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Détecter la musique trichée

Pour les DJ de tango qui ne veulent pas se faire arnaquer

Nous avons déjà parlé des techniques d’enregistrement depuis les origines, mais aujourd’hui, je souhaite répondre à un ami DJ, Fred, qui m’a demandé comment reconnaître de la musique trichée. C’est-à-dire de la musique qui est vendue comme étant de haute qualité, mais qui est de la musique ordinaire dont on a changé l’étiquette.

Les pièces du procès

Fred m’a soumis trois fichiers qu’il a acquis auprès d’un éditeur que je ne citerai pas, mais qui prétend fournir de la qualité 16 bits/44,1 kHz. Il est déçu de ses acquisitions qui ne lui semblent pas correspondre à ce que devraient être ces fichiers.

Voici les trois fichiers qu’il m’a envoyés :

  • 14 No Te Aguanto Mas (Instrumental).m4a
  • 06 – Orquesta Típica Osvaldo Fresedo – Divagando.aif
  • 23 – Ricardo Tanturi – Recuerdo.aif

Première remarque, les noms de fichiers ne sont pas standardisés. Si on ouvre ces fichiers dans iTunes, on remarque que les métadonnées ne sont pas toutes remplies.

On peut voir que les données ne sont pas au top. Musiques du Monde au mieux de tango, une seule date d’enregistrement correcte. On remarquera toutefois que le débit indiqué est de 514 ou 1411 kbit/s, ce qui correspond à des formats haute définition.

Échantillon pas gratuit

Le principe de la musique numérique est de découper le signal sonore analogique en tranches temporelles. À un moment donné, on va quantifier le signal et enregistrer cela sous forme numérique. Puis, un peu plus tard, on va faire de même et ainsi de suite. On considère pour que ce soit de bonne qualité, il faut le faire au moins 40 000 fois par seconde… Plus ont le fait souvent et plus on aura de précision en captant les plus petits détails de changement de la musique. On considère que l’oreille humaine pouvant entendre des sons de 20 kHz (pas tout le monde…), il faut une fréquence d’échantillonnage du double pour restituer des aigus extrêmes qui, même si on ne les entend pas, influencent, ou influencerait, sur le timbre des instruments. Voyons ce qu’en dit l’éditeur douteux, repéré par Fred.

Le site de vente de musique épinglé par Fred se vante de fournir de la musique de bonne qualité, comme en témoigne ce dessin sur leur page. Le format MP3 présente des escaliers, car le taux d’échantillonnage y serait faible.

Ce dessin fait partie de la tromperie de cet éditeur. En effet, il est en partie faux.
En effet, il présente le MP3 à 320 kbit/s comme ayant des marches d’escalier supérieures à celles du format CD. C’est un mensonge. En effet, le MP3 permet un échantillonnage à 44 kHz et donc, l’effet d’escalier sera exactement le même. D’ailleurs, ils n’indiquent pas la fréquence d’échantillonnage en face du MP3, seulement en face du format CD ou Hi-Res Audio.
Bien sûr, on peut échantillonner du MP3 à des valeurs inférieures. Par exemple, à 22 kHz, les fichiers seront deux fois plus petits et la fréquence maximale reproductible sera 11 kHz.
On peut donc partir du principe que les MP3 à 320 kbit/s sont échantillonnés à 44 kHz et que la différence de qualité vient d’ailleurs.
Il vient du fait que la compression, qui permet de réduire fortement la taille des fichiers, est destructive. Le programme de compression décide que certains éléments sont peu importants et les supprime. C’est exactement comme pour les photos en JPG. Si elles sont trop compressées, on obtient des artefacts à la décompression.

Les effets de la compression excessive sur une image sont de même ordre que ceux sur un fichier de musique. La musique devient floue, pâteuse, sans détail, sans subtilité.

Compression, décompression, ne vous mettez pas la pression

Les trois fichiers en question sont sous deux formats différents, comme en témoignent les extensions de fichier. Mais cela ne suffit pas pour être sûr de ce que l’on a et pour deux raisons :

  • Le fichier peut avoir été enregistré à ce format, mais à partir d’un format de moindre qualité. Cela n’augmente pas la qualité de la musique. C’est donc une « arnaque ». Cependant, si vous souhaitez retoucher votre musique, vous devrez adopter un format sans perte pour éviter qu’à chaque enregistrement la qualité du fichier baisse à cause d’une nouvelle compression.
  • Certains formats sont en fait des conteneurs qui peuvent recueillir différents types de fichiers. Par exemple, le format m4a de No te aguanto más est un conteneur qui peut contenir de la musique à un format compressé (type mp3) ou haute qualité (type ALAC). L’extension m4a seule ne suffit donc pas à assurer que l’on a un fichier de haute qualité, sans perte (Losless). Dans iTunes, on remarque un débit de 514 kbit/s et dans la colonne « Type », la mention Fichiers audio Apple Lossless (ALAC), ce qui correspond bien à un format de haute qualité.

La compression consiste à supprimer des informations jugées peu utiles afin de réduire la taille du fichier. Cette disposition a fait le succès du format MP3 qui permettait de ne pas saturer trop vite les petits disques durs d’il y a quelques décennies et qui pouvait s’adapter aux débits disponibles sur Internet.
Avec l’augmentation du débit Internet et l’augmentation de taille des disques, le format MP3 ne se justifie plus vraiment, car il abime trop sensiblement la musique.
On attend ENCODE qui serait un format avec compression de meilleure qualité grâce à l’intelligence artificielle, mais, pour l’instant, il faut regarder du côté des formats sans compression destructrice (WAV, AIFF, ALAC, FLAC…).

Il n’y a pas de petits profits

Les éditeurs l’ont bien compris et pouvoir ressortir leurs vieux fichiers au format MP3 en les « gonflant » est une astuce qui permet de vendre plus cher la même chose, sans que la qualité finale soit meilleure.
Si on veut être juste, passer un disque vinyle en CD ne faisait pas non plus augmenter la qualité de la musique, n’en déplaise aux nostalgiques, un enregistrement numérique (DDD) est potentiellement meilleur qu’un (ADD) ou un (AAD). Le D pour Digital (numérique) et le A pour Analogique).

  • AAD = Enregistrement analogique/Mixage, mastérisation analogique/Diffusion numérique
  • ADD = Enregistrement analogique/Mixage, mastérisation numérique/Diffusion numérique
  • DDD = Enregistrement numérique, mixage et mastérisation numérique et diffusion numérique

Les disques de tango de l’âge d’or sont tous en enregistrement analogique (A).
Les supports numériques d’aujourd’hui peuvent donc être AAD ou ADD.
On pourrait penser que ADD est meilleur, mais c’est aussi le domaine de tous les abus qui nuisent à l’authenticité de la musique. Pour ma part, je préfère un bon AAD quand je ne peux pas partir d’un disque noir original.
Il y a cependant des ADD qui bénéficient d’un excellent travail de restauration. Ce serait dommage de s’en priver.
Les éditeurs de tango font plutôt du AAD, ce qui donne souvent des musiques avec beaucoup de bruit disque. Ce bruit est maîtrisable, mais encore faut-il bien le faire et d’autres éditeurs sont vraiment minables dans ce travail. La plupart du temps, quand vous voyez « Remasterizado » ou « Remastered », le mieux est de fuir.

La démonstration par l’image…

Fred a détecté le problème en écoutant la musique. C’est une excellente démarche. Mais, il peut être intéressant de voir le problème.
Je vous propose ici d’étudier le problème à partir de 6 fichiers représentatifs de certaines dérives. Les trois de Fred, plus trois autres que je rajoute à titre d’exemples complémentaires.

Divagando – Osvaldo Fresedo – Format AIFF – « Éditeur de Fred »

Tout d’abord, le fichier livré est bien, comme annoncé, dans un format CD (16 bits/44,1 kHz).

Divagando de Fresedo au format AIF. C’est normalement un fichier de haute qualité, mais il y a un gros problème.

On remarque quelque chose d’étrange dans le spectrogramme de ce fichier. Il y a une baisse de volume à partir de 4000 Hz.
Pour comprendre, regardez l’échelle de gauche. Elle indique les fréquences. On considère qu’une bonne oreille humaine (celle d’un jeune) est capable d’entendre de 20 Hz à 20 000 Hz.
On voit qu’à partir de 4000 Hz, la couleur passe de l’orange au bleu.
La couleur s’analyse en regardant l’échelle de droite. Le jaune indique un fort niveau et le bleu, un niveau plus faible.
Ce résultat est très étonnant et j’ai vérifié dans un autre logiciel.

Tous les modules du logiciel confirment le problème. À gauche, on voit que la partie orange est arasée à 4000 Hz. Dans l’égaliseur paramétrique, la chute à 4000 Hz est également évidente, tout comme dans l’analyseur de fréquence.

La raison de cette chute est assez simple. Un filtre de coupure a été placé avec une bascule à 4000 Hz et une pente très forte. Toutes les fréquences supérieures à la fréquence de coupure ont été supprimées. C’est une façon efficace de supprimer le bruit de surface d’un disque, mais c’est une destruction de la musique. Avec l’égaliseur paramétrique, on peut récupérer un peu des aigus détruits, mais il vaut mieux ne pas perdre son temps avec une musique de si mauvaise qualité.L’analyse du fichier révèle que son débit est de 1411 kbit/s et est réellement à 1411 kbit/s en natif. Donc, l’éditeur n’a pas triché dans le cas présent, la destruction des aigus par l’application d’un filtre passe-bas à forte pente (-40 dB à 4000 Hz) rend la musique peu utilisable. Ce traitement exagéré était probablement destiné à supprimer le bruit du disque.
Je vous propose d’écouter le début du fichier.

Impossible de le laisser en entier en bonne qualité à cause des restrictions du serveur. C’est du MP3 à 320 kbit/s, mais même dans ce format dégradé, les défauts de la musique sont évidents.

06 – Orquesta Tipica Osvaldo Fresedo – Divagando (EXTRAIT)
06 – Orquesta Tipica Osvaldo Fresedo – Divagando (en entier, mais adapté pour être accepté par mon site).

Conclusion pour ce fichier. Même s’il n’y a pas de triche sur le format, les traitements appliqués rendent le fichier aussi mauvais que du MP3… C’est dommage d’acheter ce fichier sans obtenir l’augmentation de qualité espérée.

No te aguanto más – Carlos Di Sarli – Format M4a – « Éditeur de Fred »

Le fichier est bien dans un format CD (16 bits/44,1 kHz), mais on est bien devant une énorme arnaque.

On se rend compte qu’il n’y a absolument rien au-dessus de 11 kHz. Il manque quasiment la moitié des fréquences de la musique possibles.

L’analyse révèle qu’en fait, le fichier source est à 96 kbit/s, le débit des plus mauvais MP3…
Le fichier fait donc apparaître un spectrogramme conforme, ce format ne permettant pas d’afficher les hautes fréquences. On remarque ici la coupure très nette à 11 kHz qui contrairement à l’exemple précédent n’est pas causée par un filtre passe-bas agressif, mais par le fait que le support original ne permettait pas de conserver les hautes fréquences.
Le fichier est vendu comme ayant un débit de 4116 kbit/s. Le fichier vendu est donc le fruit d’un gonflement de 42 fois du document original… C’est donc une tromperie.

No te aguanto más – Carlos Di Sarli (EXTRAIT)
No te aguanto más – Carlos Di Sarli (en entier, mais adapté pour être accepté par mon site).

Le résultat est logiquement sourd et étouffé, comme l’a remarqué notre ami, Fred.

Recuerdo – Ricardo Tanturi – Format AIF – « Éditeur de Fred »

Une fois de plus, il n’y a pas de tromperie sur le contenant. C’est bien au format CD. C’est en fait l’astuce de ces vendeurs. On prend une boite de grande taille, normalement destinée à contenir un gros objet (une musique en haute résolution dans notre cas). Dans cette boîte, il peut y avoir un gros objet, mais aussi un objet plus petit (le fichier artificiellement gonflé). Mais, ce que le DJ achète, ce n’est pas la boite, mais l’objet, la musique. Il me semble donc important de lui éviter de tomber dans la tromperie qu’on ne peut sans doute pas traiter de fraude, car les vendeurs ne parlent que de format de fichier et que, donc, il n’y a pas tromperie. La boîte est bien une grosse boite…

La boîte fait bien 1411 kbit/s, mais le fichier qui est dedans est du 320 kbit/s. Il y a donc une triche x4, mais il y a une seconde arnaque.

Si le fait de gonfler par quatre la musique est une triche, l’original étant en 320 kbit/s, la musique résultante pourrait être correcte. Cependant, on se retrouve dans le même cas que les précédents fichiers. Les fréquences utiles sont limitées à environ 7500 Hz, ce qui donne en théorie un son sourd, manquant de brillance. Cependant, ici, un autre traitement est venu s’ajouter. Il s’agit de la réverbération. Cela permet de donner une impression de spatialité, voire de brillance. Ce procédé est a été très utilisé lors du passage au microsillon stéréo. Le transfert des anciens disques mono était soumis à ce traitement pour donner l’impression d’un effet pseudostéréophonique.

Recuerdo – Ricardo Tanturi (EXTRAIT)
Recuerdo – Ricardo Tanturi (en entier, mais adapté pour être accepté par mon site).

Le résultat est désagréable et le présent exemple en témoigne. Pour moi, ce fichier est inutilisable en milonga.
On notera, toutefois, qu’une réverbération bien appliquée donne une profondeur agréable à la musique qui, sinon, pourrait paraitre trop sèche. C’est d’ailleurs une stratégie qu’emploient la quasi-totalité des enregistrements modernes.

Le bilan des acquisitions de Fred

Comme Fred l’a détecté, ces musiques sont frelatées. Elles ne sont pas d’une qualité justifiant un prix supérieur à celui des éditions d’entrée de gamme, ou de la musique de YouTube ou Spotify.
Si toutes les musiques de cette plateforme sont de ce niveau, l’abonnement n’est pas justifié pour les enregistrements historiques du tango.
Pour la musique contemporaine, il se peut que la valeur ajoutée soit intéressante, car les sources sont effectivement de bonne qualité.
Les enregistrements actuels sont faits au moins en 24 bits (ou mieux 32 bits en virgule flottante) et 96, voire 192 kHz, ce qui permet d’avoir un rapport signal/bruit de 140 dB (en 24 bits et 1528 dB en 32 bits v.f.). Et de pouvoir restituer des fréquences jusqu’à 90 kHz (presque 5 fois plus aigus que ce que l’humain peut entendre). Ces enregistrements peuvent intéresser votre chien qui entend les ultrasons…
Cette énorme marge de rapport signal/bruit et de fréquences permet en fait de travailler plus confortablement en studio par la suite, pour le mixage et la mastérisation. En revanche, cela n’a pas grand intérêt pour l’auditeur.
Diffuser des fréquences inaudibles pourra tout au plus détruire les tweeters des enceintes si elles ne disposent pas de bons filtres de coupure.
Avoir une plage dynamique de 140 dB signifie que l’on pourrait reproduire le silence absolu et atteindre le seuil de la douleur, de quoi donner des sensations, mais pas de confort d’écoute, car, par moment, on n’entendrait rien et à d’autres on devrait se boucher les oreilles. Le plus fort écart de pression sonore existant sur terre est de 210 dB, les 1528 dB 32 bits à virgule flottante permettent à un ingénieur du son d’enregistrer sans se soucier du réglage du volume (tolérance de plus de 700 dB en plus ou en moins…).
Pour les enregistrements historiques de tango qui ont une faible dynamique à cause du bruit de surface du disque et les limites imposées par l’inertie de l’aiguille, un codage en 16 bits est très largement suffisant.
D’ailleurs, la plupart des musiques éditées actuellement n’utilisent qu’une toute petite partie de la gamme dynamique autorisée par la technique. En effet, elles sont compressées (ATTENTION, CE N’EST PAS LA COMPRESSION DU FICHIER), c’est-à-dire que la dynamique est écrasée. On relève le niveau des passages pianos et on diminue les fortissimos. Ainsi, on gagne en confort d’écoute en n’étant pas obligé de tout le temps manipuler le bouton de volume.
Pour la musique actuelle, tonique, on compresse tellement la musique qu’elle est en fait quasiment d’un bout à l’autre du titre au même volume sonore. C’est l’autre extrême…

Trois autres exemples avec d’autres éditeurs

J’ai décidé de compléter ce petit panorama avec trois autres titres, diffusés par deux éditeurs spécialisés dans le tango. Je ne donnerai pas non plus leur nom, même s’ils font plutôt de l’excellent travail, on verra qu’il y a quelques points à discuter…

Quiero verte una vez más 1950-03-07 – Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán – Format AIF – Éditeur spécialisé tango A

Ce fichier tient ses promesses. C’est un format numérique sans perte (AIF) et son débit est bien celui de la source, à savoir 705 kbit/s, ce qui correspond à un débit satisfaisant pour une source mono. Voyons son spectrogramme.
On notera que le fichier est échantillonné à 64 kHz et 32 bits (virgule flottante), ce qui est une boîte nettement supérieure à ce qui est nécessaire.

Ce fichier tient ses promesses. C’est un fichier qui correspond à ce qui est annoncé. On le voit tout de suite avec des fréquences qui montent jusqu’à 17 kHz de façon exploitable et une limite égale à la limite théorique de 22 kHz.

On voit que les fréquences élevées continuent d’exister au-delà des 7500 des fichiers précédents. Toute l’amplitude de la musique est respectée, cette version a donc sa place dans une milonga de qualité.
Pour en juger, voici un exemple peu compressé, mais de courte durée et une version intégrale dans une qualité réduite pour pouvoir être diffusée sur mon site.

Quiero verte una vez más 1950-03-07 – Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán (EXTRAIT)
Quiero verte una vez más 1950-03-07 – Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán (en entier, mais adapté pour être accepté par mon site).

Ce titre acheté chez cet éditeur vaut donc la peine, dans la mesure où on a un fichier de bonne qualité. Le transfert depuis le disque original a été fait avec un disque en bon état avec relativement peu de bruit de surface.
Cet éditeur que j’ai appelé A est réputé sur le marché et c’est justifié.

La noche que me esperes 1952-01-28 – Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán – Format m4a (ALAC) – Éditeur spécialisé tango B

Ce que l’on remarque chez cet éditeur est que les fréquences hautes montent à plus de 30 kHz. Cela indique que, même si le format d’origine était à 320 kbit/s, le taux d’échantillonnage devait être élevé. En effet, le fichier est en 96 kHz et 32 bits virgule flottante.
On pourrait penser à une triche, puisque le format final a un débit 33 fois supérieur à celui de la source, mais je ne le dirai pas ainsi, car il s’agit plutôt d’un choix technique. Je pense que le format 320 kbit/s n’a été utilisé que pour les dernières étapes, une fois que les fichiers ont été optimisés.
À ce stade, les 320 kbit/s sont largement suffisants pour « contenir » toutes les informations musicales originales. La petite menterie serait donc de gonfler sans nécessité, le fichier vendu, plutôt que de livrer directement l’original qui était probablement dans ce format.
Cela étant, on peut juger de la qualité du transfert à l’écoute, même avec les limites imposées par mon site.

La présence de fréquences supérieures à 30 kHz s’explique par le choix d’une fréquence de 96 kHz qui permet d’avoir des sons de plus de 40 kHz.

On ne jugera que de la gamme de fréquences inférieure à 20 kHz. On voit tout de suite qu’il y a de l’orange et donc un volume suffisant pour être bien entendu. Cela se ressentira à l’écoute.

La noche que me esperes 1952-01-28 – Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán (EXTRAIT)
La noche que me esperes 1952-01-28 – Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán (en entier, mais adapté pour être accepté par mon site).

En résumé, une musique de parfaite qualité qui donnera (ou pas) satisfaction en milonga. Je vous réserve une petite surprise en fin d’article sur le sujet.

Desvelo (De flor en flor) 1953-08-16 – Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán – Format FLAC – Éditeur spécialisé tango B

Un autre exemple, chez le même éditeur, au format FLAC. Un format libre des plus utilisés.
Les commentaires pourraient être les mêmes que pour le titre précédent. Le changement de flacon (ALAC, FLAC), ne change pas le goût du liquide (la musique).

Comme pour le titre précédent, une limite des aigus très haute et des fréquences aiguës au-dessus des 15 kHz, gage d’un bon rendu des timbres des instruments et de la voix.
Desvelo (De flor en flor) 1953-08-16 – Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán (EXTRAIT)
Desvelo (De flor en flor) 1953-08-16 – Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán (en entier, mais adapté pour être accepté par mon site).

Comme on peut en juger à l’écoute, on est devant une très belle version. Le passage par une étape en 320 kbit/s n’a pas dénaturé la musique et ce titre est excellent.

Faut-il acheter de la musique Hi-Res pour le tango ?

Le principe d’une chaîne (comme la chaîne hi-fi) est que la qualité finale dépend du moins bon élément.
Si vous avez une source formidable, un ampli de qualité et des haut-parleurs minables, vous aurez un son minable.
Dans le cas du tango, les enregistrements historiques sont très en deçà des capacités des matériels modernes.

Fréquences sonores et rapport signal/bruit :

Dynamique et volume d’enregistrement des disques phonos selon Novotone.be. https://www.novotone.be/_site/projets/Projet06/Doc02.pdf (page 9).

Ces valeurs signifient que toute la musique de l’âge d’or du tango bénéficie au mieux d’un rendu en fréquence compris entre 10 et 15 kHz et d’un rapport signal bruit de l’ordre de 60 dB.
Le format Hi-Res peut atteindre des valeurs de 32 bits (virgule flottante) et 192 kHz de fréquence d’échantillonnage. Cela signifie que l’on est capable d’enregistrer des musiques de 0 à 96 kHz et d’avoir un rapport signal bruit de 1528 dB.
Dit autrement, on peut enregistrer une gamme de fréquences cinq fois plus large que celle du meilleur disque noir avec une gamme dynamique des milliards de fois plus grande (chaque 3 dB, la pression sonore double).

Qualité de la musique en fonction du format

Si les formats CD et encore plus Hi-Res surpassent énormément les caractéristiques des musiques de l’âge d’or, les formats compressés, comme le MP3 (ou le AAC) posent question.
En MP3 de nombreux paramètres sont ajustables. Voici quelques valeurs de restitution possible en fonction de ces paramètres.
Pour mémoire, le fichier utilisé est Desvelo au format FLAC qui fait 35 906 Ko.

On se rend compte que sur le papier, le format MP3, jusqu’à 32 kHz et 16 bits convient pour reproduire de la musique de tango de l’âge d’or. On notera que la taille de fichier ne change pas pour les grandes valeurs.

On remarquera que les formats les plus performants ne produisent pas de fichiers plus grands. C’est un résultat de la compression. En effet, lorsque le fichier est compressé, on enlève toutes les informations jugées inutiles. La musique de tango comportant peu d’aigus, peu d’amplitude de dynamique, la compression est efficace.
La vue de ce tableau pourrait donc laisser penser que les fichiers MP3 conviennent parfaitement, mais est-ce le cas ?

Desvelo en image et son…

Comme je ne peux pas vous partager les fichiers en haute qualité sur ce site, je vous propose de télécharger l’archive des fichiers dans les différents formats.

Télécharger l’archive ZIP des fichiers audio. Vous devrez décompresser le fichier pour pouvoir écouter les morceaux. Rassurez-vous, cette compression n’abîme pas la musique. Vous aurez exactement le son que j’ai sur mon ordinateur…

Pour une meilleure comparaison, utilisez un casque.

Fichier original au format FLAC (96kHz-32 bits virgule flottante)
Fichier MP3 (48kHz-32 bits virgule flottante). On remarque que la limite est désormais à 20 kHz, ce qui est normal, puisqu’on est passé à une fréquence d’échantillonnage de 48 kHz.
Fichier MP3 (48kHz-16 bits). Le passage à 16 bits ne change absolument rien, car la musique originale n’avait pas une dynamique supérieure à 90 dB.
Fichier MP3 (44kHz-24 bits) L’utilisation d’une fréquence d’échantillonnage plus basse ne change quasiment rien, car la musique ne comporte pas de fréquences supérieures à 20 kHz.
Fichier MP3 (44kHz-16 bits) Comme pour la fréquence d’échantillonnage de 48 kHz, la dynamique réduite de ce morceau n’est pas impactée par la baisse de résolution (débit).
Fichier MP3 (44kHz-8 bits) Le passage à 8 bits, en diminuant la dynamique rend la musique moins claire. Le spectrogramme montre que les hautes fréquences sont moins nettes. Le fond bleu est moins profond.
Fichier MP3 (32000-16) On retrouve le fond bleu avec le rétablissement d’une résolution de 16 bits. La coupure à 15 kHz est très nette. C’est le résultat du passage à une fréquence d’échantillonnage de 32 kHz. Ce n’est pas forcément tragique, car la plupart des auditeurs n’entendent pas les fréquences supérieures à 15 kHz.
Fichier MP3 (22000-16 bits) Le passage à une fréquence d’échantillonnage à 22 kHz, limite la bande passante à 10 000 Hz. C’est tout à fait logique et là, la musique commence à être vraiment dénaturée. On réservera cette qualité à l’enregistrement de la parole.
Fichier MP3 (8000-8 bits) C’est le pire format MP3 possible. La fréquence d’échantillonnage à 8 kHz limite la bande passante à moins de 4 kHz. La limitation de la résolution écrase la dynamique. On voit l’aspect de la musique sur cette image et à l’écoute, c’est tout aussi horrifiant.

Pour ceux qui auront la flemme d’ouvrir tous les fichiers du fichier ZIP, je propose le fichier monstrueusement diminué, celui à 8kHz et 8 bits… Attention, oreilles fragiles, bien s’accrocher.

09 – Desvelo 8kHz et 8 bits. Redoutable, non ?

Alors, MP3 ou Hi-Res ?

Au vu de la plupart des installations de diffusion sonore dans les milongas, du MP3 à 44 kHz et 16 bits est suffisant. Cela peut être le format final. En revanche, ce format n’est pas possible si on doit intervenir sur la musique (retouche). Car chaque fois qu’on enregistre un format MP3, on refait une compression destructive, c’est-à-dire que l’on supprime à chaque fois des informations, c’est-à-dire des sons…
Il est donc préférable dans ce cas de partir de fichiers dans un format sans perte, ce qui permettra de le réenregistrer sans diminuer la qualité sonore du fichier. Le tout dernier enregistrement peut être en MP3 44kHz-16 bits (320 kbit/s). Je suis convaincu qu’aucun danseur s’en rendra compte, même si je n’utilise que de la musique Hi-Res, car il y a tout de même une légère différence.
Le plus important est d’avoir une source de bonne qualité, sans réverbération, avec une dynamique et une plage de fréquence complètes. Ces sources sont très rares, mais on en trouve de plus en plus. Pour ma part, j’ai eu la chance de numériser énormément de musique à partir des disques, ce qui est bien sûr la meilleure solution. Pour le reste, c’est un long travail de sélection, de restauration pour obtenir un enregistrement meilleur que celui que j’avais avant.
C’est un peu décevant de faire tout ce travail et de voir que des pseudoDJ utilisent des musiques venant de YouTube, Spotify ou autres. Ces musiques médiocres transforment les oreilles des danseurs.

Pourquoi certains danseurs se plaignent-ils des musiques de qualité ?

Lors de la restauration de la chapelle Sixtine, à Rome, terminée en 1994, il y a eu une levée de boucliers pour dénoncer ce qui était un « massacre ».

Á gauche, la Chapelle Sixtine avant restauration. À droite, après.

On remarque facilement la différence, comme on remarque la différence sonore entre un mauvais MP3 et un bon fichier audio.
Lorsque la chapelle Sixtine a été dévoilée après la restauration, il y a eu un tollé pour dénoncer un massacre. Les visiteurs étaient habitués à un plafond noirci par des siècles de fumée de cierges et la pollution urbaine. Retrouver les couleurs franches choquait certains regards.
Pour être complet, la restauration de la Sixtine a reçu des interventions de diverses qualités. En musique, les restaurations produisent aussi des dégâts qui rendent la musique désagréable à l’écoute.
Le nettoyage du bruit du disque a fait disparaître certains éléments de la musique, voire donné un effet de baignoire. Tout comme on ne s’improvise pas restaurateur de fresques, on ne s’improvise pas restaurateur de musique. Cela demande du temps, de la réflexion et des connaissances, ce dont semblent manquer certains éditeurs et, en particulier, ceux qui affichent fièrement « Remastered » ou « Remasterizado ».
Mais revenons à la polémique sur la musique dans les milongas. La plupart des DJ improvisés, et qui sont malheureusement les plus nombreux, ont des musiques effroyables, sans contraste, sans aigu. Comme les auditeurs ont l’ouïe qui baisse avec l’âge et que la communauté tanguera n’est pas de la première jeunesse, on finit par s’habituer à cette musique plate, sourde et sans contraste, comme le plafond sale de la Sixtine.
Lorsqu’une musique riche en aigus et en basses arrive, certains se sentent agressés, car ils n’y sont pas habitués. Les plus jeunes adorent, ainsi que les mélomanes qui peuvent retrouver la subtilité de la musique.
Comme DJ, il faut savoir sacrifier la qualité de sa musique, notamment lorsque le système de diffusion de la salle est médiocre. De plus en plus de systèmes sont destinés à la musique de boite de nuit avec un renforcement des graves et des aigus, avec des médiums peu présents. Cela ne se marie pas toujours bien avec la musique de tango, qui demande plutôt des installations comparables à celles de la musique classique. Les violons sur ces matériels mal adaptés deviennent criards, les basses peuvent aussi gêner.
Le premier travail du DJ est d’abord de vérifier l’acoustique de la salle. Cela se fait a minima en diffusant un bruit rose et en vérifiant dans la salle, à l’aide d’un analyseur de spectre (ou à l’oreille si on n’est pas équipé), qu’il n’y a pas de résonance gênante. Si c’est le cas, on procède à une égalisation de base qui consiste à obtenir un signal aussi plat que possible pour toutes les fréquences.
Trop souvent, les organisateurs ne donnent pas l’opportunité au DJ de faire ces réglages, notamment quand il y a un orchestre, ce dernier ayant tendance à transformer sa balance en répétition et il faut attendre parfois des heures avant d’avoir quelques minutes pour faire ses réglages. Pour ma part, je souhaite être sur place au moins une heure avant pour avoir le temps de tout régler quand je ne connais pas le lieu.

Un cas extrême de sono déséquilibrée. Dans cette salle, il y avait auparavant un DJ « toutes danses ». Il m’a été impossible de faire les mesures dans la salle avant la milonga, car j’ai enchaîné directement. Il m’a donc fallu modifier l’égalisation en direct dans des proportions incroyables, en gonflant énormément les basses et en baissant les aigus. En effet, le son était diffusé par des enceintes médiums aiguës, sans caisson de basse. En poussant les basses, on introduit de la distorsion dans les haut-parleurs qui ne sont pas adaptés pour cela. Pour avoir un son correct dans la salle, la seule solution a été de couper les fréquences supérieures, en gros, transformer de la musique de haute qualité, en mauvais MP3. Un comble. Si j’avais eu la possibilité d’intervenir en amont sur la sono, j’aurais certainement trouvé comment régler le problème avant la milonga.

Bon, c’était un peu technique et je pense que je vais devoir faire des pages supplémentaires pour détailler certains points.

À bientôt, les amis !

La canción de los pescadores de perlas 1968-08-30 y 1971 – Orquesta Florindo Sassone

Georges Bizet. Florindo Sassone, Othmar Klose et Rudi Luksch (adaptation en tango)

Beaucoup de tangos sont inspirés de musiques européennes. Les valses, notamment, mais pas seulement. Ces titres sont adaptés et deviennent de « vrais tangos », mais ce n’est pas toujours le cas.
En France, certains danseurs de tango apprécient des titres un peu étranges, des titres qui n’ont jamais été écrits pour cette danse. On appelle généralement cela le « tango alternatif ».
Un des titres les plus connus dans le genre est la reprise d’un opéra du XIXe siècle effectuée par Florindo Sassone. Le fait qu’un chef d’orchestre de tango reprenne un titre n’en fait pas un tango de danse. Cela reste donc de l’alternatif. Je vous laisse en juger avec los pescadores de perlas, les pêcheurs de perles, de Bizet et Sassone…

Écoutes

Tout d’abord, voyons l’original composé par Bizet. Je vous propose une version par un orchestre et un chanteur français, celle du ténor Roberto Alagna avec l’orchestre de Paris, qui est dirigé par Michel Plasson. Cette interprétation a été enregistrée le 9 juillet 2009 au Bassin de Neptune du château de Versailles. Ce soir-là, il chantera trois œuvres de Bizet, dont un extrait de Carmen, même si ce n’est pas la célèbre habanera qui a tant à voir avec un des rythmes de base du tango et de la milonga. Vous pouvez voir le concert en entier avec cette vidéo…
https://youtu.be/Jx5CNgsw3S0. Ne vous fiez pas à la prise de son un peu médiocre du début, par la suite, cela devient excellent. Pour aller directement au but, je vous propose ici l’extrait, sublime où Alagna va à la pêche aux perles d’émotion en interprétant notre titre du jour.

Roberto Alagna et l’orchestre de Paris dirigé par Michel Plasson dans Les Pêcheurs de Perles de Georges Bizet. L’air de Nadir « Je crois entendre encore ».

Deux mots de l’opéra de Bizet

Les pêcheurs de perles est le premier opéra composé par Bizet, âgé de 25 ans, en 1863). L’intrigue est simpliste.
L’opéra se passe sur l’île de Ceylan, où deux amis d’enfance, Zurga et Nadir, évoquent leur passion de jeunesse pour une prêtresse de Candi nommé Leïla.
Pour ne pas nuire à leur amitié, ils avaient renoncé à leur amour, surtout Zurga, car Nadir avait secrètement revu Leïla.
Zurga était mécontent, mais, finalement, il décide de sauver les deux amants en mettant le feu au village.
L’air célèbre qui a été repris par Sassone est celui de Nadir, au moment où il reconnaît la voix de Leïla. En voici les paroles :

Je crois entendre encore,
Caché sous les palmiers,
Sa voix tendre et sonore
Comme un chant de ramier !
Ô nuit enchanteresse !
Divin ravissement !
Ô souvenir charmant !
Folle ivresse ! Doux rêve !
Aux clartés des étoiles,
Je crois encore la voir,
Entrouvrir ses longs voiles
Aux vents tièdes du soir !
Ô nuit enchanteresse !
Divin ravissement !
Ô souvenir charmant !
Folle ivresse ! Doux rêve !

Avant de passer aux versions de Florindo Sassone, une version par Alfredo Kraus, un ténor espagnol qui chante en Italien… La scène provient du film « Gayarre » de 1959 réalisé par Domingo Viladomat Pancorbo. Ce film est un hommage à un autre ténor espagnol, mais du XIXe siècle, Julián Gayarre (1844-1890).
La vie, ou plutôt la mort de ce chanteur, est liée à notre titre du jour, puisqu’en décembre 1889, Gayarre chanta Los pescadores de perlas malgré une bronchopneumonie (provoquée par l’épidémie de grippe russe qui fit 500 000 morts).
Lors de l’exécution, qui fut aussi la sienne, sa voix se cassa sur une note aigüe et il s’évanouit. Les effets conjugués de la maladie et de la dépression causée par son échec artistique l’emportèrent peu après, le 2 janvier 1890 ; il avait seulement 45 ans. Cette histoire était suffisante pour en faire un mythe. D’ailleurs trois films furent consacrés à sa vie, dont voici un extrait du second, « Gayarre » où Alfredo Kraus interprète le rôle de Gayarre chantant la chanson « je crois entendre encore » tiré des pêcheurs de perles.

Alfredo Kraus interprète le rôle de Gayarre chantant la chanson « je crois entendre encore » tiré des pêcheurs de perles dans le film Gayarre.

Sassone pouvait donc connaître cette œuvre, par les deux premiers films, « El Canto del Ruiseñor » de 1932 et « Gayarre » de 1959 (le troisième, Romanza final est de 1986) ou tout simplement, car bizet fut un compositeur influent et que Les pêcheurs de Perles est son deuxième plus gros succès derrière Carmen.

J’en viens enfin aux versions de Sassone

La canción de los pescadores de perlas 1968-08-30 – Orquesta Florindo Sassone.

C’est une version “adaptée” en tango. Je vous laisse juger de la dansabilité. Certains adorent.
Dès le début la harpe apporte une ambiance particulière, peut-être l’ondoiement des vagues, que ponctue le vibraphone. L’orchestre majestueux accompagné par des basses profondes qui marquent la marche alterne les expressions suaves et d’autres plus autoritaires. On est dans du Sasonne typique de cette période, comme on l’a vu dans d’autres anecdotes, comme dans Félicia du même Sassone. https://dj-byc.com/felicia-1966-03-11-orquesta-florindo-sassone/
La présence d’un rythme relativement régulier, souligné par les bandonéons, peut inspirer certains danseurs de tango. Pour d’autres, cela pourrait trop rappeler le rythme régulier du tango musette et au contraire les gêner.

Cet aspect musette est sans doute le fait d’Othmar Klose et Rudi Luksch qui sont intervenus dans l’orchestration. Luksch était accordéoniste et Klose était un des compositeurs d’Adalbert Lutter (tango allemand).

C’est cependant un titre qui peut intéresser certains danseurs de spectacle par sa variation d’expressivité.

La canción de los pescadores de perlas 1971 – Orquesta Florindo Sassone.

Trois ans plus tard, Sassone enregistre une version assez différente et sans doute encore plus éloignée de la danse. Là encore, elle pourrait trouver des amateurs…
Cette version démarre plus suavement. La harpe est moins expressive et les violons ont pris plus de présence. La contrebasse et le violoncelle sont bien présents et donnent le rythme. Cependant, cette version est peut-être plus lisse et moins expressive. Quitte à proposer une musique originale, je jouerai, plutôt le jeu de la première version, même si elle risque d’inciter certains danseurs à dépasser les limites généralement admises en tango social.

Cette version est souvent datée de 1974, mais l’enregistrement est bien de 1971 et a été réalisé à Buenos Aires, dans les studios ION. Los Estudios ION qui existent toujours ont été des pionniers pour les nouveaux talents et notamment ceux du Rock nacional à partir des années 60. Le fait que Sassone enregistre chez eux pourrait être interprété comme une indication que ce titre et l’évolution de Sassone s’étaient un peu éloigné du tango « traditionnel », mais tout autant que les maisons d’éditions traditionnelles s’étaient éloignées du tango. Balle au centre.

Comparaison des versions de 1968 et 1971. On voit rapidement que la version de 1968, à gauche est marquée par des nuances bien plus fortes. Elle a plus de contraste. L’autre est plus plate. Elle relève plus du genre « musique d’ascenseur » que son aînée.

Le DJ de tango est-il un chercheur de perles ?

Le DJ est au service des danseurs et doit donc leur proposer des musiques qui leur donnent envie de danser. Cependant, il a également la responsabilité de conserver et faire vivre un patrimoine.
Je prendrai la comparaison avec un conservateur de musée d’art pour me faire mieux comprendre.
Le conservateur de musée comme son nom l’indique (au moins en français ou italien et un peu moins en espagnol ou en anglais où il se nomme respectivement curador et curator) est censé conserver les œuvres dont il a la responsabilité. Il les étudie, il les fait restaurer quand elles ont des soucis, il fait des publications et des expositions pour les mettre en valeur. Il enrichit également les collections de son institution par des acquisitions ou la réception de dons.
Son travail consiste principalement à faire connaître le patrimoine et à le faire vivre sans lui porter préjudice en le préservant pour les générations futures.
Le DJ fait de même. Il recherche des œuvres, les restaure (pas toujours avec talent) et les mets en valeur en les faisant écouter dans les milongas.
Parfois, certains décident de jouer avec le patrimoine en passant des disques d’époque. Cela n’a aucun intérêt d’un point de vue de la qualité du son et c’est très risqué pour les disques, notamment les 78 tours qui deviennent rares et qui sont très fragiles. Si on veut vraiment faire du show, il est préférable de faire presser des disques noirs et de les passer à la place des originaux.
Bon, à force d’enfiler les idées comme des perles, j’ai perdu le fil de ma canne à pêcher les nouveautés. Le DJ de tango, comme le conservateur de musée avec ses visiteurs, a le devoir de renouveler l’intérêt des danseurs en leur proposant des choses nouvelles, ou pour le moins méconnues et intéressantes.
Évidemment, cela n’est pas très facile dans la mesure où trouver des titres originaux demande un peu de travail et notamment un goût assez sûr pour définir si une œuvre est bonne pour la danse, et dans quelles conditions.
Enfin, ce n’est pas si difficile si on fait sauter la limite qui est de rester dans le genre tango. C’est la brèche dans laquelle se sont engouffré un très fort pourcentage de DJ, encouragés par des danseurs insuffisamment formés pour se rendre compte de la supercherie.
C’est comme si un conservateur de musée d’art se mettait à afficher uniquement des œuvres sans intention artistique au détriment des œuvres ayant une valeur artistique probante.
Je pense par exemple à ces productions en série que l’on trouve dans les magasins de souvenir du monde entier, ces chromos dégoulinants de couleurs ou ces « statues » en plastique ou résine. Sous prétexte que c’est facile d’abord, on pourrait espérer voir des visiteurs aussi nombreux que sur les stands des bords de plage des stations balnéaires populaires.
Revenons au DJ de tango. Le parallèle est de passer des musiques de variété, des musiques appréciées par le plus grand monde, des produits marketing matraqués par les radios et les télévisions, ou des musiques de film et qui, à force d’êtres omniprésentes, sont donc devenues familières, voire constitutive des goûts des auditeurs.
Je n’écris pas qu’il faut rejeter toutes les musiques, mais qu’avant de les faire entrer dans le répertoire du tango, il faut sérieusement les étudier.
C’est assez facile pour les valses, car le Poum Tchi Tchi du rythme à trois temps avec le premier temps marqué est suffisamment porteur pour ne pas déstabiliser les danseurs. Bien sûr, les puristes seront outrés, mais c’est plus une (op)position de principe qu’une véritable indignation.
Pour les autres rythmes, c’est moins évident. Les zambas ou les boléros dansés en tango, c’est malheureusement trop courant. Pareil pour les chamames, foxtrots et autres rythmes qui sont bougés en forme de milonga. Avec ces exemples, je suis resté dans ce qu’on peut entendre dans certaines milongas habituelles, mais, bien sûr, d’autres vont beaucoup plus loin avec des musiques n’ayant absolument aucun rapport avec l’Amérique du Sud et les rythmes qui y étaient pratiqués.
Pour ma part, je cherche des perles, mais je les cherche dans des enregistrements perdus, oubliés, masqués par des versions plus connues et devenues uniques, car peu de collègues font l’effort de puiser dans des versions moins faciles d’accès.
Vous aurez sans doute remarqué, si vous êtes un fidèle de mes anecdotes de tango, que je propose de nombreuses versions. Souvent avec un petit commentaire qui explique pourquoi je ne passerais pas en milonga cette version, ou au contraire, pourquoi je trouve que c’est injustement laissé de côté.
Le DJ est donc, à sa façon un pêcheur de perles, mais son travail ne vaut que s’il est partagé et respectueux des particularités du tango, cette culture, riche en perles.
Bon, je rentre dans ma coquille pour me protéger des réactions que cette anecdote risque de provoquer…

Ces réactions n’ont pas manqué, quelques réponses ici…

Tango ou pas tango ?

Une réaction de Jean-Philippe Kbcoo m’incite à développer un peu ce point.

« Les pêcheurs de perles » classés en alternatif !!!! Wouhaaa ! Quelle brillantissime audace ! Sur la dansabilité, je le trouve nettement plus interprétable qu’un bon Gardel, pourtant classé dans les tangos purs et durs, non ? En tout cas, merci de cet article à la phylogénétique très inattendue 🙂

Il est souvent assez difficile de faire comprendre ce qui fait la dansabilité d’une musique de tango.
J’ai fait un petit article sur le sujet il y a quelques années : https://dj-byc.com/les-styles-du-tango/
Il est fort possible qu’aujourd’hui, je n’écrirai pas la même chose. Cependant, Gardel n’a jamais été considéré comme étant destiné à la danse. Le tango a divers aspects et là encore, pour simplifier, il y a le tango à écouter et le tango à danser.
Les deux relèvent de la culture Tango, mais si les frontières semblent floues aujourd’hui, elles étaient parfaitement claires à l’époque. C’était inscrit sur les disques…
Gardel, pour y revenir, avait sur ses disques la mention :
“Carlos Gardel con acomp. de guitarras” ou “con la orquesta Canaro”, par exemple.
Les tangos de danse étaient indiqués :
“Orquesta Juan Canaro con Ernesto Famá”
Dans le cas de Gardel, qui ne faisait pas de tangos de danse, on n’a, bien sûr, pas cette mention. Cependant, pour reprendre Famá et Canaro, il y a eu aussi des enregistrements destinés à l’écoute et, dans ce cas, ils étaient notés :
“Ernesto Famá con acomp. de Francisco Canaro”.
Dans le cas des enregistrements de Sassone, ils sont tardifs et ces distinctions n’étaient plus de rigueur.
Toutefois, le fait qu’ils aient été arrangés par des compositeurs de musette ou de tango allemand, Othmar Klose et Rudi Luksch, ce qui est très net dans la version de 1968, fait que ce n’est pas du tango argentin au sens strict, même si le tango musette est l’héritier des bébés tangos laissés par les Argentins comme les Gobi ou les Canaro en France.
Je confirme donc qu’au sens strict, ces enregistrements de Sassone ne relèvent pas du répertoire traditionnel du tango et qu’ils peuvent donc être considérés comme alternatifs, car pas acceptés par les danseurs traditionnels.
Bien sûr, en Europe, où la culture tango a évolué de façon différente, on pourrait placer la limite à un autre endroit. La version de 1968 n’est pas du pur musette et peut donc être plus facilement assimilée. Celle de 1971 cependant, est dans une tout autre dimension et ne présente aucun intérêt pour la danse de tango.
On notera d’ailleurs que, sur le disque de 1971 réédité en CD en 1998, il y a la mention « Tango international » et que les titres sont classés en deux catégories :
« Tangos europeos et norteamericanos » et « Melodias japonesas ».

Le CD de 1998 reprenant les enregistrements de 1971 est très clair sur le fait que ce n’est pas du tango argentin.

Cette mention de « Tango international » est à mettre en parallèle avec d’autres disques destinés à un public étranger et étiquetés « Tango for export ». C’est à mon avis un élément qui classe vraiment ce titre hors du champ du tango classique.
Cela ne signifie pas que c’est de la mauvaise musique ou que l’on ne peut pas la danser. Certains sont capables de danser sur n’importe quoi, mais cette musique ne porte pas cette danse si particulière qu’est le tango argentin.

Cela n’empêche pas de la passer en milonga, en connaissance de cause et, car cela fait plaisir à certains danseurs. Il ne faut jamais dire jamais…

Une suggestion d’une collègue, Roselyne Deberdt

Merci à Roselyne pour cette proposition qui permet de mettre en avant une autre version française.

Les pêcheurs de perles 1936 – Tino Rossi Accompagné par l’Orchestre de Marcel Cariven. Disque Columbia France (label rouge) BF-31. Numéro de matrice CL5975-1.

Sur la face B du disque, La berceuse de Jocelyn. Jocelyn est un opéra du compositeur français Benjamin Godard, créé en 1888 avec un livret d’Armand Sylvestre et Victor Capoul. Il est inspiré du roman en vers éponyme de Lamartine. Cependant, même si la voix de Tino est merveilleuse, ce thème n’a pas sa place en milonga, malgré ses airs de de « Petit Papa Noël« …
N’oublions pas que Tino Rossi a chanté plusieurs tangos, dont le plus beau tango du monde, mais aussi :

  • C’est à Capri
  • C’était un musicien
  • Écris-Moi
  • Le tango bleu
  • Le tango des jours heureux
  • Tango de Marilou

Et le merveilleux, Vous, qu’avez-vous fait de mon amour ?, que je rajoute pour le plaisir ici :

Vous, qu’avez-vous fait de mon amour ? 1933-11-09 – Tino Rossi Accomp. Miguel Orlando et son Orchestre du Bagdad.

Le Bagdad était à Paris au 168, rue du Faubourg Saint-Honoré. Miguel Orlando était un bandonéoniste argentin, importé par Francisco Canaro à Paris et grand-oncle de notre ami DJ de Buenos Aires, Mario Orlando… Le monde est petit, non ?

Les femmes et le tango

8 mars, journée internationale (des droits) des femmes

Le 8 mars est la journée internationale (des droits) des femmes. Il me semble d’actualité, d’aborder la question des femmes dans le tango. Il faudrait plus qu’un article, qu’un livre et sans doute une véritable encyclopédie pour traiter ce sujet, aussi, je vous propose uniquement quelques petites indications qui rappellent que le tango est aussi une histoire de femmes.

« We can do it » (on peut le faire). Affiche de propagande de la société Westinghouse Electric pour motiver les femmes dans l’effort de guerre en 1943. Elle a été créée par J. Howard Miller en 1943.

Cette affiche rappelle, malgré elle, que la journée du 8 mars était au début la journée des femmes travailleuses, journée créée en mémoire des 129 ouvrières tuées dans l’incendie de leur manufacture le 8 mars 1908. Ce sont les propres propriétaires de cette usine, la Cotton Textile Factory, qui ont mis le feu pour régler le problème avec leurs employées qui réclamaient de meilleurs salaires et conditions de vie avec le slogan « du pain et des roses »…

Du pain et des roses, un slogan qui coûtera la vie de 129 ouvrières du textile le 8 mars 1908 à New York.

On se souvient en Argentine de faits semblables, lors de la semaine tragique de janvier 1919 où des centaines d’ouvriers furent assassinés, faits qui se renouvèleront deux ans plus tard en Patagonie où plus de 1000 ouvriers grévistes ont été tués.
Aujourd’hui, la journée des femmes cherche plutôt à établir l’égalité de traitement entre les sexes, ce qui est un autre type de lutte, mais qui rencontre, notamment dans l’Argentine d’aujourd’hui, une opposition farouche du gouvernement.

Une petite musique de fond pour la lecture de cette anecdote…

Las mujeres y el amor (Ranchera) 1934-08-16 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray.

Il s’agit d’une ranchera écrite par Eduardo Vetere avec des paroles de Manuel R. López. Le thème (les femmes et l’amour) me semblait bien se prêter à notre thème du jour).

Les origines du tango et les femmes

Je passerai sous silence les affirmations disant que le tango se dansait initialement entre hommes, car, si, on a quelques photos montrant des hommes dansant de façon plus ou moins grotesque, cela relève plus de la charge, de la moquerie, que du désir de pratiquer l’art de la danse.
Le tango a diverses origines. Parmi celles-ci, le monde du spectacle, de la scène, du moins pour ses particularités musicales. Dans les spectacles qui étaient joués dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle, il y avait des femmes sur scène. Elles chantaient, dansaient. Elles étaient actrices. Les thèmes de ces spectacles étaient les mêmes qu’en Europe et souvent inspirés par les productions du Vieux Continent. Elles étaient destinées à ceux qui pouvaient payer, et donc à une certaine élite. Je ferai le parallèle avec Carmen de Jorge Bizet, pas à cause de la habanera, mais pour montrer à quoi pouvait ressembler une des productions de l’époque. Des histoires, souvent sentimentales, des figurants et différents tableaux qui se succédaient. La plupart du temps, ces spectacles relèvent du genre « vaudeville ». Les femmes, comme Carmen, étaient souvent les héroïnes et a minima, elles étaient indispensables et présentes. Au vingtième siècle, lorsque le tango a mûri, on retrouve le même principe dans le théâtre (Buenos Aires est la ville du Monde qui compte le plus de théâtres), mais aussi dans le cinéma. Je pense que vous aurez remarqué à la lecture de mes anecdotes qu’une part importante des tangos provient de films et de pièces de théâtre.
Une autre origine tourne autour des faubourgs de Buenos Aires, du mal-être d’hommes en manque de compagnie féminine. Dans ce monde dur, où les couteaux sortaient facilement, où on travaillait dans des usines, aux abattoirs ou aux travaux agricoles et notamment l’élevage, les femmes étaient rares et convoitées. Cela donnait lieu à des bagarres et on se souvient que le tango canyengue évoquait par ses passes des figures de combat au couteau. Les hommes qui avaient la possibilité de danser avec une femme d’accès facile jouaient une sorte de comédie pour les compagnons qui regardaient, cherchant à se mettre en valeur, se lançant, comme en témoignent les paroles des tangos, dans des figures audacieuses et combatives, comme les fentes. La pénurie de femmes, malgré les importations à grande échelle de grisettes françaises et de pauvres hères d’autres parties de l’Europe, fait que c’est dans les bordels qu’il était le plus facile de les aborder. Dans ces maisons, closes, il y avait une partie de spectacle, de décorum et la danse pouvait être un moyen de contact. Il suffisait de payer une petite somme, comme on l’a vu, par exemple pour Lo de Laura. Dans cet univers, le tango tournait autour des femmes, comme en témoigne la très grande majorité des paroles, et ce sont des femmes, dans les meilleurs quartiers qui tenaient les « maisons ». Dans les faubourgs, c’était plutôt le cabaretier qui favorisait les activités pour que les clients de sa pulperia passe du temps et consomme.
Une dernière origine du tango, notamment en Uruguay est l’immigration (forcée) d’Afrique noire. Ces esclaves, puis affranchis, tout comme ce fut le cas dans le Sud des USA, ont développé un art musical et chorégraphique pour exprimer leur peine et enjoliver leur vie pénible. Là encore, les femmes sont omniprésentes. Elles dansaient et chantaient. Elles étaient cependant absentes comme instrumentiste, les tambours du candombe étaient plutôt frappés par des hommes, mais ce n’est pas une particularité de la branche noire du tango.

Les femmes comme source d’inspiration

Si on décidait de se priver des tangos parlant des femmes, il n’en resterait sans doute pas beaucoup. Que ces dernières soient une étoile inaccessible, une traitresse infidèle, une compagne aimante, une femme de passage entrevue et perdue ou une mère. En effet, le thème de la mère est fortement présent dans le tango. Même les mauvais garnements, comme Gardel, n’ont qu’une seule mère.

Madre hay una sola 1930-12-10 — Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro (Agustín Bardi Letra : José de la Vega).

Je vous propose une version chantée par une femme, la maîtresse malheureuse de Francisco Canaro, Ada Falcón.

Je ne ferai pas le tour du thème des femmes inspiratrices, car vous le retrouverez dans la plupart de mes anecdotes de tango.

Les femmes danseuses

Je n’aborderai pas non plus le thème des femmes danseuses, mais il me semble important de les mentionner, car, comme je l’indiquais au début de cet article, c’est aussi pour approcher les femmes que les hommes se convertissent en danseurs…

Carmencita Calderón et Benito Bianquet (El Cachafaz) dansent El Entrerriano de Anselmo Rosendo Mendizábal, dans le film « Tango » (1933) de Luis Moglia Barth.

Les femmes et la musique

La musique en Europe était surtout une affaire d’hommes si on se réfère à la composition ou à la direction d’orchestre. Les femmes tenaient des rôles plus discrets, comme violonistes dans un orchestre, ou, plus sûrement, elles jouaient du piano familial. Le manque de femmes dans la composition et la direction d’orchestre n’est donc pas un phénomène propre au tango. C’est plutôt un travers de la société patriarcale ou la femme reste à la maison et développe une culture artistique destinée à l’agrément de sa famille et des invités du « maître » de maison.
Cependant, quelques femmes ont su dominer le tabou et se faire un nom dans ce domaine.

Les femmes musiciennes

Aujourd’hui, on trouve des orchestres de femmes, mais il faut reconnaître que les femmes ont tenu peu de pupitres à l’âge d’or du tango.
Francisca Bernardo, plus connue sous son pseudonyme de Paquita Bernardo, est la pionnière des bandonéonistes femmes.

Paquita Bernardo (1900-1925) , première femme connue pour jouer du bandonéon, un instrument réservé aux hommes auparavant.

Morte à 25 ans, elle n’a pas eu le temps de laisser une marque profonde dans l’histoire du tango, car elle n’a pas enregistré de disque. Cependant on connaît ses talents de compositrice à travers quelques œuvres qui nous sont parvenues comme Floreal, un titre enregistré en 1923 par Juan Carlos Cobián.

Floreal 1923-08-14 — Orquesta Juan Carlos Cobián.

L’enregistrement acoustique ne rend pas vraiment justice à la compositrice. C’est un autre inconvénient que d’être décédé avant l’apparition de l’enregistrement électrique…

Je vous propose également deux autres de ses compositions enregistrées par Carlos Gardel, malheureusement encore, toujours à l’ère de l’enregistrement acoustique.

La enmascarada 1924 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras), avec des paroles de Francisco García Jiménez.
Soñando 1925 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras), avec des paroles de Eugenio Cárdenas.

Mais d’autres femmes furent compositrices.

Les femmes compositrices

L’exemple de musique composée par une femme le plus célèbre est sans doute la merveilleuse valse, « Desde el alma » composée par Rosa Clotilde Mele Luciano, connue comme Rosita Melo. Cette pianiste uruguayenne a une page officielle où vous pourrez trouver de nombreux éléments.

Rosita Melo, compositrice de Desde el Alma.
Desde el alma (Valse) 1947-10-22 — Orquesta Francisco Canaro con Nelly Omar.

Je vous propose une des plus belles versions, chantée par l’incroyable Nelly Omar (qui vécut 102 ans).

Là encore, c’est une courte citation et une femme un peu particulière va me permettre de faire la transition avec les auteures de paroles de tango. Il s’agit de María Luisa Garnelli.

Les femmes auteures

María Luisa Garnelli est à la fois compositrice et auteure. J’ai parlé d’elle au sujet d’une de ses compositions, La naranja nacio verde.

María Luisa Garnelli, alias Luis Mario et Mario Castro.

Retenons qu’elle a pris divers pseudonymes masculins, comme Luis Mario ou Mario Castro, ce qui lui permit d’écrire des paroles de tango en lunfardo, sans que sa famille bourgeoise le sache… Elle fut également journaliste et correspondante de guerre…
Je vous propose d’écouter un autre des titres dont elle a écrit les paroles, El malevo, sur une musique de Julio de Caro. Ici, une version chantée par une femme, Rosita Quiroga.

El malevo 1928 — Rosita Quiroga con guitarras.

Si vous souhaitez en connaître plus sur sa trajectoire particulière, vous pouvez consulter une biographie écrite par Nélida Beatriz Cirigliano dans Buenos Aires Historia.

Les femmes chanteuses

Je ne me lancerai pas dans la liste des chanteuses de tango, mais je vous propose une petite galerie de photos. Elle est très loin d’être exhaustive, mais je vous encourage à découvrir celles que vous pourriez ne pas connaître.
Je vous propose d’écouter une version de la cumparsita par Mercedes Simone pour nous quitter en musique en regardant quelques portraits de chanteuses de tango.

La cumparsita (Si supieras) 1966 — Mercedes Simone accompagnée par l’orchestre d’Emilio Brameri.

Dédicace

Je dédicace cette anecdote à Victoria, ma femme, à ma fille, à ma mère et à mes grand-mères, mais aussi à Thierry qui m’a proposé de faire une anecdote sur ce sujet. Il est aussi le correcteur de mes anecdotes.
À bientôt, les amis !

El día que me quieras 1930-02-07 – Orquesta Cayetano Puglisi con Roberto Díaz

Raúl Brujis Letra: Ramón C. Acevedo

J’espère que vous me pardonnerez cette petite facétie. « El día que me quieras » (Le jour où tu m’aimeras) ; vous connaissez tous ce titre pour l’avoir entendu par Gardel, que ce soit sur disque, ou dans le film du même nom. La version que je vous propose est bien plus rare et antérieure de cinq ans à celle de Gardel. En fait, j’ai saisi l’occasion de l’anniversaire de l’enregistrement de ce titre, il y a exactement 95 ans, pour évoquer cet orchestre un peu moins connu. Mais rassurez-vous, vous aurez droit au titre de Gardel et Le Pera, également, ainsi qu’à d’autres tangos du même titre…

Extrait musical

El día que me quieras 1930-02-07 – Orquesta Cayetano Puglisi con Roberto Díaz.

L’introduction est plutôt jolie et élégante. Le violon de Cayetano Puglisi domine en chantant les autres instruments plus percussifs et qui marquent le rythme, puis il cède la place à Roberto Díaz qui chante à son tour un court passage. Comme nous le verrons, ce titre est assez différent de celui de Gardel qui est bien plus connu. Le thème est cependant le même.
On notera quelques passages agités des bandonéons de Federico Scorticati et Pascual Storti en double-croche qui font le contrepoint avec les violons de Cayetano Puglisi et Mauricio Mise plus suaves. Pour une musique de 1930, c’est assez bien orchestré. Cayetano Puglisi, cet excellent violoniste qui a intégré les plus fameux orchestres, comme ceux de Firpo, Canaro D’Arienzo et Maffia a également eu son propre sexteto avec lequel il a enregistré une quinzaine de titres en 1929 et 1930. Je n’ai pas cité son frère José, à la contrebasse, ni Armando Federico au piano.
J’aime bien et dans une milonga où les danseurs seraient amateurs de thèmes un peu vieillots, cet enregistrement pourrait intégrer une tanda.

Paroles de Ramón C. Acevedo

Yo quisiera tenerte entre mis brazos
Y besarte en tu boca sin igual,
Yo quisiera prodigarte mil abrazos
Mujer esquiva de rostro angelical.

Tu sonrisa altanera y orgullosa
Tu mirada quisiera doblegar,
Y que aun, negándome besara
Con un beso, sublime y sin final.
Raúl Brujis L : Ramón C. Acevedo

Traduction des paroles de Ramón C. Acevedo

J’aimerais te tenir dans mes bras et t’embrasser sur ta bouche sans pareille,
Je voudrais te prodiguer mille abrazos, femme insaisissable au visage angélique.

Ton regard souhaiterait faire céder ton sourire hautain et fier, et aussi, même si tu me le niais, m’embrasser, avec un baiser sublime et sans fin.

Autres versions

Il n’y a pas d’autre enregistrement de ce titre, alors je vous propose d’écouter quelques enregistrements du tango de même titre, mais écrit 4 ans plus tard par Carlos Gardel et Alfredo le Pera pour le film de la Paramount… El día que me quieras. Nous écouterons aussi d’autres thèmes ayant le même titre.
Tout d’abord, réécoutons le tango du jour, qui est le plus ancien titre…

El día que me quieras 1930-02-07 – Orquesta Cayetano Puglisi con Roberto Díaz.

C’est notre tango du jour et le seul enregistrement de la composition de Raúl Brujis.

Version 2, de Víctor Pedro Donato et Miguel Gómez Bao

El día que me quieras 1930-11-05 Orquesta Ricardo Luis Brignolo con Luis Díaz.

Quelques mois après, Brignolo enregistre un tango composé par Víctor Pedro Donato avec des paroles de Miguel Gómez Bao. Ce titre est bien moins moderne que notre tango du jour. Il ressort encore d’un style canyengue très marqué.

Paroles de la version de Víctor Pedro Donato et Miguel Gómez Bao

El boliche del Turco no tendrá ni un cohete,
el piberío del hueco los hará estallar,
la cantina del “Beppo” abrirá los espiches
y todo el “Grevanaje” en curda dormirá.
La farra, el capuchino tomará el chocolate,
ese día yo banco con mi felicidad
y la orquesta de Chicho, pelandruna y mistonga
hará un tango canyengue con la marcha nupcial.

A tu hermano el tarasca compraremos botines,
al zambullo una faja de esas pa’ adelgazar,
y al menor, al checato, dos docenas de anteojos
y una jaula con trampa pa’ que vaya a cazar,
a tu vieja diez cajas de pastillas de menta,
a tu viejo toscanos para reventar,
y el globo luminoso que tiene la botica
a tu hermana la tuerta como ojo de cristal.

El bañao de la esquina será un lago encantado
y las ranas cantantes en la noche un jazz-band,
el buzón de la esquina el Pasaje Barolo,
la cancel‘e tu casa, la escala celestial.
El día que me quieras, pebeta de mi barrio,
toditas mis ternuras pa’vos sólo serán,
aunque llore a escondidas mi viejecita santa
que al extrañar mis besos tendrá unas canas más.
Víctor Pedro Donato et Miguel Gómez Bao

Traduction de la version de Víctor Pedro Donato et Miguel Gómez Bao

Le bazar (les pulperias faisaient office de bar, vendaient de tout et pourvoyaient des distractions, comme les jeux de boules, ou la danse) du Turc n’aura plus de fusées (feux d’artificee, les Argentins sont des fanatiques des activités pyrotechniques), les gamins du terrain vague les auront fait exploser,
la cantine du« Beppo » (Beppo est un prénom d’origine italienne dérivé de Joseph) ouvrira les robinets (des tonneaux de vin, bien sûr) et tous les « Grevanaje » (je pense qu’il faut rapprocher cela de Grebano qui signifie idiot, rustre), ivres, dormiront.
La fête, le cappuccino boira le chocolat, ce jour-là, je reste avec mon bonheur et l’orchestre de Chicho (je ne l’ai pas identifié), paresseux et triste jouera un tango canyengue avec la marche nuptiale.

Pour ton frère, El Tarasca , nous achèterons les bottes, au gros (zambulo, à la panse proéminente) une de ces ceintures pour perdre du poids (la faja est la ceinture qu’utilisent les gauchos. Elles sont souvent décorées de pièces de monnaie. Dans le cas présent, il peut s’agir de ceintures de toiles, également utilisées par les gauchos), et au plus jeune, le vérificateur, deux douzaines de paires de lunettes et une cage avec un piège pour qu’il puisse aller à la chasse. À ta vieille (mère), dix boîtes de bonbons à la menthe, à ton vieux (père) des cigares à éclater (faut-il y voir des cigares de farces et attrapes qui explosent quand on les fume ?), et le globe lumineux qu’a l’apothicaire pour ta sœur borgne, comme œil de verre.

Le marécage du coin sera un lac enchanté et les grenouilles chanteuses de la nuit, un groupe de jazz. La boîte aux lettres de l’angle sera le passage Barolo (plus que passage, on dirait aujourd’hui le Palais, un des hauts bâtiments luxueux du centre-ville de Buenos Aires), la porte d’entrée de ta maison (porte intérieure séparant l’entrée de la maison, sorte de sas), l’échelle céleste.
Le jour où tu m’aimeras, petite (terme affectueux) de mon quartier, toutes mes tendresses seront pour toi seule, même si, de façon cachée, je verserai quelques larmes pour ma sainte petite mère qui, manquant de mes baisers, aura encore quelques cheveux blancs de plus.

Version 3, la plus célèbre, celle de Carlos Gardel et Alfredo Le Pera

El día que me quieras 1935-03-19 – Carlos Gardel con acomp. de la orquesta dir. por Terig Tucci.

Paroles de la version de Carlos Gardel et Alfredo Le Pera

Acaricia mi ensueño
el suave murmullo de tu suspirar,
¡como ríe la vida
si tus ojos negros me quieren mirar!
Y si es mío el amparo
de tu risa leve que es como un cantar,
ella aquieta mi herida,
¡todo, todo se olvida!

El día que me quieras
la rosa que engalana
se vestirá de fiesta
con su mejor color.
Al viento las campanas
dirán que ya eres mía
y locas las fontanas
me contarán tu amor.
La noche que me quieras
desde el azul del cielo,
las estrellas celosas
nos mirarán pasar
y un rayo misterioso
hará nido en tu pelo,
luciérnaga curiosa
que verá…¡que eres mi consuelo!

Recitado:
El día que me quieras
no habrá más que armonías,
será clara la aurora
y alegre el manantial.
Traerá quieta la brisa
rumor de melodías
y nos darán las fuentes
su canto de cristal.
El día que me quieras
endulzará sus cuerdas
el pájaro cantor,
florecerá la vida,
no existirá el dolor…

La noche que me quieras
desde el azul del cielo,
las estrellas celosas
nos mirarán pasar
y un rayo misterioso
hará nido en tu pelo,
luciérnaga curiosa
que verá… ¡que eres mi consuelo!

Carlos Gardel Letra: Alfredo Le Pera

Traduction de la version de Carlos Gardel et Alfredo Le Pera

Ma rêverie caresse le doux murmure de ton soupir,
Comme la vie rirait si tes yeux noirs voulaient me regarder !
Comme si était mien l’abri de ton rire léger qui est comme une chanson,
Elle calme ma blessure, tout, tout est oublié !

Le jour où tu m’aimeras, la rose qui orne s’habillera de fête, avec sa plus belle couleur.
Au vent, les cloches diront que tu es déjà à moi, et folles, les fontaines me conteront ton amour.
La nuit où tu m’aimeras depuis le bleu du ciel,
Les étoiles jalouses nous regarderont passer et un mystérieux éclair se nichera dans tes cheveux,
curieuse luciole qui verra… que tu es ma consolation !

Récité :
Le jour où tu m’aimeras, il n’y aura plus que des harmonies,
L’aube sera claire et la source joyeuse.
La brise apportera le calme, le murmure des mélodies, et les fontaines nous donneront leur chant de cristal.
Le jour où tu m’aimeras, l’oiseau chanteur adoucira ses cordes,
La vie fleurira, la douleur n’existera pas…

La nuit où tu m’aimeras depuis le bleu du ciel,
Les étoiles jalouses nous regarderont passer et un mystérieux éclair se nichera dans tes cheveux,
curieuse luciole qui verra… que tu es ma consolation !

Extrait du film El día que me quieras de John Reinhardt (1934)

« El día que me quieras », dúo final Carlos Gardel y Rosita Moreno du film du même nom de 1934 dirigé par John Reinhardt. Dans ce film, Carlos Gardel chante également Sol tropical, Sus ojos se cerraron, Guitarra, guitarra mía, Volver et Suerte negra avec Lusiardo et Peluffo.

Autres versions du thème composé par Gardel

Il existe des dizaines d’enregistrements, y compris en musique classique ou de variété. Je vous propose donc une courte sélection, principalement pour l’écoute.

El día que me quieras 1948-05-11 – Orquesta Florindo Sassone con Jorge Casal.

Une version chantée par Jorge Casal qui ne démérite pas face aux interprétations de Gardel.

El día que me quieras 1955-06-30 – Orquesta Francisco Canaro con Juan Carlos Rolón.

Une version pour faire pleurer les ménagères nées après 1905…

El día que me quieras 1968 – Orquesta Típica Atilio Stampone.

Stampone, bien qu’il s’agisse d’une version instrumentale, n’a pas destiné cet enregistrement aux danseurs.

El día que me quieras 1972 – Trio Hugo Díaz.

Encore une version instrumentale, mais fort intéressant à défaut d’être pour la danse par le trio Hugo Diaz… Si vous n’entendez pas l’harmonica, c’est que ce trio est celui du bandonéoniste uruguayen, Hugo Díaz, à ne pas confondre avec Victor Hugo Díaz qui est le magicien de l’harmonica, qui lui est argentin (Santiago del Estero) et sans doute bien plus connu…

El día que me quieras 1977-06-14 – Orquesta Osvaldo Pugliese.

Une version sans doute surprenante, essentiellement construite autour de solos de violon et piano.

El día que me quieras 1978 – María Amelia Baltar.

Une version expressive par la compagne de Piazzolla.

El día que me quieras 1979 – Alberto Di Paulo y su Orquesta Especial para Baile.

Bien que l’orchestre affirme être de danse, je ne suis pas convaincu que cela plaira aux danseurs de tango, mais peut-être aux amateurs de slow et boléros (dans le sens argentin qui qualifie des musiques romantiques au rythme flou et pas nécessairement de vrais boléros).

El día que me quieras 1997 – Enrique Chia con Libertad Lamarque.

Une introduction à la Mozart (Flûte enchantée) et s’élève la magnifique voix de Libertad Lamarque. C’est bien sûr une chanson et pas un tango de danse, mais c’est joli, n’est-ce pas ?

Avec cette belle version, je propose d’arrêter là, et je vous dis, à bientôt, les amis !

Patotero sentimental 1941-06-06 – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino

Manuel Jovés Letra: Manuel Romero

Qui n’a pas été ému par la voix de Roberto Rufino chantant Patotero sentimental ? Mais savez-vous que cet enregistrement suit de presque 20 ans un succès phénoménal qui obligeait Ignacio Corsini à rechanter cet air souvent plus de cinq fois à la suite. Je vous invite à vous plonger dans l’histoire de ce patotero, émouvant par ses regrets et par là-même découvrir un peu plus cet univers des cabarets, repaire des patoteros.

Je publie cet article le 26 janvier qui est la date anniversaire de la version de Di Sarli avec Mario Pomar et pas celle que je mets en avant, avec Roberto Rufino. Je triche donc un petit peu, on pourra toujours en reparler un 6 juin…

Patoteros, apaches, youth gangs…

Un patotero est le membre d’une patota, un groupe de jeunes enclins à la violence et à la délinquance. Ce phénomène de bandes de jeunes est sans doute une des conséquences de la révolution industrielle qui a jeté des générations de paysans dans les villes. Si les parents y travaillaient, les jeunes qui voyaient les conditions méprisables de vie de leurs parents trouvaient refuge dans des activités, plus ou moins lucratives à défaut d’être honnêtes.
Si à Paris, les Apaches (bandes de jeunes délinquants surnommées ainsi par le journaliste Henri Fouquier en référence à la brutalité de leurs crimes qui rappelaient les romans de Fenimore Cooper colportant des idées colonialistes sur la violence des Indiens américains) étaient particulièrement violents, à Buenos Aires, les patoteros étaient un peu moins craints par la population. Pour juger de la différence, on peut s’intéresser à leurs danses, vraiment très différentes.
Pour les Argentins, je ne vous propose pas de vidéo, il vous suffit d’imaginer un tango canyengue accentuant l’aspect « canaille », les fentes et autres passes (figures) inspirées du combat au couteau.

Un bal en 1900. Peut-être du tango.

Pour le côté parisien, la danse des apaches est une danse qui alterne des moments violents et des moments plus sensuels. C’est une dramatisation des relations entre femmes et hommes. Cette danse perdurera en France jusque dans les années 60. On retrouvera ses figures, reprises dans d’autres danses comme le lindy-hop, le rock acrobatique, le tango de show, voire le tango de danse sportive.

Trois présentations de valse chaloupée en 1904, 1910 et 1935. Cette danse présente des chorégraphies brutales, d’apparence machiste, même si les femmes peuvent y être également agressives. On considère que c’est une mise en scène des relations tumultueuses entre une prostituée et son souteneur. Quand on imagine le nombre de femmes « volées » à Paris et mise au travail comme prostituées en Argentine, on comprend mieux ce phénomène, fait d’alternance de moments de tensions extrêmes et de moments de passion amoureuse.

Extrait musical

Partition de patotero sentimental. Trois couvertures. Avec Manuel Jovés et Ignacio Corsini à gauche et sur la couverture de droite, Lorenzo Barbero qui l’a enregistrée en 1950 avec le chanteur Osvaldo Brizuela.
Patotero sentimental 1941-06-06 – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino.

Le patotero s’avance avec des pas bien marqués qui alternent avec de longs glissandos des violons.
Rufino commence à chanter, en respectant le rythme initial. Sa voix est expressive et il ne sombre pas dans le pathos que peuvent présenter d’autres chanteurs. Cette sensibilité associée à la pression constante de l’orchestre fait que les danseurs trouveront leur compte dans cette version idéale pour la danse. Le plaisir des oreilles et des jambes.
Nous verrons que cet équilibre qui semble si simple et naturel dans cette version a du mal à se retrouver dans les nombreux autres enregistrements du titre, du moins dans les versions de danse, celles pour l’écoute entre dans une autre catégorie. Par exemple, le même Di Sarli, avec l’excellent Mario Pomar fait un autre enregistrement en 1954 et il est difficile d’y trouver la même dansabilité, même si bien sûr de nombreux danseurs tomberont sous le charme de cette autre version (qui est la vraie version du jour, puisqu’enregistrée un 26 janvier).

Roberto Rufino. À gauche à Mar del Plata en 1970 et à droite à Radio Belgrano en 1944.

