Archives par étiquette : Ángel D’Agostino

El cuarteador 1941-09-08 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino

Rosendo Luna (Enrique Domingo Cadícamo) (Musique et paroles)

Rosendo Luna, de son nom complet Enrique Domingo Cadícamo a composé et écrit les paroles de notre tango du jour, El cuarteador. C’est pour nous l’occasion de découvrir un métier oublié, banni de en 1966 avec l’interdiction des moteurs de sang (la traction animale). El cuarteador est un cavalier muni d’une forte monture qui loue ses services aux voituriers embourbés ou en mauvaise passe.

Enrique Cadícamo a composé ce titre sur le mini piano qu’il venait d’acheter.

Schroeder, le peanuts créé par Charles M. Schulz et son mini piano.

Je me suis posé la question de savoir ce qu’était un mini piano. En fait, ce n’est probablement pas un instrument dans le genre de celui de Schroeder, mais tout simplement un piano droit, sans doute un peu moins large avec seulement cinq ou six octaves. Son instrument était de la maison John Carlitt, une maison allemande de la ville de Dresde et ce facteur faisait dans le piano traditionnel, pas dans le jouet. Cadícamo semble avoir été assez discret sur l’usage de cet instrument, il n’a sans doute pas été un véritable pianiste, son talent n’en a absolument pas souffert comme on peut l’entendre dans cette composition.
Curieusement, n’a pas composé ce titre ou un autre du même genre alors qu’il a travaillé comme cuarteador. Ce sont deux autres Ángel, D’Agostino et Vargas qui l’enregistreront à la suite de Troilo-Fiorentino et Canaro-Amor.
Attention, nous allons patauger dans la boue, dans la boue de Barracas.

Extrait musical

El cuarteador 1941-09-08 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino. Le titre commence par une annonce.

Paroles

Fue en un café de la Boca y allá por el ano dos, donde este tango nació. Estaba linda la fiesta. Y compadreando la orquesta de esta manera empezó.
Yo soy Prudencio Navarro,
.
Tengo un pingo que en el barro
cualquier carro
tira y saca.
Overo de anca partida,
que en un trabajo de cuarta
de la zanja siempre aparta
¡Chiche!
la rueda que se ha quedao.

Yo que tanta cuarta di,
yo que a todos los prendí
a la cincha de mi percherón,
hoy, que el carro de mi amor se me encajó,
no hay uno que pa’ mi
tenga un tirón.

En la calle del querer
el amor de una mujer
en un bache hundió mi corazón…
¡Hoy, ni mi overo me saca
de este profundo zanjón!

Yo soy Prudencio Navarro,
el cuarteador de Barracas.
Cuando ve mi overo un carro
compadreando
se le atraca.

No hay carga que me lo achique,
porque mi chuzo es valiente;
yo lo llamo suavemente
¡Chiche!
Y el pingo pega el tirón.

Rosendo Luna (Enrique Domingo Cadícamo) (Musique et paroles)

Traduction libre et indications

C’était dans un café de La Boca et en l’an 2 (1902) que ce tango est né. La fête était sympa. Et l’orchestre amicalement commença de cette façon.

Je suis Prudencio Navarro, le cuarteador de Barracas.
J’ai un pingo (cheval en ) qui tire et sort de la boue n’importe quel chariot.
Overo (Cheval couleur de pêche, aubère ou alezan) avec la croupe fendue (car musclée), qui dans un travail de cuarta (travail du cuarteador qui consiste à tirer des chariots embourbés. Le nom vient du fait que l’on pliait la sangle de tirage pour la rendre quadruple et ainsi plus résistante), du fossé sort toujours, Chiche ! (Nom du cheval, ou expression pour le mobiliser) la roue qui était coincée.
Moi qui ai donné tant de cuartas, moi qui les ai tous accrochés à la sangle de mon percheron, aujourd’hui, que la voiture de mon amour s’est coincée, il n’y en a pas un qui pour moi ferait une traction.
Dans la rue de l’amour, l’amour d’une femme dans un nid-de-poule a fait sombrer mon cœur…
Aujourd’hui, même mon overo ne peut pas me sortir de ce fossé profond !
Je suis Prudencio Navarro, le cuarteador de Barracas.
Quand mon overo voit une voiture, il s’y colle (comme un amoureux qui recherche le contact d’une femme, jeu de mots, car c’est aussi attacher le chariot).
Il n’y a pas de fardeau qui puisse le rétrécir, parce que mon chuzo (aiguillon) est courageux ; je l’appelle doucement Chiche ! Et le pingo (cheval, mais peut aussi avoir un sens plus coquin) tire.

Autres versions

El cuarteador 1941-09-08 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino. C’est notre tango du jour.
El cuarteador 1941-10-06 – Orquesta con Francisco Amor.
El cuarteador 1942 Orquesta Ángel D’Agostino con .

Mais Enrique Cadícamo a aussi réalisé un court métrage où on peut entendre les deux anges interpréter ce thème. Nous en avons déjà parlé à propos de .

Voici la vidéo au moment où D’Agostino et Vargas entament El cuarteador de Barracas, mais je vous recommande de voir les 9 minutes du court-métrage en entier, c’est intéressant dès le début et avant El cuarteador de Barracas, il y a Tres Esquinas

El cuarteador de Barracas à 6:54 du film de Enrique Cadícamo.
Timbre uruguayen mettant en avant un cuarteador. Remarquez le harnachement du cheval.

Los cuarteadores

Nous avons vu qu’Ángel Villoldo avait exercé ce métier, mais il avait aussi été clown dans un cirque, typographe et a de fait exercer de nombreux petits métiers pour survivre.
Pour les mêmes raisons, les gauchos dont les territoires ont été rattrapés par l’urbanisation de Buenos Aires se sont adaptés et sont passés du gardiennage des vaches au sauvetage des chariots et tranvias (tramways) en péril dans la boue ou dans des déclivités trop fortes.
Pour les voyages en chariot, il était prudent de s’attacher les services d’un ou plusieurs cuarteadores pour pouvoir se tirer d’embarras dans les chemins défoncés qui servaient de routes à l’époque.

À gauche, Prudencio Navarro par Rodolfo Ramos et à droite, des voyageurs attendant les cuarteadores…

Voici comment les voyageurs , narrèrent leur traversée de la pampa entre Buenos Aires et Santa Fe.

« Après avoir attaché l’attelage à la malle-poste (diligence), sous la direction du cocher, on adjoignit quatre cuarteadores, mal vêtus, chacun sur son cheval, sans autre harnais que la sangle.
Celle-ci était attachée par une extrémité à la selle et de l’autre au timon de la voiture…
À peine avions-nous atteint les faubourgs que nous rencontrâmes un de ces terribles marécages.
Ce sont des masses de boue épaisse de trois à trois mètres et demi de profondeur et trente à cinquante de largeur (la profondeur semble exagérée, mais retenons que c’était boueux).
Les cuarteadores éclaboussèrent dans la boue, puis la deuxième équipe les suivit, et lorsque les deux équipes quittèrent le marais et, par conséquent, furent sur la terre ferme, avant que la voiture n’entre dans le bourbier, elles avaient gagné un endroit où se tenir pour développer leur force.
À coups de fouet et d’éperon, encouragés par les cris des postillons, les chevaux nous traînèrent triomphalement hors du marais.
De cette façon, nous avons traversé avec tous les bourbiers, marécages et ruisseaux qui séparent Buenos Aires et Santa Fe. »

La gravure du 19e siècle qui m’a servie pour réaliser l’ de l’anecdote.

On remarquera la sangle (ici qui n’est pas quadruple), entre la selle et le timon. Il s’agit d’aider dans une montée. J’ai rajouté de la boue dans ma version pour rendre l’expérience encore plus probante. Cette gravure est indiquée comme étant de Buenos Aires, mais je n’ai pas trouvé le lieu. On remarquera au premier plan à droite, un autre cuarteador se relaxant avec le pied sur la sangle de tirage posée sur la croupe du cheval. Il attend à son tour que des chariots fassent appel à ses services.
Voilà, cette anecdote tire à sa fin, vous écouterez sans doute de façon différente les belles versions de cette composition de Rosendo Luna.

Gil a rayas 1953-08-10 – Orquesta Ángel D’Agostino

Letra: Rafael Herraiz

Le 1er janvier 2018, à la milonga à Gricel (), un danseur âgé est venu me demander de passer . Cela correspondait à un souvenir. Je lui ai demandé s’il avait une version de préférence, il me répondit que non. Comme je suis un DJ qui aime faire plaisir, j’ai cherché un moment favorable. Ce n’était pas si évident pour moi, car je ne passe pas de D’Agostino instrumental. Je vous dirai la version choisie et expliquerai son intégration dans la tanda en fin d’article.

Un gil ?

