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La última copa 1943-04-29 – Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo

Francisco Canaro Letra : Juan Andrés Caruso

Ceux qui fréquentent les milongas portègnes ont sans doute été étonnés de voir la quantité de bouteilles de champagne qui peuplent les tables. Ce breuvage a même des tangos à son nom. Toutes les boissons ne peuvent pas en dire autant. La última copa, le dernier verre, n’est donc pas le dernier pour tout le monde. Voyons ce que nous conte ce tango.

Il y a champagne et champagne

L’Argentine est un grand pays de viticulture et de vin. Elle propose des vins somptueux, curieusement presque tous nommés du nom du raisin qui les composent. On va prendre un Merlot, un Cabernet, une Syrah, un Chardonnay…
Le champagne que l’on trouve sur les tables des milongas n’a de champagne que le nom, tout comme le Roquefort. Il est produit sur place, notamment à Mendoza et en Patagonie.
Progressivement, sous la pression des viticulteurs français, le nom change pour laisser apparaître « méthode champenoise » ou autre indication laissant penser que c’est du Champagne, sans le dire vraiment. J’imagine que les viticulteurs français de Champagne ne tiennent pas en grande estime ces vins, bien que certains se vendent en Argentine bien plus cher que les « vrais » champagnes de supermarché français. Cependant, dans les milongas, c’est bien un mousseux standard qui vous sera servi comme champagne.
Revenons à notre última copa. Je vous propose de l’écouter… dans une vingtaine de versions…

Extrait musical

La última copa 1943-04-29 — Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo.

C’est une version bien rythmée, avec une accentuation forte des temps. Tanturi est considéré comme un orchestre facile à danser. Pour cette raison, on le rencontre souvent dans les encuentros. Ici, c’est la voix de Castillo qui déclame les paroles, tout au moins les deux premiers couplets et deux fois le refrain. Le chant commence à 1 minute, après la présentation par les bandonéons et les violons du thème, le violon travaillant surtout en ponctuation. À 2 : 05 Castillo laisse la place à l’orchestre, puis reprend le refrain pour terminer, juste avant les deux traditionnels accords de Tanturi (accord sur dominante, temps de silence, accord sur tonique, tardif).

Les paroles

Eche, amigo, nomás, écheme y llene
Hasta el borde la copa de champagne
Que esta noche de farra y de alegría
El dolor que hay en mi alma quiero ahogar

Es la última farra de mi vida
De mi vida, muchachos, que se va
Mejor dicho, se ha ido tras de aquella
Que no supo mi amor nunca apreciar

Yo la quise, muchachos y la quiero
Y jamás yo la podré olvidar
Yo me emborracho por ella
¿Y ella, quién sabe qué hará?

Eche, mozo, más champagne
Que todo mi dolor bebiendo lo he de ahogar
Y si la ven, amigos, díganle
Que ha sido por su amor que mi vida ya se fue

Y brindemos, nomás, la última copa
Que, tal vez, también ella ahora estará
Ofreciendo en algún brindis su boca
Y otra boca, feliz, la besará

Eche amigo, nomás, écheme y llene
Hasta el borde la copa de champagne
Que mi vida se ha ido tras de aquella
Que no supo mi amor nunca apreciar

Yo la quise, muchachos, y la quiero
Y jamás yo la podré olvidar
Yo me emborracho por ella
¿Y ella, quién sabe qué hará?

Eche, mozo, más champagne
Que todo mi dolor bebiendo lo he de ahogar
Y si la ven, amigos, díganle
Que ha sido por su amor que mi vida ya se fue

Francisco Canaro Letra: Juan Andrés Caruso

Castillo chante ce qui est en gras.

Traduction libre

Verse, mon ami, sans façon, verse et remplis à ras bord la coupe de champagne, car en cette nuit de réjouissances et de joie, je veux noyer la douleur qui est dans mon âme.
C’est la dernière fête de ma vie, de ma vie, les gars, qui s’en va… Ou plutôt, elle est partie avec celle que mon amour n’a jamais su apprécier.

Je l’ai aimée, les gars, et je l’aime, et jamais je ne pourrai l’oublier, je vais m’enivrer pour elle et qui sait ce qu’elle fera.
Verse, mozo (garçon, serveur) plus de champagne, que toute ma peine, en le buvant, je la noierai ; et si vous la voyez, les gars, dites-lui que c’est pour son amour que ma vie s’en est allée.

Et trinquons sans façon, le dernier verre, que peut-être, elle aussi, en ce moment, lors d’un toast, elle offrira sa bouche et une autre bouche heureuse l’embrassera.
Verse, mon ami, sans façon, verse et remplis à ras bord la coupe de champagne, car ma vie s’en est allée après celle que mon amour n’a jamais su apprécier.

