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Champagne tango 1938-05-09 – Quinteto Don Pancho dir. Francisco Canaro

Manuel Gregorio Aróztegui Letra : Pascual Contursi

S’il fallait prouver un lien entre la France et le tango, il suffirait de mentionner le champagne, breuvage typiquement français qui fut inventé par le moine bénédictin, DOM Pierre Pérignon et imité par tous les viticulteurs du Monde et notamment d’Argentine qui produisent le « champagne » des milongas portègnes.

Le succès du champagne vient du fait que les musiciens argentins, dès 1906, sont venus à Paris pour enregistrer leurs disques. À partir de 1910, cela devient une véritable ruée, renforcée par la folie des Parisiens pour cette musique et la danse associée.
Même si le syndicat des musiciens français imposait aux Argentins de jouer en costume traditionnel de leur pays, les musiciens argentins ont fait recette. Canaro qui a enregistré en 1938 notre tango du jour ne nous contredira pas, lui qui ainsi que ses frères fut un habitué des cabarets parisiens.
Ces cabarets se sont exportés à Buenos Aires, y compris dans les noms. Les paroles de Contursi mentionnent le Pigall, l’un des plus réputés. Cabaret et champagne, Chapô au lieu de sombrero. Le ton est donné, les Portègnes s’amusent à être à Paris.
Je vous invite à consommer sans modération, Champagne tango.

Extrait musical

Champagne tango 1938-05-09 — Quinteto Don Pancho dir. Francisco Canaro

Fidèle à son style « marchant » Canaro à la tête de son Quinteto Don Pancho nous propose une version qui se déroule sans encombre. Ceux qui sont habitués aux versions de Di Sarli seront sans doute très dépaysés, mais cette version avec ses petites fioritures au violon est bien sympathique. Une version assez légère qui s’envole comme les bulles du champagne.

Paroles

Il faut se lever de bonne heure pour trouver une version chantée de Champagne tango… Vraiment de très bonne heure, car je n’en ai pas trouvé.

Esas minas veteranas
que siempre se conformaban,
que nunca la protestaban
aunque picara el buyón,
viviendo así en su cotorro
pasando vida pibera
en una pobre catrera
que le faltaba el colchón.

¡Cuántas veces a mate amargo
el estómago engrupía
y pasaban muchos días
sin tener para morfar!
La catrera era el consuelo
de esos ratos de amargura
que, culpa « e la mishiadura
no tenía pa » morfar.

Se acabaron esas minas
que siempre se conformaban
con lo que el bacán les daba
sí era bacán de verdad.
Hoy sólo quieren vestidos
y riquísimas alhajas,
coches de capota baja
pa’ pasear por la ciudad.

Nadie quiere conventillo
ni ser pobre costurera,
ni tampoco andar fulera…
Sólo quieren aparentar
ser amigo de fulano
y que tenga mucho vento
que alquile departamento
y que la lleve al Pigall.

Tener un coche,
tener mucama
y gran “chapó”
y pa’ las farras
un gigoló;
pieza alfombrada
de gran parada,
tener sirvienta
y… ¡qué se yo !
Y así…
de esta manera
en donde quiera
“champán tangó”.

