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Fumando espero 1927-07-21 – Orquesta Típica Victor

Juan Viladomat Masanas Letra: Félix Garzo (Antonio José Gaya Gardus)

On sait maintenant que fumer n’est pas bon pour la santé, mais dans la mythologie du tango, la cigarette, cigarillo, pucho, faso et sa fumée ont inspiré les créateurs quand eux-mêmes inspiraient les volutes de fumée. Notre tango du jour est à la gloire de la fumée, au point qu’il est devenu objet de propagande publicitaire. Mais nous verrons que le tango a aussi servi à lutter contre le tabac qui t’abat. Je pense que vous découvrirez quelques scoops dans cette anecdote fumante.

Extrait musical

Fumando espero 1927-07-21 — Orquesta Típica Victor — Dir. Adolfo Carabelli.

Cette très belle version souffre bien sûr de son ancienneté et du style de l’époque, mais les contrepoints sont superbes et la rythmique lourde est compensée par de jolis traits. J’aime beaucoup les passages legato des violons.

Maintenant que vous l’avez écouté, nous allons entrer dans le vif d’un sujet un peu fumeux, tout d’abord avec des couvertures de partitions.

Fumando espero. Diverses partitions.

On notera que trois des partitions annoncent la création, mais par des artistes différents…
Création de Ramoncita Rovira (Partition éditée par ) à en 1925.
Création de Pilar Berti pour la publication de Barcelone, DO-RE-MI qui publiait chaque semaine une partition. Mais c’est une autre Pilar (Arcos) qui l’enregistrera à diverses reprises.
Tania Mexican, créatrice de ce magnifique tango, annonce cette partition. Tania aurait été la première à le chanter à Buenos Aires. Ce n’est pas impossible dans la mesure où cette Espagnole de Tolède est arrivée en Argentine en 1924. Elle fut la compagne de Enrique Santos Discépolo.
Si on peut voir la mention « « « Mexican » à côté de son nom, c’est qu’elle est arrivée à Buenos Aires avec le Conjunto The Mexicans

Après les éditions espagnoles, voici celles d’Amérique latine, plus tardives, elles ont suivi le trajet de la musique.
Felix Carso au lieu de Carzo pour l’édition brésilienne de 1927. L’éditeur, vendait aussi des pianos.
Tango de Veladomato (au lieu de Veladomat (non catalan) pour l’édition chilienne.
Ces cinq partitions sont de la première vague (années 20-30)

La partition éditée par las Ediciones Internacionales Fermata avec la photo de Héctor Varela en couverture date des années 50. Probablement de 1955, date de l’enregistrement par Varela de ce titre.

Paroles

Fumar es un placer
genial, sensual.
Fumando espero
al hombre a quien yo quiero,
tras los cristales
de alegres ventanales.
Mientras fumo,
mi vida no consumo
porque flotando el humo
me suelo adormecer…
Tendida en la chaise longue
soñar y amar…
Ver a mi amante
solícito y galante,
sentir sus labios
besar con besos sabios,
y el devaneo
sentir con más deseos
cuando sus ojos veo,
sedientos de pasión.
Por eso estando mi bien
es mi fumar un edén.

Dame el humo de tu boca.
Anda, que así me vuelvo loca.
Corre que quiero enloquecer
de placer,
sintiendo ese calor
del humo embriagador
que acaba por prender
la llama ardiente del amor.

Mi egipcio es especial,
qué olor, señor.
Tras la batalla
en que el amor estalla,
un cigarrillo
es siempre un descansillo
y aunque parece
que el cuerpo languidece,
tras el cigarro crece
su fuerza, su vigor.
La hora de inquietud
con él, no es cruel,
sus espirales son sueños celestiales,
y forman nubes
que así a la gloria suben
y envuelta en ella,
su chispa es una estrella
que luce, clara y bella
con rápido fulgor.
Por eso estando mi bien
es mi fumar un edén.

Juan Viladomat Masanas Letra: Félix Garzo (Antonio José Gaya Gardus)

Traduction libre et indications

Fumer est un plaisir génial, sensuel.
En fumant, j’attends l’homme que j’aime, derrière les vitres de fenêtres gaies.
Pendant que je fume, ma vie, je ne la consomme pas parce que la fumée qui flotte me rend généralement somnolente…
Allongée sur la chaise longue, rêver et aimer… (On notera que la chaise longue est indiquée en français dans le texte).
Voir mon amant plein de sollicitude et galant, de sentir ses lèvres embrasser de baisers sages, et d’éprouver plus de désir quand je vois ses yeux assoiffés de passion.
C’est pourquoi mon bien est de fumer une Edén (marque de cigarettes, voir ci-dessous les détails).
Donne-moi la fumée de ta bouche.
Allez, qu’ainsi je devienne folle.
, que j’ai envie de devenir folle de plaisir, en sentant cette chaleur de la fumée enivrante qui finit par allumer la flamme brûlante de l’amour.
Mon égyptien (tabac égyptien) est spécial, quelle odeur, monsieur.
Après la bataille dans laquelle l’amour explose, une cigarette est toujours un repos et bien qu’il semble que le corps languisse, après le cigare (en lunfardo, el cigarro est le membre viril…), sa force, sa vigueur, grandissent.
L’heure de l’agitation avec lui n’est pas cruelle, ses spirales sont des rêves célestes, et forment des nuages qui s’élèvent ainsi vers la gloire et enveloppés d’elle, son étincelle est une étoile qui brille, claire et belle d’un éblouissement rapide.
C’est pourquoi mon bien est de fumer une Edén.

La cigarette et le tango

Ce tango serait une bonne occasion pour parler du thème de la cigarette et du tango. Étant non-fumeur, je béni la loi 1799 (Buenos Aires) qui fait que depuis octobre 2006, il est interdit de fumer dans les lieux publics. Cela a largement amélioré la qualité de l’air dans les milongas.
La loi 3718 (décembre 2010) renforce encore ces interdictions et donc depuis 5 janvier 2012, il est totalement interdit de fumer dans les lieux publics et les espaces fumeurs intérieurs sont interdits. Cependant, imaginez l’atmosphère au cours du vingtième siècle, époque où le tabac faisait des ravages.
Le tango du jour peut être considéré comme une publicité pour le tabac et même une publicité pour le tabac égyptien d’une part et la marque Edén qui était une marque relativement luxueuse.

Avec Edén, allez plus vite au paradis

Dans ce tango, sont cités deux types de tabac, l’égyptien et les cigarettes à base de tabac de la Havane. Je pourrais rajouter le cigare de la Havane, mais je pense que la référence au cigare est plus coquine que relative à la fumée…
Les cigarettes Edén étaient commercialisées en deux variétés, la n° 1, fabriqué avec du tabac de la Havane, coûtait 30 cents et la n° 2, avec un mélange de tabac de la Havane et de Bahia, 20 cents le paquet.

À gauche, paquet de tabac égyptien. À droite, publicité pour les cigarettes Edén (1899). Clodimiro Urtubey est le créateur de la marque

Les tangos faisant la propagande du tabac

On peut bien sûr inclure notre tango du jour (Fumando espero (1922), puisqu’il cite des marques et l’acte de fumer. Cependant, rien ne prouve que ce soient des publicités, même déguisées. La référence au tabac égyptien peut être une simple évocation du luxe, tout comme la marque Edén qui en outre rime avec bien.
Par ailleurs, l’auteur de la musique, Juan Viladomat semble être un adepte des drogues dans la mesure où il a également écrit un tango qui se nomme La cocaína avec des paroles de Gerardo Alcázar.

Partition de La cocaina de Juan Viladomat avec des paroles de Gerardo Alcázar.
La cocaína 1926 – Ramoncita Rovira.

La cocaína 1926 – Ramoncita Rovira. Cette pièce faisait partie du Guignol lyrique en un acte « El tango de la cocaína » composé par Juan Viladomat avec un livret de Amichatis et Gerardo Alcázar.

J’imagine donc qu’il a choisi le thème sans besoin d’avoir une motivation financière…
D’autres tangos sont dans le même cas, comme : Larga el pucho (1914), Sobre el pucho (1922), Fume Compadre (ou Nubes de humo, 1923), Como el humo (1928), Cigarillo (1930), Pucho 1932, Tabaco (1944), Sombra de humo (1951), Un cigarillo y yo (1966) et bien d’autres qui parlent à un moment ou un autre, de fumée, de cigarette (cigarillo/pucho/faso) ou de tabac.

Cigarrillo 1930-07-17 – Orquesta Francisco Canaro con Luis Díaz ( Letra: Ernesto E. de la Fuente).

Attention, ne pas confondre avec le tango du même nom qui milite contre le tabac et que je présente ci-dessous…
Sur le fait que Canaro n’a pas fait cela pour de l’argent, j’ai tout de même un petit doute, il avait le sens du commerce…

En revanche, d’autres tangos ont été commandités par des marques de cigarettes. Parmi ceux-ci, citons :

América (qui est une marque de cigarettes)
Fumando Sudan, espero (Sudan est une marque de cigarette et Pilar Arcos a enregistré cette version publicitaire en 1928).

Paquet en distribution gratuite et vignettes de collection (1920) des cigarettes Soudan, une marque brésilienne créée par Sabbado D’Angelo en 1913.
Fumando Sudan espero 1928-06-15 – Pilar Arcos Acc. Orquesta Tipica Dir. Louis Katzman.

Le nom des cigarettes ne vient pas du pays, le Soudan, mais de l’utilisation des premières lettres du nom du fondateur de la marque, S de Sabado, Um(N) de Umberto et DAN de D’Angelo…
Quoi qu’il en soit, cette marque ne reculait devant aucun moyen marketing, distribution gratuite, images de collection, version chantée…
Cela me fait penser à cette publicité argentine pour la première cigarette…

Publicité argentine pour la première cigarette mettant en scène un enfant… La cigarette est au premier plan à gauche. On imagine la suite.

Sello azul (qui est une marque de cigarettes).

Sello Azul de Sciammarella et Rubistein, et à droite, un paquet de ces cigarettes…

Aprovechá la bolada, Fumá Caranchos dont je vous propose ici les paroles qui sont un petit chef-d’œuvre de marketing de bas étage :

Couverture de la partition de Aprovechá la bolada – Fumá Caranchos de Francisco Bohigas

Paroles de Aprovechá la bolada, Fumá Caranchos

Che Panchito, no seas longhi, calmá un poco tu arrebato que el que tiene una papusa cual la novia que tenés, no es de ley que se suicide por el hecho de andar pato; a la suerte hay que afrontarla con bravura y altivez.
Donde hay vida hay esperanza, no pifiés como un incauto.
Y a tu piba no le arruines su palacio de ilusión vos querés dártela seca porque sueña con un auto, una casa y otras yerbas; yo te doy la solución.
Refrán:
Fumá Caranchos no seas chancleta, que en cada etiqueta se encuentra un cupón.
, prendete, che Pancho que está en Los Caranchos tu gran salvación.
Fumá Caranchos, que al fin del jaleo en el gran sorteo te vas a ligar una casa posta, un buick de paseo y el sueño de tu piba se va a realizar.
Ya se me hace, che Panchito, que te veo muy triunfante, dando dique a todo el mundo con un buick deslumbrador, por Florida, por Corrientes, con tu novia en el volante propietario de una casa que será nido de amor.
Sin embargo, caro mio, si no entrás en la fumada, serás siempre un pobre loco que de seco no saldrá.
Vos buscate tu acomodo, aprovechá la bolada, fumá Caranchos querido, que tu suerte cambiará.
Fumá Caranchos, no seas chancleta que en cada etiqueta se encuentra el cupón.

