hui, alors que je n’ai plus ma mère, j’ai l’impression qu’elle vient sur la pointe des pieds pour m’embrasser quand ton chant naît au son d’un bandonéon. Carancanfunfa (danseur habile, on retrouve ce mot dans divers titres, comme les milongas Carán-Can-Fú de l’orchestre Roberto Zerrillo avec Jorge Cardozo, ou Caráncanfún de Francisco Canaro avec Carlos Roldán) a pris la mer avec ton drapeau et en un éclair a mêlé Paris au pont Alsina (pont sur le Riachuelo à la Boca). Triste compadre du gabion (mecs) et de la mina (femme) et jusqu’à la marraine du bacán (riche) et de la pebeta (gamine). Pour toi, l’élégant, prison, accusations et misère ont parlé à la naissance avec ton destin… Une messe de jupes, de kérosène (pétrole lampant pour l’éclairage), de lames et de couteaux, qui brûlait dans les conventillos (habitas collectifs populaires et surpeuplés) et brûlait dans mon cœur.
Un épi peut en cacher un autre…
On a beaucoup glosé sur l’origine du nom de ce tango. Tout d’abord, la plus évidente et celle que Villoldo a affirmé le plus souvent était que c’était lié à la plante comestible. Les origines très modestes des Villoldo peuvent expliquer cette dédicace. Le nord de la Province de Buenos Aires ainsi que la Pampa sont encore aujourd’hui des zones de production importante de maïs et cette plante a aidé à sustenter les pauvres. On peut même considérer que certains aiment réellement manger du maïs. En faveur de cette hypothèse, les paroles de la version chantée par lui-même, mais nous verrons que ce n’est pas si simple quand nous allons aborder les paroles… Il s’agirait également, d’un tango à la charge d’un petit malfrat de son quartier et qui avait les cheveux blonds. C’est du moins la version donnée par Irene Villoldo, la sœur de Ángel et que rapporte Juan Carlos Marambio Catán dans une lettre écrite en 1966 à Juan Bautista Devoto. On notera que les paroles de Juan Carlos Marambio Catán confortent justement cette version. Lorsque Libertad Lamarque doit enregistrer ce tango en 1947 pour le film « Gran Casino » de Luis Buñuel, elle fait modifier les paroles par Enrique Santos Discépolo pour lui enlever le côté violent de la seconde version et douteuse de celles de Villoldo. Villoldo n’était pas un enfant de chœur et je pense que vous avez tous entendu parler de la dernière acception. Par la forme phallique de l’épi de maïs, il est tentant de faire ce rapprochement. N’oublions pas que les débuts du tango n’étaient pas pour les plus prudes et cette connotation sexuelle était, assurément, dans l’esprit de bien des auditeurs. Le lunfardo et certains textes de tangos aiment à jouer sur les mots. Vous vous souvenez sans doute de « El chino Pantaleón » où, sous couvert de parler musique et tango, on parlait en fait de bagarre… Rajoutons que, comme le tango était une musique appréciée dans les bordels, il est plus que probable que le double sens ait été encouragé. Faut-il alors rejeter le témoignage de la sœur de Villoldo ? Pas forcément, il y avait peut-être une tête d’épi dans leur entourage, mais on peut aussi supposer que, même si Irène était analphabète, elle avait la notion de la bienséance et qu’elle se devait de diffuser une version soft, version que son frère a peut-être réellement encouragée pour protéger sa sœurette. Retenons de cela qu’au fur et à mesure que le tango a gagné ses lettres de noblesse, les poètes se sont évertués à écrire de belles paroles et pas seulement à cause des périodes de censure de certains gouvernements. Tout simplement, car le tango entrant dans le « beau monde », il devait présenter un visage plus acceptable. Les textes ont changé, n’en déplaise à Jorge Borges, et avec eux, l’ambiance du tango.
Autres versions
Tout comme pour la Cumparsita, il n’est pas pensable de présenter toutes les versions de ce tango. Je vous propose donc une sélection très restreinte sur deux critères : • Historique, pour connaître les différentes époques de ce thème. • Intérêt de l’interprétation, notamment pour danser, mais aussi pour écouter. Il ne semble pas y avoir d’enregistrement disponible de la version de 1903, si ce n’est celle de Villoldo enregistrée en 1910 avec les mêmes paroles présumées. Mais auparavant, priorité à la datation, une version un peu différente et avec un autre type de paroles. Il s’agit d’une version dialoguée (voire criée…) sur la musique de El Choclo. Le titre en est Cariño puro, mais vous retrouverez sans problème notre tango du jour.
Cariño puro (diálogo y tango) 1907 – Los Gobbi con Los Campos.
Ce titre a été enregistré en 1907 sur un disque en carton de la compagnie Marconi. Si la qualité d’origine était bonne, ce matériau n’a pas résisté au temps et au poids des aiguilles de phonographes de l’époque. Heureusement, cette version a été réédité en disque shellac par la Columbia et vous pouvez donc entendre cette curiosité… La forme dialoguée rappelle que les musiciens faisaient beaucoup de revues et de pièces de théâtre.
À gauche, disque en carton recouvert d’acétate (procédé Marconi). Ces disques étaient de bonne qualité, mais trop fragiles. À droite, le même enregistrement en version shellac.
Paroles de Cariño puro des Gobbi
Ay mi china que tengo mucho que hablarte, de una cosa que a vos no te va a gustar Largá el rollo que escucho y explicate Lo que pases no es tontera, pues te juro que te digo la verdad. dame un beso no me vengas con chanela (2) dejate de tonteras, no me hagas esperar. Decí ya sé que la otra noche vos con un gavilán son cuentos que te han hecho án. No me faltes mirá que no hay macanas yo no vengo con ganas mi china de farrear Pues entonces no me vengas con cuento y escuchame un momento que te voy a explicar. No te enojes que yo te diré lo cierto y verás que me vas a perdonar Pues entonces Te diré la purísima verdad Vamos china ya que voy a hacer las paces a tomar un carrindango pa pasear Y mirar de Palermo Yo te quiero mi chinita no hagas caso Que muy lejos querer el esquinazo ni golpe ni porrazo… Ángel Villoldo
Traduction de Cariño puro des Gobbi
Oh, ma chérie, que j’ai beaucoup à te parler, D’une chose qui ne va pas te plaire Avoue (lâcher le rouleau) que je t’écoute et explique-toi Ce que tu traverses n’est pas une bêtise,
- Eh bien, je te jure que je te dis la vérité. Donne-moi un baiser Ne viens pas à moi en parlementant
- Arrête les bêtises, ne me fais pas attendre. J’ai déjà dit que je savais pour l’autre soir Toi avec un épervier (homme rapide en affaires)
- Ce sont des histoires qui t’ont été faites un. Ne détourne pas le regard, n’y a pas d’arnaque.
- Je ne viens pas, ma chérie, avec l’envie de rigoler. Aussi, ne me raconte pas d’histoires
- et écoute-moi un instant et, car je vais te l’expliquer. Ne te fâche pas, je vais te dire ce qui est sûr Et tu verras que tu vas me pardonner Puis, ensuite Je vais te dire la pure vérité
- Allez, ma chérie, car je vais faire la paix En prenant une voiture pour une promenade Et regarder Palermo Je t’aime ma petite chérie, ne fais pas attention Car je veux arrondir les angles ni coup ni bagarre…
On voit que ces paroles sont plutôt mignonnes, autour des tourments d’un couple, interprétés par Alfredo Gobbi et sa femme, Flora Rodriguez. Dommage que la technique où le goût de l’époque fasse tant crier, cela n’est pas bien accepté par nos oreilles modernes.