Manuel Gregorio Aróztegui Letra : Pascual Contursi

Traduction libre et indications

Ces filles vétéranes qui s’adaptaient toujours, qui ne protestaient jamais même si elles tiraient le diable par la queue, vivant ainsi dans son gourbi (cotorro, garçonnière, chambre de solitaire, chambre de prostituée) une vie de pauvre fille dans un pauvre lit auquel il manquait le matelas.
Combien de fois l’estomac s’est-il contenté de mate amargo (Mate, la boisson d’Uruguay, Paraguay et Argentine qui se boit sans sucre, amère) et beaucoup de jours se sont écoulés sans rien avoir à manger !
Le lit était la consolation de ces moments d’amertumes où, par la faute de la misère, il n’y avait rien à manger.
C’est fini, les filles qui se contentaient toujours de ce que le mec leur donnait s’il était un vrai bacán (qui entretient une fille).
Aujourd’hui, elles ne veulent que des robes et des bijoux somptueux, des voitures décapotables pour se promener dans la ville.
Personne n’a envie de conventillo (habitation collective des pauvres de Buenos Aires) ou d’être une pauvre couturière, ni d’aller inconnue (fulera est une personne quelconque, sans prestige. La Fulera est aussi la mort, mais pas dans ce contexte)
Elles veulent juste paraître être amis avec untel ayant beaucoup d’argent, qu’il loue un appartement et qu’il l’emmène au Pigall (le cabaret/Casino Pigall appartient à ce phénomène de mode où se copient les mœurs parisiennes, Pigalle étant un quartier animé de Paris).
Avoir une voiture, avoir une femme de ménage et un grand « chapó » (chapeau, autre mode, parler avec des mots de français, voire en français) et d’avoir un gigolo pour les fêtes, une pièce recouverte de tapis luxueux (gran parada est à prendre dans le sens français de parade), d’avoir une servante et… que sais-je !
Et ainsi… de cette façon, elle veut « Champagne et Tango ».

Autres versions

Champagne tango 1914 Orquesta Roberto Firpo.

Cette version acoustique, desservie par la technique d’enregistrement, permet tout de même de prendre connaissance de l’interprétation de Firpo qui nous proposera 32 ans plus tard, un autre enregistrement que nous pourrons comparer. La flûte (jouée par Alejandro Michetti) qui vit ses dernières années dans les orchestres de tango est ici bien présente.

Champagne tango 1929 – Orquesta Victor Popular.

Une version un peu vieillotte. La clarinette joue avec les violons. Ce n’est pas vilain, mais un peu monotone et ce disque est en mauvais état.

Champagne tango 1938-05-09 — Quinteto Don Pancho dir. Francisco Canaro. C’est notre tango du jour.
Champagne tango 1938-06-22 — Orquesta Juan D’Arienzo.

C’est le tout dernier enregistrement avec Biagi au piano, avant qu’il se fasse virer pour avoir pris la vedette à D’Arienzo. L’orchestre est dans un intense dialogue avec le piano qui est effectivement la vedette, le soliste.
Quand on voit l’évolution du piano pendant les trois années où Biagi a officié dans l’orchestre de D’Arienzo, on peut se demander ce qu’aurait donné l’évolution de l’orchestre de D’Arienzo avec Biagi si el Rey del Compás avait été un peu moins susceptible…

Champagne tango 1944-07-28 — Orquesta Carlos Di Sarli.

Qui n’a jamais entendu Champagne tango par Di Sarli n’a jamais pris de cours de tango. Même si Di Sarli en propose trois enregistrements, cette version bien rythmée est la préférée des professeurs qui pensent que leurs élèves doivent avoir un tempo bien marqué et suffisamment lent pour que leurs élèves puissent mettre en pratique les figures compliquées qu’ils viennent de leur apprendre.
Relativement peu de surprise dans cette version. Les danseurs peuvent être en confiance.

Champagne Tango 1946-09-25 — Roberto Firpo y su Nuevo Cuarteto.

32 ans plus tard, Firpo qui essaye de se refaire une santé financière s’est remis au tango. Son interprétation est très originale et inspirera des orchestres uruguayens, comme nous le verrons ci-dessous.
L’attaque des cordes des violons par des coups d’archet brefs ou des pizzicati donne une version pétillante comme des bulles de champagne.

Champagne tango 1952-09-19 — Orquesta Héctor Varela.

Je sais que certains essayeront de ne pas écouter cette version à cause du nom de Varela. Cependant cette version est plutôt sympathique. Elle est énergique et sensible. Elle convient à la danse et est dépourvue des poncifs fatigants de Varela. Alors, allez-y en confiance et laissez-vous enivrer par Varela.

Champagne tango 1952-10-27 — Orquesta Carlos Di Sarli.

