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Pedacito de cielo 1942-09-02 – Orquesta Miguel Caló con Alberto Podestá

Enrique Francini; Héctor Stamponi Letra: Homero Expósito

J’adore les valses et comme c’est le jour de me faire un cadeau, je m’en offre une enregistrée un 2 septembre. Il s’agit de « Pedacito de cielo ». Il existe beaucoup de versions de ce petit coin de ciel, de paradis perdu. Celle du jour est une des plus belles. Elle a été réalisée par Miguel Caló con , mais nous écouterons mon autre préférée, celle enregistrée 16 jours plus tard par Aníbal Troilo et Francisco Fiorentino.

Extrait musical

Pedacito de cielo 1942-09-02 – Orquesta Miguel Caló con Podestá.
Deux versions de la couverture de la partition encadrent la partition pour piano.

Si l’orchestre de Calo s’est appelé celui des étoiles, ce n’est pas un hasard, il avait sélectionné des musiciens de tout premier plan, comme Enrique Francini violoniste et Héctor Stamponi pianiste, les deux compositeurs, même si à l’époque de l’ Stamponi avait quitté l’orchestre, remplace par .
On entendra un merveilleux solo de violon par l’auteur (à 35s), Francini, et plus discret, sauf à la fin, son compère bandonéoniste . Maderna, Pontier et Francini se partagent la vedette avec Podestá.

Paroles

La casa tenía una reja
pintada con quejas
y cantos de amor.
La noche llenaba de ojeras
la reja, la hiedra
y el viejo balcón…
que entonces reías
si yo te leía
mi verso mejor
y ahora, capricho del tiempo,
leyendo esos versos
¡lloramos los dos!

Los años de la infancia
pasaron, pasaron…
La reja está dormida de tanto silencio
y en aquel pedacito de cielo
se quedó tu alegría y mi amor.
Los años han pasado
terribles, malvados,
dejando esa esperanza que no ha de llegar
y recuerdo tu gesto travieso
de aquel beso
robado al azar…

Tal vez se enfrió con la brisa
tu cálida risa,
tu límpida voz…
Tal vez escapó a tus ojeras
la reja, la hiedra
y el viejo balcón…
Tus ojos de azúcar quemada
tenían distancias
doradas al sol…
¡Y hoy quieres hallar como entonces
la reja de bronce
de amor!…

Enrique Francini; Héctor Stamponi Letra: Homero Expósito

Traduction libre

La maison avait une clôture peinte de plaintes et de chansons d’amour.
La nuit remplissait de cernes, la clôture, le lierre et le vieux balcon…
Je me souviens qu’à l’époque tu riais si je te lisais mes meilleurs vers et maintenant, caprice du temps, en lisant ces mêmes vers, nous pleurons tous les deux !
Les années de l’enfance sont passées, passées…
La clôture est endormie de tant de silence et dans ce petit coin de ciel sont restés ta joie et mon amour.
Les années ont passé terribles, méchantes, laissant cet espoir qui ne viendra jamais et je me souviens de ton geste espiègle après ce baiser volé au hasard…
Peut-être que ton rire chaleureux, ta voix limpide se sont refroidis avec la brise…
Peut-être que la clôture, le lierre et le vieux balcon ont échappé à tes cernes…
Tes yeux de sucre brûlé avaient des distances dorées au soleil…
Et aujourd’hui tu veux retrouver comme avant la grille de bronze tremblante d’amour !…

Autres versions

Il y a deux versions parfaites pour la danse et qui datent de l’âge d’or du tango. Les voici.

Pedacito de cielo 1942-09-02 – Orquesta Miguel Caló con Alberto Podestá. C’est notre .
Pedacito de cielo 1942-09-18 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.

Il y a beaucoup d’autres versions, sans doute pas autant que le nombre de bougies qui m’attend, mais je compléterai sans doute la liste un de ces jours…

Sachez juste qu’il y a aussi un tango du même titre qui a été composé par et que l’on connaît surtout par la belle version de1927 par Agesilao Ferrazzano que voici :

Pedacito de cielo 1927-05-11 – Orquesta Agesilao Ferrazzano. Un petit cadeau pour ceux qui n’aiment pas les valses (les pauvres).

À bientôt, les amis.

En tus ojos de cielo 1944-07-10 – Orquesta Miguel Caló con Raúl Berón

Osmar Maderna (Osmar Héctor Maderna) Letra: Luis Rubistein

Curieusement, Osmar Maderna ne semble pas avoir enregistré ce titre qu’il a composé. Pourtant, dans la version de Caló, on reconnaît bien son orchestration. Si on creuse un peu la question, on se rend compte qu’il l’a enregistré, comme pianiste de Miguel Caló et entouré des musiciens exceptionnels de cet orchestre. Il était difficile de faire mieux pour mettre en musique un de plus beaux poèmes d’amour du tango.

Les musiciens de Miguel Caló

Piano : Osmar Maderna. Son style délicat et simple cadre parfaitement avec la merveilleuse déclaration d’amour que constitue ce tango. Le bon homme à la bonne place, d’autant plus qu’il est l’auteur de la musique…
Bandonéons : Domingo Federico, Armando Pontier, José Cambareri (le mage du bandonéon et sa virtuosité époustouflante) et Felipe Ricciardi.
Violons : Enrique Francini, Aquiles Aguilar, Ariol Ghesaghi et Angel Bodas.
Contrebasse : , dont nous avons entendu la version mutilée de 9 de Julio hier…

Extrait musical

En tus ojos de cielo 1944-07-10 – Orquesta Miguel Caló con Raúl Berón
Disque Odeon 8390 Face A San souci – Partition de En tus ojos de cielo – Face B En tus ojos de cielo.

Face A du disque San souci

Comme il n’y a pas d’autres enregistrements de notre tango du jour, je vous propose la face A du disque où a été gravé En tus ojos de cielo. Il s’agit de San souci de Enrique Delfino. Ce titre a été enregistré trois jours plus tôt, le vendredi 7 juillet 1944.

1944-07-07 – Orquesta Miguel Caló (Enrique Delfino).

Pour ceux qui aiment faire des tandas mixtes, il est envisageable de passer les deux faces du disque dans la même tanda. En effet, dans une milonga courte (5 heures), on passe rarement deux tandas de Calo. Pour éviter d’avoir à choisir entre instrumental et chanté, on peut commencer par deux titres chantés, puis terminer par deux titres instrumentaux. Les titres instrumentaux sont souvent un peu plus toniques ce qui justifie de les placer à la fin. Par ailleurs, ils sont aussi un peu plus intéressants pour la danse avec certains orchestres, car l’orchestre est plus libre, n’étant pas au service du chanteur. Bien sûr, ce n’est pas une règle et chaque association doit se faire en fonction du moment et des danseurs. On peut même envisager une tanda instrumentale tonique qui termine de façon plus romantique, par exemple en fin de milonga.

Paroles

Je trouve que c’est un magnifique poème d’amour. Luis Rubistein a fait ici une œuvre splendide.

Como una piedra tirada en el camino,
era mi vida, sin ternuras y sin fe,
pero una noche Dios te trajo a mi destino
y entonces con tu embrujo me desperté…
Eras un sueño de estrellas y luceros,
eras un ángel con perfume celestial.
Ahora sólo soy feliz porque te quiero
y en tus ojos olvidé mi viejo mal…

En tus ojos de cielo,
sueño un mundo mejor.
En tus ojos de cielo
que son mi desvelo,
mi pena y mi amor.
En tus ojos de cielo,
azulada canción,
tengo mi alma perdida,
pupilas dormidas
en mi

Vos dijiste que, al fin, la vida es buena
cuando un cariño nos embruja el corazón,
con tu ternura, luz de sombra para mi pena,
mi sombra ya no es sombra porque es canción…
Sólo me resta decir ¡bendita seas!,
alma de mi alma, esperanza y realidad.
Ya nunca ha de arrancarme de tus brazos,
porque en ellos hay amor, luz y verdad…

Osmar Maderna (Osmar Héctor Maderna) Letra: Luis Rubistein

Traduction libre

Comme une pierre jetée sur le chemin était ma vie, sans tendresse et sans foi, mais une nuit Dieu t’a conduite à mon destin et depuis avec ton sortilège je me suis réveillé…
Tu étais un rêve d’étoiles et d’astres (lucero peut parler de Vénus et des astres plus brillants que la moyenne), tu étais un ange au parfum céleste.
Maintenant seulement, je suis heureux parce que je t’aime et que dans tes yeux j’ai oublié mon ancien mal…
Dans tes yeux de ciel, je rêve d’un monde meilleur.
Dans tes yeux de ciel, qui sont mes insomnies, ma peine et mon amour.
Dans tes yeux de ciel, une chanson bleue, j’ai mon âme perdue, des pupilles endormies dans mon cœur…
Tu as dit que, finalement, la vie est bonne quand l’affection envoûte nos cœurs, avec ta tendresse, lumière d’ombre pour mon chagrin, mon ombre désormais n’est plus une ombre, car c’est une chanson…
Il ne me reste plus qu’à dire « que tu sois bénie ! », âme de mon âme, espérance et réalité.
Maintenant, rien ne m’arrachera jamais de tes bras, parce qu’en eux il y a l’amour, la lumière et la vérité…

Dans ses yeux

Les yeux bleus

Les yeux des femmes sont un sujet de choix pour les tangos. Ici, ils sont le paradis pour l’homme qui s’y abîme.
On retrouve le même thème chez Francisco Bohigas dans

El cielo en tus ojos
yo vi amada mía,
y desde ese día
en tu amor confié,
el cielo en tus ojos
me habló de alegrías,
me habló de ternuras
me dió valentías,
el cielo en tus ojos
rehizo mi ser.

Francisco Bohigas, El cielo en tus ojos
El cielo en tus ojos 1941-10-03 – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino.

Le ciel dans tes yeux, je l’ai vu ma bien-aimée, et à partir de ce jour-là j’ai fait confiance en ton amour, le ciel dans tes yeux m’a parlé de joie, il m’a parlé de tendresse, il m’a donné du courage, le ciel dans tes yeux a refait mon être.

Pour d’autres, comme Homero Expósito, les yeux fussent-il couleur de ciel, ne suffisent pas à le retenir auprès de la femme :

Eran sus ojos de cielo
el ancla más linda
que ataba mis sueños;
era mi amor, pero un día
se fue de mis cosas
y entró a ser recuerdo.

Qué me van a hablar de amorHomero Expósito
Qué me van a hablar de amor 1946-07-11 – Orquesta con Floreal Ruiz

Ses yeux de ciel étaient l’ancre la plus belle qui liait mes rêves ; elle était mon amour, mais un jour, elle s’en fut de mes affaires et est devenue un souvenir.

Les autres couleurs d’yeux et en particulier les noirs

Je n’ai évoqué que très brièvement, les yeux bleus, couleur apportée par les colons européens, notamment Italiens, Français et d’Europe de l’Est, mais il y a des sur toutes les couleurs, même si les yeux noirs sont sans doute majoritaires…

  • Tus ojos de trigo (blé) dans Tu casa ya no está de Virgilio et son frère Homero Expósito, valse enregistrée par Osvaldo Pugliese avec Roberto Chanel en 1944.
  • Ojos verdes (tango par Juan Canaro) et vals par Humberto Canaro Letra: Alfredo Defilpo (superbe dans son interprétation par Francisco Canaro et Francisco Amor, ainsi qu’une autre valse par Manuel López, Quiroga Miquel Letra: Salvador Federico Valverde; Rafael de León; Arias de Saavedra.
  • Tus ojos de azúcar quemada (sucre brûlé) de Pedacito de Cielo de Homero Expósito, valse enregistrée par divers orchestres dont Troilo avec Fiorentino en 1942.
    Et la longue liste des yeux noirs, rien que dans le titre…
  • Dos ojos negros de Raúl Joaquín de los Hoyos Letra: Diego Arzeno
    Ojos negros d’après un air russe repris par Vicente Greco et des paroles de José Arolas (frère aîné de Eduardo) et d’autres de Pedro Numa Córdoba, mais aussi par Rosita Montemar (musique et paroles)
  • Ojos negros que fascinan de Manuel Salina Letra: Florián Rey.
  • Muchachita de ojos negro de Tito Insausti
  • Por unos ojos negros de Letra: Horacio Sanguinetti.
  • Tus ojos negros (valse) de Osvaldo Adriani (parolier inconnu)
  • Yo vendo unos ojos negros de Pablo Ara Lucena très connu dans l’interprétation de Mercedes Simone con Juan Carlos Cambon y Su Orquesta mais qui est tiré d’une tonada chilena (chanson chilienne) dont une belle version a été enregistrée par Moreyra – Canale y su Conjunto Criollo avec des arrangements de Félix Villa.

Et un petit coup d’œil aux origines du tango

Ces histoires d’yeux m’ont fait penser à l’œil noir de Carmen, la reine de la habanera de Georges Bizet ().
Mais non, je ne me suis pas perdu loin du tango. Bizet a écrit Carmen pour flatter la femme de Napoléon III d’origine espagnole (Eugenia de Montijo, Guzman). Dans son opéra, il y a une célèbre habanera (Près des remparts de Séville), rythme qui est fréquent dans les anciens tangos, les milongas et la musique de Piazzolla, car ne l’oublions pas, le premier tango est d’origine espagnole.

Georges Bizet – Carmen : «  L’amour est un oiseau rebelle » sur un rythme de habanera. 2010 – Elina Garanca – Metropolitan Opera de New York Direction, Yannick Nézet-Séguin.

Le tango est en effet né dans les théâtres et pas dans les bordels et son inspiration est andalouse.
La zarzuela (sorte d’opéra du sud de l’Espagne mêlant chant, jeu d’acteur et danse) comportait différents rythmes dont la séguedille (que l’on retrouve dans Carmen dans Près des remparts de Séville) et la habanera. Les musiciens, qu’ils soient français ou espagnols, connaissaient donc ces musiques.
En 1857 pour le spectacle (une sorte de zarzuela) El de Buenos Aires O todos rabian por casarse de Estanislao del Campo, Santiago Ramos, un musicien espagnol a écrit Tomá mate, che. Nous n’avons évidemment pas d’enregistrement de l’époque, mais il y en a deux de 1951 qui reprennent la musique avec des adaptations et un titre légèrement différent. Je vous les propose :

Tomá mate, tomá mate 1951-05-18 – Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas.
Tomá mate, tomá mate 1951-10-15 – Lorenzo Barbero y su orquesta de la argentinidad con Rodolfo Florio y Carlos del Monte.

Évidemment, presque un siècle après l’écriture, il est certain que les arrangements de Canaro ont modifié la composition originale, mais je suis content de vous avoir présenté le tango au berceau.

D’autres candidats comme Bartolo tenía una fluta, dont on n’a, semble-t-il, pas de trace, mais qui est évoqué dans un certain nombre de titres comme Bartolo toca la flauta (ranchera) Che Bartolo (tango) ou La flauta de Bartolo (milonga) l’ont suivi.
Je citerai également El queco (bordel en d’origine quechua) de la pianiste andalouse Heloise de Silva et dont le titre originel était Kico (diminutif de Francisco. Le clarinettiste Lino Galeano l’a adapté à l’air du temps en changeant Kico pour Queco, avec des paroles vulgaires. Le titre originel invitait Kico à danser, le nouveau texte est bien moins élégant, l’invitation n’est pas à danser. On arrive donc au bordel, mais on est en 1874. Quoi qu’il en soit, Queco a obtenu du succès et fut l’un des tout premiers tangos à être largement diffusé et qui confirme les origines andalouses du tango.
Je n’oublie pas l’origine « candombéenne », on reparlera un jour de El Negro Schicoba composé en 1866 par José María Palazuelos et interprété pour la première fois par Germán Mackay avec ses paroles le 24 mai 1867.