Francisco Bohigas

Traduction libre de Aprovechá la bolada, Fumá Caranchos (Saute sur ta chance, fume Caranchos)

Che Panchito, ne sois pas un manche, calme un peu ton emportement, car celui qui a une poupée comme la petite amie que tu as, il n’est pas juste pour lui de se suicider, car il a fait le canard (« cada paso una cagada », le canard a la réputation de faire une crotte à chaque pas, une gaffe à chaque pas) ; la chance doit être affrontée avec bravoure et arrogance.
Là où il y a de la vie, il y a de l’espoir, ne faites pas de gaffes comme un imprudent.
Et ne ruine pas le palais d’illusion de ta poupée, tu te vois fauché parce qu’elle rêve d’une voiture, d’une maison et d’autres trucs ; Je vais te donner la solution.
Fume Caranchos ne sois pas une mauviette, car sur chaque étiquette, se trouve un coupon.
Suis mon conseil, allume, che Pancho, ton grand salut est dans les Caranchos.
Fume des Caranchos, parce qu’à la fin du tirage de la grande tombola, tu vas recevoir une maison excellente, une Buick pour la balade et le rêve de ta chérie va se réaliser.
Il me semble, che Panchito, que je te vois très triomphant, te pavanant devant tout le monde avec une Buick éblouissante, dans Florida, dans Corrientes, avec ta copine au volant et propriétaire d’une maison qui sera un nid d’amour.
Cependant, mon cher, si tu ne te lances pas dans la fumée, tu seras toujours un pauvre fou qui ne sortira pas de la dèche.
Tu trouveras ton logement, profite de la chance, fume, mon cher, Caranchos, ta chance va tourner.
Fume des Caranchos, ne sois pas une mauviette, car sur chaque étiquette se trouve le coupon.
On notera qu’il a fait un tango du même type Tirate un lance (tente ta chance), qui faisait la propagande d’un tirage au sort d’un vin produit par les caves Giol7. Ne pas confondre avec le tango du même titre écrit par et chanté notamment par Edmundo Rivero.

Le tango contre le tabac

Même si l’immense des tangos fait l’apologie de la cigarette, certains dénoncent ses méfaits en voici un exemple :

Paroles de Cigarrillo de Pipo Cipolatti (musique et paroles)

Tanto daño,
tanto daño provocaste
a toda la humanidad.
Tantas vidas,
tantas vidas de muchacho
te fumaste… yo no sé.
Apagando mi amargura
en la borra del café
hoy te canto, cigarrillo, mi verdad…

Cigarrillo…
compañero de esas noches,
de mujeres y champagne.
Muerte lenta…
cada faso de tabaco
es un año que se va…
Che, purrete,
escuchá lo que te digo,
no hagas caso a los demás.
El tabaco es traicionero
te destruye el cuerpo entero
y te agrega más edad…
El tabaco es traicionero,
te destruye el cuerpo entero… ¡y qué!
y esa tos te va a matar…

¡Ay, que lindo !…
Ay, que lindo que la gente
comprendiera de una vez
lo difícil,
lo difícil que se hace,
hoy en día, el respirar.
Es el humo del cilindro
maquiavélico y rufián
que destruye tu tejido pulmonar

Pipo Cipolatti

Traduction libre des paroles de Cigarrillo

Tant de dégâts, tant de dégâts tu as causé à toute l’humanité.
Tant de vies, tant de vies d’enfants tu as fumé… Je ne sais pas.
Éteignant mon amertume dans le marc de café, aujourd’hui je te chante, cigarette, ma vérité…
Cigarette… Compagne de ces nuits, des femmes et de champagne.
Mort lente… Chaque cigarette (faso, cigarette en lunfardo) est une année qui s’en va…
Che, gamin, écoute ce que je te dis, ne fais pas attention aux autres.
Le tabac est traître, il détruit le corps en entier et t’ajoute plus d’âge…
Le tabac est traître, il détruit le corps entièrement… et puis !
Et cette toux va te tuer…
Oh, comme ce serait bien !…
Oh, comme ce serait bien que les gens comprennent une fois pour toutes combien le difficile, combien il est difficile de respirer aujourd’hui.
C’est la fumée du cylindre machiavélique et voyou qui détruit ton tissu pulmonaire

Si on rajoute un autre de ses tangos Piso de soltero qui parle des relations d’un homme avec d’autres hommes et des femmes et des alcools, vous aurez un panorama des vices qu’il dénonce.

Autres versions

Il y a des dizaines de versions, alors je vais essayer d’être bref et de n’apporter au dossier que des versions intéressantes, ou qui apportent un autre éclairage.
Ce que l’on sait peu, est que ce tango est espagnol, voire catalan et pas argentin…
Juan Viladomat est de Barcelone et Félix Garzo de Santa Coloma de Gramenet (sur la rive opposée du río Besós de Barcelone).
Le tango (en fait un cuplé, c’est-à-dire une chanson courte et légère destinée au théâtre) a été écrit pour la revue La nueva España, lancée en 1923 au teatro Victoria de Barcelona.
La première chanteuse du titre en a été Ramoncita Rovira née à Fuliola (Catalogne). Je rappelle que Ramoncita a aussi lancé le tango La cocaína que l’on a écouté ci-dessus. Ramoncita, l’aurait enregistré en 1924, mais je n’ai pas ce disque. D’autres chanteuses espagnoles prendront la relève comme Pilar Arcos, puis Sara Montiel et ensuite Mary Santpere bien plus tard.

Fumando-Espero 1926-08 – Orquesta Del Maestro Lacalle.

Ce disque Columbia No.2461-X tiré de la matrice 95227 a été enregistré en août 1926 à où le Maestro Lacalle (la rue), d’origine espagnole, a fini sa vie (11 ans plus tard). C’est une version instrumentale, un peu répétitive. L’avantage d’avoir enregistré à New-York est d’avoir bénéficié d’une meilleure qualité sonore, grâce à l’enregistrement électrique. Le même jour, il a enregistré Langosta de Juan de Dios Filiberto, mais il en a fait une marche joyeuse qui a peu à voir avec le tango original.

Disque enregistré à New York en 1926 par El Maestro Lacalle de Fumando Espero et Langosta.

On est donc en présence d’un tango 100 % espagnol et même 100 % catalan, qui est arrivé à New York en 1926, mais ce n’est que le début des surprises.

Fumando Espero 1926-10-18 – Margarita Cueto acc. Orquesta Internacional – Dir.Eduardo Vigil Y Robles. Un autre enregistrement new-yorkais et ce ne sera pas le dernier…

Fumando espero 1926-10-29 — Orquesta Internacional – Dir. Eduardo Vigil Y Robles. Quelques jours après l’enregistrement avec Margarita Cueto, une version instrumentale.

On quitte New York pour Buenos Aires…

Fumando espero 1927-07-11 – Rosita Quiroga con orquesta.

Rosita Quiroga, la Édith Piaf de Buenos Aires, à la diction et aux manières très faubouriennes était sans doute dans son élément pour parler de la cigarette. On est toutefois loin de la version raffinée qui était celle du cuplé espagnol d’origine.

Fumando espero 1927-07-21 — Orquesta Típica Victor — Dir. Adolfo Carabelli.

C’est notre superbe version instrumentale du jour, magistralement exécutée par l’orchestre de la Victor sous la baguette de Carabelli.

Fumando espero 1927 – Sexteto Francisco Pracánico.

Une autre version instrumentale argentine. Le titre a donc été adopté à Buenos Aires, comme en témoigne la succession des versions.

Fumando espero 1927-08-20 – Orquesta Francisco Lomuto.

Une version un peu frustre à mon goût.

Fumando espero 1927-08-23 – Orquesta Roberto Firpo.

Firpo nous propose une superbe introduction et une orchestration très élaborée, assez rare pour l’époque. Même si c’est destiné à un tango un peu lourd, , cette version devrait plaire aux danseurs qui peuvent sortir du strict âge d’or.

Fumando espero 1927-09-30 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Fugazot.

Canaro ne pouvait pas rester en dehors du mouvement, d’autant plus qu’il enregistrera Cigarrillo avec Luis Díaz en 1930 (comme nous l’avons vu et écouté ci-dessus).

Fumando espero 1927-11-08 – Orquesta Osvaldo Fresedo.
Fumando espero 1927-11-17 – Ignacio Corsini con guitarras de Aguilar-Pesoa-Maciel.

Une belle interprétation par ce chanteur qui aurait mérité, à mon avis, une gloire égale à celle de Gardel.

Fumando espero 1927 – Pilar Arcos Acc. The Castilians.
Fumando Sudan espero 1928-06-15 – Pilar Arcos Acc. Orquesta Tipica Dir. Louis Katzman.

C’est la version publicitaire que nous avons évoquée dans le chapitre sur tabac et tango.

La source semble s’être tarie et l’on ne trouve plus de versions de Fumando espero intéressante avant les années 1950.

Fumando espero 1955-05-20 — Enrique Mora — Elsa Moreno.
Fumando espero 1955-06-01 – Orquesta Héctor Varela con Argentino Ledesma.

Oui, je sais, cette version, vous la connaissez et elle a certainement aidé au renouveau du titre. C’est superbe et bien que ce type d’interprétation marque la fin du tango de danse, 97,38 % (environ), des danseurs se ruent sur la piste aux premières notes.

Fumando espero 1955-12-01 – Orquesta Donato Racciatti con Olga Delgrossi.

L’Uruguay se toque aussi pour la reprise de Fumando espero. Après Donato Racciatti et Olga Delgrossi, Nina Miranda.

Fumando espero 1956 – Orquesta Graciano Gómez con Nina Miranda.

Nina Miranda a été engagée en 1955 par Odeón. C’est Graciano Gómez qui a été chargé de l’accompagner. C’est une collaboration entre les deux rives du Rio de la Plata.

Fumando espero 1956 – Jorge Vidal con guitarras.

Une version tranquille, à la guitare.

Fumando espero 1956-02-03 – Orquesta Carlos Di Sarli con Argentino Ledesma.

Après la version à 97,38 % avec Varela, Argentino Ledesma, avec Di Sarli réalise la version pour 100 % des danseurs.
Ledesma venait de quitter l’orchestre de Varela pour intégrer celui de Di Sarli. Il devient le spécialiste du titre… Ce fut un immense succès commercial au point que la Víctor décala sa fermeture pour vacances pour rééditer d’autres disques en urgence. L’enregistrement avec Varela n’avait pas obtenu le même accueil, c’est donc plutôt 1956 qui marque le renouveau explosif du titre.

