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Corazón de oro 1980-07-01 — Orquesta Alfredo De Angelis

Letra:

La d’aujourd’hui, de oro, créée par Francisco Canaro est un immense succès, mais la version du jour va sans doute vous étonner. Si elle ne vous plait pas, je me rattraperai avec les nombreuses versions de Canaro. Mais comme je sais que vous avez un cœur en or, vous me pardonnerez de vous infliger une version de Alfredo De Angelis, bien étrange.

Extrait musical

Corazón de oro 1980-07-01 — Orquesta De Angelis.

L’introduction est réduite en étant jouée plus rapidement (les descentes chromatiques sont jouées en croches et pas en noires, donc deux fois plus rapidement.
Ce qui vous surprendra rapidement, ce sont les sonorités, au piano de De Angelis, aux superbes violons, aux bandonéons virtuoses, s’ajoute un orgue électronique, à partir de 45 secondes.
Celui chante la mélodie, puis les autres se mélangent de nouveau. Le résultat manque un peu de clarté et je ne suis pas convaincu qu’il soit totalement apprécié par les danseurs qui risquent de regretter les versions de Canaro que vous allez pouvoir apprécier à la suite de cet article.

Corazón de oro — Francisco Canaro Letra: Jesús Fernández Blanco.

La partition demande trois pages, contre deux généralement à cause de la très longue introduction, vraiment très longue dans certaines versions, même si ce n’est pas le cas pour notre valse du jour par De Angelis qui ne fait « que » 15 secondes.

Paroles

Con su amor mi madre me enseñó
a reír y soñar,
y con besos me alentó
a sufrir sin llorar…
En mi pecho nunca tengo hiel,
en el alma, canta la ilusión,
y es mi vida alegre cascabel.
¡Con oro se forjó mi corazón!…
Siempre he sido noble en el amor,
el placer, la amistad;
mi cariño no causó dolor,
mi querer fue verdad…
Cuando siento el filo de un puñal
que me clava a veces la traición,
no enmudece el pájaro ideal,
¡porque yo tengo de oro el corazón!…

Entre amor
florecí
y el dolor
huyó de mí.
Sé curar
mi aflicción
sin llorar,
¡tengo de oro el corazón!…

¡Los ruiseñores de mi alegría
van por mi vida cantando a coro
y en las campanas del alma mía
resuena el oro del corazón!…

Yo pagué la negra ingratitud
con gentil compasión,
y jamás dejó mi juventud
de entonar su canción…
Al sentir el alma enardecer
y apurar con ansia mi pasión,
no me da dolores el placer,
¡pues tengo de oro puro el corazón!…
Entre risas pasa mi vivir,
siempre amé, no sé odiar,
y convierto en trinos mi sufrir
porque sé perdonar…
Mi existencia quiero embellecer,
pues al ver que muere una ilusión,
otras bellas siento renacer,
¡mi madre me hizo de oro el corazón!…

Francisco Canaro Letra: Jesús Fernández Blanco

Traduction libre

Avec son amour, ma mère m’a appris à rire et à rêver, et avec des baisers, elle m’a encouragé à souffrir sans pleurer…
Dans mon cœur je n’ai jamais de fiel, dans mon âme l’illusion chante, et ma vie est un joyeux carillon (cascabel = grelot, j’ai un peu interprété et surtout, il ne faut pas prendre cascabel pour une de ses significations en ).
Mon cœur s’est forgé avec de l’or…
J’ai toujours été noble en amour, en plaisir, en amitié ; mon affection ne causait pas de douleur, mon amour était vrai…
Quand je sens le tranchant d’un poignard qui me transperce parfois de trahison, l’oiseau idéal ne se tait pas, car mon cœur est fait d’or…
entouré d’amour, je fleurissais et la douleur me fuyait.
Je sais guérir mon affliction sans pleurer, j’ai un cœur en or…
Les rossignols de ma joie traversent ma vie en chantant en chœur et dans les cloches de mon âme résonne l’or du cœur…
J’ai payé l’ingratitude noire avec une douce compassion, et ma jeunesse n’a jamais cessé de chanter sa chanson…
Quand je sens mon âme enflammer et animer avec ardeur ma passion, le plaisir ne me cause pas de douleur, car mon cœur est fait d’or pur…
Entre les rires ma vie passe, j’ai toujours aimé, je ne sais pas haïr, et je transforme ma souffrance en trilles parce que je sais pardonner…
Je veux embellir mon existence, car quand je vois qu’une illusion (un sentiment amoureux) meurt, j’en sens d’autres, belles, renaître, ma mère a fait mon cœur en or…

Autres versions

Corazón de Oro par Canaro

La composition est de Canaro et c’est donc lui qui se taille la part du lion des enregistrements. Je vous propose de commencer par lui et de revenir ensuite avec des enregistrements intermédiaires d’autres orchestres.

Corazón de oro 1928-05-19 — Orquesta Francisco Canaro.

Une introduction qui prend son temps, très lente. La valse ne commence qu’après 50 secondes, ce qui est beaucoup pour la patience des danseurs d’aujourd’hui. On peut éventuellement la placer en début de tanda, ou couper l’introduction. Les violons émettent des miaulements étonnants. Bien que d’une durée respectable (près de 5 minutes), cette valse n’est pas monotone et pourra satisfaire les danseurs. Elle est très rarement passée en . Il faut dire qu’elle a plein de copines du même Canaro qui sont intéressantes. Jetons-y un œil.