À suivre.

À demain, les amis !

9 de Julio (Nueve de Julio) 2009 – La Tuba Tango

1908 ou 1916 José Luis Padula Letra : 1916 ou 1919 1930 – 1931 Eugenio Cárdenas 1931 (Manuel Juan García Ferrari)

Le 9 juillet pour les Argentins, c’est le 4 juillet des Étasuniens d’Amérique, le 14 juillet des Français, c’est la fête nationale de l’Argentine. Elle commémore l’indépendance vis-à-vis de l’Espagne. José Luis Padula était assez bien placé pour écrire ce titre, puisque la signature de la Déclaration d’indépendance a été effectuée à San Miguel de Tucumán, son lieu natal, le 9 juillet 1816.

Padula prétend avoir écrit ce tango en 1908, à l’âge de 15 ans, sans titre particulier et qu’il a décidé de le dédier au 9 juillet dont on allait fêter le centenaire en 1916.
Difficile de vérifier ses dires. Ce qu’on peut en revanche affirmer c’est que Roberto Firpo l’a enregistrée en 1916 et qu’on y entend les cris de joie (étranges) des signataires (argentins) du traité.

Signature de la déclaration d’indépendance au Congreso de Tucumán (San Miguel de Tucumán) le 9 juillet 1816. Aquarelle de Antonio Gonzáles Moreno (1941).
José Luis Padula 1893 – 1945. Il a débuté en jouant de l’harmonica et de la guitare dès son plus jeune âge (son père était mort quand il avait 12 ans et a donc trouvé cette activité pour gagner sa vie). L’image de gauche est une illustration, ce n’est pas Padula. Au centre, Padula vers 1931 sur une partition de 9 de Julio avec les paroles de Lito Bayardo et à droite une photo peu avant sa mort, vers 1940.

Extrait musical

Partition pour piano de 9 de Julio. L’évocation de l’indépendance est manifeste sur les deux couvertures. On notera sur celle de droite la mention de Cardenas pour les paroles.
Autre exemple de partition avec un agrandissement de la dédicace au procurador titular Señor Gervasio Rodriguez. Il n’y a pas de mention de parolier sur ces paroles.
9 de Julio (Nueve de Julio) 2009 – La Tuba Tango.

Dès les premières notes, on note la truculence du tuba et l’ambiance festive que crée cet instrument. J’ai choisi cette version pour fêter le 9 juillet, car il n’existait pas d’enregistrement intéressant du 9 juillet. C’est que c’est un jour férié et les orchestres devaient plutôt animer la fête plutôt que d’enregistrer. L’autre raison est que le tuba est associé à la fanfare, au défilé et que donc, il me semblait adapté à l’occasion. Et la dernière raison et d’encourager cet orchestre créé en 1967 et qui s’est donné pour mission de retrouver la joie des versions du début du vingtième siècle. Je trouve qu’il y répond parfaitement et vous pouvez lui donner un coup de pouce en achetant pour un prix modique ses albums sur Bandcamp.

Paroles

Vous avez sans doute remarqué que j’avais indiqué plusieurs paroliers. C’est qu’il y a en fait quatre versions. C’est beaucoup pour un titre qui a surtout été enregistré de façon instrumentale… C’est en fait un phénomène assez courant pour les titres les plus célèbres, différents auteurs ajoutent des paroles pour être inscrits et toucher les droits afférents. Dans le cas présent, les héritiers de Padula ont fait un procès, preuve que les histoires de sous existent aussi dans le monde du tango. En effet, avec trois auteurs de paroles au lieu d’un, la part de la redistribution aux héritiers de Padula était d’autant diminuée.
Je vous propose de retrouver les paroles en fin d’article pour aborder maintenant les 29 versions. La musique avant tout… Ceux qui sont intéressés pourront suivre les paroles des rares versions chantées avec la transcription correspondante en la trouvant à la fin.

Autres versions

9 de Julio (Nueve de Julio) 1916 – Orquesta Roberto Firpo.

On y entend les cris de joie des signataires, des espèces de roucoulements que je trouve étranges, mais bon, c’était peut-être la façon de manifester sa joie à l’époque. L’interprétation de la musique, malgré son antiquité, est particulièrement réussie et on ne ressent pas vraiment l’impression de monotonie des très vieux enregistrements. On entend un peu de cuivres, cuivres qui sont totalement à l’honneur dans notre tango du jour avec La Tuba Tango.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1927-06-03 – Orquesta Roberto Firpo.

Encore Firpo qui nous livre une autre belle version ancienne une décennie après la précédente. L’enregistrement électrique améliore sensiblement le confort d’écoute.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1928-10-11 – Guillermo Barbieri, José María Aguilar, (guitarras).

Vous aurez reconnu les guitaristes de Gardel. Cet enregistrement a été réalisé à Paris en 1928. C’est un plaisir d’entendre les guitaristes sans la voix de leur « maître ». Cela permet de constater la qualité de leur jeu.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1929-12-04 – Orquesta Francisco Canaro.

Je trouve cette version un peu pesante malgré les beaux accents du piano de Luis Riccardi. C’est un titre à réserver aux amateurs de canyengue, tout au moins les deux tiers, la dernière variation plus allègre voit les bandonéons s’illuminer. J’aurais préféré que tout le titre soit à l’aune de sa fin. Mais bon, Canaro a décidé de le jouer ainsi…

9 de Julio (Nueve de Julio) 1930-04-04 – Orquesta .

Le décès à seulement 38 ans de Luis Petrucelli l’a certainement privé de la renommée qu’il méritait. Il était un excellent bandonéoniste, mais aussi, comme en témoigne cet enregistrement, un excellent chef d’orchestre. Je précise toutefois qu’il n’a pas enregistré après 1931 et qu’il est décédé en 1941. Ces dernières 10 années furent consacrées à sa carrière de bandonéoniste, notamment pour Fresedo.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1931 – Agustín Magaldi con orquesta.

Magaldi n’appréciant pas les paroles de Eugenio Cárdenas fit réaliser une version par Lito Bayardo.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1931-08-15 – Orquesta Típica Columbia con Ernesto Famá.

Famá chante le premier couplet de Bayardo.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1935-12-31 – Orquesta Juan D’Arienzo.

C’est une des versions les plus connues, véritable star des milongas. L’impression d’accélération continue est sans doute une des clefs de son succès.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1939-07-04 – Charlo (accordéon et guitare).

Je ne sais pas d’où vient cet ovni. Je l’avais dans ma musique, extrait d’un CD Colección para entendidos – Época de oro vol. 6 (1926-1939). Charlo était pianiste en plus d’être chanteur (et acteur). Tout comme les guitaristes de Gardel qui ont enregistré 9 de Julio sous le nom de Gardel (voir ci-dessus l’enregistrement du 11 octobre 1928), il se peut qu’il s’agisse de la même chose. Le même jour, Charlo enregistrait comme chanteur avec ses guitaristes Divagando, No hay tierra como la mía, Solamente tú et un autre titre accordéon et guitare sans chant, la valse Añorando mi tierra.
On trouve d’autres titres sous la mention Charlo avec accordéon et guitare. La cumparsita et Recuerdos de mi infancia le 12 septembre 1939, Pinta brava, Don Juan, Ausencia et La polca del renguito le 8 novembre 1940. Il faut donc certainement en conclure que Charlo jouait aussi de l’accordéon. Pour le prouver, je verserai au dossier, une version étonnante de La cumparsita qu’il a enregistrée en duo avec Sabina Olmos avec un accordéon soliste, probablement lui…

9 de Julio (Nueve de Julio) 1948 – Orquesta Héctor Stamponi.

Une jolie version avec une magnifique variation finale. On notera l’annonce, une pratique courante à l’époque où un locuteur annonçait les titres.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1950-05-15 – Orquesta Juan D’Arienzo.

D’Arienzo nous donne une autre version. Il y a de jolis passages, mais je trouve que c’est un peu plus confus que la version de 1935 qui devrait être plus satisfaisante pour les danseurs. Fulvio Salamanca relève l’ensemble avec son piano, piano qui est généralement l’épine dorsale de D’Arienzo.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1950-07-20 – Orquesta Alfredo De Angelis.

Chez De Angelis, le piano est aussi essentiel, mais c’est lui qui en joue, il est donc libre de donner son interprétation magnifique, secondé par ses excellents violonistes. Pour ceux qui n’aiment pas De Angelis, ce titre pourrait les faire changer d’avis.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1957-04-08 – Orquesta Héctor Varela.

Varela nous propose une introduction originale.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1953 – y su Orquesta Típica.

Une version sans doute pas évidente à danser.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1953-03-03 – Ariel Pedernera y su Quinteto Típico.

Une belle version, malheureusement cette copie a été massacrée par le « collectionneur ». J’espère trouver un disque pour vous proposer une version correcte en milonga, car ce thème le mérite largement.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1953-09-10 – Orquesta José Sala.

Pour l’écoute, bien sûr, mais des passages très sympas

9 de Julio (Nueve de Julio) 1954-05-13 – Orquesta Osvaldo Pugliese.

Pugliese a mis un peu de temps à enregistrer sa version du thème. C’est une superbe réalisation, mais qui alterne des passages sans doute trop variés pour les danseurs, mais je suis sûr que certains seront tentés par l’expérience.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1959 – Luis Machaco.

Une version tranquille et plutôt jolie par un orchestre oublié. Le contrepoint entre le bandonéon en staccato et les violons en legato est particulièrement réussi.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1964 – con la orquesta de Osvaldo Tarantino.

Alberto Marino chante les paroles de Eugenio Cárdenas. Ce n’est bien sûr pas une version pour la danse.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1966-06-21 – Orquesta Florindo Sassone.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1966-08-03 – Orquesta Juan D’Arienzo.

Une version bien connue par D’Arienzo, dans le style souvent proposé par les orchestres contemporains. Spectaculaire, mais, y-a-t-il un mais ?

9 de Julio (Nueve de Julio) 1967-08-10 (-Pericón) – Orquesta Enrique Rodríguez.

Second OVNI du jour, cette ranchera-Pericón nacional avec ses flonflons, bien propice à faire la fête. Peut-être une pour demain (aujourd’hui pour vous qui lisez, demain pour moi qui écrit).

9 de Julio (Nueve de Julio) 1968 – Cuarteto Juan Cambareri.

Une version virtuose et enthousiasmante. Pensez à prévoir des danseurs de rechange après une tanda de Cambareri… Si cela semble lent pour du Cambareri, attendez la variation finale et vous comprendrez pourquoi Cambareri était nommé le mage du bandonéon.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1970 – Orquesta Armando Pontier.

Une version originale, mais pas forcément indispensable, malgré le beau bandonéon d’Armando Pontier.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1971 – Orquesta Donato Racciatti.

Même si la Provincia Orientale tombait en 1916 sous la coupe du Portugal / Brésil, les Uruguayens sont sensibles à l’émancipation d’avec le vieux monde et donc, les orchestres uruguayens ont aussi proposé leurs versions du 9 juillet.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1971 – Palermo Trío.

Avec un trio, forcément, c’est plus léger. Ici, la danse n’est pas au programme.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1971-08-04 – Miguel Villasboas y su Sexteto Típico.

Dans le style hésitant de Villasboas entre tango et milonga qu’affectionnent les Uruguayens. Le type de musique qui a fait dire que avait été inventé par un indécis…

9 de Julio (Nueve de Julio) 1973-11-29 – Miguel Villasboas y Wáshington Quintas Moreno (dúo de pianos).

L’autre jour, au sujet de La rosarina 1975-01-06, un lecteur a dit qu’il avait apprécié la version en duo de piano de Villasboas et Wáshington. Pour ce lecteur, voici 9 de Julio par les mêmes.

Et il est temps de clore cette longue liste avec notre orchestre du jour et dans deux versions :

9 de Julio (Nueve de Julio) 1991 – Los Tubatango.

Cet orchestre original par la présence du tuba et sa volonté de retrouver l’ambiance du tango des années 1900 a été créé par Guillermo Inchausty. C’est le même orchestre que celui de notre tango du jour qui est désormais dirigé par Lucas Kohan sous l’appellation La Tuba Tango au lieu du nom original de Los Tubatango.

9 de Julio (Nueve de Julio) 2009 – La Tuba Tango.

C’est notre tango du jour. Les musiciens en sont : Ignacio Risso (tuba), Matias Rullo (bandonéon), Gonzalo Braz (clarinette) et Lucas Kohan (Direction et guitare).

Cette longue liste de 29 titres, mais qui aurait pu être facilement deux fois plus longue montre la diversité de la production du tango.
En ce qui concerne la danse, nous nous sommes habitués à danser sur un ou deux de ces titres, mais je pense que vous aurez remarqué que d’autres étaient aussi intéressants pour le bal. La question est surtout de savoir les proposer au bon moment et aux bons danseurs. C’est toute la richesse et l’intérêt du métier de DJ.
Pour moi, un bon DJ n’est pas celui qui met des titres inconnus et étranges afin de recueillir les applaudissements des néophytes, mais celui qui met la bonne musique au bon moment en sachant prendre des risques mesurés afin d’aider les danseurs à magnifier leur improvisation et leur plaisir de danser.

Je reviens maintenant, comme promis aux quatre versions des paroles…

Paroles de Lito Bayardo (1931)

Sin un solo adiós
dejé mi hogar cuando partí
porque jamás quise sentir
un sollozar por mí.
Triste amanecer
que nunca más he de olvidar
hoy para qué rememorar
todo lo que sufrí.

Lejano Nueve de Julio
de una mañana divina
mi corazón siempre fiel quiso cantar
y por el mundo poder peregrinar,
infatigable vagar de soñador
marchando en pos del ideal con todo amor
hasta que al fin dejé
mi madre y el querer
de la mujer que adoré.

Yo me prometi
lleno de gloria regresar
para podérsela brindar
a quien yo más amé
y al retornar
triste, vencido y sin fe
no hallé mi amor ni hallé mi hogar
y con dolor lloré.

Cual vagabundo cargado de pena
yo llevo en el alma la desilusión
y desde entonces así me condena
la angustia infinita de mi corazón
¡Qué puedo hacer si ya mis horas de alegría
también se fueron desde aquel día
que con las glorias de mis triunfos yo soñara,
sueños lejanos de mi loca juventud!

José Luis Padula Letra: Lito Bayardo (Manuel Juan García Ferrari)

C’est la version que chante Magaldi, vu qu’il l’a demandé à Bayardo
Famá, chante également cette version, mais seulement le premier couplet.

libre des paroles de Lito Bayardo

Sans un seul au revoir, j’ai quitté ma maison quand je suis parti parce que je ne voulais jamais ressentir un sanglot pour moi.
Une triste aube que je n’oublierai jamais aujourd’hui, pour qu’elle se souvienne de tout ce que j’ai souffert.
Lointain 9 juillet, d’un matin divin, mon cœur toujours fidèle a voulu chanter et à travers le monde faire le pèlerinage,
infatigable errance d’un rêveur marchant à la poursuite de l’idéal avec tout l’amour jusqu’à ce qu’enfin je quitte ma mère et l’amour de la femme que j’adorais.
Je me suis promis une fois plein de gloire de revenir pour pouvoir l’offrir à celle que j’aimais le plus et quand je suis revenu triste, vaincu et sans foi je n’ai pas trouvé mon amour ni ma maison et avec douleur j’ai pleuré.
Comme un vagabond accablé de chagrin, je porte la déception dans mon âme, et depuis lors, l’angoisse infinie de mon cœur me condamne.
Que pourrais-je faire si mes heures de joie sont déjà parties depuis ce jour où j’ai rêvé des gloires de mes triomphes, rêves lointains de ma folle jeunesse ?