Fumando espero 1956-04-03 – Orquesta Alfredo De Angelis con Carlos Dante.

J’aurais plus imaginé Larroca pour ce titre. De Angelis a choisi Dante. C’est toutefois joli, mais je trouve qu’il manque un petit quelque chose…

Popurri 1956-04-20 Fumando espero, Historia de un amor y Bailemos – José Basso C Floreal Ruiz.

Il s’agit d’un popurrí, c’est à dire du mélange dans un seul tango de plusieurs titres. Comme ce pot-pourri commence par Fumando espero, j’ai choisi de l’insérer pour que vous puissiez profiter de la superbe voix de Floreal Ruiz. À 58 secondes commence Historia de un amor et à deux minutes, vous avez pour le même prix un troisième titre, Bailemos. Les transitions sont réussies et l’ensemble est cohérent. On pourrait presque proposer cela pour la danse (avec précaution et pour un moment spécial).

Fumando espero 1956-04-26 – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Florio.

On peut se demander pourquoi Di Sarli enregistre une nouvelle version, moins de trois mois après celle de Ledesma. L’introduction est différente et l’orchestration présente quelques variantes. La plus grosse différence est la voix du chanteur. Si on décide de faire une tanda avec Florio, cet enregistrement me semble un excellent élément. Je pense que la principale raison est que Ledesma n’a enregistré que trois tangos avec Di Sarli et que donc c’est trop peu, ne serait que pour nous, DJ, pour avoir un peu de choix. Si je veux passer la version avec Ledesma, je suis obligé de faire une tanda mixte, autre chanteur et/ou titre instrumental pour obtenir les quatre titres de rigueur. Puis, entre nous, ce n’est pas indispensable d’inclure une de ces versions dans une
Il y a peut-être aussi un peu de colère de la part de Di Sarli. En effet, si l’enregistrement de Ledesma avec Varela n’avait pas bien fonctionné, à la suite du succès de la version avec Di Sarli, la Columbia (la maison de disques de Varela) décide de relancer l’enregistrement de 1955. Ce fut alors un immense succès qui a décidé la Columbia a réintégrer Ledesma dans l’orchestre de Varela. Voyant que son nouveau poulain, partait en fumée, Di Sarli (ou la Víctor) a donc décidé de graver d’urgence une autre version avec un nouveau chanteur afin de ne pas laisser au catalogue un titre avec un chanteur passé à la concurrence…

Fumando espero 1956 – Los Señores Del Tango C Mario Pomar.

Un bon orchestre avec la belle voix de Mario Pomar. Agréable à écouter.

Fumando espero 1956 — Libertad Lamarque Orquesta – Dir.Victor-Buchino.

Fumando espero 1956 — Libertad Lamarque Orquesta –  Dir.Victor-Buchino. L’accompagnement discret de Victor Buchino et la prestation souvent a capella de Libertad Lamarque permet de bien saisir le grain de voix magnifique de Libertad.

Fumando espero 1957 – Chola Luna y Orquesta Luis Caruso.
Fumando espero 1957 – Imperio Argentina.

Si Imperio Argentina est née en Argentine, elle a fait une grande partie de sa carrière en Europe, en Espagne (où elle est arrivée, adolescente) et bien sûr en France, mais aussi en Allemagne. Elle nous permet de faire la liaison avec l’Espagne ou nous revenons pour terminer cette anecdote.

C’est le film, El Último Cuplé qui va nous permettre de fermer la boucle. Le thème redevient un cuplé et même si le théâtre a été remplacé par le cinéma, nous achèverons notre parcours avec cette scène du film ou Sara Montiel chante le cuplé.

Sara Montiel chante Fumando espero dans le film El Último Cuplé de 1957. Metteur en scène : Juan de Orduña

Vous aurez reconnu l’illustration de couverture. J’ai modifié l’ambiance pour la rendre plus noire et ajouté de la fumée, beaucoup de fumée…

À demain, les amis, et à ceux qui sont fumeurs, suivez les conseils de Pipo Cipolatti que je vous conserve longtemps. Je rédige cette anecdote le 20 juillet, Dia del amigo (jour de l’ami).

En tus ojos de cielo 1944-07-10 – Orquesta Miguel Caló con Raúl Berón

Osmar Maderna (Osmar Héctor Maderna) Letra: Luis Rubistein

Curieusement, Osmar Maderna ne semble pas avoir enregistré ce titre qu’il a composé. Pourtant, dans la version de Caló, on reconnaît bien son orchestration. Si on creuse un peu la question, on se rend compte qu’il l’a enregistré, comme pianiste de Miguel Caló et entouré des musiciens exceptionnels de cet orchestre. Il était difficile de faire mieux pour mettre en musique un de plus beaux poèmes d’amour du tango.

Les musiciens de Miguel Caló

Piano : Osmar Maderna. Son style délicat et simple cadre parfaitement avec la merveilleuse déclaration d’amour que constitue ce tango. Le bon homme à la bonne place, d’autant plus qu’il est l’auteur de la musique…
Bandonéons : , Armando Pontier, José Cambareri (le mage du bandonéon et sa virtuosité époustouflante) et Felipe Ricciardi.
Violons : Enrique Francini, Aquiles Aguilar, Ariol Ghesaghi et Angel Bodas.
Contrebasse : Ariel Pedernera, dont nous avons entendu la version mutilée de 9 de Julio hier…

Extrait musical

En tus ojos de cielo 1944-07-10 – Orquesta Miguel Caló con Raúl Berón
Disque Odeon 8390 Face A San souci – Partition de En tus ojos de cielo – Face B En tus ojos de cielo.

Face A du disque San souci

Comme il n’y a pas d’autres enregistrements de notre tango du jour, je vous propose la face A du disque où a été gravé En tus ojos de cielo. Il s’agit de San souci de Enrique Delfino. Ce titre a été enregistré trois jours plus tôt, le vendredi 7 juillet 1944.

Sans souci 1944-07-07 – Orquesta Miguel Caló (Enrique Delfino).

Pour ceux qui aiment faire des tandas mixtes, il est envisageable de passer les deux faces du disque dans la même tanda. En effet, dans une milonga courte (5 heures), on passe rarement deux tandas de Calo. Pour éviter d’avoir à choisir entre instrumental et chanté, on peut commencer par deux titres chantés, puis terminer par deux titres instrumentaux. Les titres instrumentaux sont souvent un peu plus toniques ce qui justifie de les placer à la fin. Par ailleurs, ils sont aussi un peu plus intéressants pour la danse avec certains orchestres, car l’orchestre est plus libre, n’étant pas au service du chanteur. Bien sûr, ce n’est pas une règle et chaque association doit se faire en fonction du moment et des danseurs. On peut même envisager une tanda instrumentale tonique qui termine de façon plus romantique, par exemple en fin de milonga.

Paroles

Je trouve que c’est un magnifique poème d’amour. Luis Rubistein a fait ici une œuvre splendide.

Como una piedra tirada en el camino,
era mi vida, sin ternuras y sin fe,
pero una noche Dios te trajo a mi destino
y entonces con tu embrujo me desperté…
Eras un sueño de estrellas y luceros,
eras un ángel con perfume celestial.
Ahora sólo soy feliz porque te quiero
y en tus ojos olvidé mi viejo mal…

En tus ojos de cielo,
sueño un mundo mejor.
En tus ojos de cielo
que son mi desvelo,
mi pena y mi amor.
En tus ojos de cielo,
azulada canción,
tengo mi alma perdida,
pupilas dormidas
en mi corazón…

Vos dijiste que, al fin, la vida es buena
cuando un cariño nos embruja el corazón,
con tu ternura, luz de sombra para mi pena,
mi sombra ya no es sombra porque es canción…
Sólo me resta decir ¡bendita seas!,
alma de mi alma, esperanza y realidad.
Ya nunca ha de arrancarme de tus brazos,
porque en ellos hay amor, luz y verdad…

Osmar Maderna (Osmar Héctor Maderna) Letra: Luis Rubistein

Traduction libre

Comme une pierre jetée sur le chemin était ma vie, sans tendresse et sans foi, mais une nuit Dieu t’a conduite à mon destin et depuis avec ton sortilège je me suis réveillé…
Tu étais un rêve d’étoiles et d’astres (lucero peut parler de Vénus et des astres plus brillants que la moyenne), tu étais un ange au parfum céleste.
Maintenant seulement, je suis heureux parce que je t’aime et que dans tes yeux j’ai oublié mon ancien mal…
Dans tes yeux de ciel, je rêve d’un monde meilleur.
Dans tes yeux de ciel, qui sont mes insomnies, ma peine et mon amour.
Dans tes yeux de ciel, une chanson bleue, j’ai mon âme perdue, des pupilles endormies dans mon cœur…
Tu as dit que, finalement, la vie est bonne quand l’affection envoûte nos cœurs, avec ta tendresse, lumière d’ombre pour mon chagrin, mon ombre désormais n’est plus une ombre, car c’est une chanson…
Il ne me reste plus qu’à dire « que tu sois bénie ! », âme de mon âme, espérance et réalité.
Maintenant, rien ne m’arrachera jamais de tes bras, parce qu’en eux il y a l’amour, la lumière et la vérité…

Dans ses yeux

Les yeux bleus

Les yeux des femmes sont un sujet de choix pour les tangos. Ici, ils sont le paradis pour l’homme qui s’y abîme.
On retrouve le même thème chez Francisco Bohigas dans El cielo en tus ojos

El cielo en tus ojos
yo vi amada mía,
y desde ese día
en tu amor confié,
el cielo en tus ojos
me habló de alegrías,
me habló de ternuras
me dió valentías,
el cielo en tus ojos
rehizo mi ser.

Francisco Bohigas, El cielo en tus ojos
El cielo en tus ojos 1941-10-03 – Orquesta Carlos Di Sarli con .

Le ciel dans tes yeux, je l’ai vu ma bien-aimée, et à partir de ce jour-là j’ai fait confiance en ton amour, le ciel dans tes yeux m’a parlé de joie, il m’a parlé de tendresse, il m’a donné du courage, le ciel dans tes yeux a refait mon être.

Pour d’autres, comme Homero Expósito, les yeux fussent-il couleur de ciel, ne suffisent pas à le retenir auprès de la femme :

Eran sus ojos de cielo
el ancla más linda
que ataba mis sueños;
era mi amor, pero un día
se fue de mis cosas
y entró a ser recuerdo.

Qué me van a hablar de amorHomero Expósito
Qué me van a hablar de amor 1946-07-11 – Orquesta Aníbal Troilo con Floreal Ruiz

Ses yeux de ciel étaient l’ancre la plus belle qui liait mes rêves ; elle était mon amour, mais un jour, elle s’en fut de mes affaires et est devenue un souvenir.