Corazón de oro 1928-08-07 – Orquesta Francisco Canaro con Charlo.

L’introduction est relativement longue, mais plus rapide que pour la version de mai de la même année. De plus, elle tourne un peu, annonçant plus la valse qui va suivre. Elle est plus rapide et Charlo, intervient pour chanter le refrain à près de deux minutes. C’est une version qui tourne bien et qui donc a toute sa place en milonga.

Corazón de oro 1929-12-17 – Orquesta Francisco Canaro.

C’est déjà le troisième enregistrement de cette valse par Canaro. L’introduction est du type long, mais moins lente que dans la première version de 1928. Le ralentissement de la fin est sympathique.

Corazón de oro 1930-06-11 – Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro.

L’introduction avec ses 25 secondes peut être laissée. Elle laisse immédiatement la place à la voix magnifique de Ada Falcón. Ce n’est pas une version de danse, mais elle est si jolie que je pense qu’une bonne partie des danseurs pardonneront aux DJ qui la passera en milonga. Pour ma part, j’adore.

Corazón de oro 1938-03-24 – Orquesta Francisco Canaro.

Décidément Canaro enchaîne les enregistrements de sa valse. J’ai l’impression que c’est la version qui passe le plus souvent en milonga. Elle démarre sans longue introduction et le rythme est bien marqué. L’équilibre entre les bandonéons avec les violons en contrepoint est magnifique. C’est donc logiquement que les danseurs l’apprécient d’autant que certains passages plus énergiques réveillent l’attention. La flûte et la trompette bouchée, qui rappellent que Canaro donne aussi dans le jazz donne une sonorité originale à cette version qui n’est pas monotone malgré sa durée respectable de 3:13 minutes. Sa fin dynamique permet de l’envisager en fin de tanda.

Corazón de oro 1951-11-26 – Orquesta Francisco Canaro.

Canaro a laissé quelques années de côté sa valse pour la ressortir dans une version remaniée. C’est la version qui servira de modèle à Lalo Schifrin pour la musique du film Tango de Carlos Saura. La présence de chœur chantant la mélodie sans paroles est aussi une originalité, également reprise par Lalo Schifrin. Cette version bénéficie aussi de la fin tonique qui en fait une bonne candidate de fin de tanda.

Corazón de oro 1961-12-26 — Orquesta Francisco Canaro con coro.

La dernière version enregistrée par Canaro, trois ans avant sa mort. Cet enregistrement a été effectué au . Les Japonais sont passionnés de tango et le succès des tournées des artistes argentins en témoigne.
Canaro renoue avec l’introduction longue et lente de la première version qui atteint 50 secondes. Le résultat est encore une valse qui dépasse les 4 minutes, ce qui peut pousser les DJ à couper l’introduction, d’autant plus qu’elle n’est pas dansante. C’est très joli, mais peut-être pas la version la plus touchante pour les danseurs. Comme dans la version de la décennie précédente le chœur apporte sa note d’originalité, mais c’est sans doute la fin qui est le plus remarquable, après un passage extrêmement lent, une fin, explosive. En milonga, ça passe, ou ça casse. Soit les danseurs adorent, soit ils s’arrêtent de danser avant la fin. Il faut donc bien juger de son public avant de passer cette version.

On continue avec le Quinteto qui a prolongé l’héritage de Canaro après sa mort avec deux enregistrements.

Corazón de oro 1978 — Quinteto Pirincho dir. .

Cette version, souvent étiquetée Canaro, car il s’agit du Quinteto Pirincho a été enregistré 14 ans après la mort de Canaro… C’est Oscar Bassil (bandonéoniste) qui dirigeait le Quinteto à cette époque.

Corazón de oro 1996 — Quinteto Pirincho Dir. Antonio D’Alessandro.

Autre version du Pirincho, dans la version lente. Cette fois dirigée par Antonio D’Alessandro.

Contrairement à Bassil, D’Alessandro reprend la tradition de l’introduction lente qui dure dans le cas présent près de 40 secondes. Les premiers temps de la valse sont très accentués par moments ce qui peut paraître manquer de subtilité. Cette version me semble moins aboutie que celle de Bassil et le chœur a une voix que je trouve horrible, voire presque lugubre. Certainement pas ma version préférée si je souhaite faire plaisir aux danseurs, ce qui est en général mon objectif premier…

Corazón de oro par d’autres orchestres

Passons à d’autres orchestres maintenant.

Corazón de oro 1950-04-11 — Juan Cambareri y su Cuarteto Típico.

Encore une version de Cambareri à une vitesse de fou furieux. C’est plus de l’essorage de linge que de la valse à une telle vitesse. Je me demande ce qu’il avait dans la tête pour donner des interprétations à une telle vitesse. On est aux antipodes de Canaro qui était plutôt calme, voire très calme dans toutes ses versions.

Corazón de oro 1954-11-05 — Orquesta Juan Sánchez Gorio.

Une version calme, bien dansante, sans doute entendue trop rarement en milonga. Il faut dire qu’avec le choix que propose Canaro, on peut hésiter à sortir des sentiers battus. Les contrepoints du piano sont particulièrement originaux. J’aime beaucoup et en général, les danseurs aussi (c’est la moindre des choses pour un DJ que de passer des choses qui donnent envie de danser…).