Paroles

Patotero, rey del bailongo
Patotero sentimental
Escondés bajo tu risa
Muchas ganas de llorar
Ya los años se van pasando
Y en mi pecho, no entra un querer
En mi vida tuve muchas, muchas minas
Pero nunca una mujer
Cuando tengo dos copas de más
En mi pecho comienza a surgir
El recuerdo de aquella fiel mujer
Que me quiso de verdad y que ingrato abandoné
De su amor, me burlé sin mirar
Que pudiera sentirlo después
Sin pensar que los años al correr
Iban crueles a amargar, a este rey del cabaret
Pobrecita, cómo lloraba
Cuando ciego la eche a rodar
La patota me miraba, y
No es de hombre el aflojar
Patotero, rey del bailongo
Siempre de ella te acordarás
Hoy reís, pero en tu risa
Solo hay ganas de llorar
Manuel Jovés Letra: Manuel Romero

Traduction libre des paroles

Patotero, roi du bal
Patotero sentimental
Tu caches sous ton rire beaucoup d’envies de pleurer.
Et les années passent et, dans ma poitrine, aucun amour n’entre.
Dans ma vie, j’ai eu beaucoup, beaucoup de poulettes (chéries), mais jamais une femme.
Quand j’ai deux verres de trop, dans ma poitrine commence à resurgir le souvenir de cette femme fidèle qui m’aimait vraiment et que j’ai abandonnée ingratement.
De son amour, je me moquais sans voir que je pourrais le ressentir plus tard, sans penser que les années, à mesure qu’elles s’écoulaient, étaient cruelles à aigrir ce roi du cabaret.
Pauvre petite, comme elle pleurait quand aveugle j’ai commencé à la larguer.
La bande (patota) m’observait, et ce n’est pas à un homme de se relâcher (se laisser attendrir).
Patotero, roi du bal, toujours, tu te souviendras d’elle.
Aujourd’hui tu ris, mais, dans ton rire, il n’y a que l’envie de pleurer.

Autres versions

El patotero sentimental 1922-03-29 – Ignacio Corsini con Orquesta Roberto Firpo.

C’est Corsini qui a créé le titre. Nous verrons cela en fin d’article. Ce fut son premier grand succès, ce tango a lancé sa carrière.

Ignacio Corsini en 1922

La même année, Carlos Gardel décide d’enregistrer le titre. Cette vidéo de Sinfonia Maleva permet de suivre les paroles chantées par Carlos Gardel.

El patotero sentimental 1922 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras)
Submergé d’émotion Raul (Hugo Del Carril) chante Patotero sentimental quand il comprend qu’il va perdre elisa. dans le film La vida est une tango (1939)
Patotero sentimental 1941-06-06 – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino. C’est notre (faux) tango du jour.
Patotero sentimental 1949-11-25 – Orquesta José Basso con Oscar Ferrari.

La voix un peu acide de Ferrari ne sert pas aussi bien le thème que celle de Rufino ou de Corsini. D’un point de vue de la danse, les manières de Ferrari rendent cet enregistrement peu propice à la danse. C’est un peu dommage, car l’orchestre fait un assez joli travail.

Patotero sentimental 1950-12-28 – Lorenzo Barbero y su orquesta de la argentinidad con Osvaldo Brizuela.

Une Jolie version qui ne détrônera pas celle de Di Sarli et Rufino, mais qui se laisse écouter et qui a obtenu un certain succès à son époque, comme en témoigne la partition présentée au début de cet article.

Patotero sentimental 1952-10-16 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Héctor Pacheco.

Dans la veine des tangos à écouter il y a cette version. La voix précieuse de Pacheco est-elle réellement adaptée au rôle d’un patotero, même converti ? On a du mal à croire à cette histoire, d’autant plus que Fresedo multiplie ses fioritures, tout aussi peu propices à la danse que celles de Florindo Sasonne de la même époque.

Patotero sentimental 1954-01-26 – Orquesta Carlos Di Sarli con Mario Pomar.

J’adore Mario Pomar et son interprétation ne souffre d’aucune critique. C’est juste que le choix un peu moins tonique rend, à mon sens, le titre un peu moins agréable à danser que la version avec Rufino enregistrée 13 ans plus tôt. C’est cette version qui a été enregistrée un 26 janvier et qui devrait donc officiellement être le tango du jour.

Patotero sentimental 1974 – Orquesta Florindo Sassone con Oscar Macri.

J’ai parlé des bruitages de Sassone à propos de la version de 1952 de Fresedo, je pense que vous remarquerez que Sassone ne les propose pas dans cet enregistrement. C’est assez logique, car ces bruitages sont le témoignage d’une époque et qu’ils furent abandonnés par la suite. Vous noterez toutefois les moments où Sassone quelques années plus tôt aurait abusé de ces effets. Si Sassone n’est pas un pourvoyeur de tango de danse, il faut reconnaître qu’avec l’interprétation inspirée de Macri, le résultat est plutôt sympa, même si à mon avis, il ne devrait pas franchir la porte de la milonga (en tous cas pas trop souvent 😉

Patotero sentimental 1974 – Hugo Díaz.

L’harmonica d’Hugo Díaz, une voix à lui tout seul. L’ambiance jazzy donnée par le piano et la guitare ne satisfera cependant pas les danseurs qui réserveront le titre pour une écoute au coin du feu.

Patotero sentimental 1974c – Leopoldo Federico con Carlos Gari.

Le bandonéon expressif de Leopoldo Federico nous offre un duo avec Carlos Gari dont la voix puissante contraste avec tous les instruments. C’est une belle interprétation, pleine d’émotion. L’opposition, voix et instruments du début s’apaise progressivement pour nous offrir un paysage sonore parfaitement cohérent. Moi, j’aime bien, mais bien sûr, ça reste entre mon ordinateur et moi, cela ne passera pas sur les haut-parleurs de la milonga.

Patotero sentimental 1991-03 – Carlos García solo de piano.

Le piano sait souvent être expressif. Je vous laisse juger si Carlos García a su suffisamment faire parler son instrument…

Patotero sentimental 2005 – Cuarteto Guardia Vieja con Omar de Luca (ou Dario Paz ou Fabian Vidarte…). Je ne suis pas sûr de qui chante.
Patotero sentimental 2006 – Aureliano Tango Club C Aureliano Marin.

Une version très différente mais pas inintéressante. Vous pouvez jeter un œil à leur site, celui d’Aureliano Marin, arrangeur, directeur et contrebassiste du trio en plus d’en être le chanteur.

Patotero sentimental 2011 – Orquesta Típica Gente de Tango con Héctor Morano.

On termine ici, avec une version plus traditionnelle.

Origine de ce tango

Comme nous l’avons vu à de nombreuses reprises, les tangos qui animent nos milongas ont souvent été créés pour des revues musicales, des pièces de théâtre ou des films. Celui-ci ne fait pas exception. Il était une des scènes de la pièce « El bailarín del cabaret » (le danseur de cabaret) qui fut lancée le 12 mai 1922 au théâtre Apolo par la compagnie de Cesar Ratti, et qui eut un succès immense, notamment pour l’interprétation par Ignacio Corsini de notre tango du jour.
Les spectateurs bissaient de nombreuses fois ce titre que Corsini chantait, appuyé sur le dossier d’une chaise et avec le genou droit sur l’assise. On connait ce détail par Osvaldo Sosa Cordero dans « Historia de las varietés en Buenos Aires 1900-1925 » qui nous apprend également que 800 disques de ce titre ont été gravés en 1922 et comme nous l’avons vu, Gardel s’est aussi emparé du phénomène, la même année.

Osvaldo Sosa Cordero; Historia de las varietés en Buenos Aires 1900-1925. À gauche, édition originale de 1978 et à droite, la réédition de 1999.

Il me semble intéressant de voir comment s’articulaient ces variétés.

El bailarín del cabaret – Couverture de la 4ème édition (19 août 1922 et déjà 319 représentations successives)… À droite, l’extrait du livret avec les paroles du tango chanté par Ignacio Corsini.

Dans la pièce de Manuel Romero, El bailarín del cabaret, où se trouve cette pièce, il y a 4 tableaux. L’apparition de ce tango est dans le troisième.
La scène se passe dans un cabaret luxueux et tous dansent un foxtrot joué par l’orchestre dirigé par Félix Scolatti Almeyda, sauf Maria qui est triste à sa table et une famille qui découvre cet univers.
Je vous reproduis ici un dialogue savoureux où un jeune homme (Troncoso) souhaite inviter la fille de la famille de visiteurs (Cayetana) et qui se termine par l’introduction de notre tango, Patotero sentimental.

Dialogues liminaires au tango Patotero sentimental

TRONCOSO.- Buenas noches. ¿ Me acompaña ese tango señorita?
CAYETANA.-Yo no me comando sola. Pídale permiso a me papá.
D. GAETANO.-E iñudole, cabayere. Me nena non « bala ».
TRONCOSO.-¿Cómo es eso? ¿Acaso usted. no sabe que toda mujer que entra aquí está obligada a bailar?
D. GAETANO.-Ma nun. diga.
TRONCOSO.–Si, señor, sino va a haber tiros.
CAYETANA.-Papá, vamo in casa. (Troncoso saca un revólver.)
D. GAETANO.-Boeno … boeno .. . que « bale » pero no me lamprete mucho. (Bailan ridiculamente.)
CATALINA.-Gaetano; roa mire como le hace co la pierna.
D. GAETANO.-(Parándolo.) ¡Ah! ¡No covencito, eso no, pe la madonna!
Me hija non he una melunguera cualunque. E osté, non debe hacerle cosquiyite inta la gamba, Sabe?
TRONCOSO.-¿Dónde le he hecho cosquillas?
D. GAETANO.-¿E me lo pregunta todavía? ¡Chancho!
TRONCOSO.-¡Salí de ahí otario!(Le da un bife,y lo sacan a bofetadas
hasta la calle, madre e hija van detras, la orquesta ataca un paso doble. Tumulto, risas y todos bailan.) ¿ Vamos a bailar, Marta?
MARTA.-No: dejame, no quiero bailar hoy.
TRONCOSO.-¿ Qué te pasa?
MARTA.-Nada. Dejame.
TRONCOSO.-¿Pero qué tenés vos esta noche?
MARTA.-Nada. Se van a reir si lo digo.
PANCHITO.-Dejala; algún metejón nuevo.
MARTA.-No, nada de eso, les juro.
MARGOT.-A ver, decimelo ami. Yo soy tu amiga .
M-ARTA.-¡Es qué! … Pero no, es ridículo.
MARGOT.-Deci … .
MARTA.-Pero no se rían. He dejado a mi nene en casa con cuarenta
grados de fiebre y se me va a morir y yo no quiero que se me muera. (Llorando.)
LA BEBA.-¡Já, já, já! Dejate de sentimentalismos.
TRONCOSO.-¡Qué desgraciada! (Todos rien.)
LORENA.-¿Por qué se ríen de ella?
TRONCOSO.-A vos que te pasa? De un tiempo a esta parte el mozo se ha puesto muy sentimental.
LA BEBA.-En cuanto toma dos copas se pone imposible.
LORENA.-Para ustedes no hay nada respetable en la vida …
TRONCOSO.-Pero hermano! Vos, el rey de los patateros, hablando asi! . . .
LORENA.-¿ Y qué? ¿Acaso un patatero no puede tener alma? Si ustedes supieran …

Traduction des dialogues

TRONCOSO.- Bonsoir. M’accompagneriez-vous pour ce tango, mademoiselle ?
CAYETANA : Je ne me commande pas. Demandez la permission à mon père.
D. GAETANO.- C’est inutile jeune-homme. Ma fille ne « danse » pas.
(Les guillemets soulignent l’opinion que le père a de ces danses de cabaret).
TRONCOSO.- Comment cela se fait-il ? Vraiment? Ne savez-vous pas que chaque femme qui entre ici est obligée de danser ?
D. GAETANO.-Mais nul me l’a dit.
TRONCOSO.–Oui, monsieur, sinon il y aura des coups de feu.
CAYETANA.-Papa, rentrons à la maison. (Troncoso sort un revolver.)
D. GAETANO.-Bien … Bien .. . qu’ils « dansent » cette « danse » mais ne la serrez pas trop. (Ils dansent ridiculement.)
CATALINA.-Gaetano ; Roa, regarde comment il fait avec sa jambe.
D. GAETANO.- (L’arrêtant.) Ah ! Non jeune homme, pas ça, par la Madone !
Ma fille n’est pas une melunguera (milonguera, le père ne connait pas bien et déforme le mot) quelconque. Et il ne faut pas chatouiller la jambe, vous savez ?
TRONCOSO : Où l’ai-je chatouillée ?
D. GAETANO : Et vous me demandez en plus ? Cochon!
TRONCOSO : Sors d’ici, otario !
(Otario, cave, naïf, idiot) (Il le gifle, et ils le sortent avec des baffes) jusqu’à la rue. La mère et la fille se glissent derrière, l’orchestre attaque un paso doble. Tumulte, rires et tout le monde danse.) On va danser, Marta ?
MARTHA : Non, laisse-moi, je ne veux pas danser aujourd’hui.
TRONCOSO : Que t’arrive-t-il ?
MARTA.-Rien, laisse-moi.
TRONCOSO : Mais qu’as-tu ce soir ?
MARTA : Rien, ils vont rire si je le dis.
PANCHITO : Laisse-la ; quelque chose d’une nouvelle amourette.
MARTA : Non, rien de tel, je vous jure.
MARGOT : Eh bien, dis-le-moi. Je suis ton amie.
MARTA.-C’est que ! … Mais non, c’est ridicule.
MARGOT.-Parle… .
MARTA : Mais ne riez pas. J’ai laissé mon bébé à la maison avec quarante degrés de fièvre et il va mourir et je ne veux pas qu’il meure. (En pleurs.)
LA BEBA.-Ah-Ah-Ah Arrête avec la sentimentalité.
TRONCOSO : Quelle malchance ! (Tout le monde rit.)
LORENA.-Pourquoi vous moquez-vous d’elle ?
TRONCOSO : Qu’est-ce qui ne va pas chez toi ? Depuis quelque temps, le monsieur (beau jeune-homme) est devenu très sentimental.
LE BÉBÉ : Dès qu’il boit deux verres il devient impossible.
LORENA.-Pour vous, il n’y a rien de respectable dans la vie…
TRONCOSO : Mais frère ! Toi, le roi des patateros, tu parles ainsi !…
LORENA : Et alors ? Un patatero ne peut-il pas avoir une âme ? Si vous saviez…

Et là, Ignacio Corsini retourne une chaise, pose un genou sur l’assise et s’appuie au dossier avant d’entamer cette chanson qu’il reprendra de nombreuses fois à la demande des spectateurs.
Lors d’une représentation, le chef de la troupe, Cesar Ratti, a essayé d’interdire les bis multiples. Finalement, il a dû céder devant la pression du public et il y a eu cinq bis.
Voilà, vous en savez sans doute un peu plus sur l’histoire de ce tango et du lien entre notre musique favorite, les cabarets, théâtres et autres lieux de spectacle du début du vingtième siècle.

À bientôt, les amis !

El espiante 1932-01-17 – Orquesta Osvaldo Fresedo

Osvaldo Fresedo

Le dix-neuvième siècle a vu le développement du ferroviaire et du cinéma. On se souvent que l’un des premier films, L’arrivée d’un train en gare de La Ciotat (film n° 653 de Louis Lumière), a été tourné durant l’été 1895 et présenté au public le 25 janvier 1896. Mon grand-père, né quatre ans après les faits, me contait que les spectateurs furent pris de panique. L’œuvre d’aujourd’hui est à sa manière, une glorification des deux nouveautés. Le chemin de fer argentin, le plus développé d’Amérique du Sud, et le cinéma où les orchestres proposaient la musique manquant aux films de l’époque…

L’arrivée d’un train en gare de La Ciotat (film n° 653 de Louis Lumière) – Musique el Espiante 1932-01-17 Osvaldo Fresedo.

L’espiante peut désigner en lunfardo une arnaque ou le départ, par exemple, pour mettre fin à une relation me tomo el espiante. Dans le cas présent, vous allez le comprendre à l’écoute, il s’agit d’un train, que nous allons prendre ensemble. En voiture !

Extrait musical

Partitions de El espiante. On notera que l’on ne voit pas de train. Peut-être que le couple se fait l’espiante en sortant d’une milonga ennuyeuse…
El espiante 1932-01-17 – Orquesta Osvaldo Fresedo con canto.

Tout commence par la cloche suivie par le sifflet du chef de gare. Le souffle bruyant des pistons aide au démarrage du train. Le voyage se déroule ensuite les sons d’imitation et ceux de l’orchestre se mélangeant. Le bruit de la vapeur suit le train sur une bonne partie du trajet.
À 1:00 et 2:00, en entend l’annonce de la voiture-restaurant.
Le trajet se fait par des successions de montées et descentes, et la musique poursuit son parcours, jusqu’au final où les passagers s’interpellent et où le train s’arrête dans l’annonce de la gare, Rosario…
Ce titre est sans doute à classer dans la rubrique des tangos ludiques et à réserver aux amateurs de canyengue, mais d’autres passagers, pardon, danseurs peuvent le danser avec entrain.

Autres versions

Même si c’est une composition de Fresedo, le plus ancien enregistrement disponible est par Roberto Firpo. Ce n’est pas très étonnant, c’est le grand orchestre du moment et Firpo aime bien les titres aux sons réalistes.
On pensera par exemple à El amanecer où il introduit des chants d’oiseaux joués au violon. Mais il a sans doute un attachement au train, également, puisqu’il écrira le tango El rápido qui évoque également le même train, celui de Rosario…

El rápido 1931-08-27 – Orquesta Roberto Firpo con estribillo coreado.

Ce titre est signalé comme tango humoristique et est donc de la même veine que celui de Fresedo. Il est ponctué de voix de « passagers ». Comme la version de Fresedo de 1932 (notre tango du jour, l’annonce finale est également « Rosario ».

On peut imaginer que Firpo répond à son compère. L’espiante et El rápido désignent également les trains. On notera qu’à l’époque, il fallait seulement trois heures pour rallier Retiro (gare de Buenos Aires) à Rosario, soit presque trois fois moins que maintenant…
Firpo avait déjà enregistré ce titre en 1927 et je rappelle que Biagi a aussi enregistré, El rápido ainsi que Rodriguez, Piazzolla, Villasboas et Varella.
Revenons maintenant aux espiantes, on prendra le rapide une autre fois…

El espiante 1916 – Sexteto Roberto Firpo. Il s’agit d’un enregistrement acoustique.

Pas de bruitage de train, ce que les musiciens de l’époque auraient pu produire sans problème, car ils le faisaient pour le cinéma qui était muet à l’époque. J’imagine que cet ajout de bruitages s’est fait au fur et à mesure des concerts. Firpo n’est pas hostile à cela, bien au contraire si on écoute ce qu’il a fait dans El rápido de 1931.

El espiante 1927-12-01 – Orquesta Osvaldo Fresedo.

Si le caractère du train qui alterne les montées poussives et les descentes de pente précipitées est bien présent, les bruitages ne sont pas encore à l’ordre du jour. Il faudra peut-être attendre le délire de Firpo en 1931 avec El rápido, pour que cela devienne une habitude chez Fresedo également. Même si on n’est pas fan du canyengue, il faut reconnaître à cette œuvre, de belles trouvailles musicales, que Fresedo exploitera tout au long de sa carrière comme ses fameuses descentes et chutes.

El espiante 1932-01-17 – Orquesta Osvaldo Fresedo con canto (Rosario). C’est notre tango du jour.
El espiante 1933-03-16 – Orquesta Osvaldo Fresedo.

On pourrait confondre cette version avec la précédente, mais elle se distingue principalement de son aînée par l’absence des paroles finales et une fin différente. On notera aussi une accentuation moindre du caractère ferroviaire de cet enregistrement. Il y a tout de même le sifflet et la cloche au début, des sons de pistons (souffles à la voix) et le sifflet à environ 1:00, 2:10 et 2:30. Et un dernier souffle des pistons termine l’œuvre.

El espiante 1939-07-07 – Orquesta Julio De Caro.

Julio De Caro n’allait pas laisser ses copains s’amuser avec la musique du train sans participer. Lui aussi aime proposer des musiques descriptives. On notera que son train est plus un rapide qu’un espiante. Cette version très joueuse est sans doute dansable par les danseurs allergiques au canyengue, car elle est vraiment très sympa et le train qui n’a rien de poussif devrait les entraîner jusqu’à Rosario (ou ailleurs) sans problème.

El espiante 1954-11-25 – Orquesta Héctor Varela.

À part un semblant de cloche, au début, les bruitages ferroviaires sont absents de cette version. L’arrivée en gare se fait avec un bandonéon nerveux, peut-être celui de Varela. En effet, en 1954, Varela est venu grossir les rangs de son orchestre comme bandonéoniste en plus de Antonio Marchese et Alberto San Miguel. Trois autres bandonéonistes s’adjoindront à l’orchestre à cette époque : Luis Pinotti, Salvador Alonso et Eduardo Otero. Le freinage final se fait au violon.

El espiante 1955-12-29 – Orquesta Osvaldo Fresedo.

En 1955, Fresedo remet sur les rails son espiante. On retrouve dans cette version la cloche, le sifflet et la trompe du train. Cependant la musique va vers plus de joliesse. Le train semble traverser de beaux paysages, même si par moment, le rythme retrouve la respiration des pistons.

El espiante 1974 – Orquesta Héctor Varela.

Comme dans la version de 1954, le caractère ferroviaire sous forme de bruitages est absent, mais on reste tout de même dans l’ambiance avec la musique qui évoque irrésistiblement le déplacement d’un train. L’arrivée est ici, entièrement réalisée par le bandonéon nerveux qui ne laisse pas la place au violon, comme en 1954. Varela privilégie son instrument…

El espiante 1979-11-06 – Orquesta Osvaldo Fresedo.

En 1979, Fresedo fait partir son train avec un sifflet initial et lui fera émettre ses célèbres coups de trompes, mais on sent qu’il file comme le vent, au moins dans certains passages qui alternent avec des passages plus poussifs, rappelant le train des débuts. Comme en 1955 et sans doute encore plus, le train semble traverser d’élégants paysages. Le résultat décevra sans doute les amateurs du « vieux » Fresedo, mais ravira ceux qui aiment Sassone ou Varela. Le titre se termine par un jingle au vibraphone.

Et pour terminer notre voyage, prenons deux trains tirés par des locomotives à vapeur « Pacific 231 ». 231 pour 2 roues à l’avant (directrices), Trois grandes roues motrices et 1 dernière roue à l’arrière pour l’équilibre. 2-3-1 (4-6-2) si on envisage les deux côtés de la locomotive. La musique est celle d’Arthur Honegger, qui, comme Firpo et Fresedo, était fan des trains.

Pacific 231 1931- Mijaíl Tsekhanovsky – Arthur Honegger (film russe).

Ce court métrage magnifique fait le parallèle entre les mécanismes de la locomotive et le jeu des instruments, l’utilisation des surimpressions et des fondus enchaînés fait que la bête humaine (nom d’un film de Jean Renoir en 1938 ayant pour thème le chemin de fer à vapeur) et l’orchestre se mélangent.

Pacific 231 1949 – Jean Mitry – Arthur Honegger (film français).

L’esthétique du film de Jean Mitry est bien différente. De belles images de trains accompagnent la musique. C’est certainement beaucoup moins créatif que le film de Tsekhanovsky, mais intéressant tout de même, ne serait-ce que par l’aspect documentaire qui fait revivre ses monstres se nourrissant de charbon.

Terminus, tout le monde descend !
À bientôt, les amis !

Mala junta 1947-01-16 – Orquesta Pedro Laurenz

Julio De Caro; Pedro Laurenz Letra: Juan Miguel Velich

Je suis sûr que vous avez déjà été interpellés par ce titre qui commence par des rires, voire par des sifflements. La version du jour est réalisée par un des deux auteurs, le bandonéoniste Pedro Laurenz, qui à l’époque de la composition, était dans l’orchestre de l’autre compositeur, Julio de Caro. Nous verrons que, dès 1927, cette œuvre est d’une extraordinaire modernité.
Mala junta peut se traduire par mauvaise rencontre. Vous serez peut-être étonné de voir qu’elle est la mauvaise rencontre évoquée par Magaldi…

Extrait musical

Partitions de Mala junta. Elles sont dédicacées « Al distinguido y apreciado Señor Don Luis Gondra y familia ». Première des 26 pages de la partition complète et début de la partie finale avec la mise en valeur du bandonéon. Partition réalisée par Lucas Alcides Caceres.
Mala junta 1947-01-16 – Orquesta Pedro Laurenz.

Les versions de Pugliese sont bien plus connues, mais vous reconnaîtrez tout de suite le titre malgré l’absence des éclats de rire du début, ou plus exactement, c’est l’orchestre qui reproduit le thème de l’éclat de rire, instrumentalement. Le rythme est bien marqué, même s’il comporte quelques syncopes en fantaisie.
On notera que Laurenz fait également l’impasse sur les sifflements. Dans son enregistrement de 1968, avec son quinteto, il omettra également ces deux éléments. On pourrait donc imaginer que ces rires et sifflements sont des fantaisies de De Caro. C’est d’autant plus probable si on se souvient que, dans El monito, il utilise les sifflements, les rires et même des phrases humoristiques.
Si quelques dissonances rappellent les compositions decaréennes (de De Caro), elles ne devraient pas troubler les danseurs moins familiers de ces sonorités.
Les phrases sont lancées et se terminent souvent comme jetées, précipitées. Le piano coupe ces accélérations par ses ponctuations. La musique semble se remettre en place et on recommence jusqu’à la dernière partie où le bandonéon de Laurenz s’en donne à cœur joie. Rappelez-vous que, dans la partition, toute cette partie est en doubles-croches, ce qui permet de donner une impression de vitesse, sans modifier le rythme.

Disque Odeón 7644 Face A avec Mala junta interprété par Pedro Laurenz.

Don Luis Gondra

Luis Gondra a deux époques et une caricature dans la Revue Caras y Caretas de 1923, qui rappelle qu’il était également avocat.

La dédicace de ce tango a été effectuée à Luis Gondra (Luis Roque Gondra), un militant, écrivain et politique. Il fait partie des survivants du massacre de Pirovano où 200 hommes venus prêter main-forte à Hipólito Yrigoyen en prenant le train à Bahia Blanca ont été attaqués à balles et baïonnettes par des forces loyales au gouvernement de Manuel Quintana.
Il est mort le 10 février 1947, soit moins d’un mois après l’enregistrement de notre tango du jour. Il est l’auteur de différents ouvrages, principalement d’histoire politique, comme des ouvrages sur Belgrano ou des cours d’économie, car il était professeur de cette matière.

Un ouvrage à la gloire de Belgrano, un cours d’économie politique et sociale et un livre sur les idées économiques de Belgrano. Cela donne le profil du dédicataire de ce tango.

Paroles, deux versions

Même si notre tango du jour est instrumental, il y a des paroles, celles enregistrées par Magaldi, qui dénoncent le tango comme la cause de la perdition et celles que l’on trouve habituellement dans les recueils de paroles de tango. Ce qui est curieux est qu’il n’y a pas de version enregistrée des paroles « canoniques ».
Je commence donc par la version de Magaldi et donnerait ensuite la version « standard ».

Paroles chantées par Magaldi

Por tu mala junta te perdieron, Nena,
Y causaste a tus pobres viejos, pena,
Que a pesar de todos los consejos,
Un mal día te engrupieron
Y el gotán te encadenó…

¡Ay! ¿Dónde estás, Nenita de mirada seductora?
Tan plena de poesía, cual diosa del amor…
Nunca, jamás veré la Sultanita que en otrora
Con sus mimos disipaba mi dolor.

Recitado:
Guardo de ti recuerdo sin igual
Pues fuiste para mí toda la vida.
Mi corazón sufrió la desilusión
Del desprecio a su querer que era su ideal.

Y con la herida
Que tú me has hecho,
Mi fe has desecho
Y serás mi perdición.

Todo está sombrío y muy triste, alma,
Y nos falta, desde que te has ido, calma,
El vivir la dicha ya ha perdido
Porque con tu mal viniste
A enlutar mi corazón.

¿Por qué, mi amor, seguiste a esa mala consejera
que, obrando con falsía, buscó tu perdición?
Mientras que aquí está la madrecita que te espera
Para darte su amorosa bendición.

Recitado:
Dulce deidad, que fue para mi bien
Un sueño de placer nunca sentido,
Yo no pensé que ése, mi gran querer,
Lo perdiera así nomás, siendo mi Edén.

¿Dónde te has ido
mi noviecita?
Tu madrecita
Siempre cree que has de volver.
Julio De Caro; Pedro Laurenz Letra: Juan Miguel Velich

Traduction libre des paroles de la version de Magaldi

À cause de ta mauvaise rencontre, ils t’ont perdu, Bébé,
Et tu as causé à tes pauvres parents, de la peine,
Que malgré tous les conseils, un mauvais jour, ils t-on trompés (dit des mensonges) et le gotan t’a enchaîné… (Et voilà le grand coupable, le tango…).
Hélas! Où es-tu, petite fille au regard séducteur ?
Tellement pleine de poésie, comme une déesse de l’amour…
Je ne verrai jamais, jamais la sultane qui, une fois, avec ses câlins, a dissipé ma douleur.
Récitatif:
Je garde un souvenir inégalé de toi parce que tu as été pour moi toute ma vie.
Mon cœur a souffert de la déception du mépris pour son amour, qui était son idéal.
Et avec la blessure que tu m’as faite,
Tu as rejeté ma foi et tu seras ma perte.
Tout est lugubre et très triste, âme, et nous manquons, depuis que tu es partie, le calme, la vie du bonheur s’est déjà perdue, car avec ton mal tu es venue endeuiller mon cœur.
Pourquoi, mon amour, as-tu suivi ce mauvais conseiller qui, agissant faussement, a cherché ta perte ?
Alors qu’ici se trouve la petite mère qui t’attend pour te donner sa bénédiction aimante.
Récitatif:
Douce divinité, qui était pour mon bien un rêve de plaisir jamais ressenti,
Je ne pensais pas que cela, mon grand amour, je le perdrai, étant mon Eden.
Où es-tu allée, ma petite fiancée?
Ta petite mère pense toujours que tu vas revenir.

Paroles de la version standard

Por tu mala junta te perdiste, nena
y nos causa tu extravío, llantos, ¡pena!…
De un vivir risueño te han hablado
y al final… ¡te has olvidado
de tu vieja y de mi amor!…
En la fiebre loca de mentidas galas
se quemaron tus divinas, ¡níveas alas!…
En tu afán de lujos y de orgías
recubriste de agonías
¡a mi vida y a tu hogar!…

Fuiste el ángel de mis horas de bohemia,
el bien de mi esperanza,
tierno sueño encantador;
y no puedo sofocar mis neurastenias
cuando pienso en la mudanza
¡de tu cruel amor!…

(recitado)
¡Pobre de mí… que a cuestas con mi gran cruz
rodando he de marchar por mi oscura senda;
¡sin el calor de aquella fulgente luz
que tu mirar dispersó en mi corazón!

(canto)
Sueños de gloria
que truncos quedaron
y herido me dejaron
entre brumas de dolor…

Por tu mala junta te perdiste, nena,
y nos causa tu extravío llantos, ¡pena!…
Por seguir tus necias ambiciones
mis doradas ilusiones
¡para siempre las perdí!…
Una santa madre delirante clama
y con ella mi cariño, ruega, ¡llama!…
El perdón te espera con un beso
sí nos traes con tu regreso
¡la alegría de vivir!…

Tus recuerdos se amontonan en mi mente,
tu imagen me obsesiona,
te contemplo en mi ansiedad;
y te nombro suspirando tristemente,
pero en vano… ¡no reacciona
tu alma sin piedad!…

Y como el cisne
que muere cantando
así se irá esfumando
¡mi doliente juventud!…
Julio De Caro; Pedro Laurenz Letra: Juan Miguel Velich

Traduction libre des paroles de la version standard

À cause de ta mauvaise rencontre, tu t’es perdue, bébé et ta perte nous cause, des larmes, du chagrin…
On t’a parlé d’une vie souriante et à la fin… tu as oublié ta mère et mon amour…
Dans la fièvre folle, des parures mensongères se brûlèrent tes ailes divines et neigeuses…
Dans ton avidité de luxe et d’orgies, tu as couvert d’agonies (amertumes, douleurs, chagrins) ma vie et ta maison…
Tu étais l’ange de mes heures de bohème, le bien de mon espérance, le rêve tendre et enchanteur ;
et je ne puis étouffer ma neurasthénie quand je pense au changement de ton amour cruel…
(récitatif)
Pauvre de moi… que sur mes épaules, avec ma grande croix, errant, je dois marcher le long de mon obscur sentier ;
Sans la chaleur de cette lumière éclatante que ton regard a dispersée dans mon cœur !
(chant)
Des rêves de gloire qui resteront tronqués et me laissèrent blessé dans des brouillards de douleur…
À cause de ta mauvaise rencontre, tu t’es perdue, bébé et ta perte nous cause, des larmes, du chagrin…
Pour suivre tes folles ambitions, mes illusions dorées, pour toujours, je les ai perdues…
Une sainte mère en délire crie et, avec elle, mon affection, supplie, appelle…
Le pardon t’attend avec un baiser si tu nous ramènes avec ton retour, la joie de vivre…
Tes souvenirs s’accumulent dans mon esprit, ton image m’obsède, je te contemple dans mon angoisse ;
Et je te nomme en soupirant tristement, mais en vain… ton âme sans pitié ne réagit pas…
Et comme le cygne qui meurt en chantant ainsi s’évanouira, ma douloureuse jeunesse…

On voit les différences entre les deux versions des paroles. Il se peut que les deux soient de Juan Miguel Velich, à moins que Magaldi ait adapté les paroles à son goût. C’est un petit mystère, mais cela me semble très marginal dans la mesure où l’intérêt principal de cette composition est dans la musique.

Autres versions

Mala junta 1927-09-13 – Orquesta Julio De Caro.

Cette version permet de retrouver les deux compositeurs avec Julio de Caro au violon (son violon à cornet) et Pedro Laurenz au bandonéon. Ce dernier avait intégré l’orchestre de De Caro en 1924 en remplacement de Luis Petrucelli.
On notera, après les rires, le début sifflé. Cette version, la plus ancienne enregistrée en notre possession, a déjà tous les éléments de modernité que l’on attribuera deux ou trois décennies plus tard à Osvaldo Pugliese qui se considérait comme l’humble héritier de De Caro.
Voici la composition du sexteto pour cet enregistrement :

  • Pedro Laurenz et Armando Blasco au bandonéon.
  • Francisco De Caro au piano.
  • Julio De Caro et Alfredo Citro au violon.
  • Enrique Krauss à la contrebasse.
Disque Victor de la version enregistrée par De Caro en 1927.
Mala junta 1928-06-18 – Agustín Magaldi con orquesta.

Comme nous l’avons vu, Magaldi chante des paroles différentes, mais l’histoire est la même. C’est bien sûr un enregistrement destiné à l’écoute, à la limite de la pièce de théâtre.

Mala junta 1928-12 – Orquesta Típica Brodman-Alfaro. Original Columbia L 1349-1 Matrice D 19172.

Le titre commence avec les sifflets, mais sans les rires. Cette version comporte un passage avec une scie musicale. Finalement, ce n’est pas vilain, mais sans doute plus curieux que captivant.

À gauche, le disque officiel édité par la Columbia en 1929 (enregistrement de décembre 1928). À droite, un disque pirate du même enregistrement réalisé dans le courant de 1929.

Quelqu’un a-t-il réussi à se procurer la matrice D 19172 et à en faire une copie sous le numéro de matrice bidon N300028 ?
La moins bonne qualité de la copie pirate peut aussi laisser penser qu’elle a été réalisée à partir d’un disque édité. Bien sûr, il est difficile de juger, car il faudrait plusieurs copies de la version pirate, pour vérifier que cela vient de la fabrication et pas de l’usure du disque.

Mala Junta 1928-12 – Orquesta Tipica Brodman Alfaro. Copie pirate d’Omnia (Disque X27251 – Matrice N300028).

Même enregistrement, mais ici, la copie pirate d’Omnia (Disque X27251 – Matrice N300028). La qualité est sensiblement plus faible, est-ce le fait de la copie d’un disque original ou tout simplement de l’usure plus importante de ce disque ? Petit rappel. Les disques sont réalisés à partir d’une matrice, elle-même issue de l’enregistrement sur une galette de cire. La cire était directement gravée par la pression acoustique (pour les premiers enregistrements) et par le déplacement d’un burin soumis aux vibrations obtenues par voie électrique (microphone à charbon, par exemple). Cette cire servait à réaliser un contretype, la matrice qui servait ensuite à réaliser les disques par pressage. Sans cette matrice, il faut partir d’un disque déjà pressé, ce qui engendre à la fois la perte de détails qui avaient été déjà atténués à cause de l’impression originale, mais cela peut également ajouter les défauts du disque s’il a été utilisé auparavant. La copie pirate est donc obligatoirement de moins bonne qualité dans ce cas, d’autant plus que le matériau du disque peut également être choisi de moins bonne qualité, ce qui engendrera plus de bruit de fond, mais ce qui permettra de réduire le prix de fabrication de cette arnaque.
On notera que, de nos jours, les éditeurs partent souvent de disques qui sont eux-mêmes des copies et qu’ils ajoutent des traitements numériques supposés de redonner une jeunesse à leurs produits. Le résultat est souvent monstrueux et se détecte par la mention « remastered » sur le disque. Malheureusement, cela tend à devenir la norme dans les milongas, malgré les sonorités horribles que ces traitements mal exécutés produisent.

Mala junta 1938-07-11 – Orquesta Típica Bernardo Alemany.

Le principal intérêt de cette version est qu’elle ouvre une seconde période d’enregistrements, une décennie plus tard. On peut cependant ne pas être emballé par le résultat, sans doute trop confus.

Mala junta 1938-11-16 – Orquesta Julio De Caro.

De Caro réenregistre sa création, cette fois, les rires et les sifflements sont reportés à la seconde partie. Cela permet de mettre en valeur la composition musicale assez complexe. Cette complexité même qui fera que ce titre, malgré sa beauté, aura du mal à rendre les danseurs heureux. On le réservera donc à l’écoute.

Mala junta 1943-08-27- Orquesta Osvaldo Pugliese.

Contrairement à son modèle, Pugliese a conservé les rires en début d’œuvre, mais a également supprimé les sifflements qui n’interviendront que dans la seconde partie. L’interprétation est d’une grande régularité et avant le solo du dernier tiers de l’œuvre, on pourra trouver que l’interprétation manque d’originalité, ce n’est en effet que dans la dernière partie que Pugliese déchaîne son orchestre avec des bandonéons excités survolés par le violon tranquille. Au crédit de cet enregistrement, on pourra indiquer qu’il est dansable et que la fin énergique pourra faire oublier un début manquant un peu d’expression.

Mala junta 1947-01-16 – Orquesta Pedro Laurenz. C’est notre tango du Jour.
Mala junta 1949-10-10 – Orquesta Julio De Caro.

De Caro, après la version de Pugliese et celle de Laurenz, son coauteur, enregistre une version différente. Comme pour celle de 1938, il ne conserve pas les rires et sifflets initiaux. C’est encore plus abouti musicalement, mais toujours plus pour l’écoute que pour la danse. Conservons cela en tête pour découvrir, la réponse de Pugliese…

Mala junta 1952-11-29 – Orquesta Osvaldo Pugliese.

Toujours les rires, sans sifflements au début de cet enregistrement et dans la seconde partie, ce sont les sifflements qui remplacent les rires. L’affirmation de la Yumba dans l’interprétation et la structure de cette orchestration nous propose un Pugliese bien formé et « typique » qui devrait plaire à beaucoup de danseurs, car l’improvisation y est facilitée, même si la richesse peut rendre difficile la tâche à des danseurs peu expérimentés.

La version de 1952 a été éditée en disque 33 tours. Mala junta est la première plage de la face A du disque LDS 103.
Mala junta 1957-09-02 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.

Disons-le clairement, j’ai un peu honte de vous présenter cette version après celle de Pugliese. Cette version sautillante ne me semble pas adaptée au thème. Je ne tenterai donc pas de la proposer en milonga. Je ne verrai donc jamais les danseurs transformés en petits duendes (lutins) gambadants comme je l’imagine à l’écoute.

Mala junta 1968 – Pedro Laurenz con su Quinteto.

Pedro Laurenz enregistre une dernière version de sa création. Il y a de jolis passages, mais je ne suis pas pour ma part très convaincu du résultat.
On a l’impression que les instruments jouent chacun dans leur coin, sans trop s’occuper de ce que font les autres. Attention, je ne parle pas d’instrumentistes médiocres qui ne jouent pas ensemble, mais du lancement de traits juxtaposés et superposés qui semblent être lâchés sans cohérence. Si cela peut plaire à l’oreille de certains, c’est sûr que cela posera des difficultés aux danseurs qui souhaitent danser la musique et pas seulement faire des pas sur la musique.

Je vous propose de terminer avec Pugliese, qui est incontestablement celui qui a le plus concouru à faire connaitre ce titre. Je vous propose une vidéo réalisée au théâtre Colón de Buenos Aires, point d’orgue de la carrière du maître qui rappelle que ses fans criaient « Al Colón » quand ils l’écoutaient. Finalement, Pugliese est arrivé au Colón et cette vidéo en témoigne…

Mala junta – Osvaldo Pugliese – Teatro Colón 1985.

Il y a d’autres versions, y compris par Pugliese, notamment réalisées au cours de différents voyages, mais je pense que l’essentiel est dit et, pour ma part, je reste sur la version de 1952 pour la danse, tout en ayant un faible pour version tant novatrice (pour l’époque) de 1927 de De Caro et la version intéressante de Laurenz, qui constitue notre tango du jour.

À bientôt, les amis !

El choclo 1948-01-15 – Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas

Ángel Villoldo (Ángel Gregorio Villoldo Arroyo) / Casimiro Alcorta Letra: Ángel Villoldo / Juan Carlos Marambio Catán / Enrique Santos Discépolo.

Comme tous les tangos célèbres, El choclo a son lot de légendes. Je vous propose de faire un petit tour où nous verrons au moins quatre versions des paroles accréditant certaines de ces légendes. Ce titre importé par Villoldo en France y aurait remplacé l’hymne argentin (par ailleurs magnifique), car il était plus connu des orchestres français de l’époque que l’hymne officiel argentin Oid mortales du compositeur espagnol : Blas Parera i Moret avec des paroles de Vicente López y Planes (écrivain et homme politique argentin). Voyons donc l’histoire de cet hymne de substitution.

Qui a écrit El choclo ?

Le violoniste, danseur (avec sa compagne La Paulina) et compositeur Casimiro Alcorta pourrait avoir écrit la musique de El choclo en 1898. Ce fils d’esclaves noirs, mort à 73 ans dans la misère à Buenos Aires, serait, selon certains, l’auteur de nombreux tangos de la période comme Concha sucia (1884) que Francisco Canaro arrangea sous le titre Cara sucia, nettement plus élégant, mais aussi La yapa, Entrada prohibida et sans doute pas mal d’autres. À l’époque, ces musiques n’étaient pas écrites et elles appartenaient donc à ceux qui les jouaient, puis à ceux qui les éditèrent…
L’absence d’écriture empêche de savoir si, Ángel Villoldo a « emprunté » cette musique…
En 1903, Villoldo demande à son ami chef d’un orchestre classique, José Luis Roncallo, de jouer avec son orchestre cette composition dans un restaurant chic, La Americana. Celui-ci refusa, car le patron du restaurant considérait le tango comme de la musique vulgaire (ce en quoi il est difficile de lui donner tort si on considère ce qui se faisait à l’époque). Pour éviter cela, Villoldo publia la partition le 3 novembre 1903 en indiquant qu’il s’agissait d’une danse criolla… Ce subterfuge permit de jouer le tango dans ce restaurant. Ce fut un tel succès, que l’œuvre était jouée tous les jours et que Villoldo est allé l’enregistrer à Paris, en compagnie de Alfredo Gobbi et de sa femme, Flora Rodriguez.
Par la suite, des centaines de versions ont été publiées. Celle du jour est assez intéressante. On la doit à Francisco Canaro avec Alberto Arenas. L’enregistrement est du 15 janvier 1948.

Extrait musical

Diverses partitions de El choclo. On remarquera à gauche (5ème édition), la dédicace à Roncallo qui lancera le titre.
El choclo 1948-01-15 – Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas.

On remarque tout de suite le rythme rapide. Arenas chante également rapidement, de façon saccadée et il ne se contente pas de l’habituel refrain. Il chante l’intégralité des paroles écrites l’année précédente pour Libertad Lamarque.
Ce fait est généralement caractéristique des tangos à écouter. Cependant, malgré les facéties de cet enregistrement, il me semble que l’on pourrait envisager de le proposer dans un moment délirant, une sorte de catharsis, pour toutes ces heures passées à danser sur des versions plus sages. On notera les clochettes qui donnent une légèreté, en contraste à la voix très appuyée d’Arenas.

Paroles (version de Enrique Santos Discépolo)

Ici, les paroles de la version du jour, mais reportez-vous en fin d’article pour d’autres versions…

Con este tango que es burlón y compadrito
se ató dos alas la ambición de mi suburbio;
con este tango nació el tango, y como un grito
salió del sórdido barrial buscando el cielo;
conjuro extraño de un amor hecho cadencia
que abrió caminos sin más ley que la esperanza,
mezcla de rabia, de dolor, de fe, de ausencia
llorando en la inocencia de un ritmo juguetón.

Por tu milagro de notas agoreras
nacieron, sin pensarlo, las paicas y las grelas,
luna de charcos, canyengue en las caderas
y un ansia fiera en la manera de querer…

Al evocarte, tango querido,
siento que tiemblan las baldosas de un bailongo
y oigo el rezongo de mi pasado…
Hoy, que no tengo más a mi madre,
siento que llega en punta ‘e pie para besarme
cuando tu canto nace al son de un bandoneón.

Carancanfunfa se hizo al mar con tu bandera
y en un pernó mezcló a París con Puente Alsina.
Triste compadre del gavión y de la mina
y hasta comadre del bacán y la pebeta.
Por vos shusheta, cana, reo y mishiadura
se hicieron voces al nacer con tu destino…
¡Misa de faldas, querosén, tajo y cuchillo,
que ardió en los conventillos y ardió en mi corazón.
Enrique Santos Discépolo

Traduction libre et indications de la version de Enrique Santos Discépolo

Avec ce tango moqueur et compadrito, l’ambition de ma banlieue s’est attaché deux ailes ;
Avec ce tango naquit, le tango, et, comme un cri, il sortit du quartier sordide en cherchant le ciel.
Un étrange sort d’amour fait cadence qui ouvrait des chemins sans autre loi que l’espoir, un mélange de rage, de douleur, de foi, d’absence pleurant dans l’innocence d’un rythme joueur.
Par ton miracle des notes prophétiques, les paicas et les grelas ( paicas et grelas sont les chéries des compadritos) sont nées, sans y penser, une lune de (ou de flaque d’eau), de canyengue sur les hanches et un désir farouche dans la façon d’aimer…
Quand je t’évoque, cher tango, je sens les dalles d’un dancing trembler et j’entends le murmure de mon passé…
Aujourd’hui, alors que je n’ai plus ma mère, j’ai l’impression qu’elle vient sur la pointe des pieds pour m’embrasser quand ton chant naît au son d’un bandonéon.
Carancanfunfa (danseur habile, on retrouve ce mot dans divers titres, comme les milongas Carán-Can-Fú de l’orchestre Roberto Zerrillo avec Jorge Cardozo, ou Caráncanfún de Francisco Canaro avec Carlos Roldán) a pris la mer avec ton drapeau et en un éclair a mêlé Paris au pont Alsina (pont sur le Riachuelo à la Boca).
Triste compadre du gabion (mecs) et de la mina (femme) et jusqu’à la marraine du bacán (riche) et de la pebeta (gamine).
Pour toi, l’élégant, prison, accusations et misère ont parlé à la naissance avec ton destin…
Une messe de jupes, de kérosène (pétrole lampant pour l’éclairage), de lames et de couteaux, qui brûlait dans les conventillos (habitas collectifs populaires et surpeuplés) et brûlait dans mon cœur.

Un épi peut en cacher un autre…

On a beaucoup glosé sur l’origine du nom de ce tango.
Tout d’abord, la plus évidente et celle que Villoldo a affirmé le plus souvent était que c’était lié à la plante comestible. Les origines très modestes des Villoldo peuvent expliquer cette dédicace. Le nord de la Province de Buenos Aires ainsi que la Pampa sont encore aujourd’hui des zones de production importante de maïs et cette plante a aidé à sustenter les pauvres. On peut même considérer que certains aiment réellement manger du maïs. En faveur de cette hypothèse, les paroles de la version chantée par lui-même, mais nous verrons que ce n’est pas si simple quand nous allons aborder les paroles…
Il s’agirait également, d’un tango à la charge d’un petit malfrat de son quartier et qui avait les cheveux blonds. C’est du moins la version donnée par Irene Villoldo, la sœur de Ángel et que rapporte Juan Carlos Marambio Catán dans une lettre écrite en 1966 à Juan Bautista Devoto. On notera que les paroles de Juan Carlos Marambio Catán confortent justement cette version.
Lorsque Libertad Lamarque doit enregistrer ce tango en 1947 pour le film « Gran Casino » de Luis Buñuel, elle fait modifier les paroles par Enrique Santos Discépolo pour lui enlever le côté violent de la seconde version et douteuse de celles de Villoldo.
Villoldo n’était pas un enfant de chœur et je pense que vous avez tous entendu parler de la dernière acception. Par la forme phallique de l’épi de maïs, il est tentant de faire ce rapprochement. N’oublions pas que les débuts du tango n’étaient pas pour les plus prudes et cette connotation sexuelle était, assurément, dans l’esprit de bien des auditeurs. Le lunfardo et certains textes de tangos aiment à jouer sur les mots. Vous vous souvenez sans doute de « El chino Pantaleón » où, sous couvert de parler musique et tango, on parlait en fait de bagarre…
Rajoutons que, comme le tango était une musique appréciée dans les bordels, il est plus que probable que le double sens ait été encouragé.
Faut-il alors rejeter le témoignage de la sœur de Villoldo ? Pas forcément, il y avait peut-être une tête d’épi dans leur entourage, mais on peut aussi supposer que, même si Irène était analphabète, elle avait la notion de la bienséance et qu’elle se devait de diffuser une version soft, version que son frère a peut-être réellement encouragée pour protéger sa sœurette.
Retenons de cela qu’au fur et à mesure que le tango a gagné ses lettres de noblesse, les poètes se sont évertués à écrire de belles paroles et pas seulement à cause des périodes de censure de certains gouvernements. Tout simplement, car le tango entrant dans le « beau monde », il devait présenter un visage plus acceptable.
Les textes ont changé, n’en déplaise à Jorge Borges, et avec eux, l’ambiance du tango.

Autres versions

Tout comme pour la Cumparsita, il n’est pas pensable de présenter toutes les versions de ce tango. Je vous propose donc une sélection très restreinte sur deux critères :
• Historique, pour connaître les différentes époques de ce thème.
• Intérêt de l’interprétation, notamment pour danser, mais aussi pour écouter.
Il ne semble pas y avoir d’enregistrement disponible de la version de 1903, si ce n’est celle de Villoldo enregistrée en 1910 avec les mêmes paroles présumées.
Mais auparavant, priorité à la datation, une version un peu différente et avec un autre type de paroles. Il s’agit d’une version dialoguée (voire criée…) sur la musique de El Choclo. Le titre en est Cariño puro, mais vous retrouverez sans problème notre tango du jour.

Cariño puro (diálogo y tango) 1907 – Los Gobbi con Los Campos.

Ce titre a été enregistré en 1907 sur un disque en carton de la compagnie Marconi. Si la qualité d’origine était bonne, ce matériau n’a pas résisté au temps et au poids des aiguilles de phonographes de l’époque. Heureusement, cette version a été réédité en disque shellac par la Columbia et vous pouvez donc entendre cette curiosité… La forme dialoguée rappelle que les musiciens faisaient beaucoup de revues et de pièces de théâtre.

À gauche, disque en carton recouvert d’acétate (procédé Marconi). Ces disques étaient de bonne qualité, mais trop fragiles. À droite, le même enregistrement en version shellac.

Paroles de Cariño puro des Gobbi

Ay mi china que tengo mucho que hablarte,
de una cosa que a vos no te va a gustar
Largá el rollo que escucho y explicate
Lo que pases no es tontera,
pues te juro que te digo la verdad.
dame un beso no me vengas con chanela (2)
dejate de tonteras, no me hagas esperar.
Decí ya sé que la otra noche
vos con un gavilán
son cuentos que te han hecho
án.
No me faltes mirá que no hay macanas
yo no vengo con ganas mi china de farrear
Pues entonces no me vengas con cuento
y escuchame un momento que te voy a explicar.
No te enojes que yo te diré lo cierto
y verás que me vas a perdonar
Pues entonces
Te diré la purísima verdad
Vamos china ya que voy a hacer las paces
a tomar un carrindango pa pasear
Y mirar de Palermo
Yo te quiero mi chinita no hagas caso
Que muy lejos querer
el esquinazo
ni golpe ni porrazo…
Ángel Villoldo

Traduction de Cariño puro des Gobbi

  • Oh, ma chérie, que j’ai beaucoup à te parler,
    D’une chose qui ne va pas te plaire
    Avoue (lâcher le rouleau) que je t’écoute et explique-toi
    Ce que tu traverses n’est pas une bêtise,
  • – Eh bien, je te jure que je te dis la vérité.
    Donne-moi un baiser Ne viens pas à moi en parlementant
  • – Arrête les bêtises, ne me fais pas attendre.
    J’ai déjà dit que je savais pour l’autre soir
    Toi avec un épervier (homme rapide en affaires)
  • – Ce sont des histoires qui t’ont été faites
    un.
    Ne détourne pas le regard, n’y a pas d’arnaque.
  • – Je ne viens pas, ma chérie, avec l’envie de rigoler.
    Aussi, ne me raconte pas d’histoires
  • – et écoute-moi un instant et, car je vais te l’expliquer.
    Ne te fâche pas, je vais te dire ce qui est sûr
    Et tu verras que tu vas me pardonner
    Puis, ensuite
    Je vais te dire la pure vérité
  • – Allez, ma chérie, car je vais faire la paix
    En prenant une voiture pour une promenade
    Et regarder Palermo
    Je t’aime ma petite chérie, ne fais pas attention
    Car je veux arrondir les angles
    ni coup ni bagarre…

On voit que ces paroles sont plutôt mignonnes, autour des tourments d’un couple, interprétés par Alfredo Gobbi et sa femme, Flora Rodriguez. Dommage que la technique où le goût de l’époque fasse tant crier, cela n’est pas bien accepté par nos oreilles modernes.

El choclo 1910 – Ángel Gregorio Villoldo con guitarra.

Cette version présente les paroles supposées originales et qui parlent effectivement du maïs. C’est donc cette version qui peut faire pencher la balance entre la plante et le sexe masculin. Voyons ce qu’il en est.

Paroles de Villoldo

De un grano nace la planta
que más tarde nos da el choclo
por eso de la garganta
dijo que estaba humilloso.
Y yo como no soy otro
más que un tanguero de fama
murmuro con alborozo
está muy de la banana.

Hay choclos que tienen
las espigas de oro
que son las que adoro
con tierna pasión,
cuando trabajando
llenito de abrojos
estoy con rastrojos
como humilde peón.

De lavada enrubia
en largas guedejas
contemplo parejas
sí es como crecer,
con esos bigotes
que la tierra virgen
al noble paisano
le suele ofrecer.

A veces el choclo
asa en los fogones
calma las pasiones
y dichas de amor,
cuando algún paisano
lo está cocinando
y otro está cebando
un buen cimarrón.

Luego que la humita
está preparada,
bajo la enramada
se oye un pericón,
y junto al alero,
de un rancho deshecho
surge de algún pecho
la alegre canción.
Ángel Villoldo

Traduction des paroles de Ángel Villoldo

D’un grain naît la plante qui nous donnera plus tard du maïs
C’est pourquoi, de la gorge (agréable au goût) je dis qu’il avait été humilié (calomnié).
Et comme je ne suis autre qu’un tanguero célèbre, je murmure de joie, il est bien de la banane (du meilleur, la banane étant également un des surnoms du sexe de l’homme).
Il y a des épis qui ont des grains d’or, ce sont ceux que j’adore avec une tendre passion, quand je les travaille plein de chardons, je suis avec du chaume comme un humble ouvrier.
De l’innocence blonde aux longues mèches, je contemple les plantes (similaires, spécimens…) si c’est comme grandir, avec ces moustaches que la terre vierge offre habituellement au noble paysan. (Un double sens n’est pas impossible, la terre cultivée n’a pas de raison particulière d’être considérée comme vierge).
Parfois, les épis de maïs sur les feux calment les passions et les joies de l’amour (les feux, sont les cuisinières, poêles. Qu’ils calment la faim, cela peut se concevoir, mais les passions et les joies de l’amour, cela procède sans doute d’un double sens marqué), quand un paysan le cuisine et qu’un autre appâte un bon cimarron (esclave noir, ou animal sauvage, mais il doit s’agir ici plutôt d’une victime d’arnaque, peut-être qu’un peu de viande avec le maïs fait un bon repas).
Une fois que la humita (ragoût de maïs) est prête, sous la tonnelle, un pericón (pericón nacional, danse traditionnelle) se fait entendre, et à côté des avant-toits, d’un ranch brisé, le chant joyeux surgit d’une poitrine (on peut imaginer différentes choses à propos du chant qui surgit d’une poitrine, mais c’est un peu difficile de s’imaginer que cela puisse être provoqué par la préparation d’une humita, aussi talentueux que soit le cuisinier…

Je vous laisse vous faire votre opinion, mais il me semble difficile d’exclure un double sens de ces paroles.

El choclo 1913 – Orquesta Típica Porteña dir. Eduardo Arolas.

Cette version instrumentale permet de faire une pause dans les paroles.

El choclo 1929-08-27 – Orquesta Típica Victor.

Une version instrumentale par la Típica Víctor dirigée par Carabelli. Un titre pour les amateurs du genre, mais un peu pesant pour les autres danseurs.

El choclo 1937-07-26 – Orquesta Juan D’Arienzo.

Sans doute une des versions les plus adaptées aux danseurs, avec les ornementations de Biagi au piano et le bel équilibre des instruments, principalement tous au service du rythme et donc de la danse, avec notamment l’accélération (simulée) finale.

El choclo 1937-11-15 – Quinteto Don Pancho dir. Francisco Canaro.

Cette version n’apporte pas grand-chose, mais je l’indique pour marquer le contraste avec notre version du jour, enregistrée par Canaro 11 ans plus tard.

El choclo 1940-09-29 – Roberto Firpo y su Cuarteto Típico.

Une version légère. Le doublement des notes, caractéristiques de cette œuvre, a ici une sonorité particulière, on dirait presque un bégaiement. En opposition, des passages aux violons chantants donnent du contraste. Le résultat me semble cependant un peu confus, précipité et pas destiné à donner le plus de plaisir aux danseurs.

El choclo 1941-11-13 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas.

On retrouve une version chantée. Les paroles sont celles de Juan Carlos Marambio Catán, ou plus exactement le tout début des paroles avec la fin du couplet avec une variante.
Je vous propose ici, les paroles complètes de Catán, pour en garder le souvenir et aussi, car la partie qui n’est pas chantée par Vargas parle de ce fameux type aux cheveux couleur de maïs…

Paroles de Juan Carlos Marambio Catán

Vieja milonga que en mis horas de tristeza
traes a mi mente tu recuerdo cariñoso,
encadenándome a tus notas dulcemente
siento que el alma se me encoje poco a poco.
Recuerdo triste de un pasado que en mi vida,
dejó una página de sangre escrita a mano,
y que he llevado como cruz en mi martirio
aunque su carga infame me llene de dolor.

Fue aquella noche
que todavía me aterra.
Cuando ella era mía
jugó con mi pasión.
Y en duelo a muerte
con quien robó mi vida,
mi daga gaucha
partió su corazón.
Y me llamaban
el choclo compañero;
tallé en los entreveros
seguro y fajador.
Pero una china
envenenó mi vida
y hoy lloro a solas
con mi trágico dolor.

Si alguna vuelta le toca por la vida,
en una mina poner su corazón;
recuerde siempre
que una ilusión perdida
no vuelve nunca
a dar su flor.

Besos mentidos, engaños y amarguras
rodando siempre la pena y el dolor,
y cuando un hombre entrega su ternura
cerca del lecho
lo acecha la traición.

Hoy que los años han blanqueado ya mis sienes
y que en mi pecho sólo anida la tristeza,
como una luz que me ilumina en el sendero
llegan tus notas de melódica belleza.
Tango querido, viejo choclo que me embarga
con las caricias de tus notas tan sentidas;
quiero morir abajo del arrullo de tus quejas
cantando mis querellas, llorando mi dolor.
Juan Carlos Marambio Catán

Traduction libre des paroles de Juan Carlos Marambio Catán

Vieille milonga. À mes heures de tristesse, tu me rappelles ton souvenir affectueux,
En m’enchaînant doucement à tes notes, je sens mon âme se rétrécir peu à peu.
Souvenir triste d’un passé qui, dans ma vie, a laissé une page de sang écrite à la main, et que j’ai porté comme une croix dans mon martyre, même si son infâme fardeau me remplit de douleur.
C’est cette nuit-là qui, encore, me terrifie.
Quand elle était à moi, elle jouait avec ma passion.
Et dans un duel à mort avec celui qui m’a volé la vie, mon poignard gaucho lui a brisé le cœur.
Et ils m’appelaient le compagnon maïs (choclo);
J’ai taillé dans les mêlées, sûr et résistant.
Mais une femme chérie a empoisonné ma vie et, aujourd’hui, je pleure tout seul avec ma douleur tragique.
S’il vous prend dans la vie de mettre votre cœur dans une chérie ; rappelez-vous toujours qu’une illusion perdue ne redonne plus jamais sa fleur.
Des baisers mensongers, trompeurs et amers roulent toujours le chagrin et la douleur, et quand un homme donne sa tendresse, près du lit, la trahison le traque.
Aujourd’hui que les années ont déjà blanchi mes tempes et que, dans ma poitrine seule se niche la tristesse, comme une lumière qui m’éclaire sur le chemin où arrivent tes notes de beauté mélodique.
Tango chéri, vieux choclo qui m’accable des caresses de tes notes si sincères ;
Je veux mourir sous la berceuse de tes plaintes, chantant mes peines, pleurant ma douleur.

El choclo 1947 – Libertad Lamarque, dans le film Gran casino de Luis Buñuel.

El choclo 1947 – Libertad Lamarque, dans le film Gran casino de Luis Buñuel.

Dans cet extrait Libertad Lamarque interprète le titre avec les paroles écrites pour elle par Discepolo. On comprend qu’elle ne voulait pas prendre le rôle de l’assassin et que les paroles adaptées sont plus convenables à une dame…
Les paroles de Enrique Santos Discépolo seront réutilisées ensuite, notamment par Canaro pour notre tango du jour.

El choclo 1948-01-15 – Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas. C’est notre tango du jour.

Comme vous vous en doutez, je pourrai vous présenter des centaines de versions de ce titre, mais cela n’a pas grand intérêt. J’ai donc choisi de vous proposer pour terminer une version très différente…

Kiss of Fire 1955 – Louis Armstrong.

En 1952, Lester Allan et Robert Hill ont adapté et sérieusement modifié la partition, mais on reconnaît parfaitement la composition originale.

Je vous propose de nous quitter là-dessus, une autre preuve de l’universalité du tango.
À bientôt, les amis.

En guise de cortina, on pourrait mettre Pop Corn, non ?

PS : si vous avez des versions de El choclo que vous adorez, n’hésitez pas à les indiquer dans les commentaires, je rajouterais les plus demandées.

Mentías (vals) 1937-04-01 – Orquesta Juan D’Arienzo

Juan Carlos Casaretto Letra: Alfredo Navarrine

J’ai reçu ce matin un message d’un organisateur de milonga me demandant quelle valse proposer pour un anniversaire, avec la contrainte que ce soit une valse du mois de janvier vu que l’anniversaire était aujourd’hui. J’ai proposé cette valse, Mentías, pour deux raisons. La première est que c’est une valse qui correspond bien à l’occasion et la seconde est que sa date d’enregistrement coïncide avec la date de naissance de la danseuse à fêter. Je te dédicace donc, Martine de Saint-Pierre (La Réunion), cette valse, en te souhaitant un excellent anniversaire.

Extrait musical

Disque RCA Victor (38 138 face B) de Mentías… Le numéro de matrice 93549 est indiqué à gauche de l’axe. Sur la face A (38 138-A) il y a El apronte, enregistré juste avant, le même jour, avec le numéro de matrice 93548-1.
Mentías 1937-04-01 – Orquesta Juan D’Arienzo.

Cette valse commence sur un rythme rapide, avec une introduction au piano par Rodolfo Biagi, qui proposera de nombreuses ponctuations et transitions légères (comme la première à 13s).
Durant toute la première partie (jusqu’à 28s), tous les instruments sont au service du rythme.
Ensuite, les bandonéons s’individualisent pour la partie B et ensuite cèdent le pas aux magnifiques violons.
À 1:50, la variation apporte une impression de vitesse, sans toutefois changer le tempo, simplement, comme le fait presque systématiquement D’Arienzo, en subdivisant les temps en employant des double-croches au lieu de croches.
Le rythme rapide, mais sans exagération et la fin somme toute tranquille, laisse la place à des titres plus énergiques pour terminer la tanda dans une explosion.
Ce titre est un bon premier titre, ce qui renforce ma conviction qu’il peut faire l’affaire pour un anniversaire.

Paroles

Mis ojos te grabaron en mi mente
Bajaste de la mente al corazón,
La flor del corazón se abrió en latidos
¡Latidos que acunaron nuestro amor!
Amor que florecía con tus besos
Tus besos encubrían la traición,
Traición que me valió la cruz del llanto
¡Y el llanto por mis ojos te arrojó!

¡Mentías…!
Con caricias… estudiadas…
¡Cinismo…!
Del cariño desleal…
Jurabas
Por tu dios y por tu madre…
¡Mira si no es criminal!
Los seres
Que han matado y se redimen,
Merecen el olvido y el perdón…
Cien vidas
No podrán borrar tu crimen
¡Asesinar la ilusión!

Y ahora que mi vida está vacía
Anclada en un silencio sin dolor,
Golpea el aldabón de tu recuerdo
Las puertas de mi pobre corazón…
Ya es tarde para unir idilios rotos
Miremos cara a cara la verdad,
No vuelvas a rondar por mi cariño
¡Que el sueño que se fue no torna más!
Juan Carlos Casaretto Letra: Alfredo Navarrine

Traduction libre des paroles

Mes yeux t’ont gravé dans mon esprit, tu es descendue de l’esprit au cœur, la fleur du cœur s’est ouverte en palpitant.
Des battements de cœur qui ont bercé notre amour !
L’amour qui s’est épanoui avec tes baisers. Tes baisers ont couvert la trahison, la trahison qui m’a valu la croix des pleurs.
Et les larmes à travers mes yeux t’ont rejetée !

Mensonges…!
Avec des caresses… Étudiées…
Cynisme…!
D’affection déloyale…
Tu as juré par ton dieu et par ta mère…
Vois si ce n’est pas criminel !
Les êtres qui ont tué et se sont rachetés méritent l’oubli et le pardon…
Cent vies ne pourront pas effacer ton crime
Tuer l’illusion !

Et maintenant que ma vie est vide, ancrée dans un silence indolore, le heurtoir de ton souvenir frappe les portes de mon pauvre cœur…
Il est trop tard pour unir des idylles brisées. Regardons la vérité face à face, ne reviens pas à chercher mon amour.
Car le rêve qui est parti ne revient pas !

On notera que les paroles sont très moyennement adaptées à une fête d’anniversaire. Cependant, cela ne dérange pas, car elles ne sont pas enregistrées et la musique les dément totalement.

Juan Carlos Casaretto y Alfredo Navarrine

Le compositeur de cette valse, Juan Carlos Casaretto n’est connu que pour un seul autre titre, un tango, Chiclana y Boedo (avec J. Treviño, encore plus inconnu). Il en existe un enregistrement tardif par Enrique Rodriguez et Roberto Flores, mais ce n’est pas pour la danse.
Alfredo Navarrine (Pigmeo), en revanche, est à la tête d’une riche production. Avec son frère, Julio Plácido Navarrine, il a fourni bon nombre de titres de tango.

Des frères Alfredo et Julio Navarrine :

  • Alaridos 1942
  • Juana 1958
  • Mil novecientos treinta y siete 1937 (plus José Domingo Pécora)
  • Lechuza 1928
  • Oiga amigo 1933
  • Sos de Chiclana 1947 (plus Rafael Rossa)
  • Trilla e recuerdos

De Julio Navarrine :

  • A la luz del candil 1927
  • Barcos amarrados
  • Catorce primaveras
  • El anillito de plata
  • El vinacho Milonga
  • La piba de los jazmines
  • Oiga amigo
  • Oro muerto (Jirón porteño) 1926
  • Por qué no has venido 1926
  • Qué quieren yo soy así Milonga
  • Trago amargo 1925

De Alfredo Navarrine :

  • Agüita e luna
  • Ayer y hoy 1939
  • Bandoneones en la noche
  • Barrio reo 1927
  • Brindis de olvido 1945
  • Canción del reloj
  • Canto estrellero 1943
  • Cielito del porteño 1950
  • Como una flor 1947
  • Con licencia 1955
  • Corazón en sombras 1943
  • Curiosa
  • Desvíos
  • Escarmiento 1940
  • Escúcheme, gringo amigo 1944
  • Esmeralda
  • Estampa rea 1953
  • Este amor 1938
  • Falsedad 1955
  • Fea 1925
  • Gajito de cedrón 1973 Canción criolla
  • Galleguita 1925
  • He perdido un beso 1940
  • Humildad 1938
  • La condición 1946
  • La Federal
  • Latido porteño
  • Luna pampa 1951
  • Mentías 1941 (Notre valse du jour)
  • Milonga de un argentino 1972
  • No nos veremos más 1939
  • Noche de plata 1930 (Vals)
  • Nocturno inútil 1941
  • Ojos en el corazón 1945
  • Ojos tristes 1939
  • Pajarada 1945
  • Qué linda es la vida
  • Rancheriando
  • Resignación
  • Ronda de sueños 1944
  • Rosas negras 1942
  • Sangre porteña 1946
  • Sé hombre
  • Señor Juez 1941
  • Señuelo 1977
  • Serenidad 1946
  • Tamal 1975
  • Tango lindo
  • Tango para un mal amor 1948
  • Tata Dios 1931
  • Torcacita
  • Tucumana (Zamba)
  • Tucumano 1961
  • Vidalita
  • Yo era un corazón 1939
  • Yunque 1953

Autres versions

Il n’y a pas d’autre version de notre valse du jour, Il est assez curieux de voir la frilosité des orchestres contemporains pour enregistrer des valses. Ils nous donnent des dizaines de versions de quelques tangos, mais très peu de valses ou de milongas.
Si cette valse n’a pas été enregistrée par la suite, nous avons un tango du même titre composé par Juan de Dios Filiberto avec des paroles de Milon E. Mujica.
Je vous propose deux enregistrements de celui-ci et on terminera par la valse du jour.

Mentías 1923 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras).

Un enregistrement acoustique. Bien sûr on réserve cela pour l’écoute et pas pour le bal.

Mentías 1927-10-20 – Orquesta Roberto Firpo.

Une jolie version. C’est assez léger et pas trop marqué en canyengue intense… Cela reste cependant un peu monotone, mais le joli violon de Cayetano Puglisi, délicieusement larmoyant, fait pardonner cela.

Mentías 1937-04-01 – Orquesta Juan D’Arienzo.

Mentías 1937-04-01 (vals) – Orquesta Juan D’Arienzo. C’est notre valse du jour. On termine avec énergie.

La tradition de la valse d’anniversaire

Il est des traditions dont on ne connaît pas vraiment l’origine. La valse d’anniversaire dans les milongas en fait sans doute partie. Il se peut aussi que ce soit une ignorance de ma part.
Voici ce qui me semble à peu près vérifiable.

La valse des mariés

Un peu partout dans le monde, les nouveaux mariés ouvrent le bal, par une valse, ce qui assure à certains professeurs de danse une petite rente. Ils mettent en scène une petite chorégraphie, les mariés l’apprennent par cœur et le jour de la noce, ils émerveillent les invités et la famille, soigneusement anesthésiés au préalable par la richesse du repas et des alcools servis.

La valse des 15 ans

Plus spécifiquement en Amérique latine, il y a la tradition des 15 ans des jeunes filles/femmes.
Cette cérémonie, peut-être issue des cultures précolombiennes, perdure de nos jours avec des formes, souvent très élaborées. Il existe des boutiques de robes spéciales pour les 15 ans, des maîtres de cérémonie et des vidéastes spécialisés.
Ce sont des fêtes fort coûteuses et les familles s’endettent bien plus pour les quinze ans que pour le mariage.
Cette tradition évolue, mais en général, la jeune femme est présentée par le père (ou parrain) et effectue avec lui une valse, puis, les amis d’enfance, éventuels prétendants et autres, dansent avec la quinceañera (jeune femme de 15 ans). Voir l’article de Wikipédia pour des éléments plus concrets.
En Europe, chez les puissants, on peut trouver une cérémonie parallèle, le bal des débutantes.

La valse d’anniversaire des tangueros

Vous avez reconnu l’organisation de la valse d’anniversaire telle qu’elle se pratique dans les milongas.
À ce sujet, il existe plusieurs façons de faire et beaucoup d’organisateurs ne souhaitent pas qu’on « perde » du temps à cette manifestation. D’autres, comme celui qui m’a commandé la valse ce matin, marquent plus d’attention pour cette tradition.
En Argentine, les amis tangueros fêtent l’anniversaire à la milonga. Ils réservent une table et c’est une des occasions où il est autorisé d’apporter de la nourriture de l’extérieur. En général, un gâteau qui ferait tomber en syncope un nutritionniste, il n’y a jamais trop de crème et de sucre. Le « champagne » local, qui lui est celui vendu dans la milonga, participe à la fête, ainsi que souvent, des déguisements et autres fantaisies.
En Europe, cela se fait moins, on pense que le temps pris pour fêter l’anniversaire est du temps perdu pour les danseurs. C’est un peu vrai, mais c’est aussi oublier la dimension sociale du tango. Nous sommes une communauté et c’est important de la renforcer par des marques d’amitié. Le tango n’est pas un club de gym où on fait son entraînement avec des écouteurs sur les oreilles. On parle, on chante et on partage.
Comme DJ, il est important d’aider à trouver l’équilibre. Si l’organisateur refuse que l’on fête un anniversaire, je me contente d’une dédicace avant la tanda de valse. Libre aux danseurs qui le souhaitent d’organiser un moment convivial.
Lorsque c’est l’organisateur qui le demande, il y a plusieurs possibilités. Parfois, tous les danseurs/danseuses veulent danser avec la personne qui fête son anniversaire. Dans ce cas, il se forme une immense file et ils refuseront d’aller danser avec quelqu’un d’autre tant qu’ils n’auront pas réussi à partager quelques secondes de valse. Parfois, cela dure toute la tanda.
Cela peut être effectivement frustrant pour ceux qui ne danseront pas avec la personne dont c’est l’anniversaire (les femmes, si c’est une femme qui fête son anniversaire, ou les hommes dans le cas contraire). Cela risque de faire baisser l’énergie dans le bal et à moins que l’ambiance soit très amicale, je pense que cette organisation est à éviter.
Plus intéressante est la mise en place d’un double parcours. On invite le héros de soirée à se placer au centre de la piste et les partenaires intéressés s’alignent. Les autres danseurs peuvent les entourer en dansant autour. Je trouve cela assez sympathique et cela ne frustre ni les stakhanovistes du bal ni les amis qui souhaitent partager quelques secondes de danse avec la personne qui fête son anniversaire.
Il me semble qu’il est intéressant de proposer cette organisation, ce que peut faire le DJ avec l’accord de l’organisateur, ou l’organisateur, de son propre chef. Pour bien mettre en valeur l’anniversaire, on peut réserver une partie du premier thème au seul anniversaire et remplir progressivement la piste. S’il y a beaucoup de prétendants, cela peut impliquer de réserver tout le premier titre de la tanda à la personne qui fête son anniversaire.
Comme DJ qui aime proposer des valses, je propose, en plus de la valse d’anniversaire, une tanda complète. Cela permet aux danseurs qui ont participé au manège de danser avec un autre partenaire. La tanda fera donc au moins quatre valses, voire cinq, si je suis sur un régime de tandas de 4 et que le premier titre a été entièrement utilisé pour souhaiter l’anniversaire.
Les danseurs qui vont inviter la personne dont c’est l’anniversaire ne doivent pas hésiter à faire un peu de spectacle. Pas dans la façon de danser (ils doivent au contraire, être aux petits soins pour le partenaire), mais dans la manière de prendre son tour (ou de le donner). Cela apporte une distraction à ceux qui ne participent pas.
Dans mon ancien profil Facebook, malheureusement fermé pour d’obscures raisons, j’avais réalisé une vidéo en direct où les danseurs qui s’étaient mis en file indienne se sont mis à se balancer en rythme d’un pied sur l’autre. Ce fut un superbe moment, tous les hommes de l’événement se balançant d’une même cadence, dans l’attente de partager quelques secondes de bal.