Pour ceux qui disent que le tango raconte des histoires de cocus, ce texte, triste, il est vrai, parle plutôt d’un repentir, repentir de ne pas avoir porté d’intérêt à une femme qui l’aimait, jusqu’à ce qu’il soit trop tard. En parallèle de la détresse « théâtrale » du conteur, il y a eu auparavant la tristesse de la femme négligée.
Le champagne est le témoin de l’amitié, de la fête, mais aussi de la tristesse. C’est un compagnon supplémentaire qui a arrosé les tangueros depuis plus d’un siècle, depuis, pour le moins, que le tango s’est énivré du breuvage français dans les établissements parisiens au début du vingtième siècle.
Canaro est le compositeur de la musique. Caruso et Canaro furent amis, lorsque Caruso fut de retour d’exil, vers 1910. Caruso a eu une vie plutôt triste et courte (mort à 40 ans). Il a écrit ce joli texte, plein d’émotion, tout comme Mi noche triste et plus de 80 autres thèmes dont beaucoup ont été joués par Canaro.

Les versions

Canaro a été le premier à avoir enregistré le titre et il l’a fait à de nombreuses reprises. C’est lui qui commence la liste des versions.

La última copa 1926 — Orquesta Francisco Canaro.

La plus ancienne version enregistrée, par Canaro, sans les paroles de son ami Caruso. Le son est médiocre, aussi vous n’entendrez pas ce titre en milonga. Mais rassurez-vous, Canaro a mis le paquet et vous avez d’autres versions de son cru… Je pense que l’enregistrement est plutôt de 1925, voire antérieur.

La última copa 1927-03-23 — Orquesta Francisco Canaro con Agustín Irusta.

Irusta, l’année suivante chante les paroles de Caruso. C’est la première version chantée et l’enregistrement électrique rend le titre plus agréable à écouter.

La última copa 1927-06-14 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras).

Une version en chanson. On la comparera avec celle d’Héctor Mauré de 1954.

La última copa 1931-04-22 — Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro.

Canaro nous offre avec sa chérie, une version chanson du thème.

La última copa 1931-05-13 — Orquesta Francisco Canaro con Charlo.

Une version de danse, chantée par Charlo, chanteur de estribillo.

La última copa 1943-04-29 — Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo. C’est le tango du jour.
La última copa 1948-01-15 — Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas.

Une très belle version, mais pas forcément parfaite pour la danse. Les danseurs pourraient toutefois pardonner cela au DJ, car elle est superbe.

La última copa 1948 — Orquesta Luis Rafael Caruso con Julio Sosa. Valse.

Une version originale en valse. Sosa avait gagné un prix en Uruguay qui consistait à enregistrer des disques. Le son n’est pas parfait, mais cette version originale mérite l’écoute, voire la danse.

La última copa 1953-10-06 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán.

Comme souvent, la rencontre Pugliese et Morán, donne un tango un peu délicat à danser. Certains apprécient la voix, il en faut pour tous les goûts.

La última copa 1954 — Héctor Mauré con acomp. de guitarras.

Mauré reprend la tradition gardélienne. Le résultat est à comparer avec celui de son modèle.

La última copa 1956-09-25 — Orquesta Francisco Canaro con Guillermo Rico (Coral).

Une version dansable avec en prime la voix de Coral, sans doute assez rare dans les milongas.

La última copa 1957-05-20 — Dalva de Oliveira con acomp. de Francisco Canaro.

Avec ce septième enregistrement, Canaro a fait le tour. Ici une version à écouter par Dalva de Oliveira, à comparer avec celle d’Ada Falcón enregistrée 26 ans plus tôt.

La última copa 1958-04-17 — Orquesta Alfredo De Angelis con Juan Carlos Godoy.

Un De Angelis et Godoy classique. Bien dansable, enregistré par l’orchestre des calesitas.

La última copa 1965 — Orquesta Miguel Caló con Raúl del Mar y glosas de Héctor Gagliardi.

Une version sans doute plus pour l’écoute que pour la danse, mais intéressante

La última copa 1966-03-11 — Orquesta Florindo Sassone con Mario Bustos.

L’orchestre sert bien la voix de Bustos. Je ne proposerai pas pour la danse, mais c’est intéressant.

La última copa 1968-10-18 — Sexteto Tango con Jorge Maciel.

Le Sexteto Tango héritier de Pugliese donne sa version sans renier son modèle. Voir N… N…. Une version pour l’écoute avec une belle intro, une caractéristique de cet orchestre.