Corazón de oro 1955-06-13 — Orquesta .

Une version intéressante, destructurée et avec des artistes virtuoses, que ce soit le violon de Francini ou le piano de Angel Scichetti. J’avoue que je n’irai pas la proposer en milonga, mais cette version vaut tout de même une écoute attentive.

Corazón de oro 1959 — Juan Cambareri y su Cuarteto de Ayer.

Non, Cambareri ne s’est pas calmé, ou alors, très peu. Cette version est quasiment aussi rapide que celle de 1950.

Corazón de oro 1959 — Los Violines De Oro Del Tango.

Une version plutôt orientée musique classique, mais pas inintéressante.

Corazón de oro 1979 — Nelly Omar con el conjunto de guitarras de José Canet.

La voix chaleureuse de Nelly Omar donne une version originale de cette valse. Il y a peu de versions chantées, il est donc intéressant d’en avoir une de plus, même si ce n’est pas pour danser. On notera qu’elle utilise de façon personnelle les paroles, mais après tout, pourquoi pas.

Corazón de oro 1980-07-01 — Orquesta De Angelis. C’est notre valse du jour.

Je vous propose de terminer avec cette version, on pourrait sinon continuer à se perdre dans les versions pendant des heures, tant ce titre a été enregistré.

Canaro et De Angelis

Un des derniers disques de De Angelis s’appelle Bodas de Oro con el Tango. Le livre de mémoires de Canaro est également sous-titré Mis Bodas de Oro con el Tango. J’ai trouvé amusante cette coïncidence.

Las bodas de oro de Canaro y De Angelis. Le disque et la cassette édités en 1982 et le livre de Canaro édité en 1956. On notera la présence de Gigi De Angelis, la fille de De Angelis, chanteuse.

Alfredo De Angelis a enregistré 17 titres de Canaro. Notre valse du jour n’est pas sur ce disque, mais sur un disque intitulé Al colorado de Banfield (1985), le colorado (le rouquin), c’est De Angelis, qui était fan du club de football de Banfield. Il a d’ailleurs écrit un tango « El Taladro », El Taladro étant le surnom du club de Banfield.

L’album s’appelle Al Colorado de Banfield à cause du tango composé par Ernesto Baffa et Roberto Pérez Prechi en l’honneur de De Angelis.
Il a été publié en 1985, mais il comporte des enregistrements de 1980 (comme notre valse du jour), jusqu’à 1985. C’est son dernier disque.

Canaro et De Angelis ont leurs partisans et leurs opposants. Aucun des deux n’a pu entrer dans le saint des saints des 4 piliers, réservé à Pugliese, Troilo, D’Arienzo et Di Sarli, mais ils ont créé tous les deux suffisamment de titres intéressants pour avoir une bonne place dans le panthéon du tango et tant pis pour les ronchonchons qui n’aiment pas.

À demain les amis !

La payanca 1936-06-09 — Orquesta Juan D’Arienzo

Augusto Pedro Berto Letra: (V1) — Jesús Fernández Blanco (V2)

La payanca par D’Arienzo dans la version de 1936 est un des très gros succès des milongas. Peut-être vous-êtes-vous demandé d’où venait le nom de ce tango ? Si ce n’est pas le cas, laissez-moi vous l’indiquer t vous faire découvrir une vingtaine de versions et vous présenter quelques détails sur ce titre.

Extrait musical

Partition pour piano de la Payanca. Couverture originale à gauche et Partition de piano à droite avec les paroles de Jesús Fernández Blanco (les plus récentes).
La payanca 1936-06-09 — Orquesta Juan D’Arienzo.

C’est un des premiers enregistrements où Biagi se lâche. Le contrebassiste, Rodolfo Duclós marque un rythme à la « Yumba » qui deviendra une caractéristique de Pugliese. Les violons de Alfredo Mazzeo, León Zibaico, Domingo Mancuso et Francisco Mancini font des merveilles. Une version énergique, euphorisante, sans doute la toute première à utiliser pour faire plaisir aux .
On remarque qu’il est indiqué « Sobre motivos populares ». En effet, on reconnaîtra des thèmes traditionnels, notamment de gato (une sorte de chacarera), mais modifié en tango.
On remarquera également qu’il est indiqué « Tango Milonga », ce qui signifie que c’est un tango pour danser. Cependant, nous verrons que ce thème a également été basculé franchement du côté de la milonga pure et dure dans d’autres enregistrements.

Trois versions de couverture de la partition. À gauche, la plus ancienne, sans auteur de paroles. Au centre, avec les paroles de Caruso et à droite, avec les paroles de Blanco.