Mentías. L’illustration n’est pas exactement fidèle au texte, mais plutôt à la musique et surtout, elle évoque l’utilisation que j’en propose, une valse d’anniversaire.

Heureux anniversaire Martine !

À bientôt les amis !

De mi arrabal 1942-01-02 (Milonga) – Orquesta Roberto Firpo

Roberto Firpo Letra: Vicente Planells Del Campo

Pour le tango du jour, je cherchai un titre enregistré un 2 janvier. Il y a du choix, notamment chez Pugliese, qui a effectué en 1947 et 1958 des sessions d’enregistrement ce jour de l’année. Mais ces titres sont peu dansants et un peu trop intellectuels pour démarrer l’année en douceur. J’aurais pu vous proposer le magnifique Criolla Linda de Lomuto ou des titres de Donato, qui enregistra également à deux reprises un 2 janvier (1931 et 1953). Finalement, mon choix s’est porté sur une milonga dynamique par Firpo. Voici donc De mi arrabal pour bien commencer l’année, avec le sourire.

Extrait musical

De mi arrabal 1942-01-02 – Orquesta Roberto Firpo.
Édition en CD de notre tango du jour (plage 12). version un peu accélérée par rapport à l’enregistrement original sur disque 78 tours. D’ailleurs, la version de 1949, un ½ ton plus aigüe a peut-être aussi subi le même traitement. Cette version est intermédiaire…

Comme c’est habituel chez Firpo, le mode mineur est bien présent, mais associé à un rythme relativement soutenu qui chasse la mélancolie que peut provoquer le mode utilisé. C’est de plus une de ses compositions, il avait donc toute liberté pour utiliser ce mode…
Les descentes chromatiques sautillantes qui apparaissent dès le début sous-tendent toute l’œuvre composée de montées et descentes.
Les descentes se terminent par une ponctuation à la tierce, bien marquée pour indiquer que le mouvement descendant est terminé. Cela peut guider les danseurs, notamment, car ce motif est repris plusieurs fois. À chacun d’imaginer comment, avec sa(son) partenaire, matérialiser ce motif.
À 16 s commencent des accents puissants. Trois, puis un plus espacé. C’est le jeu de l’orchestre avec les danseurs qui attendent le quatrième accent et qui vont le recevoir, atténué et retardé. La milonga, c’est fait pour jouer, avec le partenaire, mais aussi avec l’orchestre. C’est d’ailleurs une dimension perdue à cause des enregistrements figés. Les danseurs peuvent se routiner sur des versions trop connues.
Le DJ peut toutefois proposer une version moins courante, voire faire d’autres « trucs » que je n’avouerais que sous la torture ou les chatouilles.
À 29 s, la partie lisa de la milonga permet de marcher, de décongestionner la circulation dans le bal et d’offrir aux danseurs un temps de dissipation de la tension.
À 34 s, les violons nous proposent un motif charmant qui refait monter la tension. On remonte les étages dégringolés au début.
Les danseurs savent alors que vont suivre d’autres cascades et ils vont pouvoir se préparer à reprendre la partie A et ses fantaisies rythmiques.
Mais Firpo fait durer le plaisir. Ce sont maintenant les bandonéons qui reprennent la lente ascension hésitante.
Et une fois remonté totalement la pente, Firpo nous renvoi dans sa fameuse descente à 1:09, mais cela ne dure pas, les violons nous prennent dans leur filet et on reste dans les hauteurs. À 1:18, nouvelle tentative de descente en cascade, là encore avortée par l’intervention des violons. Mais on sent au fond le rythme et des descentes discrètes. Firpo rappelle aux danseurs étourdis qu’ils doivent se préparer…
Pour réveiller les moins attentifs, les grosses ponctuations d’archets reprennent à 1:26, suivies d’un passage plus déstructuré comme pour montrer la lutte des différentes tendances de la milonga. À 1:44, la partie lisa semble reprendre le dessus avec un peu de recharge. À 1:59, l’orchestre semble s’étrangler, les danseurs sont alors en alerte maximale et à 2:01, le torrent des descentes reprend enfin jusqu’au final.
On peut s’imaginer un traveling dans les faubourgs, suivant un jeune homme alerte qui nous guide au rythme de ses rencontres et qui nous présente les points d’intérêt de son quartier.
En l’absence de paroles, on peut imaginer ce que l’on veut, c’est la force de la musique.
Admettons que j’ai un peu déliré sur ce coup-là. Pardon.
On notera le bandonéon de Juan Cambareri, d’une totale maîtrise, mais qui échappe aux délires virtuoses dont cet artiste est capable. Firpo qui l’a embauché alors qu’il n’avait que 16 ans, a su le maintenir dans le cadre souhaité.

Paroles

Bien que Vicente Planelles Del Campo ait écrit des paroles, elles ne semblent pas nous être parvenues.
Voici une petite liste de ses textes pour des tangos ou d’autres rythmes (indiqués entre parenthèses). La date est celle d’écriture probable.

A carta cabal 1938 (Tango)

  • A carta cabal 1938 (Tango)
  • Ave sin rumbo 1932 (Tango)
  • Ay, Josefina (Foxtrot)
  • Con el fulgor de tu mirar (Vals)
  • Cuando pueda besar 1938 (Vals)
  • De mi arrabal (Milonga)
  • El entrerriano (Tango) – Une des versions. Voir l’anecdote à ce sujet.
  • En el silencio de la noche (Vals)
  • Honda tristeza 1931 (Tango)
  • La loba 1952 (Tango)
  • Pobre negrito – Flor de Montserrat (Milonga)
  • Poderoso 1931 (Pasodoble)
  • Raúl (Foxtrot)
  • Titina (Ranchera)

Cela ne nous aide pas à savoir vraiment à savoir ce que Firpo pensait de son faubourg. Il était né à Flores qui a l’époque de sa naissance pouvait ressembler à cela.

Aspect possible du quartier de Firpo lors de sa naissance…
Mais la venue du train et la construction de différents monuments comme des églises ont donné un aspect différent à ce faubourg qui était, très rural avant de se charger des populations qui ne pouvaient pas vivre en centre-ville.
C’est la vision que j’en propose, enjolivée par le souvenir.

Autres versions

De mi arrabal 1942-01-02 – Orquesta Roberto Firpo. C’est notre milonga du jour.
De mi arrabal 1949-05-18 – Roberto Firpo y su Nuevo Cuarteto.

Sur un rythme plus rapide et avec un orchestre réduit à quatre instruments, Firpo redonne, sept ans plus tard une nouvelle version.

De mi arrabal 1969 – Miguel Villasboas y su Sexteto Típico.

Villasboas nous a habitués à ses reprises de Firpo. De mi arrabal n’a pas échappé à cette habitude et c’est tant mieux, car ce titre convient parfaitement à cet orchestre uruguayen qui sait fournir une sonorité propre. Villasboas, comme Firpo était pianiste, cela rajoute une proximité, ainsi le fait que les deux étaient proches de la branche uruguayenne du tango.
C’est une version très joueuse et qui a son propre intérêt à côté des versions de Firpo. On peut juste remarquer le côté un peu plus répétitif, mais, dans le cas de la milonga, ce n’est pas forcément gênant, car cela conforte les danseurs.

De mi arrabal. Disque Odeón. Le titre qui a donné son nom à l’album est le sixième de la face B.

Cela nous fait trois versions passables en bal. De quoi varier les plaisirs.

À bientôt les amis !

Año nuevo 1956-01-31 (Marcha) – Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Ángel Condercuri

A. Riobal (Alberto Castillo) ; Trío Los Halcones (Alberto Losavio ; Héctor Serrao ; Rodolfo Genaro Serrao)

¡Feliz año nuevo! Il est minuit à Buenos Aires, c’est l’année nouvelle qui commence. Les fusées de feu d’artifice pétaradent et illuminent le ciel de Buenos Aires. Ici, pas de majestueux feux d’artifice élaborés par des artificiers professionnels. Ce sont les Argentins qui se chargent du spectacle en fonction de leurs moyens financiers et de leurs capacités. Notre musique du jour n’est pas un tango, mais est chantée par un de ses chanteurs, Alberto Castillo, qui en est également un des auteurs.

Riobal y los Halcones

Quelques mots sur les auteurs de ce titre.

Riobal

Riobal, alias Alberto Castillo, alias…, alias…, alias…, alias…

Riobal est un des pseudonymes de Alberto Castillo, ou plutôt de Alberto Salvador De Lucca, puisque que Castillo est également un pseudonyme destiné à faire plus espagnol, ce qui était courant pour les chanteurs de tango.
Les orchestres avaient besoin d’un chanteur italien et d’un chanteur espagnol pour satisfaire les deux principales communautés portègnes. Peu importe qu’ils soient réellement originaires de ces pays. D’ailleurs ses premiers pseudonymes ont été Alberto Dual et Carlos Duval
Cette foison de pseudonymes était également destinée à tromper la vigilance paternelle.
Pour son père, il était étudiant en médecine et, effectivement, il devait être médecin gynécologue.
Un jour, en écoutant son fils à la radio, il s’exclama, « il chante très bien, il a une voix semblable à celle de Albertito », et pour cause…
Cependant, le tango a pris le dessus et Alberto a rejoint l’orchestre d’un dentiste, celui de Ricardo Tanturi, avant de terminer sa dernière année… Il n’était donc pas à proprement parler gynécologue, comme on le lit en général dans ses biographies.

Trío Los Halcones

Ce trio a chanté avec Miguel Caló, mais leur spécialité était plutôt le boléro et autres musiques traditionnelles ou folkloriques. Ils ont collaboré avec Castillo pour l’écriture de la musique et des paroles de ce titre. Il ne semble pas y avoir d’enregistrement de Año nuevo par ce trio.

Trío Los Halcones.

Extrait musical

Año nuevo 1956-01-31 (Marcha) – Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Ángel Condercuri.
Partition de saxophone ténor de Año nuevo.

Ángel Condercuri ou Jorge Dragone ?

Año nuevo a été enregistré le 31 janvier 1956. Je n’ai pas respecté le choix d’un thème enregistré le jour de l’anecdote, pour vous proposer un air gai et de circonstance. Nous sommes donc en 1956 et Alberto Castillo a son orchestre dirigé par un chef. Selon les sources, il y a un doute sur le chef qui tenait la baguette le jour de l’enregistrement.

  • Gabriel Valiente dans son Enciclopedia del Tango indique que l’orchestre de Castillo est dirigé par Ángel Condercuri de 1951 à 1954 puis de nouveau à partir de 1959 et par Jorge Dragone de 1955 à 1958. Ce travail est une somme, mais il y a de nombreuses imprécisions et un certain nombre d’erreurs. C’est une bonne source, mais qui demande à être vérifiée.
  • Tango.info indique que Condercuri dirige l’orchestre de Castillo pour l’enregistrement de Año nuevo. https://tango.info/fra/track/T0370371359
  • Todo Tango, qui est le site de référence incontournable propose une entrevue avec Jorge Dragone dans laquelle celui-ci indique qu’il était dans l’orchestre de Condercuri à cette époque. https://www.todotango.com/historias/cronica/238/Dragone-Un-eterno-viajero/ Par conséquent, s’il est le pianiste de l’orchestre, il n’en est pas le directeur. En 1957, donc l’année suivante, il indique avoir son propre orchestre en alternance pour lequel il recourt à la voix de Argentino Ledesma. Même s’il est envisageable que, pour une séance d’enregistrement particulière, Condercuri ait laissé la direction à son pianiste, cela mériterait d’être documenté.
  • Tango-DJ.AT, qui est en général bien renseigné et qui corrige les erreurs quand on les signale, ce qui n’est pas le cas de tous (référence à d’autres sites qui ne prennent même pas la peine de vérifier, ou qui te disent que c’est ainsi et qui corrigent ensuite, en douce…), indique que c’est Condercuri.
    https://tango-dj.at/database/index.htm
    https://tango-dj.at/database/index.htm?titlesearch=ano+nuevo&genresearch=marcha (pour ceux qui sont abonnés).

La solution serait d’avoir le catalogue ou le disque d’origine, malheureusement, je n’ai pas trouvé le catalogue de Odeón correspondant et les CD ne sont pas précis sur la question (soit ils n’indiquent rien, soit ils mettent les deux noms, sans préciser à quels titres, cela se rapporte). Quant aux disques d’origine, ils indiquent juste Alberto Castillo y su Orquesta.
Bernhard Gehberger, le créateur du site Tango-DJ.AT, confirme avec les mêmes arguments. Il m’a même rappelé que certains enregistrements étaient donnés avec Raúl Bianchi à la direction. Cependant, cela ne semble concerner que la période 1953-1955. En 1956, Bianchi était à Rosario. On notera toutefois, que Bianchi était pianiste, comme Dragone. Serait-ce une habitude chez Condercuri de laisser ses pianistes diriger ?
En attendant d’en savoir plus, je conserve Ángel Condercuri comme Directeur de l’orchestre de Castillo pour cet enregistrement.

Paroles

Il y a différentes variantes, mais qui ne changent pas le sens. Vous aurez la version du film en fin d’article avec les paroles en sous-titrage.

Año nuevo
Vida nueva
Más alegres los días serán
Año nuevo
Vida nueva
Con salud y con prosperidad

Entre pitos y matracas entre música y sonrisa
El reloj ya nos avisa que ha llegado un año más,
Las mujeres y los hombres, un besito nos daremos
Entre todos cantaremos, llenos de felicidad
Vamos todos a cantar

Año nuevo
Vida nueva
Nuestras penas dejemos atrás
Año nuevo
Vida nueva
Con salud y con prosperidad

Año nuevo
Vida nueva
Mas alegre los días serán
Sin problema, sin tristeza
Y un feliz año nuevo vendrá…

Entre pitos y matracas entre música y sonrisa
El reloj ya nos avisa que ha llegado un año más
Las mujeres y los hombres, un besito nos daremos
Entre todos cantaremos, llenos de felicidad
Vamos todos a cantar

Año nuevo
Vida nueva
Más alegres los días serán
Año nuevo
Vida nueva
Con salud y con prosperidad

Año nuevo
Vida nueva
Nuestras penas dejemos atrás
Sin problema, sin tristeza
Y un feliz año nuevo vendrá
Y un feliz año nuevo vendrá
Y un feliz año nuevo vendrá
Y un feliz año nuevo vendrá…

A. Riobal (Alberto Castillo) ; Trío Los Halcones (Alberto Losavio; Héctor Serrao; Rodolfo Genaro Serrao)

Traduction libre des paroles

Nouvel An
Nouvelle vie
Les jours seront plus heureux
Nouvel An
Nouvelle vie
Avec la santé et la prospérité

Entre sifflets et crécelles
Entre musique et sourire
L’horloge nous avertit déjà qu’est arrivée une année de plus
Les femmes et les hommes, un baiser nous nous donnerons
Entre tous, nous chanterons, pleins de bonheur
Nous allons tous chanter

Nouvel An
Nouvelle vie
Les jours seront plus heureux
Nouvel An
Nouvelle vie
Avec la santé et la prospérité

Nouvel An
Nouvelle vie
Les jours seront plus joyeux
Sans problème et sans tristesse
Et un Nouvel An heureux viendra

Entre sifflets et crécelles
Entre musique et sourire
L’horloge nous avertit déjà qu’est arrivée une année de plus
Les femmes et les hommes, un baiser nous nous donnerons
Entre tous, nous chanterons, pleins de bonheur
Nous allons tous chanter

Pito y matraca (sifflet et crécelle)

Nouvel An
Nouvelle vie
Les jours seront plus heureux
Nouvel An
Nouvelle vie
Avec la santé et la prospérité

Nouvel An
Nouvelle vie
Nous laisserons nos peines derrière
Sans problème et sans tristesse
Et un Nouvel An heureux viendra
Et un Nouvel An heureux viendra
Et un Nouvel An heureux viendra
Et un Nouvel An heureux viendra…

Autres versions

Año nuevo 1956-01-31 (Marcha) – Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Ángel Condercuri. C’est notre thème du jour.
Año Nuevo 1965 – Billo’s Caracas Boys. C’est la version qui est sans doute la plus connue, elle est jouée pour le Nouvel An dans la plupart des pays d’Amérique du Sud et pas seulement au Vénézuéla, leur pays.

Pour terminer en vidéo, je vous propose de voir et écouter Alberto Castillo dans le film « Música, alegría y amor » dirigé par Enrique Carreras.
La scène a été enregistrée en 1955, cependant, le film sortira après le disque, le 9 mai 1956.
J’ai indiqué les paroles pour vous permettre de suivre…

Año nuevo dans le film Música, alegría y amor. Dans cet extrait, en plus de Alberto Castillo, on remarque Beatriz Taibo, Ubaldo Martínez et Tito Gómez. Il y a aussi une courte apparition de Leonor Rinaldi et Francisco Álvarez, les personnes âgées.

Alberto Castillo, qui tient le rôle principal (Alberto Morán) est un jeune homme bohème qui rêve de devenir peintre, mais qui finalement aura du succès comme chanteur (Raúl Manrupe & María Alejandra Portela – Un Diccionario de Films Argentinos 1995, page 401). Ce film contient beaucoup de chansons par Castillo, dont notre titre du jour.

L’intrigue du film serait tirée de Loute, une comédie française (vaudeville) en quatre actes de Pierre Veber dont l’intrigue tourne autour de Dupont, un homme qui mène une vie de débauche sous l’influence de son « ami » Castillon. Dupont décide de se marier avec Renée, une jeune femme de bonne famille, mais il est rapidement rattrapé par son passé tumultueux. Loute, une ancienne maîtresse de Dupont, réapparaît et cause des complications. Les malentendus et les quiproquos s’enchaînent, notamment avec l’arrivée de Francolin, un cousin de Dupont, qui cherche à se venger de lui. Finalement, après de nombreux rebondissements, les personnages tentent de se réconcilier et de trouver un équilibre entre leurs vies passées et présentes. Le lien entre la pièce et le film réalisé par Enrique Carreras sur un scénario de Enrique Santés Morello me semble un peu distendu, d’autant plus que la pièce a eu son heure de gloire plus de 50 ans avant la réalisation du film. Cela témoigne tout de même de la francophilie qui était encore vive à l’époque.
Disons que la base du synopsis a été de faire une comédie musicale pour mettre en avant Alberto Castillo

L’affiche du film réalisée par le caricaturiste argentin Narciso González Bayón. On y reconnaît Alberto Castillo et Amelita Vargas. À la table, de gauche à droite, Francisco Álvarez, Leonor Rinaldi, Gerardo Chiarella et Ubaldo Martinez. La taille démesurée de Castillo montre bien que c’était lui la vedette du film…

Voilà de quoi bien débuter l’année, en chanson.

De camino al 2025

Je souhaite une merveilleuse année,
la santé et le bonheur,
à tous les humains de la Terre,
tous.

Buscándote 1941-12-30 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz

Eduardo « Lalo » Scalise (Eduardo Scalise Regard)

Buscándote est un des thèmes les plus émouvants du tango. Par la qualité de la musique et des paroles de Eduardo « Lalo » Scalise El poeta del piano, mais aussi par la simplicité et la rondeur de l’interprétation par Fresedo et Ruiz, pour notre tango du jour. Nous allons en profiter pour regarder de plus prêt comment fonctionne une partition.

Extrait musical

Buscándote 1941-12-30 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz
Première page de la partition retranscrite par Lucas Cáceres.

Cette première page présente les quatre premières mesures. On voit les différents instruments. T (ténor, Ricardo Ruiz, dans cet enregistrement), puis 4 violons, 4 bandonéons, un piano et une contrebasse.
À l’armure, il y a deux dièses, nous sommes en Si mineur. Un mode nostalgique, voire triste. Dans la première mesure, on remarque qu’il y a une seule note, un la à la main gauche du piano. La deuxième mesure commence avec la seconde note du piano, un fa# de 4 temps (note ronde). En même temps, la contrebasse commence à marquer tous les temps (4 par mesure) en commençant par un Ré, puis un La et elle va effectuer un mouvement de bascule entre deux notes, Do# Fa# à la mesure suivante et ainsi de suite sur environ la moitié des mesures de la partition. Cela porte la marche, chaque temps est indiqué. Libre aux danseurs de les effectuer ou de choisir plutôt de s’aligner sur des éléments de la mélodie.
On remarquera que les bandonéons et violons qui débutent aussi à la deuxième mesure commencent par un silence, suivi de trois croches. Ce motif se répète. Il est assez discret, mais vous n’aurez pas de peine à repérer ce pouf pouf pouf — pouf pouf pouf dans le début de la musique. L’envolée des violons y met fin, pour commencer à énoncer la première partie (A).

La partition du ténor avec la photo de Ricardo Ruiz. J’ai rajouté le début des paroles en rouge. La partition a été proposée également par Lucas Cáceres.

Ici, c’est la partition du ténor (Ricardo Ruiz dans notre cas) qui ne commence à chanter qu’à partir de la mesure 43 (en levée de la 44).
On se souvient que le début de la partition était en Ré mineur, après un passage en Fa mineur, Ruiz commence à chanter en Fa majeur. La présence de dièses sur 4 des Sols et un Do, font basculer certains passages en Ré mineur).

Roue des modes, majeurs et mineurs, avec le nom des notes à gauche, et avec les lettres à droite.

Une petite aide pour vous aider à vous repérer dans les tonalités. Le nombre de dièses ou bémols à la clef donne la tonalité dont le mode peut être majeur ou mineur. Pour décider, il faut écouter. Souvent, il y a beaucoup de changements de tonalités et des altérations (Dièses, ou Bémols) ponctuelles qui rendent difficile de décider la tonalité exacte utilisée. Mais ce n’est pas si important, ce qui l’est, c’est uniquement de savoir si c’est majeur ou mineur, pour adapter la danse à la sensibilité de la musique, donc l’écoute est suffisante.
Maintenant que vous êtes au point, je vous propose de suivre la partition durant l’écoute, grâce au travail remarquable de Lucas Cáceres.

Partition animée de Buscándote, une vidéo réalisée par Lucas Cáceres.

Vous remarquerez qu’il y a toutes les parties, et qu’il y a donc beaucoup de changements de pages. Dans un orchestre, chaque instrument n’a que sa partie et si cela vous intéresse, vous pouvez vous les obtenir en vous abonnant à son Patreon.
Assez parlé de la musique, intéressons-nous aux paroles, maintenant.

Paroles

Vagar con el cansancio de mi eterno andar
tristeza amarga de la soledad
ansias enormes de llegar.
sabrás que por la vida fui buscándote
que mis ensueños sin querer vencí
que en algún cruce los dejé
mi andar apresuré
con la esperanza de encontrarte a ti
largos caminos hilvané
leguas y leguas recorrí por ti
después que entre tus brazos pueda descansar
si lo prefieres volveré a marchar
por mi camino de ayer
sabrás que por la vida fui buscándote
que mis ensueños sin querer rompí
que en algún cruce los dejé
mi andar apresuré
con la esperanza de encontrarte a ti
largos caminos hilvané
leguas y leguas recorrí por ti
después que entre tus brazos pueda descansar
si lo prefieres volveré a marchar
por mi camino de ayer.
Eduardo « Lalo » Scalise (Eduardo Scalise Regard)

Traduction libre

Errer avec la fatigue de ma marche éternelle, l’amère tristesse de la solitude, l’énorme désir d’arriver.
Tu sauras qu’à travers la vie je t’ai cherchée, que j’ai dépassé mes rêves sans le vouloir, qu’à un croisement je les ai laissés. Ma marche précipitée dans l’espoir de te trouver.
Après que je pourrai me reposer dans tes bras, si tu préfères, je retournerai à marcher par mon chemin d’hier.
Tu sauras qu’à travers la vie je t’ai cherchée, que j’ai dépassé mes rêves sans le vouloir, qu’à un croisement je les ai laissés. Ma marche précipitée dans l’espoir de te trouver.
J’ai enchaîné de longues routes, des lieues et des lieues que j’ai parcourues pour vous.
Après que je pourrai me reposer dans tes bras, si tu préfères, je retournerai à marcher par mon chemin d’hier.

Autres versions

Il n’y a pas d’enregistrement de l’âge d’or, autre que celui de Fresedo et Ruiz. Cependant, la passion européenne pour Fresedo fait que beaucoup d’orchestre du 21e siècle se sont lancés dans l’enregistrement de ce chef d’œuvre, avec des fortunes diverses.

Buscándote 1941-12-30 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz. C’est notre tango du jour, le mètre étalon, la référence absolue.
Buscándote 2000-06-01 – Klaus Johns.

Une version instrumentale avec un parti pris de tempo particulièrement lent. C’est probablement à classer au rayon des étrangetés, mais certainement pas à proposer au bal.

Buscándote 2012 – Sexteto Milonguero con Javier Di Ciriaco.

On ne présente plus cet orchestre qui a fait notre joie, et notamment son Directeur, chanteur, Javier Di Ciriaco, pendant une quinzaine d’années.

Buscándote 2012 – Solo Tango Orquesta.

Cet orchestre russe a également son public. Ils proposent, ici, une version instrumentale.

Buscándote 2013 – Ariel Ardit y Orquesta Típica.

L’incroyable solo de violon qui ouvre cette version peut surprendre. Mais, une fois lancé, avec un rythme bien marqué par les bandonéons et toujours dominé par les cordes et ce superbe violon, fait que c’est certainement une version « chair de poule » pour beaucoup. La belle voix, puissante et chaude d’Ariel Ardit termine de faire de cette version remarquable. Pour la danse, les arrastres d’Ariel peuvent gêner certains danseurs et le rythme rapide peut faire que l’on préfère d’autres versions. Je pense qu’en Europe cette interprétation aurait des amateurs.

Buscándote 2013 – Hyperion Ensemble con Rubén Peloni.

Après l’écoute de l’enregistrement d’Ariel Ardit, cette version tranquille peut paraître un peu faible, mais il faut la comparer à notre étalon, la version de Fresedo et Ruiz, pour voir que c’est une belle réalisation, intime et bien accordée au thème de la chanson.

Buscándote 2014 (En vivo) – Sexteto Milonguero con Javier Di Ciriaco.

Une version avec public qui permet de se souvenir de l’ambiance que mettait cet orchestre. C’était à Rosario (Argentine) lors de l’Encuentro Tanguero del Interior (ETI). J’ai eu la chance de voir et écouter cet orchestre de nombreuses fois, c’est vraiment dommage qu’il n’existe plus.

Buscándote 2015 – Cuarteto SolTango.

Ce cuarteto, avec beaucoup moins d’instruments s’approche de la version de Fresedo. Une belle performance. Le solo de violon qui remplace la voix de Ricardo Ruiz, bien que bien chantant, est sans doute ce qui peut faire baisser la valeur de l’ensemble, sauf pour les danseurs qui n’aiment pas les chanteurs. Si, il y en a, et, à mon avis, la principale raison, est que certains DJ mettent des chansons tango au lieu de véritables tangos chantés de danse.

Buscándote 2015 – Orquesta La 2X4 Rosarina con Martín Piñol.

Retour à une version chantée. La voix de Martín Piñol pourrait bénéficier d’un orchestre plus accompli. La prise de son mériterait d’être meilleure également. Le résultat ne risque pas de détrôner, la version de Fresedo qui en est clairement le modèle.

Buscándote 2015-07-09 – Esquina Sur con Diego Di Martino.

Je vous avais bien dit qu’il y avait une folie à notre époque pour Fresedo. Cet enregistrement de Esquina Sur en est une autre preuve. La voix de Di Martino, s’élance légère et fluide par-dessus l’orchestre, ce n’est pas vilain, mais là encore, Fresedo et Ruiz restent en tête.

Buscándote 2016-03-01 – El Cachivache Quinteto.

El Cachivache signe une version plus personnelle, qui n’est pas qu’une simple imitation de Fresedo et on leur en est gré, même si l’utilisation d’autres instruments comme la guitare électrique peut donner des boutons à des milongueros sclérosés. C’est une version instrumentale, mais la diversité des variations fait que ce n’est pas monotone. L’entrée avec une gamme de do majeur descendent suivie d’une gamme ascendante est très originale. Le final est également intéressant, c’est une version qui peut faire l’affaire avec des tangueros curieux. Elle devrait plaire aussi à Angela C. car il y a une bonne proportion de mode majeur dans cette version, contrairement à la version de Fresedo qui est majoritairement en mode mineur 😉

Buscándote 2016-12 – Orquesta Romántica Milonguera con Roberto Minondi.

Avec la Romántica Milonguera on revient à un registre plus classique, même si cet orchestre a su créer son propre son. Ici, c’est Roberto Minondi qui nous ravit.

Buscándote 2019 – Cuarteto Mulenga. Cette version présente l’intérêt de voir les instrumentistes opérer. Mais ce titre est aussi sur CD. Cliquez sur le lien pour voir la vidéo. https://youtu.be/WHJq2fwE3Fk . Vidéo réalisée au Bodegon (restaurant) El Destino, à Quilmes (Province de Buenos Aires).

Buscándote 2021-03 Orquesta Típica Andariega.

Un début original, qui peut faire douter durant les 30 premières secondes qu’on écoute Buscándote. On notera la descente de piano, très originale durant ce début. Le reste de l’orchestration renouvelle également l’œuvre, qui est comme décomposée, déstructurée au profit de solos qui se superposent. C’est presque un ensemble de citations de l’œuvre originale, plus qu’une interprétation au sens habituel. La fin ne dissipera pas cette impression.

Je te cherche, pas à pas

Comme DJ, je m’intéresse à savoir comment les danseurs vont pouvoir interpréter la musique que je propose.
J’ai trouvé cette petite pépite, réalisée par Juana García y Julio Robles. Elle montre les temps et contretemps.

Cliquez sur le lien pour consulter la vidéo. https://youtu.be/RjNY9pnNUoA

Poser les pieds en rythme est la toute première étape du danseur de tango et, même si certains ne s’y résolvent pas, il me semble qu’il faut aller beaucoup plus loin, le tango étant une danse d’improvisation. On tirera cependant de cette vidéo un élément très intéressant, la séparation entre les différentes parties. Savoir les repérer permet d’adapter la danse en changeant le style pour chaque partie.
Il faut aussi savoir distinguer la phrase musicale, afin que le couple se retrouve dans un état d’attente ou pour le moins cohérent avec la prochaine transition ou enchaînement de phrases. Certains comptent de 1 à 8, mais c’est beaucoup plus agréable de se laisser porter par la structure de la musique.
Je déconseille donc le comptage, sauf pour des chorégraphies en groupe, ce qui n’est pas du même domaine que le tango social qui nous intéresse ici, car je trouve dommage d’occuper son cerveau dans une tâche qui n’aide pas à entendre la musique.
Il me semble qu’il est amplement préférable de travailler son « instinct », car, rapidement, le corps saura quand la musique va changer et, inconsciemment, il va se préparer, ce qui vous permettra de danser l’esprit totalement libre, en vous laissant porter.
Ce même instinct sert au DJ pour identifier les musiques plus dansables que d’autres. Le DJ fait marcher ses danseurs et eux le suivent. Il a donc la responsabilité d’ouvrir la voie et de leur proposer des chemins dont les difficultés sont adaptées.

À bientôt, les amis, merci de me suivre.

À bientôt, les amis, merci de me suivre.

Fantasma 1939-12-28 – Orquesta Roberto Firpo con Alberto Diale

Mario Maurano Letra: José Roberto De Prisco

En Italie, il y a une dizaine d’années, il y a eu un intérêt marqué pour notre tango du jour, Fantasma (fantôme) par Roberto Firpo. Comme vous allez l’entendre, cette œuvre mérite en effet l’écoute par son originalité. Mais attention, il y a fantôme et fantôme et un fantôme peut en cacher un autre.

Extrait musical

Fantasma 1939-12-28 – Orquesta Roberto Firpo con Alberto Diale.

Dès les premières notes, malgré le mode mineur employé, on note l’énergie dans la musique.
On peut donc s’imaginer que l’on parle d’un fantôme au sens de personne vaniteuse et présomptueuse, d’un fanfaron.
Écoutez donc le début avec cette idée. La partie A est tonique, en staccato. J’imagine tout à fait un fanfaron gambader dans les rues de Buenos Aires. À 28″ commence la partie B qui dévoile régulièrement un mode majeur, le fanfaron épanoui semble se réjouir, profiter de sa suffisance.
Lorsque la partie A revient, elle est jouée en legato mais toujours avec le rythme pressant et bien marqué qui pousse à danser de façon tonique. On notera la virtuosité de Juan Cambareri, le mage du bandonéon qui réalise un solo époustouflant.

Les musiciens du cuarteto « Los de Antes » de Roberto Firpo. De gauche à droite, Juan Cambareri (bandonéon), Fernando Porcelli (contrebasse), Roberto Firpo (piano) et José Fernández (violon).

Le ténor, Alberto Diale, intervient à 1:25 pour une intervention de moins de 30 secondes, ce qui n’est pas gênant, car il me semble qu’il n’apporte pas une plus-value extraordinaire à l’interprétation. Cependant, comme il énonce les paroles écrites par José Roberto De Prisco, on est bien obligé de comprendre que l’on ne parle plus d’un fanfaron, même si la dernière partie avec ses envolées venteuses peut faire penser à une baudruche qui se dégonfle.
Avec le sens des paroles, on peut imaginer que ce sont les fantômes que l’on chasse avec son allégresse, allégresse exprimée par les passages en mode majeur qui s’intercalent entre les passages en mode mineur.
Je suis sûr que vous imaginez les fantômes qui volètent dans tous les sens à l’écoute de la dernière partie. On se souvient que Firpo a écrit plusieurs titres avec des sons réalistes, comme El amanecer et ses oiseaux merveilleux, El rápido (le train rapide), Fuegos artificiales (feu d’artifice) ou La carcajada (l’éclat de rire). Cette composition l’a donc certainement intéressé pour la possibilité d’imiter les fantômes volants. N’oublions pas que les musiciens avant les années 30 intervenaient beaucoup pour faire la musique dans les cinémas, les films étant muets, ils étaient virtuoses pour faire les bruitages.

Paroles de Fantasma de Mario Maurano et José Roberto De Prisco

Y si al verme, tú lo vieras,
Que te muerde la conciencia,
No los temas.
Los fantasmas de tu pena están en ti.

Yo soy vida, vida entera.
Que cantando su alegría,
Va siguiendo su camino,
De venturas. Que no dejan,
Que se acerquen los fantasmas terrorosos de otro ayer.
Mario Maurano Letra: José Roberto De Prisco

Traduction libre de Fantasma de Mario Maurano et José Roberto De Prisco

Et si, quand tu me vois, tu le voyais qui te mord la conscience, ne les crains pas, les fantômes de ton chagrin sont en toi.
Je suis une vie, une vie entière.
Que chantant sa joie, il poursuit son chemin d’aventures. Qu’ils ne laissent pas s’approcher les fantômes terrifiants d’un autre hier.

Mario Maurano et José Roberto De Prisco

Quelques mots sur les auteurs, qui sont peu, voire très peu connus.

Mario Maurano (1905 à Rio de Janeiro, Brésil -1974)

Mario Maurano était pianiste, arrangeur, directeur d’orchestre et compositeur.

Il semble abonné aux fantômes, car il a écrit la musique du film Fantasmas en Buenos Aires dirigé par Enrique Santos Discépolo et qui est sorti le 8 juillet 1942. Peut-être qu’on lui a confié la composition de la musique du film à cause de notre tango du jour.
Cependant, l’histoire n’a rien à voir avec le tango et la musique du film, non plus. La présence de Discépolo, n’implique pas forcément que ce soit un film de tango… Vous pouvez voir le film ici… https://youtu.be/xtFdlXh4Vpc

L’affiche du film Fantasmas en Buenos Aires, dirigé par Enrique Discepolo et qui est sorti en 1942. Zulli Moreno est l’héroïne et prétendue fantôme. Pepa Arias, la victime d’une arnaque.

Parmi ses compositions, en plus de la musique de ce film, on peut citer :

  • • Canción de navidad (Chanson) (Mario Maurano Letra: Luis César Amadori)
  • • Cuatro campanadas (Mario Maurano Letra: Lito Bayardo – Manuel Juan García Ferrari)
  • • El embrujo de tu violín (Mario Maurano Letra: Armando Tagini – Armando José María Tagini)
  • • Fantasma (Mario Maurano Letra: José Roberto De Prisco)
  • • Por la señal de la cruz (Mario Maurano; Pedro Vescina Letra:Antonio Pomponio)
  • • Riendo (Alfredo Malerba; Mario Maurano; Rodolfo Sciammarella, musique et paroles)
  • • Un amor (Mario Maurano; Alfredo Antonio Malerba Letra: Luis Rubistein)
  • • Una vez en la vida (Valse) (Ricardo Malerba; Mario Maurano Letra: Homero Manzi (Homero Nicolás Manzione Prestera)

José Roberto De Prisco

Je n’ai pas grand-chose à dire de l’auteur des paroles, si ce n’est qu’il a écrit les paroles ou composé la musique de quelques titres en plus de Fantasma.

  • • Che, no hay derecho (Arturo César Senez Letra: José de Prisco) – Enregistré par Firpo.
  • • Desamor (Alberto Gambino y Jose De Prisco)
  • • Fantasma (Mario Maurano Letra: José Roberto De Prisco)
  • • Negrito (Milonga) (Alberto Soifer Letra: José De Prisco)
  • • Vacilación (Antonio Molina, José Roberto De Prisco Letra: Rafael Iriarte)
Deux couvertures de partition d’œuvres de José De Prisco.

Autres versions

Notre tango du jour semble orphelin en ce qui concerne les enregistrements, mais il y a un autre fantôme qui rôde, composé par Enrique Delfino (Enrique Pedro Delfino – Delfy) avec des paroles de Cátulo Castillo (Ovidio Cátulo González Castillo).

Fantasma 1939-12-28 – Orquesta Roberto Firpo con Alberto Diale. C’est notre tango du jour.

Intéressons-nous maintenant au fantôme de Delfy et Cátulo Castillo.

Paroles de Fantasma de Cátulo Castillo

Regresa tu fantasma cada noche,
Tus ojos son los mismos y tu voz,
Tu voz que va rodando entre sus goznes
La vieja cantinela del adiós.
Qué pálida y qué triste resucita
Vestida de recuerdos, tu canción,
Se aferra a esta tristeza con que gritas
Llamando, en la distancia, al corazón.

Fantasma… de mi vida ya vacía
Por la gris melancolía…
Fantasma… de tu ausencia, sin remedio
En la copa de misterio…
Fantasma… de tu voz que es una sombra
Regresando sin cesar,
¡Cada noche, cada hora!
Tanta sed abrasadora…
A esta sed abrasadora… de olvidar.

Ya no tienes las pupilas bonitas
Se apagaron como una oración,
Tus manos, también ya marchitas
No guardaron mi canción.
Sombras que acompañan tu reproche
Me nublan, para siempre, el corazón…
Olvidos que se encienden en la noche
Agotan en alcohol, mi desesperación.

Enrique Delfino (Enrique Pedro Delfino – Delfy) avec des paroles de Cátulo Castillo – (Ovidio Cátulo González Castillo)

Traduction libre de la version de Cátulo Castillo

Ton fantôme revient chaque nuit, tes yeux sont les mêmes et ta voix, ta voix qui roule entre ses gonds (Les goznes sont les charnières, gonds… mais aussi des propositions énoncées sans justification, ce qui semble être l’acception à considérer ici), le vieux refrain d’au revoir.
Que de pâleur et tristesse ton chant ressuscite, vêtu de souvenirs, s’accrochant à cette tristesse avec laquelle tu cries, appelant au loin, le cœur.
Fantôme… de ma vie déjà vide par une mélancolie grise…
Fantôme… de ton absence, désespéré dans la coupe du mystère…
Fantôme… de ta voix, qui est une ombre qui revient sans cesse,
chaque soir, chaque heure !
Tant de soif brûlante…
À cette soif brûlante… d’oublier.
Déjà, tu n’as plus les pupilles jolies, elles se sont éteintes comme une prière.
Tes mains, également déjà desséchées, n’ont pas gardé ma chanson.
Les ombres qui accompagnent ton reproche embrument pour toujours le cœur…
Les oublis qui s’allument dans la nuit s’épuisent dans l’alcool, mon désespoir.

Ce thème de Delfy et Cátulo Castillo a été enregistré plusieurs fois et notamment dans les versions suivantes.

Fantasma 1944-10-24 – Orquesta Miguel Caló con Raúl Iriarte.

L’interprétation semble en phase avec les paroles. Si c’est cohérent d’un point de vue stylistique, le résultat me semble moins adapté au bal que notre tango du jour.

Fantasma 1944-12-28 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Oscar Serpa.

Oscar Serpa n’est pas un chanteur pour la danse et il le confirme dans cet enregistrement.

Fantasma 2013 – Orquesta Típica Sans Souci con Walter Chino Laborde.

L’orchestre Sans Souci s’est donné comme mission de perpétuer le style de Miguel Calo. Ce n’est donc pas un hasard si vous trouvez un air de famille entre les deux enregistrements.

Arthur le fantôme par Cezard

Sollozo de bandoneón 1943-12-16 – Orquesta Ricardo Tanturi con Enrique Campos

Ricardo Tanturi Letra: Enrique Cadícamo

On disait de Aníbal Troilo qu’il savait faire pleurer son bandonéon, mais ce caractère est souvent attribué à cet instrument, bien qu’il dispose d’un répertoire d’interprétation bien plus vaste qui va de la colère la plus noire à la joie la plus légère. Cette partition de Tanturi avec des paroles de Cadícamo explore le côté triste de l’instrument, ce que sait rendre avec une rare émotion, Enrique Campos au chant. Un magnifique tango, sans doute trop méconnu.
La vedette de cette anecdote sera le bandonéon et ses sentiments.

Extrait musical

Sollozo de bandoneón 1943-12-16 – Orquesta Ricardo Tanturi con Enrique Campos.

Le mode de sol mineur annonce la tristesse du morceau. Il continuera durant toute l’œuvre, sans passage en mode majeur, ce qui donne mieux l’idée de l’oppression subie par le narrateur.
L’orchestre de Tanturi, à l’époque de cet enregistrement, comportait quatre bandonéonistes : Francisco Ferraro, Raúl Iglesias, Héctor Gondre et Juan Saettone.

Paroles

Ven a bailar, que quiero hablarte,
aparte de tus amigas.
Quiero que escuches mi fracaso
y que en mis brazos el tango sigas.
Después de un año vuelvo a hallarte
y al verte me pongo triste,
porque esta noche he de contarte
que por perderte sufro de amor.

Quien sufre por amor
comprende este dolor,
este dolor que nos embarga.
Quien sufre por amor
comprenderá el dolor
que viene a herir
como una daga.
Te tuve y te perdí
y yo qué soy sin ti.
Quien sufre por amor
comprenderá mejor
por qué solloza el bandoneón.

Con su gemir de corazones
los bandoneones lloran su pena,
igual que yo sollozan ellos,
porque en sus notas hay amores
y por amores hoy sufro yo.
Ricardo Tanturi Letra: Enrique Cadícamo

Traduction libre et indications

Viens danser, je veux te parler, à part de tes amis.
Je veux que tu entendes mon échec et que, dans mes bras, tu continues le tango.
Au bout d’un an, je te retrouve, et, quand je te vois, je suis triste, car ce soir, je dois te dire que de t’avoir perdue, je souffre d’amour.
Celui qui souffre par amour comprend cette douleur, cette douleur qui nous submerge.
Celui qui souffre par amour comprendra la douleur qui vient blesser comme un poignard.
Je t’avais et je t’ai perdue et moi, que suis-je sans toi.
Celui qui souffre par amour comprendra mieux pourquoi le bandonéon sanglote.
Avec leurs gémissements de cœur, les bandonéons pleurent leur chagrin, comme moi, ils sanglotent, parce que, dans leurs notes il y a des amours et, pour les amours, aujourd’hui je souffre.

Bandonéons sentimentaux

Il est intéressant de voir que parmi les instruments du tango, c’est le bandonéon qui se partage la vedette en ce qui concerne les titres où il est présent. Voici quelques statistiques pour le tango (pas milonga ou valse).
Le piano, cet instrument majeur, n’est cité que dans une dizaine de titres.
Le violon, cet autre instrument essentiel n’atteint qu’à peine le double du piano.
La guitare, instrument des premiers temps, héritier des payadores, fait à peine mieux que le violon.
Le bandonéon se taille la part du tigre (hommage au Tigre du bandonéon, Eduardo Arolas). J’ai recensé plus de 80 titres mentionnant son nom (bandó, bandoneón, fuelle ou fueye). J’aurais pu rajouter des milongas et des poèmes à sa gloire, mais avec les titres que j’ai oubliés, on pourrait bien atteindre les 100, soit 10 fois plus que pour le piano…
Si on entre dans le détail des paroles, la suprématie du bandonéon est encore plus forte, mais contentons-nous de lister les titres où le bandonéon est mentionné.

  • A la sombra del fueye
  • A mi hermano fueyero
  • A seguirla bandoneón
  • Alegre bandoneón
  • Alma del bandoneón
  • Aníbal Bandoneón (Aníbal Troilo en symbiose avec son instrument)
  • Arrullos de bandoneón
  • Bandó (composé et interprété par Astor Piazzolla au bandonéon)
  • Bandoneón (au moins 4 tangos différents portent ce nom)
  • Bandoneón amigo
  • Bandoneón arrabalero
  • Bandoneón cadenero
  • Bandoneón campañero
  • Bandoneón de fuego
  • Bandoneón de mi ciudad
  • Bandoneón de mis amores
  • Bandoneón fuiste testigo
  • Bandoneón, guitarra y bajo (petite apparition de la contrebasse, dans un trio de Piazzolla, un autre géant du bandonéon)
  • Bandoneón milonguero (composé par le bandonéoniste Ernesto Baffa)
  • Buénas noches che bandonéon (par le bandonéoniste Juan José Mosalini)
  • Bandoneón…para vos
  • Bandoneón, por qué llorás? (une référence explicite aux pleurs du bandonéon)
  • Bandoneón solo (du bandonéoniste Rodolfo Nerone)
  • Bandoneón trasnochado (du bandonéoniste Alberto San Miguel)
  • Calla bandoneón (Carlos Lazzari et Oscar Rubens pour les paroles demandent au bandonéon de se taire, à cause de sa tristesse).
  • Candencia de Bandoneón de Astor Piazzolla (c’est un solo de bandonéon exécuté par son auteur, Mauricio Jost, un des bandonéonistes du Sexteto Milonguero)
  • Che bandoneón (por el bandoneón mayor de Buenos Aires, Aníbal Troilo)
  • Compañero bandoneón
  • Con letra de bandoneón
  • Concerto para bandoneón y orquesta (Piazzolla)
  • Concierto Para Bandoneón (encore Piazzolla)
  • Cuando llora el bandoneón
  • Cuando talla un bandoneón (un titre d’un fameux bandonéoniste, Armando Pontier)
  • La danza del fueye (du bandonéoniste Raúl Miguel Garello, un titre jeu de mot évoquant la composition de Manuel de Falla, La danza del fuego ?)
  • De mi bandoneón (par le bandonéoniste Roberto Pérez Prechi)
  • Este bandoneón (d’Ernesto Rossi, encore un bandonéoniste)
  • Este bandoneón sentimental
  • Firuletear de bandoneón
  • Fuelle azul (par le bandonéoniste Domingo Federico)
  • Fuelle querido
  • Fueye…! (Fuelle)
  • Fueye amigo (Fuelle amigo)
  • Fueye querido
  • El hombre del bandoneón
  • Igual que un bandoneón (interprété par les mêmes que notre tango du jour et également en mode mineur intégral, ré mineur. On pourrait être tenté d’en faire une tanda. Pour ma part j’évite de composer les tandas avec des titres un peu trop tristes à la suite).
  • Más allá bandoneón (composé par deux bandonéonistes Ernesto Baffa et Raúl Miguel Garello, on n’est jamais si bien servi que par soi-même)
  • Mientras quede un solo fuelle (Mientras quede un solo fueye)
  • Mi bandoneon y yo (Crecimos juntos) (de Rubén Juárez, chanteur et… bandonéoniste)
  • Mi fuelle rezonga
  • Mi loco bandoneón (par Piazzolla…)
  • Mi viejo bandoneón
  • Mientras gime el bandoneón (encore une fois, Enrique Cadícamo, l’auteur des paroles du tango d’aujourd’hui, fait résonner la tristesse du bandonéon. Dans ce tango, il est également le compositeur).
  • No la llores bandoneón (Deux des compositeurs sont bandonéonistes Jorge Caldara et Alberto Caracciolo. Víctor Lamanna est plutôt parolier, mais le titre est signé des trois, que ce soit pour les paroles et la musique).
  • Mientras rezonga un fuelle
  • Mistongo bandoneón (dans les paroles, El fueye revient au début des vers du couplet :
  • Fuelle… que viniste de tan lejos. / Fuelle… que te hiciste tan, tan nuestro. / Fuelle… santo, endiablado y siniestro, / vos que haces dormir al cielo / abrazado del infierno. / Fuelle… vos… mistongo bandoneón.
  • Música de bandoneón
  • Nocturnal bandoneón
  • Notas de bandoneón (avec Cadícamo aux paroles…)
  • Nuestro bandoneón
  • Pa’ que te oigan bandoneón
  • Pamentos del bandoneón
  • Perdoname fuelle querido
  • Perfume de bandoneón (de Luis Stazo, un autre grand du bandonéon)
  • Pichuco le canta a su bandoneón (En hommage, bien sûr à Pichuco, Aníbal Troilo)
  • Quejas de bandoneón (le gros succès de Juan De Dios Filiberto qui reprend le thème de la plainte du bandonéon)
  • Se lo conté al bandoneón
  • Sollozo de bandoneón (notre tango du jour)
  • Solo de bandoneón (musique et paroles de Cadícamo qui a décidément un faible pour cet instrument)
  • Son cosas del bandoneón (Enrique Rodríguez, l’auteur était également bandonéoniste…)
  • Suite Punta del Este for Bandoneón Solo, Instrumental Ensemble and String Orchestra: Coral (encore un truc de Piazzolla mettant en valeur le bandonéon, donc, lui…)
  • Susurro de bandoneón (Carlos Ángel Lázzari, encore un fameux bandonéoniste, associé à D’Arienzo, mais qui parle ici de murmure, chose qu’il ne devait pas souvent avoir l’occasion de faire avec El Rey del compás).
  • Te llamaremos bandoneón
  • Tocá el bandoneón, Pedrito! (encore un titre composé par le bandonéoniste Raúl Miguel Garello)
  • Tres movimientos concertantes para bandoneón y orquesta (Daniel Binelli, le compositeur était également… Oui, vous avez trouvé ! Bandonéoniste).
  • Un sueño bandoneón (une autre composition du bandonéoniste Domingo Federico)
  • Un fueye en París (Leopoldo Federico, cet attachant bandonéoniste et chef d’orchestre a composé ce titre).
  • La voz del bandoneón (La voix du bandonéon) (par José Lucchesi qui était accordéoniste. Un clin d’œil au cousin, donc).
  • Yo soy el bandoneón (De Piazzolla)
  • Yo te adoro bandoneón

Autres versions

Comme il n’était pas question de vous présenter la centaine de titres mentionnant le bandonéon, je vous propose de terminer avec le seul enregistrement de ce titre, notre tango du jour.

Sollozo de bandoneón 1943-12-16 – Orquesta Ricardo Tanturi con Enrique Campos. C’est notre tango du jour.

Bonus

Un groupe Facebook sur le bandonéon. J’ai utilisé leur photo de page pour mon illustration de couverture.
Le livre de Gabriel Merlino, Una Arqueología del bandoneón
La version papier est à commander à charlas.concierto@gmail.com.
Les versions électroniques se trouvent ici.
Merci à Gérard Cardonnet, de m’avoir fait penser à signaler ce livre.
À bientôt les amis !

Un bandoneón (fueye, fuelle).

El Yacaré 1941-12-12 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Alfredo Attadía Letra: Mario Soto.

Ceux qui ont traversé les provinces de Entre-Rios et Corrientes ont sans doute remarqué au bord des nationales 12 et 14 les nombreuses pancartes annonçant que l’on pouvait trouver du « yacaré » à l’escabèche. Le yacaré est le nom du crocodile local et l’escabèche (esacabeche) est la sauce qui accommode ce saurien et dont sont friands les entrerianos et corientinos. Mais, notre tango du jour ne vante pas un plat typique, ni même l’animal du même nom. Il nous parle d’un jockey fameux, Elías Antúnez, surnommé El Yacaré, car il est justement originaire de Corrientes.

Elías Antúnez, El Yacaré.

Chevaux et tango

De nombreux tangos font référence aux courses de chevaux.
Carlos Gardel fut l’un des promoteurs du genre, par exemple en chantant Leguisamo solo, Por una cabeza.
Si le sujet vous intéresse, je vous invite à consulter l’excellent Todo Tango sur le sujet

L’hippodrome de Palermo.

Extrait musical

El Yacaré 1941-12-12 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas.

Aujourd’hui, pas de partition, mais les accords pour les guitaristes sur chordify.net :

Paroles

Es domingo, Palermo resplandece de sol,
cada pingo en la arena llevará una ilusión.
En las cintas los puros alineados están
y a la voz de “¡Largaron!” da salida un afán.
En el medio del lote, conteniendo su acción,
hay un jockey que aguarda con serena atención,
ya se apresta a la carga… griterío infernal.
Emoción que desborda en un bravo final.

¡Arriba viejo Yacaré!
Explota el grito atronador.
Todos castigan con rigor,
pero no hay nada que hacer,
en el disco ya está Antúnez.
Sabés sacar un perdedor,
ganar un Premio Nacional…
Muñeca brava y al final
el tope del marcador
siempre es tu meta triunfal.

Un artista en las riendas, con coraje de león,
tenés toda la clase que consagra a un campeón.
Dominando la pista con certera visual
el camino del disco vos sabés encontrar.
Las tribunas admiran tu pericia y tesón
y se rinde a tu arte con intensa emoción.
Se enronquecen gargantas en un loco estallar,
cuando a taco y a lonja empezás a cargar.
Alfredo Attadía Letra: Mario Soto

Traduction libre des paroles

C’est dimanche, Palermo resplendit de soleil, chaque cheval (pingo) sur le sable (de la piste) portera un espoir.
Sur les bandes, les cigares sont alignés et la voix de « ¡Largaron ! » (on entend dans Largaron de Carlos Cubría et Juan Navarro connue par l’enregistrement de De Angelis, la cloche et le « largaron » qui annoncent le départ des chevaux) laisse place à l’empressement.
Au milieu du peloton, contenant son action, il y a un jockey qui attend avec une attention sereine, déjà, il se prépare à la charge… brouhaha infernal.
Une émotion qui déborde dans un bravo final (ou un final vaillant).
Courage, le vieux Yacaré !
Le cri tonitruant explose.
Tous cravachent vigoureusement (punissent), mais il n’y a rien à faire, Antúnez (El Yacaré) est déjà au poste d’arrivée.
Tu sais faire sortir un perdant, qu’il gagne un Prix national…
Muñeca brava (poignet vaillant, mais une Muñeca brava est aussi une femme, comme dans le tango de Enrique Cadícamo) et, à la fin, le haut du tableau de résultat est toujours ton but, triomphal.
Un artiste aux rênes, avec le courage d’un lion, vous avez toute la classe qui consacre un champion.
Dominant la piste avec une vision précise, tu sais trouver le chemin du poste d’arrivée.
Les tribunes admirent ton savoir-faire et ta ténacité et rendent à ton art avec une émotion intense.
Les gorges s’enrouent dans une explosion folle, lorsque vous commencez à charger avec les talons et la cravache.

Autres versions

El Yacaré 1941-12-12 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas. C’est notre tango du jour.
El Yacaré 1951 – Alfredo Attadía con Armando Moreno.

Dix ans après D’Agostino et Vargas, Attadía donne sa version de sa composition. On notera toutefois qu’il est difficile de détacher cet enregistrement de celui des deux anges. Cette proximité peut se comprendre. Attadía a composé un certain nombre des succès de D’Agostino et notamment, Tres esquinas composé en commun avec D’Agostino. Le résultat est agréable à écouter et même dansable.

Armando Moreno et Alfredo Attadía (El Bandoneón de Oro).
El Yacaré 2009 – Sexteto Milonguero con Javier Di Ciriaco.

On regrette la disparition de cet orchestre qui valait surtout par la voix et les interprétations extraordinaires de Javier Di Ciriaco. Une version dans le style de cet orchestre, plutôt intéressante et dansable.

À bientôt les amis !

Mano Blanca 1943-12-07 – Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Emilio Balcarce

Arturo De Bassi Letra: Homero Manzi

L’excellent fileteador porteño, Gustavo Ferrari, alors que je passais ce titre dans une milonga m’a indiqué que ce titre était l’hymne des fileteadores (peintres décorateurs, spécialistes des filets décoratifs typiques de Buenos Aires). Comme j’adore ce tango, je le passe assez souvent, mais pas forcément dans la version du jour, celle d’Alberto Castillo qui était également un fan de ce tango comme nous le verrons.
J’imagine que vous avez dans l’oreille l’enregistrement des deux anges, D’Agostino et Vargas. Mais, comme l’anecdote d’avant-hier était avec ces deux interprètes, il faut laisser de la place aux autres.
C’est d’autant plus important que Vargas et D’Agostino semble s’être emparé du titre, laissant peu de place à d’autres enregistrements. Pourtant, plusieurs sont intéressants.
À noter que, sur certains disques, on trouve Manoblanca, en un seul mot. J’ai unifié la présentation en Mano Blanca, mais les deux orthographes existent

Extrait musical

Mano Blanca 1943-12-07 – Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Emilio Balcarce.

Bien que ce soit un titre plutôt destiné à l’écoute, puisque le disque mentionne que Alberto Castillo est accompagné par son orchestre dirigé par Emilio Balcarce. Cependant cet enregistrement reste tout à fait présentable dans une milonga et c’est même presque étonnant que l’on ne l’entende quasiment jamais.

Partition de Mano Blanca. Arturo De Bassi Letra: Homero Manzi et l’angle de rue où se trouve le « musée Manoblanca ».

Paroles

Dónde vas carrerito del este
castigando tu yunta de ruanos,
y mostrando en la chata celeste
las dos iniciales pintadas a mano.

Reluciendo la estrella de bronce
claveteada en la suela de cuero,
dónde vas carrerito del Once,
cruzando ligero las calles del Sur.

¡Porteñito!… ¡Manoblanca!…
Vamos ¡fuerza, que viene barranca!
¡Manoblanca!… ¡Porteñito!
¡Fuerza! ¡vamos, que falta un poquito!

¡Bueno! ¡bueno!… ¡Ya salimos!…
Ahora sigan parejo otra vez,
que esta noche me esperan sus ojos
en la Avenida Centenera y Tabaré.

Dónde vas carrerito porteño
con tu chata flamante y coqueta,
con los ojos cerrados de sueño
y un gajo de ruda detrás de la oreja.

El orgullo de ser bien querido
se adivina en tu estrella de bronce,
carrerito del barrio del Once
que vuelves trotando para el corralón.

¡Bueno! ¡bueno!… ¡Ya salimos!…
Ahora sigan parejo otra vez
mientras sueño en los ojos aquellos
de la Avenida Centenera y Tabaré.
Arturo De Bassi Letra: Homero Manzi

Traduction libre des paroles

Où vas-tu petit meneur (conducteur de chariot hippomobile) de l’est en punissant ton attelage de rouans (chevaux de couleur rouanne), et en montrant sur la charrette bleue les deux initiales peintes à la main.
Elle brille l’étoile de bronze clouée sur le harnais de cuir. Où vas-tu, petit meneur de Once, en traversant rapidement (légèrement, peut-être à vide), les rues du Sud.
Porteñito… Manoblanca… (Ce sont les noms des deux chevaux)
Allons, force, un fossé arrive !
Manoblanca… Porteñito !
Force ! Allons, il reste peu à faire !
Bien ! Bien !… Nous voilà sortis (de l’ornière, fossé)…
Maintenant, continuez ensemble à nouveau, car ce soir, ses yeux m’attendent sur l’Avenida Centenera et Tabaré. (l’angle de ces deux avenues marque “La esquina del herrero, barro y pampa » que le même Homero Manzi mentionne dans son tango « Sur ».
Où vas-tu, petit meneur portègne avec ta charrette flamboyante et coquette, avec les yeux fermés de sommeil (ou rêve) et un brin de rue (le gajo de ruda est une plante qui est censée éloigner le mal) derrière l’oreille.
La fierté d’être bien aimé se devine dans ton étoile de bronze, petit meneur du quartier de Once, car tu reviens en trottant au corralón (hangar, garage).
Bien ! Bien !… Nous voilà sortis.
Maintenant, ils continuent en couple (chevaux en harmonie) de nouveau pendant que je rêve à ces yeux de l’Avenida Centenera et de Tabaré.

Les fileteados

Les fileteados son une expression artistique typique de Buenos Aires. Elle est apparue en premier sur les chariots et s’est étendue jusqu’à aujourd’hui dans tous les domaines.

Un chariot hippomobile décoré de fileteados. Cette charrette comporte des ridelles, ce que n’avait peut-être pas celle de la chanson qui est une simple chata (fond plat et qui avait sans doute quatre roues).
Un véhicule de quatre saisons richement décoré de fileteados. La chata de la chanson devait plutôt avoir 4 roues, mais l’idée est là…

Je vous invite à regarder l’article de Wikipédia sur le sujet si vraiment vous ne connaissez pas…
https://es.wikipedia.org/wiki/Fileteado

Autres versions

Les deux premiers enregistrements, par Canaro, sont bien de a composition Arturo de Bassi, mais elles avaient été publiées à l’époque sous le titre El romántico fulero. Cette musique était une petite pièce à l’intérieur d’un tableau intitulé Románticos fuleros, lui-même inclus dans le spectacle Copamos la banca. Les paroles apportées par Homero Manzi 15 ans plus tard, à la demande de Bassi, ont donné une autre dimension à l’œuvre et lui ont permis de passer à la postérité.

El romántico fulero 1924 – Orquesta Francisco Canaro.

C’est un enregistrement acoustique, donc, d’une qualité sonore un peu compliquée, mais on reconnaît parfaitement le thème du tango du jour.

El romántico fulero 1926-09 – Azucena Maizani con acomp. de Francisco Canaro.

Le même Canaro enregistre, cette fois en enregistrement électrique le titre avec des paroles de Carlos Schaefer Gallo.

Paroles de Carlos Schaefer Gallo

Manyeme que’l bacán no la embroca,
parleme que’l boton no la juna
y en la noche que pinta la luna
la punga de un beso le tiró en la boca.
Aquí estoy en la calle desierta
como un gil pa’ mirar su hermosura
campaneando que me abra la puerta
pa’ darle a escondidas un beso de amor.

Se lo juro que no hablo al cohete
y que le pongo pa’usté cacho e cielo
un cotorro que ni Marcelo
lo tiene puesto con más firulete.
Si usté quiere la pianto ahora
si usté lo quiere digamelo,
será mi piba mi nena la aurora,
en esta sombra que’n el alma cayó.

Le pondré garçonnière a la gurda
y tendrá vuaturé limusine,
y la noche que nos cache curda
veremos al chorro Tom Mix en el cine.
Berretín que me das esperanza
metejón que proteje la noche,
piantaremos en auto o en coche
como unos punguistas que fanan amor.
Carlos Schaefer Gallo

Honnêtement, ces paroles en lunfardo pour un divertissement populaire d’entrée de gamme ne méritent pas vraiment de passer à la postérité. Je ne vous en donnerai donc pas la traduction. On notera toutefois que le texte fait référence au président de l’époque, Marcelo Torcuato de Alvear et à Tom Mix, un héros de western… L’auteur n’a reculé devant rien pour recueillir l’assentiment du public.

Mano Blanca 1943-12-07 – Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Emilio Balcarce. C’est notre tango du jour.
Mano Blanca 1944-03-09 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas.

C’est la version de référence, une merveille absolue. Magnifique piano et voix des deux anges.

Mano Blanca 1960 – Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. y arr. por Osvaldo Requena.

Cette version, très différente de celle que Castillo a enregistrée en 1944, est clairement une chanson. Pas question de la passer en bal. Il me semble que Castillo surjoue un peu le titre, mais on peut apprécier.

Mano Blanca 1976 – José Canet con Nelly Omar.

Toujours la belle association entre la guitare de José Canet et la voix de Nelly Omar.

Mano Blanca c2010 – Miguel Ángel Báccola.

Une version en chanson que j’ai trouvée dans ma collection, sans savoir d’où j’avais acheté ce disque.

Mano Blanca 2013, Juan Carlos « Tata » Cedrón.

J’ai un petit faible pour « Tata » que j’ai connu adolescent (moi, pas lui). Cet enregistrement en studio montre qu’il a toujours le tango dans les veines. Cette vidéo vient de l’excellente chaine culturelle argentine « encuentro ».
À bientôt, les amis, je monte sur mon petit chariot et je pars sur les rues du Sud, au rythme de mes petits chevaux rouans.

Armenonville 1929-12-06 Orquesta Juan Maglio Pacho

Juan Félix Maglio « Pacho » Letra: José Fernández

Les cabarets sont les premiers lieux « présentables » du tango naissant. L’Armenonville est l’un de ces cabarets, celui dont s’échappe Zorro Gris. Juan Félix Maglio crée ce tango pour ses amis, les créateurs de ce salon. Le tango du jour est son second enregistrement du titre. Allons visiter ce haut lieu du tango naissant.

Extrait musical

Armenonville1929-12-06 Orquesta Juan Maglio Pacho.

L’œuvre commence par trois accords mineurs descendants. Je suis sûr que ces trois accords plaintifs vous évoquent un autre tango, écrit par Juan Carlos Rodríguez. Je vous dirai lequel en fin d’article… Vous pourrez, en attendant, écouter les variations sur ce motif dans les différentes versions proposées où il apparaît à plusieurs reprises.

Autres versions

Armenonville 1912 – Cuarteto Juan Maglio “Pacho”.

Dans l’année suivant l’inauguration du cabaret, Maglio enregistre l’œuvre, le troisième tango qu’il a composé. Ici, c’est la petite formation, en cuarteto. La composition est jolie et élégante, mais la façon d’interpréter de l’époque rend un résultat un peu monotone, car les instruments jouent à l’unisson et chaque partie est rejouée de façon très similaire.

Armenonville1929-12-06 Orquesta Juan Maglio Pacho. C’est notre tango du jour.

Dix-sept ans plus tard, Maglio procède à un nouvel enregistrement. On mesurera entre les deux versions les progrès de l’enregistrement, qui est désormais électrique et plus acoustique. Maintenant, Maglio est à la tête d’un orchestre typique, plus complet. Ces deux avancées permettent une musique plus riche, des orchestrations plus complexes. Les instruments s’individualisent et jouent quelques traits en soliste, ce qui ne se trouvait pas à l’époque précédente.

Armenonville 1942-09-09 – Cuarteto Típico Los Ases dir. Juan Carlos Cambón.

Cet enregistrement au rythme plus soutenu est sans doute un peu confus pour le proposer en bal, mais il est joli. On sent que la tentation d’en faire une milonga n’est pas loin. Le piano de Juan Carlos Cambón est très présent et anime joliment ce titre qui se termine de façon allègre avec de jolis traits des différents instruments.

Armenonville 1958 Los Muchachos De Antes y Panchito Cao.

La clarinette de Panchito Cao est la vedette de cette version. Elle domine tout le titre. Le rythme de milonga est mieux marqué et l’on peut donc proposer cette version aux danseurs de milonga. La sonorité simple avec notamment la guitare en instrument rythmique évoque d’origine de ce tango.

Armenonville 1970-08-21- Orquesta Juan D’Arienzo.

D’Arienzo est le seul directeur de grand orchestre à avoir enregistré cette œuvre. On est en face d’un D’Arienzo tardif typique. L’énergie est présente, mais est-ce suffisant pour en faire un titre phare pour les bals. Assurément non. On notera que D’Arienzo a fait le choix de revenir au rythme du tango. En résumé, un résultat très intéressant, mais pas forcément adapté au bal.

Armenonville 1974-02-15 – Miguel Villasboas y su Orquesta Típica.

Les orchestres uruguayens ont été friands de rythmes hésitant entre tango et milonga. On pourrait classer cette interprétation comme un canyengue rapide ou une milonga lente. En dehors de la difficulté de classer ce tango, on pourra toutefois apprécier son côté joueur et il pourrait convaincre les danseurs de se lancer sur la piste. On notera que, si Villasboas inclut les trois accords descendants, il les fait précéder par une anacrouse.

Armenonville 2004 – Cuarteto Armenonville.

Ce cuarteto a pris le nom de ce tango, ou du cabaret, il était donc logique qu’il l’enregistre.

Les Armenonvilles

Le bandonéoniste Juan Maglio a créé son tango « Armenonville » pour évoquer le cabaret de ses amis, les anciens serveurs de l’hôtel Vignolles, Carlos Bonifacio Diego Lanzavechia et Manuel Loureiro. Ces derniers ont donc ouvert ce prestigieux établissement en 1911.
Cependant, il n’existe pas un Armenonville, mais trois que je vais numéroter de 0 à 2.

Armenonville « 0 »

Armenonville « 0 », c’est le pavillon d’Armenonville qui existe toujours est situé dans le Bois de Boulogne à Paris.

Le pavillon d’Armenonville « 0 » est situé dans le Bois de Boulogne. Cette photo réalisée vers 1859 est attribuée à Charles-François Bossu dit Charles Marville. On remarquera l’architecture particulière du bâtiment avec ses ornementations en bois.

Il ne faut cependant pas se tromper en voyant cette architecture « champêtre », l’intérieur est luxueux, comme en témoigne cette huile sur toile d’Henri Gervex, exécutée en 1905, soit 6 ans avant l’ouverture de l’Armenonville de Buenos Aires.

Armenonville le soir du Grand -Prix – Henri Gervex 1905.

On notera que cette illustration qui représente l’Armenonville parisien est souvent reproduite pour témoigner de l’Armenonville de Buenos Aires… Mais ce n’est pas la seule erreur faite dans l’iconographie des Armenonvilles, comme nous allons le voir.

Arnemonville 1

Mon propos étant portègne, j’ai numéroté 0, l’Armenonville de Paris, pour ne pas changer la numérotation habituelle des édifices de Buenos Aires.

Sur la couverture de la partition, on peut voir l’ancien Armenonville, celui que Maglio a glorifié.

Comme on peut le voir sur la couverture de la partition, le pavillon Armenonville est dans un parc. On ne voit pas bien son architecture sur cette illustration, en revanche, on dispose de quelques photos.

Armenonville 1. On considère que le modèle est l’Armenonville de Paris. On remarquera toutefois que la ressemblance est assez lointaine, mais l’inspiration et le nom témoignent de la volonté de mettre en avant le côté « chic » français.

L’architecture a quelques similitudes avec le « modèle » parisien et il est donc convenu de considérer que c’est une inspiration directe. Il ne faut pas oublier qu’à l’époque, tout ce qui est français est « chic », le tango bénéficiera de cette étiquette peu après.

Sur cette image, on peut voir qu’il devait être sympathique de prendre un rafraîchissement dans ce cadre.
Comme on le voit sur la couverture de la partition, les bâtiments sont entourés d’un parc, parc propice à diverses activités que la morale parfois réprouve. Mais, dans la journée, c’est un lieu de promenade tout à fait agréable.

Si Armenonville 0, le modèle parisien a désormais trois siècles (300 ans), l’Armenonville 1 n’a duré que 14 ans. Édifié en 1911, il a été rasé en 1925.

Emplacement de l’Armenonville 1. C’est maintenant la Plaza Republica de Chile. Image Google maps.

Cependant, on voit souvent des représentations de l’Armenonville avec une salle immense et un aspect bien plus imposant que ce pavillon de chasse. L’erreur vient de ce qu’un autre Armenonville a été construit…

Armenonville 2

Cette illustration montre la magnificence du site dont il ne reste rien…

L’illustration de couverture de l’article représente l’intérieur de la salle de l’Armenonville 2. J’ai donc un peu triché pour cette anecdote en ne montrant pas l’Armenonville qui a servi d’inspiration à Maglio.
L’Armenonville 2, comme vous pouvez en juger est d’une toute autre ampleur que ses aînés. On reconnaît son architecture Arts déco et il ne faut pas beaucoup d’imagination pour se représenter la splendeur du lieu, même si lui aussi n’a pas survécu bien longtemps.
Cet édifice a été conçu par l’architecte Valentín M. Brodsky en 1927.

Valentín M. Brodsky en 1919, médaille d’or de son école d’architecture. Sa signature sur un immeuble situé à l’angle de Scalabrini Ortiz (la rue qui s’appelait à l’époque Canning et où se trouvait l’Armenonville 2) et Córdoba.

Même s’il n’a pas grand-chose à voir avec le tango, je vous présente la photo de Valentín M. Brodsky, car il fut un élève très apprécié de son école d’architecture où il a obtenu divers prix, dont la médaille d’or, mais surtout l’appréciation de ses collègues et professeurs, comme élève brillant et aimable. Peu de temps après son diplôme, il se voit confier la réalisation de l’Armenonville 2, cet immense projet qui fera la démonstration de son talent.

Sur cette iconographie, on peut lire que le Dancing « Armenonville » a été construit en 70 jours ouvrables. Cela renforce notre estime pour son jeune architecte.

Comme on peut le lire sur ce document, l’Armenonville 2 était situé rue Canning au 3533 (en fait, les propriétaires de l’ancien Armenonville avaient acheté une demie manzana (bloc) et donc le bâtiment avait de l’espace. Il a été construit en 70 jours ouvrables.

Armenonville 2
Armenonville 2
Armenonville 2 (intérieur)
Entrée de « Les Ambassadeurs », le nouveau nom de l’Armenonville 2.
Un prospectus de « Les Ambassadeurs ». On peut y voir qu’il est indiqué 3000 couverts…
Une affiche de l’Armenonville 2

En 1960, le bâtiment fut acheté et utilisé pour la chaine de télévision Canal 9 qui l’utilisa un an, car le bâtiment brûla en 1961.

Le repère rouge de cette carte Google indique l’emplacement de l’Armenonville 2 dont il ne reste plus rien.

Voilà, les trois Armenonvilles bien différenciés et vous pourrez, comme-moi, bondir quand vous verrez ces articles ou vidéos mélangeant tout.
Un dernier point à préciser, les emplacements relatifs de Armenonville 1 et Armenonville 2. En fait, les deux étaient proches, mais pas situés exactement au même endroit comme on le lit parfois (souvent).
Lorsque la ville a fait fermer l’Armenonville 1, les propriétaires ont acheté le terrain d’Armenonville 2 situé un peu plus à l’Ouest et fait construire rapidement le nouveau bâtiment.

Emplacements relatifs sur une carte Google maps qui permet de voir que les deux Armenonvilles n’étaient pas sur le même terrain.

Les trois accords du début

Voici la réponse à la petite devinette du début de l’article. Les trois accords mineurs se retrouvent dans un autre titre, postérieur. La composition de Maglio a donc été « copiée », à moins qu’il s’agisse d’une inspiration commune.

Les trois premiers accords, en rouge, vert puis bleu, sont semblables dans ces deux titres.

Le tango qui reprend cet artifice, c’est Queja indiana (plainte indienne) de Juan Rodriguez. On retrouve le mode mineur, les deux accords constitués de noires (en rouge et vert dans mon illustration) et le troisième de blanches (en bleu).
Queja indiana permit à Juan Rodriguez d’obtenir un prix offert par Disco Nacional del Palace Theatre (qui était au 757, rue Corrientes).
Il se peut que Juan Rodriguez se soit inspiré de la composition de Juan Maglio, Maglio ayant composé ce titre cinq ans avant la première composition de Rodriguez.
Pour terminer, voici la composition de Juan Rodriguez interprétée par Roberto Firpo.

Queja indiana 1927-10-13 – Orquesta Roberto Firpo (Juan Carlos Rodríguez).