Un gil est un idiot, quelqu’un facile à berner. Ici, il est à rayures. N’ayant pas le support des paroles (probablement perdues), il est difficile d’imaginer le sens de l’expression complète, l’idiot à rayures. Peut-être cela fait référence à son style vestimentaire, les rayures ajoutant, ou pas à son imbécillité. On notera qu’un Gil a cuadros, (Gil à carreaux) est encore plus bête que le Gil simple.

Gilles, Antoine Watteau 1719c.

Même si ce gil, Gilles, n’a pas de rayures, il représente assez bien l’idée du personnage un peu niais ou pour le moins naïf.
En fait, ce tableau que l’on a longtemps appelé Gilles est désormais appelé Pierrot, mais cela ne change pas l’, Pierrot étant le naïf de la Commedia dell’Arte. Le tableau ayant été recadré, il manque la partie gauche, la partie sombre du tableau où se trouve l’homme sur l’âne (le docteur ignare) pouvait révéler à l’origine d’autres personnages inquiétants…
L’homme en rouge est le Capitaine, le militaire fanfaron. Les personnages en costume clairs sont « les amoureux ». Le buste sur la droite qui évoque le profil du docteur, en symétrie, a un regard inquiétant. Les différents éléments semblent donc vouloir se jouer du candide Pierrot, Gilles, gil. Je vous propose d’écouter notre en regardant ce tableau. Vous y découvrirez peut-être la même histoire.

Extrait musical

Gil a rayas 1953-08-10 – Orquesta Ángel D’Agostino.

Le titre a été enregistré (inscrit dans les registres) à la SADAIC le 20 mai 1958 sous la référence #40535 | ISWC T0370436660. Les auteurs sont mentionnés pour cette seule œuvre et ils restent assez mystérieux. D’où viennent ces giles ? Pardon, ces auteurs ? Je ne vous donnerai pas la réponse, mais je suis intéressé si vous l’avez…

Autres versions

Tout d’abord, je tiens à saluer mes regrettés amis et pour la confiance de m’avoir confié à de nombreuses reprises la musicalisation de la milonga Derecho Viejo.
Je reviens donc à ce 1er janvier 2018 dans le beau Salón Gricel (je crois qu’à cette époque c’était encore l’ancien décor). Un danseur est donc venu me demander Gil a rayas. Voici les 5 choix qui s’offraient à moi et pourquoi j’ai choisi la version que j’ai diffusée.

Gil a rayas 1922 – Enrique Delfino (solo de piano).

Je la mentionne ici, car c’est un élément historique, mais un acoustique ne se diffuse pas en milonga et de plus, c’est une version au piano. Cet enregistrement nous permet toutefois d’entendre Delfy dans une de ses nombreuses facettes, celle du pianiste.

Gil a rayas 1927-10-28 – Orquesta Francisco Lomuto.

Je ne l’ai pas envisagé une seconde, il est très rare de passer la vieille garde à Buenos Aires. Ce n’est pas vilain, mais pas au goût des portègnes.
Il restait donc trois versions, toutes par D’Agostino et toutes les trois instrumentales. S’il y a un nom d’auteur, Rafael Herraiz, il n’y a apparemment pas de version chantée enregistrée.
Voici les trois versions de D’Agostino :

Gil a rayas 1942-08-11 – Orquesta Ángel D’Agostino.

Cette version est assez classique et elle a l’avantage d’être au cœur de l’activité de D’Agostino et donc de pouvoir être incorporée facilement dans une tanda.

Gil a rayas 1953-08-10 – Orquesta Ángel D’Agostino. C’est notre version du jour.

Elle présente l’intérêt d’être à peu près compatible avec Café Dominguez, le gros tube du D’Agostino tardif qui est aussi instrumental. Mais on se retrouve dans le même cas que pour Café Dominguez, difficile de constituer une tanda harmonieuse.

Gil a rayas 1962-05-06 – Orquesta Ángel D’Agostino.

l’esprit pour être diffusée. Elle est trop plan-plan et inerte pour que j’envisage de la proposer.
Vous trouverez sans doute une version datée de 1963-05-06, mais c’est la même que celle de 1962 (même matrice et même numéro de disque), c’est donc une coquille de l’éditeur.
Il restait donc deux titres possibles ; la version de 42 et celle de 53.

Que choisir ? Le dilemme du DJ

Le DJ est là pour faire plaisir aux danseurs. Il doit donc sans cesse estimer ce dont « ils ont besoin, envie ». Là, il y avait une commande. Comme D’Agostino est généralement plutôt calme, il peut bien convenir après une tanda de milonga. C’est l’option que j’ai choisie.
J’avoue avoir beaucoup hésité entre deux possibilités.

  1. Jouer le plus sûr avec la version de 1953, précédée ou suivie de Café Dominguez et deux tangos chantés par Vargas de la décennie antérieure. C’est un peu monstrueux d’un point de vue de l’harmonie de la tanda, mais sans trop de risque, car chaque titre individuellement sera accepté par les danseurs.
  2. Mettre la meilleure version pour la danse à Buenos Aires, celles de 1942 et la compléter par trois titres de la même époque.

C’est l’option 2 que j’ai choisie, car j’aime bien faire des tandas harmonieuses. Ayant un doute sur l’accueil de Gil a rayas par les danseurs, j’avais prévu en cas de problème trois titres avec Vargas en continuation.
Cependant, comme Gil a rayas a été bien accueilli, j’ai continué avec un autre instrumental :

Gran muñeca 1943-12-05 – Orquesta Ángel D’Agostino.

Gran muñeca 1943-12-05 – Orquesta Ángel D’Agostino.

Là, il restait un choix à faire. Continuer en instrumental, avec des titres peu connus ou basculer sur Vargas.
Comme la piste était pleine, je suis resté sur de l’instrumental, non sans avoir le cœur battant à 90…

De pura cepa 1943-12-05 – Orquesta Ángel D’Agostino.

Au moins ce titre est en harmonie avec le précédent et a même été enregistré le même jour.
Là, il n’était plus vraiment question d’aller caser un Vargas. La piste était pleine et les danseurs ne semblaient pas regarder dans ma direction avec des poignards dans les yeux. J’ai donc mis un quatrième instrumental… La musique tranquille semblait leur convenir. D’ailleurs à Buenos Aires, il me semble que la musique est plus calme qu’en Europe. Je pense qu’on y recherche plus la subtilité que l’énergie.

De corte criollo 1945-05-21 – Orquesta Ángel D’Agostino.

Pourquoi ce titre qui est un peu différent des autres. Le piano y est assez présent, rappelez-vous, il dialoguait beaucoup dans la version de Gil a rayas de 1942, le premier titre de la tanda. Certains passages sont un peu plus toniques, notamment ceux où le piano est au premier plan, d’autres sont presque joueurs. Ce titre convient donc assez bien pour des couples qui ont eu trois autres titres pour s’apprivoiser. De plus, il présente une variation finale au bandonéon qui permet de terminer la tanda d’une façon relativement tonique.
La tanda étant une tanda calme après les milongas, cette proposition pouvait bien passer dans ce cadre et ce fut le cas. Peut-être qu’en Europe je ne l’aurai pas proposée, mais en Europe, personne ne m’aurait demandé Gil a rayas
Je crois que c’est la seule tanda instrumentale de D’Agostino que j’ai passée dans ma carrière alors que je passe quasi systématiquement une tanda chantée, notamment par Vargas, ou au pire une tanda mixte, notamment quand il y a Café Dominguez (qui est instrumental) en début de tanda et que je poursuis avec Vargas.

Voilà, les amis, à demain !

Gil a rayas. Rowan Atkinson (Mister Bean) pourrait jouer le rôle d’un gil, non ?

Tres Esquinas 1941-07-24 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Ángel D’Agostino y Alfredo Attadía Letra: Enrique Cadícamo

Je suis aux anges de vous parler aujourd’hui de Tres Esquinas (trois coins de rue), car ce merveilleux tango immortalisé par les deux angelitos (D’Agostino et Vargas) parle à tous les danseurs. C’est une composition de Ángel D’Agostino et Alfredo Attadía, Enrique Cadícamo lui a donné ses paroles et son nom. Partons en train jusqu’à Tres Esquinas à la découverte du berceau de ce tango.

Naissance de Tres Esquinas

En 1920, Ángel D’Agostino a composé ce titre dans une version sommaire pour une saynète nommée « Armenonville » montée par Luis Arata, et José Franco. Comme on peut s’en douter, cette pièce parlait de la vie des pauvres filles du cabaret Armenonville.
Ángel D’Agostino jouait cette composition au piano sous le titre, Pobre Piba (Pauvre gamine).