El choclo 1910 — Ángel Gregorio Villoldo con guitarra.
Cette version présente les paroles supposées originales et qui parlent effectivement du maïs. C’est donc cette version qui peut faire pencher la balance entre la plante et le sexe masculin. Voyons ce qu’il en est.
Paroles de Villoldo
De un grano nace la planta que más tarde nos da el choclo por eso de la garganta dijo que estaba humilloso. Y yo como no soy otro más que un tanguero de fama murmuro con alborozo está muy de la banana.
Hay choclos que tienen las espigas de oro que son las que adoro con tierna pasión, cuando trabajando llenito de abrojos estoy con rastrojos como humilde peón.
De lavada enrubia en largas guedejas contemplo parejas sí es como crecer, con esos bigotes que la tierra virgen al noble paisano le suele ofrecer.
A veces el choclo asa en los fogones calma las pasiones y dichas de amor, cuando algún paisano lo está cocinando y otro está cebando un buen cimarrón.
Luego que la humita está preparada, bajo la enramada se oye un pericón, y junto al alero, de un rancho deshecho surge de algún pecho la alegre canción. Ángel Villoldo
Traduction des paroles de Ángel Villoldo
D’un grain naît la plante qui nous donnera plus tard du maïs C’est pourquoi, de la gorge (agréable au goût) je dis qu’il avait été humilié (calomnié). Et comme je ne suis autre qu’un tanguero célèbre, je murmure de joie, il est bien de la banane (du meilleur, la banane étant également un des surnoms du sexe de l’homme). Il y a des épis qui ont des grains d’or, ce sont ceux que j’adore avec une tendre passion, quand je les travaille plein de chardons, je suis avec du chaume comme un humble ouvrier. De l’innocence blonde aux longues mèches, je contemple les plantes (similaires, spécimens…) si c’est comme grandir, avec ces moustaches que la terre vierge offre habituellement au noble paysan. (Un double sens n’est pas impossible, la terre cultivée n’a pas de raison particulière d’être considérée comme vierge). Parfois, les épis de maïs sur les feux calment les passions et les joies de l’amour (les feux, sont les cuisinières, poêles. Qu’ils calment la faim, cela peut se concevoir, mais les passions et les joies de l’amour, cela procède sans doute d’un double sens marqué), quand un paysan le cuisine et qu’un autre appâte un bon cimarron (esclave noir, ou animal sauvage, mais il doit s’agir ici plutôt d’une victime d’arnaque, peut-être qu’un peu de viande avec le maïs fait un bon repas). Une fois que la humita (ragoût de maïs) est prête, sous la tonnelle, un pericón (pericón nacional, danse traditionnelle) se fait entendre, et à côté des avant-toits, d’un ranch brisé, le chant joyeux surgit d’une poitrine (on peut imaginer différentes choses à propos du chant qui surgit d’une poitrine, mais c’est un peu difficile de s’imaginer que cela puisse être provoqué par la préparation d’une humita, aussi talentueux que soit le cuisinier…
Je vous laisse vous faire votre opinion, mais il me semble difficile d’exclure un double sens de ces paroles.
El choclo 1913 — Orquesta Típica Porteña dir. Eduardo Arolas.
Cette version instrumentale permet de faire une pause dans les paroles.
El choclo 1929-08-27 — Orquesta Típica Victor.
Une version instrumentale par la Típica Víctor dirigée par Carabelli. Un titre pour les amateurs du genre, mais un peu pesant pour les autres danseurs.
El choclo 1937-07-26 — Orquesta Juan D’Arienzo.
Sans doute une des versions les plus adaptées aux danseurs, avec les ornementations de Biagi au piano et le bel équilibre des instruments, principalement tous au service du rythme et donc de la danse, avec notamment l’accélération (simulée) finale.
El choclo 1937-11-15 — Quinteto Don Pancho dir. Francisco Canaro.
Cette version n’apporte pas grand-chose, mais je l’indique pour marquer le contraste avec notre version du jour, enregistrée par Canaro 11 ans plus tard.
Une version légère. Le doublement des notes, caractéristiques de cette œuvre, a ici une sonorité particulière, on dirait presque un bégaiement. En opposition, des passages aux violons chantants donnent du contraste. Le résultat me semble cependant un peu confus, précipité et pas destiné à donner le plus de plaisir aux danseurs.
On retrouve une version chantée. Les paroles sont celles de Juan Carlos Marambio Catán, ou plus exactement le tout début des paroles avec la fin du couplet avec une variante. Je vous propose ici, les paroles complètes de Catán, pour en garder le souvenir et aussi, car la partie qui n’est pas chantée par Vargas parle de ce fameux type aux cheveux couleur de maïs…
Paroles de Juan Carlos Marambio Catán
Vieja milonga que en mis horas de tristeza traes a mi mente tu recuerdo cariñoso, encadenándome a tus notas dulcemente siento que el alma se me encoje poco a poco. Recuerdo triste de un pasado que en mi vida, dejó una página de sangre escrita a mano, y que he llevado como cruz en mi martirio aunque su carga infame me llene de dolor.
Fue aquella noche que todavía me aterra. Cuando ella era mía jugó con mi pasión. Y en duelo a muerte con quien robó mi vida, mi daga gaucha partió su corazón. Y me llamaban el choclo compañero; tallé en los entreveros seguro y fajador. Pero una china envenenó mi vida y hoy lloro a solas con mi trágico dolor.
Si alguna vuelta le toca por la vida, en una mina poner su corazón; recuerde siempre que una ilusión perdida no vuelve nunca a dar su flor.
Besos mentidos, engaños y amarguras rodando siempre la pena y el dolor, y cuando un hombre entrega su ternura cerca del lecho lo acecha la traición.
Hoy que los años han blanqueado ya mis sienes y que en mi pecho sólo anida la tristeza, como una luz que me ilumina en el sendero llegan tus notas de melódica belleza. Tango querido, viejo choclo que me embarga con las caricias de tus notas tan sentidas; quiero morir abajo del arrullo de tus quejas cantando mis querellas, llorando mi dolor. Juan Carlos Marambio Catán
Traduction libre des paroles de Juan Carlos Marambio Catán
Vieille milonga. À mes heures de tristesse, tu me rappelles ton souvenir affectueux, En m’enchaînant doucement à tes notes, je sens mon âme se rétrécir peu à peu. Souvenir triste d’un passé qui, dans ma vie, a laissé une page de sang écrite à la main, et que j’ai porté comme une croix dans mon martyre, même si son infâme fardeau me remplit de douleur. C’est cette nuit-là qui, encore, me terrifie. Quand elle était à moi, elle jouait avec ma passion. Et dans un duel à mort avec celui qui m’a volé la vie, mon poignard gaucho lui a brisé le cœur. Et ils m’appelaient le compagnon maïs (choclo); J’ai taillé dans les mêlées, sûr et résistant. Mais une femme chérie a empoisonné ma vie et, aujourd’hui, je pleure tout seul avec ma douleur tragique. S’il vous prend dans la vie de mettre votre cœur dans une chérie ; rappelez-vous toujours qu’une illusion perdue ne redonne plus jamais sa fleur. Des baisers mensongers, trompeurs et amers roulent toujours le chagrin et la douleur, et quand un homme donne sa tendresse, près du lit, la trahison le traque. Aujourd’hui que les années ont déjà blanchi mes tempes et que, dans ma poitrine seule se niche la tristesse, comme une lumière qui m’éclaire sur le chemin où arrivent tes notes de beauté mélodique. Tango chéri, vieux choclo qui m’accable des caresses de tes notes si sincères ; Je veux mourir sous la berceuse de tes plaintes, chantant mes peines, pleurant ma douleur.