Juan Miguel Velich écrira des paroles que l’on peut entendre, par exemple dans la version de Biagi avec Andrés Falgás, la plus connue.

À bientôt les amis !

Yo soy de Parque Patricios 1944-12-05 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Victor Felice Letra: Carlos Lucero

La nostalgie et l’orgueil pour la pauvreté de da jeunesse est un thème fréquent dans le tango. « Yo soy de Parque Patricios » est de cette veine…
Je vous invite à faire quelques pas dans la boue, les souvenirs et un passé à la fois lointain et tant proche, que les deux anges, D’Agostino et Vargas nous évoquent de si belle façon.
Nous découvrirons l’origine du nom et verrons quelques images de ce quartier qui a toujours un charme certain et que je peux voir de mon balcon.

Extrait musical

Yo soy de Parque Patricios 1944-12-05 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas.
Partition de Yo soy de Parque Patricios de Victor Felice et Carlos Lucero.

Quelques notes de piano, égrenées, comme jetées au hasard, démarrent le titre. L’orchestre reprend d’un rythme bien marqué avec des alternances de piano, des passages puissants et d’autres plus rêveurs chantés par les violons.
Un peu avant la moitié du titre, Ángel Vargas commence à chanter, presque a capela. Il annonce qu’il est de ce quartier et qu’il y est né.
La séance de nostalgie démarre, ponctuée de variations marquées par l’orchestre, tantôt marchant et rythmique, tantôt glissant et suave.
Comme toujours chez ce « couple » des anges, une parfaite réalisation, à la fois dansante, prenante et d’une grande simplicité dans l’expression des sentiments.
En l’écoutant, on pense aux autres titres comme Tres esquinas qui, si le début est constitué de longs glissandos des violons, procèdent de la même construction par opposition.
On remarquera dans les deux titres, comme dans de nombreux autres, de cette association qui enregistra près d’une centaine de titres (93 ?), ces petites échappées musicales qui libèrent la pression de la voix de Vargas, ces petites notes qui s’échappent au piano, violon ou bandonéon et qui montent légèrement dans un parcours sinueux et rapide.

Paroles

Yo soy de Parque Patricios
he nacido en ese barrio,
con sus chatas, con su barro…
En la humildad de sus calles
con cercos de madreselvas
aprendí a enfrentar la vida…
En aquellos lindos tiempos
del percal y agua florida,
con guitarras en sus noches
y organitos en sus tardes.
Yo soy de Parque Patricios
vieja barriada de ayer…

Barrio mío… tiempo viejo…
Farol, chata, luna llena,
viejas rejas, trenzas negras
y un suspiro en un balcón…
Mayorales… cuarteadores…
muchachadas de mis horas,
hoy retornan al recuerdo
que me quema el corazón.

Hoy todo, todo ha cambiado
en el barrio, caras nuevas
y yo estoy avejentado…

(Mil nostalgias en el alma)
Mis cabellos flor de nieve
y en el alma mil nostalgias
soy una sombra que vive…
Recordando aquellos tiempos
que su ausencia me revive,
de mi cita en cinco esquinas…
y de aquellos ojos claros.
Yo soy de Parque Patricios
evocación de mi ayer…

Victor Felice Letra: Carlos Lucero

Vargas change ce qui est en gras. La phrase en rouge remplace la plus grande partie du dernier couplet. Elle n’est pas dans le texte original de Carlos Lucero.

Traduction libre

Je suis de Parque Patricios, je suis né dans ce quartier, avec ses chariots, avec sa boue…
Dans l’humilité de ses rues aux haies de chèvrefeuille, j’ai appris à affronter la vie…
En ces beaux temps de percale et d’eau de Cologne (agua florida), avec des guitares dans leurs nuits et des organitos (orgues ambulants) dans leurs après-midis.
Je viens de Parque Patricios, vieux quartier d’hier…
Mon quartier… le bon vieux temps…
Réverbère, chariots, pleine lune, vieux bars, tresses noires et un soupir sur un balcon…
Les mayorales (préposé aux billets du tramway)… cuarteadores (cavaliers aidant à sortir de la boue les chariots embourbés)… Les bandes de mes heures, aujourd’hui, elles reviennent à la mémoire qui me brûle le cœur.
Aujourd’hui, tout, tout a changé dans le quartier, de nouveaux visages et je suis vieux…
Mes cheveux, fleur de neige et dans mon âme mille nostalgies, je suis une ombre qui vit…
Me souvenir de ces moments que son absence ravive, de mon rendez-vous aux cinq angles (de rues)… et de ces yeux clairs.
(Ce passage n’est pas chanté par Vargas qui fait donc l’impasse sur l’histoire d’amour perdue).
Je suis de Parque Patricios évocation de mon passé…

Autres versions

La version de Vargas et D’Agostino n’a pas d’enregistrement par d’autres orchestres, mais le quartier de Parque Patricios a suscité des nostalgies et plusieurs titres en témoignent.

Yo soy de Parque Patricios 1944-12-05 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas. C’est notre tango du jour.

Voici quelques titres qui parlent du quartier :

Parque Patricios de Antonio Oscar Arona

Parque Patricios 1928-09-12 – Orquesta Francisco Canaro con Charlo (Antonio Oscar Arona (Música y letra)

Paroles de la version de Oscar Arona

Cada esquina de este barrio es un recuerdo
de lo mágica y risueña adolescencia;
cada calle que descubre mi presencia,
me está hablando de las cosas del ayer…
¡Viejo barrio! … Yo que vengo del asfalto
te prefiero con tus calles empedradas
y el hechizo de tus noches estrelladas
que en el centro no se sabe comprender.

¡Parque Patricios!…
Calles queridas
hondas heridas
vengo a curar…

Sonreís de mañanita
por los labios de las mozas
que en bandadas rumorosas
van camino al taller;
sos romántico en las puertas
y en las ventanas con rejas
en el dulce atardecer;
que se adornan de parejas
te ponés triste y sombrío
cuando algún muchacho bueno
traga en silencio el veneno
que destila la traición
y llorás amargamente
cuando en una musiquita
el alma de Milonguita
cruzó el barrio en que nació.

¡Viejo Parque!… Yo no sé qué airada racha
me alejó de aquella novia dulce y buena
que ahuyentaba de mi lado toda pena
con lo magia incomparable de su amor…
Otros barrios marchitaron sus ensueños…
¡Otros ojos y otras bocas me engañaron
el tesoro de ilusiones me robaron
hoy mi vida, encadenado está al dolor!…

Oscar Arona

Traduction libre de la version de Oscar Arona

Chaque recoin de ce quartier est un rappel de l’adolescence magique et souriante ;
Chaque rue que découvre ma présence me parle des choses d’hier…
Vieux quartier… Moi, qui viens de l’asphalte, je vous préfère avec vos rues pavées et le charme de vos nuits étoilées qu’au centre-ville, ils ne peuvent pas comprendre.
Parque Patricios…
Chères rues, blessures profondes, je viens guérir…
Tu souris dès l’aube sur les lèvres des filles qui, en troupeaux bruyants, se rendent à l’atelier ;
Tu es romantique dans les portes et dans les fenêtres avec des barreaux dans le doux coucher de soleil ; qui se parent de couples. Tu deviens triste et sombre quand un bon garçon avale en silence le poison que la trahison distille et tu pleures amèrement quand, dans une petite musique, l’âme de Milonguita a traversé le quartier où elle est née.
Vieux parc (Parque Patricios)… Je ne sais pas quelle trainée de colère m’a éloigné de cette douce et bonne petite amie qui avait chassé tout chagrin de mon côté avec la magie incomparable de son amour…
D’autres quartiers ont flétri ses rêves…
D’autres yeux et d’autres bouches m’ont trompé, ils m’ont volé le trésor des illusions, ma vie, enchaîné, c’est la douleur…

Barrio Patricio de Juan Pecci

Barrio Patricio 1934 – Orchestre Argentin Eduardo Bianco (Juan Pecci).

Honnêtement, je ne suis pas certain que ce tango ait pour thème le même quartier, en l’absence de paroles. Cependant, Juan Pecci est né dans le Sud du quartier San Cristobal à deux cuadras du quartier de Parque Patricios, l’attribution est donc probable. Pecci était violoniste de Bianco avec qui il avait fait une tournée en Europe.

Barrio porteño (Parque Patricios) de Ernesto Natividad de la Cruz et Héctor Romualdo Demattei)

Barrio porteño (Parque Patricios) 1942-08-07 – Osvaldo Fresedo Y Oscar Serpa
(Ernesto Natividad de la Cruz Letra: Héctor Romualdo Demattei).

Fresedo est plutôt de la Paternal, un quartier situé bien plus au Nord, mais il enregistre également ce tango sur Parque Patricios.
Après le départ de Ricardo Ruiz, l’orchestre de Fresedo semble avoir cherché sa voie et sa voix. Je ne suis pas sûr qu’Oscar Serpa soit le meilleur choix pour le tango de danse, mais l’assemblage n’est pas mauvais si on tient en compte que l’orchestration de Fresedo est également renouvelée et sans doute bien moins propice à la danse que ses prestations de la décennie précédente. Il a voulu innover, mais cela lui a sans doute fait perdre un peu de son âme et la décennie suivante et accélèrera cet éloignement du tango de danse. Fresedo avait la réputation d’être un peu élitiste, disons qu’il s’est adapté à un public plus « raffiné », mais moins versé sur le collé-serré des milongueros.

Paroles de la version de Ernesto Natividad de la Cruz et Héctor Romualdo Demattei

Perdoná barrio porteño
Que al correr tu vista tanto,
Voy vencido por la vida
Y en angustias sé soñar.
Vuelvo atrás y tú en mis sienes
Marcarás las asechanzas,
De esta noche tormentosa
De mi loco caminar.

Han pasado muchos años
Y es amargura infinita,
La que traigo dentro del pecho
Desangrado el corazón.
Apagada para siempre
De su cielo, mi estrellita,
El regreso es un sollozo
Y una profunda emoción.

Mi acento ya no tiene
Tus tauras expresiones,
Con que cantaba al barrio
En horas del ayer.
Por eso mi guitarra
Silencia su armonía,
En esta noche ingrata
De mi triste volver.

Ernesto Natividad de la Cruz Letra: Héctor Romualdo Dematte

Traduction libre de la version de Ernesto Natividad de la Cruz et Héctor Romualdo Demattei

Pardonne-moi quartier portègne (de Buenos Aires) de courir autant à ta vue, je vais vaincu par la vie et dans l’angoisse je sais rêver.
Je reviens et toi, dans mes tempes, tu marqueras les pièges, de cette nuit d’orage, de ma folle marche.
De nombreuses années ont passé et c’est une amertume infinie, celle que je porte dans ma poitrine saignant mon cœur.
Éteinte à jamais de son ciel, ma petite étoile, le retour est un sanglot et une émotion profonde.
Mon accent n’a plus tes expressions bravaches, avec lesquelles je chantais au quartier aux heures d’hier.
C’est pourquoi ma guitare fait taire son harmonie, en cette nuit ingrate de mon triste retour.

Parque Patricios de Antonio Radicci et Francisco Laino (Milonga)

Cette géniale milonga est une star des bals. Deux versions se partagent la vedette, celle de Canaro avec Famá et celle, contemporaine de l’autre Francisco, Lomuto avec Díaz. Pour ma part, je n’arrive pas à les départager, les deux portent parfaitement l’improvisation en milonga, comportent des cuivres pour une sonorité originale et si on n’est sans doute un peu plus accoutumés à la voix de Famá, celle de Díaz ne démérite pas.

Parque Patricios 1940-10-03 – Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá (Antonio Radicci y Francisco Laino, Música y letra).
Parque Patricios 1941-06-27 – Orquesta Francisco Lomuto con Fernando Díaz (Antonio Radicci y Francisco Laino, Música y letra)

Paroles de la version en milonga de Antonio Radicci et Francisco Laino

Mi viejo Parque Patricios
querido rincón porteño,
barriada de mis ensueños
refugio de mi niñez.
El progreso te ha cambiado
con su rara arquitectura,
llevándose la hermosura
de tu bondad y sencillez.
Cuántas noches de alegría
al son de una serenata,
en tus casitas de lata
se vio encender el farol.
Y al sonar de las vigüelas
el taita de ronco acento,
hilvanaba su lamento
sintiéndose payador (trovador en la versión de Famá).

Antonio Radicci Letra: Francisco Laino

Traduction libre de la version de Antonio Radicci et Francisco Laino

Mon vieux Parque Patricios, cher recoin de Buenos Aires, quartier de mes rêves, refuge de mon enfance.
Le progrès t’a changé avec son architecture étrange, t’enlevant la beauté de la bonté et de ta simplicité.
Combien de nuits de joie au son d’une sérénade, dans tes petites maisons de tôle se voyait allumer la lanterne.
Et au son des vigüelas [sortes de guitares] le taita [caïd] avec un accent rauque, tissait sa complainte en se sentant payador.

Viejo Parque Patricios de Santos Bazilotti et Antonio Macchia

Viejo Parque Patricios 1952 – Orquesta Puglia-Pedroza (Santos Bazilotti Letra: Antonio Macchia).

Une version plutôt jolie, mais qui ne devrait pas satisfaire les danseurs. Contentons-nous de l’écouter. On pourra s’intéresser à la jolie prestation au bandoneón de Edgardo Pedroza.

Viejo Parque Patricios 1955-04-15 – Gerónimo Bongioni y su Auténtico Cuarteto « Los Ases » (Santos Bazilotti Letra: Antonio Macchia)

La version proposée par Bongioni est bien différente de celle de Pugli et Pedroza. On y retrouvera une inspiration de Firpo et des Uruguayens comme Racciatti et Villasboas). Même si c’est très joueur, à la limite de la milonga, le résultat est sans doute assez difficile à danser par la plupart des danseurs.

Paroles de la version de Santos Bazilotti et Antonio Macchia

Bien que les deux enregistrements soient instrumentaux, il y a des paroles qui ne semblent cependant pas avoir été gravées. Les voici tout de même.

Por los corrales de ayer
Mis años yo pasé,
Barrio florido
Yo fui el primero
Que te canté.
En Alcorta y Labardén,
Caseros y Arena,
Bordé mi nido de amor.
Y en una cuadrera
Supe ser buen ganador,
El Pibe, El Chueco y El Inglés
Por una mujer,
Se trenzaron en más de una vez
Con este cantor.

Porteño soy
De las tres esquinas,
Pinta cantora
Para un querer.
Nací en el Parque Patricios
Sobre los viejos corrales de ayer.
Porteño soy
De las tres esquinas,
Y en mi juventud florida
El lecherito del arrabal,
Y como también
Un bailarín sin rival.
Santos Bazilotti Letra: Antonio Macchia

Traduction libre de la version de Santos Bazilotti et Antonio Macchia

À travers les corrales d’hier. Mes années j’ai passé. Quartier fleuri, j’ai été le premier qui t’a chanté.
À Alcorta et Labardén, Caseros et Arena, j’ai brodé mon nid d’amour.
Et dans une course de chevaux (peut-être aussi écurie), j’ai su être un bon gagnant. El Pibe, El Chueco et El Inglés, pour une femme, ils se sont crêpés plus d’une fois avec ce chanteur (l’auteur du texte).
Je suis Porteño, des Tres Esquinas, L’allure chantante pour un amour.
Je suis né à Parque Patricios sur les anciens corrales d’hier.
Porteño je suis, des Tres esquinas, et, dans ma jeunesse fleurie, le petit laitier des faubourgs, et aussi bien, un danseur sans rival.

Parque Patricios de Mateo Villalba et Maura Sebastián

Et pour terminer avec les versions, Parque Patricio 2008 (Valse) par le Cuarteto de MateoVillalba avec la voix de Maura Sebastián. C’est une composition de Martina Iñíguez et de Mateo Villalba. C’est une version légère, doucement valsée et chantée avec des paroles différentes.

Parque Patricio 2008 (Valse) par le Cuarteto de MateoVillalba avec la voix de Maura Sebastián


El Parque de los Patricios

Ce quartier porte le nom d’un parc créé en 1902 par un paysagiste français, Charles Thays.
Né à Paris en 1849, cet architecte, naturaliste, paysagiste, urbaniste, écrivain et journaliste français a déroulé l’essentiel de sa carrière en Argentine, notamment en dessinant et aménageant la plupart des espaces verts de Buenos Aires, mais aussi d’autres lieux d’Amérique du Sud. Il fut à l’origine du second parc naturel argentin, celui d’Iguazú, et il participa également à l’amélioration de la culture industrielle de yerba mate (germination), cet arbuste qui fait que l’Uruguay et l’Argentine ne seraient pas pareils sans lui.

Le Parque Patricios tel qu’il a été créé à l’origine. Dessin de 1902.

Mais avant le parc, cette zone avait une tout autre destination. Nous en avons parlé à diverses reprises. C’étaient les abattoirs et la décharge d’ordures.
Beaucoup y voient le berceau du tango, voire de Buenos Aires. En fait, tout le territoire actuel de la « Comuna 4 » constitue le Sud (Sur), zone particulièrement propice à la nostalgie et notamment chez D’Agostino et Vargas, qui ont produit plusieurs titres évoquant les quartiers de cette commune.
Le nom de Parque Patricios ou Parque de los Patricios a été donné au parc par l’Intendant Bulrich en l’honneur des Patricios, ce prestigieux bataillon de l’armée argentine.

Les Patricios continuent aujourd’hui à animer la vie argentine, même si leur dernier engagement a été pour les Malouines. À droite, l’uniforme au début du régiment (1806-1807). À l’extrême droite, un officier.
La commune 4 de Buenos Aires, correspond sensiblement au Sur « mythique » avec les quartiers très populaires de Parque Patricios, Nueva Pompeya, Barracas et La Boca. On pourrait rajouter la zone inférieure de Boedo qui appartient à la commune 5, cette zone chère à Homero Manzi.

Cette zone a été chantée dans de nombreux tangos dont nous avons déjà parlé comme :
Del barrio de las latas
Mano blanca
Tres Esquinas
El cuarteador de Barracas
En lo de Laura
Sur
La tablada

Voici à quoi ressemblait le quartier de Parque Patricios au début du 20e siècle. On comprend son surnom de barrio de las latas évoqué dans le tango dont nous avons déjà parlé.

Mais outre cet habitat particulièrement pauvre, la zone était également une immense décharge à ciel ouvert, où, toute la journée, on brûlait les détritus de Buenos Aires.
Les ordures étaient transportées avec un petit train à voie métrique « El tren de la basura », le train des ordures.

Un mural reproduisant le parcours du train des ordures rue Oruro 1400.
El tren de la basura.

L’autre spécialité de la zone était les abattoirs, Los Corrales, qui à la suite de la construction de nouveaux abattoirs à Abasto, sont devenus Los Corrales Viejos…

Corrales viejos matadero. Voir l’anecdote sur La tablada pour en savoir plus.

À bientôt les amis !

Deux détails du mural du train des ordures de la rue Oruro. On remarquera que de véritables « détritus » ont été utilisés, mais avec une intention artistique évidente.

Me vuelves loco (You’re driving me crazy) 1931-11-02 (Fox-Trot) – Orquesta Adolfo Carabelli con Alberto Gómez (Nico)

Walter Donaldson Letra: Francisco Antonio Lío

En Europe, il y a une étonnante coutume qui consiste à danser la milonga sur n’importe quel rythme ; Chamame, polka et même fox-trot. Il est probable que cette coutume vient d’une méconnaissance par certains DJ de la variété des orchestres de tango qui pour beaucoup ont enregistrée, outre des tangos (valses et milongas), des titres de Jazz (par exemple des fox-trot). De toute bonne foi, ils ont proposé ces airs, pensant qu’il s’agissait de milongas. Comme les danseurs n’étaient pas très familiers avec le rythme de la milonga, ils ont rebondi sur la proposition et, désormais, c’est devenu une habitude bien ancrée que de danser ces danses dans un simulacre de milonga.
Cela dit, le fox-trot est une superbe musique, ludique et joyeuse, et il serait dommage de s’en passer. Alors, même si vous la dansez en « milonga », le principal est de se faire plaisir.
Le plus connu des fox-trots utilisés comme milonga est sans doute La colegiala de Rodriguez, notamment la version du 23 mars 1938. Notre fox-trot du jour est moins connu, mais assez sympathique, comme vous allez pouvoir en juger. Je ne dis pas qu’il fera une milonga formidable, mais assurément un excellent fox-trot…

Extrait musical

Me vuelves loco (You’re driving me crazy) 1931-11-02 (Fox-Trot) – Orquesta Adolfo Carabelli con Alberto Gómez (Nico).
Partition de Me vuelves loco des éditions Julio Korn à gauche et de You’re driving me crazy (What did I do?) à droite des éditions Francis Day & Hunter.

Paroles

Pour une fois, je ne vais pas explorer les paroles, car chaque version est différente et je vais donc présenter seulement quelques extraits.
Pour commencer, le titre d’origine.

Paroles en anglais

You’re Driving Me Crazy (What Did I Do?)

You left me sad and lonely
Why did you leave me lonely
For here’s a heart that’s only
For nobody but you
I’m burning like a flame, dear
Oh, I’ll never be the same, dear
I’ll always place the blame, dear
On nobody but you
Yes, you, you’re driving me crazy
What did I do? What did I do?
My tears for you make everything hazy
Clouding the skies of blue
How true were the friends who were near me
To cheer me, believe me, they knew
But you were the kind who would hurt me
Desert me when I needed you
Yes, you, you’re driving me crazy
What did I do to you
Walter Donaldson

Traduction libre de la version originale en anglais

Tu m’as laissé triste et seul
Pourquoi m’as-tu laissé seul
Car voici un cœur qui n’est
Pour personne d’autre que vous
Je brûle comme une flamme, ma chère
Oh, je ne serai plus jamais le même, ma chère
Je mettrai toujours le blâme, ma chère
Sur personne d’autre que vous
Oui, toi, tu me rends fou
Qu’est-ce que j’ai fait ? Qu’est-ce que j’ai fait ?
Mes larmes pour toi rendent tout brumeux
Mettant des nuages dans le ciel bleu
Comme les amis qui étaient près de moi étaient sincères
Pour m’encourager, crois-moi, ils savaient
Mais tu étais du genre à me faire du mal
Tu m’abandonnas quand j’avais besoin de toi
Oui, toi, tu me rends fou
Qu’est-ce que je t’ai fait ?

Quelques extraits des différentes versions en espagnol

Les paroles de Francisco Antonio Lío ont été, comme toujours, utilisées en partie par les orchestres. N’ayant pas trouvé de version imprimée, je vous propose des bribes extraites des différentes versions.

Me vuelves loco nena, con tus caprichos vanos.
Tienes que ser más buena para mi corazón. […]
Bien sabes que te quiero y en cambio tú, querida _ me das dolor. Todo mi afán, es amarte con loco _ con fe y devoción. […]
Loco de tanto adorarte nena, ya estoy por ti. […]
Por ti estoy trastornado y no hay razón para sufrir
Por tu desdén tantas desventuras hay dime que si mi amor el cariño que yo te profeso es dicha y pasión
Mi afán es amarte con loco embeleso y devoción
Loco de tanto adorarte nena ya estoy por ti.

Walter Donaldson Letra: Francisco Antonio Lío

Traduction libre des extraits en espagnol

Tu me rends fou, bébé, avec tes vains caprices.
Tu devrais être plus gentille avec mon cœur.
Tu sais bien que je t’aime et en revanche, toi, chère °°°°°°°°, tu me donnes de la peine.
Tout mon empressement est de t’aimer avec une folle °°°°°°°°, avec foi et dévotion.
Fou de t’adorer autant bébé, je le suis déjà pour toi.
Pour toi je suis dérangé et il n’y a pas de raison de souffrir.
Par ton dédain il y a tant de malheurs dis-moi que si mon amour, l’affection que je professe pour toi est joie et passion.
Mon empressement est de t’aimer avec un fou ravissement et de la dévotion.
Fou de tant t’adorer bébé, je le suis déjà pour toi.

°°°°°°°° indique des mots que je n’ai pas identifiés.

Autres versions

En 1930 Walter Donaldson compose et écrit les paroles de You’re driving me crazy qui sera dansé et interprété par Fred et Adèle Astaire dans la comédie musicale « Smiles ».
Le titre est un succès et est repris par différents artistes. D’abord en anglais, puis, dans d’autres pays, comme l’Argentine. Voici quelques-unes des très nombreuses versions de ce fox-trot qui est connu sous différents noms, traduction plus ou moins approximative de You’re driving me crazy.

Fred et Adele (sa sœur aînée) Astaire dans « Smiles » Photo de Hal Phyfe (1930). C’est en effet dans cette comédie musicale de Florenz Ziegfeld Jr. que le titre est devenu célèbre.
You’re driving me crazy 1930 – The New York Twelve.
You’re driving me crazy (What did I do) 1930 – Lee Morse.

What did I do qui est répété trois fois dans la version anglaise est devenu le sous-titre de l’œuvre.

You’re driving me crazy! 1930-12-23 – Louis Armstrong and His Sebastian New Cotton Club Orchestra avec Les Hite’s Orchestra.

L’enregistrement a été réalisé à Los Angeles le 23 décembre 1930 en réunissant l’orchestre de Louis Armstrong et celui de Les Hite. Jugez de la qualité des musiciens qui composent ce grand orchestre de jazz.
Banjo : Bill Perkins
Basse : Joe Bailey
Percussion : Lionel Hampton
Guitare : Bill Perkins
Piano : Jimmie Prince
Direction de l’orchestre et saxophone alto et baryton : Les Hite
Saxophone alto : Marvin Johnson
Saxophone Tenor: Charlie Jones
Trombone : Luther « Sonny » Craven
Trompette : George Orendorf
Trompette : Harold Scott
Trompette et chant : Louis Armstrong

You’re driving me crazy de Luis Armstrong enregistré à Los Angeles, 23 Décembre 1930. Édition anglaise chez Parlophone.

En 1931, le titre qui est un succès en Argentine, est enregistré par différents orchestres, avec des paroles de Francisco Antonio Lío.

Me vuelves loco (You’re driving me crazy) 1931-11-02 – Orquesta Adolfo Carabelli con Alberto Gómez (Nico). C’est notre Foxtrot du jour.
Me estas enloqueciendo 1931-11-17 – Osvaldo Fresedo con Carlos Viván.
Me vuelves loco (You’re driving me crazy) 1931-11-21 – Orquesta Francisco Canaro con Charlo.
Me vuelves loco 1931-11-21 – Orquesta Francisco Canaro con Charlo (qui n’est pas mentionné sur le disque…)
Me estás enloqueciendo 1932 – Sexteto Carlos Di Sarli con Mercedes Carné.

Même Di Sarli a enregistré des fox-trots…

Me vuelves loco – Francisco Canaro et Aldo Maietti.

Aldo Maietti est le représentant du tango italien. Il est venu à Buenos Aires et il était ami avec Canaro. Cet enregistrement de 1932 les réunit pour une version instrumentale.

Aldo Maietti surnommé El rey del tango italiano a composé plusieurs centaines de tangos qui ont été interprétés, par exemple, par l’orchestre de Orchestre Piero Trombetta. Parmi ses compositions, on peut citer, Alma porteña (à ne pas confondre avec le tango de même nom composé par Vicente Greco avec des paroles de Julián Porteño et encore moins avec la milonga de Antonio Polito avec des paroles de Francisco Laino, Amico tango, Canaria, Lagrimas perdidas et Tristeza en la pampa.

Parmi ses compositions, on peut citer, Alma porteña (à ne pas confondre avec le tango de même nom composé par Vicente Greco avec des paroles de Julián Porteño et encore moins avec la milonga de Antonio Polito avec des paroles de Francisco Laino, Amico tango, Canaria, Lagrimas perdidas et Tristeza en la pampa.

Le jazz

En Argentine, le jazz a rencontré également du succès, même si l’explosion du tango l’a estompé.
Dans les bals, il y avait souvent deux orchestres. Un pour le tango et un pour le jazz. Certains chefs d’orchestre ont décidé de se lancer dans les domaines, comme Carabelli, Canaro, Fresedo, Rodriguez et bien d’autres.

El Mundo du dimanche 1er octobre de 1944. On voit que, pour presque tous les événements, en plus de l’orchestre de tango (entouré), il y a le nom d’un second orchestre, un orchestre de jazz.

Les années folles ont donné naissance au jazz et au tango, genres qui trouveront leur plein développement dans les années 30-40.
Le fox-trot est une danse de couple. Contrairement au tango, il y a peu d’improvisation et les déplacements sont codifiés. Cela pourrait rendre la danse un peu monotone, mais la musique est si entraînante et joueuse que l’on ne s’ennuie pas en le dansant.
Voici un exemple, un peu atypique, mais d’époque. Il s’agit d’un extrait du court-métrage suédois Tango-Foxtrot de 1930. On y voit deux danseurs, Brita Appelgren et Mister Alberto le danser avec la musique de Helge Lindberg et son orchestre (Helge Lindberg’s Polyfonorkester). Le chanteur est Steinar Jøraandstad.
C’est un des nombreux témoignages de l’universalité des musiques, en Amérique et Europe.

Extrait du court-métrage suédois Tango-Foxtrot de 1930. On y voit deux danseurs, Brita Appelgren et Mister Alberto, le danser avec la musique de Helge Lindberg et son orchestre (Helge Lindberg’s Polyfonorkester). Le chanteur est Steinar Jøraandstad.

La prochaine fois que vous entendrez un fox-trot dans un bal, peut-être aurez-vous envie de le danser en fox-trot…
À bientôt, les amis.

Les fioritures : une approche de leur compréhension

Par la professeure Olga Besio (Buenos Aires n/a – Buenos Aires, 2024-10-30)

Biographie d’Olga Besio sur Todo Tango

Olga Besio, était professeure, danseuse, chorégraphe et directrice de troupe de danse. Elle nous a quitté le 30 octobre 2024, mais son enseignement laissera des traces, comme on peut en juger par cet article essentiel sur les fioritures.
Je pense que mes stagiaires des cours de musicalité retrouveront des repères…

Texte original d’Olga Besio

“Para hablar de adorno –y como sustento de todo lo que pueda venir después- debemos, en primer lugar, hurgar en los orígenes de la esencia y existencia del tango y de la danza.
Es necesario dejar bien claro que la palabra “danza” no tiene solamente una acepción que connota técnica. Muy por el contrario, su sentido más amplio y general refiere a toda forma de danza (en sentido particular) y de baile. Y alude a lo más natural, primitivo, remoto, visceral y hasta animal del ser humano. Y en este sentido es muy anterior, tanto histórica, cronológica, como ontológicamente, a toda concepción técnica.
Si entendemos la danza como un hecho profundamente natural, que nace con el ser humano –y hablamos así de la danza popular, de la cual el tango bailado es quizás nuestro ejemplo más intrínseco-, inmediatamente queda descartado todo lo superfluo.
Entonces, ¿qué es el tango? Lo que ya todos sabemos: un baile de a dos, una profunda comunicación con el otro, y con la música, y.., y.… y “descubrimos” así la idea de diálogo. El diálogo de la pareja de baile, el diálogo con la música, el diálogo de los pies entre sí y con el piso dibujando los famosos “ochos” y mil cosas más – y, si cuadra, el diálogo de los pies y las piernas con el aire, dibujando con precisión boleos de formas claramente definidas, creadas y recreadas cada vez.
Pero ¿en qué consiste el “adorno”, también llamado a veces –posteriormente- “embellecimiento”, “expresividad”…? El adorno consiste, precisamente, en expresar la esencia del tango. De nada sirve hacer adornos mediante procedimientos meramente técnicos, si no se comprende realmente “de qué se trata”. Las piernas de la bailarina (y ATENCIÓN: también las del bailarín) equivalen a una pareja de tango. Se abrazan, se juntan, dialogan, se acarician… técnicamente, esto se logra a partir de un juego de rotaciones de las articulaciones. Pero este juego de rotaciones no debe tomarse como algo fríamente técnico, sino como algo absolutamente natural y lógico, tan natural y tan lógico como cualquier lenguaje. Las piernas “expresan”, “son expresivas”, cuando tienen un lenguaje; no cuando meramente se mueven.
Así, acabamos de derribar varios mitos.

  • Uno, es el de que los adornos son “movimientos que hay que aprender” o “copiar”. De ninguna manera. El aprendizaje técnico es importantísimo, pero no basta. Hay maravillosos bailarines y bailarinas que hacen del adorno una verdadera emoción, pero también vemos, lamentablemente, la mera repetición de movimientos o copias de tal o cual bailarín/a, sin haber entendido realmente su esencia; en estos casos, generalmente el bailarín o bailarina “original” es excelente, y las copias resultan intrascendentes, y a veces hasta desagradables e incluso grotescas.
  • Otro, el de que el adorno es “cuestión de mujeres”. De ninguna manera. Adorno es todo lo que hacen el hombre y/o la mujer sin interferir en la marcación, ni en el paso, figura, secuencia, etc., incluyéndolo con exactitud en la música y sin producir ningún tipo de vibración ni tironeo. Para esto, es absolutamente necesario saber llevar y seguir, y tener muy buen oído musical. (siempre les digo a mis alumnos/as que el compañero/a tiene que enterarse de que su pareja hace adornos, cuando los ve en un video. Esto le pasó a un famoso bailarín, que un día se vio filmado y descubrió lo que hacía su compañera y por qué había tan buenos comentarios acerca de ella).
  • Otro: el de que “para que la mujer adorne, el hombre le tiene que dar tiempo”. Esto vale cuando se trata de una coreografía, que se puede elaborar de común acuerdo o en forma unilateral, o bien por un tercero. Pero en el tango improvisado, está en la inteligencia, en la habilidad, en la “tangueridad” de la mujer, el saber decidir si corresponde, y en caso afirmativo cuándo, cómo y qué adorno o tipo de adorno es el más adecuado según las circunstancias. Por supuesto, si la bailarina tiene poca experiencia no es aconsejable que lo intente en la milonga; para eso están las clases y las prácticas.
  • Uno más: hablando de oído y musicalidad, algunos bailarines/as (o aprendices) consideran que es suficiente “escuchar el ritmo”. Otros, más avanzados o exquisitos, hablan de “bailar la frase”. Hay que aclarar que esto no basta; es necesario comprender también la melodía y la peculiar expresividad de cada pieza musical, de cada arreglo, de cada versión… Y en este sentido, la musicalidad que necesitan el bailarín y la bailarina va mucho más allá del reconocimiento del “ritmo”, el “compás”, el “tiempo fuerte”, el “débil”, el “contratiempo” y todas esas cosas de las que habitualmente se habla (a veces incluso mezclándolas o confundiéndolas). La musicalidad que aquí se requiere es un verdadero lenguaje que pueda traducir, sobre inventar y volver a crear una y mil veces el sentimiento, la estructura compositiva, la esencia de esta obra en particular que este hombre y esta mujer tienen la dicha de poder bailar aquí y ahora.
    Por último, es necesario mencionar que el adorno no se limita al movimiento, y tampoco se limita a los pies y/o a las piernas –si bien éstos son quizás lo más visible-, sino que es de todo el cuerpo, es una actitud, una quietud, un cerrar los ojos, una pausa, una sucesión de cambios de velocidad y mil cosas más que pueden y muchas veces necesitan trabajarse técnicamente, metodológicamente, pero que en definitiva muestran el amor y la pasión de bailar el tango como cada una, cada uno y cada pareja es capaz de sentirlo.

Olga Besio

Traduction libre du texte d’Olga Besio

« Pour parler d’ornement, de fioriture – et comme matière pour tout ce qui peut venir ensuite – nous devons, en premier lieu, nous plonger dans les origines de l’essence et de l’existence du tango et de la danse.
Il est nécessaire de préciser que le mot « danse » n’a pas seulement un sens qui connote de la technique. Bien au contraire, son sens le plus large et le plus général se réfère à toutes les formes d’expression corporelle (dans un sens particulier) et de danse. Et il fait référence aux aspects les plus naturels, primitifs, lointains, viscéraux et même animaux de l’être humain. Et en ce sens, il est beaucoup plus ancien, à la fois historiquement, chronologiquement et ontologiquement, à toute conception technique.
Si nous comprenons la danse comme un fait profondément naturel, qui naît avec l’être humain – et nous parlons de la danse populaire, dont le tango dansé est peut-être notre exemple le plus intrinsèque – tout ce qui est superflu est immédiatement écarté.
Alors, qu’est-ce que le tango ? Ce que nous savons tous déjà : une danse en couple, une communication profonde l’un avec l’autre, et avec la musique, et.., et…. Et c’est ainsi que nous avons « découvert » l’idée de dialogue. Le dialogue du couple de danseurs, le dialogue avec la musique, le dialogue des pieds entre eux et avec le sol en dessinant les fameux « huit » et mille autres choses – et, si cela convient, le dialogue des pieds et des jambes avec l’air, dessinant avec précision des boléos de formes clairement définies, créées et recréées à chaque fois.
Mais en quoi consiste « l’ornement » (adorno), aussi parfois appelé – plus tard – « embellissement », « expressivité »… ? L’ornement consiste, précisément, à exprimer l’essence du tango. Il ne sert à rien de faire des fioritures par des procédés purement techniques, si l’on ne comprend pas vraiment « de quoi il s’agit ». Les jambes de la danseuse (et ATTENTION : également celles du danseur) sont équivalentes à un couple de tango. Elles s’étreignent, se retrouvent, dialoguent, se caressent… Techniquement, cela est réalisé à partir d’un jeu de rotations des articulations. Mais ce jeu de rotations ne doit pas être pris comme quelque chose de froidement technique, mais comme quelque chose d’absolument naturel et logique, aussi naturel et aussi logique que n’importe quelle langue. Les jambes « expriment », « sont expressives », quand elles ont un langage ; pas quand elles se contentent de bouger.
Ainsi, nous venons de déboulonner plusieurs mythes :

  • L’un d’entre eux est que les embellissements sont des « mouvements à apprendre » ou à « copier ». En aucune façon. L’apprentissage technique est très important, mais ce n’est pas suffisant. Il y a de merveilleux danseurs et danseuses qui font de l’ornement une véritable émotion, mais on voit aussi, malheureusement, la simple répétition de mouvements ou de copies de tel/telle ou tel/telle danseur/danseuse, sans en avoir vraiment compris l’essence ; dans ces cas-là, le danseur ou la danseuse « original(e) » est généralement excellent(e), et les copies sont inconséquentes, et parfois même désagréables, voire grotesques.
  • Un autre que l’embellissement est « une affaire de femmes ». En aucune façon. La fioriture est tout ce que l’homme et/ou la femme font sans interférer ni avec le guidage ni le pas, figure, séquence, etc., en l’incluant avec précision dans la musique et sans produire aucun type de vibration ou de traction. Pour cela, il faut absolument savoir proposer et suivre, et avoir une très bonne oreille musicale. (Je dis toujours à mes élèves que le danseur/danseuse doit découvrir que sa/son partenaire fait des fioritures, quand il les voit dans une vidéo. C’est ce qui est arrivé à un danseur célèbre qui, un jour, s’est vu filmé et a découvert ce que faisait sa compagne et pourquoi il y avait tant de bons commentaires à son sujet).
  • Un autre : que « pour que la femme s’exprime dans la fioriture, l’homme doit lui donner du temps ». C’est vrai lorsqu’il s’agit d’une chorégraphie, qui peut être élaborée d’un commun accord ou unilatéralement, ou avec un tiers. Mais dans le tango improvisé, c’est dans l’intelligence, dans l’habileté, dans la « tanguerité » (ndt : l’attitude tanguera) de la femme, de savoir décider si c’est approprié, et, si oui, quand, comment et quelle fioriture ou type de fioriture est le plus approprié selon les circonstances. Bien sûr, si la danseuse a peu d’expérience, il ne lui est pas conseillé de s’essayer dans la milonga ; pour cela, il y a les cours et les pratiques.
  • Encore un : en parlant d’écoute et de musicalité, certains danseurs/danseuses (ou apprentis) considèrent qu’il suffit d’« écouter le rythme ». D’autres, plus avancés ou mûrs, parlent de « danser la phrase ». Il convient de préciser que cela ne suffit pas ; Il faut aussi comprendre la mélodie et l’expressivité particulière de chaque morceau de musique, de chaque arrangement, de chaque version… Et en ce sens, la musicalité dont le danseur a besoin va bien au-delà de la reconnaissance du « rythme », du « tempo », du « temps fort », du « faible », du « contretemps » et de toutes ces choses dont on parle habituellement (parfois même en les mélangeant ou en les confondant). La musicalité qui est requise ici est un véritable langage qui peut traduire, inventer et recréer mille fois le sentiment, la structure de la composition, l’essence de cette œuvre en particulier que cet homme et cette femme ont la joie de pouvoir danser ici et maintenant.
    Pour terminer, il faut mentionner que la fioriture ne se limite pas au mouvement, ni aux pieds et/ou aux jambes – bien que ceux-ci soient peut-être les plus visibles – mais qu’elle concerne tout le corps, c’est une attitude, une tranquillité, une fermeture des yeux, une pause, une succession de changements de vitesse et mille autres choses qui peuvent et doivent souvent être travaillées techniquement, méthodiquement, mais qui montrent en définitive l’amour et la passion de danser le tango tel que chacune, chacun et chaque couple est capable de le ressentir.
Olga Besio, d’après une photo de https://demilongas.com.

Shusheta (El aristócrata) 1940-10-08 – Orquesta Carlos Di Sarli

Juan Carlos Cobián Letra: Enrique Cadícamo

Shusheta ou sa variante shushetín désigne un dandy, un jeune homme élégant, avec une nuance qui peut aussi qualifier un mouchard. Les Dictateurs de la Décennie infâme ne s’y sont pas trompés et l’histoire des paroles en témoigne. Ce portrait de ce shusheta, peint crûment par Cadícamo sur la musique de Cobián n’est pas si flatteur.

Extrait musical

Shusheta (El aristócrata) 1940-10-08 – Orquesta Carlos Di Sarli
Partition de Shusheta « Gran tango de salón para piano ».

Paroles usuelles (1938)

Le tango a été écrit en 1920 et était donc instrumental, jusqu’à ce que Cadícamo accède à la demande de son ami de lui écrire des paroles pour ce titre. Il le fit en 1934, mais la version habituelle est celle déposée à la SADAIC en 1938.

Toda la calle Florida lo vio
con sus polainas, galera y bastón…

Dicen que fue, allá por su juventud,
un gran Don Juan del Buenos Aires de ayer.
Engalanó la puerta (las fiestas) del Jockey Club
y en el ojal siempre llevaba un clavel.

Toda la calle Florida lo vio
con sus polainas, chambergo (galera) y bastón.

Apellido distinguido,
gran señor en las reuniones,
por las damas suspiraba
y conquistaba
sus corazones.
Y en las tardes de Palermo
en su coche se paseaba
y en procura de un encuentro
iba el porteño
conquistador.

Ah, tiempos del Petit Salón…
Cuánta locura juvenil…
Ah, tiempo de la
sección Champán Tango
del « Armenonville ».

Todo pasó como un fugaz
instante lleno de emoción…
Hoy sólo quedan
recuerdos de tu corazón…

Toda la calle Florida lo vio
con sus polainas, galera y bastón.
Juan Carlos Cobián Letra: Enrique Cadícamo

Vargas ne chante pas ce qui est en bleu. Cette partie des paroles est peut-être un peu plus faible et de toute façon, cela aurait été trop long pour un tango de danse.
En gras les mots chantés par Vargas à la place de ceux de Cadícamo.

Traduction libre des paroles usuelles et indications

Toute la rue Florida l’a vu avec ses guêtres, son chapeau et sa canne… (Polainas, c’est aussi contrariété, revers, déception, Galera, c’est aussi la prison ou la boîte à gâteau des fils de bonne famille. On peut donc avoir deux lectures des paroles, ce que confirme la version, originale, plus noire. Précisons toutefois que la partition déposée à la SADAIC indique chambergo, chapeau. Ce serait donc Vargas qui aurait adapté les paroles).
On dit qu’il était, dans sa jeunesse, un grand Don Juan du Buenos Aires d’antan.
Il décorait la porte (Vargas chante les fêtes) du Jockey Club et portait toujours un œillet à la boutonnière.
Toute la rue Florida l’a vu avec ses guêtres, son chapeau et sa canne.
Un nom de famille distingué, un grand seigneur dans les réunions, il soupirait pour les dames et conquérait leurs cœurs.
Et les après-midi de Palermo, il se promenait dans sa voiture à la recherche d’un rendez-vous, ainsi allait le porteño conquérant.
Ah, l’époque du Petit Salón… (Deux tangos s’appellent Petit Salón, dont un de Villodo [mort en 1919]. L’autre est de Vicente Demarco né en 1912 et qui n’a sans doute pas connu le Petit Salón).

Combien de folie juvénile…
Ah, c’est l’heure du Tango Champagne de l’Armenonville.
Tout s’est passé comme un instant fugace et plein d’émotion…
Aujourd’hui, il ne reste que des souvenirs de ton cœur…
Toute la rue Florida l’a vu avec ses guêtres, son chapeau et sa canne

Premières paroles (1934)

Ces paroles n’ont semble-t-il jamais été éditées. Selon Juan Ángel Russo, Cadícamo les aurait écrites en 1934.
Cette version n’a été enregistrée que par Osvaldo Ribó accompagné à la guitare par Hugo Rivas.
On notera qu’elles mentionnent shusheta, ce que ne fait pas la version de 1938 :

Pobre shusheta, tu triunfo de ayer
hoy es la causa de tu padecer…
Te has apagao como se apaga un candil
y de shacao sólo te queda el perfil,
hoy la vejez el armazón te ha aflojao
y parecés un bandoneón desinflao.
Pobre shusheta, tu triunfo de ayer
hoy es la causa de tu padecer.

Yo me acuerdo cuando entonces,
al influjo de tus guiyes,
te mimaban las minusas,
las más papusas
de Armenonville.
Con tu smoking reluciente
y tu pinta de alto rango,
eras rey bailando el tango
tenías patente de gigoló.

Madam Giorget te supo dar
su gran amor de gigolet,
la Ñata Inés te hizo soñar…
¡y te empeñó la vuaturé !
Y te acordás cuando a Renée
le regalaste un reló
y al otro día
la fulería
se paró.
Juan Carlos Cobián Letra: Enrique Cadícamo

Traduction libre de la première version de 1934

Pauvre shusheta (un shusheta est un jeune vêtu à la mode en lunfardo, voire un « petit maître »), ton triomphe d’hier est aujourd’hui la cause de tes souffrances…
Tu t’es éteint comme s’éteint une chandelle et de shacao (je n’ai pas trouvé la référence) il ne te reste que le profil, aujourd’hui la vieillesse t’a relâché le squelette et tu ressembles à un bandonéon dégonflé.
Pauvre shusheta, ton triomphe d’hier est aujourd’hui la cause de ta souffrance.
Je me souviens qu’alors, sous l’influence de tes guiyes (gilles, copains ?), tu étais choyé par les minusas (les filles), les plus papusas (poupées, filles) d’Armenonville.
Avec ton smoking brillant et ton look de haut rang, tu étais le roi en dansant le tango, tu tenais un brevet de gigolo.
Madame Giorget a su vous donner son grand amour de gigolette, Ñata Inés vous a fait rêver… (le salon de Ñata Inés était un établissement de Santiago, au Chili, apprécié par Pablo Neruda) et a mis ta décapotable (vuaturé est une voiture avec capote rabattable à deux portes. Prononciation à la française.) en gage !
Et tu te souviens quand tu as offert une montre à Renée (sans doute une Française…) et que le lendemain les choses se sont arrêtées.

Dans El misterio de la Ñata Inés, Luis Sánchez Latorre dans le journal chilien Las Últimas Noticias du 15 juillet 2006, s’interroge sur ce qu’était réellement la Ñata Inés. Sans doute un établissement mixte pouvant aller de la scène à la prostitution, comme les établissements de ce type en Argentine.

D’Agostino et la censure

Vous l’aurez compris, le terme Shusheta qui peut qualifier un « mouchard » a fait que le tango a été censuré et qu’il a dû changer de nom.
En effet, pour éviter la censure, D’Agostino a demandé à Cadícamo une version expurgée que je vous propose ci-dessous.
On notera toutefois que la version chantée en 1945 par Vargas prend les paroles habituelles, celles de 1938, mais débarrassée du titre polémique au profit du plus neutre El aristócrata. C’est la raison pour laquelle, les versions d’avant 1944 (la censure a commencé à s’exercer en 1943) s’appellent Shusheta et les postérieures El aristócrata. Aujourd’hui, on donne souvent les deux titres, ensemble ou indifféremment. On trouve aussi parfois El elegante.

Paroles de El aristócrata, version validée par la censure en 1944

Toda la calle Florida te vio
con tus polainas, galera y bastón.

Hoy quien te ve…
en falsa escuadra y chacao,
tomando sol con un nietito a tu lao.
Vos, que una vez rompiste un cabaré,
hoy, retirao… ni amor, ni guerra querés.

Toda la calle Florida te vio
con tus polainas, galera y bastón.

Te apodaban el shusheta
por lo bien que te vestías.
Peleador y calavera
a tu manera te divertías…
Y hecho un dandy, medio en copas,
en los altos del Casino
la patota te aclamaba
sí milongueabas un buen gotán.

Ah, tiempo del Petit Salón,
cuánta locura juvenil…
Ah, tiempo aquel de la Sección
Champán-Tango de Armenonvil.
Todo pasó como un fugaz
instante lleno de emoción.
Hoy solo quedan
recuerdos en tu corazón.

Toda la calle Florida te vio
con tus polainas, galera y bastón.

Traduction libre de la version de 1944

Toute la rue Florida t’a vu avec tes guêtres, ton chapeau et ta canne.
Aujourd’hui, qui te voit…
Avec une pochette factice et chacao (???), prenant le soleil avec un petit-fils à tes côtés.
Toi, qui as autrefois dévasté un cabaret, tu prends aujourd’hui ta retraite… Tu ne veux ni amour ni guerre.
Toute la rue Florida t’a vu avec tes guêtres, ton chapeau et ta canne.
On te surnommait le shusheta à cause de la façon dont tu t’habillais.
Bagarreur et crâneur, à ta manière, tu t’es amusé…
Et fait un dandy, les coupes à moitié bues, depuis les hauteurs (galeries) du Casino, la bande t’encouragerait si tu milonguéais un bon gotan (Tango en verlan).
Ah, cette époque du Petit Salon, que de folie juvénile…
Ah, cette époque de la section Champagne-Tango de l’Armenonville.
Tout est passé comme un instant fugace et plein d’émotion.
Aujourd’hui, il ne reste que des souvenirs dans ton cœur.
Toute la rue Florida t’a vu avec tes guêtres, ton chapeau et ta canne.

Autres versions

Shusheta 1923-03-27 – Orquesta Juan Carlos Cobián.

Le premier enregistrement, par le compositeur, Juan Carlos Cobián. C’est bien sûr une version instrumentale, puisque les paroles n’ont été écrites que onze ans plus tard.

Shusheta (El aristócrata) 1940-10-08 – Orquesta Carlos Di Sarli. C’est notre tango du jour.
El aristócrata (El Shusheta) 1945-04-05 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas.

Cette version, sans doute la plus connue, utilise les paroles non censurées de 1938. Le titre a été modifié pour éviter la censure. Il est vrai qu’en dehors de Shusheta qui pouvait irriter un censeur très suspicieux, le texte n’était pas si subversif. J’imagine que D’Agostino qui avait envie d’enregistrer le titre avec Vargas a demandé les paroles censurées, puis y a renoncé, peut-être en ayant acquis la certitude que la censure n’interdirait pas ce titre. Vargas a apporté de très légères modifications au texte, mais sans que cela soit pour des raisons de censure, ces modifications étant anodines.

Shusheta 1951-05-30 – Horacio Salgán y su Orquesta Típica.

Une version étonnante, pour l’auditeur, mais encore plus pour le danseur qui pourrait bien se venger d’un DJ qui la diffuserait en milonga. Je n’ai pas dit qu’il fallait jeter cet enregistrement, juste le réserver pour l’écoute.

El aristócrata (Shusheta) 1952 – Juan Polito y su Orquesta Típica.

L’ancien complice de D’Arienzo a ses débuts et de nouveau, quand il a remplacé Biaggi qui venait de se faire virer, propose une version nerveuse et ma foi sympathique de Shusheta. La rythmique pourrait déconcentrer des danseurs très habitués à d’autres versions, mais on peut s’amuser, lorsque l’on connaît un peu le titre avec les facéties de Polito au piano. On se souvient que quand il avait remplacé Biagi, il avait continué les fioritures de son prédécesseur. Là, ces ornementations sont bien personnelles et ne doivent rien à Biagi.

Shusheta (El aristócrata) 1957-08-30 – Ángel Vargas y su Orquesta dirigida por Edelmiro « Toto » D’Amario.

Vargas fait cavalier seul, sans D’Agostino. Je vous conseille de vous souvenir plutôt de la version de 1945.

Shusheta (El Elegante) 1970 – Osvaldo Pugliese con cuerdas arreglos de Mauricio Marcelli.

Une version destinée à l’écoute, au concert.

Shusheta 2019-08-28 ou 29 – Sexteto Cristal.

Je vous propose d’arrêter là, il existe bien d’autres versions, mais rien qui puisse faire oublier les merveilleuses versions de D’Agostino et Vargas et celle de Di Sarli.

Comme il faut 1951-09-26 – Orquesta Carlos Di Sarli

Eduardo Arolas Letra: Gabriel Clausi

« Comme il faut » , le titre de ce tango est en français et il signifie que l’on fait les choses bien, comme il faut qu’elles soient réalisées. Nous allons toutefois voir, que sous ce titre « anodin » se cache une tricherie, quelque chose qui n’est peut-être pas fait, « comme il faut ».

Je parle français comme il faut

Je pense que vous ne serez pas surpris de découvrir un titre en français, il y a en a plusieurs et les mots français sont couramment utilisés par les Argentins et fort fréquents dans le tango.

Deux raisons expliquent cette abondance.

La première, c’est le prestige de la France de l’époque.

La haute société argentine parlait couramment le français qui était la langue « chic » de l’époque. À ce sujet, il y a une quinzaine d’années, une amie me faisait visiter son club nautique. C’est le genre d’endroit dont on devient membre par cooptation ou héritage familial. J’ai été surpris d’y entendre parler français, sans accent, par une bonne partie et peut-être même la majorité des personnes que l’on croisait. Je m’en suis ouvert et mon amie m’a informé que les personnes de cette société avaient coutume de parler entre eux en français, cette langue étant toujours celle de l’élite.

La seconde, vous la connaissez.

Les orchestres de tango se sont donné rendez-vous en France au début du vingtième siècle. Il était donc naturel que s’expriment des nostalgies, des références pour montrer que l’on avait fait le voyage ou tout simplement que s’affichent les expressions à la mode.

Je peux vous conseiller un petit ouvrage sur la question, EL FRANCÉS EN EL TANGO: Recopilación de términos del idioma francés y de la cultura francesa utilizados en las letras de tango. Il a été écrit par Víctor A. Benítez Boned qui cite et explicite 78 mots de français qui se retrouvent dans le tango et 41 noms propres désignant des Français ou des lieux de France. On peut considérer qu’environ 200 tangos font directement référence à la France, aux Français (souvent aux Françaises) ou à la langue française. Víctor A. Benítez Boned en cite 177.

Lien vers le livre au format Kindle.

Extrait musical

Comme il faut 1951-09-26 – Orquesta Carlos Di Sarli.
Comme il faut de Eduardo Arolas avec la dédicace “A mis estimados y distinguidos amigos Francisco Wright Victorica, Vladislao A. Frías, Juan Carlos Parpaglione y Manuel Miranda Naón”.

Les dédicataires sont des étudiants en droit qui ont probablement cassé leur tire-lire pour être dédicataires :
Francisco Wright Victorica, étudiant de la Faculté de droit et de sciences sociales de Buenos Aires en 1917
Vladislao A. Frías ; étudiant de la Faculté de droit et de sciences sociales de Buenos Aires en 1917, puis juge au civil et membre de la cour d’appel au tribunal de commerce de Buenos Aires.
Juan Carlos Parpaglione, étudiant de la Faculté de droit et de sciences sociales de Buenos Aires en 1917.
Manuel Miranda Naón, étudiant de la Faculté de droit et de sciences sociales de Buenos Aires. En 1918, il a participé au mouvement de réforme de cette université.

Paroles

Luna, farol y canción,
dulce emoción del ayer
fue en París,
donde viví tu amor.
Tango, Champagne, corazón,
noche de amor
que no está,
en mi sueño vivirá…

Es como debe ser, con ilusión viví
las alegrías y las tristezas;
en esa noche fue que yo sentí por vos
una esperanza en mi corazón.
Es como debe ser en la pasión de ley,
tus ojos negros y tu belleza.
Siempre serás mi amor en bello amanecer
para mi vida, dulce ilusión.

En este tango
te cuento mi tristeza,
dolor y llanto
que dejo en esta pieza.
Quiero que oigas mi canción
hecha de luna y de farol
y que tu amor, mujer,
vuelva hacia mí.

Eduardo Arolas Letra: Gabriel Clausi

Traduction libre et indications

Lune, réverbère et chanson, douce émotion d’hier c’était à Paris, où j’ai vécu ton amour.
Tango, Champagne, cœur, nuit d’amour qui n’est pas là, dans mon rêve vivra…
C’est comme il faut (comme il se doit), avec enthousiasme j’ai vécu les joies et les peines ; C’est ce soir-là que j’ai senti de l’espoir pour toi dans mon cœur.
C’est comme doit être la véritable passion (les Argentins disent de ley, de la loi, par exemple un porteño de ley pour dire un véritable portègne), de tes yeux noirs et de ta beauté.
Tu seras toujours mon amour dans la belle aurore pour ma vie, douce illusion (doux sentiment).
Dans ce tango, je te conte ma tristesse, douleur et larmes que je laisse dans ce morceau.
Je veux que tu entendes ma chanson faite de lune et de réverbère et que ton amour, femme, revienne jusqu’à moi.

Elle est où la tricherie promise ?

Comme je vois que vous semblez intéressés, voici la tricherie. Le tango « Comme il faut » a un frère jumeau « Comparsa criolla » signé Rafael Iriarte.

Couverture et partition de Comparsa Criolla de Rafael Iriarte. La mention du concours de 1930 est en haut de la couverture.

La gémellité n’est pas une tricherie me direz-vous, mais alors comment nommer deux tangos identiques attribués à des auteurs différents ?
On dirait aujourd’hui un plagiat.
Nous avons déjà rencontré plusieurs tangos dont les attributions étaient floues, que ce soit pour la musique ou les paroles. Firpo n’a-t-il pas cherché à mettre sous son nom La cumparsita, alors pourquoi pas une comparsa ?
Mais revenons à notre paire de tangos et intéressons-nous aux auteurs.
Eduardo Arolas (1892-1924), un génie, mort très jeune (32 ans). Non seulement il jouait du bandonéon de façon remarquable, ce qui lui a valu son surnom de « Tigre du bandonéon », mais en plus, il a composé de très nombreux titres. C’est assez remarquable si on tient compte de sa très courte carrière. Il s’est dit cependant qu’il s’inspirait de l’air du temps, utilisant ce que d’autres musiciens pouvaient interpréter à une époque où beaucoup n’écrivaient pas la musique.
Il me semble que c’est plus complexe et qu’il est plutôt difficile de dénouer les fils des interactions entre les musiciens à cette époque où il y avait peu de partitions, peu d’enregistrements et donc surtout une connaissance par l’écoute, ce qui favorise l’appropriation d’airs que l’on peut de toute bonne foi croire originaux.
Pour revenir à notre tango du jour et faire les choses Comme il faut, voyons qui est le second auteur, celui de Comparsa criolla, Rafael Iriarte. (1890-1961).
Lui aussi a fait le voyage à Paris et Néstor Pinsón évoque une collaboration dans la composition qui aurait eu lieu en 1915.
Si on s’intéresse aux enregistrements, les plus anciens semblent dater de 1917 et sont de Arolas lui-même et de la Orquesta Típica Pacho. Les deux disques mentionnent seulement Arolas comme seul compositeur.

Eduardo Arolas et un disque par la Tipica Pacho qui serait également de 1917 selon Enrique Binda, spécialiste de la vieille garde).

Peut-être que le fait que Arolas avait accès au disque à cette époque et pas Iriarte a été un élément. Peut-être aussi que la part d’Arolas était suffisamment prépondérante pour justifier qu’il soit le seul mentionné.
Je n’ai pas trouvé de témoignage indiquant une brouille entre les deux hommes, si ce n’est une hypothèse de Néstor Pinsón. Faut-il voir dans le fait que Iriarte signe de son seul nom la version qu’il dépose en 1930 et qui obtiendra un prix, au septième concours organisé par la maison de disque « Nacional ».
Ce qui est curieux est que Francisco Canaro, qui était ami de Arolas ait enregistré sa version avec la mention de Iriarte et pas celle de son ami décédé six ans plus tôt. Faut-il voir dans cela une reconnaissance de Canaro pour la part de Iriarte ?
Pour vous permettre d’entendre les similitudes, je vous propose d’écouter le début de deux versions. Celui de 1951 de Comme il faut, notre tango du jour par Di Sarli et celui de Comparsa criolla de Tanturi de 1941. J’ai modifié la vitesse de la version de Tanturi pour que les tempos soient comparables.

Débuts de : Comme il faut de Eduardo Arolas par Carlos Di Sarli (1951) et Comparsa criolla de Rafael Iriarte par Ricardo Tanturi (1941).

Autres versions

Comme il s’agit du « même » tango, je vais placer par ordre chronologique plusieurs versions de Comme il faut et de Comparsa criolla.

Comme il faut 1917 – Eduardo Arolas
Les musiciens de l’orchestre de Arolas en 1916. Arolas est en bas, au centre. Juan Marini, pianiste, à gauche, puis Rafael Tuegols et Atilio Lombardo (violonistes) et Alberto Paredes (violonceliste). Ce sont eux qui ont enregistré la version de 1917 de Arolas.
Comme il faut 1917 – Orquesta Típica Pacho
Comparsa criolla 1930-11-18 – Francisco Canaro
Comme il faut 1936-10-27 – Juan D’Arienzo
Comme il faut 1938-03-07 – Anibal Troilo
Comparsa criolla 1941-06-16 – Ricardo Tanturi
Comme il faut 1947-01-14 – Carlos Di Sarli
Comparsa criolla 1950-12-12 – Orchestre Quintin Verdu
Comme il faut 1951-09-26 – Orquesta Carlos Di Sarli.
Comme il faut 1955-07-15 – Carlos Di Sarli
Comme il faut 1966-09-30 – Hector Varela
Comme il faut 1980 – Alfredo De Angelis
Comme il faut 1982 – Leopoldo Federico

Mon cher Correcteur, Thierry, m’a fait remarquer que je n’avais pas proposé de versions chantées. N’en ayant pas sous la main, j’ai fait un appel à des collègues qui m’ont proposé deux versions, Nelly Omar avec Bartolomé Palermo de 1997 et Sciamarella Tango con Denise Sciammarella de 2018 :

Comme il faut 1997 – Nelly Omar con Bartolomé Palermo y sus guitarras. Merci à Howard Jones qui m’a signalé cette version.
Comme il faut 2013 – Gente de tango
Comme il faut 2018 – Sciamarella Tango con Denise Sciammarella. Merci à Yüksel Şişe qui m’a indiqué cette version.
Comme il faut 2020-08 – El Cachivache

Je vous propose d’arrêter là les exemples, il y en aurait bien sûr quelques autres et je vous dis, à bientôt les amis !

Remerciements

Je profite de la modification sur l’anecdote sur Poema liée au cadeau par André Vagnon de deux versions très rares pour faire quelques remerciements.
L’aventure des anecdotes de tango initiée il y a un peu plus de six mois a bénéficiée de l’aide de différents collègues, de sites et de livres.
La petite pause technique, un peu imposée pour les raisons déjà évoquées, me donne l’occasion de donner quelques remerciements.
Les collègues TDJ Camilo Gatica, Gabbo Fresedo, André Vagnon (Bible Tango) et Michael Sattler qui m’ont passé des musiques que je n’avais pas et Fred Alard qui par sa lecture attentive m’a fait améliorer certains articles. Merci à Gérard Cardonnet, Anita et Philippe Constant qui m’ont également fourni des informations fort intéressantes et qui ont également écrit d’intéressants commentaires.
Je dois également citer mon infatigable correcteur, Thierry Lecoquierre qui traque mes coquilles avec une efficacité redoutable.
Un grand merci pour mes partageurs, qui chaque jour ont partagé mes anecdotes sur leurs profils, Tanguy Tango est sur la première marche du podium.
Merci à ceux qui mettent de gentils commentaires, comme Angela Cassan (première marche du podium dans cette catégorie) Jean-Philippe Kbcoo, Domi Laure,
Merci aux 600 visiteurs quotidiens du site, même si cet afflux me pose des problèmes avec la société qui héberge le site web et qui me dit que je devrais prendre un hébergement web plus cher pour éviter les coupures. “Utilisation de l’UC et des connexions simultanées excèdent régulièrement les ressources disponibles, veuillez considérez (sic) l’évolution vers une gamme supérieure de formule d’hébergement, qui inclurait alors plus de ressources.”…
Merci à tous ceux qui mettent des J’aime sur les publications et notamment leur partage dans Facebook.
Merci à tous ceux qui lisent, écoutent et me font de temps à autre un petit signe.
Merci aux merveilleux DJ de Buenos Aires et qui sont ma référence.
Merci à ceux qui me suivent comme DJ également, ces anecdotes sont indissociables de cette activité. Mieux connaître le répertoire, c’est pouvoir offrir la bonne musique au bon moment.
Merci à ceux qui m’ont laissé de gentils commentaires dans mon livre d’or.

Bref, merci à tous (moins un qui se reconnaîtra, même si comme je l’ai fait à diverses reprises, je lui tends la main pour faire la paix, ce qu’il a à chaque fois refusé, préférant continuer la guerre qu’il a initiée).

Merci à mes principaux sites de référence :

Tango-dj.at La meilleure référence pour avoir les dates d’enregistrement et les auteurs des tangos.
TodoTango.com Une référence incontournable pour ceux qui s’intéressent au tango.
La Bible TangoUne autre référence, notamment pour le tango européen.
Milongaophelia Qui propose de nombreux articles de fond, une belle iconographie et qui est très utile pour le tango à Paris au début du vingtième siècle.
Tangos al bardo Le site passionnant et incontournable de José María Otero
Michael Lavocah,Pour être sincère, je n’ai lu qu’un article de son site, mais il me semble être une importante ressource. Je viens de recevoir son livre Histoire de tango qui est plutôt bien fait. Je vous le recommande.

Pour les livres, cela serait un peu long

J’en ai cité quelques-uns dans mes anecdotes, mais impossible de tous les citer.
Je vous donne juste quelques petites perles en attendant :

Mis memorias (1906-1956) Mis bodas de oro con el tango (Francisco Canaro). Un des plus intéressants, car autobiographique.
Osvaldo Pugliese, une vida en el tango (Oscar del Priore). Un peu court, mais bien documenté.
Osvaldo Pugliese, Testimonios de mi vida (Beba Pugliese). Par la fille de Pugliese.
Osvaldo Pugliese al Colón (Arturo M. Lozza). Merci à Denis Torres qui m’a fait parvenir une version PDF, plus facile à trimbaler que la version papier que j’utilisais. Un très bon ouvrage.
El tango en la sociedad portena 1880-1920 (Lamas Binda), qui a écrit beaucoup et dont je recommande la plupart des écrits. De plus, il est spécialiste des tangos de la vieille garde).
La historia del tango en Paris (Enrique Cadicamo).
Así nacieron los tangos (Francisco García Jiménez).
Cien tangos fundamentales (Oscar del Priore y Irene Amuchástegui).
El origen del tango (Roberto Selles).
Les livres de Felipe Pigna sur l’histoire argentine (Pas directement lié au tango, mais comme ces derniers s’inscrivent dans l’histoire du pays, il faut un peu de culture historique).
Et les nombreuses discographies et catalogues de maisons d’édition qui permettent de lever bien des doutes.

Encore un grand merci à tous !

Merci à tous !

Chaparrón 1946-08-26 (Milonga) Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe

Pintín Castellanos (Horacio Antonio Castellanos Alves) Letra: Francisco García Jiménez

Un chaparrón est une averse, une pluie soudaine, de forte intensité, mais de courte durée. Cette milonga joue sur les mots, un chaparrón étant en même temps une dispute. Je vous invite donc aujourd’hui, pour la milonga du jour à découvrir ce thème magnifiquement interprété par Juan d’Arienzo et Alberto Echagüe.

La musique présente l’histoire que les paroles confirment ensuite.
On entend au départ les nuages noirs de l’averse qui se prépare.
L’atmosphère s’échauffe, comme les esprits. L’homme se compare à une mouche d’orage.
La marche devient en pointillé à cause de la discussion (dispute) du couple. On imagine qu’ils font trois pas, s’arrêtent et reprennent à tour de rôle. Cette « activité » est particulièrement bien adaptée à une milonga.
Puis vient l’averse, « con agua y explicaciones, era doble el chaparrón » (avec de l’eau et des explications, l’averse était double). C’est la partie centrale. La tension qui était montée dans la première partie est en train d’exploser.
Puis, à la toute fin, la réconciliation et l’envie de reprendre ensemble.
« ¡Qué rico el olor a trébol y la reconciliación… Da ganas de andar de nuevo, seria vos y serio yo! »
(Comme est bonne l’odeur du trèfle, et la réconciliation. Ça donne envie d’avancer de nouveau). Sérieuse toi et Sérieux moi. Cet élément rythme la milonga en étant mentionné trois fois. Quatre fois dans les paroles originales, mais Echagüe ne chante pas la totalité des paroles écrites par Francisco García Jiménez.

Pintín?

Pintín Castellanos (Horacio Antonio Castellanos Alves) est l’auteur de cette milonga. Les paroles sont de Francisco García Jiménez. Pintín Castellanos, un surnom qui me fait penser à Tintin, est né à Montevideo. C’est un compositeur majeur avec environ 200 de thèmes dont la moitié ont été enregistrés. Il a également écrit les paroles d’un bon nombre de ses compositions. Il était pianiste et fut également directeur d’orchestre.

1 Pitin à gauche et à droite, Tintin dansant le tango (illustration tirée de l’ouvrage « Nous-Tintin » publié en 1987 et présentant 36 couvertures imaginaires de Tintin

Il a été décrit comme un homme élégant et d’allure virile, sportif et amoureux de la musique.
Voici comment il se raconte : «Crecí consustanciado con el ambiente orillero… cuando repiqueteaban las lonjas de los negros candomberos en los parches de sus tambores.
Las melodías populares nacieron conmigo y con ellas convivo hace muchos años… »

« J’ai grandi dans l’ambiance des rivages (du Rio de la Plata)… quand vibraient les lonjas (paume des mains) des candomberos noirs sur les parches (bandeau de cuir masquant les goujons et le cerclage supérieur) de leurs tambours. Les mélodies populaires sont nées avec moi et j’ai vécu avec elles pendant de nombreuses années… »

Pourquoi ce surnom, de Pintín Castellanos ? Je ne sais pas. El pinto peut être l’Espagnol, Castellanos, une inspiration de la Castille ? Ce serait donc une double évocation de l’Espagne pour cet Urugayen. Pintín pourrait aussi se référer à son élégance. Bref, je ne sais pas, alors, aidez-moi si vous avez une piste.

Ses compositions

Avec une centaine de titres enregistrés, vous avez obligatoirement entendu plusieurs de ces compositions. Pour rester dans la milonga, j’évoquerai la puñalada. Un jour qu’il la jouait, il a été contraint d’accélérer, ce qui l’a transformé en milonga. C’est sous cette forme que D’Arienzo l’a enregistrée le 27 avril 1937 alors que le 12 juin de la même année, Canaro l’enregistrait encore comme un tango.

Il a écrit de nombreuses autres milongas, comme, A puño limpio, El potro, El temblor, La endiablada ou Meta fierro que l’on connait dans des versions géniales par D’Arienzo. Il faudrait rajouter aussi quelques milongas candombe, comme Bronce, Candombe oriental ou Candombe rioplatense.
Je ne parle pas ici de d’Arienzo et Echagüe, j’aurais de nombreuses autres occasions de le faire…

Extrait musical

Chaparrón 1946-08-26 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe

Paroles

Las nubes eran de plomo
y era el aire de fogón.
Andábamos, no sé cómo…
¡seria vos y serio yo!
Venía un olor caliente
de la ruda y el cedrón.
Y estaba como la gente
de antipático un moscón.

La boca se resecaba,
estaqueada en mal humor.
Aquello no lo arreglaba
nada más que un chaparrón.
Tormenta de trote y carga
jineteando un nubarrón.
Tormenta de caras largas:
seria vos y serio yo.

Verano de mosca y tierra;
seco el río y el porrón.
Verano de sol en guerra
¡filo de hacha sin perdón!
Amores que se empacaban
(seria vos y serio yo).

Asuntos que se empeoraban
por tardar el chaparrón…
Andábamos a tirones
cuando el cielo se abrió en dos…
Con agua y explicaciones
era doble el chaparrón.
¡Qué rico el olor a trébol
y la reconciliación…
Da ganas de andar de nuevo
seria vos y serio yo!

Pintín Castellanos (Horacio Antonio Castellanos Alves) Letra : Francisco García Jiménez

Echagüe ne chante que les parties en italique (début et fin).

Traduction libre

Les nuages étaient de plomb, et c’était l’air d’un four (poêle).
Nous marchions, je ne sais pas comment…
Sérieuse, toi et sérieux, moi !
Il y avait une odeur chaude de rue officinale (plante à odeur forte utilisée en médecine et ayant la réputation d’éloigner les indésirables) et de verveine citronnée.
Et il y avait comme les gens antipathiques une grosse mouche.
La bouche se desséchait, piquée de mauvaise humeur.
Rien de plus qu’une averse ne pourrait arranger cela.
Tempête de trot et charge chevauchant un nuage d’orage.
Tempête de visages longs :
Sérieuse, toi et sérieux, moi.
Été de mouche et de terre ; la rivière à sec ainsi que la bouteille (porrón, bouteille de terre cuite émaillée qui sert pour la boisson et accessoirement de bouillotte…).
Été de soleil en guerre, fil de hache sans pardon !
Des amours qui s’emballèrent (Sérieuse, toi et sérieux, moi).
Des problèmes qui ont été aggravés par le retard de l’averse…
Nous étions en train de nous tirer à hue et à dia quand le ciel s’est ouvert en deux…
Avec de l’eau et des explications, l’averse a été double.
Comme est délicieuse l’odeur du trèfle et de la réconciliation…
Ça donne envie de marcher à nouveau Sérieuse, toi et sérieux, moi !

Les enregistrements de chaparrón

Cet enregistrement par d’Arienzo et Echagüe est le seul…
Il existe bien un tango du même nom, composé par Carlos Waiss, mais qui n’a rien à voir, si ce n’est le titre. Le voici :

Chaparrón 1957 – Nina Miranda con la Orquesta de Graciano Gomez

Autres titres enregistrés un 26 février

D’Arienzo a enregistré le même jour : Fuegos artificiales 1941-02-26. Un tango instrumental composé par Roberto Firpo et Eduardo Arolas. Comme beaucoup de compositions de fuergo, c’est une illustration sonore, ici de fuegos artificiales (feux d’artifice).
J’ai hésité pour le tango du jour. Ce sera peut-être pour l’an prochain à moins que je le mentionne à l’occasion d’une autre interprétation, car contrairement à Chaparrón, Fuegos artificiales a été enregistré à diverses reprises.

Fin de l’averse, después de la lluvia el buen tiempo (après la pluie, le beau temps). Le temps de la réconciliation.

1 ¡Qué rico el olor a trébol y la reconciliación… Da ganas de andar de nuevo seria vos y serio yo!…

Mano a mano 1987-08-22 – Roberto Goyeneche con la Orquesta de Osvaldo Pugliese

Carlos Gardel, José Razzano Letra: Celedonio Esteban Flores

Hier, en fouillant dans les vidéos de La yumba, sans doute l’œuvre où on a le plus de vues de Pugliese jouant et dirigeant son orchestre, une vidéo a attiré mon attention. Il s’agit d’un concert donné en 1987 où Roberto Goyeneche a été accompagné par l’orchestre de Osvaldo Pugliese. Cette rencontre au sommet entre ces deux idoles du tango a donc été filmée et j’ai pensé que je devais vous partager ce morceau d’anthologie qui a été enregistré il y a exactement 37 ans, jour pour jour.
Je pourrai rajouter que les auteurs sont eux aussi plutôt fameux, puisqu’il s’agit de Carlos Gardel et José Razzano pour la composition et Celedonio Esteban Flores pour les paroles.