Origine du titre

Dans son livre, Así nacieron los tangos, Francisco García Jiménez, raconte que le tango est né lors d’une fête à la campagne en l’honneur d’une personnalité locale qui venait d’être élue triomphalement, des musiciens avaient joué des airs de l’intérieur, dont un gato (sorte de chararera) duquel il restait : « Laraira laralaila; laira laraira… ». Il est impossible de retrouver le gato à partir de cette simple indication, car laraira… c’est comme tralala. C’est ce que chantent les payadors quand ils cherchent leurs mots (ils chantaient en inventant les paroles à la volée). Certains textes de ces musiques ont été fixés et écrits par la suite et nombre d’entre eux comportent Laraira laralaila; laira laraira ou équivalent :

  • La,lara,laira,laira,la dans Pago viejo (chacarera, mais le rythme est proche du gato),
  • Lara lara laira larai ñarai lá dans Corazón alegre (bailecito)
  • Trala lará larala lará larala lará lará dans El pala pala (danse, danza)
  • Lará, larará, laraira, Lará, larará, laraira, dans Cabeza colorada
  • La ra lara la ra la la ra la ra la ra la dans La Sanlorencina (Cuenca)
  • La lalara la la la la la la La la lara la la la la la la La la lara la la lara la la dans Dios a la una (chanson).
  • Tra lara lara lara tra lara lero dans Que se vengan los chicos (Bailecito)
  • La lara la la la la La lara la la la la dans La chararera del adios (chacarera)
  • Larala larala lara lara lara lara lara dans Amigazo pa’ sufrir (huella)
  • La lara lara larará… lara lara larará… lara lara larará… dans Cantar de coya (Carnavalito)
  • Lara lara lara lara dans Muchacha de mayo (Chanson).

Je n’ai pas trouvé de gato avec l’indication, mais il est fort probable que Berto ait entendu une improvisation, le lara lara étant une façon de meubler quand les paroles ne viennent pas.
Donc Berto a entendu ce gato ou gato polqueado et il eut l’idée de l’adapter en tango. Lui à la guitare et Durand à la flûte l’ont adapté et joué. Ce titre a tout de suite été un succès et comme souvent à l’époque, il est resté sans être édité pendant onze années. Comme la plupart des orchestres jouaient le titre, il était très connu et les danseurs et divers paroliers lui ont donné des paroles, plus ou moins recommandables. N’oublions pas où évoluait le tango à cette époque.
Deux de ces paroles nous sont parvenues, celles de Caruso et celles de Blanco. Les secondes sont plus osées et correspondent assez bien à cet univers.
Il reste à préciser pourquoi il s’appelle payanca. Selon Jiménez, Berto aurait dit tout de go que ce tango s’appelait ainsi quand il fut sommé de donner un titre. Il semblerait que Berto ait donné sa propre version de l’histoire, en affirmant que le titre serait venu en voyant des gamins jouer avec un lasso à attraper des poules. Un adulte leur aurait crié « ¡Pialala de payanca!« , c’est-à-dire tire la avec un mouvement de payanca. Il indiquait ainsi la meilleure façon d’attraper la poule avec le lasso.
L’idée du lasso me semble assez bonne dans la mesure où les trois partitions qui nous sont parvenues illustrent ce thème.
Voici une vidéo qui montre la technique de la Payanca qui est une forme particulière de lancer du lasso pour attraper un animal qui court en le faisant choir.

Dans cette vidéo, on voit un pial (lancement du lasso) pour attraper un bovidé à l’aide de la technique « Payanca ». Elle consiste à lancer le lasso (sans le faire tourner) de façon à entraver les antérieurs de l’animal pour le déséquilibrer et le faire tomber. Âmes sensibles s’abstenir, mais c’est la vie du gaucho. Ici, un joli coup par le gaucho Milton Mariano Pino.

Pour être moins incomplet, je pourrai préciser que la payanca ou payana ou payanga ou payaya est un jeu qui se joue avec cinq pierres et qui est très proches au jeu des osselets. L’idée de ramasser les pierres en quechua se dit pallay, ce qui signifie collectionner, ramasser du sol. Que ce soit attraper au lasso ou ramasser, le titre joue sur l’analogie et dans les deux cas, le principe est de capturer la belle, comme en témoignent les paroles.

Paroles de Juan Andrés Caruso

¡Ay!, una payanca io
quiero arrojar
para enlazar
tu corazón
¡Qué va cha che!
¡Qué va cha che !
Esa payanca será
certera
y ha de aprisonar
todo tu amor
¡Qué va cha che !
¡Qué va cha che !
Por que yo quiero tener
todo entero tu querer.

Mira que mi cariño es un tesoro.
Mira que mi cariño es un tesoro.
Y que pior que un niño po’ ella « yoro »…
Y que pior que un niño po’ ella « yoro »…

Payanca de mi vida, ay, io te imploro.
Payanca de mi vida, ay, io te imploro,
que enlaces para siempre a la que adoro…
que enlaces para siempre a la que adoro…
Augusto Pedro Berto Letra: Juan Andrés Caruso

Augusto Pedro Berto Letra: Juan Andrés Caruso

Traduction libre des paroles de Juan Andrés Caruso

Yeh ! une payanca (payanca attraper au lasso). Moi, (Io pour yo = je), je veux lancer pour enlacer (enlacer du lasso…) ton cœur.
Que vas-tu faire ! (¿Qué va cha ché ? ou Qué vachaché Est aussi un tango écrit par Enrique Santos Discépolo)
Que vas-tu faire !
Cette payanca sera parfaite et emprisonnera tout ton amour.
Que vas-tu faire ?
Que vas-tu faire ?
Parce que je veux avoir tout ton amour.

