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Maipo 1939-04-18 — Orquesta Juan D’Arienzo

Eduardo Arolas Letra Gabriel Clausi

Le théâtre Maipo est un célèbre théâtre de Buenos Aires. En plus de sa grande salle, il dispose de plusieurs étages où il est possible d’assister à des spectacles en prenant une petite merienda (goûter) pendant le spectacle. Plusieurs orchestres y ont joué, dont celui de Firpo qui fut un des premiers à enregistrer ce titre, en 1918. Mais êtes-vous sûr que ce tango parle bien de ce théâtre ?

Brève histoire du théâtre Maipo de Buenos Aires

Si on en croit l’historique développé sur le site du théâtre, voici quelques dates :

  • 1908-05-07, il a été inauguré sous le nom de Scala.
  • 1915-09-30, il est renommé en Esmeralda (il est d’ailleurs rue Esmeralda au 443).
  • 1922-08-15, il prend le nom actuel de Maipo.

Ce tango ne devrait donc pas être antérieur à 1922. Cependant, Roberto Firpo y a joué en 1920 et il a enregistré le tango Maipo en 1918, ce qui est logique. Je vous donnerai l’explication plus loin…
Pour changer, je vous propose de voir un documentaire sur son histoire.
Il est en espagnol, mais il y a des sous-titres multilingues…

Extrait musical

Maipo 1939-04-18 — Orquesta Juan D’Arienzo. C’est notre tango du jour.

Paroles

Les paroles ne sont pas contemporaines de la musique. Elles témoignent en fait d’un changement de dédicace du tango.
En effet, le tango écrit par Arolas fêtait le centenaire de la bataille de Maipo ou Maipú, une bataille gagnée contre les Espagnols dans les guerres d’indépendance.
1918, c’est aussi l’année de la création de la bandera, le drapeau argentin avec le soleil de Mai.
Cette gravure de Géricault existe aussi en couleur avec une bandera argentina… Je ne me suis donc pas fait prier pour en mettre dans mon illustration de couverture. J’ai voulu jouer sur les deux tableaux, le théâtre Maipo et le théâtre des opérations militaires, mais ce n’est pas très réussi…

Vuelve a mí, recuerdo del ayer
con el brillar de luces en escena;
siempre el mismo fulgor,
las viejas candilejas
son como estrellas…
Otra vez, vibra en la noche aquel
sueño de amor y canto del pasado;
sombras que corretean
por este viejo tablado de ayer.

Marquesinas de mis sueños,
mil destellos de colores,
figuras esculturales,
nombres que están olvidados…
corre el tiempo y el recuerdo
se entrelaza con la pena…
el sabor de cosas de antes
guardadas con tanto amor…

El viejo Maipo nos vio bajo sus luces
aquellos días tan llenos de ternuras
soñar amores que fueron embeleso…
con toda el alma, con toda la ilusión,
con estas notas, con este tango triste,
quiero contarte teatro de mi pueblo
aquello que guardé en mi corazón,
tal como lo viví… tan lleno de emoción.

Eduardo Arolas (Avant 1918 Letra de Gabriel Clausi plus tardive 1953 ?)

Traduction libre et indications

Cela me revient, un souvenir d’hier avec le scintillement des lumières sur la scène ; toujours la même luminosité, les vieilles lampes sont comme des étoiles…
De nouveau, le rêve d’amour et le chant du passé vibrent dans la nuit ; des ombres qui courent autour de cette vieille scène d’hier.

Des verrières de mes rêves, mille éclats de couleurs, des figures sculpturales, des noms oubliés… Le temps passe et le souvenir se mêle au chagrin… le goût des choses du passé gardées avec tant d’amour…


Le vieux Maipo nous voyait sous ses lumières, ces jours si pleins de tendresse, rêvant d’amours ravies… De toute mon âme, de toute mon illusion, avec ces notes, avec ce triste tango, j’ai envie de te dire, théâtre de mon village, ce que j’ai gardé dans mon cœur, comme je l’ai vécu… tellement plein d’émotion.

Autres versions

Maipo 1918 — Orquesta Roberto Firpo.

Une version commémorative de la bataille de Maipo ou Maipú ou Maïpu. Firpo jouera justement cette œuvre dans ce théâtre en 1920, alors qu’il s’appelle encore Esperalda, du nom de la rue où il est. Il ne prendra le nom de Maipo, qu’en 1922. J’imagine que Maipo qui est équivalent à Maipú peut venir du nom de la rue de la même manzana (bloc urbain de 100mx100m encadré par 4 rues). Le théâtre appartient au bloc délimité par l’avenue Corrientes et les rues Esmeralda (où il a sa porte principale), Maipù et Lavalle.

Maipo 1928-03-28 — Orquesta Julio De Caro.

Une version un peu nostalgique, qui pourrait coller aux paroles, mais en 1928, le théâtre n’était pas un « vieux théâtre ». Il a subi un incendie en 1928, mais c’était en novembre, en mars, les paroles ne pouvaient pas le regretter.