El choclo 1947 – Libertad Lamarque, dans le film Gran casino de Luis Buñuel.
El choclo 1947 – Libertad Lamarque, dans le film Gran casino de Luis Buñuel.
Dans cet extrait Libertad Lamarque interprète le titre avec les paroles écrites pour elle par Discepolo. On comprend qu’elle ne voulait pas prendre le rôle de l’assassin et que les paroles adaptées sont plus convenables à une dame… Les paroles de Enrique Santos Discépolo seront réutilisées ensuite, notamment par Canaro pour notre tango du jour.
El choclo 1948-01-15 — Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas. C’est notre tango du jour.
Comme vous vous en doutez, je pourrai vous présenter des centaines de versions de ce titre, mais cela n’a pas grand intérêt. J’ai donc choisi de vous proposer pour terminer une version très différente…
Kiss of Fire 1955 — Louis Armstrong.
En 1952, Lester Allan et Robert Hill ont adapté et sérieusement modifié la partition, mais on reconnaît parfaitement la composition originale.
Je vous propose de nous quitter là-dessus, une autre preuve de l’universalité du tango. À bientôt, les amis.
En guise de cortina, on pourrait mettre Pop Corn, non ?
PS : si vous avez des versions de El choclo que vous adorez, n’hésitez pas à les indiquer dans les commentaires, je rajouterais les plus demandées.
Le prénom Pantaleón est bien connu dans le domaine du tango à cause de Piazzolla qui l’avait en second prénom. Chino ‚me fait penser au génial Chino Laborde, que je vais d’ailleurs aller écouter avec La Mucha Tango jeudi à Nuevo Chique. En combinant les deux, on obtient notre titre du jour, écrit par Francisco Canaro. Cette « milonga » fait partie de ces titres à la limite du lunfardo qui jouent sur les mots, mélangeant tango et castagne.
Extrait musical
El chino Pantaleón 1942-01-13 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán.Disque Odeón 55157. El Chino Pantaleón est sur la face A et Y… No la puedo olvidar, sur la face B.
Le rythme de cette composition est un peu atypique et il rend difficile de la classer, milongua tangueanda, milonga candombe. Ce n’est peut-être pas de tout premier choix pour le bal… La voix de Carlos Roldán est sympa. On notera la fin abrupte, très originale, comme si la musique avait été mise KO.
Paroles
Caballeros milongueros, la milonga está formada y el que cope la parada que se juegue todo entero, si es que tiene compañero, la guitarra bien templada pa’ aguantar cualquier trenzada con razón o sin razón, cara a cara, frente a frente, corazón a corazón.
Era el Chino Pantaleón milonguero y cachafaz, que al sonar de un bandoneón viboreaba en su compás. Era un taura pa’ copar y de ley como el mejor; si lo entraban a apurar era capaz de cantar “La violeta” o “Trovador”.
Caballeros milongueros, vayan saliendo a la cancha porque el que hace la “patancha“ es señal que le da el cuero; siempre el que pega primero lleva la mayor ventaja; no le ponen la mortaja al que tira sin errar; no es de vivo, compañero, el dejarse madrugar. Francisco Canaro (paroles et musique)
Traduction libre et indications
Messieurs les milongueros (dans le sens de bagarreurs), l’affaire est formée (milonga a ici le sens d’affaire douteuse, désordre) et celui qui prend position doit tout jouer, s’il a un partenaire (un partenaire. Cela confirme que l’on est plus dans le domaine de la rixe que celui de la danse). La guitare (peut aussi faire allusion à l’argent) bien accordée pour résister à toute bagarre avec raison ou sans raison, Face à face, front à front, cœur à cœur. C’était le Chino Pantaleón milonguero et insolent (cachafaz comme était surnommé Ovidio José Bianquet, qui travailla avec Canaro pour ses revues musicales), qui, lorsque sonnait un bandonéon (Bandonéon n’est pas ici l’instrument, mais l’action de gêner l’autre en faisant du bruit), vibrait à son rythme. Il était un taura (généreux) à boire et de ley (loyal, véritable comme dans milonguero de ley) comme le meilleur ; s’ils le cherchaient (se jetaient sur lui, l’obligeaient), il pouvait chanter « La violeta » (tango de Cátulo Castillo avec des paroles de Nicolás Olivari, chanté par Maida et Gardel, puis, par Troilo avec Casal puis Goyeneche) ou « Trovador » (valse de Carlos Alcaraz avec des paroles de Carlos Pesce). Je pense que ces titres sont plutôt donnés pour indiquer que le type a du répondant dans la bagarre. Messieurs les milongueros, sortez sur le terrain, car celui qui fait le « patancha » (pata ancha, la grosse patte, le courageux) est un signe que le cuir lui donne ; Celui qui frappe le premier a toujours le meilleur avantage ; Ils ne mettent pas le linceul à celui qui tire sans se perdre (perdre de temps, sans errer) ; Il n’est pas vivant, camarade, de se laisser devancer (madrugar peut signifier, devancer, gagner du temps, attaquer le premier). On voit que les paroles riches de lunfardo, jouent sur les mots. Avec le vocabulaire de la milonga, on parle bel et bien de bagarre.
Autres versions
Notre premier titre est un fox-trot, qui n’a que seul point commun, le prénom Pantaleón…
Pantaleón 1930-05-28 (Fox-trot) — Orquesta Francisco Canaro con Charlo. (Eleuterio Iribarren Letra: Francisco Antonio Bastardi).El chino Pantaleón 1942-01-13 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán. C’est notre milonga du jour.El chino Pantaleón 1942-06-17 — Orquesta Francisco Lomuto con Fernando Díaz.
Parfois, Lomuto fait des choses plus intéressantes que Canaro. C’est sans doute le cas de cet enregistrement que je trouve plus sympa à danser. On remarquera, dès le début, une utilisation différente des instruments, ce ne sont pas les mêmes éléments qui sont mis en valeur. En ce qui concerne la voix, on peut préférer Roldán à Díaz, mais je trouve que cette milonga est relativement joueuse et qu’elle pourrait trouver sa place dans une milonga. Sa fin est en revanche plus classique avec les deux accords finaux, habituels.
El chino Pantaleón 1953-03-25 — Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas y Mario Alonso.
Canaro reprend sa composition pour l’enregistrer en duo. On pourrait presque dire en trio, tant le piano qui s’amuse est présent. C’est toujours Mariano Mores, mais il a pris plus de place dans l’orchestre qu’à son arrivée en 1940. La version ne se prête pas plus et peut-être moins encore à la danse que la version de 1942, notamment à cause de ses dialogues et des pauses dans la musique.
Qui est Pantaleón ?
Je n’ai pas d’autre version de cette milonga en stock. Cependant, il reste un autre titre parlant d’un Pantaleón et ce prénom est accompagné d’un nom de famille, Lucero. Écoutons ce titre.
Ce titre composé au début du vingtième siècle par Fausto Frontera avec des paroles de Celedonio Flores a été enregistré par Chiqui en 1979. Il ne semble pas y avoir d’autres versions enregistrées.
Ricardo Daniel Pereyra (“Chiqui”). Avec Roberto Goyeneche sur la photo de gauche.
Paroles de Yo Soy Pantaleón Lucero
Yo soy Pantaleón Lucero de profesión mayoral, cumplo cuarenta en enero aunque algunos me dan más. Nací por el Barrio Norte y me crié por el sur, tal vez no tenga dinero, pero me sobra salud.