Regarde, mon affection est un trésor.
Regarde, mon affection est un trésor.
Et quoi de pire qu’un enfant qui pleure pour elle…
Et quoi de pire qu’un enfant qui pleure pour elle…

Payanca de ma vie, oui, je t’en supplie (il parle à son coup de lasso pour attraper le cœur de sa belle).
Payanca de ma vie, oui, je t’en supplie,
que tu enlaces pour toujours celle que j’adore…
que tu enlaces pour toujours celle que j’adore…
La métaphore rurale et gauchesque est poussée à son extrémité. Il compare la capture du cœur de sa belle à une passe de lasso. Dans le genre galant, c’est moyen, mais cela rappelle que la vie du gaucho est une source d’inspiration pour le tango et en cela, je ne partage pas l’avis de Jorges Luis Borges pour quoi le tango est uniquement urbain et violent.

Paroles de Jesús Fernández Blanco

Con mi payanca de amor,
siempre mimao por la mujer,
pude enlazar su corazón…
¡Su corazón !
Mil bocas como una flor
de juventud, supe besar,
hasta saciar mi sed de amor…
¡Mi sed de amor !

Ninguna pudo escuchar
los trinos de mi canción,
sin ofrecerse a brindar
sus besos por mi pasión…
¡Ay, quién pudiera volver
a ser mocito y cantar,
y en brazos de la mujer
la vida feliz pasar !

Payanca, payanquita
de mis amores,
mi vida la llenaste
de resplandores…
¡Payanca, payanquita
ya te he perdido
y sólo tu recuerdo
fiel me ha seguido!

Con mi payanca logré
a la mujer que me gustó,
y del rival siempre triunfé.
¡Siempre triunfé!
El fuego del corazón
en mi cantar supe poner,
por eso fui rey del amor…
¡Rey del amor!

Jesús Fernández Blanco

Traduction, libre des paroles de Jesús Fernández Blanco

Avec ma payanca d’amour (je ne sais pas quoi en penser, admettons que c’est son coup de lasso, mais il peut s’agir d’un autre attribut du galant), toujours choyée par les femmes, j’ai pu enlacer ton cœur…
Ton cœur !
Mille bouches comme une fleur de jouvence, j’ai su embrasser, jusqu’à étancher ma soif d’amour…
Ma soif d’amour !

Aucune ne pouvait entendre les trilles de ma chanson, sans offrir ses baisers à ma passion…
Yeh, qui pourrait redevenir un petit garçon et chanter, et passer dans les bras de la femme, la vie heureuse !

Payanca, payanquita de mes amours (Payanca, petite payanca, on ne sait toujours pas ce que c’est…), tu as rempli ma vie de brillances…
Payanca, payanquita Je t’ai déjà perdue et seul ton souvenir fidèle m’a suivi !

Avec ma payanca, j’ai eu la femme que j’aimais, et du rival, j’ai toujours triomphé.
J’ai toujours triomphé !
J’ai su mettre le feu du cœur dans ma chanson (la payanca pourrait être sa chanson, sa façon de chanter), c’est pourquoi j’étais le roi de l’amour…
Le roi de l’amour !

Autres versions

La payanca 1917-05-15 — Orq. Eduardo Arolas con .

Probablement la plus ancienne version enregistrée qui nous soit parvenue. Il y a un petit doute avec la version de Celestino Ferrer, mais cela ne change pas grand-chose. Pancho Cueva à la guitare et au chant et le tigre du Bandonéon (Eduardo Arolas) avec son instrument favori. On notera que si le tango fut composé vers 1906, sans paroles, il en avait en 1917, celles de Juan Andrés Caruso.

La payanca 1918-03-25 (ou 1917-03-12) — Orquesta Típica Ferrer (Orquesta Típica Argentina Celestino).

Le plus ancien ou le second, car il y a en fait deux dates, 1917-03-12 et 1918-03-25. Je pense cependant que cette seconde date correspond à l’édition réalisée à New York ou Camdem, New Jersey. On remarquera que l’orchestre comporte une guitare, celle de Celestino Ferrer qui est aussi le chef d’orchestre, une flûte, jouée par et un accordéon par Carlos Güerino Filipotto. Deux violons complètent l’orchestre, et L. San Martín. Le piano est tenu par une femme, Carla Ferrara. C’est une version purement instrumentale. Après avoir été un des pionniers du tango en France, Celestino Ferrer s’est rendu aux USA où il a enregistré de nombreux titres, dont celui-ci.

La payanca 1926-12-13 — Orquesta Típica Victor, direction .

Une version un peu plus moderne qui bénéficie de l’enregistrement électrique. Mais on peut mieux faire, comme on va le voir bientôt.

La payanca 1936-06-09 — Orquesta Juan D’Arienzo. C’est notre tango du jour.

J’ai déjà dit tout le bien que je pensais de cette version, à mon avis, insurpassée, y compris par D’Arienzo lui-même…

Trío de Guitarras (Iriarte-Pagés-Pesoa).

Le trio de guitares de Iriarte, Pagés et Pesoa ne joue pas dans la même catégorie que D’Arienzo. C’est joli, pas pour la danse, un petit moment de suspension.

La payanca 1946-10-21 — Roberto Firpo y su Nuevo Cuarteto.