Maipo 1936-07-24 — Orquesta Pedro Maffia.

Huit ans plus tard, un thème très nostalgique. Une version douce et jolie, avec des vents et un piano agile. Une belle version qui entraîne bien.

Maipo 1939-04-18 — Orquesta Juan D’Arienzo. C’est notre tango du jour.
Maipo 1941-09-02 — Orquesta Julio De Caro.

Jolis violons, survolant le piano et l’orchestre plus percussif. Cette version, plus tonique que celle de 1928, s’accommode plus d’un thème militaire ou festif (évocation des spectacles du théâtre) que nostalgique.

Maipo 1953-04-10 — Orquesta Julio De Caro.

Une version un peu étrange. Compatible avec le thème du théâtre. Gabriel Clausi dont on ne connaît pas la date d’écriture des paroles pourrait aussi l’avoir écrit en 1953, à son retour de dix ans au Chili. Il retrouve le théâtre et la nostalgie fait le reste.

Maipo 1962-09-13 — Cuarteto Troilo-Grela.

Avec Aníbal Troilo (bandonéon), Roberto Grela (guitarra), Ernesto Báez (guitarrón), Eugenio Pro (contrabajo). Une très belle version, à écouter.

Maipo 1964 — Orquesta Fulvio Salamanca
Maipo 2024-01-12 — Orquesta Romantica Milonguera.

La toute dernière version, une version originale comme sait en faire cet orchestre.

Finalement, peu de versions collent aux paroles. La musique est plutôt tonique et pas nostalgique dans la plupart des versions.
Elle peut être tonique pour évoquer la bataille de Maipo, mais aussi pour présenter les spectacles qui se déroulaient dans la salle.
Je vous laisse donc en plan. Si vous trouvez la réponse et notamment la date d’écriture des paroles par Gabriel Clausi, je suis preneur.

À demain, les amis !

El huracán 1950-04-14 – Orquesta Edgardo Donato instrumental y con Carlos Almada

Osvaldo Donato; Edgardo Donato Letra: Nolo López (Manuel López)

Ce 14 avril est un jour faste, je vous propose deux tangos du jour. Ils portent le même nom, El huracán, ils sont composés par les mêmes frères Donato et ils ont été enregistrés le même jour. La seule différence est que l’un des deux est chanté par Carlos Almada.

Extrait musical

Voici les deux tangos enregistrés par Donato, le compositeur, le 14 avril 1950, il y a 74 ans.

El huracán 1950-04-14 — Orquesta Edgardo Donato instrumental
El huracán 1950-04-14 — Orquesta Edgardo Donato con Carlos Almada

Ces deux versions sont incroyablement différentes. Les instruments s’amusent énormément dans la première version, instrumentale. Les nuances sont plus marquées.

La version chantée par Carlos Almada a un rythme plus soutenu. La voix de Carlos Almada dit presque plus que chante les paroles. Cette version tonique décoiffe plus que la précédente, mais perd sans doute un peu de son intensité musicale. Il faudra écouter les deux.

Les paroles

El huracán desarraigó con crueldad
el rosal que planté en el jardín
de mi amor que cuidé con afán
y, al nacer una flor, la traición
le cortó sin piedad su raíz
y el rosal nunca más floreció.
Como al rosal mi ilusión la mató
un amor de mujer que mintió.
Cristo soy con mi cruz al andar,
compasión solo doy al pasar.
Vendaval que arrasó mi querer,
huracán transformado en mujer.

Fueron sus caricias
llenas de mal y traición,
labios que mintieron despiadados
y al besar su falsa boca
se me helaba el corazón.
Ilusión que se fue,
amor que mató.
Una mala mujer que lleva
el veneno escondido
en su negro corazón.

Te perdoné porque odiar yo no sé,
ni rencor para ti guardaré
sólo sé que su mal derrumbó
el Edén que hilvané con fervor,
luz de amor que jamás volverá
a alumbrar a mi fiel corazón.
Vago sin fe con mi cruz de dolor,
hoy vivir para mí es crueldad
juventud que le di sin dudar
y jugó sin piedad con mi amor.
Vendaval que arrasó mi querer,
huracán transformado en mujer.

Osvaldo Donato; Edgardo Donato Letra: Nolo López (Manuel López)

Traduction libre

L’ouragan a cruellement déraciné le rosier que j’avais planté dans le jardin de mon amour que j’ai entretenu avec empressement, et quand une fleur est née, la trahison a impitoyablement coupé sa racine et le rosier n’a plus jamais fleuri.
Comme le rosier, mon illusion a été tuée par l’amour d’une femme qui a menti.
Christ je suis avec ma croix quand je marche, la compassion je ne donne qu’en passant.
Un coup de vent qui a arasé mon amour, un ouragan transformé en femme.


