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Deja el mundo como está 1940-03-14 – Orquesta Rodolfo Biagi con Andrés Falgás

Rodolfo Biagi Letra Rodolfo Sciammarella

Le tango du jour, Deja el mundo como está, (Laisse le monde comme il est) a été enregistré par Biagi avec la voix d’Andrés Falgás il y a exactement 84 ans. Il faut s’intéresser aux paroles, relativement originales, pour comprendre pourquoi ne pas changer le Monde, n’oublions pas que si l’Argentine fut épargnée par la seconde guerre mondiale, tout n’y était pas rose en 1940.

La Década Infame (la década infame)

La década infame se situe entre deux coups d’État qui ont secoué l’Argentine (1930-1943). Entre les deux différentes élections truquées et les manipulations politiques douteuses.
Les causes de la década infame sont en grande partie issues du crash du 1929, la chute du commerce international ayant durement touché les possibilités d’exportations de l’Argentine, engendrant un chômage massif. Le rôle de l’Angleterre, sa mainmise sur l’économie argentine, n’est pas sans rappeler l’actualité de l’Argentine d’aujourd’hui, il suffit de remplacer Royaume-Uni par FMI ou USA pour avoir une idée du problème. L’Argentine revit de façon cyclique le même phénomène en alternance à chaque décade.
En résumé, la situation sociale était plutôt morose et la répression des mouvements populaires féroce durant toute la période. Il fallait bien se changer les idées avec le tango pour voir la vie en rose.

La Década de Oro (L’Âge d’or)

À l’opposé de la situation politique, la situation artistique était bouillonnante.
L’Argentine était tournée vers l’Europe et en littérature, le groupe de Florida avait pour modèle les écrivains européens. Ils étaient plutôt issus des hautes classes de la société, celles où on parlait couramment le français et où on était attentif à toutes les modes européennes. Ces écrivains soignaient la forme de leurs écrits, sans doute plus que le contenu. On trouve parmi eux, Jorge Luis Borges.
Le bipartisme argentin fait que le principal groupe concurrent, celui de Boedo avait pour sa part des préoccupations plus sociales et avait tendance à passer la forme au second plan. Une de ses figures de proue était Roberto Emilio Arlt.

On retrouve la même dichotomie en peinture, avec d’un côté le groupe de Paris, lié au surréalisme, alors en vogue en France et de l’autre, des peintres plus préoccupés des questions sociales dont le plus connu est sans doute Quinquela Martin, celui qui a donné à la Boca l’image qui plaît tant aux touristes en mettant de la couleur sur les tristes tôles des maisons de l’époque. Je l’avais évoqué au sujet du tango « El Flete ».

 Je pense que vous m’avez vu venir, cette période est également une década de oro pour la musique et notamment le tango. Le tango de cette époque fait le lien entre l’Europe et notamment la France, beaucoup de musiciens argentins s’étant installés ou ayant fait le voyage en Europe et notamment à Paris avant de rentrer d’urgence en 1939 à cause de la Seconde Guerre mondiale. Ceci fait qu’à Buenos Aires s’est retrouvé tout ce qui comptait en matière de musique de tango. Là encore, deux styles, l’orientation De Caro, plus intellectuelle et destinée au concert et l’orientation Canaro, D’Arienzo, plus tournés vers le bal.
Cette période est donc à la fois tragique pour la population et extrêmement riche pour la création artistique.
Je vais m’intéresser, enfin, au tango du jour et voir pourquoi il ne faut pas changer le Monde.

Extrait musical

Deja el mundo como está 1940-03-14 – Orquesta Rodolfo Biagi con Andrés Falgás y coro

Les changements chromatiques, du grave vers l’aigu à chaque début du couplet, font monter l’intensité dramatique. Inconsciemment on associe ces montées chromatiques à une accélération du rythme, comme si le disque tournait plus vite, ce qui n’est pas le cas, le tempo reste content sur toute la durée du morceau.