Paroles de Ricardo M. Llanes (1916 ou 1919)

De un conventillo mugriento y fulero,
con un canflinfero
te espiantaste vos ;
abandonaste a tus pobres viejos
que siempre te daban
consejos de Dios;
abandonaste a tus pobres hermanos,
¡tus hermanitos,
que te querían!
Abandonastes el negro laburo
donde ganabas el pan con honor.

Y te espiantaste una noche
escabullida en el coche
donde esperaba el bacán;
todo, todo el conventillo
por tu espiante ha sollozado,
mientras que vos te has mezclado
a las farras del gotán;
¡a dónde has ido a parar!
pobrecita milonguera
que soñaste con la gloria
de tener un buen bulín;
pobre pebeta inocente
que engrupida por la farra,
te metiste con la barra
que vive en el cafetín.

Tal vez mañana, piadoso,
un hospital te dé cama,
cuando no brille tu fama
en el salón;
cuando en el « yiro » no hagas
más « sport »;
cuando se canse el cafisio
de tu amor ;
y te espiante rechiflado
del bulín;
cuando te den el « olivo »
los que hoy tanto te aplauden
en el gran cafetín.

Entonces, triste con tu decadencia,
perdida tu esencia,
tu amor, tu champagne ;
sólo el recuerdo quedará en tu vida
de aquella perdida
gloria del gotán;
y entonces, ¡pobre!, con lágrimas puras,
tus amarguras
derramarás;
y sentirás en tu noche enfermiza,
la ingrata risa
del primer bacán.

José Luis Padula Letra: Ricardo M. Llanes

Traduction libre des paroles de Ricardo M. Llanes

D’un immeuble (le conventillo est un système d’habitation pour les pauvres où les familles s’entassent dans une pièce desservie par un corridor qui a les seules fenêtres sur l’extérieur) sale et vilain, avec un proxénète, tu t’es enfuie ;
tu as abandonné tes pauvres parents qui t’ont toujours prodigué des conseils de Dieu ;
Tu as abandonné tes pauvres frères, tes petits frères, qui t’aimaient !
Tu as abandonné le travail noir où tu gagnais ton pain avec honneur.
Et tu t’es enfuie une nuit en te faufilant dans la voiture où le bacán (homme qui entretient une femme) attendait ;
Tout, tout l’immeuble à cause de ta fuite a sangloté, tandis que toi tu t’es mêlée aux fêtes du Gotan (Tango) ;
Mais où vas-tu t’arrêter ?
Pauvre milonguera qui rêvait de la gloire et d’avoir un bon logis ;
Pauvre fille innocente qui, enflée par la fête, s’est acoquinée avec la bande qui vit dans le café.
Peut-être que demain, pieusement, un hôpital te donnera un lit, quand ta renommée ne brillera pas dans ce salon ;
quand dans le « yiro » (prostitution) vous ne faites plus de « sport » ;
quand le voyou de ton amour se fatigue ;
et tu t’évades folle du logis ;
Quand ils te renvoient (dar el olivo = renvoyer en lunfardo), ceux qui vous applaudissent tant aujourd’hui dans le Grand Cafetín.
Puis, triste avec ta décadence, perte de ton essence, de ton amour, de ton champagne ;
Seul le souvenir de cette perte restera dans ta vie
Gloire du Gotan ;
et alors, pauvre créature, avec des larmes pures, ton amertume tu déverseras ;
Et tu sentiras dans ta nuit maladive, le rire ingrat du premier Bacán.

Paroles de Eugenio Cárdenas (version 1 de 1930)

Mientras los clarines tocan diana
y el vibrar de las campanas
repercute en los confines,
mil recuerdos a los pechos
los inflama la alegría
por la gloria de este día
que nunca se ha de olvidar.
Deja, con su música, el pampero
sobre los patrios aleros
una belleza que encanta.
Y al conjuro de sus notas
las campiñas se levantan
saludando, reverentes,
al sol de la Libertad.

Brota, majestuoso, el Himno
de todo labio argentino.
Y las almas tremulantes de emoción,
a la Patria sólo saben bendecir
mientras los ecos repiten la canción
que dos genios han legado al porvenir.
Que la hermosa canción
por siempre vivirá
al calor del corazón.

Los campos están de fiesta
y por la floresta
el sol se derrama,
y a sus destellos de mágicas lumbres,
el llano y la cumbre
se envuelven de llamas.
Mientras que un criollo patriarcal
narra las horas
de las campañas
libertadoras,
cuando los hijos de este suelo
americano
por justa causa
demostraron
su valor.

José Luis Padula Letra: Eugenio Cárdenas

C’est la version chantée par Alberto Marino en 1964.

Traduction libre des paroles de Eugenio Cárdenas (version 1 de 1930)

Tandis que les clairons sonnent le réveil et que la vibration des cloches résonne aux confins,
mille souvenirs enflamment de joie les poitrines pour la gloire de ce jour qui ne sera jamais oublié.
Avec sa musique, le pampero laisse sur les patriotes alliés une beauté qui enchante.
Et sous le charme de ses notes, la campagne se lève avec révérence, au soleil de la Liberté.
L’hymne de chaque lèvre argentine germe, majestueux.
Et les âmes, tremblantes d’émotion, ne savent que bénir la Patrie tandis que les échos répètent le chant que deux génies ont légué à l’avenir.
Que la belle chanson vivra à jamais dans la chaleur du cœur.
Les campagnes sont en fête et le soleil se déverse à travers la forêt, et avec ses éclairs de feux magiques, la plaine et le sommet sont enveloppés de flammes.
Tandis qu’un criollo patriarcal raconte les heures des campagnes de libération, lorsque les enfants de ce sol américain pour une cause juste ont démontré leur courage.

Paroles de Eugenio Cárdenas (version 2 de 1931)

Hoy siento en mí
el despertar de algo feliz.
Quiero evocar aquel ayer
que me brindó placer,
pues no he de olvidar
cuando tembló mi corazón
al escuchar, con emoción,
esta feliz canción:

Brota, majestuoso, el Himno
de todo labio argentino.
Y las almas tremulantes de emoción,
a la Patria sólo saben bendecir
mientras los ecos repiten la canción
que dos genios han legado al porvenir.
Que la hermosa canción
por siempre vivirá
al calor del corazón.

En los ranchos hay
un revivir de mocedad;
los criollos ven en su
pasión
todo el amor llegar.
Por las huellas van
llenos de fe y de ilusión,
los gauchos que oí cantar
al resplandor lunar.

Los campos están de fiesta
y por la floresta
el sol se derrama,
y a sus destellos de mágicas lumbres,
el llano y la cumbre
se envuelven de llamas.
Mientras que un criollo patriarcal
narra las horas
de las campañas
libertadoras,
cuando los hijos de este suelo
americano
por justa causa
demostraron
su valor.

José Luis Padula Letra: Eugenio Cárdenas

Traduction libre des paroles de Eugenio Cárdenas (version 2 de 1931)

Aujourd’hui je sens en moi l’éveil de quelque chose d’heureux.
Je veux évoquer cet hier qui m’a offert du plaisir, car je ne dois pas oublier quand mon cœur a tremblé quand j’ai entendu, avec émotion, cette chanson joyeuse :
L’hymne de chaque lèvre argentine germe, majestueux.
Et les âmes, tremblantes d’émotion, ne savent que bénir la Patrie tandis que les échos répètent le chant que deux génies ont légué à l’avenir.
Que la belle chanson vivra à jamais dans la chaleur du cœur.
Dans les baraques (maison sommaire, pas un ranch…), il y a un regain de jeunesse ;
Les Criollos voient dans leur passion tout l’amour arriver.
Sur les traces (empreintes de pas ou de roues), ils sont pleins de foi et d’illusion, les gauchos que j’ai entendus chanter au clair de lune.
Les campagnes sont en fête et le soleil se déverse à travers la forêt, et avec ses éclairs de feux magiques, la plaine et le sommet sont enveloppés de flammes.
Tandis qu’un criollo patriarcal raconte les heures des campagnes de libération, quand les enfants de ce sol américain pour une juste cause ont démontré leur courage.

Vous êtes encore là ? Alors, à demain, les amis !

Después 1944-07-07 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe

Hugo Gutiérrez Letra :

Hugo Gutiérrez et Homero Manzi ont réalisé avec ce tango le difficile exercice de parler de la mort avec une émotion rarement atteinte dans le tango, sans être oppressants. La version de D’Arienzo et Echagüe qui est notre tango du jour est peut-être une des moins réussies, mais je tenais à mettre en avant ce titre qui a à son service quelques-unes de plus belles interprétations du répertoire, de plus avec une grande variété. Entrons dans cette pensée triste qui se danse.

Extrait musical

1944-07-07 – Orquesta Juan D’Arienzo con
À gauche, couverture de partition Casa Amarilla avec un chanteur, , oublié ? Partition Julio Korn de Después avec en couverture Anibal Troilo.

Paroles

Después …
La luna en sangre y tu emoción,
y el anticipo del final
en un oscuro nubarrón.
Luego …
irremediablemente,
tus ojos tan ausentes
llorando sin dolor.
Y después…
La noche enorme en el cristal,
y tu fatiga de vivir
y mi deseo de luchar.
Luego…
tu piel como de nieve,
y en una ausencia leve
tu pálido final.

Todo retorna del :
tu pena y tu ,
tu angustia y tu misterio.
Todo se abisma en el pasado:
tu nombre repetido…
tu duda y tu cansancio.
Sombra más fuerte que la muerte,
grito perdido en el olvido,
paso que vuelve del fracaso
canción hecha pedazos
que aún es canción.

Después …
vendrá el olvido o no vendrá
y mentiré para reír
y mentiré para llorar.
Torpe
fantasma del pasado
bailando en el tinglado
tal vez para olvidar.
Y después,
en el silencio de tu voz,
se hará un dolor de soledad
y gritaré para vivir…
como si huyera del recuerdo
en arrepentimiento
para poder morir.

Hugo Gutiérrez Letra: Homero Manzi

Traduction libre

Après…
La lune en sang et ton émotion, et l’anticipation de la fin dans un nuage sombre.
Plus tard… irrémédiablement, tes yeux si absents pleurant sans douleur.
Et après…
L’immense nuit dans le verre, et ta fatigue de vivre et mon envie de me battre.
Plus tard… ta peau comme de la neige, et une absence légère, ta pâleur finale.
Tout me revient de mémoire :
ton chagrin et ton silence, ton angoisse et ton mystère.
Tout s’abîme dans le passé : ton nom répété… ton doute et ta fatigue.
Une ombre plus forte que la mort, un cri perdu dans l’oubli, un pas qui revient de l’échec, une chanson en miettes qui est encore une chanson.
Après…
L’oubli viendra ou il ne viendra pas et je mentirai pour rire
Et je mentirai pour pleurer.
Un fantôme maladroit du passé dansant dans le hangar (tinglado a plusieurs sens, allant d’abri, auvent, plus ou moins sommaire à hangar), peut-être pour oublier.
Et puis, dans de ta voix, il y aura une douleur de solitude et je crierai pour vivre… Comme si je fuyais le souvenir en repentirs pour pouvoir mourir.

Autres versions

Después 1943-1944 – accomp. Guitare de José Canet.

Je commence par cet enregistrement, car Manzi a écrit Después pour elle. Il est daté de 1944, mais curieusement, il est très rarement indiqué, y compris dans des sites généralement assez complets comme tango-dj.at ou El Recodo. Je l’indique comme étant de 1943-1944, mais sans garantie réelle qu’il soit antérieur à celui de Miguel Caló qui est du tout début de 1944. La voix merveilleusement chaude de Nilda Elvira Vattuone alias Nelly Omar accompagnée par la guitare de José Canet nous propose une version fantastique, mais bien sûr à écouter et pas à danser.

Después 1944-01-10 Orquesta Miguel Caló con Raúl Iriarte.

Dès les premières notes, l’ambiance est impressionnante. On pourrait penser à un film de suspens. La magnifique voix de Iriarte, plus rare que celle de Berón, convient parfaitement au titre. Si vous n’aimez pas avoir des frissons et les poils qui se dressent, évitez cette version proposée par Miguel Caló et Raúl Iriarte très émouvante.

Después 1944-03-03 – Orquesta Aníbal Troilo con .

Avec Troilo, on reste avec une très belle version musicale. Le grondement des bandonéons me semble moins émouvant. Il y a une recherche de joliesse dans ce titre qui me semble aller un peu au détriment de la danse. Ce ne sera donc pas ma version préférée pour la milonga.

Después 1944-03-15 – Libertad Lamarque con orquesta dirigida por Mario Maurano.

Después 1944-03-15 – Libertad Lamarque con orquesta dirigida por Mario Maurano. La voix de Libertad Lamarque est très différente de celle de Nelly Omar, mais tout aussi captivante. Elle bénéficie en plus d’un orchestre dirigé par Mario Maurano dont le piano ressort avec beaucoup de justesse (je précise que je parle de la finesse, de la justesse de l’expression, de l’arrangement et pas du fait que le piano soit bien accordé. Celui que je vise saura que je parle de lui…).

Después 1944-07-07 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe. C’est notre tango du jour.

Después 1944-07-07 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe. C’est notre tango du jour. Comme toujours, la version de D’Arienzo est bien marchante et dansante. C’est la cinquième version de l’année 1944, une année qui nous apporte une incroyable diversité pour ce titre. Pour une œuvre de D’Arienzo, on peut la trouver un peu bavarde. Echagüe, met beaucoup de pression. Le résultat est dansable, mais il me semble que d’autres titres interprétés par D’Arienzo le remplaceront avantageusement dans une tanda de D’Arienzo et Echagüe, notamment ceux de la première période. Después est le premier titre enregistré par cette composition après cinq années sans enregistrement et il me semble que cette association mettra un peu de temps avant de retrouver une harmonie, l’année 1944 n’est pas la meilleure.

Después 1951-03-22 – L’orchestre Argentin Manuel Pizarro.

Después 1951-03-22 – L’orchestre Argentin Manuel Pizarro. Arrivé en France en 1920 et s’en étant absenté de 1941 à 1950, Manuel Pizarro y revient et recommence à enregistrer. Son Después fait partie de ces enregistrements français qui prouvent que la distance entre les deux mondes n’est pas si grande. Notons que c’est une des rares versions purement instrumentales.

Después 1974-05-03 – Orquesta Aníbal Troilo con (Programa En Homenaje a Homero Manzi – Conducción Antonio Carrizo).

Cette version a été enregistrée lors d’une émission en public en hommage à Homero Manzi décédé exactement 23 ans plus tôt. Il me semble que cette version Troilo – Juárez est plus aboutie que celle de 1944. On aurait aimé l’avoir dans une belle qualité sonore.

Después 1974 – Rubén Juárez Accomp. Armando Pontier.

Le même Rubén Juárez avec l’orchestre du bandonéoniste Armando Pontier. La prise de son est meilleure que dans l’enregistrement précédent et elle met donc plus en valeur la voix de Rubén Juárez. On notera qu’il est, tout comme Armando Pontier, également bandonéoniste. Cependant, dans cette version, il se « contente » de chanter.

Después 1977-05-13 – Roberto Goyeneche con la Orquesta Típica Porteña dirigida por Raúl Garello.

Le bandonéon de Raúl Garello annonce la couleur et l’émotion qui va se dégager de cette version. El Polaco (Roberto Goyeneche) donne une version extrêmement émouvante et l’orchestre l’accompagne parfaitement dans les ondulations de la musique. Cette version fait ressortir toute la poésie de Manzi qui fut un grand poète qui décida de consacrer sa vie à l’art populaire et national du tango plutôt que de rechercher les honneurs qui aurait pu s’attacher à la carrière de poète qu’il aurait méritée.

Je vous propose d’arrêter avec ce titre très émouvant et donc de passer sous silence les versions de Pugliese avec Abel Córdoba qui sortent, à mon avis, du champ du tango pour entrer dans autre chose, sans doute une forme de musique classique moderne, mais sans l’émotion que suscite généralement le tango.