Si me quieren, también quiero si no me quieren, también, soy querendón y sincero porque soy hombre de fe. Amigo que sale malo yo lo olvido y terminó, pero no puedo olvidarla a la que a mí me olvidó.
Yo soy Pantaleón Lucero no sé si recordarán, decidor y refranero y criollo a carta cabal. Matear amargo es mi vicio mi desdicha, enamorar, qué alegría, cantar siempre así las penas se van.
(Coda) Yo soy Pantaleón Lucero, pa’ lo que guste mandar. Fausto Frontera Letra: Celedonio Flores
Traduction libre des paroles de Yo Soy Pantaleón Lucero
Je suis Pantaleón Lucero, mayoral (préposé aux billets du Tramway) de profession, J’aurai quarante ans en janvier, bien que certains m’en donnent plus. Je suis né dans le Barrio Norte et j’ai grandi dans le sud. Peut-être que je n’ai pas d’argent, mais j’ai beaucoup de santé. S’ils m’aiment, j’aime aussi. S’ils ne m’aiment pas, également. Je suis aimant et sincère parce que je suis un homme de foi. L’ami qui devient mauvais, je l’oublie et c’est fini, mais je ne peux pas oublier celle qui m’a oublié. Je suis Pantaleón Lucero, je ne sais pas si vous vous en souvenez, un décideur et un diseur et un créole absolument (l’expression a carta cabal signifie, pleinement). Boire le mate amer est mon vice, ma misère, tomber amoureux, quelle joie, toujours chanter, ainsi les chagrins s’en vont. (Coda) Je suis Pantaleón Lucero, pour tout ce que vous souhaitez demander.
En savons-nous plus sur Pantaleón ?
Nous avons maintenant trois portraits d’un Pantaleón.
• Celui du Fox-trot, dont les paroles ne nous révèlent guère que son prénom.
S’il est difficile de savoir si les deux Pantaleón de Canaro correspondent au même personnage. En revanche, il est peu probable que le mayoral, qui semble un être paisible soit le même que celui de la milonga de Canaro. Je propose donc de laisser la question en suspens et en compensation, une petite remarque. Le chanteur Enrique Martínez, le petit frère de Mariano Mores, le pianiste de Canaro, avait choisi comme nom de scène, Enrique Lucero. Mais je pense que c’est plus en référence à Vénus (Lucero del alba, l’étoile de l’aube), qu’en l’honneur d’un distributeur de billets dans un tramway… De nos jours, le terme chino est plutôt réservé aux Chinois. Cependant, en lunfardo, la china est la chérie, et, dans une moindre mesure chino est également utilisable pour chéri. Le terme « chino » définit également des métisses d’Indiens et de Noirs. Cela expliquerait le choix d’une musique proche du canyengue pour ce titre. Je fais donc l’hypothèse que El chino Pantaleón est un personnage sombre de peau, bagarreur, un des nombreux compadritos qui hantaient les faubourgs de Buenos Aires.
Mariano Ramiro Ochoa Induráin (paroles et musique)
Cette jolie valse est une des premières que je mettais régulièrement à mes débuts de DJ de tango. Je m’en souviens, car la correspondance des prénoms, du nom et du titre m’avait frappé. Deux Francisco, Amor et Canaro et L’Amor de Francisco Amor et le double amor du titre, répété 6 fois dans les paroles et auquel il faut rajouter un amo. L’autre point, plus objectif, qui fait que j’aimais bien ce titre, est qu’il est essentiellement en mode majeur, d’un rythme soutenu et qu’il évite la monotonie en variant les instruments et que Francisco Amor a une belle voix.
On note dès le début le rythme bien accentué, typique de Canaro. Certains diront un peu lourd, mais cela plait aux Européens qui se sont habitués à ce fait, comme en témoigne l’évolution du tango en Europe, où la batterie rythme les bals de village même pour les tangos. On notera que le piano marque tous les temps à l’aide d’accords. On le remarque moins sur les premiers temps, justement à cause de l’utilisation appuyée de la contrebasse d’Abraham Krauss sur les premiers temps, mais aussi des autres instruments et notamment des violons, du violoncelle et des bandonéons, qui évolueront durant toute la durée entre des parties rythmiques et des passages mélodiques, en alternance afin que le rythme ne se perde pas et que ce soit confortable pour les danseurs. Le piano se libère progressivement de cet ostinato en lâchant quelques fioritures en fin de phrase. Le piano est tenu par Mariano Mores qui remplaça Luis Riccardi qui était dans l’orchestre de Canaro depuis 1928 et dont la maladie l’a obligé à abandonner la carrière. À 21 s se remarque la clarinette qui rappelle qu’avant les bandonéons, les flûtes faisaient partie des instruments du tango et que Canaro a également un orchestre de jazz. On retrouvera également la clarinette en contrepoint du chanteur un peu plus tard. À 28 s, commence la partie B qui se distingue par des allers-retours entre l’orchestre et le piano. À 56 s, Francisco Amor commence à chanter avec les violons en contre-chant et les ponctuations du piano, la contrebasse continuant d’aider les danseurs en marquant les premiers temps. Les bandonéons s’occupant de marquer tous les temps, comme le faisait le piano au début. Je pense qu’en l’ayant écoutée attentivement, vous comprendrez pourquoi je trouve que c’est une merveille, simple et élégante.
Paroles
Amor, amor vení No me hagas más penar, Que mi vida está en peligro Siempre que no tardes más.
Amor, amor vení Ya no puedo repetir, Porque me falta el aliento Y fuerzas para vivir.
Caminito del colegio Que de ahí te conocí, Me mirabas como a un hombre Y mi amor fue para ti.
Tengo veinte y tú también Y mi amor también creció, No sé si me comprendiste Y por eso te amo yo. Mariano Ramiro Ochoa Induráin (paroles et musique)
Traduction libre
Amour, amour vient (amour = chérie) Ne m’inflige pas plus de chagrin, car ma vie est toujours en danger, aussi, ne tarde pas davantage. Amour, amour vient Je ne peux plus le répéter, parce que me font défaut le souffle et les forces pour vivre. Sur le chemin de l’école où je t’ai rencontrée, tu m’as regardé comme un homme et mon amour fut pour toi. J’ai vingt ans, et toi aussi, et mon amour a également grandi, je ne sais pas si tu m’as compris, et c’est pourquoi, moi, je t’aime.
Bredouille
Difficile de trouver des éléments sur cette valse. Son auteur est inconnu. On ne lui doit aucun autre titre et la SADAIC ne dispose d’aucune donnée dans son enregistrement correspondant, #195 009, pas même le nom du compositeur et parolier, Mariano Ramiro Ochoa Induráin. Du côté des deux Francisco, l’horizon s’éclaircit. Je ne vais pas vous parler de Canaro, mais vous dire quelques mots de Amor. S’il a commencé dans l’orchestre de Florindo Sassone, ce natif de Bahia Bianca, comme Di Sarli, n’a enregistré qu’avec Canaro. Son image a toutefois été enregistré dans divers films comme : Viento norte 1937 de Mario Soffici où il tient le rôle du soldat chanteur… Musique et chansons de Andres R. Domenech et P. Rubbione.
Francisco Amor en Viento norte 1937. Un film de Mario Soffici. Dans cet extrait, Francisco Amor chante deux chansons et on peut voir à la fin un Gato et un Malambo interprété par les soldats.
Pampa y cielo 1938 de Raúl Gurruchaga dans lequel il chante notamment « No te cases » (ne te marie pas).