La última copa 1974 — Orquesta Florindo Sassone con Oscar Macri.

Une voix de ténor bien différente de celle de Mario Bustos. Je pense cette version moins intéressante que la précédente de Sassone.

La última copa 1987 — Los Solistas de D’Arienzo dir. par Carlos Lazzari con Walter Gutiérrez.

Souvent présenté comme étant un enregistrement de D’Arienzo, c’est en fait un enregistrement réalisé par ses solistes dirigés par Lazzari, qui était un de ses bandonéonistes et arrangeur, 11 après la mort du chef historique. Une version tonique, mais plus dans le style chanson que tango chanté. Cependant, elle est dansable, même si ce titre ne porte vraiment l’improvisation.

La última copa 2003 — Orquesta Mancifesta con Miguel Ángel Herrera.

Cet orchestre a commencé sa carrière à la fin de la vague Tango (1953). On lui doit cependant des enregistrements intéressants, comme celui-ci. Le disque est de 2003, l’enregistrement peut être antérieur. Cet orchestre, rarement passé en milonga, mériterait d’être plus entendu, même s’il n’est pas à la hauteur des plus grands orchestres. N’oublions pas que certains danseurs aiment être surpris par des versions inconnues.

El huracán 1950-04-14 – Orquesta Edgardo Donato instrumental y con Carlos Almada

Osvaldo Donato; Edgardo Donato Letra: Nolo López (Manuel López)

Ce 14 avril est un jour faste, je vous propose deux tangos du jour. Ils portent le même nom, El huracán, ils sont composés par les mêmes frères Donato et ils ont été enregistrés le même jour. La seule différence est que l’un des deux est chanté par Carlos Almada.

Extrait musical

Voici les deux tangos enregistrés par Donato, le compositeur, le 14 avril 1950, il y a 74 ans.

El huracán 1950-04-14 — Orquesta Edgardo Donato instrumental
El huracán 1950-04-14 — Orquesta Edgardo Donato con Carlos Almada

Ces deux versions sont incroyablement différentes. Les instruments s’amusent énormément dans la première version, instrumentale. Les nuances sont plus marquées.

La version chantée par Carlos Almada a un rythme plus soutenu. La voix de Carlos Almada dit presque plus que chante les paroles. Cette version tonique décoiffe plus que la précédente, mais perd sans doute un peu de son intensité musicale. Il faudra écouter les deux.

Les paroles

El huracán desarraigó con crueldad
el rosal que planté en el jardín
de mi amor que cuidé con afán
y, al nacer una flor, la traición
le cortó sin piedad su raíz
y el rosal nunca más floreció.
Como al rosal mi ilusión la mató
un amor de mujer que mintió.
Cristo soy con mi cruz al andar,
compasión solo doy al pasar.
Vendaval que arrasó mi querer,
huracán transformado en mujer.

Fueron sus caricias
llenas de mal y traición,
labios que mintieron despiadados
y al besar su falsa boca
se me helaba el corazón.
Ilusión que se fue,
amor que mató.
Una mala mujer que lleva
el veneno escondido
en su negro corazón.

Te perdoné porque odiar yo no sé,
ni rencor para ti guardaré
sólo sé que su mal derrumbó
el Edén que hilvané con fervor,
luz de amor que jamás volverá
a alumbrar a mi fiel corazón.
Vago sin fe con mi cruz de dolor,
hoy vivir para mí es crueldad
juventud que le di sin dudar
y jugó sin piedad con mi amor.
Vendaval que arrasó mi querer,
huracán transformado en mujer.

Osvaldo Donato; Edgardo Donato Letra: Nolo López (Manuel López)

Traduction libre

L’ouragan a cruellement déraciné le rosier que j’avais planté dans le jardin de mon amour que j’ai entretenu avec empressement, et quand une fleur est née, la trahison a impitoyablement coupé sa racine et le rosier n’a plus jamais fleuri.
Comme le rosier, mon illusion a été tuée par l’amour d’une femme qui a menti.
Christ je suis avec ma croix quand je marche, la compassion je ne donne qu’en passant.
Un coup de vent qui a arasé mon amour, un ouragan transformé en femme.


Ses caresses étaient pleines de mal et de trahison, ses lèvres qui mentaient impitoyablement, et embrasser sa bouche, fausse me glaçait le cœur. L’illusion qui s’en est allée, l’amour qui tua.

Une mauvaise femme qui porte le poison caché dans son cœur noir.