Encore Di Sarli. La musique est beaucoup plus glissée. Les violons ondoyants alternent avec des passages plus martelés. Cette version est plus contrastée que celle de 1944. C’est un Di Sarli typique, un incontournable des milongas.

Champagne tango 1958-11 — Orquesta Carlos Di Sarli.

Encore, encore Di Sarli qui a enregistré de nombreux titres à deux reprises durant la décennie des années 50. C’est un développement de la version précédente. Elle est bien fluide. On sent le disque qui tourne, imperturbable. On peut préférer les autres versions, mais celle-ci a aussi ses fanatiques. Sur l’île déserte, il faut emporter tout le champagne de Di Sarli

Champagne Tango 1959-03-23 — Donato Racciatti y sus Tangueros del 900.

Le retour de la flûte (et pas seulement de champagne) et d’un style de jeu qui plaît à Borges qui n’a jamais digéré que le tango sorte des bordels et de sa fange pour se « dénaturer » avec la guimauve sentimentale. Racciatti nous propose une version légère et qui pourrait être une réminiscence des années 1910, époque où la guitare et la flûte le disputaient encore au piano et au bandonéon.

Champagne tango 1959-12-07 — Miguel Villasboas y Su Quinteto Bravo del 900.

On reste sur la rive uruguayenne. Le style entraînant de Villasboas et sa sonorité particulière sont en général bien appréciés. On retrouvera des similarités avec Firpo. Une version joueuse. Villasboas n’a pas le champagne triste.

Champagne tango 1970 — Quinteto Añoranzas.

Le Quinteto Añoranzas nous propose une autre version avec un ensemble réduit. Il semblerait que le champagne se prête bien aux petites formations. Là encore _une flûte présente, mais qui partage la vedette avec le bandonéon et le violon. Cette version est cependant un peu terne. On désirerait un peu plus de mouvement (Añoramos a más movimiento 😉

Champagne tango 1979-09 — Miguel Villasboas y su Sexteto.

Vingt ans après, Villasboas nous livre une autre version. Pour ma part, je trouve la réverbération exagérée. Cela rend confuse l’écoute et perturbe la sérénité des danseurs. J’éviterais donc de vous passer cette version.Miguel Villasboas y su Sexteto. Vingt ans après, Villasboas nous livre une autre version.
Notons que trois versions par des orchestres uruguayens, c’est peut-être un signe de chauvinisme, Aróztegui étant lui aussi Uruguayen…

Champagne tango 1996 — Quinteto Francisco Canaro dir. Antonio D’Alessandro.

Peut-être que les musiciens ont un peu abusé de la divine boisson. La pièce est un peu assoupie. C’est peut-être pour exprimer la nostalgie des paroles, mais en tous cas, cela ne donne pas envie de la danser.

Le coup de l’étrier (La copa de la despedida)

Je ne pouvais pas vous laisser sur la version du Quinteto Canaro. Je vous propose donc un autre titre, venu d’un autre univers, mais qui parle aussi de champagne. Il s’agit de Champagne bubbles par Jose-M.Lucchesi. Ce musicien passionné de tango argentin n’a pas toujours été reconnu à sa juste valeur, notamment à cause d’une certaine jalousie des musiciens argentins qui voyaient en lui un talentueux concurrent. D’origine corse (France), mais né au Brésil, il fait l’essentiel de sa carrière en France, comme compositeur et chef d’orchestre. Il se fera d’ailleurs naturaliser Français.

Champagne-bubbles 1935 Jose-Maria Lucchesi.
Champagne Bubbles (composé par Jose-Maria Lucchesi, un titre en anglais et des indications en allemand pour cette production réalisée par Electrola à Berlin (Allemagne). Ceci montre la diffusion du tango… et du champagne. 1935, on est dans la période où les nazis encourageaient le tango plutôt que le jazz, musiques de noirs qu’ils méprisaient.

Pour en savoir plus sur Lucchesi, vous pouvez reporter à l’excellent site Milonga Ophelia.