Une vingtaine d’années plus tard selon la légende () D’Agostino fredonnait le titre que reprit Vargas à la sortie de la salle où ils venaient d’intervenir. Cadícamo imagina le premier vers « Yo soy del barrio de Tres Esquinas ». Alfredo Attadía qui était le premier bandonéon et l’arrangeur de l’orchestre de D’Agostino s’occupa des arrangements. Il doit cependant d’avoir son nom à la partition par son apport sur le phrasé des bandonéons, phrasé inspiré par la façon de chanter de Vargas qui devrait donc à ce double titre avoir aussi son nom sur la partition 😉

Extrait musical

Commençons par écouter cette merveille pour se mettre dans l’humeur propice à notre découverte.

Tres Esquinas 1941-07-24 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas.
Tres Esquinas. Ángel D’Agostino y Alfredo Attadía Letra: Enrique Cadícamo. À gauche, deux couvertures, puis partition et accords guitare et disque.

Je pense que vous avez remarqué ce fameux phrasé dès le début. On y tellement habitué maintenant que l’on pense que cela a toujours existé… Lorsque Vargas chante, le bandonéon se fait discret, se contentant au même titre que les autres instruments de marquer le rythme et de proposer quelques ornements pour les ponts. On notera le superbe solo de violon de après la voix de Vargas et la reprise du bandonéon (vers 2:20). Vargas a le dernier mot et termine le titre.

Je n’ai pas trouvé d’ de Pobre piba pour juger de l’apport de Attadia, mais il y a fort à parier que ce titre éphémère, lié à une pièce qui n’a pas accédé à une gloire intemporelle n’a pas inspiré les maisons de disque.

Paroles

Yo soy del barrio de Tres Esquinas,
viejo baluarte de un arrabal
donde florecen como glicinas
las lindas pibas de delantal.
Donde en la noche tibia y serena
su antiguo aroma vuelca el malvón
y bajo el cielo de luna llena
duermen las chatas del corralón.

Soy de ese barrio de humilde rango,
yo soy el tango sentimental.
Soy de ese barrio que toma mate
bajo la sombra que da el parrral.
En sus ochavas compadrié de mozo,
tiré la daga por un loco amor,
quemé en los ojos de una maleva
la ardiente ceba de mi pasión.

Nada hay más lindo ni más compadre
que mi suburbio murmurador,
con los chimentos de las comadres
y los piropos del Picaflor.
Vieja barriada que fue estandarte
de mis arrojos de juventud…
Yo soy del barrio que vive aparte
en este siglo de Neo-Lux.

Ángel D’Agostino y Alfredo Attadía Letra: Enrique Cadícamo

Traduction libre des paroles

Je suis du quartier de Tres Esquinas (plus un village qu’un quartier au sens actuel), un ancien bastion d’une banlieue où les jolies filles en tablier fleurissent comme des glycines (Il s’agit des travailleuses des usines locales).
Où dans la nuit chaude et sereine le géranium déverse son arôme ancien et sous le ciel de la pleine lune dorment les logis du corralón (le corralón est un habitat collectif, le pendant du conventillo, mais à la campagne. Au lieu de donner sur un couloir, les pièces qui accueillent les familles donnent sur un balcon. Au pluriel, cela peut aussi désigner le lieu où on parque le bétail et tout l’attirail de la traction animale. Je pense plutôt au logement dans ce cas à cause des géraniums qui me font plus penser à un habitat, même si les corralones étaient proches. Les géraniums éloignent les mouches qui devaient pulluler à cause de la proximité du bétail).
Je viens de ce quartier de rang modeste, je suis le tango sentimental.
Je suis de ce quartier qui boit du maté à l’ombre de la vigne.
Dans ses ochavas (la est la découpe des angles des rues qui au lieu d’être vifs à 90 % présentent un petit pan de façade oblique) j’étais un jeune homme, j’ai jeté le poignard pour un amour fou, j’ai brûlé dans les yeux d’une mauvaise l’appât brûlant de ma passion.
Il n’y a rien de plus beau ni de plus compadre que mon faubourg murmurant, avec les commérages des commères et les compliments du Picaflor (les piropos sont des compliments pour séduire et un picaflor [oiseau-mouche] est un homme qui butine de femme en femme).
Un vieux quartier qui fut l’étendard de mon audace de jeunesse…
Je suis du quartier qui vit à part en ce siècle de Néo-Lux.

Autres versions

Comme souvent, les versions immenses semblent intimider les suiveurs et il n’existe pas d’enregistrement remarquable de l’époque, si on exclut Hugo Del Carril à la guitare et notre surprise du jour, mais patience…

Tres Esquinas 1941-07-24 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas. C’est notre tango du jour.
Tres Esquinas 1942-05-07 – Hugo Del Carril con guitarras.

Il me semble difficile de s’attacher à cette version une fois que l’on a découvert celle des deux anges. On retrouve l’ambiance de Gardel, mais cet enregistrement ne sera normalement jamais proposé dans une milonga.

Tres Esquinas 2010 – con Javier Di Ciriaco.

Tres Esquinas 2010 – Sexteto Milonguero con Javier Di Ciriaco. J’ai eu le bonheur de découvrir cet orchestre à ses débuts à où il mettait une ambiance de folie. Je l’ai fait venir à Tangopostale (Toulouse France) où il a suscité un enthousiasme délirant. Il nous reste le disque pour nous souvenir de ces moments intenses magnifiés par la voix de Javier Di Ciriaco.

Le jeune Ariel Ardit relève toutefois le défi et propose plusieurs versions électrisantes de ce titre. Voici un enregistrement public en vidéo datant de 2010.

Ariel Ardit interprète Tres Esquinas en 2010.

Ce n’est pas non plus pour la danse (du moins dans sa forme traditionnelle), mais c’est une magnifique version avec une grande richesse des contrepoints. Ariel Ardit donne beaucoup d’expression et l’orchestre n’est pas en reste. On comprend l’approbation du public.

SURPRISE : il reste une version en réserve à découvrir à la fin de cette anecdote, vous ne pouvez pas vous la perdre ! Avis pour Thierry, mon talentueux correcteur, ce n’est pas une coquille, mais une formulation calquée sur l’espagnol…

Un petit mot sur Tres Esquinas

Il faut imaginer un lieu relativement rural qui comportait des espaces de terrains vagues, des usines, des maisons pour les pauvres (corralones) et des cafés, dont un qui se nommait Tres Esquinas du nom de ce quartier qui disposait toutefois d’une station ferroviaire du même nom… Voici de quoi vous repérer. Attention, cette zone n’est pas trop à recommander aux touristes, mais on y organise des peñas magnifiques ! Pas des peñas pour touristes dans un café plus ou moins branché, mais des hangars remplis de centaines de danseurs qui s’éclatent sur des orchestres fabuleux en dansant, chacareras, gatos, zambas et une bonne dizaine d’autres titres. Ce qui est le plus surprenant est que quand l’orchestre enchaîne deux titres, les danseurs adoptent automatiquement le style de la nouvelle danse en moins de deux secondes. Si vous avez lu mes conseils pour la chacarera, vous savez déjà reconnaître celles à 6 et 8 compases et les dobles, c’est la partie fondue de l’ du folklore argentin.

Le café Tres Esquinas est ici cerclé de rouge.

On voit qu’on est au bord de l’eau (Riachuelo) qui marque la limite sud de la ville de Buenos Aires (Vue Google). Comme on peut le voir, le quartier est d’usines, de terrains vagues et est maintenant bordé par l’autoroute qui va à La Plata (la capitale de la Province de Buenos Aires). Le café proprement dit n’est plus que l’ombre de lui-même. Notez toutefois la ochava  qui coupe l’angle de l’immeuble et qui marque l’entrée de ce qui était ce café historique.
La station de train portait aussi logiquement le nom du quartier.

À gauche la gare de Tres Esquinas vers 1909. À droite, une vue aérienne de Google.

Le cercle rouge est le café Tres Esquinas. Le cercle jaune marque la zone où était située la gare de Tres Esquinas détruite en 1955. L’autoroute qui a été créée en 1994-1996 a coupé en deux le quartier et probablement mis un peu de désordre dans les baraquements de latas (voir Del barrio de las latas, le berceau du tango pour en savoir plus sur ce type de construction)

Et pour terminer, un court-métrage reconstituant l’ambiance d’un bar comme celui de Tres Esquinas, réalisée par Enrique Cadícamo en 1943.

Voici la vidéo au moment où D’Agostino et Vargas entament Tres Esquinas, mais je vous recommande de voir les 9 minutes du court-métrage en entier, c’est intéressant dès le début et après Tres Esquinas, il y a de Barracas

Court-métrage sur un scénario et sous la direction de Enrique Cadícamo où l’on voit des scènes de café, pittoresques et l’interprétation de Tres esquinas et de El cuarteador de Barracas par Ángel D’Agostino et Ángel Vargas.

À demain, les amis !