Les autres couleurs d’yeux et en particulier les noirs

Je n’ai évoqué que très brièvement, les yeux bleus, couleur apportée par les colons européens, notamment Italiens, Français et d’Europe de l’Est, mais il y a des textes sur toutes les couleurs, même si les yeux noirs sont sans doute majoritaires…

  • Tus ojos de trigo (blé) dans Tu casa ya no está de Virgilio et son frère Homero Expósito, valse enregistrée par Osvaldo Pugliese avec Roberto Chanel en 1944.
  • Ojos verdes (tango par Juan Canaro) et vals par Humberto Canaro Letra: Alfredo Defilpo (superbe dans son interprétation par Francisco Canaro et Francisco Amor, ainsi qu’une autre valse par Manuel López, Quiroga Miquel Letra: Salvador Federico Valverde; Rafael de León; Arias de Saavedra.
  • Tus ojos de azúcar quemada (sucre brûlé) de Pedacito de Cielo de Homero Expósito, valse enregistrée par divers orchestres dont Troilo avec Fiorentino en 1942.
    Et la longue liste des yeux noirs, rien que dans le titre…
  • Dos ojos negros de Letra: Diego Arzeno
    Ojos negros d’après un air russe repris par Vicente Greco et des paroles de José Arolas (frère aîné de Eduardo) et d’autres de Pedro Numa Córdoba, mais aussi par (musique et paroles)
  • Ojos negros que fascinan de Manuel Salina Letra: Florián Rey.
  • Muchachita de ojos negro de Tito Insausti
  • Por unos ojos negros de José Dames Letra: Horacio Sanguinetti.
  • Tus ojos negros (valse) de Osvaldo Adriani (parolier inconnu)
  • Yo vendo unos ojos negros de Pablo Ara Lucena très connu dans l’interprétation de Mercedes Simone con Juan Carlos Cambon y Su Orquesta mais qui est tiré d’une tonada chilena (chanson chilienne) dont une belle version a été enregistrée par Moreyra – Canale y su Conjunto Criollo avec des arrangements de Félix Villa.

Et un petit coup d’œil aux origines du tango

Ces histoires d’yeux m’ont fait penser à l’œil noir de Carmen, la reine de la habanera de Georges Bizet (Un œil noir te regarde…).
Mais non, je ne me suis pas perdu loin du tango. Bizet a écrit Carmen pour flatter la femme de Napoléon III d’origine espagnole (Eugenia de Montijo, Guzman). Dans son opéra, il y a une célèbre habanera (Près des remparts de Séville), rythme qui est fréquent dans les anciens tangos, les milongas et la musique de Piazzolla, car ne l’oublions pas, le premier tango est d’origine espagnole.

Georges Bizet – Carmen : «  L’amour est un oiseau rebelle » sur un rythme de habanera. 2010 – Elina Garanca – Metropolitan Opera de New York Direction, Yannick Nézet-Séguin.

Le tango est en effet né dans les théâtres et pas dans les bordels et son inspiration est andalouse.
La zarzuela (sorte d’opéra du sud de l’ mêlant chant, jeu d’acteur et danse) comportait différents rythmes dont la séguedille (que l’on retrouve dans Carmen dans Près des remparts de Séville) et la habanera. Les musiciens, qu’ils soient français ou espagnols, connaissaient donc ces musiques.
En 1857 pour le spectacle (une sorte de zarzuela) El gaucho de Buenos Aires O todos rabian por casarse de Estanislao del Campo, , un musicien espagnol a écrit Tomá mate, che. Nous n’avons évidemment pas d’enregistrement de l’époque, mais il y en a deux de 1951 qui reprennent la musique avec des adaptations et un titre légèrement différent. Je vous les propose :

Tomá mate, tomá mate 1951-05-18 – Orquesta Francisco Canaro con Arenas.
Tomá mate, tomá mate 1951-10-15 – y su orquesta de la argentinidad con Rodolfo Florio y .

Évidemment, presque un siècle après l’écriture, il est certain que les arrangements de Canaro ont modifié la composition originale, mais je suis content de vous avoir présenté le tango au berceau.

D’autres candidats comme Bartolo tenía una fluta, dont on n’a, semble-t-il, pas de trace, mais qui est évoqué dans un certain nombre de titres comme Bartolo toca la flauta () Che Bartolo (tango) ou La flauta de Bartolo (milonga) l’ont suivi.
Je citerai également El queco (bordel en lunfardo d’origine quechua) de la pianiste andalouse Heloise de Silva et dont le titre originel était Kico (diminutif de Francisco. Le clarinettiste Lino Galeano l’a adapté à l’air du temps en changeant Kico pour Queco, avec des paroles vulgaires. Le titre originel invitait Kico à danser, le nouveau texte est bien moins élégant, l’invitation n’est pas à danser. On arrive donc au bordel, mais on est en 1874. Quoi qu’il en soit, Queco a obtenu du succès et fut l’un des tout premiers tangos à être largement diffusé et qui confirme les origines andalouses du tango.
Je n’oublie pas l’origine « candombéenne », on reparlera un jour de El Negro Schicoba composé en 1866 par José María Palazuelos et interprété pour la première fois par Germán Mackay avec ses paroles le 24 mai 1867.

À suivre.

À demain, les amis !

Y todavía te quiero 1956-06-21 – Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel

Luciano Leocata Letra: Abel Mariano Aznar

Voici le type même du tango qui rendait fou Jorge Luis Borges. Du sentimental à haute dose, pour lui qui ne voyait dans le tango que des affaires de compadritos, des histoires d’hommes virils dans les zones interlopes des bas quartiers de Buenos Aires. Il vouait une haine féroce à Gardel, l’accusant d’avoir dénaturé le tango en le rendant niais. Mais comme le mal est fait, plongeons-nous avec délice, ou horreur, dans la guimauve du sentimentalisme.

Extrait musical

Y todavía te quiero 1956-06-21 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel
Partition des éditions Julio Korn avec Pacheco en couverture.

Paroles

C’est le genre de tango où les Argentins s’exclament « ¡Que letra, por Dios! »

Cada vez que te tengo en mis brazos,
que miro tus ojos, que escucho tu voz,
y que pienso en mi vida en pedazos
el pago de todo lo que hago por vos,
me pregunto: ¿por qué no termino
con tanta amargura, con tanto dolor?…
Si a tu lado no tengo destino…
¿Por qué no me arranco del pecho este amor?

¿Por qué…
sí mentís una vez,
sí mentís otra vez
y volvés a mentir?…

¿Por qué…
yo te vuelvo a abrazar,
yo te vuelvo a besar
aunque me hagas sufrir?

Yo sé
que es tu amor una herida,
que es la cruz de mi vida,
y mi perdición…

¿Por qué
me atormento por vos
y mi angustia por vos
es peor cada vez?…

¿Y por qué,
con el alma en pedazos,
me abrazo a tus brazos,
si no me querés ?

Yo no puedo vivir como vivo…
Lo sé, lo comprendo con toda razón,
sí a tu lado tan sólo recibo
la amarga caricia de tu compasión…

Sin embargo… ¿Por qué yo no grito
que es toda mentira, mentira tu amor
y por qué de tu amor necesito,
sí en él sólo encuentro martirio y dolor?

Luciano Leocata Letra: Abel Mariano Aznar

Traduction libre et indications

Chaque fois que je te tiens dans mes bras, que je regarde tes yeux, que j’écoute ta voix, et que je pense à ma vie en miettes, au prix de tout ce que je fais pour toi, je me demande :
Pourquoi je n’arrête pas avec tant d’amertume, avec tant de douleur ?…
Si à tes côtés, je n’ai pas d’avenir…
Pourquoi est-ce que je n’arrache pas cet amour de ma poitrine ?
Pourquoi…
si vous mentez une fois, si vous mentez encore recommencez à mentir ?… (là, on passe au vouvoiement, ce qui n’est pas habituel en Argentine. Est-ce une façon de prendre ses distances ?).
Pourquoi…
Je te reprends dans mes bras, je t’embrasse à nouveau bien que tu me fasses souffrir ?
Je sais que ton amour est une blessure, qu’il est la croix de ma vie, et ma perte…
Pourquoi est-ce que je me tourmente pour toi et que mon angoisse pour toi est pire chaque fois ?…
Et pourquoi, avec mon âme en morceaux, je me serre dans tes bras, si tu ne m’aimes pas ?
Je ne peux pas vivre comme je vis… je le sais, je le comprends avec toute ma raison, si je ne reçois à tes côtés que l’amère caresse de ta compassion…
Cependant… Pourquoi je ne crie pas que tout est mensonge, mensonge ton amour et pourquoi ai-je besoin de ton amour, si je n’y trouve que le martyre et la douleur ?

Autres versions

L’année de la sortie de ce titre, en 1956 le fut immense et tous les orchestres ayant une fibre sentimentale, ou pas, ont essayé de l’enregistrer. Pas moins de 11 enregistrements en cette année 1956, sans doute un record pour un titre.
Prenez votre mouchoir, on retourne en 1956, année romantique.

Y todavía te quiero 1956 — Héctor Pacheco y su Orquesta dir. por Carlos García. Avec les clochettes du début, une version kitch à souhait.

C’est peut-être la première version, car il travailla étroitement avec Leocata à partir de cette époque. On trouve également son portrait sur la partition éditée par Julio Korn.

Y todavía te quiero 1956-02-17 – Orquesta Argentino Galván con Jorge Casal.

Jorge Casal est aussi un bon candidat pour être le premier, pour les mêmes raisons que Pacheco, sauf la photo sur la partition.

Y todavía te quiero 1956-03-22 – «  » dir. Aquiles Roggero con Horacio Casares
Y todavía te quiero 1956-05-18 – Orquesta Alfredo De Angelis con Oscar Larroca
Y todavía te quiero 1956-06-11 – Orquesta José Basso con
Y todavía te quiero 1956-06-21 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel. C’est notre .
Y todavía te quiero 1956-06-29 – Orquesta Domingo Federico con Armando Moreno
Y todavía te quiero 1956-07-24 – Orquesta con Rodolfo Lesica
Y todavía te quiero 1956-07-25 – Alberto Morán con acomp. de Orquesta dir. Armando Cupo
Y todavía te quiero 1956-10-19 – Orquesta con Roberto Florio
Y todavía te quiero 1956-12-10 — Orquesta Juan D’Arienzo con

Et un enregistrement qui a raté la fenêtre en arrivant l’année suivante…

Y todavía te quiero 1957 — Los Señores Del Tango con

Par la suite, d’autres orchestres ont enregistré, mais je vous propose pour terminer et les encourager Los Caballeros del Tango qui est un orchestre de jeunes Colombiens. La chanteuse est Nathalie Giraldo (Nagica).

Los Caballeros del Tango interprètent Y todavia te quiero (2022).

Cela fait plaisir de voir que la génération Z continue de s’intéresser au tango. Attendons qu’ils prennent un peu d’assurance pour qu’ils assurent la relève.