Mano a mano, Osvaldo Pugliese et Roberto Goyeneche

Partition de Mano a mano de Carlos Gardel et José Razzano avec des paroles de Celedonio Flores.
Mano a mano – Roberto Goyeneche con Osvaldo Pugliese y su orquesta. Enregistrement public au Teatro Opera de Buenos Aires (Avenida Corrientes 860) le 22 août 1987

Je pense que vous serez d’accord pour dire que cette vidéo est un monument d’amitié, de respect et d’émotion. Un très grand moment du tango.

Paroles

Rechiflado en mi tristeza, te evoco y veo que has sido
en mi pobre vida paria sólo una buena mujer.
Tu presencia de bacana puso calor en mi nido,
fuiste buena, consecuente, y yo sé que me has querido
cómo no quisiste a nadie, como no podrás querer.

Se dio el juego de remanye cuando vos, pobre percanta,
gambeteabas la pobreza en la casa de pensión.
Hoy sos toda una bacana, la vida te ríe y canta,
Los morlacos del otario los jugás a la marchanta
como juega el gato maula con el mísero ratón.

Hoy tenés el mate lleno de infelices ilusiones,
te engrupieron los otarios, las amigas y el gavión;
la milonga, entre magnates, con sus locas tentaciones,
donde triunfan y claudican milongueras pretensiones,
se te ha entrado muy adentro en tu pobre corazón.

Nada debo agradecerte, mano a mano hemos quedado;
no me importa lo que has hecho, lo que hacés ni lo que harás…
Los favores recibidos creo habértelos pagado
y, si alguna deuda chica sin querer se me ha olvidado,
en la cuenta del otario que tenés se la cargás.

Mientras tanto, que tus triunfos, pobres triunfos pasajeros,
sean una larga fila de riquezas y placer;
que el bacán que te acámala tenga pesos duraderos,
que te abrás de las paradas con cafishos milongueros
y que digan los muchachos: Es una buena mujer.
Y mañana, cuando seas descolado mueble viejo
y no tengas esperanzas en tu pobre corazón,
sí precisás una ayuda, si te hace falta un consejo,
acordate de este amigo que ha de jugarse el pellejo
pa’ayudarte en lo que pueda cuando llegue la ocasión.
Carlos Gardel, José Razzano Letra: Celedonio Esteban Flores

Traduction libre et indications

Entravé (rechiflado peut signifier amoureux, enthousiaste, fou…) dans ma tristesse, je t’évoque et je vois que tu as été dans ma pauvre vie de paria seulement une femme bonne.
Ta présence de femme (multitude d’acceptions allant de tenancière de bordel à concubine en passant par amante d’un homme riche) a mis de la chaleur dans mon nid, tu étais bonne, conséquente, et je sais que tu m’as aimé comme tu n’as aimé personne, comme tu ne pourras pas aimer.
Il y avait un jeu de soupçon quand toi, pauvre femme (amante, concubine), tu dribblais (essayer d’esquiver, comme au football) la pauvreté dans la pension.
Aujourd’hui, tu as une femme établie (probablement tenancière de maison close), la vie rit et chante pour toi, les morlacos (pesos, argent) de l’otario (idiot, niais, cave) tu les joues à la marchanta (action de jeter des pièces à des personnes pauvres pour qu’elles se jettent dessus en se battant) comme le chat joue avec la misérable souris.
Aujourd’hui, tu as le mate plein d’illusions malheureuses, tu as été gonflé par les otarios, les amis et le chéri (fiancé…) ; La milonga, chez les magnats, avec ses folles tentations, où les milongueras triomphent et chutent, est entrée profondément dans ton pauvre cœur.
Je n’ai rien que je doive te remercier, main dans la main nous sommes restés ; peu importe ce que tu as fait, ce que tu fais ou ce que tu feras…
Je crois t’avoir payé les faveurs que j’ai reçues, et si j’ai oublié par hasard quelque petite dette, tu la chargeras sur le compte de l’otario que tu as.
En attendant que tes triomphes, pauvres triomphes éphémères, soient une longue lignée de richesses et de plaisirs ; que le bacán (riche), qui t’a dans son lit, ait des pesos durables, que tu t’ouvres des parades avec des proxénètes milongueros et que les garçons disent : c’est une femme bonne.
Et demain, quand tu seras défraîchie (passée de mode), un vieux meuble et que tu n’auras plus d’espoir dans ton pauvre cœur, si tu as besoin d’aide, si tu as besoin de conseils, souviens-toi de cet ami qui risquera sa peau pour t’aider de toutes les manières possibles lorsque l’occasion se présentera.

Autres versions

Il y a des centaines d’autres versions, à commencer par celles de Gardel, lui-même, mais aujourd’hui j’avais plutôt envie de vous faire partager la formidable camaraderie des gens de tango.
Ce sera donc pour une autre fois… Je vais à la place vous dire quelques mots sur le chanteur, Roberto Goyeneche.

Roberto Goyeneche

Goyeneche, le Polonais (El Polaco), arrive un peu après la bataille, puisqu’il ne commence sa carrière qu’en 1944. Il était alors âgé de 18 ans, son retard dans le mouvement du tango est donc plutôt de la faute de ses parents 😉
En revanche, il compense cela par une diction ferme et un phrasé très particulier qui font que l’on tombe obligatoirement sous son charme.
Arriver tard, n’est pas forcément une mauvaise chose dans la mesure où à partir des années 50, le tango devient surtout une activité de concert, plus que de danse. La radio, les disques et la télévision étaient friands de ces chanteurs expressifs et Goyeneche a su créer l’engouement dans le public.
Dans les années 40, un de ses collègues de l’orchestre de Horacio Salgán, le chanteur Ángel Díaz, lui donna son surnom de Polaco (Polonais).
Son passage dans l’orchestre de Aníbal Troilo affermit sa gloire naissante, mais le fait qu’il donne une vision personnelle des grands titres du répertoire a également attiré la sympathie du public. Il a su ainsi personnaliser son répertoire, en renouvelant des titres qui étaient déjà fameux par d’autres chanteurs.
Par exemple, notre tango du jour avait été particulièrement apprécié, notamment par Carlos Gardel (son auteur), Charlo, Jorge Omar, Héctor Palacios, Roberto Maida, Carlos Dante et même Nina Miranda (en duo avec Roberto Líster), Carlos Roldán et Julio Sosa, el Varon del tango. Il convenait donc de se démarquer et Goyeneche sut le faire, faisant souvent oublier les versions antérieures pour que le public ne retienne que la sienne, celle du chanteur avec la voix de sable, garganta con arena (gorge avec du sable). Cacho Castaña a d’ailleurs fait une chanson hommage au Polaco, Garganta con arena.

Garganta con arena

Je vous propose de terminer avec la chanson de Cacho Castaña en l’honneur de Roberto Goyeneche. Cacho a composé cette chanson, quelques mois avant la mort de Roberto. Ce dernier en entendant la chanson fredonnée dans la loge par Cacho Castaña s’est écrié, « Mais je suis encore vivant, che! » et il a demandé à Adriana Varela qui était également présente de l’enregistrer, ce qui fut fait, elle a enregistré la chanson, avant Cacho.
Seize ans plus tard, Cacho et Adriana chantent le titre en duo. C’est la vidéo que je vous propose de voir maintenant.

Garganta con arena, la chanson de Cacho Castaña en l’honneur de Roberto Goyeneche, ici, en 2010 chanté par Cacho Castaña et Adriana Varela.

Paroles

Ya ves, el día no amanece
Polaco Goyeneche, cántame un tango más
Ya ves, la noche se hace larga
Tu vida tiene un karma: Cantar, siempre cantar

Tu voz, que al tango lo emociona
Diciendo el punto y coma que nadie le cantó
Tu voz, con duendes y fantasmas
Respira con el asma de un viejo bandoneón

Canta, garganta con arena
Tu voz tiene la pena que Malena no cantó
Canta, que Juárez te condena
Al lastimar tu pena con su blanco bandoneón

Canta, la gente está aplaudiendo
Y aunque te estés muriendo, no conocen tu dolor
Canta, que Troilo desde el cielo
Debajo de tu almohada, un verso te dejó

Cantor de un tango algo insolente
Hiciste que a la gente le duela, le duela tu dolor
Cantor de un tango equilibrista
Más que cantor, artista con vicios de cantor

Ya ves, a mí y a Buenos Aires
Nos falta siempre el aire cuando no está tu voz
A vos, que tanto me enseñaste
El día que cantaste conmigo una canción

Canta, garganta con arena
Tu voz tiene la pena que Malena no cantó
Canta, que Juárez te condena
Al lastimar tu pena con su blanco bandoneón

Canta, la gente está aplaudiendo
Y aunque te estés muriendo, no conocen tu dolor
Canta, que Troilo desde el cielo
Debajo de tu almohada, un verso te dejó
Cacho Castaña

Traduction libre de Garganta con arena

Tu vois, le jour ne se lève pas.
Polaco Goyeneche, chante-moi encore un tango.
Tu vois, la nuit se fait longue.
Ta vie a du karma : Chante, chante toujours
Ta voix, qui émeut le tango, disant le point-virgule que personne jamais n’a chanté.
Ta voix, avec des lutins (duendes, sorte de gnomes de la mythologie espagnole et argentine) et des fantômes, respirez avec l’asthme d’un vieux bandonéon.

Chante, gorge avec du sable.
Ta voix a le chagrin que Malena n’a pas chanté.
Chante, que Juárez te condamne en blessant ton chagrin avec son bandonéon blanc. (Rubén Juárez était un jeune chanteur de 21 ans de moins que Goyeneche, qui s’accompagnait au bandonéon, ce qui est très rare. Troilo, lui-même, chantait parfois quelques instants, mais jamais une véritable partie de chanteur. Goyeneche a dit de Juárez : « Dans un an, on parlera beaucoup de ce gamin ; dans deux ans, il nous coupera la tête à tous.»).
Chante, les gens applaudissent.
Et même si tu te meurs, ils ne connaissent pas ta douleur. Chante, que Troilo depuis le ciel, sous ton oreiller, un couplet, il t’a laissé.

Chanteur d’un tango un peu insolent, tu as fait que les gens aient mal, que ta douleur fasse mal.
Chanteur d’un tango équilibriste, plus qu’un chanteur, un artiste avec des vices de chanteur.
Tu vois, à moi et à Buenos Aires, nous manquons toujours d’air quand ta voix n’est pas là.
À toi, qui m’as tant appris le jour où tu as chanté une chanson avec moi.

Au revoir, les amis, au revoir Monsieur Goyeneche.

La yumba 1946-08-21 – Orquesta Osvaldo Pugliese

Osvaldo Pugliese

Quand on pense à Osvaldo Pugliese, deux souvenirs reviennent forcément en mémoire. La yumba et le concert au Teatro Colón du 26 décembre 1985. Ces deux éléments distants de 40 ans sont intimement liés, nous allons voir comment.

Extrait musical

La yumba 1946-08-21 – Orquesta Osvaldo Pugliese
Partition de La yumba (Osvaldo Pugliese).

Naissance d’un mythe

Lorsque Pugliese a lancé La yumba, cela a été immédiatement un succès. Mais il est intéressant de connaître le parcours. Vous lirez peut-être que cela vient du bruit du bandonéon quand il s’ouvre et se ferme ou d’autres choses plus ou moins fantaisistes. Je préfère, comme toujours, me raccrocher aux sources et donc, dans le cas présent à Osvaldo Pugliese.

Je lui laisse la parole à Osvaldo Pugliese à travers une entrevue avec Arturo Marcos Lozza :

Osvaldo Puglise – Al Colón – Arturo Marcos Lozza (1985)

Nosotros partimos de la etapa de Julio De Caro. Yo, de joven, viví esa etapa. No la viví escuchándola, la viví practicándola. Se deduce que tenía que haber una superación, no porque yo me lo hubiera impuesto, no. Vino solo, vino por necesidad específica, también por necesidad interna, espiritual. Y fuimos impulsando poco a poco una superación, una línea que cristalizó en “La yumba”.

  • En esa partitura, en esa interpretación, usted apela a un ritmo que tiene un sello muy especial…

Le he dado una marcación percusiva. Por ejemplo, los norteamericanos en el jazz hacen una marcación dinámica, mecánica, regular, monocorde. Para mi concepto, la batería no corre en el tango. Ya han hecho experiencias Canaro, Fresedo y qué sé yo cuántos, pero para mí la batería es un elemento que golpea. El tango, en cambio, tiene una característica procedente de la influencia del folclore pampeano, que es el arrastre, muy aplicado por la escuela de Julio De Caro, por Di Sarli y por nosotros también. Y después viene la marcación que Julio De Caro acentuó en el primer y tercer tiempo, en algunos casos con arrastre. Y nosotros hemos hecho la combinación de las dos cosas: la marcación del primer tiempo y del tercero, y el arrastre percusivo y que sacude.

  • Y esa combinación de marcación percusiva y de arrastre le da al tango una fuerza que es incapaz de dársela una batería.

No, no, la batería no se la puede dar, arruina. No quiero usar ni batería, ni pistón, ni trombones. Lo único que me llama la atención, y que en algún momento lo voy a incorporar, como se lo dije un día al finado Lipesker, es el clarinete bajo, un clarinete que Lipesker ya tocaba en la orquesta de Pedro Maffia y que le sacaba lindo color, oscuro y sedoso. Bueno, con la flauta y un clarinete bajo yo completaría una orquesta típica.

[…]

Le dimos una particularidad a nuestra interpretación y la gente reaccionaba gritándonos « ¡no se mueran nunca!”, “¡viva la sinfónica!”, « ¡al Colón, al Colón!”. Bueno, esas son cosas que expresan un sentimiento, pero son exageraciones: ni somos una sinfónica, ni nada por el estilo.

Eso sí, cuando tocamos, ponemos todo.

  • Ponen pólvora, ponen yumba, hay polenta en la interpretación. ¡Cuántos al escuchar a la típica del maestro, terminan con la piel de gallina por la emoción!

Y bueno, yo no sé. Para mí, sentir eso es una satisfacción. Pero me digo a mí mismo: « quédate ahí nomás, Osvaldo, no te fanfarronees y seguí trabajando siempre con la cabeza fría”.

Arturo Marcos Lozza ; Osvaldo Pugliese al Colón.

Traduction libre de la l’entrevue entre Osvaldo Pugliese et Arturo Lozza

Nous sommes partis de l’étape de Julio De Caro. Moi, en tant que jeune homme, j’ai vécu cette étape. Je ne l’ai pas vécue en l’écoutant, je l’ai vécue en le pratiquant. Il s’ensuit qu’il devait y avoir une amélioration, non pas parce que je me l’étais imposée, non. Elle est venue seule, elle est venue d’un besoin spécifique, aussi d’un besoin intérieur, spirituel. Et nous avons progressivement promu une amélioration, une ligne qui s’est cristallisée dans « La yumba ».

  • Dans cette partition, dans cette interprétation, vous faites appel à un rythme qui a un cachet très particulier…

Je lui ai donné une marque percussive. Par exemple, les Nord-Américains dans le jazz font un marquage dynamique, mécanique, régulier, monotone. Pour mon concept, la batterie ne va pas dans le tango. Canaro, Fresedo et je ne sais pas combien ont déjà fait des expériences, mais pour moi la batterie est un élément qui frappe. Le tango, d’autre part, a une caractéristique issue de l’influence du folklore de la pampa, qui est l’arrastre (traîner), très utilisé par l’école de Julio De Caro, par Di Sarli et par nous également. Et puis vient le marquage que Julio De Caro a accentué au premier et troisième temps, dans certains cas avec des arrastres. Et nous avons fait la combinaison des deux choses : le marquage du premier et du troisième temps, et l’arrastre percussive et tremblante.

  • Et cette combinaison de marquage percussif et d’arrastre donne au tango une force qu’une batterie est incapable de lui donner.

Non, non, la batterie ne peut pas la donner, elle ruine. Je ne veux pas utiliser de batterie, ni de pistons, ni de trombones. La seule chose qui attire mon attention, et qu’à un moment donné je vais incorporer, comme je l’ai dit un jour au regretté Lipesker, c’est la clarinette basse, une clarinette que Lipesker jouait déjà dans l’orchestre de Pedro Maffia et qui lui a donné une belle couleur sombre et soyeuse. Eh bien, avec la flûte et une clarinette basse, je compléterais un orchestre typique.

[…]

Nous avons donné une particularité à notre interprétation et les gens ont réagi en criant « ne meurs jamais ! », « Vive le symphonique ! », « au Colón, au Colón ! ». Eh bien, ce sont des choses qui expriment un sentiment, mais ce sont des exagérations : nous ne sommes pas un symphonique, ou quelque chose comme ça.

Bien sûr, quand nous jouons, nous y mettons tout ce qu’il faut.

  • Ils ont mis de la poudre à canon, ils ont mis de la yumba, il y a de la polenta (puissance, énergie) dans l’interprétation. Combien en écoutant la Típica du maître finissent par avoir la chair de poule à cause de l’émotion !

Et bien, je ne sais pas. Pour moi, ressentir cela est une satisfaction. Mais je me dis : « reste où tu es, sans plus, Osvaldo, ne te vante pas et continue de travailler, toujours avec la tête froide. »

On voit dans cet extrait la modestie de Pugliese et son attachement à De Caro.

Autres versions

Il existe des dizaines d’enregistrements de La yumba, mais je vous propose de rester dans un cercle très restreint, celui d’Osvaldo Pugliese lui-même.

La yumba 1946-08-21 – Orquesta Osvaldo Pugliese. C’est notre tango du jour.

Elle allie l’originalité musicale, sans perdre sa dansabilité. Sans doute la meilleure des versions pour la danse avec celle de 1948, mais dont la qualité sonore est moins bonne, car tirée d’un film.

Pugliese jouant la Yumba en 1948 !

La yumba en 1948. Le film “Mis cinco hijos” (mes cinq enfants), nous donne l’occasion de voir Osvaldo Pugliese à l’époque du lancement de La yumba.

Extrait du film « Mis cinco hijos » dirigé par Orestes Caviglia et Bernardo Spoliansky sur un scénario de Nathan Pinzón et Ricardo Setaro. Il est sorti le 2 septembre 1948. Ici, Osvaldo Pugliese interprète La yumba avec son orchestre. On peut voir à la fin de l’extrait le succès qu’il rencontre « Al Colón!« 

La version de 1952

La yumba 1952-11-13 – Orquesta Osvaldo Pugliese.

Une version magnifique. Peut-être celle qui est le plus passée en Europe. On pourra la trouver un peu moins dansante. Cependant, comme cette version est très connue, les danseurs arrivent en général à s’y retrouver.

Le très, très célèbre concert du 26 décembre 1985, où Pugliese arrive enfin Al Colón comme le proclamaient les fans de Pugliese en 1946 (et dans le film de 1948).

1985-12-26, Osvaldo Pugliese Al Colón. La yumba
Version courte (seulement la yumba)
Version longue avec la présentation des musiciens. C’est celle que je vous conseille si vous avez un peu plus de temps.

Osvaldo Pugliese avec Atilio Stampone en 1987.

1987, Une interprétation de La yumba à deux pianos, celui de Osvaldo Pugliese et celui de Atilio Stampone.

Le 26 juin 1989, Astor Piazzolla se joint à l’orchestre de Osvaldo Pugliese. Ils interprètent au Théâtre Carre d’Amsterdam (Pays-Bas), La yumba et Adiós nonino.

Le 26 juin 1989, Astor Piazzolla se joint à l’orchestre de Osvaldo Pugliese. Ils interprètent au Théâtre Carre d’Amsterdam (Pays-Bas), La yumba et Adiós nonino.

Dans le documentaire « San Pugliese », un des musiciens témoigne que les musiciens étaient assez réservés sur l’intervention de Astor Piazzolla. Osvaldo Pugliese, en revanche, considérait cela comme un honneur. Un grand homme, jusqu’au bout.

Pugliese au Japon

La yumba 1989-11 – Orquesta Osvaldo Pugliese.

La yumba 1989-11 – Orquesta Osvaldo Pugliese. Le dernier enregistrement de La yumba par San Pugliese, au Japon (Nagoya) en novembre 1989. Si vous écoutez jusqu’à la fin, au début des applaudissements, vous pourrez entendre une petite fantaisie au piano par Osvaldo Pugliese.

Je vous laisse sur ce petit jeu de notre cher maître, à la fois sérieux et facétieux.

La yumba – À partir d’un pochoir mural dans le quartier de Palermo. La ronde d’india, est inspirée par ma fantaisie à l’évocation de Yumba…

Homenajes

Aujourd’hui, nous allons nous intéresser aux hommages. C’est en effet un thème récurrent du tango. On célèbre l’ami, le maître, le grand homme ou la grande femme, la mère, souvent. Voici quelques hommages et le dernier va sans doute vous étonner.

Je n’évoquerai pas les dédicaces que l’on trouve notamment sur les partitions. Ce ne sont pas toujours à proprement parler des hommages, car souvent les personnes payaient pour être mentionnées. Je n’évoquerai pas non plus les disques d’hommage à…, puisqu’il s’agit de compilations et pas de titres créés spécialement.
J’évoque donc ici, les thèmes musicaux et les paroles qui rendent hommage, évoquent, citent, des personnes, au sens large.

Hommage avec le nom dans le titre

Une première forme est de tout simplement déclarer dans le titre le nom de la personne à qui on souhaite rendre hommage.
Attention toutefois à ne pas commettre d’erreurs. En effet, les noms de personnalités publiques font le plus souvent référence à un lieu, à une rue, et pas au personnage qui a donné son nom à cet endroit. Par exemple, Rodriguez Peña ou Te espero en Rodriguez Peña ne parlent pas du président argentin, mais de la rue et plus particulièrement du salon qui y était fameux.
Très souvent, ces hommages commencent par A pour indiquer la dédicace, mais ce n’est pas toujours le cas. Voici une petite liste, bien sûr très incomplète, notamment, je n’évoque pas les tangos qui n’ont pas l’objet dans le titre, ou ceux dont le titre vient d’une dédicace postérieure, comme El Entrerriano.

  • A Alfredo Belusi
  • A Ángel Amadeo Labruna
  • A Belisario Roldán
  • A Don Agustín Bardi
  • A Don Guillermo
  • A Don Javier
  • A Don Juan Manuel
  • A Don Nicanor Paredes
  • A Don Pedro Maffia
  • A Don Pedro Santillán
  • A Don Pirincho Canaro
  • A Ernesto Sábato
  • A Evaristo Carriego
  • A Firpo
  • A Francini-Pontier
  • A Francisco
  • A Francisco de Caro
  • A Gabino Sosa
  • A Homero
  • A Homero Manzi
  • A Horacio Salgan
  • A Orlando Goñi
  • A Ireneo Leguisamo (« El Pulpo » o « El Maestro »)
  • A Juan Carlos Copes,
  • A Leopoldo Federico
  • A Lo Pirincho
  • A Lucina y Joe
  • A Luis Luchi
  • A Magaldi
  • A Mancuso
  • A Marta Rosa
  • A Martin Fierro
  • A Mercedes
  • A Natalio Pescia
  • A Orlando Goñi (Orlando Goñi)
  • A Pedro Maffia
  • A Quinquela Martin
  • A Raúl Berón
  • A Ricardo Catena
  • A Roberto Ari
  • A Roberto Grela
  • A Roberto Peppe
  • A Roberto Perfumo
  • A Rosalía
  • A Salvador Allende
  • Adiós Arolas (Se llamaba Eduardo Arolas)
  • Ángel Vargas (El ruiseñor)
  • Aníbal Troilo
  • Arolas
  • Callejas solo (A Alfredo Callejas)
  • Celedonio
  • Con T de Troilo
  • Cumbrera (Carlos Gardel)
  • D’Arienzo vos sos el rey
  • D’Arienzo y Palito
  • Discos de Gardel
  • Don José Maria
  • Don Juan
  • Don Orlando
  • El fueye de Arolas
  • El pollo Ricardo
  • El Tigre
  • El Yakaré (Elías Antúnez)
  • Gardel
  • Gardel que estas en los cielos
  • Gardel – Razzano (El morocho y el Oriental)
  • Gerardo Matos Rodriguez
  • Gricel
  • La negrita María
  • Luís maría
  • Margo
  • Margot
  • María
  • María Barriento
  • María Cristina
  • María de Buenos Aires
  • María Del Carmen
  • María Dolores
  • María Esther
  • María Lando
  • María Remedios
  • María Trinia
  • Mariana
  • Mariángel
  • Marianito
  • Madame Ivone
  • Mi Ana María
  • Mi maría Rosa
  • Mi Marianela
  • Milonga para Gardel
  • Negra María
  • Para Eduardo Arolas
  • Pericon por María
  • Pirincho (Canaro)
  • Que le parece Dona María
  • Retrato de Alfredo Gobbi
  • Rincón por María
    Tango a Pugliese
  • Un ADN a Gardel
  • Violín
  • Zorro plateado (Máximo Acosta)

Personnes difficiles à identifier

On parle d’une personne précise, mais il est difficile d’être sûr de la personne évoquée, il s’agit parfois d’un être imaginé à partir de plusieurs personnes, comme Zorro Gris.

  • A lo Magdalena
  • A lo Megata
  • A mi mariucho
  • Griseta
  • La Marianella
  • María celosa
  • María la del portón
  • María morena
  • Mariposa (papillon)
  • Otario que andas penando
  • Pobre Margot
  • Señorita María
  • Tu nombre es María
  • Yo soy María
  • Zorro gris

Dédicaces génériques

Elles peuvent être utilisées pour différentes personnes, par exemple, les mères en général

  • A la mujer argentina
  • A los amigos
  • A los artistas plásticos
  • A los maestros
  • A los míos
  • A los muchachos
  • A los obreros gráficos
  • A los payadores
  • A los que se fueron
  • A mi esposa
  • A mi madre
  • A mi madrecita
  • A mi padre
  • A mi vieja
  • A mis compañeros
  • A mis tíos
  • A mis viejos
  • A su memoria
  • A un semejante
  • El ingeniero (ingénieurs diplômés dans les universités argentines).

Les dédicaces à Canaro

  • A Don Pirincho Canaro (déjà cité)
  • A lo Pirincho
  • Canaro
  • Canaro en Córdoba
  • Canaro en Japón
  • Canaro en Paris
  • Pirincho

Les sélections

Les selecciones sont des titres qui mélangent plusieurs morceaux. On les appelle aussi Popurri (Pots-pourris).
Il en existe de différents auteurs et/ou compositeurs, par exemple Arolas, Canaro, De Caro, Delfino, Di Sarli, Discepolo, Gardel, Mariano Mores, Piazzolla, Troilo… C’est une forme d’hommage qui consiste à mettre en valeur des compositions ou textes d’un compositeur ou auteur particulier.
Sans le titre seleccion ou popurri, on trouve également

  • Homenaje a Carlos Gardel
  • Recordando a Discepolo
  • Homenaje a Eduardo Rovira

Les à la manière de

Il s’agit d’œuvres où on imite le style de la personne à qui on souhaite rendre hommage. Je parle de compositions, pas des orchestres qui jouent à la manière de…

  • Engobbiao (Alfredo Gobbi)
  • Pichuqueando (Canaro)
  • Puglieseando  (Pugliese)
  • Tango a Pugliese (Pugliese)

San Pugliese

Vous vous êtes peut-être demandé pourquoi on disait « San Pugliese », ce qui veut dire Saint Pugliese.
Don Osvaldo était athée, communiste de surcroît et donc, difficilement canonisable, du moins par le Vatican, même avec un Pape d’origine argentine.
Mais les Argentins ont de la ressource et l’idée de créer une image « pieuse » (Estampita) à l’image de Pugliese est venue à Carlos Villaba à la vue des images pieuses qui se distribuent dans les églises.
Il confia le texte à Alberto Muñoz qui souhaita garder l’anonymat et c’est pour cette raison qu’il n’est pas signé. Ce qui est amusant, c’est que plusieurs personnes ont revendiqué l’écriture, ce qui, pour Alberto était la preuve que cela fonctionnait.
L’image d’origine est constituée d’une photo de Pugliese sur laquelle un œillet a été ajouté. C’est l’œillet qui était placé sur le piano quand Pugliese était absent (généralement en prison…) lors des concerts.

San Pugliese. À gauche, Recto et verso de l’image « pieuse » originale (estampita). À droite, trois versions plus récentes.

La mention « San Pugliese », reprend le principe des images pieuses, comme celle de San Expedito, le saint des causes justes et urgentes…

Une image pieuse dédiée à San Exposito.

Un documentaire est sorti il y a quelques mois sur San Pugliese. Je vous invite à le voir, si vous en avez l’occasion, il est passionnant.

Bande annonce de San Pugliese

https://filmfreeway.com/SanPugliese
Le site et la bande annonce de San Pugliese.

https://www.facebook.com/sanpugliesedocumental
La page Facebook est également intéressante

Texte de la prière à Saint Pugliese

Protégenos de todo aquel que no escucha. Ampáranos de la mufa de los que insisten con la patita de pollo nacional. Ayúdanos a entrar en la armonía e ilumínanos para que no sea la desgracia la única acción cooperativa. Llévanos con tu misterio hacia una pasión que no parta los huesos y no nos deje en silencio mirando un bandoneón sobre una silla

Traduction libre de la prière à Saint Pugliese

« Protège-nous tous ceux qui n’écoutent pas. Protège-nous de la mufa (mauvaise humeur) de ceux qui insistent avec la cuisse de poulet nationale. Aide-nous à entrer en harmonie et éclaire-nous afin que le malheur ne soit pas la seule action coopérative. Emmène-nous avec ton mystère vers une passion qui ne brise pas les os et ne nous laisse pas en silence regardant un bandonéon sur une chaise ».

Comment utiliser la prière à San Pugliese

Les musiciens argentins, même ceux qui n’ont rien à voir avec le tango respectent San Pugliese et l’invoquent pour que tout se passe bien. Sur les scènes, on peut voir des images de San Pugliese et quand tout ne se passe pas pour le mieux, il convient de conjurer le mauvais sort en criant Pugliese – Pugliese – Pugliese. Ne croyez pas que c’est une superstition, cela fonctionne et beaucoup d’artistes et de techniciens ont la Estampita dans leur portefeuille, placée sur la console ou sur leur instrument.

Clin d’œil final…

Le principe des images pieuses détournées continue d’être utilisée en Argentine et je vous présente pour terminer une image qui me fait mourir de rire. Le nom de l’homme politique Santoro a été découpé en faire San Toro. Jajaja.

Santoro (en un seul mot) est un homme politique argentin, enseignant de formation. La prière demande à ce que les enfants puissent avoir une plave (vancante) à l’école publique.

Dos amores 1932-08-12 – Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá

Antonio Sureda Letra: Gerónimo Sureda

Les frères Sureda étaient complémentaires. Antonio, bandonéoniste et compositeur et Gerónimo, poète. Notre tango du jour est un des fruits de leur collaboration. Ceux qui pensent que le tango est une histoire de cocus et de trahison ne s’y retrouveront pas, mais tous les autres adoreront ce très beau thème que les frères Sureda ont peut-être dédié à leur mère…

Parmi leurs collaborations, nous pouvons citer en plus de notre tango du jour Ilusión marina qui est le premier titre de son frère sur lequel Gerónimo a mis des paroles.
Voici d’autres titres que vous connaissez sans doute, car nous en possédons des enregistrements. Ils sont par ordre alphabétique :

  • A oscuras (Gerónimo est aussi crédité de la composition en compagnie de son frère pour ce titre).
  • Adiós juventud
  • Barreras de amor
  • Cacareando
  • Decime adiós
  • Juanillo (pasodoble)
  • Mala suerte
  • Nunca es tarde
  • Parece que fue ayer
  • Ronda del querer
  • Si alguna vez
  • Te quiero mucho más
  • Volvió la princesita
  • Yo quiero que sepas

Finalement Antonio a fait appel à son frère pour la majorité de ses compositions, mais signalons tout de même qu’un petit quart est aussi issu de la collaboration avec Homero Manzi, le reste étant anecdotique.

Extrait musical

Dos amores 1932-08-12 – Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá.

Un tango appuyé et marchant tout à fait typique de Canaro. Contrairement à ce que faisaient certains orchestres contemporains, l’orchestration de Canaro se démarque par de beaux contrepoints qui sont souvent surprenants, mais qui donnent de l’intérêt et cassent tout risque de monotonie. Le long passage en pizzicati des violons qui commence à 1:45 après l’estribillo de Famá et le recours aux instruments en cuivre donne une sonorité particulière.
On notera également l’intéressante variation finale qui anime les dernières secondes.

Paroles

Escuche viejecita… yo quiero que se entere
Desde hace mucho tiempo, que tengo ya otro amor,
Si viera qué bonita, qué buena es la muchacha
Hay en sus ojazos más fuego que el sol.
Yo quiero que la quiera con su cariño santo
Con fuerza, con vehemencia, de todo corazón,
Ella hace mucho tiempo que quiere conocerla
Para llamarla madre… como lo llamo yo.

Fue cerquita del barranco
Donde una tarde la vi,
Y en la tranquera ´e su rancho
El primer beso le di,
Desde entonces mi guitarra
Tiene una cinta ´e color,
Que la prendieron sus manos
Como prueba de su amor.

¿Que pasa?…viejita venga, por qué se pone triste
Acaso no se alegra al ver que soy feliz,
O cree que el cariño de la mujer que amo
Me hará olvidar lo mucho que usted sufrió por mí.
Yo quiero que la quiera con su cariño santo
Con fuerza, con vehemencia, de todo corazón,
Ella hace mucho tiempo que quiere conocerla
Para llamarla madre, como la llamo yo.
Alfredo De Angelis Letra: Gervasio López

Traduction libre et indications

Écoutez, ma petite mère (ma petite vieille est un terme affectueux, le texte est un mélange de familiarité et de vouvoiement respectueux). Je veux que vous sachiez que ça fait longtemps déjà que j’ai un autre amour.
Si vous voyez comme elle est jolie, comme elle est bonne la fille.
Il y a plus de feu dans ses grands yeux que dans le soleil.
Je veux que vous l’aimiez de votre sainte affection, avec force, avec véhémence, de tout votre cœur.
Elle, cela fait longtemps qu’elle veut vous connaître, pour vous appeler mère… comme je vous appelle, moi.
C’est près de la tranchée qu’un après-midi je l’ai vue, et à la porte de son ranch, je lui ai donné le premier baiser, depuis lors ma guitare a un ruban de couleur, que ses mains ont attaché comme preuve de son amour.
Que se passe-t-il ?… Ma petite mère, venez, pourquoi êtes-vous triste ?
Peut-être n’êtes-vous pas heureux de voir que je suis heureux, ou pensez-vous que l’affection de la femme que j’aime me fera oublier combien vous avez souffert pour moi.
Je veux que vous l’aimiez de votre sainte affection, avec force, avec véhémence, de tout votre cœur.
Elle, cela fait longtemps qu’elle veut vous connaître, pour vous appeler mère… comme je vous appelle, moi.

Autres versions

Dos amores. À gauche, Canaro chez Odeón, au centre, D’Arienzo chez RCA Victor et à droite, Pugliese chez Philips (Dos amores est la plage 2 de la face 1 du disque LP 33 tours).
Dos amores 1932-08-12 – Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá. C’est notre tango du jour.
Dos amores 1932-09-09 – Santiago Devin con Trio Antonio Sureda.

Santiago Devin est un chanteur relativement rare, mais il avait du succès dans les années 30. On le connaît surtout avec le Sexteto de Carlos Di Sarli, où il ne chantait que l’estribillo. Il nous propose ici accompagné par le trio Antonio Sureda pour Odeón, une version en chanson, plus à classer du côté de Gardel, Magaldi ou Corsini que du côté du tango de bal. Vu que Santiago Devin enregistre avec le compositeur, on peut penser que Antonio Sureda cautionne cette jolie version. Le trio était composé, en plus de Antonio Sureda au bandonéon, de Oscar Valpreda au violon et de Alpredi au piano.

Dos amores 1947-05-13 – Orquesta Juan D’Arienzo con Armando Laborde.

Le tempérament fougueux de D’Arienzo pourrait paraître un contre-emploi, mais la voix travaillée de Laborde fait que cela passe, mais si cela peut se danser, c’est un peu un cran en dessous en matière de romantisme.

Dos amores 1961 – Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel.

Dos amores 1961 – Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel. Pugliese sait faire des versions très personnelles et empreintes de romantisme. Nous en avons là, un exemple. Les 55 premières secondes préparent la venue du chanteur, Jorge Maciel qui prendra ensuite l’essentiel de la présence. L’utilisation par Maciel du port de voix (liaison des notes en glissando), de l’arrastre (laisser traîner) fait que ce titre sera un peu moyen pour la danse, même si je sais que certains adorent. Cette version est cependant bien adaptée à l’expression des sentiments d’amour évoqués par le tango.

Sur ces beaux sentiments, je vous dis, à demain, les amis !

T.B.C. 1953-08-11 – Orquesta Edgardo Donato con Roberto Morel y Raúl Ángeló

Ascanio Ernesto Donato Letra: Roberto Fontaina; Víctor Soliño

Nous vivons dans un monde de fous et le poids d’un baiser volé est sans doute tellement lourd aujourd’hui que l’on n’oserait plus écrire des paroles comparables à celles de notre tango du jour. Les initiales T.B.C. signifient Te bese (je t’ai embrassé). Mais nous verrons d’autres significations possibles pour les premières versions.

Ascanio

Ascanio Ernesto Donato

Ascanio Donato (14 octobre 1903 – 31 décembre 1971) est un des 8 frères de Edgardo Donato, l’interprète de notre tango du jour. Contrairement à son grand frère, Edgardo (violoniste) ou même son petit frère, Osvaldo (pianiste), Ascanio est peu connu. Le site TodoTango, qui est en général une bonne source, l’indique comme violoniste, alors qu’il était violoncelliste.
Sa fiche dans le répertoire des auteurs uruguayens est plus que sommaire : https://autores.uy/autor/4231. Avec seulement la date de naissance et un seul de ses prénoms et pas de date de décès. En effet, contrairement à son aîné, Edgardo qui est né à Buenos Aires, Ascanio est né à Montevideo.
L’œuvre a été déposée le 22 janvier 1929 (n° 40855) sous le nom de A.E. Donato (Ascanio Ernesto Donato). À l’époque, il était déjà violoncelliste avec ses frères, Osvaldo au piano et Edgardo à la direction et au violon. On notera que le dépôt a eu lieu en 1929, mais que le tango a été enregistré pour la première fois en 1927.
Un autre dépôt a été effectué en Argentine le 19 décembre 1940 (# 2535 | ISWC T0370028060) et cette fois, le dépôt est au nom d’Edgardo. Cependant, les premiers disques mentionnent A. Donato.

Différents disques de T.B.C.

Les premiers disques indiquent bien A. Donato. Celui de Veiga réalisé à New York indique E Donato et pas les auteurs du texte, chanté. Celui de Rafael Canaro réalisé en Espagne indique juste Donato. Celui de De Angelis indique E. Donato et celui du quintette du pianiste Oscar Sabino, de nouveau, A. Donato… On notera que le premier disque, celui de Carlos Di Sarli à gauche ne mentionne pas les auteurs des paroles, l’œuvre étant instrumentale.

Je propose de conserver l’attribution à Ascanio, d’autant plus que je verse au dossier une partition qui lui attribue l’œuvre…

Extrait musical

Partition de T.B.C. indiquant A.E. Donato, donc, sans ambiguïté, Ascanio Ernesto Donato.
T.B.C. (Te bese) 1953-08-11 – Orquesta Edgardo Donato con Roberto Morel y Raúl Ángeló

Paroles

Les paroles semblent avoir été ajoutées postérieurement. Nous y reviendrons.

Te besé
y te cabriaste
de tal manera
que te pusiste
hecha una fiera.
Y hasta quisiste,
sin más motivo,
darme el olivo
por ser audaz.

Total
no es para tanto,
no ves
que estaba « colo ».
Pensá
que fue uno sólo
y al fin
te va a gustar.
No digas que no,
que cuando sepas,
besar
dando la vida
serás
tu quien me pida
y sé
qué me dirás.

Bésame,
que no me enojo,
bésame,
como en el cine.
Un beso de pasión,
que al no poder respirar,
me detenga el corazón.
Bésame,
Negro querido,
el alma
dame en un beso
que me haga estremecer
la sensación
de ese placer.
Ascanio Donato Letra: Roberto Fontaina; Víctor Soliño

Traduction libre

Je t’ai embrassée et tu t’es tellement fâchée que tu es devenue une bête sauvage. Et tu voulais même, sans plus de raison, t’enfuir (Dar el olivo, c’est partir, fuir) pour avoir été audacieux.
Quoi qu’il en soit, ce n’est pas si mal, ne vois-tu pas que c’était « colo » (Loco, fou en verlan).
J’ai pensé que ce serait un seul et qu’au final tu aimerais. Ne dis pas non, que quand tu sais, embrasser en donnant la vie, tu seras celle qui me demandera et je sais ce que tu me diras :
« Embrasse-moi, que je ne me fâche pas, embrasse-moi, comme au cinéma. Un baiser de passion, que de ne plus pouvoir respirer, mon cœur s’arrête.
Embrasse-moi, mon chéri (Negro est un surnom affectueux qui peut être donné à quelqu’un qui n’est pas noir), donne-moi un baiser à l’âme qui me fasse secouer la sensation de ce plaisir.« 

Comme pour beaucoup de paroles de tango, il convient de faire des hypothèses quant à la signification exacte. Le fait que des femmes et des hommes l’aient chanté permet de relativiser l’affaire, ce ne sont pas d’horribles machistes qui violentent des femmes non consentantes.
Certains voient dans le tango des histoires de bordels, mais dans la grande majorité, les histoires sont plutôt sentimentales, c’est-à-dire qu’elles parlent de sentiments. Que ce soit l’illusion, l’amour fou, la détresse de l’abandon, le repentir, le regret. En dehors de l’époque des prototangos et des premiers tangos qui avaient des paroles assez crues et où les mecs faisaient les bravaches, la plupart des titres est plutôt romantique.
Je veux voir dans le texte de ce tango une idylle naissante, peut-être entre des adolescents, pas le cas d’un taita qui s’impose à une mina désemparée, d’autant plus que le texte peut être vu des deux points de vue, comme le prouvent les versions que je vous propose.
Pour la traduction, j’ai choisi de faire parler un homme, puisque ce sont des hommes qui chantent notre tango du jour et le dernier couplet pourrait-être la réponse de la femme qui se rend aux arguments, à la sollicitation de l’homme. Mais on peut totalement inverser les rôles.
Les premiers enregistrements sont instrumentaux. T.B.C. peut dans ce cas signifier Te Bese, ou TBC (sans les points) qui désigne la tuberculose… TBC est aussi un club nautique de Tigre (près de Buenos Aires) TBC pour Tigre Boat Club. De nombreux tangos font référence à un établissement, ou un club. Mais le fait qu’il soit à Tigre et pas à Montevideo limite la portée de cette hypothèse.
L’excellent site bibletango.com indique que le titre serait inspiré par un club assez spécial de Montevideo, mais sans autre précision. Si on excepte l’acception TBC=Tuberculose, je ne trouve pas de club en relation avec T.B.C. à Montevideo.

Avec les paroles de Roberto Fontaina et Víctor Soliño, le doute n’est plus permis, c’est bien Te bese qu’il faut comprendre.
Roberto Fontaina et Víctor Soliño travaillaient à Montevideo. Ce qui confirme l’origine uruguayenne de ce titre.

Autres versions

Ce tango a été enregistré à diverses reprises et en deux vagues, à la fin des années 20 et dans les années 50.
Les enregistrements de 1927 et 1928 sont instrumentaux.

T.B.C. 1927-11-28 – Orquesta Julio De Caro.

Premier enregistrement, instrumental.

T.B.C. 1928-11-26 – Sexteto Carlos Di Sarli. Une version instrumentale.

Une autre version instrumentale.

Rosita Quiroga nous propose la première version chantée.

T.B.C. 1929-01-22 – Rosita Quiroga con guitarras y silbidos.

Je trouve cette version fraîche et délicieuse. Toute simple et qui exprime bien le texte. Remarquez les sifflements.

T.B.C. (Te bese) 1929-06-19 – Genaro Veiga – Orquesta de la Madriguera.

Cette version a été enregistrée à New York, ce qui une fois de plus prouve la diffusion rapide des œuvres. On n’est pas obligé d’apprécier la voix un peu traînante de Veiga.

T.B.C. (Te bese) 1930 Orquesta Rafael Canaro con Carlos Dante y Rafael Canaro.

Rafael se joint à Carlos Dante pour le refrain dans un duo sympathique. Cette version a été enregistrée en Espagne, par le plus français des Canaro.

T.B.C. (Te bese) 1952-12-05 – Florindo Sassone con Roberto Chanel.

Une version typique de Sassone qui remet au goût du jour ce thème. C’est un peu trop grandiloquent à mon goût. Roberto Chanel, semble rire au début, sans doute pour dédramatiser sa demande. En revanche, l’orchestre passe au second plan et cela permet de profiter de la belle voix de Chanel.

T.B.C. (Te bese) 1953-08-11 – Orquesta Edgardo Donato con Roberto Morel y Raúl Ángeló. C’est notre tango du jour.

Après l’écoute de Sassone, on trouvera l’interprétation beaucoup plus sèche et nerveuse. Pour le premier disque de ce tango de son frère (ou de lui…), c’est un peu tardif, mais c’est plutôt joli. Cela reste dansable. Comme dans la version de Rafael Canaro qui initie le premier duo, le refrain est chanté par Morel et Ángeló.

T.B.C. (Te bese) 1957-07-17 – Diana Durán con orquesta.

À comparer à la version de Rosita Quiroga de 28 années antérieure. On peut trouver que c’est un peu trop dit et pas assez chanté. Je préfère la version de Rosita.

T.B.C. (Te bese) 1960-10-19 – Orquesta Alfredo De Angelis con Lalo Martel.

Lalo Martel, reprend le style décontracté et un peu gouailleur de ses prédécesseurs.

T.B.C. (Te bese) 1990 C – Los Tubatango.

Et on ferme la boucle avec une version instrumentale avec un orchestre qui s’inspire des premiers orchestres de tango…

T.B.C. Inspiré de Psyché ranimée par le baiser de l’Amour – Antonio Canova.

J’ai utilisé un des baisers les plus célèbres de l’histoire de l’art, celui immortalisé dans le marbre par Antonio Canova et que vous pouvez admirer au Musée du Louvre (Paris, France) pour l’image de couverture.

Tic tac 1941-08-07 – Orquesta Enrique Rodríguez con Armando Moreno

Enrique Cadícamo (Musique et paroles)

Si je dis Tic-Tac, vous penserez tout de suite à l’horloge, à la montre et au-delà, au temps qui passe. Les trois minutes d’un tango peuvent passer très vite, trop vite, ou donner l’impression de s’éterniser. Le tango du jour nous parle du temps. Sa tristesse est compensée par le savoir-faire de Moreno et Rodriguez, mais il est temps de vous faire écouter ce tango. Nous remontons le temps, jusqu’en 1941, il y a exactement 727 070 heures, quand Rodriguez et Moreno enregistraient le tango Tic Tac.

Extrait musical

Tic tac 1941-08-07 – Orquesta Enrique Rodríguez con Armando Moreno.

Tic tac 1941-08-07 – Orquesta Enrique Rodríguez con Armando Moreno. Les 30 premières secondes sont classiques pour du Rodriguez. La musique est bien cadencée et marquée de façon un peu (beaucoup) appuyée.
À 30 secondes, donc, Rodriguez nous donne la première information horlogère. Puis il reprend le cours normal de la musique. Les danseurs peuvent penser avoir rêvé ce Tic-Tac, mais 20 secondes plus tard, le Tic-Tac réapparaît.
À une minute, Moreno lance deux fois Amor, mais avant d’aller plus loin, voici les paroles.

Paroles

Amor, amor… novela triste
Amor, amor… tú ya no existes.
Solo, sin tu cariño,
Soy como un niño
Que siente miedo.
Solo, solo en la casa,
La noche pasa
Por el reloj.

Tic tac, tic tac, tic tac…
Oigo en las sombras, este latido.
Tic tac, tic tac, tic tac…
Como un martillo suena en mi oído.
Es el reloj que va pasando
Y nuestras vidas va contando.
Tic tac, tic tac, tic tac…
Y su recuerdo, se hace dolor.

Letra y música: Enrique Cadícamo (Domingo Enrique Cadícamo)

Traduction libre et indications

L’amour, l’amour… Roman triste
L’amour, l’amour… Tu n’existes plus. (La triste nouvelle est annoncée)
Seul, sans ton affection, je suis comme un enfant qui éprouve la peur.
Seul, seul dans la maison, la nuit passe par l’horloge.
Tic-tac, tic-tac, tic-tac… (À 1:30 Moreno déclare Tic-Tac, levant toute ambiguïté et l’orchestre renforce le son d’horloge).
J’entends dans l’ombre, ce battement (de cœur).
Tic-tac, tic-tac, tic-tac… (Retour du Tic-Tac)
Comme un marteau, il résonne dans mon oreille.
C’est l’horloge qui tourne et nos vies vont comptant.
Tic-tac, tic-tac, tic-tac… (Encore le Tic-Tac)
Et son souvenir se fait douleur.

Abandon ou mort, quoiqu’il en soit, l’horloge marque le temps désormais inutile dans l’être aimé. C’est une façon assez originale de marquer le poids du temps sur la peine. Enrique Cadícamo, l’un des auteurs les plus prolifiques est ici le compositeur et le parolier, cette œuvre lui est donc totalement redevable et prouve la richesse de son univers.
Il fallait sans doute Rodriguez et sa légèreté (dans les thèmes, pas la musique) pour passer en douceur ce message.

Autres versions

Ce tango est encore un orphelin. Il y a bien sûr d’autres tangos qui parlent du temps, voire même de l’horloge. Nous avons évoqué El Reloj (L’horloge) il y a quelques jours, mais pas d’autre enregistrement de Tic Tac. Je vais cependant lui proposer un ami…

Tic tac 1941-08-07 – Orquesta Enrique Rodríguez con Armando Moreno. Notre tango du jour, orphelin.

Le copain que je lui propose est une musique klezmer. Cela peut sembler curieux, mais le festival de Tarbes en France avait coutume de proposer comme dernier thème ce titre. J’avoue ne pas en connaître la raison pour laquelle ils ont troqué la cumparsita pour le titre que je vous propose d’écouter maintenant.
Il s’agit de Time par le trio Kroke, un trio polonais dont le nom, Kroke, est celui de la ville polonaise de Cracovie, exprimé en Yidiish (langue des juifs d’Europe centrale).

Time 1998-05 – Kroke (Tomasz Lato).

Le trio Kroke est composé de Tomasz Kukurba au violon alto, Tomasz Lato à la contrebasse et Jerzy Bawoł à l’accordéon diatonique.
Ce titre a été enregistré en mai 1998 a été publié pour la première fois en 1999 sur l’album The Sounds of the Vanishing World.
Pour les masochistes, il existe une version longue de plus de 8 minutes, Tomasz Kukurba ayant complété l’original de Tomasz Lato
Certains seront assez étonnés d’apprendre que des danseurs essayent de danser le tango sur ce titre, mais d’autres adorent cet exercice qui consiste à croire danser le tango sur n’importe quelle musique. C’est génial, mais ce n’est pas du tango.

Bon, j’ai perdu les lecteurs fans de NeoTango. J’espère qu’ils reviendront quand ils sauront que j’ai musicalisé des événements de NeoTango, car pour un DJ, cela permet une très grande créativité dans le choix des musiques, mais aussi dans le mixage, ce qu’on ne fait pas en tango traditionnel. Par exemple, on peut commencer avec un titre, continuer avec un autre, rajouter des samples, voire des éléments synthétisés, revenir au thème initial, varier vitesse, hauteur, sonorité, ce que l’on ne peut guère faire dans une milonga.

L’angoisse du DJ qui est en train de se demander s’il peut associer deux titres dans la même tanda. Vuelta al futuro (1985)

Il est l’heure de vous laisser, à demain, les amis.

El marajá 1951-08-03 – Orquesta Domingo Federico

Francisco Federico

Notre tango du Jour est très original, par son titre, par sonorité et par sa rareté. Un marajá (maharajá) est bien sûr un maharadjah qui pour l’époque qui nous intéresse est un des princes feudataires de l’Inde. La sonorité de la musique le confirme rapidement si on avait un doute.

Un Federico peut en cacher un autre

Quatre âges de Domingo Federico.

Domingo Federico (1916-2000) avait une petite sœur, Nélida Cristina Federico (1920-2007). Bandonéoniste, pianiste et peintre (1920-2007). Cette dernière indique que son père, Federico était violoniste et même professeur de violon selon son frère, Domingo et c’est là que les problèmes commencent.
Un Francisco Federico, on en a un en stock, mais il était contrebassiste, notamment dans l’orchestre de Miguel Caló. Il était également compositeur, par exemple de El marajá dont on parle aujourd’hui.
Selon Nélida, c’est son père et Domingo qui l’ont initié à la musique. Il est donc fort probable que le Francisco auteur de ce tango soit le père de Nélida et Domingo, sinon, pourquoi ne pas parler de son autre frère qui comme compositeur et contrebassiste aurait pu aussi contribuer à la formation musicale de la jeune femme ?
Une autre indication est le fait que le tango Saludos est cosigné Domingo et Francisco Federico et qu’à cette époque, Francisco Federico était contrebassiste dans l’orchestre de Miguel Caló.
Sur le fait de jouer plusieurs instruments, c’était une particularité de la famille et de nombreux autres musiciens de tango. Nélida aurait commencé à étudier le violon, puis serait passé au piano et au bandonéon.
En effet, le premier janvier 1931, avec son frère Domingo, elle jouait au Café Tokyo de Junín en compagnie de son frère âgé de 14 ans (elle devait donc avoir environ 11 ans). Lui au bandonéon et elle au piano. Le clou du spectacle est qu’ils échangèrent les rôles, lui au piano et elle au bandonéon, le père étant le conseiller musical du duo qui fut appelé, le Duo Federico.
J’avais donc monté l’hypothèse que le Francisco de Saludos et de El marajá était le père ou sinon le frère de Nélida et Domingo. Pour lever cette ambiguïté, j’ai contacté des collègues et l’excellent Camilo Gatica m’a orienté vers une source que j’avais consultée, mais dans une version inaccessible pour moi.
Cette source complète confirme toutes mes hypothèses, je cite donc la conclusion de Camilo (avec des ajouts entre parenthèses) : « Ainsi, Francisco était pianiste, bandonéoniste, violoniste (et même professeur de violon selon son fils), contrebassiste (dans l’orchestre de Miguel Calo) et avait des connaissances en musique. Il était le père de Domingo et Nélida ».

Domingo et Nélida Federico avant…
Domingo et Nélida après une vie d’artiste (Nélida avait abandonné le bandonéon pour la peinture, mais est revenue ensuite au bandonéon).

Extrait musical

El marajá 1951-08-03 – Orquesta Domingo Federico.
El marajá 1951-08-03 – Orquesta Domingo Federico.

Un motif très léger de flûte ethnique commence l’œuvre. La mélodie principale a des caractéristiques qui la rapprochent de la musique orientale. On ne peut donc à aucun moment écarter la volonté de référence à un orient.
On notera la grande richesse des contrepoints, les instruments se lançant à tour de rôle de dans de belles phrases qui s’enlacent et s’enchevêtre, tout en gardant une grande clarté.
Les motifs, plus typiquement orientaux, reviennent régulièrement pour rappeler le thème.
Étant ignorant en musique indienne, je ne peux pas vous proposer d’œuvres de comparaison qui permettraient de définir la source d’inspiration de Francisco Federico. Cependant, ceux qui connaissent Ravi Shankar ou George Harrison (le guitariste des Beatles)verront toute de suite des analogies, même si Francisco et Domingo Federico ne font pas appel au sitar. Que ce soit un orient de fantaisie ou savant, cela évoque l’Inde et l’un de ses princes, un maharajá.

Mais qui est ce mahârâjah – maharajá – marajá ?

Le fait que le père de Domingo soit l’auteur de ce tango est important, car en 1925, un mahârâjah est venu en Argentine et a été reçu en grande pompe, au point que le Président Alvear a dû sortir de sa poche une partie du financement, car l’enveloppe de dépense avait explosé.
Le voyageur était le mahârâjah de Kapurthala, Jagatjit Singh Sahib Bahadur. Ce prince indien était fortement européanisé et parlait français, ce qui était courant dans la haute société argentine de l’époque. Il effectua son voyage en habits européens, sans son turban.

Le maharajah (au centre de face) en compagnie du président argentin Alvear (au centre, de profil avec la canne) et du Prince de Galles (le deuxième à partir de la gauche).

Le maharajah relate son périple dans son journal :
My Tour in South, Central, and North America (1926). On y apprend qu’il faisait froid à son arrivée à Buenos Aires en provenance d’Uruguay et que Buenos Aires est le lieu qui lui a le plus plu de son voyage. On peut le croire quand on constate qu’un quart de son livre est consacré à son passage dans la province. Parmi ses visites, en plus du théâtre Colon et les réceptions habituelles, il est allé à Tigre et dans un site insolite que j’ai choisi de mettre en fond de la photo de couverture.
Il s’agit du château estancia Huetel situé à 200 km de Buenos Aires, dans la Pampa. Il passa deux jours dans ce château imitant le style français Louis XIII appartenant à doña Concepción Unzué de Casares.

Quelques vues du château estancia Huetel construit par l’architecte franco-suisse Jacques Dunant. Né à Genève, Jacques Dunant fit ses études d’architecte aux Beaux-Arts de Paris. Pour l’exposition universelle de 1889 (celle où a été construite la Tour Eiffel), il travailla au pavillon de l’Argentine. En 1995, il fut appelé à Buenos Aires pour juger du concours pour l’attribution de la construction du Congresso. Il se fixa en Argentine et y réalisa de nombreux édifices (ainsi qu’en Uruguay). La construction de l’estancia Huetel a commencé en 1906.

Au programme, un concert de Carlos Gardel. Un chanteur d’origine française, dans un château de style français par un architecte français, il n’en fallait pas plus pour ravir le mahârâjah francophile.
Pour être précis, Gardel n’était pas seul. Il était accompagné de Razzano et de leurs guitaristes Ricardo et Barbieri et d’un instrumentiste impromptu…
Gardel et Razzano commencèrent à interpréter Linda provincianita, Galleguita, Claveles mendocinos, La pastora et La canción del ukelele. Alors, Le Prince de Galles qui était également invité est parti dans sa suite chercher un ukulélé et il se mit à en jouer y compris sur les chansons de Gardel et Razzano.
Jagatjit Singh Sahib Bahadur (le maharajah) raconte dans son journal que l’accueil de la population argentine a été enthousiaste dans tous les points de son voyage dans le pays et qu’on l’accueillait aux cris de « Viva el Maharajá », y compris aux haltes du train qui le mena par la suite vers le Chili.

My Tour in South, Central, and North America (1926). Sur la photo du maharajah de Kapurthala, Jagatjit Singh Sahib Bahadur, en costume traditionnel, on peut voir un fauteuil qui lui avait été offert à La Plata par le gouverneur Cantillo en août 1925.

La visite d’un prince venu de si loin semble avoir impressionné la population et j’imagine que c’est bien cette visite qui a donné l’idée à Francisco Federico d’écrire ce titre.

Autres versions

Il n’y a pas d’autre version de ce tango, je vous propose de le réécouter.

El marajá 1951-08-03 – Orquesta Domingo Federico.

Domingo Federico est sans doute un musicien un peu oublié. Sa retraite à Rosario l’éloignant de Buenos Aires a peut-être limité sa visibilité. Je suis donc content, une fois de plus, de lui redonner un peu de présence.

À propos de l’image de couverture

J’ai assemblé deux images. Une vue de l’estancia Huetel et au premier plan, un portrait du maharajah de Kapurthala, Jagatjit Singh Sahib Bahadur. Ce portrait n’est pas d’époque, mais je tenais à présenter un maharajah avec son turban.

El marajá (mahârâjah) de Kapurthala, Jagatjit Singh Sahib Bahadur.

El reloj 1957-08-02 – Orquesta Juan D’Arienzo con Jorge Valdez

García Roberto Cantoral (MyL)

Notre tango du jour n’est pas un tango. Notre tango du jour est un tango. C’est un tango, ou ce n’est pas un tango, il faudrait savoir ! Disons que c’est un tango, mais que ce n’est pas un tango. Le tango sait chanter l’amour, mais il n’est pas le seul. Son copain le boléro le fait sans doute tout aussi bien et sans doute mieux. Alors, nous allons décortiquer le mécanisme de l’horloge, celle qui dit oui, qui dit non, dans le salon.

Boléro y tango

Je vous raconterai en fin d’anecdote l’histoire qui a donné naissance à ce boléro. Oui, ce titre est né boléro.
En Argentine, certains tangos un peu mielleux et hyper romantiques sont surnommés boléros par les tangueros et ce n’est pas forcément un compliment. Quelqu’un comme Borges aurait pu sortir le facón (couteau de gaucho) pour faire un sort au musicien qui aurait osé proposer ce type de tango, pas assez viril à son goût.
Mais le boléro est aussi un genre musical originaire de Cuba, qui, comme le tango, s’est exporté avec succès en Europe au point d’être une des pièces indispensables des bals de village. On notera toutefois que les danseurs « musette » le dansent exactement comme le tango, avec le même anapeste, le fameux lent-vite-vite-lent des cours de danse de société, alors que celui du boléro serait plutôt du type vite-vite-lent. Les deux danses sont d’ailleurs du type 4/4, même si dans le cas du tango, on aime à parler de 2/4 (dos por cuatro).
Attention, il me semble qu’il faut préciser que le boléro d’Amérique du Sud n’est pas le boléro espagnol qui est lui de rythme ternaire et qui est un dérivé des séguedilles. Il fut très populaire durant tout le dix-neuvième siècle, jusqu’au terrible « Boléro » de Maurice Ravel en 1928, qui en est une légère variante, mais dans lequel on reconnaît bien le rythme ternaire (3/4).
Les Européens se sont jetés sur le boléro d’origine sud-américaine dans les années 30 en s’approvisionnant aux deux principales sources de l’époque, Cuba et le Mexique, ce qui leur a permis d’oublier l’insupportable Boléro de Maurice Ravel. La diffusion était bien sûr la radio et le disque, mais aussi les bals et tout comme le tango de danse a été codifié en Europe, le boléro l’a été.
En Argentine, le boléro a aussi fait son apparition, mais le tango était bien en place et c’est un peu plus tardivement, notamment dans les années 50, qu’il est devenu très important.
Notre tango du jour appartient justement à cette époque. Auréolé de son succès, ce boléro écrit et chanté par García Roberto Cantoral (avec son trio mexicain Los 3 Caballeros) est arrivé jusqu’aux oreilles de Juan D’Arienzo qui a décidé de l’adapter à sa musique, en le transformant en tango.

Comparaison du chant boléro et tango

Je me suis livré à une petite expérience. Roberto Cantoral chante plus lentement que Jorge Valdez. C’est logique, il n’a pas la fusée D’Arienzo pour le pousser et c’est un boléro…
J’ai donc accéléré son enregistrement pour le placer à la même vitesse que celui de D’Arienzo. Dans ce premier montage, on va entendre un extrait des deux versions en même temps. C’est un peu fouillis, mais on voit tout de même des analogies.

El reloj – D’Arienzo Valdez et Roberto Cantoral. On entend les deux en même temps sur un extrait, le début de la partie chantée.
El reloj – Cantoral Puis D’Arienzo Valdez.

Le début de la version chantée par Cantoral, un petit pont par D’Arienzo puis Jorge Valdez. On notera que même si le rythme de l’orchestre est différent, les chanteurs ne sont pas si différents.
On remarquera l’arrastre de Cantoral, bien plus marqué que chez Valdez. De plus, si vous prenez en compte que j’ai accéléré l’enregistrement de Cantoral pour qu’il soit au compas de celui de D’Arienzo, on comprendra que la même partition peut donner lieu à des interprétations très différentes.
Vous pourrez entendre la version de Cantoral en entier dans la partie « Autres versions ».
Pour interpréter son tango qui n’est pas un boléro, mais qui est romantique comme un boléro, Juan D’Arienzo a fait appel à Jorge Valdez, son chanteur romantique et voici le résultat…

Extrait musical

El reloj Roberto Cantoral. Partition de boléro pour piano au centre et partition pour chanteur à droite. Cantoral et Valdez chantent sensiblement la même partition. La différence de rythme vient de l’orchestre.
El reloj 1957-08-02 – Orquesta Juan D’Arienzo con Jorge Valdez.

Comme vous pouvez l’entendre, cette version n’a rien de boléro dans le rythme. Les accents suaves du boléro d’origine sont découpés par des passages martelés au piano et au bandonéon. Un petit motif léger au piano évoque un carillon de salon et Jorge Valdez commence à chanter. Je ne suis en général pas fan de Valdez pour la danse, mais curieusement et malgré l’origine en boléro, le résultat reste acceptable pour la danse en tango et cela bien que Valdez chante la totalité des paroles et par conséquent plus de la moitié du tango. Peut-être que la beauté des paroles aide. Je vous laisse en juger.

Paroles

Reloj, no marques las horas
Porque voy a enloquecer
Ella se irá para siempre
Cuando amanezca otra vez
Nomás nos queda esta noche
Para vivir nuestro amor
Y tú tic-tac me recuerda
Mi irremediable dolor
Reloj, detén tu camino
Porque mi vida se apaga
Ella es la estrella que alumbra mi ser
Yo sin su amor no soy nada
Detén el tiempo en tus manos
Haz esta noche perpetua
Para que nunca se vaya de mí
Para que nunca amanezca
Reloj, detén tu camino
Porque mi vida se apaga
Ella es la estrella que alumbra mi ser
Yo sin su amor no soy nada
Detén el tiempo en tus manos
Haz esta noche perpetua
Para que nunca se vaya de mí
Para que nunca amanezca.

García Roberto Cantoral (MyL)

Traduction libre

Horloge, ne marque pas les heures parce que je vais devenir fou.
Elle disparaîtra pour toujours lorsque le soleil se lèvera à nouveau.
Nous n’avons que cette nuit pour vivre notre amour et ton tic-tac me rappelle ma douleur irrémédiable.
Horloge, arrête ton chemin parce que ma vie s’arrête.
Elle est l’étoile qui illumine mon être.
Sans son amour, je ne suis rien.
Arrête le temps entre tes mains.
Rends cette nuit perpétuelle pour qu’elle ne me quitte jamais, pour que l’aube n’arrive jamais.
Horloge, arrête ton chemin, car ma vie s’éteint.
Elle est l’étoile qui illumine mon être.
Sans son amour, je ne suis rien.
Arrête le temps entre tes mains.
Rends cette nuit perpétuelle, pour qu’elle ne me quitte jamais, pour que l’aube ne se lève jamais.

Une histoire romantique

Roberto Cantoral aurait composé ce titre alors qu’il était en tournée avec Los 3 caballeros, le trio de guitaristes chanteurs (les trios de guitaristes chanteurs sont une spécialité mexicaine) qu’il avait formé avec Chamin Correa et Leonel Gálvez.

Los tres caballeros. De gauche à droite, Leonel Gálvez, Roberto Cantoral, et Chamin Correa.

Il aurait eu à cette occasion une histoire d’amour avec une des femmes de la tournée, une danseuse.
La chanson conterait donc cette dernière nuit où lui devait revenir au Mexique et elle à New York.
Cette histoire est tellement plausible, qu’elle est quasi officielle. On peut juste se demander pourquoi il écrivait un boléro au lieu de profiter de ses derniers moments et pourquoi imaginait-il que cette histoire était terminée ? Engagement de la belle dans une autre histoire ? Il était marié et il ne voulait pas quitter sa femme.

Une histoire encore plus romantique

S’il était marié, c’est le thème de la seconde histoire. La femme de Roberto était gravement malade et le boléro a été composé alors qu’il la veillait à l’hôpital Beneficencia Española de Tampico. Les médecins avaient livré un sombre pronostic et il n’était pas du tout certain que son épouse « passerait la nuit ». D’après un journaliste signant lctl dans El Heraldo de México du 10 février 2021, la femme aurait survécu.
Si cette histoire est véridique, alors, elle est bien romantique également. Mais j’ai un doute sur cette histoire dans la mesure où Roberto Cantoral a vécu une autre aventure romantique… et que s’il chérissait tellement sa femme, il est peu probable qu’il se lance dans l’aventure que je vais exposer, mais avant, un détail.
Je n’ai pas évoqué les débuts de Roberto avec son frère aîné Antonio en 1950-1955 (Los Hermanos Cantoral). Antonio a créé ensuite aussi son groupe, Los Plateados de México. Contrairement à son petit frère, il était marié à l’époque de l’écriture de El reloj, amoureux et sa femme mourut jeune, en 1960. Peut-être que le séjour à l’hôpital était celui de la femme d’Antonio et pas d’une hypothétique femme de Roberto.
Et voici la troisième histoire…

Une histoire encore plus et plus romantique

Dans le domaine du boléro, plus c’est romantique et mieux c’est. En 1962 à Viña del Mar (Chili), Roberto était en tournée. Il y rencontra une trapéziste argentine qui était également en tournée. Cette trapéziste s’appelait Itatí Zucchi Desiderio, elle était également championne de judo, actrice et danseuse contemporaine. La partie romantique de l’histoire est qu’il se marièrent 9 jours après leur rencontre et qu’ils restèrent unis jusqu’à leur mort, 2010 pour lui, 2020 pour elle qui déclarait :
« Je suis la femme d’un seul homme, car quand l’amour est pur et le couple a un bon cœur, il ne peut pas se changer comme des chaussures. Il se garde pour toujours dans l’âme »
Si cette histoire, qui contrairement aux deux autres, est sûre si j’en crois mes croisements de sources, il faudrait que d’époux inquiet en 1956-1957, il devienne divorcé ou veuf cinq ans plus tard, condition nécessaire pour contracter en neuf jours le mariage. Par ailleurs, je n’ai pas trouvé de trace d’un premier mariage.
En 1956-57, il était en tournée, il avait 21 ans et en plein essor artistique. Ce ne sont pas les données idéales pour confirmer un mariage.
Avec Itatí Zucchi, ils ont eu quatre enfants, trois garçons et une fille, qui a pris le prénom et le nom de sa mère et le nom de son père… Itatí Cantoral Zucchi. Elle est actrice et chanteuse.

Roberto Cantoral, Itatí Zucchi et Itatí Zucchi (fille)

Je vous laisse donc choisir l’histoire qui vous semble la plus crédible et vous propose de regarder maintenant les autres versions.

Autres versions

Comme le titre est avant tout un boléro, malgré l’usage qu’en a fait D’Arienzo, je vais vous proposer surtout des boléros.

El reloj 1957 – Los 3 caballeros.

C’est la première version proposée par Roberto Cantoral, Chamin Correa et Leonel Gálvez, Los 3 Caballeros. Le style est celui du boléro mexicain.

El reloj 1957-08-02 – Orquesta Juan D’Arienzo con Jorge Valdez.

C’est donc au début du succès du titre que D’Arienzo s’est lancé dans sa version.

El reloj 1958 – Trio Los Panchos.

El reloj 1958 – Trio Los Panchos. Un début avec des claquements évoquant l’horloge. Le boléro se déroule ensuite de belle façon, appuyé par une percussion légère de clave, très cubaine. Cependant, aucun des trois n’est cubain, Chucho Navarro et Alfredo Gil sont mexicains et Hernando Avilés est portoricain.

El reloj 1960 – Roberto Cantoral.

À partir de 1960, Roberto Cantoral entame sa carrière de soliste. Le style n’est plus mexicanisant.

El reloj 1960c Alberto Oscar Gentile con Alfredo Montalbán.

Ce tango est daté 1950 dans tango.info, ce qui semble impossible si le boléro a été écrit en 1956. Le début au vibraphone évoque le tintement de Big Ben, suivi d’un petit motif horaire rappelant le son d’un carillon de salon. Puis le titre continue, sous une forme qui pourrait s’apparenter au tango.

El reloj 1961 – Antonio Prieto.

Une version en boléro par le chanteur chilien, Antonio Prieto.

El reloj 1981 – José José.

Comme pour le tango, il y a des boléros de danse et d’autres plus pour écouter. C’est ce dernier usage qui est recommandé pour celui-ci, enfin pas tout à fait, il est utilisable en slow pour danser « bolero », mais pas le bolero.

El reloj 1997 – Luis Miguel.

Même motif, même punition pour cette version en boléro, très célèbre par Luis Miguel.

El reloj 2012 – Il Volo… Takes Flight – Detroit Opera House.
Ce trio de jeunes Italiens avait enregistré ce titre dès leur premier album sorti le 30 novembre 2010.

Ces jeunes chanteurs italiens peuvent rappeler Roberto Cantoral et son frère Antonio qui se lancèrent, mineurs, dans les tournées.

El reloj 2018-11-20 – Romántica Milonguera con Marisol Martinez y Roberto Minondi.

Pour terminer, place au tango avec cette excellente version de la Romántica Milongera et ses deux chanteurs, Marisol Martinez et Roberto Minondi.

Finalement, ce boléro a donné vie à au moins deux belles exécutions en tango, celle de D’Arienzo et celle de la Romántica Milongera.

Roberto Cantoral, compositeur du boléro qui donna notre tango du jour.

À demain, les amis !

Malena 1942-01-08 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino

Lucio Demare Letra : Homero Manzi

Malena chante le tango comme personne et cela se sait depuis au moins 1941, date à laquelle Lucio Demare a composé ce tango qui sera inséré dans le film de son frère, Lucas, El Viejo Hucha. Ce magnifique tango qui a bénéficié du talent de Lucio Demare pour la musique et de Homero Manzi pour les paroles a eu, a et sans doute aura longtemps un gros succès.

Lucio Demare, à gauche, Homero Manzi, à droite. Manzi a écrit le texte, l’a donné à Demare qui a composé hyper rapidement la musique. C’est l’effet Malena.

Extrait musical

Malena, Lucio Demare et Homero Manzi. Partition de Jules Korn. Au centre, une partition que j’ai créée pour expliquer dans mes cours le fonctionnement des parties au tango et comme c’est justement à propos de Malena…
Malena 1942-01-08 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino

Paroles

Malena canta el tango como ninguna
y en cada verso pone su corazón.
A yuyo del suburbio su voz perfuma,
Malena tiene pena de bandoneón.
Tal vez allá en la infancia su voz de alondra
tomó ese tono oscuro de callejón,
o acaso aquel romance que sólo nombra
cuando se pone triste con el alcohol.
Malena canta el tango con voz de sombra,
Malena tiene pena de bandoneón.

Tu canción
tiene el frío del último encuentro.
Tu canción
se hace amarga en la sal del recuerdo.
Yo no sé
si tu voz es la flor de una pena,
só1o sé que al rumor de tus tangos, Malena,
te siento más buena,
más buena que yo.

Tus ojos son oscuros como el olvido,
tus labios apretados como el rencor,
tus manos dos palomas que sienten frío,
tus venas tienen sangre de bandoneón.
Tus tangos son criaturas abandonadas
que cruzan sobre el barro del callejón,
cuando todas las puertas están cerradas
y ladran los fantasmas de la canción.
Malena canta el tango con voz quebrada,
Malena tiene pena de bandoneón.

Lucio Demare Letra: Homero Manzi

Traduction libre

Les paroles sublimes de Manzi se suffisent à elles-mêmes. Je vous en laisse savourer la poésie à travers ma traduction (ou celle de Google, pour ceux qui lisent dans une autre langue que l’espagnol ou le français).

Malena chante le tango comme personne et dans chaque couplet, met son cœur.
À l’herbe des banlieues, sa voix parfume, Malena a une peine de bandonéon.
Peut-être que dans son enfance, sa voix d’alouette a pris ce ton obscur de ruelle, ou peut-être cette romance qu’elle ne nomme que lorsqu’elle est triste avec l’alcool.
Malena chante le tango d’une voix d’ombre, Malena a une peine de bandonéon.
Ta chanson a le froid de la dernière rencontre.
Ta chanson devient amère dans le sel de la mémoire.
Je ne sais pas si ta voix est la fleur d’un chagrin, je sais seulement qu’à la rumeur de tes tangos, Malena, je te sens meilleure, meilleure que moi.
Tes yeux sont sombres comme l’oubli, tes lèvres sont serrées comme le ressentiment, tes mains sont deux colombes qui ont froid, tes veines ont du sang de bandonéon.
Tes tangos sont des créatures abandonnées qui traversent la boue de la ruelle, lorsque toutes les portes sont fermées et que les fantômes de la chanson aboient.
Malena chante le tango d’une voix cassée, Malena a une peine de bandonéon.