No te cases 1937 (Vals) — Francisco Amor con la Orquesta de Francisco Canaro
Mandinga en la sierra 1939 de Isidoro Navarro. Napoleón 1941 de Luis César Amadori. Buenos Aires canta 1947 de Antonio Solano. Comme le titre peut le suggérer, plusieurs chanteurs sont à l’affiche et en plus de Francisco Amor, citons, Azucena Maizani, Ernesto Famá. On peut aussi y écouter Oscar Aleman, l’orchestre le plus en vogue lors de la décadence du tango au profit du jazz.
Autres versions
Les Francisco ont enregistré ensemble une vingtaine de valses. Cependant, il n’y a pas de version enregistrée de cette valse par un autre orchestre. Je vous propose donc de terminer en la réécoutant.
Je vous laisse avec les 76 mots chantés par Amor, qui dira son nom de famille (il s’appelait réellement Amor et même Iglesias Amor, c’est-à-dire « Église Amour »…) six fois.
Sur ces bonnes… paroles, je vous dis à bientôt, les amis !
C’est sympa de faire des rêves, mais parfois le retour à la réalité est terrible. C’est ce qui arrive au héros de cette magnifique valse, sans doute un peu trop rare dans les milongas. Ciriaco Ortiz, à la tête de l’orchestre Los Provincianos, l’a enregistrée, il y a exactement 93 ans…
Sueño imaginado 1932-01-05 — Orquesta Típica Los Provincianos con Carlos Lafuente. Dir. Ciriaco Ortiz.
Dès le début on remarque que le titre est conçu sous forme de questions-réponses. L’orchestre lance une question et un soliste donne la réponse. Si les violons avec Elvino Vardaro sont majoritairement les solistes, les bandonéons, dont celui de Ciriaco Ortiz et peut-être celui du jeune Aníbal Troilo ont également leurs réparties. Pour les danseurs, ces dialogues sont très intéressants, car cela leur permet de varier l’improvisation. La répétitivité de la structure permet de préparer une « réponse » au cas où les premiers dialogues auraient été loupés dans l’improvisation. Pour les danseurs moins avancés, les premiers temps de chaque mesure sont marqués par la contrebasse de Manfredo Liberatore. C’est le Poum du Poum-Tchi-Tchi de la valse (Temps fort-Temps faible-Temps faible). On n’entend pas vraiment le piano, en revanche, on a l’impression qu’une caisse claire sonne les temps faibles. C’est donc une valse facile pour les danseurs qui ont besoin d’un repère temporel bien marqué. À 1:58, Carlos Lafuente chante le refrain. Sa voix peut un peu surprendre, mais, comme l’intervention est courte, cela ne devrait pas trop perturber les danseurs. On remarquera que l’orchestre fait la place au chanteur en l’accompagnant en sourdine par un discret Poum-Tchi-Tchi, ce qui permet aux danseurs de garder le rythme. On remarquera la complexité modale de l’œuvre, avec de nombreux changements de tonalité, ce qui peut parfois donner une impression de dissonance si on reste sur l’élan de la tonalité précédente.
Il est difficile d’authentifier les instrumentistes de l’orchestre, car les orchestres de la Victor étaient à géométrie variable. Comme ces orchestres se limitaient aux enregistrements, ils se construisaient à chaque session avec des musiciens de premier plan, disponibles. On considère généralement que les principaux musiciens de Los Provincianos dirigés par Ciriaco Ortiz étaient : Ciriaco Ortiz, Aníbal Troilo, Horacio Gollino (bandonéonistes) Orlando Carabelli (pianiste) Elvino Vardaro, Manuel Núñez, Antonio Rossi (violonistes) Manfredo Liberatore (contrebassiste)
Un des orchestres de la Victor
Cette photo généralement légendée comme étant de Los Provincianos, sans doute à cause de la présence de Ciriaco Ortiz. Cependant, Mercedes Simone n’est pas intervenue dans cet orchestre. Il me semble donc qu’il faut plutôt considérer que c’est une composition mixte, notamment avec l’orchestre Típica Victor de Carabelli dont Ciriaco Ortiz était également membre. On notera la présence du jeune Aníbal Troilo. Sur la droite, le violoniste Benjamín Holgado Barrio qui est à l’origine de la première scission de l’orchestre de D’Agostino. Il réclamait 17 pesos, pour lui et les autres membres de l’orchestre, au lieu des 15 pesos qui étaient octroyés pour les enregistrements, et D’Agostino a viré tout l’orchestre, Vargas compris. Celui-ci est revenu un peu plus tard, mais la magie fut un peu brisée. Je propose pour cette photo, la date du 13 août 1931, car c’est celle qui permet de réunir le plus de protagonistes. Mercedes Simone a enregistré ce jour Circo criollo avec la Tipica Victor (Carabelli). Sur cette photo, il manque Carabelli et, Lesende, qui n’a jamais enregistré avec la Victor est plutôt un intrus. En effet, il enregistrait à l’époque avec deux compagnies concurrentes de la Victor, la Brunswick (avec la Orquesta Típica Brunswick) et avec la Columbia (avec l’orchestre de Antonio Bonavena). Horacio Gollino est généralement indiqué comme ayant fait partie des premiers bandonéonistes de Los Provincianos. Il était né le 5 février 1911, il aurait donc eu quasi 20 ans, ce qui semble correspondre à l’âge du troisième bandonéoniste de la photo. José María Otero, qui est toujours très bien documenté, indique que ce serait en fait Toto (Juan Miguel Rodríguez). Si on observe la photo suivante, représentant l’orchestre de Troilo en 1941, il semblerait que l’on puisse valider l’hypothèse de Toto.
De gauche à droite, en bas : David Díaz, Toto (Juan Miguel Rodríguez), Anibal Troilo, Eduardo Marino et Hugo Baralis. À l’arrière : Pedro Sapochnik, Orlando Goñi, Francisco Fiorentino, Kicho Díaz et Astor Piazzolla (qui fit le forcing auprès de Troilo pour remplacer Toto qui était malade). Hugo Baralis a appuyé sa candidature…
Cependant, selon Toto Tango qui est également une source de haute qualité, Toto serait né en 1919. Il aurait donc eu 12 ans si ma datation de la photo est bonne, ce qui semble tout de même un peu jeune et ne correspond pas à l’image. Si on regarde l’âge probable des différents musiciens de la première photo, la date de 1931 est fort plausible ; Troilo fait vraiment jeune (il est né en 1914 et aurait donc 17 ans), sur la seconde, il a 27 ans, il semble difficile de considérer qu’il y a beaucoup moins de 10 ans entre les photos. Je propose donc d’identifier Horacio Gollino sur cette photo, ce qui nous permettra d’avoir enfin un visage à mettre sur ce musicien de grande qualité, qui termina sa vie en donnant des cours de musique sans pouvoir pratiquer le bandonéon à cause de la paralysie d’un de ses bras.
Paroles
Que sueño aquel tan hondo y cruel Me vi en la gloria de tu pecho amante Y a al instante todo se acabo Fue mi Sueño imaginado Nada más que un soplo de placer Que se fumó y una ilusión hecha canción que se apagó Cieto Minocchio Letra: Francisco Brancatti
Quel rêve si profond et cruel. Je me suis vu dans la gloire de ta poitrine aimante et, instantanément, tout fut terminé. C’était mon rêve imaginé, rien de plus qu’un souffle de plaisir qui partit en fumée et une illusion faite chanson qui s’éteignait.
Autres versions…
Il n’y a pas d’autre version enregistrée de cette valse, même si le titre a inspiré de nombreux auteurs de tous types de musique. Je vous propose donc de terminer en réécoutant cette valse.
Sueño imaginado 1932-01-05 — Orquesta Típica Los Provincianos con Carlos Lafuente. Dir. Ciriaco Ortiz. C’est notre valse du jour.