Ses caresses étaient pleines de mal et de trahison, ses lèvres qui mentaient impitoyablement, et embrasser sa bouche, fausse me glaçait le cœur. L’illusion qui s’en est allée, l’amour qui tua.

Une mauvaise femme qui porte le poison caché dans son cœur noir.

Je t’ai pardonné parce que je ne sais pas haïr, je ne garderai pas de rancœur envers toi, ce que je sais c’est que ta mauvaiseté a fait s’effondrer l’Eden que j’avais arrosé avec ferveur, une lumière d’amour qui n’illuminera plus jamais mon cœur fidèle.

J’erre sans foi avec ma croix de douleur, aujourd’hui vivre pour moi, est une cruelle jeunesse que je lui ai donnée sans hésitation et que j’ai jouée sans pitié avec mon amour.
Un coup de vent qui a arasé mon amour, un ouragan transformé en femme.

Autres versions par Donato

Donato a enregistré deux versions en 1950, mais il nous a laissé également deux versions en 1932. Voici cette doublette :

El huracán 1932-12-09 — Orquesta Edgardo Donato con Félix Gutiérrez — Prise 1.
El huracán 1932-12-09 — Orquesta Edgardo Donato con Félix Gutiérrez — Prise 2.

Pour information, c’est la version inaugurale qui a été jouée avant cet enregistrement au Salón San Martín (en 1928), plus connu sous le nom de Salón Rodríguez Peña et aujourd’hui, Teatro El Vitral.
Pour mémoire, voici nos deux tangos du jour :

El huracán 1950-04-14 — Orquesta Edgardo Donato instrumental
El huracán 1950-04-14 — Orquesta Edgardo Donato con Carlos Almada

Donato l’enregistrera une dernière fois en 1961 avec la voix d’Andrés Galarce.

El huracán 1961-11-01 — Orquesta Edgardo Donato con Andrés Galarce

Autres versions par d’autres orchestres

El huracán 1943 — Tres Guitarras Argentinas Dir. Guillermo Neira.

Une version incroyable, comment les guitares virtuoses arrivent à produire le son de la tempête. Maintenant, un orchestre dont on pourrait qu’il soit à la mesure du défi de la tempête, celui de Juan D’Arienzo.

El huracán 1944-07-07 — Orquesta Juan D’Arienzo. D’Arienzo produit une belle prestation, notamment grâce au piano de Fulvio Salamanca.
El huracán 1948-09-21 — Orquesta Alfredo De Angelis.

De Angelis, avec son piano encore plus présent que dans la version de D’Arienzo de 1944 donne une belle version. Le rendu de la tempête avec les cordes rendant l’effet de vent en compagnie du piano est assez différent. Une version qui défile, emportée par le vent, jusqu’à la dernière note.

El huracán 1952 — Orquesta Tito Martín.

Pour représenter les années 50, j’ai choisi l’orchestre de Tito Martín, rarement diffusé en milonga. Il faut dire qu’il s’inscrit dans la lignée de ces orchestres à la manière de D’Arienzo et que donc on peut (doit ?) préférer passer l’original. Cependant, il ne démérite pas et je pense que beaucoup de danseurs ne remarqueront pas qu’il ne s’agit pas de D’Arienzo… Ah ! vous pensez que l’on ne peut pas tromper les danseurs ? Lisez cette anecdote jusqu’au bout et vous serez surpris…

El huracán 1967 — Orquesta Fulvio Salamanca.

L’ancien pianiste de D’Arienzo fait sa version personnelle, assez originale. Il récidivera avec une version semblable 8 ans plus tard.

El huracán 1973 — Orquesta Florindo Sassone.

Sassone, toujours à la recherche du temps perdu. Sa recherche de joliesse nuit sans doute à la force du message. Pour moi, ce n’est pas une version convaincante. Le vent manque de conviction, difficile de se faire emporter comme le rosier par son souffle.

El huracán 1987 — Los Solistas de D’Arienzo dir. by Carlos Lazzari.

La majorité des DJ passent ce titre en annonçant qu’il est de D’Arienzo. C’est bien sûr faux, D’Arienzo étant mort en 1976, soit plus de 11 ans avant cet enregistrement… Cependant, le chef d’orchestre est Carlos Lazzari, bandonéoniste et arrangeur de D’Arienzo dans ses dernières années. Les musiciens sont également en grande partie ceux de l’orchestre. C’est donc un héritage et le mensonge n’est pas trop fort. Cela permet de proposer une version plus énergique que celle de 1944, qui est un peu décevante sur ce point, bien que tout à fait convenable pour la danse.

Je vous laisse donc tourbillonner aux sons du terrifiant ouragan qui déracine les rosiers.

Vous pouvez continuer avec la plupart des orchestres contemporains qui continuent d’enregistrer de nouvelles versions de ce titre, la plupart dans l’esprit de D’Arienzo, mais le mieux, c’est de les danser en présence des orchestres, ce qui est possible très souvent à Buenos Aires.