Les paroles

Hoy sos un hombre descontento y amargado
después que has derrochado tu bienestar.
Te has convertido en enemigo de la vida
porque ella te convida a trabajar.
Por eso mismo es que todo te molesta
y se oye tu protesta por los demás.
Con el tono llorón de un agorero
decís que el mundo entero lo deben transformar.

Deja el mundo como está,
que está hecho a la medida… (aunque parezca mentira)
Deja el mundo como está
vos debes cambiar de vida… (No has muerto viejo)
Le quieres poner rueditas…
¿Dónde lo quieres llevar?
Sólo vos lo ves cuadrado
y redondo los demás.
Deja el mundo como está,
con sus malas y sus buenas,
con sus dichas y sus penas…
¡Deja el mundo como está!


Qué cosa buena has de encontrar a la deriva
o es que esperas de arriba tu porvenir.
Sólo se logran con trabajo y sacrificios
los grandes beneficios para vivir.
Al fin, tu queja es el clamor de un fracasado,
ya me tienes cansado de oírte gritar…
Que anda el mundo al revés y está deshecho
y vos… ¿Con qué derecho lo pretendes cambiar?

Rodolfo Biagi Letra Rodolfo Sciammarella

Dans la version de Biagi, Falgás chante ce qui est en gras et le chœur insiste en chantant la partie en rouge.
Dans la version de Canaro, ce qui est chanté par Famá est la partie en gras et Canaro fait un dialogue en chantant ce qui est en bleu. Il n’y a pas de reprise de la fin du refrain, contrairement à Biagi.
Pour sa part, dans la version de Donato, Lagos chante les mêmes couplets que Falgás, mais sans la reprise de la fin du refrain.

Traduction libre :

Aujourd’hui, tu es un homme mécontent et amer après avoir dilapidé ton bien-être. Tu es devenu l’ennemi de la vie parce qu’elle t’invite à travailler. C’est pourquoi tout te dérange et que ta protestation est entendue par-dessus tout. Avec le ton pleurnichard du pessimiste, tu dis que le monde entier doit être transformé.

Laisse le monde tel qu’il est, c’est du sur-mesure… (crois-le ou pas)
Laisse le monde tel qu’il est, c’est toi qui dois changer de vie… (Tu n’es pas mort, mon vieux)
Tu veux y mettre des roulettes… Où veux-tu l’emporter ? Il n’y a que toi qui le vois carré et tous les autres le voient rond.
Laisse le monde tel qu’il est, avec ses mauvais et ses bons aspects, avec ses joies et ses peines… Laisse le monde tel qu’il est !

Le passage suivant n’est pas chanté dans aucune des trois versions, mais il est intéressant à saisir :
Ce qu’il y a de bon à se laisser aller à la dérive, c’est que tu attends d’en haut ton avenir. Or, ce n’est qu’au prix d’un travail acharné et de sacrifices que l’on peut obtenir les grands avantages de la vie. Pour finir, ta plainte est la clameur d’un échec, là, tu me fatigues de t’entendre crier… Que le monde est sens dessus dessous et qu’il est défait, et toi… de quel droit prétends-tu le changer ?

Autres versions

Ce tango a rencontré l’air du temps et en quelques mois, il a été enregistré trois fois.
Par son auteur, Biagi, puis par Canaro et enfin Donato.
Il me semble intéressant de comparer les trois versions.
Les trois ont des caractères communs, mais les versions de Canaro et de Donato sont plus traditionnelles. Elles ont le même dynamisme et l’impression de marche haletante que dans la version de Biagi, mais ce dernier propose des enrichissements convaincants et un étagement des plans musicaux plus riches, plus variés que ceux de ses collègues qui sont totalement dans la marche et moins dans la subtilité.

Deja el mundo como está 1940-03-14 – Orquesta Rodolfo Biagi con Andrés Falgás y coro

Le rythme est d’environ 139 BPM et est régulier tout au long de l’interprétation, même si on a une impression d’accélération suggérée par les montées chromatiques.          