Esquinas porteñas 1942-05-22 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Letra: Homero Manzi

Manzi est le chantre de . Il nous parle de son vécu, dans sa ville et des personnages de la vie quotidienne à travers ses textes de tango comme : , El ultimo organito, El pescante, Manoblanca et bien sûr, Sur. Notre valse du jour, , est de cette veine. Ses esquinas (angles de rues) et ses ruelles sont chargées de l’émotion si finement exprimée par Vargas.

 On ne présente plus l’association des deux anges, Ángel D’Agostino et Ángel Vargas. C’est une de ces combinaisons magiques qui de 1940 à 1946 nous a proposé près d’une centaine de merveilles enregistrées.
Cette association fonctionne si bien, qu’il est très rare que l’on propose un D’Agostino avec un autre chanteur ou instrumental. La seule exception, bien sûr, Café Domínguez qui est un casse-tête pour les DJ. Soit on reste cohérent sur le style avec des tangos de la même époque et le résultat est moyen, soit on fait un bond en changeant de style pour continuer la tanda avec un des merveilleux titres enregistrés avec Vargas. La plupart des DJ font ce choix.

Extrait musical

Esquinas porteñas 1942-05-22 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas.
Esquinas porteñas, Sebastián Piana Letra: Homero Manzi

Paroles

Esquina de barrio porteño
te pintan los muros la luna y el sol.
Te lloran las lluvias de invierno
en las acuarelas de mi evocación.
Treinta lunas conocen mi herida
y cien callecitas nos vieron pasar.
Se cruzaron tu vida y mi vida,
tomaste la senda que no vuelve más.

Calles, donde la vida mansa
perdió las esperanzas,
la pasión y la fe.
Calles, sí sé que ya está muerta,
golpeando en cada puerta
por qué la buscaré.
Callecitas, sombreadas de poesía,
nos vieron ir un día
felices los dos.
Compañera del sol y las estrellas,
se fue la tarde aquella
camino de Dios.

Los vientos murmuran mi pena.
Las sombras me dicen que ya se marchó.
Y escrito en las noches serenas
encuentro su nombre como una obsesión.
Esquinita de barrio porteño,
con muros pintados de luna y de sol,
que al llorar con tus lluvias de invierno
manchás el paisaje de mi evocación.

Sebastián Piana Letra : Homero Manzi

chante ce qui est en gras et bleu
chante tout ce qui est en gras (bleu et noir).
Ignacio Corsini et Mercedes Simone chante tout et reprend ce qui est en gras et bleu.
Ángel Vargas chante ce qui est en gras et reprend ce qui est en gras et bleu.
Rubén Cané chante tout ce qui est en gras, continue avec la première partie du dernier couplet (ce qui est souligné) et reprend la fin du premier couplet, ce qui est en gras et souligné.

libre et indications

Angle de rues (esquina, c’est le coin de rue. Je garde esquina pour la suite, car c’est plus joli) d’un quartier de Buenos Aires (porteño, du port. Une des rares villes portuaires, dont les habitants s’appellent selon cette caractéristique, plus que d’après le nom de la ville), la lune et le soleil peignent tes murs.
Les pluies d’hiver te pleurent dans les aquarelles de mon évocation.
Trente lunes connaissent ma blessure et cent petites rues nous virent passer.
Ta vie et ma vie se sont croisées, tu as pris le chemin qui ne revient jamais.

Rues, où la vie douce perdait les espérances, la passion et la foi.
Rues, si je sais qu’elle est déjà morte, pourquoi je la chercherais en frappant à toutes les portes ?
Les ruelles, ombragées de poésie, nous ont vus un jour, heureux tous les deux.
Compagne du soleil et des étoiles, elle est partie cette après-midi-là, sur le chemin de Dieu.

Les vents murmurent ma peine.
Les ombres me disent qu’elle est déjà fanée.
Et j’ai écrit dans les nuits sereines, trouvant son nom comme une obsession.
Esquina de barrio porteño, aux murs peints par la lune et le soleil, qui, lorsque tu pleures avec tes pluies hivernales, tu taches le paysage avec mon évocation.

Autres versions

Esquinas porteñas 1934-03-23 – Orquesta con Fernando Díaz.

La plus ancienne version enregistrée, relativement lente.

Esquinas porteñas 1934-03-27 – Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá.

Dans le rythme très lent que Canaro semble affectionner. On peut remarquer une belle introduction que l’on ne retrouve pas dans la version enregistrée par son « jumeau » quatre jours plus tôt. L’interprétation a un caractère un peu . Cela tourne vraiment très tranquillement, un peu pesamment.

Esquinas porteñas 1934-04-05 — Ignacio Corsini con guitarras de Pagés-Pesoa-Maciel.

Une version un peu plaintive où Corsini chante l’intégralité des paroles.

Esquinas porteñas 1934-04-25 — Mercedes Simone con orquesta.

Même si c’est une version a priori à écouter, cette superbe version mérite à mon avis d’être dansée. Le rythme est beaucoup plus rapide. L’orchestre est en retrait pour laisser la place à Mercedes, mais la structure de la valse est toujours perceptible, ce qui facilitera la danse. On pourra en outre la comparer à l’ de 1966 que je vous propose également ci-dessous…

Esquinas porteñas 1942-05-22 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas. C’est notre valse du jour.

Il fallait au moins les deux anges pour rester au niveau de la version de Mercedes Simone. Défi relevé. Là encore le rythme est rapide. On retrouve la belle sonorité de D’Arienzo qui recherche en plus a être toujours efficace pour les danseurs, tout du moins dans les années 40.

Esquinas porteñas 1953-02-02 — Orquesta Ángel D’Agostino con Rubén Cané.

En 1953, D’Agostino essaye de relancer son titre avec le chanteur qui a remplacé Vargas, Rubén Cané. Je vous laisse juger du résultat. Je trouve l’orchestre un peu sirupeux, moins incisif. Cela reste dansant, mais c’est sans doute moins efficace pour faire se lancer les danseurs sur la piste.

Esquinas porteñas 1966 — Mercedes Simone con acomp. de Emilio Brameri.

La voix de Mercedes Simone est plus mûre, mais elle transmet toujours de l’émotion. J’aime bien l’introduction et les transitions de l’orchestre entre les phrases chantées par Mercedes, sont assez originales. De la très belle ouvrage de la part de l’orchestre Brameri, encore un orchestre qui n’a pas tout à fait passer la porte de la postérité. Brameri était pianiste, violoniste, accordéoniste, compositeur et directeur d’orchestre…

Il y a bien sûr d’autres enregistrements postérieurs de cette magnifique valse, mais je trouve bien de terminer avec elle, d’autant plus que la fin un peu spectaculaire laisse clairement apparaître « FIN », comme au cinéma. Et toc…

Esquinas porteñas.

Caricias 1937-05-07 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar

Juan Martí Letra : Alfredo Bigeschi

Caricias (caresses). Le titre de ce tango est plein de promesses, mais vous vous en doutez, il s’agit plus de souvenirs que d’avenir. Découvrons ce titre dont la version du jour fête aujourd’hui son 87e anniversaire. La musique est de Juan Martí, les paroles d’Alfredo Bigeshi et l’ a été effectué par Francisco Lumuto et Jorge Omar.

Alfredo Bigeschi (Portoferraio, Île d’Elbe, Italie 1908-12-18 — Buenos Aires 1980-03-25), violoniste, auteur et compositeur

Alfredo Bigeschi (Portoferraio, Île d’Elbe, Italie 1908-12-18 — Buenos Aires 1980-03-25), violoniste, auteur et compositeur

Alfredo a débarqué d’Italie avec ses parents à l’âge de 12 ans. À 15 ans, il écrivait pour le carnaval de La Boca où la famille vivait et l’année suivante, en 1924, il publiait son premier tango, « Tenorios de mi barrio » œuvre probablement perdue et sans enregistrement et dont le titre est un peu étonnant pour un jeune de 16 ans (coureurs de jupons/favoris de jeunes prostituées). Mais il en composera et/ou écrira les paroles d’environ 300 autres, dont notre tango du jour, Caricias.

1911-01-15 – 1967-06-25) compositeur.

Juan Martí est pour sa part moins prolifique. On pourrait citer en plus de Caricias qui est son plus grand et seul succès, Mis (attention à ne pas confondre avec du même nom de Ángel Maffia et Enrique Cadícamo), Nunca nunca, Si tú te vas ou Todo está demás. Ces œuvres n’ont pas été enregistrées ou les enregistrements sont restés confidentiels.

Extrait musical

Caricias 1937-05-07 — Orquesta con Jorge Omar

C’est la plus ancienne version qui nous soit parvenue.
D’autres tangos plus anciens portent ce nom, comme celui chanté en 1925 par Gardel, mais ils ont d’autres auteurs et n’ont de commun avec notre tango du jour, que le titre.
Dans ce titre, on remarquera, une fois de plus que Francisco Lomuto n’a pas que le prénom en commun avec Francisco Canaro. Le style est relativement proche. Lomuto ne peut pas être considéré comme un novateur pour continuer ce style « Vieille garde » en 1937.