Histoire de « Y »

Non, je ne vais pas vous parler de la génération Y, celle qui a succédé aux X, V Baby-boomers, mais plutôt de la lettre Y qui précède le titre de ce tango. Y en espagnol, c’est et. En voici l’histoire, telle qu’on la raconte généralement dans le petit monde du tango.

La SADAIC est l’organisme qui enregistre les morceaux de musique en Argentine et qui distribue les droits d’auteurs en fonction des mérites respectifs de chacun des auteurs (je sais, c’est purement théorique ; —).
Donc, quand Luciano Leocota a voulu déposer la musique du tango « Volvemos a querernos » le 13 mai 1948, il n’a pas pu le faire, car ce titre était déjà pris.
J’ai voulu savoir quel était ce Volvemos a querernos initial. J’ai donc consulté le registre de la SADAIC et il y a bien deux musiques avec un titre proche. Mais la surprise est à venir :

Sous le numéro 333294, on trouve une œuvre enregistrée en 1988, soit 40 ans après la soi-disant date de collision des titres.

Registrada el 01/12/1988
T | VOLVAMOS A QUERERNOS OTRA
SANCHEZ NESTOR FERNANDO / BELLATO MARIA GABRIELA

On notera que le titre est VolvAmos a querernos et pas VolvEmos a querernos.
Mais il y a une deuxième surprise lorsque l’on vérifie l’enregistrement du tango déposé par Leocota et Aznar :

4772 | ISWC T0370051196
Registrada el 13/05/1948
T | Y VOLVEMOS A QUERERNOS (C’est le titre que nous connaissons)
S | VOLVAMOS A QUERERNOS (Avec VolvAmos), le sous-titre apporte une autre variante.
S | CHANTER LEOCATA AZNAR
S | Y VOLVAMOS A QUERERNOS LEOCATA AZ
AZNAR MARIANO ABEL
LEOCATA LUCIANO

Il se peut donc que ce titre ait été enregistré ailleurs qu’en Argentine et je me suis tourné vers Leo Marini, un chanteur Argentin parti en 1950 à Cuba, Che. Justement, celui-ci a enregistré un boléro nommé « Volvamos a querernos ». Je le propose donc comme candidat pour la collision.
Cependant, j’ai un autre candidat…
Il s’agit de Y no te voy a llorar.

1200 | ISWC T0370013629
Registrada el 16/03/1948
T | NO TE VOY A LLORAR
CALO MIGUEL/NIEVAS ROBERTO HIGINIO

L’intrus est dans ce cas une composition de Miguel Calo déposée en mars.

# 28897 | ISWC T0370310761
Registrada el 31/08/1953
T | Y NO TE VOY A LLORAR
S | NO TE VOY A LLORAR
AZNAR MARIANO ABEL
LEOCATA LUCIANO

Ce dépôt est postérieur à celui de Y Volvemos a querernos, et il n’est donc sans doute pas le premier.
Je ne suis pas certain d’avoir trouvé le « gêneur », ni même si cette histoire est vraie. ET vous allez me faire remarquer que je parle d’un tango différent et vous avez tout à fait raison. Je reviens donc au Y.
Si Y Volvemos a querernos est le premier de la série des compositions de Leocata à être précédé d’un Y, beaucoup de ses compositions (environ 1/3) subiront le même sort. C’est devenu sa marque de fabrique.

Œuvres avec enregistrement disponible

  • Y volvemos a querernos 1949 (déposé à la SADAIC le 13 mai 1948)
  • Y mientes todavía 1950 (Déposé à la SADAIC le 23 octobre 1950)
  • Y no te voy a llorar 1953 (déposé à la SADAIC le 16 mars 1948) avec la collision de noms avec un titre de Miguel Calo).
  • Y todavía te quiero 1956 (notre titre du jour, déposé à la SADAIC le 18 janvier 1956). Il y a 22 thèmes avec un titre similaire, voire exactement le même. La règle de ne pas avoir deux œuvres du même nom semble avoir sauté… Le plus ancien semble être notre tango, car si plusieurs enregistrements ne sont pas datés, celui-ci a le numéro le plus petit.
  • Y te tengo que esperar 1957 (déposé à la SADAIC le 8 mars 1957)

Œuvres probablement sans enregistrement disponible.

  • Y a mi me gusta el tango (déposé à la SADAIC le 19 mai 1981)
  • Y deshojando el tiempo (déposé à la SADAIC le 13/03/1992)
  • Y el invierno queda atrás (déposé à la SADAIC le 8 juillet 2003)
  • Y esperando tu regreso (déposé à la SADAIC le 20 octobre 2005)
  • Y estás desesperado (déposé à la SADAIC le 6 novembre 1978)
  • Y este es el amor (déposé à la SADAIC le 15 décembre 1995)
  • Y fue en aquel mes de mayo (déposé à la SADAIC le 18 mars 1998)
  • Y fue tan solo por amor (déposé à la SADAIC le 14 mars 1990)
  • Y fue un sueño imposible (déposé à la SADAIC le 6 avril 1976)
  • Y hoy vuelvo a revivir (déposé à la SADAIC le 17 novembre 1989)
  • Y la quise con locura (déposé à la SADAIC le 17 septembre 1981)
  • Y la vida sigue igual (déposé à la SADAIC le 27 mai 2002)
  • Y le canto a mi ciudad (déposé à la SADAIC le 8 avril 1991)
  • Y mentira fue tu amor (déposé à la SADAIC le 6 mai 1971)
  • Y no fue sin querer (déposé à la SADAIC le 22 mai 1989)
  • Y no me cuentes tu tristeza (déposé à la SADAIC le 1er août 1984)
  • Y no pudieron separarnos. Ce titre mentionné par Anamaria Blasseti n’est pas dans le listing de la SADAIC. J’ai vérifié les œuvres déposées par le co-auteur mentionné, Félix Arena (Rosario), la seule œuvre avec Y est Y mentira fue tu amor de 1971 et aucune autre de ses productions a un titre approchant.
  • Y no puedo vivir sin vos (déposé à la SADAIC le 27 mai 2002)
  • Y no te creo (déposé à la SADAIC le 17 mai 1955)
  • Y para qué seguir fingiendo (déposé à la SADAIC le 15 décembre 1993)
  • Y pretendes que empecemos otra vez (déposé à la SADAIC le 24 février 1982)
  • Y quiero estar a tu lado (déposé à la SADAIC le 27 mai 2002)
  • Y quiero que vuelvas a mí (déposé à la SADAIC le 14 mars 1990)
  • Y rogaré por vos (déposé à la SADAIC le 6 février 1975)
  • Y te acordás que fue una tarde (déposé à la SADAIC le 27 mai 2002)
  • Y te deje partir (déposé à la SADAIC le 19 avril 2005)
  • Y todo es mentira (déposé à la SADAIC le31 janvier 1958)
  • Y uniremos nuestro amor (déposé à la SADAIC le 27 mai 2002)
  • Y vivamos nuestro carnaval (déposé à la SADAIC le 15 décembre 1980)
  • Y vuelvo a ser felix (déposé à la SADAIC le 27 mai 2002)
  • Y yo tenía (déposé à la SADAIC le 27 mai 2002)

Cela fait une belle liste. À ma connaissance, seuls les titres où j’ai indiqué la date ont été enregistrés (j’ai mentionné la date du plus ancien enregistrement connu).

À demain, les amis !

Después del carnaval 1941-06-19 Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz

José Antonio Amunchástegui Keen (Paroles et musique)

Emportée par la foule, la célèbre chanson d’Edith Piaf pourrait être la sœur de notre tango du jour. Les deux nous comptent un amour éphémère, séparé par la foule dans le cas d’Edith et par le cortège de Carnaval dans celui de Ricardo Ruiz. Le carnaval était au vingtième siècle un événement pour les orchestres de tango.

Extrait musical

Después del carnaval 1941-06-19 Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz

Paroles

Se fueron las horas
de algarabía
que Momo brindara
con alegría…
Callaron las risas
de Colombina…
Pierrot agoniza
entre serpertinas.
Murió carnaval y su cortejo
de alegre y loca bullanguería….
Cornetas y gritos se escuchan lejos,
vibrando las almas, al recordar…

Recordé que una noche
el amor me brindó
dos labios plenos de pasión
y ardor….
Fue una noche que
lloraban los violines
un triste vals de
promesas olvidadas…
mientras la luna plateaba los jardines
un beso ardiente en la noche palpitó.

Mas el encanto
de aquellas horas,
al morir Momo
se diluyó.
Y con mi dolor
a solas
lloré la muerte
de mi ilusión.

Hoy solo escucho
los tristes ecos
de aquella alegría
y de aquel beso…
Mientras en las calles
las serpertinas
en llamas de fuego
se ven quemar!
Y entre cenizas carnavalescas
aún quedan ardientes mis ilusiones…
mi ensueño, el beso y las promesas
prendieron la llama, ¡de aquel soñar!…

Mas no fue solo un sueño
de amor que brilló;
trajo también el placer
dolor…
Pues la ilusión también
dejó su huella triste,
al ausentarse entre el
cortejo que marchaba…
llevándose con su alegre mascarada
mi último sueño de amor que allí tejí…

Pues ya soñaba, que fuera eterna
la breve dicha, que ayer viví…
Y con mi pesar, yo ruego
que vuelva pronto otro Carnaval.

José Antonio Amunchástegui Keen (Paroles et musique)

libre et indications

Les heures de vacarme où le Roi Momo trinquait avec joie sont révolues. (La algarabía, c’est le bruit que l’on entend entre les morceaux dans les milongas de , quand les gens parlent tous en même temps, c’est le brouhaha. Le Roi Momo était la figure emblématique du carnaval, inspiré du Dieu Momos ou Momus des Grecs anciens, repris par les Romains dans leurs saturnales. Le carnaval a été diffusé en Amérique du Sud, avec le que l’on sait, notamment en Colombie et au Brésil. En Argentine, et Uruguay, le carnaval est également un élément important de l’année et cela depuis le début du vingtième siècle.)
Les rires de Colombine se sont tus…
Pierrot agonise au milieu des serpentins.
Carnaval est mort (Le Roi Momo, comme le Bonhomme Carnaval en France, termine généralement assez mal, noyé, brûlé…) et son cortège de bruit joyeux et fou tintamarre (bullanguería est un synonyme de algarabía)
Des cornets (comme ceux du tranvia, tramway) et des cris se font entendre au loin, faisant frissonner les âmes au souvenir…
Je me suis souvenu qu’une nuit l’amour m’a donné deux lèvres pleines de passion et d’ardeur… C’était une nuit où les violons pleuraient, une triste valse de promesses oubliées… Alors que la lune argentait les jardins, un baiser ardent dans la nuit palpitait.
Mais le charme de ces heures, où Momo mourut, se dilua. Et avec ma seule douleur, j’ai pleuré la mort de mon illusion (illusion est comme toujours un sentiment d’amour).
Aujourd’hui, je n’entends que les tristes échos de cette joie et de ce baiser…
Alors que dans les rues, on voit brûler les serpentins en flammes de feu et parmi les cendres carnavalesques, mes illusions brûlent encore… Mon rêve, le baiser et les promesses ont allumé la flamme de ce rêve…
Mais ce n’était pas seulement un rêve d’amour qui brillait, il apportait aussi du plaisir et de la douleur.
Puis, l’illusion a aussi laissé son empreinte triste, lorsqu’elle s’est éclipsée entre le cortège en marche… emportant avec sa joyeuse mascarade mon dernier rêve d’amour que j’y ai tissé…
Enfin, j’avais déjà rêvé que ce bref bonheur que j’ai vécu hier serait éternel… Et avec mon regret, je prie pour que revienne bientôt un autre carnaval.