Deja el mundo como está 1940-09-30 – Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá y contracanto por Francisco Canaro

On note dans cette version, des variations de rythme (145 à 135). Les parties chantées sont plus lentes. Canaro a également choisi de faire un dialogue où il répond à Famá, jouant donc le rôle de celui qui l’encourage à travailler. La clarinette, le piano et les violons semblent aussi se lancer dans la discussion pour finalement « parler » en même temps, comme le fait le chœur dans la version de Biagi.

Deja el mundo como está 1941-01-21 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos

C’est le tempo le plus lent des trois versions, avec environ 135 BPM sur la partie instrumentale et 133 sur la partie chantée. Les montées chromatiques sont présentes, mais moins marquées que chez Biagi.

La fin du Monde

Pardonnez ce titre racoleur. Je veux juste vous parler de comment se terminent ces titres et comment els agencer dans une tanda.
La terminaison des trois versions. On a vu que dans la version de Biagi, il y a une accélération simulée avec en apothéose la reprise finale du couplet par le chœur. L’intensité est donc maximale à la fin.
Dans la version de Canaro, le mélange des voix des instruments à la fin suggère également un apogée, un paroxysme.
Pour Donato, en revanche, rien de tel. Il y a juste la ligne mélodique du violon qui devient plus expressive et présente, mais d’impression d’explosion finale, contrairement aux deux autres versions.
Cette caractéristique, avec le fait qu’elle est d’un tempo plus lent, me pousserait à ne pas terminer une tanda avec ce titre, mais plutôt de le mettre en début de tanda. Les versions de Canaro et Biagi, avec leur apothéose finale, font en revanche de bons morceaux de fin de tanda.
Bien sûr, ce qui compte est également ce qu’on met avant dans le cas de Biagi et Canaro et après dans celui de Donato.
Par exemple, in on termine une tanda de Donato par ce titre, cela veut dire que les précédents sont sans doute moins dynamiques. La tanda sera donc plutôt calme, voire peut-être un peu plate, mais cela peut convenir, par exemple après des milongas, pour que les danseurs reprennent leur respiration. Comme toujours en la matière, il n’y a pas de règle qui résiste à l’observation de la milonga. C’est l’ambiance du moment qui décide.

Ce titre me fait penser à la chanson de Ralph Zachary Richard reprise notamment par Julien Clerc et Alpha Blondy

El flete 1936-04-03 — Orquesta Juan D’Arienzo

Vicente Greco Letra : Pascual Contursi/Juan Sarcino/Jerónimo Gradito (trois versions des paroles)

Le tango du jour, el Flete a été enregistré il y a exactement 88 ans par Juan d’Arienzo. Je vous propose d’en voir un peu plus de ce tango qui est des premiers à avoir bénéficié de la collaboration avec Rodolfo Biagi.

Ceux qui parcourent les rues de Buenos Aires ont sans doute été surpris par l’abondance de ces camions antédiluviens et porteurs de charges parfois extravagantes.

Des camions de « Fletes » dans une rue de Buenos Aires.

Sur leurs flancs, l’indication « Fletes ». Ce sont des véhicules destinés aux livraisons. Si vous avez un canapé à vous faire livrer, ou tout un déménagement, vous ferez sans doute appel à un de ces services de fletes.
El flete, c’est donc la charge, la livraison, le transport, le colis Le mot « flete » vient du français « Fret ». On pense aux merveilleuses toiles et splendides émaux sur métal de Quinquela Martin où on voit les porteurs plier sous le poids des paquets qu’ils chargent et déchargent des bateaux dans le port de la Boca.

Quinquela Martin — Motivo de puerto. Émail sur fer (1946). 0,88×0,98 m. Au centre, on voit la traversée d’une passerelle. La musique m’évoque la marche de ces hommes.

Si vous allez à la Boca le quartier qui doit tant à Benito Quinquela Martin, n’oubliez pas de voir son joyau, le musée maison de ce peintre.

Ceux qui n’ont pas l’occasion de venir à Buenos Aires pourront avoir une idée de ce musée en regardant cette vidéo.

