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Dos amores 1932-08-12 – Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá

Antonio Sureda Letra: Gerónimo Sureda

Les frères Sureda étaient complémentaires. Antonio, bandonéoniste et compositeur et Gerónimo, poète. Notre tango du jour est un des fruits de leur collaboration. Ceux qui pensent que est une histoire de cocus et de trahison ne s’y retrouveront pas, mais tous les autres adoreront ce très beau thème que les frères Sureda ont peut-être dédié à leur mère…

Parmi leurs collaborations, nous pouvons citer en plus de notre tango du jour Ilusión marina qui est le premier titre de son frère sur lequel Gerónimo a mis des paroles.
Voici d’autres titres que vous connaissez sans doute, car nous en possédons des enregistrements. Ils sont par ordre alphabétique :

  • A oscuras (Gerónimo est aussi crédité de la composition en compagnie de son frère pour ce titre).
  • Adiós juventud
  • Barreras de amor
  • Cacareando
  • Decime adiós
  • Juanillo (pasodoble)
  • Mala suerte
  • Nunca es tarde
  • Parece que fue ayer
  • Ronda del querer
  • Si alguna vez
  • Te quiero mucho más
  • Volvió la princesita
  • Yo quiero que sepas

Finalement Antonio a fait appel à son frère pour la majorité de ses compositions, mais signalons tout de même qu’un petit quart est aussi issu de la collaboration avec , le reste étant anecdotique.

Extrait musical

Dos amores 1932-08-12 – Orquesta Francisco Canaro con .

Un tango appuyé et marchant tout à fait typique de Canaro. Contrairement à ce que faisaient certains orchestres contemporains, l’orchestration de Canaro se démarque par de beaux contrepoints qui sont souvent surprenants, mais qui donnent de l’intérêt et cassent tout risque de monotonie. Le long passage en pizzicati des violons qui commence à 1:45 après l’ de Famá et le recours aux instruments en cuivre donne une sonorité particulière.
On notera également l’intéressante variation finale qui anime les dernières secondes.

Paroles

Escuche viejecita… yo quiero que se entere
Desde hace mucho tiempo, que tengo ya otro amor,
Si viera qué bonita, qué buena es la muchacha
Hay en sus ojazos más fuego que el sol.
Yo quiero que la quiera con su cariño santo
Con fuerza, con vehemencia, de todo corazón,
Ella hace mucho tiempo que quiere conocerla
Para llamarla madre… como lo llamo yo.

Fue cerquita del barranco
Donde una tarde la vi,
Y en la tranquera ´e su rancho
El primer beso le di,
Desde entonces mi guitarra
Tiene una cinta ´e color,
Que la prendieron sus manos
Como prueba de su amor.

¿Que pasa?…viejita venga, por qué se pone triste
Acaso no se alegra al ver que soy feliz,
O cree que el cariño de la mujer que amo
Me hará olvidar lo mucho que usted sufrió por mí.
Yo quiero que la quiera con su cariño santo
Con fuerza, con vehemencia, de todo corazón,
Ella hace mucho tiempo que quiere conocerla
Para llamarla madre, como la llamo yo.
Alfredo De Angelis Letra:

Traduction libre et indications

Écoutez, ma petite mère (ma petite vieille est un terme affectueux, le texte est un mélange de familiarité et de vouvoiement respectueux). Je veux que vous sachiez que ça fait longtemps déjà que j’ai un autre amour.
Si vous voyez comme elle est jolie, comme elle est bonne la fille.
Il y a plus de feu dans ses grands yeux que dans le soleil.
Je veux que vous l’aimiez de votre sainte affection, avec force, avec véhémence, de tout votre cœur.
Elle, cela fait longtemps qu’elle veut vous connaître, pour vous appeler mère… comme je vous appelle, moi.
C’est près de la tranchée qu’un après-midi je l’ai vue, et à la porte de son ranch, je lui ai donné le premier baiser, depuis lors ma guitare a un ruban de couleur, que ses mains ont attaché comme preuve de son amour.
Que se passe-t-il ?… Ma petite mère, venez, pourquoi êtes-vous triste ?
Peut-être n’êtes-vous pas heureux de voir que je suis heureux, ou pensez-vous que l’affection de la femme que j’aime me fera oublier combien vous avez souffert pour moi.
Je veux que vous l’aimiez de votre sainte affection, avec force, avec véhémence, de tout votre cœur.
Elle, cela fait longtemps qu’elle veut vous connaître, pour vous appeler mère… comme je vous appelle, moi.

Autres versions

Dos amores. À gauche, Canaro chez Odeón, au centre, D’Arienzo chez RCA Victor et à droite, Pugliese chez Philips (Dos amores est la plage 2 de la face 1 du disque LP 33 tours).
Dos amores 1932-08-12 – Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá. C’est notre tango du jour.
Dos amores 1932-09-09 – con Trio Antonio Sureda.

Santiago Devin est un chanteur relativement rare, mais il avait du dans les années 30. On le connaît surtout avec le Sexteto de Carlos Di Sarli, où il ne chantait que l’estribillo. Il nous propose ici accompagné par le trio Antonio Sureda pour Odeón, une version en chanson, plus à classer du côté de Gardel, Magaldi ou Corsini que du côté du tango de bal. Vu que Santiago Devin enregistre avec le compositeur, on peut penser que Antonio Sureda cautionne cette jolie version. Le trio était composé, en plus de Antonio Sureda au bandonéon, de Oscar Valpreda au violon et de Alpredi au piano.

Dos amores 1947-05-13 – Orquesta Juan D’Arienzo con .

Le tempérament fougueux de D’Arienzo pourrait paraître un contre-emploi, mais la voix travaillée de Laborde fait que cela passe, mais si cela peut se danser, c’est un peu un cran en dessous en matière de romantisme.

Dos amores 1961 – Orquesta con .

Dos amores 1961 – Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel. Pugliese sait faire des versions très personnelles et empreintes de romantisme. Nous en avons là, un exemple. Les 55 premières secondes préparent la venue du chanteur, Jorge Maciel qui prendra ensuite l’essentiel de la présence. L’utilisation par Maciel du port de voix (liaison des notes en glissando), de l’arrastre (laisser traîner) fait que ce titre sera un peu moyen pour la danse, même si je sais que certains adorent. Cette version est cependant bien adaptée à l’expression des sentiments d’amour évoqués par le tango.

Sur ces beaux sentiments, je vous dis, à demain, les amis !

9 de Julio (Nueve de Julio) 2009 – La Tuba Tango

1908 ou 1916 Letra : 1916 ou 1919 Ricardo M. Llanes 1930 – 1931 Eugenio Cárdenas 1931

Le 9 juillet pour les Argentins, c’est le 4 juillet des Étasuniens d’Amérique, le 14 juillet des Français, c’est la fête nationale de l’Argentine. Elle commémore l’indépendance vis-à-vis de l’Espagne. José Luis Padula était assez bien placé pour écrire ce titre, puisque la signature de la Déclaration d’indépendance a été effectuée à San Miguel de Tucumán, son lieu natal, le 9 juillet 1816.

Padula prétend avoir écrit ce tango en 1908, à l’âge de 15 ans, sans titre particulier et qu’il a décidé de le dédier au 9 juillet dont on allait fêter le centenaire en 1916.
Difficile de vérifier ses dires. Ce qu’on peut en revanche affirmer c’est que Roberto Firpo l’a enregistrée en 1916 et qu’on y entend les cris de joie (étranges) des signataires (argentins) du traité.

Signature de la déclaration d’indépendance au Congreso de Tucumán (San Miguel de Tucumán) le 9 juillet 1816. Aquarelle de Antonio Gonzáles Moreno (1941).
José Luis Padula 1893 – 1945. Il a débuté en jouant de l’harmonica et de la guitare dès son plus jeune âge (son père était mort quand il avait 12 ans et a donc trouvé cette activité pour gagner sa vie). L’image de gauche est une illustration, ce n’est pas Padula. Au centre, Padula vers 1931 sur une partition de 9 de Julio avec les paroles de et à droite une photo peu avant sa mort, vers 1940.

Extrait musical

Partition pour piano de 9 de Julio. L’évocation de l’indépendance est manifeste sur les deux couvertures. On notera sur celle de droite la mention de Cardenas pour les paroles.
Autre exemple de partition avec un agrandissement de la au procurador titular Señor Gervasio Rodriguez. Il n’y a pas de mention de parolier sur ces paroles.
9 de Julio (Nueve de Julio) 2009 – La Tuba Tango.

Dès les premières notes, on note la truculence du tuba et l’ambiance festive que crée cet instrument. J’ai choisi cette version pour fêter le 9 juillet, car il n’existait pas d’enregistrement intéressant du 9 juillet. C’est que c’est un jour férié et les orchestres devaient plutôt animer la fête plutôt que d’enregistrer. L’autre raison est que le tuba est associé à la fanfare, au défilé et que donc, il me semblait adapté à l’occasion. Et la dernière raison et d’encourager cet orchestre créé en 1967 et qui s’est donné pour mission de retrouver la joie des versions du début du vingtième siècle. Je trouve qu’il y répond parfaitement et vous pouvez lui donner un coup de pouce en achetant pour un prix modique ses albums sur Bandcamp.

Paroles

Vous avez sans doute remarqué que j’avais indiqué plusieurs paroliers. C’est qu’il y a en fait quatre versions. C’est beaucoup pour un titre qui a surtout été enregistré de façon instrumentale… C’est en fait un phénomène assez courant pour les titres les plus célèbres, différents auteurs ajoutent des paroles pour être inscrits et toucher les droits afférents. Dans le cas présent, les héritiers de Padula ont fait un procès, preuve que les histoires de sous existent aussi dans le monde du tango. En effet, avec trois auteurs de paroles au lieu d’un, la part de la redistribution aux héritiers de Padula était d’autant diminuée.
Je vous propose de retrouver les paroles en fin d’article pour aborder maintenant les 29 versions. La musique avant tout… Ceux qui sont intéressés pourront suivre les paroles des rares versions chantées avec la transcription correspondante en la trouvant à la fin.

Autres versions

9 de Julio (Nueve de Julio) 1916 – Orquesta Roberto Firpo.

On y entend les cris de joie des signataires, des espèces de roucoulements que je trouve étranges, mais bon, c’était peut-être la façon de manifester sa joie à l’époque. L’interprétation de la musique, malgré son antiquité, est particulièrement réussie et on ne ressent pas vraiment l’impression de monotonie des très vieux enregistrements. On entend un peu de cuivres, cuivres qui sont totalement à l’honneur dans notre tango du jour avec La Tuba Tango.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1927-06-03 – Orquesta Roberto Firpo.

Encore Firpo qui nous livre une autre belle version ancienne une décennie après la précédente. L’enregistrement électrique améliore sensiblement le confort d’écoute.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1928-10-11 – Guillermo Barbieri, , José Ricardo (guitarras).

Vous aurez reconnu les guitaristes de Gardel. Cet enregistrement a été réalisé à Paris en 1928. C’est un plaisir d’entendre les guitaristes sans la voix de leur « maître ». Cela permet de constater la qualité de leur jeu.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1929-12-04 – Orquesta .

Je trouve cette version un peu pesante malgré les beaux accents du piano de Luis Riccardi. C’est un titre à réserver aux amateurs de canyengue, tout au moins les deux tiers, la dernière variation plus allègre voit les bandonéons s’illuminer. J’aurais préféré que tout le titre soit à l’aune de sa fin. Mais bon, Canaro a décidé de le jouer ainsi…

9 de Julio (Nueve de Julio) 1930-04-04 – Orquesta Luis Petrucelli.

Le décès à seulement 38 ans de Luis Petrucelli l’a certainement privé de la renommée qu’il méritait. Il était un excellent bandonéoniste, mais aussi, comme en témoigne cet enregistrement, un excellent chef d’orchestre. Je précise toutefois qu’il n’a pas enregistré après 1931 et qu’il est décédé en 1941. Ces dernières 10 années furent consacrées à sa carrière de bandonéoniste, notamment pour Fresedo.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1931 – Agustín Magaldi con orquesta.

Magaldi n’appréciant pas les paroles de Eugenio Cárdenas fit réaliser une version par Lito Bayardo.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1931-08-15 – Orquesta Típica Columbia con Ernesto Famá.

Famá chante le premier couplet de Bayardo.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1935-12-31 – Orquesta Juan D’Arienzo.

C’est une des versions les plus connues, véritable star des milongas. L’impression d’accélération continue est sans doute une des clefs de son succès.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1939-07-04 – Charlo (accordéon et guitare).

Je ne sais pas d’où vient cet ovni. Je l’avais dans ma musique, extrait d’un CD Colección para entendidos – Época de oro vol. 6 (1926-1939). Charlo était pianiste en plus d’être chanteur (et acteur). Tout comme les guitaristes de Gardel qui ont enregistré 9 de Julio sous le nom de Gardel (voir ci-dessus l’enregistrement du 11 octobre 1928), il se peut qu’il s’agisse de la même chose. Le même jour, Charlo enregistrait comme chanteur avec ses guitaristes Divagando, No hay tierra como la mía, Solamente tú et un autre titre accordéon et guitare sans chant, la Añorando mi tierra.
On trouve d’autres titres sous la mention Charlo avec accordéon et guitare. La cumparsita et Recuerdos de mi infancia le 12 septembre 1939, Pinta brava, Don Juan, Ausencia et La polca del renguito le 8 novembre 1940. Il faut donc certainement en conclure que Charlo jouait aussi de l’accordéon. Pour le prouver, je verserai au dossier, une version étonnante de La cumparsita qu’il a enregistrée en duo avec Sabina Olmos avec un accordéon soliste, probablement lui…

9 de Julio (Nueve de Julio) 1948 – Orquesta Héctor Stamponi.