Avant de recevoir des coups de bâtons sur la tête pour avoir osé écrire cela, je vous dis au revoir et à demain, les amis.

Corazón de oro 1980-07-01 — Orquesta Alfredo De Angelis

Francisco Canaro Letra: Jesús Fernández Blanco

La valse d’aujourd’hui, de oro, créée par Francisco Canaro est un immense succès, mais la version du jour va sans doute vous étonner. Si elle ne vous plait pas, je me rattraperai avec les nombreuses versions de Canaro. Mais comme je sais que vous avez un cœur en or, vous me pardonnerez de vous infliger une version de Alfredo De Angelis, bien étrange.

Extrait musical

Corazón de oro 1980-07-01 — Orquesta De Angelis.

L’introduction est réduite en étant jouée plus rapidement (les descentes chromatiques sont jouées en croches et pas en noires, donc deux fois plus rapidement.
Ce qui vous surprendra rapidement, ce sont les sonorités, au piano de De Angelis, aux superbes violons, aux bandonéons virtuoses, s’ajoute un orgue électronique, à partir de 45 secondes.
Celui chante la mélodie, puis les autres se mélangent de nouveau. Le résultat manque un peu de clarté et je ne suis pas convaincu qu’il soit totalement apprécié par les danseurs qui risquent de regretter les versions de Canaro que vous allez pouvoir apprécier à la suite de cet article.

Corazón de oro — Francisco Canaro Letra: Jesús Fernández Blanco.

La partition demande trois pages, contre deux généralement à cause de la très longue introduction, vraiment très longue dans certaines versions, même si ce n’est pas le cas pour notre valse du jour par De Angelis qui ne fait « que » 15 secondes.

Paroles

Con su amor mi me enseñó
a reír y soñar,
y con besos me alentó
a sufrir sin llorar…
En mi pecho nunca tengo hiel,
en el alma, canta la ilusión,
y es mi vida alegre cascabel.
¡Con oro se forjó mi corazón!…
Siempre he sido noble en el amor,
el placer, la amistad;
mi cariño no causó dolor,
mi querer fue verdad…
Cuando siento el filo de un puñal
que me clava a veces la traición,
no enmudece el pájaro ideal,
¡porque yo tengo de oro el corazón!…

Entre amor
florecí
y el dolor
huyó de mí.
Sé curar
mi aflicción
sin llorar,
¡tengo de oro el corazón!…

¡Los ruiseñores de mi alegría
van por mi vida cantando a coro
y en las campanas del alma mía
resuena el oro del corazón!…

Yo pagué la negra ingratitud
con gentil compasión,
y jamás dejó mi juventud
de entonar su canción…
Al sentir el alma enardecer
y apurar con ansia mi pasión,
no me da dolores el placer,
¡pues tengo de oro puro el corazón!…
Entre risas pasa mi vivir,
siempre amé, no sé odiar,
y convierto en trinos mi sufrir
porque sé perdonar…
Mi existencia quiero embellecer,
pues al ver que muere una ilusión,
otras bellas siento renacer,
¡mi madre me hizo de oro el corazón!…

Francisco Canaro Letra: Jesús Fernández Blanco

libre

Avec son amour, ma mère m’a appris à rire et à rêver, et avec des baisers, elle m’a encouragé à souffrir sans pleurer…
Dans mon cœur je n’ai jamais de fiel, dans mon âme l’illusion chante, et ma vie est un joyeux carillon (cascabel = grelot, j’ai un peu interprété et surtout, il ne faut pas prendre cascabel pour une de ses significations en lunfardo).
Mon cœur s’est forgé avec de l’or…
J’ai toujours été noble en amour, en plaisir, en amitié ; mon affection ne causait pas de douleur, mon amour était vrai…
Quand je sens le tranchant d’un poignard qui me transperce parfois de trahison, l’oiseau idéal ne se tait pas, car mon cœur est fait d’or…
entouré d’amour, je fleurissais et la douleur me fuyait.
Je sais guérir mon affliction sans pleurer, j’ai un cœur en or…
Les rossignols de ma joie traversent ma vie en chantant en chœur et dans les cloches de mon âme résonne l’or du cœur…
J’ai payé l’ingratitude noire avec une douce compassion, et ma jeunesse n’a jamais cessé de chanter sa chanson…
Quand je sens mon âme enflammer et animer avec ardeur ma passion, le plaisir ne me cause pas de douleur, car mon cœur est fait d’or pur…
Entre les rires ma vie passe, j’ai toujours aimé, je ne sais pas haïr, et je transforme ma souffrance en trilles parce que je sais pardonner…
Je veux embellir mon existence, car quand je vois qu’une illusion (un sentiment amoureux) meurt, j’en sens d’autres, belles, renaître, ma mère a fait mon cœur en or…

Autres versions

Corazón de Oro par Canaro

La composition est de Canaro et c’est donc lui qui se taille la part du lion des enregistrements. Je vous propose de commencer par lui et de revenir ensuite avec des enregistrements intermédiaires d’autres orchestres.

Corazón de oro 1928-05-19 — Orquesta Francisco Canaro.

Une introduction qui prend son temps, très lente. La valse ne commence qu’après 50 secondes, ce qui est beaucoup pour la patience des danseurs d’aujourd’hui. On peut éventuellement la placer en début de tanda, ou couper l’introduction. Les violons émettent des miaulements étonnants. Bien que d’une durée respectable (près de 5 minutes), cette valse n’est pas monotone et pourra satisfaire les danseurs. Elle est très rarement passée en milonga. Il faut dire qu’elle a plein de copines du même Canaro qui sont intéressantes. Jetons-y un œil.

Corazón de oro 1928-08-07 – Orquesta Francisco Canaro con Charlo.

L’introduction est relativement longue, mais plus rapide que pour la version de mai de la même année. De plus, elle tourne un peu, annonçant plus la valse qui va suivre. Elle est plus rapide et Charlo, intervient pour chanter le refrain à près de deux minutes. C’est une version qui tourne bien et qui donc a toute sa place en milonga.

Corazón de oro 1929-12-17 – Orquesta Francisco Canaro.

C’est déjà le troisième enregistrement de cette valse par Canaro. L’introduction est du type long, mais moins lente que dans la première version de 1928. Le ralentissement de la fin est sympathique.

Corazón de oro 1930-06-11 – Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro.

L’introduction avec ses 25 secondes peut être laissée. Elle laisse immédiatement la place à la voix magnifique de Ada Falcón. Ce n’est pas une version de danse, mais elle est si jolie que je pense qu’une bonne partie des danseurs pardonneront aux DJ qui la passera en milonga. Pour ma part, j’adore.

Corazón de oro 1938-03-24 – Orquesta Francisco Canaro.

Décidément Canaro enchaîne les enregistrements de sa valse. J’ai l’impression que c’est la version qui passe le plus souvent en milonga. Elle démarre sans longue introduction et le rythme est bien marqué. L’équilibre entre les bandonéons avec les violons en contrepoint est magnifique. C’est donc logiquement que les danseurs l’apprécient d’autant que certains passages plus énergiques réveillent l’attention. La flûte et la trompette bouchée, qui rappellent que Canaro donne aussi dans le jazz donne une sonorité originale à cette version qui n’est pas monotone malgré sa durée respectable de 3:13 minutes. Sa fin dynamique permet de l’envisager en fin de tanda.

Corazón de oro 1951-11-26 – Orquesta Francisco Canaro.

Canaro a laissé quelques années de côté sa valse pour la ressortir dans une version remaniée. C’est la version qui servira de modèle à Lalo Schifrin pour la musique du film Tango de Carlos Saura. La présence de chœur chantant la mélodie sans paroles est aussi une originalité, également reprise par Lalo Schifrin. Cette version bénéficie aussi de la fin tonique qui en fait une bonne candidate de fin de tanda.

Corazón de oro 1961-12-26 — Orquesta Francisco Canaro con coro.

La dernière version enregistrée par Canaro, trois ans avant sa mort. Cet enregistrement a été effectué au . Les Japonais sont passionnés de tango et le succès des tournées des artistes argentins en témoigne.
Canaro renoue avec l’introduction longue et lente de la première version qui atteint 50 secondes. Le résultat est encore une valse qui dépasse les 4 minutes, ce qui peut pousser les DJ à couper l’introduction, d’autant plus qu’elle n’est pas dansante. C’est très joli, mais peut-être pas la version la plus touchante pour les danseurs. Comme dans la version de la décennie précédente le chœur apporte sa note d’originalité, mais c’est sans doute la fin qui est le plus remarquable, après un passage extrêmement lent, une fin, explosive. En milonga, ça passe, ou ça casse. Soit les danseurs adorent, soit ils s’arrêtent de danser avant la fin. Il faut donc bien juger de son public avant de passer cette version.

On continue avec le Quinteto Pirincho qui a prolongé l’héritage de Canaro après sa mort avec deux enregistrements.

Corazón de oro 1978 — Quinteto Pirincho dir. Oscar Bassil.

Cette version, souvent étiquetée Canaro, car il s’agit du Quinteto Pirincho a été enregistré 14 ans après la mort de Canaro… C’est Oscar Bassil (bandonéoniste) qui dirigeait le Quinteto à cette époque.

Corazón de oro 1996 — Quinteto Pirincho Dir. Antonio D’Alessandro.

Autre version du Pirincho, dans la version lente. Cette fois dirigée par Antonio D’Alessandro.

Contrairement à Bassil, D’Alessandro reprend la tradition de l’introduction lente qui dure dans le cas présent près de 40 secondes. Les premiers temps de la valse sont très accentués par moments ce qui peut paraître manquer de subtilité. Cette version me semble moins aboutie que celle de Bassil et le chœur a une voix que je trouve horrible, voire presque lugubre. Certainement pas ma version préférée si je souhaite faire plaisir aux danseurs, ce qui est en général mon objectif premier…

Corazón de oro par d’autres orchestres

Passons à d’autres orchestres maintenant.

Corazón de oro 1950-04-11 — Juan Cambareri y su .

Encore une version de Cambareri à une de fou furieux. C’est plus de l’essorage de linge que de la valse à une telle vitesse. Je me demande ce qu’il avait dans la tête pour donner des interprétations à une telle vitesse. On est aux antipodes de Canaro qui était plutôt calme, voire très calme dans toutes ses versions.

Corazón de oro 1954-11-05 — Orquesta .

Une version calme, bien dansante, sans doute entendue trop rarement en milonga. Il faut dire qu’avec le choix que propose Canaro, on peut hésiter à sortir des sentiers battus. Les contrepoints du piano sont particulièrement originaux. J’aime beaucoup et en général, les danseurs aussi (c’est la moindre des choses pour un DJ que de passer des choses qui donnent envie de danser…).

Corazón de oro 1955-06-13 — Orquesta Francini-Pontier.

Une version intéressante, destructurée et avec des artistes virtuoses, que ce soit le violon de Francini ou le piano de Angel Scichetti. J’avoue que je n’irai pas la proposer en milonga, mais cette version vaut tout de même une écoute attentive.

Corazón de oro 1959 — Juan Cambareri y su Cuarteto de Ayer.

Non, Cambareri ne s’est pas calmé, ou alors, très peu. Cette version est quasiment aussi rapide que celle de 1950.

Corazón de oro 1959 — Los Violines De Oro Del Tango.

Une version plutôt orientée musique classique, mais pas inintéressante.

Corazón de oro 1979 — Nelly Omar con el conjunto de guitarras de .

La voix chaleureuse de Nelly Omar donne une version originale de cette valse. Il y a peu de versions chantées, il est donc intéressant d’en avoir une de plus, même si ce n’est pas pour danser. On notera qu’elle utilise de façon personnelle les paroles, mais après tout, pourquoi pas.

Corazón de oro 1980-07-01 — Orquesta De Angelis. C’est notre valse du jour.

Je vous propose de terminer avec cette version, on pourrait sinon continuer à se perdre dans les versions pendant des heures, tant ce titre a été enregistré.

Canaro et De Angelis

Un des derniers disques de De Angelis s’appelle Bodas de Oro con el Tango. Le livre de mémoires de Canaro est également sous-titré Mis Bodas de Oro con el Tango. J’ai trouvé amusante cette coïncidence.

Las bodas de oro de Canaro y De Angelis. Le disque et la cassette édités en 1982 et le livre de Canaro édité en 1956. On notera la présence de Gigi De Angelis, la fille de De Angelis, chanteuse.

Alfredo De Angelis a enregistré 17 titres de Canaro. Notre valse du jour n’est pas sur ce disque, mais sur un disque intitulé Al colorado de Banfield (1985), le colorado (le rouquin), c’est De Angelis, qui était fan du club de football de Banfield. Il a d’ailleurs écrit un tango « El Taladro », El Taladro étant le surnom du club de Banfield.

L’album s’appelle Al Colorado de Banfield à cause du tango composé par et en l’honneur de De Angelis.
Il a été publié en 1985, mais il comporte des enregistrements de 1980 (comme notre valse du jour), jusqu’à 1985. C’est son dernier disque.

Canaro et De Angelis ont leurs partisans et leurs opposants. Aucun des deux n’a pu entrer dans le saint des saints des 4 piliers, réservé à Pugliese, Troilo, D’Arienzo et Di Sarli, mais ils ont créé tous les deux suffisamment de titres intéressants pour avoir une bonne place dans le panthéon du tango et tant pis pour les ronchonchons qui n’aiment pas.

À demain les amis !

La gayola 1941-06-23 — Orquesta Francisco Lomuto con Fernando Díaz

Rafael Eulogio Tuegols Letra: Armando José María Tagini

La gayola, je suis sûr que certains ont l’habitude de l’apprécier par Rodriguez et Moreno. Mon célèbre esprit de contradiction et la date du jour fait que je vous propose une version moins connue, mais tout à fait intéressante. Elle a été enregistrée deux semaines plus tard par Francisco Lomuto et Fernando Díaz.

Extrait musical

La gayola 1941-06-23 – Orquesta Francisco Lomuto con Fernando Díaz.

Le staccato initial de l’orchestre donne le ton. C’est une version énergique. Cependant, elle alterne avec des passages plus doux. C’est une interprétation en contraste, sans monotonie et qui reste dansable de bout en bout.

Éditée par , dont nous avons parlé à diverses reprises, La gayola, partition pour piano avec Rodriguez en couverture.

Paroles

¡No te asustes ni me huyas !… No he venido pa’ vengarme
si mañana, justamente, yo me voy pa’ no volver…
He venido a despedirme y el gustazo quiero darme
de mirarte frente a frente y en tus ojos contemplarme,
silenciosa, largamente, como me miraba ayer…

He venido pa’que juntos recordemos el pasado
como dos buenos amigos que hace rato no se ven;
a acordarme de aquel tiempo en que yo era un hombre honrado
y el cariño de mi era un que había echado
sobre mi alma noble y buena contra el frío del desdén.

Una noche fue la muerte quien vistió mi alma de duelo
a mi buena
(tierna) madrecita la llamó a su lado Dios…
Y en mis sueños parecía que la pobre, desde el cielo,
me decía que eras buena, que confiara siempre en vos.

Pero me jugaste sucio y, sediento de venganza…
mi cuchillo en un mal rato envainé en un corazón…
y, más tarde, ya sereno, muerta mi única esperanza,
unas lágrimas rebeldes
(amargas) las sequé en un bodegón.

Me encerraron muchos años en la sórdida gayola
y una tarde me libraron… pa’ mi bien…o pa’ mi mal…
Fui sin rumbo por las calles y rodé como una bola;
Por la gracia de un mendrugo, ¡cuántas veces hice cola!
las auroras me encontraron largo a largo en un umbral.