Autres versions

On considère généralement que c’est Troilo qui a lancé le titre. Ce n’est pas faux, mais en fait Demare l’interprétait avec Juan Carlos Miranda, dès 1941 au Cabaret Novelty.

Le cabaret Novelty où jouait Lucio Demare et où il inaugura Malena avec Juan Carlos Miranda. Photo de 1938 (3 ans plus tôt).

D’accord, il le jouait, mais il ne l’a pas enregistré alors c’est bien Troilo le premier. Que non, mon ami. Lucio Demare l’a enregistré avec Juan Carlos Miranda à la fin de 1941, mais cette version est restée « secrète » jusqu’au 29 avril 1942.
Il s’agit de la version enregistrée pour le film El Viejo Hucha, réalisé par Lucas Demare, son frère et avec Osvaldo Miranda faisant le phonomimétisme (play-back) sur la voix enregistrée de Juan Carlos Miranda.
Et voici donc la première version enregistrée qui est bien de Lucio Demare avec Juan Carlos Miranda. Juan Carlos Miranda qui chante dans l’enregistrement est remplacé dans le film par OsvaldoMiranda, mais rien à voir avec l’autre Miranda, car Juan Carlos s’appelait en fait Rafael Miguel SciorraOsvaldo a également chanté, mais pas dans ce film, à ses débuts avant de devenir acteur. Il était ami avec Manzi (que le monde est petit…).

Osvaldo Miranda faisant le phonomimétisme (play-back) sur la voix enregistrée de Juan Carlos Miranda qui chante Malena dans le film El Viejo Hucha.
Malena 1942-01-08 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino. C’est notre tango du jour.

C’est le vrai faux premier enregistrement et le premier sorti en disque.

Malena 1942-01-23 – Orquesta Lucio Demare con Juan Carlos Miranda.

Une autre version de Demare et Miranda (le vrai), en disque, 15 jours après Troilo.

Malena 1950-12-12 – Quintin Verdu et son Orchestre con Lucio Lamberto.

Cet attachant orchestre français propose sa version de Malena.

Malena 1951-09-20 – Orquesta Lucio Demare con Héctor Alvarado.

Le compositeur enregistre sa troisième version du titre. Le chanteur, Alvarado âgé alors de 25 ans, est le seul chanteur de l’orchestre à l’époque. Demare l’a engagé l’année précédente. Sa voix correspond bien au style de l’orchestre, on comprend donc le choix de Lucio.

Malena 1951 – Orquesta José Puglia – Edgardo Pedroza con Francisco Fiorentino.

L’orchestre Puglia-Pedroza est assez rare, mais ils ont recruté un bon chanteur pour cet enregistrement. La partie orchestrale de l’introduction est un peu trop appuyée, avec des nuances exagérées. Si la voix de Fiorentino crée rapidement son cocon, la transition avec l’introduction est un peu rude. Par la suite, l’orchestre sera plus raisonnable et plus en accompagnement. Une version qui aurait pu être meilleure, mais qui vaut d’être écouté tout de même.

Malena 1952 – Orquesta Aníbal Troilo con Raúl Berón arr. de Héctor Artola.

Aníbal remet sur disque le titre, cette fois avec des arrangements de Artola, un arrangeur très réputé, qui après avoir été pianiste et bandonéoniste s’est concentré sur la direction d’orchestre et les arrangements. Il composa aussi quelques titres.

Malena 1955-08-02 – Orquesta Francisco Canaro con Juan Carlos Rolón.

Cela faisait un petit moment que Canaro n’avait pas pointé son nez. Le voici, avec une version assez différente, avec un rythme bien marqué. Disons que c’est une tentative de replacer le titre du côté de la danse. L’interprétation de Rolón, s’accommode toutefois de la rigueur de l’orchestre, mais je trouve qu’il reste quelques aspérités qui font que l’œuvre ne coule pas de façon parfaitement fluide.

Malena 1961 – Edmundo Rivero con orquesta.

Une version puissante par Rivero.

Malena 1963c – Astor Piazzolla con Héctor de Rosas.

Un Piazzolla, à écouter, mais il vous réserve une autre version 4 ans plus tard qui décoiffe plus.

Malena 1965 – Orquesta Miguel Caló con Roberto Luque.

J’ai un peu de mal à accrocher avec cette version. Je ne la proposerai pas en milonga.

Malena 1965 – Orquesta Miguel Caló con Raúl del Mar y glosas de Héctor Gagliardi.

Le fait que Gagliardi parle assez longtemps rend le titre peu propice à la danse. Mais de toute façon, Caló ne sera vraiment pas mon choix pour faire danser avec Malena.

Malena 1967 – Astor Piazzolla y su Orquesta con voz de mujer.

Une autre interprétation, plus innovante. Avec Astor, on est à peu près sûr de ne pas être dans le champ de la danse, alors, on écoute, tranquillement ou anxieusement cette version foisonnante ou de temps à autre le thème de Malena vient distiller sa sérénité relative. La voix de femme « céleste » qui termine comme une sirène mourante et les claquements terminent le titre de façon inquiétante.

Malena 1974-12-11 – Orquesta Osvaldo Pugliese.

Pour beaucoup, c’est la Malena de l’île déserte, la version qu’il faut emporter. Il faut dire que Pugliese nous livre ici un tangazo exceptionnel. Malgré sa grande puissance expressive, il pourra être considéré comme dansable par les danseurs les moins farouches. Si on a entendu ci-dessus, des versions décousues, manquant d’harmonie ou de cohérence, ici, c’est une surprise, chaque mesure suscite l’étonnement, tout en laissant suffisamment de repères pour que ce soit relativement dansable. Ceux qui trouvent que c’est difficile, vu que c’est le tango de l’île déserte, ils auront tout le temps de s’approprier la musique pour la danser parfaitement.

Qui est Malena ?

Il y a six prétendantes sérieuses au titre et sans doute bien d’autres.

6 des Malena potentielles. Si vous lisez les articles ci-dessous, vous pourrez savoir qui elles sont et élire celle qui vous parait la plus vraisemblable…

Ceux qui veulent savoir qui était Malena peuvent jeter un œil sur l’article de TodoTango
https://www.todotango.com/historias/cronica/89/Malena-Quien-es-Malena
Ou sur celui de la Nacion avec des photos de prétendantes
https://www.lanacion.com.ar/lifestyle/quien-fue-malena-mitos-y-verdades-sobre-la-leyenda-del-tango-que-inspiro-a-homero-manzi-y-cantaba-nid26042022
Ou encore : https://rauldeloshoyos.com/el-dia-de-malena-manzi-demare/
mais j’ai plein d’autres propositions et je trouve qu’au fond, ce n’est pas si important. C’est à chacun de mettre l’image de sa Malena sur ce tango.

À demain, les amis !

Sentimiento gaucho 1954-07-30 – Orquesta Donato Racciatti con Nina Miranda

Francisco Canaro; Rafael Canaro Letra: Juan Andrés Caruso

Nous avons vu les liens entre le tango et le théâtre, le cinéma, la radio. Notre tango du jour, Sentimiento gaucho a tous ces liens et en plus, il a gagné un concours… Il n’est donc pas étonnant qu’il dispose de dizaines de versions, voyons donc ce Sentimiento gaucho à partir de la version orientale, de Donato Racciatti et Nina Miranda.

Les concours Max Glücksmann

La firme Max Glücksmann est celle qui a créé la maison de disques Odeón, que vous connaissez bien maintenant. Cette société a organisé à partir de 1924 différents concours annuels qui se déroulaient dans différents lieux à Buenos Aires et Montevideo.
Trois fois par semaine, durant le concours, l’orchestre « officiel » qui était différent chaque année, jouait les tangos qui avaient été sélectionnés par l’entreprise pour concourir.
Les jours concernés, l’orchestre jouait deux fois la sélection, une fois pour la séance de cinéma de 18 heures et une fois pour la séquence de cinéma de 22h30.
Le public votait grâce à un coupon placé sur le ticket d’entrée au théâtre/cinéma.
En 1924, la première année du concours, c’est Sentimiento Gaucho qui gagna.
L’orchestre qui a joué les œuvres électionnées était celui de Roberto Firpo, un orchestre gonflé pour atteindre 15 musiciens, dans le Théâtre Grand Splendid et la radio LOW, Radio Grand Splendid retransmettait également la prestation de l’orchestre.
On voit que le dispositif était particulièrement élaboré et que Max Glücksmann avait mis les moyens.
La version présentée était instrumentale, car les trois premières années du concours, il n’y avait pas de chanteur, « seulement » 15 musiciens.
Le palmarès de cette année a été le suivant :

  • Premier prix : Sentimiento Gaucho (Francisco et Rafael Canaro)
  • Pa que te acordés (Francisco Lomuto)
  • Organito de la tarde (Catulo Castillo)
  • Con toda el alma (Juan Farini)
  • Amigazo (Juan de Dios Filiberto)
  • Mentions : Capablanca solo (Enrique Delfino)
  • El púa (Arturo de Bassi)
  • Soñando (Paquita Bernardo)

Extrait musical

Sentimiento gaucho. Francisco Canaro; Rafael Canaro Letra: Juan Andrés Caruso.

À gauche, la partition Ricordi qui correspond au texte des paroles habituelles. À droite de la partition, le premier prix gagné par Canaro (il n’y avait pas de paroles et c’était donc cohérent de représenter un gaucho). À l’extrême droite, la couverture de la partition avec les paroles censurées.

Sentimiento gaucho 1954-07-30 – Orquesta Donato Racciatti con Nina Miranda

Paroles

En un viejo almacén del Paseo Colón
Donde van los que tienen perdida la fe
Todo sucio, harapiento, una tarde encontré
A un borracho sentado en oscuro rincón
Al mirarle sentí una profunda emoción
Porque en su alma un dolor secreto adiviné
Y, sentándome cerca, a su lado, le hablé
Y él, entonces, me hizo esta cruel confesión
Ponga, amigo, atención

Sabe que es condición de varón el sufrir
La mujer que yo quería con todo mi corazón
Se me ha ido con un hombre que la supo seducir
Y, aunque al irse mi alegría tras de ella se llevó
No quisiera verla nunca… Que en la vida sea feliz
Con el hombre que la tiene pa’ su bien… O qué sé yo
Porque todo aquel amor que por ella yo sentí
Lo cortó de un solo tajo con el filo’e su traición

Pero inútil… No puedo, aunque quiera, olvidar
El recuerdo de la que fue mi único amor
Para ella ha de ser como el trébol de olor
Que perfuma al que la vida le va a arrancar
Y, si acaso algún día quisiera volver
A mi lado otra vez, yo la he de perdonar
Si por celos a un hombre se puede matar
Se perdona cuando habla muy fuerte el querer
A cualquiera mujer

Francisco Canaro; Rafael Canaro Letra: Juan Andrés Caruso

Traduction libre et indications

Dans un vieux magasin (El almacén, est à a la fois un magasin, un bar, un lieu de vie, de musique et danse, etc.) du Paseo Colón (rue du sud de Buenos Aires) où vont ceux qui ont perdu la foi.
Tout sale, en haillons, un après-midi, j’ai trouvé un ivrogne assis dans un coin sombre.
En le regardant, j’éprouvai une profonde émotion parce que dans son âme je devinais une douleur secrète.
Et assis près de lui, je lui ai parlé, et il m’a fait cette cruelle confession.
Fais attention, mon ami.
Sache que c’est la condition de l’homme que de souffrir.
La femme que j’ai aimée de tout mon cœur s’en est allée avec un homme qui a su la séduire et, avec son départ, elle a emporté ma joie avec elle.
Je ne voudrais jamais la revoir… Puisse-t-elle être heureuse dans la vie avec l’homme qui l’a pour la sienne…
Ou qu’est-ce que j’en sais pourquoi tout cet amour que je ressentais pour elle, elle l’a coupé d’un seul coup avec la lame de sa trahison.
Mais inutile… Je ne peux pas, même si je le voulais, oublier le souvenir de celle qui était mon seul amour. Pour elle, il faut être comme le trèfle d’odeur (mélilot) qui parfume celui que la vie va arracher.
Et si un jour elle veut revenir vers moi, je lui pardonnerai.
Si un homme peut être tué par jalousie, cela se pardonne quand parle très fort l’amour à quelque femme que ce soit.

Il existe deux autres versions des paroles, mais le problème sur le site ne m’a pas laissé le temps de les retranscrire.
Une version censurée, ou l’ivrogne dans le bar devient un paysan dans un champ et l’autre une version humoristique de Trio Gedeón. J’y reviendrai un jour, mais pour l’instant, ma priorité est de rétablir le site.

Autres versions

Pour les mêmes raisons que le gros raccourcissement de l’anecdote du jour, le problème sur le site, je ne propose pas les autres versions de Sentimiento Gaucho.
Là encore, j’essayerai de rattraper, dès que possible, lorsque le site sera remis en état.
Je vous présente tout de même cette version sympa où on voit chanter Ada Falcon. C’est dans le film : Idolos de la radio de Eduardo Morera

Ada Falcon dans Idolos de la radio de Eduardo Morera chante Sentimiento Gaucho.

j’espère à demain, les amis, avec une version plus complète…

Amurado 1940-07-29 – Orquesta Pedro Laurenz con Juan Carlos Casas

Pedro Maffia ; Pedro Laurenz Letra : José Pedro De Grandis

Encore un tango qui ne laisse pas les tangueros se reposer, notamment dans cette version. Les deux Pedro, Laurenz puis Maffia ont créé un monstre qui aspire toute l’énergie vitale des danseurs de la première à la dernière note. Le charme semble aussi avoir opéré également sur les directeurs d’orchestre, car de très nombreuses versions en ont été enregistrées. La version du jour est par l’un des deux compositeurs, Laurenz avec Juan Carlos Casas.

Un démarrage sur les chapeaux de roues

Le point de départ de ce tango a été donné par De Grandis qui avait écrit un texte, sur la misère de l’abandon. En 1925-1926, il était violoniste dans le sexteto du bandonéoniste Enrique Pollet, celui qu’on retrouvera par la suite dans l’orchestre de Pugliese et qui est à l’origine de la superbe variation finale de Recuerdo.

Un jour que ce sexteto jouait dans son lieu habituel, Le Café El Parque (près de Tribunales et assez près du théâtre Colón), Pedro Laurenz qui était ami de Pollet prit connaissance du texte et sur l’instant sur son bandonéon, imagina un air pour la première partie, puis il alla le montrer à Pedro Maffia qui était alors au cinéma Select Lavalle, à proximité, dans l’orchestre de Julio De Caro. Maffia fut tellement enthousiasmé qu’il demanda à Laurenz de pouvoir le terminer.
Et ainsi, le tango intégra le répertoire de Julio De Caro qui l’enregistrera deux ans plus tard, la même année que Gardel et beaucoup d’autres.
Après cette première vague, le tango fut moins enregistré, juste ressuscité à diverses reprises par Laurenz. La seconde vague n’arrivera que dans les années 50 avec une nouvelle folie autour du thème, folie qui dure jusqu’à nos jours où beaucoup d’orchestres ont ce tango à leur répertoire.
Pedro Laurenz l’a enregistré au moins cinq fois, vous pourrez comparer les versions dans la partie « autres versions ».

Extrait musical

Amurado. Pedro Maffia ; Pedro Laurenz Letra: José Pedro de Grandis La dédicace est au Docteur Prospero Deco, qui deviendra le Directeur del Hospital General de Agudos José María Penna de 1945 à 1955. À droite, son buste dans l’hôpital.
Amurado 1940-07-29 – Orquesta Pedro Laurenz con Juan Carlos Casas.

Tout commence par un puissant appel du bandonéon qui résonne comme un clairon, puis la machine se met en marche. Le rythme est puissamment martelé, par les bandonéons, la contrebasse, le piano, en contrepoint, des plages de douceur sont données par les violons et en son temps par Juan Carlos Casas, mais à aucun moment le rythme et la tension ne baissent, jusqu’à la fin presque abrupte. On notera aussi un magnifique solo de bandonéon, indispensable pour un titre composé par deux bandonéonistes… L’intervention, courte de Casas, n’exprime pas toute la douleur du texte et les danseurs peuvent prendre du plaisir sans remord. Cette incroyable composition emporte les danseurs et hérisse les poils de bonheur de bout en bout. Cette version est une merveille absolue qui fait regretter que Laurenz et Casas n’ait pas plus enregistré.

Paroles

Campaneo a mi catrera y la encuentro desolada.
Sólo tengo de recuerdo el cuadrito que está ahí,
pilchas viejas, unas flores y mi alma atormentada…
Eso es todo lo que queda desde que se fue de aquí.

Una tarde más tristona que la pena que me aqueja
arregló su bagayito y amurado me dejó.
No le dije una palabra, ni un reproche, ni una queja…
La miré que se alejaba y pensé :
¡Todo acabó!

¡Si me viera ! ¡Estoy tan viejo!
¡Tengo blanca la cabeza!
¿Será acaso la tristeza
de mi negra soledad ?
Debe ser, porque me cruzan
tan fuleros berretines
que voy por los cafetines
a buscar felicidad.

Bulincito que conoces mis amargas desventuras,
no te extrañe que hable solo. ¡Que es tan grande mi dolor !
Si me faltan sus caricias, sus consuelos, sus ternuras,
¿qué me quedará a mis años, si mi vida está en su amor?

¡Cuántas noches voy vagando angustiado, silencioso
recordando mi pasado, con mi amiga la ilusión !…
Voy en curda… No lo niego que será muy vergonzoso,
¡pero llevo más en curda a mi pobre corazón!

Pedro Maffia ; Pedro Laurenz Letra: José Pedro de Grandis

Juan Carlos Casas ne chante que ce qui est en gras.

Traduction libre et indications

Je contemple mon lit et le trouve désolé.
Je n’ai comme souvenir que le petit tableau qui est ici, de vieilles couvertures, quelques fleurs et mon âme tourmentée…
C’est tout ce qui reste depuis qu’elle est partie d’ici.
Un après-midi plus triste que le chagrin qui m’afflige, elle a préparé son petit bagage et m’a laissé emmuré.
Je n’ai pas dit un mot, pas un reproche, pas une plainte…
Je l’ai regardée s’éloigner et j’ai pensé :
Tout à une fin !
Si elle me voyait ! Je suis si vieux !
J’ai la tête blanche !
Est-ce peut-être la tristesse de ma noire solitude ?
Ça doit l’être, parce que j’ai des idées tant débiles que je vais dans les cafés pour chercher le bonheur.
Petit logis, qui connaît mes mésaventures amères, ne t’étonne pas que je parle tout seul. Que ma douleur est grande !
Si me manquent ses caresses, ses consolations, sa tendresse, que me restera-t-il dans mes années, si ma vie est dans son amour ?
Combien de nuits je vais vagabondant, angoissé, silencieux, me souvenant de mon passé, avec mon ami l’illusion…
Je vais me saouler… Je ne nie pas que ce soit honteux, mais je supporte mieux mon pauvre cœur quand je suis bourré (saoul) !

Autres versions

J’ai mis en rouge les versions par les auteurs (Maffia, 1 version et Laurens, 5 versions).

Amurado 1927-02-11 – Orquesta Roberto Firpo.

Une version calme, sans doute trop calme si on la compare à notre tango du jour…

Amurado 1927-04-08 – Orquesta Francisco Lomuto.

Une autre version tranquille, exécutée avec conscience, mais sans doute pas de quoi susciter la folie.

Amurado 1927-06-08 – Ignacio Corsini con guitarras de Pagés-Pesoa-Maciel.

Une jolie interprétation de Corsini, à écouter, bien sûr.

Amurado 1927-07-20 – Pedro Maffia y Alfredo De Franco (Duo de bandoneones).

Pedro Maffia l’auteur de la seconde partie nous propose ici sa version en duo avec Alfredo De Franco. Une version simple, mais plus rapide que les autres de l’époque. Il nous manque certains instruments auxquels nous sommes désormais habitués pour totalement apprécier cette version qui peut paraître un peu monotone et répétitive.

Amurado 1927-07-22 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras).

Avec seulement deux guitares, Gardel donne la réponse à Corsini qui le mois précédent avait enregistré le titre avec trois guitares. C’est également joli et tout autant pour l’écoute et pas pour la danse.

Amurado 1927-08-16 – Orquesta Francisco Canaro con Agustín Irusta.

Canaro enregistre à son tour, sur un rythme calme, qui est de toute façon une de ses caractéristiques de l’époque. De jolis traits de violon et bandonéon allègent un peu le marquage puissant du rythme. La voix de Irusta, un peu nasale, apporte une petite variation dans cette interprétation qui ne sera sans doute pas à la hauteur des danseurs d’aujourd’hui.

Amurado 1927-09-07 – Agustín Magaldi con guitarras.

Il ne manquait que lui, après Corsini et Gardel, voici Magaldi. Moi, j’aime bien. Bien sûr, ce n’est pas plus pour la danse que les versions des deux concurrents, mais ça se laisse écouter.

Amurado 1927-09-12 – Orquesta Julio De Caro.

Je pense que dès les premières mesures vous aurez remarqué la différence d’ambiance par rapport à toutes les versions précédentes. Le rubato marqué, parfois exagéré et la variation du solo de bandonéon sont déjà très proches de ce que proposera Laurenz 13 ans plus tard. On notera les sonorités étranges qui apparaissent vers la fin du morceau, De Caro aime ajouter des instruments atypiques.

Amurado 1927-12-06 – Orquesta Juan Maglio « Pacho » con José Galarza.

On revient sans doute un cran en arrière dans la modernité, mais la partie d’orchestre est assez sympathique. La voix de Galarza sera en revanche un peu plus difficile à accepter par les danseurs d’aujourd’hui.

Amurado 1928 – Trío Argentino (Irusta, Fugazot, Demare) y su Orquesta Típica Argentina con Roberto Fugazot.

Le piano de Demare démarre puis laisse la place à la voix de Fugazot qui gardera ensuite la vedette en masquant un peu le beau jeu de Demare au piano qui ne pourra que placer un magnifique accord final.

Amurado 1940-07-29 – Orquesta Pedro Laurenz con Juan Carlos Casas.

C’est notre tango du Jour. Si on note la filiation avec l’interprétation de De Caro, la version donnée par Laurenz est éblouissante en tous points. Il a fait le ménage dans les propositions parfois un peu confuses de De Caro et le résultat est parfait pour la danse.

Amurado 1944-11-24 – Orquesta Osvaldo Pugliese.

Tout en restant fidèle à l’écriture de Laurenz, Pugliese propose sa version avec une pointe de Yumba et son alternance de moments tendus et d’autres, relâchés, et des nuances très marquées. Le résultat est comme toujours superbe, mais beaucoup plus difficile à danser pour les danseurs qui ne connaissent pas cette version. En milonga, c’est donc à réserver à des danseurs expérimentés ou motivés. L’accélération de la variation en solo du bandonéon qui nous mène au final est tout aussi belle que celle de Laurenz, les danseurs pourront s’y donner rendez-vous pour oublier les petits pièges des parties précédentes.

Amurado 1946 (transmisión radial) – Orquesta Pedro Laurenz.

Six ans plus tard, Laurenz propose une version instrumentale. Il s’agit d’un enregistrement radiophonique, d’une qualité impossible pour la danse, mais nous avons une version enregistrée l’année suivante.

Amurado 1947-01-16 – Orquesta Pedro Laurenz.

Cette version est très proche et je ne la proposerai sans doute pas, car je suis sûr que le petit estribillo chanté par Casas va manquer aux danseurs.

Amurado 1952-09-25 – Orquesta Pedro Laurenz.

Après un peu de temps de réflexion, Laurenz propose une nouvelle version, très différente. On sent qu’il a voulu dans la première partie tirer parti des idées de Pugliese, mais la réalisation est un peu plus sèche, moins coulée et la seconde partie s’enfonce un peu dans la guimauve. Mon petit Pedro, désolé, mais on reste avec ta première version, même si on garde de cette version le final qui est tout aussi beau que dans l’autre.

Amurado 1955-09-16 – Orquesta José Basso.

Basso reprend l’appel initial du bandonéon, en l’accentuant encore plus que Laurenz dans sa version de 1940. Un violon virtuose nous transporte, puis le bandonéon tout aussi agile reprend le flambeau. Par moment on retrouve l’esprit de la version de la version de Laurenz en 1940, mais entrecoupée de passages totalement différents. Je ne sais pas ce qu’en penseraient les danseurs. D’un côté les rappels proches de Laurenz peuvent leur faire regretter l’original, mais les idées différentes peuvent aussi éveiller leur curiosité et les intéresser. Peut-être à tenter dans un lieu rempli de danseurs un peu curieux.

Amurado 1956 – Edmundo Rivero con acomp. de Carlos Figari y su Orquesta.

Une version à écouter, avec la puissance d’un grand orchestre.

Amurado 1956c – Trio Hugo Diaz.

Le trio d’Hugo Diaz, harmoniciste que l’on retrouvera 12 ans plus tard avec une version encore plus intéressante.

Amurado 1959-01-08 – Orquesta José Basso.

Encore Basso, qui s’essaye à l’amélioration de son interprétation et je trouve que c’est une réussite qui devrait intéresser encore plus de danseurs que la version de 1955.

Amurado 1961-09-08 – Jorge Vidal con acomp. de guitarras, cello y contrabajo.

Amurado 1961-09-08 – Jorge Vidal con acomp. de guitarras, cello y contrabajo. Vidal avec ce conjunto de cordes nous propose une version très originale. Sa superbe voix est parfaitement mise en valeur par les cordes qui l’accompagnent. Dommage que ce ne soit pas pour la danse.

Amurado 1962-04-19 Orquesta Leopoldo Federico con Julio Sosa.

Dans la première époque du titre, on avait entendu Corsini, Gardel et Magaldi. Dans cette nouvelle période, après Rivero, voici Julio Sosa, El varón del tango. Une version qui fait se dresser les poils de plaisir. Quelle version !

Amurado 1962-12-19 – Aníbal Troilo y Roberto Grela en vivo.

Un enregistrement avec un public enthousiaste, qui masque parfois la merveille du bandonéon exprimé par Troilo, extraordinaire.

Amurado 1968 Pedro Laurenz con su Quinteto.

La dernière version enregistrée par Pedro Laurenz, avec la guitare électrique en prime. Une version à écouter, mais pas inintéressante.

Amurado 1972 – Hugo Díaz.

Le meilleur harmoniciste nous propose une version plus aboutie.

Amurado 1975 – Sexteto Mayor.
Amurado 1981 – Orquesta Leopoldo Federico.

Bien au-delà de la version avec Sosa, l’orchestre s’exprime magnifiquement. On est bien sûr totalement hors du domaine de la danse, mais c’est une merveille.

Amurado 1990 Roberto Goyeneche con arreglos y dirección de Raúl Garello.

Goyeneche manquait à la liste des chanteurs ayant mis ce titre à son répertoire. Cet enregistrement comble cette lacune.

Amurado 1995-08-23 – Sexteto Tango.

Une version par les anciens musiciens de Pugliese.

Voilà, avec une trentaine de versions, vous avez encore une fois un échantillon de la richesse du tango. En général, seules une ou deux versions passent en milonga, mais quelquefois les modes changent et des titres oubliés redeviennent à la mode. Ainsi, le tango reste vivant et quand des orchestres contemporains se chargent de rénover la chose, c’est parfois une seconde chance pour les titres.

Sur ces entrefaites, je vous dis, à demain, les amis.

Los 33 orientales 1955-07-28 – Orquesta Carlos Di Sarli

José “Natalín” Felipetti ; Rosario Mazzeo Letra: Arturo Juan Rodríguez

Le tango du jour est instrumental, et en écoutant la musique sensuelle de Di Sarli, je suis sûr que la plupart de ceux qui ne sont pas uruguayens ont pensé que j’étais tombé sur la tête, une fois de plus, en proposant cette image de couverture. J’ai imaginé cette illustration en me référant à Géricault, un peintre qui a donné à la fois dans le militaire et l’orientalisme. Mais qui sont ces 33 orientales que Di Sarli célébrera trois fois par le disque ?

De l’importance de l’article

Il peut échapper aux personnes qui ne parlent pas bien espagnol, la différence entre las (déterminant pluriel, féminin) et los (déterminant pluriel, masculin). Las 33 orientales, ça pourrait-être ceci,

Los ou las ?

mais los 33 orientales, c’est plutôt cela :

El juramento de los 33 orientales Juan Manuel Blanes (1878).

Je vous raconterai l’histoire de ces 33 mecs en fin d’article, passons tout de suite à l’écoute.

Extrait musical

Les compositeurs sont José Felipetti (bandonéoniste et éditeur musical) et Alfredo Rosario Mazzeo, violoniste, notamment dans l’orchestre de Juan D’Arienzo, puis de Polito (qui fut pianiste également de D’Arienzo). Rosario Mazzeo avait la particularité d’utiliser un archet de violon alto, plus grand pour avoir un son plus lourd.

Los 33 orientales 1955-07-28 – Orquesta Carlos Di Sarli.

Je n’ai pas grand-chose à dire sur cette version que vous puissiez ne pas connaître. Je suis sûr que dans les cinq secondes vous aviez repéré que c’était Di Sarli, avec ses puissants accords sur son 88 touches (le piano) et les légatos des violons. Comme il est d’usage chez lui, les nuances sont bien exprimées. Les successions de fortissimos mourant dans des passages pianos (moins forts) et les accords finaux où dominent le piano font que c’est du 100% Di Sarli.

Il s’agit du troisième enregistrement de Los 33 orientales par Di Sarli. Comme d’habitude, vous aurez droit aux autres dans le chapitre dédié, Autres versions

Les trois disques de Los 33 orientales par Carlos Di Sarli.

On notera que la version de 1952 est un 33 tours Long Play, c’est-à-dire qu’il y a deux tangos par face, ici La Cachila et Los 33 orientales. Sur la face A, il y a Cuatro vidas et Sueño de juventud. Le passage de 78 à 33 tours permettait de plus que doubler la durée enregistrable. Mais ce n’est que la généralisation du microsillon qui permet d’atteindre des durées plus longues de plus de 20 minutes par face. Ce disque est donc un disque de « transition » entre deux technologies.

Paroles

Bien qu’il soit instrumental dans les versions connues, il y a eu des paroles écrites par Arturo Juan Rodriguez.
Au cas où elles seraient perdues, je vous propose un extrait de celles d’un autre tango appelé également los 33 orientales, à l’origine et rebaptisé par la suite La uruguyaita Lucia.
Il a été écrit en 1933 par Eduardo Pereyra avec des paroles de Daniel López Barreto.
Je vous le propose à l’écoute, dans la version de Ricardo Tanturi avec Enrique Campos (1945).

La uruguyaita Lucia 1945-04-12 – Ricardo Tanturi C Enrique Campos

Y mientras en el cerro; de los bravos 33 el clarín se oía
y al mundo una patria nueva anunciaba
un tierno sollozo de mujer, a la gloria reclamaba
el amor de su gaucho, que más fiel a la patria su vida le entregó.
Cabellos negros, los ojos
azules, muy rojos
los labios tenía.
La Uruguayita Lucía,
la flor del pago ‘e Florida.
Hasta los gauchos más fieros,
eternos matreros,
más mansos se hacían.
Sus ojazos parecían
azul del cielo al mirar.

Ningún gaucho jamás
pudo alcanzar
el corazón de Lucía.
Hasta que al pago llegó un día
un gaucho que nadie conocía.
Buen payador y buen mozo
cantó con voz lastimera.
El gaucho le pidió el corazón,
ella le dio su alma entera.

Fueron felices sus amores
jamás los sinsabores
interrumpió el idilio.
Juntas soñaron sus almitas
cual tiernas palomitas
en un rincón del nido.
Cuando se quema el horizonte
se escucha tras el monte
como un suave murmullo.
Canta la tierna y fiel pareja,
de amores son sus quejas,
suspiros de pasión.

Pero la patria lo llama,
su hijo reclama
y lo ofrece a la gloria.
Junto al clarín de Victoria
también se escucha una queja.
Es que tronchó Lavalleja
a la dulce pareja
el idilio de un día.
Hoy ya no canta Lucía,
su payador no volvió.

Eduardo Pereyra Letra: Daniel López Barreto

Traduction libre et indications

Et pendant que tu étais sur la colline ; des braves du 33 le clairon a été entendu et au monde il annonça une nouvelle patrie, un tendre sanglot d’une femme, à la gloire il a revendiqué l’amour de son gaucho, qui le plus fidèle à la patrie lui a donné sa vie.
Cheveux noirs, yeux bleus, lèvres très rouges, elle avait.
La Uruguayita Lucía, la fleur du bled (pago, coin de campagne et la population qui l’habite) Florida.
Même les gauchos les plus féroces, éternels matreros (bourrus, sauvages, qui fuient la justice), se faisaient apprivoiser.
Ses grands yeux semblaient bleus de ciel quand elle regardait.
Aucun gaucho ne put jamais atteindre le cœur de Lucia.
Jusqu’au jour où un gaucho arriva dans le coin et que personne ne connaissait.
Bon payador et bien beau, il chantait d’une voix pitoyable.
Le gaucho lui demanda le cœur, elle lui donna son âme en entier.
Leurs amours étaient heureuses, jamais les ennuis n’interrompirent l’idylle.
Ensemble, leurs petites âmes rêvaient comme de tendres colombes dans un coin du nid.
Lorsque l’horizon brûla, s’entendit derrière la montagne comme un doux murmure.
Le couple tendre et fidèle chante, leurs plaintes sont d’amour, leurs soupirs de passion.
Mais la patrie l’appelle, elle réclame son fils et lui offre la gloire.
Jointe au clairon de victoire, une plainte s’entend également.
C’est Lavalleja (voir en fin d’article) qui a coupé court à l’idylle du couple en une journée.

La version de José « Natalín » Felipetti ; Rosario Mazzeo et Arturo Juan Rodríguez n’a peut-être ou sans doute rien à voir, mais cela permet tout de même d’évoquer un autre titre faisant référence aux 33 orientales et même à Lavalleja, que je vous présenterai dans la dernière partie de l’article.

Autres versions

Je vous propose 5 versions. Trois par Di Sarli plus deux dans le style de Di Sarli

Los 33 orientales 1948-06-22 – Carlos Di Sarli.

La musique avance à petits pas fermes auxquels succèdes des envolées de violons, le tout appuyé par les accords de Di Sarli sur son piano. C’est joli dansant, du Di Sarli efficace pour le bal.

Los 33 orientales 1952-06-10 – Carlos Di Sarli.

Cette version est assez proche de celles de 1948. Le piano est un tout petit plus dissonant, dans certains accords, accentuant, le contraste en les aspects doux des violons et les sons plus martiaux du piano.

Los 33 orientales 1955-07-28 – Orquesta Carlos Di Sarli.

Los 33 orientales 1955-07-28 – Orquesta Carlos Di Sarli. C’est notre tango du jour. La musique est plus liée, les violons plus expressifs. Le contraste piano un peu dissonant par moment et les violons, plus lyriques est toujours présent. C’est peut-être ma version préférée, mais les trois conviennent parfaitement au bal.

Los 33 orientales 1960 – Los Señores Del Tango.

En septembre 1955, des chanteurs et musiciens quittèrent, l’orchestre de Di Sarli et fondèrent un nouvel orchestre, Los Señores Del Tango, en gros, le pluriel du surnom de Di Sarli, El Señor del tango… Comme on s’en doute, ils ne se sont pas détachés du style de leur ancien directeur. Vous pouvez l’entendre avec cet enregistrement de 1960 (deux ans après le dernier enregistrement de Di Sarli).

Los 33 orientales 2003 – Gente De Tango (estilo Di Sarli).

Gente De Tango annonce jouer ce titre dans le style de Di Sarli. Mais on notera quand même des différences, qui ne vont pas forcément toute dans le sens de l’orchestre contemporain ? L’impression de fusion et d’organisation de la musique est bien moins réussie. Le bandonéon semble parfois un intrus. Le systématisme de certains procédés fait que le résultat est un peu monotone. N’est pas Di Sarli qui veut.

Qui sont les 33 orientales ?

Rassurés-vous, je ne vais pas vous donner leur nom et numéro de téléphone, seulement vous parler des grandes lignes.

J’ai évoqué à propos du 9 juillet, jour de l’indépendance de l’Argentine, que les Espagnols avaient été mis à la porte. Ces derniers se sont rabattus sur Montevideo et ont été délogés par les Portugais, qui souhaitaient interpréter en leur faveur le traité de Tordesillas.

Un peu d’histoire

On revient au quinzième siècle, époque des grandes découvertes, Christophe Colomb avait débarqué en 1492, en… Colombie, enfin, non, pas tout à fait. Il se croyait en Asie et a plutôt atteint Saint-Domingue et Cuba pour employer les noms actuels.

Colomb était parti en mission pour le compte de la Castille (Espagne), mais selon le traité d’Alcaçovas, signé en 1479 entre la Castille et le Portugal, la découverte serait plutôt à inclure dans le domaine de domination portugais, puisqu’au sud du parallèle des îles Canaries, ce que le roi du Portugal (Jean II) s’est empressé de remarquer et de mentionner à Colomb. Le pape est intervenu et après différents échanges, le Portugal et la Castille sont arrivés à un accord, celui de Tordesillas qui donnait à la Castille les terres situées à plus de 370 lieues à l’ouest des îles du Cap-Vert. Une lieue espagnole de l’époque valait 4180 m, ce qui fait que tout ce qui est à plus à l’ouest du méridien passant à 1546 km du Cap Vert est Espagnol, mais cela implique également, que ce qui moins loin est Portugais. La découverte de ce qui deviendra le Brésil sera donc une aubaine pour le Portugal.

À gauche, les délimitations des traités d’Alcaçovas et de Tordessillas. À droite, la même chose avec une orientation plus moderne, avec le Nord, au nord…

Je pense que vous avez suivi cette révision de vos cours d’histoire, je passe donc à l’étape suivante…
Les Brésiliens Portugais et les Espagnols, tout autour, cherchaient à étendre leur domination sur la plus grande partie de la Terre nouvelle. Les Portugais ont défoncé la limite du traité de Tortessillas en creusant dans la partie amazonienne du continent, mais ils convoitaient également les terres plus au Sud et qui étaient sous dominance espagnole, là où est l’Uruguay actuel. Les Espagnols, qui avaient un peu négligé cette zone, établirent Montevidéo pour mettre un frein aux prétentions portugaises.
La situation est restée ainsi jusqu’à la fin du 18e siècle, à l’intérieur de ces possessions espagnoles et portugaises, de grands propriétaires commençaient à bien prendre leurs aises. Aussi voyaient-ils d’un mauvais œil les impôts espagnols et portugais et ont donc poussé vers l’indépendance de leur zone géographique.
Les Argentins ont obtenu cela en 1816 (9 juillet), mais les Espagnols se sont retranchés dans la partie est du Pays, l’actuel Uruguay qui n’a donc pas bénéficié de cette indépendance pourtant signée pour toutes les Provinces-Unies du Rio de la Plata.
Le 12 octobre 1822, le Brésil (7 septembre) proclame son indépendance vis-à-vis du Portugal par la voix du prince Pedro de Alcântara qui se serait écrié ce jour-là, l’indépendance ou la mort ! Il est finalement mort, mais en 1934 et le brésil était « libre » depuis au moins 1825.
Dans son Histoire du Brésil, Armelle Enders, remet en cause cette déclaration du prince héritier de la couronne portugaise qui s’il déclare l’indépendance, il instaure une monarchie constitutionnelle et Pedro de Alcântara devient le premier empereur du Brésil sous le nom de Pierre Ier. Révolutionnaire, oui, mais empereur…
Donc, en Uruguay, ça ne s’est pas bien passé. Artigas qui avait fait partie des instigateurs de l’indépendance de l’Argentine a été contraint de s’exiler au Paraguay à la suite de trahisons, ainsi que des dizaines de milliers d’Uruguayens. Parmi eux, Juan Antonio Lavalleja et Manuel Oribe.

Juan Antonio Lavalleja (photos de gauche) et Manuel Oribe, les meneurs des 33 orientales. Ils seront tous les deux présidents de le la république uruguayenne.

Où on en vient, enfin, aux 33 orientales

Après de terribles péripéties, notamment de Lavalleja contre les Portugais-Brésiliens qui avaient finalement délogé les Espagnols de Montevideo en 1816, il fut fait prisonnier et exilé jusqu’en 1821. L’année suivante, le Brésil obtenait son indépendance, tout au moins son début d’indépendance. Lavalleja se rallia du côté de Pierre 1er, voyant en lui une meilleure option pour obtenir l’indépendance de son pays.
En 1824, il est déclaré déserteur pour être allé à Buenos Aires. Son but était de reprendre le projet d’Artigas et d’unifier les Provinces du Rio de la Plata.
Une équipe de 33 hommes a donc fait la traversée du Rio Uruguay. Une fois sur l’autre rive, ils ont prêté serment sur la Playa de la Agraciada (ou ailleurs, il y a deux points de débarquement potentiel, mais cela ne change rien à l’affaire).

El juramento de los 33 orientales sur la plage selon le peintre Juan Manuel Blanes et l’emplacement du débarquement (dans le cercle rouge). La pyramide commémore cet événement.

Ce débarquement et ce serment, le juramento de los 33 orientales marquent le début de la guerre d’indépendance qui se prolongera dans d’autres guerres surnommées Grande et Petite. Les Britanniques furent mis dans l’affaire, mais ils pensèrent plus aux leurs, d’affaires, que d’essayer d’aider, n’est-ce pas Monsieur Canning (qui a depuis perdu la rue qui portait son nom et qui s’appelle désormais Scalabrini Ortiz) ? Le salon Canning connu de tous les danseurs de tango est justement situé dans la rue Scalabrini Ortiz (anciennement Canning).
Les Argentins, dont le président Rivadavia espérait unifier l’ancienne province orientale à l’Argentine, ils se sont donc embarqués dans la guerre, mais le coût dépassait sensiblement les ressources disponibles. Le Brésil recevait l’aide directe des Anglais, l’affaire était donc assez mal engagée pour les indépendantistes uruguayens.
Un projet de traité en 1827 fut rejeté, jugé humiliant par les Argentins et futurs Uruguayens indépendants.
La Province de Buenos Aires, dirigée par Dorrego, le Sénat et l’empereur du Brésil se mirent finalement d’accord en 1928. Juan Manuel de Rosas était également favorable au traité rendant l’Uruguay indépendant bien que Dorrego et Rosas ne faisaient pas bon ménage. L’exécution de Dorrego coïncide avec l’ascension au pouvoir de De Rosas et ce n’est pas un hasard…
L’histoire ne se termine pas là. Nos deux héros, Juan Antonio Lavalleja et Manuel Oribe qui avaient fait la traversée des 33 sont tous les deux devenus présidents de l’Uruguay et de grande guerre à petite guerre, ce sont plusieurs décennies de pagaille qui s’en suivirent. L’indépendance et la mise en place de l’Uruguay n’ont pas été simples à mettre en œuvre. Les paroles du tango de Pereyra et Barreto nous rappellent que ces années firent des victimes.
Les 33 orientales restent dans le souvenir des deux peuples voisins du Rio de la Plata. À Buenos Aires, une rue porte ce nom, elle va de l’avenue Rivadavia à l’avenue Caseros et semble se continuer par une des rues les plus courtes de Buenos Aires, puisqu’elle mesure 50 m, la rue Trole… Au nord, de l’autre côté de Rivadavia, elle prend le nom de Rawson, mais, si c’est aussi un tango, c’est aussi une autre histoire.

Alors, à demain, les amis !

Los 33 orientales. La traversée par les 33. Ne soyez pas étonné par le drapeau bleu-blanc-rouge, c’est effectivement celui des 33. Vous pouvez le voir sur le tableau de Juan Manuel Blanes.

Samaritana 1932-07-27 – Orquesta Típica Los Provincianos Dir. Ciriaco Ortiz con Alberto Gómez

Luis Rubistein (Musique et paroles)

À Buenos Aires, la majorité des milongas continuent de faire des tandas de 4 titres pour les tangos, et pour quelques-unes, y compris pour les valses, mais uniquement si tous les danseurs dansent, ce qui est généralement le cas. Notre tango du jour est donc, vous l’avez deviné, une valse, sans doute trop peu connue, Samaritana. Elle a été enregistrée il y a 92 ans.

Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas avare de valses et que je n’hésite jamais à faire des propositions un peu plus rares, l’avantage des valses est que la majorité reste dansante grâce à la structure particulière à trois temps avec le premier temps accentué (POUM – tchi – tchi). Il est donc plus facile de prendre des risques avec les valses que les tangos et encore plus que les milongas, qui ont le rythme le plus difficile à proposer en milonga.

Los Provincianos

Ciriaco Ortiz Direction et bandonéon, Aníbal Troilo et Horacio Gollino (bandonéons), Orlando Carabelli (piano), Elvino Vardaro et Manuel Núñez (violons), Manfredo Liberatore (contrebasse) et Alberto Gómez (dit Nico) au chant sont les artistes qui ont mis en musique et enregistré cette valse.

Orquesta Los Provincianos. Vous aurez reconnu le jeune Aníbal Troilo et son bandonéon qui l’accompagnera durant toute sa carrière…

On trouve parfois cet enregistrement sous le nom d’orchestre OTV – Orchestra Típica Víctor. Ce n’est pas vraiment faux, car il s’agit effectivement d’un orchestre créé par la maison de disque Víctor et qui était destiné à enregistrer des disques.
Le premier orchestre, celui qui était dirigé par Carabelli avec le nom de OTV, mais par la suite, la compagnie Víctor décida de multiplier les orchestres et pour s’y retrouver, elle leur donna des nos différents…

  • La Orquesta Típica Los Provincianos, dirigée par Ciriaco Ortiz et qui a enregistré notre valse du jour et qui est en fait la continuation de l’orchestre de Carabelli, d’où le fait qu’on le nomme parfois tout simplement Típica Víctor, comme le premier orchestre et comme on le fera pour les suivants…
  • La Orquesta Víctor Popular,
  • La Orquesta Radio Víctor Argentina, dirigée par Mario Maurano
  • La Orquesta Argentina Víctor
  • La Orquesta Víctor Internacional
  • El Cuarteto Víctor composé de Cayetano Puglisi et Antonio Rossi (violons), Ciriaco Ortiz et Francisco Pracánico (bandonéons)
  • El Trío Víctor composé de Elvino Vardaro (violon) et de Oscar Alemán et Gastón Bueno Lobo (guitares).

Même si cet orchestre n’était pas destiné à jouer en public, les habitués du Cabaret Casanova qui était situé en la rue Maipu, juste en face du Salón Marabú (où a débuté Troilo avec son orchestre, juste en traversant la rue…) et qui existe, lui, toujours, ont pu entendre l’orchestre sur scène.

Extrait musical

Samaritana 1932-07-27 – Orquesta Típica Los Provincianos con Alberto Gómez.

Les violons dessinent les premières notes sur une base staccato du reste de l’orchestre et notamment des bandonéons et de la contrebasse qui marque fermement les premiers temps. Puis s’exprime le sublime violon soliste. Les bandonéons reprennent la voix avec à 35 secondes un curieux (mais génial) glissando. À 1:12, Alberto Gómez lance le chant, toujours en mode mineur, mais ce n’est pas étonnant vu les paroles. Sa voix décontractée enlève la tragédie des paroles, il termine en voix de tête. Il reste ensuite une minute à l’orchestre pour faire oublier le triste des paroles, ce qu’il fait parfaitement, notamment avec la variation finale exécutée principalement par les bandonéons en double croche.

Les orchestres Víctor sont destinés aux disques, mais aux disques pour danseurs et ce n’est donc pas un hasard si les valses de ces orchestres comportent une telle proportion de merveilles.

Paroles

N’ayant pas trouvé la partition, ni les paroles, il s’agit ici uniquement de ce que chante Alberto Gómez.

El dolor, cruzó mi corazón
Golpeando fuerte,
Dejando en su rutina
Frío de muerte,
Que me asesina
Sin compasión.

Mi cantar se ahoga con mi voz
Que es una pena,
Y nada me consuela
De haber perdido,
Lo que he querido
Con tanto amor.

Luis Rubistein (Musique et paroles)

Traduction libre des paroles

La douleur a transpercé mon cœur, frappant fort, laissant dans sa routine, le froid de la mort qui me tue sans compassion.
Mon chant s’est noyé avec ma voix, qui est un chagrin, et rien ne me console d’avoir perdu ce que j’ai aimé avec tant d’amour.

Qui est la samaritana ?

Je pose la question, mais je n’ai pas de réponse.
Le sens le plus commun fait référence à la femme de la Bible, la femme au puits.
Par extension, le terme désigne une personne qui se dévoue pour les autres.
Mais ce n’est pas tout, la samaritaine est une pécheresse, car elle a eu cinq « maris » sans être mariée. Cette direction nous rappelle que les prostituées héritent parfois de cette appellation, comme le rappelle la très belle chanson du chanteur espagnol José Luis Perales, Samaritanas del amor.

Samaritanas del amor – José Luis Perales avec sous-titre et traduction possible…

Comme cette valse est orpheline et les paroles incomplètes, on ne peut rester qu’à des suppositions. Mais est-ce si grave si on peut se plonger dans l’ivresse de cette valse ?
On notera que quelques années après l’écriture de cette valse (1938), un « Nostradamus argentin » a qualifié l’Argentine de Samaritana del Mundo, l’Argentine accueillant les peuples meurtris.

Solari Parravicini – Dibujos profeticos

Je ne me prononcerai pas sur la validité des prophéties de Solari Parravicini, mais le fait que Luis Rubistein était sensible au projet sioniste peut l’avoir influencé. Je me garderai de faire tout rapprochement avec l’actualité argentine, en laissant les coïncidences non analysées.

Tristesse et joie du tango

Pour moi, le tango est une pensée joyeuse qui se danse. Si vous écoutez la valse du jour sans faire attention aux paroles, vous ne découvrirez pas la tragédie sous-jacente, vous vous laisserez envelopper par le rythme implacable de la valse en ne pensant à rien d’autre.
Discépolo qui a écrit le contraire de ce que je pense est mort à 50 ans dans une profonde dépression. Un homme malheureux au point de se laisser mourir de faim est-il un bon témoin pour parler du plaisir du tango qui a animé, pendant plusieurs décennies, des milliers de danseurs ? Je n’en suis pas sûr. L’auteur de Vachaché, Yira yira ou Cambalache avait un regard plutôt noir et désabusé sur le monde. Nicolás Olivari assura que Discépolo était la cheville ouvrière de l’humour de Buenos Aires, graissée par l’angoisse. (Olivari écrivait El perno, c’est le boulon, mais aussi la partie qui maintient la tige dans une charnière. J’ai choisi de traduire par la cheville ouvrière qui est la pièce la plus importante des charrettes avec roues avant orientables. Notons qu’en lunfardo, el perno est aussi le membre viril).
Les paroles de Luis Rubistein pourraient paraître de la même veine, mais elles parlent d’une douleur intime, presque théâtralisée, celle que ressent l’amoureux qui a perdu son objet d’amour, elles ne manifestent pas nécessairement un rejet de la société. Par ailleurs, Luis Rubistein est à la fois l’auteur de la musique et des paroles, aussi, il pouvait parfaitement établir l’équilibre entre l’émotion et la tristesse des paroles et l’enthousiasme de la musique.
En Europe, on s’interdit certains tangos, car les paroles parlent de sujets tristes (Juan Porteño, La novena), ici, à Buenos Aires, ils sont passés et bien que tout monde puisse en comprendre les paroles, personne n’y fait attention et tout le monde est sur la piste. C’est peut-être étonnant quand on entend les danseurs chanter les paroles d’autres titres qu’ils connaissent par cœur. En revanche, je ne passerai pas des titres vulgaires comme Si soy así (interprété par Rodríguez avec Herrera).
Ceci pour dire que le tango de danse se fait à partir de la musique et que si la musique donne envie de danser, c’est un tango pour la milonga, sauf à de très rares exceptions. On aura remarqué que même lorsque les paroles faisaient référence à une histoire triste, les tangos de danse n’en reprennent que l’estribillo (refrain), voire un ou deux couplets en plus, mais que généralement, les parties les plus sinistres ne sont pas chantées.
Le tango triste est le tango à écouter, car il diffuse la totalité de l’histoire et que cette histoire peut effectivement être très triste. La voix du chanteur étant mise en avant, l’auditeur ne dispose pas de l’amortissement de la musique et est confronté à la dureté du texte.
On peut se demander pourquoi le tango exprime souvent des pensées tristes. Quand on sait que c’est le pays du Monde où il y a le plus de psys par habitant et que Buenos Aires est la ville qui a le plus de théâtres, il me semble facile d’y voir un début d’explication.
La nostalgie de l’émigré, immigré, souvent issu de populations défavorisées d’Europe, voire d’Afrique, tout cela peut donner une certaine propension à la tristesse, mais ce sont des gens qui ont su dominer leurs difficultés. Ils pensaient arriver dans un espace vierge à conquérir pour se lancer dans une nouvelle vie, mais contrairement à ce qui s’est passé dans d’autres pays, l’Argentine était déjà entièrement privatisée, aux mains de quelques grandes familles et les conquérants espérant s’établir en vivant de leurs terres ont été réduits à devoir travailler pour les propriétaires ou à s’entasser dans les villes, ou plutôt La ville, pour servir de main-d’œuvre à l’industrie.
Ils ont quitté une misère pour en trouver une autre, loin de leurs racines. Il y avait sans doute de quoi avoir des tendances mélancoliques. Alors, la danse ne pouvait pas être autre chose qu’un exutoire, un sas de décompression, ce qui explique les excès des premiers temps et la circonscription à des lieux interlopes et populaires du tango. C’est quand la bonne société a jugé bon de s’acoquiner, que l’intellectualisation a façonné une autre culture.

El tango tiene los pies en el fango y la cabeza en las nubes

Le tango a les pieds dans la boue et la tête dans les nuages, c’est ce qui fait sa grandeur et sa richesse.
Tout bon DJ connaît les différents degrés de la musique qui s’adresse aux sentiments, au cerveau, au corps et c’est en jouant sur les différents caractères qu’il anime la milonga.
Le ludique de D’Arienzo, l’urbain de Troilo, l’intellectuel de Pugliese et le sentimental de Di Sarli forment les quatre piliers qui servent à construire une milonga qui donnera à toutes les sensibilités de danseurs, de quoi être heureux. Évidemment, cette répartition que l’on donne comme indication aux DJ débutants est très sommaire et demande à être nuancée.
Il n’est pas question d’équilibrer ces 4 piliers. Selon l’événement, les danseurs et le moment, on favorisera plutôt l’un des piliers. On passera généralement plus de D’Arienzo que de Pugliese, les piliers n’ont pas tous la même taille.
Par ailleurs, mettre dans une de ces quatre cases ces quatre orchestres, c’est oublier qu’ils ont évolué et ont navigué d’une case à l’autre selon les périodes. Il faut donc nuancer la définition des piliers et le dernier point est que d’autres orchestres ont exprimé ces quatre sensibilités et qu’ils peuvent très bien se substituer aux orchestres canoniques.
Malerba et Caló, peuvent aller dans la case romantique, tout comme De Caro et certains Troilo qui peuvent se classer dans la case intellectuelle. Rodriguez ira sans doute dans la case ludique et ainsi de suite.
C’est la raison pour laquelle on alterne les genres. On ne passera généralement pas deux tandas romantiques/ludiques/intellectuelles/urbaines à la suite. On passera d’un des quatre piliers à l’autre dans le but de ne pas laisser sur sa chaise un danseur avec deux tandas qui sont de types qui ne lui parlent pas. Combien de fois avez-vous ressenti de l’ennui en ayant l’impression que c’était « tout le temps pareil », notamment dans ces milongas où le DJ respecte un ordre chronologique, commençant par la vieille garde et terminant par le tango « nuevo » …
Je me souviens d’un danseur, dans une ville française qui fut autrefois pionnière dans le tango (et qui n’est pas Paris), qui après une tanda de Pugliese est venu me dire, ça va être le néotango maintenant ? Ne comprenant pas le sens de sa question, je lui ai demandé des précisions et il m’a dit qu’ici, les DJ commençaient par Canaro et terminaient par du néotango et comme il était relativement tôt dans la soirée, il s’inquiétait de devoir partir, car il ne s’intéressait pas à ce type de musique. Je l’ai rassuré et il est resté, jusqu’à la fin.

Sur ce, je vous dis à demain, les amis…

Salud… dinero y amor 1939-07-25 – Orquesta Enrique Rodríguez con Roberto Flores

Rodolfo Aníbal Sciammarella (paroles et musique)

Voilà que le tango et plus précisément la valse (mais on verra que ce n’est pas si simple) vous prodigue des conseils de vie. Chers amis, je vous enjoins de les suivre et de chanter avec Roberto Flores le refrain de cette valse entraînante composée et mise en paroles par Rodolfo Aníbal Sciammarella et interprété par l’orchestre chéri de mon ami Christian, Enrique Rodriguez.

Selon Mariano Mores, Rodolfo Sciammarella aurait composé une zamba (voir l’anecdote du 7 avril sur la zamba). Comme il n’était pas très doué pour écrire la musique, il a demandé à Mariano de la transcrire pour lui. Celui-ci a trouvé que c’était plus joli en valse et aurait donc adapté la musique à ce rythme…

Une édition de Julio Korn de Salud… dinero y amor en zamba

Extrait musical

Salud… dinero y amor 1939-07-25 – Orquesta Enrique Rodríguez con Roberto Flores.

Pas de doute, notre version du jour est parfaitement une valse, sans trace de zamba. Je me demande toutefois si la version en zamba n’a pas été utilisée dans d’autres occasions. Nous y reviendrons avec la liste des versions.

Avis de recherche

Le 7 mars 1939, un film est sorti. Son titre était Mandiga en la sierra. Ce film a été réalisé par Isidoro Navarro sur un scénario de Arturo Lorusso et Rafael J. de Rosas. Ce film était basé sur la pièce de théâtre homonyme. Parmi les acteurs, Luisa Vehil, Eduardo Sandrini, Nicolás Fregues et Pedro Quartucci, mais celui qui m’intéresse est Francisco Amor qui y interprète Salud…dinero y amor.

Luisa Vehil, Nicolás Fregues et Pedro Quartucci dans Mandinga en la sierra (1939)

Dans ce film, en plus de Francisco Amor, il y a Myrna Mores et sa sœur Margot. Depuis 1938, Mariano Mores, celui qui a couché sur la partition l’idée musicale de Rodolfo Sciammarella faisait un trio avec les deux sœurs Mores. En 1943, il épousera Myrna. On voit comme ce film est assez central autour des Mores et de cette valse.
Si vous savez où trouver ce film, je suis preneur…
Vous pouvez trouver sa fiche technique ici : https://www.imdb.com/title/tt0316217/?ref_=nm_knf_t_1

La pièce de théâtre était jouée en 1938. Est-ce que la version chantée ou jouée dans la pièce était sous forme de zamba, je ne le sais pas. En ce qui concerne le film, même si je ne l’ai pas encore trouvé, j’imagine que c’est en valse, car le succès du thème qui a été enregistré majoritairement sous cette forme. Je vous réserve deux surprises dans les « autres versions » qui pourraient faire mentir ou confirmer cette histoire.

Paroles

Tres cosas hay en la vida:
salud, dinero y amor.
El que tenga esas tres cosas
que le dé gracias a Dios.
Pues, con ellas uno vive
libre de preocupación,
por eso quiero que aprendan
el refrán de esta canción.

El que tenga un amor,
que lo cuide, que lo cuide.
La salud y la platita,
que no la tire, que no la tire.
Hay que guardar, eso conviene
que aquel que guarda, siempre tiene.
El que tenga un amor,
que lo cuide, que lo cuide.
La salud y la platita,
que no la tire, que no la tire.

Un gran amor he tenido
y tanto en él me confié.
Nunca pensé que un descuido
pudo hacérmelo perder.
Con la salud y el dinero
lo mismo me sucedió,
por eso pido que canten
el refrán de esta canción.

Rodolfo Aníbal Sciammarella (paroles et musiques)

Traduction libre des paroles

Il y a trois choses dans la vie :
la santé, l’argent et l’amour.
Quiconque possède ces trois choses devrait remercier Dieu.
Eh bien, avec eux, on vit sans souci, c’est pourquoi je veux que vous appreniez le dicton de cette chanson.

Celui qui a un amour, qu’il en prenne soin, qu’il en prenne soin.
La santé et la monnaie, ne la jetez pas, ne la jetez pas.
Il faut garder, il convient que celui qui garde, toujours a.
Celui qui a un amour, qu’il en prenne soin, qu’il en prenne soin.
La santé et la monnaie, ne la jetez pas, ne la jetez pas.

J’ai eu un grand amour et j’ai tellement cru en lui.
Je n’ai jamais pensé qu’un manque d’attention pouvait me le faire perdre.
La même chose m’est arrivée avec la santé et l’argent, alors je vous demande de chanter le dicton de cette chanson.

Autres versions

Salud, dinero y amor 1930 – Duo Irusta-Fugazot accomp. de Orquesta Argentina (Barcelona).

Je pensé que vous avez remarqué plusieurs points étranges avec cette version. Le son a beaucoup d’écho, ce qui ne faisait pas à l’époque. Je pense donc que c’est une édition « trafiquée ». Mon exemplaire vient de l’éditeur El Bandoneón qui a édité entre 1987 et 2005 différents titres dont certains assez rares. Cet enregistrement est sur leur CD El Tango en Barcelona CD 2 – (EBCD-046) de 1997. Je n’en connais pas d’autre. Sur la date d’enregistrement de 1930, en revanche, c’est très probable, car cela correspond à l’époque où le trio était actif en France et Barcelone.
L’autre point étrange est qu’il s’agit d’une valse et pas d’une zamba. Si Sciammarella a « écrit » une zamba et que Mariano Mores l’a transformé en valse seulement en 1938, il y a un problème. Cet enregistrement devrait être une zamba. Je pense donc que Sciammarella a fait vivre conjointement les deux versions et que c’est la version valse qu’a adaptée le tout jeune Mariano Mores. Mais on va revenir sur ce point plus loin…

Salud… dinero y amor 1939-07-25 – Orquesta Enrique Rodríguez con Roberto Flores.

C’est notre valse du jour. Vos chaussures, si vous êtes danseur, doivent être désormais capables de la danser seules. Le rythme est assez rapide et le style haché de Rodríguez fait merveille pour inciter à donner de l’énergie dans la danse. La voix de Flores, plus élégante de celle de Moreno, l’autre chanteur vedette de Rodríguez est agréable. L’orchestration de la fin de la valse est superbe, même si Rodríguez décide, une fois de plus, d’y placer un chœur, habitude qui peut susciter quelques réticences.

Salud, dinero y amor 1939-08-08 – Francisco Lomuto C Jorge Omar.

Une version assez piquée et pesante. Elle est moins connue que la version de Rodriguez. On comprend pourquoi, sans toutefois qu’elle soit à mettre au rebut. Comme chez Canaro, Lomuto fait intervenir une clarinette, scorie de la vieille garde. La fin est cependant assez intéressante, donc si un DJ la passe, cette valse ne devrait pas laisser une mauvaise impression.

Salud, dinero y amor 1939-09-11 – Francisco Canaro y Francisco Amor.

Sur le même rythme que Lomuto, Canaro propose une version plus légère. Les vents (instruments à vent) auxquels Canaro reste fidèle donnent la couleur particulière de l’orchestre. Francisco Amor chante de façon décontractée avec un peu de gouaille.

Salud, dinero y amor 1939-09-27 – Juan Arvizu con orquesta.

L’accent mexicain d’Arvizu, surprend, on est plus accoutumé à l’entendre dans des boléros. L’orchestre où les guitares ont une présence marquée est un peu léger après l’écoute des versions précédentes. Buenos Aires lui aurait donné le surnom de ténor à la voix de soie (El Tenor de la Voz de Seda). Je vous laisse en juger…

Salud… dinero y amor 1939-11-03 – Charlo con guitarras (zamba cueca).

Ce titre n’est pas une valse, on reconnaît le rythme de la cueca à la guitare dans la première partie, puis le rythme s’apaise et passe en zamba avec des roucoulements étranges.
Finalement, ce n’est pas une zamba, pas une cueca. C’est un ovni.
Le nom de zamba cueca existe et couvre différentes variétés de danses, notamment du Chili.
La distinction de la vingtaine de variétés de cuecas, le fait que la zamba cueca serait aussi dénommée zambacueca, zamacueca ou zambaclueca, ce dernier terme évoquerait encore plus clairement la poule pondeuse, la cueca se référant à la parade d’oiseaux, font que pour moi, cela reste assez mystérieux.
Le témoignage de Mario Mores, appuyé par la partition qui mentionne zamba et cette interprétation de Charlo prouve que Salud… dinero y amor n’est pas seulement une valse.

Salud… dinero y amor 1940-07-02 – Agustín Irusta acc. Orquesta de Terig Tucci.

Salud… dinero y amor 1940-07-02 – Agustín Irusta acc. Orquesta de Terig Tucci. On retrouve Irusta qui a enregistré pour Decca à New York, accompagné de l’orchestre de Terig Tucci. Ce n’est pas vilain et si ce n’est pas le top de la danse, c’est plus dansable que la version du duo de 1930.

Après la « folie » accompagnant la sortie du fameux film que je n’ai pas trouvé, l’intérêt pour cette valse s’atténue. On la retrouve cependant un peu plus tard dans quelques versions que voici.

Salud… dinero y amor 1955 c — Inesita Pena — La Orquesta Martín De La Rosa y coro.

Pour un enregistrement des années 1950, ça fait plutôt vieillot. Ne comptez pas sur moi pour vous la proposer en milonga.

Salud… dinero y amor 1966 – Típica Sakamoto con Ikuo Abo.

On connaît l’engouement incroyable du Japon pour le tango, la Típica Sakamoto nous en donne un exemple. Vous aurez facilement reconnu la voix très typée de Ikuo Abo. Les chœurs sont assez élégants. Il me semble entendre une partie de soprano dans le chœur tenue par une femme.

Salud… dinero y amor 1969 – Alberto Podestá con Orquesta Lucho Ibarra.

Bon, il faut bien du tango à écouter, aussi. Et la voix de Podestá est tout de même une merveille, non ?

À demain, les amis, je vous souhaite santé, argent et amour.

Tres Esquinas 1941-07-24 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Ángel D’Agostino y Alfredo Attadía Letra: Enrique Cadícamo

Je suis aux anges de vous parler aujourd’hui de Tres Esquinas (trois coins de rue), car ce merveilleux tango immortalisé par les deux angelitos (D’Agostino et Vargas) parle à tous les danseurs. C’est une composition de Ángel D’Agostino et Alfredo Attadía, Enrique Cadícamo lui a donné ses paroles et son nom. Partons en train jusqu’à Tres Esquinas à la découverte du berceau de ce tango.

Naissance de Tres Esquinas

En 1920, Ángel D’Agostino a composé ce titre dans une version sommaire pour une saynète nommée « Armenonville » montée par Luis Arata, Leopoldo Simari et José Franco. Comme on peut s’en douter, cette pièce parlait de la vie des pauvres filles du cabaret Armenonville.
Ángel D’Agostino jouait cette composition au piano sous le titre, Pobre Piba (Pauvre gamine).

Arata-Simari-Franco

Une vingtaine d’années plus tard selon la légende (histoire) D’Agostino fredonnait le titre que reprit Vargas à la sortie de la salle où ils venaient d’intervenir. Cadícamo imagina le premier vers « Yo soy del barrio de Tres Esquinas ». Alfredo Attadía qui était le premier bandonéon et l’arrangeur de l’orchestre de D’Agostino s’occupa des arrangements. Il doit cependant d’avoir son nom à la partition par son apport sur le phrasé des bandonéons, phrasé inspiré par la façon de chanter de Vargas qui devrait donc à ce double titre avoir aussi son nom sur la partition 😉

Extrait musical

Commençons par écouter cette merveille pour se mettre dans l’humeur propice à notre découverte.

Tres Esquinas 1941-07-24 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas.
Tres Esquinas. Ángel D’Agostino y Alfredo Attadía Letra: Enrique Cadícamo. À gauche, deux couvertures, puis partition et accords guitare et disque.

Je pense que vous avez remarqué ce fameux phrasé dès le début. On y tellement habitué maintenant que l’on pense que cela a toujours existé… Lorsque Vargas chante, le bandonéon se fait discret, se contentant au même titre que les autres instruments de marquer le rythme et de proposer quelques ornements pour les ponts. On notera le superbe solo de violon de Holgado Barrio après la voix de Vargas et la reprise du bandonéon (vers 2:20). Vargas a le dernier mot et termine le titre.

Je n’ai pas trouvé d’enregistrement de Pobre piba pour juger de l’apport de Attadia, mais il y a fort à parier que ce titre éphémère, lié à une pièce qui n’a pas accédé à une gloire intemporelle n’a pas inspiré les maisons de disque.

Paroles

Yo soy del barrio de Tres Esquinas,
viejo baluarte de un arrabal
donde florecen como glicinas
las lindas pibas de delantal.
Donde en la noche tibia y serena
su antiguo aroma vuelca el malvón
y bajo el cielo de luna llena
duermen las chatas del corralón.

Soy de ese barrio de humilde rango,
yo soy el tango sentimental.
Soy de ese barrio que toma mate
bajo la sombra que da el parrral.
En sus ochavas compadrié de mozo,
tiré la daga por un loco amor,
quemé en los ojos de una maleva
la ardiente ceba de mi pasión.

Nada hay más lindo ni más compadre
que mi suburbio murmurador,
con los chimentos de las comadres
y los piropos del Picaflor.
Vieja barriada que fue estandarte
de mis arrojos de juventud…
Yo soy del barrio que vive aparte
en este siglo de Neo-Lux.

Ángel D’Agostino y Alfredo Attadía Letra: Enrique Cadícamo

Traduction libre des paroles

Je suis du quartier de Tres Esquinas (plus un village qu’un quartier au sens actuel), un ancien bastion d’une banlieue où les jolies filles en tablier fleurissent comme des glycines (Il s’agit des travailleuses des usines locales).
Où dans la nuit chaude et sereine le géranium déverse son arôme ancien et sous le ciel de la pleine lune dorment les logis du corralón (le corralón est un habitat collectif, le pendant du conventillo, mais à la campagne. Au lieu de donner sur un couloir, les pièces qui accueillent les familles donnent sur un balcon. Au pluriel, cela peut aussi désigner le lieu où on parque le bétail et tout l’attirail de la traction animale. Je pense plutôt au logement dans ce cas à cause des géraniums qui me font plus penser à un habitat, même si les corralones étaient proches. Les géraniums éloignent les mouches qui devaient pulluler à cause de la proximité du bétail).
Je viens de ce quartier de rang modeste, je suis le tango sentimental.
Je suis de ce quartier qui boit du maté à l’ombre de la vigne.
Dans ses ochavas (la ochava est la découpe des angles des rues qui au lieu d’être vifs à 90 % présentent un petit pan de façade oblique) j’étais un jeune homme, j’ai jeté le poignard pour un amour fou, j’ai brûlé dans les yeux d’une mauvaise l’appât brûlant de ma passion.
Il n’y a rien de plus beau ni de plus compadre que mon faubourg murmurant, avec les commérages des commères et les compliments du Picaflor (les piropos sont des compliments pour séduire et un picaflor [oiseau-mouche] est un homme qui butine de femme en femme).
Un vieux quartier qui fut l’étendard de mon audace de jeunesse…
Je suis du quartier qui vit à part en ce siècle de Néo-Lux.

Autres versions

Comme souvent, les versions immenses semblent intimider les suiveurs et il n’existe pas d’enregistrement remarquable de l’époque, si on exclut Hugo Del Carril à la guitare et notre surprise du jour, mais patience…

Tres Esquinas 1941-07-24 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas. C’est notre tango du jour.
Tres Esquinas 1942-05-07 – Hugo Del Carril con guitarras.

Il me semble difficile de s’attacher à cette version une fois que l’on a découvert celle des deux anges. On retrouve l’ambiance de Gardel, mais cet enregistrement ne sera normalement jamais proposé dans une milonga.

Tres Esquinas 2010 – Sexteto Milonguero con Javier Di Ciriaco.

Tres Esquinas 2010 – Sexteto Milonguero con Javier Di Ciriaco. J’ai eu le bonheur de découvrir cet orchestre à ses débuts à Buenos Aires où il mettait une ambiance de folie. Je l’ai fait venir à Tangopostale (Toulouse France) où il a suscité un enthousiasme délirant. Il nous reste le disque pour nous souvenir de ces moments intenses magnifiés par la voix de Javier Di Ciriaco.

Le jeune Ariel Ardit relève toutefois le défi et propose plusieurs versions électrisantes de ce titre. Voici un enregistrement public en vidéo datant de 2010.

Ariel Ardit interprète Tres Esquinas en 2010.

Ce n’est pas non plus pour la danse (du moins dans sa forme traditionnelle), mais c’est une magnifique version avec une grande richesse des contrepoints. Ariel Ardit donne beaucoup d’expression et l’orchestre n’est pas en reste. On comprend l’approbation du public.

SURPRISE : il reste une version en réserve à découvrir à la fin de cette anecdote, vous ne pouvez pas vous la perdre ! Avis pour Thierry, mon talentueux correcteur, ce n’est pas une coquille, mais une formulation calquée sur l’espagnol…

Un petit mot sur Tres Esquinas

Il faut imaginer un lieu relativement rural qui comportait des espaces de terrains vagues, des usines, des maisons pour les pauvres (corralones) et des cafés, dont un qui se nommait Tres Esquinas du nom de ce quartier qui disposait toutefois d’une station ferroviaire du même nom… Voici de quoi vous repérer. Attention, cette zone n’est pas trop à recommander aux touristes, mais on y organise des peñas magnifiques ! Pas des peñas pour touristes dans un café plus ou moins branché, mais des hangars remplis de centaines de danseurs qui s’éclatent sur des orchestres fabuleux en dansant, chacareras, gatos, zambas et une bonne dizaine d’autres titres. Ce qui est le plus surprenant est que quand l’orchestre enchaîne deux titres, les danseurs adoptent automatiquement le style de la nouvelle danse en moins de deux secondes. Si vous avez lu mes conseils pour la chacarera, vous savez déjà reconnaître celles à 6 et 8 compases et les dobles, c’est la partie fondue de l’iceberg du folklore argentin.

Le café Tres Esquinas est ici cerclé de rouge.

On voit qu’on est au bord de l’eau (Riachuelo) qui marque la limite sud de la ville de Buenos Aires (Vue Google). Comme on peut le voir, le quartier est d’usines, de terrains vagues et est maintenant bordé par l’autoroute qui va à La Plata (la capitale de la Province de Buenos Aires). Le café proprement dit n’est plus que l’ombre de lui-même. Notez toutefois la ochava  qui coupe l’angle de l’immeuble et qui marque l’entrée de ce qui était ce café historique.
La station de train portait aussi logiquement le nom du quartier.

À gauche la gare de Tres Esquinas vers 1909. À droite, une vue aérienne de Google.

Le cercle rouge est le café Tres Esquinas. Le cercle jaune marque la zone où était située la gare de Tres Esquinas détruite en 1955. L’autoroute qui a été créée en 1994-1996 a coupé en deux le quartier et probablement mis un peu de désordre dans les baraquements de latas (voir Del barrio de las latas, le berceau du tango pour en savoir plus sur ce type de construction)

Et pour terminer, un court-métrage reconstituant l’ambiance d’un bar comme celui de Tres Esquinas, réalisée par Enrique Cadícamo en 1943.

Voici la vidéo au moment où D’Agostino et Vargas entament Tres Esquinas, mais je vous recommande de voir les 9 minutes du court-métrage en entier, c’est intéressant dès le début et après Tres Esquinas, il y a El cuarteador de Barracas

Court-métrage sur un scénario et sous la direction de Enrique Cadícamo où l’on voit des scènes de café, pittoresques et l’interprétation de Tres esquinas et de El cuarteador de Barracas par Ángel D’Agostino et Ángel Vargas.

À demain, les amis !