Paroles

La soledad
que me envuelve el corazón,
va encendiendo en mi alma
el fuego de tu amor lejano.
En las brumas de tu olvido
viaja mi ilusión,
gritando tu nombre en vano.

Pero no estás
y en mi cruel desolación
es un fantasma el
de lo que se fue.
Percibo tu sombra y mi amor te nombra
pidiéndote aquellas caricias de ayer.

No vendrás
y sin embargo te espera mi amor.
Quiero olvidarte y no puedo olvidar
porque sos toda mi ilusión.
No vendrás
y yo esperándote estoy, mi bien,
con la fe del que ama como yo.
Y añora de ti, caricias de ayer
anhelante mi buen corazón.

En la ansiedad
de tenerte junto a mí
mis manos en el vacío
te andan buscando,
y en medio de este silencio
atroz mi alma ,
para sí, te está llamando.

Juan Martí Letra: Alfredo Bigeschi

Traduction libre

La solitude qui enveloppe mon cœur allume dans mon âme le feu de ton amour lointain.
Dans les brumes de ton oubli voyage mon illusion, criant ton nom en vain.
Mais tu n’y es pas et dans ma cruelle désolation, le souvenir de ce qui s’en est allé n’est plus qu’un fantôme.
Je perçois ton ombre et mon amour te nomme, te demandant ces caresses d’hier.
Tu ne viendras pas, et pourtant mon amour t’attend.
Je veux t’oublier et je ne peux pas oublier parce que tu es toute mon illusion.
Tu ne viendras pas, et je t’attends, ma bonne, avec la foi de celui qui aime comme moi.
Je suis en manque de toi, de caresses d’hier désirées par mon bon cœur.
Dans l’anxiété de t’avoir près de moi, mes mains dans le vide te cherchent, et au milieu de cet atroce silence, mon âme fiévreuse, pour elle-même, t’appelle.

Autres versions

Caricias 1937-05-07 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar
C’est notre tango du jour.
Caricias 1938-03-28 — con acomp. de su Trío Típico.

Une superbe version en chanson. Le tempo est très lent. Mercedes met toute son émotion dans son interprétation, ce qui en fait une version à considérer, pas pour la milonga, bien sûr, mais pour une écoute, un jour gris.

Caricias 1945-08-07 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas.

Première version bien dansante de notre sélection, même si la version de Lomuto charmera les fanatiques de la vieille garde. On connaît la merveilleuse association des deux anges. Vargas et D’Agostino signent, ici, un de leurs innombrables chefs-d’œuvre.

Caricias 1951-07-30 — Orquesta con Carlos Heredia.

Biagi commence dans une sonorité étouffée qui ne lui est pas si courante. L’orchestre continuera ainsi avec discrétion, juste en appui de la voix de Carlos Heredia.
On regrette un peu que cette version ne soit pas un Biagi plus typique. Mais une surprise nous attend avec la version suivante…

Caricias — Conjunto Don Rodolfo con Hugo Duval.

Cet orchestre joue à la manière de Biagi. On le trouve sous trois noms. Conjunto Don Rodolfo (nom du quand Duval chante), comme ici, mais aussi Trio Yumba et Rodolfo Biaggi (avec deux « G »). En revanche, Hugo Duval est le même que celui qui chantait pour Biagi avec un seul G. D’ailleurs sur ses disques, il joue de l’ambigüité et je suis sûr que de nombreux acheteurs de ses disques ont pensé acheter des « vrais » Biagi. En fait, je connais même des DJ qui se trompent… Mais est-ce si important ?

Hugo Duval est cité, mais c’est la photo de Rodolfo Biagi qui est présente, que les disques soient du Trio Yumba, Rodolfo BiaGGi, ou de Don Rodolfo (Trio Yumba avec Duval). Disons que c’est un hommage et pas une tentative d’escroquerie, Biagi est en mort en 1969, tous les enregistrement postérieurs qui portent les mentions Trio Yumba, Rodolfo Biaggi ou Don Rodolfo sont posthumes.

Et pour terminer une version chantée à la guitare par Juan Villarreal.

Voilà, c’est la fin de ce petit parcours.
À demain, les amis !

El Porteñito 1943-03-23 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Ángel Villoldo (Ángel Gregorio Villoldo Arroyo)

On connaît tous la milonga du jour, El Porteñito, mais est-ce vraiment une milonga ? Voyons de plus près ce coquin de Porteñito et ce qu’il nous cache.

Ángel Villoldo a composé et créé les paroles de ce tango qui est un des plus anciens dont on dispose des enregistrements. Je profite donc de ce patrimoine pour vous faire toucher du doigt des origines avec le risque de relancer le débat des anciens et des modernes.

Extrait musical

El Porteñito 1943-03-23 – Orquesta con Ángel Vargas. C’est notre tango du jour.

La version du jour est intermédiaire sur tous les plans.

Elle a été enregistrée en 1943, soit environ 40 après l’écriture de ce titre, au milieu de ce qu’il est convenu d’appeler l’âge d’or du tango.

Les deux anges se sont donc associés à un troisième, Villoldo pour nous offrir cette belle milonga… ou beau tango… Disons que c’est un tango milonga, un canyengue rapide. Ce titre évoluera depuis sa création entre les rythmes, nous en verrons quelques exemples en fin d’article.

Les paroles

Les paroles, il y a vraiment plusieurs paroles à ce tango. El porteñito est dans la plus ancienne version enregistrée. Je vais donc vous proposer trois versions.
Celle de D’Agostino et Vargas, ce dernier en bon chanteur de refrain, ne chante qu’une petite partie des paroles.
L’introduction musicale, nous présente un type qui se balade dans les rues, saluant les passants 1:22 plus tard, Vargas entame le chant et termine à la fin du titre. Cette version est généralement considérée comme une milonga, mais si vous la dansez en canyengue, personne ne vous dira rien.

D’Agostino Vargas 1943
 
Soy nacido en ,
me llaman « El Porteñito »,
el criollo más compadrito
que en esta tierra nació.

 
Y al bailar un tango criollo
no hay ninguno que me iguale
porque largo todo el rollo
cuando me pongo a bailar. 

 
Anda que está lindo el baile!
brindase comadre,
y el compadre…

 
Soy un taura del noventa,
tiempo bravo del tambito,
bailarín de mucha meta por más seña “El Porteñito”
y al bailar un tango bravo,
lo hago con corte y quebrada
para dejar bien sentada mi fama de bailarín.
Villoldo 1908
 
Soy hijo de Buenos Aires,
por apodo « El Porteñito »,
el criollo más compadrito
que en esta tierra nació.
Cuando un tango en la vigüela
rasguea algún compañero
no hay nadie en el mundo entero
que baile mejor que yo.

No hay ninguno que me iguale
para enamorar mujeres,
puro hablar de pareceres,
puro filo y .
Y al hacerle la encarada
la fileo de cuerpo entero
asegurando el puchero
con el vento que dará.


…Recitativo…

Soy el terror del malevaje
cuando en un baile me meto,
porque a ninguno respeto
de los que hay en la reunión.
Y si alguno se retoba
y viene haciéndose el guapo
lo mando de un castañazo
a buscar quien lo engrupió.

Cuando el vento ya escasea
le formo un cuento a mi mina (china)
que es la paica más ladina
que pisó el barrio del sur.
Y como caído del cielo
entra el níquel al bolsillo
y al compás de un organillo
bailo el tango a su « salú ».

 
…Recitativo…
Los Gobbi 1906
 
Él:
Soy hijo de Buenos Aires
E me llaman el criollito,
El más pierna e compadrito
Per cantar e per bailar.
De las chinas un querido
Todas me brindan amores,
Soy el que entre los mejores
Siempre se hace respetar.
 
Ella:
Este tipo extravagante
Que viene a largar el rollo,
Echándosela de criollo
Y no sabe compadrear.
Es un gringo chacarero
De afuera recién llegado
Un criollo falsificado
Que la viene aquí a contar.
 
Él:
Soy tremendo para el baile
Se me voy donde hay…
E agarrando la guitarra
La “melunga” sé cantar.
 
Ella:
No arrugués que no hay quién planche
Afeitate, volvé luego,
Que te ha conocido el juego
Gringo, podés espiantar.
 
Él:
No te hagás la compadrona
La paciencia se me acaba,
Te va´ a comé una trompada
Se me llego yo a enojar.
 
Ella:
Arrimate che italiano
Y haceme una atropellada.
 
Él:
Te la doy.
 
Ella:
Pura parada
Si ni el agua vos cortás.
 
Él:
Fijate qué firulete, qué parada
No hay ninguno que me pueda guadañar.
 