Une jolie version avec une magnifique variation finale. On notera l’annonce, une pratique courante à l’époque où un locuteur annonçait les titres.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1950-05-15 – Orquesta Juan D’Arienzo.

D’Arienzo nous donne une autre version. Il y a de jolis passages, mais je trouve que c’est un peu plus confus que la version de 1935 qui devrait être plus satisfaisante pour les danseurs. Fulvio Salamanca relève l’ensemble avec son piano, piano qui est généralement l’épine dorsale de D’Arienzo.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1950-07-20 – Orquesta Alfredo De Angelis.

Chez De Angelis, le piano est aussi essentiel, mais c’est lui qui en joue, il est donc libre de donner son interprétation magnifique, secondé par ses excellents violonistes. Pour ceux qui n’aiment pas De Angelis, ce titre pourrait les faire changer d’avis.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1957-04-08 – Orquesta Héctor Varela.

Varela nous propose une introduction originale.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1953 – Horacio Salgán y su Orquesta Típica.

Une version sans doute pas évidente à danser.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1953-03-03 – Ariel Pedernera y su Quinteto Típico.

Une belle version, malheureusement cette copie a été massacrée par le « collectionneur ». J’espère trouver un disque pour vous proposer une version correcte en milonga, car ce thème le mérite largement.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1953-09-10 – Orquesta José Sala.

Pour l’écoute, bien sûr, mais des passages très sympas

9 de Julio (Nueve de Julio) 1954-05-13 – Orquesta Osvaldo Pugliese.

Pugliese a mis un peu de temps à enregistrer sa version du thème. C’est une superbe réalisation, mais qui alterne des passages sans doute trop variés pour les danseurs, mais je suis sûr que certains seront tentés par l’expérience.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1959 – .

Une version tranquille et plutôt jolie par un orchestre oublié. Le contrepoint entre le bandonéon en staccato et les violons en legato est particulièrement réussi.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1964 – Alberto Marino con la orquesta de Osvaldo Tarantino.

Alberto Marino chante les paroles de Eugenio Cárdenas. Ce n’est bien sûr pas une version pour la danse.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1966-06-21 – Orquesta Florindo Sassone.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1966-08-03 – Orquesta Juan D’Arienzo.

Une version bien connue par D’Arienzo, dans le style souvent proposé par les orchestres contemporains. Spectaculaire, mais, y-a-t-il un mais ?

9 de Julio (Nueve de Julio) 1967-08-10 (Ranchera-Pericón) – Orquesta Enrique Rodríguez.

Second OVNI du jour, cette ranchera-Pericón nacional avec ses flonflons, bien propice à faire la fête. Peut-être une cortina pour demain (aujourd’hui pour vous qui lisez, demain pour moi qui écrit).

9 de Julio (Nueve de Julio) 1968 – Cuarteto Juan Cambareri.

Une version virtuose et enthousiasmante. Pensez à prévoir des danseurs de rechange après une tanda de Cambareri… Si cela semble lent pour du Cambareri, attendez la variation finale et vous comprendrez pourquoi Cambareri était nommé le mage du bandonéon.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1970 – Orquesta .

Une version originale, mais pas forcément indispensable, malgré le beau bandonéon d’Armando Pontier.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1971 – Orquesta Donato Racciatti.

Même si la Provincia Orientale tombait en 1916 sous la coupe du Portugal / Brésil, les Uruguayens sont sensibles à l’émancipation d’avec le vieux monde et donc, les orchestres uruguayens ont aussi proposé leurs versions du 9 juillet.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1971 – Palermo Trío.

Avec un trio, forcément, c’est plus léger. Ici, la danse n’est pas au programme.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1971-08-04 – Miguel Villasboas y su Sexteto Típico.

Dans le style hésitant de Villasboas entre tango et milonga qu’affectionnent les Uruguayens. Le type de musique qui a fait dire que le tango avait été inventé par un indécis…

9 de Julio (Nueve de Julio) 1973-11-29 – Miguel Villasboas y Wáshington Quintas Moreno (dúo de pianos).

L’autre jour, au sujet de La rosarina 1975-01-06, un lecteur a dit qu’il avait apprécié la version en duo de piano de Villasboas et Wáshington. Pour ce lecteur, voici 9 de Julio par les mêmes.

Et il est temps de clore cette longue liste avec notre orchestre du jour et dans deux versions :

9 de Julio (Nueve de Julio) 1991 – Los Tubatango.

Cet orchestre original par la présence du tuba et sa volonté de retrouver l’ambiance du tango des années 1900 a été créé par Guillermo Inchausty. C’est le même orchestre que celui de notre tango du jour qui est désormais dirigé par Lucas Kohan sous l’appellation La Tuba Tango au lieu du nom original de Los Tubatango.

9 de Julio (Nueve de Julio) 2009 – La Tuba Tango.

C’est notre tango du jour. Les musiciens en sont : Ignacio Risso (tuba), Matias Rullo (bandonéon), Gonzalo Braz (clarinette) et Lucas Kohan (Direction et guitare).

Cette longue liste de 29 titres, mais qui aurait pu être facilement deux fois plus longue montre la diversité de la production du tango.
En ce qui concerne la danse, nous nous sommes habitués à danser sur un ou deux de ces titres, mais je pense que vous aurez remarqué que d’autres étaient aussi intéressants pour le bal. La question est surtout de savoir les proposer au bon moment et aux bons danseurs. C’est toute la richesse et l’intérêt du métier de DJ.
Pour moi, un bon DJ n’est pas celui qui met des titres inconnus et étranges afin de recueillir les applaudissements des néophytes, mais celui qui met la bonne musique au bon moment en sachant prendre des risques mesurés afin d’aider les danseurs à magnifier leur improvisation et leur plaisir de danser.

Je reviens maintenant, comme promis aux quatre versions des paroles…

Paroles de Lito Bayardo (1931)

Sin un solo adiós
dejé mi hogar cuando partí
porque jamás quise sentir
un sollozar por mí.
Triste amanecer
que nunca más he de olvidar
hoy para qué rememorar
todo lo que sufrí.

Lejano Nueve de Julio
de una mañana divina
mi corazón siempre fiel quiso cantar
y por el mundo poder peregrinar,
infatigable vagar de soñador
marchando en pos del ideal con todo amor
hasta que al fin dejé
mi madre y el querer
de la mujer que adoré.

Yo me prometi
lleno de gloria regresar
para podérsela brindar
a quien yo más amé
y al retornar
triste, vencido y sin fe
no hallé mi amor ni hallé mi hogar
y con dolor lloré.

Cual vagabundo cargado de pena
yo llevo en el alma la desilusión
y desde entonces así me condena
la angustia infinita de mi corazón
¡Qué puedo hacer si ya mis horas de alegría
también se fueron desde aquel día
que con las glorias de mis triunfos yo soñara,
sueños lejanos de mi loca juventud!

José Luis Padula Letra: Lito Bayardo (Manuel Juan García Ferrari)

C’est la version que chante Magaldi, vu qu’il l’a demandé à Bayardo
Famá, chante également cette version, mais seulement le premier couplet.

Traduction libre des paroles de Lito Bayardo

Sans un seul au revoir, j’ai quitté ma maison quand je suis parti parce que je ne voulais jamais ressentir un sanglot pour moi.
Une triste aube que je n’oublierai jamais aujourd’hui, pour qu’elle se souvienne de tout ce que j’ai souffert.
Lointain 9 juillet, d’un matin divin, mon cœur toujours fidèle a voulu chanter et à travers le monde faire le pèlerinage,
infatigable errance d’un rêveur marchant à la poursuite de l’idéal avec tout l’amour jusqu’à ce qu’enfin je quitte ma mère et l’amour de la femme que j’adorais.
Je me suis promis une fois plein de gloire de revenir pour pouvoir l’offrir à celle que j’aimais le plus et quand je suis revenu triste, vaincu et sans foi je n’ai pas trouvé mon amour ni ma maison et avec douleur j’ai pleuré.
Comme un vagabond accablé de chagrin, je porte la déception dans mon âme, et depuis lors, l’angoisse infinie de mon cœur me condamne.
Que pourrais-je faire si mes heures de joie sont déjà parties depuis ce jour où j’ai rêvé des gloires de mes triomphes, rêves lointains de ma folle jeunesse ?

Paroles de Ricardo M. Llanes (1916 ou 1919)

De un conventillo mugriento y fulero,
con un canflinfero
te espiantaste vos ;
abandonaste a tus pobres viejos
que siempre te daban
consejos de Dios;
abandonaste a tus pobres hermanos,
¡tus hermanitos,
que te querían!
Abandonastes el negro laburo
donde ganabas el pan con honor.

Y te espiantaste una noche
escabullida en el coche
donde esperaba el bacán;
todo, todo el conventillo
por tu espiante ha sollozado,
mientras que vos te has mezclado
a las farras del gotán;
¡a dónde has ido a parar!
pobrecita milonguera
que soñaste con la gloria
de tener un buen bulín;
pobre pebeta inocente
que engrupida por la farra,
te metiste con la barra
que vive en el cafetín.

Tal vez mañana, piadoso,
un hospital te dé cama,
cuando no brille tu fama
en el salón;
cuando en el « yiro » no hagas
más « sport »;
cuando se canse el cafisio
de tu amor ;
y te espiante rechiflado
del bulín;
cuando te den el « olivo »
los que hoy tanto te aplauden
en el gran cafetín.

Entonces, triste con tu decadencia,
perdida tu esencia,
tu amor, tu champagne ;
sólo el quedará en tu vida
de aquella perdida
gloria del gotán;
y entonces, ¡pobre!, con lágrimas puras,
tus amarguras
derramarás;
y sentirás en tu noche enfermiza,
la ingrata risa
del primer bacán.

José Luis Padula Letra: Ricardo M. Llanes

Traduction libre des paroles de Ricardo M. Llanes

D’un immeuble (le conventillo est un système d’habitation pour les pauvres où les familles s’entassent dans une pièce desservie par un corridor qui a les seules fenêtres sur l’extérieur) sale et vilain, avec un proxénète, tu t’es enfuie ;
tu as abandonné tes pauvres parents qui t’ont toujours prodigué des conseils de Dieu ;
Tu as abandonné tes pauvres frères, tes petits frères, qui t’aimaient !
Tu as abandonné le travail noir où tu gagnais ton pain avec honneur.
Et tu t’es enfuie une nuit en te faufilant dans la voiture où le bacán (homme qui entretient une femme) attendait ;
Tout, tout l’immeuble à cause de ta fuite a sangloté, tandis que toi tu t’es mêlée aux fêtes du Gotan (Tango) ;
Mais où vas-tu t’arrêter ?
Pauvre milonguera qui rêvait de la gloire et d’avoir un bon logis ;
Pauvre fille innocente qui, enflée par la fête, s’est acoquinée avec la bande qui vit dans le café.
Peut-être que demain, pieusement, un hôpital te donnera un lit, quand ta renommée ne brillera pas dans ce salon ;
quand dans le « yiro » (prostitution) vous ne faites plus de « sport » ;
quand le voyou de ton amour se fatigue ;
et tu t’évades folle du logis ;
Quand ils te renvoient (dar el olivo = renvoyer en lunfardo), ceux qui vous applaudissent tant aujourd’hui dans le Grand Cafetín.
Puis, triste avec ta décadence, perte de ton essence, de ton amour, de ton champagne ;
Seul le souvenir de cette perte restera dans ta vie
Gloire du Gotan ;
et alors, pauvre créature, avec des larmes pures, ton amertume tu déverseras ;
Et tu sentiras dans ta nuit maladive, le rire ingrat du premier Bacán.

Paroles de Eugenio Cárdenas (version 1 de 1930)

Mientras los clarines tocan diana
y el vibrar de las campanas
repercute en los confines,
mil recuerdos a los pechos
los inflama la alegría
por la gloria de este día
que nunca se ha de olvidar.
Deja, con su música, el pampero
sobre los patrios aleros
una belleza que encanta.
Y al conjuro de sus notas
las campiñas se levantan
saludando, reverentes,
al sol de la Libertad.

Brota, majestuoso, el Himno
de todo labio argentino.
Y las almas tremulantes de emoción,
a la Patria sólo saben bendecir
mientras los ecos repiten la canción
que dos genios han legado al porvenir.
Que la hermosa canción
por siempre vivirá
al calor del corazón.

Los campos están de fiesta
y por la floresta
el sol se derrama,
y a sus destellos de mágicas lumbres,
el llano y la cumbre
se envuelven de llamas.
Mientras que un criollo patriarcal
narra las horas
de las campañas
libertadoras,
cuando los hijos de este suelo
americano
por justa causa
demostraron
su valor.

José Luis Padula Letra: Eugenio Cárdenas

C’est la version chantée par Alberto Marino en 1964.