À bientôt, les amis. Faîtes de beaux rêves qui se réaliseront.
J’ai reçu ce matin un message d’un organisateur de milonga me demandant quelle valse proposer pour un anniversaire, avec la contrainte que ce soit une valse du mois de janvier vu que l’anniversaire était aujourd’hui. J’ai proposé cette valse, Mentías, pour deux raisons. La première est que c’est une valse qui correspond bien à l’occasion et la seconde est que sa date d’enregistrement coïncide avec la date de naissance de la danseuse à fêter. Je te dédicace donc, Martine de Saint-Pierre (La Réunion), cette valse, en te souhaitant un excellent anniversaire.
Extrait musical
Disque RCA Victor (38 138 face B) de Mentías… Le numéro de matrice 93549 est indiqué à gauche de l’axe. Sur la face A (38 138‑A) il y a El apronte, enregistré juste avant, le même jour, avec le numéro de matrice 93548–1.Mentías 1937-04-01 — Orquesta Juan D’Arienzo.
Cette valse commence sur un rythme rapide, avec une introduction au piano par Rodolfo Biagi, qui proposera de nombreuses ponctuations et transitions légères (comme la première à 13s). Durant toute la première partie (jusqu’à 28s), tous les instruments sont au service du rythme. Ensuite, les bandonéons s’individualisent pour la partie B et ensuite cèdent le pas aux magnifiques violons. À 1:50, la variation apporte une impression de vitesse, sans toutefois changer le tempo, simplement, comme le fait presque systématiquement D’Arienzo, en subdivisant les temps en employant des double-croches au lieu de croches. Le rythme rapide, mais sans exagération et la fin somme toute tranquille, laisse la place à des titres plus énergiques pour terminer la tanda dans une explosion. Ce titre est un bon premier titre, ce qui renforce ma conviction qu’il peut faire l’affaire pour un anniversaire.
Paroles
Mis ojos te grabaron en mi mente Bajaste de la mente al corazón, La flor del corazón se abrió en latidos ¡Latidos que acunaron nuestro amor! Amor que florecía con tus besos Tus besos encubrían la traición, Traición que me valió la cruz del llanto ¡Y el llanto por mis ojos te arrojó!
¡Mentías…! Con caricias… estudiadas… ¡Cinismo…! Del cariño desleal… Jurabas Por tu dios y por tu madre… ¡Mira si no es criminal! Los seres Que han matado y se redimen, Merecen el olvido y el perdón… Cien vidas No podrán borrar tu crimen ¡Asesinar la ilusión!
Y ahora que mi vida está vacía Anclada en un silencio sin dolor, Golpea el aldabón de tu recuerdo Las puertas de mi pobre corazón… Ya es tarde para unir idilios rotos Miremos cara a cara la verdad, No vuelvas a rondar por mi cariño ¡Que el sueño que se fue no torna más! Juan Carlos Casaretto Letra: Alfredo Navarrine
Mes yeux t’ont gravé dans mon esprit, tu es descendue de l’esprit au cœur, la fleur du cœur s’est ouverte en palpitant. Des battements de cœur qui ont bercé notre amour ! L’amour qui s’est épanoui avec tes baisers. Tes baisers ont couvert la trahison, la trahison qui m’a valu la croix des pleurs. Et les larmes à travers mes yeux t’ont rejetée !
Mensonges…! Avec des caresses… Étudiées… Cynisme…! D’affection déloyale… Tu as juré par ton dieu et par ta mère… Vois si ce n’est pas criminel ! Les êtres qui ont tué et se sont rachetés méritent l’oubli et le pardon… Cent vies ne pourront pas effacer ton crime Tuer l’illusion !
Et maintenant que ma vie est vide, ancrée dans un silence indolore, le heurtoir de ton souvenir frappe les portes de mon pauvre cœur… Il est trop tard pour unir des idylles brisées. Regardons la vérité face à face, ne reviens pas à chercher mon amour. Car le rêve qui est parti ne revient pas !
On notera que les paroles sont très moyennement adaptées à une fête d’anniversaire. Cependant, cela ne dérange pas, car elles ne sont pas enregistrées et la musique les dément totalement.
Juan Carlos Casaretto y Alfredo Navarrine
Le compositeur de cette valse, Juan Carlos Casaretto n’est connu que pour un seul autre titre, un tango, Chiclana y Boedo (avec J. Treviño, encore plus inconnu). Il en existe un enregistrement tardif par Enrique Rodriguez et Roberto Flores, mais ce n’est pas pour la danse. Alfredo Navarrine (Pigmeo), en revanche, est à la tête d’une riche production. Avec son frère, Julio Plácido Navarrine, il a fourni bon nombre de titres de tango.
Des frères Alfredo et Julio Navarrine :
Alaridos 1942
Juana 1958
Mil novecientos treinta y siete 1937 (plus José Domingo Pécora)
Lechuza 1928
Oiga amigo 1933
Sos de Chiclana 1947 (plus Rafael Rossa)
Trilla e recuerdos
De Julio Navarrine :
A la luz del candil 1927
Barcos amarrados
Catorce primaveras
El anillito de plata
El vinacho Milonga
La piba de los jazmines
Oiga amigo
Oro muerto (Jirón porteño) 1926
Por qué no has venido 1926
Qué quieren yo soy así Milonga
Trago amargo 1925
De Alfredo Navarrine :
Agüita e luna
Ayer y hoy 1939
Bandoneones en la noche
Barrio reo 1927
Brindis de olvido 1945
Canción del reloj
Canto estrellero 1943
Cielito del porteño 1950
Como una flor 1947
Con licencia 1955
Corazón en sombras 1943
Curiosa
Desvíos
Escarmiento 1940
Escúcheme, gringo amigo 1944
Esmeralda
Estampa rea 1953
Este amor 1938
Falsedad 1955
Fea 1925
Gajito de cedrón 1973 Canción criolla
Galleguita 1925
He perdido un beso 1940
Humildad 1938
La condición 1946
La Federal
Latido porteño
Luna pampa 1951
Mentías 1941 (Notre valse du jour)
Milonga de un argentino 1972
No nos veremos más 1939
Noche de plata 1930 (Vals)
Nocturno inútil 1941
Ojos en el corazón 1945
Ojos tristes 1939
Pajarada 1945
Qué linda es la vida
Rancheriando
Resignación
Ronda de sueños 1944
Rosas negras 1942
Sangre porteña 1946
Sé hombre
Señor Juez 1941
Señuelo 1977
Serenidad 1946
Tamal 1975
Tango lindo
Tango para un mal amor 1948
Tata Dios 1931
Torcacita
Tucumana (Zamba)
Tucumano 1961
Vidalita
Yo era un corazón 1939
Yunque 1953
Autres versions
Il n’y a pas d’autre version de notre valse du jour, Il est assez curieux de voir la frilosité des orchestres contemporains pour enregistrer des valses. Ils nous donnent des dizaines de versions de quelques tangos, mais très peu de valses ou de milongas. Si cette valse n’a pas été enregistrée par la suite, nous avons un tango du même titre composé par Juan de Dios Filiberto avec des paroles de Milon E. Mujica. Je vous propose deux enregistrements de celui-ci et on terminera par la valse du jour.
Mentías 1923 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras).
Un enregistrement acoustique. Bien sûr on réserve cela pour l’écoute et pas pour le bal.
Mentías 1927-10-20 — Orquesta Roberto Firpo.
Une jolie version. C’est assez léger et pas trop marqué en canyengue intense… Cela reste cependant un peu monotone, mais le joli violon de Cayetano Puglisi, délicieusement larmoyant, fait pardonner cela.