Carnaval

Quand on pense, Amérique du Sud et Carnaval, c’est bien sûr Rio de Janeiro qui a la vedette. Mais en fait, les colons européens ont apporté le carnaval dans toute l’Amérique du Sud et l’Argentine et l’Uruguay l’ont également adopté, au début du vingtième siècle. Les percussions de la murga font un fond sonore puissant, mais la danse étant au programme, les orchestres sont mobilisés et plusieurs orchestres se sont formés pour ces occasions, de façon éphémère ou plus durable. Hier, nous avons vu l’orchestre Firpo-Canaro qui avait animé le carnaval à Rosario, il y en a beaucoup d’autres, comme Polito-D’Arienzo pour le carnaval de 1929 ou le Greco-Canaro pour les carnavals de 1914 – 1915.
On se souviendra aussi de Alfredo Bigeschi qui écrivit son premier tango pour le carnaval de la Boca.

Mural de Benito Quinquela Martín Le carnaval de la Boca — 1936.
Le carnaval de la Boca. La bande «  ».

La bande « Juventud Bar Oriente » est née à la fin de 1952 (comme en témoigne son étendard). Elle représentait son quartier. Cette bande s’était organisée en club social et avait son siège près de la bombonera, le stade de Boca Junior.

Un film que nous avons déjà évoqué Carnaval de Antaño (1940), présente des images reconstituant le carnaval de 1912.

Carnaval de antaño. Reconstitution du carnaval de 1912 — Les chars, les défilés et un bal dans le film de , Carnaval de Antaño (1940).
À partir de 1936, Canaro inaugure les bals au Luna Park, la grande salle de spectacle de Buenos Aires. Sur cette image, on peut voir la propagande pour Coca Cola et la quantité incroyable de danseurs sur la piste.

Dans ses mémoires, Canaro cite ses différentes prestations pour des carnavals, de Rosario à Montevideo en passant par Buenos Aires. L’apothéose est sans doute constituée par les bals géants qu’il animait au Luna Park.

Autres versions

Después del carnaval 1941-06-19 Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz. C’est notre tango du jour. La version la plus diffusée en Europe.
Después del carnaval 1958-05-28 — Orquesta con Floreal Ruiz.

Avec un autre Ruiz qui n’est pas le frère du premier. En effet, les deux frères de Floreal s’appellaient, Fraternidad et Libertario. Voilà ce que c’est que d’avoir un père anarchiste…

Después de carnaval 1958-08-20 — Héctor Pacheco y su Orquesta dir. por .

Hector Pacheco l’enregistre avec son orchestre. C’est bien sûr une version à écouter. On notera que le titre est ; Después de carnaval et non pas Después del carnaval comme dans toutes les autres versions.

Después del carnaval 1959-01-12 Orquesta Osvaldo Fresedo con Hugo Marcel.

Fresedo nous propose une version très différente où les bandonéons staccatos contrastent avec les violons legatos. Ce Fresedo tardif comporte cependant des fioritures qui n’ont pas bien vieilli et l’on se contentera, pour nos milongas, de la version de 1941.

En 1986, José Basso enregistre de nouveau ce titre avec Eduardo Borda y . Je vous propose ici une version télévisée.

José Basso con Eduardo Borda y Quique Ojeda dans Después del carnaval.

 On n’est pas dans la danse, mais en 1986, c’était à peine le début du renouveau du tango dansé à Buenos Aires.

Deux versions par Di Paulo

Después del carnaval – Orquesta V1.
Después del carnaval – Orquesta Alberto di Paulo V2.

Pour nous réconcilier avec la danse, une version contemporaine, par le Sexteto .

Despues del carnaval — Sexteto Cristal con Guillermo Rozenthuler.

Ce sexteto a le mérite de ressortir des titres un peu oubliés malgré leur qualité. Il garde les arrangements d’origine, ici, ceux de Fresedo avec Ruiz. Le résultat est donc tout à fait dansable, bien plus que les derniers titres de ma petite liste…

À demain, les amis !

Un placer 1936-04-03 — Orquesta Juan D’Arienzo con Walter Cabral

Vicente Romeo Letra : Juan Andrés Caruso

Aujourd’hui, une valse pour déclarer son amour à une jolie femme. Pour cela, quatre hommes se sont attelés à la tâche, Vicente Romeo, Juan Andrés Caruso, Juan d’Arienzo et Walter Cabral. Nous appellerons également à la rescousse, d’autres grands du tango pour vous donner les arguments nécessaires pour séduire une femme papillon.

Avec D’Arienzo à la baguette et Biagi, on a l’assurance d’avoir une valse dansable.
En, ce qui concerne le chanteur, Walter Obdulio Cabral (27/10/1917 – 1993), celui collaborera un peu plus d’un an avec D’Arienzo, le temps d’enregistrer trois valses : , et et une milonga orpheline Silueta Porteña.

Extrait musical

Un placer 1936-04-03 — Orquesta Juan D’Arienzo con Walter Cabral.

Je vous laisse l’écouter. On en reparlera en comparaison avec les autres versions de ce titre.

Les paroles

Linda mariposa
tú eres mi alegría
y tus colores de rosa
te hacen tan hermosa
que en el alma mía
tu imagen quedó.

Por eso a tu reja
hoy vengo a cantarte,
para decirte, mi diosa,
que eres muy hermosa
y no puedo olvidarte
que antes de dejarte
prefiero la muerte
que sólo con verte
es para mí un placer.

Sin tu amor ya no puedo vivir.
¡Oh! ven pronto no me hagas penar.
De tus labios yo quiero sentir
el placer que se siente al besar.
Y por eso en mi canto te ruego
que apagues el fuego
que hay dentro de mí.

Oye amada mía
tuyo es mi querer,
que tuya es el alma mía
toda mi poesía
mis alegres días,
hermosa mujer.

Sale a tu ventana
que quiero admirarte.
Sale mi rosa temprana,
hermosa galana,
que yo quiero hablarte
y quiero robarte
tu querer que es santo
porque te amo tanto
que no puedo más.

Y si el destino
de ti me separa
nunca podre ser feliz
y antes prefiero morir.
Porque tu cariño
es mi vida entera.
Tú has de ser la postrera,
la dulce compañera que ayer soñé.

Vicente Romeo Letra : Juan Andrés Caruso

Traduction libre

Joli papillon, tu es ma joie et tes couleurs de rose te rendent si belle que dans mon âme ton image est restée.


C’est pourquoi à ta grille, aujourd’hui je viens chanter, pour te dire, ma déesse, que tu es très belle, que je ne peux pas t’oublier et que plutôt que de te quitter je préfère la mort. Que rien que te voir est un plaisir pour moi.

Sans ton amour, je ne peux pas vivre. Oh ! Viens vite, ne me fais pas de peine. De tes lèvres, je veux sentir le plaisir que l’on ressent en embrassant et c’est pourquoi dans ma chanson je te supplie que tu éteignes le feu qu’il y a en moi.

Entend ma bien-aimée, que tu es mon désir, mon âme est tienne, toute ma poésie, mes jours heureux ; merveilleuse femme.

Sort à ta fenêtre que je veux t’admirer. Sors ma rose précoce, belle galante, car je veux te parler et te voler ton amour qui est saint parce que je t’aime tant que je n’en peux plus.

Et si le destin me séparait de toi, je ne pourrais jamais être heureux et préférerais mourir. Parce que ta tendresse est toute ma vie. Tu seras la dernière, la douce compagne dont j’ai rêvé hier.

Autres versions

Un placer 1931-04-23 — Orquesta Juan Maglio Pacho.

Un tempo très lent, qui peut déstabiliser certains . C’est une version instrumentale, avec sans doute un peu de monotonie malgré des variations de rythme. Pour ma part, j’éviterai de la proposer à mes danseurs.

Un placer 1933-04-11 — Orquesta Típica Los Provincianos (dir. Ciriaco Ortiz) con Carlos Lafuente.

Avec la voix un peu aigre de Carlos Lafuente, mais un joli orchestre pour une valse entraînante. La fin donne l’impression d’accélération, ce qui ravit en général les danseurs, surtout en fin de tanda. On est clairement monté d’un cran dans le plaisir de la danse avec cette version. L’orchestre est Los provincianos, mais il s’agit d’un orchestre Victor dirigé par Ciriaco Ortiz. Ce qui fait que vous pouvez trouver le même sous les trois formes : Los Provincianos, Típica Victor ou Ciriaco Ortiz, voire un mixage des trois, mais tout cela se réfère à cet enregistrement du 11 avril 1933.

Un placer 1936-04-03 — Orquesta Juan D’Arienzo con Walter Cabral. C’est le .

La voix de Walter Cabral rappelle celle de Carlos Lafuente, une voix de ténor un peu nasillarde, mais comme dans le cas de Lafuente, ce n’est pas si gênant, car ce n’est que pour une petite partie de la valse. L’impression d’accélération ressentie avec la version de Ciriaco Ortiz est présente, mais c’est une constante chez d’Arienzo. BIagi qui a intégré l’orchestre il y a cinq mois est relativement discret. Il se détache sur quelques ponctuations lâchées sur les temps de respiration de l’orchestre. Il n’a pas encore complètement trouvé sa place, place qui lui coûtera la sienne deux ans plus tard…

Un placer 1942-06-12 — Orquesta Aníbal Troilo.

Ici pas de voix aigre ou nasillarde, les parties sont chantées par les violons, ou par le chœur des instruments, avec bien sûr le dernier mot au bandonéon de Troilo qui termine divinement cette version élégante et dansante.

Un placer 1949-02 — Francisco Lauro con su Sexteto y Argentino Olivier.

Une version un peu faible à mon goût. Le sexteto manque de présence et Argentino Olivier, déroule les paroles, sans provoquer une émotion irrépressible. Une version que je ne recommanderai pas, mais qui a son intérêt historique et qui après tout peut avoir ses fanatiques.

Un placer 1949-08-04 — Orquesta José Basso con Francisco Fiorentino y Ricardo Ruiz.

Une version très jolie, avec piano, violons et bandonéons expressifs. L’originalité est la prestation en Duo, de deux magnifiques chanteurs, Francisco Fiorentino y Ricardo Ruiz. On peut ressentir un léger étonnement en écoutant les paroles, les deux semblent se répondre. C’est une jolie version, mais peut-être pas la première à proposer en milonga.