Traduction libre des paroles de Eugenio Cárdenas (version 1 de 1930)

Tandis que les clairons sonnent le réveil et que la vibration des cloches résonne aux confins,
mille souvenirs enflamment de joie les poitrines pour la gloire de ce jour qui ne sera jamais oublié.
Avec sa musique, le pampero laisse sur les patriotes alliés une beauté qui enchante.
Et sous le charme de ses notes, la campagne se lève avec révérence, au soleil de la Liberté.
L’hymne de chaque lèvre argentine germe, majestueux.
Et les âmes, tremblantes d’émotion, ne savent que bénir la Patrie tandis que les échos répètent le chant que deux génies ont légué à l’avenir.
Que la belle chanson vivra à jamais dans la chaleur du cœur.
Les campagnes sont en fête et le soleil se déverse à travers la forêt, et avec ses éclairs de feux magiques, la plaine et le sommet sont enveloppés de flammes.
Tandis qu’un criollo patriarcal raconte les heures des campagnes de libération, lorsque les enfants de ce sol américain pour une cause juste ont démontré leur courage.

Paroles de Eugenio Cárdenas (version 2 de 1931)

Hoy siento en mí
el despertar de algo feliz.
Quiero evocar aquel ayer
que me brindó placer,
pues no he de olvidar
cuando tembló mi corazón
al escuchar, con emoción,
esta feliz canción:

Brota, majestuoso, el Himno
de todo labio argentino.
Y las almas tremulantes de emoción,
a la Patria sólo saben bendecir
mientras los ecos repiten la canción
que dos genios han legado al porvenir.
Que la hermosa canción
por siempre vivirá
al calor del corazón.

En los ranchos hay
un revivir de mocedad;
los criollos ven en su
pasión
todo el amor llegar.
Por las huellas van
llenos de fe y de ilusión,
los gauchos que oí cantar
al resplandor lunar.

Los campos están de fiesta
y por la floresta
el sol se derrama,
y a sus destellos de mágicas lumbres,
el llano y la cumbre
se envuelven de llamas.
Mientras que un criollo patriarcal
narra las horas
de las campañas
libertadoras,
cuando los hijos de este suelo
americano
por justa causa
demostraron
su valor.

José Luis Padula Letra: Eugenio Cárdenas

Traduction libre des paroles de Eugenio Cárdenas (version 2 de 1931)

Aujourd’hui je sens en moi l’éveil de quelque chose d’heureux.
Je veux évoquer cet hier qui m’a offert du plaisir, car je ne dois pas oublier quand mon cœur a tremblé quand j’ai entendu, avec émotion, cette chanson joyeuse :
L’hymne de chaque lèvre argentine germe, majestueux.
Et les âmes, tremblantes d’émotion, ne savent que bénir la Patrie tandis que les échos répètent le chant que deux génies ont légué à l’avenir.
Que la belle chanson vivra à jamais dans la chaleur du cœur.
Dans les baraques (maison sommaire, pas un ranch…), il y a un regain de jeunesse ;
Les Criollos voient dans leur passion tout l’amour arriver.
Sur les traces (empreintes de pas ou de roues), ils sont pleins de foi et d’illusion, les gauchos que j’ai entendus chanter au clair de lune.
Les campagnes sont en fête et le soleil se déverse à travers la forêt, et avec ses éclairs de feux magiques, la plaine et le sommet sont enveloppés de flammes.
Tandis qu’un criollo patriarcal raconte les heures des campagnes de libération, quand les enfants de ce sol américain pour une juste cause ont démontré leur courage.

Vous êtes encore là ? Alors, à demain, les amis !

Milonguero viejo 1955-06-20 – Orquesta Carlos Di Sarli

Carlos Di Sarli Letra: Enrique Carrera Sotelo

On considère parfois, que les premières versions sont les meilleures et que par la suite, les enregistrements suivants vont en déclinant. Come toute généralisation hâtive, c’est discutable. Dans le cas de Di Sarli, même si on se place dans le rôle du danseur, cette théorie n’est pas forcément pertinente. Il y a une évolution, mais toutes les versions, si différentes soient-elles, ont de l’intérêt. Voyons cela.

Extrait musical

Milonguero viejo 1955-06-20 – Orquesta Carlos Di Sarli.

C’est la quatrième version proposée par Di Sarli au disque. Nous verrons l’évolution en fin d’article avec l’écoute des trois premières versions.

Paroles

Les versions de Di Sarli sont toutes instrumentales, mais il y a des paroles, que voici :

El barrio duerme y sueña
al arrullo de un triste tango llorón;
en el silencio tiembla
la voz milonguera de un mozo cantor.
La última esperanza flota en su canción,
en su canción maleva
y en el canto dulce eleva
toda la dulzura de su humilde amor.

Linda pebeta de mis sueños,
en este tango llorón
mi amor mistongo va cantando
su milonga de dolor,
y entre el rezongo de los fuelles
y el de mi voz,
ilusionado y tembloroso
vibra humilde el corazón.

Sos la paica más linda del pobre arrabal,
sos la musa maleva de mi inspiración;
y en los tangos del Pibe de La Paternal
sos el alma criolla que llora de amor.
Sin berretines mi musa mistonguera
chamuya en verso su dolor;
tu almita loca, sencilla y milonguera
ha enloquecido mi pobre corazón.

El barrio duerme y sueña
al arrullo del triste tango llorón;
en el silencio tiembla
la voz milonguera del mozo cantor;
la última esperanza flota en su canción,
en su canción maleva
y el viento que pasa lleva
toda la dulzura de su corazón.

Carlos Di Sarli Letra: Enrique Carrera Sotelo

libre et indications

Le quartier dort et rêve au roucoulement d’un triste tango larmoyant ; dans le silence tremble la voix milonguera d’un charmant chanteur.
La dernière espérance flotte dans sa chanson, dans sa chanson maleva (en , c’est l’apocope de malévolo au féminin. La chanson est donc mal intentionnée, mauvaise, par son sens, pas par manque de qualité) et dans la douce chanson, il élève toute la douceur de son humble amour.
Belle poupée de mes rêves, dans ce tango larmoyant mon amour triste chante sa milonga de douleur, et entre le grognement des bandonéons et le canyengue de ma voix, amoureux et tremblant, le cœur vibre humblement.
Tu es la plus jolie fille (la paica est la compagne d’un compadrito et par extension, l’amante ou tout simplement la compagne) des faubourgs pauvres, tu es la muse malveillante de mon inspiration ; et dans les tangos du Pibe de La Paternal (surnom d’, ce qui explique qu’il fut le premier à l’enregistrer…) vous êtes l’âme criolla (de tradition argentine) qui pleure d’amour.
Sans repos (el berretín peut être le loisir comme dans Los tres berretines, une idée fixe, un caprice), ma triste muse exprime en vers, sa douleur ; ta petite âme folle, simple et milonguera a rendu fou mon pauvre cœur.
Le quartier dort et rêve au roucoulement d’un triste tango larmoyant ; dans le silence tremble la voix milonguera d’un charmant chanteur.
La dernière espérance flotte dans sa chanson, dans sa chanson maleva et le vent qui passe emporte toute la douceur de son cœur.

Autres versions

Milonguero viejo 1928-02-24 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Ernesto Famá.

Il ne faut pas juger trop sévérement cette version, elle est de 1928 et donc dans le jus de son époque. Disons juste qu’elle n’est pas de la meilleure période de Fresedo. Manque de chance, il le réenregistrera en fin de carrière, une autre version qui n’est pas dans sa meilleure période… On doit cependant mettre à son crédit un tempo assez lent, comme celui des Di Sarli des années 50, mais le pesant canyengue, détruit toute la joliesse du titre. Une version pour des piétineurs qui ne seraient pas gênés par la voix de Famá.

Milonguero viejo 1928-02-29 – Ignacio Corsini con guitarras de Aguilar-Pesoa-Maciel.

Remarquez l’alternance de voix de gorge et de tête.

Milonguero viejo 1928-04-02 – Orquesta Juan Maglio « Pacho » con Carlos Viván.

C’est la dernière version chantée. Les enregistrements suivants seront instrumentaux. Le style un peu trop vieillot manque sans doute de charme pour nos milongas modernes, même si dans l’interprétation, l’écriture de Di Sarli est reconnaissable. N’oublions pas qu’à cette époque, Di Sarli jouait avec son sexteto dans un style semblable.

A Milonguero viejo 1940-07-04 – Orquesta Carlos Di Sarli.

Un tempo un peu soutenu, peut-être trop pour le thème. Mais comme c’est une version instrumentale, les danseurs ne sont pas supposés savoir que c’est triste… 128BPM

B Milonguero viejo 1944-07-11 – Orquesta Carlos Di Sarli.

Milonguero viejo 1944-07-11 – Orquesta Carlos Di Sarli. Quatre ans après, Di Sarli corrige le tir avec un rythme plus calme. 122 BPM, mais quand on dans l’oreille, les versions des années 50, on pourra le trouver un tout petit peu trop rapide. On notera qu’au début, Di Sarli a ajoutée une montée de gamme pour introduire le thème. La version de 1940 et celles des autres orchestres qui n’ont pas adopté cet ajout paraissent plus abruptes dans la mise en œuvre.

C Milonguero viejo 1951-09-26 – Orquesta Carlos di Sarli.

Di Sarli ralenti encore le tempo. La musique sonne plus majestueuse. Je trouve que cela convient mieux au thème du vieux milonguero, même si c’est un instrumental. 115 BPM. Comme j’ai placé un sondage à la fin de l’article, je ne vais pas écrire que c’est ma version préférée pour ne pas vous influencer.

Milonguero viejo 1954 – Orquesta .

L’ordre chronologique des enregistrements place cet enregistrements au milieu des versions de Di Sarli. La comparaison n’est pas à l’avantage de Demare.

D Milonguero viejo 1955-06-20 – Orquesta Carlos Di Sarli.

C’est notre tango du jour. Il est à la que la version de 1951, 115 BPM. Avec la version de 1951, peut-être encore meilleure, cette version prouve que l’adage de plus c’est vieux, mieux c’est ne fonctionne pas. Les versions de 1950, pour ce titre, surpassent largement celles des années 40.

Milonguero viejo 1957 – Horacio Salgán y su Orquesta Típica.

Entrée directe sans introduction au piano. Les variations imprévisibles, rendent le titre indansable.

Face 2 – 01 Milonguero viejo 1958 – Argentino Galván.

La version la plus courte. Elle fait partie du disque de Argentino Galván que je vous ai présenté en deux fois et dont j’ai promis une étude de la pochette, un jour…

Milonguero viejo 1959-04-06 Orquesta Osvaldo Fresedo.

Vous étiez prévenu, même si Fresedo a enregistré deux fois, Milonguero viejo, aucune de ses versions ne soulèvera d’enthousiasme. Pour un titre qui le cite, il aurait pu s’appliquer et enregistrer avec Ray ou Ruiz, une belle version.

Milonguero viejo 1983 c – .

Entrée direct dans le thème, sans l’introduction de piano. En revanche, le tempo est lent, comme les derniers enregistrements de Di Sarli. Pour la danse il manque peut êre un peu de tonus et l’orchestre n’est pas assez incisif, les danseurs risquent de s’endormir.

Milonguero viejo 2010 – .

Avec un tempo irrégulier de près de 150BPM, ne me semble pas très en phase avec les paroles, chantées avec une alternance de voix de gorge et de tête, un peu comme le faisait Corsini. Si les guitaristes sont Javier Amoretti, Nacho Cedrún et Martín Creixell et le contrebassiste Popo Gómez, je ne sais pas qui chante, peut-être les guitaristes.

E Milonguero viejo 2011 – Orquesta Típica .

Pour cette dernière version, je vous propose leur partition en PDF. Comme vous avez pu l’entendre, c’est un arrangement à partir de Di Sarli. Ils ont également conservé l’ajout du piano en introduction des versions de 1944 et ultérieures de Di Sarli.

Partition Gente de tango (PDF)

Sondage

Esquinas porteñas 1942-05-22 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Letra:

Manzi est le chantre de Buenos Aires. Il nous parle de son vécu, dans sa ville et des personnages de la vie quotidienne à travers ses textes de tango comme : Barrio de tango, El ultimo organito, El pescante, Manoblanca et bien sûr, Sur. Notre valse du jour, , est de cette veine. Ses esquinas (angles de rues) et ses ruelles sont chargées de l’émotion si finement exprimée par Vargas.

 On ne présente plus l’association des deux anges, Ángel D’Agostino et Ángel Vargas. C’est une de ces combinaisons magiques qui de 1940 à 1946 nous a proposé près d’une centaine de merveilles enregistrées.
Cette association fonctionne si bien, qu’il est très rare que l’on propose un D’Agostino avec un autre chanteur ou instrumental. La seule exception, bien sûr, qui est un casse-tête pour les DJ. Soit on reste cohérent sur le style avec des tangos de la même époque et le résultat est moyen, soit on fait un bond en changeant de style pour continuer la tanda avec un des merveilleux titres enregistrés avec Vargas. La plupart des DJ font ce choix.

Extrait musical

Esquinas porteñas 1942-05-22 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas.
Esquinas porteñas, Sebastián Piana Letra: Homero Manzi

Paroles

Esquina de barrio porteño
te pintan los muros la luna y el sol.
Te lloran las lluvias de
en las acuarelas de mi evocación.
Treinta lunas conocen mi herida
y cien callecitas nos vieron pasar.
Se cruzaron tu vida y mi vida,
tomaste la senda que no vuelve más.

Calles, donde la vida mansa
perdió las esperanzas,
la pasión y la fe.
Calles, sí sé que ya está muerta,
golpeando en cada puerta
por qué la buscaré.
Callecitas, sombreadas de poesía,
nos vieron ir un día
felices los dos.
Compañera del sol y las estrellas,
se fue la tarde aquella
camino de Dios.