Juntos:
Porque somos para el tango
Los más piernas,
Y sabemos hacernos respetar.
Ángel Villoldo (Ángel Gregorio Villoldo Arroyo)

Les versions

El criollo falsificado (Los criollos) 1906 – Dúo Los Gobbi.

Le titre est un peu différent, ainsi que les paroles. Ce sont celles de la troisième colonne. El porteñito est el criollito et il le texte comporte de nombreuses variations par rapport à la version « canonique ». Deux points sont à signaler. C’est un duo (que je trouver relativement pénible entre les époux Gobbi, Flora et Alfredo) avec des passages parlés comme c’était assez courant à l’époque.

El porteñito 1908 — Ángel Villoldo.

Cet enregistrement par l’auteur pourrait servir de référence. Ce sont les paroles de la version centrale (il y a quelques petites différences, comme mina au lien de china, mais qui ne change pas le sens).

El porteñito (La Criollita) 1909 – Andrée Vivianne con orquesta.

Une version chantée par une femme à la voix plutôt plus agréable que celle de Flora Gobbi, mais de peu. On notera qu’elle a adapté les paroles en chantant au féminin et en se faisant appeler la criollita et non pas la porteñita.

El Porteñito 1928-09-26 – Orquesta Típica Victor (Adolfo Carabelli).

On arrive ici à la première version dansable. Il est dirigé par la baguette d’Adolfo Carabelli. C’est une version instrumentale, avec de beaux dialogues instrumentaux, et des violons qui plairont à beaucoup. Une fantaisie qui pourrait passer dans une milonga, mais pas comme une milonga, c’est clairement un tango et même un bon canyengue avec les appuis qui favorisent la quebrada dont parlent d’ailleurs les paroles.

El Porteñito 1937-08-31 – Orquesta Juan D’Arienzo.

Une version au rythme syncopé avec un plan de violon ou bandonéon qui survole le tout. Une impression d’accélération à la fin et quelques ponctuations de Biagi au piano témoignent du style qui est en train de se mettre en place chez D’Arienzo. Je pense que c’est une version rarement diffusée en milonga. Elle pourrait l’être, mais il y a d’autres titres plus porteurs qui prennent la place dans le temps limité donné au DJ pour faire des propositions.

El Porteñito 1941-06-06 – Quinteto dir. Francisco Canaro.

Canaro enregistrera deux fois avec le ce titre. Voici la première version, assez brillante, notamment grâce à la partie de piano interprétée par Luis Riccardi.

El Porteñito 1943-03-23 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas. C’est notre tango du jour. Nettement plus milonga que les versions écoutées précédemment. Un best-seller des milongas.

C’est notre tango du jour. Nettement plus milonga que les versions écoutées précédemment. Un best-seller des milongas.

El Porteñito 1959-04-09 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.

Je fais un petit saut dans le temps en passant diverses versions pour retrouver le Quinteto Pirincho et la flute géniale de Juvencio Física qui donne une couleur à cette version qui balance toujours entre le tango et la milonga, mais on peut en général le passer comme milonga, car son allure très enjouée le rend sympathique à danser et il est suffisamment connu pour que les jeux de l’orchestre, petits breaks et fioritures de l’orchestre puissent être mises en valeur par les danseurs.

El Porteñito 2013 – Otros Aires y Joe Powers.

Je vais vous demander de me pardonner, mais l’ n’est pas faite que de batailles gagnées. Il y a aussi des tragédies, comme cette version mixant l’orchestre Otros Aires (qui n’a pas su se renouveler et transformer ses premiers essais) et l’harmoniciste, Joe Powers (qui est loin d’être mon préféré). Le résultat est à la hauteur de mes espérances, inaudible, je comprends votre colère.

L’élégance au tango dans les années 1900

On a un peu de mal à imaginer que le tango ait pu paraître sulfureux au point d’être interdit à Buenos Aires. Cependant, il y avait tout de même de bonnes raisons.
Il était dansé dans des lieux dédiés au sexe et le but n’était pas d’être extrêmement élégant, mais de prendre du plaisir avec une femme compréhensive (même si cela la rendait malheureuse, comme a pu le voir hier avec Zorro gris qui parlait d’une grisette dans un établissement de luxe). On imagine que dans d’autres lieux comme Lo de Tranqueli, la réalité était bien pire.

El Cachafaz et Carmencita Calderon dans Tango de Luis Moglia Barth, un film de 1933.
El Cachafaz en 1940 avec Sofía Bozán dans le film de de Antaño.

Je parlerai plus abondamment le 2 juin prochain d’Ovidio José Bianquet, dit el Cachafaz, au sujet de la version du tango El Cachafaz, dans la version de D’Arienzo du 2 juin 1937.
Cette façon de danser passerait difficilement pour élégante de nos jours, mais elle faisait l’admiration de nos aïeux et on peut regretter aujourd’hui une certaine stérilisation de la danse.
Je ne dis pas qu’il faut retrouver les outrances de l’époque, mais plutôt de prendre des petites idées, de relancer la machine à improviser.
Je terminerai par cette image qui est un montage que j’ai réalisé à partir de photos du début du vingtième siècle où on voit des attitudes un peu surprenantes, mais qui étaient considérées comme très chic à l’époque. Cela devait toutefois être fait avec une certaine élégance et ne doit en aucun justifier les violences qu’infligent certains danseurs contemporains à leur partenaire et aux autres danseurs du bal… Eh oui ! Le DJ, il voit tout depuis son poste de travail 😉

Hotel Victoria (Gran Hotel Victoria) 1948-02-18 (Tango)- Orquesta Juan D’Arienzo

Feliciano Latasa ? Luis Negrón ? H.D. ? Alfredo Barone ? Midori Tagami ? Un compositeur anonyme en Andalousie ? Letra : Carlos Pesce

Vieil hôtel de mes rêves et de mes joies qui berçait l’idylle d’un amour fou.

du jour, Gran Hotel Victoria a été enregistré le 18 février 1948 par Juan D’Arienzo. Mais de plusieurs mystères tournent autour de cet hôtel ; sur l’hôtel lui-même, sur l’auteur ou plutôt les auteurs supposés, pas moins de sept.
Pour en savoir plus, je dois vous convier à une véritable enquête policière.

Extrait musical

Mais auparavant, mettons-nous dans l’oreille ce titre, dans la version enregistré par Juan D’Arienzo le 18 février 1948, il y a exactement 76 ans.

Gran Hotel Victoria (Hotel Victoria) 1948-02-18 – Juan D’Arienzo

Il y a plusieurs autres versions à écouter dans l’enquête, après les paroles. N’hésitez pas à y jeter une oreille.

Les paroles

Encore une version instrumentale, mais il existe quelques versions chantées, notamment la magnifique version par D’Agostino et Vargas de 1945. En voici donc les paroles qui peuvent également aider à mieux comprendre la musique.

Partition de Gran Hotel Victoria – Partie du second Bandoneón

En bleu le refrain, seule partie chantée par Vargas
En vert, les couplets chantés par Tita Merelo. Elle chante aussi le refrain en bleu avec une petite variante, el ingrato (l’ingrat) au lieu de mi amor (mon amour).

Viejo hotel de mis ensueños y alegrías
que acunó el idilio de un loco amar,
hoy recuerdo aquellos días que vos eras
el fiel testigo de mi cantar.

Hotel Victoria, vos que supiste
lo que he llorado en mi soledad,
verás mañana, cuando te olviden,
que sólo el tango te recordará.
Hotel Victoria, fue el año veinte,
que de tus puertas partió mi amor
(el ingrato)
Y desde entonces llevo una pena
que va matando a mi pobre .

Hoy que a golpes de piqueta te voltearon,
como aquella ingrata mi amor tronchó.
Los recuerdos son ahora muy amargos,
ilusión que el tiempo se la llevó.

Feliciano Latasa ? Luis Negrón ? H.D. ? Alfredo Barone ? Midori Tagami ? Un compositeur anonyme en Andalousie ? Letra : Carlos Pesce

Mais où est l’Hôtel Victoria ?

Même sans les paroles, on peut être certain que la chanson évoque un hôtel. De nombreux hôtels dans le Monde s’appellent Victoria. Mais plusieurs indices permettent de remonter la piste.