La tablada 1942-07-23 – Orquesta Aníbal Troilo

Francisco Canaro

Quand on pense à l’Argentine, on pense à sa viande et ce n’est pas un cliché sans raison. Les Argentins sont de très grands amateurs et consommateurs de viande. Chaque maison a sa parilla (barbecue) et en ville, certains vont jusqu’à improviser leurs parillas dans la rue avec un demi-bidon d’huile. Dans les espaces verts, il y a également des parillas aménagées et si vous préférez aller au restaurant, vous n’aurez pas beaucoup à marcher pour obtenir un bon asado. Le tango du jour, la tablada a à voir avec cette tradition. En effet, la tablada est le lieu où est regroupé le bétail avant d’aller au matadero

Corrales viejos, matadero, la tablada…

Extrait musical

La tablada 1942-07-23 – Orquesta Aníbal Troilo
La tablada. La couverture de gauche est plus proche du sujet de ce tango que celle de droite…
La partition est dédicacée par Canaro à des amis d’Uruguay (auteurs, musiciens…).

Autres versions

La tablada 1927-06-09 – Orquesta Francisco Canaro.

Une version presque gaie. Les vaches « gambadent », du pas lourd du canyengue.

La tablada 1929-08-02 – Orquesta Cayetano Puglisi.

Une version pesante comme les coups coups donnés par les mataderos pour sacrifier les animaux.

La tablada 1929-12-23 – Orquesta Francisco Canaro.

Cette version est assez originale, on dirait par moment, une musique de dessin animé. Cette version s’est dégagée de la lourdeur des versions précédentes et c’est suffisamment joueur pour amuser les danseurs les plus créatifs.

La tablada 1936-08-06 – Orquesta Edgardo Donato.

Une des versions le plus connues de cette œuvre.

La tablada 1938-07-11 – Orquesta Típica Bernardo Alemany.

Cette version française fait preuve d’une belle imagination musicale. Alemany est probablement Argentin de naissance avec des parents Polonais. Son nom était-il vraiment Alemany, ou est-ce un pseudonyme, car il a travaillé en Allemagne avant la seconde guerre mondiale avant d’aller en France où il a fait quelques enregistrements comme cette belle version de la tablada avant d’émigrer aux USA. Ses musiciens étaient majoritairement argentins, car il avait fait le voyage en Argentine en 1936 pour les recruter. Cette version est donc franco-argentine pour être précis…

La tablada 1942-07-23 – Orquesta Aníbal Troilo. C’est notre tango du jour.
La tablada 1946-09-10 – Orquesta Francisco Canaro.

L’introduction en appels sifflés se répondant est particulièrement longue dans cette version. Il s’agit de la référence au train qui transportait la viande depuis La Tablada jusqu’à Buenos Aires. Les employés devaient siffler pour signaler le départ, comme cela se fait encore dans quelques gares de campagne.

La tablada 1950-11-03 – Enrique Mora y su Cuarteto Típico.

Encore une version bien guillerette et plutôt sympathique, non ?

La tablada 1951 – Orquesta Roberto Caló.

C’est le frère qui était aussi chanteur, mais aussi pianiste (comme on peut l’entendre dans cet enregistrement), de Miguel Caló.

La tablada 1951-12-07 – Horacio Salgán y su Orquesta Típica.

Une version qui se veut résolument moderne, et qui explore plein de directions. À écouter attentivement.

La tablada 1955-04-19 – Orquesta José Basso.

Dans cette version, très intéressante et étonnante, Basso s’éclate au piano, mais les autres instruments ne sont pas en reste et si les danseurs peuvent être étonnés, je suis sûr que certains apprécieront et que d’autres me maudiront.

La tablada 1957 – Mariano Mores y su Gran Orquesta Popular.

L’humour de Mariano Mores explose tout au long de cette version. Là encore, c’est encore un coup à se faire maudire par les danseurs, mais si vous avez envie de rigoler, c’est à préconiser.

La tablada 1957-03-29 – Orquesta Héctor Varela. Varela est plus sérieux, mais sa version est également assez foisonnante. Décidément, la tablada a donné lieu à beaucoup de créativité.
La tablada 1962 – Orquesta Rodolfo Biagi.

On revient à des choses plus classiques avec Rodolfo Biagi qui n’oublie pas de fleurir le tout de ses ornements au piano. À noter le jeu des bandonéons avec le piano et les violons qui dominent le tout, insensibles au staccato des collègues.

La tablada 1962-08-21 – Cuarteto Troilo-Grela.

Le duo Grela, Troilo est un plaisir raffiné pour les oreilles. À écouter bien au chaud pour se laisser emporter par le dialogue savoureux entre ces deux génies.

La tablada 1965-08-11 – Orquesta Juan D’Arienzo.

La spatialisation stéréophonique est sans doute un peu exagérée, avec le bandonéon à droite et les violons à gauche. Beaucoup de DJ passent les titres en mono. C’est logique, car tout l’âge d’or et ce qui le précède est mono. Cependant, pour les cortinas et les enregistrements plus récents, le passage en mono peut être une limitation. Vous ne pourrez pas vous en rendre compte ici, car pour pouvoir mettre en ligne les extraits sonores, je dois les passer en mono (deux fois moins gros) en plus de les compresser au maximum afin qu’ils rentrent dans la limite autorisée de taille. Mes morceaux originaux font autour de 50 Mo chacun. Pour revenir à la diffusion en stéréo, le DJ doit penser que les danseurs tournent autour de la piste et qu’un titre comme celui leur donnera à entendre le bandonéon dans une zone de la salle et les violons dans une autre. Dans ce cas, il faudra limiter le panoramique en rapprochant du centre les deux canaux. Encore un truc que ne peuvent pas faire les DJ qui se branchent sur l’entrée ligne où les deux canaux sont déjà regroupés et ne peuvent donc pas être placés spatialement de façon individuelle (sans parler du fait que l’entrée ligne comporte généralement moins de réglage de tonalité que les entrées principales).

La tablada 1966-03-10 – Orquesta Florindo Sassone.

Une meilleure utilisation de la spatialisation stéréophonique, mais ça reste du Sassone qui n’est donc pas très passionnant à écouter et encore moins à danser.

La tablada 1968 – Orquesta Típica Atilio Stampone.

Stampone a explosé la frontière entre la musique classique et le tango avec cette version très, très originale. J’adore et je la passe parfois avant la milonga en musique d’ambiance, ça intrigue les premiers danseurs en attente du début de la milonga.

La tablada 1968-06-05 – Cuarteto Aníbal Troilo.

On termine, car il faut bien une fin, avec Pichuco et son cuarteto afin d’avoir une autre version de notre musicien du jour qui nous propose la tablada.

Après ce menu musical assez riche, je vous propose un petit asado

L’asado

Je suis resté discret sur le thème matadero évoqué dans l’introduction. Matar en espagnol est tuer (à ne pas confondre avec mate) qui est la boisson nationale. Si vous écrivez « maté », vous voulez dire « tué ». Il ne faut donc surtout pas mettre d’accent, même si ça prononce maté, ça s’écrit mate. L’accent tonique est sur le ma et pas sur le te. J’arrête de tourner autour du pot, le matadero, c’est l’abattoir.

À la fin du 16e siècle, Jean de Garay apporta 500 vaches d’Europe (et bien sûr quelques taureaux). Ces animaux se plurent, l’herbe de la pampa était abondante et nourrissante aussi les bovins prospérèrent au point que deux siècles plus tard, Félix de Azara, un naturaliste espagnol constatait que les criollos ne consommaient que de la viande, sans pain.
Plus étonnant, ils pouvaient tuer une vache pour ne manger que la langue ou la partie qui les intéressait.
Puis, la colonisation s’intensifiant, la viande est devenue la nourriture de tous, y compris des nouveaux arrivants. Certaines parties délaissées par la « cuisine » traditionnelle furent l’aubaine des plus pauvres, mais certaines parties qui étaient très appréciées par les personnes raffinées et négligées par les consommateurs traditionnels continuent à faire le bonheur des commerçants avisés qui répartissent les parties de l’animal selon les quartiers.
Le travail du cuir est aussi une ressource importante de l’Argentine, mais dans certaines provinces, l’asado (la grillade) se fait avec la peau et dans ce cas, le cuir est perdu. C’est un reste de l’habitude de tuer une vache pour n’utiliser que la portion nécessaire à un moment donné.
Les Argentins consomment un kilo de viande et par personne chaque semaine. Je devrais écrire qui consommaient, car depuis l’arrivée du nouveau gouvernement en Argentine, le prix de la viande a triplé et la consommation a fortement baissée en quantité (de l’ordre de 700 grammes par semaine et surtout en qualité, les viandes les moins nobles étant désormais plus recherchées, car moins chères).

Asado a la estaca (sur des pieux) — Asado con cuero (avec la peau de l’animal) Asado dans un restaurant, les chaînes permettent de régler la hauteur des différentes grilles — asado familiar.

Tira de asado
La viande est attachée à l’os. C’est assez spectaculaire et plein d’os que certains enlèvent avec leur couteau ou en croquant entre les restes de côtes.

Vacio (Vide)
Un morceau de choix, sans os, tendre et à odeur forte. IL se cuit lentement à feu indirect.

Matambre
Entre la peau et les os, le matambre est recherché. Il est également utilisé roulé, avec un remplissage entre chaque couche. Une fois découpé en rondelle, comme une bûche de Noël, c’est très joli. Le remplissage peut être des œufs durs, des légumes ou autres.

Colita de cuadril
Partie de l’aloyau (croupe) proche de la queue, d’où le nom.

Entraña
Partie intérieure des côtes de veaux.

Bife de chorizo
Bifteck de chorizo, un steack à ne pas confondre avec la saucisse espagnole de ce nom.

Bife Ancho
Un steack large, épais avec graisse.

Bife angosto
Le contraire du précédent, plus fin.

Lomo
La longe, une pièce de viande peu grasse.

Palomita
Une coupe parmi tant d’autres. J’imagine que certains y voient une colombe, mais c’est bien du bœuf.

Picaña
Arrière de la longe de bœuf de forme triangulaire.

Achuras
Ce sont les abats.
Ils sont présentés en tripes, chorizos, boudins, ris de veau, rognons et autres.
Ils ne font pas l’unanimité chez les Argentins, mais un asado sans achuras, ce n’est pas un asado pour beaucoup.

Bondiola
Le porc passe aussi un sale moment sur la parilla.
Beaucoup la mangent en sandwich dans du pain français (rien à voir avec le pain de France). Le pain peut être chauffé sur la parilla.

Pechito de cerdo
La poitrine de porc fait aussi partie des morceaux de choix de l’asado. Elle est considérée ici comme une viande plus saine (comme quoi tout est relatif).

Des légumes, poivrons, aubergines peuvent rejoindre l’asado, mais ce ne sera pas le met préféré des Argentins, même si on y fait cuire un œuf afin de ne pas manquer de protéines…

Le travail de l’asador

C’est la personne qui prépare l’asado. Son travail peut paraître simple, mais ce n’est pas le cas.
Il faut préparer les morceaux, parfois les condimenter (modérément) et la cuisson est tout un art. Une fois que le bois ou le charbon de bois sont prêts, il faut régler la hauteur de la grille afin que la viande cuise doucement et longuement et de façon adaptée selon les pièces qui se trouvent aux différents endroits de la grille.
Beaucoup d’Argentins aiment la viande bien cuite, les steaks tartares sont une idée qui n’est pas dans le vent ici. D’autres l’aiment à point et la bonne viande se coupe à la cuillère, voire avec le manche de la cuillère.
Hors de l’Argentine, il est assez difficile de convaincre un boucher de découper la viande à l’Argentine, à moins de bien lui expliquer et d’acheter 40 kilos d’un coup. Il vous faudra donc aller en Argentine ou dans un restaurant argentin qui s’approvisionne bien souvent en bœuf de l’Aubrac (France).
La coutume veut qu’on applaudisse l’asador qui a passé des heures à faire cuire amoureusement les animaux.
L’Argentine n’est pas le paradis des végétariens, d’autant plus que les légumes sont souvent plus chers que la viande (même si en ce moment, c’est moins le cas). Il faut compter entre 4 et 10 $ le kilo, voire moins si vous achetez de grosses quantités, si vous payez en liquide, si vous avez la carte de telle ou telle banque… L’Argentine fourmille d’astuces pour payer un peu moins cher.
Ne sortez pas l’American Express ici son slogan est plutôt « ne sortez pas avec elle » si vous ne voulez pas payer plus cher.
En ce qui concerne les autres produits d’origine animale, le lait et les produits laitiers ne sont pas les grands favoris et le poisson coûte le même prix qu’en Europe et par conséquent est hors de prix pour la majorité des Argentins, sauf peut-être le merlu que l’on peut trouver à moins de 10 $ contre 30 ou 40 $ le saumon (d’élevage, congelé et à la chair très pâle et grasse).
Bon, je me suis un peu échappé du domaine du tango, mais n’étant pas amateur de viande, il me fallait faire une forme de catharsis…

À demain, les amis !

Selección de tangos de Julio de Caro 1949-07-22 – Orquesta Aníbal Troilo

Julio De Caro – Aníbal Troilo

Hier, je vous ai proposé un titre « popurrí ». C’est-à-dire qu’il était constitué par l’assemblage de plusieurs tangos. Cet exercice est pratiqué par différents orchestres. Troilo en a fait plusieurs. Notre pot-pourri du jour s’appelle Selección de tangos de Julio de Caro, il est constitué de sept compositions de… Julio de Caro, bravo, vous avez deviné.

Extrait musical

Selección de tangos de Julio de Caro 1949-07-22 – Orquesta Aníbal Troilo.

Avez-vous reconnu tous les thèmes présentés ?

Voici les titres sur des partitions qui sont bien sûr toutes des compositions de Julio de Caro. Elles datent des années 20 du vingtième siècle.

Selección de tangos de Julio de Caro. Les couvertures des partitions des compositions de De Caro utilisé dans cette sélection.

Les pièces du puzzle

Voici toutes les pièces, dans l’ordre. Le tango du jour a été enregistré en 1949. Anibal Troilo avait donc comme modèles, les versions antérieures, mais n’oublions pas que ce n’est pas parce qu’il n’y a pas d’enregistrement que les orchestres ne jouaient pas leurs titres. Troilo peut très bien avoir entendu jouer Julio de Caro au moment où il assemblait le pot-pourri. Il avait donc des références qui ne nous sont plus accessibles.

Buen Amigo

Buen amigo 1925-05-12 – Orquesta Julio De Caro
Buen amigo 1930-02-26 – Orquesta Julio De Caro
Buen amigo 1942-09-16 – Orquesta Julio De Caro con Agustín Volpe
Buen amigo 1950-12-18 – Orquesta Julio De Caro con Orlando Verri

Mala pinta

Mala pinta (Mala estampa) 1928-08-27 – Orquesta Julio De Caro
Mala pinta (Mala estampa) 1951-11-16 – Orquesta Julio De Caro

Guarda vieja

Guardia vieja 1926-10-06 – Orquesta Julio De Caro
Guardia vieja 1943-09-07 – Orquesta Julio De Caro
Guardia vieja 1949-11-18 – Orquesta Julio De Caro

Boedo

Boedo 1928-11-16 – Orquesta Julio De Caro
Boedo 1939-07-07 – Orquesta Julio De Caro con palabras de Héctor Farrel
Boedo 1950-08-09 – Orquesta Julio De Caro
Boedo 1952-09-17 – Orquesta Julio De Caro. J’aime beaucoup le début, mais par la suite, je trouve que ça fait un peu fouillis. Ce n’est pas pour la danse, alors je vous laisse au plaisir d’écouter ou d’écourter.

Tierra querida

Tierra querida 1927-09-12 – Orquesta Julio De Caro
Tierra querida 1936-12-15 – Quinteto Los Virtuosos Francisco De Caro (piano), Pedro Maffia et Ciriaco Ortiz (bandonéon), Julio De Caro (violon à cornet), Elvino Vardaro (violon). Si Elvino Varado mérite l’épithète de virtuose, c’est un peu moins le cas pour Julio de Caro et son violon particulier (avec un cornet).
Tierra querida 1952-11-27 – Orquesta Julio De Caro

El monito

Je vous propose de vous reporter à l’anecdote sur El monito pour en savoir plus sur ce titre.

El monito 1925-07-23 — Orquesta Julio De Caro. On notera les parties sifflées.
El monito 1928-07-19 — Julio De Caro y su Orquesta Típica.
El monito 1939-05-23 — Orquesta Julio De Caro. Une version énergique. On retrouve les sifflements et apparaît un dialogue « Raahhhh, Monito / Si / Quieres Café? / No / Por qué? ». C’est sans doute un souvenir du tango humoristique. On imagine que les clients devaient s’amuser lorsque l’orchestre évoquait le titre. Peut-être que l’idée vient d’un client imitant le singe et que cette scénette improvisée au départ s’est invitée dans la prestation de l’orchestre.
El monito 1949-09-29 — Orquesta Julio De Caro. Une dizaine d’années plus tard, De Caro nous offre une nouvelle version superbe. Les similitudes avec Pugliese sont encore plus marquées, notamment avec le tempo nettement plus lent et proche de celui de Pugliese. On retrouve toutefois le dialogue de la version de 1939, dans une version un plus large. “Ah, ah ah, Monito / Si / Quieres Café? / No / Por qué? / Quiero caramelo” (je veux un bonbon). Avec ces dialogues imitant la « voix » d’un singe, De Caro s’éloigne des paroles de Juan Carlos Marambio Catán en renouant avec le côté tango humoristique. Mais tous les orchestres se sont éloignés des paroles, du moins pour l’enregistrement, car toutes les versions disponibles aujourd’hui sont instrumentales (si on excepte Roberto Díaz).
Ce qui est sûr est que cette version convient parfaitement à la danse, ce qui fait mentir ceux qui classe De Caro dans le définitivement indansable.

Mala junta

Mala junta 1927-09-13 – Orquesta Julio De Caro
Mala junta 1938-11-16 – Orquesta Julio De Caro
Mala junta 1949-10-10 – Orquesta Julio De Caro

Assembler le puzzle

Il y a des pots-pourris beaucoup plus simples à repérer que celui-ci. Troilo a fait œuvre de création avec des ponts (transition entre les différentes pièces du puzzle) relativement élaborés et en sélectionnant des parties pas forcément principales des œuvres citées.
Vous devriez arriver à résoudre le puzzle en vérifiant les versions des titres que vous connaissez moins bien (De Caro ne passe quasiment jamais en milonga, mais ses compositions, si). Indice, parfois, c’est la partie chantée qui est utilisée. Parfois, c’est une version plus ancienne qu’il faut prendre comme référence et dans quelques cas, une version postérieure, ce qui confirme que Troilo connaissait l’état des interprétations de De Caro à l’époque, même si elles n’ont pas été enregistrées. Il se peut aussi que De Caro ait copié en reprenant les idées de Troilo. C’est le principe de l’émulation entre deux grands musiciens qui se respectaient.
On peut le vérifier en constatant que Troilo a réalisé ces hommages à De Caro (les sélections) et que De Caro a composé « Aníbal Troilo » qu’il a d’ailleurs été le seul à enregistrer.

Aníbal Troilo 1949-09-29 – Orquesta Julio De Caro.

Autres versions

Anibal Troilo a réalisé plusieurs popurri (Selección). Une seule utilise les mêmes titres, la version de 1966. Vous allez pouvoir comparer les deux versions.

Selección de tangos de Julio de Caro 1949-07-22 – Orquesta Aníbal Troilo. C’est notre tango, ou notre paquet de tangos du jour.
Selección de Julio de Caro 1966-12-06 – Orquesta Aníbal Troilo.

À demain, les amis !

Fumando espero 1927-07-21 – Orquesta Típica Victor

Juan Viladomat Masanas Letra: Félix Garzo (Antonio José Gaya Gardus)

On sait maintenant que fumer n’est pas bon pour la santé, mais dans la mythologie du tango, la cigarette, cigarillo, pucho, faso et sa fumée ont inspiré les créateurs quand eux-mêmes inspiraient les volutes de fumée. Notre tango du jour est à la gloire de la fumée, au point qu’il est devenu objet de propagande publicitaire. Mais nous verrons que le tango a aussi servi à lutter contre le tabac qui t’abat. Je pense que vous découvrirez quelques scoops dans cette anecdote fumante.

Extrait musical

Fumando espero 1927-07-21 — Orquesta Típica Victor — Dir. Adolfo Carabelli.

Cette très belle version souffre bien sûr de son ancienneté et du style de l’époque, mais les contrepoints sont superbes et la rythmique lourde est compensée par de jolis traits. J’aime beaucoup les passages legato des violons.

Maintenant que vous l’avez écouté, nous allons entrer dans le vif d’un sujet un peu fumeux, tout d’abord avec des couvertures de partitions.

Fumando espero. Diverses partitions.

On notera que trois des partitions annoncent la création, mais par des artistes différents…
Création de Ramoncita Rovira (Partition éditée par Ildefonso Alier) à Madrid en 1925.
Création de Pilar Berti pour la publication de Barcelone, DO-RE-MI qui publiait chaque semaine une partition. Mais c’est une autre Pilar (Arcos) qui l’enregistrera à diverses reprises.
Tania Mexican, créatrice de ce magnifique tango, annonce cette partition. Tania aurait été la première à le chanter à Buenos Aires. Ce n’est pas impossible dans la mesure où cette Espagnole de Tolède est arrivée en Argentine en 1924. Elle fut la compagne de Enrique Santos Discépolo.
Si on peut voir la mention « « « Mexican » à côté de son nom, c’est qu’elle est arrivée à Buenos Aires avec le Conjunto The Mexicans

Après les éditions espagnoles, voici celles d’Amérique latine, plus tardives, elles ont suivi le trajet de la musique.
Felix Carso au lieu de Carzo pour l’édition brésilienne de 1927. L’éditeur, Carlos Wehrs vendait aussi des pianos.
Tango de Veladomato (au lieu de Veladomat (non catalan) pour l’édition chilienne.
Ces cinq partitions sont de la première vague (années 20-30)

La partition éditée par las Ediciones Internacionales Fermata avec la photo de Héctor Varela en couverture date des années 50. Probablement de 1955, date de l’enregistrement par Varela de ce titre.

Paroles

Fumar es un placer
genial, sensual.
Fumando espero
al hombre a quien yo quiero,
tras los cristales
de alegres ventanales.
Mientras fumo,
mi vida no consumo
porque flotando el humo
me suelo adormecer…
Tendida en la chaise longue
soñar y amar…
Ver a mi amante
solícito y galante,
sentir sus labios
besar con besos sabios,
y el devaneo
sentir con más deseos
cuando sus ojos veo,
sedientos de pasión.
Por eso estando mi bien
es mi fumar un edén.

Dame el humo de tu boca.
Anda, que así me vuelvo loca.
Corre que quiero enloquecer
de placer,
sintiendo ese calor
del humo embriagador
que acaba por prender
la llama ardiente del amor.

Mi egipcio es especial,
qué olor, señor.
Tras la batalla
en que el amor estalla,
un cigarrillo
es siempre un descansillo
y aunque parece
que el cuerpo languidece,
tras el cigarro crece
su fuerza, su vigor.
La hora de inquietud
con él, no es cruel,
sus espirales son sueños celestiales,
y forman nubes
que así a la gloria suben
y envuelta en ella,
su chispa es una estrella
que luce, clara y bella
con rápido fulgor.
Por eso estando mi bien
es mi fumar un edén.

Juan Viladomat Masanas Letra: Félix Garzo (Antonio José Gaya Gardus)

Traduction libre et indications

Fumer est un plaisir génial, sensuel.
En fumant, j’attends l’homme que j’aime, derrière les vitres de fenêtres gaies.
Pendant que je fume, ma vie, je ne la consomme pas parce que la fumée qui flotte me rend généralement somnolente…
Allongée sur la chaise longue, rêver et aimer… (On notera que la chaise longue est indiquée en français dans le texte).
Voir mon amant plein de sollicitude et galant, de sentir ses lèvres embrasser de baisers sages, et d’éprouver plus de désir quand je vois ses yeux assoiffés de passion.
C’est pourquoi mon bien est de fumer une Edén (marque de cigarettes, voir ci-dessous les détails).
Donne-moi la fumée de ta bouche.
Allez, qu’ainsi je devienne folle.
Cours, que j’ai envie de devenir folle de plaisir, en sentant cette chaleur de la fumée enivrante qui finit par allumer la flamme brûlante de l’amour.
Mon égyptien (tabac égyptien) est spécial, quelle odeur, monsieur.
Après la bataille dans laquelle l’amour explose, une cigarette est toujours un repos et bien qu’il semble que le corps languisse, après le cigare (en lunfardo, el cigarro est le membre viril…), sa force, sa vigueur, grandissent.
L’heure de l’agitation avec lui n’est pas cruelle, ses spirales sont des rêves célestes, et forment des nuages qui s’élèvent ainsi vers la gloire et enveloppés d’elle, son étincelle est une étoile qui brille, claire et belle d’un éblouissement rapide.
C’est pourquoi mon bien est de fumer une Edén.

La cigarette et le tango

Ce tango serait une bonne occasion pour parler du thème de la cigarette et du tango. Étant non-fumeur, je béni la loi 1799 (Buenos Aires) qui fait que depuis octobre 2006, il est interdit de fumer dans les lieux publics. Cela a largement amélioré la qualité de l’air dans les milongas.
La loi 3718 (décembre 2010) renforce encore ces interdictions et donc depuis 5 janvier 2012, il est totalement interdit de fumer dans les lieux publics et les espaces fumeurs intérieurs sont interdits. Cependant, imaginez l’atmosphère au cours du vingtième siècle, époque où le tabac faisait des ravages.
Le tango du jour peut être considéré comme une publicité pour le tabac et même une publicité pour le tabac égyptien d’une part et la marque Edén qui était une marque relativement luxueuse.

Avec Edén, allez plus vite au paradis

Dans ce tango, sont cités deux types de tabac, l’égyptien et les cigarettes à base de tabac de la Havane. Je pourrais rajouter le cigare de la Havane, mais je pense que la référence au cigare est plus coquine que relative à la fumée…
Les cigarettes Edén étaient commercialisées en deux variétés, la n° 1, fabriqué avec du tabac de la Havane, coûtait 30 cents et la n° 2, avec un mélange de tabac de la Havane et de Bahia, 20 cents le paquet.

À gauche, paquet de tabac égyptien. À droite, publicité pour les cigarettes Edén (1899). Clodimiro Urtubey est le créateur de la marque

Les tangos faisant la propagande du tabac

On peut bien sûr inclure notre tango du jour (Fumando espero (1922), puisqu’il cite des marques et l’acte de fumer. Cependant, rien ne prouve que ce soient des publicités, même déguisées. La référence au tabac égyptien peut être une simple évocation du luxe, tout comme la marque Edén qui en outre rime avec bien.
Par ailleurs, l’auteur de la musique, Juan Viladomat semble être un adepte des drogues dans la mesure où il a également écrit un tango qui se nomme La cocaína avec des paroles de Gerardo Alcázar.

Partition de La cocaina de Juan Viladomat avec des paroles de Gerardo Alcázar.
La cocaína 1926 – Ramoncita Rovira.

La cocaína 1926 – Ramoncita Rovira. Cette pièce faisait partie du Guignol lyrique en un acte « El tango de la cocaína » composé par Juan Viladomat avec un livret de Amichatis et Gerardo Alcázar.

J’imagine donc qu’il a choisi le thème sans besoin d’avoir une motivation financière…
D’autres tangos sont dans le même cas, comme : Larga el pucho (1914), Sobre el pucho (1922), Fume Compadre (ou Nubes de humo, 1923), Como el humo (1928), Cigarillo (1930), Pucho 1932, Tabaco (1944), Sombra de humo (1951), Un cigarillo y yo (1966) et bien d’autres qui parlent à un moment ou un autre, de fumée, de cigarette (cigarillo/pucho/faso) ou de tabac.

Cigarrillo 1930-07-17 – Orquesta Francisco Canaro con Luis Díaz (Adolfo Rafael Avilés Letra: Ernesto E. de la Fuente).

Attention, ne pas confondre avec le tango du même nom qui milite contre le tabac et que je présente ci-dessous…
Sur le fait que Canaro n’a pas fait cela pour de l’argent, j’ai tout de même un petit doute, il avait le sens du commerce…

En revanche, d’autres tangos ont été commandités par des marques de cigarettes. Parmi ceux-ci, citons :

América (qui est une marque de cigarettes)
Fumando Sudan, espero (Sudan est une marque de cigarette et Pilar Arcos a enregistré cette version publicitaire en 1928).

Paquet en distribution gratuite et vignettes de collection (1920) des cigarettes Soudan, une marque brésilienne créée par Sabbado D’Angelo en 1913.
Fumando Sudan espero 1928-06-15 – Pilar Arcos Acc. Orquesta Tipica Dir. Louis Katzman.

Le nom des cigarettes ne vient pas du pays, le Soudan, mais de l’utilisation des premières lettres du nom du fondateur de la marque, S de Sabado, Um(N) de Umberto et DAN de D’Angelo…
Quoi qu’il en soit, cette marque ne reculait devant aucun moyen marketing, distribution gratuite, images de collection, version chantée…
Cela me fait penser à cette publicité argentine pour la première cigarette…

Publicité argentine pour la première cigarette mettant en scène un enfant… La cigarette est au premier plan à gauche. On imagine la suite.

Sello azul (qui est une marque de cigarettes).

Sello Azul de Sciammarella et Rubistein, et à droite, un paquet de ces cigarettes…

Aprovechá la bolada, Fumá Caranchos dont je vous propose ici les paroles qui sont un petit chef-d’œuvre de marketing de bas étage :

Couverture de la partition de Aprovechá la bolada – Fumá Caranchos de Francisco Bohigas

Paroles de Aprovechá la bolada, Fumá Caranchos

Che Panchito, no seas longhi, calmá un poco tu arrebato que el que tiene una papusa cual la novia que tenés, no es de ley que se suicide por el hecho de andar pato; a la suerte hay que afrontarla con bravura y altivez.
Donde hay vida hay esperanza, no pifiés como un incauto.
Y a tu piba no le arruines su palacio de ilusión vos querés dártela seca porque sueña con un auto, una casa y otras yerbas; yo te doy la solución.
Refrán:
Fumá Caranchos no seas chancleta, que en cada etiqueta se encuentra un cupón.
Seguí mi consejo, prendete, che Pancho que está en Los Caranchos tu gran salvación.
Fumá Caranchos, que al fin del jaleo en el gran sorteo te vas a ligar una casa posta, un buick de paseo y el sueño de tu piba se va a realizar.
Ya se me hace, che Panchito, que te veo muy triunfante, dando dique a todo el mundo con un buick deslumbrador, por Florida, por Corrientes, con tu novia en el volante propietario de una casa que será nido de amor.
Sin embargo, caro mio, si no entrás en la fumada, serás siempre un pobre loco que de seco no saldrá.
Vos buscate tu acomodo, aprovechá la bolada, fumá Caranchos querido, que tu suerte cambiará.
Fumá Caranchos, no seas chancleta que en cada etiqueta se encuentra el cupón.

Francisco Bohigas

Traduction libre de Aprovechá la bolada, Fumá Caranchos (Saute sur ta chance, fume Caranchos)

Che Panchito, ne sois pas un manche, calme un peu ton emportement, car celui qui a une poupée comme la petite amie que tu as, il n’est pas juste pour lui de se suicider, car il a fait le canard (« cada paso una cagada », le canard a la réputation de faire une crotte à chaque pas, une gaffe à chaque pas) ; la chance doit être affrontée avec bravoure et arrogance.
Là où il y a de la vie, il y a de l’espoir, ne faites pas de gaffes comme un imprudent.
Et ne ruine pas le palais d’illusion de ta poupée, tu te vois fauché parce qu’elle rêve d’une voiture, d’une maison et d’autres trucs ; Je vais te donner la solution.
Fume Caranchos ne sois pas une mauviette, car sur chaque étiquette, se trouve un coupon.
Suis mon conseil, allume, che Pancho, ton grand salut est dans les Caranchos.
Fume des Caranchos, parce qu’à la fin du tirage de la grande tombola, tu vas recevoir une maison excellente, une Buick pour la balade et le rêve de ta chérie va se réaliser.
Il me semble, che Panchito, que je te vois très triomphant, te pavanant devant tout le monde avec une Buick éblouissante, dans Florida, dans Corrientes, avec ta copine au volant et propriétaire d’une maison qui sera un nid d’amour.
Cependant, mon cher, si tu ne te lances pas dans la fumée, tu seras toujours un pauvre fou qui ne sortira pas de la dèche.
Tu trouveras ton logement, profite de la chance, fume, mon cher, Caranchos, ta chance va tourner.
Fume des Caranchos, ne sois pas une mauviette, car sur chaque étiquette se trouve le coupon.
On notera qu’il a fait un tango du même type Tirate un lance (tente ta chance), qui faisait la propagande d’un tirage au sort d’un vin produit par les caves Giol7. Ne pas confondre avec le tango du même titre écrit par Héctor Marcó et chanté notamment par Edmundo Rivero.

Le tango contre le tabac

Même si l’immense des tangos fait l’apologie de la cigarette, certains dénoncent ses méfaits en voici un exemple :

Paroles de Cigarrillo de Pipo Cipolatti (musique et paroles)

Tanto daño,
tanto daño provocaste
a toda la humanidad.
Tantas vidas,
tantas vidas de muchacho
te fumaste… yo no sé.
Apagando mi amargura
en la borra del café
hoy te canto, cigarrillo, mi verdad…

Cigarrillo…
compañero de esas noches,
de mujeres y champagne.
Muerte lenta…
cada faso de tabaco
es un año que se va…
Che, purrete,
escuchá lo que te digo,
no hagas caso a los demás.
El tabaco es traicionero
te destruye el cuerpo entero
y te agrega más edad…
El tabaco es traicionero,
te destruye el cuerpo entero… ¡y qué!
y esa tos te va a matar…

¡Ay, que lindo !…
Ay, que lindo que la gente
comprendiera de una vez
lo difícil,
lo difícil que se hace,
hoy en día, el respirar.
Es el humo del cilindro
maquiavélico y rufián
que destruye tu tejido pulmonar

Pipo Cipolatti

Traduction libre des paroles de Cigarrillo

Tant de dégâts, tant de dégâts tu as causé à toute l’humanité.
Tant de vies, tant de vies d’enfants tu as fumé… Je ne sais pas.
Éteignant mon amertume dans le marc de café, aujourd’hui je te chante, cigarette, ma vérité…
Cigarette… Compagne de ces nuits, des femmes et de champagne.
Mort lente… Chaque cigarette (faso, cigarette en lunfardo) est une année qui s’en va…
Che, gamin, écoute ce que je te dis, ne fais pas attention aux autres.
Le tabac est traître, il détruit le corps en entier et t’ajoute plus d’âge…
Le tabac est traître, il détruit le corps entièrement… et puis !
Et cette toux va te tuer…
Oh, comme ce serait bien !…
Oh, comme ce serait bien que les gens comprennent une fois pour toutes combien le difficile, combien il est difficile de respirer aujourd’hui.
C’est la fumée du cylindre machiavélique et voyou qui détruit ton tissu pulmonaire

Si on rajoute un autre de ses tangos Piso de soltero qui parle des relations d’un homme avec d’autres hommes et des femmes et des alcools, vous aurez un panorama des vices qu’il dénonce.

Autres versions

Il y a des dizaines de versions, alors je vais essayer d’être bref et de n’apporter au dossier que des versions intéressantes, ou qui apportent un autre éclairage.
Ce que l’on sait peu, est que ce tango est espagnol, voire catalan et pas argentin…
Juan Viladomat est de Barcelone et Félix Garzo de Santa Coloma de Gramenet (sur la rive opposée du río Besós de Barcelone).
Le tango (en fait un cuplé, c’est-à-dire une chanson courte et légère destinée au théâtre) a été écrit pour la revue La nueva España, lancée en 1923 au teatro Victoria de Barcelona.
La première chanteuse du titre en a été Ramoncita Rovira née à Fuliola (Catalogne). Je rappelle que Ramoncita a aussi lancé le tango La cocaína que l’on a écouté ci-dessus. Ramoncita, l’aurait enregistré en 1924, mais je n’ai pas ce disque. D’autres chanteuses espagnoles prendront la relève comme Pilar Arcos, puis Sara Montiel et ensuite Mary Santpere bien plus tard.

Fumando-Espero 1926-08 – Orquesta Del Maestro Lacalle.

Ce disque Columbia No.2461-X tiré de la matrice 95227 a été enregistré en août 1926 à New York où le Maestro Lacalle (la rue), d’origine espagnole, a fini sa vie (11 ans plus tard). C’est une version instrumentale, un peu répétitive. L’avantage d’avoir enregistré à New-York est d’avoir bénéficié d’une meilleure qualité sonore, grâce à l’enregistrement électrique. Le même jour, il a enregistré Langosta de Juan de Dios Filiberto, mais il en a fait une marche joyeuse qui a peu à voir avec le tango original.

Disque enregistré à New York en 1926 par El Maestro Lacalle de Fumando Espero et Langosta.

On est donc en présence d’un tango 100 % espagnol et même 100 % catalan, qui est arrivé à New York en 1926, mais ce n’est que le début des surprises.

Fumando Espero 1926-10-18 – Margarita Cueto acc. Orquesta Internacional – Dir.Eduardo Vigil Y Robles. Un autre enregistrement new-yorkais et ce ne sera pas le dernier…

Fumando espero 1926-10-29 — Orquesta Internacional – Dir. Eduardo Vigil Y Robles. Quelques jours après l’enregistrement avec Margarita Cueto, une version instrumentale.

On quitte New York pour Buenos Aires…

Fumando espero 1927-07-11 – Rosita Quiroga con orquesta.

Rosita Quiroga, la Édith Piaf de Buenos Aires, à la diction et aux manières très faubouriennes était sans doute dans son élément pour parler de la cigarette. On est toutefois loin de la version raffinée qui était celle du cuplé espagnol d’origine.

Fumando espero 1927-07-21 — Orquesta Típica Victor — Dir. Adolfo Carabelli.

C’est notre superbe version instrumentale du jour, magistralement exécutée par l’orchestre de la Victor sous la baguette de Carabelli.

Fumando espero 1927 – Sexteto Francisco Pracánico.

Une autre version instrumentale argentine. Le titre a donc été adopté à Buenos Aires, comme en témoigne la succession des versions.

Fumando espero 1927-08-20 – Orquesta Francisco Lomuto.

Une version un peu frustre à mon goût.

Fumando espero 1927-08-23 – Orquesta Roberto Firpo.

Firpo nous propose une superbe introduction et une orchestration très élaborée, assez rare pour l’époque. Même si c’est destiné à un tango un peu lourd, canyengue, cette version devrait plaire aux danseurs qui peuvent sortir du strict âge d’or.

Fumando espero 1927-09-30 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Fugazot.

Canaro ne pouvait pas rester en dehors du mouvement, d’autant plus qu’il enregistrera Cigarrillo avec Luis Díaz en 1930 (comme nous l’avons vu et écouté ci-dessus).

Fumando espero 1927-11-08 – Orquesta Osvaldo Fresedo.
Fumando espero 1927-11-17 – Ignacio Corsini con guitarras de Aguilar-Pesoa-Maciel.

Une belle interprétation par ce chanteur qui aurait mérité, à mon avis, une gloire égale à celle de Gardel.

Fumando espero 1927 – Pilar Arcos Acc. The Castilians.
Fumando Sudan espero 1928-06-15 – Pilar Arcos Acc. Orquesta Tipica Dir. Louis Katzman.

C’est la version publicitaire que nous avons évoquée dans le chapitre sur tabac et tango.

La source semble s’être tarie et l’on ne trouve plus de versions de Fumando espero intéressante avant les années 1950.

Fumando espero 1955-05-20 — Enrique Mora — Elsa Moreno.
Fumando espero 1955-06-01 – Orquesta Héctor Varela con Argentino Ledesma.

Oui, je sais, cette version, vous la connaissez et elle a certainement aidé au renouveau du titre. C’est superbe et bien que ce type d’interprétation marque la fin du tango de danse, 97,38 % (environ), des danseurs se ruent sur la piste aux premières notes.

Fumando espero 1955-12-01 – Orquesta Donato Racciatti con Olga Delgrossi.

L’Uruguay se toque aussi pour la reprise de Fumando espero. Après Donato Racciatti et Olga Delgrossi, Nina Miranda.

Fumando espero 1956 – Orquesta Graciano Gómez con Nina Miranda.

Nina Miranda a été engagée en 1955 par Odeón. C’est Graciano Gómez qui a été chargé de l’accompagner. C’est une collaboration entre les deux rives du Rio de la Plata.

Fumando espero 1956 – Jorge Vidal con guitarras.

Une version tranquille, à la guitare.

Fumando espero 1956-02-03 – Orquesta Carlos Di Sarli con Argentino Ledesma.

Après la version à 97,38 % avec Varela, Argentino Ledesma, avec Di Sarli réalise la version pour 100 % des danseurs.
Ledesma venait de quitter l’orchestre de Varela pour intégrer celui de Di Sarli. Il devient le spécialiste du titre… Ce fut un immense succès commercial au point que la Víctor décala sa fermeture pour vacances pour rééditer d’autres disques en urgence. L’enregistrement avec Varela n’avait pas obtenu le même accueil, c’est donc plutôt 1956 qui marque le renouveau explosif du titre.

Fumando espero 1956-04-03 – Orquesta Alfredo De Angelis con Carlos Dante.

J’aurais plus imaginé Larroca pour ce titre. De Angelis a choisi Dante. C’est toutefois joli, mais je trouve qu’il manque un petit quelque chose…

Popurri 1956-04-20 Fumando espero, Historia de un amor y Bailemos – José Basso C Floreal Ruiz.

Il s’agit d’un popurrí, c’est à dire du mélange dans un seul tango de plusieurs titres. Comme ce pot-pourri commence par Fumando espero, j’ai choisi de l’insérer pour que vous puissiez profiter de la superbe voix de Floreal Ruiz. À 58 secondes commence Historia de un amor et à deux minutes, vous avez pour le même prix un troisième titre, Bailemos. Les transitions sont réussies et l’ensemble est cohérent. On pourrait presque proposer cela pour la danse (avec précaution et pour un moment spécial).

Fumando espero 1956-04-26 – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Florio.

On peut se demander pourquoi Di Sarli enregistre une nouvelle version, moins de trois mois après celle de Ledesma. L’introduction est différente et l’orchestration présente quelques variantes. La plus grosse différence est la voix du chanteur. Si on décide de faire une tanda avec Florio, cet enregistrement me semble un excellent élément. Je pense que la principale raison est que Ledesma n’a enregistré que trois tangos avec Di Sarli et que donc c’est trop peu, ne serait que pour nous, DJ, pour avoir un peu de choix. Si je veux passer la version avec Ledesma, je suis obligé de faire une tanda mixte, autre chanteur et/ou titre instrumental pour obtenir les quatre titres de rigueur. Puis, entre nous, ce n’est pas indispensable d’inclure une de ces versions dans une milonga…
Il y a peut-être aussi un peu de colère de la part de Di Sarli. En effet, si l’enregistrement de Ledesma avec Varela n’avait pas bien fonctionné, à la suite du succès de la version avec Di Sarli, la Columbia (la maison de disques de Varela) décide de relancer l’enregistrement de 1955. Ce fut alors un immense succès qui a décidé la Columbia a réintégrer Ledesma dans l’orchestre de Varela. Voyant que son nouveau poulain, partait en fumée, Di Sarli (ou la Víctor) a donc décidé de graver d’urgence une autre version avec un nouveau chanteur afin de ne pas laisser au catalogue un titre avec un chanteur passé à la concurrence…

Fumando espero 1956 – Los Señores Del Tango C Mario Pomar.

Un bon orchestre avec la belle voix de Mario Pomar. Agréable à écouter.

Fumando espero 1956 — Libertad Lamarque Orquesta – Dir.Victor-Buchino.

Fumando espero 1956 — Libertad Lamarque Orquesta –  Dir.Victor-Buchino. L’accompagnement discret de Victor Buchino et la prestation souvent a capella de Libertad Lamarque permet de bien saisir le grain de voix magnifique de Libertad.

Fumando espero 1957 – Chola Luna y Orquesta Luis Caruso.
Fumando espero 1957 – Imperio Argentina.

Si Imperio Argentina est née en Argentine, elle a fait une grande partie de sa carrière en Europe, en Espagne (où elle est arrivée, adolescente) et bien sûr en France, mais aussi en Allemagne. Elle nous permet de faire la liaison avec l’Espagne ou nous revenons pour terminer cette anecdote.

C’est le film, El Último Cuplé qui va nous permettre de fermer la boucle. Le thème redevient un cuplé et même si le théâtre a été remplacé par le cinéma, nous achèverons notre parcours avec cette scène du film ou Sara Montiel chante le cuplé.

Sara Montiel chante Fumando espero dans le film El Último Cuplé de 1957. Metteur en scène : Juan de Orduña

Vous aurez reconnu l’illustration de couverture. J’ai modifié l’ambiance pour la rendre plus noire et ajouté de la fumée, beaucoup de fumée…

À demain, les amis, et à ceux qui sont fumeurs, suivez les conseils de Pipo Cipolatti que je vous conserve longtemps. Je rédige cette anecdote le 20 juillet, Dia del amigo (jour de l’ami).

El esquinazo 1951-07-20 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro con refrán por Francisco Canaro

Ángel Gregorio Villoldo Letra : Carlos Pesce ; A. Timarni (Antonio Polito)

Au début des années 2000, dans une milonga en France où j’étais danseur, l’organisateur est venu me dire qu’il ne fallait pas frapper du pied, que ça ne se faisait pas en tango. Il ne savait sans doute pas qu’il reproduisait l’interdiction de Anselmo Tarana, un siècle plus tôt. Je vais donc vous raconter l’histoire frappante de El esquinazo.

Extrait musical

El esquinazo – Ángel Gregorio Villoldo Letra : Carlos Pesce ; A. Timarni (Antonio Polito). Partition pour piano et deux couvertures, dont une avec Canaro.
El esquinazo 1951-07-20 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro con refrán por Francisco Canaro.

Vous aurez remarqué, dès le début, l’incitation à frapper du pied. On retrouve cette invitation sur les partitions par la mention golpes (coups).

El esquinazo – Ángel Gregorio Villoldo Letra: Carlos Pesce ; A. Timarni (Antonio Polito). Partition pour guitare (1939).

El Esquinazo, un succès à tout rompre (partie 1) anatomie du pousse-au-crime

Dès le début de la partition, on voit inscrit « Golpes » (coups).

La zone en rouge, ici au début de la partition, est la montée chromatique en triolets de double-croche et en double-croche. C’est donc un passage vif, d’autant plus que l’on remarque des appoggiatures brèves.Ce sont ces petites notes barrées qui indiquent que l’on doit (peut) jouer une note supplémentaire, une fraction de temps avant, voire en même temps que la note qu’elle complète. Ces appoggiatures augmentent donc le nombre de notes et par conséquent l’impression de vitesse.
Après cette montée rapide, on s’attend à une suite, mais Villoldo nous offre une surprise, un silence (la zone verte), marqué ici par un quart de soupir pour la ligne mélodique supérieure et un demi-soupir suivi d’un soupir pour l’accompagnement.
La zone bleue comporte des signes de percussion et le texte indique Golpes en el puente (coup dans le pont). Rassurez-vous, il ne s’agit pas d’un pont au sens commun, mais de la transition entre deux parties d’une musique. Ici, il est donc constitué seulement de coups, coups que faisaient les musiciens avec les talons et que bientôt le public imita de diverses manières.

Mariano Mores copiera cette structure pour son célèbre « Taquito militar ».
Voici la version enregistrée en 1997 par Mariano Mores de Taquito militar. Cette version commence par le fameux motif suivi de coups.

Taquito militar 1997 – Mariano Mores.

Cette version à l’orgue Hammond est un peu particulière, mais vous pourrez entendre toutes les versions classiques dans l’article dédié à Taquito militar.

El Esquinazo, un succès à tout rompre (partie 2) les paroles

Ángel Villoldo a composé ce tango avec des paroles. Même si Villoldo était lui-même chanteur, c’est à Pepita Avellaneda (Josefa Calatti) que revint l’honneur de les inaugurer. Malheureusement, ces paroles originales semblent perdues, tout comme celles de El entrerriano qu’il avait « écrites » pour la même Pepita.
J’émets l’hypothèse que les célèbres coups donnés au plancher au départ par les musiciens devaient avoir une explication dans les paroles. El esquinazo, c’est prendre la tangente dans une relation amoureuse, s’enfuir, ne plus répondre aux tendresses, prendre ses distances, poser un lapin (ne pas venir à un rendez-vous). On peut donc supposer que les premières paroles devaient exprimer d’une façon imagée cette fuite, ou la façon dont elle était ressentie par le partenaire.
J’ai indiqué « écrites » au sujet des paroles, mais à l’époque, les paroles et même la musique n’étaient pas toujours écrites. Elles sont donc probablement restées orales et retrouver un témoin de l’époque est désormais impossible.
Cependant, notre tango du jour nous apporte un éclairage intéressant sur l’histoire, grâce aux quelques mots que lâche Canaro après les séries de coups. En effet, dans sa version, il est plutôt question de quelqu’un qui frappe à la porte pour ne pas dormir dehors sous la pluie…
Je serai assez tenté d’y voir un reflet des paroles originales qui justifieraient bien plus les coups que les paroles de Pesce et Timarni. Le désamour (esquinazo) pourrait expliquer qu’une porte reste fermée, l’occupant restant sourd aux supplications de lui (dans le Canaro) ou d’elle (dans le cas de Pepita Avellaneda).

Paroles dites par Canaro dans sa version de 1951

Les paroles prononcées par Francisco Canaro dans sa version de 1951

Canaro intervient quatre fois durant le thème pour donner des phrases, un peu énigmatiques, mais que j’aime à imaginer, tirées ou inspirées des paroles originales de Villoldo.

  1. Frappe, qu’ils viennent t’ouvrir.
  2. Suis là, puisque tu l’as
  3. Ils fêtent l’esquinazo
  4. Ouvre que je suis en train de me mouiller. Ne me fais pas dormir dehors

Ces paroles de Canaro, sont-elles inspirées directement de celles de Villoldo ? En l’absence des paroles originales, on ne le saura pas, alors, passons aux paroles postérieures, qui n’ont sans doute pas la « saveur » de celles de la première version.

Paroles

Nada me importa de tu amor, golpeá nomás…
el corazón me dijo,
que tu amor (cariño) fue una falsía,
aunque juraste y juraste que eras mía.
No llames más, no insistas más, yo te daré…
el libro del recuerdo,
para que guardes las flores del olvido
porque vos lo has querido
el esquinazo yo te doy.

Fue por tu culpa que he tomado otro camino
sin tino… Vida mía.
Jamás pensé que llegaría este momento
que siento,
la más terrible realidad…
Tu ingratitud me ha hecho sufrir un desencanto
si tanto… te quería.
Mas no te creas que por esto guardo encono
Perdono
tu más injusta falsedad.

Ángel Gregorio Villoldo Letra: Carlos Pesce; A. Timarni (Antonio Polito)

Traduction libre et indications

Je me fiche de ton amour, une tocade, rien de plus (golpear, c’est donner un coup, mais aussi droguer, intoxiquer. Certains y voient la justification des coups frappés par les musiciens, mais il me semble que c’est un peu léger et que les paroles initiales devaient être plus convaincantes et certainement moins acceptables par un public de plus en plus raffiné. C’est peut-être aussi une simple évocation des coups frappés à la porte de la version chantée par Canaro, ce qui pourrait renforcer l’hypothèse que Canaro chante des bribes des paroles d’origine)…
Mon cœur me disait que ton amour était un mensonge, bien que tu aies juré et juré que tu étais à moi.
N’appelle plus, (le tango s’est modernisé. Si à l’origine, l’impétrant venait frapper à la porte, maintenant, il utilise le téléphone…) n’insiste plus, je te donnerai… le livre de souvenirs, pour que tu gardes les fleurs de l’oubli parce que toi tu l’as, l’esquinazo (difficile de trouver un équivalent. C’est l’abandon, la non-réponse aux sentiments, la fuite, le lapin dans le cas d’un rendez-vous…) que je te donne.
C’est ta faute si j’ai pris un autre chemin sans but… (tino, peut signifier l’habileté à toucher la cible)
Ma vie.
Je n’ai jamais pensé que ce moment, dont je ressens la terrible réalité, arriverait…
Ton ingratitude m’a fait subir un désamour si toutefois… Je t’aimais.
Mais, ne crois pas que, pour cette raison, je conserve de l’amertume. Je pardonne ton mensonge le plus injuste.

El Esquinazo, un succès à tout rompre (partie 3) le succès du pousse-au-crime.

Nous avons vu dans la première partie comment était préparé le frappement du talon. Dans la seconde et avec les paroles, nous avons essayé de trouver un sens à ces frappés, à ces taquitos qui à défaut d’être militaires, sont bien tentants à imiter, comme nous l’allons voir.
Le premier témoignage sur la reproduction des coups par le public est celui de Pintin Castellanos qui raconte dans Entre cortes y quebradas, candombes, milongas y tangos en su historia y comentarios. Montevideo, 1948 la fureur autour de El esquinazo.
La composition de Villoldo a été un triomphe […]. L’accueil du public fut tel que, soir après soir, il grandissait et le rythme diabolique du tango susmentionné commença à rendre peu à peu tout le monde fou.
Tout d’abord, et avec une certaine prudence, les clients ont accompagné la musique de « El Esquinazo » en tapant légèrement avec leurs mains sur les tables.
Mais les jours passaient et l’engouement pour le tango diabolique ne cessait de croître.
Les clients du
Café Tarana (voir l’article sur En Lo de Laura où je donne des précisions sur Lo de Hansen/Café Tarana) ne se contentaient plus d’accompagner avec le talon et leurs mains. Les coups, en gardant le rythme, augmentèrent peu à peu et furent rejoints par des tasses, des verres, des chaises, etc.
Mais cela ne s’est pas arrêté là […] Et il arriva une nuit, une nuit fatale, où se produisit ce que le propriétaire de l’établissement florissant ressentait depuis des jours. À l’annonce de l’exécution du tango déjà consacré de
Villoldo, une certaine nervosité était perceptible dans le public nombreux […] l’orchestre a commencé la cadence de « El Esquinazo » et tous les assistants ont continué à suivre le rythme avec tout ce qu’ils avaient sous la main : chaises, tables, verres, bouteilles, talons, etc. […]. Patiemment, le propriétaire (Anselmo R. Tarana) a attendu la fin du tango du démon, mais le dernier accord a reçu une standing ovation de la part du public. La répétition ne se fit pas attendre ; et c’est ainsi qu’il a été exécuté un, deux, trois, cinq, sept… Finalement, de nombreuses fois et à chaque interprétation, une salve d’applaudissements ; et d’autres choses cassées […] Cette nuit inoubliable a coûté au propriétaire plusieurs centaines de pesos, irrécouvrables. Mais le problème le plus grave […] n’était pas ce qui s’était passé, mais ce qui allait continuer à se produire dans les nuits suivantes.
Après mûre réflexion, le malheureux « 
Paganini » des « assiettes brisées » prit une résolution héroïque. Le lendemain, les clients du café Tarana ont eu la désagréable surprise de lire une pancarte qui, près de l’orchestre, disait : « Est strictement interdite l’exécution du tango el esquinazo ; La prudence est de mise à cet égard. »

Ce tango fut donc interdit dans cet établissement, mais bien sûr, il a continué sa carrière, comme le prouve le témoignage suivant.

Témoignage de Francisco García Jiménez, vers 1921

La orquesta arrancó con el tango El esquinazo, de Villoldo, que tiene en su desarrollo esos golpes regulados que los bailarines de antes marcaban a tacón limpio. En este caso, el conjunto de La Paloma hacía lo mismo en el piso del palquito, con tal fuerza, que las viejas tablas dejaban caer una nube de tierra sobre la máquina del café express, la caja registradora y el patrón. Este echaba denuestos; los de arriba seguían muy serios su tango ; y los parroquianos del cafetín se regocijaban.

Témoignage de Francisco García Jiménez

Traduction libre du témoignage de Francisco García Jiménez

L’orchestre a commencé avec le tango El esquinazo, de Villoldo, qui a dans son développement ces rythmes réglés que les danseurs d’antan marquaient d’un talon clair.
Dans ce cas, le conjunto La Paloma a fait de même sur le sol de la tribune des musiciens, avec une telle force que les vieilles planches ont laissé tomber un nuage de saleté sur la machine à expresso, la caisse enregistreuse et le patron. Il leur fit des reproches ; Ceux d’en haut suivaient leur tango très sérieusement, et les clients du café se réjouissaient.
On constate qu’en 1921, l’usage de frapper du pied chez les danseurs était moindre, voire absent. Cet argument peut venir du fait que l’interdit de Tarana a été efficace sur les danseurs, mais j’imagine tout autant que les paroles et l’interprétation originelle étaient plus propices à ces débordements.
L’idée des coups frappés à une porte, comme les coups du destin dans la 5e symphonie de Ludwig Van Beethoven, ou ceux de la statue du commandeur dans Don Giovanni de Wolfgang Amadeus Mozart, me plaît bien…

Autres versions

El esquinazo 1910-03 05 — Estudiantina Centenario dirige par Vicente Abad.

Cette version ancienne est plutôt un tango qu’une milonga, comme il le deviendra par la suite. On entend les coups frappés et la mandoline. On note un petit ralentissement avant les frappés, ralentissement que l’on retrouvera amplifié dans la version de 1961 de Canaro.

El esquinazo 1913 – Moulin Rouge Orchester Berlin – Dir. Ferdinand Litschauer.

Encore une version ancienne, enregistrée à Berlin (Allemagne) en 1913, preuve que le tango était dès cette époque totalement international. Les frappés sont remplacés par de frêles percussions, mais on notera le gong au début…

Le disque de El esquinazo par l’orchestre du Moulin Rouge (allemand, malgré ce que pourrait faire penser son nom) et la version Russe du disque… On notera que les indications sont en anglais, russe et français. La International Talking Machine est la société qui a fondé Odeon… S’il en fallait une de plus, cette preuve témoigne de la mondialisation du tango à une date précoce (1913).
El esquinazo 1938-01-04 – Orquesta Juan D’Arienzo.

Est-il nécessaire de présenter la version de D’Arienzo, probablement pas, car vous l’avez déjà entendu des milliers de fois. Tout l’orchestre se tait pour laisser entendre les frappés. Même Biagi renonce à ses habituelles fioritures au moment des coups. En résumé, c’est une exécution parfaite et une des milongas les plus réjouissantes du répertoire. On notera les courts passages de violons en legato qui contrastent avec le staccato général de tous les instruments.

El esquinazo 1939-03-31 – Roberto Firpo y su Cuarteto Típico.

Roberto Firpo au piano démarre la montée chromatique une octave plus grave, mais reprend ensuite sur l’octave commune. Cela crée une petite impression de surprise chez les danseurs qui connaissent. La suite est joueuse, avec peut être un petit manque de clarté qui pourra décontenancer les danseurs débutants, mais de toute façon, cette version est assez difficile à danser, mais elle ravira les bons danseurs, car elle est probablement la plus joueuse.

El esquinazo 1951-07-20 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro con refrán por Francisco Canaro.

C’est notre tango du jour. Francisco Canaro nous donne sans doute des clefs dans les quelques paroles qu’il dit. Cette version est de vitesse modérée, entre canyengue et milonga. Elle sera plus adaptée aux danseurs modestes.

El esquinazo 1958 – Los Muchachos De Antes.

Avec clarinette et guitare en vedette, cette version est très dynamique et sympathique. Ce n’est bien sûr pas le top pour la danse, mais on a d’autres versions pour cela…

El esquinazo 1960 – Orquesta Carlos Figari con Enrique Dumas.

Une version en chanson qui perd le caractère joueur de la milonga, même si quelques coups de claves rappellent les frappés fameux. En revanche, cette chanson nous présente les paroles de Carlos Pesce et A. Timarni. J’aime beaucoup, même si ce n’est pas à proposer aux danseurs.

El esquinazo 1961-12-01 – Orquesta Francisco Canaro (en vivo al Teatro Koma de Tokyo, Japón).

El esquinazo 1961-12-01 – Orquesta Francisco Canaro (en vivo al Teatro Koma de Tokyo, Japón). Cette version très joueuse commence par la célèbre invite à frapper du pied, répétée trois fois. Les deux premières sont très lentes et la troisième fois, la pause est beaucoup plus longue, ce qui provoque un effet irrésistible. C’est un exemple, bien que tardif de comment les orchestres jouaient avec les danseurs, jeux que nous avons perdus à cause des versions figées par le disque. Bien sûr, il s’agit ici d’un concert, mais un DJ taquin pourrait proposer cette version à danser, notamment à cause des pauses et de l’accélération finale qui peuvent surprendre (aussi dans le bon sens du terme), les danseurs.

El esquinazo 1962 – Los Violines De Oro Del Tango.

Une version à la limite de l’excès de vitesse, même sur autoroute. Je trouve cela très sympa, mais j’y réfléchirai à deux fois avant de diffuser en milonga…

El esquinazo 1970 – Cuarteto Juan Cambareri.

Je pense que vous avez repéré Juan Cambareri, ce bandonéoniste virtuose qui après une carrière dans différents orchestres s’est mis « à son compte » avec un orchestre, dans les années 50 et un peu plus tard (1968) dans un cuarteto composé de :

Juan Rizzo au piano, Juan Gandolfo et Felipe Escomabache aux violons et Juan Cambareri au bandonéon. Cet enregistrement date de cette période. Comme à son habitude, il imprime une cadence d’enfer que les doigts virtuoses des quatre musiciens peuvent jouer, mais qui posera des problèmes à un grand nombre de danseurs.

El esquinazo 1974 – Sexteto Tango.

Le début semble s’inspirer de la version de Canaro au Japon en 1961, mais la suite vous détrompera bien vite. C’est clairement une version de concert qui a bien sa place dans un fauteuil d’orchestre, mais qui vous donnera des sueurs froides sur la piste de danse.

El esquinazo 1976 – Di Matteo y su trio.

La version proposée par le trio Di Matteo ne rassurera pas les danseurs, mais c’est plaisant à écouter. À réserver donc pour le salon, au coin du feu (j’écris depuis Buenos Aires et ici, c’est l’hiver et cette année, il est particulièrement froid…).

El esquinazo 1983 – Orquesta José Basso.

Une assez belle version, orchestrale. Pour la milonga, on peut éventuellement lui reprocher un peu de mordant en comparaison de la version de D’Arienzo. On notera également que quelques frappés sont joués au piano et non en percussion.

El esquinazo 1991 – Los Tubatango.

Comme toujours, cet orchestre sympathique se propose de retrouver les sensations du début du vingtième siècle. Outre le tuba qui donne le nom à l’orchestre et la basse de la musique, on notera les beaux contrepoints de la flûte et du bandonéon qui discutent ensemble et en même temps comme savent si bien le faire les Argentins…

El esquinazo 2002 – Armenonville.

Une introduction presque comme une musique de la renaissance, puis la contrebasse lance la montée chromatique, des coups donnés et la musique est lancée. Elle se déroule ensuite de façon sympathique, mais pas assez structurée pour la danse. Une accélération, puis un ralentissement et l’estribillo est chanté en guise de conclusion.

El esquinazo 2007 – Esteban Morgado Cuarteto.

Une version légère et rapide pour terminer tranquillement cette anecdote du jour.

À demain, les amis !

Une autre façon de casser la vaisselle…

Meneca 1927-07-19(20) – ¿Por qué?  1955-07-19 – Orquesta Osvaldo Fresedo

Meneca – E. Mercado
¿Por qué ? – Osvaldo Fresedo Letra : Emilio Augusto Oscar Fresedo

Les dates d’enregistrement qui me servent de base pour les anecdotes de tango ne sont pas des données immuables. J’avais prévu d’associer deux titres de Fresedo enregistrés le même jour, un 19 juillet, mais à 28 ans d’intervalle. Quand j’ai commencé à écrire, je me suis rendu compte qu’à la suite des travaux de Enrique Binda, la date de Meneca avait changé pour le 20 juillet. J’ai toutefois décidé de conserver mon idée initiale, car la comparaison des deux titres me semble intéressante, vous le comprendrez que mieux en prenant connaissance des paroles de Por qué..

Una meneca est une belle jeune femme. Pour être appelé ainsi, elle doit avoir les deux attributs. Le tango est instrumental, mais d’autres employant ce terme sont avec des paroles et il convient donc de rester avec cette signification. J’imagine que le terme étant proche de muñeca (poupée) explique qu’on l’utilise uniquement pour des jeunes femmes.
Meneca désigne également une langue quasi disparue qui existe (existait) entre le Pérou et la Colombie.

Le choix dans la date de la Meneca

Enrique Binda est une ressource importante pour qui s’intéresse au tango.
https://www.todotango.com/comunidad/colaboradores/colaborador.aspx?id=73
Il a étudié de nombreux catalogues et notamment pour la période acoustique (avant l’enregistrement électrique). Par conséquent, son avis fait autorité.
Dans le cas présent, Fresedo a enregistré le 19 et le 20 juillet 1927, ou seulement le 19 ou seulement le 20 les quatre tangos instrumentaux suivants :

  • Flores (Ángel Massini) – Matrice 1037-1 (face A du disque 5159)
  • Mucha cancha – (Alberto Richieri) Matrice 1038 (face B du disque 5159)
  • Coqueta (A. Milito) – Matrice 1039 (Face A du disque 5160)
  • Meneca (E. Mercado) – Matrice 1040 (Face B du disque 5160)

À l’époque, les orchestres enregistrent en moyenne deux tangos à quatre tangos par jour. Tous ne vont pas au disque. On notera que l’enregistrement de Flores semble avoir été compliqué dans la mesure où il y a plusieurs prises.
Meneca a le numéro de matrice le plus élevé (1040) ce qui confirme que Meneca a été enregistré en dernier et donc probablement le 20 et pas le 19 s’il y a eu deux jours, comme c’est indiqué dans le livret du disque édité par CTA, mais aussi dans la Enciclopedia del Tango de Gabriel Valiente et dans le Fresedo Project qui placent les quatre tangos à la même date, le 19 juillet 1927.
Pour l’année 1927, on trouve plusieurs jours avec quatre enregistrements, on ne peut donc pas être affirmatif sur l’existence d’un second jour d’enregistrement nécessaire. Que tout soit du 19, tout du 20 ou panaché, ce n’est peut-être pas si important. Je conserve donc mon idée de mettre en relation les deux tangos, d’autant plus que je vous réserve une surprise en fin d’article sur le sujet…

Extrait musical

Meneca 1927-07-20 – Orquesta Osvaldo Fresedo.

Meneca 1927-07-20 – Orquesta Osvaldo Fresedo. Osvaldo Fresedo intervient comme bandonéoniste et on remarquera la très jolie partie de violon. Je vous présente les musiciens qui ont fait cette petite merveille.
Osvaldo Fresedo et Alberto Rodríguez (bandonéonistes), José María Rizzutti (piano), Manlio Francia, Adolfo Muzzi et Juan Koller (violonistes), Humberto Constanzo (contrebassiste).

¿Por qué ? 1955-07-19 – Orquesta Osvaldo Fresedo.

Ce qui frappe dans ce titre est l’ostinato qui revient régulièrement et notamment sur les parties chantées.

Partition de ¿Por qué ? On note sur la page de gauche que c’est la version passée à la Radio Fenix. À droite, la version en ré pour les chanteurs.

LR9 Radio Fénix est une radio de Buenos Aires qui a démarré le 11 février 1927 et qui se nommera ensuite Antártida puis AM1190 América.
La partition pour les chanteurs est en ré. Elle commence en ré mineur, puis continue en ré majeur pour revenir à la dernière ligne en ré mineur. C’est donc une alternance de sonorités plus tristes et plus gaies.

Paroles

¿Por qué
si yo soy el mismo querés cambiar
mi pilcha ‘e varón?
¿Por qué
si mi pobre ajuar
dio a cantar
mi honda tristeza?
¿Por qué
si no está en mi sangre vos me adornás
p’ hacerme amargar?

Yo soy milonga
sentimental.
Mi nombre es macho
soy el gotán.
Vestí de negro con funyi claro…
Y me quisieron.
Me respetaron.
Y fue muy pura mi vida entera
y hay quien venera mi cuna de ayer.

¿Por qué
quieren que me vista tan ataviao
con tanto trenzao?
¿Por qué
quieren verme así
hecho un gil
de fantasía?
¿ Por qué
si he nacido tango y así latió
mi gran corazón?

Osvaldo Fresedo Letra: Emilio Augusto Oscar Fresedo

Traduction libre de ¿Por qué ?

Pourquoi, si je suis le même, veux tu changer mes fringues, hein, mec ?
Pourquoi, si mon pauvre trousseau donnait à chanter ma profonde tristesse ?
Pourquoi, si ce n’est pas dans mon sang, me fais-tu des ornements pour me rendre amer ?
Je suis milonga sentimentale.
Je m’appelle macho, je suis le gotan (tango).
Je suis habillé de noir avec un chapeau clair (funyi, chapeau en forme de champignon).
Et ils m’aimaient.
Ils me respectaient.
Et toute ma vie était très pure et il y a ceux qui vénèrent mon berceau d’hier.
Pourquoi veulent-ils que je revête tant de parures avec tant de galons ?
Pourquoi, veulent-ils me voir comme ça, faisant un idiot de fantaisie ?
Pourquoi, si je suis né tango et ainsi battait mon grand cœur.

Autres versions

Il ne semble pas y avoir d’autres enregistrements de Meneca, cependant, il est intéressant de voir ce que devient Por Qué….

Meneca 1927-07-20 – Orquesta Osvaldo Fresedo.

Un de nos deux tangos du jour, pour mémoire et comparaison…

Différents disques de ¿Por qué ? Alberto Vila, Fresedo avec Ibanez, Serpa et instrumental (33 tours avec pochette) et Pugliese avec Chanel et Moran.
¿Por qué ? 1931-08-18 – Alberto Vila accomp. Orquesta Típica Victor.

Ce premier enregistrement qui est une chanson est superbement interprétée par Alberto Vila (dont la voix est remplie de trémolos) accompagné par l’orchestre Típica Victor dirigé par Carabelli.

¿Por qué ? 1931-10-30 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Teófilo Ibáñez.

L’ostinato de la contrebasse est assez étonnant et il s’achève en ralentissant sur la toute fin de la musique.

¿Por qué ? 1943-01-25 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Oscar Serpa.

¿Por qué ? 1943-01-25 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Oscar Serpa. Le rythme est plus rapide et quelques sonorités de vibraphone se superposent aux instruments habituels. L’ostinato la vedette de ce thème démarre désormais le titre et est accompagné du vibraphone.
L’expressivité est plus marquée. On pourrait qualifier cette version de plus romantique.
Petit interlude pour vous présenter Fresedo jouant ce titre dans un film qui reste à identifier (ce n’est pas Tango comme tous l’écrivent).

¿Por qué ? – Osvaldo Fresedo y su Orquesta
¿Por qué ? 1945-08-28 – Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán y Roberto Chanel.

L’ostinato que vous connaissez bien démarre le titre, come dans la version de 1943 de Fresedo, puis progressivement Pugliese déstructure le titre pour le rendre compatible avec son style. L’ostino revient de temps à autre et notamment sous la voix des chanteurs. L’effet est superbe les voix se mêlent pendant que l’ostinato s’atténue et que les violons ondulent dans un contrepoint splendide. C’est assurément un chef d’œuvre. Peut-être plus difficile à danser que les guimauves trop souvent passées dans certaines milongas, mais à tester à mon avis…

¿Por qué ? 1955-07-19 – Orquesta Osvaldo Fresedo. C’est notre autre tango du jour.

Le vibraphone prend un peu plus ses aises, libéré par l’absence du chanteur qui est représenté par le piano. Le résultat est plutôt joli, mais pas convainquant pour la danse.

¿Por qué ? 1979-10-30 – Orquesta Osvaldo Fresedo.

Le titre démarre en trombe, mais avec l’introduction que Fresedo avait abandonné depuis 1943. Les violons couvrent un peu trop l’ostinato, enlevant une partie de l’originalité de ce titre. La batterie s’est rajoutée, mais sans pour autant renforcer la dansabilité du morceau, sauf à le danser en tango musette…

¿Por qué ? – Mariano Mores y su Sexteto Rítmico Moderno.

C’est une version très originale que signe Mariano Mores. L’ostinato est assez discret et principalement donné par le piano. Les percussions sont à l’honneur. Différents motifs éclosent et donnent une impression de variété. Bien sûr, pas question de proposer cela à des danseurs, mais l’écouter de temps à autre est une activité sympa.
Elle clôture la liste des versions et il est temps d’ouvrir le débat.

Faites ce que je dis et pas ce que je fais

Comme vous l’avez remarqué, les paroles du tango ¿Por qué? Des frères Fresedo semblent regretter un tango plus épuré. Ils font parler le tango qui regrette le temps où il n’était pas ridiculisé par des fioritures.
Dans les interprétations de 1931 et 1943, Osvaldo Fresedo respecte ces (ses) directives. Tout comme bien sûr, dans Meneca de 1927.
Par contre, dans notre tango du jour, la version de 1955 de ¿Por qué? On peut se demander s’il n’a pas un peu perdu cela de vue. D’ailleurs, cette version est instrumentale, peut-être pour éviter que les paroles mettent en valeur cette dichotomie.
Pugliese, en 1945, avait peut-être commencé cette bifurcation, mais il ne me semble pas que l’on puisse l’accuser de faire de l’ornementation gratuite. D’ailleurs, il a conservé les paroles. Je l’enlèverai donc des pièces du procès…
Fresedo aggrave très sensiblement son cas en 1979, avec une version constituée majoritairement de fioritures. Là, je dois le déclarer coupable. Il a déguisé le tango et renoncé à ses principes énoncés dans les années 30. Avec son goût pour les instruments originaux, il courrait certainement ce risque et il est tombé dans son propre piège.
Je pense que vous avez sans doute fait le rapprochement avec le débat plus contemporain sur le tango, le néotango et autres variations. Le tango, comme les autres œuvres de l’humanité, ne résiste pas aux querelles des Anciens et des Modernes, tel que l’a vécu l’Académie française à la fin du 17e siècle.
Tous les goûts sont dans la nature et le travail du DJ est à la fois de développer les goûts et de satisfaire ceux qui sont existants. C’est passionnant.

À demain, les amis !

Buenos Aires es una papa 1928-07-18 – Orquesta Francisco Canaro con Charlo

Enrique Pedro Delfino (Delfy) Letra : Juan Fernando Camillo Darthés

Nous avons vu dans beaucoup de tangos que le lunfardo, l’argot de Buenos Aires était très apprécié des paroliers qui ne prenaient pas tous les précautions de Juan Bautista Abad Reyes qui a écrit que « Le risque est de penser en faubourien et de concevoir les œuvres en lunfardo ». Notre tango du jour est à destination des néophytes et plus particulièrement des Français qui bénéficient d’un dictionnaire chanté par une Française qui s’est installée à Buenos Aires et qui trouve cela épatant !

Extrait musical

Buenos Aires es una papa (Buenos Aires c’est épatant) 1928-07-18 – Orquesta Francisco Canaro con Charlo.
Buenos Aires es una papa (Buenos Aires, c’est épatant) – Enrique Pedro Delfino (Delfy) Letra : Juan Fernando Camillo Darthés.

L’illustration de couverture est de Roger de Valério. Le disque Odeon porte le numéro 4474. Ce tango est la face A. La face B est Talismán (1928-04-25), tango instrumental. On notera le nom de Marthe Berthy qui inaugurera cette œuvre à Paris, puis à Buenos Aires.

Paroles

Paroles de cet enregistrement

Ce tango de Delfy (Enrique Pedro Delfino) a des paroles étonnantes, car elles ont été écrites en français par un Argentin, Juan Fernando Camillo Darthés. Notre version du jour, chantée par Charlo ne vous proposera pas l’intégralité des paroles et même ne vous en donnera que des bribes. Nous verrons après les paroles « officielles », mais voici la retranscription des paroles de notre tango du jour.

Desde el pasado no encontró
Ici l’amour c’est l’metejón
Desde el pasar “et bien voila”
À la canción de cantar

Versión de Charlo

Oui, vous avez bien lu/entendu. C’est un texte mélangeant le français et l’espagnol.

Paroles originales (en français)

Quand je me suis embarquée pour l’Argentine,
j’étais pour mes parents la p’tite Titine.
Maintenant, voici, c’est drôle, j’ne comprends pas !
Tout le monde ici m’appelle « La Porotá ».
Pour dire parler, maintenant je dis « chamuyo » ;
au lieu de dire un franc, je dis « un grullo ».
À mon fiancé je l’appelle « un gran bacán ».
Oh, Buenos Aires, messieurs, c’est épatant !