Anecdote : Víctor Fernández, directeur du Musée Benito Quinquela Martín est également DJ de tango, ce qui limite ma culpabilité dans mon excursion dans ce superbe musée.

Là, où on revient à notre tango du jour, El Flete

Le tango du jour est instrumental, on pourrait donc penser que l’on évoque le transport, le travail difficile de ceux qui l’effectuent, les véhicules lourdement chargés.
D’ailleurs, la musique encourage à cette interprétation. Quelques pas rapides et un pas plus pesant, comme un homme qui porterait une lourde charge en descendant du bateau et qui ferait de temps à autre une pause. Cette interprétation est pour moi renforcée par l’enregistrement par Firpo, surtout celui du 16 février 1916.
C’est un enregistrement acoustique, donc, avec les limites que cela implique. Dans cet enregistrement, je retrouve les pas alternés compatible avec le travail d’un flete, mais si on se souvent que Firpo aimait les tangos descriptifs (où la musique évoque les éléments réels), cela renforce l’hypothèse que le tango est en lien avec cette activité. Vous pourrez l’écouter à la fin de cet article.

Je te donne ma parole

Ou plutôt, mes paroles. En effet, pas moins de trois versions des paroles existent pour ce tango, bien que celui-ci soit quasiment toujours enregistré sans le chant. Il convient donc de les interroger et cela va donner des surprises par rapport à notre interprétation primitive.

Les paroles originales de Contursi (1914)

Pascual Contursi a écrit des paroles pour El Flete. Ce sont sans doute les paroles originales, celle d’une époque où le tango n’avait pas encore trouvé ses lettres de noblesse en France, Pays où Contursi terminera sa carrière.
Dans les paroles de Contursi, un peu confuses, car très chargées de sous-entendus et de lunfardo, on comprend que le climat de crainte qu’inspiraient certains malfrats n’encourageait pas les compadrons à faire les fiers quand ils les croisaient. Ils dégonflaient la poitrine et faisaient profil bas pour éviter de paraître celui qui a le plus d’oseille (flouze, argent), car celui-ci, ils l’envoyaient dans l’autre monde

Le dan flete pa’ la otra población.

Les paroles renouvelées, de Gradito

En lunfardo, El Flete désigne un cheval léger de monte, brillant et léger. Rien à voir avec les chevaux devant tirer les lourds chariots des fletes de l’époque.
Dans une des rares versions chantées dont on a l’enregistrement, Ernesto Fama chante le refrain des paroles de Gerónimo Gradito qui parlent d’un cheval de course, autre leitmotiv du tango.
Le cheval de couleur noisette, vainqueur de la course, permet d’attirer l’attention d’une jeune paysanne sur son lad, ce qui le rend amoureux.

Il existe également des paroles écrites par Juan Sarcino et qui font également référence à un cheval, mais à ma connaissance, nous n’avons pas d’enregistrement de cette version et je ne les possède pas. Si vous avez une version enregistrée et les paroles, je suis preneur.

Extrait musical

El flete 1936-04-03 — Orquesta Juan D’Arienzo.

C’est notre tango du jour. Il est le fruit de la collaboration relativement nouvelle de D’Arienzo avec son pianiste et arrangeur génial, Rodoflo Biagi. Cette version hérite du dynamisme de D’Arienzo et des facéties au piano de Biagi qui répondent aux cordes. C’est un morceau superbe et assurément un de plus plaisants à danser dans les milongas de Buenos Aires, grâce à ces jeux de réponses entre les instruments. À noter que les premières rééditions sur CD, toutes tirées d’une même édition effectuée dans les années 50 sur disque vinyle comportaient un défaut (saute du disque). Aujourd’hui, la plupart des versions qui circulent sont corrigées.

Les paroles

Je propose ici les paroles par ordre chronologique. D’abord celles de Contursi, puis celles de Gradito. Elles nous content deux histoires très différentes, ce qui témoigne de la polysémie du mot Flete en espagnol argentin, mais aussi de l’évolution du tango qui des mauvais quartiers est passé dans la société plus aisée, où il était plus facile de parler d’un lad amoureux et de son cheval que de dangereux assassins rodant pour dépouiller les frimeurs.