  • Le plus ancien enregistrement de ce titre en ma possession est de 1908, un enregistrement par la Banda de la Policia de Buenos Aires. La musique est donc antérieure.
  • L’auteur supposé de la musique Feliciano Latasa est mort le 18 septembre 1906, à un peu moins de 36 ans. Il faut donc trouver un hôtel plus ancien si c’est lui le compositeur. Voir le paragraphe suivant pour le quilombo des compositeurs…
  • Dans les paroles chantées par Tita Merelo en 1968, il est indiqué que l’hôtel a été détruit. Il faut donc se tourner vers la date d’écriture des paroles pour en savoir plus.
  • L’auteur des paroles est Carlos Pesce. Selon les sources, on trouve trois dates pour le texte, 1931, 1932 et 1935. Le tango était donc probablement chanté dès cette époque. La référence à la destruction de l’hôtel est plus discrète : « Hotel Victoria, vos que supiste
    lo que he llorado en mi soledad, verás mañana, cuando te olviden, que sólo el tango te recordará.
     » (Hôtel Victoria, toi qui savais ce que j’ai pleuré dans ma solitude, tu verras demain, quand ils t’auront oublié, que seulement le tango se souviendra de toi).
    Si on considère que le tango, ce tango est celui-ci, on peut donc penser que l’hôtel a disparu, ce qui confirme que les paroles ne concernent pas le Gran Hotel Victoria de Córdoba.

Pour gérer ces informations et en tirer, sinon des certitudes, mais des possibilités, il convient de manier quelques hypothèses.

Le Gran Hotel Victoria au début du 20e siècle. 1906 ou 1914, mystère.

L’auteur le plus couramment cité est Feliciano Latasa. Ce jeune homme est mort à Córdoba en 1906, était musicien et a été contracté par un hôtel de Córdoba appartenant à un certain Pascual Andruet. Ce dernier avait appelé son hôtel, Hotel Victoria (construit en 1893) et il a décidé d’en créer un nouveau qu’il a appelé Gran Hotel Victoria. En 1906 (le 4 janvier), il inaugurait un nouvel établissement. On peut donc penser que, comme l’affirme, Efraín Bischoff dans Historia de los Barrios de Córdoba, sus leyendas, instituciones y gentes (1986), Feliciano Latasa aurait proposé cette œuvre pour l’inauguration.

Cependant, sur le site de l’hôtel, on indique qu’il a été inauguré le 24 janvier 1914. Cela exclut donc totalement Feliciano Latasa de l’histoire, mais nous y reviendrons dans le prochain chapitre.

Plaque commémorative du premier passage de Carlos Gardel et José Razzano à Córdoba . Elle est fixée au Studio Theatre, sur l’emplacement du théâtre de l’époque

Ce qui va dans le sens de cette interprétation est que la musique est vive, sans la nostalgie des versions ultérieures et chantées, de D’Agostino et Vargas, ou de . Elle est tout à fait adaptée à une fête d’inauguration. Que ce soit par Latasa ou un autre, l’hôtel de Córdoba reste plausible, d’autant plus que cet établissement s’enorgueillit de la visite de Gardel et Libertad Lamarque.
Gardel y a en effet séjourné pour la première fois pour un récital donné avec José Razzano le samedi 11 juillet 1914.

L’hôtel était alors le plus moderne de la ville avec l’eau courante, des salles de bain privées et des ascenseurs. Son propriétaire, le fameux Andruet, avait passé des annonces dans les journaux de la ville.
Comme il subsiste des doutes, on peut essayer de chercher du côté de l’auteur des paroles.
Elles sont clairement attribuées à Carlos Pesce et datent probablement des années 30. Elles peuvent faire référence à des . L’hôtel démoli peut être l’ancien établissement de Pascual Andruet, celui de 1893.
On peut tout à fait imaginer que si l’hôtel de la musique est celui de Córdoba, celui des paroles est un autre hôtel ou une simple invention de Pesce. Ce qui est sûr, c’est que l’hôtel de 1906 (ou 1914) existe toujours et que donc ce texte ne peut pas parler de cet hôtel.
Pour trouver un autre hôtel candidat, je propose de nous rendre à Buenos Aires ou un hôtel Victoria a été démoli dans les années 30.

L’hôtel Victoria de Buenos Aires vers 1930 et ce qui a été construit à la place, à l’angle des rues Cerrito et Lavalle. On voit clairement sur la photo de l’hôtel Victoria les travaux en . Démolition ou restructuration. Pas sûr, mais suffisant pour faire écrire le texte de ce tango à Pesce.

Deux hôtels pour le prix d’un

Je pense que vous avez compris où je voulais en venir. Le tango original peut très bien avoir été utilisé pour l’inauguration de l’hôtel de Córdoba, puis Pesce lui adjoint des paroles pour parler de l’hôtel Victoria de Buenos Aires qui était en cours de démolition.
Un indice me conforte dans cette idée, le fait que le tango s’appelle parfois « Hotel Victoria » ou « Gran Hotel Victoria ». Il est peu probable que cela fasse référence au premier, puis au second établissement d’Andruet. Pesce n’avait aucune raison d’être nostalgique d’un petit hôtel de Córdoba.
En revanche, l’Hotel Victoria, sans « gran » de Buenos Aires, est un parfait candidat, même s’il peut y en avoir d’autres.

Voici donc ma proposition

Une musique allègre a été utilisée pour fêter l’inauguration de l’hôtel de Córdoba. Les versions de D’Arienzo qui sont énergique s’inscrivent dans la même veine.

C1908 Banda De La Policia De Buenos Aires. Véritable musique avec flonflons pour une inauguration

Dans les années 30, Pesce écrit des paroles pour ce tango, des paroles nostalgiques où il ajoute une histoire d’amour qui se termine et peut-être la démolition de l’hôtel, probablement celui de Buenos Aires puisque celui de Córdoba est toujours debout. Ceci explique que les versions chantées soient plus tristes. Par exemple, celle de D’Agostino et Vargas.

1945-05-21 Orchestre Ángel D’Agostino, con Ángel Vargas. Nostalgique et superbe

Mais cette histoire rocambolesque ne se termine pas si rapidement. Je vous invite à un autre rebondissement…

Le quilombo des compositeurs

Couverture des partitions. À gauche, une signée Feliciano Latasa et à droite une signée Luis Negrón (c1932).

J’ai évoqué Feliciano Latasa comme étant le compositeur « officiel », mais rien n’est moins sûr. En effet, si l’inauguration a eu lieu en 1914, il était mort depuis 8 ans. Ceci pourrait expliquer les diverses revendications, notamment par Alfredo Barone (un violoniste de Córdoba) et Luis Negrón.

Coup de théâtre

Pour rajouter à l’énigme, dans une œuvre théâtrale nommée « La borrachera del tango » (l’ivresse du tango), il y a une chanson nommée la « La payasa » (qui n’est pas le féminin du clown [payaso], mais la drogue en lunfardo) et dont l’air est celui d’Hotel Victoria). Le curieux, c’est que la musique est attribuée à un certain « H.D. ». Les paroles sont celles des auteurs de la pièce de théâtre et n’ont donc rien à voir avec un quelconque hôtel comme on peut l’entendre dans cette version chantée par Ignacio Corsini en 1922.

La Payasa – Ignacio Corsini – Tango (C1922)

On se retrouve donc avec plusieurs compositeurs potentiels ; Feliciano Latasa, Luis Negrón, H.D., et Alfredo Barone.

L’excellent site Todo Tango rajoute des compositeurs japonais, mais c’est juste une histoire de récupération de droits d’auteur et d’arrangements musicaux. En effet, la chanson de Mari Amachi, « Mizuiro no Koi » est enregistrée, de la façon suivante :

  • Mizuiro no Koi 水色の恋
  • Year: 1971
  • singer Amachi Mari
  • lyrics Pesce Carlos
  • lyrics Tagami Eri
  • composer Latasa Feliciano
  • composer Tagami Midori

On retrouve donc les classiques Pesce pour les paroles et Latasa pour la musique. Les Japonais (oncle et nièce) ne sont que les arrangeurs et auteurs des paroles japonaises.

Je vous propose cette vidéo sous-titrée en espagnol. Elle est honnêtement, difficilement supportable, mais elle a fait un tabac immense au Japon, pays regorgeant de fanatiques du tango.

Mari Amachi — « Mizuiro no Koi » 1971 – Avec sous-titres en espagnol.

On se retrouve donc avec beaucoup de compositeurs, même si on peut bien sûr enlever les Japonais et probablement H.D. de l’affaire.

Inutile de tirer au sort pour savoir qui est le gagnant, car Todo Tango fait une hypothèse que je trouve excellente. Si vous avez déjà suivi le lien ci-dessus, vous êtes au courant. En effet, dans son article, «Gran Hotel Victoria», un tango anónimo, Roberto Selles cite une anecdote où la chanteuse andalouse, Lola Hisado indique que cet air est un air espagnol.

C’est loin d’être impossible dans la mesure où Latasa est né en Espagne et que si cette œuvre est traditionnelle, il peut l’avoir connue dans son pays d’origine.

Todo Tango s’arrête là. Pour ma part, je laisse la porte ouverte en me disant qu’il se peut que Lola Hisado ait entendu cet air en Espagne, mais, car il avait entre-temps circulé en Espagne, peut-être véhiculé par les orchestres argentins dans les années 20.