Hoy ya no me queda nada; ni un refugio… ¡Estoy tan pobre!
Solamente vine a verte pa’ dejarte mi perdón…
Te lo juro; estoy contento que la dicha a vos te sobre…
Voy a trabajar muy lejos…a juntar algunos cobres
pa’ que no me falten flores cuando esté dentro ‘el cajón.

Rafael Eulogio Tuegols Letra: Armando José MaríaTagini

Fernando Díaz chante tout ce qui est en gras.
Armando Moreno chante ce qui est en bleu.
(Entre parenthèses, des variantes des paroles).
Gardel chante encore d’autres variantes que je ne reproduis pas ici.

libre et indications

N’aie pas peur et ne me fuis pas… Je ne suis pas venu me venger si demain, justement, je pars pour ne plus revenir…
Je suis venu te dire au revoir et je veux me donner le plaisir de te regarder face à face et dans tes yeux me contempler, en silence, pendant un long moment, comme tu me regardais autrefois (ayer est hier, ou le passé, comme ici)
Je suis venu pour qu’ensemble nous puissions nous souvenir du passé comme deux bons amis qui ne se sont pas vus depuis longtemps ; de me souvenir de cette époque où j’étais un homme honnête et où l’affection de ma mère était un poncho que j’avais jeté sur ma noble et bonne âme contre le froid du dédain.
Une nuit, c’est la mort qui a revêtu mon âme de deuil, ma tendre petite mère l’a appelée à ses côtés, Dieu…
Et dans mes rêves, il me semblait que la pauvre créature, du ciel, me disait que tu étais bonne, que je devais toujours te faire confiance.
Mais tu m’as joué salement et, assoiffé de vengeance…
mon couteau dans un mauvais moment, je l’ai fourré dans un cœur…
Et, plus tard, déjà serein, mon seul espoir mort, j’ai séché quelques larmes amères dans un bodegón (restaurant populaire).
Ils m’ont enfermé pendant de nombreuses années dans la sordide geôle et une après-midi ils m’ont libéré… pour mon bien… ou pour mon mal…
J’errais sans but dans les rues et roulais comme une balle ; par la grâce d’un quignon de pain, combien de fois j’ai fait la queue !
Les aurores me trouvèrent bien souvent sur un pas de porte.
Aujourd’hui, il ne me reste rien ; pas un refuge… Je suis si pauvre !
Je suis seulement venu te voir que pour te laisser mon pardon…
Je te jure ; je suis heureux que le bonheur te sourie…
Je vais travailler très loin… pour récolter quelques piécettes (cobres, pièces de menue monnaie en cuivre) afin de ne pas manquer de fleurs quand je serai dans le cercueil.

Autres versions

La gayola 1927-05-19 – Orquesta . Cette première version est instrumentale.
La gayola 1927-08-20 – con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras).
La gayola 1941-06-09 – Enrique Rodriguez con Armando Moreno.
La gayola 1941-06-23 – Orquesta Francisco Lomuto con Fernando Díaz. C’est notre tango du jour.

Et on termine par quatre versions à écouter.

La gayola 1957-07-22 — con .

Peu de temps après, Julio Sosa se détachera de l’orchestre de Pontier pour faire carrière solo et il se rapprochera de l’orchestre de Federico qui l’accompagnera jusqu’à sa mort.

La gayola — Edmudo Rivero accomp. Guitare.
La gayola — Edmundo Rivero accomp. Horacio Salgan.

Il est intéressant d’écouter deux versions, une à la guitare et l’autre avec un orchestre.

On termine par Julio Sosa en vidéo. Moins d’un an plus tard, il trouvait la mort dans un accident de la route, juste après avoir chanté ce titre avec l’orchestre de . En effet, c’était sa « cumparsita ». Il terminait toujours ses prestations par La gayola.
Esto es mi al Varón del tango.

Julio Sosa chante la gayola avec l’orchestre de Leopoldo Federico.
La gayola.

La gayola, la geôle, la prison. Remarquez le numéro sur la porte… Cela vous rappelle un autre tango ?

El bulín de la calle Ayacucho 1941-06-17 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino

José Servidio ; Luis Servidio Letra: Celedonio Esteban Flores

El bulín de la calle Ayacucho a été écrit en 1923 par deux amis d’enfance pour décrire leur vie de bohème, un style de vie courant chez les artistes et musiciens. En France, on a eu Chien-Caillou, sobriquet donné à Rodolphe Bresdin par ses amis et dont Champfleury s’inspira pour sa nouvelle, « Chien-caillou ». Nous avons vu hier le triste destin de Alfredo Gobbi, les histoires de bulines, sont légion dans l’imaginaire tanguero. Intéressons-nous donc à celui de la rue Ayacucho…

Extrait musical

Partition de El bulín de la calle Ayacucho.
El bulín de la calle Ayacucho 1941-06-17 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.

Même si on ne comprend rien aux paroles, ce qui ne sera pas votre cas après avoir lu cette anecdote, on ne peut qu’admirer ce chef-d’œuvre dont la qualité tient avant tout à la simplicité, la fluidité, l’harmonie entre la voix et la musique.
Le rythme est soutenu, la musique avance avec décision, aucun danseur ne peut résister à envahir la piste. Quand après une minute, Fiorentino commence à chanter, la magie augmente encore, les cordes et bandonéons continuent de marquer la cadence, sans flancher et la voix de Fiore lie le tout avant de laisser la parole au piano et on se surprend à être surpris par l’arrivée de la fin, tant on aimerait que cela dure un peu plus longtemps.

Paroles

El bulín de la calle ayacucho,
Que en mis tiempos de rana alquilaba,
El bulín que la barra buscaba
Pa caer por la noche a timbear,
El bulín donde tantos muchachos,
En su racha de vida fulera,
Encontraron y catrera
Rechiflado, parece llorar.

El primus no me fallaba
Con su carga de aguardiente
Y habiendo agua caliente
El mate era allí señor.
No faltaba la guitarra
Bien encordada y lustrosa
Ni el bacán de voz gangosa
Con berretín de cantor.

El bulín de la calle Ayacucho
Ha quedado mistongo y fulero:
Ya no se oye el cantor milonguero,
Engrupido, su musa entonar.
Y en el primus no bulle la pava
Que a la barra contenta reunía
Y el bacán de la rante alegría
Está seco de tanto llorar.

Cada cosa era un recuerdo
Que la vida me amargaba :
Por eso me la pasaba
Fulero, rante y tristón.

Los muchachos se cortaron
Al verme tan afligido
Y yo me quedé en el nido
Empollando mi aflicción.

Cotorrito mistongo, tirado
En el fondo de aquel conventillo,
Sin alfombras, sin lujo y sin brillo,
¡Cuántos días felices pasé,
Al calor del querer de una piba
Que fue mía, mimosa y sinceral…
¡Y una noche de invierno, fulera,
Hasta el cielo de un vuelo se fue!

José Servidio ; Luis Servidio Letra : Celedonio Esteban Flores

Fiorentino avec Troilo chante ce qui est en gras.
Fiorentino avec Basso chante ce qui est en bleu.
Rodolfo Lesica chante ce qui est en gras, plus le dernier couplet sur lequel il termine.

Traduction libre et indications

Huile sur toile non signée. Une pava (sorte de bouilloire) sur un réchauffeur à alcool, Primus. Sur le plateau un mate (en calebasse) et une bombilla (paille servant à aspirer la boisson). Dans l’assiette, la yerba (les feuilles broyées servant à préparer le mate). Tout le nécessaire pour le mate, en somme. En Argentine et pays voisins, le mate est aussi une cérémonie amicale. Le mate passe de main en main, un seul pour toute l’assemblée.

La piaule (dans un conventillo, habitat populaire, c’est une pièce où vivait, s’entassait, une famille. Cette pièce donnait directement sur un couloir qui lui donnait du jour, le bulín n’ayant en général pas d’autre ouverture que la porte donnant sur le couloir) de la rue Ayacucho, que je louais à l’époque (pour être précis, son logement était prêté par l’éditeur Jules Korn, pas loué…) où j’étais dans la dèche (rana, a plusieurs sens, astucieux, je pense que là il faut comprendre les temps heureux de la démerde, pauvre mais heureux), le bulín dans lequel la bande cherchait à se réfugier (tomber, au sens de point de chute, abri) la nuit pour jouer (timbear, c’est jouer de l’argent en principe), le bulín où tant de mecs, dans leur ligne de vie (racha = successions de faits, bons ou mauvais) quelconque, trouvaient marroco (pain) et litière. (chiflado = cinglé, rechiflado, plus que cinglé. Il faut comprendre que le bulín était un lieu de folie), semble pleurer.
Le primus (réchauffeur à alcool, voir illustration ci-dessus) ne me faisait pas défaut avec sa provision d’alcool (aguardiente est plutôt une eau-de-vie, mais je pense qu’ici on parle du combustible du petit réchaud) faisait de l’eau chaude, le mate était roi là-bas (on dirait plutôt, ici, mais là-bas souligne que c’est loin dans le passé. J’ai traduit señor par roi, pour les Argentins pauvres, le maté est parfois la seule nourriture d’un repas. D’ailleurs, aujourd’hui avec la crise, beaucoup d’Argentins reviennent à ce régime, encouragé par le gouvernement qui dit qu’un seul repars par jour suffit. Les plus pauvres se fond du mate cocido, le mate des enfants, car en infusion, cela demande moins de yerba, d’herbe à mate).
La guitare ne faisait pas défaut, bien accordée et lustrée, ni l’important (bacán, il s’agit de l’auteur des paroles, Cele qui se tourne en dérision) à la voix à la voix nasillarde avec la vocation de chanteur. (Berretín, nous l’avons vu est le loisir).
Le bulín de la rue Ayacucho est resté misérable et quelconque :
Le chanteur milonguero prétentieux ne s’entend plus taquiner sa muse en chantant.
Et sur le primus, la pava ne chauffe plus, elle qui réunissait la bande joyeuse et le bacán à la bohème (rante de atorrante, clochard) allègre est sec de tant pleurer.
Chaque chose était un souvenir que la vie me rendait amer :
C’est pourquoi j’ai passé un bon moment, errant (quelconque, clochard…) et triste.
Les copains se tirèrent quand ils me virent si affligé et je suis resté dans le nid à ruminer mon affliction.
Petite piaule misérable (cotorrito est un synonyme de bulín), retirée au fond de ce conventillo, sans tapis, sans luxe et sans éclat.
Combien de jours heureux j’ai passés, dans la chaleur de l’amour d’une fille qui était mienne, câline et sincère…
Et une nuit d’hiver, quelconque, jusqu’au ciel d’un vol, s’en fut !

La censure

Cette histoire de jeunes fauchés qui faisaient de la musique dans une chambre en buvant du mate n’eut pas l’heur de plaire aux militaires qui avaient pris le pouvoir en 1943. De nombreux tangos, comme nous l’avons déjà vu (plegaria) ont été interdits, ou modifiés pour avoir des paroles plus respectables. Ce fut le cas de celui-ci. Voici les paroles modifiées :

La version des paroles après censure

Mi cuartito feliz y coqueto
Que en la calle Ayacucho alquilaba
mi cuartito feliz que albergaba
un romance sincero de amor
Mi cuartito feliz donde siempre
una mano cordial me tendía
y una linda carita ponía
con bondad su sonrisa mejor…

Version acceptée par la censure de la dictature militaire de 1943

Traduction de la version après censure

Ma petite chambre joyeuse et coquette que je louais dans la rue Ayacucho.
Ma petite chambre heureuse qui hébergeait une romance amoureuse sincère.
Ma petite chambre heureuse où toujours une main cordiale se tendait.
Et un joli petit visage posait avec gentillesse son meilleur sourire…
Il doit être difficile de faire plus cucu. Les militaires sont de grands romantiques…

Les administrateurs de la SADAIC ont demandé une entrevue au général Perón, nouveau président pour faire tomber cette ridicule censure sur les paroles de tango. Le 25 mars 1949, ce dernier qui disait ne pas être au courant de cette censure a donné droit à leur requête. Les tangos pouvaient désormais retrouver les paroles qu’ils souhaitaient.

El bulín de la calle Ayacucho 1925-12-27 — Carlos Gardel con acomp. de . Cette première version a été enregistrée à Barcelone (Espagne).
El bulín de la calle Ayacucho 1926 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo. Cette version a été enregistrée à Buenos Aires.
El bulín de la calle Ayacucho 1941-06-17 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino. C’est notre .
El bulín de la calle Ayacucho 1949-04-07 — Orquesta con Francisco Fiorentino.

La prestation de l’orchestre est très différente de celle de Troilo, sans doute un peu grandiloquente. On sent que Basso a voulu se mesurer à Troilo, mais je trouve que ce qu’il a ajouté n’apporte rien au thème. Fiorentino chante toujours superbement, cependant l’orchestre se marie moins bien avec le chant. Il se met en retrait, ce qui met en avant la voix, il n’y a pas la même harmonie. FIorentino chante plus dans cette version.

El bulín de la calle Ayacucho 1951-07-17 — Orquesta Héctor Varela con Rodolfo Lesica.

Un grand chanteur, peut-être un peu trop romantique et lisse pour ce titre. Je pense qu’on a du mal à accrocher.

El bulín de la calle Ayacucho 1956 — con Julio Sosa.

Une superbe version en vivo. Dommage que ce soit un enregistrement de piètre qualité, réalisé lors des Carnavales de Huracán de 1956. Julio Sosa chante toutes les paroles (un peu en désordre).

El bulín de la calle Ayacucho 1961-09-08 — con acomp. de guitarras, cello y contrabajo.

Le violoncelle qui débute et accompagne Vidal tout au long est l’autre vedette de ce titre. On souhaiterait presque avoir une version purement instrumentale pour mieux l’écouter. On retrouve la tradition de Gardel, pour un tango à écouter, mais pas à danser.

Edmundo Rivero l’a également interprété. En voici une version avec vidéo. La version disque est de 1967.

Edmundo Rivero chante El bulín de la calle Ayacucho
El bulín de la calle Ayacucho 2018-02 — Tango Bardo con .

Cette version a sans doute peu de chance de convaincre les danseurs. Il convient toutefois d’encourager les orchestres contemporains à faire revivre les grands titres.

El bulín de la calle Ayacucho

Ce conventillo et la chambre étaient situés au 1443 de la rue Ayacucho.

Calle Ayacucho 1443. L’immeuble n’existe plus. On notera tout de même sur l’immeuble de droite, le beau bas-relief et à gauche, une autre maison ancienne.

Comment José Servidio décrit la chambre de Cele, celle qui lui a inspiré, ce titre

En 1923 compuse « El bulín de la calle Ayacucho ». Gardel lo grabó en ese mismo año. Yo vivía entonces en Aguirre 1061, donde aún vive mi familia. Celedonio me trajo al café A.B.C. la letra ya hecha. Era para la primavera de 1923.
Nosotros éramos amigos desde la infancia, él vivía en la calle Velazco entre Malabia y Canning. Compuse el tango en un par de días, en el bandoneón. La primera frase me salió enseguida. El bulín de la calle Ayacucho existió realmente. Quedaba en Ayacucho 1443. El dueño del bulín era , que se lo prestó a Celedonio Flores. 
Era una piecita en la que ni los ratones faltaban. Concurrentes infaltables a las reuniones de todos los viernes, eran Juan Fulginiti, el cantor Martino, el cantor (del dúo Paganini-Ciacia); Nunziatta, también cantor, del dúo Cicarelli-Nunziatta; el flaco Sola, cantor, guitarrista y garganta privilegiada para la caña; yo, en fin…
Ciacia, que formaba dúo con Paganini, era el que cocinaba siempre un buen puchero. En el bulín, del barrio de Recoleta, había una sartén y una morochita.
Se tomaba mate, se charlaba. Como le decía, hasta algún ratón merodeaba por allí. Las reuniones en el bulín de la calle Ayacucho duraron más o menos hasta fines de 1921. Cuando Cele se puso de novio terminaron. Ya han muerto casi todos los que nos reuníamos allí.
El tango lo editó un maestro de escuela, de apellido Lami, que puso editorial en Paraguay al 4200. Después se falsificó la edición. El bulín de la calle Ayacucho lo estrenó el dúo Torelli-Mandarino, en el teatro Soleil. acompañaba con su guitarra al dúo.