Los vientos murmuran mi pena.
Las sombras me dicen que ya se marchó.
Y escrito en las noches serenas
encuentro su nombre como una obsesión.
Esquinita de barrio porteño,
con muros pintados de luna y de sol,
que al llorar con tus lluvias de invierno
manchás el paisaje de mi evocación.

Sebastián Piana Letra : Homero Manzi

Fernando Díaz chante ce qui est en gras et bleu
Ernesto Famá chante tout ce qui est en gras (bleu et noir).
et Mercedes Simone chante tout et reprend ce qui est en gras et bleu.
Ángel Vargas chante ce qui est en gras et reprend ce qui est en gras et bleu.
Rubén Cané chante tout ce qui est en gras, continue avec la première partie du dernier couplet (ce qui est souligné) et reprend la fin du premier couplet, ce qui est en gras et souligné.

libre et indications

Angle de rues (esquina, c’est le coin de rue. Je garde esquina pour la suite, car c’est plus joli) d’un quartier de Buenos Aires (porteño, du port. Une des rares villes portuaires, dont les habitants s’appellent selon cette caractéristique, plus que d’après le nom de la ville), la lune et le soleil peignent tes murs.
Les pluies d’hiver te pleurent dans les aquarelles de mon évocation.
Trente lunes connaissent ma blessure et cent petites rues nous virent passer.
Ta vie et ma vie se sont croisées, tu as pris le chemin qui ne revient jamais.

Rues, où la vie douce perdait les espérances, la passion et la foi.
Rues, si je sais qu’elle est déjà morte, pourquoi je la chercherais en frappant à toutes les portes ?
Les ruelles, ombragées de poésie, nous ont vus un jour, heureux tous les deux.
Compagne du soleil et des étoiles, elle est partie cette après-midi-là, sur le chemin de Dieu.

Les vents murmurent ma peine.
Les ombres me disent qu’elle est déjà fanée.
Et j’ai écrit dans les nuits sereines, trouvant son nom comme une obsession.
Esquina de barrio porteño, aux murs peints par la lune et le soleil, qui, lorsque tu pleures avec tes pluies hivernales, tu taches le paysage avec mon évocation.

Autres versions

Esquinas porteñas 1934-03-23 – Orquesta Francisco Lomuto con Fernando Díaz.

La plus ancienne version enregistrée, relativement lente.

Esquinas porteñas 1934-03-27 – Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá.

Dans le rythme très lent que Canaro semble affectionner. On peut remarquer une belle introduction que l’on ne retrouve pas dans la version enregistrée par son « jumeau » quatre jours plus tôt. L’interprétation a un caractère un peu ranchera. Cela tourne vraiment très tranquillement, un peu pesamment.

Esquinas porteñas 1934-04-05 — Ignacio Corsini con guitarras de Pagés-Pesoa-Maciel.

Une version un peu plaintive où Corsini chante l’intégralité des paroles.

Esquinas porteñas 1934-04-25 — Mercedes Simone con orquesta.

Même si c’est une version a priori à écouter, cette superbe version mérite à mon avis d’être dansée. Le rythme est beaucoup plus rapide. L’orchestre est en retrait pour laisser la place à Mercedes, mais la structure de la valse est toujours perceptible, ce qui facilitera la danse. On pourra en outre la comparer à l’ de 1966 que je vous propose également ci-dessous…

Esquinas porteñas 1942-05-22 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas. C’est notre valse du jour.

Il fallait au moins les deux anges pour rester au niveau de la version de Mercedes Simone. Défi relevé. Là encore le rythme est rapide. On retrouve la belle sonorité de D’Arienzo qui recherche en plus a être toujours efficace pour les , tout du moins dans les années 40.

Esquinas porteñas 1953-02-02 — Orquesta Ángel D’Agostino con Rubén Cané.

En 1953, D’Agostino essaye de relancer son titre avec le chanteur qui a remplacé Vargas, Rubén Cané. Je vous laisse juger du résultat. Je trouve l’orchestre un peu sirupeux, moins incisif. Cela reste dansant, mais c’est sans doute moins efficace pour faire se lancer les danseurs sur la piste.

Esquinas porteñas 1966 — Mercedes Simone con acomp. de .

La voix de Mercedes Simone est plus mûre, mais elle transmet toujours de l’émotion. J’aime bien l’introduction et les transitions de l’orchestre entre les phrases chantées par Mercedes, sont assez originales. De la très belle ouvrage de la part de l’orchestre Brameri, encore un orchestre qui n’a pas tout à fait passer la porte de la postérité. Brameri était pianiste, violoniste, accordéoniste, compositeur et directeur d’orchestre…

Il y a bien sûr d’autres enregistrements postérieurs de cette magnifique valse, mais je trouve bien de terminer avec elle, d’autant plus que la fin un peu spectaculaire laisse clairement apparaître « FIN », comme au cinéma. Et toc…

Esquinas porteñas.

Plegaria 1940-04-20 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz

Eduardo Bianco

Certains tangos sont « interdits » dans les milongas. On ne passe pas Gardel et surtout pas Volver, mais il y a une liste plus longue, le en ferait partie même s’il n’a jamais fait partie des tangos interdits par la loi argentine. Attention, cet article aura du mal à suivre ma devise selon laquelle le tango est une pensée heureuse qui se danse.

Extrait musical

Avant de rentrer sur les causes de l’interdiction, je vous le propose à écouter. Il est interdit dans les milongas, pas à l’écoute. Si vous jugez en lisant l’article que l’interdiction est justifiée, ou pas, vous pourrez voter à la fin de l’article.

Plegaria 1940-04-20 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz

On ne peut pas dire que ce soit vilain, non ?

Interdiction officielle du tango

Plusieurs causes ont provoqué des interdictions du ou des tangos.

Interdiction du tango pour des raisons de bienséance

Les débuts interlopes du tango ont provoqué sont interdiction, surtout à cause des paroles, des lieux et des débordements qu’il pouvait susciter.
La bonne société voyait d’un mauvais œil cette danse de voyous qui naissait dans les faubourgs, mais ses fils s’y acoquinèrent. Le pouvoir religieux poussait des cris d’orfraie, jusqu’à ce que le danseur fasse une démonstration au pape. 
Le pape ayant donné sa bénédiction et le tango s’étant acheté une conduite en Europe, les interdictions sont levées et la bonne société se lance à son tour sans réserve dans la pratique de cette danse.

Tangos interdits par les dictatures militaires

Cependant, la dictature militaire a repris la question en main et publié une liste de tangos interdits, non pas à cause de la musique, bien sûr, mais à cause des paroles. Les extrêmes droites, sont rarement favorables à la culture et n’aiment pas trop les critiques.
A mi país de Roberto Diaz et Reynaldo Martín
Acquaforte de C. Marambio Catán et H. Alfredo Perroti
Al mundo le falta un tornillo de Enrique Cadicamo
Al pie de la Santa Cruz de M. Battistella et E. Delfino
Bronca de Mario Battistella et Edmundo Rivero
Caballo Criollo de J. Dalevuelta et F. Ramirez de Aguilar
Cambalache de
Ciruja de T.A. Marino et E.N. de la Cruz
Gorriones de Celedonio Flores et Eduardo Pereyra
Jornalero de Atilio Carbone
Matufias de Ángel G. Villoldo
Mentiras criollas de Oscar Arona
Pajarito de Dante A. Linyera
Pan de Celedonio Flores et Eduardo Pereyra
Quevachaché de Enrique Santos Discépolo
Sol a sol de Daniel L. Barreto
Solo de Fernando Solanas
Bien sûr, cette liste n’est plus d’actualité, du moins tant qu’un gouvernement ne juge pas de nouveau que ces paroles peuvent nuire à son prestige. Ceux qui suivent la situation en Argentine voient certainement ce qui avive mes craintes.

Tangos « interdits » sans « interdit ».

Les tangos de Gardel sont réputés comme ne devant pas se danser. L’interdit est le plus fort sur Volver et sur Adios amigos, à cause de la fin tragique du chanteur. Le DJ n’ira pas en prison, mais certains danseurs seront surpris.
D’un autre côté, Gardel n’a pas performé pour la piste de danse, c’est donc un moindre mal. Cependant, on trouve plusieurs tangos réalisés par la suite avec la voix de Gardel sur des instrumentations modernes. Ces « prouesses » ont été rendu possibles par les progrès techniques qui permettaient de couper des bandes de fréquences. Le système est assez simple, ce sont des ensembles de résistances et condensateurs qui filtrent certaines fréquences. Des potentiomètres permettent d’ajuster les paramètres. Ainsi on peut renforcer la voix et baisser les fréquences où jouent les instruments. L’orchestre joue ensuite le morceau en appuyant suffisamment pour masquer les restes de guitare des enregistrements originaux…

Par exemple par Canaro, dans les années 50 (1955 à 1959),

Bandoneón arrabalero, Chora, Madame Ivonne, Madre hay una sola, Mi noche triste, Siga el corso, Yira Yira.

Yira… Yira… 1955-11-13 1930-10-16 – con acomp. de la orquesta de Francisco Canaro.

Par exemple De Angelis en 1973 et 1974

Alma en pena, Almagro, Ausencia, Cualquier cosa, Duelo criollo, Esta noche me emborracho, Giusepe el zapatero, Íntimas, La cumparsita (Si supieras), Malevaje, Me enamoré una vez (ranchera), Melodía de arrabal, adiós muchachos, Muñeca brava, Nelly (valse), Palermo, Rosas de abril (valse), Si soy así, Tomo y obligo, Viejo jardín (valse), Viejo smoking, Yira Yira.

Yira… Yira… 1973-10-25 1930-10-16 – con Carlos Gardel. La version de Angelis à partir de Yira Yira…

Par exemple Otros Aires en 2004

Aquel muchacho bueno (extraits de Aquel Muchacho Triste par Carlos Gardel en 1929), En dirección a mi casa (extraits de El Carretero par Carlos Gardel en 1922), La Seca (extraits de El Carretero par Carlos Gardel en 1922), Sentimental (extraits de Milonga Sentimental par Carlos Gardel en 1929), Percanta (extraits de Mi Noche Triste par Carlos Gardel).
Les résultats sont plutôt moyens et si on peut considérer que certains sont dansables, ce n’est pas une urgence de les passer.
Pour ma part je n’ai passé des titres de cette liste qu’à une seule reprise en plus de 20 ans de carrière et c’était pour une milonga « spéciale Gardel » dans le cadre du festival Tango postal (Toulouse, France). Heureusement, le thème autorisait de passer des titres composés par Gardel, mais joués par d’autres orchestres…

Interdits par devoir de mémoire

Le tango du jour fait partie de cette catégorie. Il a été composé par Eduardo Bianco qui a également écrit les paroles.
Ce tango, dans sa version de 1927 que vous pourrez entendre ci-dessous est triste et ne donne pas du tout envie de danser. On imagine facilement sa diffusion lors d’un enterrement.
En 1939, l’auteur qui était associé à Bachicha pour la version de 1927, récidive. Cette version d’une grande émotion et tristesse ne se prête pas non plus à la danse.
Il en est autrement de la version de Fresedo qui pourrait s’intégrer dans une tanda.
Donc, les versions avec Bianco ne sont pas passables car elles ne se prêtent pas à la milonga, mais celle de Fresedo le pourrait. Alors pourquoi l’interdire ?
Eduardo Bianco a dédicacé ce tango au Roi Alfonso XIII d’Espagne (et auparavant dédié Evocación à Benito Mussolini), mais le plus grave est à venir…
Ce musicien etait considéré comme ayant des idées antisémites et comme étant sensible aux thèses fascistes. Il fréquentait les milieux pronazis.
Pour les nazis allemand, le tango constituait une réponse aux Jazz des Noirs américains qui avait le vent en poupe. Ils ont donc encouragé le tango en Allemagne, comme en témoignent les nombreux tangos allemands de l’époque.
Lors d’un concert à l’ambassade d’Argentine à Berlin, Adolf Hitler aurait entendu la musique jouée par Bianco et aurait demandé que cette musique soit jouée par les déportés juifs aux portes des chambres à gaz (Jens-Ingo a attiré mon attention sur le fait que ce point serait de la propagande russe, je mets donc en question ce point, d’autant plus que l’ambassadeur d’Argentine qui est cité dans ces sources, Eduardo Labougle Carranza, a quitté ses fonctions à Berlin an 1939 et donc avant la liste en place de la « solution finale ».

Toutefois, le poète roumain Paul Celan détenu en camp de concentration a évoqué cette horreur dans son poème Todesfuge. Selon Enzo Traverso, ce ne serait pas un témoignage direct, cette pratique n’étant pas forcément généralisée dans tous les camps et Celan n’aurait pas été dans le camp de Lublin – Majdanek, où selon l’Armée rouge ce « rituel » aurait été pratiqué.
Si dans les camps la version n’était pas chantée, Aleksander Kulisiewicz a ajouté des paroles et a même enregistré un disque (Songs from the Depths of Hell). Je ne vous le propose pas ici, mais vous pouvez l’écouter sur le site de la Smithsonian et même l’acheter.
S’il existe des « tangos de la muerte » (tango de la mort) qui portent réellement ce titre, on a également baptisé ainsi, pour son usage macabre, plegaria. Les SS l’avaient surnommé, « Muerte en fuga » « Todesfuge » (mort en fugue)…
Pour cette raison, même s’il y a des doutes sur certains éléments de cette histoire, on ne passe généralement pas plegaria en milonga, même la belle version de Fresedo. Cependant, si un DJ la passe, soyez indulgents, pas comme cet individu qui attrapé une pauvre DJ débutante en la traitant de nazi tout en la secouant, car elle avait passé ce titre.