Existe-t-il un compositeur anonyme en Andalousie, Latasa a-t-il copié ou réellement inventé ?

N’hésitez pas à donner votre opinion dans les commentaires…

Autres enregistrements

La version que je propose a été enregistrée le 18 février 1948 par l’orchestre de Juan D’Arienzo qui l’a enregistré également en 1935, 1966 et après sa mort, en 1987. Non, ce n’est pas le fantôme de D’Arienzo, c’est juste que de nombreux DJ utilisent des enregistrements des solistes de D’Arienzo, sous la direction du bandonéiste et arrangeur des dernières années de D’Arienzo, Carlos Lazzari.

Comme indiqué précédemment, il y a deux branches pour ce tango. Une plutôt gaie et une autre, celle des tangos chantés par Vargas et Merello, plutôt nostalgique, voire triste.

Tous ces tangos ne sont pas pour la danse, mais en ce qui concerne D’Arienzo, ce sont tous des valeurs sûres qui permettent de s’adapter au public présent.

Voici quelques versions parmi une centaine, au moins, car le 21e siècle l’a beaucoup enregistré). En rouge, les versions plutôt gaies et en bleu, les versions plutôt nostalgiques.

C1908 Banda De La Policia De Buenos Aires. (Gai. Véritable musique avec flonflons pour une inauguration)

C1910 Estudiantina Centenario Direction : Vicente Abad (Gai un peu plus lent, mais avec jolie mandoline).
C1911 Orchestre Vicente Greco (Gai, mais confuse)

C1922 Ignacio Corsini (Nostalgique, mais avec des paroles et sous un autre nom (Payasa).

C 1925 Orchestre Roberto Firpo (Nostalgique, bien qu’instrumentale). Il peut s’agir d’une référence à la version de Corsini.
1929 Trío Odeón avec les guitaristes Iriarte-Pesoa-Pages (Gai)
1935-06-18 Orchestre Francisco Canaro (Version très lente, plutôt canyengue, disons nostalgique, mais en fait, plutôt neutre).
1935-07-02 Orchestre Juan D’Arienzo (Gai, le D’Arienzo d’avant Biagi)
1945-05-21 Orchestre Ángel D’Agostino, con Ángel Vargas (Nostalgique et superbe).
1948-02-18 Orchestre Juan D’Arienzo (Gai, mais avec des passages plus doux (contraste)
1948-08-13 Roberto Firpo y su Nuevo Cuarteto (Gai, contrairement à la version de 1925)
1949-10 Juan Cambareri y su Gran « Ayer y hoy » (Gai et même énervée. Si l’idée est de rappeler le départ, celui s’effectue avec une locomotive à vapeur à plein régime. Pas question de proposer ce titre à danser).

1951-10-30 Orchestre Joaquín Do Reyes (Nostalgique, mais pas très intéressant)
1959 Miguel Villasboas y su Quinteto Típico (Gai, qui rappelle les airs des premiers flonflons ou de la mandoline, mais en pizzicati)
1959-04-09 dir. Francisco Canaro (Gai, avec des passages un peu plus nostalgiques. La flûte rappelle les flonflons des premières versions.

1959-10-08 Orchestre (Nostalgique et bien dans l’esprit de Sassone, pas pour tous les …)
1963-07-11 Quinteto Real (Gai, avec beaucoup de trilles. Suffisamment décousu pour ne pas être dansable)
1966-08-03 Orchestre Juan D’Arienzo (Gai, et puissant comme un D’Arienzo des années 60, logique, c’en est un, avec ses fameux breaks)

1968 Conjunto Carlos Figari, con Tita Merello (Nostalgique, mais à la façon de Tita Merello, pas pour la danse de toute façon)
1970, 1976 et 1981-03-07 (En vivo) Horacio Salgán y Ubaldo De Lio (Gai, mais très décousu, absolument pas pour la danse, le piano est très présent. La version de 1976 est en public à l’Hôtel Sheraton de Buenos Aires et celle de 1981 au Japon).
1976-12-08 (En vivo) Los Reyes Del Compás. Enregistré en public au Japon (Tokyo at the Shiba Yuubinchokkin hall) en mémoire de Juan D’Arienzo. La version est plutôt gaie malgré la mort de leur modèle.

1977 Sexteto Mayor Une version nostalgique, absolument pas pour la danse.
1990-02-09 Yasushi Ozawa y su Orquesta Típica Corrientes Plutôt nostalgique, mais en fait assez moyenne. Sans doute pas le titre à retenir pour une réussie.

2007—08 (En vivo) La Tubatango (Gai, retour des flonflons, la boucle est bouclée avec la Banda de la Policia de Buenos Aires, un siècle plus tôt. Même si dansée dans la vidéo, ce n’est sans doute pas la version la plus dansante.

Il y a bien sûr des dizaines d’autres versions. J’en ai plus de cinquante dans ma discothèque, même si seulement deux ou trois passeront spontanément dans les milongas que j’anime.

La Tubatango, un orchestre atypique, faisant revivre des modes musicaux des premiers temps. Ici, Gran Hotel Victoria, un enregistrement public à Sao Paulo, Brasil, en août 2007.

Sources

Plusieurs sources m’ont servi pour écrire cet article. En dehors des sources écrites, des musiques de ma discothèque, j’ai utilisé les sites suivants :

The life of a frustrated Milonguero (en): Gran Hotel Victoria
https://tangogales.wordpress.com/2020/11/30/gran-hotel-victoria/

Hôtel Victoria, toi qui savais ce que j’ai pleuré dans ma solitude.

Serpentinas de esperanza 1946-02-08 (Tango) – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

José Canet Letra:

Les serpentins de l’espérance raconte les espoirs d’un homme qui a des sentiments pour une femme lors d’un (février, c’est justement l’époque du carnaval). Il espère qu’une fois l’ivresse du carnaval disparu, le lien avec sa compagne ne s’évanouira pas.
D’Agostino et Vargas, tous les deux prénommés Ángel (ange), ont formé un couple artistique au point qu’ils ont été surnommés les petits anges (Angelitos).
En 5 ans, ils ont enregistré 93 tangos comme celui-ci (, , Ave de paso, Madreselva, Yo soy de Parque Patricios…).
Auparavant, D’Agostino a enregistré avec Raúl Aldao et par la suite avec un autre Raúl, Raúl Lavié, Tino García, Ricardo Ruiz, Roberto Alvar et .
Mais la production idéale de d’Agostino est bien dans les années 40 et avec Vargas. On notera toutefois un « OVNI », Cafe Dominguez (avec glosas de Julián Centeya), mais qui date de 1955 et qu’il est difficile d’apparier tant la production de d’Agostina est différente et moins intéressante à cette époque. Ce qui fait que beaucoup de DJ mettent après Café Dominguez des titres de la décennie précédente avec Vargas.

Extrait musical

Serpentinas de esperanza 1946-02-08 – Orquesta Ángel D’Agostino con

L’archive sonore présentée ici, l’est à titre d’exemple didactique. La qualité sonore est réduite à cause de la plateforme de diffusion qui n’accepte pas les fichiers que j’utilise en et qui sont environ 50 fois plus gros et de bien meilleure qualité. Je pense toutefois que cet extrait vous permettra de découvrir le titre en attendant que vous le trouviez dans une qualité audiophile.

Paroles

Con su luz y piedras falsas, pasa, bella y sugestiva, la ilusión, enredando serpentinas de esperanza.

Esta noche bajo el arco de la vida,
va paseando su locura el carnaval,
suena el mundo la corneta de su risa
y se ha puesto una careta de bondad.
Ataviada con su luz y piedras falsas,
pasa, bella y sugestiva, la ilusión,
enredando serpentinas de esperanza
en la tierna mandolina de un pierrot.

Esta noche estás linda como nunca,
mi romántica princesa de papel
y en el brillo de tus ojos va la luna,
cuando pasas en tu raro carrousel.
Yo tenía el un poco enfermo
pero ahora me ha vuelto a sonreír
y bailamos embriagados de contento,
bajo un traje alquilado de Arlequín.

Ya se va la caravana bullanguera
y me apena, saber que tú te vas
y si llevas la flor de mi Quimera,
yo me quedo con la rosa que me das.
Con mis versos tiraré papel picado,
porque se haga menos triste nuestro adiós,
porque aún el carnaval no ha terminado
y prosigue en las almas de los dos.

José Canet Letra: Afner Gatti

Autres versions

Ce titre a également été enregistré par avec la voix de Carlos Dante (1935-04-05)

Ce soir sous l’arche de la vie, le carnaval vit sa folie, le monde sonne le de son rire et a mis un masque de gentillesse. Habillé de ses pierres légères et fausses, l’illusion passe, belle et suggestive, des serpentins d’espoir enchevêtrés sur la tendre mandoline d’un Pierrot.