José Gobello et Jorge Alberto Bossio. Tangos, letras y letristas tomo 1. Pages 82 à 89.

Traduction libre du témoignage de José Servidio et indications.

En 1923, j’ai composé « El bulín de la calle Ayacucho ». Gardel l’a enregistré la même année. Je vivais à l’époque au 1061 de la rue Aguirre, où ma famille vit toujours. Celedonio m’a apporté les paroles déjà écrites au café ABC. C’était pour le printemps 1923.
Nous nous étions amis depuis l’enfance. Lui vivait rue Velazco entre Malabia et Canning (aujourd’hui Scalibrini Ortiz).
J’ai composé la musique en une paire de jours. Le bulín existait réellement dans la rue Ayacucho au 1443. Le propriétaire en était Julio Korn (éditeur de musique dont nous avons déjà parlé au sujet des succès de la radio en 1937), qui le prêtait à Celedonio Flores.
C’était une petite pièce dans laquelle même les souris ne manquaient pas.
Les participants inévitables aux réunions tous les vendredis étaient Juan Fulginiti, le chanteur Martino, le chanteur Paganini (du duo Paganini-Ciacia) ; Nunziatta, également chanteur (du duo Cicarelli-Nunziatta) ; le Flaco Sola (flaco = maigre), chanteur, guitariste et gosier privilégié pour la cuite (caña, ivresse) ; Moi, enfin…
Ciacia préparait toujours un ragoût. Dans le bulín, il y avait une poêle et une morochita (marmite patinée).
On prenait le mate et on bavardait.
Comme je le disais, même une souris rôdait dans les parages.
Les réunions dans le bulín de la rue Ayacucho ont duré plus ou moins jusqu’à la fin de 1921. Quand Cele (Celedonio Esteban Flores) s’est fiancé, ça s’est arrêté.
Presque tous ceux d’entre nous qui se sont rencontrés là-bas sont déjà morts.
Le tango a été édité par un maître d’école, nommé Lami, qui a créé une maison d’édition rue Paraguay au 4200. Plus tard, l’édition a été falsifiée. Le bulín de la calle Ayacucho a été créé par le duo Torelli-Mandarino, au Teatro Soleil. Canataro a accompagné le duo avec sa guitare.
On notera que le narrateur est le compositeur. Son frère, Luis, semble avoir eu un rôle mineur dans cette composition. Ils avaient l’habitude de cosigner, mais les participations étaient variables selon les œuvres.

El bulín de la calle Ayacucho. J’avoue m’être inspiré de Van Gogh, mais il y a plusieurs différences. Il n’y a pas de fenêtre, c’est un bulín, pas une chambre à Arles. Il y a une guitare et un pava sur le primus, prête pour le mate. Un petit changement dans les cadres pour personnaliser l’intérieur de la chambrette de Cele dont on peut voir le portrait dans le cadre en haut à droite.
Les calques utilisés pour créer cette image.

Cristal 1944-06-07 — Orquesta Aníbal Troilo con Alberto Marino

Mariano Mores Letra : José María Contursi

La musique de Cristal est de celles qui marquent les esprits et les cœurs. La force de l’écriture fait que la plupart des versions conservent l’ambiance du thème original. Cependant, nous aurons des petites surprises. Je vous présente, Cristal de Mariano Mores avec des paroles de Contursi, mais pas que…

Extrait musical

Cristal 1944-06-07 — Orquesta Aníbal Troilo con .

Une très jolie descente répétée lance cette version. Les notes deviennent de plus en plus graves en suivant une gamme mineure. Cela donne une imposante présence au thème. L’introduction se développe, puis après 30 secondes se développe le thème principal. Celui que Alberto Marino chantera à partir de 1’20.

Paroles

Tengo el corazón hecho pedazos,
rota mi emoción en este día…
Noches y más noches sin descanso
y esta desazón del alma mía…
¡Cuántos, cuántos años han pasado,
grises mis cabellos y mi vida!
Loco… casi muerto… destrozado,
con mi espíritu amarrado
a nuestra juventud.

Más frágil que el cristal
fue mi amor
junto a ti…
Cristal tu corazón, tu mirar, tu reír…
Tus sueños y mi voz
y nuestra timidez
temblando suavemente en tu balcón…
Y ahora sólo se
que todo se perdió
la tarde de mi ausencia.
Ya nunca volveré, lo sé, lo sé bien, ¡nunca más!
Tal vez me esperarás, junto a Dios, ¡más allá!

Todo para mí se ha terminado,
todo para mí se torna olvido.
¡Trágica enseñanza me dejaron
esas horas negras que he vivido!
¡Cuántos, cuántos años han pasado,
grises mis cabellos y mi vida!
Solo, siempre solo y olvidado,
con mi espíritu amarrado
a nuestra juventud…

Mariano Mores Letra: José María Contursi

libre

Mon cœur est en morceaux, mon émotion est brisée en ce jour…
Des nuits et encore des nuits sans repos et ce malaise de mon âme…
Combien, combien d’années se sont écoulées, grisonnant mes cheveux et ma vie !
Fou… presque mort… détruit, avec mon esprit amarré à notre jeunesse.

Plus fragile que le verre était mon amour avec toi…
De cristal, ton cœur, ton regard, ton rire…
Tes rêves et ma voix et notre timidité tremblant doucement sur ton balcon…
Et seulement maintenant, je sais que tout a été perdu l’après-midi de mon absence.
Je n’y retournerai jamais, je sais, je le sais bien, plus jamais !
Peut-être m’attendrez-vous, à côté de Dieu, au-delà !

Tout pour moi est fini, tout pour moi devient oubli.
Tragique enseignement que m’ont laissé ces heures sombres que j’ai vécues !
Combien, combien d’années se sont écoulées, grisonnant mes cheveux et ma vie !
Seul, toujours seul et oublié, avec mon esprit amarré à notre jeunesse…

Autres versions

Cristal 1944-06-03 — Orquesta Francisco Canaro con .

Canaro ouvre le bal avec une version tonique et assez rapide. Le début spectaculaire que nous avons vu dans la version de Troilo est bien présent. On remarquera la présence de l’ et sa sonorité particulière, juste avant que chante Carlos Roldán. Ce dernier est par moment accompagné par le vibraphone.

Cristal 1944-06-07 — Orquesta Aníbal Troilo con Alberto Marino. C’est notre tango du jour.
Cristal 1944-06-30 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Oscar Serpa.

Fresedo ne pouvait pas passer à côté de ce thème qui semble avoir été écrit pour lui. La structure est très proche de celles de Canaro et Troilo, mais avec sa sonorité. La voix de Serpa, plus tranchante que celle de Ray et Ruiz, donne un caractère toutefois un peu différent à cette interprétation de Fresedo.

Cristal 1957 — Dalva de Oliveira con acomp. de orquesta.

L’introduction est raccourcie et Dalva de Oliveura chante quasiment tout de suite. Vous aurez sans doute remarqué que cette version était chantée en Portugais avec quelques variantes. Vous trouverez le texte en fin d’article. L’orchestre peut être celui de Francisco Canaro, car elle a enregistrée en 1957 avec lui, mais ce n’est pas sûr.

Cristal 1957-02-01 — Orquesta Mariano Mores con Enrique Lucero.

Mariano Mores enregistre sa création. Mariano Mores se passe de sa spectaculaire introduction pour jouer directement son thème principal. Le piano fait le lien entre les différents instruments, puis Enrique Lucero entre scène. Lucero a une belle voix, mais manque un peu de présence, associé à un orchestre léger et sans doute trop poussé à des fantaisies qui fait que cette version perd un peu de force dramatique. On verra avec des versions suivantes que Mores corrigera le tir, du côté chant, mais pas forcément du côté orchestral.

Cristal 1958 — Albertinho Fortuna com Alexandre Gnattali e a sua orquestra.

Là encore, voir en fin d’article le texte en portugais brésilien.

Cristal 1961 — Astor Piazzolla Y Su Quinteto Con Nelly Vázquez.

Piazzolla enregistre à plusieurs reprises le titre. Ici, une version avec Nelly Vázquez. On est dans autre chose.

Cristal 1962-04-27 — Orquesta Armando Pontier con Héctor Dario.

Armando Pontier nous livre une version sympathique, avec un Héctor Dario qui lance avec énergie le thème.

Cristal 1965 — Ranko Fujisawa. Avec l’orchestre japonais de son mari,

Ranko nous prouve que le tango est vraiment . Elle chante avec émotion.

Cristal 1978-08-01 — Roberto Goyeneche con Orquesta Típica Porteña arr. y dir. Raúl Garello.

Goyeneche a enregistré de nombreuses fois ce titre, y compris avec Piazzolla. Voici une de ses versions, je vous en présenterai une autre en vidéo en fin d’article. On voit que Piazzolla est passé par là, avec quelques petites références dans l’orchestration.

Cristal 1984c — con la Orquesta de Mariano Mores.

Mariano revient à la charge avec Claudia, sa belle-fille. En effet, elle était mariée à Nico, le fils de Mariano. On retrouve l’orgue Hammond de Canaro dans cette version. Si elle est moins connue que son mari, il faut lui reconnaître une jolie voix et une remarquables expressivité.

Cristal 1986 — Mariano Mores y su Orquesta con Vikki Carr.

Une rencontre entre Vikki Carr qui a habituellement un répertoire différent. On notera que l’orchestre est plus sobre que dans d’autres versions, même, si Mores ne peut pas s’empêcher quelques fantaisies.

Cristal 1994 — Orquesta Mariano Mores con Mercedes Sosa.

Attention, pure émotion quand la Negra se lance dans Cristal. Sa voix si particulière, habituée au s’adapte parfaitement à ce thème. Attention, il y a un break (silence) très long, ne perdez pas la fin en coupant trop vite. Avec cette version, on peut dire que Mores, avec ces trois femmes, a donné de superbes versions de sa composition, d’un caractère assez différent de ce qu’ont donné les autres orchestres, si on excepte Piazzolla et ce qui va suivre.

Cristal 1994 — Susana Rinaldi con acomp. de orquesta.

La même année encore une femme qui donne une superbe version du thème de Mores. Là, c’est la voix qui est essentielle. Une version étincelante qui pourrait rappeler Piaf dans le vibrato de la voix.

Cristal 1998 — Orquesta con Adriana Varela.

Oui, encore une femme, une voix différente. L’empreinte de Piazzolla est encore présente. Néstor Marconi propose un parfait accompagnement avec son bandonéon. Vous le verrez de façon encore plus spectaculaire dans la vidéo en fin d’article.

Cristal 2010c — Aureliano Tango Club. Une introduction très originale à la contrebasse.

On notera aussi la présence de la batterie qui éloigne totalement cette version du tango traditionnel.

Versions en portugais

Voici le texte des deux versions en portugais que je vous ai présentées.

Paroles

Tenho o coração feito em pedaços
Trago esfarrapada a alma inteira
Noites e mais noites de cansaço
Minha vida, em sombras, prisioneira
Quantos, quantos anos são passados
Meus cabelos brancos, fim da vida
Louca, quase morta, derrotada
No crepúsculo apagado lembrando a juventude
Mais frágil que o cristal
Foi o amor, nosso amor
Cristal, teu coração, teu olhar, teu calor
Carinhos juvenis, juramentos febris
Trocamos, docemente em teu portão
Mais tarde compreendi
Que alguém bem junto a ti
Manchava a minha ausência
Jamais eu voltarei, nunca mais, sabes bem
Talvez te esperarei, junto a Deus, mais além

À propos de la version d’Haroldo Barbosa

Le thème des paroles d’Haroldo Barbosa est semblable, mais ce n’est pas une simple traduction. Si la plupart des images sont semblables, on trouve une différence sensible dans le texte que j’ai reproduis en gras.
« Plus tard, j’ai réalisé que quelqu’un juste à côté de toi avait souillé mon absence.
 Je ne reviendrai jamais, plus jamais, tu sais. Peut-être que je t’attendrai, avec Dieu, dans l’au-delà ».
Contrairement à la version de Contursi, on a une cause de la séparation différente et là, c’est lui qui attendra auprès de Dieu et non, elle qui attendra peut-être.

Roberto Goyeneche et Néstor Marconi, Cristal

Et pour terminer, la vidéo promise de Goyeneche et Marconi. Cette vidéo montre parfaitement le jeu de Marconi. Hier, nous avions Troilo à ses tout débuts, là, c’est un autre géant, dans la maturité.

Roberto Goyeneche Néstor Marconi et Ángel Ridolfi (contrebasse) dans Cristal de Mariano Mores et José María Contursi. , 1987.

À demain, les amis!

Uno 1943-05-26 – Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán

Mariano Mores Letra: Enrique Santos Discépolo

Le tango du jour s’appelle UNO, (un), mais vous aurez le droit à une belle addition de « uns ». Attention, les huns, pardon, les uns débarquent 1+1+1+1+1+…= un des plus beaux tangos du répertoire, écrit par Mariano Mores avec des paroles de Enrique Santos Discépolo. Préparez-vous à l’écoute, mais aussi à voir, j’ai une surprise pour vous…

Extrait musical

Uno 1943-05-26 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán

Paroles

Uno busca lleno de esperanzas
El camino que los sueños prometieron a sus ansias
Sabe que la lucha es cruel y es mucha
Pero lucha y se desangra por la fe que lo empecina
Uno va arrastrándose entre espinas
Y en su afán de dar su amor
Sufre y se destroza hasta entender
Que uno se quedó sin corazón
Precio de castigo que uno entrega
Por un beso que no llega
O un amor que lo engañó
Vacío ya de amar y de llorar
Tanta traición
Si yo tuviera el corazón
El corazón que dí
Si yo pudiera, como ayer
Querer sin presentir
Es posible que a tus ojos que me gritan su cariño
Los cerrara con mil besos
Sin pensar que eran como esos
Otros ojos, los perversos
Los que hundieron mi vivir
Si yo tuviera el corazón
El mismo que perdí
Si olvidara a la que ayer lo destrozó
Y pudiera amarte
Me abrazaría a tu ilusión
Para llorar tu amor
Si yo tuviera el corazón
El mismo que perdí
Si olvidara a la que ayer lo destrozó
Y pudiera amarte
Me abrazaría a tu ilusión
Para llorar tu amor

Mariano Mores Letra: Enrique Santos Discépolo

libre

Chacun cherche, plein d’espoir, le chemin que les rêves ont promis à ses désirs.Chacun sait que la lutte est cruelle et qu’elle est grande, mais il se bat et saigne pour la foi qui l’obsède.
Chacun rampe parmi les épines et dans son empressement à donner son amour, il souffre et se détruit jusqu’à ce qu’il comprenne que chacun se retrouve sans cœur, le prix de la punition que chacun donne pour un baiser qui ne vient pas, ou un amour qui l’a trompé.
Vide d’aimer et de pleurer tant de trahisons.
Si j’avais le cœur, le cœur que j’ai donné.
Si je pouvais, comme hier, aimer sans crainte, il est possible que tes yeux qui me crient leur affection, je les refermerais de mille baisers, sans penser qu’ils sont comme ces autres yeux, les pervers, ceux qui ont coulé ma vie.
Si j’avais le cœur, le même que j’ai perdu.
Si j’oubliais celle qui l’a détruit hier et que je pouvais t’aimer, j’embrasserais ton illusion pour pleurer ton amour.

