Archives par étiquette : Luna Park

Mi serenata 1952-06-25 – Orquesta Edgardo Donato con Carlos Almada y Alberto Podestá

Edgardo Donato Letra: Juan Carlos Thorry (José Antonio Torrontegui)

Mi est un superbe tango chanson, écrit par Edgardo Donato. Il l’a enregistré à deux reprises, les deux fois avec des duos (et il ne sera pas le seul). Je vous propose aujourd’hui la seconde version, moins connue que celle réalisée 12 ans plus tôt. C’est le soir, laissez-vous bercer par cette sérénade et soyez sympas, répondez aux chanteurs, pas comme la pimbêche de ce tango.

Les rues de Buenos Aires et des alentours regorgeaient d’âmes seules et de musiciens, chanteurs, toujours prêts à pousser la chansonnette, notamment pour conquérir une belle.
La sérénade, favorisée par les nuits généralement clémentes de la région, faisait donc flores.
Le tango témoigne de cet engouement, avec au moins une trentaine de titres contenant Serenata. Ce sont majoritairement des tangos et des valses, mais en dehors de notre univers tanguero, il pouvait s’agir aussi de habaneras ou boléros.
Le cérémonial de la sérénade passait par la chanson sous le balcon, de l’autre côté de la clôture, comme dans la version d’aujourd’hui, par fois sur le balcon, comme dans Serenata que nous avons déjà évoqué… Normalement, la femme devait allumer une lumière pour signaler qu’elle était à l’écoute et si tout se passait bien, le chanteur pouvait espérer aller un peu plus loin, c’est-à-dire, selon les cas, grimper au balcon de façon acrobatique, sauter la barrière, ou recevoir l’accueil suspicieux du père de la belle.

Extrait musical

Mi serenata 1952-06-25 – Orquesta Edgardo Donato con Carlos Almada y .

La voix grave de Almada et la plus aigüe de Podestá forment un assez bel ensemble.

Mi serenata, Partition avec Donato et Gavioli en photo

Vous remarquerez qu’il est indiqué « Tango canción » (tango chanson). Il est écrit également que les palabras (paroles) sont de Juan C. Thorry, que la musique est de Edgardo Donato et que c’est une création de Romeo Gavio. Cela nous indique certainement qu’avant de l’enregistrer, il l’a chanté sur une des scènes de Buenos Aires.
La partition est dédicacée par Donato à José Lectoure et Ismaël Pace. Comme il se peut que vous ne connaissiez pas ces deux individus, voici leur photo et leur CV.

Ismael Pace et José Lectoure en compagnie de techniciens de la construction du Stadium dont ils sont les propriétaires (photo de 1932).

Je suis sûr que vous n’aviez pas deviné qui étaient réellement les dédicataires… Le Luna Park est une immense salle de spectacle de Buenos Aires, on se souvient que Canaro l’a utilisée pour les carnavals à partir de 1936, voir par exemple Después del carnaval 1941-06-19 Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz. C’est aussi une salle où des combats de boxe sont donnés, tout aussi violents que les meetings politiques qui s’y déroulent encore aujourd’hui.
On peut s’étonner de la . Ils étaient amis de Donato, mais le thème de ce tango ne semble pas totalement adapté aux personnages. On les imagine difficilement grattant une guitare sous un balcon, mais qui sait ?

Paroles

Niña de mi
brindarte quiero un cantar
que sea el reflejo fiel
de cariño sin par,
niña de mi ilusión.

A tu reja llegué
una estrella guiñó
y aquel día forjé
mi primera ilusión.
Serenata que allí
para ti improvisó mi amor,
tu promesa de amor,
tu mirada, un clavel,
dieron premio a mi canción.

Hoy que ya el tiempo pasó,
vine a tu reja a cantar,
silencio fue el responder
a este triste dolor
que tu ausencia dejó.

Edgardo Donato Letra: Juan Carlos Thorry (José Antonio Torrontegui)

Traduction libre et indications

Fille de mon cœur, je veux t’offrir une chanson qui soit le reflet fidèle d’une affection sans pareille, fille de mon sentiment amoureux (ilusión, n’est pas une illusion…).
À ta clôture, une étoile venue faire un clin d’œil, et ce jour-là, j’ai forgé mes premiers sentiments.
Une sérénade que là, pour toi, j’ai improvisé mon amour, ta promesse d’amour, ton regard, un œillet, ont donné un prix (récompense) à ma chanson.
Aujourd’hui que ce temps est déjà passé, je suis venu à ta clôture pour chanter, a été la réponse à cette triste douleur que ton absence a laissée.

Autres versions

Mi serenata 1940-01-11 — Orquesta Edgardo Donato con Romeo Gavio y Lita Morales.