C’est épatant
comme nous changeons.
Ici l’amour
c’est l’metejón.
C’est épatant
et bien, voilà,
en Argentine
on dit comme ça.

J’ai appris cette langue à peine dans une semaine
et ils m’ont changé, c’est triste, tout de même.
Pour dire le lit je dis « la catrera »,
pour dire sortir il faut dire « espiantá ».
Le pain a table je l’appelle « marroco » ;
quand j’ai mal à la tête, « me duele el coco ».
Je dis « la guita » au lieu de dire l’argent…
Oh, Buenos Aires, messieurs, c’est épatant !

Enrique Pedro Delfino (Delfy) Letra: Juan Fernando Camillo Darthés

Paroles en espagnol

Cuando me embarqué hacia la Argentina
Yo era, para mis padres, la pequeña Titine.
Ahora vea usted, es gracioso, no entiendo nada:
Todo el mundo aquí me llama: “la Porotá”.
Para decir hablar, ahora digo “chamuyo”,
En lugar de decir un franco, digo “un grullo”,
A mi novio lo llamo “un gran bacán” …
¡Oh, Buenos Aires, señores, es asombroso!

Es asombroso
Cómo cambiamos,
Aquí el amor
Es el metejón.
Es asombroso
Y sin embargo,
En Argentina
Se dice así.

Aprendí esta lengua en apenas una semana
Y ellos sin embargo, me cambiaron, es triste,
Para decir la cama, digo “la catrerá”,
Para decir salir, hay que decir “espiantá”,
Al pan sobre la mesa lo llaman “marroco”,
Cuando tengo dolor de cabeza, “me duele el coco”.
Digo “la guita” en lugar de decir el dinero…
¡Oh, Buenos Aires, señores, es asombroso!

Enrique Pedro Delfino (Delfy) Letra: Juan Fernando Camillo Darthés

Traduction libre et indications

Bon, ceux qui lisent cette anecdote et français ou en espagnol ne vont pas comprendre, puisque j’ai donné ci-dessus les versions en français (original) et en espagnol. Ce texte est donc destiné à ceux qui lisent dans une autre de ces langues. La difficulté est que le texte en français donne à la fois les paroles en français et en espagnol. Vous risquez de voir donc deux fois le même mot ou des trucs étranges, je vous en demande pardon par avance.

Voyons tout d’abord le titre qui est à la fois en espagnol et en français. « Buenos Aires es una papa / Buenos Aires, c’est épatant”. Le terme épatant, très “français”, même si un peu vieilli n’est pas la traduction littérale. En effet, la papa, c’est la pomme de terre, à ne pas confondre avec papá qui est le père en langage enfantin. Cependant, même si pour l’illustration de couverture j’ai choisi de vous présenter une pomme de terre, il faut prendre papa dans un autre sens. En effet, papa veut aussi dire que c’est facile. C’est donc facile pour elle de s’adapter à l’Argentine, ce qui n’est pas forcément l’avis de toutes les grisettes qui ont vécu de terribles histoires lors de leur arrivée en Argentine.

Quand je me suis embarquée pour l’Argentine,
j’étais pour mes parents la p’tite Titine (Titine peut être le gentilé du prénom Christine, mais aussi un surnom sans relation directe avec le prénom d’origine).
Maintenant, voici, c’est drôle, j’ne comprends pas !
Tout le monde ici m’appelle « La Porotá » (un surnom).
Pour dire parler, maintenant je dis « chamuyo » ;
au lieu de dire un franc, je dis « un grullo » (de Mangrullo, un billet d’un peso).
À mon fiancé je l’appelle « un gran bacán ».
Oh, Buenos Aires, messieurs, c’est épatant !

C’est épatant
comme nous changeons.
Ici l’amour
c’est l’metejón.
C’est épatant
et bien, voilà,
en Argentine
on dit comme ça.

J’ai appris cette langue à peine dans une semaine
et ils m’ont changé, c’est triste, tout de même.
Pour dire le lit je dis « la catrera »,
pour dire sortir il faut dire « espiantá ».
Le pain à table je l’appelle « marroco » ;
quand j’ai mal à la tête, « me duele el coco ».
Je dis « la guita » au lieu de dire l’argent…
Oh, Buenos Aires, messieurs, c’est épatant !

Fin du cours de lunfardo…

On voit donc les emprunts faits par Charlo dans sa version qui est une amputation très sévère du texte d’origine…

Autres versions

Je n’ai pas d’autres versions à proposer.
Dans le catalogue Odéon de 1929, on trouve un enregistrement par Delfy (l’auteur de la musique), mais je n’ai pas réussi à trouver ce disque.

Sous la référence de disque 7000 B, Delfy a enregistré un disque avec Odeón de « Buenos Aires c’est epatant » (sic).

Quand le tango va de Paris à Buenos Aires

Notre tango du jour a été inauguré à Paris par Marthe Berthy dans le spectacle « Paris aux nues », une des revues du Moulin Rouge qui fit une tournée en Amérique du Sud en 1928.
Durant cette tournée, avant d’être présentée à Buenos Aires, le 15 juillet 1928 au Teatro Ópera, la revue a été présentée à Rio de Janeiro. Le journal de Rio de Janeiro, Correio da Manhã du 6 mai 1928 nous présente l’équipe du Moulin Rouge.
On y apprend que la troupe composée de 90 personnes arrivées à bord du Lutecia. Un repas a été offert aux artistes, parmi lesquels on trouve :
Jacques Charles, créateur de plus de 110 revues, dont « Ça c’est Paris ! » (immortalisé par Mistinguett), « Ça c’est Montmartre », « Paris aux nues » dont est tiré notre tango du jour « Oh ! Paris ! Mon Paris ! »…

Le Moulin Rouge – Simon Girard (Aimé Simon-Girard), Marthe Berthy, Marta Albaicín (Pepita García Escudero), membres principaux de la troupe du Moulin rouge durant la tournée en Amérique du Sud.

Simon Girard, acteur de cinéma (Aimé Simon-Girard a joué dans Le vert galant 1924, Fanfan-la-Tulipe 1925 et Les trois mousquetaires 1932), Marta Albaicín (Pepita García Escudero), danseuse de flamenco d’origine espagnole, Marthe Berthy, chanteuse (et danseuse, même si ce n’est pas précisé dans l’article) ayant remplacé Mistinguett au Moulin Rouge, Baldrini, chanteur déjà intervenu à Buenos Aires et beaucoup d’autres.

L’intransigeant 1927-04-03 – La revue Ça c’est Paris avec Mistinguett et Marthe Berthy.
Le journal de Rio de Janeiro, Correio da Manhã du 6 mai 1928 annonçant que le spectacle va être joué à Rio de Janeiro et à Buenos Aires.

Dans le même journal, dans l’édition du 15 juin 1928, on trouve la publicité pour le spectacle qui aura lieu le 10 juillet 1928 (cinq jours avant la représentation de Buenos Aires) au Palacio Theatro de Rio de Janeiro.

Le journal de Rio de Janeiro, Correio da Manhã du 15 juin 1928 avec la publicité pour le spectacle du Moulin Rouge au Palacio Theatro. À gauche, l’annonce complète, à droite, l’annonce découpée pour la rendre plus lisible.

On notera le titre des différentes revues présentées, Paris à la diable, Paris aux étoiles, Paris au feu, Paris aux nues (celle qui nous intéresse aujourd’hui) et Adieu Paris.
Dans ce spectacle, il y avait donc diverses pièces musicales qui étaient également un prétexte pour présenter ce qui a fait le succès du Moulin Rouge. Dans « Montmartre aux nues » une des 110 revues crées par Jacques-Charles, on trouvera par exemple un tango-fox-trot Lola de Valence, Fleur du mal avec des paroles de Jacques-Charles et Ch. L. Pothier et une musique de René Mercier.
Les revues parisiennes qui faisaient fureur dans le monde entier et notamment en Amérique du Nord et du Sud s’alimentaient donc également des musiques et danses des pays d’exportation. Même si on a du mal à l’imaginer aujourd’hui, le Monde du tango et du spectacle était pour le moins triangulaire, entre les Amériques et l’Europe et notamment Paris dans le cas du tango et des revues du type Moulin Rouge.
En cortina, je vous propose un French Cancan, une musique qui date de la période précédant celle que nous venons d’évoquer (1890 au lieu de 1928) mais qui a toujours du succès dans les milongas en cortina

Bande-annonce de French Cancan (29/04/1955) réalisé par Jean Renoir en 1954-55.

À demain, les amis !

Alma de bohemio 1943-07-15 – Orquesta Pedro Laurenz con Alberto Podestá

Roberto Firpo Letra: Juan Andrés Caruso

La connexion du monde du tango avec le théâtre, puis le cinéma a toujours été naturelle. Le tango du jour, Alma de bohemio est un parfait exemple de ce phénomène. Il a été créé pour le théâtre et a été repris à au moins deux reprises par le cinéma. Devenu le morceau de choix de notre chanteur du jour, il résonnera ensuite sur les grandes scènes où Alberto Podestá l’offrait à son public. Je suis sûr que certains versions vont vous étonner, et pas qu’un peu…

Extrait musical

Alma de bohemio. Roberto Firpo Letra:Juan Andrés Caruso. Partition et à droite réédition de 1966 de notre tango du jour sur un disque 33 tours.

À gauche, la partition dédicacée à l’acteur Florencio Parravicini qui jouait la pièce dont Alma de bohemio était le titre final. L’œuvre a été étrennée en 1914 au Teatro Argentino de Buenos Aires. On notera que la couverture de la partition porte la mention Tango de concierto. Les auteurs ont donc conçu ce tango comme une pièce à écouter, ce qui est logique, vu son usage. On notera que ce même tango a été réutilisé au cinéma à au moins deux reprises, en 1933 et en 1944, nous en parlerons plus bas.
À droite, la réédition en disque microsillon de 1966 de notre tango du jour. Alma de bohemio est le premier titre de la face A et a donné son nom à l’album.

Alma de bohemio 1943-07-15 – Orquesta Pedro Laurenz con Alberto Podestá.

Paroles

Peregrino y soñador,
cantar
quiero mi fantasía
y la loca poesía
que hay en mi corazón,
y lleno de amor y de alegría,
volcaré mi canción.

Siempre sentí
la dulce ilusión,
de estar viviendo
mi pasión.

Si es que vivo lo que sueño,
yo sueño todo lo que canto,
por eso mi encanto
es el amor.
Mi pobre alma de bohemio
quiere acariciar
y como una flor
perfumar.

Y en mis noches de dolor,
a hablar
me voy con las estrellas
y las cosas más bellas,
despierto he de soñar,
porque le confío a ellas
toda mi sed de amar.

Siempre sentí
la dulce ilusión,
de estar viviendo
mi pasión.

Yo busco en los ojos celestes
y renegridas cabelleras,
pasiones sinceras,
dulce emoción.
Y en mi triste vida errante
llena de ilusión,
quiero dar todo
mi corazón.

Roberto Firpo Letra: Juan Andrés Caruso

Traduction libre

Pèlerin et rêveur, je veux chanter ma fantaisie et la folle poésie qui est dans mon cœur, et plein d’amour et de joie, je déverserai ma chanson.
J’ai toujours ressenti la douce sensation de vivre ma passion.
Si je vis ce dont je rêve, je rêve tout ce que je chante, c’est pourquoi mon charme c’est l’amour.
Ma pauvre âme de bohème veut caresser et parfumer comme une fleur.
Et dans mes nuits de douleur, je vais parler avec les étoiles et les choses les plus belles, il faut rêver éveillé, car je leur confie toute ma soif d’amour.
J’ai toujours ressenti la douce sensation de vivre ma passion.
Je recherche dans les yeux bleus (couleur du ciel et du drapeau argentin) et les chevelures noir obscur des passions sincères, une douce émotion.
Et dans ma triste vie errante et pleine d’illusions, je veux donner tout mon cœur.

Autres versions

Alma de bohemio 1914 – Orquesta Argentina Roberto Firpo.

Le tango, tel qu’il était joué dans la pièce originale, par Firpo, c’est-à-dire sans parole. Ces dernières n’ont été écrites par Caruso qu’une dizaine d’années plus tard.

Alma de bohemio 1925-12-16 – Orquesta Julio De Caro.

Là où il y a de la recherche d’originalité, De Caro s’y intéresse.

Alma de bohemio 1925 – Ignacio Corsini.

La plus ancienne version chantée avec les paroles de Caruso. Il est assez logique que Corsini soit le premier à l’avoir chanté, car il était à la fois proche de Firpo avec qui il a enregistré Patotero sentimental en 1922 et de Caruso dont il a enregistré de nombreux titres. Il était donc à la croisée des chemins pour enregistrer le premier.

Séance d’enregistrement d’Ignacio Corsini (debout) avec, de gauche à droite, ses guitaristes Rosendo Pesoa, Enrique Maciel et Armando Pagés. La photo date probablement des années 30, elle est donc moins ancienne que l’enregistrement présenté.
Alma de bohemio 1927-04-26 – Orquesta Osvaldo Fresedo.

Une belle version instrumentale, relativement étonnante pour l’époque.

Alma de bohemio 1927-05-05 – Orquesta Francisco Canaro.

Une version typique de Canaro. On verra qu’il l’enregistrera à d’autres reprises.

Alma de bohemio 1927-07-26 – Orquesta Roberto Firpo.

Treize ans plus tard, Roberto Firpo redonne vie à son titre, toujours de façon instrumentale.

Alma de bohemio 1929-05-18 – Orquesta Típica Victor.

Deux ans plus tard, la Típica Victor, dirigée par Adolfo Carabelli donne sa propre version également instrumentale.

Alma de bohemio 1929-09-19 – Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro.

Ada Falcón avec sa voix d’une grande pureté en donne une version magnifique accompagnée par son cher Canaro. On notera les notes tenues, un temps impressionnant, plus que ce qu’en avait donné Corsini. Disons que Falcón lancera la course à la note tenue le plus longtemps possible.

Le succès de Corsini avec les paroles de Caruso va permettre au titre de retourner dans le spectacle avec le premier film parlant argentin, Tango réalisé par Luis Moglia Barth et sorti en 1933.

1933 Tango – Alma de Bohemio par Alberto Gómez dans le film de Luis Moglia Barth, Tango sorti le 27 avril 1933.

Alberto Gómez suivra donc également les traces de Falcón avec de belles notes tenues.

Alma de bohemio 1930-09-05 – Orquesta Francisco Canaro.

Francisco Canaro reste sur la voie du tango de concierto avec une version très étonnante et qui fait l’impasse sur les notes très longuement tenues. Je pense qu’il faut associer cette interprétation aux recherches de Canaro en direction du tango fantasia ou symphonique. Pour moi, il n’est pas question de proposer cela à des danseurs, mais je trouve cette œuvre captivante et je suis content de vous la faire découvrir (enfin, à ceux qui ne connaissaient pas).

Alma de bohemio 1935-01-23 – Trío Ciriaco Ortiz.

Le Trío Ciriaco Ortiz offre lui aussi une version très sophistiquée et surprenante de l’œuvre. C’est bien sûr plus léger que ce qu’a fait Canaro cinq ans plus tôt, mais c’est un trio, pas une grosse machine comme celle de Canaro.

Alma de bohemio 1939-03-24 – Orquesta Rodolfo Biagi con Teófilo Ibáñez.

On peut au moins apporter au crédit de Biagi qu’il a essayé de faire la première version de danse. Cette version est à l’opposé de tout ce qu’on a entendu. Le rythme soutenu et martelé est presque caricatural. J’ai du mal à considérer cela comme joli et même si c’est éventuellement dansable, ce n’est pas la version que je passerais en milonga.

Alma de bohemio 1943-07-15 – Orquesta Pedro Laurenz con Alberto Podestá. C’est notre tango du jour.

Avec cette version mise au point par Pedro Laurenz, un immense chef d’orchestre ayant trop peu enregistré à mon goût, on a une bonne synthèse d’une version pour la danse et à écouter. Alberto Podestá gagne clairement le concours de la note tenue la plus longue. Il surpasse Falcón, Gómez et en 1949, Castillo ne fera pas mieux…

Alma de bohemio 1946-11-13 – Orquesta Francini-Pontier con Alberto Podestá.

Alberto Podestá s’attaque à son record de la note tenue la plus longue et je crois qu’il l’a battu avec cette version. Cela constitue une alternative avec la version de Laurenz.

Alma de bohemio 1947-04-02 – Orquesta Ricardo Tanturi con Osvaldo Ribó.

Alma de bohemio 1947-04-02 – Orquesta Ricardo Tanturi con Osvaldo Ribó. Avec cet enregistrement, Osvaldo Ribó prouve qu’il ne manque pas d’air, lui non plus…

Alma de bohemio 1947-05-21 – Roberto Firpo y su Nuevo Cuarteto.

Tiens, une version instrumentale. Firpo tenterait-il de tempérer les ardeurs des chanteurs gonflés ?

Alma de bohemio 1947-06-10 – Orquesta Ángel D’Agostino con Tino García.

La tentative de Firpo ne semble pas avoir réussi, Tino García explose les compteurs avec cette version servie par le tempo modéré de D’Agostino.

Voici Alberto Castillo, pour la seconde version cinématographique de Alma de Bohemio, dans un film qui porte le nom de ce tango.

Alberto Castillo chante Alma de bohemio (dans la seconde partie de cet extrait, à partir de 3 minutes) dans le film réalisé par Julio Saraceni (1949)

Alberto Castillo chante Alma de bohemio (dans la seconde partie de cet extrait) dans le film réalisé par Julio Saraceni à partir d’un scénario de Rodolfo Sciammarella et Carlos A. Petit. Le film est sorti le 24 août 1949. L’orchestre est dirigé par Eduardo Rovira ou Ángel Condercuri… L’enregistrement a été réalisé le 6 mai 1949.
Castillo ne dépasse pas Podestá dans le concours de la note tenue la plus longue, mais il se débrouille bien dans cet exercice.

Fidel Pintos (à gauche) et Alberto Castillo dans le film de Julio Saraceni Alma de bohemio (1949).
Alma de bohemio 1951-07-17 – Juan Cambareri y su Cuarteto Típico con Alberto Casares.

Alberto Casares fait durer de façon modérée les notes, l’originalité principale de cette version est l’orchestration délirante de Cambareri, avec ses traits virtuoses et d’autres éléments qui donnent le sourire, à l’écoute, pour la danse, cela reste à prouver… Signalons qu’une version avec le chanteur Hector Berardi circule. Berardi a en effet remplacé Casares à partir de 1955, mais cette version est un faux. C’est celle de Casares dont on a supprimé les premières notes de l’introduction. Les éditeurs ne reculent devant aucune manœuvre pour vendre deux fois la même chose…

Alma de bohemio 1958-12-10 – Orquesta Osvaldo Pugliese.

Une version bien différente et qui marque la maîtrise créative de Pugliese. Souvenons-nous tout de même que d’autres orchestres, y compris Canaro s’étaient orientés vers des versions sophistiquées.

Alma de bohemio 1958 – Argentino Galván.

La version la plus courte (37 secondes), extraite du disque de Argentino Galván que je vous ai déjà présenté Historia de la orquesta tipica.

Alma de bohemio 1959-04-29 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.

À la tête de son Quinteto Pirincho, Francisco Canaro, donne une nouvelle version de l’œuvre. Rien qu’avec ses versions on croise une grande diversité d’interprétations. De la version de 1927, canyengue, l’émouvante version avec Ada Falcón, celle de 1930, étonnamment moderne et finalement celle-ci, légère et relativement dansante. Il y a du choix chez Monsieur Canaro.

Alma de bohemio 1965-12-10 – Orquesta Aníbal Troilo con Nelly Vázquez.

Nelly Vázquez prouve que les femmes ont aussi du coffre. L’orchestre d’Aníbal Troilo est ici au service de la chanteuse, il ne propose pas une version révolutionnaire qui aurait nuit à l’écoute de Nelly Vázquez. Cette intégration fait que c’est une version superbe, à écouter les yeux fermés.

Alma de bohemio 1967 – Astor Piazzolla y su Orquesta.

Piazzolla propose sans doute la version la plus étonnante. Le chœur de voix féminines sera sans doute une surprise pour beaucoup. L’atmosphère inquiète avec les grands coups de cordes tranchants, moins, car ils font partie du vocabulaire usuel d’Astor. Le thème original est transfiguré, la plupart du temps difficile à retrouver, mais ce n’est pas un problème, car il n’a servi que de prétexte à Piazzolla pour illuminer les nouvelles voies qu’il ouvrait dans le tango.

Il y a bien d’autres enregistrements, mais aucun ne me semblait pourvoir lutter contre cette version de Piazzolla, aucun, peut-être pas, et je vous propose de revenir à notre concours de la note tenue la plus longue et je pense que c’est un chanteur d’Opéra, un des plus grands chanteurs d’opéra du vingtième siècle, Plácido Domingo qui nous l’offre. Écoutez comme, tranquillement, il explose tous les compteurs avec une facilité apparente incroyable.

Alma de bohemio 1981 — Plácido Domingo — dir. y arr. Roberto Pansera.

Impressionnant, non ?

Vous en redemandez, alors, je vous propose une version un peu plus tardive (1987) où, en plus, il joue l’accompagnement au piano. Il définitivement meilleur chanteur que pianiste, mais quel artiste.

Alma de Bohemio 1987 — Plácido Domingo (piano) — Avery Fisher Hall (New York)

À demain, les amis !

Mi vieja linda 1941 – Orquesta Emilio Pellejero con Enalmar De María

Ernesto Céspedes Polanco (Musique et paroles)

En 2012, le thème du festival Tangopostale de Toulouse était les deux rives. À cette occasion, j’ai eu l’idée d’alterner les tandas argentines et uruguayennes. Entre les deux, une cortina réalisée pour l’occasion permettait de matérialiser le passage d’une rive à l’autre. Je me souviens de l’accueil enthousiaste pour Mi vieja linda qui était peu connue à l’époque, tout comme les versions de nombreux orchestres uruguayens qui n’étaient alors représentés que par Racciatti et Villasboas… Dix ans plus tard, le Sexteto Cristal a eu l’excellente idée de reprendre à l’identique Mi vieja linda, ce qui a permis à de nouvelles générations de danseurs de redécouvrir cette milonga festive, comme beaucoup de musiques uruguayennes.

Extrait musical

Mi vieja linda 1941 – Orquesta Emilio Pellejero con Enalmar De María.
Mi vieja linda. Partition pour quatre guitares.

Paroles

Mi vieja linda
Pensando en vos
Se me refresca
El corazón
Desde el día que te vi
Tras de la reja
En mi pecho abrió una flor
Como una luz
Y la pasión
Alumbró mi corazón
Mi vieja linda
Pensando en vos
Me siento bueno
Como el mejor
Y cuando un beso te doy
Boca con boca
Yo paladeo el sabor
De estar en vos
Que estar así
Corazón a corazón

Ernesto Céspedes Polanco

Traduction libre

Ma jolie chérie (vieja est la mère, ou la femme chérie. Vu le reste des paroles, c’est la seconde option la bonne…), en pensant à toi, mon cœur est rafraîchi.
Depuis le jour où je t’ai vu, à travers la grille, une fleur s’est ouverte dans ma poitrine, comme une lumière et la passion a illuminé mon cœur.
Ma jolie chérie, je pense à toi.
Je me sens bien, comme le meilleur et quand je te donne un baiser, bouche contre bouche, je savoure le goût d’être en toi, d’être ainsi, cœur à cœur.

Autres versions

Mi vieja linda 1941 – Orquesta Emilio Pellejero con Enalmar De María. C’est notre milonga du jour.
Mi vieja linda 2022-07-12 – Sexteto Cristal con Guillermo Rozenthuler.

Comparaison des deux versions

Vous l’aurez remarqué, les deux versions sont très semblables. Le Sexteto Cristal a reproduit exactement l’interprétation de Emilio Pellejero. Pour vous permettre de vérifier que le travail est excellent, je vous propose d’écouter les deux musiques en même temps.
Vous pourrez constater que la plupart du temps, la musique est synchronisée. Cela veut dire que les danseurs pourront danser indifféremment sur une version ou l’autre, sans différence notable.

Le Sexteto Crital a eu l’excellente idée d’interpréter « Mi vieja linda » de Ernesto Céspedes Polanco et qui était connu principalement pour la version enregistrée en 1941 par Emilio Pellejero avec la voix d’Enalmar De María. Sa reproduction de la version originale est presque parfaite comme vous le verrez dans cette vidéo. Les deux versions jouent en même temps et sont presque toujours synchronisées.

Les deux rives

L’année dernière au festival de Tarbes, il y avait le Sexteto Cristal qui a bien sûr joué son titre fétiche. J’intervenais le lendemain dans la Halle Marcadieu et j’ai pu passer la version originale de Pellejero afin de rendre à César (plutôt Emilio) ce qui était à Emilio Pellejero et je pourrais également rajouter Ernesto, Ernesto Céspedes Polanco, l’auteur de la musique et des paroles et qui a réalisé quelques titres principalement interprétés par Emilio Pellejero comme Paloma que vuelas et Quemando recuerdos, les deux avec des paroles de Fernando Silva Valdés.
Il est d’usage de dire que le tango est un enfant des deux rives du Rio de la Plata, Buenos Aires et sa Jumelle orientale, Montevideo. Le passage d’un pays à l’autre était courant pour ne pas dire constant pour les orchestres. La perméabilité entre les deux rives était donc extrême. Cependant, la plupart des artistes qui ont cherché à développer leur carrière se sont centrés sur Buenos Aires, comme Francisco Canaro, né Uruguayen et naturalisé Argentin.

À Donato Racciatti et Miguel Villasboas, on peut rajouter quelques orchestres uruguayens moins connus :
Nelson Alberti, Julio Arregui, Juan Cao, Antonio Cerviño, Roberto Cuenca, Romeo Gavioli, Álvaro Hagopián, Juan Manuel Mouro, Ángel Sica, Julio Sosa.

Durant la pandémie COVID, je diffusais une milonga hebdomadaire et le fait de passer aussi des orchestres uruguayens m’avait attiré la sympathie d’auditeurs de ce pays et j’avais reçu de nombreuses informations via Messenger. Malheureusement, la fermeture par Facebook de mon compte de l’époque m’a fait perdre toutes ces informations. Je me souviens de contacts d’enfants de musiciens et de témoignages sur les orchestres de l’époque que je n’avais pas mis au propre, par manque de temps de traiter ces informations très riches. Je comptais également enrichir ma discothèque à partir de ces sources. Si mes contacts de l’époque lisent ce blog, qu’ils n’hésitent pas à reprendre contact…

Cruzando el Rio de la Plata – Volver (Chamuyo) et bruitages DJ BYC. Une des cortinas des deux rives de Tangopostale 2012. DJ BYC Bernardo. Les effets stéréo de la traversée sont bien sur perdus à cause de la nécessité de passer les fichiers en mono pour le blog (limite de taille des fichiers à 1Mo).
Mi vieja linda 1941. Femme à la fenêtre Antoine Bourdelle.

Pour réaliser cette image, j’ai utilisé une peinture d’Antoine Bourdelle, un sculpteur génial dont on peut voir les œuvres à Buenos Aires, Toulouse et à Paris où sa maison musée est une merveille.

Antoine Bourdelle, Femme à la fenêtre, Huile sur toile, Paris, musée Bourdelle

La capilla blanca 1944-07-11 – Orquesta Carlos Di Sarli con Alberto Podestá

Carlos Di Sarli Letra : Héctor Marcó (Héctor Domingo Marcolongo)

Une grande partie des titres composés par Carlos Di Sarli ont des paroles de Héctor Marcó, comme Corazón (le premier titre de leur collaboration), Porteño y bailarín, Nido gaucho, Juan Porteño, En un beso la vida, Rosamel, Bien frappé, et la merveille d’aujourd’hui, La capilla blanca, transcendée par la voix de Alberto Podestá.

Héctor Marcó écrira les paroles de ce tango à la suite d’une expérience personnelle. Carlos Di Sarli le mettra soigneusement en musique, avec le temps nécessaire pour donner sa mesure à un sujet qui parlait à sa sensibilité. Di Sarli n’était pas un compositeur de l’instant, il savait prendre son temps…

Comme vous le découvrirez à la lecture des paroles si vous ne les connaissiez pas, ce tango pourrait être l’objet d’un fait divers, comme en relatent les journalistes, journalistes auquel ce tango est dédié.

”Existe un gremio que siempre pidió para los demás, y nunca para sí mismo. …Ese gremio, es el de los periodistas. Muy justo entonces que yo lo recuerde con cariño y dedique a todos los periodistas de la Argentina, este tango”. Carlos Di Sarli.

Dédicace inscrite sur la couverture de la partition éditée par Julio Korn.

« Il existe un syndicat qui a toujours demandé pour les autres, et jamais pour lui-même… Ce syndicat c’est celui des journalistes. C’est donc très juste que je m’en souvienne avec affection et que je dédie ce tango à tous les journalistes argentins. » Carlos Di Sarli.

Si vous souhaitez en savoir plus sur ce titre, je vous conseille cet article de l’excellent blog Tango al Bardo.

Extrait musical

La capilla blanca 1944-07-11 – Orquesta Carlos Di Sarli con Alberto Podestá.

Les propositions légères des violons sont ponctuées de lourds accords du piano de Di Sarli. La tonalité passe du mode majeur au mode mineur à diverses reprises, suggérant des émotions mêlées. À 1:20 la chaleureuse voix de Podestá reprend le motif des violons. Le passage au second thème est signalé par un point d’orgue appuyé. Il déroule ensuite le début des paroles jusqu’à l’ultime note.

La capilla blanca. À gauche, édition Korn sur laquelle on peut lire la dédicace aux journalistes. Au centre et à droite, édition brésilienne de la Partition. Le chanteur est Victor Manuel Caserta. Je n’ai malheureusement pas trouvé d’interprétation enregistrée par lui. On notera qu’il est né à Buenos Aires de parents d’origine brésilienne. Il fut également poète, mais pas auteur de textes de tango, à ma connaissance.

Paroles

En la capilla blanca
de un pueblo provinciano,
muy junto a un arroyuelo de cristal,
me hincaban a rezar
tus manos…
Tus manos que encendían
mi corazón de niño.
Y al pie de un Santo Cristo,
las aguas del cariño
me dabas de (a) beber.

Feliz nos vio la luna
bajar por la montaña,
siguiendo las estrellas,
bebiendo entre tus cabras,
un ánfora de amor…
Y hoy son aves oscuras
esas tímidas campanas
que doblan a lo lejos
el toque de oración.
Tu voz murió en el río,
y en la capilla blanca,
quedó un lugar vacío
¡Vacío como el alma
de los dos…!

En la capilla blanca
de un pueblo provinciano,
muy junto a un arroyuelo de cristal,
presiento sollozar
tus labios…
Y cuando con sus duendes
la noche se despierta
al pie de Santo Cristo,
habrá una rosa muerta,
¡que ruega por los dos!

Carlos Di Sarli Letra: Héctor Marcó

Alberto Podestá et Mario Pomar chantent seulement ce qui est en gras.

Traduction libre

Dans la chapelle blanche d’un village provincial, tout près d’un ruisseau de cristal, tes mains m’ont agenouillé pour prier…
Tes mains qui ont illuminé mon cœur d’enfant.
Et au pied d’un Saint Christ, tu m’as donné à boire les eaux de l’affection.
La lune nous a vus descendre heureux de la montagne, suivant les étoiles, buvant parmi tes chèvres, une amphore d’amour…
Et aujourd’hui, ce sont des oiseaux obscurs, ces cloches timides qui sonnent au loin l’appel à la prière.
Ta voix s’est éteinte dans la rivière, et dans la chapelle blanche, une place vide a été laissée.
Vide comme l’âme des deux… !
Dans la chapelle blanche d’un village provincial, tout près d’un ruisseau de cristal, je sens tes lèvres sangloter…
Et quand avec ses duendes (sorte de gnomes, lutins de la mythologie argentine) la nuit se réveillera au pied du Saint Christ, il y aura une rose morte,
Priez pour nous deux !

Comme vous l’aurez noté, les paroles ont une connotation religieuse marquée. C’est assez courant dans le tango, l’Argentine n’ayant pas la séparation de l’église et de l’état comme cela peut se faire en France et la religion, les religions sont beaucoup plus présentes. Par ailleurs, Di Sarli était religieux et donc ce type de traitement du sujet n’était pas pour lui déplaire.

Autres versions

La capilla blanca 1944-07-11 – Orquesta Carlos Di Sarli con Alberto Podestá.

C’est notre tango du jour et probablement la version de référence pour ce titre. Podesta ne chante que les premiers couplets.

La capilla blanca 1953-06-26 – Orquesta Carlos Di Sarli con Mario Pomar (Mario Corrales).

J’aime beaucoup Mario Pomar. Cette version est suffisamment différente de celle de 1944 pour avoir tout son intérêt. Son tempo est plus lent, plus majestueux. Je peux passer indifféremment, selon les circonstances, l’une ou l’autre de ces versions.

La capilla blanca 1973 – Roberto Rufino.

Comment dire. Rufino qui a fait de si belles choses avec Di Sarli aurait peut-être pu se dispenser de cet enregistrement. Même pour l’écoute, je ne le trouve pas satisfaisant, mais je peux me tromper.

La capilla blanca 1973 – Alberto Podestá accomp. Orquesta de Leopoldo Federico.

La capilla blanca 1973 – Alberto Podestá accomp. Orquesta de Leopoldo Federico. Podestá enregistre de nouveau son grand succès. Ici, avec l’orchestre suave et discret de Leopoldo Federico.

La capilla blanca 1986 – Alberto Podestá accomp. Orquesta de Alberto Di Paulo. Encore Podestá.
La capilla blanca 2000c – Alberto Podestá accomp. Orquesta de Leopoldo Federico.

Podestá accompagné par Federico nous propose une autre version encore plus lente.

La capilla blanca 2008 (publication 2009-09) – José Libertella (Pepe) con Adalberto Perazzo.

Pepe Libertella, le leader du Sexteto Mayor propose cette version de notre tango du jour. Adalberto Perazzo chante tous les couplets, y compris la triste fin.

La capilla blanca 2011 – Orquesta Típica Gente de Tango con Héctor Morano.
La capilla blanca 2020-07-10 – Pablo Montanelli.

Dans son interprétation au piano, Pablo Montanelli fait ressortir le rythme de habanera à la main gauche.

L’illustration de couverture

Une chapelle blanche au bord d’une rivière, ça ne se trouve pas si facilement.
J’ai pensé délirer à partir de la création de Le Corbusier, Notre dame du haut à Ronchamp.

Notre Dame du Haut à Ronchamp, architecte Le Corbusier. Le cours d’eau au premier plan est bien sûr une création de ma part…

Premier jet que je n’ai pas continué, la chapelle aussi magnifique soit elle ne me paraît pas pouvoir convenir et je ne voyais pas comment l’intégrer avec une rivière qui aurait détruit la pureté de ses lignes.

J’ai pensé ensuite à différentes petites églises vues du côté de Salta ou Jujuy, comme l’église San José de Cachi dont j’adore le graphisme épuré.

Une photo brute, avant toute intervention de la Iglesia San José de Cachi.

Cette église a également les trois cloches, comme sur la partition éditée par Julio Korn. Cependant, cela fait trop église et pas assez chapelle. Trois cloches pour une chapelle, c’est trop, même si cela a peut-être été validé par Di Sarli et Marcó comme on l’a vu sur la partition éditée par Jules Korn.
Je pense que j’aurais pu en faire un truc intéressant, type art déco ou autre stylisation.
Une autre candidate aurait pu être la chapelle mystérieuse de Rio Blanco. Elle est assez proche du Rio Rosario. Je vous la laisse découvrir en suivant ce lien…
J’ai finalement opté pour l’image que j’ai choisie. Un paysage romantique, situé quelque part dans les Andes. Pourquoi les Andes, je ne sais pas. Sans doute que c’est, car il y a mes paysages préférés d’Argentine. Et puis le texte parle de montagne, alors, autant en choisir de belles…
La montagne a été constituée à partir d’éléments pris dans les Andes, dont le merveilleux pic de El Chalten, la montagne qui fume. La chapelle est en fait un ermitage dédié à la Virgen de Fátima en Asturies (Espagne). Ce n’est pas couleur locale, mais c’est la même église que José María Otero a utilisée pour son texte sur ce tango. Pour donner un effet romantique, l’eau est en pose longue et j’ai joué d’effets dans Photoshop, pour la lumière et l’aspect vaporeux. Je trouve que le résultat, avec sa rivière meurtrière et ce contre-jour dévoilant des ombres inquiétantes, exprime bien ce que je ressens à la lecture du texte de Héctor Marcó.

La capilla blanca, dans ce montage, vous reconnaîtrez El Chalten, la montagne qui fume, cet impressionnant pic de la Patagonie. La chapelle est en fait l’ermitage de la Virgen de Fátima en Asturies (Espagne).

À demain, les amis.

9 de Julio (Nueve de Julio) 2009 – La Tuba Tango

1908 ou 1916 José Luis Padula Letra : 1916 ou 1919 Ricardo M. Llanes 1930 – 1931 Eugenio Cárdenas 1931 Lito Bayardo (Manuel Juan García Ferrari)

Le 9 juillet pour les Argentins, c’est le 4 juillet des Étasuniens d’Amérique, le 14 juillet des Français, c’est la fête nationale de l’Argentine. Elle commémore l’indépendance vis-à-vis de l’Espagne. José Luis Padula était assez bien placé pour écrire ce titre, puisque la signature de la Déclaration d’indépendance a été effectuée à San Miguel de Tucumán, son lieu natal, le 9 juillet 1816.

Padula prétend avoir écrit ce tango en 1908, à l’âge de 15 ans, sans titre particulier et qu’il a décidé de le dédier au 9 juillet dont on allait fêter le centenaire en 1916.
Difficile de vérifier ses dires. Ce qu’on peut en revanche affirmer c’est que Roberto Firpo l’a enregistrée en 1916 et qu’on y entend les cris de joie (étranges) des signataires (argentins) du traité.

Signature de la déclaration d’indépendance au Congreso de Tucumán (San Miguel de Tucumán) le 9 juillet 1816. Aquarelle de Antonio Gonzáles Moreno (1941).
José Luis Padula 1893 – 1945. Il a débuté en jouant de l’harmonica et de la guitare dès son plus jeune âge (son père était mort quand il avait 12 ans et a donc trouvé cette activité pour gagner sa vie). L’image de gauche est une illustration, ce n’est pas Padula. Au centre, Padula vers 1931 sur une partition de 9 de Julio avec les paroles de Lito Bayardo et à droite une photo peu avant sa mort, vers 1940.

Extrait musical

Partition pour piano de 9 de Julio. L’évocation de l’indépendance est manifeste sur les deux couvertures. On notera sur celle de droite la mention de Cardenas pour les paroles.
Autre exemple de partition avec un agrandissement de la dédicace au procurador titular Señor Gervasio Rodriguez. Il n’y a pas de mention de parolier sur ces paroles.
9 de Julio (Nueve de Julio) 2009 – La Tuba Tango.

Dès les premières notes, on note la truculence du tuba et l’ambiance festive que crée cet instrument. J’ai choisi cette version pour fêter le 9 juillet, car il n’existait pas d’enregistrement intéressant du 9 juillet. C’est que c’est un jour férié et les orchestres devaient plutôt animer la fête plutôt que d’enregistrer. L’autre raison est que le tuba est associé à la fanfare, au défilé et que donc, il me semblait adapté à l’occasion. Et la dernière raison et d’encourager cet orchestre créé en 1967 et qui s’est donné pour mission de retrouver la joie des versions du début du vingtième siècle. Je trouve qu’il y répond parfaitement et vous pouvez lui donner un coup de pouce en achetant pour un prix modique ses albums sur Bandcamp.

Paroles

Vous avez sans doute remarqué que j’avais indiqué plusieurs paroliers. C’est qu’il y a en fait quatre versions. C’est beaucoup pour un titre qui a surtout été enregistré de façon instrumentale… C’est en fait un phénomène assez courant pour les titres les plus célèbres, différents auteurs ajoutent des paroles pour être inscrits et toucher les droits afférents. Dans le cas présent, les héritiers de Padula ont fait un procès, preuve que les histoires de sous existent aussi dans le monde du tango. En effet, avec trois auteurs de paroles au lieu d’un, la part de la redistribution aux héritiers de Padula était d’autant diminuée.
Je vous propose de retrouver les paroles en fin d’article pour aborder maintenant les 29 versions. La musique avant tout… Ceux qui sont intéressés pourront suivre les paroles des rares versions chantées avec la transcription correspondante en la trouvant à la fin.

Autres versions

9 de Julio (Nueve de Julio) 1916 – Orquesta Roberto Firpo.

On y entend les cris de joie des signataires, des espèces de roucoulements que je trouve étranges, mais bon, c’était peut-être la façon de manifester sa joie à l’époque. L’interprétation de la musique, malgré son antiquité, est particulièrement réussie et on ne ressent pas vraiment l’impression de monotonie des très vieux enregistrements. On entend un peu de cuivres, cuivres qui sont totalement à l’honneur dans notre tango du jour avec La Tuba Tango.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1927-06-03 – Orquesta Roberto Firpo.

Encore Firpo qui nous livre une autre belle version ancienne une décennie après la précédente. L’enregistrement électrique améliore sensiblement le confort d’écoute.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1928-10-11 – Guillermo Barbieri, José María Aguilar, José Ricardo (guitarras).

Vous aurez reconnu les guitaristes de Gardel. Cet enregistrement a été réalisé à Paris en 1928. C’est un plaisir d’entendre les guitaristes sans la voix de leur « maître ». Cela permet de constater la qualité de leur jeu.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1929-12-04 – Orquesta Francisco Canaro.

Je trouve cette version un peu pesante malgré les beaux accents du piano de Luis Riccardi. C’est un titre à réserver aux amateurs de canyengue, tout au moins les deux tiers, la dernière variation plus allègre voit les bandonéons s’illuminer. J’aurais préféré que tout le titre soit à l’aune de sa fin. Mais bon, Canaro a décidé de le jouer ainsi…

9 de Julio (Nueve de Julio) 1930-04-04 – Orquesta Luis Petrucelli.

Le décès à seulement 38 ans de Luis Petrucelli l’a certainement privé de la renommée qu’il méritait. Il était un excellent bandonéoniste, mais aussi, comme en témoigne cet enregistrement, un excellent chef d’orchestre. Je précise toutefois qu’il n’a pas enregistré après 1931 et qu’il est décédé en 1941. Ces dernières 10 années furent consacrées à sa carrière de bandonéoniste, notamment pour Fresedo.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1931 – Agustín Magaldi con orquesta.

Magaldi n’appréciant pas les paroles de Eugenio Cárdenas fit réaliser une version par Lito Bayardo.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1931-08-15 – Orquesta Típica Columbia con Ernesto Famá.

Famá chante le premier couplet de Bayardo.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1935-12-31 – Orquesta Juan D’Arienzo.

C’est une des versions les plus connues, véritable star des milongas. L’impression d’accélération continue est sans doute une des clefs de son succès.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1939-07-04 – Charlo (accordéon et guitare).

Je ne sais pas d’où vient cet ovni. Je l’avais dans ma musique, extrait d’un CD Colección para entendidos – Época de oro vol. 6 (1926-1939). Charlo était pianiste en plus d’être chanteur (et acteur). Tout comme les guitaristes de Gardel qui ont enregistré 9 de Julio sous le nom de Gardel (voir ci-dessus l’enregistrement du 11 octobre 1928), il se peut qu’il s’agisse de la même chose. Le même jour, Charlo enregistrait comme chanteur avec ses guitaristes Divagando, No hay tierra como la mía, Solamente tú et un autre titre accordéon et guitare sans chant, la valse Añorando mi tierra.
On trouve d’autres titres sous la mention Charlo avec accordéon et guitare. La cumparsita et Recuerdos de mi infancia le 12 septembre 1939, Pinta brava, Don Juan, Ausencia et La polca del renguito le 8 novembre 1940. Il faut donc certainement en conclure que Charlo jouait aussi de l’accordéon. Pour le prouver, je verserai au dossier, une version étonnante de La cumparsita qu’il a enregistrée en duo avec Sabina Olmos avec un accordéon soliste, probablement lui…

9 de Julio (Nueve de Julio) 1948 – Orquesta Héctor Stamponi.

Une jolie version avec une magnifique variation finale. On notera l’annonce, une pratique courante à l’époque où un locuteur annonçait les titres.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1950-05-15 – Orquesta Juan D’Arienzo.

D’Arienzo nous donne une autre version. Il y a de jolis passages, mais je trouve que c’est un peu plus confus que la version de 1935 qui devrait être plus satisfaisante pour les danseurs. Fulvio Salamanca relève l’ensemble avec son piano, piano qui est généralement l’épine dorsale de D’Arienzo.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1950-07-20 – Orquesta Alfredo De Angelis.

Chez De Angelis, le piano est aussi essentiel, mais c’est lui qui en joue, il est donc libre de donner son interprétation magnifique, secondé par ses excellents violonistes. Pour ceux qui n’aiment pas De Angelis, ce titre pourrait les faire changer d’avis.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1957-04-08 – Orquesta Héctor Varela.

Varela nous propose une introduction originale.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1953 – Horacio Salgán y su Orquesta Típica.

Une version sans doute pas évidente à danser.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1953-03-03 – Ariel Pedernera y su Quinteto Típico.

Une belle version, malheureusement cette copie a été massacrée par le « collectionneur ». J’espère trouver un disque pour vous proposer une version correcte en milonga, car ce thème le mérite largement.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1953-09-10 – Orquesta José Sala.

Pour l’écoute, bien sûr, mais des passages très sympas

9 de Julio (Nueve de Julio) 1954-05-13 – Orquesta Osvaldo Pugliese.

Pugliese a mis un peu de temps à enregistrer sa version du thème. C’est une superbe réalisation, mais qui alterne des passages sans doute trop variés pour les danseurs, mais je suis sûr que certains seront tentés par l’expérience.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1959 – Luis Machaco.

Une version tranquille et plutôt jolie par un orchestre oublié. Le contrepoint entre le bandonéon en staccato et les violons en legato est particulièrement réussi.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1964 – Alberto Marino con la orquesta de Osvaldo Tarantino.

Alberto Marino chante les paroles de Eugenio Cárdenas. Ce n’est bien sûr pas une version pour la danse.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1966-06-21 – Orquesta Florindo Sassone.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1966-08-03 – Orquesta Juan D’Arienzo.

Une version bien connue par D’Arienzo, dans le style souvent proposé par les orchestres contemporains. Spectaculaire, mais, y-a-t-il un mais ?

9 de Julio (Nueve de Julio) 1967-08-10 (Ranchera-Pericón) – Orquesta Enrique Rodríguez.

Second OVNI du jour, cette ranchera-Pericón nacional avec ses flonflons, bien propice à faire la fête. Peut-être une cortina pour demain (aujourd’hui pour vous qui lisez, demain pour moi qui écrit).

9 de Julio (Nueve de Julio) 1968 – Cuarteto Juan Cambareri.

Une version virtuose et enthousiasmante. Pensez à prévoir des danseurs de rechange après une tanda de Cambareri… Si cela semble lent pour du Cambareri, attendez la variation finale et vous comprendrez pourquoi Cambareri était nommé le mage du bandonéon.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1970 – Orquesta Armando Pontier.

Une version originale, mais pas forcément indispensable, malgré le beau bandonéon d’Armando Pontier.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1971 – Orquesta Donato Racciatti.

Même si la Provincia Orientale tombait en 1916 sous la coupe du Portugal / Brésil, les Uruguayens sont sensibles à l’émancipation d’avec le vieux monde et donc, les orchestres uruguayens ont aussi proposé leurs versions du 9 juillet.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1971 – Palermo Trío.

Avec un trio, forcément, c’est plus léger. Ici, la danse n’est pas au programme.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1971-08-04 – Miguel Villasboas y su Sexteto Típico.

Dans le style hésitant de Villasboas entre tango et milonga qu’affectionnent les Uruguayens. Le type de musique qui a fait dire que le tango avait été inventé par un indécis…

9 de Julio (Nueve de Julio) 1973-11-29 – Miguel Villasboas y Wáshington Quintas Moreno (dúo de pianos).

L’autre jour, au sujet de La rosarina 1975-01-06, un lecteur a dit qu’il avait apprécié la version en duo de piano de Villasboas et Wáshington. Pour ce lecteur, voici 9 de Julio par les mêmes.

Et il est temps de clore cette longue liste avec notre orchestre du jour et dans deux versions :

9 de Julio (Nueve de Julio) 1991 – Los Tubatango.

Cet orchestre original par la présence du tuba et sa volonté de retrouver l’ambiance du tango des années 1900 a été créé par Guillermo Inchausty. C’est le même orchestre que celui de notre tango du jour qui est désormais dirigé par Lucas Kohan sous l’appellation La Tuba Tango au lieu du nom original de Los Tubatango.

9 de Julio (Nueve de Julio) 2009 – La Tuba Tango.

C’est notre tango du jour. Les musiciens en sont : Ignacio Risso (tuba), Matias Rullo (bandonéon), Gonzalo Braz (clarinette) et Lucas Kohan (Direction et guitare).

Cette longue liste de 29 titres, mais qui aurait pu être facilement deux fois plus longue montre la diversité de la production du tango.
En ce qui concerne la danse, nous nous sommes habitués à danser sur un ou deux de ces titres, mais je pense que vous aurez remarqué que d’autres étaient aussi intéressants pour le bal. La question est surtout de savoir les proposer au bon moment et aux bons danseurs. C’est toute la richesse et l’intérêt du métier de DJ.
Pour moi, un bon DJ n’est pas celui qui met des titres inconnus et étranges afin de recueillir les applaudissements des néophytes, mais celui qui met la bonne musique au bon moment en sachant prendre des risques mesurés afin d’aider les danseurs à magnifier leur improvisation et leur plaisir de danser.

Je reviens maintenant, comme promis aux quatre versions des paroles…

Paroles de Lito Bayardo (1931)

Sin un solo adiós
dejé mi hogar cuando partí
porque jamás quise sentir
un sollozar por mí.
Triste amanecer
que nunca más he de olvidar
hoy para qué rememorar
todo lo que sufrí.

Lejano Nueve de Julio
de una mañana divina
mi corazón siempre fiel quiso cantar
y por el mundo poder peregrinar,
infatigable vagar de soñador
marchando en pos del ideal con todo amor
hasta que al fin dejé
mi madre y el querer
de la mujer que adoré.

Yo me prometi
lleno de gloria regresar
para podérsela brindar
a quien yo más amé
y al retornar
triste, vencido y sin fe
no hallé mi amor ni hallé mi hogar
y con dolor lloré.

Cual vagabundo cargado de pena
yo llevo en el alma la desilusión
y desde entonces así me condena
la angustia infinita de mi corazón
¡Qué puedo hacer si ya mis horas de alegría
también se fueron desde aquel día
que con las glorias de mis triunfos yo soñara,
sueños lejanos de mi loca juventud!

José Luis Padula Letra: Lito Bayardo (Manuel Juan García Ferrari)

C’est la version que chante Magaldi, vu qu’il l’a demandé à Bayardo
Famá, chante également cette version, mais seulement le premier couplet.

Traduction libre des paroles de Lito Bayardo

Sans un seul au revoir, j’ai quitté ma maison quand je suis parti parce que je ne voulais jamais ressentir un sanglot pour moi.
Une triste aube que je n’oublierai jamais aujourd’hui, pour qu’elle se souvienne de tout ce que j’ai souffert.
Lointain 9 juillet, d’un matin divin, mon cœur toujours fidèle a voulu chanter et à travers le monde faire le pèlerinage,
infatigable errance d’un rêveur marchant à la poursuite de l’idéal avec tout l’amour jusqu’à ce qu’enfin je quitte ma mère et l’amour de la femme que j’adorais.
Je me suis promis une fois plein de gloire de revenir pour pouvoir l’offrir à celle que j’aimais le plus et quand je suis revenu triste, vaincu et sans foi je n’ai pas trouvé mon amour ni ma maison et avec douleur j’ai pleuré.
Comme un vagabond accablé de chagrin, je porte la déception dans mon âme, et depuis lors, l’angoisse infinie de mon cœur me condamne.
Que pourrais-je faire si mes heures de joie sont déjà parties depuis ce jour où j’ai rêvé des gloires de mes triomphes, rêves lointains de ma folle jeunesse ?

Paroles de Ricardo M. Llanes (1916 ou 1919)

De un conventillo mugriento y fulero,
con un canflinfero
te espiantaste vos ;
abandonaste a tus pobres viejos
que siempre te daban
consejos de Dios;
abandonaste a tus pobres hermanos,
¡tus hermanitos,
que te querían!
Abandonastes el negro laburo
donde ganabas el pan con honor.

Y te espiantaste una noche
escabullida en el coche
donde esperaba el bacán;
todo, todo el conventillo
por tu espiante ha sollozado,
mientras que vos te has mezclado
a las farras del gotán;
¡a dónde has ido a parar!
pobrecita milonguera
que soñaste con la gloria
de tener un buen bulín;
pobre pebeta inocente
que engrupida por la farra,
te metiste con la barra
que vive en el cafetín.

Tal vez mañana, piadoso,
un hospital te dé cama,
cuando no brille tu fama
en el salón;
cuando en el « yiro » no hagas
más « sport »;
cuando se canse el cafisio
de tu amor ;
y te espiante rechiflado
del bulín;
cuando te den el « olivo »
los que hoy tanto te aplauden
en el gran cafetín.

Entonces, triste con tu decadencia,
perdida tu esencia,
tu amor, tu champagne ;
sólo el recuerdo quedará en tu vida
de aquella perdida
gloria del gotán;
y entonces, ¡pobre!, con lágrimas puras,
tus amarguras
derramarás;
y sentirás en tu noche enfermiza,
la ingrata risa
del primer bacán.

José Luis Padula Letra: Ricardo M. Llanes

Traduction libre des paroles de Ricardo M. Llanes

D’un immeuble (le conventillo est un système d’habitation pour les pauvres où les familles s’entassent dans une pièce desservie par un corridor qui a les seules fenêtres sur l’extérieur) sale et vilain, avec un proxénète, tu t’es enfuie ;
tu as abandonné tes pauvres parents qui t’ont toujours prodigué des conseils de Dieu ;
Tu as abandonné tes pauvres frères, tes petits frères, qui t’aimaient !
Tu as abandonné le travail noir où tu gagnais ton pain avec honneur.
Et tu t’es enfuie une nuit en te faufilant dans la voiture où le bacán (homme qui entretient une femme) attendait ;
Tout, tout l’immeuble à cause de ta fuite a sangloté, tandis que toi tu t’es mêlée aux fêtes du Gotan (Tango) ;
Mais où vas-tu t’arrêter ?
Pauvre milonguera qui rêvait de la gloire et d’avoir un bon logis ;
Pauvre fille innocente qui, enflée par la fête, s’est acoquinée avec la bande qui vit dans le café.
Peut-être que demain, pieusement, un hôpital te donnera un lit, quand ta renommée ne brillera pas dans ce salon ;
quand dans le « yiro » (prostitution) vous ne faites plus de « sport » ;
quand le voyou de ton amour se fatigue ;
et tu t’évades folle du logis ;
Quand ils te renvoient (dar el olivo = renvoyer en lunfardo), ceux qui vous applaudissent tant aujourd’hui dans le Grand Cafetín.
Puis, triste avec ta décadence, perte de ton essence, de ton amour, de ton champagne ;
Seul le souvenir de cette perte restera dans ta vie
Gloire du Gotan ;
et alors, pauvre créature, avec des larmes pures, ton amertume tu déverseras ;
Et tu sentiras dans ta nuit maladive, le rire ingrat du premier Bacán.

Paroles de Eugenio Cárdenas (version 1 de 1930)

Mientras los clarines tocan diana
y el vibrar de las campanas
repercute en los confines,
mil recuerdos a los pechos
los inflama la alegría
por la gloria de este día
que nunca se ha de olvidar.
Deja, con su música, el pampero
sobre los patrios aleros
una belleza que encanta.
Y al conjuro de sus notas
las campiñas se levantan
saludando, reverentes,
al sol de la Libertad.

Brota, majestuoso, el Himno
de todo labio argentino.
Y las almas tremulantes de emoción,
a la Patria sólo saben bendecir
mientras los ecos repiten la canción
que dos genios han legado al porvenir.
Que la hermosa canción
por siempre vivirá
al calor del corazón.

Los campos están de fiesta
y por la floresta
el sol se derrama,
y a sus destellos de mágicas lumbres,
el llano y la cumbre
se envuelven de llamas.
Mientras que un criollo patriarcal
narra las horas
de las campañas
libertadoras,
cuando los hijos de este suelo
americano
por justa causa
demostraron
su valor.

José Luis Padula Letra: Eugenio Cárdenas

C’est la version chantée par Alberto Marino en 1964.

Traduction libre des paroles de Eugenio Cárdenas (version 1 de 1930)

Tandis que les clairons sonnent le réveil et que la vibration des cloches résonne aux confins,
mille souvenirs enflamment de joie les poitrines pour la gloire de ce jour qui ne sera jamais oublié.
Avec sa musique, le pampero laisse sur les patriotes alliés une beauté qui enchante.
Et sous le charme de ses notes, la campagne se lève avec révérence, au soleil de la Liberté.
L’hymne de chaque lèvre argentine germe, majestueux.
Et les âmes, tremblantes d’émotion, ne savent que bénir la Patrie tandis que les échos répètent le chant que deux génies ont légué à l’avenir.
Que la belle chanson vivra à jamais dans la chaleur du cœur.
Les campagnes sont en fête et le soleil se déverse à travers la forêt, et avec ses éclairs de feux magiques, la plaine et le sommet sont enveloppés de flammes.
Tandis qu’un criollo patriarcal raconte les heures des campagnes de libération, lorsque les enfants de ce sol américain pour une cause juste ont démontré leur courage.

Paroles de Eugenio Cárdenas (version 2 de 1931)

Hoy siento en mí
el despertar de algo feliz.
Quiero evocar aquel ayer
que me brindó placer,
pues no he de olvidar
cuando tembló mi corazón
al escuchar, con emoción,
esta feliz canción:

Brota, majestuoso, el Himno
de todo labio argentino.
Y las almas tremulantes de emoción,
a la Patria sólo saben bendecir
mientras los ecos repiten la canción
que dos genios han legado al porvenir.
Que la hermosa canción
por siempre vivirá
al calor del corazón.

En los ranchos hay
un revivir de mocedad;
los criollos ven en su
pasión
todo el amor llegar.
Por las huellas van
llenos de fe y de ilusión,
los gauchos que oí cantar
al resplandor lunar.

Los campos están de fiesta
y por la floresta
el sol se derrama,
y a sus destellos de mágicas lumbres,
el llano y la cumbre
se envuelven de llamas.
Mientras que un criollo patriarcal
narra las horas
de las campañas
libertadoras,
cuando los hijos de este suelo
americano
por justa causa
demostraron
su valor.

José Luis Padula Letra: Eugenio Cárdenas

Traduction libre des paroles de Eugenio Cárdenas (version 2 de 1931)

Aujourd’hui je sens en moi l’éveil de quelque chose d’heureux.
Je veux évoquer cet hier qui m’a offert du plaisir, car je ne dois pas oublier quand mon cœur a tremblé quand j’ai entendu, avec émotion, cette chanson joyeuse :
L’hymne de chaque lèvre argentine germe, majestueux.
Et les âmes, tremblantes d’émotion, ne savent que bénir la Patrie tandis que les échos répètent le chant que deux génies ont légué à l’avenir.
Que la belle chanson vivra à jamais dans la chaleur du cœur.
Dans les baraques (maison sommaire, pas un ranch…), il y a un regain de jeunesse ;
Les Criollos voient dans leur passion tout l’amour arriver.
Sur les traces (empreintes de pas ou de roues), ils sont pleins de foi et d’illusion, les gauchos que j’ai entendus chanter au clair de lune.
Les campagnes sont en fête et le soleil se déverse à travers la forêt, et avec ses éclairs de feux magiques, la plaine et le sommet sont enveloppés de flammes.
Tandis qu’un criollo patriarcal raconte les heures des campagnes de libération, quand les enfants de ce sol américain pour une juste cause ont démontré leur courage.

Vous êtes encore là ? Alors, à demain, les amis !

Poema 1935-06-11 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida

Antonio Mario Melfi ? Letra : Eduardo Vicente Bianco

Poema par Canaro et Maida est le type même du tango que l’on ne peut pas facilement proposer dans une autre version. Amis DJ, si vous tentez l’expérience, on vous fait les gros yeux. Pourtant, il existe d’autres versions qui ne déméritent pas. Analysons un peu ce tango, qui est, selon un sondage réalisé il y a une dizaine d’années, le préféré dans le monde. Nous présenterons également une enquête pour savoir qui est le compositeur de ce chef-d’œuvre.

Ajout de deux versions le 29 août 2024, une en letton et une en arabe
(Cadeau d’André Vagnon de la Bible Tango).

Extrait musical

Tout d’abord, on ne se refuse pas d’écouter encore une fois Poema par Canaro. Peut-être plus attentivement 😉

Partition pour piano Poema de Antonio Mario Melfi Letra : Eduardo Vicente Bianco.
Poema 1935-06-11 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida.

Paroles

Fue un ensueño de dulce amor,
horas de dicha y de querer.
Fue el poema de ayer,
que yo soñé de dorado color.
Vanas quimeras que el corazón
no logrará descifrar jamás.
¡Nido tan fugaz,
fue un sueño de amor,
de adoración!…

Cuando las flores de tu rosal
vuelvan más bellas a florecer,
recordarás mi querer
y has de saber
todo mi intenso mal…

De aquel poema embriagador
ya nada queda entre los dos.
¡Con mi triste adiós
sentirás la emoción
de mi dolor !…

Antonio Mario Melfi Letra : Eduardo Vicente Bianco

Traduction libre

Ce fut un rêve de doux amour, des heures de joie et d’amour.
Ce fut le poème d’hier, dont je rêvais en couleur dorée.
Vaines chimères que le cœur ne pourra jamais déchiffrer.
Nid si fugace, ce fut un rêve d’amour, d’adoration…

Lorsque les fleurs de ton rosier refleuriront plus belles, tu te souviendras de mon amour et tu devras connaître tout de mon mal intense…

De ce poème enivrant, il ne reste rien entre les deux.
Avec mon triste adieu, vous ressentirez l’émotion de ma douleur…

Qui est le compositeur de Poema ?

Vous pensez que la réponse est simple, mais ce n’est pas si certain, car il y a trois hypothèses.

La version traditionnelle

Antonio Mario Melfi pour la musique et Eduardo Vicente Bianco pour les paroles.

Partitions avec attributions traditionnelles. Partition espagnole avec Bianco en photo. Partition française (Garzon) avec Bianco et Melfi en photo. Disque Columbia Londres écrit en français de Pesenti et Nena Sainz. Partition Bianco (avec photo de Rosita Montenegro). Partition italienne, avec en plus le nom du traducteur U. Bertini.

Les partitions, en général, indiquent les deux noms et les mérites respectifs des auteurs. Remarquez le disque central. Il sera aussi, dans une autre édition, dans l’argument pour la variante…

Une variante :

Antonio Mario Melfi et Eduardo Vicente Bianco en collaboration pour les deux.

En faveur de cet argument, Melfi est compositeur et a écrit les paroles de certains tangos, notamment les siens. On peut donc le classer également comme parolier. Il a composé Volve muchacha qui a clairement des liens de parenté avec Poema.
Bianco est connu comme parolier et comme musicien. Certains de ces titres peuvent concorder avec celui de Poema, stylistiquement, bien que moins réussis. Par exemple Corazón (dont il existe quatre enregistrements par Bianco de 1929 à 1942). Je ne parle que de la composition, pas de l’interprétation, Canaro n’ayant pas enregistré d’autre tango composé par Bianco, on doit comparer avec les enregistrements de Bianco.
En faveur de cet argument, on a les disques qui ne différencient pas les deux contributions. En voici quelques exemples.

La majorité des disques ne distinguent pas les fonctions. À gauche, deux disques Brunswick du même enregistrement de Bianco (1937). Le premier indique les deux noms, sans différentiation et le second n’indique que Bianco… Au centre, notre Canaro de référence dans une édition argentine. Ensuite, Imperio Argentino et la mention des deux sans distinction de fonction et enfin à l’extrême droite, l’enregistrement de Pesenti et Nena Sainz, mais ici, sans le nom de la chanteuse et avec les auteurs sans attribution.

On voit donc qu’il est assez courant, que les auteurs ne soient pas précisément crédités. Le détail amusant est le disque de Pesenti et Nena Sainz qui entre dans les deux catégories.

Une version iconoclaste

Dans l’excellent site de référence « Bible tango », on peut lire :
« Selon Marcel Pasquier, qui ne cite pas sa source et ne s’en souvient plus, Melfi aurait acheté la musique à Boris Sarbek, le véritable compositeur, pour 50 francs français de l’époque. Et cette mélodie serait un thème traditionnel biélorusse. »
50 francs de l’époque, selon le calculateur de l’INSEE (Institut National de Statistiques France), cela correspondrait à 33,16 euros. Pour référence, un kilo de pain coûtait 2,15 francs en 1930. En gros, il aurait vendu sa création pour la valeur de 15 kilos de pain. Cela peut sembler peu, mais souvenez-vous que pour le prix d’un café, Mario Fernando Rada aurait écrit les paroles de Araca la cana si on en croit l’anecdote présentée dans le film Los tres berretines.
L’affirmation mérite d’être vérifiée. Boris Sarbek étant probablement un homme d’honneur, n’a probablement pas divulgué la vente de sa création qui d’ailleurs n’aurait été qu’une retranscription d’un thème traditionnel.
Il convient donc de s’intéresser à ce compositeur pour essayer d’en savoir plus.
Boris Sarbek (1897-1966) s’appelait en réalité Boris Saarbekoff et utilisait souvent le pseudonyme Oswaldo Bercas.
Voyons un peu ses prestations dans le domaine de la musique pour voir s’il est un candidat crédible.

Des musiques composées par Sarbek

Par ordre alphabétique. En bleu, les éléments allant dans le sens de l’hypothèse de Sarbek, auteur de Poema.
Compositions :
Ce soir mon cœur est lourd 1947
Concerto de minuit, classé comme musique légère
Czardas Divertimento 1959
Déception (avec Mario Melfi). C’est donc une preuve que les deux se connaissaient suffisamment pour travailler ensemble.
El Fanfarrón 1963
El queño
Furtiva lagrima 1962
Gaucho negro
Intermezzo de tango 1952
Je n’ai plus personne
Le tango que l’on danse
Linda brunita
Manuska
Mon cœur attendra 1948
Oro de la sierra
Où es-tu mon Espagne ?
Pourquoi je t’aime 1943
Près de toi ma Youka 1948
Rêvons ensemble 1947
Souffrir pour toi 1947
Tango d’amour
Tango maudit
Tendrement 1948

Des musiques arrangées par Sarbek

Bacanal 1961
C’est la samba d’amour 1950
Dis-moi je t’aime
Elia 1942
En forêt 1942
Gipsy fire 1958
Je suis près de vous 1943
Les yeux noirs (chanson traditionnelle russe). Si Poema est une musique biélorusse, cela témoigne de son intérêt pour ce répertoire.
Meditación 1963
Nuages
One kiss
Pampa linda 1956
Puentecito 1959
Rose avril 1947
Tango marcato 1963
Un roi à New York 1957 Il a réalisé les arrangements musicaux du film Un roi à New York de, et avec Charles Chaplin (Charlot). Chaplin a tout fait dans ce film, l’acteur, le metteur en scène et il a écrit la musique qu’a arrangée Sarbek. Ce dernier a aussi dirigé son grand orchestre pour la musique du film.
Valse minuit
Vivre avec toi 1950

Sarbek pianiste

Il est intervenu à la fois dans son orchestre, mais aussi pour différents groupes comme Tony Murena, Gus Viseur (l’accordéoniste), mais, car il était le pianiste de l’orchestre musette Victor.

Melfi récupérateur ?

Je place cela ici, car ce serait un argument si Mefli était coutumier de la récupération.
Reviens mon amour a été arrangé par Mario Melfi sur l’air de « Tristesse » de Frédéric Chopin.
Il a donc au moins une autre fois utilisé une mélodie dont il n’était pas à l’origine, mais il n’est pas le seul, les exemples fourmillent dans le domaine du tango.
Donc, Melfi n’est pas un récupérateur habituel.

Sarbek interprète de Poema

S’il est l’auteur, il est probable qu’il ait enregistré ce titre. C’est effectivement le cas.
Un enregistrement de Poema signé Boris Sarbek, ou plus exactement de son pseudonyme Oswaldo Bercas, circule avec la date de 1930. Si c’était vrai, ce serait probablement une preuve, Sarbek aurait enregistré deux ans avant les autres.
Je vous propose de l’écouter.

Poema – Oswaldo Bercas et son Ensemble Tipique (sic).

Pensez-vous que cela soit une musique des années 1930 ?
Pour en avoir le cœur net, je vous propose l’autre face du disque qui comporte une composition de Horacio G. Pettorossi, Angustia.

Angustia — Oswaldo Bercas et son Ensemble Tipique (sic).

Voici les photos des deux faces du disque.

Les numéros de matrice sont 2825-1 ACP pour Poema et 2829-1 ACP pour Ausencia.

Comme vous avez pu l’entendre et comme le confirment les numéros de matrice, les deux œuvres sont similaires et ne peuvent pas avoir un écart temporel de plus de vingt ans.
C’est au moins un argument qui tombe, nous n’avons pas d’enregistrement de 1930 de Sarbek et encore moins de Poema.

Un argument musical

N’était pas spécialiste de musique biélorusse, je ne pourrai pas mener une étude approfondie de la question.
Cependant, vous avez certainement noté, vers 1:18 du Poema de Sarbek, un thème qui n’est pas dans le Poema habituel et qui sonne assez musique slave. Est-ce un extrait du thème de référence que n’aurait pas conservé Melfi ?
Dans les autres portions de Poema, on est tellement habitué à l’entendre qu’il n’est pas sûr qu’on puisse encore y trouver des origines slaves. Cependant le fait que ce titre sonne un peu différemment des autres Canaro contemporains pourrait indiquer un élément hétérogène. En effet, il n’y a pas de Canaro avec Maida qui s’assemble parfaitement avec Poema. Canaro a sans doute sauté sur le succès international de cette œuvre pour l’enregistrer.
Au sujet d’international, il y a une version polonaise que nous entendrons ci-dessous. Les Polonais aurait pu être sensibles à la musique, mais ce n’est pas sûr, car à l’époque ils étaient sous la domination russe et ils n’en étaient pas particulièrement heureux…
J’ai un dernier témoin à faire venir à la barre, la première version enregistrée par Bianco, en 1932. Écoutez-bien, vers 1:34, vous reconnaîtrez sans doute un instrument étrange. Cet enregistrement est le premier de la rubrique « Autres versions » ci-dessous.

Autres versions

La tâche du DJ est vraiment difficile. Comment proposer des alternatives à ce que la plupart des danseurs considèrent comme un chef-d’œuvre absolu. Si vous êtes un fan de la Joconde, en accepteriez-vous une copie, même si elle est du même Leonardo Da Vinci ? À voir.

Poema 1932 – Orquesta Eduardo Bianco con Manuel Bianco.

Cette version commence par des cymbales, puis des violons très cinématographiques, puis un bandonéon qui gazouille. L’introduction dure au total plus d’une minute et le piano annonce comme si on ouvrait le rideau de la scène le morceau. Une fois « digérée » cette étonnante et longue introduction, on entre dans un Poema relativement classique. Avez-vous identifié l’instrument qui apparaît à 1:23, 1:31, 1:40, 1: 44 et à d’autres reprises comme 2: 44 avant le chant et en accompagnement de celui-ci ?

Vladimir Garodkin joue le canon en ré majeur de Johann Pachelbel. Tien à voir avec le tango, mais c’est pour vous faire entendre le tsimbaly

Le tsimbaly, pas courant dans le tango, pourrait être un argument pour l’hypothèse de l’origine biélorusse.

Poema 1933 – Imperio Argentina acomp. de guitarras, piano y violin.

Le violon domine l’introduction, puis laisse la place à la voix accompagnée par la guitare et quelques ponctuations du piano. Le violon reprend la parole et de très belle manière pour la reprise du thème et Imperio Argentina reprend la voix jusqu’à la fin. Je suis sûr que vous allez trouver cette version magnifique, jusqu’à l’arpège final au violon.

Poema 1933 – Orquesta Típica Auguste Jean Pesenti du Coliséum de Paris con Nena Sainz.

Une version plus marchante, moins charmante. Auguste Jean Pesenti a déjà adopté des codes qui deviendront les caractéristiques du tango musette. Je suis moins convaincu que par l’autre version féminine d’Imperio Argentino. À noter la partie récitée, qui était assez fréquente à l’époque, mais que nous acceptons moins maintenant.

Poema 1933-12 – Orchestre Argentin Eduardo Bianco con Manuel Bianco.

Une autre version de Bianco avec son frère, Manuel. Elle est beaucoup plus proche de la version de Canaro, en dehors de l’introduction des violons qui jouent un peu en pizzicati à la tzigane. La contrebasse marque fortement le tempo, tout en restant musicale et en jouant certaines phrases. C’est très différent de la version de Canaro et Maida, mais pas vilain, même si la contrebasse sera plus appréciée par les danseurs de tango musette, qu’argentin.

Comme une chanson d’amour (Σαν τραγουδάκι ερωτικό) 1933 — Orchestre Parlophon, dirigé par G. Vitalis, chant Petros Epitropakis (Πέτρος Επιτροπάκης).

Une version grecque, preuve que le titre s’est rapidement répandu. Il y aura même une version arabe chantée par Fayrouz et l’orchestre de Bianco enregistré en 1951. Malheureusement, ce titre n’existe pas dans les quelques disques que j’ai de cette merveilleuse chanteuse libanaise.

Poema 1934 – Stefan Witas.

Une version polonaise qui fait tirer du côté des origines des pays de l’Est, même si comme je l’ai souligné, les Polonais n’étaient pas forcément russophiles à l’époque.

Poema 1935-06-11 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida. C’est notre tango du jour.

On notera que Canaro entre directement dans le thème, sans introduction.

Poema 1937 – René Pesenti et son Orchestre de Tango con Alberto.

Un autre Pesenti. Est-ce le frère d’Auguste Jean Pesenti ?

Deux autres preuves du succès mondial de Poema que je peux vous proposer grâce à la gentillesse d’André Vagnon de la Bible Tango qui me les a fait parvenir.

Poema 1938 – Orchestre Arpad Tchegledy con Pauls Sakss, en Letton. Cadeau d’André Vagnon.

(Ajouté le 29 août 2024)

Poema 1951 (Men Hona Hobbona marra) – Orquesta Eduardo Bianco con Fairuz (en arabe). Cadeau d’André Vagnon.

(Ajouté le 29 août 2024)

Poema 1954c – Oswaldo Bercas (Boris Sarbek) et son Ensemble Tipique (sic).

Oswaldo Bercas est peut-être l’auteur, ou tout au moins le collecteur de la musique traditionnelle à l’origine de Poema. Si cette hypothèse est juste, il est donc intéressant de voir ce qu’il en a fait. Nous l’avons déjà écouté, lorsque certains essayaient de faire passer cet enregistrement pour une réalisation de 1930. À comparer à la version de Melfi enregistrée quelques mois plus tard.

Poema 1957 – Mario Melfi.

Qu’il soit l’auteur, pas l’auteur ou coauteur, ici, Melfi présente sa lecture de l’œuvre. C’est une version très originale, mais il faut tenir compte qu’elle est de 1957, il est donc impossible de la comparer aux versions des années 30. Cependant, la comparaison avec la version à peine antérieure de Sarbek est pertinente…

Poema (Tango insólito impro 22 Un poema romántico by Solo Tango Orchestra).

Avec cet orchestre russe, on est peut-être dans un retour dans cet univers dont est originaire, ou pas, la musique.
Pour terminer, une autre version actuelle, par la Romantica Milonguera qui a essayé de renouveler, un peu, le thème.

Poema par l’orchestre Romantica Milonguera. Chanteuse, Marisol Martinez.

La Romantica Milonguera commence directement sur le thème, sans l’introduction, comme Canaro.

À demain, les amis !