Autres versions

Comme annoncé, ce titre a été enregistré de très nombreuses fois. Impossible de tout vous proposer, alors, voici une sélection pour vous faire découvrir la variété et les points communs de ces versions en commençant par notre tango du jour, qui est le premier à avoir été enregistré.

Uno 1943-05-26 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán. C’est notre tango du jour.
Uno 1943-05-28 — con orquesta dirigida por Mario Maurano.

Deux jours après Canaro, Libertad Lamarque enregistre le disque.
C’est là qu’on remarque, une fois de plus, que Canaro est toujours au fait de l’actualité. En effet, ce titre est destiné à un film, El fin de la noche, réalisé par Alberto de Zavalía. Le tournage ne commencera qu’en août 1943 et le film ne sortira en Argentine que le premier novembre 1944, car le gouvernement argentin a tardé à donner l’autorisation de diffusion, notamment à cause du sujet qui mettait en cause le gouvernement allemand…

Affiche du film El fin de la noche, réalisé par Alberto de Zavalía avec Libertad Lamarque.

En effet, l’intrigue est totalement liée à l’actualité de l’époque, ce qui prouve que l’information circulait. Lola Morel (Libertad Lamarque), une chanteuse Sud-Américaine qui vit à Paris a été bloquée à Paris par la guerre (La plupart des Argentins avaient quitté la France en 1939, tout comme les frères Canaro et notamment Rafael qui fut le dernier à quitter la France). Elle souhaite revenir en Amérique du Sud avec sa fille. Pour obtenir des passeports, elle se voit proposé d’espionner la résistance.
Ce film confirme que les Argentins ne se désintéressaient pas de la situation en Europe durant la seconde guerre mondiale.
Mais la merveille, c’est de voir Libertad Lamarque chantant. C’est une des plus émouvantes prises disponibles, jugez-en.

Libertad Lamarque canta el tango UNO, en la película “El fin de la noche”, dirigida por Alberto de Zavalía. On voit dans cet extrait, par ordre d’apparition : … Pilar, Jorge Villoldo… Caissier du bar et Libertad Lamarque… Lola Morel qui chante UNO. Cette scène a lieu à 1h08 du début du film.

Difficile de revenir sur terre après cette version, alors autant rester dans les nuages avec Troilo et Marino.

Uno 1943-06-30 — Orquesta Aníbal Troilo con Alberto Marino arr. de Astor Piazzolla.

C’est peut-être la version la plus connue. Il faut dire qu’elle est parfaite, à chaque écoute, elle provoque la même émotion.

Uno 1943-10-27 — Tania acomp. de Orquesta.

Quelques mois après Libertad, Tania donne sa version. À qui va votre préférence ? Tania enregistrera une autre version avec en 1959.

Avant de passer à D’Arienzo, un petit point « technique ». Les disques de l’époque étaient prévus pour être utilisé à 78 tours par minute. C’est une précise. Ce n’est pas 77 ou 79 tours.
Donc, ces disques joués à 78 tours par minute donnent la bonne restitution, celle qui a été décidée par l’orchestre et l’éditeur.
Le résultat peut être différent de ce qui a été jouée. Par exemple, pour paraître plus virtuose, on peut graver la matrice à une vitesse plus lente. Ainsi, lorsque le disque qui sera pressé à partir d’elle sera joué à 78 tours, le son sera plus rapide et plus aigu.
Dans des groupes de DJ qui n’ont sans doute que cela à faire, on disserte longuement de la valeur du diapason, notamment du bandonéon et de la vitesse exacte de jeu d’une musique. À moins d’avoir une oreille absolue, ce qui est une horreur, on ne remarquera pas d’une milonga sur l’autre qu’un titre est joué un tout petit peu plus aigu ou grave. Pour moi, l’important est donc d’avoir la bonne vitesse des 78 tours et c’est tout. Si d’Arienzo ou son éditeur a modifié la vitesse, c’est la décision de l’époque.
En revanche, je suis moins indulgent sur les rééditions des 78 tours en 33 tours. Ces transcriptions ont donné lieu à différents abus (pas forcément tous sur tous les disques) :

  • L’ajout de réverbération pour donner un « effet  », mais qui perturbe grandement la lisibilité de la musique, ce qui est dommageable pour la danse également.
  • La coupure de l’introduction ou des notes finales. Le bruit étant jugé gênant pour un disque « neuf », beaucoup d’éditeurs ont supprimé les notes finales faibles, lorsqu’ils ont produit des 33 tours à partir de 78 tours usagés. Biagi est une des principales victimes de ce phénomène et Tanturi, le moins touché. Cela tient, bien sûr, à leur façon de terminer les morceaux…
  • Le filtrage de fréquences pour diminuer le bruit du disque original. Les moyens de l’époque font que cette suppression filtre le bruit du disque, mais aussi la musique qui est dans la même gamme de fréquences.
  • Le changement de vitesse. Si le disque tourne plus vite, on a l’impression que les musiciens jouent plus vite. Si aujourd’hui on peut varier la vitesse sans toucher à la tonalité, à l’époque, c’était impossible. Un disque accéléré est donc plus aigu. Ce n’est pas gênant en soi, si le résultat est convaincant et seuls les possesseurs de la fameuse oreille absolue s’en rendront compte si cela est fait dans des proportions raisonnables.

Après ce long propos liminaire, voici enfin la version de D’Arienzo et Maure. En premier, un enregistrement à partir du 78 tours original. La vitesse est donc celle proposée par D’Arienzo et la société Víctor.

Uno 1943-11-23 — Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré. Version tirée du 78 tours de la Víctor.

Et maintenant la version accélérée éditée en 33 tours et reprise depuis par différents éditeurs, y compris contemporains, ce qui prouve qu’ils sont partis du 33 tours et pas du 78 tours, ou mieux de la matrice originale…

Uno 1943-11-23 — Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré.

Édition accélérée, sans écouter la première version, vous seriez-vous rendu compte de la différence ? Probablement, car cela fait précipité, notamment en comparaison des versions déjà écoutées qui durent parfois près de 3:30 minutes, ce qui est exceptionnel en tango.

Uno 1943-12-01 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Oscar Serpa.

Une version sans doute moins connue, mais que je trouve très jolie également. Dommage que l’on ne passe pas en général le même titre dans une milonga. Cependant, les événements de plusieurs jours, ou les très longues milongas (10 h ou plus), permettent ces fantaisies…

Uno 1944 con Adolfo Guzmán y su conjunto.

Alberto Gómez commence a capela tout au plus soutenu par quelques accords au piano. Progressivement, ce soutien est proposé par d’autres instruments, mais ce n’est qu’à 58 secondes que l’orchestre prend progressivement une place plus importante, sans toutefois perdre de vue qu’il n’est que l’accompagnement du chanteur. Cette version à écouter suscite de la mention, malgré la voix un peu forcée de Gómez que l’on sans doute mieux appréciée, moins appuyée, comme il sait le faire dans certains passages de ce thème.

Uno 1944-04-11 — Orquesta Rodolfo Biagi con Carlos Acuña.

On change complètement de style avec Biagi. Une version rythmée, un peu pressée. Même pour la danse, on sent une pression qui empêche d’entrer complètement dans le thème. Ce n’est pas une critique de la qualité musicale, mais je trouve que cette fois Biagi est passé un peu à côté de la danse, du moins pour les danseurs qui interprètent la musique. Pour les autres, ils retrouveront le tempo bien marqué qui leur convient pour poser leurs patounes en rythme.

Uno 1946 — Trío Argentino (Irusta, Fugazot, Demare) y su Orquesta Típica Argentina con .

Les subtilités de la chronologie nous offrent ici, une interprétation à l’opposée de la précédente, par Biagi. Elle est à classer dans la lignée Lamarque, Tania et Gómez. Je pense que vous préférez cette version à celle de l’autre homme de la sélection de tango à écouter. Ici, il s’agit presque d’un duo avec le piano de Lucio Demare. Ce dernier est un merveilleux pianiste pour la musique intime. Vous pourrez vous en convaincre en écoutant ses formidables enregistrements de tango au piano, sur trois époques (1930, 1952-1953 et 1968). C’est le seul grand à s’être livré à cet exercice.

Uno 1951-12-18 — Charlo y su orquesta.

Encore une version à rajouter à la lignée des chansons. La qualité d’enregistrement des années 50 rend mieux justice à la voix de Charlo que ceux de 1925. On a même du mal à être sûr que c’est la même voix quand il chantait avec Canaro ou Lomuto. Essayez d’écouter ses enregistrements avec orchestre ou guitare des années 50 pour vous en rendre compte. Cette métamorphose, en grande partie causée par la technique, nous faire prendre conscience de ce que nous avons perdu en n’étant pas dans la salle dans les années 20.

Uno 1952 — Orquesta Aníbal Troilo con .

Avec Troilo et Casal, on revient vers le tango de danse. Bien sûr, vous comparerez cette version avec celle de 1943 avec Marino. Les deux sont formidables. L’orchestre est éventuellement moins facile à suivre pour les danseurs, les DJ réserveront certainement cette version aux meilleurs pratiquants.

Uno 1957-09-25 — Orquesta Armando Pontier con Julio Sosa.

Avec Julio Sosa et l’orchestre Armando Pontier, nous sommes plus avancés dans les années 50 et l’importance de faire du tango de danse est perdue. Cela n’enlève pas de la beauté à cette version, mais ça nous fait regretter que le rock et autres rythmes aient supplanté le tango à cette époque en Argentine…

Uno 1961-05-18 — Orquesta José Basso.

José Basso nous donne une des rares versions qui se prive des paroles de Discépolo. Pour ma part, je trouve que la voix manque, même si à tour de rôle et les violons chantent plutôt bien et que le piano de José Basso ne démérite pas. On reste dans l’attente de la voix et c’est un beau final qui nous coupe les illusions.

Uno 1963 — y su orquesta.

De la part de Ledesma, on attend une belle version et on n’est pas déçu.

Uno 1965 – Orquesta Jorge Caldara con Rodolfo Lesica.

On retrouve Caldara, cet ancien bandonéoniste de Pugliese avec Lesica. Une belle association. L’introduction avec le superbe violoncelle de José Federighi prouve s’il en était besoin les qualités de ce musicien et arrangeur d’une grande modestie.
Je vous propose de terminer cette longue liste avec l’auteur Mariano Mores et son petit-fils, Gabriel Mores.

N’oubliez pas de cliquer sur ce dernier lien pour consulter l’album de Mariano Mores en écoutant une toute dernière version d’Uno, même si c’est loin d’être la meilleure. Vous y découvrez la vie de cet artiste qui est resté sur scène jusqu’à l’âge de 94 ans, après 80 années d’activité. Sans doute un des records de longévité.

https://es.moresproject.com/mariano-mores

Au revoir, Mariano, et à demain, les amis !

Mi cantar 1943-05-21 – Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz

Héctor Stamponi (Luciano Héctor Stamponi) Letra: (Homero Aldo Expósito)

On associe souvent Raúl Berón à Miguel Caló et on n’a pas tort. Berón commence vraiment sa carrière avec Caló et la termine avec lui. Cependant, il y a eu quelques séparations, notamment en 1943, date de notre . Dans cet intervalle s’est glissé le talentueux Jorge Ortiz, un ténor alors que Caló privilégiait des voix plus graves de barytons. Je vous propose d’écouter Mi cantar par l’intérimaire de talent, Jorge Ortiz.

Extrait musical

Mi cantar 1943-05-21 — Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz [Héctor Stamponi (Luciano Héctor Stamponi) Letra: Homero Expósito (Homero Aldo Expósito)].

Paroles

Mi cantar
es un canto de esperanza,
flor de yuyo, rabia mansa,
soledad.

Mi cantar
lo robé de las estrellas
en las horas de tristeza
que tu adiós me dejó.
Callejón
de caricias y sonidos
que, llegando del olvido
dan motivo a mi canción.

Mi cantar
es un canto de esperanza,
es un grito de dolor.
Un ayer de perfumes
y de flor,
y un adiós sin motivo,
y el rencor de esperar
y de esperar
escribió con olvido.

Mi cantar
gracia plena del fracaso,
con mi angustia, con tu acaso,
con tu adiós.

Mi cantar
cofre azul de lo imposible,
noche siempre, noche horrible,
noche así, como yo.
Corazón,
tú qué sabes de la angustia
de mi voz cansada y mustia,
no pretendas despertar.

Mi cantar
es la gracia del fracaso,
es el no saber llorar.

Héctor Stamponi (Luciano Héctor Stamponi) Letra: Homero Expósito (Homero Aldo Expósito)

Traduction libre

Ma chanson est une chanson d’espoir, une fleur sauvage (fleur de mauvaise herbe, voir Yuyo verde), une douce rage, une solitude.
J’ai volé mon chant aux étoiles dans les heures de tristesse que ton adieu m’a laissées.
Une ruelle de caresses et de sons qui, venus de l’oubli,
donnent raison à ma chanson.
Ma chanson est une chanson d’espoir, c’est un cri de douleur.
Un hier de parfums et de fleurs, et un adieu sans raison, et la rancœur de l’attente et de l’attente écrites dans l’oubli.
Mon chant de toute la grâce de l’échec, avec mon angoisse, avec tes hésitations, avec tes adieux.
Ma chanson, coffre bleu de l’impossible, nuit de toujours, nuit horrible, nuit ainsi, comme moi.
Mon cœur, toi qui connais l’angoisse de ma voix fatiguée et fanée (se dit aussi d’une fleur), n’essaye pas de te réveiller.
Mon chant est la grâce de l’échec, celui de ne savoir pas pleurer.

L’orchestre de Miguel Caló en 1943

Ce n’est pas pour rien que l’orchestre de Miguel Caló était appelé les Étoiles (Las Estrellas). Il avait monté un orchestre exceptionnel. Presque chaque exécutant pourrait faire l’objet d’une notice.
Bandonéons : Domingo Federico, Armando Pontier, , Felipe Ricciardi
Piano :
Violons : , , Ariol Ghesaghi, Angel Bodas
Contrebasse : Ariel Pedernera
Chanteurs : Jorge Ortiz (ténor, celui de ce titre), Raúl Iriarte et Alberto Podestá (barytons). Signalons aussi pour mémoire Raúl Berón, un autre baryton qui est indissociable de l’orchestre de Miguel Caló. C’est qu’en 1943, Raúl Berón était avec l’orchestre de Lucio Demare. Il est retourné avec Caló seulement en 1944. Il y a donc un trou dans l’association avec Berón qui a duré de 1942 à 1963 (avec quelques trous, dont un grand en ce qui concerne les enregistrements entre 1950 et 1963…

Jorge Ortiz avec Miguel Caló

Curieusement, ce titre est encore un orphelin. Personne n’a, semble-t-il, eu l’idée de l’enregistrer à la suite de Caló et Ortiz.
Pour terminer en musique, je vous propose donc quelques exemples de tangos chantés par Jorge Ortiz avec l’orchestre de Calo :
La première session d’, sur deux jours a donné trois titres parfaits :

1943-01-19 — Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz ( Letra: Homero Manzi).
Pa’ qué seguir 1943-01-19 – Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz (Francisco Fiorentino Letra: Pedro Lloret).
1943-01-20 — Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz (Armando Baliotti Letra: Santiago Luis D. Adamini).

C’est une version bien plus intéressante que celle de Ángel D’agostino et Raúl Aldao, de la même année.
Cela commençait bien, non ?
Un mois plus tard, ils enregistrent :

Ya sale el tren 1943-02-25 — Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz (Luis Rubistein, Musique et paroles).

Une des plus impressionnantes introductions liées au monde ferroviaire. Je vous laisse découvrir si vous ne connaissez pas.

De barro 1943-05-21 — Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz (Sebastián Piana Letra: Homero Manzi).