C’est la première version, enregistrée par l’auteur, avec le duo gagnant Lita Morales et Romeo Gavioli. Qui d’autre que Roméo pouvait lancer la sérénade à Juliette, pardon, à Lita ? N’oublions pas qu’ils étaient un couple discret comme nous l’avons évoqué lors de notre anecdote sur El adios.
C’est sans doute la version préférée de la plupart des danseurs et elle le mérite.

Mi serenata 1952-06-25 – Orquesta Edgardo Donato con Carlos Almada y Podestá. C’est notre tango du jour.
Mi serenata 1955-09-02 – Orquesta con Jorge Maciel y Miguel Montero.
Mi serenata 1973 – Los Solistas de D’Arienzo con Osvaldo Ramos y Alberto Echagüe
Mi serenata 1980 – Orquesta Donato Racciatti con Marcelo Biondini y Gabriel Reynal.

Il s’appelle aussi Donato, mais c’est son prénom et le résultat n’est pas forcément convaincant.

Mi Serenata 2022-06 – El Cachivache Quinteto. Sans doute la palme de l’originalité pour cette version.

Et pour terminer, une belle version de la en video. C’est de 2017, donc logiquement après la version de El Cachivache, mais je trouve plus sympa de terminer ainsi.
C’est de nouveau un duo, homme femme, comme la première version de 1940 par Donato. La boucle est fermée.

Orquesta Romantica Milonguera avec et Marisol Martinez en duo – « Mi serenata »

À demain les amis !

Después del carnaval 1941-06-19 Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz

José Antonio Amunchástegui Keen (Paroles et musique)

Emportée par la foule, la célèbre chanson d’ pourrait être la sœur de notre . Les deux nous comptent un amour éphémère, séparé par la foule dans le cas d’Edith et par le cortège de dans celui de Ricardo Ruiz. Le carnaval était au vingtième siècle un événement pour les orchestres de tango.

Extrait musical

Después del carnaval 1941-06-19 Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz

Paroles

Se fueron las horas
de algarabía
que Momo brindara
con alegría…
Callaron las risas
de Colombina…
Pierrot agoniza
entre serpertinas.
Murió carnaval y su cortejo
de alegre y loca bullanguería….
Cornetas y gritos se escuchan lejos,
vibrando las almas, al recordar…

Recordé que una noche
el amor me brindó
dos labios plenos de pasión
y ardor….
Fue una noche que
lloraban los violines
un triste vals de
promesas olvidadas…
mientras la luna plateaba los jardines
un beso ardiente en la noche palpitó.

Mas el encanto
de aquellas horas,
al morir Momo
se diluyó.
Y con mi dolor
a solas
lloré la muerte
de mi ilusión.

Hoy solo escucho
los tristes ecos
de aquella alegría
y de aquel beso…
Mientras en las calles
las serpertinas
en llamas de fuego
se ven quemar!
Y entre cenizas carnavalescas
aún quedan ardientes mis ilusiones…
mi ensueño, el beso y las promesas
prendieron la llama, ¡de aquel soñar!…

Mas no fue solo un sueño
de amor que brilló;
trajo también el placer
dolor…
Pues la ilusión también
dejó su huella triste,
al ausentarse entre el
cortejo que marchaba…
llevándose con su alegre mascarada
mi último sueño de amor que allí tejí…

Pues ya soñaba, que fuera eterna
la breve dicha, que ayer viví…
Y con mi pesar, yo ruego
que vuelva pronto otro Carnaval.

José Antonio Amunchástegui Keen (Paroles et musique)

Traduction libre et indications

Les heures de vacarme où le Roi Momo trinquait avec joie sont révolues. (La algarabía, c’est le bruit que l’on entend entre les morceaux dans les milongas de Buenos Aires, quand les gens parlent tous en même temps, c’est le brouhaha. Le Roi Momo était la figure emblématique du carnaval, inspiré du Dieu Momos ou Momus des Grecs anciens, repris par les Romains dans leurs saturnales. Le carnaval a été diffusé en Amérique du Sud, avec le succès que l’on sait, notamment en Colombie et au Brésil. En Argentine, et Uruguay, le carnaval est également un élément important de l’année et cela depuis le début du vingtième siècle.)
Les rires de Colombine se sont tus…
Pierrot agonise au milieu des serpentins.
Carnaval est mort (Le Roi Momo, comme le Bonhomme Carnaval en France, termine généralement assez mal, noyé, brûlé…) et son cortège de bruit joyeux et fou tintamarre (bullanguería est un synonyme de algarabía)
Des cornets (comme ceux du tranvia, tramway) et des cris se font entendre au loin, faisant frissonner les âmes au souvenir…
Je me suis souvenu qu’une nuit l’amour m’a donné deux lèvres pleines de passion et d’ardeur… C’était une nuit où les violons pleuraient, une triste valse de promesses oubliées… Alors que la lune argentait les jardins, un baiser ardent dans la nuit palpitait.
Mais le charme de ces heures, où Momo mourut, se dilua. Et avec ma seule douleur, j’ai pleuré la mort de mon illusion (illusion est comme toujours un sentiment d’amour).
Aujourd’hui, je n’entends que les tristes échos de cette joie et de ce baiser…
Alors que dans les rues, on voit brûler les serpentins en flammes de feu et parmi les cendres carnavalesques, mes illusions brûlent encore… Mon rêve, le baiser et les promesses ont allumé la flamme de ce rêve…
Mais ce n’était pas seulement un rêve d’amour qui brillait, il apportait aussi du plaisir et de la douleur.
Puis, l’illusion a aussi laissé son empreinte triste, lorsqu’elle s’est éclipsée entre le cortège en marche… emportant avec sa joyeuse mascarade mon dernier rêve d’amour que j’y ai tissé…
Enfin, j’avais déjà rêvé que ce bref bonheur que j’ai vécu hier serait éternel… Et avec mon regret, je prie pour que revienne bientôt un autre carnaval.