Addendum : Jens-Ingo a attiré mon attention sur un livre qui remettrait en question ces éléments.
https://www.tangodanza.de/Books_Dirk-E-Dietz-Der-Todestango–1726.html?language=en « It still circles over the dancers, the ghost of the ‘death tango’ that the nefarious Eduardo Bianco once brought into the world to give the Nazis a fitting soundtrack for their atrocities.
One of the dancers, historian and journalist Dirk E. Dietz, has now studied the phenomenon extensively. In his investigation, he concludes that the fairy tale of the ‘death tango’ is based on an act of deliberate communist propaganda toward the end of World War II.

As interest in the tango grew, so did the spread of this legend. It is therefore far from being true, as Dietz proves in detail in his book.
A strong book – and an important book for the tango. ».

Pour nous, DJ, même si cette histoire est fausse, il nous faut savoir que l’on peut heurter la sensibilité de certaines personnes et donc prendre les mesures nécessaires avant de passer un titre de ce type. (Fin de l’addendum).

Extrait musical (bis)

Plegaria 1940-04-20 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz

. Le rythme est tonique et la voix de Ricardo Ruiz est comme toujours magnifique. Si on ne prête pas attention aux paroles, on peut passer à côté de la tristesse du thème. Ce titre sans l’histoire fumeuse de Bianco pourrait passer en milonga, dans un moment d’émotion, par exemple en souvenir d’un disparu, lors d’un hommage.

Les paroles

Plegaria que llega a mi alma
al son de lentas campanadas,
plegaria que es consuelo y calma
para las almas desamparadas.
El órgano de la capilla
embarga a todos de emoción
mientras que un alma de rodillas
¡pide consuelo, pide perdón!

¡Ay de mí!… ¡Ay señor!…
¡Cuánta amargura y dolor!
Cuando el sol se va ocultando
una plegaria
y se muere lentamente
brota de mi alma
cruza un alma doliente
y elevo un rezo
en el atardecer.

Murió la bella penitente,
murió, y su alma arrepentida
voló muy lejos de esta vida, 
se fue sin quejas, tímidamente,
y di en que noche callada
se oye un canto de dolor
y su alma triste, perdónala,
toda de blanco canta al amor!

Eduardo Bianco

Les paroles sont tristes et peuvent plomber l’ambiance de la milonga, mais rien de répréhensible dans leur contenu.

Prière qui vient à mon âme au son de lentes sonneries de cloches, prière qui est consolation et calme pour les âmes désemparées.
L’orgue de la chapelle embarque tout le monde dans l’émotion tandis qu’une âme à genoux demande du réconfort, demande pardon !

Pauvre de moi ! … Oh Seigneur ! …
Combien d’amertume et de douleur !
Lorsque le soleil va s’occulter
Une prière
et se meurt lentement
Jaillit de mon âme
croise une âme souffrante
Et adresse une prière
dans le soir.

Elle est morte la belle pénitente, elle est morte, et son âme repentante a volé très loin de cette vie. Elle est partie sans se plaindre, timidement, et fit que dans cette nuit silencieuse s’entend un chant de douleur. Et son âme triste, pardonnez-la, toute de blanc chante l’Amour !

Les parties en gras et italique sont chantées par le choeur.
Le couplet en bleu n’est pas chanté par Ricardo Ruiz.

Autres versions

Plegaria 1927-04-22 — Orquesta Bianco-Bachicha con Juan Raggi y coro.

Pas question de passer cette version en milonga, à cause du personnage, mais aussi, car il est loin d’être agréable à écouter et à danser. Le bannir n’est pas du tout un problème. Je vous épargne leurs autres versions de 1928 et 1929.

Plegaria 1939-03-15 — Orquesta Eduardo Bianco con Mario Visconti.

Cette version commence par une cloche lugubre et un chœur chantant comme pour un requiem. Puis Mario Visconti, chante avec beaucoup d’émotion sa prière, en réponse avec le chœur et les instruments. Pour moi, c’est assez joli, mais suffisamment triste pour bannir cette version de toute milonga.

Plegaria 1940-04-20 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz. C’est le tango du jour.

Les prières (plegarias)

D’autres tangos portent ce titre. En voici quelques-uns. Il y en a d’autres, comme quoi l’initiative de Bianco n’est pas étonnante. C’est un thème qui se retrouve au moins jusqu’aux années 50.

La plegaria 1926-09-07 — Orquesta . Ce tango (instrumental) a été composé par Emilio De Caro.
Plegaria 1931-08-21 — Orquesta Juan Maglio « Pacho » (Eduardo Antonio De Maio avec des paroles d’Alfredo Allegretto).

Il y a même une prière en valse par Antonio Sureda avec des paroles de son frère . Je vous en propose deux versions. Les paroles sont une prière à la Vierge de Luján,

Plegaria 1933-07-19 — Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá.

L’introduction est vraiment sinistre. On peut la passer si on n’est pas sous Prozac.

Plegaria 1933-07-22 — Orquesta Francisco Lomuto con Fernando Díaz.

Cette version assez proche (et enregistrée seulement trois jours plus tard) de celle de Canaro, sans l’introduction déprimante.

Sondage

Pensez-vous que cette version par Fresedo (pas celles de Bianco ou Bianco et Bachicha) pourrait être diffusée en milonga ?

Tormenta 1939-03-28 — Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá

Enrique Santos Discépolo (musique et paroles)

Le 28 mars est un bon jour pour les enregistrements de tango et le choix a été difficile. Je vous propose Tormenta interprété par Canaro et Famá, car son texte est d’une grande actualité avec ce qui se passe actuellement en Argentine, les riches toujours plus riches et les pauvres mourant de faim. En prime, une version de Tormenta que vous n’avez jamais entendue tellement elle est inattendue…

et Ernesto Famá

Francisco Canaro a enregistré plus de 235 titres avec Ernesto Famá entre 1930 et 1941:
125 tangos, 37 valses, 13 milongas, et 60 rythmes jazz ou folkloriques (Corrido porteño, , Marches, Pasodobles, Polcas, Rancheras et même des airs militaires).
Ce mardi 28 mars 1939, Canaro et Famá ont enregistré beaucoup de titres :

  • Qué importa ! de Ricardo Tanturi (Ricardo Luis Tanturi) Letra : Juan Carlos Thorry (José Antonio Torrontegui)
  • Tormenta de Enrique Santos Discépolo (musique et paroles)
  • Vanidad de Gerardo Hernán Matos Rodríguez Letra: Washington Montreal
  • Noche de estrellas (Vals) de Letre : Enrique Cadícamo
  • Tra-la-la (Vals) de Luis Teisseire ; Germán Rogelio Teisseire Letra : Jesús Fernández Blanco

C’est une époque chargée pour ces deux artistes. Famá est clairement le chanteur vedette de Canaro à cette époque, loin devant , puis Roldán et Adrián.

Extrait musical

Tormenta 1939-03-28 — Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá.

Discépolo a fait la musique et écrit les paroles, l’œuvre est donc d’une grande cohérence.
Discépolo l’a écrit pour le film (Quatre cœurs), film dont il assure le scénario, la musique et le rôle principal…
Canaro enregistre quelques jours après la sortie du film, dans une version pour la danse, donc réarrangée.

Les paroles

¡Aullando entre relámpagos,
perdido en la tormenta
de mi noche interminable,
¡Dios ! busco tu nombre…
No quiero que tu rayo
me enceguezca entre el horror,
porque preciso luz
para seguir…
¿Lo que aprendí de tu mano
no sirve para vivir ?
Yo siento que mi fe se tambalea,
que la gente mala, vive
¡Dios! mejor que yo…

Si la vida es el infierno
y el honrado vive entre lágrimas,
¿cuál es el bien…
del que lucha en nombre tuyo,
limpio, puro?… ¿para qué?…
Si hoy la infamia da el sendero
y el amor mata en tu nombre,
¡Dios!, lo que has besado…
El seguirte es dar ventaja
y el amarte sucumbir al mal.

No quiero abandonarte, yo,
demuestra una vez sola
que el traidor no vive impune,
¡Dios! para besarte…
Enséñame una flor
que haya nacido
del esfuerzo de seguirte,
¡Dios! Para no odiar:
al mundo que me desprecia,
porque no aprendo a robar…
Y entonces de rodillas,
hecho sangre en los guijarros
moriré con vos, ¡feliz, Señor!

Enrique Santos Discépolo (musique et paroles)

chante l’intégralité des paroles dans le disque, seulement une partie dans le film. En gras, la partie chantée par Ernesto Famá.

Traduction libre et indications

Hurlant au milieu des éclairs, perdu dans la tempête de ma nuit interminable,
Dieu ! Je cherche ton nom…
Je ne veux pas que tes éclairs m’aveuglent dans l’horreur, car j’ai besoin de lumière (Ici, « luz » est au masculin et il y a donc un jeu de mots, « luz » en lunfardo, c’est l’argent. Il faudrait donc plutôt traduire, j’ai besoin d’argent) pour continuer…
Ce que j’ai appris de ta main ne sert-il pas pour vivre ?
Je sens que ma foi chancelle, car les gens mauvais vivent,
Dieu ! Bien mieux que moi…

Si la vie est un enfer et que l’honneur est de vivre dans les larmes, quel est le bénéfice…
de celui qui combat en ton nom, être propre, pur ?… À quoi bon ?…
Si aujourd’hui l’infamie ouvre le chemin et que l’amour tue en ton nom,
Dieu, qu’as-tu embrassé…
Te suivre, c’est laisser l’avantage (aux autres) et t’aimer c’est succomber au malheur.

Je ne veux pas t’abandonner, prouvez une seule fois que le traître ne vit pas impuni,
Dieu ! Pour t’embrasser…
Montrez-moi une fleur qui soit née de l’effort de te suivre,
Dieu ! Pour ne pas haïr :
Le monde qui me méprise, parce que je n’apprends pas à voler…
Et ensuite à genoux, saignant dans les cailloux, je mourrai avec toi ; heureux ; Seigneur !

Autres versions

Pour commencer, une petite surprise à voir jusqu’au bout pour découvrir une version incroyable de Tormenta, à la toute fin de cet extrait…

Tormenta 1939-01-11 — Tania con acomp. de Orquesta. Dans le film « Cuatro corazones » réalisé par et Enrique Santos Discépolo selon le scénario de ce dernier et écrit en collaboration avec Miguel Gómez Bao.
Le film est sorti le 1er mars 1939.
Acteurs : Enrique Santos Discépolo, Gloria Guzmán, Irma Córdoba, Alberto Vila, Eduardo Sandrini et Herminia Franco.
Tormenta 1939-01-11 — Tania con acomp. de Orquesta.

C’est la version disque de la chanson du film. Contrairement au film, la chanson est chantée en entier et il n’y a pas la fin délirante présentée dans le film.

Tormenta 1939-03-28 — Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá. C’est du jour.

Canaro enregistre quelques jours après la sortie du film.

Tormenta 1939-03-30 — Orquesta Francisco Lomuto con .

Deux jours après Canaro, Lomuto suit le mouvement dans le sillage du film. Il est intéressant de comparer ses arrangements par rapport à ceux de Canaro.

Tormenta 1954-09-08 — Orquesta Carlos Di Sarli con Mario Pomar.

Le seigneur del tango donne 15 ans plus tard sa version. Du grand Di Sarli avec le magnifique Mario Pomar.

Tormenta 1962 — Orquesta con Floreal Ruiz.

On termine avec cette version destinée à l’écoute, comme la première de la liste, celle de Tania.

Silencio 1933 -03-27 – Carlos Gardel con la orquesta de Francisco Canaro y coro de mujeres

Carlos Gardel; Letra:  ; Horacio G. Pettorossi

du jour est Silencio, enregistré par Gardel avec l’orchestre de Canaro en 1933. Ce titre « expiatoire » dévoile une des failles de Carlos Gardel, Enfant de France. Je vous invite à découvrir ou redécouvrir ce titre chargé d’émotion et d’histoire.

Une fois n’est pas coutume, je vais vous faire voir et écouter une version différente du tango du jour, avant la version du jour.
Nous sommes en 1932, Carlos Gardel est en France (comme beaucoup de musiciens et artistes Argentins à l’époque). Il y tourne quatre films et dans le dernier de la série, il chante une chanson dont on ne peut comprendre la totalité de l’émotion qu’avec un peu d’histoire.

Silencio 1932-11 Carlos Gardel con la de Juan Cruz Mateo. Une version émouvante tirée du film «  » de Louis Gasnier.

Ce film a été tourné en France, à l’est de Paris, aux Studios de Joinville-le-Pont en octobre et novembre 1932. Le scénario est d’Alfredo Le Pera (auteur des paroles de ce titre, également).