Pour revenir au tango de danse, après la version de D’Arienzo, cette version paraît fragile, notamment, car c’est un quartetto et que donc il ne fait pas le poids face à la machine de D’Arienzo. On notera tout de même une très belle partie de bandonéon. La transition avec le trio de guitares a permis de limiter le choc entre les versions.

La payanca 1949-04-06 — Orquesta Juan D’Arienzo.

On retrouve la grosse machine D’Arienzo, mais cette version est plus anecdotique. Cela peut passer en milonga, mais si je dois choisir entre la version de 1936 et 1949, je n’hésite pas une seconde.

La payanca 1952-10-01 — Enrique Mora y su Cuarteto Típico.

Encore un quartetto qui passe après D’Arienzo. Si cette version n’est pas pour la danse, elle n’est pas désagréable à écouter, sans toutefois provoquer d’enthousiasme délirant… Le final est assez sympa.

La payanca 1954-11-10 — Orquesta Juan D’Arienzo.

Eh oui, encore D’Arienzo qui décidément a apprécié ce titre. Ce n’est assurément pas un grand D’Arienzo. Je ne sais pas si c’est meilleur que la version de 49. Par certains côtés, oui, mais par d’autres, non. Dans le doute, je m’abstiendrai de proposer l’une comme l’autre.

La payanca 1957-04-12 — Orquesta Héctor Varela.

On est dans tout autre chose. Mais cela change sans être un titre de danse à ne pas oublier. On perd la dimension énergique du gaucho qui conquiert sa belle avec son lasso pour plonger dans un romantisme plus appuyé. Cependant, cette version n’est pas niaise, le bandonéon dans la dernière variation vaut à lui seul que l’on s’intéresse à ce titre.

La payanca 1958 — Los Muchachos de antes.

Avec la guitare et la flûte, cette petite composition peut donner une idée de ce qu’aurait pu être les versions du début du vingtième siècle, si elles n’avaient pas été bridées par les capacités de l’enregistrement. On notera que cette version est la plus proche d’un rythme de milonga et qu’elle pourrait remplir son office dans une milonga avec des danseurs intimidés par ce rythme.

La payanca 1959 — y su Quinteto Típico.

Les Uruguayens sont restés très fanatiques du tango milonga. En voici une jolie preuve avec Miguel Villasboas.

La payanca 1959-03-23 — Donato Racciatti y sus Tangueros del 900.

Oui, ce tango inspire les Uruguayens. Racciatti en donne également sa version la même année.

La payanga 1964 — Orquesta .

Pas évident de reconnaître notre thème du jour dans la version de Pugliese. C’est une version perdue pour les danseurs, mais qu’il convient d’apprécier sur un bon système sonore.

La payanca 1964-07-29 — Quinteto Pirincho dir. .

De la même année que l’enregistrement de Pugliese, on mesure la divergence d’évolution entre Pugliese et Canaro. Cependant, pour les danseurs, la version du Quinteto pirincho, dirigé pour une des toutes dernières fois par Canaro sera la préférée des deux…

La payanca 1966-07-25 — Orquesta Juan D’Arienzo.

D’Arienzo se situe entre Pugliese et Canaro pour cet enregistrement quasiment contemporain, mais bien sûr bien plus proche de Canaro. Ce n’est pas vraiment un titre de danse, mais il y a des éléments intéressants. Définitivement, je l’avoue, je reste avec la version de 1936.

La payanga 1984 — Orquesta Alberto Nery con Quique Ojeda y Víctor Renda.

Alberto Nery fut pianiste d’Edith Piaf en 1953. Ici, il nous propose une des rares versions chantées, avec les paroles de Jesús Fernández Blanco. Vous aurez donc les deux versions à écouter. Honnêtement, ce n’est pas beaucoup plus intéressant que l’enregistrement de Eduardo Arolas et Pancho Cuevas antérieur de près de 70 ans. On notera toutefois le duo final qui relève un peu l’ensemble.

La payanca 2005 — Cuarteto Guardia Vieja.

Pour terminer en fermant la boucle avec une version à la saveur début du vingtième siècle, je vous propose une version par le Cuarteto Guardia Vieja.

À demain, les amis !

Les succès de la radio en 1937

Ediciones musicales Julio Korn

Lorsque nous avons parlé de la partition de No quiero verte llorar, nous avions remarqué que la quatrième de couverture présentait les plus grands succès radiophoniques du moment. J’ai trouvé amusant de vous faire écouter ce que les Argentins aimaient en 1937…

Sur cette publicité, les 12 succès des éditions Julio Korn. Évidemment, ils ne parlent pas des succès édités par d’autres maisons d’édition…

Les éditions Julio Korn

Julio Korn (1906​-07-19 – 1983-04-18) était à la tête d’un empire de la presse. Il publiait en 1937, six hebdomadaires, , Antena, Goles, Vosotras, TV Guía et Anteojito. Son seul concurrent sérieux était Héctor García qui publiait Así. Il était donc en situation de quasi-monopole.

« Mi intención fue siempre llegar a la gran masa del pueblo, sin pretender instruirla sino entretenerla »

«Mon intention a toujours été d’atteindre la grande masse du peuple, sans prétendre l’instruire, mais pour la divertir». Devise que les Citizen Kane d’aujourd’hui perpétuent.