Pour moi, c’est un ovni, une soucoupe volante que l’on aura bien du mal à caser dans une tanda de Caló.

Mi cantar 1943-05-21 — Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz [Héctor Stamponi (Luciano Héctor Stamponi) Letra: Homero Expósito (Homero Aldo Expósito)].

C’est notre tango du jour. Il me rassure sur l’association de Caló et Ortiz.
Le dernier titre enregistré par ces deux-là, c’est une milonga candombe :

Pobre negra 1943-06-10 — Enrique Mario Francini; Héctor Stamponi [Héctor Luciano Stamponi) Letra: Homero Expósito (Homero Aldo Expósito)]

Le DJ qui veut faire une tanda Calo Ortiz a 6 titres au choix (la milonga est orpheline). Si on considère que De barro est à terre, il reste 5 titres… Pour une tanda de quatre, il faut en éliminer un et pour une tanda de trois, deux. C’est une des raisons où je trouve que les tandas de quatre sont plus intéressantes, car elles permettent de faire des parcours plus subtils que des tandas de trois. Mais c’est un autre débat. Voir mon article Tanda 5-4-3-2-1.

Mi cantar

Felicia 1966-03-11 – Orquesta Florindo Sassone

Enrique Saborido Letra Carlos Mauricio Pacheco

Felicia est un tango abondamment enregistré. La version d’aujourd’hui est un peu plus rare en milonga, car la sonorité particulière de Sassone n’est pas recherchée par tous les danseurs. Il a réalisé cet enregistrement le 11 mars 1966, il y a 58 ans.

Florindo Sassone (12 janvier 1912 – 31 janvier 1982) était violoniste. Il a commencé à monter son orchestre dans les années 1930.
Le a été particulièrement long à venir, mais il a progressivement créé son propre style en s’inspirant de Fresedo et Di Sarli. D’ailleurs, comme nous l’avons vu avant-hier avec Pimienta de Fresedo, les correspondances musicales sont nettes au point que l’on peut confondre dans certains passages Fresedo et Sassone dans les années 60. À Di Sarli, il a emprunté des éléments de sa la ligne mélodique et du dialogue entre le piano et le chant des violons.
Il gère son orchestre par bloc, sans mettre en valeur un instrument particulier avec des solos.
Pourtant, il a des musiciens de grand talent dans son orchestre :

  • Piano : Osvaldo Requena (puis Norberto Ramos)
  • Bandonéons : Pastor Cores, Carlos Pazo, Jesús Méndez et Daniel Lomuto (puis Orlando Calautti et Oscar Carbone avec le premier bandonéon Pasto Cores)
  • Violons : Roberto Guisado, Claudio González, Carlos Arnaiz, Domingo Mancuso, Juan Scafino et José Amatriali (Eduardo Matarucco, Enrique Mario Francini, José Amatriain, José Votti, Mario Abramovich et Romano Di Paola autour de Carlos Arnaiz, Claudio González et Domingo Mancuso).
  • Contrebasse : Enrique Marcheto (puis et Victor Osvaldo Monteleone)

Autre élément de son originalité, ses ponctuations qui terminent une bonne part de ses phrases musicales et des instruments plus rares en tango comme :

  • La harpe : Etelvina Cinicci
  • Le et les percussions : Salvador Molé

Écoutez le style très particulier de Sassone avec ce très court extrait de (version de 1974).

Les dix premières secondes de la canción de los pescadores de perlas 1974. Remarquez la harpe et le vibraphone.

Extrait musical

Felicia 1966-03-11 — Orquesta Florindo Sassone.

Les paroles

Il s’agit ici d’un tango instrumental. Felicia peut être un prénom qui fait penser à la joie (feliz en espagnol, félicité en français). Cependant, Carlos Mauricio Pacheco a créé des paroles pour ce tango et elles sont loin de respirer l’allégresse. Il exprime la nostalgie pour sa terre natale (l’Uruguay) en regardant la mer. Il peut s’agir du Rio de la Plata qui est tellement large qu’il est difficile de ne pas le prendre pour une mer quand on le voit depuis .

Allá en la casta apartada
donde cantan las espumas
el misterio de las brumas
y los secretos del mar,
yo miraba los caprichos
ondulantes de las olas
llorando mi pena a solas:
mi consuelo era el mirar.

Desde entonces en mi frente
como un insondable enigma
llevo patente el estigma
de este infinito pesar.
Desde entonces en mis ojos
está la sombra grabada
de mi tarde desolada:
en mis ojos está el mar.

Ya no tendré nunca aquellos
tintes suaves de mi aurora
aunque quizás se atesora
toda su luz en mis ojos.
Ya nunca veré mis playas
ni aspiraré de las lomas
los voluptuosos aromas
de mis flores uruguayas.

Enrique Saborido Letra Carlos Mauricio Pacheco

J’ai 65 versions différentes de ce titre et pas une n’est chantée. On se demande donc pourquoi il y a des paroles. C’est sans doute qu’elles ont été jugées un peu trop tristes et nostalgiques et pas en adéquation avec la musique qui est plutôt entraînante dans la plupart des versions.

Le vibraphone et la harpe dans

Sassone a utilisé assez systématiquement la harpe et le vibraphone dans ses enregistrements des années postérieures à 1960. C’est un peu sa signature, mais il n’est pas le seul. Je vous invite à identifier ces instruments dans les titres suivants. Amis danseurs, imaginez comment mettre en valeur ces « dings » et « bloings ».

Vida mía 1934-07-11 — Tito Schipa con Orquesta (Osvaldo Fresedo Letra: ).

Il peut s’agir d’un autre orchestre, mais on entend clairement le vibraphone dans ce titre et pas dans la version de danse chantée par Roberto Ray enregistrée moins d’un an avant, le 13 septembre 1939. Je présente cette version pour illustrer mon propos, mais la voix criée de Schipa n’est pas des plus agréables, contrairement à la version formidable de Ray.

Orquesta Osvaldo Fresedo. À gauche, on voit bien le vibraphone. À droite, on voit bien la harpe. Le vibraphone est caché à l’arrière.
El vals soñador 1942-04-29 — Orquesta Miguel Caló con (Armando Pontier Letra Oscar Rubens). On entend par exemple le vibraphone à 6 et 22 secondes.

Nina 1955 — Florindo Sassone (compositeur ).

Le vibraphone puis la harpe débutent ce thème (Nina 1955 Florindo Sassone. Extrait de « 100 años de vibráfono y su desarrollo en el Tango » de Gerardo Verdun (vibraphoniste que je vous recommande si vous vous intéressez à cet instrument).

Nina 1971 — Florindo Sassone (compositeur Abraham), le même thème enregistré en 1971.

Pour en savoir plus sur les instruments de musique du tango, vous pouvez consulter l’excellent site : Milongaophelia. Il manque quelques instruments comme la scie musicale, l’orgue Hammond, les ondes Martenot et éventuellement l’accordéon, mais leur panorama est déjà assez complet.
Comme danseur, vous pouvez vous entraîner à les reconnaître et les choisir pour dynamiser votre improvisation en passant d’un instrument à l’autre au fur et à mesure de leurs jeux de réponse.
Voici Florindo Sassone en représentation au Teatro Colón à Buenos Aires, le 21 juillet 1972. Vous pourrez entendre (difficilement, car le son n’est pas génial) :

  • (00:00) Organito de la Tarde (Castillo Cátulo (Ovidio Cátulo Castillo González) Letra : José González Castillo (Juan de León). On retrouve l’inspiration de Di Sarli dans cette interprétation.
  • (02:26) Champagne tango (Manuel Aróztegui Letra: Pascual Contursi)
  • (05:45) La cumparsita (Gerardo Matos Rodríguez Letra: Pascual Contursi)
  • (08:53) Re Fa si (Enrique Delfino). On y entend bien la harpe et le vibraphone.

Sur la vidéo on peut remarquer la harpe, le vibraphone, mais aussi les timbales, pas si courantes dans un orchestre de tango.

Et pour en terminer avec le tango du jour, un tango assez original, car il s’agit en fait d’un morceau de musique classique française, de Georges Bizet (Les pêcheurs de perles) qui a donné lieu à différentes versions par Sassone, donc celle que je vous offre ici, enregistrée en 1974. Vous y entendrez la harpe et le vibraphone, nos héros du jour.

La canción de los pescadores de perlas 1974 — Orquesta Florindo Sassone.

Nous sommes à présent au bord de la mer, partageant les pensées de Carlos Mauricio Pacheco, songeant à son pays natal.

Carlos Mauricio Pacheco, pensant à son Uruguay natal en regardant les vagues.

Sondage

Ce titre peut être considéré comme un particulier à danser. Vous pouvez donner votre avis en répondant à ce sondage.

Tinta verde 1938-03-07 — Orquesta Aníbal Troilo

(compositeur)

Peut-être vous êtes-vous demandé pourquoi ce sublime tango s’appelait « Tinta Verde » (Encre verte). La version de ce tango du jour a été enregistrée par Anibal Troilo le 7 mars 1938, il y a exactement 86 ans, mais la musique a été écrite par Bardi en 1914. Une d’amitié comme il en existe tant en Argentine.

Jetez l’encre

Agustín Bardi (13 août 1884 – 21 avril 1941) a écrit ce très beau tango en 1914. Il n’en existe pas à ma connaissance de versions chantées, toutes les versions sont instrumentales. On n’a donc que l’écoute et le titre pour avoir une idée du thème. Je me suis intéressé à d’autres tangos qui parlaient d’encre (tinta).
Tinta roja ( Letra: Cátulo Castillo). Il ne s’agit pas d’encre rouge, mais des jeux de couleurs, couleur du sang et du vin teinté (les hispanophones disent vino tinto pour parler du vin rouge). Tinta roja (1942) a sans doute été écrit en réponse à tinta verde qui avait toujours du succès comme en témoignent les enregistrements de D’Arienzo 1935 et Troilo 1938, celui dont on parle aujourd’hui).
Tinta china (Antonio Polito Letra : Héctor Polito). Encre de Chine. Peut-être pour les mêmes raisons, mais sans le même succès, ce tango écrit en 1942 parle des personnes à la peau noire. Tinta china se réfère donc à la couleur de la peau.
Tinta verde. J’ai gardé le suspens, mais je vous rassure, c’est impossible de deviner pourquoi ce tango s’appelle Tinta verde (encre verte). Ce n’est pas une histoire de couleur de peau (pas de petits Martiens à la peau verte), d’autant plus que la célèbre émission d’ mettant en scène la Guerre des Mondes d’Herbert George Wells (le plus grand pionnier de la science-fiction) n’a été diffusée que le 30 octobre 1938 et ce tango écrit en 1914.
Je lève le suspens, il s’agit tout simplement de l’encre verte, celle que l’on peut mettre dans les stylos.

1 Je suis parti d’une photo de Octopus Fluids, le fabricant de l’excellente encre Barock 1910, la verte s’appelle jade. J’espère que le collègue photographe ne m’en voudra pas de cet emprunt, mais j’ai trouvé sa photo si belle que je n’ai pas eu d’idée pour faire mieux. Voici le site d’Octopus Fluids pour ceux que ça intéresse. https://www.octopus-fluids.de/en/writing-ink-fountain-pen-inks/barock-fountain-pen-inks

Vous allez me dire que je devrais avancer une preuve, car étant instrumental, c’est difficile à vérifier.
La preuve, la voici ; Agustín Bardi avait pour voisin et ami, Eduardo Arolas (24 février 1892 – 29 septembre 1924). Ce dernier était illustrateur en plus d’être bandonéoniste, compositeur et chef d’orchestre. Il était donc coutumier de l’usage des encres. Curieuse coïncidence, à la même époque, Agustín Bardi travaillait pour une entreprise de transport, « La Cargadora » (la chargeuse, ou le chargeur). Dans cet établissement, Agustín écrivait les étiquettes des expéditions à l’encre verte. Cela lui a donné d’écrire le tango pour son jeune ami (il avait 22 ans et Agustín 30), compagnon d’usage des encres.

Eduardo, qui était donc également illustrateur a réalisé la couverture de la partition qui lui était dédiée, à l’encre verte… La boucle est bouclée.

Extrait musical

Depuis 1914, il y a eu diverses versions du titre. Vous pourrez entendre la plupart en fin de cet article. Mais le tango du jour est l’excellente version de Troilo de 1938. Il l’a réenregistré, avec moins de bonheur à mon sens en 1970.

Tinta verde 1938-03-07 — Orquesta . C’est le tango du jour.

Je trouve amusant de proposer en réponse, l’encre rouge, qui elle a des paroles chantées par Fiorentino. Nous en reparlerons sans doute en octobre…

Tinta roja 1941-10-23 — Orquesta Aníbal Troilo con / Sebastián Piana Letra : Cátulo Castillo

Je vous laisse apprécier le contraste. Ces titres peuvent être compatibles, pour les DJ qui mélangent les tangos chantés et instrumentaux.

D’autres enregistrements

Cette histoire d’amitié, trop vite interrompue par la mort d’Eduardo Arolas (en 1924, à 32 ans), a donné lieu à de nombreuses et belles versions. Agustín Bardi aura le bonheur d’entendre les versions de D’Arienzo et Troilo, mais probablement pas l’intéressante interprétation de Demare. Ce dernier l’a enregistré plus d’un an après la mort de Bardi, mais il se peut qu’il l’ait joué en sa présence avant avril 1941.

Tinta verde 1916 — Quinteto Criollo Atlanta. Une version acoustique, mais plutôt mélodique. Pas pour nos milongas, mais à découvrir, tout de même.
Tinta verde 1927-10-17 — Osvaldo Fresedo. Une version un peu , moyennement intéressante, même pour l’époque. À réserver aux fans absolus de Fresedo et de la vieille garde.
Tinta verde 1929-10-03 — Orquesta Pedro Maffia. Une version tranquille qui aura une sœur 30 ans plus tard.
Tinta verde 1935-08-12 — Orquesta Juan D’Arienzo. Un D’Arienzo typique de sa première période, avant l’arrivée de Biagi dans l’orchestre.
Tinta verde 1938-03-07 — Orquesta Aníbal Troilo. C’est le tango du jour.
Tinta verde 1942-12-09 — Orquesta . J’aime bien l’entrée du piano au début de cette version.
Tinta verde 1945-10-30 — Orquesta Carlos Di Sarli. Magnifique solo de violon.
Tinta verde 1954-01-26 — Orquesta Carlos Di Sarli. Une version lente et majestueuse, comme sait en produire El Señor del Tango.
Tinta verde 1957-06-19 — Orquesta Juan Cambareri. Une version un peu précipitée. Amusante, quasiment dansable en milonga. Elle sera sans doute déroutante pour les danseurs et donc à éviter, sauf occasion très particulière.
Tinta verde 1959 — Orquesta Pedro Maffia. 30 ans après le premier enregistrement, Maffia joue avec une sonorité différente, mais un rythme proche.
Tinta verde 1966-12-23 — Orquesta . Une version assez originale. Pas forcément géniale à danser, mais agréable à écouter.
Tinta verde 1967-11-14 Orquesta Juan D’Arienzo. Ce n’est clairement pas la meilleure version. Je ne proposerai pas en milonga, même si cela reste dansable.
Tinta verde 1970-11-23 — Orquesta Aníbal Troilo. Comme pour D’Arienzo, on s’éloigne un peu trop du tango de danse. C’est magnifique, mais sans doute insatisfaisant pour les meilleurs danseurs.

Il existe bien d’autres versions, les thèmes appréciés par Troilo ou D’Arienzo ont beaucoup de succès avec les orchestres contemporains. N’hésitez pas à donner votre avis sur votre version préférée en commentaire (il faut créer un compte pour éviter les spams, mais ce n’est pas très contraignant).

Agustin Bardi (à droite), a écrit ce tango pour son ami, Eduardo Arolas, à gauche.