Juan Cruz Mateo

L’orchestre représenté dans le film et qui joue la bande-son est la Orquesta típica Argentina de Juan Cruz Mateo. C’est un des 200 orchestres de tango de l’âge d’or. On en connaît guère aujourd’hui qu’une cinquantaine ayant suffisamment d’enregistrement pour être significatifs et sans doute pas beaucoup plus d’une cinquantaine ayant suffisamment de titres pour faire une tanda et cela à la condition de ne pas être trop exigeant. D’ailleurs pour certains titres que j’appelle « orphelins », je mélange les orchestres pour constituer une tanda complète et cohérente. Par exemple la Típica Victor dirigée par Carabelli et l’orchestre de Carabelli. Cela, c’est plus fréquemment pour les milongas qui sont plutôt déficitaires en nombre (moins de 600 milongas ont été enregistrées entre 1935 et 1955), contre presque le double de valses et quatre fois plus de tangos. En effet, l’âge d’or du tango, c’est à peine 6000 titres et tous ne sont pas pour la danse… C’est donc un patrimoine ridiculement petit par rapport à ce qui a été joué et pas enregistré.

Sur l’image de gauche, l’équipe du film « La Casa es seria » avec Juan Cruz Mateo, le pianiste de Gardel à droite de l’image. À sa droite, au premier plan, Le Pera et sur la gauche de l’image au premier plan… Carlos Gardel. Les autres sont des personnes de la Paramount qui a produit le film. La photo du centre montre Mateo et Gardel en répétition. À droite, autoportrait de Mateo devenu peintre…

Juan Cruz Mateo, ce pianiste et directeur d’orchestre argentin est un de ces oubliés. C’est sans doute, car il a fait sa carrière principalement en France et qu’il s’est recyclé comme peintre futuriste à la fin des années 30.
On lui doit notamment l’accompagnement orchestral de trois films interprétés par Gardel durant ses séjours parisiens, Espérame, La casa es seria et Melodía de arrabal dont est tiré cet extrait. C’est également le pianiste qui a le plus accompagné Carlos Gardel. Donc, si vous entendez chanter Gardel avec un accompagnement de piano, c’est certainement lui…

Extrait musical

Silencio 1933 -03-27 – Carlos Gardel con la orquesta de Francisco Canaro y coro de mujeres.

Cette version est particulièrement émouvante, avec son chœur de femme et la voix de Gardel. Nous y reviendrons après avoir étudié les paroles.

Les paroles

Silencio en la noche.
Ya todo está en calma.
El músculo duerme.
La ambición descansa.

Meciendo una cuna,
una madre canta
un canto querido
que llega hasta el alma,
porque en esa cuna,
está su esperanza.

Eran cinco hermanos.
Ella era una santa.
Eran cinco besos
que cada mañana
rozaban muy tiernos
las hebras de plata
de esa viejecita
de canas muy blancas.
Eran cinco hijos
que al taller marchaban.

Silencio en la noche.
Ya todo está en calma.
El músculo duerme,
la ambición trabaja.

Un clarín se oye.
Peligra la Patria.

Y al grito de guerra
los hombres se matan
cubriendo de sangre
los campos de Francia.

Hoy todo ha pasado.
Renacen las plantas.
Un himno a la vida
los arados cantan.
Y la viejecita
de canas muy blancas
se quedó muy sola,
con cinco medallas
que por cinco héroes
la premió la Patria.

Silencio en la noche.
Ya todo está en calma.
El músculo duerme,
la ambición descansa…

Un coro lejano
de madres que cantan
mecen en sus cunas,
nuevas esperanzas.
Silencio en la noche.
Silencio en las almas…

Carlos Gardel; Horacio G. Pettorossi Letra: Alfredo Le Pera ; Horacio G. Pettorossi.

Carlos Gardel et Imperio Argentina chantent la totalité du texte. Ernesto Famá ne chante que ce qui est en gras et deux fois ce qui est en bleu.

libre et indications

Le titre commence par un son de . Le clairon jouant sur trois notes, cet air fait immédiatement penser à une musique militaire (le clairon ne permet de jouer facilement que 4 notes et trois autres notes ne sont accessibles qu’aux virtuoses de cet instrument, autant dire qu’elles ne sont jamais jouées.
Les notes, Sol Do Mi sont égrenées lentement, comme dans les sonneries aux morts. On peut dire que Canaro annonce la couleur dès le début…
Gardel reprend à la suite de la sonnerie sur le même Mi. Cela permet de faire la liaison entre le clairon et sa voix, ce qui n’était pas si évident à concevoir. Dans la version de 1932 c’est une trompette et pas un clairon qui lance Sol Sol Do et Gardel commence sur un Mi, ce qui est logique, c’est sa tessiture. La version de Canaro est donc à mon sens mieux construite de ce point de vue et l’usage du clairon est plus pertinent.

Silencio militar – Día de los muertos por la patria. Interprété par le régiment de Grenadiers à cheval « General San Martín », escorte présidentielle de la République argentine.

On remarquera que la sonnerie « officielle n’est pas la même, même si elle inclut la même séquence de trois notes. La sonnerie aux morts française est assez proche, mais pas identique non plus à celle proposée par Canaro. Disons que c’est une sonnerie factice destinée à donner le La. Pardon, le clairon ne peut pas jouer de La. Disons qu’il donne le Mi à Gardel.

Silence dans la nuit. Tout est calme maintenant. Les muscles dorment. L’ambition se repose.
Balançant un berceau, une mère chante une chanson bien-aimée qui touche l’âme, parce que dans ce berceau, se trouve son espoir. (Le chœur de femmes intervient sur ce couplet).
Ils étaient cinq frères. Elle était une sainte. Il y avait cinq baisers qui, chaque matin, effleuraient très tendrement les mèches argentées de cette déjà vieille aux cheveux blanchis. Il y avait cinq garçons qui sont allés à l’atelier en marchant. (L’atelier c’est la guerre)
Silence dans la nuit. Tout est calme maintenant. Les muscles dorment, l’ambition travaille. (L’ambition passe du repos au travail. Elle prépare le combat).
Un clairon résonne. La patrie est en danger. Et au cri de guerre, les hommes s’entretuent, couvrant de sang les champs de France. (À la place des chants de femmes, c’est ici le clairon qui résonne).
Aujourd’hui, tout est fini. Les plantes renaissent. Les charrues chantent un hymne à la vie. Et la petite vieille aux cheveux très blancs se sent très seule, avec cinq médailles que pour cinq héros lui a décernées la Patrie.
Silence dans la nuit. Tout est calme maintenant.
Les muscles dorment, l’ambition se repose…
Un chœur lointain de mères qui chantent berçant dans leurs berceaux, de nouveaux espoirs.
Silence dans la nuit.
Silence dans les âmes…

Les versions

Silencio 1932-11 Carlos Gardel con la Orquesta típica Argentina de Juan Cruz Mateo.

Une version émouvante tirée du film « Melodía de arrabal » de Louis Gasnier. C’est le même extrait, qu’en début d’article, mais sans la vidéo. Comme déjà indiqué, la sonnerie de trompette au début est différente de la sonnerie de clairon de la version de Canaro de 1933.

Silencio 1933 -03-27 – Carlos Gardel con la orquesta de Francisco Canaro y coro de mujeres.

C’est le tango du jour. Dans la version du film, il y a deux petites réponses de Imperio Argentina, sa partenaire dans le film, mais qui n’apparaît pas à l’écran au moment où elle chante. Ici, c’est un chœur féminin qui donne la réponse à Gardel.

Silencio 1933 Imperio Argentina con acomp. de guitarras, piano y clarín (trompette).

La partenaire de Carlos Gardel dans le film Melodía de arrabal, reprend à son compte le titre. C’est également une superbe version à écouter. On notera que sur le disque il est écrit Tango du film melodía de Arrabal. En fait, elle n’y chante que deux phrases en voix off et ce disque n’est donc pas tiré du film (même s’il n’est pas à exclure qu’il ait été enregistré en même temps que la bande son du film (octobre-novembre 1932) et qu’il soit sorti en 1933, à l’occasion de la sortie du film (5 avril 1933 à Buenos Aires), comme les versions de Canaro, qui était toujours à l’affut d’un bon coup financier.

Silencio 1933 Imperio Argentina con acomp. de guitarras, piano y clarín. Disque de 1933 (à gauche) — Une réédition du même enregistrement à droite, preuve du succès.

Une autre « erreur du disque est la mention d’un clairon. Contrairement à la version Canaro Gardel, c’est de nouveau une trompette, comme dans le film avec l’orchestre de Mateo.
Elle débute par Si Si Si Do Ré Ré – Ré Ré Ré Mi Fa, Les notes en rouge sont inaccessibles à un clairon. Cela ne peut donc pas être un clairon, d’autant plus que la sonorité n’est pas la bonne.
Le piano apparait pour sa part tardivement, à une minute par une petite fioriture sur la respiration de la chanteuse (de esa viejecita DING – DONG de canas muy blancas). Après 1 :11, la guitarre, le piano, puis la trompette se mêlent à la voix sur le refrain. À 2 : 18, on croit entendre une mandoline. Le piano termine par élégamment en faisant descendre la tension par un motif léger ascendant puis descendant.
J’aime beaucoup le résultat, Imperio a pris sa revanche sur Gardel en nous fournissant une version complémentaire et tout aussi belle.

Silencio 1933-03-30 — Orquesta Francisco Canaro con .

Trois jours après la version à écouter chantée par Gardel, Canaro enregistre le thème avec Ernesto Famá. Ce dernier en bon chanteur de refrain ne chante qu’une petite partie des paroles. Cela en fait un tango de danse. La tragédie des paroles est compensée par des fioritures, notamment avant la reprise du début du refrain.

Je ne vous propose pas d’autres versions, même s’il y en a environ deux douzaines, car avec cet échantillon réduit, on a l’émotion, l’image, l’homme qui chante, la femme qui chante et une version de danse. La totale, quoi ?
Parmi les versions que je laisse de côté, des interprétations de Gardel avec des guitares, Un Pugliese avec Maciel et pas mal de petits orchestres qui ont flashé pour le thème.

Pourquoi Silencio ?

Carlos Gardel Enfant de France

Je ne vais pas rouvrir le dossier et me fâcher avec mes amis uruguayens, mais je signale tout de même cette page où je présente les arguments en faveur d’une origine française de Gardel.
Ce qui ne peut pas être remis en question, c’est que Gardel est venu en France à diverses reprises, qu’il a visité sa famille française, notamment à Toulouse et Albi. Ce qu’on sait moins, c’est qu’étant né français, il était soumis à mobilisation pour la « Grande Guerre », celle de 1914-1918. Grâce à ses faux papiers uruguayens, il a pu échapper à l’accusation de désertion. Cependant, lors d’un séjour en France, il a visité les cimetières de la Grande Guerre.
On sent que cela le chatouillait. Le tango Silencio est un peu son expiation pour avoir échappé à la tuerie de 1914-1918. Tuerie et silence, cela ouvre m’a évoqué le grand sculpteur romantique, Auguste Préault, justement auteur de deux œuvres d’une force extrême, Tuerie et Le Silence.

Auguste Préault, sculpteur romantique

J’ai donc choisi pour l’ du jour, de partir d’une œuvre du sculpteur français Auguste Préault qui a réalisé en 1842 cette œuvre pour le monument funéraire d’un certain Jacob Roblès qui est désormais célèbre grâce à cette œuvre au cimetière du Père-Lachaise à Paris.
Il m’a paru logique de l’associer à « Tuerie » du même artiste pour évoquer la guerre de 1914-1918, même cette œuvre ne relate pas précisément des faits de guerre attestés. Elle se veut plus générique et provocatrice. D’ailleurs cette œuvre n’a été acceptée au salon officiel de 1839 que pour montrer ce qu’il ne fallait pas faire pour être un grand sculpteur. Préault réalisera la commande de Roblès en 1842, mais son œuvre ne sera exposée au salon qu’en 1849 (après 10 ans de purgatoire et d’interdiction d’exposition).
Le nom de « Le Silence » n’est pas de cette époque. Il a été donné plus tardivement, vers 1867.

Silencio. Montage et interprétation d’après « Tuerie » 1839 et « Le Silence » 1842 d’Auguste Préault, avec toute mon admiration. Ces œuvres portent le même message que Silencio.

Voici les deux œuvres et en prime un portrait de Préault par le photographe Nadar.

Auguste Préault par Nadar — Tuerie (Salon de 1834) — Monument funéraire de Jacob Roblès au Père-Lachaise (Paris). Sur le monument funéraire, l’inscription en hébreux « Ne rien cacher ». J’ai donc essayé de vous révéler l’origine de ce tango créé par un « déserteur ».

La vidéo de fin…

Pour une fois, je vais faire plusieurs entorses au format des anecdotes du jour en terminant par une vidéo au lieu d’une illustration que j’aurais réalisée.
Je n’ai pas choisi la musique, c’est une initiative de l’ami Memo Vilte qui voulait rendre un hommage à la France en chantant ce tango qui n’est pas dans son répertoire habituel de folklore argentin.

  1. Je ne suis pas l’auteur de cette vidéo. C’est notre amie Anne-Marie Bou de Paris qui l’a réalisée à l’arrache (c’était totalement impromptu). Merci à toi Anne-Marie.
  2. La danseuse extraordinaire, c’est , mais vous l’aurez reconnue. Muchísimas Gracias Stella.
  3. Je suis « danseur » médiocre dans cette vidéo. Vous comprenez maintenant pourquoi je préfère être DJ.
  4. La tour Eiffel s’est mise à scintiller pour saluer notre performance. C’était imprévu, mais on a apprécié cet hommage de la Vieille Dame au tango qu’elle a vu naître.