Un placer 1954 — Cuarteto Troilo-Grela.

Une magnifique version dans le dialogue entre le bandonéon et la guitare. La musique est riche en . Le bandonéon démarre tristement, puis la guitare donne le rythme de la valse et le bandonéon alternent des moments où les notes sont piquées à la main droite, et d’autres où le plein jeu de la main gauche donne du corps à sa musique. À 1 : 30 et 1 : 50, à 2 : 02, le bandonéon s’estompe, comme s’il s’éloignait. À 2 : 10, la réverbération du bandonéon peut être causée par un éloignement physique important du bandonéon par rapport au microphone, ou bien à un ajout ponctuel de réverbération sur ce passage. Je ne suis pas sûr que cet artifice provoqué par l’enregistrement apporte beaucoup au jeu de Troilo. Il faut toutefois pardonner à l’ingénieur du son de l’époque. C’est le début d’une nouvelle ère technique et il a sans doute eu envie de jouer avec les boutons…

Un placer 1958-10-07 — Orquesta José Basso con Alfredo Belusi y Floreal Ruiz.

José Basso refait le coup du duo, mais cette fois avec Alfredo Belusi et Ricardo Ruiz. À mon avis, cela fonctionne moins bien que la version de 1949.

Un placer 1979 — .

Pour terminer, une version assez originale, dès l’introduction. Je vous laisse la découvrir. Étant limité à 1 Mo par morceau sur le site, vous ne pouvez pas entendre la vraiment exagérée de ce morceau, car tous les titres sont passés en basse qualité et en mono pour tenir dans la limite de 1 Mo. C’est une peine pour moi, car la musique que j’utilise en milonga demande entre 30 et 60 Mo par morceau… Sur la stéréo en milonga, c’est à limiter, surtout avec des titres comme celui-ci, car les danseurs auraient d’un côté de la salle un instrument et de l’autre un autre. Donc, si j’ai un titre de ce type à passer (c’est fréquent dans les démos), je limite l’effet stéréo en réglant le panoramique proche du centre. Une salle de bal n’est pas un auditorium…

Mini tanda en cadeau

Cabral n’a enregistré que trois valses avec D’Arienzo. Je vous propose d’écouter et surtout danser cette mini tanda de seulement trois titres. Peut-être apprécierez-vous à la fin de la tanda la voix un peu surprenante de Cabral.

Cerise sur la tanda. Pardon, le gâteau, les trois titres forment une histoire. Il découvre son amour, elle s’appelle Irene et… Ça se termine mal…

Un placer 1936-04-03 — Orquesta Juan D’Arienzo con Walter Cabral. C’est le tango du jour.
Irene 1936-06-09 – Orquesta Juan D’Arienzo con Walter Cabral
Tu olvido 1936-05-08 — Orquesta Juan D’Arienzo con Walter Cabral

Vida y obra de Walter Cabral

Vous pourrez trouver sur ce site, une biographie complète de ce chanteur.

Tormenta 1939-03-28 — Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá

Enrique Santos Discépolo (musique et paroles)

Le 28 mars est un bon jour pour les enregistrements de tango et le choix a été difficile. Je vous propose interprété par Canaro et Famá, car son texte est d’une grande actualité avec ce qui se passe actuellement en Argentine, les riches toujours plus riches et les pauvres mourant de faim. En prime, une version de Tormenta que vous n’avez jamais entendue tellement elle est inattendue…

et Ernesto Famá

Francisco Canaro a enregistré plus de 235 titres avec Ernesto Famá entre 1930 et 1941:
125 tangos, 37 valses, 13 milongas, et 60 rythmes jazz ou folkloriques (Corrido porteño, , Marches, Pasodobles, Polcas, Rancheras et même des airs militaires).
Ce mardi 28 mars 1939, Canaro et Famá ont enregistré beaucoup de titres :

  • Qué importa ! de Ricardo Tanturi (Ricardo Luis Tanturi) Letra : Juan Carlos Thorry (José Antonio Torrontegui)
  • Tormenta de Enrique Santos Discépolo (musique et paroles)
  • Vanidad de Gerardo Hernán Matos Rodríguez Letra: Washington Montreal
  • (Vals) de Letre : Enrique Cadícamo
  • Tra-la-la (Vals) de Luis Teisseire ; Germán Rogelio Teisseire Letra : Jesús Fernández Blanco

C’est une époque chargée pour ces deux artistes. Famá est clairement le chanteur vedette de Canaro à cette époque, loin devant , puis Roldán et Adrián.

Extrait musical

Tormenta 1939-03-28 — Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá.

Discépolo a fait la musique et écrit les paroles, l’œuvre est donc d’une grande cohérence.
Discépolo l’a écrit pour le film Cuatro corazones (Quatre cœurs), film dont il assure le scénario, la musique et le rôle principal…
Canaro enregistre quelques jours après la sortie du film, dans une version pour la danse, donc réarrangée.

Les paroles

¡Aullando entre relámpagos,
perdido en la tormenta
de mi noche interminable,
¡Dios ! busco tu nombre…
No quiero que tu rayo
me enceguezca entre el horror,
porque preciso luz
para seguir…
¿Lo que aprendí de tu mano
no sirve para vivir ?
Yo siento que mi fe se tambalea,
que la gente mala, vive
¡Dios! mejor que yo…

Si la vida es el infierno
y el honrado vive entre ,
¿cuál es el bien…
del que lucha en nombre tuyo,
limpio, puro?… ¿para qué?…
Si hoy la infamia da el sendero
y el amor mata en tu nombre,
¡Dios!, lo que has besado…
El seguirte es dar ventaja
y el amarte sucumbir al mal.

No quiero abandonarte, yo,
demuestra una vez sola
que el traidor no vive impune,
¡Dios! para besarte…
Enséñame una flor
que haya nacido
del esfuerzo de seguirte,
¡Dios! Para no odiar:
al mundo que me desprecia,
porque no aprendo a robar…
Y entonces de rodillas,
hecho sangre en los guijarros
moriré con vos, ¡feliz, Señor!

Enrique Santos Discépolo (musique et paroles)

Tania chante l’intégralité des paroles dans le disque, seulement une partie dans le film. En gras, la partie chantée par Ernesto Famá.

Traduction libre et indications

Hurlant au milieu des éclairs, perdu dans la tempête de ma nuit interminable,
Dieu ! Je cherche ton nom…
Je ne veux pas que tes éclairs m’aveuglent dans l’horreur, car j’ai besoin de lumière (Ici, « luz » est au masculin et il y a donc un jeu de mots, « luz » en , c’est l’argent. Il faudrait donc plutôt traduire, j’ai besoin d’argent) pour continuer…
Ce que j’ai appris de ta main ne sert-il pas pour vivre ?
Je sens que ma foi chancelle, car les gens mauvais vivent,
Dieu ! Bien mieux que moi…

Si la vie est un enfer et que l’honneur est de vivre dans les larmes, quel est le bénéfice…
de celui qui combat en ton nom, être propre, pur ?… À quoi bon ?…
Si aujourd’hui l’infamie ouvre le chemin et que l’amour tue en ton nom,
Dieu, qu’as-tu embrassé…
Te suivre, c’est laisser l’avantage (aux autres) et t’aimer c’est succomber au malheur.

Je ne veux pas t’abandonner, prouvez une seule fois que le traître ne vit pas impuni,
Dieu ! Pour t’embrasser…
Montrez-moi une fleur qui soit née de l’effort de te suivre,
Dieu ! Pour ne pas haïr :
Le monde qui me méprise, parce que je n’apprends pas à voler…
Et ensuite à genoux, saignant dans les cailloux, je mourrai avec toi ; heureux ; Seigneur !

Autres versions

Pour commencer, une petite surprise à voir jusqu’au bout pour découvrir une version incroyable de Tormenta, à la toute fin de cet extrait…

Tormenta 1939-01-11 — Tania con acomp. de Orquesta. Dans le film « Cuatro corazones » réalisé par Carlos Schlieper et Enrique Santos Discépolo selon le scénario de ce dernier et écrit en collaboration avec Miguel Gómez Bao.
Le film est sorti le 1er mars 1939.
Acteurs : Enrique Santos Discépolo, Gloria Guzmán, Irma Córdoba, Alberto Vila, Eduardo Sandrini et Herminia Franco.
Tormenta 1939-01-11 — Tania con acomp. de Orquesta.

C’est la version disque de la chanson du film. Contrairement au film, la chanson est chantée en entier et il n’y a pas la fin délirante présentée dans le film.

Tormenta 1939-03-28 — Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá. C’est le tango du jour.

Canaro enregistre quelques jours après la sortie du film.

Tormenta 1939-03-30 — Orquesta con Jorge Omar.

Deux jours après Canaro, Lomuto suit le mouvement dans le sillage du film. Il est intéressant de comparer ses arrangements par rapport à ceux de Canaro.

Tormenta 1954-09-08 — Orquesta Carlos Di Sarli con Mario Pomar.

Le seigneur del tango donne 15 ans plus tard sa version. Du grand Di Sarli avec le magnifique Mario Pomar.

Tormenta 1962 — Orquesta con Floreal Ruiz.

On termine avec cette version destinée à l’écoute, comme la première de la liste, celle de Tania.

Bajo el cono azul 1944-02-29 (Tango) Alfredo De Angelis con Floreal Ruiz y glosas de Néstor Rodi

Alfredo De Angelis Letra : Carmelo Volpe

Le cono azul cache une histoire triste, mais vécue par des milliers de jeunes Françaises. du jour Bajo et cono azul a été enregistré par De Angelis et Floreal Ruiz, il y a exactement 80 ans, le 29 février 1944.

Comme il y a peu de 29 février, seulement les années bissextiles, on pouvait craindre qu’il soit difficile de trouver un enregistrement du jour. La richesse des enregistrements de tango, même si ce n’est qu’un faible pourcentage de ce qui a été joué permet de vous présenter cette perle.

Dedico esta nota a mi querida cuñada Marta cuyo cumpleaños es hoy.
Ella tiene suerte (o mala suerte) de cumplir solo cada cuatro años).

La triste histoire de Susú et autres grisettes

La France, et notamment , a été un réservoir inépuisable de femmes pour l’Argentine et notamment Buenos Aires. De beaux Argentins faisaient de belles promesses aux belles Françaises. Ces dernières, à la recherche du soleil (celui du drapeau de Manuel Belgrano ou tout simplement celui du ciel austral), font leur maigre bagage et se retrouvent au sein du rêve portègne.
Las, là, les promesses se changent en trahison et les belles, dans le meilleur des cas deviennent « grisettes », à faire des œuvres de couture, mais beaucoup se retrouvent dans les bordels, à danser et à se livrer à d’autres activités usuelles dans ce genre d’endroit.
On imagine leur détresse. C’est ce qui est arrivé à la Susú de ce tango, comme à tant d’autres qui ont inspiré des dizaines de tangos émouvants.
Le point original de ce tango est que le narrateur connaissait et probablement aimait (il s’interroge sur ce point) Susú à Paris et qu’il l’a suivie quand elle est partie avec son « amour ».
Aujourd’hui, vingt ans et « un amour » plus tard, elle continue de danser, mais elle qui se rêvait papillon, s’est brûlé les ailes à la chaleur de la lumière du projecteur et pleure dans l’ombre du salon où s’écrit jour après jour son malheur.
Écoutons à présent ce thème qui unit Paris et le (le cône du Sud), partie inférieure et triangulaire de l’Amérique latine.