Julio Korn est le prototype du self-made man. Orphelin à 9 ans, il travaille dans une imprimerie ce qui lui permet de sauver de l’asile son jeune frère. À 15 ans (1921), il se rend à Montevideo pour proposer à Edgardo Donato de devenir son éditeur musical. Il devait être du genre convaincant, car il remporta l’affaire et obtint un prêt pour s’acheter la presse destinée à imprimer les partitions. Huit ans plus tard, il avait imprimé 35 000 partitions.
En 1924, il avait créé une revue musicale, La Canción Moderna, dont il était également le rédacteur en chef.

À gauche, le numéro du 30 juin 1936 de Radiolanda (La Canción Moderna) où est annoncée la saga Gardel. La couverture du 6 juin 1936 avec Gardel et le premier des articles sur les confidences de Berta sur la vie de son fils.

En juin 1936, La Canción Moderna qui est devenu Radiolandia publie la vie de Carlos Gardel qui était mort l’année précédente en exploitant le côté sentimental du témoignage de Berta Gardes, la mère de Gardel qui a d’ailleurs cédé gratuitement les droits de reproduction. Et pan dans les dents de la thèse uruguayenne de l’origine de Carlos Gardel qui prétend que Berta se serait déclaré sa mère pour toucher l’héritage en établissant de faux papiers… Gardel enfant de France.
Cet article est un bon exemple de la littérature populaire des revues de Julio Korn.
Mais revenons à la partition de No quiero verte llorar et à sa quatrième de couverture.

Partition de No Quiero Verte Llorar des Éditions Julio Korn.

Lorsque nous avons parlé de la partition de No quiero verte llorar, nous avions remarqué que la quatrième de couverture présentait les plus grands succès radiophoniques du moment. J’ai trouvé amusant de vous faire écouter ce que les Argentins aimaient en 1937…

Les succès de la radio en 1937

Les succès de la radio 01

Milonga triste ( Letra: Homero Manzi)

Milonga triste 1937-02-19 — Mercedes Simone con acomp. de su Trío Típico
Milonga triste 1937-08-10 — Orquesta

Amor (Carlos Gardel Letra Luis Rubistein)

Amor 1936-07-14 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida. Avec des airs de Silencio, du même Gardel.

(Luis Rubistein, paroles et musique)

Milagro 1936-11-27 — Mercedes Simone con acomp. de su Trío Típico
Milagro 1937-02-19 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida

Arrepentido (, paroles et musique)

Arrepentido 1937-05-26 — Libertad Lamarque con orquesta. Comme il est précisé « Tango chanson », il s’agit probablement de cette version qui avait du succès à la radio.

Comme il est précisé « Tango chanson », il s’agit probablement de cette version qui avait du succès à la radio. Cependant, l’année précédente, il y a eu deux enregistrements qui peuvent très bien passer à la radio et participer au succès de la composition de Sciammarella :

Arrepentido 1936-09- 18 – Orquesta Roberto Firpo con Carlos Varela.

Carlos Varela que nous avions entendu avec Firpo dans No quiero verte llorar.

Arrepentido 1936-09-04 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar
Les succès de la radio 02
Las perlas de tu boca 1935-10-08 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar.

Il est indiqué Boléro sur la partition, mais il s’agit ici d’un enregistrement en rumba. Ce titre a été beaucoup enregistré, bien sûr en boléro, mais aussi en Danzón (par Rey Cabrera). Difficile de savoir quel enregistrement était la référence. Il peut aussi tout simplement s’agir d’une erreur, en effet le terme boléro comme le terme Jazz est générique et peut éventuellement ne pas différencier deux types de danse.
Je vous propose tout de même un exemple, par le chanteur d’opéra, mexicain, Alfonso Ortiz Tirado.

Las perlas de tu boca 1934 — Alfonso Ortiz Tirado. C’est un enregistrement RCA Victor réalisé à Buenos Aires.

Por el camino adelante (Lucio Demare ; Roberto Fugazot ; Agustín Irusta Letra: Joaquín Dicenta (Joaquín Dicenta Alonso)

Por el camino adelante 1930 – Agustín Irusta y Roberto Fugazot con acomp. de piano por Lucio Demare.

Por el camino adelante 1930 – Agustín Irusta y Roberto Fugazot con acomp. de piano por Lucio Demare. Avec cette chanson on est plutôt dans le domaine du folklore, mais après tout, le tango n’est pas la seule musique qui passe à la radio. Je n’ai pas trouvé d’enregistrement de 1936 ou 1937. Il se peut donc que ce soit une autre version qui avait du succès en 1937.

[Guillermo Desiderio Barbieri Letra: José Rial, hijo]

Rosa de otoño 1930-12-05 — Carlos Gardel con acomp. de la orquesta de Francisco Canaro.

Rosa de otoño 1930-12-05 — Carlos Gardel con acomp. de la orquesta de Francisco Canaro. Encore un enregistrement un peu ancien, mais la mort de Gardel deux ans plus tôt a sans doute relancé ses interprétations. On est là encore à la limite du tant avec un vals criollo. C’est Di Sarli en 1942 qui fera sortir cette valse du domaine folklorique, mais c’est une autre histoire…

Les succès de la radio 03

En blanco y negro [Néstor Feria Letra: Fernán Silva Valdéz]

En blanco y negro 1936-05-06 — Alberto Gómez con acomp. de su Cuarteto de Guitarras

Une milonga, mais une milonga criolla. Décidément le folklore avait la côte…

Falsedad [Héctor María Artola Letra: Alfredo Navarrine]

Falsedad 1936-10-25 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida.