El flete 1936-04-03 — Orquesta Juan D’Arienzo

Vicente Greco Letra : Pascual Contursi// (trois versions des paroles)

Le , el Flete a été enregistré il y a exactement 88 ans par Juan d’Arienzo. Je vous propose d’en voir un peu plus de ce tango qui est des premiers à avoir bénéficié de la collaboration avec .

Ceux qui parcourent les rues de Buenos Aires ont sans doute été surpris par l’abondance de ces camions antédiluviens et porteurs de charges parfois extravagantes.

Des camions de « Fletes » dans une rue de Buenos Aires.

Sur leurs flancs, l’indication « Fletes ». Ce sont des véhicules destinés aux livraisons. Si vous avez un canapé à vous faire livrer, ou tout un déménagement, vous ferez sans doute appel à un de ces services de fletes.
El flete, c’est donc la charge, la livraison, le transport, le colis Le mot « flete » vient du français « Fret ». On pense aux merveilleuses toiles et splendides émaux sur métal de Quinquela Martin où on voit les porteurs plier sous le poids des paquets qu’ils chargent et déchargent des bateaux dans le port de la Boca.

Quinquela Martin — Motivo de puerto. Émail sur fer (1946). 0,88×0,98 m. Au centre, on voit la traversée d’une passerelle. La musique m’évoque la marche de ces hommes.

Si vous allez à la Boca le quartier qui doit tant à Benito Quinquela Martin, n’oubliez pas de voir son joyau, le musée maison de ce peintre.

Ceux qui n’ont pas l’occasion de venir à Buenos Aires pourront avoir une idée de ce musée en regardant cette vidéo.

Anecdote : Víctor Fernández, directeur du Musée Benito Quinquela Martín est également DJ de tango, ce qui limite ma culpabilité dans mon excursion dans ce superbe musée.

Là, où on revient à notre tango du jour, El Flete

Le tango du jour est instrumental, on pourrait donc penser que l’on évoque le transport, le travail difficile de ceux qui l’effectuent, les véhicules lourdement chargés.
D’ailleurs, la musique encourage à cette interprétation. Quelques pas rapides et un pas plus pesant, comme un homme qui porterait une lourde charge en descendant du bateau et qui ferait de temps à autre une pause. Cette interprétation est pour moi renforcée par l’ par Firpo, surtout celui du 16 février 1916.
C’est un enregistrement acoustique, donc, avec les limites que cela implique. Dans cet enregistrement, je retrouve les pas alternés compatible avec le travail d’un flete, mais si on se souvent que Firpo aimait les tangos descriptifs (où la musique évoque les éléments réels), cela renforce l’hypothèse que le tango est en lien avec cette activité. Vous pourrez l’écouter à la fin de cet article.

Je te donne ma parole

Ou plutôt, mes paroles. En effet, pas moins de trois versions des paroles existent pour ce tango, bien que celui-ci soit quasiment toujours enregistré sans le chant. Il convient donc de les interroger et cela va donner des surprises par rapport à notre interprétation primitive.

Les paroles originales de Contursi (1914)

Pascual Contursi a écrit des paroles pour El Flete. Ce sont sans doute les paroles originales, celle d’une époque où le tango n’avait pas encore trouvé ses lettres de noblesse en France, Pays où Contursi terminera sa carrière.
Dans les paroles de Contursi, un peu confuses, car très chargées de sous-entendus et de lunfardo, on comprend que le climat de crainte qu’inspiraient certains malfrats n’encourageait pas les compadrons à faire les fiers quand ils les croisaient. Ils dégonflaient la poitrine et faisaient profil bas pour éviter de paraître celui qui a le plus d’oseille (flouze, argent), car celui-ci, ils l’envoyaient dans l’autre monde

Le dan flete pa’ la otra población.

Les paroles renouvelées, de Gradito

En lunfardo, El Flete désigne un cheval léger de monte, brillant et léger. Rien à voir avec les chevaux devant tirer les lourds chariots des fletes de l’époque.
Dans une des rares versions chantées dont on a l’enregistrement, Ernesto Fama chante le refrain des paroles de Gerónimo Gradito qui parlent d’un cheval de course, autre leitmotiv du tango.
Le cheval de couleur noisette, vainqueur de la course, permet d’attirer l’attention d’une jeune paysanne sur son lad, ce qui le rend amoureux.

Il existe également des paroles écrites par Juan Sarcino et qui font également référence à un cheval, mais à ma connaissance, nous n’avons pas d’enregistrement de cette version et je ne les possède pas. Si vous avez une version enregistrée et les paroles, je suis preneur.

Extrait musical

El flete 1936-04-03 — Orquesta Juan D’Arienzo.

C’est notre tango du jour. Il est le fruit de la collaboration relativement nouvelle de D’Arienzo avec son pianiste et arrangeur génial, Rodoflo Biagi. Cette version hérite du dynamisme de D’Arienzo et des facéties au piano de Biagi qui répondent aux cordes. C’est un morceau superbe et assurément un de plus plaisants à danser dans les milongas de Buenos Aires, grâce à ces jeux de réponses entre les instruments. À noter que les premières rééditions sur CD, toutes tirées d’une même édition effectuée dans les années 50 sur disque vinyle comportaient un défaut (saute du disque). Aujourd’hui, la plupart des versions qui circulent sont corrigées.

Les paroles

Je propose ici les paroles par ordre chronologique. D’abord celles de Contursi, puis celles de Gradito. Elles nous content deux histoires très différentes, ce qui témoigne de la polysémie du mot Flete en espagnol argentin, mais aussi de l’évolution du tango qui des mauvais quartiers est passé dans la société plus aisée, où il était plus facile de parler d’un lad amoureux et de son cheval que de dangereux assassins rodant pour dépouiller les frimeurs.

Version de 1916 – Música : Vicente Greco — Letra : Pascual Contursi

Se acabaron los pesados,
patoteros y mentaos
de coraje y decisión.
Se acabaron los malos
de taleros y de palos,
fariñeras y facón.
Se acabaron los de faca
y todos la van de araca
cuando llega la ocasión.
Porque al de más copete
lo catan y le dan flete
pa’ la otra población.

Esos taitas que tenían
la mujer de prepotencia,
la van de pura decencia
y no ganan pa’l bullón.
Nadie se hace el
ni su pecho ensancha
de puro compadrón,
porque al de más copete
lo catan y le dan flete
pa’ la otra población.

Version de 1916 – Música : Vicente Greco — Letra : Pascual Contursi

Ici, on décrit un monde assez noir avec des hommes armés (taleros, palos, fariñeras, facón). En fait, il s’agit de se moquer des compadritos qui jouent les durs et qui n’en mènent pas large, il retrouvent une attitude décente, ne gonflent plus la poitrine, car ici, celui qui a le plus de pépètes (argent),, ils le goûtent (tâtent pour trouver ses richesses) et lui donnent une expédition (Flete) dans l’autre monde (ils le tuent).
Cette version des paroles peut également être compatible avec la musique, les alternances de la musique pouvant être les mouvements respectifs des assassins et de la victime.

Version de 1930 – Música : Vicente Greco — Letra : Gerónimo Gradito

On peut imaginer que ces paroles violentes ont incité Fama à adopter des paroles plus légères à une époque où le tango était en train d’entrer dans la bonne société.

Parejero; zaino escarceador,
por tu pinta y color
y por tu sangre sos
todo un flete de mi flor…
¡Porque es tu corazón
difícil de empardar !
En las canchas no tenés rival,
y en una ocasión
que has de recordar
ganaste a un pangaré
y, al jinetearte, así
decía para mí:

¡Zaino,
mi viejo amigo,
de punta a punta, ganale!
¡Flete,
todo he jugado,
y en vos está mi esperanza!
¡Zaino!
¡Solo en la cancha !
¡Correlo al galope,
que atrás lo dejás !
¡Flete,
zaino de mi alma,
tuya es la carrera
que en ley la ganás !

Y al llegar vos triunfador
el pueblo te aplaudió,
y una paisanita
flores te tiraba
que después se acercó
y tu cabeza palmeó.
Y ella, desde entonces,
¡es mi único querer!…

Parejero; zaino escarceador,
por tu pinta y color
y por tu sangre sos
todo un flete de mi flor…
¡Porque es tu corazón
difícil de empardar !
En los pueblos no tenés rival
como yo pa’el amor,
y al correrla los dos
siempre tenemos que ser:
¡Yo todo un buen varón
y un bravo flete vos !

Version de 1930 – Música : Vicente Greco — Letra : Gerónimo Gradito

Ici, il s’agit d’un lad qui tombe amoureux d’une jeune paysanne qui a envoyé des fleurs au cheval dont il s’occupe et qui lui a caressé la tête. Cependant, le lad ne peut pas s’empêcher de faire le fanfaron, disant qu’il n’a pas de rival pour l’amour, tout comme « Châtaigne », son cheval, n’a pas de rival dans la course. Je suis un bon homme et toi un brave flete.

À mon avis, qui en vaut sans doute un autre, sans être une référence, ces paroles ne conviennent pas totalement à la musique. On a du mal à y voir la fièvre de la course, l’exaltation du vainqueur et l’amour naissant. Je pense que c’est juste le fait que El Flete peut aussi bien considérer l’expédition que le cheval de course qui est à l’origine de cette fusion.

Comme j’aime bien faire des hypothèses, je me dis que le cheval de course est en fait l’héritier du cheval qui passait les messages et qui était donc rapide. C’est un peu ce que sous-entend ce tango, Zaino est le messager de l’amour.

Quelques versions

À titre de comparaison, quelques versions de ce tango qui n’est vraiment célèbre que sous la baguette de Juan d’Arienzo.

Les versions de . Il y a plusieurs versions, instrumentales et au piano. Je vous propose ma préférée, celle de 1916.

El Flete 1916-02-16 — Roberto Firpo.

Malgré les limites de l’enregistrement acoustique, la musique est agréable à écouter. Cela nous permet de rappeler qu’à cette époque, Firpo était un chef d’orchestre de tout premier plan.

El flete 1928-03-07 Orquesta

Un des premiers enregistrements électriques du thème. Une version encore empreinte du canyengue et probablement bien adaptée aux paroles sombres de Contursi. On retrouvera Canaro 11 ans plus tard dans une versión bien différente.

El flete 1930-09-16 — Orquesta Típica Porteña dir. con Ernesto Famá.

C’est un bon Carabelli et le plus ancien enregistrement en ma possession avec une partie chantée. Les paroles, comme nous l’avons vu ci-dessus sont celles de Gradito. La musique est désormais intermédiaire entre le planplan du canyengue et les versions futures plus dynamiques.

El flete 1936-04-03 — Orquesta Juan D’Arienzo

C’est notre tango du jour. Le fruit de la collaboration relativement nouvelle de D’Arienzo avec son pianiste et arrangeur génial, Rodoflo Biagi. Cette version hérite du dynamisme de D’Arienzo et des facéties au piano de Biagi qui répondent aux cordes. C’est un morceau superbe et assurément un de plus plaisants à danser dans les milongas de Buenos Aires, grâce à ces jeux de réponses entre les instruments.
À noter que les premières rééditions sur CD, toutes tirées d’une même édition effectuée dans les années 50 sur disque vinyle comportaient un défaut (saute du disque). Aujourd’hui, la plupart des versions qui circulent sont corrigées.

El Flete 1939-03-30

El Flete 1939-03-30 — Quinteto Don Pancho dir. Francisco Canaro. On retrouve Canaro dans une version avec un de ses quintettes, le Don Pancho (Pancho est un surnom pour le prénom Francisco, mais aussi quelqu’un qui fait l’andouille en lunfardo…). Contrairement à la version de 1928, cette version est bien plus allègre et d’une grande richesse musicale, notamment dans sa seconde partie. C’est un très beau Canaro, avec les interventions magnifiques de la flûte de José Ranieri Virdo (qui était aussi trompettiste de Canaro, mais pas dans cet enregistrement).

Je ne citerai pas d’autres versions, car elles n’apportent rien à notre propos. Voir, pour ceux que ça intéresse,

  • Héctor Varela (1950 et 1952),
  • y sus Tangueros del 900 (1959), où on retrouve la flûte, ici avec des guitares, mais le résultat est monotone.
  • Osvaldo Fresedo (1966), dans son style « Varela »…
  • La Tubatango (2006), une version amusante, joueuse comme une milonga et avec le retour de la flûte farceuse.

Je vais terminer cet article avec la Tubatango, mais dans une représentation théâtrale le 18 octobre 2010 au Paraguay.

La Tubatango, El flete, représentation théâtrale le 18 octobre 2010 au Paraguay

Vous remarquerez l’apparition d’un riche ivrogne qui se fera jeter de scène. La Tuba Tango s’est donc inspirée des paroles originales de Contursi, ce qui est logique, puisqu’ils ont adopté un style canyengue.

Sur scène, ils expulsent l’ivrogne, ils le ne le tuent pas, mais je reste sur mes positions…

Photomontage d’un jeune homme ayant fait le fier devant des malandrins et qui risque de le payer très cher. Mais que faisait-il dans cette galère, dans le port de la Boca ? Dans le fond des détails de la toile Día luminoso de « Benito Quinquela Martín.

Diez años 1934-02-21 (Tango) – Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá

; Letra: Manuel Enrique Ferradás Campos

Le 21 février 1934, il y a 90 ans, enregistrait Diez años avec , seulement 4 jours après l’avoir enregistré avec Ada Falcón. Je saisis cette occasion pour parler des chanteurs d’estribillo et rappeler la différence entre le tango chanson et le tango chanté.