Extrait musical

Bajo el cono azul 1944-02-29 (Tango) – con Floreal Ruiz y glosas de Néstor Rodi.
L’introduction parlée dure 13 secondes…

Un certain nombre de tangos ont été enregistrés avec des paroles dites, généralement en début de musique. C’est le cas de ce tango ou ces glosas dites par Néstor Rodi dévoilent la tristesse du thème.
La musique de De Angelis est rythmée et tonique et la voix de Floreal Ruiz, est également bien marquée. Je ne sais pas si c’est pour cela qu’il a pris le surnom de Carlos Martel. C’était peut-être aussi en hommage au plus fameux des Carlos du tango.

Les paroles

Bajo el cono azul de luz
bailando está Susú
su danza nocturnal…
Sola, en medio del salón
se oprime el
cansada de su mal…
Veinte años y un amor,
y luego la traición
de aquel que amó en París…
¡Mariposa que al querer llegar al sol
sólo encontró
la luz azul de un reflector!…

Bajo el cono azul
envuelta en el tul
gira tu silueta en el salón.
Y yo, desde aquí
como allá, en París,
Sueño igual que ayer, otra ilusión…
No sé si te amé…
Acaso lloré
cuando te alejaste con tu amor…
¡Triste recordar!
¡Sigue tu danzar!…
Yo era sólo un pobre soñador…

Bajo el cono azul de luz
no baila ya Susú
su danza nocturnal…
En las sombras del salón
solloza un corazón
su mal sentimental…
Veinte años y un amor,
que en alas de ilusión
la trajo de París…
¡Mariposa que al querer llegar al sol
sólo encontró
la luz de un reflector! …

Alfredo De Angelis Letra: Carmelo Volpe. La partie en italique n’est pas chantée par Floreal Ruiz. Il reprend pour terminer le refrain à partir de No sé si te amé…

La traduction des paroles

Les paroles sont intéressantes, mais sujettes à erreurs d’interprétation. J’ai donc décidé de faire une traduction en français. Avec la traduction automatique du site, vous l’aurez dans une éventuelle autre langue parmi les 50 possibles.

Sous le cône de lumière bleu, Susu danse sa danse nocturne…
Seule au milieu du salon, le cœur oppressé, fatiguée de son mal…
Vingt ans et un amour, et puis la trahison de celui qu’elle aimait à Paris…
Papillon qui veut atteindre le soleil ne trouve que la lumière bleue d’un projecteur !
(réflecteur, mais pour faire un cône de lumière il vaut mieux un projecteur…)

Sous le cône bleu, enveloppée de tulle, virevolte ta silhouette dans le salon.
Et moi, depuis ici comme là-bas, à Paris, je rêve comme hier, une autre illusion…
Je ne sais pas si je t’aimais…
J’ai peut-être pleuré quand tu es partie avec ton amour…
Triste souvenir !
Continue de danser ! …
Je n’étais qu’un pauvre rêveur…
 
Sous le cône de lumière bleu, Susu ne danse plus sa danse nocturne…
Dans l’ombre du salon un cœur sanglote son mal d’amour…
Vingt ans et un amour, que sur les ailes de l’illusion il l’a amenée de Paris…
Papillon qui veut atteindre le soleil ne rencontre que la lumière d’un projecteur ! …

Autres tangos enregistrés un 29 février

De Angelis a enregistré le même jour Ya sé que siguen hablando avec le chanteur . Le même jour, Floreal ne pouvait donc pas prendre son pseudonyme de Carlos Martel, hein ?

Ya sé que siguen hablando 1944-02-29 – Alfredo De Angelis con Julio Martel. Enregistré le même jour que Bajo el Cono Azul.
Canaro 1956-02-29 – . Une version curieuse, à la fois pour le thème, enregistré pour la première par Canaro en 1915 (on n’est jamais si bien servi que par soi-même). C’est un mélange d’un des styles de Canaro et de Sasone, assez étonnant.
Lagrimas 1956-02-29 Florinda Sasone. Enregistré le même jour, ce tango est plus dans l’esprit pur Sasone avec les dings si caractéristiques qui ponctuent ses interprétations.
De qué podemos hablar 1956-02-29 – Orquesta Carlos Di Sarli con Argentino Ledesma. Ledesma, une des grandes voix du tango. Mais est-ce sa meilleure interprétation, je ne suis pas sûr.
Mala 1956-02-29 (Valse) – Orquesta Carlos Di Sarli con . Enregistré le même jour que De qué podemos hablar. Cette valse n’est pas la plus entraînante, notamment à cause de la prestation de Galé, qui chante magnifiquement, mais pas forcément idéalement pour la danse.
Sous le cône de lumière bleu, Susu ne danse plus sa danse nocturne…
Dans l’ombre du salon un cœur sanglote son mal d’amour…

Ahora voy a tomar mate con yerba que no sea mala y con yuyos de sierras, y después a bailar el chamame qué estoy en la provincia de . Qué la tristeza se va.

Et maintenant, je vais prendre un mate avec de la yerba qui ne soit pas mauvaise et des herbes de montagne. Ensuite, je vais danser le chamamé, car je suis dans la province de Corrientes, pour que la tristesse s’en aille.

El chamamé ya es Patrimonio Cultural Inmaterial de la Humanidad [Le chamame est désormais au Patrimoine Immatériel de l’Humanité (Unesco)]

Yuyo verde 1945-02-28 Orquesta Aníbal Troilo con Floreal Ruiz

Domingo Federico (Domingo Serafín Federico) Letra: Homero Aldo Expósito

Le , Yuyo verde, a été enregistré le 28 février 1945, il y a 79 ans par Aníbal Troilo et Floreal Ruiz. C’est encore un magnifique thème écrit par l’équipe Federico et Expósito, les auteurs de Percal. Le yuyo verde est une herbe verte qui peut être soit une mauvaise herbe, soit une herbe médicinale. Je vous laisse forger votre interprétation à la lecture de cet article.

Extrait musical

Yuyo verde 1945-02-28 Orquesta Aníbal Troilo con Floreal Ruiz

Les paroles

Callejón… callejón…
lejano… lejano…
íbamos perdidos de la mano
bajo un cielo de verano
soñando en vano…
Un farol… un portón…
-igual que en un tango-
y los dos perdidos de la mano
bajo el cielo de verano
que partió…

Déjame que llore crudamente
con el llanto viejo adiós…
adonde el callejón se pierde
brotó ese yuyo verde
del perdón…
Déjame que llore y te recuerde
-trenzas que me anudan al portón-
De tu país ya no se vuelve
ni con el yuyo verde
del perdón…

¿Dónde estás?… ¿Dónde estás?…
¿Adónde te has ido?…
¿Dónde están las plumas de mi nido,
la emoción de haber vivido
y aquel cariño?…
Un farol… un portón…
-igual que un tango-
y este llanto mío entre mis manos
y ese cielo de verano
que partió…

Domingo Federico Letra: Homero Expósito

Autres versions

Ce tango, magnifique a donné lieu à des centaines de versions.

Yuyo verde 1944-09-12 — Orquesta Domingo Federico con . La version originale par l’auteur de la musique. C’est une jolie version.
Yuyo verde (Callejón) 1945-01-24 — Orquesta Rodolfo Biagi con Jorge Ortiz. Un biagi typique, bien énergique. À noter le sous-titre, Callejón, la ruelle, qui commence les paroles en étant chantée deux fois.
Yuyo verde 1945-01-25 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán. Une interprétation de Morán un peu larmoyante. Rien à voir avec la version enregistrée la veille par Biagi et Ortiz. La merveilleuse diversité des orchestres de l’âge d’or du tango.
Yuyo verde 1945-02-28 Orquesta Aníbal Troilo con Floreal Ruiz. C’est le tango du jour. Pour moi, c’est un des meilleurs équilibres entre dansabilité et sensibilité.
Yuyo verde 1945-05-08 — y su Orquesta Típica dir. Miguel Nijenson. Si l’enregistrement de Troilo et Morán faisait un peu chanson, cette interprétation par Tania est clairement une chanson. L’indication que c’est Tania et son orchestre, dirigé par Miguel Mijenson confirme que l’intention de Tania était bien d’en faire une chanson.

Avec ces cinq versions, on a donc une vision intéressante du potentiel de ce titre. En 1958, Federico a enregistré de nouveau ce titre, avec son et les chanteurs Rubén Maciel et . Je vous fais grâce de cette version kitch.
Comme il est l’auteur de la musique, je citerai aussi son enregistrement réalisé à Rosario avec la Orquesta Juvenil De La Universidad Nacional De Rosario con . J’ai déjà évoqué ce chanteur et cet orchestre à propos de Percal dont Federico est également l’auteur.
Il y a des centaines d’interprétations par la suite, mais relativement peu pour la danse. Les aspects chanson ou musique classique ont plutôt été les sources d’inspiration.
Pour terminer cet article sur une note sympathique, une version en vidéo par un orchestre qui a cherché son style propre, la Romántica Milonguera. Ici avec . Un enregistrement effectué en Uruguay, un des trois pays du tango ; en mars 2019.

Yuyo verde 2019-03 – Orquesta Romantica Milonguera con Roberto Minondi.

Clin d’œil

Un cuarteto organisé autour du guitariste Diego Trosman et du bandéoniste avait pris le nom de Yuyo Verde en 2003. Ce cuarteto avait d’ailleurs participé en 2004 au festival que j’organisais alors à Saint-Geniez d’Olt (Aveyron, France). Ils nous avaient fait parvenir une maquette dont je tire cette superbe interprétation de la La Trampera. Ce n’est pas Yuyo Verde, mais c’est une composition d’Anibal Troilo, on reste dans le thème du jour.

La trampera 2004 — Yuyo Verde (Maquette)

Deux des affiches que j’avais réalisées pour mon festival de tango. Le site internet était hébergé par mon site perso de l’époque (byc.ch) et sur l’affiche de droite, les plus observateurs pourront remarquer mon logo de l’époque. C’était il y a 20 ans…

Petite , ce festival de tango qui existe toujours, avec d’autres organisateurs, avait au départ une partie salsa, car mon coorganisateur croyait plutôt en cette danse. C’est la raison pour laquelle j’avais donné le nom de Tango latino (tango y latino), pour faire apparaître ces deux facettes. La milonga du samedi soir était animée par Yuyo Verde et Corine d’Alès, une pionnière du DJing de tango que je salue ici…