Carnaval

Quand on pense, Amérique du Sud et Carnaval, c’est bien sûr Rio de Janeiro qui a la vedette. Mais en fait, les colons européens ont apporté le carnaval dans toute l’Amérique du Sud et l’Argentine et l’Uruguay l’ont également adopté, au début du vingtième siècle. Les percussions de la murga font un fond sonore puissant, mais la danse étant au programme, les orchestres sont mobilisés et plusieurs orchestres se sont formés pour ces occasions, de façon éphémère ou plus durable. Hier, nous avons vu l’orchestre Firpo-Canaro qui avait animé le carnaval à Rosario, il y en a beaucoup d’autres, comme Polito-D’Arienzo pour le carnaval de 1929 ou le Greco-Canaro pour les carnavals de 1914 – 1915.
On se souviendra aussi de qui écrivit son premier tango pour le carnaval de la Boca.

Mural de Benito Quinquela Martín Le carnaval de la Boca — 1936.
Le carnaval de la Boca. La bande « Juventud Bar Oriente ».

La bande « Juventud Bar Oriente » est née à la fin de 1952 (comme en témoigne son étendard). Elle représentait son quartier. Cette bande s’était organisée en club social et avait son siège près de la bombonera, le stade de Boca Junior.

Un film que nous avons déjà évoqué Carnaval de Antaño (1940), présente des images reconstituant le carnaval de 1912.

Carnaval de antaño. Reconstitution du carnaval de 1912 — Les chars, les défilés et un bal dans le film de Manuel Romero, Carnaval de Antaño (1940).
À partir de 1936, Canaro inaugure les bals au Luna Park, la grande salle de spectacle de Buenos Aires. Sur cette image, on peut voir la propagande pour Coca Cola et la quantité incroyable de sur la piste.

Dans ses mémoires, Canaro cite ses différentes prestations pour des carnavals, de Rosario à Montevideo en passant par Buenos Aires. L’apothéose est sans doute constituée par les bals géants qu’il animait au Luna Park.

Autres versions

Después del carnaval 1941-06-19 Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz. C’est notre tango du jour. La version la plus diffusée en Europe.
Después del carnaval 1958-05-28 — Orquesta José Basso con .

Avec un autre Ruiz qui n’est pas le frère du premier. En effet, les deux frères de Floreal s’appellaient, Fraternidad et Libertario. Voilà ce que c’est que d’avoir un père anarchiste…

Después de carnaval 1958-08-20 — Héctor Pacheco y su Orquesta dir. por .

Hector Pacheco l’enregistre avec son orchestre. C’est bien sûr une version à écouter. On notera que le titre est ; Después de carnaval et non pas Después del carnaval comme dans toutes les autres versions.

Después del carnaval 1959-01-12 Orquesta Osvaldo Fresedo con Hugo Marcel.

Fresedo nous propose une version très différente où les bandonéons staccatos contrastent avec les violons legatos. Ce Fresedo tardif comporte cependant des fioritures qui n’ont pas bien vieilli et l’on se contentera, pour nos milongas, de la version de 1941.

En 1986, José Basso enregistre de nouveau ce titre avec Eduardo Borda y . Je vous propose ici une version télévisée.

José Basso con Eduardo Borda y Quique Ojeda dans Después del carnaval.

 On n’est pas dans la danse, mais en 1986, c’était à peine le début du renouveau du tango dansé à Buenos Aires.

Deux versions par Di Paulo

Después del carnaval – Orquesta Alberto di Paulo V1.
Después del carnaval – Orquesta Alberto di Paulo V2.

Pour nous réconcilier avec la danse, une version contemporaine, par le .

Despues del carnaval — Sexteto con Guillermo Rozenthuler.

Ce sexteto a le mérite de ressortir des titres un peu oubliés malgré leur qualité. Il garde les arrangements d’origine, ici, ceux de Fresedo avec Ruiz. Le résultat est donc tout à fait dansable, bien plus que les derniers titres de ma petite liste…

À demain, les amis !