Les deux enregistrements de Diez años par Canaro

Tout d’abord, nous n’avons aujourd’hui la trace sonore que des versions enregistrées. Il ne faut pas oublier que les orchestres se produisaient plusieurs fois par semaine et que seuls leurs « tubes » avaient les honneurs de la gravure. Nous avons ainsi perdu la grande majorité du répertoire de l’époque. Ce n’est pas l’absence d’enregistrement qui peut prouver que l’orchestre ne jouait pas tel ou tel air.
Comme je l’indiquais en introduction, Canaro a enregistré deux fois ce thème en 1934. Le 17 février avec sa « chérie » Ada Falcón, et le 21 février avec Ernesto Famá.
On pourrait penser qu’avec un si court intervalle, les enregistrements sont proches. Que nenni. Ils appartiennent en fait à deux genres différents. Le tango chanson et le tango chanté.
Mais avant d’écouter les différences, faisons le point.

Il y a tango et tango…

Le tango fait partie d’un ensemble culturel qui est tout autant littéraire que musical, audiophile que danseur. Ces directions peuvent être réparties de façon différente chez chacune des personnes qui entre en avec un tango.
S’il est danseur, il va souhaiter une musique qui porte à l’improvisation, sans surprises indécelables (variations de rythme arbitraires, par exemple) et avec un support rythmique suffisant pour que les deux partenaires du couple puissent se synchroniser.
S’il est audiophile, il va se concentrer sur l’orchestration, les réponses des instruments, la virtuosité de tel ou tel trait et ainsi de suite. Il pourra le faire en restant dans son fauteuil, sans que la musique l’oblige à se mouvoir. Il va comparer les versions, pinailler sur des différences de d’un enregistrement à l’autre, sur l’accord du bandonéon et ainsi de suite.
S’il est littéraire, il va savourer les paroles. Cependant, comme en cuisine, tous les plats ne se valent pas et il lui faudra des mets délicieux, écrits par de grands auteurs. Par chance, cela ne manque pas dans la culture tango.

Le danseur de tango « idéal »

Le danseur, celui qui m’intéresse, vu que je suis DJ peut et doit, avoir un peu des autres aspects pour mieux danser.
Un danseur qui ne danserait que le rythme, sans écouter les phrases musicales, les réponses d’instruments et tous les développements qui font la richesse du tango serait bien à plaindre. Ce manque de sensibilité lui permettrait de danser sur Gotan Project et autres orchestres répétitifs, mais ce sera au détriment de l’improvisation et de la richesse de la danse. Certains débutants se contentent de reproduire des chorégraphies apprises en cours, sans chercher à les insérer dans le flux musical, ou mieux, à les déconstruire pour n’utiliser que les briques, au service de l’interprétation dansée de la musique.
Sur l’aspect littéraire, la chose est moins claire. En effet, d’excellents DJ et d’excellents danseurs disent prêter peu d’attention aux paroles. Il est clair que pour un danseur qui improvise, les paroles sont de peu d’utilité. Il ne va pas se mettre à pleurer, se mettre à genoux ou autre fantaisie qui seraient dites dans le texte.
Cela était bien clair à l’âge d’or du tango. Les orchestres proposaient des musiques adaptées à la danse. Qu’elles soient instrumentales ou avec chanteurs, mais il est temps de revenir à la distinction entre tango chanson et tango chanté.

Tango chanson et tango chanté

Un tango chanson est un tango destiné à l’écoute. Il est destiné à satisfaire les audiophiles et les littéraires. C’est un genre qui va se développer plus rapidement à partir des années 50, à cause de l’arrivée du microsillon (33 tours) et surtout du rock qui va remplacer le tango dans les activités des danseurs de l’époque. Les orchestres de tango se reconvertissent alors vers le concert, la télévision et la radio pour pouvoir continuer à jouer et vivre de leur art.
Mais il ne faut pas limiter le phénomène aux années 50 et suivantes. En effet, même à l’âge d’or, il y a les deux types de musique.
Pour faciliter le choix, les disques indiquent clairement si c’est destiné à danser ou à écouter.
Il suffit de regarder l’étiquette…

Ada Falcón, avec accompagnement de l’orchestre Francisco Canaro
Francisco Canaro et son orchestre typique (Estribillo par Ernesto Famá)

Vous avez compris. Si le chanteur est indiqué en premier, c’est pour écouter. S’il est indiqué en second, c’est pour danser. C’est plutôt simple, non ?
On trouve aujourd’hui des DJ et danseurs qui ne tiennent pas compte de cette différence et qui considèrent que l’on peut tout danser.
Dans le cas d’Ada Falcón, c’est plutôt envisageable. En général, les voix de femmes, même pour des chansons, laissent plus de place à l’orchestre, notamment dans le registre grave, là où se trouve la rythmique. Ainsi, elles ne la masquent pas et il est possible de continuer à la suivre.
Pour les chanteurs, surtout pour ceux qui en font des tonnes, c’est impossible. On pourrait mentionner la distinction que font certain entre cantor et cantante. Le premier chantant au service de la musique et le second se mettant en valeur, en jouant de tous les artifices possibles pour masquer l’orchestre qui de fait n’est qu’un accompagnement.
Progressivement à partir des années 50, le cantante (avec une jolie voix de chanteur d’opéra) prend le dessus et on ne compte plus le nombre de chansons plus ou moins mièvres et désespérées qui en a résulté. Attention, je ne dis pas que ce n’est pas bien, pas beau. Je dis juste que très peu de danseurs vont à la pour se trancher les veines.

Comment distinguer les tangos chansons à l’écoute ?

Ernesto Famá chante une petite partie des paroles écrites par Manuel Enrique Ferradás Campos. En gros, c’est le refrain (estribillo).
C’est une autre particularité qui divise les tangos de danse des tangos à écouter. Lorsqu’il s’agit de chansons, le chanteur commence dès le début. Quand c’est pour danser, le danseur n’intervient qu’un court moment, le refrain, refrain qui a déjà été présenté aux danseurs par l’orchestre et que donc, ils vont pouvoir danser en confiance.
Lorsque le tango est instrumental, la première fois que le refrain est proposé, il est en général plus simple à danser et lors de la reprise, il est joué par un instrument différent, avec plus de richesse. Le chanteur est dans ce cas un instrument supplémentaire qui permet d’éviter la monotonie en ne jouant pas deux fois la même chose.
Dans les années 50, sous l’impulsion de chefs d’orchestre comme Troilo, la partie chantée va prendre de l’ampleur, même pour le tango de danse. Ainsi, le même titre chanté par Valdez avec l’orchestre de Juan d’Arienzo est présenté comme un tango de danse, mais Valdez chante plus que le seul refrain. Voir ci-dessous, le chapitre sur les paroles.

Même si Valdez chante plus que les chanteurs de la génération précédente, il est encore présenté comme chanteur d’estribillo.

C’est une autre particularité qui divise les tangos de danse des tangos à écouter. Lorsqu’il s’agit de chansons, le chanteur commence dès le début. Quand c’est pour danser, le danseur n’intervient qu’un court moment, le refrain, refrain qui a déjà été présenté aux danseurs par l’orchestre et que donc, ils vont pouvoir danser en confiance.
Lorsque le tango est instrumental, la première fois que le refrain est proposé, il est en général plus simple à danser et lors de la reprise, il est joué par un instrument différent, avec plus de richesse. Le chanteur est pareillement un instrument supplémentaire qui permet d’éviter la monotonie en ne jouant pas deux fois la même chose.
Je termine -là ce sujet. Comme DJ, je mets du tango de danse, sauf si on me demande gentiment de mettre une tanda chanson. Après tout, il faut bien que le bar fasse son chiffre d’affaires.

Les paroles

Le refrain (estribillo)

Ernesto Famá chante une petite partie des paroles écrites par Manuel Enrique Ferradás Campos, le refrain (estribillo).

Diez años transcurrieron desde entonces
cuando temblando llegué hasta ti,
diez años que sirvieron para hundirme
y quitarme hasta las ganas de vivir…
Entonces, buenamente yo soñaba
un mundo nuevo, para los dos.
Y Dios, allá en el cielo solo sabe,
hasta dónde yo he llegado por tu amor.

Estribillo (refrain) Manuel Enrique Ferradás Campos. C’est la seule partie que chante Fama

Les différentes parties chantées, selon les versions

Seule Ada Falcón chante tout. Elle termine en reprenant le refrain (Cuántas veces en mi pecho […] por tu cruel ingratitud.)

Ernesto Famá ne chante que l’estribillo, ce qui est en rouge.
Jorge Valdez chante le premier couplet, le refrain et reprend la fin du refrain (Otra boca […] por tu cruel ingratitud.)
Le dernier couplet, chanté uniquement par Ada Falcon
Ici, une version pour homme du dernier couplet. Elle n’est pas utilisée dans les trois enregistrements présentés.

Autres enregistrements de Diez años

Je vous propose trois enregistrements de ce titre. Les deux avec Canaro et une version de 1958 par Juan d’Arienzo avec Jorge Valdez au chant.
Vous avez vu les étiquettes, deux sont pour la danse (Fama et Valdez) et un pour l’écoute (Falcon).

Diez años 1934-02-17 Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro
Diez años 1934-02-21 – Francisco Canaro C Ernesto Famá
Diez años 1958-12-17 – Orquesta Juan D’Arienzo con Jorge Valdez

Autres titres enregistrés un 21 février

Unión Civica 1933-02-21 – Juan Maglio (Pacho) y su orquesta de la guardia vieja
Te quiero mucho más 1934-02-21 – Francisco Canaro C Ernesto Famá ( Letra: Gerónimo Sureda). Il a été enregistré le même jour que Diez años.
Murió la vecinita 1935-02-21 — Típica Victor C Dir Adolfo Carabelli (Guillermo Rivero; Juan Carlos Ghio Letra: Nolo López)
Jalisco nunca pierde 1938-02-21 (Marcha) – Enrique Rodríguez C El « Chato » (Lorenzo Barcelata ; T. Guizar). C’est une marche en l’honneur du territoire de Jalisco, au Mexique (le film Jalisco nunca pierde est sorti en 1937). Le fait que ce soit une marche rappelle qu’à l’époque, les bals n’étaient pas que tango, mais toutes danses, avec en général deux orchestres.
Mi noche triste 1949-02-21 – Francisco Rotundo C Floreal Ruíz
Diez años que sirvieron para hundirme y quitarme hasta las ganas de vivir…

Milonga sentimental 1933-02-09 (Canyengue – Milonga) – Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá y Ángel Ramos

Letra : (Homero Nicolás Manzione Prestera)

Otros se quejan llorando, yo canto por no llorar. Tu amor se secó de golpe, nunca dijiste por qué. Yo me consuelo pensando que fue traición de mujer.

À noter que malgré son titre de «  » et que beaucoup de DJ propose ce titre comme une milonga, il s’agit plutôt d’un rythme de canyengue ou pour le moins d’un rythme batard entre et la milonga que des orchestres comme celui de Miguel Villasboas adoreront utiliser plus tard.
Canaro le décrivait comme un milongon, une de ses inventions rythmiques qui n’ont pas eu de .

Extrait musical

Milonga sentimental 1933-02-09 – Francisco Canaro con y Ángel Ramos

L’archive sonore présentée ici, l’est à titre d’exemple didactique. La qualité sonore est réduite à cause de la plateforme de diffusion qui n’accepte pas les fichiers que j’utilise en milonga et qui sont environ 50 fois plus gros et de bien meilleure qualité. Je pense toutefois que cet extrait vous permettra de découvrir le titre en attendant que vous le trouviez dans une qualité audiophile.

Paroles

Milonga pa’ recordarte,
milonga sentimental.
Otros se quejan llorando,
yo canto por no llorar.
Tu amor se secó de golpe,
nunca dijiste por qué.
Yo me consuelo pensando
que fue traición de mujer.

Varón, pa’ quererte mucho,
varón, pa’ desearte el bien,
varón, pa’ olvidar agravios
porque ya te perdoné.
Tal vez no lo sepas nunca,
tal vez no lo puedas creer,
¡tal vez te provoque risa
verme tirao a tus pies!

Es fácil pegar un tajo
pa’ cobrar una traición,
o jugar en una daga
la suerte de una pasión.
Pero no es fácil cortarse
los tientos de un ,
cuando están bien amarrados
al palo del corazón.

Milonga que hizo tu ausencia.
Milonga de evocación.
Milonga para que nunca
la canten en tu balcón.
Pa’ que vuelvas con la noche
y te vayas con el sol.
Pa’ decirte que sí a veces
o pa’ gritarte que no.

Sebastián Piana Letra : Homero Manzi (Homero Nicolás Manzione Prestera)

Autres enregistrements

Je ne ferai pas la liste des enregistrements de Milonga sentimentale, il y a en a des dizaines. Certains, comme la version de Canaro, sont proches du canyengue et d’autres sont de véritables milongas, comme celle enregistrée par l’orchestre actuel, Hyperion.
Voici juste quelques perles :

  • 1932-10-04
  • 1932-12-30 Adolfo Carabelli con Carlos Lafuente
  • 1933-01-23 accompagné à la guitare par , Domingo Riverol, Domingo Julio Vivas et Horacio Pettorossi. Pas pour la danse, mais des passages avec la voix de Gardel se retrouvent dans certaines versions de Otros Aires au vingt unième siècle…
Yo canto por no llorar / Je chante pour ne pas pleurer.