Mentías 1937-04-01 — Orquesta Juan D’Arienzo.
Mentías 1937-04-01 (vals) — Orquesta Juan D’Arienzo. C’est notre valse du jour. On termine avec énergie.
La tradition de la valse d’anniversaire
Il est des traditions dont on ne connaît pas vraiment l’origine. La valse d’anniversaire dans les milongas en fait sans doute partie. Il se peut aussi que ce soit une ignorance de ma part. Voici ce qui me semble à peu près vérifiable.
La valse des mariés
Un peu partout dans le monde, les nouveaux mariés ouvrent le bal, par une valse, ce qui assure à certains professeurs de danse une petite rente. Ils mettent en scène une petite chorégraphie, les mariés l’apprennent par cœur et le jour de la noce, ils émerveillent les invités et la famille, soigneusement anesthésiés au préalable par la richesse du repas et des alcools servis.
La valse des 15 ans
Plus spécifiquement en Amérique latine, il y a la tradition des 15 ans des jeunes filles/femmes. Cette cérémonie, peut-être issue des cultures précolombiennes, perdure de nos jours avec des formes, souvent très élaborées. Il existe des boutiques de robes spéciales pour les 15 ans, des maîtres de cérémonie et des vidéastes spécialisés. Ce sont des fêtes fort coûteuses et les familles s’endettent bien plus pour les quinze ans que pour le mariage. Cette tradition évolue, mais en général, la jeune femme est présentée par le père (ou parrain) et effectue avec lui une valse, puis, les amis d’enfance, éventuels prétendants et autres, dansent avec la quinceañera (jeune femme de 15 ans). Voir l’article de Wikipédia pour des éléments plus concrets. En Europe, chez les puissants, on peut trouver une cérémonie parallèle, le bal des débutantes.
La valse d’anniversaire des tangueros
Vous avez reconnu l’organisation de la valse d’anniversaire telle qu’elle se pratique dans les milongas. À ce sujet, il existe plusieurs façons de faire et beaucoup d’organisateurs ne souhaitent pas qu’on « perde » du temps à cette manifestation. D’autres, comme celui qui m’a commandé la valse ce matin, marquent plus d’attention pour cette tradition. En Argentine, les amis tangueros fêtent l’anniversaire à la milonga. Ils réservent une table et c’est une des occasions où il est autorisé d’apporter de la nourriture de l’extérieur. En général, un gâteau qui ferait tomber en syncope un nutritionniste, il n’y a jamais trop de crème et de sucre. Le « champagne » local, qui lui est celui vendu dans la milonga, participe à la fête, ainsi que souvent, des déguisements et autres fantaisies. En Europe, cela se fait moins, on pense que le temps pris pour fêter l’anniversaire est du temps perdu pour les danseurs. C’est un peu vrai, mais c’est aussi oublier la dimension sociale du tango. Nous sommes une communauté et c’est important de la renforcer par des marques d’amitié. Le tango n’est pas un club de gym où on fait son entraînement avec des écouteurs sur les oreilles. On parle, on chante et on partage. Comme DJ, il est important d’aider à trouver l’équilibre. Si l’organisateur refuse que l’on fête un anniversaire, je me contente d’une dédicace avant la tanda de valse. Libre aux danseurs qui le souhaitent d’organiser un moment convivial. Lorsque c’est l’organisateur qui le demande, il y a plusieurs possibilités. Parfois, tous les danseurs/danseuses veulent danser avec la personne qui fête son anniversaire. Dans ce cas, il se forme une immense file et ils refuseront d’aller danser avec quelqu’un d’autre tant qu’ils n’auront pas réussi à partager quelques secondes de valse. Parfois, cela dure toute la tanda. Cela peut être effectivement frustrant pour ceux qui ne danseront pas avec la personne dont c’est l’anniversaire (les femmes, si c’est une femme qui fête son anniversaire, ou les hommes dans le cas contraire). Cela risque de faire baisser l’énergie dans le bal et à moins que l’ambiance soit très amicale, je pense que cette organisation est à éviter. Plus intéressante est la mise en place d’un double parcours. On invite le héros de soirée à se placer au centre de la piste et les partenaires intéressés s’alignent. Les autres danseurs peuvent les entourer en dansant autour. Je trouve cela assez sympathique et cela ne frustre ni les stakhanovistes du bal ni les amis qui souhaitent partager quelques secondes de danse avec la personne qui fête son anniversaire. Il me semble qu’il est intéressant de proposer cette organisation, ce que peut faire le DJ avec l’accord de l’organisateur, ou l’organisateur, de son propre chef. Pour bien mettre en valeur l’anniversaire, on peut réserver une partie du premier thème au seul anniversaire et remplir progressivement la piste. S’il y a beaucoup de prétendants, cela peut impliquer de réserver tout le premier titre de la tanda à la personne qui fête son anniversaire. Comme DJ qui aime proposer des valses, je propose, en plus de la valse d’anniversaire, une tanda complète. Cela permet aux danseurs qui ont participé au manège de danser avec un autre partenaire. La tanda fera donc au moins quatre valses, voire cinq, si je suis sur un régime de tandas de 4 et que le premier titre a été entièrement utilisé pour souhaiter l’anniversaire. Les danseurs qui vont inviter la personne dont c’est l’anniversaire ne doivent pas hésiter à faire un peu de spectacle. Pas dans la façon de danser (ils doivent au contraire, être aux petits soins pour le partenaire), mais dans la manière de prendre son tour (ou de le donner). Cela apporte une distraction à ceux qui ne participent pas. Dans mon ancien profil Facebook, malheureusement fermé pour d’obscures raisons, j’avais réalisé une vidéo en direct où les danseurs qui s’étaient mis en file indienne se sont mis à se balancer en rythme d’un pied sur l’autre. Ce fut un superbe moment, tous les hommes de l’événement se balançant d’une même cadence, dans l’attente de partager quelques secondes de bal.
Mentías. L’illustration n’est pas exactement fidèle au texte, mais plutôt à la musique et surtout, elle évoque l’utilisation que j’en propose, une valse d’anniversaire.
Le Carnaval était, chaque année, un moment clef pour les orchestres de tango. À cette occasion, des orchestres se regroupaient pour proposer des orchestres immenses et des milliers de danseurs “tanguaient” sur les pistes plus ou moins improvisées, dans les rues, les places ou les salles de concert, comme le Luna Park. Mais Carnaval, c’était bien plus que le seul tango. C’était un moment de libération dans une vie souvent difficile et parfois, l’occasion de rencontres, comme celle que nous narre ce tango de Di Sarli.
Extrait musical
Otra vez carnaval (Noche de carnaval) 1942-01-03 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino.Partition de piano de Otra vez carnaval de Di Sarli et Jiménez.