Version de 1916 – Música : Vicente Greco — Letra : Pascual Contursi

Se acabaron los pesados,
patoteros y mentaos
de coraje y decisión.
Se acabaron los malos
de taleros y de palos,
fariñeras y facón.
Se acabaron los de faca
y todos la van de araca
cuando llega la ocasión.
Porque al de más copete
lo catan y le dan flete
pa’ la otra población.

Esos taitas que tenían
la mujer de prepotencia,
la van de pura decencia
y no ganan pa’l bullón.
Nadie se hace el pata ancha
ni su pecho ensancha
de puro compadrón,
porque al de más copete
lo catan y le dan flete
pa’ la otra población.

Version de 1916 – Música : Vicente Greco — Letra : Pascual Contursi

Ici, on décrit un monde assez noir avec des hommes armés (taleros, palos, fariñeras, facón). En fait, il s’agit de se moquer des compadritos qui jouent les durs et qui n’en mènent pas large, il retrouvent une attitude décente, ne gonflent plus la poitrine, car ici, celui qui a le plus de pépètes (argent),, ils le goûtent (tâtent pour trouver ses richesses) et lui donnent une expédition (Flete) dans l’autre monde (ils le tuent).
Cette version des paroles peut également être compatible avec la musique, les alternances de la musique pouvant être les mouvements respectifs des assassins et de la victime.

Version de 1930 – Música : Vicente Greco — Letra : Gerónimo Gradito

On peut imaginer que ces paroles violentes ont incité Fama à adopter des paroles plus légères à une époque où le tango était en train d’entrer dans la bonne société.

Parejero; zaino escarceador,
por tu pinta y color
y por tu sangre sos
todo un flete de mi flor…
¡Porque es tu corazón
difícil de empardar !
En las canchas no tenés rival,
y en una ocasión
que has de recordar
ganaste a un pangaré
y, al jinetearte, así
decía para mí:

¡Zaino,
mi viejo amigo,
de punta a punta, ganale!
¡Flete,
todo he jugado,
y en vos está mi esperanza!
¡Zaino!
¡Solo en la cancha !
¡Correlo al galope,
que atrás lo dejás !
¡Flete,
zaino de mi alma,
tuya es la carrera
que en ley la ganás !

Y al llegar vos triunfador
el pueblo te aplaudió,
y una paisanita
flores te tiraba
que después se acercó
y tu cabeza palmeó.
Y ella, desde entonces,
¡es mi único querer!…

Parejero; zaino escarceador,
por tu pinta y color
y por tu sangre sos
todo un flete de mi flor…
¡Porque es tu corazón
difícil de empardar !
En los pueblos no tenés rival
como yo pa’el amor,
y al correrla los dos
siempre tenemos que ser:
¡Yo todo un buen varón
y un bravo flete vos !

Version de 1930 – Música : Vicente Greco — Letra : Gerónimo Gradito

Ici, il s’agit d’un lad qui tombe amoureux d’une jeune paysanne qui a envoyé des fleurs au cheval dont il s’occupe et qui lui a caressé la tête. Cependant, le lad ne peut pas s’empêcher de faire le fanfaron, disant qu’il n’a pas de rival pour l’amour, tout comme « Châtaigne », son cheval, n’a pas de rival dans la course. Je suis un bon homme et toi un brave flete.

À mon avis, qui en vaut sans doute un autre, sans être une référence, ces paroles ne conviennent pas totalement à la musique. On a du mal à y voir la fièvre de la course, l’exaltation du vainqueur et l’amour naissant. Je pense que c’est juste le fait que El Flete peut aussi bien considérer l’expédition que le cheval de course qui est à l’origine de cette fusion.

Comme j’aime bien faire des hypothèses, je me dis que le cheval de course est en fait l’héritier du cheval qui passait les messages et qui était donc rapide. C’est un peu ce que sous-entend ce tango, Zaino est le messager de l’amour.