Je t’ai pardonné parce que je ne sais pas haïr, je ne garderai pas de rancœur envers toi, ce que je sais c’est que ta mauvaiseté a fait s’effondrer l’Eden que j’avais arrosé avec ferveur, une lumière d’amour qui n’illuminera plus jamais mon cœur fidèle.

J’erre sans foi avec ma croix de douleur, aujourd’hui vivre pour moi, est une cruelle jeunesse que je lui ai donnée sans hésitation et que j’ai jouée sans pitié avec mon amour.
Un coup de vent qui a arasé mon amour, un ouragan transformé en femme.

Autres versions par Donato

Donato a enregistré deux versions en 1950, mais il nous a laissé également deux versions en 1932. Voici cette doublette :

El huracán 1932-12-09 — Orquesta Edgardo Donato con Félix Gutiérrez — Prise 1.
El huracán 1932-12-09 — Orquesta Edgardo Donato con Félix Gutiérrez — Prise 2.

Pour information, c’est la version inaugurale qui a été jouée avant cet enregistrement au Salón San Martín (en 1928), plus connu sous le nom de Salón Rodríguez Peña et aujourd’hui, Teatro El Vitral.
Pour mémoire, voici nos deux tangos du jour :

El huracán 1950-04-14 — Orquesta Edgardo Donato instrumental
El huracán 1950-04-14 — Orquesta Edgardo Donato con Carlos Almada

Donato l’enregistrera une dernière fois en 1961 avec la voix d’Andrés Galarce.

El huracán 1961-11-01 — Orquesta Edgardo Donato con Andrés Galarce

Autres versions par d’autres orchestres

El huracán 1943 — Tres Guitarras Argentinas Dir. Guillermo Neira.

Une version incroyable, comment les guitares virtuoses arrivent à produire le son de la tempête. Maintenant, un orchestre dont on pourrait qu’il soit à la mesure du défi de la tempête, celui de Juan D’Arienzo.

El huracán 1944-07-07 — Orquesta Juan D’Arienzo. D’Arienzo produit une belle prestation, notamment grâce au piano de Fulvio Salamanca.
El huracán 1948-09-21 — Orquesta Alfredo De Angelis.

De Angelis, avec son piano encore plus présent que dans la version de D’Arienzo de 1944 donne une belle version. Le rendu de la tempête avec les cordes rendant l’effet de vent en compagnie du piano est assez différent. Une version qui défile, emportée par le vent, jusqu’à la dernière note.

El huracán 1952 — Orquesta Tito Martín.

Pour représenter les années 50, j’ai choisi l’orchestre de Tito Martín, rarement diffusé en milonga. Il faut dire qu’il s’inscrit dans la lignée de ces orchestres à la manière de D’Arienzo et que donc on peut (doit ?) préférer passer l’original. Cependant, il ne démérite pas et je pense que beaucoup de danseurs ne remarqueront pas qu’il ne s’agit pas de D’Arienzo… Ah ! vous pensez que l’on ne peut pas tromper les danseurs ? Lisez cette anecdote jusqu’au bout et vous serez surpris…

El huracán 1967 — Orquesta Fulvio Salamanca.

L’ancien pianiste de D’Arienzo fait sa version personnelle, assez originale. Il récidivera avec une version semblable 8 ans plus tard.

El huracán 1973 — Orquesta Florindo Sassone.

Sassone, toujours à la recherche du temps perdu. Sa recherche de joliesse nuit sans doute à la force du message. Pour moi, ce n’est pas une version convaincante. Le vent manque de conviction, difficile de se faire emporter comme le rosier par son souffle.

El huracán 1987 — Los Solistas de D’Arienzo dir. by Carlos Lazzari.

La majorité des DJ passent ce titre en annonçant qu’il est de D’Arienzo. C’est bien sûr faux, D’Arienzo étant mort en 1976, soit plus de 11 ans avant cet enregistrement… Cependant, le chef d’orchestre est Carlos Lazzari, bandonéoniste et arrangeur de D’Arienzo dans ses dernières années. Les musiciens sont également en grande partie ceux de l’orchestre. C’est donc un héritage et le mensonge n’est pas trop fort. Cela permet de proposer une version plus énergique que celle de 1944, qui est un peu décevante sur ce point, bien que tout à fait convenable pour la danse.

Je vous laisse donc tourbillonner aux sons du terrifiant ouragan qui déracine les rosiers.

Vous pouvez continuer avec la plupart des orchestres contemporains qui continuent d’enregistrer de nouvelles versions de ce titre, la plupart dans l’esprit de D’Arienzo, mais le mieux, c’est de les danser en présence des orchestres, ce qui est possible très souvent à Buenos Aires.