Paroles
En los ojos llevaba la noche y el amor en la boca… Carnaval en su coche la paseaba triunfal. Serpentina de mágico vuelo fue su amor de una noche; serpentina que luego arrastró mi dolor enredada en las ruedas de un coche cuando el corso en la sombra quedó…
Otra vez, Carnaval, en tu noche me cita la misma bonita y audaz mascarita… Otra vez, Carnaval, otra vez, como ayer, sus locos amores le vuelvo a creer. Y acaso la llore mañana otra vez…
Fugitivas se irán en la aurora la ventura y la risa… ¡Tendrán todas mis horas una gris soledad! En mis labios habrá la ceniza de su nuevo desaire; y despojos del sueño tan sólo serán, un perfume rondando en el aire y en el suelo un pequeño antifaz… Carlos Di Sarli Letra: Francisco García Jiménez
Dans ses yeux, elle portait la nuit et l’amour à la bouche… Carnaval dans son char la faisait défiler triomphalement. Un serpentin de vol magique fut son amour d’une nuit ; serpentin qui ensuite traîna ma douleur empêtrée dans les roues d’une voiture lorsque le char dans l’ombre s’immobilisa…
Encore une fois, Carnaval, dans ta nuit, me donna rendez-vous, la même belle et audacieuse, masquée… Encore une fois, Carnaval, encore une fois, comme hier, ses amours folles, je reviens à les croire. Et peut-être que je la pleurerai demain, encore une fois…
Les fugitives s’en iront dans l’aurore, la fortune et les rires… Toutes mes heures auront une solitude grise ! Sur mes lèvres resteront les cendres de son nouveau camouflet ; et les restes du rêve ne seront plus qu’un parfum planant dans l’air et sur le sol un petit masque…
Autres versions
Otra vez carnaval (Noche de carnaval) 1942-01-03 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino. C’est notre tango du jour.Otra vez carnaval (Noche de carnaval) 1947-01-14 — Orquesta Carlos Di Sarli con Jorge Durán. Cinq ans plus tard, nouveau chanteur. Di Sarli réenregistre sa composition.Otra vez carnaval 1981-08-12 — Roberto Goyeneche con Orquesta Típica Porteña. Une version à écouter.
Carnaval
Les festivités de Carnaval se sont vues à plusieurs reprises interdites en Argentine. Il faut dire qu’au XIXe siècle, cela donnait souvent lieu à des débordements. Il s’agissait de manifestations plutôt spontanées jusqu’au dix-neuvième siècle, elles furent interdites ou limitées à certains lieux, notamment dans le cadre de la limitation des populations d’origine africaines.
1869, l’état autorise le carnaval et l’organise
C’est Sarmiento, de retour d’un voyage en Italie où il avait assisté aux festivités de Carnaval, qui les a rétablies officiellement en 1869 sous la forme du défilé.
Défilé en 1931, 1940 et de nos jours (Gualeguaychú, province de Entre Ríos).
Tango et carnaval
Les orchestres étaient mis à contribution et, durant les décennies tango, les orchestres de tango faisaient danser plusieurs milliers de couples. Pas seulement à Buenos Aires, mais aussi à Montevideo et Rosario, notamment.
Affiches de carnavals. 1917 Firpo et Canaro — 1940 Eddie Kay (Jazz), Canaro, Fresedo et D’Arienzo (voir le petit jeu en fin d’article). Ensuite, Di Sarli et enfin une affiche de 1950 avec Troilo et De Angelis.
Exemple de règlement mis en place durant la dictature militaire (Cordoba, 1976/02/23)
La plus récente prohibition fut partielle. C’était pendant la dernière dictature du vingtième siècle. Le Carnaval n’avait pas été aboli, mais deux conditions avaient été posées : “Se prohíbe el uso de disfraces que atenten contra la moral y la decencia públicas: uniformes militares, policiales, vestiduras sacerdotales y los que ridiculicen a las autoridades del Estado u otras naciones. -Está permitido de 9 a 19, jugar con agua en buenas condiciones de higiene, globitos y pomos.” « L’utilisation de costumes qui violent la moralité publique et la décence est interdite : uniformes militaires, uniformes de police, vêtements sacerdotaux et ceux qui ridiculisent les autorités de l’État ou d’autres nations. (On notera que la lecture peut être à double niveau et que l’on pourrait y considérer les vêtements militaires et sacerdotaux comme indécents…) -Il est permis de 9 h à 19 h de jouer avec l’eau dans de bonnes conditions d’hygiène, les ballons et les pommeaux. » (Les jeux d’eau sont en effet courants, il faut dire que l’époque du carnaval correspond au plein été en Argentine).
Les jeux avec l’eau sont restés permis pendant la dictature.
Cependant, durant la Dictature, il n’y a pas eu de Carnaval proprement dit, pas de défilés et de grandes fêtes populaires.
La fin de la dictature et le retour du Carnaval
Lorsque Alfonsin fut élu en 1983, il mit en œuvre son programme « Avec la démocratie on mange, on se soigne et on s’éduque ». L’année suivante, le carnaval de nouveau libéré a pris une saveur particulière et, peu à peu, les tentatives de coup d’État se sont espacées et la démocratie s’est implantée pour une quarantaine d’années.
Le carnaval de 1984 est important, car il fête le retour de la démocratie et, par la même, le retour du Carnaval sous sa forme habituelle.
En 2023, le congrès portait des banderoles 40 ans de démocratie, en souvenir de cette époque.
Le gouvernement précédent avait fait placer deux banderoles, de part et d’autre de l’entrée des députés au Congrès (Congreso). J’ai pris cette photo, peu de temps après le changement de gouvernement. Une des banderoles avait disparu. On remarquera une scène étonnante, ce livreur qui dort sur la chaussée (emplacement réservé aux voitures officielles). Il ne reste bien sûr plus de banderole aujourd’hui et les indigents sont priés de dormir hors de la ville. Les matelas de fortune et les maigres possessions de ces personnes sont brûlés. Cela semble fonctionner, on rencontre beaucoup moins de personnes dormant dehors maintenant. Mais il suffit de franchir les limites de la ville pour constater que ce n’est pas une amélioration de la situation des plus pauvres, mais un simple « nettoyage ».
Petit jeu (très facile)
Observez cette affiche et attribuez à chaque chef d’orchestre son ou ses chanteurs…
Affiche de la Radio El Mundo de Buenos Aires pour le Carnaval de 1940.À gauche les orchestres et à droite les chanteurs…
Réponse au petit jeu
J’imagine que vous n’avez pas trop eu de difficulté pour ce qui est de raccorder les orchestres avec leurs chanteurs de tango. Il restait ensuite deux noms, Eddie Kay et Rudy Green, qu’il semble donc logique d’associer, car ils sont moins connus. Eddie Kay, pianiste né en Italie et qui est passé auparavant par les États-Unis pour sa formation musicale avant de retourner en Italie, puis de s’installer en Argentine. Étant donné son passé en Amérique du Nord, il est tentant d’en faire un musicien de jazz. On n’aurait pas tort, mais sa rencontre avec Gardel, qui se transforma en amitié, a fait qu’il a élargi ses horizons et a également composé des tangos. Cependant, en ce qui concerne l’affiche de notre jeu, il intervenait bien comme orchestre de jazz (Foxtrots, valses et danses importées d’Amérique du Nord). Son groupe Alabama Jazz, a un nom qui marque bien les ambitions de cet orchestre, tout comme le pseudonyme Eddie Kay car son nom véritable était Edmundo Tulli, ce qui fait nettement moins, jazzman. Il reste Rudy Green. Là, je n’ai pas trouvé trace du bonhomme. Il y a bien un Rudy Green, mais celui-ci était noir et avait commencé sa carrière en 1946 à Nashville alors qu’il avait 14 ans. Il s’agit donc forcément d’un autre Rudy Green, le type sur l’affiche n’a pas une tête de gamin noir de 8 ans… Je ne sais donc pas si ce chanteur était associé à Eddie Kay, mais, par son nom ou pseudonyme, on peut penser qu’il gravitait également autour du Jazz. Peut-être qu’un jour la lumière se fera sur ce point et alors, je vous en aviserai.
Les réponses. Le lien entre Eddie Kay et Rudy Green est une hypothèse, fort probable, mais sans garantie…
Un petit cadeau
J’ai monté quelques images fixes et animées de Carnaval. Cela vous permettra de vous faire une idée du phénomène.