Quelques versions

À titre de comparaison, quelques versions de ce tango qui n’est vraiment célèbre que sous la baguette de Juan d’Arienzo.

Les versions de Roberto Firpo. Il y a plusieurs versions, instrumentales et au piano. Je vous propose ma préférée, celle de 1916.

El Flete 1916-02-16 — Roberto Firpo.

Malgré les limites de l’enregistrement acoustique, la musique est agréable à écouter. Cela nous permet de rappeler qu’à cette époque, Firpo était un chef d’orchestre de tout premier plan.

El flete 1928-03-07 Orquesta Francisco Canaro

Un des premiers enregistrements électriques du thème. Une version encore empreinte du canyengue et probablement bien adaptée aux paroles sombres de Contursi. On retrouvera Canaro 11 ans plus tard dans une versión bien différente.

El flete 1930-09-16 — Orquesta Típica Porteña dir. Adolfo Carabelli con Ernesto Famá.

C’est un bon Carabelli et le plus ancien enregistrement en ma possession avec une partie chantée. Les paroles, comme nous l’avons vu ci-dessus sont celles de Gradito. La musique est désormais intermédiaire entre le planplan du canyengue et les versions futures plus dynamiques.

El flete 1936-04-03 — Orquesta Juan D’Arienzo

C’est notre tango du jour. Le fruit de la collaboration relativement nouvelle de D’Arienzo avec son pianiste et arrangeur génial, Rodoflo Biagi. Cette version hérite du dynamisme de D’Arienzo et des facéties au piano de Biagi qui répondent aux cordes. C’est un morceau superbe et assurément un de plus plaisants à danser dans les milongas de Buenos Aires, grâce à ces jeux de réponses entre les instruments.
À noter que les premières rééditions sur CD, toutes tirées d’une même édition effectuée dans les années 50 sur disque vinyle comportaient un défaut (saute du disque). Aujourd’hui, la plupart des versions qui circulent sont corrigées.

El Flete 1939-03-30

XXXX El Flete 1939-03-30 — Quinteto Don Pancho dir. Francisco Canaro. On retrouve Canaro dans une version avec un de ses quintettes, le Don Pancho (Pancho est un surnom pour le prénom Francisco, mais aussi quelqu’un qui fait l’andouille en lunfardo…). Contrairement à la version de 1928, cette version est bien plus allègre et d’une grande richesse musicale, notamment dans sa seconde partie. C’est un très beau Canaro, avec les interventions magnifiques de la flûte de José Ranieri Virdo (qui était aussi trompettiste de Canaro, mais pas dans cet enregistrement).

Je ne citerai pas d’autres versions, car elles n’apportent rien à notre propos. Voir, pour ceux que ça intéresse,

  • Héctor Varela (1950 et 1952),
  • Donato Racciatti y sus Tangueros del 900 (1959), où on retrouve la flûte, ici avec des guitares, mais le résultat est monotone.
  • Osvaldo Fresedo (1966), dans son style « Varela »…
  • La Tubatango (2006), une version amusante, joueuse comme une milonga et avec le retour de la flûte farceuse.

Je vais terminer cet article avec la Tubatango, mais dans une représentation théâtrale le 18 octobre 2010 au Paraguay.

La Tubatango, El flete, représentation théâtrale le 18 octobre 2010 au Paraguay

Vous remarquerez l’apparition d’un riche ivrogne qui se fera jeter de scène. La Tuba Tango s’est donc inspirée des paroles originales de Contursi, ce qui est logique, puisqu’ils ont adopté un style canyengue.

Sur scène, ils expulsent l’ivrogne, ils le ne le tuent pas, mais je reste sur mes positions…

Photomontage d’un jeune homme ayant fait le fier devant des malandrins et qui risque de le payer très cher. Mais que faisait-il dans cette galère, dans le port de la Boca ? Dans le fond des détails de la toile Día luminoso de « Benito Quinquela Martín.