On revient dans le domaine du tango avec ce très beau titre, sans doute un peu oublié dans les milongas d’aujourd’hui, même dans celles qui abusent de la vieille garde ; -)

Monotonía (Hugo Gutiérrez Letra : Andrés Carlos Bahr)

Monotonía 1936-12-03 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar.

Encore Lomuto et Omar en vedette avec ce tango de Hugo Gutiérrez et Andrés Carlos Bahr. Le titre ne donne pas très envie de danser, la musique non plus. Cela devait être plus agréable de vaquer dans son appartement avec cette musique de fond à la radio.

Pienso en ti (Julio De Caro Letra : )

Pienso en ti 1936-08-10 — Orquesta Julio De Caro con .

Las hermanas Desmond (les sœurs Desmond) nous offrent une fin enjouée. Une valse pas trop tango. Elle est indiquée comme valse chanson et son auteur pourrait vous surprendre, car il s’agit de Julio de Caro, comme quoi il ne faut pas trop vite mettre les compositeurs et musiciens dans des tiroirs.

En guise de conclusion

Comme nous l’avons vu, les éditions de Julio Korn ne sont pas le seul éditeur de musique. On peut légitimement penser qu’ils mettent en avant leurs poulains et passent sous silence les artistes qui font éditer leurs partitions chez des concurrents.
Un autre biais est que les orchestres ne jouent pas forcément des tangos qui viennent d’être écrits. S’ils jouent un titre qui a dix ou vingt ans, voire plus, il ne sera pas nécessairement réédité.
Le dernier biais et qu’il s’agit des titres qui passent à la radio. La qualité sonore de la radio à l’époque était assez médiocre, la FM n’était pas encore de mise et les danseurs pouvaient rencontrer leurs orchestres favoris toutes les semaines. Les programmes étaient donc plutôt destinés à la vie de famille et une diffusion régulière et sans trop de relief était sans doute mieux adaptée à cet usage.
En résumé, il ne faut pas tirer la conclusion que les succès mentionnés ici sont des succès absolus, notamment du point de vue des danseurs. On peut juste affirmer qu’à côté d’autres styles, le tango avait sa place dans le quotidien des Argentins, comme c’est toujours le cas où des airs de tango ayant près d’un siècle continuent de s’élever dans le bon air de Buenos Aires. On n’imagine pas dans tous les pays la population écouter des disques aussi anciens, sauf peut-être dans le domaine de la musique classique.
Pour estimer le succès des titres du point de vue des danseurs, je pense que la présence de nombreux enregistrements du même titre à quelques semaines d’intervalle est un bon indice. Certains tangos ont 20, 30 ou beaucoup plus d’enregistrements pour des monstres comme , et d’autres sont fils uniques. Ces fils uniques qui ont raté leur lancement à l’époque sont parfois rattrapés, comme c’est le cas de la milonga Mi vieja linda (Ernesto Céspedes Polanco, musique et paroles), qui avant qu’elle soit reprise par le Sexteto Cristal était inconnue de la majorité des danseurs, bien qu’il en existe une belle version par la Orquesta Emilio Pellejero con

Mi vieja linda 1941 — Orquesta Emilio Pellejero con Enalmar De María
Mi vieja linda 2018-05-01 — Sexteto Cristal con Guillermo Rozenthuler

Mon travail de DJ est aussi de réveiller, révéler, des merveilles qui dorment dans quelque pochette de disque de pâte.

À propos de l’illustration de couverture

Voici la photo originale qui m’a servi pour réaliser l’illustration de couverture. Vous pouvez vous livrer au jeu des sept erreurs, mais il y a bien plus que sept différences entre les deux images 😉

Une radio portable (on voit la poignée près de la main droite de Gardel). Il s’agit d’un modèle « Mendez », copie du Mc Michael anglais.

Dans la partie droite, les deux boutons rotatifs permettant la syntonisation (choix de la station de radio). Le haut-parleur (dans la partie gauche est protégé pendant le transport, par la partie de droite qui se replie dessus. On voit les verrous qui maintiennent la mallette fermée de part et d’autre de l’appareil.
Vous aurez reconnu les personnages dès la photo de couverture, qui est un montage de ma part avec une fausse radio, je trouvais celle d’origine manquant un peu de classe.
Au cas où vous auriez un doute, je vous présente la fine équipe qui entoure le poste de radio, de gauche à droite :
José Maria Aguilar, Guillermo Barbieri, José Ricardo, les trois guitaristes de Gardel, et Carlos Gardel. La photo date de 1928, soit 8 ans avant la mort de Gardel et 9 ans avant la partition de No quiero verte llorar faisant la publicité pour les succès de l’année 1937. Cette image et la couverture ne sont donc pas tout à fait d’actualité, mais comme 1937 est l’année où l’éditeur Julio Korn fait son gros coup sur Gardel, je pense que cela peut se justifier.
De plus, on notera que dans les succès de 1937, il y a un tango écrit par Gardel, Amor et un vals criollo, Rosa de otoño, chanté par lui.

À demain les amis !

Voici la couverture pour ceux qui veulent jouer au jeu des sept erreurs…